Insurrection de Bou-Amama (avril 1881) - 1905

Page 1

Insurrection de Bou-Amama (avril 1881), par le commandant E. Graulle,...

Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France


Graulle, Eugène-Louis-Vincent (Commandant). Insurrection de Bou-Amama (avril 1881), par le commandant E. Graulle,.... 1905. 1/ Les contenus accessibles sur le site Gallica sont pour la plupart des reproductions numériques d'oeuvres tombées dans le domaine public provenant des collections de la BnF. Leur réutilisation s'inscrit dans le cadre de la loi n°78-753 du 17 juillet 1978 : - La réutilisation non commerciale de ces contenus est libre et gratuite dans le respect de la législation en vigueur et notamment du maintien de la mention de source. - La réutilisation commerciale de ces contenus est payante et fait l'objet d'une licence. Est entendue par réutilisation commerciale la revente de contenus sous forme de produits élaborés ou de fourniture de service. CLIQUER ICI POUR ACCÉDER AUX TARIFS ET À LA LICENCE 2/ Les contenus de Gallica sont la propriété de la BnF au sens de l'article L.2112-1 du code général de la propriété des personnes publiques. 3/ Quelques contenus sont soumis à un régime de réutilisation particulier. Il s'agit : - des reproductions de documents protégés par un droit d'auteur appartenant à un tiers. Ces documents ne peuvent être réutilisés, sauf dans le cadre de la copie privée, sans l'autorisation préalable du titulaire des droits. - des reproductions de documents conservés dans les bibliothèques ou autres institutions partenaires. Ceux-ci sont signalés par la mention Source gallica.BnF.fr / Bibliothèque municipale de ... (ou autre partenaire). L'utilisateur est invité à s'informer auprès de ces bibliothèques de leurs conditions de réutilisation. 4/ Gallica constitue une base de données, dont la BnF est le producteur, protégée au sens des articles L341-1 et suivants du code de la propriété intellectuelle. 5/ Les présentes conditions d'utilisation des contenus de Gallica sont régies par la loi française. En cas de réutilisation prévue dans un autre pays, il appartient à chaque utilisateur de vérifier la conformité de son projet avec le droit de ce pays. 6/ L'utilisateur s'engage à respecter les présentes conditions d'utilisation ainsi que la législation en vigueur, notamment en matière de propriété intellectuelle. En cas de non respect de ces dispositions, il est notamment passible d'une amende prévue par la loi du 17 juillet 1978. 7/ Pour obtenir un document de Gallica en haute définition, contacter reutilisationcommerciale@bnf.fr.




INSURRECTION

'!.

III..

3011-AMAMA ,i t -",'

(AVRIL 1881) Í'B

ILef'oïnmari.daut R, HfiAOILE ;\C:¡'l

Iii'

!Ml"

Ht. rXPCAU

!r'E

*a,$?s

ivïi:B~lAVAUZLLLE

CM

1. tî-'i _rnil\:

.\C:tI""Jl,li!t,rF-. :,, l;.u!

!• Q"L1;

:ï',

1

r..;




DROITS DE REPRODUCTION ET DE TRADUCTION RÉSERVÉS


INSURRECTION DE

E. GRAULLE

Le Commandant

ANCIEN CHEF DE BUREAU ARABE

PARIS HENRI

CHARLES-LAVAUZELLE Éditeur militaire

10, Rue Danton. Boulevard Saint-Germain, 118 (MÊME MAISON A L.MOO""I

1905



se rendre compte de la rapidité avec laquelle elle put se développer et devenir dangereuse, il est indispensable de savoir ce qu'était le Sud oranais lorsqu'elle éclata. En 1881, toute cette région n'avait pas encore été pénétrée par l'élément européen.

C'était, pour ainsi dire, un désert, parcouru par des tribus nomades, très guerrières, sur lesquelles nous n'exercions qu'une autorité limitée, nous contentant de leur faire payer l'impôt et de les obliger à nous soumettre leurs litiges, au lieu de les régler par la force, comme elles en avaient l'habitude. Pour le reste, ces populations étaient indépendantes. Un seul poste militaire, celui de Géryville, existait dans le Sud. Le fortin de Sfissifa, n'étant pas le siège d'un commandement et servant simplement de lieu de garnison à la section de discipliné de la légion, n'avait aucune importance au point de vue de l'occupation du pays. L'action du commandant supérieur de Géryville, assez efficace dans un rayon de 70 ou 80 kilomètres, allait en diminuant, à mesure des distances, et devenait complètement nulle dans le voisinage de la frontière du Maroc. Aïn-Sefra, aujourd'hui le siège d'une importante subdivision militaire, n'était pas encore créé, pas plus du reste que Méchéria, le Kreider et Aïn-Ben-Krelil, où nous avons également des troupes. Dans le Sud, il n'y avait alors, en dehors de la route de Saïda à Géryville,


aucun moyen de communication; tous les transports se faisaient à dos de chameau. Un chemin de fer, destiné à l'exploitation des nappes d'alfa qui se trouvent entre le chott Chergui et le Tell, parcourait une partie des Hauts-Plateaux, de Saïda à Marhoum; mais, l'embrachement, qui pénètre actuellement dans le Sud, à partir de Motzba, n'existait pas. En résumé, nous occupions sérieusement tout le Tell oranais et nos postes échelonnés sur cette limite, tels que Saïda; Daya et El-Aricha, pouvaient encore faire sentir leur action jusqu'au chott; au delà, notre autorité disparaissait ou, du moins, n'était plus que nominale. Pour suivre l'insurrection de Bou-Amama, je prie donc le lecteur de se reporter à la carte annexée au présent travail, laquelle donne la situation exacte du Sud oranais en 1881.


INSURRECTION DE BOU-AMAMA (AVRIL 1881)

CHAPITRE

Ier

Renseignements sur Bou-Amama. Causes de l'insurrection. — Sa préparation. Vigilance de l'autorité militaire. Bou-Amama appartient à une famille assez obscure des Oulad-Sidi-Tadj, de la grande tribu maraboutique des Oulad-Sidi-Cheikh-Gharaba, qui, en vertu du traité de 1845, dépend de l'empire chérifien. Le futur agitateur était encore en bas âge lorsque ses parents quittèrent le Maroc pour venir se fixer sur notre territoire, a Moghrar. Jusqu'en 1878, il ne fit pas parler de lui. Mais, à partir de cette époque, nous le voyons fonder une zaouïa (1) à Moghrar et y mener une vie ascétique exemplaire. Passant presque toutes ses journées en prières, ne s'occupant que des choses de la vie spirituelle, Bou-Amama ne tarda pas à acquérir une grande réputation de sainteté parmi le petit groupe de fidèles qui l'entouraientet,bientôt, on alla jusqu'à lui attribuer le don de faire des miracles et de répandre des faveurs divines sur tous ceux qui l'approchaient. est un établissement religieux, où les indigènes vont en pèlerinage et qui sert en même temps d'asile aux voya(1) Une zaouia

geurs.


A partir de ce moment, le jeune marabout fut connu et les nomades accoururent en foule à sa zaouïa. En se jetant ainsi dans la dévotion, Bou-Amama étaitil sincère, obéissait-il à un penchant naturel, ou bien voulait-il simplement se faire un piédestal de la religion pour acquérir l'influence dont il avait besoin pour préparer sa révolte, influence que ne pouvait lui donner ni sa fortune, qui était assez médiocre, ni son origine,

qui n'avait rien d'illustre? Cette dernière hypothèse doit être écartée. Il résulte, en effet, des renseigenments fournis par de nombreux indigènes, dignes de foi, que le futur agitateur, lorsqu'il commença à acquérir une certaine notoriété, était un homme foncièrement bon, qui prêchait à tous la paix, la concorde et l'amour du prochain; il n'avait, par suite, rien de commun avec le marabout fanatique, Iarouch et sanguinaire que la légende s'est plu à représenter. Il est, dès lors, permis de croire que Bou-Amama n'aurait jamais songé à fomenter l'insurrection de 1881 s'il n'avait obéi qu'à ses propres inspirations. Malheureusement, il était entouré de gens qui ne nous aimaient pas et c'est l'ambianoe de ce milieu qui le poussa à la révolte. Pour bien comprendre ce que je viens de dire, il est nécessaire de jeter un coup d'œil sur la situation politique qui existait, à cette époque, à Moghrar et dans les keçours des environs. En 1881, toute cette région, qui dépendait de la subdivision de Tlemcen, était très éloignée de nos postes militaires, ce qui permettait à ses habitants de vivre dans une indépendance presque absolue. Ils nous payaient un léger impôt et, ce devoir accompli, se considéraient comme dégagés de toute obligation vis-à-vis de nous. Ainsi, ils ne nous rendaient jamais compte des événements qui se passaient chez eux, tels que vols, meurtres, assassinats, et faisaient ré-


gler ces affaires par leurs notables, par leurs djemaas ou, encore, par leurs marabouts. En un mot, notre autorité dans cette vaste région était purement nominale. Cet état de choses eut pour conséquence de créer, du côté de Moghrar, une sorte d'état indépendant dans lequel vinrent se réfugier tous les fanatiques, tous les mécontents qui voulaient se soustraire à notre domination, ainsi que tous les malfaiteurs qui étaient obligés de s'enfuir de leurs tribus. Comme bien on le pense, ces gens de désordre nous étaient hostiles et, partant, ne manquaient jamais l'occasion d'exciter Bou-Amama contre nous et de lui montrer la grandeurdu rôle qu'il aurait à remplir, s'il voulait employer son influence à délivrer ses frères musulmans du joug des chrétiens. Le jeune marabout fit d'abord la sourde oreille à ces propositions, mais il finit par les accepter à la suite de l'événement suivant Dans le courant de 1879, une mission officielle, qui avait été envoyée dans le sud-ouest de la province d'Oran pour étudier le tracé du chemin de fer transsaharien, fut obligée, dès son arrivée à Tyout, de revenir sur ses pas, à cause de l'hostilité des habitants. Cet échec, qui eut un grand retentissement dans le pays, décida notre gouvernement à s'occuper de la situation anormale existant dans cette région et, après examen de la question, il fut reconnu qu'il y avait un danger réel à laisser plus longtemps ce territoire en dehors de notre action. Pour y remédier, on décida de créer un poste militaire à Tyout. Dès que ce projet fut connu sur les Hauts-Plateaux, il causa une grande inquiétude, non seulement à BouAmama et à son entourage, mais encore la plupart des nomades, et principalement à ceux du cercle de Géryville, parce que tous ces indigènes se rendaient parfai-

I

:

à


tement compte qu'après notre installation à Tyout, ils le indépendance la plus de même jouiraient que par ne passé et ne pourraient plus se soustraire à notre autorité, en émigrant dans le Sud-Ouest, comme ils avaient l'habitude de le faire chaque foisqu'ils croyaient avoir à se plaindre de nous. L'émoi chez les Traffis du cercle de Géryville fut même si considérable que la plupart de ces tribus songèrent un moment à se retirer dans l'Extrême-Sud, du côté de l'oued Guir. Ce fut un de leurs caïds, El-HadjHamza, qui fit échouer leur projet en le dénonçant à l'autorité. En dehors de la création du poste de Tyout, les Traffis avaient encore un autre sujet de mécontentement, q:le les partisans de la révolte surent exploiter avec une grande habileté. En 1878, ces nomades, ayant été razziés par plusieurs tribus marocaines, furent autorisées à user de représailles vis-à-vis de leurs adversaires, mais avec défense absolue d'attaquer les fractions qui ne leur avaient rien fait. Les Traffis ne tinrent aucun compte de cette défense dès leur entrée au Maroc, ils attaquèrent impitoyablement tous les campements qu'ils trouvèrent sur leur route, aussi bien les amis que les ennemis, et leur enlevèrent de nombreux troupeaux. On les obligea à rendre aux premiers leurs animaux, de sorte qu'après cette restitution la part de butin qui leur resta ne fut plus suffisante pour compenser leurs pertes antérieures. Pour les calmer, on leur promit de faire payer la différence par le gouvernement marocain mais ce règlement de compte traînant en longueur, les Traffis trouvaient que l'autorité avait mis un peu trop d'empressement à les obliger à rendre une partie de leur razzia. Lorsque. Bou-Amama eut accepté, sur les instances de

;

;


son entourage, de se mettre à la tête de la révolte, il s'occupa de la préparer et montra, dans ce soin, toute

l'habileté d'un conspirateur émérite. Sentant que ses desseins ne pourraient réussir qu'à la condition d'être tenus secrets, il ne les confia qu'à un petit nombre de fidèles, d'un dévouement et d'une discrétion à toute

épreuve. Ceux-ci, de leur côté, observèrent la même prudence que leur maître. Ils ne parlaient à la masse des indigènes que de la réputation de sainteté de Bou-Amama et écartaient soigneusement de leurs discours tout ce qui touchait à la politique. Leur but était de poser dans le pays le marabout de Moghrar comme un envoyé de Dieu, et ils savaient très bien que, s'ils parvenaient à lui acquérir cette réputation, le fanatisme musulman ferait le reste. Pendant que ses fidèles travaillaient pour lui, BouAmama continuait à vivre, à Moghrar, dans la plus grande simplicité et ne s'occupait, en apparence dumoins, que des choses de la religion. Malgré ces précautions, l'autorité militaire ne tarda pas à avoir connaissance des menées de l'agitateur et songea à le faire arrêter. Cette entreprise, très difficile, n'avait aucune chance de réussite, si on en confiait l'exécution à des contingents indigènes, Pour éviter cet échec, le général commandant la division d'Oran aurait voulu recourir à l'emploi de troupes régulières mais, n'ayant pu obtenir l'autorisation d'envoyer une colonne à Moghrar, il fut obligé de se servir de goumiers. Une centaine de ces cavaliers, choisis de préférence parmi les Hamyan, que l'on croyait moins contaminés que les autres nomades, furent mis à la disposition d'un jeune officier des affaires arabes, le lieutenant de Castries, et dirigés sur Moghrar.

;


M. de Castries était très fin, très vigoureux et très intelligent; de plus, il connaissait admirablement les

tribus du Sud et réunissait, par suite, les conditions voulues pour mener à bien une mission aussi délicate. Malheureusement, elle n'était pas réalisable et M. de Castries ne tarda pas à s'en aperçevor. Dès son arrivée à Moghrar, tous ses cavaliers se rendirent auprès de BouAmama pour lui faire des protestations de dévouement ils lui baisèrent les mains, les pans du burnous, lui donnèrent la ziara (onrande religieuse) et lui prodiguèrent de telles marques de vénération qu'il était certain que, si on leur donnait l'ordre d'arrêter ce saint personnage, ils refuseraient d'obéir. Jugeant inutile de provoquer cet acte d'indiscipline, qui aurait pu avoir des conséquences très graves, le lieutenant fit contre fortune bon coeur; il alla lui-même voir le marabout. N'ayant rien laissé transpirer de sa mission, — il avait simplement dit à ses goumiers qu'il allait faire une tournée administrative dans le Sud, — il se trouvait à l'aise vis-à-vis de Bou-Amama et put l'aborder sans contrainte. Après les salamaleks d'usage, il lui demanda de nombreux renseignements sur la situation morale et matérielle des habitants du pays,, sur l'état de leurs troupeaux, sur leurs besoins, etc., etc. Le marabout répondit de très bonne grâce à toutes ces questions ne manqua pas, lorsque l'entrevue prit fin, d'assurer l'officier de son dévouement à la France, qui, disait-il, n'avait pas de serviteur plus fidèle que lui dans le Sud. M. de Castries lui répondit qu'il n'oublierait pas de faire part de ces sentiments à l'autorité supérieure, dès son retour dans le Tell, et il faut croire qu'il lui tint parole, car, à la suite du compte rendu qu'il adressa au commandant de la subdivision de Tlemcen, celui-ci écrivit au général de division une lettre dans laquelle se trouve le passage suivant « Je parviendrai à démas-

;

et

-

:


quer ce personnage (Bou-Amama), qui ne tardera pas, si on n'y prend garde, à avoir à sa dévotion Hamyan, Traffis et Rezaïna. » S'ayant pu arrêter Bou-Amama, l'autorité militaire voulut enrayer son influence et, dans ce but, défendit, de la façon la plus formelle, aux nomades de se rendre en pèlerinage à sa zaouïa. Ce fut peine perdue. Malgré la surveillance de nos officiers, le nombre des partisans de l'agitateur ne fit qu'augmenter et, vers la fin de 1880, le danger d'insurrection était si apparent que le général de division insista de nouveau, auprès du gouverneur général, pour qu'une colonne fût envoyée à Moglirar (1). Sa démarche n'eut pas plus de succès que la première fois. Le gouverneur général (c'était alors M. Albert Grévy) ne voulut rien entendre parce que, ayant déclaré, quelque temps auparavant, dans un discours qui fit assez de bruit, que l'ère des insurrections était close, il ne voulait pas se donner un démenti et cette question d'amour-propre le décida à rejeter les propositions du général. A partir de ce moment, les menées des partisans de la révolte devinrent plus actives et, lorsqu'ils apprirent le massacre de la mission Flatters, leur audace ne connut plus de bornes. Ils surent d'ailleurs exploiter très habilement ce douloureux événement en lui donnant l'importance d'un gros désastre, infligé à nos soldats par une poignée de Touareg. Enfin, l'envoi en Tunisie de pres(1)

Extrait d'une lettre adressée,' le 2 mars 1880, par le général

commandant la subdivision de Mascara, au commandant supérieur de Saïda, qui lui avait signalé les agissements de BouAmama chez les Rezaïna : « Ainsi que vous l'avez remarqué vousmême, ce marabout (Bou-Amama) était à peine connu il y a quelque temps chez les Rezaïna et les Oulad-Sidi-Krelifat il en était de même chez les Hamyan et les Traffis. C'est une zaouïa qui est en train de se fonder dans nos keçours et l'autorité supérieure se préoccupe d'enrayer cet établissement religieux, hostile à notre domination. »

;


augmenta d'Oran division de la les troupes toutes que encorel'espoir des conj urés qui, persuadés cette fois que le moment d'agir était venu, pressèrent vivement le marabout de proclamer la guerre sainte. Bou-Amama aurait préféré attendre jusqu'à la fin de juin, parce pensait, Tell, il du indigènes les des ayant vues sur que, avec raison, du reste, qu'il lui serait plus facile de les soulever lorsqu'ils auraient terminé leurs moissons. Mais il ne sut pas résister à l'impatience de ses gens et se décidaàfaire éclater la révolte au commencement de mai. Dans ce but, il envoya, dès les premiers jours d'avril, des émissaires chez tous nos nomades pour leur dire de faire provision d'armes et de poudre, parce que le moment de la délivrance était proche. Ce fut le Bach-Agha de Frenda, Si-Ahmed-ould-Cadi, qui prévint l'autorité de l'arrivée de ces émissaires. Ce grand chef indigène nous était excessivement dévoué et, comme il possédait une grosse fortune, il pouvait entretenir partout des espions qui le renseignaient sur

-'

l'agitateur. Il savait, jour par jour, ce qui se passait à la zaouïa de Moglirar et en informait le commandement. Le 15 avril, il rendit compte au général de division de l'arrivée des agents de Bou-Amama et le pria, s'il voulait empêcher de graves désordres, de faire arrêter tous ces personnages, dont il donnait les noms, avec indication des tribus où ils se trouvaient. les menées de

Le général donna immédiatement des ordres dans le sens demandé par le bach-agha de Frenda, et nous verrons, dans le chapitre qui va suivre, que leur exécution provoqua un grave événement qui fit partir l'insurrec-

tion avant l'heure. Lorsqu'elle éclata, elle causa en France et en Algérie une émotion et une surprise d'autant plus vives que personne ne s'y attendait; on était, au con-

-


traire, convaincu que la tranquillité la plus absolue régnait dans notre grande colonie africaine. Pour calmer les esprits, tous les organes du gouvernement affir-, nièrent que la révolte qui surgissait si brusquement ne pouvait être que le résultat d'un acte irréfléchi des indigènes du Sud, attendu qu'aucune agitation n'avait été signalée chez eux. Cette explication dégageait la responsabilité du gouvernement général, mais elle ne pouvait satisfaire l'opinion publique. Il était inadmissible, en effet, qu'une insurrection pût éclater, sans motif sérieux, et, surtout, sans que quelques symptômes alarmants nen eussent annoncé l'approche. Aussi, partant de ce principe, la plujpart des journaux, et principalement ceux de la colonie, prirent vivement à partie l'autorité militaire, qui était chargée de la surveillance du territoire, et lui reprochèrent son manque de vigilance. J'ai déjà fait justice de cette accusation, en montrant que l'insurrection de Bou-Amama était parfaitement

;

mais, pour qu'aucun doute ne puisse subsister à ce sujet, il me paraît utile de donner quelques extraits des renseignements politiques qui furent transmis à l'autorité supérieure, par les commandants de cercle, dans le courant d'avril. On se rappelle que le marabout ne voulait donner le signal de la révolte que dans les premiers jours de mai.

prévue

Extrait d'une lettre adressée,

le 12 avril 1881, par le

commandantsupérieur de Géryville au général commandant la subdivision de Mascara.

:

Un indigène revenant de Tyout m'apporte des nouvelles de Bou-Amama. Voici comment il s'exprime «Les cheurfa (1) ont dans le cercle de Géryville et, en par(1)

Cette petite tribu, qui réside dans les environs d'Aïn-Sefra,


ticulier, à Bou-Semghoun,auxChellala, aux Ouled-Abdelkerim, des relations, grâce auxquelles ils sont immédiatement avisés de tous vos mouvements. Un officier ne sort pas de Géryville, un goum de dix cavaliers ne marche pas vers le Sud, qu'ils ne le sachent aussitôt. Si Bou-Amama a des

visiteurs de plus en plus nombreux; les croyants en sa baraka (1), se succèdent à sa zaouïa, comme les grains d'un chapelet; on ne compte pas ce qui lui est offert de chevaux, de harnachements. Il traite de fumée la création d'un poste à Tyout (2). Traffis comptent dans toutes leurs fractions des ser» Les viteurs dévoués à Si-Bou-Amama, mais ils sont surtout nombreux chez les Akerma et les Oulad-Serour. » Il est visible, pour moi, que les dévoués à Si-Bou-Amama se sentent suspects pour nous, car ils cachent soigneusement leurs voyages à Moghrar et ils emploient des moyens détournés pour faire parvenir au marabout leurs offrandes. Ceux de nos indigènes avec qui j'aborde cette question, parce que je les crois sincères dans leurs réponses, me disent généralement : « Si-Bou-Amama n'est pas à redouter, sans doute; mais il est certain que beaucoup d'Arabes, impressionnables et à caractère crédule, se répètent que le marabout doit avoir des pouvoirs surnaturels, puisque vous ne faites rien contre lui. Il y a un an, il ne pouvait rien; aujourd'hui, il est douteux que vous seriez obéis par tous, si vous vouliez essayer de vous emparer de sa personne. »

Extrait d'une lettre adressée, le 17 avril 1881, par le

commandant supérieur de Saïda, au général commandant la subdivision de Mascara.

Un espion, que j'avais envoyé chez les Rezaïna, est de retour. Voici le résultat de ses observations. Si-Bou-Amama jouit d'une très grande considération chez les Rezaïna, les Oulad-Sidi-Khelifat, les Traffis et une partie des Beni-Mathar. A chaque instant, il reçoit la visite de gens appartenant à ces diverses fractions. a des liens de parenté avec le sultan du Maroc. Elle était très dévouée à Bou-Amama. (1) Don de répandre des faveurs divines. (2) Cest-a-dire, ce projet disparaîtra comme de la fumée; les Français ne pourront pas l'exécuter.


On prétend qu'il a à Moghrar un magasin bien approvisionné en armes et en poudres. J'ai entendu dire chez les Oulad-Sidi-Khelifat que Si-Bou-Amama avait écrit à l'empereur du Maroc pour le prier de relâcher Si-Sliman (1), lui assurant qu'il répondrait de lui. Tous les partisans de Bou-Amama lui prêtent l'intention de se faire proclamer

sultan.

L'espion, dont je viens de relater la déclaration, n'est pas des plus intelligents, mais il est sincère. Il a certainement entendu dire tout ce qu'il m'a rapporté.

Extrait d'un télégram-mv envoyé, le 20 avril, par

le

commandant supérieur de Géryville, au général commandant la subdivision de Mascara.

:

Capitaine Reuillon (2) m'envoie renseignements suivants Bou-Amama aurait à son service une centaine de cava« liers' ou fantassins, ramassis de gens affamés ou évadés de nos prisons; ce renseignement est donné sous réserve, à vérifier. Les Oulad-bou-Douaïa, qui ont fui d'El-Abiod, sont avec lui.

Kaddour-bou-Tkhil, meurtrier, échappé il y a un mois du douar Tseriat (Derraga-Gharaba), est aussi chez lui. C'est sur ses conseils que les Djembâ ont résolu de passer au Maroc. Ils étaient désireux de rester chez nous, comptant sur la tranquillité que leur procurerait la création du poste de Tyout (3). »

la grande tribu des OuladSidi-Cheikh-Gharaba, à laquelle appartenait Bou-Amama, était un chef de partisans d'une audace et d'une habileté incroyables. Il nous combattit en 1864 et fit sa soumission en 1869. Nommé aglia des Hamyan, il commit de telles exactions que l'autorité dut le révoquer, en 1873, et l'interner à Aïn-Temouchent, d'où il s'évada l'année suivante, pour s'enfuir au Maroc. Sur nos instances, la cour de Fez le fit arrêter. Il est possible que Bou-Amama ait demandé sa mise en liberté au sultan du Maroc, avec l'intention soit de le mettre à la tête du mouvement insurrectionnel, soit encore de s'attacher les Rezaïna, qui étaient entièrement dévoués à ce personnage. (2) Le capitaine Reuillon, chef du bureau arabe de Géryville, était, à ca moment, en tournée dans l'Ouest de son territoire, du côtéde Chellala, pour surveiller les menées de Bou-Amama. (3) Les Mamyan-Ujemba, qui sont Marocains, venaient souvent sur notre territoire, au milieu de leurs frères, les Hamyan(1) Si-Sliman-ben-Kaddour, chef de


:

Sultan écrit marabout le Djembâ disent Les au a que » «Si tu laisses bâtir Tyout, tes (1) populations du Sud-Est se On ne peut garantir tous ces bruits, mais il « soulèveront. » est certain que les allures de Bou-Amama prennent de plus en plus un caractère hostile. cachent de nous et de nos caïds fidèles » Nos Traffis se pour l'aller voir, surtout les Oulad-Serour et les Akerma. C'est dans la fraction des Djeramma (Ouled-Ziad-Cheraga) qu'il a le plus de partisans.

Lettre adressée, le 20 avril, par le commandant supérieur de Saïda, au général commandant la subdivisiondeMascara.

J'ai l'honneur de vous envoyer, sous ce pli, le résultat des informations que j'ai pu recueillir jusqu'à ce jour sur les

agissements politiques de Bou-Amama chez les Rezaïna. Les renseignements que je vous adresse, bien que ne concordant pas dans tous leurs détails, établissent cependant que ce marabout exerce une influence sérieuse dans les deux tribus que je viens de nommer, et qu'il est en relations constantes avec elles. Les émissaires qu'elles lui envoient obéiraient, d'après le témoin, Sliman-ben-Nehari, aux ordres des caïds Sassi, Mohammed-ben-Chakor, de l'ex-caïd Ben-Antar et du bach-adel Si-Abd-El-Hak. Je n'ai pas encore la certitude que ce détail soit vrai, mais je suis porté à y ajouter foi. Il me paraît impossible, en effet, que des allées et des venues fréquentes entre les Rezaïna et Si-Bou-Amamn. — tous les témoins l'affirment — puissent avoir lieu à l'insu des caïds de ces tribus. Ceux-ci, mais surtout Sassi, sont beaucoup trop intelligents pour ignorer ce qui se passe sur leur territoire. S'ils ne m'ont pas prévenu des menées de Si-Bou-Amama, c'est qu'ils ne l'ont pas voulu et, devant cette manière d'agir, je suis obligé de croire que les accusations portées contre eux, par le témoin Sliman-ben-Nehari,

Ils étaient libres de retourner au Maroc, quand bon leur

Chafa.

semblait, et n'avaient, par suite, rien à craindre de la création d'un poste à Tyout, qui, au contraire, leur donnait plus de sécurité. (1) On voit, par cette expression, que l'agitateur considérait comme marocaines toutes les populations de la région de Mogh-

rar.


sont en partie fondées. Ce qui me frappe surtout dans les relations des deux témoins, Sliman-ben-Nehari et Abd-ElKader-bou-.Uia, c'est qu'ils disent, tous deux, que Si-BouAmama fait ou possède, à Moghrar, des provisions d'armes et de poudre. Dans sa lettre du 7 avril, le bach Agha de Frenda relate le même fait avec une légère variante. Il est permis de conclure de ces divers renseignements, venus de sources différentes, que le marabout Si-Bou-Amania prépare un mouvement, à brève échéance. Je vais surveiller sérieusement la manière d'être des caïds Sassi, Mohammed-ben-Chakor, de l'ex-caïd Ben-Antar et du bach-adel Si-Abd-el-Hak. Je crois devoir vous demander, dans le cas où mes soupçons à leur égard se confirmeraient, l'autorisation de les faire arrêter d'urgence; soyez sûr qu'en cette circonstance, j'agirai avec toute la prudence nécessaire. A la suite des renseignements que j'ai recueillis, les caïds Sassi et Mohammed-ben-Chakor ne m'inspirent plus aucune confiance. Il suffirait d'un mot d'ordre de Bou-Amama pour les entraîner dans une aventure. Je crois être certain, toutefois, qu'ils ne donneront pas Je sif/nal du mouvement; mais, pour sûr,ils le suivront. Si vous receviez de Géryville une nouvelle alarmante (1), au sujet des Traffis, il ne faudrait pas hésiter, je crois, à me donner l'ordre d'arrêter les caïds des Rezaïna.

supérieur de Saïda prévoyait, du côté de Géryville, ne tarda pas à se produire. Le 21 avril, un officier était assassiné dans ce cercle et la nouvelle du crime arrivait, le lendemain, à Saïda. Le commandant supérieur n'aurait pas hésité à faire arrêter les caïds des Rezaïna, sans attendre les ordres de la subdivision, si, la veille, un notable de ces tribus, en qui il avait grande confiance, n'était venu atténuer les graves accusations portées contre ces deux chefs indigènes. D'après ce notable, les Rezaïna étaient en plein dans le mouvement; mais leurs caïds, loin de les pousser à la révolte, faisaient, au contraire, tous leurs efforts pour les retenir dans le devoir. Ce renseignement était exact, comme nous le verrons par la suite, et ce fut là ce qui décida le commandant supérieur de Saïda à ne pas faire arrêter les caïds Sassi et Mohammed-benChakor. (1) Le grave événement que le commandant


CHAPITRE II Arrestation des émissaires de Bou-Amama. Assassinat du lieutenant Veinbrenner. — Danger couru par les capitaines Reuillon et Parés. Mésaventure de M. G., adjoint à l'intendance. Le général Cérez, qui commandait la division d'Oran au moment où éclata la révolte de Bou-Amama, était un homme d'une haute valeur et d'une rare intelligence. Ayant fait presque toute sa carrière en Algérie, cet officier général possédait une grande expérience des hommes et des choses du pays et avait même commandé, à plusieurs reprises et toujours avec distinction, des colonnes chargées de réprimer des mouvements insurrectionnels. A ces brillantes qualités s'alliait malheureusement un grave défaut. Lorsque le général donnait un ordre, il indiquait en même temps les mesures de détail à prendre pour son exécution, et, s'il se trompait, si quelques-unes de ces mesures étaient inopportunes ou même dangereuses, la plupart des officiers n'osaient les modifier, parce que le général était très autoritaire. C'est ce qui arriva pour l'arrestation des émissaires de Bou-Amama. Le général télégraphia dans les différents cercles de faire procéder à cette opération -par un officier des affaires arabes. Cette dernière prescription était de trop. La capture des émissaires du marabout exigeait en effet, dans l'état d'agitation où étaient les esprits et en l'absence de nos troupes parties pour la Tunisie, beaucoup de tact, de prudence et une grande

expériencedesindigènes.


