Notes, reconnaissances et explorations (Tananavive) Source gallica.bnf.fr / CIRAD
Madagascar. Notes, reconnaissances et explorations (Tananavive). 1897/01-1897/06.
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RECONNAISSANCES
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EXPLORATIONS
MADAGASCAR
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RECONNAISSANCES
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MENSUELLE
le dernier
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de chaque
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1° SEMESTRE —«
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IMPRIMERIE OFFICIELLE DE TANANARIYE
INTRODUCTION
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INTRODUCTION
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était Gouverneur de la CochinM. Le Mjire de Viliers, alors qu'il et Explorations, chine avait créé un recueil intitulé : Reconnaissances et qui recevait les comptes-rendus, mémoires des officiers, rapports, administrateurs, agents des divers services, dont la précieuse collaboration avait fait ainsi de cette revue le document le plus instructif, le plus complet, le plus intéressant que l'on pût trouver sur la Cochinchine, dont il contribua, plus que tous autres écrits, à montrer les richesses et les ressources. Renseignements géologiques, topographiques, ethnographiques, climatologiques, économiques, commerciaux, y étairmi l'assemblés et tous pouvaient venir les y chercher. C'est une idée semblable qui a présidé à la création de la présente On veut faire connaître Madagascar par les rapports, par publication. les récits de ceux qui sont le plus à même de voir et d'observer, qui sont séjournent d'une manière permanente parmi les populations qu'ils chargés d'administrer, qui parcourent sans cesse les régions placées sou* leur direction, et dont le devoir est d'étudier constamment tout autour d'eux, pour faciliter à nos colons leur œuvre de colonisation et de pénétration dans la grande île. Notre nouvelle colonie renferme encore d'immenses espaces inconnus, fermés à nos entreprises ; leurs productions, les peuples qui les habitent,
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INTRODUCTION
les voies qui les pénètrent nous sont ignorés. Toutes ces lacunes disparaîtront au fur et à mesure que nos officiers, nos administrateurs, nos obéissant au programme d'extension politique et commerexplorateurs, ciale que le Gouvernement de la République s'est tracé dans Vite, avanceront plus loin et placeront ces nouvelles régions sous notre influence. Leurs rapports et leurs comptes-rendus trouver ont place dans le présent recueil, où chacun pourra venir puiser, le géographe comme le géologue, le colon comme le conunerçant. En un mot, les Notes, Reconnaissances n'ont qu'un but: et et Explorations Madagascar faire connaître de toute sorte qu'elles contiendront, les faciliter, par les renseignements entreprises de nos colons et de nos nationaux.
M. DE COINTET.
DE
— DE TANANARIVE A ANKAVANDRA
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TANANARIVE A ANKAVANDRA
(FÉVRIER PREMIÈRE
DISPOSITIONS
1896) PARTIE
GÉNÉRALES
Les considérations qui suivent ont pour but d'indiquer la raison d'être du plan adopté dans la description détaillée des itinéraires parcourus entre Tananarive et Ankavandra. —o— —Il ne paraît pasinutile de résumer, tout d'abord, géologique. Aperçu en quelques mots, la constitution géologique de la partie de l'île de Madagascar que nous avons parcourue. L'Ile est formée, d'une façon générale, par un soulèvement granitique autour duquel se trouvent des assises de formation sédimentaire. La partie centrale du soulèvement granitique a été bouleversée, postérieurement à sa formation, par une ligne d'éruptions volcaniques dont la direction générale est marquée par le massif de l'Ankaratra et la région d'Itasy. Il résulte de cela que, si l'on se dirige de Tananarive vers la mer en passant par Miadanarivo (Ankavandra), on rencontrera plusieurs régions ayant chacune un caractère particulier nettement distinct: 1° On traverse, d'abord, une région montagneuse constituée par la partie centraledu soulèvement granitique dont le caractère a été modifié par les éruptions volcaniques postérieures. C'est une zoned'altitude moyenne de 1. 300 mètres, dontla limite occidentale serait marquée approximativement par la ligne Moratsiaso, Maharidaza, Mahatsinjo, Ambohitrinibé; 2° Plus à l'Ouest, le soulèvement granitique, dont le caractère n'a pas été modifié par des formations postérieures, se présente sous l'aspect de plateaux
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argileux, ravinés, d'où émergent des massifs montagneux isolés plus ou moins étendus et d'énormes blocs granitiques dénudés. On passe de la région volcanique à celle-ci, dontl'altitude moyenne est de 1.000 mètres, par des accidentsde terrain qui ne constituent pas. une limite tranchée. Le soulèvement granitique est, au contraire, nettement séparé des formations sédimentaires qui constituent les assises les plus basses de l'île par une falaise abrupte et ravinée, qui, dans la région de l'Ouest, est connue sous le nom de Bongolava. Cette falaise présente un angle saillant dont le sommet est dirigé à l'Ouest, à hauteur du village de Miadanarivo. Il semble s'être formé, le long de la bissectrice de cet angle, une immense cassure orientée de l'Ouest à l'Est et dans laquelle a pris naissance le bassin du Manambolo. Les érosions pluviales ont profondément raviné cette région et en ont fait une sorte de cuvette, au fond irrégulièrement soulevé par des massifs montagneux constitués par les roches les moins décomposables et qui ont, par conséquent, le mieux résisté à l'action des dissolvants naturels. Le Manambolo franchit la limite occidentale du soulèvement granitique par un passage étroit, semé de rapides et de chutes, situé au sommet de l'angle saillant, un peu au Nord-Est du village de Miadanarivo; 3° Au pied de la falaise granitique, se trouve une région d'altitude moyenne de 200 mètres, vallée profondément bouleversée par les eaux descendues du massif central de l'île. Cette vallée est parsemée de falaises à pic et remplie d'un mélange confus de roches primitives et de formations sédimentaires ; 4° Plus à l'Ouest, on aperçoit les plateaux du Bemaraha, d'une altitude moyenne de 400 mètres, appartenant au terrain jurassique, et dont le Manambolo longe pendant quelque temps les pentes orientales, en se dirigeant vers le Sud, avant de rencontrer la coupure par laquelle il reprend la direction de la mer, en coulant de nouveau vers l'Ouest. L'itinéraire, après être sorti du bassin de l'Ikopa, traverse d'abord une partie des rivières qui, venant du massif central, forment le bassin du Tsiribihina. Les rivières sont: le Kitsamby, le Lily, le Mahazy,le Kitambolo,le Sakayet la Manga.Il suit enfin le bassin du Manambolo, dont la description vient de se trouver intimement liée aux considérations géologiques qui précèdent. EXPOSÉ
DES
DIVISIONS
ADOPTÉES
L'aperçu qui vient d'être développéconduit à ne pas suivre, dans la description de l'itinéraire, le parcours qui a été réellement effectué. En plusieurs points, le confusions et trajet à l'aller et au retour a été le même, ce qui amènerait des des redites.
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La description des itinéraires sera divisée de la façon suivante : A. —Itinéraires dans le massif central, formations granitiques
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et volca-
niques. B. — Itinéraires dans le massif central, formations granitiques non modifiées. C. - Itinéraires dans les terrains sédimentaires. Cette étude sera précédée de l'exposé des observations faites et des renseignements obtenus sur: i0 L'orographie ; 2° L'hydrographie ; 3° La population (Hovas et Sakalaves); ses armements et ses ressources militaires; les divisions administratives ; 4° Les ressources et les productions du pays; 5° La climatologie; les températures moyennes; 6° La pathologie; les fièvres; 7° Les moyens d'échange; les monnaies; 8* Les religions; 9° Des voies de communication terrestres et fluviales; 10° Les renseignements obtenus sur les Sakalaves de l'Ouest (Ménabé, Mavohazo, Betsiriry) ; leurs mœurs, leurs rapports avec les Hovas.
t" et 2° - OROGRAPHIEET HYDROGRAPHIE Le soulèvement granitique central se compose, comme je l'ai dit plus haut, de deux zones parfaitement distinctes. La première, bouleversée par un soulèvement volcanique postérieur, présente le même aspect que l'horizon de Tananarive qui en fait partie. Ce sont des amas de montagnes sans direction générale déterminée, d'un aspect nu et désolé. Les érosions pluviales ont mis à nu les roches primitives et volcaniques sur le sommet et sur les flancs des hauteurs. Les endroits où les roches décomposées se sont transformées en argile sont couverts d'herbes qui constituent généralement d'assez bons pâturages à bœufs. Les fonds sont marécageux ou cultivés en rizières. Dans la partie que nous avons traversée, prennent naissance, d'abord, quelques affluents de gauche de l'Ikopa, puis, une partie des rivières qui forment le bassin du Tsiribihina. Cesrivières ont un régime essentiellement variable suivant la saison: coulant généralement dans des lits encaissés et torrentueux, semées de rapides, elles ont peu d'eau à la saison sèche et sont presque toutes guéables, tandis qu'après chaque orage de là
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saison des pluies, leur volume d'eau, décuplant en quelques heures, les rend souvent infranchissables. A cette époque des pluies, les abords des moindres ruisseaux deviennent marécageux et difficiles à traverser; certains des marais ainsi formés ne se dessèchent jamais complètement à la saison sèche. La région voisine du lac Itasy présente un caractère volcanique particulièrement accentué. Des laves parsèment le sol en de nombreux endroits, d'anciens cratères contiennent des nappes d'eau sans écoulement. Le lac Itasy, lui-même, appartient à une formation de ce genre; il réussit à se frayer vers l'Ouest une issue donnant naissance à la rivière Lily. Plus à l'Ouest, où le soulèvement volcanique n'a pas fait sentir son action, le pays parait se niveler, mais les plateaux sont profondément ravinés par les cours d'eau venus du massif central; ces rivières, dont de nombreux petits affluents augmentent sans cesse le volume, coulent généralement entre des berges argileuses à pentes rapides, difficiles à descendre ou à remonter pour les animaux de selle ou de bât. Le fond des cours d'eau est rarement vaseux, mais les abords sont souvent couverts de marécages difficiles à traverser, surtout à la saison des pluies. Les plateaux, couverts d'herbes, constituent une région propice à l'élevage des bœufs. La limite Sud de la cuvette du Manambolo, entre Tsiroanomandidy et la falaise de Bougolava, paraît, au premier abord, formée d'une ligne de hauteurs à peu près continue. En réalité; c'est une arête longue, étroite et accidentée, dont l'altitude moyenne ne dépasse pas celle du soulèvement et qui est profondément ravinée, au Nord, par les afflents de gauche du Manambolo, et, au Sud, par les cours d'eau qui forment le Mandalo, affluent du Mahajilo. Je ne reviens pas ici sur le caractère de la vallée moyenne du Manambolo, en aval de la falaise de Bongolava, dont j'ai parlé plus haut. La formation jurassique du Bemaraha paraît limitée, vers l'Est, par une falaise orientée du Nord-Ouest au Sud-Est, formant la ceinture du Manambolo opposée au Bongolava. Cette falaise semble continuer vers le canal de Mozambique par dé larges plateaux qui s'abaissent au Nord. Ces plateanx n'ont pas de sommets remarquables et sont couverts de forêts.
3° — POPULATION Hovas et Sakalaves. — Armement, ressources militaires et divisions administratives. Lesdivisions ethnographiques correspondent à peu près à celles que nous avons remarquées dans l'étude géologique et géographique. Nous avons parcouru, d'abord, la partie occidentale du pays hova ou Imerina, puis, la zone principale des soulèvements volcaniques dont la limite occidentale
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forme une région intermédiaire entre le pays purement hova et celui qui est habité exclusivement par les Sakalaves. Enfin, nous nous sommesengagés à l'Ouest, jusqu'au pied du soulèvement granitique, dans la région habitée par les Sakalaves soumis aux Hovas, et où ceux-ci n'ont plus que des postes, sortesde colonies militaires destinées à tenir le-pays. A.— Je n'ai pas à m'étendre sur le pays hova, à la connaissance duquel mes renseignements n'ajouteraient rien de nouveau. B. — La zone où se, produit le contact et le mélange des deux races est comprise, au point de vue politique, dans le gouvernement de l'Imerina. Une ligne passant par Moratsiaso, Maharidaza, à l'Ouest de Soavinandriana et de Mahatsinjo, en marquela direction générale et il me semble utile de noter les renseignements que j'ai recueillis sur cette région. Nous avons parcouru les districts de Mandridrano, du Mamolakazo et du Valalafotsy, — Au Sud et à l'Est, ce district s'étend jusqu'au Kitsamby; Mandridrano. à l'Ouest, jusqu'au Sakay, et au Nord, jusqu'au Lily. Il a été parcouru de Soavinandriana à Masindray. Cette région est assez peuplée et cultivée, quoique la densité de sa population soit moindre qu'au cœur de l'Imerina. Cette population appartient encore à la race hova. On trouve peu de grands villages, mais beaucoup de petites agglomérations de deux à cinq cases, offrant des ressources en riz, maïs, patates, manioc, bœufs, porcs, volailles. Les Sakalaves n'apparaissent que plus à l'Ouest, du côté de Bezezika. Le chef-lieu du district, autrefois à Mahatsinjo, est actuellement à Soavinandriana, village de création récente, mieux situé au point de vue militaire et sanitaire. La fondation de Soavinandriana est due à l'ancien gouverneur Ratsimanohatra. Sur le parcours de l'itinéraire, on rencontre les villages de Mahatsinjo, Andomotra (ou Miadanamanjaka), Masindray et, près du lac Itasy, ceux de Moratsiaso et Ambarikely. La partie occidentale du district est occupée par les Sakalaves. Les Hovas n'y occupent que quelques postes, notamment Bezezika. Cette région a été ruinée, en 1890, par les Sakalaves indépendants du Menabé, qui ont détruit un grand nombre de villages entre Bezczika et Tanimandry, principalement Mahasolo. On y trouve encore des troupeaux de bœufs assez considérables. Au Sud du Kitsamby, se trouve le district de Valalabetokana (chef-lieu Miadanarivo). — Nous avons traversé la partie sakalave de ce district, en Mamolakazo. nous dirigeant de Soavinandriana à Maharidaza. Cette région, à partir du Lily, est presque déserte, par suite des incursions continuelles des Sakalaves indépendants du Ménabé. Le chef-lieu du district est Miarinarivo, sur le Mahazy, à l'Est de Maharidaza
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et en payshova. Maharidaza est un petit village de 30 cases; peu de culture aux environs. Les habitants n'ont que des troupeaux de bœufs pour seule richesse; le village possède 150 têtes de bétail. Le chef sakalave de la région réside à Maharidaza et s'appelle Radavy. * *» — La limite occidentale de la population hova de ce district Valalafotsy. se trouve au village de Moratsiazo, où l'on rencontre aussi des Sakalaves, et que notre itinéraire a traversé au retour d'Ankavandra. A partir de ce point, en allant vers l'Est, le pays est peuplé et cultive. Les principaux villages rencontrés sont Tsaravehivavy, Bematazany et Miarinarivo. Le district s'étend peu à l'Ouest de Moratsiazo, où il comprend encore quelques petits villages sakalaves et les traces de plusieurs autres, ruinés par les pillards du Menabé. Peu de ressources dans cette direction. En résumé, la région que je viens d'étudier est peuplée et cultivée jusqu'à la limite de la population hova, limite qui est en même temps celle de la résistance aux incursions venues de l'Ouest. La partie occidentale des districts cités plus haut est presque complètement ruinée par les Sakalaves du Menabé. La population est très clairsemée et les ressources à peu près nulles sauf en bœufs. C. — Avant de passer à l'étude de la région habitée par les Sakalaves soumis aux Hovas, il me paraît utile de donner quelques indications sur les mœurs de cette race. Elle est, au point de vue physique, plus belle que la race hova; ce sont généralement des hommes de haute stature et fortement musclés. Leur teint est très foncé, mais ils n'ont pas le type nègre des populations du continent africain; au point de vue intellectuel, ils sont inférieurs aux Hovas. Paresseux et pillards, ils ne connaissent guère que l'autorité des chefs qui savent, à un moment donné, organiser et diriger leurs incursions vers l'Est. Les produits de ces dépradations constituent le plus clair de leurs moyens d'existence. Ils en ramènent des bœufs et des captifs, qu'ils échangent sur la côte du Mozambique contre des vivres et des munitions de guerre. L'or, qu'ils recueillent par petites quantités dans les bassins alluvionnaires des rivières de l'Ouest, leur fournit aussi un moyen d'échange. Moins industrieux que les Hovas, ils se bornent à élever des bœufs, ne cultivent guère, surtout le riz, qui exige des soins répétés. Ils se contentent, comme nourriture, de maïs, de bananes et de manioc, produits qui, dans le fond des vallées de leur pays, viennent presque sans culture. Notreinfluence ne s'établira qu'avec peine sur ces peuplades sans organisation et sans autre instinct que celui du pillage. Au point de vue du recrutement militaire indigène, dont on se préoccupe actuellement, il n'y pas grand fond à faire sur une race qui ne s'astreint, pour vivre, qu'au minimun du travail et qui n'est pas pliée à là discipline résultant d'une organisation politique dont elle est dépourvue. La région des Sakalaves soumis aux Hovas est intermédiaire entre l'Imerina et le Ménabé. Sa position en fait le champ habituel des incursions qui, de l'Ouest, vont se heurter au massif central de l'ile; aussi, n'est-elle guère peuplée qu'aux environs des postes hovas qui forment une ligne de pénétration
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vers l'Ouest et dont chacun constitue le noyau d'une zone de résistance. Ce sont des sortes de colonies militaires établies par Radama 1er et fort affaiblies, depuis lors, par suite de l'incertitude du recrutement. L'espace qui sépare chacun de ces postes du suivant est à peu près désert. Ils s'étendent dans l'Ouest ; ce point appartient, en outre;à une 2e ligne jusqu'à Miadanarivo (Ankavandra) de postes orientée Nord-Sud. Ceux-ci sont placés au pied de la falaise granitique du Bongolava et gardent les passages qui permettent l'accès du massif central aux bandes du Ménabé. Ces postes sont, en même temps, des chefs-lieux de districts. Ceux de la ligne de pénétration sont: Analabé, Bevato, Tsiroanomandidy, Ankavandra, tous placés sous l'autorité supérieure du gouverneur de Tsiroanomandidy. Au pied de la falaise du Bongolava, se trouvent les postes d'Andranonandriana, au Nord, et de Manandaza, au Sud. Il existait autrefois, au Nord de Manandaza, le poste d'Imanda, que les Sakalavas du Ménabé ont fini par enlever. * ** — Le plus proche de l'Imerina et aussi le plus District d Amaiabe peuplé. Il comprend 12 villages, dont trois ont été brûlés par les Sakalaves du Ménabé. Les principaux villages sont: Analabé, chef-lieu du district, Ambohitromby, Ambalanira. Analabé est un village de 30 cases où réside le gouverneur hova. Il s'y trouve quelques HOVbSet Sakalaves. Le chef sakalave de la région réside à Fenoarivo ; il s'appelle Lemisa. Il y a peu de cultures dans le pays, qui n'offre guère, comme ressources, que des bœufs; chaque village en possède des troupeaux de 100 à 800 têtes.. — Se trouve à l'Ouest du précédent. Il District de Bevato. comprend, outre son chef-lieu, huit petits villages sakalaves de cinq à douze cases. Le village de Bevato, chef-lieu du district, comptait 70 cases environ avantl'incendie qui l'a détruit partiellement au mois de février 1896. Il est habité en majeure partie par des Hovas. Sa population s'élève à 200 âmes environ. Il y en a 500 dans le district tout entier. Toute cette population est sakalave, sauf celle de Bevato. Le pays était, paraît-il, beaucoup plus peuplé autrefois. Il comprenait 5.000 individus avant les incursions des Sakalaves du Ménabé, qui l'ont ruiné. Ceux-ci auraient enlevé, en une seule expédition, il y a quelques années, 2.000 bœufs et 80 personnes. Les ressources, comme dans tout l'Ouest, consistent principalement en bœufs; peu de cultures; les pâturages, meilleurs que du côté de Maharidaza, attirent vers Bevato quelques indigènes de cette région. * •* — Peu peuplé, comme celui de District de Tsiroanomandidy. Bevato (six petits villages en plus du chef-lieu), le village de Tsiroanomandidy comprend 40 cases, avec 300 habitants dont 125 soldats hovas. Le district en entier compte environ 500 âmes. Les Sakalaves dépendent du chef de leur race, qui habite Bevalo. Le gouverneur de Tsiroanomandidy, Rakotovao (11 boYS), est un
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homme énergique qui a su, depuis plusieurs années, faire respecter son district par les pillards. Aussi, toute la région des postes de l'Ouest, autrefois placée sous l'autorité supérieure d'Ankavandra, a-t-elle été mise sous ses ordres. Les pâturages du pays sont aussi bons qu'à Bevato. Le chef-lieu du district possède, à lui seul, un troupeau de 1.500 têtes de bétail. A l'Ouest de Tsiroanomandidy, se trouve le village de Marovatana, ruiné en 1893 par les Sakalaves du Ménabé. Les survivants, y compris le gouverneur, se sont réfugiés à Tsiroanomandidy. De Tsiroanomandidy à la falaise granitique du Bongolava, le pays est complètement désert. On trouve, au Nord du mont Ampahamainty, les vestiges de l'ancien village Tafaona, détruit ou abandonné. * *• District d'Ankavandra et de Mad'Andranonandriana, — Cette région, de même qne les précédentes, n'est guère peuplée nandaza. qu'aux environs des postes hovas. D'Andranonandriana à Manandaza, se trouvent, paraît-il, une centaine de petits villages sakalaves comprenant une population totale de 1.000 individus mâles. A Andranonandriana, réside un gouverneur hova avec 20 soldats environ. A Miadanarivo (Ankavandra), se trouve le gouverneur avec 120 soldats hovas. Miadanarivo est le nom du village, Ankavandra est celui du district, dénomination empruntée à la rivière principale du pays. A Manandaza, réside un gouverneur avec 30 soldats hovas. Toute la région est sous l'autorité centrale du gouverneur d'Ankavandra. Le chef des tribus indigènes du district d'Ankavandra se nomme Andriantsileo. Il habite le village d'Ambodifarihy, à deux kilomètres à l'Ouest de Miadanarivo, sur la rive gauche du Manambolo. Andriantsileoest un vieillard de 65 à 70 ans, encore vigoureux, homme intelligent qui ne professe à l'égard des Hovas qu'une crainte et qu'un respect modérés. C'est le fils d'un ancien chef puissant avec qui Radama 1eravait conclu un traité de vassalité, à la suite d'une victoire qui avait soumis à la loi hova la région d'Ankavandra. Radama 1er, après avoir organisé, sur le terrain de ses succès, la ligne des postes d'Andranonandriana à Manandaza, s'était heurté, au Sud de ce dernier endroit, à la résistance énergique des tribus du Betsiriry et n'avait pas poussé plus loin ses conquêtes. Les Sakalaves, comme je l'ai dit plus haut, cultivent peu; la région présente, cependant, des coins fertiles le long des nombreuses rivières qui la sillonnent avant de se jeter dans le Manambolo. En résumé, à partir de la limite occidentale des districts frontières de l'Imerina, c'est-à-dire à partir d'une ligne passant par Moratsiaso, Tanimandry et Bezezika, jusqu'à la falaise du Bongolava, s'étend une vaste région déserte, traversée seulement par la ligne des postes hovas, à l'abri desquels se sont réfugiés les débris des tribus sakalaves soumises à leur loi. Plus loin, sur les pentes occidentales du Bemaraha jusqu'à la mer, habitent les populations sakalaves indépendantes du Ménabé. Leurs villages s'étendent
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surtout le long dela côte et des fleuves qui y aboutissent. Je donnerai, à la fin decette étude, les renseignements que j'ai obtenus sur ces peuplades et sur leurs rapports avec les Hovas. ** - De Tananarive à la ligne Moratsiasoet villages. Habitations la région présente le caractère bien connu de Soavinandriana-Masindray, l'Imerina: les habitations sont en terre battue ou en briques; quelques-unes ont un étage au-dessus du rez-de-chaussée et sont entourées de balcons ou de vérandahs. Les constructions les plus simples présentent toujours deux pièces successives: dans la première, qui fait suite à la porte d'entrée, s'entassent les porcs, les volailles et les instruments de culture. La plus retirée sert d'habitation aux propriétaires. Dans les maisons plus aisées, le rez-de-chaussée est affecté aux esclaves et aux bestiaux, le premier étage aux maîtres. La promiscuité des bêtes elles sont remplies de puces et et des gens rend ces habitations malpropres: les soldats européens se résolvent difficilement à y cantonner. Quant aux troupes noires, moins délicates, un nettoyage sérieux, en arrivant à l'étape, leur suffit pour y trouver un abri confortable. Les villages sont entourés de murs ou de parapets précédés d'un fossé de trois à quatre mètres de profondeur sur 2m50 à 3 mètres de largeur. Les bords du fossé, taillés dans l'argile dure, sont à pic. On accède au village par des portes étroites né permettant généralement pas l'entrée des animaux sellés ou bâtés. Ces portes sont fermées la nuit, par des madriers juxtaposés retenus par des traverses, ou par d'énormes pierres plates à bords circulaires, roulant entre deux rangées de dalles enfoncées dans le sol. Ce dernier mode de fermeture est d'époque plus ancienne que l'autre. Le longde la ligne de pénétration hova de l'Ouest, les habitations et les villages ont un tout autre caractère. Les cases sont composées d'une charpente légère, en troncs d'arbres non équarris, sur laquelle s'appuient de minces cloisons en joncs ou en roseaux, souvent recouverts d'une couche de torchis. Le toit est en chaume. Ces habitations, qui n'ont généralement qu'une pièce, sont plus aérées, plus faciles à nettoyer et plus saines, à mon avis, que les constructions massives et sombres de l'Imerina. Elles suffisent parfaitement aux besoins du cantonnement des troupes. Les villages sont entourés d'une haie épaisse et impénétrable, qui s'est généralement développée au-dessus d'un fossé ou d'un petit mur, enceinte primitive du village lors de sa création. Cette haie atteint facilement trois et quatre mètres de hauteur et présente 10 à 30 mètres de largeur. Si l'on ne peut songer à la prise d'assaut de villages ainsi naturellement défendus, par contre, il est généralement impossible de voir de l'intérieur ce qui se passe au dehors. La défense active est donc complètement annihilée. Une ou deux coupures tortueuses, pratiquées dans l'épaisseur de la haie,
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donnent accès au village. Elles sont barrées de portes étroites, à peine assez larges pour le passage d'un bœuf, fermées de madriers juxtaposés et assemblés par de fortes traverses en bois. Ces portes, longues a ouvrir et à fermer, sont soigneusement closes chaque soir. Leur voûte est généralement surmontée d'une petite plate-forme en troncs d'arbres, avec parapet, sur laquelle peuvent se placer une ou deux sentinelles. On trouve généralement, dans les couloirs d'accès, deux ou trois portes successives de ce genre. Dans l'intérieur, une enceinte palissadée, appelée rova, entoure la case du gouverneur. Des enceintes secondaires, attenantes à celle du village, ferment les parcs, où chaque soir sont enfermés les bestiaux. Ces enceintes, comme la principale, sont formées de haies épineuses. Des incendies fréquents dévorent ces villages formés de matériaux essentiellement combustibles. Les sinistres n'ont, d'ailleurs, que l'effet heureux d'assainir le terrain qu'ils dévastent, et sur lequel de nouvelles constructions se relèvent immédiatement. On se garde soigneusement dans cette région: le jour, au moyen de guetteurs placés sur des miradors rudimentaires ou dans les branches des arbres qui la nuit, par des sentinelles placées croissent dans l'intérieur de l'enceinte; derrière les portes. * ** m'a été impossible, vu la rapidité de de la population.-Il Densité notre voyage, de prendre des renseignements généraux sur la population comprise dans les limites de l'Imerina. A l'Ouest de cette région, le pays n'est peuplé que dans les environs des postes hovas et j'ai donné plus haut quelques indications à ce sujet. Dans les lieux habités de l'Imerina, ou peut compter une moyenne de cinq habitants par maison. Cette moyenne m'a paru s'abaisser a quatre individus par case dans le pays sakalave, où les habitants possèdent moins d'esclaves. (1) La description détaillée de l'itinéraire donne le nombre de cases de tous les villages où ce renseignement a pu être pris. Sakalaves soumis aux Ilovas, et qui habitent depuis Armement. —Les les confins de l'Imerina jusqu'au Bongolava, sont à peine armés de sagaies. Je n'ai eu connaissance que de quelques rares et mauvais fusils à pierre. Les guerriers du Menabé sont, au contraire, tous armés de fusils à pierre ou à capsules. Chacun d'eux porte toujours, en plus, une ou deux sagaies. Les fusils et les munitions de guerre leur viennent de la côte Ouest. Les tribus soumises-aux Hovas, qui se trouvent au pied de la falaise du (1" Cette-mlfi ti onn étéécriteavnntl'abolitiondel'csclnV.IJJC, quin étéproclamée le 37septembre 1896.
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Bongolava (d'Andranonandriana à Manandaza), peuvent être comparés comme armement, aux Sakalaves indépendants. 4°. - RESSOURCESET PRODUCTIONS De Tananarive au lac Itasy, le pays assez peuplé, fournit en quantité suffisante les denrées nécessaires à l'alimentation de colonnes d'opérations : ces ressources consistent principalement en riz, patates, manioc, bœufs, porcs et volailles. Les habitants conservent généralement leur riz non décortiqué dans des silos qui se trouvent à l'intérieur des villages, quelquefois dans le sol même des cases. Des troupes arrivant à l'improviste dans un cantonnement ne trouveraient pas immédiatement le riz décortiqué dont elles pourraient avoir besoin. Le Sud et le Sud-Est du lac Itasy sont des régions fertiles en pâturages et, par conséquent, propices à l'élevage des bœufs. Au delà, dans le pays des Sakalaves soumis aux Hovas, les ressources sont à peu près nulles; comme je l'ai dit plus haut, les cultures sont à peine suffisantes pour fournir àla nourriture des habitants. On trouve dans les villages quelques porcs et volailles; les bœufs seuls sont en grand nombre, mais je pense qu'il ne faudrait pas compter sur cette ressource, facile à faire disparaître, surtout dans le cas où l'on opérerait en pays hostile. Toute cette région, actuellement inculte, présente, jusqu'à la falaise du Bongolava, les mêmes caractères que l'Imerina et se prêterait à des cultures identiques. Sa surface, composée de plateaux herbeux très arrosés, se prête merveilleusement à l'élevage des bœufs, la seule industrie existant actuellement. Les villages de la ligne de pénétration hova de l'Ouest possèdent, suivant leur importance, des troupeaux de cent à cinq cents têtes. Les pâturages de Bevato et de Tsiroanomandidy sont particulièrement estimés. Les deux villages possèdent chacun un troupeau de 1.500 têtes. Les troupeaux appartiennent généralement à de riches particuliers hovas, les populations sakalaves soumises ne sont que leurs tenanciers. Afin de donner une idée de l'état, actuel de la production bovine sur les confins occidentaux de l'Imerina, je reproduis les renseignements qui m'ont été donnés relativement aux richesses en troupeaux de l'ex-premier ministre Rainilaiarivony. Il m'a été dit que ce personnage possédait 10.000 bœufs dans le et l'on évaluait Mandridrano, entre Soavinimerina, Masindray et Tanimandry; à 50.000 le total des têtes de bétaillui appartenant entre le lac Itasy et Mevatanana (sur la Bctsiboka). Au pied de la falaise de Rongolava, se trouvent de nombreux petits fonds de vallées très fertiles, particulièrement aux environs d'Ankavandra; mais ils ne sont guèrecultivés. Cette heureuse disposition du sol permet aux Sakalaves
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de se procurer, sans grand travail, le strict nécessaire à leur nourriture, c'està-dire des bananes, un peu de maïs et de manioc. On trouve quelques rizières autour de Miadanarivo. ** — On en trouve quelques-uns dans la Marchés. partie occidentale de l'Imerina; il n'en existe pas en pays sakalave. Le plus important que j'ai rencontré est celui de Soavinandriana, qui se tient le lundi. *« Eau. —Bonne, comme je l'ai déjà indiqué au début de cette étude; le pays parcouru est très arrosé et l'eau ne manque nulle part, même à la saison sèche. On la trouve partout en quantité suffisante, non, seulement pour les hommes, mais encore pour les animaux. Au pied de la falaise du Bongolava, les ruisseaux traversent un terrain ouvert, par place, d'un humus végétal abondant ou bien des sous-bois marécageux, ce qui rend l'eau malsaine. On rencontre quelques sources thermales aux environs de Masindray et dans la partie de la valléede Kitambolo qui se trouve au Nord du mont Ngiloby. Bois. — Il n'existe nulle part de grandes forêts: celles que les cartes signalent dans la région occidentale de Madagascar ne se trouvent, sur la région parcourue, qu'entre le Bemaraha et la mer. Au Nord d'Ankavandra, la grande forêt de Manerinerina paraît se prolonger vers l'Est plus avant que celles du Bemaraha. Lorsqu'on parcourt la haute vallée de la rivière Bebao, affluent de droite du Manambolo, on aperçoit, à environ dix kilomètres au Nord, une région boisée qui pourrait être l'extrémité Sud de cette grande forêt. On trouve partout des boqueteaux à l'origine ou dans les fonds des ravins. Les hauteurs et les plateaux en sont généralement privés, ce qui faciliterait les marches ou opérations militaires. Cependant, au Sud-Ouest du lac Itasy, les bois gagnent le flanc et le sommet des hauteurs. Les plateaux qui s'étendent d'Ambohitromby à Analabé sont les moins boisés. De Bevato à la falaise du Bongolava, les ravins deviennent de plus en plus boisés, à mesure qu'on s'avance vers l'Ouest. Ces boqueteaux se composent généralement de taillis épais, d'où émergent de grands et beaux arbres. Au pied de la falaise du Bongolava, s'étend une longue bande de bois très difficile à traverser, croissant sur les flancs de la falaise et s'avançant le long des rivières et dans les marécages qui environnent celle-ci. Les bords des deux Marolaka sont particulièrement pittoresques: la rivière serpente au milieu de taillis impénétrables, d'où émergent de superbes arbres,
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autour desquels s'enroulent des lianes innombrables; parfois, un tronc renversé forme sur la rivière un pont naturel. Les indigènes ne s'engagent pas volontiers dans ces fourrés, dont les fonds marécageux servent d'abri à de nombreux caïmans. On aperçoit, dans cette partie de la vallée du Manambolo, des palmiers clairsemés, indices d'une température plus élevée que celle des plateaux supérieurs. De cette étude, il résulte que si l'on rencontre fréquemment des cours d'eau difficiles à franchir pendant la saison des pluies, il se présente aussi, à proximité, les bois nécessaires à l'établissement de moyens de passageaussi solides qu'on voudra les faire.
5° —CLIMATOLOGIE,TEMPÉRATURES MOYENNES De Tananarive jusqu'à la falaise du Bongolava, l'altitude moyenne est de 1.000 mètres environ; la température est celle du massif central de l'île; l'air circule librement surles plateaux dénudés d'Analabé, de Bevato et de Tsiroanomandidy. Au pied de la falaise, près d'Ankavandra, à l'altitude moyenne de deux cents mètres, la température devient beaucoup plus élevée: c'est celle de la côte Ouest; nous avons eu 38° à l'ombre, dans l'après-midi, au mois de février. La chaleur est encore rendue plus pénible par les émanations humides et malsaines qui se dégagent des bois et des marécages de la rive gauche du Manambolo.
6° — PATHOLOGIE, FIÈVRES Jusqu'au lac Itasy, le pays présente le même degré de salubrité que Tananarive. Les abords immédiats du lac, cependant enserré dans un cercle de hautes montagnes et entouré de marais, sont, paraît-il, très fiévreux. A partir de Maharidaza jusqu'au Bongolava, les Hovas établis dans les postes militaires de l'Ouest se plaignent tous de la fièvre. Mais le climat est particulièrement malsain au pied de la falaise, à Ankavandra, tant en raison de l'altitude que des marécages qui encombrent la vallée du Manambolo, et dans lesquels pourrissent les détritus de végétaux entraînés par les eaux ou tombés des bois qui bordent la falaise. J'ai déjà noté la nocuité de l'eau que boivent les habitants de Miadanarivo. Il serait cependant facile de trouver à l'Est du village, sur les pentes du Bongolava
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un lieu d'installation d'une altitude plus élevée, au milieu des ruisseaux qui descendent en cascades limpides des plateaux supérieurs. J'ai déjà fait remarquer que le poste de Miadanarivo a été établi à l'emplacement qu'il occupe, en raison de la nécessité de protéger les cultures du village contre les incursions des pillards de l'Ouest.
7° - MOYENSD'ÉCHANGE,MONNAIES Les habitants de l'Ouest, Hovas ou Sakalaves, à partir de la région d'Itasy, ne se servant que des piastres ayant l'exergue en relief, ou de monnaie coupée, subdivisions des mêmes pièces, dont on pèse la valeur au moyen de petites balances. Les Sakalaves, à l'Ouest de Bongolava, n'admettent plus guère que la monnaie coupée. La poudre d'or, recueillie en contrebande dans les alluvions fluviales, constitue un deuxième moyen d'échange. Enfin, les pillards du Ménabé reçoivent de la côte les objets nécessaires à leur existence et leurs munitions de guerre, en échange de leurs captifs ou des bœufs qu'ils volent.
8° — RELIGIONS A partir de la région d'Itasy, nous avons rencontré, dans tous les postes hovas, des évangélistes indigènes qui enseignent la religion protestante et. qui joignent à cette propagande la direction de petites écoles élémentaires. Ces individus, sortis des collèges anglais de l'Imerina, m'ont paru assez suspects. Les Sakalaves sont en général indifférents à ces tentatives religieuses et civilisatrices; ils préfèrent croupir dans leur ignorance native et pratiquent, quelquefois, une sorte de culte fétichiste dont les manifestations extérieures se traduisent par la présence, sur quelques sommets de montagnes, d'idoles grossières composées de pièces de bois mal équarries enfoncées dans le sol.
TERRESTRESET FLUVIALES 9° - VOIES DE COMMUNICATION J'ai réservé, pour la fin de cette étude, quelques données sur les principales voies de communication de l'Imerina avec l'Ouest, parce que ces renseignements sont intimement liés à ceux que j'ai réunis sur les rapports des Hovas avec les Sakalaves du Ménabé, et qui feront l'objet du dernier chapitre de cet exposé.
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Les directions principales par lesquelles se font les communications entre le centre de l'île et l'Ouest, et par où remontent encore plus fréquemment les incursions qui viennent ravager les confins de l'Imerina, sont imposées par la configuration naturelle du sol. Les débouchés occidentaux de l'Imerina sont constitués par la sortie des rivières qui forment le bassin du Tsiribihina. Ils se continuent par les cours de ces rivières ou par celui du Manambolo, qui, s'enfonçant vers l'Ouest, viennent creuser des brèches dans la falaise granitique du Bongolava. Les brèches forment les seuils naturels permettant de passer du massif central aux assises inférieures de l'île. Les débouchés occidentaux de l'Imerina, depuis la hante vallée du Sakay jusqu'au lac Itasy, convergent vers une direction unique, la plus courte de Tananarive au Ménabé et la plus facile à parcourir: c'est la grande voie de communication de Tananarive à Ankavandra, par Analabé, Bevato et Tsiroanomandidy. Du lac Itasy au Sud-Ouest de l'Imerina, les débouchés appartiennent aux rivières centrales et méridionales du bassin du Tsiribihina, conduisant naturellement au Betsiriry, au cœur duquel s'opère leur réunion. Une ligne transversale de communications relie ces deuxzones de direction, en longeant le pied de la falaise du Bongolava. (A suivre) DE COINTET, Lieutenant de Cavalerie.
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— EXPLORATIONDANS LE BETSILEO
EXPLORATION DANSLE BETSILEO
Région
de Fianarantsoa
(25 Septembre 1896) La vallée de Tsarafidy, distante d'Amboasary d'une quinzaine de kilomètres, a une assez grande importance, quoique sa plus grande partie soit couverte de marais ; elle a été, en certains endroits, exploitée par les Malgaches. Trois cent cinquante kilogrammes environ de gravier aurifère composé de quartz non roulé, en assez gros morceaux, et d'argile ont donné environ 0 gr. 550 d'or, ce qui indiquerait une teneur de i gr. 100ou 3 fr. 50 environ. On estime, en général, qu'avec le système de la battée, les pertes en métaux précieux sont d'environ 50 0/0, ce qui remettrait la teneur véritable d'une tonne de minerai aurifère à 2 gr. 200 ou 7 francs en chiffres ronds. — La vallée de Koraraika se trouve à l'Est de Tsarafidy, elle Koraraika. a environ 60 mètres de largeur moyenne et est couverte complètement de marais. Ce gisement a également été travaillé par les Malgaches, mais la grande quantité d'eau qui séjourne dans le marais les a empêchés d'exploiter plus complètement la vallée. L'or y est en grains assez gros et il est, par conséquent, facile à exploiter. Six cents kilogrammes de gravier aurifère ont donné un peu plus d'un gramme, soit environ deux grammes ou 2 gr. 1/4 à la tonne; comme rendement et comme teneur réelle, environ 4 grammes, soit 12 francs. Ce gisement est d'une richesse très satisfaisante; mais, pour l'exploiter, de grands travaux d'assèchement seront nécessaires. La couche aurifère, épaisse de 0m 50, est recouverte de 2m 80 de vase, d'herbes en décomposition, d'argile et de 0m 50 de sable légèrement aurifère;
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— EXPLORATIONDANS LE BETSiLÉO
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en dessous de l'alluvion riche, on rencontre encore une seconde couche de sable à faible teneur d'or. * Ampanenitra. —Au Sud-Ouest de Tsarafidy, est une vaste et belle vallée, moins marécageuse que les précédentes, et qui pourrait être facilement asséchée. Elle a été travaillée par les Malagaches ; 250 kilogrammes ont donné 0 gr. 250 d'or, soit un gramme à la tonne comme rendement pratique par la battée et 2 grammes ou 6 francs comme teneur réelle. La couche aurifère se trouve sous trois mètres de couche stérile composée d'argile, de tourbe et de sable, à une épaisseur de 0m40 à 0m 50. ** — La vallée d'Andraina est située à l'Est du village du même Andraina. nom; c'est une des plus grandes de la région et n'a pas encore été prospectée. La plus grande partie est en marais; il ne peut être donné qu'une appréciation approximative de la véritable richesse du thalweg. Cinq cents kilogrammes environ d'alluvion ont donné 1/2 gramme d'or, soit deux grammes comme teneur réelle. L'ancien lit de la rivière doitêtre très riche. * ** Ambohionana et Sahananoka, Fiadana. Ambohimiera, Tomboarlvo. —Ces gisements sont situés dans la province des Tanalas, sur la route d'Ambohimanga. Le sable des rivières est aurifère. La teneur en or varie entre un gramme et 1 gr. 1/2 à la tonne; l'exploitation en est bien difficile, en raison du grand courant dela rivière et des blocs de pierre qui s'y trouvent. Les indigènes se mettent dans l'eau, recueillent le sable avec des angadys (pelles) et les femmes le lavent sur place. Il existe des gisements aurifères plus importants dans le Nord d'Ambohimanga; mais l'état troublé du pays et les difficultés des communications à travers la forêt empêchent actuellement de les visiter. * #* — Ce point est le centre d'une région aurifère très Ambohimalaza. importante. Toutes les vallées avoisinantes ont été travaillées, 5.000 hommes y ont séjourné pendant quatre années et ont exploité l'or pour le compte du gouvernement malgache. * — Cette vallée, située à l'Ouest d'Ambohimalaza, a été Savavorona. presque complètement exploitée par le gouvernement malgache; il est difficile d'y trouver un mètre carré de terrain qui n'ait été remué. Ce gisement a dû être très riche, à en juger par les travaux faits et par la teneur du gravier déjà lavé; ce gravier contient encore environ deux grammes d'or à la tonne. * — Cette vallée, située au Sud d'Ambohimalaza, a été Ambatoharana. encore plus exploitée que la précédente; les sables du ruisseau qui la traverse ont une teneur de près de trois grammes à la tonne.
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M.Il A(11311. - EXPLORATIONDANS LE BETSILÉO
— Cette vallée, située au Sud-Est de Fianarantsoa, a été Mararahana. exploitée en amont; la teneur est de deux grammes à la tonne. En aval, la couche aurifère est à 3m50 de profondeur, et la venue d'eau et de sable est si forte qu'il est impossible de l'extraire. liait or oit a va. — An Sud de la précédente, cette vallée a été travaillée dans sa partie supérieure, qui est la plus riche. A la limite des anciennes exploitations, la teneur en or est de 1 gr. 1/2. La couche aurifère se trouve à une profondeur de trois mètres avec 0m 30 d'épaisseur en moyenne. Les alluvions de cette vallée sont formées de graviers de granit en décomposition et d'argile. Vinanitelo. — Centre d'une région très riche et très travaillée. La vallée d'Ambatomaro, au pied de Vinanitelo, a été en partie exploitée par le gouvernement malgache. Sa teneur en or est de 4 gr. 1/2 à 5 grammes la tonne. »» — Cette vallée, située au Nord-Ouest du Vinanitelo, est Avaratanana. presque complètement exploitée; la couche aurifère est à trois mètres de profondeur avec 0m40 d'épaisseur et une teneur de 4 grammes. — Située au Sud du Vinanitelo, cette vallée a également été Taombelo. exploitée. La couche aurifère est à une profondeur de 2m20 avec 0m30 d'épaisseur et a une teneur de 2 gr. 1/2 d'or. COXC'LISIOX Les gisements aurifères de la région du Sud du Betsiléo actuellement connus, et ayant été plus ou moins exploités par le gouvernement malgache, sont en grand nombre; il est probable, cependant, qu'il en existe beaucoup d'autres complètement vierges à découvrir par la suite. La teneur en or des alluvions est très satisfaisante; par contre, l'épaisseur de la couche aurifère est généralement très faible; elle varie entre 0m20 et 0m50 d'épaisseur. On rencontre, de plus, d'énormes difficultés, soit à cause de la grande épaisseur de la couche stérile, soit à cause des travaux d'assèchement à faire, soit aussi à cause des indemnités à payer aux propriétaires des rizières, dont le sous-sol renferme le métal précieux. C'est pourquoi, dans bien des cas où la prospection aura donné une teneur rémunératrice, les difficultés et frais • d'exploitation seront tels qu'on devra abandonner le gisement. Il se présente aussi une grande inégalité dans la répartition de l'or: de trois vallées à peu près parallèles, partant de la même montagne, deux sont aurifères et celle du milieu stérile; ou encore, dans une même vallée, une partie est aurifère et l'autre l'est à peine. Les gisements où l'or se trouve en gros grains offrent, au point de vue de
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l'exploitation, un gros avantage. Il est facilement exploitable et presque sans alliage, et ne contient que quelques millièmes d'argent. Dans la partie Sud du Betsiléo, il existe des tellures d'or qu'un Malgache, dit-on, a exploités. Les vallées dont le sous-sol renferme l'alluvion aurifère sont, presque partout, cultivées en rizières et sont, par conséquent, le piincipal revenu et moyen d'existence des indigènes; aussi les exploitants devraient-ils remettre les terres en place au lieu de les envoyer à la rivière. Les vallées non cultivées devront être exploitées de la même façon et vendues dé préférence aux anciens exploitants, en raison des travaux d'assèchement qu'ils auront faits. (1)
(1) Ces renseignements ont été extraits d'un rapport de M. Bauer, contrôleur des mines.
22 Dr BESSON. — ITINÉRAIREDE FIANARANTSOA A FORT-DAUPHIN
ITINÉRAIRE DE
A
FIANARANTSOA
FORT-DAUPHIN
PAR ET
IHOSY
TAMOTAMO
Description du 23 Octobre 1896 De Fianarantsoa à Ihosy, 3 jours 1/2. 1er journée.— de Fianarantsoa à Ambalavao (déjeuner à Andranovorovato). - d'Ambalavao à Mofaitra (déjeuner à Trongay). 2* d° - déjeuner à Lamboano, coucher à Vandrika. 3* d° - arrivée vers midi à Ihosy, en passant par Ambararata. 4* do 5°6°et 7°jour- d'Ihosy à Betroka— 3 jours de marche, dont 2 jours 1/2 dans le désert herbeux et rocailleux d'Horombe. nées - de Betroka à Iaborana par Ivahona — 1 jour. 8e d° - d'Iaborana à Tanimalaza, dernier village bara — 1 jour. 9e d° - de Tanimalaza à Tamotamo, 1er village des Manambias— 1 jour. i0* d° - de Tamotamo à Iaramamy, par Tsiesitra — 1 jour. 41e de - d'Iaramamy à Izama, 1ervillage de la vallée d'Ambolo (Antanosy), 42e d* par Imitray, Isira et Imaneva (centre du caoutchouc)— 1 jour. - d'Izama à Ambolo, en passant par Tarafosy — 1 jour. 13e d° - d'Ambolo à Befavena, en passant par Andramanakana — 4 jour. 14e d* - de Befavena à Fort-Dauphin — 1/2 journée. 45e d° Notice
complémentaire
Route bonne, mais très accidentée de Fianarantsoa à Vandrika ; presque uniformément plate de Vandrika à Imitray et Isira (lieux de découverte du caoutchouc dit de Fort-Dauphin), très accidentée et très boisée de ces points à Fort-Dauphin. DOCTEUR BESSON.
Dr BESSON.—ITINÉRAIRE
DE TULÉAR A FIANARANTSOA
23
ITINÉRAIRE
DE
TULEAR
A
FIANARANTSOA PAR
RANOHIRA
ET
IHOSY
Description du 23 Octobre 1896
tor Jour. 2e d° 3* et 4e jours 5e d° 6e et 7e jours 8'
d°
9e
d°
— Déjeuner à Belemoka, coucher à Ambohimanga. —Déjeuner à Imokala, coucher à Ambodivoara. — Pays désert. On arrive le soir à Rovamena, village du roi bara Raiandro. — Coucher au village du chef Leitafika. — Arrivée à Ranohira, en franchissantle plateau d'Isolo relativement très peuplé. - Route par la région peuplée du Nord-Est. — Arrivée à Ihosy.
D'Ihosy à Fort-Dauphin, 3 jours 1/2. (Voir itinéraire de Fianarantsoa à FortDauphin).
Notice Roule à peu près uniformément herbeuse et en partie boisée.
plate (le plateau d'Isolo excepté). Région DOCTEUR BESSON.
24
Dr BESSON.—ITINÉRAIRE
DE FORT-DAUPHINA FIANARANTSOA
ITINÉRAIRE DE
FORT-DAUPHIN
A
FIANARANTSOA
PAR LA COTE
ET PAR L'INTÉRIEUR JUSQU'A VANGillDRAlO A FIANARANTSOA DE VA~CAt~MMA~O
Description du 23 Octobre 1896 1er jour. — Déjeuner à Itaperina, coucherà Ste-Luce ou Monafioly. 2° d° — Déjeuner à Manambato, coucher a Manantena. 3° d° — Coucher à Imatio. 4e d° - Coucher à Sandravinany. 5e d° - Coucher à Ambalafandrana. 6e d° - Coucher à Manambadro (poste de missionnaire norwégien). 7e do - - Coucher à Vangaindrano. 8° d° - Déjeuner à Nosy-Ambo, coucher à Mangidy. 9e d° - Coucher à Mahafosy (gros village de Tanala-Antaivondro). 10e d° - De Mahafosy à Mahalava. 11e,12e et 13e jours. —On rencontre de nombreux hameaux tanalas dans un terrain des plus accidentés avant d'arriver à Ivohibé, capitale du '-, roi bara Isambo. 14e, 15eet 1GCjours. — D'Ivohibé à Fianarantsoa — 3 jours, par Imarinarivo, Imahazomy et Ambohimandroso. Notice Route plate, de Fort-Dauphin à Vangaindrano, interceptée par de nombreux cours d'eau, marai et lagunes. Route exceptionnellement accidentée et mauvaise, de Vangaindrano à Ambohimandroso. BESSON. DOCTEUR
M. LAMY. — NOTICE SUR LES DISTRICTSD'ILEMPONAET D'ANKISATRA 25
NOTIOE SUR LES
DISTRICTS
D'ILEMPONA
ET
D'ANKISATRA
30 Décembre 1896
1° ILEMPONA
Le district d'Ilempona est constitué par la haute vallée dela rivière d'Ianamborona, dont les trois têtes principales descendent: L'une du Mont Vohimena (extrémité méridionale du massif proprement dit de l'Ankaratra), formant un long couloir à peu près orienté Nord-Sud et dont le cône de déjection constitue la plaine d'Ambohibary. L'autre, à peu près parallèle à la précédente dans la partie supérieure, descend des monts Kitroaka et Inanobé, limite à l'Ouest le massifdu Maroparasy et vient également apporter ses alluvions dans la plaine d'Ambohibary, sous le nom de Kclilalana ou sous celui de Kelimahery. Enfin, la troisième est formée par une quantité de petits torrents qui descendent de l'Inanokely, de l'Ambohitrinitemamo, du Manarilefona et du Fanaizankava et, sous le nom d'Amborampotsy, vient apporter ses eaux également dans la plaine d'Ambohibary. Ces trois rivières forment, à leur point de jonction, une plaine marécageuse, en partie couverte de très belles rizières, dont les eaux s'écoulent vers l'Est, à travers un couloir resserré entre des montagnes assez élevées, d'où elles s'échappent ensuite sous le nom d'Ianamborona d'abord, puis sous celui de Rangaina, pour rejoindre l'Onivé entre Antanifotsy et Begoaika. La Rangaina. à son confluent avec l'Onivé, a un débit presque aussi fort que cette dernière rivière. En plus du bassin d'Ilempona proprement-dit,
ce district comprend les ter-
26
M. LAMY.-NOTICE
SUR LES DISTRICTS D'ILEMPONAET D'ANKISATRA
ritoires d'Anjamana, d'Andranotobaka et une partie de celui d'Analanomby, dont les eaux viennent s'écouler dans le Manandona et, de là, dans le Mania. Les limites du district d'Ilempona sont constituées, au Nord et à l'Ouest, par la ligne de crêtes qui sépare ce bassin de celui du Kitsamby (Tsaha) et de ses affluents de celui de Vinanivony et de celui du Manandona. Les points culminants sont: le mont Ambatomainty (2.317m), le Kitroka (2.180), l'Inanobé (2.310m), l'Inanokely, le Fandriandratsy, l'Ambohitrimitaimamo (2.220m), le Manarilefona, le Famoizankova (2.364m) et l'Orifatra. A partir du massif d'Orifatra, la limite Sud s'écarte sensiblement de la ligne de crêtes ; elle englobe, dans le district d'Ilmpona, une partie des villages des vallées de l'Andranotobaka et de l'Anjamana, pour remonter sur la falaise qui sépare le bassin de l'Onivé de celui du Manandona. La limite orientale de l'Ilempona est constituée, à peu près, par la ligne de hauteurs qui sépare le bassin intérieur de l'Ilempona de celui des antres affluents de l'Onive; elle passe par Analomby, Ankazondrano, le mont Analamiakaviravy, coupe perpendiculairement la gorge de l'Ianambovola, en amont des villages de ce nom, coupe la vallée de Miadivody, laisse à l'Ouest le massif d'Ambohibatazana, puis, par le mont Ambatoboromaliery, vient rejoindre l'extrémité méridionale du massif de l'Ankaratra à l'Ambatomainty. En somme, comme on vient de le voir, le district d'Ilempona est entièrement contenu dans le bassin de l'Onivé, sauf l'extrémité S.-E., qui est dans celui du Manandona (Mania). Il constitue un vaste bassin intérieur séparé de ses voisins par des montagnes élevées; c'est vers le Sud et le S.-E., c'est-à-dire vers Antsirabé et avec Antanifotsy, que les communications sont le plus faciles; on peut également partir vers le N.-N.-O. et vers le N.-O. assez facilement, par les dépressions de Zoma Ambatoradana et d'Antoby. Les coteaux qui séparent le bassin d'Ilempona de celui d'Andranotobaka sont peu élevés et très facilement franchissables. La plus grande partie des populations de l'Ilempona semble être d'origine étrangère. Les anciens maîtres du sol sont en très petit nombre et sont aujourd'hui complètement noyés dans la masse de la population, dont il est difficile de les distingner. Néanmoins, ils doivent encore former un noyau de plusieurs milliers de personnes, à en juger d'après les tombeaux qu'on trouve dans différents endroits. Les représentants du gouvernement malgache, pour tout le district d'Ilempona, étaient simplement des « Antily », c'est-à-dire des fonctionnaires chargés de percevoir l'impôt, d'assurer la police et de faire exécuter les ordres qu'ils recevaient directement du pouvoir central, sans passer par l'intermédiaire d'aucun gouverneur général, ni d'aucun sous-gouverneur. —Plus tard, ces « Antily » furent supprimés, et l'un d'eux fut nommé petit gouverneur, administrant toute
M. LAMY. — NOTICE SUR LES DISTRICTS D'ILEMPONA ET ANKISATRA 27 la régionau nom du gouvernement de Tananarive. En ce qui concerne. les corvées, les populations originaires de l'Ambodirano et les autochtones les celles qui étaient originaires du devaient à Fenoarivo et dans l'Ambodirano; Vakinankaratra s'en acquittaient, suivant les ordres, à Ambositra et, plus tard, à Antsirabé, où elles travaillaient à la recherche du soufre pour la fabrication de la poudre. En ce qui concerne le service militaire, il en était de même; les gens originaires de l'Ambodirano allaient faire leur service militaire près de Fenoarivo ; ceux qui dépendaient du Vakinankaratra allaient à Ambositra. Ils ne sont allés à Antsirabé que depuis qu'il y a un résident de France et un gouverneur général dins cette localité. Aujourd'hui, ils sont de nouveau retournés à leur ancienne province, l'Ambodirano. Tous les cultes qui se disputent les habitants se Madagascarsont dans le territoire d'Ilempona.
en présence
Ie Outre l'église-école d'Ambohibary, les catholiques en ont encore une à Ankianjanakanga avec un maître d'école, une autre à Tsarahonenana avec deux avec deux maîtres d'école, une à maîtres d'école; une à Ambhimandroso Anjamana. Le nombre des adeptes des R. P. Jésuites est assez considérable. 2° Les protestants anglicans n'ont qu'un temple à Ambohimandroso, près d'Ankianjanakanja: le nombre de leurs adeptes est insignifiant; leur personnel se compose de deux maîtres d'école. 3° Les protestants indépendants sont un peu plus nombreux; leur chef, pour toute la région d'Ilempona, estle nommé Ravelontsalama, évangéliste habitant le village important de Sambaïna, à deux kilomètres au Nord d'Ambohibary. Ils possèdent des temples à Sambaïna, Tsaramody, Ambohimahaso et Amanadala, avec un personnel de sept maîtres d'école. 4° Les luthériens norwégiens sont plus nombreux que tous les précédents; ils dépendent de la mission d'Antsirabé ; un pasteur indigène est placé a leur tête pour la région d'Ilempona; il réside à Ambohibary, à quelques centaines de mètres de la mission catholique. Ils possèdent des temples ou maisons d'école à Ambohibary, Ambodimansoazo, Andranokely, Ambalafeno, Sahabe, Anjamana, leur personnel comprend une douzaine (deux), Mandritsara et Ambohimadinika; de maîtres d'école indigènes. Le territoire d'Ilempona a été souvent le théâtre de luttes provenant des dissensions religeuses. Les principaux centres de population sont: Ankianjanakanja, au pied du mont Vohimena à la naissance d'une des vallées constituant l'Ilempona, assez mauvais cantonnement, très beau terrain de bivouac, église en mauvais état
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SUR LES DISTRICTS D'ILEMPONAET D'ANKISATRA
pouvanttenir trente hommes. Bois rare; mais riz, pommesde bœufs, moutons, cochons en quantité.
terre, maïs, haricots,
Tsarahonenana, beau village en grande partie catholique, au Sud du village précédent, entouré de belles rizières; très beau terrain de bivouac au-dessus du village; cantonnement médiocre. Mandresoahasima, grand village sur l'autre flanc de la vallée, au Sud du précédent, résidence du gouverneur actuel, cantonnement médiocre, mauvais terrain de bivouac, terrain en pente; au pied de ce village, très belles rizières; riz, manioc, maïs, bœufs, moutons, cochons. Petit marché le mercredi (Alarobia). Sambaïna, grand village sur un coteau en face du précédent, de l'autre côté de la vallée; résidence de l'évangéliste indépendant; temple pouvant contenir quarante hommes ; jolie situation, très beau terrain de campement audessus du village. Riz, manioc, maïs, bœufs, moutons, cochons. Ambohibary, à deux kilomètres au Sud du précédent, résidence d'un missionnaire catholique français et d'un pasteur luthérien indigène; très beau cantonnement pour cent hommes dans le temple luthérien et ses dépendances. Marché très important le jeudi (Alakamisy), sur lequel se trouvent tous les objets d'échange habituels; on y remarque surtout beaucoup de bœufs et de cochons. Manarilefona, grand village très bien situé au sommet d'une crête, à plus de 2.000 mètres d'altitude; beaucoup de bœufs, surtout de cochons; pas de rizières; les habitants ne vivent presque que de pommes de terre, excellentes d'ailleurs. Ambohimenakely, au Nord du précédent, sur une belle croupe, sur le chemin qui descend au marché important d'Alàrobia (mercredi). Vinaninony, pas de rizières, vastes champs de pommes de terre. Bœufs, moutons, cochons en. abondance. Mandritsara et Antanetibé, à l'Est du précédent, à quelques centaines de nombreux mètres l'un de l'autre, situés, l'un et l'autre, sur une belle croupe; champs de pommes de terre ; bœufs, moutons, cochons; pas de rizières. Petit temple pouvant abriter vingt-cinq hommes environ. A trois kilomètres au Nord de Mandritsara, se tient, le vendredi, à quelques centaines de mètres en dehors du territoire d'Ilempona, le marché très imporants du Zoma d'Ambatoradama.
En se plaçant a Alakamisy, d'Ambobibary comme centre, on trouve les chemins suivants (presque tous ont été aménagés depuis peu, quelques-uns ont même des ponts surles ruisseaux) : Chemin d'Alakamisy ou Sabotsy d'Ambatofotsy par Sambaïna, Tsarahonenana, Analambelatra, Ambodinankafotra, Anjohibé et Ankianjanakanga;
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NOTICESUR LES DISTRICTSD'ILEMPONAET D'ANKISATRA 29
Chemin dit d'Arivonimamo par Sambaïna, Amorondrano, Ambohimandroso et le mont Kitroka. Chemin du Zoma Ambatoradarna par Sambaïna, Tsaramody et près d'Antanetibé. Chemin d'Alarobia Vinaninony par Antanetilava, Ambohitromby, Amborofoty, Ambohimenakely et Antoby. Chemin de Betafo par Anosy, Ambohimadinika et Manarilefona. Chemin d'Antsirabé par Andranotobaka, Mahazina et Sahatsio. Chemin d'Antanifotsy par Ankazondrano. Chemin de Tananarive par Mandresohasina, Miadivody, Andranomahery, Ambatosipihina et Ambatolampy. Au point de vue des cultures, le district d'Ilempona se divise en deux zones bien tranchées; toutes les plaines, toutes les vallées situées à une altitude inférieure à 1.900 ou 1.800 mètres ontles cultures habituelles de l'Emyrne, soitle riz, le maïs, le tabac, le manioc, les haricots, les patates, le chanvre, etc. Tout le pays situé à plus de 1.800mou de 1.900md'altitude est trop froid pour le riz, qui n'y est plus cultivé du tout; il est remplacé par d'immenses champs de pommes de terre. Dans cette zone supérieure,-les habitants vivent presque exclusivement de pommes de terre et de maïs; ils cultivent, en outre, beaucoup de chanvre et de haricots. On trouve dans l'Ilempona les animauxdomestiquesordinaires: les bœufs, les moutons et surtout beaucoup de porcs; il se fait un commerce assez important de ces derniers animaux aux marchés d'Alarobia (mercredi), de Vinaninony, de Zoma (vendredi), d'Ambatoradama, tous deux dans le territoire de Faratsio, et, enfin, au marché très important d'Alakamisy (jeudi), à Ambohibary(Ilempona). Dans tous ces marchés, on trouve les marchandises d'échangehabituelles : sel venant d'Antsirabé et surtout d'Ambositra, étoffes, cotonnades, indiennes, quincaillerie. Il y a, en outre, un petit marché que le gouverneur actuel a. installé le mercredi (Alarobia), près de son village de Mandresoahasina. 2° ANKISATRA Le district d'Ankisatra est constitué par le bassin supérieur de l'Onivé jusqu'à quelques kilomètres seulement des sources de ce fleuve. Il forme une vaste plaine, ou plutôt un plateau dont l'altitude varie entre 1.500 mètres comme minimum, et 1.800 mètres (points culminants). * Il est limité: au Nord, par les districts d'Ambatolampy et de l'Ankaratra; à l'Ouest, par le district d'Ilempona ; au Sud, par le Vakinankaratra; à l'Est, par le Voromahery et le' Vakinsaony. Ce district est traversé dans toute sa longueur par les routes les plus impor-
30 M. LAMY. — NOTICESUR LES DISTRICTSD'ILEMPONAET D'ANKISATRA tantes de l'intérieur de l'île, conduisant de Tananarive dans le Vakinankaratra et dans le Betsiléo. #* Le district d'Ankisatra est séparé de celui d'Ambatolampy par le cours delà rivière d'Iazolava, puis, par une chaîne de collines situées entre le Iazolava et la Kelilalana. Près du village d'Akafafa, la frontière devient commune avec celle du district de l'Ankaratra; elle suit une longue croupe séparant les bassins d'Ambatosipihina et celui de la Kelilalana jusqu'au mont Ambatomainty, à l'extrémité Sud du massif de l'Ankaratra. A partir de ce point, la frontière prend une direction Nord-Sud ; elle sépare l'Ankisatra et l'Ilempona par le mont Ambatoboromahery. A l'Ouest du mont Ambohibatazana, la vallée de Miadivody coupe la vallée d'Ianamborona, passe au mont Analamiraviravy, à Ankazondrano et au point culminant d'Analanomby. La frontière du Sud, commune avec le Vakinankaratra, part du mont Analanomby, descent vers le Sud-Est, en venant passer' au village d'Ambohimanalrika sur la route de Fianarantsoa, coupe les têtes de l'Onive, passe entre l'Antsirabé et l'Ambahatra, coupe cette dernière rivière au Nord de l'Ambalaranoakarina, puis remonte vers le Nord. La limite orientale, séparant l'Ankisatra des Voromahery et du Vakinsaony, vient passer aux sources du Mahabé, passe à l'Est du mont Analambato et du village Ambondrona, à l'Est du mont Ialatsara, entre les rivières d'Ambatolampy et Ambatomady, suit ces rivières jusqu'à leur confluent; à partir de ce point, elle suit le lit de ces rivières, puis celui de l'Onive jusqu'au confluent de la Iazolava. Ces limites sont celles indiquées par les indigènes réunis publiquement à Begoaika à cet effet, et contradictoirement avec des officiers malgaches du Vakii nankaratra, en garnison à Antanifotsy. D'après tous les indigènes, non seulement Antanifotsy ferait partie de l'Ambodirano, mais, même Ambatomainty, quest à une dizaine de kilomètres plus au Sud, en fait également partie. Comme il a été dit précédemment, le district d'Ankisatra est entièrement compris dans le bassin supérieur de l'Onive, à l'exclusion des sources de ce fleuve qui se trouvent dans le Vakinankaratra. Le principal cours d'eau qui sillonne ce territoire est l'Onive. Ce fleuve, en il ne amont de son confluent avec l'Ianamborona, s'appelle Ambodinangavo ; prend le nom d'Onive qu'à partir de Rangaina. Il a une largeur moyenne de 60 mètres et il està peu près guéable partout à la saison sèche. A la saison des pluies, du milieu de décembre au milieu d'avril, il est à peu près infranchissable à gué, et ne peut plus guère être passé qu'en pirogues. Celles-ci sont d'ailleurs peu nombreuses et très petites. Cette rivière semble navigable en toutes saisons pour des pirogues, depuis
M. LAMY. — NOTICESUR LES DISTRICTSD'ILEMPONAET D'ANKISATRA 31 Antanifotsy jusqu'à Tsinjoarivo: cependant, tout son cours n'a pas été reconnu et il existe peut-être quelques rapides, mais sûrement pas de chutes; celles-ci, par exemple, se succèdent sans interruption depuis Tsinjoarivo jusqu'au Mangoro sur 120à 150 kilomètres de long, pendant lesquels l'Onive passe de l'altitude 1.490 mètres à quelques mètres seulement au-dessus dela mer. Cette voie naturelle n'est pas utilisée par les indigènes pour le commerce. Cela tient, d'une part, à ce que toute la vaste plaine que parcourt l'Onive est fort peu peuplée, les villages étant très éloignés les uns des autres, et, d'autre part, à ce que la sécurité y était inconnue jusqu'ici. La rive droite de l'Onive, surtout en face de Tsinjoarivo et dans le pays du Voromahery, avait en effet toujours été un repaire de bandits et n'avait jamais reconnu aucune autorité avant l'arrivée toute récente des troupes françaises dans la région. Un fait à noter, c'est qu'il n'y a pas le plus petit bois dans tout le territoire de l'Ankisatra. La plaine de l'Onive pourrait être facilement transformée en une immense rizière; le terrain se prête admirablement à cette culture et l'eau se trouve en abondance partout; malheureusement,la population manque. Les affluents de l'Onive sont: A gauche:
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L'Iempona, qui s'appelle plus bas l'Anamborona, et au confluent avec l'Onive, Rangaina, du nom des régions qu'elle traverse. Cette rivière a un débit presque aussi considérable que l'Onive supérieur ou Ambodimangavo elle alimente les ; très belles rizières d'Ilempona, tandis que l'Onive supérieur est presque désert, sauf pour quelques villages de bourjanes qui jalonnent la route deFianarantsoa ; Le Mpitatafoto, formé d'un grand nombre de ravins descendant des derniers contreforts de l'Ankaratra ; ce gros ruisseau a cela de particulier qu'il a si peu de pente dans sa partie inférieure que, lorsqu'il y a des crues dans l'Onive, l'eau remonte dans cet affluent sur plus d'un kilomètre; La rivière d'Ambatosipihina, grossie de la Kelilalana, vient se jeter dans la rivière d'Iazolava en formant la limite avec le district d'Ambatolampy. A droite: L'Ambahatra et le Sahabé arrosant un pays presque désert; L'Ambatomiady, dont la vallée est relativement assez peuplée et qui est suivie, dans toute sa longueur, par la route directe de Tananarive a Ambositra, route peu fréquentée depuis longtemps à cause de l'insécurité de toute cette région. Un peu avant son arrivée dans l'Onive, l'Ambatomiady reçoit l'Ambatolampy Atsimo, qui coule en entier dans le territoire du Vakinsaony ou du Voromahcry. Tels sont le? principaux affluents que reçoit l'Onive dans son cours supérieur. Un grand nombre de petits ruisseaux, déversoirs de rizières, viennent encore le grossir; il serait trop long d'en donner l'énumération, qui serait d'autant
32 M. LAMY. - NOTICE SUR LES DISTRICTS D'ILEMPONAET ANKISATRA plus difficile à faire que la plupart d'entre eux n'ont pas de nom, les indigènes se contentant de leur donner celui des régions qu'ils traversent. D'une façon générale, le territoire d'Ankisatra a l'aspect d'une immense plaine dont les extrémités vont en s'élevant peu à peu et en pente assez douce de l'Est à l'Ouest pour toute la rive gauche du fleuve, et du Nord au Sud pour la rive droite. Les principaux sommets sont: l'Ambohibatazana, presque sur la limite du • district d'Ilempona d'une part; puis, les monts Ialatsara, Iharana, Analambato et Andranofito, entre Ambatomiady et Ambatolampy et aux sources de ces deux rivières. Dans toute cette région, peu de sommets dépassent 1.800 mètres, alors que les parties les plus basses ne descendent pas au-dessous de 1.500 mètres. *» Le territoire d'Ankisatra, quoique d'une superficie assez considérable, n'a qu'une population de très faible densité. Cette population est aussi peu homogène que peu dense; elle a les origines les plus diverses. Les aborigènes ont presque complètement disparu; on en trouve encore quelques-uns dans la vallée d'Ambatomiady, ou dans les ravins de la haute Ambatotsipihina et de l'Andranomahery ou de l'Ambohibatazana. Ils ne se distinguent pas d'ailleurs des autres habitants, si ce n'est qu'ils ont les tombeaux de leurs ancêtres dans le pays même. Toute la vaste plaine de l'Onive a été envahie. à toutes les époques, par les gens pauvres qui ne pouvaient plus vivre dans l'Imerina; c'est surtout la région appelée Antatsa, c'est-à-dire les environs de Tsirangaina et ceux d'Antsahadinta dans l'Ambodirano, qui ont déversé le trop plein de leur population dans les plaines de l'Onive. Le Vakinsaony, également, a fondé de petites colonies dans ces vastes plaines, enfin, le Vakinankaratra y a également envoyé un contingent qui est loin d'atteindre l'importance des premiers. En somme, population très hétérogène et très clairsemée. Cette différence d'origines devait être la cause de querelles et de luttes incessantes, et c'est ce qui a eu lieu en effet. Avant la période troublée dont nous sortons à peine, les gens habitant le district d'Ankisatra s'acquittaient tous de l'impôt entre les mains du petit gouverneur du pays, mais devaient le service militaire ou les corvées à Ambositra, s'ils étaient originaires du Vakinankaratra; près d'Alasora, s'ils étaient originaires du Vakinsaony, et, enfin, à Fenoarivo, s'ils étaient originaires de l'Ambodirano.Il en était donc du district d'Ankisatra comme des autres petits gouvernements environnants tels que Ilempona, Ambatolampy, Ankaratra,etc. Ce n'est que depuis l'installation d'un gouverneur général à Antsirabé que tous ces petits
M. LAMY.- NOTICE
SUR LES DISTRICTSD'ILEMPONAET D'ANKISATRA 33
gouverneurs sont tombés sous la dépendance du Vakinankaratra. aujourd'hui de l'Ambodirano.
Ils relèvent
Dans toute l'étendue du territoire d'Ankisatra, on trouve des adeptes des catholiques, des protestants indépendants et des luthériens norwégiens. 1° Les catholiques sont presque exclusivement cantonnés dans la région d'Ambatomiady, où ils ont un personnel dé cinq indigènes, chef de prière ou maîtres d'école, répartis ainsi qu'il suit: un inspecteur et trois instituteurs à Ambaun maître toharanana et un instituteur à Ankazoavo, dans l'Ambatomiady; d'école à Kelilalana. — Toutes les écoles ou églises ont été brûlées par les insurgés. Ils dépendent de la mission des R. P. Jésuites de Betafo. 2° Les protestants indépendants ont à leur tête un évangéliste, le sieur Ratrimo, qui habitait Ankisatra et qui demeure maintenant a l'Ouest de Begoaïka ; ils ont un personnel de cinq professeurs résidant, l'un à Ankisatra, les autres a Ianamborona, Andranonoatra, à Ambatotsipihina et Ranomalaza. 3° Les luthériens norwégiens ont, à Ambatomiady, un pasteur indigène et trois instituteurs, plus un professeur à Antanifotsy et à Ambatomainty. Tous les temples des indépendants et des luthériens ont été incendiés par les insurgés. Les uns et les autres reconstruisent leurs écoles, grâce à la protection accordée par nos troupes. Les villages les plus importants se trouvent sur la grande route de Fianarantsoa. Ce sont Antanifotsy, dans une boucle de l'Onive et au fond de la vallée de ce fleuve. C'est un grand village d'une cinquantaine de cases, entouré d'un fossé et n'ayant que deux portes. On pourrait y cantonner 200 hommes pour une nuit en cantonnement resserré; mais, pour une plus longue durée, on ne pourrait y mettre qu'une centaine d'hommes de garnison, a condition d'occuper le temple luthérien qui a été brûlé, mais que les habitants sont en train de reconstruire. Marché le samedi. La population d'Antanifotsy est en grande partie composée de bourjanes; elle s'est augmentée de voisins qui sont venus y chercher refuge. Ambatomainty est un village de plus de 30 cases, bien situé entre deux' affluents de l'Onive. C'est également un village de bourjanes, moins bien situé que Betampona (Vakinankaratra), à quelques kilomètres plus au Sud. Begoaïka, sur un coteau au-dessus d'une boucle de l'Onive, également for-
34 M. LAMY— NOTICE SUR LES DISTRICTSD'ILEMPONAET D'ANKlSATRA tifié depuis peu de temps, mais malpropre et inhabitable. Il y aurait au-dessus de Bagoaïka une très jolie position militaire. Ranomalaza, assez grand village situé sur la rive droite de l'Onive, en face. de Begoaïka. Ambatomiady, nombreux petits hameaux dans la vallée de ce nom. Ambohimiarambe, assez grand village sur la route, d'ailleurs depuis longtemps.
abandonné
Ambondrona, assez grand village situé sur le flanc de la montagne Analambato. * Le territoire d'Ankisatra est traversé, dans toute son étendue, par les trois routes conduisant du Nord au Sud de l'île: 1° La route de l'Est par Alarobia, Amboatava, le vallée d'Ainbatomiady, Morarano et Ambohimiarabe, naguère encore absolument abandonnée par suite de l'insécurité qui régnait dans ces parages. C'est la route la plus courte et peut-être la meilleure, qui conduise de Tananarive à Ambositra et, de là, à Fianarantsoa. 2° La route du centre par Ambatolampy, lazalava, Ankisalra, Begoaïka, Antanifotsy, Ambatomainty et Ambohimanatrika, qui était généralement suivie avant l'arrivée des Français; très bonne et jalonnée de villages où l'on pouvait trouver des vivres et des bourjanes. 3° La route de l'Ouest par Ambatolampy, Andranomanelatra, Ambatotsipihina, Ianamborona et Anjamana sur Antsirabé; beaucoup plus longue et plus difficile que les précédentes. 4° La route de Tananarive à Ilempona, par Ambalolampy, Ambatotsipihina, lanamborona et Andranomahery, la haute vallée de Madivody et Mandrcsoahasina. « De nombreux petits sentiers font communiquer les villages entre eux, ou bien conduisent aux marchés.
La grande culture de tout le territoire est le riz. Dans les basses vallées, tous les terrains facilement irrigables ont été transformés en rizières, mais il y aurait encore de la place et de J'eau pour cultiver quelques milliers d'hectares de plus. Malheureusement, comme il a été dit, la population est très elairscmee et l'insécurité a évidemment empêché un plus grand nombre d'individus de venir occuper les- terrains disponibles. Sur les hauts coteaux, on trouve des pommes de terre, mais tout juste ce qui est nécessaire pour la consommation locale; il pour-
M. LAMY. - NOTICESUR LES DISTINCTSlIïLE,\IPOX,\ ET j)'¡\Nl\ISATIL\ r. rait en pousser de quoi alimenter tout l'Emyrnc proprement dit. On trouve aussi du tabac, du maïs, des patates et du manioc. Animaux domestiques ordinaires. Beaucoup de poissons, d'anguilles et d'éacvisscsdans de l'Ankaratra.
l'Onive et ses affluents
Les marchés, peu fréquentés ou même à peu près abandonnés depuis des mois, sont: Alakamisy (jeudi) d'Ankisatra; Zoma (vendredi) d'Ambatotsipihina inférieure; Sabotsy (samedi) d'Antanifotsy; Talata (mardi)d'Ialatsara. (1)
(1; Les renseignementscontenus dans cette nolice ont été extraits d'un rapport de M.le capitaineL:uny. des tirailleurs algériens, commandant le poste d'A))ibatot;t)np\
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M. FAUCON.- NOTICE
SUR LA RÉSIDENCE DE VOHÉMAR
NOTICE SUR LA
RÉSIDENCE
DE
VOHÉMAR
15 Juillet - 5 Septembre 1896
CHAPITRE
1er
RENSEIGNEMENTSGÉNÉRAUX
La résidence de Vohémar comprend, du Nord au Sud, les quatre provinces de Loky, d'Amboanio (Vohémar), Soavinandriana (Sambava) et Antalaha ou Anonibé, du nom d'une rivière peu importante au Nord de Ngontsy. Elleest limitée: à l'Est, par l'Océan Indien; au Nord, parle territoire de Diégo; au Sud-Est et au Sud, par la Suarez; à l'Ouest, par la résidence de Nossi-Bé résidence de Maroantsetra. Sa frontière, parlant du Nord de la baie de Loky, remonte, vers l'Ouest, le cours du Rodo, descend, vers le Sud, l'arête dorsale de l'île jusque par 14°46' de latitude Sud, puis suit, vers le Sud-Est, une ligne qui n'est pas nettement définie jusqu'à la naissance de la presqu'île de Masoala, qu'elle divise en deux en descendant directement au Sud. La résidence est ainsi comprise tout entière dans les positions géographiques suivantes:
M. FAUCON. — NOTICE SUR LA RÉSIDENCE DE VOHÉMAR
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De 12° 40' à f58 58' latitude Sud et de 46° 40' à 48° 12 longitude Est. Les lignes de démarcation entre les quatre provinces sont: 1° La rivière de Manancoulène, entre Loky et Amboanio ; 2° La rivière de Bemarivo ou Bemanevika, entre Amboanio et Sambava ; 3° La rivière de Lokoho, entre Sambava et Antalaha. Cette dernière province est de beaucoup la plus importante, la plus fertile et la plus peuplée. * * Un calcul, évidemment très approximatif, donne, pour les superficies, les chiffres suivants: Loky 1.840 Amboanio Soavinandriana Antalaha
kilomètres carrés 5.000 k. c. 2.300 k. c. 7.860 k. c.
Soit, au total, 17.000 kilomètres carrés environ. Ces chiffres ne doivent être pris qu'à titre de simple indication, car les rivières ne sont placées que d'une manière approximative. Plus particulièrement, celle de Bemarivo semble devoir être reportée plus au Sud. D'après les renseignements officiels hovas,la population des quatre provinces, dont le total serait d'environ 40.000 âmes, doit être ainsi répartie: Loky.. ,, ,,, ,, , ,,,,, Amboanio. Soavinandriana. Antalaha
1.700(?) 12.228 8.748 tG, 972
La province de Loky est la plus déshéritée, et comme richesse du sol, et comme population ; celle d'Amboanio est beaucoup plus importante, mais les aptitudes de la race principale qui l'habite (sakalave) se sont portées surtout sur l'élevage des bœufs, et on y fait de culture que ce qui est indispensable aux besoins des habitants. Les provinces de Sambava et d'Antàlaha sont les plus favorisées comme richesse du sol et comme habitants. Lapopulation y est active et industrieuse, adonnée aux travaux de la terre ettrès accueillante aux étrangers. D'une façon générale, le climat de ces deux surtout pendant la mousson le voisinage des ; somme, peu de régions, à Madagascar, semblent tions pour un essai de colonisation européenne,
provinces est sain et tempéré, marais seul est insalubre; en présenter de meilleures condiqui réunirait toutes chances de
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M FAUCON.
—NOTICE SUR LA RÉSIDENCE DE VOHÉMAR
réussite, grâce autant à la douceur du climat et à la fertilité du sol, qu'au bon esprit des populations et à la facilité d'y trouver la main-d'œuvre nécessaire. ** Les races principales qui peuplent la résidence de Vohérnar sont au nombre de trois: Les Hovas, race conquérante partout;
et très peu nombreuse,
répandue un peu
Les Sakalaves, répartis surtout entre les rivières Rodo et Bemanevika ; Les Betsimisarakas, répandus dans tout le Sud, à partir de la rivière Bemanevika. A ces élémenfs principaux, viennent se juxtaposer quelques isolés apparte nant aux races du Sud de la Grande Ile, un noyau d'Indiens, groupés presque exclusivement à Vohémar, de rares Européens et créoles, enfin, un petit nombre de Chinois, représentants et employés d'une importante maison chinoise de l'île Maurice. Les Hovas représentent la race conquérante et dominatrice; avant l'inauguration de la nouvelle politique de races, ils occupaient presque exclusivement les emplois du gouvernement. Quelques-uns d'entre eux se livraient uniquement au commerce; mais, d'une façon générale, les fonctionnaires, eux aussi, trafiquaient ou faisaient cultiver, n'hésitant pas à exploiter les populations et à les forcer à s'employer au service de leurs intérèts particuliers. La conquête a dû se faire par le Sud, à la suite d'une série d'expéditions heureuses: l'une d'elles aurait été dirigée par le roi Radama Ier en personne; l'on montre encore, dans les environs d'Antalaha, les points où ce souverain aurait campé avec son armée. Pour affermir et étendre les résultats de ces premières expéditions, les Hovas ont dû adopter, là comme ailleurs, le système de pénétration lente, par l'établissement de rovas successifs. Quoi qu'il en soit, leur domination était fermement établie lors de notre arrivée. Il faut ajouter que, violente et spoliatrice, elle n'a jamais été que subie avec peine par les indigènes et que, dans le Nord surtout, l'élément autochtone nourrit des sentiments de révolte à l'égard des Hovas. Très peu nombreux, vivant en un pays conquis, au milieu de populations sourdement hostiles, pressurant ces dernières sans merci, tant pour faire rentrer les impôts que les provinces devaient payer, que pour satisfaire leurs besoins personnels et leur effrayante cupidité, les Hovas ont, de tout temps, senti la nécessité de s'établir fortement et de grouper autour d'eux tous les éléments de résistance dont ils disposaient. C'est ainsi que le siège de chacun de leurs gouvernements était choisi de façon à être bien dégagé et en partie fortifié par la nature; c'était, le plus souvent, un plateau élevé dominant les régions voisines, soigneusement déboisées;
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sur ce plateau, ils édifiaient une enceinte palissadée, ou ils accumulaient armes, vivres et munitions, et dont l'approche était interdite à l'indigène par des lois sévères. Autour de ce réduit central, où n'habitaient, en temps ordinaire, que le gouverneur et ses principaux officiers, s'élevaient les habitations des gens ralliés à la cause des conquérants, pour un motif ou pour un autre et rentrant, pour la plupart, dans la catégorie des bourjanes. Esclaves ou affranchis de toutes races, ces gens étaient les vassaux des Hovas, se groupaient autour du rova, comme les serfs du Moyen Age autour du château féodal, et prêtaient au besoin leur concours à la défense en cas de soulèvement. Paresseux, imprévoyants, impropres à la culture, n'admettant que le métier de porteurs, les bourjancs étaient les serviteurs plus on moins volontaires des Hovas, profitant toujours quelque peu des rapines de leurs maîtres et leur servant d'espions. Bien que dévoués aux conquérants, ils conservaient, vis-à-vis d'eux, leur franc parler, et ne leur obéissaient pas aussi facilement qu'on pourrait le croire, d'après la terreur inspirée, en général, par les Hovas aux populations soumises. A côté des bourjaoes, se trouvaient les soldats hovas, de race noire, et enfin les soldats indigènes, maintenus par une discipline très sévère. D'autre part, appliquant la devise: ÚDiviser pour régner», les Hovas ont toujours soigneusement maintenu les rivalités existant entre les divers éléments de la population et organisé un service de renseignements fonctionnant admirablement. Enfin, ils s'étaient astreints, le plus souvent, à laisser aux indigènes un semblant d'administration directe, en choisissant parmi eux des chefs, d'ailleurs toujours responsables. Dans ces conditions, gouverner par l'intermédiaire des Hovas était une idée séduisante, puisqu'ils disposaient déjà de toute une organisation fonctionnant bien et admirablement au courant des mœurs et des usages d'une population tenue en respect par la crainte. Il n'est donc pas étonnant que beaucoup de bons esprits aient adopté cette idée. Mais la terreur n'est pas un moyen de gouvernement et l'expérience a démontré qu'il n'est pas possible, pour de longues années encore, de modifier le caractère cruel et rnpace des conquérants hovas. En les conservant, comme intermédiaires entre les indigènes et nous, nous étions exposés à voir se retourner contre nous les haines provoquées par leurs exactions, qu'aucune surveillance n'aurait pu empêcher. Sans doute, l'éducation administrative des peuples indigènes sera longue et
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délicate, mais les acclamations qui ont accueilli la mise en pratique de la nouvelle politique de races montrent sans conteste que nous avons touché juste. * ** L'élément sakalave est à peu près exclusivement cantonné dans les provinces de Loky et de Vohémar. D'une façon générale, le Sakalave est paresseux et ivrogne, il méprise le travail et n'aime que les expéditions de maraude et l'élevage des bœufs. Les bœufs sont, du reste, la préoccupation à peu près unique de toute la race et constitue la vraie richesse des provinces du Nord. Il semble que les Sakalaves, race vigoureuse et intelligente, aient été gâtés par le contact des Anjouanais, propagateurs d'un islamisme très mitigé et approprié à leur pays, et qui on fait, dans le Nord de l'île, de nombreux prosélytes aux dépens desquels ils vivent. A leur contact et peu à peu les Sakalaves ont adopté les superstitions les plus grossières et se sont détournés du travail de la terre; pour eux, nombre d'objets ou d'animaux sont devenus « fady». Si le porc est un objet de répulsion générale, chaque tribu, chaque village, chaque famille a adopté un (i fady» spécial; pour les uns, c'est la volaille, pour d'autres, le poisson; certains ne tueront jamais un caïman ou un sanglier, ou un scorpion, ou un cent-pieds; en fait, ils en sont arrivés àjïe vivre que de riz et de bœuf frais ou séché et à laisser pulluler chez eux tous les animaux nuisibles. De plus, l'ivrognerie fait chaque jour des progrès: dans presque toutes les cases sakalaves, on voit en évidence un fùt de rhum où chacun boit à même. Il faut espérer que les droits qui frappent depuis peu les alcools importés à Madagascar restreindront, dans une forte proportion, les importations de rhum de Maurice, pour le plus grand bien des indigènes. « Les Betsimisarakas forment à peu près exclusivement la population des provinces de Sambava et d'Antalaha. C'est une race industrieuse, active, intelligente, très adonnée à la culture et plus sédentaire que les autres éléments de l'île, qui cèdent volontiers au désir du changement. Un peu gâtés sur les côtes, ils se retrouvent dans l'intérieur avec toutes leurs qualités natives. Avides de progrès, ils acceptent volontiers les procédés nouveaux de cultures et sont tous disposés à entreprendre les essais par lesquels ils espèrent pouvoir réaliser leur légitime désir d'augmenter leur bien-être. Les colons recevront chez eux l'accueille plus cordial et y trouveront des travailleurs animés du désir de bien faire, à la condition trop naturelle d'être traités avec bienveillance et probitl. De toutes les populations de la résidence, les Betsimisarakas sont de beaucoup les gens les plus sympathiques et les plus intéressants. Ils ont été souvent
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maltraités et opprimés par les Hovas, mais ils prendront vite confiance quand ils se rendront compte qu'ils sont débarrassés définitivement de leurs oppresseurs. Le seul reproche à leur faire est qu'ils sont très malpropres, surtout ceux qui habitent le haut pays. * »» L'élément indien, à peu près exclusivement cantonné à Vohémar, comprend des mahométans de deux sectes, ayant chacune son chef et sa mosquée; l'une des sectes compte quatre individus et l'autre trente. Commerçants nés, industrieux et intelligents, les Indiens se sont assurés à Vohémar la presque totalité du commerce ; les quelques créoles établis comme commerçants ont beaucoup plus de frais et luttent difficilement contre eux. Leur commerce est surtout un commerce d'échanges qui se fait avec Bombay par boutres, pendant l'hivernage. Ils importent les étoffes à bon marché, ils s'ocles cotonnades à couleurs vives, la vaisselle et la verrerie communes; cupent du commerce des bœufs et ont accaparé celui de l'écaillé et des peaux non préparées; ils se tiennent au courant de l'état des cultures et font venir du riz dès qu'ils prévoient une disette pour le revendre à des prix très élevés. Ils ont toujours su se ménager l'appui des Hovas ; leur argent leur a toujours assuré l'impunité, souvent au mépris du droit le plus évident. Nombreux sont les indigènes qu'ils ont pillés ou dépossédés de leurs terrains et qui n'ont jamais osé se plaindre avant l'arrivée, à Vohémar, d'un résident de France. Ils acceptent d'ailleurs de bonne grâce le nouvel état de choses, se soumettent sans difficulté aux restitutions qui leur sont imposées et portent même leurs différends devant le résident de Fraqce. * 4 Les Chinois établis dans le Sud ont toutes les qualités de leur race et s'accordent très bien avec les populations au milieu desquelles ils vivent. Comme les Indiens, les Chinois font surtout un commerce d'échanges. •« Les Anjouanais et les Comoriens sont au nombre de 22 et ne pratiquent ni commerce ni industrie.
CHAPITRE
II
CLIMAT. — MÉTÉOROLOGIE Des observations exactes n'ayant pu être faites, faute d'instruments, il convient de ne prendre les renseignements qui suivent que comme des indications générales. L'année est divisée en deux saisons: une saison sèche, de fin avril au com-
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mencement de novembre, novembreà fin avril.
et une saison des pluies, du commencement
de
La différence entre ces deux saisons s'affaiblit à mesure que l'on descend dans le Sud. Pendant la saison des pluies, les chaleurs sont fortes, les orages fréquents, les pluies torrentielles et presque quotidiennes. C'est aussi l'époque des cyclones; le territoire de la résidence a été plusieurs fois visité par eux, et l'on voit encore, dans les provinces de Sambava et d'Antalaha, les traces du cyclone qui a dévasté les régions en 1894. De mai à novembre, souffle la mousson du Sud-Est, d'abord faible à son début, mais qui va s'augmentant pour souffler fraîche dans les environs du cap Est (Ngontsy), et en coups de vent, de Vohémar au cap d'Ambre, pendant les mois de juillet, août et septembre. A cette époque et pendant ces trois mois surtout, la navigation par caboteurs, toujours possible jusqu'au mouillage du cap Est, devient très dure et même inpralicable dans le Nord. Le voilier qui mouillerait à cette saison à Antalaha ou a Sambava y serait en perdition, et la route du Sud lui serait à coup sûr pénible, dangereuse et souvent impossible. Tenter un voyage dans ces conditions, c'est s'exposer à une relâche de longue durée dans l'un des nombreux ports du Nord. La saison de la mousson, depuis Munambato jusqu'au cap d'Ambre, est nettement une saison sèche. Balayées incessemment par les moussons, les plaines se dessèchent rapidement, l'eau devient rare, la plupart des ruisseaux se tarissent et le débit des grandes rivières diminue beaucoup. Pendant cette même période, dans la province de Vohémar, la pluie tombe assez fréquemment sous forme de petites ondées, et, année moyenne, on estime qu'il pleut environ dix jours par mois; aussi, l'aspect du pays reste-t-il beaucoup plus vert que dans le Nord et les pâturages conservent toujours bonne apparence. La quantité d'eau tombée augmente beaucoup pendant l'hivernage, où les pluies sont abondantes et fréquentes. De Vohémar, a mesure que l'on descend au Sud, la violence de la mousson diminue et les pluies de belle saison deviennent plus fortes et plus fréquentes. Dans la presqu'île de Masoala, le régime des pluies est à peu près celui de Tamatave. La température dans les quatre provinces est très modérée pendant la belle saison; la mousson rafraîchit beaucoup l'air et le purifie; aussi, le séjour d'Antalaha, de Sambava et de Vohémar est-il très agréable; il faut même se couvrir la nuit et le jour. encore; A mesure que l'on s'élève dans l'intérieur, la températures'abaisse
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sur la rive d'Antalaha, les matinées, avant dix heures, laissent une impression de froid très marquée. Pendant l'hivernage, la chaleur augmente beaucoup, mais reste, en général, très supportable; il n'y a guère que deux ou trois jours par mois, au plus, où elle soit une fatigue. Dans certaines régions, les marais s'étendent beaucoup, par suite dela pluie presque incessante, surtout à l'intérieur, et il y a quelques points hantés par la fièvre. C'est au colon à bien choisir son terrain pour éviter ce voisinage dangereux. En résumé, la résidence de Vohémar est dans les meilleures conditions, comme climat et comme salubrité, pour attirer la colonisation européenne; les chaleurs sont presque toujours très modérées; le soleil, souvent voilé, est peu ardent, et la santé ne court guère de risques sérieux, à la condition que l'Européen s'astreigne à prendre les précautions élémentaires, indispensables dans tous les pays chauds. (A suivre).
(1) La notice sur la résidence de Voliémarest extraite d'un rapport de M. le lieutenant de vaisseau Faucon, résident de Vohémar.
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BULLETIN MENSUEL
BULLETIN
EXPOSÉ
MENSUEL
DES DERNIERS
ÉVÉNEMENTS
de 1890
LA SITUATIONAU MOIS DE SEPTEMBRE. - SES CAUSES
Au mois de septembre 1896, la situation était devenue critique à Madagascar et d'inquiétants symptômcs. menaçaient l'existence même de notre Colonie. Le gouvernement hova, dont le coup de foudre de la conquête avait, un instant, abaissé l'orgueil, cherchait dans l'intrigue un moyen de se soustraire de nouveau à notre autorité. Fidèle à ses traditions de fourberie, il ne nous ménageait pas les protestations de dévouement, mais, en même temps, ses émissaires parcouraient le pays et y fomentaient l'insurrection. Notre politique, trop exclusivement guidée par des idées de clémence et des sentiments de courtoisie, avait négligé, au moment voulu, de réprimer ces tendances. Rien n'avait été changé dans les principes-de l'administration et du gouvernement; la suprématie hova ne cessait pas de s'exercer, avec notre protection, sur les peuplades vassales, et celles-ci, déçues dans l'espoir où on les avait entretenues que la conquête leur apporterait l'indépendance, commençaient à se retourner contre nous. Enfin, la cour et l'aristocratie malgaches étaient plus que jamais prises au sérieux et les règles d'un protocole rigoureux étaient observées dans les rapports officiels avec la reine Ranavalo et ses ministres. Il n'en avait pas fallu davantage pour rendre la confiance à une race naturellement présomptueuse, lui faire illusion sur la solidité de notre conquête et, enfin, lui donner l'espoir de nous chasser de l'île qu'elle n'avait pas su soustraire à notre autorité. Aussi, à cette époque, les intrigues se trament-elles presque au grand jour à Tananarive. On se réunit, on complote; de toutes parts, des associations se forment, des comités s'organisent; on crée une caisse de l'insurrection qui alimente les rebelles d'armes et de munitions. Puis, par l'entremise des officiers de l'ancienne armée
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liova, et, grâce à des promesses insidieuses, on amène l'effervescence des populations; les villages sont abandonnés, les terres restent incultes, et, bientôt, la moitié du pays fait cause commune avec la rébellion. Au Sud, Antsirabé est assiégé et cerné; à l'Ouest, Arivonimamo s'agite; la famille Johnson, les explorateurs Garnicr, Duret de Brie et leurs compagnons, le père Berthieu et tant d'autres sont assassinés; enfin, les craintes d'un soulèvement général de l'île se doublent de celles d'une famine à brève échéance. L'insurrection gronde aux portes de Tananarive; en vue de nos postes, dont les effectifs restreints sont impuissants à réprimer les désordres, des villages sont brûlés ou pillés; les Européens ne peuvent s'éloigner à quatre ou cinq kilomètres de la capitale sans risquer d'être assassinés et, le 18 octobre, le feu est mis au cantonnement d'Andrainarivo, à un kilomètre à peine des dernières maisons de la ville. D'autre part, on annonce que les trois grandes bandes du Nord, du Sud-Est et de l'Ouest vont unir leurs efforts pour une attaque en masse sur la capitale. Les diverses peuplades de l'île, qui nous accusent de les avoir abandonnées, assistent indifférentes à ces préparatifs; quelques-unes même se disposent à faire cause commune avec les insurgés. Le pays betsiléo est travaillé par des émissaires venus de Tananarive; on fait miroiter aux yeux de ces populations, calmes encore, les promesses les plus attrayantes, sous la réserve qu'elles s'associeront au soulèvement général. Et, andis que dans les autres parties de l'île, les exactions des gouverneurs amènent des troubles qui compromettent gravement la sécurité des colons, le gouverne ment hova, inactif et impassible, oppose la force d'inertie la plus complète, allègue son impuissance et couvre, avec une mauvaise foi à peine dissimulée, les agissements de ses fonctionnaires contre notre prestige et notre autorité. De notre côté, rien n'est préparé pour faire face aux graves événements qui s'annoncent. Notre attitude vis-à-vis du gouvernement malgache manque de fermeté et, alors qu'ils eût été nécessaire de surveiller étroitement la reine et son entourage, nous acceptons, sans contrôle, les hypocrites protestations de dévouement de Ranavalo et de sa cour. D'autre part, le maintien des autorités hovas dans toute l'île, l'absence de presque tout contrôle sur leurs actes, l'ignorance où se trouvent les résidents sur la ligne politique à suivre, le manquede communications, mômeavecTamatave, mettent le pouvoir central dans l'impossibilité d'exercer une action dirigeante quelconque et laissent errer à l'aventure, dans le domaine des conceptions administratives, politiques et militaires, les autorités françaises répandues sur toute l'étendue de l'île. L'unité d'action, orientée vers un but déterminé, n'existe donc pas; on y a substitué une centralisation excessive, qui, dans un pays plus vaste que la France, entrave tous les services et ne permet pas de fixer les responsabilités. Cependant, les événements se précipitent et surprennent une organisation
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militaire inachevée et ne répondant pas aux exigences de la situation: aucun programme n'a été prévu pour la pacification et les forces vives du pays restent inutilisées; seules, de fortes colonnes lancées à de grandes distances, à la poursuite d'un ennemi insaisissable, parcourent des régions qu'elles n'occupent pas et qu'elles laissent, après leur passage, à la merci de la rébellion. Enfin, au milieu des préoccupations politiques qui assiègent le gouvernement français, les intérêts particuliers sont en péril. Aucune mesure n'a été prise pour encourager le développement commercial et industriel de l'île. La sécurité des anciens colons se trouve menacée dans leurs personnes et dans leurs biens; les nouveaux venus n'osent s'aventurer dans les régions où ils veulent établir des concessions, que les soucis de la situation ou les lenteurs de la procédure ont fait indéfiniment ajourner; les grandes maisons de France se refusent à engager leurs capitaux et hésitent à envoyer les marchandises et les denrées les plus nécessaires au ravitaillement. La colonisation est compromise dans son principe même; l'influence étrangère s'exerce plus puissamment que jamais et le peuple malgache, endoctriné par l'école et parle livre, échappe chaque jour davantage à notre direction et à notre autorité. Le 16 septembre 1896, le Général Gallieni arrive à Tananarive pour prendre le commandement du Corps d'occupation; le 28 septembre, il est nommé Résident Général et le Gouvernement de la République réunit entre ses mains tous les pouvoirs civils et militaires de notre nouvelle Colonie. PREMIÈRES MESURES PRISES. - PRINCIPES DE L'ORGANISATIONMILITAIRE ET ADMINISTRATIVE Investi de l'autorité qui lui était nécessaire pour remédier aux dangers de la situation, le Résident Général établit sur les bases suivantes son programme de réformes. D'abord, frapper l'insurrection à la tête, sévir avec la dernière rigueur contre ses chefs les plus autorisés et supprimer ses ressources en poursuivant sans relâche les comités qui les fournissent; parler à la reine et à son entourage un langage ferme, et, du haut en bas de la hiérarchie, imposer au gouvernement et à l'administration malgaches une attitude non équivoque de subordination et d'effacement. Puis, poursuivre, d'après les règles suivantes, la réorganisation du pays et l'établissement de la souveraineté française: 1° Supprimer l'hégémonie liova; 2° Placer à la tête de chaque circonscription administrative une autorité française réunissant tous les pouvoirs; 3° Organiser l'Emyrne en territoires militaires subdivisés eux-mêmes en cercles et en secteurs; agir contrela rébellion, non seulement au moyen de troupes régulières, mais en utilisant toutes les ressourceslocales telles que, levés
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de milices, armement des villages, etc.; occuper progressivement le pays en déplaçant, par bonds successifs, les postes de première ligne et rétablir dans la zone de l'arrière la paix et la prospérité. Enfiu, favoriser par tous les moyens l'essor de la colonie, stimuler l'initiative des colons, seconder leurs efforts, et, en tout temps, affirmer la mission civilisatrice de la France en poursuivant, par l'école, l'assimilation de la population indigène et en la dotant d'institutions nouvelles basées sur la justice et la probité. Le premier but est vite atteint. Rainandriamampandry, ministre de l'intérieur, et Ratsimamanga, oncle de la reine, convaincus de complicité avec les rebelles, sont jugés, condamnés a mort et exécutés le 15 octobre 1896. La tante de la reine, Ramasindrazana, hostile à notre influence, est déportée à SainteMarie. Ces mesures de rigueur portent un premier coup à l'insurrection; le peuple, depuis longtemps victime des exactions et des rapines de ces hauts personnages, ne s'émeut pas de leur sort; la cour et les fonctionnaires hovas comprennent que l'ère des compromissions a pris fin et que, désormais, les résistances, occultes ou non, seront inexorablement brisées. La reine, contrairement à toutes les traditions, vient faire elle-même la première visite au Résident Général. Les couleurs hovas sont enlevées du palais et remplacées par le pavillon national. Une terreur salutaire fait naître dans tous les esprits de sages résolutions; la reine prend elle-même l'initiative de grands kabarys, au cours desquels elle annonce que des groupes d'officiers hovas et de cadets vont parcourir les provinces, pour y porter, avec l'agrément des autorités françaises, une proclamation de leur souveraine exhortant les populations à rentrer dans le devoir. Le Secrétaire Général, à Tamatave, reçoit la délégation des pouvoirs du Résident Général pour faire appliquer, par les résidents de la côte, le programme de la réorganisation politique et administrative. Les gouverneurs hovas doivent être supprimés dans les provinces où ils n'administrent que des races étrangères à la leur et remplacés par des chefs autochtones nommés à l'élection; enfin, dans les résidences côtières où l'autorité militaire est indépendante de l'administration civile, cette qualité de commandement doit disparaître. Les résidents centraliseront désormais tous les pouvoirs dans l'étendue de leur circonscription. C'est exactement la règle suivie en Imerina, oùla création des territoires militaires a réuni, entre les mains des officiers qui les commandent, les fonctions civiles et militaires. Deux territoires militaires ont été organisés: le premier, commandé par le colonel Combes, comprend les cercles d'Ambatondrazaka, de Moramanga et le second, sous les ordres du lieutenant-colonel Borbald'Ambohitrabiby; Combret, est constitué par la réunion des cercles d'Arivonimamo et d'Ambatomanga ; la région de Tananarive, avec le territoire du Voromahery, forme un • gouvernement militaire à la tête duquel est placé le colonel Boùguié. Enfin, dans la région du Nord, le cercle de Babay relève directement du Général.
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Les cercles militaires ont été délimités en tenant compte des anciennes frontières des provinces et en évitant de grouper, sous la même autorité, des populations de races différentes. Le commandant de cercle exerce les fonctions de résident; dans toute l'étendue de son commandement, il est responsable de la sécurité duterritoire qui lui est confié. « Sa mission comprend deux parties bien distinctes: 1° avec ses postes avancés, gagner peu à peu du terrain en avant, de manière à diminuer progressivement l'étendue des régions occupées par les insurgés; 20 organiser, en même temps, les zones en arrière, en y rappelant les populations, en faisant reprendre les cultures, et, surtout, en mettant les villages et les habitants à l'abri de nouvelles incursions des fahavalos. « Il doit, dans ce but, en prenant toujours pour bases les divisions administratives indigènes, partager son cercle en un certain nombre de secteurs, chacun d'eux ayant à sa tête un officier, un sous-officier, un garde de milice ou un fonctionnaire européen responsable, vis-à-vis de lui, de la tranquillité du secteur. « Ces commandants de secteur ont sous leurs ordres, pour les seconder dans leur commandement, les gouverneurs ou sous-gouverneurs ainsi que les chefs de cent et de mille, responsables également de l'ordre et de tous les événements survenus dans la subdivision qui leur est confiée ». (Circulaire 2, du 12 octobre 1896). En conformité de ce programme, des opérations méthodiques sont entreprises et refoulent peu à peu, en prenant Tananarive pour point de départ, les bandes qui enserrent la capitale. Le croquis annexé au Bulletin mensuel fait ressortir les étapes ainsi faites par la pacification. Chaque bond en avant marque une période d'arrêt de quelques jours; on nstalle des postes en arrière desquels s'organise la région conquise et d'où repartent bientôt de petites colonnes qui vont refouler encore devant elles les insurgés, dont le nombre et les approvisionnements diminuent de jour en jour Dans la zone pacifiée, queprotègent, aux points importants, de simples blockhaus, l'administration est réorganisée; elle établit un système de responsabilités logiquement réparties aux différents"échelons de la hiérarchie et jusqu'à la plus petiteautorité, qui, n'ayant à surveiller qu'une étendue de terrain et une population restreintes, peut s'acquitter facilement de sa tâche. Quelques exemples, comme ceux d'Ambohimanga et d'Ambohitrinimanjaka, rappellent les autorités indigènes à l'observation de leurs devoirs. L'administration de ces fonctionnaires est contrôlée avec soin par les commandants de cercle; les abus de pouvoir et les tentatives de concussion sont punis avec la dernière sévérité. Cet ensemble de mesures achève de nous concilier les sympathies des populations indigènes; elles oublient, peu à peu, la blessure faite à l'amour-propre national et ne tardent pas à s'attacher à un régime qui leur apporte l'ordre, la justice et les espérances de la liberté.
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Les terres sont mises en culture, des routes tracées, des ponts établis; les villages se repeuplent et les habitants reconstruisent leurs demeures; des écoles sont ouvertes de toutes parts; les enfants y affluent et les instituteurs, dont le nombre augmente chaque jour, leur enseignent notre langue et leur inculquent l'amour et le respect de la France. La pacification fait d'incessants et rapides progrès; en peu de temps, de vastes régions sont conquises sur la rébellion; 7 à 800 villages sont reconstruits: 45.000 habitants font leur soumission. En même temps, le Résident Général se préoccupe de faciliter les entreprises de colonisation et de préparer le développement industriel et commercial de l'ile, Les droits légitimement acquis sont respectés, mais, en toute circonstance, l'action administrative s'exerce de façon à assurer à l'influence française la prépondérance qu'elle n'avait pu acquérir jusqu'à ce jour. La loi minière est modifiée de façon à donner aux prospecteurs les garanties qu'ils réclament depuis longtemps et qui sont nécessaires pour éviter les conflits et donner de la stabilité aux sociétés en formation. Des ordres sont donnés pour que toutes les questions de concessions soient examinées et résolues dans le plus bref délai possible; dans ce but, les commandants de cercle et résidents reçoivent la délégation des pouvoirs du Résident Général, pourfaire droit, eux-mêmes, aux demandes qui leur sont adressées. Des chambres consultatives de commerce sont créées dans les principaux centres; elles ont mission d'étudier les mesures que réclament les intérêts de la Colonie et de prendre l'initiative des propositions à adresser dans ce sens au Gouvernement. Les voies de communication s'améliorent; la route carrossable de Tananarive à Tamatave est commencée; la ligne télégraphique entre ces deux points est entièrement reconstruite et celle de Majunga à Tananarive est à l'étude. L'hôpital de Soavinandriana est réquisitionné et transformé en hôpital militaire. Cette mesure, imposée par la nécessité d'assurer les soins indispensables aux malades du Corps d'occupation, ne compromet pas, d'ailleurs, le but humanitaire que s'étaient proposé les fondateurs de l'établissement de Soavinandriana. Un hôpital, réservé aux Malgaches, est créé à Tananarive et les malades indigènes y reçoivent aujourd'hui les soins éclairés des médecins français. Cette institution est complétée par une autre qui ne contribuera pas moins à faire prévaloir notre influence. Une école de médecine, dirigée par un médecin français,est annexée à l'hôpital malgache et, désormais, cette école seule pourra délivrer aux indigènes les diplômes permettant l'exercice de la médecine. En même temps, d'autres projets voient le jour et reçoivent aussitôt leur exécution. Le Résident Général organise une école professionnelle, une école de droit et une école normale d'instituteurs. Enfin, tandis que l'instruction du français est rendue obligatoire dans toutes les écoles, des arrêtés mettent en vigueur un nouveau code malgache, rédigé dans un esprit moderne et conforme à nos idées de civilisation.
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L'ancienne corvée (fanompoana), imposée autrefois sans règle, sans limitation de durée et sans salaire, est remplacée par des prestations régulières et rétribuées de façon à assurer la nourriture aux indigènes qui les fournissent. Les résidents et les commandants militaires donnent toute la publicité possible à la loi d'abolition de l'esclavage, dont l'application est rigoureusement imposée dans les contrées déjà soumises à notre autorité. Dans les autres régions, et principalement chez les peuplades du Sud, des missions sont envoyées pour en répandre la nouvelle et commencer ainsia établir notre influence sur les populations qui n'ont pas encore reconnu notre autorité. En même temps que le principe de la loi était hautement proclamé dans toute l'ile, le Résident Général prenait les mesures administratives nécessaires pour en régulariser l'application, mesures sans lesquelles cette brusque révolution dans l'ordre social indigène n'eût pas été exempte de périls. C'est à cette considération qu'est due la loi sur la réglementation du travail du 2 janvier 1897, qui permet aux anciens propriétaires d'esclaves de continuer à employer ceux-ci comme serviteurs à gages et facilite aux colons les moyens de se procurer la maind'œuvre nécessaire à leurs exploitations. EXPOSÉ SOMMAIREDES FAITS MILITAIRESET POLITIQUES SURVENUS PENDANT LE MOIS DE DÉCEMBRE 1890 1. — Faits
Militaires
Au commencement de décembre 1896, la situation militaire est à peu près la suivante: nos postes de lre ligne sont à peu de distance des frontières de l'Emyrne et les dépassent même en certains points; les bandes rebelles, poursuivies sans trêve dans toutes les directions, ont vu leur force décroître par les pertes qu'elles ont subies et par les soumissions qui créent chaque jour de-nombreux vides dans leurs rangs. Dans la région de l'Est, deux bandes principales occupent la forêt; celle de Rabozaka, au Nord de la route d'étapes, a son campement principal établi à hauteur d'Andranomadio et dominant la rive droite de la Mananara; l'autre bande obéit à Rainibetsimisaraka et tient encore le Voromahery, au Sud-Est de Tsinjoarivo. Dans la vallée du Mangoro, au Nord de Moramanga, l'installation des postes d'Ankonkalava, Betafo, Mandialaza, Merimitra, etc., a facilité le repeuplement des villages situés sur la rive gauche de ce fleuve; mais le voisinage des bandes de la forêt inspire aux indigènes une telle crainte des représailles que les villages de la rive droite restent déserts, malgré toutes les tentatives faites pour ramener les habitants. Au Sud de la ligne d'étapes, les reconnaissances faites vers Beparasy et Anosibé ont trouvé également les villages déserts et les cultures abandonnées. Au Nord de l'Emyrne, Rabezavana occupe la haute vallée de la Retsiboka et fait de fréquentes incursions dans le cercle de Babav.
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Au Sud-Ouest et au-delà du lac Itasy, circulent des bandes de moindre consistance, mais dont les contingents variables, fréquemment grossis d'éléments sakalaves, viennent en force piller les villages et terroriser les habitants. A coup sur, d'importants progrès ont été réalisés pendant les deux mois qui viennent de s'écouler; cependant, l'apaisement est encore loin d'être obtenu. Les opérations vont donc se poursuivre ; mais nos troupes, au lieu d'avoir, comme dans la période précédente, à faire face dans toutes les diretions, vont pouvoir désormais concentrer leurs efforts sur les principaux points d'appui de l'insurrection. A l'Est, dans le 1er territoire militaire, on attaquera les bandes de la forêt et, si on ne réussit pas, dès le début, à les réduire, on pourra, tout au moins, les bloquer et mettre ainsi un terme à leurs incessantes incursions dans les régions soumises. En même temps, on protégera, par de nouveaux postes, les villages les plus exposés aux coups de main. Enfin, des émissaires envoyés jusque dans le camp même des rebelles engageront les habitants qu'ils retiennent de force à "S'enfuir, à regagner leurs villages et à reprendre leurs cultures. Au Sud de Moramanga, les reconnaissances dans la vallée du Mangoro se continueront vers Beparasy et Anosibé des postes seront établis dans ces ; villages et devront se maintenir en communication régulière avec la route d'étapes. Dans le cercle de Babay, l'expansion vers le Nord se poursuivra méthodiquement, en prenant pour objectif principal le rétablissement des communications régulières avec Andriba et Majunga. Dans le 2e territoire militaire, des détachements, prélevés dans les postes de l'Ouest, s'attaqueront aux bandes du Haut-Sakav et les poursuivront jusqu'au désert sakalave; en même temps, les troupes d'Ambatomanga chercheront à atteindre Rainibetsimisaraka et à le déloger des positions qu'il occupe au Sud-Est de la forêt. Ce programme est accompli de point en point. Dans le cercle d'Ambohitrabiby, M. le commandant Mougeot établit des postes sur la rive droite de la Mananara ; puis, M. le colonel Combes, réunissant sous son commandement les forces disponibles de ce cercle et de celui de Moramanga, occupe les principaux débouchés de la forêt et donne la chasse aux rebelles dans les vallées de la Mananara et du Mangoro. En même temps, il rouvre les communications régulières avec le cercle d'Ambatondrazaka par Tanifotsy et Mandanivatsy. Dans ce dernier cercle, les limites de la région soumise s'étendent de jour en jour; depuis un mois, M. le commandant Rouland a reconnu les rives du lac Alaotra, occupé Imcrimandroso et rétabli les communications régulières avec la côte Est. Au Sud de la ligne d'étapes, Beparasy est occupé; Anosibé, chef-lieu d'un gouvernement de la province de Moramanga, devient également le siège d'un poste qui assure, au débouché Est de la forêt, la sécurité de la route de Tananarive à Mahanoro. Bientôt, les habitants de cette région, autrefois très prospère, regagnent leurs villages et rendent leurs armes et leurs munitions. Un seul incident semble un jour mettre notre surveillance en défaut, mais il tourne immédiatement à notre avantage et démontre, un fois de plus, la
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solidité de notre front d'attaque. Le 28 décembre, une bande de 3 à 400 insurgés, chassée de la foret et poursuivie par nos troupes, réussit à franchir de nuit la ligne de nés postes avancés. Au petit jour, elle se présente devant Alarobia. Les habitants accourent à Soavina et préviennent le commandant du poste; l'alerte est donnée, la poursuite commence et, pendant huit heures, la bande en pleine déroute est rejetée de poste en poste, de village en village, recevant partout des coups de fusil, semant des cadavres sur le terrain et nous abandonnant des armes, des blessés et des prisonniers. A la nuit tombante, décimés par ces échecs successifs et réduits à une cinquantaine d'hommes, les débris de la bande réussissent à se réfugier dans la forêt. Cette tentative désespérée des rebelles a mis en évidence, mieux peut être qu'un engagement régulier, leur impuissance à forcer nos lignes et à reconquérir le terrain perdu; Le succès aurait été aussi complet qu'on pouvait le souhaiter, s'il n'avait été payé de la vie d'un officier, M. le lieutenant Guillet, et de celles dequelques-uns de nos braves soldats, tués malheureusement dans les nombreux engagements de la journée. Dans le cercle de Babay, les premiers jours de décembre sont marqués par quelques reconnaissances qui amènent l'occupation du massif du Mokony au Nord, la création du poste d'Iasy, qui doit servir de base aux opérations sur la rive gauche de l'Ikopa, et enfin, la prise de possession des vallées de l'Anjomaka et du Mangidy; vers la fin du mois, la partie Sud du Vonizongo est presque entièrement pacifiée. Tranquillisé sur cette partie de son territoire, M. le lieutenant-colonel Gonard : il installe des reprend son programme d'extension dans la direction d'Andriba bientôt, on peuf circuler, sans être postes à Sambaïna et Ambohitrandraina; inquiété, sur la route directe de l'Ankarahara à Ankazobé, en suivant les crêtes qui dominent la rive gauche de l'Andranobe ; ce premier résultat atteint, le commandant du cercle déloge les bandes de Menazary et d'Ambohimangakely nos ; troupes y construisent des postes, et, dès le 13 décembre, un premier échange des escortes régulières, immédiatement de courriers s'effectue avec Andriba ; organisées, assurent désormais le service postal entre Majunga et la capitale. Cependant, les opérations dirigées dans le Sud-Ouest de cercle du Babay ont leur contre-coup sur les confins de celui d'Arivonimamo ; les bandes, chassées des vallées de l'Anjomoka et du Mangidy, se rejettent sur le postes de 1re ligne du commandant Reynes, d'où elles sont vigoureusement repoussées. Le lendemain même de leur apparition, une action combinée des postes de Miantso et de Tsaramandroso surprend le campement des rebelles, y cause une panique générale et fait tomber entre nos mains leurs approvisionnements et une partie de leurs armes, A l'Ouest, des engagements successifs ont fait avancer de vingt kilomètres la ligne de nos postes extrêmes; le calme se rétablit dans la région du lacItasy où s'installent les postes de Menazary et Belanitra.
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An Sud du cercle d'Arivonirnamo, la pacification s'achève dans le massif de l'Ankaratra et s'étend aux riches plaines qui l'environnent: ce pays devient une sorte de marche frontière de l'Emyrne, qui surveille les hautes vallées de l'Onibé, de l'Irihitra, de la Varana et de la Kitsamby, où l'insurrection a pris naissance au mois de novembre 1895 ; enfin, le massif de l'Ankaratra, avec le réseau serré de postes qui l'entoure, commande la route de Fianarantsoa et en assure la sécurité. Indépendamment de l'importance des communications qu'elle asure, l'occupation de cette route faciliteraet permettra d'appuyer, au besoin, les opérations contre Rainibetsimisaraka, qui doivent être entreprises dans le Voromahery par les troupes du cercle d'Ambatomanga. Ces opérations débutent, dans les hautes vallées de l'Ikopa et dela Varahina, par une série d'engagements qui éloignent de la route d'étapes des bandes dont le voisinage est dangereux pour la sécurité des convois. Puis, on se rend maître de la région qui s'étend entre la route de Fianarantsoa et la forêt; Tsinjoarivo est occupé sans difficulté par une petite colonne partie d'Ambatolampy, tandis qu'une compagnie malgache, venant de Fianarantsoa, pénètre au Sud du pays des Voromahery. Les rebelles sont refoulés dans la région d'Iharamalaza, vers les sources de l'Ikopa, où ils ne tarderont pas à être l'objet de nouvelles pour-suites; enfin, dans la vallée de la Sahatorendrika, ils sont délogés peu à peu par M. le capitaine Deleuze, qui, quelques jours plus tard, détruira les repaires fortifiés établis dans la forêt par Rainibetsimisaraka. Ce programme réalisé, un léger effort suffira pour atteindre définitivement les limites de l'Emyrne et disperser les bandes du Sisaony, qui, au commencement d'octobre, menaçaient les abords mêmes de Tananarive.
2. — Résultats
politiques
INTÉRIEUR DEL'ILE Les opérations militaires influent d'une manière décisive sur la situation politique: chaque bond en avant, chaque succès remporté par nos troupes, amène des soumissions dont le nombre ne tarde pas à dépasser les prévisions les plus optimistes. Il es évident que l'évolution pacifique ne s'arrêtera plus désormais et que les populations, dans leur intérêt même, s'attacheront à fortifier notre influence et à nous aider dans le rétablissement de l'ordre et de la tranquillité. De toutes parts, les habitants repeuplent les villages, reconstruisent les habitations et reprennent leurs travaux de culture. Sur la ligne d'étapes et dans le cercle d'Ambatomanga, près de 5.000 rentrées sont signalées; on en compte 3.000 dans le cercle Ambohitrabioy, 7 à 8.000 dans le cercle de Babay et plus du double dans celui d'Arivonirnamo.
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En même temps que les soumissions, des renseignements nous arrivent. Tous ceux qui se détachent de l'insurrection pour rentrer dans le devoir sont unanimes à déclarer qu'un profond découragement s'est emparé des bandes rebelles; la misère et le dénûment y régnent, et, au fur et à mesure qu'elles sont chassées des riches plaines de l'Emyrne, elles s'émiettent et se dispersent. La désertion y fait chaque jour des vides et ces défections seraient plus nombreuses encore, si beaucoup n'étaient retenus par crainte des représailles ou la peur du châtiment. Pour favoriser ces tendances, nos officiers s'efforcent de mettre en confiance tous ceux qui se soumettent volontairement; accueillis avec bonté, ceux-ci sont bientôt convaincus que le pardon leur est accordé et qu'il en sera de même pour tous ceux qui suivrontleur exemple. Les défiances se dissipent, et, rassuréssur nos intentions, beaucoup s'offrent comme émissaires pour aller jusque chez les rebelles provoquer de nouvelles soumissions. Dans un rayon de 30 à 40 kilomètres autour de Tananarive, la sécurité est complète; les troupes régulières ont quittéles postes qu'il avait fallu établir pour assurer la protection immédiate de la ville et elles y ont été remplacées par des miliciens recrutés sur place et encadrés avec soin. Quelques villages sont armés; ces essais, prudemment tentés au début, réussissent au delà de toutes les prévisions. Les habitants de Fiakarana et d'Ampanina (cercle de Babay) marchent résolument contre une bande signalée aux environs; un autre village, Ankadivoribé (cercle d'Ambohitrabiby), porte secours à un hameau attaqué par les rebelles et repousse les agresseurs avant même l'arrivée du poste le plus voisin. Ces incidents, et d'autres du même genre, montrent que dans la région pacifiée, on peut se fier désormais aux habitants des campagnes, résultat qui ne doit pas d'ailleurs surprendre, puisque la mission que nous leur confions se résume à la défense de leurs bienset de leurs personnes. Les fonctionnaires hovas sont encore surveillés, mais le succès les attire; ils marchent résolument avec nous et leur concours nous est- souvent précieux dan un pays que beaucoup ont exploré en tous sens. Toutefois, si les gouverneurs hovas nous sont d'une utilité incontestable en Emyrnc, leur présence est dangereuse, ou au moins impolitique, partout où ils n'ont comme administrés que des gens étrangers à leur race. Dès l'occupation des contrées antsianaka et betsimisaraka, qui ont été reconquises sur l'insurrection, des chefs du pays, désignés à l'élection, ont remplacé les anciens gouverneurs hovas. Ceux-ci, rappelés à Tananarive, ont été, pour la plupart, nommés à des fonctions administratives en Emyrne ; cependant, l'attitude suspecte de quelques-uns d'entre eux a motivé, à leur égard, la révocation ou des mesures plus sévères. C'est en vertu de ces principes, rigoureusement appliqués dans toute l'île, que, dès le début des opérations en dehors de l'Emyrne, le colonel Combes, à
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Ambatondrazaka, et le lieutenant Grillo, à Anosibé, ont substitué des chefs autochtones aux gouverneurs hovas de ces deux localités., En Emyrne, le vieux parti hova, réduità l'impuissance, voit à regret notre prestige et notre domination détendre plus loin chaque jour; la reine est oubliée du peuple et sa popularité diminue, même dans les campagnes, où son nom n'était jusqu'alors prononcé qu'avec une crainte respectueuse. L'inutilité de cette royauté apparaît chaque jour avec plus d'évidence; en fait, elle n'est plus qu'un mot, et Ranavalo, confinée dans son palais, n'a plus aucune part aux actes officiels intéressant l'administration du pays. Au Sud de l'Emyrne, la politique suivie et, en particulier, le rappel des gouverneurs hovas et l'autonomie accordée aux provinces ont produit les heureux résultats qui en étaient espérés. En échange de l'indépendance que nous leur apportons, les populations nous donnent des témoigifttges non équivoques de sympathie, Les Betsiléos demandent à célébrer leur fête nationale le jour du 14 Juillet; dix chefs baras viennent faire leur soumission à M. le résident Besson. La pacification est un fait accompli dans les provinces d'Antsirabé et de Fianarantsoa ; seuls, les habitants des frontières Ouest de ces deux provinces sont encore quelquefois victimes d'actes de brigandage commis par les Sakalaves. Ces incursions, quoique peu importantes, nécessiteront plus tard contre ces peuplades, dont le vol est le métier, une série d'opérations militaires que nos effectifs restreints et des nécessiiés plus urgentes nous empêchent d'entreprendre en ce moment. A l'Ouest, la mission du lieutenant Rocheron, à laquelle se joignent les ingénieurs d'Yerville, Boussand et M. Grosclaude, fait une.exploration très intéressante qui amène des découvertes géographiques d'une importance considérable; elle constate que le cours de la Manambolo est navigable jusqu'à Ankavandra, où remontent des boutres arabes venant de la côte orientale d'Afrique; on reconnaît, en outre, que le terrain s'élève en pente douce de la côte jusqu'aux abords du lac Itasy, circonstance qui facilitera la construction d'une route praticable aux voitures légères et l'établissement de communications régulières entre la côte Ouest et le plateau central. Les populations sakalaves font à la mission Rocheronun accueil assez réservé, mais ne se livrent à aucun acte d'hostilité. Dans la partie centrale de l'ile, on travaille avec activité à l'amélioration des moyens de communication. La route de Tamatave est rendue carrossable sur près de dix*kilomètres en forêt; l'ancien sentier malgache, aménagé par nos troupes, est remplacé, de Mahatsara à Ankeramadinika, par une route muletière à pentes plus accessibles et débroussaillée, à droite et à garche, sur une largeur de vingt mètres. Les communications télégraphiques avec Tamatave sont rétablies; le service sera bientôt assuré par deux fils, l'un pour la communication directe entre la capitale et le grand port de l'île, le second reliant, poste par poste, les principaux bureaux qui jalonnent la route. Le ligne de Majunga est à l'étude et fonctionnera sous peu entre Tananarive et Ankazobé.
