La France à Madagascar, par un capitaine d'infanterie de marine en retraite. 1886.

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La France Ă Madagascar, par un capitaine d'infanterie de marine en retraite. 1886

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La France à Madagascar, par un capitaine d'infanterie de marine en retraite. 1886. 1886. 1/ Les contenus accessibles sur le site Gallica sont pour la plupart des reproductions numériques d'oeuvres tombées dans le domaine public provenant des collections de la BnF. Leur réutilisation s'inscrit dans le cadre de la loi n°78-753 du 17 juillet 1978 : - La réutilisation non commerciale de ces contenus est libre et gratuite dans le respect de la législation en vigueur et notamment du maintien de la mention de source. - La réutilisation commerciale de ces contenus est payante et fait l'objet d'une licence. Est entendue par réutilisation commerciale la revente de contenus sous forme de produits élaborés ou de fourniture de service. CLIQUER ICI POUR ACCÉDER AUX TARIFS ET À LA LICENCE 2/ Les contenus de Gallica sont la propriété de la BnF au sens de l'article L.2112-1 du code général de la propriété des personnes publiques. 3/ Quelques contenus sont soumis à un régime de réutilisation particulier. Il s'agit : - des reproductions de documents protégés par un droit d'auteur appartenant à un tiers. Ces documents ne peuvent être réutilisés, sauf dans le cadre de la copie privée, sans l'autorisation préalable du titulaire des droits. - des reproductions de documents conservés dans les bibliothèques ou autres institutions partenaires. Ceux-ci sont signalés par la mention Source gallica.BnF.fr / Bibliothèque municipale de ... (ou autre partenaire). L'utilisateur est invité à s'informer auprès de ces bibliothèques de leurs conditions de réutilisation. 4/ Gallica constitue une base de données, dont la BnF est le producteur, protégée au sens des articles L341-1 et suivants du code de la propriété intellectuelle. 5/ Les présentes conditions d'utilisation des contenus de Gallica sont régies par la loi française. En cas de réutilisation prévue dans un autre pays, il appartient à chaque utilisateur de vérifier la conformité de son projet avec le droit de ce pays. 6/ L'utilisateur s'engage à respecter les présentes conditions d'utilisation ainsi que la législation en vigueur, notamment en matière de propriété intellectuelle. En cas de non respect de ces dispositions, il est notamment passible d'une amende prévue par la loi du 17 juillet 1978. 7/ Pour obtenir un document de Gallica en haute définition, contacter reutilisationcommerciale@bnf.fr.





LA FRANCE A

MADAGASCAR



FRANCÈT LA A

MADAGASCAR PAR UN

CÀltoSNE D'INFANTERIE DE

MARINE

EN RETRAITE

1886

HAZGBROUCK IMPRIMERIE A. DAVID, RUE DU RIVAGE, 10-12


NOTE DE L'AUTEUR.

Les rares ouvrages qui ont paru sur Madagascar ont délayé

tout ce qui est relatif à la grande île Africaine dans de volumineuses et coûteuses brochures peu propres à exciter la curiosité ou à soutenir l'attention de la grande majorité des lecteurs. .

Nous avons pris à tache de condenser dans cet opuscule toutes les notions qu'il est indispensable de posséder pour se faire une idée nette du passé, du présent et de l'avenir

de la France à Madagascar.


LA FRANGE A

moc JZL. ao» jm^. ma- jm^ es «es ^m. KVL.

Les événements qui viennent de se dérouler a Madagascar ont mis en relief la grande île Africaine que nos pères ont arrosée de leur sang, dès le commencement du XVIIe siècle, en y plantant le drapeau de la France au nom de la civilisation. Ces événements ont tiré de l'oubli où les avait relégués l'instabilité de nos institutions politiques, les droits séculaires de la France sur celte île, en y ajoutant les droits nouveaux que nous a valus une campagne longue et pénible, remplie de faits militaires, tout à l'honneur de nos armes, accomplis par une poignée de soldats et de

marins Français. Grâce a l'ignorance de nos populations en matière géographique et a leur indifférence pour tout ce qui n'est pas l'objet des coups de tam-tam de la presse, l'expédition de Madagascar ne sut attirer sur ses combattants l'attention de la France et exciter son enthousiasme. On verra par ce qui va suivre que, vu le petit nombre d'hommes engagés sur une immense étendue de côtes, contre un ennemi dix fois supérieur en nombre et pourvu d'armes perfectionnées; les difficultés presque insurmontables résultant de la configuration du pays et de l'absence de toute voie de communication;


les influences climatériques et enfin les droits et les intérêts de la Franqe, l'expédition de Madagascar était aussi digne de l'attention et de la reconnaissance de la patrie que

l'expédition du Tonkin. L'île de Madagascar est située dans l'océan Indien, entre les 12e et 26e degrés de latitude sud et les 40' et les 48' degrés de longitude est. Elle est séparée du continent Africain par le canal de Mozambique dont la moindre largeur est d'environ 400 kilomètres. ' Elle est une des plus vastes îles du globe; sa superficie dépasse celle de la France. Sa population est estimée a quatre ou cinq millions d'habitants. Les îles Maurice, Bourbon, Sainte-Marie, Nossi-bé, Nossifaly, Nossi-mitsio, Mayotte et les Comores rangées autour de la grande île Africaine ressemblent à des satellites gravitant autour, de l'astre qui les enchaîne dans son orbite. Les géographes anciens de la Grèce et de Rome font mention des îles reculées de la mer Erythrée (océan IndienJ, îles auxquelles ils donnent les noms de Phibol, Ménuthias, Cerné, etc., etc. Ces dénominations s'appliquent - elles à Madagascar, comme certains géographes de nos jours l'affirment? Cette question est assez obscure pour qu'on se contente de la mentionner sans essayer de l'approfondir. On peut dire avec plus de certitude que les îles Comores et l'ouest de Madagascar furent connus par les arabes, dès le XIIe siècle. Une relation de l'Arabe Edrisi, en 1289, offre une description assez détaillée de Madagascar et des


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-

îles environnantes. A une époque fort reculée, les Persans venus pour la mer rouge trafiquèrent avec Madagascar et y fondèrent des établissements. Marco Polo, en

4298, est

le premier Européen qui

toucha à Madagascar, au retour de son voyage en Chine où il apprit les rapports que les Arabes et les Chinois entretenaient avec cette île. Il donna a la grande île Africaine le nom de Madagascar qu'elle a conservé. Cependant, elle demeura inconnue à l'Europe civilisée jusqu'au 10 août 1506, jour où la flotte Portugaise, en route pour les Indes la découvrit fortuitement. — Camoëns, dans ses Lusiades, la chanta sous le nom d'Ile-SaintLaurent que les Portugais lui avaient donné, tout d'abord, en mémoire de ce saint qu'ils célébraient le 10 août 1S06. Les habitants de Madagascar sont, pour la plupart, dans la plus complète ignorance de l'histoire, de leur passé. Les quelques notions, que certains en possèdent leur ont été

transmises par la tradition, et, c'est a peine s'ils connaissent les événements qui se sont accomplis depuis ce siècle. L'introduction, parmi eux, de l'écriture est de date récente, et rappelle une inléressante anecdote : Avant Radama 1er (1810) les caractères Arabes étaient les seuls en usage parmi les rares lettrés de Madagascar. C'est le Français Robin qui enseigna a ce Prince a lire et à écrire avec nos caractères et qui lui persuada de les adopter pour la langue de son pays. C'est donc aux Français que revient l'honneur d'avoir initié les habitants de Madagascar à l'élément le. plus fécond du progrès et


- 4de la civilisation modernes. Pour refaire l'histoire de Madagascar, pour établir d'une façon probable à quelle époque, par quel peuple et de quelle manière celte île fut peuplée, il faut, s'aidant des relations laissées par les rares voyageurs qui, depuis deux siècles, ont consigné, par écrit,, leurs impressions sur l'île, observer attentivement la labgue qui est à peu près la même dans tout le pays; étudier les moeurs et les coutumes des habitants et faire l'examen des types qui s'accusent le plus nettement au milieu des croisements divers de races et de famille qu'offre la plus grande île Africaine.

