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Les écoles à ciel ouvert
éducation
et la génération hors-sol
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Existe-t-il en Valais des salles de classe qui ont pour seul plafond le ciel ? Et des enfants qui étudient dans les bois, les champs ou les bords des rivières ?
Dans les années 50, l’idée qu’il est possible de faire sortir l’école de ses murs se développe en Scandinavie. En Suisse, il faut attendre 1998 pour que les premières écoles enfantines en forêt ouvrent à Brütten et à St Gall. Il y a actuellement dans notre pays de plus en plus de structures éducatives en extérieur: 400 jardins d’enfants, 8 écoles enfantines publiques, 12 écoles enfantines privées et 2 écoles primaires. Plusieurs écoles privées valaisannes expérimentent un enseignement en partie dans la nature: à l’école Mandala, les élèves passent près de 60% de leur temps à l’extérieur du bâtiment scolaire. Depuis 2017, une autre école innovante, Graines d’avenir, se déroule en semi-plein air et encourage les valeurs d’autonomie, de nature, de coopération et de projet, car « les défis sont de taille et c’est notre rôle de préparer nos enfants à les relever en remplissant leurs petites poches de connaissances, de compétences, de valeurs et d’outils indispensables à la vie. »1
Il peut arriver que l’un d’eux ait huit limaces dans les mains au moment de commencer Une autre école primaire pionnière, fondée en 2013, est basée à Uvrier: EducaTerre. Les élèves y passent « un minimum de périodes entre quatre murs pour jouir d’un maximum de moments entre quatre mûres. »2 A ses débuts, l’école était nomade, dans une roulotte. Aujourd’hui, elle compte une douzaine d’élèves par niveau,
Nathalie Barras lit une histoire aux enfants à la fin d’une après-midi d’école en forêt, enfants de 1-5H, automne 2020
de la première à la cinquième primaire. Les enfants sont dehors, sauf par grand froid, forte pluie ou grand vent. L’éducation y est conçue comme un voyage qui « commence par une découverte, une éducation par la nature»2 et qui privilégie «l’alternance entre des moments d’inspiration, d’émerveillement, de découvertes personnelles, et des instants d’émulation, de partage, de collaboration autour de la construction d’un projet commun, avec comme moteur d’apprentissage la motivation et l’enthousiasme des enfants. »2 EducaTerre veut «apprendre dans, par et avec la nature»2, car «les études montrent que les enfants qui passent du temps dans la nature développent d’importantes compétences de concentration, de confiance en eux, de communication et de recherche de solutions.» 2 Les cours sont donnés «sur un magnifique terrain au cœur des vergers, [les] voisines [des élèves] sont des poules et des chèvres, et le ciel est [leur] toit.»2 L’enseignant utilise ce qu’il trouve sur place. Comme l’explique Isaline Pilet, institutrice de première et deuxième primaire à EducaTerre, « en plein air, le bruit incessant des enfants est moins dérangeant. Cela amène tellement de ne pas avoir besoin de leur dire tout le temps de s’asseoir et de se taire. On leur demande de se calmer, mais cela n’a rien à voir avec la vie dans une classe fermée. Là où, souvent, tout le monde finit cassé nerveusement au terme de la journée. […] Comme certains arrivent plus tôt, il peut arriver que l’un d’eux ait huit limaces dans les mains au moment de commencer. […] Il est important que la génération qui vient puisse se reconnecter à la nature. Mieux la connaitre, ne pas en avoir peur. Voir combien elle dépend d’elle. [Les enfants] y gagnent une capacité d’attention accrue. […] Ils sont beaucoup plus sereins. »3 De plus en plus de pédagogues alertent sur les

Tissage entre les arbres: on installe ce «métier à tisser» entre les arbres, et les enfants viennent y mettre les petits trésors de la Nature qu’ils trouvent; ça fait une œuvre collaborative et évolutive au fil des saisons 2020
dangers d’un enseignement emprisonné entre quatre murs, car «l’école a besoin d’oxygène.»4 Raymonde Caffari explique ainsi les bienfaits de l’école en extérieur : «Les petits enfants apprennent surtout en bougeant. […] Un enfant qui bouge bien est aussi souvent bien dans sa tête. Il peut s’ouvrir au monde et pratiquer son métier d’enfant, c’est-à-dire découvrir. L’enfance est une longue adaptation au monde. C’est faciliter cet apprentissage que d’évoluer dans la forêt. […] Vivre avec le froid, le chaud, la pluie, le vent. Les activités d’intérieur immobilisent souvent. Elles sont peut-être moins profitables pour les développements physiques et intellectuels. »5