Or, le hasard pouvait très bien faire que l'on n'eût pas sous la main un officier réunissant ces conditions, et, dès lors, il eût mieux valu laisser au commandement local le soin de choisir lui-même les moyens à employez* pour opérer les arrestations dont il s'agit. Lorsque les instructions du général parvinrent à Géryville, le chef du bureau arabe était en tournée, à une soixantaine de kilomètres dans le Sud-Ouest, pour surveiller les menées de l'agitateur et, le premier adjoint étant malade, le commandant supérieur fut obligé de désigner le deuxième adjoint, M. le lieutenant Veinbrenner, pour aller arrêter les émissaires de Bou-

Amama. M. Veinbrenner était intelligent, très brave et surtout très énergique; mais, nouveau venu dans les affaires arabes, il manquait encore de la souplesse d'esprit indispensable aux officiers de ce service spécial; de plus, il n'avait qu'une faible pratique des nomades. Avant de l'envoyer chez les Djeramna, où se trouvaient les individus à arrêter, le commandant supérieur de Géryville examina avec lui toutes les éventualités qui pourraient se produire et lui dicta la conduite à tenir dans chacune de ces circonstances. Il lui recommanda, notamment, de ne pas chercher à forcer l'obéissance des Djeramna, s'ils refusaient de livrer les prisonniers, lui faisant remarquer que, s'il poussaitles choses à ce point, alors qu'il ne disposait pas d'une force suffisante pour imposer sa volonté, il risquait de faire naître un incident pouvant avoir de graves conséquences. Muni de ces recommandations, Veinbrenner se mit en route le 20 avril, avec une escorte de quatre spahis indigènes, dont un maréchal des logis, et alla coucher, le même jour, chez les Djeramna, campés à Oudeï-ElHadjel (30 kilomètres à l'est de Géryville). A son arrivée, il ne dit rien de sa mission et la nuit


lorslendemain matin, le Mais, incident. se passa sans qu'il donna l'ordre de mettre à sa disposition les nommés Taïeb et Merzouk — c'étaient les deux émissaires deBou-Amama — il y eut une violente explosion de colère dans le douar. En un clind'œil tous les indigènes furent sur pied, criant, gesticulant et menaçant; plu-, sieurs sortirent en armes de leurs tentes et tous ces énergumènes firent savoir à l'officier qu'ils s'opposaient à l'arrestation de Taïeb et de Merzouk, attendu, disaientils, que ceux-ci n'avaient commis aucun crime. Veinbrenner ne se laissa pas intimider et conserva d'abord son sang-froid; mais il finit par se fâcher et, alors, il cria plus fort que les indigènes, les menaça à son tour et déclara qu'il ferait exécuter les ordres du commandant supérieur, dût-il employer la force. A ces paroles, la fureur des Djeramna redoubla et le désordre fut porté à son comble. Il durait depuis, un quart d'heure, lorsque, tout à coup et sans raison apparente, la tempête se calma comme par enchantement. Les Djeramna qui, un instant auparavant, criaient comme de-s enragés, devinrent doux comme des moutons. Voici ce qui motivait ce changement d'attitude. Le chef du douar avait dit à ses gens « Puisque l'officier veut arrêter à toute force Taïeb et Merzouk, nous allons le tuer; mais taisez-vous pour qu'il ne se doute de rien. » Après avoir donné cette consigne à ses gens, ce gredin s'avança vers Yeinbrenner, qui, pendant toute cette scène, était resté à cheval et le pria d'oublier le moment d'effervescence qui venait d'avoir lieu, l'assurant que les Djeramna regrettaient leur conduite et qu'ils allaient exécuter ses ordres. Il l'invita ensuite à prendre une légère collation pendant qu'on réunirait les prisonniers et ajouta en riant « Tu es obligé d'accepter, sans quoi, nous croirions que tu ne nous as pas pardonné. » Yeinbrenner, désarmé par ces paroles, crut ne pas devoir

:

:

1 j

1


refuser; il mit pied à terre et entra dans la tente du chef de douar, suivi par plusieurs indigènes qui s'assirent en cercle autour de lui, dans une attitude très respectueuse du reste. On lui servit des dattes et du lait. L'officier commençait à goûter à ces aliments lorsqu'un indigène, placé derrière lui, se leva brusquement, sortit une matraque de dessous son burnous et lui en porta un coup si violent sur la nuque qu'il l'assomma. Ce fut le signal du massacre. En quelques secondes Veinbrenner fut achevé. Le frère du caïd, qui était près de lui et qui avait voulu le protéger, reçut une balle dans le bras. Un spahi, qui s'était porté à son secours, fut tué raide d'un coup de feu. En même temps, d'autres forcenés se mettaient à la poursuite des spahis restés en dehors. Les voyant venir, le maréchal des logis et un de ses camarades se réfugièrent dans une tente voisine où se trouvait un tout jeune enfant. Le sous-officier le prit dans ses bras, puis, se tournant vers les assassins, leur dit « Par la tête de cet enfant, ne nous tuez pas. » Cette prière le sauva ainsi que son compagnon (1). Quant au quatrième spahi, il avait pu rejoindre sa monture et prendre la fuite. Il arrivait quelques heures après à Géryville. En apprenant ce douloureux événement, le premier soin du commandant Fossoyeux fut d'en informer son chef de bureau arabe, le capitaine Reuillon, et de lui prescrire de rentrer au plus vite. Il recommanda au spahi chargé de porter sa lettre de ne parler à personne de l'assassinat de Veinbrenner, parce que toute indiscrétion de sa part pouvait être fatale au capitaine et à

:

son escorte. Les gens du douar où se trouvait le chef de bureau être restés prisonniers pendant six jours, purent s'échapper et revenir à Géryville. (1) Ces deux spahis, après


arabe s'attendaient, d'un moment à l'autre, à voir proclamer l'insurrection; aussi, dès qu'ils virent arriver le spahi, dont le cheval ruisselait de sueur, ils se doutèrent qu'un grave événement s'était passé et essayèrent de faire causer ce cavalier. N'ayant pu réussir, ils s'approchèrent du capitaine et cherchèrent, pendant qu'il lisait sa lettre, à surprendre sur son visage une trace d'émotion. Mais, de ce côté, ils furent encore déçus; pas un muscle de la figure de l'officier ne bougea. Sa lecture terminée, Reuillon se tourna vers le caïd et lui demanda s'il avait connaissance d'une rixe qui avait éclaté dans une tribu voisine. Il lui désignait un campement quelconque, situé à une trentaine de kilomètres de là.

Non, répondit le caïd. chef de arabe, dit le bureau Eh bien lui cette .,. — rixe a eu lieu et le commandant supérieur me prescrit d'aller de suite faire une enquête; je vais partir; fais seller les chevaux et donne une monture de rechange au spahi qui vient d'arriver; je l'emmène aussi avec moi. » Cette histoire, je n'ai pas besoin de le dire, était inventée de toutes pièces; mais elle fut débitée sur un ton si naturel que les indigènes s'y laissèrent prendre, ce qui permit au capitaine Reuillon de quitter le douar, avec tout son monde, sans éveiller le moindre soupçon. Il marcha d'abord dans la direction de la tribu où une prétendue rixe avait éclaté, puis il arrêta ses spahis et les mit au courant de la situation. Tous ces cavaliers furent d'avis qu'il seraitimprudent de suivre le chemin direct pour se rendre à Géryville; il était à prévoir, en effet, que les indigènes devaient déjà connaître l'assassinat de Veinbrenner et, qu'alors, ils essaieraient de leur couper la route; il valait mieux faire un détour et se rendre d'abord chez le «

!


caïd de Gliassoul, dont la fidélité était connue, puis, une fois arrivés dans ce keçar, se faire donner des chevaux de rechange et une escorte suffisante pour gagner Géryville. Le capitaine Reuillon suivit ce conseil et s'en trouva bien; toutes les prévisions de ses spahis se réalisèrent. Il arriva à Géryville le 23 avril au matin, sans avoir été inquiété. A Tiaret, l'arrestation des émissaires de Bou-Amama n'occasionna pas un drame sanglant comme à Géryville, mais l'opération n'eut pas plus de succès et faillit coûter la vie à un officier. Le commandant supérieur de ce poste avait désigné, pour remplir cette mission, un jeune capitaine, M. Parés, qui, bien que simple adjoint, avait cependant une assez grande expérience des indigènes. Parés se mit en route le 20 avril, comme l'avait fait Veinbrenner, et arriva, dans la soirée, chez les OuladHaddou, où se trouvaient les individus à arrêter. Dès son arrivée, il fut frappé de voir tous les douars de cette tribu réunis dans un rayon assez restreint, alors qu'en temps normal ils sont très éloignés les uns des autres. Il en demanda la raison au caïd. Ce chef indigène lui répondit qu'il craignait d'être attaqué par des tribus du cercle de Géryville, qui, disait-on, allaient faire défection et, en prévision de ce danger, il avait concentré tout son monde. Bien que cette raison eût l'apparence de la vérité, l'officier ne s'y laissa pas prendre. Il était de toute évidence, en effet, que, si le caïd avait craint un danger, il se serait empressé d'en informer son commandant supérieur, ce qu'il n'avait pas fait et, qu'en second lieu, il aurait fait refluer ses campements vers le Nord, du côté de Tiaret, au lieu de les laisser dans le Sud, à proximité des tribus dont il redoutait l'attaque. Le capitaine Parès en conclut que le caïd des Oulad-Haddou songeait lui-même à faire défection. Il ne laissa toute-


fois rien paraître de ses soupçons et alla prendre la diffa qu'on venait de lui servir. Le capitaine ne se trompait loin de se était il mais caïd; du intentions les pas sur douter que ce traître avait résolu sa mort et qu'il comptait, après entente avec ses gens, mettre son projet à exécution de la façon suivante. Dès que l'officier aurait fini de dîner, le caïd serait venu lui annoncer, d'un air effaré, que sa tribu allait être attaquée pendant la nuit et l'aurait supplié de retourner à Tiaret, afin de ne pas s'exposer à un danger sérieux, en restant dans son douar, où sa présence était

d'ailleurs inutile. Le caïd aurait ensuite fourni au capitaine une escorte, pour le reconduire à Tiaret, puis, après son départ, il aurait envoyé sur ses traces d'autres cavaliers, qui auraient simulé une attaque; dans le combat le capitaine et ses spahis auraient été tués et on aurait imputé ce crime à des cavaliers inconnus. Je m'empresse de dire que cet infâme projet ne réussit pas. Au moment où le caïd se disposait à l'exécuter, on vit arriver au galop une dizaine de cavaliers arabes, conduits par le fils de l'agha des Harrar en personne. Ce jeune homme, sans mettre pied à terre, dit au capi-

taine

:

Monte de suite à cheval et suis-moi; tu n'es pas en sûreté au milieu de tous ces traîtres. » A ce mot de « traître », le caïd voulut se récrier, mais le fils de l'agha lui imposa silence en lui disant « Tais-toi, fils de chien, je sais ce que je dis. » Parès ne se fit pas répéter deux fois l'invitation; il fit seller les chevaux et partit avec le fils de l'agha. Maintenant que nous savons ce jeune officier hors de danger, voyons ce qui s'était passé et comment ce secours providentiel lui était venu. «

:


x

Lorsque Bou-Amama avait envoyé ses émissaires dans nos tribus, l'agha des Harrar, El-Hadj-Kaddour-Saharaoui, était à Tiaret où il s'était rendu quelques jours auparavant pour se faire soigner. Il n'apprit que tardivement ce qui se passait; mais, dès qu'il eut connaissance des intrigues du marabout, il rejoignit son campement à El-Ousseugh, où il arriva le 18 avril au soir. Il lança aussitôt des cavaliers dans toutes les directions pour donner l'ordre à ses tribus de venir le rejoindre, et pour s'enquérir des personnalités qui pactisaient avec l'agitateur. Le 20 avril, un de ces cavaliers était de retour et prévenait l'agha que le caïd des Oulad-Iladdou et sa tribu étaient dans le mouvement. Quelques instants après, un second cavalier annonçait à ce grand chef indigène qu'il avait rencontré le capitaine Parès se rendant chez les Oulad-Haddou où il comptait passer la nuit. A cette nouvelle, El-HadjKaddour-Saharaoui ne put s'empêcher de s'écrier Mais ils sont donc fous à Tiaret; ils vont faire tuer «

:

cet officier.

»

:

Puis il dit à son fils a Monte de suite à cheval, prends quelques cavaliers avec toi et fais diligence; il faut que tu me ramènes le capitaine avant qu'il n'arrive chez les Oulad-Haddou. » On sait le reste. A Saïda, l'arrestation des émissaires de Bou-Amama réussit en partie et ne fut marquée par aucun incident fâcheux. Ce résultat fut dû à ce que le lieutenant-colonel Quarante, commandant supérieur de ce poste, n'hésita pas à modifier les instructionsdu général. Au lieu d'envoyer un officier chez les Rezaïna, où se trouvaient les individus à arrêter, il fit partir le brigadier de spahis du bureau arabe. Celui-ci était un homme très habile et, comme il appartenait à une petite tribu de mara-


bouts, fort respectée dans le pays, les Oulad-Sidi-Khelifat, il ne courait aucun danger. Ce brigadier revint le lendemain, ramenant un des deux émissaires du marabout; quant à l'autre, il avait réussi à prendre la fuite. A son retour, le brigadier déclara que les Rezaïna n'avaient pas cherché à entraver sa mission, mais qu'ils lui avaient fait moins bon accueil que d'habitude. Au lieu de lui donner un repas convenable, ils ne lui avaient servi qu'un simple couscous et, encore, ce plat était-il détestable. C'était là tout ce qu'il avait à reprocher aux Rezaïna. Avant d'aborder les événements qui se déroulèrent après l'assassinat de Veinbrenne'r, je crois utile de dire quelques mots d'une aventure tragi-comique qui arriva à un jeune adjoint à l'intendance de Mascara, M. G., qui fut surpris par l'insurrection sur les Hauts Plateaux. Les circonstances qui accompagnèrent èe't incident donneront une idée assez exacte de l'état d'esprit dans lequel étaient alors nos nomades. M. G., qui venait d'arriver de France, était parti de Mascara pour se rendre à Géryville, où il devait inspecter les services administratifs de ce poste. A son passage à Saïda, le 20 avril, il eut l'occasion de voir le chef du bureau arabe, qui ne lui cacha pas'qu'il commettait une grave imprudence en allant à Géryville au moment où une insurrection était à craindre. M. G., croyant à une plaisanterie, ne jugea pas à propos de différer son voyage. Il prit la diligence et coucha, le 21 avril, à Sfissifa-des-Saules, où il dîna avec l'officier qui commandait ce poste. Le lendemain, il atteignit le relais de Ben-Attab sans incident. Mais, arrivée là, la voiture fut assaillie par une dizaine de bergers arabes, qui faisaient paître leurs troupeaux dans les environs et qui, sans dire un mot, se mirent à la dévaliser. Le conducteur, un jeune indigène


taillé comme un hercule, ayant voulu protester, les assaillants lui dirent en riant Tu ne sais donc pas que l'insurrection a éclaté? Nous sommes les maîtres maintenant; fais comme nous prends ta part de butin. » Le conducteur, ne voulant pas les croire, allait se fâcher, lorsque le gardien du caravansérail, le prenant à l'écart, lui certifia que ce qu'il venait d'entendre était malheureusement vrai. Il lui expliqua qu'un officiér du bureau arabe de Géryville avait été assassiné la veille et que cette nouvelle, arrivée à Ben-Attab le matin même, avait comblé de joie tous les nomades des environs. Il lui conseilla de ne pas chercher à défendre sa voiture, de crainte que les bergers ne lui fassent un mauvais parti. Mis au courant de la situation, et comprenant le danger que courait M. G., le conducteur voulut le sauver. « Nous n'avons, lui dit-il, qu'une seule façon de nous tirer d'affaire; c'est d'enfourcher les deux chevaux du relais et de filer à toute vitesse sur Géryville. » Malgré les plus vives instances, M. G. refusa, étant convaincu que le conducteur de. la voiture ferait cause commune avec ses coreligionnaires et l'assassinerait en route, tandis que le gardien du caravansérail lui inspirait une grande confiance. Le conducteur partit seul, emportant son sac de dépêches, et arriva sans encombre à Géryville. Quand les bergers eurent terminé le pillage de la voiture, ils enlevèrent à M. G. tout ce qu'il possédait et l'emmenèrent prisonnier au douar du Krelifat de la tribu des Akerma, qui campait à 5 ou 6 kilomètres de là. Le gardien du caravansérail, un très honnête indigène, connaissait ce Krelifat; il le savait fanatique, très chaud partisan de Bou-Amama et, par cela même, parfaitement capable de faire mettre à mort un prisonnier

:

CI

:


chrétien que le hasard avait fait tomber entre ses mains. Il courut chez le caïd des Akerma, qui campaïc également dans le voisinage, et le supplia, après l'avoir mis sauver1officier. Ce chef de situation, la de courant au indigène accéda d'autant plus volontiers à cette prière qu'ilavait un caractère très chevaleresque. Il prit avec lui une dizaine de cavaliers et se rendit il arrivée réKrelifat. A de douar galop son son au au clama M. G., qu'il aperçut à moitié nu dans une tente; on lui avait enlevé son pantalon, son dolman et son képi. Les gens du douar faisant des difficultés pour lui remettre le prisonnier, le caïd les apostropha violem-

:

ment

Cet officier, leur dit-il, n'est pas venu dans notre pays pour nous combattre et, lorsqu'il a quitté Saïda, il ignorait que l'insurrection avait éclaté. Ce serait un crime de le tuer. Je suis fils de grande tente et je ne veux pas me salir au moment de quitter les chrétiens. Si vous ne me livrez pas de suite l'officier, la poudre va «

parler. » Devant ce langage énergique, les gens du douar ,s'empressèrent de remettre M. G. au caïd. Celui-ci lui procura un burnous, le fit prendre en croupe par un de ses cavaliers et se dirigea sur Sfissifa-des-Saules avec l'intention de le conduire jusqu'à la porte même de la redoute; mais il en fut empêché. L'officier qui commandait ce poste avait appris, quelques instants auparavant, les événements de Géryville et se trouvait encore sous l'impression de cette douloureuse nouvelle, lorsqu'il vit apparaître, dans le lointain, le caïd et ses goumiers. Croyant à une attaque, il appela sa troupe aux armes et fit tirer sur les arrivants un feu de salve qui, fort heureusement, n'atteignit personne. Devant cet accueil, le caïd fit descendre de cheval M. G., lui dit adieu et partit au galop. Il allait dispa-


raître derrière un petit monticule, lorsqu'il reçut une nouvelle décharge qui, fort heureusement encore, n'eut pas plus de succès que la précédente. Resté seul, M. G. se dirigea vers la redoute. Il avait à peine fait une trentaine de pas que plusieurs balles sifflaient à ses oreilles, tandis que d'autres ricochaient à ses pieds. C'étaient les défenseurs de la redoute qui continuaient leurs feux de salve.

G., ne voulant pas servir de

cible plus longtemps, prit ses jambes à son cou et courut vers la redoute, en levant les bras pour faire signe de ne plus tirer, ce que voyant, les soldats comprirent enfin que quelque chose d'anormal se passait et cessèrent le feu. L'officier alla lui-même recevoir le nouvel arrivant à la porte du bordj et, qu'on juge de sa stupeur, lorsqu'il reconnut dans cet Arabe, si drôlement accoutré, — il avait pour tout vêtement une paire de bottines, une paire de chaussettes, un caleçon et une chemise, le tout recouvert d'un méchant burnous, qui n'était même pas ajusté à sa taille, le jeune adjoint à l'intendance qu'il avait hébergé la veille. M.

-


CHAPITRE III Mesures prises pour enrayer l'insurrection. Combat de Sfisifa. — Ses conséquences.

*

Après l'assassinat de Yeinbrenner, les Djeramna se rendirent chez les Harrar avec l'espoir de les entraîner dans le mouvement; mais ils arrivèrent trop tard. L'agha Saharaoui, que nous avons laissé à El-Ousseugh, était en effet parvenu, dans la journée du 21 avril, à rassembler ses tribus, à l'exception des Oulad-Haddou qui avaient rejoint les rebelles, et les avait dirigées sur Tiaret pour les préserver de la contagion. Cet insuccès déconcerta les Djeramna et les obligea à retourner dans le Sud. Ils se mirent alors à parcourir le pays, exhortant les tribus à prendre immédiatement les armes et à envahir le Tell. Mais, contrairement à leurs espérances, leurs excitations furent assez froidement accueillies. Les nomades, en apprenant l'assassinat de Yeinbrenner, s'étaient figuré que ce crime avait été commis, à l'instigation de Bou-Amama, pour donner le signal de la révolte mais, quand ils surent que cet événement n'était que le résultat d'un incident fortuit et que l'insurrection partait avant l'heure, ils furent très désorientés, et, au lieu d'agir immédiatement, perdirent un temps précieux à attendre les ordres du marabout. Ce fut une grosse faute et j'ai la conviction que, si nous avions pu en profiter, en montrant de suite quelques troupes sur les Hauts-Plateaux, nous aurions réussi à détacher plusieurs tribus du parti de la révolte. Malheureusement

;

ils


nous n'avions

pas de troupes disponibles à ce moment; c'est à peine si les garnisons de Géryville, de Tiaret et i de Saïda, bien placées pourtant entrer en ligne de pour t suite, comptaient un effectif de cent hommes chacune: Mascara, chef-lieu de la subdivision, n'était pas mieux partagé; il eut été difficile de réunir dans cette place | trois cents hommes pans la dégarnir complètement. Quant au train des équipages et à l'artillerie, il n'en restait plus tout était parti pour la Tunisie. Il fallait cependant sortir de cette situation et ne pas montrer plus longtemps notre impuissance aux indigènes, sous peine de voir les événements prendre rapi dement de grandes proportions. La crainte de ce danger décida le général Cérez à recourir, faute de troupes régulières, à l'emploi des goums pour porter les premiers coups à la révolte. Il télégraphia, le 24 avril, les instructions suivantes dans les différents postes »

:

:

Le préfet met à la disposition de l'autorité militaire les goums et les bêtes de sommes de la commune mixte de Saïda. Même mesure pour Frenda et Tiaret. Il faut agir immédiatement. Portez l'agha Kaddour-ould-Adda (1) avec le goum des Djaffra (2), renforcé, s'il le faut, de celui de la commune mixte, tout de suite, à Sfisifa et Géryville. Ils couperont la route aux Rezaïna, s'ils bougent. Bel-Hadri (3), avec le goum de Frenda, va se porter dans la direction de Bou-Zoulei, pour couper la route ou poursuivre les Oulad-Haddou et les Oulad-Zian-Cheraga (4) ou autres en défection.

C'était l'agha de Saïda. Ce grand chef indigène était très énergique, d'une fidélité à toute épreuve et d'une habileté remar(1)

:

quable dans la conduite des goums. (2) Les Djaffra comprennent trois tribus du cercle de Saïda les Oulad-Daoud, les Maalif et les Ouaïba. (3) Fils aîné du bach-agha de Frenda. Ce jeune homme, qui était un vigoureux cavalier, commandait toujours les goums de Frenda, parce que son père ne pouvait plus monter à cheval, à cause de son grand âge. Bel-Hadri avait été fait chevalier de la Légiond'honneur à la suite d'un brillant fait d'arme. (4) C'est à cette tribu qu'appartenait le douar des -. Djeramna qui avait assassiné Veinbrenner.


Je prescris à l'agha des Harrar-Cheraga (1) de courir sur les tribus en défection. Donnez vos ordres de détail, organisez un convoi, etc. L'important est rapidité immédiate, vigueur et décision. On peut ainsi châtier et écraser le mouvement avant que la cohésion se fasse, que la contagion gagne. Des coups immédiats et vigoureux peuvent tout arrêter. Je compte sur l'éner-

gie de tous. Par les goums de Saïda, rassurés par les troupes qui se réunissent en arrière, ainsi qu'à Daya, et qui protègent leurs campements, et par les goums de Frenda, nous avons tout ce qui est nécessaire pour arriver à Géryville. Il le faut. Du reste, toutes les tribus ne semblent pas être encore dans le mouvement; il faut retenir les unes, frapper immédiatement les autres. Rendez-moi rapidement et régulièrement compte de tout.

Les mesures prescrites par ces instructions étaient on ne peut mieux appropriées aux circonstances, et il est certain que, si elles avaient été exécutées rapidement, elles auraient produit les résultats que le général en attendait.Mais il ne faut jamais compter sur la vigueur, sur l'entrain et sur l'énergie des goums, surtout au début d'une insurrection, car on s'expose à de graves mécomptes. Quand une révolte éclate, nos tribus ont toujours un moment d'hésitation, à moins que les insurgés ne soient leurs ennemis personnels. Dans ce cas, elles les attaquent volontiers et se battent même très bien. Mais, si elles n'ont contre les rebelles aucun grief particulier, aucun motif de haine, elles aiment mieux rester dans l'expectative et voir venir les événements. Elles trouvent d'ailleurs de nombreux prétextes pour différer l'exécution des ordres de l'autorité elles diront, par exemple, qu'avant de réunir leurs goums elles sont obligées de mettre leurs campements en sûreté; puis, quand

:

(1) L'agha

El-Hadj-Kaddour-Saharaoui.


leurs campements seront loin du lieu de la révolte, elles affirmeront que quelques-uns de leurs voisins vont prendre part à l'insurrection et les attaquer, si elles laissent partir leurs cavaliers; enfin, quand elles seront à bout d'arguments, elles finiront par obéir, mais, alors, leurs goums ne marcheront à l'ennemi qu'à contre-cœur et tourneront bride au premier coup de fusil. On ne sera donc pas surpris, après ce que je viens de dire, si quelques-unes de nos tribus, et principalement celles de Frenda et de Tiaret, qui vivaient en très bonne intelligence avec les Traffis, mirent peu d'empressement à exécuter les ordres du général. Le goum de Saïda fut le seul qui se mobilisa assez vite. Dès le 25 avril, il était réuni à Kralfalla, au nombre de 350 cavaliers du territoire civil et de 300 du territoire militaire, non compris les Rezaïna. Ceux-ci, comme nous l'avons déjà vu, étaient décidés à suivre l'agitateur, malgré les efforts de leurs caïds pour les en dissuader; mais, lorsqu'ils surent que l'insurrection était partie trop tôt, que Bou-Amama n'en avait pas encore donné le signal, ils n'osèrent se jeter de suite dans le mouvement, et un de leurs caïds, SassiOuld-Kaddour, profita très habilement de ce moment d'hésitation pour les détacher du parti de la révolte. rf leur représenta que celle-ci, ayant éclaté avant l'heure, n'avait plus aucune chance de succès, et qu'au lieu de se lancer dans une aventure, qui pourrait leur coûter cher, ils feraient mieux de rester dans le devoir, ou tout au moins d'attendre les événements avant de se prononcer. Ayant réussi à convaincre ses gens, le caïd Sassi leur fit immédiatement lever leurs campements, qui se trouvaient sur les bords du chott, à proximité des Traffis, et vint les installer auprès de la gare de Kralfalla, où ils


étaient éloignés du foyer de l'agitation. Les Rezaïna campaient encore sur ce point, lorsque l'agha KaddourOuld-Adda y arriva, le 25 avril, et ils se joignirent à lui, au nombre de 250 cavaliers, sans faire de difficultés. Jusque-là, tout allait bien, et l'agha se disposait à aller camper, le lendemain, à Sfissifa, lorsque ,l'inci.; dent suivant faillit retarder son départ. Dans la soirée, la plupart des caïds du territoire civil vinrent le prévenir que leurs cavaliers n'avaient aucune confiance dans les Rezaïna parce qu'ils avaient surpris des conversations leur donnant la certitude que ceux-ci les trahiraient dès qu'ils seraient aux prises avec l'ennemi; dans ces conditions, leurs goumiers hésitaient à se porter en avant et plusieurs avaient même manifesté hautement l'intention de retourner dans leurs tribus. L'agha télégraphia ces nouvelles, à 8 heures du soir, au commandant supérieur de Saïda, qui envoya immédiatement à*Kralfalla, par train spécial, un bataillon (ie la légion arrivé à Saïda quelques heures auparavant. Le chef du bureau arabe accompagna ce bataillon avec ordre de prendre vis-à-vis des Rezaïna telles mesures que comporteraient les circonstances. Dès son arrivée à Kralfalla, le 26 juin à la pointe du jour, le premier soin de cet officier fut de s'assurer que tous les campements des Rezaïna se trouvaient bien à proximité de cette station et, ayant constaté la chose, il n'eut plus aucune crainte sur la conduite que tiendraient les cavaliers de eeis tribus, lorsqu'ils aborderaient l'ennemi. Leurs campements, étant entre nos mains, répondaient en effet de leur fidélité et les obligeaient, qu'ils le voulussent ou non, à marcher franchement et à faire leur devoir. Aussi le chef du bureau arabe ne pordit pas son temps à s'enquérir si les accusations portées contre les Rezaïna étaient vraies ou fausses; l'important était


de rassurer les goumiers du territoire civil, de leur enlever tout prétexte pour retourner dans leurs tribus et de les mettre en route le plus vite possible. Dans ce but, l'officier affirma à tous les caïds du goum qu'il était sûr des Rezaïna, qu'il n'y avait rien de vrai dans les bruits répandus sur leur compte et qu'ils pouvaient partir sans crainte. Ces paroles rassurèrent tout le monde, et, une demiheure après, le goum se dirigea sur Sfissifa (1). Le lendemain, 27 avril, l'agha, continuant sa route sur Géryville, avait parcouru 1 ou 8 kilomètres, lorsqu'il fut rejoint par'le caïd des Derraga (Traffis), accompagné de 250 cavaliers, qui venait, disait-il, se mettre à sa disposition pour combattre les rebelles. L'agha avait une longue pratique des nomades; aussi n'accorda-t-il aux protestations de dévouement de ce chef indigène qu'une confiance très limitée; il ne laissa toutefois rien paraître de ses soupçons et accueillit très bien le caïd. Il l'invita à prendre rang au milieu de son goum, qui marchait en ligne déployée, ayant les Rezaïna à la droite. Au lieu d'exécuter cet ordre, le caïd des 1 Derraga fit celui qui ne comprenait pas et alla se placer, avec ses cavaliers, à 200 mètresenviron sur le flanc des Rezaïna. A ce moment, les éclaireurs signalèrent, dans le lointain, un nuage de poussière qui, vraisemblable-

ment, annonçait l'approche d'une troupe ennemie. Le mouvement des Derraga avait surpris l'agha et vivement inquiété les Rezaïna; ceux-ci trouvaient dangereux de laisser sur leur flanc un goum dont ils