C'est ainsi qu'on établit avec assez de certitude que, a l'époque de l'invasion des Tartares en Chine, vers le IXe siècle, des colonies venues du céleste Empire et de la Malaisie s'allièrent aux habitants primitifs de Madagascar, Arabes et Persans, Mozambiques et Cafres venus du continent Africain. Le type Chinois ou Malais aux cheveux plats et au teint jaunâtre est celui de l'Aristocratie du peuple Hova qui a subjugué toutes les autres peuplades et habite l'imérina, capitale Tananarivo au centre de l'île. Le type Africain aux cheveux crépus et au teint noir est celui de la majeure partie des habitants de la côte ouest. Dans le nord de l'île et dans quelques régions du sud-est on trouve des traces évidentes des races arabe et persane. Enfin, c'est sur la côte est que le mélange avec le sang européen parait être plus prononcé. Lorsque les Portugais et les Français tentèrent leurs premiers essais de colonisation "a Madagascar, cette île


-5était divisée entre une multitude de tribus qui obéissaient à des chefs ou rois absolus, indépendants les uns des autres et perpétuellement en guerre entre eux. Les plus importantes parmi ces tribus étaient et sont encore : Les Hovas et les Betsileos, au centre ; Les Antankara, au nord ; Les Betsimitsaraka, a l'est; Les Sakalaves a l'ouest; Les Mahafaly et les Antanossi, au sud. Dans ce qui va suivre, nous donnerons a ces diverses tribus ou peuplades le nom générique de Malgaches ou Madécasses sous lequel on les confond généralement. Avant l'arrivée, au XVIe siècle, des premiers missionnaires catholiques, les croyances religieuses des Malgaches étaient partagées entre le mahométisme importé par l'immigration Arabe ou Persane; des transformations du Boudhisme, fruit de l'immigration chinoise et le fétichisme religion de la population tout a fait primitive et des immigrants cafres et mozambiques. Mais depuis lors, les deux dernières de ces religions

ont notablement cédé aux généreux efforts du chrislianisme dont les missionnaires catholiques et protestants ont converti a leur foi une bonne partie des habitants de l'intérieur et des côtes. Les pratiques superstitieuses forment le fond des croyances religieuses des Malgaches non convertis au christianisme et sont très difficiles à déraciner du coeur même de ceux qui ont été évangélisés. On se heurte partout chez eux, aux pratiques de la divination


-6 et de la sorcellerie. Les Malgaches portent sur eux des amulettes, lis ont des pierres et des arbres sacrés, des jours fastes et néfastes. Ils offrent des sacrifices aux mânes de leurs ancêtres et aux esprits qui hantent certains lieux fatidiques. Pour interprêter le sort et prédire l'avenir, ils ont recours aux devins et aux sorciers. Le mensonge, l'ivrognerie, la cupidité et surtout l'immoralité sont des vices chers aux Malgaches. Ces vices sont pour ainsi dire, en honneur chez eux; car les chefs de famille ne craignent pas d'en donner l'exemple a leurs enfants et même de les y exciter. Le mot famille qu'on vient de lire est impropre; la famille n'existe que peu ou point chez les Malgaches, leurs mariages n'étant, à proprement parler, que des promiscuités de flus ou moins courte durée, soumises à la seule règle du caprice et des appétits sexuels. La malpropreté des Malgaches est proverbiale. On dit : sale comme un Malgache ! Et il n'est pas rare de rencontrer parmi les nobles et les Princes eux-mêmes des individus atteints de maladies dermiques telles que les érosions de leur peau jaune ou noirâtre leur donnent l'aspect d'hommes de couleur portant un maillot blanc. Après la prise de Vohémar (décembre i 884) et les combats qui suivirent ce fait d'armes, notre allié, le roi des Antankara vint a Tamatave sur l'invitation de l'amiral Miot qui lui présenta les officiers du corps expéditionnaire. première vue, nous nous imaginâmes que ce roi couvert d'habits brodés d'or, portant a sa ceinture un yatagan à poignée constellée de pierreries, avait cru devoir A


-7se conformer en notre honneur, aux usages des dames Françaises et se ganter jufqu'aux coudes. 0 décevante illusion ! le roi des Antankara qui avait pris la funeste habitude de serrer la main à tout venant, habitude peu digne de la Majesté royale, avait tout bonnement les mains et les bras rongés par la gale et nous inspira le plus profond dégoût. Les Malgaches sont généralement de beaux hommes, grands et bien proportionnés, leurs traits sont réguliers sous un teint noirâtre ou rougeâtre et même jaunâtre. Le vêtement consiste pour les hommes en un simple langouti ou ceinture autour des reins, que les femmes remplacent par une demi-brasse de toile roulée autour du corps, en forme de demi-jupon. Les enfants, sans aucun vêtement jusqu'à neuf, dix ou onze ans, sortent le matin de leurs petits trous de case, comme les lapins de leur lapinière. Tous, excepté quand ils sont en deuil, ont les cheveux arlistement et symétriquement arrangés, en longues tresses régulières. Tous aussi, mais surtout les femmes, portent ordinairement un ou plusieurs colliers de perles, des bracelets, de petits cercles en cuivre, argent ou perles au-dessus de la cheville du pied, des pendants d'oreille plus bizarres les uns que les autres; ils portent avec cela mille autres ornements grotesques comme chez les sauvages d'Amérique-, des morceaux de bois artislement travaillés, de petites statuettes, des dents de poisson, de caïman, des bouts d'oreilles de veau ou de cabri, de petites cornes,

etc., etc.


&Les femmes aiment à se peindre où a se tatouer le visage avec une grotesque variété de couleurs et de formes : cercles autour des yeux, triangles autour du nez, carrés sur les joues, etc., etc. De sorte qu'au lieu de s'embellir, elles se rendent affreusement laides. Les hommes emploient aussi ce tatouage avec quelques petits ornements ridicules. A part cela, lorsque les Malgaches jettent sur leur"s épaules leur sambou, qu'ils arrangent noblement à la manière des anciens, en s'appuyant fièrement sur leur sagaie, qu'ils ne quittent jamais depuis l'âge de quinze ans, ils ressemblent aux anciens Grecs ou Romains. L'aristocratie de la race Hova qui gouverne l'île a adopté les costumes européens des hommes et des femmes, costumes que les dames hovas portent le plus souvent sans goût et d'une façon- ridicule. Quant aux hommes ils ne trouvent rien de mieux que de revêtir par dessus la redingote de cérémonie ou le complet de fantaisie leurs lambas traditionnels. Avec cet accoutrement, le chapeau tuyau de poêle et le chapeau melon leur donnent des physionomies dignes du crayon de Cham. Si l'on ajoute a tout ce qui précède que l'Etat social de la grande île Africaine est basé sur l'esclavage et que le tiers a peine de ce vaste territoire est régulièrement exploité, on peut se faire une idée du vaste champ qui y est ouvert a l'activité, a l'intelligence et a la civilisation européennes. Une grande chaîne de montagnes, traversant toute l'île du nord au sud, du cap d'Ambre au cap Sainte-Marie, et formant, vers le centre, le vaste


plateau d'Ankova, haut de 3000 mètres, constitue le système orographique de Madagascar qui se trouve ainsi divisée en deux versants, celui de l'est et celui de l'ouest. Le premier de ces versants est sillonné par une multitude de cours d'eau sortis de la dorsale. Les embouchures de ces rivières sont barrées par des bancs de sable et les eaux, ne trouvant pas d'issue vers la mer, débordent et forment de grands marigots, foyers de toutes les maladies dues aux émanations paludéennes. Sur le versant oriental coulent : le Maningoury qui sert de débouché au lac Alaouter; le Mangourou qui parcourt également une vallée, longitudinale du grand plateau d'Ankova. Les côtes de l'est et du sud ne présentent qu'un bord droit, formé de dunes de sable assez basses, sans rades pour les navires, a l'exception de la grande baie d'Antongyl qui est l'unique rade de celte étendue de 400 lieues de côtes. Elles sont en butte aux ravages des cyclones qui passent presque chaque année, pendant la saison des pluies, c'est-a-dire du mois de novembre au mois d'avril, tantôt sur la Réunion, tantôt sur Maurice et les parages avoisinant ces deux îles. En mars 1885 nous fûmes témoin à Tamatave d'un épouvantable cyclone qui faillit jeter à la côte toute l'escadre de l'amiral Miot et perdit dans la rade même le transport de l'Etat YOise et six navires du commerce. L'horrible catastrophe de \Oise, jetée a la côle et brisée par les lames a 300 mètres du baraquement de nos troupes, après avoir perdu, dans des essais infructueux de sauvetage 1K hommes de son équipage que


