CARNET DE ROUTE D'UN SOLDAT ALLEMAND - 1914

Page 1

5

BIBLIOTHÈQUE DE LA GUERRE

igi4- 1-91

Carnet de Route d'un

m* Soldat allemand opos de M.

FRANK PUAUX

Librairie Militaire Berger-Levrault

NANCY

PARIS RUE DES BEAUX-ARTS,

2

5~7

RUE DES GLACIS, l8 Prix

:

60

centimes.


LIBRAIRIE MILITAIRE BERGER-LEVRAULT PARIS, 5-7, rue des Beaux-Arts — rue des Glacis, 18, NANCY

PAGES D'HISTOIRE,

1914-1915

Série de fascicules in-12 9 brochés. 1. 2. 3. 4. 5.

Le Guet-apens.

23, 24 et 26 juillet igi4

.

La Tension diplomatique. Du 25 juillet au i<* août igi4. ... En Mobilisation. 2, 3 et 4 août igr4 La Journée du 4 août En Guerre, Du 5 au y aoûtigi4 Les Communiqués officiels depuis la déclaration de guerre. •

Du

5 août rgi4 au 3i juillet igiô. i3 fascicules (N<* 6 à 8, 12, 18, 26, 35, 42, 45, 49, 53, 61, 69). Chaque fascicule ... Extraits du a Bulletin des Armées de la République ». I, Les Premiers-Paris. Du 1 5 août au 3 septembre igi4. 9. II. Les Premiers-Bordeaux. Du 4 sept, au 21 octobre igi4* 10. l'Ordre du Jour. Du 8 août au 2g décembre igi4* i4 fascicules (N<« 11, 13, 14, 16, Chaque fascicule. 17, 19, 31, 33, 43, 52, 56, 59, 60, 70). 15. Le Livre bleu anglais (23 juillet-4 août igiÇ) 20. Le Livre gris belge (24 juilleteg août igi$)

— —

.

.

40 60 60 60 60

c.

60

c.

60 60

c.

60 60 60 60 60

c.

c.

60

c.

60 60

c.

40

c.

30

c.

60 40

c.

40

c.

60 60

c.

60

c.

c. c.

c. c.

c.

A

21.

22. 23.

Le Livre orange russe (wl23 juillets juillet 6 août igi4)Le Livre bleu serbe (iôj2g juin-3\i6 août igifi). ....... j

c. c.

La Séance

historique de l'Institut de France. Préface de M. H. Welschinger, de l'Institut Extraits du « Bulletin des Armées de la République ». 24. —III. Les Premiers-Bordeaux. Du 24 octobre au g déc. igi425.

c.

Le Livre blanc allemand

{24 juUlet-2 août igi£)

c.

27. L'Allemagne et la Guerre, par Émile Boutroux, de l'Académie Française

La

Folie allemande. Documents allemands, par Paul Verrier, chargé de cours à la Sorbonne 29. La Journée du 22 décembre (Rentrée des Chambres). Préface de M. H. Welschinger, de l'Institut 30. Chronologie de la Guerre (3i juillet-3i déc. igi4), par S. R. 32. Le « 75 ». Notions sur le canon de j5, par Th. Schlœsing fils, membre de l'Institut 34. Les Allemands en Belgique (Louvain et Aerschot). Notes d'un témoin hollandais, par L.-H. Grondijs, ancien professeur à l'Institut technique de Dordrecht 36 et 37. Voix américaines sur la guerre de 1914. Chacun 38. Le second Livre orange russe (ig juillet //<* août-ig octobre I 28.

.

.

.

/er

39.

.

.

novembre igi4)

Le Front.

c.

c.

Atlas dépliant de 32 cartes

en six couleurs. (Août90 c. décembre 1914.) Préface du général Cherfils (Voir la suite à la page suivante.)

HISTOIRE GÉNÉRALE ET ANECDOTIQUE DE LA GUERRE DE

1914

Par JEAN-BERNARD Paraissant par fascicules grand Prix du i« r fascicule Prix des fascicules suivants

in-8,

avec illustrations

et cartes.

50 75

c.

c.


CARNET DE ROUTE D'UN SOLDAT

ALLEMAND



BIBLIOTHÈQUE DE LA GUERRE igi4-igi5

Carnet de route d'un

Soldat allemand Avant-propos de M.

FRANK PUAUX

Librairie Militaire Berger-Levrault

NANCY

paris RUE DES BEAUX-ARTS,

5~7

RUE DES GLACIS,

l\


i


NOTE DU TRADUCTEUR

Il eût été facile, sinon opportun, de donner à la

présente traduction il

(*)

une forme plus

ne faut pas oublier que

au milieu des émotions dont tout

ment

le

le

littéraire.

Mais

texte original a été écrit

et des péripéties d'une guerre

monde connaît

le

caractère particulière-

violent.

Nous

ne nous sommes donc pas reconnu

le

droit de

faire du style là où Fauteur n'a eu d'autre souci que

de noter vaille que vaille ses impressions du moment.

Nous

n'avons pu d'ailleurs disposer du carnet de route

d'Erich H... que pendant un temps trop restreint

pour pouvoir joindre à

la fidélité

de la traduction

l'agrément appréciable, mais très secondaire

forme plus soignée.

(1)

Publiée par le journal Le Temps.

ici,

d'une



AVANT-PROPOS

Le

16 septembre igi4, en

abandonné par l'ennemi, guerre dont on lira ci-après

rain

tion, faite

par

M.

le

Argonne, dans un

ter-

fut trouvé le journal de la

remarquable traduc-

professeur Cellier, de Narbonne.

sous-officier de réserve, ayant achevé ses études de théologie. Nulle passion guerrière ne l'anime. Il supporte péniblement les effroyables fatigues de la campagne, ne ménage pas les reproches à ceux qui la conduisent, et son récit révèle les cruelles souffrances de troupes affamées et harassées. Il ne veut, songeant à ses parents, que leur faire connaître ses souvenirs vécus, comme il les appelle, et l'on peut s'étonner que, dans les conditions extraordinaires de cette guerre, il ait pu, jour après jour, avec un tel soin et une telle fidélité, relater les événements dont il était le témoin. Le témoignage de cet intellectuel flétrissant les vols et les pillages qu'il tâche, pour sa modeste part, de réprimer, réduit à néant les affirmations hautaines mais mensongères de ces quatre-vingt-treize intellectuels déclarant la conduite des armées allemandes au-dessus de toute critique. Par la précision des détails et la sincérité des impressions éprouvées, ce journal peut être considéré comme une contribution utile à l'histoire de la guerre

Erich

était

un

X..., son auteur,

lettré,


AVANT-PROPOS

8

en

1914.

Sans doute

les

vues d'ensemble

et les

critiques générales font défaut à ce récit, mais l'heure n'était pas à

comme

il

était

de

du

telles

réflexions

pour son auteur,

reste le premier à le reconnaître.

grand de connaître, par les événements de guerre, et particulièrement les batailles de la Marne, auxquelles il assista et qu'il raconte avec un réel souci de la vérité. On ne saurait oublier que cet ennemi, s'il est Allemand, du moins n'est pas Prussien, mais Silésien, et ainsi peuvent s'expliquer, dans bien des cas, l'indépendance de ses jugements et l'absence des violences de langage ( ). Il

est d'un intérêt plus

un ennemi d'une culture distinguée,

I

F. P.

(1) Il est à remarquer que les mots et les phrases soulignés, dans la traduction le sont aussi dans le texte original. Nous avons ajouté des notes destinées à identifier certains noms comme à donner des explications estimées nécessaires.


CARNET DE ROUTE D'UN SOLDAT ALLEMAND

ÉTAT DE GUERRE Le 30

juillet fut déclaré à

guerre; je n*e rendis ,

alors

Breslau l'état de

que

cela m'était

encore possible, à la maison et j'y vécus de

beaux jours avant

la séparation.

MOBILISATION Le

i

août eut lieu la mobilisation, qui pro-

une grande émotion dans

duisit

de

er

Lissa, en Posnanie.

jour-là,

jeune

avec

homme

mon à

Comme

père,

l'air

la petite ville

nous étions ce

à l'hôtel

Dahms, un

presque miteux entra dans

en disant « Un pauvre artiste de passage vous demande si vous voudriez faire faire votre portrait. » Je lui répliquai « Vous n'y songez la salle

:

:

pas

;

personne, en ce moment, ne pense à la


CARNET DE ROUTE

10

Lui de répondre « Alors peut-être aumône. » Je dis alors à mon père Donne-lui donc cinq sous et qu'il s'en aille. »

peinture.

une « Il

»

:

petite

me

:

avec son linge

faisait pitié

sale, sa petite

pèlerine verte et son rouleau de peinture sous le

En me rendant

bras.

m'informer de

ma

la

le dimanche à la gare pour marche des trains, que vois-je à

grande surprise? Le

nous

avions

même

l'aumône,

fait

individu, à qui

emmené

hommes, baïonnette au canon. On

par

six

avait trouvé

sur lui les dessins d'un viaduc. Avant, on ne

songeait à rien de pareil; tard,

contraire

le

quelques jours plus

produisit

se

tout

:

homme

devint un espion.

2

août.

Le dimanche, premier jour de

mobilisation, je

fis

la

des visites d'adieux.

Je rencontrai le professeur Sch... et le professeur Zs..., qui

me

frontière française.

1870,

il

y

souhaita d'être envoyé à la

Ayant

fait la

campagne de

avait toujours eu de bons cantonne-

ments pendant un an

et demi.

Ce souhait semble

se réaliser.

j

août.

— Le second jour de

je partis par la voiture Il

la mobilisation,

de Hentschel.

fut terrible, ce départ, peut-être

jours.

Une

telle

séparation montre

si

pour toubien

les

sentiments que d'ordinaire on cache timidement

!


d'un SOLDAT ALLEMAND

Encore une

fois

II

nous priâmes ensemble

qui sommes dans une grande détresse...

chanta la première strophe du cantique

un rempart que notre Dieu...

A

la date

du

2

août, j'aurais

Croix. X... parla fort bien sur le

Le Seigneur

une lumière

est

«

Nous

Puis on :

« C'est

»

nous allâmes, mes parents et moi, à «

:

»

et

ajouter que l'église

de

la

psaume xxvn une force. » Un :

sanglot général.

Au taire

;

départ de Lissa, grande animation mili-

un

adieux.

train à couloirs

Dans

train,

le

mit

fin

famille d'officier qui avait quitté

plus en sûreté à Breslau

à la douleur des

voyageai avec une

je

Thorn pour

être

J

( ).

Dans cette ville, il n'y avait qu'à traverser la rue pour voir à chaque moment une chasse à l'espion; parfois on poursuivait des innocents avec férocité jusque par delà des villages en tirant sur les fuyards.

A

10 heures, je passai devant la maison des

Sch... et je

M

lle

sifflai

X... et

M.

:

cercle j'allai

je

me

»

On

2

montrèrent à la

retrouvai dans l'intimité

au complet.

A

11

du

heures,

du

train

heures.

redoutait l'invasion

armées russes.

Aussitôt

recevoir aurez-de-chaussée.

à la gare pour attendre le départ

pour Glatz à (1)

me

de famille

Fleurette.

l'architecte se

fenêtre et vinrent

Peu après ,

«Holà!

de

la

Prusse

Orientale

par les


CARNET DE ROUTE

12

Le

train s'avança alors sur la voie fortement

occupée par

landsturm (territoriaux) ; tous

le

les

100 mètres un homme. Le train se dirigea vers sa destination à

A

une

allure assez lente.

gare de Breslau, dans

la

grand

le

hall, se

trouvaient entassées de véritables montagnes de

bagages, dont les employés, aidés de la

Allemagne »

Quand il

impossible

:

Jeune-

à travers cette terre fertile éclairée par le soleil

Silésie,

me

«

essayaient de venir à bout.

le train fila

de

et bénie

tomne,

(*),

semblait faire

c'est

un

rêve,

d'au-

un rêve

que nous partions pour détruire

ce tableau de paix. Et pourtant, c'était pour sa défense.

A

8 heures, j'arrivai à la forteresse de Glatz,

après avoir, dans le dernier tiers

du parcours,

fait

connaissance de la beauté pleine de grâce de cette région montagneuse et boisée

du pays de

Glatz.

comme une petite que trouvai-je? Une merveilleuse perle de petite ville de montagne. Au fond coule la Neisse en courbes et méandres Je m'étais représenté Glatz

ville insignifiante, et

gracieux sur

;

à droite et à gauche, des rochers élevés

lesquels

se

dressent

rochers,

campée sur

la

elle-même

ville

:

saurait s'en représenter

(i)

les

forts.

la rivière, s'élève

un tableau

tel

de plus beau.

Corps analogue à celui de nos boy-scouts.

Entre

ces

en gradins

qu'on ne


d'un soldat allemand Je

me promenai avec

ville

la

descendantes.

ses

A

d'abord dans Glatz et

midi,

j'allai

à la caserne

affecté à la 11 e

fusiliers n°

visitai

montantes

rues

vieilles

Oberholzplan où je fus

du régiment de

13

du

compagnie

38 (comte Moltke)

Après midi, conseil de revision

et

très

1

( ).

sommaire

(production de la fiche radiographique). Puis on

grimpe à

la

montagne escarpée du Berger avec

ses casemates.

La chambre

n° 6,

mon

impression de désolation.

midi nous fûmes habillés du

En marge

cette

remarque

été détenu aussi l'espion

A Glatz aussi, hôtelier flaira en

en

avec

civil

l'hôtel

du

(1)

il

Dans

gris :

Lux

«

fit

une

cours de l'après-

de campagne.

Dans

celle-ci avait

(*). »

on voit partout des espions. Un moi un Grec quand, étant encore

ma

lavallière flottante, j'entrai

à

Deutsches Reich et que je sténographiai

quelques notes dans instant,

me

domicile,

Au

se produisit

mon

calepin.