:

(1) On se demandera sans doute pourquoi le bataillon ne partit pas avec le goum. En voici la raison A partir de Kralfalla, le

pays est complètement désert et une troupe ne peut s'y engager qu'en se faisant suivre d'un convoi portant ses vivres et ses bagages. Le bataillon de la légion, n'ayant aucun moyen de transport, était obligé de rester à la station de Kralfalla, où le chemin de fer lui portait ses vivres.


n'étaient pas autrement sûrs, alors surtout qu'un autre parti de cavaliers était signalé en avant de la ligne. L'agha, partageant ces craintes, réitéra au caïd des Derraga l'ordre de se placer au centre de son goum et. comme ce chef indigène faisait encore la sourde oreille, il prescrivit aux Rezaïna de ralentir l'allure et d'obliquer à droite, dès qu'ils seraient dépassés par les Derraga, de façon à les placer à une centaine de mètres en avant d'eux. Les Rezaïna exécutèrent ce mouvement avec tant d'habileté que les Derraga ne s'en aperçurent que quand il était terminé. Mais alors ils se' fâchèrent et, levant le masque, se mirent à insulter nos goumiers. L'agha ne pouvant les faire taire leur cria Si vous êtes des nôtres, exécutez mes ordres; sinon, « je sais ce que j'ai à faire. » A cette injonction, un cavalier des Derraga sortit des rangs et, brandissant son fusil d'un air de menace, ré-

:

:

pondit Non, nous ne sommes pas des vôtres et des fils de « grande tente comme nous ne craignent pas des fils de bergers comme vous. » Il avait à peine proféré cette grave insulte qu'un de nos goumiers, Djelloul-Ould-El-Bou-Anani, frère du caïd des Oulad-Daoud, lui envoya un coup de fusil qui le tua raide. Ce fut le signal du combat. Les deux groupes de cavaliers se ruèrent l'un sur l'autre et il y eut une mêlée furieuse qui dura quatre ou cinq minutes. Enfin, nos gens eurent le dessus et commencèrent la poursuite. Le combat avait été si rapide que nos goumiers placés au centre et à l'aile gauche de la ligne n'y avaient pas pris part. Lorsqu'ils virent les Derraga s'enfuir, ils prirent le galop, mais uniquement pour faire comme les


cavaliers de l'aile droite, et continuèrent à marcher droit devant eux. Tout à coup ils aperçurent, à 700 mètres en avant, un goum des Traffis — c'était probablement celui dont la présence avait été signalée quelques instants auparavant — qui se dirigeait rapidement de leur côté. A cette vue, ils furent pris d'une telle panique qu'ils firent demi-tour, sans tirer un coup de fusil, et se sauvèrent à toute bride. Ils étaient tellement affolés qu'en passant devant Sfissifa, ils ne songèrent même pas à se mettre sous la protection des feux de cette redoute et continuèrent leur course jusqu'à Kralfalla. Il est même probable qu'ils auraient dépassé cette station si leurs chevaux, exténués de fatigue, ne s'étaient arrêtés d'euxmêmes. Le goum ennemi, qui venait d'entrer en ligne, ne perdit pas son temps à donner la chasse à ces fuyards; il se jeta de suite sur les Oulad-Daoud et les Rezaïna, qui continuaient à poursuivre les Derraga, et les culbuta avec d'autant plus de facilité que ceux-ci étaient en désordre et n'avaient pas vu venir l'attaque. Nos goumiers furent obligés de fuir à leur tour et vinrent se réfugier à Sfissifa.

En somme, nous étions battus. Dans cette affaire, nous eûmes cinq hommes tués, dont le caïd des Maalif et le frère du caïd Sassi des Rezaïna. Les pertes de l'ennemi étaient sensiblement égales aux nôtres. En rendant compte du combat de Sfissifa, l'agha terminait ainsi sa lettre « J'ai été battu; mais, malgré tout, l'affaire est bonne, parce que j'ai coupé la corde qui existait entre les Rezaïna et les partisans de la révolte. » En s'exprimant ainsi, l'agha ne se trompait pas. Le combat de Sfissifa, malgré la défaite de nos goums, eut pour nous des conséquences très heureuses. Les parti-

:


consternés en apsans de Bou-Amama furent en effet prenant la conduite des Rezaïna, qu'ils savaient dévoués s'étaient qui tribus, plusieurs marabout, pas et ne au encore compromises, craignant de nouvelles trahisons, n'osèrent point bouger lorsque, quelques jours après, Bou-Amama proclama la guerre sainte. Quant aux tribus qui étaient restées dans l'expectative, comme celles de Frenda et de Tiaret, elles n'hésitèrent plus à mobiliser leurs goums et montrèrent même un grand empressement à exécuter les ordres de l'autorité; en un mot, il y eut une détente générale chez toutes ces populations et, devant ce revirement subit, les Traffis furent pris d'une telle peur qu'ils s'enfuirent du côté de Moghar pour mettre leurs campements en sûreté. On voit qu'en fin de compte, le combat de Sfissifa avait eu pour

résultat de rejeter dans l'Extrême-Sud une grave insurrection qui avait éclaté presque à la lisière du Tell. Le danger n'étant plus aussi pressant, l'autorité militaire eut tout le temps voulu pour organiser ses colonnes (1).

Pendant que nos troupes se mobilisent, citons un trait qui montre avec quelle facilité le nomade n'hésite pas à risquer sa vie lorsqu'il s'agit de gagner un peu d'argent. La veille du combat de Sfissifa, la ligne télégraphique de Géryville avait été coupée et, après l'affaire, il fallait absolument prévenir le commandant Fossoyeux de ce qui s'était passé, afin qu'il ne se laissât pas surprendre. On promit une somme de 100 francs au goumier qui consentirait à franchir la ligne ennemie pour porter une lettre à cet officier supérieur. Plusieurs indigènes des Rezaïna se présentèrent mais ils furent devancés par un spahi appartenant à une tribu nomade, à qui on donna la préférence. Ce spahi ayant fait remarquer qu'il serait prudent de lui ajoindre un autre cavalier pour le cas où il serait tué, cette proposition fut acceptée. Le spahi demanda alors s'il serait obligé de partager les 100 francs avec son compagnon. La réponse ayant été affirmative, notre homme s'écria aussitôt « Je n'ai besoin de personne, j'irai seul à Géryville; qu'on soit sans crainte, le commandant aura sa lettre. » Et, en disant ces paroles, il courut seller son cheval. Il arrivait (1)

;

:


à Géryville le lendemain après avoir traversé une zone de plus de 100 kilomètres, parcourue en tous sens par des cavaliers ennemis, qui allaient porter partout la nouvelle du combat de Sfissifa. Ainsi, pour une minime somme d'argent, cet homme risquait sa peau, au moins une dizaine de fois, ce qui n'empêchait pas les Rezaïna de dire, d'un ton'jaloux, en le voyant partir Il va gagner 100 francs. » « Quelle chance il a, ce spahi

!

:


CHAPITRE i Formation de la colonne Innocsnti. — Combat de Chellala.

La colonne chargée d'aller combattre l'insurrection s'organisa à Tafaroua dans les derniers jours d'avril. Elle comprenait les effectifs suivants 1° Trois bataillons d'infanterie (un du 2e zouaves, un de la légion et un du 2e tirailleurs), sous les ordres du colonel Swiney, du 2e zouaves 2° Quatre escadrons du 4e chasseurs d'Afrique, sous les ordres du colonel Innocent], commandant ce régiment; 3° Une section d'artillerie 4° Les différents services auxiliaires 5° Les trois goums de Saïda, de Frenda et de Tiaret (1.200 chevaux), sous les ordres, les deux premiers, de l'agha Kaddour-ould-Adda et, le dernier, de l'agha ElHadj-Kaddour-Saharaoui Enfin, un convoi de 2.500 chameaux conduits par 600 convoyeurs indigènes. M. le général Collignon d'Ancy, commandant la subdivision de Mascara, prit le commandement des troupes; mais il ne put le conserver que quelques jours, son état de santé ne lui permettant pas de supporter les fatigues de l'expédition. Arrivé à Géryville, le 9 mai, il entra à l'hôpital et fut remplacé par le colonel Innocenti. La colonne reprit sa marche, le 14 mai, et se dirigea vers la région de Moghrar, où se trouvaient les rebelles. Les premiers jours se passèrent sans incident; le pays traversé était complètement vide.

:

;

;

;

;


le 19 au matin, comme le colonel venait de Mais, lever le camp et se dirigeait sur Cliellala, où il comptait faire étape, il reçut une lettre du caïd de ce village, datée de la veille, et l'informant que Bou-Amama, à la tête de tous ses contingents, soit 1.500 cavaliers et 1.200 fantassins, venait d'arriver dans son keçar, et qu'il se porterait à sa rencontre le lendemain (19 mai) pour lui livrer combat. Ces renseignements étaient exacts. En effet, vers les 9 heures du matin, au moment où la colonne venait de terminer la grand'halte, ses éclaireurs signalèrent la présence du marabout à El-Mouellek. On nomme ainsi un long défilé, d'une largeur moyenne de 3 kilomètres, formé par deuxcollines parallèles, peu élevées, d'accès facile, et à l'intérieur duquel le terrain, sans être accidenté, présente, cependant, de grandes ondulations. Bou-Amama s'était placé au milieu de ce couloir et barrait la route que devait suivre la colonne pour se rendre à Chellala, ayant son infanterie au centre, en ordre dispersé, et sa cavalerie sur ses deux ailes,en ligne déployée. La position qu'il occupait était favorable à la défensive. Le colonne Innocenti, après avoir reconnu l'ennemi, prit le dispositif de combat suivant En tête, le bataillon de la légion déployé en tirailleurs et ayant au centre l'artillerie. Sur la même ligne que la légion, deux escadrons de cavalerie, qui devaient exécuter le combat à pied; les deux autres escadrons étaient placés en soutien, un peu en arrière. Les goums prolongeaient le front de la légion, celui de Kaddour-Ould-Adda, vers la droite, et celui de Saharaoui, vers la gauche (1). A 300 mètres en arrière de

:

fut une faute d'assigner cette place aux goums. On aurait dû les mettre en réserve derrière l'arrière-garde et ne les faire donner qu'après avoir forcé l'ennemi à la retraite. Nos (1) Ce


cette première ligne venait le convoi, en ordre serré et ayant sur chaque flanc deux compagnies de zouaves. Un peloton de chasseurs, sous les ordres du lieutenant Laneyrie, était placé dans l'intérieur du convoi et avait pour mission de maintenir l'ordre parmi les chameliers. Enfin, le bataillon de tirailleurs, en colonne serrée, formait la réserve, à 300 mètres plus loin. A son départ de Géryville, le colonel Innocenti avait fait savoir à ses goumiers que, s'ils étaient obligés de battre en retraite, après avoir abordé l'ennemi, ils de-

[

vraient toujours se retirer derrière l'arrière-garde, qui les protégerait, et ne jamais se réfugier dans le convoi. S'ils enfreignaient cette prescription, le bataillon qui avait la garde du convoitirerait sur eux. Avant d'engager l'action, le colonel renouvela ces instructions et s'assura, par lui-même, que son convoi était en ordre; que chacun occupait bien la place qui lui était assignée. Ce devoir accompli, il se porta auprès du bataillon de la légion et fit ouvrir le feu. A peine le combat était-il commencé- que les zouaves, mécontents du rôle secondaire qu'on leur faisait jouer, abandonnèrent le convoi et se portèrent, au pas de course, sur la ligne de tête, afin de prendre une part plus active à l'affaire (1). goums ne valent rien pour l'attaque; mais ils excellent pour la poursuite, car le désir de faire du butin est, pour eux, un puis-

sant stimulant.

Deux versions ont été données de cet incident. D'après, la première, le colonel Swiney aurait prescrit lui-même à ses zouaves de se porter sur la ligne de feu et, d'après la seconde, les zouaves auraient exécuté ce mouvement sans en recevoir l'ordre. Un officier très sérieux, quise trouvait auprès du colonel Swiney, m'a donné sur cette affaireunetroisième version que je crois être la vraie, la voici Dès que le colonel Innocenti, qui était venu jeter un coup d'œil sur son convoi, eut fait demi-tour pour rejoindre la légion, le colonel Swiney exprima tout haut le (1)

:


;

Le colonel Innocenti ne s'aperçut pas de ce mouveà ce moment, il venait de prescrire à ses goums ment de charger et il les suivait des yeux. Nos goums exécutèrent cet ordre sans entrain. Ils avaient parcouru une centaine de mètres, lorsque la cavalerie ennemie se précipita à son tour sur eux, avec une telle vigueur, que nos gens, effrayés, firent demi-tour et s'enfuirent bride

abattue. Ils avaient, d'après ce qu'ils ont dit, l'intention d'aller se reformer derrière l'arrière-garde, comme ils en avaient reçu l'ordre mais, voyant que le convoi n'était plus gardé, ils s'y réfugièrent, pensant que l'ennemi n'oserait pas les y poursuivre. En cela, nos goumiers se trompaient. La cavalerie de Bou-Amama ne les lâcha pas, ce que voyant, nos gens devinrent affolés et, pour se sauver, se frayèrent de force un passage à travers les chameaux, bousculant, renversant, piétinant tout sur leur route. Une fois sortis du convoi, ils se précipitèrent sur l'arrière-garde, à la débandade, et y jetèrent un tel désordre qu'il fût impossible à cette troupe d'intervenir. C'est à peine si le bataillon de tirailleurs put exécuter, vers la fin du combat, quelques feux de salve qui ne produisirent pas grand effet. Resté maître du convoi, l'ennemi commença par massacrer le peloton de chasseurs qui s'y trouvait, ce

;

:

mécontentement qu'il éprouvait du rôle assigné au bataillon de bouaves et prononça ces imprudentes paroles « Quand on se bat, la place des zouaves est en première ligne ît non à la garde des bagages. » Un capitaine, entendant ces paroles, lâcha immédiatement le lonvoi pour se porter sur la ligne de feu et ses camardes le suivirent, pensant qu'il agissait par ordre. Je donne cette version :elle qu'elle m'a été rapportée et sans en garantir autrement 'exactitude; mais, ce qui est certain, c'est que le colonel Swiley était un homme très énergique qui tenait bien son monde en nain. Aussi j'ai la conviction que, s'il n'avait pas vu d'un bon eil le mouvement des zouaves, il s'y serait opposé.


qui lui fut d'autant plus facile que nos malheureux cavaliers étaient sans défiance. Ils n'avaient pu se rendre compte de ce qui s'était passé et ne s'étaient même pas aperçus du départ des figusûreté croyaient et qu'ils de sorte se en se zouaves, raient que tous les cavaliers indigènes, qu'ils avaient devant eux, étaient des goumiers amis. Aussi, au lieu de se grouper pour se défendre, ils s'étaient dispersés pour mettre fin à l'effroyable désordre que l'arrivée successive, au galop de charge, de toutes ces masses de cavalerie avait jeté dans le convoi. Tous furent tués,y compris le lieutenant Laneyrie, en accomplissant ce devoir. Pendant que ces tristes événements se passaient derrière lui, le commandant de la colonne s'était porté en avant, avec l'échelon de combat, et avait réussi, après un feu meurtrier, à déloger l'infanterie ennemie et à l'obliger à prendre la fuite. Le colonel se félicitait déjà de ce succès, lorsque le caïd des Rezaïna vint le prévenir, d'un, air consterné, que tous les chameaux étaient enlevés. Cette nouvelle atterra le colonel qui cherchait vainement à s'expliquer un fait semblable lorsque, jetant les yeux sur sa ligne de tirailleurs, il s'aperçut que les zouaves s'y trouvaient. Il devina alors ce qui s'était passé; mais, au lieu de perdre son temps à récriminer, il alla au plus il prescrivit à ses escadrons de se mettre à la pressé poursuite des chameaux et de les ramener coûte que coûte. Nos braves chasseurs d'Afrique et, en particulier, l'escadron Meneust, exécutèrent cet ordre avec beaucoup de vigueur;aidés par les Rezaïna, ils parvinrent, après une chasse qui dura plus d'une heure, à reprendre les deux tiers des chameaux; ce fut très heureux, car, s'ils n'avaient pas réussi, la colonne, ne pouvant plus continuer sa route, aurait été obligée de reve-

;


nir précipitamment à Géryville et de s'avouer vaincue, ce qui aurait eu des conséquences excessivement graves,

,

comme nous le verrons dans un instant. Pour expliquer le zèle que mirent les Rezaïna à aider les chasseurs d'Afrique à reprendre les chameaux, il me suffira de dire que ces indigènes étaient les propriétaiqui c'étaient animaux; de plupart de la eux ces res avaient fourni presque toute la réquisition et ils étaient convaincus, qu'en cas de perte, l'Etat ne les indemniserait pas. Aussi, lorsqu'après s'être repliés sur l'ar-

rière-garde, ilsavaient vu l'ennemi emmener leurs chameaux, ils s'étaient emprfessés de reformer leur goum et de se mettre à la poursuite des ravisseurs, pencolonel. dant que leur caïd allait prévenir Après le combat, il fallut nécessairement remettre le convoi en ordre réparer les caisses de biscuit brisées, les sacs d'orge éventrés, les tonnelets de vin à moitié défoncés, les bâts de chameaux lacérés. Ces objets jonchaient le sol sur une grande étendue. Il fallut, de plus, panser les blessés et enterrer les morts. Tous ces soins demandèrent plus de quatre heures, de sorte que la colonne ne put reprendre sa marche que vers les5 heu-

:

le

res du soir. Le colonel voulait aller camper à Chellala. Son guide l'en dissuada en lui montrant le danger auquel il s'exposait. Il lui représenta que ses troupes, exténuées de fatigue et mourant de soif,n'arriveraient à Chellala que la nuit et seraient forcées, si l'ennemi s'était retiré dans ce keçar, comme c'était à prévoir, de lui livrer un nouveau combat pour avoir l'accès des sources, qui, toutes, se trouvent dans l'intérieur des jardins qui entourent Chellala. Or, ces jardins, entrecoupés de haies et traversés par de rares sentiers très étroits, étaient faciles à défendre, surtout la nuit. Pour s'en emparer, la colonne éprouverait de grosses pertes et, si elle


échouait, elle risquait d'être. anéantie parce que, le lendemain, elle serait assoiffee et incapable du moindre effort, ce qui la mettrait à la merci de son adversaire (1). Le colonel se rendit à ces raisons et alla camper à la source d'Aïn-Tazina, à 8 kilomètres sur sa droite. Le lendemain, il fit séjour et profita de ce temps d'arrêt pour continuer à mettre de l'ordre dans son convoi et pour licencier une partie des goums. Le 21, la colonne se rendit à Chellala. Le marabout qui, après le combat du 19,.s'était retiré dans cekeçar, comme l'avait prévu le guide, ne jugea pas prudenf de l'attendre et se retira à Aïn-El-Ardja, à 20 kilomètres plus au sud. Le lendemain et les jours suivants, il continua à se dérober devant nos troupes, sans toutefois s'en éloigner à plus d'un journée de marche. Ce manège dura jusqu'au 24 mai, date à laquelle le colonel reçut l'ordre de rebrousser chemin pour venir se ravitailler au Kreider. Nos pertes au combat de Chellala s'élevèrent à 60 tués et 22 blessés de son côté, l'ennemi fut assez éprouvé il perdit.-200 hommes.

;

;

servait de guide à la colonne Innocenti nous était incontestablement dévoué. Malgré cela, il laissa son fils, jeune homme de 24 ans, se joindre aux contingents de Bou-Amama, ce qui n'a rien de surprenant, car, au début d'une insurrection, les indigènes qui nous restent fidèles aiment assez, par mesure de prudence, avoir un pied dans le camp ennemi. Lorsque la fortune du marabout périclita, le jeune homme en question rentra dans sa tribu. Le commandant supérieur de Géryville le fit arrêter; mais, en considération des services de son père, il se contenta dé le traduire devant la commission disciplinaire de Mascara, au lieu de le déférer au conseil de guerre. Son père vint à Mascara et plaida lui-même la cause de son fils, qui ne fut condamné qu'à un mois de prison. On a beaucoup reproché au colonel Innocenti de n'avoir pas continué sa route sur Chellala après le combat du 19. Cette critique tombe à faux et j'ai la conviction que le colonel aurait perdu sa colonne, s'il n'avait pas suivi (1) L'indigène qui

les conseilsde son guide.


Cette malheureuse affaire eut un grand retentissement dans le pays et produisit, en tribu, une émotion qui aurait eu de fâcheuses conséquences sans l'habileté de l'autorité militaire. Une centaine dè goumiers qui, après l'affaire du 19 mai, avaient abandonné la colonne pour revenir chez eux, racontèrent, à leur passage à Géryville, que le marabout avait exterminé nos troupes. Le commandant Fossoyeux donna l'ordre de les arrêter; mais, plusieurs ayant pu s'échapper, il en informa immédiatement la division. Le général Cérez, se rendant parfaitement compte du danger qu'il y aurait à laisser des bruits semblables se propager, prit les devants et télégraphia dans tous les cercles de faire savoir aux populat ionsindigènes que la colonne Innocenti avait remporté un brillant succès et que nos goumiers s'étaient vaillammentcomportés, à l'exception d'un petit nombre qui, après avoir fui honteusement, dès le début de l'action, avaient abandonné la colonne. A leur arrivée, on devait arrêter ces déserteurs et leur enlever leurs selles et leurs fusils pour les punir de leur lâcheté. Les ordres du général furent ponctuellement exécutés, de sorte que nos tribus reçurent, en même temps, deux relations contradictoires du combat de Chellala, ce qui les rendit très perplexes, ne sachant à laquelle ajouter foi. Cependant plusieurs tribus, surtout chez les Harrar de Tiaret, aimèrent mieux croire au désastre de notre colonne qu'à son succès et prirent une attitude hostile. Elles montrèrent du mauvais vouloir à exécuter les ordres de l'autorité et refusèrent même de fournir les chameaux de réquisition qu'on leur commandait pour expédier un convoi de vivres à la colonne Innocenti. Les choses prenaient une vilaine tournure lorsqu'arrivèrent, fort heureusement, les goumiers licenciés à Tazina, le 20 mai, lesquels racontèrent franchement com-


ment les choses s'étaient passées. Les esprits se calmèrent. Un seul poste, celui d'Aflou, qui, à cette époque, n'était pas relié à Tiaret par une ligne télégraphique, ne put recevoir les ordres de la division assez à temps pour démentir les bruits colportés par les fuyards de Chellala. Lorsque ce démenti parvint au chef de l'annexe, l'effervescence avait pris de telles proportions qu'il fut impossible de l'arrêter et il en résulta que trois tribus, celles des Laghouat-el-Kecel, proclamèrent l'in. surrection.


CHAPITRE V Marche de Bou-Amama. — Massacre du brigadier Bringard et de son escorte. — Révolte des Laghouat. — Incursion des rebelles dans le Tell et dans les chantiers d'alfa. — Opérations de nos différentes colonnes. Panique de Saïda.

-

Le mouvement de la colonne Innocenti, rappelée au

Kreider pour se ravitailler, rendit sa liberté d'action à Bou-Amama, qui, au lieu de poursuivre nos troupes, se dirigea sur Géryville. A son passage à El-Ghodeur, le 25 mai, il surprit un poste de vingt goumiers de la tribu des Merabtin-Gharaba (Bach-Aglialik de Frenda), sous, les ordres de leur caïd Taieb-ben-Hamou, qui avaient été placés là pour assurer le service de la correspondance avec la colonne. Au lieu de faire du mal à ses prisonniers, le marabout les traita avec beaucoup de bienveillance et les remit en liberté quelques jours après. Cette manière d'agir lui rallia tous ces indigènes au point, qu'en le quittant, leur caïd Taieb-ben-Hamou lui jura fidélité et lui promit de l'aider dans ses entreprises. Nous verrons bientôt que ce traître lui tint parole. Le 1er juin, les rebelles passèrent en vue de Géryville, qui leur envoya, à tout hasard, quelques coups de canon, et allèrent camper, le même jour, au lieu dit Redjem el-Aoud. Le lendemain, ils descendirent la vallée de l'oued Sidi-Xaceur pour se diriger, à petites journées, sur Oglat el-Askoura. Dès le 28 mai, la ligne télégraphique de Géryvilleavait été coupée et l'autorité militaire, qui attachait une grande importance au main-


tien des communications avec ce poste, chargea le brigadier surveillant de la ligne entre Frenda et Géryville de les rétablir. Elle lui donna une escorte de trente goumiers, commandée par le caïd des Hassinat (BachAghalik de Frenda), chef très énergique et d'une fidélité à toute épreuve. De son côté, le brigadier télégraphiste, le père Bringard, comme on l'appelait, était un ancien soldat qui ne craignait point le danger; mais il avait la mauvaise habitude de prendre un petit verre tous les matins, et il faut croire que, le 3 juin, il avait bu un peu plus que de coutume, car, arrivant ce jour-là à Aïn-Defali et apprenant l'approche de l'ennemi, il refusa de battre en retraite, malgré les supplications du caïd. Il connaissait les Moricauds, ne les craignait pas et se chargeait de leur régler leur compte, s'ils avaient l'audace de l'attaquer. Devant cette obstination, le caïd aurait dû entraîner de force le père Bringard. Il n'osa pas le faire, parce que, à cette époque, les indigènes avaient un tel respect pour les agents de l'autorité, quelque modeste que fût leur situation, qu'ils auraient cru commettre une faute très grave en usant de violence à leur égard. Le caïd ne voulut pas non plus abandonner le brigadier télégraphiste, ce qui eût été une lâcheté, et le résultat de l'hésitation produite par ces beaux sentiments fut que, une demi-heure après, le père Bringard et son escorte étaient massacrés par les éclaireurs ennemis, à l'exception de trois cavaliers qui, laissés pour morts sui le terrain, revinrent à eux, pendant la nuit, eL purent, maigre dhorribles blessures, se traîner jusqu'à Géry-

ville.

