Lucien Huard. La Guerre illustrée. Madagascar Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France
Huard, Charles-Lucien (1839-1900?). Lucien Huard. La Guerre illustrée. Madagascar. [s.d.].
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LA GUERRE ILLUSTRテ右 MADAGASCAR
SCEAIX.
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I.MPlUMEltlECHAHA
FILS.
MADAGASCAR
CAUSES DE LA GUERRE
La question de Madagascar a été soulevée en même temps que celle du Tonkin, ce qui fait qu'elle est généralement peu connue; car, commencée à la même époque, terminée à la même époque, elle a été en quelque sorte étouffée paj.* le retentissement de cette dernière. Est-ce à dire pour cela qu'elle soit moins intéressante? Au contraire. D'abord tout est intéressant quand il s'agit de l'honneur du pays, du sang de nos soldats, de nos marins si braves et si dévoués, mais il y a quelque chose de plus à Madagascar c'est que nous nous défendons. Ce n'est pas nous qui y avons porté la guerre, dans un but de conquête plus ou moins avoué c'est nous qui sommes menacés dans notre souveraineté, par les agissements perfides et déloyaux de nos bons amis les Anglais c'est nous qui avons la main forcée pour revendiquer des droits séculaires que personne n'a lamaladie dont elle a vécu jamais contestés, saufsourdement,l'Angleterreàcause jusqu'alors, mais quipourraitbien lafaire mourir un jour, — qui fait qu'elle ne célèbre Bilboquet quand il apercevait saurait voir une île sans s'écrier, comme une malle « Elle doit être à nous. » Que l'Angleterre désire posséder Madagascar; c'est tellement dans sa nature que personne ne peut s'en étonner, mais qu'elle fasse disparaître nos droits de souveraineté sur le pays, c'est plus difficile. Elle l'a déjà essayé plus d'une fois et n'a pu y réussir, et tant que la France aura le respect de ses traditions et de ses gloires, elle n'y réussira jamais. Nos droits sur Madagascar remontent si loin que pour les établir clairement il faudrait faire tout un historique. Cet historique nous trouvons tout fait, avec un état dela question en 1847,
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dans une adresse fort remarquable que le conseil colonial de l'île de la Réunion (voisine de Madagascar comme on sait), envoya au roi Louis-Philippe. Mais pour bien comprendre ce document d'une importance considérable, il faut d'abord une description, au moins sommaire, du pays et de ses habitants. Madagascar, île de l'Océan Indien et la plus grande du globe après l'Australie .et Bornéo, est séparée de la côte orientale de l'Afrique par le canal de Mozambique. Sa longueur atteint 1,400 kilomètres et sa largeur 480 kilomètres, sa superficie totale est de 691,900 kilomètres carrés et sa population est évaluée de 6 à 7 millions d'habitants. Une haute chaîne de montagnes, formant dans sa partie centrale le vaste plateau d'Ankova, parcourt l'île du nord au sud et partage ses eaux entre l'Océan Indien et le canal de Mozambique. Les cours d'eau les plus importants sont; sur la côte occidentale, la rivière de Saint-Augustin, le Betsibouka et son tributaire l'Hioupa, le Mangouke et l'Angoutabe. Sur la côte orientale: Tambotou qui se jette dans la baie d'Antongil, le Manangourou ou Mongaro, l'Ivoudrou, le Mananzari et le Manangara. Les principaux lacs, qui sauf dans la saison des pluies, ne sont que des étendues d'eau saumâtre provenant du reflux des fleuves, sont ceux d'Antsana, de Rabidranou et d'Ima. En partant du cap d'Ambre, extrémité septentrionale de l'île, et en faisant le tour par l'ouest, les accidents côtiers les plus notables sont les îles Nossi-Mitsiou et Nossi-Bé, les baies Navinda, Mazamba et de Bombetok, le cap Saint-André, le cap Saint-Vincent, la baie Saint-Augustin puis de l'autre côté du cap SainteMarie, qui termine l'île au sud la baie de Sainte-Lucie, l'île Sainte-Marie, la profonde baie d'Antongil et la baie de Diego-Suarès. Tananarive ou Antananarive, mais qu'on appelle aussi Emyrne, est considérée comme la capitale de l'île on y compte jusqu'à 75,000 habitants. Les autres centres de population à peu près dignes du nom de ville sont Franarantsoux, qui a 10,000 habitants, Tamatave, qui n'a que 8,000 habitants mais qui est le principal port et presque la seule place de commerce de l'île, Madsanga ou Majunga 6,000 habitants et Foulepointe 4,000 habitants. Il y a beaucoup d'autres localités sur le littoral, mais ce sont des ports sans importance et généralement mauvais; car, excepté Tintingue et Sainte-Marie, les navires n'y sont en sûreté qu'une très courte partie de l'année. L'élévation du sol de Madagascar lui permet de produire les végétaux des pays chauds et ceux des régions tempérées, les forêts couvrent des espaces considérables de terrains et offrent près de cent essences différentes, le bois de fer y abonde, les arbres résineux et ceux qui donnent la gomme et 1(, caoutchouc y sont nombreux, ainsi que les genres de plantes médicinales. Le riz, le manioc, les patates, les pommes de terre sont les principalescultures; le coton y réussit
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parfaitement, la vigne aussi, maisl'oïdium détruit la plupart des plants.Tousnos a légumes et nos arbres fruitiers viennent sans peine dans cette terre fertile la canne à sucre et le café poussent à merveille, et le tabac y^roil àl'état sauvage. Il y a différentes espèces de vers à soie, des moutons roux, parce que leur élevage n'a pas été suffisamment soigné, des chevaux en petite quantité en revanche les bœufs y sont très nombreux, puisqu'on en exporte annuellement une Lrentaine de mille, en partie à la Réunion et à l'île Maurice.
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Carte de l'île
deMadagascar.
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La faune de l'île ne le cède pas en richesse à sa flore elle comprend des especesqu'on- ne trouve pas ailleurs et dont la nomenclature serait ici sans intérêt, mais on n'y trouve ni pachydermes ni grands félins malheureusement il y a d'autres animaux malfaisants, notamment des serpents de dimensions considérables, des araignées géantes et des caïmans innombrables. La population, surlaquelle nous donneronsplus loin d'autresdétails, appartient à différentes races, dont les trois principales sont: à l'est les Malgaches purs au ou Madecasses, qui sont de raceafricaine et semblent être lesAborigènes centre les Howas, conquérants venus de Malaisie qui prétendent à la suprématie sur le pays entier, et à l'ouest les Sakalaves, que l'on croit issus du croisememt
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Howas.
des reine
la de garde
la de Soldats
des indigènes
avec les Arabes, qui visitèrent Madagascar bien avant le règne de
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Mahomet. Nous étudierons plus tard les mœurs et les usages de ces peuples un mot seulement de leurs costumes, afin de nous familiariser un peu avec eux. fl tend d'ailleurs à disparaître, le costume national, surtout depuis que l'accoutrement européen est de rigueur à la cour (1874). Le costume indigène était cependant bien autrement gracieux que les habits chamarrés ou non, les chapeaux hauts de forme des hommes et les ridicules crinolines des beautés Madécasses, qui sont naturellement en retard sur les modes européennes, d'autant que les deux sexes portent ces vêtements aussi gracieusement, aussi intelligemment que pourraient le faire des sapajous déguisés. Il n'est pas rare de voir un doigt de peau entre le corsage et la crinoline d'une dame, et les hommes ont des allures invraisemblables avec des habillements composés uniquement d'un pantalon, d'une veste, ou d'un ancien habit de gardefrançaise. Ceux qui n'ont pas suivi le mouvement de la civilisation portent le seidik, bande de toile longue d'un mètre et large de moitié, qui ceint la taille et dont les bouts retombent devant et derrière, après avoir passé entre les jambes et dans les plis de la ceinture par dessus.ils mettent le lamba, pièce d'étoffe blanche, de quatre mètres sur trois, dans laquelle ils se drapent. Les femmes ont le seidick une espèce de camisole, et le lamba ou seinbon , « jeté sur les épaules comme un châle. Elles forment avec leurs cheveux vingt-cinq à trente petites tresses qu'elles roulent en paquets et qu'elles imprègnent d'une' huile nauséabonde elles dénouent leurs tresses et laissent les cheveux épa-rs en signe de deuil. Les deux sexes portent quelquefois le satouk, toque en jonc assez semblable à la coiffure des avocats les gens riches ont au cou des colliers de cheveux, des anneaux d'or aux oreilles et d'énormes broches d'or; la famille royale a seule le droit de porter des ornements de corail sur la tête et il faut appartenir à la noblesse pour en mettre à ses pieds, mais tout le monde peut en porter au cou et aux bras, excepté les esclaves. Car il ya aussi des esclaves. Ceux des particuliers sont ou des prisonniers ou des débiteurs insolvables, ou plus communément des nègres achetés. Les esclaves royaux sont des Malgaches ou des noirs. Ces derniers composent les troupes de la garde et ne peuvent se marier qu'avec des esclaves, tandis que les autres peuvent prendre des femmes libres. s'ils en trouvent. La gravure que nous donnons, représentant la garde de la reine des Howas, sur la place d'armes de Tananarive, a été faite d'après une photographie anglaise. On voit que l'uniforme de ces guerriers d'élite, choisis parmi les plus grands et les plus robustes, consiste surtout à n'en avoir Ceux du premier rang, qui sont armés de fnsils à piston de différents modèles
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point.
sont des Arnboalam ou Antalotes métis de malgaches et d'esclaves africaines ; une grande bande de peau de bœuf noire, non tannée, leur sert de baudrier et ils sont coiffés de bonnets de formes très variées, en cuir tanné ou en peau de chat avec le poil. Ceux du second rang, restés sauvages même dans leur armement composé de sagaies, de couteaux et de boucliers de peau de bœuf, sont des Betanimènes ils ne sont pas, à proprement dire, des esclaves royaux ils appartiennent à une peuplade guerrière et mercenaire, qui se bat surtout par amour du pillage et dont on rencontre les représentants aussi bien dans les rangs de nos alliés les Sakalaves que dans le camp de la reine Ranavolo II. Tous ces soldats, malgré leur nombre, ne sont pas bien redoutables et on en aurait eu vite raison, si l'on avait pu les atteindre chez eux; mais ils sont à peu près insaisissables, se réunissant clandestinement pour attaquer nos avant-postes, mais se dispersant à la moindre alerte dans leurs inextricables forêts, à travers les marécages où il est d'autant moins prudent de s'aventurer qu'ils sont infestés de caïmans. C'est ce qui explique la longue durée de notre dernière campagne. Les chefs des soldats Howas sont des Européens, anciens militaires, matelots transfuges, aventuriers de toute sorte, qui ont dans l'armée des grades divers ne se distinguant que par leur numération. Les grades ont un nom commun « Vouninahitra qui veut dire littéralement fleur d'herbe mais que nous traduisons par « honneur. » « Le simple soldat de la garde, bien qu'esclave, n'est déjà plus de l'herbe, comme la vile multitude; il est la première fleur d'herbe, ce que nous appelons premier d'honneur; le caporal a le grade de deuxième d'honneur, et ainsi de suite, dans l'armée comme dans. l'organisation politique des Howas, jusqu'au quinzième d'honneur; il yen a même aujourd'hui un seizième. Nous ne manquerons point d'occasions de revenir là-dessus; voyons maintenant l'adresse du Conseil colonial de la Réunion, rédigée par M, Ruyneau de Saint-Georges, c'est la préface indispensable des événements que nous entreprenons de classer, d'autant qu'elle comprend les trois chapitres qui nous intéressent l'historique de nos droits sur Madagascar, l'utilité de sa possession et les moyens d'exécution. On remarquera que le dernier chapitre, projet en 1847, était encore d'actualité en 1883, au moment où il ne fut plus possible de dénouer la question autrement que par la guerre.
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NOS DROITS
SURMADAGASCAR
La souveraineté de la France, dit le document, dont nous ne citons que les passages les plus importants; la souveraineté de la France sur Madagascar doit, être envisagée sous un double rapport, d'abord quant aux peuples de l'Europe, et ensuite relativement aux indigènes. «Quant aux peuples de l'Europe, c'est un principe fondamental du droitinternational que toute terre nouvelle et non civilisée appartient à la première nation qui y plante son pavillon, pourvu que des actes successifs attestent l'intention de s'y établir. Christophe Colomb avait abordé les rivages de l'Amérique; Vasco de Gama, non moins hardi, avait franchi le cap des Tempêtes; un champ sans limite, s'ouvrait désormais aux navigateurs de toutes les nations; un irrésitible élan était donné; tous les pavillons de l'Europe se montrent à la fois sur les mêmes mers etpoursuivent les mêmes conquêtes. Les plus sanglantes collisions devenaient inévitables. Les nations européennes allaient s'exterminer sur le terrain même de leurs découvertes, et à la vue des peuples qu'elles venaient pacifier et civiliser. C'est alors que sortit, du fond de la conscience, cette loi salutaire et univer« sellement admise que, dans les pays nouveaux, tout pavillon doit se retirer devant un autre pavillon qui l'a précédé, c'est le sentiment unanime qui la proclame elle devient sur les mers la base du droit des gens depuis 300 ans ce principe tutélaire a été tour à tour invoqué accepté, par les Espagnols, les Portugais, les Hollandais, les Anglais et les Français. Il est le fondement de cette sécurité parfaite qui permet au peuple néerlandais de développer lentement mais sûrement, son commerce et sa puissance au sein de ce grand archipel qui commence au golfe du Bengale et se prolonge jusqu'aux mers de la Chine. pourrait le méconnaître sans saper par sa base tout l'édifice « L'Angleterre de sa grandeur coloniale, « La France peut aujourd'hui en réclamer l'application avec d'autant plus de fermeté, qu'elle en a supporté, avec plus de résignation, toutes les conséquences, lors même que ses plans étaient contrariés et ses intérêts blessés ainsi nos projets sur Sumatra et l'Australie ont été abandonnées aussitôt que la Hollande et la Grande-Bretagne nous eurent fait connaître leur désir d'agrandissement" ultérieur, sur un territoire dont elles n'occupent pas encore aujourd'hui la centième partie ainsi nos armements pour la Nouvelle-Zélande se sont arrêtés devant une expédition anglaise qui les avait précédés. Ce sont des faits récents et les documents qui s'y rattachent se retrouvent dans les archives du ministère de la marine. «
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Au surplus, le principe ne semble pas devoir subir plus de contradiction de nos jours qu'il n'en a subies pendanttrois siècles. Nous n'avons plus qu'à apprécier •es faits. Déjà nous les avons exposés sans art et avec fidélité dans une première «
adresse. Nous allons en faire une nouvelle et simple analyse. L'histoire abrégée du passé, deviendra, sans effort de notre part, la démonstration de notre souveraineté tant les faits se suivent et s'enchaînent avec le même caractère, se rapportant constamment à un plan unique, quelquefois suspendu, et jamais aban-
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donné
Types et habitations des liuwab.
«L'ile de Madagascar paraît avoir été découverte vers 1506, par le Portugais Lorenzo d'Almeida. Depuis 1506 jusqu'en 1642, les Français, les Portugais, les Anglais, se montrent successivement sur les côtes, mais ne descendent sur les rivages que pour les abandonner aussitôt. déjà « Cependant un ministre ajamais célèbre et doué d'un admirable instinct, a compris la haute importance de Madagascar, et le 24 juin 1642, des lettres patentes données par Louis XIII, déclarent la souveraineté de la France sur la grande île africaine. « Dès ce moment, tous les pavillons étrangers s'éloignent et disparaissent. L'œuvre de colonisation commence; on l'abandonne, on la reprend, on la suspend
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elle s'arrête, tantôt parl'insuffisance des moyens, tantôt par l'incapacité ou l'immoralité des chefs ou des agents, tantôt par les révolutions ministérielles ou dynastiques que subissait la Métropole elle-même, jamais par des prétentions rivales et la contradiction étrangère! Jamais un établissement anglais ou hollandais n'est venu se placer à côté de nous, pour jeter un doute sur notre droit, diviser les sympathies des indigènes, et contrarier nos opérations actuelles ou nos projets d'avenir. Nous ne pouvons nous imputer qu'à nous-mêmes nos erreurs et nos désastres. «Ainsi, d'une part, constance de l'occupation française, de l'autre, approbation tacite de tous les peuples de l'Europe, voilà ce que les faits démontrent avec la dernière évidence. « En 1643, en vertu des lettres patentes de Louis XIV, qui confirmaient celles de Louis XIII de 1642, la Compagnie française de l'Orient prend possession du droit exclusif de commerce à Madagascar. « Le premier agent de cette Compagnie, Pronis, établit des postes sur plusieurs points de la côte orientale et élève le fort Dauphin (1644). « Flacourt remplace Pronis en 1648. Abandonné par la compagnie à ses propres ressources, il améliore cependant les affaires de la colonie. A son départ le premier établissement se précipite vers sa ruine. « En 1656, le duc de la Meilleraie devient concessionnaire des droits de la Compagnie. substituée au « En 1664, une nouvelle compagnie encouragée par Colbert est duc de Mazarin, fils aîné du duc de la Meilleraie. Cette seconde entreprise ne fut pas plus heureuse que la première. Les désordres de l'administration de Pronis, qui se fit haïr par les naturels par des guerres injustes et de ses subordonnés par des dilapidations odieuses, avaient frappé de mort notre premier établissement. Le second périt à son tour par la discorde qui s'introduisit au sein de la Compagnie, et par la déloyauté de ses agents dans leurs relations avec les indigènes. autorité à Madagascar. « Cependant Louis XIV ne cesse point d'exercer son deBeausse en qualité « En 1665, il y crée un conseil souverain et y envoie M. de gouverneur général. Le commandement passe de M. de Beausse au marquis de Mondevergne, du marquis de Mondevergne à l'amiral de la Haye, de l'amiral de la Haye à M. Chamargou, de M. Chamargou à M. Labretèche. A travers toutes ces vicissitudes, la volonté française ne fléchit pas un seul instant seulement au milieu d'une telle instabilité, notre ascendant diminue rapidement. la population indigène et « Bientôt des excès de tout genre exaspèrent tous les français du fort Dauphin, surpris dans la nuit du 25 décembre 1672, sont impitoyablement massacrés. perdue sans ressource mais Louis XIV était inca« La colonie paraissait pable de plier. Sa volonté de se maintenir à Madagascar est plus inébranlable îsprès le désastre qu'auparavant. Par un édit de l'année 1686, il annexe définitiencore
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vement Madagascar à la couronne de France. Déjà il préparait un nouvel armement; il n'en fut détourné que par les revers qui marquèrent ses dernières années et signalèrent en même temps la grandeur de son caractère. XV, au milieu d'un règne faible et agité, ne perd cependant pas « Louis Madagascar de vue le seul ministre qui ait bien mérité de la France, le duc de Ghoiseul, charge le gouvernement de l'Ile de France d'entretenir des agents civils et militaires sur toute la côte depuis Sainte-Luce jusqu'à la baie d'Antongile, en 1750, il fait occuper l'île Sainte-Marie, envoie en 1768 M. de Modave pour relever le fort Dauphin, et il préparait la première expédition de Beniowski lorsqu'une intrigue de palais le fit tomber du faîte du pouvoir dans l'exil. maintient tous nos établissements sur la « Le gouvernement de Louis XVI côte orientale. « La Convention faisant trêve un instant à ses formidables préoccupations, demande des études sur Madagascar et y envoie Lescalier. française « L'Empire n'a cessé de considérer Madagascar comme une terre M. Sylvain Roux y est envoyé en 1807, en qualité d'agent principal et Tamatave reçoit une garnison française. « La Restauration rétablit son pavillon successivement à Sainte-Marie, Tintingue, Fort-Dauphin et Sainte-Luce. L'expédition Gourbeyre, en 1829, était un commencement d'exécution d'un plan plus vaste d'occupation, que la Révolution de 1830 n'a pas permis d'achever. « Votre propre gouvernement, Sire, qui ne peut rester étranger à aucun grand intérêt national n'a cessé de se préoccuper de la question de Madagascar. L'hydrographie de Diégo-Suarez, l'exploration de la côte Ouest et de la baie de Passandava par MM. Guillain et Jéhenne, capitaines de corvette, les études approfondies et consciencieuses faites par l'administration de Bourbon, la prise de possession de Nossi-Bé et de Mayotte en sont un éclatant témoignage car ces actes n'ont de signification et de valeur que comme préliminaires de projets ultérieurs et d'une haute importance. « A travers toutes les vicissitudes du pouvoir, et les révolutions par lesquelles nous avons passé, la politique française reste constante et invariable, quant à Madagascar. Notre possession non interrompue pendant 200 ans, et fondée sur des actes législatifs nombreux, est donc aujourd'hui à l'abri de toute contradiction ; il est vrai que notre domination avait été principalement reconnue sur le littoral du Sud et de l'Est c'est là que nous avions d'abord établi nos alliances, et qu'avaient grandi nos premiers établissements de commerce, fécondés par le voisinage de Maurice et de Bourbon. Mais parles édits que nous avons rappelés, notre souveraineté avait été déclarée sur toute l'île de la manière la plus formelle et la plus absolue et suivant les principes que nous avons développés, il n'est pas nécessaire pour donner naissance au droit, que l'occupation embrasse chaque baie, chaque port, en un mot le littoral tout entier il suffit d'un fait bien carac-
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térise de possession, avec l'intention d'y donner les développementsque le temps amène inévitablement. « Au surplus, des actes récents répondent à toutes les objections et ne permettent pas plus de contester notre souveraineté sur les territoires de l'Ouest et du Nord que sur ceux del'Est et du Sud. « Les Sakalaves, peuples de l'Ouest, ne veulent point courber la tête devant les Howas ils préfèrent la fuite et l'exil ils se réfugient sur les îles du Nord-Ouest, principalement à Nossi-Bé là, dans leur détresse, ils tournent leurs regards vers la France et implorent son appui bientôt, ils entrent en pourparler avec M. Passot, envoyé comme négociateur par le gouvernement de Bourbon et le 14 juillet 1840, intervient un traité par lequel, consacrant de nouveau des droits, d'ailleurs, incontestables, Tsioumeik, reine de Boueni, et les principaux chefs sakalaves réunis autour d'elle, cèdent à la France tout leur territoire, c'est-à-dire toute la partie Ouest de Madagascar. « Depuis, ce traité a été ratifié par le gouvernement métropolitain, et le 5 mai 1841, le pavillon français a été arboré à Nossi-Bé et salué par toute la population indigène comme un signal de délivrance, et comme un gage de la nationalité glorieuse qu'ils se flattaient d'avoir enfin reconquise! « Les Antakars, tribus du Nord, repoussent aussi loin d'eux le joug des Howas. Pour échapper à la servitude, ils cherchent un asile sur les rochers de la petite île de Nossi-Mitsiou. Tsimiarou leur roi, prince guerrier, ne demande que des armes pour recommencer la guerre. La vue du pavillon protecteur de la France ranime toutes ses espérances. Il entre en négociations avec les agents de notre gouvernement et bientôt, pour échapper une odieuse domination, il cède au roi des Français tous ses droits sur Ankara et les îles dépendantes. Dans cette cession se trouvecomprise la magnifique baie de Diego Suarès! de tous ces faits, quel peuple de l'Europe oserait contrarier « En présence nos projets de colonisation et contester notre droit? «LesAnglais? établissements à Madagascar se sont formés sous leurs yeux, « Mais tous nos et ils n'ont jamais protesté! quand Colbert, digne émule de Richelieu, garantit, « Ils n'ont pas protesté dans des formes aussi solennelles, les mêmes privilèges à la Compagnie orientale, organisée par ses soins. «Ils n'ont pas protesté quand l'autorité française était représentée à Madagascar tantôt par un gouverneur général, tantôt par un amiral, environné de tout l'appareil d'un vice-roi! de Choiseul, que les désastres de la « Ils n'ont pas protesté quand le duc guerre de Sept Ans n'avaient pas abattu, cherchait à Madagascar une compensation à tant de pertes récentes, et y envoyait M. de Modavepour relever les ruines de Fort Dauphin et y rétablir notre pavillon! quand le Restauration fit un armement en 1829, s'em« Ils n'ont pas protesté
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Madagascar.
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para de vive force de Tamatave, de la pointe Larré, et rétablissait tous les signes de notre domination sur la grande terre, par la construction du fort de Tintingue. Les travaux suspendus, puis abandonnés par suite d'événements politiques de la métropole, l'ont été en dehors de toute influence étrangère! « Ils n'ont pas protesté quand votre gouvernement, en vertu du traité du
14 juillet 1840, a fait
occuper Nossi-Bé et Mayotte. Et cependant l'arrêté de l'administration de Bourbon, qui précéda la prise de possession, rappelait les droits anciens de la France, et ne dissimulait pas ses projets ultérieurs il fut à desseija. publié dans les journaux de Maurice et ne provoqua ni explication ni réclamation. « Ainsi, nos droits sur Madagascar sont bien évidemment sanctionnés par l'assentiment tacite de l'Angleterre. Mais il y a mieux, nous avons de sa part l'aveu le plus formel et le plus explicite. 1816, le gouverneur de Maurice, M. Farquhart, interprétant à son grêle « En traité de Paris du 30 mai 1814, prétend que l'Angleterre est substituée à la France dans tous ses droits sur Madagascar; de cette substitution, il fait aussitôt dériver un droit de souveraineté sans limite. Le 25 mai 1816, il écrit à MM. les administrateurs généraux de Bourbon pour leur faire connaître que son gouvernement se réserve le commerce exclusif de Madagascar; il leur notifie, en conséquence, que nos traitants ne seront plus reçus à Madagascar qu'à titre précaire, et munis de licences délivrées par le gouvernement anglais. sommation est transmise immédiatement au gouvernement « Cette étrange de la métropole. Aussitôt une vive discussion s'élève entre les deux cabinets.. l'Angleterre fut obligée de céder et de reconnaître 1,9 droit était trop évident re, Madagascar ne pouvait pas être une annexe de Maurice, et devait nous ètue restitué, comme tous les autres établissements que nous possédions au 1erjanvier 1792 et qui n'avaient pas été formellement exceptés. En conséquence, le- cabinet de Saint-James donne des ordres pour que le « gouvernement de Maurice se désiste de toutes ses prétentions; les troupes qui y avaient été envoyées sont rappelées et remplacées par des- détachements de la garnison de Bourbon. donc resté, et évidemment avec cette étendue de « Madagascar nous est droits que l'Angleterre revendiquait pour elle-même, quand elle se présentait comme concessionnaire de notre souveraineté. seulement par l'assentidonc consacrés Madagascar titres sont Nos non sur « ment tacite, mais encore par l'approbation expresse de l'Angleterre. droits, cette puissance voudrait-elle intervenir dans « Sans méconnaître nos Mais peuplade nos démêlés avec les Howas, sous prétexte d'alliance avec cette qui ne sont ce serait la violation de tous les principes que nous avons posés, et pas contestés; ce serait nous autoriser à armer les nombreuses peuplades encore indépendantes de la Nouvelle-Zélande et de l'Australie ce serait en un mot, bouleverser toute cette partie du droit international que nous avons déjà exposée, et qui sert de fondement aux colonisations européennes. Il ya mieux, le prétexte n'existe même pas, car toutes les relations que les Anglais avaient établies chassés de avec la cour d'Emirne, sont, depuis longtemps, rompues; ils ont été Tananarive. Ils ne pourraient raisonnablement soutenir un gouvernement qui a proscrit leurs traitants et ruiné leur commerce.
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«Ainsi obligée de s'abstenir, l'Angleterre verrait-elle avec chagrin la civilisation et la religion chrétienne pénétrer à notre suite dans ces vastes contrées, en proie aux superstitions les plus avilissantes et à toutes les misères qu'engendrent le dérèglement et le despotisme des institutions; une telle supposition serait injurieuse, et quellesque soient encore les préventionsnationales, le gouvernementdela
Grande-Bretagne est environné de trop de gloire, il remplit dans le monde civilisé et chrétien une trop haute mission, il accomplit de trop grandes choses pour que nous le soupçonnions jamais d'une si odieuse jalousie. La France est de bonne foi dans ses efforts pour éteindre l'antagonisme au sein des peuples de l'Europe; elle doit présumer la même sincérité chez ses alliés et ses voisins. Les armes victorieuses de l'Angleterre ont pénétré jusque dans l'Asie centrale ses bateaux à vapeur sondent toutes les côtes, remontent tous les fleuves! une seule de ses possessions d'outre-mer, l'Hindoustan, compte autant de sujets qu'en renferma jadis l'empire romain dans ses vastes limites. L'Australie, presque grande comme l'Europe, reçoit une population anglaise. La terre de Van-Diémen, la Nouvelle-Zélande, l'Afrique du Sud, cent autres colonies fécondent pour l'Angleterre de nouveaux éléments de richesses. Nous ne sommes pas jaloux nous applaudisnous ne'pousons au contraire à ces triomphes de l'humanité et de la religion,vons admettre que l'Angleterre s'inquiète et s'afflige de ce que la France accomplit, à son tour, la part de civilisation qui lui a été depuis si longtemps-départie. Votre gouvernement, Sire, ne peut être taxé de se livrer à un élan ambitieux, lorsqu'il ne fait que se renfermer dans nos vieilles limites coloniales. La France de Juillet peut bien, sans blesser aucune susceptibilité, tenter ce qu'ont tenté, avant elle, Richelieu et Colbert, le duc de Choiseul et M. de Sartines, les ministres de Louis XVIII et de Charles X. En portant la guerre à Madagascar, si le passé nous répond de l'avenir, et si les droits les plus anciens et les mieux reconnus peuvent nous servir de garantie, nous n'avons donc à craindre ni réclamations ni observations de la part de l'Angleterre. « Il nous reste à examiner si une agression de cette nature ne blesse aucun principe de droit ou d'équité par rapport aux indigènes eux-mêmes, qui, certes, doivent bien être comptés pour quelque chose dans une telle dis-
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L'île de Madagascar se divise en vingt-cinq tribus principales, indépendantes en 1813, aujourd'hui assujéties et opprimées par l'une d'elles, la tribu des Howas, qui, des plateaux de l'intérieur, a fait irruption sur toutes les parties du littoral. Les commencements de cette usurpation ne datent que de 1813, époque de l'avènement de Radama au trône. « Le joug odieux des Howas n'est nulle part accepté, ni par les tribus de l'est, nos plus anciennes et nos plus fidèles alliées, ni par celles du nord, qui ont déserté leur pays pour se réfugier dans les bois ou sur les rochers qui ceignent la baie de Passandava, ni par les peuplades de l'Ouest, toujours prêtes à prendre les armes. «
Nous sommes appelés par les Anossy, les Betsimsaras, les Betanimènes, les Antakars et-les Sakalaves. «Nous avons donc l'assentiment des indigènes eux-mêmes, si on en excepte une seule tribu qui, en nous attaquant partout où elle nous rencontre, et en pillant et massacrant nos alliés, nous a donné les plus légitimes sujets de la combattre il ne s'agit pas d'attaquer, mais de nous défendre il s'agit de délivrer nos alliés, de briser le joug qui accable les Betsimsaras: les Antakars et les Sakalaves d'obéir à des- traités qui nous lient et de rétablir notre pavillon là où il a été renversé; il s'agit enfin de sauver le peuple howa lui-même de la faction militaire qui l'opprime. « Ce gouvernement tyrannique, qui s'est fait, sans autre motif que celui de son ambition, l'implacable ennemi de la France, a marqué chaque pas de sa durée par les agressions les plus injustes et les outrages les plus gratuits. le fort Dauphin et abattent le drapeaude la France « En 1825, lesHowas enlèvent Betsimsaras, connu par son dévoue« A la même époque, Tsifascin; chef des ment à notre cause, devient l'objet d'une haine implacable; des pièges lui sont tendus, il est surpris et massacré! - «En 1829, Andriamifidi, commandant de Fenerif pour les Howas, fait mettre adjuger commeesclave, pour 250 francs, un Français publiquement en vente' nommé Pinson il adresse les plus violents repro« Le gouvernement français est indigné, ches à la cour d'Emirne; nos plaintes servent de recommandation à Andriamifidi, qui devient, dès ce moment, l'objet d'une faveur particulière, et se voit bientôt comblé des plus hautes distinctions. harcelés, et puis enfin chassés de Tamatave, « Nous sommes constàmment de Tintingue. de Foulpointe, de Fénérif insultés et ruinés dans ces mêmes « Notre commerce est détruit, nos traitants lieux où le pavillon de la France avait flotté pendant deux cents ans, presque sans interruption. seize de nos compatriotes qui ont succombé dans une lutte « Les têtes de héroïque, épouvantent encore les habitants de Tamatave. Elles sont là suspenplus apparent du rivage, comme pour porter dues à des gibets, dans l'endroit au loin un témoignage d'insulte et de barbarie Il n'est pas un navigateur dans l'océan Indien dont les regards ne soient attristés de cet odieux spectacle. La France, Sire, ne saurait rester plus longtemps indifférente Son honneur a été blessé, il doit être réparé Ses droits ont été méconnus et violés, ils doivent -
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être rétablis. « En présence de ces faits, les consciences les plus timides ne sauraient conserver aucun scrupule; on ne prit jamais les armes pour une cause plus légiexaminons time Mais la guerre nous conduira inévitablement à la colonisation maintenant si cette colonisation est dans les intérêts de la France, et si elle est d'une facile exécution.
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UTILITÉ DE MADAGASCAR
«Depuis que nous avons perdu l'Inde, le
Canada, la Louisiane, Saint-Domingue, Maurice, les vaisseaux de l'Etat, une fois sortis des ports de France, manquent depoint d'appui, de lieu de refuge et de tous les moyens de recrutement e,t
Tsimiarou, roi des Antakares.
d'approvisionnements; et d'ailleurs la navigation marchande, sans laquelle il n'y a pas de marine militaire, est destituée de tout aliment sérieux. Avec Madagascar, la lacune est comblée nos pertes les plus cruelles sont réparées. Nous ne restons plus stationnaires, quand tout progresse autour de nous et le maintien de notre puissance relative est au moins assuré c'est sous « Les peuples de l'Europe envahissent l'Asie et le monde maritime leur influence, par leur action et à leur profit que se développent les magnifiques cités de Bombay, de Madras, de Calcutta, de Batavia; les colonies les plus flo-
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rissantes remplissent l'Archipel d'Asie, l'Australie, la Polynésie; l'Angleterre et la Hollande voient se multiplier pour elles les centres de production les plus abondants, dans ces mêmes îles qui leur offrent en même temps que les richesses de leur sol, les rades les plus sûres et les ports les mieux défendus. La Hollande trouve à Java tout à là fois des ressources inépuisables pour son commerce et des ports où ses vaisseaux sont aussi en sûreté contre les coups de la tempête que contre le feu de l'ennemi. L'Angleterre embrasse tout dans sa prodigieuse activité, mais elle ne consacre des efforts sérieux qu'à ces grandes terres que découpent des hâvres profonds, et qui par la fertilité du sol, l'abondance des bois de construction et des matières premières, sont en même temps l'aliment desa navigation marchande, et la sauvegarde de sa puissance navale. La France seule concentre tous ses efforts sur des îlots aussi dépourvus d'utilité au point de vue militaire, qu'au point de vue commercial; Mayotte n'a de valeur que comme acheminement à l'occupation de Madagascar. Mayotte manque de bois sans doute une flotte pourrait s'y réfugier, mais elle y serait bientôt affamée, et forcée d'en sortir ou de capituler. Son sol volcanique, l'exiguïté de son territoire, l'insalubrité du climat ne permettront jamais à une population considérable de s'y développer. Aucun approvisionnement n'y est possible : il faudrait y apporter de la Métropole tout ce dont on y aura besoin. On ne peut isoler Mayotte de Madagascar. D'ailleurs, Mayotte n'appartient pas à la puissance qui s'y établit actuellement, mais à celle qui occupera plus tard Diego-Suarez Diego-Suarez est la citadelle de l'Afrique orientale. S'établir à Mayotte, sans avoir pris préalablement possession des magnifiques baies qui sont à l'est du cap d'Ambre, c'est se placer sous le feu de l'ennemi, c'est édifier pour lui, c'est employer à son bénéfice, l'industrie et les trésors de la France. Les Marquises ne sont que desrochers stériles sans aucune, influence possible sur notre avenir politique ou commercial. seul nous donner aujourd'hui une position militaire à l'est « Madagascar peut du cap de Bonne-Espérance. Cette grande île commande à la fois à la côte orien tale d'Afrique, l'Hindoustan et l'archipel d'Asie. du double passage de l'Europe dans l'Inde a Par Madagascar, on est maître on domine à la fois le cap de Bonne-Espérance et le détroit de Bab-el-Mandeb. des droits sérieux dans « Une fois établis à Madagascar, nous acquérons l'Océan Indien; nous cessons d'y figurer à titre de tolérance seulement. Tout l'hémisphère oriental d'où nous sommes en réalité bannis, devient accessiblepour nous. Nous y apparaissons avec la dignité et l'indépendance qui conviennent à une grande nation. Nous nous suffisons à nous-mêmes, et si nous sommes attaqués, non seulement la défense est possible, mais le succès en est certain. superbes fournissent bois des vaisseaux, nombreux reçoivent Des ports nos « des éléments inépuisables de travail à nos chantiers de radoub et de constructions des approvisionnements à bas prix en riz, blé, bœufs, salaisons de toute sorte, assurent la subsistance de nos soldats et de nos matelots Madagascar
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cultivé et civilisé ne refuserait pas à nos amiraux ce que Madagascar, encore en friche et tout à fait sauvage, a fourni si abondamment à Mahé de la Bourdonnais, au vicomte d'Aché, au célèbre bailli de Suffren. de guerre, la colonie se défendrait toute seule une population « En temps de plusieurs millions d'hommes, renfermés dans une île naturellement approviet d'un sionnée, à 4,000 lieues de la puissance assaillante, est inexpugnable autre côté, désormais libres dans leurs allures, maîtres de leurs moindres mouvements, nos vaisseaux pourraient toujours avec opportunité, tantôt fondre sur l'ennemi, tantôt se retirer devant lui, tantôt attaquer et ruiner son commerce, tantôt protéger le nôtre nos victoires nous donneraient de nouveaux moyens de combattre nos désastres seraient facilement reparés dans un pays qui nous offrirait des matelots et des soldats et de nouveaux approvisionnements. «Ainsi par l'occupation de Madagascar, notre marine militaire aurait reconquis un de ces points d'appui importants qui lui manquent absolument depuis la paix de 1763, la révolution de Saint-Dominique et le traité de Paris du 4 mai 1814 ; mais notre navigation marchande prendrait un accroissement rapide, ce qui profiterait à la marine de l'État. C'est précisément par la marine du commerce qu'on peut créer et développer la marine militaire.
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Les moyens artificiels peuvent être plus ou moins ingénieux, mais ils seront toujours sans résultat. C'est le commerce qu'il faut ranimer si nous voulons reconquérir notre rang maritime. Ce fut là le système du cardinal de Richelieu suivi par Colbert, pratiqué par Louis XVI. Les fruits en ont été assez brillants pour que nous ne devions pas répudier d'aussi glorieuses traditions Madagascar seul peut ranimer le commerce maritime de la France, « Eh bien -qui languit de plus en plus et menace de s'éteindre. population d'environ trois millions d'habitants, sa superficie « Cette île a une de25,000 lieues carrées est à peu près égale à celle dela France ainsi elle peut recevoir une population de trente millions d'hommes. « Les exportations se composaient, avant les prohibitions insensées du gouvernement de la reine Ranavalo, de bœufs, moutons, tortues deterre, riz, gomme, copale, orseille, ambre gris, cire, peaux de-boeufs, écaille de caret (testudo imbri.cata) qui se vend jusqu'à 120 francs le kilog. « Les importations consistaient en mouchoirs'et autres impressions des manufactures françaises, beaucoup d'objets de luxe, savon, bijouterie commune, verroterie, quincaillerie, mercerie, etc. Sans doute, c'est là un commerce restreint, mais il s'étendrait rapidement « par l'introduction des arts de l'Europe, et par les nouveaux besoins que fait naître la civilisation; il suffit, pour s'en convaincre, de jeter les yeux sur les rapports de tous les voyageurs qui ont pénétré dans l'intérieur de Madagascar. Cette île peut nous fournir et en quantités immenses: le sucre, le café, le « coton, le tabac, la soie, l'indigo, le riz, le maïs, le blé, le bois d'ébène, toutes les «
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matières premières nécessaires aux ateliers de teinture, de tabletterie, de marles quetérie, écorces les plus estimées, des mines d'or et d'argent de première qualité et à fleur de terre, peut-être de la houille, du mercure, du sel gemme, du cristal de roche de la plus grande beauté. Toutes les jouissances du luxe s'introduiraient promptement dans « un pays riche en exportations et donneraient à nos manufactures une activité dont Paris lui-même recueillerait les premiers
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fruits.
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Mais une opinion bien funeste aux intérêts de la France.a-priscrédit on pense communément quel'Algérie peut nous tenir lieudetoutes nos autres
colonies. «
D'abord l'Angleterre qui recule ses frontières de l'Inde jusqu'aux limites de l'empire russe, qui a formé en Asie un empire de 80,000,000 de sujets, n'en poursuit pasmoins dans lesautresparties monde ses gigantesques 'entreprises. • « Mais d'ailleurs l'AI,gérie,: qui certes, est une grande et précieuse conquête, n'est pas à l'égard de la France une colonie proprementdite sonsol se refuse aux cultures intertropicales, qui seules servent de principeactif auxéchanges. "L'Algérie a les -mêmes produits et le même climat que nos départements du Midi. « Le grand cabotage seul peutprendre unenouvelle activité dansnos relations avec l'Algérie, et c'est la navigation au longcours quiseule-formeles matelots du commerce, et par conséquent ceux de la marine militaire. n'a pas de port, et ne satisfait ainsi à aucune des conditions qui « L'Algérie peuvent rendre à la marine de FËtat son ancienneprépondérance.-•••-<• Algérie, la France a pris un plus haut ascendant dans la Méditerranée « Par mais ne doit-elle pas être présente partout, etporterpartout son influence? Ne faut-il pas qu'elle puisse se défendre partout où elle sera attaquée?Nos établissementsdans le nord de l'Afrique ne sont pas une raison de nous condamner à une nullité complète dans une moitié du monde, dans tout l'hémisphère oriental! Si nous@ voulons cesser d'être dépendantsdans les mers duGap, dans le golfe Arabique, dans tout l'océan Indien, une seule et dernière chance nous est ouverte, c'estde nous établir à Madagascar. Sire, n'y rencontrera aucun-edes difficultés qu'ima« Votre gouvernement, ginent ou se plaisent à grossir des hommes honorables, mais complètement abusés. En vain on veut effrayer les esprits par un rapprochement dénué de toute justesse. soumise qu'attaquée et ne deviendra pas une « Madagascar sera aussitôt Algérie à 4,500 lieues de la métropole. aussi fausse a-t-elle pu se produire à la tribune « Comment une comparaison nationale, et exercer quelque influence sur les esprits oblige toujours à passer d'une conquête à l'autre, en « Là, un continent qui montrant toujours û la frontière un ennemi nouveau ici, une entreprise dont la «
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Madagascar. — Un village howa sur la route de Tananarive.
nature même a posé les limites, une île que quelques bateaux à vapeur suffisent pour bloquer, et qui peut être mise dès l'abord à l'abri de toute intervention ou excitation étrangère. « Là, une nation compacte, indivisible; ici, vingtpeuples différents de mœurs, d'origine, et ennemis les uns des autres.
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Là, tout l'orgueil d'une antique et fausse civilisation ici, des peuples qui Teconmissent leur infériorité, et demandent à être instruits et éclairés. « Là, un fanatisme qui s'exaspère au sein même de ses défaites ici, un culte «
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esprita.
non earaetérisé, presque insaisissable, et qui n'exerce aucune influence sur les
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race implacable qui s'élève et vieillit dans sa haine contre nous ici des tribus d'une grande douceur de mœurs et que la sympathie entraîne au devant de nous. ici, au contraire, les « Là, en un mot, la colonisation malgré les habitants habitants devenus les premiers et les plus ardents auxiliaires de la civilisation. « Telle est la vérité, et elle ressortira avec plus d'éclat des détails dans lesquels. nous allons entrer sur les moyens d'exécution. «
Là. une
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MOYENS D'EXÉCUTION
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Nous ne saurions trop insister sur ce point il ne s'agit pas de faire la guerre aux peuples de Madagascar, mais au contraire de briser leurs fers et d'être leurs libérateurs; c'est avec les tribus de l'ouest et du nord qu'il faut marcher au secours des tribus de l'intérieur. Il doit être manifeste, dès l'abord que nous n'attaquons ni nos anciens alliés, nilesHowas eux-mêmes, mais seulement un gouvernement qui les avilit et les opprime. « Des agents français envoyés à l'avance sur les points opposés de la côte doivent partout nous ménager des intelligences, exciter les esprits, et disposer les populations à nous seconder les membres de l'ancien gouvernement, les princes fugitifs doivent être recueillis partout où ils se trouveront, et ramenés au lieu de la lutte, sous la protection de notre pavillon. «
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L'expédition doit être forte surtout en matériel, approvisionnements d'armes, de poudre, etc., afin de pouvoir armer les indigènes qui ne manqueront pas d'accourir à la première apparition de notre drapeau, dès qu'il se présentera à eux dans de véritables conditions de tous deu,.x « Deux plans d'expéditions ont été soumis à votre gouvernement peuvent être acceptés, car tous deux nous semblent devoir être couronnés de succès. Le premier consiste à se porter d'abord sur Tananarive pour dissoudre le gouvernement des Howas le second, à s'établir à Diégo-Suarez, pour s'étendre progressivement dans le Sud. • «
succès. ;
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Toutefois le but peut être atteint plus lentement, il est vrai, mais aussi sûrement, par l'occupation de Diégo-Suarez, où l'on établirait une colonie qui s'étendrait dans le Sud au fur et à mesure que les sympathies des tribus indigènes «
sedéclareraient.*
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C'est là le plan présenté plus' particulièrement par l'administration de Bour.bon, et, qu'il s'agit maintenant d'examiner. il importe de revenir sommairement sur le passé. « Pour le bien apprécier, Madagascar, il « Dans les tentatives diverses et successives de colonisaton à faut remarquer que des efforts un peu sérieux n'ont été faits que sur une partie du littoral de l'Est, du Fort-Dauphin à la baie d'Antongil. Sud« Les Français débarquèrent pour la première fois Monghasia, dans le c'est là que furent créées les premières habitudes. Depuis, Est de Madagascar les colonies de .Maurice et de Bourbon s'étant développées, les relations commerciales s'ouvrirent et continuèrent naturellement avec le côté qui était le plus à proximité, et ce fut encore la côte orientale; l'attrait pour cette partie du littoral se fortifia en outre par le caractère doux et pacifique des tribus qui l'habitaient. Là se trouvaient les Betsimsaras adonnés au commerce, et tellement attaches à la France, que les Howas ont pu les exterminer, mais non pas les rendre infidèles à notre alliance. « Ainsi, pendant deux cents ans, nos efforts ont été concentrés sur les rivages , -de l'Est, du 16e et 23° degré de latitude sud. La baie d'Antongil est la baie la plus au nord qui ait été explorée par nous jusqu'à ces derniers temps et cepen-dant, c'est de la baie d'Antongil, en remontant vers le cap d'Ambre, que l'acclimatement deviendrait facile, par la rareté et même par l'absence de la fièvre intermittente qui règne sur une grande partie des côtes de Madagascar. « Cette fièvre, d'après le rapport de tous les hommes de l'art n'est autre que celle qui a sévi si longtemps en France, à Rochefort, dans plusieurs départements du Centre et du Midi, qui est produite par la stagnation des eaux; et qui disparaît par le défrichement des bois et le dessèchement des marais. « Or, il suffit de parcourir le littoral de Madagascar pour se convaincre que les causes d'insalubrité accumulées sur la côte, depuis Sainte-Luce jusqu'à la baie d'Antongil, ont toutes disparu quand on a franchi cette baie en s'avançant •dans Nord. « Du Fort-Dauphin à la baie d'Antongil, les terres sont partout basses et marécageuses à peine si elles s'élèvent de quelques décimètr.es au-dessus du niveau de la mer. « Sur un sol uni et sans aucun accident, -les rivières semblent perdre tout leur embouchure est en outre obstruée par les sables que les vents mouvement généraux y accumulent sans cesse. Aussi, au lieu de se jeter'à la- mer, elles se répandent sur leurs rivages et forment cette série de lacs qui se prolongent parallèlement à la côte vaste amas d'eau où se décomposent, dans la saison de l'hivernage, toutes sortes de matières végétales et animales, et d'où s'échappent sans cesse des masses de vapeurs pestileptielles, que les vents sont impuissants à dissiper, parce qu'il soufflent alors du Nord-Est au Nord-Ouest et qu'ils sont interceptés par les forêts et les montagnes. A ces causes d'insalubrité il faut ajouter l'abondance des pluies, plus fréquentes sur-cettepartie des côtes que «
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partout ailleurs. A Tintingue, on compte, dans l'année, 220 à 240 jours de pluie. « L'aspect des lieux change complètement dès qu'on s'éloigne d'Antongil, en se dirigeant vers le cap d'Ambre. Le terrain s'élève et présente, dès le rivage, de hauts amphithéâtres battus par les brises du large. Les forêts ont disparu et les arbres disséminés n'apportent aucun obstacle à la libre circulation de l'air. La température n'est plus humide il y a autant de jours de sécheresse à Diego-Suarez que de jours de pluie à Tintingue et à Tamatave. « Toutes ces causes réunies rendent parfaitement compte des limites dans lesquelles est circonscrite la zone fiévreuse de Madagascar. Les récits des voyageurs sont du reste d'accord avec cette théorie. Nos commerçants qui ont fréquenté la partie nord de Madagascar raccordent à dire que le climat y est aussi sain qu'à Bourbon. « La corvette la Nièvre, qui a passé 44 jours dans le port qui porte son nom, et dont l'équipage a été continuellement employé à des travaux pénibles à terre et dans les embarcations, n'a eu qu'un seul exemple de fièvre intermittente. « Les rapports les plus dignes de foi ne permettent plus d'en douter. Les. rivages de Diego-Suarez sont, sur le littoral, la partie la plus saine de Madagascar, et si une entreprise partielle doit être substituée à un plan plus, général, nous pensons comme l'administration de Bourbon, que c'est à Diego-Suarez qu'il faut s'établir. «La bonnefortune dela France nous livre sans défense ce Gibraltar de l'Afrique et de l'Océan Indien. «Les Howasen ont chassé les Antakars, nos alliés, et ne s'y sont que faible-
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mentétablis. «Il n'y ont pas 300 hommes de garnison. « Diego-Suarez est une des plus fortes positions maritimes du monde. (Voir le rapport du commandant de la Nièvre qui a fait l'hydrographie de ce port en 1834.) « Son entrée est par 12°14'de latitude sud, facile et large de 1,200 mètres, elle peut être défendue par une seule batterie. Le vaste bassin intérieur se subdivise en cinq baies. Qelle qui s'avance le plus profondément dans les terres, le port de laNièvre, a près de quatre mille mètres de longueur sur une profondeur de sept à chacune de ces différentes baies pourrait recevoir une escadre douile brasses nombreuse. «Le village d'Antombouk domine la baie et marque l'emplacement où pourront s'élever nos fortifications, nos chantiers et nos établissements de marine. accréditée, l'eau y « Contrairement à une opinion erronée, et trop longtemps est abondante. Plusieurs sources jaillissent à peu de distance du rivage et une rivière, dite des Maks, coule à deux kilomètres à l'ouest d'Antombouk. « Les arbres qui s'élevent au fond de la baie seraient pendant longtemps suffisants pour nos approvisionnements. les ports, entrecoupées de bouquets de bois et de « Les terres qui avoisinent
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fertilité. Là croîtraient grande d'une sol sud, du côté du offrent, un pâturages, si nécessaire à blé le l'indigo, le riz, le coton, à la sucre, indistinctement canne l'approvisionnement de nos vaisseaux. la baie en s'avançant vers l'ouest, pourrait être forme isthme, Un que « défendu par un seul fort et servirait de premier rempart à la colonie naissante. la mer, nous serions, dès notre arrivée, inexpucommunication libre avec En « gnables derrière cet isthme fortifié. Il n'a pas huit kilomètres de largeur
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Madagascar. — La baie de Diego Suarez.
Aussitôt que l'adhésion des peuplades voisines serait bien assurée, nous franchirions la presqu'île, et nous nous étendrions vers le Sud. « Les indigènes deviendraient les premiers colons. Mais pour donner une véritable force et une grande impulsion à un établissement de cette nature, il faudrait l'appuyerd'une population attachée à la France par les liens du sang, et toute déyouée à ses intérêts. L'appel fait aux habitants de Bourbon serait certainement entendu. Notre île ne suffit plus à la population qui s'y presse. Unejeunesse active, intelligente, profiterait avec joie de l'issue qui lui serait ouverte. De chaque famille se détacheraient quelques rameaux vigoureux qui iraient prendre racine sur cette terre nouvelle, réservée à de brillantes destinées. « Pour les habitants de Bourbon, il y aurait à peine déplacement; une traversée «
de trois jours les porterait à Diégo-Suarez. Là ils trouveraient même climat, %--iême température, les mêmes aspects du ciel et de la terre; mais au lieu'd'un
espace resserré, des terres sans limites, et au lieu d'efforts stériles, un travail fécond en immenses résultats. En recevant une partie de la population de Bourbon, le nouvel établissement posséderait immédiatement des hommes accoutumés au soleil de la zone torride, exercés à toutes les cultures intertropicales, et auxquels la fabrication du sucre et toutes les cultures -coloniales sont familières; sur leurs .pas accourraient sans doute bon nombre de nos frères de Maurice. « Nos concitoyens de la Métropole, attirés à Bourbon par des espérances qui ne
peuvent se réaliser, dans un territoire aussi étroit que le nôtre, auraient ur, refuge tout préparé sur les rivages de Diégo-Suarez. Au lieu de s'en retourner désespérés, et après avoir épuisé leurs dernières ressources dans un voyage stérile, ils iraient tenter à Madagascar des chances bien autrement brillantes que celles qui leur auraient échappé. « L'excédent de notre population, en France, qu'attire faiblement l'Algérie avec ses guerres cruelles, sans cesse renaissantes, et son climat qui repousse les cultures intertropicales, affluerait sur une terre riche de tous les produits de la zone torride, et qui sera purifiée aussitôt que le gouvernement howa aura disparu. d'admirables ressources dans la fécondité « Lacolonie trouverait à son origine tamte spontanée du sol en différents lieux, la sonde a fourni d'excellente terre végétale jusqu'à quatre pieds de profondeur. Le manioc, les patates, le rh, le enaï-scroissent presque sans culture nous lisons dans un rapport fait au gouvernement de Bourbon., par un voyageur aussi modeste qu'instruit, M. Bernier, chirurgien de la marine et botaniste, que les bœufs errent librement et parmilliers dans les vastes paturages qui s'étendent au sud 4e Biégo-Susarêz;; les vallons qai avoisinentle capd'Ambre enswnt remplis; le poisson "abondeourles côtesetdaiis tes rivières; le gibier cowre les compagnes daas un pays Aussi favorisé., la IRZaltuJrre a ifcoat prodigué; il suffit de s'y rendre pour en ree®eiïîir les bienfaits «i^esateliersdesaferéonspourraientêtreimmédiaternentétablis l'île Bourbon, qui manque souvent de poisson salé, et ne peut en fournir aux esclaves, conformément aux prescriptions delaloi du 18 juillet 1845, qu'en faisant les plus grands sacrifices, en serait dès lors, et à bas prix, toujours approvisionnée. D'autres branches de commerce pourraient aussi, dès l'abord, être avanta« geusement cultivées. « Ainsi seraient facifement franchies les premières difficultés de la colonisation : bientôt, au sein d'une population devenue française, notre marine militaire pourrait, au besoin, recruter son personnel sur le théâtre même des événements, et s'y approvisionner 'des produits riches et abondants fourniraient' à une immense exportation et l'importation se développerait dans la même proportion. « Le prix élevé de notre fret qui préoccupe votre gouvernement, parce qu'il est un obstacle permanent à l'accroissement de notre marine marchande, s'abais- sera, dès que nous pourrons comme les Anglais et les Américains, construire et
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acmer les navires à bas prix, et avoir un emploi constant du capital dépensé pour l'armement. toutes les conditions de prospérité commerciale se trouvent à Madagascar. « Nous y aurons à bon marché les matières premières nécessaires à la construction et à l'armement des vaisseaux, et, avant un avenir-prochain, un vaste marché qui le disputera en importance à ceux dé FInde et de l'archipel d'Asie, et qui sollicitera constamment notre marine marchande à de nouveaux efforts'etaune plus grande activité. des Marquises, ni les îlots du canal Mozambique « Ce ne sont ni les rochers qui peuvent préparer ce nouvel avenir à notre navigation du commerce. Ce que Bordeaux, Nantes, le Havre, Marseille, toutes les villes maritimes de la France vous demandent avec nous, c'est l'occupation d'un vaste territoire, abondant en objets d'échange, pourvue d'excellents ports, et destiné à devenir grand producteur de sucre., de café, d'indigo, de coton, de riz, de matières à la fois précieuses et encombrantes. tout est facile aujourd'hui, demain les difficultés « Mais il faut se hâter surgiront de toutes parts; aujourd'hui redoutés de la reine Ranavalo, les Anglais restent étrangers aux affaires de Madagascar; demain ils peuvent être tout puissants à la cour d'Emirne. L'héritier présomptif du trône, à peine âgé de 17 ans, peut être facilement circonvenu et entraîné dans des voies toutes -contraires à la politique française Si Madagascar venait à tomber sous le protectorat de l'Angleterre, comme nous en sommes menacés, notre influence y serait bientôt détruite, et la dernière chance d'avenir de notre commerce maritime dans les mers de l'Inde aurait péri sans retour « Pour prévenir un malheur aussi irréparable, le Conseil colonial de l'île Bourbon excité par son dévouement pour vous et pour la France, n'hésite pas à signaler une seconde fois à votre. attention une île qui nous appartient depuis plus de deux cents ans, que nous avons trop oubliée, que nous n'avons jamais abordée qu'avec des expéditions mal préparées, mal dirigées, mal exécutées. -C'est là, cependant, que la nature tient en réserve ses plu-sprécieusesfressources pour un grand établissement commercial et maritime
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Malgré le ton pressant de cette adresse appuyee, vivement par l'amiral de Hill,gouverneur de l'île de la Réunion, le gouvernement de* Louis-Philippe fit la sourde oreille, et M. Guizot (alors ministre), opposé à toute entreprise de ce genre, en a donné les raisons dans ses mémoires. « Nous avions bien assez, dit-il, d'une Algérie à conquérir et à coloniser. Le roi, le cabinet et les chambres étaient pleinement de mon avis. « Nous écartâmes donc les projets de conquête de Madagascar, et nous les -
aurions écartés, quand même l'Angleterre ne s'en serait pas montrée inquiète et jalouse. » Cette dernière phrase pourrait laisser croire qu'on a craint de mécontenter le gouvernement anglais, qui a toujours considéré toute extension coloniale de la France comme contraire à ses intérêts ; il n'en fut rien, pourtant. La vérité est que l'Algérie, où tout était encore à faire, coûtait très cher en hommes et en argent, et que les chambres mesuraient les ressources budgétaires avec trop de parcimonie, pour que le gouvernement qui, d'ailleurs, était sur ses fins, pût entreprendre la moindre opération lointaine. Et ce fut fâcheux, car ce que l'on pouvait faire si facilement, alors que les Anglais n'étaient rien à Madagascar, d'où les Howas les avaient même chassés, il a fallu le faire dans ces dernières années, alors que les Anglais avaient toute influence sur la reine et son entourage. C'est par ses missionnaires que l'Angleterre est arrivée,.peu à peu, à s'emparer des esprits de ce qui pourrait être là-bas la classe dirigeante, et sans la résistance des nôtres il y a longtemps déjà que la France neserait plus du tout à Ils - ont lutté, ils luttent, et si quelques journaux ont eule. courage de leur reprocher de n'avoir pas su réussir, c'estqu'ils ne s'étaient pas renducompte de la situation tout à fait désavantageuse dans laquelle ils sont placéspour lutter. Les prédicants anglais sont des agents occultes dugouvernement, les subventionne largement, et qui mieux encore les couvre de son autorité morale, et les fait appuyer par ses consuls. Notre politique anti-cléricale, — bien que ses inventeurs ne voulaient l'appliquer qu'à l'intérieur, et ont toujours dit que ce n'est point un article d'exportation, ne permet point cela, au contraire, et les missionnaires français en sont arrivés à s'estimer bien heureux de n'être point persécutés, — encore ceux de la Réunion ont-ils été chassés, lors de l'exécution des décrets. La seule immunité dont aient jamais joui les missionnaires et.les sœurs de charité allant porter, au delà des mers, la civilisation et l'influence françaises,était le transport gratuit sur les navires de l'État et sur les paquebots-postes subventionnés par Mais cette immunité, que tous les pays civilisés accordent aux apôtres de la foi (les Anglais donnent même le passage gratuit aux missionnaires catholiques français qui se rendent dansleurs possessions), on la leur a retirée, malgré l'opinion dix fois émise par les gouvernants d'alors et d'aujourd'hui, « que l'intérêt de la politique française faisait un devoir au gouvernement de protéger, à l'étranger, les ordres religieux qu'il persécute à l'intérieur. » Ces paroles sont, sinon à la lettre, du moins -quant à l'esprit, de M. de Freycinet. Veut-on savoir ce que pense des missionnaires l'amiral Aube, aujourd'hui ministre de la marine, qu'on lise les lignes suivantes qu'il écrivait en 1881 :
:
Madagascar.
qui
-
l'État.