Au même

au dehors un tumulte. Des

l'annuaire militaire ce régiment est ainsi désigné

:

lûsilier-Regiment General-Feldmarschall Graf Moltke n° 38. Son chef actuel est le comte de Moltke, ancien chef d'Etat-major

général des armées allemandes, qui a été disgracié. On sait que ce titre de chef de régiment est purement honorifique. Le

38 e régiment 11e et le

VI e

fait partie,

avec

le

n° 10, de la 31 e brigade, et

le

22 e brigade, formant la 11 e division du corps d'armée dont le siège est à Breslau. Le dépôt du 38 e est 5i e de la

à Glatz, en Silésie. (3) Il fait allusion

à Glatz.

au capitaine Lux, qui

fut,

en

effet,

interné


CARNET DE ROUTE

i4

grand nombre arrivent armés de fusils chargent en courant ; plusieurs s'élancent sans

soldats en et

mettre l'arme au cran de sûreté vers deux chars à

commence. un télégramme disant que des Français déguisés en femmes essayaient d'apporter aux Russes 100 millions dans des automobiles. Cette chasse demeura infructueuse L'après-midi, fait à peu près semblable. QuelEt

échelles.

Il était

alors la chasse

arrivé de Leipzig

qu'un, disait-on, aurait découvert qu'un aviateur allait se

montrer

la caserne;

;

un

tout le

officier fit

monde

donner l'alarme à

chargea son arme et

guetta l'avion qui devait venir; mais ce n'était

qu'un cerf-volant en papier

noir.

peu de choses près ce que racontaient les Sch... que la veille on avait tiré sur la planète de Vénus, croyant que c'était un biplan. Les jours suivants eurent lieu des exercices de marche. L'équipement fut mis en état et l'on C'est à

:

toucha des vivres de réserve.

(1) Les dépêches annonçant la traversée de l'Allemagne par des automobiles regorgeant de millions à destination de la Russie et conduites par des Français déguisés en femmes ne sont donc pas une invention. Elles furent envoyées partout et nous savons que les douaniers surtout ne dormaient plus à la seule pensée d'une

Avec le médecin français fusillé à Metz pour dans un puits le bacille du choléra, avec l'avion fantôme de Nuremberg dénoncé solennellement par M. de Schœn, ces automobiles dorées forment une trinité unique de fausses nouvelles aux premiers jours de la guerre, destinées à émouvoir

si

riche capture.

avoir jeté

profondément l'Allemagne.


d'un soldat allemand

Le dimanche,

j'allai

de nouveau à

l5 l'église

où je

communiai avec de nombreux officiers et soldats. Le premier pasteur prêcha très bien sur le texte du psaume « Maintenant nous n'avons plus un esprit de crainte, mais de force et de puissance. » :

Le jeudi

6 août eut lieu la bénédiction solennelle

des troupes partant en campagne et de leurs

deux aumôniers de la garnison. Champ de Mars était dressé un autel

drapeaux par Sur

le

les

décoré de verdure

de

buste fusils

derrière,

;

notre Empereur,

trouvaient le

se

etc.

;

Par une pluie battante, autour de rangé

devant,

des

en faisceaux et autres emblèmes de guerre. le

pasteur, le parole.

hymne

:

la place, était

régiment sur pied de guerre. Le curé,

commandant de

le

la place prirent la

La musique joua au début l'édifiant « Nous nous assemblons pour prier. »

(Parti de Glatz, samedi 8 août, après avoir traversé l'Allemagne, voyage sans intérêt, comme il le reconnaît lui-même, déclarant qu'il supprime ce qu'il a

dans son journal, il arrivait en Lorraine allela matinée du mardi 1 1 août, et, à peine descendu du train, l'ordre de marche était donné.)

écrit

mande dans

LA PREMIÈRE MARCHE

EN AVANT

Notre commandant n'avait pas réfléchi que majeure partie du réservistes,

et

e

3

alors

la

bataillon se composait de

commença, sous un

soleil


CARNET DE ROUTE

l6

un nuage de poussière, une marche en montée et toujours en montée. Nous dans

ardent et

pouvions à peine les

C'était

fossés.

les

respirer.

hommes tombaient

A

droite, à gauche,

frappés d'insolation dans

de voir plusieurs

horrible

d'entre nous râlant, assoiffés d'un

peu

d'air.

On

eut ainsi un petit aperçu des fatigues qui nous attendaient. Pendant la courte halte qui eut lieu

deux

fois,

on

se précipitait

essayait de calmer les difficilement. Enfin forêt les

de

dans l'herbe et l'on

poumons qui

respiraient

nous atteignîmes une fraîche

de hêtres où nous fîmes halte.

Il fallut

que

paysans des villages voisins nous apportassent l'eau.

Les villages par lesquels

on

passait

paraissaient déserts. Les villas avaient été aban-

données par leurs habitants, sans doute en

fuite,

et les persiennes étaient baissées.

Quelques per-

sonnes apportèrent de l'eau et des

fruits

de

au bord

probablement de tendance tenaient aux fenêtres et faisaient grise

la route. D'autres,

française, se

mine.

La première marche fut de 16 kilomètres, jusqu'à un misérable village bondé de soldats. Mon escouade (20 hommes) se trouvait sur une aire. La cuisine de campagne était devant la porte d'une grange.

Quand les

je retirai

mes

bottes, je ressentis dans

jambes, jusqu'aux hanches, une crampe, une

épouvantable douleur. C'était

le

surmenage après


d'un soldat allemand ans de travaux de

trois

cabinet.

17

Nous

étions

arrivés le soir dans l'obscurité; ce fut dans les

manger

ténèbres qu'il nous fallut nous caser et

nos provisions.

Le lendemain,

12 août, la

marche

par une chaleur torride pendant

j'écris

du

35 kilomètres.

Comme

se poursuivit

je dis et

les trois

quarts

bataillon étaient composés de réservistes, les

conséquences ne se firent pas attendre frappés

:

hommes sortaient des d'insolation. Deux moururent.

et à gauche,

les

à droite

rangs,

L'ordinaire est absolument pitoyable et insuffisant.

Les hommes ne peuvent pas

matin, rien que

du

y

tenir.

Le

café qui a l'apparence et le

goût de l'eau colorée. Puis, en quantité, du pain

de munition. A midi, du riz avec de petits morceaux de mauvais lard. Le soir, de nouveau du café de temps en temps, un tout petit morsec

;

ceau de pain.

avec

la faim.

cette

chaleur,

J'ai fait

réellement connaissance

ici

Concentrer toute son énergie par

avec une sensation de faiblesse

dans l'estomac, ce n'est pas une petite

affaire.

Toujours à Oberrœntgen. Aujourmarche d'exercice à travers plusieurs villages. Quand on salue les gens en leur disant « Guten Morgen! » ils ne répondent pas. Ils rendent le salut si on leur dit (en français) « Bonjour » Aujourd'hui, pour la première fois, i4 août.

d'hui,

:

:

!

CARNET DE ROUTE D'UN SOLDAT ALL.

2


CARNET DE ROUTE

i8

dîner meilleur et

du pain

:

riz

avec de

la

viande de conserve

blanc. Les villages ont

Presque toutes

et bien bâtis.

l'air très

propres

maisons ont un

les

verger et semblent ainsi plus cossues que dans l'Est.

Ce qu'il y a de plus terrible en Lorraine, c'est que la plupart des routes n'ont pas d'arbres; la poussière y est de la vraie farine. Dans le village voisin de Hagen, le typhus a éclaté.

i5 août.

village affamé

vers le

Enfin

le

samedi on

de Oberrœntgen

Luxembourg,

la trouée

sortit

de ce

et l'on se dirigea

de

la

France.

Les gens en Lorraine sont généralement peu aimables

;

ils

esquivent,

services à rendre, tout

quand

ils

comme

le

si

peuvent,

les

nous ne mar-

chions pas en pays ami, notre propre pays, mais

en

territoire

ennemi.

Des aviateurs se voyaient tous les jours en grand nombre, poursuivant leur route avec assurance, les Allemands reconnaissables à leur pointe blanche d'aluminium et à la Croix de Fer sur le côté inférieur des ailes.


d'un soldat allemand

19

LUXEMBOURG

Le Luxembourg est un joli petit pays fertile. Des vignes s'étendent le long des routes; il est aussi assez montagneux. Nous passâmes par Mondorf, sans compter d'autres

petits

Les gens

endroits.

sont

plus

aimables qu'en Lorraine.

Les Luxembourgeois n'ont pas besoin défaire de service militaire; cependant

ont une petite

ils

garde (volontaire) où se recrutent

les

fonction-

naires subalternes (police, douane).

Nous cantonnâmes à Ibingen( ) où je trouvai un très agréable logement et des gens charmants. Ils parlent tous, à l'intérieur du pays, un dialecte 1

5

allemand.

Mon

escouade

était

logée dans une

grange. Par hasard, la chambre destinée à un officier était libre,

de

telle sorte

que

moi nous pûmes, une coucher dans un lit.

webel

2

( )

et

le vice-feld-

fois

encore,

(1) Ibingen, à l'extrême pointe du Luxembourg belge et du grand-duché. (2)

Le vice-feldwebel

est l'adjoint

au sergent-major, grade qui

n'a pas d'équivalent dans nos armées.


CARNET DE ROUTE

20

Nous eûmes

aussi, contre

nourriture et beaucoup de

paiement, une bonne

bon

vin.

Nous

restâ-

mes deux jours à Ibingen.

PREMIER CANTONNEMENT EN BELGIQUE A

METZERT

{1)

Une marche terriblement fatigante nous amena du Luxembourg en Belgique. Le matin, à h

nous mîmes en route au pas monts et par vaux. Le chemin passait par de merveilleuses forêts de hêtres et à travers de profonds ravins. Il est vrai que, par suite de la fatigue, on ne faisait plus attention à ce beau paysage. Jusqu'à 10 heures, on marcha au grand soleil, puis repos d'une demi-heure. 5

nous

3o,

accéléré par

L'indignation des soldats était déjà très grande.

Les pieds étaient complètement abîmés, blessait

dans

le

sac

de façon incroyable. Beaucoup roulèrent

De io h 30 à 2 heures, Les Luxembourgeois et

les fossés.

se poursuivit.

ont pu s'étonner à

la

vue de

la les

marche Belges

cette brigade sur

pied de guerre, car on eût dit que ce défilé militaire était interminable.

Souvent

il

arrivait qu'en

approchant des hauteurs par des chemins en lacets,

on apercevait, encore en

bas, la colonne

(1) Metzert doit être Metzig, nom germanisé de Messancy, important village situé à 13 kilomètres d'Arlon.


d'un soldat allemand

21

en mouvement. Enfin, arrivés à Metzert, on

fit

sécher les effets au soleil, tableau d'un genre particulier

les

:

hommes

exténués mettent de côté

toute gêne (en français) et sont étendus demi-nus sur le sol. Après le repas, nous fûmes cantonnés

dans un grenier à fourrage. avec

J'allai,

camarade W..., chez

le

l'institu-

teur de l'endroit, Instituteur Monsieur Cravate (en

d'un

français). Il faisait tout à fait l'impression

simple paysan.

de

La langue

usuelle dans la maison

l'instituteur est le français.

avait

l'air

trouvait aussi là

La femme du maître

fillette

de quinze ans

chose étrange,

:

La maison

blonde.

Une

désordre.

elle était

d'école avait très

bon

se

toute

air.

Cette nuit une patrouille de chasseurs est reve-

nue

:

un

officier et plusieurs

blessés par des habitants

hommes

avaient été

du pays.

A

4 heures, alarme; auparavant, un quart de De la compagnie, on ne toucha rien il n'y avait rien non plus à achecafé dans l'estomac à jeun. ;

ter, ce

qui s'explique par la présence d'environ

1.000 soldats dans un petit village. Et l'on poursuivit la

marche à

la

nouveau

six heures

de route sur un chemin pou-

dreux par monts

comme

et

rencontre de l'ennemi

;

de

par vaux. Nous arrivâmes

bataillon d'avant-garde à Me///er( l ).

(1) Mellier, gros

bourg au sud-est de Neufchâteau, à environ

26 kilomètres d'Arlon.


CARNET DE ROUTE

22

C'est ici que commença le train de guerre proprement dit. Tout ce qui se mange œufs, lard, jambons, pain, tout fut réquisitionné, et la plupart du temps rien ne fut payé. Les habitants avaient une telle peur de nous qu'ils n'osaknt pas réclamer. La population ne parle que français. Nos soldats se font comprendre par signes. Mellier est situé sur la grande route qui mène à Bruxelles. Le bâtiment de la gare fut ouvert de :

force (le trafic était arrêté déjà depuis trois se-

maines). Dans ce bâtiment on installa le bureau

du

on y logea les otages. C'était pitié de soixante-douze ans et un prêtre à cheveux blancs contraints de rester toute la nuit dans ce local sans aucune espèce de bataillon et

de voir un

homme

confort, sans la plus indispensable nourriture.

guichet

des billets

brisé

était

en

Le

morceaux.

Pourquoi? {qh français).

Immédiatement, (le village est

les

chemins et

les

hauteurs

entouré de collines à droite et à

gauche) furent assurés par des avant-postes de sous-officiers

;

en travers des entrées du village,

on plaça des obstacles poutres, pierres, etc. caisses, contre

ment

On

:

voitures

apporta de

un bon de

renversées, la bière

par

réquisition qui sûre-

n'avait aucune valeur.

On

put, hélas

!

voir

bientôt la bête humaine (en français) se réveiller

chez maints soldats ; on put bientôt se demander si

la «

Kultur

»

n'était pas

un vernis extérieur?


d'un soldat allemand

23

Des bandes composées de coquins (Spitzbubenelementé) volaient ce qu'elles pouvaient attraper canards, poulets, etc. Malheureusement, ils y étaient stimulés souvent par des sous -officiers mal renseignés ou ayant des dispositions sem:

Comme

blables.

des sauvages,

ils

fouillaient les

maisons, à la recherche des armes, sans distinction

de rang

social.

La

guerre

est terrible

(en français),

surtout pour celui qui est habitué à l'esthétique et à la morale.

choses

:

les

On

laissait ainsi

passer bien des

gens avaient bien trop peur pour se

plaindre.