J'ai déjà dit que Bcu-Amama n'était pas un homme

sanguinaire. Lorsqu'il apprit que son avant-garde avait massacré


l'escorte Bringard, alors qu'elleaurait pu se contenter de la faire prisonnière, il en conçut une telle indignation qu'il voulut, séance tenante, quitter ses contingents et retourner à Moghrar. Il fallut les instances des caïds des Traffis et leur promesses formelles de ne plus renouveler ces actes de cruauté pour le décider à rester. Pendant que le marabout descendait l'oued SidiNaceur, de graves événements se passaient dans l'annexe d'Aflou. Quelques fuyards du combat de Chellala, que le commandant supérieur de Géryville n'avait pu faire arrêter, arrivaient, le 21 mai, chez les Laghouat E-Kecel, et leur annonçaient que Bou-Amama avait anéanti notre colonne. Cette nouvelle, bien vite répandue, causa, dans le djebel Amour, une vive effervescence que le commandement ne put réprimer, faute de troupes (1), et décida les Laghouat à proclamer l'insurrection. Au lieu de rejoindre de suite les autres rebelles, les nouveaux insurgés songèrent d'abord à mettre leurs tentes et leurs troupeaux en sûreté et, à cette fin, se dirigèrent vers le Sud-Ouest. En route, leurs contingents furent renforcés par de nombreux Keçouriens du djebel Amour, ce qui porta à un millier d'hommes, dont quatre cents cavaliers, la nouvelle colonne ennemie que nous allions avoir à combattre. Les Laghouat marquèrent leur passage à travers les populations qui nous restaient fidèles par le vol, le pillage et l'assassinat. Le 28 mai,ilsrazzient les habitants de Tadjerouna le 30, ils attaquent ceux du petit keçar de Méchéria (sud de Géryville), leur tuent neuf hommes, dont le caïd, et arrivent, le 2 juin, à Ghassoul, où ils enlèvent encore quelques troupeaux. Continuant

;

Il n'y avait à Aflou que trois officiers des affaires arabes, un interprète militaire, leurs ordonnances, deux soldats du train et quinze spahis. (1)


du djebel Amour atteignent,le 4 juin, - Chéria, où leurs tentes sont désormais à l'abri, ce qui leur permet de revenir sur leurs pas pour rejoindre lesautres rebelles. Nouslaisserons un moment les Laghouat, pleinementsatisfaits de leurs actes de brigandage, poursuivre leur chemin et nous reviendrons au marabout. .Pendant sa marche sur Oglat-El-Askoura, de nombreux contingents, fournis par les- keçours du djebel Amour, étaient venus grossir ses forces. De plus, Bou-Amama recevait journellement, venant de tous les points, des émissaires sûrs et dévoués, qui le renseignaient sur les mouvements de nos troupes et sur les campements de nos tribus. Deux de ces traîtres méritent une mention spéciale. Ce sont le caïdTaieb-benHamou, que nous connaissons déjà, et un ancien spahi, originaire du bach-aghalik de Frenda, nommé Kaddourben-Moktar, qui s'était laissé gagner à la cause du désordre par son oncle, le fameux Taieb-el-Djermani, dont l'arrestation fut cause de l'assassinat de Veinbrenner. Ces deux personnages se tinrent en relations constan., tes avec le chef des rebelles et lui fournirent des indications qui contribuèrent, dans une large mesure, à la réussite de ses Pendant que Bou-Amama était ainsi tenu soigneusement au courant de nos faits et gestes, nous restions dans l'ignorance laplus absolue de ses mouvements; nos goumiers étaient devenus si craintifs, depuis le massacre de l'escorte Bringard, qu'ils n'osaient plus s'aventurer dans le voisinage de l'ennemi. Avant de relater la marche hardie que le marabout va effectuer à travers nos tribus et nos colonnes, en quittant Oglat-EI-Askoura, le 9 juin, il est nécessaire dindiquer les emplacements qu'occupaient Tios troupes

leur route,les insurgés

-

entreprises.


faire connaître les dispositions prises par l'autoritémilitaire pour assurer la protection du Tell. Le général Detrie, qui avait succédé au colonel Innocenti dans le commandement de la colonne du Kreider, était parti de ce point le 5 juin et campait, le 8, à Kreneg-El-Azir, ayant pour objectif Géryville, où il croyait trouver les rebelles. Il avait pour instruction de les poursuivre à outrance. A son passage à Sfissifades-Saules, le général avait laissé dans ce poste, pour alléger sa marche, une partie de son convoi sous la garde du bataillon de la légion, qui fut rejoint, le lendemain, par un escadron de chasseurs venu de Saïda. Tout en gardant le convoi, cette petite colonne devait surveiller les points d'eau des environs, tels que Kadra et Bedrous, ainsi que les abords du chott. Une troisième colonne, sous les ordres du colonel de M. , était venue se poster au Kreider, après le départ du général Détrie, et avait un rôle de surveillance analogue à la précédente. Une quatrième colonne, comprenant 600 hommes de troupes régulières et tous les goums de Frenda et de Tiaret, sous le commandement du colonel Brunetière, du 2e spahis, occupait Dar-Hamza-ben-Medjdoub (sud de Tiaret). Elle avait l'ordre de s'établir à Médrissa pour protéger les tribus de Frenda et de Tiaret et devait, si le marabout franchissait le chott, le poursuivre sans répit. La garnison de Tiaret comprenait 200 homcelle de Frenda 40 et celle de Saïda 400, dont un mes escadron du 26 chasseurs d'Afrique. Enfin, une cinquantaine de goumiers occupaient Tafaroua et Kralfalla pour protéger ces deux stations, ainsi que les établissements de la Compagnie franco-algérienne qui s'y trouvaient. On voit que l'échelonnement de nos troupes formait, pour ainsi dire, un cercle de fer sur la circonférence duquel se trouvaient les rebelles, à Oglat-El-Askoura, et il était permis d'espérer que, s'ils osaient y à cette date, et de

;




pénétrer, ils ne pourraient pas en sortir sans se faire écraser. Suivons maintenant Bou-Amama. 9 juin, de bon matin, il Parti d'Oglat-El-Askoura, contourna le chott à Guétifa, où il donna un léger repos à ses contingents, et alla camper à Oglat-Sidi-Abderrhaman. Son intention était de se jeter, le lendemain matin, sur cinq tribus du bach Aghalik de Frenda, dont les campements étaient installés le long et un peu à l'ouest de la ligne formée par le djebel Toual et l'aïn El-Haï. Il espérait les surprendre facilement, car il avait pris de grandes précautions pour leur cacher sa marche. Il fut néanmoins déçu dans ses espérances. Les tribus de Frenda, informées de son départ, vers les heures du soir, par une femme nommée Kheira-Bent-El-Hadj, qui avait surpris une conversation entre le caïd Taieb-benHamou et un de ses émissaires, décampèrent au plus vite et se sauvèrent, les unes dans la direction de Tagremaret et les autres dans celle de Tircine. Prévenu de cette fuite, vers les 10 heures du soir, par un nouvel émissaire de Taieb-ben-Hamou, Bou-Amama leva son camp et se mit à la poursuite des Oulad-Zian et des Merabtin, qui avaient pris la direction de Tircine. Il marcha toute la nuit. Malgré la rapidité de ses mouvements, toute chance de salut n'était pas perdue pour les fuyards. Ayant une grande avance sur lui, ils pouvaient espérer lui échapper et ilsyseraient probablement parvenus sans un fâcheux contre-temps qui retarda leur marche. Rendus à Tircine, trouvèrent devant eux une centaine d'indigènes des Doui-Hassein et des Hassasna qui, mis au courant du danger qui les menaçait, refusèrent de les croire et leur défendirent daller plus loin, craignant que leur passage désordonné, avec leurs troupeaux, à travers leurs orges, ne leur causât de grands dégâts. On devine le reste. Bou-Amama, qu'aucun incident

le

5

ils


n'avait arrêté dans sa course, rejoignit bientôt les OuladZian et les Merabtin et n'eut aucune peine à les faire prisonniers. Leurs cavaliers, qui auraient pu les défendre, se trouvaient à la colonne Brunetière et il ne restait

dans leurs campements que les piétons, les vieillards, les femmes et les enfants. Quant aux indigènes des Doui-Hassein et des Hassasna, ils avaient disparu comme une volée d'étourneaux à l'approche de l'ennemi. Bou-Amama ne fit aucun mal aux prisonniers et prescrivit à ses contingents de respecter leurs biens. Il alla camper avec eux à Tircine, où il fut rejoint par une centaine de tentes des Oulad-Sidi-Cheikh, qui, depuis plusieurs années, étaient internées, par mesure politique, dans le bach aghalik de Frenda. Les nouveaux arrivants firent de suite cause commune avec les rebelles et, comme ils connaissaient bien le pays, ils leur servirent de guide pour aller piller les silos des environs. Le lendemain 11 juin, l'ennemi, traînant à sa suite les Oulad-Zian et les Merabtin qui, désormais,serontobligés de le suivre (1), alla camper à El-Aouidj, et c'est pendant ce trajet que ses éclaireurs massacrèrent les chantiers d'alfa. (1) Une de ces deux

tribus, celle des Merabtin, oui avait pour caïd Taïeb-ben-Hamou, se décida, sur les conseils de ce traître, après son arrivée dans le Sud-Ouest, à faire cause commune avec les rebelles. Quant aux Oulad-Zian, ils firent leur possible pour recouvrer leur liberté ils y parvinrent après trois mois de captivité en payant la rançon suivante 25.000 francs, 20 tapis, 7 che-

;

:

vaux. Après avoir quitté les rebelles, un groupe de ceux-ci, conduit par Si-Allal-ben-Cheikh, des Oulad-Sidi-Cheikh-Gharaba, se mit à leur poursuite et leur enleva tous leurs moutons, soit 40.000 bêtes. Les Oulad-Zian arrivèrent à Frenda complètement ruinés. Le bach-agha, qui possédait une grosse fortune, leur prêta, sans intérêt (la religion musulmane n'autorise que les prêts d'argent do ce genre) les sommes nécessaires pour reconstituer leur cheptel. Cinq ans après, les Oulad-Zian avaient remboursé intégralement le bach-agha et étaient aussi riches que par le passé.


Pour le moment, et afin de ne pas nuire à la clarté de malheureux évém'étendrai ce je récit, sur pas ne mon nement. Je le traiterai dans un chapitre spécial et lui donnerai tout le développement qu'il comporte. Le 12 juin, le marabout fit séjour à El-Aouidj et ses cavaliers en profitèrent pour continuer le pillage des silos. Inutile de dire que partout nos indigènes fuyaient devant eux. Le 13, il campa à El-May et se dirigea, le lendemain, sur la Dayat El-Kerch pendant qu'une cinquantaine de ses éclaireurs allaient incendier, à Kralfalla, deux baraques en planches servant de gare à cette station, ainsi qu'une meule d'alfa appartenant à la Compagnie francoalgérienne. Le 15, il passa hardiment devant le Kreider, presque en vue de la colonne M., qui ne bougea pas, et alla coucher, le même jour, à Dayat El-Ghozelan. Enfin, le 16 juin, il traversa le chott et se trouva, désormais, en sûreté, car il avait une grande avance sur nos troupes. Bou-Amama, continuant sa marche, arriva le 18 juin à Touadjeur, où se trouvait son campement et, là, licencia ses contingents. Examinons maintenant ce que faisaient nos colonnes pendant que les rebelles parcouraient en maîtres notre territoire, pillant, massacrant et dévastant tout sur leur passage. Commençons par la colonne Détrie. Le général, que nous avons laissé le 8 juin à Kreneg El-Azir, se proposait, comme je l'ai dit, de se porter, le lendemain, sur Gréryville; mais, ayant appris que le marabout avait quitté les environs de ce poste, pour descendre l'oued Sidi-Naceur, il changea de direction et se porta, à son tour, dans cette vallée. Le 9 juin, il campa à Mechera El-Abad. Le lende-

il


main, comme il arrivait à Mekam-Sidi-Cheikh, ses éclaireurs vinrent le prévenir qu'une colonne ennemie, probablement celle de Bou-Amama, était installée sur ce point. Le général força sa marche dans l'espoir de surprendre les rebelles; mais, à son arrivée, ils avaient disparu. Cependant, une compagnie de zouaves put exécuter, de loin, quelques feux de salve sur leur arrièregarde, qui avait été obligée de s'arrêter pour protéger le convoi. Elle lui tua quatre ou cinq hommes. Disons le suite que les contingents rebelles rencontrés à Metam-Sidi-Cheikh n'étaient pas ceux de Bou-Amama; î'était la colonne des Laghouat, qui cherchait, elle aussi, i rejoindre le marabout. Le général, qui s'était mis à sa poursuite, ne connut ion erreur qu'en arrivant à Guetifa, où il apprit égalenent que le marabout avait pénétré dans le Tell et qu'il ivait une grande avance sur lui. Comprenant alors qu'il l'avait plus aucune chance de le rejoindre, il alla se poster, le 13 juin, à Amiat El-Ibel, en face d'un pasage du chott, très fréquenté et praticable en toute saion, espérant que le marabout serait obligé de passer ar là lorsque, chassé du Tell par nos troupes, il vou.rait rejoindre ses campements. Informé le lendemain ue l'ennemi se dirigeait vers l'Ouest, le général longea 3 bord du chott, pensant toujours pouvoir lui couper la traite, et alla successivement camper à Debdeb Elloter, à Sfissifa, où il reprit son convoi, à Bedrous et, nfin, au Kreider, où il arriva le 17 juin. Là, il reçut ordre de cesser la poursuite, le marabout se trouvant ésormais hors d'atteinte. Il n'y a aucune critique à formuler contre les opéraons de la colonne Détrie. Je dirai même que la marche u général, le long du chott, pour couper la retraite au marabout, ne manque pas d'habileté et tout porte à oire que, si elle ne réussit pas, ce fut parce que son


adversaire eut connaissance de ses projets. Il n'y a rien à reprendre non plus dans la conduitedubataillon de la légion laissé à Sfissiia. Ne disposant que d'un très petit nombre de goumiers, le commandant de cette colonne les employait à faire des reconnaissances du côté des points d'eau de Kadra et de Bedrous, qu'il était chargé de garder, et ne pouvait, par suite, savoir ce qui se passait à El-May. Arrivons à la colonne Brunetière. Celle-ci, comme nous l'avons vu précédemment, devait couvrir les tribus de Frenda et de Tiaret et disposait, pour l'aider dans ce soin, de tous les goumiers de ces deux territoires, soit 1.200 chevaux, sous les ordres de l'agha El-iladj-Kaddour-Saharaoui. Ce chef indigène était incontestablement très habile, mais, pastrès expérimenté et surtout très énergique sionné à l'excès et ennemi acharné du bach agha, il était à craindre, si on le laissait agir à sa guise, qu'ilne se désintéressât complètement des tribus de son rival, et c'est malheureusement ce qui arriva. Sur ses conseils, le colonel Brunetière resta avec sa colonne sur le territoire de Tiaret, alors qu'il aurait dû se rapprocher de celui de Frenda. Le bach-agha, qui connaissait bien Saharaoui, pressentant ce qui allait arriver, fit part de ses craintes au général de division, qui télégraphia, le 6 juin, au colonel, campé ce jour-là à El-Ousseugh, de se porter avec ses troupes à Médrissa, tandis que ses goums garderaient le pays entre Reggaï et Sidi-Man-

;

cour.

Il suffit

de jeter les yeux sur la carte pour se rendre compte que l'emplacement de Médrissa, par sa situation centrale, convenait on ne peut mieux au rôle assigné à la colonne. Or, le 8 juin, celle-ci était encore à El-Ousseug, et, le lendemain, elle ne faisait qu'une petite


étape pour se porter à Dar-Hamza-ben-Medjdoub, de sorte que les tribus de Frenda restaient à découvert (1). apprit, le 10 juin au matin, le passage de colonel Le , Bou-Amama à Oglat-Sidi-Abderrhaman; mais illui fut impossible de savoir, d'une façon exacte, la direction qu'ilavait prise en quittant ce point. Une première lettre de Saharaoui l'informait que l'ennemi s'était porté sur Aïn-Raïza, puis, une deuxième, qu'il s'était dirigé vers l'Ouest et, enfin, une troisième, qu'il avait disparu sans laisser aucune trace. Il est clair qu'avec de semblables renseignements, il n'était guère possible au colonel de chercher à atteindre son adversaire. Mais c'était de sa faute, car ayant les goums sous ses ordres, il lui appartenait de les diriger, de forcer, au besoin, leur obéissance et, surtout, de commander à leur chef, l'agha Saharaoui, au lieu de subir son ascendant. Je crois utile de reproduire, ci-après, deux lettres que cet officier supérieur écrivit au bach-agha de Frenda, les 7 et 10 juin, c'est-à-dire l'avant-veille et le lendemain du jour où le marabout passa dans le voisinage de sa colonne, parce qu'elles montrent surabondamment l'ignorance complète dans laquelle il fut tenu des mouvements de l'ennemi. El Ousseugh, le

7

juin

1881

Le colonel Brunetière au bachAgha.

Je suis arrivé à 4 heures, hier, à El-Ousseugh, en même ;emps que l'agha Sahararoui, qui est campé avec son goum L

mètres de moi. Ses espions, rentrés, hier, et qui avaient poussé jusqu'à

200

Je suis le premier à reconnaître qu'un commandant de coonne ne doit jamais hésiter à modifier des instructions qu'il reoit, de loin, lorsque les circonstances l'exigent. Mais tel n'était tas le cas, puisque le colonel, comme on le verra plus loin, n'avait (1)

.ucun renseignement sur l'ennemi. Il devait, dès lors, exécuter trictement les ordres du général et se porter à Médrissa.


Krencg-es-Souk, n'ont pas aperçu l'ennemi. Il est incroyable dérobé et que l'on ait perdu le ainsi soit Bou-Amama se que contact; s'il parvient à s'échapper du cercle de colonnes qui l'entourent, c'est que nous sommes mal éclairés ou que l'on a

intérêt à le laisser fuir. J'ai appris, hier soir, que sa bande se serait séparée en deux; une moitié serait allée dans l'Est et l'autre dans l'Ouest. Je vous prie de me renseigner à ce sujet (1). Je compte rester à El-Ousseugh jusqu'à ce que la présence de Bou-Amama me soit sérieusement indiquée et, alors, je me porterai au-devant de lui, avec les goums, s'il veut accepter

le combat.

Dar Hamza Ben Medjdoub, le

10

juin.

Le colonel Brwnetière au bacli Agha.

J'ai reçu votre lettre au moment de monter à cheval,

me dirigeant vers Ziadi, pour soutenir l'agha Saharaoui, qui devait, m'écrivait-il, rencontrer Bou-Amama. Vous devez savoir que les dissidents auraient couché, hier, à Sidi-Abderrhaman, toujours d'après ce que me dit l'agha Saharaoui, et qu'il se serait dirigé sur Aïn-Raïza. Je reçois une lettre de l'agha, qui me dit qu'il n'en est rien; que lui-même se porte à Médrissa, suivant les traces des dissidents, qui se porteraient vers l'Ouest. Toutes ces nouvelles contradictoires sont bien regrettables; elles affolent les populations, enlèvent aux goums l'énergie et le courage qui, déjà, chez eux, n'est pas poussé à l'extrême, et me mettent dans l'inaction faute de savoir, d'une façon certaine, où se trouve l'ennemi.

C'est à son arrivée à Ziadi que le colonel reçut la troisième lettre de l'agha Saharaoui, l'informant qu'ilavait perdu les traces de Bou-Amama. Désorienté par cette nouvelle, ou plutôt par ce manque de nouvelles, le commandant de la colonne, ne voulant pas rester dans Il est à remarquer que le colonel, lorsqu'il demandait ces renseignements au bach-agha, disposait, pour s'éclairer, de tous les goumiers de ce grand chef indigène, compter ceux de sans 1agha Saharaoui tandis que le bach-agha, privé de ses cavaliers, n'avait plus aucun moyen d'information. En le priant de le renseigner sur l'ennemi, le colonel se mettait dans la situation d'un riche qui demanderait l'aumône à un pauvre. (1)

;


l'inaction, prit une direction quelconque et se rendit à Frenda, où il arriva le 12 juin. Là, il reçut l'ordre d'aller se poster sur le bord du chott, à El-Amiat-Cherguia, où sa traversée était facile, et de garder ce passage. Le 14 juin, comme sa colonne se dirigeait sur Madena, son goum, qui la précédait d'une dizaine de kilomètres, rencontra les Laghouat, qui étaient toujours à la recherche de Bou-Amama. Cette fois, l'agha Saharaoui n'eut pas un moment d'hésitation; il se jeta de suite sur les insurgés du djebel Amour et les défit complètement. Il leur tua 86 cavaliers, dont le caïd des Rezeigat (1), leur enleva 1.000 chameaux, 900 bœufs, 4.500 moutons et captura tous les douars des Oulad-Sidi-Naceur (400 hommes et 800 femmes ou enfants) qui s'étaient joints à eux. Quand la colonne arriva sur le lieu du combat, tout était ter-

miné. On sera, sans doute, surpris de voir avec quelle vigueur l'agha Saharaoui attaqua les Laghouat, qui passaient pour les plus intrépides cavaliers du Sud, alors que, quelques jours auparavant, il s'était montré si mou vis-à-vis des contingents de Bou-Amama. Cette différence d'attitude s'explique facilement. Les Laghouat étaient, à cette époque — et ils le sont probablement encore aujourd'hui — les serviteurs religieux les plus dévoués des Oulad-Sidi-Hamza, qui exercent le pouvoir (1) Ce caïd, nommé Ahmed-Ben-Abdallah, était le personnage le plus influent des Laghouat. On avait grande confiance en lui.

:

parce qu'il s'était distingué dans la circonstance suivante En 1878, ayant appris que dix-sept tentes des Laghouat faisaient défection pour aller rejoindre les Oulad-Sidi-Hamza, il se mit à leur poursuite, avec vingt-cinq cavaliers, les atteignit à Haci-bouDib, presque à l'entrée de l'Erg, leur tua cinq hommes et fit prisonnier le reste, qu'il ramena à AHou. Ce fait d'armes lui valut, de la part du gouvernement général, une lettre d'éloges et un fusil d'honneur. C'est ce même homme qui fut un des principaux instigateurs de la révolte chez les Laghouat, ce qui prouve que ce proverbe arabe est vrai « Dans le Sud, ne te fie à personne qu'à ton cheval et à ton fusil. »

:


chez les Oulad-Sidi-Cheikh-Cheraga. Or, l'agha Saha-

raoui avait une haine profonde pour cette famille et considérait comme ses propres ennemis tous ceux qui lui étaient attachés. Les Laghouat étant de ce nombre, l'agha le leur fit sentir par l'acharnement qu'il mit à les combattre. Pendant que nous tenons les insurgés du djebel Amour, disons de suite comment se termina leur odyssée.

Découragés par leurdéfaite de Madéna, ils renoncèrent, à rejoindre Bou-Amama et remontèrent la vallée de l'oued Sidi-Xaceur pour gagner leurs campements. Poursuivis par la mauvaise fortune, ces dissidents arrivaient, le 16 juin, à Aïn-Recheb, sans défiance et harassés de fatigue, lorsqu'une colonne de quatre escadrons, appuyée d'un fort goum, surgit à l'improviste et se jeta sur eux. Les Laghouat n'essayèrent même pas de résister; ils prirent la fuite, serrés de près par nos cavaliers, qui leur tuèrent une centaine d'hommes, dont le frère du caïd des Oulad-A ïssa-Gueraridj (1), et disparurent pour ne plus revenir. La colonne qui faisait une si brusque apparition venait de Laghouat. Elle était commandée par le lieutenant-colonel Belin qui, après avoir pacifié le djebel Amour, avait eu l'heureuse inspiration, sur les conseils d'un jeune officier du bureau arabe d'Aflou, M. Tournade (2), de pousser une pointe du côté de Géryville, où le hasard lui avait fait rencontrer les Laghouat. Le colonel Brùnetière, après avoir séjourné quelques

,

(1) Le caïd de cette tribu, nommé Ahmed-Chachoua, était cependant ce que l'on appelle un bon serviteur. Il avait été spahi

1

au bureau arabe de Géryville et nous avait toujours servi avec zèle et dévouement. Il avait de plus une jolie fortune. Il ne poussa pas, il est vrai, sa tribu à la révolte, mais il ne fit rien non plus pour la retenir dans le devoir. | (2) Actuellement député de Paris. 1


jours à El-Amiat-Cherguia, reçut l'ordre de revenir à

fiaret. De toutes les critiques auxquelles les opérations de ctte colonne donnèrent lieu, la plus sage et la plus juste fut certainement celle que formula le bach-agha le Frenda, dans un rapport qu'il adressa, le 28 juin L881, à l'autorité supérieure. Voici les conclusions de ce document

:

J'ai l'honneur

de porter à votre connaissance, Monsieur le

général, que l'agha El-Hadj-Kaddour-Saharaoui est inconestablement responsable d'avoir laissé faire ce qui s'est passé, que M. le Colonel commandant la colonne n'en est pas l'auteur. L'agha en est seul responsable, attendu qu'il connaît parfaitement le pays et qu'il est au courant du servicedu Meghzen (il a l'expérience du commandement). C'est agha qui, au point de vue du service, est responsable; il est ]air qu'il a permis à l'ennemi d'accomplir ses desseins, car était lui qui dirigeait la marche M. le Colonel (1).

et

:

de

Voyonsmaintenant ce qui se passa à Saïda lors de 'anivée inopinée de Bou-Amama à Tircine, point situé sur le territoire de cette commune mixte (2). Dès que (1) Après l'insurrection, l'agha Saharaoui

fut relevé de son

commandement et interné à Alger. Il avait évidemment commis me faute très grave en ne renseignant pas le colonel Brunetière sur la marche du marabout, qu'il ne pouvait pas ignorer. Se basant sur ce manquement à ses devoirs, plusieurs l'accusèrent de trahison, allant jusqu'à dire qu'il avait été de connivence avec Bou-Amama dès le début de l'insurrection. Cette accusation ne put jamais être éfayée de la moindre preuve, tandis qu'il fut clairement établi que l'agha nous avait rendu do grands services; sans lui, toutes ses tribus se seraient léclarées pour Bou-Amama après l'assassinat de Veinbrenner. Pour comprendre le mobile de la conduite de Saharaoui, il suffit de savoir que ce chef indigène avait une haine profonde pour le bach-agha de Frenda, qui lui était infiniment supérieur sous tous les rapports. Poussé par ce sentiment, il laissa les rebelles pénétrer sur le territoire de son rival, afin de lui jouer un vilain tour. La conduite de Saharaoui, en cette circonstance, fut très coupable et on eut raison de le punir; mais elle ne constituait pas le crime de trahison au sens propre du mot. ("2) Au moment de l'insurrection de Bou-Amama, le territoire


cette nouvelle fut connue, elle causa une profonde ém( tion dans le pays. Les Européens s'alarmèrent et les indigènes des tr] bus s'enfuirent dans toutes les directions, avec leui tentes et leur troupeaux, jetant partout la panique et 1 désordre. Il ne fallait pas songer, pour le moment d moins, à faire marcher la garnison de Saïda contre le rebelles, car il était à craindre, si elle s'éloignait, qu de nombreux Arabes ne profitassent du désarroi généra pour attaquer et piller les colons, ce qui eût créé un effervescence pouvant dégénérer en véritable insurrec tion. C'est d'ailleurs ce qui faillit se produire, malgr la présence des troupes. Dans la journée du 11 juin, toute la lie de la popula tion indigène, tous les gens de sac et de corde des tribu se donnèrent rendez-vous dans le territoire civil et ; commirent de sérieuses déprédations, surtout du côté d< Nazereg. Effrayés par ces malandrins, la plupart dei colons auraient abandonné leurs demeures pour se réfu gier à Saïda, si le lieutenant-colonel Quarante, corn, mandant supérieur, n'eût promptement rétabli l'ordre. fit donner la chasse aux pillards par l'escadron de chasseurs d'Afrique, qui en arrêta quelques-uns, et menaça de faire fusiller, séance tenante, tout individu faisanl partie d'une bande qui serait surpris rôdant autour d'une ferme isolée. Cette menace arrêta net l'agitation. Le 11 juin, les nouvelles les plus contradictoires circulèrent au sujet des mouvements du marabout. Nos in-

l

:

de Saïda était organisé de la façon suivante tout le pays compris entre le Chott et la ligne Sidi-Yussef, Saïda et Dj-Temdfel constituait le territoire militaire et dépendait du commandement supérieur. Les tribus situées au nord de cette ligne formaient la commune mixte et étaient placées sous l'autorité de l'administrateur de ladite commune. Enfin, les habitants de Saïda, de Nazereg et des fermes environnantes constituaient une commune de plein exercice, administrée par maire dans les mêmes conun ditions que les communes de France.


igènes, apercevant ses cavaliers se dirigeant par petits roupes dans toutes les directions, — ils allaient piller s silos — les prenaient pour des avant-gardes et

)yaient l'ennemi partout. Enfin, le 12 juin au matin, le caïd des Hassasna, yant aperçu pendant la nuit les feux de bivouac des ibelles,àEl-Aouidj, en informa le lieutenant-colonel uarante, qui fut alors fixé sur les intentions de Boumama. Il était clair, en effet, puisqu'il avait quitté ircine pour revenir vers le Sud, qu'il ne songeait plus envahir le Tell, comme on le craignait, et qu'il allait itourner dans ses campements, sans doute, pour mettre

butin à l'abri. Le commandant supérieur, prévoyant que l'ennemi rait obligé, pour échapper aux colonnes Détrie et runetière, de passer par El-May, résolut de lui couper route. Il fit monter toutes ses troupes en chemin de 12 juin, '1' et alla se poster à Kralfalla, où il arriva le 2 heures de l'après-midi. A peine y était-il installé, l'il reçut de la division un télégramme, conçu en terostrès impératifs, lui prescrivant de revenir de suite Saïda parce que, disait le général, le préfet du déparment lui avait communiqué une dépêche de l'admiistrateur de cette commune, affirmant que Bou-Amama archait sur la ville avec tous ses contingents. Le lieutenant-colonel hésita à exécuter cet ordre, autant plus qu'à son arrivée à Kralfalla il avait appris, une manière certaine, que le marabout n'avait pas littéEl-Aouidj. Mais, ayant réfléchi que la bande enneie, signalée par l'administrateur, pouvait très bien être Innée par le ramassis de malfaiteurs qui, la veille, raitterrorisé le territoire civil, il fut effrayé à l'idée danger qui menaçait les colons et revint précipitam.1 ment à Saïda. A son arrivée, quel ne fut pas son étonment de voir que les habitants, au lieu d'être dans la >11


consternation, riaient au contraire de la peur épouvantable qu'ils avaient eue quelques heures auparavant, et qui s'était produite dans les circonstances suivantes Après le départ des troupes, un indigène était venu prévenir l'administrateur que Bou-Amama marchait sur la ville avec ses contingents. Ce fonctionnaire refusa d'abord d'ajouter foi à cette nouvelle; mais, un second Arabe la lui ayant confirmée, il finit par la croire et, pensant bien agir, il fit prévenir les habitants de la banlieue de se tenir prêts à se réfugier dans la redoute au premier signal. Comme bien on le pense, ceux-ci, qui étaient encore sous l'impression des événements de la veille, et qui savaient que toutes les troupes avaient quitté Saïda, — le lieutenant-colonel n'y avait laissé que les malingres, soit une quarantaine d'hommes — n'attendirent pas un nouvel avis pour se mettre en sûreté; ils se précipitèrent en foule vers la redoute. Apprenant cette panique, et ne se rendant pas compte qu'il l'avait provoquée lui-même, l'administrateur en demanda la raison. On lui répondit qu'elle était motivée par l'approche d'une forte colonne ennemie que l'on apercevait dans le lointain. Cette fois, l'administrateur perdit la tête; il télégraphia au préfet que toutes les troupes, étaient parties, laissant la ville sans défense, et que le marabout était à ses portes. Au reçu de ce télégramme, le préfet se précipita chez le général qui, sur ses instances, donna l'ordre au lieutenant-colonel de revenir d'urgence. La colonne ennemie qui avait occasionné cette panique était tout simplement un goum de 400 chevaux que le sous-préfet de Mascara dirigeait sur Saïda pour être mis à la disposition du commandant supérieur, en remplacement de ses goumiers partis avec la colonne Détrie. Lorsque le lieutenant-colonel Quarante se rendit

:

j


compte de la fausse manœuvre qu'on lui avait fait faire, il eut un tel accès de colère qu'il en devint malade et

dut s'aliter. Le commandant Schürr, du 2e chasseurs d'Afrique, le remplaça. A ce moment, il était encore facile de réparer la faute commise, puisqu'ilsuffisait de renvoyer, par train spécial, la colonne à Kralfalla, où elle serait arrivée le 13 juin, assez tôt pour pouvoir gagner El-May avant le marabout. Le commandant Schürr, qui était à cheval sur la consigne, ne voulut pas entendre parler de ce mouveil aurait cru commettre un acte d'indiscipline ment 3n rectifiant la fausse mesure ordonnée par le général. [1 faut dire aussi que cet officier supérieur prenait le commandement dans des circonstancesdifficiles. Ne connaissant pas la situation politique du pays, il était convaincu que la plupart des Arabes allaient se révolter ît la poursuite qu'il avait donnée, la veille, avec son îscadron, aux malandrins qui étaient venus jeter le désordre en territoire civil ne faisait que le confirmer lans cette opinion. J'ajouterai que le général de division partageait un peu cette manière de voir, car, le 13 juin, 1 télégraphia au commandant de ne quitter Saïda, pour marcher sur l'ennemi, que dans le cas où celui-ci 'csterait en place ou remonteraitl vers le nord. On se appelle qu'en partant d'El-May, le 14 juin, une cinluantaine de cavaliers de Bou-Amama,envoyés en reconnaissance à Kralfalla, avaient incendié cette gare. Prévenu de ce fait quelques heures après, le commanlant Schürr en conclut que le marabout marchait avec :outes ses forces sur Kralfalla, remontant ainsi vers le 'lOrd et, en conformité des ordres reçus, il partit imméliatement pour se porter à sa rencontre. A son arrivée à Kralfalla, à 3 heures du soir, il ap-

;


prit que Bou-Amama continuait sa marche vers l'ouest. Il s'arrêta alors et se tint prêt à agir suivant les renseignements qu'il recevrait de ses goumiers. Ceux-ci, il faut leur rendre cette justice, n'avaient pas perdu un seul instant le contact de l'ennemi, depuis le 12 juin, et fournissaient des renseignements très précis sur sa marche. Vers les 5 heures, le commandant reçut du général Cérez, qui venait d'arriver à Saïda, l'ordre suivant

:

Il faut absoluement menacer la marche du marabout très alourdie et l'enfermer entre la colonne M., ou le forcer à s'y jeter. Partez, une fois la lune levée; allez vous installer à Sfid, avec deux jours de vivres; faites reposer vos hommes et faites-les manger. Après, poussez une pointe dans la direction du Kreider, ou plus à l'Ouest, si vous y voyez l'ennemi; au besoin, faites mettre sac à terre à une partie de vos hommes; faites-les garder par une compagnie et poussez à outrance le marabout, s'il est en votre présence. Il est bien entendu que vous devez vous relier et agir de concert avec vos goums et que, si le marabout marchait vers l'Est, vous devriez le suivre. Le marabout a très peu de monde. Plus de la moitié de ses forces est anéantie par le colonel Brunetière (1); il est entre vous et le colonel M., et ne doit pas en sortir. Mes instructions ne vous enlèvent aucune initiative. Je ne puis tout prévoir. Agissez activement pour atteindre le but que je vous indique.