LA GUERRE
ILLUSTRÉE
Madagascar. — La reine. Kauavalo lre.
De tels hommes, dit-il dans son livre, Entre deux campagnes, de tels hommes ne sont pas seulement l'honneur de la religion à laquelle ils ont donné leur vie; ils sont l'honneur de l'humanité tout entière; leurs vertus sont de plus de poids dans la balance où se pèsent les destinées de notre race que toutes les corruptions que le monde, le wide-world, étale aux yeux du voyageur. « Et maintenant, si de ces hauteurs nous descendons aux intérêts secondaires de cette étude, il nous sera facile d'expliquer pourquoi l'exposé de la situation des missions catholiques y tient une si large place. C'est que ces missions sont essentiellement françaises; c'est que pour ses missionnaires comme pour les populations qu'ils dirigent, la France est toujours le représentant avoué du catholicisme, la plus puissante et la plus complète expression de son génie, et que, si nous savons bien que ce sont là des illusions, dont notre esprit critique a fait depuis longtemps justice, ces illusions si touchantes, d'ailleurs, dans ces exilés volontaires, sont des réalités, des forces vives, toujours actives, qui expliquent comment la France joue encore un si grand rôle dans ces lointaines régions, et comment son influence y balance celles de toutes les autres nations maritimes. » -
«
Cette citation, dont les dernières lignes sont surtout remarquables, n'est point un hors-d'œuvre dans ce livre, où nous aurions préféré de beaucoup n'avoir point à effleurer ces matières religieuses, qui sont celles qui nous divisent le plus. Mais c'est la question même de Madagascar! C'est parce qu'on a entravé, neutralisé presque l'action de nos missionnaires, que nous avons été contraints d'y porter la guerre. On va le voir très clairement dans les chapitres suivants.
>
L'ENNEMI
D'abord, quels sont nos ennemis à Madagascar? Officiellement, ouvertement, les Howas qui ont insulté notre pavillon et émis la prétention d'étendre leur domination sur les territoires appartenant à nos alliés et à'nous-mêmes. Mais, en réalité, les Anglais, qui, sourdement, mais par tous les moyens possibles, ont poussé les Howas dans la voie funeste où ils se sont engagés. Les Howas, nous l'avons dit déjà, sont des étrangers qui n'apparurent en forces. à Madagascar qu'au commencement de ce siècle. L'histoire de cette peuplade nouvelle ne manque ni d'intérêt ni d'enseignement, nous la demanderons au docteur Désiré Charnay :
'-.
Vaguement désignés par Flacourt, sous le nom de Yohits-Angombes., les Howas ne sont connus des explorateurs que dans le commencement du XVIIIe siècle, Drury les cite dans son ouvrage et les appelle Amboualambou 1. C'était une épithète de mépris que leur avaient donné les indigènes de la côte. des Howas est inconnue, l'époque où ils apparurent à Madagascar « L'origine indéterminée, et, tout en se disant de race étrangère, ils ignorent eux-mêmes quelle est cette race, sans expliquer davantage leur arrivée sur les côtes de l'île. de commun avec les différentes familles Malgaches, ni « Ils n'ont rien comme couleur ni comme forme leurs cheveux longs, grossiers et lisses, leur couleur jaune, leurs yeux obliques, rappellent le type de la race chinoise, mais plus encore celui de la Malaisie. On suppose donc qu'à une époque reculée, quelques-uns des corsaires malais quipullullent dans les mers de l'Inde, auraient été jetés sur les côtes de Madagascar; et que, réduits d'abord à un petit nombre d'individus, ils se seraient groupés sur un point de la côte, pour être refoulés, plus tard, dans le milieu de l'île. malgache fait du Howa un proscrit, un paria, un être impur que « La tradition chacun est tenu d'éviter; et si l'indigène lui concède un asile, il se hâte au départ de l'hôte maudit, de livrer aux flammes la cabane souillée qui lui prêta son abri. caractère du Howa; il devint « On comprendra qu'un tel passé dut peser sur le timide, cauteleux, dissimulé, perfide, féroce et les levains de haine qu'il conservait contre ses persécuteurs, il dut, d'âge en âge, les transmettre à chacun des siens. « Cependant, la persécution réunissant en faisceaux les membres épars de la tribu, en fit une nation compacte. « Moins doué comme intelligence que toutes les races dela côte, il ne manquait au Howa qu'un chef pour sortir de l'abjection, atteindre l'indépendance et marcher à la conquête. « Ce chef lui fut donné, et lorsque Andrian Ampouine2 apparut, il trouva le peuple prêt à subir le joug d'une autorité nationale; son premier pas fut un succès, son premier allié l'Angleterre, et son ennemi de toutes les heures, après le Malgache asservi, la France. D'un côté, faiblesse, « Le sort des peuples de la côte n'était pas douteux. «
;
1.
:
En langue sakalave, cela veut dire
chien et cochon.
Ida Pfeiffer, la célèbre voyageuse, à qui nous demanderons aussi des détails sur le pays et ses habitants, appelle le premier roi des Howas, Dinampoïene. — Elle a écrit ce nom, évidemment comme elle l'a entendu prononcer; ce qui est le cas, d'ailleurs, de tous les explorateurs, de sorte que dans les citations que nous ferons souvent, pour donner plus d'intérêt et surtout plus d'authenticité à notre récit, nous serons exposés à rencontrer pour le même nom des orthographes différentes. 2. Mme
dispersion, nature douce et efféminée, de l'autre, agrégation, discipline, esprit de vengeance. « Le Malgache devait succomber. « Le chefhowa ne laissera donc échapper aucune occasion de guerre, il la fera naître au besoin. Quelques aventuriers réfugiés chez Ravahini, reine du Bœni, faisaient des incursions sur le territoire d'Ankove; il réclame leur extradition que la reine refuse tout d'abord, pour l'accorder ensuite devant l'attitude menaçante de son ennemi. Ce premier succès l'encourage, il court dans le Menabè, dont il incendie les villages, va piller les Betsiléos et revient triompher à Tananarive. « Sûr alors de son courage, confiant dans sa fortune et dans la fidélité des siens, il s'élaace du haut de ses montagnes sur la vallée d'Ankay, qu'il soumet et qu'il adjoint à son territoire. « Il meurt, laissant à son fils Radama, le soin de continuer son œuvre. Celui-ci, plus ambitieux encore, plus grand politique, guidé du reste, et patronné par la haine jalouse de l'Angleterre, se trouvait en 1815, le chef de toute la partie centrale de l'île. Radama confie à ses nouveaux alliés, qui l'acceptent avec joie, l'éducation de ses deux frères, il leur demande, et ils s'empressent de lui accorder, des missionnaires pour civiliser son peuple, et des officiers pour discipliner ses troupes; rien ne coûte à l'Angleterre, pour nous dérober cette contrée, qui est nôtre incontestablement, et nôtre à tous les titres, par les prises de possession, par les millions dépensés, comme par le sang répandu. Howas, les navires anglais « Ce n'est pas tout, l'étendard anglais protège les transportent les troupes de Radama, et souvent les conquêtes de l'envahisseur ne s'achèvent que sous la protection des canons anglais. Aussi rien ne résiste; en 1821, Radama repousse les Sakalaves et soumet le Menabé; en 1824, il envahit Bombetok, en chasse Adrian-Souli, le souverain légitime, et fait de Majunga sa capitale de l'Ouest. « Il éteint toute révolte dans le sang, il brûle s'il ne peut soumettre. » Son engouement pour les Anglais, qui le poussait jusqu'à porter quelquefois un uniforme anglais, tomba presque aussi vite qu'il était venu, mais d'ailleurs par leur faute, et il ne dénonça le traité qu'ils lui avaient arraché, que parce qu'ils le prirent de trop haut avec lui. Écoutons l'histoire de cette brouille, racontée par Mlle Ida Pfeiffer. Radama, dit-elle, observa fidèlement le traité jusqu'au moment où le général anglais Hall arriva au gouvernement de Maurice. Ce fonctionnaire, croyant, sans doute, que les sauvages n'étaient pas des hommes, ne rougit pas de déclarer publiquement qu'un contrat conclu avec un sauvage, n'avait pas la moindre valeur, et il ne se fit pas faute de l'enfreindre de toutes les manières. mit à favoa Il s'ensuivit naturellement que Radama rétablit la traite, et se «
riser les Français aux dépens des Anglais, qui longtemps tentèrent en vain de regagner leur influence. Ils s'étaient rendus si odieux non seulement à Radama, mais aussi au peuple, qu'on avait fini par appeler « Anglais », tout ce qui était faux ou mensonger. ils réussirent plus tard à renouveler le traité et à obtenir même « Néanmoins, d'autres concessions. Ainsi en 1825, Radama accorda aux missionnaires anglais le droit de s'établir dans l'île, de construire des maisons, de faire le commerce, de cultiver la terre et de fonder des entreprises industrielles. les plans ambitieux de son père, Radama était parvenu « En poursuivant à étendre sa domination sur la plus grande partie de l'île, et à devenir roi de Madagascar. Il réunissait sous son sceptre, outre le pays des Howas, celui des Sakalaves avec leur capitale Bombetok, sur la côte occidentale Mazangaye (Majunga), et sur la côte nord, le pays des Antakares et des Betimsaras. La côte sud-ouest seule et quelques cantons du sud-est avaient conservé leur indé-
pendance. missionnaires jouirent auprès de ce roi, ils la dûrent « L'influence dont les en grande partie aux louanges et aux flatteries dont ils le comblèrent. Ils lui décernèrent de son vivant le titre de « Grand », que l'histoire lui conservera peut-être en songeant à tout ce qu'il a fait pendant la courte durée de son règne. grande partie de l'île, l'abolition de la peine de mort pour « La conquête d'une beaucoup de crimes, la défense de faire la traite avec l'étranger, la création d'une armée bien disciplinée, l'introduction de beaucoup de métiers européens, tout cela fut son œuvre. instituées les premières écoles publiques, , « C'est sous son règne que furent et que l'on adopta les caractères latins pour la langue du pays. matérielle et intellectuelle de son « Toujours préoccupé de l'amélioration empire, il n'y eut qu'une chose dont il ne voulut pas entendre parler, c'est de l'établissement de bonnes routes. Il croyait, comme la plupart des chefs de peuples à demi sauvages, que les mauvaises routes étaient les meilleurs remparts contre les Eu-ropéens. « Il mourut le 27 juillet 1828, à trente-six ans, des suites de débauches comme Alexandre, disent les uns, et de poison, affirment les autres. Sa mort mit non seulement fin à l'influence des Anglais, mais aussi à celle de tout autre peuple européen. Sa première femme, Ranavalo, lui succéda sur le trône, et ajouta à son nom le titre royal de Manjaka. « Cette femme cruelle et sanguinaire, commença son règne en faisant exécuter sept des plus proches parents du feu roi; suivant les rapports du missionnaire anglais, le révérend Guillaume Ellis, on ne tua pas seulement tout ce qui appartenait à la famille de Radama, mais aussi les nobles placés près du trône, et que Ranavalo craignait d'y voir élever des prétentions. « Elle rompit sur-le-champ le traité conclu par Radama avec les Anglais. Sa haine contre ce dernier peuple était si grande, qu'elle s'étendait à tout ce qui
venait d'Angleterre, et jusqu'aux animaux importés de ce pays (et notamment les porcs). « Tous les hommes d'origine vraiment anglaise, furent tués ou du moins bannis de ses États. Les Français né trouvèrent pas non plus grâce à ses yeux, elle ne voulait pas du tout entendre parler de civilisation, et elle s'efforça d'en étouffer les germes. « Elle chassa les missionnaires, défendit la propagation du christianisme, et mit entrave à tous les rapports avec les Européens. » Agir ainsi dans son royaume, était son droit indiscutable, même au nom de la civilisation, dont on a d'ailleurs un peu abusé; mais chez les Malgaches indépendants et repoussant le joug desHowas de toute leur puissance, chez les Sakalaves nos alliés, et même dans nos établissements particuliers, c'était aller trop loin, et l'on fut obligé d'organiser, en 1829, l'expédition qu'il aurait fallu faire dès 1825, alors qu'excité par les Anglais, Radama, à la tète de trois ou quatre mille Howas, était venu arracher notre drapeau qui flottait sur le fort Dauphin, et avait massacré les cinq soldats et l'officier français qui occupaient ce poste. Mieux vaut tard que jamais, dit le proverbe, mais les proverbes n'ont aucune valeur en politique, surtout celui-là, et l'on ne fut pas longtemps à s'en apercevoir. Si encore, il se fût agi d'une expédition sérieuse, capable d'en finir d'un coup avec la turbulence et l'esprit de conquête des Howas, le mal eût pu être réparé, mais M. Hyde de Neuville, alors ministre de la marine, n'envoya selon le système si funeste des petits paquets, dont on n'arrive pas à se corriger en France, qu'une poignée d'hommes pour venger l'injure faite à notre drapeau. Le capitaine de vaisseau Gourbeyre, chargé du commandement de cette expédition minuscule, n'eut à sa disposition que quelques navires. La frégate la Terpsychore, la gabarre l'infatigable et le transport le Madagascar, qui se rassemblèrent à Bourbon pour en partir le 15 juin, et les corvettes, la Nièvre et la Chevrette qui rejoignirent quatre jours après, devant Sainte-Marie de Madagascar. C'était tout au plus six cents hommes de débarquement, non point armés comme aujourd'hui avec des fusils à répétition et des canons perfectionnés, mais braves, disciplinés et redoutables, comme aujourd'hui et comme toujours. La flottille parut devant Tamatave le 9 juillet, mais son approche était déjà signalée à la reine Ranavalo qui, tout en sepréparant à la résistance,fîtpiller les propriétés et usines des quelques français établis sur la côte, qui ne sauvèrent leur vie qu'en fuyant. Après un bombardement préalable qui dura deux heures et fit sauter le fort de Tamatave, nos marins débarquent et n'ont pas même besoin de tirer un coup de fusil pour s'emparer de la place, où ils trouvèrent 23 canons et quelques centaines de fusils que l'ennemi avait abandonnés.
•
succès trop facile fut cause d'un échec assez- grave, quelques jours après, à Foulepointe, où deuxcompagnies, envoyées en reconnaissance, neprircnt aucune des précautions usitées en pareil cas en pays ennemi. Après une canonnade très insuffisante, mais à laquelle la place ne répondit point, nos marins croyant, à cause de cela, quelle était abandonnée par ses défenseurs, débarquèrent tranquillement l'arme à la bretelle et se répandirent dans les rues, avant même de s'être formés en colonnes. Les Howas, qui s'étaient cachés derrière les maisons, profitèrent de cette faute et firent en grande masse une brusque sortie qui surprit les Français disséminés et les obligea à regagner leus embarcations d'une façon assez désordonnée. Le capitaine Gourbeyre, pressé de réparer cet échec qui avait eu lieu en son absence, mais dont il n'était pas moins responsable, rassemble ses forces, et les conduit à la pointe à Larrée, où les Howas se défendirent vaillamment, mais où ils furent complètement défaits et mis en déroute. Battus encore successivement à Ambatoumanouï et à Foulepointe, les soldats de Ranavalo se retirèrent et, dès le 2 août, nous étions maîtres de toute la côte depuis Tamatave jusqu'à Tintingue, qui est en face de l'île Sainte-Marie, mais qu'il fallut néanmoins bombarder. Effrayée de nos rapides succès, la reine des Howas demanda à capituler, ce à quoi souscrivit d'autant mieux le commandant Gourbeyre qu'obligé de laisser des garnisons partout où il allait, il n'avait plus de troupes de combat. On perdit du temps à conclure un traité dont Ranavalo chercha d'ailleurs immédiatement éluder les conditions, si bien qu'il fallut songer à préparer une nouvelle expédition. Mais la révolution de juillet arriva une nouvelle politique fut suivie, qui non seulement n'envoya pas de renforts à Madagascar, mais décréta l'évacuation des points occupés, où nos marins non ravitaillés commençaient d'ailleurs à souffrir de la famine. Tintingue, Tamatave et les autres points où flottait notre drapeau furent abandonnés du 20 juin au 3 juillet 1831, mais tout en évacuant, le gouvernement avait fait réserve de tous nos droits. Pendant tout le règne de Ranavalo, le rôle de la France resta des plus effacés à Madagascar, et se borna à des négociations douteuses, à des protestations et à quelques tentatives de vigueur qui, si elles avaient été mieux soutenues, eussent affranchi facilement les populations de la côte orientale, de la domination howa qu'elle abhorrait. Et, alors que les Anglais trouvent moyen de rentrer dans Madagascar par leurs missionnaires suivis bientôt de quelques traitants, nous perdons Tamatave, nous perdons Tintingue, nous perdons Foulepointe, et malgré la donation du Bouëni que nous fit régulièrement sa reine, malgré la donation faite à nous par Tsimiou. du pays des Antankars dont il était roi, malgré nos droits séculaires Ce
à
;
la côte est,
nous abandonnons toutes ces riches provinces, comme des héritages quine présentaientpasdebénéfices d'inventaire et nous nous bornons, pour ne pas déserter tout-à-fait le pays, à la stérile occupation de Sainte-Marie, de Nossi-Bé et de Mayotte. Mais il faut suivre cela en détail c'est le seul moyen de donner à la question toute la clarté qu'elle mérite et dont elle a vraiment besoin, car elle est très peu et surtout très mal connue. Avant d'étudier notre situation à Madagascar, sous les règnes de Ranavalo et de ses successeurs, il nous faut cependant dire un mot des possessions que nous n'avons jamais abandonnées et qui par leur situation ont été naturellement la base de nos dernières opérations; c'est-à-dire Sainte-Marie et Nossi-Bé. sur
;
SAINTE-MARIE DE MADAGASCAR
L'île Sainte-Marie, qui longe la côte est de Madagascar, dont elle est séparée par un canal qui a de 5 à 12 kilomètres de largeur, ne porte ce nom que depuis que les Français le luiont donné. Les Arabes, qui vraisemblablement la visitèrent les premiers, l'appellent Nossi-Brahim (île d'Abraham), mais le Malgaches la nommaient Nossi-Bouraha en raison d'une légende que le docteur Charnay raconte ainsi
:
BoLvaha était un grand pêcheurdebaleines dans une contrée éloignée. Entraîné par son ardeur, il perdit un jour la terre de vue, et ne pouvant retrouver sa route, il erra longtemps au gré des vents et des flots sans savoir dans quels parages se trouvait. Après plusieursjours de cette course aventureuse, il arriva, suivide ses compagnons, dans une île inconnue, habitée seulement par des femmes. Ces nouvelles amazones, moins farouches que leurs compagnes des rives du « Thermodon, s'empressèrent auprès des nouveaux arrivés et, pour se les attacher à jamais et les mettre dans l'impossibilité de fuir, brisèrent leurs pirogues. ,. « Le climat étant malsain tous les marins périrent, Bouraha put seuléchapper à ce misérable sort. Voici comment « Un jour qu'il erraittriste, dans les solitudes de l'île, il fit la rencontre d'un énorme poisson qui lui demanda la raison de sa tristesse. Bouraha lui conta sa mésaventure, et lui témoigna sa douleur de ne pouvoir s'échapper. « Montez, répliqua le poisson, montez sur mon dos et si vous me promettez de me fournir «
il
:
abondamment de coquillages, je vous déposerai sur la première terre que nous rencontrerons.» fut ainsi que Bouraha atteignit l'ile à Inquelle il donna son nom. » « Ce
Tsiou-Mahoun, reine Sakalave de Nossi-Bé.
Cette légende prouve du moins que les Malgaches ne sont pas des sauvages. puisqu'il ont une littérature déjà fort ancienne et dont les monuments, qui ne se perpétuaient jadis que par la tradition, se multiplient aujourd'hui par l'imprimerie, que nos missionnaires ont portée dans leur pays, il y a déjà plus de trente ans. Sainte-Marie est notre plus ancienne possession à Madagascar nous la tenions de Tamsimalo, chef betsimirarack, qui régnait à Foulepointe, et sa fille Béti qui lui succéda, renouvela cette cession en 1750, par un acte des plus au-
;
thentiques, signé par elle et par trente-cinq des notables du pays, tous chefs de province ou membres de la famille royale. En voici d'ailleurs l'article principal, rédigé comme si un notaire y avait passé. « La reine Beti veut que l'île Sainte-Marie cesse de faire partie des États dont elle a hérité de ses pères et qu'elle doit laisser à ses successeurs, afin qu'elle soit et demeure à toujours appartenant, avec son port et l'îlot qui le ferme, à Sa Majesté Louis XV, roi de France et de Navarre, et à ses successeurs pour servir au commerce de la Compagnie des Indes, cédant, abandonnant, livrant et transportant tous ses droits sur ladite île et ses dépendances, audit seigneur roi de France et à ladite Compagnie des Indes, pour en être pris par eux, dès ce moment, possession et pleine jouissance et y rester perpétuité comme maîtres pleins, puissants et souverains seigneurs d'icelles. « Promettant et s'engageant, elle Beti, reine, sa famille, les grands de son royaume, les chefs et commandants de ses villages, à soutenir, protéger, maintenir, défendre contre tout trouble et empêchement de la part des naturels d) Madagascar ou autres nations qui voudraient interrompre leur établissement ou s'y opposer, les sujets de S. M. le roi de France et les employés dela compagnie des Indes. »
à
Malgré cet acte qui établit tous nos droits, l'occupation de Sainte-Marie n'est devenue continue que depuis 1829, époque à laquelle eut lieu l'expédition du commandant Gourbeyre; avant, elle avait subi des intermittences presque toujours marquées par des catastrophes, mais cependant, bien qu'aucune des nombreuses tentatives de-colonisation et de culture qu'on y a faites n'ait pu y réussir par suite de la nature du sol, la France y fut presque toujours représentée. L'île, qui compte 48 kilomètres de longueur sur une largeur variant entre deux et cinq, n'a de valeur par nous qu'au point de vue stratégique. On ne peut pas dire pourtant qu'elle soit stérile; de loin elle a même assez mais vue de près elle perd bon air avec ses collines aux croupes verdoyantes dans l'estime du voyageur, car cette végétation n'est que décorative.
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Dans l'intérieur ditM. Th. Page, le terrain est très inégal, coupé de vallons abrupts, de collines à arêtes tranchantes, à faces presques droites, où sont tracés d'étroits sentiers, à peine praticables pour un mulet. fouillis presque impénétrable de ravinalos, de lianes, « D'épaisses herbes, un de fougères, tapissent les croupes des coteaux, le fond des vallons est marécageux le riz y croit en abondance. Ce n'est pas une terre, à proprement parler, féconde, mais les scènes de la nature et l'aspect de la population y frappent l'Européen par leur caractère étrange et nouveau. ravinalo, arbre des voyageurs,déploie de tous côtésses feuilles en éven« Le tail, tantôt isolé, tantôt par buissons et par masses. entend guère résonner que les deux notes du « Les bois sont silencieux; on n'y «
tolou, oiseau qui, pour la taille, la voix et le plumage, ressemble fort au coucou. Çà et là, on rencontre un tangliin dont le jus vénéneux joue un rôle si important dans la justice sommaire de Madagascar. Les indigènes ne passent jamais sous son ombre sans ressentir un respect mystérieux. 11 y a aussi un palmier à crins, au tronc élégant et aussi élancé que celui du palmiste, un arbre à résine, et enfin la liane à caoutchouc, d'où jaillit à l'incision un suc laiteux, blanc et abondant.
»
De tous ces arbres, c'est le ravinalo qui est le plus estimé du Malgache, auquel il est aussi utile que le bambou à l'Annamite. Tout en est bon, tout en est employé. Les immenses feuilles dépouillées de leurs côtes servent de nappes pour étaler le riz, les morceaux fournissent des cuillers pour manger, des coupes pour boire et même des écopes pour vider les pirogues. Fendues en deux, ces mêmes feuilles forment la toiture des maisons qu'elles abritent admirablement; les côtes, reliées entre elles, constituent les parois des cases, et le tronc de l'arbre fournit les poteaux qui soutiennent le frêle édifice. Étudions maintenant, d'après le docteur Charnay, ces maisons et leurs habitants, qui faisant partie des Malgaches purs (tribu des Betsimiraraks), différent complètement, par le type et par les mœurs, des Howas dont ils n'ont point adopté la manie du costume européen.
Placées souvent au milieu d'une cour plantée d'arbres, ces demeures disparaissent à demi sous les ombrages parfumés des orangers et des pamplemousses; l'intérieur se divise, d'habitude, en deux compartiments, et chacun d'eux, la salle commune aussi bien que le gynécée (nous parlons des maisons des chefs), est tendue de rabanes formant tapisserie, tandis que le plancher disparaît sous des nattes de jonc d'une extrême propreté. quelques ottomanes fort basses, bourrées de « Comme meubles, on y trouve feuilles sèches; leplus souvent, on s'asseoit par terre. Dans un coin s'élève un lit tendu de nattes; à l'autre bout, le foyer, espèce de grosse charpente d'une forme carrée, noircie par la fumée, et sur laquelle se déposent ou s'accrochent les simples ustensiles d'une cuisinetoute primitive. «Tout auprès se dressent les bambous, réservoirs de la maison. Ces bambous ont un diamètre de douze à quinze centimètres, leur hauteur est dedeux mètres ils remplacent, pour le Malgache, l'urne en terre dont ce peuple indoenviron lent connaît l'usage, mais qu'il ne veut pas se donner la peine de fabriquer. « Contre les murailles de la case s'empilent les sacs de riz/provision de la famille, et diverses pièces d'étoffes en rabanes, fruit de l'industrie des femmes; puis les lambas de soie et les pièces de cotonnade aux couleurs éclatantes, vêtements des grands jours. Le métier à tisser, garni de ratia, se trouve sous un auvent fort bas auprès dela demeure principale. « Une multitude d'enfants demi-nus jouent alentour, et lorsqu'arrive l'heure «
;
du repas, tous se précipitent dans la case. Là, filles et garçons, jeunes et vieux, esclaves et hommes libres se groupent en cercle autour de la pyramide de riz d'un blanc de neige elle s'élève sur d'immenses feuilles d'un vert resplendissant, et chacun, armé de la cuiller classique, l'attaque avec ardeur en quelques minutes tout a disparu dans les estomacs dévorants, puis chacun retourne à ses occupations, les enfants à leurs jeux, l'homme à la pêche, l'esclave à la culture, la femme à son métier. Le village alors semble presque désert bien des cases
;
;
;
Madagascar. — Nossi-Bé.
sont abandonnées, et.souvent un bâton piqué dans le sol, devant la porte entr'ouverte, avertit le passant de l'absence du maître. Cet innocent emblème, symbole de-la bonne foi des gens, suffit à la défense de la propriété; nul ne bravera son autorité débonnaire, et la pauvre maison devient inviolable sous la sauvegarde de ce bâton tutélaire. danses et des exercices violents; ici, de « Vienne le soir, c'est l'heure des jeunes hommes luttent et se renversent aux applaudissements de la foule; plus loin, la sauvage harmonie des bambous précipite la danse tantôt, c'est un guerrier qui, la sagaie à la main, et le bras couvert d'un bouclier de bois, simule la défaite d'un ennemi. Il lance et ramène son arme; il pare, frappe, recule, avance, fuit et revient; ses traits, décomposés par l'ardeur de la pantomime, n'expriment plus qu'une férocité bestiale; le claquement des mains, les hurlements de la foule ac-
;
ses bonds et ses contorsions;
et lorsque, l'ennemi terrassé, l'acteur se précipite, déchirant le sol de la pointe acérée de son arme, il semble, en effet, que la sagaie fouille le cœur sanglant d'un vaincu; quelquefois, entraînés par l'exemple, d'autres guerriers s'élancent dans l'arène; c'est alors une mêlée sans nom, une rage, descris, un spectacle effroyable et, sous la fauve lueur des torches de résine, on dirait une assemblée de démons se ruant à quelque curée humaine. compagnent
Madagascar. — Établissements de Sainte-Marie. «
De ce
côté, nous assisterons à des entretiens plus doux, le dzédzé mono-
tone (instrument monocorde) accompagne les évolutions pacifiques de la danse des oiseaux, ou les gracieuses figures de La danse du riz; d'autres fois, lavaba en main (guitare de bambous), un Malgache redira quelque chant sacré, quelque fabuleuse légende, mais le plus souvent des chansons un peu légères. » Il manque quelque chose à ce tableau de mœurs intimes, le revers de cette médaille, mais nous allons le trouver dans le livre de M. Th. Page, Une station dans l'océan Indien. 1
«Hommes et femmes ont beaucoup de douceur, dit-il; leur simplicité charme,
leur gaîté enchante, ils obéissent avec une docilité admirable. Malheureusement, sous l'influence des liqueurs fortes, tout cela change; il faut les avoir vus en présence de l'arack, pour comprendre l'affreuse action que Veau de feu a sur les peuples sauvages.
Dès que ces pauvres créatures ont avalé quelques gouttes de la boisson ardente, elles sont embrasées du plus violent désir d'en boire encore: on dirait «
qu'elles veulent s'y plonger; nulle éducation ne leur ayant appris à réfréner leurs ardeurs, elles s'y livrent sans réserve avec une impétuosité, avec une violence qui surprennent; rien ne les arrête, rien ne leur coûte pour les satisfaire. « Ce n'est presque pas abuser de la comparaison que de dire qu'un tigre alléché par le sang chaud n'est pas entraîné par un instinct plus féroce, plus irrésistible que celui qui anime ces gens dès qu'ils ont goûté à l'arack. Les suites les plus graves de l'ivresse, loin de les effrayer, de les arrêter, les animent, les excitent; ils sont à la fois heureux etfiers de se les procurer. « C'est ainsi qu'un jour, dans une réunion de fête, un jeune homme ayant bu sous nos yeux, coup sur coup, quelques verres d'arack, tomba comme frappé de la foudre et roula dans la poussière. On le ramassa. Au premier état d'insensibilité succéda une crise nerveuse qui ressemblait à une attaque d'épilepsie et était épouvantable à voir. Le père le prit dans ses bras, calmant ses membres crispés, et tous disaient « Est-il heureux! » Et les femmes, qui l'enviaient, de crier, de supplier « Donnez, donnez de l'arack » elles dédai« Dès que la brûlante liqueurcoule, elles ne se connaissent plus gnent l'or et les bijoux elles ne tiennent plus compte d'aucune espèce de sentiments, elles jetteraient leurs enfants pour s'en procurer. « C'est dans une fête du pays, dans une ralouba, où quelque particulier fait largesse d'arack, qu'il faut les voir! A l'annonce de la ralouba, elles accourent en foule elles se forment en rond, accroupies sur le sable, et commencent à frapper des mains et à chanter sur un ton bas et monotone. D'abord, leur attitude est modeste, leur chant mesuré, leurs battements de mains sont doux; elles se balancent mollement sur les hanches. le ton s'élève « L'arack circule, elles s'échauffent, la mesure s'accélère, quelques-unes se détachent et exécutent une danse du pays, qui consiste principalement en poses, en mouvements expressifs du corps. le groupe sombre semble agité de secousses « On verse de nouveau l'arack électriques les mains frappent plus fort, à coups plus précipités, les voix éclatent par intervalles toutes ces têtes, hérissées de tire-bouchons laineux, se secouent vivement; le blanc de leurs yeux étincelle comme des flocons de neige * sur une masse de cyprès. «L'arack coule encore; tout le cercle s'émeut et crépite, comme un vaste bol de punch. Versez toujours! Chants et battements de mains montent par explosions puis soudain toutes les femmes bondissent d'un élan spontané, tourbillonnent en chantant, se précipitent en colonnes serrées, coude à coude, front à front, vont, reviennent, comme le flux et le reflux des vagues. mêlée à la forte senteur « L'odeur de l'arack s'exhale de toutes les poitrines, les cris, les battements de du Malgache. L'airs'emplit d'exhalaisons enivrantes
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mains, les trépignements redoublent, l'ivresse et la joie sont au comble, les chants deviennent frénétiques. Malheur à l'homme assez mal avisé pour se mêler à ce groupe en fureur! Vrai frelon au milieu d'une ruche d'abeilles, il s'exposerait au sort d'Orphée tombé aux mains des Bacchantes d'usage ne marque la fin de la fête; tant que « Aucune limite naturelle ou l'arack dure, le soleil se lève et se couche sur ces éclats de joie furibonde. elle se retrempe dans une tombe d'épuisement « Parfois quelque danseuse léthargie passagère. Au moment où ses yeux se rouvrent, un verre d'arack la remet sur ses pieds et lui rend la voix. barrique d'arack est desséchée, les chants s'éteignent, les* « Enfin, quand la membres s'affaissent, un sommeil profond couvre le champ de fête devenu silencieux et morne et tout jonché de corps immobiles. »
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Naturellement peu enclins au travail, parce qu'ils n'ont presque pas de besoins,les Malgaches sont avides de plaisirs, à ce point même que les funérailles, chez eux, sont toujours un prétexte à orgies et pourtant ils aiment, ils respectent leurs morts, dont ils portent rigoureusement le deuil pendant un mois, quel que soit leur degré de parenté. Ce deuil, du reste, ne se montre point par une différence dans la couleur du vêtement; il consiste à n'en point changer pendant le temps prescrit, à ne point se laver et à laisser incultes la barbe et les cheveux. Véritable privation pour les femmes qui donnent le plus grand soin à leur chevelure et qui y sont, d'ailleurs, obligées, à cause de sa nature frisottante qui les met dans la nécessité de la tresser en un certain nombre de petites nattes, si elles veulent éviter cet ébouriffement qui fait ressembler leur tète à la toison d'un mouton noir.
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Dans le sud, nous dit le docteur Charvay, on Iraite les malades au moyen de simples et de conjurations; les noms les plus tendres sont prodigués au patient, et le village tout entier prend part à la douleur de la famille; c'est un ensemble de démarches, de soins et de dévouements qui marquent combien, au fond, chez ces nations primitives, les liens de famille, et de tribu ont de puissance et de durée. « Si le malade succombe, c'est un déchaînement de cris et de lamentations à ne rien entendre; les femmes surtout pleurent, s'arrachent les cheveux ou se roulent convulsivement sur le sol, tandis que les hommes, plus calmes, s'informent auprès du défunt pourquoi il s'est laissé mourir. lui disent-ils n'avais-tu pas de l'or, « Que te manquait-il auprès de nous de l'argent, du fer, des bœufs et des esclaves Pourquoi nous as-tu quittés? « Viennent alors les sacrifices des bœufs et les amples libations de betza belza, puis les danses funèbres, puis les cris; il arrive même souvent qu'oublieux du mort qu'ils pleuraient, les Malgaches dansent et s'enivrent jusqu'au matin, sans souci du cadavre et de sa sépulture. «
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Le lendemain, on transporte le corps enroulé dans ses pagnes les plus riches, au cimetière du village; là, il est de nouveau roulé dans une écorce d'arbre et enfoui dans un bloc de bois dur taillé en cercueil. Quelquefois, on amoncèle ces tombes en pyramides; au pied de chacune d'elles une main pieuse entretient un vase toujours plein de riz ou de betza betza pour la nourriture du mort; d'autres fois, on sème la terre tout autour de pattes de poulets et de plumes d'oiseaux qui doivent conjurer les maléfices. Les chefs ont pour dernière demeure un terrain à part entouré de palissades. « Dans le nord, les Malgaches croient à la métempsychose : la populace devient chauve-souris et les chefs prennent la forme de crocodiles; c'est à cette croyance qu'il faut attribuer l'énorme quantité de ces reptiles dans les rivières, les habitants se faisant un devoir de n'en tuer aucun. » «
Il est bien entendu que ces mœurs ne sont pas spéciales aux habitants de l'île Sainte-Marie, mais communes, sauf quelques modifications, à tous les Malgaches de race, dont nous étudierons plus loin les différentes tribus. Ceux qui habitent Sainte-Marie, au nombre d'environ sept mille, sont des Betsimiraraks, disséminés dans une trentaine de villages, dont la plupart sur le bord de la mer. La côte orientale, inaccessible à cause des récifs qui la bordent, est naturellement celle où il ya plus de villages, d'autant qu'assainie par les brises du large, c'est la partie la plus habitable de l'île, que son climat plus qu'humide, puisqu'il y pleut en moyenne deux cent vingt jours par an, et la stagnation des
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eaux, rendent fort insalubre. La côte ouest, la seule abordable, présente d'excellentes baies, notamment le port Sainte-Marie, qui offre un abri sûr aux navires dans cette région si souvent désolée par les cyclones, et qui rendrait bien plus de services s'il était mieux connu. Ce port est protégé par l'îlot du Forban, où un dépôt de charbon est établi. L'îlot Madame présente l'habitation du résident, entre les mains duquel sont réunis tous les pouvoirs l'hôpital, de soixante lits, la caserne, les magasins et un petit arsenal. En face de cet îlot est le village principal, la « capitale de l'île », autrefois Port-Louis, maintenant Ambodifotro, composé de cases de branchages et de quelques maisons européennes dont une école tenue par des sœurs de SaintJoseph de Cluny et une église desservie par deux pères jésuites. Telle est cette île, qui, comme nous l'avons dit, ne prend quelque importance que de sa situation.
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NOSSI-BÉ ET LES SAKALAVES
Nossi-Bé, plus petite que Sainte-Marie si on la considère seule, n'est, avec -ses dépendances, guère plus importante comme étendue, comme population mais elle a intrinsèquement plus d'avenir; le sol est plus fertile et commence à y être bien cultivé et le climat beaucoup moins insalubre. Au point de vue militaire, elle est exactement pour nous, sur la côte occidentale de Madagascar, ce que Sainte-Marie est sur la côte orientale, c'est-à-dire une excellente base d'opérations. Dépendante de Mayotte, dont elle est distante de 240 kilomètres, elle est, -elle-même, flanquée de six îlots qui en rélèvent. Ce sont Nossi-Comba, à peu près stérile et offrant deux pitons rocheux d'une hauteur de 600 mètres; nous occupons surtout cet îlot à cause de sa situation entre Nossi-Bé et Madagascar. Nossi-Mitsiou, le plus grand de tous et peuplé d'Antakares, que gouvernait jadis le roi Tsimiaou, qui s'est placé sous le protectorat de la France en abandonnant son territoire pour une rente de douze cents francs. 1 Sakatra, qui produit des patates et du manioc supérieur, mais dont le climat est très insalubre. Nossi-Faly, qu'on a surnommé le magasin à riz de Nossi-Bé. Enfin, Nossi-Tanga et Nossi-Rati dont il ne faut parler que pour mémoire, car ce sont deux rocs absolument stériles. Ces îles appartenaient jadis aux rois Sakalaves de la côte nord-ouest de Madagascar, dont le pouvoir s'étendait sur près de la moitié de la grande île avant les conquêtes des Howas; elles sont à la France depuis 1841, et voici com-
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Le 29 septembre -1839, le Çolibri, brick de .guerre français, mouillait dans les eaux de Noasi-Bé; le capitaine Passot, de l'infanterie de marine, chargé par le gouvernement français d'explorer cette île, y fut admirablement reçu. La reine Tsiou-Mahoun, de concert avec les autres chefs Sakalaves, qui étaient comme elle fatigués du joug despotique que Ranavalo appesantissait chaque jour davantage sur eux, et ne se sentant plus de force à repousser les agressions toujours renouvelées des Howas, — profita du séjour de M. Passot pour le prier de demander au gouvernement de la Réunion la protection de la France et les secours nécessaires pour pouvoir résister. En échange d'une protection efficace qui lui permettrait de garder ses possessions de terreferme (Madagascar est parfois appelé ainsi à cause de son étendue qui fait oublier que c'est une île), la reine Sakalave offrait d'abandonneren toute propriété à la France, Nossi-Bé et ses dépendances.
C'est proposition fut acceptée par le contre-amiral de Hell, alors gouverneur de la Réunion, sauf ratification de la Métropole, et au mois d'avril 1840, le capitaine Passot revenait àNossi-Bé sur la gabarre laPévoyante et entamait avec la reine Tsiou-Mahoun, des négociations qui aboutirent à un traité signé le 14 juillet suivant, par lequel la reine nous abandonnait tous ses droits de souveraineté non seulement sur les îles du groupe de Nossi-Bé, mais sur la côte n-ord-ouest de Madagascar dont elles dépendaient, mais que l'on ne s'attacha point à occuper. Notre prise de possession officielle de l'île date du 5 mai 1841, et comme c'est aux négociations conduites par M. de Hell,.qu'on la devait, on a donné au cheflieu le nom d'Hellville. Ce chef-lieu n'est encore aujourd'hui, du reste, pas autre chose que la ville officielle, — admirablement située, gaie d'aspect avec ses maisons dont les toitures élevées, en nattes de palmiers, émergent du fouillis d'une luxuriante végétation où les bananiers, les mangliers et les palmiers font des taches de verdure aux nuances différentes, — mais sans mouvement. Il n'y a guère là, outre-quelqueshabitations de ville, de planteurs ou de traitants européens, que les édifices publics savoir la maison du résident, la caserne, occupée ordinairement par deux cents hommes, l'hôpital militaire et la maison du président du tribunal civil, seul fonctionnaire représentant la justice française dans l'île, les appels ainsi que les crimes étant jugés à la Réunion. Ajoutez à cela l'école, des filles, dirigée par des sœurs de Saint-Joseph de Cluny, et celles des garçons, où des pères du Saint-Esprit ont succédé aux ésuites en 1879, et c'est tout. Mais tout à côté et comme un faubourg de la ville officielle, est Duani, village indigène peuplé seulement par les Sakalaves et les quelques Cafres de Mozambique qu'ils emploient comme esclaves. à la mode nouvelle, c'est-à-dire avec engagements de dix ans. Un peu plus loin sur la gauche, un' grand village de pêcheurs, Andavanokotuku s'étend jusqu'au pied de la, Montagne de la Vigie qui ferme la baie de ce côté. De l'autre côté, la baie n'est gu.ère moins habitée il y a à droite d'Hellville, mais à une certaine distance et dans une baie profonde, un village nommé Ambanourou ou Ambunuru, qui est le centre commercial de Nossi-Bé. 1 Il est habité surtout par les Arabes venus des îles Comores et de Zanzibar et qui font un négoce important avec l'intérieur, mais au delà sur la presqu'île escarpée de Locubeh, est installée la colonie hambourgeoise, qui fait aussi du commerce, mais s'adonne surtout à la production. Le sol est d'ailleurs d'une grande fertilité, mais à cause du manque de bras, encore très peu cultivé sur les trente mille hectares que l'on pourrait mettre en rapport, c'est tout au plus s'il yen a 8,000 de défrichés. Un millier d'hectares environ est consacré à la canne à sucre qui vient très bien l'indigo, le café, le riz et le manioc sont les autres productions de la
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colonie qui compte à peine 11,000 habitants, répartis dans une cinquantaine de villages, généralement bâtis sur de petites éminences pour éviter l'insalubrité des marais. On comprendra que la colonie manque de bras, quand on saura qu'en dehors des quelques Cafres et Arabes dont nous avons parlé, d'une centaine de Créoles et d'autant d'Européens, presque tous Français, tous les habitants sont des Sakalaves, très peu enclins au travail. Le rédacteur tout à fait désintéressé du Voyage autour de l'Afrique exécuté en 1873, par la corvette autrichienne l'Helgoland,va nous donner une idée exacte de cette population sakalave qu'il a étudiée dans l'île de Nossi-Bé et particulièrement à Duani. Il est certain, dit-il, que les Sakalaves, race bâtarde formée parles Cafres, les Malais et les Arabes, sont d'un degré bien supérieur aux Cafres eux-mêmes, tant au point de vue physique qu'au point de vue moral cependant, pour l'intelligence ils ne peuvent guère s'élever au-dessus des Suahelis. ils ont un « Les hommes, le plus souvent, sont robustes, de taille élancée visage expressif, une chevelure abondante, mais cependant une barbe peu fournie. Ils portent ordinairement un chapeau de roseau et leur ancien costume se compose d'une chemise et du lamba, pièce de coton ou de soie de diverses couleurs qu'ils enroulent autour des hanches ou qu'ils jettent sur les épaules. de petite stature elles ont cependant une jolie taille et a Les femmes sont fréquemment les traits du visage fort réguliers. Leurs cheveux abondants mais hérissés, sont disposés en tresses ou en boules cette dernière façon de les arranger donne à celle qui les porte une physionomie avantageuse et intéres«
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sante. toilette, le lamba joue encore le principal rôle. Elles ont rare« Dans leur ment des anneaux leur traversant le nez, mais presque toujours de monstrueuses boucles d'oreilles pour les recevoir elles se percent les oreilles dès l'enfance, et elles dilatent l'ouverture par un bouchon de parchemin roulé. Sakalaves ne professent aucune religion et s'adonnenttout à fait à « Les l'oisivité, à part le peude temps qu'ils consacrent au labeur de leurs champs de riz; à Nossi-Bé, cependant, à l'imitation des chrétiens, ils semblent considérer le dimanche comme un jour de repos. Duani, nous voyons toute la population en habits de fêtes « C'est ainsi qu'à se livrer aux plaisirs les plus variés. Une partie des jeunes gens, accompagnés par la musique de tambours et de flûtes exécute différentes danses d'autres assis de sur une natte de paille, devant leurs huttes, s'amusent àjouer au hatra, sorte damier à 32 cases ; on en voit quelques-uns, plus avancés, jouer aux cartes avec passion; les dés ont trouvé moyen de s'introduire parmi ces enfants de la nature. » De l'avis du même voyageur qui tient d'ailleurs ce renseignement du père Lacôme, alors chef delà mission catholique d'Hellville, les Sakalaves sont assez
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rebelles au christianisme et leur conversion est très difficile, sinon impossible, quand ils ne sont pas entrés jeunes à la mission. bons et bien disposés cependant ils manquent complètement de « Ils sont notions religieuses. Les mahométans ou les bouddhistes les plus fanatiques peuvent être plus facilement convertis au christianisme que ces gens. Lorsqu'on leur parle d'un être qui règne sur tous l'univers, il vous deman« dent où il est, et vous disent qu'il faut le leur montrer. Pourquoi vous objectentils, nous fait-il mourir s'il est aussi bon que vous dites? Puisqu'il agit ainsi c'est un mauvais esprit, et nous ne voulons pas entendre parler de lui. inné en chaque homme qu'il existe une puissance supérieure, « Le sentiment est remplacé chez eux par le respect qu'ils professent à l'égard de l'esprit des morts. vénération presque idolâtre qu'il nourrissent pour leurs anciens rois « Cette ou reines actuellement détrônés se traduit à leur égard par le maintien austère de leurs devoirs de sujets. de Madagascar presque tout entière est aujourd'hui sous l'autorité « Ainsi l'île de la reine des Howas, et les Sakalaves qui y viennent doivent lui payer impôt néanmoins ils acquittent avec la plus grande ponctualité le tribut qu'ils devaient à leurs anciens maîtres, à l'époque de leur puissance et ils leur concèdent, comme autrefois, la disposition absolue de leurs biens. Il n'y a pas de soulèvement contre des exigences trop onéreuses, c'est tout au plus si on s'y soustrait en émigrant chez une autre tribu. Père Lacôme me dit en outre que les Sakalaves, pourtant si économes, payent un tribut volontaire aux chefs de leur tribut sur la côte située en face. esprits ne se manisfeste pas seulement par l'abandon de la « Ce culte des maison où un chef est mort et par le soin qu'on a d'y apporter chaque jour des vivres et de l'eau, mais aussi par l'habitude comique que voici. Qu'un Sakalave aille le soir dans un endroit sombre et s'imagine y voir quelque chose de surnaturel, il est certain que c'est l'esprit d'un mort; il considère alors comme son devoir le plus sacré d'apporter, pour son entretien, du riz et de l'argent qu'il place sous une pierre. Tout passant àla vue de ces offrandes, fait de même; il se forme ainsi un monument de pierre, qui croît de jour en jour jusqu'à ce qu'un autre lieu de vénération se soit produit dans le voisinage.
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n'ayant ni temple, ni autel, ni religion ont cependant, à l'égard des mauvais esprits, du mauvais principe qu'ils appellent Angatcha, des pratiques superstitieuses, des adorations qu'ils n'adressent qu'à lui. La reconnaissance d'un mauvais principe admet forcément celle d'un bon principe mais de celui-là, les Malgaches n'ont cure et avec leur logique de sauvages, qui est le triomphe -de l'indépendance du cœur, ils disent Pourquoi supplier les esprits bons? pourquoi les adorer Ils accordent tout sans prières, puisqu'ils sont bons, tandis qu'au contraire les esprits mauvais ont besoin d'être apaisés, et il faut les prier, les adorer afin de détourner leur colère 1. Les Sakalaves diftereni en cela des Malgaches qui bien que
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Moi-même j'ai pu remarquer plusieurs de ces monceaux de pierre, tout près du chemin qui conduit à la plantation de la.mission, et auxquels il a fallu bien des jours pour s'élever. « Les Sakalaves d'ailleurs ont tant de souci pour leurs ancêtres qu'ils tiennent ils aiment aussi à utiliser les sources compte même de leur soif de vengeance afin d'y placer de l'argent pour les morts. Le père Lacôme m'expliquè ainsi l'existence de quelques pièces d'argent que nous avions trouvées auprès d'une source, dans une pierre cave, pendant une exploration de la rivière Saulan. religieuses, ou plutôt leur « Chacun comprend que de semblables- notions absence, doivent faire prospérer les superstitions d'autrefois il y existe en effet une sorte de sorciers appelés Ampamuriki et Sikidis; ils ont une grande influence sur le peuple; on les consulte dans toutes les circonstances importantes et ils donnent des oracles qu'ils tirent le plus souvent de l'examen des graines de la Sekililiane. » «
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La plus cruelle des superstitions sakalaves est l'abandon des enfants, dont la pratique tend à disparaître et disparaîtra certainement tout à fait au contact de la civilisation française. Et pourtant la nature a dicté ses -lois, là comme partout les mères aiment leurs enfants et sont capables dé tous les sacrifices pour le bien-être deleur progéniture; mais les superstitions sont plus fortes que l'amour maternel, et quand quelqu'un de la famille a dit que l'enfant est né sous une mauvaise étoile, dans un mois néfaste, à une heure mauvaise; si le sorcier, consulté, a confirmé cette crainte, il faut que l'enfant soit sacrifié. La mère résiste d'abord, mais on la laisse chercher dans sa tendresse un compromis avec ces barbares coutumes, parce qu'on sait qu'elle finira par
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céder. Si elle n'a pu fléchir le Sikidi par des sacrifices, des cérémonies expiatoires et surtout des cadeaux capables de détruire les mauvais sorts, elle cède, en effet. Quand le sorcier se montre traitable, l'abandon de l'enfant n'a qu'une durée limitée et assez courte pour ne pas mettre sa vie en danger. Le plus souvent, la mère est obligée de l'exposer, mais elle s'est entendue aupréalable avec une amie qui le recueille et l'adopte. 11 est vrai que dans ce cas, le petit être n'appartient plus à la vraie mère, il ne fait plus partie de la famille
et passe dans celle de la mère adoptive. Quelquefois aussi, et c'est'l'épreuve la plus terrible, l'enfant est abandonné sur le passage d'un troupeau de bœufs. Si par hasard il échappe au piétinement, aux coups de corne, le charme fatal attaché à sa naissance est rompu, et on peut l'élever, ce ne sera plus un porte-malheur pour la famille. Quant au culte des morts, il est général dans toutes les tribus malgaches et même parmi les Howas, bien que ceux-ci, qui ont cru prendre la civilisation.
européenne avec nos costumes, affectent de n'avoir rien de commun avec les peuples qu'ils ont pu asservir, mais non annihiler. Dans les circonstances difficiles de la vie, c'est sur les tombeaux qu'on va les serments les plus solennels se font sur réclamer le secours des esprits l'âme des ancêtres, et quiconque serait convaincu d'avoir violé une tombe serait passible du plus terrible des supplices. Naguère encore, près de Tamatave, les Français faisant partie de notre corps expéditionnaire ont pu voir une preuve de l'influence salutaire attribuée aux tombeaux des ancêtres. J1 s'agissait d'une jeune fille indigène, évidemment hystérique, mais que les Sikidis et Ombias, — qui sont à la fois médecins, sorciers et font même tout ce qui ne concerne pas leur état, —avaient unanimement déclarée envahie par l'esprit diabolique et à laquelle ils avaient conseillé, en désespoir de cause, d'aller demander les secours des bons esprits sur la tombe de ses ancêtres. Aujour dit et annoncé d'avance, pour que tous les habitants du village pussent assister à ce spectacle, la jeune fille, échevelée en signe d'affliction, enveloppée seulement d'un lamba, se rendit au cimetière du pays, se hissa sur le tombeau fort vaste qui recouvrait les cendres des membres de sa famille et là, après des incantations lugubres, se mit. à exécuter lentement d'abord, toutes les danses sacrées de son répertoire. Excitée par les applaudissements de ses voisins et amis, elle accéléra bientôt ses mouvements et en arriva à une chorégraphie insensée, qu'elle n'interrompait que lorsqu'elle perdait haleine. Cela dura des heures et ne cessa que lorsque la malheureuse, épuisée de fatigues, convulsionnée par l'extase dans'laquelle elle s'était entretenue, roula inanimée sur les degrés du tombeau et de là par terre. Elle était guérie, dirent les Sikidis, ce qui n'est pas impossible après touj, car les maladies qui ne proviennent que de l'imagination peuvent très bien être guéries par un effort de l'imagination. Une coutume aussi générale, mais beaucoup plus répandue encore dans tout * Madagascar, c'est le Kabar. « Le Kabar nous dit M. Charnay, dont le récit est si utile à consulter, .est une assemblée politique, civile, religieuse ou commerciale. C'est une réunion obligée pour tout débat, et l'on peut dire que le kabar est pour le Malgache le premier de tous les besoins, peut-être le premier des plaisirs, mais assurément une nécessité. Vous voulez planter des choux kabar; il s'agit de décider d'une kabar; vous partez pour la pêche kabar, tonjours kabar. -guerre « Pendant mon séjour à Madagascar, j'assistai à une foule de kabars une fois entre autres à la batterie de Tamatave, pour la réception d'une lettre de la reine. L'assemblée se tient dans le Lapa, sorte d'auvent destiné aux assemblées politiques. Dans ce cas, j'entends quand il s'agit de politique, tout le monde est convoqué, chacun, du plus petit et du plus pauvre au plus riche et au plus chargé
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d'honneurs, chacun a le droit de prendre la parole, jusqu'à ce que legouverneur de province ait résumé lesdébats et clos le kabar. « Pour ma part, je fus l'objet d'un kabar dans l'île de Nossi-Malaza (île des délices), à quarante kilomètres au sud de Tamatave. A mon arrivée, grande rumeur dans le village la visite d'un blanc (vasa) étant un honneur aussi bien qu'un événement. On s'était hâté de vider une case qu'on avait tapissée de nattes fines à mon ; « intention, et le guide qui m'y avait introduit m'annonça bientôt la visite des chefs du village, «Ils arrivèrent effectivement avec leurs femmes et leurs filles, tout ce monde revêtu du costume des grands jours; le chef drapé dans son lamba de soie, ces dames la poitrine serrée dans le canezou de coton bleu, la taille ceinte d'une jupe de cotonnade empesée aux couleurs éclatantes, et le corps enveloppé du simbon, vaste pièce d'étoffe que quelques-unes disposent avec grâce. De mon côté, j'étais gravement assis à la turque, l'air sérieux et digne « comme il convient à un personnage hautement honoré. puis,quand silence se « Chacun prit place et s'accroupit tout alentour; futétabli, le chef prit la parole. Il avait préalablementétalé devant lui deux poulets attachés par.les pattes etqui ne semblaient point de la fête, un petit amas de riz d'un blanc de neige, et quelques douzaines de poissons aux reflets argentins. dit-il,nous bénissons le ciel qu'il ait bien voulu t'amener d'aussi loin « Vas.a, pourvisiteinos humbles demeures; nous ne sommes pas dignes, à coup sûr, d'une faveur sigrande, et tout ije que nous pouvons faire dans notre reconnaissance estde t'offrircette case oùtu reposes etcfui est tienne. Voici du riz, despoissons, des oiseaux, accepte ces dons comme un hommage indigne mais nous sommes pauvres,c'est là tout ce que nous avons à t'offrir.» discoursfut; prononcé tantôt avec calme, tantôt avec éclat, tantôt enfin « Ce d'une voix si basse que mon oreille pouvait à.peine en saisir les sons. Traduit par l'interprète, il m'émut plus que je ne saurais dire. f « De mon çôté j'étais préparé à recevoir ces bonnes gens et j'avais, à cet effet, quelques bouteilles d'arack, une petite collection d'hameçons de différentes grosseurs, du fil etdes aiguilles pour les femmes ; j'avais de plus mis une piastre àl'écart, pour payer l'hospitalité du* village. «Je répondis donc le mieux que je. pus à l'improvisateurmalgache, lui offrant enreor les différents objets que j'ai nommés, le priant de ne point les considérer commeun payement, maisbiea comme un souvenir. mon-giii-de, passer la bouteille, dont chacun but sa part dans une « Sur ce, coupe faite defeuilles deravenal. «Lechef; reprit alors la parole; il affirma que jamais il n'avait assisté à pareille munifieence, etque, jusqu'àce jour, aucun vasa ne les avait traités d'une si honorable façon. « Tu es mon père et ma mère, ajouta-t-il, tes présents
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resteront comme un souvenir de ta visite au village, nous en transmettrons la mémoire à nos enfants, à nos petits-enfants, et à nos arrière-neveux. Sois béni!» Ces métaphores et ces hyper« En vérité la chose n'en valait pas la peine.
Madagascar. — La baie de Passandava.
boles cachaient néanmoins une grande surprise de ces pauvres gens, peu habitués à de telles façons d'agir de la part des blancs, et je suis convaincu qu'ils me garderont de la reconnaissance. » De tout cela on peut conclure que les Malgaches et Sakalaves sont des peuples dont la civilisation n'a peut-être pas beaucoup à attendre à court délai, mais dont les civilisés, les Français notamment, ont beaucoup à espérer.
Sakalaves et Malgaches proprement dits sont d'ailleurs nos protégés, nos alliés naturels, puisque c'est pour les arracher au joug des Howas que nous sommes à Madagascar. Ce ne sont pas, il est vrai, les seuls habitants de la grande île; mais les autres, en dehors des Howas, bien entendu, ne nous sont point hostiles. Nous allons, du reste, nous en rendre compte en faisant idéalement le tour de Madagascar.