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de l'intérieur sont réunis par le télégraphe Enfin, les postes principaux , optique. • CÔTES Les événements dont l'Emyrne est le théâtre produisent une impression profonde sur les populations côtières ; les mesures prises pour leur rendre l'autonomie achèvent de nous les concilier; le rappel des gouverneurs hovas et l'élection de chefs autochtones donnent lieu à d'importantes manifestations de sympathie pour la France et ses représentants. A Vohémar, où la situation était depuis longtemps critique,la tranquillité reparaît dès que les indigènes sakalaves et betsimisarakas sont convaincus de l'établissement définitif de notre autorité dans le pays. Les milices recrutées dans les régions dont- elles doivent assurer la sécurité sont organisées sans difficulté; elles relèvent, dans les principaux centres, les postes occupés autrefois par les soldats hovas, et leur présence y sanctionne l'autorité des nouveaux chefs du pays. Les quelques habitants qui s'étaient enfuis après la conquête rentrent dans leurs villages, et leur empressement témoigne qu'ils avaient moins cherché à se soustraire à notre autorité qu'à celle des fonctionnaires hovas jusqu'alors restés adjoints à nos administrateurs. Dans le Nord, des rassemblements hostiles ayant été signalés aux environs de Mandritsara, M. le résident Pradon se prépare à agir vigoureusement de ce côté avec des milices betsimisarakas et sakalaves qu'il recrute dans sa province. Sur la côte Nord-Ouest, où des troubles s'étaient produits récemment, le Péan peut écrire dès les premiers calme semble renaître et l'administrateur jours du mois: «Mes espérances sont réalisées, je crois pouvoir maintenant répondre avec tranquillité de la récolte du riz prochaine et de la reprise des affaires sous très peu de jours ». Cependant, nos postes de douanes sont encore en très petit nombre et notre flottille fluviale n'est pas assez fortement constituée pour pouvoir empêcher la contrebande de guerre. Des boutres, venant pour la plupart de la côte orientale d'Afrique, débarquent dans certains estuaires, et principalement dans les baies de Baly, de Marambitsyet de la Mahajamba, des armes et des munitions. Ces approvisionnements sont dirigés vers l'intérieur et vendus, soit aux rebelles, soit aux peuplades sakalaves. Celles-ci ont toujours résisté à la domination hova et semblent peu disposées à accepter la nôtre. En prévision d'opérations militaires à entreprendre dans les régions de l'intérieur, il est donc indispensable d'empêcher les ravitaillements par la côte et de compléter le réseau de surveillance douanière et l'organisation de la flottille fluviale ; des demandes en ce sens sont adressées à la Métropole. Dans le Sud de l'île, M. le résident de Fort-Dauphin étend vers le Nord notre sphère d'influence et cherche à se relier avec la province de Fianarantsoa. La sécurité parait rétablie dans cette région; M. Chapotte. garde général des eaux et forêts, l'a parcourue récemment sans autre escorte que ses bourjanes et a
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recueilli, chez toutes les tribus qu'il a visitées, des assurances de soumission et de fidélité à l'autorité de la France.
CONCLUSION
a
assombri le cours, se terL'année 1896, dont de pénibles incidents mine sous les plus heureux auspices et les événements avaient qui en marquent la fin présagent la pacification définitive qui sera l'œuvre des premiers mois de l'année nouvelle. L'espoir renaît, les colons reprennent confiance et les mesures prises pour seconder leurs efforts commencent à produire les plus heureux résultats. La rébellion se lasse; vaincue partout, elle est poursuivie sans relâche jusque dans ses derniers refuges. Les habitants se rallient franchement à notre cause; en un mot, notre autorité s'affermit chaque jour au détriment des influences étrangères et du prestige dont jouissaient autrefois l'ancien gouvernement hova et l'orgueilleuse aristocratie du pays. Ces résultats sont dus aux mesures énergiques et méthodiques qui sont prises; ils sont dus, enfin, à l'admirable endurance du Corps d'occupation età l'infatigable dévouement de tous les fonctionnaires civils. Désormais, il n'est douteux pour personne que ce concours d'efforts transformera, avant peu, Madagascar en une colonie riche et prospère, la dernière venue dans le patrimoine de la versé pour elle que France, mais la préférée peut-être, tant en raison des espérances fondées sur son avenir. > A du sang
M. DE COINTET.
DE
-
DE TANANARIVEA ANKAVANDRA
A
TANANARIVE
(Février
DE
ANKAVANDRA(1)
1896) PARTIE
PREMIÈRE 9° VOIES
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COMMUNICATIONS
TERRESTRES
ET
FLUVIALES
(Suite)
au JIeuahe. Direction d'AnkavanA. - De Tananarive dra. — De Tananarive, quatre directions principales conduisent aux limites occidentales de l'Imerina. 1° Par Soavinimerina, Miantsoa, la vallée du Manandriana (affluent de la rive gauche de l'Ikopa) et la haute vallée du Sakay (Valalafotsy) ; 20 Par Ambohibeloma et la haute vallée du Kitambolo ; 3° Par le Nord du lac Itasy et la rivière Lily, son déversoir; 40 Par Arivonimamo et Soavinandriana. De ces quatre débouchés, on peut gagner facilement la haute vallée du Manambolo, par la ligne Analabe, Bevato, Tsiroanomandidy. - Des deux premiers débouchés, on s'y dirige directement: les deux voies se confondent à partir d'Analabe. Du troisième, onpeut aussi rejoindre Analabe, mais on se rend plus facilement et plus directement à Tsiroanomandidy par Tanimandry. Du quatrième, onpeut rejoindre Analabe par Mahatsinjo, ou plus directement Tsiroanomandidy par Tanimandry. Les communications les plus commodes sont par. le premier débouché indiqué, c'est-à-dire par Soavinimerina, Miantsoa, le haut Manandriana et le haut Sakay. En effet, c'est dans cette direction que la traversée de l'Imerina paraît être la plus facile. A partir de Moratsiazo, on s'engage dans une région de plateaux ravinés, il est vrai, mais n'offrant pas d'obstacles sérieux à la marche et aux opérations militaires. Une seule position militaire intéressante est à (1)Voirnumérodu 1erFévrier1897.
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M. DE COINTET.
- DE TANANARIVEA ANKAVANDRA
signaler, celle d'Avaradrano, sur un éperon de l'Ambohiby qui, s'avançant au Nord dans la direction du mont Bevato, commande un point où le bassin de l'Ampasindavase resserre. Cette disposition constitue une sorte de défilé facile à défendre. La route passe forcément au pied du village d'Avaradrano pour éviter les marais qui accompagnent le lit de la rivière. Les rivières traversées le sont plus près deleur source, et, par conséquent, elles y sont moins larges et moins profondes qu'au Nord ou qu'au Sud, c'est-àdire dans le bassin du Tsiribihina. On suit la ligne des postes hovas de l'Ouest; ceux-ci, bien que pauvres, offrent plus de ressources que la régionqui s'étend au Sud du côté de Tanimandry et que les incursions des Sakalaves de l'Ouest ont rendue déserte. De Tsiroanomandidy à Ankavandra, cette route suit la ligne de partage des eaux entre le haut bassin du Manambolo et celui du Mandalo, jusqu'à la falaise du Bongo-Lava, d'où elle descend à Miadanarivo. Les routes qui, dans l'Emyrne, mènent aux 2°, 3° et 4° débouchés indiqués plus haut sont plus mauvaises à parcourir que la première. Les directions qui, des deuxième et troisième débouchés, mènent à Ankavandra par Analabe ou Tsiroanomandidy, sont impraticables à la saison des pluies, à cause du volume d'eau et de la rapidité du cours des rivières du bassin du Tsiribihina (en particulier du Sakay). — Les directions qui mènent B. - De Tananarive au Dehdrlry. aux confins occidentaux de l'Emyrne, au Sud du lac Itasy, contournent par le Nord les contreforts du grand soulèvement basaltique de l'Ankavandra. Elles se résument à deux voies principales: 1° la 4° direction indiquée précédemment, c'est-à-dire celle qui conduit à Soavinandriana par Arivonimamo. C'est la route du district de Mandridrano. D'Arivonimamo, elle détache au SudOuest un embranchement qui mène à Masindray. 2° Une route qui mène de Tananarive au district de Valala-Betokana. Elle passe à Amboanana (sources du Kitsamby) et à Manjakandriana. lO De Soavinandriana ou de Masindray, on peut gagner Manandaza par Bezezika et la vallée de la rivière Manandaza, qui franchit le Bongo-Lava avant dese jeter dans le Mahajilo, Mais cette direction est mauvaise à toute époque de l'année, surtout à la saison des pluies, à cause de la traversée du Kitsamby, du Sakay et du Mahajilo, devenus considérables dans la partie inférieure de leur cours. Elle est, de plus, souvent sillonnée par les pillards, qui vont ravager les confins occidentaux de l'Emyrne, en remontant le cours du Kitsamby. 2° la 2e route, qui suit la vallée du Mania et mène au cœur du Betsiriry, est probablement la meilleure, mais elle est impraticable actuellement à cause des dispositions hostiles des populations sakalaves du Betsiriry (1). Elle est constamment aveclesSakalavesdu Ileisirirvpermettentd'espérerqu'avant (1)Desnégociationsentamées e pénétrerdanscette régionréputéetrès richeen pâturageset en terrains peu il sera possibledl'autorité aurifères.Du reste, préparel'occupationde cettepartiede l'ile.
y. DB COINTET.
— DE TANANARIVE A ANKAVANDRA
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le Nord-Ouest du" ^TJooBéo f»ar des bandes qui partent de cette région pour piller fiduiico et le Sud-Ouest de l'Emyrne. Les renseignements suivants, qui concernent cette direction, sont extraits des notes de M. l'ingénieur Roussand (1) sur les populations sakalaves de l'Ouest. « La meilleure route pour aller de Tananarive au Retsiriry, la région la plus peuplée du Menabe est la suivante: - « De Tananarive à Amboanana; « D'Amboananaà Andranomanjaka ; MD'Andranomanjaka à Inanatonana ; « D'Inanatonana au lieu dit Ampolaka, à l'Ouest de la rivière Betafo; « D'Ampotaka au lieu dit Tsaramody, situé un peu à l'Est de la grande , du falaise Bongo-Lava; « De Tsaramody au lieu dit Amparikiaolo, au pied de la falaise; « D'Amparikiaolo au lieu dit Dabolava, près de la rivière du même nom ; « De Dabolava à Bengilo, gros village où réside le chef Mahatanty. route est assez bonne et pourrait être suivie par des mulets depuis « Cette Tananarive jusqu'à Tsaramody, et depuis Amparikiaolo jusqu'à Bengilo. Dans cette dernière partie, la végétation, assez dense dans les vallées et bas-fonds, pourrait offrir quelques difficultés, faciles à détruire, au passage des animaux de bât. « La partie comprise entre Tsaramodyet Amparikiaolo, c'est-à-dire la descente des hauts plateaux dans les vallées inférieures par la falaise du BongoLava, n'est praticable actuellement qu'aux piétons et demanderait des travaux d'aménagement pour le passage des convois. Depuis Inanatonana jusqu'à Dabolava, la région est absolument déserte et n'offre aucune ressource. « Tout le Betsiriry, comme le reste du Menabe, est extrêmement malsain M. 11résulte de cette étude que la voie de pénétration la plus facile et la plus directe vers l'Ouest est constituée par la direction Analabe-Bevato-Tsiroanomandidy-Ankavandra, prolongeant la route de Tananarive à Soavinimerina, au Manandriana et au Sakay. De Tananarive à Ankavandra, la distance à vol d'oiseau est d'environ 250 kilomètres. Les détours de la route la portent environ à 300 kilomètres. Au delà de la falaise du Bongo-Lava, il y aurait lieu d'étudier les directions menant aux meilleurs ports du Menabe. Celui de Maihtirano parait devoir attirer particulièrement l'attention, Il se trouve au Nord-Ouest d'Ankavandra. La distance à vol d'oiseau entre Ankavandra et Maintirano est d'environ liO kilomètres. Vu de la falaise du Bongo Lava, le terrain dans cette direction ne parait pas accidenté d'une façon marquante; on traverse, avant de gagner le bassin de la Bemoka celui du Manambolomaty. Cette dernière rivière, qui se jette dans le Manambolo, a, parait-il, très peu d'eau. Son lit est presque à sec à la saison sèche. (1)Voir plus loin, page80.
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- DE TANANARIVEA ANKAVANDRA
Elle constituerait donc un obstacle moins sérieux que le Manambolo pour les communications d'Ankavandra avec l'Ouest ou le Sud-Ouest. - D'Ankavandra à Manandaza, C. — D'Ankavandra à Manandaza. existe la ligne des postes hovasétablis par Radama Ier. Il n'enreste actuellement que les deux extrêmes. On pouvait communiquer de l'un à l'autre par des sentiers à peine frayés, coupés de falaises, de bois et de marécages. Une voie de communication transversale meilleure serait celle de Tsiroanomandidy à Manandaza par la partie supérieure du Bongo-Lava. Elle est usitée quelquefois; la région qu'elle parcourt est complètement déserte. -0— En Emyrne, nous avons rencontré Communications fluviales. l'Ikopa qui, en raison de la direction de son cours, constitue un obstacle pour les communications avec l'Ouest. L'Ikopa, près de Tananarive, sur la route qui mèneà Arivonimamo, n'est pas guéable àla saison des pluies, et ne l'est que difficilement à la saison sèche. Les digues qui constituent les berges sont à pic. Lefleuvea environ 1m80de profondeur: nous l'avons traversé en pirogue. Un bac a été installé à Nossivalo parle génie militaire. L'Ikopa n'est pas guéable sur la route qui conduit, par Soavinimerina et Ambohitriniandriana, au Valalafotsy. Nous l'avons traversé au retour vis-à-vis de ce point et à l'embouchure du Kotoratsy. En pleine saison des pluies, le fleuve a un courant assez fort, une profondeur moyenne de 3 mètres et une largeur de 80à 100 mètres. Ses berges sont escarpées ou bordées de rizières. On le traverse dans de grandes ptrogues nécessaires aussi à la saison sèche, car il conserve encore une profondeur moyenne de deux mètres. * Il est coupé de rapides; les plus importants se trouvent aux chutes connues de Farantzana, en amontdu point où nous avons traversé. En aval, se trouvent les rapides d'Ambatomanga. Il y aurait, paraît-il, à ce point, une roche formant une pile naturelle au milieu du fleuve, ce qui faciliterait l'établissement d'un pont. Ces rapides et beaucoup d'autres rendent impossible la navigation continué du fleuve. —o— — Je n'ai que peu de notions sur les rivières qui forment ce Tsiribihina. fleuve. Nous en avons traversé quelques-unes (Kitsamby, Lily, Mahazy, Kitombolo, Sakay, Manga), dans la partie haute de leur bassin, où elles présentent des gués à fond solide. Plus bas, leur volume devient assez considérable pourles rendre impossibles à franchir à gué pendant la saison des pluies. Leur réunion forme le Mahatsilo et le Mania, qui, à leur tour, se rejoignent dans le Betsiriry pour former le Tsiribihina, l'un des plus grands fleuves de l'île. Le Tsiribihina est, paraît-il, large de plusieurs centaines de mètres à partir de sa formation. Il serait toujours navigable pour les grands boutres côtiers
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du Mozambique. On pourrait de même remonter le coursdu Mahatsilo sur une centaine de kilomètres avant de rencontrer des rapides. M. Gantier, l'explorateur connu qui a parcouru la région à plusieurs reprises, dit n'avoir jamais entendu raconter qu'il existait des rapides sur le Mania, qu'on pourrait aussi remonter très loin. Les rives du Tsirihibina, de même que la partie inférieure du cours du Màhajilo et du Mania, sont bordées de nombreux villages-sakalaves-du Betsiriry, Les échanges commerciaux entre ces villages et la côte se fonten toute saison par des boutres et de grandes pirogues qui circulent sur le fleuve. Le Tsiribihina présente à son embouchure une barre très dangereuse. Les boutres du Mozambique ne la franchissent pas. Les marchandises, transbordées à Tsimandrafozana, sont chargées sur des bâtiments qui ne font que la navigation du fleuve. —o— — Le cours de ce fleuve présente un développement total Manambolo. de 300 kilomètres environ. Comme je l'ai déjà dit, il prend naissance dans une vaste fracture du soulèvement granitique central de Madagascar; il est formé de plusieurs branches environnées de marais, dont le plus important s'appelle le lac Tsirika. Dans la première partie de son cours, il coule de l'Est à l'Ouest sur unelongueur de 150 kilomètres environ, avant de franchir la falaise du Bongo-Lava, et draine les eaux nombreuses venues des diverses ramifications de la fracture qui forme son bassin et des hauts plateaux d'altitude moyenne de 1.000mètres aux assises inférieures d'altitude de 200 mètres. Il a un cours torrentueux, semé de rapides, au milieu d'un bassin bouleversé par les convulsions géologiques et les érosions fluviales qui leur ont succédé. Il n'est, par conséquent, pas navigable. Au sortir du Bongo-Lava, le Manambolo prend la direction du Sud jusqu'à son confluent avec l'Itondy, soit sur une longueur de 40 kilomètres, et, après s'être dirigé au Sud-Ouest, il entre, 38 kilomètres plus loin, dans les formations jurassiques du Bemaraha. Du pointoù il aborde le Bemaraha jusqn'à son embouchure, il coule de nouveau à l'Ouest, en présentant un développement de 80 à 100 kilomètres. Nous avons suivi la vallée du Manambolo d'Ankavandra jusqu'à l'Itondy. Des constatations que j'ai pu faire et des renseignements obtenus, il résulte que le Manambolo, à partir d'Ankavandra, a une largeur moyenne de 150 mètres et une profondeur maxima de 1 mètre 50 sur fond de sable ou gravier. Le fleuve no présente cette profondeur que dans un chenal à peu près continu qui existe sur les parties droites. Dans les tournants, il s'élargit et il est barré par des bandes de sable dont le niveau se trouve à 0m30 ou 40 au-dessous du niveau de l'eau. Il est par conséquent guéable sur à peu près tous les points de son parcours. Les crues de la saison des pluies amènent son niveau moyen à 2 mètres et sa largeur à 200 mètres; elles le rendent par conséquent infranchissable.
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Il travers une vallée ravinée coupée de falaises et de marécages, Cette vallée est peuinclinée; la vitesse du cours du fleuve ne dépasse pas 0m50 à la seconde. Cette vitesse correspond approximativement à une pente de 1/10.000". Il en résulte que, passant depuis Ankavandra jusqu'à son embouchure de l'altitude de 200 mètres à l'altitude zéro, le Manambolo devrait avoir un cours beaucoup plus rapide, torrentueux même, si sa pente était continue. Il doit donc présenter des rapides loi permettant de descendre par de brusques ressauts jusqu'à la mer. En effet, sur son parcours à travers le Bemaraha, il y aurait, d'après les renseignements, des rapides on des chutes au point de Bekopaka. Ces rapides, absolument infranchissables, auraient occasionné la création du village du même nom, situé sur les bords du fleuve, dans une région aride, et dont les habitants n'auraient pas d'autre industrie que le transbordement des marchandises et des pirogues qui circulent sur le Manambolo à la saison sèche. Ces rapides se trouveraient à 90 ou 100 kilomètres d'Ankavandra, Un rocher plus saillant que les autres porterait le nom d'Antsifotsy. Entre ces rapides et la mer, sur une longueur de 60 à 70 kilomètres, le fleuve aurait de 3 à 5 mètres de profondeur partout (1). 11résulte de ces renseignements que le Manambolo est navigable de son embouchure jusqu'aux rapides de Bekopaka pour toute espèce d'embarcation fluviale. En amont de ce point, les pirogues contenant de 8 à 12 hommes et calant très peu remontent, àla saison sèche, jusqu'à Ankavandra. Mais il y a lieu, dans ce genre de navigation, de se préoccuper du passage des tournants, où les ensablements doivent se produire avec facilité. On dit que les pirogues mettent 7 jours pour remonter jusqu'à Ankavandra (probablement chargées) et 4 jours pour redescendre probablement vides). Pendantla saison des pluies, la navigabilité est arrêtée, à cause de l'instabilité des pirogues, lors des fortes crues. Au mois de février, nous n'avons pu trouver, pour traverserle fleuve en face du village de Tsytabata, qu'une mauvaise pirogue à un rameur, ne pouvant contenir, outre lui, que 150 kilos au plus, et quia failli chavirer plusieurs fois (2). On rencontre beaucoup de caïmans sus le Manambolo et ses affluents. Nous en avons aperçu jusque dans le lac Tsirika. Les bords de ce fleuve sont déserts depuis ses sources jusqu'à Ankavandra. En ce point, quelques villages sakalaves existent à proximité du poste hova. recueillisen novembreet décem(1)Cesdéductionssontcontrouvées par des renseignements bre 1896,par la missionde M.le lieutenantRocheron,de l'infanteriede marine.Cet officiera pu gagnerpar terre Bekopaka,et ila pu constaterque lesSakalavescraignent,par dessustout, de et ce seraiteux quiauraientaccrédité livrerà desblancsle secretde la navigationdu Manambolo, cetteversionde l'existencede chutesbarrantla navigationde ce fleuve. En réalité,de grandespiroguessemblentpouvoirremonteren toutesaisonle Manambolo jusqu'à Ankavandra.Aaucunprix,du reste,M.Rocheronn'a pu se procurerune piroguepourvérifier sesobservations. les de M.Rocheronsurla répugnancequemanifestent Cet incidentconfirmeles observations (•2) Sakalavesà louerleursembarcationsdu Manambolo.
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Les populations sakalaves du Menabe commencent à s'échelonner le long du Manambolo, à partir du confluent de l'Itondy jusqu'à la mer. La densité de la population augmente à mesure que l'on s'approche de l'embouchure. 10°. - LES SAKALAVES DE L'OUEST Leurs leurs Mavohazo, Betsiriry. mœurs, rapMenabe, avec les Hovas. — Radama Ier, dans les expéditions qu'il avait ports entreprises en dehors de l'Emyrne, avait créé, dans plusieurs directions, des voies de pénétration jalonnées par des postes ou colonies militaires destinés à étendre progressivement l'influence hova. Ankavandra est une de ces La ligne Analabe- Bevato- Tsiroanoinandidyvoies de pénétration. Perpendiculairement à elle et au point d'Ankavandra, se trouve la falaise du BongoLava, limite orographique naturelle des peuplades sakalaves de l'Ouest. Radama 1er, ne pouvant réduire ces tribus guerrières et voulant mettre l'Emyrne à l'abri de leurs incursions, avait organisé, le long du Bongo-Lava, une ligne de postes d'arrêt constituée par Andranonandriana, Ankavandra, lmanda et Manandaza. Comme conséquence de cette organisation, il s'était formé, entre cette dernière ligne et les frontières de l'Emyrne, une large zone soumise à l'influence hova, et désertée à peu près par les Sakalaves réfractaires. Ceux qui se soumirent aux Hovas, étant exposés aux déprédations des autres, s'établirent de préférence aux environs des postes ou sur les frontières de l'Emyrne. Il resta donc une longue et large bande de terrain à peu près déserte et traversée par la ligne de pénétration du Menabe, du poste d'Analabe à celui d'Ankavandra. Depuis cette époque, la ligne de pénétration et la ligne d'arrêt ont conservé leur importance politique, bien que l'irrégularité du recrutement ait affaibli leur force et que les incursions sakalaves aient détruit certains postes, particulièrement celui d'Imanda. La ligne Andranonandrina-Manandaza marque encore la frontière entre le Menabe et les régions soumises aux Hovas. Le long de la côte s'étend la région du Menabe, qui se prolonge au loin vers le Sud à partir du fleuve Demoka. Les parties septentrionales et centrales de cette région entre le Demoka et le Tsiribihina, sur lesquelles j'ai obtenu quelques renseignements, paraissent se diviser en plusieurs confédérations de tribus; chacune de ces confédérations reconnait, au-dessus du chef respectif de chaque tribu, un chef ou roi plus élevé et plus ou moins obéi. 1° La région du Mavohazo, qui déborde au Nord la ligne des postes hovas au-dessus d'Andranonandriana, reconnaîtrait l'autorité d'un Hova nommé Andrianaivorakotovao, originaire du Vonizongo (d'où des méfaits quelconques l'auraient obligé de partir).
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20 A l'Ouest du Mavohazo, une agglomération de tribus dont les principaux chefs seraient: Bitiaso, au village d'Amboka ; Rete, au village de Belalitra; Fatouma, reine à Namelana, et Siatena. Ces deux premières régions comprendraient un total de 5.000 guerriers. 3° La région côtière-s'étendant entre l'embouchure du Demokaau Nord, et à peu près jusqu'à celle du Solnisaau Sud, serait groupée sous l'autorité du roi Alidy, de Maintirano, en luttes continuelles avec le Mavohazo. 40 Au Sud de cette région jusqu'au Tsiribihina, la région côtière reconnaîtrait l'autorité du chef Tsimandrafozana, habitant le village du même nom, dans une île de l'embouchure du Tsiribihina, Ces deux régions côtières comprendraient 10.000 guerriers. Le roi Tsimandrafozana reconnaîtrait lui-même l'autorité du roi Ratoera, du Betsiry. 5° Le long du fleuve Tsiribihina et autour de la boucle formée par le Mahajilo et le Mania, se trouve le Betsiriry, région qui déborde au Sud de Manandaza la ligne des postes hovas et s'étend jusqu'aux confins du Betsileo.Cette région est habitée par la confédération la plus puissante du Menabe. Elle reconnaît l'autorité du chef Ratoera (Ratoera est quelquefois appelé aussi Ikaisa), résidant au village d'Andapa, sur la rive droite du Tsiribihina, près du lac Andranomena, Ce chef, le plus important de tous ceux que j'ai cités jusqu'à présent, groupe sous son autorité une centaine de chefs de tribus, parmi lesquels Mahatanty.habitant près du village de Bengilo, dans la boucle du Mahajilo et du Mania. Mahatanty est généralement considéré comme une sorte de premier ministre de Rotoera. Outre ces deux personnages, les principaux chefs du Betsiriry sont: Ilaikibobo, Ilaisila, Tsiholavy, Namalahy, Kaikoro, Ilaialo, Ioranga, Torondraho, Tsarabaina, Savaraho, Ilanardy, Lankalala, Termanahatra, qui commandent au Sud et à l'Est du Menabe. Dans l'Ouest, sont avec Ratoera et Mahatanty jusqu'à la mer: Mahatata, Sambilo, Tsimalao, Vongovongo, Isokafa, Dalakeimo (Indien). Ctte région comprendrait environ 10.000 guerriers. Enfin, il s'est formé, à environ 10 kilomètres au Nord d'Andranonandriana, une sorte de village nommé Sakasaratra, dont les habitants sont composés d'un mélange de Sakalaves et de soldats hovas déserteurs. Ceux-ci proviennent des expéditions envoyées autrefois à Tulear, puis à Maintirano, et auxquels sont venus se joindre dernièrement des fugitifs provenant des troupes hovas qui ont opéré contre nous au début de la campagne de 189o. Le total approximatif de ces différents groupes s'élèverait donc à peu près à 25.000 guerriers. Ils sont, paraît-il, comme ceux de la région d'Ankavandra, armés presque tous de fusils à pierre. Ces fusils sont en général mauvais, et il ne faudrait pas trop se préoccuper de l'effet de leur tir, pas plus que de la valeur des guerriers qui s'en servent. Ce sont des pillards sans discipline, pratiquant le brigandage à défaut d'autre industrie.
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Leurs principales richesses consistent dans les bœufs et les captifs qu'ils et ramènent de leurs courses; on trouve, paraît-il aussi, quelques Sniders quelques Remingtons dans le Betsiriry. Toutefois, le Betsiriry parait plus fortement organisé que les autres régions, par suite de la communauté d'intérêt qui pous e les habitants à s'opposer il toute pénétration étrangère. Le pays renferme, paraît-il, des mines d'or assez riches, exploitées activement par les indigènes, que l'établissement de concessions déposséderaient. Dans tout le Menabe, la poudre et les armes viennent de la côte, apportées par des commerçants indiens et arabes. En particulier, un Indien, nommé Dalakeimo, installé surla rive droite du Tsiribihina, fournit au Betsiriry des munitions de guerre qu'il fait venir par boutres de Tsimanandrafozana (1). Dans toutle Sud et l'Ouest, les habitants disent que le plus grand entrepôt d'armes sur la côte se trouve à Soalary, port du Menabe méridional. Les armes y seaient apportées probablement par des navires anglais et américains. Dans toute cette région, il se forme, plusieurs fois par an, des bandes qui se répandent vers l'Est jusque dans la partie occidentale de l'Emyrne et du Betsilco. Les pillards partent au nombre de LOOOà 2.000 et se subdivisent en groupes de 50 à 100 à l'approche des régions habitées. Surleur passage, ils brûlent la brousse pour se ménager un retour facile avec leur butin. Ils cherchent à surprendre les troupeaux de bœufs ou les cultivateurs dans la campagne, mais n'attaquent que rarement les villages. Parfois, afin de se rendre maîtres de ceux-ci, ils essayent de les incendier en chargeant leurs fusils de bambous remplis de poudre et bouchés avec de l'amadou qui fait l'office d'étoupe. Les Sakalaves du Betsiriry pillent principalement les régions qui s'étendent du Fànjakana dans le Betsileo jusqu'au Mandridrano. Ceux du Nord (Mavohazo et régions voisines, Siatina, Rete, Fatouma), s'attaquent au Valalafotsy et à la ligne Analabe-Ankavandra. Les gens de Sakasaratra cherchent principalement à attaquer les convois entre Ankavandra et Tsiroanomandidy. Depuis plusieurs années, les district de Tsiroanomandidy est évité par les pillards, auxquels le gouverneur Rakotovao a infligé, il y quelques années, une défaite mémorable. En dehorsde ces pillages, les Sakalaves se répandent par petits groupes, à chaque saison sèche, surla partie occidentale du soulèvement granitique, pour se livrer à l'exploitation des alluvions aurifères. Ils se mélangent à des indigènes de la région, ou même à des Hovas, et fondent des villages provisoires, véritables repaires de brigands, En résumé, l'état de solitude et d'insécurité de la région qui s'étend entre l'Emyrne et le Menabe est le résultat de cet état de choses qui dure depuis fort longtemps. (1)Voir,sur les tribus du Betsiriry.page80.une étudede M. Boussand.
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Il ne faudrait pas croire, cependant, que les gouverneurs hovas des postes de l'Ouest fassent tout leur possible, dans la faible mesure de leurs ressources, pour améliorer la situation. Leur situation précaire les oblige en quelque sorte à pactiser secrètement avec leurs ennemis; s'il faut en croire ce que me disait l'ancien gouverneur du Mandridrano, Ratsimanohatra, celui-ci aurait engagé en 1890, avec les chefs du Betsiriry, des négociations ayant pour but de les décider à envoyer à la reine des Hovas le hasina (présent offert en signe de vassalité.) Il aurait réussi à engager avec eux une correspondance suivie et en aurait décidé quelques-uns à envoyer une ambassade à Tananarive. Le gouverneur de Manandaza aurait tout fait échouer en retenantles engagés, Ratsimanohatra prétendant qu'il était dans les intérêts de ce personnage de maintenir l'état de troubles, qui lui permettait de s'enrichir par des brigandages. Il est, en tout cas, certain que les bandes dangereuses de chercheurs d'or vont s'approvisionner aux postes hovas voisins. J'ai surpris de vagues indices à ce sujet, et, dans la région déserte qui comprend les bassins des affluents de droite du Manambolo, j'ai remarqué de nombreux sentiers de piétons très frayés, se dirigeant tous sur Tsiroanomandidy, Bevato et Analabe. Nous avons suivi longtemps une de ces pistes qui, du lieu dit: « Mandinga », emplacement d'une ancien villa*geprovisoire de chercheurs d'or, nous a menés à Bevato. Il est probable aussi que certains personnages hovas, riches et puissants, envoient secrètement des agents participer dans le Betsiriry à l'exploitation de l'or, ou l'acheter pour leur compte, ce qui indique suffisamment les rapports louches que ces individus haut placés, paraît-il, dans le gouvernement, entretiendraient avec leurs ennemis séculaires. Il paraît aussi que divers indigènes, rencontrés dans les postes de l'Ouest, ont servi, à plusieurs reprises, de courtiers à des Européens, plus occupés de commerce que de légalité. Ces faits, dont il n'a pas été possible de fournir la preuve, expliqueraient la continuation d'un état troublé, qui ne peut être que favorable aux agissempnts de ce genre. Ces agissements cesseraient du reste immédiatement, si la paix et l'ordre se trouvaient rétablis. Enfin, les Sakalaves soumis aux Hovas se trouvent dans un état de vassalité indécis, surtout du côté d'Ankavandra, où ils sont plus redoutables qu'obéissants. Souvent, les gouverneurs hovas, insuffisamment rétribués, augmentent leurs ressources par des procédés irréguliers dont souffrent leurs administrés. En tout cas, ces gouverneurs se plaignent généralement que les Sakalaves de leurs districts servent d'espions à ceux du Menabe et se mélangent même quelquefois à leur bande (1). DE COINTET, (A suivre). Lil'lilenanl tir cavnlerir. cette étudedate du moisde février 1896 depuislors, la situation (1)Il faut se rappelerque s'estsensiblementaméliorée.
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COMTE DE SARDELYS.
MOIS
TROIS
CHEZ
LES
ANTSIHANAKA
ET SUR
LES
BORDS
DE
LA
(Janvier-Avril
MAHAJAMBA
1896)
Débarqué a Majunga dans les premiers jours de septembre 1895, dans l'intention d'explorer complètement Madagascar pour me rendre compte de ce qui pouvait y être fait, tant au point de vue agricole qu'au point de vue industriel et minier, je me mis en route pour gagner Tananarive à travers le Boueni des la nouvelle de la prise de la capitale, c'est-à-dire au commencement du mois de novembre. A mon arrivée, malgré mon impatience d'entrer immédiatement dans la période active des recherches, je fus immobilisé,pendant plus de deux mois, par la fièvre d'abord, résultat forcé de l'acclimatement ainsi que de mon long et pénible voyage à travers des contrées dévastées par la guerre, par la saison des pluies ensuite, qui, dans ce pays-ci, arrête rigoureusement toute tentative de mouvement. Vers la fin de janvier 1896 pourtant, sentantles forces me revenir et voyant le gros de l'hivernage passé, je me décidais à me mettre en route. Je savais l'Imerina et le Betsileo déjà très visités et, par conséquent, offrant peu de chances de découvertes intéressantes; je me décidais donc pour des contrées plus neuves, et, ayant entendu parler des exploitations aurifères de MM. Harrison et Smith dans le Nord, je résolus d'aller prospecter les régions, peu connues encore, du bassin de la Mahajamba. D'ailleurs, d'après certains renseignements, j'espérais également trouver des terres à café sur les bords du lac « Alaolra». Ma petite expédition se composait de trois mulets, dont deux de selle et un de bât, d'une dizaine de porteurs de bagages, d'un cuisinier et de trois indigènes armés, anciens « miaramila », qui étaient censés me fournir une escorte plus 11
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redoutable d'apparence que solide au fond. De plus, j'avai s pris pour guide et compagnon de route un ancien colon, M. Doërrer, que sa connaissance de la langue et des usages du pays rendait particulièrement utile à un nouveau débarqué tel que moi, et qui, ayant travaillé l'or pour le compte du Gouvernement malgache, avait déjà quelque peu parcouru ces contrées. Je quittais donc Tananarive le 28 janvier 1896. Je ne dirai rien des premiers jours de mon voyage, qui, tant que je me trouvais encore en Imerina, ne pouvait et ne devait rien offrir d'intéressant. Toutefois, arrivé sur les bords de la forêt, à Antanifotsy, brûlée depuis par les insurgés, et qui était alors une halte importante de borizanos sur la route du Nord, j'entendis pour la première fois parler des fahavalos, ces célèbres et traditionnels bandits de Madagascar. Ceux-ci, prétendait-on, profitant de la désorganisation forcément survenue à la suite de la chute du gouvernement hova, s'étaient réunis, en nombre plus grand que de coutume, au Nord de la forêt et commençaient à inquiéter sérieusement les voyageurs. Néanmoins, connaissant l'exagération dont les récits des indigènes sont généralement empreints, j'ajoutais peu de foi à ces rapports et résolus de n'en tenir nul compte ; mal, d'ailleurs, faillit m'en arriver, comme la suite de ce récit le montrera. Je poursuivis donc ma route et me mis en devoir de franchir la forêt. Celle-ci offre un aspect tout à fait inattendu pour le voyageur qui arriverait l'esprit et l'imagination imbus des descriptions courantes sur les forêls tropicales. Ici, point de végétation luxuriante, d'essences rares, d'arbres géants; mais bien des arbres maigres, d'élévation moyenne, couvrant d'une broussaille épaisse et souvent impénétrable une chaîne de montagne rocheuse, accidentée et coupée de ravins profonds. L'aspect général est plutôt alpestre, et l'abaissement de la température, dû à la grande altitude, contribue encore à rendre cette ressemblance plus frappante. Des amas de nuages s'accrochent aux flancs de la montagne, et les vapeurs traînant à la cime des arbres font vaguement songer aux sapinières des Alpes ou de la forêt Noire. D'ailleurs, bien qu'un mauvais sentier, décoré pompeusement du nom de« Route du Nord Il, soit supposé ouvrir un chemin sur Ambatondrazaka, le passage n'est rien moins que commode. Ce n'est qu'une piste, escaladant les rochers, descendant dans les ravins avec le plus grand mépris des obstacles naturels, se glissant entre les arbres, et souvent barrée, par surcroît, par des abatis naturels. Comme sur tous les sentiers malgaches, les porteurs peuvent y circuler, mais le passage est presque impraticable pour les animaux; j'eus, pour ma part, la plus grande difficulté à faire passer mes trois mulets, et je dus, à plusieurs reprises, employer la hache pour élargir suffisamment le chemin. Quoi qu'il en soit, la bande boisée étant heureusement peu épaisse, je pus la franchir après une journée entière d'efforts et de mauvaise humeur bien natu-
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relle de ma part, et arriver à la nuit sur la lisière Nord pour camper dans un misérable hameau occupé par quelques habitants de mauvaise mine. Ici, au lieu de continuer dans le Nord-Est sur Ambatondrazaka, je quittai le chemin frayé pour marcher plein Nord. Mon intention, en effet, était de longer la rive occidentale du lac Alaotrapour retraverser la même chaîne de montagnes au passage de l'Ankelza et passer dans le bassin de la Mahajamba. Abandonnant ainsi la route ordinaire, je dus me renseigner auprès des habitants pour savoir quels étaient les gîtes d'étapes que je rencontrerais sur mon passage, et appris d'eux que je trouverais d'abord, à une vingtaine de kilomètres, dans le Nord, un gros village appelé Solazaina, premier des postes militaires que les Hovas avaient établis chez les Antsihanakas pour tenir le pays et le protéger contre les incursions des fahavalos de la Mahajamba. Le lendemain donc, je me mis en routesur la foi de ces renseignements, mais la réception qui m'attendait à Solazaina ne devait plus me laisser aucun doute sur l'existence de ces fahavalos auxquels, jusqu'alors, je m'étais refusé à croire. A partir de maintenant, le pays change complètement d'aspect. Au sol aride, pelé et montueux de l'Imerina a succédé un terrain largement ondulé avec des fonds bien arrosés et couvrets d'une herbe riche et élevée. Nous sommes dans un pays d'élevage,cela se voit au premier coup d'œil; nous entrons dans les pâturages qui nourrissent ces beaux et nombreux troupeaux qui alimentent la capitale et dont une partie est exportée sur Maurice et Bourbon. Ne sachant exactement, malgré ce qui m'avait été dit, la distance qui me séparait du village précité, je décidai, pour plus de sûreté, de continuer ma route sans arrêt jusqu'à ce que je l'eusse atteint, et pus bientôt me convaincre qu'il était plus éloigné que je ne le pensais. En effet, après avoir marché toute la matinée et une grande partie de la journée, ne voyant rien paraître encore, je commençais presque à désespérer de l'atteindre avantla nuit, lorsque, sur les 4 heures de l'après-midi, j'aperçus enfin, se profilant à l'horizon, dans une admirable position, à l'extrémité d'un promontoire surveillant la plaine, une agglomération importante qui ne pouvait être que Solazaina. Je me dirigeai immédiatement dans cette direction. Après une heure de marche environ,j'étais arrivé au pied de la croupe couronnée par ce poste et commençais sans défiance à en gravir les premières pentes, lorsque retentit soudain la trompe de guerre. Brusquement, toutes les hauteurs se garnirent de groupes armés qui, m'entourant complètement, convergèrent sur ma petite troupe, tandis qu'un fort détachement, sorti du village, s'avançait directement à ma rencontre. J'étais tombé en pleine embuscade. Depuis plusieurs semaines, Solazaina avait été occupépar les fahavalos, qui, après en avoir surpris et massacré la garnison, en avaient fait leur quartier général. Induit en erreur par les indigènes, leurs complices, qui m'avaient renseigné, j'étais venu, de moi-même me jeter dans .<la gueule du loup ». La retraite était impossible; impossible
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également une résistance victorieuse avec mes faibles moyens, contre 300 ou 400 bandits, tous armés de fusils. Néanmoins, chacun prépara ses armes et nous continuâmes de nous avancer, en faisant bonne contenance, à la rencontre les uns des autres. Malgré la gravité de la situation, je ne pouvais m'empêcher d'admirer le spectacle vraiment pittoresque et guerrier offert par ces sauvages, nus jusqu'à la ceinture, couverts seulement du lamba violet et noir, la poitrine chargée d'amulettes, le coquillage au milieu du front, le fusil et les sagaies dans la main gauche, et marchant au combat en soufflant dans leurs conques en coquillage. Lorsque nous fûmes arrivés à 200 mètres à peu près les uns des autres, de part et d'autre nous nous arrêtâmes pour le kabary traditionnel qui, autrefois, précédait toujours le combat. Je laissai la direction du palabre à mon compagnon, mieux au fait que moi des usages, et nous commençâmes à négocier. Après de longs discours, il parvint, paraît-il, à leur persuader que les fahavalos n'avaient pas de meilleurs amis que les Français, que, par conséquent, ils, devaient nous traiter en frères, mais que, au contraire, s'ils voulaient la lutte, nous serions promptement secourus par une troupe que nous précédions, et qu'ils seraient rigoureusement châtiés. Heureusement, nous avions affaire aux fahavalos du « bon vieux temps », et non aux insurgés actuels. Cette ruse grossière eut plein succès. Le chef ennemi s'avança alors, complètement dépourvu de ses vêtements jusqu'au milieu de l'espace qui nous séparait et où il fut rejoint par un de nos hommes, envoyé en ambassadeur, également dans la même «absence de costume» 1 pour cimenterle traité. Cela fait, le chef fahavalo nous pria, en signe d'amitié, d'accepter l'hospitalité dans son camp. Refuser était impossible, il fallait payer d'audace; j'acceptais donc, les deux troupes se mêlèrent et j'entrai triomphalement à Solazaina au milieu de ces bandits. Ce poste est extrêmement fort; déjà naturellement très bien placé, il est, en outre, protégé par une triple enceinte formée chacune d'un fossé large et profond, bordé d'un mur en pisé couronné d'une palissade. Il forme un carré percé, sur chaque face, d'une porte étroite, protégée par un tambour en palanques, et à laquelle on n'accède que par quelques planches jetées sur le fossé et que l'on retire chaque soir. Pour des forces malgaches, il est inexpugnable. Immédiatement conduit à l'ancien rova qui me fut assigné comme demeure, j'eus à subir un long kabary où les présents traditionnels, riz et volailles, me furent offerts. La note originale de la situation fut donnée par une parade que le chef se crut obligé, après le kabary, de faire faire à sa troupe. Celle-ci était en partie composée de déserteurs de l'armée du Boueni, qui, décidément, se sentaient plus de vocation pour une vie de rapines et de brigandage que pour le service de la reine. Tous, outre leurs sagaies, étaient pourvus d'armes à feu; les fusils a piston étaient en majorité: toutefois, il s'y trouvait quelque fusils à pierre et
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même quelques Sniders. Un vieux tambour et une grosse caisse échoués là, Dieu sait comment, essayaient, pendant la parade, de régler la marche de cette cohue. Heureusement qu'une violente pluie d'orage mit bientôt fin à cette exhibition grotesque qui menaçait de se prolonger. Après une nuit d'un repos relatif, fréquemment troublée par les cris de mes hôtes qui, dès le soleil couché, avaient commencé à boire abondamment du rhum, et, pendant laquelle, d'ailleurs, le précaire de notre situation n'avait pas laissé que de m'inspirer quelques réflexions fort désagréables, je profitais des premières lueurs du jour pour les remercier de leur réception et essayer de mettre la plus grande distance possible entre eux et moi. D'eux-mêmes, mes hommes se rassemblèrent avec une célérité inaccoutumée et je ne fus pas longtemps à me mettre en route. A partir de ce moment, je m'enfonçais dans ces interminables marais antsihanaka et la marche devint extrêmement pénible. Le lac Alaotra, qui occupe encore actuellement une superficie considérable, se colmate très rapidement. Il s'ensuit qu'il est entouré, surtout au Sud et à l'Ouest, d'une immense ceinture marécageuse, compromis entre la terre et l'eau, que percent seulement ça et là des buttes, véritables îlots, toutes couronnées d'un village. Cette disposition spéciale a l'avantage de mettre les habitants presque complètement à l'abri des incursions des pillards, mais rend très dur un voyage à travers cette contrée; car, pendant toute la journée, pour aller d'un point à l'autre, il faut être dans la vase et la boue jusqu'à la ceinture et parfois jusqu'aux aisselles. De plus, ces marais sont peuplés d'innombrables caïmans; heureusement, ces derniers, s'ils sont dangereux pour les isolés, sont mi-s aisément en fuite par le bruit produit par le passage d'une troupe un peu nombreuse. Après trois jours employés à traverser cette région et pendant lesquels nous ne pouvions jamais nous débarrasser de l'eau et dela vase qui nous souillaient constamment, que le soir en arrivant à l'étape, nous arrivâmes enfin au village d'Antanimena, dernier point avant de toucher la terre ferme. Là, je m'arrêtai quelques jours. La fièvre d'abord, résultat forcé de mes prouesses aquatiques des jours précédents, m'obligeait à prendre un peu de repos; ensuite, mon aventure de Soalazaina me montrait la nécessité de ne pas m'enfoncer plus avant dans l'intérieur du pays sans m'appuyer sur des forces plus sérieuses que celles dont je disposais. J'expédiais donc à Ambatondrazaka Doërrer, porteur d'une lettre du Premier Ministre, dont je m'étais muni en quittant Tananarive et qui enjoignait à tous les gouverneurs de me prêter leur concours. Il devait voir de ma part Rabeony, le gouverneur des Autsihanaka, et lui demander l'escorte que je jugeais nécessaire pour poursuivre mon voyage. Au bout de cinq jours, il était de retour; j'avais cinquante hommes que je devais rassembler successivement dans les différents postes que j'avais à traverser, et j'apprenais, de plus, qu'une importante expédition se préparait pour débusquer les brigands auxquels j'avais eu affaire.
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Je me remis immédiatement en route. Je m'étais assuré, en outre, du concours du chef du village où je me trouvais, et qui devait m'accompagner avec une dizaine des siens, ainsi qu'un troupeau de bœufs destinés à mon ravitaillement. Cette acquisilion était précieuse. Cet homme, en effet, fahavalo dans sa jeunesse, c encore même maintenant à l'occasion, comme d'ailleurs la plupart des habitants de cette région, connaissait très bien le pays que je me proposais de visiter. Il devait donc me servir de guide et, en outre, par ses nombreuses relations avec ses anciens compagnons, faciliter mon passage. Deux jours de marche me portèrent à Ambohipeno, l'un des deux postes qui gardent le défilé de l'Anketza, point de passage obligé pour passer du bassin de la Mahajamba dans celui de l'Alaotra. Cette place importante, dont la garnison a constamment maille à partir avec les voleurs de bœufs, a la forme d'un rectangle bastionne; ses murs en pisé lui donnent une protection très suffisamment forte et une épaisse ceinture de cactus et de broussailles épineuses forment en outre des défenses accessoires qui en rendraient l'attaque extrêmement difficile pour des assaillants munis de moyens offensifs aussi rudimentaires que ceux que possèdent les gens de cette contrée. D'ailleurs, tous ces postes frontières sont gardés avec le plus grand soin. Un corps de garde est placé à chaque issue et les portes sont rigoureusement fermées chaque soir au coucher du soleil. D'Ambohipeno, je gagnai Amparafaravola, où j'arrivais le soir même. Cette place est encore plus importante que la précédente. Elle est protégée par deux enceintes fortifiées, séparées par des glacis, et un rova forment réduit à l'intérieur de la seconde. Les bastions des angles sont pourvus de plateformes pour placer l'artillerie, et elle possède deux canons. Mais à l'époque où j'y arriun incendie avait vais, elle était bien déchue de son ancienne splendeur; détruit l'année précédente la plupart des habitations, et le gouverneur actuel, vieux prédicant anglican, ne paraissait guère disposé à rappeler la population ni à relever les remparts qui tombaient en ruines. Il me retint plusieurs jours sous prétexte de rassembler le restant de mon escorte, et fit tous ses efforts pour me dissuader de poursuivre mon voyage. D'après lui, j'allais de gaieté de cœur me jeter dans le pays des brigands: de plus, ceux-ci étaient avertis de ma venue par leurs camarades de Soalazaina, qui s'étaient repentis, mais un peu tard, de m'avoir laissé passer si bénévolement et se promettaient bien de prendre sur ma personne et mes bagages une revanche fructueuse. J'avoue que ses raisonnements et ses conseils ne laissèrent pas que de m'ébranler;je ne pouvais en méconnaître la justesse, d'une part, et, d'un autre côté, je n'avais qu'une confiance très limitée dans la solidité de nos « miaramila», lorsque ceux-ci se verraient séparés de tout secours et peut-être entourés et attaqués par un ennemi très supérieur en nombre.
COMTE DE SARDELYS. — TROISMOISCHEZLES ANTSIHANAKA75 Mais, je n'étais pas venu si loin pour me laisser arrêter au dernier moment; je résolus donc de me fier à ma bonne étoile. Après trois jours,d'arrêt à Amparafaravola, je continuais donc mon chemin avec mes forces cette fois au complet. D'ailleurs, le gouverneur avait bien fait les choses; tous nos soldats, chose rare dans une troupe malgache, avaient des fusils. Il est vrai que les modèles les plus différents s'y coudoyaient fraternellement; tout s'y trouvait confondu: Sniders, vieilles carabines à piston, fusils à pierre; mais, qu'importe, le principe était sauvé. Le soir même de mon départ, je campais sur les bords d'un torrent, au pied même du défilé, prêt à en commencer le passage dès le lendemain matin. D'ailleurs, dans la journée, j'avais déjà vu quelques groupes de fahavalos m'observant de loin du haut des crêtes. La montagne, ici, n'a plus le même aspect que dans le Sud, sur la route d'Ambatondrazaka à Tananarive;elle est plus escarpée, plus rocheuse, moins boisée. Le seul endroit où l'on puisse la franchir est, comme je l'ai déjà dit, la partie élevée que j'allais traverser. C'est un point de passage obligé; aussi, est-il bien rare que l'on ne s'y heurte pas, soit à une bande de fahavalos allant razzier les Antsihanakas, soit à une troupe de voleurs rentrant chez elle avec ses prises. Du reste, l'usage en est tellement invétéré, que les brigands ont établi sur le versant Nord de la montagne, à l'issue opposée du défilé, un village, sorte de caravansérail, qui leur sert de halte et de point de repos à l'aller ou au retour de leurs expéditions. Des précautions spéciales étaient donc indispensables; je les pris dans la • mesure du possible.. Je formai tant bien que mal, le lendemain matin, uu groupe avec les hommes les mieux armés, sorte d'avant-garde avec laquelle je précédai le convoi, tandis que Doërrer l'escortait avec le restant des soldats. Nous partimes dès l'aube. L'étape était longue et le défilé ardu à franchir. C'est une sorte d'escalier géant taillé dans la montagne où rarement plus d'un hommfl peut passer de front. Quoi qu'il en soit, après trois heures environ d'ascension, nous en avions atteint le sommet ; de là, on jouit d'une vue panoramique étendue sur le bassin de la Mahajamba. L'aspect du pays change totalement; aux granits de l'Imerina, à la plaine marécageuse de l'Alaotra, a succédé un pays quartzeux, accidenté, bossué d'amas de rochers. Toutefois, les fonds sont toujours boisés et humides. La marche y est difficile et pénible, car l'on passe continuellement et sans transition de la traversée des fonds vaseux à l'escalade des amoncellements rocheux. La contrée ne produit rien, elle est aride, entièrement inculte et presque déserte. Jusqu'au fleuve, on ne trouve plus que de loin en loin un misérable hameau habité par les «gardiens de bœufs» de la reine, qui sont censés la coloniser. Voici quelle en serait l'origine: lorsque Radama eut libéré certaines classes d'esclaves pour services rendus à la cause publique, il songea à les utiliser. Il les répartit donc dans ces sortes de » marche », à charge pour eux d'y faire paître et d'y garder les troupeaux du gouvernement, pensant ainsi créer
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—TROIS MOISCHEZLES ANTSIHANAKA
une barrière qui protégerait les Antsihanaka contre les incursions des Sakalaves. Mais l'inverse arriva ; ces gens prirent bientôt des habitudes nomades et des goûts de pillage, et, se mélangeant avec leurs turbulents voisins et des Antsihanaka fugitifs, grossissent actuellement le nombre des pillards qui ravagent le pays, De l'autre côté du fleuve, commence la Sakalavie. La descente de la passe fut rapide et relativement facile et je me trouvais bientôt dans la plaine, me dirigeant dans le Nord-Ouest, sur le village Antampondrana, où je désirais arriver de bonne heure. Mais, sur les10 heures du matin, comme je venais de traverserun fonds rempli d'une forêt de roseaux et de gravir les pentes opposées, de grands cris poussés à l'arrière attirèrent mon attention, et, bientôt, le son des trompes de guerre ne me laissa plus aucun doute sur ce qui se passait. Un groupe de fahavalos, sorti du village dont j'ai parlé plus haut, venait de se jeter sur les bœufs qui suivaient ma troupe, et, profitant de l'embarras des conducteurs engagés dans le marais, cherchait à les enlever. Je rebroussai immédiatementchemin, et, ralliant le grosdu convoi, m'arrêtai sur la crête avec tout mon monde pour recueillir les gens d'Antanimena. Les fahavalos, voyant notre attitude résolue, firent de même surla crête opposée, et nous restâmes à nous considérer quelque temps sans bouger de part et d'autre. Mais comme cette situation ne pouvait se prolonger, et que, d'ailleurs, ces derniers pouvaient encore nous inquiéter au moment où je me remettrais en marche, je voulus me donner de l'air. Faisant en conséquence filer devant mon convoi et le troupeau, je sortis de ma position pour les attaquer à mon tour. Les fahavalos, voyant mon mouvement, ne nous attendirent pas, et lorsque nous arrivâmes sur le point qu'ils occupaient, nous les vîmes, ayant atteint avec la célérité qui leur est particulière, une montagne distante de plusieurs kilomètres. Bien que retardés parcet incident, nous arrivâmes néanmoins dans la journée à Antampondrana. J'eus à y subir un kabary d'un chefà mine patibulaire, et reçus en cadeau un bœuf qui, sûrement, n'avait pas coûté cher à son propriétaire. Lors de mon passage, le commerce des armes et de la poudre s'y faisait ouvertement. Je me remisen route le lendemain malin, et, après une longue journéede marche, arrivais à Ampandra, village important pourla région, et situé surles bords de la rivière du même nom; il est fortifié et reconnaît l'autorité d'un chef nommé Ramandina, qui, plus tard, devait être un des principaux chefs de l'insurrection du Nord, sous le nom de Ramanamazo. C'est un pur repaire de brigands. J'y retrouvais même quelques hommes de la bande de Soalazaina et appris que, peu après mon départ, elle avait été attaquée et dispersée par les troupes envoyées par Rabeony et commandées par son propre fils. Je restai chez Ramandina environ 8 jours, retenu par la fièvre d'abord, par la nécessité ensuite de m'entendre avec lui au sujet des ouvriers qu'il devait me fournir pour mes travaux de prospection. Pendant tout mon séjour, sur les conseils même du chef, deux sentinelles veillaient nuit et jour à ma porte.
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SARDELYS—TROIS
MOIS CHEZ fAtS ANTSlftA-NAKA:77
Enfin, tout fut définitivement arrête; il fut convenu que lui-même m'accompagnerait avec ses hommes et je pus me remettre en route. Après deux jouri de marche, pendant lesquels j'eus à passer deux rivières importantes, j'arrivai enfin sur les bords de la Mahajamba, auprès d'un ruisseau appelé Karandoa, en face du fameux gisement aurifère d'Amboloborona. J'installai mon camp sur un promontoire, au confluent de ce ruisseau et du fleuve, et commençai à prospecter. Mon intention était de visiter d'abord Amboloborona, puis de remonter lentement le long de la rive droite jusqu'à Tsaratanana et Betanantanana. Toutefois, la hauteur des eaux et la rapidité du courant du neuve m'interdisant provisoirement de remplir la première partie de mon programme, je commençai immédiatement, après avoir fait le sacrifice obligatoire « pour faire sortir l'or de terre», mes travaux de recherches dans les environs. L'aspect du pays est très plaisant au point de vue des formations aurifères. Le fleuve, très large et semé de rapides, est bordé, sur sa rive droite, à courte distance, par une chaîne quartzeuse courant sensiblement Nord-Sud, et d'où se ramifient de nombreux chaînons parallèles qui viennent s'arrêter à pic sur la berge et dont la direction générale est Sud-Est-Nord-Ouest. Partout le roc affleure et il ei.1 formé de quartz laiteux bien différents des quartz hyalins trop communsà Madagascar. Après plusieurs jours de recherches infructueuses, rendues plus difficiles encore par la pluie qui s'était mise à tomber en abondance, je trouvai enfin des couleurs d'or dans le lit même du ruisseau de Karandoa et je commençai des sondages qui me démontrèrent l'existence, sous une épaisse couche stérile, d'un gravier aurifère, mais très pauvre. Toutefois, estimant que les formations où je me trouvais n'étaient que la continuation de celles d'Amboloborona dont elles auraient été séparées postérieurement par la tranchée de la Mahajamba, après quinze jours de travail, j'étais décidé à continuer mes recherches, quand des événements imprévus me forcèrent à abandonermes projets et me décidèrent à une retraite précipitée. Nons étions. alors vers la mi-mars. Les vivres d'abord commencèrent à me manquer absolument; réduit au riz et à l'eau, je voyais même le moment où ces maigres ressources allaient, elles aussi, me faire défaut. Les hommes que je détachais pour aller chercher des provisions ne revinrent plus; plusieurs soldats désertèrent; enfin, fait plus grave et plus significatif, Ramandina, sous la sauvegarde duquel je me trouvais en quelque sorte, partit sous un prétexte quelconque pour son village, et bien qu'il ne dût y rester qu'un jour ou deux, ne donna plus, lui non plus, signe de vie. De mauvais bruits qui commençaient à circuler sourdement depuis quelque tempss'accentuèrent et prirent corps. Tout le pays, disait-on, était soulevé contre les vazahas, etles Sakalaves se préparaient à passer le fleuve pour faire cause commune avec les insurgés contre les étrangers et prendre leur part du butin.
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COMTE DE SARDELYS.
TROIS MOIS CHEZ LES ANSIHANAKA
Rester plus longtemps dans ces conditions, perdu, noyé au milieu de ce pays hostile, de ces peuplades belliqueuses, ne sachant ce qui se passait sur mcsder-t rières, n'ayant pour tout appui que quelques soldats hésitants et qui ne demandaientqu'à m'abandonner, manquant d'ailleurs de munitions, eût été folie de ma part. Je devais me replier sur Ambatondrazaka, et, par la rapidité de mon mouvement, surprendre ceux qui, ayant de mauvais desseins à mon égard, auraient cru pouvoir me prendre sans défiance. Mon parti fut pris immédiatement; ma résolution fut mise à exécution dès le lendemain matin. Deux jours de marche me reportèrent à Antampandrana, faisant ainsi en 48 heures une route qui m'avait demandé près de quatre joursà l'aller. Après quelques heures de repos, j'en repartis à l'aube, voulant à tout prix franchir les passes de l'Anketza avant la nuit et atteindre Ambohipeno, où je trouverais une sûreté relative. Arrivé le soir au pieddes montagnes, après une marche forcée, à peu dî dis tance du point où j'avais rencontré les fahavalos la première fois, je me heurtais de nouveau à une nouvelle bande, peu nombreuse heureusement, qui se relirait, emmenant du butin pris dans une razzia. Se voyant en nombre, mes hommes leur coururent sus, et après avoir brûlé quelques cartouches, leur reprirent le bétail volé et pénétrèrent même jusque dans leur village. Mais sansarrêter mon mouvement, déjà trop retardé par cet incident, je m'engageai dans le défilé que je fus assez heureux pour avoir franchi complètement au moment où la nuit achevait de tomber. Après une demi-heure de halte, destinée à rassembler les traînards qui commençaient déjà à se faire nombreux, je me remis en route. Les hommes étaient exténués, et l'obscurité profonde, augmentant encore les difficultés naturelles du terrain, rendait la marche des plus pénibles. Plusieurs d'entre eux s'égarèrent, d'autres se couchaient sur place, ne se sentant plus la force d'aller plus loin; bref, quand j'arrivai vers minuit, à Ambohipeno, j'étais seul avec mon boy, un soldat antsihanaka et le chef d'Antanimena qui me guidait. D'ailleurs, tout le monde rejoignit, qui dans la nuit, qui le lendemain matin, et à midi nous étions tous au complet. J'appris alors que j'avais été bien inspiré en battant aussi précipitamment en retraite ; les fahavalos avaient, en efiet, formé le projet d'enlever mon camp de Karandoa, ce qui, vu la faiblesse numérique et morale de mon effectif, n'eût offert aucune difficulté. Et même, quelques offfeiers hovas d'Ambohipeno, qui, été maspendant mon séjour, s'étaient aventurés jusqu'à Ampandra, y avaient sacrés. Après deux jours de repos, je me dirigeai sur Ambatondrazaka à une allure, cette fois, plus modérée. A Ambohitromby, je fus reçu par le gouverneur Ramina, un futur chef de l'insurrection du Nord, qui devait être assassiné plus tard par les siens sur le soupçon de vouloir traiter avec les autorités françaises. Entin, j'arrivai dans la capitale de la province.
COMTE DE SARDELYS.
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Après plusieurs jours passés à visiter les soi-disant terres à café, que je devais trouver un peu au Nord sur la rive orientale du lac, et que j'estimais considérablement surfaites, je me préparais à reprendre le chemin de Tananarive quand éclata décidément l'insurrection générale. Un détachement, envoyé en reconnaissance par Rabeony sur la roule, fut entièrement détruit. Nous fûmes bientôt étroitement enserrés de tous côtés et restâmes dans une position rendue assez critique par les mauvaises dispositions de la garnison et de la population de la ville, jusqu'au moment où la colonne commandée par M. le colonel Combes vint nous dégager en balayant les rebelles. Je rentrai avec elle à Tananarive dans les derniers jours d'avril, après une absence d'environ trois mois. DESARDELYS. COMTE
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80 M. BOUSSAND. -
NOTICESUR LES TRIBUS TANALASET SAKALAVES
NOTICE
SUR
LES
TRIBUS
TANALAS
ET
SAKALAVES
(Mai 1896) Sud. — Les fahavalos du Sud se recrutent presque exclusivement chez les tribus antanalas de la vallée de la Rienana et du haut Menarahatra. à souffrir de leurs Les tribus baras et betsileos ont principalement incursions. Depuis plusieurs années, les tribus antanalas, turbulentes et guerrières, refoulent vers l'Ouest les Baras et les Betsileos et s'installent sur leurs territoires. Ils opèrent par bandes de cent à cent cinquante, rarement davantage, attaquent les villages par une nuit claire, enlèvent les troupeaux et, parfois, quelques femmes et enfants. Le principal chef de ces tribus pillardes est Tsilivany, qui réside à au pied de l'énorme Itovavato, dans la vallée du haut Menarahaka, massif très accidenté de l'Iringitra. Au-dessous de lui sont quelques chefs des tribus moins importantes : Rainivaratra, à Behasy; Razafimbolo, à Andidy; Mahanga et Tsifilahy, à Lapay ; Tsiba, à Marohena, La bande qui attaqua le village bara de Lazainarivo, vallée du Sahanambo, dans la nuit du 4 au 5 mars dernier, venait de Kitipa et avait pour chef un nommé Tsikiby. Les bandes qui ravagent le Sud du Betsileo partent généralement d'Andidy, traversent la chaîne d'Iringitra par les chemins dits: Ankibory, Bekinony, Ankirika et opèrent le plus souvent dans les vallées du Zomandao et du Manambolo, jusqu'aux environs d'Ambohimandrosoa. Ils emmènent le bétail volé par l'un des chemins ci-dessus,
M. BOUSSAND.—NOTICE SURLES TRIBUSTANALASET SAKALAVES81 extraordinaichemins très mauvais, à travers un massif montagneux rement escarpé. en bétail, Le pays, assez peuplé, offre des ressources abondantes porcs, volailles, riz, manioc, patates, etc. Il existe un chemin praticable aux mulets, permettant de se rendre à Andidy, dans la vallée du Menarahaka. Ce d'Ambohimandrosoa chemin part d'Ambalavao, contourne le Nord du massif montagneux du Iatsangy, passe au pied du versant Est du mont Masimera, sur la rivière Andavolo, traverse l'Iomandao en un gué très praticable, entre les villages Ankazombato sur la rive gauche de la rivière, et Ambatomainty sur la rive droite, longe la rivière lazomafy, et descend dans la vallée très peuplée du Sahanambo, en côtoyant la rivière Tsitielambarokotra. De là, on gagne le gros village de Tsiazomborona, où réside le chef bara Rainibola, village qui n'est qu'à deux heures du Menarahaka, par un chemin qui contourne le mont Amindralavao. Le chemin que nous avons suivi sur un assez long parcours n'offre aucune difficulté sérieuse et pourrait être suivi, avec quelques travaux insignifiants, par un convoi de mulets. Les Antanalas ont pour seules armes des sagaies et des fusils à pierre ornés de clous de cuivre. Ouest. — Les bandes de fahavalos qui suivent périodiquement les. confins Ouest de l'imerina et du Betsileo, depuis Fanjakana jusqu'au de Mandridrano, viennent toutes du Menabe et plus particulièrement la région très peuplée du Betsiriry. Le Betsiriry peut, dit-on, mettre en ligne plus de 10.000 guerriers armés de fusils à pierre, quelques-uns même de Sniders et de Remingtons. La poudre leur est fournie en abondance par un Indien nommé Dalakeimo, installé sur la rive droite du Tsiribihina, d'où il fait venir ses marchandises, par boutres, de Tsimandrafozana. Ratoera, roi du Menabe, est très puissant et très respecté; il a sous ses ordres de nombreux chefs; le plus puissant est Mahatanty, qui habite près du village de Bengilo. dans la boucle formée par les fleuves Mania et Mahajilo. Ratoera est aussi appelé Itaisa. Mahatanty est généralement considéré comme une sorte de premier ministre de Ratoera. Les autres
chefs sont:
Ilaikibao, llaisila, Tsibolavy, Namalahy, Ilaikoro, Ilaiolo, Soronga, Torondraho, Tsarabaina, Savaraho, Hahady, qui commandent au Sud et à l'Est du Menabe.
82 M. BOUSSAND.-NOTICE
SUR LES TRIBUSTANALASET SAKALAVES
Dans l'Ouest, sont avec Ratoera et Mahatanty, jusqu'à la mer: Mahatata, Sambilo, Tsimalao, Vongovongo, Isokafa, Dalakeimo. Il existe, dit-on, en suivant la vallée de la Mania, un chemin que fréquentent les bandes qui pillent la région occidentale du Betsileo. La meilleure route pour aller de Tananarive au cœur du Betsiriry, la région la plus peuplée du Menabe, est la suivante : De Tananarive
à Amboanana
;
D'Amboanana à Andranomanjaka
;
D'Andranomanjaka
à Inanatonana;
D'Inanatonana
lieu
au
dit Ampotaka,
à l'Ouest
de la rivière
Bevava; au lieu D'Ampotaka falaise du Bongo-Lava ; De Tsaramody
un peu avant
Tsaramody,
au lieu dit Amparikiaola, au lieu dit Dabolava,
D'Amparikiaola nom; De Dabolava
dit
la grande
au pied de la falaise ;
près
de la rivière
à Bengilo, gros village où réside
du même
Mahatanty.
Cette route est assez bonne et pourrait être suivie par des mulets, depuis Tananarive jusqu'à Tsaramody et depuis Amparikiaola jusqu'à Bengilo. Dans cette dernière partie, la végétation, assez dense dans les , vallées et bas-fonds, pourrait offrir quelques difficultés, faciles à détruire, aux passages des animaux de bât. c'est-à-dire La partie comprise entre Tsaramody et Amparikiaola, la descente des hauts plateaux dans les vallées inférieures parla falaise du Bongo-Lava, n'est praticable actuellement qu'aux piétons et demanderait des travaux d'aménagement pour le passage des convois. Depuis Inanatonana jusqu'à Dabolava, déserte et n'offre aucune ressource. Tout le Betsiriry, malsain.
comme
le reste
la région
du Menabe,
est absolument est extrêmement
BOUSSAND. Ingénieur des mines.
M. FAUCON. — NOTICESUR LA RÉSIDENCEDE VOHEMAR
83
NOTICE
SUR
LA
DE
RÉSIDENCE
VOHEMAR
(1)
15 Juillet. — 5 Septembre 1896 (Suite)
CHAPITRE
III
ANIMAUXUTILES. — RESSOURCESALIMENTAIRES. ANIMAUXNUISIBLES. (a) Ani mata* utiles Les bêles de somme sont en très petit nombre sur le territoire de la résidence de Vohemar, où il n'existe pas de routes. Les sentiers sont d'un parcours difficile et ne permettent pas l'emploi de ce genre de transporls; aussi, ne trouvet-on ni un cheval ni un mulet dans toute la circonscription; seuls, quelques bœufs ont été utilisés comme animaux de bât ou de selle. L'ancien représentant du Comptoir d'escompte, M. Guinet, en avait dressé plusieurs; ses fils s'en servent encore aujourd'hui comme animaux de selle, mais il n'y a la qu'un essai qui ne s'est point généralisé. M. Guinet avait même installé une sorte de filanzana porté par des bœufs. Ce filanzana, parait-il, fonctionnait assez bien; il pouvait contenir quatre personnes. Si les bœufs porteurs sont rares, les bœufs de trait n'existent qu'à Sambava ou à Vohemar, où les colons les emploient à traîner les 2 ou 3 charrettes que l'on rencontre dans chacune de ces localités. Dès aujourd'hui, grâce aux améliorations apportées à l'état des sentiers, les (1) Voirnuméro du1erFévrier1897.
84
M. FAUCON.
— NOTICE SUR LA RÉSIDENCEDE VOHEMAR
bêtes de somme pourraient, avec quelques précautions, circuler depuis l'embouchure de l'Irodo jusqu'à N'Gontsy. Quand la route d'Antsirane à l'Irodo sera faite, l'installation d'une série de relais de bœufs porteurs ponrra procurer de sérieux revenus à un colon entreprenant. Ce qui mànque surtout, en effet, dans cette région, ce sont les moyens de transport par voie de terre, car les commerçants reculeront toujours devant les prétentions exagérées des porteurs. Pour ne citer qu'un exemple, les bourjanes ont demandé à M. Meurs 5 francs par jour et par tête pour leurs services; inutile d'ajouter que M. Meurs a préféré aller à pied plutôt que de subir de pareilles exigences. En revanche, le bétail destiné à la consommation se trouve en très grande abondance dans tout le Nord de l'île. Les Hovas de Vohemar estiment à 700.000 le nombre de bêtes à cornes existant dans le seul territoire de la résidence de Vohemar. Sans aucun doute, -ce chiffre est très exagéré; en admettant celui de 50.000 pour les animaux propres a la consommation, l'on ne doit guère s'écarter de la vérité; du reste, le recensement du bétail est en train de se faire, et l'on sera bientôt fixé sur le nombre des bœufs de la région. L'exportation des bœufs forme le plus gros commerce de la côte Nord-Est; et ce commerce spécial ne se fait guère que là. Il est donc naturel que les régions contiguës à la côte Nord-Ouest, encore plus riches en bétail, envoient beaucoup d'animaux sur Sambava et Vohemar pour y être exportés. En tout cas, les bœufs sur pied ont très belle apparence et la viande qu'ils fournissent est de très belle qualité. (b) Ressources
alimentaires
diverses
Le porc, ainsi qu'il a été dit plus haut, est un objet d'horreur pour les Sakalaves ; aussi, n'est-il élevé que dans les deux provinces du Sud seulement; même là, les indigènes n'en tirent que peu de profit, et comme ils ne voient pas actuellement de débouchés pour la vente de ces animaux, ils se préoccupent peu de les multiplier. Le mouton est inconnu sur la côte Nord-Est; il y résiste mal, paraît-il, au climat. Les chevaux sont dans le même cas: des essais d'acclimatation du cheval ont été tentés à diverses reprises, mais ils n'ont donné que des résultats négatifs. L'on trouve quelques chèvres, mais en très petit nombre. En revanche, les volailles abondent. Toutes les espèces se recontrent partout et en grande quantité. Elles sont de bonne qualité et s'achètent à des prix modérés. il est, du reste, fort peu chassé. Le gibier, lui aussi, est très abondant; Le sanglier pullule, et, dans le Sud, il dévaste souvent les plantations. Il n'hésite pas, paraît-il, à s'attaquer à l'homme ; quoi qu'il en soit, l'indigène le redoute particulièrement, et les dégâts qui lui sont attribués sont considérables.
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Au Sud d'Amboanio, un gibier fort recherche est la grande chauve-souris noire. On la chasse au moyen de filets qu'on laisse retomber sur l'animal, qui est ensuite facilement assomme. Le gibier d'eau n'est pas rare, particulièrement les sarcelles; le canard sauvage existe, mais en moins grand nombre. Dans les champs, la caille abonde. Les forêts contiennent beaucoup de maques et de pintades, une variété de veuves et beaucoup d'autres espèces. La base de l'alimentation indigène est le riz, mais le manioc est cultivé partout; les salades sauvages, le poisson et le gibier sont des objets de consommation courante. Parfois aussi, quand la récolte du riz est insuffisante, les naturels se nourrissent d'une sorte de bananier sauvage qui croît dans l'eau, et dont ils font écorcer, râper, puis bouillir la souche. Dans le Nord, le bœuf, soit frais, soit séché, forme le fond de la nourriture des Sakalaves. Dans le Sud, le poisson frais et le poisson sec entrent pour une notable partie dans l'alimentation indigène; les côtes sont très poissonneuses, mais les rivières ne contiennent guère que des anguilles et des variétés d'écrevisses. * Les fruits sont ceux de tous les pays chauds. La banane se trouve partout; l'ananas ne se cultive guère que dans le Sud. Il y en a cependant aussi à Amboanio. La culture maraîchère est pratiquée dans cette localité sur une assez grande échelle; toutes les plantes potagères d'Europe y viennent bien, de même que les fruits de Maurice et de Bourbon. Dans les provinces de Sambava et d'Antalaha, le maïs est cultivé. Partout les indigènes sont très friands de la canne à sucre. (c) Animaux
nuisibles
Cette partie de Madagascar est, comme le reste de la Grande lie, très favorisée sous ce rapport. L'on ne signale comme animal nuisible vivant à terre, à part le sanglier, qu'une sorte de chat sauvage, très féroce malgré sa petite taille. En revanche, tous les cours d'eau sont infestés de caïmans, à l'exception de deux rivières, le Ratsianava etle Sahambavy du Sud, (Iii, de mémoire d'homme, l'on n'a jamais constaté la présence de ces redoutables sauriens. A Vohémar même, ils sont particulièrement dangereux, et la nécessité d'un pont sur la rivière d'Amborona s'imposait à cause de la fréquence des accidents. Dans la rade même, il n'est pas rare, surtout pendant l'hivernage, de voir des caïmans s'aventurer la nuit hors de la rivière et circuler en mer ou le long de la plage. Il faut ajouter que les indigènes ne font rien pour en diminuer le nombre ; cependant, il serait facile, pendant l'hivernage, de détruire leurs œufs, et l'on arriverait ainsi, sans aucun doute, a les éloigner des centres et des parages fréquentés. Il y aurait donc lieu d'encourager, par des primes, la destruction des animaux adultes et 111
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surtout des œufs. Heureusement, les caïmans sont extrêmement peureux; le tonnerre, le bruit des armes à feules font fuir au fond de leurs retraites; pendant un orage, les indigènes n'hésitent jamais à traverser une rivière, sûrs de n'être pas attaqués. L'aboiement des chiens, au contraire, a la réputation de les attirer ; par contre, les indigènes affirment volontiers que leurs chiens sont assez intelligents pour avoir recours à la ruse suivante: quand ils veulent traverser un cours d'eau, ils vont à quelque distance des gués, en amont ou en aval, aboyer avec furie pour attirer les caïmans, puis retournent sans bruit au gué et le franchissent rapidement: se non e vero Les serpents, souvent de grande taille, abondent dans tout le territoire de la résidence de Vohemar, mais il ne s'y rencontre aucune espèce venimeuse. Les requins sont nombreux dans toutes les rades et sur toute la côte NordEst. Un animal fort dangereux est la bécune, sorte d'anguille de forte taille dont les morsures sont cruelles et parfois venimeuses; il en est de même d'un autre poisson plus petit dont le nom n'a pas d'équivalent en français. Certains poissous de mer sont venimeux, mais les indigènes les connaissent bien; aussi, est-il toujours prudent de consulter un indigène avant de manger un poisson. Dans un autre ordre d'idées, il y a lieu de signaler le scorpion, généralement très petit, le perce-oreille et le cent-pieds, souvent de forte taille. La piqûre d'un scorpion est plus pénible que dangereuse; celles du perce-oreille et du centpieds peuvent, quand l'animal atteint toute sa croissance, constituer un danger réel et nécessiter un traitement énergique. Ces trois variétés d'animaux nuisibles recherchent surtout les endroits humides; on en trouve aussi beaucoup dans les toits en matière végétale qui recouvrent toutes les maisons indigènes et d'où il n'est pas rare de les voir tomber. CHAPITRE
IV
DESCRIPTIONDE LA RÉGIONTRAVERSÉEPAR LA ROUTE PRINCIPALE DE LA FRONTIÈRENORD A N'GONTSYET DE N'GONTSYA MASOALA. de Loky. - La rivière de Rodo ou Irodo constitue la frontière Province nord dela province: c'est un cours d'eau assez large et peu profond pendant la saison sèche, mais son débit doit naturellement augmenter beaucoup durant l'hivernage; son embouchure est constituée par un vaste marais qui commence à l'ancien poste hovad'Irodo ; sa rive droite est formée par une série de collines fortement boisées, oùl'on ne rencontre pas cependant de très grands arbres. Comme toutes les rivières de la région, le Rodo est infesté de caïmans. Du Rodo à Lokv, la route, ou plutôt le sentier, court d'abord en plaine et traverse plusieurs petits cours d'eau sans importance. Au Sud-Ouest, des hauteurs peu élevées bornent l'horizon; quelques-unes sont boisées.
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Le pays est à peu près désert tout le long dela côte; il est peu fertile, dévoré par la sécheresse et d'aspect généralement peu riant. Bientôt, des accidents de terrain plus prononcés font leur apparition et s'étendent jusqu'à la mer. Le sentier serpente au milieu de mamelons couronnés de bouquets de bois; partout ailleurs, la vue ne rencontre qu'une herbe jaunie, desséchée par l'ardent soleil et les grandes brises de la mousson. Quelques-uns de ces mamelons sont calcaires et pourraient peut-être fournir de la chaux en abondance; les autres sont constitués par une argile rouge qui doit être propre aux travaux de poterie. Les environs de Loky sont un peu moins déshérités que la région située plus au Nord ; la rivière du même nom est assez large et conduit, d'après des renseignements à vérifier, à de belles forêts d'une exploitation facile qui couvriraient ses deux rives un peu plus en amont. Des marais s'étalent à son embouchure. Du reste, les marais sont très nombreux dans la région, même dans l'intérieur; cela tient à la disposition des accidents du terrain; en effet, le relief est constitué par une série de chaînons parallèles àla côte et d'altitude de plus en plus élevée jusqu'à la chaîne dorsale de l'île, dont les sommets boisés et impénétrables atteignent des hauteurs considérables. Les cours d'eau franchissent ces divers chaînons en des points non symétriques, de sorte que les cours des ces rivières sont des plus sinueux et donnent naissance, dans les vallées parallèles à la côte, à de nombreux marais, pendant la saison des pluies. Le village de Loky, bàti sur les bords de la baie du même nom et couvrant une colline en pente douce, a eu jusqu'à 500 habitants, lorsque Ratovelo s'y était installé après avoir été délogé d'Ambohimarina. Depuis le départ de ce personnage pour Amboanio avec tous les gens qui lui tenaient de près ou de loin, la population de Loky est tombée à moins de cent habitants. Bien que la rade de Loky soit bien abritée, elle ne parait appelée à un certain avenir que si l'on découvre à l'intérieur des richesses minières exploitables; du reste, la croyance générale dans la région est que les hautes montagnes recèlent de riches mines d'or et que la plupart des rivières, surtout le Manancoulene, coulent dessables aurifères susceptibles d'un gros rendement. Au Sud de la baie de Loky, le sentier pénètre dans une région à peu près déserte et particulièrement déshéritée ; les bords de la mer sont constitués par une longue plaine marécageuse, couverte de palétuviers, et d'une largeur variant de t à 2 kilomètres, qui s'élève en pente douce jusqu'aux premières hauteurs. En pénétrant un peu vers l'intérieur, l'on se trouve en présence d'un plateau bossué, coupé de nombreux ravins, couvert de hautes herbes jaunies par le soleil, avec, ça et la, quelques rares lataniers sauvages. Dans le fond des ravins croupissent des mures d'eau bourbeuses sur les bords desquelles se dressent quelques arbres, plus particulièrement des rafias.
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Cependant, les abords de la rivière Manancoulènc, très encaissée, sont un peu plus boisés. —o— — Dès que la rivière Manancoulène est franProvince de Vohemar. chie, l'aspect du paysse modifie, d'ailleurs sans transition brusque; peu à peu, les eaux deviennent plus abondantes, le sol s'accidente de plus en plus et les hauteurs, en partie boisées, se rapprochent davantage de la mer, l'herbe reste verte, les troupeaux apparaissent puis deviennent nombreux, les cases se montrent, isolées d'abord, puis groupées par villages; enfin, à mesure que l'on descend vers le Sud, s'accentue l'impression que le sol devient plus riche et plus fertile; l'on arrive enfin à Vohemar, dont l'aspect est tout à fait séduisant avec ses grands arbres et ses hauts cocotiers. Plusieurs rivières, notamment le Manambato et le Maintialaka, sont fort importantes. De Vohemar à Amboanio, la route court d'abord sous bois en plaine, puis gagne des hauteurs à pente douce, le plus souvent déboisées, traverse la rivière de Manambera et monte à Amboanio. Ce village est situé sur un plateau d'altitude moyenne, au pied duquel se trouve, sur son versant Nord, une forêt de superbes manguiers abritant des sources abondantes. Le plateau d'Amboanio est à cheval sur les deux vallées profondes des rivières Manambera et Fanambe ; du village même, la vue s'étend sur un paysage très riant. Au Sud dela Fanambe, le sentier traverse d'abord une plaine d'environ 15 kilomètres de long sur 3 de large, qui paraît très propice à l'élevage du bétail et qui est bornée à l'Ouest par une forêt en plaine et une série de marais dans les environs de la rivière Ampanobe au Sud de cette rivière, le sol s'accidente, la ; dans l'Ouest, les hauteurs deviennent de plus en plus ; plaine se mamelonné importantes; de grandes vallées s'ouvrent; des ruisseaux nombreux et limpides courent entre les mamelons sous d'épais ombrages ; l'on rencontre de superbes rafias et malheureusement aussi quelques marais dans les bas-fonds. Un peu après avoir traversé le village de Tsaravina, l'on tombe dans une grande vallée boisée et marécageuse ; le sentier franchit une forêt dont les arbres, très serrés les uns contre les autres, sont en général frêles et mal venus, puis débouche sur une grande et belle plage sablonneuse, bordée de filaos, qui s'étend jusqu'à la rivière de Mahanara. Au Sud de cette rivière, le terrain forme une plaine bossuée, fermée à l'Ouest pardes forêts, jusqu'au cours de la Bemanevika ; les premières collines, dignes de ce nom, reculent assez loin dans l'Ouest. La rivière de Bemanevika porte surles cartes le nom de Bemarivo ; elle sert de frontière entre les pays sakalaves et betsimisarakas, ainsi qu'entre les provinces d'Amboanio et de Sambava. C'est un cours d'eau large et peu profond, partant facilement guéable à la saison sèche. Pendant l'hivernage, il subit de fortes crues, et, d'après les apparences du terrain, il doit donner naissance à des marécages assez étendus.
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— Le village le plus septentrional de cette de Sambava. Province province est le village de Bemaharivo, situé au milieu de marais assez étendus, et dontla largeur (200mau village) va croissant constamment jusqu'à la mer. De Bemaharivo à Sambava, le sentier traverse d'abord une vaste plaine d'élevage entourée de bois, puis une forêt qui borde la mer, et débouche enfin sur une belle plage de tous points semblable à celle de Mahanara. Plus au Sud et jusqu'à la rivière de Lokoho, frontière entre les provinces de Sambava et d'Antalaha, la région desservie parla route est accidentée et fertile, les bois sont nombreux et les arbres de belle venue; il existe, il est vrai, un certain nombre de bas-fonds marécageux où l'on trouve beaucoup de ravenales. La présencede cet arbre est un indice à peu près infaillible de l'existence de marais à l'intérieur; de même que, sur les bords de la mer et des rivières, le palétuvier dénonce à coup sûr les terrains marécageux. -o— La province d'Antalaha est de beaucoup la Province d'Antalaha. plus grande, la plus ferlile et la plus peuplée des quatre provinces formant le territoire de la résidence de Vohemar. Elle est arrosée par des cours d'eau nombreux et importants; la région des hautes montagnes y est plus éloignée de la mer que dans les provinces du Nord; la terre y est plus fertile, les villages plus nombreux et plus riches. La presqu'île de Masoalo, au Sud, est constituée par un ensemble de collines peu élevées dont l'altitude la plus considérable ne semble pas dépasser 100 mètres. La presqu'île est couverte de forêts alternant avec des marais; elle est insalubre et la fièvre y fait beaucoup de ravages. Apartir d'Antalaha, ou plutôt de Manjakatompo, résidence du gouverneur indigène, le chemin tantôt suitla plage, tantôt court à travers bois, tantôt s'engage dansdes marais d'un parcours long et pénible. Il traverse nombre de cours d'eau dontles principaux sont les rivières d'Andrarone, de Marembo et d'Anonibe, et dessert beaucoup de villages parmi lesquels Andrarone Nord et Sud, Andranovelona (ancien rova abandonné), enfin, N'Gontsy au cap du même nom. Du cap N'Gontsy au cap Masoalo, il n'existe pour ainsi dire pas de chemin ; la côte est parfois très escarpée, certaines falaises ayant jusqu'à 50 mètres de hauteur; les plages sont nombreuses et belles, mais les embouchures de rivières sont presque toujours encombrées de marais de palétuviers parfois très étendus. En fait, il ne faut guère compter, comme sentier, que sur la plage, que l'on ne peut suivre qu'à marée basse. Aussi, presque tous les transports se font-ils par eau. Il existe, sur toute cette côte, une lagune peu profonde, resserrée entre la terre et les récifs, qui sert de voie navigable aux pirogues chargées des produits du Sud: bois abattus, écaille, trépang, caoutchouc et riz; cette dernière denrée formant la plus grosse partie du commerce de la presqu'île.
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M. FAUCON. - NOTICE SUR LA RÉSIDENCEDE VOHEMAR CHAPITRE
V
ROUTES, MOYENSDE TRANSPORTET DE COMMUNICATION — A l'arrivée du résident de France à Routes et sentiers. Vohemar, il n'existait, comme voies de communication, que de simples sentiers malgaches, à peine tracés à travers les arbres, offrant les sinuosités les plus inattendues et les difficultés les plus considérables. En effet, les indigènes, marcheurs infatigables et d'une sûreté de pied incomparable, n'hésitent pas à escalader directement les pentes les plus abruptes, à descendre des précipices presque à pic, et cela avec des fardeaux parfois très lourds. Grâce aux efforts du résident de France, une route a été aménagée, allant de l'Irodo au cap N'Gontsy, et cette route, sur toute sa longueur, peut être parcourue à dos de mulet. De belles avenues ont été percées en forêt, notamment dans les trois provinces du Sud et particulièrement dans celle d'Antalaha. Ce travail représente un gros effort de la population indigène; mais, pour en tirer tout le profil qu'on est endroit d'en attendre, il va falloir aménager les passages trop raides, de telle sorte que des charrettes à bœufs puissent y circuler. Ces améliorations ne pourront être faites que sous la surveillance d'un agent expérimenté des travaux publics, car, malgré leur bonne volonté, les fonctionnaires et la population indigène ne sont pas capables d'organiser eux mêmes ce genre de travaux, Dans les provinces de Loky, de Sambava et d'Antalaha, l'ardeur déployée par les indigènes, dans l'exécution de ces travaux d'utilité publique, mérite d'être signalée tout particulièrement. Il n'en est pas de même dans la province de Vohemar, où l'élément sakalave oppose à toute réquisition la force d'inertie et n'hésite pas à émigrer, si les moyens violents sont employés pour le contraindre à travailler. LesSakalaves,du reste, accepteraient très volontiers le paiement d'une taxe, même relativement élevée, en échange des prestations en nature. Le résident de Francese préoccupe de régler cette délicate question an mieux des intérêts publics et des intérêts de ses administrés. -0— Les moyens de transport usités dans la région Moyens de transport. se divisent en trois catégories: 4° Charrettes à bœufs, employées uniquement à Sambava et à Antalaha en très petit nombre, du reste. 2° Bourjanes, seul moyen de transport à terre; trop peu nombreux pour craindre une concurrence quelconque, les porteurs émettant des prétentions exorbitantes et ne se décident à travailler qu'après d'interminahles kabary, et à des prix ridicules. Aussi, la plupart des colons préfèrent-ils attendre l'hivernage pour se ravitailler par mer.
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3° Bateaux; c'est le moyen de transport le plus généralement employé, surtout dans le Sud, entre le cap Masoala et le cap N'Gontsy. Ainsi qu'il a été dit plus haut, entre ces deux caps et très près de la côte, court une ligne presque ininterrompue de récifs qui constitue de la sorte un chenal intérieur, toujours accessible à la navigation et des plus fréquentés. — Le service de correspondance institué par les Correspondances. U Hovas reposait sur l'organisation suivante: Dès leur création, les villages avaient été répartis de telle sorte qu'il fallait environ six heures de marche pour aller d'un centre à un autre. Dans chacun de ces villages, un ou plusieurs hommes étaient exclusivement chargés du transport des lettres. La fonction n'était pas rétribuée, mais les titulaires jouissaient de diverses prérogatives: droit à la nourriture gratuite partout où ils passaient et exemption absolue de toute corvée. Ils marchaient, en cas d'urgence, jour et nuit; l'homme, arrivé de son village au village suivant, remettait le pli dont il était porteur à son collègue, qui partait immédiatement. Gràce à cette organisation éminemment simple et pratique, les Hovas étaient arrivés à obtenir une sûreté de communication inouïe. Leur service de renseignements fonctionnait par la même voie. Ainsi, pas un étranger, pas un Européen surtout, ne quittait un village sans que le village où il se rendait ne fût prévenu tout de suite de l'heure de son arrivée probable et de ses intentions possibles. Ce système était trop bien organisé pour que le résident de France ne se soit pas empressé de l'utiliser pour le service de la poste, en attendant une organisation définitive. A l'heure actuelle, les courriers circulent rapidement et en toute sécurité depuis Diego-Suarez jusqu'à N'Gontsyet Masoala, et réciproquement. (Asuivre). FAUCON, Résident de Vohemar.
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Extraitd'un rapportde M. Faucun,lieutenantde vaisseau,résidentde Franceà Vuhcmar.
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AMBOHIMANGA LA VILLE SAINTE
AMBOHIMANGA
LA VILLE SAINTE
(Mars 1897)
Une ville sainte semble devoir être quelque chose de très ancien, à laquelle s'attachent des souvenirs religieux, et dont les origines sont généralement enveloppées de mystères. , La cité sacrée de l'Imerina, Ambohimanga, ne répond pas à la définition générale. Elle est toute récente, n'évoque absolument que des souvenirs historiques, et, pour de l'histoire malgache, la sienne est très suffisamment précise et claire. de résumer brièAvant d'entrer dans le sujet, il est indispensable vement ce que nous savons de positif sur l'ancienne histoire d'Imerina et sur sa chronologie. Au point de vue chronologique, l'Imerina est moins bien partagée que la côte, en particulier que la côte Sud. Le livre de Flacourt nous permet de remonter, d'une façon certaine, jusqu'au XVIIe siècle, dans l'histoire des Antanosy et des Sakalaves. Le premier document européen sur Tananarive est de la fin du XVIIIe siècle. Beniowski, l'aventurier polonais, qui eût donné, dès cette époque, Madagascar à la France, si la jalousie du gouverneur de Bourbon le lui eût permis, est entré en relations avec les Hovas. Il leur envoya son interprète Mayeur, dont le récit manuscrit, conservé au « British Museum », a été analysé par M. Grandidier, au congrès des sociétés sa-
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vantes. Mayeur fit deux voyages à Tananarive : l'un en 1777, l'autre en 1785. Ce Mayeur semble avoir été un homme de sens rassis et un témoin oculaire digne de foi. Le pays lui semble très laid, (1 le sol de tout ce plateau est ingrat, les arbres y manquent totalement et les habitants peuvent y satisfaire à peine aux premiers besoins de la vie, car il n'y a il ni bois pour bâtir, ni bois pour se chauffer et cuire les aliments. n'y a d'autres arbres que ceux qui ont été plantés çà et là par les indi» Cela est écrit en 1777; allez donc soutenir, après cela, que gènes. l'Imerina a été récemment déboisée par la main de l'homme, sous préMayeur texte que les vieilles maisons ont des poutres magnifiques. trouve les indigènes hypocrites, avares et voleurs, mais il est stupéfait les côtes de Made leur intelligence. « Les Européens qui fréquentent dagascar auront de la peine à croire qu'au centre de l'île, à 30 lieues de des peuplala mer, dans un pays jusqu'à présent inconnu qu'entourent des brutes et sauvages, il y a plus de lumières, plus d'industrie, une police plus active que sur les côtes ». A. défaut de témoignages européens plus anciens, nous avons le témoignage des Hovas, leur histoire transmise par tradition orale, et transcrite par un jésuite, le P. Callet, dans son ouvrage précieux et « Tantara Andriana, » histoire malheureusement presqu'introuvable, des rois, publiée de 1875 à 1881. tous aisément reLes rois mentionnés par Mayeur se retrouvent connaissables dans le livre du P. Callet, qui, bien évidemment, n'a de sa vie fureté dans les manuscrits du « British Muséum », et dont« l'histoire des rois» toute entière acquiert par là un caractère d'authenticité. D'ailleurs, les Hovas ont, comme on sait, la pieuse habitude de conserver, soigneusement étiquetées, « dans les maisons saintes », « Irano masina », les momies de leurs anciens rois. Il suffit d'avoir visité une fois le grand palais pour y avoir vu la rangée de petites cabanes qui portent le nom de « trano fito miandalana », les sept tombeaux alignés; Ces monuments fuchacun d'eux contient un vieux roi de Tananarive. néraires, entourés de la vénération publique, ont été pour les Malgaches de précieux aides-mémoire, qui ont empêche l'histoire de dégénérer en légende indistincte. Nous sommes donc tout à fait certains de connaître exactement la succession des rois jusqu'à une date qu'on peut évaluer, d'après leur nombre et ce que nous savons de leur règne, au milieu ou même au commencement du XVIIe siècle.
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Au delà nous avons encore des noms, mais toute évaluation chronologique devient impossible. C'est l'époque des Vazimbas. Grosso modo, ce que nous savons de l'histoire d'Imerina peut se diviser en périodes, dont la première est la conquête des Vazimbas par les Hovas. « #• Les Vazimbas sont les aborigènes, la vieille race d'avant la conquête hova, et probablement les ancêtres de tout ce qui, dans l'Imerina, a la peau noire et les cheveux crépus. L'histoire hova parle avec mépris de l'époque oùils étaient les seuls habitants du pays. « Dans ce tempslà, dit le livre du P. Callet, l'Imerina n'était pas encore civilisée, « mbola maizina ». La conquête hova s'est faite sous trois règnes. A celui d'Andriamanelo (1630 à 1650), la tradition rapporte la première apparition des sagaies à pointe de fer, le fer qui vole; les pauvres Vazimbas n'avaient, pour se défendre, que des sagaies à pointes en terre cuite. « Le fer crevait la peau et tuait; les Vazimbas se sauvèrent ». Sous Ralambo (1650 à 1670?), le fait qui semble avoir le plus frappé des indigènes, et dont l'importance l'imagination économique est en c'est que le bœuf est devenu animal de boucherie. Cet effet considérable, événement considérable se serait passé au village d'Ambatofotsy, entre c'est là que le livre du P. Callet nous re Tananarive et Ambohitrabiby; présente Ralambo en présence de sa première assiétée de bœuf, la reniflant avec précaution et s'écriaut : « Eh ! mais ça ne sent déjà pas si Sur quoi, par mesure de prudence, il en fit d'abord manger à mauvais». faite: « Sire! c'est excellent; un de ses sujets, qui lui dit, l'expérience de constater que, au dire de tsara, tompokolahy ! » Il est intéressant mentionnent aussi l'introduction les légendes sakalaves Grandidier récente de la viande de bœuf dans l'alimentation. Andrianjaka (fin du XVIIe siècle) paraît s'être procuré, le premier, Rasous son prédécesseur, des fusils en nombre assez considérable ; lambo, on voit une arme à feu sporadique jouer un rôle naturellement décisif dans une bataille. Mais Andrianjaka, nous dit le P. Callet, posfusils et trois barils de poudre», dont il célébra séda jusqu'à «cinquante l'arrivée dans sa capitale par une grande fête, car, dit le Malgache avec « mahasoa fanjakana », c'est un ornesa tendance à l'euphémisme, ment du royaume. Il serait tout à fait ridicule d'exiger du lecteur profane qu'il retienne le nom de ces vieux rois, mais leur œuvre, du moins, est assez facile à saisir.
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— AMBOnUIAN'GALA VILLE SAINTE
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Dans un pays habité par des nègres, les Vazimhas, est survenue, à teint clair dans le courant du XVIP siècle, une invasion d'étrangers et à cheveux plats, que nous pouvons appeler les Hovas, dont l'origine est d'ailleurs parfaitement obscure, soit dit en passant, mais qui avaient atteint certainement un degré plus élevé de civilisation, car ils savaient forger; ce sont eux, semble-t il, à lire entre les lignes de la légende, qui ont introduit le bœuf, et ils ont su de bonne heure se procurer des armes à feu. toute cette première période, il n'est question d'AmbohiD'autres villes sont au premier manga que très tard et incidemment. plan. Pendant
du premier roi vraiment Le souvenir authentique des sagaies, est étroitement l'inventeur d'Andriamanelo, sa capitale. d'Alasora, qui fut certainement Son successeur, Ralambo, régnait beau est encore l'objet de la vénération Mais Tananarive
devient
à Ambohitrahiby, générale.
de bonne heure
des Hovas, uni au nom
où son tom-
et reste la vraie capitale.
La légende garde le souvenir d'un temps où Tananarive était une ville Vazimba et s'appelait Alamanga. On connaît le petit temple grec, à la croisée des chemins, au Nord du palais. L'emplacement sur lequel « à la il s'élève s'appelle encore aujourd'hui Ambcitondrafandrana, Elle aurait été élevée par Rafandrana, un de pierre de Rafandrana ». ces vieux rois probablement dont le Vazimha, et tout à fait nébuleux, « very lantara izy : il a perdu son histoire M. P. Callet dit laconiquement: Cette pierre devait être jadis très vénérée, car c'est à Amhatondrafandrana que Ralambo fit solennellement son testament, c'est-à-dire qu'il organisa sa famille en castes de noblesse qui subsistent encore, mais qui sont les quatre dernières, trois autres plus récentes leur ayant été superposées. L'ancien Alamanga fut débaptisé par Andrianjaka, qui l'appela Tananarive et y établit sa capitale. L'histoire a conservé le souvenir entrant dans précis de cet événement ; elle nous montre Andrianjaka c'estAlamanga par le coin Nord-Est, le coin sacré, celui des ancêtres, à-dire les environs de la place d'Andohalo. Il trouva la vieille ville occupée par des Vazimhas Antairukas, les mit à la porte et les établit sur actuel du Zoma, où leurs tombeaux ont d'ailleurs été l'emplacement mis à jour récemment de l'avenue par des travaux de terrassement
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de France. Aujourd'hui encore, les Antairokas sont une tribu à part, l'a établie, entre qui subsiste tout près de l'endroit où Andrianjaka Tananarive et Ambohidratrimo. d'AlamanDepuis le jour où Andrianjaka fonda, sur l'emplacement ga, la ville de Tananarive, celle-ci n'a jamais cessé d'être une résidence des rois enterrés dans royale, comme l'atteste la série ininterrompue les sept « maisons saintes», et dont le plus ancien est Andrianjaka. Dans tout cela, il est fort peu question d'Ambohimanga. avant de s'installer à Tananarive, habitait Cependant, Andrianjaka, un Ambohimanga, est bien le nôtre. 11 y était déjà qui, probablement, comme prince royal et héritier présomptif, ainsi que l'atteste le récit fait par le P. Callet de la mort de Ralambo. Le vieux Ralambo, se sentant près de sa fin, envoya chercher ses fils. L'aîné, qui jouait au « fanOl'ona», repondit: «tout à l'heure, dès que la partie sera finieM ; à la porte Nord, quand Ralambo entendit frapper à coups précipités il dit : «Qui est là? Est-ce l'idiot ou le petit? », ce qui semble supposer entra, mais son qu'il était déjà prévenu contre son aîné. Andrianjaka Celui « Qui est-ce fpère était déjà trop bas pour le reconnaître; d'Ambohimanga, papa! — Décidément, tu seras mon successeur ». Andrianjaka, à Ambohimanga,
après son avènement, séjourna quelque temps encore guerroyant tout autour et achevant la conquête.
Il semble que pendant la période héroïque, les rois hovas n'aient jamais eu de résidence bien fixe ; ils passèrent d'Alasora à Ambohitrar hihy, puis Ambohimanga, probablement pour se tenir toujours à portée ils reculaient leurs lignes de des hostilités ; du théâtre changeant postes. Dès qu'ils le purent, ils s'installèrent, pour n'en plus bouger, à Tananarive, qui semble avoir été, dès cette époque, le centre et la véritable ville sainte de l'imerina, rôle auquel il faut avouer, d'ailleurs, que sa situation le prédestinait. A la période de conquête (1630 à 1700) succède donc une période est la * de calme (1700 à 1740 ou 50), pendant laquelle Tananarive capitale unique et incontestée. devait être bien à Ambohimanga L'installation d'Andrianjaka précaire, car le P. Callet nous raconte comment, cinquante ans après sous le règne de son troisième successeur, la mort d'Andrianjaka, Andriamasinavalona, Ambohimanga fut fondée à nouveau.
M. GAUTIER. - AMBOHUIANGALA VILLE SAINTE A cette époque, un certain Andrimborona s'y établit; alors complètement détrôné de l'Imamo (Arivonimamo), de rimerina.
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c'était un roi indépendant
Un soir qu'Andriamasinavalona prenait le frais sur le seuil de son palais à Tananarive, il aperçut une fumée dans le Nord, il envoya aux et apprit que son collègue déchu bâtissait à Ambohirenseignements manga un petit village qui avait déjà fort bon air. Il alla le voir et fut si charmé de son installation qu'il la lui prit avec des paroles fort aimables d'ailleurs ; il établit un de ses fils à Ambohimanga et, dès ce moment seulement (vers 1740), Ambohimanga fut une des villes importantes de l'Imerina. Le pauvre Andiamboronan'eut d'ailleurs jamais de chance; à peine s'installait-il quelque part que le roi trouvait l'endroit charmant et en expulsait le souverain déchu avec quelques paroles flatteuses sur la sûreté de son goût. Il avait évidemment l'hospitalité méfiante. Andrinamborona passa sa vie à déménager et ses malheurs paraissent lui avoir aigri le caractère, du moins, ses dernières volontés sont empreintes d'un vif ressentiment contre ses anciens sujets: «Mes chers amis, quand je mourrai, tournez-moi les pieds vers l'Ouest, que je puisse leur donner des coups de pied. Je tressaillerai dans ma tombe toutes les fois qu'il en mourra un ; quels ignobles rebelles « maditra loatra » ! Comment donc cette ville toute récente d'Ambohimanga, qui n'a joué au XVIlu et dans la plus grande partie du XVIII" siècle qu'un rôle insignifiant, est-elle devenue ce qu'elle est aujourd'hui, le point le plus vénéré de l'Imerina ? C'est ce que nous fait comprendre l'histoire des guerres civiles, la troisième période de l'histoire liova. Andriamasinavalona qui semble d'autre part avoir été un bon roi, fut un père (léplorable, d'une faiblesse incurable dont un de ses fils abusa pour l'emprisonner pendant sept ans et ne le relâcher que moyennant la forte somme. Il n'eut pas le cœur de faire un choix entre ses quatre enfants et leur partagea l'Imerina. Les avertissements, pourtant, ne lui avaient pas manqué. 11 avait sa cour un certain Andriamampandry, renommé pour sa sagesse et qui avait la spécialité des paraboles en action. Un jour, il empruntait le lamba du roi et le lui renvoyait noué aux quatre coins et souillé de boue: » Voilà dans quel état tu mets l'Imerina ». Ou bien il lançait quatre coqs sur une poule. Une fois, il lâche quatre aigles dans le palais du roi, la cabane sans cheminée, à pièce unique remplie de suie, dont il
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reste encore des modèles. Les aigles volent à grands coups d'ailes dans Tétroit espace, se heurtant partout, et il pleut de la suie sur l'auguste Évidemment Andriamasinavalona, dans l'histoire d'Imepropriétaire. rina, représente le roi débonnaire. Rien n'y fit: l'Imerina, vers le milieu du XVlIIo siècle, se trouve celui de Tananarive, partagée en quatre royaumes: qui paraît avoir conservé sur les autres une suprématie théorique, ceux d'Amboliilraet d'Ambohidratrimo. les quatre biby, d'Ambohimanga Naturellement, rois n'eurent jamais d'autre ambition que de se subjuguer mutuellement : ils s'allièrent les uns contre les autres aux tribus pillardes voisines, et, à chaque instant dans l'histoire de cette période, on voit intervenir les Sakalaves, appelés par l'un ou l'autre parti. C'est l'époque de la «guerre c'est alors que les villages s'entourèrent de des rues » adyandrano; ces fossés profonds qui subsistent encore, mais qui ne servent plus, sauf en temps d'insurrection, qu'à faire pousser des caféiers: la guerre civile dura un demi-siècle, de 1750 (?) à 1790; les Hovas gardent encore le souvenir des souffrances et la vénération aujourd'hui endurées, qu'ils témoignent à Ambohimanga n'est que de la reconnaissance pour la ville qui y a mis fin. C'est le royaume d'Ambohimanga qui a fini par triompher des trois autres et rétablir l'unité. Les présages de grandeur future n'ont pas manqué à Ambohimanga. Un jour, Andriamasinavalona passait une paille venue de la ville et pied d'Ambohimanga, vent lui entra dans l'œil. « Voilà, dit-il, une ville que ne dans l'œil du roi! Ils iront loin. »
naturellement à l'Ouest et au poussée par le respecte rien :
offrait l'hospitalité à Une autre fois, le même Andriamasinavalona ses quatre fils, et toute la famille était couchée sur des nattes dans la salle unique du palais en bois. Au milieu de la nuit, le père, excité se pencha sur l'âtre et naturellement par la sage Andriamampandry, souffla sur les tisons jusqu'à ce qu'il obtint une lumière suffisante. Il put constater alors que, de ses quatre fils, trois dormaient dans des postures parfaitement ridicules; un seul avait une tenue correcte et c'était celui d'Ambohimanga. Les présages furent d'ailleurs très longs à se vérifier; les deux eurent plus de bonne volonté que de premiers rois d'Ambohimanga succès. Il est inutile de citer leurs noms; leurs tombeaux sont côte à dans l'enceinte réservée, à l'extrémité Ouest de côte à Ambohimanga, la rangée.
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Le troisième, Andrianjafy, ne fut pas plus brillant, mais c'est sous son règne qu'apparaît le futur pacificateur, celui qui devait être Andrianampoinimerina. vint au monde avec la nouvelle lune du mois Andrianàmpoinimerina d'Alahamady, le premier de l'année malgache, celui, qui commence le premier après la fête du bain; autrement dit, et sans périphrase, jour de l'an; circonstance aggravante, ce mois d'Alahamady porte le nom arabe, aisément reconnaissahle, au moins pour un arabisant, delà constellation Al'ies; il a conservé une signification astrologique inquiétante; ceux qui naissent dans ce mois seront belliqueux et redoutables; mahery vintana, dit le Malgache, ils ont un horoscope puissant. L'usage s'est conservé jusqu'à nos jours, et, malgré tant de prédications, de donner à l'enfant né sous une pareille étoile un vilain nom: on l'appelle par exemple Rafiringa, fumier, ou Ravoalavo, le rat, ou encore Rabetay, qu'on ne pourrait guère traduire décemment qu'avec l'aide d'un directionnaire des noms propres par Armand Sylvestre. Aussi, Ana-t-il porté, pendant toute sa jeunesse, le nom de drianampoinimerina Ne pas se conformer à cet usage, c'est s'exposer à Ramboa,le chien. voir l'enfant devenir redoutable à ses propres parents et à sa famille. En ce qui concerne le petit Ramboa d'ailleurs, toutes les précautions il commença sa carrière prises à son baptême furent insuffisantes ; politique en assassinant son oncle, et la termina en faisant exécuter son fils. A mesure qu'il grandit, la légende multiplie autour de lui les présages ; elle raconte longuement sa visite à sa grand'tante Ramorabe, la reine d'Ambohidratrimo, une vieille personne évidemment vénérée dans la famille, et même un peu sorcière, qui lui prédit sa royauté en le bénissant à la mode malgache, c'est-à-dire en lui soufflant de l'eau à la figure. Les enfants de Ramorabe trouvent naturellement qu'on dispose un peu légèrement de leur héritage, et la vieille reine leur répond : « Ra atao ahoana! Qu'est-ce que vous voulez! C'est son destin! » A l'avènement
And'Andrianjafy, le troisième roi d'Ambohimanga, ou plutôt Ramboa était trop jeune pourrégner: son drianampoinimerina oncle Andrianjafy monta donc sur le trône, mais les dernières volontés du roi défunt lui imposaient Ramboa comme successeur; en somme, c'était un simple régenta vie. Le petit Ramboa, tout héritier présomptif qu'il fût, se trouva donc dans une situation très fausse, car son oncle déclare bien vite qu'il «n'entendait pas ramasser des sauterelles pour les enfants des autres ». L'histoire nous raconte longuement la lutte du mé-
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chant roi et du pauvre petit prince. L'oncle invite de temps en temps son neveu à des promenades en apparence inoffensives, au cours desquelles il projette tantôt de le précipiter par mégarde dans un abîme, et tantôt de le noyer dans un marais. La victime in spe est toujours prévenue à temps et trouve un prétexte poli pour se dérober. Un jour, par exemple, le roi se retourne au moment décisif de la promenade et dit d'un ton dégagé: « Tiens, où donc est le prince ?» — Il s'est arrêté tout-à-l'heure pour s'arracher une épine du pied: où diable a-t-il bien pu passer? En désespoir de cause, et n'arrivant pas à faire disparaître son héritier présomptif par accident, le roi se décide à l'exécuter officiellement ; il envoie des émissaires porteurs d'un magnifique cercueil d'argent, la Rambola, destiné à contenir les restes mortels de Ramboa. Toujours prévenu à temps, le prince fait son paquet et part avant le « Où donc est Grand émoi à Ambohimanga: jour, le bâton sur l'épaule Ramboa ? sa maison est fermée, il est parti ce matin avec des bagages ; il y a de l'Àndrianjafy là-dess £ H^cC<g)«n.dant, le fugitif rencontre par hasard au coin d'une Ambohimangais aprizièrp^hijagÊta^^ si vite ?» ^es explications s'échanpuyé sur sa bêche: « Où as-tu se précipite vers Ambohimanga, gent, à la suite desquell notable roi ce soir !» Une après avoir dit à Ramb j?as i: Jjjpcras chefs réso conspiration s'ourdit en t uze yont l'histoire a conservé les noms; c'est le RutlVi^^ache. réunissent Les^o^ onspirateurs le P. Callet, est un grand kabary, et ce par kafrq^ déclamations sur l'indignité une chose admirablement ma e on ne le proclame pas déchu; on ne prononce même d'Andrianjafy; pas son nom. « Qui donc est notre roi, ô Tsimahafotsy? Le défunt s'était notre Ramboa; ses dernières volontés sont désigné un successeur, ses dernières volonsacrées.» - Un imbécile interrompt: «Certainement, tombe tés sont sacrées; mais, d'autre part, Andrianjafy? » L'interrupteur percé de coups de sagaie; le kabary continue. On supprime le roi Andrianjafy par prétérition; personne n'a l'air de s'apercevoir qu'un individu de ce nom existe. C'est bien l'habitude malgache de n'aborder et des jamais une question de front, grâce à l'usage des euphémismes les discours sont très longs, mais il n'y a d'essentiel que sous-entendus ; ce qui est entre les lignes. Ce conciones malgache du P. Callet est parau point de vue psychologique fois aussi intéressant qu'archéologique. L'oncle, il Et c'est ainsi que Ramboa devint Andrianampoinimerina. Il. se vengea d'abord sur un est vrai, ne disparut pas sans résistance. l'auxiliaire autre membre de la famille qui avait été secrètement et qui n'eut pas l'intelligence de s'éloigner à d'Andrianampoinimerinn
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temps. Ce comparse portait un nom très répandu dans la famille le prince sans égal, et l'histoire de sa mort royale, Andriantsimitony, est assez malgache pour mériter peut-être d'être racontée. Tous ceux qui ont pénétre dans une des vieilles cases royales, que le temps a respectées, ont remarqué dans le coin Nord-Est un lit perché tout en haut de. colonnes, ou plus exactement, de pieux très élevés, à trois mètres cinquante ou quatre mètres du sol; on y grimpe au moyen C'était là que, par mesure de prudence, d'une échelle rudimentaire. couchaient jadis les grands personnages et plusieurs exemples prouil est question d'un vieux vent que cette précaution était dangereuse; roi que sa femme, qui évidemment couchait dans la ruelle, fit tomber du haut du lit d'un coup de pied adroit et vigoureux: l'instant d'après elle était veuve. 1 Pareille mésaventure fut fatale au «prince sans égal». Il était sur son lit quand Andrianjafy lui prit insidieusement la main, sous prétexte d'y lire l'avenir dans les lignes, mais il s'y cramponna si vigoureusement que le reste du corps suivit, et le «prince sans égal)) fit une culbute qui lui rompit le cou. Andrianjafy fit creuser pour l'ensevelir une fosse profonde comme un puits: «Tâchez qu'on ne puisse plus avoir le corps, qu'il soit introuvable même pour sa mère) et on entassa dessus des pierres et de la terre. Andrianjafy fut mis bien vite hors d'état de nuire; il fut pris et conduit à Ambohimanga. Andrinampoinimerina plaida timidement sa cause: «II est seul maintenant, sans partisans ; qu'avons nous à craindre de lui?») Mais les Tsimahafotsys, les habitants d'Ambohimanga, qui avaient évidemment de vieux griefs, n'entendaient pas de cette oreille: (cIl a mangé nos femmes et nos enfants», expression toute alla donc se prométaphorique naturellement. Andrianampoinimerina mener à l'Ouest d'Ambohimanga, pendant que le peuple allait au devant de l'oncle, à l'Est. Un simple sujet ne pouvant pas toucher le roi. on le fit tuer par quelques membres de la famille royale, ses pairs. Impossible de se laisser aller au régicide avec un sens plus délicat des convenances. Ce dévouement poinimerina un des narive était le gros à trois reprises pris,
d'Ambohimanga, qui avait donné à Andrianamtiônes d'Imerina, lui assura tous les autres. Tanail fut morceau, on se disputa avec acharnement; perdu, repris et reperdu. Le roi de Tananarive était Andrianamhntsimarofy « le chien vig-oureuxn, un nom à la Fenimorc Coopcr. Il parait avoir été un homme intelligent ; c'est à lui que. Mayeur, l'interprète de Beniowski, eut afn:
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faire; c'est donc sous son règne que le premier Européen mit le pied à Tananarive; cette visite avait été ardemment souhaitée, directement provoquée par «le chien vigoureux». Mayeur était chez les AnBetafo, dans le Vakinankaratra), dratsay (actellement lorsqu'il reçut la visite incognito du roi de Tananarive, qui l'invitait à passer chez lui en s'en retournant, et qui l'y reçut quelques jours après, en grande pompe. Quelle chose curieuse, soit dit en passant, que cette influence acquise par la France, ou du moins par son représentant, Beniowski, à la fin du XVIIIe siècle, cette ébauche d'empire puissamment esquissée en quelques années par ce Dupleix polonais; d'autant plus curieuse que la jalousie du gouverneur des Mascareignes n'a pas seulement anéanti elle en a fait disparaître jusqu'au souvenir historique, enl'œuvre; foui au plus profond des terribles archives administratives, d'où l'érudition moderne essaie péniblement de l'exhumer. «Le chien vigoureux » paraît malheureusement avoir eu un penchant déplorable à l'ivrognerie; ou du moins l'histoire, toujours sévère, il est vrai, pour les vaincus, l'en accuse formellement. La guerre éclata entre lui et Andrianampoinimerina à propos de femme. Le roi de Tananarive, après avoir fiancé sa sœur au roi dAmeut la faiblesse de la marier au roi d'Ambohidratrimo. bohimanga, Justement froissé de ce manque de procédés, Andrianampoinimerina entra en campagne. Les colonnes d'attaque furent massées à Andrainarivo, au village où sont actuellement les baraquements de l'artillerie et dans le voisimais là s'arrête la nage du centre d'opérations du Général Duchesne; ressemblance. Les Tsimahafotsys (Ambohimanga) attaquèrent par le Sud-Ouest, par la vallée au fond de laquelle est un petit lac, entre Tananarive et Les Tsi>la montagne aux tranchées rectilignes d'Ambohijanahary. miamboholahys par le Nord; les (Ilafy), montèrent par Faravoliitra, Mandiavatos (Ambohitrabiby), par l'Est, par Ambanidia et la route actuelle de Tamatave A cette époque, Tananarive méritait encore son vieux nom d'Alamanga (la forêt sombre) ; les pentes, aujourd'hui habitées, étaient boisées ou du moins broussailleuses. Les colonnes d'attaque purent s'avancer sous couvert et arrivèrent dans l'intérieur de la ville avant d'avoir été signalées. Les habitants, d'ailleurs, étaient décimés par la petite vérole. « Ceux qui n'étaient pas
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malades jon les pilla et ceux qui l'étaient on les envoya mourir ou guérir dehors.» Le roi se sauvaà Fenoarivo. En pratique, il semble qu'à l'exécution de ces mesures sanitaires si sages ne présida pas un esprit scientifique assez rigoureux, car les vainqueurs furent contaminés à en profita pour reprendre la ville leur tour et le « chien vigoureux» exactement comme il l'avait perdue. Il semble d'ailleurs ne l'avoir gardée que peu de temps et en avoir été réexpulsé tout de suite. Mais il ne perdit pas courage. heureuseLe jour de la fête du bain, qu'Andrianampoinimerina, ment pour lui, célébrait à Ambohimanga, ses sujets,. les nouveaux habitants de Tananarive, étaient paisiblement en train de se partager la viande des bœufs, lorsque l'ennemi, les Merina du Sud, firent irruption de tous côtés et expulsèrent ceux qu'ils ne massacrèrent pas. L'assailen trois colonnes, l'une par le Zoma, lant avait grimpé discrètement l'autre par Ambohipotsy (l'extrémité Sud), l'autre par Ambanidia. les de tant de surprises successives, Instruits par l'expérience Merina du Sud et leur roi, «le chien vigoureux», firent bonne garde, dut faire un siège en règle qui dura trois mois. Andrianampoinimerina et passait ses journées sur Il en surveillait les progrès d'Ambohimanga le rocher, nu, au sommet de la colline, au Sud des tombeaux, une place chauve, au milieu du bois, d'où l'on distingue parfaitement Tananarive. Dès que la ville fut prise, il envoya cet ordre patriarcal à ses soldats (cNe pillez que les poulets; le royaume est à moi, et tous vainqueurs: les Merina sont mes enfants». C'est ainsi que les Merina du Nord, Ambohimanga en tête, annexèrent les Merina du Sud; voilà pourquoi Ambohimanga bénéficie de la vénération générale; dans les kabary, elle est nommée, d'abord, avant Tananarive, et l'Imerina est désignée par Tout cela date d'Ancette périphrase: ((Ambohimanga et Tananarive". toute sa vie, il se souvint de ce qu'avaient fait drianampoinimerina: pour lui ses Tsimahafotsys, et c'est au milieu d'eux, à Ambohimanga, qu'il repose. Un jour, il voulut les anoblir en masse; "cela chatouillerait désails se contentèrent Merina «Manipangidy»; de menus gréablement les privilège, d'exemptions d'impôts. Mais surtout ils furent les premiers entre leurs pairs; dans toutes les cérémonies officielles, leurs représentants ont le pas sur tous les autres; et, parmi les hauts fonctionnaires, la plupart sont encore aujourd'hui des Tsimahafotsys. Ambohimanga est - restée fidèle au fondateur de la dynastie, à son souvenir et à ses idées. Jusqu'à ces derniers mois, aucun Européen n'y avait pénétré, c'était le
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seul coin inaccessible de l'imerina ; on raconte l'histoire d'une lutte homérique entre les gardiens de la porte et un père Jésuite plein d'un zèle pieux qui voulait exorciser le démon jusque dans son autre Jean Laborde, lui-môme, qui paraît avoir été quelque temps prince consort, né put pas, dit-on, faire lever l'interdit en sa faveur. C'étaient les cendres d'Andrianampoinimerina qu'on gardait ainsi inviolées; dans il y a un coin, insignifiant pour le profane, où l'enceinte des tombeaux, des mains pieuses ont entassé des cailloux roulés; sur ce petit tas de cailloux, tous les soirs, au coucher du soleil, vient s'asseoir un spectre, que les gardiens n'ont jamais osé regarder de trop près, mais qui est drapé de rouge, la couleur de la royauté. Quand on mit un poste à Ambohimanga, les Tsimahafotsys furent convaincus que le vieux roi allait lancer sur nos soldats les fièvres les plus pernicieuses. Impuissance des amulettes ancêtres devant les puissantes vazalia: Ambohimanga a développé toutes les qualités d'un excellent sanatorium. Pendant ce temps, Tananarive, au contraire, s'ouvrait de plus en elle représente l'esprit nouveau. Radama lei fut en.plus à l'Européen; terré à Tananarive et Ranavalona Ire à Ambohimanga Tous deux sont bien à leur place: dans la ville moderne, le roi qui, le premier, commit dans la ville la grave imprudence d'ouvrir son pays aux Européens: entêtée du passé, la reine quinteuse et superstitieuse, qui passa quarante les chrétiens, c'est-à-dire ans à expulser les étrangers et à persécuter ceux de ses sujets qui apprenaient à lire; sage prudence d'ailleurs, dont ses successeurs n'ont pas eu personnellement à se louer de s'être départis. Ce caractère sacré d'Ambohimanga est si prononcé qu'on se demande d'un ancêtre l'explique sufsi le souvenir politique et la vénération fisamment, s'il n'y aurait pas de vieux sentiments religieux et fétichistes d'un autre ordre. Mais on les cherche inutilement. Il semble probable que l'invasion des Hovas, de la race claire, a eu en même temps qu'un bouleversement politique et pour conséquence, social, une révolution religieuse. Depuis longtemps on a attiré l'attenen malgache de locutions et de proverbes qui tion sur la présence supposent la croyance en Dieu. Il en est une, en particulier, qui »: Que Dieu te protèrevient à chaque instant « tahin' Andriamanitra se sont félicités d'avoir trouvé, tout existant ge ! Les missionnaires dans la langue, la traduction de notre mot Dieu; tandis que dans l'Afriils ont eu à résoudre le problème doublement que du Sud, disentils, compliqué de créer le mot et d'expliquer sa signification. Mais, en mal-
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ou Zanahary sont des fossiles gache, les mots comme Andriamanitra une simple habitude de la langue à laquelle ne corresphilologiques, évipond plus de notion. Il semble qu'il y ait eu une race monothéiste, demment la race claire, qui, petit à petit, a oublié son Dieu comme elle a oublié son pays d'origine. de Un pasteur indigène qui a été admis en 1885 aux honneurs de n'al'Antananarivo Annual réclame pour ses ancêtres l'honneur de voir pas toujours été fétichistes: «Aune époque assez rapprochée nous, pour que nous en ayons gardé le souvenir, les Hovas n'avaient pas d'idoles du tout» et ceci pourrait bien être vrai; «ils croyaient au vrai Dieu et ils aimaient la justice par-dessus tout»; ici, l'auteur doit se laisser entraîner par sa thèse. Et, plus loin, il raconte comment Andriaà ses soldats des de propos délibéré, distribuait nampoinimerina, aux Sakalava, leur influence amulettes ayant constaté empruntées heureuse sur le moral de son armée; et parce qu'un Malgache, disons même un homme, est bien plus brave quand il se croit sûr de n'être pas tué. le pasteur est humilié de ses ancêtres Evidemment, indigène fétichistes et il leur impose une conversion posthume; cependant, il doit y avoir une part de vrai dans ses affirmations. Les plus grands dieux, les premiers sampy malgaches, sont nettement d'importation étrangère. Kelimalaza, par exemple, le plus célèbre de tous, vient de très loin dans le Sud; il fut apporté par un certain Kialabe, dont la mémoire des Malgaches conserve encore le nom et la légende; on ne lui connaissait ni enfants, ni parents, ni amis. On l'assas sina pour lui voler son Dieu; et tout autour de son tombeau la terre se ravina mystérieusement, tandis que le tombeau lui-même restait debout. Tout porte à croire, quoiqu'en ces matières il faille se méfier des hypothèses, que le fétichisme souffrit beaucoup de l'invasion hova, s'il ne disparut pas tout à fait. Puis, à mesure que les conquérants isolés des perdaient leurs traditions, il y eut une réaction, une restauration anciens dieux indigènes. Ce serait donc plutôt en dehors de l'Imerina qu'il faudrait chercher des centres religieux indigènes. Mais, dans l'Imerina même, il ne manque pas de points dont exclusivement l'importance religieuse est bien plus grande que celle d'Ambohimanga. à quelques kilomètres Sud-Est de Tananarive, Ambohimanambola, est incontestablement la capitale religieuse de l'Imerina. C'est elle qui a donné asile à Kelimalaza, et ses sortilèges la protégèrent longtemps
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Sous les pieds des envahisseurs naisAndrianampoinimerina. saient, dit la légende, d'immenses marécages où poussaient à vue d'œil les nénuphars et les joncs. Les habitants d'Ambohimanambola conservent encore aujourd'hui le nom d'Andrian'Ody, que l'on pourrait traduire librement: noblesse sacerdotale, et, de ce chef, ils ont eu la prétention d'être exemptés de corvée. Les points les plus anciennement vénérés, les véritables sanctuaires les sommets des plus hautes montagnes Vazimbas, sont probablement de l'Ankaratra, de l'Angavo, de l'Andringitra. Au sommet de l'Andringitra habitait «le Prince » Zanak'Andriana, qui recevait des cadeaux et rendait des oracles au fond d'une caverne. Radama Ier, dit Ellis, alla voir «le Prince» et fut surpris de voir une main tendue hors de la ce souverain caverne pour recevoir son offrande: éclairé saisit la main avec énergie et retira du trou un de ses sujets, auquel il fit administrer une volée de coups de bâton. Rien de semblable à Ambohimanga. Des souvenirs dynastiques sont bien décidément les seuls qui s'y rattachent, et, ce qui est remarquable, c'est qu'ils sont tout récents: un siècle à peine. Il est curieux de voir avec quelle rapidité les faits historiques a chez ce peuple neuf et souple. Andrianampoinimerina patinent de la Révolution et du régné de 1787 à 1810; il est le contemporain Premier Empire. Chez nous les passions de cette époque sont encore vivantes : ici, Andrianampoinimerina apparaît avec un recul étonnant les luttes et les haines comme une sorte de Charlemagne mythique; si récentes entre Merina du Nord et du Sud n'ont pas laissé de traces; et les royaumes vaincus, oubliant leurs propres traditions, n'ont gardé la mémoire que d'Andrianampoinimerina. Les conquérants se déifient ici plus vite qu'ailleurs : acceptons-en l'augure. E. GAUTIER, Directeur de l'Enseignement à Madagascar. (
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er MARS
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La situation de la Colonie, telle qu'elle a été exposée dans le bulletin mensuel du dernier numéro, n'a cessé de s'améliorer progressivement pendant tout le moisde février. L'œuvre de la pacification a été continuée avec le même succès que pendant le mois de janvier. De toutes parts, nos postes ont gagné du terrain; partout, en Emyrne, les populations, fatiguées de cette guerre sans résultats, sont venues en masses à nos postes offrir leur soumission et rendre leurs armes, et il ne reste plus actuellement de bandes rebelles que sur les limites de l'Emyrne, au Nord et à l'extrême Sud-Est. Les opérations militaires qui ont amené ce résultat n'ont point eu grand retentissement; elles n'ont pas moins été des plus heuseuses et aussi des plus pénibles pour nos troupes. Le mois de février est celui où il tombe le plus d'eau sur les hauts plateaux et celui où la température est la plus élevée. Malgré ces conditions défavorables, les opérations militaires n'ont pas cessé un instant, les troupes blanches et noires donnant l'exemple d'un même dévouement et d'un même entrain, sinon d'une même résistance au climat. Dans le 1er territoire militaire, les opérations de M. le lieutenant-colonel Hurstel avaient, dès la fin de janvier, rejeté vers le Nord les bandes qui, se tenant dans la forêt, inquiétaient la route de Tamatave, entre Ankeramadinika et Sabotsy. M.le lieutenant Combes, à son tour, attaquait les positions de la rive droite de la Mananara, où Rabozaka avait établi son camp et recueilli les rebelles chassés par les opérations du lieutenant-colonel Hurstel. Une brillante opération, conduite par le capitaine Lucciardi, nous a rendus maîtres des positions ennemies, et Rabozaka a dû s'enfuir précipitamment avec quelques partisans. Il est intéressant de remarquer, cependant, que ces bandes du Nord sont plus tenaces et plus profondément hostiles que toutes les autres. Nous aurions pu raisonnablement espérer un grand nombre de soumissions comme la suite naturelle de cette opération. Il n'en a rien été; quelques rares individus seulement se sont rendus, certains prisonniers ont mieux aimé se faire tuer que de marcher à
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la suite de nos colonnes. Quoi qu'il en soit, à l'heure actuelle, le principal centre de résistance dans le Nord-Est est détruit et la principale bande rebelle désorganisée ou dispersée. C'est un résultat d'autant plus heureux qu'il a dégagé ainsi presque complètement la route d'Ambatondrazaka, où le commandant du cercle, commandant Rouland, s'étend, lui aussi, progressivement dans toutes les directions. Déjà, entre le lac Alaotra et la côte Est, la sécurité règne sur toutes les routes; au Nord, le capitaine Chieuse, du secteur d'Imerimandroso, a étendu notre influence jusqu'à Anosimbohangy, à mi-chemin de Mandritsara, poste avec lequel le commandant Rouland ne tardera pas à se mettre en relations; au Sud et au SudOuest, les populations sihanaka rentrent peu à peu dans le devoir et accueillent avec joie la protection de nos troupes, qui leur assure une prospérité inconnue depuis longtemps. Le climat de cette région est assez pénible en cette saison ;mais la vallée du Mangoroest encore plus insalubre que la région du lac Alaotra. Malgré la fièvre, malgré les inondations, le programme d'extension a été fidèlement suivi là comme ailleurs, et aujourd'hui l'on peut dire que dans toute la haute et la moyenne vallée du Mangoro, aucun village n'échappe à notre autorité. Dans le 2e territoire militaire, il y a eu deux centres principaux d'action: dans le Sud-Est et dans l'Ouest. Dans le Sud-Est, le commandant Drujon, commandant le cercle d'Ambatomanga, a infligé un sanglant échec aux rebelles à Nossi-Be, village retranché, qui a dû être enlevé d'assaut. Ce brillant fait d'armes amena la soumission d'une foule énorme d'indigènes restés jusque là hésitants. A la suite de cette affaire, de fortes reconnaissances ont refoulé dans la forêt du Sud-Est les quelques irréductibles encore en armes contre nous. Dans l'Ouest, l'activité incessante des officiers et des troupes placées sur cette frontière a causé encore de nombreux échecs aux rebelles et a rendu intenable pour eux toute la région habitée par les peuples de race hova. Aussi, les soumissions affluent, les armes sont rendues et les habitants regagnent paisiblement leurs villages. Les bandes ont dû s'enfuir vers le Valalafotsy, d'où elles ne tarderont pas à être chassées. Dans le cercle de Babay, la sécurité est à peu près complète sur toute la route de Majunga ; presque toute la population est rentrée et il n'existe plus de rebelles que sur la rive gauche de l'Ikopa et dans la forêt qui borde la Betsiboka. Encore, ces bandes sont-elles réduites à peu de monde, sans grandes ressources. Dans les territoires civils, il n'y a à signaler comme opération militaire que la très belle marche de M. Pradon et du capitaine Clavel avec une compagnie de tirailleurs malgaches, qui, partie de Maroantsetra, doit aller à Maivarano en passant par Mandritsara et Befandriana. Il serait injuste de ne pas citer la belle et heureuse défense de Mandritsara par 60 miliciens contre 1.500 rebelles, appuyés par 2 canons-revolvers.