Les instructions du général furent strictement exécutées et, le 15 juin avant le jour, la colonne Schürr arrivait à Sfid. Pour se rendre compte de l'habileté de ce mouvement, il suffit de consulter la carte. De Sfid, la colonne Schiirr commandait tous les points d'eau situés dans la région, depuis Tafaroua jusqu'au delà de l'oued Fallet, car elle pouvait facilement les atteindre avant l'ennemi, et, de son côté, la colonne M., postée au (1) Le colonel Brunetière, croyant avoir eu affaire au marabout à Madena, avait télégraphié dans ce sens à la division, ce

qui explique l'erreur du général.


Kreider, se trouvait dans la même situation vis-à-vis les sources d'eau qui sont le long du chott. En quittant le dayat El-Kerch, où il avait passé la nuit du 14 au L5 juin, le marabout était donc obligé, s'il voulait pouriuivre sa route vers l'ouest, vers le sud ou vers le nord, le combattre l'une ou l'autre des deux colonnes, faute le quoi il ne pouvait avoir la libre disposition d'un )oint d'eau. S'il retournait sur ses pas, le danger était mcore plus grand, parce qu'alors, nos troupes de Sfil it du Kreider, en le poursuivant, l'auraient poussé sur e bataillon de la légion et sur la colonne Détrie, l'enîermant ainsi dans un cercle assez étroit, d'où il lui aurait été difficile de sortir. Bou-Amama, comprenant le danger de la situation, l'hésita pas sur le parti à prendre. Le 15 juin, il contima hardiment sa route vers l'ouest, prêt à combattre a colonne M. si elle l'attaquait, et passa à 5 kilonêtres du Kreider, presque en vue de celle-ci, qui ne )ougea pas. Tous les officiers de la colonne, furieux de :ette inaction, manifestèrent tout haut leur mécontenmais ils eurent beau crier, rien n'y fit : le coloement iel s'enferma dans sa tente et laissa le marabout contiiuer tranquillement sa route jusqu'à Dayat el-Ghozéan. Ce n'est que le lendemain, 16 juin, qu'il se mit à mais il était trop tard, car le marabout a poursuite .vait une grande avance sur ses troupes. La condui te du colonel de M. est d'autant plus inexplicable que cet officier supérieur avait de beaux états le services; il avait fait la campagne du Mexique, s'y tait brillamment conduit et avaitreçu deux blessures u siège de Puebla. Quelques jours après sa faute, il fut relevé de son ommandement et mis à la retraite d'office. La pointe hardie que Bou-Amama venait de pousser lans le Tell aurait eu pour nous des conséquences ex-

;

;


cessivement graves, s'ilavait montré plus d'habileté politique. A son arrivée à Tircine, il aurait dû rassurer les populations indigènes, leur dire qu'il était venu dans leur pays, non pour les combattre, mais pour en chasser les chrétiens; et, s'il avait tenu ce langage, il est hors de doute que tous les Arabes l'auraient suivi. Son succès à Chellala, où il n'avait pas craint de se beaucoup plus nombreuse et colonne une avec mesurer mieux armée que ses contingents (1), avait été si extraordinaire que les indigènes n'étaient pas éloignés de l'attribuer à une interventiondivine et de croire que Bou-Amama était réellement le moul es saa (le maître de l'heure), envoyé par Dieu pour les délivrer du joug des infidèles. Ils l'auraient, par suite, aidé dans ses entreprises et la révolte se serait propagée dans le Tell avec une rapidité d'autant plus grande que le pays était complètement dégarni de troupes. Tandis qu'en molestant des musulmans qui ne lui avaient rien fait, en pillant leurs silos, Bou-Amama ruina son prestige religieux, et rompit le charme qui les attirait vers lui. Il quitta le Tell, chagé de butin, mais complètement discrédité aux yeux de ses coréligionnaires, qui ne virent plus en lui qu'un chef de bande, beaucoup plus préoccupé de faire des razzia sur des musulmans que de combattre des chrétiens. Il convient de dire, à la décharge de Bou-Amama, que ses contingents étaient très difficiles à conduire et il est possible qu'il n'ait pas pu les diriger suivant ses vues. L'Arabe du Sud est né pillard et rien ne peut changer sa nature; aucune considération, qu'elle soit politique ou religieuse, n'est assez puissante pour faire taire ses instincts de rapine lorsqu'il trouve à les exer(1) A cette époque, les Arabes cheux où des fusils à baguette.

n'avaient que des fusils Lefau-


cer, même contre ses coreligionnaires et, surtout, contre les Arabes du Tell, pour lesquels il professe un certain mépris (1). Quarante fut un des premiers à saisir la grosse faute que commettait le marabout en pillant les silos des environs de Tircine. L'administrateur de Saïda étant venu le supplier d'envoyer ses troupes au secours de ses administrés musulmans, le lieutenant-colonel refusa, pour les raisons que j'ai indiquées, et ajouta en plaisantant, pour le consoler de ce refus « Après tout, ce n'est pas une mauvaise chose que BouAmama houspille un peu nos indigènes du Tell cela leur fera changer de sentiment à son égard. » (1) M. le lieutenant-colonel

:

;


CHAPITRE VI Massacre des chantiers d'alfa. Xous avons vu au chapitre précédent que les ouvriers employés à la cueillette de l'alfa sur la concession de la Compagnie franco-algérienne furent attaqués et, en partie, massacrés dans la matinée du 11 juin, pendant la marche des rebelles de Tircine à El-Aouidj. Ces malheureux, d'origine espagnole pour la plupart, se livraient, sans défiance, à leur travail habituel, lorsqu'ils furent assaillis par des bandes de forcenés qui les sommèrent de leur remettre tout ce qu'ils possédaient. Ceux qui tentèrent de résister ou qui montrèrent de l'hésitation furent tués sans pitié; quant aux autres, ils eurent la vie sauve, mais furent emmenés prisonniers. Je dois dire que Bou-Amama n'apprit ce crime atroce, commis à son insu par ses cavaliers d'avant-garde, qu'en arrivant à El-Aouidj; il en conçut une telle indignation qu'il donna immédiatement l'ordre de mettre en liberté tous les prisonniers. La plupart de ses cavaliers, pour calmer sa colère, lui promirent d'obéir; mais, en réalité, ils ne relâchèrent que les hommes adultes et tinrent cachés dans leurs tentes les femmes et les enfants, qu'ils emmenèrent en captivité (1). (1) Tous ces prisonniers nous

furent rendus à la fin de l'insurrection. Quelques enfants, qui avaient été conduits jusque dans le Tafilalet, furent rachetés, au prix de 1.500 francs chacun, par l'autorité militaire, qui préleva la somme nécessaire sur les amendes collectives infligées aux tribus ayant pris part à la révolte.


Le massacre des chantiers d'alfa produisit en France et en Algérie une émotion d'autant plus poignante que, sur le moment, on exagéra encore l'importance du malheur; on crut que tous les ouvriers, hommes, femmes et enfants, soit un millier de personnes, avaient été massacrés, alors que le chiffre des morts, déjà bien élevé, ne dépassait cependant pas une centaine. Lorsque l'émotion fut un peu calmée, l'opinion publique voulut savoir comment les choses s'étaient passées et, surtout, pourquoi les chantiers n'avaient pas été prévenus. Ces établissements, au nombre de trois, étaient situés, les deuxpremiers, près de Daz, sur le territoire du bach-aghalik de Frenda, et le dernier, de beaucoup le plus important, à Redjem-El-Eugab, sur le territoire du cercle de Saïda. Or, l'arrivée de BouAmama à Tircine ayant été connue à Saïda, le 10 juin, à 2 h. 30 de l'après-midi, et les massacres n'ayant commencé que le lendemain, à 10 heures du matin, on avait tout le temps voulu pour faire évacuer les chantiers. A qui incombait la responsabilité de ce regrettable oubli? L'autorité militaire, mise en cause, déclara qu'elle avait prévenu, par écrit, la Compagnie franco-algérienne et celle-ci affirma, de son côté, que jamais semblable communication ne lui avait été faite. Ces déclarations contradictoires donnèrent lieu à une polémique de presse tellement passionnée, qu'il fut impossible à l'opinion publique de connaître la vérité. Il faut dire aussi que, sous cette question de responsabilité morale, s'en cachait une autre qui intéressait pécuniairement la Compagnie franco-algérienne. Celleci sentait en effet très bien que, si sa culpabilité était démontrée, elle ne pourrait demander à l'Etat de l'indemniser de ses pertes, et cette question d'intérêt contribua, beaucoup plus que la question morale, à enve-


nimer les débats et à empêcher la lumière de se faire jour. Aujourd'hui, que le massacre des chantiers d'alfa est oublié, risque qui près lointain, à événement ne peu un plus de soulever les mêmes polémiques qu'autrefois, il est de mon devoir, puisque j'écris l'histoire de l'insurrection de Bou-Amama, de dire toute la vérité et de faire connaître les responsabilités encourues. Au commencement de juin, dès que Bou-Amama s'engagea dans la vallée de l'oued Sidi-Naceur, le lieutenant-colonel Quarante, commandant supérieur de Saïda, insista vivement auprès de M. Engler, représentant de la Compagnie franco-algérienne, pour que les chantiers d'alfa fussent évacués, lui faisant remarquer que ses ouvriers couraient un danger sérieux, du moment où ils ne se trouvaient plus qu'à une centaine de kilomètres d'un ennemi aussi mobile que le nomade. M. Engler répondit au lieutenant-colonel qu'il ne

pourrait prescrire cette mesure que s'il lui en donnait l'ordre par écrit, afin de mettre sa Compagnie à couvert. Celle-ci, ayant passé des marchés à terme, était obligée de livrer ses ballots d'alfa, dans les délais convenus, sous peine de se voir condamner à de gros dommages et intérêts. Le commandant supérieur fit remarquer au représentant de la Compagnie franco-algérienne qu'il n'avait pas qualité pour lui donner un ordre semblable que son rôle se bornait simplement à le prévenir du danger que couraient ses ouvriers; que telles étaient, d'ailleurs, les instructions de l'autorité supérieure (1).

;

territoire de commandement, le commandant supérieur n'a, vis-à-vis des Européens, d'autres attributions que celles d'un maire et ne peut leur donner aucun ordre, car il ne dispose d'au- j cun moyen légal pour le faire exécuter. (1) En

j


M. Engler persista dans son refus, mais il promit d'en référer à sa Compagnie. Le 10 juin, à 2 h. 30 de l'après-midi, le lieutenantcolonel fut prévenu de l'arrivée du marabout à Tircine, )ar un cavalier des oulad Zian, nommé Si-El-Habib)en-Kraled, qui avait pu s'échapper au moment où sa

ribu était faite prisonnière. Il en informa immédiatenent, par écrit, le représentant de la Compagnie francolgérienne et, pour plus de sûreté, chargea son chef de sureau arabe de porter lui-même sa lettre. Cet officier, ui connaissait bien le pays, devait, en même temps, ournir àM. Engler tous les renseignements dont il ourrait avoir besoin pour faire évacuer les chantiers î plus rapidement possible. Le chef du bureau arabe s'acquitta fidèlement de sa iission (1). Il conseilla à M. Engler de télégraphier de aite à son représentant à Tafaroua, M. Desbordes, ordre de faire monter à cheval tous les gardes de la ompagnie, de les faire accompagner par des goumiers e ce poste et de les envoyer prévenir les ouvriers des lantiers de se replier sur Saïda. Ceux-ci, pour exécuter îtte retraite, pouvaient prendre le chemin qui trarse la forêt des Hassasna, ou, ce qui valait encore ieux, se rendre d'abord à Tafaroua, où le chef de ire de Saïda les aurait fait prendre par un train spécial. Après avoir fait toutes ces recommandations, le chef bureau arabe se retira. En partant, il oublia de se dre délivrer par M. Engler un reçu de la lettre qu'il mait de lui remettre, et c'est cet oubli qui permit à Compagnie, après les massacres, de soutenir qu'elle avait pas été prévenue. .1

avait représenté l'Etat dans la délimitation des rrains à Alfa concédés à la Compagnie et connaissait, dans as ses détails, cette vaste concession, qui s'étend depuis El letifa (est du Chott) jusqu'à Ras-El-Ma (sud de Bel-Abbès). (1) Cet officier


Malgré ses dénégations, le commandant supérieur ai Saïda n'eut aucune peine à établir, d'une manière irré futable, que la Compagnie franco-algérienne ne disai Soi fit il cette voici comment vérité et la preuve. pas chef de bureau, qui était très prudent et qui n'avaii cessé de réclamer l'évacuation des chantiers d'alfa refusait, avait pris su! voyant que la Compagnie de cavaliers trois juin, dès 9 le placer, faire lui de Hassasna au grand chantier de Redjem-el-Eugab, 1 seul qui fût sur son territoire. Il avait prescrit à ces ca valiers de surveiller le pays au loin, et, surtout, du côt du chott, à El-Amiat-Cherguia, parce que c'était par 1 qu'il y avait le plus à craindre de voir le marabout fair irruption dans le cercle de Saïda. En cas de danger, il devaient prévenir le chef du chantier de décamper im médiatement et de se rendre à Saïda en passant par 1 forêt des Hassasna. Il est bon de faire remarquer que la mesure prescrit par le chef de bureau arabe, tout en étant très sag n'en constituait pas moins un abus d'autorité; cet of cier n'avait pas le droit en effet de déranger des indi gènes des travaux de la moisson, qui venaient de com mencer, alors surtout que la main-d^œuvre faisait dé faut par suite de l'emploi à nos colonnes de nombreu: goumiers et convoyeurs, pour les obliger à faire u] service de surveillance, non rémunéré, autour d'un éta blissement privé, appartenant à une Compagnie tre riche, très puissante et disposant d'un nombreux pei

s'y

sonnel.

C'était à celle-ci à se garder elle-mêmepuisqu'ell voulait, envers et contre tous, continuer son exploitatio dans l'état de trouble où était le pays. Quoi qu'il en soit, ce furent ces trois cavaliers qu interrogés quelques jours après les massacres, prouv rent, clair comme le jour, que la Compagnie franc -


lgérienne avait été prévenue de l'arrivée du marabout Tircine, et qu'elle aurait pu facilement sauver ses uvriers si elle l'avait voulu. Je transcris ci-après les déclarations de ces trois in.igènes et des deux autres témoins qu'ils mettent en ause, sans rien y changer, me bornant à donner, dans es renvois au bas de la page, les éclaircissements ou ?s observations que certains passages me paraissent omporter. )éclaration de Mohamed-ould-Khelil, âgé de 25 ans, de la tribu des Hassasna-Cheraga, chef du douar El-Isasfa. Le 23 juin 1881, à 4 heures au soir.

Le 9 juin au matin, avant que nous ne connaissions la nouelle de la marche du marabout sur Tircine, le khalifat de otre tribu me désigna avec les nommés Moktar-ould-Zitonni b El-Habib-ould-Ahmed, pour aller faire une reconnaisince du côté du chott. Il nous recommanda, dans le cas où ous apprendrions des nouvelles alarmantes, de venir de lite prévenir le chantier de Redjem-el-Eugab, et de lui dire e décamper. Nous nous conformâmes à cet ordre et, dans journée du 10, nous fîmes une exploration en avant du L lantier de Redjem-el-Eugab, dans la direction d'El-Amiat-

herguia. Nous ne vîmes rien d'anormal (1). La nuit, nous vînmes ous installer au chantier de Redjem-el-Eugab. Vers les 9 ou ) heures du soir (il y avait environ une heure que les gens u chantier dormaient), un garde indigène de la Compagnie :anco-algérienne, le nommé Kaddour-bou-Zian, arriva au lantier et nous demanda si nous n'avions pas vu passer des

larretiers.

Nous lui répondîmes affirmativement, attendu que, quelues moments auparavant, nous avions vu huit voitures trarser le chantier, se dirigeant vers l'Est. Kaddour-bou-Zian se dirigea immédiatement dans la disction que nous lui indiquions, en nous disant

:

(1) Il suffit de jeter les yeux sur la carte pour se rendre compte je ce cavalier ne pouvait rien voir d'anormal du côté de El Haiat Cherguia, le 10 juin, puisque Bou-Amama était ce jour-là

Tircine.


a

Il faut que je coure après

ces charrettes, car

j'ai l'ordre

de les faire rentrer de suite à Tafaroua. » Les paroles de Kaddour-bou-Zian nous inquiétèrent; nous

nous mîmes immédiatement à sa poursuite, et nous le rejoignîmes, comme il venait d'atteindre les charrettes, dans un endroit situé à environ 2 kilomètres du chantier (comme de Saïda à la colonne Lamoricière). Il y avait là huit huit charrettes vides et quatre charrettes chargées d'alfa que les charretiers vidaient à la hâte. Nous demandâmes aussitôt à Kaddour-bou-Zian ce qui se passait. Voici sa réponse plus sûr. Je suis envoyé par la Compagnie « Le pays n'est pour faire rentrer d'urgence ses charrettes. Les Oulad-Daoud et les Rezaïna ont reçu l'ordre de se réfugier au plus vite dans la montagne d'Aïn-Mannaa (1). » En apprenant ces nouvelles alarmantes, nous dîmes à Kaddour-bou-Zian de venir avec nous prévenir le chantier de Redjem-el-Eugab d'avoir à décamper. Ils nous répondit qu'il n'avait pas d'ordres pour ce chantier, qu'on lui avait donné pour instructions de faire revenir les charrettes de la Compagnie seulement; devant le refus de Kaddour-bou-Zian nous nous en revînmes au chantier de Redjem-el-Eugab. Nous réveillâmes son chef, un nommé Martine (2), et nous lui dîmes ce qui se passait. Nous fîmes connaître à cet Européen que nous avions l'ordre de notre kalifat de lui dire de décamper et de s'enfuir au plus vite dans la forêt des Hassasna, si nous apprenions des nouvelles alarmantes. Nous lui racontâmes notre conversation avec Kaddourbou-Zian, et nous lui apprîmes que les charretierss'enfuyaient. Martine nous répondit qu'il ne ferait pas évacuer le chantier, à moins d'un ordre écrit, et nous demanda si nous avions cet ordre. Nous lui répondîmes négativement. Nous quittâmes alors le chantier et nous allâmes faire une exploration dans les environs, du côté de Zeraguet et du chott. Le pays paraissait tranquille. Le lendemain, vers les midi,

:

détail était vrai. En quittant M. Engler, le chef du bureau arabe de Saïda avait prescrit aux Rezaïna et aux OuledDaoud, à qui les Traffis en voulaient beaucoup parce qu'ils les avaient combattus à Sfissifa, de se réfugier dans la montagne d'Aïn-Manaa, qui n'est qu'à 10 kilomètres de Saïda et où ils auraient pu facilement se défendre parce que le pays est boisé et accidenté. (2) Son vrai nom est Martin Martinez. (1) Ce


pîomme nous nous en revenions vers le chantier, nous aperçûmes un goum assez nombreux qui nous barrait la route.

lD'était un goum ennemi. La route nous était coupée et nous 1.e pouvions plus rien tenter pour prévenir le chantier; nous rlûmes songer à notre sécurité personnelle et nous enfuir. [Les nommés Motkar-Ould-Zitonni et El-Habib-Ould-Ahmed )Iont des déclarations semblables à la précédente.)

Wéclaration de Kaddour-bou,-Zian,originaire de la tribu des Oulad-Daoud, demeurant, âgé de 40 ans environ, garde ilndigène de la Compagnie franco-algérienne. (Cette déclaration a été faite en présence de M. Dalcantara, employé supérieur de la Compagnie franco-algérienne parlant très bien l'arabe.)

y

Le 2i juin 1881, à 9 heures du malin.

Le 10 juin, vers les 5 heures au soir, M. Desbordes, chef lies transports à Tafaroua, me donna l'ordre de monter à achevai, de faire diligence, de crever ma monture au besoin, et We rejoindre, n'importe où je les trouverais, les charrettes de la Compagnie franco-algérienne, et de les faire revenir à [Tafaroua. En même temps, M. Desbordes me donnait une lettre, en me prescrivant de la faire lire aux charretiers. Je tme conformai aux ordres que je venais de recevoir. Je trouvai bd'abord huit charrettes à Ferha-el-Hassanj sous la direction [du commis Garcia (1). Je lui montrai ma lettre, qu'il émargea, puis il fit rebrousser chemin aux voitures. J'arrivai ensuite au chantier de Redjem-el-Eugab, que trarverse le chemin suivi par nos voitures. A ce moment il faisait nuit et tout le monde dormait. Je ne réveillai personne, parce que je n'avais aucun ordre \concernant les chantiers (2). A cet endroit, je trouvai trois cavaliers des Hassasna-Che-

charrettes de la Compagnie franco-algérienne marchaient toujours par huit et il y avait à la tête de chaque section run chef surveillant. (2) Le garde Kaddour-bou-Zian était un homme sérieux, qui [ne perdait pas facilement la tête et qui, surtout, ne craignait pas le danger. En 1864, lors de la grande insurrection des OuladSidi-Cheikh, il avait, près de Sfid, traversé en plein jour une liofficier du danijne de cavaliers ennemis pour aller prévenir un Rothviller avait ger qui le menaçait. Ce jour-là, M. le capitaine quitté la colonne Jolivet, au Kreider, pour venir à Saïda. Il avait l'intention de coucher à Sfid. Or, deux heures avant d'at(1) Les


raga, douar El-Isasfa, à qui je demandai s'ils n'avaient pas vu passer des charrettes. Ils me répondirent affirmativement et ajoutèrent même que les voitures n'étaient pas loin. Je continuai mon chemin et, après 2 ou 3 kilomètres de marche, j'atteignis enfin les voitures. Elles étaient au nombre de douze, dont huit vides et quatre chargées. C'était un nommé Morales, qui en était le chef. Je lui exhibai l'ordre dont j'étais porteur. Aussitôt cet Européen fit faire demitour à tous les attelages et les mit en route pour Tafaroua. Pendant cette opération, les trois cavaliers des HassasnaCheraga, dont j'ai parlé plus haut, vinrent me trouver et ils me demandèrent ce qui se passait. Je leur répondis que j'avais reçu l'ordre de faire rentrer d'urgence toutes les voitures, parce que le pays n'était pas sûr. J'ajoutai que les Rezaïna et les Oulad-Daoud quittaient leurs campements pour se réfugier dans la montagne d'AïnManaa. Les trois cavaliers me quittèrent et je m'en revins avec les charrettes. Celles-ci, au retour, ne traversèrent pas le chantier de Redjem-el-Eugab; Îignore pour quel motif elles ne p'rirent pas cette direction qui est leur chemin habituel quand elles sont vides (1). teindre ce point, un goum ennemi de 1.500 chevaux, qu'il croyait ::ès loin dans le Sud, était venu occuper Sfidet l'aurait fait prisonnier sans le dévouement du garde Kaddour. (1) Il est extraordinaire que ces charretiers, espagnols pourla plupart, n'aient pas songé à prévenir leurs compatriotes du danger qui les menaçait. Dans la circonstance, il n'y eut pas oubli de leur part, car, parlant presque tous arabe, ils durent certainement entendre les trois escaliers des Hassasna supplier le garde Kaddour de venir avec eux au chantier de Redjem-el-Eugab. Ce qu'il y a de plus étrange encore, c'est de voir ces charretiers prendre un chemin détourné, au lieu de suivre leur route habituelle qui passait par le chantier, pour revenir à Tafaroua. Ce serait à croire qu'ils faisaient leur possible pour que le chantier restât dans l'ignorance de ce qui se passait. Il eût été intéressant de demander des explications à ce sujet au commis Morales. Mais la Compagnie franco-algérienne ne voulut pas le laisser interroger, et, comme il ne s'agissait que d'une enquête administrative, on ne put l'y forcer. Elle refusa également de communiquer l'ordre écrit que le garde Kaddour faisait émarger par les chefs charretiers. On se demande aussi pourquoi M. Desbordes ne fit pas accompagner le garde Kaddour par quelques goumiers du poste de Tafaroua. Ces cavaliers étaient à la disposition des agents de la Compagnie. S'il avait pris cette précaution, on peut être certain que ces goumiers auraient fait évacuer les chantiers, parce que le caïd qui les commandait — un ancien spahi médaillé, dé-


D. — De quel interprète s'est servi M. Desbordes, pour r vous donner ses ordres f R. — D'aucun; il connaît quelques mots d'arabe et j'ai [ parfaitement compris ce qu'il me disait; je devais marcher r vite, crever même mon cheval et faire rentrer toutes les char( rettes de la Compagnie. Je n'avais aucun ordre pour les chantiersd'alfa; sans quoi, vous songez bien que je les aurais t fait décamper en même temps que les voitures. =

?

Déclaration de Martin Martinez (1), chef du chantier de Redjem-el-Eugab} 40 ans, né à Lorca (Murcie). i

propriétaire du chantier de Redjem-el-Eugab, sert d'interprète, et M. Dalcantara, employé de la Compagnie franco-algérienne, assiste à la déclaration.

M. Campillo,

Le 26 juin 1881, 9 h. 1/2 du malin.

Le 9 au soir, trois cavaliers des Hassasna-Cheraga, dont j'ignore les noms, mais que je connais de vue, vinrent à mon chantier et me dirent qu'ils étaient envoyés par l'autorité pour en assurer la sécurité. Je leur donnai du café. Le lendemainrevinrent s'en matin, 10, ces cavaliers partirent en exploration et s'en rev i nrent la tombée de la nuit. Ils n'avaient rien vu et

à

couchèrent au chantier. Cette nuit du 10 au 11 et, vers 1 heure ou 2 du matin, un garde de la Compagnie francoalgérienne, nommé Kaddour-bou-Zian, arriva à mon chantier. Il parla d'abord à mon garde de nuit et aux trois cavaliers des Hassasna-Cheraga, puis il m'appela » « Eh, Martine Je lui répondis « Qu'est-ce qu'il y a?M'apportes-tu une lettre? » Il me répondit (t Non. » Je m'habillai aussitôt et je sortis de mon gourbi. A ce moment, Kaddour-bou-Zian et les trois cavaliers des Hassasna quittèrent le chantier, se dirigeant vers l'Est. J'allai avec mon garde de nuit m'asseoir auprès du feu et j'attendis.

:

!: :

»

voué et intelligent — leur aurait donné des ordres formels dans ce sens, avant de les mettre en route. (1) Ce témoin n'arriva à Saïda que le 26 juin. M. Campillo, qui avait l'entreprise de l'alfa au chantier de Redjem-EI-Eugab, ayant eu connaissance des déclarations des témoins précédents, refusa d'abord d'y croire. Il ne se rendit à l'évidence qu'après avoir entendu la déposition de son chef de chantier, en qui il avait une confiance absolue.