LES HABITANTS DE MADAGASCAR
Si nous partons de l'île de Nossi-Bé par la côte occidentale, nous côtoyons d'abord l'ancien royaume des Sakalaves, qui s'étend ou du moins qui s'étendait, depuis la baie de Passandavajusqu'à la baie de Mouroundava était limité FEst
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par la chaîne des montagnes centrales. Ce royaume singulièrement démembré, se composait 1° Du Boueni, province qui nous fut cédée en même temps que les îles dé Nossi-Bé et autres, mais que nous n'avons occupée qu'au cours des diverses expéditions militaires en créant un fort à Ambodimadiro dans la baie de Passandava. ck « On ne saurait, dit le correspondant du Temps, qui a raconté le voyage reconnaissance, fait l'année dernière, autour de l'île, par les deux députés delà Réunion, récit que nous allons suivre, du reste, en lui faisant quelques emprunts. de Passandava. et « On ne saurait établir de rapprochement entre cette baie -celles de Diego-Suarez et d'Antongil, tant elles sont dissemblables. De quelque côté qu'il « Passandava a un caractère propre: elle est gracieuse. se tourne, l'œil est enchanté. C'est une vraie débauche de verdure, une succession de vues pittoresques plus délicieuses les unes que les autres. Après une petite plage de sable, commencent les montagnes. Elles sont disposées par plans étagés, les gradins ont une irrégularité bizarre et toujours nouvelle qui empêche le paysage d'être un seul instant monotone. Jusque dans la mer descendent desmornes que terminent de larges cassures d'où jaillissent des sources allant en. cascade se perdre dans la baie. De nombreuses rivières viennent également y déverser leurs eaux et quelques-unes peuvent être remontées par des boutres de trente quarantetonneaux. Enfin, de petites îles qui sont autantde charmantes retraites et sur lesquelles on retrouve, des ruines d'anciens établissements portugais, sont parsemées le long du rivage sud-ouest et ajoutent un éclat de plus à la magie du décor. » La contrée, du reste, est fertile et au dire de M. Pennequin commandant du
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fort de Ambodimadiro, qui s'est enfoncé dans l'intérieur jusqu'à soixante et quatre-vingts kilomètres « il n'a jamais rencontré de région aussi attachante que la partie nord-ouest de Madagascar : Beauté, fertilité^ salubrité, tout s'y trouve, Dès qu'on s'est élevé sur les plateaux, on se croirait en Suisse, autant par la douceur du climat que par les merveilles du paysage.Et,pour prendre un exemple, il citait la vallée deSambirano où les forêts abondent, où les bœufs sont nombreux •et où la population est dense. » A l'ouest de la baie de Passandava et échancrant profondément le cap qui le circonscrit de ce côté, s'ouvre la baie de Bavatoby, ou Bavatoubé, qui semble une réduction de celle de Diégo Suarez. Il y a là un bassin houiller, qu'un de nos compatriotes essaya d'exploiter, exploitamême avec succès, mais en 1856 les Howas y envoyèrent une armée qui le tua lui et les siens. Ce gisement carbonifère, dont la houille est de bonne qualité, a, d'après M. Guillemin ingénieur de la compagnie de Madagascar en 1863, 180 kilomètres de longueur sur 40 kilomètres de largeur. A peu de distance est le grand village d'Ampasimena, résidence de Binao, reine des Sakalaves, depuis qu'elle a été obligée d'abandonner sa vraie capitale Bombetok. C'est dans la baie de Bombetok qui se trouve Mouzangaye, que nous appelons Mojanga ou Majunga, ville assez considérable qu'il nous a fallu prendre et dont le port est fréquenté par les peuples de la côte de Mozambique et de Zanzibar, et aussi par des pirates qui viennent y échanger des toiles pour de la poudre d'or, ce qui prouve au moins qu'il y a de l'or dans le pays. Outre le Boueni, le royaume sakalave comprenait l'Ambougou et le Sakalava. L'Ambougou est une province qui s'étend sur la côte, depuis la baie de Bombetock jusqu'à la rivière Mantao et qui est habitée par différentes tribus les Ambougou proprement dits, d'abord et à l'ouest d'eux, dans l'intérieur, les Antibouenis, puis en suivant la côte, les Bali au delà dela rivière qui se jette dans la baie de Bali; les Milanzas dans la pointe avancée, dont l'extrémité est le Cap Saint-André; les Antimaharas, au nord de la rivière Oumarah, et les Vazembas entre cette rivière et la rivière Mantao. Toutes ces tribus et d'autres encore moins considérables ou moins connues ont des chefs qui se disent plus ou moins rois et reconnaissent plus ou moins la -suprématie de la reine des Sakalaves, mais jadis elles formaient avec celles du Sakalava une fédération sous la suzeraineté de la reine des Sakalaves. Le Sakalava, situé au sud de l'Ambougou, s'étend jusqu'à l'embouchure duMénali dans la baie de Mouroundava il se subdivise en différentes tribus dont les principales sont, en suivant la côte; les Antisanzas, les Manamboulé; les Miari les Menabé et les Antimena. Ces peuples ne différantpoint des Sakalaves, nous n'avons rien à ajouter de particulier à ce que nous avons dit déjà.
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Les Vèses. Il n'en est pas de mêm.e des peuples qui habitent plus au sud, depuis le cap Saint-Vincent jusque et au delà de la baie Saint-Augustin, et dont les principales tribus sont les Andraivoulas,lesAndatchiaouti, Mitriahs autres, relevant du royaume de Machicora, dont le souverain actuel, Leymérisa, s'intitule roi des Yèses, a pour capitale Tulléar, petit port appelé plus communément Tolia. Les peuples du sud-ouest de Madagascar sont en effet des Vèses, plus noirs que les Sakalaves du nord et moins avancés en civilisation. « Leur vêtement, dit l'officier autrichien que nous avons déjà cité, ou plutôt son absence presque complète, leurs gestes et leurs attitudes nous font clairement reconnaître que nous avons devant nous un peuple encore placé au plus bas échelon de la civilisation. vanité ne lui paraît pas inconnue.Hommes et femmes ont les « Et pourtant la ils sont roulés en pelote chez les cheveux très soigneusement peignés premiers, tandis que ces dernières les séparent paruneraieou lesretiennentavec des rubans de couleur. « Le cou et les bras sont le plus souvent ornés d'un collier de coquillages. Les femmes portent gracieusement enlacé autour des reins, un morceau de cotonnade qui cache fort malles formes irréprochables de leur corps. « On ne peut rencontrer que sous les tropiques et chez des gens aussipeu prétentieux que les Vèses, des habitations aussi simples que celles que nous voyons. Dans. le sable mobile, sont enfoncés quatre pieds de bois, surlesquels repose un toit de feuilles de palmier à six pïeds tout au plusau-dessus du sol. Les murs latéraux sont également composés de feuilles enlacées de palmier ou de jonc mince. Les gens de qualité couvrent de nattes de paille le plancher qui comprend à peine trois à quatre toises carrés; chez d'autres, la kitanda, sorte de lit de repos, est immédiatement placée sur le sable. Le feu pour cuire le riz et griller les poissons se fait devant la maison. Les quelques ustensiles de pêche sont cachés dans une barque qui se trouve dans le voisinage, et les rares provisions de bouche sont mises à couvert dans une petite maison adjacente un peu élevée au-dessus de la terre. Afin de les préserver des rats, on garnit abondant ment d'épines et de coquilles aiguës les pieux du soubassement. » Les Vèses se nourrissent presque exclusivementderiz, de maïs et depoissons, et ce n'est que par grande exception qu'ils mangent du bœuf et surtout de la volaille; leur gourmandise ne porte pas sur le solide, mais bien sur le liquide, ils aiment particulièrement le rhum et cherchent à s'en procurer à tout prix, même pour rien, surtout pour rien. Cependant ils s'enivrent rarement parce qu'ils peu-
les
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vent en absorber une grande quantité sans qu'il y paraisse. le plus excellent cœur et sont très accommodants entre eux; « Les Vèses ont maisdans le commerce il songent avant tout à leur avantage et ils ne font pas une rigoureuse différence entre le tien et le mien. Ils sont indolents, paresseux, font,
par conséquent, peu de provisions, mais vivent beaucoup de la main à la bouche. Ce genre d'existence s'explique facilement par cette circonstance que chez eux comme chez les Sakalaves du Nord, le chef ou le roi est le maître absolu des biens de ses sujets et qu'après la mort d'un individu, sa succession tombe en partage. c A la guerre, où ils se sont mesurés à plusieurs reprises avec les Howas et les tribus voisines des sauvages Antanos, ils sont très courageux et ont plus
Madagascar. — Habitation des Vèses.
d'une fois infligé des pertes sérieuses aux premiers. C'est ainsi qu'en 1872, les Ilowas perdirent, près de Menongabé, un millier de guerriers et deux canons, bien que les Vèses fussent simplement armés, comme ils le sont encore maintenant, de lances et de quelques rares fusils à pierre. cependant « Les Vèses ont des notions religieuses d'une nature très vague ils croient à un être suprême gouvernant le monde et à l'immortalité de l'âme. C'est par suite de cette dernière circonstance que, chez eux, comme les Sakalaves du Nord, les maisons des morts de qualité sont l'objet d'une grande vénération. Quelques Vèses ont adopté les pratiques extérieures du mahométisme; tou« tefois, la doctrine chrétienne n'a pu prendre racine parmi eux, car une mission
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fondée par les Jésuites à Saint-Augustin, à quinze lieues marines au sud de Tulléar fut délaissée. « Naturellement, la superstition fleurit chez eux dans toute sa beauté et revêt les formes les plus crues, témoin ce qui se passe au suj et du mortier à riz de bois, qu'on rencontre dans tous les ménages. Pendant qu'on fait tomber l'arbre dont ce mortier doit sortir, on abat un boeuf1. Dès que l'arbre est couché sur le sol et que le morceau désigné a été creusé avec la hache, il n'est plus permis de lever celui-ci de terre, et il faut le conduire en lé traînant au lieu de sa destination. Quiconque levait de terre le mortier était autrefois condamné à mort maintenant encore, il expie sa faute par l'esclavage. « Les mariages ne se contractent qu'avec la permission des chefs; les hommes recherchent ordinairement les femmes d'un certain âge, et volontiers les veuves ayant des enfants, parce que la richesse en progéniture est très estimée. La cérémonie des noces est des -plus simples. On convoque les anciens du village, l'on en distribue la viande, ainsi que da rhum on égorge le bœuf obligatoire après quoi, fiancée et fiancé déclarent, en présence de l'assemblée, qu'ils se sont volontairement choisis l'un l'autre: puis ils font successivement les promesses usitéesde fidélité. Quelque relâchées que soient les idées de moralité régnant parmi ces enfants de la nature, quelque libre et sans contrainte que soit la conduite des jeunes filles célibataires, on n'en estime pas moins comme sacré le lien conjugal. Une fois mariées, les femmes vèses se consacrent entièrement à leur famille, et l'on raconte d'elles les témoignages les plus touchants de leur attachement à leur mari et à leurs enfants. En cas de mort, les formalités sont un peu plus compliquées; il est, avant « tout, sévèrement défendu de prononcer le nom du défunt dès le moment de son décès, il devient un esprit digne de vénération et reçoit un autre nom, sous lequel on le désigne désormais. Cette crainte du nom du mort augmente tellement avec le rang de celui-ci, qu'on va jusqu'à punir de la peine capitale la personne qui annoncerait simplement le décès d'un roi. On place le cadavre sur une peau de bœuf, et, après quelques heures d'expo« sition, a lieu l'enterrement. En tête, on porte le mort sur une civière; les parents suivent ensuite dans la plus grande toilette et avec toutes leurs armes; enfin viennent les bêtes à cornes que possédait le défunt. Le convoi se met en marche vers le rivage de la mer, et, dans l'intérieur, vers une rivière ou un fleuve; une fois arrivés, tout le monde, même les porteurs du cercueil, commence à danser au son du tambourin, puis à pousser de vigoureux hurlements. Par tout ce tapage et ces mouvements, on cherche à rappeler le mort à la vie, et, par le voisinage
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bœuf à propos de tout les. cérémonies, les fêtes de la famille sont marquées par ce sacrifice, et ce sont pour les indigènes les seules occasions d'en manger. Il est d'usage de garder les têtes avec les cornes, que l'on place au bout d'une perche plantée dans le -voisinage de.l'habitation, comme souvenir des fêtes passées. 1. Chez les Vèses on tue un
de l'eau, on veut lui donner occasion de prendre congé de cet élément. Après quelque temps, si le mort ne se réveille pas, malgré les mugissements réellement capables, nous dit-on, d'ébranler les pierres, le convoi se dirige vers le heu de sépulture, où l'on place le cadavre sur le sol, dans deux troncs d'arbres creusés. Suivant l'état de fortune du défunt, on met sur la bière des objets de prix «
tels que deslambas, coupés en morceaux pour empêcher les vols; on n'oublie pas d'y joindre des victuailles. Cela fait, les parents y amoncellent des pierres, jusqu'à ce que tout en soit recouvert. Cette précaution, néanmoins, comme nous nous en sommes convaincus par les cimetières de Tullear, n'empêche pas les environs d'être entièrement imprégnés de vapeurs méphitiques. différente est la cérémonie funèbre pour les rois; l'enterrement n'a « Bien lieu qu'après un an; enveloppé aussitôt après le décès dans des peaux de bœuf, le corps est suspendu dans un bois entre deux arbres, et pendant tout ce temps, des membres de la famille royale y font bonne garde. L'année expirée, on descend les ossements; l'héritier du trône conserve pour lui, en qualité d'amulette, les dents, les doigts et les orteils; c'est là alors seulement qu'avec la plus grande pompe on procède à l'inhumation décrite précédemment. » Les Vèses, ont des sorciers et des médecins comme les Sakalaves du Nord, mais ils se chargent eux-mêmes de guérir la fièvre, la vraie maladie du pays, et par un traitement si efficace, qu'il tue toujours la fièvre.,ou le malade. Lorsqu'un des leurs est atteint, tous les habitants du même village se réunissent le soir autour de sa hutte et dans un costume plus simple encore que celui qu'ils portent dans la journée, ils se mettent à danser en rond autour de la cabane du malade, en frappant du poing.sur les murailles pour marquer la cadence indiquée par la musique, composée de tambours et de mandolines. « Les coups de baguette des tambours deviennent de plus en plus rapides, la danse de plus en plus furieuse, le vacarme de plus en plus violent, et nous qui ne sommes que spectateurs, nous sommes à la fin abasourdis. Que l'imagination se représente le plus beau ciel des tropiques, un clair de lune comme on n'en connaît pas chez nous, toute la contrée féerique illuminée par le reflet de la lumière sur le sable blanc du sol; ajoutez-à cela des formes noires et nues, baignées de sueur et bondissant ça et là comme possédées du démon, enfin, un tapage infernal, vous comprendrez alors que les nerfs les mieux trempés puissent en être sensiblement affectés. « Ce délire furieux atteint enfin son paroxysme un homme de haute stature et chef de la famille du malade, enfonce la porte de la hutte il s'ensuit un instant de répit pendant lequel beaucoup de gens aident à traîner le malade au dehors. On l'amène tremblant, deux hommes vigoureux le tiennent par les mains, les autres forment cercle autour de lui et aussitôt on recommence à tambouriner et à danser. Le pauvre malade est obligé de prendre part à cette ronde diabolique. « Au commencement il s'affaisse et tombe. On le relève brusquement et sans pitié. A la fin lui aussi est visiblement saisi par la rage de la danse et saute à.
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l'envi avec les autres, ce que chacun approuve en poussant de grands hurlements. Au bout d'un certain temps, les tambours se taisent enfin et on ramène dans la hutte le malade, auquel le mouvement n'a pas fait de mal. Comme conclusion, le tapage recommence pendant quelques instants autour de la hutte, puis la foule se disperse.Notrecompagnon nous que la manière dont la chose vient de se passer « est encore trèsdouce, en: comparaison des autres cures auxquelles il a assisté; trèsfréquemment, en effet, on ne se contente pas de faire danser le malade avec les autres, mais souvent on le conduit tout en sueur au bord de la mer pour le jeter dans l'eau,ensuite on le contraint à danser de nouveau. Si barbare que paraissece traitement, à première vue, il peut, en tout cas, empêcher qu'on ne s'abandonne trop légèrement à une maladie comme ceci, n'estqu'une autreforme denotre baind'étuve, il est peut-être réellement possible que plus d'un malade ait été débarrassé'de lafièvre parce moyen. »
dit
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Les Iîetsiléos
saurait dire que les Vèses soient absolument nos alliés,mais ce sont au moins nos amis et assurémentles ennemis des Howas, qui n'ont jamais pu les On ne
asservir.
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Cela'tient peut-être à cefait qu'entre leurs territoires il existeun peuple très nombreux, les Betsiléos, soumis il est vrai aux conquérantsdont ils ont adopté les mœurs et la demi-civilisation, mais qui, en dehors de cela en prennent fort à leuraise;-d'autant qu'ilssont plus nombreux que les Howas, dont on ne compte pas un million-d'individus. Du reste, on sait peu 'de choses de ces peuples, précisément parce qu'ils hàbir tent entre les-deuxchaînes1de montagnes qui partant du plateau central (IAnkova) descendent parallèlement vers le sud de l'île.
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Nossi-Vé
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A peu de distance de Tolia, dans la baie de Saint-Augustin, nous avons une colonie très prospère, bien qu'elle ne soit fondée quedepuis 1876. r ': qu'il ne faut pas confondre avec Nossi-Bé, — est un îlot de un Nossi-Vé,
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kilomètre et demi de longueur sur 500 mètres de large qu'un capitaine au long cours, M. Macé, acheta du roi Leymerisapour y établir un comptoir, qui s'est développé très rapidement. Autour des magasins de la maison française, entourée de fortes palissades et défendue par quatre canons, s'est élevé tout un village dont l'importance augmente d'année en année, et dans lequel outre les indigènes, on compte une centaine d'Européens ou Créoles de la Réunion, et parmi eux quelques Anglais que M. Macé a autorisés à y fonder un établissement.
Nossi-Vé centralise tout le commerce de la côte ouest depuis Mouroundava jusqu'au cap Sainte-Marie, par le moyen de sept ou huit petits comptoirs dont l'îlot français est le centre et l'entrepôt, et c'est ce qui explique sa prospérité.
Madagascar.
— Types
d'Antanosses.
Le climat, du reste, est remarquablementsalubre, et l'on s'est toujours demandé pourquoi on n'avait pas installé là une ambulance, où nos soldats et nos marins de 1Ouest auraient pu venir réparer leurs forces emportées par la fièvre et par l'anémie. Au delàdu cap Sainte-Marie jusqu'à la rivière Ongli,
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-Il
est l'Androui, habité
par différentes tribus de même race et de mêmes mœurs que les Vèses, savoir les Mahafales, les Aniandrouis, les Caremboules. Ce pays est peu cultivé, mais extraordinairement riche en bois et en pâturages. Comme curiosité de la végétation on cite un arbre nommé anadzaou qui atteint des proportions gigantesques.
Les Antanosses. Après la rivière Ongli commence l'Anossi, habité par les Antambasses et les Antanosses, indigènes de race plus Malgache que leurs voisins et qui ont été nos alliés dans la dernière campagne et qui le seront encore tant qu'on voudra, d'autant qu'ils sont maintenant dépossédés. rois « Débarquez cinquante de nos soldats au fort Dauphin, disait un de leurs émigrés à M. Macé, et nous retournerons là-bas en masse, et nous vous aiderons de nos bras et de nos sagaies, et nous vous débarrasserons cette terre, où reposent vos ancêtres et les nôtres, des quelques Howas qui l'occupent. » Il est de fait que Fort Dauphin est le coin plus français et le plus anciennement français de Madagascar, à ce point que les indigènes y parlent, non pas précisément notre langue, mais le créole, transmis, de proche en proche, par ceux d'entre eux qui ontété à la Réunion, où les bras manquent toujours, travailler sur des établissements sucriers. Les Antanosses sont du reste à considérer parmi les plus intelligents et les plus industrieux des peuples de Madagascar. Il ne dédaignent point de travailler le bois, d'aller en forêt, d'y couper des arbres pour la construction, et il y a parmi eux de très habiles charpentiers. L'art du potier est pratiqué chez eux avec un certain goût, aussi bien par les femmes que par les hommes. Avec de l'argile il fabriquent les vases et les plats, qu'ils cuisent sur un feu de broussailles, qu'ils trouvent moyen de vernir ensuite en les frottant avec une terre noirâtre, qui les fait devenir clairs et luisants (cette terre noirâtre dont parlent les relations est très probablement du minerai de plomb que les Howas savent employer pour vernir leur poterie). Comme agriculteurs les Antanosses ne sont guère plus courageux que leurs voisins, mais beaucoup plus ingénieux, ils poussent des bœuts dans les marécages et les y retiennent longtemps à trépigner, de façon à ce qu'ils en broient les herbes; quand ces herbes sont pourries ils sèment, et le riz devient magnifique.
Les Antaïmouri. Un peu plus au nord habitent les Antaraï et les Antaïmouri, peu différents de leurs voisins et comme eux grands et bien faits, maisbeaucoup plus paresseux; leur couleurs est le marron plus ou moins foncé leurs cheveux sont généralement crépus et l'on a remarqué que ceux qui ne les avaient qu'ondés étaient d'une constitution moins vigoureuse; en revanche leurs traits sont plus réguliers, plus
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délicats et leurs yeux ont une expression de douceur et de bonté qui inspire immédiatement aux Européens, une confiance dont ils sont habiles à tirer parti. Non qu'ils en abusent, mais ils en usent très largement pour le commerce qu'ils font depuis trois siècles avec les Blancs, bien qu'il n'y ait dans leurs pays aucun port, et que la côte en soit même d'un très difficile abord. Ce commerce est d'ailleurs tout spécial et porte sur un lichen tinctorial (espèce d'orseille dont on importe de grandes quantités en Europe) qui pousse dans la contrée sur le tronc de certains arbres, comme le gui sur le chêne dans nos pays. Les navires qui font cette traite s'approchent le plus possible de la côte, mais comme ils sont encore obligés de mouiller fort au large, une chaloupe chargée des articles d'échange, essaye de gagner le rivage ou, si elle ne le peut pas, emmène avec elle des pirogues au moyen desquelles une communication sera établie entre la chaloupe et la terre car il ne faut pas compter sur les habitants de la côte, ils ne naviguentpas, à cause des écueils dont la mer est couverte en ces parages. M. Grandidier qui explorait Madagascar en 1865, va nous dire comment se faisait et se fait vraisemblablement encore ce commerce. fait inhabitée, dit-il, le navire s'annonce en tirant « Comme la côte est tout à le canon; c'est l'appel entendu au loin et bien compris. Les Malgaches accourent portant les objets d'échange; un camp s'établit sur la plage, adossé aux dunes. « Une sorte de chaloupe, supportée par quatre pieux, est la tente où se traiteront les affaires; une haie, faite de branches d'euphorbe épineuse, complètera l'édifice; tout auprès s'élève, façonnée avec des tiges sèches, une hutte tout juste assez grande pour abriter deux hommes accroupis c'est la case royale enfin deux ou trois parcs, circonscrits par une bordure de feuillage, sont destinés aux indigènes attendant leur tour de vente, près des marchandises qu'ils ont apportées. « Au moment où le personnel du navire descend à terre, la scène est pleine d'animation; hommes et femmes, au nombre d'une centaine, vêtus d'un lambeau de toile en loques, crient, s'injurient, se bousculent. Les opérations commencent. Un matelot tenant la balance, pèse lespaquets d'orseille, et le lieutenant du navire, assis près de la caisse qui contient les marchandises, paye la valeur. Une brasse de toile blanche ou bleue est la rémunération de quinze kilogrammes du fameux lichen tinctorial; cent grammes de poudre, le prix de dix kilogrammes. Les verroteries noires et bleues, les marmites de fonte, les clous dorés, dont les Malgaches se plaisent à orner les crosses de leurs fusils, sont aussi très demandés. « Tout à coup le mouvement s'arrête; on vient d'apercevoir le chef de la peuplade, le roi Tesifanchi, s'avançant avec une majestueuse lenteur, pour saluer les étrangers. C'est un vieillard maigre, d'assez belle stature, ayant le teint clair, les cheveux « gris et lisses; il n'est pas de la race de ses sujets. Pour vêtement il porte un ample morceau de toile autour des reins et se drape fièrement dans unlamba, qu'onjuge avoir été blanc. Une petite calotte de jonc est posée sur sa tête.
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Bientôt on fait cercle autour de la case royale, un Kabar s'organise et délibère. Le capitaine de la marine marchande doit régler les conditions du droit d'ancrage et de libre commerce que tout navire doitpayer dans les ports du sud et du sud-ouest de Madagascar. « Ce droit débattu est fixé ici à un baril de poudre, un fusil à pierre, deux miroirs, une marmite, deux cents clous dorés, une pièce de toile bleue, quatre bouteilles de rhum, abondamment mélangé d'eau et le roi, en les recevant, se déclare traité d'une façon très généreuse six chefs dépendants du roi sont gratifiés en outre de quelques petits présents.» Depuis, le tarif de ces petits présents a augmenté, mais il ne faut pas trop s'en plaindre; ce sont ces petits présents-là qui entretiennent l'amitié, et l'amitié de tous ces roitelets qui gouvernent plus ou moins à Madagascar nous a été, et peut nous être encore très utile. «
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Les Antaximes. Au delà de la rivière Mananzari, qui limite au nord le pays des Antaïmouri, est le territoire des Antatsimou (on prononce aussi Antaximes) ce qui veut dire
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(peuples du sud). Ce sont les plus pauvres, et les moins dégrossis des habitants de Madagascar ils ne sont pas seulement indolents jusqu'à la paresse, comme presque tous les Malgaches, ils sont ennemis du travail et ne veulentpas se donner la peine de cultiver leur sol, qui pourtant est le plus fertile de toute l'île; largement arrosé par le Mangourou, une des plus belles rivières de Madagascar, on y récolterait ce qu'on voudrait. Mais les habitants ne veulent pas entendre parler de cela, et comme ils n'ont ni commerce, ni industrie, ils vivent de rapine et de brigandage. Les Antaximes sont presque nègres avec la chevelure laineuse des Cafres, dont ils ont aussi le bouclier que seuls de tous les peuples Madecasses avec leurs voisins les Betasimènes, ils ont conservé comme arme offensive.
Les Betasimènes. Les Betasimènes, sauf celles de leurs tribus, comme les Affravarts, qui touchent les Antaximes, sont moins rebelles à la civilisation, moins paresseux, surtout beaucoup plus sociables, car ce s'ont peut-être les habitants les plus doux, les plus accueillants de toute l'île. Leur territoire est d'ailleurs la province la plus belle, la plus fertile et la plus peuplée des provinces Malgaches du bord de la mer Andevourante ou Andevonandro, grand village maritime situé à l'embouchure d'une rivière qui fertilise tout le pays, est leur capitale. S'il y avait des routes à Madagascar, c'est d'Andevonandro que devrait partir
et
celle qui mènerait de la mer à Tananarive, outre qu'elle serait la plus courte elle serait la plus facile à faire, car le pays est plus déboisé que tous les autres.
Les Bezonzons. 4l'ouest des Betasimènes, c'est-à-dire entre eux et l'Ankova, noyau du royaume
des Howas, habitent les Bezonzons et les Antacayes.
Sainte-Marie de Madagascar.
Les premiers sont peu nombreux, et tout leur territoire se compose de quatorze villages, bâtis dans la vallée qui s'étend au pied des montagnes de Béfour.
Les Antacayes. De l'autre côté de ces montagnes, et dans la plaine baignée et bornée à l'Ouest
par la rivière deMangourou, qui descend des montagnes d'Ankova,sont les Antacayes, tribu nombreuse, isolée par sa situation qui la prive de communications avec le dehors, mais qui trouve sur son propre territoire toutes les choses nécessaires à la vie, et avec une abondance que ne connaissent point la plupart des nations civilisées. Ce territoire, qui a 320 kilomètres de longueur sur 60 de largeur, est couvert d'une quantité innombrable de troupeaux; on y récolte une espèce de riz rouge, remarquablement nourrissant.
Si les Antacayes sont en quelque sorte privilégiés au point de vue de la sécurité, il n'en est pas de même au point de vue physique et ce sont les moins avantagés de tous les peuples Malgaches. Leur type est celui d'une race vraisemblablement d'origine malaise, comme leurs voisins les Howas, mais dégénérée ou tout au moins altérée par des croise-
ments successifs avec les aborigènes. Ils ne sontni noirs ni jaunes, ni petits, ni grands et plutôtmalingres que robus-tes. C'est pourtant le type Malais qui domine chez eux, et ils s'en rapprochent non seulement par la couleur basanée de leur peau, les traits de leur visage, et leurs cheveux rudes et plats, mais encore par l'habillement, le langage el les mœurs. Chez eux comme chez les Malais, la beauté consiste à avoir les dents noires, mais ils y ajoutent des recherches de toilettes empruntées aux Cafres, comme de s'allonger les oreilles en les perçant de grands trous et de se frotter le corps avec du suif de bœuf. Leurs chefs, despotiques et naturellement cruels comme leurs sujets, ont droit de vie et mort sur eux, usage inconnu dans tout le reste de l'île, où les criminels sont jugés dans une assemblée générale. Chez les Howas même, il y a un véritable jury qu'ils n'ont pas eu besoin d'emprunter aux civilisations Anglaise ou Française, mais dont ils ont seulement perfectionné le fonctionnement, car il exista de tout temps à Madagascar. Cette espèce dejury se compose de douze membres, exactement comme chez nous, mais ce nombre douze n'est point arbitraire, il rappelle celui des douze rois, considérés comme saints, qui ont régné jadis dans le pays. Ces jurés ne sont point tirés au sort, ce sont des espèces de magistrats constituant un tribunalprésidéparleSizialainga, titre qui veut dire « homme sévère »inutile d'ajouter. mais juste, puisqu'il représente la justice. Cet homme sévère, armé de la knce en argent, qui est le signe de sa, dignité, se transporte accompagné de quelques assesseurs, non moins sévères, à la maison du prévenu, ce qui économise les mandats d'amener et les gendarmes, puisque le président va chercher lui-même ses justiciables. Sur l'ordre qu'il reçoit du Sizialainga, de sortir de sa demeure, le prévenu paraît, apportant à manger et à boire pour traiter les gens de justice. Le Sizialainga mange ou ne mange pas, mais il annonce l'accusation, et leprévenu, d'ores et déjà prisonnier, le suit, dans la case qui représente l'hôtel de ville, où doit avoir lieu l'instruction de l'affaire; le jugement suit presque immédiatement et si l'accusé n'a pas grand temps pour préparer sa défense, du moins ne moisit-il pas en prison préventive. Du reste s'il comparaît pour la première fois devant un 'tribunal, il a le droit d'appeler d'un jugement dont il n'est pas. satisfait, devant un grand Kabar réuni par ses soins et à ses frais.
Les Betsimasaraks. Au nord des Betasimènes et sur la côte, est le pays des Betsimasaraks, Malgaches purs, dont nous avons déjà étudié les mœurs et qui de la civilisation dont ils se sont frottés, n'ont guère pris que les vices. r Les qualités, ils n'ont pu se les incorporer ils sont restés d'une paresse incu-
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rable et aussi lâches que paresseux. Cinquante Howas en mettraient des milliers en dérouté. Malheureusement, c'est sur les promesses de pareilles gens, qu'on s'est presque toujours lancé en avant avec des forces insuffisantes, parce qu'on a toujours compté sur leur concours, quand on n'aurait dû faire état que de leur dévouement. Dévouement intéressé d'ailleurs, puisque notre succès devait faire rentrer leurs chefs dans les territoires usurpés par les Howas, ce qui est plus que contingent, du moins pour certaines parties, car Tamatave notamment, qui était la capitale des Betsimasaraks, est trop important pour être abandonné, sans espoir de retour, par la reine qui gouverne à Tananarive. Les Ambanivoules etles Antavarts qui habitent plus au nord et jusqu'à l'entrée dsla baie d'Antongil ne sont que des tribus des Betsimasaraks, mais celle des Antavarts est considérable et au point de vue français, du moins, prédominante, probablement parce qu'elle occupe sur le littoral la partie la plus voisine de notre île Sainte-Marie.
Les Antsianares. l'ouest des Antavarts, c'est-à-dire dans l'intérieur, sont les Antsianares aujourd'hui à peu près inféodés aux Howas, dont ils bornent par le Nord la province d'Imerina ou d'Emirne mais qui ont conservé une certaine autonomie morale, sinon politique. Cette peuplade, composée presque entièrement de pasteurs et de cultivateurs, vend à ses voisins, et principalement aux Betsimasaraks, qui sans cela se laisseraient mourir de faim tant ils sont paresseux, du riz, de la volaille, du miel, et une certaine boisson fermentée, faite avec du jus de banane et de canne à sucre qu'on appelle du toc. Les Antsianares ont dans les établissements Européens une réputation détestable, qui remonte haut et que rien ne justifie plus. On les appelait brigands parce qu'à plusieurs reprises, ils ont vigoureusement défendu l'entrée de leurs cantons à des Blancs, qui n'essayaient d'aller chez eux que pour les piller mais les voyageurs pacifiques, assez rares, il estvrai; qui ont pu pénétrer chez eux, disent que leurs villages sont bien bâtis, fort convenablement policés, que leurs plantations de riz sont magnifiques, et que leurs monA
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tagnes, dont ils savent extraire de l'argent, donnent à leur pays un air salubre trop rare à Madagascar. La contrée n'est d'ailleurs pas sans débouchés extérieurs, et les traficants arabes y pénètrent par Majunga, en traversant le Boueni par voie de terre.
l'Est. Les Antankares.
est
Au nord des Antsianares, l'Ankara, jadis royaume indépendant qui occupe tout le nord de l'île, depuis la baie Passandava àl'Ouest et depuis la baie d'Antongil à ", Ce côté est, d'ailleurs,leseul intéressant, et l'on pourrait presque dire le seul -
habité.
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Suivons-en le littoral d'après le voyage déjà cité des deux députés de la Réunion. , MM. de Mahy et Dureau de Vaulcouste, dit le narrateur, ont vivement regrettédenepouvoir pousser jusqu'au fond de la baie dantougil, le spectacle en valait la « Mais le temps du voyage était limité etle Bisson n'a, comme disent les marins, quede mauvaises jambes. De cette baie magnifique dont l'entréen'apas moins devingt milles de large, on se rend compte mieux quepartout ailleurs de la fertilité de Madagascar. l'avoisinent, toutes les montagnes qui dominent, « Toutes les terrés qui disparaissent sous la végétation la plus drue, sous les forêts les plus épaisses. Ces forêts sont remplies des essences les plus variées, comme l'ébène, nath, le lohindry, le toéravi, le fora, l'indraména, l'alao,-le tokamaka, lejutsy, le badamier, le ramé, le raofia, le filao, etc., — et sont d'autant plus facilement exploitables que cette partie del'île estplus que les autres sillonnée de cours d'eaunavigables sur une certaine étendue de-leur parcours et se jetant dans la mer par des embouchures praticables pour les caboteurs. En outre, la population est plus nombreuse aux environs de la baie que dans n'importe quel autre point du nord de Madagascar. Par malheur, la réputation d'insalubrité faite un peu à la légère pour ma part, je sais seulementque la chaà ces rivages, les a mis en défaveur leur y est intense et que les pluies ne cessent d'y tomber. Néanmoins, il est permis de supposer que la côte est de la baie d'Antongil est moins malsaine que sa côte ouest. les montagnes commen« A l'Est, en effet, il n'y a pas le moindre marais, car cent à la plage et atteignent aussitôt une élévation de plusieurs centaines de mètres, — et, si aucun établissement n'a été formé de ce côté, c'est uniquement parce que les Howas ont défendu l'exploitation des immenses forêts qui revêtent la presqu'île d'Angontsy jusqu'au cap Massoala. Que de curieux souvenirs historiques la France a laissés dans ces parages « Ici, c'est Maroansetra, autrefois Port-Choiseul, ou plutôt Louisbourg, fondé par
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deBeniowsky. ce héros de roman, cet aventurier de génie qu'on appelait le comte A deux lieues plus bas, se trouve l'île Marosse, où la Bourdonnais vint ravitailler son escadre désemparée par un coup de vent. En moins de deux mois, sa flotte,
Une route à Madagascar.
grâce aux ressources du pays, était en état de reprendre la mer et de vaincre les Anglais dans le golfe du Bengale. « Mais passons et suivons le Bisson vers Vohémar. A partir de la rivière de Béinarivo, une brusque transformation s'opère au lieu d'être larges et puissantes, les montagnes se succèdent en dressant des pics effilés et s'accouplent à
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des mornes aux sommets tailladés et comme déchiquetés par un emporte-pièce. Plus de ces forêts .qui, tout à l'heure, descendaient des crêtes jusqu'à la mer, mais des herbes et des brousses. De loin en loin, pourtant, des bouquets debois jettent une note plus verte sur ce fond décoloré. « Au fur et à mesurequ'on monte dans le Nord, le rivage s'étend et s'aplatit, les montagnes reculent et des dunes en marquent le premier plan. La végétation semble maigre, menue, sans force. La montagne s'escarpe et laisse voir son
ossature.
Quand le bateau entra dans le port, le 22 octobre au matin, il y trouva six autres bâtiments. C'était un nombre qu'on n'avait pas encore atteint, et, s'il prouve que ce port constitue un refuge assez vaste, il démontre aussi qu'un certain mouvement commercial s'est établi à Vohémar. « Le village s'agrandit tous les jours, grâce aux concessions de terrain faites aux Mauriciens et aux Bourbonnais, sous la condition expresse d'y élever des constructions. De quelle nature sont donc ces concessions? Elles sont purement temporaires. On ne saurait engager l'avenir, c'est vrai, mais il faut espérer que de temporaires, ces concessions deviendront bientôt définitives. « Le soir du 24 octobre, le Bisson quittait Vohémar et, le 25 au matin, il entrait dans la grande baie de Diégo-Suarez. lui comparer que la rade « La vue en émerveilla nos voyageurs. On ne peut de Rio-Janeiro, la baie de San-Francisco et celle de Sydney. Diégo-Suarez, c'est dans un seul, et, seule, cette.haiejustifierait conquête de Madagascar. finir « Elle est entourée de vastes plaines qui s'élèvent insensiblement pour en un cirque de montagnes dont la plus élevée, la plus imppsalle, la plus verdoyante est la montagne d'ambre. Le panorama est superbe. La, végétation s'y montre d'une vigueur extraordinaire. De hautes herbes, des arbres de construction, des arbres fruitiers, garnissent le fond de la baie. Les sources jaillissent de partout. Que de magnifiques pâturages Aussi les bœufs abondent ou plutôt abondaient dans ces parages, (l'était également là qu'avant la guerre les navires deMauriee venaient, pendant la mousson du nord-est, cherde la Réunion cher des cargaisons de bœufs vivants. des naturels par les Howas, la population de « Par suite de l'extermination cette partie de.l'îleest aujourd'hui très clairsemée et se livre à peu près exclusivemeat àl'élève du bétail. encerclée d'un sol calcaire peu « Balayée par les vents réguliers du sud, propice à la stagnation marécageuse, la baie de Diégo-Suarez est peut-être le point le plus salubre de Madagascar. Les nuits y sont d'une fraîcheur délicieuse et les jours d'un éclat vif et sec. C'est un endroit prédestiné. On en peut faire un des plus beaux ports de commerce du monde et le port de guerre le plus sûr, le plus inattaquable. Tous les établissements maritimes y trouveront leur place, Tout près, ou à peu de distance, il y à du bois, du fer, de la chaux, du grès, de la pierre à bâtir. «
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Diégo-Suarez, placée à l'extrémité septentrionale de Madagascar et sur la route des bateaux venant de Suez ou s'y rendant, deviendrait, par la force des choses, l'entrepôt des mille productions de la grande île et des marchandises apportées d'Europe, d'Asie et d'Afrique. Elle serait une station tout indiquée et non la moins importante sur la ligne de Marseille en Australie. «En cas de guerre maritime, nos établissements n'auraient rien à redouter de l'ennemi, ils seraient hors de portée de ses canons. Non seulement l'entrée delàbaieseraitfacileàdéfendre, grâce aux îles qui en marquent leseuil, occupent l'axe du chenal et contribueraient avec des batteries de côte à écarter l'adversaire, mais encore, la distance qui sépare cette entrée des emplacements les meilleurs à occuper est telle (16 et 19 kilomètres) qu'en tenant compte de l'éloignement du point d'embossage des vaisseaux assaillants, nos ateliers et nos magasins seraient à plus de trente kilomètres de la ligne de feu, c'est-à-dire bien au delà de l'action des obus. « Les Howas avaientdepuis longtemps conscience de lavaleurde Diégo-Suarez et des convoitises qu'elle excite. C'est pourquoi ils y ont toujours entretenu une forte garnison composée de leurs meilleures troupes, sous les ordres d'officiers choisis. » Quant aux habitants de cette contrée, les Antakares ou Antakarana, ce sont des Sakalaves, mais mieux doués que leurs congénères de la côte occidentale; leur intelligence, leur docilité relatives ont permis de recruter chez eux quelques auxiliaires, qui sont presque de bons soldats, malgré leur paresse naturelle. «
LES HOWAS
Il ne nous reste plus à parler que des Howas, pour avoir fait le dénombrement complet des habitants de Madagascar. Nous en avons dit déjà quelques mots, nous y reviendrons souvent encore, puisque ce sont les ennemis que nous trouverons devant nous là-bas; c'est
pourquoi nous ne ferons entrer dans ce chapitre que des-généralités. Plus braves et plus disciplinés que les peuples voisins qu'ils ont pour la plupart asservis, ils sont aussi beaucoup plus civilisés, ils ont des villes avec des édifices en pierre que l'on pourrait presque appeler des palais ils savent exploiter des mines de fer et de plomb, font des étoffes aussi belles que solides et nolamment le câlin, espèce de toile si estimée à Madagascar qu'on la vend couramment un esclave la pièce, on applique sur cette étoffe à fond bléu, des morceaux d'étain très artistement travaillés, qui font de riches bordures ou des-
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sinent des bouquets de fleurs à même la trame, qui est le plus généralement de coton, mais quelquefois aussi de soie. Ils travaillent les métaux presque aussi bien que les Européens on pourrait même dire qu'il les travaillent trop bien, car ils contrefont avechabileté les piastres ou pièces de cinq francs françaises, qui sont les seules monnaies ayant cours à Madagascar. Seules doit être pris ici dans l'acception la plus complète du mot les pièces divisionnairesn'existent pas, mais il est avec les piastres des accommodements et l'on obtient la petite monnaie en coupant la grande en fragments, qu'on pèse au moyen d'une petite balance que tout commerçant porte constamment sur lui. En somme, onachète les choses au poids de l'argent, et ce système a du bon , à cause de l'énorme quantité de fausse monnaie qui circule dans le pays surtout et que l'on ne reconnaît facilement qu'au coupage. L'agriculture n'a pas suivi chez eux les progrès de l'industrie, et cela se comprend, puisqu'il suffit de remuer le sol avec une bêche et d'y jeter quelques graines pour être sûr de récolter de quoi vivre pendant une année ils n'en demandent pas d'avantage et cela explique pourquoi il reste chez eux en friche, tant de terrains qui pourraient donner des récoltes abondantes. D'origine malaise, les Howas sont moins foncés et beaucop moins laids que les autres peuples de Madagasca'r; la race pure est même assez blanche, mais comme il y a eu de nombreux croisements depuis qu'elle s'est établie dans la grande île, on trouve parmi les Howas un échantillon de toutes les nuances de peau, depuis jaune olivâtre jusqu'au rouge brun foncé, il y en a même de noirs mais ils n'ont presque rien du type nègre. En général ils sont grands de taille, mieux membrés et ont les traits mieux formés, plus accentués que les Malais de Java et de l'Océan Indien, dont ils diffèrent aussi au moral. d'eux et les a « Le Howa dit M. Laborde qui a vécu quarante ans au milieu initiés aux secrets de l'industrie européenne, le Howa réunit les vices de tous les différents peuples de l'île. Le mensonge, la fourberie et la dissimulation ne sont pas seulement chez lui des vices dominants, mais encore tellement estimés qu'il cherche à les inculquer le plus tôt possible à ses enfants. vivent entre eux dans une méfiance perpétuelle, et ils regardent « Les Howas l'amitié désintéressée comme une chose impossible. Pour la finesse et la ruse ils y excellent d'une manière incroyable, et ils pourraient en remontrer à cet égard aux plus habiles diplomates de l'Europe. »
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De ceci nous trouvons plus d'une fois la preuve au cours de ce récit. La population est divisée par castes, à peu près avec le même système en usage dans l'Inde chez les Howas où il y a déjà, mais seulement pour ce qu'on pourrait appeler l'élément militaire, seize grades ou honneurs, on compte onze
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catégories bien tranchées. La lre caste, ou plus exactement la onzième si l'on commence par le sommet
de l'édifice social, ne comprend que les princes régnants et les héritiers présomptifs, qui ont rang d'altesses royales. Les autres membres de la famille royale ascendants, descendants, ou collatéraux, appartiennent àla dixième caste ils ne peuvent se marier qu'entre eux et par exception, le frère peut épouser la sœur, sans commettre un inceste; cette transgression à la loi a pour but d'empêcher la trop grande multiplication des membres de la famille royale, et probablement aussi d'éviter des croisements qui arriveraient à faire entrer des princes à peu près nègres dans une famille qui depuis Radama Ire a toujours été presque blanche.
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Madagascar. — Port de Voliémar.
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Les six castes suivantes, depuis neuvième jusqu'à la quatrième inclusivement, sont composées de la noblesse grande et petite acquise par la naissance, par des services rendus ou par les grades et emplois qui la donnent; les parvenus sont naturellement delà caste la moins élevée. La troisième caste comprend le peuple, c'est-à-dire l'habitant libre, sous certaines conditions prévues par la loi. Ainsi le paysan a le droit d'ensemencer partout où il trouve un terrain en friche, mais son travail ne lui donne aucun titre de propriété, et le propriétaire, un noble quelconque, peut lui reprendre le terrain sitôt qu'il est défriché et devenir ainsi, tout naturellement, maître de la récolte. Le gouvernement accorde généreusement au paysan, un mois pour chacune
des deux récoltes de riz qui se font dans l'année. Hors ces espèces de vacances, les hommes sont mis en réquisition pour tous les servicesimaginables, selon le bon plaisir de la reine ou des fonctionnaires administrant sous ses ordres. Comme il n'y a que des routes très rudimentaires et pas d'autres moyens de locomotion qu'une espèce de palanquin, nommé takon,c'estsurtoutcomme porteurs que ces pauvres gens sont employés les trois quarts de l'année, car ils n'ont pas seulement à convoyer les denrées et marchandises de la reine, le premier noble -le premier offiaiervenu se procure des autorisations pour des services semblables, ou s'il n'en a pas, force les gens à les lui rendre sans rétribution. Se plaindre! ils ne l'osent jamais, car ils savent bien qu'un paysan n'obtient jamais justice contre un officier ou contre un noble; aussi ne se plaignent-ils point, mais ils se retirent loin du voisinage des chemins qui conduisent de la .capitale aux ports de mer, et vont s'établir dans l'intérieur, où ils sont moins susceptibles d'être atteints par les corvées et les réquisitions. Mais cette émigration est à peu près enrayée, car elle était devenue telle que la reine a été obligée de la défendre sous peine de mort. Par la même occasion elle a daigné adoucir un peu le sort de ses bon paysans habitant le long des routes, en les déchargeant du service militaire, le plus odieux de tous pour le peuple. La deuxième caste comprend les esclaves blancs et tous les hommes qui .autrefois libres ont été vendus comme prisonniers de guerre, ou en punition de quelque crime de droit commun. Enfin, la première ou plus exactement la dernière caste.,estformée des esclaves noirs, c'est-à-dire de ceux qui sont nés esclaves; et ce ne sont certainement pas les plus malheureux. Leur-condition est, comme chez tous les peuples à demi-sauvages, infiniment Créoles; ils n'ontpas beaucoup à travailler, meilleure que chez les Européensou et leur nourriture est la même que celle de leurs maîtres Çaequine veut pas dire pourtant qu'elle soit bien bonne), et ils sontrarement punis, bien que les lois du pays ne leur donnent aucune garantie. Le maître peut même infliger la peine de mort à ses esclaves seulement la -canne dont il se sert pour les frapper ne doit pas être garnie de fer. Si elle l'était, le maître serait condamné, selon les cas, à une amende ou à une autre peine. Ce cas,du reste,est excessivement rare, les maîtres ne tuentpas leurs esclaves, parce qu'ils représentent un capital et que généralement les Howas sont fort intéressés. Ils se montrent d'ailleurs assez coulants avec leurs esclaves, pourvu que leurs intérêts n'en souffrent pas, et beaucoup des ces derniers, moins paresseux que le commun des mortels ou plus intelligents, payent à leurs maîtres une redevance en argent et viveat en hommes libres; on en voit même qui finisent par avoir des esclaves qu'ils font travailler pour eux. Être esclave d'un esclave, cela doit être dur, mais comme le malheur n'est
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jamais grand que par comparaison, ces gens, qui ne savent rien, ne se doutent pas même de leur infortune. dit Mme IdaPfeiffer, entretiennent beaucoup d'esclaves « Les Malgaches, nous qui, il est vrai, ne sont pas d'un grand prix. Un esclave coûte de douze à quinze écus quel que soit son âge. Cependant on aime mieux acheter des enfants de huit à dix ans que des adultes, car on a pour principe cette idée, en général très juste, qu'on peut dresser les enfants comme on veut, tandis qu'un adulte qui peut avoir pris de mauvaises habitudes ne s'en corrigera pas facilement. On ne vend pas des hommes faits, excepté parmi les hommes libres, ceux qui « sont mis à l'enchère en châtiment d'un crime, et parmi les esclaves ceux dontles maîtres ne sont pas contents. Les femmes se vendent généralement plus cher que les hommes, surtout les ouvrières en soie, dont les plus habiles se payent jusqu'àdeux cents écus. dans sa propre caste et dans les deux castes« Un noble peut choisir une femme inférieures, mais jamais dans un caste supérieure à la sienne. « Dans aucun cas, il ne peut se marier avec une esclave, et la loi ne permet pas même une liaison d'amour entre un noble et une esclave (1) cette loi était autrefois observée très rigoureusement, et quand on découvrait une liaison de cette nature, le noble était vendu, la femme esclave mise à mort. Si une dame noble entretenait une liaison avec un esclave, ils étaient mis à mort tous les deux. Cependant, de nos jours, cette rigueur s'est bien adoucie. - « S'il n'en était pas ainsi, avec la corruption générale de mœurs qui règne dans le pays, la majeure partie des hauts dignitaires et des nobles devrait être exécutée. la cour? « Et que deviendrait alors « Mais cette loi produit toujours quelque bien, car lorsqu'un noble en est à craindre que sa liaison avec une esclave ne soit découverte, il faut qu'il lui rende làliberté pour échapper au châtiment. « Comme la polygamie est établie dans le pays, tout individu peut prendre autant de femmes qu'il veut. Chez les nobles il n'y a cependant qu'un nombre restreint de femmes qui puisse prétendre au titre d'épouse légitime, et la première femme a toujours des prérogatives sur les autres, et ses enfants ont aussi le pas sur ceux des autres femmes. « Celles-ci demeurent, chacune dans des maisonnettes particulières, comme des femmes de rang inférieur. « Le roi peut prendre douze épouses légitimes, mais il faut qu'il les choisisse toutes dans les premières familles du pays. La reine, ainsi que ses sœurs et ses filles, onL le droit de renvoyer leurs maris et d'en prendre de nouveaux toutes les fois que cela leur plaît. » 1. Evidemment il y avait avec la loi des accommodements, puisque à l'époque du séjour de
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Pfeiffer, le prince Rakotond, le fuLur roi, avait un fils d'une esclave. et la mère et l'enfant avaient le titre d'altesses il est vrai que l'enfant ne pouvait succéder à son père.
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Très élastique ce dernier article; eh bien jusqu'à présent du moins, les reines de Madagascar n'en ont pas encore abusé; il faut dire aussi que depuis que la religion chrétienne a pénétré chez les Howas, elles n'en usent même plus et que la polygamie a presque complètement disparu. Cette polygamie n'a d'ailleurs jamais troublé la vie de famille des Howas, en raison de l'autorité incontestée que l'homme a toujours exercée dans son ménage. Cette autorité repose sur une légende assez curieuse et qu'il faut citer ici, parce qu'elle donne en même temps une idée de la littérature des Howas.
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Dieu créa premierhomme et la première'"femme en même temps et leur donna pour séjour, dans l'intérieur du pays, une belle contrée où ils se nourrissaient de racines et de fruits. « Alors' naquit le premier enfant, un fils, et les parents demandèrent au Seigneur une nourriture plus substantielle. Votre demande est fondée, vous ne devez plus « Le Seigneurleur répondit : vous nourrir comme des animaux, donnez-moi le sang de votre fils et je vous donnerai une nourriture substantielle. « Sur ces paroles, les parents commencèrent à se désoler et la femme dit Prends-moi plutôt que mon fils. , flamboyante, lance la femme trembla et Cependant Dieu vint quand avec sa « tendit, en sanglotant, l'enfant pour le sacrifice. Mais l'homme le lui arracha, le serra contre sa poitrine, se présenta devant « Dieu et dit Prends-moi à la place de mon fils, j'ai assez vécu. Songes bien àce que tu fais, la vie est belle. » Mais « Dieu lui répondit « — l'homme resta inébranlable et courba la tête. lanceflamboyante au-dessus de la tête de l'homme; « Alors Dieu leva la celui-ci s'épouvanta, ferma les yeux, mais découvrit cependant sa poitrine pour recevoir le coup mortel. Touché par cet amour paternel, Dieu, au dernier moment, détourna sa lance, « et avec la pointe effleura la tête de l'homme. Quelque gouttes de sang tombèrent, et voilàque, lorsqu'elles furent tombées « sur le sol, il en crût une magnifique plantation de riz. Vous avez là une nourriture pour vous et vos descendants, « Alors Dieu dit et toi, homme, qui t'en es montré digne, tu gouverneras désormais ta famille, , et toi femme, qui fus faible, tu lui obéiras et tu lui sera toujours soumise. ». «
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Comme on le voit par ceci, les Howas ont toujours reconnu un être suprême auquel ils demandent le pouvoir, des richesses, des bœufs, des esclaves, mais c'était là toute leur ancienne religion, car ils n'avaient ni temples, ni autels, ni
prêtres. Pourtant ils avaient adopté la circoncision qui est, du reste, encore en usage
dans toute l'île, bien que les Malgaches semblent aussi étrangers au mahométisme qu'au judaïsme ; il est vrai qu'elle est accompagnée de cérémonies qui n'ont aucun rapport avec celles des Arabes ou des Juifs. Ce n'est pas isolément que les enfants sont circoncis mais par groupes, tout un village à la fois, et le jour choisi pour cette cérémonie est un jour de fête, où les liqueursfortes et l'arack se prodiguent.
Les danses recommencent avec le festin et secontinuent jusqu'à extinction des victuailles préparées et de l'arack. Ce qui se fait au village se fait également dans les villes qui ne sont,, en réalité, que la réunion de plusieurs villages. Les Howas ont, nous l'avons dit, adopté le costume européen, et depuis 1874 il est obligatoire dans la capitale, au moins pour les fonctionnaires et les nobles suivant la cour. Obligatoire ne veut pas dire correct, car sauf dans l'entourage de la reine où l'on suit les modes européennes. de loin (de très loin puisque l'on en est encore aux crinolines) on sa montre généralement très coulant sur la forme des vêtements, surtout du côté des hommes, qui ne regardent ni à la forme ni à l'âge des vêtements; pourvu qu'ils soient européens, tout est dit. Si à la cour on tient à la façon et surtout à la richesse des costumes, on n'y brille généralement pas par le goût. Madame Pfeiffer décrit comme suit une toilette de bal, qui en donne une
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idée
La robe était en velours de soie bleu, garnie dans le bas d'une bordure de couleur orange, surmontée d'une large bande de satin rouge cerise. Le corsage, également en satin et longues basques, était d'un jaune soufre éclatant, et pardessus se drapait un châle vert clair. «La tête était tellement chargée de fleurs artificielles raides et massives, de plumes d'autruche, de rubans de soie, de perles de verre et de toutes sortes de passementeries, qu'on ne voyait absolument rien des cheveux, ce en quoi, il est vrai, la dame ne perdait rien. Je la plaignais seulement à cause du fardeau qu'elle «
à
avait à porter. de couleurs dans le costume des autres « Il y avait de semblables contrastes dames; quelques unes avaient imaginé un nouvel embellissement: un haut chapeau terminé presque en pointe, dans le genre à peu près de ceux du Tyrol. » Veut-on maintenant une toilette de ville? voici celle de Marie, l'épouse morganatique et bien-aimée du prince Rakotong, qui avait cru devoir s'habiller tout à fait à la mode française pour faire honneur à la voyageuse européenne. Par-dessus une douzaine de jupons empesés très raides, elle portait une « robe de laine, garnie jusqu'à la ceinture de larges falbalas et de grands nœuds de rubans, mais ceux-ci au lieu d'être attachés par devant l'étaient par derrière. Elle s'était mis sur les épaules un châle français qu'elle avait de la peine à faire tenir, et, avec sa tête aux boucles cotonneuses et crépues, elle portait tout en arrière, et enfoncé sur la nuque, un tout petit chapeau rose. » On objectera peut-être qu'il y a de cela près de trente ans, mais voici un témoignage beaucoup plus récentqui prouve que à cet égard, il n'y arien de changé à Madagascar, nous le prenons dans le voyage autour de l'Afrique déjà cité. Il s'agit d'un bal donné à Majungapour fêter les officiers du navire autrichien.
Des chants joyeux, dit le rédacteur, attirent bientôt notre attention sur la cour située devant la véranda. La fine fleur des Howas, en habits de fête, s'y est réunie provisoirement, parce qu'on a annoncé une danse en notre honneur. Les danseurs proprement dit n'étant pas encore arrivés, nous avons le temps d'examiner à l'aise les personnes présentes, d'un âge avancé pour la plupart. le sol, un groupe de femmes frisées « A droite devant nous, est accroupi sur avec le plus grand soin et dont une partie porte des lambas très riches. Aucune de ces femmes ne peut passer pour belle, mais beaucoup ont une physionomie spirituelle et intelligente. « A un moment donné, chacun prête attention. Tousles yeux se tournentvers la droite, où apparaissent une douzaine de couples d'un comique dont on ne saurait se faire une idée. Les hommes ont des habits civils plus ou moins usés et tous les genres de coiffure imaginables; les femmes portent des costumes, européens très bizarres; on aurait peine à en trouver des échantillons dans un bal masqué. Sur leurs cheveux lissés, contrairement à leur coutume, elles ont depuis posé ou des chapeaux de mode ancienne ou des couronnes de mariées la robe de bal rose rouge jusqu'au vêtement noir étroit et à la jupe d'hiver, toutes les toilettes sont représentées. Ajoutez à cela la variété de teint, car on y voit le brun avec toutes ses nuances, des chaussures massives et des gants suspects, où se lit la marque de fabrique patent Stokings (bas patentés), et l'on conviendra que le sentiment de notre devoir à l'égard du pavillon est digne d'éloge, puisque, non seulement il nous fait comprimer une belle envie de rire, mais prête encore à nos figures l'expression de la plus haute admiration. » Mais si les dames Howas sont profondément ridicules lorsqu'elles croient se mettre en grande toilette, en se gantant avec des bas de coton blanc, — ce qui ne prouve guère en faveur de la délicatesse de leurs mains, — elles ne le sont plus «
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dans leur costume ordinaire. « La façon de se vêtir des femmes, dit le narrateur que nous citions tout a l'heure, est plus en rapport avec nos idées, et le lamba, suivant sa valeur vénale plus ou moins grande, indique le rang de celle qui le porte. Elles semblent ne pas accorder beaucoup d'importance à la parure on leur voit parfois des boucles d'oreilles de la façon la plus simple; plus souvent elles ont autour du cou des colliers ornés principalement de médailles et de croix distribuées par les missionnaires.Chez la plupart d'entre elles, les cheveux, d'unnoir brillant, sont l'objet de soins assidus, et arrangés en pelotes artistement roulées; quelques-unes, appartenant à la haute société, les disposent cependant à la manière européenne. »
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L'élément militaire est non moins bien que l'élément civil, déguisé à l'européenne, mais iln'y a d'uniforme que pour les soldats. quand en ont, lesofficiers habillent comme ils l'entendent et plus souvent en bourgeois qu'en militaire. L'officier de la marine autrichienne qui a raconté le voyage de l'Helgoland va nous édifier sur les prétentions et les costumes de l'armée howa.