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nous avons vus mourir sans pouvoir leur porter le moindre secours, ne s'effacera jamais de notre mémoire. Nous n'oublierons pas le courage et le sang-froid des officiers de Y Oise et de son commandant, le lieutenant de vaisseau Thierry que nous reçûmes épuisé, défaillant dans nos bras, lorsqu'il eut quitté le dernier son navire dont l'arrière séparé, depuis de longues, heures, de l'avant qui était complètement englouti, ne laissait plus émerger que son gaillard. Les points les plus importants de la côte Est sont : le cap d'Ambre, la magnifique baie de Diego Suarez, comparable à celle de Rio de Janeiro. Nous citons parmi les points remarquables de la côte Est ces deux points, situés néanmoins, a l'extrémité nord de l'île, parce que cette extrémité est sensiblement dirigée vers l'Est. Pour une raison analogue, nous citerons le cap Sainte-Marie parmi les points de la côte Ouest. Diego Suarez,

le Gouvernement français- fonde

actuellement un vaste établissement d'approvisionnement, en vivres, charbons, munitions et rechange de matériel pour les navires, acquerra une importance considérable au pqint de vue du ravitaillement de la flotte française dans la mer des Indes. Viennent ensuite Vohémar pris et occupé par les troupes françaises en 1884, la baie d'Antongil, l'île Sainte-Marie, Fénérive, Fôulepointe, Tamatave, le point le plus commerçant de l'île dont le fort fut bombardé et pris en juin 1883 par l'amiral Pierre et qui resla pendant toute la#_ campagne le point de concentration


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et de ravitaillement de nos troupes; Ivondro, Andevoranto, Mitinandry, Marosika, Bafaras'y, Mahanoro, Mahéla, Masindrano et Fort-Dauphin construit par les Français, sous le règne de Louis XIII (1642). Les rivières du versant occidental traversant de vastes plaines vaseuses, sont peu profondes et obstruées de rochers. Les principaux de ces cours d'eau sont : la Suffia, l'ikoupa ou rivière de Tananarive et le Kilsambi qui descendent du plateau d'Emyrne (Imerina); le Maugouké et l'Anoulaky qui parcourent les plaines du sud-ouest.

Aucune des rivières qui sillonnent les deux versants n'est navigable et n'a été suffisamment explorée par les européens. La côte, au lieu d'être droite, basse et sablonneuse, comme celle du versant Est, est au contraire profondément découpée, assez élevée et rocheuse. Cette côte offre beaucoup de mouillages commodes. Les cyclones ne l'atteignent que fort rarement. Les points les plus remarquables sont : les îles Nossi-Faly et Nossy-Comba; la baie de Passandâva, Marotsanga avec son fort bombardé par l'amiral Pierre, en mai 1883; la baie de Mahazembo la baie de Bombétok dans laquelle se trouve Mazunga également bombardé, en mai 1883, par l'amiral Pierre puis fortifié et mis a l'abri des attaques incessantes des Hovas par le capitaine de vaisseau Wyts; la baie de Baly où débarquèrent les premiers missionnaires catholiques, venus a Madagascar; le cap St André, Tsimanaudrufosana


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le cap St "Vincent, la baie St Augustin, Tolléar, Salar, Mahafaly et le cap Ste Marie. Dans l'intérieur, on remarque Tananarivo, dans l'Imérina, capitale de l'île, centre du gouvernement de la reine de Madagascar; puis Imérinamandroso, Ambohitra-biby, Ambohi-drapeto, Ambohi-manga, Ambohi-dratrimo, Namkana, llafy, Ambothry-Nimanjaca, Ambositra et d'autres villes moins importantes. Madagascar est absolument dépourvue de voies de communication .On ne peut arriver dans l'intérieur de l'île et surtout a la capitale par aucun chemin praticable, même aux bêtes de somme. C'est, a dos d'homme et au prix de difficultés inouies que se font tous les transports. Dans certains endroits il faut traverser des marais, les porteurs ayant de l'eau jusqu'aux aisselles ; dans d'aulres il faut escalader des roches taillées à pic, dans d'autres, enfin, il faut passer des cours d'eau soit sur des embarcations dignes des temps primitifs, -soit sur des passerelles qui exigent des porteurs des prodiges d'équilibre. Le filanjana ou chaise à porteur est le seul véhicule dont on puisse faire usage pour entreprendre un voyage dans Madagascar. Le climat de la majeure partie de Madagascar est excessivement débilitant, sauf sur les hauts plateaux de l'Imérina où le climat est comparable à celui du midi de l'Europe. Les parties basses et surtout les côtes sont infestées par une fièvre paludéenne d'un caractère morbide particulièrement


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grave. II n'est pas rare de la voir, après plusieurs a,ccès. violents, dégénérer en fièvre pernicieuse entraînant l'issue fatale, au bout de quelques heures. Des médecins de la marine prétendent qu'elle est inguérissable d'une façon radicale et qu'on peut en ressentir les effets, ayant quitté Madagascar depuis de longues années. 11 faudrait des preuves sérieuses a l'appui de cette assertion. Pendant la saison des pluies, la chaleur devient excessive. Elle égale celle qu'on observe dans le haut fleuve Sénégal, pendant la saison mauvaise. Le thermomètre centigrade atteint très souvent et dépasse assez fréquemment 40" a l'ombre. Pendant la bonne saison, c'est-a-dire du mois de mai au mois de novembre, le soleil est beaucoup moins implacable et les fortes brises du large, surtout sur la côte Est, concourent encore à en tempérer les ardeurs. C'est la saisson la plus favorable a l'Européen. Elle lui permete de remettre, dans une certaine mesure, des fatigues des mois précédents. Les nuits.sont relativement fraîches et lui procurent un sommeil réparateur; les légumes d'Europe qu'on obtient facilement, a cette époque, pour peu qu'on veuille se donner la peine de les semer et de les récoller, reposent son estomac fatigué par l'usage trop fréquent des conserves alimentaires; enfin, son système nerveux n'est plus ébranlé par l'électricité atmosphérique presque toujours à sou maximum de tension pendant la saison des pluies, qui est aussi la saison des orages continuels. Le sol de Madagascar est généralement granitique et riche, dans la zone des montagnes, en minerais de fer, de cuivre, d'étain, de nickel.. Il est parsemé de cristal de


-14roche dont on rencontre des blocs de 20 mètres de hauteur. Grâce à l'humidité, à la chaleur et a la constitution minérale des terrains, la végétation de l'île est luxuriante. On y rencontre d'immenses forêts peuplées d'arbres gigantesques, où les bois d'acajou, de rose, d'ébène, de santal de camphre et de teck ne sont pas rares. Le palais de la reine à Tananarivo construit tout en bois et supporté par des colonnes, d'une seule pièce, d'une grosseur énorme et d'une hauteur atteignant jusqu'à 30 mètres, est au témoignage non équivoque de la vigueur de la végétation dans la grande île africaine. Des léopards, des sangliers, une grande variété de singes, une foule d'oiseaux au plumage éclatant habitent les forêts de Madagascar. Ou y rencontre plusieurs espèces de serpents dont quelques-uns sont assez venimeux. Mais l'animal le plus a craindre de toute l'île est une grosse araignée, espèce de tarentule, dont la morsure occasionne la mort, au bout de quelques heures, et qui est d'autant plus dangereuse que l'exiguité de sa taille lui permet de se dissumuler sous- les moindres débris du terrain et de se faufiler dans les vêtements des voyageurs pendant leur

marche. On cultive, à Madagascar, la canne à sucre, le café, le riz, le coton, l'indigo. La vigne et le mûrier croissent sur le plateau central où toutes les céréales de nos contrées donneraient très probablement a l'Européen une récolte facile et abondante. L'élevage des vers à soie s'y fait très bien; les magnifiques lambas que portent les Hovas prouvent que l'industrie de