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Le passage du capitaine Clavel a rétabli l'ordre et rassuré les populations; son arrivée sur la côte Nord-Ouest complétera l'œuvre si bien commencée par la prise de Maivarano et d'Andranosamonta. Sur la côte Nord-Ouest, en effet, les rebelles hovas qui tenaient la région viennent d'être chassés de leurs deux principaux postes, Maivarano et Andranosamonta, parles miliciens de M. Troupel, résident à Nossi-Be, soutenus par l'artillerie et la compagnie de déparquement du Météore. La prise de ces deux points fortifiés a donné lieu à trois combats assez vifs qui ont montré le parti avantageux que l'on peut tirer des miliciens recrutés dans cette partie du territoire. Tous les vieux colons savent que la côte Nord-Ouest de Madagascar est l'une des plus riches régions de l'île; malheureusement, elle était livrée au pillage depuis plusieurs mois parles rebelles hovas, qui avaient entraîné à leur suite un certain nombre d'adhérents sakalaves. La prise de leurs points d'appui et l'arrivée de la companie Clavel mettront sans doute fin à leurs exploits, et il est à espérer que le commerce, jadis très florissant, reprendra bientôt dans ce pays le mouvement d'autrefois. Surla côteEst, dans la résidence de Mananjary, un mouvement rebelle a causé quelques désordres à Sahavato et amené la mort d'un colon, originaire de La Réunion, fixé dans cette localité. Ce mouvement avait été provoqué, d'une part, par des lettres écrites au nom de la Reine et retrouvées plus tard, et, d'autre part, par des vengeances d'anciens esclaves dirigées contre leurs anciens maîtres. Ces troubles ont été promptement répriméspar un détacbement de tirailleurs malgaches et de miliciens envoyés sur les lieux. Des mesures ont été prises pour que des incidents de ce genre ne se renouvellent plus. Ainsi qu'on vient de le voir, l'action militaire étend peu à peu notre influence sur un territoire de plus.en plus vaste. Les réformes mises en pratique par le Résident Général viennent heureusement compléter les mesures militaires et asseoir solidement notre influence sur les régions conquises. Ces réformes sont de deux natures: d'ordre politique et d'ordre administratif. Au premier rang des mesures politiques, dont l'urgence se faisait sentir aux yeux de tous les habitants de la colonie, se plaçait l'abolition de la royauté en Emyrne. Cette institution était devenue un non-sens dans un territoire faisant partie intégrante de la République Française. De plus, l'attitude équivoque de la Reine, les agissements dont son nom était le prétexte, les espérances qu'en sous-main les fidèles du trône entretenaient chez les populations, ne laissaient au Résident Général d'autre alternative que l'exil de la Reine et l'abolition d'une royauté inutile et dangereuse. La cour servait de point de ralliementà tous les mécontents, étrangers et indigènes, dont le porte-parole était le pasteur Andrianaivoravelona; des correspondances venaient d'être saisies montrant jusqu'à l'évidence les relations de ce personnage avec les chefs de la rébellion du Nord ; personne, du reste, un peu au courant de la politique indigène, n'ignorait le rôle joué par Andrianaivo-
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ravelona; son intimité avec la Reine, dont il était le pasteur officiel et au nom de laquelle il exécutait ses menées hostiles à la France, ne laissait pas do doute sur la complicité, au moins tacite, de Ranavalo. La découverte de ces intrigues comblait la mesure; il n'y avait plus à hésiter; l'abolition de la royauté s'imposait. Celte mesure capitale, couronnement de la conquête et affirmation nette de notreprise de possession définitive de l'île, s'est effectuée, du reste, sans souleverla moindre protestation chez les indigènes. Dans quelques semaines, l'on pourra se rendre compte du degré d'émotion ressentie par la population; en aUendant; l'on peut affirmer que le départ de la Reine a eu, du moins, le très grand avantage de créer une situation politique nette; les indigènes, désormais, savent qu'il n'existe dans toute l'île qu'une seule autorité suprême et que cette autorité est entre les mains du Résident Générai. L'équivoque, qui a trop duré, est aujourd'hui dissipée, et nul doute que de nombreuses soumissions ne viennent affirmer le bien fondé de la décision exécutée le 28 février. C'est à cette date, en effet, que la reine Ranavalo IIIa été déposée et qu'elle est partie sous bonne escorte pour Tamatave, d'où ellesera dirigée sur La Réunion. Là, toute sa famille sera réunie dans un exil que le Gouvernement français adoucira autant que faire se peut. Le départ de la reine de Tananarive a d'ailleurs été entouré de toutes les précautions de nature à prévenir un mouvement quelconque de la population, et aussi de toutes les attentions courtoises auquelles ont droit les vaincus et les femmes. L'organisation administrative de l'Imerina avait, du reste, déjà préparé le départ de l'ex-reine. Une division rationnelle du pays en territoires, cercles et secteurs, a permis à l'autorité de nos fonctionnaires et de nos officiers de s'étendre jusque sur les moindres bourgades de l'Emyrne. Les fonctionnaires indigènes, dirigés et surveillés par les agents français, rendent des services très appréciés, tels qu'on peut en attendre de gens intelligents et rompus aux affaires. , En dehors de l'Emyrne, l'application de la politique de races donne déjà de bons résultats. Les chefs indigènes qui ont remplacé les anciens gouverneurs hovas montrent une extrême bonne volonté, mais leur éducation administrative est à faire, et le système nouveau ne donnera tous ses résultats que dans .quelques années. D'ailleurs, l'autorité personnelledes agents français se fait moinssentir sur la côte qu'en Emyrne, à cause des immenses territoires confiés aux soins d'un même fonctionnaire. C'est ainsi que, dans ce même ordre d'idées, les écoles ont très florissantes en Emyrne, à cause du nombreux personnel qui s'en occupe, alors que, sur les côtes, ce service public est à l'état embryonnaire et demandera encore longtemps les plus grands efforts de la part de nos résidents. En Emyrne, les écoles,, très nombreuses, reçoivent à peu près tous les - enfants du pays et un grand nombre d'adultes qui désirent apprendre le français.
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Des sons-officiers et des soldats dirigent beaucoup de .es écoles et apportent à l'accomplissement de ces devoirs, nouveaux pour eux, une ardeur stimulée par le zèle de leurs élèves. On peut, des aujourd'hui, prévoir qu'avant longtemps la langue française sera répandue partout. L'enseignement spécial et professionnel a été l'objet de toute la sollicitude du Gouvernement. L'école professionnelle est très fréquentée; elle est destinée à former des maîtres ouvriers et des chefs d'ateliers indigènes pour toutes les branches de l'industrie; elle sera un puissant auxiliaire pour la colonisation industrielle de Madagascar; plus de 130 élèves en suivent les cours. L'école de médecine, aussi, attire beaucoup de jeunes gens. Enfin, l'école Le Myre de Vilers sera une excellente pépinière pour nos administrations. Les jeunos gens indigènes qui suivent les cours de ces trois écoles spéciales montrent une application et un zèle soutenus. Ils seront, en sortant de là, les meilleurs soutiens de l'influence française et un aide précieux pour la grande œuvre de la colonisation, qui est l'objet de la sollicitude la plus pressante de la part du Résident Général. Malheureusement, l'île est très grande, les communications longues et difficiles, les richesses du sol ignorées souvent; aussi, n'est-il pas possible de faire œuvre utile pour la colonisation aussi rapidement que chacun le désirerait. En attendant, l'administration s'est occupée activement de tout ce qui peut faciliter le commerce et l'industrie en ce pays. Des concessions ont été accordées, la question du travail indigène a été étudiée, celle des musées locaux mise en train, une assiette équitable d'impôts établie, un règlement de douanes élaboré. Toutes ces mesures, malgré la conscience avec laquelle elles sont étudiées, se ressentent inévitablement des tâtonnements d'une période de création; car, en somme, tout était à faire à Madagascar, et, quelque bonne volonté qu'on y apporte, il y a toujours des lacunes. En résumé, la pacification avance à grands pas et d'une façon continue; les territoires soumis à notre influence s'étendent tous les jours, sous une double action agissant, d'une part du plateau central vers les côtes, et d'autre part des côtes vers le plateau central. Il est à prévoir que, dans le courant de l'année, en plusieurs points, ces efforts convergents se donneront la main. A côté de cette politique générale, ferme et suivie, une administration juste et intègre consolide une situation acquise par la force des armes. Des mesures générales, toutes calculées pour ramener la confiance chez l'indigène et pour assurer la prospérité de l'élément colonisateur, sont, ou bien mises en pratique ou bien étudiées. C'est une poussée puissante vers l'utilisation de toutes les forces vives du pays, qui doit, à bref délai, assurer la paix et la prospérité à notre nouvelle Colonie.
M. DE COINTET.
DE
— DE TANANARIVEA ANKAVANDRA
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TANANARIVE A ANKAVANDRA
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(
suite)
W JUILLET
PARTIE
DEUXIÈME
DESCRIPTION
1896
DE L'ITINÉRAIRE
Les divisions de l'itinéraire sont les suivantes: A. — Itinéraires dans le maasif central, Imerina (formations granitiques et volcaniques). 1° — Tananariveà Soavinandriana; 2° — Soavinandriana à Masindray; 3° — Soavinandriana a Maharidaza; 4° — Tananarive à Moratsiazo. B. — Itinéraires dansle massif central. Pays sakalave soumis aux Hovas y non (formations granitiques modifiées). 1° — Maharidaza à Ambohitromby ; 2° — Moratsiazo à Analabe par Ambohitromby ; 3° — Analabe à Bevato ; 4° — Bevato à Tsiroanomandidy ; 5° — Tsiroanomandidy à Miadanarivo (Ankavandra) ; 6° — Bevato à Miadanarivo par le Nord du Manambolo. C. — Itinéraires dans les terrains sédimentaires: 1° — Miadanorivo à Itondy. A. — Itinéraires dans le massif central. (Emyrne). Formations granitiques et volcaniques. 1° De Tananarive à Soavinandriana ( 100 km. environ). Cette partie de l'itinéraire se trouve comprise dans l'ensemble des travaux topographiques du R. P. Roblet. Le croquis n'en a donc pas été fait et je n'en donne que la description sommaire. (1) Voir les deux numéros précédents.
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La route que nous avon5 suivie mène de Tananarive au district du Mandridrano (chef-lieu: Soavinandriana), par le district d'Ambodirano (chef-lieu: Arivonimamo). Elle traverse un terrain montagneux, très arrosé, peu boisé (sauf au Sud-Est du lac Itasy) assez peuplé et cultivé. Les bas-fonds sont plantés en rizières ou occupés par des marécages, ce qui en rend la traversée souvent difficile. Tananarive à Avarabory (14 km.). — Terrain mamelonné, découvert, d'un parcours facile pour l'infanterie. Il faudrait jeter des ponceaux sur les coupures des digues de l'Ikopa, pour le passage des convois. Au 2e kilomètre, traversée de l'Ikopa, 80mde large, 1m80de profondeur, berges raides, passage en pirogue; le gué n'est guère praticable, même à la saison sèche. Au 12e kilomètre, traversée de l'Andromba près du village d'Ambohimarina, passage à gué, largeur de la rivière 60m, profondeur 1m40 (pendant un orage), berges facilement accessibles, fond de sable solide. L'établissement d'un chemin muletier serait facile en renforçant les digues de l'Ikopa. Il faudrait un pont sur ce fleuve. Le pays, peuplé, offre des ressources en riz et bestiaux. Avarobary, petit village entouré d'un mur en terre et d'un fossé à 1.500mde la rivière Katsoaka, sur la rive droite. * •» à Mandrosoa (27 km.). - Région de plateaux séparés par Avarobary des massifs montagneux que traversent des défilés. Terrain d'argile rouge compacte et de kaolin. Eruptions basaltiques formant le massif d'Ambohi-Ponompo. 1 km500. — Traversée de la Katsoaka en pirogue, largeur 50m, profondeur 2®1,abords vaseux, berges escarpées. 17 km. — Arivonimamo, gros village, chef-lieu du district d'Ambodirano. Après la Katsoaka, on traverse à gué six autres rivières. Le chemin muletier serait assez facile à établir; il faudrait un pont sur la Katsoaka. — Mandrosoa, petit village. Mandrosoa
à Soavinandriana
(44 km.).
A l'Est et au Sud-Eest du lac Itasv, région montagneuse, d'un parcours difficile. Au Sud du lac Itasy, vastes marais, terrain d'argile rouge et de kaolin, affleurements de roches primitives et volcaniques. ** à Masiesokaua De Mandrosoa (14 km.). — Hautes montagnes et pauvres, dénudées, séparées par des dépressions profondes, villages petits maigres cultures de rizières dans les fonds; terrain plutôt de pâturages.
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Itb
— Petit village au Sud du mont AmbatoMitsangana. De Alasicsokona. Masiesokona jusqu'au Sud du lac Itasy, montagnes moins élevées, plus abruptes, déchirées par l'érosion des eaux, boisement assez touffu en tapias; herbes hautes et serrées dans les fonds, lits de torrents encaissés, terrains de pâturages et de cultures. Petits villages et fermes nombreuses, ressources en riz et bestiaux suffisantes. Au Sud du lac, traversée des marais de Fitandrambo, formés par les embouchures de plusieurs rivières dans le lac Itasy. Nombreuses rigoles naturelles d'écoulement de 0 m. 50 à 1 m. de profondeur. Dans le marais, on enfonce de 0 m. 30 à 0 m. 50. Fermes et beaux pâturagessur les pentes des hauteurs et sur les mamelons séparant les bassins des rivières qui forment le marais; beaucoup de bœufs, peu de cultures. Au Sud-Ouest du lac, montée presque à pic, sur le flanc oriental du massif d'Ambato-Manjaka, avant d'atteindre le plateau supérieur où se trouve Soavinandriana à l'origine de plusieurs thalwegs. La traversée du marais et la montée d'Ambatomanjaka sont impossibles aux animaux. Il n'y a pàS lieu même de chercher dans cette région un chemin muletier. Le trajet que nous avons suivi à partir de Masiesokana n'est pas celui de la piste habituelle. Le marché de Sabotsy, à quelque distance à l'Est de ce village, marque le point où le véritable chemin se dirige plus au Sud par Mahabo, pour emprunter ensuite, pendant quelque temps, la vallée du Kitsamby et remonter a Soavinandriana par Ambohidanerana et Miantsoarivo. Ce chemin, beaucoup plus praticable, pourrait probablement servir de directrice générale à un tracé de chemin muletier. De Mahabo, un chemin assez mauvais se dirige sur Masindray. Toute la piste de Tananarive a Soavinandriana par Arivonimamo et Miantsoarivo est aménagée en sentier de un mètre de large, par la main-d'œuvre indigène et sous la responsabilité des gouverneurs, mais sur les plateaux et les croupes seulement. Les endroits difficiles, en particulier les passages de ruisseaux, ne sont pas arrangés. —Village créé en mai 1895 par Ratsimanohatra (12hrs), Soavisikandriana. gouverneur du Mandridano a cette époque; Ratsimanohatra en a fait la capitale de son district. Soavinandriana occupe une position stratégique importante, sur un haut plateau de 1.000m d'altitude, compris dans l'intérieur du triangle formé par le mont Ambohitromby à l'Ouest, l'extrémité septentrionale du massif Vinany au Sud et le mont Ambohitrinimanjaka au Nord. Sur les pentes du plateau prennent naissance: au Nord, la rivière Zanakolana, affluent du Lily, à l'Ouest, l'Ankarahara, et au Sud, le Marofahitra, tributaires tous deux du Kitsamby.
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Les vallées de ces rivières forment des seuils naturels permettant de pénétrer en Emyrne. La position de Soavinandriana commande ces voies d'accès, qui se prolongent à l'Ouest par Miantsoarivo sur Tananarive. - Le gouverneur Ratsimanohatra avait transporté sur ce point le siège de son gouvernement, afin de s'opposer aux incursions sakalaves, plus facilement qu'il ne pouvait le faire à Mahatsinjo, l'ancien chef-lieu, situé dans un bas-fond entouré de montagnes. Les Sakalaves qui abordent périodiquement cette région ont pour objectif principal le Sud du lac Itasy, où se trouvent de nombreux troupeaux de bœufs. Soavinandriana est un village d'une trentaine de cases, constructions encore provisoires en branchages et terre battue. L'enceinte est formée d'un mauvais mur en pierres sèches, écroulé par endroits, n'ayant nulle part plus de deux mètres de hauteur et aisément franchissable. Une palissade en gros pieux de trois mètres de hauteur entoure les maisons du gouverneur. Au Sud-Est, un enclos bien cultivé renferme trois belles constructions en pierre appartenant à une mission anglaise. Le village est habité par 100 soldats hovas et leurs familles. Le plateau est sain. Les environs sont peuplés et cultivés. On y remarque principalement les villages d'Andrainarivo (30 cases en pierres ou en briques), Miantsoarivo (20 cases), Miadanamanjaka (deux villages comprenant ensemble 40 cases et un temple), en plus, plusieurs agglomérations de deux à six cases. L'eau est abondante, le bois en quantité suffisante. Le pays produit du riz, des patates, du manioc, du maïs, etc. On y trouve des bœufs, des cochons et des volailles. Il se tient le lundi un important marché à Soavinandriana. De Soavinandriana, un sentier tracé se dirige sur Mahatsinjo, par les bords du lac du Kasanja. Ce sentier est celui qui va à Tanimandry par Maharaolo. Mahatsinjo est à sept kilomètres de Soavinandriana. Un deuxième sentier se dirige au Nord (il fera l'objet d'une description ultérieure). Enfin, un troisième sentier se dirige au sud et fait l'objet de la description qui suit : > 2° De Soavinandriana à Masindray (14 km,) — Sentier tracé de un mètre de large, longeant GÉNÉRAUX. RENSEIGNEMENTS d'abord les pentes orientales du massif du du mont Vinany, suivant ensuite une ligne de crêtes jusqu'au village de Masindray, situé sur le versant Nord du massif de l'Ambohitsarabe. C'est le chemin stratégique permettant de se rendre des environs du lac Itasy au Kitsomby. Il marque à peu près la limite entre les pays hovaset les régions de l'Ouest, désertes ou habitées par les Sakalaves plus ou moins soumis aux Hovas. Il sui un tracé assez facile, malgré le passage de quelques ruisseaux descendant du Vinany, et qu'on traverserait peut-être plus facilement en obliquant à l'Ouest, de façon à longer le pied des pentes supérieures de la montagne. On traverse des terrains granitiques coupés de nombreux affleurements de quartz.
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A l'Est, on aperçoit la vallée profonde, marécageuse et encaissée de la Bandane, tributaire du Kitsamby. L'horizon est formé par de hautes montagnes d'un parcours difficile. La région est assez peuplée et cultivée; peu de villages, mais beaucoup de petites agglomérations de deux à cinq cases entourées de haies épineuses et de fossés. A l'Ouest, la vue est bornée d'abord par le massif du Vinany ; entre son extrémité Sud et Masindray, les hauteurs s'abaissent et le regard peut s'étendre au loin sur une vaste région de plateaux ravinés, ruinée par les incursions sakalaves. Elle constitue, paraît-il, un excellent pays de pâturages jusqu'au Bongo-Lava. On trouve sur le parcours des ressources suffisantes en bœufs, cochons, volailles, riz, manioc, patates et mais. Il existe aussi quelques cultures de pommes de terre. Massif tic l'Ambohitsarabe (l.â'ÏS Dl.), — Depuis Soavinandriana, le terrain descend en pente continue vers le Sud et- se relève brusquement au mont Ambobitsarabe, qui fait face aux contreforts occidentaux du massif basaltique de l'Ankaratra. Le sommet de l'Ambohitsarabe se compose de blocs énormes de granit. Il domine d'environ 450 mètres le cours du Kitsamby, qui l'enserre à l'Est et au Sud. — Une des rivières qui forment le Mahajilo. Kitsamby. La partie reconnue coule dans une vallée profonde et encaissée et reçoit de nombreux torrents descendant des montagnes voisines et ravinant profondément les pentes. Les fonds et quelques pentes sont cultivés. Pas de villages, mais plusieurs petits hameaux. Les habitants sont Hovas et Betsileos. La vallée du Sakaombv, affluent de gauche du Kitsamby, mène au pays betsileo. Le lit de la rivière, formé de roches et de sable, est encombré de rapides. Sa largeur moyenne est d'environ soixante mètres à la saison des pluies, trente mètres à la saison sèche. Il est guéable à la saison sèche sur tous les points, mais en quelques endroits déterminés seulement à la saison des pluies (gué au Sud-Ouest de l'Ambohitsarabe), sur la piste menant de Masindray à Ambohibazaha,1m40 de profondeur. Rencontré une seule petite pirogue à l'Est du mont Ambohitsarabe. Les crues de la rivière sont très fortes en raison de l'encaissement de la vallée. Hoqutes. - De Masindray, une mauvaise piste, d'un parcours difficile en pays de montagnes, mène a Arivonimamo et Tananarive par Masofahitra et Mahabo. A l'Ouest, une piste (praticabilité inconnue) mène à Bczezika (35 kilomètres). C'est une des directions menant dans l'Ouest (à Manandaza).
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Au Sud, une piste mène à Ambohibazaha, dans le Valala-Betokana, par la vallée du Sakaomby (dix kilomètres Ambohibazaha, vingt cases). Cette route fait communiquer la partie occidentale du betsileo avec le pays hova de Mandridrano. à l'Est du mont Ambohitromby, liareltés. Sabotsy Valala-Bctokana, au Sud-Est de Masindray.
Alarobia dans le
38 Soavinandriana à Maharidaza (43 km.) RENSEIGNEMENTS GÉNÉRAUX, — Direction au Nord. Le sentierest tracé en voie de un mètre de large jusqu'au Lily. De cette rivière jusqu'à Maharidaza, le sentier n'est plus qu'une piste de piétons, qui disparaît par endroits dans les herbes et les marécages. Le terrain s'abaisse de l'altitude 1.600 mètres Soavinandriana) à l'altitude 1.020 mètres (Maharidaza). De Soavinandriana au Lily, on traverse un pays montagneux, d'un parcours très difficile. Le sentier passe au pied du mont Ambasy et parle village Ambarakely; mais nous avons suivi, par erreur, une direction beaucoup plus mauvaise, passant dans les marais qui bordent le lac Itasy et par le village de Moratsiazo. On aperçoit quelques villages sur les bords du lac et dans la vallée de la Zanakolona. La population est hova. Le pays offre peu de ressources, sauf dans cette vallée. On ne rencontre pas d'arbres, excepté dans la vallée du Lily. Du Lily à Maharidaza, région volcanique. Entre le Lily et le Kitambolo, on passe dans une succession de cuvettes, anciens cratères entourés de montagnes et de mamelons arrondis. Le sol est couvert d'une herbe serrée, bonne pour les bœufs, a travers laquelle on aperçoit des laves en maints endroits. Le parcours serait assez facile, si on n'avait pas à traverser les vallées de plusieurs rivières ou ruisseaux toutes encombrées de marécages. Il faudrait, pour l'établissement d'une route, même muletière, élever sur ces maraisdes chaussées de 1 mètre à lm 50 de hauteur et construire des ponceaux. C'est un pays de pâturages; on aperçoit quelques troupeaux de bœufs, surtout dans la vallée de l'Audranolava. Très peu de villages. La région a été ruinée par les Sakalaves de l'Ouest. Pas de cultures autour des villages. Les habitants sont gardiens de bœufs. On sort peu à peu de la population hova ; Maharidaza est habité par des Sakalaves principalement. A l'Est, on aperçoit les massifs montagneux de l'Emyrne. A l'Ouest, à partir des hauteurs de la rive droite du Kitambolo, la vue s'étend au loin sur des plateaux ravinés, parsemés de massifs montagneux. VOIES DE COMMUNICATION Un sentier venant de l'Emyrne contourne le lac Itasy par le Nord, suit la rive droite du lac Itasy et s'enfonce, vers l'Ouest, dans la direction de Mahasolo et de Tanimandry.
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Un deuxième sentier, dont je n'ai eu connaissance que par renseignements, descendrait la vallée du Kitambolo ; il mènerait d'Ambohidratrimo et Miarinarivo (Kmyrne) à Tanimandry et à Analabe. * du Lily. — Le Lily, rivière tributaire du Sakay (bassin du Passage , .Tliribibinà), coule dans une vallée étroite, encaissée; sa rive gauche est bordée de montagnes abruptes. Sur la rive droite, plateau peu élevé et d'un parcours facile. Rapides à la sortie du lac Itasy. Au milieu des rapides se trouve des huttes jjan branchages servant aux gens du pays de refuge ou d'emplacement pour *moiijler des engins de pêche. Les rapides ont huit à dix mètres de hauteur. Largeur de la rivière cinquante mètres; profondeur lm 70, à la saison des très inégal. plaies. Fond de roche Difficilement guéable, même à la saison gèche, à cause du fond et de la nature des berges, qui sont escarpées. Il faudrait entailler celles-ci pour en permettre l'accès aux animaux. Passé sur une pirogue de quatre mètres de longueur. Il y en a plusieurs aux environs. 4° Tananarive à Moratsiazo Tananarive à Soavinimerina. .soavinimerina à l'Ikopa.. , , Ikopa à Moratsiazo. , , , .,
27 kilomètres, 33 kilomètres. 47 kilomètres.
A. TANANARIVE A L'IKOPA,60 KILOMÈTRES. * Dans la première partie de ce travail, j'ai exposé les motifs pour lesquels la route de Tananarive à Moratsiazo par Soavinimerina me paraît la meilleure de toutes celles qui peuvent servir aux communications militaires et commerciales entre l'Imerina et le Menabe. Le gouvernement malgache a déjà fait faire à Tsaravehivavy un chemin de un mètre de largeur qui n'existe, d'ailleurs, que sur les parties du tracé n'offrant aucune difficulté. On n'a pas aménagé, notamment, les passages de ruisseaux et de marais. De Tananarive à l'Ikopa, le terrain est suffisamment connu par les travaux du R. P. Roblet pour que je n'aie pas cru devoir détailler l'itinéraire. La direction générale est Nord-Ouest. Jusqu'à Soavinimerina, le chemin longe d'abord l'Ikopa sur les larges digues qui servent à canaliser le fleuve, puis il traverse des marais avant de s'engager dans un pays mamelonné facile à parcourir. De Soavinimerina à l'Ikopa par Miantsoa, le pays devient beaucoup plus accidenté, sans offrir cependant d'obstacles infranchissables. Pour l'établissementd'une route militaire, il serait nécessaire de pratiquer fréquemment des rampes et des lacets et d'établir des ponceaux au passage de plusieurs ruisseaux.
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Le pays traversé est très riche. C'est une des parties les plus peuplées de l'Imerina. Les ressonrces en tout genre abondent: riz, bestiaux volailles, etc:; les villages, nombreux et bien construits, offrent de bons cantonnements. L'eau est bonne et abondante dans les ruisseaux. On trouve du bois en quantité suffisante autour des lieux habités. L'Ikopa, large de quatre-vingt à cent mètres, profond de 1m 80 à 3 mètres, n'est pas guéable. Ses abords sont difficiles: abruptes ou marécageux. On trouve de nombreuses pirogues près des villages riverains; elles peuvent servir à rétablissement de ponts de bateaux. A noter le point d'Ambatonakanga, où existerait, d'après les renseignements du R. P. Roblet, un rocher placé au milieu du courant et pouvant servir de pile naturelle à un pont. De l'Ikopa à Moratsiazo, la route remonte la vallée du Manandriana, tributaire de l'Ikopa, et descend celle du haut Sakay. Ces deux vallées, d'une largeur variant de trois à six kilomètres, sont presque partout enserrées entre des montagnes abruptes et constituent une sorte de long défilé commandé sur ses flancs et barré par plusieurs positions militaires également bonnes contre des adversaires venant de l'Est ou de l'Ouest. Le bassin du Manandriana se confond avec celui du Sakay, à l'Ouest de Tsaravchivavy, dans un grand marais, sans profondeur il est vrai, mais infranchissable à l'artillerie et aux convois sans travaux préliminaires. Entre ces marais et le mont Bongotsara, la vallée du Sakay est dominée au Nord par une chaîne de montagnes rocheuses aux pentes abruptes. Enfin, à l'Ouest du mont Bongotsara, s'étend un massif épais de six kilomètres formé de plusieurs chaînons parallèles, orientés Nord-Sud, séparés par des ravins profonds et tombant à pic sur le Sakay. Ce massif montagneux barre complètement la partie Nord de la vallée, et l'obstacle est continué au Sud par des soulèvements granitiques se reliant au mont Ambohimanga. Un marais s'étendant au pied des pentes orientales du Bongotsara complète la défense de ce côté. Un ruisseau encaissé forme fossé à l'Ouest, et, dans cette direction, la vallée continue à être dominée au Nord par des montagnes abruptes qui se prolongent jusq'au delà de Moratsiazo. Il est possible que cette position du Bongotsara puisse être tournée au Nord par l'origine des ravins qui découpent le massif. En cas de troubles, la route peut donc être facilement coupée et les communications interrompues entre les deux vallées Il est nécessaire de faire des travaux pour assurer la traversée facile de cette région; le massif du Bongotsara seul présente des obstacles sérieux à l'établissement d'une route muletière. Il y aurait lieu d'étudier, à ce point, un autre tracé que celui indiqué. Partout ailleurs, les difficultés se rencontrent au passage des marais; mais ceux-ci
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— DE TANANARIVEA ANKAVANDRA
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ne sont pas profonds et il serait facile et peu coûteux d'y élever des chaussées coupées de ponceaux. Un pont serait nécessaire sur la Manandriana, si on ne trouve pas, à partir d'Ambatonakanga, un tracé permettant d'éviter cette rivière. Le pays est moins peuplé que sur la rive droite de l'IkO¡:él; les villages surtout se présentent en moins grand nombre, mais on rencontre fréquemment de petits hameaux entourés de haies vives, habités par des cultivateurs ou des gardiens de bœufs. Les fonds de vallées sont cultivés en rizières. En résumé, le pays offredes ressources suffisantes en riz, cultures de diverses sortes, bestiaux, volailles, etc. Le massif du Bongotsara seul est inhabité et inculte. Les villages contiennent des habita[iqus en briques convenables. Les cases des hameaux sont, au contraire, généralement malpropres. L'eau abonde partout, le bois est plus rare. On trouve des arbres et des arbustes autour des villages et sur les monts Anjohy et Ambohitraina. DE COINTET, Lieutenant de cavalerie.
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— D'AMBATONDRAZAKA A LA COTE
DIX
JOURS
DE
MARCHE
A
DMITOMiMI
JANVIER
LA
COTE
EST
1897
Les pays sihanaka, dont le chef-lieu est Ambatondrazaka, renommé pour sa fertilité et a mérité le nom de « Grenier à riz », l'ont baptisé les explorateurs
est dont
Il est formé d'une vaste plaine alluvionnaire entourée de tous autrefois les côtés par un cirque de hauteurs et que recouvraient eaux du lac Alaotra. Peu à peu, les pluies équatoriales ont produit des failles profondes et le limon, entraîné par les torrents, s'est sur les pentes argileuses les eaux étalé en nappes horizontales qui ont refoulé progressivement du lac en exhaussant son lit. Ce phénomène d'alluvion se poursuit de nos jours et, chaque année, à la saison des pluies, la teinte uniformément rougeûtre des cours d'eau en accuse nettement l'intensité.
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et climateriques exceptionnellement Ces conditions topographiques favorables ont donné au sol de cette vaste plaine une fertilité remarquable qui fut autrefois une source de prospérité pour le pays. Cependant, soit par paresse, soit par ignorance, les indigènes ont peu à peu délaissé les travaux de culture. Les deux tiers des terrains restent en friche et l'autre tiers, soumis à une exploitation que ne secondent ni l'expérience ni la méthode, ne donne qu'un rendement bien inférieur à ce qu'on peut attendre de la fécondité du sol. au contraire, Il n'est pas douteux, que quelques exploitations transformeraient agricoles conduites suivant les procédés européens vite cette région, aideraient à arracher les indigènes à leur apathie et en feraient d'utiles auxiliaires pour la mise en valeur des richesses naturelles du pays. les conditions économiques actuelles sont un Malheureusement, et commercial obstacle au développement de la contrée. agricole de l'île, Partageant en cela le sort de la plupart des régions centrales le pays sihanaka est presque entièrement dépourvu de routes, et celles en très petit nombre qu'on y rencontre ne sont utilisables que pour les transports à dos d'homme. Il en est ainsi de la principale voie de communication avec la côte, gros village situé à la pointe Nord du qui, partant d'Imerimandroso, lac Alaotra, conduit à Tamatave par Fénérive et le littoral. Cette route, ou plutôt ce sentier, intercepté pendant la période de l'insurrection, est libre aujourd'hui et les porteurs y circulent comme par le passé. C'est parlà que les denrées européennes, grevées de frais de transport arrivent au marché d'Ambatondrazaka considérables, après un parcours que le crochet de la route vers le Nord allonge de près de cent kilomètres. La capitale de la province, autour de laquelle est venue se n'a industrieuse, grouper une population assez dense et relativement jamais été desservie, jusqu'à ce jour, par une route plus directe; on ne peut, en effet, donner cc nom aux deux pistes de Didy et deTsaralalana, que les piétons non chargés peuvent seuls affronter et qui deviennent aucun de ces impraticables pendant la saison des pluies. D'ailleurs, deux sentiers, même amélioré, ne résoudrait la question; l'un et l'autre s'écartent d'environ quarante kilomètres de la ligne qui joint Ambatondrazàka à Tamatave, sans que cet allongement soit compensé par aucune facilité de terrain. 11 résulte de ce qui précède que l'avenir du pays sihanaka est intimement lié à la création d'un réseau de routes le faisant communi-
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du pays et qui lui permettent, quer avec la côte et avec l'intérieur utilement les richesses naturelles grâce à ces débouchés, d'exploiter dontil dispose. ** M. le lieutenant Trousselle, chancelier du cercle d'Ambatondrazaka, rentré récemment en France à l'expiration de son séjour colonial, a mis à profit sa descente à Tamatave pour chercher, soit par la vallée de un tracé reliant directement l'Ivoloïna, soit par celle de l'Ivondrona, à la côte Est. Un séjour de plusieurs mois dans le Ambatondrazaka lui avait permis de recueillir à l'avance pays sihanaka quelques à suivre ; sur l'itinéraire en particulier, diverses renseignements reconnaissances aux environs de Didy lui avaient appris l'existence du sentier qui part de ce village et qui, au dire des indigènes, était autrefois fréquenté par quelques bourjanes. A environ
huit kilomètres au Nord, un autre sentier part du village mais il n'est lui-même d'Ivondrosana, qu'un raccourci de la route précédente, qu'il rejoint à Fito, à quarante kilomètres à l'Est de Didy. suit le cours d'un affluent de l'Ivondrona et Ce chemin d'Ivondrosana reste en toute saison peu praticable. Pour suivre une route directe, il y avait donc avantage à remonter vers le Nord et à chercher un itinéraire non frayé jusqu'à ce jour. ** La région montagneuse comprise entre la plaine d'Ambatondrazaka et la grande forêt de l'Est est habitée par une tribu métisse de Aux époques de les Zafimpanotany. Sihanakas et de Betsimisarakas, l'année où ils ne travaillent pas aux rizières, ces indigènes, qui sont de robuste constitution et excellents marcheurs, parcourent la forêt pour récolter le miel, la cire et le caoutchouc. Des guides choisis dans cette tribu ayant confirmé les premiers sur les difficultés de parcours des routes de Didy et renseignements fut réglé d'après les considérale choix de l'itinéraire d'Ivondrosana, tions suivantes : L'Ivoloïna est représentée sur quelques cartes comme prenant sa source au Sud de Tsaralalana ; elle coulerait d'abord dans la direction Nord-Sud pour se redresser ensuite et se diriger vers l'Est. M. le lieutesuivi la route de Tamatave à nant Trousselle, qui avait précédemment Ambatondrazaka par Tsaralalana, n'avait pas rencontré dans ce premier voyage la haute vallée de l'Ivoloïna. Néanmoins, le très grand nombre
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de cours d'eau qui existent dans cette région ne permettait pas de se prononcer à coup sûr. Dansle doute, il fut décidé qu'on se dirigerait la forêt en un point vers l'Est, qu'on aborderait d'Arabatondrazoka la haute vallée et qu'on rechercherait favorable au sud de Tsaralalana, de l'Ivoloïna pour descendre ensuite cette rivière jusqu'à Tamatave, Cinq indigènes préparer un chemin
furent envoyés en avant zafimpanotany à travers la forêt dans la direction indiquée.
pour
la lisière de la forêt présente un rentrant , A l'Est d'Ambatondrazaka, au fond duquel se trouve le village de d'une dizaine de kilomètres C'est autant de gagné sur le terrain difficile, et il est Sahamalaza. décidé que la reconnaissance partira de ce point. *» M. le lieutenant Trousselle quitte Ambatondrazaka le 9 mars, dans la matinée, et arrive le même jour, à cinq heures du soir, à Ambohiondulés, manjato. La route, très facile, se déroule sur des plateaux entièrement déboisés, sans autre obstacle que l'escalade du bord Est dola cuvette d'Ambatondrazaka (environ deux cents mètres) et la Sur traversée de la vallée de laMananamontana, profondément encaissée. ces terrains découverts, on peut d'ailleurs presque toujours éviter le? pentes rapides en remontant la vallée par une route en corniche qui regagne, sur l'autre rive, le bord supérieur de la berge opposée. est un village de création récente. Etabli sur une Ambohimanjato éminence qui barre complètement la grande vallée d'Antsarahara, il doit remplacer comme chef-lieu de la tribu des Manakambahiny Zafimpanotany. Les villages sont nombreux belle apparence.
aux environs
et les rizières
y sont
de
Le lendemain, après deux heures et demie de marche, la reconnaissance arrive à Sahamalaza. C'est dans cette clairière qu'on avait rassemblé tous les bœufs de la contrée pour les dérober aux fahuvalos Les maisons sont rares, mais on pendant la période de l'insurrection. trouve un peu partout des huttes qu'habitent les nombreux gardiens de bœufs de la région. * * La forêt est à un quart d'heure de Sahamalaza assez bon chemin de deux mètres de largeur.
; on y arrive par un
m
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— D'AMBATONDRAZAKA A LA COTE
Bientôt, après une ascension à l'altitude de 1.280 mètres, la reconnaissance atteintla Varahina, où elle rencontre quatre hommes envoyés chef des Zafimpanontany, pour aménager l'entrée par Andriambahoaka, de la forêt. Désormais, le chemin n'est plus qu'un passage étroit où les bagages passent difficilement. A la Mitanonoka, M. le lieutenant Trousselle rejoint les pionniers indigènes envoyés pour dégager la route; on n'avance plus que difficilement derrière une avant-garde de neuf hommes armés des haches, et c'est à grand' peine qu'on progresse ainsi d'un kilomètre à l'heure. La pluie commence à tomber et elle ne cessera qu'à de rares intervalles jusqu'à la sortie de la forêt. Le plus souvent, on marche sur des trancs pourris ou sur des amas de branches mortes qui cèdent sous le pied. Les eaux ont raviné la terre sous-jacente et les passages sur ces Malgré tout, ponts suspendus et fragiles amène des chutes fréquentes. des hommes qui manient la hache comme le Zafimpanontany auraient vite fait de rendre le passage praticable. Les difficultés provenant du terrain même sont beaucoup moins On rencontre les mêmes grandes que sur la route de Tsaralalana. cours d'eau; mais, au lieu de les traverser près de leur confluent avec enfin, bien qu'on soit l'Onibe, on les franchit presque à leurs sources; au troisième mois de la saison des pluies, ils sont tous facilement guéables. atteint un large Après deux jours de marche, la reconnaissance le Manandriana. torrent qui coule vers le sud; les guides l'appellent Pensant avoir trouvé le cours supérieur de l'Ivoloïna, M. le lieutenant Trousselle le descend pendant une journée, marchant souvent dans le lit même pour économiser les déboisements. Cependant, comme ce cours d'eau continuait à descendre directement au Sud, il fallut bien reconnaître qu'on se trouvait en présence d'un afffuent de l'Ivondro et que le bassin de l'Ivoloïna n'était pas encore atteint. se détourne alors vers l'Est et escalade les La reconnaissance pentes à pic d'un grand massif dont le point culminant apparaît dans le lointain et beaucoup plus à l'Est encore. Nombre de ruisseaux en Le débit descendent vers le Sud pour se jeter dans la Manandriana. d'entre eux indique que leur source est important de quelques-uns aux très loin à l'Est et qu'il faudra franchir une zone montagneuse pentes escarpées et difficiles avant d'atteindre le bassin de l'Ivoloïna.
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— D'AMRATONDRAZAKA A LA COTE
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Ces remarques amènent à supposer que le cours de cette rivière ne remonte pas vers l'Ouest aussi haut que l'indiquent les cartes. Les crêtes qui limitent à l'Ouest le bassin de l' Ivoloïna doivent, en et du Maeffet, se trouver à l'Est du Tsiazomena, du Manandriamanay de l'Onibe, à peu près nandriambe, qui sont des affluents importants orientés du Sud au Nord. il était préférable de se rabattre sur le D'après ces considérations, Manandriana, d'en suivre la vallée pour tourner le massif par le Sud et de gagner ensuite Tamatave par une marche à l'Est dès que le terrain le permettrait. arrive bientôt dans la région des Longozy, où la La reconnaissance marche ne rencontre plus d'obstacles sérieux. Le septième jour, elle à Antanamangirina. C'est la sortie dé la atteint les pays botsimisarakas forêt. * ** recueillis auprès des habitants de ce village, Les renseignements à Tamatave pour vendre leur riz, apprennent qui vont fréquemment de gagner la côte. L'un, par le qu'il existe trois chemins permettant à Sahambala; ce village est à deux jours de Nord, gagne l'Ivoloïna marche et, pour l'atteindre, il faut traverser une large rivière, le Ranolalina. Un deuxième chemin rejoint la route de Didy àMarovato. Enfin, la troisième route suit d'abord la Manandriana, qu'on appelle dans la Ce dernier région la Namelozana, puis l'Ivondro jusqu'à Ambodilaza. itinéraire, qui est le plus direct, obtient la préférence. Il offre, d'ailleurs, plus de ressources que les deux autres: de nombreux villages sont disséminés un peu partout et les champs de riz sont aussi nombreux que le permet le mode de culture du pays. D'ailleurs, la route, qui court de village en village, est très sinueuse et s'écarte souvent de la rivière. Du à la côte, il sera jour où elle sera destinée à relier le pays sihanaka nécessaire d'apporter de nombreuses rectifications à son tracé actuel. A Voanarina, le passage de l'Ivondrona sur un petit radeau de bambous fait perdre près d'une demi-journée. descend en pirogue à AmbodiD'Ambodiatafa, la reconnaissance laza. Lesporteurs, fatigués par une route pénible, peuvent ainsi se reposer sans retarder la marche. L'Ivondrona a 100 mètres de largeur et, on rencontre trois rapides, pendant ces quelques kilomètres, que l'adresse des piroguiers permet de franchir sans accidents. A Ambodilaza,
réside le chef de la vallée supérieure
de l'Ivondrona.
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M. TROUSSELLE, - D'AMBATONDRAZAKA A LA COTE
De là, on gagne Tamatave par un bon chemin de filanzana aménagé il y a quelques mois. La reconnaisssance y arrive après avoir traversé et Manjakandrianombona, Soanierana onze jours après le départ d'Ambatondrazaka. w ** L'examen des cartes au 500.000e et au 1/1.000 000e montre que la direction suivie se rapproche très sensiblement d'une ligne droite qui et dont le développement serait joindrait Tamatave à Ambatondrazaka d'environ 140 kilomètres. Elle serait donc, à ce point de vue, infiniment plus avantageuse que les parcours adoptés jusqu'à ce jour. La route d'Imerimandroso atteint environ 250 kilomètres; en outre, pendant la saison des pluies, les grosses rivières qu'elle traverse ont des crues considérables qui en rendent le franchissement presque D'est ainsi que les courriers ont mis jusqu'à 25 jours pour impossible. à Ambatondrazaka, sans qu'on puisse s'en se rendre de Tamatave prendre à autre chose qu'aux difficultés de la route. Le chemin de Tsaralalana a l'avantage de ne traverser aucune rivière importante ; mais il est très accidenté et fait dans le Nord un crochet qui l'allonge de 40 kilomètres. En outre, il n'a pas une largeur suffisante pour qu'on puisse y voyager en filanzana. fournis par les indigènes, la Enfin, d'après les renseignements route deDidy est très marécageuse ; dans sa partie supérieure, elle présente de fortes rampes aux environs de Fito et le passage dans la vallée de la Tsaranindona oblige à franchir plusieurs massifs montagneux difaccessibles. cette route est plus longue d'une ficilement D'ailleurs, trentaine de kilomètres que celle de la Namelozana. Il y aurait peu à faire pour rendre cette dernière route praticable c'est-à-dire sur quarante kiloentre Ambatondrazaka et Sahamalaza, mètre environ; la piste actuelle est bonne en toute saison. Au delà, il suffirait d'élargir, sur environ 25 kilomètres, la route de Tanamangirina à Ambodilaza. De ce dernier point à Tamatave, la route est terminée. Il reste donc de kilomètres qu'il faude la forêt, soit une quarantaine la traversée Les obstacles ne sont, d'ailleurs, pas bien drait aménager entièrement. sérieux. Les prestataires Zafimpanotany (environ 400) suffiraient, et au delà, à pratiquer cette percée jusqu'au premier village betsimisaraka. Ces indigènes
sont dévoués, laborieux
et, au dire même des guides
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ils se prêteraient volontiers à qui ont accompagné la reconnaissance, l'utilité et dont ils seraient les premiers un travail dont ils comprennent à bénéficier. où la population est nombreuse, l'élarDans le pays betsimisaraka, gissement du chemin ne souffrira aucune difficulté. Il suffira de l'ordonner de village à village; toutefois, la présence de quelques Européens sera nécessaire pour que le tracé soit exécuté judicieusement ; en bien des endroits, en effet, il suffira d'un faible détour pour éviter des considérables. fatigues et des terrassements Le radeau sur lequel on traverse l'Ivondro à Voamarina est trop faible ; il serait avantageusement remplacé par une des belles pirogues faire remonter par eau. d'Ambodilaza, qu'on pourrait très probablement Le jour où la route qu'on vient de décrire aura été établie et aménagée, les communications postales entre Tamatave et Ambatondrazaka se feront en cinq jours, avec les étapes suivantes : 35 km. De Tamatave à Ambodilaza: 30 km. D'Ambodilaza à Voamarina: 45 km. En forêt jusqu'à Ambohimanjato : à Ambatondrazaka : 30 km. D'Ambohimanjato Les courriers mettent un minimum de treize jours pour faire la et il leur faut huit jours par les route, en passant par Imerimandroso, routes de Tsaralalana ou de Didy. Les bœufs et le riz, dont les prix sont peu élevés dans le pays sihasur les marchés betsiminaka, pourraient s'écouler avantageusement sarakas. La route de Didy, qui est actuellement la plus courte, est cependant loin d'être avantageuse ; les marchands de bœufs y perdent beaucoup de leurs bêtes dans les grands marécages qu'on y rencontre à chaque pas. La forêt contient une grande quantité de lianes à caoutchouc dont la percée de la route faciliterait l'exploitation. Les torrents tombant sur les granits en cascades superbes y déposent, dans de nombreuses poches, des paillettes de mica dont les reflets brillants font songer involontairement à l'or qu'elles pourraient bien receler. Les arbres aussi sont très vigoureux et les essences rares paraissent il semble qu'on pourra utiliser le flottage pour les transnombreuses ; porter à la côte. Enfin, on peut espérer voir un jour cette merveilleuse rivière d'ivondrona canalisée jusqu'à son embouchure.
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les travaux seraient largement Les dépenses qu'occasionneraient compensées par la prospérité que donnerait à la région cette magnise reliant avec le grand port de Tamatave et fique voie de pénétration, se prolongeant jusqu'à Andevorante par le canal des pangalanes. Elles seraient justifiées, enfin, par la nécessité d'encourager et de civiliser la population sihanaka, qui, soumise depuis six mois, témoigne aujourd'hui d'un dévouement à toute épreuve et montre un empressement extrême à s'assimiler notre langue et nos coutumes. (1) FIN
(1) Extrait d'un rapport de M. le lieutenant Trousselle, ex-chancelier du cercle d'Ambatondrazaka.
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DE
DE FORT-DAUPHIN AU FAUX-CAP
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FORT-DAUPHIN AU
FAUX-CAP
OCTOBRE
1896
Le 13 octobre dernier, avec un convoi de 25 porteurs, je me mettais en route pour une tournée dans le Sud jusqu'au Faux-Cap, limite de ma circonscription, et peut-être même jusqu'au Cap Sainte-Marie. Le Cap et le Faux-Cap sont lieux dp mauvaise réputation. Le Faux-Cap a été pillé en mars de cette année et les traitants qui y trafiquaient de tortues, de caoutchouc et d'orseille n'ont sauvé que leur vie. Il en avait été de même au Cap Sainte-Marie, en 1894. Avant de partir, j'ai fait venir Befialy, chefantanosy de Manambaro, qui a des accointances avec ses confrères du Sud, et je lui proposai de m'accompagner. Après quelque hésitation, il accepta et nous convînmes de nous rencontrer à Ankillimamy, sur la rive droite du Mandrare. L'espace compris entre Fort-Dauphinet Andrahomana a déjà été décrit. Il n'offre, d'ailleurs, aucune particularité et se trouve assez fréquenté, car Andrahomana est un poste de traite, à une journée de marche de Fort-Dauphin. Après Andrahombe, quand on a, en une heure environ, franchi la montagne calcaire à laquelle est adossé le village, dans une sorte de gorge dont le prolongement forme une petite baie accessible aux embarcations de 20 à 30 tonneaux, on tombe dans la baie Bevoa, au delà du cap Andavaka, remarquable par ses falaises où s'ouvrent qulques grottes, dont l'une, très haute, est citée comme une curiosité par les habitants du pays. La montagne d'Anky, qui ferme au Sud la baie de Bevoa, offre deux pentes inégales, l'une vers le Nord, longue et douce, l'autre très abrupte, toutes deux , hérissées de pierres aiguës, de cactus et d'arbustes épineux. Le sentier suit le bord de la falaise, dont le sommet, dressé à pic sur la mer, s'élève à 300 mètres
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— DE FORT-DAUPHINAU FAUX-CAP
environ. De la hauteur, on aperçoit, dans le Sud, les lacs d'Ahongy et d'Iroumy, ralliés par un ruban de sable jaune, où filtre encore, malgré la sécheresse, un mince filet d'eau. Tout autour, la brousse grise et dure pousse dans les rocailles. Le caoutchouc n'existe pas dans ces parages et la population, très clairemée, vit surtout de la pêche. Entre le lac Ahongy et le Mandrare, les dunes se pressent, se poussant l'une et l'autre, ensevelissant et découvrant tour à tour, sous l'action persistante du vent, les bosquets de filaos, dont la ligne trop faible ne peut les arrêter. Tout cet espace est semé de débris d'œufs d'œpyornis. On les trouve sur un sol dur, où se rencontrent les pierres, ce qui donneà penser que le vent, en déplaçant une dune, découvre lui-même les œufs déposés dans le sable depuis des siècles. Roulés par le vent, choqués contre les pierres, les œufs se brisent rapidement, et les exemplaires intacts sont excessivement rares. En deux heures de marche pénible, on atteint l'embouchure du Mandrare. A cette époque de l'année, le fleuve roule très peu d'eau; son embouchure s'ensable, puis se ferme pendant des semaines, jusqu'à ce que l'apport de l'eau effectue une poussée capable d'enfoncer la digue. De l'embouchure du fleuve, si l'on ne peut passer tout de suite sur la rive. opposée, il faut remonter jusqu'en face Ankillimamy, à deux heures en amont On atteint aussi ce point par une ligne oblique partant du lac Ahongy. Le 15, à quatre heures, après avoir suivi cette oblique, nous venons nous heurter contre un fleuve profond, là où nous comptions passer presque à pied sec. L'embouchure était fermée depuis un certain temps déjà et le fleuve, remplissant à la longue son lit, inondait ses berges assez loin en amont. Nous dûmes camper sur la rive, en dehors du village d'Ampasimpoloka. Nos bagages, égarés depuis le déjeuner sur les bords du lac Ahongy, n'arrivèrent qu'à huit heures du soir: les hommes s'étaient perdus dans les dunes, nous craignions déjà d'être dévalisés, car tout est possible dans un pays où le pillage est l'ordinaire de la vie. Pendant que nous devisions, assez inquiets sur le sort de notre convoi, du groupe de curieux importuns qui nous entourent, se détacha un indigène nu comme la main. Cet individu fait le fou et proclame que tout vêtement étant « fady » pourlui, il ne lui est pas permis d'en porter. Cet ignoble personnage circule librement au milieu des femmes et des enfants. Il en est qui lui font cortège. Le lendemain, 16 octobre, nous remontons la rivière pour trouver un gué. Au bout d'une heure, nous le rencontrons; de longues files d'indigènes remontent comme nous la rivière, sur la rive opposée, et les bandes se croisent dans le fleuve. Entête de l'une d'elles qui vient au devant de nous, s'avancent quelques dames qui laissent décemment mouiller leur lamba. Nos porteurs n'ont pas de ces délicatesses et ils s'avancent hardiment dans un costume plus que sommaire au devant des pudiques voyageuses. Nous descendons la rive droite du Mandrare jusqu'à Ankillimamy, juste en
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DE FORT-DAUPHINAU FAUX-CAP
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face de notre campement de la veille. Il n'est que 8 h. 1/2 du matin, mais nous déjeunons quand même, profitant du voisinage de l'eau, et nous faisons cuire également le riz du soir, car nous allons nous enfoncer dans des régions complètement arides. Quantités d'indigènes viennent remplir leurs calebasses à l'eau jaunie du fleuve ; une et deux journées de marche ne les arrêtent pas, car ils n'ont d'eau chez eux que si la pluie leur en donne. Nous faisons provision de calebasses. C'est à peine si la paresse et l'insouciance de nos hommes consentent à se charger du moindre poids d'eau. Je suis, ainsi que mon interprète, obligé de renoncer au filanzana pour mettre des calebasses sur les épaules de nos porteurs. Toute cette partie de la vallée est abondante en patates; il y a peu de manioc et pas de riz. Ankillimamy était un poste de traite jusqu'aux premiers jours de mars 1895. Mais les indigènes, trop paresseux pour gagner de quoi payer les produits européens, ont préféré les prendre de force. Les traitants ont pu fuir sains et saufs, mais toutes leurs marchandises furent pillées. Des cases qu'ils habitaient, quelques-unes subsistent encore, abandonnées. A11 h. 1/2, départ; nous allons marcher jusqu'à5 heures, pendant les heures les plus chaudes du jour, et le chemin sablonneux rendra la route plus pénible encore. Tout de suite, il faudra gravir la chaîne de collines dont le pied baigne dans le Mandrare. Au bout d'une heure, un panorama splendide nous récompense de notre peine, car nous découvrons, au loin devant nous, les lacs Ahongy et Iroumy dans leur cadre de forêls et, à gauche, les montagnes de Fenoarivo bordent l'horizon par delà la plaine boisée. A peu de distance de la crête, nous entrons à Manomby, village dépendant réside à Ranofotsy. Noustrouvons là de Rahosinta, le roi des Antasimos,qui Befialy avec une escorte de 75 hommes. Il vient d'arriver, dit-il, et nous presse de rester, car Rahosinta, qu'il a vu la veille, va nous envoyer des guides. Le système malgache, dans le Sud, est de tou jours attendre. Je réplique que je ne vais pas m'amuser à boire l'eau des calebasses et manger les vivres de réserve, au seuil même des régions où nous ne devons rien trouver. Je demande un guide, on fait semblant de chercher; on fait, coup sur coup, deux ou trois kabarys que j'écoute rapidement et, au bout d'une demi-heure, je lève le camp, laissant à ses marmites fumantes Befialy, interloqué d'une pareille presse. L'un de mes porteurs, heureusement, connaît la roule. Il nous mène à travers des champs où s'étend, sur plusieurs kilomètres en long et en large, une véritable variété de cultures: patates, manioc, ricin, maïs. Pendant deux heures, nous marchons à bonne allure dans une plaine mamelonnée, où la terre n'est plus le sable, sans être encore l'humus ferme. A 2 h. 45, nous passons le village de Marolo, dissimulé, comme tous les villages d'ailleurs, derrière de puissantes haies de cactus. Le chemin, bordé de ces cactus hérissés de millions d'épingles envenimées, est presque partout assez large pour le filanzana. A trois heures, nous arrivons à Ezambe, gros village. encadré de cultures. Nous sommes sur un plateau incliné en pente douce vers le Sud et nous apercevons dans le lointain le miroitement de la mer.
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Jusqu'ici, depuis Ankillimamy, nous avons fait de l'Ouest; nous obliquons au Sud-Ouest maintenant. La population est dense, à en juger parla succession presque continue des villages; elle est plutôt sympathique et ce ne sont plus les airs farouches des gens des bords même du Mandrare : l'agriculture, comme la musique, adoucit les mœurs. A Ezambe, un chef sort et m'accompagne, prenant obstinément ma main dans la sienne en marchant. Je ne tarderai pas à porter les marques douloureuses de ces accolades avec des gens si radicalement brouillés avec les idées de propreté. Une petite plaie que j'avais à la main s'envenime dès ce jour et, bientôt, pour le reste du voyage, j'aurai la main droite d'abord, puis les deux mains ensemble, enflées et couvertes de boutons qui me font croire à une gale quelconque. La politique n'est pas toujours agréable dans la brousse malgache et je pâtis cruellement de n'avoir pas voulu refuser la main aux seigneurs du lieu. Après Manomby, nous sommes en pays androy, dont les habitants sont dits Antandroy. Le préfixe ant, précédant ainsi le nom du peys, indique qu'il s'agit des gens qui l'habitent. Au sortir d'Ezambe, nous rencontrons un roi des environs d'Elangy; c'est un brave homme, qui veut nous servir de guide; il mérite que son nom, Imaka, soit recommandé -aux voyageurs qui nous suivront dans ces parages. Imaka nous mène à Elangy même, qui est sur la route du Cap, tandis qne son domaine à lui est un peu plus au Nord. A quatre heures, en faisant un moment presque du Sud, nous arrivons à Elangy, d'où nous apercevons la mer, à quelques heures de marche tout au plus. Le plateau descend au Sud en pente douce jusqu'aux dunes du rivage. Les buissons de cactus se font plus denses et plus rapprochés, les champs se rapetissent et s'écartent. Le roi d'Elangy, Imaka, nous fait un accueil chaleureux et la pression de ses mains, que l'émotion fait trembler, nous fait presque crier. Désormais, j'enveloppe mes mains dans des mouchoirs et je ne les livre plus au contact des braves Antandroys. Imaka fut jadis à La Réunion. Ille proclame et mêle quelques mots de français à sa conversation. Il crie à toutson entourage: « Voilà le résident, c'est notre papa et notre maman ». Il fait amener un bœuf gras et nous en fait cadeau. Séance tenante, je le fais immoler en holocauste pour célébrer une amitié si fraîche et déjà si cordiale. Sur ces entrefaites, Befialy arrive; il a eu honte de rester en arrière quand il s'est aperçu du peu d'effet de la comédie des guides. Befialy n'est pas hardi d'habitude, il s'est mis en route à contre-cœur et tâche de s'arrêter dans l'espoir de me retenir. Imaka ne nous quitte pas d'une semelle; son amitié est faite d'enthousiasme et de générosité sans bornes. Après m'avoir donné bon souper, j'ai déjà le gîte dans ma lente, il m'offre encore le reste; je décline, confus. Le lendemain, 17 octobre. Befialy arrive de grand matin pour nous guider tout le jour, mais Imaka revendique ce privilège et, comme nous sommes ses hôtes, c'est lui qui l'emporte. Il veut ne nous laisser qu'à la frontière de ses états. Nous faisons route à l'Ouest, nous rapprochant un peu de la mer. Le chemin
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est large et facile, le terrain solide. Assez rares les cactus ; une herbe drue et courte, parsemée de bouquets de bruyère, couvre le sol. Le plateau androy s'infléchit régulièrement et doucement du Nord au Sud. Vers le Nord, l'horizon est boisé à perte de vue; autour de nous, c'est une succession de bosquets, d'arbustes et de cactus, de raquettes suivant le mot vulgaire, et, dans ces raquettes, de nombreux villages de quatre ou cinq cases, sept ou huit au plus. Chaque famille est cantonnée à part. Les ondulations très douces du terrain sont orientées Nord-Sud : des dépressions peu profondes, d'un rayon de plusieurs kilomètres, sontles seuls accidents du sol, et il semble que les eaux pluviales, qui.traversent rapidement la couche perméabledu sol sablonneux, doivents'amasser à une faible profondeur, à en juger par l'aspect presque verdoyant de la terre, malgré une sécheresse de deux mois. A 8 h. 15, nous passons devant Maroaloka et, à 8 h. 1/2, nous sommes au pays de Sevoïsta, dont les chefs dépendent de notre royal guide, s'il faut l'en croire; mais nous pensons qu'il se vante. A Sevoïsta, le sentier bifurque; un embranchement descend au Sud-Ouest vers la mer, c'est le chemin de la rIng", qui se poursuitjusqu'au Faux-Cap; l'autre embranchement se continue vers l'Ouest et remonte même un peu vers le Nord. C'est ce dernier que nous suivons, en nous élevant peu à peu sur la pente du plateau). Les raquettes se font plus serrées, les clairières plus rares; bientôt, des replis boisés nous cachent la mer. A maintes ? C'est là que nous reprises, nous interrogeons notre guide: Est-ce loin Ambovobe devons trouver de l'eauet nous en avons besoin, car nous porteurs imprévoyants ont vidé bien des calebasses, en dépit de nos ordres et de notre surveillance, Le Malgache n'a pas la notion de l'espace; Imaka nous répond toujours: c'est derrière la colline, devant nous. Le soleil est maintenant presque sur nos tètes. Les porteurs traînent la jambe, à tout instant ils s'arrêtent pour manger desfigues de cactus, dont l'acidité rafraîchit, en même temps que la pulpe fait' masse dans les estomacs vides. La dilapidation de l'eau a eu au moins pour nous cet avantage que des porteurs de filanzana sont devenus disponibles. Ennn, à midi, Ambovobe est signalé au milieu des raquettes. Ce n'est pas un village, mais un point de brousse qui se différencie des autres par une douzaine de puits creusés dans le sable, à sept ou huit mètres de profondeur. Chaque village environnant a son puits, entouré d'une haie de cactus. La sécheresse a Pari tous ces puits, sauf deux, au fond desquels persiste, dans une petite cavité, un décimètre ou deux de liquide jauni par le sable sans cesse remué. On accède au fond par un escalier de marches inégales, la plupart nivelées en pente par l'éboulement des pieds qui ne s'arrêtent guère de monter ou descendre. Qui a creusé ces puits? nous posons la question aux natifs qui abreuvent leurs troupeaux dans une auge, à l'orifice du trou : ce sont nos ancêtres, disent-ils. Mes bourjanes assurent que des Hovas ont faitces trous, travailénorme pour de simples angady, ou bêches indigènes. El pourquoi des Hovas se sont-ils aventurés par ici? Chassés par une guerre, ils se sont cachés dansces brousses; pressés par lasoif, ils
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ont fouillé le sol. Tout autour, la plaine, malgré sa diversité de monticules et de dépressions, présente comme un vaste cirque dont l'emplacement des puits n'est cependant pas le point le plus bas. S'il y a de l'eau dans ce sol de sable, pourquoi n'yen aurait-il pas dans les dépressions voisines, partout où le relèvement de la plaine du côté de la mer semble une barrière posée à l'écoulement des eaux vers la côte. Tout d'abord, la version des natifs d'Ambovobe, de Sevoïsta plutôt, car toute cette région, c'est Sevoïsta, et chaque village se distingue par le nom de son chef, la version des natifs, dis-je, me semble la vraie. Les Hovas n'ont jamais osé dépasser Manambaro, à une 1/2 journée dans le Nord-Ouest; comment seraient-ils venus à Sevoïsta, à plus de trois jours de marche, en plein pays androy? Des lettres, consultées plus tard à Fort-Dauphin, disent que les Hovas ont passé le Mandrare du temps du grand Radama. C'est assez longtemps pour que les Antandroy, qui n'ont pas plus la notion du temps que celle de l'espace, assurent -que la chose s'est passée du temps de leurs ancêtres et a été faite par eux. Toute boueuse qu'elle soit, l'eau régale nos hommes ; nous remplissons nos calebasses et nous passons près des puits le reste de la journée. Befialy va contracter l'alliance du sang avec des princes indigènes. Trois viennent nous voir et mendier de la toile. De la toile! Lamba! Ramis ! On n'entend que cela dans ces villages perdus loin des centres de trafic. La guerre, ou même la simple frayeur qu'ont tous ces gens les uns des autres, les empêche de sortir de leur abri de raquettes; aussi, sont-ils à peine couverts d'une guenille sale; c'est le cas des femmes surtout; quant aux enfants, ils sont nus. Le manque d'eau excuse cette saleté et la saleté du corps explique les plaies, gales et maux de toute sorte dont beaucoup d'individus sont couverts. Les yeux sont comme des nids de mouches, chez les enfants surtout, et la plupart des plus petits ont renoncé à chasser les bêtes installées sur leur peau. A Sevoïsta, comme dans les villages traversés depuis le Mandrare, on cultive la patate. Dans la forêt, au Nord, en poussant jusqu'à la hauteur de Fenoarivo, on retrouve le caoutchouc, mais on ne va plus guère le recueillir faute d'avoir un poste d'échange. La pluie tombe. Les indigènes nous supplient de ne pas la retenir. Ils se doutent que des voyageurs sans abri se soucient peu d'être trempés. Befialy sort son talisman: une dent de caïman taillée dans l'ivoire, enchâssée dans une broderie de perles multicolores et fixée au fer d'une sagaie qu'un homme spécial porte solennellement. Befialy s'habille à l'européenne et se chausse parfois, mais il garde jalousement ses médecines et ses gris-gris. Il a fallu pour Befamatrika, autre chef, son entrée dans l'église où il voulait se marier, pour qu'il se séparât de ses fétiches, Afin de ne pas tout perdre, il les vendit à un collègue, deux cents francs, je crois. Notre maigre dîner est encore abrégé par la pluie, qui tombe décidément. Un chef nous a vendu des œufs tout couvés, et le brave homme s'étonne de notre dédain d'un pareil mets, car c'est tout profit d'avoir déjà le poulet dans l'œuf. Le dimanche matin 18, le ciel s'est éclairci; à cinq heures, nous sommes sur pied;à six heures, nous partons. Un frère de sang de Befialy, rencontrésur la route avant Ambovobe, s'offre à nous servir de guide jusqu'au Faux-Cap. Nous essayons
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de savoir la distance qui nous en sépare, peine inutile. Un indigène nous dit: Il font dormir une fois dans le chemin; il faut trois jours, dit un autre; un troisième m'assure qu'une semaine est nécessaire et un quatrième nous prédit que nous n'arriverons que dans deux mois. Ce n'est plus l'ignorance évidemment qui dicte ces réponses. Est-ce malice, simple taquinerie ou tentative de nous décourager? On ne nous fait pas mauvaise figure, mais je ne me dissimule pas qu'on préférerait ne pas nous voir; crainte instinctive sans doute. Nous partons donc, sans pouvoir, même avec un guide, régler notre étape. Imaka nous suit depuis Elanjy, mais il ne sait pas le chemin; ce qui ne l'empêehe. pas dedire que tout ce terrain està lui et que tous ces gens sont ses enfants, jusques et y inclus le Faux-Cap, car il ne va pas nous lâcher, et il nous ::..tiendra le même discours jusqu'au bout. Nous faisons tantôt de l'Ouest et tantôt du Nord-Ouest, dans une plaine. Une simple ondulation que nous suivons à demi-pente nous barre la vue à quelques centaines de mètres au Sud. Au Nord, après une légère dépression, le sol remonte insensiblement sur un vaste espace couvert de bois. Au loin, dans l'Est, émergent les montagnes d'Antokotoko; au Nord-Est, près de Fenoarivo, le Vohitrabe barre la plaine; des ondulations montagneuses sortent de terre dans le Nord-Ouest ; ce ne sont encore que des monticules, dont les indigènes ne savent pas le nom. De tous côtés, à perte de vue, c'est la brousse. Il y a dedans beaucoup de villages, nous dit-on, maisrien n'apparaît et nous songeons que, pour un Malgache, dix est un nombre considérable. A8 h. 1/2, nous sommes à Paretsa, série de villages à gauche du chemin. Le terrain se découvre de plus en plus, la route est excellente. Par places, des cuvettes montrent un fond noirâtre qui indique une récente humidité ; des pointes de rochers affleurent le sol. Celui-ci n'est perméable que sur une faible profondeur et la trace d'humidité que - gardent les parties basses du terrain démontre queles eaux pluviales s'amassent au fond des dépressions. Un puits donnerait de l'eau à ces gens assoiffés, nous le leur disons: « Nos ancêtres n'ont pas creusé la terre, répondentils, nous ne pouvons le faire non plus. Faites-le vous-mêmes ». Au nord, apparaît une vaste clairière; elle semble, de loin, conserver de la verdure et de nombreux troupeaux de bœufs y pâturent. Pendant une heure. et demie, nous longeons cette plaine découverte. Derrière les bouquets de cactus se cachent sûrement des villages, et nous rencontrons des champs de patates et de manioc. A un coin de brousse, cinq ou six individus arrêtés nous regardent curieusement; à notre appel, aussi engageant que possible, ils détalent à toutes jambes. A 9 h 1/2, nous pénétrons dans la région de Sila. Les indigènes y sont moins sauvages et se laissent approcher. Nous leur déclinons nos qualités et faisons notre profession de foi: visite de nos ouailles pour faire cesser partout la guerre des
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sagaies et des fusils, et pour ouvrir les routes aux produits des Vazahas, à la toile surtout. De ces indigènes, plus communicatifs que les autres, nous apprenons que la vaste clairière qui se prolonge sur notre droite n'est plus, pendant l'hivernage, qu'un lac assez profond. A 11 heures, nous nous engageons dans un forêt d'arbustes. Le fantsyolotra y dresse ses tiges épineuses. On dirait un faisceau de trompes d'éléphants, dont l'extrémité se relève invariablement vers le Sud.Tout le long de la tige, grosse comme la jambe, courent des lignes d'épines serrées, entre lesquelles se plaquent de petites feuilles rondes. Un maki blanc, tenant à pleines pattes la tige épineuse, nous regarde tranquillement. Il faut le chasser à coups de pierres, et rien de plus curieux comme de le voir bondir sur ses pieds de derrière, à l'instar des kanguroos. La pluie d'hier a fait sortir les tortues. Le pays en est rempli, et c'est un article sérieux d'exportation. La tortue est « fady » pour les Antandroy; il ne faut ; au contraire, ils voudraient pasla tuer. Ce n'est pas qu'ils aiment ces animaux en purger leur pays et ils les laissent emporter volontiers. Une tortue est signalée, nos hommes courent dessus: c'est un plat pour quelques-uns. Je cours aussi, mais pour arrêter mon monde, car je sais la superstition indigène. Imaka me suit, et, sur le dos de la tortue, rejette quelques brins d'herbe afin qu'on ne la tue pas. Et fréquemment, désormais, nos porteurs, qui n'ont pas de ces préjugés, pousseront des soupirs de regrets en voyant mainte bête les narguer au passage. C'est au Faux-Cap que sont portées les tortues. Nossi-Been fournit aussi beaucoup, venues de la Grande Terre. Les chasseurs se promènent tranquillementdans la brousse, retournent sur son dos chaque tortue qu'ils voient et font la cueillette le soir, au retour. La Réunion, pendant le carême annuel, se nourrit de tortues. A 11 heures, nous campons pour déjeunersur la lisière du bois. A une heure, nous repartons. Les baobabs font leur apparition. Nous allons Ouest-Nord-Ouest, puis Ouest-Sud-Ouest. Après la forêt d'arbustes, la plaine recommence, le sol est de terre de bruyère ou de sable blanc compact. Pas un pli ne ride le sol jusqu'au Vohitrabe, qui s'enveloppe toujours au Nord dans ses brumes bleuâtres. A 2 heures 1/2, nous longeons une série de petits villages dissimulés dans les cactus. Des champs de manioc les entourent, et, à la vue des étendues cultivées, on se rend compte que les habitants ne font produire à la terre que ce qui est nécessaire à leur nourriture. Rien de plus facile que de faire dans l'Androy une bonne route; la plate-forme d'un chemin de fer est toute prête, mais quelle consgarantie de dividenle devrait assumer l'Etat, s'il lui prenait fantaisie de truire cette route? Je ne vois a transporter que les figues de raquettes; c'est peu pour rémunérer un capital. ; pour l'agrémenter, il n'y a plus La route, a la longue, devient monotone l'effort continu que, çà et là, des arbres entièrement déjetés d'un seul côté sous
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du vent. Des troupes d'aigrettes picorent tout près de nous; on voit bien que personne ne les chasse. Il est 3 h. 1/2; où sommes-nous? A quand l'étape? Où prendre de l'eau? Les hommes tirent la langue, car les outres sont vides. C'està Angalavoundrove que nous devons stopper: or, nous y sommes et rien n'apparaît. Nous tenons conseil. Des porteurs, qui connaissent le point d'eau, disent qu'on n'y arrivera par ce soir. A une demi-heure d'ici est un village, mais sans eau et à l'eau, pas de village. Nous allons manquer de vivres. Il faut opter. Je demande le village, à cause des vivres et dans l'espoir d'acheter de l'eau, dont les habitants ont bien quelque réserve. Imaka va de l'avant avertir de notre arrivée. Le guide, un certain Fangahana, a disparu. A notre approche, les femmes et les enfants s'enfuient. Je vais en tête, mon parapluie à la main, mais mon interprète suit, le fusil en bandoulière. Nous pénétrons dans un enclos de cactus. Autour de trois tamariniers se tapissent sept ou huit misérables cahutes très basses et grandes de douze pieds carrés à peine. Imaka amène le chefItahostra, un pauvre être tremblant. Je le rassure par paroles et par gestes. Pour s'aider à reprendre son assiette, le chef va chercher son frère. Nous entamons le kabary et je demande des vivres, du manioc, des patates. Le chef n'a rien, son peuple non plus. Je me lève d'un bond: En route! criai-je, et chacun me regarde stupéfait. J'explique que je n'ai rien à faire dans un village où il n,y a ni eau ni vivres; nous essayerons de gagner l'endroit où il y a de l'eau et nous prendrons au pis aller, notre dernier repas de riz, réserve suprême. Ma velléité de partir a changé tout d'un coup les dispositions des gens. Sur un mot du chef, les paniers de manioc arrivent, mon interprète s'installe traitant et il est en un clin d'œil pressé par une foule avide. Nous reconstituons deux jours de vivres et nous achetons même de l'eau. La toile s'enlève comme des petits pains, dirait-on en France, les perles sont aussi d'un bon débit. Jamais un blanc n'est venu dans ces parages: on le voit bien à la curiosité importune avec laquelle ils nous suivent et nous détaillent. C'en est une fatigue à la longue, et je dois m'enfermer dans ma tante ; ne disons rien de l'horrible saleté de tout ce peuple. C'est le pire que j'aie encore vu. Après le dîner, je fais le tour de l'enclos, regardant l'installation des porteurs et glissant un coup d'œil dans les cases. Là, allongées près du feu qui flambe et qui fume, les femmes présentent à la flamme, l'une le dos, l'autre le devant, le tout régulièment nu. Les étrangers entrent et sortent: regarde qui veut, la vue n'est pas attrayante. Le lendemain 19 octobre, a 6 h. 20 du matin, départ. La masse de manioc exige notre mise a pied. Nous savons marcher heureusement et nos porteurs se mettent aux bagages. Fangahana n'a pas reparu. Il est resté en arrière, me dit Befialy, son frère de sang, pour n'être pas accusé par les gens du pays d'amener chez eux les blancs. Un homme de la bande de Fangahana, Bcgapa, offre de nous guider. Nous acceptons, trop heureux de ne pas aller à l'aventure. Il est vrai que nous pourrions avoir un homme du village.
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Nous marchons au Sud-Ouest dans une brousse épaisse qui nous masque la vue du pays. Le sol est argileux, puis sablonneux. De temps en temps, des clairières et des enclos cultivés en manioc. Çà et là des mares desséchées où l'eau s'amasse en temps de pluie. A 8 h. 1/2, nous sortons du taillis et, à 9 heures, nous arrivons à l'eau. Dans la plaine, sept ou huit mares dont deux seulement retiennent un peu d'eau. Le troupeaux s'y abreuvent et, sur le bord, au fond des trous creusés, les ménagères prennent de l'eau presque potable. A l'hivernage, toutes les mares se rejoignent en un lac, dont le circuit apparaît nettement. La dépression a bien un kilomètre de diamètre. Comme à Ambovobe, ce n'est pas au point le plus bas que l'eau se rencontre. Nous déjeunons et faisons cuire le dîner pour n'avoir à porter que l'eau à boire. Nous serons demain matin au Manambovo, assurenotre guide et ce nom de Manambovo est, pour nous, synonyme d'eau fraîche, courante, abondante. On pourra boire jusqu'à plus soif, on pourra se baigner. D'un village voisin, les curieux viennent nous voir; presque respectueux, ils nous regardent à distance. Une pauvre vieille folle, depuis qu'elle a perdu son fils à la guerre, va de groupe en groupe chanter sa plainte. Une autre femme a fait aux alentours ample moisson de raquettes; je les lui achète, et Imaka me les prépare du fer de sa sagaie. Il enlève l'écorce en la découpant circulairement et, d'une pression de doigts, fait sortir la portion charnue, un peu gluante mais d'une acidité agréable. La figue de raquette est le plat de réserve des Antandroy. Pour un dé en cuivre, j'en ai eu un plein panier. A midi, au milieu des préparatifs de départ, des villageois apportent quelques vivres: poules, patates et manioc; parmi eux, une femme toute barbouillée de terre tient entre ses bras une calebasse. Je touche du doigt cette calebasse, avec un geste pour demander si elle est vide ou pleine, et la femme de jeter les hauts cris, de gesticuler d'une façon désordonnée, pour finir par pleurer. Les enfants l'entourent, d'autres femmes aussi; on l'emmène et je me demande si un incident désagréable, un kabary oùl'on me demandera des dommages-intérêts ne va pas surgir de cette aventure. Je fais presser les derniers préparatifs, pour filer au plus vite, lorsqu'une députation masculine arrive. Elle ne prend pas garde à la femme qu'on emmène au village et même les gens disent que c'est son habitude de pleurer aini. Je cause donc avec les nouveaux venus; assez peu aimables au début, ils me demandent ce que je vais leur donner, où je vais, quel chemin je vais prendre; ils sont armés, naturellement; je les questionne pour savoir si un blanc est jamais venu par ici. Ils répondent négativement. Tout en causant, en manière de distraction, je vide le magasin de mon Lebel; mes visiteurs ne manquent pas de regarder, je m'en aperçois et je leur dis qu'avec un fusil pareil, il ne peut rien m'arriver et que, si quelqu'un touchait au résident, il viendrait au Faux-Cap des soldats pour punir le coupable. Et je me hâte d'ajouter que je viens dans le pays pour dire à tous les villages que les Français sont maintenant à Fort-Dauphin pour toujours, et qu'on peut y aller
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sans crainte faire du commerce. Là-dessus, ils se mettent à rire et leur chef ate raconte qu'eux aussi sont contents de voir les Français et d'apprendre que la guerre va finir. Les gens d'Angalavoundrovesont mal avec leurs voisins de l'Est et de l'Ouest; ils ne peuvent sortir de chez eux pour porter du caoutchouc aux comptoirs. Je leur présente Imaka pour leur ouvrir la route etles conduire en mon nom. A midi et demi, nous pouvons enfin partir; mais je dois prendre la tête pour entraîner le convoi, j'ai hâte de gagner le large. Au bout d'une heure, je commande halte. M. Mondy n'est pas avec nous, et je commençais à craindre un incident lorsqu'enfin mon interprète arrive. Il est resté en arrière parce qu'un porteur, bras et jambes enflés, ne pouvait plus aller. L'homme a été commis aux soins du village, dont le chef, quej'était prêt à calomnier tout à l'heure, a charge notre malade sur son dos, dépassant en cela le bon Samaritain. Quelque pacotille laissée pour la subsistance du malade rémunérera les bienfaiteurs. Nous faisons successivement de l'Ouest et de l'Ouest-Sud-Ouest-. Pendant uue heure, la route traverse un taillis assez clair. Le sol est de sable blanc, fixé par du gazon. Dans une clairière, Befiafy blesse de deux coups de feu un maki blanc qui nous regarde passer, accroché à un buisson. Les hommes lardent la malheureuse bête de coups de sagaies et un de nos porteurs, qui l'a d'abord emportée pour en faire un régal, doit ensuite l'abandonner sur le chemin parce que l'animal est «fady». Le terrain se découvre, il est incliné vers le Sud-Ouest. Dans le Nord-Ouest, apparaissent les monts Vohimena, chaîne peu élevée, et deux rangées de colli• l ncs, descendant vers le Sud, vont mourirà peu de distance. A trois heures, nous sommes dans des clairières plantées de manioc : c'est Isonga. Befiafy a besoin de s'arrêter un moment pour prévenir les chefs. Par prudence, dit-il, car ce sont de mauvaises gens. Le guide disparu le malin, Fangahana, le frère de sang de Befiafy, a reparu après le déjeuner;c'est lui qui nous a conduits depuis et son acolyte Begapa a disparu à son tour. Begapa estl'un des pillards qui ont ruiné les établissements du Faux-Cap..,,, -, A 3 h. 1/2, juste au moment où je perdais patience, Fangahana revient; il n'a pas trouvé les chefs du village, assure-t-il ;je fais mettre en route; le guide refuse de marcher, il a peur, car il est en guerre avec le village où nous devons passer; quand je lui demande pourquoi il ne m'a pas dit cela plus tôt, il répond qu'il était allé chercher son beau-père pour entrer en force sur le territoire ennemi et passer outre. Autant de mensonges que de paroles évidemment; Fangahana, qui ne parle que de son karama, veut faire valoir ses services. Befiafy et ses gens refusent aussi de partir; je tache de les piquer d'amourpropre en leur faisant constater leur lâcheté. Fangahana, enfin, s'offre à partir. et déjà je lui emboîte le pas, quand la bande du guide refuse à son tour de marcher. Comédie que tout cela, mais rien à faire, rien à dire; il faut s'en re-
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mettre à ces obstinés de couardise ou de mauvaise foi, suivant le mobile ignoré qui les fait agir. Fangahana propose de tourner ce pays dangereux ; bien à contre-cœur, j'accède à cette proposition et nous allons droit au Sud, au lieu de continuer dans l'Ouest. Mon domestique me raconte peu après qu'un garçonnet de la bande de Fangahana lui a dit qu'en une heure nous aurions été au village devant nous, à l'Ouest, et que demain, à dix heures, nous aurions atteint le Manambovo. Derrière Fangahana, nous nous engageons dans un taillis inextricable où il faut s'ouvrir un passage dans les raquetlee et les épines. L'horizon, derrière nous, s'obscurcit, le tonnerre gronde, l'électricité de l'air, s'ajoutant à la nervosité de notre fatigue et de notre dépit, nous rend irritables. A cinq heures enfin, nous voici dans une clairière. Le guide a disparu, parti bien en avant; tandis que les bagages s'empêtraient dans les ronces, je proposai de camper, malgré l'orage dont les larges gouttes commeçaient à. crever le dôme noir abaissé sur nos têtes. Pour parer à toute traîtrise, je fais masser la troupe et je garde mon fusil à portée de ma main. Je suis bien impotent, mais la nécessité y remédiera. Befialy, qui s'est décidé à nous suivre, nous a rejoint. Au bout d'un quart d'heure, le guide revient;il était allé au village voisin. Nous poussons jusque-là, nous entrons derrière des raquettes, dans un enclos où se trouvent quatre ou cinq pauvres cabanes. Le village est neuf et le sol, chose appréciable, est encore du sable au lieu d'être un fumier. La pluie tombe à larges gouttes sous le baobab effeuillé où nous campons. Dans une éclaircie, les feux s'allument et nous clôturons par un maigre repas une assez mauvaise journée que nous a valu la duplicité de Fangahana. Le guide nous assure que nous serons demain soir au Manambovo et au Faux-Cap aprèsdemain de bonne heure; nous verrons bien. (A suivre).
Résident
LEMAIRE, de Fort-Dauphin.
M. FAUCON. — NOTICE SUR LA RESIDENCEDE VOHÉMAR
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NOTICE SUR LA RESIDENCE
DE
VOHEMAR
3 Juillet — 5 Septembre 1896
(Suite) CHAPITRE
VI
MŒURS.— RELIGIONS.- COUTUMES.— INDUSTRIES Les Hovas de la province appartiennent en majorité au culte protestant; quelques-uns, en très petit nombre, sont catholiques. Tous affectent en public une grande rigidité de mœurs et de principes et une répugnance marquée pour les liqueurs fortes; mais cette austérité extérieure cache des vices nombreux et un fort penchant pour l'alcool. Les officiers hovas (2) ont, pour la plupart, laissé en Imerina leurs femmes et leurs enfants et se sont constitués, sur place, des familles nouvelles avec des éléments pris dans le pays; c'est un usage général parmi eux, usage fortifié par la répugnance des femmes hovas au séjour sur la côte, qu'elles considèrent comme un exil. Le concubinage règne donc en maître parmi la race conquérante qui, du reste, dans l'intimité, se livre volontiers aussi aux douceurs de l'ivresse. En somme, la religion du Hova est très superficielle; elle ne l'empêche nullement de s'emparer du bien d'autrui quand cela lui convient; ses croyances sont vagues et de surface, ses mœurs des plus dissolues. (1)Voirlesdeuxprécédentsnuméros. (2)Il fautse rappelerqu'àl'époqueoù cettenoticea été écrite,l'administration,sur les côtes, étaitauxmainsdes Hovas,qui en ontétédépouillés, de la politique depuis,par suitedel'application desraces.
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M.
FAUCON.— NOTICE
SUR LA RÉSIDENCEDE VOHEMAR
Les races indigènes locales n'ont, en guise de religion, que des notions extrêmement vagues, se rattachant au culte des ancêtres; il en est de même de la plupart des bourjanes. Dans les centres occupés par des pasteurs, le peuple était autrefois contraint de suivre les exercices religieux, mais, à proprement parler, il ne fournissait aucun prosélyte aux divers cultes chrétiens en présence à Madagascar. Seul, l'islamisme, apporté par des Anjouanais, a su gagner quelques adhérents; encore, ceux-ci ne prennent-ils dans cette religion que ce qui leur convient. Chez les Sakalaves, les seules pratiques religieuses. usitées consistent en l'interdiction absolue de toucher à certains objets ou animaux. Le Betsimisaraka professe une sorte de culte vague et mal défini. Dans tous les villages du Sud, l'on peut voir un piquet en bois fiché en terre et garni de deux ou trois crânes de bœufs; ce piquet est parfois entouré d'une palissade et de quelques arbres; c'est, en quelque sorte,le temple; c'est là qu'on immole les bœufs après certaines prières; c'est là qu'à certaines époques, l'on fait des sacrifices de volailles pour le repos des mânes des ancêtres, sacrifices généralement accompagnés de prières aux ancêtres. Il n'est pas rare de voir, dans la forêt, accrochées aux sommets des arbres, des pièces d'étoffes; elles ont été placées là par des gens pieux qui ont rêvé à^ un parent disparu: apparaître en songe indique le désir du mort d'avoir un vêtement pour se couvrir, et l'on s'empresse de se conformer aux usages. Chez les Sakalaves, quand meurt un homme d'un certain rang, son corps est enveloppé dans des étoffes multiples, lié avec des cordes et placé dans un caverne où la famille va le visiter et les serviteurs resserrer les liens au fur et à mesure de la décomposition du cadavre ; détail répugnant, les serviteurs chargés de cette lugubre besogne n'ont pas le droit de se laver les mains après l'avoir accomplie. Au bout de six mois, a lieu l'ensevelissement du mort. C'est toujours le prétexte de fêles souvent très longues et proportionnées au rang du défunt et à l'héritage qu'il laisse. Les Betsimisarakas ensevelissent parfois leurs morts dans des fosses recouvertes d'une pyramide de pierres ; mais, le plus souvent, ils les placent dans des cercueils élevés de deux ou trois pieds au-dessus du sol et presque toujours réunis en groupes d'une vingtaine. Ils choisissent, le plus souvent, pour ces cimetières en plein air, soit des bois situés au bord de la mer, soit quelque cap avancé où les cercuils sont bien en vedette. Cette coutume est très enracinée et il faudra beaucoup de temps et de patience pour la faire disparaître. Chez tous les indigènes en général, la jeune fille dispose librement de sa personne, et il n'est pas rare de voir de très jeunes filles, qui semblent à peine nubiles, avec un enfant au sein. Pour les Sakalaves, le mariage n'est, la plupart du temps, qu'une union temporaire que chacun des conjoints garde le droit de dissoudre quand bon lui semble. Ce genre d'union existe aussi chez les Betsimisarakas, mais sous la con-
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dition que la séparation doit être prévue et annoncée un mois à l'avance. Plus généralement, les associés se lient pour une année entière, et l'année écoulée, existe aussi une sorte de mariage conils renouvellent leur arrangement.Il tracté avec le consentement des parents et entouré de certaines garanties. L'adultère pour les deux sexes est passible d'une amende proportionnée à la fortune des coupables et fixée par les anciens et les chefs indigènes; dans la réalité, l'adultère se pratique couramment, sans frais, par les indigènes; l'amende n'est appliquée que quand il s'agit d'un Européen ou d'un indigène riche et peu aimé; dès que le conjoint lésé a touché le montant de l'amende prononcée, les époux reprennent la vie commune et le passé est oublié. Les esclaves sont très nombreux (1) : ils constituent, tout comme les troupeaux de bœufs, une véritable richesse pour leurs propriétaires. Il faut ajouter, du reste, que l'esclave est presque toujours traité avec bienveillance; il vit avec son maître et fait pour ainsi dire partie de sa famille; il n'est même pas rare .de le voir épouser la sœur ou la fille de son maître et avoir une part dans son héritage. C'est ainsi que la princesse sakalave que les Hovas avaient nommée chef de Mahanara, et à laquelle ils avaient octroyé 9 honneurs, n'était, en réalité, que l'esclave favorite de l'ancienne princesse, qui l'avait prise en affection, l'avait affranchie et en avait fait l'unique héritière de ses biens et de ses titres. Les enfants sont, en général, très aimés par leurs parents; de mine éveillée et intelligente, ils sont souvent très précoces, mais leur développement intellectuel s'arrête brusquement vers l'âge de 10 ou 12 ans. Par exemple, il est bien difficile pour un Européen de les approcher sans causer des scènes épouvantables; les mères indigènes ont, en effet, pris l'habitude de faire de l'Européen une sorte de croquemitaine; l'enfant indocile est souvent menacé d'être donné au Vazaha, qui viendra l'emporter s'il est méchant. La musique est très en honneur chez les représentants de toutes les races; à Antalaha, l'on peut entendre chanter, en hova, des cantiques à trois parties d'une douceur, d'une harmonie et d'une pureté de chant remarquables. Dans les écoles, l'on exerce les enfants à chanter en chœur et l'on obtient des résultats surprenants. Les danses indigènes manquent de caractère; mais les femmes hovas et leurs maris, ainsi que quelques-uns des aborigènes, connaissent les danses européennes et s'en tirent fort bien. —0— L'intelligence des Sakalaves s'est portée presque complètement sur l'élevage des bœufs. Dédaignant les travaux de la terre et vivant presque exclusivement avec leurs bêtes, ils arriventà connaître chaque animal de leurs troupeaux d'une façon extraordinaire. C'est ainsi que les gardiens d'un troupeau en connaissent tous les animaux, quel qu'en soit le nombre, les cris et les traces de chacun; (1)Cela a été écrit avant l'abolitionde l'esclavage(23 septembre1896).Depuiscette date, bienentendu,l'esclavagea disparu.
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ils suivent sans se tromper la piste d'une bête volée et la retrouvent immédiatement au milieu de nombre de leurs semblables; ils se sont, pour ainsi dire, identifiés avec leurs animaux et les mènent avec la plus grande facilité. On trouve encore des bœufs, en moins grand nombre, dans la province de Sambava, où il y a des pâturages, et dans celle d'Antalaha, cependant complètement dépourvue de terres d'élevage; là, on les mêne brouter en forêt et le long des rivages de la mer. La race est moins belle que dans le Nord, mais constitue, néanmoins, une richesse à peine exploitée et à laquelle les indigènes se préoccupent de trouver un débouché. On trouve dans les quatre provinces beaucoup de volailles de bonne qualité et à bas prix. Le cochon, objet d'horreur pour les Sakalaves, est élevé seulement au Sud de la Bemanevika. —o— L'élément principal de culture est le riz. Loky n'en cultive que très peu, Vohemar se suffit dans les années de récolte moyenne, Sambava produit plus que sa consommation et Antalaha est le vrai grenier des autres provinces en temps de disette. Dans les trois provinces du Nord, on ne cultive que le riz de marais; les indigènes abattent les arbres, s'il y en a, puis mettent les bœufs sur le terrain choisi; leur séjour, leurs piétinements continuels et leurs excréments constituent le meilleur labourage et un fumage excellent. Quant le terrain est préparé, il peut servir indéfiniment; une fois le riz coupé, on y remet les bœufs pour labourer et fumer à nouveau la terre. Dans le Sud, au contraire, la culture en marais est l'exception, les indigènes croient que le riz de montagne est meilleur et se conserve mieux; ils choisissent donc un mamelon sur le bord des rivières, abattent la plupart des arbres, brûlent les herbes et les troncs abattus, puis, sur le sol ainsi préparé, font leurs plantations. Le terrain est occupé, suivant rendement, pendant un laps de temps très variable, de cinq à douze ans. Quand la terre est épuisée, ils se transportent ailleurs et procèdent de même. Dans le Sud, on a essayé dans les dernières années la culture de la canne à sucre, qui a donné de beaux produits, mais qui manque de débouchés; les indigènes en distillent le suc par des procédés des plus primitifs et en tirent un rhum peu alcoolisé et qui contracte un fort goût d'herbes par suite de la méthode employée. A Sambava, les créoles ont commencé d'importantes plantations de vanille; on peut estimer à 80. 000 le nombre de pieds actuellement plantés; ce chiffre doit s'accroître rapidement. Un cyclone et la guerre ont arrêté la production, mais les produits obtenus sont de très bonne qualité et il est à supposer que, d'ici trois ans, la production atteindra de 20 à 25 tonnes. A Sambava, on a fait un essai de cacao qui a bien réussi. C'est une culture à encourager et d'un débouché facile. Des essais de caféiers ont été faits, tant à Sambava que dans le Sud. Les espèces d'importation ont été atteintes d'une maladie, sorte de champignon
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qui attaque la feuille des la 3° année, arrête la production et fait périr l'arbre; seul, le Liberia a donné de bons résultats. On trouveen forêt une espèce indigène dont j'ai vu des échantillons et qui paraît très vivace et très résistante, On pourrait peut-être essayer de faire sur cette variété le greffage d'autres espèces. Dans les quatre provinces on cultive le manioc. Le maïs, essayé dans le Sud, a bien réussi. Les arbres fruitiers les plus répandus sont une sorte de citron doux, le citronnier, le pamplemoussier, le grenadier, l'avocatier et le letchi, qui, essayés à Vohemar, ont donné de bons résultats. Les bananes, cultivées partout, sont en général de bonne qualité. Les manguiers existent depuis Vohemar jusqu' au Sud et constituent de véritables forêts; le cocotier est aussi cultivé dans les mêmes régions et il prospère généralement; cependant, dans quelques localités, il est sujet à une maladie qui s'attaque aux palmes, détermine leur chute et entraîne la mort de l'arbre. Le long des rivières et des marais, on trouve à profusion une sorte de bananier sauvage qui ne produit pas de fruits, mais dont les indigènes mangent la racine en temps de disette, après l'avoir fait cuire et râper. Le coton paraît susceptible d'être cultivé avec chances de succès. Le ravenale (arbre du voyageur) existe à peu près partout et sa présence dénote toujours un sol très marécageux; l'eau qu'il fournit est presque toujours limpide, mais contient des animalcules nombreux. L'aréquier croît en abondancedans les forêts; les indigènes sont très friands du cœur, essentiellement comestible, comme celui du rafia, et qui peut, à la rigueur, remplacer le pain. Les rafias sont très nombreux, mais surtout dans le Nord ; c'est un arbre précieux dont presque tous les produits s'utilisent et sont très recherchés, même en France. On pourrait en tirer un papier de qualité supérieure et l'exploitation en serait très facile. Les Sakalaves se livrent peu à la pêche, sauf à celle de la tortue à. écailles, pendant l'hivernage et dans les îles aux environs de Loky. Lorsqu'une tortue compte un chiffre anormal d'écaillés (13, je crois), ce qui est assez fréquent, elle devient fady et est rejetée à l'eau immédiatement comme un objet sacré. Les Betsimisaraka sont plus industrieux; le long des rivages peu profonds où la mer est calme, en dedans des chaînes de récifs, ou aux embouchures des rivières, ils ont installé de vastes pêcheries en bois menu, en bambous ou en roseaux ; on y recueille le poisson à mer basse en fermant les ouvertures dégagées à la haute mer. Le poisson est séché au soleil et les produits obtenus entrent pour une part notable dans l'alimentation. Dans le haut des rivières, les pêcheurs se servent surtout de nasses. Il n'est pas rare non plus de voir à l'entrée des bois, et surtout le long des plages, des mâts élevés sur lesquels on établit des filets en fibre de rafias, très solides, bien confectionnés et à peu près invisibles. Ces filets, munis de pierres
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à leur extrémité supérieure, sont faits pour s'abattre rapidement sur les oiseaux qui s'y engagent à la tombée de la nuit, sarcelles ou grandes chauves-souris, qu'on assomme alors aisément. Sur les récifs, depuis Ngontsy jusqu'à Masoala, on récolte du trépang pour une maison chinoise de Maurice et on le prépare dans une usine établie à Ratsianara. Le grand récif de Vohemar, qui n'est pas exploité, est susceptible de fournir, lui aussi, beaucoup de trépang d'une qualité supérieure. Dans le Sud, les femmes se livrent à la confection des rabannes et des étoffes indigènes à l'aide de métiers rudimentaires, travail de patience s'il en fùt, et de rapport minime; elles sont habiles à confectionner des nattes et des ouvrages en paille, industrie à peu près nulle dans les deux provinces du Nord. CHAPITRE
VII
COMMERCE. - CULTURES A ENCOURAGER de Loky. — La croyance générale, dans la province de Loky, Province croyance déjà mentionnée dans le chapitre Ior de cette notice, est qu'il y a des mines d'or et des sables aurifères à exploiter dans cette région. Il ne peut y avoir de doutes sur l'existence de l'or, spécialement dans la rivière Manancoulène, mais il semble qu'il n'yen a pas en quantité suffisante pour assurer la prospérité d'une exploitation. Les entreprises à tenter avec quelques chances dans cette région seraient l'exploitation des forêts de la rivière de Loky, que l'on dit très belles et riches n essences précieuses, l'élevage du bétail, l'explo itation en grand du rafia, la pêche de la tortue à écailles et du trépang. * ** — Le commerce actuel, en dehors des impord'Amboanio. Province tations de marchandises communes à l'usage des indigènes, des produits alimentaires, de la quincaillerie, etc., est à peu près exclusivement le commerce des bœufs pour l'exportation. Les régions fertiles et bien arrosées ne manquent pas, mais on ne trouverait pas dans la province des bras en nombre suffisant pour une grande exploitation : il faudrait les faire venir du Sud; c'est là, sans doute, ce qui a arrêté jusqu'ici tout essai de culture. On pourrait exploiter les rafias, le trépang, établir de grandes plantations de cocotiers; la création d'une briqueterie et d'une usine à poteries trouverait ici des matières premières de bonne qualité et des débouchés certains. •* — La colonisation a déjà tenté a Province de Soavinandriana. Sambava un effort sérieux qui s'est porté sur la culture à peu près exclusive de la vanille et du Liberia, le seul café reconnu vivace et résistant. Le cacao, essayé en petite quantité, a donné de bons résultats; il y aurait un essai plus sérieux à tenter.
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Continuer dans la voie déjà tracée, essayer en grand le cacao d'après les résultats obtenus, essayer le coton, qui viendrait bien, dit-on, exploiter les bois de construction et d'ébénisterie, voilà les voies à indiquer aux colons comme les plus avantageuses. d'Antalaha.Les travailleurs sont nombreux, intelligents, Province très doux, animés du désir de bienfaire ; il n'y a eu cependant aucun effort fait vers la grande culture. Des essais de café et de vanille ontbien réussi; mais ces cultures ont été ensuite abandonnées. Et, cependant, il y a tout lieu de croire que les entreprises qui prospèrent à Sambava réussiraient à Anlalaha, telle que la culture en grand du riz, de la vanille, de la canne à sucre, du maïs, du coton, du cacao, du café, l'exploitation du caoutchouc, des bois de construction et d'ébénisterie. En résumé, il ne semble pas téméraire de prévoir pour la région de la côte Nord-Est une ère de prospérité qui lui assurera une place privilégiée dans la Grande Ile, grâce surtout aux conditions exceptionnelles qu'elle présente aux colons; les deux provinces du Sud, en effet, sont très favorisées par la nature, sous le rapport du climat, qui est sain et-agréable, de la fertilité du sol, de l'abondance des ressources; la main-d'œuvre, enfin, y est fournie en abondance, grâce à une population industrieuse et très douce. Ce sont là des conditions avantageuses qui permettent de bien augurer de la colonisation à Vohemar. (1)
[FIN]
LI Extraitd'unrapport deM. Faucon,résidentde Franceà Vohemar.
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RÉGIONSDIVERSESDE MADAGASCAR
ÉTUDE
DÉTAILLÉE DES
DIVERSES
REGIONS
DE
MADAGASCAR
1er Mars 1897
INTRODUCTION
A côté des travaux des nombreux écrivains qui, depuis Flacourt jusqu'à nos jours, ont décrit l'île de Madagascar dans son ensemble, nous avons pensé qu'il y aurait peut-être place pour des études partielles, des sortes de monographies detelle ou telle circonscription ethnographique, de telle ou telle divisionpolitique. Non pas que nous ayons l'intention de faire revivre, en ces essais, le patriotisme local ou de ressusciter des querelles encore à peine éteintes; non, nous sommes de l'avis de ce conseiller d'Andriamasinavalona, qui, protestant contre le partage du petit royaume du Tananarive entre les quatre fils du roi, symbolisait son opinion en envoyant au souverain un lamba magnifique qu'il avait « Ainsi, il en adviendra de votre déchiré aux quatre coins et en lui disant: royaume». Aujourd'hui, d'ailleurs,les dissensions intestines ne sont plus à redouter comme autrefois; la puissance souveraine de la France s'étend sur toute l'île et la politique de races siheureusement inaugurée, il y a bientôt un an, ne saurait avoir pour effet le relèvement des nationalités disparues, mais seulement l'égale accessibilité de tous aux fonctions publiques, aux honneurs, aux charges du Gouvernement. Ce que nous voulons tenter dans ces esquisses rapides, c'est de rassembler, sur chaque région, les documents de toute nature susceptibles d'intéresser et d'instruire, de présenter un tableau aussi fidèle que possible des res-
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sources diverses que peuvent offrir a la colonisation les parties de l'île que nous étudierons. Les renseignements recueillis jusqu'à ce jour sont encore bien incomplets, car depuis notre arrivée sur le plateau central, la parole a surtout été au canon et les quelques hardis pionniers qui, sur la foi des traités, se sont aventurés dans l'intérieur, ont, pour la plupart, payé de leur vie leur courageuse initiative. Maisl'insurrection agonise; sur de nombreux point, naguère encore troublés, il est dès maintenant possible de se hasarder à quelque entreprise et, sous la protection de nos postes, les colons, les industriels trouveront la sécurité indispensable au succès de leurs opérations. L'heure nous semble donc propice à l'action économique, contrariée depuis 18 mois par les événements, et c'est dans le but d'offrir à nos compatriotes quelques indications utiles que nous publions ces notes, qui pourront être complétées, voir même rectifiées, lorsque le pays, mieux connu, aura livré ses secrets à nos explorateurs et à nos fonctionnaires. Nous commencerons par l'Imerina, où se sont particulièrement concentrés ces efforts de la colonisation, nous réservant, après avoir successivement passé en revue les cercles militaires, d'appeler également l'attention sur les circonscriptions de territoire civil, dont quelques-unes ne sont ouvertes que d'hier à notre influence.
CJEMmS
MILITAIRES
CERCLE DE TSIAFAHY — Le cercle de Tsiafahy, anciennement Ambatomanga, s'étend Limites. des environs de Tananarive aux confins du paysbetsileo ; il est limité: au Nord, ; à l'Est, par celui de Moramanga ; au Sud, par la par le cercle d'Anjozorobe ; à l'Ouest, par le cercle-annexe d'Arivonimamo et de province des Betsileos Betafo. - Il fait partie de ce système orographique et géologie. Orographie qu'on a souvent comparé à une mer agitée dont les flots auraient été subitement figés et présente partout, en effet, un chaos de montagnes, une succession de pics, dont beaucoup dépassent 1.500 mètres, et entre lesquels circulent des rivières au cours sinueux et encaissé. Dans le Nord du cercle, le sol, argileux, recouvre des affleurements de gneiss et de granit, tandis qu'au Sud, vers Tsinjoarivo, c'est le basalte qui domine. On comprend sans peine qu'un sol ayant une telle composition soit peu propre à la végétation; aussi, les terres cultivables ne se trouvent-elles, le plus souvent, que dans le fond des vallées que fertilisent les dépôts alluvionnaires. Les arbres mêmes sont rares sur le plateau central et la forêt n'apparaît
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qu'aux limites du pays bezanozàno ; par contre, les gisements métallifères sont abondants : l'or, le fer, le cuivre, l'étain, le plomb, se rencontrent dans presque toutes les formations; des dépôts de tourbe et de lignite ont été signalés dans la région d'Ankeramadinika ; du kaolin a été découvert aux environs de Behenjy et des fragments de rubis, topazes, émeraudes ont été trouvés dans les alluvions do l'Onive. * *# Traversé par la chaîne de montagnes qui, du Nord Hydrographie. au Sud, partage l'île en deux versants maritimes, le cercle de Tsiafahy est tributaire, à la fois, du canal de Mozambique et de l'Océan Indien. Son éloignement de la côte Ouest ne lui permet pas d'espérer obtenir des débouchés sérieux dans cette direction, mais il n'en est pas ainsi vers la côte orientale, etsiles reconnaissances actuellement poursuivies pour mettre en communication le haut bassin de l'Onive avec la vallée du Mangoro sont couronnées de succès, il est permis d'en attendre d'heureuses conséquences économiques. Les principaux cours d'eau qui arrosent le cercle sont: 1° L'Ikopa, la rivière la plus importante, qui prend sa source au Sud-Est du cercle, aux confins du secteur de Tsinjoarivo ; il coule d'abord du Sud au Nord en infléchissant légèrement vers l'Ouest, arrose Nosi-Be, Mahatsara, puis, à partir de son confluent avec la Varahina, prend franchement la direction de l'Ouest, qu'il conserve jusqu'à sa sortie du cercle; 2° La Varahina, affluent dedroite de l'Ikopa, qui sort delà forêt à l'Est du cercle, traverse la région industrielle de Mantasoa, où étaient autrefois les usines de M. Laborde, et se jette dans l'Ikopa, un peu en aval d'Ambohipaniry. 3° LeSisaony, qui arrose la partie centrale du cercle, du Sud au Nord Ouest, passe à Tsiafahy et pénètre peu après sur le 3e territoire militaire; 4° L'Andromba, dont lecours est parallèle à celui du Sisaony et dont la vallée est suivie pendant quelque temps par la route reliant Behenjy à Tananarive; 5° L'Onive, grande et bellerivière, qui, après avoir coulé du Sud au Nord sur un long parcours, est brusquement rejetée par le massif de l'Ankaratra dans la direction de l'Est, qu'elle conserve jusqu'à son confluentavec le Mangoro, dans le cercle de Maoramanga. Elle a pour principaux affluents la Sahanamalona et la Sahatorendrika. * *# Histoire. - Les territoires occupés par le cercle de Tsiafahy ont été le berceaude la monarchie hova et leur histoire est intimement liée à celle des rois qui,deRafohyàRadama Ier, ont, par une suite ininterrompue de luttes et d'efforts, fait du petit souverain de Merimanjaka le puissant monarque qui, suivant le vœud'Andrianaponimerina, donna la mer pour limite à sa puissance. Nous ne rappellerons pas ici la série des guerres continuelles que se faisaient entre eux les divers roitelets campés sur presque tous les sommets d'Imerina, tels ; il y a qu'Alasora, Ambohitrabiby, Analamanga (le Tananarive des anciens) lieu, d'ailleurs, de supposer que, malgré l'enthousiasme des chroniqueurs indi-
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gènes, ces faits d'armes devaient plutôt rappeler les incursions de pillards, dont hl vol est le principal objectif, que des opérations militaires pouvant nous intéresser. Nous citerons seulement deux épisodes de la lutte contre les rois de Tananarive, qui eurent à batailler plus d'une fois contre le roi d'Alasora ou contre leurs propres sujets révoltés. La ville d'Ambohijoky, dans le Sisaony, qu'habitaient les Manisotras, résistait qui, depuis longtemps aux avances des émissaires d'Andrianampoinimerina, pour en finir, vint en personne assiéger la cité rebelle à ses désirs. La défense fut héroïque, au dire des chroniqueurs; les Manisotra rivalisèrent entre eux de courage et d'audace, les femmes elles-mêmes prirent part au combat, excitant leurs maris et leur frères à lutter jusqu'à la dernière extrémité, ce qui ne les préserva pas de la défaite. Quelque trente ans plus tard, à Ambatomanga, les Bezanozanos, profitant de la jeunesse de Radama Ier, voulurent reconquérir leur indépendance; mal leur en prit, car ils furent vaincus, leurs maisons furent détruites, eux-mêmes furent chassés, en masse au delà de la forêt, à Ambodinangavo. « Je veux, dit Radama, que cette cité rebelle disparaisse à jamais; malheur à ceux qui penseraient à l'avenir pouvoir s'y établir. Je les saisirai, je mettrai leurs corps en lambeaux et les donnerai en nourriture aux chiens». Les quelques régions qui tentèrent, comme Ambatomanga, de se soustraire à l'autorité du successeur d'Andrianampoinimerina furent rapidement ramenées à l'obéissance et Radama régna dès lors sans discussion sur toutes les tribus de l'Imerina. Il en fut de mêmes des souverains qui leur succédèrent et, jusqu'en 1895, l'histoire intérieure de l'île n'a guère à enregistrer que des révolutions de palais. Mais cette tranquillité, sous le despotisme de quelques grands personnages, ne devait pas durer plus longtemps; le gouvernement hova, parjure aux traités signés, cherchait à regagner par des menées occultes l'influence que lui avait fait perdre le triomphe de nos armes. Il ne devait pas reculer devant une insurrection générale, et nos soldats, à peine remis des fatigues de la dure campagne qui avait fait tomber Tananarive en notre pouvoir, étaient obligés de conquérir une seconde fois le royaume de l'Imerina. Sans citer l'un après l'autre tous les glorieux faits d'armes qui ont, une fois de plus, témoigné de la valeur de nos troupes, nous croyons cependant devoir retracer les phases principales de cette lutte qui, depuis plus d'un an, se poursuit sans relâche et qui bientôt, tout l'indique, se terminera par la victoire définitive de cette vaillante armée à qui les pouvoirs publics rendaient récemment un si éclatant témoignage d'admiration. La situation géographique du cercle de Tsiafahy, aux portes de Tananarive et à cheval sur la route qui relie cette ville à la côte Est, devait en faire un des foyers principaux de l'insurrection, en raison des facilités que le voisinage de la capitale offrait aux rebelles pour y prendre le mot d'ordre ou pour s'y ravitailler en armes et en munitions.
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D'autres circonstances, il est vrai, concouraient encore au développement de la rébellion; d'abord, la grande forêt qui s'étend aux confins du cercle, d'Ankeramadinika au delà de Tsinjoarivo, et qui offrait aux bandes pourchassées un ; en second lieu, un vieux levain de ce fétichisme national refuge facile à défendre que les prescriptions du décret royal de 1869 n'avait fait que masquer et qui allait entrer en scène pour défendre les dieux et la patrie malgaches menacés par les Vahazas ; enfin, et surtout le trouble profond que la présence de nos troupes allait apporter dans les mœurs de cette société foncièrement féodale, de temps immémorial habituée à jouir sans contrôle et sans partage des ressources qu'offrait la région, l'une des plus riches de l'Imerina en gisements minéraux de toute nature. L'occupation française, c'était la fin des abus dont on vivait, l'avènement d'un régime d'égalité d'où ne pouvait sortir, pour les exploiteurs, que la ruine ou tout au moins un notable amoindrissement de situation. On comprend sans peine l'accueil que devaient, en un tel milieu, rencontrer les excitations hostiles parties d'en haut et quels succès attendaient les apôtres de la révolte. Aussi, dès les premiers mois de 1896,l'agitation commençait à prendre une tournure inquiétante, grâce à la faiblesse, peut-être à la complicité, des gouverneurs indigènes, qui, au lieu de se servir des armes qui leur avaient été laissées après la campagne pour étouffer l'insurrection naissante, assistaient indifférents à la levée de sagaies contre notre autorité. Un chef de bande redouté, Rainibetsimisaraka, qui, depuis dix ans, désolait le Vakinankaratra par ses déprédations à main armée, se mettait à la solde de l'insurrection dès le mois de février et signalait aussitôt tragiquement sa présence par le meurtre de MM. Mercier et Molineux, sujets belge et anglais, et, quelques semaines plus tard, le 30 mars, par le triple assassinat de nos compatriotes Duret de Brie, Grand et Michaud. Chacun se souvient encore de l'émotion profonde que produisit, dans la colonie française de Tananarive, l'annonce de la mort de ces trois malheureux, qui, cernés dans le village de Manarintsoapar 1. 500 rebelles, combattirent toute une journée et ne succombèrent qu'après avoir vendu chèrement leur vie. Malgré l'optimisme officiel, qui s'efforçait d'innocenter « cette population » et persistait à ne voir dans ce douloureux paisible et bonne de Madagascar événement qu'un acte isolé de brigandage, l'opinion publique ne s'y trompa point et la gravité de la situation apparut nettement à presque tous les yeux. Une petite colonne, placée sous le commandement du colonel Oudry, qui devait, quelques jours après, recevoir les étoiles d'officier général, partit en toute hâte de Tananarive, le 1er avril, pour rétablir l'ordre et recueillir les restes de nos malheureux compatriotes. Le 3 avril, elle fut attaquée parles bandes de Rainibetsimisaraka, auxquelles s'étaient joints des habitants de Manarintson, mais elle en eut facilement raison par quelques feux de salve.