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C'est la réception de l'état major delà corvette à Majunga qu'il raconte comme
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suit
Arrivés à terre on nous conduit au corps de garde. Des palanquins primitifs nous y attendent avec une escorte d'honneur. Un officier noir comme l'ébène, vêtu d'un frac rouge, d'un tricorne posé de travers et surmonté d'une touffe deplumes blanches, nous rend les honneurs et nous fait présenter les armes par ses gens. douze hommes en surtout de coton blanc et en kappis bleu. Ce n'est cependant pas chose si facile. Tout soldat madécasse porte de chaque « côté un poignard il est aussi armé d'un fusil à pierre et d'une lance ou d'un* bâton en bois dur toutes les fois qu'il veut manier son fusil, il doit commencer par fixer le bâton tout droit devant lui dans le sol. « Un second officier en vêtements civils et avec un chapeau haut de forme, dirige strictement l'exécution des manœuvres isolées. Il donne de l'énergie à son commandement en imprimant un mouvement à son sabre étincelant pour lequel il ne possède pas de fourreau; les Howas en général paraissent ne pas connaître cet accessoire. En même temps, la musique commence l'exécution de l'hymme populaire des madegasses, avec des violons, des flûtes et des tambours grands et petits. « La réception solennelle estalorsachevée. Le commandantsatisfait, place son sabre sous son bras et nous aide à monter sur les palanquins, la musique et le piquet d'honneur en tête; nous nous mettons en route pour le fort, dont nous gravissons le chemin escarpé, Une fois arrivés, nouveaux témoignages d'honneur à notre é.gard. Pour « nous donner un libre accès on enlève solennellement les lances croisées devant la porte; la garnison et les artilleurs nous présentent les armes. Enfin le gouverneur et sa suite, en grande tenue, nous reçoivent dans l'avant-cour, où est rangé un nombre de troupes considérable. Le défilé des divers dignitaires est vraiment imposant. frac de velours noir, un chapeau avec une cocarde « Le gouverneur porte un française et des épaulettes d'officier de la marine anglaise mon ami Ambulahéry (le directeur de la douane) se complaît dans un simple vêtement brun et une casquette d'ordonnance d'officier; puis on remarque le sous-commandant des troupes dans son uniforme madécasse de velours bleu avec le chiffre de la reine sur des épaulettes informes. Les autres ont les livrées et les uniformes les plus variés avec des coiffures de toute espèce, en y comprenant le chapeau italien à la Garibaldi. «La présentation réciproque a lieu alors. On nous donne une poignée demain comme s'il s'agissait déprouver la force musculaire de nos bras. Peut-être certains d'entre eux cherchent-ils, par ce moyen, à attirer notre attention sur leurs longs gants d'une blancheur éblouissante et dont la ressemblance frappante avec l'article désigné chez nous sous le nom de bas, a d'ailleurs déjà excité auparavant notre gaieté. » «
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De ce côté encore, rien de changé car vit un jour de fête à Tamatave
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Mme
Pfeiffer disait des officiers qu'elle
Les officiers, avaient l'air extrêmement comique, ils portaient des habits bourgeois européens usés, qui me rappelaient les modes régnantes au temps de figures et une mon enfance. Qu'on se représente, avec ces habits, d'affreuses chevelure crépue et cotonneuse; vraiment il ne pouvait y avoir rien de plus ridicule, et je regrettais de n'être pas peintre, j'aurais trouvé là le sujet des caricatures les plus comiques. » «
Ceux qu'elle vit plus tard à Tananarive, dans une grande revue passée par la reine, n'avaient pas l'air moins comique ni moins ridicule.
Madagascar. — L'île Nossi-Mitsiou.
L'un avait un frac dont les basques lui descendaient jusqu'au talon; un autre avait un habit de cambrésine à fleurs; un troisième portait une jaquette d'un rouge à moitié passé qui pouvait avoir servi autrefois à un soldat de la marine anglaise. La coiffure était aussi variée et aussi bien choisie. Il y avait des chapeaux de paille, et de castor, de toutes grandeurs et detoutes couleurs, ainsi que des bonnets et des casquettes de formes inouies. Les généraux portaient, comme ceux d'Europe, des chapeaux à cornes et étaient à cheval. » «
La revue dont parle la célèbre voyageuse a lieu tous les quinze jours pour examiner si tous les soldats appelés au service, — par le bon plaisir de la reine, qui peut avoir ainsi autant de soldats qu'il lui convient, — sont présents sous les drapeaux, s'ils sont bien portants et si leurs armes sont en bon état. On fait l'appel de leurs noms, et quand il n'en manque pas beaucoup dans une compagnie, le capitaine qui la commande est quitte pour une réprimande, mais s'il
en manque trop, cet officier est puni sur place et reçoit généralement autant de coups de bâton qu'il devrait avoir d'hommes sous les armes. « Ce dernier cas se présente assez souvent, dit Mme Pfeiffer, car sur un si grand nombre de soldats, il y en a beaucoup dont le pays est à plusieurs journées de distance de la capitale, et qui ne trouvent pas d'une revue à l'autre le temps d'y aller, de cultiver leur champ, de se munir de provisions et de revenir. Pour comprendre cela il faut savoir que non seulement les soldats howas ne touchent pas de solde, mais qu'ils doivent en outre se nourrir et s'habiller euxmêmes. « Ils fournissent à leur entretien, en allant, avec la permission de leurs chefs, faire différents travaux, ou même dans leurs pays cultiver leurs champs. Mais, pour obtenir de l'officier la permission de s'absenter souvent, il faut que le soldat lui remette une partie de son bénéfice et au moins un écu par an. ils « Les officiers ne sont pas d'ordinaire beaucoup plus riches que les soldats reçoivent, il est vrai, comme les employés civils, une indemnité pour leurs services sur les revenus de la douane mais cette indemnité est si faible qu'elle ne leur suffit pas, et qu'ils sont forcés de recourir à d'autres expédients qui, malheureusement, ne sont pas toujours des plus honnêtes. « Une toute petite partie des revenus delà douane devrait, selon la loi, revenir aussi au simple soldat. Mais, comme on me disait, les officiers trouvent probablement la somme qui leur passe entre les mains trop insignifiante pour se donner la peine d'en rendre compte à leurs subordonnés, et ils préfèrent la garder pour euxmêmes, de sorte que le pauvre soldat qui ne trouve point d'ouvrage, ou qui est trop éloigné de son pays pour y aller de temps à autre, court littéralement risque de mourir de faim. de racines et souvent des objets les « Il est obligé de se nourrir de plantes et plus dégoûtants, et il doit s'estimer heureux s'il reçoit de temps en temps une poignée de riz. Quand celaarrive il jette ce riz dans un grand vase rempli d'eau, boit durant le jour, cette maigre eau de riz, et ne se permet que le soir de manger une poignée de grains. il se dédommage dès qu'il est sur le territoire ennemi, « En temps de guerre des privations qu'il a souffertes; tout alors est pillé et dévasté, les villages sont réduits en cendres, et les habitants tués ou emmenés prisonniers et vendus comme esclaves. d'exercices militaires et la guerre, m'a-t-on dit, se fait sans aucune « Il n'y a pas tactique arrêtée et à peu près comme chez les peuples tout à fait sauvages. Quand une troupe se croit perdue, la subordination cesse aussitôt et les hommes se mettent à fuir de tous côtés. Le sort des soldats malades et blessés est terrible non seulement quand ils cr sont en fuite, car alors naturellement personne ne s'occupe d'eux, mais mêmependant les marches ordinaires. soin d'eux, de les prendre de obligés il vrai, camarades Leurs est sont, «
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nourrir. Mais comment demander cela à des gens manquant de tout, épuisés euxmêmes par la faim et par des fatigues de tous genres et tellement affaiblis qu'ils ont déjà de la peine à traîner leur personne et leurs armes. débarrasser de force de ces « Il n'arrive que trop souvent qu'on cherche à se pauvres malheureux. On ne lestue pas précisément, ce qui, dans ces circonstances, serait un bienfait pour eux, mais on les traîne par terre sans leur donner de nourriture, ni même de l'eau d'une source voisine, et quand ils n'offrent plus signe de vie, on les laisse couchés le long de la route sans examiner s'ils sont vraiment morts. » Cet état de choses a fort peu changé, sauf peut-être au moment de la guerre où il a bien fallu que la reine se décidât à avoir des soldats payés et nourris, pour qu'il n'en mourût pas la moitié de faim le long des chemins. Du reste, nous tiendrons compte des modifications qui se sont produites, au fur età mesure que nous avancerons dans l'historique que nous allons suivre maintenant sans nous interrompre et sans appuyer sur les temps trop éloignés de nous, autrement que pour faire mieux comprendre l'objet, en quelque sorte la nécessité, de notre intervention à Madagascar.
RANAYALO
Laveuve de Radama mérita mieux le surnom de Néron femelle, que son mars celui de Napoléon madécasse, que lui avaient octroyé ses flatteurs Européens, les. missionnaires anglais, bien qu'ils n'aimassent guère à prononcer ce nom qui était alors connu dans les pays les plus sauvages, comme synonyme de grand homme et qui, longtemps encore (tant que les moyens de communication furent rares), resta dans ces pays lointains comme la personnification de la France. Elle gouverna, ou laissa gouverner sous son nom par un prêtre deses idoles nommé Rainijohary, qui fut en même temps son ministre et son mari, de la façon la plus despotique et la plus abominable qui se puisse imaginer dans les contrées les plus sauvages. L'aurore de la civilisation dans ce pays neuf, fut marquée par des cruautés, rappelant toutes les horreurs du bas empire massacre y devint une institution dont la reine, qui développait par l'excercice, ses instincts sanguinaires, savait varier les procédés. C'est par milliers que les têtes tombaient sur un ordre de cette buveuse de sang, quelquefois même, des peuplades entières disparaissaient englouties sous sa tyrannie dévorante et c'est un miracle qu'elle ne soit pas arrivée à dépeupler
;le
l'île de Madagascar, car on estime que sous son règne, qui dura trente-trois ans, il y périt en moyenne de vingt à trente mille personnes par an, soit par les exécutions ou empoisonnementsjuridiques, soit par les corvées et par les guerres. Il est vrai qu'elle était moins dure pour les Howas, son peuple favori, qu'elle ne faisait pas exécuter par centaines comme les gens des autres races, mais cette douceur était relative et le seul passe-droit qu'elle leur faisait, c'était de ne pas les faire mourir sans. apparence de raison. Madame Ida Pfeiffer, qui a vu de près cette bête féroce, va nous donner une idée des atrocités qu'elle commit et dont la première seule suffirait pour rendre à jamais odieux le nom de Ranavalo. « En 1831, dit-elle, à une époque où la discipline introduite dans l'armée par le roi Radama, n'était pas encore tout-à-fait oubliée, la reine soumit une grande partie de la côte orientale dont la principale population se compose de Sakalaves. Elle ordonna à tous les hommes du pays conquis de venir lui rendre hommage. « Quand tous ces malheureux, au nombre de vingt cinq mille, furent assemblés, on leur enjoignit de déposerleurs armes.Puis on les conduisit sur une grande place qu'on fit entourer de soldats. On les força de s'agenouiller en signe de soumission. A peine avaient-ils fait ce qu'on leur demandait, que les soldats se précipitèrent sur ces malheureux et lesmassacrèrent tous1. Quant aux femmes et aux enfants de ces pauvres victimes, on les vendit comme esclaves. mais celui des sujets ne « Tel est le sort réservé par la reine aux vaincus vaut guère mieux. reine qu'il y avait parmi le « Ainsi, en 1837, les ministres apprirent à la peuple beaucoup de magiciens, de voleurs, de profanateurs de tombeaux et d'autres criminels. La reine décréta aussitôt un Kabar2, de sept semaines et fit publier en même temps qu'elle ferait grâce de la vie à tous ceux qui se dénonceraient eux-mêmes, tandis que ceux qui ne se déclareraient pas seraient punis de mort. de seize cents coupables environ quinze « Il y eut un nombre total de près cents s'étaient livrés spontanément au tribunal; quatre-vingt-seize avaient été dénoncés. De ces quatre-vingt-seize, quatorze furent brûlés et quatre-vingt-deux furent, les uns précipités par-dessus un haut rocher situé dans la ville de Tananarive, et qui a déjà coûté la vie à des milliers d'hommes, les autres jetés dans une fosse et couverts d'eau bouillante; d'autres enfin exécutés avec la lance ou
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1. Évidemment
cela ne se fit pas en une seule fois, et la célèbre voyageuse commet une erreur d'appréciation sur les moyens d'action dont disposaient les Howas. Mais le nombre des victimes, contrôlé par d'autres rapports, n'en est pas moins exact. 1- même ---L 1.. - ! mais 2. - Le - Kabar ou Kabari est dans cette acception une session judiciaire, - - - le --- - - - mot sert à désigner toutes les assemblées politiques, civiles et religieuses, aussi bien que les réunions privées faites à propos des événements de la famille, et mêmes les choses ordinaires de la vie, car on tient Kabar à propos de tout.
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empoisonnés. Quelques-uns furent décapités; à plusieurs on coupa les membres les uns après les autres; mais on réserva au dernier la mort la plus affreuse. Il fut mis dans une natte sans qu'on lui laissât de libre que la tête, et son corps fut livré tout vivant à la pourriture. « Ceux qui s'étaient dénoncés eux-mêmes échappèrent selon la promesse royale, au supplice, mais ils furent traités encore plus cruellement que ceux qui avaient été condamnés à mort.
Madagascar. — L'îlot de Nossi-Vé.
Lareine déclara qu'il serait trop dangereux de rendre la liberté à un aussi grand nombre de criminels, et qu'il fallait en tous cas leur ôter au moins le moyen de nuire. Elle leur fit river de lourds fers autour du cou et des poignets et fit attacher ensemble par quatre ou cinq, ces malheureux avec de grosses barres de fer de cinquante centimètres de longueur. « Après cette opération on les laissa libres d'aller où bon leur semblait; seulement il y avait partout des surveillants chargés de veiller sévèrement à ce qu'aucun ne limât ses fers. Si un homme du groupe venait à mourir, il fallait lui «
couper la tête pour pouvoir délivrer le corps du fer qu'il avait au cou, et les fers du mort restaient à la charge des survivants; de sorte que ceux-ci, à la fin, pouvaient à peine se traîner et périssaient misérablement sous le poids écrasant des fers. « En 1855, quelques individus de la province Vonizonga, eurent la malheureuse idée 1 de prétendre qu'ils avaient trouvé le moyen d'attacher d'une manière invisible la main d'unvoleur sur quelque objet qu'il l'appliquât, de sorte qu'il ne pouvait plus la dégager ni bouger de place. « Quand la reine en entendit parler elle ordonna de punir ces gens sévèrement; car, disait-elle, elle pouvait venir elle-même dans cette province et être tuée par de semblables sortilèges. Deux cents personnes furent arrêtées et condamnées auiangouin, dont cent quatre-vingts moururent. tangouin ou empoisonnement est très souvent infligé aux personnes de « Le tout rang, au noble comme à l'esclave il suffit pour cela d'être accusé d'un crime. Tout individu peut se porter accusateur, et il n'a pas besoin de produire de preuve. La seule obligation qu'il ait à remplir, c'est de déposer vingt-huit écus et demi. On ne permet pas àl'accusé de se défendre; il est obligé de se soumettre à l'épreuve du poison. S'il échappe à la mort, on lui dpnne un tiers de l'argent déposé, le second tiers appartient à la reine et le troisième est rendu à l'accusateur. Quand l'accusé meurt, on restitue l'argent à l'accusateur, parce qu'en ce cas l'accusation est reconnue vraie. le poison est tiré du « L'empoisonnement se fait de la manière suivante noyau d'un fruit qui a la grosseur d'une pêche et vient sur l'arbre tangainia veneniflora. Le condamné est prévenu par le lampi-tanguine (c'est ainsi que s'appelle l'homme chargé d'administrer le poison) du jour où il aura à se présenter pour l'épreuve. Quarante huit heures avant le jour fixé, il ne lui est permis de prendre que très peu de nourriture et dans les dernières vingt-quatre heures on ne lui en accorde plus du tout. t Les parents l'accompagnent chez l'empoisonneur, où il est forcé de se déshabiller et de jurer qu'il n'a eu recours à aucun sortilège. Le lampi-tanguine ratisse alors à l'aide d'un couteau, autant de poudre du noyau qu'il croit nécessaire. Avant de faire prendre le poison à l'accusé il lui demande s'il veut avouer son crime; mais celui-ci s'en garde bien, car il n'en serait pas moins forcé de prendre le poison. Le lampi-tanguine met le poison sur trois petits morceaux de peau d'environ deux centimètres de long et coupés sur le dos d'une poule grasse, puis il les roule ensemble et les fait avaler à l'accusé. poison mouraient « Autrefois presque tous ceux à qui on faisait prendre ce au milieu des convulsions et des douleurs les plus atroces. Mais depuis environ
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Sans doute pour imposer quelque crainte aux voleurs, qui sont d'autant plus nombreux à Madagascar, que les soldats eux-mêmes,ni payés, ni nourris, sont obligés de le devenir s'ils ne veulent mourir de faim. 1-
dix ans 1 il est permis à ceux qui n'ont pas été condamnés au tangouin par la reine même, d'employer le remède suivant contre l'empoisonnement. «Aussitôt que l'accusé a pris le poison, ses parents lui font boire de l'eau de riz en si grande quantité que souvent tout le corps enfle et qu'il survient de violents vomissements. vomir non seulement le poison, heureux est-il L'empoisonné pour assez « mais aussi les trois petites peaux entières et intactes, il est déclaré innocent et ses parents le ramènent chez lui, en triomphe, avec des chants et des cris d'allégresse. Mais si une des petites peaux ne sort pas ou bien si elle est endommagée, cela ne lui sauve point la vie, et il est tué avec la lance ou d'une autre manière. » Ce n'est pas, comme on pourrait le croire, Ranavalo, qui a inventé le tangouin, il était connu avant elle, et Radama, qui ne le dédaigna jamais sans pourtant en abuser, avoua un jour avec une franchise cynique qu'il ne connaissait pas de meilleur moyen pour remplir ses coffres. Mais elle le perfectionna et si bien que pendant son règne, beaucoup trop long pour ses sujets, ce poison judiciairement ordonné tua plus de cent cinquante mille personnes. Elle perfectionna aussi la lapidation et eut l'idée de faire assommer les condamnés à coups de pierre par les membres de leur famille, elle perfectionna les aspersions d'eau bouillante, en faisant creuser des excavations tout exprès. Ses inventions en matières de supplices se bornent à l'enterrement jusqu'au cou, du condamné qu'on laissait ainsi mourir lentement et misérablement, et à l'épreuve des caïmans qui était bien plus amusante. pour les spectateurs que celle du poison. Par cette épreuve, il s'agissait, pour l'accusé, de prouver son innocence en traversant à la nage, autant de fois qu'il plaisait au juge de l'ordonner, une rivière peuplée de caïmans, ce qui était loin d'être facile, attendu que les crocodiles de Madagascar sont doués d'un robuste appétit et très friands de chair du reste, cette épreuve n'a jamais été subie victorieusement qu'une humaine seule fois, et par une jeune fille pour laquelle les caïmans s'étaient montrés moins cruels que la reine. Si Ranavalo traitait ainsi ses sujets, et cela ne fait aucun doute, on juge de l'affabilité qu'elle devait montrer aux étrangers. Elle redoutait surtout l'influence européenne et délibérait souvent avec ses ministres et hauts dignitaires sur les moyens de tenir la race blanche éloignée de son pays. On a connu par M. Laborde, un des rares Français qui purent se fixerà Madagascar sans avoir trop à souffrir delà haine de la reine, les projets lumineux qui surgirent à cette occasion. Un des plus illustres conseillers royaux proposa d'élever dans la mer, tout
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i.
Ceci fut écrit en 18S8.
autour de Madagascar, un mur très haut et très large, pour qu'aucun vaisseau ne pût approcher des ports de l'île. Un autre, non moins ingénieux, inventa des ciseaux gigantesques, que l'on placerait sur les routes qui, des différents ports, mènent à la capitale. Ces ciseaux, toujours ouverts en temps ordinaire, se fermeraient soudain par un mécanisme, quand il passerait des Européens et les couperaient en deux. Un troisième, encore plus fort, conseilla à la reine de Faire inventer une machine munie d'une grande plaque de fer, contre laquelle les boulets européens rebondiraient de manière à retomber sur les vaisseaux qui les auraient lancés et à les incendier. Ces propositions, d'autres plus ingénieuses peut-être encore, furent accueillies avec de grands éloges par Sa Majesté, qui les fit vraisemblablementmettre à l'étude; mais il n'est pas besoin de dire qu'il n'en fût jamais rien exécuté. Malgré cette hostilité, quelques négociants européens parvinrent, à force de patience et d'habileté, à créer des comptoirs et des établissements commerciaux sur la côte orientale de l'île. L'un d'eux, même, M. Laborde, fut autorisé à monter jusqu'à Tananarive, ce que Ranavalo n'avait jusqu'alors permis à aucun blanc, et put y rester de longues années, grâce aux services qu'il y rendit, créant, sans autres ressources en ouvriers que ceux qu'il trouva dans le pays, des manufactures de canons et de fusils, et surtout en naturalisant, dans la capitale Howa, le paratonnerre, si utile dans ce pays, où les orages sont si violents et si fréquents, et où toutes les maisons sont en bois. M. Laborde, homme d'une intelligence extraordinaire, d'une puissance de volonté incroyable et d'un patriotisme éprouvé, a rendu là-bas, où il a fait la fortune que méritaient ses courageux efforts" les plus grands services à la cause française, et l'on peut dire que c'est grâce à lui que notre influence à Madagascar a survécu à Ranavalo, car il inspira au prince Rakotond, héritier présomptif de la couronne, une haute admiration pour les arts et l'industrie français, en même temps que le désir de relever son peuple futur, asservi à l'affreuse tyrannie des jongleurs et prétendusdevins qui dominaient l'esprit de sa mère, par la civilisationfrançaise. Agrandissant sans cesse ses usines, ajoutant successivement à sa fonderie, des forges, des verreries, des faïenceries, des ateliers de charpente, une sucrerie, une distillerie de rhum, une indigoterie, etc., M. Laborde avait fini par créer à Soatsimanampiovana, à huit lieues de Tananarive, tout un village à la fois manufacturier et militaire, avec maison de plaisance pour la reine, bâtie au sommet du mamelon dominant tout le village, au milieu de nombreuses cases en terre pour ses officiers et ses soldats. - Naturellement, il y avait aussi sa maison, la plus belle de toutes, où, pendant quarante ans, il donna l'hospitalité laplus large aux Européens en général, mais particulièrement à ses compatriotes qui purent monter jusque-là.
Car la considération dont il jouissait à Tananarive lui était toute personnelle et ne s'étendait à aucun autre blanc. Ranavalo le fit bien voir en 1845 lorsque, toujours hantée par la haine et la terreur des étrangers, elle fit sommer brusquement les Européens établis à Tamatave, qui se croyaient à l'abri des soupçons incessants du gouvernement howa, puisqu'ils ne s'occupaient que de leur combien de quitter le pays Howas naturaliser immédiatement faire ou de se merce, dans le délai de quinze jours.
M.
Laborde.
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les négociants anglais et français réclamèrent. Ce fut un coup de théâtre Mais nulledemande de prolongation de séjour ne fut admise, et, le délai expiré, sans s'inquiéter de la présence en rade de deux navires français, le Berceau et la Zélée, commandés par l'amiral Romain Desfossés, et d'une corvette anglaise, le Conway qui étaient venus de la Réunion et de l'île Maurice pour protéger leurs , nationaux, les soldats howas, en grand nombre du reste, forcèrent les Européens à quitter leurs propriétés, qu'ils dévastèrent. Cette brutalité injustifiable indigna les commandants des navires français et anglais, qui, après avoir bombardé la ville, firent débarquer sur la plage trois cents marins qui repoussèrent les Howas, en leur tuant une centaine d'hommes, et n'eurent qu'une douzaine des leurs hors de combat.
Mais ce petit détachement était insuffisant, non seulement pour poursuivre l'ennemi, mais même pour occuper longtemps la plage; il regagna les vaisseaux d'où, le lendemain, on put voir les têtes des Européens morts ou blessés que les Howas, rentrés dans la ville, avaient accrochées à des piques plantées sur le
rivage. Quand cette nouvelle parvint en France, ce ne fut qu'un cri d'indignation, et le ministre Guizot, malgré son éloignement pour les entreprises coloniales, résolut d'en finir avec les demi-mesures, qui déjà étaient de mode, et d'accord avec le ministre de la marine,l'amiral Mackau, d'envoyer à Madagascar une expédition sérieuse avec des troupes de terre commandées par le général Duvividr. Si cette expédition était partie, Madagascar serait colonie française depuis quarante ans; mais les chambres, qui étaient économes jusqu'à la pleutrerie, trouvant qu'on voulait faire trop grand, du moment où il ne s'agissait plus d'envoyer une poignée d'hommes, refusèrent de voter les fonds nécessaires, et l'expédition ne partit point. C'est alors que le conseil colonial de la Réunion (alors île Bourbon) envoya au gouvernement de la métropole une adresse très pressante qui, ne recevant aucune satisfaction, fut suivie, l'année d'après, de l'excellent mémoire adressé directement au roi, auquel nous avons fait de larges emprunts. Ce mémoire resta aussi, comme on sait, sans résultat, et, pourtant, une expédition, mêmemoins importante que celle à laquelle avait pensé M. Guizot, n'aurait rencontré aucune difficulté. L'Angleterre, qui ne nous était encore que sourdement hostile, était sans influence, et il y avait déjà un parti français, non pas seulement à Madagascar où nous avions pour nous les Sakàlaves qui nous avaient abandonné leur territoire et les autres peuplades encore indépendantes, mais chez les Howas, à Tananarive même, et le chef de ce parti français était le prince Rakotond, l'héritier du trône. Et on devait le savoir en France puisqu'il s'en était ouvert à l'amiral-Cécile en visitant son navire la Cléopâtre, mouillé à Sainte-Marie de Madagascar, et que celui-ci lui avait répondu le 3 juillet 1847 par la lettre très diplomatique, mais cependant très claire que voici
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«
Prince,
Tout ce que j'ai entendu dire de votre personne m'a donné une haute opinion de l'élévation de votre âme et de la noblesse de votre caractère. La sagesse que vous prenez pour guide dans toutes vos actions, les sentiments d'humanité que vous exprimez en toute occasion et que vous cherchez à faire prévaloir, la générosité de votre cœur envers les opprimés et les malheureux, vous feront le plus grand honneur, prince, et ne peuvent que vous attirer l'amour de vos sujets et les sympathies des étrangers. de votre esprit j.udi« Vos projets d'avenir ne dénotent pas moins la portée «
cieux. C'est, croyez-le, prince, une belle et noble tâche que de guider un peuple comme le vôtre dans les voies de la civilisation, de la prospérité et de la grandeur qui en sont la conséquence. Votre illustre père avait commencé cette grande œuvre. Pourquoi faut-il qu'elle ait été arrêtée par un gouvernement aveugle qui tend chaque jour à faire retomber la nation dans la plus affreuse barbarie et qui, après l'avoir décimée par le tanghin et la zagaie, ne vous laissera bientôt plus qu'un peuple d'esclaves à gouverner? C'est à vous, prince, qui avez reçu avec la vie une étincelle du génie réfor« mateur de Radama, qu'il appartient de reprendre, quand le moment sera venu, une glorieuse transformation, qui placera votre nom à côté de celui de l'illustre auteur de vos jours, comme vous l'avez déjà fait par anticipation. Je n'émets ici qu'une opinion personnelle; mais je suis persuadé que tous « les peuples applaudiront à vos efforts lorsqu'ils vous verront entrer franchement dans les voies civilisatrices et pacifiques que vous méditez. Vous serez alors certain d'avoir pour vous l'approbation et l'appui des nations généreuses, et particulièrement de la France qui, vous le savez, prince, a des intérêts légitimes qui touchent aux vôtres et qui, en outre, est la plus ancienne amie du peuple de Madagascar. » Cette lettre a une valeur historique, car elle prouve que les sympathies pour la France, du prince qui fut Radama II, n'étaient le fait ni d'un système politique, ni d'un enthousiasme susceptible de s'évanouir aussi vite qu'il était venu, mais d'une idée déjà arrêtée dans son esprit, bien qu'il n'ait encore que dix-huit ans; ce dont il donna de nouvelles preuves en 1852, lorsqu'il renouvela les mêmes déclarations M. Hubert Delisle, gouverneur de la Réunion, qui, de son côté, et comme l'amiral Cécile, donnait au prince l'assurance de la plus grande sympathie pour sa pensée réformatrice, et l'espérance d'une aide pour l'accomplissement de ses projets. Mais tout celarestait platonique, et si les chefs de notre station navale de ce côté, aussi bien que les gouverneurs de la Réunion, firent, les unsaprès les autres, tous leurs efforts pour faire ressortir l'importance de la question de Madagascar, le gouvernement de la métropole, empêché, d'ailleurs, par d'autres préoccupations ne fit rien pour mettre à profit les circonstances si favorables qui se présentaient. Il n'en fut point ainsi de l'Angleterre qui, ayant déjà un pied dans le pays par ses missionnaires, installés depuis 1831 chez quelques peuplades indépendantes, essaya de reprendre avec la reine des Howas, les négociations qu'avait interrompues le canon de Tamatave. Ranavalo, toujours défiante, résista longtemps, et ce n'est que vers 1856 qu'elle permit à un certain nombre de négociants anglais de s'établir à Tamatave et de faire un commerce encore limité sur un petit nombre de points de la côte déterminés par un traité.
à
Les Anglais firent grand bruit de ce traité, et le gouverneur de l'île Maurice lança une proclamation dans laquelle il se déclarait l'ami des Howas et défendait à ses nationaux de s'emparer d'aucun point de Madagascar, attendu, ajoutait-il, que des tentatives de ce genre pourraient donner de l'ombrage au gouvernement d'une puissance amie. Cet attendu est remarquable; évidemment, il était en quelque sorte imposé par la reconnaissance, au lendemain de la campagne de Crimée que la France venait de faire pour le bon plaisir de l'Angleterre, mais il reconnaissait nos droits sur Madagascar. A cette époque, du reste, il ne tenait qu'à nous de les faire valoir, car, s'il y avait à Tananarive un véritable partianglais, dont les chefs étaient Ramboasalama, neveu de la reine, et quelques Howas appartenant aux premières familles nobles qui, comme lui, avaient été élevés en Angleterre, où l'influence des missionnaires méthodistes leur avait ménagé un accueil calculé, en raison de lapolitique de l'avenir; le parti français comptait beaucoup de membres de l'aristocratie groupés autour du prince Rakotond. Et ce parti, bien qu'il ne se montrât pas ouvertement, peut-êtremême à cause de cela, était prépondérant.
LE PRINCE RAKOTOND
a
C'esttout fait inconsciemment que Rakotond se trouvait chef d'un parti, et si ce parti était celui qu'on pourrait appeler le parti de laFrance, — si la France officielle ne s'était pas, comme à plaisir, désintéressée de la question, — ce n'est pas qu'il aimâtparticulièrement la France par elle-même, c'est qu'il aimait des quelques Français du moins; car ils étaient rares à Tananarive. Français Mais il y avait M. Laborde qui par sa situation, à la tête de toutes les usines qui fournissaient les produits manufacturés du pays, était presque une puissance, et il y eut bientôt M. Lambert, qui dès son arrivée trouva moyen de rendre à la reine Ranavalo un service qui le posa. M. Lambert, tout jeune encore (il est de 1824) habitait l'île Maurice où il s'était marié après avoir créé une puissante maison de commerce, basée sur une immense plantation de cannes, mais grâce à l'active habileté de son chef, se ramifiant et s'augmentant de jour en jour. M.Lambert fonda en 1885, dans la magnifique baie de Ravatoubé, appartenant à la France au même titre que Nossi-Bé, un établissement ayant pour objet l'exploitation de la houille et dont il confia la direction à M. d'Arvoy, ancien consul de France à l'île Maurice.
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Cet établissement, qui n'eut pas le temps de prendre de grands développements, prospéra cependant, et nécessita de fréquents voyages de M. Lambert. Ce qui lui était d'autant plus facile qu'il disposait d'une flottille de bateaux à vapour, ayant établi un service régulier entre l'île Maurice et l'île de la Réunion.
Madagascar. — Le prince Rakotond (Raaama II).
C'est sur un de ces navires, le Mascareigne, qu'il vint alors à Tamatave pour voir M. Laborde avec lequel il était depuis longtemps en relations d'affaire_s et d'amitié, ne pouvant aller jusqu'à Tananarive, car nous l'avons dit déjà, aucun Européen ne pouvait entrer dans la capitale, sans une autorisation spéciale de la reine.
Le hasard servit notre compatriote, qui non seulement n'eut point besoin de solliciter, mais fut appelé à la cour par la reconnaissance du gouvernement. A cette époque, une troupe de Howas était assiégée dans le fort Dauphin par des tribus révoltées, et la famine allait avoir raison de la garnison, car les vivres manquaient et la reine, n'ayant point de navires, ne pouvait envoyer ni secoure ni approvisionnements à ses soldats. M. Lambert offrit son bateau à vapeur qui fut accepté d'enthousiasme, et ravitailla les assiégés ce qui permit à la reine de remporter un succès qui n'était pas précisément juste, puisqu'elle n'avait sur cette partie de l'île d'autre droit que celui du plus fort; mais qui était très utile à ses intérêts. Ranavolo était cruelle, peut-être par instinct et surtout par fanatisme, maisn'était pas ingrate, et elle voulut remercier le Français, ami de M.Laborde, du service qu'il venait de lui rendre. M. Lambert fut donc prié de monter à Tananarive, et il ne se fit point tirer Poreille, d'autant qu'il avait besoin de l'assentiment de la reine pour la sécurité de son établissement de Bavatoubé, dont le petit fort armé de canons était suffisant pour se défendre contre toute surprise, mais incapable de résister aux Howas. Une réception presque royale attendait notre compatriote; la reine, couronne en tête, dans son costume des grands jours, lui donna immédiatement une audience particulière, puis elle le présenta au grand conseil, réuni au Palais d'Argent, et dont le président demanda à M. Lambert ce qu'il désirait pour sa récompense. Naturellement M.Lambert demanda protection pour son établissement, mais comme il ne pensait pas qu'à lui, il demanda aussi que le gouvernement howa donnât cours légal à la monnaie française. Ce qui fut accordé pour les pièces de cinq francs seulement (puisque les Howas ne veulent pas entendre parler de monnaies divisionnaires) mais nos pièces de cinq francs eurent un tel succès à Madagascar qu'on n'y voit guère que cela en fait de monnaie. Chose qui est un avantage immense pour notre commerce, mais qui est bizarre, par comparaison, du moins, — car au Tonkin, en Annam, au Cambodge, où. nous sommes, et où nous devons être les maîtres, nous n'avons pu encore introduire notre monnaie, même pour payer nos troupes on n'y connaît pas nos pièces de cinq francs et les transactions se font avec des piastres mexicaines qui valent nominalement cinq francs, mais perdent beaucoup au change. M. Lambert, pour attendre la réponse de la reine au sujet deM. d'Arvoy (réponse qui, d'ailleurs, ne fut pas favorable), resta six semaines à Tananarive et. il n'y était pas depuis quatre jours qu'il avait déjà conquis l'amitié du princeRakotood. Ce jeune homme (il avait alors 25 ans) aimait sans doute beaucoup M. Laborde, qui l'avait en quelque sorte élevé, mais le respect qu'il lui inspirait, à cause de cela, excluait un peu l'intimité, tandis qu'il fut pris d'un véritable en-
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gouement pour M. Lambert, dont l'âge se rapprochait beaucoup plus du sien, et qui d'ailleurs-le payait de retour, un peu par intérêt mais beaucoup par affection, autrement notre compatriote n'eût pas échangé avec le prince, le serment du sang, qui n'est pas une simple formalité pour les honnêtes gens, mais un acte sérieux, solennel, par lequel deux personnes s'unissent d'une amitié telleque la mort seule peut rompre le lien qui les rend frères à jamais, et naturellement, les oblige à s'entr'aider et à se rendre réciproquement tous les services qu'ils peuvent. Ce pacte fraternel, très en usage à Madagascar, se conclut généralement en présence d'un certain nombre de témoins, choisis parmi les principaux de la tribu. Les nouveaux amis se font une légère incision au creux de l'estomac celui qui est chargé de présider la cérémonie, humecte deux petits morceaux de gingembre du sang qui s'échappe de ces légères blessures, et chacun des contractants mange le morceau de gingembre teint du sang de l'autre. Le président mélange ensuite, dans un vase spécial de l'eau douce, du riz, de l'eau salée, de l'argent et de la poudre et ces divers ingrédients sont appelés « les témoins du serment ». Il trempe les pointes de deux sagaies dans ce mélange et les frappant avec l'arme qui a servi à faire les deux blessures, il prononce des imprécations terribles formulées à peu près ainsi « Grand Dieu, maître des hommes et ae la terre, nous te prenons à témoin du serment que nous jurons; que le premier de nous qui le faussera soit écrasé par la foudre! que le père qui l'a engendré, que la mère qui le mit au monde soient dévorés par les chiens » Après que les contractants ont prononcé à leur tour le serment, ils lancent les sagaies, qu'on leur a remises, dans la direction des quatre points cardinaux. Cette opération a pour but de repousser les mauvais génies toujours prêts, selon la croyance madécasse, à s'opposer aux bonnes intentions. Pendant ce temps le maître de la cérémonie a préparé un breuvage d'une composition toute spéciale, il en fait boire à chacun des nouveaux frères de sang, -en adjurant toutes les puissances du ciel et des enfers, de le changer en poison pour celui qui n'aurait pas fait le serment de bonne foi et en toute sincérité. Il est possible qu'on n'ait pas donné à l'échange de serments du prince Rakotond et de M. Lambert, toute la publicité d'usage et qu'on n'ait pas suivi à la lettre les prescriptions du cérémonial ordinaire, mais il n'en fut pas moins valable, et pour montrer à tous l'importance qu'il y attachait, le prince offrit à M. Lambert .son bien le plus cher, son fils unique, alors âgé de trois ans. M. Lambert adopta l'enfant, mais n'étant point à demeure à Tananarive, il ne voulut pas profiter de tous les droits d'un père adoptif; il donna son nom à l'enfant, mais le laissa chez son véritable père, ou plutôt chez sa mère, car il n'était point né de légitime mariage; fils d'une esclave il était inapte à régner, de
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par la loi.
Il est bien vrai, qu'une fois sur le trône, Rakotond pouvait faire une loi nouvelle qui légitimât son enfant, mais alors le prince pensait moins à régner qu'à soustraire ses futurs sujets aux atroces cruautés que sa mère, poussée par les sorciers, ne cessait de leur infliger. Madame Ida Pfeiffer, qui l'a vue de très près, va nous donner son portrait, au moral comme au physique « Contre mon attente, je ne lui trouvai, dit-elle, rien de désagréable. Sa taille est courte et ramassée, sa figure et son teint ne répondent à aucune des quatre races qui habitent à Madagascar. Il a tout à fait le type des Grecs de Moldavie. « Ses cheveux noirs sont crépus mais non cotonneux, ses yeux foncés sont pleins de feu et de résolution il a la bouche bien dessinée et des dents fort belles, ses traits expriment une bonté si candide, qu'on se sent de suite attiré vers lui. Il est tantôt vêtu du costume national et tantôt de vêtements européens, qu'il porte avec beaucoup d'aisance et pour lesquels il semble, au rebours de ses concitoyens de toutes conditions, avoir une prédilection marquée. Ce prince est universellement aimé et estimé et il mérite entièrement cette « estime et cet amour. Autant la reine est cruelle et implacable, autant son fils est bon. Autant elle aime à verser le sang, autant il a les supplices en horreur. « Aussi tous ses efforts tendent-ils à empêcher le plus possible les exécutions sanglantes et à adoucir les châtiments rigoureux que sa mère inflige, à tout propos, à ses sujets. malheureux et à leur venir en aide et « A toute heure, il est prêt à écouter les il a défendu à ses esclaves, de la façon la plus sévère, de renvoyer qui que ce soit sous prétexte qu'il dormait ou prenait son repas. Le peuple le sait, et il n'est pas rare que des gens viennent au milieu de la nuit éveiller le prince et implorer son secours en faveur de parents, d'amis qui doivent être exécutés le lendemain de
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grand matin. des condamnés, — ce qui arrive « S'il ne peut obtenir de sa mère la grâce prend, comme par hasard, le chemin que doit suivre le sinistre corsouvent, tège, et au moment où les malheureux, liés avec des cordes, sont conduits au supplice, il coupe leurs liens et les engage à fuir ou à rester tranquillement chez eux, selon qu'ils doivent courir plus ou moins de dangers. les fait reprendre, mais le plus fréquema Il arrive quelquefois que la reine ment elle feint d'ignorer ce qui s'est passé; du reste quand on lui rapporte la conduite de son fils, elle ne fait pas la moindre observation, seulement elle cherche à garder le plus secrètes possible, les condamnations et à en hâter l'exécution, de manière à rendre toute intervention impossible. Alors le jugement et le supplice se succèdent si rapidement que c'est à peine si la famille du condamné a le temps d'être prévenue. différence de caractère, la mère et le fils aient « 11 est étrange qu'avec cette l'un pour l'autre la plus tendre affection. Le prince porte plus grand attache-
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ment à sa mère, il fait tous ses efforts pour excuser ses cruautés et rien ne l'afflige davantage que la pensée qu'elle pourrait ne pas être aimée. d'admiration que, dès digne plus d'autant prince du caractère est noble Le « mauvais exemple de sa plus tendre enfance., il a toujours eu devant les yeux le sa mère et qu'on n'a rien fait pour son éducation.
M.
Lambert.
A part, en effet, quelques mots d'anglais, on n'a rien cherché à lui apprendre. Ce qu'il est et ce qu'il sait il le doit à lui-même. Que n'aurait-on pas pu faire de ce prince si son esprit et son talent avaient été développés par une instruc«
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tion solide. « J'eus souvent occasion de le voir et de l'observer car il ne se passait pas de jour qu'il ne visitât M. Lambert. Je n'ai remarqué en lui d'autres défauts que trop peu de fermeté et de confiance en lui même, et la seule chose que je redoute si jamais le pouvoir arrive en ses mains, c'est qu'il n'ait pas l'énergie nécessaire pour exécuter ses bonnes intentions. « Je ne raconterai que quelques traits de sa vie qui feront mieux connaître sa noblesse d'âme.
par exemple d'abattre du bois de construction, de le traîner à trente mille de là, -de tailler des pierres, sans que ces malheureux corvéables aient le droit de réclamer la moindre indemnité. « Quand le prince apprend cela, il se fait porter à l'endroit où les malheureux 'travaillent, feint de les rencontrer par hasard et s'informe pour qui ils exécutent ,ces travaux; puis il leur demande s'ils recoivent la nourriture (naturellement il n'est jamais question de salaire) il lui est répondu d'ordinaire que, non seulement ils ne reçoivent pas de nourriture, mais souvent même qu'ils ont épuisé les provisions qu'ils avaient apportées et qu'ils sont réduits pour apaiser leur faim, à chercher des racines et des herbes. Le prince donne aussitôt l'ordre de tuer selon le nombre des ouvriers, un ou deux bœufs et de distribuer plusieurs quintaux de riz, le tout au frais du seign-eur. « Si le maître, étonné de cette conduite, hasarde quelques observations, le prince le renvoie avec cette réponse — Il est de toute justice que vous nourrissiez celui qui travaille pour vous et si vous ne voulez pas le faire vous-même il faut bien que moi, je me fasse l'intendant de vos dépenses. « Il y a quelques années un navire périt sur la côte de Madagascar, avec la plus grande partie de l'équipage. Cinq matelots échappés au naufrage furent, -selon l'habitude, conduits à la capitale pour y être vendus comme esclaves. Le .prince les rencontra dans une de ses excursions, à environ une journée de Tananarive, et, remarquant qu'un des matelots n'avait pas de chaussures et suivait les autres avec peine, en boitant, il quitta ses propres souliers pour les lui donner; ,puis il prit soin de les faire tous bien traiter. matelots, les habilla, leur donna de l'argent « M. Laborde acheta ces cinq pour leur voyage et des lettres de recommandation, et les aida à retourner dans leur pays. Le prince est rarement en état de pouvoir faire de pareilles largesses; il n'a pas d'argent, ou très peu; toute sa richesse consiste en esclaves, en rizières -et en bœufs que lui donne sa mère. la capitale comme prison« Une autre fois le prince vit un Européen amené à nier par des Malgaches. Le malheureux était poussé et chassé à force de coups, -comme une bête, il était si fatigué et si épuisé d'un long voyage et des mauvaises routes qu'il pouvait à peine se traîner. Le prince reprocha aux gardes leur -cruauté, descendit de son takon et invita le prisonnier à prendre sa place. de traits semblables du prince et il se passe peu « J'entendis citer beaucoup -de jours qu'il ne sauve la vie à quelques malheureux ou qu'il ne fasse du bien. Souvent il sacrifie son dernier écu et distribue toutes ses provisions de riz lu de vivres, et il éprouve une double joie quand il peut venir en aide à un malheureux sans que celui-ci apprenne d'où lui vient le secours. le faire mafaible plume, l'éloge decet homme « Ce qui fera mieux que ne pourrait généreux, ce sont les paroles suivantes que je lui ai entendu prononcer moimême. Il me disait qu'il lui était indifférent que ce fût la France ou l'Angleterre .ou quelque autre nation, qui possédât l'île, pourvu que le peuple fût bien gou-
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verné. Il ne demandait, pour lui-même, ni trône, ni royauté il était tout prêt à renoncer par écrit à ses droits et à vivre en simple particulier s'il pouvait assurer, par là, le bien de son pays. » Ceci est évidemment très beau, trop beau même, et un roi ayant de tels sentiments ne pouvait régner longtemps sur un pays plus d'à demi sauvage. Quand à l'indifférence que le prince manifestait alors pour n'importe quel protectorat, elle s'explique par le quasi refus du gouvernement français, qui avait laissé sans réponse, non seulement des avances, mais de véritables propositions, comme on va le voir tout à l'heure. Il est inutile de dire que M. Lambert, après avoir apprécié par lui-même l'ardent dési queleprinceRakotond avait d'améliorerle sort du peuple, l'encouragea dans l'espérance qu'il avait de s'appuyer sur la France, pour introduire à Madagascar un régime plus humain et plus éclairé. Il lui promit de s'employer à cette œuvre et se chargea même de porter en France une demande de protectorat, répétition de celle que Rakotond avait déjà adressée à l'Empereur dans l'année 1854 et qui, confiée à l'un des pères de la mission catholique de Madagascar, n'était peut-être pas parvenue. Dans cette première lettre le jeune prince rappelait que son père Radama avait déjà fait alliance avec les Européens, mais que le gouvernement qui lui avait succédé, celui des prêtres idolâtres et des jongleurs qui circonvenaient sa mère, fort âgée et fort superstitieuse, avait arrêté tout progrès. 11exposait que la misère du peuple était à son comble, il demandait à la France au nom de l'humanité, de l'aider par l'envoi de quelques troupes et de quelques ingénieurs, à tirer de l'abîme le peuple Malgache. Dans la crainte qu'on ne l'accusât d'avoir hâte de régner, le prince ajoutait que ni lui, ni les hommes les plus intelligents et les plus puissants de l'île qui partageaient ses idées et joignaient leurs vœux aux siens, ne voulaient détrônerla reine Ranavolo, mais seulement éloigner d'elle le vieux Rainijohary, qui la gouvernait de sa double influence de prêtre et de mari, et les autres jongleurs qui, dans l'intérêt de leur domination, abusaient de sa superstition et de sa faiblesse. La lettre dont M. Lambert se chargea, conçue à peu près dans les mêmes termes, sinon plus pressante encore, était accompagnée d'une lettre collective signée de tous les principaux chefs malgaches partisans de Rakotond et demandant à la France aide et protection.
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Sauvez-nous promptement, disait cette lettre, et le Très-Haut ne manquera pas de vous bénir. Il bénira la France et tous ceux qui auront opéré notre salut. » «
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Après être entré dans les détails des misères du pays, les chefs Howas ajoutaient qu'un parent du prince Rakotond, Ramboasâlama et ses partisans en petit nombre, mais très résolus, cherchaient tous les moyens de perdre le fils de la reine et pour l'empêcher de régner avaient fait le complot de l'assassiner. Ils deman-
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daient donc de prompts secours pour assurer la tranquillité du pays en mettant fin à un si déplorable état de choses. Outre ces deux documents, M. Lambert en avait une autre qui l'accréditait auprès du gouvernement français, c'était une lettre du prince contenant, entre autres, ce passage significatif: Vous avez vu de vos yeux la misère de mon malheureux peuple et les fléaux qui pèsent sur lui et, touché de compassion, vous avez juré, en présence de Dieu et devant moi, de faire tout votre possible pour procurer, soit par vous-même, soit par les autres, tout ce qui pourra faire le bonheur de Madagascar. « Confiant dans votre noble cœur, que je sais ne faire qu'un avec le mien, je vous donne, par la présente, toute autorisation et tout pouvoir pour faire tout ce que vous jugerez devoir entreprendre dans ce but. bénisse et tous ceux qui vous sont chers qu'il vous aide à « Que Dieu vous mener à bonne fin notre délicate entreprise « Pour vous, poursuivez avec courage ce que vous avez commencé. Ne craignez ni les peines, ni les fatigues car les misères de mon peuple sont arrivées à une extrémité intolérable, et ce n'est pas par ouï-dire que vous les connaissez; mais vous les avez vues de vos propres yeux. » M. Lambert partit pour la France, et il partit d'autant plus vite qu'il n'avait pu réussir à assurer la sécurité de M. d'Arvoy, chef de son établissement de -'Bavatoubé. De réponse ,à cet égard il n'en put jamais obtenir tant qu'il fut à Tananarive, mais il avait conservé bon espoir, puisqu'il était parvenu à faire recevoir dans la capitale deRanavolo un missionnaire catholique, le père Finaz, qui arrivait 8 août 1855, non pas précisément avec ce caractère, mais le chez M. Lacombe titre de savant qu'onlui donnait ne trompait personne, pas même la reine. Une désillusion l'attendait à Tamatave,'une lettre de Rainijohary, parlant au nom dela reine, le chargeait d'annoncer au blanc qui s'était établi à Bavatoubé qu'il eût à se retirer, sinon elle enverrait un corps detrois mille Howas pour le «
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chasser.
Ainsi, la reine ne faisait pas du concessions,même à l'Européen qui venait de lui rendre un service signalé, et elle continuait à menacer de mort tout Européen qui débarquerait sur un point de l'île où elle n'avait pas de poste militaire. M. Lambert fit prévenir immédiatement M. d'Arvoy des mauvaises dispositions de Ranavolo, et l'engagea fortement à quitter Bavatoubé, au moins jusqu'à ce que le danger fût passé jllui fit aussi donner le même conseil par le chef de la station française à Nossi-Bé. Mais M. d'Arvoy qui se savait sur un territoire français et croyait sans doute pouvoir compter sur la protection de notre station navale, ne bougea pas, il fit seulement écrire à la reine, que ses intentions étaient toutes pacifiques et qu'il ne voulait qu'exploiter du charbon de terre.
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Ranavalo répondit par l'envoi de deux mille hommes, dont le chef fit dire à M. d'Arvoy qu'il avait des ordres de la reine à lui transmettre. Ces ordres écrits, furent remis à notre compatriote, par un arabe qui ne voulut pas les lui traduire ou qui les lui traduisit mal; en tous cas, enchanté de voir les Blancs aux prises avec les soldats de Ranavalo, ils rapporta à leur chef que les français refusaient d'obéir.
Tananarive.—Vuedu côté nord.
Le général howa n'attaqua point cependant; pour être plus sûr de réussir il rusa, il feignit de s'éloigner avec ses troupes, mais il revint milieu de nuit, au
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et surprit l'établissement français qu'il entoura. Les hommes de M.d'Arvoy se défendirent bravement avec leurs petits canons, mais ils devaient succomber sous le nombre, M. d'Arvoy fut tué, ainsi qu'un autre blanc et une femme blanche, et une centaine de travailleurs environ; quelques Européens parvinrent à se sauver, mais l'un d'eux fut fait prisonnier avec
97 travailleurs mozambiques et emmené avec eux à Tananarive pour être vendu comme esclave à la porte du palais de la reine. Les Howas ramenèrent aussi dans la capitale un des canons pris àBavatoubé, que la reine triomphante montra à son peuple pour lui prouver qu'elle ne redoutait pas les blancs. Sept coups de canon célébrèrent ce massacre, qui fut appelé pompeusement, victoire sur les Français, mais cela ne suffit pas à Ranavalo, qui en fit part au gouverneur de l'île Maurice. Celui-ci, anglais plus qu'Européen, marchand plus que soldat, s'empressa de répondre « qu'il faisait toute sorte de compliments à Sa Majesté Malgache, et la félicitait de ce que ceux qui avaient été pris en contradiction aux lois du pays, n'étaient pas de ses sujets, et promettait d'envoyer incessamment une frégate saluer à Tamatave le pavillon de Sa Majesté la Reine. Et cela se passait vers la fin de 1855, alors que l'Angleterre ayant entraîné la France dans la guerre d'Orient, était encore officiellement notre alliée. C'est en ce moment aussi que M. Lambert arrivait à Paris, pour solliciter officiellement le protectorat dela France pour Madagascar, et. il faut convenir qu'il q'étaitguère favorable; la campagne de Crimée venait de se terminer, mais la diplomatie européenne s'agitait, le Congrès de Paris allait se réunir et le gouvernement français ne crut pas devoir distraire l'attention de nos hommes d'État vers une entreprise qui devait certainement réussir, mais qui présentait beaucoup dinconnu et pouvait nous engager plus, loin qu'on ne voudrait, au lendemain œune guerre qui nous avaii coûté très cher, en hommes et en argent. Toutes ces choses, bien d'autres encore, furent dites à M. Lambert, qui ne réussissant pas de ce côté, et croyant pouvoir en conclure que la France verrait avec plaisir l'Angleterre prendre une part à la colonisation de Madagascar, n'hésita pas à se rendre à Londres, où il eut une audience de lord Clarendon. LechefduForeign-Office, consulté surtout sur la création d'une compagnie anglo-française, ayant pour but le développement du commerce et l'exploitation des mines de Madagascar, ne vit dans tout cela qu'une question de protectorat, au bénéfice de la France, et fit une réponse évasive. Mais pendant qu'il refusait officiellement de se mêler des affaires de Madagascar, le gouvernementanglais agissait sourdement pour empêcher d'aboutir tout ce qui serait tenté en faveur de la France. A cet effet, il envoyait là-bas le révérend Ellis, qui arrivait à Tamatave au mois de juillet 1856, en passant par l'île Maurice. Ce n'était point l'esprit de prosélytisme qui animait ce missionnaire, il remplissait une mission diplomatique, que l'on pouvait désavouer puisqu'il n'avait aucun titre, et que le gouvernement anglais désavoua, d'ailleurs, parce qu'elle ne réussit pas. La seule trace de « pouvoirs queM. Ellis pûtmontrerfut un billet ainsi conçu du gouverneur de Maurice
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reine de Madagascar. Ellis, des cadeaux que je la prie d'ac« J'envoie à Votre Majesté, par mon ami cepter. » Cela ne l'empêcha pas de travailler et de travailler beaucoup, sinon bien. Mme Ida Pfeiffer va nous raconter cette mission, et dans la circonstance c'est un témoin qu'il est bon de citer, car il est tout à fait désintéressé dans la question. « M. William Ellis, dit-elle, prouva malheureusement en cette occasion que les missionnaires anglais, quand il sagit d'arriver à leur fins, s'entendent parfaitement à fausser la vérité et à se servir d'artifices jésuitiques. « Tout le voyage de M. Ellis, comme le verront mes lecteurs, ne fut qu'un tissu de faussetés (pour ne pas dire de mensonges) et d'histoires faites à plaisir. « A Maurice, où M. Ellis toucha en allant à Madagascar, il raconta que la reine Ranavalo l'avait appelé à Tananarive (première fausseté). « Arrivé à Tananarive, il dit à la reine qu'il avait été envoyé auprès d'elle par le gouvernement anglais (seconde fausseté) pour l'assurer que l'Angleterre n'avait pas de plus grand désir que de conserver toujours avec Madagascar les mêmes rapports d'amitié que sous Georges IV. « Il fit part ensuite à la reine de tout ce que M. Lambert avait entrepris en France et en Angleterre contre elle, et le lui dépeignit comme un homme très dangereux, et un espion du gouvernement français, et lui soutint qu'il viendrait très prochainement avec des troupes françaises (troisième fausseté) pour détrôner la reine et mettre son fils à sa place. C'est ainsi que M. Ellis, au lieu d'arriver Tananarive avec la branche (c d'olivier, y vint avec le glaive. Il .trahit et calomnia M. Lambert auprès de la reine, et il fit au prince Rakotcnd un long sermon sur son crime inouï, de vouloir se révolter contre sa mère. Il dit au prince que la cour anglaise en l'apprenant en avait été si affligée, qu'elle avait pris le deuil (quatrième fausseté, extrêmement ridicule). « Le prince poussa là condescendancejusqu'à s'excuser auprès de cet homme, et lui dit que s'il ne cherchait à écarter sa mère du trône que pour s'y élever, on aurait parfaitement raison de lui faire des reproches, mais que ce n'était pas du tout son intention, et qu'il n'avait d'autre désir que d'ôter à la reine le pouvoir de commettre des cruautés, lui accordant volontiers tout le reste, et ne demandant absolument rien pour lui-même. « Aussi bien à Tananarive qu'à Maurice, M. Ellis raconta que M. Lambert avait frauduleusement arraché au prince la signature du contrat (cinquième fausseté), que le prince n'était nullement disposé à conclure un traité particulier avec M. Lambert; que ce dernier l'avait invité à un grand banquet, qu'il l'y avait enivré, et que c'est dans cet état qu'il l'avait amené à signer enfin que le prince informé le lendemain de tous ces artifices, avait été tellement irrité contre M. Lambert qu'il l'avait banni pour toujours de sa présence. «
A sa Majesté la
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A cette fiction poétique, M. Ellis ajouta encore, à Maurice, qu'il ne conseillerait pas à M. Lambert de jamais retourner à Madagascar, car il aurait tout à «
redouter du ressentiment de la reine, et de celui du prince Rakotond. « Il reste encore une sixième et dernière fausseté que le missionnaire rapporta avec lui de Madagascar, à Maurice, et que je dois démentir. Il se vanta partout de la bonne réception qu'il avait trouvée à Tananarive, et de la grande faveur dont il avait joui auprès de la reine et du prince. « Cette faveur avait été si grande qu'après un séjour d'un mois à peine il avait été chassé de Tananarive. Il demanda la permission d'y rester plus longtemps, en donnant pour raison que la saison des fièvres n'était pas passée, mais qu'elles régnaient, au contraire, encore avec beaucoup de violence dans le bas pays; qu'il avait femme et enfants; que la reine devait avoir égard à cela, et ne pas le mettre en péril de mort. Mais tout fut inutile, il dut quitter Tananarive. La reine était excessivement « irritéecontre lui, parce qu'il avait distribué plusieurs bibles, et le prince Rakotond parce qu'il avait calomnié M. Lambert. » Le fait est que le révérend Ellis fit le fiasco le plus complet, tout en dépensantprès de trois cent mille francs pour faire des partisans à la politique anglaise; il ne put pas même dénoncer la reine, comme il le voulait, les Français, les missionnaires catholiques et le prince Rakotond, car aucun interprète ne
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consentit à traduire ses odieuses insinuations. C'est que M. Laborde veillait; habitué aux menées ténébreuses de messieurs les Révérends et sachant très bien que la première vérité morale, religieuse, et historique qu'ils enseignaient aux Madécasses était celle-ci « La France est il employa toute son influence à déjouer les projets l'esclave de l'Angleterre de M. Ellis, et il réussit à infliger.un échec au parti anglais, dont Ramboasalama était le chef apparent. Influencée par sa contre-mine, la reine Ranavalo déclara solennellement à toute la famille royale et aux grands que son fils, le prince Rakotond-Radama, était le seul héritier de la couronne de Madagascar, et qu'elle punirait de mort quiconque se déclarerait partisan de Ramboasalama, qui émettait l'espérance de lui succéder un jour. Le parti anglais était bien battu, et pourtant le Révérend Ellis avait été aidé par son ami le gouverneur de Maurice, qui avait fait tout ce qu'il croyait possible pour intimider toute démarche contraire à celle du missionnaire. Pendant que celui-ci travaillait à Madagascar, le gouverneur de Maurice lançait une proclamation menaçant de prison ou de déportation les contrevenants, mais qui visait directementM. Lambert, résidant comme étranger à l'île Maurice. Cette pièce que les Anglais ne peuvent pas démentir aussi facilement que la mission de M. Ellis, se termine ainsi j'avertis maintenant tous les habitants de cette colonie, « En conséquence,
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sujets, par leur origine, de Sa Majesté la reine Victoria ou étrangers domiciliés à Maurice, que toute démarche de leur part, qui pourrait être considérée comme faite au mépris des lois de la reine de Madagascar, ou comme étant de nature à faire douter de la bonne foi du gouvernement anglais touchant ses relations avec le gouvernement de Madagascar, exposera les parties que cela concernera à être poursuivies, en vertu des articles 58 et 59 du Code pénal, annexés à la présente et publiés pour l'information générale. »
Vue de Tananarive et de l'île du palais d'été.