-M& — la soie y est très intelligemment pratiquée. Quant à la vigne qui fournit, a Madagascar, des récoltes d'une incroyable abondance, elle donne généralement un fruit de mauvaise qualité pour la fabrication du vin, par cette raison que, sur une même grappe une partie des raisins est déjà trop mûre, lorsque l'autre est encore verte. Mais il est plus que probable que ces défectuosités sont dues a la culture qui est mal faite, si toutefois, elle est faite d'une façon quelconque; car on la laisse souvent croître a l'état sauvage. Lorsque des viticulteurs français s'en occuperont sérieusement, les vignes malgaches comme les vignes algériennes, dont Jes débuts furent également difficiles, fourniront de bon vin. Les pâturages de Madagascar sont magnifiques; d'immenses troupeaux y trouvent, sans efforts de la part des hommes, des herbes plantureuses et nourrissantes. Aussi, la quantité de boeufs que l'île peut fournir est tout-a-fait surabondante relativement à sa population. Après la prise de Vohémar, la petite colonne composée d'infanterie de marine et de marins, en marche vers l'intérieur, chassa toute la journée devant elle un énorme troupeau dont elle finit par détacher et saisir 600 têtes de bétail, c'est-a-dire deux boeufs pour chaque homme. C'était a peine la moitié du troupeau. Avant que la guerre eût interrompu les relations des Indigènes avec les Européens, on se procurait facilement un boeuf magnifique pour 3 a 4 piastres, 15 à 20 fr. Il est inutile d'après cela d'ajouter que le prix de la viande de boucherie est d'une modicité extrême, à Madagascar. Il en est de même de


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toutes les autres denrées provenant de l'île, telles que oeufs, volailles, riz et fruits qu'on y trouve en extrême abondance. L'orange, lé citron, la banane, l'ananas, la mangue, le mangoustrulan y pullulent. L'orange et le citron de Madagascar sont particulièrement exquis et abondants. Les environs de Tamatave sont couverts d'orangers et de citronniers. Je me souviendrai toujours de la joie que ressentaient nos braves troupiers lorsque, éreintés ruis, selants de sueur et couverts jusqu'à la ceinture de la vase des marigots qu'ils venaient de traverser, en reconnaissance, ils mangeaient ces bons fruits cueillis en longeant les massifs d'orangers et les champs d'ananas; d'autant plus heureux que, une fois rentrés dans nos lignes, ils n'avaient à se mettre sous la dent que la portion congrue des vivres de "campagne. Dès le début des hostilités, les Hovas avaient fait le

vide autour de nous, nous coupant les vivres. On ne trouvait à aucun prix un oeuf, une volaille, un légume, un fruit. Le bétail dont l'administration pouvait encore s'approvisionner maigrissait a vue d'oeil dans les prés-parcs, ne trouvant plus aux abords de nos cantonnements où on le faisait paître, au risque d'être enlevé par les coureurs ennemis, qu'une nourriture très insuffisante. De temps en temps, des navires venant de la Réunion nous apportaient quelques pommes de terre qui pourrissaient dans les cales pendant les traversées. Que l'on joigne à cela l'absence d'eau potable; car l'eau des puits, sur la côte de Madagascar, est généralement saumâtre, les atteintes de la fièvre paludéenne et de la dyssenterie qui alitaient journellement


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30 pour cent de l'effectif et débilitaient le reste, et on aura le bilan de notre situation sur le territoire de la grande île africaine, pendant la guerre. D'après tout ce qui précède, le lecteur peut juger des difficultés que la moindre expédition militaire à Madagascar doit rencontrer à chaque pas. On ne saurait se faire une idée, en France, des fatigues et des privations que dut supporter notre petit corps expéditionnaire et de l'abnégation dont nos troupes ainsi que leurs chefs firent preuve, dans les circonstances les plus difficiles d'une campagne, pendant laquelle ils eurent. la douleur de constater, trop souvent, que leur dévouement

ne réussissait pas à vaincre l'indifférence dé la patrie et restait sans récompense. Nous venons de faire connaître au lecteur l'île de Madagascar, ses origines, son climat, ses productions, ses habitants. Nous allons retracer les efforts prodigués, depuis près de trois siècles, par nos compatriotes, au prix de leur sang, pour introduire la civilisation dans la grande île et la coloniser; efforts sur lesquels reposent les droits incontestables de la France à Madagascar. Dès la découverte fortuite de l'île, en 1506, par les Portugais, ceux-ci avaient essayé, à maintes repriseSi de

s'y'établir. Plusieurs expéditions partirent de Goa précédées par des missionnaires de la Compagnie de Jésus et abordèrent à Madagascar.


-18ragèrent le Portugal qui abandonna définitivement l'île, laissant le champ libre à d'autres peuples désireux d'en tenter la conquête à leurs risques et périls. De 1618 à 1640, les Anglais et les Hollandais qui se disputent l'empire des Indes, succèdent aux Portugais; mais leurs projets d'occupation n'aboutissent qu'à des ruines et à. l'abandon du pays. Enfin en 1642, une compagnie française dite : Société de l'Orient, se forme sous la protection du cardinal de Richelieu, dans le but de poursuivre énergiquement la colonisation de la grande île. Malheureusement, celte société confie le futur établissement de l'océan Indien à un nommé de Pronis, homme sans talents, administrateur peu intègre et de moeurs dissolues. De Pronis construit Fort-Dauphin et s'y installe en 1643. Mais, au lieu de soutenir, vis-à-vis des indigènes les , soldats et les colons français il pi end à tâche de leur , être nuisible. Sous un tel chef, la colonie française ne prospérait guère. Les directeurs de la Société, aveuglés d'abord par les rapports aussi erronés qu'emphatiques de leur subordonné, comprennent enfin que la réussite de leur entreprise exige la révocation de ce dernier. De Flacourt est chargé de remplacer de Pronis et St7 Vincent-de-Paul reçoit de la part de la Société et du St-Siège la mission d'envoyer des missionnaires lazaristes évangéliser Madagascar. Les deux premiers missionnaires lazaristes arrivés dans l'île sont les PP. Nacquart et Gondrée. La tâche de ces


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deux missionnaires était au-dessus des forces humaines. Après avoir converti à la religion catholique plusieurs chefs de tribus et un grand nombre de leurs sujets, ils meurent épuisés par le climat et les fatigues de leur apostolat, le père Gondrée en 1650, le père Nacquart en 1651. Après la mort de ce dernier, les mauvaises dispositions des chefs de tribus contre les français ne tardent pas à se faire jour. Flacourt, déterminé à les réduire par les armes, attaque de nuit, le 10 juillet 1651, le village de Fanshère, résidence du roi d'Anossy, Adrien Ramaka, qui prend la fuite, mais est tué avec un de ses enfants au passage d'une rivière. Faushère est pillé et réduit en cendres. A partir de ce jour jusqu'en 1653, Flacourt fait aux chefs indigènes une guerre à outrance. Au mois d'août 1654, c'est-à-dire 4 ans après la mort des Pères Gondrée et Nacquart, deux nouveaux missionnaires lazaristes arrivaient à Fort-Dauphin. Les PP. Monnier et Bourdaise, sont reçus avec enthousiasme par leurs compatriotes. La guerre fait place à la prédication. Malheureusement le P. Monnier meurt le 16 août 1654, c'est-à-dire quelques jours après son arrivée, au retour d'une expédition militaire faite par Flacourt dans l'intérieur et dont il était l'aumônier. Tout Te poids des travaux apostoliques dans notre colonie naissante retombe fatalement sur le P. Bourdaise qui est enlevé lui-même par la maladie, le 25 juin 1657. Madagascar reste cinq ans sans missionnaires.