Une heure et demie environ après, les trois cavaliers des Hassasna revinrent. Ils paraissaient inquiets. Je leur demandai ce qui se passait. Ils me répondirent que Kaddoubou-Zian leur avait dit qu'il était envoyé pour faire rentrer d'urgence les charrettes, que Bou-Amama était dans les environs. C'est le chef du douar, un des trois cavaliers, qui m'a dit cela. Voici comment il s'est exprimé Ya! Martine, Kaddour-gal-Bou-Amama, chouia grib. <( Hana nemchiou (1). » Je compris, à ces derniers mots, qu'ils s'en allaient et je leur demandai s'ils ne seraient pas remplacés par d'autres cavaliers. Ils me répondirent affirmativement et partirent dans la direction de la forêt. Je restai avec mon garde au coin-du feu, regardant de tous côtés pour voir si les charrettes rétrogradaient. Je ne vis rien et j'en conclus que c'était une fausse alerte (2). Une heure environ après, le jour apparaissait et mes ouvriers se rendaient au travail comme d'habitude. Vers les 9 heures du matin, j'entendis des détonations de tous côtés et je sortis aussitôt. Notre chantier était entouré par de nombreux cavaliers, qui se précipitaient sur nous, en faisantfeu, tuant hommes, femmes et enfants. Je rentrai aussitôt dans la cantine et immédiatement quatre cavaliers, dont un parlant bien le français, se présentèrent devant la cantine, et me dirent de leur donner de l'argent. Je remis au plus âgé des quatre mon porte-monnaie en

:

:

lui disant

Au nom de Dieu, ne me tuez pas, ne faites de mal à personne, nous sommes de malheureux ouvriers gagnant notre vie; nous allons vous donner tout ce que nous avons; ne nous faites pas de mal. » Ils nous firent emporter des vivres sur quatre bourricots et nous les firent conduire à El-Aouidj, où était leur grand campement. Pendant ce temps, les autres cavaliers ennemis pillaient lei «

Eh! Martine, Çaddour nous a dit que Bou-Amama était dans les environs. Nous, nous partons. » (2) Martin Martinez pensait que les cavaliers des Hassasna voulaient l'effrayer et lui faire abandonner son chantier, afin de pouvoir venir le piller, avec tous leurs parents, après son départ. C'est là, du moins, 0e qu'il déclara,après sa déposition, à M. Campillo, qui lui faisait remarquer combien il avait eu tort de ne pas écouter ces indigènes. Quoi qu'ilen soit, il est certain que, si les; charrettes étaient revenues par le chantier, comme elles devaient le faire, le malheur ne serait pas arrivé. (1) «


chantier, tuant tout individu qui faisait la moindre résistance ou montrait la moindre mauvaise volonté. En arrivant au campement ennemi, un groupe d'individus nous entraîna pour nous dépouiller. Ce furent les quatre cavaliers, dont j'ai déjà parlé plus haut, qui nous défendirent contre leur agression. L'indigène qui parlait français était un beau jeune homme, d'une trentaine d'années, très bien vêtu. Par les conversations que j'ai entendues, ce cavalier était du côté de Tiaret. Il y avait là également un autre cavalier, gros, barbe noire, ancien caïd du cercle de Tiaret, dont toute la famille est encore dans sa tribu (1). En arrivant au campement, je fus enfermé dans une tente avec défense d'en sortir. J'ai vu quelques-uns de mes camarades dans le camp; mais je ne sais combien. Le 11 et le 12, nous restâmes à El-Aouidj; le 13, nous prîmes la direction de Foum-El-May. Le goum marchait en avant et nous en arrière. Vers les 10 heures, un caïd de Tiaret, Kaddour-el-HadjTaïeb (2), qui, comme nous, était prisonnier avec son frère et un autre cavalier, vint nous dire que Bou-Amama nous relâchait. Il nous donna un mulet, sur lequel mon fils et moi nous montâmes, et nous nous dirigeâmes vers le chott. Nous marchâmes toute la nuit et, le matin, vers les 7 heures, nous vîmes un goum; c'était celui de Saharaoui. Derrière ce goum, il y avait une colonne française, vers laquelle nous nous dirigeâmes. Le colonel qui la commandait nous recueillit. Le caïd qui nous avait délivrés se rendit dans le goum. D. — Avez-vous reconnu parmi vos agresseurs des indigènes autres que ceux des Traffis? R. — Tous nos agresseurs étaient des Traffis. Cependant, j'ai reconnu parmi eux un indigène dont le campement, vers le 25 avril, était à 200 mètres de notre chantier, près de Zeraguet. J'avais même souvent l'occasion de voir cet indigène. Pendant que j'étais prisonnier il m'a parlé. C'est un homme de 25 ans environ, barbe peu fournie, taille moyenne, bronzé.

C'était le caïd de la tribu des Oulad-Haddou, celui-là même qui avait voulu faire tuer M. le capitaine Parès (voir chapitre II). (2) C'était un caïd de djebel Amour (annexe d'Aflou). Ce chef indigène faisait partie du goum de Saharaoui et fut envoyé en (1)

reconnaissance, le 9 au soir, du côté d'Oglat-Sidi-Abderhaman avec une vingtaine de cavaliers. C'est dans cette reconnaissance qu'il fut fait prisonnier par le nommé Edin, des Djeranna, celuilà même qui donna le signal de l'assassinat de Veinbrenner.


J'ai vu cet individu au camp de Bou-Amama, mais je

ne l'ai pas aperçu parmi les cavaliers qui attaquaient notre

chantier. Je ne sais de quelle tribu est cet indigène (1). D. — Combien Bou-Amama a-t-il de prisonniers espapnols? R. — Je ne puis vous le dire; je n'ai aperçu qu'un enfant et un vieillard. Du reste, le convoi de Bou-Amama était immense. Il avait environ 15.000 chameaux et 50.000 moutons (2). Ses cavaliers étaient au nombre d'environ 600 et ses fantassins de 200 (3), armés presque tous de fusils Lefaucheux et de quelques carabines de chasseurs. Le convoi de Bou-Amama occupait trois fois plus de place que la colonne Brunetière, réunie au goum de Saharaoui. Je ne puis vous dire le nombre de morts. Il y avait trop de désordre. Seulement, je connais tous les gens de mon chantier, et on pourra faire le recensement de ceux qui sont en vie.

Pendant l'attaque du chantier, aucun Espagnol n'a fait de la résistance. Ils ont donné à l'ennemi tout ce qu'ils avaient. J'avais environ 300 bourricots dans mon chantier. Ils ont aidé à transporter toutes nos marchandises et ont été emmenés

par l'ennemi.

On voit, par les déclarations qui précèdent, que la Compagnie franco-algérienne fut prévenue de l'arrivée de Bou-Amama à 'iucine et, qu'ayant tout le temps voulu pour sauver les chantiers, elle s'en désintéressa complètement pour ne songer qu'à ses charrettes et à ses

attelages. Pour expliquer son indifférence à l'égard des chantiers, il est bon de savoir qu'elle ne possédait absolument riendans ces établissements. Au lieu d'exploiter directement sa concession, elle

Il devait appartenir à la tribu des Oulad-Zian, qui était prisonnière. (2) Ces chiffres sont très exagérés. (3) Le témoin n'a vu que les combattants marchant groupés autour du marabout. Il ne s'est pas rendu compte qu'il y en avait d'autres à l'intérieur et sur lesflancs du convoi, san& compter les éclaireurs et l'avant-garde, de sorte que "les chiffres qu'il donne sont bien en dessous de la vérité. (1)


avait recours à des entrepreneurs, qui recrutaient euxmêmes leurs ouvriers, qui organisaient leurs chantiers, les approvisionnaient et les dirigeaient comme bon leur semblait. L'alfa cueilli était mis en meule, sur le chantier même, et restait la propriété des entrepreneurs jusqu'à ce que la Compagnie l'eût fait prendre par ses charrettes. Ces industriels étaient également propriétaires du matériel d'exploitation et des approvisionnements de toute nature qui se trouvaient dans les chantiers, tels que animaux, bascules, tables de manipulation, vivres, vêtements, etc. Quant à la Compagnie, elle ne possédait que ses charrettes. Aussi, contrairement à ce que l'on a cru, le massacre des chantiers ne lui causa aucun dommage matériel. Les entrepreneurs seuls éprouvèrent des pertes, que l'Etat leur remboursa, du reste. La Compagnie fut également comprise dans la répartition des indemnités parce que les deux baraques en planches et l.a meule d'alfa incendiées à la gare de Kralfalla étaient sa propriété. Un dernier mot pour épuiser ce sujet. Plusieurs des ouvriers ayant échappé au désastre affirmèrent avoir remarqué parmi leurs agresseurs des indigènes du pays, qu'ils connaissaient bien, parce qu'ils les voyaient souvent dans les chantiers. Cette affirmation, bien qu'exacte en elle-même, fut cause d'une grosse erreur; elle laissa croire que les indigènes visés par les alfatiers étaient réellement des gens du. pays, tandis que c'étaient tout simplement des individus des Oulad-Sidi-Cheikh, internés par mesure politique dans le bach aghalik de Frenda. J'ai dit, au chapitre précédent, que ceux-ci s'étaient joints aux rebelles, dès leur arrivée à Tircine, et leur avaient servi de guides pour aller piller les silos des en-


furent eux ĂŠgalement qui conduisirent l'avant-garde de Bou-Amama dans les chantiers d'alfa et ils ne se firent aucun scrupule de prendre part au massacre et au pillage. virons. Ce


CHAPITRE VII Nouvelle incursion de Bou-Amama. Combat du Kreider. — Combat d'A.ïn-Oulassi. Les Rezaïna quittent notre territoire. Comme nous l'avons vu au chapitre V, nos colonnes reçurent l'ordre, lorsque les rebelles franchirent le chott pour s'enfoncer dans le Sud, de cesser la poursuite, parce que la saison des chaleurs, qui commençait, rendait les opérations très pénibles et pouvait compromettre la santé des troupes. Pour protéger le Tell et nos tribus sahariennes quatre fortes colonnes furent établies sur les points suivants

:

Ras-Elma (lieutenant-colonel Janin); Kreider (colonel Zwiney); Tiaret (colonel Brunetière) ; Géryville (commandant Tadieu, en attendant l'arrivée du colonel de Négrier, nommé à la légion). Nos troupes devaient rester sur la défensive et ne se porter sur l'ennemi que dans le cas où celui-ci ferait lui-même mouvement. Le 4 juillet, le marabout, à la tête de 500 cavaliers et de 2.500 fantassins, quitta Touadjeur et se dirigea sur le Kreider, répandant partout le bruit qu'il allait se rendre dans l'Ouest, du côté de Marhoum, où se trouvaient quelques établissements de la Compagnie francoalgérienne. Prévenu de son départ, le colonel Swiney se mit en marche, le 8 juillet, pour se rapprocher de Marhoum; n'étant pas bien fixé sur les intentions de l'ennemi, il laissa au Kreider un bataillon de tirailleurs (comman-


dant Jacquey) (1) pour garder cet important point d'eau. Le lendemain matin, quinze cavaliers dissidents se présentèrent devant le Xreider. Reçus à coups de fusil puis, ils disparurent, petits postes, de vers nos par un les 2 heures, ils revinrent au nombre de deux cents et se mirent à explorer le pays, cherchant à se rendre compte de l'importance des troupes qui s'y trouvaient et qu'ils ne pouvaient apercevoir, parce que le bataillon de tirailleurs campait dans un pli de terrain. Le commandantJacquey, qui n'avait, en fait de cavaliers, qu'une cinquantaine de goumiers, ne pouvant donner la chasse à ces éclaireurs, imagina de les attirer dans un piège. Dans cette intention, il ordonna à une de ses compagnies (lieutenant Bourret), de se porter à leur rencontre, en marchant à découvert, et à deux autres compagnies d'aller se placer- à 500 mètres environ à droite et à gauche de la précédente et un peu en avant, de façon à former avec elle un arc de cercle. Elles devaient exécuter ce mouvement en se défilant derrière des plis de terrain, très nombreux au Kreider, afin de ne pas se laisser voir; puis, lorsque l'ennemi chargerait la compagnie Bourret, elles se montreraient à l'improviste et l'écraseraient de leurs feux. Ce plan était très bien combiné. Malheureusement, le commandantJacquey calcula mal les distances. Il fit partir la compagnie Bourret beaucoup trop tôt, de sorte qu'elle arriva à portée de l'ennemi, alors que ses deux voisines étaient encore en arrière. Les cavaliers de Bou-Amama acceptèrent bravement le combat. Dès que la compagnie Bourret, qui marchait en colonne par section, ne fût plus qu'à un millier de mètres, ils se précipitèrent sur elle en fourrageurs, et (1) Devenu depuis général

et actuellement député.


avec un tel entrain qu'ils ne lui donnèrent pas le temps de se déployer pour faire usage de ses feux. Arrivés sur la section de tête, ils déchargèrent leurs armes presque à bout portant et, suivant la tactique arabe, disparurent

aussi vite qu'ils étaient venus. Deux minutes après, ayant rechargé leurs fusils, ils se disposaient à renouveler l'attaque, lorsqu'ils furent arrêtés par une grêle de balles. C'était la compagnie de gauche qui leur envoyait ces projectiles. Entendant la fusillade,elles'était portée au pas de course sur un monticule, d'où elle avait vu le désordre de la petite colonne Bourret et, comprenant de suite le danger qu'elle courait,elles'était arrêtée pour tirer sur l'ennemi. Ses feux calmèrent l'ardeur des cavaliers de Bou-Amama. Ils battirent en retraite, et ce fut très heureux pour la compagnie si imprudemment engagée, car son désarroi était tel qu'il ne lui eût pas été possible de résister à une nouvelle charge. ? Dans cette affaire nous eûmes deux tués, dont le lieutenant Djilloul, et six blessés, parmi lesquels le lieutenant Bourret. Les pertes de l'ennemi s'élevaient à deux tués et trois blessés. Le marabout campa le même jour, 9 juillet, à Bedrous et se dirigea le lendemain vers l'est, en longeant la rive nord du chott. Son objectif était le point de Ziadi (sud de Tiaret), où se trouvaient les silos des Harrar qu'il se proposait de piller. Cette fois, il fut moins heureux qu'à Tircine. Sa marche dans le sud du territoire de Saïda et du bach aghalik de Frenda ayant été observée avec soin, le colonel Brunetière fut prévenu, jour pour jour, de ses mouvements. La colonne de cet officier supérieur, à laquelle était toujours attaché le goum des Harrar, campait le 13 juillet à Dar-Hamza-ben-Medjdoub, et le marabout à OglatSidi-Abderrhaman.


Le lendemain, le colonel se porta à la rencontre de l'ennemi, persuadé qu'il l'obligerait à accepter le combat. Mais Bou-Amama put se dérober, grâce à la rapidité de sa marche, et continua sa route sur Ziadi. Serré de près par nos troupes, il ne put, toutefois, s'y arrêter et se dirigea sur Aïn-Oulàssi, où il comptait faire boire ses contingents qui commençaient à souffrir de la-soif. L'agha Saharaoui ne lui en donna pas le temps. Partant au galop, avec tout son goum, il arriva à AïnOulassi avant Bou-Amama et, lorsque celui-ci l'attaqua, il se défendit vaillamment, lui disputant le terrain pied à pied, et retarda tellement sa marche qu'il donna à notre colonne le temps d'arriver. Se voyant sur le point d'être pris entre deux feux, le marabout battit rapidement en retraite et réussit, en faisant un brusque crochet sur sa droite, à éviter notre colonne, qui ne put lui envoyer qu'une dizaine de coups de canon. Il marcha ensuite toute la nuit et alla camper à Madena, pendant que nos soldats, exténués de fatigue, s'arrêtaient à ElOusseugh. Découragé par cet échec et apprenant, d'autre part, que la colonne du Kreider, après l'affaire du 9 juillet, s'était portée sur son flanc gauche à la tête de l'oued Foufot, le marabout se décida à retourner dans ses campements. Il franchit le chott à Debdeb-el-Boter, alla faire étape à Bedrous et disparut dans le Sud. Son expédition avait complètement échoué. y Pendant que Bou-Amama incursionnait du côté de Tiaret, un grave événement se passait dans le cercle de Saïda. Le 13 juillet, les Rezaïna quittaient notre territoire et, après une migration de plus de 800 kilomètres, allaient se réfugier dans l'oued Guir (1), au milieu Cette vallée est à huit jours de marche au sud-ouest de Figuig. (1)


d'une grande tribu marocaine, les Doui-Menia, avec laquelle ils entretenaient des relations amicales depuis de nombreuses années (1). Voici les raisons qui motivèrent ce départ. Les Rezaïna, comme toutes les tribus sahariennes voisines du Tell, avaient appris, dans les derniers jours de juin, que Bou-Amama préparait une nouvelle expédition (2). Craignant pour leurs campements, qui se trouvaient alors à Timetlas et qu'ils ne pouvaient protéger euxmêmes, car ils étaient employés à la colonne du Kreider avec leurs cavaliers, les caïds de ces deux tribus supplièrent l'autorité de leur permettre d'envoyer leurs femmes, leurs enfants et leurs troupeaux au nord de Saïda, en territoire civil, où ils seraient en sûreté. Le commandant supérieur transmit, le 27 juin, leur demande au général de division dans les termes suivants

:

Les caïds Sassi et Mohamed-ben-Chakor, des Rezaïnas, viennent d'arriver à Saïda, après avoir obtenu une permission de huit jours du commandant de la colonne du Kreider. Ces deux chefs indigènes m'ont manifesté des craintes sérieuses au sujet de leurs troupeaux et m'ont demandé l'autorisation d'installer leurs campements chez les Oulad-Kraled-Cheraga. (nord-est de Saïda.) Le caïd Sassi, particulièrement, a beaucoup insisté. Voici le résumé de sa conversation

:

Cette tribu est très puissante. C'est elle qui nous tient en échec dans l'Extrême-Sud oranais depuis 1899. Les Rezaïna lui étaient très attachés parce que, après leur défection en 1864, lors de l'insurrection des Oulad-Sidi-Cheikh, ils avaient trouvé chez elle une généreuse hospitalité. Par reconnaissance, les Rezaïna firent cause commune avec les Doui-Menia et les aidèrent en toute circonstance à combattre leurs adversaires. Après leur retour en Algérie (1873), ils continuèrent à entretenir des relations cordiales avec cette tribu et accueillaient avec empressement ses caravanes lorsqu'elles venaient commercer à Saïda. ,. P -- - -(2) On les avait prévenus que les rebelles avaient lait rerrer leurs chevaux. Or, les Sahariens ne font ferrer leurs montures qu'au moment de partir en expédition. Chez eux, l'expression isemeou simplement « Ils ferrent» (en arabe « Ils font ferrer rou), signifie « Ils vont se mettre en campagne ». (1)

-

:

»

:

:


et

Bou-Amama est furieux contre nous, les Rezaïna, a juré de nous razzier. Les colonnes que vous pourrez placer le long du chott ne nous protégeront pas. Le marabout passera facilement entre vos troupes —: soyez-en sûr — et viendra nous prendre n'importe où nous serons, à moins cependant que, prévenus à temps, nous puissions nous réfugier sous les murs de Saïda. Nous ne sommes pas en sûreté dans nos campements actuels au nord de Tafaraoua. le marabout viendra nous prendre et » Vous verrez que nous obligera à le suivre. Nous serons forcés de nous soumettre à lui. Je tiens à vous prévenir du danger qui nous menace. Si vous ne pouvez nous autoriser à nous établir chez les Oulad-Kraled, laissez-nous aller au milieu des Hamyan. Si vous doutez de notre fidélité, nous vous laisserons nos enfants en otage. » Avec les Hamyan, nous ne craignons rien et même, si vous voulez nous adjoindre le goum des Beni-Mathar, nous nous chargeons d'aller razzier les Traffis. Je tiens à vous le répéter. Bou-Amama ne fera aucun cas de vos colonnes et il ira très loin dans le Tell. Il sait que vos troupes ne peuvent pas lutter de vitesse avec les siennes et que les Arabes du Tell sont desfemmes; ils ne lui tireront pas un coup de fusil. Il ira très loin. » Enfin, si vous ne pouvez nous laisser aller ni chez les Ouled-Kraled, ni chez les Hamyan, mettez au moins une colonne devant nos campements, à El-Beïda ou à Sfid; car celle du Kreider ne nous protège pas. » Avant peu vous verrez que tout ce que je vous prédis «

arrivera.

Tel est le langage que m'a tenu le caïd Sassi, et il a beaucoup insisté pour que je vous rapporte ses paroles. »

Le général de division aurait voulu donner satisfaction aux Rezaïna, mais il ne put le faire parce que l'autorité civile s'y opposa. Elle refusa derecevoir, même temporairement, ces indigènes sur son territoire et contraria, en outre, l'action de l'autorité militaire lors-

qu'elle voulut, pour protéger ses administrés, transporter la colonne du Kreider à Sfid. La colonne du Kreider, écrivait, le 30 juin, à la division, le commandant supérieur de Saïda, est beaucoup trop éloignée du Tell pour pouvoir le protéger d'une manière efficace. Entre ce point et la région, où sont installés les premiers


campements de nos tribus (Timetlas), se trouve une bande de terrain de plus de 50 kilomètres de largeur, nue, déserte et d'accès très facile à la cavalerie. Les contingents ennemis pourront, évitant notre colonne du. Kreider, par une marche hardie et rapide, arriver au milieu de nos tribus et être maîtres de la situation, au moins pendant quarante-huit heures; puis, une fois leur coup de main fait, retourner dans le Sud sans courir aucun danger. De plus, le Kreider est marécageux et malsain, surtout pendant la saison des chaleurs. Pour toutes ces raisons, la colonne me semblerait mieux placée à Sfid ou à El-Beïda.

Le général se rendit à ces raisons et donna l'ordre, le 1er juillet, à la colonne du Kreider de s'établir à Sfid. Mais le maire de Saïda (1) protesta contre ce déplacement, faisant valoir que l'abandon du Kreider laisserait à découvert Marhoum, où la Compagnie franco-algérienne possédait quelques établissements (2) et il fit appuyer sa réclamation par le préfet. Le général Cérez, qui était à ce moment attaqué d'une façon violente par la presse oranaise, n'osa pas déplaire à ce haut fonctionnaire et donna contre-ordre. La colonne Swiney resta donc au Kreider, laissant en prise les tribus du territoire de commandement. Aussi, le 6 juillet, lorsque celles-ci apprirent la marche du marabout, elles décampèrent précipitamment et vinrent s'installer chez les Doui-Thabeb, à 2 kilomètres sud-est de Saïda, sur un plateau rocheux, entrecoupé de ravins escarpés et ne renfermant que de maigres et rares cultures, ce qui écartait toute crainte de dégâts. Malgré cette circonstance, l'autorité civile exigea qu'on chassât ces tribus de son territoire mit l'autorité militaire en demeure de le faire. Je reproduis une partie de la correspondance échangée

et

(1)

C'était M. Engler, directeur de l'exploitation de l'alfa.


à ce sujet. Elle montrera le mauvais esprit dont fit preuve l'administration civile, en refusant son concours pour protéger des tribus qui, après s'être compromises à notre service, se trouvaient sérieusement menacées. Je cite d'abord la* demande qu'adressa, le 1er juillet, le commandant supérieur de Saïda à l'administrateur de cette commune mixte pour le prier de donner asile aux Rezaïna sur son territoire. Monsieur l'Administrateur,

J'ai l'honneur de vous prier de vouloir bien

me faire connaître si, en cas de besoin, je pourrais autoriser les Rezaïna à aller camper momentanément à Dra-Ed-Driss, tribu des

Oulad-Kraled-Cheraga. Ces deux tribus craignent un coup de main des rebelles et, dans les endroits ae mon cercle où je pourrais mettre leurs troupeaux à l'abri, il n'y a ni eau ni pâturages. J'ai déjà écrit à ce sujet à M. le Général commandant la division, qui m'a prescrit de m'entendre avec vous.

L'administrateur refusa et, lorsque les Oulad-Daoud et les Rezaïna, forcés par les circonstances, vinrent se réfugier sur le plateau rocheux dont j'ai parlé plus haut, il protesta auprès du commandant supérieur; n'obtenant pas satisfaction, il s'adressa au sous-préfet de Mascara, qui, le 11 juillet, écrivit la lettre suivante au

:

général commandant la subdivision Monsieur le Général,

l'Administrateur de la commune mixte de Saïda m'informe que les Oulad-Daoud sont, entrés en territoire civil M.

dans le douar, commune de Doui-Thabet, et qu'ils ont campé avec leurs troupeaux au milieu des champs d'orge et de blé, qui sont aujourd'hui complètement ravagés. Ces mêmes Oulad-Daoud ont l'intention de prendre les troupeaux du douar partiel des Djebarat; le président du douar-commune de Doui-Thabet me l'affitme (1). (1) La

et la plus dé-

tribu des Oulad-Daoud était la plus sage


.Je vous prie, Monsieur le Général, de faire connaître me quelles sont les mesures que vous pouvez prendre arrêpour ter ces vols et ces déprédations qui, depuis quelque temps deviennent journaliers. Si vous vous croyez impuissant à les réprimer, je serai vous reconnaissant de me le faire savoir pour que, de mon côté je prenne les dispositions nécessaires pour faire respecter les récoltes et les troupeaux de mes administrés. Lettre deVcvdmvtiistrateu/r au commandant supérieur de Saïda, à la date du 12 juillet. Monsieur le Commandant supérieur, M. le Général commandant la subdivision a dû vous communiquer, hier, une lettre de M. le Sous-Préfet de Mascara, au sujet du campement du douar des Oulad-Daoud, dans le territoire du douar-communede Doui-Thabet, et vous donner des ordres pour faire rentrer ces indigènes en territoire de commandement. Ces ordres n'ont pas été exécutés; en effet, un cavalier que je viens d'envoyer sur les lieux m'informe que la famille du caïd El-Bou-Anani est elle-même campée en territoire civil et que les frères de celui-ci ont formellement déclaré qu'ils resteraient, quand même et malgré vous, dans le douar-commune de Doui-Thabet (1). Conformément aux prescriptions de la dépêche de M. le Général commandant la subdivision, en date d'hier, je prends la liberté, dans la circonstance, de vous demander de mettre

,

vouée de toute la contrée; c'était, en outre, la plus riche et la plus innuente. Le caïd des Doui-Thabet, mis en demeure de désigner les indigènes de cette tribu qui avaient manifesté l'intention de voler des troupeaux à ses administrés, se récria, disant qu'il n'avait jamais formulé une plainte de cette nature. Il avait simplement signalé les dégâts, peu importants du reste, commis par les Oulad-Daoud dans les cultures de ses gens, afin que ceux-ci fussent indemnisés. - caïd- avaient répondu (2) Voici exactement ce que -. les frères du au cavalier de l'administrateur Nous paierons tous les dégâts que nous commettrons, mais cc nous ne pouvons pas partir. Nous aimons mieux subir les puni-à tions que nous infligera l'autorité, plutôt que de nous exposer être pris et massacrés par les Traffis. » Pour comprendre la frayeur qu'avaient des rebelles les parents du caïd Bou-Anani, il faut se rappeler que ce fut un des frères de de premier le tira Djelloul, qui coup chef indigène, nommé ce

:


à ma disposition la force supplétive dont vous disposez, pour renvoyer de la commune mixte les huit douars des OuladDaoud, qui s'y sont installés irrégulièrement. J'aurai l'honneur de vous adresser prochainement la liste des dégâts commis, pour que les propriétaires du Blé et de l'orge enlevés

par les Oulad-Daoud soient indemnisés. Il est bon de faire remarquer qu'au moment où l'autorité civile s'acharnait à demander le renvoi dans le Sud des Oulad-uaoud, les rebelles se trouvaient à ElAmiat-Chergùia, à 40 kilomètres de Tafaraoua, campement habituel de cette tribu. Le général G., qui commandait la subdivision de Mascara, était nouvellement arrivé de France et ne connaissait rien aux choses de l'Algérie. C'était un homme quintéux et bilieux, ayant constamment la menace à la bouche et très arabophobe par-dessus le marché. De plus, il avait une telle crainte de l'autorité civile que, pour rien au monde, il n'aurait voulu entrer en conflit avec elle; aussi, obéissant à ce sentiment, il donna l'ordre de traquer comme des bêtes fauves tous les indigènes du territoire militaire qui s'étaient réfugiés sur le territoire de la commune mixte. De son côté, le commandant supérieur de Saïda, ou plutôt l'officier qui en remplissait les fonctions en l'absence du lieutenant-colonel Quarante, parti en congé, était un vieux chef de bataillon d'un régiment de ligne, M. Euzière, qui venait d'arriver de France et qui, lui non plus, n'entendait rien aux affaires arabes. Je dois dire cependant que c'était un homme foncièrement honnête et qui ne manquait pas de fermeté. Il trouva trèsexagérés les ordres du général mais, n'étant ou ravagés

;

fusil au combat de Sfisiffa et qui tua le cavalier des Derraga qui défiait notre goum en brandissant arme. Depuis cette affaire, les Traffis sonvoulaient beaucoup à cette en iamille et il est certain qu'ils auraient tué impitoyablement tous de ceux ses membres qui seraient tombés entre leurs mains.


pas sûr de lui, il n'osa faire entendre aucune protestation. Il apporta, toutefois, beaucoup de tempérament à l'exécution de ces ordres, cherchant à concilier, dans la mesure du possible, les devoirs de la discipline avec ceux de l'humanité mais il eut beau faire, les vieillards, les femmes et les enfants des Rezaïna et des Oulad-Daoud n'en furent pas moins expulsés, très brutalement, du plateaurocheux auquel ils se cramponnaient, par peur des rebelles, et renvoyés, malgré leurs supplications, leurs larmes et leurs gémissements, dans le Sud, où ils se trouvaient sans protection; tous leurs goumiers étaient absents, ils faisaient le service J'éclaireurs à nos colonnes. 'Inutile de dire le sentiment qu'éprouvèrent les cavaliers de ces deux tribus, lorsqu'ils apprirent que leurs familles avaient été traitées en parias à Saïda. La surexcitation fut surtout très vive chez les Rezaïna, qui sont excessivement vindicatifs. Ils n'en laissèrent rien voir, mais ils décidèrent, séance tenante, de quitter notre territoire et d'aller se réfugier chez leurs amis les DouiMenia. Le 12 juillet, après leur départ de Saïda, ils allèrent s'installer à l'est de Timetlas, à 15 kilomètres environ de la colonne Swiney, qui, ce jour-là, campait à Sfid et, le lendemain, ils gagnèrent le Kreider en suivant la vallée de l'oued Falet. iPour quitter la colonne Swiney, à laquelle ils étaient attachés, sans éveiller la défiance de cet officier supérieur, les cavaliers des Rezaïna employèrent la ruse suivante. Le 13 juillet, vers les 2 heures de l'après-midi, alors que leurs campements étaient arrivés au Kreider, leurs deux caïds Sassi et Mohammed-ben-Chakor se précipitèrent vers la tente du colonel et lui demandèrent l'autorisation d'aller reconnaître un fort parti ennemi d'apercevoir, disaient ils, venaient éclaireurs leurs que

;


dans la direction du Sud. Non seulement le colonel Swiney accorda cette autorisation, mais il prescrivit à tout son goum de se joindre aux Rezaïna. Arrivés à 4 kilomètres de Sfid, le caïd Sassi se tournant vers les goumiers étrangers à sa tribu leur dit « est inutile que vous alliez plus loin; retournez auprès du colonel qui a sans doute besoin de vous; quant à moi, je vous fais mes adieux. » Les caïds du goum, comprenant à ces paroles que les Rezaïna partaient définitivement, supplièrent Sassi de renoncer à son projet et de revenir aveceux au camp. tribu qui s'en va, répondit-il, c'est « Ce n'est pas ma l'autorité française qui la chasse. » Et il continua sa route. Le lendemain, il écrivit une lettre très digne au commandant Euzière, dans laquelle, après avoir exposé les raisons qui l'avaient décidé à partir, il annonçait son intention d'aller se fixer chez les Doui-Menia et jurait de ne pas prendre part à l'insurrection. Il reviendrait sur notre territoire lorsque l'ordre serait rétabli. Le caïd Sassi tint parole. Pendant son séjour chez les Doui-Menia, il aida ces nomades à combattre plusieurs de leurs voisins, notamment les Oulad-Sidi-Cheik-Cheraga, avec lesquels ils étaient en lutte, mais il resta à l'écart des re belles et résista même aux instances pressantes de Si-Sliman, chef religieux des Rezaïna, qui le priait de venir se joindre à lui pour attaquer nos Hamyan. En mai 1882, Sassi revint sur notre territoire avec tous ses gens (1).