Dans mon cantonnement se trouvaient trente j'exerçai une sévère discipline parmi eux, prenant garde qu'il ne fût fait aucun tort aux habitants, et que leurs affaires et leurs meubles ne fussent endommagés, ce dont ils se

hommes;

montrèrent

très reconnaissants.

Vendredi %i août.

— Au matin, je reçus

la pé-

pour usage de guerre d'un cafetier. C'était une machine

nible mission de confisquer la motocyclette

neuve de marque allemande (1.300 francs). On établit pour sa motocyclette un bon de 5oo marks (675 francs). De plus on trouva dans un garage une auto; celle-ci fut aussi confisquée, sans autre forme de procès, et traînée hors du village par des chevaux. Ce matin, nous étions campés comme réserve

lui


CARNET DE ROUTE

24 dans

les bois.

Dans

on entendait

le lointain,

le

grondement du canon. Il faisait beau temps lorsque nous nous dirigeâmes sur Mellier. Un aviateur français se montra à une grande hauteur. Aussitôt nos mitrailleuses

entrèrent en danse et finalement

de

la partie. C'était

beau à

l'artillerie se

nuages de fumée. Bien que

tits

n'aient pas atteint l'aviateur,

pour

résultat de l'intimider.

mit

voir, en l'air, les pe-

ils

les

projectiles

eurent cependant

Ce matin, nous avons

reçu la nouvelle que neuf corps d'armée français

Metz

avaient été battus près de

(?).

Malheureuse-

ment, on apprend peu de choses sur ments, rien que des daient

:

«

détails.

Comment

les

événe-

Les hommes deman-

dit-on

œufs? — Des œufs, Madame.

»

pour avoir des Par malheur c'est

un homme, non une ménagère que rencontre le solliciteur. Celui-ci aborde l'homme et lui dit d'une voix de tonnerre « Des œufs, Madame. » Dans la nuit, plusieurs coups de feu furent :

tirés

par

peur ; «

ils

les sentinelles.

criaient

Les bleus avaient grand'

précipitamment

Halte!!., halte!

» et

:

déjà le coup partait dès

que quelque chose de suspect remuait. L'après-midi, nous passâmes un peu en arrière de Mellier, au milieu d'un orage et d'une pluie épouvantables. Trois fois l'orage revint avec une terrible violence.

Les vêtements

et le corps tout mouillés,

nous


d'un soldat allemand dressâmes des tentes dans

y

blottîmes en

bois et nous nous

claquant des

venir la fièvre et

Comme

le

elle

me

25

dents.

prit

dans

Je sentis la

nuit.

consolation, le soir arrivèrent des nou-

du pays, quelques

cartes de la maison, une carte de Berlin. Après une maigre soupe aux pommes de terre, je me couchai sous la tente. De 3 à 4 heures, il me

velles

une

lettre

fallut

et

poster des sentinelles autour des tentes,

puis partir en patrouille avec trois

ma

section, dans

rable à

un

hommes de

brouillard très épais, favo-

une surprise de l'ennemi. Horrible im-

pression d'avoir à s'attendre à chaque pas à rece-

voir des coups de feu

!

Rien de semblable ne

se

produisit.

LA PREMIÈRE GRANDE BATAILLE A DINTIGNY {1)

z% août. l'endroit.

C'est ainsi, je crois,

Rien ne

se

que

s'appelait

peut imaginer de plus

terri-

Nous avancions, depuis Mellier, au pas accésouvent deux compagnies côte à côte. Nous allions beaucoup trop vite, sans aucun repos. ble.

léré,

(1) Il faut lire Tintigny,

franco-belge, dans le et à i5 kilomètres

important village de la région frontière belge, à 23 kilomètres d'Arlon

Luxembourg

de Virton.


CARNET DE ROUTE

26

Enfin nous arrivâmes à Dintigny. Nous avions

déjà nous déployer en tirailleurs, mais nous

défilâmes en rangs serrés à travers la localité, où

un

civil tira sur

nous.

Il

fut aussitôt fusillé.

A peine sortions-nous de

cet endroit que nous reçûmes devant, derrière, des coups de feu provenant de mitrailleuses postées dans la ville et de

canons en batterie sur

les

hauteurs.

Au

course, à travers le feu, nous cherchâmes

pas de

un

abri

une hauteur. A 2 heures, la bataille commença. Notre 11 e compagnie reçut l'ordre d'attaquer de flanc l'ennemi qui se trouvait près d'une épaisse forêt de hêtres, où commença la

derrière

tragédie.

Nous perdîmes

la direction

;

hommes

les

furent culbutés; c'en était fait de l'ordre. L'en-

nemi s'aperçut

qu'il

bois et ouvrit

un feu d'obus

qu'on eût dit de

y

avait des Prussiens dans le

la grêle.

De

et

de mitraille

tel

quelque point du

bois que l'on voulût sortir, les coups pleuvaient.

Finalement nous essayâmes de nous élancer dans un champ d'avoine, mais nbus étions trop faibles

pour

tenir contre la supériorité

ennemi. Nous nous tînmes droite;

les

balles

laboureur qui sème.

passaient

ainsi

en

du

feu

longtemps à sifflant,

Quand nous vîmes

tel

le

qu'il n'y

avait pas d'autre issue, et qu'à droite et à gauche les

hommes

le bois.

tombaient, nous nous faufilâmes dans

Enfin nous nous trouvâmes en dehors de

cet encerclement, et je passai la nuit sur

un

tas


d'un soldat allemand de pierres. Ainsi carnet pris sur

une rude

mée

qu'il

un

de l'examen du français, nous avons eu

résulte

officier

lutte à soutenir, nous,

(!) contre trois

27

un corps

d'ar-

corps d'armée, une division

de cavalerie et de nombreuses troupes coloniales. Aussi avons-nous eu de grosses pertes.

23 août. heure.

A mon avis nous nous étions avancés trop

loin, car

de î

Le lendemain, marche d'une

soudain nous nous trouvâmes sous

heure à

le

feu

ennemie. Pendant deux heures, de

l'artillerie

3, les

obus

sifflèrent

Horribles heures d'angoisse

!

au-dessus de nous.

On

finit

par s'abriter

un peu dans un champ d'avoine, où l'on se blottissait quand les obus tombaient trop près. Un mort, trois blessés.

De

grand'garde dans

fois la forêt

Deux huit

fois

La

il

bois,

parcouru deux

en ressortir et explorer, avec

fallut

hommes,

un four. Le pire,

les

à cause d'une bande de francs- tireurs.

cette forêt épaisse et noire

c'est la

comme

faim que nous endurons tous.

plupart des cuisines de campagne se sont fourj'ai

touché pour mes vingt

je dis et j'écris,

un œuf et une tranche

voyées. Aujourd'hui,

hommes, de pain.

Mais V ennemi

est repoussé

Alors commencent

en

retraite

les

sur toute la ligne.

combats contre l'ennemi

avec des marches, qui, par suite de


CARNET DE ROUTE

28

mauvaise alimentation, mettent à une rude épreuve la force, l'endurance et la discipline de la

nos soldats.

Nous avons calmé

la

faim pendant toute

la

journée avec des carottes, des choux-raves et de

Peau

une demi-portion de souper chaud

le soir,

;

prise à la cuisine d'une autre sieurs sai

mangèrent des oignons

tomac vide,

Tout

cette

monde

le

moi j'écraLe matin, on se

crus, et

des grains et les mangeai.

remit en marche pour

compagnie. Plu-

ressortir de Belgique. L'es-

marche du matin

fut terrible.

observait le silence pour ne pas

gaspiller d'énergie

en parlant.

Il

nous semblait

incroyable que l'on pût continuer à avancer. Les

genoux

et les bras" sont

m yovara croire.

si

exténués et chancellent ;

du moins on aurait pu le désespoir, on ne voulut pourtant

sXucjocto

Dans ce

pas rouler dans

le fossé,

comme

cela arriva à plu-

assommés par des francs-tireurs; faim, j'arrachai en passant des la poussé par mûres de ronces non mûres que je mangeai tête sieurs, et être

et

queue. La sueur coule à

horriblement, et

flots

le linge est

du visage

et brûle

déjà mouillé à pou-

voir le tordre. Enfin nous arrivâmes au pied des

murs, d'une hauteur gigantesque, entourant deux

châteaux qui

se seraient

merveilleusement prêtés

« Il lui rompit grecque empruntée à Homère Allusion à ce qui arrivait aux guerriers qu'Apollon voulait empêcher de poursuivre le combat.

(1) Citation

les

genoux.

»

:


d'un soldat allemand à la défense. Ces châteaux, l'un

moderne

en ruines, sont admirablement petit bois.

La cave

se

29 et l'autre

situés près

d'un

trouva renfermer une im-

mense provision de vin,

et alors, sous la surveil-

lance d'un sous-officier, le vin rouge fut déterré.

Le camarade W... en apporta une

bouteille et

une autre de Champagne. Je visitai le château que notre cavalerie l'avait pillé.

et

je m'aperçus

La la

y

avaient pris leurs quar-

Il était

maintenant l'image de

veille, les Français

tiers et

bien dîné.

dévastation.

Toutes

bahuts étaient fracturés,

Les méfaits commis par première, je brise

les

les les

armoires,

tous

les

vêtements éparpillés.

la cavalerie,

conçois encore

;

qui passa

la

mais que l'on

de grandes glaces, que l'on mette en pièces

d'antiques meubles de prix, voilà qui est ignoble.

Des bêtes

erraient, affamées

porcs, tout fut emporté

:

poulets, canards,

La

guerre est la guerre

(en français).

Ainsi qu'il ressort d'une

maison, guerre.

ils

Il

se font

lettre

reçue de la

une idée trop humaine de

la

n'y a plus d'égards, plus d'esthétique,

plus de sentiments, tout est émoussé.


CARNET DE ROUTE

30

EN FRANCE

Aujourd'hui, 24 août, nous avons pénétré en France. Les Français sont en retraite.

O

splendide soleil couchant,

tu luis encore

pour moi! Debout sur cette colline, je te contemple, ô monde magnifique; je ne sens que trop s'agiter en moi le désir de vivre encore un peu sur ton sol Mais à la volonté de Dieu Juste à ce moment, l'artillerie entretient une !

!

violente canonnade pour purger la contrée d'en-

nemis.

Il

est 8 h

Chaque nation

;

20 du

soir.

nous avons une horrible illumiplusieurs villages flambent et les vaches nuit,

beuglent plaintivement dans

le

de

silence

la

nuit.

25

août.

Aujourd'hui, petite mère a son

anniversaire. Elle se réjouirait sûrement savait

que je

suis

encore en vie.

pareil jour, je reçus ci,

et

le

même

un coup de jour

présentée de renouveler

aussi,

Il

si

y a un

elle

an, à

feu. Cette année-

l'occasion

s'est

le fait, car l'après-midi


d'un soldat allemand

31

nous avons eu un petit engagement près d'Herbeu(*). Nous descendions de la hauteur boisée; peu auparavant, vers 4h 30, nous avions essuyé

val

quelques coups de feu

Un

par des francs-tireurs.

tirés

quart d'heure plus tard, leur village flam2 ( ).

bait

Nous passâmes

ensuite par le village

d'Herbeuval, éloigné d'un quart de lieue. C'est

dommage que sait

même

pas

je n'aie pas les

noms

de carte, car on ne

des villages. Les habitants

sont incorrigibles, car, d'une maison qui faisait le

d'une

coin

dirigés

étroite. Aussitôt

envoyé dans

coups de feu partirent,

en marche

dans

un détachement de

cette

furent forcées. la

des

rue,

sur la troupe

maison

Comme

la

rue

soldats fut

et les portes verrouillées

on ne trouvait personne, et cernée, et en peu de

maison fut incendiée

temps

le

feu atteignit le toit.

Un homme

en

blouse, risquant d'y être enfumé, essaya de s'eh-

vers

fuir

comme un

la

forêt.

chien

;

Il

fut sur-le-champ

le soldat

fusillé

chargé de ce soin

lui

asséna encore deux coups sur la tête. C'est hor-

quand

il faut être témoin d'aussi vilaines Pendant ce temps les chasseurs avaient arrêté quinze autres tireurs civils et, peu de

rible

choses.

(1) Herbeuval, petit village des la frontière belge. (2)

Très probablement

la frontière franco-belge.

le village

Ardennes, à

%

kilomètres de

de Mogues, qui se trouve à


CARNET DE ROUTE

32

temps après,

du

village

On

gisaient morts, rangés à l'entrée

ils

(*).

Le

continue à avancer.

en plusieurs échelons de trée

du

bois.

Nous

bataillon se déploie

tirailleurs

allions le traverser,

un ordre de

cavalier nous apporte

ne pas poursuivre plus avant vers la forêt.

Ayant

nous fûmes sous

jusqu'à l'en-

et

quand un

la division

de

de nous replier

reculé d'à peine 100 mètres,

le feu

des mitrailleuses. Bien que

nous retirant par masses, sans nous remettre en position, nous n'eûmes

que de légères

Nous allâmes nous reposer après avoir

pertes. fait

des

tranchées.

Pendant terrible. Il

dans

et

le

de nouveau,

nuit,

la

y

le

froid fut

a cette particularité, en Belgique

nord de

la

France, que, dès le mois

d'août, les nuits sont très froides, humides et bru-

meuses, alors que

les

jours sont très chauds.

plus grande faim est à présent calmée.

bagages a repris

le

Le

La

gros des

contact et nous aurons, tout

au moins, du pain. Détails.

me

fallut

jambes, et

— Pendant voir

se traînant

tomber entre (1) Il est

les

la bataille

plusieurs

de Dintigny,

blessés,

atteints

il

aux

à quatre pattes pour ne pas

mains de l'ennemi. Ce doit être

à remarquer que ces soi-disant francs-tireurs n'ont Allemand ; s'il en eût été autrement, l'au-

tué ou blessé aucun teur n'eût pas

manqué de

le dire.


d'un soldat allemand

33

affreux aussi de rester étendu blessé par des nuits

plus d'un peut ne pas avoir été

froides;

très

retrouvé par

brancardiers

les

mort

et, seul, être

misérablement. Le lendemain de la bataille, nous allâmes sur le lieu

du combat;

les

brancardiers

étaient en train d'enlever les blessés. Les morts gisaient encore là,

inondé de sang

;

le

regard éteint,

emporté par des obus

hideux. Depuis

c'était

;

août, nous logeons à la belle étoile.

le 21

peut bien être à présent

qui était à la 11 e

Pendant

les

tait sa

comme

le

camarade D..., de réserve ?

sous- officier

marches à travers

Luxembourg, pour

visage

le

l'un avait le siège, l'autre le dos

Lorraine et

la

deux

je le rencontrai

le

por-

fois. Il

bourse sur son cœur avec quelques écus

se protéger.