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Enfin l'année 1662 voit arriver les PP. Estienne et Manié et quelques frères. Moins d'un an et demi après leur arrivée à Fort-Dauphin; le P. Estienne, le frère Patte et un jeune Malgache élève de la mission expirent le même jour, assassinés par ordre d'un chef de tribu nommé Adriau Manangue. Ce sont les premiers martyrs de la religion catholique, à Madagascar. En 1664, 4 nouveaux missionnaires français débarquent à Madagascar et trouvent un séminaire indigène prospérant sous la direction du P. Manié. La même année, la Compagnie des Indes succède à la société d'Orient et occupe Fort-Dauphin ainsi que ses "dépendances. Le P. Manié succombe aux atteintes de la fièvre, en février 1667, et, soudain, arrive de la cour de France un ordre enjoignant aux résidents français l'abandon de l'île. Les missionnaires reçoivent, en même temps, de M. Jolly, directeur général de la Compagnie des Lazaristes, l'ordre de rentrer en France. Notre premier établissement de Madagascar et la première mission catholique française furent abandonnées le 4 septembre 1674, après 25 ans d'existence. Ils avaient coûté la vie à un grand nombre de Français dont 25 missionnaires. De. la société d'Orient, de la compagnie des Indes et de la mission catholique il ne restait à Madagascar que les ruines et le souvenir. Mais leur passage dans la mer des Indes n'avait pas été stérile : Bourbon et Maurice, ces deux perles de l'océan Indien naquirent en grande partie de leurs débris. La plupart des colons français transportèrent leurs pénates dans ces délicieuses -


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îles et les missionnaires en assurèrent le service religieux, toujours prêts à aller de nouveau' frapper à la porte de Madagascar. Du reste, pendant toute la période qui s'étend de 1664 à 1775, ils y reparaissent fréquemment. Sous le règne

de Louis XVI, en 1775; le eomte de Benyowsky, agent de France à Madagascar, fonde un établissement sur la côte nord-est de la grande île, dans la baie d'Antongil et, sur la demande du ministre de la -marine, le P. Durocher est désigné pour évangéliser Madagascar. Mais la tourmente révolutionnaire arrête bientôt dans leur essor l'établissement colonial et la mission. C'est à la faveur de ces circonstances et grâce à la jalousie de l'Angleterre contre la France que la race Hova réussit à asseoir sa domination sur toute l'île. A la fin du siècle dernier, pendant que l'attention et l'énergie de la France sont absorbées tout entières par les désordres, à l'intérieur, et les coalitions des puissances étrangères, un chef obscur dé la race Hova étend sa domination sur l'Imérina et les régions voisines et devient un vrai souverain sous le nom d'Andrianampoinimerina. Il soumet ensuite les Antsianaka et les Betsiléos, et meurt en 1810, laissant à son fils et successeur Radama I" le soin de continuer ses conquêtes et d'étendre le plus possible la puissance de la nation Hova. Vers l'année 1815, Radama Ier était le plus puissant roi de Madagascar. Mais il est douteux que la grande île africaine fût tombée tout entière sous le joug de la race Hova, comme il advint sous ce prince et ses suc-


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cesseurs, sans la rivalité naturelle des Anglais contre les Français pour la possession de Madagascar. Il est donc bien établi que le gouvernement Hova a subjugué des peuples qui, depuis près de deux siècles déjà avaient reconnu la suprématie de la France en adoptant sa religion et ses lois et que le pouvoir qu'il entend exercer sur les différents territoires où la France a planté son drapeau est un pouvoir usurpé. Le traité du 30 mai 1814, qui abandonnait l'île de France ou île Maurice aux Anglais, joint à la politique tortueuse et à l'esprit de suite que ces derniers apportent dans toutes leurs entreprises fournit les moyens les plus efficaces pour combattre notre influence à Madagascar.

Ils affirment tout d'abord par la bouche de sir Robert Farquhar, gouverneur de Maurice, que Madagascar fait partie des dépendances de l'île de France concédées à l'Angleterre, en vertu du traité de 1814, et nous les voyons, à cette date, s'efforcer non-seulement de contrecarrer nos projets d'établissements sur la grande île, mais encore essayer de s'emparer du pays pour leur propre compte. Contraints, en 1816, par nos justes représentations de reconnaître que Madagascar, n'est point une dépendance de Maurice, ils font sur-le-champ volte-face et prétendent qu'elle est la propriété des naturels du pays et que les habitants de Maurice et de Bourbon peuvent également s'y établir pour faire le commerce. Cette nouvelle interprétation du traité aussi erronée que la précédente niait absolument tous les anciens droits de la France sur Madagascar. Le gouverneur de Bourbon la réfute -avec


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talent, mais sans succès, et l'Angleterre n'en continue pas moins ses agissements, battant en brèche notre politique sur la grande île et nous empêchant d'y créer un établissement ayant quelque valeur. Voici, du reste, le plan de sir Robert Farquhar qui est encore celui de l'Angleterre : contracter avec la puissance Hova une alliance indissoluble, s'en faire bien venir en la flattant, (traduisez : en flattant sa corruption, ses vices et la barbarie de sa politique intérieure qui condamne au dernier supplice la femme assez peu respectueuse de l'autorité pour ne point couper ses cheveux, en signe de deuil, à la nouvelle du décès de la reine ou du premier ministre) la gagner par toutes sortes de bons offices ( services d'argent ), l'instruire , (traduisez : lui apprendre surtout à lire et à écrire en langue anglaise et à concevoir de la haine contre tout ce qui n'est pas anglais), enfin l'armer de façon à créer ainsi aux Français, au soin de Madagascar, un obstacle presque insurmontable pour, toute occupation du pays. Tel fut dès 1816 et tel est encore le programme politique de l'Angleterre à Madagascar, programme dont les résultats dépassent même quelquefois le but poursuivi par les Anglais et les obligent, dans certains cas, sous peine de se compromettre aux yeux de l'Europe civilisée, de s'associer timidement aux moyens coërcitifs de la France contre le gouvernement Hova. Quand, en 1828, la sanguinaire Ravanolo - Manjaka usurpe le trône de Radama 1er, chasse nos missionnaires et prohibe tout commerce avec l'Europe, la France envoie une flottille sous les ordres du commandant Gourbeyre.


-24Le 2 août 1829, Tintingue est prise et les forts de Tamatave détruits. La révolution de 1830 endort la question malgache. En 1839, les Sakalaves réclament notre protection contre les Hovas, nous offrant, en échange, Mayotte et Nossi-Bé et, le 3 mai 1840, nous occupons ces îles. En 1845, une expédition anglo-française échoue. Les corvettes, la Zélée et le Voltigeur de concert avec une corvette anglaise bombardent Tamatave et débarquent des compagnies de marins qui enlèvent une batterie située sur le rivage, mais ne peuvent se rendre maîtres du fort dont le feu écrase leur petite troupe et nécessite son rembarquement. Malgré tout et grâce à l'énergie de quelques Français parmi lesquels il faut citer le négociant Lambert et le consul Luborde, notre influence s'était relevée à la fin du règne de Ravanolo morte en 1861. Le 12 septembre 1862, son successeur Radama II signe avec la France un traité de commerce et d'amitié qui nous garantit d'importantes concessions. Mais ce prince est assassiné peu après et la reine Rasôberina refusant de ratifier le traité signé par lui, le commandant Tricoult doit, en 1866, faire une nouvelle démonstration. Quand cette reine meurt, deux ans plus tard, Ranavolona II confirme nos privilèges. En 1870, les missionnaires méthodistes anglais, profitant de nos désastres, essaient de porter un coup mortel à notre influence et intriguent si bien, depuis cette époque, qu'en 1882, le conflit éclate contre la République française et le gouvernement Hova.