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Après avoir remis au Résident Général, qui s'était rendu à Manarintsoa, les restes de MM.Duret de Brie, Grand et Michaud, le général parcourut la région, pourchassant les bandes, qui se dérobaient constamment devant ses troupes, après avoir échangé une courte fusillade. Cette chevauchée, dans laquelle les jambes des tirailleurs algériens, et sur tout des tirailleurs haoussas, firent merveille, permit de constater que le pays tout entier était fortement travaillé par les émissaires de la rébellion et que des centres insurrectionnels existaient en plusieurs points, notamment à Manarintsoa, Manga-Be et Nosi-Be. Les prêtres d'idoles entraient en jeu à leur tour et les prédications fanatiques s'ajoutaient aux menées politiques; les sampys,cachés jusque là, étaient promenés au grand jour et. sur leurs pas, les populations hésitantes prenaient les armes et allaient grossir les rangs des rebelles. A Mahanjara, le 22 avril, le capitaine Bordeaux, des tirailleurs algériens, surprenait une bande de ces fanatiques et la détruisait presque entièrement. Quelques jours plus tard, le 30 avril, sept officiers hovas allaient, sur l'ordre du premier ministre, à Antsahamalaza, arrêter un prêtre d'idoles qui prêchait la révolte et l'amenaient à Manjakandriana pour passer la nuit. La nouvelle de cette arrestation occasionnait aussitôt une effervescence sérieuse parmi la population et trois ou quatre cents individus armés de couteaux, de haches et de bâtons se mettaient à la poursuite des officiers de la reine, délivraient le prisonnier et, sans respect pour la qualité des envoyés royaux, les brûlaient vifs dans la maison où ils s'étaient réfugiés. C'était donc bien la guerre, et la plus irréductible, la guerre sainte, compliquée de la haine de race. L'autorité militaire, préoccupée à la fois de lutter contre les rebelles du Nord et d'assurer la sécurité de la capitale même, où l'insurection avait son quartier général, ne disposait pas d'assez de troupes pour agir aussi efficacement qu'elle l'eût désiré et devaitse contenterde petites opérations-partielles. Aussi, devenaitil dangereux de s'aventurer trop loin de nos postes; les fahavalos tenaient partout la campagne et tombaient, alors qu'on les croyait loin, sur le voyageur isolé. C'est ainsi que, dans la première quinzaine de juin furent tués, à Anosizato, des Européens qui coupaient du bois dans la forêt pour le service des travaux publics; que, de divers côtés, les bandes s'organisaient, attaquant les villages, incendiant les écoles et les édilfices religieux. A Ambatomanga, le 27 juin, à 4 heures du soir, une bande de400 fahavalos, déjouant la surveillance des petits postes de la région, assaillait brusquement le village de plusieurs côlés à la fois, en forçait la porte, blessait à coups de bâton et de couteau le sous-gouverneur Ratsimanohatra et ne s'enfuyait qu'à l'approche d'un détachement accouru d'Antanamalaza. La route d'étapes devenait do moins en moins sûre et l'insécurité, en réduisant la circulation, pouvait, à la longue, compromettre le ravitaillement de la
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capitale. Il fallait donc agir de ce côté, sous peine de complications graves, et le chef de bataillon Lalubin fut, au mois d'août, envoyé avec une petite troupe dans la direction de Fianarantsoa, pour reconnaître le pays et déterminer l'emplacement de postes avancés qui dégageraient la route, en contenant les rebelles des vallées du Sisaony et de la Varahina, soulevés à l'instigation d'un prêtre d'idoles, Ihasina. Mais, si nous prenions des mesures de répression, l'insurrection s'organisait également de son côté; Rasamba, avec 500 hommes et 60 fusils, tenait la campagne entre Manjakandriana, Maharidaza, Ambatomenaet Ambatomanga, et donnait la main dans le Sud aux bandes de Rainibetsimisaraka. Le 24 septembre et le 9 octobre, deux nouvelles attaques se produisaient contre Ambatomanga, augmentant encore le malaise général. Les habitants paisibles, travaillés par les partisans de la révolte, vivaient dans une perpétuelle inquiétude, n'osant cultiver leurs rizières de peur d'être enlevés par quelques petits groupes de fahavalos déterminés, et, d'autre. part, hésitant à se rallier franchement à nous par crainte des représailles desrebelles. L'abolition de l'esclavage, proclamée juste au moment où la faiblesse des effectifs obligeait à redoubler d'activité pour faire face à toutes les attaques, vint encore compliquer une situation déjà peu brillante, donner'un aliment nouveau au mécontentement des classes dirigeantes et grossir le parti de l'insurrection de propriétaires dépossédés et même d'esclaves libérés, qui ne trouvèrent pas meilleur emploi à faire de la liberté qu'on leur avait donnée, un peu hâtivement peut-être. Dès l'arrivée du Général Gallieni, la répression entre dans une nouvelle phase; la déclaration d'état de siège, le départ de M. Laroche fortifièrent l'action militaire en supprimant une dualité qui ne pouvait que nuire à la rapidité et à l'unité des mesures à prendre. Par arrêté du 27 septembre 1896, le cercle d'Ambatomanga était créé et forle mé de la province du Sisaony et du sous-gouvernement d'Ambohimalaza ; lieutenant-colonel Borbal-Combret, du régiment colonial, en prenait le commandement, le 4 octobre, avec le prince Ramahatra comme adjoint indigène. Afin d'en finir le plus tôt possible avec les attaques incessantes dirigées contre les voyageurs et les convois sur la ligne d'étapes, dans la traversée du cercle, le Général Gallieni renforça considérablement les troupes qui opéraient dans la région et, à la date du 15 octobre, le commandant du cercle disposait de sept compagnies d'infanterie et d'une section d'artillerie, plus du quart de l'effectif total des troupes en Imerina. Une offensive vigoureuse fut prise aussitôt, l'occupation du front Ambatomanga-Tsiafahy dégagea les abords de la capitale, en refoulant l'ennemi dans les hautes vallées du Sisaony et de la Varahina. Sur la ligne d'étapes, nous prenions possession des sommets avoisinant la ; une série de blockhaus était aussitôt route, tels que l'Angavokely, le Kiraba
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entreprise pour assurer protection complète aux voyageurs, un poste optique était également établi à Ambohitrandriana et permettait de rester en communication presque constante avec la capitale. A partir de ce moment, une lutte incessante, méthodique, s'engagea avec les rebelles, qui cédaient le terrain pas à pas, défendant leurs principaux points avec énergie et faisant preuve d'une réelle organisation. Nous ne suivrons point nos troupes dans les nombreuses opérations qu'elles durent entreprendre, nous réservant seulement de citer les actions le plus saillantes, telles que la prise d'Ambohimasina, le 22 octobre, enlevé à la baïonnette par la compagnie Thaon, des tirailleurs algériens; de l'Andrarankasina, enlevé de même, le 23, par la compagnie Flayelle, de la légion étrangère. Grâce au triomphe de nos armes, les bandes rebelles étaient rejetées dans le Sud; la sécurité augmentait sur la ligne d'étapes; mais les populations étaient toujours lentes à venir à nous; des redditions se produisaient cependant, en petit nombre toutefois, et provenaient surtout des malheureux enlevés de force à leurs travaux. Après les succès d'Ambohimasina et de l'Andrarankasina, le sous-gouvernement de Tsinjoarivo est rattaché au cercle d'Ambatomanga et l'occupation de cette région, longtemps un refuge de mécontents, va porter un coup sensible à la puissance de Rainibetsimisaraka. Des négociations habilement engagées nous avaient ménagé des alliés parmi la population honnête, qui subissait avec peine les exactions sans nombre des bandes rebelles, et, dès le milieu de décembre, la ville de Tsinjoarivo était occupée par nos troupes sans aucune résistance.
Sur la ligne d'étapes, nos progrès étaient aussi marqués; des fanatiques conduits par des prêtres d'idoles avaient été battus en plusieurs rencontres, malgré l'opiniâtreté de leur défense. Le nombre des blockhaus avait été augmenté et de nouveaux postes de protection avaient été créés au Nord et au Sud de la route. Le moment approchait, où, sans perdre de vue les bandes qu'un relâchement de surveillance eût fait renaître, il serait possible de préparer l'extension de notre influence en dehors du plateau central. Par l'occupation du secteur de Tsinjoarivo, nous touchions aux limites de l'Imerina et, suivant les instructions du Résident Général, le commandant du 2e territoire militaire, dont relevait le cercle d'Ambatomanga, devait poursuivre l'installation, à la périphérie des pays hovas, de postes militaires destinés tout à la fois à protéger les régions soumises contre les incursions extérieures, notamment des Sakalaves, et à servir de bases de ravitaillement à la pénétration vers l'Ouest et les ports de la côte. Conformément à ce programme, l'occupation du cercle est fortement organisée par la création des postes d'Antanamalaza du Sud, sur la ligne de partage des eaux des bassins de l'Onive et de l'Ikopa, de Belanitra, au Sud de Tsin-
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joarivo, qui commande les débouchés de la forêt et assure la protection de * l'important marché d'Antevamena. Rainibetsimisaraka, chassé vigoureusement de ses meilleures positions, perd beaucoup de son influence et est obligé de chercher un refuge dans la grande forêt; les reddetions se font de jour en jour plus considérables, surtout après la prise des forts d'Ambohimitsara: à Morarano, à Anjamanga, de nombreuses familles rallient leurs villages détruits et, sous la protection de nos postes, reconstruisent leurs maisons incendiées. Dans le Nord du cercle, la sécurité se fait de plus en plus complète et l'affaire du 28 décembre, qui coûta malheureusement la vie à un officier, le lieutenant Guillet, de l'infanterie de marine, montra aux rebelles qu'ils ne devaient plus compter sur la passivité des habitants qui, désormais, étaient bien résolus à se défendre. Une région cependant continuait toujours la résistance; celle qui est comprise entre les hautes vallées de la Varahina et du Sisaony, aux environs de NosiBe et d'Iaramalaza. Les reconnaissances des postes d'Antanetibe, Ambohimasina, Ambohitromby, entamaient chaque jourles forces des rebelles, mais sans les affaiblir suffisamment pour les obliger à la fuite. Une opération d'ensemble s'imposait et, dès que le commandant Drujon, qui. avait succédé au lieutenant-colonel Borbal-Combret, put disposer d'effectifs suffisants, il prit ses dispositions pour diriger contre Nosi-Be une attaque définitive. Pendant que les troupes du secteur de Tsinjoarivo coopéraient au mouvement, en occupant la ligne de retraite de l'ennemi, le groupe principal, formé d'infanterie et d'artillerie, abordait vigoureusement Nosi Be. que défendait énergiquement une bande résolue, et enlevait la place à la baïonnette. Les rebelles, poursuivis dans toutes les directions, se dispersèrent pendant que les populations hésitantes qui, massées sur les hauteurs environnantes, avaient pu suivre les phases du combat, se décidaient à se rallierà nous et à venir réoccuper les villages abandonnés. La chute de l'importante forteresse de Nosi-Be eut dans tout le pays un grand retentissement etles redditions s'accentuèrent à ce point que, dans la seule région de Nosi-Be, 4.000 indigènes réintégrèrent en quinze jours leurs villages; une lassitude générale sembla gagner les rebelles, qui sentirent la partie perdue et qui, d'autre part, étaient menacés parla famine. A part la région d'Ialamaizina et Manarintsoa, où tient encore une petite bande, le gros des rebelles n'a plus d'autre refuge que la forêt, où, Et encore, nos troupes viennent l'inquiéter, lui tuer chaque jour du monde et lui faire des prisonniers. Une habile concentration des troupes du secteur de Maroandriana, sous les ordres du capitaine ThÔvcnin, inflige aux rebelles d'Ialamaizina une sanglante leçon et fait tomber entre nos mains un grand nombre d'armes, parmi lesquelles on retrouve un fusil de chasse ayant appartenu à M. Durel de Brie.
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Le Sud-Est se trouve, par ce brillant fait d'armes, complètement dégagé et les populations, si longtemps douteuses de la région, commencent à rentrer. Dans le Voromahery, les débris des bandes de Rainibetsimisaraka ayant pu, grâce à la forêt, opérer leur jonction avec celles de Ramapanjaka, le commandant du secteur s'emparait le 22 février des campements des deux chefs et les obligeait à s'enfoncer encore plus au Sud. Des postes sont établis au débouché de la forêt et sur les points occupés par les rebelles, de façon à prévenir tout retour offensif. Au point de vue économique, des reconnaissances intéressantes-sont faites aussitôt pour mettre en communication le Sud du Voromahery avec le Mangoro et rétablir un courant d'échanges qui aurait, paraît-il, existé autrefois; nous en reparlerons plus loin. Pendant que ces opérations s'effectuaient dans le Voromahery, le commandant. Drujon organisait une battue dans la forêt au Sud d'Ankeramadinika, s'emparait des camps de l'ennemi et, s'installant définitivement sur les positions conquises, faisait commencer aussitôt la construction de six blockhaus, qui s'échelonnent du Nord au Sud et jalonnent la frontière de l'Emyrne sur la ligne de partage des eaux entre l'Ikopa et le Mangoro. Au Nord comme au Sud du cercle, la situation est donc actuellement des plus avantageuses; a part quelquesincursions de maraudeurs, les rebelles n'osent plus rien entreprendre et se tiennent prudemment dans la forêt, dont la famine finira bientôt par les déloger.
— Le administrative et militaire tin cercle. Organisation cercle de Tsiafahy comprenait autrefois la presque totalité du Sisaony (l'une des six grandes divisions de l'Imerina établies par Andrianampoinimerina) plus les districts d'Ambohimalaza, Tsinjoarivo et Sahatorendrika. De nombreuses tribus y étaient installées, vivant dans l'indépendance les unes des autres et formant une sorte de petite confédération sous une même autorité. Ce sont les lalasora, Vakinampasina, Maroandriana, Amhohimalaza, Zanamihoatra, Zafimhazaha, Ikeliampinga, Ampahadiminy, Triamoala et Voromahery. Acôtéd'elles, plusieurs colonies issues des castes nobles Andriamasinavalona, Andrianamboninolona, Zanamanjakolona et Andriantompokoindrindra se sont fixées, particulièrement dans le Sisaony, et ont formé dans la suite, soit des « tompomenakely », chefs de fiefs ou seigneurs, soit des marchands qui, comme à Ambohimalaza par exemple, acquirent vite dans le négoce des fortunes importantes. Une forte colonie de caste noire vint également s'installer à Alasora, du temps d'Andrianampoinimerina, ainsi que des et des Tsimiambobolahy, qui fournirent un contingent de colons on « voanjo». Dans le Tsinjoarivo, on trouve des Bezanozanos, à la lisière de la forêt. Toutes ces tribus d'origines diverses subsistent encore avec leurs coutumes,
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leurs règles spéciales, et le souci du gouvernement actuel est de concilier les traditions de familles et de races avec les nécessités politiques ou militaires, Pendant cette dernière année, des modifications ont été, à plusieurs reprises, apportées à la délimitation, soit du cercle lui-même, soit des sous-gouvernements qui le composent ; mais, chaque fois, les considérations dont nous venons de parler ont été respectées dans la limite du possible. Au début, par l'arrêté du 27 septembre 1896, le cercle d'Ambatomanga comprenait la province du Sisaony et le sous-gouvernement d'Ambohimalaza ; plus tard, les progrès de la pacification aidant, l'arrêté du 31 octobre rattacha au Sisaony le sous-gouvernement de Tsinjoarivo, qui, précédemment, en avait fait partie. Au mois de février 1897, un remaniement des circonscriptions militaires de l'Imerina étant devenu nécessaire, l'arrêté du 23 février décida que le cercle d'Ambatomanga comprendrait la province du Sisaony avec les deux sous-gouvernements d'Ambohimalaza et de Tsinjoarivo. Enfin, il y a quelques semaines, par les arrêtés de 2 et 7 avril, le chef-lieu du cercle était transféré d'Ambatomanga à Tsiafahy, dans une situation plus centrale, et des remanienements étaient opérés dans les sous-gouvernements. Actuellement, le cercle est divisé comme suit : a. Circonscriptions administratives. Sous-gouvernement d'Ambohimalaza, d° d'Ambatomanga, d° d'Ambohitrandriamanitra, d° de Tsiafahy, d° de Tsinjoarivo. b. Circonscriptions militaires. Secteur Nord de la Varahina, d° Sud de la Varahina, d° du Maroandriana, d° du Voromahery. Le commandement du cercle est exercé par un officier supérieur qui concentre entre ses mains les pouvoirs administratifs, judiciaires et militaires. Il est assisté de deux officiers: Un chancelier chargé particulièrement des détails d'administration et un officier de renseignements dont les attributions sont plutôt d'ordre militaire. A la tête de chaque secteur est un officier qui, bien que plus spécialement maintien nécessite, chargé de la sécurité et des opérations militaires que son seconde l'action politique du commandant de cercle et remplit souvent, vis-à-vis des autorités indigènes, le rôle de guide et de conseiller.
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Avec les troupesrégulières, le commandant du cercle dispose encore d'une compagnie de milice à 200 hommes recrutés dans la région et où les diverses classes de la population se trouvent mélangées. Répartis dans divers postes, ils concourent aux opérations militaires et assurent le service d'escorte; bien instruits, bien encadrés, ils seront, en s'aguerrissant, de précieux auxiliaires par leur connaissance du pays, leur endurance et leur grande mobilité. Dans beaucoup de villages, en outre, des partisans choisis parmi les gens surs ont reçu quelques armes pour organiser eux-mêmes leur défense et, dans plusieurs circonstancts déjà, on a pu constater les bons résultats de cette mesure. ** Administration indigène. —Jusqu'en 1878, le pays était administré suivant les règles établies par Andrianampoinimerina et qui avaient été scrupuleusement respectées. A la base de l'échelle administrative se trouvaient les « tompon' arivo », chefs de mille, et « tompon' jato o, chefs de cent, qui avaient sur leurs administrés pleine et entière autorité et qui, comme conséquence, supportaient vis-àvis du gouverneur la responsabilité de la marche des affaires. Au-dessus d'eux, la hiérarchie comprenait les « ben' ny tany», grands de la terre, toujours choisis dans la caste d'Andriamasinavalona, et les «ray amandreny», pères et mères du peuple, qui étaient obligatoirement nommés à l'élection et pris dans la caste roturière. Il y a là une étrange réminiscence de l'institution romaine des décemvirs et des tribuns qui témoigne, en théorie du moins, du souci du souverain pour les intérêts de ses sujets, de quelque caste qu'ils fussent. En 1878, le premier ministre Rainilaiarivony, à qui toute autorité portait ombrage et qui tenait à placer des agents sûrs auprès de tous les fonctionnaires, institua, dans chaque village, un « sakaizam-bohitra», ami du village, qui était le représentant du pouvoir central et avait principalement pour mission de transmettre à Tananarive toutes les affaires un peu importantes, qui étaient ainsi enlevées à la juridiction des chefs locaux. C'était la centralisation entre les mains du premier ministre de toute la vie du pays, la main mise sur tout le royaume et l'abaissement des castes jusqu'alors puissantes. En 1881, les « sakaizam-bohitra » changèrent de nom et furent appelés « antihy », sentinelle. Choisis parmi les vétérans de l'armée, ils furent dispersés dans les coins les plus reculés de l'Imerina, où ils remplissaient, en même temps que leur rôle d'agent spécial du premier ministre, les fonctions de gendarmes, huissiers, maires, notaires, percepteurs, etc. En 1889, les « Antihy» furent à leur tour remplacés par les « gouverneurs ma-
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dinika », petits gouverneurs, dont nous avons consacré l'institution en la réglementant et en la mettant en harmonie avec nos mœurs administratives. Actuellement, l'administration indigène est exercée dans les cercles, sous le contrôle de l'officier supérieur commandant, par un gouverneur général placé près du commandant du cercle, par des gouverneurs de diverses classes, des sous-gouverneurs, des gouverneurs madinika et des mpiadidy, ou chefs de quartier nommés à l'élection par la communauté, le'« fokon' olona ». Une surveillance incessante est exercée à tous les degrés sur ces fonctionnaires, afin d'éviter le renouvellement des abus qui caractérisaient l'organisation hova, et les populations ne seront pas longtemps sans apprécier les avantages du régime d'équité et de bienveillante protection que leur assure la souveraineté # de la France. Services ce jour, l'état de troubles du cercle n'a publics. —Jusqu'à permis d'installer qu'incomplètement les divers services publics qui constituent la vie d'un pays et favorisent le développement de ses richesses. On ne saurait d'ailleurs attendre du régime militaire, dont les préoccupations primordiales sont de ramener la paix, une organisation de tous points analogue à celle de la Métropole ; ce qu'il s'efforce de faire, c'est, tout en restant fidèle aux grandes lignes, de créer des rouages simples, appropriés aux conditions spéciales de races, de mœurs et de temps. L'examen que nous allons entreprendre nous montrera qu'un grand pas a été fait déjà et que la vieille devise du maréchal Bugeaud: « Ense et aratro» pourrait, en plus d'un cas, trouver ici sa justification. GENDRONNEAU, Officier d'administration. (A suivre).
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1" AVRIL
1899
Pendant le mois de mars, la situation n'a cessé de s'améliorer dans toutes les régions de l'île et de nouveaux el importants résultats ont été obtenus pour la pacification et l'organisation administrative du pays. Au point de vue politique, on a pu apprécier les conséquences heureuses de l'exil de Ranavalo et de l'abolition de la royauté. Comme on aurait pu s'en convaincre dès les premiers jours, cette mesure, loin de provoquer une effervescence quelconque dans la population, a contribué, au contraire, à ruiner le crédit des principaux chefs rebelles qui tiennent encore la campagne. Lanouvelle s'est répandue rapidement dans toutes les parties de l'île et a achevé de persuader aux Malgaches, ce dont beaucoup doutaient encore, que l'autorité de la France s'exerce seule aujourd'hui à Madagascar. Oii a créé ainsi une situation nette et dissipé une équivoque qui maintenait encore sous les armes, soit par igorance, soit par dévouement à l'ancienne dynastie, un grand nombre d'indigènes et de chefs d'une influence incontestable. Aussi, le départ de Ranavalo a-t-il été marqué par une recrudescence dans le nombre des soumissions. Enfin, à l'attitude générale de la population, à l'empressement plus grand que jamais qu'apportent les fonctionnaires indigènes à exécuter les ordres qui leur sont donnés, on devine aisément que les Malgaches ont, au fond, accueilli avec joie la suppression définitive d'un régime qui ne subsistait plus que de nom, mais qui leur rappelait le souvenir de longues années d'oppression et de tyrannie. Les anciennes familles nobles, d'ailleurs très peu nombreuses, regretteront seules l'abolition de la royauté qui encourageait leurs rapines et leurs exactions; le nouvel état de choses aura pour conséquence prochaine la suppression des castes et des privilèges véritablement excessifs qui avaient été attribués jusqu'à ce jour à l'aristocratie du pays. Depuis plusieurs mois déjà, tous les Malgaches peuvent prétendre aux fonctions publiques, et c'est ainsi que plusieurs indigènes de la caste noire ont été appelés aux fonctions de gouverneurs.
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Cette mesure libérale a rallié an Gouvernement français toutes les classes inférieures dela population, et beaucoup de gens, appartenant aux meilleures familles indigènes, comprenant que la France est désormais installée à demeure à Madagascar, se rallient franchement à nous. C'est ainsi que de nombreuses personnalités indigènes ont demandé au Résident Général de faire transporter à Tananarive les cendres des anciens rois malgaches inhumés à Ambohimanga. Cette translation s'est effectuée en grande pompe, au milieu d'une affluence énorme d'indigènes, qui ont suivi pieusement toutes les phases de cette longue.„çé £ éj&o.ui.c,..,. Cette mesure a eu deux résultats très appréciables : elle a montré- à la population combien nous étions respectueux de leurs vieilles coutumes et de leurs gloires nationales; enfin, elle a dépouillé Ambohimanga de son caractère de ville sainte, si souvent exploité contre nous. Chacun se rappelle, en effet, la persistance des rebelles à venir à Ambohimanga chercher de la «terre sainte» et des amulettes qui devaient les rendre invulnérables dans leurs luttes contré nous. Un autre fait de nature à nous faire envisager l'avenir avec confiance est la pétition présentée par un grand nombre de notables indigènes à l'effet de faire remplacer l'ancienne fête nationale du Bain par la Fête nationale française du 14 Juillet.Il va de soi que l'administration a accueilli avec plaisir une telle pétition et qu'elle s'est empressée d'y faire droit. L'horizon politique se dégage donc de plus en plus en Emyrne ; il en est de même dans les autres parties de l'île, mais ces améliorations ne viennent que lentement, et il faudra plusieurs années pour compléter, dans toutes les résidences de la côte, une organisation comparable -àcelle qui existe déjà en Emyrne. Au point de vue militaire, les événements du mois de mars se rattachent aux opérations précédemment commencées et forment la continuation du programme d'extension méthodique adopté par le Résident Général. Toutefois, l'action militaire tend de plus en plus à prendre une nouvelle forme et nos troupes, qui ont atteint et dépassé sur quelques points les frontières de l'Emyrne, s'apprêtent à des marches de pénétration vers la côte. Dans le 1erterritoire militaire, le résultat des opérations entreprises le mois heula précédent contre Rabozaka commence à se faire sentir de la façon plus reuse. Sur la rive droite de la Mananara, cumme dans la haute vallée du Mangoro, les soumissions affluent et les habitants rentrent en grand nombre à leurs Rabezavana qui villages. Rabozaka a réussi à s'enfuir et à rejoindre les bandes de a laissé quelques partioccupent la région de Vohilena au Nord de l'Emyrne ; il sans dans la forêt du Mangoro, mais ces groupes n'offrent plus aucune résistance et nos patrouilles, qui explorent chaque jour la forêt, leur font de nombreux dans cette région de nombre d'un la création postes grand enfin, prisonniers; en plus les de resserrer de active et plus une surveillance exercer permet d'y zones de forêt encore occupées par les rebelles. En même temps, M. le colonel Combes se dispose à poursuivre les succès obtenus et organise les opérations qui Nord. seront prochainement-entreprises pour étendre notre occupation vers le
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Lepremier objectifsera l'enlèvementde Vohilena, où la bande de Rabezavana s'est retranchée; de là, les troupes du colonel Combes, liant leurs efforts avec ceux des troupes du cercle d'Ambatondrazaka, descendront des vallées de la Mahajamba et de la Betsiboka en vue d'une action commune contre les bandes sakalaves du Nord. Ces bandes sont encore nombreuses et quelques-unes d'entre elles paraissent assez solidement organisées. Elles sont généralement commandées par d'anciens officiers de l'armée hova et possèdent encore des approvisionnements assez importants d'armes et de munitions. Il faut donc s'attendre, de cecôté, à une résistance assez sérieuse, qu'il faudra briser définitivement pour assurer la sécurité complète des communications avec Majunga. Dans les premiers jours du mois, M. le commandant Reynes a exécuté, dans le Nord du Valalafotsy, une opération des plus intéressantes et qui, pour la première fois, a conduit nos troupes en pays sakalave. Avec un détachement de 150 hommes, M. le commandant Reynes a occupé Fenoarivo et y a installé un poste qui achèvera de disperser les groupes rebelles de cette contrée. Il est à prévoir, d'ailleurs, que dans le voisinage immédiat du Valalafotsy, la pacification pourra se faire sans trop de difficulté. Le poste dé Fenoarivo a déjà reçu de nombreuses soumissions et le mouvement de rentrée des habitants continue de s'accentuer. Cependant, il ne faut pas perdre de vue que la bande principale, sous les ordres du chef rebelle Rainijirika, est allée rejoindre dans l'Ouest les bandes sakalaves encore insoumises du Mahilaka et du Menabe du Nord. Il faut donc s'attendreà rencontrer de nouveau ces contingents d'insurgés, lorsque nos troupes, dans les mois qui vont suivre, se dirigeront vers la côte. Plus au Sud, les troupes du cercle de Miarinarivo ont préparé également la pénétration vers l'Ouest, par la ligne qu'avait créée Radama Ier et qui était jalonnée par les postes hovas de Tsiroanomandidy, Bevato et Ankavandra. Le gouverneur général hova de Tsiroanomandidy s'est mis en relations régulières avec le commandant du cercle et lui a donné des gages de fidélité. Plusieurs chefs sakalaves de la région située plus à l'Ouest ont envoyé des députations qui ont apporté des protestations de dévouement. Toutefois, il convient de n'attacher qu'une importance relative à ces manifestations. D'après certains renseignements fournis par les émissaires, on peut supposer que les chefs sakalaves de l'Ouest sont surtout préoccupés de se renseigner sur nos intentions et sur l'importance des effectifs qui seront prochainement envoyés dans l'Ouest. Une certaine effervescence règne chez ces peuplades et il est à croire notre occupation ; d'autre part, les nombreuqu'elles n'accepteront pas volontiers ses armes dont elles disposent et les qualités guerrières dont elles ont fait preuve contre les Hovas les pousseront à une résistance qui pourra être assez sérieuse. En outre, il faut s'attendre à ce que la nature même du pays rende les opérations assez délicates, en raison du développement des lignes de communication et des difficultés de ravitaillement qui en seront la conséquence.
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Dans le cercle d'Ambatomanga, les importants résultats obtenus le mois précédent par la prise de Nosi-Be ont été complétés par une opération des plus heureuses exécutéele 5 mars par M. le capitaine Thévenin, dans les environs de Manarintsoa Malgré les échecs successifs qui leur avaient été infligés dans cette région, de nombreux groupes rebelles y tenaient encore la campagne et inquiétaient, par de fréquentes incursions, les populations soumises. Par un mouvement concentrique habilement combiné de tous les détachements de son secteur, M. le capitaine Thévenin réussit à emprisonner les rebelles dans un cercle d'où ils ne purent s'échapper; toute la bande fut faite prisonnière avec ses armes, ses munitions el ses approvisionnements. Dans le butin, on retrouva une partie de l'équipement de MM.Duret de Brie, Grand, Michaux, nos malheureux compatriotes assassinés à Manarintsoa au mois de juin 1896. Plus au Sud, Rainibetsimisaraka, le fameux chef de bandits, est traqué de tous côtés et ses partisans sont réduits à une poignée d'hommes. Dans les territoires civils, notre zone d'influence a continuéà s'étendre. L'émotion qu'avait produite, dans la résidence de Mananjary, les incidents de Sahavato, est complètement calmée. Le chef rebelle Rainimanganoro, qui avait tenté ce coup de main, a été mis en fuite vers le Nord-Ouest et un détachement mixte de tirailleurs et de miliciens s'est mis à sa poursuite. Au Nord, M. Pradon, résident de Maroantsetra, après avoir organisé définitivement le poste de Mandritsara, s'est mis en route sur Befandriana avec la compagnie de tirailleurs malgaches du capitaine Clavel. Cette ville, qui est un des centres de population les plus importants de la région du Nord, est enlevée après un brillant engagement. M. le résident Pradon s'y arrête pour y installer un.poste, pendant que M. le capitaine Clavel continuesa marche vers la côte Ouest. Vers la fin du mois, on apprend que cet officier a atteint Andranosamonta après avoir traversé l'île dans toute sa largeur sur un parcours d'environ 350kilomètres. Les rebelles hovas qui s'étaient enfuis de Befandriana ont été atteints de nouveau par le détachement et mis en pleine déroule à Ampomoto, à 60 kilomètres au Sud de Maivarano. Dans ce brillant engagement, nos troupes ont enlevé à l'ennemi trois canons, un grand nombre de fusils, plusieurs drapeaux aux armes de la reine et d'importants approvisionnements de toute nature. Sur la côte Nord-Ouest, M. le résident de Majunga achève l'installation des postes de milice et de douanes qui ont été établis le mois précédent dans les principaux estuaires de la côte pour empêcher la contrebande de guerre et préparer la pénétration, vers l'intérieur, des troupes et des milices de la côte. Enfin, on apprend que le Fabert, croiseur de la division navale, a arboré le pavillon français sur les îles Juan de NovaetEuropa. Ce bâtiment a également visité Maintirano, petit port de la région du Maïlaka. L'autorité de la France n'est pas encore reconnue sur cette partie de la côte; les peuplades sakalaves qui l'habitent sont turbulentes et pillardes et les opérations militaires, seules, permettront
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d'en avoir raison et de donner à notre commerce la sécurité nécessaire sur cette partie du littoral. Outre l'action militaire et l'évolution politique dont le mois de mars a marqué l'achèvement, la période qui vient de s'écouler a vu s'accomplir de nombreuses réformes administratives qui étaient la conséquence du nouvel état de choses ou qui se rattachaient a la réalisation du programme antérieurement. adopté. Les progrès de l'enseignement primaire ou professionnel et la vulgarisation de la langue française continuent de solliciter l'attention du Résident Général. Au lendemain du départ de Ranavalo, un arrêté crée, dans le palais même qu'elle vient de quitter, l'école Le Myre de Vilers, qui est destinée à former des interprètes, des juges et des administrateurs indigènes. Une partie du palais est réservée à la création d'un musée commercial où seront réunis les principaux produits naturels du pays, ainsi que les échantillons du travail indigène; ce musée comprendra, en outre, une section historique dont les éléments ont été fournis par les innombrables objets accumulés au palais depuis plusieurs générations, et qui ont été catalogués par une commission spéciale. La réglementation de l'impôt se poursuit dans toutes les provinces nouvellement organisées et on y applique, avec les modifications convenables, les mesures déjà adoptées pour l'Emyrne. Cette législation régulière, qui établit les taxes sur des bases équitables, est accueillie avec une satisfaction manifeste par les populations indigènes ; les perceptions sont surveillées avec le plus grand soin et des instructions sont données aux résidents et aux commandants de cercle pour habituer peu à peu les gouverneurs indigènes à la tenue d'une comptabilité nouvelle pour eux. Dans un grand nombre de localités, cette lâche est d'ailleurs rendue facile parl'initiative et le zèle de ces fonctionnaires, dont certains, déjà exercés au rôle d'administrateurs, secondent avec une réelle intelligence les autorités françaises. Ces premiers résultats seront plus sensibles encore dans quelques années, lorsqu'une partie des fonctionnaires actuels auront fait place à de nouveaux venus, recrutés au concours parmi les meilleurs élèves desécoles officielles de Tananarive. On pourraainsi, peu à peu, donner plus d'extension aux attributions actuelles des gouverneurs indigènes et assurer à peu de frais pour le budget, et comme dans un pays de protectorat, l'administration autonome de la colonie. Les services qui intéressent directementles colons sont aussi l'objet d'une vive impulsion. Sur la ligne d'étapes et dans toutes les régions où la colonisation a pris quelque importance, le service postal a été amélioré par la création de relais ou de nouveaux bureaux de distribution. Les communications télégraphiques avec Tamalave sont assurées désormais par deux fils, dont un donne la communication directe. La construction de la nouvelle ligne de Majunga est en même temps activementpoussée et un arrêté, pris vers la fin du mois, établit à Habay un bureau télégraphique qui sera ouvertle 1eravril. L'importance que les questions de travaux publics vont prendre d'ici peu
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amène le Résident Général à décentraliser ce service. Les études de routes sont confiées entièrement au génie, déjà chargé jusqu'à ce jour des travaux de la piste muletière. Le service des bâtiments civils est érigé en administration distincte, qui se consacrera exclusivement désormais à la préparation des importants projets qui devront être mis à exécution avant peu, pour l'installation des services publics dans les provinces nouvellement organisées. Enfin, le service des mines, qui prend chaque jour une extension plus grande, aura désormais une organisation indépendante; il pourra ainsi concentrer tous ses efforts sur les questions de législation minière et sur la répartition des concessions qui a déjà soulevé et soulèvera encore, dans l'avenir, de nombreuses et délicates questions litigieuses. Des mesures sont prises pour assurer l'avenir des exploitations agricoles. Pendant le mois de février, un jardin d'essais avait été créé à Nahanisana; on y adjoint une bouverie et une bergerie qui sont, en quelque sorte, des écoles d'élevage appropriées au pays et qui pourront fournir aux colons d'utiles indications pour la constitution de leurs troupeaux. Enfin, le service de la justice participe au progrès général: l'assistance judiciaire est réglementée pour les colons et pour les indigènes; d'autre part, un arrêté sur l'immatriculation des biens prépare l'assiette définitive de la propriété foncière. En résumé, au point de vue militaire, comme au point de vue civil, la situation est aussi satisfaisante qu'il est permis de l'espérer; la saison sèche, qui va commencer incessamment, permettra de pousser activement les travaux de toute sorte indispensables pour assurer le développement commercial du pays; elle permettra, en même temps, à nos troupes de s'étendre dans toutes les directions, complétant ainsi le programme de pacification et d'organisation du pays. FIN
M. DE COINTET. — DE TANANAHIVEA ANKAVANDRA
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TANANARIVE
DE
A ANKAVANDRA (Suite) (1)
(JUILLET
PARTIE
DEUXIÈME
DESCRIPTION
1896)
DE
L'ITINÉRAIRE
B. - Itinéraires dans le massif central. Pays Sakalaves soumis aux Hovas (Formations granitiques non modifiées). à Ambohitromby (12 Km.) GÉNÉRAUX. —Cette partie de l'itinéraire relie les chemins qui RENSEIGNEMENTS conduisent de Tananarive, dans les districts du Mandridrano et du Mamolakazo, à la route des postes hovas de l'Ouest, par le Valalafotsy. Après avoir traversé, au Nord de Maharidaza, les contreforts orientaux du mont Velezana, on s'engage sur de larges plateaux coupés de rivières encaissées, dontles abords sont souvent marécageux. La région, peu habitée, n'offre aucune ressource, sauf en bœufs. Peu de bois, excepté dans les fonds de vallées et sur - les pentes du mont Ambatovato. J'ai parlé en détail, dans la première partie, de l'aspect de la population et des ressources de cette région. Au point de vue militaire, elle est d'un parcours facile et n'offrirait pas d'obstacles à la marche et aux mouvements des colonnes qui pourraient avoir à y opérer. Maharidaza
(1) Voir les trois numéros précédents.
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M. DE COINTET. — DE TANANARIVEA ANKAVANDRA Moratsiazo
à Analabé
(IS Km.) A partir de Moratsiazo, la route de l'Ouest sort de l'Emyrne pour suivre la ligne des postes hovas qui s'échelonnent jusqu'au Bongo-Lava. Analabé est le premier de ces postes. La piste est étroite et mal frayée; elle traverse des plateaux herbeux, à sol d'argile, sillonnés de nombreux cours d'eau, sur lesquels les mouvements du sol tombent par des pentes rapides. Ces rivières appartiennent au bassin de la Tsiribihina. Au Nord, la piste est dominée par les monts Ambohidrano, qui s'étendent jusqu'au Tsaramody. Au Sud, la vue s'étend librement sans rencontrer d'accidents de terrain saillants. Cette région est traversée, de l'Est à l'Ouest, par une ligne de soulèvements granitiques, qui commence au mont Ambohibato et se termine au Nord d'Analabé, sur la Manga. Les cours d'eau qui descendent du Nord se heurtent à cet obstacle et le franchissent par des seuils étroits, après avoir formé, en amont, des marais étendus et profonds. Le plus considérables sont ceuxdu Tsaramody. En aval, et à partir de pied même de la ligne de soulèvements, les marais recommencent à border le cours des rivières, en se prolongeant vers le Sud. Il est naturel que la piste suive le soulèvement granitique le long duquel les cours d'eau sont plus faciles à franchir. On aperçoit quelques villages et de nombreuses enceintes ruinées, dont la présence indique que le pays a été autrefois prospère. Il n'est plus habité, actuellement, que par les Sakalaves, plus ou moins soumis aux Hovas, qui s'adonnent à l'élevage du bétail. En dehors des bœufs et des volailles, on ne trouve aucune ressource. Les indigènes ne cultivent que pour suffire strictement à leur subsistance. Le bois est rare et on ne rencontre quelques arbres qu'aux environs des villages; l'eau est bonne et ne manque pas à la saison sèche. Analabé
à Bevato
(23 Km.) — Après avoir traversé la rivière Androlra, l'itiGÉNÉRAUX. RENSEIGNEMENTS néraire quitte le bassin de la Tsiribihina pour entrer dans celui du Manambolo. Les ondulations du sol s'interrompent brusquement par une sorte d'arête ravinée, orientée Nord-Sud, sur la naissance des ruisseaux qui forment la rivière Ampasindava (affluent de gauche du Manambolo). Le franchissement de cette arête est très difficile aux animaux. Dans le bassin de l'Ampasindava, la piste suit une croupe longue et étroite, tombant, par des pentes raides et escarpées, sur le ravin qui l'enserre, et aboutit au gué de la rivière, à l'Ouest du village de Bevato. Le trajet est en somme facile et le terrain environnant plus accidenté que dans la région d'Analabé. Au Nord, la vue s'étend sur des plateaux semés de
M. DE COINTET. — DE TANANARIVEA ANKAVANDRA 171 massifs granitiques; à l'Ouest, se dresse la masse imposante du mont Bevato, soulèvement granitique isolé qui ferme l'horizon et dont on aperçoit la silhouette depuis les confins même de l'Emyrne. Au Sud et au Sud-Ouest, s'élève le mont Ambohiby, énorme pâté montagneux, dont les contreforts descendent de plusieurs sommets escarpés et couverts de forêts et s'étendent jusque sur les bords de l'Ampasindava. Le pays est désert jusqu'à Bevato. Sur la ligne de séparation de l'Androtra et de l'Ampasindava, à l'extrémité des contreforts de l'Ambohiby, on trouve l'enceinte ruinée du village d'Ankadimainty. Autour de Bevato, on aperçoit quelques petits villages sakalaves. Comme partout, depuis Moralsiazo, le pays, en fait de ressources, ne possède que des bœufs. Le village de Bevato est cependant un peu plus important que les précédents et une centaine d'hommes trouveraient à s'y nourrir pendant plusieurs jours. Le bassin de l'Ampasindava est parsemé de boqueteaux nombreux croissant dans les fonds ou sur les pentes des ravins. On trouve l'eau dans les rivières et dans des sources, aux environs des villages. à Tsiroanomandidy (85 Km.) L'itinéraire suit d'abord les plateaux de la rive gauche de l'Ampasindava, parcours facile. A partir de la rivière vaseuse appelée Kofay, la vallée se resserre entre le mont Bevato et les contreforts du mont Ambohibiby. Ces contreforts sont sillonnés de ruisseaux marécageux La piste monte au village d'Avaradrano, pour éviter la partie inférieure des marais, difficile à franchir. Entre ce point et Tsiroanomandidy, le parcours est de nouveau facile, à travers de larges ondulations coupées de quelques rivières. Dans la direction du Nord, le terrain s'abaisse sur le Manambolo. Au Sud, on aperçoit des hauteurs peu accentuées qui se détachent du mont Ambohiby et forment la ligne de partage des eaux, entre le bassin du Manambolo et ceux des affluents septentrionaux de la Tsiribihina. La position d'Avaradrano est à signaler: le village est situé sur un éperon dominant le défilé formé par les contreforts de l'Ambohiby et le mont Bevato. Cet éperon, qui est entouré, à l'Est comme à l'Ouest, de rivières et de ravins formant fossés, constitue une position facile à défendre contre les attaques venant de ces deux côtés. Le pays est désert, sauf aux environs de Tsiroanomandidy, où l'on rencontre quelques villages sakalaves, petits et pauvres. Pas de ressources, sauf des bœufs. Les fonds de vallées sont parsemés de taillis épais dominés par de grands arbres. Les rivières ont de l'eau à la saison sèche. Bevato
à Miadanarivo Tsiroanomandidy (Ankavandra) (100 Km.) L'itinéraire parcourt d'abord une région de plateaux traversés par quelques
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— DE TANANARIVEA ANKAVANDRA
affluents de gauche du Manambolo.Ces plateaux s'étendent, au Nord, presque sur le fleuve; au Sud, l'horizon est borné, à courte distance, par des massifs montagneux qui forment la ligne de partage des eaux entre le bassin du Manambolo et celui de la Tsiribihina. A partir de Marovatana, l'itinéraire s'infléchit au Sud-Ouest, pour atteindre la crête des monts Tsimabehona, après avoir traversé un terrain très accidenté Des monts Tsimabehona à la falaise du Bongo-Lava, s'étend une région très montagneuse. La piste suit à peu près les crêtes qui séparent le bassin de la Tsiribihina de celui du Manambolo, jusqu'à la cote 1.160, au Sud-Ouest du mont Andzoivato. Au Nord comme au Sud, la vue s'étend sur un pays tourmenté, découpé par des ravins profonds, aux flancs escarpés. L'itinéraire parcourt enfin les plateaux qui séparent divers affluents du Manambolo et il aboutit à la plaine d'Ankavandra, après être descendu du BongoLava par des pentes très escarpées. La traversée des rivières qui sillonnent la plaine n'offre aucune difficulté. Des plateaux extrêmes du Bongo-Lava, on jouit d'une vue très étendue vers l'Ouest; au pied de la falaise, s'étend la vallée accidentée du Manambolo, dans laquelle Tceil suit sans obstacle le cours du fleuve, jusqu'à son entrée dans le Bemahara. La vallée est limitée, à l'Ouest, par le plateau jurassique qui se prolonge, au Nord et au Sud, par des ondulations boisées. De Tsiroanomandidy à Miadanarivo, le parcours est plus accidenté qu'entre Moratsiazo et Tsiroanomandidy. Il ne présente cependant que deux points opposant de réelles difficultés au tracé d'une route muletière. Le premier se trouve à la traversée des monts Tsimabehona, arête escarpée précédée de plusieurs ravins. Il faudrait chercher à tourner cet obstacle par le Sud, du côté du mont Vokobé, oùles pentes sont moins raides. Le deuxième point difficile est la descente du Bongo-Lava, absolument impraticable, et sur laquelle il ne faut pas songerà étudier un tracé quelconque. La piste suit une arête étroite bordée de ravins à pic et descendant par des pentes rocheuses qui atteignent 30 et 45 degrés. Il paraît que l'on peut arriver plus facilement à Miadanarivo par les hauteurs qui séparent la vallée de l'Ankofotsy de celle du Rafiatokana. On s'engagerait dans cette direction en quittant un peu, à l'Ouest de la cote 1.160, le tracé étudié ici. Le pays est absolument inhabité jusqu'à la plaine d'Ankavandra, où l'on aperçoit quelques petits villages sakalaves. ; cependant, il faut se méfier de la On trouve partout de l'eau en abondance qualité de celle des rivières de la plaine d'Ankavandra, qui entraînent de grandes et quantités de détritus végétaux. Il n'y a de sources que dans la montagne les habitants de Miadanarivo sont obligés de puiser l'eau dans la rivière voisine. Tous les fonds de ravins sont boisés. Aux environs de la cote 1.160, les vallons. bouquets, d'arbres sont particulièrement nombreux et remplissent les
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TANANARIVEA ANKAVA-NDRA
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Dans les villages de la plaine d'Ankavandra, on trouve des bœufset quelques volailles. Les Sakalaves cultivent très peu le riz; le village de Miadanarivo, seul, est entouré de rizières d'une certaine étendue, qui pourraient fournir momentanérment quelques ressources. En somme, il ne faut pas compter sur les ressources du pays pour alimenter des troupes appelées à y séjourner et encore moins pour suffire à l'entretien d'un poste permanent, au moins en l'état actuel du pays. De Bevato
à Miadanarivo par la rive droite (Ankvandra) du Manambolo (170 Km.) Nous avons parcouru la partie méridonale de terrain qui est compris dans l'angle formé par les deux grandes directions qui mènent de Tananarive: 1° Au Bouéni, par l'Ikopa ; - 2° au Menabé, par le Manambolo. Le région est absolument déserte et sans ressources dans tout le Nord du bassin du Manambolo. Au point de vue commercial ou industriel, la région est trop peu connue pour qu'on puisse y prévoir une voie de communication quelconque, d'autant plus que celle-ci ne correspondrait à aucun port de la côte Ouest. Il ne faut pas songer à atteindre Ankavandra par la rive droite du Manambolo; le trajet, depuis Bevato (170 kilomètres), est beaucoup plus long que par la rive gauche et l'établissement d'une route présenterait des difficultés beaucoup plus grandes. De Bevato à la rivière Bezafy, nous avons suivi le bord Nord de la cuvette du Manambolo. Les premières rivières de ce bassin coulent au milieu de vastes espaces marécageux, infranchissables aux animaux et même aux piétons lors de la saison des pluies. De la rivière Bezaly au point d'Ambato Fameta, nous avons traversé une région de plateaux d'un parcours relativement facile et au Nord de laquelle prennent naissance plusieurs rivières plus considérables que les tributaires de la rive gauche du fleuve. Enfin, les itinéraires, quels qu'ils soient, suivant la rive droite de ce fleuve pour aboutir à Miarinarivo, sont obligés, à partir du lieu dit: Ambato Fameta, de s'engager sur une longue et étroite arête, formant la crête occidentale du Bongo-Lava, et orientée du Nord-Est au Sud-Ouest. Cette arête est d'un parcours très difficile; elle passe par des cols très bas entre des sommets élevés, est bordée, à l'Est comme à l'Ouest, de ravins profonds et boisés, dont la partie supérieure, rongée par les pluies, s'est effondrée en plusieurs points, ce qui parsème le trajet de coupures presque infranchissables. On aboutit au Manambolo par une descente très raide. Le fleuve, encore encaissé jusqu'à son confluent avec le Manambolomaty,
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roule des eaux torrentueuses, entre des berges escarpées, ce qui rend sa traversée très difficile. Un mauvais gué à fond vaseux existe, à la saison sèche, en face du village de Tsytabata. A partir du col d'où vient la rivière Mailaha, on peut atteindre Tsytabata mais la vallée est marécageuse et parle pied de la falaise du Bongo-Lava ; infestée, actuellement (1), par les pillards de Sakasaratra. En résumé, l'on peut considérer comme très difficile et sans utilité l'établissement d'une route muletière par la rive droite du haut Manambolo.
ITINÉRAIRES
DANS LES TERRAINS Miadanarftvo
SÉDIMENTAIRES
à Itoudry La reconnaissance que j'ai poussée dans cette direction avec M. d'Yerville avait pour but d'étudier la navigabilité du Manambolo et la configuration de sa vallée. Comme il n'existait à Miadanarivo qu'une seule pirogue étroite et instable, que les moindres mouvements risquaient de faire chavirer, nous dûmes nous résoudre à suivre la voie de terre. Jusqu'à la rivière Polosaso, nous ne pûmes pas nous approcher du fleuve, bordé d'une brousse épaisse cachant des marais infestés de caïmans. Nous suivîmes la direction que prennent les Sakalaves pour se rendre à Manandaza et qu'aucune piste visible n'indique. A partir du Polosaso, il nous fut impossible da longer le fleuve jusqu'au confluent de l'Itondry. Nos guides refusèrent de s'engager plus avant, à cause de l'hostilité des Sakalaves indépendants, dont les premiers villages se trouvent sur la rive gauche du Manambolo à partir de ce point. La vallée de ce fleuve, entre sa rive gauche et la falaise du Bongo-Lava, est encombrée de falaises abruptes séparées par des marais profonds remplis de caïmans. La marche y est très pénible et il faut un guide sûr pour traverser les marais aux points connus des indigènes. Des bois épais couvrent le pied de la falaise et s'étendent le long du cours des rivières qui en descendent. Ces rivières ont un conrs très rapide et sont sujettes à des crues violentes ; mais, en hiver, elles ne doivent avoir que peu d'eau. Néanmoins, les marais ne se dessèchentjamais complétement et toute cette région est absolument impraticable au parcours des colonnes d'opérations. Il ne faut pas songer à relier Ankavandra à Manandaza par cette vallée. (1) Février 1896.
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La vue est bornée, à l'Est, par les pentes abruptes du Bongo-Lava ; à l'Ouest, sur la rive droite du Manambolo, la vallée présente le même aspect tourmenté que sur le parcours de l'itinéraire. Au Nord et au Sud., le bassin moyen du Manambolo est séparé de ceux du Bemokat de la Tsiribihina par des seuils insensibles, de sorte qu'il s'étend parallèlement à la côte, entre le Bongo-Lava et le Bémahara, une large bande de terrain présentant l'aspect que je viens de décrire.
CONCLUSION En terminant cette étude, je crois pouvoir signaler la direction d'Ankavandra comme étant, de toutes celles que je connais, la plus facilement parcourable et celle qui se prête le mieux à l'établissement d'une route ou d'un chemin de fer entre la capitale del'île et la côte. Elle est incomparablement moins accidentée que les voies de communication qui relient Tananarive au Bouéni, à Ambatondrazaka, à Tamatave et à Fianarantsoa. Je n'ai pas pu étudier quelle serait la voie la meilleure pour aboutir aux confins occidentaux de l'Emyrne. Toutefois, le tracé le plus direct et le moins accidenté me paraît être celui qui mène à l'Ikopa, par Soavinimerina et Ambohitriniandriana. A partir de l'Ikopa, les vallées du Manandriana et du Sakay, qui ne sont séparés que par un seuil insensible, sont d'un parcours facile. Cette dernière vallée débouche dans la vaste région de plateaux d'altitude moyenne de 1.000 mètres, qui s'étend jusqu'au Bongo-Lava, par la rive droite du Manambolo. La descente du Bongo-Lava aboutit au point de Miadanarivo (chef-lieu du district d'Ankavandra) à l'altitude de 230 mètres. Les obstacles s'opposant à l'exécution d'une route muletière consisteraient surtout dans le passages de rivières et de marais. Les premières, que l'on traverse près de leurs sources, sont presque toutes guéables ou n'exigeraient que des ponceaux insignifiants; les seconds ont peu de profondeur, une largeur qui n'excède jamais 500 mètres, et des chaussées de 1 mètre à 1 m. 50 de hauteur suffiraient à les rendre praticables. Les seules parties du trajet exigeant des travaux plus sérieux seraient: 1° l'Ikopa, où il faudraitun pont de 100 mètres; 2° la traversée du massif du Bongotsara, dans la vallée du Sakay, massif qui barre cette vallée sur une longueur de 6 kilomètres environ; 3° l'ascension des monts Tsimabehona, sur la rive gauche du Manambolo ; 4° enfin, la descente du Bongo-Lava, la seule partie du trajet réellement très difficile. A partir de Miadanarivo, il y aurait lieu d'étudier, ce que je n'ai pu faire, le
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tracé probablement facile à travers les assises jurassiques du Bémahara, dans la direction du port de la côte Ouest le plus avantageux. (1) L'établissement d'une voie de communication dans cette direction aurait l'avantage de relier directement Tananarive avec la côte orientale d'Afrique par le canal du Mozambique et d'offrir un débouché assuré aux différentes industries qui s'établiraient dans la région. En première ligne, le commerce des bœufs acquerrait une importance capitale, car il trouverait un débouché au Transvaal, où des épizooties fréquentes compromettent les résultats de l'élevage. De plus, la partie occidentale de l'île présente les forêts les plus riches en essences précieuses et qui ne peuvent être exploitées, faute de routes. L'attention est attirée, depuis quelque temps, sur des sources nombreuses qui laissent suinter abondamment une matière spéciale, paraissant indiquer la présence de vastes nappes souterraines de naphte. Les recherches minières entreprises depuis plusieurs années n'ont encore révélé que dans le Bongo-Lava la présence de filons aurifères. Partout ailleurs, on n'a trouvé que des alluvions. Le Betsiriry paraît, de plus, contenir du mercure. D'un autre côté, cette région, qui n'offre généralement pas d'obstacles à la marche et aux mouvements des troupes et qui est déserte sur une partie de son étendue, serait la plus facile à surveiller et à maintenir dans un état de sécurité absolue. - Il y aurait, il est vrai, à traverser sur une longueur de 100 km. le pays sakalave du Menabé, où habitent les tribus les plus guerrières de l'île. Mais on trouverait précisément à cela l'avantage de pouvoir exercer facilement notre influence sur ces peuplades, en ayant dans leur territoire une voie de pénétration solidement établie. On arriverait, peu à peu, par le développement de la culture et de l'industrie, à les détourner de leurs habitudes de pillage et à leur donner celle du travail. Par suite, on parviendrait rapidement à établir dans le Menabé et le Betsiriry l'ordre et la tranquillité, qui n'y existent pas encore. L'importation des armes, conséquence naturelle de l'état de brigandage et de désordre perpétuels qui règne en ce pays, cesserait rapidement sous notre surveillance plus facilement exercée qu'elle ne peut l'être aujourd'hui. Le seul point délicat de la question serait de trouver un port. En tout cas, ceux du Menabé valent probablement les rades de la côte orientale, auxquelles les nécessités du commerce ont donné un développement hors de proportion avec la sécurité qu'elles offrent. Si les côtes Nord et Nord-Ouest présentent des abris merveilleux aux a exploré en partie le Bemahara, (1) Le @ rapport de M. le lieutenant Rocheron, qui sera publié ultérieurement. Ce rapport confirme, en ce point, les prévisions de M. de Cointet.
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navires, ces ports se trouvent à une distance telle des régions les plus intéressantes de l'île et, en particulier, de sa capitale et le sol est tellement accidenté de ce côté, qu'il ne faut pas songer de longtemps à ouvrir des voies de communication entre Tananarivc et le Nord. La côte Ouest offre, de plus, sur celle qui lui est opposée, l'avantage de se trouver à l'abri des vents et des orages de l'Océan Indien, qui rendent souvent dangereux les meilleurs ports de l'Est. Enfin, le terrain entre Tananarive et la côte Ouest ne présente pas de difficultés comparables à celles du tracé du chemin de fer ou de la route de Tamatave. Ces voies de communication sont nécessaires actuellement pour le commerce et pour les rapports politiques et militaires du-gouverneur de l'île avec la Métropole. Mais il est probable que, dans un avenir plus ou moins prochain,la côte Est aura perdu de son importance à ces divers points de vue et qu'on sera amené à étudier la voie de communication la plus sûre, la plus facile et la plus directe entre Tananarive et la côte; c'est alors que les considérations que je viens de développer pourront avoir leur valeur. (FIN) DE COINTET, Lieutenant de Cavalerie.
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LES
TRAVAUX
GÉODÉSIQUES A
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MADAGASCAR
L'historique des travaux de triangulation a Madagascar présente un intérêt tout spécial. « Que de peines et d'efforts leur premier établissement n'a-t-il pas coûtés au R. P. Roblet et au R. P. Colin, ayant à lutter non seulement contre les difficultés matérielles, mais surtout contre celles provenant de l'inimitié d'une race indigène superstitieuse et crédule! Quand la France entra victorieuse à Tananarive, affirmant ainsi la puissance de ses droits sur la Grande Ile, le Corps expéditionnaire trouva l'observatoire ; mais les documents importants, d'Ambohidempona détruit de fond en comble assemblés depuis tant d'années, n'avaient pu être ensevelis sous les décombres. Les publications antérieures, les minutes des travaux conservées par le R. P. Roblet et le R. P. Colin furent d'un secours inestimable pour les colonnes, les reconnaissances et les levés des officiers topographes. La triangulation de l'Imerina, dont l'honneur revient en entier a. ces deux savants, est encore la base de tout ce qui se fait au point de vue géographique à Madagascar. Pendant 25 ans, le P. Roblet a parcouru le pays, menant avec constance et fermeté, à travers toutes les vicissitudes, un travail de triangulation long et ardu. En 1888, le P. Colin, directeur de l'Observatoire d'Ambohidempona, calcula de nouveau la base du P. Roblet et détermina les coordonnées géographiques de l'Observatoire.
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Dès lors, la triangulation de l'Imerina s'appuya sur des données plus exactes. Voici en quels termes M. Grandidier présenta à l'Académie les résultats déduits des observations faites. « La latitude a été obtenue par 15 séries d'observations portant sur 156 étoiles. Elles ont fourni la valeur: 18° 55' 2",10 ± 2",18 Sud. « La position de l'Observatoire, exposé à tous les vents et surtout aux rafales de Sud-Est, n'a permis de réunir un si grand nombre d'observations que dans un laps de temps assez long. « La différence de longitude avec Paris a été obtenue par la méthode des culminations lunaires; 39 observations portant sur 551étoiles ont donné comme résultat moyen: 3h om465 ± 45= 45° 11' 30" ± 1,00" « C'est en triomphant des plus grandes difficultés que le R. P. Colin a fait Il ces travaux. Il a dû, seul au milieu des Malgaches à demi sauvages, diriger la « construction de l'Observatoire, ayant même à surveiller la taille des pierres et « leur transport au haut de la montagne, installer et régler les instruments, faire « les observations non-seulement astronomiques, mais aussi magnétiques et « météorologiques, rédiger et publier les volumineux annuaires dans lesquels il « résume ses observations. « Il est juste de rendre hommage au dévouement scientifique et au labeur « ininterrompu de cet astronome, d'autant plus digne d'éloges que les condi« lions dans lesquelles il opère sont loin d'être aussi favorables que celles « dans lesquelles se trouvent ses confrères d'Europe ». Pendant ce temps, le P. Roblet parcourait le pays, sans souci des dangers et des ennuis qu'il devait rencontrer à chaque pas. Il étendait sa triangulation jusqu'au-delà de Babay au Nord et la poussait dans le N. E. jusqu'au lac Alaotra, chez les Antsihanakas ; à l'Ouest, il recoupait, de Inanatonana et de Betafo, tous les sommets remarquables. Au Sud, il. s'étendait jusque chez les Betsiléos, à Ambohimandroso, au delà de Fianarantsoa. De si nombreux documents n'ont encore pu être tous coordonnés et classés; mais une première utilisation de quelques-uns d'entre eux a permis la publication des cartes si précieuses que nous possédons aujourd'hui et qui forment la préface des documents géographiques plus complets qui seront publiés plus tard. Dès que le télégraphe relia Tananarive à Tamatave, le R. P. Colin, avec la collaboration du R. P. Roblet, détermina en 1892, par différence, la longitude entre ce dernier lieu et l'observatoire. Ils l'ont trouvée d'abord de 7m 35" 62 et, ensuite, de 7m35" 23. Ce résultat concorde, à 18" près, avec les nombreuses observations faites depuis 70 ans à Tamatave ; cette coïncidence est remarquable, mais la dernière donnée obteque doil être considérée comme la plus exacte. La triangulation reliant Tananarive à Andevorante, faite par le R. P. Colinet
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le R. P. Roblet, n'a pu être définitivement assise à cause de la forêt. Il suffira de deux tours d'horizon en des points bien déterminés pour obtenir ce résultat. Telle était la situation géodésique quand arriva le Corps expéditionnaire. Comme autres renseignements, on possédait les travaux des ingéneurs hydrographes reproduits par les cartes marines des côtes; mais les points de ces réseaux partiels, déterminés de 1819 à 1821, n'avaient été calculés de nouveau que dans les principaux ports, Majunga, Diégo et Tuléar; ces vérifications avaient donné lieu aux belles études de MM.Favé et Mion, de 1887 à 1890. Le service géographique de l'armée avait détaché en 1895, auprès du Corps expéditionnaire, MM. les capitaines Bourgeois et Peyronel. Ces officiers avaient pour mission d'établir un réseau géodésique s'appuyant sur les points calcules à Majunga en 1892 par les services de la marine et reliant la côte à l'Imerina. Les événements ne permirent pas d'arriver àce but. L'effort, couronné de succès pour nos armes, donné par la colonne légère entre Andriba et Tananarive, devait se produire dans le strict minimum de temps, et il fallait passer sur toutes les considérations ne se rapportant pas immédiatement au but principal à atteindre. La triangulation commencée dut s'arrêter à Andriba. Les travaux des deux officiers furent présentés à l'Académie des Sciences dans la séance du 24 mars 1897. Ils s'appuient sur un côté antérieurement déterminé par le service hydrographique aux environs de Majunga. La chaîne comprend 49 sommets qui ont été vérifiés en cours de route par des observations astronomiques, ce qui a permis d'encadrer d'une manière exacte les levés topographiques des officiers de la colonne. De plus, les coordonnées géographiques d'un grand nombre de points remarquables de la région parcourue ont été déterminées. Malheureusement, ces documents ont été emportés en France pour les calculs et l'assemblage des points et n'ont pas encore été communiqués au bureau topographique de Madagascar. Leur envoi, demandé au Ministre, complètera d'une façon très heureuse les travaux en cours. Eu 1896, le service géographique de l'armée détacha, comme chef des brigades topographiques devant opérer sur la côte, M. le commandant Verrier; mais l'insurrection qui éclata à cette époque ne permit pas de donner une grande extension aux travaux entrepris. Le programme de l'année 1897 comportera de nouveaux développements des diverses chaînes de triangles. Les levés des officiers s'étendent au fur et à mesure des progrès de la pacification et le réseau des postes militaires est à la veille de couvrir toute l'île: il importe, pour le placement de ces levés topographiques et pour leur coordination, d'avoir des bases certaines entre lesquelles puissent jouer tous ces itinéraires et auxquelles on puisse rapporter les renseignements qui ont servi à établir des cartes provisoires.
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L'idée générale suivie est de diviser l'ellipse que forment les contours de l'île par une croix suivant le grand axe et le petit axe (voir la carte). On y a trouve l'avantage de placer d'une façon rigoureuse les points déterminant ces axes, suivant lesquels se développera la nouvelle projection adoptée. Celle-ci n'est autre que celle du dépôt de la Guerre (projection de Flamstecd modifiée), avec la seule différence que le sommet du cône enveloppant est dirigé suivant le pôle Sud, puisque nous sommes dans l'hémisphère austral. Les progrès faits cette année dans ce sens peuvent se résumer ainsi: La branche occidentale est en partie fixée suivant deux directions parallèles: 1° Par le travail de MM.de Cointet, d'Yerville et Rechniewski, qui sera ultérieurement complété par celui de M. le lieutenant Rocheron, chargé de pousser la triangulation d'Ankavandra à la côte ; i 211Par le travail de M. Robert, à la suite d'un voyage de prospection accompli avec M. de Sardelys dans' le Betsiriry. Cette triangulation s'étend de Inanatonana à Miandrivazo. Elle sera poussée jusqu'à la mer quand les progrès de la pacification en Emyrne permettront d'employer une partie duCorps d'occupation à la pénétration dans les pays sakalaves. La branche orientale est établie jusqu'à Andevorante par le P. Colin et le P. Roblet. Il ne reste, comme nous l'avons dit, à la vérifier qu'en deux points. Elle sera doublée, grâce aux brigades topographiques qui opèrent dans l'Est par une chaîne de triangles reliant Andevorante à Tamatave et Tamatave à Ambatondrazaka, points appartenant déjà à la triangulation de l'Imerina, Les officiers géodèses ont mesuré à Ankarefo, sur la côte, une base d'où parlent leurs travaux; cette mesure permettra une vérification ultérieure des points déjà déterminés lorsque les divers réseaux viendront se souder les uns aux autres. Pour placer le grand axe déjà fixé en certains points par la triangulation du P. Roblet, le P. Colin reliera prochainement les points extrêmes de l'Imerina, tels que le Lavohitra, àAndriba, par deux chaînes parallèles, l'une suivantl'Ikopa, l'autre revenant par Antsatrana Vohilena en se reliant à Ambatondrazaka. Quand viendront s'ajouter à ces travaux ceux des capitaines Bourgeois et Peyronel, la partie Nord du grand axe sera définitivement assise. La partie Sud, depuis Ambohimandroso, a été poussée jusqu'à Ivohibé par MM. Meurs et Boussand elle pourra l'être davantage quand le pays sera ; définitivement occupé et que les prospecteurs iront de ce côté. De plus, les points calculés par les ingénieurs hydrographes à Fort-Dauphin serviront de base aux travaux ultérieurs des officiers de ce poste dans la direction de Tsivory. Il en sera de même pour Tuléar. Il faut espérer que, grâce à tant d'efforts réunis, on arrivera au but cherché. Actuellement, la coordination des itinéraires est pour ainsi dire impossible. L'aiguille aimantée subit, à Madagascar, de si grandes fluctuations que les repères manquent ou sont faux pour l'assemblage.
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Les études magnétiques de déclinaison surtout demanderont à être faites sérieusement en chaque point et il faudra, pour arriver à une approximation suffisante, un grand nombre d'observations, qui nécessiteront un temps considérable. M. Mion a prouvé que sur la côte Ouest la déclinaison est régulièrement répartie en fonction de la latitude. Ses observations ont eu lieu du 28 novembre 1888 au 2 septembre 1889. Elles donnent, comparées à celles de 1820 pour le Nord et de 1770 pour le Sud: pour Antsirane (Diégo-Suarez) : différence en 70 ans, 1°53", soit une diminution annuelle de 1' 6; pour Nosy-Vé (Tuléar) : différence en 120 ans, 6° 3", soit une diminution annuelle de 3'. Voici, d'ailleurs, le tableau comparé des déclinaisons observées parM. Mion et de celles relevées vers le commencement de 1892. LIEUX LATITUDE SUD D'OBSERVATION
DATES
DÉCLINAIDÉCLINAIVARIATIONS DIFFERENSON _Q SONS ANNUELLESCE 1"JANVIER OBSERVfcES 1892
12*16'23" 28nov. 1888 8-32'9 Antsirane. 1'5 13° 24'20" 15 oct. 1889 2'1 9116'0 Hellville (pilier) Nosy-Lava 14* 32' 18" 17 déc. 1888 10- 22' 2 2' 6 Mazambo. 14"51' 0" 2'7 17janv.1889 10-48'4 26 15* 43'24" mars 1889 113' 4 45'1 Majunga(pilier) 17déc. 1889 13- 2" 5 31 CapS'-André..16-11' 47" Nosy-Lava(Bar2 déc.1889 14*0'9 2'9 ren) 18-30' 53" Marondava. 20-20'25" 16nov. 1889 15,25,li 3'6 Belo 20- 46' 26" 21 nov. 1889 15.17,8 3'5 NosyAndriani21-6' 0" 8 nov. 1889 15-42'5 3'5 mitarika. 21-50' 47" 4 nov. 1889 16-23'2 3'4 Marombé Nosy-Andriambala 22- 2' 47" 1" nov. 1889 16.25,2 3'4 22oct. 1889 17-4' 0 3'0 Ranobé 23- 3' 25" 3'2 Nosy-Vé 23- 38' 58" 2 sept. 1889 17- 28' 2
4'9 4'6 8'0 8'0 9'0 6'3 5'9 7'7 7'8 7'9 7'2 7'2 7'0 7'2
8-28, 9-15' 10-14' 10-40' 11-36, 12»56' 13-55' 15-18' 15.10, 15-35' 16-16 16-18, 16-57, 17-21'
Il Le P. Colin a fait l'étude de la déclinaison et de l'inclinaison entre Tananarive et Tamatave. Ces observations ont eu lieu en 1892. Elles montrent qu'à (erre la déclinaison est des plus variables, même en des points de même latitude et chose curieuse, au même point. Par exemple, voici des variations enregistrées à l'Observatoire d'Ambohidemnona - -1 -- , - ----(Tananarivel 1DÉCLINAISONS N.-O. à 60mde distance de l'édifice, le 11août 1892, 9°4r49" AuN. » à 50m » Au S. le 12 avril 1893,10°52'42" » le 8 août 1893, 10°47"1" (obs. du P. Combes), le 18 mai 1893, tl°S9' 3" Au S.-E. à 2kmde distance del'édifice, » AuN.-O. à 120m » le 16mai 1893, 12° 6'41" ,) » » 12°45'42" AuN.-N.-Oà 50m A Tamatave même, elle varie entre 9° et 12°. De Tananarive à Tamatave, on a relevé pour la déclinaison les valeurs indiquées dans le tableau ci-dessous.
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-------
-------H w H 5 ° 0 p H. LIEUX g. g S «C4 D'OBSERVATION g» £W 0 g< ID'OB SERVATION J 0S9 -- Amboasarv 45*32' MI prèsAnkeramadinika)
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1.518m21 août 12'36'58" 0,2291055"26'32" Argilerou-1892 ge. Environs:roches granitiques, micaschistes, fer. août 12°37'23" 0,2301554°38'0" TerrainarM'Tangaina 45°54' 18°59'10"1.052, 301892 gileux. (prèsMoramanga) MtTsicndro- 46°11' 12-0' 719m 11sept. 11-48'14" 0,2334854*24'55 Terrainar1892 rana (près gileux. Environs:graBeforona) nit,fer. 5160 25 14'40'42" 54* 1 2'50" 4 0* 4 5' 3 i 18' 5 0' 4 8" 0,23752 Fer, débris sept. Ambatojaha1892 nary(prèsAnmadréporidevorante) ques 18-9' 5m 3 oct. 9.39'5" 53-17'46" 47°4' 30" Fer. 0,23697 Tamatave) 1892 (campagne) Tamatave 47'5' 18-9' 20" 5m 8oct. 10"34'3" 0,2472153°10'59" Fer. 1892 (alléedesmanguiers) D'oùla conclusion suivante adoptée par le R. P. Colin pour la région explorée de la capitale à la côte Est: « 1° Les levés à la boussole et les tracés des lignes isogones de déclinaison magnétique semblent devoir inspirer peu de confiance à cause des influences locales qui, très probablement, tirent leur origine de la constitution géologique. 2° Malgré ces causes de perturbation, les deux autres éléments magnétiques. l'inclinaison et la composante horizontale, paraissent éprouver moins d'irrégularités que la déclinaison ». , Les prochains travaux du P. Colin, exécutés en d'autres stations de l'île, et en particulier vers Andriba, permettront de constater si ces deux observations doivent être limitées à une zone ou si elles doivent s'étendre à tout Madagascar. Deux observations, faites le même jour par M. Robert, dans l'Ouest, sur les sommets dominant, au Nord et au Sud, la vallée du Mahajilo près de Miandrivazo, ont donné, à fit de distance, la déclinaison commune de : t OG ,75', soit 9° 40' 30", alors qu'à Tananarive elle est, en moyenne, de 10°. AVinanitely, 40 km. Sué-de Fianarantsoa, elle a donné, de juillet 1896 à mars 1897, 10° 45'. On voit, par cette étude, qu'il reste beaucoup à faire dans la Grande Ile pour arriver à fixer de façon précise quelques données scientifiques. Le champ est vaste et peut suffire à toutes les intelligences qui voudront s'y donner carrière. La voie est ouverte par des prédécesseurs dout nous n'avons fait qu'indiquer les noms et citer les études; mais leurs travaux et les résultats déjà obtenus sur cette grande terre à peine ouverte à la civilisation, nous prouvent chaque jour qu'en consacrant leur vie à une science ardue et au premier abord ingrate, il ont bien servi leur pays. CAPITAINE MÉRlENNE-LUCAS.
M. CHARON — LE CHEVALA MADAGASCAR
484
LE
Considérations
CHEVAL
A
MADAGASCAR
relatives à l'élevage du cheval sur les hauts plateaux
et des
équidés
Le cheval a été importé à Madagascar sous Radama Ièr, et peutêtre même avant, vers la fin du règne d'Andrianampoinimerma, c'està-dire de 1840à 1820. Suivant un texte malgache ancien, parmi les chevaux introduits dans l'île se trouvaient des « arabes» ; cette version est d'autant plus plausible que, sur quelques sujets du pays, on retrouve les traits d'un type barbe, tels la forme de la tête et de la croupe. Zanzibar, Maurice, le Cap ont envoyé, à- différentes reprises, l'Inde elle-même, par Bombay et Surate, a importé quelques chevaux; des poneys de Pégu. Tous ces animaux étaient d'origines diverses; ils se sont acclimatés et ont fait souche dans la région des hauts plateaux : c'est dire que ces régions sont favorables. Cependant l'élevage n'a été l'objet d'aucune tentative sérieuse: le cheval ne constituait qu'une rareté, un objet de luxe, sans débouché d'utilité pratique. En Imerina, la seule province où l'on élève actuellement, c'est autour de Tananarive, à 40 kilomètres à la ronde, que s'est disséminée la production chevaline. Un recensement des cercles voisins de Tananarive, Ambatomanga et Babay accusait, en mars dernier, 367 animaux. POULICHESTOTAUX CERCLESET VILLAGES CHEVAUXJUMENTSPOULAINS 1 1 Voromahery et Tananarive Fiakarana, atsimo Mahitsy Anosimanjaka Babay Ambohitrinimanjaka Ambatolampy fAmpanomahÍlsy I Ambohimanga Vonizongo raanga Tsiafahy manga Arnhato-{Alasora Amhollimalaza
79 13 1
17
21
16
45 1 36 4 16
133
18 1 1 5 3 6 1 6
25 10 1
13 3
'20 fi
90
134
155
31
41
367
144
1
M. CHARON — LE CHEVALA MADAGASCAR
185
Sur les 133 chevaux, sont compris de trente à quarante chevaux réformés du Corps expéditionnaire. Un grand nombre de chevaux et juments sont encore très jeunes ; on dirait que, depuis cinq ou six ans seulement, l'industrie chevaline a timidement pris naissance. Ces chevaux malgaches ne constituent pas une race nettement établie: ils sont de provenances trop diverses et croisées. Cependant, on peut les réunir en quatre groupes, pour le moins. 1° Le type d'origine barbe par ascendance paternelle : taille 1m30 à 1m42. Peu nombreux. La tête est sèche, l'œil vif; l'arcade sourcilière et la narine sont en relief et donnent de l'expression à la physionomie, l'encolure parfois rouée, à crins longs; le garrot est peu sorti, souvent bas; la ligne du dos est un peu creuse, mais la croupe ressort très nette; la queue se détache nerveuse et bien portée; les membres sont fins, parfois même un peu grêles. 2° Le type commun, le plus répandu, et sur l'origine duquel il est malaisé de se prononcer, — américaine sans doute, en passant par le Cap ou Maurice. Chez ces chevaux, la taille varie de 1m24 à lm 38 environ; la tête est généralement peu distinguée, un peu lourde; l'encolure manque de sortie et l'épaule se trouve noyée et droite; le garrot est peu accusé et l'avant-main un peu plus bas que l'arrière-main ; le dos est bien ou mal fait, plutôt mou; la croupe régulière, les membres secs, les pieds excellents. 3° Les chevaux issus de croisements de chevaux du pays avec des juments du Cap, ou inversement, assez récente — d'importation une douzaine d'années — et déjà de race perfectionnée. Ces chevaux sont plus grands; ils atteignent jusqu'à lm 52 ; ils sont bien conformés, solides de membres et ont de l'énergie. Ce sont d'excellents chevaux; on les compterait ; ils malheureusement, sont encore rares à Madagascar. 4° Les petits poneys indiens, difs de Pégu, taille lm 10 à lm 30: tête carrée, encolure courte, croupe assez forte; membres droits et secs; allures raccourcies, vives. Très robustes. Ces poneys se réduisent à leur importation a été exceptionnelle. quelques représentants ; Ces exemples témoignent de la vitalité de l'espèce amplement chevaline et de son aptitude à s'acclimatesur les hauts plateaux. Nous croyons donc, à priori, que tout cheval, à quelque race ou réussira d'autant mieux qu'il aura cet espèce qu'il appartienne,
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M. CHARON—
LE CHEVALA MADAGASCAR
ensemble de qualités, soit ancestrales, soit individuelles, qui constituent ce qu'on appelle le « sang », ce qui ne veut pas dire, pour cela, que le « pur sang» est le desideratum le meilleur. La race Tarbe conviendrait particulièrement : il faudrait se limiter à des tailles de 1m 48 à 4m 49 maximum, de façon à pouvoir utiliser l'élément indigène et à ménager les transitions lors des croisements à faire intervenir. C'est ainsi qu'on arrivera à réaliser un type uniforme de cheval de service. Les sujets importés devront avoir de bons pieds, des membres solides, des aplombs réguliers, un garrot dégagé et plus haut que l'arde cheval de selle, qui peut rière-train, c'est-à-dire une conformation se prêter à n'importe quelle utilisation, tandis que l'inverse n'est pas exact. Les robes foncées, même gris très foncé, sont préférables, avec le moins de balzanes et de blanc possible. Il va sans dire qu'il ne faut pas importer le plus petit vice constitutionnel ou rédhibitoire. A défaut de chevaux français, l'Australie, l'Amérique et le Cap peuvent fournir à l'élevage des sujets d'un tempérament éprouvé et dont les prix, achat et transport compris, sont inférieurs à ceux des chevaux français; mais, en tant que chevaux d'origine étrangère, il faudrait au colon une compétence spéciale sur la question. En principe, l'élevage des chevaux à Madagascar, pour en tirer un n'est pratique qu'autant que le milieu, l'utilisaprofit rémunérateur, tion et le prix de vente en assurent la production. A. — Il faut faire choix d'un emplacement qui, par sa proximité aux produits, sans charges des grands centres, offre un écoulement onéreuses ou déplacements peu faciles: tels les environs de Tananarive et de Fianarantsoa. Voicila distribution de l'élevage en Imerina. Tous les pâturages qui sont .propres à l'élevage du bœuf, animal que l'on déplace aisément, rustique, peu délicat et d'une valeur peu élevée, ne conviennent pas, même dans les conditions en apparence les meilleures, à l'élevage du cheval; les prairies naturelles de l'Imerina Sur les sont d'une composition botanique passable ou médiocre. coteaux pousse, à ras de terre, une variété de chiendent assez appétée ; dans les parties basses, l'herbe est laicheuse, les graminées de bonne qualité y sont peu abondantes. Pendant les pluies, de décembre à fin mars, la végétation devient
M. CHARON. — LE CHEVALA MADAGASCAR
lgî
durcissent développées, plus intense; mais les plantes, hâtivement ensuite trop vite et, lorsque vient la belle saison, sept à huit mois de le pâturage et l'élevage des singulièrement temps sec restreignent jeunes. Les prairies artificielles n'existent pas et elles sont à créer entièrement avec des plantes d'origine française et exotique. Dans le Betsiléo, où la latitude et la température sont inférieures à celles de l'Imerina, où le riz, dans certaines régions, ne se développe que difficilement et où le régime des pluies est moins nettement tranché, les prairies, tant naturelles que celles artificielles à aménager, peuvent avoir ou acquérir des qualités supérieures. L'orge et l'avoine réussiraient au même titre que le blé, déjà en rapport : leur culture est à encourager très vivement. En somme, il faut choisir un terrain moitié vallée, moitié coteaux, qui bénéficie, soit du voisinage d'un cours d'eau, soit des irrigations, et qui, lors des submersions pluviales se prête à un refuge, à un déplacement des animaux vers les hauteurs. La région des hauts plateaux a encore ceci d'avantageux, c'est que la température s'y abaisse en saison sèche, au point de rapprocher les conditions de vie des sujets importés de celles de leurs pays d'origine. Sur les côtes, la production chevaline a peu de chance d'aboutir : le climat humide, paludéen, débilitant, la mauvaise qualité des pâti rages et la présence de parasites cutanés (Ixodes) sont autant de conditions défavorables. B. —Les débouchés sont encore un peu trop limités. En dehors de et environs, les besoins des particuliers sont Tananarive, Fianarantsoa, actuellement peu accusés. Ils grandiront avec l'expansion de la coloni e avec les facilités des communications routières et avec l'accroissement de la fortune privée. Les Malgaches d'une classe aisée aiment à acheter des chevaux, par imitation, par vanité de riches et par orgueil de race de couleur. Les besoins de l'armée (Corps d'occupation) et sourtout de l'élément officier sont à entrevoir. C. - Le prix moyen du cheval malgache, de 2 ans 1/2 à 5 ans, est de 200 à 400 francs. Le prix des chevaux des pays d'exportation varie de 400 à 800, 1,000 fr. et au-delà, transport compris. Des chevaux de réforme (entiers d'Algérie), achetés surtout pour la reproduction, se vendent de 350 à 1.000 francs.
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M. CHARON.- LE DIRECTION
CHEVALA MADAGASCAR
A DONNER
A L'ÉLEVAGE
CONCLUSION Des considérations qui précèdent, il ressort que les conditions de milieu, d'utilisation et de débouchés ne se prêteraient pas, pour le en grand et que l'élevage serait mieux moment, à la production approprié si un nombre assez grand de petits éleveurs le morcelait, le disséminait dans les endroits les plus propices. Ainsi envisagé, l'élevage du cheval apparaît comme une branche accessoire, importante néanmoins, d'une exploitation fermière. Une combinaison à recommandez serait la suivante: une entreprise agricole disposerait de 5, 10, 15 juments et plus, suivant la nature, et d'un les ressources du propriétaire, l'étendue de l'exploitation, étalon, suivant le nombre des sujets, les ambitions de l'éleveur, etc. Puis, comme l'élevage du cheval ne peut constituer à lui seul un tout il conviendrait de lui adjoindre l'élevage zootechnique rémunérateur, du mouton ou toute autre branche de l'animaliculture. Il n'a été question, dans ce court exposé, que de la production du cheval; mais les observations présentées sont identiques pour l'élevage de l'âne et pour l'industrie mulassière. L'âne africain et surtout égyptien réussiraient très bien; leurs qualités de rusticité, d'endurance et de vitalité seraient très appréciées. CHARON, Vétérinaire en premier.
M. LEMAIRE.
DE
— DE FORT-DAUPHINAU FAUX CAP
189
FORT-DAUPHIN AU FAUX
CAP
(suite) (1)
(OCTOBRE
1896)
Mardi 20 Octobre. — La journée débute par un kabary. Fangahana, de sa voix de tête criarde et fatigante, vient nous parler de son karama. Il a entendu parler de pièces de toile, dit-il, et il demande ce que nous lui donnerons. Nous ne répondons pas et il s'en va à l'écart conférer avec Begapa. Je fais appeller Bcafy, pour lui tenir un discours sérieux; il faut qu'il parle à son frère de sang et lui dise ce qu'est le Résident et l'autorité qu'il représente. Le Résident a le droit d'aller partout, il n'est pas un marchand dont le butin soit profitable, et si l'on porte la main sur lui, que Fagahana sache bien qu'il lui en coûtera cher. L'intérêt des chefs indigènes est de faciliter les voyages du Résident, qui veut mettre partout la paix, pour rendre possible la culture et le commerce. Pour prix de leurs services, s'ils me conduisent au Faux Cap (Itomampy), Fangahana et Bégapa auront chacun cinq brasses de toile blanche ou deux de blanche et trois de bleue. Befialy va porter ce message aux deux chefs; un moment après, il revient dire que nos propositions sont acceptées; les deux chefs réfléchiront en route sur la couleur de la toile qu'ils prendront. Pendant ce kabary, tout le village s'est assemblé. Les gens sont d'une ignoble saleté, la peau n'apparaît que par places sous la couche de crasse qui la recouvre. Les yeux sont pleins de mouches ; autour des reins, hommes et femmes n'ont qu'un pagne étroit, véritable loque. Nous quittons volontiers ces gens; ils ne nous ont pas fait de mal, mais rien en eux n'attire la sympathie. Leur saleté : le manque d'eau. Comme nous l'avons déjà remarqué à pourtant a une excuse Angalavoundrove, nous trouvons quelques têtes aux cheveux lisses, qui indiquent une infiltration hova. (1)Voirle numérodu 1" avril.
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A 6 h. 1/2 enfin, nous pouvons partir. Le sentier, assez large pour permettre parfois le filanzana, serpente à travers une suite de petites vallées boisées de taillis et hérissées de raquettes. Les sinuosités doublent la longueur du chemin et les raquettes en doublent la difficulté. Dans le sol sablonneux, de rares pierres apparaissent. Nous allons Sud-Est et Sud-Ouest. De distance en distance, dans des clairières, des hameaux se sont installés sur l'emplacement du taillis brûlé et y ont planté du manioc. Les gens nous regardent passer, le menton appuyés sur leurs mains croisées sur le manche de leur angady. A tous, nous tenons le même discours: c'est le Résident, le maître de cette terre, qui va voir tous ses enfants. Volontiers, je stationnerais un moment pour lier connaissance; mais il faut aller, pressé par le manque de vivres et d'eau. Nous passons successivement à Ampellatelo à 7 h. 25 du matin, à Imongy à 8 heures, à Anfontsifalo à 10 h. 10. A ce dernier hameau, nous campons pour déjeuner. Nous n'échappons pas à notre entourage habituel. Les gens du pays. non moins hardis et importuns qne leurs congénères, ni plus propres, ni plus vêtus, viennent nous regarder manger. La plupart ont de petits lambas de soie tressés dans le pays. Cette soie est recueillie sur les arbres ou le ver producteur file son cocon. Sous la couche de crasse, on ne discerne pas la nature de l'étoffe. Quelques lambas sont frangés et tissés avec des perles de diverses couleurs, suivant un certain dessin géométrique. Un homme m'offre son lamba sale contre une pièce de toile. Je ne suis pas assez riche, ni assez peu dégoûté pour faire l'échange. A Tsonga, une femme voulait vendre contre des perles une galette de soie du pays. C'était un disque comprimé de trois centimètres d'épaisseur et 30 de diamètre. Sous l'aspect noirâtre de la première couche, en soulevant avec l'ongle, on apercevait une bourre de soie couleur brun clair. Les femmes filent cette soie et la tissent. Un lamba vaut une cinquantaine de francs en marchandises. A midi 35, nous nous mettons en route, toujours au Sud, sur un terrain sablonneux et boisé. Les raquettes se multiplient; le terrain est jonché de pelures de figues que les indigènes cueillent avec dextérité du bout de leur sagaie. Le terrain est vallonné dans une direction générale Nord-Sud. De temps en temps, du haut d'un monticule, on aperçoit le taillis à perte de vue; ce sont surtout des cactus, des famata, aux branches d'un vert glauque, dressées en bâtons cylindriques rigides comme des coraux et dont le suc laiteux peut fournir du coaltar. Beaucoup d'arbustes, dont l'écorce claire rappelle le bouleau tandis que les feuilles allongées font penser au saule. De temps en temps, un arbre à caoutchouc. Malgré les petites clairières qui bordent le chemin, il ne faudrait pas s'aventurer en dehors du sentier à cause de l'inextricable fouillis de cactus. Par terre, la roche calcaire affleure plus fréquemment le sol, brisée en fragments de toute grosseur. Une surprise agréable, c'est de trouver le chemin praticable au filanzana presque sur tout le parcours. A1 h. 40, nous passons à Béava et, à 2 h. 1/4, nous atteignons enfin
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la dernière ondulation qui nous sépare du Manambovo, dont nous voyons au loin le sillon jaunâtre. Nous dévalons rapidement à travers les roches blanchiers par le soleil et la pluie, sur un sol qui n'est que de la poussière de roches. En bas, le sentier serpente à l'ombre, pendant un quart d'heure, sous un taillis plus élevé, et nous débouchons sur la rive droite tant désirée, où nous nous promettons de l'eau pour boire, de l'eau pour se baigner, de l'eau pour emporter. Affreuse déception, le Manambovo est à sec! Un mince filet d'eau relie quelques mares; nos bourjanes traversent sans se mouiller; l'eau ne leur monte pas à la cheville. Cinquante mètres plus bas, rien ne coule plus, et le fleuve ne se compose que de flaques espacées. Pour se désaltérer, on creuse dans le lit de la rivière. Pendant une 1/2 heure, nous restons affalés sur le sable, aussi fatigués par la déception que par la chaleur et le chemin. Dans ce Manambovo, pas un galet, pas un caillou, rien que de la poussière de quartz blanc et jaune. Quelques bourjanes tiennent à se baigner quand même, se mouillant tour à tour les diverses,parties du corps avec lecreux dela main rempli d'eau. Les femmes et les filles de notre guide, à six pas devant nous, lavent leur unique lamba, ne dissimulant leur nudité que dans les replis de leurs corps accroupis. A 3 h. 1/2, nous entreprenons la descentedu fleuve et une1/2 heure plus tard nous établissons notre camp sur la rive gauche, dans une enceinte de cactus et de buissons, sous lesquels nos hommes se font des abris, en doublant les toits de feuillage par des branches coupées. Nous faisons la distribution des dernières patates et du manioc. Il nous reste deux repas de riz. Pour arriver à l'embouchure, le guide nous dit maintenant qu'il faudrait dormir dans le chemin; la source de la rivière est loin dans le Nord, dit-il, au pays des Baras, très à l'Ouest de Tsivory. * A l'endroit où nous campons, la vallée est faite de deux pentes boisées. Celle de l'Est peut avoir 3 kilomètres et celle de l'Ouest, 4 ou 5. La direction du fleuve est Nord-Sud; ses berges ont environ 3 mètres de hauteur. Sur tout l'espace que nous avons parcouru, les rives sont bordées de cactus et les cultures sont rares. Il y a quelques villages. Bien que la région ait une réputation détestable, les gens ne nous semblent pas différents de ceux que nous avons déjà vus. Nous sommes les premiers blancs qui apparaissent dans ces parages. A peine étions-nous installés, que Fangahana, resté en arrière avec Béfialy, arrive et veut à toute force nous persuader que nous sommes dans un mauvais endroit et qu'il faut changer. Je refuse catégoriquement de bouger et, de guerre lasse, le guide s'en retourne. Je commence à me méfier sérieusement de ses intentions. Quand à Béfialy, il m'envoie demander de la médecine ; il est malade, dit-il. Je crois qu'il a peur. Des indigènes nous apportent quelques patates que nous achetons avec empressement. Les feux s'allument et, en dépit des pronostics des Fangahana, nous passons une nuit des plus tranquilles. Mercredi 21 Octobre.- Pour m'habiller, je dois renoncer à bien des habitudes
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de civilisation; mes mains enflées et douloureuses me refusent le service. Dès 6 heures du matin, nouveau kabary de Fangahana: quel cadeau ferons-nous à ses enfants?Je m'insurgeà la fin contre cette mendicité et cette mauvaise foi qui nous exploitent avectant de cynisme, je parle sévèrementàFangahanaet, séance tenante, je lui fais couper, ainsi qu'à Bégapa, cinq brasses de toile en leur disant qu'ils sont tous deux menteurs et malhonnêtes. J'admoneste vertement l'interprète, ministre de Béfialy, venu me dire que son maître, malade, renonçait à me suivre et je donne congé aux deux guides. Les deux traîtres semblent influencés et ils assurent qu'ils vont nous conduire par le plus court chemin. A 6 h. 35, nous nous mettons en route. En passant la rivière, nos hommes font provision d'eau. Bégapa nous conduit en remontant à un sentier qui débouche dans les raquettes, sur la rive droite; il me prévient que la route n'est pas benne et que nous serons demain seulement à Itomampy. Hier, il suffisait d'une demi-étape. Je suis confondu de ce nouveau mensonge, j'arrête net le convoi et je décide de ne pas me livrer plus longtemps à ces deux malandrins. La rivière offre une voie sûre. Befialyet son interprète sont visiblement ennuyés. Ils tiennent kabary avec les guides. Je n'en ai cure et, prenant la tête du convoi, je fais serrer ma colonne; je descends le Manambovo. Ce coup interloque tout le monde; j'expose à mes hommes que, sous le sable du fleuve, nous aurons toujours de l'eau et, le long des rives, des villages nous fourniront des patates. Nous ne courons aucun risque, tandis que dans la brousse nous sommes à la merci de Fangahana. Au bout de 10 minutes, les guides accourent derrière nous, je refuse de les écouter. L'interprète de Befialy, navré de la tournure des événements, vient implorer grâce pour son maître, sur qui tombera ma colère, dit-il. Je le rassure tout en ne le félicitant pas du choix de ses frères de sang. Fangahana et Bégapa s'obstinent à me suivre, je les laisse à la queue de la colonne. Nous coupons au plus droit, dans les sinuosités de la rivière. Au bout d'une heure et demie, les flaques d'eau se rejoignent, peuplées de sarcelles qui ne s'envolent qu'à quinze pas. On voit bien que personne ne les a jamais chassées. Notre chien, un jeune écervelé, qui nous suit depuis Andrahomana, un peu par notre complicité, car nous désirions avoir un gardien de nuit, se fait un jeu de pourchasser les volatiles. Les berges, bien boisées, s'élèvent de 4 à 5 mètres au-dessus du lit de la rivière. Les versants sont moins larges. A 8 h. 1/2, nous passons devant le village de Faralamba. A 9 h. 1/2, nous joignons un groupe d'individus occupés à deviser sur le bord du fleuve. Dans ce groupe, se trouve le fils d'Imaka, parti en avant pour voir des amis. Avec lui est Kavira, un des chefs Antandroys les plus connus et les plus liés avec les blancs; c'est pour nous la délivrance. Nous mettons pied à terre et, après les congratulations d'usage, en deux minutes de kabary, Kavira devient notre guide; Fangahana et Bégapa sont déconfits. Encore un moment, ils nous suivent, puis disparaissent. Le vinangy, l'embouchure, est tout près, nous dit Kavira. Nous repartons, et bientôt les dunes apparaissent semblables à celles du Mandraré, mais non boisées de filaos. Une
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herbe rare rampe sur les monticules. Nous quittons le lit de la rivière pour obliquer à droite. Le sol est jonché de débris d'œufs d'œpyornix. Notre guide nous conduit à travers des clairières herbeuses où de nombreux troupeaux de bœufs s'abreuvent à des mares. La région s'appelle Ambinamy, le village voisin également. Nous tombons en terrain découvert et la mer apparaît. Sur le sol, quantité de tortues ensevelies dans le sable: c'est le reste d'un parc qu'un jeune créole avait établi sur ce point et qu'une crue des eaux a englouti. A 10 heures, nous stoppons: la marche est pénible sous le soleil ardent. Le prochain village est encore loin, nous dit-on. Nous campons près d'un trou où il y a de l'eau et je fais dresser ma tente. Il me faut la fuir bientôt, à cause de la chaleur, et m'installer simplement sur une natte, sous la brise qui vient du large. Kavira me fait cadeau d'une chèvre et va commander au villageles vivres dont nous avons besoin. Itoumangy est à une 1/2 journée, nous irons demain sans les bagages, qui nous attendront au village de Kavira. De la dune la plus élevée, près de notre campement, on n'aperçoit, du côté de la terre, qu'une succession de dunes. Des chemins s'ouvrent vers le village à quelque distance dans l'intérieur et sur le sol balayé, traînent, foulés aux pieds, les débris d'œufs antiques; Kavira a fait vendre trois œufs entiers, dit-il. A 5 heures, Imaka nous annonce une visite: le roi de Manambovo, Malay, avec ses deux frères Simankisa et Zahalo. Il amène un bœuf et demande que nous nous fassions, lui, ses frères et moi, frères de sang; le noir monarque a une bonne et honnête figure. Je me fais expliquer en quoi consiste la cérémonie pour me rendre compte si je ne compromets rien ni personne en contractant cette alliance. Rien de si commun que cette fraternité du sang; mon interprète est frère de sang d'Imaka et de bien d'autres encore, c'était nécessaire à son ancien commerce de traitant ; entre eux, les naturels s'allient de la même manière et ceux qui voyagent un peu ont un frère de sang dans chaque village, pour s'y assurer le vivre et le couvert, Si deux frères de sang se rencontrent à la guerre, en camps opposés, ils ne se feront aucun mal. J'accède au désir du roi, y voyant l'avantage d'être en complète sécurité partout où s'étend l'autorité de ce chef. Mes porteurs ne sont pas les derniers à se réjouir, car ils ont toujours un reste de frayeur et cette alliance va les rassurer. En même temps que le trio royal et moi, mon interprète et Kavira s'unissent de leur côté, on ne fait qu'une cérémonie. Dans une assiette à moitié remplie d'eau, Imaka jette quatre pincées de terre, prise aux quatre points cardinaux, en commençant par l'Est. Je mets dans l'assiette une pièce d'or, on ajoute quelques grains de riz et un morceau de bois retiré du feu. Le roi ôte la balle de son fusil et la met dans l'assiette. Le tout symbolise ce qu'il y a de plus précieux sur la terre. Sur le morceau de bois, on pique ensemble une baguette de fusil et une
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sagaie que les futurs alliés tiennent d'une main; un bourjane frappe avec un couteau le fer qui est à la base de la sagaie et prononce les formules sacramentelles, pendant que mon interprète, armé d'une cuiller, arrose l'extrémité inférieure des deux armes. Notre bourjane n'est pas très fort, il s'embrouille; un autre le remplace, véritable orateur: « Que le Dieu du Nord se tourne vers le Sud, dit-il, que le Dieu du Sud se tourne vers le Nord, que le Dieu de l'Est se tourne vers l'Ouest et celui de l'Ouest vers l'Est, et vous tous écoutez mes paroles ». L'incantation terminée, chacun de mes nouveaux frères me fait boire une cuiller de l'eau puisée dans l'assiette. Entre gens de race royale, on se dispense de mêler à l'eau quelques gouttes de sang, mais les simples chefs et le commun peuple se font une incision au creux de l'estomac, pour y recueillir une goutte de sang que l'on boit avec l'eau. Notre eau n'a qu'un goût de fumée. A mon tour, je fais boire mes trois alliés, puis mon interprète et Kavira s'abreuvent l'un l'autre. Chacun de mes trois frères me donne alors un léger coup sur la poitrine, dans le dos et sur les articulations, en disant: « Que cela se brise si tu trompes tes frères ». Les alliés prennent ensuite l'assiette et, tous ensemble, vont en verser l'eau à l'écart. Le moment est venu de tuer le bœuf et de procéder à une libation de rhum. Je remplace le rhum par une bouteille de vin blanc, ma dernière, et nous buvons à la ronde. Quelques néophytes font la grimace, on partage avec les assistants et les conversations s'engagent. La cérémonie est terminée. Désormais, j'aurai toujours une case au royaume de Manambovo. La région abonde en troupeaux de bœufs, chèvres et moutons. On cultive la patate; le manioc est rare. Le commerce de l'orseille, jadis florissant, est nul depuis que les traitants, pillés à Itomanpy (Faux Cap) et à Tsifany (cap SteMarie), ont abandonné le pays. Les indigènes ne font plus de caoutchouc, dont les forêts contiennent encore beaucoup d'arbres. Mon but serait de rétablir les communications avec un poste de traite, Andrahomana par exemple, ou de faire venir dans la baie du Faux Cap quelques goélettes chargées de marchandises. Ces projets sourient aux gens du pays, complètement privés de produits européens, de toile surtout. Malheureusement, les intermédiaires comme Fangahana et Begapa ne facilitent pas les relations. Jeudi 22 Octobre. —A 6 heures du matin, nous nous mettons en route pour ; quatre Itomanpy. Kavira, Imaka et mes trois frères de sang nous accompagnent hommes seulement nous suivent, chargés du déjeuner. La route suit les nombreux contours de la plage. Les dunes forment une bordure interrompue seulement de loin en loin par quelques roches. Une brousse assez dense semble avoir fixé les dunes. Au pied, à la limite des vagues, un affleurement continu de roches volcaniques. Du côté de la mer, une barre assez forte interdit tout débarquement, et le premier flot vient se dresser contre une large banquette de roches, découverte à marée basse et inégalement distante du rivage. L'écartement varie de 100 à 1.000 mètres et l'intervalle est rempli de roches, dont beaucoup en larges gradins, formant des bassins et des
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cascades d'où l'eau retombe à chaque flot. L'effet est pittoresque. A marée basse, des pêcheurs assez nombreux indiquent que la côte est assez habitée. Sur le rivage, c'est une poussière des coquillages les plus variés, comme tailles et comme nuances. A 7 h. 20, nous entrons sur le territoire d'Ichioaza; à 8 heures, nous passons à Schafoy, où touchent les pirogues pour prendre des tortues; à 8 h. 20, nous sommes dans le pays d'Antakata et, à 8 h. 40, dans celui de Simanga. Un promontoire rocheux, percé de cavernes, interrompt, sur quelques centaines de mètres, la ligne des dunes. A 10 h. 45, nous sommes au Faux Cap. L'aspect n'est pas séduisant; ce n'est que du sable avec des buissons de cactus, qui n'abdiquent leurs droits nulle part. Quatre groupes de cases en roseaux, recouvertes d'herbes, sontles vestiges délabrés de l'établissement commercial pillé en mars dernier. Quelques ballots d'orseille pourrissent dans un coin. Les dunes abondent en débris d'oeufs d'œpyornix. La baie, accessible aux bateaux de 15 à 20 tonnes, est fermée par une digue de roches naturelles qui court à une distance de 5 à 600 mètres de la plage. Une passe étroite s'ouvre au Nord-Est et l'on mouille par un fond de 5 mètres dans un bassin suffisamment abrité. Un village indigène est à quelque distance dans l'intérieur: on y trouve de la mauvaise eau en creusant dans le sable et, à cette époque de l'année, les équipages de navires seront prudents en apportant de l'eau. La région est riche en moutons, on en obtient un pour deux outrois brasses de toile vulgaire à 12 ou 15 sous la brasse. Tout près de la côte, commencent les forêts à caoutchouc inexploitées encore. le fais aux indigènes la recommandation la plus expresse de ne pas couper l'arbre, mais de le saigner seulement, car cet arbre est leur unique ressource pour acheter de la toile. Les gens m'assurent qu'ils ne font que des incisions sur le tronc, sans toucher à la racine, comme on fait à Fenoarivo, sur le Mandraré. En vue d'un bateau dont je leur promets la venue, les indigènes vont faire provision de caoutchouc, ceux du Manambovo également; ils aiment mieux porter au Faux Cap qu'à Andrahomena, à cause de la distance: une demi-journée au lieu de trois jours. Tout le long de la route, le malin, j'ai eu la fièvre et, au Faux Cap, j'ai dû m'allonger dans l'une des cases abandonnées, incapable de rien faire; mon état de santé m'interdit absolument de pousser plus loin que le Faux Cap, etle voyage au Cap a besoin d'être préparé. Il y a deux ans et demi, des traitants y ont été pillés; mais l'un d'eux, avant de partir, disposa une mèche pour faire sauter la provision de poudre. Les voleurs n'y prirent garde, et le fugitif arrivait à peine au bateau mouillé sur rade que son établissement sautait et, avec lui, bon nombre de pillards. Depuis cette affaire, personne ne s'est aventuré au Cap. Précédemment, un Mauricien, M. Marchal, y avait touché; on le retint captif et il ne fut relâché que contre une rançon de 800 francs. C'est un prix abordable. Tsifanyest à trois jours d'Itomanpy. Pour y aller, il serait préférable ne débarquer par mer sur un point où l'on pourrait établir son quartier général,
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pour, de là rayonner sur l'intérieur. Je projette de m'installer un jour chez mon • frère de sang de Manambovo pour pousser des pointes dans les régions d'alentour. A midi 3/4, nous prenons le chemin de retour et, à 5 heures, nous sommes revenus à notre campement. Les bagages sont partis au village de Kavira et nous y allons nous-mêmes après un temps de repos; nous aurions mieux fait de COntinuer sans arrêt, car ce village, que nous croyions tout près, sur la rive droite du Manambovo, est sur le sommet du versant gauche ; nous grimpons péniblement. Quant à moi, lesté seulement, de toute la journée, d'une bouteille d'eau de Vichy, je ne suis pas vaillant. A 6 h. 1/2, il faut marcher à la lumière d'un fanal; à 7 h. 1/2, je me couche dans une clairière bien abritée et je refuse de faire un pas de plus. Quelques bourjanes me tiennent compagnie et mon interprète va me chercher des vivres et mon bagage de nuit; à 8 h. 10, il revient et nous campons. Vendred.i 23 Octobre. — Le lendemain, nous entrons au village, qui se trouve à un quart d'heure à peine. Repos tout le jour, à la grande joie de mon monde. Nous faisons le compte de nos vivres et nous nous approvisionnons d'eau, que les femmes vont chercher au fleuve, à 3/4 d'heure de marche, et qu'elles nous échangent contre des massiriras, sorte deperles noires grosses comme un pois et piquées de points rouges et blancs. Nous parlons du retour avec Kavira. Il consulte l'oracle; d'une petite bouteille en paille de riz, il tire des graines qu'il dispose et manie d'une certaine façon. La réponse est que nous serons tous favorisés, sauf notre commandeur. Comme il est navré, on recommence le jeu pour lui seul et le résultat est excellent.. En un jour, dit Kavira, nous devons être à Ambovobé. Je cherche à démêler le circuit que nous a fait faire Fangahana pour nous traîner pendant trois jours d'Ambovobé au Manambovo. Pendant la journée que nous passons chez Kavira, il me faut faire le médecin. Un blanc est inévitablement médecin, et chacun y va de sa consultation. Un tour dans le village m'initie à l'architecture antandroy. Ce n'est pas compliqué. Une case basse de deux mètres sur trois, le tout à un mètre du sol. L'entourage est en planches, le pignon en clayonnage recouvert de bouse séchée, le toit en feuilles. L'encadrement de la porte est grossièrement sculpté, mais on ne se rend pas compte de l'idée qui a inspiré l'artiste. Samedi24 Octobre. — Dès 5 heures du malin, il faut être debout, et c'est à 6 h. 1/2 seulement que nous nous mettons en route. Pendant deux heures, nous circulons dans un labyrinthe de cactus où nous parcourons toute la rose des vents. Derrière ces raquettes, il y a de nombreux hameaux avec des champs cultivés tout autour. A 7 h. 40, nous sommes dans une région appelée Marsafa, où règne le père de mon frère de sang, qui est là pour faire la présentation; nous marchons enfin vers l'Est. La hauteur de la brousse nous empêche de rien voir. A 8 heures, nous sommes sur la dernière ondulation qui nous sépare de la mer. Nous descendons à travers des champs dont on vient d'enlever la récolte de maïs et de
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ricin. Tout le terrain que nous avons parcouruest sablonneux et dépourvu d'eau. On va faire sa provision au Manambovo. Au rivage, notre escorte nous fait ses adieux; Kavira s'en va et nous dit qu'il a indiqué le chemin à Imaka. Il n'y a qu'à suivre la plage jusqu'à uu point que connaît Imaka. A 8 h. 35, nous arrivons au pays d'Ambohy. Les villages sont derrière les dunes, à quelque distance. La côte monte au Nord-Est avec des sinuosités. Rienqu'une ligne de dunes, de 30 à 40 mètres de haut. Comme au Sud du Manambovo, les dunes sont fixées. La banquette de roches est soudée à la rive, qui se trouve ainsi bordée d'une ligne continue de rochers découverts, à marée basse, sur un espace de 20 à 100 mètres de large. A 10 h. 30, déjeuner sous des roches formant cavernes. Un fort vent de Nord-Est soulève une poussière excessivement incommode. A midi, nous nous mettons en route, attentifs au sentier qui doit se détacher sur notre gauche. Nous en voyons plusieurs, mais Imaka poursuit toujours. A 5 heures, j'interpelle le guide; il me répond qu'il n'est jamais venu par ici et qu'il ne connaît pas la route; il est bien temps de le dire, et nous voici en belle posture. Imaka soutient que le sentier est en avant, à une maison de pierres. Or, il n'a jamais vu de maisons de pierres et ne peut me dire à quoi il en reconnaîtra une. Nous marchons jusqu'à 6 heures et je cherche alors un campement. J'en trouve un entre deux dunes, bien abrité contre le vent qui souffle du large et nous a transpercés en nous jetant à la face un véritable poussière d'eau. Dimanche 25 Octobre.— Départ à 6 h. 10. Nous reprenons la route de la plage, mais nous ne cherchons plus de sentier spécial, décidés à prendre le premier qui se présentera. Les collines qui bordent la mer ont maintenant 100 mètres de haut. Les roches percent partout sous le sable et les broussailles épineuses abondent. Nous n'avons plus que quatre calebasses d'eau pour 30 hommes et un -, repas de vivres. A 7 h. 1/2, nous voyons enfin un sentier, que des pas sur le sable humide nous faisaient pressentir. Imaka part en reconnaissance avecdeux bourjanes. Au bout d'un quart d'heure, ne voyant rien venir, je gravis la côte. Une deuxième montée, que dissimulait la première, est aussi franchie et je me trouve dans un terrain récemment cultivé. Un bruit de voix se fait entendre, puis une colonne de fumée monte à 500 mètres dans le Nord-Est ; j'envoie des bourjanes, ils ont peur. Imaka, heureusement, est de retour, joyeux d'avoir rencontré du monde et d'être en pays de connaissance. Les indigènes surgissent de derrière les haies et nous apprennent que nous sommes à Sevoïsta, ayant dépassé depuis longtemps l'embranchement du sentier d'Ambovobé. Nousallons auvillage déjeuneret nous traversons de vastes champsde patates; il ya quelques coinsplantés en ricin et l'on nous donne des melonsd'eau, délicieux à nos palais assoiffés. A 9 h. 1/4, nous sommes au village, qui est précisément celui d'un des trois chefsqui nous rendirent visite au puits d'Ambovobé. Safigure, déjà vue. nous a fait plaisir, car nous ne laissions pas d'être un peu inquiets.
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Pour regagner en partie le temps perdu, je renonce à aller à Ambovobé et j'achète de l'eau sur place. Je puis me procurer aussi un repas de vivres et IIOIIS faisons une pause de 4 heures. Nous irons directement à Elanja rejoindre la route que nous suivîmes à l'aller. A Sevoïsta, nous étions tombés en pleine cérémonie funèbre. L'arbre sous lequel nous nous étions arrêtés devait servirà certaines manifestations; on nous demanda de l'évacuer et, derrière nous, une fusillade éclata sous ses branches. Le chef Kelikisy nous installa dans un parc à bœufs bien nettoyé, ombragé d'olt arbre au milieu; mais le sol tout en fumier fin et desséché nous renvoyait au visage une intense chaleur. Pendant quatre heures, nous fûmes assaillis et enserrés par une populations importune venue de tous les villages d'alentour. Les hommes, munis de fusils, s'en vont par groupes tirer à l'écart, puis, le coup lâché, reviennent, en prenant une allure désolée, s'affaler à terre en chantant des airs dolents et prenant des poses et une expression d'enfant qui pleure. Ils s'appuient les uns sur les autres, laissant tomber leur tête sur l'épaule du voisin; pendant quelques instants, ils sanglotent sans larmes, se mettent les poings sur la figure; puis, ils se relèvent, vont et viennent tranquillement, jusqu'à un nouvel accès. Les femmes sont entassées dans la case du défunt, où elles geignent et se lamentent dans les attitudes les plus éplorées. Le corps est déjà parti, enfermé dans un tronc d'arbre creusé. Le cimetière est à une 1/2 journée du village. En pareille circonstance, les porteurs font de fréquentes pauses, d'autant plus fréquentes, que chacune est l'occasion de manger et de boire. On tue des bœufs et l'on boit du rhum. Au retour, grande cérémonie, grande tuerie de bœufs, suivant la qualité et la fortune de défunt. Quand la provision de poudre est épuisée, les bœufs mangés, le rhum bu, les amis s'en retournent. Les parents se coupent les cheveux et se revêtent de toile bleue. Les membres de la famille royale dépouillent tout ornement doré. Le deuil devrait durer un an, mais cette loi n'est guère observée. L'alliance de sang est considérée comme une véritable parenté. A 1 h. 20, nous partons. La route traverse une série d'ondulations boisées, mais coupées de nombreuses clairières. Nous montons. au Nord-Est et, de temps en temps, sur notre droite, la mer apparaît et, à 5 heures, nous campons hors de Iandroy, région de Maroaloka; des villageois nous apportent quelques patates pour avoir de la verroterie. Depuis le Mandraré jusqu'à Tuléar, la monnaie est inconnue. Lundi 26 Octobre. — A 6 heures, départ. La route présente toujours le même aspect, uniforme, semble-t-il, dans tout l'Androy, sur une bande de 20 à 30 kilom. le long de la mer. Au-delà, le pays est plus boisé; toute la région que nous traversons est cultivée sérieusement en manioc, patates et ricin. On y fait sûrement du maïs à la saison des pluies. Les villages se suivent presque sans interruption; mais il y a un grand obstacle au développement de la contrée, le manque d'eau. La configuration du sol explique l'absence d'eau courante, par le relèvement volcanique qui a mis une barrière de collines tout le long de la plage et empêché
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AU FAUX CAP
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l'écoulement vers la mer. D'autre part, le sable absorbe l'eau rapidement; mais celle-ci, qui croupiten mares nombreuses à la saison des pluies, doit évidemment subsister en certaine quantité au fond des cuvettes souterraines, correspondant aux multiples cuvettes qui apparaissent à la surface. Sûrement, une sonde trouverait de l'eau en beaucoup d'endroits, maisles indigènes ne donneront pas un coup de pioche, leurs pères ne l'ont pas fait. A 7il. 1/2, nous passons à Amboachara, subdivision de Maroaloka. A 8 h. 35, nous entrons sur le territoire d'Elanza, royaume d'Imaka, où nous séjournâmes la semaine dernière. Imaka rentre simplement. Les gens le regardent arriver comme s'il venait de voir ses bœufs, à cinquante pas. Peu à peu, cependant, les curieux arrivent et maka raconte ses campagnes. Les rois de Maroaloka viennent nous rendre visite et nous faisons connaissance. Il faut planter des jalons pour l'avenir. A midi 3/4, nous reprenons la route de l'Est. Nous laissons un peu à droite les petits villages que nous avons traversés à l'aller, et nous suivons un chemin plus facile, qui nous porte en trois heures au Mandraré. La rivière est redevenue guéable, quoique très haute encore; elle roule des eaux limoneuses, dont nous ne profitons pas comme nos porteurs, qui s'ébrouent joyeusement dans le fleuve. Mardi27 Octobre. - Nousréalisons notre programme en 20 minutes. Je puis gravir la montagne d'Anky et, en 35 minutes, je la descends ; mais les porteurs ont besoin de deux heures. A 10 h. 1/4, nous sommes à Andrahomena, où nous nous reposons le reste de la journée pour franchir demain la dernière étape de ce long et pénible voyage. (FIN) LEMAIRE, Résident de France à Fort-Dauphin.
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ETUDE
DÉTAILLÉE DES
DIVERSES
RÉGIONS
DE
MADAGASCAR
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CERCLE
de
TSimHY
(Suite) (1) 1er Mars 1897 Ecoles.Les quelques écoles qui existaient dans le cercle de Tsiafahy avant l'occupation étaient presque toutes confessionnelles, relevant soit des missions catholiques, soit des missions protestantes. Dans la plupart, l'enseignement du français était nul et c'est, aujourd'hui, l'un des grands embarras de l'administration de trouver des maîtres connaissant suffisamment les rudiments de notre langue pour être placés à la tète des écoles que beaucoup de centres réclament. Dès son arrive dans la colonie, M. le général Gallieni se préoccupa de cette importante question de l'enseignement du français et, dans sa circulaire du 5 octobre 1896, il traçait aux commandants de cercle et chefs de province les grandes lignes du programme qu'il convenait d'appliquer. Au mois d'octobre, les villages importants étaient seuls dotés d'écoles; en avaient deux, de confessions différentes; mais, dans toutes, quelques-uns même la fréquentation était peu assidue, les « masoivoho », ou surveillants des écoles se désintéressant, dans le désarroi politique où l'on se trouvait, des fonctions qu'ils avaient à remplir d'ordinaire. Les connaissances enseignées y étaient fort la lecture, l'écriture et l'instruction religieuse spéciale à la rudimentaires: confession constituant à peu près toute le programme. La circulaire du Résident Général vint secouer un peu l'apathie générale et les prescriptions relatives à l'enseignement de la langue française déterminèrent un mouvement en faveur des écoles catholiques ; dans la seconde quinzaine de (1) Voirle numérodu 1" avril.
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novembre, la mission française ouvrait à Ambato (3 kilom. Ouest d'Ambatomanga] une classe qui réunissait aussitôt 115élèves. Une école professionnelle, dirigée par un pasteur anglais, fonctionnait également à la même époque à Soavina. Avec le progrès de la pacification et la rentrée des habitants qui s'étaient enfuis, la population scolaire s'accrut et la plupart des villages demandèrent l'ouverture d'une école. Le Malgache a toujours, dans les classes aisées du moins, montré pour l'instruction un goût très prononcé et, dans la circonstance présente, à ce goût venait se joindre un intérêt direct. Les instructions du' Résident Général ne laissaient aucun doute sur ce point; les fonctions rétribuées ne seraient, à l'avenir, distribuées qu'aux candidats justifiant de la connaissance de notre langue, et il était du devoir de tout bon père de famille de facilitèr. à ses enfants l'accession aux emplois de l'Etat. Les plus grandes facilités étaient, d'ailleurs, accordées aux autorités françaises pour seconder et favoriser le mouvement qui se dessinait; lit où les maîtres indigènes faisaient défaut, des militaires pouvaient être chargés de classes; UIl. particulier même, M. Géraudel, colon à Ambohimarina, avait ouvert sur son; installation une école que fpéquentaient 150 enfants des environs. >1 Grâce au concours de toutes les bonnes volontés, les résultats obtenus; devinrent rapidement satisfaisants, ainsi que l'indique la petite statistique.1suin vante: Au 15 février, le nombre des écoles du cercle, secteur du Voromahéry à part, était de 30, réunissant environ 2.000 élèves; au 15 mars, il était de 131, avec 11.700 élèves. Ces chiffres dispensent de tout commentaire et laissent espérerqu'un nouveau progrès sera encore réalisé, lorsque le personnel enseignant sera plus nombreux et plus complètement à hauteur de la tâche qui lui incombe. C'est le personnel indigène qu'il s'agit, en effet, de recruter et, en attendant que l'école Le Myre de Vilers ait réparti dans les campagnes des maîtres instruits, force sera de s'en tenir au personnel actuel. Tout un ensemble de prescriptions règle déjà la situation de ces modestes fonctionnaires; on peut les résumer ainsi: droit au logement, traitement mensuel de 30 francs, accession aux Honneurs, exemption de prestations, d'impôts et de service militaire. Cette dernière clause est applicable aux instituteurs libres, dont la situation est officiellement reconnue, à l'égal de celle des instituteurs publics. A côté des instituteurs indigènes, les Masoivoho, qui ont un rôle analogue, en quelques points, à celui des délégués cantonaux en France, ont été réorganisés et doivent, dorénavant, s'assurer de l'inscription totale des élèves astreints à la scolarité et de la fréquentation des classes. — Il n'existe pas de magistrats de l'ordre judiciaire dans les Justice. cercles; les gouverneurs et les sous-gouverneurs, avec des assesseurs indigènes, constituent des tribunaux civils et commerciaux, dont les sentences peuvent
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être portées en appel, soit devant le tribunal de second degré, que préside le commandant du cercle, soit devant la Cour de Tananarive. Au criminel, un tribunal présidé par le commandant du cercle assisté d'un chancelier et de deux fonctionnaires indigènes, dont le gouverneur général, statue sans appel sur les cas qui se présentent. Travaux Routes. — Le réseau routier existe depuis longpublies. temps; mais les conditions de transport en vue desquelles il a été créé sont trop loin de répondre à nos besoins- actuels, pour que d'importantes réfections ne soient pas nécessaires sur presque tout ce réseau. Deux grandes voies traversent le cercle, la route de Tananarive à Tamatave et la route de Tananarive à Fianarantsoa. La première surtout joue un rôle capital dans le régime- économiqne de l'Imerina, car c'est la seule voie d'accès des produits venant de la côte Est. Les efforts faits depuis un an pour la rendre praticable aux mulets et même aux voitures n'ont pas encore pu donner, autant qu'on l'eût voulu, satisfaction aux exigences du commerce et du ravitaillement; mais il y a lieu d'espérer que les réfections qui vont être poursuivies pendant toute la saison sèche amélioreront notablement la situation actuelle et réduiront ainsi les dépenses, véritablement énormes, qu'occasionnent en ce moment les transports de matériel. Les principaux centres que traverse la route dans le cercle sont Ambohimalaza, Alarobia, Maharidaza, Manjakandriana et Ankeramadinika. La route principale de Tananarive à Fianarantsoa est bonne dans presque toute la traversée du cercle, les villages sont nombreux, offrent des abris suffisants et des ressources de toute nature; les difficultés les plus sérieuses proviennent de la traversée des rivières, qu'il faut le plus souvent passer à gué ou en pirogue. Les principaux villages situés sur le parcours sont: Antanjombato, Sabofsy, Alarobia, Tsinjony, Ambohikambana, Behenjy. Une nouvelle route de Tananarive à Talatakely vient d'être entreprise par le service des travaux publics et a déjà de nombreuses amorces dans la traversée du cercle. Dans l'intérieur du cercle, les voies de communication entre la capitale et les principaux centres occupés par nos troupes étaient, avant l'hivernage, en beaucoup de tronçons, accessible? aux mulets; dans la traversée des vallées cultivées en rizières, l'absence de digues suffisamment larges et résistantes interrompait parfois brusquement le parcours et obligeait à des transbordements à dos de bourjanes. Des instructions ont été données pour remédier à ces inconvénients; mais, malgré toute la diligence apportée par les autorités locales, les travaux se ressentent de la diminution de la main-d'œuvre occasionnée par la désertion des campagnes. D'autre part, aucun travail sérieux et présentant des chances de durée ne
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peut être entrepris pendantl'hivernage, oules pluies torrentielles périodiques détruisent en quelques heures le travail de plusieurs semaines. Un pont, cependant, a pu être jeté sur le Sisaony, au Sud d'Ambohimanjaka, et des stations de pirogues ont été établies en permanence en plusieurs points, notamment à Ambohitromby. Dans le Voromahery, les sentiers, accessibles aux seuls bourjanes le plus «ouve&t,sont fréquemment coupés par des cours d'eau sur lesquels il serait utile d'établir des ponceaux. Entre Ambohitromby et Tsinjoarivo cependant, la route qui se prolonge jusqu'à la grande forêt est en assez bon état; les mulets peuvent y circuler et il ne faudrait pas de grands travaux pourla rendre carrossable. D'autre part, les premiers renseignements recueillis jusqu'ici permettent d'affirmer que l'Onive est navigable, en pirogue, en amont de Tsinjoarivo ; mais il convient d'attendre, avant de se prononcer sur la valeur de ce chemin, les résultats d'une étude plus prolongée. Un point reste acquis, c'est la mise en communication, par une voie qu'il serait facile de rendre bonne, d'Ambohitromby et Tsinjoarivo, de la vallée du Sisaony et des frontières du pays Bezanozano ; c'est un fait d'autant plus important que des reconnaissances sonten ce moment poursuivies pour retrouver l'ancienne route reliant Tsinjoarivo à Mahatsara et de là à Mahanoro. M. le résident Compérat vient de relever cet itinéraire et a constaté qu'entre Tsinjoarivo et Mahalsara, la route, d'une longueur totale de 82 kilomètres, exigerait un mois de travail; des difficultés existeraient seulement dans la traversée de la forêt, c'est-à-dire sur 50 kilomètres de parcours environ. De Sandranandra, où l'itinéraire coupe l'Onive, jusqu'à Mahanoro, la route serait dès maintenant praticable. Suivant les dires des indigènes, cette voie était suivie autrefois pour l'exploitation du bois de la forêt et aurait été utilisée surtout pendant la construction du rova royal de Tsinjoarivo. Une autre voie de pénétration vers l'Est vient également d'être reconnue par le capitaine Deleuze, commandant le secteur de Tsiojoarivo; elle utiliserait la vallée de la Sandranamby, rivière qui va se jeter dans le Mangoro, à un jour et demi de la mer, et mettrait en communication Tsinjoarivo avec Ambohimilanja, village qui est lui-même relié à Andranobé du Mangoro par un sentier très fréquenté. Il résulterait même de renseignements donnés par M. le capitaine Deleuze que la vallée de la Sandranamby pourrait être mise à profit pour l'établissement d'une route carrossable. Nous résumons dans le tableau suivant les renseignements les plus importants sur la viabilité dans le cercle:
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-:--. P TEMPS NRCESSAIRE ITINRRAIRE NATURE G .------L LIEU DEDÉPART A DES aJJJ Ï|« v la S M âr. S W Q ss 2 fc 4 o N SUIVRE CHEMINS o H [ <5 26k. 5 h 30 3h 30 4h 30 Routedirecte AinbatomangaTananarive do Maharidaza 1-2 k. 3 h 2h 20 2 h 20 ParFarariana A.Bon Bon » do Mantasoa 12k. 3 h 2 h 30. 2 h ParLahomby A.Bon » Antanamalaza 6k. 1 h 30 t h 1 h Routedirecte do Bon » do 7h 5 34k. 30 h 30 5h Tsiafahy Par Antanama- Bon 2 laza, Fiadanana Tananarive 6h 3h 25 k. 3h30 Tsiafahy Bon 1 deBehenj y d. Ambohibololona7k. 1h 20 45' 50' Route Route de Tsia- Bon » fahyà malazaAntanado Masomboay 12k. 2h15 1h30 1h20 Route de Tsia- Bon » fahy à Ambatomanga d* Antanamalaza 24k, 6h 4h 3h30 Ainbohibolona et Bon 1 Masomboay do 8k. 2h 1h lhl5 Route Amboanjobé de Tana- Bon ° narive do 14 k. 3 h 2h 4h 45 Chemind'Ambo- Bon 1 Ambohimanjaka d" Andramasina 16k. 3h40 2h70 2h15 hitromby do A.Don 2 6 do 24 k. h 4h 30 3h30 Ambohitsilaizi Bon 3 AmbohitromJjy na, Ambohimanjaka do 5h 4 h 3 Behenjy 2i k.18k. 5 h 3 h 30Vsiniony d* Fiasinana 30 3h30 2 h 45 Ambohijato Bon » de Ambohimasina 20k. 6h40 4 h 3h30 Ambato-fahavalo A.Bon » MédioA mbohimarina 10 k. 3 h 2h 1h45 Andramasina cre 1 Ambohimanjaka A.Bon 17 k, 4h 303h d* 2h20 Belanitra 2 Behenjy û* Ambohimasina 13k. 3 h 30 2 h 15 1h 50 Antanétv A.Bon MédioAmbohimasina 10k. 2h 15 1h 1 Fiasinana 30 h 15 Crêtesde l'Am- cre bohiloa Bon » Ambohimarina 11k. 3h 2h lh30 Bemalaza Ambohitromby d* 16k. 4h30 3h 2 h 45Bémalaza-Tsiri- Bon » Behenjy ka Bon 1 Postes. - - Le service de la poste en territoire militaire est assuré par des courriers indigènes appelés tsimandos et mpiandry-taratasy. L'institution des tsimandos est fort ancienne et le gouvernement hova avait réglementé minutieusement l'organisation de ce service, dont il s'était réservé la jouissance exclusive. Aujourd'hui, la poste est accessible à tous, européens et indigènes, et des arrêtés récents viennent même d'organiser un service plus spécialement affecté aux indigènes. En l'état Tananarive et le chef-lieu du actuel, un service fonctionne entre • • cercle et dans le cercle, entre le chef-lieu et les postes qu'il comprend ; le premier est quotidien, les autres sont réglés suivant les nécessités reconnues. En outre, il est institué, au chef-lieu du cercle, un bureau auxiliaire des postes et, dans chaque poste, un bureau de distribution, les uns et les autres gérés par des militaires; des bureaux auxiliaires et des bureaux télégraphiques existent et Ankeramadinika, sur la ligne Tananarive-Tamatave. également à Maharidaza Indépendamment de ce fonctionnement, un service circulaire local, reliant entre eux les chef-lieux de cercle et desservant, sur le parcours, certaines loca-
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lités importantes, fonctionne depuis le mois de janvier par les soins des gouverneurs indigènes responsables vis-à-vis du commandant du cercle. La franchise est de droit pour la correspondance de service et celle des militaires du Corps d'occupation, mais l'affranchissement en timbres-poste ; français est de rigueur pour les correspondances particulières. Le tableau suivant indique les itinéraires suivis actuellement dans le cercle; mais un nouveau trajet circulaire vient d'être expérimenté et sera prochainement réglé définitivement. ORIGINE des DESTINATIONS CORRESPONDANCES
DATES des DÉPARTS
HEURES des DÉPARTS
Mardi midi Vendredi 5 h. du matin 1 Mardi do Ambatomanga Lundi do Samedi do Tsiafahy midi Lundi Ambatoman 1 Ambohimandry àa — Sous le régime malgache, le système financier était peu Finances. compliqué: l'arbitraire du haut en bas de l'échelle administrative. Les impôts officiellement établis semblent, à première vue, très légers pour çhaque contribuable ; mais ce qui rendait le système odieux, c'est qu'à côté de la perception légale, la corvée, le « fanompoana », pouvait s'emparer, sous des motifs plus futiles les uns que les autres, de tout ce que possédait l'habitant. Dans le cercle d'Ambatomanga, les taxes territoriales, sorte d'impôt de répartition, étaient ainsi fixées: Alasora,1.000hetra; Zafimbazaba, 1.000hetra; Alasora (menabéou fief royal), 1.000hetra ; enclave des Ikeliampinga, 300 hetra; Zanamihoatra (fief royal), 1.000 hetra; Vakinampasina (rive droite de la Varahina), 1.000 hetra; Vakinampasina (rive gauche), 500 hetra; Zanamiliaotra (menakelyou fiefs seigneuriaux), 1000 hetra ; Maroandriana, 1.000 hetra ; Ampohadiminy, 1.000 hetra. Cet impôt du hetra pouvait se payer en nature ou en argent; en nature, il représentait trois vatas de riz ou 66 litres; en argent, il était remplacé par une valeur de « venty » ou 80 centimes. Dès que l'autorité française eut en mains l'administration du pays, son premier soin fut de reviser les anciennes coutumes, dont l'exaction était la base, et d'établir une assiette d'impôts en rapport avec les ressources de chacun. Des prescriptions générales furent édictées pour toute l'île, mais avec, dans l'application, les tempéraments commandés par les usages locaux ou par toute autre cause. Pour chaque cercle de l'Imerina, le système d'impôts en vigueur est le sui vant ; 1° Taxe personnelle. — 2 fr. 50 pour tout indigène du sexe masculin, âgé de 16 ans révolus. 2° Impôt des rizières. — A raison de 80 centimes ou 3 mesures de riz par m ob ma h. a1
Ambohitrahiby | Ambatomanga ( Ambohimalaza j Tsiafahy
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rizière. Commedans l'ancienne législation, le contingent à recouvrer est fixé par village et chaque chef, ainsi que les membres des municipes romains, est responsable du recouvrement. 9° Enregistrement et timbre. — Droits variables suivant la nature des opérations. 4° Droits de plate sur les Marchés et taxe d'abatage. — Un tarif spécial par circonscription règle les droits de marché, qui sont calculés d'après les professions exercées et la surface occupée. L'impôt des patentes, la prestation indigène avec faculté de tatbt, la délivrance des passe-ports conbtituent encore une source de revenus pour les cercles. Dire que ces divers impôts ont été acceptés avec enthousiasme serait mal connaître la nature humaine, et l'indigène, dans sa nature simpliste, s'était peutêtre bercé de l'espoir que l'arrivée des Français le libérerait de toute obligation ; mais, ce qu'il serait aussi puéril de nier, c'est qu'après avoir fait l'expérience du nouveau régime, les Malgaches se félicitent d'un système qui les rend tous égaux devant le fisc et qui les protège contre les spoliations dont ils étaient trop souvent victimes. Laprestation, surtoutlorsqu'elle est employée àdes travaux de leur voisinage, est facilement acceptée, étant donné qu'une légère rétribution y est attachée. Dans tout le cercle, la préparation des rôles s'est régulièrement accomplie ; les gouverneurs madinika et sous-gouverneurs, se sentant surveillés, se sont acquittés convenablement de leurs fonctions et les rentrées des mois de janvier et février 1897 ont donné pour le cercle, moins le secteur de Tsinjoarivo, une somme totale de 18.132 fr. 60 ainsi répartie : 14.351 fr. 65 Taxe personnelle. 15 2.733 Abatagedu bétail. 45 303 Passe-ports. 05 251 Enregistrement et Timbre 493 30 Amendes. RENSEIGNEMENTS
ÉCONOMIQUES
Population. —Il est encore difficile d'évaluer la population normale c'u cercle, en raison des désertions nombreuses qui se sont produites depuis le commencement de l'insurrection. Le mouvement de rentrée, qui s'est depuis longtemps dessiné, n'a pas encore pris fin, le parti desrebelles renfermant toujours, avec les irréductibles trop compromis pour faire leur soumission, un plus grand nombre de malheureux enlevés de force à leurs travaux et maintenus, malgré eux, par une étroite surveillance, dans les rangs des révoltés. Les derniers recensements opérés dans le cercle accusent un chiffre total de 96.059 habitants ainsi répartis par sous-gouvernement:
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2m
AI-nbohimalaza 35..8ltO 10.086 Ambatornanga. 11.596 Ambohitrandriamanitra. 38.046 Tsiafahy. Tsinjoarivo 491 (kcompléter) L'occupation récente du secteur de Tsinjoarivo n'a pas permis de procéder à l'organisation administrative de cette région, hier encore occupée par les rebelles; tout est à créer, mais il est indispensable de ne pas procéder trop hâtivement, si l'on ne veut effrayer une population qui a perdu l'habitude d'obéir, et dont la soumission à notre autorité est encore trop récente pour que l'on ne puisse craindre de nouvelles défections, si le régime imposé heurtait trop brusquement l'ancien état de choses. — La première condition qu'exige le commerce, c'est la Commerce. sécurité; la seconde, de bonnes voies de communication. Ce sont précisement les deux choses qui font le plus défaut depuis dix-huit mois; aussi, le mouvement commercial est-il à peu près restreint aux seuls échanges des objets de consommation courante chez les indigènes. Il y a lieu, cependant, de faire exception pour la section de la route de Tananarive à Tamatave, où les mouvements de personnel et le ravitaillement de la capitale créent en tout temps une activité économique que l'on ne trouve pas ailleurs. Une des causes qui ont encore augmenté la crise, c'est la suppression des travaux de culture sur beaucoup de points, l'abandon de certaines industries dont le siège se trouvait dans les régions soulevées; ce sont là des accidents ftui n'agissent que momentanément, des circonstances qui disparaitront avec la pacification. Dans le secteur de Tsinjoarivo, les marchés sont à réorganiser presque partout. La région qui avoisine le poste de Tsinjoarivo est la seule où se manifeste une certaine reprise des affaires et où le marché du Zoma soit fréquenté; il y a lieu, il est vrai, de constater que cette contrée, réputée autrefois si riche en bestiaux, est aujourd'hui bien appauvrie, probablement encore par les vols d'animaux que les rebelles ont dû commettre pour assurer leur subsistance. Dans les autres parties du cercle, les marchés s'ouvrent au fur et à mesure de la rentrée des habitants; vingt-cinq sont déjà tenus régulièrement chaque semaine, parmi lesquels il en est où le chiffre d'affaires est important. Nous citerons parmi les plus animés ceux: d'Alarobia, d'Amboanjobé, l'un des plus forts de Madagascar; d'Alasora, fréquenté par 500 indigènes environ; de Sabotsy, d'Anosibé par 3.000, d'Alakamisy, d'Antanamalaza par200; de Sabo* tsy, de Tsiafahy par 500; de Zoma, de Behenjypar 800; d'Ambohimanjaka, d'Ambatobontsina, d'Ambohijoky et d'Ambatomainty. Les prix varient peu d'une région a l'autre et vont en s'affaiblissant au fur et à mesure qu'on s'éloigne de Tananarive. Dans toutes les transactions, c'est encore l'ancien système de poids et mesure qui sert de base; mais l'usage de notre système métrique, qui vient
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d'être rendu obligatoire, simplifiera dans l'avenir les relations entre vendeurs et acheteurs. Déjà, l'emploi de la monnaie coupée se restreint de plus en plus et notre monnaie divisionnaire trouve facilement preneur. La question des transports est aussi d'une importance capitale; actuellement, les bourjanes sont seuls utilisables, sauf sur certaines sections de routes nouvellement construites ou réfectionnées ; mais ces trajets sont trop courts pour qu'il soit possible d'y organiser un service régulier par animaux. Les prix des bourjanes sont très variables, surtout dans la partie du cercle qui avoisine la capitale. D'autre part, les nécessités des travaux d'utilité publique, du ravitaillement obligent à faire appel à de nombreux prestataires, ce qui réduit d'autant ont bien été faites le nombre d'hommes disponibles: des recomandations pour restreindre au strict nécessaire ces prélèvements, mais il faut cependant que les grands travaux s'accomplissent et cela, dans l'intérêt même du commerce. Nous donnons ci-après la mercuriale des prix dans divers marchés du cercle au 1er mars:
l'
DESOBJETS DÉSIGNATION
TALATA ALAROBIA PRIXA TSIAFAHY (S. DETSIA? DAMBOANJOBÉ SABOTSY FAHY)
22 fr. 50 Lamba cabot (g. largeur) 40 yards 22 00 Hélai parasy id id. 21 60 Bémarika 15 80 Vodihcdy(pctite dimension) id. 24 yards. 21 20 id. Sarin'oiona 60 Satrok' andriana id 21 « 2i yards. 20 Malemyfanahv « id. 20 Sogafotsv Il 25 Voromahcry id Lambas en couleurs (cousus) la pièce 5.507.50 15 00 , Toiles de couleurpourlambas,24yards 0 45 50 feuilles Tabac en feuilles 0 25 id en poudre, le flacon. 0 60 sobika Manioc frais id. 0 45 id. cuit 17 2 0 Galelte de riz les 70 sobika 0 Pieds de bœufscuits, 40 sobika. 1 Maïscuit 0 70 id. Pèches 35 id. 0 Figues 30 la pièce 0 Ananas 0 30 la branche.. Bananes 25 0 le gâteau. Sucre 3 20 la mesure Riz blanc 2 80 id. rouge id. 1 80 Graisse pour chandelles, le pain 10 0 Potsen terre petits, la pièce. 00 10 Bœufsgrands 00 50 id. moyens 00 15 1 id. petits.