La plupart catholiques

des soldats, qui sont presque tous

(*),

portent

le

plus souvent de petites

croix.

iS-iy août.

— Jours de repos.

Le

26,

ma

sec-

tion dut, alors qu'il pleuvait beaucoup, creuser

des tranchées en la

nuit

sous

affreux, car

si

amont d'Herbeuval

cette

pluie

et

torrentielle.

y

passer C'était

l'on est épargné par les balles,

on

attrape sûrement quelque maladie.

(1) Il faut se rappeler,

en

effet,

que

faisait partie l'auteur, avait été recruté

régiment silésien, dont dans une province essen-

le

tiellement catholique.

CARNET DE ROUTE D'UN SOLDAT ALL.

,

3


CÀRNET DE ROUTE

34

Les hommes pilient terriblement; dans

fouillé

maisons

les

tout

souvent

et

est

détruit.

Poulets, canards, lapins, ont le cou tordu et on les fait rôtir

;

les

Toutes

aussi.

menus

objets de parure

du

les règles

y

passent

droit sont abolies, et

nous nuisons beaucoup à notre réputation.

A

camarade W...

6 heures, le

dans

allés

la

charmante

et

du

église

moi sommes

village. Nulle

part ailleurs on ne ressent le contraste entre la

comme

paix et la guerre

dans une

jouâmes sur l'harmonium

«

:

église.

Jésus,

Nous

précède-

Nous nous assemblons pour prier. » {Wir treten xum beten.) D'Herbeuval nous gagnons plus loin. Le passage de la Meuse a été effectué, paraît-il, par nous.

les

»

(Jesu,

ii e , 5

pertes

(*).

e

geh

voraii) et

régiments,

«

:

etc.,

Le corps d'armée

avec de grandes a de

nouveau un

pressant besoin de nous. Ses pertes nous furent

confirmées

De

par

8 heures à

les

longs

convois

une extrême chaleur.

Comme

blessés.

les autres bataillons

étaient affaiblis par le combat, nous l'après-midi.

de

midi et demi, nous marchâmes par

Comme

l'ennemi, nous eûmes

eûmes repos

nous étions assez loin de

un concert d'une heure,

l'après-midi.

Les 11 e et 5i e régiments formaient la 22 e brigade de la du VI e corps. Il est très exact que le passage de la Meuse causa de très lourdes pertes aux Allemands. (i)

11 e division


d'un soldat allemand

Le

soir, retraite solennelle (*)

puissance de l'amour.

J'invoque

«

:

35 la

Nous avons couché par

»

escouades dans de grandes tentes. Il y avait tant d'hommes, dans un si petit espace, que l'air nous manquait et que la respiration était oppressée. 2g août. nel

(*)

a

:

— Le matin à

5 h 30, le réveil solen-

Eveillez- vous , nous

crie

la

Impression imposante et paisible. Hier,

voix. il

»

faisait

beau, quand de nouveau arrivèrent des nouvelles

du pays. Je fus le témoin d'une scène poignante.

apporta dans notre camp sur un brancard corps d'un officier réserve

du

de réserve,

i

er

2

c'était

bataillon.

était

courageusement

A

:

près

Son

un

On le

lieutenant de

frère,

du brancard

sous-officier et retenait

ses larmes.

heures de l'après-midi s'effectua

le

départ

commence à être empesté par les nombreux cada-

par une forte chaleur. L'air

de plus en plus vres

d'hommes

et

d'animaux. Si l'on n'organise

pas bientôt des équipes pour les enterrer, nous

aurons des maladies dans notre armée. C'est quelquefois à n'y pas tenir à cause de la puanteur.

Beaucoup d'hommes tombaient exténués dans

les

fossés.

(1) La plupart des airs d'un caractère religieux joués par les musiques militaires sont accompagnés d'un texte dont on cite ici les

premières paroles.


CARNET DE ROUTE

36

Enfin nous arrivâmes à la Meuse, dont, la veille,

nos gens avaient forcé

trois fois le

passage

en subissant de grandes pertes. La Meuse ellemême est une rivière sans prétention. Les villages traversés la veille étaient; cela

va sans

dire, tota-

lement détruits.

Nous passâmes au cours de notre route près les Français avaient campé la nuit

d'un endroit où précédente.

eux

,

lites,

Ils

ne traînent pas de tentes avec

comme

mais construisent,

les

anciens israé-

des tabernacles (huttes de feuillage). Ce pro-

cédé, dans tous les cas, est plus fatigant que le nôtre, et ne procure qu'un

gelée blanche et la pluie.

mince abri contre la A 8 h 30, nous étions

au village historique de Beaumont où, quarantequatre ans au paravant, avait eu lieu, à pareil jour,

une

bataille.

C'est

bivouac dans l'obscurité

et

nant son maigre souper

1

terrible

d'arriver

au

de manger en frisson-

( ).

Dans les fossés des routes, on voit 30 août. des masses de sacs français, des fusils et autres effets

d'équipement, des monceaux de pioches et

des pelles.

Jusqu'à ce jour, c'était

le

prince Albert de

Wurtemberg qui commandait en chef

notre

(1) Le 3o août 1870, le général de Failly, surpris général Alvensleben, perdit la bataille de Beaumont.

par

le*


d'un soldat allemand

armée

;

depuis

aujourd'hui,

37 notre Kron-

c'est

prinzÇ 1 ).

A

5 heures,

alarme

;

nous faisons une marche

enveloppante jusqu'à une heure avancée de

la

peu à peu, à tel point qu'à chaque court arrêt on se laissait tomber au milieu de la poussière de la route, pour nuit; la fatigue nous gagnait

s'endormir épuisé, et là-haut brillaient paisible-

ment les étoiles et la lune. Jusqu'à n h i5, nous marchâmes rien mangé depuis midi deux quarts ;

de

café, rien

;

de plus.

Il fallut se

coucher par sec-

tions, sans tentes, sans rien.

A

h 5 30, réveil.

autre chose.

Une

Morgenroth ???

Puis

un quart de

aurore splendi de

!

café et pas

Morgenroth,

(sic) (*).

Bientôt commença une terrible canonnade. Nous sommes si fatigués que, tandis que l'ange de la mort passe par la contrée, on peut dormir par le plus assourdissant combat d'artillerie, tant

que

l'on n'a pas besoin d'intervenir soi-même.

(1) Au début de la guerre, l'armée commandée par le prince de Wurtemberg comprenait les VI e , VIII e , XVIII e corps d'armée actifs et les VIII e et XVIII e de réserve, et formait la IV e armée allemande. L'armée du Kronprinz, qui était sa voisine, fut renforcée à cette date par l'adjonction du VI e corps d'armée qui est signalé dès le 7 septembre du côté de Revigny.

(s) Ces deux mots sont le commencement d'un chant très populaire en Allemagne « Aurore, aurore, tu luis pour ma fin prématurée... Hier encore sur un fier coursier, aujourd'hui la poitrine transpercée, demain dans la froide tombe, etc. » :

(Chant matinal du cavalier.)


CARNET DE ROUTE

38

On

même manœuvre qu'en 1870, c'est-à-dire d'encercler l'ennemi et de le cerner comme à Sedan. Jusqu'à midi nous restâessaya d'effectuer la

mes au coin d'un Je ne

sais

bois.

à qui incombe la faute, à notre colo-

von Kleinschmidt (qui commande la brigade) ou au chef de la division, von Webern ( 1 ). Dans

nel

tous les cas, l'infanterie, de nouveau, s'est avancée trop vite et trop loin.

perdu

le

La compagnie ayant

contact avec le bataillon, nous avions

A

essayé de rallier celui-ci le plus tôt possible.

peine étions-nous partis de la ferme Polka, où

nous avions dîné, que nous vîmes

qu'il

ce jour-là une vilaine polka

Par un ravin,

nous nous dirigions vers

A peine

(*).

le villages

y

aurait

de Oches

(3).

l'avions-nous dépassé, ainsi que la forêt

en pente qui en

est voisine,

qu'une canonnade

bien dirigée vint nous surprendre sur la route

conduisant au prochain village.

A droite, dant un

sur

un

talus couvert d'arbustes, pen-

moment nous nous

tînmes exposés au

l'artillerie. Mais quand les obus se mirent tomber de plus en plus dru, le capitaine nous ordonna de nous replier par sections. L'ennemi,

feu de à

(1)

39

e

Général-major von Webern, ancien

commandant de

la

brigade d'infanterie à Hanovre.

(2) La ferme Polka est située entre Bulson et Chémery, arrondissement de Sedan. arrondissement de Vou(3) Oches, petit village des Ardennes,

ziers


D'UN SOLDAT ALLEMAND qui nous observait au

moyen de

39

miroirs, se mit

bombarder plus fortement que jamais. Ainsi, toute la compagnie fut mise en déroute. Je regagnai la ferme avec une partie de la compagnie et j'entendis un officier d'artillerie dire que nous étions tombés sur un champ de manœuvre d'artillerie où l'ennemi connaissait chaque distance. Après nous être remis de cette course par une chaleur terrible, nous, les hommes du 38 e en déroute, nous nous rassemblâmes et on rallia le soir la compagnie. Nous mangeâmes une demiration, et la troupe gravit ensuite une hauteur à nous

boisée et escarpée et creusa des tranchées dans

un champ d'avoine jusqu'à 1

n

h

3o;

et 2 prirent alternativement la

les sections

garde chacune

pendant une heure. Les hommes n'avaient pas encore compris la gravité de la situation, se gardaient mal ou dormaient. Heureusement la nuit s'écoula sans incident.

Nous reçûmes,

hélas

la triste

!

nouvelle que

nous allions perdre notre cher et prudent capitaine.

Le commandant Sachser

avait été tué l'après-

midi par une balle de shrapnel, Peier passait chef

du

2

von Gumpert devenait

e

et notre capitaine

bataillon.

le

chef de

Le

lieutenant

la 11 e

compa-

gnie.

i

er

septembre.

— Pendant tout un mois,

le Sei-

gneur m'a, dans sa grâce, gardé de tout danger.


4o

O

CARNET DE ROUTE Seigneur,

demeure auprès de nous, de moi

surtout, dans ce mois décisif de septembre le

!

« Si

Seigneur ne nous garde, ceux qui veillent

veillent en vain, »

En

creusant

mon

abri

pour

me

protéger le plus

possible contre les obus, je pensai à part «

Qui

sait si ce n'est

creuses?

»

Mais

il

moi

:

pas ta propre tombe que tu

en fut décidé autrement.

A

10 heures, nous quittâmes nos positions. Nous ne

marchâmes qu'une heure environ vers un champ entre deux bois. Il me semble que la direction procédait, ce jour-là, avec plus de prudence.

dîna là

:

une portion de soupe

viande, presque rien. Oui,

si

claire

;

en

fait

On de

ce n'était la faim

!

mécontente tellement les hommes Depuis quatre jours, nous n'avons plus touché

Elle affaiblit et

de pain ; on

est obligé

!

d'entamer, malgré la dé-

de réserve de biscuit pour écarsensation de faiblesse de l'estomac. Aujour-

fense, la portion ter la

d'hui, la nature nous a mis sur la table

une agréa-

ble diversion, en ce sens que nous arrivâmes dans

un bois plein de superbes mûres noires. Oh! si l'on avait de nouveau le bonheur de ses modestes repas assis devant une table propre, avec quelle reconnaissance envers Dieu l'on en jouirait A l'instant, une réjouissante nouvelle. 60.000 Russes battus et faits prisonniers, de même que

pouvoir prendre

!

deux généraux commandant en

chef.


d'un soldat allemand

4i

Toute l'armée anglaise venue au secours de France est battue et

faite

beuge L'ennemi devant nous

est

prisonnière à

la

Mau-

en déroute.

tout cela était vrai, ce serait, certes, extrê-

Si

mement

A

réjouissant.

nous arrivâmes dans

8 heures,

de Buzancy arrière

Le

de

2

( )

et l'on

la petite ville

bivouaqua, tout près, en

la ville.

soir,

nous reçûmes,

longtemps,

la

la

première

depuis

fois

moitié d'un pain de munition et le

courrier. Il

était

temps que nous eussions du pain. Les

hommes commençaient

à

murmurer

et à pester

contre le mauvais ravitaillement. Chez la plupart le patriotisme passe par l'estomac.

2

septembre.

— *A

départ pour X...

5 h 30,

réveil; à

De nouveau

7

heures,

notre route passait

par un village complètement réduit en cendres.

Les fabriques avec leurs machines sont détruites.

A

tous moments,

un aviateur ronronne au-dessus

de nous. C'est un moyen excellent de reconnaissance

;

par suite de

peut avoir,

(1)

(2)

le

la

hauteur,

plus souvent, que

l'artillerie

peu de

ne

prise sur

Encore un exemple de fausses nouvelles.

Buzancy, dans

mètres d'Oches.

le

département des Ardennes, à

11

kilo-


CARNET DE ROUTE

42 les aviateurs.

A ce que racontait un

on a

officier,

trouvé, dans le carnet d'un officier français tué,

une

carte adressée à

un camarade où

qu'ils se rencontreraient

il

avait écrit

dans huit jours à Berlin

une

devant un verre de bière. Encore

rêve

fois le

d'une promenade à Berlin (en français).