Nous protégeons ce que nous connaissons et aimons Début 1985, un groupe d’éducateurs à l’environnement du WWF appelle à l’action pour lutter contre la mort des forêts. Plutôt que de sombrer dans le catastrophisme et la solastalgie, pourquoi ne pas essayer de renforcer dès l’enfance le lien de l’humain à la nature, pour qu’il ait envie de la protéger ? « Motivées pour cette cause, des écoles et des associations pour la jeunesse organisent des semaines en faveur de la forêt. Leur devise : nous protégeons ce que nous connaissons et aimons »6. L’idée est que si les enfants connaissent et aiment la forêt, ils se battront pour sa survie une fois devenus adultes. Un des rôles de l’école pourrait donc être de faire vivre aux jeunes des expériences positives, intéressantes et intenses dans la forêt, pour qu’ils l’aiment et apprennent qui elle est. Mais l’école est organisée dans des bâtiments. Le seul moyen est de la faire sortir et de l’amener dans la forêt. Pour cela, il faut aussi motiver les enseignants et leur donner des outils pédagogiques pour le faire. Ainsi naît Silviva, une structure qui « s’engage pour faire de la forêt un lieu d’apprentissage »6 et qui « élabore des activités pédagogiques en rapport avec l’éducation en vue d’un développement durable.»6 Silviva veut développer l’école en forêt : elle donne des cours, forme des enseignants, élabore du matériel et tente de réunir le monde des professionnels de la forêt avec celui des enseignants. En développant « l’apprentissage dans et par la nature »6, Silviva encourage une gestion durable des ressources.
L’enseignement entre quatre murs
Nathalie Barras nous a fait l’immense plaisir de prendre le temps de répondre à nos mille questions. Elle s’occupe, entre autres, de former des enseignants à l’éducation en plein air, en leur offrant des outils pratiques pour qu’ils donnent leurs leçons à l’air libre par tous les temps, que ce soit dans un pré, une forêt, un bord d’un ruisseau ou même dans la cour d’école. Car enseigner dehors, ça s’apprend ! Nathalie Barras est pédagogue par la nature, coauteure du livre L’école à ciel ouvert (le premier manuel scolaire pour enseigner dehors), membre de la direction de l’école EducaTerre et cueilleuse de mère en fille.
Il me semble que vous êtes originaire du val d’Anniviers. Si c’est exact, avez-vous passé une partie de votre enfance dans la vallée ? Cela a-t-il influencé votre rapport à la nature et joué un rôle dans votre engagement pour l’école dans la forêt ? Ma mère est originaire du val d’Anniviers et elle a grandi dans le hameau de Fang. J’ai passé toutes mes vacances scolaires à Fang dans la maison de mes grands-parents, là où ils ont élevé ma mère et ses sœurs. Avec mon frère, on jouissait d’une très grande liberté : être dehors dans les prés, jouer au bord de la Navizence, dans le bûcher de notre grand-papa, dans les jardins ou les vergers de Fang. C’était un morceau très précieux de mon enfance, parce que le reste de l’année on était dans un quartier urbain de la ville de Fribourg. J’ai pu nouer un lien très fort à la nature. J’ai expérimenté moi-même la richesse des impressions, la joie de vivre, le sentiment d’autonomie et la confiance en soi que cela donne. Quand j’ai vu mes propres enfants aller dans des écoles tout à fait traditionnelles, j’ai ressenti le manque que l’enseignement entre quatre murs procure chez les enfants, et a contrario la plus-value que cela donne de pouvoir offrir aux enfants des moments de plein air. La forêt est un milieu très adapté à notre physiologie d’être humain. Des études scientifiques médicales montrent que le plein air stimule nos sens sans les surstimuler. C’est très intéressant, car aujourd’hui, la plupart d’entre nous sommes devant des écrans, adultes comme enfants. Et là, on a des stimulations qui sont trop élevées pour notre système nerveux central. La forêt est stimulante au niveau de l’odorat, du toucher, de l’ouïe, de la vue, mais sans être surstimulante, avec un effet calmant sur le système nerveux central.
