ACCROCHAGE#

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Accrochage#

Jérôme Allavena / Julie Béna / Simon Nicaise / Adrien Vescovi

Mardi 27 septembre 2011 27 rue Jean le Galleu, 94200 Ivry-sur-Seine



Ce livret accompagne Accrochage#. Il réunit les images légendées de l’ensemble des pièces présentées dans l’atelier le soir de l’accrochage ainsi que des extraits d’entretiens réalisés avec les quatre artistes. Jérôme Allavena, Julie Béna, Simon Nicaise et Adrien Vescovi m’ont invité en juin dernier à concevoir un événement dans l’atelier qu’ils partagent depuis quelques mois à Ivry. Les trois contraintes déterminées par l’événement, quatre artistes / un atelier / une soirée, ont guidé les modalités d’un accrochage, proposant d’examiner la question suivante : Les affinités qui réunissent ces quatre artistes dans le partage d’un atelier commun ont-elles une correspondance dans leur démarche artistique respective ? Ce prétexte nous a finalement permis une grande liberté quant au choix des pièces et à leurs mise en espace. La parole est ici laissée aux artistes à travers les entretiens rassemblés dans la deuxième partie de ce document. Antoine Huet


SĂŠlection


Jérôme Allavena

Irregular Potatoes are impracticle, 2010 Série de GIF animés


Julie BĂŠna

Le relâche des parasoliers, 2011 Tissu et tubes inox


Simon Nicaise

Effet, pas d’affect, 2010 Train électrique, rails, table et moteur Courtesy galerie Dominique Fiat


Simon Nicaise

Sans titre, 2011 Prises d’escalades agglomérées Courtesy galerie Dominique Fiat


Julie Béna

La lune, le paon et ce qui suit, 2011 Médium noir teinté dans la masse, cales en pin


Adrien Vescovi Sans titre, 2005 LĂŠgo


Adrien Vescovi Sans titre, 2011 Dessin sur bois


Jérôme Allavena

Sans titre, 2011 Série de dessins imprimés sur papier


Adrien Vescovi

La belle époque, 2010 Vidéo, boucle


Entretiens


Entretien avec Julie Béna 11 août 2011. Antoine Huet : As tu une manière d’aborder un contexte, une manière de penser un projet ou même tout simplement est-ce que tu travailles par projet, est-ce que tout au long de ton processus de recherches, tu développes un protocole particulier… ou au contraire, es-tu encore dans un travail d’expérimentation qui vise à mettre en place des fondations ? Julie Béna : Je travaille beaucoup par rapport à des lieux en particulier et ceci s’est accru depuis un ou deux ans avec l’opportunité d’avoir des projets plus importants dans des espaces plus conséquents pour moi seule, et surtout, assez étonnamment d’ailleurs, on me demande très souvent de nouvelles productions. Ceci sous-tend pour moi un rapport au lieu toujours renouvelé qui me permet de penser de nouvelles productions en rapport avec l’espace. J’ai passé mon enfance dans le milieu du théâtre où ma mère y avait des responsabilités. J’étais actrice quand j’étais petite et c’est quelque chose que j’ai complètement mis à l’écart à l’adolescence. C’est finalement quelque chose qui a ressurgi dans mon travail à peu près au milieu des mes années de formation aux beaux-arts. Le théâtre est finalement assez présent aujourd’hui dans ma démarche. Il y a une sorte de théâtralité dans mon travail. Elle n’est pas surjouée, je pense, mais il y a des ambiguïtés sur le jeu, sur des rapports au théâtre et ses décors, à l’apparition, à la disparition, à la lumière… et donc dans ce cadre, les tissus deviennent des étoffes, des costumes, des rideaux.

A-H : Et c’est aussi très présent dans tes deux performances, « Avant la tombée du jour » et « Tout ce qui arrive, arrive par l’escalier » par le biais du jeu d’acteur. Tu écris un scénario, tu diriges des acteurs dans ce qui compose un décor… c’est presque du théâtre non ? J-B : A mon avis, ce qui est fondamentalement différent entre la performance et le théâtre, c’est le rapport avec le public. Et c’est en ce sens que pour moi, il y a une prise de risque plus importante en performance, car le théâtre soustend texte et répétition, même si il y a aussi prise de risque à chaque nouvelle représentation. Le rapport au public est complètement différent parce que même si tu as une scène centrale, la distinction entre acteur et public n’est pas aussi marquée qu’au théâtre, le rapport n’est pas aussi frontal. Avec la performance, le public, si on peut l’appeler ainsi, est très proche de toi et de l’action, et c’est ce qui m’intéresse beaucoup. A-H : Quatre années après la fin de ta formation à l’école des beaux-arts, estce que certains automatismes sont déjà à l’œuvre dans ta démarche artistique ? J-B : Pour travailler, penser les projets, écrire les choses, me concentrer, aller sur Internet pour rechercher des images… il faut dans l’absolu que je sois chez moi, dans mon bureau avec de la musique classique. Ce sont des temps importants pour moi. A-H : L’atelier a-t-il pour toi une fonction particulière ? J-B : L’atelier a été une nécessité à un moment donné car je sentais un certain


enfermement dans la photographie, la vidéo, tous ces médiums que je travaillais sur un ordinateur. Pour l’instant je n’ai pas vraiment de pratique d’atelier, Adrien Vescovi, beaucoup plus car lui est vraiment dans l’expérimentation. Pour moi ce sont vraiment des projets particuliers qui sont développés dans l’atelier. La pièce que j’ai pour le moment le plus travaillée ici, ce sont Les objets potentiels. C’est un lieu de sûreté, dans le sens où je sais que les pièces sont ici, mais ce n’est pas pour moi un lieu de concentration, pour le moment. Il faut dire que c’est assez récent aussi, nous ne l’avons que depuis peu de temps. A-H : Pour l’instant, seul le projet d’exposition- performance, à la LMD galerie a été pensé au sein de l’atelier ? J-B : Oui, parce que finalement, le deuxième projet de performance s’est entièrement fait au Transpalette. Claire Trotignion, Laëtitia Badaut Haussman et moi y avons été pendant un mois et demi et tout a été réalisé sur place. A-H : C’était une résidence ? J-B : Ce n’était pas une résidence, mais le fait que ça y ressemblait vient un peu de nous. On avait toutes les trois des projets plutôt conséquents. L’intervention de Claire Trotignion se déroulait dans un lieu complètement inaccessible dans lequel elle a travaillé pendant un mois et demi. Tout était occupé et recouvert. Le déblayage a pris un temps astronomique. Laëtitia Badaut Haussman et moi-même avions une demi-douzaine de pièces en production. Une grande partie de mes