Notre régiment jour par

An

est

commandé

à dater de ce

le lieutenant-colonel von der Osten,

heures,

11 e

.

nous arrivâmes sur une hauteur

derrière le village de Beffu

(*)

pagnies se déployèrent pour l'arrière arriva

du

un rapport,

le

;

aussitôt les

com-

combat, quand de

disant que c'étaient

nos propres troupes qui se trouvaient devant

donc pu arriver, comme dans la première bataille, que nos troupes se fusillent entre elles. Il faut que notre service de reconnaissance soit absolument insuffisant. Nos hommes de la 1 i e se trouvèrent fort mal d'un combat par suite du temps humide, ils avaient gardé les capotes grises nous les prîmes pour des Anglais nous.

Il

aurait

:

;

et

on

les fusilla

copieusement.

Très dangereuses pour

la

marche en avant ou, les nombreuses

suivant le cas, pour la retraite,

clôtures en fil de fer. Celles-ci s'expliquent fait

que l'élevage du

régions.

(1)

On

laisse

Beffu-le-Bois,

Grandpré.

les

village

par

le

bétail est florissant dans ces

des

troupeaux (des vaches)

Ardennes, à

5

kilomètres

de


d'un soldat allemand

même

dans

la nuit

les prairies clôturées. Il

donc partout

faut

Notre

travailler

artillerie n'a

aujourd'hui; supériorité;

pas

nous a

pu

avec des se porter

nous

cisailles.

en avant

ennemie a maintenu

sa

fallu à 7 heures battre

en

l'artillerie il

43

de

retraite. Il est terriblement difficile

retirer

en

bon ordre une aussi grande masse de troupes en outre, une retraite dispose toujours à la tristesse. ;

Tandis que nous rétrogradions

ainsi lentement,

obus éclataient tout près de

les

marche.

Un

pont

gêne en outre notre sur

la

troupe en

un ruisseau, Enfin on continue

très étroit, jeté sur

retraite.

une chaussée. Les troupes complètement

exténuées épais

marchèrent jusqu'à

n h i5

nuage de poussière. En chemin,

pestaient terriblement;

ils

dans un les soldats

n'avaient de toute la

journée rien reçu à manger, n'avaient plus d'eau

dans

les

bidons et

il

leur fallait encore avaler la

poussière. Ces infractions à la discipline étaient très

déprimantes. Exténués,

dans un village. s'affalaient à

En

chaque halte dans

A minuit enfin,

nous fîmes halte

cours de route, les soldats

la cuisine

la poussière.

de campagne arriva.

Nous touchâmes une portion de bouillon de bœuf et un demi-quart de café. Nous couchâmes dans un verger. Le village est dans un site charmant, adossé à une hauteur boisée. La pleine lune jetait une vive clarté. A un château ou à une chapelle, une horloge sonnait paisiblement


44

CARNET DE ROUTE

tous les quarts d'heure, rappelant cloches

Ce

troupeaux.

des

son

le

son des

nous

faisait

presque mal par sa paisible douceur.

A

4 heures, déjà réveil; un quart de café. heures, on recommence; nous escaladons d'abord une hauteur telle que nous n'en avions h jamais gravi d'aussi raide. Jusqu'à 30, nous avançons sur des routes construites en calcaire. Une incroyable poussière blanche nous envelop-

A

5

n

pait,

qui rendait la respiration presque impos-

sible.

Mais

il

n'y eut pas d'arrêt sur cette route

sans ombre. Toujours en avant, au pas accéléré.

Et comme

il

arrive d'habitude (malheureusement),

nous nous trouvâmes soudain au milieu de

canonnade

la

d'Apremont,

plus

On

enragée,

serait

la

derrière le village

tenté de perdre toute

commandement, car ce n'est première fois que, tel un taureau, nous

confiance dans le

pas la

nous ruons aveuglément sur notre ennemi... (Comparer le combat du 23 août). Par bonheur, l'ennemi ne nous avait pas encore aperçus

nous couchâmes à plat ventre contre un

;

nous

talus et

restâmes là deux heures, retenant notre haleine, tandis

que

les

obus mugissaient

dessus de nous. L'ennemi

tirait

et sifflaient au-

sur notre

artil-

de nous, à 5oo mètres, sur une hauteur dominant la vallée. Notre artillerie s'était rangée en bataille sous le

lerie,

postée

directement en

face

feu de l'ennemi, mais ne put se retrancher et se


d'un soldat allemand

45

trouva ainsi à découvert sur la hauteur» L'en-

nemi , qui ne connaissait que trop bien les distances, ne tarda pas à les repérer, et les obus éclatèrent si nombreux, que par moments nos pièces étaient

enveloppées

de

cependant,

tira

artillerie,

Nos

mais inutilement.

nuages

noirs.

Notre

encore quelques coups, artilleurs

se

sauvaient

d'une pièce à l'autre. Ces braves ne pouvaient

ennemie en bonne position. fut donné d'avancer. Nous eûmes d'abord une position assez défavorable dans une prairie mal abritée. Notre artilrien contre l'artillerie

Un moment après, l'ordre

lerie

de tout calibre

se

rangea en bataille et

tira à

canon que veux- tu. Après être restés peu de temps dans la cour d'une ferme, nous nous déployâmes par une grande conversion à gauche dans

la direction

de

la ville

de Varennes, occupée,

disait-on, par les Français. L'artillerie tirait par-

dessus nos lignes

de mitrailleuses, là

se firent

nous essuyâmes un faible feu quelques coups de

fusil

çà et

entendre dans nos environs. Nous

prîmes d'assaut

évacuée

;

et

sur

la ville

ces

que

les

entrefaites.

Français avaient

Les

nombreux

buissons aux alentours de la ville et les vergers furent fouillés au crépuscule. çais et

Un

cave. L'un des fantassins était philologie

Posen

médecin

fran-

quelques soldats furent trouvés dans une qui,

et savait

par parenthèse

un étudiant en avait

étudié à

Un

curé des

bien l'allemand.


CARNET DE ROUTE

46

environs fut aussi arrêté,

homme

ne voulait rien nous

;

chant

le

dire

renfrogné qui

à une question tou-

nombre des habitants de Varennes,

répondit que la réponse se trouvait dans tionnaire (en français).

Un

nos yeux quand, dans

la nuit,

vrai tableau

s'offrit

à

brûla une grande

magnifique maison devant laquelle

et

il

le dic-

se trou-

vaient des lauriers-roses.

Sur la place du Marché, les hommes qui ont, pour ce genre de recherches, un nez merveil-

leusement Ils

fin, firent la

s'y précipitèrent

chaparder

le

découverte d'un

comme

plus possible.

Comme

je

me

geais vers cette maison, retentit soudain

crépitement

hommes

comme

celui

cellier.

des sauvages pour

un

diri-

fort

de coups de feu. Les

de la cave; je que nous étions tombés dans une embuscade qui allait provoquer un combat dans les rues. Il se trouva que les hommes avaient renversé une pile de mille bouteilles et que celles-ci dégringolaient pêle-mêle avec un bruit de tonnerre. Je me fis donner une bouteille de vin rouge. Presque sortirent en tourbillon

crus

tous les les

hommes

étaient gris, pénétraient dans

maisons particulières et pillaient

(').

allemands dépasse toute imagique les chemins de leur déroute de la Marne étaient couverts de milliers et milliers de bouteilles vides. Du reste, leurs officiers ne leur en donnèrent que trop souvent (1)

nation

L'ivrognerie des soldats ;

on

l'exemple.

sait


d'un soldat allemand

47

Il est permis d'emporter ce qui se mange, ce dont on a un besoin immédiat, mais plusieurs, surtout ceux qui accompagnent les bagages,

volaient des montres, des objets de valeur, etc.

une

C'est hideux, d'autant qu'ils procèdent avec

fureur que ce qu'ils ne peuvent empor-

telle ter,

ils

le jettent

heures,

11

à terre

et

le

piétinent.

nous avons bivouaqué près de

A la

ville.

reçus

Je

hommes,

la

la

mission

d'assurer,

avec

huit

garde à l'intérieur du village. J'avais

à garder cinq prisonniers civils, qui gelaient sans

aucune couverture par fallut

une

cette froide nuit.

également veiller sur

sentinelle auprès

drapeau

le

Il

me

et placer

du commandant.

Vendredi 4 septembre.

—A

5

heures

du matin,

une gorgée de plus rude marche que nous

à 6 heures, après avoir pris

réveil

;

café,

commença

la

Le

eussions faite jusqu'alors.

soleil brûlait atroce-

ment (unmenschlich, inhumainement). La poussière tourbillonnait sans cesse, redoublée par l'artillerie et la cavalerie qui passaient

sans discontinuer jusqu'à

mes se traînaient à peine à Moiremont (*).

i ;

h

au galop.

On

avança

45. Quantité d'hom-

le reste arriva

exténué

(1) Moiremont (Marne), près de la forêt d'Argonne, à 6 kilomètres de Sainte-Menehould.


CARNET DE ROUTE

48

On

d'abord épuisé sur

se jeta tout

pavé à

le

l'ombre, pour reprendre haleine. Enfin, on put

manger à Après un

pour calmer notre fringale. les compagnies se

la cantine

arrêt

d'une heure,

portèrent à quelques centaines de mètres plus loin

et

se

reformèrent

sur

leurs

pour

garder

les

bagages.

Je

Je

positions.

demeurai avec huit hommes dans

la petite ville

en

postai

trois

un

endroits des sentinelles. Je causai ensuite avec

propriétaire français qui avait grand'peur pour les soldats pillards.

Ceux-ci

maisons et lancent à

la face

son bien et redoutait pénètrent dans

les

des habitants, d'un air provocateur, des bribes

de mauvais français

du bain

«

:

Beaucoup d'habitants

etc.

coup à

souffrir

des masses gens,

et

de

inoffensifs

la guerre.

Sans aucun égard,

leur détruisent leur mobilier,

garde contre

les pillards,

vous une attestation d'un Si

auprès d'un Il

se

me

non, je

il

»,

ont beau-

d'hommes sont cantonnés chez

remis au propriétaire une note à

tionner?

viande

(sic),

titre

etc.

ces

Je

de sauve-

était écrit

:

«

Avez-

pour réquisiimmédiatement

officier

plains

officier. »

montra

très

reconnaissant

;

sa vieille

mère

m'apporta des poires.

L'exempt une bonne

(1)

Le

«

S... (*)

vieille

me

dit qu'en face,

qui

Gefreite », soldat de

lui

i

re

avait

classe,

il

y

offert

avait

de

la

exempté de corvées.


d'un soldat allemand

4g

viande, mais qu'il ne l'avait pas acceptée. Je

un peu de viande

décidai de l'acheter pour avoir froide dans le sac.

Je trouvai une

me

soixante-quinze ans qui

un

aussi

fils

servait dans les

à la guerre qui

dragons, mais que ce

fils

femme de

raconta qu'elle avait

était

mort, hélas

!

dès le

campagne. Sa douleur était grande son fils unique, soutien de sa vieillesse, était parti son mari mort déjà; qui prendrait soin de début de

la

:

;

la

ferme

?

Tard dans pâtisserie.

je pris

la soirée,

Aux

nos gens trouvèrent une

soldats qui l'avaient découverte,

une boîte de bonbons

un peu de pain

et

d'épice qui sentait délicieusement le miel.

Le dans

compagnie une heure et quart

soir à 8 heures, la

marche

et après

la ville

enfin,

pour

depuis longtemps, sous un

la

toit.

première

y

avait

fois

Sept escouades

cantonnèrent dans un grenier à foin. il

mit en

elle arriva

de Sainte-Menehould.

Là nous fûmes,

celui-ci,

se

A

côté de

un dépôt de liqueurs. Je reçus un homme de mon

ce poste de confiance; avec

escouade, je couchai dans ce local afin que soldats qui avaient flairé le rôti

pas,

car

ces

gens

ne

savent

les

ne s'enivrassent garder

aucune

mesure.

Samedi 5 septembre. 7

heures,

départ

—A

de

6 heures, réveil.

Sainte-Menehould

CARNET DE ROUTE D'UN SOLDAT ALL.

4

A

par


CARNET DE ROUTE

5o

approches du Vieil-Dam-

Daucourt jusqu'aux

pierre; à 10 heures, repos

A Sainte-Menehould allemands

qui

(*).

se trouvaient

avaient

été

arrêtés

deux

civils

lors

de

la

mobilisation.

Nous avons Occidentale, heure,

Dans

déjà

et

comme

les

l'Europe

retardent d'une

trouvent des horloges

les villages se

donnant

merveilleusement accordées,

souvent

de

l'heure

ici

pendules

les

notes,

trois

cloches des troupeaux

:

kling

!

klang! laissant une profonde impression d'inti-

mité et de gravité.

Hier nous arriva de nouveau une nouvelle des plus

réjouissantes

armistice

et

:

Français

les

un

offrent

sont disposés à payer 17 milliards

d'indemnité

de

guerre.

L'armistice,

pour

le

moment, est refusé (*). La forteresse de Reims serait tombée avec tous ses forts. Le Gouvernement se serait, paraît-il, enfui de Paris.

Aujourd'hui, nous avons marché jusqu'au soir

avec une halte, sans dîner.

A

7 heures, j'ai

eu à

opérer avec une section la liaison entre la 11 e et

(1) Daucourt (Marne), petit village à 6 kilomètres de SainteMenehould. Le Vieil-Dampierre (Marne), à 13 kilomètres de

Sainte-Menehould. (2)

Nouvel exemple des extraordinaires

fausses nouvelles qui

circulaient dans les années, ennemies. Jamais

tion de liards.

demander un armistice

et

il

n'avait été quesd'offrir 17 mil-

encore moins


d'un soldat allemand 6 la iq division.

Quand je me

suis présenté

5l

chez

le

(i re

compagnie du 157 e ?) j'ai capitaine 1/157 entendu dire que deux corps ennemis étaient en retraite sur la forteresse de Verdun. Notre itinéraire de ce jour était Daucourt, Ante, Le Vieil-Dampierre, Charmontois-le-Roi, Saint-Mard-sur-le-Mont.

Aii

heures, au bivouac.