Qu’est-ce que Silviva ? Silviva est une fondation financée par l’Office fédéral de l’environnement. Elle a pour but de favoriser l’apprentissage dans la nature. Depuis une quinzaine d’années, Silviva forme beaucoup d’enseignants à pourquoi et comment amener leurs classes en forêt.

Activité langagière qui mobilise les 5 sens: trouver des objets qui ont des caractéristiques données, les ranger par paires de contraires; ici la paire «anguleux» - «arrondi», 2020
Quel est le lien entre l’école en forêt et le développement durable ? Les écoles en forêt les plus anciennes datent des années 50 au Danemark. On voit que les enfants qui ont eu la chance d’avoir un contact régulier avec la nature deviennent ensuite des adultes qui ont une propension beaucoup plus forte et évidente à protéger leur environnement, qui ont une autre manière d’être au monde et sont beaucoup plus conscients du fait qu’on fait partie intégrante de cet environnement. C’est hyper important actuellement, parce qu’on est dans la sixième extinction de masse. Sortir du bâtiment scolaire avec les enfants jeunes a donc un lien très concret avec le développement durable. On ne va protéger que ce qu’on aime, et on aime que ce qu’on connait. Il faut que la nature ne soit plus quelque chose d’inconnu mais quelque chose de précieux pour les enfants.
Est-ce qu’on peut enseigner dehors toutes les matières, même les langues ou les mathématiques ? Tous les apprentissages peuvent être faits en plein air, à part la géométrie (avec la règle, le compas et l’équerre, qui nécessitent une table) et la natation. Chez EducaTerre, les enseignants suivent le plan d’études romand, de la même manière que les écoles publiques. Au cycle 1, tout est faisable dehors, et même avec beaucoup de profit par rapport à dedans, car les enfants jeunes apprennent énormément par le mouvement. C’est contre-nature de forcer un enfant à être assis immobile et à se taire toute la journée. Je caricature, ce n’est pas comme ça dans l’école publique. L’enfant, quand il vient au monde, est naturellement curieux d’apprendre : il bouge, il tend les mains pour saisir des objets, il articule des sons. Dans les deux ou trois premières années de vie de l’enfant, les adultes font tout pour leur apprendre à parler et à marcher. A la suite de quoi on enferme les enfants dans des salles et on les oblige à s’asseoir et à se taire.
Existe-t-il des écoles en plein air en Valais ? Je suis dans le team de direction d’EducaTerre, donc je la connais bien. C’est les deux tiers du temps en plein air et un tiers à l’intérieur. Cela veut dire qu’il y a quand même des bâtiments dans lesquels les enfants ont des salles de classe, avec des tables, des chaises, du papier, des crayons. Nous avons actuellement des élèves jusqu’à la 5H et nous allons ouvrir une classe de 6H dès la rentrée. Ensuite nous demanderons l’autorisation pour la 7H et la 8H.