22 fr. 50 00 22 60 21 15 80 20 21 21 60 « 20 « 20 H 25 6.509.50 00 15 0 40 20 0 0 45 40 0 0 17 1 20 60 0 0 35 0 20 0 20 20 0 0 20 2 80 40 2 1 80 10 0 00 50 00 30 50 12
22 50 00 22 60 21 80 15 20 12 60 21 « 20 « 20 11 25 5.007.00 00 15 40 0 20 0 45 0 40 0 0 17 20 1 60 0 30 0 20 0 20 0 25 0 20 0 80 2 45 2 80 1 tO 0 00 40 00 25 00 12
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Ainsi que nous le disions pour le commerce, l'agriculture &,rrlealture.--a beaucoup souffert, elle aussi, de l'état de troubles dans lequel se trouve la région. Partout où la présence de nos troupes constituait une protection suffisante, les indigènes travaillaient leurs rizières; les rebelles, de leur côté, faisaient aussi cultiver celles des régions où ils dominaient; mais entre la ligne extrême de nos postes et les camps de l'insurrection, la terre restait en friche, personne n'osant s'y hasarder par crainte d'un enlèvement. Le sol est partout argileux, avec sous-sol de granit, mais dans les vallées et sur les pentes peu inclinées, la quantité d'humus est suffisante pour permettre d'entreprendre des cultures variées. La fertilité de Madagascar a donné lieu, d'ailleurs, à des appréciations bien diverses, entre lesquelles se trouve probablement la vérité. Suivant M. Grandidier, « la moitié de l'ile peut être considérée comme impropre à la culture Il. D'après le prince Henri d'Orléans, au contraire, « la fertilité est partout à l'état latent ». Il est certain que les plateaux d'Imerina ne sauraient se prêter à la culture intensive à l'égal de la plaine de Moramanga mais, dans le cercle de Tsiafahy ; du moins, les conditions agronomiques sont telles qu'on y trouve en quantité suffisante, le riz, le manioc, la patate, la canne à sucre, aux environs de Ialasora et dans le Maroandriana surtout. Le manguier, le pêcher et le bananier y poussent et donnent des fruits appréciés; la vigne, qu'on suppose apportée dans l'île par les Portugais, donne de beaux raisins de table; on a cependant, sur plusieurs points, constaté des traces d'oidium. Des essais de blé pourraient être tentés; quelques indigènes en auraient obtenu, paraît-il, plutôt à titre de curiosité, et l'appellent « varybakaha », le riz des blancs. Le chanvre se rencontre en beaucoup d'endroits, le coton, la soie pourraient donner lieu à d'importantes exploitations, surtout si les procédés indigènes, toujours défectueux, étaient améliorés et mis en harmonie avec nos méthodes nouvelles. Enfin, on a découvert que la badiane pousse très bien auxenvirons d'Ankeramadinika,et il va peut être là le point de départ d'une industrie susceptible de prospérer. La principale richesse du cercle est le bétail, qui abondait avant l'insurrection. Les bœufs étaient en grande quantité, les porcs de même, sauf dans le Vakinampasina, où ils étaient plus rares; les animaux de basse-cour ont surtout diminué depuis l'arrivée des Français, la consommation ayant pris, tout d'un coup, une grande extension au moment même où la production se ralentissait par suite de la guerre. Les moulons, qui appartiennent à l'espèce des moulons à grosse queue, n'ont pas de laine et donnent une viande de médiocre qualité. Des essais avaient été faits par M. Laborde pour améliorer la race, mais sans grands succès; ils
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viennent d'être repris tt l'Etat envoie des moutons de la bergerie nationale de Rambouillet. Industrie. —Avant l'insurrection, le cercle de Tsiafahy était un de ceux où l'industrie était la plus développée ; les nombreux gisements minéraux qu'on y trouve, le voisinage de la forêt, la présence, constatée sur plusieurs points, de lignite et de tourbe, constituaient d'excellentes conditions pour l'exploitation des bois ou des métaux, la fabrication des briques et des tuiles. Dans le centre et dans le Sud, la sériciculture était très répandue. Aujourd'hui, la plupart de ces industries sont dans le marasme le plus complet ; l'insécurité éloignant les travailleurs, la production est restreinte aux objets de nécessité première, tels que poteries grossières, lambas, nattes, rabannes Un mouvement de reprise commence cependant à se dessiner et nul doute que la pacification ne ramène avant peu l'ancienne activité industrielle. Déjà, plusieurs tentatives ont été faites par des colons français en divers points du cercle, et les premiers essais laissent espérer qu'avec le temps, le succès couronnera l'intelligente initative de nos compatriotes. Les indigènes également, stimulés parles autorités du cercle, se remettent au travail. Dans le Maroandriana, l'élevage du ver à soie, pratiqué en grand avant 1895, revient en faveur, d'après les anciens errements, il est vrai, mais qu'il sera possible d'améliorer plus tard. Nous trouvons dans le Journal Officiel de la Colonie d'intéressants renseignements sur la sériciculture dans le Maroandriana, renseignements que nous croyons devoir reproduire ici : « On trouve dans le pays deux sortes de vers à soie: le landibé, bombyx « indigène qui vit à l'état sauvage, et le landikely, bombyx européen, que les « indigènes élèvent de préférence. « Le ver à soie de Chine ou bombyx du mûrier n'existe pas; celui qui s'en « rapproche le plus est le landikely. « Landibé. — Le landibé se nourrit d'ambrevade (Borocera Madagasca« riensis), plante qui pousse dans les champs de manioc. Cet arbuste, au moment « de son plus grand développement, atteint environ deux mètres de hauteur, « sa frondaison est bisannuelle et sa culture ne demande aucun entretien; « on pourrait, avec quelques soins, créer de véritables nourrisseries où les vers « pourraient être élevés en nombre considérable et avec une grande facilité. « A l'état adulte, la chenille du landibé mesure environ 70 m/m. La couleur « de cette chenille est moirée, tachetée de jaune; le dessous de son corps est « recouvert de poils bruns. Les indigènes ne peuvent donner aucun renseigne(1 ment sur l'époque et le nombre de ses mues. « Les autres transformations ont été mieux observées et se succèdent dans « l'ordre suivant: Murs « Époque de la ponle. « Duréede la ponte 13 jours 8 jours « Travail du cocon.
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« Chrysalide 1 mois 15 jours Il Düréedu papillon. Il Couleurdu papillon. gris « Couleur du cocon. grisâtre « La soie de cocon est très solide; on l'emploie pour la fabrication des « lambas betsiléos et pour celle des étoffes de vêtements et de linceuls. Les cocons sont expédiés à Tananarive. « Le landibé se trouve surtout du côté d'Andramasina et d'Ambohitromby. « Les cocons se vendent au poids de l'argent, 2.000 pour le poids d'une « pièce de 5 francs. « La soie dévidée se vend en écheveaux, à raison d'environ 1.400 mètres « pour 5 francs. « L'étoffe tissée a une largeur d'environ un mètre; son prix est de dix « francs le yard. « Les indigènes ne connaissent pas de maladie atteignant cette chenille. « Landikely. — Le landikely a beaucoup de rapports avec le ver à soie «de Chine: sa couleur est d'un gris plus prononcé et sa longueur, à l'état « adulte, ne dépasse pas 40m/m; il se nourrit de feuilles de mûrier. Cette plante « réussit très bien dans la région, surtout dans les bas-fonds; on en rencontre « dans presque tous les fossés des villages. « La chenille a quatre mues en 40 jours: « 1re mue:a lieu aprèsla 1re semaine; l'insecte, très petit, est de couleurnoirâtre; « 23 mue: a lieu après la 2° semaine, l'insecte devient blanchâtre ; « -38mue: a lieu après la 3° semaine, l'insecte se développe et devient plus * blanc; « 4e mue : a lieu après la 4° semaine, l'insecte atteint ses plus fortes « dimensions, il devient jaunâtre et meurt 8 jours après la dernière mue. « Au mois de février, les chenilles sont souvent atteintes d'une maladie « qui les tue rapidement. Les indigènes n'ont encore trouvé aucun moyen pour « y remédier. « La tabac est la cause d'une autre maladie qui amène aussi la mort rapide « des chenilles. « Education du Landikely. —Les cocons pour la reproduction sont placés « dans une sobika contenant dela paille; sitôt leur apparition, les papillons « sont placés sur des nattes où ils font leur ponte. « Dès l'éclosion, les chenilles sont placées sur des nattes fines et serrées et «on les recouvre de feuilles de mûrier. Le nettoyage de nattes se fait tous les « jours. Lorsque les chenilles vont commencer leur cocon, on les place dans une « tobika contenant de la paille ou des herbes sèches. « Procédé employé pour la récolte de la soie. — Le procédé pour les « deux sortes d'insectes est le même (landibé ou landikely). Dès que les cocons « sont terminés, on les fend à l'une des extrémités et on les retourne complè-
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« tement en les plaçant sur un petit morceau de bois ayant la forme d'un crayon; « on en met ainsi trois les uns sur les autres. « Cette opération terminée, on place tous les cocons dans un lamba et on « les met tremper dans de l'eau de cendres pendant deux heures, après quoi on « les fait sécher le long d'un mur pendant une journée. « Ce bain a pour effet d'enlever toutes les matières grasses: c'estle dégom« mage des cocons ; aussitôt secs, ils sont élargis avec les doigts et on les effile « en employant le système utilisé en France pour la laine des moutons. Cette « soie étant effilée, on place des piquets en terre, de façon à former un cercle « d'un diamètre de 30 à 40 centimètres, autour duquel on l'enroule de façon à « former les écheveaux. « Les procédés rudimentaires d'élevage des vers et de la récolte de la soie, « analogues à ceux en usage chez tous les indigènes de Madagascar, donnent « des produits inférieurs en qualité et en quantité. « Le jour oùils seront remplacés par un élevage soigneusement conduit; et, (1par les procédés européens pour le dévidage et la préparation desfils, on « obtiendra d'excellents résultats qui rendront avantageuse l'exploitation de l'in« dustrie séricicole dans la Colonie ». L'exploitation du bois, dans le secteur Nord de la Varahina surtout, peut devenir une source importante de revenus, car cette région est la mieux placée pour approvisionner Tananarive. Des chantiers importants existaient autrefois à Andrangoloaka; ils n'avaient pas été rétablis depuis la campagne, en raison du peu de sécurité qui régnait dans le pays. Mais sous la protection du blockhaus qui vient d'être construit, il deviendra possible, à bref délai, d'installer une exploitation sérieuse, soit à Andrangoloaka, soit un peu plus au Sud, à Fanjavona, où se trouve un autre blockhaus. Une industrie, sur beaucoup de points parallèle à la précédente, est l'industrie métallurgique qui, n'employant que le bois pour combustible, devrait s'installer à proximité des forêts. L'usage du fer à Madagascar semble remonter au règne d'Andriamanelo, qui commandait à Alasora vers la fin du XVIesiècle, et les premiers instruments qui furent fabriqués furent sans doute des sagaies. La région d'exploitation du fer s'étend en une longue bande orientée du Nord au Sud, à 30 kilomètres de Tananarive. Les principaux centres d'extraction du cercle sont Amoronkay, Mahatsara et Ankafo ; leur existence est sans doute due au voisinage de la puissante installation qu'avait fondée M. Laborde, à Mantasoa, et qui devait être le lieu d'écoulement de tous les produits naturels qui pouvaient être ouvrés dans les ateliers de cet homme de génie. Le minerai qu'on y trouve en plus grande quantité est l'oxyde magnétique ou magnétite, dont la teneur en fj'f métallique est de 72 à 73 ; parfois, il s'y rencontre de l'oxyde ferrique hydraté ou hématite brune, mais en quantité relativement faible.
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Les procédés de réduction du fer sont restés très primitifs et l'usage du haut fourneau a disparu avec l'usine de Mantasoa. Comme encore actuellement dans l'Inde et à Bornéo, le fourneau malgache se compose essentiellement d'une sorte de creuset à section ogivale de 0m75 à 0m80, dans sa plus grande dimension, et de 0m60 à 0m70 de hauteur. Les parois en sont cimentées avec d'anciennes scories et de l'argile dans le but de les rendre réfractaires. A la partie inférieure, est ménagé un trou qui correspond àla sole, et qui sert de regard; une seconde ouverture donne passage à la tuyère, faite d'une pierre réfractaire spéciale, à gros grains. Le soufflet se compose de deux troncs d'arbres creusés, dans chacun desquels se meut un piston en bois recouvert de rabanne. Voyons maintenant le fonctionnement. Le minerai extrait de la montagne est, après un broyage sommaire, emporté dans des sobikas par les femmes, déposé dans le ruisseau voisin, dont on capte l'eau, puis lavé avec soin pour le débarrasser de sa gangue terreuse. On le place ensuite dans la forge avec du charbon de bois, soit en disposant le minerai entre deux couches de charbon, soit en formant des couches alternatives de charbon et de minerai. La durée de la chauffe est d'environ huit heures, au bout desquelles on démolit le four pour en retirer une loupe ayant la forme d'une cuvette; on brise ensuite cette loupe et les fragments en sont portés à la forge, où ils sont chauffés, martelés de façon à prendre la forme qu'on veut leur donner. Le personnel nécessaire à cette dernière opération est de six hommes qui, pour fabriquer une angade par exemple, mettent une demi-journée. Quand on songe que cette même angade, qui se vend aujourd'hui 2 francs sur le marché de Tananarive, se vendait autrefois de 0. 90 à 1 fr. 25, on se rend compte du gain journalier de chaque ouvrier. Un tel procédé de fabrication, outre qu'il n'opère qu'une réduction incomplète du minerai, donne un fer de qualité médiocre, manquant d'homogénéité, présentant des parties brùlées à côté de parties insuffisamment réduites. On s'en sert néanmoins pour la taillanderie et la clouterie; mais il arrive souvent que dans les bois à grains durs, les pointes ne peuvent entrer sans que les trous n'aient été amorcés à la vrille. Indépendamment du fer ordinaire, on trouve une sorte d'acier, qui est plutôt du fer aciéreux obtenu en modifiant les proportions relatives du charbon et du minerai et en modérant l'action des soufflets: les ouvriers l'emploient pour le tranchant de leurs outils. Lesforgerons sont réunis en corporations ayant chacune un chef; les principales du cercle sont celles d'Amorokay et de Mahatsara. L'ancienne corporation de Mantasoa subiste encore et, pendant l'insurrection, elle a réparé ou fabriqué beaucoup d'armes, des canons en fer laminé, entre autres. La présence de l'or a été constatée depuis longtemps dans le Sud du cercle,
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depuis les environs de Manaritsoa, Nosibé, jusqu'au Sud du secteur de Tsinjoarivo. L'exploitation clandestine formait le fonds des revenus de beaucoup d'habitants et la crainte de perdre une aussi bonne source de profits entra pour beaucoup dans la résistance que cette région offrit à notre influence. Les principaux points du secteur du Voromahery, où l'exploitation aurifère aété signalée comme active avant notre arrivée, sont situés à l'Est de la route de Tsinjoarivo à Antanamalaza du Sud, dans le haut bassin de la Sahatorendrika, et les vallées de la Sahanamalona et de la Sahabe, au pied des monts Bevehana et Tohimena et à Ambodifiakarana. Dans tous ces dépôts, c'est l'or de lavage, c'est-à-dire trouvé dans les alluvions, qu'on exploite. Les procédés d'extraction sont des plus simples; le chercheur lave la terre dans une casserole ou une assiette, jusqu'à ce que les parcelles d'or se séparent de leur gangue, c'est le système dit de la « battée ». Nous ne terminerons pas cette notice sur l'industrie malgache sans rappeler qu'il fut un temps où, grâce à l'impulsion du Français Jean Laborde, cette industrie était prospère et eût pu tenir une place honorable sur tous les marchés de l'île. A Mantasoa, par sa persévérante énergie et sa haute intelligence, M. Laborde réussit à créer une installation, qui n'est aujourd'hui qu'un amas de ruines et de décombres, mais qui remplit d'admiration le visiteur, si l'on songe aux efforts de toute nature que dut déployer ce Français, seul au milieu de gens incultes, méfiants et toujours prêts à le suspecter. A côté du haut fourneau pour la préparation du fer, de l'acier, on y trouvait une fonderie de canons, une fabrique de verre, de porcelaine, un four à chaux, des ateliers de pyrotechnie, d'où sortaient des bombes et des fusées à la Congrève. Des armuriers fabriquaient des fusils, pendant que d'autres ouvriers faisaient de la poudre de guerre et même de la poudre fulminante pour capsules. Une tannerie fonctionnait également à Mantasoa, et c'est peut-être, de toutes les industries qui furent enseignées aux Malgaches, celle dont ils ont conservé le plus de traces. Cette œuvre gigantesque de Jean Laborde, que laissa tomber l'insouciance du gouvernement hova, vient d'être reprise et cette fois encore, par la France. Le 23 janvier dernier, le Résident Général présidait à l'inauguration solennelle de l'École professionnelle de Tananarive et, devant les élèves assemblés, rendait à la mémoire de Laborde un hommage bien mérité. GENDRONNEAU, Officier d'administration.
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30 AVRIL
1897
Le mois d'avril a été marqué, comme les précédents, par des efforts et aussi par des progrès incessants dans la voie de la pacification et de l'organisation du pays. Les opérations militaires ont peut-être eu moins de retentissement que dans la période précédente, mais cette particularité même est un indice que la vitalité de l'insurrection diminue de jour en jour et que le moment approche où l'ordre sera enfin rétabli sur le plateau central. Comme on pouvait ttéjà le prévoir il y a quelques semaines, la nouvelle de la suppression de la royauté a été accueillie dans toute l'Emyrne avec une parfaite indifférence. Le prestige de la dynastie hova était de pure convention; il a suffi d'une mesure énergique pour le faire évanouir et pour montrer à la population qu'elle avait tout à gagner à la disparition d'un rouage administratif suranné et désormais sans objet. Peut-être la déchéance de Ranavalo a-t-elle attristé quelques représentants des anciennes castes, nobles, mais ces regrets sont restés silencieux; au surplus, les rancunes des Andrianas seraient désormais impuissantes à créer des complications; elles ne trouveraient par d'écho dans la masse du peuple et ne sauraient en rien entraver le développement normal des institutions nouvelles. Le régime que nous avons importé en Emyrne, et dont les principes seront étendus par la suite à toute l'île, assure d'ailleurs, aux chefs indigènes, une participation effective à l'administration du pays. Les gouverneurs ont conservé en grande partie les pouvoirs qui leur étaient autrefois dévolus, à cette différence près qu'ils sont responsables de la légalité de leurs actes et que les mesures les plus sérieuses ont été prises pour prévenir le retour des abus et des exactions en honneur sous le gouvernement disparu. Les habitants n'ont pas tardé à apprécier les avantages de cette organisation, basée sur la justice et le respect de leurs droits, et l'application qui en a été faite a contribué, pour beaucoup, à nous les attacher et à asseoir solidement notre autorité dans les régions nouvellement soumises. On a pul'apprécier, en particulier, lors de l'échauffourée récente d'Imerimandroso, localité assez importante située à une quinzaine de kilomètres au Nord de Tananarive.
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Le 6 avril, à la pointe du jour, un groupe d'une centaine de rebelles provenant des bandes poursuivies, dans le Nord, par M. le colonel Combes, entre dans le village par surprise, après avoir traversé pendant la nuit le réseau de nos postes, et s'efforce de pousser la population à la révolte. Cette tentative échoue complètement; loin de répondre aux avances qui leur sont faites, les chefs d'Imerimandroso et un grand nombre de leurs administrés courent prévenir les postes voisins, qui envoient aussitôt des détachements au secours des habitants menacés ; les insurgés sont poursuivis sans merci par nos soldats et par la population; on les traque, on les rejette de village en village, et, grâce à ce concours des indigènes, presque tous ceux qui avaient tenté ce coup de main sont tués ou faits prisonniers. Cet incident est significatif et montre, mieux peut-être qu'un succès purement militaire, le caractère définitif de notre installation dans le pays et le concours que les habitants peuvent nous apporter pour y assurer l'ordre et la sécurité. D'autre part, les efforts de nos troupes ont agrandi considérablement les zones soumises à notre autorité. Au Nord, l'action simultanée de M. le colonel Combes, dans les hautes vallées de la Betsiboka et de la Mananara, de M. le commandant Rouland, dans la vallée du lac Alaotra, et de M.le capitaine de Bouvié, dans la vallée inférieure de la Mahajamba, ont fait faire un pas décisif à la pacification. M. le colonel Combes, après avoir dispersé les bandes qui occupaient la vallée de la Sahasarotra, a fait occuper Vohilena, que M. le capitaine Staup a enlevé le 12 avril, après une courte résistance. Quelques jours plus tard, le 28 avril, nos troupes entraient à Antsatrana, siège du gouvernement de Rabezavana et centre d'une région sur laquelle il possédait, naguère encore, une influence considérable. Les insurgés, démoralisés par ces échecs successifs et peut-être aussi par les récents événements politiques, n'opposaient plus, en dernier lieu, qu'une résistance très affaiblie à la marche de nos colonnes. Actuellement, nous occupons toute la haute vallée de la Betsiboka; les dernières bandes rebelles sont refoulées, d'une part, dans la vallée de la Mahajamba avec Rabezavana, d'autre part, dans la forêt qui borde l'Emyrne à l'Est, sous la conduite de Rabozaka. L'insurrection est désormais désunie et ses principaux points d'appui sont entre nos mains; Rabezavana, poursuivi à l'Ouest par M. le chef d'escadrons Lyautey (qui a pris récemment ie commandement du cercle d'Ankazobé), est également menacé par la marche de M. le commandant Rouland, qui progresse constamment vers la Mahajamba en partant du lac Alaotra; il sera inquiété également par les opérations de M. le capitaine de Bouvié qui, avec des détachements partis de Marovoay et d'Ambato, a occupé plus au Nord, dans la vallée moyenne de la Mahajamba, les importants points d'appui de Maroadabo, d'Adranolava et de Tsaratanana. On peut donc prévoir, dès a présent, que le fameux chef rebelle ne pourra pas prolonger bien longtemps sa résistance.
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Rabozaka n'est guère en meilleure posture. Ses partisans sont traqués par des reconnaissances incessantes, décimés par la famine et par le feu de nos troupes; leur nombre diminue de jour en jour; beaucoup ont renoncé à la lutte pour rentrer dans leurs villages et ceux qui tiennent encore la campagne ont perdu toute confiance dans les destinées de leur chef. Enfin, la situation de ces bandes est rendue plus critique encore par la liaison complète que l'occupation de Didy a permis d'établir entre les deux cercles de Moramanga et d'Ambatondrazaka. Avant de quitter cette région du Nord, il convient aussi d'indiquer qu'a la suite de ses succès dans la vallée de la Mahajamba, M. le capitaine de Bouvié a commencé à progresser dans celle du Bemarivo. Après une série d'engagements-très vifs, il a réussi a enlever le village fortifié de Mampikomy, sorte de ciradelle occupée par l'ancien gouverneur hova Rainitavy, qui en avait fait un centre important de résistance et d'approvisionnement et y avait réuni près de 2.000 rebelles, Hovas et Sakalaves. Dans le 2* territoire militaire, les régions pacifiées continuent à s'étendre. A la suite de battues méthodiques exécutées dans la forêt, au Sud d'Ankeramadinika, M. le commandant Drujon a obtenu de nombreuses soumissions; une ligne ininterrompue de blockhaus jalonne actuellement la lisière occidentale de la forêt, en interdit le débouché aux rebelles et va permettre de rouvrir bientôt tous les chantiers d'exploitation de bois qui alimentaient, avant l'insurrection, les marchés de la capitale. Au Sud, les opérations contre Rainibetsimisaraka ont été activement menées ; l'occupation progressive du Voromahery a refoulé peu à peu ce chef insurgé dans la partie la plus difficile de la forêt, comprise entre la région du Fisakana et la zone côtière. Nos troupes ont déjà commencé a l'y poursuivre et, malgré les difficultés considérables du pays, on peut prévoir que, désormais sans ressources et sans prestige, il ne tardera pas à se soumettre ou à tomber entre nos mains. Déjà, à la suite d'un hardi coup de main exécuté le 17 avril par M. le lieutenant Comiot, un des lieutenants de Rainibetsimisaraka, Ramanpanjaka, ancien chef de l'insurrection du Sisaony, s'est rendu à discrétion avec les rares partisans qui lui restaient. Enfin, pour faciliter notre installation dans le pays, plusieurs routes ont. été construites et, tout récemment M. le Résident Compérat, de concert avec le commandant du secteur du Voromahery, a reconnu le tracé d'une nouvelle ligne de ravitaillement qui sera ouverte d'ici peu entre Tsinjoarivo et la côte. A l'Ouest du 2e territoire, les opérations heureuses dirigées pendant le mois de mars par M. le commandant Reynes ont ramené la tranquillité dans le Valalafotsy ; une partie des troupes du cercle de Miarinarivo ont été ainsi rendues disponibles et ont pu commencer à se porter vers la côte. Elles occuperont successivement les anciens postes qu'avait créés Radama 1er pour
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établir une ligne de pénétration vers l'Ouest et étendre, dans cette direction, la domination hova. Les premiers mouvements se sont effectués sans incident et notre drapeau flotte actuellement à Ankavandra. Le chef sakalave de cette région, Andriantsileondaza, s'est rendu récemment à Tananarive pour faire sa soumission et déclarer qu'il reconnaissait l'autorité de la France. Toutefois, à l'Ouest d'Ankavandra, il est à prévoir que les Sakalaves n'accepteront pas sans résistance la substitution d'une autorité qui entend agir et se faire respecter, à la domination purement platonique que l'ancien gouvernement hova avait exercée jusqu'alors dans cette contrée. Plus au Sud, dans le Betsiriry, les Sakalaves paraissent également résolus à s'opposer, par la force, à notre mouvement de pénétration. Selon toute probabilité, des troupes assez nombreuses devront être envoyées dans l'Ouest quand la pacification de l'Emyrne le permettra; la pénétration avec des effectifs restreints y serait, en effet, rendue difficile par le caractère guerrier et indépendant des peuplades qui habitent cette région. Dans la province de Fianarantsoa, notre sphère d'action continue à s'étendre dans tous les sens, grâce à l'habile et énergique impulsion de M. le résident Besson. L'installation d'un lieutenant-chancelier à Ihosy a été presque aussitôt suivie de la déposition du roi des Baras-Bé, Ramieba, très hostile à notre influence. Ce chef indigène a été remplacé par un prince de sa famille, intelligent et dévoué au nouvel ordre des choses. Il convient d'ajouter que la destitution de Ramieba n'allait pas sans quelques difficultés; il a fallu, après une marche de 90 kilomètres dans un pays hostile, aller enlever le roi au milieu de ses sujets; la réussite de ce hardi coup de main, entrepris avec quatre soldats d'infanterie de marine et quarante miliciens, fait le plus grand honneur à M. le lieutenant Mouveaux, chancelier à Ihosy. Dans une autre direction, M. le résident de Fianarantsoa a projeté de créer prochainement un nouveau poste à Ivohibé, capitale des Baras-lantsantsas, située au centre d'une région très peuplée et dont la possession nous ouvrira de nouveaux débouchés sur les régions côtières. En territoire civil, d'importants progrès ont été aussi réalisés. Peut-être n'ont-ils pas l'importance de ceux obtenus en territoire militaire, mais ce fait n'a rien qui puisse surprendre, si l'on songe que nos résidents de la côte ne disposent pour ainsi dire pas de troupes régulières et qu'ils doivent opérer avec les corps de milice, dont l'instruction est très imparfaite par la force des circonstances et dont les cadres européens sont, en général, très durement éprouvés par le climat. Quoi qu'il en soit, l'œuvre de pénétration se poursuit sans arrêt. Dans la province de Maroantsetra, M. le résident Pradon, complétant les .succès qu'il a obtenus pendant les mois précédents, a su rallier habilement les populations sakalaves de l'Ouest de sa province et obtenir d'elles un concours
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efficace pourla construction des postes militaires, les travaux de route et le ravitaillement. La ville de Befandriana, qui avait été détruite par les rebelles, est actuellement en partie reconstruite et un chancelier de résidence y a été installé. Plus au Nord, dans la province de Vohémar, les postes de douane s'organisent et la milice complète ses effectifs. L'ordre et la paix règnent dans la zone côtière; dans l'intérieur, quelques malfaiteurs troublent encore de temps à autre la sécurité des villages, mais ces faits n'ont aucun caractère insurrectionnel et on peut espérer que les mesures prises par M. le résident Faucon suffiront à en prévenir le retour. Sur la côte Nord-Ouest, M. le capitaine Clavel, avec le concours des. milices de Nossi-Bé, a continué à poursuivre vigoureusement les groupes de rebelles qui cherchent à se maintenir encore dans la contrée et qui semblent prendre les ordres du chef insurgé Rainitavy, cité plus haut comme étant actuellement aux prises avec M. le capitaine de Bouvié dans la vallée du Bemarivo. Ces bandes ont subi déjà plusieurs échecs aux environs d'Andranosamonta, mais une action d'ensemble sera sans doute nécessaire pour en finir avec ces rassemblements, que sont venus rejoindre tous les dissidents hovas ou sakalaves des provinces du Nord. Au Sud de l'île, les progrès de la pénétration ont été un peu retardés par les difficultés du recrutement de la milice; d'antre part, avec les moyens restreints dont disposaient les résidents, il eût été prématuré de s'engager trop avant au milieu de peuplades hostiles, nombreuses et bien armées. Cette situation a attiré l'attention du Résident Général ; dès que la pacification du plateau central sera terminée, des détachements de troupes régulières seront envoyés dans les résidences du Sud pour renforcer les effectifs de la milice et permettre ainsi de prononcer la marche vers l'intérieur. Les mesures politiques et administratives qui ont été prises pendant le mois qui vient de s'écouler ont contribué, comme les opérations militaires, à apaiser le pays et à y faire prévaloir définitivement notre influence. Comme événement politique, il convient de citer, en premier lieu, le cablogramme reçu à Tananarivele 19 avril, par lequel M. le Ministre des Colonies a informé le Résident Général qu'un vote unanime de la Chambre des Députés a approuvé la politique suivie à Madagascar. Voici le texte de ce document: « Paris, le 4 Avril 1897. « Je suis heureux de vous annoncer et je vous prie de publier que la Chambre « des Députés a voté hier, à l'unanimité, après une courte discussion, un ordre « du jour approuvant la politique suivie à Madagascar et adressant à l'armée, « qui assure la pacification de cette nouvelle terre française, ses patriotiques « félicitations ». La nouvelle de la réception de ce cablogramme a causé une profonde émotion dans la colonie française; nos compatriotes, réunis dans une pensée
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commune, ont pavoisé aussitôtleurs demeures et délégué les plus notables d'entre eux auprès du chef de la Colonie, pour lui remettre une adresse de félicitations dont il a été vivement touché. Cette manifestation spontanée avait une signification plus haute qu'une simple démonstration de sympathie personnelle. Chacun avait compris, en effet, et tenait à faire remarquer qu'en accordant ce témoignage de confiance au Résident Général et au Corps d'occupation, le Parlement et la France avaient affirmé nettement leur volonté de couper court à certaines discussions sur la nature de nos droits et la forme du régime à appliquer à Madagascar. Du reste, le résultat n'a pas tardé à se faire sentir. L'autorité du chef de la Colonie s'est trouvée du jour au lendemain plus assise que jamais; les bruits malveillants, mis habilement en circulation depuis quelque temps, n'ont plus rencontré aucune créance; enfin, plusieurs questions délicates de droit international, restées jusqu'à ce jour à l'état de litige, ont été résolues à la satisfaction de tous. La détente qui s'était produite dans la situation politique avait, d'ailleurs, amené le Résident Général à prendre une mesure de clémence qui a vivement impressionné la population indigène et contribué, sans aucun doute, à nous attirer ses sympathies. Le 1er avril, il se rendait à la prison d'Antanimora et en faisait ouvrir les portes à 25 détenus politiques qui y étaient emprisonnés depuis plusieurs mois pour faits de rébellion. En même temps, l'organisation administrative et judiciaire se poursuivait avec une activité dont témoignent de nombreux documents publiés pendant le mois par le Journal Officiel de la Colonie. Il y a lieu de signaler particulièrement un décret additionnel à celui du 9 juin 1896, sur l'organisation du service de la justice à Madagascar et rétablissant le recours en cassation en matière civile et un décret, rendu également sur la proposition du Résident Général, déterminant les conditions imposées pour la naturalisation aux colonies. Divers arrêtés ont réglé certaines matières administratives d'intérêt général et, en particulier, les conditions du travail des indigènes dans la province Sihanaka et dans la province d'Andevorante ; un autre arrêté a supprimé l'institution des Tompomenakely, sorte d'organisation féodaleétablie autrefois parles souverains de l'Emyrne en faveur des castes nobles. Plusieurs autres questions de moindre importance ont été résolues également. Ir en est ainsi de l'installation du service postal entre Tananarive et Majunga, de la fixation des droits de place et de marché dans diverses parties du territoire, etc., etc. Enfin il faut mentionner tout spécialement une très importante circulaire du 21 avril 1897, qui pose les principes fondamentaux de l'organisation de la colonisation dans la Grande Ile et qui trace aux chefs de province un large programme à accomplir pour faciliter, dans les régions placées sous leur autorité, l'installation des entreprises commerciales, agricoles et industrielles.
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D'autre part, une impulsion énergique a été donnée à tous les services et à toutes les entreprises qui sont susceptibles d'aider au développement économique de la Colonie. Des routes sont en construction dans toutes les parties du territoire; la construction d'une ligne télégraphique reliant Majunga à Tananarive a été commencée il y a quelques semaines et les travaux, entrepris aux deux extrémités à la fois. se poursuivent avec activité. Enfin, des missions d'exploration parcourent depuis peu les principales régions qui sont susceptibles de s'ouvrir à la colonisation. Les établissements d'enseignement continuent à se développer et le nombre des jeunes indigènes qui les fréquentent ne cesse de s'accroître. A l'école professionnelle, les élèves ont fait des progrès considérables dans les diverses spécialités qu'ils ont choisies et pourront, d'ici peu, fournir des ouvriers habiles et de bons contre-maîtres aux industries locales. A l'école de médecine indigène, les progrès réalisés ne sont pas moins sensibles; dans un rapport adressé au Résident Général, M. le docteur Mestayer, directeur de l'école, s'exprime ainsi sur l'avenir de cet établissement: « Avec les éléments actuels et sans préjuger de la progression que suivra « l'enseignement, on peut prévoir que l'intelligence et aussi l'amour-propre « mêlé d'orgueil des étudiants hovas permettront d'obtenir, avant peu, des « résultats qu'on n'aurait osé espérer tout d'abord». « Enfin, il n'est pas douteux que les jeunes médecins issus de la nouvelle « école se répandront plus tard dans les différentes parties de l'île, y porteront v leurs sentiments de gratitude envers la France et contribueront à y dévelop« per, avec notre influence, les idées de progrès et de civilisation ». Pour compléter ce groupe des établissements d'enseignement d'influence française, le Résident Général a créé et inauguré le 22 avril l'école « Le Myre de Vilers», qui est destinée à devenir la pépinière des administrateurs indigènes. Dans le discours qu'il a prononcé à cette occassion, il a défini dans les termes suivants le but de cette nouvelle institution et l'esprit de tolérance qui doit y animer les maîtres et les élèves: « Le premier devoir de la nation souveraine est d'enseigner sa langue à ses « nouveaux sujets, afin de leur permettre, par cette connaissance, de se mettre « rapidement au courant des idées, des mœurs, des méthodes de civilisation et « de commerce de ceux avec lesquels leur sort est désormais lié d'une manière « indissoluble. L'Ecole Normale, que nous inaugurons aujourd'hui, apprendra « aux élèves h lire, à écrire, à compter, à enseigner en français; elle formera « des maîtres qui, à leur tour, iront partout dans les campagnes répandre ces « mêmes méthodes d'instruction et d'éducation ». « Cette nouvelle institution est organisée d'après les principes admis en « France: c'est-àdire que la plus complète neutralité y sera pratiquée au point « de vue religieux ». « Elle sera ouverte indistinctement à tous, catholiques comme protestants, « auxquels tout le temps nécessaire sera, d'ailleurs, laissé en dehors des heures
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« « « « « « « «
de cours pour se livrer aux pratiques de leur culte. Les Malgaches qui se verront assis sur les mêmes bancs, qui écouteront dans la même enceinte, des leçons professées par des maîtres appartenant eux-mêmes à des religions différentes, finiront peut-être par acquérir une notion qui leur manque entièrement aujourd'hui. Ils comprendront que le Gouvernement de la Colonie, inspiré des mêmes principes que celui de la Métropole, ne s'identifie avec aucune forme religieuse et n'admet de différence entre ses nouveauxsujets que celles établies par le mérite et le travail ». Ce rapide aperçu montre que les progrès réalisés au point de vue militaire se complètent par de nombreux perfectionnements apportés à l'organisation du pays. Le rayonnement de notre influence s'étend peu à peu dans les contrées lçs plus reculées de l'île, mais on ne peut se dissimuler que l'occupation définitive est encore loin d'être réalisée et que, pour atteindre le résultat final, de grands efforts devront encore être demandés au dévouement de nos administrateurs et de nos troupes.
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Dans le courant du mois d'avril 1897, M. le capitaine Lefort, de l'infanterie de marine, s'est rendu, dans un but de reconnaissanceet d'exploration, de Mananjary à Fianarantsoa. Au cours de son voyage, qui a duré six jours, cet officier a fait un levé de l'itinéraire parcouru, qui est reproduit à la suite du présent article; il a recueilli, en outre, les notes suivantes, qui sont groupées en six paragraphes correspondant aux étapes successives de la route 1°De Mananjary à Tsarahafatra ; 2° De Tsarahafatra à Safodrano; 3° De Safodrano à Efanadiena ; 5° D'Efanadiena à Ranomafana ; 6° D'Alakamisy a Fianarantsoa. 1. —De Mananjary à Tsarahafatra Mananjary. — Départ en pirogues; on en trouve toujours en assez grand nombre au débarcadère. Le courant du fleuve étant très rapide ne peut être remonté facilement que par des pirogues peu chargées et munies d'au moins 8 rameurs; dans ces conditions, le trajet peut se faire en trois heures et demie jusqu'à Tsarahafatra. Il est prudent de partir assez tôt pour arriver avant la nuit. On ne rencontre pas de rapides entre Mananjary et Tsarahafatra, mais la montée est très dure, principalement aux tournants. La région traversée est généralement assez pauvre. Tmrahafatm. — Village betsimisaraka important situé sur la rive droite du Mananjary et comprenant une centaine de cases. Le fleuve a 300 mètres de large et son cours est très rapide. En face de Tsarahafatra et sur la rive gauche se trouve Tsiatosika, autre gros village.
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Tsarahafatra et Tsiatosika présentent quelques ressources en viande de boucherie, mais on n'y trouve pas de légumes et les fruits y sont rares. Quelques commerçants européens ou créoles vendent de menus objets et des boissons (vin, rhum, tafia. etc.). Les cases sont en bon état et bien couvertes. Le service de la rivière est assuré par une douzaine de pirogues en bon état. On peut également se rendre par terre de Mananjary à Tsarahafatra. A la sortie de Mananjary, on suit un chemin étroit et sablonneux qui traverse des bois assez clairsemés et conduit à Ampanala. Au delà, le sentier tourne à l'ouest; il esttracé sur unsol assezferme recouvert d'une herbe courte, de bruyère et de quelques bouquets de bois. D'abord complètement plat, le terrain devient peu à peu plus accidenté; après quelques montées et descentes et quelques traversées de ruisseaux, on arrive à Ambatofotsy, petit village de 10 cases construit à 100 mètres à droite du chemin. On aperçoit ensuite Bedara, hameau de 10 cases sur un mamelon boisé à gauche de la route; puis, on traverse deux gués, à proximité du village. Au delà, on rencontre: Manakana, village de 25 cases qu'on laisse à 800 mètres à droite; après avoir franchi à gué un petit ruisseau, on atteint ensuite, par une pente très douce, la crête d'une hauteur d'où l'on aperçoit le rova de Tsiatosika. Sahatra, hameau de 15 cases, est à gauche du chemin. On y passe un assez large cours d'eau sur un mauvais pont malgache il est en Le chemin longe, à 100 mètres, la rive gauche de la Mananjary ; assez bon état et partout praticable aux mulets; toutefois, il est indispensable de l'élargir, de jeter des ponceaux sur tous les gués et d'établir un pont entre Sahatra et Tsiatosika ; ce dernier village peut aisément fournir la main-d'œuvre et les matériaux nécessaires Depuis la côte, la région traversée est presque inhabitée et ne présente que peu de ressources ; c'est à peine si, de distance en distance, on aperçoit quelques bœufs et quelques rares rizières. Les sol est recouvert d'une brousse épaisse qui peut fournir un fourrage passable; les cases des indigènes sont en petit nombre et d'un aspect assez misérable. Toute cette contrée envoie des bourjanes à Mananjary. D'autre part, le fleuve, partout flottable et même navigable pour les pirogues, est certainement la meilleure voie à employer pour les transports de matériel. Tsiatosika est assez important par son commerce, qu'alimentent tous les produits de la région de l'ouest. II. — De Tsarahafatra
à Safodrano
L'itinéraire se poursuit par les localités ci-après : Tsarahafatra. — A la sortie du village, une digue est établie sur un cours d'eau marécageux. La route longe d'assez près ùi 150 mètres environ) la rive droite de la Mananjary.
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Andranomavo. — Petit village de 25 cases passables. Amboaratokana. — Hameau de 10 cases, d'où l'on découvre au loin le pic rocheux du « Vatovavy». Andranomitaita. — Hameau de 5 cases, dont deux spacieuses et en bon état. La désinence «itaita» étant le duplicatif de « ita» (gué), ce nom signifie: près de la rivière où il y a plusieurs gués (le Mananjary). Morafeno (mora, facile, bon marché. — feno, riche). — Village assez confortable, qui possède une vingtaine de cases en bon état. Ambohimaramitra. — Hameau de 8 cases. Ankitsitokana. — Village de 30 cases, bien construites, dont 6 grandes. On y trouve quelques ressources en viande, riz, etc. La route traverse la rivière à un gué très accessible, puis elle gravit une pente assez raide. Andranotelo. — Hameau de 8 cases. On passe la rivière sur un mauvais pont malgache ou à gué. Il existe aussi deux ponceaux en bon état. Ambohirana (mot à mot: village de la faîne). — Composé d'une vingtaine de mauvaises cases. Antanambao. — Grand village de 40 cases, dont quelques-unes assez bonnes cette localité n'offre aucune ressource. La route traverse à un gué facile un ruisseau marécageux; elle franchit ensuite un autre ruisseausur un pont en mauvais état. De Tsarahafatraà Ambatofaritana le tracé de la route a été amorcé tout le long du sentier mais principalement aux abords des villages. Ce travail pourrait être promptement achevé; le tracé définitif nécessiterait un léger détour pour éviter la montée d'Andranotelo et la construction d'un ou deux ponceaux. On pourrait trouver dans la région la main-d'œuvre et les matériaux nécessaires. Le pays est cependant assez pauvre; sur tout le parcours, on ne traverse que de grandes plaines ondulées recouvertes de brousse où l'on rencontre rarement quelques bœufs; on n'y aperçoit pas une seule rizière. Ambatofaritana. — Village de 20 cases, dont quelques-unes assez bonnes. On trouve dans les environs beaucoup de bananiers. La route suit les crêtes d'une petite chaîne transversale rocheuse, à gauche de laquelle on aperçoit un pic rocailleux couronné de grands arbres et de ravenalas. A partir de ce point, la route a unelargeur moyenne de 1m 50 à 2 mètres le terrain devient plus mouvementé. Mais, jusqu'à Safodrano, le pays reste absolument dénué de ressources. Les villages sont presque vides et les terres sont en friche. Tsavahonina. — Petit village de 20 cases passables. A 600 mètres à droite se dresse un gros mamelon rocheux, dont le sommet est couronné d'énormes roches noires. On trouve un peu plus loin une descente assez rapide, mais praticable; puis, la route traverse un col et gravit une montée en pente douce. Arnbohidiakatso. — Hameau de 10 cases situé au fond d'une large vallée. Près de là coule la Malama, rivière encaissée et bourbeuse (son nom signifie:
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paresseuse) de un mètre de large, qu'on franchit sur un pont en mauvais état. Un autre pont également délabré permet de franchir la Randriambolo, rivière de quatre mètres de large qui s'écoule vers le Mananjary. La route atteint ensuite la Fasika, rivière de cinq mètres de large, aux berges assez escarpées, qu'on traverse aisément à gué; au point de passage, on trouve les vestiges d'un ancien pont auj ourd'hui démoli. Le mica existe en assez grande quantité dans toute cette région; réduit en poussière, il forme du sable (en malgache: fasika) qui constitue le lit des cours d'eau. Ampasika (any-fasika: près du sable). — Assez bon village de 20 cases, dont plusieurs spacieuses et en bon état. Près de là, on aperçoit des cultures de canne à sucre. Il;isina-Aiitbany. - llan)eati de 6 mauvaises cases au pied d'une montée un peu raide. Le tracé de la route devra être modifié dans ces parages. Ifasina-Ambony. — Village de 25 cases passables situé sur une hauteur; cette localité se trouve à peu près à la limite de la province des Betsimisarakas du Sud et le pays des Tanalas. La route franchit à gué un petit cours d'eau, puis traverse sur un pont en bon état un ruisseau de un mètre de large coulant au Sud-Est vers la Rindrimbola. Elle traverse ensuite, sur un punceau, un autre petit cours d'eau tributaire du précédent. Besokay (en malgache: beaucoup de chaux). —Hameau de 10 mauvaises cases à 50 mètres à gauche de la route. Près de là, se trouvent deux gués faciles, puis une montée courte, mais un peu raide, et une descente également rapide. Le tracé de la route est à modifier en ce point; en outre, il est nécessaire de construire un ponceau sur la rivière. On rencontre ensuite l'Ambolatara, ruisseau assez profond, de deux mètres de large; après l'avoir traversé près de sa source, on le longe sur la rive gauche et on franchit successivement, sur des ponceaux en bon état, deux petits affluents de gauche. Ambodivohangy (mot à mot: vohangy, pierres précieuses; any-vody, au fond). — Village de 20 cases bien entretenu. On y traverse un petit cours d'eau sur un ponceau en bon état. Au delà, on franchit à gué la Latangy, rivière de quatre mètres de large venant de la région du « Vatovavy » et coulant vers le Mananjary. Les crues fréquentes de la rivière rendent la construction d'un pont indispensable. Safodrano ou Saharanony. — Grand village de 40 cases, dont plusieurs sont en assez bon état; son emplacement dans un terrain bas, au confluent de la Lalangy et son affluent de gauche le Fotobohitra, rend cette localité assez malsaine en raison des inondations fréquentes qui s'y produisent. Les environs de Safodrano sont bien cultivés; on y trouve des caféiers, de la canne à sucre, des orangers et des citronniers. Un colon français y possède une plantation de café de 4 kilomètres d'étendue entre le village et le Mananjary). Un autre colon français y a établi une maison de commerce.
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On trouve aux alentours un certain nombre de bois susceptibles d exploitation. Les habitants sont peu nombreux dans la région. La Latangy est navigable en pirogue jusqu'à son confluent avec le Mananjary. III.
— De Safodrano
à Efanadiena
En quittant Safodrano, la route remonte la Fotobohitra dans une vallée assez encaissée, dénudée sur la rive droite que suit l'itinéraire et très boisée sur Jarive gauche. Le chemin, généralement mauvais, franchit successivement, soit à gué, soit sur de mauvais ponceaux, huit affluents de droite de la rivière. Cette première partie de la route suit de trop près le cours de la Fotobohitra et esttrop fréquemment inondée pour pouvoir être facilement entretenue. A ce point de vue, il serait avantageux de modifier le tracé et de l'établir à un niveau plus élevé. Ce travail ne présente aucune difficulté; toutefois, la main-d'œuvre faisant complètement défaut dans la contrée, on sera obligé de recourir à des équipes d'ouvriers betsimisarakas ou betsiléos. Le pays présente toujours très peu de ressources; il en est ainsi dans tout le district Tanala, dont les habitants, pauvres et habitués à vivre de peu, sont, en outre, d'une paresse proverbiale. Le seul produit de la région est le bois; on le trouve en abondance sur tout le parcours et principalement sur les hauteurs de la rive gauche. Encore, n'est-ce là que le reste d'une richesse autrefois bien plus considérable; il est acquis, en effet, que la grande forêt s'étendait jadis jusqu'à Safodrano; les incendies allumés parles indigènes en ont peu à peu reculé la lisière, et elle ne présente plus aujourd'hui qu'une profondeur d'une dizaine de kilomètres. Le cours de la Fotobohitra est trop accidenté pour permettre la navigation on même le flottage jusqu'à Safodrano. La route franchit la Fotobohitra à un gué très facile; cette rivière est peu profonde et n'a que quatre mètres de largeur (son nom, dérivé de « fototra », troncs d'arbres charriés par les eaux, est justifié par les nombreux rapides et obstacles qui l'encombrent). Kanjavato. — Hameau de 8 cases. A partir de ce point, le chemin remonte la Fotobohitra, qui présente un grand nombre de belles cascades; il traverse il gué ou sur des ponceaux en bon état quatre affluents de gauche et gravit quelques pentes assez rapides. Fotobohitra. — Hameau de 15 cases passables. Le chemin repasse sur la rive droite à un gué facile près duquel on remarqua de nombreux rapides.A partir do ce point, la route, dont le tracé est nettement établi, traverse à (mit moment la !'Í,i¿'I'r et la suit jusqu'à sa source en remontant des pentes très rapides.
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Sur le versant opposé, on atteint, après avoir franchi un seuil, la rivière Beakondro, qui coule vers l'ouest. Au delà, la région comprise entre les deux chaînes transversales de Morarano et d'Ambongo, présente le même aspect que la précédente. — Morarano (en malgache : eau large). Hameau de 8 cases sur la rive gauche de la Beakondro qui a déjà, en ce point, quatre mètres de large et qu'on traverse aisément à gué. La route descend la rive gauche de la rivière. Plus loin, on franchit de nouveau la Beakondro à un gué de 0m50 de profondeur; ce passage se trouve exactement au sud du Tsitola, énorme pic rocheux dont le nom malgache signifie: « qui n'est pas penché, qui se dresse». A peu de distance, la route repasse sur la rive gauche par un gué de 0m50 de profondeur. Ankofafamalemy. —Bon village de 25 cases, dont quelques-unes sont en bon état; la région offre quelques ressources en viande de boucherie. Après avoir franchi à gué, à hauteur du pic Maroary, trois petits affluents de gauche, la route continue dans la même direction en remontant la rive droite d'un affluentde gauche de la Botily; cette dernière rivière s'éloigne vers le nord en contournant le pic élevé dit « Maroary ». Sur tout ce parcours, le chemin passe à chaque instant d'une rive à l'autre du cours d'eau, qui a de deux à quatre mètres de large et dont le lit est parsemé de rochers et de rapides. Les gués sont très faciles; on trouve, de distance en distance, quelques ponceaux médiocres. Ambongo (any bongo: près d'un soulèvement). — Village de 25 cases passables, auquel on arrive par une montée longue et assez raide dontle tracé est à modifier légèrement. La route continue à s'élever jusqu'au sommet d'une chaîne transversale où se trouve Valalahambé (en malgache : beaucoup de sauterelles), petit hameau de 4 cases assez médiocres. On descend alors dans la vallée d'une rivière de un à deux mètres de large, que la route franchit fréquemment ainsi que plusieurs de ses affluents, à gué ou sur ponceaux. Il est nécessaire de rechercher un tracé un peu plus élevé pour la section de la route Valalahambé-Manakandalana, afin d'éviter ces traversées trop fréquentes de cours d'eau. Ampasimpotsy. — Village de 20 cases passables sur la rive droite. On remarque dans les environs quelques caféiers. Manakandalana (manakana barrière; lalana: route).—Hameau de 10 : cases, dont deux bonnes sur la rive gauche. Près de là, la rivière est barrée par de nombreux rapides. Elle fait un coude vers le nord, en recevant à gauche un affluent que la route franchit sur un pont. On suit pendant un kilomètre la rive droite d'un autre affluent de deux mètres de large qui se jette un peu plus bas; puis, on s'éloigne pour monter longtemps, et par une pente assez raide à travers bois, jusqu'à Behambozo. La route atteint un premier sommet à hauteur d'une bellecascadesituée à 100mètres sur la droite; puis elle continueà s élever en suivant une forte déclivité jusqu'à la grande chaîne transversale orientée nord-sud.
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La descente n'est pas moins rapide. Dans cette partie de l'itinéraire, il y a lieu d'abandonner le tracé en ligne droite et d'adoucir la pente par quelques lacets. Behambozo. — Hameau de 6 cases médiocres. Le nom malgache du village signifie: beaucoup de bois; c'est, en effet, dans cette région que la grande forêt a laissé le plus de traces. Un ruisseau qu'on franchit sur un pont se dirige vers le nord. La route suit alors le cours d'une rivière qui coule vers le nord-ouest et passe constamment d'une rive à l'autre. Il serait nécessaire de modifier le tracé et d'établir la route un peu plus haut. Antafotahina. — Hameau de 8 cases, dont deux grandes sur la rive droite. La route franchit la rivière sur un beau pont, s'en éloigne vers le nord et suit les vallées opposées de deux de ses affluents de droite; elle traverse un col entre ces deux dépressions. Efanadiena. — Assez bon village de 30 cases composé de trois groupes. L'un, Anivorano (anivo-rano : au milieu de l'eau), est construit sur la pente d'un mamelon à droite de la route; un deuxième est en contre-bas sur la rive droite de la rivière; il est séparé par un pont du troisième groupe qui est situé sur la rive gauche. Efanadiena est le centre d'un sous-gouvernement; le gouverneur et le chef de village peuvent rendre des services pour le recrutement et la surveillance des travailleurs de la route. Le village ne possède que quelques ressources en viande de boucherie. IV. — D'Efanadiena
à Ranomafana
En sortant du village, on suit toujours la même vallée, d'abord sur la rive gauche. Le chemin, jusqu'ici très mauvais, franchit la rivière sur un pont, puis devient meilleur. Il traverse facilement à gué deux petits affluents de droite. Par un autre pont, on repasse sur la rive gauche de la rivière, qui tourne brusquel'Ankeramaso à l'est et ment vers le nord entre deux pics remarquables: l'Ambohidiara à l'ouest Ankeramaso.—Petit village de 20 cases. Immédiatement au nord de ce village, la rivière reçoit, à gauche, un affluent dont la route va suivre la vallée usqu'à ses sources en coupant fréquemment, à gué ou sur des ponts, son cours généralement très resserré et encombré de rapides. Ambatonaorana. —Hameau de10cases passables. La vallée se rétrécit de plus en plus et devient très boisée. La route passe à travers des. marécages, sur la rive gauche, franchit la rivière à un gué assez mauvais, puis quitte cette vallée. Elle gravit une forte pente et dépasse ainsi une nouvelle chaîne transversale. A partir delà, le terrain est complètement découvert. On descend au fond de la vallée et on franchit, sur un pont solide, une rivière de un mètre de large s'écoulant vers le nord. Cette partie de la route comprise entre Efanadiena et la chaîne située h
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l'est de Kelilalina présente les mêmes caractères que l'itinéraire précédemment parcouru; c'est toujours un chemin de thalweg dans une vallée boisée, resserrée, embarrassée d'obstacles et dont il faudra modifier le tracé en le reportant à un niveau plus élevé. Les villages traversés, habités par des Tanalas, sont généralement pauvres entre Safodrano et Ranomafana. Les ressources se réduisent à ce qui est strictement nécessaire aux habitants, très clairsemés, d'ailleurs. Kelilalina (mot à mot: petite profondeur de la rivière). — Village de 30 cases en bon état, présentant quelques ressources. On franchit à gué un ruisseau dont on descend ensuite la rive gauche. Le terrain est très découvert et légèrement mamelonné; le sol est en partie composé de sable et mica. On repasse sur la rive droite par un pont en bon état; le chemin coupe alors quelquespetits affluents sans importance. Un pont naturel, formé par des rochers, donne de nouveau passage sur un affluent de gauche de deux mètres de large. La route rencontre un hameau de quatre mauvaises cases sur un mamelon dominant la Tsaratangony, grande rivière de 10 mètres de large qui va se jeter, à 4 kilomètres au sud, dans la Namorona. La route longe, dans un défilé étroit, la rive gauche de cette rivière, qui forme de grandes et belles cascades (tsara : bel; tangongo amoncellement de : rochers). Cette section de la route de Kelilalina à Tsaratangony diffère essentiellement, comme aspect, de toute la région parcourue depuis Safodrano : le terrain se découvre subitement, devient relativement peu accidenté et ne présente aucune pente rapide; aussi, en réservant la question d'élargissement, le tracé de la route peut-il être maintenu tel qu'il est. On rencontre quelques rizières, mais elles ne constituent pas une grande richesse. Enfin, il faut signaler, dans cette région, la présence d'une grande quantité de sable utilisable pour les constructions. Tsaratangony. — Hameau de 10 cases médiocres, situé sur la rive droite de la rivière. On traverse cette dernière à gué ou avec l'unique pirogue que possède le village. La profondeur n'est que de 0m60,la largeur est de 30 mètres environ, le courant est moyennement fort. Mahatsinjorano. — Hameau de 10 cases situé au sommet d'un col compris entre la Tsaratangony et la Namorana. La route longe la rive gauche, très boisée, de cette dernière rivière, qui a environ 20 mètres de large. Analafotsy. — Petit hameau de 6 cases. Le terrain est toujours découvert au sud; au nord-ouest, l'horizon est fermé par une grande chaîne boisée que termine le pic Tsiajomborano (mot à mot: non privé de bois). On trouve, dans cette région, quelques plantations de tabac. Ankavaovao. — Hameau de 6 cases médiocres. La route passe, dans un défilé, entre le fleuve et Tsiajomborano. Sur la rive droite, un énorme pic, le Vatovandana, domine également la Namorona.
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Morarano. — Hameau de lo cases. La route franchit la Namorona a gué. A cet endroit, la rivière a 40 mètres de largeur et 0m50 de profondeur; le courant est violent et de nombreux rapides rendent la traversée laborieuse. Un passage de mulets présenterait quelques difficultés. Un affluent de gauche, important, aboutit à 100 mètres en amont du gué; entre ce cours d'eau et le fleuve s'élève un énorme pic boisé, le Mahalahy, qui domine Ranomafana. La route longe la rive droite à flanc de coteau. Ranomafana. — Village d'une vingtaine de cases, dont deux seulement sont en bon état. Comme son nom l'indique, Ranomafana possèdedes eaux thermales sulfu reuses, dont la température atteint 45°. Elles sont au nombre de trois : deux sourdent de chaque côté de la porte située à l'entrée est du village; celle de gauche est la plus abondante ; la troisième se trouve à la sortie sud-ouest du village, à gauche de la route. Le village de Ranomafana est dénué de ressources. De Tsaratangony à Ranomafana, le tracé de la route peut être maintenu tel quel. Leseul travali urgent à exécuter serait la construction de deux ponts aux gués de la Tsaratangony et de la Namorona. La région est suffisamment boisée pour qu'on puisse trouver sur place les matériaux nécessaires; mais la main-d'œuvre faisant complètement défaut dans le pays, il faudra recourir à des ouvriers betsiléos. V. - De Ranomafana
à Alakamisy
Presque en quittant le village de Ranomafana, on pénètre dans la province des Betsiléos. La route se dirige un instant vers le sud-ouest, en remontant le flanc gauche d^n vallon dans lequel se trouve l'une des sources thermales dont il a été question plus haut. A partir de ce point, on s'élève de l'altitude de 430 mètres (Ranomafana) à celle de 1.050 mètres (Lavondronoma), pour franchir la grande chaîne faîtière en traversant la forêt. La route descend de nouveau vers la rivière par une pente assez praticable, mais qu'il serait cependant nécessaire d'adoucir. On franchit successivement à gué ou sur des ponceaux trois affluents de droite, puis on longe la rive droite et on passe à 300 mètres environ des chutes de la Namorona, dont on s'éloigne définitivement pour escalader l'arête faîtière. Sur la plus grande partie de son cours, la Namorona est obstruée par une suite de cascades et de rapides. Talatakely. — Hameau de 15 cases, dont deux ou trois sont passables, situé sur un sommet dénudé d'où la vue s'étend au loin. On trouve, dans cette localité, un petit marché de manioc pour les bourjanes de passage. La route descend une pente assez rapide jusqu'à un pont où elle coupe une rivière coulant vers la Namorona, qu'on aperçoit à un kilomètre à droite.
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Sakarohona (sakara: obstacle, rohona: grondement). —Hameau de 8 cases passables, construit sur un sommet déboisé. On entend, à droite, le bruit des rapides du fleuve. Le tracé de la route, dans la province de Fianarantsoa, a été exécuté dans d'excellentes conditions par les soins de M. le Résident Besson. Pour compléter les travaux déjà terminés, il suffira d'aménager le passage de quelques cours d'eau et d'adoucir certaines pentes, principalement dans la traversée de la zone forestière. La forêt possède toutes les essences de bois énumérées dans tous les ouvrages spéciaux qui traitent de la flore de Madagascar. On pourrait peut-être tirer parti de la Namorona pour le transport des produits ligneux vers la côte. Pour être fixé sur ce point, il serait nécessaire de faire une reconnaissance spéciale de la rivière et de déterminer les parties de son cours qui pourraient être utilisées dès à présent ou aménagées par des travaux ultérieurs. Kihokiho.—Hameau de 8 cases d'où l'on découvre de tous côtés un merveilleux panorama. En malgache Kihokiho est le duplicatif de kiho, coude. La rivière décrit en effet, en cet endroit, de nombreux méandres; son lit est obstrué par des rapides. A partir de Kihokiho commence une rampe de peu de longueur mais assez abrupte; plus loin, se trouvent encore une descente et une montée qu'il serait nécessaire d'adoucir. La route traverse ensuite un affluent de droite de la Namorona sur un pont naturel formé par des rochers, longe une clairière d'environ un kilomètre d'étendue, puis descend en suivant une forte pente pour atteindre un pont sur lequel elle franchit un autre affluent. A mesure qu'on avance, la forêt s'éclaircit de plus en plus. Le nombre considérable de mauvais passages entre Kihokiho et la sortie de la forêt rend indispensable l'étude d'un tracé un peu différent dans cette section qui présente environ 7 kilomètres de longueur. La route longe ensuite la rive droite de la Namorona et traverse, sur un de pont, un affluent de droite dans le voisinage de son confluent; enfin, elle sort la forêt après avoir franchi un autre affluentdequatre mètres environ de largeur. Entre la lisière occidentale de la forêt et Alakamisy, le chemin est bon et bien tracé. Les ponts commencent à faire place à de longues digues établies pour la traversée des rivières qu'on rencontre dans toutes les vallées. Il serait nécessaire, toutefois,de construire un pont sur la rivière qui couleau pied d'Ampitanarivo, hameau de 5 grandes cases situé à environ 3 kilomètres de la Namorana. Au delà de ce village, la route franchit successivement deux mamelons, dont l'altitude est voisine de 1.000 mètres. Savondronina. — Grand village d'environ 60 cases. Depuis le départ, c'est le premier qui soit à peu près confortable ; il présente des ressources assez importantes en denrées de toute nature, viande, riz, légumes, etc. Les cases sont solidement construites en paille tressée; plusieurs possèdent un étage et une
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vérandah. En quittant Savondronina, la route établie à flanc de coteau suit, pendant près d'une heure, une ligne de mamelons s'étendant de l'est à l'ouest et d'une altitude moyenne de 1.100 mètres. Ambatovaky. — Village de 20 cases assez pauvres d'où la route descend dans une large vallée. Elle traverse, sur un pont, une rivière coulant vers la Namorona; puis, à uncol peu accentué, pénètre dans une vallée tributaire du bassin de la Matsietra. Non loin de là, s'élève un large mamelon qui s'étend en pente doucevers le sud, dans la direction du village d'Ambatomitatana, situé de l'autre côté de la vallée. Du point où on est arrivé jusqu'à Fianarantsoa, l'itinéraire suit une direction générale sud-ouest. Jusqu'à Alakamisy, on descend la rive gauche d'une large rivière, affluent de droite de la Boaka. Puis, la route s'élève et suit désormais une ligne de cols entre la rivière de droite et, à gauche, la Boaka, affluent de la Matsietra. L'horizon est limité en avant par deux grandes chaînes qui, vers le col d'Alakamisy, comprennent entre elles les deux rivières; en ce point, elles ne sont plus qu'à 800 mètres l'une de l'autre. Dans ce massif, on distingue l'énorme montagne rocheuse de Mandalahy (1.410m), au pied de laquelle est construit le village fortifié d'Ambohimaha. La route s'engage dans le col d'Alakamisy par une longue digue établie dans la presqu'île du même nom. Amboditanjona. — Ce village est formé de deux hameaux, l'un de 15 cases situé sur la route, l'autre de 10 cases à environ 100 mètres à gauche Alakamisy. — Gros village, siège d'un important marché du jeudi et possédant une église et un temple. C'est d'Alakamisy que partira prochainement la nouvelle route de Fianarantsoa à Tananarive. Elle se dirigera vers le nord par Ambohimaha et le pic Mandalahy et rejoindra la route actuelle à Ambositra, au nord de la province. D'Ambatovaky à Alakamisy, toutes les vallées sont cultivées en rizières d'un très bel aspect, qui justifient la réputation du riz betsiléo. Toute la région est parsemée de nombreux hameaux aux cases construites en pisé. La richesse du pays augmente à mesure qu'on se rapproche d'Alakamisy, dont le marché est un des plus considérables de la région. Ce village est bien approvisionné en denrées de toute nature; quelques indigènes y font le commerce des objets les plus usuels et vendent principalement des étoffes pour lambas. Le chef du village est actif et intelligent et plusieurs notables indigènes comprennent et parlent assez couramment le français. Bien que le commerce soit relativement développé dans cette région, la monnaie coupée y est encore presque exclusivement employée. On peut se procurer assez facilement la main-d'œuvre à Alakamisy et dans villages voisins; enfin, on trouve sur place quelques ouvriers en fer et en bois,
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Plus on se rapproche de la capitale de la province, plus la densité de la population augmente; l'étendue des terrains cultivés s'accroît dans la même proportion. Enfin, les habitations sont plus spacieuses, mieux construites et plus confortables. VI. —D'Alakamisy à Fianarantsoa A partir d'Alakamisy, la route continue vers le sud-ouest en traversant, dans toute sa longueur, une sorte de presqu'île formée par la Roaka et un de ses affluents de droite. Amboditanjona. — Joli village de 30 cases bâti sur une croupe qui s'incline en pente douce jusqu'à la rivière. Après avoirfranchi le coursd'eau sur un pont bien construit, on atteint son confluent avec la Boaka, qui se trouve à environ 500 mètres au sud du village. Au-delà, on franchit une ligne de collines entre cette rivière et la Matsietra. La route descend alors par un col, puis se bifurque avec un chemin situé plus à l'est qui conduit également, à Fianarantsoa. Bientôt on atteint les bords de la Matsietra, qui a 20 mètres de large et qu'on franchit en pirogue. La route longe ensuite d'assez près la rive gauche, puis la quitte définitivement pour s'orienter directement sur Fianarantsoa. Vinaniro. —Hameau de 10 cases. A 1.200 mètres sur la droite, une chaîne rocailleuse se termine par un pic de 1.250mètres d'élévation; à gauche et à trois kilomètres environ, on aperçoit le village fortifié de Ialalanindro, bâti sur un éperon qui domine la rive gauche de la Matsietra. Au delà, on traverse un affluent de la Tsiandanitra, puis on rencontre sur a gauche une route qui conduit à la mission norvégienne de Fianarantsoa Après avoir dépassé le cimetière situé à droite de la route et gravi un petit mamelon, on arrive à hauteur du camp des tirailleurs, qu'on laisse sur la gauche. Puis, la route tourne au nord-ouest, laissant à droite la résidence de France; elle arrive sur la place de la cathédrale (1.040m),qui marque le centre du quartier européen, puis elle oblique au sud-ouest et, par une pente assez rapide, elle s'élève jusqu'au «rova» (1.110m d'altitude), qui forme le point culminant de la ville et domine à l'ouest la riante vallée du Mandranofotsy. La ville de Fianarantsoa a donné lieu à des monographies assez nombreuses pour qu'une description nouvelle soit ici nécessaire. Il convient, toutefois, d'ajouter que depuis qu'elle se trouve en terre française, M. le Résident Besson a fait étudier de nombreux projets d'embellissement dont l'exécution commencera sous peu et dont l'achèvement donnera à la capitale du Betsiléo les agréments et les ressources des villes européennes.
MARCHES ET RECONNAISSANCESDANS LE BOUENI
MARCHES
ET
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RECONNAISSANCES DANS LE
BOUENI
Dansle courant du mois d'avril 1897, M. le capitaine de Bouvié, commandant la 7e compagnie du régiment colonial, a été chargé de commencer l'occupation des vallées dela basse Mahajamba et du Bemarivo, où les rebelles tenaient encore la campagne, et de mettre à profit les marches qu'il aurait à exécuter, pour S3 renseigner sur la topographie de ces régions et sur les ressources qu'elles présentent au point de vue agricole et minier. L'article publié à ce sujet par la Revue est, en grande partie, emprunté aux rapports établis par M. le capitaine de Bouvié, à la suite de ses premières opérations. Outre le récit des événements militaires, il contient les renseignements économiques qui ont pu être recueillis dans les pays parcourus; enfin, il se complète par une carte de la région de la basse Mahajamba, insérée à la fin du présent article. I. Situation
politique
du Boueni
en Mars 1897
Les dernières pluies du mois de mars donnèrent le signal d'une reprise d'agitation dans les parties du Boueni situées à l'est de la Betsiboka. Les groupes de fahavalos qui, à toute époque, avaient inquiété et souvent pillé ces régions prospères, profitant de la tranquillité relative que leur garantissait l'hivernage, s'étaient groupés autour de trois chefs rebelles dont les bandes, renforcées par les nombreux fuyards de l'Emyrne, prenaient, aux yeux des Sakalaves, une apparence imposante. Certains centres particulièrement fertiles et peuplés des vallées de la Mahajamba et du Bémarivo, assurant un approvisionnement facile et abondant, attirèrent les chefs insurgés; ils y fortifièrent les anciens rovas auprès desquels vint se grouper une population sakalave très nombreuse, maintenue par intimidation ou désireuse de participer aux pillages promis.
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MARCHESET RECONNAISSANCES DANSLE BOUENI
Ces agglomérations, qui paraissaient puissantes, en imposaient aux villages voisins et les entraînaient souvent dans la révolte. Incapables d'organiser euxmêmes la résistance, les Sakalaves croyaient, par tradition, à la force des Hovas, dont ils subissaient l'ascendant. Notre influence avait, du reste, peu pénétré dans cette région de la Mahajamba et les Hovas la combattaient en faisant répandre dans le pays des comptes-rendus de combats qui nous représentaient toujours battus et mis en fuite. Les difficultés d'accès et la faiblesse relative des garnisons du nord-ouest ne nous permettaient pas d'agir énergiquement pendant l'hivernage, et l'audace des rebelles s'en était accrue. Cependant, prévoyant que, tôt ou tard, ils auraient à répondre de ces pillages, ils avaient construit les forts de Belanitra, Mempikony, Andranolava, Maroadabo,Anali-Valivoka,etc., très loin de notre ligne d'occupation, et les avaient adossés à des forêts ou à des régions montagneuses offrant une retraite presque impénétrable. Si les Sakalaves, toujours prêts à servir qui leur promet le pillage, ne garan tissaient aux chefs qu'une résistance très douteuse, ils leur assuraient un rideau de surveillance difficile à pénétrer, un service d'espionnage très actif et ils subvenaient, en outre, par la culture et la récolte des rizières, par la garde des troupeaux, aux besoins considérables des Hovas, Betsiléos et Maquois qui formaient la véritable armée de la rébellion. Dans le courant du mois de février, le Résident de Majunga avait établi, pour rassurer les habitants de la basse Mahajamba, deux postes de milice à Tsinjoarivo et à Antsinjomitondraka; mais ces postes, relativement faibles, ne purent protéger que la région même qu'ils occupaient. En même temps, les menaces de Rainitavy, chef du groupe rebelle de Mempikony, devenaient plus fréquentes et provoquaient des émigrations de villages entiers du Bémarivo qui, abandonnant le centre de Bessissika, vinrent camper sur le versant ouest du BongoLava, à proximité d'Antsinjomitondraka. Les environs de Marovoay, d'Ambato et, en général, tous les centres de culture et d'élevage furent également menacés par Rainikibury, retranché à Andranolava, et par Ranafitsara qui, déjà chassé d'Ampassanakomby, s'était établi en campement dans les forêts d'Anali-Valivoka. Lorsque le Résident de Majunga fit, en mars, une nouvelle tournée dans la basse Mahajamba, il fut assailli de demandes de secours et promit aux habitants restés fidèles une action prochaine contre Rainitavy, devenu notre ennemi le plus puissant. A son retour, des nouvelles alarmantes lui parvinrent de Marovoay et d'Ambato et il résolut de mettre un terme à ces craintes incessantes, en provoquant l'établissement d'une nouvelle ligne de postes qui aurait pour effet de détruire les bandes du Mahajamba et de rouvrir ainsi ces contrées au commerce et à la colonisation. Il fut établi, en effet, par des renseignements recueillis à Marovoay, que la bande de Rainitavy, beaucoup plus forte qu'on ne le supposait, était distincte de celle de Ranafitsara ; celui-ci, établi à plus de trois journées au
DANS LE BOUENI MARCHESET RECONNAISSANCES sud-ouest de Mempikony,opérait du Kamour.
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surtout dans les vallées de la Bctsiboka et
II. sur les bandes et chefs rebelles de la région de la Mahajamba Comme il a été dit plus haut, notre influence avait peu pénétré dans cette région; nos efforts s'étant portés dans les vallées de la Betsiboka et de l'Ikopa et, en général, dans les pays traversés par la route de Tananarive, on avait dû remettre à une époque plus éloignée l'extension de notre autorité chez les Sakalaves du nord-ouest, peu connus, et dont les groupements étaient à peine indiqués par quelques explorateurs. En juin 1896, un commerçant de Majunga, M. Bourin, dont l'attention avait été attirée sur la réputation aurifère des terrains de la Mahajamba,s'adjoignit deux Européens et parcourut un itinéraire dont Maroadabo, Andranolava, MempikonyMandrosoa et Belanitra furent les principales étapes. L'accès de Tsaratanana, qui était le véritable but de ce voyage, lui fut interdit par les autorités hovas, qui firent aux explorateurs un bon accueil apparent, mais limitèrent leurs recherches par des défenses tacites faites aux indigènes. Le massacre de l'expédition Garnier fut le signal de la révolte; M. Bourin et ses compagnons durent retourner en toute hâte à Marovoay, en abandonnant leur matériel d'exploitation. C'est de cette époque que date le commencement de la rébellion dans la contrée. Les chefs, agissant en vertu d'instructions venues de Tananarive, renforcèrent les garnisons dont ils disposaient avec les anciennes troupes du Boueni et, avec l'aide de ce noyau de réguliers armés, ils contraignirent les habitants à les suivre dans leur révolte. Les voleurs isolés se groupèrent près d'eux et le fahavalisme devint, entre leurs mains, une force active qu'ils purent diriger pour piller et au moins inquiéter les villages soumis. Trois chefs principaux, officiers hovas ou anciens gouverneurs de province, commandaient cette région; leur zone d'influence était commune et s'étendait depuis la Sofia, par Bélanitra, jusqu'à la Betsiboka. Le plus connu, Ranafitsara, 12 honneurs, avait établi à Ampassanakonby un camp fortifié servant d'abri à une bande aguerrie qui, dans les derniers mois de 1896, inquiéta les environs de Marololo et de Maevatanana. Des relations fréquentes reliaient cette bande aux chefs du Menavava ; Ranafitsara avait une grande autorité et passait pour très habile; il avait pris le titre de gouverneur général de la guerre du Boueni. Une vigoureuse reconnaissance, conduite par M. le lieutenant Lafleur, commandant le poste de Marololo, détruisit en partie ce prestige. A. la suite d'un sanglant échec qui avait dispersé sa bande et détruit une grande partie de ses ressources, Ranafitsara s'enfuit d'Ampassanakomby dans les premiers jours de à 40 kilomètres l'est, dans les forêts d'Anali-Valivoka, janvier I8{»7et sY-taMit Renseignements
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Ces forêts sont adossées à des montagnes se soudant les unes aux autres et formant entre elles des gorges étroites et profondes. Les quelques sentiers qui donnent accès à cette retraite traversent des marais couverts de roseaux et débouchent en pistes étroites sous les bois. Le massif montagneux dont AnaliValivoka occupe le centre est complètement inhabité; les sentiers chevauchent sur les crêtes et sont surtout indiqués par les traces de fréquents passages de bœufs. Un second centre existait à Andranolava, rive droite de la Mahajamba, dont le rova, naturellement protégé par des marais infranchissables, était fortifié dans sa partie accessible par une solide palissade plantée sur un mur en pisé. L'cxgouverneur Rainikibury avait maintenu autour de lui la population, évaluée à 2.000 habitants. Sur la rive gauche, Moroadabo, riche et important village situé à 12 kilomètres d'Andranolava, avait dû, faute de secours, se soumettre aux rebelles et leur fournir des hommes et des approvisionnements. Les habitants de la région étaient, en général, dévoués à Rainikibury, qui les faisait bénéficier de ses pillages; enfin, la Mahajamba paraissait à tous un obstacle infranchissable et augmentait la confiance qu'ils avaient dans la puissance de leur chef. A diverses reprises, des bandes de fahavalos partirent d'Andranolava et de Moroadabo, pour dévaster les environs de Marovoay et d'Ambato. Après le partage, le butin était mis en dépôt à Andranolava ou au delà des hauteurs qui dominent ce village à l'est et au nord. Rainikibury servait de liaison entre Ranafitsara et Rainitavy, ancien gouverneur de Mempikony-Mandrosoa. Ce dernier, dont la rébellion était récente, était arrivé, par son activité et par l'influence considérable qu'il exerçait dans le pays, à se faire considérer comme notre adversaire le plus redoutable. Se reliant aux rebelles de la Loza, il avait organisé plusieurs points de concentration dans la vallée du Bémarivo ; Mempikony-Mandrosoa, sa résidence, était le plus important et le mieux fortifié. De Mempikony, Rainitavy donnait des ordres aux chefs voisins et dirigeait les attaques contre les villages fidèles. Il avait annoncé qu'il étendrait son autorité jusqu'à la Betsiboka et qu'il irait brûler Majunga et jeter tousles Français à la mer. Ces menaces en avaient imposé aux populations hésitantes. L'autorité de Rainitavy avait été reconnue dans toute la contrée; la plupart des villages lui avaient envoyé des contingents à Bessissika et il était arrivé ainsi à grouper 1.000 soldats armés et plus de 1.000 pillards décidés à seconder l'exécution de ses projets. Telle était la situation, lorsque M. le capitaine de Bouvié fut envoyé avec un détachement dans la vallée de la Mahajamba, pour mettre les chefs rebelles à la raison et rétablir l'ordre dans cette contrée, autrefois prospère. Résumons très brièvement les opérations, non encore terminées aujourd'hui, auxquelles cette marche a donné lieu.
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BOUENI
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III. Itinéraires. — Principaux engagements Les troupes envoyées dans la vallée de la Mahajamba furent divisées en deux détachements, dont l'un, commandé par M. le capitaine de Bouvié,devait se former à Antsijomitondraka et l'autre, sous les ordres de M.le lieutenant Lafleur, avait reçul'ordre de partir de Marololo. La réunion des deux groupes devait se faire à Andranolava et Moroadabo,. où Rainikibury aurait été attaqué à la fois sur les deux rives de la Mahajamba. Unévénement inattendu, survenu le 31 mars, rendit impossible la mise à exécution de ce plan, en exigeant une intervention immédiate des troupes dans la vallée de là Betsiboka. Dans la nuit du 31 mars, une chaloupe de la Compagnie Suberbie vint annoncer qu'à son passage à Ambato, elle avait vu le village en feu et entendu une vive fusillade dans la direction du poste. Au reçu de cette nouvelle, M. le capitaine de Bouvié et M. le lieutenant Lafleur partirent immédiatement, le premier pour Marovoay et le second pour Ambato. En route, ils apprirent que le petit poste d'Ambato avait repoussé l'attaque et que les fahavalos s'étaient enfuis vers l'est. Il n'était plus possible de revenir au plan projeté; M. le capitaine de Bouvié se mit aussitôt en route et quitta Marovoay le 6 août, pour se diriger sur Moroadabo. Du 6 au 10, on suit une piste passant au nord du sentier habituellement fréquenté, que les dernières pluies ont rendu impraticable en transformant en marécages les parties basses avoisinant la rivière de Marovoay. La traversée du plateau Akafaranty, qui sépare les bassins de la Betsiboka et de la Mahajamba, est rendue assez pénible par l'absence complète d'eau sur un parcours de près de 35 kilomètres. - Le 10 avril, on arrive sans avoir rencontré âme qui vive au village d'Ambalia, qui est abandonné et où l'on trouve quelques provisions de riz. Ce village, composé de 40 cases, était le centre d'un campement important dont la présence est révélée par de nombreuses traces de feux; les habitants sont partis depuis quelques jours, à l'exception de quelques vieillards ou malades qui n'ont pu s'échapper et se sont cachés dans les bosquets voisins. Les cultures de canne à sucre, de patates, de manioc, sont abondantes aux environs; on y trouve aussi de nombreuses rizières bien arrosées et où la récolte est presque à maturité. Après une halte consacrée à une exploration rapide du pays, le détachement reprend sa marche sur Maroadabo, qui n'est plus qu'à douze kilomètres. On entre sans incident dans le village, que les habitants viennent à peine de quitter. Ils se sont réunis en groupe et stationnent sur un petit mamelon situé à environ 800 mètres à IVst. Après quelques pourparlers, ils iC décident à rentrer et on apprend d'eux
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MARCHESET RECONNAISSANCES DANSLE BOUENI
que Rainikibury est absent d'Andranolava et que les gens de ce village sont indécis sur le parti à prendre. Le lendemain, il avril, M. l'inspecteur de milice Vivier part pour Andranolava, où il pénètre par surprise après avoir fait appeler les pirogues de la Mahajamba par des indigènes; mais, dès son arrivée, les habitants s'enfuient, laissant en arrière une dizaine d'entre eux. Renseignements pris, il fut établi que, depuis la veille, les chefs rebelles avaient tenu plusieurs kabarys pour décider les habitants à évacuer le village et à aller rejoindre Rainikibury. Les jours suivants, 11, 12 et 13 avril, la population de Moroadabo continue à rentrer et aide à la construction du poste. Des soins prodigués aux habitants, avec beaucoup de dévouement et de patience, par le médecin du détachement, achèvent de leur donner confiance et de dissiper les craintes que les Hovas leur avaient soigneusement inspirées contre nous. Dans l'intervalle, des émissaires avaient annoncé que des groupes importants, sousla conduite de Ranafitsara, s'étaient formés dans le sud, vers AnaliValivoka, et que ce chef projetait, aussitôt après le départ du détachement, de venir user de représailles contre les habitants de Moroadabo. M. le capitaine de Bouvié change alors ses dispositions et, au lieu de continuer vers l'est, se dirige sur Anali-Valivoka après avoir laissé un poste à Moroadabo. La distance est de 48 kilomètres; quand le temps et la saison sont favorables, on fait le trajet en deux jours; mais la route, qui suit des crêtes tour à tour rocheuses et boisées, est difficile et détrempée par les pluies; la traversée du Kamour, dont le courant est très violent, arrête quelque temps la marche et ce n'est que dans la matinée du troisième jour qu'on atteint Anali-Valivoka. Deux sentiers partant du plateau sur lequel se masse la troupe donnent accès au village, qui est construit à l'extrémité d'un couloir étroit formé par deux montagnes boisées. L'attaque est faite aussitôt et, après un engagement des plus vifs, le village est enlevé et les rebelles sont mis en fuite. Le 17, à 8 heures du matin, le détachement se remet en route pour Moroadabo, où il arrive sans incident, trois jours après avoir quitté Anali-Valivoka. Quatre chefs indigènes de Maroadabo ou des environs et une vingtaine de partisans avaient accompagné nos troupes. D'abord hésitants, ils avaient été très vite rassurés par l'issue du combat et la fuite des rebelles. Bientôt même, cédant à leurs instincts de voleurs de bœufs, ils se lancèrent avec ardeur à la poursuite des troupeaux, se compromettant ainsi sans rémission, résultat qui avait été cherché et qui fut complètement obtenu. Pendant ces événements, le lieutenant Lafleur avait quitté Ambato le 12 et,
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après avoir marché jour et nuit en suivant le Kamour, était arrivé à Maroadabo le 14, à 7 heures du soir. Le surlendemain, il s'était porté sur Andranolava, que Rainikibury était venu réoccuper et, après avoir infligé un sanglant échec à ce chef rebelle, s'était définitivement installé dans le village. La prise d'Anali-Valivoka et la fuite de Rainikiburyavaient définitivement la rentrée des deux détachements venant rassuré les habitants de Maroadabo ; de l'est et du sud dissipa les dernières craintes et les travaux des rizières reprirent immédiatement. Le gros de la population était revenu ; mais, chaque jour, des isolés qui, selon toute probabilité, avaient combattu contre nous dans les dernières affaires, rentraient en multipliant des protestations d'un dévouement qui, disaient-ils, n'avait jamais cessé. Pour faire excuser leur retard, ils donnaient des renseignements précieux et d'autant plus utiles qu'eux-mêmes venaient, la plupart du temps, de quitter les bandés qu'ils dénonçaient. Rainikibury comptait sur le secours de Ranafitsara pour se maintenir sur le Menazomby; il ignorait les événements d'Anali-Valivoka. A la suite de son échec, Ranafitsara était allé d'abord à Bétandraka ; mais, froidement reçu par la population, il avait résolu de s'établir momentanément à Tsaratanana, d'y faire la récolte, puis de brûlerle village, ainsi que le groupe peuplé dont il formait le centre. Le sort de Tsaratanana préoccupait beaucoup les habitants de la région soumise; ils demandaient instamment qu'on empêchât les rebelles de le détruire et ils donnaient, sur sa richesse et les ressources qu'on pouvait en tirer, des détails enthousiastes. Centre très populeux d'un pays très fertile et merveilleusement arrosé, Tsaratanana était devenu un grenier d'abondance, dans lequel puisaient largement les rebelles de la Mahajamba et du nord de l'Emyrne. La population était un mélange de toutes races qui, attirées par les avantages de cette situation, s'étaient mélangées et définitivement fixées au pied des montagnes qui terminent le plateau d'Emyrne. Les chefs hovas ménageaient les habitants, qui leur fournissaient du riz, des bœufs et aussi d'assez grosses ressources pécuniaires provenant de l'exploitation des terrains aurifères, dont la richesse, disait-on, dépassait celle de tous les autres gisements de la côte ouest. Un noyau d'habitants servant d'otages marchait d'ordinaire avec les rebelles, mais l'instinct de la rébellion existait peu dans cette population, plus pacifique que belliqueuse. Cédant aux sollicitations des chefs de Maroadabo et désireux d'assurer l'approvisionnement des postes de la Mahajamba avant son départ pour Mempikony, M. le capitaine de Bouvié se décideà occuper Tsaratanana et quitte Moroadabo le 22 avril, emmenant avec lui environ 120 hommes. La route suivie longe la rive gauche de la Mahajamba et traverse un terrain
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fortement ondulé, boisé et coupépar de nombreuses rivières, dont quelques-unes ont un fort débit. A 20 kilomètres de Moroadabo, le pays cesse d'être habité et la population ne reparaît qu'à environ 30 kilomètres plus au sud. Vers le milieu de la deuxième journée de marche, des émissaires viennent offrir lasoumission du village de Ziamova. Le soir méme, le détachement atteint cette localité, où il est reçu par le chef entouré d'un nombre considérable d'habitants. Des marais profonds et larges entourent le plateau qu'occupe le village et l'accès est rendu encore plus difficile par d'immenses champs de roseaux coupés par des plantations d'arbres épineux intentionnellement reliés les uns aux" autres. L'irrigation des rizières qui s'élèvent à perte de vue est faite au moyen de canaux profonds, dans lesquels coule une eau abondante; la culture de la canne à sucre y a pris une extension très considérable, qui justifierait amplement une exploitation industrielle. Le chef de Ziamova est très intelligent; il connaissait nos succès récents et avait, sans aucunehésitation, abandonné la cause des rebelles, qu'il servait encore quelques semaines auparavant. Le campement, établi près du village et à environ 400 mètres, est levé le lendemain matin, et l'on arrive bientôt au petit village d'Ambalaboa, dont les habitants ont pris la fuite. Un peu plus loin, on rencontre des émissaires de Tsaratanana, qui viennent protester des bonnes intentions de la population: on les renvoie aussitôt, avec mission de rassurer les habitants et de les engager à rester chez eux. La traversée de la Mahajamba est longue et pénible, l'eau est profonde et le courant très violent; la largeur de la rivière est de 100 mètres. Après une heure de repos consacrée à reformer les différents groupes, la marche est reprise et le détachement entre à Tsaratanana à une heure de l'aprèsmidi; le village était abandonné, mais les habitants étaient cachés dans la plaine ou à mi-côte de la haute montagne qui limite la vallée de la Mahajamba et court parallèlement à la direction de la rivière. Tsaratanana est un très gros village, bien construit et aménagé avec une recherche de confort qu'on rencontre peu chez les Sakalaves. Le groupe principal est formé de 150 cases construites sur un mamelon bordant une rivière de près de vingt mètres de largeur; d'antres petits groupes sont construits dans la plaine, sur des ondulations de terrain, au milieu des rizières et des champs de canne à sucre. L'ensemble de toutes ces cases peut être évalué à 250 et comporte une population de 1.800 à 2.000 habitants. A la suite de quelques pourparlers, plusieurs groupes d'habitants commencent à rentrer et sont bientôt suivis d'autres plus nombreux. Le lendemain, M.le capitaine de Bolivie part avec un petit détachement pour recevoir la soumission de deuxvillages des environ-, ïsuvrove et Betanatana, qui lui ont iln ils (lnl à peu près une vingtaine de cases: quoique beaucoup moins peuplé-, le mêmeaspect que Tsaratanana et sont entouré-- de cultures abondantes et
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bien entretenues: Betanatana a été le siège d'une exploitation aurifère très importante qui a duré plusieurs années. On y. a trouvé, dit-on, en 1896, unç-r pépite d'or qui a été vendue 10.000francs. Quelques jours plus tard, le capitainede Bouvié trouve le village presque repeuplé;des patrouilles dirigées parle lieutenant Lafleuront ramené un. grand nombre d'habitants et près de 1.500 bœufs. Le 26, le lieutenant Lafleur fait une reconnaissance dans le sud, qui amène la soumission du village de Betafo. Le 27, le capitaine réunit en kabary les habitants de Tsaratanana et les engage à ramener ceux qui sont encore cachés dans la montagne. Il leur fait comprendre les avantages de notre occupation, qui ramènera l'aisance et la prospérité dans le pays. L'emplacement du poste est désigné et les travaux commencent pendant que les patrouilles continuent à sillonnerla montagne; bientôt les prises s'élèvent à 2.000 bœufs, dont 1.000 environ, portant la marque de la Reine, avaient été enlevés pour être envoyés aux rebelles. Lesjours suivants, d'autres reconnaissances amènent encore, la soumission de plusieurs villages et, entre autres, du centre important de Betandraka. Le 3 mai, le capitaine de Bouvié remet le commandement du poste à M. l'inspecteur de milice Vivié, auquel il laisse une garnison de 50 hommes et des instructions sur l'attitude à tenir à l'égard de la population indigène. A ce moment, près de 1.000 habitants sont rentrés à Tsaratanana et 500 à Bétanatana; la région est tranquille et les soumissions sont de jour enjour plus fréquentes. Enfin, les deux prospecteurs amenés par M. Bourin, et dont l'un avait servi d'interprète, allaient librement à Betanatana, pour procéder à leurs-, recherches. Des lettres saisies dans les villages indiquaient que depuis pl.js d'un, mois les habitants s'attendaient à notre arrivée; d'autres lettres, plus nombreuses et plus pressantes, convoquaient les rebelles à Mempikony-Mandrosoa, d'où devait, disait-on, partir une armée qui nous chasserait de Madagascar. r, Ces premiers résultats obtenus, le capitaine de Bouvié se dirige avec 75 hommes sur Andranolava, en suivant la rive droite de la Mahajamba. La première étape permet de constater la présence à Betanatana de tous les anciens habitants ; ceux de Tsararove continuent à rentrer et à faire leur soumission; il en est de même à Ankaidiana et Betafo. Bientôt, la contrée devient déserte; Rainikibury, informé de notre marche, s'est enfui vers l'est et s'est installé sur le Menazomby, au point où celle rivière fait une trouée dans la chaîne de montagnes. Les arbres, qui sont rares dans la région de Tsaratanana, deviennent plus nombreux. Les traversées de rivières soùt fréquentes, le pays devient plus accidenté et surtout plus roebeux. Le troisième jour, on .lITi\l' à Andranolava, où le détachement est rejoint par un convoi de vivres et une e^-orle de -,i hommesvenus de Maroadabo.
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Les nouvelles apportées sont excellentes et annoncent que les environs du nouveau poste sont entièrement pacifiés. Après avoir laissé un détachement à Andranolava, M. le capitaine de Bouvié part le 8 mai pour Mempikony. A Bévary, dont les habitants viennent de rentrer, on apprend que Rainitavy s'est retranché à Mempikony et qu'il dispose de près de 1.000 fusils. Le lendemain matin, la marche est ralentie par la traversée des marais qui prolongent le lac de Bévary. La grande halte est faite sur une hauteur boisée. A 2 heures, le détachement se remet en route et arrive, vers 3 heures, en vue de Mempikony, qui est enlevé après un combat de plus de deux heures et après avoir délogé les rebelles de plusieurs lignes de défense successives. A 5 heures, Rainitavy cherche à rallier son monde et fait faire des sonneries prolongées à l'aide de cornes de bœufs pour donner le signal de la retraite. On se met à la poursuite des rebelles; mais, bientôt, la nuit tombe et oblige à y renoncer. Le chef sakalave de Mempikony, qui avait assisté au combat et qui fit sa soumission à l'issue de la lutte, déclara avoir eu une cinquantaine de tués et autant de blessés. Le lendemain, le lieutenant Lafleurpasse le Bémarivo, qui coule à 5 kilomètres de Mempikony, et explore les villages situés sur ce cours d'eau. Tous étaient abandonnés; il retrouve partout des armes brisées, des ceintures à cartouches contenant encore leurs munitions. En rentrant le soir au campement, il ramène 350 bœufs de prise. En même temps, le capitaine de Bouvié avait parcouru les environs à l'est et au sud et reçu un grand nombre de soumissions. Le 14 mai, M. le Résident de Majunga arrive de Mempikony avec 50 miliciens destinés à constituer le poste; 300 habitants étaient déjà rentrés et s'étaient installés à 200 mètres du rova. Le 17, obligé de regagner Majunga pour y recevoir des instructions du Résident Général, M. le capitaine de Bouvié laisse au lieutenant Lafleur le commandement des troupes de la région. Avec les forces dont disposait ce dernier, il devait continuer à harceler Rainikibury et Ranafitsara, de manière à provoquer la défection de leurs bandes et les chasser au delà des montagnes. Les rapports du chef de poste de Maroadabo annonçaient, d'ailleurs, que les partisans de Ranafitsara, dénués de toutes ressources et n'osant plus sortir de leurs retraites, s'étaient décidés à l'abandonner. Enfin, Rainikibury, dans son refuge du Menazomby, se trouvait dans une situation aussi critique. A la suite de ces opérations, la nouvelle ligne d'occupation se trouvait ainsi constituée. Surlamoyenne Mahajamba, le poste de Tsaratanana, fort de tiOhommes, étend sa zone d'action au delà de Betandraka, à plus de 60 kilomètres dans le sud et tient solidement tout le cours moyen du fleuve. Lasurveillance de cette région est
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d'ailleurs garantie par les intérêts des habitants qui, s'étant soumis et ayant prêté leur concours aux opérations militaires, se sont irrémédiablement compromis. Dans la région de Tsaratanana, une population de près de 500 personnes, répartie en neuf villages sur les deux rives de la Mahajamba, a fait sa soumission et repris ses travaux. Cette partie de la vallée, particulièrement riche, sera facilement reliée, par une extension pacifique de notre influence, à la région d'Antsatrana, où un poste dépendant du cercle d'Ankazobé a été installé. — La liaison avec les troupes du cercle d'Ambatondrazaka exigera probablement encore une action militaire; mais les bandes qui se sont réfugiées dans Id région montagneuse du sud-ouest, pourchassées de tous côtés et manquant de cohésion, ne pourront offrir de résistance sérieuse. Le groupe Andranolava-Moroadabo assure la pénétration à l'est en tenant le passage de la Mahajamba et en se reliant avec Marovoay. Ces deux postes, dépendant l'un de l'autre, forment une sorte de pont sur le fleuve et garantiront la région de tout retour offensif et de toute tentative de pillage. La population soumise est d'environ 1.900 à 2.000 personnes pour ces deux villages. L'occupation de Mempikony, qui relie cette position à Andranolava par les villages soumis de Marosakoa et Bevary, a détruit le prestige des rebelles, qui considéraient ce centre comme le boulevard de la résistance du nord-ouest. Les progrès constants faits par la pacification ont amené la soumission de Belanilra; si, par la suite, un poste est établi dans ce village, la lignedu Bémarivo sera définitivement rattachée par une barrière de postes aux groupes de la Loza. Aux dernières nouvelles, 600 personnes étaient rentrées à Mempikony et promettaient d'assurer le repeuplement de toute cette vallée, très riche par ses rizières et ses pâturages. Toutefois, malgré ces importants résultats, on ne doit pas perdre de vue que Rainitavy dispose encore de forces très sérieuses et que nous aurons encore à le combattre quand le mouvement de pénétration continuera, vers l'est, au delà de la première ligne qui vient d'être établie et définitivement conquise. IV. Aspect du pays. — Cultures, ressources industrielles et minières De Marovoay à Maroadabo, sauf une banlieue s'étendant à 10 bu 15 km. de ces deux villages, la région est déserte mais non stérile. Jusqu'à la Scrpitza, le pays s'élève en ondulations douces et régulières, boisées par endroits. Dans la première partie, se trouvent de vastes plantations de lataniers; les cours d'eau sont nombreux, encaissés et roulent sur des roches ferrugineuses. Au delà du plateau Akarafanty, les ondulations deviennent plus courtes et la plaine s'abaisse en se terminant brusquement près d'Ambalaha par une forte déchirure découvrant un sous-sol de sable qui se continue du nord au sud par une ligne non interrompue.
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Jusque-là, le terrain est argileux et présente, par endroits, des couches épaisses de cailloux roulés. D'Ambalia à Maroadabo, les vallées sont marécageuses, couvertes de roseaux; les flaques d'eau, qui s'alimentent avec les pluies d'hivernage, sont profondes et recouvertes de nénuphars qui révèlent de loin l'humidité du pays. De grands troupeaux de bœufs sauvages peuplent ces vallées. Les blocs de granit émergeant de la couche d'argile rouge et couronnant les hauteurs se relient à la base par d'épaisses masses horizontales. Parfois, entre deux hauteurs, le sol est formé par un lit de granit non interrompu. Le fer, presque à l'état pur, est très abondant et, à deux reprises, en parcourant cette région, il a été impossible de se servir des boussoles, qui étaient affolées. Pas de traces de coquillages. Dans la vallée qui commence près d'Ambalia et se termine par le plateau sur lequel est assis le rova de Maroadabo, le terrain est utilisé par de vastes plantations de riz et de canne à sucre qu'on trouve dans toute cette région. Les bois deviennent plus rares et se groupent près des cours d'eau. Le palissandre, l'ébène, l'acacia et l'arbre à caoutchouc sont les essences les plus répandues ; le bambou fait son apparition. De Moroadabo à Anali-Valivoka, la route suit une série de crêtes rocheuses dont les flancs sont couverts de forêts basses à feuillage appauvri; les bois sont espacés, les troncs des arbres sont noueux et offriraientpeu de ressources à une exploitation; les couches rocheuses ont une direction perpendiculaire aux lignes de crête et déterminent dans les cours d'eau, particulièrement dans le Kamour, de fortes cataractes et des rapides nombreux. Tout ce pays est inhabité quoique arrosé; les gorges, très étroites, sont couvertes de roches détachées et présentent peu de surface utilisable pour les cultures. Sur la route de Tsaratanana jusqu'au village de Ziamova, la contrée qui se relie à ce groupe montagneux offre le même aspect. A Ziamova, commencent les pentes douces qui meurent sur le Mahajamba. Les rizières les plantations de canne à sucre, forment de vastes champs autour des villages. Les sentiers sont recouverts d'une fine poussière de fer et de mica. Au delà de la Mahajamba, la vallée qu'occupent les groupes de Tsaratanana, Betafo, Betanatana, est limitée par une chaîne à pic de 600 mètres d'élévation. Tsaratanana est le centre de culture le plus abondant et le plus travaillé; Betanatana est cultivé dans sa partie ouest. La bande qui s'étend entre le village et la montagne est déchiquetée par des fossés et des trous qui indiquent l'importance des fouilles qui y ont été faites. Les alluvions passent pour être riches. De nombreux carnets à souche servant à donner des autorisations d'exploitation ont été trouvés dans les villages et confirment la présence de l'or et des saphirs dans toute cette région. Le caoutchouc était aussi exploité ; la vente en était faite, soit à Marovoay, soit sur la Sofia. Toute cette région manque de bois.
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En allant vers Andranolava, la vallée s'élargit, une nouvelle ligne des hauteurs la coupe, suivant la directiondu Mcnazomby ; les paroisen sont formée par des murailles de granit. Andranolava n'est qu'une vaste rizière interrompue par des plantations de canne à sucre. La Mahajamba s'alimente dans les lacs et les marais qui forment comme une mer autour du village. Comme production de riz, ce centre paraît plus important encore que Tsaratanana. Le plateau qui sépare Andranolava de Mempikony est formé par des élévations moyennes à pentes douces. La première couche du sol est constituée d'argile blanche; les cultures sont espacées, peu abondantes, mais se succèdent sans interruption. Les environs du lac Bevary offrent des pâturages inépuisables, les bois sont peu épais, les tiges ne deviennent vigoureuses que dans les parties basses, l'arbre à caoutchouc et le palissandre dominent. La région ouest de Mempikony est surtout cultivée en rizières; la partie est est couverte de bois, le terrain s'élève jusqu'aux premiers contreforts des montagnes de l'arête centrale, qui sont à une vingtaine de kilomètres. Les environs de Mempikony, le bassin du Kinangoro sont, dit-on, riches en or; mais l'exploitation, arrêtée par les troubles, a cessé depuis plus d'un an et les indigènes cherchent à éviter de donner des renseignements précis. La vallée du Bémarivo est couverte de rizières; elle est séparée de la Mahajamba par un haut plateau couvert d'épaisses forêts, qui porte, dans le pays, le nom de Bongo-Lava. CAPITAINE DEBOUVIÉ.
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MAROANTSETRA A
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Du 6 février au 13 mars 1897, la 5e compagnie de tirailleurs malgaches, commandée par M. le capitaine Clavel, a exécuté, en s'arrêtant fréquemment pour combattre, une marche laborieuse à travers un pays infesté par les bandes rebelles, qui l'a amenée de Maroantsetra, au fond de la baie d'Antongil, à Andranosamonta, ancien poste hova situé vers l'entrée de la baie de Port-Radama. Au cours de cette marche d'une côte à l'autre, M. le lieutenant Bastard, de la compagnie Clavel, a établi au jour le jour une relation très complète des incidents de la route, en indiquant la topographie et les principales ressources des pays parcourus, ainsi que les coutumes des indigènes qui les habitent. L'article publié aujourd'hui par la Revue est emprunté en entier à l'intéressant travail de M. le lieutenant Bastard. RENSEIGNEMENTS
GÉNÉRAUX
De Maroantsetra à Andranosamonta, la distance à vol d'oiseau ne dépasse guère 250 kilomètres; mais, en réalité, les circonstances militaires et, d'autre part, la configuration même du terrain ont entraîné un parcours considérablement plus long et qu'on peut évaluer à près de 500 kilomètres. La compagnie Clavel avait pour mission générale d'établir par l'intérieur de l'île une ligne de communication entre les deux côtes, en suivant l'itinéraire Maroantsetra, Mandritsara, Befandriana, Antsohihy, Maevarano et Andranosamonta; pour obtenir ce résultat, elle devait, de concert avec les milices de M le Résident Pradon, dégager Mandritsara, dont la situation était devenue critique, occuper Befandriana et Antsohihy, où les rebelles étaient encore établis et, enfin, les déloger de Maevarano, au cas où M. le Résident Troupel n'aurait encore pu le faire avec les troupes de sa milice.
M. BASTARD. — DE MAROANTSETRAA ANDRANOSAMONTA 249 Les distanees évaluées en cours de route entre les principaux points de l'itinéraire sont approximativement les suivantes: 200 kilomètres De Maroantsetra à Mandritsara. » 120 De Mandritsara à Béfandriana » 95 De Béfandriana à Antsohihy. » D'Antsohihy à Andranosamonta. - 85 Î500 kilomètres Total. Les renseignements fournis sur cette région par les cartes actuelles sont en grande partie erronés; Mandritsara semble être plus à l'ouest et moins au sud; AntsoBéfandriana paraît être à peu près exactement au nord de Mandritsara; hihy est plus éloigné de Béfandriana, il est au sud-ouest de Maevarano et sa distance de cette localité est aussi plus grande que celle indiquée par les cartes. Avec les moyens de communication actuels, il faut compter 9 journées de marche de Maroantsetra à Mandritsara, 4 de Mandritsara à Béfandriana, 4 de Béfandriana à Antsohihy et 3 d'Antsohihy à Andranosamonta, soit un total de 20 journées pour faire l'ensemble du parcours. De Maroantsetra
à Mandritsara
Avant tout, il faut signaler une erreur des cartes sur la géographie des environs immédiats de Maroantsetra. L'Antambalana, formé de trois branches, est indiqué comme situé à l'ouest de la ville. Ce delta se trouve à l'est, il est formé par les dérivations suivantes, qui sont énumérées de l'est à l'ouest: l'Àndranofotra, l'Antambalana, l'Andranovaky. L'erreur provient peut-être de ce que l'ancien Maroantsetra se trouvait, en effet, à l'est de l'Antambalana; les habitants en ont été expulsés par la mer, qui a entamé peu à peu le rivage et n'a laissé qu'une mince bande de sable entre le littoral et les marécages. La ville s'est reportée actuellement sur la rive gauche de l'Anjahanambo, rivière distincte du delta précédent, quise jette dansla même baie que les deux branches ouest de l'Antambalana. L'Anjahanambo se passe à gué à marée basse et en pirogues à marée haute. Les villages d'Ambatomasina et de Vinanitelo n'existent pas. De Maroantsetra à la Vohina, on suit la plage, soit sur la côte, soit sous bois, sauf pou arriver à Manambia, où l'on s'enfonce à demi dans une forêt marécageuse. On rencontre d'abord le Varongohitra, qui ne se passe qu'a gué et à marée basse, puis la rivière et le village d'Antoraka. La rivière est franchie en pirogues (trois en tout); sur la rive droite, on trouve quelques cases. Un peu plus loin, on traverse également la vaseuse Manambia, sur le bord de laquelle est bâti le village du même nom (dix cases environ). Enfin, on arrive à la Vohina; cinq ou six pirogues seulement font le service pour traverser cette rivière, qui a 400 mètres de large. Sur la rive droite, quatre groupes de trois à quatre cases chacun sont disséminés sur une étendue de deux
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kilomètres; la rive gauche est plus peuplée et mieux cultivée. La carte a exagéré la distance de Maroantsetra à Vohina ; pour être dans le vrai, il faudrait y inscrire Maroantsetra à la place d'Ambohimasina, remplacer la Vinanitelo par l'Anjahanambo et supprimer Tampola, village et rivière; enfin, l'orientation est également inexacte: on n'avance, pour ainsi dire, que dans l'ouest et très peu vers le sud. De la Vohina à Vadivohitra, on s'éloigne de suite de la rivière et on marche pendant 1 h. 1/2 dans le sud. On traverse une plaine qui n'est ni boisée, ni cultivée, mais qui est, en revanche, sillonnée de ruisseaux. Vadivohitra est un assez gros village (20 à 25 cases) situé au pied du mont Manatirelaka (Ankandrinosy). A partir de Vadivohitra, et jusqu'à Mandritsara, on ne trouve plus guère sur les cartes qu'un seul nom exact, celui de la rivière d'Anatraotra. Le mont Manatireraka, qui est le massif le plus dur à franchir entre les deux côtes, est à une altitude d'au moins 500 mètres; il sépare les bassins de la Vohina et de de l'Anatraotra. C'est aussi le commencement de la forêt, qu'on ne quitte plus qu'après cinq journées pénibles; de Vadivohitra à Mandritsara, on marche surtout vers l'ouest, rarement vers le nord-ouest ou le sud-ouest. Jusqu'à Mahanja, la région est particulièrement inhospitalière. Sur le parcours, on trouve un seul village habité; partout ailleurs, c'est la montagne et la forêt; il faut franchir une dizaine de massifs, dont quatre fort élevés, et traverser à gué de nombreuses rivières qui, pour peu qu'elles soient grossies par les pluies, forment un sérieux obstacle à la marche. Quelques hameaux sont cachés dans la forêt; ils sont habités par les cultivateurs de riz de montagne, mais sont éloignés du chemin ordinaire, auquel ils se relient par des sentiers nombreux, mais tous également impraticables. Après avoir franchi le mont Manatireraka, que le sentier, selon l'usage malgache, gravit par la ligne de plus grande pente, on tombe dans la vallée de la Vohilava, affluent du Santabé (Anatraotra). Sur les bords de cette rivière, on trouve cinq cases en ruines, qui sont les restes du village d'Andongozavandana. La Vohilava est sujette à des crues soudaines et rapides: le jour du passage de la compagnie Clavel, elle a monté de 4 mèlres, de 4 à 8 heures du soir, emportant le campement du détachement et celui de la milice de M. le Résidnte Pradon. Le lendemain matin, on la passait presque à pied sec. Au delà de la Vohilava, une sorte de fossé bourbeux conduit à la Sahalalina. Là, commence l'ascension d'un deuxième massif; après une descente excessivement raide et glissante, on grimpe de nouveau pour descendre, par le lit rocailleux d'un ruisseau, sur les bords de la Sahamalaza, petit affluent du Rantabé (Anatraotra), qu'on traverse à gué une dizaine de fois. Une des grandes difficultés qu'on rencontre lorsqu'on veut étudier le régime deseaux de cette région consiste dans la multiplication des noms que les malgaches
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village de Manonga. Pour l'atteindre, il faut d'abord traverser la rivière qui a, en ce point, un cours rapide et une assez grande profondeur. On la franchit à l'aide de petits radeaux, conduits à la perche et formés de ; deux passagers au plus peuvent prendre place sur quatre poutres assemblées cet équipage, dont la stabilité n'est rien moins qu'assurée. Manonga a une trentaine de cases et est entouré d'une plantation de riz et de maïs. Le temps a fait défaut pour explorer les alentours; mais, au dire des indigènes, le quartz aurifère y est assez répandu. On rencontre, dans cette région, les premiers Antankaras à cheveux tressés. Ils se disent Sakalaves et leur aspect physique, comme leur caractère, paraît justifier cette origine; plus robustes que les Betsimisarakas, ils sont aussi plus vifs et quelquefois plus turbulents. Après avoir escaladé une montagne d'où l'on découvre l'Océan Indien pour a dernière fois, on atteint, sur les bords de l'Ambatomia, une vaste clairière où Ile taillis commence à repousser. Après avoir gravi un autre massif, on aperçoit enfin l'Anatraotra, l'un des plus grands fleuves de la côte est, dont le bassin s'adosse en quelque sorte, vers l'arête faîtière de l'île, à celui de la Sofia et de son affluent le Mangarahara. Pendant deux jours, la route suit la rive gauche de l'Anatraotra. Le confluent avec la Manonga est probablement à peu de distance du village de Manonga ; à partir de ce point, l'Anatraotra doit être un cours d'eau d'une grande importance, car à l'endroit où l'itinéraire vient de rencontrer le fleuve, il a déjà plus de cent mètres de large. En aval, il perd son nom et devient le Rantabé jusqu'à son embouchure. A ce sujet, les difficultés considérables de la route depuis la Vohina permettent de croire qu'il serait avantageux de modifier cette partie de l'itinéraire; au lieu de s'engager dans l'intérieur, après le passage de la Vohina et d'avoir ainsi à franchir les crêtes successives qui séparent les bassins des petits ruisseaux côtiers, il serait certainement préférable de continuer à longer la côte jusqu'à l'embouchure de l'Anatraotra et de remonter ensuite le cours de cette rivière en la prenant comme voie de pénétration. Cette question mérite d'être prise en très sérieuse considération pour l'établissement du tracé définitif de la route de Maroantsetra à Mandritsara. Mais revenons à notre itinéraire. En descendant sur les bords de l'Anatraotra, on côtoie un petit bois de bambous et on continue à suivre, à peu de distance, au lieu le cours du fleuve. Le chemin est toujours tracé à la mode malgache : de se développer le long des courbes de niveau, il escalade comme à plaisir toute une suite de petits contreforts perpendiculaires au fleuve et qui viennent cependant mourir dans le thalweg à peu de distance. Il faut signaler, près du confluent de la petite Bcfosa, les rapides d'Antamotamokely, qui viennent alimenter de nombreux ruisseaux. A proximité, de
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nombreuses clairières dégagent les vues et étendent l'horizon que, jusque-là, la forêt limitait de tous côtés. Voici maintenant un nouveau sommet dont l'escalade amène au bord de l'Ankorioka, qu'on franchit à peu de distance de son confluent. A partir de ce point, la route se jette dans la montagne, en abandonnant l'Anatraotra, dont le cours s'infléchit en amont vers le Sud. Il est à remarquer qu'un peu plus loin, on rejoint la rivière après avoir fait un autre crochet pour la retrouver. Durant tout ce trajet le long de l'Anatraotra, on en domine presque constamment le cours et, de distance en distance, on aperçoit à ses pieds, au bord du fleuve, des cases isolées et des rizières. Un peu au delà de l'Ankorioka, on trouve une grande clairière plantée de riz, qui porte le nom d'Ambodibefalala et qui marque le commencement de la chaîne du Befalala. Cette montagne, d'où l'on aperçoit à plusieurs reprises l'Anatraotra, est assez longue à traverser; mais, en revanche, les pentes y sont assez douces. Le mont Befalala semble être le point culminant de l'itinéraire; son altitude est d'environ 800 mètres. Par une descente assez rapide, on arrive dans la prairie en un point que les indigènes appellent également Ambodibefàlala et qui marque le débouché de la forêt. Au delà, on suit l'Anatraotra d'assez près; après avoir traversé un plateau de peu d'étendue, on franchit un petit ravin encaissé, au fond duquel coule l'Ampandrakely. On contourne alors une sorte de mamelon et, après une nouvelle traversée de ravin, on arrive au village abandonné d'Andongazakely. Au delà, on pénètre dans une région déserte et inculte, légèrement mamelonnée et où l'on trouve quelques bouquets d'arbres au bord des nombreux ruisseaux qui sillonnent la contrée. Il est juste d'ajouter, toutefois, qu'on rencontre ça et là des traces de canaux d'irrigation qui indiquent d'anciennes exploitations de rizières. Un peu plus loin, on franchit l'Anatraotra en traversant des rapides d'un aspect très pittoresque, au milieu desquels le fleuve s'étale sur plus de 100 mètres de large, bondissant à travers les obstacles, contournant des îles boisées, égarant ses bras derrière d'énormes rochers, pour retomber plus bas en longues et écumantes cascades. Bien que la route soit en terrain découvert et près du thalweg, elle continue à suivre les crêtes qu'elle gravit pour les redescendre ensuite à chaque petit bassin secondaire qu'elle recoupe. Bientôt on atteint le Mandenavady, dernier affluent de l'Anatraotra et le seul de la rive droite. A 2 kilomètres au sud du gué se trouve le village du même nom, qui comprend une vingtaine de cases. Il semble, sans cependant qu'on puisse rien affirmer de positif, que ce village doit se confondre avec celui de Batoto, marque sur la carte et au sujet duquel les guides et les indigènes de la région n'ont pu fournir aucun renseignement. En continuant vers l'ouest, on arrive par une pente douce à un col assez bas que rien ne désigne à l'attention au premier abord, mais qui se trouve
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cependant sur la ligne de partage des eaux de l'Océan indien et du canal de Mozambique. Au delà, on continue à s'élever jusqu'au sommet de la montagne de Mahanja, du haut de laquelle les guides nous montrent, dans le lointain, une ligne rocheuse qui cache Mandritsara. Au sud et au sud-ouest, des massifs montagneux limitent l'horizon et viennent s'arrêter presque à pic au cours de la Mahanj a, qui en baigne le pied. En quittant la montagne, le sentier descend, par une pente extrêmement rapide, au fond d'une sorte de cirque; puis, après avoir contourné de nouvelles hauteurs, il atteint enfin la vallée où se trouve Mahanja, où on arrive après avoir traversé à gué la rivière du même nom. Mahanja est un beau village de quarante cases bien construites et réparties autour d'une place rectangulaire, au centre de laquelle s'élève l'arbre traditionnel des kabarys; ce tracé semble, d'ailleurs, s'être généralisé dans la région et on retrouve une disposition analogue dans presque tous les villages qu'on rencontre jusqu'à la côte ouest. Mahanja est environné de marais qui s'étendent jusqu'à une ligne de collines voisines que dominent, en arrière, des hauteurs plus prononcées. Après avoir quitté le village, on en traverse plusieurs autres qui se succèdent à peu de distance; sur la gauche, on laisse ceux de Bomgotokana et d'Ambotsikely. Après avoir passé la Mahanja, on franchit à gué le Mangarahara ; les indigènes ne possèdent pas de pirogues et, au moment des grosses eaux, la traversée de ces deux rivières arrête bien souvent les courriers. Après avoir dépassé le village d'Ambalavelo, on arrive dans une grande plaine marécageuse, toujours détrempée et rendue souvent impraticable par les crues de deux petits ruisseaux, l'Ifasy et l'Ikanga, qui la traversent dans toute sa longueur. Près d'Ambalavelo, se détache une route de montagne sur Mandritsara. Sur la droite, un autre chemin mène à Ambalatsotra, assez gros village qu'on aperçoit au nord-ouest. Enfin, on atteint la dernière ligne de hauteurs qui cache encore Mandritsara ; on la franchit à un col assez élevé et on descend dansla plaine de Mandritsara, qui commence en réalité au village d'Ambotsikely. A partir de ce point, les accidents de terrain disparaissent à peu près complètement et l'on traverse, tantôt des marécages, tantôt d'immenses prairies où paissent de nombreuxtroupeaux de bœufs. A Vohidava, qu'on atteint bientôt, sur six cases, deux sont en pisé ; ce sont les premières depuis Vohémar ; devant soi, on a la plaine et, au fond, le mamelon de Mandritsara isolé dans la plaine et qui se détache distinctement sur la vallée. Cette hauteur, qui domine d'une trentaine de mètres le terrain environnant, a une forme un peu allongée; elle est sensiblement orientée du N.N.O. au S.S.E. Au centre, s'élevait autrefois le rova; la ville était construite par moitié au nord et au sud ; la partie la plus peuplée occupait le nord. Lors de l'attaque des fahavalos, le 31 janvier 1897, Mandritsara a été en partie incendié. Lors de sa reconstruction par les soins de M. le Résident Pradon, la ville ne formera donc le fort a été rebâti à l'extrémité sud du mamelon ; plus désormais qu'une seule agglomérationqui s'étendra du nord au sud du
M. BASTARD. —DE MAROANTSETRAA ANDRANÔSAMONTA 255 mamelon. Dans l'état actuel, Mandritsara compte environ 80 cases, dont une moitié environ construite en pisé et à étage. Tout autour, se groupent de nombreux villages: Ambodimadiro, Maroamboko, Ambalamahago, Ambinanyantsara, Andafyatsimo, Aminidrenimena. Le Mangarahara, qui descend du sud-est, arrose la partie sud du mamelon et s'écoule vers l'ouest entre deux chaînesde collines. Le couloir dans lequel s'engage la rivière conduit à Mempikony, un des principaux centres fahavalos de la région du nord-ouest, à Anorontsangana, Andranosamonta et Befiana (Tsiafabazaha). Vers Mandritsara, le Mangarahara a environ 80 mètres de large; son cours, aux eaux bourbeuses, est rapide et fortement encaissé. En résumé, lorsqu'on compare la carte à l'itinéraire parcouru, on constate qu'au lieu de suivre la valléede la Vohina, la route longe presque constamment l'Anatraotra; que la distance de Vodivohitra au Mangarahara est beaucoup plus longue quecelle indiquée, puisqu'il faut, en réalité, six jours de marche entre ces deux points; que certains des villages marqués semblent ne pas exister et, qu'enfin, le trajet dans la vallée du Mangarahara n'a pas la longueur qu'on lui prête. D'autre part, le cours de cette rivière, au lieu d'être orienté vers le sud, semble se diriger vers l'ouest. Il est juste d'ajouter que ces observations ne s'appliquent que dans le cas où la carte aurait entendu figurer la route habituellement suivie par les indigènes pour se rendre de Vohémar à Mandritsara. Elles tomberaient en grande partie, si le tracé inscrit sur les cartes était celui d'une ancienne route abandonnée aujourd'hui. Quoi qu'il en soit, il importait d'attirer sur ce point l'attention des explorateurs qui parcourront, dans la suite, cette région. De Mandritsara
à Béfandriana
De Mandritsara à Béfandriana, la route monte presque directement vers le nord. On peut choisir entre deux itinéraires; l'un part de la vallée du Maroaboka et s'engage ensuite dans les montagnes.C'est le chemin le plus difficile et peut-être le plus long, mais il a l'avantage de permettre de franchir la Sofia à gué. Cette route paraît être celle qui est figurée sur la carte; elle traverse les villages d'Amoron-Sofia et de Marolampy. L'autre itinéraire, beaucoup plus facile, passe plus à l'ouest et suit les plaines. A l'exception de quelques pentes peu praticables, mais qu'il serait facile d'aménager, le tracé est assez judicieusement établi. Il utilise les vallées opposées et cherche les cols, conditions qui permettront probablement de l'utiliser plus tard pour la construction d'une route praticable aux voitures. En quittant Mandritsara,on passe le Maroamboko sur un pontassez vermoulu, mais qui n'en est pas moins apprécié, car c'est le seul qu'on ait rencontré depuis le départ. Le Maroamboko est un ruisseau d'un assez long parcours, mais d'un débit relativement faible: à son confluent, sa largeur n'atteint pas 15 mètres.