Dimanche 6 septembre. à

— Alarme sans sonnerie

3 heures et départ au clair de lune pour le

Embranchement

village

voisinage

;

de

là bientôt,

(sic)

situé

dans

le

départ pour Sommeilles.

Nous entendîmes bientôt le grondement du canon, et peu de temps après s'éleva un immense nuage de fumée le village brûlait. La canonnade devint plus violente, et quand nous arrivâmes à :

300 mètres devant Sommeilles, à l'entrée d'un que le

bois, la bataille battait son plein. Il paraît

XVIII e corps d'armée droite.

arrive aujourd'hui sur notre

Les obus éclataient à 200 mètres devant

nous derrière un petit bois. Les pauvres gens de Sommeilles ont été arrachés de terrible façon à leur sommeil (en français).

Ainsi

journée;

les choses pendant toute canonnade continuelle. L'ennemi

allèrent

la

se

(1) L'erreur se rectifie en ce sens qu'à une courte distance de Saint-Mard se trouve l'embranchement de la route qui conduit à Sommeilles, village du département de la Meuse.


CARNET DE ROUTE

52

retranchait fortement et assurait la retraite de ses

troupes.

Nous

chassâmes de retranchement en

le

retranchement. Il est

certain,

de toute manière, que

de igi4 amènera un changement dans

la

guerre

la tactique.

L'infanterie a cessé de jouer le premier rôle.

La

guerre ne permettant plus les anciens engage-

ments,

l'artillerie est

devenue l'arme principale

La

et ne saurait être trop forte.

avions feront

les

cavalerie et les

reconnaissances, et les cavaliers

devront mettre pied à terre pour

la protection

de

l'artillerie.

Depuis ce matin jusqu'à 4 heures

3 heures

(un quart de café),

du soir, nous n'avons rien mangé.

Quand, à midi nous arrivâmes à couvert près de l'artillerie, nous mendiâmes un petit morceau de pain, que çà et là on nous donna. De là nous nous rendîmes dans un verger planté de pruniers, et tout le monde se rua sur les arbres* La faim ,

fait

s'évanouir

étrange,

tout

respect

porte - drapeau

le

:

je

vis,

chose

de notre bataillon

abattre irrévérencieusement des prunes avec le

drapeau sacré pour calmer sa faim. Je m'étonne que l'on ne soit pas déjà tombé malade en buvant toute sorte à^eau; partout où se trouvent une mare, un ruisselet, on boit

même les

dans

les flaques

chevaux,

A

s'abreuvent d'ordinaire

afin d'apaiser

une

Brabant-le-Roi, l'ennemi

soif accablante. s'est

de nouveau


d'un soldat allemand

53

Pendant que les canons travaillent, nous dînons dans un fossé poussiéreux au bord de la route, tandis que les pièces qui défilent déversent sur nous des nuages de poussière. Enfin, à 7 heures du soir, nous arrivâmes à Brabant-le-Roi ce fut le meilleur bivouac que nous eussions eu jusqu'alors. Dans la nuit, les fourgons arrivèrent, nous apportant du pain et Je solidement établi

(*).

;

courrier.

La

veille

au

soir,

on avait trouvé, à

la gare,

deux wagons remplis de pain français et de beurre.

Les

Français,

dans

leur

retraite

précipitée,

n'avaient pas eu le temps d'emporter ces appro-

visionnements. Les Français ravitaillent beaucoup plus aisément leurs troupes

:

de

fer aboutissent près

jettent-ils

souvent

le

ils

reçoivent tout

0

leurs chemins de leur ligne de feu. Aussi

gratuitement des populations;

2

pain ça et là sur leur route,

et les troupes allemandes qui

ont faim

le

ramas-

sent.

Lundi 7 septembre. notre

artillerie

a

tiré.

dormi sur une botte de

Pendant toute J'ai

paille.

très

la nuit,

passablement

Réveil à 5 heures.

Départ, 7 heures, vers Bar-le-Duc. Nous arrivâmes près d'un champ, où

(1) Brabant-le-Roi, petit village

de Revigny.

de la Meuse, à

2

le

23

e

kilomètres


54

CARNET DE ROUTE

(Neisse) avait poussé

une pointe

1

( ).

Ici

nos

sol-

dats paraissaient avoir rencontré de la résistance, car,

semés çà et

là, ils

gisaient morts.

la route, je vis aussi le

cadavre d'un

Au

bord de

officier et, le

long d'une allée de peupliers, un groupe de leurs morts.

A

ce que disent nos soldats,

breux seraient presque

la

tirail-

nom-

Français tués dans le bois,

les

moitié d'un régiment.

entendu aujourd'hui une drôle d'exprespour désigner les autos, au

J'ai

sion, mais très juste

moment où

l'une de celles-ci passait en soulevant

des tourbillons de poussière poussière

Un

propos de

parmi «

les

:

«

Ces infâmes

traîne-

»

!

notre

médecin-major circule

hommes qui s'en montrent très

A la guerre une vie humaine

portance.

»

Ce

indignés

:

peu d'imque trop exact,

n'a que

n'est pourtant

il n'était pas besoin de le dire. Les maisons de paysans à cette limite orientale

seulement

de

la

sion

province

(sic)

particulière.

de

la

Marne

font une impres-

Elles sont petites, tassées sur

elles-mêmes avec un seul étage couvert en Elles ont l'air misérable et

pas de

même

cependant

il

tuiles.

n'en est

à l'intérieur; elles sont bien amé-

nagées; on y voit des pendules antiques, des massifs et larges, de grandes armoires.

Le 23 e régiment appartient au VI e corps d'armée de Breslau, son centre est dans la ville de Neisse, siège aussi de la

(1)

et

lits

12 e division.


d'un soldat allemand Aujourd'hui,

j'ai

trouvé une carte écrite par

une fiancée française à un cette invite

soldat* Entre autres

:

Tuez-les tous

«

les sal

(sic)

Une jeune

fille

Dans une autre

:

lettre (celles-ci gisent

Empereur

est

Brigand, nous*, mœrtriers

le

crois,

Rossez-les d'impor-

«

quantité sur la route) notre

Guillaume

»

allemande n'aurait pas, je

tout au plus

écrit ainsi;

Prussiens (en

(*)

français), qu'il n'en reste plus un.

tance. »

55

en

appelé

(sic)

(en

français).

Ce

soir,

ordre de réquisitionner dans

Auzecourt

(*).

Mais

incendié et détruit, et

était

il

le reste

aux

quarts

avait été pillé par

Nous retournâmes donc

l'artillerie.

le village

trois

sans provisions

de bouche.

Mardi 8

— A

septembre.

i

h

réveil.

30,

heures, départ dans la direction de

2

l'est.

un quart d'heure, Demi-tour » Le combat préparatoire

avions marché environ

on

cria

I

«

A

Nous quand

!

d'artillerie n'est

pas encore

terminé*,

donc l'attaque

projetée de l'infanterie n'aura pas lieu.

Nous avançâmes vers

A

droite,

le village

de l'autre côté de

de Laheycourt

brûlait,

avec

d'Auzecourt.

la vallée, soi!

le village

château*

(i)

Sans doute

(3)

Auzecourt, village du département de là Meuse.

:

sales.

Les


CARNET DE ROUTE

56

peupliers élancés se détachaient en belles

A

houettes sur ce fond rouge.

sil-

Auzecourt, nous

emmenâmes comme otages (en français) les deux seuls hommes âgés du village. La femme de l'un d'eux se lamentait terriblement, comme si son mari

mur

Chose étrange, je trouvai, en une maison, un tableau suspendu au

allait être tué.

fouillant

et représentant la famille

du

Tsar.

Hier, j'appris aussi avec quelques détails de quelle façon le 23 e avait subi de

si

grandes pertes

(12 e compagnie). Une grand'garde fut surprise par des forces supérieures françaises (deux régiments?).

Le poste de

sous-officiers fut culbuté,

anéanti, et la grand'garde, déployée en tirailleurs

(5o hommes), abattue par la fusillade. fuite, fut

morts dans

de la route. Maucommunication officielle tombée avec 4o.ooo hommes (Français le fossé

l'instant,

beuge est

reste,

également tué, et nous trouvâmes

en les

A

Le

:

et Anglais).

Aujourd'hui,

le

combat

d'artillerie

d'une façon ininterrompue. l'artillerie française se

rage

n'y a pas à dire,

Il

comporte

{hait sich redit tapfer).

fait

très

Comme

vaillamment,

nous étions à

commença avec un camarade, à l'orée de cette forêt, quand soudain tout près de nous un obus tomba. La boue de la couvert derrière une

une

épouvantable

prairie et la

lisière

de

canonnade.

forêt,

J'étais,

fumée noire de l'obus nous enve-


d'un soldat allemand loppèrent.

Le

57

projectile pouvait avoir éclaté à

une distance de 8 à 10 mètres de nous. Nous gagnâmes alors la lisière de la forêt voisine où il ne nous fut pas possible de pénétrer, canonnée qu'elle était par l'artillerie lourde. Avec le camarade W... j'avais trouvé un abri passable dans un fossé profond. Longtemps encore les obus tombèrent tout près de nous. Je supposais que les Français avaient quelque part

un poste

vation qui 5 par télégraphie sans

munication avec celle-ci savait

si

l'artillerie,

fil,

étant

les

en comdonné que

bien où nous étions cachés.

Par ce temps splendide, dans

d'obser-

était

le ciel

radieux

hirondelles décrivent leurs courbes gra-

cieuses et dans les grands bois de hêtres,

il

semble

impossible que l'ange de la mort passe menaçant si

près de nous.

Et cependant et là,

dans

les

les airs,

nous blottissons

oiseaux de mort voltigent, çà en quête de victimes. Nous

comme de

timides petits oiseaux

dans leurs cachettes. Entre l'endroit

XVIII e et le VI e corps, précisément à où nous sommes, existe une petite lacune

le

dans Vanneau formé autour des Français.

11

faut

donc s'attendre à ce que, dans la nuit, ils tentent une percée, d'autant que dans la journée ils ont canonné fortement cette région. C'est à nous, en tant que corps de réserve, à combler ce vide. Les armes sont déchargées,


CARNET DE ROUTE

58

de ne pas

afin

l'obscurité;

au canon.

La lune

les

réciproquement dans

baïonnettes

sont

mises

profondément dans les événements*

Enfoncés plus

tranchées,

les

se fusiller

seules

nous attendons

éclairait

presque

comme

le

jour; l'ennemi

ne vint pas

Mercredi g septembre. Réveil à 4 h 30. De l'abri nouveau nous sommes à dans un petit bois

humide; plus d'un aura attrapé des rhumaLe combat d'artillerie battait son plein. Nous avons repassé aujourd'hui par notre point très

tismes*

de départ d'hier.

Il

y

avait là dans la prairie,

creusés par les projectiles ennemis,

de trous voisins

une quantité

uns des autres. Nous échan-

les

geâmes cette position contre une autre au coin d'un de notre

petit bois, à droite

même sait

artillerie*

ceux de l'ennemi* Cependant

pas

satisfait

du

Nos pro-

avec beaucoup d'ardeur, de

jectiles travaillaient

il

ne parais-

résultat*

Aussi apparut bientôt un aviateur français en reconnaissance.

devant

Peu

et derrière

même un

îious.

point de mire

à midi, le feu était

si

d'effrayants ravages

L'ennemi n'avait pas et nous criblait

moyen

rapide qu'il aurait s'il

;

pu

causer

avait atteint nos forma-

mangeâmes à la cantine, des obus éclatèrent quand nous terminions

tions.

et

A

après, les obus s'abattaient

6 heures, nous

tout près derrière nous. Je m'étonne toujours, ne


d'un soldat allemand

5g

pouvant comprendre comment l'ennemi connaît si exactement ce qui se passe chez nous. Ou bien il a des postes reliés téléphoniquement (sans fil), ou bien a-t-il inventé de nouveaux appareils à miroirs, meilleurs que les nôtres, et dont il garde jusqu'à présent le secret.

Tout

près

du

nous avons creusé deux

bois,

tranchées pour nous mettre à couvert des obus,

dans ce terrain rocheux*,

travail qtii,

mement

difficile

couchai à la

de

lisière

nous

allait suivre.

se

mit de

;

me

le gefreite

x

( )

tente.

un

ruisseau

et ce fut le prélude

;

plus

de ce qui

Bientôt après, une pluie diluvienne

la partie

;

notre mince tente n'y résista

Comme deux

guère.

avec

fallut ensuite franchir

d'un y dégringola

était extrê-

réussit pas. Je

la forêt

même

professeur, sous la Il

ne nous

et

petits oiseaux,

4 heures

et se préparer.

pluie,

il

Jeudi 10 septembre.

se blot-

plus fort de la

sous ce misérable toit. fallut se lever à

on

Au

tissait

— Pendant

uiie

demi-heure

environ, nous restâmes sans manteau, et bientôt

nous n'eûmes plus un glacée

;

fil

de

on claquait des dents

sec.

La

pluie était

et l'on pensait, en

frissonnant, à la journée qui approchait.

trouvait

si

misérable

!

On

On

pensait au pays et

(i) Le gefreite n'est pas un gradé, mais un soldat de appelé en cette qualité à suppléer parfois Yunttroffizier.

se

aux

i* e classe


CARNET DE ROUTE

6o

manœuvres pendant au moins

on entrevoyait de changer de vêtements.

lesquelles

la possibilité

ne fallait pas y songer, car nous n'avions que notre habillement. Nous passâmes par un village incendié et derrière une montagne. Les choses s'arrangèrent mieux que nous ne le pensions nous pûmes allumer du feu en arrachant Ici, il

;

tous les piquets d'un parc à bestiaux et sécher tant bien

que mal nos uniformes.

On

les aurait

littéralement tordus.

La

un peu. De nouveau furent

pluie céda aussi

creusées de profondes tranchées. Soudain, ordre est

donné de

pas

pu nous

Quel dommage de n'avoir un peu Les suites firent sentir par de cruelles

repartir.

chauffer encore

d'un pareil temps se

!

douleurs de rhumatisme.