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Notre consul quitte Tananarivo et le capitaine de vaisseau Le Timbre, chef de la station de la mer des Indes fait une démonstration navale avec les croiseurs le Forfait et le Vaudreuil et les avisos le Boursaint et le Bruat. A ce moment, la vieille reine Ranavolona II, première reine protestante de Madagascar, meurt. La jeune princesse Razafindrahety, dont le mari vient de mourir subitement et fort à propos pour servir les intérêts du premier ministre qui, selon l'usage, à Madagascar, doit être l'époux de la reine pour rester'en fonctions, cette jeune princesse, dis-, je, est proclamée reine sous le nom de Ranavolona III. Mais ces événements ne changent en rien la situation de la France vis-à-vis du gouvernement Hova que le parti anglais, par le premier minisire Rainilalarioony, continue à dominer. En 1883, l'amiral Pierre bombarde Majunga, Marotsunga et Tamalave, et déploie une telle énergie que le consul anglais, Pekkeuham, persuadé que l'oeuvre de l'Angleterre, opiniâtrement poursuivie, depuis le commencement du siècle, s'écroulait définitivement sous le canon français, meurt de désespoir, à Tamalave, le 22 juin 1883, après avoir abjuré la foi protestante et s'être converti au catholicisme, sur les instances de sa femme, créole de l'île de France. Le désappointement des Anglais est à son comble lorsqu'ils voient que les honneurs funèbres sont rendus à leur consul par les troupes françaises, à l'exclusion des officiers et marins d'une frégate anglaise mouillée dans la rade de Tamatave, auxquels l'amiral Pierre ne permet d'assister à l'enterrement de leur consul qu'en petite


-26tenue et sans armes. Cependant les bombardements de Majungo et de Mirrotsunga, exploités par les méthodistes anglais, déterminèrent l'expulsion du territoire malgache de tous les Français, colons et missionnaires catholiques. Le 25 mai 1883, après avoir entendu la communication des répressions exercées par l'Amiral Pierre, le parlement Malgache, sur la notion du premier ministre, arrête l'expulsion des Français. Le même jour, à six heures du soir, M. Suberbie, agent de la maison de comm3rce Roux de Fressinet, reçoit un ordre d'exil adressé à tous les français et dont un duplicata est envoyé, le lendemain, au supérieur de la Mission catholique. Le 29 mai, après avoir expédié dans tous les points de l'intérieur, où résidaient des colons français et des missionnaires, l'ordre d'expulsion, les français de Tananarivo, au nombre de quatre-vingt-douze, quittent la capitale divisés en deux bandes, d'un côté les colons et les missionnaires sous la conduite de M. Suberbie, de l'autre les religieuses, les femmes et les enfants ayant quelques vieillards à leur tête. Dès la première étape, les exilés sont en butte à toutes les vexations, à toutes les privations. On leur refuse des porteurs pour leurs bagages et des filanjanas pour les femmes, les enfants et les religieuses qui se voient contraints de marcher à pied par ces chemins affreux que nous avons décrits plus haut. Après des souffrances et des fatigues inouïes, les exilés, qui ont vu expirer plusieurs des leurs sur le bord du chemin, arrivent enfin le 21 juin 1883, c'est-à-dire au bout de 23 jours de marche, à huit kilomètres de Tamatave


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récemment bombardé et pris par les Français. Ils y rencontrent une colonne de trois compagnies d'infanterie marine avec deux piècps de canon, envoyée en toute hâte, à la nouvelle de leur arrivée, pour les protéger et leur fournir des vivres et des moyens de transport. A partir de ce moment commence pour nous celle lutte incessante qui ne doit finir qu'au commencement de 1886, contre deux ennemis également insaisissables : la fièvre que les Malgaches appellent le général La Fièvre, parce qu'elle constitue pour Madagascar, la valeur défensive d'un général à la tête d'un nombreux corps d'armée; et les Hovas, toujours à l'abri derrière leurs marais, leurs cours d'eau et leurs broussailles dès qu'on les attaque ou qu'on les poursuit, mais harcelant nos troupes sans trêve, dès qu'elles sont rentrées dans leurs retranchements et surtout la nuit, leur imposant ainsi, par le manque de repos et de sommeil, d'extrêmes fatigues. Le soir même de la rentrée des exilés dans Tamatave, un peu après minuit, le canon de la Flore, portant pavillon de l'amiral Pierre, et celui des autres bâtiments en rade mêlent leurs détonations au bruit de la fusillade des soldats d'infanterie de marine établis dans le fort. C'est une attaque nocturne des Hovas obligés bientôt de regagner leur camp de Farafalte sans avoir pu reprendre Tamatave. Tout coeur véritablement français doit rendre hommage à l'énergie de l'aipiral Pierre et regretter qu'une mort prématurée l'ait enlevé au service de la France, mais il serait souverainement injuste de ne pas reconnaître que ses successeurs, investis du coin-


-28mandement pendant la période la plus ardue de la campagne, ont également bien mérité de la patrie. Us ont fait tout ce qui était humainement possible de faire avec les forces et les ressources dont ils disposaient en face des immenses difficultés qu'ils rencontraient à chaque pas et dont le lecteur peut se faire une idée par la relation qu'il vient de parcourir. Il n'y a jamais eu à terre, à Madagascar, plus de 1800 hommes, artillerie de marine, infanterie de marine, marins fusiliers, volontaires de la Réunion, disséminés sur les divers points de la côte. Mais cet effectif de 1800 hommes était considérablement réduit par les maladies et, pour pouvoir mettre en ligne un millier de combattants, non-seulement en vue des opérations militaires à effectuer, mais encore afin de fournir aux différents postes le nombre de défenseurs nécessaires, il fallait, très souvent, recourir aux navires de la station dont on réduisait les équipages à leur plus simple expression. Or, il est certain que pour exercer sur Madagascar une action sérieuse et déterminante, sans trop s'aventurer, toutefois dans l'intérieur, il était indispensable d'y engager des forces triples. Bien plus, une marche sur Tananarive soit par Tamatave, soit par Majunga, points par lesquels la capitale semble le plus accessible, eût exigé 15000 hommes de troupes, 3000 porteurs pour le. transport des vivres, des bagages

et des malades, et mille pionniers pour la construction d'une roule ainsi que de postes fortifiés, destinés à assurer nos communications avec la base d'opération,


-29c'est-à-ctire avec la côte et les navires de la station, et à servir d'ambulances. Cet effectif de 15:000. hommes de troupes, qui semble d'abord exagéré, paraît néanmoins bien rationnel, quand on songe que la réserve à laisser au point initial, les garnisons des postes, les morts, les blessés et surtout les malades dont le nombre peut être évalué, au minimum, au quart de l'effectif total, puisque, pendant toute la campagne, à Tamatave même, les compagnies avaient 25 pour cent de leur effectif hors de service, auraient réduit ces 15.000 hommes, aux abords de l'objectif, à un noyau de 4 à 5 mille combattants. On aurait très facilement trouvé, parmi nos alliés de la côte, les coolies et les pionniers nécessaires; mais les les 15.000 hommes de troupes, qu'on en soit bien persuadé, eussent été forcément pris dans les régiments de France. N'a-t-on pas vu, en effet, ce qu'on pouvait attendre des créoles de la Réunion ? Malgré les déclarations de leurs députés prétendant qu'il n'y avait qu'à frapper la terre du pied pour qu'il en sortît des légions de créoles prêts à voler à la conquête de Madagascar, la vérité est que tout le zèle déployé par le gouverneur de la Réunion et par les officiers d'infanterie de marine chargés de recruter et d'instruire les volontaires créoles a été impuissant à former quatre compagnies complètes^, qui ont été, du reste, beaucoup plus sensibles que les troupes européennes aux atteintes du climat de Madagascar. Donc les hommes qui ont su, avec des forces aussi restreintes, sauvegarder l'honneur du pavillon français sur la côte de Madagascar,


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tenif le blocus de ses ports, ruiner son commerce et déterminer le gouvernement Hova à offrir la paix en reconnaissant la suprématie de la France parmi les nations étrangères, ont bien mérité de la patrie. Placé dans l'alternative ou de continuer la guerre et de poursuivre la conquête de Madagascar, ou d'abandonner purement et simplement la grande île africaine, ou enfin d'accepter le traité de paix avec le protectorat déguisé qu'il contient, le gouvernement Français a pris le parti le plus sage, celui de ratifier le traité, et a su rallier à cette mesure, malgré le déchaînement des partis politiques, la majorité du Parlement. La situation de Madagascar en face et à proximité du grand continent africain, dont l'Angleterre et surtout l'Allemagne se disputent les vastes territoires et les importants débouchés commerciaux des parties Est et Sud, donne aujourd'hui à la grande île africaine une importance qu'elle n'avait pas acquise depuis 1642, date de notre premier essai de colonisation^ à Fort-Dauphin. Cette importance, notre pays n'en mesure pas encore toute l'étendue, mais il la connaîtra plus tard, et c'est un devoir pour le gouvernement français d'y faire prédominer notre influence. La marche sur Tananarivo et la conquête de l'île exigerait un déploiement de forces et des dépenses que l'apaisement du Tonkin et de l'Annam et les économies à réaliser dans nos finances ne nous permettent pas d'effectuer, à l'heure actuelle. Sait-on du reste quelles seraient ensuite les charges d'une occupation de Madagascar? EUes seraient

certainement bien lourdes, eu égard à l'étendue du pays.