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Au delà, on s'engage entre le mont Maroambato et une ligne de petites collines et on atteint bientôt une vaste plaine assez peuplée, mais très marécageuse, et dont la pente générale est indécise. Après avoir dépassé le dôme du Maroambato, énorme roc noir dénudé, on arrive à un assez joli village entouré de canne à sucre, de riz et de maïs: c'est Ambohibary (25 cases), bâti au pied du mont Bemolaly. Un peu plus loin, sur les bords de la Mandrirano, on aperçoit Ambohimandrirano (20 cases) et Bemororambazaha, à l'entrée du défilé par où s'échappe la rivière. En suivant les méandres de la Mandrirano, on gagne un col du Bemolaly après avoir traversé un cirque marécageux ; puis, on redescend, à flanc de coteau, jusqu'à un petit ruisseau dont le cours mène à la vallée de la Masiakaomby. Après avoir franchi cette rivière, qui a 30 mètres de large, on traverse le village d'Ampasimpotsy (30 cases) et on en laisse deux autres d'environ dix cases chacun, à quelques centaines de mètres à gauche de la route. Au passage du précédent col, on avait pu découvrir une partie du cours de la Masiakaomby ; d'après sa direction, cette rivière doit être un affluent de la Sandraingitra et, celle-ci, du Mangarahara. La Sandraingitra, qu'on atteint bientôt, a 80 mètres de large. Son cours assez rapide, ses berges assez élevées et formées de terres argileuses qui s'éboulent facilement, rendent la traversée assez difficile. Au bout d'une heure, on finit cependant par trouver un gué, mais il est tout juste praticable, et les hommes de taille moyenne y ont de l'eau jusqu'aux épaules. Encore, la rivière avait-elle sensiblement baissé pendant les recherches faites pour trouver un passage. La Sandraingitra s'écoule vers le Mangarahara par une étroite coupure dans les montagnes qui ferment l'horizon à l'ouest. La route longe un de ses affluents, le Kalandy, et traverse un petit village du même nom, auquel on arrive par une magnifique allée de manguiers. En suivant le cours du Kalandy, la route monte assez péniblement au col qui conduit à Ampanangana. C'est la montée la plus dure de Mandritsara à la côte ouest; ici ou là, il est d'ailleurs impossible de l'éviter, car elle conduit à la ligne de partage des eaux de la Sofiaet du Mangarahara, c'est-à-dire à une barrière naturelle qu'on ne peut se dispenser de franchir. Au delà, on redescend en suivant le cours de la petite rivière qui baigne Ampanangana. A peu de distance, cette rivière se réunit à l'Ambatonahisondrano, sorte de torrent que l'itinéraire longe d'abord à flanc de coteau et qu'on traverse ensuite, au milieu des rapides, avec de l'eau jusqu'à la ceinture. La rivière, qui a 50mètres de large, est obstruée à peu près au milieu par un énorme bloc de rocher. Après le passage de l'Ambatonahisondrano, la route gravit, à travers bois, une courte pente et atteint un large plateau d'où on découvre un magnifique panorama s'étendant jusqu'aux montagnes qui bordent la rive droite de la Sofia: On y distingue les Trois dents, pics blanchâtres qui marquent le point de passage du fleuve. On pourrait suivre une autre route moins difficile qui tourne vers l'ouest, mais elle est un peu plus longue et ne permettrait pas de jouir des mêmeshorizons.
M. BASTARD. —DE MAROANTSETRAA ANDRANOSAMONTA 257 Après être descendu dans une nouvelle vallée coupée de nombreux petits ruisseaux, le chemin enveloppe un immense rocher noir en forme de casque ; bientôt, à un détour, on aperçoit le pic d'Ambatomiliky, au profil bizarre, rappelant celui d'un sphinx accroupi qui semble garder le défilé par où s'échappe l'Ambatonahisondrano. Les indigènes racontent, à ce sujet, la légende suivante. Ce rocher, qui est l'objet d'une sorle de culte dans toute la région environnante offusqua, paraît-il, un ancien conquérant qui, avant les Hovas, s'était emparé du pays. Il résolut d'en faire abattre la partie supérieure, qui forme une sorte de tête monstrueuse et qui paraît en équilibre instable sur le reste de la masse. Des câbles solides furent attachés à la tête du sphinx et des centaines de guerriers unirent leurs efforts pour essayer de la renverser. Cette tentative n'ayant pas abouti, le prestige du chef étranger en subit une grave atteinte; les habitants reprirent confiance et ne tardèrent pas à le chasser du pays. Après avoir traversé de nombreuses rizières, on arrive au gros village d'Ankiabé, disséminé en trois groupes (40 cases). Puis on rencontre la Sofia. La traversée est longue et difficile, surtout pour une troupe suivie d'un convoi. Le courant est rapide et le passage n'est assuré que par quatre petites pirogues à balancier pouvant contenir au plus trois passagers. Les embarcations sont en mauvais état, peu stables et la présence des caïmans, qui pullulent dans le fleuve, n'est pas faite pour diminuer les aléas d'une submersion possible. Ajoutez à cela les exigences d'une singulière coutume locale. Les piroguier ne sont en confiance qu'autant. que le passager se découvre en mettant le pied dans leur esquif et risque une insolation pour faire la traversée. Suivant la légende, lorsqu'on néglige de se conformer à cet usage, le dieu du fleuve s'irrite et ne tarde pas à engloutir l'embarcation et ceux qu'elle porte. Après avoir traversé la Sofia, on fait l'ascension d'un nouveau col d'où descend un petit ruisseau. Arrivé au sommet, on découvre au loin le cours du fleuve qui fait, vers le sud, un coude très prononcé; la vue s'étend aussi sur les vallées de plusieurs affluents et, en particulier, sur celle du Mangarahara, qu'une ligne de hauteurs cache cependant à courte distance ; enfin, à la limite de l'horizon, dans l'ouest, les guides signalent les défilés qui conduisent de Mempikomy à Béfandriana. En suivant un chemin qui descend entre deux croupes, on arrive au milieu de prairies marécageuses et on gagne le village de Mahazava (30 cases). A peu de distance, s'élève un espèce de redan à créneaux placé dans un bas-fonds et qui semble destiné à barrer la route. Mahazava parait être un ancien campement fahavalo qui fournissait les sentinelles du col. Les cases sont abandonnées ; on y trouve cependant, suivant l'usage des rebelles, le vieillard traditionnel que ses infirmités paraisent avoir empêché de fuir, niais qu'on a laissé là en réalité pour rendre compte des événements. Cette ruse est percée à jour; mais, l'humanité conservanttoujours ses droite b luit cherc.V' est quelquefois atteint.
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Au delà de Mahazava, on traverse la Vinara; cette rivière se réunit à un affluent de la Sofia, l'Antsahambala, qui est peuplée de caïmans et qui arrose le village du même nom situé à l'est de la route. A l'est, on devine aussi, au milieu des arbres, le village de Maromaso. A ce moment, la route s'engage dans une vaste plaine; à deux ou trois kilomètres dans l'est, on aperçoit le prolongement des monts de Befandriana, dont l'altitude est de 4 à 500 mètres. Dans le lointain, à gauche, des collines légèrement ondulées; à l'ouest, et à peu de distance, un rideau d'arbres continu accuse la présence d'une rivière, dont la route traverse les nombreux affluents, perpendiculairement à leur cours. En avant de plusieurs d'entre eux, s'élèvent de petits redans, derrière lesquels le lit même du ruisseau sert de tranchée-abri. Enfin, les collines, se rapprochant de plus en plus, finissent par se rejoindre; le chemin doit bientôt franchir un nouveau seuil qui semble séparer les bassins de la Sofia et de l'Antsinjomorona. A ce moment on aperçoit dans l'est de Béfandriana un massif isolé qui a apparu et disparu plusieurs fois depuis Mahazavaet qui semble reculer sanscesse. Bientôt, cependant, on finit par l'atteindre et, après l'avoir dépassé et traversé une forêt, on débouche sur la Kazamboa, rivière de 80 mètres de largeur mais d'un faible débit. Un peu plus loin, on arrive au village d'Ambadibonara (20 cases), qui est abandonné. Un petit col à pente presque insensible amène ensuite sur la Simboanana, qui arrose Béfandriana. Bientôt, on aperçoit la ville, que les rebelles ont incendiée la veille et au-dessus de laquelle s'élève encore une épaisse fumée. Au point de vue tactique, la position de Béfandriana est détestable; dominée de tous côtés par des hauteurs, avec son rova à double enceinte caché au milieu des maisons, elle aurait fait une excellente souricière si les fahavalos avaient voulu s'y enfermer. Une quinzaine de redans en palanques, mal établis au pied des hauteurs, ne pouvaient, en effet, créer de sérieux obstacles et, même défendue régulièrement, la ville n'aurait pas tenu longtemps contre une attaque en règle. Quoiqu'il en soit, Béfandriana était, depuis près de 15 ans, devenue une sorte de Capoue des fahavalos du nord. L'habitude des pillages faciles et d'une existence relativement large les avait peu à peu amollis et rendus incapables même d'un semblant de résistance. Aussi, la veille au soir, en apprenant qu'un détachement de troupes avait passé la Sofia, ils s'étaient enivrés pour se donner du courage, puis, dans un accès d'une rage folle, avaient tout incendié, tout saccagé et s'étaient enfuis ensuite avec leurs chefs, Rainiamboazafy et Rainikalamboa, emmenant femmes, esclaves, troupeaux et bagages. Il est dommage qu'on n'ait 150 pu empêcher cet acte de vandalisme, car Béfandriana comptait plus de maisons en pisé à étage, plus du double de cases malgaches et, tout autour, une multitude de riches villages, Amboroko, Antanambé, Ambodimangasoa, cachés dans les arbres, au pied des montagnes qui entourent la ville. La population de Béfandriana devait comprendre plus de 1.000 Hovas et le double au moins de Sakalaves et de Makoas. se Au nombre des produits européens découverts au milieu des ruines,
M. BASTARD. —DE MAROANTSETRAA ANDRANOSAMONTA 259 trouvaient des chaises cannées, des instruments de musique, des conserves, des bouteilles de liqueur vides, des journaux illustrés, des bibles et, enfin, des gravures allégoriques représentant, la main dans la main, les trois puissances de la triple alliance. On a trouvé aussi un album contenant une collection de gravures gallophobes. Comme l'indique la carte au 1/2.000.000e, Béfandriana semble dépendre du bassin de l'Antsinjomorona et la Kazamboa ainsi que la Simboanana doivent se réunir pour se jeter dans cette rivière. La direction des collines de l'ouest semble confirmer cette hypothèse qu'il y aurait, en tout cas, un grand intérêt à vérifier. De la Sofia à Béfandriana, la distance dépasse 40 kilomètres. De Béfandriana
à Antsohihy
A partir de Béfandriana, l'itinéraire se dirige vers le nord-ouest. Les deux routes de Maevarano et d'Antsohihy bifurquent à une heure de marche de Béfandriana, à hauteur du village d'Andranomanara. Le chemintraverse d'abord une plaine riche en pâturages et autrefois en rizières. A l'ouest, on laisse Ambatomainty (40 cases), le petit Andranomanara (10 cases) et le grand Andranomanara (30 cases). A l'est, les monts de Béfandriana courent du sud au nord; ils sont précédés d'une ligne de collines qui se rapproche progressivement de la route d'Antsohihy et finit par la séparer de celle de Maevarano. A l'entrée d'un col très peu élevé, on trouve sur la droite un autre chemin qui conduit à Marofoto, village indiqué par les guides comme se trouvant sur la route de Maevarano. Au delà, on descend dans une étroite plaine herbeuse bordée de coteaux et l'on atteint la rivière d'Ambodimoto, après avoir traversé un village abandonné d'environ 40 cases, qui porte le même nom. La rivière a 30 mètres de large; on la traverse à gué avec de l'eau jusqu'à la ceinture; puis, après avoir marché sous bois pendant près de deux heures, on débouche dans une plaine qu'arrose l'Ankobakobaka. De là, on distingue au nord de grandes collines qui se prolongent vers l'est et qui, avec celles que l'on vient de longer, semblent comprendre la vallée de l'Ankobakobaka. Un peu plus loin se détache, dans la direction du nord, une route qui conduit à Tsiafabazaha, célèbre repaire fahavalo. Au nord-ouest, un gros roc isolé en forme de casque; plus près, vers l'ouest, un mamelon en partie boisé, pittoresquement situé et qui, en tout autre pays, conviendrait à merveille à l'installation d'une campagne. Bientôt, on atteint l'Ankobakobaka ; c'est une rivière de peu de largeur, mais profonde; on la traverse en utilisant, comme pont, un arbre quelque peu tordu, jeté en travers, à plusieurs mètres de hauteur; le voyageur auquel cet exercice d'équilibre ne sourirait pas aurait, d'ailleurs, la ressource de prendre un chemin, plus au nord, qui permet de franchir la rivière à gué. Ankobakobaka, qui comprend environ 50 cases, est construit sur un mamelon ; les habitants, qui s'étaient d'abord enfuis, regagnent le village a l'approche du détachement : il en sera de mémo jusqu'à Antsohihy. Dans quel-
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ques localités même, les indigènes ont fait volontairement escorte à la petite colonne pendant plusieurs kilomètres. Après avoir traversé la plaine de l'Ankobakobaka, on pénètre sous bois et on franchit successivement plusieurs collines; peu à peu, les clairières s'allongent et le pays se découvre. Il faut signaler, en passant, que pendant un assez long parcours, l'eau est assez rare. On ne la retrouve qu'au ruisseau de l'Ampombilava, dont le cours ombragé se déroule autour d'un petit village de 20 cases auquel il donne son nom. La route suit la vallée et, deux heures plus tard, on atteint un deuxième village d'Ampombilava, de moins bonne apparence que le premier. Tout autour, les indigènes cultivent le riz des bois. Enfin, tout près de là, coule l'Antsinjomirona, qui a déjà, en ce point, près de 10 mètres de large, mais qu'on peut cependant traverser à gué. La rivière descend du sud-ouest et, par un brusque coude, se dirige vers l'ouest, où des collines la cachent bientôt aux regards. A partir du premier village d'Ampombilava, la route avait fait un crochet à angle droit pour se diriger vers l'ouest; au delà du second village, elle se redresse complètement vers le nord. Le pays étant, dans cette région, peu accidenté, il semble qu'on pourrait aisément éviter ce détour et abréger ainsi cette partie du trajet. On passe l'Ampombilava à gué; immédiatement après, on pénètre dans une région d'un aspect nouveau parsemée de coteaux sur lesquels le latanier pousse admirablement. Les indigènes tirent un grand parti de cette essence pour la construction de leurs cases. Bientôt, on atteint le village d'Anzalazala, qui est construit au fond d'une dépression de terrain et qui ne comprend qu'une douzaine de cases assez misérables. Un peu au delà, commence une forêt de lataniers coupée par une multitude de ravins et de ruisseaux; puis, dans un terrain rocailleux, une descente d'une centaine de mètres qui conduit à l'Antsalohivery. A partir de ce cours d'eau, on s'engage sur un plateau ondulé planté de lataniers, qui s'étend jusqu'à la rivière d'Ambobaka. Après avoir passé cette rivière, on entre dans un bois coupé de clairières et on escalade un coteau dénudé; enfin, après une nouvelle descente, on débouche de la forêt et, dans une grande clairière en forme de cuvette, on trouve le village d'Ampomotro (35 cases) presque adossé au bois. C'est là, le 6 mars 1897, qu'après une marche ininterrompue de près de 400 kilomètres, on atteint et on surprend au bivouac la première bande fahavalo. A l'arrivée du détachement, les rebelles préparaient le repas du soir. Après un moment de panique, ils sautent sur leurs armes et ripostent vigoureusement aux feux de-salves. Néanmoins, leur campement ne tarde pas à être enlevé et ils s'enfuient vers le nord. La nuit, qui commence à tomber, empêche de les poursuivre. Les perquisitions faites dans le village amènent des découvertes inattendues ; les rebelles pris au dépourvu ont dit abandonner une partie de leurs charges: des plumets blancs et routes, on y trouve des uniformes de colonei anglais, des chapeaux haute forme, des robes de soie, des chapeaux, des chemises et des
A ANDRANOSAMONTA 261 M. BASTARD. —DE MAROANTSETRA pantalons de femmes, des bottines, des souliers de bal, des bibles, des photographies obscènes, des gravures gallophobes, une pharmacie de campagne, les papiers et le cachet du chef rebelle Rainiamboazafy, enfin, trois canons de fusil Winchester et deux drapeaux aux armes de la reine. Le lendemain, après avoir franchi un col, on quitte définitivement la forêt pour traverser une plaine de lataniers entrecoupée de marécages. La route atteint ensuite le ruisseau d'Ampandriakalandy, puis un petit col entre deux falaises de 40 mètres de hauteur, au delà duquel on tombe dans la plaine de Kavilavato, où l'on croise la route de Maevarano à Ambodivahitra. L'importance stratégique de cette plaine mérite d'être signalée. C'est là que, pendant les pluies, viennent paître les troupeaux d'Antsohihy; on y aperçoit, d'ailleurs, quelques hameaux de bouviers. Après avoir franchi un nouveau col, on rejoint le ruisseau d'Antsohihy. On laisse à l'est un plateau boisé qui s'élève en pente douce, puis on longe une petite falaise au haut de laquelle est construit le village Anoron-Antsohihy (20 cases) ; sur la rive droite du ruisseau, on aperçoit aussi plusieurs villages qui, du nord au sud, se succèdent dans l'ordre suivant: Antanambo, Andafivaharatra, Antsohihy, Morafeno, Antanamakoa. Enfin, sur un plateau à pente escarpée de 50 mètres d'élévation, on trouve Antsohihy, qui a été évacué l'avant-veille. Les palissades qui entourent le village ont été arrachées, mais un certain nombre de cases restent debout. On en compte une dizaine en pisé, qui sont toutes comprises dans l'enceinte; des cases malgaches, au nombre d'une cinquantaine, sont à l'extérieur. Vers le nord, le plateau se continue en pente douce; il est recouvert de champs de manioc. L'Antsinjomorona n'est pas visible d'Antsohihy; en empruntant le cours de ses affluents, les boutres peuvent, grâce à la marée, remonter jusqu'à 1.800 mètres d'Antsohihy; de là l'importance de ce gros village, qui est le débouché naturel de Befandriana. Les constatations faites dans cette partie de l'itinéraire montrent qu'Antsohihy est plus éloigné de Befandriana que ne l'indique la carte. Enfin, il semble qu'à partir de Befandriana, on ne quitte pas le bassin de l'Antsinjomorona ; sur tout le parcours, on n'aperçoit, d'ailleurs, qu'une seule fois le cours de cette rivière à hauteur du deuxième village d'Ampombilava. D'Antsohihy
à Maevarano
En quittant Antsohihy, la route descend le plateau sur lequel le village est construit et se dirige vers l'est. On traverse presque aussitôt l'Antsohihy qui, un peu en aval, s'élargit très vite et subit l'action des marées. De là, on s'élève en pente douce jusqu'à Morafeno, puis on franchit les collines qui séparent l'Antsohihy de l'Ampondrabé. Avant d'atteindre cette dernière rivière, on traverse le village d'Ambolalonko, qui comprend deux agglomérations, dont l'une, le
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village hova, était entouré de palissades; les rebelles y ont mis le feu et les débris des cases fument encore au momont de l'arrivée du détachement. L'Ampondrabé, qui coule au pied du village, est accessible aux boutres; à des dates fixes, ces bâtiments remontent la rivière et viennent débarquer en ce point les marchandises à destination d'Antsohihy, de Béfandriana et, quelquefois même, de Mandritsara. Un peu plus loin, se détache un sentier qui se dirige vers le nord-est et conduit à Troniny, ancien poste hova. Ce chemin avait été créé pour éviter le double passage de l'Antsingo et de l'Antsingomaty, dont les riverains étaient peu soumis aux Hovas et les recevaient parfois fort mal. Aujourd'hui, cette traverse est envahie par les hautes herbes; d'ailleurs, comme elle parcourt un terrain marécageux, les Sakalaves la fréquentaient peu et préféraient faire le détour dans l'ouest, par Antombodia et l'Antsingo. L'Ampondrabé a 25 mètres de largeur et peut être passé à gué; au point où la route le traverse, il enserre, avec un de ses affluents de droite, l'Ambalarano, une sorte de presqu'île plate, herbeuse et plantée de lataniers, qui se prolonge vers l'ouest. L'Ampondrabé descend du sud-ouest. L'Ambalarano vient de la région d'Andrampinarosy, village situé à l'est et probablement au pied des monts de Béfandriana. La route traverse le village d'Ambalarano, construit sur un petit éperon qui domine la rive droite; on aborde une ligne de petites collines boisées et on descend dans une plaine qui s'incline doucement vers le nord; puis, en marchant à l'est, et après avoir monté de nouveau, on atteint un petit plateau au pied duquel coule l'Antsoha, qui est le dernier des affluents de l'Antsinjomorona qu'on rencontre sur le parcours. La descente dans la vallée se fait sous bois; elle est assez dure, surtout lorsque l'argile rouge du sol est détrempée par la pluie. Au delà de l'Antsoha, on gravit un nouveau plateau d'où la vue s'étend fort loin. Dans les coupures des collines boisées, on voit la rivière fuir vers le nordouest, où elle rejoint probablement l'estuaire de l'Antsinjomorona, qui a changé de nom et est devenu le Manangaziny. Au nord, s'étend une grande plaine faiblement accidentée; plus près, miroite une vaste nappe d'eau; c'est le lac Maliolio, auquel aboutissent de nombreux ruisseaux. Vers le nord-est, des collines éloignées limitent l'horizon. Enfin, dans la vallée, serpente l'Antsingo, qui se dirige lentement au nord, où il va se perdre dans l'estuaire de la Maevarano. Après avoir contemplé un moment le magnifique panorama qui s'offre aux regards et franchi les petits tributaires du lac Maliolio, on laisse sur la droite le petit village d'Antanginy, presque caché par les hautes herbes, et on gagne un col qui conduit bientôt au gros village d'Antambondria, plus connu dans la région sous le nom d'Antsingo. De belles futaies annoncent le voisinage d'une rivière. On ne tarde pas, en effet, à descendre sur les bords de l'Antsingo, qui a 200mde large,
M. BASTARD. —DE MAROANTSETRAA ANDRANOSAMONTA 263 un courant assez fort, et dont le passage est assez compliqué. Lorsque les eaux sont basses, on peut, à la rigueur, traversera gué, à la condition, toutefois, de dédaigner les caïmans, qui pullulent dans la rivière. Tout compte fait, il est plus prudent de recourir à la pirogue à deux places qui stationne ordinairement sur la rive. On débarque dans une île comprise entre l'Antsingo et un bras mort de cette rivière, l'Antsingomaty. Un village d'une douzaine de huttes y est caché dans les herbes; c'était dit-on, le refuge des Sakalaves qui refusaient de reconnaître l'autorité desHovas. La vue est bornée, à droite et à gauche, par les nombreux accidents du sol. A une dizaine de kilomètres d'Antsingo, on croise une route qui vient du sudest et qui conduit directement à Befandriana. Peu après, on arrive au hameau d'Antanandavana. Une demi-heure plus tard, après avoir escaladé un épe- les la hauteur domine la sur le flanc de on atteint Ironiny; qui rivière, ron, Hovas avaient construit un rova, aujourd'hui en ruines; au-dessus, s'étagent trois groupes de cases dont la réunion forme le village. Ces cases, au nombre d'une soixantaine, sont bien construites; la population paraît à l'aise et assez nombreuse. La traversée de l'Antsingomaty ne présente pas de difficulté. Au débouché de la région boisée qui borde le fleuve, on rencontre un soulèvement de collines,. dont on franchit successivement les chaînons secondaires, qui comprennent entre eux une multitude de ruisseaux. L'Ironiny, qui coule au pied du village, a 100 mètres de large; on petit le traverser à gué avec de l'eau jusqu'à la ceinture; la rive gauche est rocheuse et escarpée, la rive droite est sablonneuse et plate. Au delà, après avoir longé quelques belles rizières, on arrive sur les bords de l'Andranompony, rivière étroite, encaissée et d'un cours assez rapide. On la franchit sur une sorte de pont branlant construit par les indigènes au moyen de quelques troncs d'arbres grossièrement assemblés. Après l'ascension d'une sorte de falaise, on gagne un plateau d'où on découvre, dans l'est, le beau lac d'Andranopongy, dont les eaux paisibles reflètent les pentes boisées des collines avoisinantes. Sauf la différence, de végétation, ce paysage rappelle, dans son ensemble, certains coins de la Savoie. Vers l'ouest, miroite au soleil une autre nappe d'eau de moindre étendue qu'entourent presque complètement des hauteurs dénudées ou des marécages; c'est le lac Bémakamba, qu'alimente un ruisseau de même nom. La route vient ensuite se heurter à une falaise nouvelle; elle la contourne, pour en retrouver bientôt une seconde, puis une troisième, dont on ne peut éviter l'ascension. Après cette série de montées et de descentes, on atteint la rivière d'Antsaralalana et le village du même nom, qui comprend une quarantaine de cases, dont la moitié à peu près est en ruines. A travers un pays dénudé, planté ça et là de lataniers et sillonné de nombreux ruisseaux, on gagne la ligne de partage des eaux de l'Antsingo et du
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Maevarano ; enfin, après avoir franchi une dernière croupe, on descend définitivement dans le bassin de cette dernière rivière. L'agglomération connue sous le nom de Maevarano est formée de plusieurs villages construits sur les deux rives du fleuve. Sur la rive gauche, on trouve un premier groupe de deux gros villages comprenant environ 250 cases et dont l'ensemble forme Ambodimadiro. Sur la rive droite, un autre groupe de deux villages prend le nom de Béfotaka; il comprend près de 150 cases. Enfin, sur un éperon au nord-ouest est construit le village d'Ambodibonara, près duquel se trouve le poste de milice. La rivière, profonde et peuplée de caïmans, a 350 mètres de large; un service de 5 à 6 pirogues permet au détachement de la traverser assez rapidement. Le poste de milice d'Ambodibonara est juché sur une sorte d'éperon à pentes escarpées, qui domine d'environ 60 mètres les villages environnants. A distance, il fait l'effet d'une sorte de donjon féodal auprès duquel les populations, rentrées depuis peu, viennent chercher aide et protection. Au point de vue géographique, cette partie de l'itinéraire donne lieu anx quelques observations suivantes: Antsohihy se trouve au sud-ouest de Maevarano; la carte indique un cours d'eau, l'Antambo, qui ne semble pas exister; en revanche, elle omet l'importante rivière de l'Antsingo, qui se réunit à l'Antsinjomorona pour former la Loza. La distance d'Antsohihy à Maevarano est, à peu de chose près, de 70 kilomètres. De Maevarano
A Andranosamonta
De Béfotaka à Andranosamonta, le pays est relativement peu accidenté, assez découvert et facilement praticable; aussi, y a-t-on tracé plusieurs routes entre lesquelles on peut choisir son itinéraire, suivant la saison ou le but particulier qu'on se propose. L'un de ces chemins suit les crêtes et passe par Marofamaky : un autre passe à l'est de ce village et à l'ouest de celui d'Andrafiabé. La première route franchit, vers Marofamaky, une colline rocailleuse qui semble n'être qu'un contrefort de la chaîne qui court à l'est, parallèlement à la côte. La deuxième route suit une dépression qui, dit-on, se transforme en lagune pendant la saison des pluies et forme ainsi une sorte de chenal entre la Loza et la baie de Port-Radama. S'il en est ainsi, il serait facile de régulariser à peu de frais cette communication par eau. Le creusement d'un véritable canal, accessible en tout temps, donnerait un vif essor aux transactions commerciales dans toute cette contrée et mettrait en relations immédiates les centres importants d'Andranosamonta, Maevarano, Analalava et Antsohihy. Un peu au delà de Marofomaky, dès qu'on a gravi la colline, on aperçoit le poste d'Andranosamonta, qu'on atteint après deux heures de marche. Etabli sur une hauteur, il a des vues étendues sur tous les alentours et surveille efficacement le pays.
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A l'abri de la garnison, le village, qui avait été presque entièrement détruit par les fahavalos, s'est reconstruit avec une rapidité surprenante. Occupé pour la première fois par nos troupes le 4 janvier 1897, et trouvé presque en cendres à cette époque, il comprend aujourd'hui une cinquantaine de maisons en pisé et près de 500 cases malgaches. L'agglomération s'étend, d'ailleurs, de jour en jour et, avant peu, elle deviendra l'un des centres les plus importants de la côte nord-ouest. A marée haute, les boutres remontent en deux heures de Port-Radama à Andranosamonta. Un petit ruisseau, qui coule au nord du village, ouvre une route vers les plateaux et les collines de l'est. Plus loin, au nord, le Manambary s'enfuit en serpentant entre un gros mamelon dénudé et une falaise boisée. Enfin, à perte de vue, au nord-est, on distingue une masse montagneuse d'où émerge une sorte d'aiguille, dont l'altitude paraît atteindre environ 1.000 mètres. Les indigènes désignent ce pic sous le nom de « Bekoloché». La désinence paraît bizarre, mais il ne faut pas être grand clerc pour trouver l'étymologie de ce néologisme malgache et y reconnaître l'appellation de «grand clocher», dont quelque explorateur français a, sans doute, baptisé ce sommet. Ici s'arrête l'itinéraire parcouru de Maroantsetra à Andranosamonta. En cours de route, M. le lieutenant Bastard s'est arrêté pendant quelques jours à Antsohihy et a mis à profit son séjour dans cette région pour exécuter deux autres reconnaissances, l'une vers Bekorovaka, localité située à 30 kilomètres environ au nord-ouest d'Antsohihy et l'autre vers Ambodivohitra, qui se trouve à peu près à 80 kilomètres au sud-ouest. Ces explorations ont donné lieu à une nouvelle étude, dont le résumé trouve naturellement sa place à la suite de l'itinéraire principal. à Bekorovaka, et Ambiky D'Antsohihy par Bemaimpay Une certaine effervescence ayant, été signalée dans la région du nordouest d'Antsohihy, M. le lieutenant Bastard quitte cette localité le 2 avril, avec un petit détachement, et prend pour objectif Bekorovaka, village situé à environ 30 kilomètres du poste. En cours de route, il se propose de visiter également Bemaimpay et Ambiky. On quitte Antsohihy par le nord du plateau sur lequel est construit le village et on descend, en pente douce, jusqu'au port. Les Hovas en avaient autrefois défendu l'accès par des retranchements qui existent encore aujourd'hui et qui représentent un travail considérable, mais peu judicieux. Le profil des créneaux et des plongées ne permet qu'un tir horizontal qui laisse en angle mort toute la zone à défendre. L'Antsohihy, comme plusieurs autres rivières delà région, prend, sur un très faible parcours, une importance considérable. En moins de 2 kilomètres, le ruisseau qu'il était d'abord, grossit presque subitement et atteint 40 mètres de large et de4 à 5 mètres de profondeur. Cette particularité semble tenir à l'action de la marée, qui se fait sentir à très grande distance et amène des variations
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de niveau de 4 à 5 mètres; c'est ainsi que les rives du fleuve, plantées de bois épais, sont complètement découvertes à marée basse et inondées à marée haute. Aussi, le régime des eaux de cette contrée rend-il l'usage des pirogues absolument indispensable pour les allées et venues journalières. Les boutres montent au port d'Antsohihy avec le flux de la marée et en redescendent avec le reflux. En quittant les rives de l'Antsohihy, on laisse à gauche la Bekotrobaka, rivière de 75 mètres de large, également accessible aux boutres, et la Bevoay (40 mètres de large), cours d'eau navigable seulement pour les pirogues. On débouche ensuite sur l'Ampondrabé, autre rivière importante de près de 300 mètres de largeur; son cours présente, dit-on, un grand développement;il arrose successivement Andampinarosy, Betangerina, Ambahindrano, Ambalaoko, mais c'est seulement en ce dernier point que la rivière s'élargit et devient navigable. Elle reçoit ensuite à gauche la petite Ankaboka, qui permet de remonter en pirogue jusque vers Antsaonjo, point de passage de l'Antsinjomot rona. Plus loin, encore à gauche, on laisse un petit ruisseau et on atteint bientôt un fleuve immense, aux eaux jaunâtres, dont la largeur est d'environ 1.200 mètres et sur lequel un croiseur pourrait évoluer aisément. Les Sakalaves l'appellent le Manangaziny ; mais ce n'est autre chose qu'un estuaire formé par la réunion de la Dora et l'Antsinjomorona, qui est lui-même le grand collecteur de toutes les eaux de la région. Le Manangaziny, après avoir coulé d'abord vers le nord-est, vient se heurter à une petite chaîne de collines qui le rejette vers le N.N.O.; il se dirige de là vers l'estuaire de la Loza par une coupure dans les montagnes qui barrent l'horizon. Vers le nord, un plateau boisé longe la rive gauche du fleuve ; à l'ouest, on aperçoit le confluent des deux rivières qui le forment, la Dora et l'Antsinjomorona. La Dora reçoit elle-même l Androabé et l'Ambiky et, par l'enchevêtrement de ses divers bras, forme plusieurs îles à son point de réunion avec ces affluents. Le tribut que lui apportent ces divers cours d'eau font du Manangaziny un fleuve majestueux ; il faut ajouter, toutefois, qu'à l'exception de la Dora et de l'Antsinjomorona, presque tous ces affluents n'ont d'importance que sur un faible parcours. Quant à l'Antsinjomorona, les indigènes assurent qu'elle est encore navi. gable à 40 kilomètres au sud d'Antsohihy et que les boutres l'ont remontée plusieurs fois jusque vers Amponbilava, c'est-à-dire à environ 60 kilomètres de Béfandriana. L'intérêt que la constatation de ce fait peut offrir pour l'avenir commercial de la contrée justifierait une étude complète du cours de cette rivière, et peutêtre même, l'envoi d'un canot à vapeur qui ferait le service entre l'estuaire de la Loza et Antsohihy et, si c'était possible, jusqu'à Amponbilava. Après avoir traversé le Manangaziny en pirogue, on débarque au pied du
M. BASTARD. —DE MAROANTSETRAA ANDRANOSAMONTA267 coteau boisé d'Antapiambato, dont on fait l'ascension ; puis, on descend dans les forêts marécageuses et presque toujours inondées de l'Ambiky et du Bemainpay. Jusque-là aussi, la marée se fait sentir. La nature du terrain et l'aspect de la route varient peu jusqu'au village de Bemainpay, construit sur un petit plateau et formé d'une douzaine de cases. A l'ouest, dans des parties de bois débroussaillées, de belles rizières, et, au centre de chacune d'elles, une hutte dans laquelle le cultivateur vient habiter avec toute sa famille au moment des semailles et de la récolte. On aborde maintenant une suite de coteaiix que la route franchit en continuant à se diriger vers le nord; à l'est, on aperçoit des montagnes ; à l'ouest, et beaucoup plus près, une ligne de collines marque la limite du tèrritoire de Tondroko, roitelet sakalave d'une douzaine d'années, dont l'autoritéest reconnue par les peuplades qui confinent à la baie de la Mahajamba et à celle de la Narenda. Sa capitale est Antonibe; il est le fils et l'héritier d'un roi qui possédait une grande influence et affectait de copier l'étiquette des cours européennes. Ses correspondances, écrites sur papier de luxe, portaient l'en-tête imprimée: PROTECTORATDE MADAGASCAR N'GMOGNON Roi de Narenda et Nossi-Lava Malgré son jeune âge, Tondroko continue la tradition. Peu après l'arrivée à Antsohihy de M. le lieutenant Bastard, il lui adressait un message libellé de la même façon et dans lequel il protestait de son dévouementenvers la France. Après avoir dépassé Bemainpay, on descend jusqu'à la Bekorovaka et au village du même nom, en laissant sur la gauche des rizières et de nombreux groupes de buttes. Bekorovaka possède une vingtaine de petites cases, dont quelques-unes sont groupées, à 300 mètres dans l'est, au pied des collines qui encadrent la vallée. Pour arriver au village, la route monte un col et descend ensuite presque à pic dans un ravin. Le retour à Antsohihy se fait par un itinéraire situé à l'ouest du précédent et qui longe presque constamment la vallée de Bemainpay. Toute cette région est très accidentée en revanche, les rizières y sont ; extrêmement nombreuses et en pleine prospérité. Au delà du village de Bemainpay, une montée en pente douce conduit sur la ligne de partage des eaux du Bemainpay et de l'Ambiky; cette dernière rivière arrose une grande plaine converte de riches pâturages mais où, malheureusement, le bétail fait absolument défaut. Depuis l'insurrection, les bœufs ont à peu près disparu de toute cette contrée et il faudra de nombreuses années pour reconstituer les troupeaux. Le village d'Antanantsara, qu'on traverse ensuite, ne possède que quelques
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cases bâties sur un petit éperon entre deux ruisseaux. En continuant vers le sudest, on atteint bientôt le village d'Ambiky, qu'on trouve désert; les habitants sont en forêt, occupés à la récolte du riz. A l'ouest, on aperçoit des collines qui se dirigent vers la Sofia et d'où émerge le mont d'Ambohinanjy, bien reconnaissable par sa forme de cône tronqué. Les Sakalaves de la région y ensevelissent leurs morts et ont creusé sur ses flancs de nombreux caveaux. Au delà de la rivière d'Ambiky, on traverse des forêts marécageuses; puis, après avoir franchi de nouvelles hauteurs, on arrive au bord de la rivière de Bemainpay qui a, en ce point, plus de 50 mètres de large et une profondeur de deux à trois mètres. Un kilomètre plus loin, on retrouve l'Ambiky qui, depuis qu'on l'a quitté, a pris à peu près la même importance que le Bemainpay. Dans le voisinage, on aperçoit çà et là des débris d'habitations lacustres, où les Morafelos en guerre avec les Hovas venaient autrefois se réfugier. Enfin, on atteint l'Androabé et l'on rentre à Antsohiby par l'itinéraire déjà suivi. La tranquillité paraît régner dans toute cette région, qui possède peut-être les plus belles rizières de la grande île. à Ambodivohitra, par Amboroa et Antsahamangary M. le lieutenant Bastard, chargé d'une reconnaissance dans la région située au sud-ouest d'Antsohihy, a parcouru, du 12 au 17 août 1897, avec un petit détachement, l'itinéraire d'Antsohihy à Ambodivohitra. Au départ d'Antsohihy, on s'engage d'abord dans une vaste plaine légèrement ondulée; puis, après une montée insensible qui conduit au sommet d'une colline peu élevée, on descend à Marosampana, village de Zazamangas (Makoas), formé de deux hameaux et comprenant en tout une vingtaine de cases. Au delà, des marécages et des futaies annoncent l'Antsinjomorona. On oblique vers le sud-ouest et on atteint cette rivière, qu'on longe jusqu'au point de passage. Elle coule rapide et profonde dans un lit assez encaissé et on ne dispose, pour la franchir, que d'une seule pirogue en mauvais état. Il serait aisé de passer à la nage, mais l'abondance des caïmans dans ces parages rendrait cette traversée au moins téméraire. Sur l'autre rive, on trouve le hameau de Marosakoa, construit à la lisière d'un bois et entouré de champs de manioc. La route se continue à travers les marécages de la Bériaria, qu'on longe à peu de distance pendant près d'un kilomètre. Enfin, au milieu de belles rizières, on découvre le village d'Ambohimarina. Plus loin, après avoir franchi une falaise de 40 mètres de hauteur, on suit un plateau qui s'abaisse en pente douce sur les rives de l'Amboroa. De l'autre côté de la rivière, se trouvent, sur un petit mamelon, deux hameaux dont la réunion forme le village d'Amboroa. Le chemin descend ensuite dans les rizières et passe à proximité du lac d'Anjanibé, qu'on laisse sur la droite. Bientôt, après une nouvelle descente, on aperçoit, à demi cachée dans la D'Antsohihy
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verdure, une rivière au cours tranquille, fi l'eau claire et limpide; c'est l'Affi pondralava qui, à peu de distance de là, se jette dans la Droa; elle a 30 mètres de large et, en moyenne, 0m75de profondeur. Au delà, les marécages alternent avec des coteaux boisés ou dénudés jusqu'à la traversée d'un plateau qui domine le cours de la Droa. Cette rivière, qui roule des eaux jaunâtres et bourbeuses, n'a guère plus de 25 mètres de largeur; sa profondeur moyenne est d'environ 1m50. Après avoir franchi quelques ruisseaux dont le cours s'étale en larges étendues marécageuses, on atteint une ligne de coteaux, d'où on aperçoit, sur la rive droite, une vaste plaine; enfin, dans le lointain, la surface unie d'un grand lac coupe la monotonie du paysage. Plus près de la route, une rivière, la Marivorano, coule derrière un rideau d'arbres; la route, qui la suit de près en serpentant sur ses bords, finit par la traverser. Dans toute cette région, le terrain convient à merveille à la culture des rizières; l'eau s'y rencontre en abondance, soit à l'état de ruisseaux arrosant les plaines, soit sous forme de mares ou de sources vives pouvant être utilisées pour l'irrigation. À travers les hautes herbes, on remonte un petit affluent de la Marivorano et, après l'avoir traversé plusieursfois, on atteint un groupe de monticules au milieu desquels il prend sa source et qu'entourent de superbes rizières en plein rapport. Ces hauteurs franchies, on découvre le joli village d'Antsahamangary, entouré presque complètement par une petite rivière, l'Ankaranomalatsaka. A peu de distance, se dresse au sud le Manasamody, sorte de large promontoire dominant la plaine; ce sommet semble se relier au système des hautes collines qui limitent l'horizon à l'ouest et qui s'étendent jusqu'à près de 100 kilomètres dans le nord. Au point de vue géographique, le Manasamody sépare le bassin de la Sofia de celui de l'Antsinjomorona; enfin, il forme également la limite des petits bassins côtiers de la région. L'Ankaranomalatsaka est un affluent de la Droa, peut-être même une de ses sources. Il n'est donc pas possible d'attribuer au cours de l'Antsingo la longueur que lui donne la carte. La même observation s'applique à l'affluent qu'elle attribue à la Sofia et qui paraît être l'Ankaramy. Après avoir traversé plusieurs fois l'Ankaranomalatsaka, on commence l'ascension du Manasamody, dont l'altitude est voisine de 500 mètres, La pente n'est pas excessive et, grâce à plusieurs lacets à flanc de coteau, on parvient au sommet sans trop de difficultés. A mi-çhemin, le sentier longe une gorge profonde presque à pic au fond de laquelle se trouvent de nombreuses rizières et oùcoule l'Ankaranomalatsaka entre deux murailles de rocher. Sur l'autre versant, on aperçoit l'Ankaramy. Le plateau du Manasamody estcouvert d'une herbe spéciale à barbes filiformes et pointues qui blessent les bourjanes et ralentissent la marche. Une brusque descente conduit aIl village maquois d'Antsaharonala. qui no romnrp.ndnur>rmolrniescases, miis dont la çilnnl ion l'ct
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des plus pittoresques: à droite et à gauche du village, un profond ravin; en arrière, le Manasamody ; en avant, la montagne d'Ambodivotra, sorte de contrefort du Manasamody. Vers le sud-est, une immense plaine, faiblement ondulée, s'étend jusqu'aux limites de l'horizon; la Sofia y coule, mais on ne la distingue pas. Après avoir fait l'ascension de la montagne, d'Ambodivohitra, on arrive, par une belle descente, au village du même nom qui est construit sur le bord de l'Ankaramy; à peu de distance, un kilomètre environ, se trouve un autre village, Ambodimanga, qui compte une dizaine de cases. Un rova existait autrefois à Ambodivohitra; mais, au début de l'insurrection, les Hovas qui habitaient le village l'avaient incendié avant d'aller rejoindre Rainiamboazafy. La Sofia est à une demi-journée de marche d'Ambodivohitra. Beaucoup plus au sud, à quatre journées de marche environ, se trouve Mempikony, qu'occupait encore à la fin d'avril le chef rebelle Rainitavy et où s'étaient réfugiés les débris des bandes de Mandritsara, Befandriana et Antsohihy. Sur la route de Mempikony, on rencontre la rivière d'Ambajohony et les rovas de Belalitra et de Miarinarivo. Il est intéressant, à ce sujet, de signaler le mode d'occupation très judicieux qu'avaient adopté les Hovas et qui leur permettait, avec un effectif relativement faible, de dominer tout le pays. Leur système consistait à créer, vers le thalweg des vallées fertiles et commerçantes, une série de postes qui se reliaient et s'appuyaient entre eux. Dans la région qui vient d'être décrite, une ligne ainsi établie dans une direction sensiblement nord-sud comprenait, sur un parcours d'environ 450 kilomètres, les 12 postes ci-après: Anorontsangana, Ankaramy, Andranomalaza, Andranosamonta, Ambodibonara (Maevarano), Ironiny, Ambalaonko, Antsohihy, Ambodivohitra, Belalitra, Miarinarivo, Mempikony. Une autre ligne partant de Tsiafabahaza se dirigeait vers Mandritsara par Ankisiny, Marolampy et Béfandriana. Ici s'arrête la description des divers itinéraires suivis par M. le lieutenant Bastard. Les nombreux renseignements recueillis par cet officier sur la topographie et les ressources des régions parcourues seront des plus utiles aux explorateurs et fourniront les indications les plus précieuses pour l'établissement ultérieur de la carte définitive du pays. A ce titre, le résumé du travail de M. le lieutenant Bastard avait sa place toute indiquée dans la revue: Notes et Explorations. BASTARD.
RÉGIONSDIVERSES DE MADAGASCAR
ETUDE
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DÉTAILLÉE DES
DIVERSES
RÉGIONS
DE
MADAGASCAR
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CERCLE de mAIUNDUVO
et CERCLE-ANNEXE
d'AIUVONlltUUO
1er Mai 1897
L'ancien cercle d'Arivonimamo a formé deux circonscriptions: le cercle de Miarinarivo et le cercle-annexe d'Arivonimamo. L'histoire de l'un est celle de l'autre, et nous retracerons, sous la rubrique: Cercle de Miarinarivo, les événements survenus dans l'une et l'autre région, événements qui ont, d'ailleurs, entre eux une liaison trop intime pour pouvoir être séparés. Limites Le cercle actuel de Miarinarivo a pour limites: au nord et à l'ouest, les payssakalaves; au sud, le cercle-annexe de Bétafo ; il l'est, le cercle-annexe d'Arivonimamo et le cercle d'Ankazobé. Le cercle-annexe d'Arivonimamo est limité: au nord, par le cercle d'Ankazobé et le 3e territoire militaire; à l'est, par le cercle de Miarinarivo ; au sud, par le cercle-annexe de Bétafo et, à l'ouest, par le cercle de Tsiafahy. Orographie.-Géologie Le territoire des cercles de Miarinarivo et d'Arivonimamo se trouve au point central de l'orographie de Madagascar ; aussi, c'est, sur toute sa surface, un chaos de montagnes, une suite ininterrompue et sans ordre de mamelons dénudés, de pics élevés, séparés par d'étroits couloirs, au fond desquels coulent des torrents, à sec pendant l'été et roulant des masses d'eau considérables pendant l'hivernage.
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RÉGIONS DIVERSESDE MADAGASCAR
Au sud-est, se trouve le massif de l'Ankaratra, constitué par des soulèvements basaltiques considérables, qui ont fait de cette région le point culminant de l'île. Les sommets dépassant l'altitude de 2.000 mètres y sont nombreux le ; plus élevé d'entre eux, le Tsiafajavona, atteint 2.650 mètres environ. A l'ouest, dans le Mandridrano, la formation volcanique est plus apparente, surtout entre la Lily, le lac Itasy et la Sahomby. Cene sont partout que des cratères éteints, des coulées de laves à fleur du sol, et le lac Itasy, lui-même, paraît être un ancien cratère moins élevé que les autres, où les eaux se sont accumulées. Les tremblements de terre sont presque quotidiens dans les environs de Ngiloby, et d'une intensité à menacer la solidité des constructions. Une étude scientifiquede ces mouvements sismiques présenterait certainement de l'intérêt. Avec une telle constitution géologique, les sources thermales ne peuvent qu'être abondantes: la plus importante du Mandridrano est celle d'Ambalanirarano, qui jouit d'une grande réputation parmi les indigènes. A Ramainandro, dans le Manalalondo, existe aussi une source très connue, dont les eaux ont donné la composition suivante pour un litre: Silice 6. 160 0. 184 Carbonate de chaux do 0. 075 de magnésie. do traces de fer. 0. 504 Alcalins. 0. 277 Sulfate de soude. 1. 500 Chlorure de sodium. 0. 007 Acide sulfhydrique. 0. 187 Acide carboniqne. M. le docteur Rocheblave, médecin-major du régiment d'Algérie, a découvert, au mois d'avril, à proximité de Mahatsinjo, dans la vallée du Mazy, une source qui, semblable à un puits artésien, jaillit en bouillon et s'élève à trente centimètres au moins au-dessus du sol. L'examen sommaire auquel s'est livré le docteur laisse supposer qu'elle présente de sérieuses qualités thérapeutiques, mais il convient d'attendre, pour être fixé sur ce point, les résultats d'une analyse rigoureuse. Les gisements minéraux se présentent un peu partout. On rencontre du fer dans tout l'Ankaratra, particulièrement à la montagne d'Amby, près Mandrasoa, où il se trouve à fleur du sol; l'or existe également dans ce massif, mais en faible quantité, notamment vers Ambatotokana, au sud-ouest d'Arivonimamo, Ankotakotaza, sous-gouvernement d'Amboniriana, Amarokitsamby, Amby, Ambatomainty et plusieurs autres centres du district d'Antsahadinta. Le Manalalondo n'a pas de mines actuellement connues; certaines rivières tributaires du Kitsamby charrient de l'or; l'une d'elles est exploitée près d'Ambohimbazimba. Un dépôt de lignite a été signalé ausud de l'Isaha. Dans le Mandridrano, les mines sont également rares; les indigènes signa-
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lent pourtant la présence du fer en un certain nombre d'endroits; on trouve de l'or d'alluvion à Antalevana, dans le lit du Kitsamby, et dans le ruisseau de Beanamamy, à l'est de Masindray. - C'est aux environs de ce dernier village que se trouve la concession accordée par le Gouvernement malgache à M. Talbot, sujet anglais. Un gisement de chaux a été également constaté à Andranomafana, près d'Ambalanira. Hydrographie Les deux cercles de Miarinarivo et d'Arivonimamo se trouvent presque en entier dans le bassin maritime du canal de Mozambique ; seul, le secteur de l'Ankaratra, au Sud du massif du même nom, relève de l'Océan Indien. En raison même de sa configuration, cette région est très arrosée, et, de l'Ankaratra, partent, dans toutes les directions, des vallées nombreuses, au fond desquelles coule toujours un torrent; nous ne citerons pas tous les cours d'eau qui prennent naissance dans le massif, mais seulement ceux qui, par leur importance, méritent de fixer l'attention. Dans la direction du nord partent: l'Onibé et l'Ombifotsy qui, après avoir traversé l'Ambodirano, se réunissent presque à la sortie du cercle et se jettent dans l'Ikopa, sous le nom de Kotoratsy; le Kalsoaka, qui arrose la partie est du cercle d'Arivonimamo et se jette dans l'Andromba, affluent de l'Ikopa; la Kalariana et l'Irihitra, affluents de gauche de l'Onibé; Vers l'ouest, la Varana, qui parcourt le sud-ouest du cercle d'Arivonimamo pour se rendre au lac Itasy; le Kitsamby, rivière importante qui reçoit de nombreux affluents, parmi lesquels: la Sahomby et la Sahasarotra, sur la rive gauche, le Sakay, grossi de la Lily, sur la rive droite, et qui va former le Mahajilo, l'une des branches du fleuve Tsiribihina; Au sud-est et à l'est, l'Ilempona, qui va se jeter dans l'Onivé, après s'être appelé successivement: Ianamborona et Rangaina, du nom des régions traversées, et l'Iazolava, autre affluent de l'Onibé, qui est grossie du Kélilalana; L'Onivé. qui vient du sud de l'Ankisatra et qui, dans son cours supérieur, s'appelle Ambodinangavo, est une belle rivière, dont la largeur moyenne est de 60 mètres. Guéable à peu près partout à la saison sèche, il ne peut être franchi qu'en pirogue pendant l'hivernage; la navigation en est possible dans tout le parcours du secteur. En sortant du territoire de l'Ankaratra, l'Onivé se dirige franchement à l'est et va rejoindre le Mangoro ; c'estla seule rivière importante qui fasse partie du bassin de l'Océan Indien. La région présente quelques lacs, parmi lesquels le lac Itasy, aux confins du Mamolakazo et du Mm.lridmm. est de beaucoup le plus important. A citer enroro roux de Lcmpunn et de Kdzuwjn, an nord et au sud du précédent et de Vinanony, dans lo Mandridrano,
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Climatologie Il est bien difficile de donner dès maintenant, sur la climatologie d'un aussi vaste territoire que celui dont nous nous occupons, des renseignements ayant une valeur scientifique. Ceux que nous possédons actuellement sont dûs aux officiers ayant séjourné dans les divers postes et qui, ne possédant, pour la plupart, aucun instrument sérieux, n'avaient d'autres sources d'informations que leurs observations personnelles ou l'enquête auprès des habitants. Tels qu'ils sont cependant, ils constituent des indications qui peuvent être utiles en plus d'un cas. Une exception doit être faite pour Arivonimamo, où des observations rigoureuses, poursuivies pendant plusieurs années par le personnel des Missions françaises, offrent toutes les garanties d'exactitude. Nous présenterons, par région, les données recueillies jusqu'à ce jour. A. —Mandridrano.—En raison de son altitude, 1.500 mètres environ, le Mandridrano jouit d'un climat relativement froid; les saisons y sont nettement tranchées: saison chaude ou hivernage, de fin décembre à fin mars; saison tempérée ou froide,d'avril à décembre. Les températures maxima sont atteintes en décembre et janvier et, rarement, dépassent 23° à l'ombre; les minima s'observent en juin et juillet. Pendant l'hivernage, la pluie est très fréquente; les orages se forment dans l'après-midi, vers trois heures, et il pleut toute la soirée, même fort avant dans la nuit; les matinées sont généralement belles. Les vents dominants soufflent de l'ouest et du nord-ouest. L'ensemble de la région est sain; les rives du lac Itasy seules sont très paludéennes, particulièrement aux mois de mars et d'avril. B. -Manalalondo. — Adossé à l'Ankaratra, le pays, encore plus élevé que le Mandridrano, présente, pendant la période correspondant à notre hiver, des températures basses. Il n'est pas rare de voir, au mois de juin, la surface des étangs recouverte d'une couche de glace d'un centimètre d'épaisseur. La division des saisons est la même que dans le Mandridrano et que dans tout le plateau central, d'ailleurs. Les pluies commencent en novembre et finissent en mars. Sur les plateaux, le pays est salubre; mais, dans les parties encaissées, comme la vallée du Kitsamby moyen, le paludisme se fait régulièrement sentir. C. —Arivonimamo.—Cette région, comme nous l'avons dit plus haut, est mieux connue que les précédentes, grâce à la présence des missionnaires delà société de Jésus qui y résident depuis longtemps. Nous nous en rapporterons à eux pour les renseignements qui suivent, que nous empruntons à un ouvrage du Père Piolet sur Madagascar. Le régime des vents est assez variable dans le massif de l'Ankaratra: à
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Arivonimamo, ils soufflent principalement de l'est et du sud-est, les pluies y : les quantités accusées par le pluviomètre ont été de tombent avec abondance 1.283 millimètres en 1891et 1.160 en 1892, avec une moyenne annuelle de 62 jours de pluie. L'état hygrométrique présente des différences assez sensibles entre deux régions voisines: à Arivonimamo, l'humidité relative moyenne a été de 66.3 en 1891de 69.7 en 1892, avec un minimum de 56 et un maximum de 83. Sur tous les hauts plateaux, la température est beaucoup moins élevée que dans les autres régions de l'île. Les observations relevées en 1892 donnent une moyenne annuelle de 19 degrés, à peu près celle de Tananarive qui, pour une période de 17 ans, a été de 18 degrés. Les pressions barométriques offrent cette particularité, qu'en dehors des dépressions accompagnant les grandes perturbations atmosphériques, elles varient à peine de quelques millimètres pendant le cours d'une anmée. Les moyennes d'Arivonimamo oscillent: pour 1891, entre 648 millimètres en janvier et 651 en août; pour 1892, entre 645 millimètres en février et 650 millimètres en juillet. La salubrité de la région est assez grande, car on ne peut inférer des journées d'indisponibilité fournies parles troupes, toujours en mouvement, exposées à toutes les intempéries de la saison, des conséquences morbides définitives. Le paludisme sévit cependant à la saison des pluies, comme presque partout, et son action se fait surtout sentir dans les vallées encaissées et dans le voisinage des marais. Historique L'Ambodirano est une ancienne possession de la couronne et formait une des six grandes provinces qu'avait créées Andrianampoinimerina. Son histoire, associée intimement à celle de la monarchie hova, ne présente aucun événement particulier qui mérite que nous nous y arrêtions. Il n'en est pas de même des provinces occidentales, Mandridrano, Mamolakazo et Valalafotsy, où nous pouvons suivre la politique que les rois d'Imerina adoptèrent dans leurs relations avec les chefs de l'ouest pour les amener à reconnaître leur suzeraineté. En ce moment, particulièrement, où nous reprenons pour notre compte la politique d'expansion, il n'est pas sans intérêt de dire quelques mots du mode de pénétration qui fut alors employé. L'objectif d'Andrianampoinimerina étant d'étendre jusqu'àla merles limites de son royaume, le Menabé et le Bouenidevaient être l'objet de ses convoitises. Ne pouvant s'engager dans une expédition lointaine, qui eût pu avoir des conséquences désastreuses, le roi jugea prudent de s'avancer par étapes. Le Mandridrano, alors gouverné par un chef indépendant, se trouvait sur la route la plus directe qui conduise de Tananarive au cœur du Menabé; c'est contre lui que marchèrent d'abord les années royales. Le roi An'iriunlsiuiihuvy, qui est resté célèbre dans tout le pays et dont le
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tombeau, situé au sommet du Nanja, est encore l'objet de la vénération publique, était mort et le royaume était gouverné par son fils Andriankirohiry et sa fille Aoamanjaka. Andrianampoinimerina en personne envahit le petit pays, s'empara des deux principales villes, Nanja et Ambohitrinimanjaka, et obligea les souverains détrônés à s'enfuir. Des administrateurs hovas furent aussitôt placés à la tête du gouvernement; des colonies, tirées de l'Ambodirano et du Marovatana, furent installées dans les centres principaux et le Mandridrano ne fut bientôt plus qu'une dépendance étroite de l'Imerina. Ainsi campé aux frontières du Menabé, Andrianampoinimerina engagea une action diplomatique avec Ramitraho, chef des Sakalaves, et lui proposa un traité d'alliance stipulant la suzeraineté, au moins nominale, de l'Imerina. Ramitraho, qui se rendait bien compte des projets d'Andrianampoinimerina, n'osait ouvertement rompre les négociations, mais tenait cependant à conserver son indépendance. Il rusa, demanda du temps pour réfléchir, puis se décida à dépêcher au roi des ambassadeurs sans mandat qui, à Tananarive, prêtèrent un sermentde fidélité, qui ne devait pas engager la nation sakalave. L'effet moral était néanmoins considérable et Andrianampoinimerina répondit à la visite des ambassadeurs en envoyant en expédition au Menabé son fils, Ramarolahy, qui fut accueilli, comme il convenait, par les Sakalaves. Radama Ier suivit la politique de son père, fit deux expéditions sans succès' au Menabé, mais en entreprit une troisième qui réussit partiellement, grâce au concours que lui prêtèrent les Européens qu'il avait alors à sa cour. Les liens qui rattachaient les Sakalaves à l'Emyrne étaient, malgré tout, peu serrés et Radama jugea plus pratique de substituer aux colonies qui ne lui avaient pas procuré jusqu'ici d'avantages bien réels, l'occupation méthodique et progressive des régions qu'il convoitait. Une colonie hova, venue de l'Avaradrano, fut d'abord établie entre la Masiaka, l'Ikopa et le haut Sakay; des Sakalaves soumis renforcèrent les Hovas et occupèrent le pays concuremment avec eux. Mais leur action n'étant pas assez puissante pour repousser les incursions Sakalaves, qui se renouvelèrent périodiquement après la mort de Radama. Ranavalo 1, qui lui avait succédé, dut créer d'une façon définitive une ligne de postes allant du nord au sud, barrant la route aux Sakalaves et constituant une base de pénétration solidement assise. C'est ainsi que furent fondés, avec des gens de l'Avaradrano, Imérimandroso, Antanimandry, Bcmahatazana, Mahasolo, Tompomanala et Bezezika. En avant de cette première ligne, Tsiroanomandidy, Ankavandra, Andranomandiana et Manandaza furent les sentinelles avancées. Des éléments sakalaves nouveaux vinrent bientôt se joindre aux familles hovas déportées. Les relations furent d'abord réduites aux éehansres commet*-
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ciaux; mais, à la longue, le rapprochement s'opéra, des mariages s'accomplirent, qui amenèrent une fusion entre les deux races. Le principe de subordination à la cour d'Emyrne souffrit bien un peu de cette union, car, bientôt, Sakalaves et Hovas en vinrent à vivre, en fait, comme gens dont la dépendance est seulement marquée par l'envoi, à période fixe, d'un léger tribut de vassalité. Le pouvoir central essayait de réagir, mais son action ne pouvait être bien efficace à une telle distance de Tananarive, et les pillages continuaient comme par le passé, sous l'œil des gouverneurs hovas, impuissants à les réprimer, quand ils n'étaient pas eux-mêmes les auteurs des désordres. Cette faiblesse du gouvernement de la Reine devait fatalement amener les populations soumises antérieurement par la force des armes à tenter de recouvrer leur indépendance. C'est ce qui se produisit au Mandridrano, en 1863. Profitant du désarroi causé par les événements tragiques qui marquèrent lès dernicis jours de l'infortuné Radama II, les Andrianas d'Ambohipolo levèrent l'étendard de la révolte et proclamèrent l'indépendance de leur pays. On s'émut, à Tananarive, de cet acte de vigueur; il ne s'agissait plus là de , populations pillées ou ruinées,-ce qui pouvait laisser la cour dans l'indifférence— mais d'un petit peuple qui voulait revenir à ses anciens rois, porter atteinte' à l'œuvre d'Andrianampoinimerina et de Radama 1. Une expédition fût aussitôt décidée, les troupes royales envahirent une seconde fois le Mandridrano et rétablirent l'ordre par une série de mesures violentes. Des exécutions en masse et la déportation eurent raison des rebelles, mais produisirent ce résultat, que la population descendit, après la répression, de 20.000 à 12.000 habitants. Tous les gens que le soupçon pouvait atteindre se réfugièrent en pays sakalave et, aujourd'hui encore, le Mandridrano n'a pas recouvré son ancienne prospérité. La leçon, néanmoins, fût salutaire, et il nous faut arriver à la fin de 1895 pour trouver de nouveau l'état de guerre dans ce pays. La campagne était à peine terminée, qu'un soulèvement éclatait au sud d'Arivonimamo, aux environs d'Amboanana (décembre 1895). Un pasteur anglais, M. Johnson, était massacréavec sa famille; des bandes fanatiques s'organisaient à l'instigation des prêtres d'idoles et il fallut envoyer des troupes régulières pour ramener le calme dans la région. La répression fut sévère, mais les événements qui suivirent en montrèrent l'efficacité. Pendant que la plupart des provinces d'Emyrne levaient l'étendard de la révolte, l'Ambodirano restait sourd aux excitations extérieures et, bien -q'u'une part importante de ce résultat doive être attribuée à l'énergie des officiers et des fonctionnaires indigènes qui occupaient le pays, il n'est pas douteux, non plus, que le souvenir du châtiment infligé l'année précédente entrait pour beaucoup dans la ligne de conduite adoptée par la population,
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Il est même permis de supposer que si les incursions des Sakalaves de l'ouest n'étaient pas venues apporter à la rébellion un sérieux appui, les régions de l'Ambodirano et du Mandridrano, au moins, eussent été maintenues dans le devoir par de simples mesures de police. Mais, malgré la présence des contingents Sakalaves, l'insurrection n'eut jamais le caractère de gravité qu'elle présenta dans les autres cercles et les opérations militaires, pour nombreuses qu'elles aient été, n'ont jamais exigé un déploiementconsidérable de forces. A la fin d'avril 1896, quelques bandes Sakalaves venant du Betsiriry se montrèrent aux frontières de l'Imérina, enlevèrent des bœufs et se retirèrent dans leur pays avec leur butin. Pour prévenir le retour de ces incursions, le Général Voyron organisa le secteur de l'ouest, dont la mission fut de couvrir au loin l'Emyrne central et particulièrement Tananarive. Des postes furent installés à Ambohibeloma et Arivonimamo en juin 1896. La précaution n'était pas inutile, car, dès les premiers jours de juillet, des rebelles étaient signalés au Nord d'Ambohibeloma, sur les bords de l'Ikopa. Dispersés d'abord par de simples reconnaissances de nos postes, ces bandes se reformèrent et assaillirent le 15 juillet, à Ambohitrondrano, une petite troupe de milice qui s'était imprudemment aventurée au devant d'elles. Malgré le courage et l'énergie des gardes européens qui les commandaient, les miliciens, à peine instruits et voyant le feu pour la première fois, ne purent tenir et durent battre en retraite sur le poste d'Ambohibeloma, qui les recueillit. Cette échauffourée regrettable, en donnant confiance aux rebelles, eût pu avoir une répercussion fâcheuse si des mesures énergiques n'avaient été prises aussitôt. Le commandant Reynes, des tirailleurs algériens, avec 300 hommes et un canon, marcha contre les rebelles et leur enleva les villages d'Ambatomanjaka et d'Ambohitrandraina, situés au centre du mouvement. Une compagnie de tirailleurs sénégalais, capitaine Lefort, balayait en même temps la rive gauche de l'Ikopa, et l'installation de postes à Fenoarivo, Ambohinivarina, Ambohimasina ramenait rapidement le calme dans la contrée. Cependant les Sakalaves, appelés par les chefs de l'insurrection, avaient pénétré de nouveau dans le Mamolakazo et cherchaient à gagner l'Ambodirano pour le soulever; ils purent même arriver jusqu'à Amboanana ( 12 kilomètres sud d'Arivonimamo). Mais, grâce à la fermeté du commandant du secteur, bien secondé par le gouverneur général indigène, le pays resta neutre et les rebelles, battus les 13 et 14 août à Ampotaka et Amhohimalivaha, s'enfuirent dans l'ouest après avoir éprouvé des pertes sérieuses. Pendant que ces bandes opéraient au sud-ouest, d'autres bandes, venues du nord-ouest, attaquaient le 22 août le poste d'Ambohibeloma, où nous avions un sergent de tirailleurs algériens tué, mais étaient repoussés en laissant 25 cadavres sur le terrain. Devant les renforts envoyés aussitôt de divers côtés, les Sakalaves, à la tête
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desquels se trouvait un de leurs principaux chefs, Zamari, se retirèrent sans combattre. De nouveaux postes furent alors établis à Amboasary et à Amboniriana, aux frontières du Mamolakazo. C'est à ce moment que le Général Voyron rentrait en France et était remplacé par le Général Gallieni, que le Gouvernement investissait bientôt après des fonctions de Résident Général. Le cercle militaire d'Arivonimamo était créé par arrêté du 27 septembre et M. le chef de bataillon Reynes en prenait le commandement. La situation à cette date était la suivante. L'Ambodirano, de Tananarive à la Ibalariana, pouvait être considéré comme tranquille; aux confins du cercle, à l'ouest et au sud-est, la rébellion, sans être maîtresse du pays, nécessitait cependant une intervention active; le massif de l'Ankaratra était le repaire de bandes et le rendez-vous des' malandrins de la région, trop heureux de trouver l'occasion de se livrer au pillage. A l'ouest, la situation se compliquait de la présence des Sakalaves, dont l'organisation de combat était supérieure à celle des bandes insurrectionnelles, et qui, grâce à leur mobilité, nous échappaient en se retirant dans leur pays; où ils trouvaient non-seulement un refuge, mais encore un centre d'approvisionnement en armes et munitions. Le double objectif à poursuivre était donc celui-ci: porter vers l'ouest notre ligne de postes jusqu'aux limites de l'Emryne et, par un rideau serré, protéger le pays en arrière contre les incursions des Sakalaves ; détruire les bandes rebelles qui désolaient le secteur de l'Ankaratra et compromettaient la sécurité sur la route de Tananarive à Fianarantsoa. Nous allons examiner rapidement ce qui a été fait pour arriver à ce résultat. Afin de faire mieux saisir l'esprit de suite et de méthode qui a présidé aux opérations et en a amené le succès, nous sacrifierons l'ordre chronologique des événements pour retracer distinctement, et sans interruption, les diverses étapes de la pacification dans l'une et l'autre région. A.—Région de l'Ouest. —La ligne de protection contre les rebelles du Mamolakazo et les Sakalaves était constituée par les postes d'Ambohimasina, Ambohibeloma, Amboniriana et Amboasary. Des intervalles trop considérables existaient entre les mailles de ce réseau et les bandes en profitaient pour attaquer successivement les divers postes qui ne pouvaient se prêter un mutuel appui; mais il fallait compter alors avec les effectifs disponibles. Le poste d'Amboniriana fut, dans les premiers jours d'octobre, attaqué à plusieurs reprises par les insurgés et les bandes de Sakalaves; le capitaine BouAyed, habilement secondé par le lieutenant Pommarède, repoussa toutes les attaques en infligeant aux rebelles des pertes sérieuses. A Amboasary, M. le lieutenant Rocheron eût plusieurs fois affaire à des bandes déterminées; le 6 octobre, particulièrement, pendant qu'une partie de la garnison était en reconnaissance, un gros de Sakalaves bien armés tenta de s'emparer du poste; les quelques escouades de tirailleurs sénégalais qui étaient
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restées au cantonnement furent obligées de charger à la baïonnette pour maintenir les assaillants à distance jusqu'au retour de M. Rocheron, qui se mit à leur poursuite et leur tua 17 hommes. La région d'Ambohibeloma était également visitée par les rebelles. Le 27 septembre, M. le commandant Reynes surprit, dans une marche de nuit, une bande qui terrorisait tout le pays et la détruisit presque en entier. Dans cette affaire, les conducteurs auxiliaires sénégalais, qui avaient pris part à la lutte sous les ordres de M. le lieutenant d'artillerie de marine Mouriès, se firent remarquer par leur intrépidité. Toutes ces petites opérations, si elles tournaient constamment à l'honneur de nos armes, entretenaient néanmoins dans le pays une agitation qui, sur certains points, enrayait le mouvement de soumission. Il fallait donc resserrer le rideau protecteur avant de se lancer en avant, afin de ne pas s'exposer à laisser derrière soi des ferments de discorde qui eussent pu devenir fort dangereux. La, région de l'Ikopa ne donnant plus d'inquiétudes, les garnisons des postes d'Ambohibeloma et Ambohimasina furent mises à la disposition du des troupes de milice soutenues par commandant Reynes et remplacées par quelques tirailleurs algériens. Un nouveau bond en avant fut exécuté dans les premiers jours de novembre, de manière à prendre pied dans les provinces du Mamolakazo et du Valalafotsy. Des postes furent créés à Ambohitrondraina, Bealoka, Andonantrotsara, sur la ligne de partage des eaux des bassins de l'Ikopa et du Sakay, et à Tsaramandroso, tout au nord, pour empêcher les rebelles de la rive droite de l'Ikopa dese répandre dans le cercle. L'installation de ces postes se fit presque sans résistance, sauf à Andonantrotsara ; les rebelles avaient surtout concentré leurs moyens d'action sur la rive nord du lac Itasy, dans le massif de l'Ambohimiangara, qui servait de quartier général à l'insurrection. Le capitaine Bou-Ayed leur infligea des pertes sérieuses dans diverses rencontres, notamment à Monimbola, le 28 octobre. Cependant une bande,se glissant entre nos postes, réussit à gagner Nosivola et, grossie de contingents sakalaves, pénétra dans le Mandridrano. Elle se porta aussitôt sur Soavinandriana, où le Vice-Résident, M. le capitaine Compérat, n'avait que 50 miliciens recrutés de la veille et quelques partisans indigènes mal armés à opposer aux 3.000 hommes qui se ruèrent sur son poste. La situation était critique; mais M. Compérat, bien secondé par un garde européen delà milice, réussit, par d'habiles dispositions, à repousser les insurgés qui maréhaient à l'assaut de Soavinandriana et a les mettre en pleine déroute. Le commandant Reynes, afin de prévenir le retour de ces incidents, créa aussitôt un-poste à Manimbola pour surveiller la vallée du Matindrano, voie d'infiltration vers le lac Itasy, et renforça la petite garnison de Soavinandriana par un peloton e tirailleurs algériens.
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Avec ce renfort, M. Compérat se mit en devoir d'occuper tout le pays qui s'étend entre Soavinandriana et le lac Itasy; dans une première affaire, il bouscula les rebelles, puis établit un poste de tirailleurs algériens à Ambohidrano pour surveiller les rives du Lily, pendant qu'il faisait occuper, par des miliciens, la limite ouest de la zone habitée du Mandridrano. Du côté d'Amboasary, le capitaine Orlanducci infligeait aux rebelles plusieurs défaites successives et engageait avec les indigènes de la région des pourparlers qui amenaient la reddition d'un bon nombre d'habitants. Mais, pour que le mouvement de soumission se généralisât, il était indispensable de nettoyer les rives du lac Itasy. Le capitaine Bou-Ayed s'y employa activement, et l'occupation de Manazary à l'est du lac, concordant avec celle d'Ambohidrano à l'ouest, dont nous parlons plus haut, détermina de nouvelles redditions. De petites opérations combinées amenaient la destruction de bandes à Vinany et à Tsoamanandaza et, dès les premiers jours de décembre, les rebelles de la basse vallée de la Varana étaient complètement coupés des contingents du Mamolakazo par notre installation définitive à Manazary et dans les environs. Au nord de notre ligne de protection, dans le secteur d'Ambohibeloma, l'occupation des deux rives de l'Ikopa avait rejeté sur le Valalafotsy un certain nombre de rebelles. De nouveaux postes furent créés pour les conteniret quelques coups de main heureux, comme celui du lieutenant Sabaton contre le Vonizongobé, le 7 décembre, amenèrent de nombreuses défections dans les rangs des insurgés. D'une manière générale, les soumissions augmentèrent dans tout le territoire en arrière de nos postes et les habitants se remirent à la culture des rizières. Une certaine détente se manifestait de divers côtés, et nul doute que si les chefs de l'insurrection n'avaient eu l'appui des Sakalaves, toujours heureux de piller,la tranquillité eût été rétablie complètement en très peu de temps. C'était donc vers les Sakalaves qu'il fallait diriger le principal effort, et des ordres furent donnés, dansles premiers jours de décembre, au commandant Reynes pour qu'il fît un nouveau bond en avant et portât sa ligne de postes aux limites extrêmes habitées par les populations hovas. L'exécution du mouvement fut heureusement préparée par une brillante opération du lieutenant Barféty qui, le 24 décembre, dans une surprise de nuit, détruisit à Belanitra une bande rebelle assez nombreuse, lui enlevant ses fusils, ses armes blanches et de nombreux troupeaux. Ce succès eut un grand retentissement et facilita le déplacement des troupes, qui eut lieu le 28 décembre. La nouvelle ligne des postes fut constituée par Ngiloby, au nord du lac Itasy, dans la vallée du Mazy, Ampolomanarivo, Ambatomanjaka et Belanitra. Les rebelles s'étaient retirés devant nos troupes, mais les postes étaient à peine installés que les attaques commençaient, sans succès d'ailleurs. Par une série d'opérations heureuses, l'ennemi était contraint de s'enfuir dans le désert sakalave qui avoisine le cours moyen du Sakay, et de nombreuses
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soumissions se produisaient: 19.000 habitants du Mamolakazo se sont rendus dans le mois de janvier, livrant 331 fusils. Le Mandridrano, protégé par le poste de Manazary, n'était plus inquiété et le capitaine Schaeffer, qui avait succédé au capitaine Compérat, pouvait procéder à l'occupation méthodique de son cercle avec les effectifs dont il disposait. Mais au nord, du côté du Valalafotsy, la situation ne s'améliorait pas aussi le voisinage du Vonizongo, toujours troublé par une infiltration rapidement; sakalave constante, entretenait une agitation que nos postes ne suffisaient pas à calmer, malgré d'incessantes reconnaissances où l'ennemi perdait chaque fois du monde. Il devenait nécessaire, pour amener un résultat sérieux, de purger les sources du Sakay des bandes Sakalaves qui s'y réfugiaient et d'établir la liaison avec lé Vonizongo, où opérait le lieutenant-colonel Gonard. Le 19 janvier, le capitaine Robert, de l'infanterie de marine, poussait une pointe vigoureuse aux sources du Sakay et obtenait la soumission de plus d'un millier de rebelles; le 27 janvier, le lieutenant Barféty détruisait à son tour un campement d'irréductibles, faisait 211 prisonniers, s'emparait de 13 fusils, de 300 bœufs et amenait également un grand nombre d'habitants à faire leur soumission. Ces opérations n'étaient que le prélude des démonstrations plus sérieuses qui allaient être entreprises pour l'occupation du Valalafotsy. M. le commandant Reynes, qui venait de transporter le siège de son cercle à Miarinarivo pour se consacrer à la pacification du Mandridrano, du Mamolakazo et du Valalafotsy, devait prendre le commandement de la petite colonne destinée à remonter vers le haut Sakay. Des bandes importantes venues du Mamolakazo, de l'Ambodirano même, s'étaient jointes aux natifs, mélange de Sakalaves et Hovas, habitués de tout temps au pillage. Sans constituer une force redoutable, ces bandes possédaient un certain nomb re de fusils et pouvaient offrir une sérieuse résistance, à l'occasion. Le commandant Reynes forma une petite colonne composée d'un peloton d'infanterie de marine, d'un peloton de tirailleurs sénégalais, d'un détachement de milice et d'une pièce de 80m/m de montagne. Il se porta, le 28 février, sur Soabaka et poussa en avant, refoulant devant lui les rebelles, qui se réfugièrent sur la rive gauche de la Masiaka et sur le village de Fénoarivo, situé dans une position facile à défendre. Le commandant se dirigea alors résolument sur ce point et l'ennemi, effrayé de cette marche audacieuse, s'enfuit en toute hâte, poursuivi par les Sénégalais, qui lui enlevèrent ses nombreux troupeaux. Laissant un poste à Fénoarivo, le commandant Reynes poussait jusqu'à Tampomanandrarina, où il établissait un poste qui surveillait la vallée de la Jongoana. L'occupation du Valalafotsy était désormais un fait accompli et de nombreux habitants se présentaient à nos postes pour faire leur soumission.
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Tous ne se rendaient pas cependant; un certain nombre de dissidents, campés au nord-ouest de Fénoarivo, se croyaient en toute sécurité loin de nos postes. Le capitaine Robert, renseigné sur leur position, leur enleva cette illusion et, par une marche rapide, les accula à la Masiaka débordée, ne leur laissant d'autre alternative que la soumission. Quatre mille d'entre eux suivirent le capitaine Robert à Fénoarivo et rejoignirent leurs villages respectifs; les chefs seuls prirent la fuite dans les régions d'accès difficile du Menavava et de l'Ambongo. Actuellement, le calme règne dans le pays et les reconnaissances effectuées ont constaté que, sur une étendue d'une soixantaine de kilomètres en avant de nos postes, on ne trouve pas trace de rebelles. Délivré de toute préoccupation sérieuse de ce côté, le commandant Reynes jugea le moment favorable pour accentuer notre pénétration vers la côte. Déjà, plusieurs missions (lieutenants de Cointet, Rocheron) avaient visité l'ancienne ligne des postes hovas qui jalonnaient la route de l'ouest jusqu'à Ankavandraet en avaient rapporté l'impression que notre occupation dans toute cette bande de territoire se ferait sans sérieuse résistance. Le chef d'Ankavandra, Andriantsiléondoza, était venu lui-même à Tananarive faire sa soumission et demander protection contre les Sakalaves insoumis qui, fréquemment, viennent piller sur son territoire. Il était de bonne politique de profiter de ces dispositions favorables et le capitaine Orlanducci, des tirailleurs sénégalais, allait occuper sans incidents les postes d'Analabé, Bevato et Tsiroanomandidy. Plus récemment, le 26 avril, M. le lieutenant Rocheron s'est installé sans coup férir au poste d'Ankavandra, avec un détachement de tirailleurs sénégalais. Nous sommes ainsi à mi-chemin entre Tananarive et la côte ouest, et lorsque le poste de Maintirano, qui est à six jours de marche, sera tenu par nos troupes, ce qui ne saurait tarder, la jonction des deux détachements se fera, par suite, sans grandes difficultés. On peut donc actuellement considérer les cercles de Miarinarivoet d'Arivonimamo comme définitivement acquis à notre influence; l'action militaire n'est plus qu'une action de surveillance continue et les diverses autorités peuvent, avec plus de loisir, se consacrer à l'organisation administrative et économique de ces régions qui, l'Ambodirano et le Mandridrano surtout, sont réputées les plus riches de l'Imerina. B.- Secteur de l'Ankaratra. — Nous allons maintenant retourner en arrière et résumer les événements survenus dans l'Ankaratra. Dès le mois de juin 1896, les bandes de Rainibetsimisaraka inquiétaient la région d'Ambatolampy et la route de Tananarive à Fianarantsoa. Le voisinage du massif de l'Ankaratra leur offrait des refuges assurés et facilitait singulièrement les opérations de brigandage. En juillet, une bande venue de l'ouest traversa l'Ankaratra et vint assassiner à Ankisatra le gouverneur Rainivony, dévoué à la cause française;
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le capitaine Lamy, des tirailleurs algériens, surprit la bande et la mit en fuite après lui avoir tué 18 hommes. Le mouvement insurrectionnel gagne peu à peu et, le 5 septembre, le poste d'Ambatolampy, commandé par le capitaine Lamy, est attaqué mais sans grande vigueur. Quelques jours plus tard, le poste de Miantsoarivo était brûlé et les rebelles s'installaient dans la vallée de la Katsoaka, menaçant les communications entre Arivonimamo et Tananarive. Accouru d'Arivonimamo avec un petit détachement de tiraileurs algériens, le commandant Reynes rejetait les insurgés dans l'Ankaratra, dont ils sortaient de nouveau le 24 septembre pour piller une seconde fois Miantsoarivo. La création d'un poste fut alors décidée sur ce point, et des mesures furent immédiatement prises pour protéger le sud de l'Ambodirano contre les déprédations des pillards de l'Ankaratra. Le capitaine Lamy leur donna, quelques jours plus tard, une chasse vigoureuse, qui amena des soumissions dans le voisinage d'Ambatolampy et d'Ankisatra. De l'autre côté du massif, un petit soulèvement avait éclaté à Amboanana et s'était propagé dans le Manalalondo, jusque vers Isaha. Il avait été promptement réprimé; mais l'établissement de postes était nécessaire pour prévenir de tels incidents, et le commandant Reynes en créa un certain nombre, qui eurent surtout une action politique à exercer. Un groupe de tirailleurs algériens et de miliciens fut installé à Amindrabesambatra, au sud-ouest d'Amboanana, pour surveiller les têtes de vallées de l'Onibé, de l'Irihitra, de la Varana et du Kitsamby. Cette région avait été le foyer du soulèvement de novembre 1895 et avait, depuis, manifesté à plusieurs reprises de l'hostilité contre notre occupation. Un poste, commandé par le capitaine Mahéas, des tirailleurs algériens, fut créé à Ramainandro, un autre à Malemilalana, pour établir la liaison entre le Manalalondo et le Mandridrano, et surveiller le Talata Mandandona, autre centre d'agitation. En outre, une ceinture de surveillance fut installée autour de l'Ankaratra, pour l'empêcher de redevenir un refuge de mécontents, et les deux débouchés du col, limitant le massif au sud-ouest, furent gardés par les postes d'Ambatofotsy et d'Ambohibary. Un détachement fut placé à Antanifotsy, sur la route de Fianarantsoa pour assurer la sécurité des communications de ce côté. Dès lors, il n'y eut plus que des reconnaissances de police à effectuer dans toute cette région pour y maintenir la tranquillité; des petits groupes de miliciens etdepartisans armés, soutenuspar quelques hommes des troupes régulières, surveillent tous les coins du massif de l'Ankaratra et, par une vigilance constante, s'opposent à la formation de nouvelles bandes Ce n'est pas à dire que l'on puisse, de longtemps encore, obtenir une sécurité
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absolue dans ce pays d'accès si difficile, car, si la rebellion a désarmé, il resteles malandrinset les voleurs de grand chemin, toujours prêts à tomber sur le voyageur isolé. Malgré cela, on peut affirmer que la pacification de cette contrée est aujourd'hui assurée et, comme nous le disions plus haut, l'œuvre économique va pouvoir se poursuivre, concurremment avec les précautions militaires que la plus élémentaire prudence conseille de ne pas négliger prématurément. Mesures politiques Ainsi que dans les autres cercles, la pacification était poursuivie par les moyens militaires et par voie de conciliation. Pendant que des mesures de rigueur justifiées étaient prises contre les rebelles arrêtés les armes à la main, le pardon était promis aux égarés qui formaient la masse. Le succès de nos armes était un des meilleurs éléments de propagande, en désillant les yeux de ceux qui pensaient avoir raison de notre autorité et en leur montrant clairement que le souci mieux entendu de leurs propres intérêts leur conseillait de rentrer dans leurs villages. Beaucoup craignaient aussi des représailles de notre part après qu'ils se seraient rendus; l'expérience leur montra vite qu'ils pouvaient se fier à la parole donnée par nosofficiers et, cette conviction une fois acquise, les bruits malveillants propagés par nos ennemis tombèrent d'eux-mêmes. Dès qu'un groupe de rebelles se présentait pour faire sa soumission, le chef de poste prenait sur chaque individu tous les renseignements qu'il pouvait recueillir et établissait une sorte de fiche d'identité, laquelle était remise a - l'intéressé, à qui elle servait à la fois de certificat de civisme et de passe-port pour rentrer dans son village. Les soumissions commencèrent dès la seconde quinzaine de novembre et se continuèrent en prenant de plus en plus d'importance à mesure que la pacification gagnait du terrain. Au 1eravril, elles atteignaient environ le chiffre de 42.000. Dans le cercle de Miarinarivo, la rébellion avait un caractère qu'elle ne présentait pas ailleurs; les contingents soulevés n'étaient pas uniquement composés d'habitants de la région, qu'on pouvait espérer voir revenir à de meilleurs sentiments; ils renfermaient, en outre, de nombreux Sakalaves, sorte de bandes mercenaires, étrangères à la raison politique, et combattant pour le pillage. Aussi, la reddition de ces derniers par les moyens pacifiques ne pouvait avoir chance d'aboutir; il faisait voir en eux des ennemis qu'il (Hait nécessaire de mettre en fuite et de cantonner dans leur pays par une ligne de défense s'opposant au renouvellement de leurs incursions. A ces deux catégories venaient s'ajouter, dans l'Ankaratra particulièrement, les «tontakély >, voleurs et pillards, qu'on retrouve partout dans les situations
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troublées, écume de la société malgache, vivant du produit de l'assassinat et du vol. Ce sont eux qui ont récemment assassiné MM.Escande et Minault, pasteurs protestants français, en tournée dans l'Ankaratra. Contre ceux-là, les villages faisaient souvent eux-mêmes la police, surtout lorsque des armes eurent été distribuées aux habitants fidèles. Dans plusieurs circonstances, ils donnèrent une chasse sérieuse aux pillards, exécutant parfois, après un jugement rendu suivant les us malgaches, ceux qui tombaient entre leurs mains. Le Résident Général encourageait cette action des villages, qui ne pouvait que seconder et compléter l'œuvre des troupes, en accordant des récompenses, généralement des remises ou réductions d'impôts, aux groupes et aux individus qui se signalaient par leur courage. Organisation administrative et militaire La région d'Arivonimamo et Miarinarivo est une de celles qui ont le plus donné lieu à remaniements, suivant que le commandaient les circonstances. Par l'arrêté du 27 septembre 1896, le cercle d'Arivonimamo était constitué avec la province d'Ambodirano,, le sous-gouvernement d'Ambohimasina, le Mandridrano, le Mamolakazo et le Valalafotsy. Un arrêté du 9 octobre, tout en maintenant la subordination vis-à-vis d'Arivonimamo, érigeait le Mandridrano en cercle-annexe, avec Soavinandriana pour chef-lieu; le 13 octobre, le Valabetokana et le district de Bézezika étaient rattachés au Mandridrano, leur ancien centre administratif. Par un autre arrêté du 31 octobre, revisant une décision antérieure, les districts du Manalalondo, d'Ankisatra et d'Ambatolampy faisaient retour à l'Ambodirano, dont ils avaient été séparés au profit de la résidence d'Antsirabé; enfin, par arrêté du 23 février 1897, rendu en raison de l'extension de notre autorité dans l'Ouest, un cercle nouveau était créé, sous le nom de cercle de Miarinarivo, avec le Mandridrano, le Mamolakazo et le Valalafotsy ; l'Ambodirano formait le cercle-annexe d'Arivonimamo, avec le secteur de l'Ankaratra et le Manalalondo. Un chef de bataillon fut chargé du commandement et de l'administration du cercle de Miarinarivo, un capitaine eut les mêmes attributions dans le cercle-annexe d'Arivonimamo. Un chancelier et un officier de renseignements concourent à l'exécution du service, sous les ordres du commandant du cercle de Miarinarivo ; un officier seulement est adjoint au commandant du cercle-annexe d'Arivonimamo. Une compagnie de milice a été organisée dans les deux cercles, une caisse de fonds d'avances fonctionne à Arivonimamo et à Miarinarivo ; des officiers sont placés à la tête de chaque secteur; c'est, en un mot, le système que nous avons précédemment décrit pour les cercles de Tsiafahy et d'Ankazobé. L'organisation de l'administration indigène présenta, dans l'Ambodirano
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particulièrement, des difficultés assez nombreuses en raison des anciennes divisions du pays. Au lieu de former un tout homogène groupé autour d'un centre, certains sous-gouvernements comprenaient des districts, ou «fari-tany», dispersés dans les provinces voisines et renfermaient, de leur côté, des enclaves relevant également d'un sous-gouvernement étranger. Un tel système, outre des complications de tous les jours dans le détail des affaires administratives, présentait un inconvénient capital en temps de troubles: c'était d'affaiblir le principe d'autorité et de laisser sans surveillance des territoires qu'il eût, au contraire, fallu tenir dans la main. On fut donc obligé de procéder, avant toute autre chose, au remaniement des circonscriptions de façon à constituer, pour chaque fonctionnaire indigène, un petit territoire où son autorité devait être indiscutée, où il fut possible d'établir nettement, le cas échéant, les responsabilités encourues. Dans le Manalalondo, tout était à créer; certaines régions, comme celles d'Isaha, peuplées de gens venus d'Antsahita et de Fénoarivo, n'avaient ni chefs de mille, ni chefs de cent ; dans le Mamolakazo, il fallait faire marcher de front l'administration et la pacification, la première étant naturellement subordonnée a la seconde. Une autre source de difficultés résidait dans l'existence, sur certains sorte de fiefs féodaux, dont les maîtres, «tompopoints, de « menakely», menakely», jouissaient de prérogatives très étendues, exerçaient un pouvoir politique qui, bien entendu, était loin d'être en harmonie avec les institutions que nous voulions faire prévaloir. Un arrêté du 17 avril 1897 vint heureusement supprimer les droits des «tompomenakely» et, en émancipant la terre, donner à l'administration toutes facilités pour appliquer ses vues. - Pour toutes ces raisons, la réorganisation fut longue et n'est aujourd'hui complètement terminée que dans le cercle d'Arivonimamo elle Mandridrano. Malgré cela, le fonctionnement général des divers services est suffisamment assuré; les populations, assouplies par tempérament, se soumettent sans contrainte aux exigences de la situation nouvelle. Dans le cercle d'Arivonimamo, surtout, la vie normale a repris son cours, les habitants se livrent avec ardeur à la culture de leur riche pays et la prospérité renaissante aura bientôt effacé les traces de l'insurrection qui vient de finir. Il n'en est pas de même dans le Valalafotsy, où les opérations militaires primeront, pendant un certain temps encore, toute autre préoccupation. Actuellement, les deux cercles sont divisés comme suit: A. - Secteurs Scd"m' de Clamainandro. A Arivonimamo 0 im 0 ( a0 d Aniliatolampy. ( Secteurdu M;im<tlak;i/.o. Miarlnari\o. du Valalafotsy. J do (t, du Mandridrano.
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RÉGIONSDIVERSESDE MADAGASCAR B. - Sous-Gouvernements
I Sous-Gouvernement do do i do ] do Arivonimamo. do j do do do Miarinarivo
d'Arivonimamo. d'Imerintsiatosika. d'Antsahadinta. d'Ambohimandry. d'Isaha. d'Ambatolampy. d'Amboniriana. d'Ambohitrambo. d'Ambohimasina. de Soavinandriana. do d'Ambohitrondraina. do de Soamahamanina. j do de Miarinarivo. Sotis-G o uvernement do de Bemahatazana. Services
publics
L'organisation des services publics indispensables à la marche des affaires ne put être uniformément poursuivie dans les diverses régions des cercles d'Arivonimamo et de Miarinarivo. L'Ambodirano, province qui fut à peine troublée par l'insurrection, fut la première dotée des nouveaux rouages administratifs, et leur fonctionnement comporta,dès le début, une régularité qui contrastait avec la situation des provinces voisines. Mais, par suite des progrès continuels de la pacification, le système se généralisait et, sur les pas de nos soldats victorieux, les commandants de cercle organisaient aussitôt les divers services, ébauchaient l'œuvre administrative qui, moins rapide et moins brillante que l'action militaire, exige un tact spécial, une patienceà toute épreuve et une connaissance approfondie des populations à gouverner. Obligés de s'improviser administrateurs, les officiers, commandants de cercle, de secteur ou de poste, ne faillirent pas plus à cette tâche, nouvelle pour eux, qu'ils n'avaient faibli devant l'insurrection triomphante et l'Emyrne tout entier leur doit aujourd'hui la tranquillité rétablie et la prospérité qui commence à renaître. Les principes généraux du fonctionnement administratif sont les mêmes que dans les autres cercles; aussi, ne les rappellerons-nous pas ici et nous bornerons-nous à suivre leur application dans les circonscriptions qui nous occupent. Ecoles La situation des écoles était particulièrement florissante, avant la guerre, dans la riche contrée de l'Ambodirano ; catholiques et protestants se disputaient les élèves et, de cette émulation, résultait une diffusion bienfaisante des connaissances élémentaires. Les programmes n'étaient certes pas chargés; mais il est, néanmoins, remarquable de trouver chez les Hovas qui, sur tant de points, sont si éloignés de notre
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civilisation, un nombre de gens sachant lire et écrire qui pourrait soutenir avantageusement la comparaison avec certains de nos départements. L'enseignement avait partout une couleur confessionnelle bien marquée, ce qui explique l'acuité de la lutte des diverses missions entre elles; une seule chose était commune à toutesles écoles, l'ignorance de la langue française. Il a fallu les instructions fermes du Résident Général pour modifier cette situation regrettable et, aujourd'hui, bon gré mal gré, maîtres catholiques et maîtres protestants sont tenus de consacrer chaque jour un nombre d'heures déterminé à l'enseignement de notre langue. Des tempéraments ont dû être cependant accordés, aussi bien aux écoles des missions françaises qu'à celles des pasteurs anglais ou norvégiens, par suite de l'impossibilité de recruter des maîtres indigènes possédant suffisamment le français pour l'enseigner; des cours normaux ont été organisés pour combler cette lacune le plus tôt possible. En attendant, l'autorité militaire met des soldats à la. disposition des écoles, et les habitants, stimulés par les avantages attribués à la connaissance du français, se pressent en foule à leurs leçons. Des cours fonctionnent ainsi à Manjaka, Ambohifonitrimo, Amparafarantàny, Fénoarivo et Miarinarivo. Au mois de novembre 1896, le cercle d'Arivonimamo comptait 75 écoles catholiques ouvertes, contre 50 écoles protestantes ; 36 de ces dernières fonctionnaient, en outre, dans le Mandridrano. Dans l'Ilempona, les catholiques avaient cinq ou six écoles et les protestants une quinzaine; dans l'Ankisatra, les écoles des deux confessions avaient été brûlées par les rebelles. Grâce au repeuplement des régions désertées au début de l'insurrection, et surtout à l'impulsion donnée à l'enseignement par les autorités militaires, le nombre des élèves a considérablement augmenté et des écoles se sont ouvertes dans la plupart des villages. Au 1er avril, les renseignements recueillis accusent la situation suivante, qui est du meilleur augure: Dans le cercle d'Arivonimamo, il existe 332 écoles, dont 117 catholiques et 215 protestantes, avec une population scolaire de 30.000 élèves, 14.000 catholiques et 16.000 protestants. Au point de vue des maîtres, on trouve 5 instituteurs français, dont 3 militaires, 2 professeurs anglais et 351 malgaches (122 catholiques et 229 protestants). Dans le Mamolakazo, il y a 5 écoles catholiques, avec 128 élèves et 32 écoles protestantes, avec 530 élèves. Une école normale pour l'enseignement du français est en voie d'organisation à Miarinarivo, sous la direction d'un sous-officier de tirailleurs algériens. Dans le Mandridrano, 5 écoles catholiques sont fréquentées par 123 garçons et 117tilles; 28 écoles protestantes par 941 garçons et 982 filles. Dans six écoles seulement, 2 catholiques et 4 protestantes, les maîtres sont en mesure d'enseigner le français.
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Dans le Valalafotsy, où les opérations militaires continuent encore, aucune école n'est ouverte. En résumé, l'impulsion est donnée, les résultats obtenus sont déjà satisfaisants et, nul doute qu'en se généralisant, le mouvement scolaire n'amène, avec le temps, l'amélioration intellectuelle et morale de la race et ne facilite son assimilation à nos idées, à notre civilisation. Justice C'est dans le domaine de la justice que notre intervention peut et doit le plus immédiatement porter des fruits. Sous l'administration malgache, c'était la concussion érigée en principe, la vénalité pratiquée du haut en bas de la hiérarchie, sans la moindre pudeur, le pauvre à la merci du riche, le faible sans défense contre le fort. Ce n'étaient pas les lois qui manquaient cependant, mais bien l'idée de justice, sans laquelle elles ne sont rien. Nous avons vu qu'Andrianampoinimérina avait créé des sortes de juges royaux, « Andriambaventy» et « Vaditany», que Rainilaiarivony avait institué des « Sakaizambohitra » et des «Antily » ; mais, en fait, tous ces fonctionnaires, de quelque degré qu'ils fussent, n'étaient que les exécuteurs des volontés des rois ou du premier ministre. Sous des influences étrangères, les Hovas ont promulgué, en 1868et en 1881, des codes de lois qui pourraient donner le change sur leur degré d'avancement social, mais qui, dans la pratique, sont lettres mortes le plus souvent, à moins, toutefois, qu'on n'y puise une arme contre un personnage gênant. Malgré les préambules dans lesquels Ranavalo II, comme Ranavalo III, déclaraient solennellement que «les lois sont les mêmes pour tous», c'est en terre malgache, plus qu'en France encore, que le bon Lafontaine eût pu dire: ccSelon que vous serez puissant ou misérable, « Les jugements de cour vous rendront blanc ou noir. A la base de l'édifice judiciaire était la conciliation. L'art. 84 du code de 1868 dit expressément: «Les fokon'olona, les familles, les tompomcnakely connaissent des affaires qui comportent un arrangement à l'amiable, mais les décisions prises ne sont pas en dernier ressort». Encore, fallait-il que les parties fussent d'accord pour recourir à cette juridiction, car: « quiconque, dit le même article, aura prononcé contre le gré d'une partie une sentence, alors qu'elle n'aura pas accepté d'être ainsi jugée, sera puni d'un an de fers ». - Les abus de pouvoir devaient être assez fréquents pour que la loi malgache les ait, en plusieurs endroits, spécialement visés. «Les lois peuvent être en les mains de tout le monde, dit Ranavalo III, mais tout le monde ne peut pas s'en servir pour rendre la justice. Il n'y a que ceux qui sont spécialement désignés à cet effet, et ceux qui usurperaient des fonctions de juges seraient coupables ». non investi des pouvoirs «Quiconque, dit l'art. 100 du code de i
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nécessaires à cet effet, sera convaincu d'avoir jugé, sans autorisation dela Reine, des délits commis au préjudice du gouvernement, subira 5 ans'de fers On reconnaît, dans ces rappels à l'unité de la justice, les préoccupations du. pouvoir royal et surtout du premier Ministre, luttant contre l'autorité trop considérable des grands seigneurs féodaux, les tompomenakely.. Depuis la proclamation de l'état de siège en Emyrne, la justice indigène est sur les bases suivantes: organisée - .u .,. , A. Matière criminelle. - Au chef-lieu de chaque cercle, siège un tribunal composé du commandant de cercle président, d'un sous-officier faisant fonctions de greffier et de deux assesseurs indigènes, dont le Gouverneur général du territoire. Les jugements sont sans appel et immédiatement exécutoires, sauf dans le cas de condamnation à mort, où il est référé au Général commandant le Corps d'occupation. B. Matière civile et commerciale.- Au siège de chaque sous-gouvernement et de chaque chef-lieu de gouvernement fonctionne un tribunal civil et commercial composé du sous-gouverneur président et de deux indigènes. Au siège de chaque gouvernement général est institué un tribunal du second degré composé du commandant du cercle président, de deux assesseurs indigènes, dont le Gouverneur général, et d'un greffier pris parmi les sous-officiers du poste. Ces tribunaux connaissent, en appel, des jugements rendus par les juges du premier degré, ainsi que des matières excédant la compétence de ceux-ci. Les appels des jugements des tribunaux du second degré sont portés devant la Cour d'Appel de Tananarive composée, pour la circonstance, duprésident et de deux conseillers, assistés de deux assesseurs malgaches et d'un interprète. Poste Ainsi que nous l'avons vu précédemment, le service postal était organisé depuis longtemps déjà chez les Hovas, mais à l'usage exclusif du souverain. Une des grandes lignes créées par Radama Ier traversait l'est du cercle, celle de. Tananarive à Fianarantsoa, par Ambatolampy ; le trajet, 360 kilomètres environ, s'accomplissait en 65 heures et comportait 33 relais. On trouve encore aujourd'hui sur cette ligne un grand nombre de villages de «mpiandry taratasy», échelonnés entre Andriambilany et Ambohimanatrika. Dans l'intérieur des cercles d'Arivonimamo et de Miarinarivo, le service postal est actuellement organisé d'aprèsles arrêtés du H ocLobre 1896 et du 9 janvier 1897, dont nous avons précédemment donne la teneur. Un service journalier relie Arivonimamo à Tsiafahy et à Miarinarivo ; deux fois par semaine, des courriers partent d'Arivonimamo pour Ramainandro, Ambatolampy et Ambohimasina. De Miarinarivo, un serviro régulier fonctionne trois fois par semaine; le lundi, mercredi et vendredi, sur Tsiroanomandidy par Bevato, Analabé et Ambalanira.
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Indépendamment de ce fonctionnement, plus spécialement créé en vue des besoins de l'administration, un service circulaire local est assuré par les autorités indigènes, d'après les itinéraires et horaires suivants: ORIGINES DES DESTINATION CORRESPONDANCES , Arivonimamo t Tsiafahy Ambohlmandry.t Ambohibeloma
( Ambohimandry Ambohibeloma Arivonimamo Arivonimamo t Babay
JOURS DE DÉPART Vendredi Mardi Vendredi Mardi Jeudi Mercredi
HEURES 5 h. matin Midi Midi 5 h. matin Midi 5 h. matin
Des bureaux auxiliaires des postes, gérés provisoirement par des sousofficiers, fonctionnent à Miarinarivo et Arivonimamo ; le service des mandatspostaux pour l'intérieur, créé par arrêté du 5 avril dernier, est en vigueur également à Arivonimamo et Miarinarivo ; des bureaux de distribution sont ouverts à Ambatolampy et Ramainandro. Les communications télégraphiques n'existent pas dans toute la région. Tananarive est relié par l'optique à Arivonimamo, qui fait le passage pour Miarinarivo, où vient d'être installé un poste optique sur l'Ambohidray. Travaux publics. - Routes Dans une région particulièrement montagneuse et coupée de nombreux cours d'eau, la création et l'entretien des voies de communication constituent une charge considérable et exigent une vigilance qui doit être constamment en éveil. Dans l'est, la route de Tananarive à Fianarantsoa, à travers l'Ankisatra, avait été, dès le début de l'occupation française, l'objet des préoccupations du service des Travaux publics, qui avait entrepris sa réfection dans la limite des crédits disponibles. Dans l'Ambodirano, de nombreux chemins reliaient les villages entre eux; mais, trop souvent, ce n'étaientque des sentiers de bourjanes. Certains, cependant, étaient mieux construits et purent être, par de légers travaux, rendus praticables aux mulets. Un obstacle qui se répétait souvent, les voies principales coupant toutes les cours d'eau descendant de l'Ankaratra, était le passage des rivières; sur quelques points, des ponts ont été construits par nos soins, notamment à Ambatolampy, ; sur l'Ombifotsy, près d'Arivonimamo et sur la Kalariana, près de Mandrosoa dans certains cas, des pirogues ont été placées en permanence pour opérer les transbordements de voyageurs et de marchandises. C'est ainsi que sur la route d'Arivonimamo à Amboniriana, on traverse en pirogue l'Onibé et l'Irihitra.
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Dans l'est du cercle d'Arivonimamo, secteur d'Ambatolampy, trois routes principales traversent le pays, reliant Tananarive au Sud de l'île: c'est la 1° La route de l'est, par Alarobia et la vallée d'Ambatomiady ; plus courte qui conduise de Tananarive à Ambositra ; 2° La route du centre, par Ambatolampy, Iazalava, Ankisatra, Ambohimanatrika; c'est la plus suivie généralement; elle offre, sur tout son parcours, des villages où l'on peut trouver des bourjanes et des vivres; 3° La route de l'ouest, par Ambatolampy, Ambatotsipihina, Anjamana, et qui se dirige sur Antsirabé. L'Ilempona renferme aussi un certain nombre de chemins récemment aménagés par nos troupes. De Sambaïna, qui est à peu près le nœud du système de communications, partent des routes vers Tananarive, Àrivonimamo, Isaha, Betafo et Antsirabé. L'Ambodirano, région riche et peuplée, est sillonné de routes, dont la plupart, depuis les réfections exécutées par les autorités militaires, sont praticables aux mulets. Indépendamment des chemins qu'on pourrait appeler vicinaux, et qu desservent tous les centres de quelque importance, de grandes voies traversent la province, se dirigeant vers l'ouest. Ce sont: iD au nord, la route venant de Tananarive, passant par Ambohibeloma, pour continuer dans le Mamolakazo et rejoindre la haute vallée du Kitambolo; 2° La route de Tananarive à Arivonimamo qui, d'une part, se prolonge par Monimbola vers le nord du lac Itasy et gagne la vallée du Lily, affluentdu Sakay, et, d'autre part, se continue au sud-ouest, vers Soavinandriana, dans le Mandridrano ; 30 La route réputée la meilleure pour aller de Tananarive au Betsiriry, qui pénètre dans le cercle par Ambohitsilaizina, touche à Ambohanana et se dirige sur Andranomanjaka et Inanatonana, dans le sud du Mandridrano. La plus importante des voies de pénétration vers l'ouest est celle qui vient de Tananarive par Soavinimerina, traverse l'Ikopa, gagne la haute vallée du Sakay et se dirige sur Ankavandra par Analabé, Bevato et Tsiroanomandidy. Le Mamolakazo offre encore peu de routes, mais un programme est à l'étude pour doter cette région des moyens de communication qui lui font actuellement défaut. Le Mandridrano possède un réseau de chemins desservant les différents villages et quelques grandes routes mettant la région en communication avec les provinces voisines et la capitale de l'Emyrne ; nous les classerons comme suit: A. - Sur Tananarive. —Deux routes principales partent de Soavinandriana vers Tananarive : la première, par Ambohidanerana, Talata, Mandondona et l'Ambodirano ; c'est un sentier de crêtes qui évite le passage des rivières et reste toujours praticable, même pendant l'hivernage ; la seconde, par Soavinandriana, Ambohidanerana, Mahabo, etc., est celle que suivent généralementles escortes,
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B. - Sur Bezezika. - Il n'existe qu'une seule route par Mahatsinjo, Ranomafana et Ankisabé, avec prolongement vers Ambohibé. C. - Sur le Manalalondo. - Une seule route également par Ambohidanerana, Sakà, Ambohinaorina, etc. D. - Vers Tsiroanomandidy. - Une seule route par Mahatsinjo, Ambalavato, Anteza, etc. E. - Vers le Mamolakazo. - Deux routes par Imerikandrefana et Ambohipolo, ou par Miadamanjaka et Ambanitavy. Dans le Manalalondo, les routes sont nombreuses, d'une largeur variant généralement entre un et trois mètres, mais avec des pentes qui nécessiteront de nombreuses rectifications pour rendre faciles les communications. Les plus fréquentées sont: 1° Celle de Tananarive, par Manalalondo et Amboanana; 20 La route d'Arivonimamo, qui se détache de la précédente à Ambohitsokina; 3* La route d'Antsirabe, par Manjakandriana et Ambatondradama. Les moyens de communication par eau ne sont utilisables que sur le lac Itasy, la navigation sur les rivières étant trop irrégulière pour qu'il soit possible d'y organiser un service de transport. Avant l'insurrection, deux cents pirogues sillonnaient le lac; une cinquantaine sont restées, qui servent surtout à transporter à Saboby-Ampefy les produits des bords du lac: riz, manioc, fruits, roseaux, pois, etc. D'une manière générale, disons en terminant que la viabilité a été sensiblement améliorée depuis notre occupation et que, loin de s'arrêter dans cette voie, les autorités militaires des cercles poursuivent, au contraire, activement la création de nouvelles routes et la rectification de celles qui laissent encore à désirer. La question des transports, si importante au point de vue du développement des relations commerciales, est encore réduite au mode indigène, duquel on ne pourra sortir que lorsque les routes seront praticables partout aux animaux de bât. Le louage des porteurs se fait, tantôt à la journée, tantôt d'après le poids de la charge et la longueur du parcours. La moyenne des prix est de 0 fr. 60 à 0 fr. 65 par jour. Finances. - Impôts Bien que les lois du royaume d'Imerina prévoient un ministre des finances. il ne faudrait pas en conclure que Madagascar jouissait, avant notre arrivée, d'un régime financier sérieux; les rois autocrates, en général, n'aiment pas à s'astreindre à des lois quelles qu'elles soient, mais surtout quand il s'agit des deniers publics. Aussi, tout en ne frappant le citoyen que d'impôts légers en apparence, le fisc malgache avait en main une arme terrible, le « fanompoana", ou corvée, qui
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lui permettait d'exiger des contribuables, sans contrôle et sans limites, leur temps et leur argent. , et leur argent. 11n'en est plus ainsi maintenant; un régime plus libéral, et surtout plus » n'est plus équitable, a remplacé le règne du bon plaisir; le « fanompoana qu'un souvenir historique et chaque habitant, quelle que soit sa caste et son rang, connaît désormais la part d'impôts qu'il doit à l'Etat. Anciennement, les tribus de l'Ambodirano étaient imposéesaux taux suivants: les Mamoladahy, Maromena (avaratrinirano), Mamoladahy de l'ouest, 1.000 hetra ; les Maromena (àtsimondrano) 2.000 hetra. Les tribus du Mamolakazo,venues, de l'Avaradrano, payaient 3.000 hetra, ainsi que celles du Valalafotsy, qui avaient la même origine. Celles du Mandridrano payaient1.000 hetra ou 900 hetra, suivant qu'elles avaient été formées de gens de l'Ambodirano ou du Marovatana. Aujourd'hui, ainsi que nous l'avons vu en traitant la même question pour le cercle de Tsiafahy, tout notre système d'impôts a été organisé par l'arrêté du 20 novembre 1896 et les principales sources de revenus du Trésor sont: la taxe personnelle, l'impôt des rizières, les droits de timbre et d'enregistrement, les droits de place sur les marchés et la taxe d'abatage. , L'établissement des rôles a été facilité, dans une large mesure, par la suppression du « Vodivona », ou privilèges de tous ordres dont jouissaient les tompomenakely sur leurs terres et les gens qui y étaient fixés. L'égalité devant l'impôt est aujourd'hui un fait acquis, de mêmeque l'unité de perception a été réalisée du jour de la disparition des tompomenakely. Dans les régions pacifiées, l'évaluation des recettes a pu être faite avec quelque exactitude; mais, dans les autres, le travail n'est pas encore terminé. Dans le cercle-annexe -d'Arivonimamo, les prévisions budgétaires atteignent 525.000 fr., dans le total desquels la taxe personnelle entre pour 115.000 fr., et les droits sur les marchés pour 100.000 fr. environ. Dans le Mandridrano, les recettes probables arriveront à 75.000 fr., bien que nombre de terrains ne soient pas encore mis en valeur; il est permis d'estimer la plus-value de l'année prochaine à une vingtaine de mille francs au moins. C'est, en chiffres ronds, un revenu de 100.000fr. que l'Etat pourra retirer de cette province. Pour la détermination des droits sur les marchés du cercle d'Arivonimamo et du Mandridrano, quatre catégories ont été faites de ces marchés, d'après le nombre de gens qui les fréquentent d'ordinaire ; les marchands ont été répartis. en outre, en cinq classes, suivant la nature de leur commerce, et c'est d'après cette double classification que l'impôt est perçu. r Le tableau suivant indique le taux des droits de place à la journée,
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A.- MARCHANDISES
r.n CC H
B.—ANIMAUX VIVANTS
Taxepargroupede Taxepour occupée Taxe partête caquemere par lesmarchands e super cIe I S| 3 T h CI 5 têtesoufractions degroupe t d fi 1 Taxe par groupe de S ——————————————————————————————————— H1" classe classe classe 1"classe classe 2e 130lasse4e 5eclasse 2eclasse 11ro 2eclasse Ie » 2*» 3«» 4*»
0.50 0.40 0.20 1 0.20
0.40 0.40 0.20 0.10
0.40 0.20 0.10 0.10
0.20 0.10 0.10 0.10
0.10 0.05 0.20 0.05 0.20 0.05 0.20 0.10
0.10 0.10 0.10 0.05
0.10 0.10 0.05 0.05
0.10 0.05 0.05 0.05
Statistique. - Populations Les populations fixées surle territoire des cercles d'Arivonimamo et de Miarinarivo sont très mélangées, par suite de l'installation des colonies hovas dans les régions excentriques de l'Emyrne et des croisements multiples qui en ont été la conséquence. Les divisions militaires actuelles ne répondant pas absolument à la répartition des familles-souches, nous classerons par anciennes provinces les renseignements ethnographiques que nous possédons. A.-Ambodirano.-L'Ambodirano constitua, sous le règne d'Andrianampoinimerina, une des six grandes divisions du royaume et fut dotée de la même organisation politique que les autres. La population fut fractionnée en groupes de cent et de mille, d'après les familles, avec, à la tête de chaque unité, un chef responsable, le «tomponjato», chef de cent, le «tomponarivo», chef de mille. Des «beny tany» et des «ray aman-dreny» exerçaient, au degré supérieur, les fonctions d'administration. A l'origine, les tribus de l'Ambodirano étaient les suivantes: 2000 Mamoladahy. 2000 Maromena atsimondrano. « 2000 avaradrano. 2000 Arivonimamo. 1000 Mandridrano. Des migrations eurent lieu à diverses époques, soit sur l'ordre des souvec'est ainsi qu'on trouve des rains hovas, soit pour des raisons économiques ; originaires de l'Ambodirano dans le Mandridrano, le Manalalondo, l'Ankisitra et l'Ilempona. De grandes familles s'étaient partagées le pays, et nombreux étaient les fiefs possédés par les « tompomenakely », qui représentaient, avec beaucoup d'analogie, le seigneur féodal de notre histoire. Des Zanak'andriana étaient installés à Fénoarivo et Antsahadinta ; les Andriamasinavalona se rencontraient un peu partout en qualité de tompomenakely ; les Andrianjakatrimo et Andriandambozozoro habitaient Vatobé et Malaza; on trouvait les Rangorinimerina à Tsinjoarivo, les Randriamananpaka à Miantsoa-
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rivo, les Zanak'Izymirabalahy à Ambohitsiana, les Andrianamboarinandramanitra au Sudd'Antsahadinta, etc. Des colonies de noirs existaient également à Ambohidehibe, Anosivola, Ambatosambatra et Fénoarivo. L'Ambodirano, bien peuplé, bien cultivé, était une des plus riches provinces du royaume. Sa population est actuellement, d'après les derniers recensements, de 130.000 habitants environ; elle était, il y a quelques mois, plus élevée, le rattachement au 3e territoire militaire de quelques districts des sous-gouvernements de Fénoarivo et d'Antsahadinta lui ayant enlevé 60.000 personnes. B. — Manalalondo. — La population du Manalalondo comprend quatre : les Zanak'antitra, les Maromena, les Mamo et les familles ou tribus différentes Tantsaha. Ces familles sont originaires de l'Ambodirano : les Zanak'antitra sont venus, il y a 70 ou 80 ans, des environs de Fénoarivo et d'Ambohimasina ; ils ont été suivis, 20 ou 25 ans après,par les Maromena, qui habitaient la même région ; les Mamo, des environs d'Arivonimamo, ont émigré plus récemment, ainsi que les Tantsaha venus du sous-gouvernement d'Antsahadinta. On retrouve parmi elles les trois classes du pays: 1° les Andriana (nobles), en petit nombre; 2° les Hovas, qui forment la masse; 3° les esclaves affranchis. Le chiffre approximatif de la population est d'environ 40.000habitants, don8.000 hommes, 9.000 femmes et 23.000 enfants. La densité est plus grande dans le district du Manalalondo que dans ceux d'Isaha et de Faratsio; on peut l'évaluer à 26 habitants par kilomètre carré. C. - Ankisatra. - Ilempona. - La population de l'Ankisatra a des origines très diverses; les aborigènes ont presque complètement disparu, sauf dans quelques hautes vallées. où l'on en rencontre encore quelques-uns. Ils ne se distinguent pas des autres habitants, d'ailleurs, si ce n'est qu'ils ont leurs tombeaux de famille dans le pays. Les tribus que l'on trouve surtout actuellement proviennent de l'Ambodirano, environs d'Antsahadinta, du Vakinsaony et du Vakin'Ankaratra. Il en est de même de l'Ilempona, dont les habitants sont, la plupart, tous venus de l'Ambodirano et du Vakin'Ankaratra. Dans ces deux régions, la population est très clairsemée ; les dévastations des pillards de l'Ankaratra sont pour beaucoup dans cet état de choses. Les gens" de l'Ankaratra prétendent qu'aux siècles passés le pays environnant leur appartenait tout entier et qu'ils ont été refoulés dans les montagnes par des invasions du nord et du sud. Rien ne vient appuyer cette prétention et, bien que ce pays ait été maintes fois parcouru dans tous les sens, jamais il n'a été rencontré de traces d'une civilisation quelconque a laquelle serait venue se superposer l'occupation actuelle.