Le départ

s'expliqua de la façon suivante

Une armée de dégagement

marche sur Bar-le-Duc. Arrêter vant

celle-ci,

le cas, la repousser, telle était la

VI e corps d'armée. La

2i

e

ou, sui-

mission du

brigade partit en avant

nous restâmes en réserve dans un petit

où nous fûmes

Le

assaillis

de l'ennemi Sensation horrible de tir

par

;

village,

canonnade.

la

était

:

(française) était en

un peu trop

se voir ainsi

court.

parqués par

grandes unités dans une étroite ruelle de village

l'on

ne pouvait que difficilement ou, à vrai

dire, pas

vu de

si

même terrible

se développer. Je n'ai jamais rien

que

les effets

de notre

artillerie

:


d'un soldat allemand les trous qu'elle

61

creuse ont 8 à 10 mètres de dia-

mètre et presque

mètres de profondeur. Des

2

arbres sont déracinés par ses coups,

même

sur la

route durcie. Ce devait être l'enfer sur terre que d'être en ligne

de

tirailleurs

Louppy-le-Château sortions

du

village,

dans ce coin de pays.

—A

(*).

quand

10 heures, nous

arriva la nouvelle

que

l'ennemi se trouvait en retraite. Nous canton-

nâmes d'abord dans une grange;

j'étais

couché

moi les hommes serrés les uns contre les autres, quand « 11 e compagnie, aux soudain retentit le cri armes » C'en était fait du campement. Nous nous portâmes pour bivouaquer derrière un village, sur une hauteur, dans l'obscurité. A minuit, bien au chaud dans

le foin, à

côté de

:

!

repos. Aujourd'hui, le chef de la fait

2

e

section s'est

porter malade; je suis donc passé chef de

cette section, tout en continuant à

commander

le

peloton.

—A

5 h 30, réveil.

Nous sommes restés provisoirement dans notre campement et avons envoyé des patrouilles dans le bois où erraient aussi des patrouilles françaises. En Vendredi 11 septembre.

attendant,

l'artillerie

le courrier

(1) Village

continue à gronder (distribué

de campagne). Le matin, nous avons

du département de

la

Meuse.


CARNET DE ROUTE

62

creusé des tranchées profondes et nous les avons

recouvertes de portes, de planches et de paille

pour nous mettre en quelque mesure à

de

l'abri

la pluie.

Toute

la journée,

bois voisin

une

nous avons entendu dans

fusillade.

Les Français

sur nos patrouilles d'infanterie et de cavalerie.

conséquence, purger se

le

tiraient

En

la 11 e

le bois.

compagnie reçut l'ordre de Elle mit baïonnette au canon et

déploya par pelotons à côté du chemin. Nous

ne trouvâmes pas

ment

retirés.

les

Français

:

ils

s'étaient sûre-

Nous rencontrâmes seulement un

blessé, qui fut emporté. Ces patrouilles françaises

s'aventurent loin dans les tent en

embuscade

et

trouilles qui passent à

de

taillis

des bois, se met-

descendent

pied ou à cheval.

trouvâmes aussi dans ce bois un caisson. les

les

Français avaient abattu les chevaux,

ils

pa-

Nous

Comme avaient

été obligés de laisser là les munitions. L'artillerie

où de gros arbres Nous avons emporté

avait fait rage dans ce bois, étaient coupés par le milieu. le blessé sur

un brancard rapidement improvisé

mais nous n'avancions que lentement.

Il est

;

cer-

tain qu'en se retirant les Français avaient informé

compagnie D'une manière formidable elle se

leur artillerie de la présence de notre

dans

le bois.

mit de

la partie. Cette artillerie, qui connaît

exactement

les

si

distances, nous laissa cependant

tranquillement arriver jusqu'à un carrefour. Mais


d'un soldat allemand

moment, tout

à partir de ce les

projectiles

terre. J'étais

63

près de la colonne,

sifflaient en s'enfonçant dans la

couvert de boue par

les

obus qui

un miracle qu'aucun homme n'eût été tué deux seulement furent légèrement blessés un autre eut le manche de sa pelle brisé par un éclat. C'est avec ce lugubre accompagnement que nous arrivâmes à notre tombaient avec

fracas.

Ce

fut

;

;

campement. Après notre souper survint un événement fâcheux. Nous dûmes abandonner nos belles posititions pour occuper celles de la 10 e compagnie, situées au sud-est

du

village, positions

qui, par suite de l'éloignement plus grand

du

vil-

extrêmement défectueuses. manquait de planches, etc. Dans l'après-midi, une forte pluie avait commencé et dura pendant toute la soirée. Les tranlage, étaient

On

chées étaient pleines d'eau, la paille était mouillée; le sol (argile) était

absolument

n'avions que quelques abris en petit

insuffisamment couverts. la section

Il était difficile

dans la nuit noire, tandis que

se déversait

Alors

Nous nombre et

glissant.

du

;

la pluie

ciel.

commença

jamais passée

de caser

la nuit la plus terrible

les habits

que

j'aie

trempés, claquant des

dents, couchés dans les tranchées sales et humides, l'eau pénétrant partout, les et se poussaient à cause

hommes

du manque

gémissaient

d'espace.

Oh

\


CARNET DE ROUTE

64 c'était

épouvantable

dessus de nous.

J'avais

!

endoloris et, de plus,

un vent

tous

membres

les

glacial soufflait au-

semblait que nous fussions

Il

abandonnés, trahis et vendus. Dans de

moments, de revoir teur.

s'éveille

la patrie et

Oh que

Samedi 12 il

de retrouver un

toit protec-

cette nuit fut douloureuse

!

septembre.

fallut quitter

pareils

invinciblement un ardent désir

Enfin,

à

!

heures,

5

comme

nos tranchées. Misérables

des chiens (hundeelend), n'ayant pas dormi, les spectres nocturnes sortirent de leurs cavernes. Si l'on n'avait pas été état d'âme,

dans un aussi lamentable

on aurait dû

rire

de ces

petits

hommes

grotesques et sales qui sortaient en rampant de leur trou.

Nous descendîmes au café.

Malheureusement

était déjà loin et

De

il

village

la cuisine

pour boire le de campagne

fallut partir à jeun.

Louppy-le-Château,

nous nous dirigeâmes

vers Lahey court (*), de là vers J5eZvaZ( 2 ), puis à Charmontois-le-Roi.

à

n h 30

Nous établîmes notre

bivouac

derrière ce dernier village et l'on dressa

les tentes.

Les premières croix de fer sont arrivées pour être distribuées

aux chefs des régiments,

batail-

lons et compagnies. (1)

Lahey court,

du département de du département de la Marne.

petit village

(2) Belval, village

la

Meuse.


d'un soldat allemand

Dans

les tentes,

il

faisait

chaud

65

bon, alors

et

qu'au dehors la pluie crépitait.

Dimanche ij septembre. Il est vrai qu'à 4 heures, le réveil fut terrible. Au dehors une pluie épouvantable continuait et un vent violent agitait les tentes. Déjà dans la nuit j'avais ordonné à mes hommes de les retenir par les cordes, craignant qu'elles ne fussent emportées. Il

nous

fallut quitter ces huttes protectrices.

n'y avait pas à regimber. part.

La

A 4h 30,

pluie se calma, mais de noirs nuages

chassaient sur le ciel jaunâtre la

Il

eut lieu le dé-

du matin. Quand

formidable armée s'avança par

les collines et

que des hauteurs on pouvait embrasser du regard toute la longueur des colon-

les vallées,

alors

nes, ces fantassins qui s'avançaient, luttant contre le

vent, les chefs de compagnie avec leurs pèle-

rines flottantes, et dans le lointain,

comme

plan, l'horizon chargé de nuages, c'était saisissant,

comme ceux

arrière-

un tableau

qui représentent la retraite

de la grande armée de Napoléon quittant la Russie.

Mais c'était le tableau d'une marche en avant Souvent encore nous fûmes surpris par des averses qu'un vent froid rendait particulièrement pénibles. Les pensées, pendant cette marche, étaient tournées vers la patrie orientale, quand

(1)

Grave

erreur,

Tannée allemande

battait

CARNET DE ROUTE D'UN SOLDAT AlX.

en

retraite. 5


CARNËT DE ROUTE

66

passa près de nous une voiture de la compagnie

bien connue des messageries de Breslau. Elle était affectée

au transport des bagages. En temps

de guerre, avec une leichf),

se

terrible

facilité (furchtbar

comme

répandent des bruits

aux époques

qu'on

agitées. C'est ainsi

toujours se racon-

aujourd'hui que nous marchions sur Sainte-

tait

Menehould pour

comme

être transportés

de

en Russie

corps d'armée superflu en France,

Que

ce

une erreur, c'est ce que nous apprit bientôt le grondement du canon qui recommençait. Nous marchâmes sans avoir rien mangé, à travers la fût

pluie et la boue, sans arrêt jusqu'à 7 heures soir

pour gagner Vienne-la- Ville

nous couchâmes à à l'entrée

du

la belle étoile,

village, sur

de

du

(2 5 kilomètres);

dans un bas-fond

la paille.

A 1 heure, nous fûmes pour prendre le café, bien que le bataillon ne dût partir qu'à 5 heures. Après le café clair et parcimonieusement mesuré, il nous fallut rouler les manteaux et demeurer exposés tout le reste de la nuit aux intempéries. On marcha vers Vienne-le-Château une pluie fine survint, qui, devenue bientôt plus violente, changea les chemins en bourbiers et nous transperça jusqu'aux os, et de plus, un vent froid soufflait et les membres commençaient à s'endoLundi i4 septembre.

réveillés

;

lorir.

On

peut

se figurer l'état d'esprit qui régnait


d'un soldat allemand dans

De nouveau

les troupes.

même

en

le strict nécessaire

rien à

fait

67

manger, pas

de pain,

Ton

et

essayait de calmer sa faim avec des carottes. Les

hommes dans les

suprême détresse, entamèrent

cette

conserves de viande, malgré la défense.

Une

longue marche, pendant laquelle une assez grande agitation se

fit

donné que les bagages

sentir, étant

et l'artillerie passaient à côté

de nous en tumulte,

barrant le chemin et nous obligeant à de fré-

quents

arrêts,

nous amena enfin à 6 heures au

cantonnement, en lieu

clos et couvert.

ma chambrée Reçu du pain, à ma grande J'étais

gons

pays

arrivèrent :

dans une mansarde.

avec

du

aussi

joie.

trois

Avec

petits

les four-

paquets du

chocolat, des mouchoirs, des semelles

de feutre, des bas, toutes choses dont j'avais un pressant besoin.

Mardi i5 alarme à 3

une bien bonne

plus,

septembre.

h

après avoir

De

— Malheureusement, une

30 ne nous réveilla que trop tôt;

bu précipitamment

encore pour Autry

(*). Ici,

le café,

dant lequel furent nettoyés

les fusils,

A

la pluie.

8

dans la direction de Binarville. contre

(1)

petite le

ville,

feu de

en route

arrêt assez long, pen-

endommagés par cette

lettre.

gravement

heures, départ

A

l'entrée

de

nous nous mîmes à couvert

l'artillerie.

Autry, village du département des Ardennes.


CARNET DE ROUTE

6S Il

fâcheux d'être complètement dans l'incer-

est

titude sur la situation générale de la guerre. Les

nombreuses marches

contre-marches nous dé-

et

routent complètement. Auparavant, nous savions

au moins ceci

:

c'est

que nous avancions

Français reculaient

les

Aujourd'hui,

du vent

et

A

froid

Reims,

le ciel ;

il

Bùlow

que

et

1

( ).

nous

fait

grâce de la pluie

fait

même

assez chaud*

a, paraît-il,

remporté

la vic-

toire sur des forces supérieures françaises (?)

La plupart des

a

( ).

soldats fument beaucoup, mais

encore faut-il avoir la possibilité d'acheter du

Mais la nécessité rend ingénieux d'abord on cherche du tabac dans les villages ; si cela ne donne pas de résultats, les soldats fument des feuilles sèches de noyer, même du café en poudre. Rien qu'à sentir ces parfums, j'en suis tabac.

on

:

pille et

écœuré.

COMBAT DE BINARVILLE Les compagnies en franchissant allions

les

se

déployèrent en

hauteurs.

nous mettre à

l'abri

A

tirailleurs

vrai dire, nous

dans un

fossé.

Me-

nacés d'être pris de flanc, nous fîmes une conver(1)

L'auteur ne pouvait se douter qu'il était engagé dans la

partie orientale de la grande bataille de la

Marne commencée

depuis le 6 septembre. (2)

Le général von Bûlow commandait

la II e

armée allemande.


d'un soldat allemand

un

sion en nous mettant sur

69

seul rang entre les

qu'une canonnade passa sur nous telle que je n'en avais jamais entendu de pareille... Tout craquait; de gros arbres comme foudroyés, volaient en éclats et, devant nous,

arbres. C'est alors 5

,

notre artillerie grondait

Quand

:

c'était

courûmes par groupes vers

On

cherche d'un abri. heures. se

un tapage d'enfer.

feu ennemi nous prit de flanc, nous

le

A l'aile

trouvaient

ma

à la re-

pendant deux

se tint là

gauche de trois

les caissons,

ligne de tirailleurs

blessés.

nous

Finalement,

allâmes, avec les autres compagnies de notre bataillon,

déployés en

l'ennemi.

La

e

3

tirailleurs,

à la rencontre de

section nous précédait.

nous entrions dans un bois

très épais

;

Peu après mais nous

ne sommes pas habitués à ces collines boisées, plutôt .aux plaines. Nous ne fûmes bientôt que des sous-officiers seuls dans le bois, ne sachant ni le lieu

de rassemblement ni

che. C'était horrible.

la direction

de mar-

Nous prîmes sous notre

res-

ponsabilité d'avancer toujours.

Par bonheur, je rencontrai tout à

fait

par hasard

notre chef de compagnie, le lieutenant T..., qui

dans

était

me joignis

les tranchées,

à lui avec

à l'entrée d'un bois. Je

mes 4o hommes. Nous nous

portâmes bientôt en avant. Je dant une heure à 5 h 3o) lente

sur

exposé la

et

à

ligne

me

trouvai pen-

demie environ (4 heures la

fusillade

de soutien

CARNET DE ROUTE D'UN SOLDAT ALL.

la

vio-

plus

du 118 e

Les

.