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à l'insalubrité des côtes qu'il faudrait garder tout spécialement, aux conflits qui s'élèveraient continuellement entre des peuplades encore à demi-sauvages que l'émancipation rendrait à leurs anciennes habitudes de guerre et de pillage. Mais abandonner Madagascar, en dépit des droits de la France et de ses sacrifices pendant près de trois siècles,

serait une aberration, une faute irrémédiable qui ferait la joie de nos bons amis les Anglais. Sont bien inconsidérés ceux qui condamnent toute entreprise coloniale sans essayer d'en connaître les causes et d'en apprécier la portée ou sacrifient les intérêts de leur pays à des intérêts particuliers et à des visées politiques. Il est impossible de ne pas reconnaître que tous les peuples de l'Europe, ceux mêmes qui n'ont point de force navale, comme la Belgique, recherchent avidement les possessions coloniales. L'Europe est devenue trop petite : à l'étroit chez elle, elle déborde de plus en plus sur les quatre parties du monde, cherchant des débouchés commerciaux pour l'industrie dont l'activité fiévreuse a amené une production qui n'est nullement en rapport avec la consommation et a donné lieu à la crise que nous traversons aujourd'hui. En dépit de la nature et du climat qui semblent repousser l'européen des régions tropicales, malgré de trop nombreuses déceptions militaires et financières, c'est à qui occupera le plus de contrées et réunira sous son drapeau le plus de peuplades. Les diplomates rédigent des protocoles sur le centre de l'Afrique, hier encore inconnu, et négocient la possession des plateaux du centre de l'Asie. En admettant même


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que les intérêts matériels ne répondent pas entièrement à ce grand effort, que la politique coloniale ne soit souvent qu'un mirage décevant, comme il en est du. reste, de. la plupart des ambitions individuelles ou nationales, il n'en est pas moins vrai que les intérêts moraux profiteront de ce grand mouvement d'expansion contemporaine. Pour une nation comme pour un homme, il y a toujours avantage à élargir ses horizons. En agrandissant le cercle de ses intérêts, elle agrandit le cercle de ses idées. Enfin, si la colonisation impose des charges nouvelles aux nations

qui l'entreprennent, on ne saurait nier qu'elle stimule l'énergie des peuples, et réveille les sociétés disposées à l'engourdissement. La France dont le génie a suscité les croisades et mis son peuple à la tête de ce grand mouvement de l'occident vers l'orient qui a préservé l'Europe de l'invasion et de la barbarie de l'Islam, la France peut-elle rester étrangère à ce nouveau mouvement qui porte l'Europe à introduire la civilisation et les progrès de la science dans toutes les parties du globe? Consentirait-elle à perdre son auréole légendaire et à cesser de. mériter cet hommage qu'en des vers inspirés par la reconnaissance lui adressait un auteur américain : « 0 France, je t'aime, car tu es le poêle des nations ! » Du reste, le récent engouement pour la politique coloniale a le mérite d'avoir servi de diversion aux ambitions et aux rancunes des peuples de l'Europe. Les embarras mêmes suscités aux uns et aux autres pour la politique coloniale sont, en un sens, un gage de


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paix, car ils laissent les mains moins libres pour des aventures autrement périlleuses. Pour ce qui est de notre propre pays, l'équitable avenir dira si nos récentes entreprises coloniales, de quelque manière "qu'elles aient été combinées et conduites, du reste, n'ont pas contribué en dépit des anathèmes dont on les a accablées, au maintien de la paix européenne et n'ont point soustrait la France à des périls dont nous ne saurions aujourd'hui imaginer la gravité. Tirer résolument et judicieusement parti, par l'intermédiaire de son résident à Tananarivo, des avantages qui lui sont concédés, par le traité du 17 décembre 1885; propager à Madagascar sa langue, ses idées, ses moeurs; y encourager par tous les moyens son commerce et-son industrie, telle est la tâche que la France doit s'imposer, pour arriver à récolter, enfin, les fruits de son dévouement et de ses luttes. Or, les débats dans cette voie sont heureux. Le choix de M. le Myre de Vilers comme résident général de France à Tananarivo est en tous points excellent. Ancien officier de marine, ancien secrétaire général du gouverneur de l'Algérie, ancien gouverneur de la Cochinchine, M. lé Myre de Vilers s'est fait remarquer dans ces différents postes par son intelligence, son énergie, ses qualités administratives et sa féconde intuition. Aucun gouverneur de Cochinchine n'a su manier avec autant de finesse et de sang-froid les intérêts français au Cambodge, au Tonkin, en Annam. Si M. le Myre de Vilers avait gardé plus longtemps le gouvernement de


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la.Cochinchine, il est certain qu'une annexion intempestive des Etats du roi Norodon n'eût pas suscité, au Cambodge la rébellion que nous réprimons en ce moment. Si son autorité et sa clairvoyance avaient plus longtemps dirigé l'action du commandant des troupes d'Hanoï, peut-être que notre honneur national n'eût pas été engagé, au Tonkin, par l'impérilie et la mort tragique, du commandant Rivière. La première partie du programme, celle qui a trait au choix du résident, est donc parfaitement remplie dès à présent. Pour mettre le reste à exécution, il faut que le peuple, français se débarrasse, absolument, de trois erreurs capitales qui consistent : 1° à croire que nous sommes incapables de coloniser; 2° à s'imaginer que rien ne vaut le sol natal et qu'il est inutile, dangereux même, de s'expatrier pour chercher fortune dans les pays d'outre-mer; 3° à introduire immédiatement, dans les pays que nous voulons coloniser, nos abstractions philosophiques et nos vues politiques. 1° Pour prouver que nous sommes capables de coloniser, il n'est même pas nécessaire de remonter le cours de notre histoire et de rappeler les noms des Dupleix et des la Bourdonnais. Chacun sait que nous avons eu l'empire des Indes avant les Anglais. Chacun sait également que le Canada, la Louisiane et l'île Maurice ont appartenu à la France ; mais ce que tout le monde ne sait pas, c'est que l'esprit irançais, la langue et les moeurs de la France ont survécu, dans ces colonies, à nos malheurs et à leur abandon par la mère-patrie et que tous les moyens dont s'est servie l'Angleterre pour vaincre leur attachement à tout ce qui


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tient à leur origine française sont restés impuissants. A Maurice, surtout, notre langue, notre esprit, nos usages ont de telles racines qu'aujourd'hui encore, le voyageur qui débarque à Port-Louis est tenté de se croire transporté dans un port de France. Et que dire de notre possession de Cochinchine dont la colonisation ne remonte pas a plus de vingt-cinq ans et dont la ville principale, Saigon, ne le cède en rien aux grands ports du littoral de l'Inde, comme Pointe de Galles et Syngapour qui appartiennent à l'Angleterre depuis trois quarts de siècle. Quelles preuves plus convaincantes de notre aptitude à

coloniser ? 2" La vente, à vil prix, des biens nationaux pendant la révolution, le morcellement et le partage infinis de la propriété, par la suppression du droit d'aînesse et la législation successorale qui en est le résultat, enfin la prospérité qui a régné en France, sans interruption, depuis le commencement de ce siècle jusqu'à ces dernières

années, en rendant propriétaires un 1res "grand nombre de français et en enrichissant également un grand nombre, ont changé leurs aspirations et leur caractère : ils sont devenus jouisseurs, mais jouisseurs dans l'acception la plus étroite du mot, n'étendant pas leur amour de la possession et du bien-être au-delà du cercle restreint qui les environne et ils ont perdu leur caractère entreprenant et aventureux. On reste attaché aux lopins de terre que l'on tient de l'héritage de ses parents, avec un tel égoïsme, que les facultés morales en sont oblitérées. Pour accroître ces biens, pour en jouir le plus possible dans