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D. —Mamolakazo et Valalafotsy. - Le Mamolakazo et le Valalafotsy présentent de nombreux mélanges de Hovas et de Sakalaves. Radama Ier, cherchant à réaliser la parole prophétique de son père: « La mer doit être la limite de mon royaume », prépara, comme nous l'avons vu plus haut, la pénétration vers l'ouest en implantant des colonies hovas dans la région comprise entre l'Ikopa, la Masiaka et le cours supérieur du Sakay. L'Avaradrano fournit les premiers contingents envoyés, auxquels vinrent bientôt se joindre des Sakalaves qui demandèrent la protection de Radama. Les villages de Fénoarivo, Manakambahiny, Ambraki et Ampanga furent créés par les nouveaux venus. D'autres Sakalaves, attirés par la fécondité de la région, accoururent à leur tour et, ces incursions se répétant, le ministre de Ranavalo I, Rainiharo, le père de Rainilaiarivony, créa à l'ouest une sorte de marche frontière, le Vahovohitra, pour enrayer ces incessants exodes de pillards. Les deux races, hova et sakalave, qui habitaient cette marche en vinrent forcément à fusionner par de nombreux mariages ; dans ce mélange, les coutumes hovas prévalurent et les générations nouvelles abandonnèrent la vie errante de leurs ancêtres pour se fixer au sol et s'adonner à la culture des terres, tout en conservant cependant une certaine indépendance vis-à-vis de la race conquérante. Des gouverneurs hovas administraient le pays, mais l'éloignement du pouvoir central rendait leur dépendance bien légère. Les chefs des Sakalaves soumis conservèrent toute leur autorité sur les gens de leur race, moyennant paiement d'un faible tribut. Souvent même, Hovas ou Sakalaves s'entendaient à merveille pour piller un voisin plus faible et se partager ses dépouilles. C'est ainsi que l'insurrection les vit également unis contre nos armes; l'occasion semblait favorable pourse livrer au banditisme, tour à tour, d'ailleurs, aux dépens des amis et des ennemis. Agriculture La proportion des éléments hova et sakalave est assez difficile à déterminer et, dans tout le Valalafotsy soumis, on compte à peu près 2.000Sakalaves, dont la moitié sont métissés de Hovas. L'agriculture est très en honneur dans toute la région, l'Ambodirano et le Mandridrano surtout. La culture dominante est le riz, qui vient partout, sauf sur les plateaux trop élevés de l'Ilempona et de l'Ankisatra. Dans l'Ambodirano, l'état de tranquillité relative dont a joui cette province a permis aux habitants de se livrer, en temps utile, aux travaux du sol et toutes les rizières ont été cultivées. Il n'en est pas de même dans l'ouest, et certaines parties du Mandridrano et du Mamolakazo sont restées en friche, par suite de l'absence ou de la rentrée trop tardive des populations. D'une manière générale, les cultures qui peuvent être entreprises avec
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succès partout sont le riz, le manioc, le maïs et les haricots. A l'est de l'Ankaratra, la pomme de terre est cultivée en grand, soit pour l'alimentation, soit surtout pour l'élevage des porcs; le chanvre vient également dans cette même région et dans le sud du Manalalondo. La canne à sucre se rencontre dans les environs d'Ambatolampy et d'Ambohibololona; le tabac dans l'Ilempona, l'Ankisatra et le Mandridrano. La récolte du riz se fait dans l'Ambodirano en avril et mai, dans le Manalalondo en mars et avril ; le manioc donne en toute saison; les pommes de terre sont arrachées en février et en juin, le chanvre en février; le maïs est recueilli en mars et les haricots au mois de février. Les céréales d'Europe n'ont pas encore été essayées; des distributions de semences de blé ont été faites à Antsirabé, il y a quelques mois, et il y a lieu d'attendre les résultats de la tentative pour se prononcer sur l'acclimatement de nos céréales. Une entreprise qui peut donner de beaux résultats dans toute la région, c'est l'élevage du bétail. De nombreux pâturages existent partout et des troupeaux de bœufs considérables y vivaient avant la guerre. Un recensement fait dans les seuls sous-gouvernements de l'Ambodirano a donné: 12.614 bœufs, 12.342 porcs et 10.217 moutons. Dans le Mandridrano, il y avait, au 1er avril: 12.000 bœufs, 4.000 porcs, 300 moutons et 100 chèvres. Les volailles d'Europe: dindes, oies, canards, poulets, abondent dans tous les villages. Sur les bords du lac Itasy, le poisson est encore une ressource sérieuse: les anguilles du lac, très belles, sont très appréciées et, jadis, des courriers spéciaux étaient chargés d'en approvisionner la table des souverains de Tananarive. Avantla campagne, Rainilaiarivony possédait de nombreux troupeaux dans toute la région du lac Itasy, du Sakay et des rivières avoisinantes; on estimait à 50.000 le nombre de bœufs lui appartenant entre le Mandridrano et Maevetanana, sur l'Ikopa. Au début de l'insurrection, un de ses bouviers, Rainisaihena, se retira, avec 80 esclaves et les troupeaux dont il avait la garde, dans la région de Manandaza, où il serait encore. Les arbres fruitiers croissent en abondance presque partout: pêchers, bananiers, manguiers, goyaviers, figuiers. Les pêches, que les habitants laissent parvenir à maturité, sont très bonnes, les goyaves sont médiocres, les ananas ne sont pas très recherchés. Par ce rapide exposé, on peut voir que les ressources agricoles sont réelles dans toute la région; encore, seraient-elles susceptibles d'un plus grand rapport si les méthodes de culture étaient perfectionnées: ce sera l'œuvre du temps et de l'enseignement que répandra le service de l'agriculture; cotte vulgarisation n'est encore qu'à la période d'essais, mais elle ne peut manquer de prendre un plus grand développement.
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RÉGIONSDIVERSESDE MADAGASCAR Industrie
L'industrie est, comme dans la plupart des autres régions, presque exclusivement limitée aux objets communs de consommation indigène. On trouvait cependant, autrefois, des poudreries du gouvernement à Sarotrovana, Ambohimiarina, Arivonimamo et Ambohimandry, qui exploitaient le soufre tiré de l'Ankaratra. Les industries du bois ne sont quelque peu actives qu'aux environs des rares forêts dont les facilités d'accès permettent l'exploitation. Les essences les plus répandues sont le lalona, le tsitsihina, qui fournit un bois de charpente très estimé, le tampivahatra et le mongy, dont on titre des perches et des madriers. Le mode d'exploitation est très préjudiciable à la conservation desforêts et ne saurait être trop réprimé: l'indigène qui a fait choix d'un arbre à sa convenance met le feu aux couverts afin de le dégager et détruit ainsi un grand espace pour obtenir un seul pied. C'est à ce système que l'on doit le déboisement, sinon de tout le plateau central, comme certains l'ont prétendu, mais de nombre de pentes tout au moins. Un service de reboisement vient d'être organisé par le personnel des forêts et la surveillance qui sera dorénavant exercée sur les bûcherons va sans doute mettre fin à des pratiques aussi condamnables. Les principaux massifs forestiers se trouvent sur les flancs de l'Ankaratra; dans le Mandridrano, des bouquets de bois sont espacés de distance en distance. Le parti le plus commun que les indigènes tirent des bois est leur emploi à la construction des maisons. Le Mandridrano renferme ainsi beaucoup d'habitations en bois, avec toitures de chaume. Sous la monarchie hova, l'Ambodirano devait à la reine, comme corvée, un certain nombre de madriers. Sur les bords du marais d'Ifanja, au nord du lac Itasy, on trouve de grandes quantités de roseaux qui servent à l'édification des cases; les villages d'Ambololandrana et d'Ampolomanarivo sont construits presque entièrement de cette façon. Les industries du fer n'ont pas une grande importance; on fabrique des instruments agricoles et la coutellerie grossière sur divers points, notamment à Ambatofotsy, Ampanefy et à Faratsiho, dans le Manalalondo. Le fer venait autrefois de l'Amoronkay, au nord du cercle de Tsiafahy ; on l'achète aujourd'hui sur les marchés de Tananarive. La fabrication de la poterie indigène est répartie dans les diverses provinces, de même que celle des nattes grossières et des sobikas. Dans l'Ambodirano, on trouve ces dernières particulièrement à Fenoarivo et dans le sous-gouvernement d'Antsahadinta. Les produits tinctoriaux se rencontrent assez fréquemment sur les marchés, surtout dans l'Antsahadinta, à Ambatomitsangana et à Ambohidrazana du Mamolakazo. Le savon, de mauvaise qualité, se fabrique en beaucoup d'endroits, entre
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autres à Ambohitsimanova, district d'Amboatavo, à Antanéty, dans le sousgouvernement d'Ambohitrombo, à Fiadanana, sous-gouvernement de Fenoarivo et à Antsorohotrika, district d'Imerintsiatosika. Pour les diverses industries exigeant quelques connaissances spéciales, la main-d'œuvre est assez difficile à trouver. Dans le Mandridrano, les rares ouvriers d'art qu'on rencontre se payent: maçon, de 0. 50 à 0. 60; charpentiers, de 0. 80 à un franc par jour. Dans l'Ambodirano, la journée de cordonnier et de maçon se paye 0. 80, celle de forgeron et de menuisier un franc. Et, à ce prix, qui est rémunérateur pour l'indigène, les Européens ne laissent pas que d'être embarrassés, parce que le savoir-faire des ouvriers est très rudimentaire dans la plupart des cas. Aussi, la création d'écoles professionnelles, dont l'une fonctionne déjà à Tananarive avec beaucoup de succès, est-elle appelée à rendre de grands services à l'industrie locale en lui fournissant des éléments supérieurs à ceux qui existent actuellement. Commerce Le mouvement commercial, qui s'était forcément ralenti pendant la période insurrectionnelle, a repris son allure normale dans la plus grande partie des cercles d'Arivonimamo et de Miarinarivo. Dansl'Ambodirano, trois grands marchés n'ont jamais cessé d'être prospères: ceux d'Ambohimandry, de Maromena, d'Amboanana. Dans les autres, les échanges étaient restreints au début; mais, au fur et à mesure de la rentrée des habitants, leur activité économique est allée en croissant; dans plusieurs sous-gouvernements, il a fallu ouvrir de nouveaux marchés pour répondre aux besoins des populations ralliées et des postes militaires qui tenaient garnison dans le pays. D'une manière générale, le prix de toutes choses a notablement augmenté, conséquence inévitable de la réduction de la production, en même temps que de l'augmentation de la consommation. Beaucoup de rizières sont restées en friche et le riz, qui est la base essentielle de la nourriture des indigènes, a vu ses cours progresser rapidement. Un article est en diminution, le gros bétail. Pendant l'insurrection, les troupeaux de bœufs du Mamolakazo et du Mandridrano avaient été emmenés dans l'ouest et le ravitaillement en bêtes sur pied devenait difficile. Avec la pacification, les troupeaux sont rentrés et leurs propriétaires ont repris leur commerce d'autrefois. Le Manalalondo et le Mandridrano sont les centres principaux d'élevage et d'exportation des bœufs; on trouvait en outre, autrefois, dans le Mandridrano, des bœufs venant des régions sakalaves, de Tsiroanomandidy à Manandaza, que les gens allaient acheter là en raison 6"M, leur bon marché. Aujourd'hui, l'insécurité qui règne encore dans cette partie du pays met obstacle à ce commerce, qui reprendra certainement dès que les routes redeviendront sûres.
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Lesdifférents marchés sont alimentés par les produits de la région et surtout par les importations de Tananarive. Ce sont particulièrement les objets manufacturés, tels que toiles, cotonnades de couleurs, fils, etc., qui viennent de la capitale; la poterie, les nattes, les instruments de culture et les outils sont généralement fabriqués dans le pays. Dans le Manalalondo, les principaux articles d'importation sont les meubles, la quincaillerie, la chaussure, la chapellerie et les toiles provenant de Tananarive, le sel, qui vient d'Antsirabé, les cocons et la soie filée venant d'Antsirabé et de Mahambo et le bétail venant de l'ouest. L'exportation comprend principalement le riz, le manioc, les pommes de terre, les haricots, ainsi que des lambas mena (lambas rouges). Le grand centre d'élevage est Alatsinainy du Manalalondo. Le poisson donne lieu également à un certain commerce ; les anguilles du lac Itasy et du lac Vinaninony sont réputées; les poissons secs du lac Kasanga sont exportés dans tous les villages de la région. Le Mandridrano a des marchés prospères, tels que ceux d'Alatsinainy de Soavinandriana et de Sabotsy d'Ampefy, où le chiffre des affaires est important ; on y trouve tous les produits du pays et ceux importés des environs de Tananarive ou d'Antsirabé, comme savon, sel, chandelles, toiles et cotonnades; l'exportation est limitée au bétail. Dans l'Ambatolampy, les marchés ont peu d'importance, la population est trop clairsemée; il en est de même dans le Valalafotsy, où l'organisation administrative est encore embryonnaire; quatre marchés seulement sont fréquentés dans ce secteur. L'Ambodirano et le Manalalondo sont les deux régions où les relations commerciales ont actuellement le plus d'importance: 74 marchés sont ouverts, dont 10 sont fréquentés par plus de 2.000 personnes. Les principaux sont ceux de Talata de Maromena, Alatsinainy de Manalalondo, Alatsinainy d'Ambatolampy et Sabotsy d'Ambohimandry. Un obstacle est encore apporté aux transactions: la rareté de la monnaie divisionnaire; peu à peu, sous notre influence, l'usage de la monnaie coupée tend à disparaître, mais encore faut-il qu'on puisse la remplacer par une autre valeur d'échange dont les divisions soient en rapport avec la modicité des achats auxquels se livre l'indigène. C'est un malaise passager, auquel il sera facile de remédier par des appels en France. En résumé, l'activité économique est considérable dans tout le cercle d'Arivonimamo et dans le Mandridrano ; les revenus des marchés en sont l'éclatante démonstration. Le Mamolakazo et le Valalafotsy se développent plus lentement; dont ils sont à peine sortis et cette situation tient surtout à l'état de troubles s'améliorera inévitablement avec le retour de la tranquillité dans les campagnes. GENDRONNEAU, Officier d'Administration.
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(31 Mai
1897)
Pendant le mois de mai, des faits militaires d'une importance capitale ont fait pressentir que la pacification complète du plateau central n'est plus qu'une question de quelques semaines. Les troupes régulières pourront, dès lors, être employées en partie à l'occupation progressive des régions encore inconnues de l'ouest et du sud. Au point de vue politique, les constatations que nous aurons à faire ne sont pas moins satisfaisantes. Depuis un mois, l'organisme administratif s'est enrichi presque chaque jour de nouveaux rouages destinés à en faciliter et à en assouplir le fonctionnement. Enfin, le voyage que le Résident Général vient d'entreprendre autour de l'île a pour but de synthétiser cet ensemble de résultats et de préparer, par une sorte de nivellement des institutions particulières à chaque province, le régime définitif de notre nouvelle colonie. Développons cet aperçu général et passons rapidement en revue, en n'en retenant que les traits essentiels, les principaux faits d'ordre militaire ou politique survenus pendant le mois qui vient de s'écouler. Dans toutes les directions, la zone de notre occupation militaire s'est considérablement étendue, soit a la suite de succès remportés par nos troupes, soit comme conséquence de négociations habiles qui ont amené la soumission- d'un grand nombre de chefs rebelles et de leurs partisans. Pendant le mois d'avril, les troupes de M. le colonel Combes avaient occupé, dans le nord, Vohilena et Antsatrana et avaient commencé les mouvements qui aevaient établir la communication définitive du 1er territoire militaire, d'une part avec les cercles d'Ankazobé et d'Ambatondrazaka, d'autre part avec la province de Majunga. Les premiers résultats obtenus ont été poursuivis avec vigueur par M. le commandant Lyautey qui, à la suite de M.le colonel Combes,-a reçu la haute direction des opérations contre les rebelles du nord. Ayant appris, vers le 1er mai, que Rabezavana, le chef des bandes rebelles du nord, avait accumulé à Moratsipoy un centre important d'approvisionnements et qu'il s'y tenait encore avec une bande nombreuse, le commandant Lyautey se porte sur ce point et l'enlève après une courte résistance. Un y trouve la plus grande partie des bagages de Rabnzavann,DOS Approvisionnements rlr riz CNN^IRLÉNIHW H., MUT¡,¡¡IIIII,' DU
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village, des rizières en plein rapport, dont les rebelles s'apprêtaient à faire la récolte. Les insurgés s'enfuient, mais leurs bandes ne sont cependant pas encore désagrégées et se concentrent bientôt vers Ambohimanjaka, menaçant toujours la région de Vohilena à Antsatrana. Une nouvelle opération est nécessaire; elle est entreprise quelques jours plus tard avec une entière réussite par le capitaine Le Moan, secondé par les garnisons de tous les postes déjà établis dans les zones voisines: 130 prisonniers et 20 fusils à tir rapide tombent entre nos mains. Ce succès assure au commandant Lyautey une base solide pour progresser dans la vallée de la Mahajamba, où les dernières bandes rebelles se sont réfugiées. Le 20 mai, il fait à Farahitsidiso sa jonction avec le capitaine Feldmann, du cercle d'Ambatondrazaka, et arrête, de concert avec lui et avec un officier du cercle d'Anjozorobé, les limites communes aux trois cercles du nord qui se touchent vers les sources de la Mahajamba. Les jours suivants, des reconnaissances continuent à fouiller activement le pays et le purgent des rebelles qui s'y cachent encore. Cependant, les échecs successifs qui ont été infligés à Rabezavana, la misère et le découragement de ses partisans, la perte de ses approvisionnements et d'une partie de ses munitions, décident ce chef rebelle à prêter l'oreille à des propositions de soumission qui lui sont faites dans son propre entourage. Des émissaires choisis par le Résident Général parmi les Malgaches influents de Tananarive lui sont envoyés pour l'encourager dans ces dispositions et lui promettre la vie sauve s'il consent à déposer les armes. Après de longues négociations habilement dirigées par le commandant Lyautey et le capitaine Rémond, Rabezavana se décide enfin à venir le 29 mai, à Morafeno, faire sa soumission solennelle à M. le commandant Lyautey, ramenant 600 de ses partisans et rendant 665 fusils. En même temps, il prescrit à tous ses lieutenants de mettre bas les armes et de suivre son exemple. Cet événement ne tardera pas à produire les plus heureuses conséquences et, déjà, toutes les populations de la région, dont jusqu'alors l'hostilité ne s'était pas démentie un seul jour, commencent à se soumettre en bloc et à rentrer dans leurs villages. Dans le cercle d'Ambatondrazaka, nos troupes continuent à gagner du terrain vers l'ouest en se reliant à celles du commandant Lyautey. Grâce à ces efforts combinés et aussi à la soumission de Rabezavana, la route du nord est ouverte. Il sera possible, avant peu, d'établir une ligne ininterrompue de postes qui, par les vallées de la Betsiboka et de la Mahajamba relleront définitivement Tananarive avec Tsaratanana et la partie orientale de la province de Majunga. Dans les cercles d'Anjozorobé et de Moramanga, les reconnaissances continuelles dirigées contre les rassemblements de rebelles qui cherchent à se maintenir encore dans la fnrèf. finissent par o';"Îr'I(lI'la plus crande partie OPla
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M.,
population à se séparer de Rabozaka, dont la bande est réduite aujourd'hui à quelques fusils et qui n'échappe à nos troupes qu'en se déplaçant sans cesse. Pendant les deux mois d'avril et de mai, plus de 18.000 habitants sont rentrés dans les villages du cercle d'Anjozorobe et ont remis près de 1.000fusils = aux divers commandants de poste chargés de la surveillance de la forêt. Dans le nord du cercle de Moramanga (secteurs de Merimitatra et de Mandialaza), la population bezanozano, quoique plus clairsemée, s'augmente tous les jours e,t la tranquillité s'accentue d'une manière très marquée; les quelques isolés que - les reconnaissancesrencontrent de temps à autre ne présentent plus aucune résistance et n'ont d'autre souci que d'échapper à la poursuite de nos troupes. Enfin, de nouveaux postes établis sur la rive gauche du haut Mangoro complètent la liaison avec Didy et le cercle d'Ambatondrazaka. Dans le 2e territoire militaire, la situation continue égalementà s'améliorer. Les rebelles du cercle de Tsiafahy ne tiennent plus la campagne et se cachent au cœur de la forêt, dans des campements de fortune, où ils sont pourchassés chaque jour par les patrouilles des postes les plus voisins. Du 7 au. 10 mai, une reconnaissance exécutée à l'est de Nosi-Bé par M. le capitaine Flayelle, de la légion étrangère, met en fuite un parti important et obtient de nombreuses soumissions. Quelques jours plustard, le capitaine Michelangeli, des tirailleurs haoussas, procède à l'occupation de la région d'Ambohibazaha et, à la suite d'une vigoureuse battue, refoule vers le sud les débris des bandes qui cherchaientà se maintenir de ce côté. Un grand nombre de ces rebelles se déclarent las de la lutte et viennent, au nombre de 600, faire leur soumission; une ligne ininterrompue de blockhaus est établie sur la lisière occidentale de la forêtpar M. le chef de bataillon Gouttenègre, commandant le cercle de Tsiafahy ; elle en surveillera tous les débouchés, rendra tout ravitaillement impossible aux derniers dissidents qui cherchent à s'y maintenir et assurera la protection des populations soumises du centre de la circonscription. En même temps, M. le capitaine Deleuze, de la légion étrangère, organise dans le sud du secteur du Voromahery une poursuite sans trêve des derniers débris des bandes de Rainibetsimisaraka. Les principaux lieutenants de ce chef rebelle, abanbonnés de leurs partisans et dénués de toutes ressources, ont déjà fait leur soumission. Vers le 15 mai, il est à peu près évident que, traqué de toutes parts, Rainibetsimisaraka ne tardera pas à suivre cet exemple et on s'attend, d'un jour à l'autre, à le voir venir implorer son pardon. Mais des événements inattendus se produisent; le 17 mai, M. le capitaine Deleuze apprend que la petite garnison installée à Ambohimanga du sud a été très vivement attaquée le 10 mai par toute la population Tanala soulevée contre l'autorité française, à l'instigation du prince indigène Revanarivo, gouverneur du district. Cette attaque a été très brillamment repoussée; mais, néanmoins, les communications avec Ambohimanga restent interrompues. En outre, un colon français, M. Paty, qui. se rendait d'Ambositra à Ambohimanirrt,a étô assassin/' dans la forêt par les insurgés.
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Au reçude ces nouvelles, le capitaine Deleuze se dirige à marches forcées sur Ambohimanga, où il rétablit rapidement l'ordre avec le concours de M. le Résident Besson, accouru de Fianarantsoa et du capitaine Lefort, du 130régiment d'infanterie de marine. Ce dernier réussit à s'emparer des bagages et des papiers du gouverneur révolté et à appréhender une partie de sa famille. Le sous-lieutenant Vaillant, qui a été légèrement blessé à l'attaque du poste d'Ambohimanga, retrouve, sur la route d'Ambositra, le corps du commerçant. français assassiné le 12 mai et arrête une partie de ses meurtriers. Plusieurs détachements ont été envoyés à la poursuite des chefs tanalas révoltés et il est probable qu'ils ne tarderont pas, ou à se soumettre, ou à tomber entre nos mains. Il convient d'ajouter, à ce sujet, que le chef rebelle Rainimanganoro, soumis depuis quelques jours, a accompagné M.le capitaine Deleuze dans toutes ses opérations et a contribué, par son influence, à faire rentrer dans le devoir les populations tanalas. Les indigènes de cette région ont été frappés surtout de la rapidité avec laquelle les forces françaises étaient accourues sur le théâtre de la révolte. En moins de trente-six heures, plus de cinq cents fusils: légion, infanterie de marine, tirailleurs et miliciens malgaches, étaient réunis autour d'Ambohimanga. En quatre jours, les chefs de l'insurrection étaient arrêtés et tout était rentré dans l'ordre. Dans l'ouest du 2e territoire, les populations sont tranquilles et l'activité des commandants de cercle et de secteur peut se concentrer sur l'organisation administrative du pays, qui avait été établie si imparfaitement par l'ancien gouvernement malgache. Toutefois, des incursions de pillards sakalaves se produisent de temps à autre dans le cercle de Miarinarivo, sur les confins de l'Emyrne. D'autre part, des bandes de tontakely, ou voleurs de nuit, parcourent encore certaines contrées sauvages et désertes comme celles de l'Ankaratra. Un déplorable événement, qui a douloureusement impressionné le Résident Général et la colonie française, a montré le danger qu'il y a encore à s'aventurer sans protection suffisante dans cette région inhospitalière et peu peuplée. Le 17 mai, MM.les pasteurs français F. Escande et P. Minault avaient quitté Tananarive dans l'intention de se rendre à Fianarantsoa et de visiter les établissements des missions évangéliques qui se trouvent sur le parcours. Malheureusement, ils avaient omis de prévenir l'autorité militaire de leur voyage et, sans croire au danger, ils s'étaient mis en route sans armes et sans escorte. Le vendredi 21 mai, ils arrivaient vers une heure de l'après-midi au village d'Ambatondradama, situé dans la partie la plus abrupte de l'Ankaratra et éloigné de 30 kilomètres du poste militaire le plus voisin. Vers 3 heures, après avoir déjeuné dans une rase indigène, ils se remettaient en chemin, malgré les avis réitérés d'un habitant du village, qui était venu les prévenir qu'une petite bande armée occupait le marché voisin et s'apprêtait à les dévaliser au passage. M. Escande n'attacha pas d'importance à ce renseignement et donna l'ordre de se romettre en marche.
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Quelques instants plus tard, le petit convoi était assailli par une trentaine , d'indigènes armés de couteaux, de sagaies et de fusils. Nos malheureux compatriotes ne tardèrent pas à succomber sous le nombre; leurs bagages furent pillés et emportés dans la montagne. Une battue méthodique exécutée aussitôt dans l'Ankaratra et une enquête minutieuse faite par les autorités militaires et indigènes ont permis, grâce à des renseignements fournis par les habitants eux-mêmes, de découvrir une partie des assassins, qui ont été traduits devant le tribunal du cercle et ont expié chèrement le meurtredes deux Français. Dans le précédent Bulletin mensuel, nous avions mentionné l'occupation d'Ankavandra, qui marquait un premier pas dans la pénétration vers les régions sakalaves de l'ouest. M. le lieutenant Rocheron, qui occupe ce poste, a exécuté de nombreuses reconnaissances dans la région environnante et fait appliquer la loi d'abolition de l'esclavage. Plus au sud, M. le capitaine Mazillier, avec une compagnie sénégalaise, se dirige en ce moment, par Inanatonana, vers le Betsiriry, pour commencer à asseoir l'autorité de la France sur cette région particulièrement intéressante, en • raison des richesses minières qui y ont été signalées. Dans la province de Fianarantsoa, la création d'un poste à Ivohibé, prévue par le dernier Bulletin mensuel, est un fait accompli. Cette localité, capitale des Baras-Iantsantsas, aété occupée par un officier chancelier soutenupar une garnison comprenant un peloton de tirailleurs malgaches et un détachement de milice. Dans les résidences côtières, aucun événement militaire important n'a marqué le mois qui se termine. D'ailleurs, au cours du voyage qu'il vient d'entreprendre, le Résident Général se propose d'étudier de près la situation des régions du littoral et d'arrêter sur place les mesures nécessaires pour faire commencer énergiquement les marches de pénétration. A cet effet, des détachements de troupes régulières seront probablement envoyés d'ici peu à nos résidents de la côte, pour renforcer leurs corps de milice et leur permettre d'agir efficacement contre les tribus insoumises qui entravent les transactions commerciales à proximité immédiate des principaux ports de la colonie. Le Résident Général a quitté Tananarive le 3 mai, pour commencer son voyage autour de l'île et est arrivé à Tamatave le 10. Sur tout son parcours, il a été accueilli par les plus vives démonstrations de sympathie de la part de la population indigène. Les Betsimisarakas lui ont tout particulièrement témoigné leur reconnaissance de les avoir délivrés de la domination des Hovas. Dans toutes les localités qu'il traverse, le Général inspecte les postes, se fait présenter les autorités indigènes, visite les écoles et réunit la population en kabary, pour lui rappeler les devoirs que lui impose le nouvel état de choses. A Tamatave, la réception faite au Résident Général est particulièrement brillante. La ville et la rade sont pavoisées et brillamment illuminées des arcs de j triomphe se succèdent sur tout le parcours.
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codant son séjour à Tamatave, le Général a pu étudier sur place un grand nombre de questions intéressant l'avenir de la ville et il s'est éclairé, à ce sujet, des avis de la Chambre consultative de commerce, des autorités locales et des principaux colons. Tous les services militaires et civils, ainsi que les écoles, ont été successivement inspectés; enfin, le Résident Général s'est également rendu sur l'emplacement projeté pourla nouvelle ville. Le 15 mai, il offrait à la population tamatavienne un grand bal, auquel plus de 500 personnes assistaient. Le 18, il recevait tous les chefs indigènes de la région, qui lui ont été présentés par le gouverneur betsimisaraka de Tamatave, M. Heurtevent. Celui-ci s'est fait l'interprète de ses administrés pour exprimer leurs sentiments de dévouement et de fidélité envers la France. Cette cérémonie a eu lieu avec solennité, en présence des troupes de la garnison et de la milice. Le lendemain 19, à 7 heures du matin, le Général s'embarquait sur le «La Pérouse», à destination de Ste-Marie, où il arrivait le même jour, à 4 heures. Il a profitéde son passage pour étudier, de concert avec la Chambre consultative, certains desiderata intéressant l'île de Ste-Marie et, en particulier, la question de la détaxe des girofles à l'entrée en France. Le lendemain 20, le « LaPérouse» quittait Ste-Marie et mouillait le mêmejour; à 4 h. 1/2, en rade de Maroantsetra. Le Résident Général a pu constater, d'après les déclarations des colons eux-mêmes, que depuis les opérations heureuses exécutées par M.le Résident Pradon, les transactions commerciales avec l'intérieur ont repris avec activité; le commerce de la province porte principalement sur l'exportation du caoutchouc et du rafia et sur l'importation des cotonnades étrangères. Il reste quelques Hovas dans le pays; mais les fonctions publiques leur ont été enlevéeset ils se bornent à faire du commerce. Après avoir visité l'île Marosse, le Résident Général quitte Maroantsetra le 22, à 7 heures du matin. Le lendemain, à 2 heures du soir, il est à Vohémar, où il reçoit tous les fonctionnaires et les colons et fait tenir note des desiderata qu'ils lui expriment. Les chefs sakalaves de Vohémar et un grand concours d'indigènes se présentent à lui pour lui exprimer leurs sentiments d'attachement à la France et leur satisfaction d'être délivrés de la domination hova. Le 24 mai, à la première heure, le « LaPerouse» lève l'ancre et fait route pour Diégo-Suarez, où il arrive le même jour à une heure de l'après-midi. Pendant les quatre jours qu'il passe dans le grand port du nord de l'île, le Résident Général inspecte les divers services civils et militaires, visite les écoles et réunit la Chambre consultative pour étudier avec elle, les principales questions intéressantles colons et les commerçants. Pour quelques-uns de ces desiderata, des solutions immédiates ont pu être données. Le25 mai, le Général visite l'usine de conserves de viande d'Antongobato et les exploitations de la Société des Salines.
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Enfin,l'organisation dé la défense de Diégo-Suarez a été l'objet d'une inspection toute spéciale que le Général a entreprise de concert avec le commandant, de la Division navale. Dans ce but, la journée du 27 mai a été complètement consacrée à la visite des ouvrages fortifiés de Diégo. Cet examen a d'ailleurs fait ressortir qu'il est indispensable de poursuivre sans retard l'exécution des projets à l'étude, tant pour l'achèvement du port militaire que pour sa défense. Le lendemain 28 mai, dans la matinée, le «La Pérouse» quitte Diégo-Suarez pour aller mouiller dans la baie du Courrier, où le Général tenait à se rendre compte des facilités qu'offre ce point pour les débarquements et de l'organisation défensive à prévoir pour protéger Diégo-Suarez de ce côté. Le lendemain 29 mai, à la première heure, le « La Pérouse » fait route pour Nossi-Bé, où il arrive le même jour, à 4 heures. Dès son débarquement,le Résident Général reçoit la visite de l'Administrateur et du Président dela Chambre consultative, puis celle des chefs indigènes Tsiarassa, Tsialana et Binao. Ensuite, il confère avec la Chambre consultative de commerce et peut donner immédiatement satisfaction à certains des desiderata qui lui sont exprimés. Dans la soirée, une fête superbe est organisée par la population en l'honneur du chef de la colonie. Le 31 mai, le Général visite les exploitations de plusieures colons, inspecte les écoles et reçoit toutes les personnes qui désirent lui adresser des demandes. Le Résident Général doit quitter Nossi-Bé le 1er juin pour aller visiter les principales baies du littoral entre Nossi-Bé et Majunga. Pour terminer, il convient d'indiquer rapidement les principales mesures qu ont été prises dans le courant du mois en vue de compléter l'organisation politique, administrative et judiciaire de la colonie. Nous citerons, en particulier: 1° Divers arrêtés réglementantles impôtsdans les provinces de Mananjary et de Vohémar et le travail indigène dans la province du Betsiléo. 2° Un arrêté organisant le contrôle de l'émigration hors de Madagascar des travailleurs originaires de cette colonie. Cette réglementation a pour objet de conserverle plus possible à nos commerçants et à nos colons la main-d'œuvre, dont le recrutement est déjà si difficile. 3° Une décision créant un service spécial chargé des études et des travaux de reboisement à Madagascar. Cette décision prévoit, en même temps, la création de pépinières qui serviront de champs d'expériences au service des Forêts et où on recherchera les essences indigènes ou exotiques qu'il y a surtout lieu de propager pour obtenir des reboisements rapides. Des instructions spéciales ont été données aux divers services intéressés, pour l'installation de ces pépinières. 4° Deux arrêtés, dont l'un organise à Madagascar le corps des avocats défenseurs et dont l'autre fixe les tarifs des frais et dépens en matière civile. Il faut encore citer, en ce qui concerrne l'organisation judiciaire, la promulgation dans la colonie du décret du 27 janvier 1855, sur les curatelles aux successions et biens vacants,
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Les mesures prises pendant les mois précédents pour l'organisation de l'enseignement ont porté leurs fruits. A Tananarive, les diverses écoles officielles ou particulières sont de plus en plus florissantes; sur tous les autres points du territoire, il s'en crée chaque jour de nouvelles et les rapports qui parviennent au Résident Général signalent unanimement le zèle qu'apportent les Malgaches à les fréquenter. Enfin, les travaux publics ont reçu une vive impulsion dans toutes les provinces. En descendant à Tamatave, le Résident Général a tout particulièrement inspecté les chantiers de la route carrossable et a pris, en cours de voyage, diverses décisions ayant pour objet de hàter l'achèvement de cette importante voie de communication. Dans tout ce qui précède, nous n'avons fait que donner un rapide aperçu des principaux événements qui se sont accomplis pendant le mois de mai. il suffit, toutefois, pour montrer, comme nous le disions en commençant, que cette période a été féconde en résultats.
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INSTRUCTIONS
RELATIFS
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AVIS
MADAGASCAR D'APRÈS
ETIENNE
DE
FLACOURT
Un savant professeur très au courant de l'histoire de Madagascar, M. Adrien Marre, a bien voulu communiquer au Résident Généralun très intéressant résume des parties les plus saillantes de l'œuvre d'Etienne de Flacourt. En publiant ci-après ce résume, la rédaction de Notes et Exploratians tient à adresser à M. Adrien Marre tous ses remerciement pour cette précieuse communication. Etienne de Flacourt, né a Orléans en 1607,mort en 1660, directeur général dela compagnie française de l'Orient et commandant, pour Sa Majesté le Roi, dans l'île de Madagascar et ès isles adjacentes, composa une Histoire de la grande isle Madagascar, dont la seconde et dernière édition fut publiée en 1601, avec une Relation de ce qui s'est passé ès années 1655, 1656 et 1657, non encore vue par la premièreimpression. C'est un livre de bonne foi et fortement documenté, qui mérite d'être consulté encore aujourd'hui, car il renferme beaucoup de renseignements et d'instructions utiles. Ce n'est point la bonté et l'élégance de la forme qu'il y faut chercher, mais là bonté solide du fond. Flacourt a eu soin de nousen prévenir: « Si le style de l'auteur ne plaît pas au lecteur, je le prie de croire que je ne fais point professsjon d'éloquence et ce que j'cil ai fait a été pour faire connaître avec vérité, au mieux qu'il m'a été possible, tout ce que j'ai vu, connu, appris et remarqué en cette isle, durant près de sept ans que j'y ai demeuré H, En tète de son livre, Flacourt a écrit une épître dédicatoire à Mussire Nicolas Fouquct, Ministre d'Elat, surintendant des Finances de France et Procureur Général de Sa Majesté. Elle débute ainsi: « Monseigneur, « Cette isle que je décris se présente à Votre Grandeur, pour implorer
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votre secours et pour vous demander des ouvriers, afin d'exciter ses habitants à se façonner, comme les autres nations de l'Europe, et pour leur enseigner la bonne manière de cultiver. C'est pourquoi ce que nous y devons chercher, ce n'est point la terre, les arts, les métiers et les manufactures des choses qu'elle contient en son sein, aussi avantageusement que pays du monde. Elle vous demande des lois, des ordonnances politiques, des villes et des officiers pour les y faire observer ». Plus loin il s'exprime ainsi: « Il y a plusieurs Français mariés à des femmes du pays, converties à la religion chrétienne, et beaucoup d'enfants qui en sont issus. C'est une peuplade qui est en son enfance, qui de soi est si faible qu'elle ne se peut pas encore soutenir d'elle-même, jusqu'à ce qu'elle soit parvenue à un âge plus fort et plus avancé. C'est ce qui fait qu'elle a besoin de votre assistance, Monseigneur ; secourezla, assistez-la et n'abandonnez pas les avantages que vous y avez à présent; mais envoyez-y des navires et des Français le plus promptement que vous pourrez, afin que l'on voie aussi les fleurs de lys arborées en même temps que la Croix, pendant votre ministère et par vos soins, dans toute l'étendue de la plus grande île du monde. Que le zèle que vous m'avez fait paraître par vos lettres ne se refroidisse pas; que la mauvaise intention que quelques particuliers ont eue pour en ruiner les progrès, portés par quelque intérêt étranger, ne vous fasse pas désister d'un si généreux dessein, autant noble et glorieux à l'honneur de la France, comme avantageux à la religion chrétienne et à la gloire immortelle d'un si grand nom que le vôtre! » L'épître à Fouquetest suivie d'un avant-propos qui s'adresse aux lecteurs; nous pouvous y récolter quelques renseignements intéressants. Tout d'abord, Flacourt signale la folle superstition des idolâtres de Pégu, de Siam et autres pays circonvoisins, « qui se sacrifient vivants aux pieds de leurs idoles, devant lesquelles ils courent en foule, les uns pour se couper la gorge, se déchiqueter les membres et s'éventrer, les autres pour se jeter sous les roues du chariot et sous les piedsdeséléphantsqui traînent une idole d'or, pensant en cela mériter beaucoup et que cette malheureuse mort leur sert pour l'expiation de leur péchés »; puis, passant à Madagascar, il continue ainsi: « La nation dont je veux parler croit en un seul Dieu, créateur de toutes choses, l'honore, le révère et en parle avec grand respect, lui donnant le nom de Zanahary. Elle n'a aucune idole ni aucun temple; quoiqu'elle fasse des sacrifices, elle les adresse tous à Dieu. Il est vrai que l'on s'étonnera qu'elle fasse la première offrande au diable d'un morceau de la bête sacrifiée. Ce n'est pas qu'elle lui porte honneur, mais c'est, comme nous disons communément, qu'elle jette un morceau à Cerbère ou à un chien pour l'apaiser, ou qu'elle fait comme cette pauvre femme qui présentait une chandelle allumée à l'image de Saint-Michel et une autre au diable qui est peint sous ses pieds. C'est une mauvaise coutume, que cet ennemi du genre humain y a introduite, se servant en cela de l'ignorance de ces pauvres aveuglés. Ils vivent toutefois, à peu près à la façon de nos anciens patriarches; ils nourrissent des
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troupeauxde boeufs, cabris et moutons; ils n'ont que de petites maisons assez commodes pour eux. Ils vivent de ce que leur rapporte la terre qu'ils cultivent, ils ont des serviteurs et des esclaves par lesquels ils se font servir avec douceur. Ils se contentent, pour vêtement, d'une pièce d'étoffe avec la ceinture, et les femmes avec un pagne en forme de jupe et d'un corps de cotte, sans linge, bonnet ni souliers. Ils sont sans ambition et sans luxe, et vivent plus contents des fruits que la terre leur donne et des bestiaux qu'elle leur nourrit. Passant plus doucement leur vie que les autres habitants de l'Europe, ils ne sont point sujets à beaucoup d'incommodités que l'on a dans les grandes villes. La terre ne s'y vend point; les bâtiments, le bois et les couvertures des maisons ne leur coûtent que la peine de les aller quérir et de les choisir à leur gré. Le poisson ne leur coûte qu'à pêcher et le gibier qu'à prendre àla chasse. « Ils n'ont que faire d'avoir peur des bêtes farouches, n'yen ayant point, et encore moins des bêtes venimeuses, d'autant qu'il n'y a aucun serpent nuisible à l'homme, quoiqu'il y en ait de très gros. Les froidures, les gelées, les neiges ni les glaces ne leur donnent point d'appréhension, d'autant qu'il n'yen a point. Les grandes chaleurs n'y sont point si incommodes comme elles sont en été en France, d'autant que comme les jours y sont presque égaux aux nuits, elles ne durent pas si longtemps. Et, en outre, le grand chaud commençant en été à neuf heures du matin est terminé à trois heures après-midi, pendant lequel temps il s'élève une brise de la mer qui modère tellement la chaleur, même en plein midi, que plusieurs fois je n'en ai point été incommodé à cause de ce vent frais qui la tempérait, ce qui dure environ trois ou quatre mois l'année, les huit autres n'étant qu'un perpétuel printemps. Ces peuples n'ayant eu aucune communication ni commerce avecles habitants des terres fermes de l'Ethiopie, à cause de leur ignorance de la navigation, n'ont point reçu les changementsdes lois et coutumes qui s'y sont introduites de temps en temps; mais ils ont seulement conservé celles qui ont été en usage dans le pays d'où ils sont venus, qu'ils ont apportées avec eux quand ils ont passé dans cette île ». Le chapitre XXII, qui traite des Arts et des Métiers, mérite d'être reproduit: « Cette nation, dit Flacourt, n'ayant pas besoin de beaucoup de choses dont nous nous servons en Europe, ne s'est pas appliquée à la recherche et invention de tant d'arts et métiers comme nous. Pour leurs meubles, pour le vêtement, pour le logement, pour les ustensiles de travail et du ménage, pour l'ornement et pour la défensive, ils n'ont ambition d'avoir autre chose que ce qui est nécessaire à leur usage de bienséance, à la façon du pays. Pour cet effet, les uns s'appliquent à forger du fer et de l'acier et en font métier et marchandise. Ce sont les Ompanefa Vihe, qui fondentla mine de fer, en forgent les ustensiles comme haches, marteaux, enclumes, couteaux, hansard (.fic)," bêches qu'ils nomment fanghali,*** rasoirs, pincettes à arracher le poil, grils à rôtir la * Pour AmpancfaVy(travailleurs du fer). Hansard pourrait bienêtre la forme franciséedu malgache antselra (pioche). **' La lxkiie se nomme également angady, fihady et bihaly (en sakalave).
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viande, crochets à la tirer du pot, laircs ou chausse-trappes pour blesser leurs ennemis, et toutes sortes de javelots, dards, dardilles et grands couteaux à couper la gorge aux bœufs. « Les orfèvres s'adonnent à fondre l'or en lingot, à faire des menilles d'or, des oreillettes, grains, anneaux et autres garnitures d'or, des menilles d'argent et de cuivre pour l'ornement d'un chacun; les potiers et potières, à choisir, pétrir et préparer la terre, à la fabrique des villangues (sic), sines (sic), pots, plats, fafes, louvies (sic), tant grandes que petites, qu'ils cuisent avec un feu de broussailles et qui, après les avoir frottées avec une terre noire ressemblant à de l'antimoine, deviennent claires et reluisantes comme si elles étaient vernies. Les faiseurs de plats de bois, dont les uns les font sans tour, d'autres les tournent, font des boîtes de bois qu'ils nomment vata, des écuelles, des cuillers de bois et de corne, des palles* et autres ustensiles, des tangouri, que nous appelons ruches, des cercueils, des canots à naviguer et autres brouilleries" dont ils se servent dans leur ménage. « La plupart sont charpentiers, en quoi excellent les Zaferamini, Rohandrian et Anacandrian. Ils se servent de la règle, du rabot, de ciseaux à faire mortaise; pour ce faire, ils n'ont l'usage de vilebrequins ni vrilles, ils se servent de petits gouges ou bien d'un poinçon de fer tout rouge, pour percer leur bois. Il n'y a point en leurs maisons de chambres hautes, ni caves, ni greniers: il n'y a que le plancher qu'ils nomment vareray*" et un petit plancher sous la couverture qu'ils nomment farafara****.Leur foyer est au bout, qui contient environ quatre pieds en carré, rempli de sable, sur quoi ils mettent trois pierres pour soutenir le pot. Ils n'ont ni chenet, ni cheminées, la fumée se perd dans la maison; c'est pourquoi il n'y a pas de plaisir d'être dans leurs cases quand il y a du feu qui n'y éteint guère, quelque chaleur qu'il y ait. Ils font des magasins pour mettre leur riz, qui sont sur des piliers de bois afin que les rats n'y puissent monter. « Les pêcheurs ont des rets que nous nommons sènes, des nasses, des lignes et des hameçons et même ont des sagaies au bout desquelles il y a des harpons. Ils pêchent dans les étangs, dans les rivières, et à la mer et sur le rivage. Quand ils ont grande quantité de poisson, ils le portent vendre de côté et d'autre pour du riz, des ignames, du coton et autres commodités de la vie, ou bien le font boucaner et cuire sur une espèce de treillis de bois, sous quoi ils allument du feu, pour le garder. Les chasseurs de cochon chassent après le sanglier avec trois ou quatre chiens; ils reçoivent payement des maîtres de * Palle, pour pal ou palis, vieux mot français qui nous a fourni notre mot usuel « palissade». ** Flacourt emploie brouillerie dans le sens de « mélangé d objets divers »,quii avait encore dans son temps. *H Le motvareray se retrouve dans la racine rary, qui sert à désigner généralement un parquet. ****Le farafara est le terme employé encore aujourd'hui dans tout Madagascarpour désigner le petit plancher élevé de terre sur ou sous lequel on place les objets du ménage comme sur une étaère.
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villages, leurs voisins, pour cela. Ils prennent des oiseaux à la glu et au filet; ils apprivoisent des oiseaux pour faire prendre les autres. « Les cordiers font des cordes de toutes grosseurs et longueurs jusqu'à cent trente brasses de long, font de petites cordes pour lier leurs paniers et autres nécessités, font des rets et des lignes à pêcher. Leurs cordes sont de diverses sortes d'écorces d'arbres, dont les unes sont meilleurs que les autres, ainsi que l'écorce d'avi-avi* et de fantatranou (sic). Les femmes filent et font les étoffes de diverses matières et manières, à quoi les hommes ne touchent point; ceci étant un ouvrage de femme, un homme serait déclaré infâme et efféminé, s'il s'en mêlait. Celles qui font les pagnes qu'ils nomment lambas teignent le fil auparavant que de l'ourdir. Ils ont de diverses sortes de teintures, comme le rouge, qui se fait avec la racine d'onzits (sic), de vahats** (sic), de bois de sumeuntsouï (sic) ; le bleu et le noir avec l'indigo; le jaune avec le vahats (sic) et le cucurma (sic) ou terra merita et d'autres herbes et racines. « Les ambiasses vont voir les malades et leur font des remèdes de décoctions d'herbes et de racines, pansent les blessures; ils leur font des billets d'écriture qu'ils leur pendent au col et attachent dans leur ceinture. Ils font desfigures de squili***(sic) ou géomance, pour savoir le temps de la guérison et pour choisir les remèdes convenables au mal, et qui s'accordent au jugement de leurs squili. Ils ont leurs auliu**** ou barbiers, qu'ils consultent sur la maladie et, par ce moyen, ils gagnent leur vie. « Les bouffons qu'ils nomment ampissa, les danseurs ou ompandihi, les chanteurs ou ompibabou, les decats et autres sortes de gens, vont de pays en pays, chez les grands, donner du passe-temps. Ils ne plantent ni ne cultivent, et quoique ces sortes de gens sont bienvenus, et que c'est à qui les aura, que les garçons et filles les écoutent avec tant de passion, et tâchent à les imiter en leurs danses et chansons, et qu'ils les voient de bon œil; toutefois, ces sortes de gens sont déclarés infâmes et n'oseraient faire comparaison avec les autres. Mais les grands les aiment et les protègent, parce qu'ils leur donnent du plaisir, les flattent dans leurs chansons et en composent sur-le-champ à leurs louanges * au l'antatranou, c'est un arbre qui L'aviavy est une sorte de figuier ; quant croît sur le bord de l'eau; de là, sans doute, son nom de fatrarano, qui signifiequi aime l'eau. Le mot vahats pour vahatra est le terme générique pour racine en malgache. Dans un autre passage, citant de nouvau le mot vahats, Flacourt en dit ce qui suit: « Vahats,arbrisseau dont la racine est propre pour la teinture, étant récente, ou pilée avec de l'eau nette, l'écorce de la racine avec de l'os de seiche, et on la met en pains sécher au soleil; puis, quand onveut teindre, on la met cuire doucementà chaleurlente, avec de la lessive de cendres, en y ajoutant la soie ou la laine que l'on veut teindre. Elle fait un beau nacarat et couleur de feu; si on y ajoute un peu de jus de citron, elle fait un jaune doré Il. "* Le sikidy est la divinationfort en usage dans Madagascar.Cenomlui vientde ce qu'elle s'exerce avec les fruits de l'arbre appelé sikidy. Le mpisikidy,devin, consulte le sort en plaçant et replaçant les sikidy en quatre rangées de chacune quatre lots, qui ont chacun leur nom particulier et leur sens caché. Aody, aoly (en sakalave), ody (en hova) sont des remèdes ou préservatifs contre toutes les maladies. De là, superstitieux, des charmes ou amulettes employés sans doute, le nom de auly donne par Flacourt. -
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Et afin d'être les mieux venus, ils en inventent souvent et de temps en temps; à quoi il yen a qui sont plus experts que les autres. « Les joueurs d'herravou (sic) ne sont point du nombre des bouffons et danseurs; ceux-là ne disent aucune chose qui ne soit sérieuse et leurs discours sont pleins de sentences et de similitudes. Ce sont eux qui récitent les hauts faits des ancêtres et les histoires les plus sérieuses. « Ainsi, cette nation s'entre-soulage et s'entre-assiste, par diverses sortes d'arts et métiers, et ils vivent aussi contents et plus encore qu'en aucun autre pays, n'ayant point en estime les métiers que nous avons en Europe. Ils n'ont aucun usage de chapeaux, de souliers et de mille choses dont nous nous servons. Au lieu de tapisseries, il y a des femmes qui font des nattes de plusieurs façons et couleurs, dont il y en a qui serviraient bien en France a parer les maisons les plus superbes, à cause de la gentillesse et rareté de la matière. Leurs meubles sont des nattes, dont ils tendent leurs planchers et parois de leurs maisons, sur lesquelles ils dorment, n'ayant aucun usage de lits, lodiers (sic), matelas ni couvertures; les nattes et leurs pagnes leur servent à cela. Pour oreiller ou coussin, un morceau de bois, ou bien les Roandrian ont un sachet rempli de graines de coton, étant accoutumés, dès la naissance, de coucher sur la dure. Il y a deux sortes de sihi* ou nattes, dont les unes sont teintes de rouge et jaune assez proprement faites, les autres sont communes, qui sont fort commodes aussi; c'est de diverses espèces de joncs qu'ils font ces nattes. « Leurs batteries de cuisine sont des pots de terre nommés villangues, louvies, fasses, monhongues et sines de terre, des plats et cuillères de bois, des calebasses à puiser de l'eau, des couteaux qu'ils nomment antsy, grands et petits, assez bien faits pour le pays, de petites pincettes à tirer les épines des pieds et à leur arracher le poil, de grands couteaux qu'ils nomment antsilava** pour couper la gorge aux bêtes, des crochets de fer pour tirer la viande du pot, et de certains tridents de fer à faire rôtir la viande, qu'ils appellent salaza***.Ils ont un mortier de bois pour battre leur riz et le vannent dans un plat de bois. Ils ont de grands sines ou cruches à faire du vin de miel qui contiennent jusqu'à cent pots. Ils n'ont ni nappes, ni assiettes, ni tables, ni sièges à s'asseoir, la terre et une natte dessus, leur servant de cela. Et, pour assiettes et nappes, ils ont de grandes feuilles larges, qui sont très propres, dont ils font aussi des cuillères et des tasses à boire. Il y a de ces feuilles qui ont douze pieds de long et quatre pieds de large, ce qui est admirable à voir quand elles sont vertes ; ce sont les feuilles de rattes ou baliziers, lesquelles, étant sèches, servent aussi à * Tsihy (natte) ; mpandrary tsihy Oe fabricant de nattes ou natier). Tsihy en sakalave. Le sihitra est le filet des femmes, tramail ou drague fait de fins joncs. ** Antsilava, mot composé de antsy (couteau) et lava (long). "* Salaza, le mot racine est salv, broche, fourchette ou gril, pour griller, qui signifie rôtir, boucaner de la viande ou du poisson; d'où salazana (gril quelconque, salazamby (gril en fer), etc., où faire sécher le riz mouillé.
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recouvrir les maisons. Elles sont si nettes et si polies qu'elles sont plus propres que le linge. « Leurs vêlements sont: aux hommes, une pagne, un saravohits (sic) et une ceinture; aux femmes, un corps de cotte ou accanze* (sic) sans manches et un tafi**(sic), qui est une pagne cousue par les deux bouts, qui leur sert de jupe. Ils ne portent ni coiffure, ni linge, ni chausses, ni souliers, tant hommes que femmes excepté ceux de Manghabé, dont les hommes portent un bonnet carré et les femmes une coiffe cornette pointue, et quelques-unes portent aussi des brassières. Leurs cheveux aux grands et aux Rohandrian sont droits et longs, qu'ils nomment tsansavoulonet ne les tressent jamais, mais seulement arrangent de façon bizarre, les réduisant en forme de couronne. Les nègres les tressent assez proprement. Il est dificilede distinguer par la tête un homme d'une femme, car les hommes portent et accommodent leurs cheveux ainsi que les femmes. Les pagnes sont diverses et de plusieurs noms; les unes sont toutes de soie, les autres de soie mêlée.avec du coton pur, les autres sont de try (sic), les autres d'afoutche (sic), qui sont des écorces d'arbres, les autres de fantatranou (sic), les autres de mouffia, les autres de courane, qui sont simplement une écorce d'arbre battue, les autres sont de fil de bananier. « Les pagnesde fantatranou, portées surtout par les esclaves, sont faites avec l'écorce d'un arbre qui vient le long des eaux. Ils font bouillir cette écorce; après l'avoir réduite en filaments dans une lessive très forte jusques à deux fois, et après l'avoir lavée, lient les fils les uns au bout des autres de la grosseur qu'ils veulent faire leur fil, le tordent au fuseau. Ce fil ressemble si bien au chanvre et au lin qu'à moins de l'avoir vu faire, on ne croirait par que ce fut autre que chanvre ou lin. Si les pagnes de coton durent un an, ces pagnes durent trois ans. De cette étoffe, j'en ai fait faire des voiles pour ma barque, que j'ai envoyée à Mozambique, comme aussi des cordages, n'ayant plus de voiles ni toile de France pour en faire. Les pagnes de try (sic), ce sont les filaments d'un arbrisseau qui jette du lait; ces pagnes sont fort douces, mais elles ne durent pas tant que celle du coton. Les pagnes d'afoutche sont fort douces à porter, mais elles sont de peu de durée; ce sont des écorces d'abresd'un certain mahaut (sic), nommé avo (sic), dont ils font aussi le papier; le bois en est blanc et léger, plus que le saule en France Le charbon en est excellent à faire la poudre à canon, car il est fort léger. « Les pagnes de mouffia (sic) se font de l'écorce ou pellicule des feuilles tendres qui repoussent du cœur de l'arbre nommé mouffia, qui ne consiste qu'en grandes feuilles piquantes et épaisses, de la longueur de douze et quinze pieds qui sortent de sa bouche; il porte un fruit semblable à une pomme de pin. Ces pagnes sont tissés ainsi que l'on fait la toile en France. Les pagnes de fil de bananier sont semblables aux pagnes de soie des Eringdranou (sic), mais elles ne durent pas longtemps n. * Accanze pour akanjo (vêtementà couture et nui prend --- poitrine) - - -- la ,-'n'--, Tafy (vêtement, étoffe), synonymede sikina
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Un autre chapitre de l'Histoire de la grande isle de Madagascar offre un intérêt spécial; il a pour titre: Avantages que l'on peut tirer en l'établissement des colonies à Madagasear. Nous croyons utile de le reproduire intégralement. Avantages que l'on peut tirer en l'établissement des colonies à Madagascar. « Toute l'île de Madagascar est peuplée d'habitants, qui ne s'adonnent à autre chose qu'à la culture de la terre, ou à s'entrefaire la guerre, province contre province, soit pour anciennes querelles des seigneurs d'icelles, soit pour satisfaire à leurs ambitions, ainsi qu'il se pratique par tout le monde. Cette nation n'a jamais su ce que c'est que le trafic et ne se plaît à amasser et rechercher dans le pays les choses qui peuvent y attirer les étrangers, ni manufacturer la soie et nourrir lès vers qui s'y trouvent partout en abondance, planter le coton, semer la plante d'indigo en grande quantité, comme ils pourraient, et faire grand amas de toutes leurs manufactures et des choses que leur île produit, pour attirer les étrangers à les souvent visiter et à leur apporter celles qu'ils aiment; mais ils se contentent seulement de cultiver et ouvrager ce dont ils ont besoin pour leur nourriture, leurs vêtements et leurs logements, méprisant le surplus et estimant cette façon de vivre plus commode et plus heureuse que l'abondance surpersine de toutes choses.* Leur trafic ne se fait entre eux que par échange. Ceux qui ont besoin de coton en vont chercher où il y en a en abondance, pour les choses qu'ils portent et conduisent avec eux, commebœufs, vaches, riz, fer et racines d'igname, échangeant ce qu'ils ont en abondance pour celles qui leur manquent, et les autres en font de même. « Afin que les habitants de cette île se puissent accoutumer à un bon négoce y prendre goût, il est besoin d'y établir diverses colonies de Français, qui euxmêmes, ainsi que par toutes les îles de l'Amérique, cultivent le tabac, l'indigo, le coton, les cannes à sucre, y ramassent la cire, qui y vient partout en abondancè, y nourrissent les vers à soie à la façon de l'Europe, entretiennent grande quantité de ruches à miel, recueillent les gommes de benjoin, takamaka" et autres gommes odoriférantes, cultivent la racine d'esquine,." le poivre blanc, qui y est partout en abondance, ramassent l'ambre gris le long de la mer, négligé par les habitants du pays, cherchent dans les rivières plusieurs pierres précieuses de * L'agriculture de cette nation est d'autre façon qu'en Europe ; ils ne se servent ni de charrue, ni de bœufs à labourer ; une serpe et un fangaJiou petite bêche de fer, leur suffit à cela. La hache, pour couper les grands arbres, la serpe, pour les ébrancher, et le fangali, pour peler la terre, en coupant simplement les racines des petites herbes et renversant les racines contre-mont. Après avoir coupé les arbres et buissons, ils y mettent le feu, quand ils sont secs et qu'il fait grand vent: puis, après, quand la pluie vient, ils plantent leurs ignames et vivres. ** Harme,c'est ungrand arbre duquel provient la gomme lue l'on nommeen médecine tacamacka (sic). Cette gomme est proprement une résine qui distille de cet arbre, ainsi que la térébenthine, et qui, étant récente, est très odorante. Elle a grande vertu à résoudre les tumeurs froides, à arrêter les fluxions froides, à apaiser la douleur des dents; c'est un excellent baume pour les plaies. Son fruit est gros comme nos noixvertes et est très bon à faire de la planche pour navires et barques, m'a servi à braver mes barques et est très excellente pour cela. C'est un très grand et gros arbre. *** Iquine ou esuine, racine qui provient d'une plante sarmenteuse, du genre des salsepareilles. Elle est employée en médecine comme sudoritique.
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diverses sortes qui s'y peuvent trouver, observent les montagnes qui contiennent l'or et le séparent d'avec le sable, où il se trouve en quelques ruisseaux, établissent des forges de fer et d'acier qui est partout en abondance, aillent à la chasse des bœufs domestiques que les habitants nourrissent en grande quantité et par troupeaux. Ces colonies seraient si faciles à les y établir et à les faire subsister, qu'il n'y peut avoir que la difficulté du trajet depuis la France; car l'île a toutes les choses avec excès pour le vivre, le vêtement et le logement avec plus d'avantages que pas une des iles de l'Amérique, ni même des terres fermes du Brésil, de la Floride et du Canada. Il n'est pas besoin d'aller chercher des esclaves au loin, pour les amener dans l'île, ainsi que l'on fait aux pays susdits, car elle en est-assez fournie; les nègres servent volontairement les Français, et si l'on en veut acheter, on en a très grand marché. Les maîtres de villages offrent même aux Français de cultiver leurs terres et les planter à moitié; et ceux qui veulent aller demeurer avec eux, contracter amitiéet alliance avec eux en épousant leurs filles et parentes, obtiennent d'eux tout ce qu'ils veulent. Cesont des hommes qui sont humbles et soumis et ne ressemblent pas à ceux de l'Amérique qui, pour quoi que ce soit au monde, ne se veulent point assujettir ; au contraire, ceux-ci s'y plaisent et prennent plaisir à voir travailler les chrétiens, soit à la forge, soit à la menuiserie, soit aux autres manufactures. Quoique d'eux-mêmes ils soient assez lents et tardifs au travail, toutefois, ce qu'ils entreprennent ilsJe perfectionnent assez bien, si bien qu'il ne leur manque que l'instruction, laquelle s'y peut introduire très facilement et entretenir encore mieux. « La religion chrétienne est si facile à y établir, qu'il ne manque en cela rien autre chose que la volonté des ecclésiastiques, d'autant que cette nation, n'ayant encore fait choix ni élection de religion, n'en a aucune en pratique et n'a encore pu prendre aucun parlf. Et, comme l'on a déjà commencé à semer quelques commencements de l'Evangile, ceux qui en ont ouï parler y ont tellement pris goût que ce serait un grand malheur si on en demeurait là, et il serait à craindre que les étrangers ou les Mahométans des côtes d'Arabie ne s'emparassent d'une si bonne terre, pour semer leurs damnables croyances, et que le proverbe commun n'y eût enfin lieu, qui est que: « bonne terre apporte toujours de mauvaises herbes ». « Comme cette nation, qui vit dans la loi de nature, n'est nullement entachée de l'idolâtrie et croit en un Dieu seul, et ce qu'elle a de coutumes, soit en cérémonies de funérailles, de circoncision et de mariages, a été apporté par ses ancêtres, dès la première transmigration qu'ils y ont faite, et a été retenu par les descendants, elle serait facilement imbue des abominations de Mahomet ou autres hérétiques, pour la facilité qu'elle trouverait dans leur vie licencieuse, et avec grande difficulté se pourrait-elle résoudre à embrasser l'austérité de la religion catholique. C'est pourquoi il est très nécessaire et de grande imporlance pour le service de Dieu, pour l'honneur de notre religion et pour la charité que l'on doit avoir pour cette pauvre nation, d'y envoyer promptement de bons ouvriers et pasteurs qui s-'emparent des troupeaux, avant que les loups
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soient entrés dans les bergeries et qu'ils en aient dévoré les ouailles. Et comme il ne se peut pas faire que les pasteurs y puissent bien subsister, sans qu'il y ait d'autres personnes qui veillent à leur conservation et qui fassent tête à ceux qui voudraient les empêcher de prêcher l'Evangile, il est nécessaire qu'il y ait de bons forts et de bonnes habitations de Français. Cet empêchement pourrait arriver par deux choses, savoir: l'une, qui proviendrait par les habitants de l'île, l'autre par les étrangers. Celle qui pourrait provenir par les habitants de l'île, ce serait la jalousie qu'auraient les seigneurs de provinces, que leurs peuples étant instruits ne leur rendissent plus les honneurs qu'ils avaient accoutumés de s'attribuer, et ne crussent plus aux vertus qu'ils prétendaient, qu'ils étaient d'une autre naissance qu'eux, qu'ils étaient des demi-dieux sur la terre et qu'ils avaient, de père en fils, puissance sur les météores et sur la vie des hommes;et comme notre religion est directement opposée à ces choses, infailliblement les grands s'efforceraient, ainsi qu'ils ont fait depuis peu, d'empêcher le progrès de la religion pour ce sujet. L'empêchement qui pourrait arriver par les étrangers serait celui que j'ai dit ci-dessus, en y établissant par eux leurs fausses doctrines. « Ces difficultés se peuvent lever en fondant de bonnes colonies de Français et de bonnes forteresses aux lieux les plus avantageux, et en empêcher le séjour aux étrangers, les bien garnir de bonnes munitions de guerre et entretenir des barques et des matelots, afin d'avoir facile communication par toute l'île et s'entre-secourir partout. Que les gouverneurs fussent gens d'honneur, qui eussent le soin de conserver et défendre les gens d'église, en cas qu'il y eût des personnes qui les voulussent traverser. « Tous ces peuples ont une inclination à recevoir le baptême et à apprendre à servir Dieu. C'est pourquoi il n'y a point de*lieu au monde où il soit si facile à y planter notre religion. Il ne me reste que cet étonnement, que les Portugais et les Espagnols, qui ont parcouru tantôt toute la terre habitable, aient laissé cette île jusques à présent, sans y planter la foi chrétienne, vu que cette île est dans le passage pour aller dans les Grandes Indes, et qu'elle est le meilleur entrepôt que l'on puisse choisir pour les navigations. Je ne puis attribuer ceci qu'à une grande négligence des princes qui ont envoyé dans les Indes, et non pas des religieux et gens d'église qui ont été toujours envoyés dans les navigations des Indes. Il semble que Dieu ait voulu réserver cet ouvrage à entreprendre à la nation française, puisqu'à présent, il l'a maintenue, faible, abandonnée sept ans dans cette île et dénuée de tout secours humain, sinon de sa providence, qui l'a même non-seulement considérée, mais aussi l'a élevée jusqu'au point que de lui rendre cette nation tributaire et assujettie en sorte, qu'une poignée de Français a conquis sans y penser tout un si grand pays, qui, ayant goùté la facilité et la douceur de la nation française, se trouve maintenant heureux de la servir. Ce bonheur ne pouvant provenir d'autre chose que de la semence de l'Evangile que l'on y a jetée dès le commencement de la venue des Français. « Les habitants voyant de bonnes habitations fondées et dr la façon que l'on
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vit dans l'Europe, dans la politique, et dans l'ordre qu'il y a dans les villes, en la diversité des artisans et en l'utilité du commerce et du trafic, prendraient aussitôt goût à ce genre de vivre et tâcheraient à imiter les chrétiens, et même, par une certaine émulation, à les surpasser en cela, qui serait un très grand avantage pour la compagnie de ceux qui s'y intéresseraient. Cet avantage est bien grand; mais celui de l'établissementdu commerce dans les côtes d'Ethiopie, de la Mer Rouge, du Golfe Persique, des Grandes Indes, des Terres Australes et autres pays d'Orient, serait bien encore plus grand et plus considérable et duquel on pourrait espérer de plus grandes utilités et profits. Car, dans l'île Madagascar, les colonies y étant établies, l'on peut bâtir navires et barques pour aller négocier par tous ces pays, et avec les denrées qui y croissent et que l'on y peut trouver, aller par tons ces pays les débiter, en échange d'autres marchandises que l'on en peut apporter, lesquelles, étant amassées dans les magasins principaux, peuvent être chargées pour la France aussitôt l'arrivée des vaisseaux, et ainsi, le plus grand voyage de Madagascar ne serait que d'un an au plus. « Les marchandises que l'on pourrait transporter de l'île Madagascar en grande quantité, et qui auraient bon débit dans les susdits pays sont: le fer et l'acier, le riz, les bois de senteur et de couleur, la cire et toutes sortes de gommes, lesquels gommes et bois de senteur seraient bien trouvés meilleurs dans l'Europe, lorsqu'ils auraient passé par les mains des Indiens et des Arabes, qui les porteraient après vendre à la mer Rouge, pour de là être distribués en l'Europe par les Vénitiens et Marseillais. « Il y a mille choses que l'on peuttrouver dans celte île qui seraient de grand profit, dont on n'a point encore fait l'essai, ni la recherche, soit à porter aux Indes, soit à apporter en Europe. « Il n'est point nécessaire, comme aux autres îles, d'y apporter des vivres pour y faire subsister les colonies; il y en a en abondance, non-seulement pour nourrir ses habitants, mais aussi pour en porter autre part. « Qui est-ce qui empêchera, en retournant en France, de l'île Madagascar, de porter la charge d'un navire de riz et de viandes de bœufs salés de Madagascar et de cochons de Mascareigne,*au Brésil, au Maragnan ** et aux îles de l'Amérique, à vendre et échanger contre du tabac, du sucre et de l'indigo? Les vents d'est et est -nord-est y sont tellement favorables, que je pourrais bien dire que ces îles sont comme le chemin pour retourner en France et le retour d'un voyage ne se prolongerait que du temps qu'il faudrait employer au débit du riz et des viandes salées. Qui empêche que l'on ne fasse des peaux de loup-marin et des huiles de poisson au Cap de Bonne-Espérance? * Maseareigne, ancien nomdr l'île de Bourbon, aujourd'hui ile de La Réunion,du Mnsraronnas.Sous ce nom de Mascareigne étaient comprises l'île Bourbon portugais el l'Ile Mauriceou île de France. lia, ville, fleur et province du Brésil, dont le nom s'écrit Maranham en français, Maranhao en anglais.
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« Qui empêche que l'on ne cultive le chanvre et le lin en grande quantité, que l'on ne le fasse filer aux femmes du pays, en leur montrant à se servir du rouet? Que l'on ne fasse faire des cordages aux habitants qui en font d'écorce d'arbres aussi bien faits que peuvent faire nos meilleurs maîtres cordiers? Que l'on ne leur fasse faire des voiles de chanvre, lorsqu'il y en aura suffisamment de cultive? Ce que l'on peut faire en peu de temps, car le chanvre y vient eu perfection, et les femmes savent artistement faire leurs pagnes et étoffes fortes et à profit. Les forges s'y peuvent établir avec plus de commodité qu'en France, car partout oùla mine se trouve, les eaux, les ruisseaux et les cascades d'eaux, des montagnes y sont en abondance, comme aussi les bois à bâtir et a brûler. Les habitants ont une particulière inclination à forger, sachant que c'est le plus grand avantage qu'ils puissent avoir, puisque sans le fer ils ne peuvent bâtir ni cultiver la terre. Les Français tireraient en ceci un très grand avantage pour la construction de leurs navires. Le bois à faire la planche, les genoux, courbes membrures, mâtures, vergues et quilles s'y trouvent très commodes, comme aussi les gommes de plusieurs façons pour brayer et calfater. Et, enfin, tout ce qui peut servir aux bâtiments, soit de navires, soit de maisons et logements, s'y trouve en quantité. Les soies de diverses sortes, le coton, le chanvre et le lin que l'on y peut semer, etles autres espèces d'arbres et d'herbes qui y sont en grande abondance en usage aux habitants, peuvent servir de matière pour diverses manufactures propres à débiter et vendre pour toute la terre habitable. Les nattes de diverses façons, enjolivées de différentes couleurs, pourraient bien être transportées en France pour parer et tapisser les chambres et cabinets des plus curieux. Les rivières, les ravines et ruisseaux fournissent abondamment des pierres d'agathe, de cornaline, de jade, de jaspe et calcédoines, comme aussi des cristaux, aiguemarincs, grenats, émeraudes, saphirs, améthystes, hyacinthes et peut-être des diamants; mais il faut les aller chercher et ne s'attendre point d'abord aux nègres pour en prendre la connaissance, car ils se rient et se moquent de nous, quand nous leur demandons ces choses, en disant que nous nous amusons à ramasser des pierres comme si notre pays n'en avait point. Ces pierres ne se rencontrent pas sous les pieds des hommes, mais en les cherchant, on les rencontre. « Après avoir parlé de tous les avantages que l'on peut tirer de l'île et du progrès que l'on peut faire pour le culte de Dieu et propagation de la foi, il est à propos que je parle des commodités que l'on y pourrait percevoir, en cas que l'on voulût quelque jour travailler à la ruine de la fausse religion de Mahomet et de l'empire de ses sectateurs. Cette île (ainsi que j'ai déjà dit) est la plus grande de toutes les îles de la mer qui sont découvertes, laquelle est dans la meilleure situation du monde pour un dessein si glorieux à l'honneur de la religion chrétienne età la gloire de Dieu. Les colonies étant établies dans icellc, l'on en peut tirer des soldats en nombre infini, y construire des vaisseaux, frégates, galiotes et barques longues, pour aller dans la mer Rouge faire la guerre aux Turcs et Mores, où l'on peut de là faire alliance avec le grand roi des Abys-
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sins, et avoir retraite dans les ports de mer d'Erocque (sic), de Mazna* (sic), et autres havres de cette mer, afin d'aller conjointement quelque jour attaquer ces villes d'abomination, la Mecque et Médine. De l'île Madagascar à la mer Rouge, il n'y a qu'un mois de chemin, d'où l'on peut aller attaquer, et où l'on ne doit point avoir peur d'être attaqué; les Turcs, les Arabes et Mores n'ayant pas assez d'industrie pour naviguer sur cette grande mer, et même n'ayant pas sur la mer Rouge des matières suffisantes pour la construction des barques et navires. Si ils en veulent avoir, il faut qu'ils fassent apporter le bois de la mer Noire à Alexandrie par mer, et de là par terre, sur des chameaux, à Suez, port de la mer Rouge ; ce qui revient à de grands coûts et dépenses, et qui ne réussirait jamais mieux qu'il a autrefois réussi, lorsque le Grand Seigneur y a voulu jadis faire équiper des armées navales contre les Portugais. Il y a grandes quantités d'îles dont on se pourrait emparer et même de bonnes places dans icelles, dans les côtes d'Ethiopie et d'Arabie, et aux environs de l'entrée du Golfe; ce qui serait une entreprise digne d'un grand Roi comme est celui de France, ou bien en cas qu'il n'y voulût entendre, à cause de l'alliance qui est depuis longtemps contractée avec le Grand Seigneur, ce serait une entreprise digne d'une puissante République ou de l'Etat de Malte, qui se servirait de l'occasion des peuplades de Français pour en tirer des soldats et des commodités pour leur dessein. Le Grand Empereur des Abyssins ne favoriserait pas seulement cette entreprise, mais même s'y intéresserait de telle sorte, qu'il fournirait et les vivres et la solde et la meilleure partie de la soldatesque. La fabrique des armes, la fonte des canons, mortiers, pierriers et boulets se ferait très commodément à Madagascar, et les provisions de riz et de viande pour ravitailler des armées. « Et afin que toutes ces entreprises puissent bien réussir, il est besoin de dire quelles personnes il y faut conduire, quels métiers, quels artisans et quelle sorte de gens il est nécessaire d'y établir. Je commencerai premièrement par ceux qui doivent y prêcher l'Evangile et de quelle façon ils y doivent subsister. « La diversité des religieux et moines, non seulement n'y est pas nécessaire, mais même d'une très dangereuse conséquence, tant à cause de la mésintelligence qui leur arriverait pour les fonctions ecclésiastiques, que pour l'émulation qu'ils pourraient avoir à qui mieux ferait et à qui mieux réussirait, pour l'avancement de la religion, mais qui, toutefois, pourrait causer quelques partialités préjudiciables aux établissements des colonies. C'est pourquoi, il serait plus à propos de se contenter de ceux qui y sont déjà établis, qui ont jeté les premières semences de la religion. Ainsi, il est raisonnable qu'ils en recueillent les premiers fruits. Ce sont les révérends prêtres de la mission de St- Lazare, envoyés dès l'année mil six cent quarante-huit, lesquels ont les premiers jeté les fondements de la mission en cette île aux dépens de leur vie qu'ils ont employée, si peu qu'ils y ont été, à l'instruction des pauvres nègres. « Il serait nécessaire, pour les faire subsister, qu'ils eussent dans le pays, proche de chaque fort, des terres propres à planter des vivres, qui fussent 'Massouah, présentement aux Italiens.
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affectées à leur maison; et, comme tout le pays d'Anossi est entièrement à la disposition des Français et des seigneurs intéressés, il serait très facile de leur attribuer des terres qui leur appartiendraient en propriété, soit des horracs* (sic) à semer du riz, soit des terres à planter des ignames, et des pâturages, des prairies, des étangs, et la pêche dans les rivières pour la commodité de leurs maisons. « Ils ne se mêleraient en aucune façon des choses temporelles, ni du trafic, si ce n'est des choses qui leur seraient nécessaires pour leur maison, ni de l'administration de gouvernement, ni de la justice, afin que l'on n'eut point à les soupçonner de vouloir entreprendre sur l'autorité d'un gouverneur ou commandant. Ils feraient les fonctions curiales pour toutes les habitations dé l'île et des pays adjacents, et les habitants leur payeraient de gré à gré ce qu'ils voudraient, sans y être contraints en aucune façon du monde, puisque leurs terres leur fourniraient suffisamment de quoi se maintenir; et en cas qu'ellles ne fussent assez suffisantes, afin qu'ils ne tournassent à charge à personne, le gouverneur ou commandant, en quelque habitation que ce fût, serait obligé de leur fournir ce qui leur manquerait pour les nécessités de la vie et du logement; moyennant quoi ils auraient tout à souhait, et par le soin de se procurer les choses nécessaires pour vivre, ils ne seraient distraits ni divertis de leurs fonctions et de l'assiduité qu'ils pourraient avoir pour l'instruction des pauvres habitants. « Pour le regard des personnes propres à passer dans l'île, il est nécessaire d'y envoyer un commandant général, qui ait sous soi des lieutenants en tous lieux où on voudrait établir des habitations, et auquel on donnât plein pouvoir d'agir ainsi qu'il trouverait bon. être, pour le bien de la cause commune; et d'autant de l'éloignement qu'il y a de la France en ce pays là est si grand, que le temps qu'il faudrait qu'il se passât pour attendre des ordres d'une compagnie sur tous les événements qui pourraient arriver, pourrait causer un grand préjudice et dépérissement aux affaires du pays. Il serait nécessaire qu'il eût des lettres patentes du Roi, par lesquelles il eût pouvoir de faire exercer la justice dans la dite île, conformément aux us et coutumes de France tant pour le civil, que pour le criminel, et qu'il eût droit de haute, moyenne et basse justice; que pour ce faire, il eût des juges et des officiers établis pour cela, qu'il y eût un notaire pour passer tous les actes publics et tous les officiers nécessaires à une justice royale. « Pour le fait de la milice, qu'il eût un lieutenant général el, en chaque colonie, une compagnie de soixante soldats, compris les officiers, qui ne feraient autres fonctions que de soldats, et les jours qu'il ne seraient pas de garde, ils * Mot provenant du vahoraka,qui signifie proprement marais, terrain malgache seux, dans lequel on cultivele riz. Les Hovasdonnent ce nom de liorakanu riz deoumarais varilui-même, pour le distinguer du riz de montagne qu'ils appellent lavy (le eras) vohitra (riz de montagne). Flacourt dit « les horracs sont des lieux marécageux où les bu'iifs enfoncent jusla qu'au ventre pour renverser les herbes et, quand elles sont pourries, l'onlessème surdes pieds bourbe, le riz qui y vient à merveille. Les terres, ainsi, se labourent par » bœufs.
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les employeraient à aller où on les commanderait pour le service de la compagnie. Ces soldats auraient des gages médiocres, et après trois ans de service, on leur distribuerait des terres pour travailler pourleur compte, et auraientla franchise ainsi que les autres habitants français de l'île; ou bien, si bon leur semblait, repasseraient en France dans les premiers navires après leur temps expiré, et on leur payerait leurs gages dans le pays, en marchandises du magasin. Outre ces soixante soldats, les autres Français, habitants, qui seraient en l'île passés pour leur compte, seraient obligés de se trouver au fort de chaque colonie, en cas qu'il arrivât trouble ou guerre, pour aider à la défense du fort et pour se joindre avec les autres qui seraient soldats, afin de faire la garde, aller en parti et faire les courses qu'on leur commanderait de faire; et, pour empêcher qu'il n'y eût point de confusion, chacun serait assuré sous quel chef il se pourrait ranger. Les capitaines et officiers qui seraient au fort auraient, lors de la guerre, le même commandement sur eux que sur leurs soldats, pour le fait seulement dela milice; mais en temps de paix et pour le sujet du trafic, ils n'auraient rien a voir sur eux. «Tous ceux qui passeraient de France dans l'île, qui n'auraient moyen de payer leur passage, seraient obligés de servir trois ans la compagnie, comme soldats, ainsi qu'il est dit ci-dessus, et les artisans serviraient de leur métier et profession, pendant leurs trois années; et pour s'entretenir, auraient la solde ainsi que les soldats ou suivant le mérite de leur profession, laquelle solde se payerait dans le pays en marchandises du pays, hardes et rafraîchissements du magasin, comme vin et eau-de-vie, et autres choses. Leurs trois ans accomplis, si ils désiraient demeurer dans l'île pour habitants, on leur distribuerait des terres ainsi qu'aux autres habitants. « Ceux qui auraient moyen de payer leur passage en partant de France, on leur donnerait, aussitôt arrivés, des terres pour planter et faire valoir, auxquels on ne serait obligé de fournir des vivres du magasin dès huit jours après leur arrivée au pays, où ils iraient pour demeurer, pendant lesquels ils s'emploieraient à aider à la décharge du navire, et à faire ce qu'on leur commanderait. « Ceux qui sont propres pour Madagascar, ce sont tous gens de métier, de marteau, tous travailleurs à la terre, maçons, tailleurs de pierre, carriers, chaufourniers, cuiseurs de brique, potiers de terre, charpentiers de maisons et de navires, scieurs de long, couvreurs de maisons, serruriers, armuriers, maréchaux, forgerons, cloutiers, maîtres de forges de fer, vignerons, laboureurs, jardiniers, bouchers, torqueurs* de tabac, gens qui savent cuire le sucre et l'affiner, tanneurs, cordonniers, savetiers, tailleurs d'habits, ouvriersen soie (savoir seulement ceux qui savent nourrir les vers, dévider la soie et la peigner pour en séparer la fine), apothicaires et chirurgiens. «Il ne faut point, en ce pays là, de vagabonds, ni y passer de femmes débauchées. «Pour l'île Madagascar, il y a assez de femmes de toutes couleurs, blanches Le torqueur de tabac est l'ouvrier qui corde et file le tabac pour le mettre en rouleaux.
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et noires, au choixde ceux qui les voudront épouser. Mais ès autres îles qui sont aux environs, où il serait nécessaire de mettre des habitants, il serait bon d'y passer des familles, comme en l'île de Bourbon, en l'île Diégo-Roïs* et en l'île de Sainte-Marie, en laquelle il y a des habitants, mais ils ne veulent point contracter d'alliance avec les chrétiens, quoiqu'ils soient bien venus avec eux et ce d'autant qu'ils tiennent encore de quelque ancienne coutume de judaïsme. Les femmes qui savent bien filer au rouet et à la quenouille y seraient très nécessaires pour enseigner aux négresses à bien et promptement filer, quoiqu'il yen ait qui filent très bien les cotons, mais elles n'expédient pas besogne comme celles qui filent au tour, Les matières qu'elles ont, sont la soie et le coton; si elles savaient bien apprêter le chanvre, les écorces d'avo,** d'avi-avy,***de fantatranou, de nounoue*"* et plusieurs autres écorces que l'on pourrait apprêter comme le chanvre, l'on en ferait de bonnes et belles étoffes, utiles à beaucoup de choses, soit pour faire des habits pour le pays, soit pour envoyer en France aux curieux, pour tapis et tapisseries, d'autant qu'il y a des teintures dans le pays pour les diversifier de plusieurs couleurs assez agréables. « Les choses bonnes à porter à Madagascar pour y négocier avec les habitans sont: verroteries de toutes couleurs, qui sont petits grains d'émail, gros comme graine de chènevière; les couleurs bleues, rouges, noires blanches, vertes, jaunes et orangées sont les meilleures, et principalement la rouge et la violette; rassades de diverses couleurs et principalement la bleue dont il faut en plus grande quantité que des autres, la rouge, jaune, couleur d'aigue-marine, de cristal et de verre, peu de blanche et de la noire, de la violette. La rassade est faite d'une pâte d'émail, dont les grains sont gros comme des pois de diverses grosseurs. «Les grains de corail de toutes grosseurs y sont extrêmement requis, les cornalines rouges et blanches, grosses, longues et en olive; mais il faut qu'elles soient toutes percées pour enfiler. Les grains d'agate, grenat et cristal de roche y sont fort prisés. «Le cuivre jaune en gros fils et diverses merceries, comme chaînettes de cuivre jaune; il ne leur faut rien de fragile et de facile à rompre, des ciseaux, des couteaux, des haches, des serpes, des marteaux, des clous, des cadenas, des serrures, des pentures de portes, des gonds, des verroux, des loquets, des scies, des ciseaux de menuisier, des rabots, des vrilles et des vilebrequins et mille autres brouilleries, qui sont très bonnes à porter dans l'île pour traiter avec les originaires, pour lesquelles acheter ils s'efforceraient de trouver, chercher et manufacturer tout ce que l'on voudra. * Diégo-Suarez ? - -H Avo peut être adabo, nom d'un arbre fruitier semblable a l'avi-avy Avi-avy, nom d'une sorte de uguler, -...o..oLe sont semSes feuilles nounoue malgache est le même que le figuier dInde. blables au poirier de France, mais son fruit a le goût et la forme des figues de Marseille. cordages; cet arbre croit L'arbre coupé jette du lait. l'écorce est bonne à faire des C'ordag-es; extrêmement haut et jette de certaines branches qui touchant à terre, prennent encore racine.
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« Pour traiter avec les Français qui y sont et seront habitues, toutes ces choses sont très excellentes, mais surtout les étoffes légères de France pour faire des habits, les draps forts pour faire justaucorps, casaques et manteaux, les couvertures de lit, matelas, toiles grosses et fines, fils de toutes couleurs à coudre, linge, aiguilles, boutons de fil et de soie, et de la soie à coudre, futaines blanches, grises et brunes, souliers de toutes façons, et des chapeaux, des bonnets de laine, doubles et simples, et même des calottes ou toques de Béarn, ou dela même façon, des rubans de soie et de fleuret de toutes sortes, du papier, des plumes, des livrets ou petits registres tout reliés, des eaux-de-vie, du vin d'Espagne et de France. « De toutes ces choses, les magasins de la compagnie doivent être bien fournis, soit pour traiter avec les originaires, soit pour délivrer aux Français on compte des marchandises qu'ils fourniraient, et pour payer les gages de ceux qui seraient à gage. Sur quoi, il y aurait beaucoup à profiter. « Les habitants français payeraient au magasin de la compagnie, pour leur passage, la somme de cent livres pour chaque tête pour leur nourriture dans le navire, et auraient un coffre pesant soixante livres pour chaque homme, qui' serait franc de fret, et pour chaque tonneau de hardes, vin, eau-de-vie, la somme de cent livres, et pour les marchandises de négoce, comme rassades, étoffes, ustensiles, haches et autres ferrements, en payeraient la moitié du fret. « Dans l'île Madagascar, on les établirait en lieu où il ya des terres propres à planter et cultiver tout ce qu'ils voudraient, et payeront de tout le dixième pour tout droit au magasin de la compagnie, et le surplus des marchandises qu'ils amasseraient, ils les passeraient à moitié fret dans les navires de la compagnie, ou bien les. rendraient au magasin, en échange d'autres marchandises dont ils auraient besoin. « Ils tiendraient les terres qu'ils auraient en propriété pour eux et leurs ayants cause, en fiefs de seigneurs intéressés, et en payeraient les lots et ventes en chaque mutation suivant la coutume de France, et par an payeraient quelque droit modique au magasin du fort pour icelles terres, en signe de reconnaissance, lequel droit se payerait lors de la maturité de chaques fruits, comme ignames, bananes, riz et autres choses, et au premier jour de l'an payeraient quelques volailles et quelque jeune cabri en manière de censive, et à la SaintJean, autant. « Lorsqu'on leur donneraitles dites terres, l'on spécifierait sur les lettres de don les redevances à quoi ils seraient obligés, afin qu'à l'avenir on ne les puisse pas charger davantage. Et, comme le pays est peuplé d'originaires qui, depuis l'an mil six cent cinquante-deux, se sont rendus tributaires au FortDauphin, et que quelques habitants désireraient acheter d'eux quelques terres et horracs pour se les approprier à perpétuité, il leur serait loisible, pourvu que ce soit du gré des dits originaires, desquelles terres et horracs ils jouiraient de même comme de celles que le directeur de la compagnie leur aurait donné, sans être chargés d'autre redevance que de ce qui serait contenu dans le titre qu'ils seraient obligés de prendre de nouveau, lors de l'acquisition.
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« Tous les Français qui sont déjà établis dans le pays viendraient faire la déclaration au fort, des terres qu'ils posséderaient et cultiveraient, afin d'être enregistrées sur le livre et papier terrier, et ce, sur peine d'en être dépossédés et d'une grosse amende qu'on leur imposerait. « Ainsi que l'on fera faire à tous les maîtres de villages et à tous les Ontsoa,* qui seraient obligés de venir faire nouvelle déclaration de leurs héritages, afin que la fahenze** ou tribut qu'ils doivent payer soit réglée; auxquels où délivrera un titre en parchemin scellé du grand sceau de la compagnie et signé du commandant et directeur et du notaire qui délivrera le dit titre. « Toutes ces choses ainsi établies ne peuvent manquer à apporter, en peu d'années, de grands profits à la compagnie, moyennant qu'elle continue tous les ans à faire partir au moins un navire de France dans lequel on passe des hommes le plus que l'on pourra pour demeurer dans l'île: et afin que ces profits puissent plus tôt arriver, il serait nécessaire què la compagnie fît publier par les ports de mer la permission à tous marchands de faire équiper des vaisseaux .pour aller négocier en la dite île, moyennant que les capitaines de la France prissent attache et permission de la compagnie, et à leur retour, allassent au Fort faire déclaration de ce qu'ils porteraient, et de ce qu'ils remporteraient en France, dont ils payeraient le dixième de droit à la compagnie, et pour ce prendraient un congé du gouverneur ou commandant qui serait à Madagascar et seraient obligés de passer pour la compagnie dix hommes dans chaque vaisseau, exempts de fret pour leurs personnes, et non pour leurs marchandises, et en feraient autant à leur retour. Ils payeraient, des marchandises qu'ils portent en la dite île, la dixième partie, à l'exception des victuailles du navire qui ne devraient rien, mais seulement des marchandises de merceries, étoffes et autres denrées bonnes à trafiquer avec tous les habitants ; et pour ce, seraient obligés de montrer leurs factures et connaissements de la charge de leurs navires. « Il est nécessaire de faire plusieurs colonies et habitations en divers endroits de l'île et d'avoir plusieurs barques longues, pour se les rendre communicables les unes aux autres. « La principale colonie se doit faire au Fort-Dauphin, d'autant que c'est à l'extrémité de l'île du côté Sud, et la plus propre pour faire partir les navires pour venir en France, pour aborder en l'île en venant de France et pour y construire les magasins de la compagnie. De cette habitation, l'on peut établir un fort à Itapare dans l'îlet qui est un lieu très avantageux pour commander au port qui est fort bon; un autre à Manghafia qui est un autre port et faire un fort à Sainte-Luce, qui est l'île de Manghafia, et un autre à Ranoufoutchi qui est aussi une fort belle anse où un grand navire peut mouiller. Outre que dans la * On appelle Ontsoa, dit Flacourt, le fils d'un lohavohits [maître de village]qui n'est pas riche et n'est pas lui-même maître de village. **La fahenze, dit Flacourt, c'est le « tribut d'ordinaire en la dixième qui consiste partie de tout ce que l'on recueille du provenu de la terre JI.
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province d'Anossi, l'on pourra établir des Français habitant en divers lieux pour cultiver le tabac et les choses qui sont bonnes à négocier avec les originaires. « La seconde colonie se doit faire aux Anlakares, à la rivière de Mananzari, où une barque peut entrer tout le temps. Et, de là, en ordonner quelques autres aux lieux les plus avantageux du pays. Il faut que cette colonie soit aussi forte que celle d'Anossi, pour résister à la nation du pays qui est hardie et se donner de garde des trahisons qu'elle a accoutumé de brasser; il s'y faut bien fortifier et y avoir au moins quatre pièces de canon, et quantité de bons fusils et bien de la munition de guerre, que les hommes ne s'écartent point seuls, mais qu'ils aillent en campagne bien accompagnés. Ceux des Matatanes feront ce qu'ils pourront pour détruire les Français, les voyant proches. La province de Matatane a besoin d'une très forte colonie, mais il faut réserver cette entreprise après les établissements des autres. « La troisième colonie doit être àt l'île- Sainte-Marie,et d'icelle sous-ordon— ner une habitation de douze à vingt hommes à Ghalemboule, et bâtir un fort sur le bord de la mer, proche le lieu où nous bâtissons nos cases, sur la petite éminence qui fait une pointe au fond de la baie entre le sable de l'anse, et celui du chemin d'Ambato. Il en faut une à la rivière de Manansatran et l'autre à la rivière de Simiame, tant pour traiter du riz partout que pour faire choisir du beau cristal. « La quatrième colonie doit être dans la baie d'Antongil, dans l'île et y bâtir un fort. Là, les Français y pourront demeurer aussi bien qu'à Sainte-Marie, pour y faire le sucre et le tabac, et même l'on pourra faire des habitations à la terre ferme. Cette baie est très grande et, à l'abri de cet îlet, les navires y sont très bien mouillés. « La cinquième colonie doit être en l'île Bourbon pour y établir plusieurs habitations. « La sixième colonie, si l'on veut, dans l'île Diégo-Roïs, où le port est très bon et où il y a un très bon mouillage; il faudrait passer des bœufs, des moutons, des cabris et des cochons qui vivraient très bien. « La septième colonie doit être au Port-aux-Prunes,* et de là établir des habitations à la Longue-Pointe et aux environs vers les Bohitomenes. De toutes ces habitations, l'on pourrait envoyer des Français au nombre de trente ou quarante à la fois, pour découvrir le pays en tirant à l'ouest-nord-ouest de l'île, et de ces voyages dépendrait toute la connaissance du pays. « La huitième colonie se peut établir à la baie de Saint-Augustin sur la rivière d'Angelahé, d'où on pourrait sous-ordonner des habitations aux Mahafalles, aux Zafe-Ranavoule, à Houlouve et aux pays où l'on jugerait qn'il y aura du profit à espérer, comme à la recherche des pierres de diverses sortes et à la découverte des métaux, minéraux et soies. « La neuvième colonie se pourrait faire à Bohitsanrian, dans les Machicorcs, * C'est le nom donné par les matelots français au port de TametaviouTamatave. Les indigènesappellentToamasina,la ville de Tamatave.
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pour y établir des mateurs de bœufs ou boucaniers, d'autant que tout ce pays est très grand et est rempli de bœufs, ou pour mieux dire, de taureaux sauvages. Là, l'on pourrait faire recherche de pierreries et de métaux, de benjoin et d'autres gommes odorantes et nourrir des mouches à miel. « L'on pourrait dans des barques découvrir toutes les baies, caps et bouches de rivières, qui sont à l'ouest de l'île et vers le nord d'icelle, qui n'ont point encore été découvertes. Ce voyage serait le plus fructueux que l'on pourrait faire. « Toutes ces colonies ne se peuvent pas faire en si peude temps, à moinsque de faire un embarquement où l'on passe 500 hommes à la fois: en quoi l'on avancerait beaucoup les affaires, Pour y réussir, il serait nécessaire d'avoir un navire de 400 tonneaux avec quelque grande flûte de 6 ou 700, ce qui ne se pourrait pas faire sans une grande dépense, laquelle monterait à 150 mille livres au moins, et afin que l'on pût trouver son compte, il serait nécessaire d'envoyer en marchandises à Sourat, Calicut, Coromandel, Sumatra ou Macassar et dans les Grandes Indes, et porter avec soi encore 150.000 livres en argent, l'on retirerait infailliblement en son voyage le double de la dépense que l'on aurait faite. « Cependant que les navires feraient le voyage des Grandes Indes, les colonies s'établiraient, l'on ferait amas d'ébène, de cuirs, de cires et autres choses, pour achever la charge des vaisseaux en cas qu'ils ne fussent entièrement chargés. « Ce sont tous les avantages que l'on peut percevoir dans l'établissement des colonies dans l'île Madagascar, lesquels seront encore plus grands, si d'abord l'on voulait faire plus grande dépense. Cette île est le mieux placée qui soit au monde pour les commodités que les Français en peuvent retirer; elle est dans le passage pour aller dans les Grandes Indes, proche du royaume de Monomotapa, riche en or et en ivoire ; et d'icelle, l'on pourrait aller faire des découvertes dans les Terres Australes. L'on y peut établir des navires; il y a des mines de fer pour faire le clou, les chevilles et tout ce qui est nécessaire pour la ferraille. l'on y peut établir de bonnes forges de fer. L'on peut, de l'île seule, tirer toutes les victuailles nécessaires pour les navigations des Indes, et même en assister les autres pays, ce qui est le plus grand avantage que l'on y peut espérer. « Ce que nous venons de remarquer ici en passant, que Madagascar peut servir comme d'échelle, d'entrepôt et de commodité pour commerce et pour la navigation des Indes orientales et des terres australes, mérite bien être sérieusement considéré.»
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LE
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ILITAIE,E
DE
TANANARIVE
(3e TERRITOIRE MILITAIRE)
Divisions Administratives. Le Gouvernement militaire de Tananarive, qui forme le 3°territoire militaire, a eu pour noyau le Voromahery, un des sous-gouvernements de l'ancienne province hova de l'Avaradrano. A ce dernier, une organisation qui date du 15 mars 1897 a rattaché: deux un sous-gouver; sous-gouvernements de l'Avaradrano, Ilafy et Ambohimanga un sous-gouvernement du Sisaony, nement du Marovatana, Ambohidratrimo; Alasora ; seize districts des sous-gouvernements de Fenoarivo et Antsahadinta de l'Ambodirano. Le 3° territoire militaire comprend aujourd'hui cinq sous-gouvernements de superficie sensiblement égale, mais de population variable. Le sous-gouvernement du Voromahery, avec Tananarive pour chef-lieu, possède, à lui seul, une population de 101.343 individus, égale à celle des quatre autres sous-gouvernements réunis. La disposition actuelle des quatre sous-gouvernements d'Ilafy, Ambohimanga, Ambohidratrimo et Alasora permettrait d'accroître la superficie territoriale du 3° territoire militaire, sans augmenter le nombre des fonctionnaires et sans nuire au bon fonctionnement du service et a la transmission rapide des ordres, si cette mesure était rendue nécessaire pour des raisons d'ordre militaire ou administratif.
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LE GOUVERNEMENTMILITAIRE DE TANANARIVE Réorganisation des Goùvernements Madinika.
La refonte des gouvernements madinika dans les sous-gouvernements rattachés le 15 mars au gouvernement militaire du Voromahery a été menée de front avec l'organisation administrative. Le nombre des gouvernements madinika (fari-tany) était beaucoup trop grand dans les sous-gouvernements d'Ilafy et Ambohimanga. Il était impossible de faire rien de sérieux avec un personnel incapable, prévaricateur, entièrement dans la main des «ray aman-dreny», «ben' ny tany» et « Andriamasinavalona». Le nombre des fari-tany a été réduit à 14 dans le sous-gouvernement d'Ilafy et à 16 dans celui d'Ambohimanga. Les gouverneurs de village, au nombre de deux, trois et quelquefois quatre dans les nouveaux fari-tany, ont été choisis de préférence parmi les gouverneurs en fonctions les plus instruits, les plus influents et connus pour leur dévouement à la cause française. Il n'a rien été modifié à la répartition des fari-tany dans les sous-gouvernements d'Ambohidratrimo et d'Alasora, qui comptent, le premier 19, le second 12 petits gouvernements. Quelques remaniements seront nécessaires dans le Voromahery, mais l'organisation administrative actuelle ne permet pas de procéder à ces remaniements avant le 1er janvier 1898. Organisation Militaire. Deux postes nouveaux ont été créés, l'un à Ambatolampy (secteur d'Ambohimanga), l'autre à Ambalanirana (sous-gouvernement d'Alasora). Des armes ont été délivrées aux habitants des villages les plus éloignés des postes. La tranquillité est assurée par de nombreuses patrouilles. Fonctionnaires Malgaches. Au moment où le 3e territoire militaire a été organisé, les gouverneurs et mpiadidy n'étaient presque tous que d'humbles agents d'exécution sous l'influencedes «ray aman-dreny», ben' nytany» et « Andriamasinavalona », auxquels ils soumettaient toutes les instructions du Gouvernement. Il en résultait des tiraillements entre les divers fonctionnaires et une résistance sourde aux ordres donnés par les autorités françaises. Le commandant du territoire s'est appliqué à fortifier l'autorité des gouverneurs et de leurs auxiliaires, les mpiadidy, et à les soustraire à l'influence de l'ancienne aristocratie du pays.
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Il a relevé le niveau moral des gouverneurs en éliminant les incapables, en réduisant leur nombre, en choisissant les nouveaux titulaires parmi les hommes les plus instruits et les plus influents. - La situation de gouverneur est devenue plus enviée, plus recherchée et plus indépendante. Il reste cependant des progrès à accomplir dans cette voie. Il est probable que des gouverneurs incapables détiennent encore certains postes, mais tous les fonctionnaires ne sont pas encore suffisamment connus pour qu'on puisse procéder, en ce moment, à une élimination plus complète. Le gouverneur général, les sous-gouverneurs et le personnel dont ils disposent font preuve d'une grande activité et d'un même dévouement, sinon d'une aptitude égale. Quelques .gouverneurs ont été convaincus de concussion et déférés aux tribunaux. Un jugement condamnant l'un de ces gouverneurs à cinq ans de réclusion a été affiché dans tous les villages du territoire. Il est à espérer que les châtiments sévères qui atteignent les fonctionnaires prévaricateurs finiront par mettre un terme à ces fâcheuses habitudes de concussion. Organisation administrative. Le 3e territoire militaire comprend la partie la plus dense de la population, la plus instruite, la mieux préparée à recevoir et à s'assimiler nos procédés de gouvernement ; aussi, son- éducation administrative s'est-elle faite assez rapidement, bien qu'elle ait demandé plusieurs mois de persévérants efforts de la part de tous, officiers français et fonctionnaires indigènes. L'organisation administrative de l'ancien gouvernement militaire du Voromahery peut être considérée maintenant comme complète. Elle repose sur les principes suivants: 1° Recensement nominatif des hommes au-dessus de 15 ans et mensuration de toutes les rizières; 2° Etablissement, par fari-tany, de registres-rôles de la taxe personnelle et de l'impôt des rizières basés sur la perception individuelle; 3° Etablissement de registre-rôles des indigènes autorisés à racheter la prestation; 4° Enfin, délivrance de quittances individuelles des impôts perçus. L'organisation administrative des quatre sous-gouvernements d'Ilafy, Ambohimanga, Ambohidratrimo et Alasora est établie de même; mais, les impôts ayant déjà été partiellement perçus, il a semblé inutile de délivrer aux gouverneurs madinika des carnets de quittances à souche. La délivrance de ces carnets devra compléter, en 1898, l'organisation actuelle; les indigènes comprennent, en effet, les avantages de la quittance et la délivrance de cette dernière peut seule mettre fin aux actes trop nombreux de concussion des petits fonctionnaires indigènes.
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Les petits gouverneurs versentleurs impôts entre les mains de leurs sousgouverneurs, qui ont reçu, à cet effet, un carnet de recettes et un carnet de reçus à souche. Impôt des rizières et taxe personnelle. La mensuration des rizières est terminée. f L'impôt des rizières a été versé en totalité dans le sous-gouvernement d'Ambohimanga ; dans celui d'Ambohidratrimo, la perception est très avancée; enfin, la première moitié de l'impôt sera recouvrée avant la fin de juillet dans les districts nouvellement rattachés au Voromahery. Dans ces derniers, l'inondation a détruit une partie de la récolte ; il a paru équitable de réduire de moitié l'impôt pour les propriétaires dont les rizières ont été inondées. La première moitié de la taxe personnelle a été perçue à peu près partout ou le sera pendant le mois de juillet. L'expérience prouve que, dans le 3e territoire militaire, les habitants préfèrent verser les taxes en deux fois seulement; aussi, attendra-t-on les mois d'août et septembre pour faire rentrer en une seule fois les deux derniers quarts de la taxe personnelle et de l'impôt des rizières, Marchés. Les perceptions des taxes sur les marchés représentent une des principales sources de recettes budgétaires, mais elles échappent facilement au contrôle de l'autorité française. Pour remédier à cet état de choses, des tickets de place et d'abatage sont distribués aux vendeurs qui s'installent sur les marchés quotidiens des villages et sur les marchés hebdomadaires ; les autorités locales françaises surveillent les perceptions. Les rendements des marchés ont augmenté dans une proportion importante pendant les mois de mai et juin sur les marchés de la campagne. Ils sont restés stationnaires avec légère tendance à la hausse à Tananarive, mais il semble établi que des fraudes se produisent et qu'un certain nombre de marchands s'installent sur les marchés de la ville sans être pourvus de tickets. Une surveillance spéciale a été établie pour mettre un terme à cet état de choses préjudiciable aux intérêts du trésor. Des patentes ont été délivrées à tous les marchands de la campagne qui en ont fait la demande. Prestations. Les recettes provenant du rachat des prestations sont très importantes. Le relevé nominatif des indigènes autorisés à racheter leurs prestations a été établi dans le 3e territoire. La première moitié du rachat a été perçue dans
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l'ancien gouvernement militaire du Voromahery. Elle sera recouvrée, pendant le mois de juillet, dans les quatre autres sous-gouvernements et les districts d'Antsahadinta et Fenoarivo, nouvellement rattachés au Voromahery, Le nombre des prestataires qui ont demandé à racheter la prestation n'est. pas exactement celui des indigènes qui consentiront à payer. Déjà, un certain nombre de prestataires, mis dans l'obligation, ou de payer, ou de faire la prestation, ont préféré se rendre sur les chantiers; Routes, Digues, Canaux. La réparation des routes, digues et canaux est conduite avec activité dans les secteurs du 3° territoire. Roules. — Les travaux prescrits par le Résident Général, en vue de rendre carrossable la route de Majunga, ont été exécutés. La route est ouverte aux voitures depuis le 20 juin, à l'intérieur du 3e territoire militaire. Des digues d'une longueur totale de 800 à 900 mètres ont été construites dans les rizières près d'Andriantany, d'Ambohidratrimo et d'Ambohipiara. Des points ont été établis par le service de la voirie sur la digue qui conduit d'Isotry à Andohatapenaka; les habitants, dirigés par des soldats d'infanterie de marine, ont contribué à ce travail. Les routes d'Ambohitrabiby et d'Ambohimanga ont été réparées; il reste cependant à adoucir deux pentes, l'une à Anjanahary, l'autre à Analamahitsy; le travail sera fait incessamment. M. le lieutenant Forestier a commencé une piste pour voitures Lefebvre dans la direction de Tamatave. Il utilisera, autant que possible, le tracé actuel; mais l'impossibilité de faire passer la route sur la colline de l'Ankatsa, entre Ambatomaro et Andraisoro, obligera à raccorder la piste à la route carrossable de Nahanisana, en passant par Ambatomaro, Soamanandrariny et Ankadimamy. Les travaux à exécuter dans le 3° territoire sont relativement faciles; ils exigeront, néanmoins, environ dix mille journées de prestataires. Les travaux de route les plus importants sont exécutés sous la direction des commandants de secteur. De nombreux sentiers muletiers s'ouvrent dans toutes les directions. Ils sont appelés à faciliter les communications et à rendre commode la surveillance du territoire par des patrouilles de gendarmerie à cheval. - Des ponts et ponceaux sont établis partout où les habitants ne rencontrent pas de difficultés trop sérieuses. Ces ponts sont aménagés de manière à permettre la transformation des sentiers muletiers en routes carrossables. Les principaux sentiers sont ceux d'Andriantany à Soavinimerina (en voie d'achèvement) et de Tananarive à Ivato et à Alalsinainy-Imerimandroso, par Ambohimanarina, Ambohidroa, Ambohijanahary (Antehiroka), avec embranchement sur Fiakarana et Ambohitsimeloka. Cette route, destinée à relier Tananarive
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au fertile pays d'Antehiroka, actuellement entourée de toutes parts par des rizières ou marais inondés, sera prochainement terminée; d'importantes digues ont été faites pour la traversée des rizières ou marais. La plus longue est celle qui conduit d'Anosisoa à Ambodidroa. Ce travail ne sera complet que lorsque des ponts en maçonnerie auront été établis sur la rivière d'Amboniloba, sur la Mamba et sur deux autres rivières. Les habitants ont déjà apporté les pierres à pied-d'œuvre. Sur la route d'Ambohimanga, à hauteur de Lazaina, Sahafa et Ambatoharanana, l'ancienne piste est transformée en chemin muletier, large, facilement transformable lui-même en route carrossable. D'autres routes encore sont en construction; elles conduiront d'Ilafy vers Fierenana, de Tananarive vers Ambohitriniandriana, avec embranchement sur Ambohitromby, Ambohipiainana et Ambohimalaza, etc. Les sentiersdifficiles du sous-gouvernement d'Alasora et du secteur militaire de Fenoarivo sont réparés. En un mot, tous les sentiers de quelque importance seront, autant que possible, rendus accessibles en toute saison aux chevaux et mulets montés ou chargés. Les indigènes apprécient plus qu'on ne pense tous ces travaux de route et surtout les ponts et digues, qui leur évitent l'emploi des pirogues et une perte de temps considérable pour le transport de leurs denrées. Digues, - Au commencement de l'année, toutes les digues étaient en très mauvais état; plusieurs, même, avaient complètement disparu. Cet état de choses était dû à l'incurie de l'ancien gouvernement hova qui, depuis plusieurs années, n'avait pas donné d'ordres pour assurer leur entretien. Presque toutes les digues ont été réparées dans les sous-gouvernements d'Ilafy, d'Ambohimanga et d'Ambohidratrimo. De nouvelles digues ont été construites à travers les marais de Namehana, d'Anosiarivo et d'Ambodifasana, de manière à relier entre eux les trois sousgouvernements d'Ilafy, d'Ambohimanga et d'Ambohidratrimo. La réparation des digues est moins avancée dans le Voromahery et le sousgouvernement d'Alasora; mais les travaux sont commencés et seront achevés à la fin de juillet ou, au plus tard, au commencement d'août. Les grandes digues du Sisaony et de l'Andromha seront remises en état par les soins et sous la responsabilité des sous-gouverneurs dont elles traversent le territoire. Les digues de l'Ikopa menacent ruine en maints endroits; elles ne résisteraient pas à la poussée des eaux pendant la saison des pluies. Elles seront réparées par les soins du gouverneur général indigène. Les travaux sont commencés; 2.000 prestataires sont occupés à consolider et à surélever la digue. Les terrains voisins étant marécageux, la terre nécessaire
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pour la confection des talus et le renforcement de la digue, est prise dans les îlots du fleuve et transportée à l'aide de pirogues. Canaux. - Le curage des canaux a été confié aux gouverneurs madinika intéressés. Les habitants ont pris la mauvaise habitude de planter des joncs, des « herana » et des « harefo » dans le lit des rivières et même des canaux. Ces plantations, en diminuant la rapidité du courant, contribuent à ensabler le lit de la rivière ou du canal et augmentent les chances d'inondation. Des instructions ont été données en vue d'interdire ces pratiques; en outre, les gouverneurs ont reçu l'ordre de faire arracher les joncs, hcrana et autres plantes qui encombrent le lit des cours d'eau. Les sous-gouverneurs ont été laissés libres d'utiliser pour la surveillance les « ray amand' reny» « ben' ny tany » et « Andriamasinavalona » ; mais, presque partout, les travaux sont dirigés par les gouverneurs et mpiadidy. Les anciens chefs du pays (notables, nobles et ray amand'reny) sont utilisés dans le seul sous-gouvernement d'Ilafy. Agriculture. Mise en valeur des terrains incultes. — L'agriculture est en honneur dans le 3e territoire militaire. La culture du riz, du manioc, des patates et autres produits du pays y est faite avec méthode, sinon avec les procédés les plus perfectionnés. La grande quantité de semis de riz faits par les cultivateurs prouveleur désir de mettre on valeur toutes les rizières de première saison. D'ailleurs, des mesures ont été prises pour que la plus grande partie des rizières que leurs propriétaires avaient, pour une cause quelconque, plantées en jonc ou en herana, soient défrichées et affectées à nouveau à la culture du riz. Ces instructions semblent avoir été comprises, car les habitants ont déjà défriché une partie de ces rizières. Des marais, appartenant au domaine, sont attaqués également par les indigènes ne possédant pas de rizières et plus particulièrement par les esclaves libérés. Leur exemple sera bientôt suivi par d'autres, désireux de se créer des ressources et de devenir propriétaires de terrains de culture, sentiment très développé chez les travailleurs de la campagne. A cet effet, le défrichement des marais de Mandamako (sous-gouvernement d'Alasora) et d'Anosibé [Voromahery, près Anosisoa] a été autorisé. En outre, des digues seront construites par les Tsimiamboholahy (lIafy), pour la mise en culture de 150a 200 hectares de rizières dans la partie N.-E. des marais de Namehana, compris entre le sousgouvernement d'Ambohidratrimo et celui d'Ilafy; malheureusement, l'importance des travaux à exécuter dans le territoire pour la réparation des digues, des chemins et des canaux exige de nombreuses réquisitions de travailleurs; aussi, la mise en culture des marais dont il s'agit et la construction des digues avancent-elles lentement, malgré l'activité avec laquelle les travaux sont poussés.
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Le desséchement et la mise en culture des autres marais de Namehana dépendent d'un ensemble de travaux qui seront étudiés plus loin. Dans le nord du territoire, les habitants qui avaient abandonné leurs villages pendant l'insurrection et avaient laissé incultes presque toutes leurs rizières, déploient beaucoup d'activité pour réparer les pertes subies; la plupart des terrains ont déjà été retournés. On peut affirmer, presque à coup sûr, que toutes les rizières du territoire seront cultivées en 1897-1898et que la disette actuelle fera place à une récolte abondante. Pour combler le déficit provenant de l'abandon des rizières en 1896, les habitants cultivent des patates et autres plantes hâtives. La culture du manioc est faite aussi un peu partout, mais la récolte des tubercules ne peut avoir lieu que 18 mois ou 2 ans après la plantation des boutures. Elle est surtout en honneur dans les villages de la rive gauche de l'Ikopa, qui ont mis en valeur presque tous les terrains disponibles. Les villages des Antehiroka cultivent de préférence l'ananas; d'immenses champs sont couverts de cette plante, dont la culture est-très rémunératrice. D'autre part, la culture des légumes d'Europe semble prendre beaucoup d'extension, surtout dans les villages au sud-est de Tananarive (Faliarivo, Ambatoroka, etc.) Sous l'impulsion du commandant du secteur d'Ambohidratrimo, les populations travailleuses du pays des Aptehiroka se sont tout particulièrement adonnées à cette dernière culture. Des commandos de graines ont été faites en France et des dépôts seront constitués dans les principaux centres, où les cultivateurs pourront se faire délivrer des graines à titre remboursable. Des indications relatives au mode de préparation du terrain et aux soins à donner aux plantes seront données aux habitants en même temps que les graines. Des essais de culture maraîchère sont également faits à Ilafy par les habitants, sous la direction du commandant de secteur. Ils ont donné de bons résultats. Mise en culture des marais. — Une partie du 3e territoire militaire est encore couverte par d'immenses marais ne produisant qu'une maigre récolte de jonc ou herana. La mise en valeur de ces marais contribuerait à remédier, dans une certaiue mesure, à l'insuffisance de la production locale et à faire face aux besoins nouveaux créés par notre occupation. Elle diminuerait les fluctuations exagérées du prix des riz qui, depuis 1896, causent une gêne sérieuse aux classes pauvres de la population. Le commandant du territoire a fait étudier les moyens de mettre ces marais en culture. Il a acquis la certitude que le dessèchement de la majeure partie d'entre eux et leur transformation en rizières dépendent d'un ensemble de travaux d'une exécution relativement facile. Enfin, comme on l'a dit plus haut, les habitants ont été autorisés il se tailler des rizières dans les marais où le travail n'offre pas de difficultés.
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Les principaux marais que, seul, tout un système de canalisation et de digues peut rendre à la culture, sont ceux de Namehana, qui déversentleurs eaux dans la Mamba, par un chenal étroit, au sud d'Ambohidroa (Antehiroka). Le desséchement de ces marais permettrait la culture du riz sur une superficie de plus de 2.000 hectares de terrain de première qualité. Il résulte des études sommaires faites par M. le capitaine Brun, des reconnaissances exécutées et de renseignements pris sur place par M. Rasoamanana, officier-adjoint du gouverneur général Rafanoharana, que le régime des eaux de la cuvette de Namehana est étroitement lié au régime des eaux de l'Ikopa. Jusqu'à Soavinimerina, l'Ikopa coule dans un lit endigué, très faiblement incliné vers l'Ouest et fermé à Farahantsanana (4 kilomètres Ouest de Soavînimerina) par un énorme rocher dans lequel le fleuve s'est péniblement frayé un passage. Resserré en cet endroit par les roches granitiques, le lit n'offre plus, au moment de la saison des pluies, un débouché suffisant aux eaux du fleuve, subitement grossies par les apports de tous les affluents de la haute vallée de la Varahina et aussi par la Mamba, le Sisaony et Andromba, qui se jettent dans l'Ikopa, entre Andriantany et Soavinimerina. Le niveau des eaux monte très rapidement, inondant une partie de la vallée de la Mamba, les marais de Namehana, ainsi que les plaines basses que traverse le Sisaony et couvrant tout l'espace compris entre les deux digues de l'Ikopa. Il semble donc que, pour éviter .l'inondation par la vallée de la Mamba et aussi pour diminuer les chances de rupture des digues de l'Ikopa, il y aurait lieu d'élargir le lit du fleuve à Farahantsanana et aussi de le creuser afin de faciliter l'écoulement des eaux pendant la saison sèche et de permettre le dessèchement plus rapide des marais de Namehana et de la rive droite de l'Ikopa. Toutefois, cette dernière opération est des plus délicates;le creusement du lit de rochers peut en effet entraîner, comme conséquence de l'écoulement trop rapide des eaux, le desséchement exagéré des rizières et une baisse susceptible d'entraver les communications par eau pendant la saison sèche. Pour être fixé à ce sujet, il faudra étudier avec soin le régime des eaux de l'Ikopa et de ses affluents [Mamba, Sisaony et Andromba] et déterminer la proportion exacte dans laquelle il serait possible de creuser et d'élargir le lit du fleuve à Farahantsanana. Un grand intérêt agricole s'attache à cette question; elle préoccupe à bon droit tous les indigènes possesseurs de rizières dans la région, qui ne voient pas sans appréhension l'Ikopa s'ensabler do plus en plus chaque année, au point que la rupture des digues serait inévitable, si on ne prenait des mesures pour les renforcer et les exhausser. Les études ne rencontreront, d'ailleurs, aucune difficulté sérieuse; elles
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pourront être faites de manière à permettre de commencer, avant la saison des pluies, la destruction, à l'aide de dynamite, d'une partie du barrage et de diminuer ainsi les chances d'inondation en 1897-98. Au cas où il ne semblerait pas possible de donner suite à ces desiderata, il y aurait cependant intérêt à faire débarrasser le lit du fleuve des barrages artificiels créés en amont de Farahantsanana, pour l'installation d'une pêcherie autrefois réservée aux officiers hovas de Tananarive. La mise en culture des marais de Namehana et du sous-gouvernement d'Ambohidratrimo pourrait être favorisée par un système de digues et de canaux. Reboisement. — Il a fallu lutter contre le mauvais vouloir des fournisseurs indigènes de bois de chauffage pour assurer la conservation des quelques arbres qui restent encore dans le territoire. Il est fort difficile de faire comprendre aux intéressés que les ressources actuelles du pays sont très limitées, qu'elles permettraient à peine de faire face aux besoins locaux pendant unan, deux ans, que, cette période de temps expirée, force leur serait de se résigner à aller chercher le bois au loin, dans la forêt, et que le plus sage est encore de commencer par là. D'ailleurs, l'abatage des arbres fruitiers aurait le grand inconvénient de priver de fruits les Européens, militaires ou colons, au moment où leur effet bienfaisant se fait surtout sentir. On a déjà pu constater qu'en 1897, les fruits ont été apportés en moins grande quantité que les autres années sur les marchés de la ville. On a dû sévir contre les indigènes qui, au mépris des instructions données, ont abattu des arbres sans autorisation. Les propriétaires ne sont pas toujours coupables des actes de vandalisme commis dans leurs propriétés. Certains indigènes, porteurs de notes les autorisant à abattre les arbres, se rendent dans les parcs et, sans même demander l'assentiment des propriétaires, abattent le nombre d'arbres dont ils ont besoin. Pépinières. — En vue de favoriser le reboisement, les commandants des secteurs d'Ilafy, Ambohimanga, Ambohidratrimo et Fenoarivo ont été invités à créer des pépinières. Le terrain a été préparé conformément à l'instruction émanant du service des forêts. Des semis seront faits à la saison favorable. Des graines seront demandées à cet effet au service des forêts. Le reboisement ne peut rencontrer d'autres obstacles que le mauvais vouloir des habitants eux-mêmes. Jusque sur les collines les plus arides, les plantations d'arbres fruitiers faites par les indigènes auprès de leurs demeures ont donné de bons résultats. Mais toute tentative de reboisement demeurera infructueuse, tant que les Malgaches conserveront l'habitude d'incendier, pendant la saison sèche, l'herbe qui croît sur les coteaux. Il semble que cette pratique désastreuse tient bien plus de la coutume et de la superstition que du désir de renouveler les pâturages. Aussi, doit-elle être
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interdite d'une manière absolue en Emyrne et dans les environs des forêts; il est indispensable que des peines très sévères atteignent les contrevenants. Il faut enfin créer chez les indigènes un courant d'opinion en faveur du reboisement, si l'on veut obtenir que les jeunes arbres ne soient pas abîmés par les habitants eux-mêmes. Nos efforts resteront stériles aussi longtemps que les Malgaches ne voudront pas comprendre la nécessité du reboisement, opération qui, seule, peut donner; plus de régularité au régime des eaux et aux pluies. De l'enseignement. Dans tous les villages, les habitants, et surtout les petits fonctionnaires, témoignent 'du désir de s'instruire. Les méthodes d'enseignement francomalgache se répandent partout. Il est même à regretter que la méthode qui paraît de beaucoup supérieure à toutes les autres, celle du Frère Norbert, ne puisse, par suite du défaut d'outillage de l'imprimerie de la Mission catholique, être tirée à un grand nombre d'exemplaires et répandue dans les campagnes. — Les livres du Frère Norbert feraient beaucoup pour la vulgarisation de la langue française. Les représentants des diverses missions apportent un égal zèle à enseigner le français ; mais on -doit à la vérité de dire qu'à la campagne, les seuls résultats sérieux ont été obtenus, jusqu'à ce jour, par la Mission catholique, dans lès écoles placées sous la surveillance directe des Pères. Quelque lents que soient les progrès faits par les élèves des écoles où l'enseignement est donné par des instituteurs malgaches, la bonne volonté des missionnaires permet d'espérer qu'avant dix années notre langue sera parlée couramment dans les villages actuellement rattachés au 38 territoire militaire.. Des instructions ont été données pour que les enfants soient de bonne heure familiarisés avec notre système métrique. Dans bon nombre d'écoles, ces instructions ont été suivies et des séances pratiques sur le terrain ont complété l'enseignement. Tous les gouverneurs ont reçu l'instruction théorique et pratique nécessaire pour l'évaluation de la superficie des rizières et autres terrains de culture. Ils ont été habitués à fournir les renseignements de cette nature en hectares, ares et centiares. Des écoles libres, fréquentées surtout par les instituteurs, sont dirigées à Ambohidiatrimo et à Imerimandroso par des soldats français. Des cours de français sont également faits aux indigènes dans presque tous les villages où est installé un poste militaire. De la hausse du prix des denrées. Le prix des denrées, et en particulier celui du riz, s'est élevé d'une manière exagérée dans le 3=territoire.
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Cet état de choses est dû, d'une part, aux achats très importants faits par l'administration militaire pour les besoins des troupes et la nourriture des chevaux et mulets, et, d'autre part, à l'abandon des rizières dans le nord du territoire et de l'ancienne province de l'Avaradrano, qui fournissait la plus grande partie du riz nécessaire à la consommation des habitants de Tananarive. De tout temps, en effet, la capitale a dû, pour faire face aux besoins de sa population, demander à l'extérieur une quantité de riz équivalente au tiers de la consommation normale. La hausse du prix du riz a fait naître l'agiotage et l'accaparement, qui ne peuvent qu'aggraver le mal. Pour enrayer, dansla mesure du possible, les tentatives de ce genre, le commandant du territoire a décidé que les marchands de riz ne pourront acheter plus de trois mesures de riz et quatre mesures de paddy sur les marchés de l'intérieur. Les quantités totales de riz que peuvent acheter les fournisseurs de l'administration ont été limitées, pour chaque marché, au tiers du riz apporté par les vendeurs. La vente de riz par l'administration n'a produit qu'une baisse momentanée. L'effet de cette mesure ne pourrait être efficace que si des ventes fréquentes étaient faites sur les marchés de l'intérieur. Le prix de la viande est très élevé. Il est à craindre que cet état de choses ne soit surtout dû à une entente entre les bouchers de la ville en vue de créer un cours officiel; mais il y a lieu aussi de tenir compte de la destruction de nombreux troupeaux par les fahavalos et de l'augmentation de la consommation produite par la création de nombreux postes militaires en Emyrne. Les habitants du 3e territoire ont été invités à se rendre dans la région d'Antsatrana pour y faire des achats de bœufs dans des conditions plus favorables. Un certain nombre d'habitants du secteur d'Ambohimanga ont déjà fait ce voyage et ramené plusieurs troupeaux. Il est à espérer que leur exemple sera suivi. De la réglementation du travail. L'arrêté du 27 décembre 1896, en réglementant le travail des indigènes, a permis aux différents services civils et militaires et aux colons (entrepreneurs de travaux, industriels, négociants) d'engager plus facilement des travailleurs et des porteurs. Ces derniers commencent à se pHer à l'obligation qui leur est faite, par l'arrêté sus-visé, d'observer les clauses de leur contrat et d'apporter surtout plus d'exactitude et d'assiduité à leur travail. Des concessions. Cinq concessions ont été accordées à des colons français depuis ie 45 mais 1897, date de formation du territoire.
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Les commandants de secteur ont commencé les études prescrites par la circulaire N° 221, en date du 21 avril 1897, concernant la reconnaissance et le classement des concessions disponibles. Ce travail est activement poussé. D'ailleurs, le commandant du territoire possède déjà de nombreux renseignements qui lui permettront, le cas échéant, de guider le choix des colons. Des terrains domaniaux. La reconnaissance et la mensuration des terrains domaniaux ont été faites par les soins des sous-gouvrn_eJH:!?.:.-- ,-La location des rizières est généralement consentie à portion de fruits (1/3 ou 2/5 de la récolte pour l'Etat) ; les gouverneurs ne trouvent que rarement à louer à prix d'argent, et encore les offres sont-elles peu avantageuses. La superficie totale des rizières domaniales est de 330 hectares 98 ares 84 centiares. Lorsque tous les terrains domaniaux auront été reconnus et lorsque les commandants de secteur en connaîtront approximativement la valeur, des instructions leur seront données concernant la vente, qui pourra produire des sommes importantes. Conclusions En terminant, il est permis de constater que le labeur écrasant, imposé depuis dix mois, et plus particulièrement depuis le mois de mars, à tout le personnel, européen ou indigène, a porté ses fruits. La tranquillité est parfaite, l'esprit de la population paraît excellent. La situation administrative est prospère et les impôts rentrent facilement. La hausse du prix des denrées, due surtout à l'abandon d'une partie des rizières et à la destruction de nombreux troupeaux, cause, il est vrai, une certaine gêne dans les classes pauvres de la population; mais, outre que les salaires élevés consentis aux travailleurs depuis notre occupation ont atténué, dans une large mesure, les effets de cette hausse, les habitants sont les premiers à reconnaître que la situation actuelle est la conséquence naturelle, mais momentanée, de l'état de trouble antérieur. L'activité qui règne dans les campagnes, la prospérité actuelle des grands marchés de Tananarive et du territoire prouvent que les Malgaches ont confiance dans l'avenir et s'attachent de plus en plus aux institutions nouvelles qui leur ont été données. COLONEL BOUGUIÉ, Gouverneur militaire de Tananarive
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LE
PAYS
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SIHANAKA
A première vue, le pays sihanaka semble peu intéressant au point de vue ethnologique ; ses habitants paraissent dénués de toute originalité et ne révèlent tout d'abord, à l'étranger qui arrive au milieu ni usages, ni caractères particuliers. Méfiants et d'eux, ni coutumes, la présence du blanc les effarouche et les inquiète; ils se craintifs, taisent devant lui et s'efforcent de lui cacher leurs habitudes et leurs mœurs. Et cependant, lorsqu'on pénètre plus avant dans la vie de ces indiune série de coutumes et d'usages forts gènes, on leur trouve curieux; on découvre ainsi, à la longue, quelque chose d'original à tout ce peuple, que la domination hova avait écrasé, annihilé par un régime d'exactions, de cruauté et de terreur. dite de ce l'étude ethnologique Avant d'entreprendre proprement pays, il ne semble pas inutile de tracer les grandes lignes de l'histoire sihanak a Histoire
sihanaka
Autrefois, chaque ville du pays sihanaka avait son roi. Les guerres de ville à ville étaient fréquentes et le parti vaincu était emmené en esclavage par le vainqueur. Eternelle histoire des peuples au début de leur civilisation. Ces luttes fréquentes, souvent meurtrières, exigeaient des moyens de défense puissants, des fortifications. Et c'est ainsi que nous voyons encore dans cette région des villages aussi bien fortifiés que les plus beaux villages de l'Emyrne. Ambohitromby, par exemple, qui, il y a quelques mois, servait de repaire aux rebelles, est un îlot au milieu d'une rivière, entouré d'une triple haie de cactus géants. Le village d'Amboavory, au nord du lac Alaotra, mérite d'être signalé pour son chemin de ronde, qui court sous une voûte de cactus, et pour sa triple porte.