Il

:

leur rentrée, les Rezaïna, ne furent pas inquiétés et aucune punition ne fut proposée à leur encontre. L'autorité civile en prit prétexte pour entamer une violente campagne de presse contre l'autorité militaire, l'accusant de faiblesse, et réclama un châtiment exemplaire contre ces deux tribus, surtout contre le caïd Sassi. Emu de ce bruit, le nouveau gouverneur général, M. (1) A


1

Les Oulad-Daould, qui sont d'un tempérament beaucoup plus calme que les Rezaïna, ne poussèrent pas les choses à l'extrême, comme ces derniers; leurs notables protestèrent cependant, dans des termes très polis et très fermes, contre la façon dont leurs familles avaient été traitées à Saïda. Le général G., qui les avait menacés d'une punition sévère, n'osa pas la prononcer parce que, cette fois, le commandant Euzière né lui cacha pas ce qu'il pensait de cette façon d'agir; il en était indigné, et, pour que des faits de ce genre ne puissent plus se reproduire, il lui adressa la lettre suivante, dont je tiens à donner connaissance, parce qu'elle montre tout ce qu'il y avait d'absurde et d'injuste à vouloir élever, au moment où le pays était profondément troublé, une véritable muraille de Chine entre lestribus du territoire civil et celles du territoire militaire. Saïda, le

21

juillet

1881.

Mon Général,

J'ai l'honneur d'appeler votre sérieuse attention sur la

situation critique faite aux tribus des Oulad-Daoud et des Hassasna-Oheraga et Gharaba, par les événements politiques

actuels. Pour vous permettre d'apprécier cette situation, il est nécessaire de vous donner des renseignements sur le territoire du cercle.

Tirman, demanda des explications. L'autorité militaire lui enlire suffirait de lui qu'il lui disant Rezaïna dossier des le en voya les pièces le constituant pour se convaincre que, dans la circonstance, ces deux tribus avaient été plus malheureuses que coupables. M. Tirman, qui était un administrateur très fin, très habile et de manière cette partagea très juste, homme même temps un en voir. Ne voulant pas, toutefois, heurter de front l'opinion publique, il décida que Sassi ne serait pas rétabli immédiatement dans ses fonctions de caïd (il ne le nomma que trois mois après), mais qu'il resterait le chef de sa tribu jusqu'à nouvel ordre. L'opinion publique fut enchantée de cette solution et l'autorité entre militaire aussi, car, au fond, il n'y a pas plus de différence bonnet. un caïd et un chef de tribu qu'entre bonnet blanc et blanc


:

Il a la forme d'un grand carré de 70 kilomètres environ de côfé, limité au sud par le chott, au nord par le territoire civil, à l'est par le bach Aghalik de Frenda et à l'ouest par le

cercle de Daya.

Dans toute la partie sud, les pâturages sont très beaux et les points d'eau assez abondants. Malheureusement, la sécurité y fait défaut, surtout depuis le départ des Rezaïna, et nos indigènes n'osent pas y aventurer leurs troupeaux, de peur d'être razziés par un parti ennemi. Il s'ensuit que les trois tribus ne peuvent faire usage que de la moitié de leur territoire, ce qui leur cause une gêne considérable. De plus, lorsque les contingents de l'agitateur se mettent en marche, les Oulad-Daoud et les Hassasnas sont obliges de replier leurs campements vers le nord, de sorte que, à ce moment, il ne leur reste plus qu'une mauvaise bande de terrain, dépourvue d'eau et d'herbe, tout à fait insuffisante pour nourrir leurs troupeaux. La nécessité faisant loi, ces tribus entrent en plein dans le territoire civil et leur mouvement de migration est si précipité qu'il occasionne forcément des dégâts. De là, une source d'ennuis, de récriminations et de revendications de toutes sortes de la part des propriétaires du sol envahi. Jusqu'à ce jour, pour empêcher ces dégâts, on n'a trouvé rien de mieux à faire que de chasser, par la force, les indigènes du territoire militaire que l'instinct de la conservation obligeait à se réfugier en territoire civil. On les mettait ainsi dans l'alternative ou d'être razziés et obligés de se soumettre à l'agitateur, ou de mourir de faim et de soif, ou encore, s'ils désobéissaient, d'être punis et de payer de forts dommages et intérêts. A mon point de vue, l'administration civile et l'autorité militaire doivent se prêter un concours mutuel pour parer aux difficultés du moment, et je ne puis admettre que la limite séparative des deux territoires, faite à un point de vue purement administratif, devienne une barrière infranchissable. J'ai donc l'honneur de vous prier de vouloir bien provoquer, auprès de l'autorité supérieure, les ordres nécessaires pour qu'à l'avenir, l'administration civile mette à la disposition des tribus des Oulad-Daoud et des Hassasna, un endroit où ils pourront se réfugier, en cas de danger. Je ne demande pas que ces endroits renferment de gras pâturages ni de l'eau en abondance; je demande simplement qu'il s'y trouve un peu d'herbe et de l'eau en quantité suffi-


sante pour empêcher les animaux de mourir de faim ou de soif. Je dois ajouter que les Oulad-Daoud et les Hassasna ne se rendront en territoire civil que si la chose est absolument nécessaire. Ces tribus n'y séjourneront que momentanément et rallieront leur territoire dès que tout danger aura dis-

paru.

A Frenda, des faits analogues à ceux qui se passèrent à Saïda faillirent se produire et ils auraient eu, à coup sûr, des conséquences encore plus graves, si le général Cérez n'était, intervenu. Le général G., toujours sur la demande de l'autorité civile, avait défendu aux tribus du bach-aghalik de pénétrer sur le territoire de la commune mixte. Le bachagha protesta contre cet ordre et s'adressa au général le téléCérez qui, le 13 juillet, envoya au général -

:

G.

gramme suivant Les Harrar-Gharaba ne peuvent pas rester en prise pour éviter de pénétrer sur le territoire civil. Télégraphiez au bach Agha de passer outre, plutôt que d'exposer ses tribus à être enlevées. Je préviens le gouverneur général.


CHAPITRE YIII Création du poste de Méchénia. — Destruction de la Koubba d'El-Abiod. — Pillage du convoi du général Colonieu. — Opérations de nos colonnes à Aïn-Sefra. — Combat du Djebel Beni-Smir. — Hardi coup de main de Si Seliman. — Dispersion des rebelles. — Nouvelle situation créée par leur échelonnement le long de notre

frontière.

L'insuccès du marabout, lors de sa seconde incursion, refroidit l'ardeur de ses contingents et les décida à se tenir en repos. De leur côté, nos troupes restèrent dans leurs campements et furent employées à divers travaux destinés à faciliter leurs opérations, lorsqu'elles pourraient reprendre l'offensive. C'est ainsi qu'elles commencèrent la construction d'une redoute à Méchéria et qu'elles s'occupèrent ensuite de relier ce nouveau poste au Tell, par une voie ferrée s'embranchant, à la station de Motzba, sur le chemin de fer de la Compagnie francoalgérienne. Une forte colonne, commandée par le général Colonieu, alla s'établir à Méchéria pour protéger les travaux, ce qui obligea les rebelles à replier leurs campements jusqu'au delà de Moghrar. Pendant cette période d'accalmie, l'insurrection fut marquée par deux faits qui, sans avoir une grande importance, méritent cependant d'être signalés, à cause du retentissement qu'ils eurent dans le pays. Ces deux événements destruction de la koubba — d'El-Abiod et pillage du convoi de la colonne du géné-


rai Colonieu — n'ayant aucune corrélation, je les relaterai séparément. Le colonel de Négrier, commandant la colonne de Géryville, avait reçu l'ordre de constituer de forts approvisionnements dans ce poste, qui devait servir de base d'opérations à nos troupes, lorsque le moment d'agir serait venu. A cet effet, il devait envoyer, chaque semaine, une partie de sa colonne prendre à Sfissifa-desSaules, un convoi de vivres, venu de Saïda et escorté par un détachement de cette place. Ce service étant très important, il avait été spécialement recommandé au colonel de ne l'interrompre que s'il y était forcé, dans le cas, par exemple, où de nombreux contingents ennemis se mettraient en marche et l'obligeraient à se porter à leur rencontre avec toutes ses forces. Le colonel de Négrier ne tint pas suffisamment compte de cette prescription. Le 7 août, il quitta Créry-. ville, sans raison plausible, car les dissidents n'avaient pas bougé, et alla faire une grande démonstration du côté de Chellala, avec toute sa colonne. Après son départ, le convoi hebdomadaire partant de Saïda ne put avoir lieu que tous les quinze jours, la garnison de cette place étant obligée de l'accompagner jusqu'à destination, au lieu de,s'arrêter à Sfissifa, et il en résulta un retard sérieux dans la constitution des approvisionnements de Géryville. Le général G., commandant la su bd ivision de Mascara, infligea, pour ce fait, trente jours d'arrêts au colonel et lui donna l'ordre de rentrer immédiatement. En revenant de Chellala, le colonel passa par ElAbiod, où il arriva le 14 août. Tous les habitants avaient fui à son approche. Le lendemain, il fit sauter à la dynamite la koubba de ce keçar, dans laquelle était enterré un célèbre marabout, le grand Sidi-Cheikh, que tous les Arabes ont en vénération. J'ignore à quel mo-


bile obéit le commandant de la colonne en détruisant ce sanctuairereligieux; mais, à coup sûr, son acte ne répondait à aucune nécessité et était même très impolitique en ce sens, qu'au lieu de calmer le fanatisme musulman, il ne pouvait que le surexciter. Je crois que notre gouvernement était décidé à sévir; mais il en fut empêché par l'opinion publique. Celle-ci, depuis les massacres des chantiers d'alfa, était exaspérée contre les rebelles, ce qui se conçoit facilement, et demandait qu'on leur fît une guerre d'extermination. L'acte du colonel répondant à ce sentiment, toute la presse algérienne prix fait et cause pour lui et, croyant qu'il avait été puni pour avoir détruit la koubba, elle ouvrit, en manière de protestation, une souscription pour lui offrir une épée d'honneur. Le colonel eut le bon goût de la refuser;mais la souscription avait eu un tel succès, que notre gouvernement n'osa pas le punir. Il est juste de dire aussi que l'acte irréfléchi du colonel était beaucoup moins grave qu'on ne l'avait cru d'abord. Avant de détruire la koubba, il avait fait ouvrir la tombe du vénéré Sidi-Cheikh et avait fait placer ses ossements dans une caisse, qui fut portée en grande pompe à Géryville et remise au rommandant supérieur de ce poste, qui la garda précieusement jusqu'à la fin de l'insurrection. Les restes mortels - du grand saint du Sahara n'ayant pas été profanés, il fut aisé de calmer l'émotion qu'avait produite, chez les musulmans, la destruction de la koubba (1). (1) Lorsque le colonel fit

sauter la koubba, il venait d'arriver

dans la province d'Oran et n'était pas encore connu des Algériens. Cet acte le mit de suite en relief. Par la suite, sa popularité ne fit que grandir mais, cette fois, elle était méritée. Le colonel se montra, en effet, un très habile chef de colonne. Il comprit de suite que l'art de faire la guerre dans le Sud consiste à avoir de petits noyaux de troupes très mobiles et non de grosses et lourdes colonnes. Aussi, lorsqu'il voulait surprendre l'ennemi, il ne pre-

;


Lhistoire du pillage du convoi Au général Colonieu a été inexactement rapportée. On a prétendu que le convoi avait été attaqué et dévalisé par les habitants du petit keçar des Oulad-Sidi-Krelifat, situé près du Kreider. Or, ces indigènes pouvaient mettre tout au plus cinquante combattants en ligne et on avouera qu'avec un aussi faible effectif, il leur eût été difficile de s'emparer d'un convoi escorté par un millier d'hommes. Les Oulad-Sidi-Krelifat étaient, du reste, des gens lnoffensifs, comme la plupart des keçouriens; cependant 1s ne dédaignaient pas de s'emparer du bien d'autrui, orsqu'ilsen trouvaient l'occasion sans courir de danger. Voici la part qu'ils prirent au pillage du convoi. Dans le courant de septembre 1882, le général Cololieu, commandant la colonne de Méchéria, venait tous es dix jours charger, au Kreider, un convoi de vivres, [ue lui apportait le chemin de fer, alors prolongé jusqu'à e point. Le général était un homme très intelligent, ui, ayant été longtemps commandant supérieur, con.aissait à fond les nomades et se défiait d'eux, les sachant rès pillards. Aussi faisait-il exercer sur ses chameliers ne étroite surveillance, surtout la nuit, afin de les emêcher de faire sortir le moindre objet de son camp. Cette précaution lui paraissant suffisante, le général contrôle des denrées remises aux & faisait tenir aucun mvoyeurs (1). Lorsqu'il avait terminé son chargement, allait camper à 2 kilomètres environ du Kreider, pour tit avec lui qu'un petit nombre d'hommes, environ deux cents, l'il faisait monter, à tour de rôle, sur les mulets de bât dont il sposait, et il arrivait ainsi à leur faire faire des étapes de 60 kimètres sans surcroît de fatigue. Grâce à la rapidité de sa marDès que e, le colonel devint bientôt la terreur des dissidents. présence leur était signalée dans un rayon de 100 kilomètres, décamne se trouvaient plus en sûreté et s'empressaient de pas à se génér. Le système inauguré par le colonel ne tarda obtenus ayant liser dans toutes nos colonnes et les résultats ?excellents, l'autorité militaire créa des compagnies montées.


isoler son convoi, et repartait le lendemain pour Méchéria. Le premier transport se fit dans des conditions normales le chiffre des manquants à l'arrivée était insigru fiant; mais, au deuxième convoi, on constata qu'un tiers des vivres avait disparu et, au troisième, qu'il en mani quait plus de la moitié. Le général, que ces détournements avaient beaucoup surpris, finit par découvrir la fraude. Dans l'endroit du Kreider où il allait camper, après avoir chargé son convoi, le sol était sablonneux et facile à creuser. Pendant la nuit, les chameliers y faisaient des trous et y mettaient une partie des denrées, qu'ils recouvraient ensuite de petites buttes de sable, sur lesquelles ils faisaient une marque spéciale. Après le départ de la colonne, les Oulad-Sidi-Krelifat, avec lesquels les convoyeurs étaient de connivence, venaient déterrer ces objets,et les emportaient chez eux. 1 Comme punition, les Oulad-Sidi-Krelifat furent internés dans le bach-aghalik de Frenda et y restèrent jusqu'à la fin de l'insurrection. Quant aux chameliers, on se contenta de retenir sur leurs salaires le prix des denrées Le général ne fut pas blâmé, mais on le plaisanta beaucoup sur sa mésaventure, ce qui lui fut très sensible, car, en sa qualité d'ancien commandant supérieur, il se flattait de connaître toutes les ruses des indigènes et de ne s'être jamais laissé jouer par eux. 8 A la fin d'octobre, la saison des fortes chaleurs étant; passée, trois colonnes opérant sous la direction du gé-.

;

disparues..

(1) Les chameaux d'un convoi

étaient répartis par groupes deï cinquante-deux, sous la conduite de douze convoyeurs et d'uni chef de groupe nommé bach-amar. On remettait a celui-ci uni état, dont le chef du convoi gardait copie, indiquant les objets ou-les vivres remis à son groupe. A l'arrivée, on vérifiait, à. l'aide» de cette pièce, si aucune denrée n'avait disparu pendant le trajet.. Le général Colonieu avait négligé ces précautions.


néral Delebecque, chef de la division d'Oran, et commandées par les généraux Louis, Colonieu et le colonel de Négrier, se concentrèrent à Aïn-Sefra pour porter les derniers coups à l'insurrection. A l'approche de nos troupes,les rebelles se retirèrent sur le territoire marocain, à l'exception de plusieurs fractions de la grande tribu des Ahmours, qui, se croyant à l'abri dans leurs montagnes presque inaccessibles; préférèrent rester dans leur pays. Pour leur donner la chasse, nos colonnes se fractionnèrent en plusieurs détachements et gravirent les pâtés montagneux de BËmi-Srnir, Mezi et Mir-el-Djebel qu'elles parcoururent dans tous les sens, fouillant les moindres ravins et faisant prisonniers tous les indigènes rencontrés. Etonnés de la vigueur de nos troupes les Ahmours renoncèrent à la résistance et prirent la fuite. convient cependant de signaler un engagement sérieux, qui eut lieu le 5 novembre, dans le djebel BeniSmir, entre 600 de leurs fantassins et un bataillon du 28

Il

zouaves.

L'ennemi occupait une crête abrupte, de plus de 200 mètres de hauteur, à laquelle on n'accédait que par un sentier de chèvres, obstrué à chaque instant par de gros rochers. Deux compagnies s'engagèrent dans ce sentier pendant que les deux autres contournaient la montagne pour aller prendre les Ahmours de -flanc.

Le combat commença aussitôt. Arrivées à mi-chemin, les deux premières compagnies furent accueillies par une fusillade si violente qu'elles durent s'arrêter. Elles s'embusquèrent alors derrière des rochers et ripostèrent au feu de l'ennemi, en attendant que les deux autres compagnies aient achevé leur mouvement tournant. Celles-ci n'entrèrent en ligne qu'une heure après, leur marche ayant été retardée par des obstacles presqueinfranchissables.


Dès que les compagnies qui avaient engagé l'action les virent déboucher sur la crête de la montagne, elles reprirent leur marche en avant et le combat devint

terrible. Mais il fut de courte durée. L'ennemi, se voyant attaqué en têteet en flanc, se sauva en désordre et, quelques minutes après, tout le bataillon campait sur une des cîmes les plus élevées du djebel Beni-Smir, qu'il avait glorieusement conquise. Dans cette affaire, qui fait le plus grand honneur au 2e zouaves et à leur chef, le colonel Swiney, qui dirigea lui-même l'attaque, nous eûmes six tués, dont le lieutenant Ledrappier, et une quinzaine de blessés, parmi lesquels le capitaine Cheylard. Après ce combat, les Ahmours, qui se vantaient d'être invincibles dans leurs montagnes, renoncèrent à la lutte et allèrent rejoindre les autres rebelles, laissant de nombreux troupeaux entre les mains de nos soldats. Très peu firent leur soumission. Pendant que nos colonnes chassaient du pays les dernières bandes insurgées, un personnage important, dont j'ai déjà parlé au chapitre Ier, Si-Seliman-ben-Kaddour, était parvenu à s'enfuir de la ville du Maroc où il était interné et s'était installé sur notre frontière, au sudouest d'El-Aricha. Quelques jours après, à la tête de deux cents chevaux, il exécutait sur une fraction des Hamyan, les Bekakra, un coup de main d'une hardiesse inouïe, qui mérite d'être rapporté, car il montre combien la cavalerie arabe est dangereuse, par sa rapidité. Parti d'El-Mengoub le 16 novembre, un peu avant l'aube, Si-Seliman longea le chott et s'arrêta, à la tombée de la nuit, au pied du djebel Amrag, à une dizaine de kilomètres des Bekakra, qui campaient du côté de Méchéria.


Sa marche n'avait pas été aperçue par les éclaireurs de la colonne d'El-Aricha qui, pourtant, étaient spécialement chargés de le surveiller. Le lendemain, au lever du jour, le Rezzou (1) tombait à l'improviste sur les Bekakra et les razziait à blanc. Prévenus de cette attaque, le commandantJacquey, qui commandait à Méchéria, envoya en toute hâte sur les lieux une compagnie -de tirailleurs. Mais elle arriva trop tard un quart d'heure avait suffi, à Si-Seliman pour écraser les Bekakra, s'emparer de leurs troupeaux et disparaître. Le commandantJacquey prévint par télégramme tou-tes les troupes échelonnées à la limite du Tell, afin qu'elles puissent se mettre à la poursuite du Rezzou, s'il passait à leur portée. La colonne d'El-Aricha, la mieux placée pour lui couper la retraite, partit immédiatement et se dirigea vers le Sud. Elle eut beau forcer l'allure, il lui fut imposible de rejoindre l'ennemi. Elle arriva le 19 au soir, exténuée de fatigue, à Oglat-EI-Mora, d'où elle aperçut, dans le lointain, du côté d'Oglat-EchChebka, les feux de bivouac de Si-Seliman puis, le lendemain matin, lorsqu'elle voulut reprendre sa marche, celui-ci avait déjà franchi la frontière. Nos colonnes restèrent dans le Sud jusqu'au mois de décembre. Le général Delebecque profita de son séjour dans cette région pour étudier le point dont l'occupation convenait le mieux pour affermir notre autorité dans le pays. Son choix s'étant fixé sur le keçar d'Aïn-

;

;

(1) Dans le Sud, on désigne sous le nom de djich-un parti de maraudeurs de dix ou quinze hommes, composé généralement de fantassins. Au delà de ce chiffre, la bande prend le nom de rezzou et se compose presque toujours de cavaliers. Enfin, lorsque l'expéfantassins)

dition comprend un millier d'hommes (cavaliers et emploie djich razzia le faire Pour harka. l'appelle une une on la ruse et la harka la force. Le rezzou se sert des deux moyens; mais il doit toujours agir avec une grande rapidité.


Sefra, il y fit construire une redoute et y laissa une colonne (commandant Marmet), avant de rentrer dans le Tell. A partir de ce moment, l'insurrection de Bou-Amama était, pour ainsi dire, terminée, ou plutôt elle allait entrer dans une nouvelle phase. Le marabout ayant perdu son prestige, ne tarda pas à être abandonné par la plupart de ses partisans. Mais, au lieu de faire leur soumission, ils aimèrent mieux rester au Maroc. Quelquesuns s'installèrent dans les environs de Figuig; d'autres allèrent rejoindre Si-Seliman à El-Mengoub, le plus grand nombre se rallia à Si-Kaddour-ben-Hamza, chef des Oulad-Sidi-Cheikh-Cheraga, en dissidence depuis 1864, qui campait alors dans le bas de la vallée de la Zouzfana. Avec tous ces groupes hostiles échelonnés le long de notre frontière et agissant séparément sans plan d'ensemble, sans entente entre eux, ce n'était plus une véritable insurrection que nous avions à combattre, mais il nous restait à faire une opération de police, très sérieuse et nécessitant un grand déploiement de forces, car le pays à protéger était très étendu et l'ennemi à surveiller excessivement mobile. Pour parer à tout danger d'incursion, l'autorité militaire fut obligée de mettre des troupes partout. Elle installa des colonnes à Aïn-Sefra, Aïn-Ben-Krelil, ElAricha, Ras-El-Ma, Méchéria, Géryville et renforça les garnisons de Sebdou, Daya, Saïda, le Kreider, Frenda et Tiaret. Les instructions de notre gouvernement vinrent encore augmenter les difficultés de la situation. Après le combat de Teniet-el-Y oudia, dont je parlerai plus loin, il défendit à nos troupes, afin d'éviter des complications internationales, de franchir la frontière pour combattre les rebelles. Elles ne pouvaient pénétrer au Maroc que si des contingents hostiles s'y concen-


traient et, dans

ce cas, elles devaient se borner à les

repousser et revenir ensuite dans leurs cantonnements. C'est ce que l'on appelle, en terme du métier, se tenir sur la défensive passive. Le colonel de Négrier, qui commandait la colonne d'Aïn-ben-Krelil, dépeignit d'une façon très juste l'embarras dans lequel on le mettait en le condamnant à l'immobilité. Il répondit au général, qui lui transmettait les ordres du gouvernement, une lettre se terminant par la phrase suivante : Je ferai mon possible pour me conformer aux instructions

reçues, mais je ne dois pas vous cacher, mon Général, que j'ignore complètement l'artde faire la guerre en restant l'arme au bras.

Cette boutade, où perçait la mauvaise humeur, faillit attirer des désagréments au colonel. Mais ce qu'il disait était tellement vrai que le général lui pardonna. Les faits saillants qui marquèrent cette période de l'insurrection n'ont aucune relation entre eux et ne procèdent d'aucun plan d'ensemble, pas plus de notre côté que de celui des rebelles aussi me bornerai-je, dans le chapitre qui va suivre, à les relater séparément et par ordre de date.

;


CHAPITRE IX Combats de Teniet-el-Youdia et de Fendi. Désastre du Chott-Tigri. — Combat de l'Oued-Charef. Diverses combinaisons proposées pour pacifier le Sud. Accord avec les Oulad-Sidi-Cheikh. Fin de l'insurrection.

Combat de Teniet-el-Youdia. — Le 24 février 1882, le commandant Marmet, chef de la colonne d'Aïn-Sefra, apprenant que plusieurs fractions des Ahmours s'étaient installées un peu au sud de Figuig, résolut de les surprendre. Il se mit en route avec une partie de ses forces, environ 800 hommes, et arriva le 28 à El-Aouedj-Tatani, où la présence des rebelles avait été signalée. Mais ceuxci, prévenus de son mouvement, avaient quitté ce point, quelques heures auparavant, pour se rapprocher de Figuig. Malgré ce contre-temps, le commandant ne renonça pas à les atteindre; il reprit sa marche à la tombée de la nuit et, vers les 3 heures du matin, il arrivait à 1.500 mètres de leurs campements, lorsque des aboiements de chiens leur donnèrent l'alarme. Les dissidents se réfugièrent aussitôt sous les murs mêmes de Figuig, où ils étaient désormais en sûreté. L'expédition ayant échoué, le commandant Marmet alla camper au col de Teniet-El-Youdia, où il devait passer pour revenir à

Aïn-Sefra: Le lendemain matin, comme la colonne descendait le défilé aboutissant à ce col, elle fut assaillie par 1.500 Figuiguiens qui, un peu avant l'aube, étaient venus s'embusquer sur son passage. Surprises dans un endroit resserré, où il leur était difficile de se mouvoir, nos


troupes battirent en retraite pendant que deux compagnies se portaient rapidement à droite et à gauche du défilé pour contenir l'ennemi. Ce mouvement rétrograde rendit plus audacieux les assaillants et leur fit commettre l'imprudence de quitter leurs fortes positions pour venir combattre notre colonne dans la plaine. C'est ce que voulait le commandant. Sachant très bien qu'en rase campagne il lui serait plus facile de compenser son infériorité numérique par la supériorité de ses feuy, il avait manœuvré pour y attirer l'ennemi. Les Figuiguiens chantaient déjà victoire lorsque notre infanterie, se retournant brusquement, les assaillit par une fusillade terrible, pendant que notre artillerie, tirant à mitraille, fauchait leurs rangs. Effrayés par cette rafale de projectiles qui, en un clin d'œil, leur tua une centaine d'hommes, les gens de Figuig se sauvèrent dans un désordre indescriptible, poursuivis par nos troupes jusque sous les murs de leurs keçours. Nos pertes s'élevaient à deux tués et quinze blessés. A la suite de ce combat, le bruit courut que la colonne Marmet s'était emparé de Figuig. Cette nouvelle, reproduite par plusieurs journaux, alarma deux puissances intéressées au maintien de l'intégrité de l'empire chérifien l'Angleterre et l'Espagne, qui protestèrent par la voiediplomatique. Leurs récriminations valurentau commandant Marmet un blâme sévère pour avoir pénétré sur le territoire de Figuig. Combat de Fendi. — Le 31 mars, le commandant de la colonne d'Aïn-Sefra partait de nouveau, avec toutes ses forces, pour marcher, cette fois, contre Bou-Amama, qui, disait-on, réunissait de nombreux contingents dans la vallée de la Zouzfana, pour tenter un coup de main sur nos tribus. Arrivé à Kreng-Zoubia, le 1er avril, après deux jours

:


de marche forcée, le commandant reçut des renseignements contradictoires sur la position de l'ennemi. Les uns le signalaient sur les bords de la Zouzfana et les autres plus à l'ouest, du côté de l'oued Mestoura. Dans le doute, le commandant dédoubla sa colonne, afin de pouvoir explorer les deux régions indiquées; il envoya dans l'Ouest le commandant Catroux, avec quatre comcontinua sa route vers le Sud pagnies et un escadron, avec le restant de ses troupes. Le 2 avril, à 6 heures du matin, la colonne Catroux, après une longue marche de nuit, se disposait à - camper dans l'oued Mestoura, lorsque ses éclaireurs aperçurent plusieurs cavaliers dissidents qui fuyaient du côté de l'oued Fendi. Il n'y avait plus à hésiter; lè marabout devait être dans cette direction et il fallait marcher de suite, si on voulait le surprendre, car ses vedettes allaient lui donner l'alarme. Aussi, oubliant leurs fatigues, nos troupes reprirent leur marche, précédées de la cavalerie, d'un peloton de tirailleurs monté et d'une cinquantaine de goumiers. Une heure après, cette avant-garde arrivait en vue de la région montagneuse de Fendi et apercevait, à l'entrée d'une gorge, les campements de Bou-Amama qui pliaient bagage en toute hâte. Pendant que les femmes et les enfants défaisaient les tentes, réunissaient les troupeaux et se sauvaient dans le défilé, les combattants, au nombre dZenviron 800, commandés par le marabout en personne, se portaient au-devant de nos troupes. - La fusillade commença aussitôt. Au début, l'ennemi put résister assez facilement, grâce à sa supériorité numérique et surtout à la nature accidentée du terrain, qui ne permettait pas à notre cavalerie de développer tous ses moyens d'action; mais, à l'arrivée du gros de la colonne, il dut battre en retraite et alla s'établir sur les hauteurs qui défendaient l'entrée

et


du défilé. Là, il résista encore pendant un quart d'heure et, jugeant alors que ses campements avaient une avance suffisante, il disparut rapidement. Nos troupes renoncèrent à le poursuivre, car elles n'en pouvaient plus depuis leur départ d'Aïn-Sefra, le 31 mars, elles avaient parcouru 150 kilomètres, marchant pour ainsi dire jour et nuit. Le lendemain, le commandant Marmet rejoignit le commandant Catroux et toute la colonne reprit le chemin d'Aïn-Sefra. DésastreduChott-Tigri. — En avril 1882, le capitaine de Castries (1) fut chargé de faire le levé topographique de la région du chott 'figri, dans laquelle nos troupes pouvaient être appelées à opérer et qui était alors très peu connue. Le colonel"de Négrier, qui commandait la colonne d'Aïn-Ben-Krelil lui donna comme escorte une compagnie de la légion (capitaine Barbier). Les légionnaires sont.de vigoureux soldats que, personnellement, j'apprécie beaucoup, les ayant vus souvent à l'œuvre. Mais ils ont un grand défaut aimant beaucoup les razzias, ils se figurent volontiers, lorsqu'ils expéditionnent dans le Sud, que tous les moutons qu'ils rencontrent appartiennent à des rebelles et, partant, qu'ils sont de bonne prise. C'est précisément l'erreur que commit la compagnie Barbier, le 26 avril 1882. Passant ce jour-là à Ghoua-Ben-Maghdad, dans le chott Tigri, et apercevant des troupeaux de moutons dans la plaine, elle se dit, naturellement, que ces animaux devaient appartenir à des partisans de Bou-Amama et s'en empara sans autre forme de procès. Or, ces troupeaux étaient la propriété de plusieurs fractions des BeniGuill, qui campaient dans les environs et dont les biens