n°123, 2011

Tissu et thermocollant recherches pour ce projet s’est élaborée avec le concours d’une série des années soixante-dix, Le Prisonnier. Je suis partie de cette série car sur le plan plastique, il y avait beaucoup de choses très intéressantes. J’ai exploré diverses directions qui se sont finalement écartées de la base de recherche. Mais quelques éléments ont refait surface, comme « n° 123 » par exemple, qui est une copie d’une des capes que portent certains acteurs de la série. Cette cape a pour moi un lien avec la performance, c’est un costume qui pourrait potentiellement servir à un personnage, porteur de multiples fictions. D’autres éléments ont aiguisé mon attention. On accède à la salle du n°2 par des rampes grises disposées en cercle. Ces rampes m’intéressaient pour deux raisons. D’abord, ce rapport à l’objet de la rampe, qui est symboliquement une évocation de l’accessibilité mais qui est aussi une forme géométrique. Dans un second temps, les rampes produites pour l’occasion reprenaient la mesure de la vraie rampe qui était dans ce lieu, qui faisait le lien entre la salle de concert et la salle de stockage qui est à côté. Au final, nous avons affaire à une instal-


lation très minimale. L’espace d’exposition était un lieu de stockage pour les éléments de la salle de concert d’à côté. Quand je suis arrivée dans ce lieu qui était encombré, je me suis dis qu’il fallait que l’on fasse quelque chose avec tous ces éléments. On a donc décidé de venir un jour tous les deux avec Adrien et de manipuler ces éléments, ne sachant absolument pas ce qui allait se produire, ce n’était absolument pas réfléchi, nous avons posé la caméra et nous avons filmé. On était dans l’activation des objets et il s’est finalement créé un dialogue dans lequel nous réagissions chacun par rapport à ce que faisait l’autre. C’était assez captivant de voir comment nous nous répondions, sachant que nous avons quand même des pratiques très différentes. De mon côté, il y avait des choses assez théâtrales, lui s’intéressait plutôt au potentiel de l’objet, à sa forme, à sa fonction. Par exemple Elle (moi) apporte un objet, lui le déroule et ça devient un chemin au sol par lequel elle va traverser l’espace. Il y a vraiment de beaux moments. Passons maintenant à Relâche des parasoliers. Dans Le Prisonnier, il y a des scènes en extérieur où il y a des tables avec des parasols. Il était question au départ que je fasse des parasols assez élaborés. J’ai finalement acheté un tube de métal et déposé un morceau de tissu dessus. Je trouvais que le geste de déposer, qui évoque ensuite une forme qui rappelle un parasol, était beaucoup plus juste par rapport à mon travail.

J-B : Oui, c’est vrai. Il y avait comme ça plusieurs rendez-vous possibles dans l’exposition. Pour terminer, il y avait un petit lieu, une sorte de poste de commande était dans la grande salle. Je l’ai complètement retapé pour l’exposition parce qu’en traversant les années il s’était fait oublier. Nous lui avons remis une porte, des vitres… et nous lui avons apposé un petit hygiaphone. Cet indice sous-tendait la présence potentielle d’une personne à l’intérieur, quelqu’un avec lequel nous pouvions entrer en discussion. Dans cette exposition, tout a été réalisé par rapport au lieu. Ce qui m’intéressait ici, c’était d’avoir tous ces objets en attente, déposés, dans un lieu dévolu à l’origine au stockage.

A-H : Et ce geste de déposer un morceau de tissu rappelle énormément celui que tu exécutes instinctivement dans la vidéo que tu viens d’évoquer…

J-B : C’est tout nouveau ça. Quand j’ai vu le lieu, et les objets, je me suis dit qu’il fallait absolument que l’on fasse quelque chose avec. Je pensais être

A-H : Quand on entrait dans l’espace d’exposition, était-on informé de la référence à la série «Le Prisonnier», avait-on connaissance de cette trame narrative ? J-B : Non, c’est mon prétexte à moi, c’est ma base de départ, après il y a une cape, des parasols… Mais c’est un univers esthétique tellement particulier, il y a encore plein de choses à faire avec… A-H : Et cette idée d’intervenir dans des lieux qui ont déjà une histoire qui n’est pas forcément liée à l’art, où il y a déjà des objets à disposition, un univers bien particulier, c’est quelque chose qui t’intéresse ?


seule et j’ai finalement invité Adrien et on a filmé, en une après-midi, pour garder la fraîcheur des gestes. Ce sont ces élans qui sont beaux. A-H : J’ai l’impression que le collage est une technique assez présente dans ton travail, dans le sens où tu rassembles souvent des morceaux de réalité captés dans divers espaces-temps pour les assembler ensuite sur un même plan et créer ainsi un nouvel espace fictionnel. Par extension, on pourrait aussi voir l’agencement d’objets sur un même plan, comme une poursuite de cette logique de production. C’est en quelque sorte une pratique du display. Ceci me fait penser à cette installation dans laquelle tu mets différents objets en relation sur une même scène…



Entretien avec Simon Nicaise 23 août 2011. Antoine Huet : Est-ce que depuis ta sortie de l’école des beaux-arts, tu as senti se mettre en place une logique de production qui aujourd’hui caractériserait ta démarche ? Simon Nicaise : Pour répondre à ta question, je vais revenir au tout début, alors que j’étais encore à l’école. J’ai monté une entreprise à partir de la deuxième année qui gérait l’ensemble des démarches liées à mon travail. En troisième année, je m’étais constitué une salle d’exposition, une salle de travail qui ressemblait plutôt à un bureau et pour finir une salle de stockage. J’ai tenté de comprendre ensuite comment les choses pouvaient passer d’un espace à l’autre. J’ai essayé dans le même temps de ne pas faire trop de distinction entre ces différentes salles. C’était une entreprise personnelle dans laquelle il y avait une réglementation générale, des ressources humaines, une trésorerie etc, qui me permettaient de gérer mon propre boulot. Tout ça a été mis de côté à partir de la cinquième année, mais j’ai gardé cette cartographie mentale, je n’ai plus voulu qu’elle apparaisse matériellement mais cette organisation du travail reste sous-jacente et j’en garde des stigmates. Pour moi, c’était une manière de contrôler une certaine autorité du lieu d’exposition, du lieu de stockage et toutes les contraintes techniques, économiques et politiques qui peuvent venir définir un travail. C’était une manière de les encadrer et de choisir la manière dont je me les infligeais. Ensuite, la sortie de l’école m’a permis d’ancrer dans le réel