Pensez-vous que les enfants sont aujourd’hui coupés de la nature ? Et si oui, quels en sont les symptômes et les effets ? Oui, car on est face à une génération horssol. Dans leur vie privée, hors école, les enfants n’ont souvent pas l’occasion de créer un lien personnel avec des bouts de nature. Ils ont poussé hors-sol, sans contact avec l’humus, comme les tomates. Cela devient une urgence sociétale et de santé publique de reconnecter la jeune génération avec la nature. En France, ils utilisent le terme d’amnésie environnementale générationnelle. Il y a beaucoup de dégâts liés à ce manque de nature. Le premier qui a théorisé ce syndrome de manque de nature est Richard Louv, un journaliste américain qui a écrit Last child in the wood (Une enfance en liberté), et qui a décrit différents dysfonctionnements, comme l’obésité toujours plus grande des enfants, la myopie, et énormément de symptômes psychiques comme la dépression ou l’hyperactivité. Richard Louv, qui avait lui-même des troubles de la concentration, affirme ainsi « ma ritaline, c’était la forêt ». Protégeons nos enfants du syndrome de manque de nature !
Est-ce que le comportement des élèves change lorsqu’ils étudient à l’extérieur ? Sont-ils plus concentrés, ou au contraire plus dispersés? Les enseignants qui pratiquent beaucoup l’enseignement à ciel ouvert disent que, très rapidement, tout ce qui est une compétence transversale (comme la communication, la collaboration, la pensée créatrice, la démarche réflexive ou les stratégies d’apprentissage) est beaucoup plus stimulé chez l’enfant parce que les situations d’apprentissage sont beaucoup plus naturelles, pas artificielles. Des élèves qui ne disent pas un mot quand ils sont en classe communiquent, échangent et partagent leurs observations dès qu’ils sont dehors. En 2019, des chercheurs allemands, sous la direction du professeur Kuo, ont sorti une étude qui a montré que les résultats en français, mathématiques et sciences étaient meilleurs chez les élèves qui allaient régulièrement apprendre en plein air. Les apprentissages les plus efficaces se font en contexte. Par exemple, pour les mesures en mathématiques, au lieu d’apprendre sur des feuilles quadrillées avec des problèmes artificiellement donnés sur une fiche, on va dehors et on estime la longueur du chemin entre la cour d’école et le bâtiment de l’autre côté de la rue, puis on le vérifie avec des instruments de mesure.

Une enseignante fait un jeu de mouvement avec les enfants, sauter à pieds joints
Pouvez-vous donner un exemple concret de comment se passe un cours dans la forêt ? Je vous donne un exemple où il y a cinq moments dans un cours d’une demi-journée en plein air. Le premier moment se passe tous ensemble. L’enseignant va commencer par stimuler l’enthousiasme des élèves, puis focaliser leur attention sur un thème en particulier, comme par exemple écouter des chants d’oiseaux ou repérer des formes de la nature qui ressemblent à des lettres. Ensuite, il y a une activité dirigée, c’est-à-dire que l’enseignant donne une tâche à réaliser aux élèves, tous ensemble, en petits groupes ou en solo. Puis il est important de faire une pause avec un petit goûter ou une collation. Le quatrième moment est un moment de jeu libre, d’activités autodirigées, car les enfants sont des grands maîtres en matière de reproduire des attitudes, des comportements ou des tâches qu’ils ont vu faire, donc généralement beaucoup d’enfants reprennent l’activité d’avant la pause et la poursuivent à leur manière. Les neurosciences nous montrent que c’est dans les moments de jeu libre que les enfants affinent le savoir et intègrent les connaissances. Le dernier moment, c’est clore tous ensemble, de la même manière qu’on a commencé tous ensemble. Cela peut prendre la forme d’une histoire sur le thème qu’on a introduit en début de séquence, ou d’un tour de parole des élèves sur comment ils ont vécu cette matinée en forêt.
Pauline Archambault
1 citation extraite du site ecolegrainesdavenir.ch
2 citations extraites du site educaterre.ch
3 interview d’Isaline Pilet par Marc David, Illustré, août 2020
4 citation de Philippe Theytaz, docteur en sciences de l’éducation
5 interview de Raymonde Caffari, pédagogue, par Marc David, Illustré, août 2020
6 citations extraites du site silviva-fr.ch


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