Cette proclamation causa un certain émoi à Maurice,^ et le journal français le Cernéen, qui s'y publie, fit bien vite voir à quoi elle tendait, puisque tout le monde savait que M. Lambert était le seul étranger qui s'occupât de la politique de Madagascar. Du reste, cette menace resta sans effet sur M. Lambert, d'autant qu'il n'était pas encore revenu de France. Rakotond et ses partisans l'attendaient avec impatience, lui et le secours qu'on en espérait, car la vie devenait de plus en plus difficile à Madagascar,, ainsi qu'on en jugera par cette lettre écrite par un témoin oculaire, en août 1857 :
Je ne saurais mieux, dit-il, comparer l'état actuel du pays qu'à notre règne de la Terreur. A la moindre dénonciation d'un ennemi, l'accusé est un homme perdu, on l'exécute sans même l'avertir du motif de sa condamnation. Tous les jours presque, il y a quatre ou cinq individus condamnés juridiquement à mort, plusieurs pour cause de sorcellerie, et sans preuves d'autres pour être les compagnons et les amis des condamnés; quelques-uns pour des fautes légères, très «
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peu pour des crimes. Le prince Rakotond en sauve beaucoup, mais il ne peut suffire à tout, d'autant plus que les gardiens de ceux qui ne sont pas exécutés sur-le-champ répondent sur leur tête du prisonnier. Dernièrement le prince avait fait détacher un homme condamné à être jeté dans l'eau bouillante, comme accusé d'être sorcier. Les envoyés du prince ont été pris et mis à mort. Je ne parle que de ceux qui sont exécutés par condamnation et dans la seule ville de Tananarive. Que serait-ce s'il fallait ajouter ceux qui succombent tous les jours à l'épreuve du tanghin ! « Aussi tout le monde est sous l'impression de la terreur, mais de cette terreur de 93 qui étouffe jusqu'au courage du désespoir, jusqu'à l'idée de se soustraire à cet état. On n'ose sortir de crainte de ne pas rentrer chez soi; on n'ose rentrer chez soi, parce qu'au moment où l'on s'y attend le moins, on est tiré de sa maison pour être condamné au supplice. On tremble pour sa femme et ses enfants, car ils seront vendus et tous les biens confisqués, si le chef de famille est accusé; je dis accusé ce qui veut dire condamné. « Ce n'est point assez, à ce qu'il paraît, que tous ces sacrifices; ils ne sont pas assez nombreux. L'autre jour, dans l'assemblée de tout le peuple, la reine a reproché à ses sujets de ne pas assez se dénoncer. Elle leur donne un mois pour préparer toutes leurs dénonciations; et si, dans un mois, ils n'accusent pas assez de personnes, elle fera administrer le tanghin à tout le monde. Ce kabar a eu lieu le 12 de ce mois. « Si on entendait dire cela en France, le croirait-on?. »
C'est au plus fort de cette terreur, alors que Ranavalo avait exigé de sessujets une confession générale, qui lui permit de faire charger de fers douze cent trente-sept individus dans la même journée, que M. Lambert arriva enfin à Madagascar. On savait déjà qu'il avait échoué dans sa mission, et le parti français, qu'on appelait des religionnaires, l'attendait pour faire la révolution de palais qui devait renverser Rainijohary et associer au trône Rakotond, sinon le proclamer roi. Officiellement M. Lambert, que la reine Ranavalo avait chargé de nombreuses commissions, lors de son départ, revenait pour rapporter tous les objets demandés, plus des cadeaux envoyés par le gouvernement français, mais en réalité, il arrivait pour décider Je prince Rakotond à laisser agir ses amis et partisans et àen finir avec le vieux Rainijohary. Il avait d'ailleurs très bien caché son jeu, car, pour n'avoir pas l'air d'urt conspirateur, il amenait avec lui une femms, Mme Ida Pfeiffer, qu'il avait rencontrée à Maurice et qu'il avait eu d'autant moins de peine à décider à l'accompagner, qu'elle ne demandait qu'à visiter des pays nouveaux. C'est à cette circonstance que la célèbre voyageuse dut de pénétrer jusqu'à Tananarive, et où elle ne se doutait point qu'elle allait prendre part à un coup d'État.
Mais les Anglais s'en doutèrent, eux, et un missionnaire méthodiste, le révérend Lebrun, parti de Maurice presque en même temps que M. Lambert, s'installa à Tamatave, faute de pouvoir monter jusqu'à la capitale, et de là organisa une active correspondance avec Tananarive, par l'intermédiaire des priants. Ce missionnaire fut plus heureux dans ses combinaisons ténébreuses que le révérend Ellis il réussit à intimider et à gagner le chef des religionnaires qui lui révéla tous les détails du complot, qui échoua du reste parce qu'on en différa trop longtemps l'exécution, grâce à l'indécision de Rakotond, qui ne voulait pas qu'il y eût une seule goutte de sang de répandu.
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Dans la nuit du 29 juin, Ratsimandisa, lepriant que les Anglais avaient mis à la tête de leurs écoles de Tananarive, se rendit auprès de Rainijohary et lui dénonça la conjuration en aggravant les faits car, d'après les instructions reçues par lui du révérend anglais, il lui dit que les conjurés, à la tête desquels étaient les blancs catholiques, voulaient établir une République. Le sang recommença à couler; les principaux des religionnaires dénoncés furent saisis, exécutés. Rakotond et ses amis européens, y compris Mme Ida Pfeiffer, purent craindre un instant de subir le même sort, mais la reine n'osa pas passer outre, soit qu'elle se trouvât suffisamment vengée par le sang déjà versé, par les tortures abominables qu'elle fit infliger aux familles des inculpés, sous prétexte de leur arracher les secrets de la conjuration; soit qu'elle craignît de s'exposer à de terribles représailles de la part des gouvernements européens dont elle pouvait faire périr les nationaux elle se borna, après une détention assez longue à Tananarive, à expulser de l'île tous les étrangers compromis, y compris M. Laborde et son fils, bien que celui-ci fût né d'une femme howa. Rainijohary, espérant sans doute qu'ils mourraient en route de la fièvre,leur donna pour les conduire à Tamatave une escorte qui les tint deux mois à faire le voyage, et les fit séjourner jusqu'à dix-neuf jours dans une forêt épaisse, où jamais l'air ne pénètre et dont la chaleur humide est mortelle. Les proscrits arrivèrent pourtant tous à Tamatave, brisés par la fièvre; mais ia bonne constitution de la plupart d'entre eux résista au mal, et il n'y eut que la pauvre Mme Pfeiffer qui contracta dans ce terrible voyage le germe de la maladie dont elle mourut l'année suivante Quant à Rakotond, la reine feignit de ne pas croire qu'il eût pris part à la conjuration, et il ne fut pas inquiété, d'autant moins que la reine avait fait défendre, sous peine de mort, d'accu&er son fils, attendu que l'héritier de son trône était impeccable. Ce n'était point tout à fait par tendresse maternelle que Ranavalo se montrait si indulgente, c'est que le prince jouissait d'une très grande popularité et qu'elle avait senti que s'attaquer à lui eût été provoquer un soulèvement général et peut-être jouer sa couronne. Elle s'en observa davantage et ses sujets y gagnèrent un peu de sécurité.
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Quant aux Anglais, ils ne purent tirer aucun avantage de l'échec que venait d'éprouver le parti français, mais ce ne fut pas faute de se remuer. Au mois de septembre 1858, un vaisseau anglais de 70 canons, le Boscaven (on comptait alors l'importance des navires par le nombre de leurs canons), mouilla dans la rade de Tamatave, mais il ne fit qu'effrayer les naturels qui ne songèrent qu'à fuir et à cacher leurs richesses. Ce n'était point à leurs richesses (pauvres richesses d'ailleurs) qu'en voulaient les officiers de vaisseau, mais à l'influence française qu'ils s'étudièrent à miner. Pendant trois jours que le Boscaven resta dans les eaux de Tamatave, les matelots comme les officiers ne cessèrent de répéter à tous venants leur formule déjà ancienne « que la France n'était qu'une petite nation incapable de montrer des navires comme l'Angleterre; que les menaces qu'elle pourrait faire n'avaient aucune conséquence, attendu que l'Angleterre n'avait qu'à se montrer pour qu'elle fit immédiatement des excuses ». Ces fanfaronnades et bien d'autres n'eurent aucun succès, il n'y avait pas assez longtemps que le révérend Ellis avait fait son fiasco diplomatique pour que les Malgaches ne s'en Et d'ailleurs le parti français n'était pas décapité. Le prince Rakotond, bien que ne pouvant et ne voulant rien faire officiellement, veillait sans cesse. M. Lambert était reparti, sur sa prière, faire une nouvelle démarche en France, et M. Laborde, resté àla Réunion pour en attendre le résultat, avait conservé la plus grande partie de ses relations avec Madagascar, à ce point mêm-e que ses amis (non compromis dansles dernières affaires), ne cessaient de demander à la reine qu'il pût revenir se mettre à la tête de ses usines. Les tentatives de M. Lambert ne réussirent pas plus que la première fois, mais le gouvernement lui parut montrer tant de bonne volonté qu'il crut devoir revenir encore, au moment où le princeNapoléon, qui s'était vivement intéressé à la question, venait d'être nommé ministre de l'Algérie et des colonies. Mais ce ministère fut éphémère, et M. Lambert échoua une troisièmefois parce que le gouvernement, ne voulant pas faire les choses demi, ne pouvait entreprendre qu'une expédition assez considérable pour n'avoir à redouter aucun échec, aucune complication, et qu'en ce moment où la campagne d'Italie commençait, il ne voulait engager sérieusement ni notre marine ni nos finances, Bref, rien n'aboutit, et il n'y avait rien de changé à la situation lorsque la reine Ranavalo termina, le 18 août 1861, son règne beaucoup trop long pour ses sujets, dont elle ne cessait de faire diminuer le nombre.
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souvinssent.
à
Couronnement de Radama II
La cérémonie religieuse.
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II
RADAMA
mort de la vieille reine, les deuxpartis se trouvèrent en présence. Les amis des anciennes coutumes, à la tête desquels était tout naturellement Rainijohary, voulurent mettre la couronne sur la tête de Ramboasalama, neveu deRanavalo et ennemi personnel de son cousin Rakotond, qu'il ne voulait pas A la
reconnaître comme fils de Radama 1er, par la raison, assez juste, d'ailleurs, qu'il était né deux ou trois ans après sa mort. Mais les amis du progrès, et tous ceux qui avaient à gagner au changement de l'état de choses, c'est-à-dire le plus grand nombre, s'inquiétant fort peu de la légitimité de la naissance de Rakotond, le proclamèrent roi. Des dispositions militaires bien prises, exécutées vigoureusement, empêchèrent levieux Rainijohary de s'emparer du pouvoir, et le prince, excipantde l'acte public, déjà ancien, mais qui n'avait jamais été révoqué, par lequel sa mère l'avait reconnu roi, sous le nom de Radama II, régna sans conteste. Du moins lorsqu'il eut exilé son cousin Ramboasalama et son pseudo-beaupère Rainijohary, et fait emprisonner leurs partisans, qu'il gracia d'ailleurs lors de son couronnement. Un des premiers actes de Radama II fut de rappeler à Tananarive, M. Laborde qui n'avait pu obtenir l'autorisation de revenir qu'à Tamatave, et d'envoyer son ami M. Lambert, qu'il fit duc d'Emyrne, annoncer son avènement au trône, personnellement à l'Empereur des Français, en lui renouvelant l'expression de ses sentiments de sympathique admiration pour la France, et diplomatiquement, par la voie de leurs ambassadeurs à Paris, à tous les autres souverains de l'Europe. Ce que M. Lambert fit parla circulaire suivante, datée du 7 avril 1862, lorsque le gouvernement Français eut reconnu Radama II, non pas seulement roi des Howas, mais roi de l'lie de Madagascar, sous la réservedesdroits de la France.
J'ai l'honneur d'informer votre Excellence que j'ai été chargé par S.
Radama II, de faire connaître aux gouvernements de l'Europe son avènement au trône et son vif désir d'entretenir avec eux les relations les plus amicales. Madagascar « J'ai reçu également mission de faire savoir que le royaume de est ouvert au commerce de toutes les nations et que l'ordre a été donné aux gouvernements des différentes provinces, de protéger, en toutes circonstances, les personnes et les biens des étrangers qui viendraient se fixer dans le pays ou y faire le négoce. » «
M.
Naturellement l'Angleterre n'avait pas attendu cette circulaire diplomatique pour essayer de tirerparti de la situation nouvelle et des dispositions libérales, de Radama qui, provisoirement abolit les droits de douane, bien que ce soit le plus clair de son revenu, pour donner de l'élan au commerce étranger. Dès le 22 septembre, le gouverneur de l'île Maurice, M.Stevenson, envoyait sur la Jessie Byrne, une députation féliciter le roi Radama II, de son avènement au trône, et lorsqu'elle arriva à Tamatave, le pavillon du nouveau roi, blanc bordé de rouge, venait pour la première fois d'y être arboré. Le colonel Midleton, qui présidait ou commandait cette députation, publia à son retour à Maurice, un rapport dans lequel il se félicitait beaucoup du succès,
dont il faut beaucoup rabattre en somme, puisque, sauf la promesse de l'envoi des produits de Madagascar à l'Exposition universelle de Londres, cela s'est borné à un échange de cadeaux et de lettres. Celle par laquelle Radama répondit aux compliments du gouverneur de Maurice était ainsi conçue « Antanarive, le 20 août 1861. « Monsieur,
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«J'ai reçu votre lettre du 20 septembre, je l'ai reçue des mains du colonel Midleton et des autres personnes composant l'ambassade. compliments de condoléance que vous m'adres« Je vous suis très obligé des sez au sujet de la mort de ma royale mère, ainsi que de vos cordiales félicitations l'ccasion de mon avènement au trône do Madagascar. plus ardent désir est que de bons « J'ai à vous informer, en outre, que mon sentiments d'amitié existent toujours entre la reine Victoria et moi, et entre mon peuple et le sien, afin que le commerce puisse prendre une grande extension à l'avantage mutuel de tous. de mon pays, que le commerce, « J'ai aussi un grand désir, dans l'intérêt l'agriculture, les arts et les sciences puissent éclairer et rendre heureux mon peuple. Sa Majesté la Reine, nous vous sommes très reconnaissants des x Moi et magnifiques cadeaux que vous nous envoyez par l'entremise du colonel Midleton. Nous vous envoyons par lui deux vêtements de soie, deux de coton manufacturés dans notre pays, ainsi que quarante bœufs. «En vous souhaitant santé, joie et bonheur, Je reste votre ami. -
à
II, roi de Madagascar. RADAMA
Comme on le voit, il n'y avait là rien autre chose que dans la circulaire diplomatique, mais les Anglais tenaient à faire croire qu'ils étaient plus favorisés, et la frégateYOreste, partit d'Angleterre le 30 janvier 1862, portant des dépêches pour Radama, mais il s'agissait encore de la participation de Madagascar à l'exposition universelle de Londres, et cette fois il fut convenu que les produits de Madagascar seraient portés à Maurice, d'où ils partiraient pour l'Angleterre avec les produits des colonies anglaises. Mais les Anglais ne se félicitèrent pas très haut, ils étaient inquiets, un navire français, la goélette de guerre la Perle était venue à Tamatave portant un capitaine de frégate, le baron Brossard de Corbigny, qui, attendu à Tamatavepar lefils deM. Laborde, monta à Tananarive, le 8 février. Et il ne faisait qu'en revenir quand l'Oreste arriva. Cette mission française ne devait pourtant rien avoir d'inquiétant. C'était une simple visite de politesse. M. de Corbigny, qui se trouvait à la Réunion, était venu de la part du gouvernement français féliciter Radama.
Il apprit au roi, — ce qu'il savait déjà peut-être par M. Lambert, mais non officiellement,- que le capitaine de vaisseau, Dupré, alors commandant de la division navale des côtes d'Afrique, devait représenter la France à la cérémonie de son couronnement. > La frégate l'Hermione, qui portait la mission française, fut reçue à Tamatave avec de grandes démonstrations par les autorités et la population malgaches; mais l'arrivée de M. Lambert, qui suivit de quelques jours, fut fêtée avec un enthousiasme dont nous trouvons le récit dans les journaux du temps « Parti de Suez sur la corv.ette française, mise par l'Empereur à sa disposition, M. Lambert arrivait à Tamatave le 4 août, après une traversée assez contrariée-; il trouvait au mouillage la frégate YHermione, portant le guidon de M. le commandant Dupré, chef dela station dela Réunion, déjà en route pour Tananarive à la tête de la mission française. « Le lendemain, de bonne heure, M. Lambert,accompagné du commandant de laLoire, M. Turin, de M. Richard, délégué du commerce de Bourbon, se rendait à bord àeVHermione, où il était salué de quinze coups de canon, puis de là, débarquait à terre où les canons malgaches l'accueillaient par une nouvelle salve; une garde d'honnenr envoyée par roi, ainsi que sa musique particulière, l'attendaient sur la plage, où plusieurs officiers généraux malgaches se tenaient pour le complimenter au nom du roi Radama. «. Ce n'est qu'après deux ou trois jours de fêtes et de réceptions que M.Lam« bert a pu se mettre en route pour la capitale où il était impatiemment attendu. » Mais là on ne lui fit point de réception solennelle, par la raison, d'ailleurs fort simple, qu'il y arrivait comme ami personnel du roi, grand dignitaire de la couronne, et que, comme étranger, il n'avait aucun caractère officiel; ce qui ne l'empêcha pas de grossir l'état-major du commandant Dupré, représentant de la
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le
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France. Le commandant Dupré,
depuis amiral, et celui-là même qui entama la question du Tonkin, en envoyantFrancis Garnier Hanoï, s'eiitoura,pourfaire ce voyage, de quelques hommes distingués, de façon à ce que sa mission pût être profitable à la science., Elle le fut, d'ailleurs, grâce aux notes pleines d'intérêt que le docteur Vinson, l'un de ceux qui l'accompagnaient, publia sur le pays et sur ses productions, tant végétales qu'animales. C'est aux notes simplement historiques du docteur Vinson, que nous emprunterons quelques-uns des détails de la cérémonie du couronnement deRadama II, dont les fêtes se prolongèrent et mirent pendant quelques temps tout le pays en liesse. dit-il, avait été fixé pour le 23 septembre, et de « Le jour du couronnement, tous les points de l'île de Madagascar on se préparaît à la fête. deux de ses puissantes nations, la « L'Europe devait y être représentée par France et l'Angleterre_; leurs députations y étaient à l'avance rendues. Celle de
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la France était arrivée la première à Tananarive, où, le 28 juillet, elle avait iuît son entrée solennelle avec un pompeux appareil et saluée de vingtetuncoupfs de
canon. conduite par M. le capitaine de vaisseau J. Dupré, commandant « Elle était en chef de la division navale des côtes orientales d'Afrique.
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Le 19 septembre, à huit heures du soir, on entend tout à coup le canon retentir et les remparts s'éclairent au feu des batteries on se demande la cause de cet incident qui met le peuple en émoi, et l'on apprend que c'est l'amnistie et le pardon pour les partisans de Ramboasalama. C'est une surprise dont Radama n'avait confié le secret à personne, ainsi qu'il faisait jadis lorsque, sous le règne de sa mère, il délivrait les prisonniers et allait la nuitbriser les chaînes de ceux qui devaient périr le lendemain. «
Le 23, le roi était calme et recueilli. lui et sur Madagascar les bénédic« Voulant dans ce grand jour attirer sur tionsNdu Dieu des chrétiens, il avait prié le père Jouen, de se rendre à six heures dans la chambre à coucher de sa mère, d'y célébrer la messe en présence de la reine, et de bénir la couronne que lui avait envoyée l'Empereur. Sire, « Le prêtre français, en plaçant lacouronne sur la tête du roi, lui dit « je prie Dieu qu'il vous bénisse et qu'il vous accorde les jours d'un long règne pour sa gloire et pour le bonheur du peuple de Madagascar. » La cérémonie religieuse fut, comme on voit, tout à fait intime; il n'y avait avec le père Jouen qu'un seul missionnaire, parce qu'il lui était utile pour répondre sa messe, dite sur une table, décorée seulement de deux chandeliers, et elle n'eut pour témoins, outre lareine Rabodo Rasohery, que deux des principaux généraux de l'armée. Quant à la cérémonie civile, le roi voulut au contraire qu'elle fût célébrée avec toute la pompe dont elle était susceptible, en mêlant les usages européens aux coutumes malgaches. « Le cortège descendit par la rue principale sur une grande place qui se trouve au centre de la ville, en face du consulat de France (le consulat de France c'était la maison de M. Laborde). « Arrivé dans ce lieu, le roi s'arrêta un instant sur l'endroit même où sa mère avait autrefois présenté au peuple le prince Rakotond encore enfant, comme le souverain futur et légitime de Madagascar. « Radama reprit, au milieu des acclamations, sa marche à travers laville, vers le Champ de Mars, où un peuple compact, évalué àplus de trois cent mille âmes «
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rattendait. Les troupes faisaient la haie depuis le palais jusqu'au Champ de Mars, où elles formaient plusieurs carrés, laissant entre eux les espaces nécessaires au passage du cortège royal. «
Vers midi le roi arrivait sur la place du Champ de Mars avec le cortège des missions française et anglaise, de ses ministres, des princes, des grands dignitaires et de ses officiers; les troupes de sa garde, rangées sur deux lignes en laissant entre elles un grand espace, lui avaient réservé un chemin au centre du Champ de Mars et vis-à-vis du trônequi lui avait été préparé. « Au centre du Champ de Mars s'élève la roche sacrée, pierre traditionnelle sur laquelle les rois de Madagascar doivent se présenter au peuple. «Elle est élevée de trois mètres environ, ronde, et d'un mètre de rayon; elle est cimentée autour avec soin, ne laissant que sa face supérieure nue et naturelle. « C'est là qu'était posé le fauteuil royal, les pieds sur la terre nue, sous un dais terminé en pointe, recouvert de pourpre, et supporté par des colonnes ornées de drap rouge et d'or. De chaque côté s'élevaient deux longues estrades à lambrequins de même étoffe frangés d'or, elles étaient de niveau avec le trône et de plein pied avec la pierre sacrée, celle de droite était réservée aux missions française et anglaise, auxministres, princes, grands dignitaires etc. Les dames de la famille royale occupaient celle de la gauche; parmi elles on remarquait une des femmes de Radama 1er. Arrivé au pied de l'escalier qui devait le conduire sur la pierre sacrée, le « roi descendit de cheval, reçut le manteau royal et monta sur le trône où il se plaça lui-même la couronne sur la tète, puis sur celle de la reine Raboude. En montant les marches du trône, le manteau de Radama était tenu par « M. Lambert, comme étant le frère adopté par le roi. puis il reçut les serments de fidélité des « Le roi harangua alors le peuple et chefs de tribus dont les députations étaient représentées avec leurs emblèmes respectifs et leurs drapeaux. * »
Ensuite, il se rendit au palais d'argent, où les réceptions, les fêtes commencèrent, pendant que le peuple se réjouissait, nonseulement à Tananarive, mais dans tout le royaume. Nous avons déjà parlé plusieurs fois du palais d'argent; le moment est venu d'en donner une idée, ainsi que des autres habitations qui composent le groupe des palais royaux, d'autant que nous aurons souvent encore occasion d'en parler. Deux moyens sont à notre disposition: une gravure d'après une photographie et les descriptions des voyageurs véridiques nous les adoptons tous les deux. Un mot d'abord de la ville, telle qu'elle est aujourd'hui, d'après une récente correspondance adressée au Figaro
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C'est une ville bien curieuse que la capitale de l'île de Madagascar. Assise sur une réunion de collines élevées au-dessus d:'un vaste plateau qu'entourent, de toutes parts, de hautes montagnes, Tananarive s'aperçoit de fort loin, et le voya«
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découvre pour la première fois ressent une impression profonde de snr.risp ni d'étonnement dômes, clochers et tourelles des palais, toits pointus dos ha!)it.'().mns se profilent à l'horizon en bizarres découpures, tandis que les maisons entassées et pressées sur les pentes descendent en longues coulées dans la plaine. Vue et cachée tour à tour, suivant les accidents du chemin, c'est chaque fois « un détail nouveau qui vous frappe, et l'imaginationdevançant les porteurs, cherche à s'en figurer les splendeurs. L'impression est d'autant-plus profonde que le contraste avec les pauvres et misérables villages de la route est plus grand. On sort d'une contrée sauvage et l'on croit entrer dans un pays civilisé. Dans un instant les sentiers impraticables vont-ils cesser pour faire place à de belles routes? Là-bas on aperçoit des maisons en briques, bien bâties, où l'on pourra se reposer et oublier les affreuses huttes dans lesquelles on vient de coucher. Mais n'est-ce pas les effets du mirage? « Le voyageur qui quitte Tamatavepour se rendre à Tananarive, se doute peu des difficultés qu'il aura à surmonter et des fatigues qu'il supportera. Tout, contribue à l'accabler. Sauf de très rares endroits, la route se composed'une suite de montées et de descentes escarpées; le terrain effondré estencombré de pierres, d'arbres et d'obstacles de toutes sortes. Souvent, au lieu de contourner une montagne, la route l'aborde de front, choisit son sommet pour passer, et descend ensuite en pente brusque, laissant le voyageur exposé à tous les dangers. Ce genre de tracé aurait une raison assez plausible les Howas craindraient, à ce qu'il semble, une invasion de la race blanche et chercheraient à s'y soustraire en créant mille difficultés sur son chemin. Ils sont, d'ailleurs, fortement aidéspar la nature du pays, excessivement accidenté et composé d'un amoncellement de collines et de. montagnes séparées par des bourbiers fangeux, où l'Européen est abattu par les fièvres. fur et à mesure que l'on s'ap« Quelle désillusion! Quel désenchantement, proche davantage de Tananarive. Les sentiers sont toujours aussi escarpés, les maisons, si belles d'apparence, ont leurs murs lézardés de toutes parts, souvent à moitié détruits; l'intérieur est sale, enfumé, et manque de tous les meubles de première nécessité. Presque toutes sont inachevées, en vertu de cette superstition malgache, que le propriétaire qui terminerait la construction et l'arrangement de sa maison serait condamné à mourir dans l'année. Tci, c'est une fenêtre qui manque; là, c'est un balcon où balustrade et plancher font défaut; plus loin, une toiture dont les poutres à nu semblent mendier quelques tuiles, ou bien une partie de la maison construite à moitié, puis abandonnée. Et il en est ainsi depuis la plus pauvre demeure jusqu'au palais de la reine et du premier ministre. « Les rues, ou du moins ce qui en tient lieu, ne font pas exception à la règle, car leur tracé et leur entretien sont abandonnés aux caprices des habitants. Le Code malgache, il est vrai, défend d'obstruer une rue, mais il faut si peu pour le gcur
1[Il
la
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au
Règne de la Paix.
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Les palais à Tananarive.
Palais d'Argent.
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Palais de la reine Rabodo.
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Maison Rainijohary.
jusqu'à ne jour de empiète jour propriétaire en chaque d'un homme, que passage de ne plus risque l'on d'où murailles, deux boyau étroit entre qu'un laisser plus pouvoir sortir, une fois engagé. Le sol est, de même, hérissé d'obstacles de toutes grande éprouve L'Européen une variés. plus les accidents les présente sortes, et de difficulté, jointe à une fatigue extrême, à circuler à pied. En filagana (sorte
Couronnement de la reine Rabodo-Rasoliérina.
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palanquin), c'est tout autre les porteurs sont d'une adresse inouïe, et descendent certaines pentes avec une rapidité vertigineuse. «Il n'y qu'une seule rue digne de ce nom. C'est celle qui, par une pente rela-
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tivement douce, part de la place d'Andoalo pour aboutir à la porte de la résidence royale. Elle a environ une largeur de quinze mètres et est pavée de larges dalles de granit. C'est la rue des fêtes et des réjouissances publiques. « La résidence royale ne diffère presque en rien des habitations ordinaires, si ce n'est qu'on y pénètre par une grande porte en pierre. L'intérieur en est criard et de mauvais goût. Seule, la résidence de M. le Myre de Vilers, avec sa simplicité, offre quelque analogie avec nos maisons européennes. « L'animation dans la grande rue et sur la place d'Andoalo est extraordinaire. Dès le matin, on voit des officiers àcheval, des soldats circuler, les uns en petite tenue, les autres en grande tenue. Les costumes des officiers sont des plus mêlés. On voit là, réunis, les uniformes detoutes les nations européennes, combinés et arrangés suivant le goût et la fortune de chacun; généraux français, anglais, autrichiens, russes, officiers de marine et chirurgiens, tous rivalisent de broderies et de plumes. Le tout se complique de grands cordons d'ordres fantaisistes, et se rehausse d'aiguillettes et d'ornements variés. Les officiers sont pour la plupart à cheval, quelques-uns montent assez bien, mais c'est le petit nombre, et généralement deux esclaves se tiennent sur les côtés, prêts à réprimer les écarts de la monture et à remettre en selle le cavalier. Les soldats en grande tenue portent l'habit rouge à boutons de cuivre, le pantalon bleu à bande rouge, le shako ruuge, et vont les pieds nus. « Sur la place d'Andoalo, prêts à partirdans toutes les directions, se trouvent toujours des trimandours « commis royaux », dont les officiers portent des turbans verts et bleus. Les musiques, unpeu partout, jouent des airs de pas redoublés, d'un rythme fantastique'où chaque instrument improvise sa partie et suit son inspiration. » Voici maintenant pour l'habitation royale, telle que
Mme
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Pfeiffer l'a vue
Le palais de la reine, dit la célèbre voyageuse, après nous avoir appris que la porte d'entrée, que l'on ne doit franchir qu'en partant du pied droit, en était surmontée d'un grand aigle doré aux ailes déployées, le palais de la reine est un e;rand édifice en bois composé d'un rez-de-chaussée et de deux étages avec une toiture très élevée. a Tout l'édifice est entouré de colonnes debois, de vingt-six mètres de hauteur, sur lesquelles repose le toit qui s'élève encore à plus de treize mètres, et dont le centre est appuyé sur une colonne de trente-neuf mètres d'élévation. Toutes ces colonnes, sans en excepter celle du centre, sont d'un seul morceau, et quand on songe que les forêts, où il y a des arbres assez gros pour fournir de pareilles colonnes, sont éloignées de cinquante à soixante milles anglais de la ville; que les routes, loin d'être frayées, sont presque impraticables et que le tout, amené sans l'assistance de bêtes de somme ou de machines, a été travaillé et mis en place avec les outileles plus simples, on doit considérer l'érection de ce palais comme une œuvre gigantesque digne d'être assimilée aux septmerveilles du monde. Le «
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transport de la plus haute colonne seule a occupé cinq mille hommes, et l'érection a duré douze jours. été exécutés par le peuple comme corvées, sans qu'il « Tous ces travaux ont reçût ni salaire ni nourriture. On prétend que pendant la construction du palais quinze milles hommes ont succombé à la peine et aux privations, mais cela inquiète fort peu la reine, et la moitié de la population peut périr, pourvu que ses ordres suprêmes s'accomplissent. l'édifice principal, on a laissé la place d'une vaste belle cour, autour « Devant de laquelle s'élèvent plusieurs jolies constructions, toutes également en bois. Le principal édifice n'est pas habité; il ne renferme que les grands appartements d'apparat; les appartements de la reine se trouvent dans un des bâtiments latéraux, qui se relie au palais par une galerie. principal édifice se rattache, du côté gauche, le Palais d'Argent, ainsi « Au appelé parce que toutes les arêtes des voûtes, ainsi que les encadrements des portes et des fenêtres sont garnis d'innombrables petites clochettes d'argent. du Palais d'Argent est le tombeau du roi Radama, une toute petite « A côté maison en bois sans fenêtres, mais à qui l'absence même de fenêtres et le piédestal sur lequel elle repose, donnent l'aspect d'un monument. » Quant à l'intérieur des palais, MmePfeiffer, à son grand regret, n'a pu les voir, mais elle a vu la salle de réception du Palais d'Argent, qui était alors habité par le prince Rakotond. grand et beau salon, dit-elle, décoré entièrement à l'européenne, « C'est un les meubles sont riches, sans être surchargés, et de bon goût. Conformémentà la coutume de Madagascar il y avait dans le salon un lit, c'était un lit vraiment royal, où ne manquaient ni les dorures, ni les rideaux de soie et dans lequel, à dormi, mais pour des yeux d'Euroce qu'on m'assura, personne n'avait encore péens, cela choque toujours de voir un pareil meuble dans un salon de réception. qui me choqua pourtant encore plus, ce furent les dessins et les pein« Ce tures qui décoraient les murs de ce salon, produits précieux d'artistes indigènes, représentant des officiers en uniforme rouge et des femmes vêtues à l'européenne. Je ne savais ce que je devais le plus admirer dans ces fresques, du dessin ou de la peinture. dessin était roide et sans expression comme dans les plus mauvais por« Le traits chinois; la peinture était un telchaos de couleurs dures et tranchantes, barbouillées sans ombres ni lumières, que je ne me serais jamais figuré qu'on pût voir pareille chose. Mais ce qu'il yavait de plus comique, c'était le paysage qui y était joint et qui était formé de petits arbres entre lesquels étaient lesfigures. Comme ces dernières n'étaient que des bustes, et que l'ingénieux artiste avait voulu néanmoins indiquer que les arbres sortaient de terre, il avait tiré, à la hauteur de la ceinture, d'une personne à l'autre, une raie verte qui devait représenter le sol, ce qui avait produit d'une manière tout inattendue ce merveilleux effet, qu'il semblait que les gens fussent ensevelis jusqu'à mi-corps. De la raie verte
s'élevaient des lignes brunes figurant le tronc des petits arbres et montant tout droit jusqu'à l'épaule des figures, à laquelle hauteur quelques taches vertes devaient indiquer une couronne de feuillage. » Depuis le voyage de Mme Pfeiffer, il n'a été fait, sauf dans l'ameublement et dans la destination des différents palais, que peu de changements seulement la reine Ranavalo Il a augmenté le groupe des habitations royales d'une nouvelle construction du même genre que les anciennes, mais flanquée aux quatre coins de tours carrées, copies des deux qui encadrent le portail de la grande église bâtie par les Jésuites. Et dans ce palais, elle s'est fait aménager une chapelle particulière avec tribune pour elle, recouverte d'un dais en bois sculpté. Mais ces choses ne sont que d'un intérêt secondaire, revenons à ce qui importe le plus. Comme on le pense bien, le commandant Dupré ne quitta point Madagascar sans rapporter, signé du roi, un traité de commerce et d'amitié, qui n'était point de nature à effaroucher les Anglais, puisqu'il contenait une clause très libérale ainsi conçue: « Tous les avantages résultant du présent traité d'amitié et de commerce seront étendus de plein droit, et sans traité particulier, à toutes les nations qui en réclameront le bénéfice. » Seulement, outre ce traité conclu avec le gouvernement, il y avait autre chose que le roiaccordait à ses amis, M. Lambert etM. Laborde, comme don de joyeux avènement. Cette autre chose était une charte royale, cédant à une compagniefrançaise des droits quasi souverains pour la colonisation de l'île, et comme la compagnie constituée d'avance à Paris pendant le séjour de M. Lambert, sous le nom de Compagnie de Madagascar, financière, industrielle et commerciale, était prête à fonctionner sous la direction du baron deRichemont, aussitôt que sa concession serait ratifiée par le traité officiel conclu entre les gouvernements, il s'ensuivait que la France allait avoir la prépondérance à Madagascar; d'autant que le roi, tout en proclamant la liberté des cultes, n'avait point caché ses préférences pour les missionnairesfrançaisprêchant la religion catholique, dans laquelle, d'ailleurs, il avait été élevé. Cela ne faisait point du tout l'affaire des Anglais; comprenant qu'il fallait renoncer à leurs visées, ils n'hésitèrent point à chercher un grand remède pour le grand mal dont étaient menacés leurs intérêts et fomentèrent une révolution de palais. Le prince Ramboasalama étant mort; les ministres protestants commencèrent par faire courir le bruit qu'il avait été empoisonné par ordre du roi; d'autres disaient qu'on l'avait privé de nourriture pour le laisser mourir de faim, mais ils étaient d'accord sur ce fait que le crime avait été commis à l'instigation des Français, surtout des missionnaires.
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Par cette calomnie et par beaucoup d'autres, les révérends méthodistes éveillèrent les haines des Hovoas contre les Français,les anciens partisans deRamboasalama se conjurèrent et réussirent à faire entrer dans leur parti le premier ministre du roi, auquel ils promirent le pouvoir.
Kaharla, plénipotentiaire de la reine Rasohérina.
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Le 12 mai 1863, la révolution éclata; les insurgés qui disposaient de la force armée, pénétrèrent dans le palais comme ils voulurent et étranglèrent Radama II avec trente de ses favoris. Le révérend Ellis était vengé
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RABODO-RASOHERINA
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La révolution n'aboutit pas tout à fait comme les Anglais l'avaient espéré; la veuve de Radama II, qui fut proclamée reine sous le nom de Rasoherina, ne fit pas absolument tout ce qu'ils auraient voulu et ce que peut-être le révérend Ellis avait le plus à cœur.
Elle ne chassa pas tous les missionnaires français qui, à peine installés depuis un an, à la suite du pèreJouen préfet apostolique, avaient déjà élevé une ferme modèle, des ateliers et une église, où le roi et la reine étaient venus entendre la
messe. Il en resta cinq, non pas dans la capitale il est vrai, mais qui s'obstinèrent à tenir ouvertes leurs écoles, fréquentées par plus de quatre cents enfants, et leurs chapelles, où les indigènes se présentaient par milliers. Quant au traité avec la France, il se trouva résilié dzpleindroit, dirent les hommes d'Etat howas, puisque celui qui l'avait signé était mort. M. Laborde, notre consul Tananarive, en fut avisé officiellement dès le lendemain de l'assassinat de Radama, par le premier ministre qui le manda chez lui tout exprès pour lui apprendre que le roi étant parti, les traités faits par lui devaient disparaître avec lui. M. Laborde écrivit en France, naturellement, pour apprendre au gouvernement les événements survenus, et leurs conséquences, mais sa lettre arriva trop tard, la commission d'exjloration organisée par la Compagnie de Madagascar venait de quitter la France quand elle arriva à Tamatave elle apprit la révolution qui venait d'éclater et de lui ravir ses droits. Tout en déchirant le traité signé par son mari, la reine Rasoherina ne voulait point rompre avec la France, etelle envoya, non sans peine toutefois, car ses minisres, qui prenaient le mot d'ordre des Anglais, dont quelques-uns étaient subventionnés, n'en étaient point d'avis — un ambassadeur chargé d'annoncer son avènement au trône à l'Empereur des Français et de solliciter son amitié. Le plénipotentiaire choisi se nommait Kaharla, homme fort intelligent, d'ailleurs, et précisémentà cause de cela, suspect au parti qu'on pourrait appeler des vieux Malgaches. Le choix de la reine fut cependant ratifié par ses ministres, qui attachèrent à la personne de Kaharla, deux hommes sur lesquels ils pouvaient compter, avec le titre de secrétaires, en apparence pour l'honorer, mais en réalité pour le surveiller. Cette ambassade du reste, n'aboutit point, la reine ne voulant pas sanctionner le traité consenti par son prédécesseur. Un moment, il fut question en France de ne pas laisser impuni ce manquement ultra-diplomatique, mais absorbé par les expéditions de Chine, de Cochinchine, du Mexique, le gouvernement ne trouva plus le temps d'y penser. M. Achille Jubinal essaya de rafraîchir sa mémoire et, aucorps législatif, dans la séance du 16 juin 1865, il fit un discours fort remarquable, qu'il terminait
à
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ainsi
dans lequel nous l'avons traité Radama roi le conclu Nous un avec avons « France reconnu comme roi de Madagascar. Ce traité était très avantageux pour la convention synallagmace n'était pas une abdication de nos droits c'était une tique pour l'exécution de certaines conventions, ét notre abdication implicite, si
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veut, avait pour sanction l'exécution du traité. Mais le roi Radama, avec lequel nous avions fait nos conventions, a disparu ou a été tué le traité est resté en suspens, le drapeau consulaire a été amené, demande quelle est aujourd'hui notre situation à Madagascar? Voulonsa Je nous rétablir ou voulons-nous abandonner le traité que nous avions fait avec Radama? Voulons-nous maintenir nos droits ou renoncer à la charte Lambert, qui nous assurait de grands avantages? »
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L'on
Le gouvernement ne répondit point d'une manière catégorique, nous croyons même qu'il ne répondit point du tout et que la discussion, renvoyée à une autre époque, n'eut point lieu mais l'année suivante, fatigué des attermoiements de la reine Rasoherina qui, mise en demeure de prendre un parti, ne pouvait arriver à se décider, il ordonna une importante démonstration navale autour de Mada-
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gascar. , La Junon, le Surcouf, le Diamant et le Loiret se montrèrent devant Tamatave et sur d'aubes points, avec quelques compagnies d'infanterie de marine. Cette preme Jade de nos navires changea complètement les dispositions de la reine, elle reconnut l'ancien traité, et les Français purent reprendre leurs entreprises agricoles et industrielles. Lapartie semblait encore une fois perdue pour les Anglais, mais encore une fois ils prétendirent qu'il y avait maldonne; seulement ils s'y prirent plus délicatement qu'envers Radama; c'était tout naturel, d'ailleurs, puisqu'ils avaient affaire à une femme. Au commencement de l'année 1868, Rasoherina tombait dans tout l'éclat et la force de la jeunesse, victime d'une maladie mystérieuse et terrible qui n'a peutêtre pas de nom en médecine mais qui en politique s'appelle « la jalousie des Anglais. »
RANAYALO
II
Il s'enfallut peu que les missionnaires anglais en fussent pour leurs machinations, car Ranavalo II qui succéda à sa cousine, se montra d'abord trèstolérante et, jusqu'à un certain point, favorable à l'alliance française. Et il est plus que probable que les Anglais n'auraient jamais réussi à s'emparer de son esprit sans nos désastres de 1870 qu'ils exploitèrent, qu'ils exploitent encore pour ruiner notre prestige. Ab. couronnement de la nouvelle reine, la France fut représentée par un commissaire plénipotentiaire, M Garnier, une vingtaine de missionnaires, trois
frères de la doctrine chrétienne et onze sœurs de l'ordre de Saint-Joseph de Cluny.
Garnier rapporta en France la ratification par Ranavalo, dutraité que Rasoherina s'était décidée à signer, e.t dont nous allons citer les principaux articles, parce que c'est leur violation qui a amené la guerre dont nous racontons l'histoire. M.
ARTICLE III
Les sujets français dans les États de S. M. la reine de Madagascar, auront la faculté de pratiquer librement leur religion, de construire des établissements destinés à l'exercice de leur culte, ainsi que des écoles et des hôpitaux, etc. « Ces établissements religieux appartiendront à la reine de Madagascar, mais ils ne pourront jamais être détournés de leur destination. Les Français jouiront, dans la profession, la pratique et l'enseignement de leur religion, de la protection de la reine et de ses fonctionnaires comme les sujets de la nation plus favorisée. Nul Malgache ne pourra être inquiété au sujet de la religion qu'il embrassera, pourvu qu'il se conforme aux lois du pays. «
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la
ARTICLE IV
«Les Français à Madagascar jouiront d'une complète protection pour leurs personnes et leurs propriétés. les suj ets de la nation la plus favorisée, et en se confor« Ils pourront, comme mant aux lois et règlements du pays, s'établir partout où ils le jugerontconvenable, prendre à bail ou acquérir toute espèce de biens meubles et immeubles, et se livrer à toutes les opérations commerciales et industrielles qui ne, sont pas interdites par la législation intérieure. prendre à leur service tout Malgache, qui nesera ni esclave ni « Ils pourront soldat, et qui sera libre de tout engagement antérieur. Cependant si la reine requiert ces travailleurs pour son service personnel, ils pourront se retirer, après avoir préalablement prévenu ceux qui les auront engagés. » Sur la foi de ce traité, nos missionnaires purent étendre le cercle de leur apostolat, nostraitants augmentèrent le nombre et l'importance de leurs comptoirs, sur les divers points de la côte où le commerce estlucratif, et iln'y avait même pas de raison pour que nos alliés les Sakalaves n'espérassent pas une ère nouvelle, basée sur la fin des relations hostiles avec les Howas. Malheureusement, l'année terrible était proche, nos défaites de 1870, la paix humiliante de 1871, donnèrent trop beau jeu aux missionnaires anglais pour qu'ils n'en profitassent pas. Ils en abusèrent et créèrent des publications plus ou moins périodiques, pa-
Avènement de Ranavalo II. — Proclamation
à la
porte du palais.
raissant tous les mois, tous les trimestres, ou seulement une fois par an, tout exprès pour rabaisser et déconsidérer la France en racontant avec exagération ses revers, pour en tirer"cette conclusion qu'elle étaitréduite àl'impuissance. Entre les mains des anglicans, ces publications en langue malgache devinrent une arme puissante de propagande politique, que les Anglais surent seconder par la multiplication de leurs missionnaires qui s'installèrent partout, fondant des écoles, élevant des chapelles, des hôpitaux, battant en brèche, grâce à de riches subventions, les missionnaires catholiques réduits à leurs propres ressources. Dans l'année 1878 (d'après leurs journaux du moins) ils avaient déjà 1142 congrégations avec 519 pasteurs indigènes et 253 évangélistes. Ces congrégations comptaient 70,124 membres et 253,182 adhérents. Ces chiffres sont vraisemblablement exagérés, comme ceux de 48,364 élèves, fréquentant seulement 882 écoles; mais il est certain que les missionnaires anglais appartenant d'ailleurs à quatre sociétés distinctes de propagande religieuse et même politique, ont fait vite de très grands progrès. Qu'on en juge par ce qu'en dit le docteur Lacaze dans le récit de son voyage à Madagascar
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Les anglicans ont depuis peu à Tamatave, un temple et une école où ils attirent la classe dominante principalement. J'ai assisté à leur office et je n'y ai généralement vu que des Hovas. « Le gouvernement, sans avoir de religion arrêtée, penche pour le protestantisme. Ceux qui font partie des honneurs, des emplois et de leur suite, ont pris la même marche, à part quelques exceptions. Les deux religions (catholique et protestante) sont en présence et la lutte est vive: c'est à qui aura le plus de prosélytes. Tananarive, les méthodistes ont, depuis quelque temps, un médecin, un « A hôpital bien organisé, où les malades reçoivent gratuitement les soins, les médicaments (le médecin est payé 15,000 francs). « Nous visitâmes l'imprimerie anglaise dont tous les travaux sont exécutés par des femmes malgaches, sous la direction d'un Anglais qui nous a fait visiter tout avec.une grande complaisance. ici tous les frais elle augmente « C'est encore la Société des Missions qui fait son influence et pousse au progrès par tous les moyens. Un magazine vient d'être publié en Malgache et paraît tous les deux mois. On a imprimé les lois ainsi que les discours de la reine, des grammaires, des dictionnaires, etc. Français la langue se forme et se fixe. » « Grâce aux Anglais et aux «
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Mais les Anglais étaient notablement les plus forts, les plus nombreux, parce qu'ils étaient les plus riches. rQue pouvaient nos missionnaires contre des sociétés capables de payer 15,000 francs un médecin?
Redoubler de zèle, de dévouement, et se multiplier; c'est ce qu'ils faisaient, et malgré tout ils réussissaient, ils avaient autant d'élèves, sinon plus que les méthodistes. dit te docteur Lacaze, commencent à prendre une assez large « Les Jésuites, leur église, assez grande, n'attire encore qu'un nombre assiette à Tamatave restreint de fidèles, mais ils augmentent tous les jours leurs prosélytes. mission une petite école dirigée par les sœurs de « Ils ont adjoint à leur Saint-Joseph; les petites filles malgaches y viennent avec leurs esclaves qui assistent aux classes. Leur local est trop petit, mais on construisait un bâtiment à étages qui leur permettra d'avoir plus d'élèves. Les enfants lisent, écrivent déjà assez bien; elles sont bien organisées pour la musique et chantent des cantiques avec beaucoup d'ensemble et de justesse. Frères de la Doctrine chrétienne viendront bientôt compléterl'œuvre et « Les rendront les plus grands services. «En attendant, les Pères ont affecté dans leur résidence, une chambre où les jeunes garçons viennent à l'école. Les Pères et les Sœurs se multiplient à l'œuvre, charpentent, jardinent, sont souvent en courses pour aller porter aux malades des soins et des médicameuts; on abuse souvent de leur zèle, qui ne marchande jamais les peines et les fatigues. » A Tananarive lors du voyage du docteur Lacaze, les Pères qui avaient déjà leur belle église, un vaste hôpital, des écoles, une imprimerie, étaient littéralement débordés. Privés de médecins, dit-il, et assaillis de demandes de secours, de soins, les « Pères ont confié à l'un d'eux, le père Aillaud, l'exercice de la médecine et de la pharmacie. Ils font tout ce qu'ils peuvent, mais pour un si vaste hôpital il faudrait des conditions de traitement autres, que ne permettent pas leurs faibles ressources. Les Frères de la Doctrine chrétienne, dans leur modeste ministère, rendent « de grands services, plus grands que ceux des Pères « Ces peuples primitifs, sans culture, comprennent difficilement l'esthétique de la religion, tandis qu'ils apprécient de suite une belle écriture, un dessin bien fait.. Ils acceptent le baptême, le plus souvent sans trop savoir ce qu'on leur donne, tandis qu'une religion qui se traduit par des manifestations saisissables, les touche bien davantage. « A notre arrivée, on citait à l'appui de cette opinion, un fait tout récent. Un jeune Malgache, élève des frères, âgé de quatorze ans, avait copié le traité fait avec la France; l'écriture en était parfaite, ornée de ces enjolivures qui se font si bien à l'école des Frères. La reine en -a été tellement enchantée qu'elle a donné à l'enfant 80 piastres, deux esclaves et le riz annuel pour la consommation de sa famille. « Les Pères sentent le parti qu'ils pourront tirer de cette institution, et leur projet est d'augmenter autant que possible les écoles chrétiennes.
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Une imprimerie commence à fonctionner, et avant mon départ, j'ai pu voir une grammaire et un dictionnaire malgaches imprimés chez les Pères. L'un d'eux est organiste musicien et enseigne la musique, une sœur l'apprend aussi aux jeunes filles malgaches. Les méthodistes sont jaloux des succès musicaux de leurs rivaux et ils en sentent l'importance chez un peuple fou de musique. « Les jours de fête, les églises sont pleines et les portes sont assiégées par une population nombreuse, attirée par le plaisir d'entendre les chants catholiques. Les méthodistes en ont bien aussi, mais ils avouent la supériorité musicale des Pères. » Bref, au point de vue purement religieux, nos missionnaires réussirent très bien; à la fin de l'année 1880, ils avaient 271 postes et stations comptant 40 églises et 178 chapelles construites, et 10 églises et 40 chapelles en construction. Leurs écoles — très nombreuses, puisque les exercices de la retraite annuelle réunirent à Tananarive 92 institutrices catéchistes et 50 institutrices résidant pour la plupart dans la Capitale ou dans les environs — étaient fréquentées par 4,226 garçons et 4,463 filles. Les progrès de la mission française furent si rapides qu'en juillet 1882, elle comptait 85.398 adhérents et 12 églises; de plus ses écoles avaient plus de 19.000 élèves (9.131 garçons et 9.964 filles). Lady Herbert of Léa, qui a donné ces chiffres dans une revue anglaise, le Month, dit aussi que la mission catholique est administrée par 48 prêtres, 21 frères coadjuteurs, 8 frères desÉcoles chrétiennes et 20 sœurs de Saint-Joseph de Cluny. Mais elle ajoute pour la consolation de l'orgueil britannique que « les missionnaires français n'ont pu obtenir de pareils succès que par l'admiration que professe pour eux le premier ministre et surtout (ce qui est un vrai comble) par la protection non déguisée que les jésuites ont trouvée dans le consul anglais M. Packenham. » Cette assertion bizarre n'était pas autrement nécessaire, car si les succès de nos missionnaires étaient considérables, ils n'étaient pas inquiétants. C'étaient là de beaux résultats, surtout si l'on tient compte du peu de temps qu'ilavait fallu pour les obtenir, mais ils s'effaçaient complètement devant ceux réalisés par les méthodistes, par cette raison que les missionnaires français font du prosélytisme, et les missionnaires anglais de la politique; les uns sont des apôtres, tandis que les autres sont des agents secrets du gouvernement. les premiers servent Dieu et la patrie les seconds servent surtout les ambitions de leurs compatriotes. On pourrait presque affirmer avec M. Raoul Pastel, qu'ils ne servent mêIlfe que cela. l'abnégation. «Lesprédicantsanglais, dit-il, ne brillent paspar le dévouement Tous commerçants et chargés de famille, ils ne rêvent que le confort et le lucre avant tout. L'indigène, si primitifqu'il soit, ne s'y trompe pas. Ils résident presque «
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et
LareineRanavaloII.
à
tous
Tananarive,, oii le souci de leurs affaires particulières les attire de préférence. Les Anglais les plus clairvoyants, quoique n'y pouvant rien, s'en plaignent avec amertume. Le grand tort des missionnaires protestants général,écrivait en chargésdesollicil'amiral sir Gore Jones dans un rapport officiel, c'est d'être «
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tudes domestiques, de femmes et d'enfants. En conséquence, ils se rassemblent là où ils trouvent le plus de confortable, et tandis que le reste de l'ile est négligé, la capitale en .fourmille. « Le missionnaire catholique, en règle générale, ne revient plus dans sa patrie. Les missionnaires protestants semblent ne songer à autre chose qu'à rentrer chez eux, surtout les femmes qui ne font pas un secret de leur incapacité pour l'œuvre de la mission. Qu'on juge de l'effet produit par les agissements peu évangéliques de ces « étranges missionnaires, quand on se représente en quel nombre ils sont là-bas. Nous avons donné, plus haut, le chiffre que les premières sociétés protestantes formaient en 1879; il faut croire que l'ingérence activement intéressée de l'État hova avait porté d'abondants fruits, puisque la société méthodiste, la première, comptait en 1880, à elle seule, 604 pasteurs, 184 évangélistes et 4.134 prêcheurs. GoreJones est exact, et il l'est assurément, la capitale, « Si le rapport de l'amiral c'est-à-dire le royaume entier, doit être singulièrement pressurée par leurs convoitises insatiables. leurs élèves et leurs dévots, formés à leur image et d'après « Par malheur, lenrs préceptes, ne valent pas mieux la suffisance des uns et la démoralisation très apparente des autres se donnant toute licence. Les Méthodistes ne s'inquiètent que de la prédominance du pavillon anglais; le reste, au fond, leur est indifférent. » Pendant tout le règne de Ranavalo II, les missionnaires anglais furent tout à Madagascar, surtout depuis qu'ils étaient parvenus à faire embrasser à la reine la religion protestante; car cet exemple fut suivi par son premier ministre, Rainilaiarivony, et naturellement par tous les principaux personnages de la cour, et tous les fonctionnaires et dignitaires des provinces. Dès lors, ils firent à peu près ce qu'ils voulurent, ils inspiraient les lois nouvelles, rédigeaient les proclamations de la reine, et comme de juste, les faisaient tourner non seulement à leur avantage, mais surtout au détriment des Français. Raconter tout ce qu'ils firent serait à peu près impossible, puisque chez eux c'est un travail sans relâche; nous relèverons seulement 4es principales de leurs machinations. Et cela nous fournira la matière d'un chapitre curieux et instructif.
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MACHINATIONS DES ANGLAIS
Depuis le règne de Radama II, l'armée hova avait des Français pour instructeurs. Cela ne pouvait convenir aux Anglais, qui firent comprendre à la reine Ranavalo qu'à l'instar des grandes puissances européennes, elle devait, sans retard, procéder à une réorganisation militaire. Cela fut fait en 1876, et les bases qui furent adoptées dénoncent bien clairement les instigateurs de ce bouleversement, puisque le point du départ est ainsi conçu Licenciement des vieux soldats instruits par les Français. Et remplacement de ces soldats par de jeunes conscrits placés sous la direction d'instructeurs anglais. Très clairs aussi les principaux articles de la loi organique, décrétant le service militaire pendant cinq ans, pour tous les Malgaches, mais exemptant de celte obligation, que les Hovas ont toujours considérée comme très dure. les malades, les infirmes, les hommes âgés, — ce qui est tout naturel, plus les missionnaires indigènes, et les jeunes gens qui suivent les cours aux écoles protestantes. Par missionnairesindigènes il faut n'entendre que les missionnaires protestants, — puisque c'est la religion de l'État, — et les missionnaires catholiques indigènes n'étaient pas plus exempts du service militaire que les jeunes gens qui fréquentaient les écoles. C'était une faveur énorme, et qui, comme on le pense bien, fit déserter par les adultes les écoles françaises. Quant aux vieux soldats, les Anglais trouvèrent moyen de les utiliser au profit de leur influence en les embrigadant dans un corps spécial, qui sous le nom d'Amis des Villages, fut chargé, dès 1878, du rôle multiple de gendarme, d'officier de l'état civil, et même un peu de commissaire de police. Ces amis des villages, dispersés par petits groupes, dans les localités un peu importantes, souvent isolés dans les petits villages, doivent veiller au bon ordre, constater et réprimer les délits (surtout ceux qu'on pouvait mettre à la charge des Français et de leurs amis), ils enregistrent les naissances et les décès, tiennent état des mutations de propriété et veillent à ce que les enfants fréquentent les écoles et les églises (protestantes, naturellement). Ce système ne fonctionna pas tout d'abord à la plus grande satisfaction des méthodistes. Ces vieux soldats instruits par des Français ne leur inspiraient qu'une confiance assez limitée, aussi conseillèrent-ils à la reine d'adjoindre à chacun d'eux, à titre de suppléant, un indigène protestant, sorti des écoles anglicanes. Comme cela, les révérends, ou pour mieux dire les agents du gouvernement
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anglais prirent la haute main, non seulement à la cour, où rien ne se faisait sans leurs conseils, quelquefois même par leurs ordres, car ils ne se gênaient pas pour subventionner les ministres qui paraissaient tièdes, — mais encore sur tout le pays, dont chaque village était surveillé, régenté par des gens à leur dévotion. C'est alors que commencèrent de véritables persécutions contre nos mission-
naires.