toutes les questions que je me posais à l’époque, liées au budget, à la recherche de lieux d’exposition, au réseau comme on dit. J’étais très content de sortir de l’école car justement j’avais envie de me confronter à cette réalité, j’avais envie de trouver un atelier, j’ai galéré, et je galère toujours d’ailleurs. Je n’ai pas d’argent à la base donc je n’ai pas de financements autres que les ressources que je peux débloquer par moi même, en faisant des petits boulots ou en vendant des pièces. Tous ces paramètres m’ont tout de suite motivé. Ils sont une approche possible du travail. Je considère le fait d’être artiste comme un métier et donc j’essaie de me plier à certaines exigences. Quand j’avais mon entreprise, j’avais par exemple une production à réaliser tous les mois, j’avais mis en place mon propre rythme, j’avais mes horaires fixes. Maintenant je me suis donné plus de libertés, j’ai d’autres contraintes et je vis moins en autarcie qu’à l’école. Toutes ces questions me passionnent. ` A-H : Tu crées donc une entreprise dans les premiers temps, une entreprise que tu laisses de côté par la suite, en tout cas dans sa forme. Est-ce que tu te sens dans une logique de production qui répondrait aux principes d’une logique de projet ? Avec quatre étapes bien particulières que sont la conceptualisation, la conception, la réalisation et une sorte de feed-back ? S-N : Je ne dois pas être très loin de ça. Pour résumer, je fais des petites collections, je regarde beaucoup d’images, je ne prends jamais de photos, car je n’ai pas envie de rajouter d’image, je trouve qu’il y en a déjà assez. J’emmagasine


les observations et les réflexions. Ensuite vient l’idée d’un objet. Ces étapes marquent vraiment des temps particuliers pendant lesquels j’inscris des mots dans un carnet. Après vient le dessin et ensuite je réalise. A-H : Tu passes toujours par le dessin ? S-N : Oui toujours. Le dessin est pour moi une étape très importante qui me permet de faire des choix. Je ne ferai pas d’images 3D sauf si j’en ai absolument besoin pour faire un plan afin d’utiliser certains outils ou machine; mais sinon je n’aime pas que la pièce soit déjà millimétrée, calibrée. Quand je fais des plans, j’aime bien faire des essais avec les matériaux, voir ce qui se produit dans l’espace. J’essaie de ne pas trop figer les choses car mes idées sont plutôt condensées et on aurait un objet avec des possibilités réduites. De plus je ne sais pas réaliser tout moimême, je laisse place à l’erreur et aussi à des potentialités de dialogue avec les personnes que je fais intervenir. A-H : Est-ce que dans ce temps de maturation tu te fixes des cadres ou des contraintes particuliers ? S-N : C’est de plus en plus difficile parce que j’ai eu la chance de faire quelques expositions et mon cadre a été un peu balayé et éclaté. A-H : Ton cadre qui était ? S-N : Mon cadre était, un temps de réflexion, un temps de maturation puis de réalisation. Je trouve ça aussi très intéressant de pouvoir se laisser perturber mais, comme tout le monde, je suis

toujours à la recherche de circonstances pour pouvoir mettre en place les choses, avoir le recul nécessaire, marquer la direction que je vais prendre. C’est assez lié à ma pratique qui peut être parfois assez condensée, qui peut aussi avoir des airs de «déjà-vu». J’essaie de faire des choix dans la sélection des projets pour permettre une vraie filiation, c’est presque ici que se situe le plus important dans le travail. C’est vrai que sinon il y a pas mal de mes boulots qui peuvent être identifiés à d’autres, en même temps c’est aussi le jeu. A-H : Et est-ce que tu sens certains automatismes se mettre en place dans ta démarche ? S-N : Oui, et c’est une chose dont il faut savoir se méfier. Il y a des automatismes qui se mettent en place même si mon travail est encore jeune. En même temps, il ne faut pas en avoir peur. Quand on trouve quelque chose, on l’exploite un peu et on passe souvent à autre chose parce que cette chose a déjà été faite soit par d’autres, soit dans son propre travail. Dans tous les médiums, je pense qu’il faut savoir s’acharner quitte à faire des choses qui ressemblent à des choses déjà faites, parce qu’à l’intérieur de cette démarche, il y a de nouveaux éléments en train de se construire. J’ai quelques automatismes qui me viennent en tête mais j’ai en même temps un peu de mal à les identifier, Si une logique me convient à un moment donné, je ne vois pas pourquoi il ne faudrait pas la pousser à bout, jusqu’à ce qu’elle ne fonctionne plus. J’ai toujours réalisé mes pièces suivant différentes temporalités : un temps court, un temps moyen et un


A-H : Si on reprend la comparaison avec l’image de l’entreprise, est-ce que les différents lieux dans lesquels tu travailles ont des fonctions particulières ? S-N : Non, de manière générale j’aime le travail dans l’atelier. C’est un truc auquel j’aimerais donner de l’ampleur et de la visibilité, je réfléchis beaucoup aux murs blancs et j’adore les regarder pendant des heures. C’est parti d’un reportage sur les violences conjugales et domestiques qui s’appelle «Violence ordinaire». Immédiatement j’ai eu envie d’y soustraire les personnages et certains éléments du mobilier pour ensuite y incorporer les miens. Tout cela m’a amené à penser et à concevoir mes travaux comme si ceux-ci allaient être intégrés sur un fond vert et que dans cette surface il y aurait la possibilité pour chacun d’y projeter son affect et les éléments qui l’accompagnent. Je parle du fond vert de l’audio-visuel, celui grâce auquel on travaille par incrustation. C’est pour cette raison aussi qu’il y a pas mal de pièces que je fais qui sont de l’ordre du mobilier. Je suis assez White cube comme mec, à réfléchir les choses sur un fond vert. Ce fond, c’est vraiment une composante que je ferai intervenir un jour dans mon boulot mais plutôt sous l’angle du fondu assez lent, il faut lui laisser le temps pour qu’il