;

:

(1) C'est ce même officier qui,

d'arrêter Bou-Amama.

avant l'insurrection, avait essayé


auraient dû être respectés, car ces Marocains n'avaient pas pris part à l'insurrection. Au surplus, la compagnie de la légion ayant été envoyée dans le chott Tigri pour protéger une mission topographique et non pour combattre des rebelles, aurait dû, ne fût-ce que par prudence, s'abstenir de tout acte d'hostilité, puisqu'elle n'était pas en nombre suffisant pour engager la lutte. Après leur razzia, les légionnaires placèrent les troupeaux les uns à la suite des autres, formant ainsi une colonne de plus d'un kilomètre de longueur, qu'ils encadrèrent, marchant par petits paquets et un peu en dé-

sordre. Cependant, les bergers n'avaient pas tardé à aller prévenir les campements voisins, qui prirent aussitôt les armes, au nombre de cinq ou six cents fantassins, pour se lancer à la poursuite des ravisseurs. La région des chotts, et surtout celle du chott Tigri, est favorable aux surprises. Couverte de petites dunes, dont les plus élevées ne dépassent pas 15 mètres, il est facile à une troupe d'infanterie de contourner ces buttes et d'aller se poster, sans se laisser voir, sur la route que suit une colonne. C'est ce que firent les Beni-G-uill. Dès que la tête de la colonne les eut un peu- dépassés, ils sortirent de leur embuscade et se ruèrent sur la compagnie de la légion qui, surprise par cette brusque attaque, dans une situation désavantageuse, puisqu'elle marchait par le flanc, neput résister. Nos soldats battirent précipitamment en retraite, sans ordre, sans direction, car deux de leurs officiers (capitaine Barbier et lieutenant Massone) avaient été tués et le troisième (souslieutenant Lacroix) blessé. Ils auraient infailliblement été massacrés sans le sang-froid du capitaine de Castries. Celui-ci s'occupait à lever le terrain lorsque la fusillade éclata. Il vit de suite le danger que courait la pe-


tite colonne et, avisant un monticule situé à proximité et un peu plus élevé que les autres, il y courut en criant aux soldats qui étaient à sa portée de se rallier à lui. Il arriva ainsi à constituer rapidement un petit noyau de résistance, qui ouvrit de suite le feu et autour duquel vinrent successivement se grouper tous les légionnaires

qui avaient pu échapper aux balles des Beni-Guill. Dès que le groupe du capitaine de Castries fut assez fort pour pouvoir résister sans trop de désavantage, les assaillants cessèrent le combat. Ils reprirent leurs moutons et retournèrent dans leurs campements. A leur arrivée, ils s'empressèrent de lever leurs tentes et de s'enfoncer dans l'ouest, pensant que la compagnie Barbier était l'avant-garde d'une colonne qui ne tarderait pas à venir les attaquer. Le lendemain, le colonel de Négrier arriva sur les lieux, avec une partie de ses forces, et ramena à Aïn-Ben-Khelil les survivants du désastre. La compagnie de la légion avait perdu dans cette malheureuse affaire, en plus de ses officiers, la moitié de son effectif. Combat de l'oued Charef. — Le 15 mai 1882, le lieutenant-colonel Duchesne (1), commandant la colonne d'El-Aricha, était informé que plusieurs campements de Beni-Guill, parmi lesquels ceux qui avaient attaqué la mission de Castries, se trouvaient dans la vallée de l'oued Charef. Désireux de venger le désastre du chott Tigri, cet officier supérieur partit avec ses troupes et arriva, le 18 mai au matin, sur les bords de la vallée en question. Un escadron du 28 chasseurs d'Afrique (capitaine Guyon), envoyé en-reconnaissance, ne tarda pas à rencontrer l'ennemi un peu au delà de la rivière. Celui-ci marchait en deux groupes, 300 cavaliers d'un côté, 400 (1) Devenu, depuis, commandant de corps d'armée.


fantassins de l'autre, et paraissait se diiiger-sur notre camp. N'écoutant que leur courage, nos braves chasseurs d'Afrique, malgré leur petit nombre — ils n'étaient que 80 — n'hésitèrent pas à charger.les Beni-Guill. Le capitaine Guyon, avec la moitié de l'escadron (40 hommes), se jeta sur les cavaliers, qu'il culbuta du premier coup, tandis que le lieutenant Boucon, à la tête- de l'autre moitié, fonçait avec le même entrain sur les fantassins et les obligeait, après leur avoir sabré une vingtaine d'hommes, à se réfugier dans un marais couvert de roseaux. La petite troupe du capitaine Guyon poursuivit,pendant près de 8 kilomètres, les 300 cavaliers des BeniGuill, qui, affolés et croyant sans doute avoir à leurs trousses tout un régiment de cavalerie, n'osèrent résister. Après cette course échevelée, le capitaine, jugeant la poursuite inutile, revint sur ses pas et rejoignit le peloton Boucon, qui, ne pouvant charger les fantassins dans le marais où ils s'étaient retirés, essayait de les déloger à coups de fusil. Le capitaine vint à son secours et attaqua les Beni-Guill par derrière. Ceux-ci, se voyant pris entre deux feux, se sauvèrent dans toutes les directions vigoureusement poursuivis par l'escadron, qui leur tua 80 hommes. A 6 heures du soir, les chevaux étaient à moitié fourbus et nos cavaliers durent revenir au camp. Leurs pertes s'élevaient à deux tuéset cinq blessés, dont le sous-lieutenant de Montcabrié. Ce brillant fait d'armes, le plus beau de l'insurrection, valut au 2e chasseurs d'Afrique les félicitations du commandant de corps d'armée et au lieutenant-colonel Duchesne une sévère remontrance pour avoir pénétré sur le territoire marocain. Cependant, malgré les prouesses de nos cavaliers et les marches extraordinaires de nos fantassins, la situa- j ,-

i 3


tion ne s'améliorait pas. Des groupes hostiles, plus résolus que jamais à continuer la lutte, se tenaient sur notre frontière, et leur nombre, au lieu de décroître, menaçait de s'augmenter, par suite de l'entrée en ligne des contingents des Beni-Guill. L'entretien des nombreuses troupes que nous étions obligés de leur opposer pour protéger nos tribus occasionnait de fortes dépenses qui effrayaient notre gouvernement. De leur côté, nos commandants de colonne 'étaient découragés par les instructions qu'ilsrecevaient et qui les mettaient dans des transes continuelles un blâme pouvant entacher leur réputation militaire s'ils laissaient pénétrer les dissidents sur notre territoire, et de sévères observations, s'ils franchissaient la frontière pour aller les combattre (1). Quant à nos soldats, à qui leurs chefs étaient obligés

:

(1) Le général Saussier, commandant le 19e corps d'armée, avait dit tout haut « qu'il briserait comme un tambour, quel que fût son grade, tout officier qui l'obligerait à tirer un coup de fusil sur la frontière ». Cette menace, constamment sùspendue sur la tête des commandants de colonne, paralysait leur initiative et les rendait si

craintifs qu'ils n'osaient rien entreprendre sans être couverts par un ordre formel. Tous savaient, du reste, que le général Saussier était homme à mettre sa menace à exécution, car, après l'affaire du chott Tigri, il avait voulu rendre responsable de ce désastre le général Colonieu, qui commandait à Méchéria et qui avait, en même temps, sous ses ordres, toutes les troupes du Sud. Il avait proposé à son encontre une mesure très sévère qui ne fut pas appliquée, le général Colonieu ayant pu facilement se disculper; mais, malgré son innocence, il fut relevé de son commandement, à titre d'exemple. Le commandant Jacquey faillit avoir le même sort. Après le coup de main de Si-Seliman, sur les Bekakra, on lui reprocha de de ne pas avoir prévenu assez vite les commandants de colonne l'Ouest de l'arrivée de l'ennemi dans les environs de Méchéria. Le commandant répondit avec beaucoup de bon sens que c'-était avant le coup de main et non après qu'il aurait fallu signaler la marche de Si-Seliman que ce soin incombant aux chefs des colonpas qu'on voulût nes placées près de la frontière, il ne comprenaitqu'il était à Méle rendre responsable de cette surprise, alors chéria.

;


d'imposer des fatigues surhumaines pour faire face aux difficultés de la situation, ils fondaientcomme neige au soleil et disparaissaient emportés par les maladies. Aussi, tous, officiers et soldats, en avaient assez de l'insurrection et demandaient, puisqu'on ne voulait pas la réduire par la force, qu'on y mît fin par un expédient quelconque. Notre gouvernement, pour des raisons budgétaires, partageait les mêmes sentiments. Tel était l'état général des "esprits lorsqu'arriva, à la tête de la division d'Oran, en remplacement du général Delebecque, nommé commandant de corps d'armée, un homme très fin, très habile, M. le général Thomassin, qui avait reçu carte blanche pour pacifier le Sud. Avant son arrivée, deux combinaisons dans ce but avaient déjà été proposées. Bien qu'elles n'aient pas réussi, je tiens à les.faire connaître, car, à mon sens, elles étaient préférables à celle qu'adopta le général. La première solution avait été conseillée au gouverneur général par notre ministre plénipotentiaire à Tanger. Elle consistait rallier à notre cause Si-Seliman, en lui offrant un grand commandement indigène et en mettantensuite à sa disposition un goum composé des meilleurs cavaliers de nos tribus pour combattre les rebelles. Si-Seliman, exerçant sur ceux une grande influence religieuse, en sa qualité de chef des Oulad-SidiCheikh-gharaba, et leur inspirant une crainte sérieuse, en raison de son habileté, devait arriver à les décider à faire leur soumission. Ce plan était très sage et il est regrettable qu'au gouvernement général on n'ait pas su le faire aboutir. Voici ce qui le fit échouer. M. A. Grévy avait une telle défiance de l'autorité militaire, — bien à tort, dû reste, qu'au lieu de lui com— muniquer ses projets, il mit un soin minutieux à les lui cacher. Il envoya auprès de Si-Seliman, pour lui

à

ci


faire part de ses propositions, le grand chérif d'Ouazzan (1), qui, à ce moment, recueillait des offrandesreligieuses.sur notre territoire. Le chef des Oulad-Sidi-Cheikh-Gharaba accepta de suite les offres du gouverneur général, et, croyant que l'accord était définitivement conclu, il se mit en route avecses cavaliers, pour venir. faire sa soumission au colonel de Négrier, à Aïn-Ben-Krelil. Le colonel, n'ayant aucune connaissance des négociations engagées, se figura que Si-Seliman voulait exécuter un nouveau coup de main sur les Hamyan, et se porta à sa rencontre pour le combattre. Le chef des Oulad-Sidi-Cheikh-Gharaba, prévenu par ses espions des intentionshostiles du colonel, s'imagina que le chérif d'Ouazzan avait voulu l'attirer dans un traquenard et entra dans une telle colère contre ce marabout que, sans son entourage, il lui aurait fait un mauvais parti. Pour se disculper, le chérif affirma, sous la foi du serment, qu'il avait agi avec la plus grande loyauté. Si-Seliman le crut, mais il resta persuadé que le gouverneur général avait voulu lui tendre un piège. Il retourna dans ses campements, plus défiant que jamais, et recommanda à ses espions de surveiller de près le colonel de Négrier.L^affaire n'eut pas d'autre suite. La seconde combinaison émanait du général Gand, commandant la subdivision de Mascara. Cet officier général, qui avait fait presque toute sa carrière en Algérie, était très expérimenté en affaires arabes et connaissait admirablement le Sud-Oranais. Il proposa à l'auto(1) Le chérif d'Ouazzan, Si-Abdesselam, était la plus haute personnalité religieuse du Maroc. Ce marabout venait souvént Algérie recueillir la ziara (offrande religieuse) auprès des in-

en était le grand digènes affiliés à l'ordre de Muuley Taïeb, dont il simples, qui et très manières de homme, excellent C'était chef. un nous était dévoué.


rité supérieure de conclure une alliance avec la grande tribu saharienne des Doui-Menia, alors en guerre avec les Oulad-Sidi-Cheikh-Cheraga et plusieurs de nos tribus rebelles qui avaient été rejoindre ces marabouts. Le général faisait remarquer que les Doui-Menia, étant nomades, disposaient de contingents très mobiles, qui nous seraient précieux pour lutter contreun ennemi qui réussissait toujours à éviter le combat, grâce à la rapidité de ses mouvements. Ces sahariens, pressentis, ajoutait le commandant de la subdivision, s'étaient montrés disposés à accepter notre alliance et avaient même proposé de la conclure sur les bases suivantes Nous enverrions dans leur pays 1.000 fantassins qui les aideraient à prendre à revers les rebelles pendant qu'une de nos colonnes les attaquerait de front dans la vallée de la Nos alliés s'engageaient à fournir gratuitement à ces fantassins les moyens de transport nécessaires et à nous donner en otages, comme gage de leur sincérité, des femmes et des enfants que nous garderions jusqu'au retour de l'expédition. Ces propositions ne furent pas acceptées et ce fut fâcheux, car, à tous les points de vue, elles étaient avantageuses. Elles nous auraient d'abord permis de réduire une insurrection par la force, ce qui eût augmenté notre prestige, tandis qu'en y mettant fin par un expédient, dans lequel l'argent a joué le principal rôle, nous devions forcément nous amoindrir aux yeux des indigènes. En second lieu, les bonnes relations qui se seraient établies entre les Doui-Menia et nous, après notre entente avec ces nomades, nous auraient permis d'étendre, dès cette époque, notre influence dans l'Extrême-Sud et de préparer ainsi la conquête de cette région par une pénétration morale qui nous aurait, par la suite, épargné

:

Zousfana.

bien des

difficultés.


Il convientde dire, pour excuser la faute commise,

qu'à cette époque les Doui-Menia étaient à peine connus; en dehors du général Gand et de quelques officiers des affaires indigènes, personne ne soupçonnait l'importance de cette puissante tribu saharienne. Arrivons à la combinaison du général Thomassin (1). Elle ressemblait à celle qu'avait voulu appliquer le gouverneur général, M. A. Grrévy, mais avec cette différence qu'au lieu des'adresser à Si-Seliman, chef des Oulad-Sidi-Clieikh-Gha?,aba, le général aima mieux traiter avec Si-Kaddour-ben-Ilamza,chef des Oulad-SidiCheifch-Cheraga.

Tous ces Oulad-Sidi-Cheikh exercent une influence religieuse considérable sur nos tribus du Sud, à cause de leur origine, qu'ils font remonter à Sidi-Cheikh, le grand saint du Sahara mais, malgré cette illustre descendance, ils ne valent pas grand'chose et ne méritent qu'une confiance limitée. Cependant, ceux de ces marabouts qui appartiennent à la branche de l'ouest, les Gharaba, comme l'indique leur nom, sont moins mauvais que ceux de la branche de l'est, les Cheraga; ils sont moins faux, moins traîtres, moins menteurs et moins flagorneurs que ces derniers. Il eût, dès lors, été préférable de s'entendre avec eux plutôt qu'avec les Cheraga. Mais le général Thomassin ne crut pas devoir le faire

;

(1) Lorsque le général Gand formula ses propositions, le gé-

néral Thomassin n'avait pas encore été nommé au commandement de la division d'Oran. A son arrivée, il trouva que les propositions dont il s'agit étaient avantageuses mais qu'elles avaient l'inconvénient d'exiger un temps trop long pour pacifier le pays. Il rocommanda toutefois au général Gand de continuer ses bonnes relations avec les Doui-Menia et encouragea lui-même ces Sahariens à continuer la lutte contre les Oulad-Sidi-Cheikh. Dans ce but il envoya des cadeaux à plusieurs de leurs notables et notamment à un de leurs principaux caïds, Cheikh-EI-Façia, dont le fils, un superbe cavalier, avait été tué, quelques jours auparavant, dans un combat contre plusieurs de nos tribus rebelles.


parce que les premiers sont Marocains, en vertu du traité de 1845, tandis que les seconds sont Algériens. Il envoya auprès de Si-Kaddour-Ben-Hamza, chef des Oulàd-Sidi-Cheikh-Cheraga, un indigène des Laghouat, nommé Bou-Hafs, qui négocia avec beaucoup d'habileté les conditions de la paix. L'accord s'établit sur les bases suivantes

:

Notre gouvernement ferait reconstruire à ses frais la koubba d'El-Abiod que le colonel de Négrier avait 1°

fait sauter;

Il paierait,un traitement annuel de

60.000 francs à Si-l.Kaddour et aux membres de sa famille, les OuladSidi-Hamza, pour les indemniser des biensséquestrés sur eux, lors de leur révolte en 1864 2°

;

Un grand commandement indigène serait donné à un membre de cette famille que Si-Kaddour désignerait 3°

;

lui-même

leur côté, Si-Kaddour et les Oulad-Sidi-Hamza s'engageaient à nous ramener tous les rebelles. y Un mois après cet arrangement (mai 1883), les OuladSidi-Hamza et leur tribu, les Oulad-Sidi-Cheikh, vinrent faire leur soumission à Géryville: Je dois leur rendre cette justice qu'ils tinrent fidèlement leurs engagements. Sur leurs instances, les dissidents demandèrent l'aman (le pardon), qui leur fut accordé facilement. On leur infligea de légères amendes et on leur donna un délai assez long pour les payer. Quant à Bou-Amama, il sera retira à Deldoul, dans le Gourara, où sa piété et ses vertus ne tardèrent pas à lui concilier l'affection des habitants, ce qui lui permit de fonder une nouvelle zaouïa, en remplacement de celle de Moghrar. Après sa retraite, le marabout se tint à l'écart de la politique et loin de chercher, comme on l'a dit, à nous nuire, il ex4° De




CONCLUSION

Certes, Bou-Amama a été coupable vis-à-vis de la France; mais Oulad-Sidi-Hamza ne l'étaient pas moins et, puisque nous faisionsœuvre de clémence envers ces derniers, il eût été d'une sage politique d'étendre notre pardon à notre adversaire de 1881, lequel avait des sentiments de repentir que les Oulad-Sidi-Hamza n'ont jamais manifestés. En agissant ainsi, nous aurionsfacilement persuadé aux indigènes que la générosité seule dictait notre conduite, tandis qu'en laissant de côté Bou-Amama, qui n'était plus à craindre, pour accorder de grandes faveurs aux Oulad-Sidi-Hamza, qui étaient dangereux, nous avons trop laissé voir le mobile qui nous faisait

les

agir.

Les Sahariens ne s'y sont, du reste, pas trompés. Un notable indigène du Tell demandant, dernièrement, à un de ceux-ci les raisons qui avaient décidé les Français à combler d'honneurs et de richesses une famille qui les avait combattus pendant près de vingt ans, son interlocuteur, pour toute répose, fit le mouvement d'épauler un fusil et accompagna ce geste d'un sourire qui traduisait clairement sa pensée. On sait, de plus, que depuis quatre ans, les tribus de l'Extrême-Sud oranais, Oulad-Djerir, Doui-Menia et autres, opposent à notre extension dans leur pays une résistance énergique, dont le récent combat d'El-Moungar ne marque malheureusement pas la fin. Eh bien si l'on veut connaître les causes de cette résistance, qui

!


ne manque pas de surprendre, il faut les chercher dans la conviction qu'ont ces Sahariens de réussir, comme l'ont fait les Oulad-Sidi-Hamza, à lasser notre patience, à nous créer de grosses difficultés et à nous obliger, en fin de compte, à transiger avec eux à des conditions avantageuses. Xous subissons ainsi, dans nos nouvelles possessions de l'Extrême-Sud, les conséquences de la faute politique commise en 1883. Une autre considération nous commandait encore de pardonner à Bou-Amama lorsque, écœuré et désabusé par l'abandon de ses contingents, il demandait à venir à nous. Une fois rallié à notre cause, ce marabout n'aurait pas hésité, par reconnaissance, à favoriser notre politique saharienne et aurait pu, en outre, par son influence religieuse, qui est toujours très grande, faire contrepoids à l'omnipotence des Oulad-Sidi-Hamza qui sont devenus, pour ainsi dire, les maîtres sur les hauts pla-

teaux. Je suis loin d'être ennemi des grands commandements indigènes; je n'hésite même pas à dire que nous avons été mal inspirés le jour où nous les avons supprimés dans le Tell; mais il y a mesure à tout et il est certain que nous l'avons dépassée en donnant à une seule famille le pouvoir sur un vaste territoire, qui s'étend presque depuis Aïn-Sefra jusqu'à Laghouat. Je désire que nous n'ayons pas un jour à le regretter.


TABLE DES MATIERES

AVANT-PROPOS.

5

I. — Renseignements sur Bou-Amama. Causes de l'insurrection. Sa préparation. Vigilance de l'autorité

CHAPITRE

militaire

II.

7 —Arrestation des

émissaires de Bou-Amama. Assassinat du lieutenant Veinbronner. Danger couru par les capitaines Reuillon et Pares. Mésaventure de M. G. adjoint à CHAPITRE III. — Mesures prises pour enrayer l'insurrection. Combat de Sfisifa. Ses CHAPITRE IV. — Formation de la colonne Innocenti. Combat de CHAPITRE V. du bri— Marche de Bou-Amama. Massacre gadier Bringard et de son escorte. Révolte des Laghouat. Incursion des rebelles dans le Tell et dans les chantiers d'Alfa. Opérations de nos différentes colonnes. Panique de CHAPITRE VI. Massacre des chantiers CHAPITRE VII. Nouvelle incursion de Bou-Amama. Combat du Kreider. Combat d'Aïn-Oulassi. Les Rezaïna CHAPITRE

l'intendance.

Ohellala. conséquences.

Saïda. territoire. --

d'alfa.

quittent notre DestrucMecheria. de Création du CHAPITRE VIII. poste — d'El-Abiod. Pillage du convoi du général tion de la koubba Colonieu.Opérations de nos colonnes à Aïn-Sefra. Combat du Djebel-Beni-Smir. Hardi coup de main de Si-Se-

20 32 42

51

76

91

liman. Dispersion des rebelles. Nouvelle situation créée 106 par leur échelonnement le long de notre frotière. Teniet-el-Youdia et de Fendi. Combat de CHAPITRE III. —





Librairie militaire Ileiiri CHAHLES-LAYAl'ZELLE Paris et Limoges. JUKRRB DR 1870. — détaillée

La première armée de l'Est.

.,.

Reconstitution exacte et de petits combats avec cartes et croquis, par le commandant breveté Xavier EUVRARD. — Volume grand in-8° de 263 6 a L'armée de Metz, 1870, par le colonel THOMAS. Vol. in-8° de 252 pages, orné d un portrait et de deux 3 »

cartes.,

-,

pa¡.{es.

maréchal Bazaine pouvait-il, en 1870, sauver la France? par Ch. KUNTZ, major (H. S.), traduit par le colonel d'infanterie E. GIRARD. Vol. ID-Sa de 248 p., avec une carte hors texte des envir. de Metz.4» CAMPAGNE DE 1870-71. — Le 13e corps dans les Ardennes et dans l'Aisne, ses opérations et celles des corps allemands opposés. Etude faite par le capitaine breveté VAIMBOIS, de l'état-major de la 10e division Le

-

pages.

d'infanterie. — Volume 10-8' de 224 3 50 La défense de Belfort, écrite sous le contrôle de M. le colonel DenfertRochereau, par MM.Edouard THIERS, capitaine du génie, et S. DE LA LAUIIENCIEJ capitaine d'artillerie, anciens élèves de l'Ecole polytechnique, de la garnison de Belfort (5" édition — Volume in-8" de 420 pages, avec trois cartes et plans en couleurs, hors 7 50 Histoire militaire de la France depuis les origines jusqu'en 1843, par Emile SIMOND, capitaine au 28e d'infanterie. — 2 vol. in32 de 112 et »75 102pages, brochés, l'un. » 50; reliés pleine toile gaufrée, Eliatoire militaire de la France, de 1843 à 1871, par Emile SIMOND, capitaine au 28e de ligne. — 2 volumes in-32 de 96 et 104 pages, brochés. »75 l'un »5); reliés pleine toile gaufréa, Crimée-Italie. — Notes et correspondances de campagne du général de Wimpifen, publiées par H. GALLI. Ouvragehonorédune$otttcription 5 » du minitière de la guerre. — Volume grand in-Sc. de 180 rableaux d'histoire à l'usage des sous-officierscandidats aux Ecoles Versailles et Vincennes, par militaires de Saint-Maixent, Sauraur,Volume in-18 de 144 pages. 2 50 Noël LACOLLE, lieutenant d'infanterie. — tfemento chronologique de l'histoire militaire de la France, par le capitaine Ch. HOMAGNY, professeur de tactique et d'histoire à l'Ecole mili4» taired'infanterie. Volunie in-18de 316 Précis historique des campagnes modernes. Ouvrage lesaccompagné de candidats aux 37 cartes du théâtre des opérations, a l'usage de MM. diverses écoles militaires (2e édition). — Vol. in-18 de 232 p., broché. 3 50 (1870-1871), Souveriiritd'un capitaine, par le commandant Sm» armée Volume

t.

texte.

l'un.

pages.

', pages.,.,. pages.

-

in-18 de 336 pages,

KANAPPB. —

broche.

3 50

La oharge de cavalerie de Somo-Sierra (Espagne), le 30 novembre 1808, par le lieutenant général POUZER-ÎWSKY, traduit du russe par le capitaine Dimitry (ZNOBICHINE, de l'état-major général de l'armée russe. — 1 50 Brochure in-80 de 56 pages avec 2 croquis dans le

Carnet d'un officier.

texte.

pages»75 En colonne au Laos

(1887-1888). — Volume in-So

texte. t~es.-. —

belge l'armée officier de d'un Souvenirs F. français internés à Anvers pendant la guerre militaires des

do 72

GÉNlbAL.

in-8°

2

é propos de 1870-71.

de 22 —brochure août ETUDES DR TACTIQUE APPLIQUÉE. — L'Attaque de Saint-Privat (18 1870), par Pierre LEIIAUTcounT. — Volume m-Bo de 112 pages, avec un cro2 50

?aes."':"

quis dans le Générai LAMIRAUX. — Le siège de Saint-Sébastien en 1813, avec un cro1 25 quis dans le texte. — Brochure in-8" de 54 Danger du principe fondamental de Jomini, par le capitaine L. FARAUD.

-

t<.).. rA

InMn de 22 n

- 60


(:lt\RLESf,.VAUZELLE

Librairie militaire Henri

Paris et limages L'Expédition militaire en Tunisie (1881-1882). -

Fortvol. graa

cartes et croquis, couverture eo couleurs. L4 Ge brigade en Tunisie, par le général Ch. PUILBBtRT — Vol. ;r > 232 pages. orné d'un portrait du général, de 13 gravures et d'une c'"(, couleurs bors texte du théâtre des Opérations militaires au Tonkin, par le commandant breveté CHUI de l'état-rmijor du 4« corps d'ij..:r¡.,>. — Volume grand in-8* de 350 p e avec 72 carias et couverture en COUHmrrLang-Son, combats retraite Dép-":'L;:.lJc..l1 par le commandant brc LBCOMTE — Volume grand jD-ode 560 pages, broché, imprimé sur T papier, illust ;de51 me.T.iiqnesgravures fetesdechapi'res,cule-de-lar u vignettes, accompagnéd'un etiaisoiilenant 19 cartes 3 planches. Le Tonkin français le contemporain, études, observations, impres. iooa r docteur Edmond COURTOIS, méde ,n.H\jor de l'arr * HN souvenirs, par ex-médecin en thef de l'ambulance de Kep, ouvrage racompagné du J J eartea en chromolithographie. — Volume n-8° de 412 Madagascar et les moyens de la conquérir. Etude politique et j le colonel ORTUS. "infanterie riA marine. Volume de in-18 de r J par — s ; { une carte ges avec au Guide de Madagascar, par le liertenant de vaisseau COLSON. VelUR1 in-18 de 220 accompagné de la carte de Madagascar au 1/4.00J*JÔ des itinéraires de Tamatave a Tananarive,de Majun^aàTananarive.^ pli de Tananarive et d'un croquis indicatif deô cyclones f l'Océan Indien L'Expédition du Dahomey en 1890, avec un aperçu géographiqi < hist.orique du pays, sept certes ou croquis des opérations i.iludires e- d nombreuses annexes cont d,nt le texte des conventions, traités, an r n de 422 pager, avec

7

opérations

..,.,'

et

,

et

p8,

pagel., i f'4.000,UOO.,. -

le

ments, cessions, échanges de dépécbes et télégrammesauxquels a "CUIu lieu l'expédition, par Victor NICOLAS, capitaine d'infanterie de ni * officier cracaiLmie (2* édition) — Volume 10-80 de 152 Les expéditions anglaises en Afrique. Arhanlee (187ô-iP74,. Zulu 1879), Egypte ISJ, Soudan (1884-18"!i). Ashaiitee (18951896),par Fort le tenant-colonel breveté SRPTANS, de l'infanterie de manne — vt grand in-8* de 500 p., avec 29 Cartes et croquis, couvert, en coul "rs, S Les expéditions anglaises en Asie. Organisation do l'armér des ir * (18J9-I895), Lushai Expedilioa (1871-18721. les trois camnagi de Rôberts en Afghanistan t1878-1880), expédition du Chitrel 5), ; 1 "JI ti*lieutenant colonel breveté SEPTANS, de l'infantîrie de marin, in-8* de 350 p.. avec 17 cartes et croquis, couverture en coaleurs.. Petites guerres. Leurs principes et leur exécution, par le major CALLWELL, traduit ef annoté par le lieutenant-colonelbiw -ff,( SEFTAt l'infanterie de marine. — Volume in de 372 pages, avec 1. ,'roqu's

pages.

:

texte. .,.,.. es

-

la

*

Ii

ô

Expéditions militaires d'outre-mer le colonel George-Ar par FcKSt:,ayant servi dans laBlad If'atc( traduit de l'anglais, avec I risation de l'auteur, et annoté par le lieutensnt-colonel LJveté SRPT del'infauteriecoloniale.—Volumegrandin-8°de600pagesavec!2i

texte.

.,'1'

et croquis dans le Les Italiens en Erythrée. Quinze ans de politique coloniale, par C. M JONQUIÈHB, capit. d'art, brev. — VQI. in-So de 352 p., avec 10 cartes. du général Lamborti, 'Ice-gouverneur de l'Erythrée.. Rapport la bataille d'Adoua (le, msrstfciti). — Broohur, in-b de 64 pages, 5cartesdansletexte Le catalogue général de la Librairie militaire est l'ÑlU,I tultpment à toute prrionue qui en fait la demande à Cil"BL..LA UZt:LI"E.

"ri

'., -,,'.

-

i*

t

>

*




Turn static files into dynamic content formats.

Create a flipbook
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.