Déjà la reine Ranavalo leur avait signifié, dès l'année 1871, malgré les réclamations, et en présence de M. Laborde consul deFrance, que, toutes les fois qu'ils voudraient bâtir une église, ils seraient obligés de l'en avertir. Mais ce n'était guère qu'une prévenance, qu'une soumission qu'elle exigeait, car elle ne leur avait encore jamais refusé l'autorisation de bâtir, d'autant que les édifices élevés devaient rester sa propriété. A partir de 1878, il n'en fut plus de même. Le 4 juillet, les « amis des villages» inventés par les Anglais, reçurent tout un code rural dont ilsdevaient surveiller l'observation. , Dans ce code, il y avait un article intitulé : « Liberté de bâtir », qui visait spécialement nosmissionnaires. pour les en empêcher. Cet article estainsi conçu :
Pour ce quiregarde les églises ou les écoles, libertéde bâtir. Si c'est un vahaza (étranger) qui construit, vous lui parlerez ainsi : — Mon« trez-nous le contrat de loyer dûment signé et muni du sceau de l'autorité de Tananarive. «Si le contrat est régulier, laissez marcher la construction; mais s'il n'a pas de contrat, dites-lui Vous commencez une église ou une école sans avoir de contrat signé et muni du sceau de l'autorité de Tananarive allez d'abord àTanarive régulariser vos pièces avec l'autorité; sans cela vous ne pouvez construire. » «
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n'a l'air que d'une formalité à remplir, mais vu l'étendue du pays, vu la
Cela
situation à peu près au centre, de la capitale, à laquelle on ne peut arriver par aucune route carrossable, cela devenait souvent une impossibilité, car on n'avait pas toujours le temps ou les moyens nécessaires pour se faire porter Tananarive. Ceux qui avaient le courage d'entreprendre le voyage, étaient d'ailleurs à peu près certains d'en revenir comme étaient partis, car voici généralement ce qui se passait. Lorsque le sollicitant comparaissait devant les autorités compétentes, il donnait tout naturellement toutes les indicatious nécessaires sur la propriété où il voulait construire. On lui répondait que cette propriété ne lui appartenait pas, puisqu'il ne l'avait ni louée ni achetée il prétendait alors que si, excipant de la parole ou même d'un écrit de son vendeur, mais on lui objectait qu'il s'était mépris sur les inten-
à
:
;
ils
Mounza, roi de Nossi-Joli, d'après une photographie faite à bord de la Creuse.
tions du propriétaire et on lui offraitde le lui prouver, en faisant comparaître ledit propriétaire. Il va sans dire que celui-ci avait été préalablement interrogé par les autori-
tés locales, et menacé de toutes les colères du gouvernement s'il se dessaisissait de sa propriété. De sorte que si on le faisait venir, ce qui prenait du temps, coûtait de l'argent, il disait ce qu'on lui avait soufflé, c'est-à-dire qu'il y avait erreur et qu'il n'avait jamais eu l'idée de vendre ou de louer sa propriété. Le tour était joué; par une loi hypocrite, les Hovas trouvaient moyen de violer le traité de 1868; nos missionnaires se plaignaient, mais les consuls ne pouvaient rien pour eux, car en raison du fameux article 7, exécuté en France, et même à la Réunion, contre les congrégations religieuses, ils n'osaient exiger le respect des traités au profit de nos missionnaires dans la crainte qu'on ne leur jetât au visage la réponse déjà préparée par les révérends méthodistes « Pour quelle raisonprenez-vous ici la défense de ces missionnaires que vous ne souffrez pas en France ? « Pourquoi voulez-vous que nous laissions bâtir chez nous ces religieux que, dans votre pays, vous expulsez de leurs domiciles? « Ces Frères de la Doctrine chrétienne, ces sœurs de charité, vous les chassez en France de vos écoles et de vos hôpitaux; c'est donc qu'ils ne valent rien et qu'ils ne peuvent ni élever les enfants, ni soigner les malades, et vous voulez favoriserleur établissements chez nous il est difficile de nousdire plus maladroitement que vous nous voulez du mal »
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C'était en effet très logique mais malheureusement la logique n'a aucune espèce de rapport avec la politique. Voici maintenant un autre fait qui n'est pas moins caractéristique. Dès l'année 1874, Ranavalo avait proclamé l'émancipation des esclaves mozambiques, qu'on importait au nombre de huit à dix mille tous les ans. L'acte était des plus louables, mais les Anglais, qui l'avaient conseillé, ne tardèrent pas à le regretter, par la seule raison qu'il nous était utile. En effet, nos coloniesvoisines Nossi-Bé, Mayotte, et surtout la Réunion qui manque toujours de bras, recrutèrent des travailleurs parmi ces Mozambiques libérés, et purent assurer, augmenter même leurs exploitations. Cela ne pouvait pas durer ainsi, et nos bons amis les Anglais firentimmédiatement le nécessaire pour empêcher nos colons de faire travailler leurs plantations, et voici le moyen qu'ils trouvèrent. Lorsqu'on affranchissait ces esclaves mozambiques, on leur donnait la jouissance, peut-être même la propriété, d'un lopin de terre pour les attacher au sol. Ceux qui, trouvant à gagner sûrement beaucoup plus dans les colonies françaises, voulaient partir, vendaient leur lopin de terre à leurs voisins, souvent même, ce qui était beaucoup plus grave, aux étrangers avec lesquels ils contractaient engagement. Les Anglais remontrèrent à la reine que cet état de choses ne pouvait continuer et obtinrent d'elle, le 21 juin 1877, la proclamation dont voici la teneur
:
« «
Proclamation de Sa Majesté Ranavalo Manjaka, Reine de Madagascar, Etc. Etc. Etc.
Aux Gouverneurs, Officiers, Juges, chefs d'escadre et aux Princes. du peuple, et « Moi, Ranavalo Manjaka, par la grâce de Dieu et la volonté Défenseur des lois de mon Royaume. Etc. Etc. Etc. «
Je vous avise que, conformément à ma proclamation du 20 juin 1877, Mozambiques sans distinction qui habitent mon Royaume ne sont « Tous les plus maintenant des esclaves, mais des sujets libres; vous voudrez donc, par conséquent, me faire parvenir une liste de tous les Mozambiqnes qui se trouvent dans votre district, « Donnez-leur la terre dont ils pourraient avoir besoin pour leurs plantations; seulement veuillez leur expliquer, franchement, qu'il leur est interdit de vendre cette terre, parce qu'elle m'appartient. des créatures assez bornées « Vous-n'ignorez point que les Mozambiques sont quine manqueraient pas d'êtrele jouet des personnes qui prendraient leurs terres. Comme ils seraient alors dans une affreuse misère, c'est pourquoi je désire vivement sauvegarderleurs intérêts de plus, aucun achat de terre fait dans de pareilles conditions ne sera valable. Je vous recommanderai aussi de conseiller les Mozambiques sur le meilleur mode d'employer leur temps, afin qu'ils puissent avoir de quoi vivre. « Vous voudrez aussi les laisser parfaitement libres de choisir l'état qui leur conviendrait pour gagner leur existence; en outre, s'il y avait quelques Mozambiques dans le malheur, vous leur donneriez de lanourriture, tout enleur conseillant de travailler avec courage. « Si j'entendais parler que des Mozambiques fussent morts d'inanition, ou maltraités, une enquête immédiate serait faite, et les coupables, màlgré leur rang, punis, sévèrement. «
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RANAVALO MANJAKA,
Reine de Madagascar. «
Ceci est une proclamation de S. M. Ranavalo Manjaka, Reine de Mada-
gascar.
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Signé
RAINILAIARIVONY,
Premier Ministre et Commandant en chef. Dieu protège la Reine
!
Eh bien! la reine et son premier ministre,, commandant en chef, enfurent pour leur beau style, et les Anglais pour leurs combinaisons; car cette proclamation n'empêcha point du tout les affranchis mozambiques de quitter Madagascar. Ils ne vendirent point leurs terres, c'est vrai, mais ils les abandonnèrent tout
simplement, — ce qui en somme, n'était pas une très grande perte,-pour émirer dans les colonies françaises. Aux grands maux les grands remèdes; puisqu'on ne pouvait pas retenir les Mozambiques de bonne volonté on les retiendrait de force; et les Anglais auraient peut-être conseillé le rétablissement de l'esclavage, s'ilsn'avaient trouvé un autre moyen. Ce moyen, du reste très simple, était une défense, sous peine de mort, aux affranchis de quitter Madagascar sans l'autorisation du gouvernement de la Reine. Les Anglais étaient triomphants par ce moyen ils frappaient d'une pierre deux coups, car le recrutement des travailleurs mozambiques pour les colonies françaises devenait impossible, et les colonies anglaises, l'île Maurice notamment, pouvaient en engager. avec l'autorisation des gouverneurs de province qui n'avaient rien à leur refuser. Telle était alors l'influence des Anglais, et nous n'avions sur place aucun moyen diplomatique de la combattre. M. Laborde, qui connaissait bien le pays, était mort ainsi que M. Lambert, et nos consuls, d'après le déplorable système adopté aux affaires étrangères, ne restaient pas assez longtemps en place pour pouvoir rendre de véritables services, puisqu'ilsne savaient les choses que par les rapports de leurs prédécesseurs, et qu'en cas de difficultés avec lesautorités locales, ils se laissaient toujours rouler par les Hovas, passés maîtres en escobarderie et dont ilsne soupçonnaient pas même l'astuce.
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* * *
Il est bien inutile de dire que ce sont les inspirations et même les agissements des Anglais qui ont amené les difficultés, causés de notre intervention à Madagascar, cela va de soi. Mais n'est pas indifférent de savoir comment ils s'y sont pris pour essayer de détacher de notre protectorat les peuplades encore indépendantes de l'île de Madagascar, et dont Ranavalo ne voulait plusreconnaître l'indépendance, puisqu'elle avait dit dans une proclamation officielle «que la mer devait être la limite de son royaume. » Une correspondance adressée au Journal des Débats, le 3 juillet i882, va nous faire connaître l'attitude sournoise et déloyale des agents britanniques
il
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Sous prétexte d'excursions évangéliques ou scientifiques, dit ce correspondant, les missionnaires protestants ont parcouru les côtes est et ouest de l'île ils ont surtout porté leurs pas sur la côte ouest et nord-ouest, en face de laquelle se trouve la colonie française Nossi-Bé et dépendances. bishop Ketterlornish, accompagné du mis« En 1877, un évêque anglais, le sionnaire Boschelor, est venu visiter la baie de Passandava, les îles Nossi-Bé, Nossy-Faly, Nossi-Mitsiou jusqu'auprès du cap d'Antongil. Le récit de son «
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Tsiolano, roi de l'Ankara, d'après une photographie faite à bord de la Creuse,
voyage a paru dans VAntananarive-Annual-Magazine, publication de la « London Missionnary Society. » « En 1878, un autre missionnaire, M. Pickersgill, qui habite Majunga (côte Ouest) depuis fort longtemps, est arrivé dans les parages de Nossi-Bé, à bord
du navire anglais le Sparten. Il a exploré la côte Ouest et principalement la magnifique baie de Bavatou-Bé. « Ces voyages avaient pour but d'examiner le pays, de sonder les populations, et de constater le degré d'influence que la France exerçait sur elles.
Plus tard, en juin1881, M. Pickersgill, accompagné cette fois d'un autre missionnaire anglais, M. Parrett, imprimeur photographe à Tananarive, vint faire une nouvelle tournée dans les parages de Nossi-Bé. «Les premières excursions avaient instruit ces deux hommes sur les chances de succès que pouvaient avoir, auprès des chefs indigènes, des propositions diplomatiquès sérieuses. En effet, ils sont allés visiter les trois seuls chefs qui reçoivent, ou dont les grands-pères ont reçu, des indemnités du gouvernement français. « Le premier est la princesse Binao, reine de Bavatou-Bé, et petite-fille d'Andriansouky, qui nous a cédé, en 1843, l'île Mayotte et ses droits sur. les pays de Marambitsy, de Baly et Soukala, moyennant 5,000 francs par an. « Le second est Mounza, roi d'Ankify (Ankify et Bourbon-Bé sous deux presqu'îles qui forment l'immense baie dePassandava, à l'entrée de laquelle se trouve Nossi-Bé). Mounza est le petit-fils de Trimandrou, qui recevait une pension de 900 francspar an, pour la cession qu'il nous fit, en 1841, de ses droits sur la baie de Passandava. « Le troisième est Tsimiharo, roi des Antankares, réfugié à Nossi-Mitsiou, qui touche encore actuellement une pension annuelle de 1,200 francs, en récompense de l'abandon qu'il nous a fait de tout l'Ankora, territoire de sa famille. On peut ajouter que ces deux missionnaires sont allés aussi visiter Agnounou, « chef sakalave qui demeure dans l'île de Nossi-Lava (Nossi-Saucassée des cartes, en face de la grande baie de Nareenda). Agnounou est le petit-fils de Tsihomekou, reine sakalave qui nous a cédé Nossi-Bé et les îles environnantes, ainsi que tous ses droits sur la côte Ouest de Madagascar, en 1841, date de l'occupation de ces îles par la France. « Il faut avouer, vous en conviendrez, que nos deux voyageurs savaient à qui s'adresser et qu'ils étaient loin de marcher en aveugles. Le voici « On se demandera dans quel but ils faisaient toutes ces visites. « Ils invitèrent adroitement ces divers chefs à envoyer à Tananarive, capitale de la tribu hova, des messagers 'uniquement, disaient-ils, dans l'intention de rendre une visite de courtoisie à la reine Ranavalo-Manjaka, et de faire acte de bon voisinage. Ils ajoutèrent qu'ils seraient admirablement bien reçus, et, argument décisif, insinuèrent qu'ils seraient défrayés de toutes dépenses de voyage. raison d'une pareille démarche, envoyèrent « Les chefs, sans se demander la en effet, tout ingénuement, chacun un émissaire à Tananarive. M. Parrett, qui est un homme ardent, impatient de profiter de ses avantages, les transporta au plus vite par une embarcation à ses gages à Majunga, d'où illes accompagna jusqu'à la capitale. «
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Ceci se passait en juin 1881. côte à Tananarive. Les envoyés sakalaves et « Le voyage est long de la antankares ne revinrent de leur curieuse promenade qu'en janvier 1882. Ils avaient été fort bien traités, mais ils se trouvaient maintenant accompagnés d'officiers hovas porteurs du pavillon de la reine Ranavalo-Manjaka. Cette reine leur avait conseillé de l'accepter à titre purement gracieux et avait donné, on sous-main, l'ordre, à ses officiers, de le faire arborer quand même-sur le territoire des chefs dont elle venait de recevoir la visite. Il ne faut pas oublier que Ranavalo, en publiant à ce moment même les x « premières lois écrites qui aient paru à Madagascar, avait déclaré, dans sa proclamation, que « la mer devait être la limite de son royaume. » Il résulte de cette orgueilleuse devise qu'elle voulait s'emparer par la ruse ou par la force, de toute la côte Nord-Ouest de Madagascar et que les voyages des Ketterlornish, Bosche«
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lor, Parrett, Pickersgill et Walen étaient des missions politiques déguisées mais réelles. « Or, ces territoires de la côte Ouest appartiennent, depuis longtemps, à la France, comme nous venons de le voir. « La reine hova violait donc les principes les plus élémentaires du droit international.Les agents du gouvernement français à Tananarive et à Nossi-Bé, pouvaient-ils de gaieté de cœur, laisser ainsi se consommer la ruine de notre influence? Non, certainement. Aussi de pareils faits n'ont-il pu s'accomplir sans provoquer de leur part les plus légitimes protestations. « C'est ce qu'ils ont fait hardiment, et de là est né le conflit qui vient de surgir à Madagascar, et dont nous venons, aujourd'hui, vous entretenir. « Avant d'entrer en matière, il est utile de vous faire connaître que, pendant ce même mois de juin 1881, où les chefs de la côte Ouest étaient ainsi influencés, un amiral anglais, sir Gove Jones, accompagné du consul britannique Packenham, est monté à Tananarive. Nous savons que sirDilke (à la Chambre des communes, séance du 9 mars dernier) a déclaré que le voyage de l'amiral n'avait d'autre motif que de faire une visite de courtoisie à la reine Ranavalo. Mais n'en déplaise à cette autorité officielle, une visite faite dans de pareilles conditions et à une telle époque, en concordance avec les menées anglaises de la côte Ouest, nous prouve surabondamment qu'elle avait une autre portée. Aussi bien dans la circonstance le gouvernement anglais, voyant ses batteries découvertes, va retirer son épingle du jeu et s'empressera de désavouer ses missionnaires. Mais il est politique de faire ressortir la singulière concordance des actes de ces missionnaires avec ceux des officiers anglais. L'opinion publique jugera plus sainement le plus ou moins de sincérité des protestations de l'Angleterre. « Au mois de septembre 1881, le commandant de Nossi-Bé rentra de congé. Mis aussitôt au courant de ces événements, il réussit à s'entendre avec notre consul à Tananarive. Et, en attendant l'arrivée du chef de la station navale de la mer du Sud, il s'adressa aux populations. les visita même et fit tout son possible
pour enrayer l'influence anglo-hova, depuis Mourounsangjusqu'au cap d'Ambre. Nous disons toutson possible, rien n'est plus exact, car il n'a entre les mains ni bâtiment de guerre, ni artillerie, ni infanterie, rien qu'une police locale ordinaire. Par une inconséquence coupable, la direction des colonies, oublieuse de la Nouvelle-Calédonie et de Sainte-Croix, laisse Noss:-Bé à la merci d'un coup de main, malgré les plus sages avertissements. « Grâce à sa fermeté, le commandant de Nossi-Bé, que la canonnière laPique, par hasard dans ses eaux, put seconder un instant, réussit à faire refuser par Tsimiharo les pavillons que les Hovas voulaient arborer àNossi-Faly et àNossiMitsiou, où flotte le drapeau de la France. « Malheureusement, il ne put empêcher qu'il fût planté à..Bavatou-Bé et à Sambirano (Ankify), les 12 et 15 janvier 1882. Binao et Mounza s'y opposèrent de toutes leurs forces, mais ce fut en vain; l'une était trop jeune etservie par de détestables ministres, l'autre étaitatteint par la « Le chef de station et le commandant de Nossi-Bé ainsi que le consul de Tananarive, ne voulurent pas employer la force; ils adressèrent à la reine, par l'intermédiaire du consulat, de vives représentations. rien répondre. Sa devise n'est-elle pas « La mer sera « La reine ne voulut la limite de mon royaume! » « En présence de ce refus catégorique, notre consul cessa toutes relations officielles, quitta lacapitale et descendit à Tamatave, où il est actuellement. A ce moment, des menaces de mort furent proférées et même placardées.contre le chancelier du consulat, M. Là, il s'entendit avec le chef de la station, et après de sérieuses-conférences, « ces deux officiers décidèrent qu'il était indispensable au moins de faire disparaître ces deux pavillons plantés à Mahavanoiia (Bavatou-Bé) et à Sambirano (Ankify). Leur présence, en effet, sur un sol français était une flagrante violationde notre territoire. M.,le Timbre, vint, avec le Forfait à Nossi-Béet, le 16 juin dernier, retourna il procéda à l'enlèvement des pavillons et à l'abattage des mâts. Puis, à Tamatave pour y surveiller d'un côté le navirehovaYAntananarivo, qui doit transporter des troupes sur la côte Ouest, et d'un autre côté, les faits et gestes des autorités hovas de cet endroit, pour les empêcher de causer le moindre préjudice à nos nationaux. situation de la politique française à Mada« Telle est, dans toute sa vérité, la gascar. Il est nécessaire qu'elle soit tranchée le plus tôt possible. Il est temps que notre gouvernement comprenne enfin l'importance pour la France de la possession de la grande île Malgache. national, trop longtemps humilié par des sauvages que « Notre prestige conseillaient des alliés égoïstes, nous le commande nos intérêts industriels et commerciaux nous en font une loi. »
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maladie.
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Campan.
il
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Tananarive. — L'église des Jésuites et le nouveau palais de la reine.
AUTRES CAUSES DES HOSTILITÉS
On peut ne pas partager en tous points l'opinion de l'écrivain que nous venons de citer, mais il faut reconnaître que ses conclusions sont aussi justes
que patriotiques. Il n'y avait pas qu'une question de prestige, il y avait une question d'intérêt, et notre consul n'avait pas qu'une seule raison pour quitter Tananarive; il en avait jusqu'à trois autres qui remontaient déjà à plusieurs années, parce que les
Hovas ont le talent d'éterniser les négociations diplomatiques, mais que nous allons raconter. Un lougre français, le Toale, avait fait naufrage sur la côte ouest de Madagascar; une partie de l'équipage, qui avait réussi à se sauver, fut assassinée par des Hovas. Cela se passait en 1880 sous le consulat de M. Cassas, qui avait succédé à M. Laborde mort en 1878. M. Cassas réclama tout naturellement, demanda des indemnités pour le propriétaire du navire qui avait fait côte, pour les familles des assassinés, et plus naturellement encore la punition des assassins. Le gouvernement Hova répondit qu'il allait informer, il fit semblant de commencer une enquête, mais il informa si longtemps que M. Cassas fut rappelé avant d'avoir vu la solution de cette affaire, encore moins d'une autre concernant la succession de M. Laborde; dont il ne vit pas même tous les développements. A M. Cassas succéda M. Meyer, en 1881, et notre situation diplomatique était telle à Madagascar, — où le gouvernement se jouait de nous, où le peuple avait fini par croire, d'après les magazines et publications anglaises, que la France était une nation avec laquelle on ne comptait plus — que M. Meyer se crut obligé, à son arrivée d'adresser aux Malgaches, une proclamation qui, répondant aux calomnies anglaises, se terminait ainsi
:
«
France était devenue très pauvre, et qu'elle n'avait ni en d'autres mots, qu'elle n'avait ni argent, ni vaisseaux, ni
On vous a dit que la
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armée ni flotte soldats. dignes représentants se sontfait « En ce qui concerne notre flotte, dont les un devoir de l'accompagner ici, je vous dirai que la France n'a jamais été plus puissante qu'à présent. Elle a 346 vaisseaux de guerre, parmi lesquels 68 cuirassés. Pour vous citer seulement deux exemples, vous saurez que le cuirassé de première classe Amiral-Bwperré et le croiseur de première classe le Tourville, qui sont des modèles parfaits de construction navale, peuvent se comparer avec avantage avec les plus grands et les plus beaux navires des autres nations. la France n'avait plus d'armée. Aujourd'hui la France, « L'on vous a dit que qui maintient en temps de paix une armée de 500,000 hommes, pourrait immédiatement, si la défense du pays l'exigeait, mettre en campagne 25 corps d'armée de 40,000 hommes, sans compter un demi-million de soldats formant les réserves et les garnisons des forteresses, — soit 1,800,000 hommes. Mais dans quelques années, la France aura réellement à sa disposition 2,400,000 hommes bien disciplinés, auxquels il faudra ajouter 10 classes d'hommes dont on n'a pas besoin, c'est-à-dire un demi-million en plus, sans instruction militaire, c'est vrai, mais qu'on pourrait préparer en très peu de temps, si la nécessité s'en faisait sentir. dit que la France était maintenant pauvre et qu'elle n'avait « On vous a encore
plus d'argent. Ma réponse vous convaincra du,contraire. A l'Exposition universelle de 1878, la France a brillé d'une façon incomparable. Son industrie nationale a remporté presque tous les prix pacifiques, les seuls auxquels la France aspire maintenant. Si la France avait besoin d'argent, dans deux jours elle en trouverait pour un chiffre qui n'existe pas dans votre langue, et son crédit est si grand dans le monde que les offres couvriraient les demandes quinze ou vingt fois. «MaislaFrance n'apas besoin d'avoir recours au crédit des nations étrangères ; elle possède un si grand capital que souvent elle ne sait qu'en faire et tous les ans, malgré les réductions des taxes par notre parlement, les revenus dépassent les dépenses. Il avait été en 1880, de deux cents millions (quarante millions de dollars). grâce à des efforts « Vous pouvez être assurés que l'on vous a mal renseignés surhumains tels qu'on n'en trouve dans les annales d'aucune autre nation, la France est aujourd'hui plus forte et plus respectée que jamais. Et il ne pouvait en être autrement, car elle est comme le soleil, qui est quelquefois obscurci par une éclipse, mais qui brille bientôt après avec sa première splendeur.
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»
C'était dur, c'était même humiliant d'en être réduit à proclamer cela dans un pays qui avait été, au moins nominalement, colonie française, mais M. Meyer s'y résigna parce qu'il estimait qu'il valait mieux dire toutes ces choses, que de laisser croire le contraire. Notre nouveau consul était d'ailleurs un homme énergique qui prit tout de suite une attitude très ferme et entreprit la solution des deux grandes difficultés laissées pendantes par le départ de M. Cassas. La seconde de ces difficultés, nous l'avons dit déjà, était le déni de justice opposé par le gouvernement Hova aux héritiers Laborde. M. Laborde était mort en 1878, à Tananarive, laissant une grosse fortune à ses deux neveux, MM. Édouard Laborde et Campan, ce dernier remplissant au consulat de France les fonctions de chancelier. Ces messieurs se croyaient fort tranquilles possesseurs de la succession de leur oncle, d'autant que tous les immeubles qui en dépendaient était appuyés sur des titres de propriété parfaitement en règle, mais la diplomatie du gouvernementHova a trente-six manières de comprendre la spoliation, et elles sont toutes bonnes, quand il est le plus fort. Et dans le cas, il l'était. Les héritiers Laborde inaugurèrent leur entrée en jouissance en faisant construire une maison de rapport sur un grand terrain que possédait leur oncle dans un faubourg de Tananarive, nommé Ambahitsorihitra. Le gouvernement Hova leur laissa commencer les constructions mais un beau jour il leur fit défense de continuer les travaux, sous prétexte que des étrangers n'avaient pas le droit de bâtir dans l'île sans l'autorisation du gouvernement.
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Cette prétention était en opposition flagrante avec les termes de l'article 4 du traité de 4868, mais qu'importait à la reine Ce n'était pas la première fois que ce traité était violé, et depuis 1871 nos missionnaires n'avaient jamais pu bâtir leurs écoles, leurs églises que par tolérance, etmunis d'autorisations spéciales, mais nos agents consulaires ne s'étaient jamais cru obligés de protéger nos missionnaires. Cette fois il n'y avait pas moyen de faire la sourde d'oreille, on s'attaquait à l'un des fonctionnaires du consulat; notre consul protesta et rappela au gouvernement de la reine les termes du traité. Le gouvernement répondit par un décret et même par la fabrication d'une loi portant le n° 85, dans le code hova, qui fut publiée devant la porte du consulat. « La terre, à Madagascar, disait ce décret, ne peut être vendue ou donnée en garantie qu'entre sujets du gouvernement de Madagascar. « Si quelqu'un la vend ou la donne en garantie à d'autres personnes, il sera mis aux fers à perpétuité. L'argent de l'acheteur ou du prêteur sur cette garantie ne pourra être réclamé, et la terre fera retour au gouvernement. » Comme si ce n'était pas assez que de faire cette loi, qui était la violation d'un traité, Ranavolo ILvoulut encore lui donner un effet rétroactif, pour frustrer les héritiers de M. Laborde. Cet acte inique, d'une mauvaise foi sans exemple,.ce vol manifeste commis au préjudice de nos nationaux, auraient pu être des motifs suffisants pourune déclaration de guerre, mais on se contenta de faire des remontrances. Cela amena des négociations que les Hovas se promettaient de faire durer le plus longtemps possible. Ils se mirent donc à l'œuvre et furent obligés d'inventer de nouvelles fins de non recevoir, car M. Meyer les poussait ferme et voulait leur faire dire oui ou non, ce qui n'est point facile. Néanmoins les négociations prenaient bonne tournure et l'on pouvait espérer un résultat, lorsque, pour ne pas renoncer à nos errements diplomatiques, M, Meyer, qui n'avait pourtant pas six mois de séjour, fut nommé consul à Singapoure, et cela juste au moment où il commençait à connaître assez le pays pour n'avoir plus besoin de tâtonner et de se débrouiller, comme on dit, à chaque nouvelle affaire. Le déplacement de notre consul était d'autant plus malheureux que M. Meyer avait montré une véritable énergie, posé en quelque sorte un ultimatum, et que sa conduite fut interprétée à rebours à Madagascar. Nos bons amis les Anglais ne manquèrent pas de dire tout bas, pour que cela fût répété tout haut par les fonctionnaires malgaches, que le gouvernement franJais s'était trouvé trop faible pour pouvoir appuyer les prétentions de son représentant et avait été obligé de le rappeler, Cela fit un effet désastreux qui paralysa complètemeut M. Baudais, successeur
!
de M. Meyer. Il eut beau essayer de réagir contre la fausse interprétation donnée au départ de son collègue, en reprenant les négociations au point où elles en étaient, mais il n'avait plus d'autorité, et les diplomates hovas se moquèrent de lui. M. Baudais avait d'ailleurs et parextraordinaire des instructions très claires; le 2 mars 1882, M. de Freycinet, alors ministre des affaires étrangères, lui télégraphiait ceci
;
Maj unga.
quartier des Indiens.
Le mauvais vouloir des autorités hovas, a dans cette affaire, d'autant plus de portée que, indépendamment d'intérêts particuliers qui s'y trouvent engagés, elle met implicitement en cause le principe même du drsit de propriété consacré à notre profit par le traité de 1868, c'est-à-dire l'une des clauses de cet arrangement qui ont le plus de valeur à nos yeux. « Non content d'ailleurs de l'atteinte ainsi porlée indirectement à ses engagementss envers nous, le gouvernement hova n'a pas hésité à y faire brêehe ouvertement par la promulgation, duns les conditions que vous me signalez, d'une loi qui en est dans la pratique lu néhation même. « Nous ne saurions évidemmsnt ratifier par notre silence une reconnaissance aussi grave de nos droits conventionnels. Vous devez, votre luugage n'eût-il «
•
— Le
d'autre effet, vous attacher, par la persévérante affirmation de nos droits, à prévenir chez le gouvernementhova et autour de lui toute;interprétation qui tendrait à jeter des doutes sur notre intention de maintenir intacte notre situation. »
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Le 22 avril, nouvelle dépêche de M. de Freycinet
Vous n'hésiterez pas à déclarer que notre intention bien arrêtée est de ne point souffrir qu'aucune atteinte soit portée aux droits que le traité de 1842, portant cession de Nossi-Bé, nous assure également sur la côte elle-même, ou à l'autorité que les chefs de l'Ankara et notamment les souverains de Nossi-Mitsiou et de Nossi-Faly exercent à l'abri de conventions qui les lient à nous et que nous userons, à cet effet, de tous les moyens dont nous pourrons disposer. » «
Cette fois, il s'agit de l'affaire de la plantation des pavillons hovas surle territoire Sakalave; le dernier livre jauneva nous dire, page 76,. ce qu'il en résulta, du moins en ce qui concerne M. Baudais. C'est notre consul qui parle au plénipotentiaire hova, lors des tentatives de négociation faites par l'amiral Galiber. Le 25 avril 1882, dit M. Baudais, j'allai vers le premier ministre, exprès pour lui.donner lecture d'une dépêche que j'avais reçue la veille du ministre des affaires étrangères, à propos des affaires de Madagascar, et de laquelle il résultait que la situation faite à nos nationaux commençait à lasser le gouvernement. «tfous demandions à ce moment le retrait des pavillons que vous aviez indûment placés dans un pays qui était sous notre protectorat, et une indemnité pour nos nationaux lésés dans leurs biens et leurs personnes, et qui attendaient cette satisfaction depuis longtemps. Je mis partie de cette dépêche sous les yeux du premier ministre; elle était conçue dans des termes qni ne devaient lui laisser aucun doute sur les intentions de la France à cet égard, et le premier ministre, pour lequel je professais une sincère amitié, fut sur le point de céder devant la justesse de mes réclamations. Il remit sa réponse au lendemain. changé, et le motif de ce revirement d'idées était dû « Le lendemain tout était à la visite qu'il avait reçue de son conseiller ordinaire, dont je n'ai pas besoin de vous citer le nom, parce que vous le connaissez aussi bien que moi, qui osa lui déclarer que cette dépêche était fausse et qu'elle avait été fabriquée pour les besoins de la cause. » «
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C'était encore l'influence anglaise qui l'importait comme elle l'emporta, du reste, toujours depuis. Bientôt la situation de M. Baudais devint impossible à Tananarive, et mêmo si l'insulte que les Hovas firent à notre drapeau, en plantant leur pavillon sur les territoires nous appartenant, n'avait pas nécessité sa retraite, il n'aurait pas manqué de motifs.
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Les griefs augmentaient tous les jours un Français, M. Caperre, directeur d'une exploitation appartenant la Compagnie Roux de Frayssinet, fut assassiné sur la propriété sans que les autorités hovas voulussent rien faire pour rechercher les meurtriers des menaces de mort étaient proférées ouvertement contre nos nationaux, et les meneurs de ce mouvement eurent même l'audace d'afficher sur la porte du consulat de France une lettre de défi et de menaces contre M. Campan, chancelier du consulat. Et toujours le gouvernement hova ne voulait point rechercher les coupables. Il fallait en arriver aux hostilités.
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à
LES PREMIÈRES HOSTILITÉS
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Il n'est pas bien certain que les premières hostilités à Madagascar aient été ordonnées par notre gouveruement à temps opportun car, ainsi qu'il arrive toujours, pendant qu'il informait, qu'il contrôlait, qu'il échangeait des dépêches avec notre consul, les événements marchaient. Le consul fut autorisé officiellement «à s'entendre avec les autorités de NossiBé, afin de prendre les mesures qu'il jugerait nécessaires pour réserver avec efficacité les droits que nos traités antérieurs avec les chefs indigènes nous assuraient, tant sur les îles dépendant de notre établissement de Nossi-Bé, que sur la partie de Madagascar comprise dans les mêmes arrangements. » Fort heureusement les mesures étaient déjà prises, grâce à l'initiative de M. Le Timbre, commandant du Forfait, qui avait enlevé lui-même deux des drapeaux que les Hovas avaient substitué aux nôtres dans les villages sakalaves d'Ampassimiène et de Behamaranga, et qui avait envoyé la canonnière la Pique, commandant Compristo, en reconnaissance offensive sur la côte ouest. La Pique arriva à temps pour mettre la main sur les lombas d'investiture que Ranavalo envoyait à la reine Binao et au roi Mounza, par ces messagers spéciaux qu'on appelle des Tsimandona et qui sont considérés, à Madagascar, avec un respect mêlé de terreur. Accepter ces lambas, c'était pour Binao et Mounza reconnaître la suzeraineté de la reine des Hovas, et peut-être n'eussent-ils pas osé exprimer un refus, à cause du messager qui les portait, sans l'intervention des marins de la canonnière qui, eux, n'étaient obligés à aucune espèce de considération pour le Tsimandona. Tsimandona, « Les — lisons-nous dans l'excellente brochure qu'apubliée M. Brenier sur la Question de Madagascar, — les Tsimandona forment à Tananarive une classe toute spéciale, dont les attribuiions se transmettent de père en fils.
Ces attributions sont terribles ou agréables, selon que le Tsimandona est chargé par la reine d'apporter aux chefs hovas des postes militaires ou aux chefs des tribus amies et tributaires ou dont la reine veut se faire des amies, un arrêt de mort ou un compliment, la guerre ou la paix, la tristesse ou la joie. Quand le Tsimandona part pour accomplir sa mission, il est précédé d'indi« vidus qui lui préparent, là où il doit s'arrêter, la nourriture et le logement. Il n'a à s'occuper d'aucun détail matériel. Sa mission est toute politique, et quand on le voit passer, chacun tremble. « Il est exécuteur implacable des sentences de la reine. Il arrive auprès du chef condamné par elle, lui met lamain sur l'épaule et lui dit «Jeviens te mettre à mort par ordre de la reine. » Et il le tue de sa propre main. Personne n'ose s'y opposer. Malheur à quiconque empêcherait un Tsimandona d'accomplir sa mission ou porterait la main sur lui cet homme serait immédiatement massacré! « Le Tsimandona est l'homme fatal, toujours; car dès qu'on le voit on tremble. Dans le cas qui nous occupe, il ne perd pas son caractère fatal, car il s'impose à la tribu sakalave, et si la Pique n'était venue à la rescousse, les pauvres Sakalaves auraient peut-être accepté le présent de Ranavalo. ¡
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En même temps que notre marine prenait une attitude, non pas agressive, comme le disaient les journaux anglais, puisque l'agression venait des Hovas, mais simplement menaçante, M. Baudais quittait Tananarive, ainsi que son chancelier, M. Campan, qui avait été personnellement menacé, comme nous l'avons dit déjà, par un placard affiché sur la porte même du consulat. Une fois à Tamatave, où il était sous la protection de quelques navires français qu'y avait réunis le commandant Le Timbre, M. Baudais écrivit aupremier ministre hova que « faute de représentants de puissances étrangères dans la capitale malgache, à qui il pût confier le soin de protéger ses nationaux, il rendait le gouvernement hova responsable de tout attentat qui pourrait se produire contre leurs personnes, leurs biens, leurs familles et leur liberté. » Cette lettre n'intimida point le gouvernement hova, mais ce qui lui fit beaucoup plus d'effetfut de voir, devant Tamatave, cinq navires de guerre français, le Forfait, le Bruat, la Nièvre, la Pique et le Vaudreuil. Immédiatement le ministre de l'intérieur fit annoncer que l'on venait de découvrir les assassins de M. Caperre et placarder partout une affiche ainsi conçue M. Campan, chancelier, secrétaire « Le 6 juin, une lettre de menaces contre et interprète du consulat de France, a été affichée sur la porte du consulat de France, à Antananarivo. Celui qui déclarera la personne qui a écrit ou affiché ladite lettre, si son accusation est vraie, recevra une récompense de 2,300 francs donnée par le gouvernement de Madagascar.
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Dit «
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Rainitsimbazafy,
honneur, officier du palais, chef ministre de l'intérieur. >1
De son côté, la reine lança coup sur coup deux proclamations pour engager son peuple à n'accorder aucune créance aux bruits hostiles répandus contre la France et dont elle faisait rechercher les auteurs pour les punir, et pour annon-
cer, urbietorbi, qu'elle était en paix avec les nations amies au delà des mers. Il est vrai que ces démonstrations bienveillantes n'avaient d'autre but que de gagner de temps, car aussitôt que M. Baudais, croyant, sur ces apparences, à la bonne volonté du gouvernement hova, demanda des explications, il se déroba, comme toujours, et l'on pouvait lire ce qui suit dans le numéro du 10 août du Nouveau Salazien, journal français de la Réunion
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Majunga. — La rade.
Le gouvernement de Tamatave, représenté par Rainilaiarivony, le premier ministre actuel, commandant en chef à Madagascar, élude absolument toute réponse directe aux énergiques réclamations de M. Baudais, appuyéesvigoureusement par M. le commandant Le Timbre. également la responsabilité des placards apposés à « Les Hovas repoussent la porte du consulat de Tananarive et d'un certain nombre de Français, et menaçant de mort M. le chancelier Campan et les membres de la colonie française. Les autorités hovas ont cependant fait arrêter les cinq auteurs présumés de l'assassinat de M. Caperre, notre infortuné compatriote, tué sur une propriété de la «
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Compagnie Roux de Frayssinet, qu'il dirigeait, par des travailleurs a ses gages ce résultat était prévu, ce n'est pas la première fois que cette honteuse comédie "se joue à Madagascar: les obscurs mercenaires qui ont été poussés au meurtre par une main puissante, cachée dans l'ombre, seront seuls condamnés cette fois et le véritable coupable saura éviter le châtiment. deux atten« Tamatave a retenti encore ces jours derniers de bruits sinistres tats contre les propriétés privées s'y sont produits, et cela au lendemain de l'arrivée de Panoëlino, surnommé le Mignon hova, le fils du premier ministre. Le premier fait de ce genre a eu lieu dans la nuit du 11 au 12 : la maison de MM. Procter frères (sujets britanniques), a été pillée avec effraction après que le gardien eut été tué; le coffre-fort contenant sept à huit cents piastres, a été enlevé et fracturé à quelque distance. « Le second vol a été commis le 24 chez deux sujets malgaches dont Panoëlino avait juré la perte; non contents de mettre les magasins des Malgaches au pillage, les officiers de Panoëlino cherchaient partout la femme de Rakotovoa pour la livrer à la lubricité de leur maître. Les malheureuses victimes de ces violences ne purent que s'enfuir au plus vite pour chercher un asile chez les Vazahas; ils ne parleront pas de ce qu'ils savent et ne porteront pas plainte, car une seule démarche faite par eux dans ce sens serait leur arrêt de mort ils le savent et se taisent prudemment. »
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Pour gagner du temps, toujours, et se préparer, par tous les moyens possibles, à une action qu'elle voyait inévitable, Ranavalo, tout en ne faisant point satisfaction à notre consul, annonça qu'elle envoyait des ambassadeurs en France avec mission, disait sa proclamation, de resserrer les bonnes relations existantes entre les deux gouvernements et qui avaient seulement été troublées en apparence par des événements mal interprétés. Mais le commandant Le Timbre, qui venait de s'emparer de tout un chargement d'armes et de munitions de guerre, qu'un navire américain, l'Allen, avait débarqué à Tamatave, à l'adresse du gouvernement hova, n'était point du tout disposé à croire à la sincérité dudit. gouvernement. Aussi refusa-t-il, jusqu'à nouvel ordre au moins, de laisser partir les ambassadeurs, estimant qu'il était plus facile de s'expliquer sur place avec M. Baudais, au sujet de ces événements mal interprétés, que d'aller entamer à Paris des négociations qui probablement n'aboutiraient pas. C'est du moins ce qu'il ressort d'une lettre adressée au Times par le secrétaire de l'Association protectrice des indigènes. dit cette lettre, avait décidé d'envoyer uneam « Le gouvernement malgache, bassade en Europe, afin d'obtenir, si possible, un arrangement à l'amiable de son conflit avec la France; l'ambassade devait partir de Tamatave dans les premiers jours d'août. Aujourd'hui, j'ai appris d'une source bien informée que M. Le Timbre, «
commandant de l'escadre française, a assumé l'étrange responsabilité d'empêcher le steamer français qui porte la malle, de transporter cette ambassade en Europe. Le consul de France avait préalablement averti le gouvernement malgache que si VAntananarivo, navire à voiles, le seul que les malgaches possèdent, essayait de sortir du port de Tamatave, il serait immédiatement capturé. » ( Naturellement, cette lettre fut reproduite par tous les journaux anglais, qui, naturellement aussi, furent unanimes à blâmer vertement M. Le Timbre. Quelques-uns, comme le Standard, exprimèrent l'espoir qu'il serait désavouépar le gouvernement français; et ce qu'il y a de plus curieux,c'est qu'ils étaientdans le vrai, à très peu de chose près. Le commandant Le Timbre ne fut pas absolument désavoué, mais il reçut l'ordre, ainsi que M. Baudais, de se tenir sur la réserve, de favoriser le départ des ambassadeurs et de ménager autant que possible la cour de Tananarive. Là-dessus les journaux anglais se mirent à chanter victoire, bien qu'un peu prématurément. « Notre intérêt dans les difficultés actuelles de Madagascar n'est pas de pede conséquence, disait le Standard. Le commerce anglais avec Madagascar est considérable, et le voisinage de Maurice avec cette île, les Seychelles et nos colo nies de l'Afrique méridionale fait de tout établissement des Français sur la grande terre une question de grande importance pour nous. Et cependant c'est à un point de vue plus élevé que l'intérêt que nous devons envisager la querelle actuelle. L'es Malgaches sont un peuple remarquable, émergeant rapidement de la barbarie sous la tutelle des maîtres anglais et méritant, à ce titre, les plus gracieux égards du reste du monde. » Ceci n'était pas absolument clair comme rédaction; on ne saitpas au juste su le rédacteur demande les égards du monde entier pour les Malgaches parce qu'ils se sont mis sous la « tutelle des maîtres anglais, » mais comme esprit politique il n'y a aucune équivoque: il s'agit bien des « intérêts del'Angleterre ». Le Times fut d'ailleurs plus explicite
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Il est certain que plus d'un fonctionnaire français, militaire ou civil, a pris une attitude impliquant quelque chose comme un protectorat ou un « directorat sur Madagascar. La série des actes sur lesquels notre attention a été appelée sont caractérisés — s'ils sont vrais — par autant d'injustice brutale qu'il en a jamais été déployé par des Européens à l'égard de nations sauvages ou à demi civilisées, et celaveut dire beaucoup, malheureusement.De pareilles prétentions, évidemment, ne peuvent se soutenir que dans deux cas ou comme conséquence d'un état de guerre entre la France et Madagascar, ou en vertu de la domination de fa France à Madagascar. « Aucune de ces deux alternatives n'existe ou n'est reconnue par les autres «
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pouvoirs. Madagascardoit être civilisé et développé autrement qu'à la façon française, qui consiste à occuper nominalement et exclusiventun territoire sur lequelles occupants n'ont aucun titre. Si les Français se méfient de leur capacité pour « concourir ce n'est pas une raison pour nous d'acquiescer à cette tyrannie de « chien sur sa mangeoire telle qu'ils semblent désirer de l'exercer à Madagascar. »
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L'ambassade, dont le personnage principal s'appelait Marc Rabibisoa, partit, le 20 juillet, et pendant qu'elle voyageait, que nos marins étaient l'arme au bras sur leurs navires qui ne devaient point avoir l'air de surveiller les côtes; que notre consul gardait le silence, les Français étaient menacés, conspués, leurs propriétés livrées au pillage et leurs industries détruites à Madagascar. Pendant ce temps-là aussi, le gouvernement hovase préparait à la guerre, activait sa mise en état de défense sur tous les points où il pouvait prévoir une attaque de notre part, guidé en cela par nos bons amis les Anglais, dont quelques missionnaires se montraient si enflammés de haine contre la France et tout ce qui s'y rapporte, qu'on pourrait presque dire qu'ils prêchaient la guerre sainte. Ce qui d'ailleurs n'était pas autrement nécessaire pour ranimer l'ardeur guerrière des Hovas, toujours prêts, sinon à se battre, du moins à se mettre en campagne pour trouver dans le pillage une existence meilleure que celle qu'ils mènent ordinairement. On voyait bien tout cela, ou tout au moins une partie de tout cela, maisnos représentants ne pouvaient rien dire; on leur avait recommandé de ménager la cour de Tananarive et d'éviter toutes sortes de conflits pendant qu'on négocierait. On négociait, en effet, mais bien lentement; le gouvernement de la métropole, enchanté de montrer à Paris les envoyés de Madagascar, ne se pressait pas, se croyant sûr, d'ailleurs, avec ces demi-sauvages, d'obtenir, quand il le voudrait et comme il le voudrait, une solution pacifique, satisfaisante pour notre dignité nationale. Ce n'était guère bien connaître les Hovas, qui, comme tous les Orientaux, mais à un degré supérieur encore, ont le talent d'user le temps en pourparlers diplomatiques, de retirer le lendemain les promesses faites la veille, d'en faire de nouvelles pour revenir dessus plus tard, de façon à fatiguer l'adrersaire, à le décourager par des espérances sans cesse renaissantes, mais toujours déçues. Cette tactique, que nous ont appris depuis les Chinois et les Annamites, était celle qu'adoptèrent les ambassadeurs hovas, que Paris avait accueillis avec la curiosité bienveillante mais obstinée qu'il sait montrer, en pareille occasion. On échangea nombre de protestations de bon vouloir, des quantités d'assurances des meilleurs sentiments, mais très peu de protocoles, d'autant qu'on ne pouvait jamais arriver à se mettre d'accord sur leur libellé.
Il était d'ailleurs impossible que ces négociations aboutissent, les envoyés malgaches étant bien décidés à ne faire aucune concession. M. Laillet, l'un des plus récents explorateurs de Madagascar, qui les connaissaitparticulièrement, nous donne leurs véritables sentiments dans le récit de la visite qu'il leur fit à Paris. « Madagascar m'intéressait particulièrement, dit-il, non seulement au point de vue des études particulières que je lui ai consacrées, mais surtout au point de
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Destruction de la douane de Mouroung-Sang.
vue patriotique sur l'invitation d'un des ambassadeurs, Marc Rabibisoa, je n'hésitai pas à me rendre près d'eux à Paris. Ils me reçurent au Grand Hôtel où ils f, étaient descendus. « Ma visite eut lieu le 22 octobre 1882, au moment même où ils étaient, disaient-ils, occupés à dresser un rapport que le gouvernement français leur avait demandé sur leurs prétentions. « La réception fut très affectueuse, et après avoir parlé de nos amis communs habitant Madagascar, j'ai'tenté d'aborder la question politique et de sonder leurs
intentions. « Après une longue discussion pendant laquelle je cherchais à leur fairesentir combien leurs volontés étaient en dehors de tout usage entre nations, je vis fort bien que ces gens avaient reçu des ordres formels de ne rien céder.
Nous voulons bien, m'ont-ils dit, que les Français acquièrent des biens à Madagascar, mais après leur mort, il faut que ces biens retournent à la reine. Désirant leur faire comprendre le mal fondé de pareilles prétentions, je leur expliquai qu'actuellement, aujourd'hui même, ils pouvaient acheter et posséder à Paris, dans toute la France, trafiquer à)eur convenance, tester comme bon leur semblait et que, naturellement, ces droits que tout homme noir ou blanc trouvait au milieu de toutes les nations civilisées, devaient être réciproques, et exister à Madagascar pourles Français, comme ils existent en France pour les Malgaches. » « Devant le bien fondé de cet exemple et la clarté de ce raisonnement, ils firent semblant de ne pas comprendre, puis notre entretien se termina par ces paroles des ambassadeurs «
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Le gouvernement français exige le protectorat de l'île, à cela nous nous y opposons absolument; il est possible que la France, plus forte que nous, en armes et en soldats, puisse nous y contraindre par la force, mais nous lui ferons une guerre sans quartier, préféranttous périr que deconseiitir l'anéantissement du droit de tout peuple d'être libre et maître chez soi. » «
à
Bref, le 24 janvier 1883, les négociations furent rompues et les ambassadeurs malgaches quittèrent Paris, un peu précipitamment même, car ils oublièrent de payer les dépenses qu'ils avaient faites au Grand-Hôtel. Après cela, peut-être croyaient-ils avoir été logés et nourris aux frais du gouvernement français. Quoi qu'il en soit, ils passèrent de là en Angleterre où ils ne furent guère plus heureux, car ils comptaient y trouver au moins des consolations sur leur insuccès diplomatique et vraisemblablement des secours, que leur avaient fait espérer les missionnaires méthodistes. Mais ils n'obtinrent rien du tout, et le gouvernement anglais, toujours prêt à recueillir fruit des machinations de ses agents, mais qui ne l'est pas souvent à se compromettre, ne leur donna qu'un navire pour les rapatrier, un peu plus tard. Ce fut encore trop tôt pour les malheureux ambassadeurs, que la mort attendait au retour.
le
DESTRUCTION DE MOUROUNG-SANG
Les négociations n'ayant pas abouti, le gouvernement français était obligé de se décider à l'action et sans perdre de temps. On en avait déjà beaucoup trop perdu que les Hovas avaient utilisé. Non seulement ils avaient élevé un fort à Mouroung-Sang, village qui ne leur
appartenait point, puisqu'il faisait partie du royaume de Binao, qu'ils en avaient expulsé depuis quelques années déjà, mais ils s'occupaient de construiee de nouveaux ouvrages, même sur le territoire que jusqu'alors ils avaient daigné laisser à la petite reine sakalave. Binao, avisée par le chef hova le plus voisin, des ordres qu'il avait reçus, demanda immédiatement conseil et protection à M. Seignac, commandant français de Nossi-Bé, qui lui répondit, par retour du courrier, la lettre suivante
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« «
Hellville, le 22 octobre 1882.
simiena.
Le commandant de Nossi-Bé à la reine Binao, à Ampas «
Madame,
J'ai l'honneur de vous accuser réception de votre lettre du 20 octobre par laquelle vous me transmettez la lettre du commandant du poste de Bemaneviky, qui nous fait connaître l'ordre qu'il a reçu du gouverneur de Mouroung-Sang de construire une enceinte fortifiée sur votre territoire. « Il faut, à tout prix, et cela sans le moindre retard, réunir tous vos chefs et leur donner l'ordre formel de lever tous les hommes en état de porter les armes, d'en former trois détachements sous la conduite de chefs énergiques ayant notre confiance et d'envoyer ces détachements camper à une portée de fusil des postes hovas de Bemaneviky, d'Ambalia et d'Ampassimbitiky. « Voici la consigne que vous devez donner aux chefs appelés par vous au commandement de ces détachements. En ce qui concerne Bemaneviky, faire savoir au chefbova qu'il ait à renon« cer immédiatement à la construction de ces travaux de défense sur notre territoire. Que, dans le cas où il s'y refuserait, l'ordre formel était de vous y opposer par l'emploi de la force. Ambalia et Ampassimbitiky, les chefs devront observer l'attitude de leurs « A voisins, ne pas créer de conflit, mais surveiller avec vigilance leurs agissements et s'opposer à l'entrée de tout Hova, officier ou autre, sur les territoires placés sous notre protectorat. « Je tiens à votre disposition des munitions de guerre, et je vous invite à les envoyer chercher aussitôt que vos hommes seront prêts à marcher. « Dans la situation grave où nous conduit l'acharnement des Hovas, vous comprendrez qu'il est absolument indispensable que je sois tenu au courant de tous les faits, si petits qu'ils soient, qui se produiront. Vous voudrez donc m'expédier des messagers à cet effet et n'employer que des hommes sûrs. « Je compte sur votre dévouement à la France pour faire exécuter à la lettre les ordres que je viens de vous donner. Je ne suis arrivé à cette grave détermination que pour 'sauvegarder les intérêts du pays. « Que Dieu vous protège! «Le commandanrde Nossi-Bé, «
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« Signé
SEIGNAC. »
Cet encouragement à la résistance resta sans effets, par la raison que Binao disposait de très peu de soldats, lesquels ne se voyant pas appuyés, ou pour mieux dire précédés par des Français, ne furent jamais prêts à marcher. De sorte que les Hovas, qu'ils craignaient comme le feu et qui d'ailleurs étaient,en nombre dans les postes voisins, firent à peu près ce qu'ils voulurent et construisirent forts et batteries à leur convenance, sur la côte nord-ouest de l'île. C'étaient autant de nouveaux drapeaux plantés sur des territoires placés sous notre protectorat et qu'il fallait enlever. C'est par là que le contre-amiral Pierre commença l'expédition, dont la direction venait de lui être confiée avec le titre de commandant en chef de la division navale de la mer des Indes. Elle n'était pas très nombreuse, cette division, d'autant qu'il lui fallait mon3 trer à la fois ses vaisseaux à l'orient, au nord et à l'est; elle se composait de : La Flore, croiseur de premier rang, portant le pavillon de l'amiral. Le Forfait, croiseur de deuxième rang. Le Boursaint, aviso à hélice. Le Beautemps-Beaupré,éclaireur d'escadre. La Nièvre, transport-aviso. La Creuse, grand transport qui fut bientôt transformé en hôpital, et deux canonnières, la Pique et le Vaudreuil. Mais c'était assez pour la besogne qu'il y avait à faire, ou du moins pour le plus pressé de la besogne. Le 7 mai, jour fixé par l'amiral pour la concentration de ses navires dans la baie de Passandava, l'escadre, moins le Forfait resté devant Tamatave, se mit en marche le long de la côte nord-ouest, bombardant, détruisant les commencements de forts et les ouvrages défensifs que les Hovas avaient élevés hâtivement, pendant que la Flore venait mouiller devant Mouroung-Sang, à plus de 5,000 mètres du fort bâti sur le sommet d'une haute montagne, au pied de laquelle s'étend la ville au bord de la mer. Le gouverneur hova, voyant le navire français à une si grande distance, crut qn'il ne s'agissait que d'une démonstration et ne prit pas grand'peur, d'autant qu'il comptait beaucoup sur sa forteresse, composée de deux enceintes concentriques de fortes palissades. Mais quand il vit les obus de la Flore renverser ses murailles, faire des brèches effrayantes dans ses palissades, émietter les bâtiments de la douane, il n'hésita plus et, se sauvant par derrière avec sa garnison, abandonna la place, si bien que lorsque la compagnie de débarquement de laFlore (une soixantaine de marins et quelques artilleurs embarqués à Nossi-Bé) toucha le rivage, elle ne rencontra plus d'ennemis, mai-s seulement quelques centaines de Sakalaves qui l'accueillirent avec plus de curiosité que d'effroi.
Ces gens savaient, du reste, qu'ils n'avaient rien à redouter des Français, et qu'au contraire les Français venaient les délivrer du joug des Hovas. Nos marins ne perdirent point de temps à assurer les habitants de leurs dispositions bienveillantes. Ils s'occupèrent d'abord de faire disparaître ce qui avait été, ce qui pouvait encore devenir un danger, et, avec la mine et la sape, ils continuèrent l'œuvre de destruction commencée par les obus. Le fort fut rasé, brûlé, et il ne resta pas pierre sur pierre du grand bâtiment de la douane, que l'on fit sauter.