Excitation coercitive Bronze et poudre d’aimant Courtesy Galerie Dominique Fiat

temps long. Ces étapes me permettent d’avoir dans l’action des temps qui sont différents, qu’il s’agisse de la mise en oeuvre ou de la réflexion. J’ai des projets à long terme qui vont mettre vingt ou trente ans à se réaliser entièrement, des objets qui donnent l’apparence de se faire en une journée et d’autres qui sont dans l’entre-deux.

apparaisse. A-H : Est-ce que tu pourrais parler d’une des dernières pièces que tu as produites, et tenter de décrire plus précisément la manière dont les choses se passent à travers ce processus qui va de la conceptualisation à la réalisation ? S-N : Ça va être bourré d’anecdotes mais je vais prendre Excitation coercitive. J’aime beaucoup le regard que porte un ami antiquaire sur les objets anciens. J’aime parler de manufacture avec lui, c’est important quand on fait les choses, de façon «cheap» ou moins «cheap». Dans sa boutique il y avait un bronze. Et j’avais vu une image de manifestants en Grèce qui avaient tagué la bouche d’une statue classique et que j’avais justement intégrée dans mon fond d’images. On avait l’impression que c’était de la suie. J’avais beaucoup aimé cette image. Je m’étais dit que j’aimerais faire la même chose sur des sculptures publiques dans la rue en y jetant de la poudre d’aimant. J’avais mis cette idée de côté et j’en avais fait un dessin. Par la suite, je me suis rendu chez Etienne Malville, mon ami antiquaire, où j’ai vu cette sculpture en bronze qui représentait Maillol. Tout de


suite je me suis souvenu de l’idée de la poudre d’aimant. Il était sculpteur et ça m’a tout de suite titillé, de faire quelque chose avec tous ces éléments. C’était une manière d’approfondir encore mes réflexions sur la pratique de la sculpture, sur l’idée de rajout, comme je le fais dans d’autres pièces. Un rajout sans avoir à porter atteinte à la base puisque la poudre d’aimant peut être enlevée. J’ai donc pris cette sculpture puis je me suis aperçu que le bronze n’attirait pas l’aimant, mais cette méconnaissance a permis de faire apparaître une contrainte technique qui s’inscrit dans l’élaboration de la pièce. J’ai dû aimanter la sculpture de l’intérieur. Cette caractéristique m’a beaucoup plu. Dans de nombreuses pièces que je réalise se retrouve l’idée de donner un pouvoir à l’objet, un pouvoir qui se retourne souvent contre lui. Je l’ai donc aimantée de l’intérieur - c’était techniquement très difficile mais peu importe - et j’ai ensuite jeté de la poudre d’aimant sur sa tête pour effacer le modelé, la patine de la forme. En même temps la poudre d’aimant prolonge la forme en lui donnant un aspect très organique, tout en donnant l’impression de se faire bouffer. A-H : Tu parles de donner un pouvoir à l’objet qui se retourne contre lui, tout à l’heure tu me disais « J’aime énormément les objets. », c’est assez paradoxal non ? S-N : Non, si tu donnes un pouvoir à quelqu’un c’est déjà pas mal… A-H : Oui mais un pouvoir qui souvent se retourne contre lui. S-N : C’est vrai… Mais si ce n’est pas

un pouvoir, c’est inévitablement quelque chose qui se passe, ça peut être un pouvoir esthétique, un pouvoir physique, mental, ce que tu veux. Quand tu fais un rajout, ça apporte quelque chose qui dans le même temps soustrait autre chose et enlève une des caractéristiques initiales. A-H : Cette idée me fait penser à la pièce avec le train qui fait du surplace. S-N : Cette pièce est un petit train qui fonctionne dans le sens inverse de la table qui tourne elle aussi. De loin on voit tout. On voit la table qui tourne, on voit le moteur en dessous et quand on se rapproche de la pièce, les choses sont plus ou moins immobiles. Ce qui me plaît, ce n’est pas que le train soit statique mais bien qu’il patine dans la choucroute. Au début je voulais qu’il reste sur place mais techniquement je n’ai pas réussi et en fin de compte j’en suis bien content. Là on ne peut pas savoir si le train veut avancer ou bien s’il est en position de retrait et fait tout pour faire du surplace. Il y a aussi le rond, la table qui engage un rapport au monde. Table que l’on regarde de haut. C’est aussi la machine et la manière dont elle est reliée à quelque chose de plus vaste. Il y a la puissance de la machine et la manière dont les choses sont entraînées. A-H : C’est aussi la machine contre la machine en quelque sorte, parce que les deux moteurs tournent en sens inverse et à la même vitesse ce qui annule le mouvement. S-N : Pas vraiment annulé, parce que le train ne reste pas vraiment sur place, il vibre…



Entretien avec Adrien Vescovi 23 août 2011. Antoine Huet : Il me semble que tu développes actuellement un travail sous forme d’expérimentation. J’ai l’impression que pour le moment, tu as tenté beaucoup de choses dans des médiums variés, qui vont de la photographie à la sculpture en passant par la vidéo et le dessin. Un travail qui tente donc. Par la suite, je me suis demandé si malgré l’hétérogénéité des formes produites il y avait succession logique dans tes différents projets ? Adrien Vescovi : Pour revenir sur le terme expérimentation, pour moi, quoi qu’il en soit, quand on a un travail plastique, on ne peut que passer par l’expérimentation. Dans mon travail, je ne réponds pas à des idées. A partir de là, quand je pars malgré tout d’une idée, je commence à la nourrir de références : d’images trouvées sur Internet, de lectures, de films… Doucement cette idée se développe et je commence à dessiner. Je peux partir avec l’idée de faire un dessin qui va finalement devenir une photo, ou l’idée d’une photo qui va devenir une vidéo. Pour moi, l’expérimentation se situe dans cet écart, qui dévie de la trajectoire imaginée et m’amène ailleurs. C’est ce que j’attends de mon travail, partir d’un point pour finalement aller ailleurs. Je n’attends pas, ni n’essaie de répondre à mon idée première, j’essaie vraiment de trouver les failles de cette idée et de me laisser surprendre. J’ai achevé des vidéos en voyant un film, en tombant sur un effet optique, je cherche les choses et je les trouve en manipulant les matériaux. En vidéo par exemple, je commence