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le présent et en garantir, autant que le permet l'accroissement intentionnellement restreint des progénitures, l'intégrité pour l'avenir, il n'y a point d'intrigue, point de bassesse, point de spéculation immorale auxquelles on ne se livre. Aveuglé, abêti par l'égoïsme, on s'imagine que le pays où l'on est né et où l'on végète est le seul réellement habitable, le seul productif, le seul, enfin, où l'on puisse accroître sa fortune. On ne sait pas ou l'on ne veut pas savoir que la majeure partie des contrées situées dans l'autre hémisphère est constituée par des terrains infiniment plus fertiles et plus riches que ceux qu'on exploite à grands frais et qu'on épuise dans notre propre pays ; qu'une contrée très-insalubre pour une troupe obligée de se soumettre à toutes les fatigues et a toutes les privations qu'impose l'état de guerre l'est beaucoup moins pour les colons qui sont libres d'établir leur résidence là où ils le jugent convenable, et de se conformer à toutes les mesures d'hygiène exigées par le climat. C'est ainsi que nous rencontrâmes à Madagascar nombre d'européens qui habitaient ce pays depuis 10, 15 et 20 ans et dont la santé ne paraissait guère ébranlée, tandis que la plupart de nos hommes de troupes étaient sérieusement atteints au bout d'un an de séjour dans les mêmes parages. Enfin, et c'est là le fait le plus grave, dans nos familles,

on redoute la progéniture, ne s'imaginant pas qu'à l'époque d'expansion et d'entreprises coloniales où nous sommes, l'accroissement de la population est la source la plus féconde de la grandeur nationale. L'exemple de l'Angleterre et de l'Allemagne devrait


-37cependant nous ouvrir les yeux. Il est certain que la puissance coloniale de la première, les progrès extrêmement rapides que fait la seconde dans la même voie et les avantages qui en résultent pour leur commerce et leur industrie sont dus à l'accroissement constant de leur population et à l'esprit d'entreprise et d'aventure qui en est la conséquence. 3° Nous ne pouvons fouler une terre du globe sans appliquer, séance tenante, aux populations encore barbares ou à demi-civilisées avec lesquelles nous sommes en contact, les procédés et les systèmes nés de notre civilisation vieillie, surmenée, nervosiaque. Il nous semble indispensable de parler à ces populations un langage qu'elles ne peuvent comprendre et de leur étaler tout le bagage de nos conceptions philosophiques. De sorte que, malgré l'aménité de notre caractère, notre bonté naturelle et notre franchise, nous faisons peur à ces grands enfants qui s'éloignent de nous, à la grande joie de nos rivaux, qui ne manquent point d'exploiter à leur profit nos inconséquences. Un jour, Gambetta répondit spirituellement à l'évêque d'Alger qui l'interrogeait sur la manière dont le gouvernement de la République était disposé à appliquer aux colonies les décrets relatifs aux congrégations religieuses : « Les décrets ne sont pas articles d'exportation ! » •

Malheureusement on ne irouve pas chez tous les hommes d'état la large envergure de l'intelligence de Gambetta, et c'est pour ce motif que nos missionnaires catholiques, dans toutes nos possessions en général et à Madagascar


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en particulier, non seulement n'ont pas été aidés dans leur oeuvre civilisatrice, au grand détriment des intérêts français, mais ont vu les Français eux-mêmes les combattre et servir de la sorte, inconsciemment, les intérêts de nos ennemis.- C'est, depuis 1814, l'histoire de nos missionnaires de Madagascar, qui ont lutté sans l'appui

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de la France et souvent même contrecarrés par elle dans leur Mission, contre les méthodistes anglais, ardemment soutenus et soudoyés par leur gouvernement. Dans ce long espace de temps, nous n'avons pas eu assez de perspicacité pour comprendre que la lutte des Jésuites contre les méthodistes n'était autre que la lutte de l'influence française contre l'influence anglaise à Madagascar. Comment ce même M. de Mahy, qui a si énergiquement rejeté le traité du 17 décembre 1885 , prêché la guerre à outrance et la conquête de Madagascar, n'at-il pas eu, en 1880, l'intelligence de comprendre, comme Gambetta, que les décrets n'étaient pas articles d'exportations? En provoquant, en 1880, l'expulsion des Jésuites de l'île Bourbon et des îles Malgaches dépendantes du gouvernement de la Réunion, il donnait le dernier coup à l'influence française à Madagascar. Les méthodistes ne manquèrent point d'exploiter celte expulsion auprès du gouvernement protestant de Tananarivo. Moins de deux ans après, la guerre éclatait entre la France et le gouvernement Hova qui se souvint de l'expulsion des Missionnaires par les Français eux-mêmes et expulsa nonseulement les Jésuites, mais tous les colons français. On sait le reste.


-39 Au moment où nous livrons ces pages à l'impression^ les journaux nous apprennent l'apparition d'un ouvrage sur Madagascar, par M. Postel, sous les auspices de M. de Mahy, député de la Réunion, qui y fa.it lui-même tous les frais d'une préface où il accuse les protestants français

d'être les alliés des méthodistes anglais contre les intérêts de la France à Madagascar. moins d'en avoir la preuve évidente et palpable, qu'aucun Français, catholique, protestant, juif ou libre-penseur, soit traître à sa patrie. II est impossible d'admettre, à

Or, M. de Mahy n'apporte aucune preuve de ce qu'il avance et, chose étrange, il oublie que lui-même, comme nous l'avons déjà dit plus haut, a porté, inconsciemment sans doute, aux intérêts français à Madagascar, le coup le plus fatal. Pour mettre en évidence toute la singularité des allégations de M. de Mahy vis-à-vis de ses propres agissements, nous allons être plus sérieux que lui; nous fournirons la preuve de ce que nous avançons, en mettant les points sur les i. •

Lors de la publication des décrets du 29 mars 1880, l'amiral Jauréguiberry et M. de Freycinet, alors ministres, tous deux de religion protestante, jugèrent que l'application de ces décrets à nos possessions voisines de Madagascar serait la destruction de l'influence française dans la grande île et en suspendirent l'exécution à la Réunion et à Sainte-Marie de Madagascar, par une dépêche télégraphique adressée au gouverneur de la Réunion, M. Cuinier, au mois d'août 1880.


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Mais peu de jours après, M. de Freycinet et l'amiral

Jauréguiberry quittaient le ministère et M. de Mahy en profitait immédiatement pour faire valoir les revendications de certaines gens à courte vue de la Réunion et obtenir l'exécution des décrets que l'intelligence de deux protestants français avaient fait suspendre. Voici ce que disait textuellement, à cette époque, le . Moniteur de la Béunion, journal très-libéral, dans un article où, après avoir annoncé l'ordre donné par le nouveau ministère d'exécuter les décrets, il déplorait l'action du député de la colonie : « Cette indifférence de notre » part encourage les Anglais à dire aux Malgaches : 1870-71, la France ne. compte « Depuis ses défaites de 6 plus parmi les puissances. » Les Jésuites combattaient l'influence anglaise à « faire de mal à » Madagascar. Là, ils ne pouvaient pas la France; ils ne lui faisaient que du bien. C'est » l'avaient compris MM. les ministres Jauré» ainsi que » guiberry et de Freycinet, en les maintenant dans leurs » droits en ce qui concerne la mission de Madagascar succursale de Saint-Denis. » et sa ministres sont tombés et de ce qu'ils ont « Mais ces le vent. » » fait, autant en emporte Nous pensons que le lecteur peut en conclure aisément que la préface de M. de Mahy, dans l'ouvrage de M. Postel, est une véritable mystification^-*-*.

FIN Hazebrouck. — Imp. A. ÙadjfàW



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