Dr MERLEAU-PONTY.
— LE PAYS SIHANAKA
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de cette féodalité sihanaka eut lieu sous RadaLa désorganisation mal, le grand envahisseur de Madagascar. Le roi, suzerain des nombreux fiefs sihanakas, s'appelait alors Ratohana. Il vivait à Antanambé, à l'ouest du lac Alaotra. Ce village, détruit parla suite, a été reconstruit, il y a quelques mois, par le grand sorcier des Sihanakas qui, pour s'était habilement établi dans la gagner des partisans à l'insurrection, résidence du dernier souverain du pays. Le premier village qui essaya de se rallier à la cause hova fut situé à huit ou dix kilomètres à l'ouest d'AmbatonAmbohidehilahy, drazaka, au milieu des jojoros. Le roi Ratohana partit avec ses guerriers pour châtier les habitants rebelles. Mais quarante soldats de Tananarive furent ensihavoyés au secours de ces derniers et mirent en déroute l'armée naka. Les Hovas, prévoyant dès lors une conquête facile, vinrent en plus reçurent un assez grand nombre et s'établirent à Andranomarivo. Il grand nombre de soumissions et, en particulier, celle des trois sœurs qui régnaient dans la région; l'aînée, Taseheno, avait son royaume à Ambohitseheno; la seconde, Raimangaly, à Ambohimiangaly, où se trouve maintenant le fort Antoni. La plus jeune, Razaka, régnait sur le territoire actuel d'Ambatondrazaka ; elle a donné son nom à la capitale du pays sihanaka (vato Razaka, la pierre de Razaka). La pierre de Razaka existe encore; elle est au milieu du rova. D'aucuns croient que c'est une pierre funéraire ; d'autres y voient une légende analogue à celle du chêne de Saint-Louis et prétendent que Razaka venait s'y asseoir pour rendre la justice et haranguer son peuple. Cependant, la région située à l'ouest du lac ne se soumettait pas; le en particulier, voulait résister. Les Hovas village d'Ambohitsimenaloha, tendirent une embuscade à ses habitants et en massacrèrent un grand nombre. Les survivants et leurs esclaves, sous la conduite du chef, vinrent s'établir à Antanambé. Ratohana était vieux; son fils Andrianomholeza, fatigué d'attendre la succession de son père, voulut se tailler un royaume en pays sakalave et profita des événements pour partir dans l'Ouest. Le vieux roi le supplia de rester, en lui disant qu'il était mal de laisser ainsi son pays aux mains des Hovas; rien n'y fit et Andranombelaza persista dans sa décision. Son père le maudit alors en lui disant: « Tu « ne reverras pas la terre de tes ancêtres, tes restes ne viendront pas
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Dr MERLEAU-PONTY.
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« reposer dans le tombeau de tes aïeux. Le vent du Nord te chassera « au Sud, le vent du Sud te chassera au Nord. Les hommes qui te « suivent vivront comme des bêtes sauvages, sans famille et sans « foyer ». Telle est, dit la légende, l'origine des Marofotsy, qui n'ont de demeure fixe et qui vivent, nomades, de rapines et de vols.
jamais
En résumé, à cette époque, trois villes restaient libres, fidèles à leurs traditions: Antanambé, Anosimbohangy et l'île d'Anosy située au milieu du lac. Antanambé fut soumis à la mort de Ratohana; Anosimbohangy le fut un peu plus tard. Quant à l'île d'Anosy, ses habitants se défendirent vaillemment et les Hovas furent repoussés. Radama fit brûler vif le général battu, en disant que « la loi n'a pas de considération pour les grands ». à la conquête de l'île d'Anosy D'ailleurs, il renonça momentanément et à celle d'Anosibohangy, d'ailleurs volontairequi se soumit ment peu de temps après; la capitale du pays sihanaka fut installée à Ambatondraz aka. serment de fidélité au vainLes nobles se réunirent et prêtèrent queur. Radama leur demanda s'ils voulaient être commandés par des de l'Emyrne. chefs de leur pays ou par des gouverneurs Voici, d'après les anciens d'Ambatondrazaka, le discours qui lui fut tenu par un grand : « Instruis-nous, nous ne sommes pas assez versés dans l'art de gou« verner pour nous diriger nous-mêmes. Ecoutes, ô roi, écoutes plutôt « cette histoire ! A Mahakary, habite un homme très riche qui ne con« naît pas la plante qui donne le riz. Il demande à en voir la feuille. Mieux « encore, à Anororo, les habitants disent qu'un homme très grand est « fait de deux hommes et ils en ont fait couper un en deux. Ils s'éton« nent de voir les étrangers à leur ville manger du manioc qu'ils « appellent « bouse de vache ». Ils croient que le miel est le fruit d'une « plante et ne veulent pas croire que c'est une mouche qui le produit. « Tu vois que ces gens-là seront incapables euxde se gouverner ». « mêmes. Gouvernes-nous, grand roi, instruis-nous de l'élément hova chez les SihanaAinsi fut amenée l'introduction kas. Ils formèrent des soldats et la reine daigna s'en montrer satisfaite. Que ressort-il de ces quelques anecdotes et quelle est la concludans le pays sihanaka, sion à en tirer? Les Hovas, pour s'introduire Ils surent profiter de la division qui existait dans ce vaste territoire. et laissèrent parmi les habitants firent un tout de ces petits royaumes des officiers, des comdes gouverneurs, des soldats de Tananarive,
Dr MERLEAU-PONTY.
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merçants. Des unions tendirent à fusionner les deux races et, pour les de Tananarive exemptait de corvées et encourager, le gouvernement de service militaire les enfants qui en naissaient.
ETHNOLOGIE Limites du pays sihanaka Le pays sihanaka a pour limites: Mangatany au Sud, Miarinarivo au à l'Ouest. Le gouvernement Nord, la forêt à l'Est et Amparafaravola sihanaka s'étendait dans l'Ouest jusqu'à la Mahajamba, mais les Maroétait gens peu soumis, cette région, fotsy, qui habitent qui inspiraient la terreur aux Sihanakas et qui échappaient à toute administration régulière. Le pays sihanaka est peuplé, moins par des races distinctes, que par des groupes de famille issues de croisements divers. On y distingue, en particulier : 1° Les Sihanakas purs, de plus en plus rares; on en rencontre encore à Anororo, pays submergé en grande partie par le lac Alaotra à la saison des pluies. On en trouve également à Mahakary, Ivohitraivo, Ambamato, Ampilahoana; 2° Les Sihanakas hovas, qui sont les plus nombreux. Ils existent à Ambatondrazaka à Imerimandroso, et dans les environs. On les trouve aussi dans les colonies militaires comme Amparafaravola, AmAmbohitromby : bohijanahary, 3° Les Tanosimboahangy ou Sihanakas sakalaves. Ils peuplent Miarinarivo et Anosimboahangy. Ils vivent à 4° Les Zafimpanotany ou Sihanakas betsimisarakas. l'est d'Ambatondrazaka sur la lisière de la forêt; 5° Les Mpiandromby. Comme l'indique leur. nom, ce sont des bergers. Ils habitent aux environs de Mangatany; Ils formaient plutôt une 6° Les Mpanazary, disparus aujourd'hui. ils vivaient caste qu'une race proprement dite. Devins et nécromants, entre eax, à l'ouest de Marosalazana, respectés et redoutés par la population ; 7° Les Marofotsy, nomades dissidents qui habitent à l'Ouest du lac. Ces Marofotsy, comme on l'a vu plus haut, sont des voleurs de profession. Ils s'étaient infiltrés en plein pays sihanaka dans les villages de Morarano (Nord), de Marotampona et de Morafeno, d'où ils partaient
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pour aller piller toute la région. La reine leur confia la garde de ses troupeaux. Caractères. — Mœurs. — Coutumes. Ces différents n'ont pas le même type, groupes d'indigènes et on retrouve chez eux des caractères très différents de teinte, de cheveux et de taille, suivant que l'on considère un individu croisé de Hova, de Sakalave, etc. Le Sihanaka pur, celui de Mahakary par exemple, est noir, ses cheveux sont crépus, son front bas, son nez épaté, ses lèvres grosses, sa barbe irrégulière. Bien bâtis en général, ils offrent cependant peu d'exemples de gens très grands, peu de types de « colosses ». Rarement intelligents, ils forment la partie la moins intéressante de la population. les cheveux * La femme, de taille moyenne, est noire également, peignés en une série de petites tresses qui pendent autour de la tête. Hommes et femmes ont un caractère commun, leur malpropreté Tout bon Sihanaka qui achète un lamba de toile repoussante. blanche, le met sur lui, se garde de le laver jamais et ne le quitte que lorsqu'il est en loques. L'enfant court tout nu dans les rues et se vautre dans la boue. habituel des animaux de la case, le chien, le Il est le compagnon cochon, les poules. On l'habille entre cinq et sept ans. La fille est nubile de bonne heure et se livre presque aussitôt, de ses proches, qui professent « qu'une fille sous l'œil bienveillant est maîtresse de son corps ». Il n'est pas rare de voir des filles-mères mal soignés, de 13 ans; les enfants qui naissent dans ces conditions, gorgés de viande, de riz et de fruits verts, s'étiolent bien vite et vont dans ce infantile, déjà considérable grossir le chiffre de la mortalité pays. Puisqu'il est question de l'enfant, on peut dire que la façon la c'est de le prendre plus simple d'étudier d'un peu près le Sihanaka; de le suivre dans sa vie et de ne le quitter qu'après à sa naissance, les orgies qui honorent ses obsèques. l'accoucheC'est ainsi que nous pourrons étudier successivement le mariage et la mort, toutes choses qui ment, la circoncision, de coutumes curieuses. s'accompagnent Accouchement. On possède peu de renseignements On peut cependant noter Sihanakas.
chez les sur l'accouchement que la femme sent qu'aussitôt
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les premières douleurs, elle se couche et fait allumer, sous son lit, un et pendant les huit feu qui doit durer pendant tout l'accouchement jours qui suivront. se bornent à des Les manœuvres qui accompagnent l'accouchement massages et à des pressions violentes sur l'abdomen. La ligature du cordon se fait assez bien et les cas de hernie ombilicale sont assez rares chez les enfants. Disons; à propos de l'accouchement, que les cas d'avortement sont malheureusement fréquents et que l'infanticide est pratiqué dans le pays sihanaka. Circoncision. La cérémonie a lieu lorsque l'enfant a de quatre à six ans. La veille dujour fixé, les parents ou amis arrivent et portent leurs cadeaux de fête au chef de la famille, de l'argent quelquefois, souvent des bœufs et toujours du « toaka» (rhum indigène). Après les salutations d'usage, les kabarys, on sort en procession et on se rend devant la case Le cortège comprend un bananier habitée par l'enfant à circoncire. avec ses feuilles, de la canne à sucre et du rhum. Oublier la cruche de rhum serait, parait-il, un manque de déférence très grave envers la famille. Le chef de la famille prend alors la parole et, dans une allocution qui est toujours la même, remercie les amis d'avoir quitté leurs travaux pour venir le visiter. Il leur dit que Dieu leur rendra ce qu'ils ont fait pour lui, etc., etc. Les danses commencent à l'heure dite et les cruches de toaka sont largement mises à contribution, Vers neuf heures du soir, on prend l'enfant qui doit être circoncis et l'un des invités le porte sur son épaule en psalmodiant une sorte de complainte rituelle qui doit se dire trois fois avant le chant du coq; en voici le sens: « Que cet enfant ne souffre pas de l'opération qu'il va subir! Qu'il ne saigne pas trop et que sa plaie ne se referme pas trop vite! » La nuit se passe en chants et danses et, au lever du jour on procède à la cérémonie. Au premier chant du coq, un des invités pousse un cri: « Venez! les chercheurs d'eau mahery (eau forte, vigoureuse) ». A cet appel, trois hommes arrivent; deux d'entre eux portent une cruche, le troisième une sagaie et un bouclier.
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Après un court kabary, ils partent tous les trois vers la source qui donne la « ranomahery ». Dès qu'ils sont sortis, tous les invités, tous les gens de la famille, se groupent à la porte du village. Quand on voit revenir les porteurs d'eau, on s'arme de pierres, de mottes de terre, de morceaux de bois et c'est à qui les en accablera. Aimable distraction ! Celui qui porte le bouclier est chargé de parer les coups et de se On choisit toujours, pour remplir cet protéger, lui et ses compagnons. rôle, un spécialiste habitué à ce sport, et on en trouve d'extrêmement habiles. Cependant, aussitôt que, sous cette grêle de projectiles, les porteurs d'eau ont réussi à franchir la porte du village, on cesse ce divertissement et on se rend en procession vers la case où doit se faire la circoncision. Arrivés devant la porte, les porteurs d'eau, remis des émotions de la lutte, font sept fois, en courant, le tour de la case. La mère de l'enfant se couche au pied de la fenêtre de l'est. Au bord de cette fenêtre, une femme garde l'enfant. A côté, une sobika de riz cuit tenue par un homme et des bananes mûres. il se purifie avec de l'eau sainte, purifie s'avance, L'opérateur l'enfant et l'opère très simplement avec un couteau ordinaire. L'oncle ou le grand-père de l'enfant prend alors le prépuce, le roule dans un morceau de banane et l'avale. Aussitôt opéré, l'enfant sort de la case, sa mère se lève et le suit, et une femme jette la sobika de riz sur la famille du nouveau circoncis. Le repas, l'orgie commencent alors; les bœufs sont amenés et on les excite jusqu'à les rendre furieux. « Ceux qui ont peur ne sont pas des de ces disent-ils, et ils sautent sur le bœuf. Quelques-uns hommes», indigènes sont des toréadors, ou mieux, des écarteurs de première force. les riches tuent parfois 20 ou 30 bœufs. Pour une circoncision, Le toaka est distribué avec largesse et, au moment où les têtes sont un peu échauffées, les « Mpisantra » (évocateurs des dieux des ancêtres) viennent faire leurs évocations. Quand ils ont fini de prier, ils conduisent l'enfant circoncis à côté du bœuf, lui font tenir un couteau et cette coutume signifie le lui font passer sur le cou de l'animal ; qu'une fois circoncis, l'enfant devient un homme et ne doit plus trembler devant le bœuf. Mais le repas est fini, les cruches de toaka sont vides, les bœufs sont partagés, on rentre. Quelques jours après, a lieu la purification de la case où l'enfant a
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été opéré. C'est là fête du fafalapa (tata: balayage; lapa, grande case) ; on se réunit et comme dans toutes les fêtes, les bœufs et les cruches de toaka sont encore largement mis à contribution. Mariage. Le mariage doit toujours être précédé d'un essai. Les jeunes gens doivent se connaître très bien avant de se marier et, pour cela, doivent cohabiter pendant un temps assez long. Il n'est pas besoin de dire que beaucoup s'en tiennent à cette première formalité. Mettons les choses au mieux et prenons le cas où, après dix mois, un an d'essai, le désir de s'unir officiellement persiste encore chez les jeunes gens. Le jeune homme, accompagné de ses parents, va rendre visite à la famille de sa fiancée — si tant est que le mot convienne — et il dit au père que sa fille consent à l'épouser. Après cette visite première, rien de changé, l'essai loyal continue toujours et, un ou deux mois plus tard, le mariage s'accomplit. Au jour fixé, la famille et les amis du marié se rendent dans la famille de la mariée; quand tout le monde est réuni, ils réitèrent la demande. Le père répond qu'il ne demande pas mieux, mais qu'il doit consulter sa fille et ne pas la marier contre son gré. Après le oui sacramentel, les parents du marié donnent aux parents de la mariée une somme d'argent. Puis, tous s'assoient sur une natte et le plus âgé de la famille, après avoir versé de l'eau dans une assiette et y avoir placé une tige de roseau, bénit les époux, leur conseille la pratique de toutes les vertus et demande à Dieu de les rendre heureux. Les jeunes gens sont désormais mariés et vont prendre part au grand festin, où le bœuf et le toaka sont largement offerts. Mort. — Coutumes funéraires. Quand un Sihanaka est sur le point d'expirer, on l'entoure pour recueillir son dernier souffle. Si l'agonio est trop pénible, on lui brise une courge sur la tète pour faciliter le dernier soupir. Dès qu'il est mort, on le porte dans un coin sombre de la case et on procède à la dernière toilette. On le lave, on lui tresse les cheveux et on le couche sur une natte. On met dans sa bouche une pièce de monnaie, on entoure ses doigts de perles et on lui passe un collier autour du cou.
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Des envoyés partent alors du village pour aller prévenir les parents éloignés. La façon dont ils font part du décès est assez curieuse. « Un « tel, votre parent, est bien malade et si vous recueillez son dernier « soupir, cela vous portera bonheur». Ils se mettent en route aussitôt et arrivent à la maison mortuaire. Mais, comme les distances sont longues, ils mettent quelquefois deux ou trois jours de marche. Le cadavre attend ; il attend quelquefois cinq ou six jours. Cette coutume se perd, Dieu merci 1 dans les grands centres et, en règle générale, les obsèques ont lieu, au maximum, 48 heures après la mort. Autrefois, paraît-il, on promenait le défunt sur un filanzana et un en disant que, pleureur chantait ses vertus. Il terminait invariablement malgré leur chagrin, la reine ne perdrait pas son « hasina». Quand tous les invités sont réunis, les kabarys de condoléance et ils sont nombreux ; commencent puis les cadeaux (bœufs, argent, toaka) On mange, on boit, on pleure, on crie. Les gens riches paient des musiciens qui, tout le jour, exécutent des mélopées lugubres. Quandles bœufs sont mangés, quand le toaka est bu, ou se décide Le cortège n'a rien de à conduire le défunt à sa dernière demeure. bien solennel. On arrive à la fosse, et le plus haut placé des assistants prononce une oraison funèbre, où il célèbre les vertus du mort et rapporte ses dernières paroles. on boit les dernières cruches de toaka et Puis le cortège rentre; on se sépare. Huit jours après, nouvelle réunion, nouvelle orgie, pour la purification de la maison mortuaire. Religion. — Morale. — Croyances particulières. très peu sont réelsont protestants ; Beaucoup de Sihanakas mais se lement convaincus. Ils vont au temple pour y chanter, gardent bien de prendre à la religion ses principes de morale. Le mensonge est élevé chez eux à la hauteur d'une institution. La liberté des mœurs est la même qu'en Imerina et les ministres indigènes du laissent, tout comme les autres, à leurs filles la culte, les évangélistes liberté entière de leur corps. La croyance aux sorciers est très répandue et elle a été un des dans la de l'insurrection principaux moyens d'action des promoteurs contrée. Toute une légion de devins et de jeteurs de sorts s'abattit sur
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les campagnes et, sous les menaces les plus terribles, enrôla les habitants dans la révolte. Les Sihanakas croient à l'existence de demi-dieux, qu'ils nomment Vazimba, Zazavy-rano, Kalsnoro, etc. Suivant la tradition, les Vazimbas sont des êtres à visage humain, dont les pieds sont retournés. Malheur à qui foule leurs tombeaux ! Les Zazavy rano sont des nymphes qui habitent, ou plutôt, auraient habité les bords du lac. Les Kalsnoro sont des divinités des marais qui volent les enfants. ils croient que cet anima] Les Sihanakas redoutent le serpent; entre chez les femmes qui allaitent leurs enfants et, après avoir écarté le nourrisson, se substituent à lui pour prendre le sein de la mère. On rencontre dans le pays d'autres croyances, qui n'ont rien de bien curieux et qui se retrouvent à peu près partout. Moyens d'existence. — Commerce. autrefois la plus grosse Les esclaves et les bœufs constituaient dirichesse du pays. La suppression de l'esclavage a, par conséquent, minué beaucoup la fortune des Sihanakas, et, d'autre part, l'insurrection a amené ici une perte énorme de bœufs qui ont été volés parles rebelles. ces animaux ont disparu du territoire. Au camp Malheureusement, d'Ambongabe, occupé il y a 18 mois par les rebelles, on les abattait par centaines pour honorer la mémoire des tués à l'ennemi. Une industrie assez lucrative est celle de la pêche. Tous les riverains du lac Alaotra partent en pirogue chaque matin et pêchent à la ligne. Le poisson est vendu frais à Ambatondrazaka; là, on le sèche et on le fume pour l'exporter jusque sur la côte, dans le pays betsimisaraka. Quelques pêcheurs adroits arrivent à réaliser, certains jours, de gros bénéfices. La chasse aux canards et aux sarcelles, que l'on prend avec des filets ou des collets, est aussi une grosse source de revenus pour la population riveraine du lac. La rizière ne donne pas au Sihanaka beaucoup de travail. Quand elle est inondée, les bœufs la piétinent et on y sème le paddy; pas un coup de bêche n'est donné pour retourner le sol, On ne repique pas les plants de riz; aussi, le rendement est-il beaucoup moins élevé qu'en Imerina. Le Sihanaka est paresseux, il ne cherche pas à amasser; il n'est guère commerçant.
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Aussi, cette terre si riche, qui ne demande qu'à produire, ne donne pas, il s'en faut de beaucoup, les récoltes qu'elle pourrait fournir. Une grande partie du territoire reste en friche. Et pourtant, le maïs, le café, la canne à sucre, la vanille, tout en un mot réussit ici, aussi bien et mieux peut-être que partout ailleurs. Il faut donc croire à l'avenir de cette province. Lorsque le Sihanaka aura enfin compris que nous sommes définitivement installés à Madagascar, quand il verra s'ouvrir des routes, quand des moyens de communication réguliers viendront faciliter les échanges, alors, la terre atteindra son rendement et cette province, normal, aujourd'hui relativement pauvre, sera peut-être la plus belle et la plus productive de cette île malgache qui, elle-même, pourrait bien devenir un jour le plus beau fleuron de notre couronne coloniale. DOCTEURMERLEAU-PONTY.
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Le territoire ressortissant à la résidence de Majunga est presque entièrement habité par les Sakalaves; il serait impossible de donner à cette race d'autres limites géographiques que celles qui ont servi de base pour la détermination de la circonscription. Il faut toutefois remarquer que, sur certains points, les Sakalaves se sont mélangés avec d'autres races venues, soit de l'intérieur de l'île, soit même de l'extérieur. Ces mélanges ont pu modifier quelque peu les caractères du type sakalave, mais n'ont pas créé de mœurs nouvelles qui pourraient faire croire à l'existence de races différentes établies dans le territoire de la résidence de Majunga. On peut dire, d'une façon presque absolue, que ce territoire est habité parles Sakalaves. Comme exception a cette règle, on trouve, dans le pays: 1° Les Hovas, venus en conquérants et ayant occupé les points stratégiques; ils habitent groupés sur des hauteurs qu'ils ont fortifiées et qu'ils appellent des rova. 20 Des Cafres ou Zazamangas, importés à Madagascar comme esclaves et ayant obtenu Je rang de sujets malgaches, lorsqu'ils ont été affranchis. Les Zazamangas sont répandus dans toute l'étendue du territoire sakalave; ils se sont mélangés intimement ilYec les propriétaires du sol, dont ils ont pris les mœurs, les coutumes etle langage. Ils forment quelquefois des groupes assez importants et vivent sous le commandement de chefs de leurs races. Les plus considérables de ces groupes sUllt à Marovoay et à Ambato. 3° LesSakalavesarabisant ; n-ux-ci, complètement dominés par la colonie musulmane de la oùle ouest de Madagascar, entre la baie de Bombetoka au nord et Maintirano au sud, habitent les provinces de l'Ambongo et du Mailaka.
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Ils obéissent à des rois ou reines qui, jaloux de leur indépendance, ont toujours refusé de reconnaître la domination hova. Poussés par leur maîtres musulmans, ils ne consentent pas encore aujourd'hui à obéir au gouvernement français. Il y a là un grand territoire indépendant, repaire de tous les bandits et centre de toute la contrebande sur la poudre, les armes, les alcools, l'or, etc. C'est par les ports dela côte, entrela baie de Bornbetoka et Maintirano, qu'entrent les munitions de guerre destinées aux fahavalos; c'est de l'Ambongo et du Malaika que sortaient chaque année, à la saison sèche, les bandes armées qui venaient terrifier le Bouéni. Beaucoup de Sakalaves de ces régions ont pris les habitudes des Arabes de la côte; ils se rasent la tête, portent le turban et la grande robe longue; leurs chefs mettent même une grande coquetterie à s'orner de costumes que ne dédaigneraient pas les sultans des Comores ou d'Anjouan. Ce sont ces Sakalaves, semi-arabes, qui, certainement, nous ouvriront leur pays les derniers. 4° Les Sakalaves d'Andriba. — La région d'Andriba est peuplée de Hovas et de Sakalaves; la plupart de ces derniers, improprement appelés Sakalaves d'Andriba, sont le produit de croisements multiples entre les aborigènes et les esclaves des Hovas. Aussi ne présentent-ils pas les caractères du type sakalave que nous définirons plus loin. 5° Les Sakalaves Marofotsy. — La région d'Ambadiamontana, rive droite de la Betsiboka, est habitée par les Sakalaves Marofotsy (beaucoup de blancs). Il y a en effet, dans cette région, beaucoup de Sakalaves blancs; il n'y a pas lieu de s'en étonner, car cette région est sur les confins de l'Imerina et les Hovas se sont croisés avec eux. Nous laisserons de côté ces quelques exceptions pour nous occuper seulement du vrai Sakalave, de celui qui est resté pur de tout croisement. Le Sakalave est noir, mais sa peau est moins luisante que celle des nègres d'Afrique. Il est de forte taille et n'a pas encore souffert. de la loi de dégénérescence des races. Il porte les cheveux longs, tressés en une infinité de petites nattes collées avec de la graisse de bœuf; le front est ceint d'une étoffe bleue ou d'un fil supportant un coquillage blanc qui vient se coller au-dessus du sourcil droit; l'œil très grand, ni bon, ni méchant, est plutôt bestial: le nez est épaté, les lèvres semi-épaisses. Le torse nu laisse, voir une poitrine bien développée sur laquelle pendent les gris-gris les plus divers; les jarrets sont musclés à faire rougir nos plus forts marcheurs et les attaches des poignets sont d'une finesse quasi-féminine. Malheureusement, le Sakalave est trop paresseux pour faire bon emploi de ses qualités physiques: Comment, du reste, en serait-il autrement? Il n'a aucun besoin, et ne croit devoir ajouter aucun bien-être à la vie misérable à laquelle il est habitue.
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Allons dans un village et interrogeons le premier Sakalave que nous rencontrerons. Cet homme a sa case, qu'il a construite de ses mains avec les matériaux que la nature lui fournit à proximité. Ses champs de riz lui assurent la nourriture pour toute l'année; près de chez lui, quelques cultures de manioc, d'arachides, de patates et de maïs lui permettent de varier un peu son ordinaire; devant sa porte, se promènent quelques volailles qu'il portera au marché ou qu'il tuera un jour de fête; dans les champs, les enfants gardent ses bœufs. S'il a besoin d'un peu d'argent pour acheter des étoffes ou de menus objets, il se défera de quelques mesures de riz blanc qu'il a en surplus, il vendra un canard ou une poule, ou même il mènera un bœuf au marché. Tout dérangement qui ne fait pas partie de sa vie habituelle lui est pénible, et si vous lui parlez de l'employer comme travailleur, il regardera avec dédain ; il n'en a pas besoin et ne demande qu'à l'argent que vous lui proposerez continuer à vivre de sa vie bestiale et monotone. Si lé Sakalave refuse de prime abord tout ce qui pourrait lui apporter une augmentation de bien-être, il reste encore bien plus fermé à toute idée de perfectionnement intellectuel. La lecture et l'écriture lui sont choses ignorées; on n'a pas besoin de cela pour vivre. Il a la notion très exacte de l'orientation, mais c'est une connaissance d'instinct. Il connaît fort bien les saisons, les vents; il prédit assez longtemps d'avance les pluies et les changements d'atmosphère, mais c'est là une aptitude spéciale, une sorte de don naturel qu'il tient de ses ancêtres et qu'il ne se préoccupe pas de cultiver. Il est sourdà toute idée de progrès et reste persuadé qu'il a des connaissances très suffisantes pour vivre heureux. Il faudra très longtemps pour réussir à lui prouver le contraire, si, toutefois, on obtient jamais ce résultat. L'école est l'unique moyen à employer pour arriver ou, plus exactement, pour essayer d'arriver à perfectionner le Sakalave. Le système politique actuellement employé, consistant à laisser à chaque race le gouvernement de son territoire, serad'un puissant secours pour y parvenir; on arrivera peut-être à démontrer aux Sakalaves que, dans la situation actuelle, ils sont incapables de gouverner sans demander l'aide d'écrivains hovas. En excitant leur amour-propre et en leur démontrant que tout chef sakalave doit être secondé par des écrivains sakalaves, peut-être les décidera-t-on à envoyer leurs enfants dans nos écoles. Si ce résultat peut être obtenu, nous pourrons dire que les Sakalaves sont à nous. Ils le seront d'autant plus que, par le moyen de l'école, nous pourrons arriver à les redresser non seulement au point de vue intellectuel, mais encore au point de vue moral; nous pourrons leur inculquer des principes absolument inconnus d'eux et leur enseigner la différence qu'il y a entre le bien et le mal.
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Car, chez eux, cette différence n'est pas conçue d'une façon bien nette; ils remplacentles lois morales par un modus vivendi spécial, qui consiste à jouer au plus fin, en recourant, quand il le faut, à la ruse et à la fourberie. Un Sakalave sait fort bien qu'il ne faut pas voler; mais, s'il est assez heureux pour réussir à cacherson larcin, la connaissance du tort qu'il porte à autrui lui importe peu. Il sait fort bien aussi qu'il ne doit pas mentir; mais, si on ne doit pas découvrir un mensonge qui lui est profitable, il lui coûtera peu de laisser de côté la connaissance qu'il a du vrai et du faux. Et ainsi, dans tous les actes de sa vie, le Sakalave préférera son intérêt immédiat au prix de vols, de mensonges, d'accrocs aux lois, à tout ce qui pourrait faire naître dans sa conscience le moindre remords. Il ne connaît pas le remords, lorsque l'impunité matérielle lui est assurée. L'honnêteté n'est qu'un vain mot qui n'a, pour lui, de valeur que lorsque la vertu qu'il représente est rendue obligatoire par la crainte d'une punition immédiate. Qu'on me permette de citer ici quelques lignes que j'écrivais l'année dernière au sujet de l'état moral des Sakalaves. « Quand le Sakalave rentre d'expédition, après avoir tué, pillé et incendié, il n'est pas déshonoré pour si peu. Ses congénères ne vont pas le livrer àla justice ou lui faire subir quelque horrible supplice. Ceux qui le jugeront le plus sévèrement se contenteront de ne pas le féliciter; quelques-uns écouteront avec plaisir le récit de ses exploits; d'autres, enfin, lui témoigneront d'autant plus d'admiration que l'expédition aura été plus fructueuse; personne, en tout cas, ne s'étonnera. La valeur se mesure à la réussite; quels que soient les moyens employés, on ne blâme que l'insuccès ». « A Ambodiamontana, un chef envoie ses deux fils chercher des bœufs volés à Avaramanga ; personne, dans le village, n'ignore la provenance coupable de ce bétail; cependant, pas une protestation ne n'élève. Les bœufs entrent au parc et deviennent la légitime propriété des voleurs; ceux-ci ont été assez adroits pour ne pas se faire prendre, ils ne méritent que des félicitations H. « A quelques jours de là, on entend de nouveau parler d'un vol de bœufs; cette fois, le voleur a été pris sur le fait; aucune peine n'est assez forte pour punir le coupable; le chef d'Antsatrana se dérange lui-même pour juger cette affaire. Le voleur est ligotté comme un vulgaire colis et jeté dans un coin sans nourriture, en attendant la sentence; celle-ci prescrit la peine de mort et ajoute que la tête du supplicié sera plantée sur un piquet à l'entrée du village. Le condamné n'évite la peine capitale qu'en versant 2.000 francs entre les mains de ses juges». Il est presque inutile de dire que toute faute est rachetable à prix d'argent. Ceci est un caractère propre à tous les peuples noirs. Danstoutes les actions de sa vie, le Sakalave est guidé parle même sentiment.
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Il ne s'agit par d'être bon et honnête, il suffit d'être rusé. La rouerie remplace toute morale etle mensonge est une institution. L'enfant l'apprend sans professeurs; il se contente de regarder ce qui se passe autour de lui et, plus tard, il mettra toute son intelligence à imiter ses anciens; s'il fait mieux qu'eux, il sera sûr d'avoir l'admiration de tous les autres. Nous venons d'essayer de définir' le Sakalave dans ses caractères moraux; nous l'avons montré paresseux, non pas se vautrant au soleil sans songer à sa nourriture, mais travaillant juste pour assurer sa vie matérielle; nous l'avons montré rebelle à toute idée de progrès intellectuel; nous avons défini son honnêteté en démontrant qu'elle n'existe que par crainte du châtiment immédiat. Nous sera-t-il possible de préciser de la même façon les caractères extérieurs de son existence habituelle? Nous allons l'essayer, mais en avouant d'avance que ces caractères extérieurs ne sont pas uniformes depuis que la conquête hova a séparé les Sakalaves en deux parties, dont l'une, soumise,a accepté le fait acquis et dont l'autre a gardé toute son indépendance. Le peuple sakalave a été très puissant et peut-être, au siècle dernier, était-' il même le plus puissant del'île ; il le serait encore probablement s'il avait su rester uni. Ses dissensions ont causé son amoindrissement et sa décadence. La partie insoumise a gardé ses habitudes, celles qui caractérisaient probablement le Sakalave d'origine et dont les traits principaux sont un instinct nomade et un amour extraordinaire du pillage.M. Gautier cite un roi du Ménabé qui, chaque année, se met à la tête de bandes armées pour aller rançonner ses voisins; il amasse ainsi de quoi vivre pendant la belle saison et sè reposer pendant la saison pluvieuse. Le peuple ne se conduit pas autrement et possède des habitudes invétérées de brigandage. Les fahavalos sont en grande partie des Sakalaves ce sont eux qui ; rendent inhabitables ces vastes étendues, qu'on peut prendre sur les cartes pour des déserts, mais où, en réalité, on trouve de l'eau et de la verdure autant qu'ailleurs. « Chez les Sakalaves et dans la plupart des tribus indépendantes du Sud, dit M. Gautier, on vole et on tue comme on respire; c'est une fonction naturelle )'. « En résumé, l'Ouest et le Sud de Madagascar constituent un véritable repaire de brigands, où le pillage est à la fois général et mutuel» (E. Caustier). La partie soumise des Sakalaves semble cependant avoir oublié une partie des mauvais instincts de ses ancêtres. Ici, le brigandage, quoique admis, n'est pas élevé à la hauteur d'une institution. Les biens, petits ou grands, que chacun possède, retiennent chacun dans le devoir, et la fréquentation des conquérants hovas et des Européens a un peu adouci la sauvagerie héréditaire de ces races. Le Sakalavc soumis est sédentaire : il reste chez lui pour cultiver ses rizières pendant la saison favorable et pour ne rien faire, le reste du temps.
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Il semble doux et de mœurs tranquilles, mais il ne faut pas trop se fier à cette apparence. Même dans la partie du Bouéni où le Sakalave a accepté le joug hova, l'étranger est tou jours et reste toujours étranger. Il sera bien reçu dans les villages, mais seulement parce que l'hospitalité est de tradition ; on lui apportera du riz, des poules, des œufs, mais il devra, malgré cette réception, éviter de se laisser aller à une trop douce quiétude et se tenir toujours en garde contre la malveillance. Le Sakalave insoumis, au contraire, ne cache pas son inimitié pour l'étranger; il est chez lui et il désire y rester seul. Quelques voyageurs, il est vrai, ont réussi à pénétrer dans certaines des régions qu'il habite, mais au prix de quelles précautions et combien de fois leur vie a-t-elle été exposée! En janvier 1893, M. Muller a payé de sa vie son zèle d'explorateur dans la région moyenne de la Mahajamba. La même année, M. l'ingénieur Guinard, perdu dans les solitudes de l'ouest de l'Ikopa, a pu, à grand peine, rentrer sain et sauf à Maevatanana. Arrivé par hasard devant le village sakalave d'Ambalatany, il s'est vu obligé de déposer sa carabine et d'amadouer les chefs par des présents et de l'argent. Il réussit même, par sa bonhomie, à se faire un ami du chef du village, qui le pria de revenir lui faire visite; mais M. Guinard, une fois parti, a jugé prudent de ne pas répondre à cette invitation. Ces Sakalaves insoumis sont désignés sous la dénomination générale de « fahavalos». Chaque année, quand les eaux sont basses, ils sortent de chez eux et font irruption par bandes dans tout le Bouéni soumis; ils s'adjoignent tout ce qu'ils peuvent trouver de gens sans aveu, d'esclaves en fuite et de soldats déserteurs, et se forment en bandes souvent assez nombreuses. Il ne se passe pas d'année où l'on n'ait à enregistrer les méfaits de ces bandes. En 1890, le jeune François Suberbie est laissé pour mort au Ranomandry, le front traversé par une balle; en 1891, le docteur Béziat est sagayé en • pirogue et son corps est jeté en pâture aux caïmans; en 1892, M. Guinefolleau repousse une attaque de fahavalos au Mandraty et, en 1893, M. Guilhaumès voit son village pillé et incendié; à Tsarasaotra, quinze personnes tombent victimes des bandits; en 1894, vingt-sept indigènes d'Ampotakakely sont emmenés en esclavage; puis, ce sont les villages de Tainangidina, d'Andriba et de Bemarivo qui reçoivent la visite de ces brigands. On apprend à chaque instant que les caravanes ont été attaquées; les grands chemins ne sont plus sûrs et cela dure ainsi quatre à cinq mois, jusqu'à ce que la saison des pluies renvoie chez eux ces sinistres coupeurs de têtes. Telle est la vie de ce Sakalave, qui a refusé d'accueillir l'Européen, sous prétexte de conserver son indépendance, et qui est resté le type de ce que devait être le Sakalave primitif. Quelle différence avec le Sakalave soumis! L'un est nomade, l'autre est sédentaire. Le premier est voleur et n'a de ressources que le produit de ses razzias.; le second vit de ses champs de riz, de manioc et de maïs. Malgré cela, ce dernier ne peut être classé parmi les peuples agriculteurs. On l'a déjà dit,
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le Sakalave ne cultive que le lopin de terre qui doit lui fournir le nécessaire et dédaigne tout produit qui pourrait lui créer un surplus de bien-être. Il est vrai qu'à Marovoay et à Ambato, on trouve des rizières magnifiques, véritables greniers du Bouéni. Mais là, la terre s'est trouvée naturellement prête à recevoir la semence, sans qu'un effort trop grand ait été exigé du Sakalave pour la préparation de la récolte. Nulle part, on ne trouve dans le Bouéni un travail sérieux qui puisse rappeler, voire de très loin, les travaux des rizières des Asiatiques ou même des Hovas. Le Sakalave est un paresseux héréditaire qui tient à rester tel. Habitations. -Quand le Sakalave a choisi son terrain de culture, il y installe sa case, qui est construite sur un modèle invariable. Quatre pieux forment les angles d'un rectangle qui sera l'unique pièce; un toit à arête, soutenu par deux ou trois poteaux plus élevés, recouvrira la case. Les matériaux employés varient avec les ressources du pays avoisinant; la cloison sera en côtes de rafia, si le pays produit cet arbre en quantité ; elle sera en roseaux, si le roseau domine dans les environs. Quant à la toiture, elle est le ; plus généralement en chaume cependant, dans la région qui s'étend entre Marovoay et Majunga, la feuille de latanier sert presque exclusivement à la couverture des cases. Quelquefois, une vérandah entoure la maison, mais c'est un luxe; la vérandah indique généralement la case d'un chef ou d'un indigène plus fortuné que la moyenne. La porte est toujours tournée vers l'ouest. J'ai interrogé souvent des Sakalaves pour leur demander d'où provenait cet usage. Quelques-uns m'ont répondu que, dans ce monde, tout doit regarder l'occident; le soleil y va, la lune et les étoiles y vont et les hommes ont aussi leur porte de ce côté (la mort). D'autres pensent que c'est simplement pour ne pas avoir le soleil du matin. Je préfère la première version. A l'appui de cette opinion, je citerai le passage suivant d'une lettre écrite à un mari qui vient de perdre sa femme: «Ne te fais pas mourir de chagrin ainsi, mais fais comme les agneaux qui ont perdu leur mère; ils pleurent, mais broutent; souviens-toi aussi que la mort arrive fatalement et que tous les hommes ont leur porte tournée vers l'ouest ». De même que l'extérieur, l'intérieur des maisons est partout le même. Dans le coin nord-est de la case est un lit: celui du propriétaire; dans le coin sudouest, un carré dans lequel sont plantées trois pierres servant de foyer, c'est la cuisine. La pièce entière est généralement tendue de nattes en jonc, tressées par les femmes ; ce sera, pour la nuit, la couche des enfants, des esclaves et aussi des hôtes, s'il y en a. Si l'esclave veut un lit, il peut se construire une case, mais dans aucun cas il ne doit oser se payer ce luxe chez son maître. Les cloisons des cases ne comportent aucun ornement, sauf, parfois, une étagère servant à ranger les sobikas neuves qui seront emplies de riz à la récolte prochaine. Au-dessus du foyer est un tréteau en treillage; c'est là-dessus
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que se placent tousles objets dont on n'a pas journellement besoin, les marmites et la vaisselle des jours de fête, etc. Les autres menus objets et bibelots sont indistinctement dispersés dans la maison ou suspendus à des crochets en bois. La cruche à eau est toujours placée du même côté que le foyer; une calebasse de coco est mise auprès pour permettre à tous de puiser dans la cruche et de se désaltérer. N'oublions pas, avant de terminer cette description, la malle du propriétaire, en bois ou en fer-blanc; placée sous le lit, elle contient le linge propre de toute la famille et les costumes du dimanche; d'ordinaire, elle renferme aussi les économies. La maîtresse de la maison a, seule, le droit de conserver la clef de la malle et elle tient à ce privilège avec une jalousie absolue. Quelles qu'en soient les dimensions, les- cases sont faites pour loger une seule famille et les esclaves du propriétaire qui n'ont pas construit pour leur propre usage. On peut compter une moyenne de cinq habitants par case. Villages. — Le Sakalave ne bâtit pas sur les hauteurs; il construit sa maison là où est sa rizière. Il résulte de ce principe, que les villages sakalaves sont composés, tantôt de maisons bien groupées, si la plaine est vaste et peut fournir des rizières à un grand nombre de familles, tantôt disséminées, si la plaine est entrecoupée de plateaux rocheux ou arides et ne présente que des terres arables non continues. Il ne faudrait pas se faire illusion sur le sens du mot village et croire que l'on peut trouver, dans le Bouéni, de grandes agglomérations de cases. Les groupes de quatre et cinq cases portent déjà le nom de village; ceux de vingt cases et au-dessus sont rares; on n'en trouve guère qu'à Kandrany, Mahabo, Androtra, Ambato et autour de Marovoay. Encore, se trouve-t-il dans ces villages des éléments étrangers, qui ne sont pas absolument sakalaves. En revanche, les petites agglomérations sont plus nombreuses; on en rencontre un peu partout sur toute la route; le Corps expéditionnaire a eu à traverser, dans le Bouéni, une grande quantité de ces petits villages, tels que Amborovy, Amparihingidro, Ambodinambatokely, Amparihilava, etc., etc. Quelquefois, la dissémination des terrains cultivables est telle, que l'on trouve les cases, trois par trois, deux par deux, et même des cases isolées. Ainsi, sur la routede Suberbieville à Tsarasaotra, on reste pendant près de cinq kilomètres dans le village de Bahanana; le voyageur qui a vu ce nom inscrit sur la carte cherche en vain le village; mais s'il veut, de temps en temps, regarder à droite.et à gauche de sa route, il aperçoit ici une case, là deux ou trois, au milieu de quelques cultures, et il arrive ainsi, au bout du cinquième kilomètre, à un groupe de six cases, qui est le village proprement dit. On conçoit aisément, d'après ce qui vient d'être expliqué, qu'on ne peut établir aucune moyenne, même approchée, pouvant donner une idée plus ou
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moins exacte des dimensions des villages sakalaves et du nombre de cases qui les composent ; on pourrait, toutefois, adopter la classification suivante: 20 cases et au-dessus. Grands villages Moyens. de 20 à 10 cases. 10 cases et au-dessous. Petits Mais, quel que soit le nombre de cases, quelles que soient les dimensions et l'étendue des villages sakalaves, ils présentent toujours le même aspect: des cases élevées sans aucun souci de l'alignement, sans préoccupation des voies de communication, sans ordre et sans méthode. Le village ainsi constitué est toujoursouvert; aucune défense n'en défend, les approches, le Hova s'étant réservé le droit de se retrancher derrière des fortifications. Le Sakalave, du reste, a, de lui-même, rejeté toute idée de défense des villages. Il n'avait pas besoin de cela quand si race était puissante et il lui plaît de ne pas changer ses habitudes. Vêtements. — Le Sakalave ne se vêt pas pour marcher ou travailler; la tête, le torse et les jambes sont nus; une étoffe de quelques centimètres de largeur,le sikina, attaché à la ceinture, retombe jusqu'au-dessus des genoux; c'est plus qu'il n'en faut pour sauvegarder la pudeur. En rentrant au village, il jette sur ses épaules un lamba carré de deux mètres de côté. Certains Sakalaves portent la robe mi-longue des Hovas ; d'autres, surtout les habitants de la côte, préfèrentla longue chemise des musulmans comoriens et anjouanais. La femme remplace le sikina par une étoffe plus large, qu'elle attache audessus des seins et qui tombe jusqu'à la cheville; comme l'homme, elle se couvre les épaules d'un lamba de cotonnade. Tous ces vêtements sont généralement d'une saleté repoussante ; les propres ne sortent de la malle que les jours de fête ou de cérémonie. Ces jours-li aussi, s'exhibent les ombrelles, parapluies et parasols, tous objets d'importation dont les Indiens font un grand commerce. Les femmes s'ornent de colliers en verroterie; les plus riches mettent des boucles d'oreilles et des bracelets en or ou en argent. Le port du lamba n'est pas chose si facile qu'on pourrait l'imaginer, et les jeunes femmes mettent une grande coquetterie à savoir se draper dans ce morceau d'étoffe carré. Tantôt, elles le laissent tomber négligemment sur les épaules en lui donnant le pli le plus gracieux possible par le placement des bras et des mains; tantôt, elles passent d'une épaule à l'autre les extrémités retombantes; souvent aussi, l'étendant avec les deux bras à la façon de deux ailes, elle s'en couvrent la tête, puis se découvrent par le même geste en prenant grand soin, chaque fois, de faire ressortir leur luxuriante poitrine; c'est un jouet pour le maniement duquella grâce est indispensable. L'homme et la femme déjà âgés n'ont pas de ces coquetteries et se servent de leur lamba d'une façon unique en le plaçant sur leurs épaules et en rejetant l'extrémité droite sur l'épaule gauche.
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Ajoutons, avant de terminer, que le lamba, vêtement pendant le jour, devient couverture la nuit, et cela, quelle que soit la saison et la température. En marche, le lamba est roulé et attaché autour de la ceinture en forme d'écharpe. Ustensiles. — Les ustensiles employés par les Sakalaves sont en petit nombre; pour nous en rendre compte, passons une case en revue. Sur le pas de la porte est le mortier à riz; en dedans et dans l'angle opposé au foyer, la cruche en fer et la calebasse qui sert à y puiser l'eau; autour du foyer, quelques marmites en terre ou en fonte; à côté, dans une sobika, un ou deux plats creux ou des bols; enfin, dans un petit panier suspenduà la cloison, des cuillers de différentes formes ou matières. Le mortier à riz est un morceau de tronc d'arbre dans lequel est percée une excavation ayant la forme d'un cône renversé d'environ Om20 de diamètre à la base : le riz à piler est versé dans ce trouet frappé au moyen d'un pilon, qui n'est autre chose qu'une tige de bois dont on a légèrement arrondi l'extrémité. Le riz ainsi pilé, le son est séparé facilement au moyen d'un van manié à la main. Le van, en bois de ficus (adabo), est rond et légèrement creux. Pour s'en servir, on en saisit les rebords avec les deux mains, et on l'agite de façon à faire sauter le riz à nettoyer; le vent emporte le son et le riz est reçu dans le van. Les femmes et les enfants sont généralement chargés de cette opération. La cruche, en grès ou en terre poreuse, est fabriquée par les indigènes. On trouve des cruches de toutes les dimensions, mais celles qui se vendent le mieux sont d'une capacité d'environ 15 litres. A côté de la cruche est un récipient, calebasse en fer-blanc, qui sert a puiser l'eau; cet instrument est très rarement nettoyé et sert indistinctement à tout le monde, propriétaires ou étrangers. Les marmites sont en terre ou en fonte; ces dernières sont importées à Madagascar par grandes quantités ; malgré leur prix assez élevé, les Sakalaves les préfèrent aux marmites en terre fabriquées dans le pays. La marmite est le seul ustensile de cuisine qui serve à la préparation des aliments, préparation rudimentaire du reste, comme nous le verrons plus loin. Les plats et Jes bols sont en faïence et fournis par l'importation. Le plat est creux et doit être de grandes dimensions; il est destiné à contenir le riz cuit qui sera mangé en commun par toute la famille sans le concours d'assiettes. Les bols renferment les aliments mangés avec le riz. Avant l'introduction de la faïence, les Sakalaves fabriquaient des plats en bois; on trouve encore des spécimens de ces ustensiles primitifs. La fourchette est absolument inconnue; tous les mets se mangent à la cuiller. Les cuillers sont en bois, en corne ou en métal; ces dernières sont importées à Madagascar par le commerçants indiens; les autres sont fabriquées par les habitants de l'Imerina.
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En dehors des ustensiles de première nécessité énumérés ci-dessus, rien on presque rien ne vient encombrer le bagage du Sakalave. On trouve toutefois, dans certaines maisons, un petit parallélipipède en ces deux bois dur, dans lequel sont creusées deux cavités hémisphériques; cavités servent, l'une à piler les feuilles de tabac séchées qui, mélangées aux cendres de bois, fournissent le tabac à chiquer, l'autre à piler le piment, qui est le condiment indispensable ajouté au riz cuit. Certains de ces instruments sont d'un goût particulièrement soigné, formant boîte fermée par un couvercle à charnières et, quelquefois même, ornés de fioritures gravées au couteau; quelques-uns sont taillés dans le palissandre, d'autres dans l'ébène; ils font alors de véritables objets de curiosité, dont les Européens sont assez amateurs. Terminons en citant encore le tréteau grillé en bois qui, placé sur les cendres chaudes, doit servir à faire sécher les feuilles de tabac. Nourriture. — La simplicité des ustensiles de cuisine est la conséquence obligée de la simplicité de la nourriture. Aucune recherche dans la fabrication des mets. Tout se fait a l'eau et au sel. Le riz est le fond de la nourriture du Sakalave, comme de tous les Malgaches en général; il se mange cuit à l'eau, sans sel. Avec le riz, les indigènes mangent généralement, du romazava, sorte de bouillon très allongé composé d'eau, de sel et d'une denrée comestible quelconque, feuilles de manioc ou de patates, brèdes, bœuf, poulet; quand le romazava manque, le riz est mangé avec le ranampango, qui n'est autre chose que de l'eau bouillie avec le riz brûlé qui est resté adhérent aux parois de la marmite. Ce ranampango est une boisson très rafraîchissante et très saine; elle a un goût de riz grillé qui n'est pas désagréable et elle désaltère parfaitement; on peut la recommander aux gens qui doivent vivre dans les pays chauds. Le Sakalave mange aussi des racines de manioc et des patates; mais je n'insiste par sur ce genre de nourriture, qui est commun à.tous les habitants de Madagascar. Le maïs et le sorgo servent également à varier l'ordinaire des indigènes. En principe, le riz bouilli suffit à l'alimentation du Sakalave et nul ne saurait se plaindre, qui n'aurait que cet aliment à manger à chaque repas. Mais il est d'usage, chaque fois qu'on le peut, d'ajouter à son ordinaire un bouillon quelconque de viande ou de légumes. Toutes les viandes, volailles ou gibiers, sont goûtées par les Sakalaves; seul, la viande de porc a des ennemis, particulièrement parmi les habitants des pays où quelques coutumes musulmanes ont prévalu. Comme mets bizarres, je dirai même comme friandise, il convient de citer les préparations culinaires suivantes: Les sauterelles frites; Les larves rie ver à soin;
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Le sankondry (espèce de papillon à trompe qu'on trouve dans les bois) et la sahobaka, grosse larve qu'il faut chercher sous terre. Le Sakalave nomade, qui ne cultive pas, est souvent obligé de vivre de ce que la nature lui fournit; son alimentation comprend surtout: 1° Les racines de lianes diverses, désignées sous la dénomination générale de oviala (pommes de terre des bois). Ces racines sont très diverses et portent chacune un nom particulier ; 2° Le chou de rafia, d'un goût très agréable, mais peu nourrissant et, d'une façon plus générale, tous les cœurs de palmiers; 3° Le kabidja, sorte de tubercule, poussant naturellement et à profusion dans presque tout le pays. Le kabidja, d'un goût très amer, doit subir une préparation spéciale avant d'être rendu comestible. Desséché et réduit en farine, il fournit un aliment ressemblant, comme goût et comme aspect, à la farine de manioc. Comme aspect extérieur et à l'état naturel, le kabidja ressemble à la pomme de terre. Les Hovas achètent la farine de kabidja pour en faire une sorte d'amidon qui ne le cède enrien à l'amidon de riz. Il serait trop long de donner ici une nomenclature complète de tout. ce qui peut, plus ou moins agréablement, chatouiller le palais des Sakalaves, mais il est impossible de ne pas parler des préparations de bœuf et de poisson desséché. Les conserves sèches de bœuf sont connues sous le nom de maskita ou kitosa (en hova: tavitaviky). La viande est découpée en lanières étroites qu'on laisse exposées au soleil pendant trois ou quatre jours, suspendues à une corde. Il faut éviter avec soin de laisser mouiller ces lanières, soit par la pluie, soit même par l'humidité de l'atmosphère. Quand la viande est bien sèche, on peut la conserver deux et presque trois semaines; même, si on a soin dela saler avant de la dessécher, on peut obtenir du bœuf qui se conserve un mois sans se gâter et sans acquérir ni mauvais goût, ni mauvaise odeur. Cette préparation de la viande, qui rend de grands services aux indigènes, n'est généralement pas goûtée des Européens. La viande, en séchant, durcit et perd si saveur. Le seul moyen de lui rendre un peu de goùt est de la faire griller sur la braise; mais cette préparation même ne lui enlève pas sa dureté. Le poisson est plus difficile à dessécher que la viande de bœuf. On l'étend sur un grillage en bois exposé au soleil, en ayant soin de faire au-dessous un feu de braise. Le poisson ainsi disposé est légèrement cuit par le feu de braise, boucané par la fumée et desséché par le soleil. On parvient ainsi à le conserverassez longtemps et à le transporter, pour être vendu, dans les pays où le poisson manque.
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Le poisson desséché, cuit à l'eau, fournit un bouillon dontles indigènes sont friands. Quelquefois, les indigènes le pilent en le mélangeant avec du piment et forment ainsi une espèce de poudre de cary de poisson, d'odeur forte, que l'on mange mélangée au riz cuit. Le poisson sec, pilé en poudre avec du piment, se conserve indéfiniment et est d'un transport peu encombrant. J'ai cru devoir citer ici quelques préparations de mets indigènes, mais je rappelle que la base essentielle de la nourriture du Sakalave est le riz cuit à l'eau; tous les autres mets sont accessoires et non point indispensables. Pathologie. — Le travail du docteur Lacaze intitulé Pathologie de Madagascar sera toujours consulté avec fruit par ceux qui veulent se faire une idée exactedes conditions pathologiques de la vie dans le Bouéni. C'est cet ouvrage qui va nous servir de guide dans ce que nous aurons à dire sur les maladies de l'indigène. Le paludisme, sous toutes ses formes, est la grande endémie du pays. Toutefois, le Sakalave semble être fort peu sujet à la fièvre; la proximité des marais et des rizières n'influe nullementsur sa santé. Dans toutes les vallées marécageuses de Marovoay, d'Ambato et, d'une façon .générale, sur toute la vallée de la Betsiboka, on trouve des villages entourés de marais et de rizières; le Sakalave se contente de surélever sa maison à environ 0m80 au-dessus du sol humide, et il vit là, fort bien portant, sans être nullement gêne par les miasmes paludéens qui se dégagent des marais environnants. Toutefois, je dois dire que l'indigène n'est pas complètement à l'abri des maladies provenant du paludisme. Laissons la parole au docteur Lacaze: « Les cas de cachexie paludéenne chronique chez l'indigène, depuis la « forme confirmée jusqu'aux formes les plus graves, sont fréquents dans la « région et portent exclusivement sur l'indigène de race hova. Ils sont très « souvent aggravés du fait de la syphilis, fréquente dans la population indigène, « et se compliquent fréquemment aussi de tuberculose pulmonaire, qui m'a l( paru l'aboutissement commun de ces cas. « J'ai observé chezl'indigène quelques cas de cachexie aiguë avec hydropisie « ou gangrènes locales. (e Parmi les inflammations palustres, j'ai noté, par ordre de fréquence, chez « l'indigène, la congestion pulmonaire et la broncho-pneumonie palustre, « l'hépatite palustre, -la péritonite localisée (foie, rate), la pneumonie palustre « aiguë. « Toutes les affections paludéennes sont endémiques. Elles sont ducs aux « influences topographiques et aux influences météorologiques. « Parmi les influences topographiques, il faut signaler l'existence de nom« breux marais. Parmi les influences météorologiques, indépendamment de la « température, il reste à apprécier l'influence de la saison des pluies et des « vents dominants, principalement sur les recrudescences saisonnières.
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« L'endémie palustre se fait sentir sévèrement toute l'année; les l'ecrudescences météorologiques périodiques existent, mais n'ont pas l'amplitude qu'elles présentent d'ordinaire en pays tropical. « D'une façon générale, on peut dire que la saison des pluies, dans son ensemble, d'octobre à avril, s'accompagne d'une recrudescence de l'endémie paludéenne. « On admet, d'expérience générale, que l'usage des eaux courantes de la région ne demande pas de précautions particulières. Autres affections.
« 1° Dysenterie. — D'une façon générale, en ce qui concerne l'indigène, « la dysenterie dans la région du Bouéni est rare, et encore, on peut se demander « si les cas observés chez l'indigène appartiennent à la dysenterie proprement « dite, ou ne ressortissent pas plutôt aux diverses formes de diarrhée dysenté« rique palustre. « 2° La fièvre typhoïde n'existe pas dans le Bouéni a l'état endémique et on « n'a à signaler aucune épidémie de typhus. « 3° Lèpre. — La lèpre, assez fréquente dans la population indigène de « l'Imerina, est rare dans le Bouéni ; deux cas seulement de lèpre tuberculeuse « ont été observés en trois ans chez deux Sakalaves. Chez les indigènes de race « hova, il existe une affection plus spéciale, d'ordinaire localisée à la main et au « pied, dont la peau, après une période de desquamation variable, prend par « plaques l'aspect de la peau du blanc. Cette affection a été considérée comme « une variété de lèpre décolorante. « 3° L'ulcère malgache est assez fréquent dans la population indigène; « l'influence des causes prédisposantes, syphilis, anémie palustre, malpropreté, « etc., paraît suffisante, pour qu'il soit inutile d'attribuer à l'ulcère malgache « aucun caractère spécial de malignité climatériquc ou régionale. « 5° La gale est fréquente dans les basses classes de la population indigène « et présente fréquemment la forme eczémateuse ou purulente. « 6° Maladies vénériennes. — Les trois classes d'aflections vénériennes, « blennorrhagiques, chancreuses et syphilitiques, sont très fréquentes chez « l'indigène sakalave. « 7° La variole est endémique dans la région; elle n'exerce cependant, pas « de grands ravages, parce que les indigènes poussent et abandonnent dans la Il campagne, sans ménagement, tout individu atteint, aussitôt que le mal est « reconnu. « 8° Une épidémie de grippe a sévi en 1893 sur toute l'île. Elle a frappé « toute la région de Tananarive à Majunga. « Ce simple résumé démontre que les maladies épidémiques n'existent pas « dans la région du Bouéni ; les affections sont toutes endémiques. Elles ne sont dues, en ce qui concerne les indigènes, ni au climat, ni à la
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« température, ni à l'eau. Elles se trouvent à l'état endémique et se développent « naturellement, par suite des causes prédisposantes. « On ne pourrait faire une exception que pour la grippe, qui n'a sévi qu'une « seule fois. « L'Européen paye un tribut beaucoup plus large à la maladie. L'anémie « palustre et les fièvres paludéennes, dues tant aux influences topographiques « qu'aux influences climatériques, sont les maladies qui atteignent le plus géné« ralement les Européens. « Toutefois, il est bon d'ajouter que l'Européen peut très bien vivre, même « dans des régions basses, s'il a soin de se mettre dans des conditions logiques « d'habitation, de se bien nourrir et d'éviter tout excès ». Agriculture. — Les notions que possède le Sakalave sur l'agriculture sont des plus minimes. Il ne cultive rien en dehors de ce qui lui sert à se procurer ce qui est strictement nécessaire à sa nourriture. Son outillage est simple et rudimentaire: une angady ou pelle-bêche malgache, pour remuer la terre, et un couteau à lame striée pour couper le riz mûr, et c'est tout. J'ai dit, plus haut, que le fond de la nourriture du Sakalave était le riz; voici comment il le cultive. Vers le mois d'octobre ou novembre, c'est-à-dire avant la saison des pluies la terre est retournée en grosses mottes au moyen de l'angady, l'outil malgache. Quand cette terre, ainsi préparée, a été humectée par les premières pluies, elle est écrasée et piétinée par les bœufs, que des enfants chassent à grands renforts de cris et obligent à passer et à repasser sur le terrain qui doit recevoir la semence. Quand la terre est suffisamment écrasée, le riz y est jeté à la volée, puis enfoui en terre par les bœufs, à qui l'on fait recommencer l'opération du piétinage. Les opérations terminées, le Sakalave ne se dérange plus qu'à la maturité du riz pour la récolte. Le riz mûr est coupé à l'aide d'un couteau à lame droite et striée, puis réuni en tas et ensuite battu au fléau. Le riz battu est divisé en trois parts: l'une pour les semences prochaines; l'autre sera la nourriture de l'année pour toute la famille et la troisième comprend le riz dont le Sakalave peut se défaire sans se priver. Deux procédés sont employés pour la conservation du riz. Dans le bas Bouéni, on trouve, au milieu des cases de village, de petites constructions cylindriques en lattes de rafia; l'intérieur de ces greniers est rembourré de paille qui empêche le grain de se perdre ; le tout est généralement élevé sur des tréteaux au-dessus du sol pour empêcher l'introduction des rats et des mulots. Ce procédé est très bon pour la conservation du riz; mais il a le grand inconvénient de ne pas offrir de sécurité pour la récolte en cas d'incendie. Dans le haut Bouéni, on creuse en terre une cavité à peu près sphérique dont l'entrée est en goulot étroit, facile à fermer avec une pierre plate. Quand le trou est empli de graines, on met la pierre en place, on la recouvre de terre et on fait ainsi disparaître jusqu'à la dernière trace du dépôt. On peut quelquefois se promener sur les récoltes de tout ce pays sans même
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s'en apercevoir. On conçoit aisément que, même en cas d'incendie du village, la récolte puisse être ainsi sauvegardée. Dans certains endroits privilégiés, le Sakalave fait deux récoltes de riz par an. Non que je veuille dire que la même terre puisse être ensemencée deux fois dans la même année, mais bien qu'il peut exister et qu'il existe des terres différemment disposées dans un même pays, les unes pouvant être cultivées même à la saison sèche et donnant le riz d'été, vary-jeby, et d'autres le riz d'hiver ou vary-asare. Les meilleures rizières sont toujours celles d'été; ce sont celles qui ont le plus de valeur et qui donnent les plus fortes récoltes. Après le riz, le Sakalave accorde volontiers quelques journées de travail à la culture du manioc. Le manioc n'ayant pas besoin de beaucoup d'eau, ce sont les terres qui ne peuvent pas servir à la culture du riz qui sont destinées à la culture du manioc. Les terres sont retournées à lngady, écrasées et disposées en tas d'environ un mètre de diamètre et cinquante centimètres de hauteur. Le manioc y est placé en boutures, quatre ou cinq dans le même tas de. terre; il est d'usage d'incliner légèrement ces boutures, mais cette précaution n'est pas indispensable pour la bonne réussite des plantations de manioc. Le manioc donne une récolte par an. La feuille est comestible et se mange pilée et cuite avec du porc. La racine de manioc se mange bouillie et rôtie. ce sont Quelques terres sont favorables à la culture de la patate douce; les terres sablonneuses et légères.- La patate se plante par boutures couchées et légèrement enterrées. La feuille est comestible; la racine se mange bouillie ou rôtie. Elle donne une récolte par an. On trouve également du maïs dans tous les villages ; je n'insisterai pas sur la culture de cette plante, qui se fait, dans tous les pays, de la même façon; il suffira de dire que le maïs pousse, dans le Bouéni, avec une vigueur extraordinaire et que les mêmes terres peuvent donner deux récoltes par an. La culture de la canne à sucre est facile dans le Bouéni, où elle pousse presque sans soins; il suffit de jeter une bouture dans un trou en terre et de laisser faire la nature, la canne vient vigoureusement. Il faut seulement avoir soin d'arracher de temps en temps les mauvaises herbes et les plantes parasites. Quand la tige est mûre, on la coupe; la tige coupée rend un rejeton, et cela sans discontinuer, sans nouvelle plantation, sans nouvelles dépenses. Quand la terre est bien choisie, elle est une véritable source de revenus pour le propriétaire. livrent les Après cet exposé des divers genres de cultures'auxquelles se Sakalaves, il serait erroné de penser que c'est tout ce que peut fournir le Bouéni. Si l'énumération des cultures est si pauvre, cela tient uniquement à la paresse des habitants. S'il fallait donner une liste de tout ce que l'on peut cultiver avec fruit dans le Bouéni, il faudrait commencer par citer les plantes qui ne prospèrent pas. En
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effet, toutes les cultures, à peu près, que les Européens ont tentées ici, ont réussi magnifiquement. Je pourrais citer ce fait, que les colons de l'exploitation Suberbie manquent rarement de légumes frais. M. Duchemann, de Marovoay. avait un jardin magnifique, et aujourd'hui même, les quelquescolons qui essayent de planter à Ambovovy sont très satisfaits des résultats qu'ils obtiennent. A Majunga même, il existe des pieds de vanille de très belle venue. N'est-ce pas assez pour prouver en faveur de cette terre du Bouéni, qui ne demande que des colons? Élevage. — Le bœuf de Madagascar, bœuf à bosse ou zébu, était autrefois le fond même de la richesse du pays. Il n'était Sakalave si pauvre qui n'eût un petit troupeau. Mais, depuis que le fahavalisme s'est généralisé, que, chaque année et régulièrement, des bandes de voleurs se précipitent sur les agglomératiôns des Sakalaves pacifiques, le nombre des bœufs a diminué dans des proportions considérables et, comme conséquence forcée, *le prix a augmenté. Autrefois, et je parle à peine de dix ans, on pouvait avoir, dans certaines régions du bas Bouéni, un bœuf moyen pour cinq francs; on a même vu des gens venir à Majunga y tuer leurs bœufs, dont ils jetaient la viande à la mer ; le prix de la peau constituait une rémunération suffisante. Aujourd'hui, un bœuf moyen vaut de vingt-cinq a trente francs. Il est facile de comprendre que, le jour où on sera parvenu à anéantir le fahavalisme, l'élevage des bœufs reprendra un nouvel essor. Tout, dans le Bouéni, est pâturage pour les bœufs; pendant la saison des pluies, les collines fournissent une herbe abondante; pendant la saison sèche, les plaines et les fonds de vallées suffisent encore à la nourriture des troupeaux les plus nombreux. Il est de tout intérêt, pour la côte ouest de Madagascar, de reconstituer les anciens troupeaux; le sud de l'Afrique tout entier pourrait devenir le tributaire de Madagascar pour la fourniture des bœufs, le jour où il pourra, sans conteste, lutter contre les prix des bœufs d'Australie. L'élevage des bœufs ne coûte rien; les troupeaux sont sortis le matin à huit heures, gardés aux champs par les enfants et rentrés vers cinq heures du soir. Les taureaux paissent en liberté au milieu du troupeau, la vache élève librement son veau. Quel meilleur placement de son argent pourrait donc trouver le Sakalave, que je vous ai montré si indolent. Il n'élève, en principe, ni porcs, ni chèvres, ni moulons. On trouve cependant encore dans le Bouéni quelques porcs élevés par des indigènes d'autres races mélangés aux Sakalaves. La volaille, canards, poules et poulets, est généralement bon marché; on trouve peu d'oies el peu de dindes. Commerce. — Le Sakalave n'est pas commerçant, pas plus qu'agriculteur; il existe, toutefois, un trafic assez important dont je vais parler.
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1° L'importation. — Le commerce des cotonnades, lambas, bonneterie, bimbeloterie, marmites et verroteries est presque tout entier entre les mains des Indiens, aussi bien sur la côte que dans l'intérieur. Cependant, quelques maisons françaises de Majunga font venir en gros les articles de cotonnades, qu'elles vendent aux Indiens qui se chargent de la vente au détail. Les rhums, absinthes et vermouths de traite sont fournis par des maisons françaises; les plus importantes sont: la maison Mante frères et Borelli et la maison A. Garnier. Je laisse de côté les autres articles, conserves, habillement, coiffure, les vins et les liqueurs de marque, dont les Européens font presque seuls usage. 2° Commerce intérieur. — Le commerce intérieur se fait, ou par eau au moyen de pirogues, ou par terre au moyen de bourjanes. Ce commerce est assez important sur la Betsiboka et la Mahajamba, rivières sur lesquelles on voit constamment circuler des pirogues chargées de marchandises provenant de la côte, ou du riz devant servir à l'alimentation des régions moins privilégiées du haut Bouéni. De plus, entre Marovoay et Majunga, comme entre Majunga et les divers points de la côte, circulent des boutres chargés des produits importés et prenant, au retour, du fret du pays: bois d'ébène, cuirs, rafia, caoutchouc, cire, etc. Les points situés en dehors des voies navigables sont desservis par des bonrjanes qui se chargent, au départ, de produits importés, qu'ils vont échanger contre des pièces de cinq francs ou de la poudre d'or. 3° Exportation. — Le Bouéni fournit à l'exportation: Du caoutchouc; De la cire d'abeilles; Du rafla; Des cuirs; Du bois d'ébène. La poudre d'or doit plutôt être considérée comme moyen d'échange, que comme produit. La valeur en est très variable, suivant les régions; on peut dire, cependant, que la poudre d'or vaut toujours à Majunga, au minimum, 82 fr. 50 les vingt-sept grammes (poids de la piastre mexicaine). Quelquefois, lorsque les récoltes de riz sont bonnes, on peut trouver un bénéfice rémunérateur à exporter le riz, qui est alors vendu à Nossi-Bé, Mayotte, Diégo-Suarez, etc. En dehors des rivières navigables, les voies de communication terrestres ne sont constituées que par de petits sentiers donnant passage à un seul homme à la fois. Ces sentiers sont généralement peu praticables à la saison des pluies. Toutefois, on peut toujours, partout et en toute saison, faire passer des courriers par des indigènes: les communications entre deux points donnés ne sont jamais totalement interrompues. A la saison sèche. on peut toujours se risquer partout à cheval.
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Industrie. — L'industrie sakalave est tellement rudimentaire, qu'on pourrait presque dire qu'elle n'existe pas. Citons cependant, parmi les produits fabriqués par les indigènes: L'alcool (ou toakagasy). —Il est extrait de la canne à sucre. L'appareil distillatoire est d'une simplicité rustique: deux cruches en terre sont réunies par un tube horizontal d'environ lm20 de longueur; ce tube est placé dans une auge pleine d'eau froide. La canne à sucre, râpée, est versée dans l'une des cruches, dont le goulot, hermétiquement bouché, ne laisse de passage qu'au tube horizontal; cette cruche, chauffée sur un fourneau composé de trois pierres verticales, sert de chaudière. Elle fournit l'alcool, dont les vapeurs se condensent en passant dans le tube refroidi par l'eau et qui va se déverser dans la cruche récipient placée à l'autre extrémité. L'alcool ainsi obtenu est impur et a une odeur forte et désagréable d'empyreume. Les nattes. — Ce travail est celui des femmes ; je n'insiste pas sur cette industrie, qui est connue de tous les peuples, même les plus primitifs. La même observation s'applique aux sobikas. Le caoutchouc. -- Le caoutchouc est le produit des sucs coagulés, librement ou à l'aide d'acide, de certaines lianes ou de certains arbres qui se trouvent toujours en grande quantité dans les forêts. La liane de caoutchouc donne un excellent produit, très recherché des commerçants; elle pousse naturellement dans les forêts de la côte ouest dH Madagascar. Malheureusement, le Sakalave ne sait pas exploiter, ou plutôt, poussé par l'appât du lucre, il ne veut pas l'exploiter normalement; il demande à la liane tout son suc à la fois et la tue invariablement. On conçoit aisément que, de ce fait, les forêts se sont rapidement dépeuplées. On a donc été amené à chercher d'autres plantes pouvant fournir des sucs de caoutchouc et on en a trouvé, en peu de temps, un certain nombre, lianes ou arbres. Les différents sucs, suivant leur provenance, se coagulent différemment, les uns à l'air libre, les autres au moyen d'une addition d'acide sulfurique, citrique ou autre. Ils fournissent des caoutchoucs de diverses valeurs, les uns aussi appréciés que ceux de la vraie liane, les autres moins. Le Sakalave exploite le caoutchouc qu'il trouve dans la forêt sans jamais songer à en replanter. Et, cependant, le caoutchouc est de culture facile. A Amborovy, un colon français, M. Guillaume, a fait un essai de plantations de lianes (vahy) et d'arbres à caoutchouc (godroha). Les deux plantations ont réussi magnifiquement. Sur 300 lianes plantées, pas une n'a péri. Le godroha se cultive par marcottage; une simple branche, coupée en biseau aux deux bouts et piquée en terre, produit, en peu de temps, un arbre de belle venue. Les autres espèces de caoutchouc, lianes ou arbres, poussent de la même façon. Le rafia. — Le rafia (espèce de palmier) produit un filament très solide et
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très souple, employé en France pour la ligature des vignes et la confection des ouvrages de luxe pour les confiseurs. On commence à l'employer avec avantage dans la fabrication des tissus. Chaque arbre de rafia ne fournit qu'une branche à la fois susceptible de donner le fil de rafia; c'est la branche la plus jeune qu'il faut avoir soin de couper avant le complet épanouissement des feuilles. Les jeunes feuilles sont recouvertes d'une pellicule qu'il est facile de séparer du corps de la feuille. C'est cette pellicule qui fournit la substance textile. Il est à remarquer que ce genre d'exploitation ne tue pas l'arbre, qui peut fournir environ une branche par an. La cire d'abeilles. — Cette cire est vendue d'ordinaire sous forme de pains ronds de 20 centimètres de diamètre; elle est généralement pure. Toutefois, il faut toujours se tenir en garde contre les fraudeurs, qui ajoutent du suif de bœuf à la cire. La poudre d'or. — La poudre d'or est exploitée par les indigènes dans les sables des rivières et dans les couches d'alluvions aurifères. Les terres sont lavées au moyen d'une battée (sorte d'assiette ayant la forme d'un bouclier) en bois ou en fer. On estime qu'un indigène peut trouver en moyenne un gramme d'or par jour. Huile de ricin. —Le Sakalave extrait du fruit du ricin une huile impure et noire. Cette huile n'est pas un article d'exportation; elle sert surtout aux sorciers et fabricants d'amulettes, qui en enduisent tous les objets servant à leurs pratiques. Les Sakalaves se purgent également avec cette huile. Comme on le voit, l'industrie et l'exploitation des produits naturels dans le Bouéni sont encore dans l'enfance. Pas un indigène n'a encore songé à extraire le fer des minerais que l'on trouve dans les terrains de la côte ouest. Les minerais de cuivre, signalés depuis longtemps dans la région de Mariarano, sont* également délaissés. Les Européens n'ont pas été plus entreprenants; seul, M. L. Suberbie essaye d'installer une exploitation, dont le centre est Maevatanana. Il faut attribuer ce fait au manque de sécurité du pays, du aux incursions des fahavalos; mais l'installation des postes militaires fera rapidement cesser cet état de choses, et les capitaux pourront alors être avantageusement employés à l'exploitation des terrains de la côte ouest. Pêche. — Parmi les populations riveraines, soit de la mer, soit des rivières, peu vivent exclusivement du produit de la pêche. I. — Riverains de la mer. — On ne trouve guère qu'à Majunga une population composée exclusivement de pêcheurs, dits «Marolaka». Sur tous les autres points de la côte, quelques Sakalaves s'adonnent à la pêche, mais plutôt par plaisir ou quelquefois pour augmenter leur ordinaire et se procurer quelques ressources. Chaque pêcheur possède une petite pirogue ou lakofiara à balancier, avec laquelle il se transporte à la voile dans tous les points poissonneux des baies.
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La pêche se fait de trois façons différentes: 1° A l'hameçon. — Cette pêche n'est profitable, en mer, qu'aux deux étales de haute et de basse mer. 2° Au filet. — Le filet à mailles, qui est le filet ordinaire de nos pêcheurs de France, est le plus employé. Pour s'en servir, le Sakalave le tend dans les recoins faciles à barrer en entier, aux embouchures des arroyos, où le filet peut aller d'une rive à l'autre et, d'une façon générale, dans tous les endroits où l'appareil peut former cul-de-sac, dont le poisson ne peut sortir sans se butter aux mailles. Ce genre de pêche est généralement très fructueux, 3° A l'épervier. — L'épervier dont se servent les indigènes ressemble à l'épervier de nos pêcheurs; il en diffère seulement en ce qu'il n'est pas attaché au poignet et qu'il est lancé librement. Le Sakalave se met à l'eau pour aller le rechercher. La côte ouest de Madagascar ne produit pas d'espèces bien particulières de poissons. Les meilleurs sont le mulet ou surmulet, qui atteint cinquante centimètres de longueur, la raie identique a la raie des côtes de France, la tortue de mer. Quelques Sakalaves connaissent également la pêche de la langouste; il savent suivre à la trace cet animal sur les rochers de coraux et le capturer. La grosse crevette de mer est d'excellente qualité. Le crabe est bon à chaque pleine lune. II. — Riverains des lacs et rivières. — Les riverains des eaux douces s'adonnent encore beaucoup moins à la pêche que ceux des côtes. On ne trouve guère de pêcheurs de profession qu'au village d'Amparinimponga. Ceux-ci ne vendent que fort peu de poisson sur place. Ils le font sécher au soleil et à la fumée et l'expédient ensuite en vrac dans l'intérieur. J'ai déjà dit que les indigènes étaient très friands de ce mets. Dans tous les autres villages situés sur les bords. des étangs ou sur les rives des fleuves, la population se livre à la pêche, mais seulement pour se procurer un peu de nourriture. Les moyens employés pour pêcher en eau douce sont de trois sortes. 1° A l'hameçon. — La pcche à la ligne est généralement l'occupation des femmes et des enfants. Elle se fait au moyen de gros hameçons, attachés simplement à un bout de ficelle de ratia, sans qu'il soit besoin que la canne à pêche soit bien pliante. Nous sommes loin, comme on le voit, des lignes perfectionnées de France. 2° A la nasse. — La nasse est un simple cône en jonc tressé. Elle ne se dépose généralement pas dans l'eau; pour s'en servir, l'indigène entre dans l'eau et promène sa nasse en avant de lui, pendant qu'un ou deux aides lui poussent le poisson de son côté. La nasse, souvent relevée, enlève le poisson qui a pu y chercher un refuge. Ce système, pour si primitif qu'il puisse paraître, parvient à fournir le romazava quotidien nécessaire à bien des familles; il ne pourrait pas suffire à la vente en gros du poisson. Je dois ajouter que certains Sakalaves se donnent la
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peine de fabriquer des nasses genre européen, pouvant être placées à demeure dans le lit de certaines rivières peu profondes. 3° Au rapetout. — Composé d'un morceau d'étoffe rectangulaire, que deux hommes font traîner sur le lit de la rivière pendant que le troisième pousse le poisson dedans. Ce système ne peut être employé que dans des rivières de peu de profondeur, dans lesquelles certains coins sont très poissonneux. 4° Au filet. — Le même que celui qui sert en mer. Le poisson des rivières et des étangs de la côte ouest de Madagascar, mau vais dans les rivières vaseuses et les marais, est, au contraire, d'un goût très agréable quant il a vécu dans l'eau des rapides. Parmi les espèces peuplant le plus généralement les rivières, il faut citer: La mâchoiron, avec sa grosse tête, qui se trouve en quantité considérable dans la Betsiboka. L'anguille, qui atteint quelquefois des dimensions considérables. J'en ai vu prendre une dans l'Ikopa, à Tsarasaotra, dont la section droite mesurait quinze centimètres de diamètre. Le surmulet est le plus fin et le plus recherché des poissons de rivière. Le filao, sorte de poissoa plat à grosses arêtes; la tortue d'eau douce, dont les indigènes sont très friands. Le poisson rouge préfère les marais aux eaux courantes. En terminant, je ne veux pas oublier de dire que toutes les eaux douces sont habitées par le caïman. Cet amphibie se trouve jusque dans les plus petits ruisseaux et dans les moindres trous d'eau. Pendant la saison des pluies et quand les eaux sont fortes, il entre dans les embouchures des rivières et remonte dans l'intérieur pour aller se caser dans quelque marais. Il faut, toutefois, se garder de déduire de là que le fleuve est dépeuplé de caïmans. L'eau douce est toujours dangereuse. Chasse. - La chasse ne constitue une occupation ou un moyen d'existence pour aucune classe des Sakalaves; elle n'est pas non plus un besoin pour leur défense personnelle, les bêtes féroces n'existant pas à Madagascar. Toutefois, les quelques espèces de gibier à poil ou à plume existant dans le territoire du Bouéni peuvent être capturées par le Sakalave. 1. — Gibier à poil. 1° Les bœufs sauvages. — Le Sakalave ne cherche pas à s'emparer des bœufs vivants; il les chasse pour les tuer. Quand un troupeau de bœufs sauvages est signalé de passage ou qu'il existe dans certaines régions à poste fixe, il dénonce toujours son dernier gîte par les nombreuses traces qu'il laisse. Quand ce gîte est reconnu, les Sakalaves sortent de leurs villages par bande de dix à vingt hommes armés de fusils et de sagaies. Arrivés sur le lieu de la chasse, ils se séparent par groupes de deux ou trois et se placent de façon à tenir tous les points de passage.
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Cette opération bCfait généralement de nuit, au clair de lune. Au petit jour, ceux des chasseurs désignés pour rabattre le troupeau se lancent en avant en suivant les tracesles plus fraîches. Il est rare que ces rabatteurs ne rencontrent pas les bœufs ; ceux-ci, quand ils ont éventé leurs agresseurs, bondissent en se précipitant hors du gi-tc et vont tomber au milieu des chasseurs postés. Ceux-ci ne tirent sur les animaux qu'à bout portant: les fusils dont ils sont armés, fusils à pierre et à capsule, ne leur permettraient pas, du reste, d'essayer de tirer de loin. Quand un bœuf est seulement blessé et peut encore courir et se débattre, il est achevé à coups de sagaie. Quelquefois, le troupeau tout entier réussit à sortir sain et sauf du cercle des chasseurs; il s'enfuit alors très loin, au galop, et va chercher un nouveau gite. Les chasseurs ont garde de se jeter à la poursuite des bœufs, contre lesquels ils savent ne pas pouvoir lutter de vitesse, mais ils n'abandonnent pas, pour cela, la partie. Sûrs de leur habileté à suivre une piste de troupeau, ils partent lentement, passent au besoin la nuit, campés, et ne repartent que le lendemain; ils retrouvent toujours le troupeau dans le nouveau gîte qu'il a choisi. Quelque mauvais que soit l'armement des Sakalaves, il est rare que ceux-ci rentrent au village sans butin. Le bœuf tué est dépecé sur place et partagé entre les chasseurs, qui le transforment en maskita (lanières desséchées), aussitôt arrivés chez eux. 2° Le sanglier. — Les sangliers ne se réunissent jamais en troupeau comme les bœufs ; ils vont seuls, ou par deux au plus, et ne sortent généralement que la nuit; le jour, ils restent dans les bois les plus fourrés ou dans les hautes herbes, à côté des étangs et des mares. Le sanglier se chasse de jour et de nuit. Pour le chasser de jour, le Sakalave a besoin de chiens dressés à lancer le sanglier. Ces chiens sont trop faibles pour attaquer l'animal; mais ils savent très bien le découvrir dans les cachettes les plus retirées et le pousser du côté des chasseurs. La chasse de nuit se fait au clair de lune, à l'affût. L'affût se prend à côté des passages habituels des sangliers, de préférence à côté de l'endroit où ces animaux viennent boire. Cette chasse est très difficile, car le sanglier évente l'homme de très loin et s'enfuit au moindre bruit suspect. Le chasseur est donc obligé de garder, pendant des heures entières, l'immobilitéla plus absolue, attitude dont la difficulté n'échappera à aucun de ceux qui connaissent la morsure des moustiques, qui peuplent les forêts du Bouéni. 3° Le hérisson. — Le hérisson vit généralement sous les feuillées. Le Sakalave chasse cet animal avec des chiens; mais, il sait également le découvrir, tapi sous les feuilles, avec le bout de sa sagaie.
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4° Le cabri. — Quelques rares régions nourrissent des chèvres sauvages. Ce gibier se chasse généralement sans armes, avec des chiens qui parviennent à arrêter les jeunes chevreaux à la course. Les grosses pièces, trop agiles, ne se laissent pas gagner de vitesse par les chiens. Le Sakalave, incapable de les atteindre de loin avec ses armes, s'abstient de les chasser. II. - Gibier à plumes. Le gibier à plumes se chasse de deux façons: 1° Au fusil, c'est alors la chasse ordinnaire ; 2° Au collet. Le Sakalave connaît fort bien les mœurs de tous les oiseaux qui vivent à côté de lui. Il sait les prendre tous aux collets ; il lui suffit de varierla façon de les placer, suivant l'oiseau à chasser. S'il veut chasser la sarcelle, il établit au-dessus des rizières et des marais des perches verticales réunies au sommet par des cordes tendues de l'une à l'autre. A ces cordes sont suspendus des collets en fil de ratia. Les sarcelles voyagent généralement par bandes; avant de se poser, elles tournent plusieurs fois en cercle au-dessus de l'endroit choisi par elles; dans ce vol circulaire, elle ne manquent pas de venir frapper contre les collets et d'y enfoncerleur cou. Il n'est pas rare de voir une grande partie d'un vol de sarcelles rester d'un seul coup suspendu aux collets. A certaines époques de l'année, cette chasse est tellement fructueuse, surtout dans les régions de rizières, qu'on peut trouver à acheter jusqu'à dix sarcelles pour vingt centimes. Pour la pintade, le collet est attaché à un bois flexible planté en terre et tendu en forme d'arc. Quelques grains de riz, disposés autour du piège, invitent la pintade à venir buter contre le déclanchement qui maintient la tension de la tige de bois, après avoir passé la tête dans le nœud coulant. Aussitôt déclanchée, la tige flexible reprend sa position verticale et ferme le collet autour du cou de la pintade. Pour la perdrix et la caille, les collets sont disposés près de terre, comme le font nos chasseurs d'alouettes en France. Pour les oiseaux qui perchent, les collets sont disposés au sommet des arbres. Le gibier de Madagascar est généralement peu apprécié. Les oiseaux les plus goûtés sont: La sarcelle ; Le canard à bosse (arosy) ; Le canard rose; Le pigeon bleu; Le pigeon vert;
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La perdrix ; Labécassine; La caille. Un grand nombre d'antres espèces sont comestibles, mais je ne cite que les gibiers les plus appréciés. Toutes ces espèces sont trop connues pour quej'aie besoin d'insister sur leurs caractères particuliers. Je me contenterai de signaler ce fait particulier, que le canard à bosse, contrairement à la plupart des oiseaux palmés, se perche sur les arbres. (A suivre)
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(30 JUIN 1897) Un coup d'œil d'ensemble sur les événements du mois de juin montre que, pendant celle période, les résultats antérieurement obtenus, tant au point de vue militaire qu'au point de vue politique, se sont encore accentués dans le sens de la pacification et de l'organisation du pays. L'évolution qui amènera progressivement la Grande Ile à son état d'équilibre définitif se poursuit avec méthode et régularité et se traduit, dans les provinces soumises, par une augmentation d'aisance et de paix sociale, qui permet de bien augurer de l'avenir. Il s'en faut cependant que l'ère des difficultés soit close. Le périple que le Résident Général vient d'accomplir autour de l'île, a mis en pleine lumière l'hostilité, poussée jusqu'au fanatisme, des peuplades de la côte ouest, et montré que, malgré notre désir d'une extension pacifique, nous ne pourrons probablement pas échapper à la nécessité d'imposer nos droits par la force des armes. Les marchands indiens de la côle, qui tirent de gros bénéfices du trafic de la poudre d'or et des esclaves, voyant leur louche commerce menacé par notre arrivée dans le pays, n'ont négligé aucun moyen de pousser à la résistance les chefs sakalaves. Ils y ont réussi presque partout, et la situation peut être diagnostiquée par ce fait, qu'à de très rares exceptions près, ces chefs ont formcllelement refusé de venir saluer à son passage le représentant de la France. Nos troupes vont donc être obligées d'agir pour ouvrir ces régions à nos commerçants et à nos colons. Ajoutons enfin, sans vouloir jeter à l'avance aucune ombre sur le tableau, que, d'après les premiers renseignements recueillis sur la force et l'armement des peuplades sakalaves, il faut s'attendre à des difficultés plus grandes que celles sur lesquelles on avait compté tout d'abord. L'éventualité d'une action militaire énergique dans les régions de l'ouest se trouve d'ailleurs compensée par ce fait que l'insurrection du plateau central paraît à peu près complètement apaisée. Les rebelles, que nos troupes pourchassaient de crête en crête, il y a deux mois à peine, se sont transformés presque partout en cultivateurs inoffensifs,
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qui ne demandent qu'à avoir des biens au soleil et a les faire valoir en paix, sous la protection des lois. Toutefois, il faut les soustraire aux tentations et écarter les fauteurs de désordre, si bien écoutés d'ordinaire dans les pays malgaches. Entrons maintenant dans quelques détails, en soulignant les principaux faits qui ont marqué les dernières étapes de cette transformation et assigné son véritable caractère à la situation actuelle. Le Bulletin mensuel du mois précédent a indiqué que Rabezavana, chef de l'insurrection du Nord, avait fait, le 29 mai, sa soumission à M. le commandant Lyautey et que celui-ci lui avait assuré la vie sauve et la liberté, à conditon qu'il s'employât à faire rentrer dans le devoir ceux de ses partisans qui tenaient encore la campagne. Comme on pouvait le pressentir, la générosité témoignée à cet ennemi vaincu n'a pas tardé à avoir les plus heureux résultats. Dès le lendemain de la soumission de Rabezavana, plusieurs centaines de Hovas et de Sakalaves, qui avaient appartenu à sa bande, sont venirs, sur son ordre, faire leur soumission dans les différents postes de la région du Nord, rapportant des armes de toute nature, parmi lesquelles un grand nombre de fusils à tir rapide. Le 7 juin, l'ancien gouverneur de Vohilena, qui avait été l'un des plus hardis auxiliaires de Rabezavana, se présentait à M. le commandant Lyautey, avec tous les fonctionnaires qu'il avait eus autrefois sous ses ordres et près de mille de ses anciens administrés, qu'il avait entraînés à sa suite dans la révolte. Ces résultats presque inespérés sont aussitôt mis à profit pour achever d'étendre notre autorité dans les régions où nous n'avons pas encore pénétré. Le capitaine Rémond, accompagné de Rabezavana, se met en route pour parcourir le pays et reçoit successivement la soumission d'un grand- nombre de villages qui avaient obéi jusqu'alors à ce chef rebelle. C'est ainsi que, le 6 juin, nous occupons le centre important d'Ambodiamontana, situé au nord d'Antsatrana. Le 21, le capitaine Rémond entre à Belandralta, sur la rive gauche de la Mahajamba, et y installe un poste; le lendemain, il poursuit sa marche sans rencontrer d'obstacles et, le 23, nos troupes font leur jonction, à Tsaratanana, avec les forces qui avaient été laissées en ce point par M. le capitaine de Bouvié, à la suite de la pacification du haut Bouéni. Cet ensemble de faits montre que les populations de ces contrées ont renoncé à la lutte et que l'occupation de la partie nord du massif central pourra s'achever d'une manière pacifique. Des rassemblements assez sérieux subsistent cependant au Nord de Tsaratanana, dans la région, encore mal connue, qui sépare la Mahajamha des affluents supérieurs de la Sofia. Mais, pour le moment, ces bandes, formées des débris de celles que le capitaine de Bouvié a chassées de la vallée de la Mahajamba et des petits groupes d'irréductibles provenant de toutes les bandes de l'Emyrne, conservent une attitude passive et n'osent plus s'opposer à l'établissement de notre autorité dans les régions du Nord,
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M. le commandant Lyautey pourra donc consacrer ses efforts à la réorganisation politique et administrative du pays et étudier le ronpement qu'il conviendra de donner aux populations nouvellement soumises en tenant compte de leurs races et de leurs traditions. En même temps que ces événements se produisaient dans le Nord, M. le chef de bataillon Rouland, commandant le cercle d'Ambatondrazaka, continuait à gagner du terrain à l'Ouest du lac Alaotra et y établissait une série de postes destinés à protéger le riche pays sihanaka contre les incursions des Marofotsy. Cette tribu, composée en grande partie d'anciens esclaves et d'individus échappés, au moment de la campagne, des prisons du gouvernement malgache, est plutôt composée de pillards que d'insurgés; elle n'a opposé aucune résistance sérieuse à la marche ni à l'installation de nos détachements. M. le commandant Rouland a fait occuper également plusieurs points de la haute vallée de la Mahajamba, en vue de réduire définitivement les dernières bandes réfugiées dans le Nord de la forêt et aussi d'assurer sa liaison avec la lisière Est du cercle d'Ankazobé. En outre, il se propose de s'étendre prochainement vers le Nord, pour se mettre en communication avec les provinces de Mandritsara et d'Analalava. Enfin, les progrès de la pacification de la région sihanaka ont permis de commencer les premières reconnaissances qui permettront de fixer le tracé de la grande route du Nord entre Tananarive et Diégo-Suarez; M. le lieutenant Boucabeille, officier d'ordonnance du Résident Général, a été chargé de ces premières études et a quitté Tananarive, le 16 juin, pour se rendre, par voie de terre, à Diégo-Suarez. Dans le cercle d'Anjozorobé, de nombreuses soumissions se sont produites dans le courant du mois, à la suite des opérations et reconnaissances continuelles exécutées par les troupes du cercle, de concert avec celles des cercles d'Ankazobé, de Moramanga et d'Ambatondrazaka. Il faut signaler, en particulier, dans la nuit du 20 au 21juin, une embuscade lendue aux rebelles, à la suite de laquelle trente prisonniers et 18 fusils, dont 12 à tir rapide, sont tombés entre nos mains. De nouvelles battues ont été faites dans la forêt, en vue d'amener la capture ou la soumission de Rabozaka ; malheureusement, elles sont restées infructueuses et le fameux chef rebelle a continué à échapper à toutes les recherches; il est acquis, néanmoins, qu'il ne tient plus la campagne et qu'il se borne à utiliser sa connaissance de toutes les retraites de la forêt pour dépister les poursuites. Les troupes du cercle de Moramanga et, en particulier, celles des secteurs de Merimitatra et de Mandialazaont énergiquement concouru à toutes les reconnaisances exécutées dans la forêt; les détachements qui ont pris part à ces marches ont découvert un grand nombre d'anciens campements, mais ils n'ont rencontré nulle part de rassemblements importants et ne se sont heurtés a aucune résistance sérieuse. Dans les secteurs de Sabotsv et de Heparasv, aucun incident n'est à signaler
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les garnisons de ces régions ont continué, de concert avec les troupes du cercle de Tsiafahy, la surveillance de la zone forestière située au sud d'A.nkeramadi..¡ nika, où quelques petits groupes cherchent encore à se dissimuler. Dans le 2*territoire militaire, la pacification des régions du Sud et du SudEst semble définitivement assurée par la soumission du fameux chef rebelle Rainibetsimisaraka. Le précédent Bulletin mensuel a relaté la chasse incessante qui, pendant le mois de mai, avait été donnée au chef de l'insurrection du Sud. Serré de près par les troupes du Voromahery, il était à la veille de tomber entre nos mains, lorque les événements d'Ambohimanga-du-Sud ont interrompu momentané* ment les poursuites dont il était l'objet. Tandis que M. le capitaine Deleuze réussissait a étouffer, en quelques jours, le mouvement insurrectionnel des Tanalas et qu'un officier parvenait à s'emparer-du prince rebelle, Revanarivo, et de ses principaux complices, de nouveaux renseignements parvenus au capitaine Durand, commandant le cercle de Betafo, le confirmèrent dans la pensée que Rainibetsimisaraka, renonçant définitivement à tenir la campagne dans la région comprise entre le Voromahery et le Fisakana, était allé se cacher dans quelque village de ce dernier district; M. le capitaine Durand, sachant à quel degré de dénûment était réduit le chef rebelle, lui fit faire, par ses propres parents, des ouvertures qui ne tardèrent pas à être écoutées. Le sergent Molinié, de la 12e compagnie de tirailleurs malgaches, conrtmandant du poste d'Ambohimirary, réussit, après quelques jours de négociations habilement conduites, à le décider à suivre l'exemple de la plupart de ses lieutenants et à venir faire sa soumission. Le 9 juin, Rainibetsimisaraka se rendait sans conditions à Ambohimirary et rapportait au sergent Molinié les quelques fusils qui lui restaient. Bien que le prestige de ce chef rebelle cût été considérablement atteint par les échecs successifs qui lui avaient été infligés, le fait qu'il renonçait à la Lutte n'en a pas moins eu un retentissement énorme dans tout le Sud de l'Emyrne et, ainsi qu'il en était advenu dans le Nord, à la suite de la soumission de Rabezavana, la pacification de la région environnantea fait, en quelques jours, des progrès considérables. Il convient de rappeler, d'ailleurs, que Rainibetsimisaraka n'était pas, comme Rabezavana, un ancien gouverneur hovaayant poussé à la révolte les populations autrefois soumises à son autorité. De tout temps, il avait mené la vie de brigandage et l'ancien gouvernement malgache l'avait autrefois condamné à mort pour crimes de droit commun. C'est seulement au début de l'insurrrcction que les hauts personnages de Tananarive avaient songé 'à en tirer parti contre nous et l'avaient chargé de lever des partisans et de diriger la rébellion dans le Sud. Très redouté des populations pour sa cruauté, il avait réussi, en peu de temps, à enrôler de force des bandes nombreuses à la tète desquelles il a pris
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part à presque tous les actes de pillage et assassinats qui ont désolé, depuis un an, les régions du Sud de l'Emyrne. A la suite de la répression de l'insurrection du Sisaony, les débris des bandes chassées de cette province étaient allés le rejoindre, sous la conduite de Ramanpanjaka, dans la région boisée qui borde le cours de la Sahatoreadrika, où il. s'était retranché dans des positions presque inaccessibles. Trois mois d'opérations méthodiques ont été nécessaires pour le réduire à l'impuissance et, finalement, l'obliger à se soumettre. Ce résultat, dû à l'énergie et à la persévérance de nos troupes, fait le plus grand honneur à tous ceux qui ont contribué à l'obtenir. Il faut signaler également que, dans la région de l'Est du 2° territoire militaire, les reconnaissances exécutées par les troupes des secteurs Nord-et Sudde la Varahina ont amené la soumission d'un autre chef rebelle très connu, Ramarokoto, qui, jusqu'à ces derniers temps, avait réussi à se maintenir dans la forêt avec quelques partisans. Les battues dans l'Ankaratra, commencées le mois précédent, à la suite de l'assassinat des pasteurs Escande et Minault; ont été continuées sous la direction de M. lo capitaine Flayelle, de la légion étrangère. Elles ont permis de constater une fois de plus qu'aucune bande rebelle n'occupe cette région montagneuse. Les villages, peu nombreux et peu peuplés d'ailleurs, du massif de l'Ankaratra sont soumis; mais toute cette contrée, exceptionnellement sauvage et accidentée, reste le refuge traditionnel des malfaiteurs de l'Emyrne etles voyageurs doivent toujours se méfier de ces brigands, qui se signalent les uns aux autres les coups qui peuvent être tentés et n'hésitent pas, lorsqu'ils sont en nombre, à attaquer les villages eux-mêmes. Des renseignements recueillis dans les archives de l'ancien gouvernement malgache prouvent, d'ailleurs, que l'Ankaratra a toujours été une région peu sûre, et la comparaison avec l'état de choses actuel établit que la situation s'est améliorée, à ce point de vue, depuis l'occupation française. Ajoutons enfin qu'un réseau complet de petits postes a été établi dans toute cette contrée pour exercer une rigoureuse surveillance sur les malandrins qui y circulent. A l'Ouest du 2eterritoire militaire, les marches de pénétration dans le pays sakalave, commencées dans le mois précédent, se sont poursuivies d'une manière régulière; mais, comme nous l'avons indiqué plus haut, il est fort à craindre que l'occupation de ces régions ne puisse être réalisée pacifiquement. Des incidents récents aux environs d'Ankavandra semblent indiquer que les tribus sakalaves s'apprêtent à s'opposer à la marche de nos troupes. On sait que, sur la demande même du chef indigène de cette contrée, M. le lieutenant Rocheron a installé à Ankavandra, il y a environ un mois, un poste de tirailleurs sénégalais destiné à commencer le jalonnement de la ligne de pénétration vers l'Ouest et à assurer la sécurité des tribus sakalaves qui avaient réclamé notre protection. Or, depuis son arrivée dans le pays, M. le lieutenant Rocheron avait constaté, à diverses reprises, que les populations indigènes se tenaient sur la plus grande
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réserve et que, contrairement à la promesse qui avait été faite par leurs chefs, elles cherchaient à se soustraire à l'obligation de libérer leurs esclaves. A Ankavandra même, notre autorité était incontestablement reconnue et acceptée; mais il avait été fort difficile, pour ne pas dire impossible, d'entrer en relations régulières avec les tribus environnantes. - Vers le milieu du mois, cette attitude équivoque des Sakalaves se transforme en hostilité déclarée et, le 15 juin, plusieurs villages des environs immédiats d'Ankavandra sont pillés et brûlés par des bandes nombreuses, formées des guerriers des tribus voisines. M. le lieutenant Rocheron se met aussitôt à la poursuite de ces bandes et les atteint le 17, a 30 kilomètres au Nord de son poste. Les Sakalaves, profitant habilement de tous les accidents du sol, opposent une vive résistance à nos troupes et attendent jusqu'au contact l'assaut des Sénégalais. La lutte se prolonge avec acharnement et ce n'est qu'après une suite de combats corps à corps que le petit détachement du lieutenant réussit à disperser les rebelles. Depuis ces événements, aucun nouvel incident ne s'est produit, mais les tribus dissidentes ont fait le vide autour d'Ankavandra et témoignent ainsi nettement de leur persistante hostilité. Plus au Sud, M. le capitaine Mazillier, de la 4e compagnie de tirailleurs sénégalais, vient de créer un poste à Miandrivazo, sur le Mahajilo ; mais, jusqu'à ce jour, il n'a pas réussi davantage à nouer des relations pacifiquesavec les tribus sakalaves. Les chefs indigènes de la contrée ont, d'ailleurs, répondu aux émissaires qui leur ont été envoyés qu'ils entendaient conserver leurs esclaves, continuer à exploiter l'or à leur guise et que c'était à ces conditions seules qu'ils consentiraient à entrer en relations avec nous. Un pareil ultimatum ne laisse aucun doute sur les intentions de ces peuplades et sur la nécessité de recourir à une action militaire pour avoir raison de leurs prétentions. Dansla province de Fianarantsoa, M. le résident Besson poursuit avec habileté le rayonnement de notre influence dans toutes les régions qui confinent au pays betsiléo. Les officiers installés depuis peu comme chanceliers à Ihosy; Ikongo et Ivohibé organisent, méthodiquement dans ces contrées, des réseaux de petits postes qui s'avancent progressivement et étendent peu à peu, dans toutes les directions, la zone soumise à notre autorité. Pour compléter cet aperçu militaire en ce qui concerne le littoral,il suffira d'achever le récit du voyage du Résident Général, commencé dans le précédent Bulletin mensuel, et d'indiquer, au fur et à mesure des escales, la situation des régions qu'il a visitées. Parti de Nossi-Bé le 1er juin, à bord du La Pérouse. le Général arrive le même jour dans la baie de Port-Radama. Le lendemain, il se rend au village d'Andranosamonta, occupé par la compagnie de tirailleurs malgaches de M. le capitaine Clavel et rattaché à la nouvelle circonscription d'Analalava, dont le commandement a été récemment confiéà M. le capitaine Toquenne.
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Un kabary, qui est tenu dans la journée et qui réunit près de 5.000 indigènes, témoigne des sentiments pacifiques d'une grande partie de la population du pays. Néanmoins, il s'en faut que l'ordre soit complétement rétabli dans la contrée. A peu de distance dans l'intérieur, le chef rebelle Rakotovaomoramanga occupe encore, avec un millier de fusils, le village fortifié de Tsiafabezaha, où il a accumulé des munitions et des approvisionnements de toute nature; dans ces derniers temps, il a dirigé, sans succès d'ailleurs, plusieurs attaques très vives contre le poste d'Andranosamonta. Après s'être rendu compte sur place de la situation, le Général décide qu'une nouvelle compagnie sera mise d'urgence à la disposition de M. le capitaine Toquenne, pour lui permettre d'agir énergiquement contre les rebelles. Cette mesure, qui a reçu son exécution immédiate, a d'ailleurs permis depuis d'obtenir le résultat qu'on en attendait. Le 29 juin, M. le capitaine Toquenne se portait à l'attaque de Tsiafabazaha et enlevait brillamment cette position, réputée inexpugnable, après avoir mis en complète déroute Rakotovaomoramanga et ses partisans. Le 3 juin, le La Pérouse, accompagné du Météore, canonnière de la division navale, visite la baie de la Loza qui, par ses dimensions et sa profondeur, est susceptible d'abriter des bâtiments de fort tonnage et d'aider, par conséquent' au développement commercial de cette partie de la côte. Le poste d'Analalava, chef-lieu de la nouvelle circonscription, se trouve à proximité immédiate de cet estuaire. Le 4, après avoir visité la baie de la Mahajamba le Résident Général arrive vers trois heures du soir en rade de Majunga. Aussitôt débarqué, il reçoit à la résidence les autorités locales et inspecte ensuite les divers services civils et militaires. Le lendemain, il confère avec la Chambre consultative française et statue sur diverses mesures qui intéressent le développement commercial et industriel de la ville. Dans l'après-midi, il s'embarque à bord de la canonnière de la flottille fluviale, Invincible, pour se rendre à Suberbieville, où il ne peut arriver que le 9, ayant dû, en cours de route, abandonner-l'Invincible, pour continuer son voyage sur un petit vapeur de la compagnie des mines de Suberbieville. Le Général s'est arrêté quelques instants à Marololo, pour y inspecter tout spécialement les ateliers organisés pour la réparation des voitures Lefebvre. On sait que ces voitures doivent être prochainement employées aux transports sur la route de Majunga à Tananarive. A Suherbieville, le Général visite longuement l'installation de la Compagnie et les chantiers d'exploitation aurifère; en rentrant à Majunga, il apprend la douloureuse nouvelle de l'assassinat des pasteurs Escande et Minault, qui interrompent les fêtes qu'avait préparées la colonie française en l'honneur du chef dela colonie. Pendant le reste de son séjour à Majunga, le Résident Général étudie, avec les autorités locales, l'importante question des communications à établir avec
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Tananarive; malheureusement, l'inspection de la flottille fluviale montre que la plupart des canonnières, très fatiguées pendant la campagne de 1895, sont actuellement hors d'état d'assurer régulièrement le service sur la ligne fluviale de Majunga à Suberbieville. Une réorganisation complète de ce service s'impose et retardera, quelque temps encore, la solution définitive de la question. Le 13 juin, le La Pérouse quittait Majunga et mouillait le même jour au port de Soalala, dans la baie de Baly. La reine sakalave Safitamo, qui habite cette localité, réunit aussitôtun grand kabary et promet solennellement fidélité à la France. Une certaine activité commerciale règne dans ce petit port, où notre autorité vient à peine d'être reconnue; les habitants, Comoriens, Sakalaves et Indiens, commercent avec Nossi-Bé, Mayotte et Mozambique et échangent les marchandises qu'ils en importent contre les produits de l'intérieur. Le 15, le La Pérouse arrive devant Maintirano, où il trouve en rade le Pourvoyeur et l'Ambohimanga; ces deux bâtiments viennent de débarquer la compagnie de tirailleurs haoussas du capitaine de Curzon, chargée d'occuper le pays, à la suite du refus du chef sakalave Alidy, de laisser hisser le pavillon français à Maintirano. Le Résident Général apprend qu'Alidy, prévenu de son arrivée, avait mis la ville au pillage avant le débarquement de la cômpagnie de Gurzon et s'était enfui avec ses partisans. D'autre part, il résulte des premiers renseignements parvenus, que le pays est en pleine révolte et que les chefs prêchent partout l'insurrection. Après avoir donné des instructions au commandant du poste sur la ligne de conduite à tenir, au milieu de ces populations qui semblent particulièrement hostiles à notre influence, le Résident Général quitte Maintirano le 16 et arrive, le 17, à Morondava. Il est reçu par M. Samat, correspondant de la Résidence Générale, qui habite le pays depuis près de trente ans. Grâce à son habileté et à son esprit de conciliation, notre compatriote s'est acquis une influence considérable sur les indigènes, et la région de Morondava est actuellement la seule de la côte ouest où notre autorité soit reconnue. Le chef de la Colonie en a bientôt la preuve: à peine a-t-il débarqué, que les principaux chefs de la contrée, amenant avec eux une foule énorme d'habitants, se réunissent en kabary pour prêter serment de fidélité à la France. Le 18 juin, le La Pérouse fait route pour Tuléar, où il arrive le lendemain soir. Le 20, le Général visite l'installation provisoire de la résidence, ainsi que les emplacements projetés pour la nouvelle ville, le poste de douane, le quai des Messageries Maritimes, etc. M. le résident Estèbe lui présente ensuite les anciens fonctionnaires hovas qui n'ont pas encore regagné l'Emyrne et qui demandent à demeurer dans le pays, pour se livrer au commerce ; quelques chefs sakalaves de la côte et des tribus baras de l'intérieur sont venus saluer le représentant de la France, mais
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la grande majorité de ces chefs et, entre autres, le roi Tompomanana, qui est le plus influent de tous, se sont formellement refusés à donner cette preuve de déférence et de soumission. Bien loin de là, depuis près d'un mois, leurs intentions sont plus suspectes que jamais et M. le résident Estèbe a appris que des rassemblements armés se sont formés dans l'intérieur, à peu de distance du chef-lieu de la province. Comme à Maintirano, l'attitude générale des chefs indigènes est donc nettement hostile et des mesures sont nécessaires pour parer aux éventualités qui peuvent se produire. Le Résident Général décide aussitôt qu'un détachement de tirailleurs malgaches et de disciplinaires, prélevé sur la garnison de Diégo-Suarez, sera envoyé à Tuléar pour renforcer la milice et former le noyau des détachements qui seront chargés de la pénétration vers l'intérieur. Le 21 juin, le La Pérouse quitte la rade de Tuléar et mouille quelques heures plus tard devant Nossi-Vé. Le Général, accompagné de M. Estèbe, se rend à l'ancienne résidence, où il préside une réunion de la chambre consultative ; diverses questions sont examinées et plusieurs d'entre elles peuvent être résolues séance tenante. Il faut signaler, enparticulier, que le chef dela Colonie et la chambre consultative tombent d'accord sur la nécessité de transporter à Tuléar les établissements commerciaux de Nossi-Vé et sur les principales mesures qui devront être prises à cet effet. Le même jour, vers quatre heures, le La Pérouse lève l'ancre et fait route pour Fort-Dauphin, où il arrive le 23 dans la matinée. Descendu à terre dans l'après-midi, le Résident Général inspecte les services de la résidence, puis se rend aux écoles de la mission lazariste; il y est reçu par MgrCrouzet, qui dirige avec la plus grande activité cette institution d'influence française. Le personnel enseignant comprend cinq pères lazaristes, quatre sœurs de St-Vincent-de-Paul et cinq institutrices admises au noviciat. Les classes, remarquablement tenues, sont fréquentées par de nombreux élèves; l'étude du français et des éléments du calcul forment la base de l'enseignement et les interrogations que le Général fait faire en sa présence montrent que les jeunes indigènes suivent avec fruit les leçons qui leur sont données. Enfin, MgrCrouzet a promis au Résident Général d'ajouter l'enseignement professionnel à l'enseignement scolaire et de créer, à cet effet, une école spéciale, où les enfants qui lui sont confiés pourront être préparés aux diverses professions manuelles. Le Résident Général a visité ensuite les écoles norvégiennes, qui sont également fort bien tenues; toutefois, l'enseignement du français n'y a fait encore que peu de progrès. La remarque bienveillante qui en a été faite au directeur suffira, sans aucun doute, à faire introduire les modifications nécessaires dans le programme d'études de ces écoles. Comme à Maintirano et à Tuléar, les chefs indigènes des régions de l'inté-
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rieur, voisines de Fort-Dauphin, sont en état de rébellion contre notre autorité et ont refusé de venir saluer le Résident Général à son passage. Une anarchie profonde règne dans toute la contrée et les installations de nos colons ne sont plus en sécurité à un jour de marché de la côte. Quelques jours avant l'arrivée du Général, des émissaires ont apporté à FortDauphin la nouvelle que M. Philippini, garde principal de la milice, a été assassiné à peu de distance du poste de Tsivory, créé depuis peu par M. le résident Lemaire, en vue d'établir la liaison de sa province aveccelle de Fianarantsoa. En présence de cette situation, le Résident Général décide qu'une compagnie sera immédiatement envoyée de Fianarantsoa à Tsivory pour rétablir le poste. dont la garnison de milice a dû se replier sur Fort-Dauphin; d'autre part, une deuxieme compagnie, empruntée aux troupes de l'Emyrne, viendra occuper la région de Fort-Dauphin pour y rétablir l'ordre et ouvrir les communications avec l'intérieur. Enfin, pour faire un exemple, un chef indigène du voisinage, qui a pu être arrêté quelques jours auparavant, à la suite d'actes depillage, est embarqué séance tenante, pour être déporté à Ste-Marie. Le 24 juin, le La Pérouse lève l'ancre et se dirige sur Farafangana. M. le chancelier Cardeneau, qui remplit depuis peu de temps les fonctions de résident à Farafangana, se rend à bord et expose au Résident Général les premières mesures qu'il a prises pour assurer l'ordre et la sécurité de sa province Depuis un mois, les indigènes de cette contrée se sont beaucoup assagis, même dans les régions du Sud, qui avaient été travaillées, dans ces derniers temps, par les rebelles de la province de Fort-Dauphin. De Farafangana, le La Pérouse fait route pour Mananjary, où il arrive le 26 juin dans la matinée. Le Général descend à terre, les colons français l'attendent au débarcadère et l'accueillent par de sympathiques démonstrations. Puis il reçoit, à la résidence, la visite de la colonie anglaise, à laquelle il rappelle les liens d'amitié qui unissent les deux nations. Il exprime l'espoir que les colons anglais «continueront à reconnaître l'état de choses consacré par la conquête et « à bien user de l'hospitalité française à Madagascar». La chambre consultative se réunit ensuite sous la présidence du Résident Général et examine les principales questions intéressant le développement de la province; elle émet, en particulier, le vœu que des études soient entreprises pour la prolongation, jusqu'à Mananjary, du canal projeté entre Tamatave et Andevorante, qui utilisera, comme on le sait, les lagunes du littoral. Apres avoir reçu les colons qui avaient des demandes particulières à lui adresser et visité le village indigène, le Général regagne le bord et quitte Mananjary le jour même L'état de la barre n'ayant pas permis de faire les escales prévues d'abord à Mahanoro et à Vatomandry, le La Pérouse fait route directement sur Tamatave, où il arrive le 27, à 5 heures du soir, 40 jours exactement après son départ.
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Le Général séjournera quelques jours à Tamatave, pour achever l'étude de certaines questions qui n'avaient pu être complètement résolues lors de son premier passage; il en partira le 3 juillet, pour rentrer à Tananarive. Il convient, avant d'achever cet exposé, d'indiquer également les principales mesures qui ont été prises en vue de faire progresser l'organisation de la Colonie. En Emyrne, où l'instruction est assez répandue dans la population indigène, il a été facile de recruter des fonctionnaires intelligents et capables de se faire obéir. Toutefois, des efforts devront encore être faits pour élever leur niveau moral et leur donner des habitudes d'intégrité, que l'ancien gouvernement malgache n'avait jamais songé à leur inculquer. A ce point de vue, l'enseignement de notre langue dans les nombreuses écoles de l'Emyrne et l'éducation française que les maîtres s'efforcent de donner à leurs élèves permettront d'obtenir les meilleurs résultats et de former peu à peu une génération nouvelle pénétréé de notre esprit et attachée à nos mœurs et à nos coutumes. Les travaux publics sont poussés avec la plus grande activité et leur exécution est facilitée par une application équitable de l'impôt des prestations. Des routes charretières sont en construction dans toutes les parties du territoire; les chantiers de la route carrossable de Tananarive à la côte avancent rapidement et, bientôt, les transports par voitures pourront se faire, d'une part entre Tamatave et Andevorante, d'autre part entre Mahatsara et Santaravy. Il sera donc possible, d'ici peu, de se dispenser de faire descendre les porteurs jusqu'à la côte et de réaliser ainsi des économies considérables sur le prix des marchandises rendues à Tananarive. Cette question est du plus grand intérêt pour le développement du commerce et de la colonisation, car la cherté de l'existence sur le plateau central contribue à faire hésiter encore bon nombre de nos compatriotes qui seraient disposés à engager des capitaux à Madagascar. Signalons enfin, pour terminer, que divers documents administratifs importants ont été publiés pendant le mois; il faut citer, en particulier: 1° Un arrêté réglant les frais de justice à Madagascar; 2° Une loi concernant la fabrication, la circulation et la vente des vins artificiels; 3° Une circulaire relative à la régularisation des actes de l'état civil à Madagascar; 4° Une décision, prise en exécution d'un cablogramme de M. le Ministre des Colonies, créant un deuxième régiment de tirailleurs malgaches qui permettra, tout en rapatriant les compagnies de tirailleurs algériens, parvenues au terme de leur séjour dans la Colonie, de pousser plus activement la pénétration dans les immenses régions qui échappent encore à notre autorité; 5° Un arrêté sur la franchise postale et télégraphique; 6° Une circulaire relative à la perception des droits de place sur les marchés; 7° Une note collective sur la liquidation des successions des fonctionnaires, militaires ou employés décédés dans la Colonie. En résumé, lorsqu'on la compare avec ce qu'elle était, il y a trois mois à
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peine, la situation générale est des plus satisfaisantes dans toute la région centrale, sur la côte Est et dans le Nord de l'île. Toutefois, malgré les progrès énormes réalisés dans ces diverses parties du territoire, il reste encore beaucoup à faire pour réparer les ruines amoncelées par l'insurrection et aussi pour organiser une administration indigène probe, honorable et complètement dégagée des traditions d'arbitraire et de vénalité admises sous l'ancien gouvernement malgache. L'éducation française donnée dans les écoles, jointe à une surveillance étroite des fonctionnaires indigènes, permettra d'obtenir progressivement ces résultats. Dans l'Ouest et le Sud de l'île, l'attitude hostile des peuplades Sakalava, Baras, Mahafaly et Antandroy, et les forces nombreuses dont elles disposent, font présager que de nombreux obstacles sont encore à surmonter pour ouvrir définitivement ces vastes régions au commerce et à la colonisation. Il n'est pas douteux que, secondées par le précieux concours de la Division navale, nos troupes n'arrivent, par des efforts soutenus et énergiques, à triompher de ces difficultés; mais, il importe de ne pas passer celles-ci sous silence et de faire ressortir, dès à présent, que les opérations qui commenceront prochainement dans l'Ouest, seront, selon toute vraisemblance, longues et laborieuses.
TABLE
DES
MATIÈRES
DU 1" VOLUMEDE LA REVUE
os des ARTICLES
ANALYSE -
NOMSDESAUTEURS PAGES ---
Janvier 1. II. III. IV. V. VI. VU. -
» Introduction. Etude sur la région de Tananarive à Ankavandra. DECOINTET. Lieutenant des Exploration dans le Betsiléo (Ex- BAUER, contrôleur trait d'un rapport) Mines. Trois itinéraires de Fianarantsoa à la mer. , Docteur BESSON. Notice sur les districts d'ilempona et d'Ankasitra (Extrait d'un ra~oy/). ,. Capitaine LAIY. Notice sur Ja Résidence de VohéRésident FAceuN. n, ar (E.rli,ait d'itn rapport) Bulletin mensuel >
1 3 18 22 25 36 44
Février I. IL 111. -
Etude sur la région de Tananarive à Ankavandra (siiiie) Lieutenant DE COINTET. 59 Trois mois chez les Antsihanakas 69 Comte DE SARDELYS Notes sur les fahavalos du sud et (le l'ouest. 80 BorSA:'i)). ,
Nos des ARTICLES
ANALYSE -
NOMSDESAUTEURS PAGES ---
IV. — Notice sur la Résidence de Vohémar (Extrait d'un rapport) Résident FAUCON..,. (stilte) — E. GAUTHIER..,.,. - V. Ambohimanga la ville sainte YI. — Bulletin mensuel. , »
83 92 107
Mars I. — Etude sur la région de Tananarive à Ankavandra (suite) Lieutenant DE COINTET.113 II. — D'Ambatondrazaka àlacôte est.. Lieutenant TROUSSELLE. 122 III. - De Fort-Dauphin au Faux Cap. Résident LEMAIRE. , 131 IV. — Notice sur la Résidence de Vohémar (suite et'fin) 143 Résident FAUCON V. - Etude détaillée des diverses régions de Madagascar. —Cercles militaires. - Cercle de Tsiafahy. GENDRONNEAU,officier d'administration. 150 » VI. — Bulletin mensuel.. 163 , , , , , , , Avril I. II. III. — IV. — V. —
VI. —
Etude sur la région de Tananarive à Ankavandra (suite et fin). Lieutenant DE COINTET.169 Les travaux géodésiques à Madagascar Capitaine MÉRIENNE-Lu178 CAS. Le cheval à Madagascar.., CHARON, vétérinaire en , , 1er , , , , ., 184 189 De Fort-Dauphin au Faux Cap Résident LEMAIRE Etude détaillée des diverses régions de Madagascar. — Cercle officier de Tsiafahy GENDRONNEAU, 200' d'administration. 215 » Bulletin mensuel. , , , Mai
I. — De Mananjary à Fianarantsoa. Capita;ne LEFORT.,,. dans II. — Marches et reconnaissances le Bouéni Capitaine DEBouviÉ à AndranosaIII. — De Maroantsetra Lieutenant BASTARD monta
223 235 248
N8 des ARTICLES
NOMSDESAUTEURS PAGES —
ANALYSE -
IV. — Etude détaillée sur les diverses Cercle régions de Madagascar.de Miarinarivo et cercle-annexe d'Arivonimamo V. -
Bulletin mensuel. ,
,
,
,
GENDRONNEAU,officier 271 d'administration. » 303
Juin I. II. III. IV. V.
Instructions et bons avis relatifs à Madagascar (d'apl'ès Etienne 34.., de Fiacottri Adrien MARRE Ficùcourt) ) - Le gouvernement.m..i.li: militaire idire de TaColonel BOUGUIÉ .33"* nanarive - Etude sur le Bouéni BÉNÉVENT, Interprète de la province de Ma33*5* junga. - — - Le pays Sihanaka T)octeurMERLEAU-PONTY--3'44 » —Bulletin ?>90 mensuel., , ,
TABLE
DES
MATIÈRES
DU 1" VOLUMEDE LA REVUE
Par ordre alphabétique
NOMSliESACTEURS » BAUFR ( contrôleur dcs mines) RASTARD (lieutenant) BÉNÉVENT(lnterprète de la résidence de Majunga) BESSON(résident BOUCUIÉ (colonel) BoiSSAND BOUVIÉ(capitaine
DE
CHARON(vétérinaire en 1er; COINTET (lieutenant BE)
de noms des auteurs.
ANALYSEDESARTICLES
Introduction Exploration dans le Betsiléo [Extrait d'un rapport) De Maroantsetra à Andranosamonta. Etude sur le Bouéni.
RACES
I 18 248
de FianaTrois itinéraires rantsoa à la mer. militaiLe gouvernement re de Tananarive. Notes sur les l'ahavalos du sud et de l'oucst. Marches et reconnaissances dans le Buuéni .z33 Le cheval à Madagascar..
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Etude sur la région de Tananarive à Ankavandra.
3,oîM 13,169.
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H)
NOMSDESAUTEURS
FAUCON(résident) GAUTHIERE. (directeurde l'enseignement) GENDRONNEAU (officier d'administration) LAMY(capitaine)
LEFORT(capitaine) LEMAIRE(résident) MARRE(Adrien) MÉRIENNE-LUCAS (capitaine) MERLEAC-PONTY (docteur) SARDELYS (comte DE) TROUSSELLE(lieutenant) »
DESARTICLES ANALYSE
Notice sur la résidence de Vohémar (Extrait d'un rapport) , Ambohimanga, la ville sainte Etude détaillée des diverses régions de Madagascar districts Notice sur les et d'Ankasid'Ilempona d'un raptra (Extrait port) , , , De Mananjary à Fianarantsoa au Faux De Fort-Dauphin Cap ',.,., Instructions et bons avis relatifs à Madagascar (d'après Etienne de Flacourt). à Les travaux géodésiques Madagascar. , .,.. Le pays Sihanaka. , Trois mois chez les Antsihanakas , ,,, , D'Ambatondrazaka à la côte est .,.,.. Bulletin nlensel .,
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36,83,143 92
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