par faire des rushs et au moment du montage je manipule énormément les séquences, je les coupe, les déforme, les gratte, je monte le son, si je zoome sur une image, la matérialité de cette image s’accentue etc. Voilà comment je vois l’expérimentation dans mon travail. Après, il y a un axe central dans ma démarche qui gravite autour du jeu. Quand je trouve par exemple des cartes à jouer au sol et que je décide de les garder pour recomposer ainsi un jeu de manière aléatoire, dans ce cas un protocole est proposé : garder les cartes qui deviennent des documents, les accumuler, puis les montrer sous forme de séries qui composent un nouveau jeu. Quand je réalise une boîte de jeu, on est aussi dans l’aléatoire et le ludique. Le protocole est assez simple puisque je construis une boîte de jeu dans laquelle il y a cinquante deux pions, puis cette boîte me permet de construire un dessin au sol en suivant un nouveau protocole 1 - Prendre la boîte de jeu, renverser les pions au sol, 2 - Marquer chacune des arêtes de chacun des pions au sol, 3 - Poursuivre la ligne de chaque arête sur le sol jusqu’à ce qu’elle rencontre un obstacle. Nous avons affaire à une grille de jeu qui finalement a été construite par les pions de ce même jeu. Nous avons un renversement qui donne au jeu la possibilité de se construire par lui-même. Ce n’est pas vraiment tautologique mais en tout cas la boucle est bouclée. A-H : Est-ce que depuis ta sortie de l’école des beaux-arts tu as senti se mettre en place certaines procédures qui reviennent régulièrement ?


A-V : J’évite les automatismes, mais je sais en même temps que certaines choses reviennent régulièrement. C’est peut-être dans les systèmes de construction que les automatismes opèrent. J’aime partir sur un projet comme une installation par exemple, qui va ensuite donner une performance puis une vidéo. J’extrais un élément comme Médaillon de pneus de l’installation Junk Playground qui était activité dans ce contexte et qui devient par la suite une sculpture. J’en extrais aussi une palette qui devient La boîte de jeu. J’aime beaucoup que mes différents projets se développent de manière rhizomique, une chose en engendrant une autre et se déployant dans de multiples directions. Par exemple, je travaille actuellement sur une nouvelle boîte de jeu qui va me servir à réaliser une vidéo. A-H : Comment procèdes-tu pour nourrir cette idée première dont tu parlais précédemment ? A-V : J’ai commencé à rassembler des photos cet été, faites dans la rue et qui composent un répertoire de formes… A-H : J’ai vu que tu alimentais un blog sur lequel tu postais un certain nombre d’images et de références. A-V : A un moment donné je l’ai alimenté mais je le fais moins, les photos dont je te parle seraient la suite du blog. Mon travail évolue et mes références aussi. Le répertoire de formes que je constitue à l’aide de photographies provient plutôt d’expériences de rue et de ce que je peux voir directement dans le réel. Je ne les utilise pas toutes, mais j’en cumule un certain nombre, ce sont

des images dont je pourrais me servir plus tard. Pour prendre un exemple concret, alors que j’étais en résidence chez Triangle à Marseille, j’ai répertorié énormément d’aires de jeu. Je me suis donc constitué un répertoire de formes que j’ai ensuite tenté de synthétiser. J’ai gardé un type de plateforme et sept formes de passerelles puis j’ai entrepris de tisser un réseau entre ces éléments, ce qui a finalement produit un dessin de six mètres par deux mètres cinquante. C’est une sorte de dessin d’architecte, qui proposerait une structure utopique et non habitable. Ces photographies d’aires de jeux sont donc réutilisées pour l’élaboration d’un dessin. Les dessins que je réalise mettent du temps à se construire, il y a souvent plusieurs étapes de croquis et d’essais avant de trouver la forme finale. J’aime beaucoup passer d’un médium à l’autre pour laisser le temps aux choses de se mettre en place. C’est aussi pour cette raison que je touche à plusieurs médiums à la fois. Maintenant que nous avons cet atelier, c’est idéal pour laisser reposer les choses. Dans un texte de présentation de ton travail écrit par Pascal Thévenet, il est question du déplacement et de la décontextualistation comme principes actifs dans ta démarche. Quels sont les différents temps nécessaires à la production d’une de tes pièces ? Est-ce que l’atelier par exemple constitue un temps particulier de réflexion ? C’est assez marrant car quand j’étais


à l’école, j’ai eu une pratique d’atelier vraiment intensive pendant les trois premières années. J’y travaillais beaucoup et je ramenais beaucoup de choses de l’extérieur, j’avais une très grosse production en atelier. J’ai vraiment profité de l’espace et de la structure qui nous était offerte. En quatrième année nous n’avons plus eu d’atelier puis en cinquième année nous nous sommes retrouvés avec deux ateliers, on avait de l’espace à ne plus savoir qu’en faire. Ma pratique a un peu évolué durant cette période à cause du manque d’espace puis du trop plein d’espace, j’ai interrogé ces contraintes. En sortant de l’école, j’ai eu l’opportunité d’avoir un premier atelier puis, j’ai pu faire une première résidence qui m’a permis de continuer à travailler. La question de l’atelier est très importante pour moi car j’en ai besoin pour produire, j’ai besoin de ce temps d’atelier. Après, il ne faut pas oublier d’en sortir et d’aller chercher ailleurs. Il ne faut pas oublier de sortir de Paris aussi, ça c’est primordial pour moi. Dans Paris, je suis vite noyé, je n’arrive pas à avoir de repères, je n’arrive pas à voir les choses, il y a une telle profusion d’événements. En sortant de la ville j’ai des déclics, je vois beaucoup mieux les choses quand il y a un certain horizon. Dans le même temps, j’ai aussi besoin de calme et je sais que l’atelier me permet de retrouver cet état de sérénité. A-H : Tu manipules beaucoup les matériaux et les objets. Au Transpalette, vous avez tourné une vidéo avec Julie Béna, dans laquelle vous manipuliez chacun à votre tour des objets. Un dialogue s’est mis en place et des allers-retours