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l\lajunga. Quarier sakalave. Ce premier succès n'en était pas un en somme, puisqu'on ne faisait que chas-
ser l'ennemi d'un territoire qu'il avait usurpé, puisqu'on détruisait des établissements qu'il avait bâtis chez nous; mais la flotte était déjà en route pour Majunga, où elle allait l'attaquer chez lui. PRISE
DE MAJUNGA
Majunga, premier objectif de l'amiral Pierre, est, après Tamatave, le port le plus considérable de Madagascar; il a, sur la côte occidentale, la même importance que l'autre sur la côte orientale, d'autant que ce sont les seules villes
reliées avec Tananarive par ces sentiers presque impraticables qu'on appelle làbas des routes. Etre maître de Majunga et de Tamatave, c'est en quelque sorte bloquer la c'est, en tout cas, la gêner beaucoup en mettant la main sur les douanes, capitale qui sont le plus clair revenu de la reine Ranavalo. Aussi était-ce le but de l'amiral Pierre, et s'il commençait par Majunga, c'est non seulement parce qu'il se trouvait tout porté, mais encore parce que, en occupant la ville, il rendait à l'indépendance tous les chefs et roitelets sakalaves, sur lesquels il croyait pouvoir compter pour la suite, sans penser que ces petits rois n'avaient point de troupes et plus de bonne volonté que de moyens. La, possession de Majunga avait d'ailleurs, si l'on voulait pousser rapidement l'expédition, c'est-à-dire aller jusqu'à Tananarive, un intérêt plus immédiat car, outre la routede terre sur laquelle il ne fallait guère compter, il ya une route fluviale qui pouvait rendre de véritables services pour le transport d'une colonne et de ses approvisionnements. Près de Majunga se jette dans la mer le plus grand cours d'eaude Madagascar. Cette rivière, que les uns appellent Ikupa, d'autres Betsibouka, passe au pied-de la montagne qui porte Tananarive et elle est navigable jusque-là, sauf l'interruption forcée qu'amènent des rapides situés à deux jours de marche de la capitale. Et c'était certainement une voie dont il fallait s'assurer, d'autant que de ce côté le chemin peut être parcouru en six à sept jours au plus, sans grandes fatigues, tandis que de Tamatave il fallait au moins dix jours, par des sentiers difficiles, où tout ce qui est marchandises ou approvisionnements doit être porté à dos d'hommes. Vu l'importance qu'elle acquit pendant notre campagne, Majunga mérite une description détaillée; nous l'emprunterons àl'officier de la marine autrichienne que nous avons déjà cité :
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la ville hova sur la Majunga, dit-il, se compose de deux parties séparées montagne et la ville commerciale sur le rivage. Le chiffre total des habitants s'élève à 8,000 âmes. Comme nous nous trouvons dans le fort, nous le parcourons d'abord. Là demeurent exclusivement des Hovas et leurs familles. Chaque Hova appartient à la classe des guerriers, c'est pourquoi la population mâle compose en même temps la garde. Toute la force militaire, soit environ un millier d'hommes, est sous les ordres du gouverneur. l'exception du palais de ce dernier, bâti en pierre, les maisons, dans le « A fort, sont construites en bois mais toutes sont d'une élégance et d'une propreté extraordinaires. Le soubassement de bois supporte un toit élevé, pointu et couvert en paille de palmier. Les murailles extérieures des maisons sont si àrtistement ornées de feuilles de papier en. éventail qu'on est tenté de Les croire lambrissées. A l'intérieur, des étoffes en rabane et des nattes couvrent les murailles «
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et le sol; partout règne une exquise propreté. L'ameublement est, en général, des plus simples il se compose de la kitanda, lit fait avec de l'écorce de bois en usage dans le pays, et de quelques chaises basses; les grands ont cependant, quelquefois, un mobilier européen. Les rues étroites prouvent l'esprit d'ordre des Hovas et sont tenues dans un état de scrupuleuse propreté. fortifiés de la ville haute de Majunga; ils ne sont pas « Quant aux ouvrages très redoutables. Un fossé ayant quelques pieds de profondeur entoure la ville. Sur les glacis irrégulièrement élevés, on a posé çà et là de vieux canons de marine en fer, qui pourraient être tout aussi dangereux pour les servants que pour les ennemis. Néanmoins, ils sont soigneusement soustraits aux intempéries du temps par un toit de paille. « La partie basse de Majunga, où nous nous rendons ensuite, compte, il est vrai, quelques belles constructions de pierre appartenant à de riches Indiens, elle renferme également des maisons aussi propres que celles des Hovas dans le fort, mais la majorité de la population, Arabes, Sakalaves et Cafres, habite dans des cabanes très sales où, à chaque visite, on est dégoûté par une fétidité révoltante. Au centre de la ville basse se trouve un grand bâtiment en pierre et muni d'une longue véranda. Une hampe à l'extrémité de laquelle flotte un drapeau madécasse indique que c'est un établissement du gouvernement. Ambulahéry, en effet, me dit que c'est le Lapa (hôtel de ville), où se tiennent les conseils publics appelés Kabary. Là se réunissent, de temps en temps, les membres supérieurs de l'Assemblée, quand il s'agit de"régler quelque affaire de la commune. Lorsque la reine expédie des ordres, le gouverneur les communique au chef de la basse ville qui convoque les Kabary et leur en donne connaissance. Chaque membre, en particulier, doit avoir soin, de son côté, que toutes ces communications soient comprises, et, en cas de nécessité, le conseilest convoqué une seconde fois. Grâce à cette organisation, les arrêtés et nouvelles sont rapidement connus au dehors, et on ne peut prétexter ne pas avoir entendu un ordre. « Majunga offre fort peu de choses; on n'y trouve jamais de pain frais. Par contre, les animaux de boucherie y abondent et on peut se les procurer à bon compte, surtout pour les particuliers et les navires de commerce; ces derniers payent 3 thalers un beau bœuf pesant environ 400 livres de viande mais les vaisseaux de guerre ne peuvent se le procurer que moyennant 15 thalers. « L'exécution de nos ordres n'est cependant pas si facile. On se figure à peine combien de hautes autorités doivent prendre une décision sur une affaire aussi importante que l'achat de quelques bœufs par un vaisseau de guerre. On pourrait bien chercher la raison de ce commerce difficile dans la défiance que l'on garde contre tous les actes d'un étranger. «A l'imitation des institutions européennes, il s'est formé chez les Hovas une armée de fonctionnaires, dont il est impossible de sefaireune idée, et dont la pédanterie présente le contraste d'un fonûtionnair-e en manches de chemise. Nousvisitons maintenant à tour de rôle tous les dignitaires que nous avions rencontrés le
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matin à la suite du gouverneur; nous en mettons plusieurs dans un grand em • barras, à cause des occupations privées dans lesquelles nous les trouvons, et fort peu en rapport avec leur haute position. « Nous visitons aussi en passantune école. Un .prêtre protestant, Hova de naissance, y apprend à lire et à écrire aux petits enfants, et par excellence à chanter des cantiques. Ce dernier enseignement obtient les meilleurs résultats, parce que les Hovas sont très musiciens. Pour l'écriture et l'impression de leur langue, les Hovas ont adopté les lettres romaines les mots s'écrivent comme on les prononce, aussi la lecture et l'écriture sont relativement faciles. « Dans le voisinage de l'école se trouve la prison. A en juger par les criminels que nous y voyons, la position des prisonniers madécasses est loin d'être des plus agréables. Nous en rencontrons quelques-uns attachés à deux barres de fer; ils sont enchaînés au milieu par un anneau,tandis qu'une chaîne est passée autour du cou et qu'une autre retient le pied droit. Cette flexion si petite du corps doit être pénible et très douloureuse. Plusieurs autres malfaiteurs sont attachés tout nus à un poteau où ils restent exposés pendant un certain temps aux rayons ardents du soleil. « Les châtiments sont généralement très barbares. Outre l'enchaînement au moyen de barres de fer et l'exposition au soleil, les coups de bâton, la compres sion des yeux, le chevalet e-t autres supplices du même genre sont en usage. La peine de mort s'exécute par transpercement au moyen de lances, mais la lapidation s'emploie aussi pour quelques crimes. « Celui qui a subi une peine judiciaire ne peut porter, pendant quelque temps, ni le lamba ni le chapeau de paille et doit se couper les cheveux ras; beaucoup ont aussi sur le front un signe imprimé par le feu. établi par An« Il existe, pour régler l'application des châtiments, un code drianim Pœmerina, le fondateur de la dynastie régnante, et augmenté par les chefs qui lui ont succédé. On prononce la peine de mort pour la désertion, le recèlement d'armes, la « révolution, la perfidie, l'excitation à l'émigration elle est toujours accompagnée de la confiscation des biens de la famille et des travaux forcés pour les membres qui la composent. Les dispositions et le contenu de quelques articles feront connaître les idées et le degré de civilisation des Hovas. Celui qui, dans nn procès, corrompt le juge ou cherche àle « Un article dit corrompre, perd le procès et doit payer 50 écus dans le cas où il n'est pas en état de payer l'amende, il est condamné aux travaux forcés pour une période de temps équivalente. « Uu autre article porte Si un homme ivre vous injurie et endommage votre propriété, liez-le et, quand il aura recouvré la raison, faites-lui payer le dommage.
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«Nous avons enfin pour
nos achats l'autorisation souvent visée; nous nous
rendons dans la basse ville chez les marchands proprement dits et Indiens ou Arabes pour la plupart. Les Hovas ne s'occupent pas de ce qui est étranger au métier des armes, ou s'ils le font, c'est tout à fait à contre-cœur. Avec la question du payement recommencent de nouvelles et diverses difficultés. On ne veut que des pièces de 5 francs françaises, seule monnaie ayant cours chez les Hovas; l'or est refusé, et on accepte difficilement le thaler de Marie-Thérèse, bien que les Arabes et les Sakalaves le connaissent. Pour solder les fractions de
Majunga. — Les parlementaires- hovas
à
bord de la Flore.
thaler, il faut avoir recours à des pièces coupées en morceaux, et on se sert alors d'une petite balance. Quiconque, à Madagascar, veut payer avec de l'argent, est muni d'un instrument de ce genre. située devant « Nos affaires terminées, nous arrivons sur la place découverte les bâtiments de la douane. Nous y trouvons une foule compacte qui regarde un Bungalow, venant de Bombay, jeter l'ancre. «La manœuvre du pesant transport me laisse assez indifférent; mais l'échantillon que me présente ainsi la population de Majunga m'intéresse beaucoup. » Rien, en effet, n'est plus varié que la population de cette ville, où l'on ren-
contre, dans leurs costumes divers, des Hovas (presque tous fonctionnaires ou soldats, remplacés depuis par des Français), des Sakalaves, des Arabes, des Indiens et un certain nombre de Cafres ou de nègres venus de la côte de Mozambique ou des îles Comores, qui ne sont plus esclaves par le fait, mais ont absolument la même condition et sont d'ailleurs à peu près les seuls travailleurs de la ville. La description, faite il y a une douzaine d'années, que l'on vient de lire, n'a pas vieilli, et il n'y a de modifications à y faire qu'en ce qui concerne les ouvrages de défense qui, au moment où la guerre allait éclater, avaient été considérablement augmentés et renforcés. Le 15 mai, la Flore, ralliée par tous les navires de l'escadre, se montra devant Majunga. Le gouverneur, qui n'était pas sans savoir ce qui venait de se passer à Mouroung-Sang, envoya auprès de l'amiral Pierre une députation composée de son frère et de cinq de ses principaux officiers, pour lui demander ce qu'il voulait. — L'évacuation du fort, répondit l'amiral, qui reçut plus que froidement ces ambassadeurs, sinon le bombardement Comme ils n'avaient pas mission pour traiter et ne savaient que répondre à un ultimatum aussi catégorique, les officiers hovas se groupèrent autour du frère du gouverneur, vêtu magnifiquement d'un ancien habit de sénateur de l'empire et coiffé d'un chapeau a plumes, et délibérèrent debout sur le pont de laFlore, mais complètement isolés et n'ayant près d'eux que leur secrétaire interprète, à, genoux pour écrire leur réponse. Leur réponse à l'ordre de l'amiral Pierre, est qu'ils vont aller chercher le gouverneur; deux d'entre eux feront le voyage, et les quatre autres resteront à bord comme garantie. Le gouverneur de Majunga ne se décida point du tout à venir, et comme le temps se passait, l'amiral Pierre renvoya les quatre officiers hovas qui se morfondaient à son bord, en les chargeant, contre un reçu qu'on eut toutes les peines du monde à les décider à signer, de porter son ultimatum au gouverneur de la ville. Et comme il ne reçut pas plus de réponse à cet ultimatum écrit qu'à l'ultimatum verbal, sitôt le délai qu'il avait donné expiré, c'est-à-dire le lendemain, il commença le bombardement. Cela se passa comme à Mouroung-Sang, seulement le gouverneur fut un peu plus longtemps tranquille dans son fort circulaire pourvu de douze bonnes casemates, car on ménagea ce fort que l'on voulait utiliser plus tard, et c'est surtout sur les autres ouvrages que la pluie d'obus s'abattit. Les Hovas répondirent de leur mieux, mais leurs canons ne portaient pas assez loin, leurs boulets restaient en route. Bientôt l'incendie s'alluma sur les hauteurs, et voyant qu'ils ne pouvaient rien faire autre chose d'utile que d'essayer de l'éteindre, les Hovas, la nuit
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venue, se vengèrent en mettant le feu à la ville basse, dont quelques paillottes du quartier sakalave brûlèrent, puis ils décampèrent. Ces 2,500 Hovas épouvantés par les effets de l'artillerie de notre flotte, dont ils ne se faisaient qu'une idée très imparfaite, n'attendirent point les quelques centaines de matelots et fusiliers marins qui débarquèrent à trois heures du matin, et s'emparèrent de la place sans perdre un homme, sans tirer un coup de fusil. Le commandant Gaillard, qui dirigeait les compagnies des navires, auxquels s'étaient joints une cinquantaine d'hommes de l'infanterie de marine, s'installa dans la maison carrée qui occupe le centre du fort principal, et fit procéder à la destruction de tout ce que l'on ne voulait point garder et notamment de trente canons ne pouvant nous servir et qu'on fit éclater. Par contre, on releva les brèches que nos obus avaient faites dans le fort, car il s'agissait de s'établir solidement pour rayonner sur toute la côte et rendre le courage aux petits rois, nos alliés naturels. C'est dans ce but que le commandant de Nossi-Bé adressait, dès le 21 mai. à la reine Binao la lettre suivante : « «
Le
Commandant de Nossi-Bé à la reineBinao.
Madame,
J'ai le plaisir de vous annoncer que la ville de Majunga a été prise par les troupes françaises et qu'elles l'occupent actuellement. « Le Boursaint va passer chez vous; je vous prie de bien renseigner le commandant de ce bâtiment sur tous les événements qui ont pu se produire dans la baie deBavatoubé; mais surtout faites-lui connaître les points sur lesquels ont pu se réfugier les Hovas qui ont été chassés de ces parages. « Je vous confirme ma lettre du 18 mai qui contenait des instructions pour vos ministres et qu'ils devront exécuter à la lettre. « Que tous les Sakalaves reprennent courage et que par leur attitude ferme et énergique, ils secondent de tout leur pouvoir les efforts que fait le gouvernement français pour chasser les Hovas de toute la côte nord-ouest de Madagascar. » «
Mais les Sakalaves n'étaient pas prêts encore à l'énergie, il leur fallait voir -quelque chose de plus. Ce quelque chose, l'amiral Pierre le préparait et l'annonçait en quelque sorte dans l'ordre du jour suivant qu'il adressait à ses troupes
:
«
Officiers et marins,
Par la supériorité de vos armes, vous avez en huit jours chassé les Hovas de leurs garnisons et détruit toutes leurs possessions sur la côte nord-ouest de «
Madagascar. Vous leur avez enlevé lé fort et la place de Majunga, où flotte désormais le pavillon de l'occupation française. canonniers de leur adresse, le corps de débar« Je félicite avec plaisir les quement de sa fermeté, tout le monde du zèle et de la constance déployés dans les travaux et les fatigues des opérations accessoires. « Vous ferez de même à la côte est, si l'obstination du gouvernement hova persiste à nous refuser la juste satisfaction qu'il nous doit. « Si l'on osait plus longtemps se jouer des traités et méconnaître les droits de la France vous saurez les faire respecter par la
force.
«
Officiers, marins et soldats du corps d'occupation,
La division navale a planté le drapeau de la France à Majunga, j'en confie la garde à votre valeur et à votre discipline. « A votre discipline surtout, qui constitue la supériorité de l'Européen, et par laquelle soixante soldats français qui savent obéir, peuvent attendre de pied ferme quelques masses de Hovas que ce soit, dans la position où vous êtes retranchés et les exterminer, si elles osaient s'approcher de vos murailles. Gaillard; à votre tête, double votre force., « Le commandant affiché à bord de chaque « Le présent ordre du jour sera lu aux équipages et navire, ainsi qu'au « Le contre-amiral commandant en chef
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«
fort.
« PIERRE. »
Le jour même, l'amiral quittait Majunga avec toute son escadre, moins le Vaudreuil et \&Pique, pour se rendre devant Tamatave, où il arrivait le 31 mai.
EXPULSION DES FRANÇAIS
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Nous avons dit qu'il fallait au moins sept jours pour faire laroute de Majunga à Tananarivé. Cette circonstance explique comment le gouvernement hova ne reçut la nouvelle de notre succès que le 24 mai, nouvelle que tout d'abord il se garda bien de répandre, mais que l'ingérence des Anglais fit connaître tout de suite à la population. Dès le 25 au matin, un Anglais, M. Parrett, se rendit au palais du premier ministre pour conférer avec lui de choses extrêmement sérieuses. Ce qu'il lui dit, personne ne l'a jamais su, mais il est plus que probable qu'il reprit les propositions faites deux mois plus tôt par un certain M. Cameron, qui
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Tamatave.
de i'riae
se disait reporter du Statidard, mais qui était plus probablement un agent secret du gouvernement anglais. Ce M. Cameron, reçu comme un personnage par les missionnaires anglais, présenté par eux à tous les gros bonnets du parti hostile à la France, avait eu plusieurs conférences avec le premier ministre, et lui avait certainement proposé de mettre Madagascar sous le protectorat de l'Angleterre, de manière à l'enlever subitement à l'action de la France, qui ne trouverait pas seulement devant elle les Hovas mais encore les Anglais. Le premier ministre, naturellement très refroidi par l'accueil qui venait d'être fait aux ambassadeurs malgaches, demanda à réfléchir, mais tout cela fut si peu secret que tout le monde le sut. Nous n'avions plus à Tananarive ni consul, ni vice-consul, qui, du reste, n'auraient pas pu intervenir officiellement, mais il y restait des Français auxquels étaient chers les intérêts et l'honneur de leur pays, et parmi eux M. Suberbie qui s'était créé, là-bas,. une situation assez considérable pour être en (juelque sorte regardé comme le chef de la colonie, et pour avoir un certain accès à la cour. M. Suberbie battit en brèche les intrigues de M. Cameron, en faisant comprendre au ministre que s'il accordait quelque- chose aux Anglais, il lançait de nouveau son pays dans une nouvelle aventure, qui ne pouvait qu'aggraver le conflit déjà existant entre la France et Madagascar. Bref, M. Cameron reçut de la reine une audience de congé et fut obligé de s'en aller comme il était venu; et M. Suberbie se chargea de faire parvenir au Président de la République française une lettre explicative que le premier ministre se proposait de lui envoyer, à la condition qu'elle fût tout à fait conci-
liante. Mais il fallut du temps pour rédiger cette missive, car le ministre qui promettait d'être humble, ne voulait pas le paraître, et il pesa si longuement ses mots, redressa si souvent ses phrases, que lorsque sa lettre fut prête, Majunga était déjà bombardée Furieux d'en être pour son travail de rédaction, le ministre hova accueillit fort bien M. Parret, mais ne voulut cependant prendre aucune décision sans avoir consulté le Parlement. La séance fut des plus orageuses, quelques députés hostiles à la France proposèrent de massacrer immédiatement tous les Français habitant la capitale. Mais le premier ministre n'accueillit point cette proposition avec faveur, bien au contraire, car il déclara qu'il tuerait de sa propre main quiconque toucherait aux Français. Seulement il décida, ou fit décider par la reine — si toutefois on daignait la consulter, alors surtout qu'elle était très malade — que les traités avec la France se trouvant annulés par le fait du bombardement de Majunga, les Français seraient immédiatement expulsés de Tananarive.
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Cetordred'expulsion, qui réunitl'unanimité parlementaire, fut signifié le jour même à M. Sûberbie, chargé d'en aviser tous les autres Français. Comme il était déjà tard, ce n'est que dans la nuit que ceux-ci purent être prévenus. et commencer à se préparer à un voyage qui n'allait pas être facile. , le récit, fait évidemment d'après un des acteurs, dans l'intéressanl Prenons-en volume de M. Laillet, l'un des plus récents explorateurs de Madagascar. de l'ordre d'expulsion, dit-il, nos nationaux avaient com« Aussitôt le reçu mencé leurs préparatifs de départ, le délai donné pour se mettre en route était du reste fort court, soit quatre jours seulement. dans le malheur, et, par l'intermédiaire d'un d'entre eux, « Ils se groupèrent on écrivit au premier ministre pour demander des porteurs au tarif ordinaire, réclamer une escorte nécessaire pour la sûreté générale de la route, et enfin donner des ordres pour les mesures de sûreté que le gouvernement malgache pensait devoir faire prendre pour garder les immeubles et marchandises que les exilés se voyaient forcés d'abandonner. répondu qu'il était facile de se procurer des porteurs à « A cette lettre il fut gage sans l'intermédiaire du gouvernement,etque, suivant la supplique, une escorte serait envoyée pour conduire la petite colonne jusqu'à la mer. Quant aux immeubles et marchandises, il n'en fut pas question. « Jésuites étant d'origine non française « Divers membres de la mission des essayèrent de bénéficier de leur première nationalité; ils se rendirent, à ceteffet, près du premier ministre, qui refusa purement et simplement de recevoir leur demande. Afin de créer des ennuis aux Français et pour être plus certains de leur faire « exécuter le voyage de Tananarive à Tamatave à pied, certaines notabilités hovas avaient Cléfendu, depuis l'ordre d'expulsion, à tous leurs esclaves de porter les exilés et leurs bagages ce qui mettait naturellement nos nationaux, malgré leurs recherches, dans l'impossibilité de trouver des porteurs. « Nécessairement l'heure du départ approchait sans pouvoir trouver les hommes indispensables. Sans espoir d'un résultat favorable, le 29 mai, une première bande, composée de quelques personnes, se mit en marche à pied. Elle quitta Tananarive au milieu d'injures qui lui étaient adressées par les enfants suivant les cours des missionnaires anglais. bande avait déjà exécuté son étape quand, sur un revirement subit des « Cette chefs hovas, le premier ministre envoya des émissaires pour suspendre la marche des personnes en route, afin de leur donner des porteurs. « Le changement d'idée du premier ministre ne pouvant faire disparaître le mauvais vouloir des indigènes, et, toujours sous le coup des menaces de leurs maîtres, les esclaves ne pouvaient se décider à marcher. «Lesexilésétaient 92, etilfallaitavecletransportdespersonnes,vivreset effets, environ 900 porteurs.
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Ce chiffre peu ordinaire, en supposant que l'on puisse le trouver, devait nécessairement établir des exigences, et tout faisait supposer que la route ne «
pourrait s'exécuter autrement qu'à pied. « Le mardi au soir, environ 100 porteurs sur 900 s'étaient présentés, et encore le bruit circulait qu'ils devaient abandonner les voyageurs à Marahomby, à plusieurs journées de Tamatave. « Ce n'est que le lendemain matin mercredi, quelques instants avant le départ des Français, que l'escorte de soldats promis par le gouvernement, et de nouveaux porteurs se présentèrent, permettant à la majeure partie de la colonne de se faire je dis la majeure partie, car faute d'hommes, les pères Jésuites se transporter mettaient en route à pied. « A peine avait-on quitté Tananarive que les bagages des Français furent pillés en partie par la bande des porteurs de plus, nos nationaux se virent insultés par les soldats que leurs chefs avaientexcités contre nous. Mieux que cela, certains membres de la mission catholique furent non-seulement insultés, mais frappés. « C'est dans ces conditions que les Français arrivèrent vers 4 heures du soir au village d'Ambohimalaza, où ils retrouvèrent ceux qui étaient partis la veille. « La journée du lendemain, jeudi 31 mai, se passa à mettre de l'ordre dans les bagages et à faire la constatation des objets volés; on reconnut particulièrement un manque d'environ dix mille francs appartenant aux pères Jésuites, dont 6,375 francs en argent. Les voyageurs écrivirent aussitôt une lettre au gouvernement hova pour l'avertir de cette disparition et de la façon dont on se comportait envers les Français. « Le 2 juin, après avoir fait une étape la veille, certains porteurs étant disparus, la colonne se vit forcée de se mettre en route à pied, gardant le reste des porteurs pour le transport des bagages et espérant par la suite en rencontrer d'autres pour les filanjanas. Mais, ce n'est qu'après trois jours de marche pénible que son espoir fut exaucé. Hovas qui étaient fort peu « Les Français étaient devancéspar environ 1,500 pressés d'aller à Tamatave, où l'on devait se battre; aussi mettaient-ils toute la lenteur possible dans leur marcheservaient, en quelque sorte, qu'à créer des « Ils barraient le passage et ne embarras en épuisant les provisions que l'on pensait trouver en route. Enfin le 12 juin, les Français étaient arrivés à quatre lieues d'Andévourante, quand les porteurs exigèrent d'être soldés. A peine étaient-ils payés, qu'ils refusèrent en majeure partie d'aller plus loin, et ce n'est qu'à force d'argent qu'il fut possible parfois marchant, parfois prenant des pirogues, d'arriver à Ivondrou, d'où un Français de mes amis, marcheur intrépide, Cadière, se rendit à Tamatave pour prévenir les soldats français de l'arrivée des exilés à Ivondrou. français pour surmonter les privations et les fatigues « Il fallut tout le courage d'une marche qui dura près de vingt-cinq jours, et ce laps de temps relativement énorme, pendant lequel on était à Tamatave sans nouvelles de nos compatriotes
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au nombre de 92, faisait présumer qu'ils avaient été écharpés. Aussi est-ce avec bonheur que les troupes purent, après l'arrivée du messagerCadière, les recevoir exténués de fatigues à Ivondrou, où un détachement de la Flore de 200 hommes avec deux pièces de canon put s'avancer sous le commandement du capitaine Maigrot. dans leur parcours, les exilés avaient subi toute espèce « Comme on le pense, de provocations de l'armée indigène, qui encombrait entièrement les sentiers. à l'énergie de M. Suberbie, Français plein de courage et de « Et ce fut grâce force, si ces provocations ne se sont pas changées en voies de fait, comme au premier jour du départ des Jésuites. de ces actes, M. Suberbie fut nommé « Comme juste récompeuse, à la suite chevalier de la Légion d'honneur, et Cadière se vit citer à l'ordre du jour par
l'amiral Pierre. » L'amiral complimenta aussi ses marins par les lignes suivantes félicite le détachement d'infanterie de marine et de marins de la « L'amiral Flore, qui, dans la journée du 21 juin s'est avancé, avec quelques citoyens français dévoués, jusqu'à Ivondrou, pour recueillir les Français expulsés de Tananarive, au nombre de quatre-vingt-dix, et les a ramenés, sains et saufs, Tamatave. »
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à
Pendant que nos compatriotes accomplissaient ce lamentable et périlleux voyage, l'amiral Pierre s'était emparé de Tamatave avec autant de facilité que de Majunga. Et la dépêche suivante, datée du 14 juin, en rade de Majunga, mais portée par bateau jusqu'à la Réunion, apprenait à la France cet heureux résultat. « La Flore est arrivée en rade le 31mai et, peu après, tous les navires de la station, moins le Vaudreuil et la Pique, qui étaient restés sur la côte nord-ouest de Madagascar, se trouvaient réunis. « L'amiral Pierre a aussitôt envoyé à la reine Ranavalo Manjaka, un ultimatum qui a été immédiatement expédié à Tananarive, la capitale. Cet ultimatum demandait aux Hovas d'accepter notre protection sur la côte nord-ouest et de faire droit aux héritiers de M. Laborde, sinon Tamatave serait bombardé et occupé par les
Français.
Une réponse négative est arrivée le 9 au soir, et dès le lendemain matin, les navires de guerre français la Flore, Forfait,Boursaint, Beautemps-Beaupré, la Nièvre et la Creuse ouvraient le feu sur le fort et les batteries de Tamatave. Au premier coup de canon, les Hovas se sont tous enfuis vers leur camp retranché, qui se trouve à sept kilomètres à l'intérieur. « Le bombardement a duré pendant toute la journée du 10 juin. Le 11, quatre cents marins et quatre cents soldats de l'infanterie de marine ont débarqué, et le fort a été occupé sans résistance. « Des ordres très sévères ont été donnés pour empêcher le pillage et le maraudage. Tout noir pris en flagrant délit est aussitôt fusillé. «
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l'heure actuelle, Tamatave est une ville française. Elle a son maire, son conseil municipal, son juge de paix et son capitaine de port. Nous tenons la capitale Tananarive par ses deux ports les plus importants. « Le bruit court à la Réunion que la reine Ranavalo, atteinte d'hydropisie, a subi une ponction qui n'a pas réussi. Elle serait dans un état désespéré. Si cet événement se réalisait, le gouvernement tyrannique des Hovas prendrait fin. » « A
On n'a pas eu d'autres détails officiels que ce résumé des opérations, car l'ordre du jour de l'amiral Pierre n'ajoute que de vagues renseignements. Nous le citerons néanmoins, parce qu'il est flatteur pour nos marins et soldats. «
Officiers, équipages et soldals,
Un arrogant ennemi avait osé défier nos armées, en refusant à la France les plus légitimes satisfactions. Dans l'espace d'un mois, vous avez pris et détruit tous les établissements « hovas sur le littoral des deux côtes de Madagascar. Tamatave et Majunga, sources principales de la prospérité « Vous occupez commerciale et financière de l'ennemi, et vous vous y maintiendrez contre toute «
attaque.
résultats sont dûs à l'activité navale. Je l'en félicite. « Ces Il à chasser l'ennemi de quelques retraites où il s'est retranché à l'in-
reste térieur des terres, vous saurez l'y atteindre. quelques jours, nous laissera le « La Creusé, qui n'est restée avec nous que souvenir de sa promptitude à surmonter toutes les difficultés. Pour nous faire part de toutes ses ressources, elle a dignement occupé sa place au feu, témoignant ainsi que c'est à la manière de servir qu'on reconnaît le véritable bâtiment de guerre et non pas à la coque. « De nombreux militaires, passagers de ce transport et ayant accompli leur temps de service colonial, se sont proposés pour renforcer les garnison de l'occupation, en renonçant leur retour en France. qui font volontairement ce sacrifice au drapeau « Honneur aux braves soldats de la patrie. « La Nièvre a rivalisé d'ardeur avec la division navale. Officiers, équipages et soldats, au nom de la France, dont vous soutenez les « droits, je vous remercie tous. « Le contl'e-amiralJ commandant en chef. «
à
«
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PIERRE. »
Il ressort de ce document deux choses capitales, l'une très rassurante, Fautre un peu inquiétante la première, c'est que tout le monde a fait son devoir et c'est précisément à cause de cela que l'opération a été facile; la seconde c'est que le
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corps expéditionnaire était bien faible, puisque nos braves soldats libérés du service colonial se sont offerts à rester pour renforcer la garnison. En effet, l'amiral Pierre disposait de très peu de monde, de trop peu de monde pour occuper tous les points de la côte, où il eût été nécessaire que nous eussions des troupes, et c'est pourquoi il se contenta de s'installer solidement à Tamatave, comme il l'avait fait à Majunga. Mais à Tamatave il fallait plus de monde, parce que la place est plus vaste, plus importante aussi, et à cause de cela plus exposée à des retours offensifs de l'ennemi. Ce n'est pas que Tamatave soit une ville dans l'acception que nous sommes habitués à donner à ce mot, ce n'est qu'une agglomération de huttes malgaches groupées sans alignement et ne laissant entre elles que des petites rues tortueuses mais il y en a beaucoup, puisque ces cabanes ne se composent que d'une seule pièce et qu'elles abritent de huit à dix mille habitants. En fait de maisons il n'y a que celles des Européens et des créoles de la Réunion qui centralisent tout le commerce de Tamatave et les consultats français, anglais et américain. En fait de monuments, il n'y a que les églises catholique et protestante, encore ne sont-elles guère monumentales. Mais de loin, vu de la mer, tout cela ne manque point d'aspect au premier plan on aperçoit la côte, s'échancrant pourformer un port naturel, toute bordée de cocotiers qui ombragent de leur verdure si décorative, les basses maisons de Tamatave, se détachant en clair sur ce fond harmonieux. Au delà s'étend une plaine bosselée de petites collines verdoyantes et couverte de cotonniers, de cannes à sucre et de rizières; plus loin encore, formant le fond du paysage, une chaîne de montagnes bleues, se confondant avec le ciel à la ligne d'horizon. C'est très joli, très pittoresque, malheureusement ce n'est pas très sain. Écoutez ce "qu'en a dit le docteur Milhet-Fontarabie.
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Tamatave, avec son port, sa forteresse bâtie en sable et en chaux, ses deux mille hommes de garnison, dont toujours les deux tiers au moins sontmalades, est le poste des Hovas où il se fait le plus de commerce et où il yale plus de blancs. « On y compte une quinzaine de traitants de nationalités différentes, qui font le commerce avec les produits qui ne leur viennent pas seulement de la Réunion, de Maurice, mais encore de l'Amérique. Trois ou quatre navires américains viennent en effet chaque année, jeter sur ce principal marché de la grande Terre, pour sept à huit cent mille francs de toiles, laquelle, plus forte que celle de France et d'Angleterre, est préférée par les Hovas. Tous les produits de la côte est, depuis Manoura sont portés à Tamatave, où cinq ou six navires faisantchacun trois ou quatre voyages et plus, depuis le mois de mai jusqu'en décembre, viennent les prendre pour les livrer au commerce de la Réunion et de Maurice. «
La température de Tamatave varie entre 15 degrés et 36 degrés centigrades, et cet écart se produit quelquefois dans les vingt-quatre heures. Vers midi la chaleur est si forte, qu'il est impossible de sortir sans parasol et quelquefois on peut à peine marcher sur le sol tant il est brûlant. Par bonheur, les grains de pluie y sont fréquents, surtout pendant la nuit. « La brise, qui s'élève d'habitude au coucher du soleil, est fraîche et fortifiante quand elle vient du sud-est, mais quand elle souffle du nord-est elle apporte un air lourd et humide qui ajoute encore à la chaleur et provoque ces terribles fièvres intermittentes qui non seulement sont fatales aux étrangers qui ne sont point acclimatés, mais qui déciment chaque année les Hovas eux-mêmes, tandis que les Européens établis dans le pays y deviennent à peu près insensibles. Et cependant cette brise est chargée de miasmes délétères qui devraient exercer les mêmes ravages sur tous les êtres organisés qui la respirent. différence? Évidemment elle est causée par la manière de « D'où vient cette vivre, par les mesures préventives que prennent les Européens et qui sont inconnues aux indigènes ce qui prouve qu'avec une bonne hygiène, une grande régularité de mœurs, des soins administrés à propos, ce pays ne serait ni plus malsain, ni plus funeste qne nos landes d'Europe. « La fièvre sévit avec son maximum d'intensité, de décembre jusqu'en juin, c'est-à-dire pendant la période des grandes pluies et pendant celle du dessèchement des marais formés par l'inondation. C'est une fièvre intermittente, à forme bilieuse, révélant souvent un caractère pernicieux. Les vomissements et le sulfate de quinine, employés à peu d'intervalle, sont les moyens héroïques qui ont jusqu'ici donné les meilleurs résultats. » Depuis que ceci est écrit, il y a eu quelque amélioration dans la salubrité du pays, et Tamatave n'est plus précisément le grenier à fièvres qu'elle était autrefois, car on a fait beaucoup pour l'assainir; mais on n'a pas encore desséché tous les marais, il en reste beaucoup aux environs, dont les exhalaisons sont pernicieuses aussi est-il recommandé aux Européens de faire le moins possible des excursions en dehors de la ville et de n'en sortir que lorsqu'ils ne peuvent pas faire autrement. On a peut-être un peu trop fait suivre ces recommandations à notre corps expéditionnaire, qu'on a fait piétiner sur place pendant des mois et des années mais cela n'a pas empêché nos pauvres soldats d'être atteintspar ces fièvres terribles, que la reine Ranavalo appelait si justement le général Taso, car il défendait mieux son royaume que tous ses soldats réunis. C'est, en effet, le plus redoutable ennemi que nous ayons à combattre à Madagascar, car l'armée hova ne vaut pas cher et fût-elle de cent mille hommes elle ne tiendrait pas longtemps devant dix mille Européens. On a dit que la reine de Madagascar avait une armée de quarante mille fusils modernes, Remingtons ou Snyhommes équipés à l'européenne, armés ders, voire même à répétition. «
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de
L'amiral Pierre.
Cela est bien facile à dire, mais les témoins oculaires, et bien mieux encore, les événements ont prouvé qu'il y avait là de très grandes exagérations. Voici ce que dit de l'armée, M. Sibrée, qui pourtant n'est point suspect d'es- : prit de dénigrement envers les Hovas, puisque c'est un méthodiste anglais qui ! a prêché pendant quatre ans contre nous à Madagascar. « Les troupes malgaches sont une espèce de milice plutôt qu'une armée. Elles ne reçoivent point de solde, car on ne peut appeler ainsi te cadeau d'un lamba ou d'une petite provision de riz qui leur est accordé accidentellement dans le cours de l'année hommes « J'estime, que plus de la moitié, pour ne pas dire les deux tiers des valides delàprovince du centre, sont enrôlés comme officiers ou simples soldats. En théorie le service militaire ne parait pas aussi injuste qu'il l'est en réa,/ « lité, car il remplace l'impôt en argent, qui est très faible. « Il pèse très.inégalement sur la population; les exercices n'ont pas lieu, en temps ordinaire, plus d'une fois ou deux tous les quinze jours; maisceux qui demeurent loin de la capitale sont obligés de sacrifier un temps considérable pour aller à la manœuvre ou en revenir; et, souvent les officiers ne leur permettent pas de retourner chez eux sans payer quelque argent. Il en résulte que les simples soldats, ayant à peine le temps de cultiver leurs rizières, ont beaucoup de peine à gagner leur vie de chaque jour. , Dans l'armée malgache, les grades des nombres. Le comptent par se « simple soldat a un honneur, le caporal deux, le sergent trois, et.ainsi de suite, jusqu'au maréchal de camp qui en a treize. Depuis Radama Ier, on a créé de nouveaux honneurs pour reconnaître desservices spéciaux, et le plus haut grade est maintenant le seizième ou enin-ambinifolo-voninakitra. qui possèdent c'est-à-dire « Les officiers sont appelés ma?iam-boninahitra, les honneurs. Dans les autres branches du service gouvernemental, en dehors de l'armée, les fonctionnaires sont classés de la même manière. relativement aux « Les officiers malgaches sont beaucoup plus nombreux, simples soldats, que dans les armées européennes. Le tiers ou le quart des militaires sont des officiers, et même, dans certains cas, pour des services spéciaux, on a employé, dit-on, plus d'officiers que de soldats. de maréchal de camp, comprend peut-être deux « Le treizième grade, celui ou trois centstitulaires, et ceux des grades inférieurs ne se comptent pas. maison on voit souvent un maréchalde-camp « Dans la construction d'une employé comme contremaître, un colonel comme maçon ou charpentier, un commandant, comme briquetier, et ainsi de suite; il en résulte que tous ces grades inspirent peu de respect. Au-dessus du treizième ils deviennent moins nombreux, et le plus élevé, le seizième, ne compte guère qu'une demi-douzaine de
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titulaires. tunique etde pantalonsblancs, « L'uniforme des soldats se compose d'une d'un chapeau de paille à bords étroits, également blanc, avec des buffleteries et
une cartouchière. Dans ce simple costume ils ne laissent pas d'avoir un air martial, mais ils ne le portent qu'à l'exercice, aux revues et aux cérémonies officielles. Ils sont armés de fusils à pierre, de modèle antique. On voit paraître, dans certaines occasions, un corps d'élite vêtu de l'uniforme rouge des militaires anglais, avec un équipement et une coiffure semblables à ceux de nos régiments de ligne. Ces soldats servent de gardes du corps à la reine. de costumes des plus absurdes « Mais les officiers se permettent une variété et qui souvent prête à rire. Ceux des grades inférieurs s'affublent de toutes sortes de vieux effets militaires et de chapeaux, dont la coupe appartient à un autre âge. « Quant aux officiers supérieurs, ils ne se montrent pas ordinairement à l'exercice en uniforme, mais habillés de noir et coiffés de notre chapeau de soie à haute forme; ils ont ainsi une bonne tournure, mais peu martiale, et le sabre indigène qu'ils portent sans fourreau, contraste singulièrement avec cet uniforme bourgeois. « Quelquefois les régiments présentent une variété d'accoutrements indescriptible : sur des centaines d'individus on en voit à peine deux vêtus de la même manière; avec leurs tuniques, pantalons, gilets et chapeaux de toutes les couleurs, formes et étoffes inimaginables, ils forment au retour une procession qui s'étend depuis le terrain de parade jusqu'à la ville, et qui présente l'aspect le plus ridicule. On aurait épuisé, pour habiller cette troupe, le magasin d'un riche marchand de vieux habits qu'on n'aurait pas obtenu une plus réjouissante variété de costumes. » Comme on le voit, c'est beaucoup plus comique que redoutable, et ce n'est certainement pas la qualité des soldats qu'il faut craindre. Serait-ce la quantité? En temps ordinaire, la reine, qui aime la représentation, a peut-être une vingtaine de mille hommes sous les armes, y compris les 6,500 vétérans dispersés depuis dix ans, dans toute l'étendue du royaume, sous le nom d'Amis des villages. Mais tout ces gens, absolument sans discipline, sinon sans instruction militaire, sont armés très irrégulièrement avec des fusils ee tous les systèmes, ce qui ne laisse pas d'être une grande difficulté pour l'approvisionnement des munitions, et sont absolument incapables de faire la moindre résistance, en rase campagne, à la plus petite des armées européennes. C'est bien pis encore, en temps de guerre, car aux soldats qui savent à peu près marcher et manier leur fusil, viennent se joindre tous les hommes valides qui combattent pêle-mêle, avec des haches et des sagaies, armes qui dans leurs mains, seraient bien plus redoutables pour leurs ennemis, que les fusils, s'ils voulaient s'en servir, car ils lesmanient avec une adresse incroyable, mais généralement ils préfèrent se sauver, ce qui s'explique, de reste, puisqu'il campagne rien n'est fait pour assurer leur existence.
C'est toujours comme autrefois, malgré les prétendus progrès introduits dans l'armée, par la réorganisation militaire dictée par les Anglais, et les Hovas ne peuvent pas se plaindre de leurs intendances, attendu qu'on ne sait pas même ce que c'est. L'État ne nourrit pas les militaires, et le soldat partant pour une campagne est obligé d'emporter une certaine provision de riz. Cette provision épuisée— et cela n'est généralement pas long, car le Malgache n'aime pas beaucoup à se charger, — il vit sur l'habitant et pille les amis aussi bien que les ennemis. Et c'est alors une débandade perpétuelle et un désordre d'autant plus grand que les soldats n'ont point d'uniformes qui permettraient aux pillés de se plaindreà leurs chefs. plaintes qui seraient d'ailleurs bien inutiles, puisque les officiers eux-mêmes sont obligés de marauder le long de la route pour ne pas mourir de faim. Bref, il n'y a rien de changé à l'organisation dont nous avons parlé précédemment et les officiers hovas continuent à s'habiller aussi ridiculement qu'autrefois. Ce n'était donc point l'armée hova que l'amiral Pierre avait à redouter au début de la campagne, c'étaient les fièvres de Madagascar, c'étaient les Anglais qui ne tardèrent pas à se jeter en travers de nos opérations pour les entraver. C'était surtout l'indécision de notre gouvernement qui, comme toujours, ne savait pas ce qu'il voulait, et donna de son peu de fermeté des preuves bien regrettables, à propos de ce que la diplomatie a appelé les «Incidents de Tamatave ».
INCIDENTS DE TAMATAVE «
Les incidents de Tamatave sont naturellement des bâtons que les Anglais ont essayé de mettre dans nos roues, et que l'amiral Pierre eut fort heureusement l'énergie de Il yen eut deux, qui se produisirent à l'occasion du bombardement de Tamal'un militaire, l'autre pas précisément civil, puisqu'il y eut tentative tave d'empoisonnement sur nos soldats. Parlons d'abord du premier. Naturellement, avant de bombarder Tamatave, l'amiral Pierre avait invité les Européens à quitter la ville et ils avaient eu tout le temps de se préparer à ce déménagement ne devait être que provisoire, puisque la prise de la place ne faisait de doute pour personne — l'amiral ne voulant pas tirer un coup de canon avant que la reine ait fait une réponse quelconque à l'ultimatum qu'il lui avait fait tenir dès son arrivée Les Françaisfurent recueillis par l'amiral, etles Anglais se réfugièrent à bord;
briser.*
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de deux cuirassés anglais, la Dryade et leDragun qui se trouvaient là, par hasard, comme ils s'en trouve toujours partout où nous allons. Mais ce que nous n'avions pas encore rencontré dans les bombardements que nous avions eus à faire, en Tunisie, au Tonkin, c'est un capitaine de vaisseau ayant entrepris de nous gêner par tous les moyens possibles. Et c'est ce que fit le commodore Johnstone, commandant de la Dryade, non d'après les instructions reçues de son gouvernement, qui les aurait désavouées, mais au moins pour faire plaisir aux haineux missionnaires méthodistes qu'il avait recueillis à son bord. Au plus fort du bombardement, pendant que la Flore, le Forfait et la Nièvre démantelaient le fort de Tamatave avec leurs obus admirablement pointés, la Dryade s'avança dans les lignes d'attaque de notre flotte, de façon à gêner notre tir, et ne voulut se retirer que sur la sommation formelle adressée par l'amiral
Pierre. premierincident; il n'avait pas grande gravité, en somme, mais il eut bientôt des suites qui se confondirent avec le second. Le second iucident se passa trois jours après la prise de Tamatave, chez un 1 certain M. Shaw, méthodiste anglais. Ce révérend. qui habitait une maison en dehors de la ville, avait demandé que sa demeure fût occupée par un détachement français. * Pour lui être agréable, un officier s'y rendit avec une quinzaine d'hommes; réception fort cordiale tout était prêt pour un lunch de bienvenue, trop prêt même car on s'aperçut, à temps fort heureusement, que quelques bouteilles de vin qu'on avait laissé traîner, par hasard, dans le jardin pour tenter la gourmandise de nos hommes, étaient empoisonnées. Là-dessus on arrête M. Shaw, qui se défend tout naturellement en affirmant qu'il ne savait pas ce que cela voulait dire; mais on le garde prisonnier à bord d'un vaisseau, parce que, en faisant perquisition chez lui, on a acquis la certitude qu'il était en correspondance suivie avec Tananarive, et qu'il entretenait à Tamatave des espions hovas, dont quelques-uns furent également arrêtés. Ce M. Shaw n'était pas, du reste, le seul à faire acte d'hostilité plus ou moins ouverte, les autres missionnaires anglais ne s'en gênaient guère, et de sur les vaisseaux où ils étaient, ils prétendaient continuer leurs relations avec les Hovas. L'amiral Pierre adressa à ce sujet une observation au commodore Johnstone qui répondit qu'il n'y pouvait rien et ne prendrait point sur lui d'empêcher des nationaux, réfugiés sur ses navires, de faire ce qu'ils considèrent avec raison comme leur devoir professionnel. Devant ce mauvais vouloir, devant l'attitude hostile des officiers de la marine anglaise, qui encourageaient ouvertement les missionnaires anglais, l'amiral Pierre mit Tamatave en état de siège, ce qui lui permit d'interdire à la Dryade et au Dragon toute communication avec la terre. Les Anglais ne voulurent point tenir compte de cette interdiction, et comme Ce fut là le
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pour braver notre autorité, le secrétaire hova du consulat anglais, un nommé Andriwisa, continua de correspondre avec les navires en rade, comme si de rien n'était. Observations adressées au consulat, avec menaces d'arrêter le secrétaire s'il continuait, mais le consul, M. Pakenham, homme d'ordinaire sage et conciliant, mais malade depuis près de deux ans, et en ce moment très souffrant, prit mal cet avertissement, déclara qu'il s'opposerait à l'arrestation de son secrétaire faite au mépris du droit des gens, et demanda l'appui du commodore Johnstone pour résister à l'amiral français. M. Johnstone, dont les idées n'étaient point troublées par la fièvre, répondit que c'était impossible, et que, d'après les instructions qu'il avait reçues, il devait seulement surveiller l'action des Français sans y apporter d'autres entraves que ta protection due aux sujets britanniques. Furieux de ce refus, M. Pakenham voulut, malgré sa faiblesse, aller s'en expliquer avec le commodore, et il se fit conduire à bord de la Dryade, mais il ne put aller jusque-là l'accès de fièvre qui l'avait soutenu étant passé, la réaction lui enleva toute force, et il fallut le reporter chez lui, où il mourut dans la nuit. Telle est la cause exacte de la mort du consul anglais, et non point, comme le télégraphia Andriwisa au ministre des affaires étrangères d'Angleterre, la brutalité avec laquelle il fut traité, malade comme il l'était, par l'amiral Pierre. Sitôt la mort de M. Pakenham, le commodore Johnstone prit la direction du consulat, et naturellement le désaccord ne cessa point, au contraire; les rapports se tendirent de plus en plus. Le commodore commença par demander la levée de l'état de siège, qui ne lui paraissait pas justifié, du moment où les Hovas, en forces dans leur camp retranché situé à quelques lieues, ne faisaient aucune tentative sur la ville. L'amiral Pierre s'y étant refusé, tout en montrant beaucoup de complaisance, en ne maintenant pas les arrestations faites au premier moment, sauf pourtant celle de M. Shaw, M. Johnstone lui déclara au nom de son gouvernement qu'il ne lui reconnaissait pas le droit de constituer à Tamatave des autorités civiles ayant un pouvoir de juridiction même temporaire sur les côtes de l'île, l'accès de la côte nord-ouest faisant seul l'objet des revendications que l'escadre française venait exercer. Là-dessus, conflit, et naturellement échange de notes diplomatiques entre les- deux gouvernements. M. Waddington, notre ambassadeur à Londres, arrange l'affaireavec le chef du Foreign Office, comme nous arrangeons toujours les affaires, c'est-à-dire en faisant toutes les concessions. L'amiral Pierre ne fut pas absolument désavoué; on ne reconnut pas tout à fait qu'il était cause de la mort de M. Pakenham, mais on promit de faire une enquête sur sa conduite, et, en tout cas, d'indemniser pécuniairement les
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commerçants anglais qui avaient été lésés dans leurs intérêts par le bombardement de Tamatave, et même le révérend empoisonneur Shaw, qui devait être innocent. Pour sauver les apparences, le dit Shaw allait néanmoins passer devant le conseil de guerre, mais il serait acquitté; on avait trouvé le moyen d'arranger cela. Des bouteilles empoisonnées trouvées dans le jardin, on n'en parlerait pas; soldats on ce devait être du vin gâté, et rien ne prouvait qu'il fût destiné à nos ne jugerait M. Shaw que sur l'accusation d'entretenir des relations avec les Hovas, et de les pousser à la résistance. Ces faits étaient bien prouvés, puisque le révérend avait tout un service organisé d'espions et d'émissaires, mais il pouvait être inattaquable du moment où on ne le considérait pas comme sujet anglais, mais bien comme fonctionnaire malgache, ce qui était facile, en vertu d'un titre honorifique qu'il tenait de la reine Ranavalo, et qui lui donnait accès au conseil privé et droit à la naturalisation. Tout futfaitcomme il avait été convenu,etFaffaire du missionnaire méthodiste se dénoua d'une façon scandaleusement défaillante et l'on pourrait même dire incompréhensible, car Shaw, acquitté comme sujet hova, reçut une indemnité de 23,000 francs comme sujet anglais. Avec notre argent il se moqua de nous, et il profita de l'espèce de notoriété que lui a donnée le procès, pour faire le plus de mal possible à notre cause, en écrivant contre nous. Cela n'était que ridicule; mais on alla plus loin: on fit quelque chose de honteux. Pour faire plaisir à l'Angleterre, on fit à l'amiral Pierre l'injure d'envoyer à Tamatave un commissaire pour enquêter sur ses agissements. Justement froissé de voir sa conduite suspectée, alors qu'il ne s'était pas départi un seul instant des instructions qu'il avait reçues, l'amiral donna immédiatement sa démission de commandant en chef des forces navales devant Madagascar, et pour ne pas être blessé plus longtemps par l'indécent triomphe du commodore Johnstone, il ne voulut pas rester jusqu'à l'arrivée de son successeur et revint en France, laissant son commandement au eapitaine devaisseau Rallier. On annonça officiellement que l'amiral Pierre se retirait pour cause de santé il est vrai qu'il avait contracté, à Madagascar, les germes d'une maladie, mais elle ne fût peut-être pas devenue mortelle, si elle n'eût été aggravée par ce désaveu d'autant plus irritant, en somme, que l'amiral n'était blâmé que par un ministre étranger, sur la dénonciation d'un ennemi, et que son chef direct, le ministre de la marine, n'avait pas même paru songer à le dégager de cette accusation imméritée et que d'ailleurs, l'enquêté dirigéepar M. Ledoulx, reconnut sans fondement. L'amiral partit de la Réunion, où il était déjà alité, par le paquebot-poste de septembre; mais il ne put qu'entrevoir la terre de France: il mourut en quarantaine, au lazaret de Marseille.
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RANAVOLO
III
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Pendant que l'amiral Pierre s'établissait à Tamatave et faisait bombarder pour plus de sécurité, ou du moins pour inspirer plus de crainte, quelques petits ports de la côte orientale comme Fénérife, Foulepointe et même Port-Dauphin, les Hovas changeaient de reine, mais non pas de gouvernement. Le premier ministre, créature des Anglais et appartenant à la famille Rainiharo, de longtemps inféodée aux méthodistes, ne changeait point, lui, sinon de femme, car il est de tradition à Madagascar que le ministre dirigeant soit l'époux
reine.
de la Comme ils avaient choisi Ramoma, qui avait régné sous le nom. de Ranavalo II , et qui venait de mourir le 14 juillet, les Anglais désignèrent pour lui succéder la princesse Razafindrahety, veuve deRatrimo, qui monta sur le trône avec nom de Ranavalo 111. Le couronnement de la nouvelle reine n'eut lieu que quatre mois après, mais c'était plutôt pour satisfaire à un usage qu'à cause desembarras de la
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situation. Le gouvernement hova, ne souffrait pas du reste beaucoup de la privation des recettes de la douane et il espérait que le blocus commencé par l'amiral Pierre ne durerait pas et surtout ne comprendrait pas d'autres villes que Majunga et
Tamatave.
Il comptait, du reste, sur le succès d'une nouvelle ambassade qu'il allait envoyer en Europe, etqui débarquantàLondresd'abord, devait, sousles auspices du cabinet anglais, entrer en pourparlers avec notre ambassadeur et conclure la paix à des conditions meilleures que celles émises par l'amiral français. Les prétentions du contre-amiral Pierre étaient pourtant bien modérées puisqu'elles se bornaient à ceci , respect de le notre protectorat sur pays des Sakalaves 1° Exiger des Hovas le et dès Antankares. , nationnaux de interdit louera longs la loi qui à 2° Faire rapporter termes nos ou d'acheter des terres dans les pays soumis au gouvernement de Tananarive. ,j 3° Faire indemniser ceux de nos nationaux, qui au mépris des traités, ont été lésés par le fait des Hovas, et notamment les héritiers Laborde, dont la succession avait été confisquée par le gouvernement. MaisM.Waddington avaitun nomanglais; il étaitprotestant; etle ministre hova savait déjà qu'il s'était montré si coulant dans l'affaire Shaw qu'il espérait que ses envoyésenobtiendraient quelques Cela n'alla pas jusque-là, par la raison que lesdits envoyés ne partirent pas, à cause de l'insuccès des premiers ambassadeurs, et que le ministre tomba dans
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concessions.
une révolution de palais où les méthodistes n'ont peut-être pas mis les mains, mais dont ils surent profiter, tout naturellement. Le 6 octobre, Marc Rabibissoa et ses confrères diplomates arrivés de la veille à Tananarive, furent étranglés par une fraction de la population, poussée vraisemblablement par la famille des Rainizanari, rivale des Rainiharo, qui attribuait, avec raison d'ailleurs, la prise de Tamatave et le bombardement des côtes al'insuccès de leurambassade à Paris.
Couronnement de Ranavalo III.
Le gouvernement voulut intervenir, au moins pour mettre de l'ordre dans l'exécution des coupables, mais le premier ministre fut assassiné comme eux et le pouvoir passa aux mains de Taslava, prince du sang royal, chef de ce qu'on pourrait appeler là-bas du parti de la paix. Mais ce ne fut que momentané, et les méthodistes ne tardèrent pas à donner à la reine un nouveau premier ministre, qui était déjà son époux lors du couronnement qui eut lieu solennellement le 22 novembre. Voici le récit de cette cérémonie par un témoin oculaire
C'est dans la grande plaine de Mahamasina, qui domine le palais et située à l'ouest de la ville, que cette grande cérémonie a eu lieu. Des députations des provinces centrales appelées dans la capitale pour assister au couronnement, étaient campées depuis une semaine, dans différents quartiers de la ville. a Le 22 novembre, par les huit routes qui convergent vers la pierre Sainte qui se trouve au milieu dela plaine et au-dessus de laquelleétait élevée l'estrade, les différents groupes sont venus prendre les places qui leur étaient assignées. « Afin d'encourager les écoles et de montrer l'intérêt qu'elle porte aux questions scolaires, la reine avait fait remplacer sa garde militaire par cinq cents garçons et quatre cents filles appartenant aux diverses écoles de la capitale. La veille on avait fait manœuvrer devant la reine les élèves de toutes les écoles, auxquels on enseigne le maniement des armes. « Le 22 novembre, à 5 heures du matin, une salve'de vingt et un coups de canon a donné le signal de la cérémonie au bruit de toute l'artillerie, la reine a qnitté son palais et s'est dirigée vers Andohalo, espace libre au milieu de la ville, où l'attendaient un grand nombre d'indigènes et quelques étrangers spécialement invités. « Au-dessus de sa tête étaittenue l'une des quatre grandes ombrelles rouges emblèmes de la souveraineté; elle était portée dans un palanquin. Lorsque le cortège arriva à Andohalo, le premier ministre, avançant d'une douzaine de pas, proclama Ranavalo-Manjaka, souveraine de Madacasgar et se mit à genoux, quelques secondes; le canon tonna de nouveau, la musique joua l'air national, et le cortège reprit sa route vers Mahamasina. de divers « Là se trouvaient réunis environ 130,000 à 200,000 Hovas venus points de la contrée. La reine, montant sur la plate forme, se plaça sous un dais dont la face portait les mots, « Dieu est avec nous. » Elle était « Près d'elle, sur une table, on voyait une Bible richement ornée. vêtue d'une robe de soie blanche brochée d'or, dont la traîne, en velours cramoisi, était chargée de broderies d'or; sur sa tête était une lourde couronne du même métal. Au bruit du canon et des acclamations, le premier ministre proclama de nouveau Ranavalo-Manjaka reine de Madagascar, et celle-ci prononça d'un voix haute et distincte un court discours dont les principaux points étaient qu'elle se lèverait comme un homme (mitsanga-kolehilchy) avec SOft peuple, pour résister à quiconque essayerait d'enlever l'épaisseur d'un cheveu du territoire, et qu'elle désirait que l'on continuât d'enseigner dans les écoles et dans les églises. défilé dela population, qui offrit à la « Là-dessus eut lieu un long et fatigant reine son allégeance et un présent en argent (hasina). Puis la reine, le premier ministre et leur suite descendirent dans la plaine; la reine monta dans une légère voiture découverte traînée par des hommes, les chevaux n'étant pas assez tranquilles, et passa dans les rangs du peuple, dont la grande masse n'avait jamais vu sa souveraine d'aussi près. «
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Le lendemain, tous les maîtres d'école venus à Tananarive furent appelés auprès de la reine, qui les engagea à continuer leur œuvre et leur annonça que l'exercice de lance et du bouclier, qui avait lieu tous les jours depuis le commencement de la guerre, n'aurait plus lieu désormais qu'une fois par mois. « Le 24 novembre, une grande fête fut donnée au palais royal de Manjakaniadana. Les chefs de la province d'Imerina, les représentants des districts éloignés et vingt-quatre étrangers, Anglais, Norwégiens et Américains, y assistaient. La reine était vêtue de soie verte brochée d'or et portait une autre couronne que celle de l'avant-veille. Le repas consistait en viande de bœuf, dindons, oies, poulets, plats sucrés et dessert, et était servi à l'européenne nombreux toasts portés, voici celui du révérend Cousins, qui a « Parmi les pris la parole au nom de la communauté européenne « Que Sa Majesté permette aux Européens invités à cebanquet, de lui adresser quelques mots. Nous sommes vraiment très heureux d'être ici, car, bien qu'étrangers, nous pouvons affirmer que les intérêts que nous avons dans notre patrie ne diminuent en rien l'affection que nousportons à Madagascar, notre patrie «
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d'adoption. Nous te donnons, reine, notre bénédiction, nous t'offrons une pièce d'argent et un anneau sacré; nous y joignons l'expression de notre reconnaissance et nos prières, afin que le Tout-Puissant te donne une longue vie. » «
Il est inutile de dire que c'est une relation anglaise que nous venons de reproduire, puisque, àl'époque il n'y avait aucun Français à Tananarive, cela se sent du reste à la lecture et cette lettre qui est aussi méthodiste que le fut la cérémonie du couronnement de la nouvelle reine. Deux passages sont à relever dans ce récit, parce qu'ils se contredisent: La reine dit ses sujets qu'elle se lèvera comme unhomme pour résister à quiconque menacerait l'intégrité de son territoire, et plus loin on la voit suspendre les exercices militaires, qui se faisaient tous les jours dans les école depuis le commencement de la guerre, et décider qu'ils ne se feraient plus que tous les r mois. C'est qu'alors le gouvernement hova était en pourparlers pour la conclusion de la paix et espérait que la guerre ne recommencerait pas. Ou du moins feignait d'espérer, car les Hovas n'avaientpasbesoin de devenir méthodistes pour savoir cacher leur façon de penser, et les professeurs en hypocrisie, qu'ils ont pris ou subi, n'ont pas dû leur apprendre grand'chose.