;; :


CARNET DE ROUTE

70

balles sifflaient, les

obus grondaient

et s'enfon-

Marchant parallèlement à la route, nous arrivâmes jusqu'à la forêt. Pour ne çaient dans la terre.

pas disséminer encore davantage notre petit déta-

chement composé en partie des

1 1

e ,

e e 9 et 10

pagnies, nous nous réunîmes sur la chaussée,

comdeux

deux à gauche. Quand nous eûmes fait un bout de chemin, nou3 essuyâmes, venant du bois, une fusillade nourrie. Avec la rapidité de l'éclair, nous fûmes dans le bois. Le sections à droite,

porte-drapeau du 9% qui avait sans doute pris

peur et

un

un moment, sur la un coup de feu dans le ventre

et s'était arrêté, hésitant

route, reçut aussitôt

autre dans la cuisse.

L'ennemi continuait à rien.

On

tirer;

nous ne voyions

essaya d'aller relever le porte-drapeau

étendu au milieu du chemin, mais aussitôt

nemi balaya criait

la

route située en contre-bas et qui

comme un

résonnait

horriblement

tuez-moi

!

Ayez

tables douleurs

!

:

pitié,

stand. «

Le porte-drapeau

Camarades, tuez -moi,

j'endure de

comme

si

épouvan-

»

Nous capturâmes un Français dut, avec trois

l'en-

hommes de

sans armes, qui

notre 11 e compagnie

volontaires, mettre le blessé en sûreté

(*).

(1) Contraindre un prisonnier à subir le feu de ses compagnons d'armes est un acte qui appelle la plus sévère condamnation, mais on sait que les Allemands n'ont usé que trop souvent de ces procédés odieux.


r

P

.

d'un soldat allemand

71

Nous rétendîmes, agonisant, sur un brancard de fortune. Puis on se retira lentement, car, fusillés devant

de côté, nous étions en danger d'être

et

cernés et exterminés.

Peu

peu

à

chements de notre bataillon

les autres déta-

se rallièrent

autour

de notre commandant B... Malheureusement, le contact était absolument rompu et les officiers ne

La

savaient quel parti prendre.

campâmes dans un et inquiétés

nuit venant, nous

bois, sous les arbres, assaillis

de temps en temps par

la fusillade.

Par surcroît de malheur, une pluie serrée tomba, qui mit

le

L'aide de

avec

le i

se lever,

comble à

misères de la guerre.

ces

camp W... chercha

er

bataillon.

et

Au milieu

trouva

la liaison

de la nuit,

il

fallut

trébuchant, tremblant de tout notre

comme

corps, fatigués

des chiens, nous rendant

au village de Binarville.

On

nitions dans les fourgons et

alla

prendre des mu-

chacun

prit

deux pa-

quets de cartouches pour les troupes qui avaient épuisé leurs munitions.

Au

retour, je

me jetai

tel

que j'étais dans la boue et je dormis du sommeil de l'épuisement, recouvert, avec le camarade K. .

de

la toile

Quand

de

la tente

on

parfois

.

complètement mouillée.

se réveillait

dans

la nuit, le

coaur était retourné d'entendre dans le bois les blessés poussant là-bas, frappés soins.

rades,

L'un

de grands

aux

cris. Ils

intestins et

criait assez près

étaient étendus

abandonnés sans

de nous

:

«

brancardiers, brancardiers, dites-le

Camadonc


CARNET DE ROUTE

72

aux autres

!

gémissant.

Il

»

Il

se

répétait cela constamment, en

peut qu'on

lui ait porté secours

lendemain matin; mais dans cette nuit noire, dans l'épais fourré, quand on est soi-même

le

anéanti,

que faire ? de nouveau des tranchées furent creu-

A 3 h 30,

naturellement, dans ce sol argileux,

qui,

sées,

bientôt devinrent boueuses

y

:

il

fallut

cependant

entrer. Après, les morts furent traînés et placés

une rangée. Affreuses, les pertes subies par Quand on eût rassemblé les morts, il semblait qu'il y eut là toute une compagnie. Nous avons fait les tranchées assez larges, pour que peu avant notre départ elles puissent servir de tombes pour les morts, qui avaient un aspect effrayant visages bleuis ou livides, plusieurs sur

er le i bataillon

!

:

traversé d'une balle, la tête

l'œil

coups de feu dans

fendue, des

la poitrine, tout

inondés de

sang.

De bonne heure, au du jour, je retournai à la compagnie et me creusai moi-même un abri on reçut enfin quelque chose de chaud à manger de la cantine, alors que Mercredi 16 septembre.

point

;

la veille

On

nous n'avions rien eu de

toute la journée.

toucha aussi du pain.

Résumé ciers

;

:

Nous avons,

hélas, trop

dans chaque compagnie,

temps, un seul.

Il suffirait qu'il

la

peu

d'offi-

plupart

fût tué

ou

du

blessé


d'un soldat allemand

73

nous serions un troupeau sans conducteur.

et

Pour

les

combats sous bois, nous ne sommes pas

assez exercés.

L'ennemi

est repoussé ; de petits détachements peuvent cependant encore avec succès arrêter sur ce terrain boisé la poursuite de l'adisolés

versaire qui faiblit. Aujourd'hui est arrivée la

nouvelle que et

qu'on a Il

VI e le

arrive

de Verdun

la forteresse

fait

la

est

tombée

70.000 prisonniers ( 1 ). plupart du temps ceci à notre

corps d'armée, c'est que nous avons à fournir

sanglant travail préparatoire et que d'autres

ont

le succès, car c'est

cercle autour

nous qui avons fermé

de Verdun

Ici s'arrête le journal.

( ).

Le

17 septembre, Erich X... la route de Binarville

dans un combat sur à Vienne-le- Château. était tué

(1)

Encore une fausse nouvelle.

(3) Erreur,

Verdun

le

2

n'a jamais été investie.



TABLE DES MATIÈRES

Note du traducteur

5

Avant-propos

7

État de guerre

9

Mobilisation

9

La première marche en avant Luxembourg

i5

.

i9

Premier cantonnement en Belgique, à Metzert

La première grande

bataille, à Dintigny.

En France

.

...

20 25

3o

Combat de

Binarville

NANCY-PARIS, IMPRIMERIE BERGER-LEVRAULT

68



LIBRAIRIE MILITAIRE BERGER-LEVRAULT PARIS, 5-7, rue des Beaux- Arts — rue des Glacis, 18, NANCY

PAGES D'HISTOIRE,

1914-1915

Série de fascicules in-12, brochés, (Suite.) 40= Paroles allemandes. Préface de l'abbé E. Wetterlé, ancien député d'Alsace au Reichstag 41, Les Poètes de la Guerre. Recueil de poésies parues depuis le /er août igi4> Préface en vers de Hugues Dblorme 44. La Haine allemande (Contre les Français), par Paul Verrier. 46. Les Neutres. La Suisse et la Guerre 47. Le Livre rouge austro-hongrois (29 juin-24 août 191$). ... 48. Les Campagnes de 1914, par Champaubert. Avec 23 cartes. 50. Nos Marins et la Guerre 51. Le second Livre bleu anglais (3 août-4 novembre igif) ...

.

90 75 40 60 90 60 60 90

c.

c. c.

c. c. c. c.

c.

Les Dessous économiques de la Guerre, 54. Les Neutres. par Christian Cornélissen, économiste hollandais. Préface de Charles Andler, professeur à la Sorbonne

55. 57.

Le Livre vert italien (g décembre igi4-4 mai igrô) Les Volontaires étrangers enrôlés au service de la France André

62.

Liesse,

du Crédit en Allemagne

membre

de

membre de

la

90

c.

40 c.

l'Institut

L'Œuvre de

.

.

Recueillis par A. Sauvbezis

73.

c.

c.

guerre actuelle,

la France. Articles traduits du journal The Times. Avec une carte 64. La Guerre et les Monuments. Cathédrale de Reims, Ypres, Louvain, Arras, par Lucien Magne, inspecteur général des mo„ numents historiques. Avec 32 illustrations inédites 65. Les Origines historiques de la guerre, par Gabriel Arnoult, docteur en droit Avec 4 cartes 66. Du Rôle de la Physique à la guerre. De l'Avenir de nos Industries physiques après la Guerre, par J. Violle, membre de l'Institut. Avec 26 figures 67. Le Livre jaune français (17 mars igi3-4 septembre igi4) ... 68. Chronologie de la Guerre (/er janvier-3o juin igiS), par S. R. 71. Les Pages de Gloire de l'Armée belge. De la Cette à l'Yser. A Dixmude, par le commandant Willy Breton, de l'armée belge. Avec 4 cartes 72. Chants de Soldats (1525-1915). Chansons populaires. Chants militaires. Hymnes nationaux. Sonneries. (Avec la musique.)

63.

60 en France, par

l'Institut

La Vie économique en France pendant par Paul Beauregard,

et

c.

en

igilrigi5, par M.-C. Poinsot

58. L'Organisation

60 90

Le Livre bleu anglais. Documents (20 jui.tlet'ier

40

c.

1

fr.

40

c.

75 90 60

c.

c.

60

c.

c.

1

fr.

60

c.

complémentaires.

septembre 191 4)

L'ATLAS-INDEX DE TOUS LES THÉÂTRES DE LA GUERRE

iC cartes d'enLe Front de Bataille en France et en Belgique. semble au 600.000e, en quatre couleurs, et 24 cartes détaillées au ioo.ooos donnant les principaux points stratégiques. Avec Index alphabétique de 8.352 noms. Grand in-8, relié souple, tranches rouges 3 fr. II. Le Front Est. Prusse Orientale. Pologne. Galicie. Hongrie. 2 fr. 50 33 cartes en couleurs, avec Index de O.024 noms I.


BERGER-LE VHAULT, LIBRAIRES-ÉDITEURS PARIS, 5-7, rue des Beaux- Arts — rue des Glacis, i8, NANCY GUERRE

LA

LES RÉCITS DES TÉMOINS

La

Victoire de Lorraine. Carnet d'an officier de Dragons. 1915. Volume in-8, avec 6 gravures et une carte hors texte, broché 1 fr. 25 Carnet de route d'un Officier d'Alpins. i re série Août-septembre igi41 fr. 25 191 5. Volume in-8, avec 6 gravures et 1 carte hors texte, broché . Feuilles de route d'un Ambulancier. Alsace, Vosges, Marne, Aisne, Artois, Belgique, par Charles Leleux, avocat à la Cour d'appel de Paris. Complétées d'après le Carnet de route du D' Henri Liégard, chef de clinique aux Quinze-Vingts. Préface de M. René Doumic, de l'Académie Française. 1915. Volume in-8, avec i3 illustrations hors texte 1 fr. 50 :

.

Les Lettres héroïques (Bibliothèque de la guerre). Volume in-12. 60 c. Parmi les Ruines (De la Marne au Grand Couronné), par Gomez Carrillo. .

Traduit de l'espaonol par J.-N. Champeaux. ioi5. Volume in-12 de 387 pages,

3

broché

fr.

50

Des Lignes de Tchataldîa au canal de

l'Yser. Kirkilissé-CharleroL Lule-Burgas-La Marne. Tchataldja-Les Flandres, par ***. igi5. Un volume 1 fr. 50 in-8, avec 14 croquis dans le texte

Les Parisiens pendant l'état de

siège, par

Raymond Séris

et

Jean Aubry.

Préface de Maurice Barrés, de l'Académie Française. 1910. Beau volume in-8 écu, avec 43 illustrations inédites, couverture artistique, broché . . 3 fr. 50 La Vie de Guerre contée par les Soldats. 1914-1915. Lettres recueil3 fr. 50 lies et publiées par Charles Foley. 1915. Volume in-12 l'Est et du Nord. L'Offensive par la Belgique. La Défense de la Lorraine, par le général C. Maitrot. 3e édition, mise à jour en 2 fr. 50 1914. Un volume in-8, avec 8 cartes et 3 croquis, broché

Nos Frontières de

Les Armées française et allemande. Leur tériel.

Comparaison, par

L'Allemagne en 1914.

le

ma1 fr. colonel Arthur Boucher.

artillerie, leur fusil, leur

général Maitrot. 1914. Volume in-18, br.

péril. Étude stratégique, par le avec 6 croquis, broché

2

Un volume in-8, Volume

fr.

40

in-12

Les Poètes de

la Guerre. Recueil de poésies parues depuis

50

Française.

L'Allemagne et la Guerre, par Émile Boutroux, de l'Académie 1915.

.

le 1**

c.

août igià-

75 c. Préface en vers de Huges Delorme. 1915. Volume in-12 Paroles allemandes. Préface de l'abbé E. Wetterlé, ancien député d'Alsace 90 c. au Reichstag. 1915. Volume in-12 Voix américaines sur la Guerre de 1914-1915. Articles Les Neutres.

traduits ou analysés par S. R., 2

volume

— Les

in-12,

membre de

plusieurs sociétés savantes.

191').

60

chacun

Dessous économiques de la Guerre,

c.

par Christian Cornélissen.

Préface de Ch. Andler, professeur à la Sorbonne. 191a. Volume in- 12. 60 c. Les Allemands en Belgique (Louvain et Aerschot). Notes d'un témoin hollandais, par L.-H. Grondijs, ancien professeur à l'Institut tech60 c. nique de Dordrecht. igi5. Volume in-12 60 c. La Suisse et la Guerre. 1915. Volume in-12 Gerbéviller, 1914. Huit lithographies aux trois crayons, par V. Prouvé. 1914. Épreuves avant la lettre, avec la signature de l'artiste, sous couverture

3

illustrée. In-4

Devant

le

Grand Couronné. Septembre-novembre

d'après nature, par Alfred Lévy. 1916. tique en couleurs .

.

Album

50

in-4 oblong, couverture artis-

.

NANCY-PARIS,

fr.

igi4. Vingt dessins

IMPRIMERIE BERG ER-LEVRAULT

3

Ir.

50


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