se faisaient entre vos deux manières d’appréhender un objet, de le déplacer et de le manipuler… A-V : Ce projet est né d’une note d’intention pour une résidence en commun. Nous avons mis en place un projet sur une longue durée qui était le suivant : Julie posait une première chose sur une table puis je répondais en posant une autre chose sur cette même table et ainsi de suite. En réfléchissant et en écrivant la note d’intention pour la résidence, je me suis mis à imaginer que ce projet avait à voir avec le fait de dresser une table. Une des personnes amène les verres et l’autre, les assiettes, puis les couteaux, ensuite les fourchettes etc. Sur le même modèle, au Transpalette, nous avons fait cette première vidéo en commun dans cet espace où il y avait plein de matériaux stockés. Nous avons commencé par prendre des objets et les déposer dans le champ de la caméra, puis à se répondre l’un après l’autre, à se provoquer, avec chacun son répertoire de gestes et d’actions. On a finalement établi un protocole assez glissant. A-H : Quelle place occupent les installations dans ton travail ? A-V : Mes installations sont des Junk playground, des aires de jeux imaginées après la seconde guerre mondiale sur des terrains vagues souvent bombardés. L’idée était que les enfants se réapproprient le territoire et construisent des jeux avec les éléments qu’ils trouvaient sur les terrains vagues. Je rejoue cette idée en arrivant sur des lieux d’exposition, comme un ancien garage par exemple. Ce que je trouve facilement


dans ce lieu, ce sont des palettes, du pneu, de la corde…Je crée une installation qui s’étend sur quatre cents mètres carré, à l’échelle de mon corps. J’essaie de monter des palettes le plus haut possible, à un moment donné je ne peux plus donc je m’arrête. Je réalise un médaillon de pneus qui est colossal, puis je monte à la structure du bâtiment pour l’accrocher. C’est tout un jeu pour moi et je crée ce qui va devenir un décor. Je vais l’activer une première fois avec une performance spectaculaire et acrobatique Gallo Romane, pendant laquelle je déambule dans l’installation tel un danseur ou un chimpanzé. J’active donc une première fois mon installation avec cette mise en scène jusqu’à ce que je sois épuisé. Il y a donc l’installation, la performance puis je me sers du décor pour réaliser une vidéo. Dans Poll Base qui dure près de quatre minutes, j’exploite vraiment l’aspect narratif de la bande annonce. A-H : A travers ces installations tu mets en place des processus de construction à partir d’éléments hétérogènes qui aboutissent à la production de ce que tu nommes un décor. Tu mets aussi en place des processus de déconstruction qui te permettent ensuite une construction possible, je pense ici à la pièce que tu présentes pour «Accrochage#». A-V : En réalité c’est une deuxième version du dessin Géométrie inversée que je présente ici, la première version est montrée actuellement à Marseille dans la Galerie Gourvennec Ogor. Géométrie inversée est un panoptique composé de sept panneaux. Après avoir sélectionné une aire de jeu du type de celle que l’on retrouve dans

un jardin publique, je l’éclate et mets à plat les cinquante- deux éléments qui la constituent. Le principe de déconstruction transforme donc les différentes marches, piliers et façades qui deviennent des formes géométriques : carrés, rectangle et ronds... La deuxième étape, la reconstruction, est une réorganisation de ces éléments. Un système pour l’élaboration d’une nouvelle aire de jeu. Le dessin prend la forme d’un plan composé de traits de coupe. Les éléments se soutiennent les uns les autres pour constituer un réseau de voies évoquant une syntaxe urbaine. Dans la version que je propose ici, j’ajoute des couleurs pour une construction qui devient une composition, comme un tableau.



Entretien avec Jérôme Allavena 29 août 2011 Antoine Huet : Est-ce qu’à travers les réflexions que tu mènes essentiellement autour du dessin, des questions reviennent régulièrement ? Le protocole est une chose que tu interroges régulièrement, comment ces paramètres s’imbriquent-ils? Jérôme Allavena : Je me suis posé la question du dessin dans l’art contemporain assez rapidement après mon entrée à l’école. C’est pour moi une position esthétique. J’ai étudié à l’école des beaux-arts d’Angoulême où la bande dessinée occupe une place très importante. Faire de l’art contemporain dans cette école et s’interroger sur le dessin dans ce contexte m’a forcé à prendre une position très claire entre ce que je considérais être du dessin contemporain et de l’autre côté de la bande dessinée, de l’illustration ou du dessin de communication. Les enjeux de ce dessin contemporain se sont mis en place petit à petit, d’abord comme tu l’as dit par le biais de protocoles, c’est-à-dire dans mon cas, par le biais de la littérature et aussi de la bande dessinée, avec Oulipo et Obapo. Ces protocoles issus de la littérature m’ont permis de générer différentes formes de dessins. A l’aide de contraintes, j’ai pu naviguer entre des formes très réalistes et d’autres complètement abstraites, déconstruites, j’ai pu osciller entre les deux, voire même mêler les deux dans certains projets. A-H : Et est-ce que tu peux revenir sur Oulipo et Oubapo… J-A : Oulipo et Obapo sont les diminutifs

pour Ouvroir de bande dessinée potentielle et Ouvroir de littérature potentielle. Ecrire un livre sans la lettre E par exemple, Georges Perec en est le spécialiste. Ce sont les poèmes de Raymond Queneau, c’est toute une génération d’écrivains qui va générer des protocoles pour contraindre leur écriture. C’est le fait de construire des palindromes, la poésie en soi est aussi une forme de littérature sous contraintes. Tu me parlais des notions qui m’intéressent dans le dessin et que j’ai vu revenir, que j’essaie de développer dans des formes multiples. Au départ ce sont des protocoles et au fur et à mesure je me rends compte que ce sont des liens plus que des protocoles que j’essaie de tisser entre le dessin et les formes d’une esthétique de l’art contemporain. Les formes que prennent mes dessins peuvent se matérialiser dans différents médias. On pense tout de suite au dessin sur papier mais ça peut aboutir à un mural, à de la vidéo, à de l’édition, à du dessin animé, à un programme informatique et même à de la sculpture, médium que je tente d’aborder depuis peu de temps. L’idée est de créer des liens entre le dessin et la manière dont il est généré. Ce qui est intéressant pour moi, ce n’est pas de créer un dessin dans le vide mais bien un dessin qui s’interroge sur sa propre genèse. J’ai un vaste champ d’investigation et d’expérimentation devant moi. Les notions que j’aborde sont d’abord liées au dessin. C’est la ligne qui m’intéresse, la ligne dans ce qu’elle a de continue ou d’interrompue, c’est-à-dire qu’elle peut être fragmentée, dissociée, recombinée. Ensuite, j’aborde des thèmes qui sont peut-être plus liés à l’espace et à des notions liées à l’art


contemporain, comme l’espace, les enjeux d’une mise en relation entre une pièce et l’espace Il y a une autre notion très importante pour moi qui est la temporalité du dessin, question très peu abordée par ce médium. A-H: Est-ce que tu pourrais tenter de décrire les contraintes que tu te fixes pour restreindre le potentiel de tes protocoles ? J-A : Il est vrai que quand on parle de protocole, la génération de formes qui en découlent peut devenir rapidement infinie et il faut chaque fois que je réduise les variables ou que je limite la production. Mon but n’est pas de créer des protocoles que je vais réutiliser indéfiniment, comme des outils et des recettes. Je vais plutôt me fixer un nombre fini de dessins dans chaque série que je débute, selon une estimation qui m’est propre. Ce qui m’intéresse, ce sont les variables, que j’estime suffisantes à un moment donné pour que le protocole soit en marche. J’estime que le protocole fonctionne à partir du moment où le dessin n’est plus seulement ce que l’on voit mais qu’il est possible d’imaginer d’autres variables. A-H : Est-ce qu’en prenant un exemple précis, tu pourrais parler des contraintes que tu te fixes dans un contexte particulier ? Tenter de décrire ce qui à un moment donné te permet d’arrêter ton dessin ; à partir de quel moment décides-tu que le dessin est efficient ? J-A : Cette question de la suffisance est particulière puisque je ne décide pas forcément de montrer une pièce quand je trouve qu’elle est suffisante,

c’est plutôt l’inverse, je montre la pièce à un moment donné et je me rends compte en temps réel si la pièce est suffisante ou pas. La pièce existe mais son fonctionnement est confirmé par sa monstration. La pièce ne peut pas vivre seule, c’est vieux comme Duchamp, ce sont les regardeurs qui font les tableaux, comme on dit. J’ai eu la chance de montrer mes pièces. J’ai un projet en cours et un lieu qui m’invite. C’est assez rare qu’il me reste des pièces sur les bras qui ne sont jamais montrées. A un moment donné, mes pièces ont toujours un contexte de monstration, que ce soit sur internet, comme vitrine, que ce soit dans un espace dédié à un l’art contemporain ou chez un particulier, ces pièces sont exposées et donc montrées, elles ne restent pas chez moi.

Si et seulement si, 2011 Huit sculptures, bois, acrylique

A-H : Est-ce qu’on peut revenir sur une pièce en particulier et tenter de décrire sa genèse ? J-A : Je prendrai l’exemple de Si et seulement si. Cette pièce est constituée de huit sculptures faites en décembre 2010 et qui avaient vocation à être montrées dans les sous-sols du Palais de Tokyo, la Friche, qui avaient successivement


accueilli Sophie Calle et Amos Gitaï. C’était dans le cadre de ma résidence au Pavillon du Palais de Tokyo. A ce moment, j’ai eu l’opportunité pour la première fois d’explorer les liens possibles entre la sculpture et le dessin. Je commençais à avoir envie de passer du dessin au volume et de faire un lien entre le dessin et la sculpture. J’avais envie de relever ce challenge. Le Pavillon m’a donné le lieu, les moyens de le faire et un cadre de monstration. J’ai été très marqué par les minimalistes et les conceptuels donc les formes que j’aborde en sculpture sont des formes géométriques très basiques, je ne travaille pas par allégorie ou métaphore. Ce que j’ai voulu établir comme lien entre ces deux médias est basé sur un rapport entre des potentiels, des variables du dessin et de la sculpture. Ces huit sculptures se présentent sous forme de cadres en bois assez massifs de un mètre quarante-cinq sur quatrevingts centimètres, posés comme des portes, ou à l’horizontal. Dans ces cadres, il y a un panneau pivotant sur un axe qui se trouve à différentes positions. Cet axe permet au panneau de pivoter et de positionner la sculpture dans l’espace. Des ouvertures très variables qui permettent d’obtenir différentes sculptures. On parlait tout à l’heure des contraintes que je me fixe pour définir mes protocoles, donc dans ce cas, je réduis les variables en décidant de l’angle d’ouverture du panneau par rapport au cadre pour que l’objet tienne debout. De cette fixation dans l’espace, une fois le module constitué, je réalise un dessin sur une des faces du panneau. Ce dessin est la représentation d’une boîte, fictionnelle, qui n’existera jamais, une boite, dans laquelle le module serait en-

capsulé, pour un transport par exemple, dans la position dans laquelle elle est présentée dans l’espace. Il y a une double relation entre la sculpture et le dessin. Comme un croquis que l’on pourrait avoir sur une caisse d’emballage, quand on fait de la régie, on a aussi un plan de montage réalisé au crayon sur un morceau de papier. Ce sont des dessins très simples. J’ai eu besoin de réaliser la sculpture pour faire le dessin, d’avoir la position exacte de la sculpture pour dessiner sa représentation sur le panneau et la sculpture ne peut pas être remontrée sans le dessin qui devient finalement son mode d’emploi. Lors d’un transport, le volume de la sculpture se réduit puisqu’elle est transportée pliée, comme un tableau, la boite est une boite fictionnelle et même absurde mais l’un ne peut pas exister sans l’autre. A-H : Comment expliques-tu le nombre de cadres? J-A : Je savais que j’en voulais huit. Tu as déjà vu les cubes de Sol Lewitt ? Les variables qu’il fait ? En général quand il en fait plusieurs, c’est un damier et au départ, j’étais dans cette idée de forme. Au départ, j’en voulais neuf. Trois, trois, trois. Mais quand j’ai reçu le matériel bois, je n’ai pu en faire que huit. Bon, j’aurais pu commander plus de bois, si j’avais eu plus d’argent mais je n’en avais pas et je me suis donc limité à huit. J’ai beau avoir des protocoles très stricts, ils sont aussi soumis aux aléas du réel. Huit a donc été déterminé par la quantité de bois mais aussi huit c’est neuf moins un et une question potentielle, quel pourrait être le neuvième ? Cette idée que le potentiel puisse


s’imaginer, je trouvais finalement assez intéressant qu’il en manque un. Cette idée de manque dans la sculpture existe depuis la nuit des temps. Par rapport à cette petite histoire des neuf variables de Sol Lewitt, je trouvais ça bien qu’il en manque finalement une. A-H : Comment as-tu pris en compte les paramètres de ce lieu pour penser tes sculptures ? J-A : Par rapport aux travaux que je fais d’habitude, la sculpture est devenue dans ce contexte une possibilité, dans le sens où je voulais avoir des modules à disposer dans l’espace en un temps assez court. Nous n’avions qu’une journée de montage pour cette exposition. Je ne pouvais pas faire de dessins sur papier car dans un lieu comme la Friche ça n’était pas possible, la moindre chose que l’on accrochait au mur était complètement envahie par le lieu, on a pu le voir avec l’exposition de Sophie Calle. Je ne pouvais pas faire de dessin mural non plus car même si j’en avais eu l’envie, je n’avais pas le temps en une journée de montage. Je me suis donc retrouvé avec une grande envie de faire de la sculpture et en plus les conditions étaient idéales pour réaliser ce projet. L’idée des modules était aussi liée à leurs variables par rapport à l’espace et à l’étendue qu’ils pouvaient occuper. Le fait d’avoir une possibilité de varier l’extension de la pièce grâce aux modules me permettait de prendre en compte l’architecture très présente du lieu. Plutôt que de mener un combat contre cette architecture, très forte, en présentant une sculpture massive qui aurait pu venir se confronter frontalement au bâtiment, j’ai préféré m’insérer

et dialoguer avec. Ces pièces sont aussi autonomes et pourraient finalement investir un autre lieu. A-H : Peux-tu nous parler de la série des gifs animés que tu as réalisés à l’occasion d’une invitation à produire une pièce pour une vitrine internet ? J-A : Irregular Potatoes are Impracticle sont des gifs animés qui sont des mélanges de formes de personnages qui tournent sur elles même à trois cent soixante degrés en boucle, puisque les gifs sont par définition des boucles. Les gifs sont des objets assez légers que l’on voit beaucoup sur internet et que j’ai trouvé assez cohérents d’investir pour un espace de monstration virtuel. Ces gifs animés sont comme de petites sculptures qui tournent sur elles mêmes, ça se fait beaucoup en dessin d’animation 3D. J’ai réalisé huit dessins qui se succèdent et se combinent de manière aléatoire. L’unité de la forme n’est donnée que par la succession des dessins qui tournent sur un axe vertical. C’est une simple illusion d’optique. A travers ce projet, je me suis posé la question de la sculpture sur le net, comment voit-on de la sculpture sur internet ? En général, on voit des photos de sculptures sous un angle de vue ou deux. Tout ce qui est dissimulé de la sculpture quand elle est représentée par l’image m’intéresse beaucoup. Pour moi, c’était intéressant de créer une vue qui donne l’illusion de la 3D. Ce sont des objets figés dans le sens où il n’y a rien d’autre que le mouvement de la rotation qui est donné par la succession de dessins, réalisés à partir de différents points de vue du même objet. Ce ne sont pas des animations de corps en


mouvement, le corps représenté est figé et tourne sur lui même. A-H : Qu’est-ce qui a un moment donné t’a poussé à fusionner deux éléments, un élément plutôt organique, des représentations de corps et des éléments plus architecturaux ? J-A : De la même façon que je génère mes autres dessins, c’est sur cette idée du potentiel et des variables que j’ai travaillé. Il a fallu que je fasse un inventaire de différents objets. Les personnes représentées sont des amis qui étaient d’accord pour poser. Ensuite les formes géométriques sont issues de l’architecture. Ce sont des formes communes et reconnaissables. Il y a donc cette variable de l’échelle et ensuite cette variable des combinaisons. Une fois que j’ai fait l’inventaire de ces différents registres de forme, je vais pouvoir les mixer, les combiner, je fais des répertoires de ces formes puis je puise dans ces généalogies pour faire mes dessins. Ce sont plein de morceaux de formes que je compile pour faire une seule forme, ce sont finalement des objets construits comme des Legos, des objets modulables. Je pense ici à Rodin qui de la même manière s’était constitué un répertoire de formes, de mains, de bras, de jambes, de bustes… et qu’il combinait pour aboutir à une seule forme. Ce répertoire lui permettait de réaliser différentes sculptures, à différentes échelles… J’ai construit mes dessins de la même manière. Il y a huit vues par objet, c’est un peu en dessous de l’animation 3D, puisqu’il y a normalement entre douze et seize images par seconde. Le fait d’en avoir

huit donne une petite saccade et rompt cette impression que l’on est devant un objet très fluide et cohérent. Ce décalage permet une relecture de la forme et dévoile l’illusion de sa cohérence. Dans la construction du dessin, j’ai travaillé par modelage et travaillé face après face en me demandant à chaque fois ce que je rendais visible et ce que je laissais suggérer, ce que j’ajoutais et enlevais, c’est vraiment un travail de sculpture. A-H : L’atelier est-il pour toi un lieu de production à part entière ? Comment envisages-tu l’atelier ? J-A : J’ai rarement eu une pratique d’atelier car le dessin a cette économie de moyens qui permet de ne pas rentrer dans un schéma de production où l’atelier est nécessaire. Je peux générer des dessins sur mon ordinateur et réaliser la pièce si j’ai besoin, dans un lieu particulier, dans le temps d’une résidence par exemple. Donc en fait, je n’ai pas trop ce problème de la production. Travailler dans un atelier m’a cependant permis de réaliser deux ou trois sculptures cette année, toujours avec un grand plaisir. Cela dit, si je dois éliminer la question de la sculpture, l’atelier ne m’est finalement pas nécessaire.


Remerciements Un grand merci aux quatre artistes Julie Béna, Jérôma Allavena, Simon Nicaise et Adrien Vescovi mais aussi à Marie Griffay, Julia Huet, Ludovic Delalande, Magalie Meunier, Thomas Tudoux, Vincent Roux et Alain Huet pour leurs conseils et relectures. Je tiens aussi à remercier l’association des Amis du Palais de Tokyo pour son soutien.

Impression : Samsung Laser Printer ML-2850 Series Achevé d’imprimé à 15h18 le 27 septembre 2011 à Paris.


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