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NÉGOCIATIONS
L'amiral Galiber, successeur de l'amiral Pierre, fut envoyé à Madagascar surtout ^our négocier, car on ne lui donnaitpointde nouvelles forces, et pendant toute la durée de son commandement il ne reçut que quelques centaines d'hommes amenés par la Naïade et la Creuse. Encore ne peut-on les considérer comme des renforts, puisqu'ils ne suffirent pas même à remplacer les malades que l'on évacuait sur la Réunion, faute d'avoir un sanitarium sur la grande terre. En revanche, la Réunion envoya à l'amiral Galiber, près de trois cents volontaires qui rendirent les plus grands services dans les garnisons, car à certains moments, lorsque la saison desfièvres arriva,ils se trouvaientàpeuprès les seuls valides, nos soldats, non acclimatés, étant tous plus ou moius attaqués par cette funeste maladie dont on ne meurt point comme d'une épidémie, mais dont on souffre cruellement et dont on ne guérit point si l'on ne quitte pas le pays. Il était temps que l'amiral Galiber arrivât à Tamatave pour changer un peu le cours des idées, car il y avait une telle animosité entre les marins denotre escadre et ceux de la division anglaise, qu'on pouvait craindre un conflit, d'a-utant que les officiers, d'un côté comme de l'autre, semblaient partager les sentiments de leurs hommes. C'est au point qu'un jour, la Dryade, que l'on soupçonnait de vouloir communiquer avec la terre, et qui le voulait certainement, a été suivie par deuxnavires français prêts à tirer sur la frégate, si elle avait fait mine d'aborder.. La présence dans les eaux de Tamatave de la frégate anglaise que commandait M. Johnstone devenait un véritable danger au point de vue de la conservation de la paix entre la France et l'Angleterre, car après ce qui s'était passé, sa présence était à bondroit considérée comme une provocation par les officiers del'escadre française. Le gouvernement anglais le comprit, et il éloigna la Dryade, de même qu'il conseilla ou ordonna, selon le point de vue auquel on se place, au révérend Shaw, de retourner à l'île Maurice et de ne pas revenir à Madagascar tant que durerait la période des hostilités. M. Shaw se résigna à quitter Madagascar, mais pas à s'immobiliser à l'île Maurice; il alla se montrer à Londres, où il fut le lion du moment, et où il profita, tout naturellement de son succès, pour déblatérer contre nous, dans des articles de journaux, des brochures et un livre qui fut très répandu. Nous le citons ici, parce qu'on y trouve les véritables sentiments de l'Angleterre dans la question malgache.
On se demande, dit le pasteur méthodiste en un passage qu'il est bon de retenir, on se demande quel intérêt l'Angleterre peut avoir à Madagascar, en dehors de la sympathique attention qu'elle porte au développement et au progrès d'une race d'indigènes à peaux noires, allant dela barbarie à la civilisation et du «
paganisme au chistianisme?. Certes, c'est là un intérêt toujours vivace, au cœur de tout Anglais éclairé, ami du progrès et généralement favorable à tout effort tendant vers le progrès.
Ranavalo III traversant Andobalo.
Mais il y a d'autres mobiles que des raisons de sentiment, pour expliquer l'anxiété avec laquelle les Anglais voient l'échec infligé par les Français"aux Malgaches dans la formation de leur nationalité. Nous nous souvenons, en effet, que l'argent anglais, les armes, les munitions anglaises ont été abondamment fournis à Radama 1er afin qu'il pût faire triompher sa politique — que l'on peut bien appeler aussi la politique anglaise — consistant à réunir les diverses tribus de l'île sous la domination d'un gouvernement central, aidé avec efficacité à établir sa domination, « Non seulement nous l'avons mais nous l'avons reconnu et qualifié roi de Madagascar, titre que la France a aussi reconnu. A diverses reprise.s, l'Angleterre a prêté aide et assistance, dansce but, au souverain hova. Nous avons envoyé des missions. coûteuses dans la capitale malgache pour cimenter ostensiblement les relations amicales entre le gouvernement anglais et le gouvernement hova, pour encourager, fortifier la «
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et, bien que ceci n'ait peut-être pas été explicitement énoncé dans ces missions, l'impression qu'elles ont laissée dans l'esprit des ministres malgaches est que les Anglais sont restés constamment disposés à assister la reine des Hovas pour consolider sa domination sur l'île entière. « Commercialement, Madagascar est de grande importance pour les Anglais. Non seulement la demande des fers anglais et de. nos verreries et de nos faïences, devient chaque année plus considérable et plus rémunératrice, mais il est bien connu que la terre malgache est féconde en une quantité de produits grandement et constamment recherchés par l'Angleterre. Il ya à Madagascar une abondance, une richesse inouïe de minéraux. Les exploitations minières que l'on pourrait y entreprendre donneront aux capitaux et capitalistes anglais, une large-rémunération. « De plus, une de nos plus florissantes colonies, Maurice, dépend dans une large mesure de Madagascar pour son approvisionnement alimentaire, spécialement en bœufs, moutons, volailles et porcs. Cet approvisionnement se fait d'une manière facile et régulière par l'intermédiaire des traitants malgaches de la côte. Mais si l'île passe sous le protectorat de la France, ou que les Français s'établissent en maîtres dans les ports, des complications et des difficultés nombreuses naîtront sûrement, tôt ou tard, entre les commerçants anglais et l'autorité française. » Ces difficultés, M. Shaw savait bien comment on les levait, puisqu'il avaittrouvé moyen de se faire donner 25,000 francs pour avoir travaillé contre nous, mais par jalousie de métier il ne tenait peut-être pas à ce qu'il en arrivât autant à tous ses confrères. En tous cas, ses appréciations sur Madagascar, qu'il connaissait bien, sont à retenir, car si l'île vaut quelque chose pour les Anglais qui possèdent Maurice et ont besoin de l'approvisionner quelque part, elle est tout aussi bonne pour les Français qui possèdent la Réunion, placée exactement dans les mêmes conditions. Mais ceci n'est plus une question. Tout prouve la fertilité et la richesse de Madagascar qui produit de tout, et il faut toute la mauvaise foi qu'est censé excuser la politique, pour oser dire aujourd'hui que ce serait une colonie sans valeur. La meilleure preuve de son importance c'est que les Anglais, qui sont des commerçants habiles, voudraient la posséder. Ne pouvant la prendre purement et simplement à cause de nos anciens droits qu'ils ont reconnus trop officiellement pour revenir là-dessus, ils ont fait des sacrifices énormes pour nous empêcher de nous y établir, et ils y ont réussi, du reste, car malgré les traités, malgré notre protectorat, nous n'aurons jamais d'autorité à Madagascar tant que les méthodistes y seront. reine
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»* Les négociations commencèrent en novembre, le gouvernement hova avait
délégué, pour ne pas s'entendre avec l'amiral Galiber et M. Baudais notre consul, un certain Rainandrianamanpadry qui se moqua parfaitement de nos représentants, et par-dessus leur tête, de la France, qui était assez bonne personne pour ne par poursuivre ses premiers avantages, de façon à imposer ses volontés et à en finir par la force. Le Livre jaune nous l'a trop bien fait voir. Lisez par exemple à la page 13 de ce recueil de documents diplomatiques. Nous sommes portés à croire, dit le plénipotentiaire hova, que le motif pour lequel la France ne poursuit pas la guerre comme elle doit le faire en rapport avec sa force, c'est afin d'exciter le gouvernement de Madagascar à lui donner satisfaction c'est-à-dire pousser la nation malgache à maintenir son indépendance et faire tout pour le développement de la civilisation du pays, pour le bonheur du peuple sur lequel elle commande. » «
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Cette double ironie ne fut pas la seule. Un autre jour, il écrit à propos de deux possessions qui sont indiscutablement à nous Nossi-Mitsiou et Nossi-Faly soient au gouverne« Nous consentons à ce que ment de la République française. Vu la condescendance de la France qui consent à traiter avec nous, en ce moment, au lieu d'employer la force. » On ne se moque pas mieux des gens, ni plus impunément; car on ne répondait rien à cela; au contraire on faisait des concessions.Voyez plus tôt dans le Livre
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jaune. C'est l'amiral Galiber qui parle
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M. Rainandrianamanpandry connaît trop bien son histoire pour ne pas savoir que peu de nations se sont montrées aussi bienveillantes que la nôtre dans le cours d'une guerre. Quand un ultimatum est rejeté au début d'une guerre et que la nation qui l'a lancé est favorisée par les armes, jamais il ne reçoit d'adoucissement; les conditions s'en aggravent plutôt. « Nous faisons aujourd'hui le contraire. Aujourd'hui que nous sommes maîtres de Tamatave et de Majunga, nous vous demandons moins qu'au début. «Nousvous demandons peu, et peut-être ce que nous consentirions àaccepter aujourd'hui ne l'accepterions-nouspas demain. C'est à nos prières que nos ministres, celui des affaires étrangères et celui de la marine, marchant d'accord dans la question de Madagascar, ont consenti à diminuer les exigences des conditions de l'ultimatum; mais nous ne répondons pas que, dans deux mois, en face de la résistance opiniâtre que vous apportez dans ces conférences, ils consentent «
encore. « Quand je suis parti de France, on m'a proposé des troupes et des bâtiments de guerre; j'ai refusé, car je venais à Tamatave pour faire un traité, à cause des dispositions dans lesquelles se trouvaient alors les Hovas. Mais aujourd'hui, ce
n'est pas la même chose, et la situation a changé par rapport aux nouvelles dispositions dans lesquelles vous semblez vous affermir chaque jour. » A cela le diplomate malgache répond « Nous avons entendu vos paroles et nous vous en remercions beaucoup », c'est-à-dire qu'il ne répond rien, ce que constate l'amiral Galiber en ajoutant « Vous me remerciez souvent, mais j'aimerais mieux, au lieu de ces remerciements, quelque chose de plus défini. » Mais le plénipotentiaire hova s'en donnait bien garde, et d'ailleurs, pourquoi aurait-il hâté la solution puisqu'on lui disait qu'on ne voulait pas se battre il avait, au contraire, tout intérêt à faire trainer les négociations avec un gouvernement qui se montrait aussi bon enfant que le nôtre, qui avait commencé la guerre en prenant garde de faire du mal à l'ennemi et qui ne la continuait pas, comme s'il avait peur de réussir. Le fait est que notre gouvernement ne savait pas bien ce qu'il voulait. M. de Mahy, député de la Réunion, dit à la Chambre, dans la séance du 26 février1886, où parlaitcomme président delacommission chargée d'examiner le traité conclu avec les Hovas, que notre gouvernement avait obéi dans cette question mal connue, à l'influence occulte des méthodistes français, qui sont méthodistes bien plus que Français. « Minorité infime par le nombre, a-t-il écrit ailleurs, mais considérable par la situation de leurs membres au milieu de notre société libre-penseuse ou indifférente, ils se sont presque emparés, grâce à notre inadvertance, de la direction de nos forces; ils ont eu l'art de les faire tourner à la propagande de leur foi, à l'extension de leur influence, à l'accaparement des places pour leurs adhérents. YÉvarigélistc de M. Alphonse Daudet, a « Un livre d'un intérêt poignant, révélé leur ingérence dans les relations de la vie privée. Transportez dans la politique ce qui existe chez eux de vertu, de courage, d'instruction, de patience, d'énergie, d'austérité réelle ou feinte, d'esprit de solidarité, d'initiative et de propagande et aussi de ruse, d'hypocrisie, et, parfois, de perversité et de violence, vous aurez un aperçu de l'action que peuvent exercer dans les affaires publiques ces modernes pharisiens, aidés, en outre, du levier d'une immense fortune. parmi nous une brigue de gens dévots qui, par l'honora« Ils ont ainsi formé bilité, la dignité de leur extérieur, la haute vertu de plusieurs d'entre eux, leur richesse, leur organisation, véritable réseau aux mailles puissantes dont ils ont enserré notre société, sont devenus un pouvoir dans l'État. D'autant plus forts que, les croyant nôtres, nous sommes vis-à-vis d'eux sans organisation et sans méfiance; se soutenant exclusivement entre eux, âpres à la curée, aussi intolérants envers les libéraux protestants qu'envers les catholiques et les libres-penseurs, ils se sont taillé une large part dans les fonctions publiques et ils sont Français, en train de devenir les maîtres de la France. Méthodistes avant d'être appuyés sur une oligarchie financière cosmopolite, a peine française, unis à leurs congénères étrangers par le lien de la religion, relligio, plus fort dans le
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cœur de certains hommes que le lien du patriotisme, ils placent la secte avant la patrie, ils préfèrent le coreligionnaire au compatriote, et ils jouent le rôle (avec les différences que comportent les temps et les mœurs), ils jouent le rôle que jouait avec une égale bonne foi, l'ultra-catholicisme, le parti espagnol sou* Henri IV, Louis XIII et Louis XIV.
Tamatave. — La plage.
Celui-là servait la puissance catholique par excellence, l'Espagne; ceux-ci, font le jeu des puissances protestantes rivales de la France. Pénétrés de l'axiome de M. Guizot, que la France au dehors, c'est le catholicisme, ils combattent l'expansion coloniale avec le même zèle qu'ils mettent à combattre le catholicisme à «
Tamatave. — Vue générale de la rade.
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l'intérieur. Ce sont eux qui, par les affidés qu'ils entretiennent par toute la presse, ont gouverné, faussé l'opinion publique dans les questions coloniales si bien que tel bon catholique, tel libre penseur ou protestant modéré parmi nous, se croit un anti-colonial spontané, qui n'est que l'écho, l'instrument des méthodistes anti-français ligués contre la France libre penseuse ou catholique. pesé sur les destinées « Quand la part pourra être faite du poids qu'ils ont
de la France dans les événements contemporains, on en sera stupéfait. Dans l'Ouest Africain, par exemple, ils ont été avec Stanley contre Brazza. A Madagascar ils sont avec les Anglais et les Hovas contre les autres populations de l'île et contre la France. Ils ont décidé que Madagascar doit être un Paraguay protestant et qu'il doit être arraché à la France. Ils se disculpent, d'ailleurs, en mettant leur conscience à l'abri d'une manière générale, en croyant que la France n'a pas besoin de colonies, et dans l'espèce, en croyant au désintéressement des missionnaires anglais qui ne travaillent, assurent-ils, que pour l'Évangile et pour Sa Majesté hova, mais pas du tout pour leur pays. C'est leur influence qui a fait l'étrange manièrç dont l'expédition de Madagascar a été conduite, les ménagements envers les Hovas-, l'inaction de nos troupes, les irrésolutions de nos agents, les contradictions les contre-ordres et finalement la doctrine de l'hégémonie hova, qui a prévalu dans le traité. D
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Nous citerons maintenant un passage du discours de M. de Mahy, allégé des interruptions et des récriminationa qu'il suscita. Je n'aborde la tribune, — dit-il après une interruption qui avait dégénéré en dialogue, -1- je n'aborde la tribune que lorsque j'y suis poussé par ce que je crois être unenécessité impérieuse, etcertainement s'il dépendait de moi d'en descendre maintenant, je donnerais satisfaction bien vite à ceux que ma présence ici impatiente. Mais j'y suis retenu par ce que je crois être mon devoir. «Eh bien messieurs, je disais C'est l'influence de ce pouvoir occulte, de cette brigue, qui a entravé nos opérations à Madagascar. Je l'ai dit et j'en donne la preuve. « A un certain moment, le département de la marine et des colonies, inquiet de la situation qui allait être faite à notre marine, par suite de la menace qui avait été faite par l'Angleterre de nous fermer ses dépôts de charbon, le département de la marine décida qu'une mission scientifique serait organisée pour aller étudier dans le voisinage de la baie de Diégo Suarez, des gisements carbonifères. dont l'existence avait été révélée depuis un certain nombre d'années. Des instructions furent adressées en conséquence au gouverneur de la « Réunion. Réunion s'entendit avec l'honorable amiral de l'île de « Le gouverneur Galiber, alors commandant en chef des forces militaires de la France à Madagascar, et de concert avec lui, donna à un ingénieur en chef des mines que la France avait envoyé à la Réunion, pour contrôler les travaux, l'ordre d'aller explorer la baie de Bavatoubé, avec une escorte de cinquante soldats d'infanterie de.marine commandés par un lieutenant. était organisée elle va partir. Au moment du départ, le gouver« La mission neur de l'île de la Réunion reçoit une lettre de M. l'amiral Galiber lui annonçant qu'il était tombé dè la pluie dans le pays, que la santé de l'ingénieur allait être «
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compromise, que la saison était mauvaise, en un mot, qu'on ferait bien d'ajourner cette mission, qui pourtant avait été ordonnée par le gouvernement central.Le gouverneur était d'ailleurs autorisé à consulter à cet égard l'ingénieur, à qui on laissait carte blanche pour éluder les ordres reçus de France. Celui-ci répondit fonctionnaire obéissant, il allait partir et qu'il accomplirait sa mission. que divers agents des ponts et chaus« Il arrive à Tamatave avec son escorte et sées l'amiral Galiber témoigne un grand étonnement de le voir, lui déclare qu'il est véritablement inquiet pour sa santé et l'engage à retourner à la Réunion. lui aussi s'expose bien à la fièvre, « L'ingénieur fait remarquer à l'amiral que de même que tous ses soldats et tous ceux qui étaient avec lui à Tamatave, et que pareille raison ne pouvait pas infirmer les ordres reçus de la métropole; qu'il fallait donc que la mission s'accomplît, etc. si je nepouvais l'appuyer d'une « Tout ceci est tellement extraordinaire que, preuve écrite, je n'oserais pas le dire mais voici le rapport qui a été communiqué .l'année dernière à la commission de Madagascar. Écoutez, cela en vautla peine
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Rapport deVingénieur en chef des mines, directeur du service des travaux publics. géologique à Madagascar. — Étude des gisements houillersde la« Mission baie de Bavatoubé. Sous-Secrétaire d'État de la ma« Par dépêche du i8 décembre 1883, M. le rine et des colonies a invité M. le gouverneur de la Réunion à nous envoyer sur la côte nord-ouest de Madagascar, à l'effet d'y étudier la nature géologique des terrains qui bordent les baies de Bavatoubé, de Passandava et d'Ankara, de nous rendre compte de l'importance et de la richesse du combustible minéral que ces terrains peuvent recéler, et enfin de rédiger sur le tout, un rapport qui serait adressé au département, par son intermédiaire, le plus tôt possible. «.En conséquence et après avoir pris l'avis de l'amiral Galiber sur la force de l'escorte qu'il était indispensable de nous donner, pour assurer la sécurité de nos explorations dans une localité qui reconnaît, il est vrai, notre protectorat, mais que les Hovas prétendent leur appartenir et sur laquelle ils avaient même établi plusieurs postes fortifiés qu'ils n'ont évacués qu'après bombardement par nos croiseurs, il y quelques mois, M. le gouverneur nous a donné l'ordre de partir pour cette mission, par arrêté du 21 «Quelques jours après, M. le gouverneur nous faisait connaître-qu'il venait de recevoir une lettre de l'amiral Galiber, portant qu'il venait d'être informé que des pluies torrentielles avaient inondé le terrain de Bavatoubé et que, par suite, il pensait qu'il y avait lieu d'ajourner notre mission, laquelle, dans ces circonstances et à cette époque de l'année, ne pouvait donner de résultats utiles. Mais en présence des termes si précis de la dépêche ministérielle du18 dé« cembre et considérant que les renseignements venus de Nossi-Bé remontaient à lapremière quinzaine dé janvier et que nous n'arriverions sur les lieux que près «
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janvier.
d'un mois plus tard, M. le gouverneur crut devoir nous laisser partir parle transport YAllier, avec M. le conducteur principal Naturel, dont nous avons demandé l'adjonction à notre personne, deux chefs mineurs, l'outillage nécessaire pour l'exploitation des terrains miniers et une escorte de cinquante hommes d'infanterie de marine, sous les ordres de M. le lieutenant Mongin. « Arrivés à Tamatave le 8 février, nous y fûmes reçus avec la plus grande courtoisie par M. l'amiral qui, toutefois, nous témoigna son étonnement de notre arrivée en ce moment, et, sans insister sur l'inondation des localités à explorer, nous fitobserver que la seule canonnière qu'il pût mettre, pendant quelques jours, à notre disposition n'était pas susceptible de recevoir, chaque nuit, notre escorte à son bord. « Il est vrai de dire que le départ du Vaudreuil pour la France, qui a eu lieu le 3 février et qui n'est pas encore remplacé, privait l'amiral d'un des bâtiments de son escadre et ne lui permettait guère d'en mettre un à notre disposition, pendant durée de notre mission. « L'amiral nous fit, en outre, observer que, par cette saison de fièvre, il croyait nécessaire que nous fissions une visite préalable des lieux, pour déterminer les endroits où les fouilles devaient être exécutées et examiner, de concert avec M. le lieutenant Mongin, l'emplacement où il conviendrait d'établir les baraquements pour le campement de notre escorte, tant au point de vue de la salubrité de la troupe que de la protection de nos travaux, baraquements qu'il ferait établir après examen de nos propositions. « Nous ne pûmes le convaincre que notre escorte trouverait, provisoirement, un abri dans l'un ou l'autre des villages malgaches qui se trouvent à l'entrée de la baie, et que la construction des cases nécessaires pour le campement sur les lieux à déterminer avec le commandant du détachement, ne demandait que quelques jours. visite à Nossi-Bé nous pensions, d'ailleurs, que même en « Après notre l'absence d'un bâtiment de l'État, notre approvisionnement eût été possible par le moyen des boutres qui circulent, journellement, entre la côte et Nossi-Bé, surtout pour le transport des bœufs. ajouter que l'amiral nous fit enfin comprendre, ce qui nous fut, « Nous devons d'ailleurs, confirmé par M.le gouverneur de Nossi-Bé, que des instructions ministérielles récentes lui avaient prescrit d'éviter toute opération, pouvant faire croire à une occupation ou à une prise de possession d'une partie du paysdont nous réclamions la propriété ou le droit de protectorat, comme étant de nature à entraver les négociations ouvertes avec les Hovas. débarquée à Nossi-Bé, où elle fut appelée à rester « En effet, notre escorte fut en garnison, jusqu'à nouvel ordre. débarqué à Nossi-Bé le chargement qu'ilavait « L'Allier, après avoir, en outre, apporté pour cette île, pour Majunga et pour Mayotte, s'occupa de l'embarquel'alimentation du corps expéditionnaire de Tamatave. de bœufs réclamés ment pour -
Le départ pour Majunga de la canonnière le Capricorne fut retardé de quelques jours et ce bâtiment fut mis à notre disposition, pendant ce temps, pour visite sommaire des baies de Passandava et de Bavatoubé. pouvions descendre à terre sans escorte à « Pour nous prouver que nous portée des canons du bâtiment, M. Lemaître, commandant de Nossi-Bé, que nous nous plaisons à remercier ici de la gracieuse hospitalité qu'il nous a offerte, nous accompagna dans cette visite. « Dans celle que nous dûmes faire, préalablement, à la reine Binao, qui, de peur de tomber par surprise entre les mains des Hovas, a quitté successivement avec sa cour, d'abord sa résidence de Mouconnemy, dans l'intérieur, puis celle d'Ampassimiene, sur la baie de Passandava, pour se réfugier sur Bararakas, îlot «
Tamatave.
—
L'église Anglicane.
de cette même baie. M. le commandant de Nossi-Bé, par les motifs énumérés plus haut, se borna à demander à la reine l'autorisation de visiter les lieux où M. d'Arvoy avait.ouvert, autrefois, une exploitation et avait été assassiné. Ce qui nous fut immédiatement accordé, avec cette réponse que les Sakalaves n'avaient rien à nous refuser. « Interrogé ensuite sur la présence des Hovas dans le voisinage, le premier ministre Bibaka, qui parle français, nous répondit que le bruit courait qu'un détachement de Hovas devait descendre du pays d'Ankova pour se rendre à Mouconnemy en faisant un détour pour brûler Ampassimiene, et qu'il venait d'envoyer des éclaireurs pour les surveiller. « En fin de compte, nous sommes convaincus que les Hovas sont assez peu nombreux dans la région que nous avions à étudier pour qu'il nous eût été possible d'explorer la grande terre jusqu'à une distance très notable des côtes, et que, bien que la saison ne fût évidemment pas la plus favorable pour cette exploration, l'hivernage était assez avancé pour la permettre avec les moyens mis à notre disposition par le gouverneur de la Réunion, si nous avions pu en disposer
librement, en laissant de côté la considération politique que nous n'avions pas à -apprécier. » C'est ainsi que la mission confiée à M. Debette ne put s'accomplir. a Tout ce qu'il put faire, ce fut de passer une journée ou deux avec un conducteur des ponts et chaussées et avec son domestique à Bavatoubé, où il constata les affleurements houillers que M. Dureau de Vaulcomte et moi nous avons été A même de constater, à notre tour, dans la visite que nous avons faite, depuis, .dans cette localité. « Mais ce qui devient très grave, c'est qu'à peine la mission française étaitelle éliminée qu'une mission anglaise y venait. Elle explorait le terrain, se déclarait satisfaite, et les ingénieurs anglais étaient conduits par l'un des négociateurs envoyés depuis en France par le gouvernement hova, M. Parret, celui-là même qui a eu l'art de faire renoncer notre ministère actuel à la possession de Bavatoubé. » «
C'était sans doute pour que la visite de M. Debette ne parût pas extraordinaire aux Hovas que l'on toléra celle des ingénieurs anglais, mais malgré cette précaution diplomatique, les négociations ne faisaient aucun progrès. M. Baudais rompit les pourparlers vers la fin de novembre et écrivit en France qu'il n'y avait rien à espérer, diplomatiquement, des Hovas, qui se refusaient à renoncer à tout ce qui pouvait porter atteinte aux droits de souveraineté qu'ils prétendaient exercer sur l'île entière. L'opinion de notre consul, on l'a vu dans sa correspondance, publiée par le Livre Jaune, était qu'en fait, la domination de l'île ne pouvait appa'rtenir qu'à la nation hova, « à ce peuple, disait-il, qui a fini par s'imposer aux autres populations de l'île par des moyens qu'on ne peut approuver, à ce peuple qui gouverne par la terreur, mais enfin gouverne et s'est imposé à ces peuplades »M. Baudais pensait que nous devions nous servir de cette prépondérance et, pour cela, occuper non pas seulement quelques points du littoral, comme on avait fait jusqu'alors, mais le plateau sur lequel est située la capitale et la capitale même, en décernant à Ranavalo les plus grands honneurs avec le titre de reine dé Madagascar, mais en exerçant, sur elle et son gouvernement, un protectorat qui l'équivalent avoué de la direction occulte qu'avaient serait, en somme, que ne accaparée l,es méthodistes anglais. ajoutait notre agent diplomatique, est impos« Gouverner par nous-mêmes, sible, pour le moment. On ne saurait trop le répéter; on peut même dire qu'on ne peut gouverner sans les Hovas, à moins qu'on n'anéantisse, d'un seul coup, la tribu et qu'on la fasse disparaître à jamais. Il nous faut aller chez eux, à Imérina même, renverser le gouvernement actuel, si c'est nécessaire, et lui imposer le protectorat. » Cette opinion ne fut pas partagée absolument par l'amiral Miot, comme nous le.verrons plus loin.
Quant à l'amiral Galiber, on ne connut point son sentiment à cet égard, car il demanda bien vite à être relevé de son commandement et à cesser de jouer un rôle pour lequel il ne se croyait point fait. Le fait est que ce rôle n'avait rien de brillant, et l'amiral n'y trouva que des ennuis, des fatigues et même, en quelque sorte, des humiliations. En arrivant à Tamatave, il faut qu'il fasse des concessions au consul anglais. Le gouvernement de la métropole l'invite à dissoudre le conseil municipal institué par l'amiral Pierre, que les Anglais voyaient d'un très mauvais œil parce qu'il gênait leur pouvoir occulte, et surtout qu'il leur faisait craindre une occupation définitive. Les Hovas avaient relevé et réoccupé quelques-uns des forts de la côte, bombardés par l'amiral Pierre. Afin de se mettre en meilleure posture pour traiter il fait réoccuper ces forts, envoie le Boursaint bombarder Foulepointe, le Forfait attaquer Mahambo et la Nièvrereprendre Feneriffe, sans pourtant y laisser garnison car il n'avait pas assez de monde pour cela. Il savait'bien que ce serait toujours à recommencer et comptait bien le faire à chaque fois que les négociations seraient rompues, d'autant que c'étaient des opérations sans risques et qui distrayaient, pour un moment, ses marins, décimés par la maladie. Eh bien non il fut obligé d'y renoncer et de laisser les Hovas revenir tout à leur aise dans les forts dont on les avait chassés déjà deux fois, parce que l'Angleterre obtint, de notre gouvernement, la cessation de tout bombardement des côtes et que cette convention lui fut notifiée vers la fin de décembre. N'ayant rien à faire comme soldat, peu de chose comme ambassadeur, — puisque M. Baudais conduisait les négociations et que, fatigué de parlementer avec des gens bien décidés à ne jamais dire ni oui ni non, il n'apportait plus dans les entrevues que le prestige de son grade et de son uniforme, — on comprend que l'amiral ait demandé son rappel. Évidemment, on le pria de patienter; car il présida encore les négociations eutamées toujours sans succès, en février et en avril 1884, et ne quitta Madagascar que pour céder le commandement à l'amiral Miot qui arrivait, non plus pour traiter, mais pour faire la guerre.
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L'AMIRAL MIOT CHEF DE L'EXPÉDITION
L'attitude de la France était changée, le gouvernement avait demandé à la Chambre les crédits nécessaires, et la Chambre « résolue à maintenir tous les du moins, c'est ce que dit son ordre du jour droits de la France sur Madagascar du 27 mars 1884,vota les quelques millions demandés pourl'expédition dont le ,commandement allait être confié l'amiral Miot. Cette résolution passa presque inaperçue en France, où peu de personnes -connaissaientnos droits surMadagascar/et où moins encore s'inquiétaient de ce qu'ilpourrait en advenir, d'autant que l'attention publique était fixée sur le Tonkin mais elle fut accueillie avec enthousiasme par tout le corps expéditionnaire,aussi bièn dans lesforts de Mouroung-Sang, de Majunga et de Tamatave,— où nos soldats cuisaient littéralement et souffraient autant de l'inaction que du climat, — que sur les navires de l'escadre, dont les marins ne demandaient qu'à marcher de l'avant. «Je me trouvais, dit un témoin oculaire, sur un des bateaux de la division lorsqu'on apprit que la Chambre avait ratifié l'expédition de Madagascar et que les interminables négociations étaient définitivement interrompues, le commandant et le second arrivèrent, tête nue, dans le carré de l'état-major toutes les conversations s'interrompirent, tous les jeux cessèrent. dépêche. Ily eut un silence puis ce fut une explo« Le commandant lut la sion : « Vive la France! » et tous ces braves officiers se tendirent la main et se félicitèrent. répandit sur touslesbateaux, et matelots et soldats l'accueilLanouvelle se « lirent, eux aussi, du même cri « Vive la France! » Il faut être loin de la patrie pour savoir tout ce qu'il y. a de vibrant dans ces trois mots.On ne dormit pas cette nuit-là et, dès le lendemain, on commença à préparer ses armes. » Rien ne pressait pourtant, car il ne pouvait être question derecommencer immédiatement les opérations offensives, puisque le nouvel état de choses ame-' - nait un général, mais point de soldats. A la vérité, on attendait du Tonkin le bataillon de fusiliers de marine qui s'était illustré à Sontay, sous les ordres du commandant Laguerre; mais ces quelques centaines d'hommes ne pouvaient guère être considérés comme des renforts; car ils ne comblaient pas seulement les vides que la fièvre avait faits dans les rangs du corps expéditionnaire. **
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Parti de Toulon, le 9 avril, l'amiral Miot arrivait, juste un mois après, à Tamatave sur la Naïade et la.première chose qu'il y faisait était d'annoncer aux consuls étrangers que le blôcus des côtes allait être déclaré.
être qu'une menace et une menace de bien peu de portée si l'on considère que l'île de Madagascar est plus grande que la France et que, parla raison que c'est une île, ses côtes ont beaucoup plus de développement. Ce blocus ne pouvait
La reine Binao et sa sœur Kavy, à bord de la Creuse.
Or, pour bloquer sérieusement une étendue pareille, il faudrait au moins cinquante navires, croisant continuellement, et l'amiral Miot en avait, tout juste, ne.uf à sa disposition; encore lui fallait-il en immobiliser toujours un devant Tamatave et toujours un devant Majunga et souvent un autre pour porter ses dépêches à Zanzibar, quand il avait quelque chose d'important à apprendre au gouvernement. Avec cela, l'amiral fit ce qu'il put et essaya de se multiplier, il divisa sa petite escadre en deux divisions Celle de la côte orientale qu'il commandait personnellement et qui se composait
::
De laNaïade, croiseur de premier rang portant le pavillon du contre-amiral; 2° Du Beautemps-Beaupré, éclaireur d'escadre commandé par le capitaine de 1°
frégate Escande; 3° DuBoursaint, aviso à hélice commandépar le lieutenantde vaisseau Antoine; 4° Du Capricorne, canonnière commandée par M. Serat, lieutenant de vaisseau; 5° De l'Allier, transport-aviso commandant Le Léon, lieutenant de vaisseau; 6° de la Creuse, transport-hôpital commandé par M. Hernandez, capitaine de frégate. La division de la côte Ouest, aux ordres du capitaine de vaisseau Wyts, ne se composait que de trois navires
:
1°
Le Forfait, croiseur de 2e rang portant le guidon du capitaine de vaisseau
Wyts. Chacal, canonnière commandée par M. Poitevin, lieutenant de vaisseau, 3°La Pique, canonnière commandée par M. Bellue, lieutenant de vaisseau. Un peu plus tard, l'amiral reçut deux autres navires qui lui amenèrent les fusiliers marins du commandant Laguerre, et ses forces de terre et de mer atteignirent environ 4,500 hommes savoir 2° Le
:
navires.
Équipages des onze 2,224 hommes. 8 compagnies d'infanterie de marine. 1,200 — Le bataillon des volontaires de la Réunion. 500 — Le bataillon des fusiliers 500 —
marins.
<J
Mais ces effectifs n'étaient pas, ne pouvaient jamais être complets, surtout pour les troupes de terre qui souffraient beaucoup plusqueles marins, du mauvais climat. Il est vrai que ceux-ci ne quittaient presque pas leurs navires et qu'il en est parmi eux qui furent plus d'un an sans mettre le pied à terre, bien que ne la perdant jamais de vue. Là, du moins, s'ils avaient à combattrel'ennui, ils n'étaient pas décimés par la fièvre, contre laquelle les soldats avaient toujours à lutter. Une compagnie n'était pas quinze jours dans un fort sans que la moitié de l'effectif tombât malade; on l'envoyait alors à la Réunion pour serefaire. Cellequi la remplaçait subissait le même sort et était remplacée de même, de sorte qu'avec ce va-et-vient continuel, qui employait les avisos àtout autre chose qu'au blocus, ce n'est pas. sur 2,000 hommes de troupes deterre qu'il fallait compter, mais tout au plus sur la moitié. Pour remédier à ce mal, l'amiral Miot pensa tout de suite à enrôler des Sakalaves qui, bien encadrés, stimulés parnos hommes, pourraient rendre des services, et dans ce but leur adressa cette proclamation qui fut affichée et distribuée partout
:
« AFX SAKALAVES
«Dans peu de te'.nps, j'espère arriver parmi vouspourvousdonnerdenouveau
l'assurance que la France garantit votre indépendance et s'engage à vous protéger. «Revenez à vos travaux et n'ayez point peur. répondons. « Vos biens, nous en lequel les Hovas vous courbaient est brisé et rompu pour tou« Le joug sous jours. drapeau de la France, qui vous protégera désormais, vous n'aurez à « Sous le craindre, ni corvées, nirienimposé par laforce, et j'espère que, sans tarder, vous viendrez vous grouper autour de ce drapeau pour y trouver la paix, car, désormais, plus de pression sur vous. Répandez ces paroles de tous côtés dans vos pays. « « Le contre-amiral, P. E. MIOT, commandant en chef, « Signé
:
cr
Tamatave, le 1erjuin 1884.
»
En même temps qu'il essayait de rassurer les peuples, l'amiral écrivait aussi aux roitelets de la côte, et la lettre suivante qu'il adressait, quelques jours après son arrivée, à la reine Binao, donne une idée de la façon énergique dont il entendait mener la campagne
:
«
Le
contre-amiral commandant en chef la division de la mer des Indes à la reine Binao. «
Madame,
«Le gouvernement de la République en m'envoyant remplacer l'amiral Galiber, qui est arrivé au terme de sa mission, m'a donné l'ordre d'établir sa protection sur tout le pays soumis à votre autorité. « Je viens donc de nouveau vous informer que la France est, plus que jamais, résolue à repousser devotre territoire ceux qui l'avaient envahipar la force et qui y régnaient par la terreur, au mépris de tous les droits et de tous les traités. « Rassurez donc vos sujets, si la politique du passé a pu laisser quelque inquiétude sur notre protectorat nous ne nous en irons pas, nous n'évacuerons pas et je ne suis pas venu pour réclamer des droits mais pour les exercer. J'espère que^bientôt pourrai, de vive voix, vous confirmer la déclaration queje vous envoie. Ce que je vous dis aujourd'hui, je l'ai dit aux représentants de la reine Ra-
;
je
navalo le 13 de ce mois. « Que Dieu vous protège
!
-
«
Le
contre-amiral commandant en chef la division navale de la mer des Indes, «
:
Signé
MIOT. »
L'amiraltintparole. Quelques mois plus tard, il visitaitla petite reine. On a connu cette entrevue par le récit très intéressant qu'en a fait M. Charles Segard, un des officiers de l'escadre, et que nous reproduisons pour que nos lecteurs puissent faire connaissance avec Binao, la plus considérable de nos
alliées malgaches.
Dans le courant de septembre 1884, dit-il, nous étions en tournée et notre navire avait l'honneur de porter le pavillon du contre-amiral, chef de la station, qui visitait nos possessions et cherchait, du même coup, à stimuler le courage et à fortifier la confiance de nos protégés de la côte malgache. Quand nous passâmes à Nossi-Bé, Binao s'y trouvait précisément. On la fit « prévenir que l'amiral, désireux d'avoir avec elle une entrevue, la recevrait à bord, le lendemain dans l'après-midi. Elle promit de se rendre à cette invitation. conduite d'un aspirant de majorité, un canot alla, au jour indiqué, « Sous la enfin, sur la Creuse, son apse mettre à sa disposition et la jeune souveraine parition, un peu plus tard que l'heure fixée. « Officiers et matelots, tous attendaient l'arrivée de la princesse: avec la curiosité instinctivequ'inspire tout faitsortantquelquepeudel'ordinaire.Les hommes portd'arme ladunette avait été entourée de pavillons; se tenaient sur les rangs, au les carions étaient disposés à saluer.de leurs tonnerres la souveraine quand elle prendrait congé de nous. tandis que sonnait leclairon. Non « Le canotaccosté, lecortège grimpa à bord, jene sais rien deplus naïvement effaré quelesmines de Binao et de sa jeune sœur Kavy, quand, ayantgravil'échelle en s'aidantde leurs mains, elles seretrouvèrent debout à la coupée, en face de cet imposant attirail d'un bâtiment de guerre. Elles eurent le brusque mouvement d'arrêt peureux de deux chevrettes surprises dans leurs ébats leur stupeur dura moins d'une demi-minute, sans doute, mais plus d'un peintre eût été ravi de les saisir dans cette attitude si gracieuse et si «
fit
;
!
;
spontanée. émotion dissipée, elles s'enhardirent et se rendirent avec « Cette première leur escorte et l'état-major du navire dans le salon de l'amiral. Leur père, Bebaka, un grand gaillard à la figure d'Arabe, avec des traits cependant moins fins que ceux de cette race qui n'ont subi aucun mélange, leur père les accompagnait et leur servait d'interprète il s'exprimait sans trop de difficultés en français, et, tout en conservant vis-à-vis de ses filles, de la « Mpanjaka » surtout, un ton plein de déférence, il semblait, néanmoins, exercer une grande influence sur leurs actes ou leurs paroles. homme de trente et quelques années, avec « Il avait, d'ailleurs, fière allure, cet son grand kaftan brun et sa ceinture multicolore, où étaient plantés quelques poignards africains d'un assez beau travail. paraissait plus mignonne encore. Dix-neufans, au dire de « Binao près de lui son père, des cheveux crêpelés, séparés avec une patience infinie, de manière à
;
ménager entre eux une profusion de raies et diposés en innombrables tresses dont l'extrémité libre est pelotonnée en boule. Cela constitue à l'ovale régulier de la tête un encadrement un peu lourd, qui ne manque pourtant ni d'originalité ni de charme. Le nez est petit, très légèrement épaté; une des ailes est munie, à la mode indienne, d'un menu bijou en or, rivé dans le cartilage. La bouche, très gracieuse s'ouvre imperceptiblement en un sourire d'exquise ingénuité, qui n'anime que rarement ce visage impassible et laisse entrevoir l'écrin d'imperceptibles dents merveilleusement blanches. « Mais ce qui attire le plus, dans cette physionomie étrange, ce sont les yeux très beaux, très brillants, très noirs; on dirait ces grandes prunelles d'émail dont les Hindous ont doté quelques-unes de leurs idoles.
Tamatave.
:
«La reine et sa sœur portaient,
-La Douane.
à quelques différences près, le même cos-
une longue tunique de soie vieil or, agrémentée de passementeries d'argent, et découvrant à partir du mollet un étroit pantalon en soie cramoisie rayée de jaune, serré à la cheville. « Partout, au.cou, aux oreilles, sur la poitrine, dans le dos, aux poignets, aux pieds, une prodigieuse quantité de bijoux, argent, et corail surtout, bracelets, colliers, boucles, anneaux, chaînes ou amulettes. Sous ce riche et bizarre costume qui n'est nullement de leur pays, et qu'elles devaient, très probablement, à l'intervention pleine de goût de quelque Européenne pour qui les gravures du Tour du Monde n'ont plus de secrets, sous ce costume androgyne elles étaient charmantes, les deux fillettes, Binao principalement, grâce, sans doute, àl'exiguïté de sa taille, me rappelait ces esprits familiers dont les Orientaux ont peuplé leurs contes; tel devait être, je suppose, le serviteur dévoué d'Aladin. Devant ces jolies poupées, malgré moi, je songeais aussi à la question de Philine, lors de sa première rencontre avec Mignon. Est-ce une fille?Est-ce un garçon? « La suite des filles d'honneur, trop nombreuses pour trouver place dans le canot, n'était pas venue jusqu'à bord. Elles étaient là, cinq ou six femmes seuletume
ment, compagnes ou esclaves, vieilles ou jeunes, qu'on eût dit triées entre les moins belles, l'une d'elles portait un gobelet de cuivre et une carafe en très vulgaire fer-blanc, dont le contenu, de l'eau pure, était destiné à rafraîchir les princesses au cours de la route. Outre Bebaka, il y avait encore comme mâle un jeune principicule dela famille et quelques amis ou serviteurs. « Quand on fut dans le salon, Binao et Kavy s'assirent sur le divan, se soutenant l'une l'autre, dans la pose indifférente et alanguie des peuples des pays du soleil, des enfants aussi quand on traite devant eux des questions absolument oiseuses. Elles ouvraient leurs grands yeux et promenaient leurs regards un peu vagues tantôt sur les détailsde l'ameublement, tantôt sur les personnes qui les entouraient. Bebaka présenta à l'amiral, de la part de sa fille, une supplique où celle-ci recommandait son peuple à la magnanimité de la France. « — Dis-lui, répondit l'amiral, que je suis charmé de sa confiance; dis-lui que nous sommes venus sur ces rives pour faire respecter ses droits, pour lui faire rendre ses terres, ses propriétés, et les tombeaux de ces ancêtres; mais fais-lui comprendre et sache bien toi-même que, pour l'accomplissement de notre œuvre, il nous faudra votre aide que vos guerriers s'arment et marchent avec nous contre l'ennemi commun, les Hovas, dont nous viendrons sûrement à bout. Oui, monseigneur; oui, monseigneur l'amiral, répétait Bebaka hochant « — la tête d'un air très-convaincu.
;
— Demande-lui maintenant, fit l'amiral en désignant la petite souveraine, demande-lui donc si elle croit à mes promesses et si elle en est satisfaite. Et à cette question transmise en malgache Binao prononça une ou deux syllabes qui, d'après la traduction de l'interprète, étaient une formule de remercîments. « On échangea encore quelques phrases, tandis que circulaient les coupes de Champagne. Par timidité, sans doute, les jeunes filles y trempèrent seulement le bout de leurs lèvres; puis elles les tendirent à une des suivantes accroupies à leurs pieds, qui ne fit, d'ailleurs, aucune difficulté pour sabler le vin pétillant. Depuis quelques instants, ni Binao ni sa sœur ne s'occupaient plus guère de leur entourage. Leur pensée errait sur le pont où elles venaient d'entendre l'envolée entraînante d'une valse jouée sur l'orgue du bord, sorte de boite à musique perfectionnée qui, les jours de liesse, servait à faire sauter l'équipage. Ce fut avec une gaucherie délicieuse et la joie mutine d'une enfant que la reine, quand on fut remonté sur la dunette, s'amusa à tourner une minute la manivelle de l'instru«
»
ment. Avant le départ, l'amiral sut décider l'assistance à se laisser photographier par un des officiers du bord. Grave opération à laquelle pourtant nosèrent pas se refuser les princesses, surtout quand lles virent, pour achever de les convaincre, l'amiral venir prendre place près aelles, en face de l'objectif. terminée, comme l'on s'avançait vers la coupée, Kavy « L'expérience (pourquoi suis-je forcé de dépoétiser un peu mes portraits?.), Kavy, qui, suivant la coutume du pays, avait conservé sous sa langue une pincée de tabac en «
poudre, éprouva le besoin de cracher. Une des suivantes s'approcha sur un signe, tendit ses deux mains réunies en manière de coupe, et sérieusement, avec la gravité d'un dignitaire indispensable, alla, pour ne pas souiller la blancheur du pont, rejeter à la mer l'auguste salive de sa maîtresse. le canot eut quitté le navire, cinq coups de « Enfin, l'on se sépara, et quand canon saluèrent le départ des visiteuses. A terre, en voyant revenir Sa Majesté, tout le cortège des filles d'honneur « groupées sur le débarcadère, entonnait sur un rythme monotone et en battant des mains, l'hymne accoutumé
:
«
Toutes les mangues vertes sont à toi,» etc., etc.
Le jour suivant, je voulus la revoir, la petite reine; la voir, pour mieux dire, débarrassée de la contrainte et de l'apparat officiels. Ayant donc dépassé Hellville,jepris, sous les manguiers ombreux, le sentier en pente qui mène à Andavacoutou. Bordé de palétuviers, au ras de la mer qui tantôt l'enlace de ses eaux transparentes et calmes, tantôt le laisse, en se retirant, au milieu d'une boue infecte, ce village est un ramassis d'une centaine de cases construites en rafia, auprès desquelles des gaules grossièrement assemblées limitent d'étroites cours où grouillent les poules, les oies et les enfants. Quelques cocotiers balancent très haut au-dessus des toits leurs panaches « verts et leurs grappes de fruits. Devant les portes, des femmes debout, le simbou serré à la naissance de la gorge, d'un geste vigoureux et sculptural, pilent leur riz dans les mortiers de bois, drapées dans les deux carrés d'étoffe à dessins rouges sur fond blanc qui constituent les pièces essentielles de leur costume; d'autres causent entre voisines; quelques-unes enfilaient des perles de corail. Une .vieille aux cheveux gris et ras, à la peau ridée, flétrie comme celle d'une tortue, à peine vêtue, ramassée sur ses talons, sortait de leurs coquilles, pour le repas du soir, des sourdons qu'elle disputait à grand'peine à de voraces canards. « A la porte d'une paillotte était suspendue, véritable enseigne, une queue de requin invitant les gourmets de l'endroit à venir là s'approvisionner. De loin, en loin, du fond d'une hutte, s'échappaient sons d'un accordéon. « La mer baissait, laissant à découvert le sable vaseux de la grève où de petits crabes esquissaient, de trou en trou, leurs zigzags baroques. « Enfin, voici une case plus spacieuse, d'aspect plus confortable et placée perpendiculairement à toutes les autres la maison de la reine. Mais celle-ci est dehors, sur la plage, accroupie ainsi que sa sœur, et entourée de ses compagnes. « On faitkabar : on cause, on rit. Elle pourtant, comme figée dans sa majesté de convention, elle garde sa figure immuable de sphynx. Ce n'est point la fillette espiègle, rieuse, qu'en dehors de son titre auraient dû la faire son âge et sa race. « Nous échangeâmes une poignée de main, et comme un serviteur était là, parlant un peu le français, je pus lui adresser quelques paroles par cet intermé«
les
:
diaire : conversation naturellement très bornée par le peu de communauté d'idées, et se résumant à peu près en compliments sur sa grâce, ou en éloges sur ses bijoux. « Toutefois, sachant qu'aussi bien que les phrases flatteuses, les sucreries sont volontiers accueillies en tous pays, j'avais eu soin de me munir d'un sac de dragées dont l'offre sembla me faire faire un pas immense dans l'estime des deux princesses. « Elles avaient dépouillé leurs riches costumes de la veille, n'en conservant que les lourds bijoux, et s'étaient vêtues à la malgache Kavy, enserrée dans un simbou qui laissait nus ses bras et le haut de son buste élégant; Binao, portant une blouse flottante, et presque perdue dans les plis d'une large pièce de foulard mauve aux dessins jaunes. « Le soleil descendait de plus enplus derrière les terres lointaines, dont une brume dorée baignait les découpures. Une brise plus fraîche moiraitlamerqui devenaitplus foncée à cette heure, et sur les profils estompés de la côte de la grande terre, se détachaient en blanc avec une netteté criarde les voiles légères des pirogues. Le ciel, d'or rouge, près des flots, avait pris un peu plus haut une admirable teinte violette qui se dégradait insensiblement etfinissaitparsefondre dans la gamme incomparable des bleus et des verts pâles. L'apaisement du soir, petit à petit, envahissait la terre. « Les bras appuyés sur ses genoux, le front légèrement penché, comme sous un fardeaumoral, trop lourdpourun mignon cerveau créé pourles seules futilités de la vie, Binao se taisait. Sur l'horizon, où commençait à passer le vol des énormes chauves-souris crépusculaires, elle fixait ses beaux yeux rêveurs où semblait se lire le spleen, les désirs, que sais-je? la lassitude peut-être d'un rôle joué chaque jour et écrasant pour sa frêle personne. Etje ne pouvais, sans mélancolie, songer que cette gracieuse tête était mise à prix, là-bas, à la cour de Tananarive. »
:
CE QUE VAUT MADAGASCAR
Nous disions dans le chapitre précédent, que l'attitude belliqueuse des Chambres à propos de Madagascar avait à peine impressionné le pays; il n'en faut pas conclure que l'indifférence ait été générale. Si l'opinion publique, peu sollicitée par la presse, généralement tiède, et dont il y avait plus d'organes hostiles que favorables à la question, ne semble pas avoir pris parti à cette époque, il n'en était pas de même de la science, qui planant de trop haut au-dessus des choses pour s'occuper de la guerre et des
raisons pour lesquelles nous allions la faire, se mit à rechercher ce qu'était le pays dans lequel on allait combattre, et qu'il était même question de conquérir. Sans parler des travaux demandés aux explorateurs de Madagascar par la Société de Géographie, nous citerons un rapport lu par M. Grandidier, en
Le contre-amiral Miot.
avril 1884, c'est-à-dire quelques jours après le vote de la Chambre, à la séance de la réunion des Sociétés savantes. Nous ne prétendons pas absolument qu'il tranchera la question, mais il a cet avantage de démontrer que ce n'est que par des citations incomplètes que certains journaux, que leur politique oblige à être hostiles à la question de Madagascar, s'appuient sur l'opinion de M. Grandidier en le présentant comme l'un des plus récents et des mieux renseignés des explorateurs de la grande île.
la
Sans doute M. Grandidier a suffisamment étudié le pays pour donner véritable idée de ce qu'il vaut; mais il ne faut citer que ce qu'il a dit et non ce qu'il aurait pu dire. Voici donc les principaux passages de son rapport « Je vais tout d'abord, dit-il, rappeler que Madagascar est divisée en deux parties bien distinctes la région orientale et septentrionale qui est toute montagneuse, et la région occidentale et méridionale qui est plate. « Le grand massif, dont la base baigne dans l'océan Indien du côté de l'est, et qui couvre environ les trois cinquièmes de l'île, s'élève rapidement jusqu'à une hauteur de quinze cents mètres, au delà, c'est un mur de montagnes essentiellement granitiques dont l'altitude moyenne est de mille mètres environ et qui finit au nord, vers le 13e parallèle, entre Vohémar et Louquez ; la partie septentrionale est traversée par de nombreux filons de quartz et sur ses limites orientales on trouve en beaucoup de points, des marnes, des grès, des calcaires qui reposent directement sur elle et qui ont été plus tard soulevés et métamorphosés par l'éruption basaltique dont on trouve les traces puissantes presque partout dans l'est et dans le nord. secondaire « Les roches sédimentaires de Madagascar, qui sont de formation dans l'ouest, entre le cap Sainte-Marie et le cap Saint-André, semblent être de formation tertiaire dans le nord-ouest; elles se montrent de plus en plus abondantes sur la côte orientale à mesure qu'on s'avance vers le nord. Jusqu'à la baie de Vohémar, au delà de laquelle, plus ou moins soulevées par les basaltes elles forment la base du sol de l'extrémité septentrionale, encaissant, entre le cap Saint-Sébastien et Morontsangana une assez vaste étendue de terrains de transition et de terrain houiller. Cette extrémité septentrionale, tout en étant encore fort accidentée, ne pré« sente plus la succession ininterrompue de hautes montagnes arides et nues avec vallons étroits et le plus souvent stériles qui caractérisent le plus grand massif central; ce sont des coteaux plus ou moins abruptes et rocheux qui ont leurs flancs dénudés ou recouverts de mauvaises graminées, mais entre lésquels se' trouvent des vallées assez larges avec une végétation herbacée puissante. considérons la surface triangulaire dont le gouvernement « Alnsi si nous français réclame le protectorat dans l'ultimatum qu'il a posé aux Hovas, surface qui comprend plus de cent mille kilomètres carrés, soit environ le sixième de l'île, et qui a pour base le 16° parallèle passant par le cap Saint-André dans l'ouest et le cap Bellone à l'entrée de la baie d'Antongil dans l'est, nous verrons qu'elle se divise naturellement dans l'est et dans l'ouest. elle est généralement basse et elle a un aspect tout différent « A l'est, sablonneuse, sur une largeur variable, suivant les endroits, mais toujours assez petite, avec,çàetlà,desbouquets de bois et de maigres pâturages; les sables s'y accumulent incessamment, le grand courant équatorial de l'océan Indien innombrables rivières crui &t les vagues de la mer barrent les embouchures des
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descendent du grand massif et sont cause que les eaux, au lieu de s'écouler librement, forment tout le long dela côte des marais et des lagunes, où croissent en abondance des palétuviers, foyers de fièvres. bord de la mer, commen« A une très petite distance, quelquefois même au centles montagnes dont le versant est couvert jusqu'en haut des premiers contreforts, sur de petits bois, sur de belles plantes herbacées il semble que cette région est la plus fertile de Madasgascar; c'est, en effet, dans l'ouest de la baie d'Antongil que se trouve la plus grande forêt de toute l'ile, et qui a une longueur de cinquante à soixante kilomètres. « L'extrémité nord, entre le 13e parallèle et le cap d'Ambre, est accidentée, comme je l'ai dit plus haut, et contient des herbages propres à l'élevage du bétail, mais il n'y a que très peu d'arbres. Le littoral du nord-ouest, entre la baie de Morontsangana et le cap « Saint-André, a un caractère tout autre, il est plat jusqu'à une assez grande distance dans l'intérieur,-et le sol n'y est point gras ni argileux comme dans l'est mais sec et sablonneux la végétation y est moins verte et semble moins vigoureuse. Le climat, en effet, n'est pas le même des deux côtés de l'île tandis que « la région orientale est arrosée fréquemment par des pluies dues aux nuages que forme l'air humide venant du large et s'élevant le long du versant du grand massif, la région occidentale ne reçoit d'eau que pendant les quelques mois de l'hivernage, de décembre à avril, et encore n'y tombe-t-elle pas partout en abondance, ni d'une manière régulière. il n'y a certainement pas, à beau« Le nord de Madagascar est peu peuplé coup près cent mille habitants pour une surface supérieure à cent mille kilomètres carrés, et mon avis personnel est qu'il n'yen a même pas quarante-trois mille, soit moins de un habitant par deux kilomètres carrés; c'est surtout entre lé parallèle de Vohémar et le cap d'Ambre que le pays est désert. « Il nous faudra donc tâcher, par tous les moyens possibles, d'appeler dans cette région, qui nous appartient aujourd'hui, une population de travailleurs, et ce sont les Betsimisaraks qu'il nous importe d'y faire venir en masse, car bien que nous devions nous attendre à de grandes difficultés pour civiliser les Malgaches, à quelque race qu'ils appartiennent, il n'en est pas moins certain qu'il y aura plus de chances d'obtenir un travail régulier des habitants de la côte orientale qui sont d'un caractère doux et apathique, que des Sakalaves dont la nature turbulente et paresseuse est, et sera longtemps encore incompatible avec nos usages :. ces derniers sont en effet plutôt habitués à compter sur les ressources naturelles du pays, étant surtout pasteurs ou pêcheurs, tandis que les Betsimisaraks sont essentiellement sédentaires et agriculteurs. « Quant au climat, il est, de l'aveu général, plus sain au nord de Vohémar qu'au sud, bien que pendant l'hivernage les moustiques y rendent la vie insupportable.
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«La baie d'Antongil et les districts environnants sont, au contraire, la partie de toute l'île la plus dangereuse on leur donne, non sans quelque raison, le nom de Tombeau des Européens. a Il résulte de la description sommaire que je viens de faire de la région septentrionale de Madagascar, que la majeure partie de sa surface est inculte et ne pourra être utilisée, surtout par des Européens, et que les bois y sont rares. Les vallées et routes dans lesquelles coulent les nombreux cours d'eau qui arrosent la région orientale et celles,plus larges, qui se trouvent entre le parallèle de Louquez etle cap d'Ambre, pourront certainement être mises en valeur, et il sera possible d'y cultiver avec succès, en un certain nombre de points, la canne àsucre, le café, le coton, le cacao, l'indigo, des épices, des graines oléagineuses, diverses plantes textiles, lorsqu'on y aura attiré des travailleurs, sans toutefois que l'on doive espérer trouver dans toutes un sol fertile, soit que ses éléments constitutifs ne soient pas favorables à la végétation, la terre due à la décomposition des roches basaltiques y étant seule bonne, soit que sa disposition ne permette pas facilement aux eaux de s'écouler et les transforme en marécages improductifs. qu'il advienne dans l'avenir, toute cette vaste région est pour « Mais quoi ainsi dire aujourd'hui sans culture d'aucune sorte, ce qui n'est pas étonnant puisqu'elle est à peu près déserte la principale occupation de ses rares habiants est l'élevage des bœufs, auquels les pâturages de certains districts conviennent parfaitement et qui sont beaucoup plus beaux que ceux de Tamatave. »
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Au point de vue des richesses minérales du pays, M. Grandidier ajoute
On ne connaît d'une manière sûre que l'existence de minerais de fer oligiste non loin de Vohémar et celle du bassin houiller qui a été reconnu par un ingénieur, M. Guillemin, et qui s'étend depuis le cap Saint-Sébastien jusqu'au milieu de la baie de Morontsangana sur une longueur de cent quatre-vingts kilomètres et sur une largeur évaluée à quarante kilomètres, mais que je crois beaucoup moindre j'ai, du reste, constaté la présence, au milieu de ce terrain houiller, de lambeaux de terrain silurien, qui doivent en diminuer notablement la surface. Dans l'étage, de plus de huit cents mètres d'épaisseur, que M. Guillemin a étudié dans la baie d'Ambavatoby, et où alternent toutes les roches schistes, grès schisteux ou ferrugineux, qui constituent la formation houillère, cet ingénieur n'a trouvé que de minces filets de houille dont l'ensemble atteint à peine «
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quelques centimètres. Cet étage est donc stérile, quoique les échantillons retirés de ces couches « soient de bonne qualité. grande abonplus houille existe la lieu d'espérer toutefois Il en que a y « dance dans les couches inférieures, et il me semble probable que, sur une étendue aussi considérable, qui ne mesure pas moins de plusieurs milliers de kilomètres carrés, on trouvera des gisements exploitables, mais les recherches seront forcément longues et difficiles.
Tel est, en quelques mots, un aperçu de l'aspect physique et des productions naturelles de la partie de Madagascar que les traités de 1840 et 1841 ont plases cée sous notre protectorat, et qui, si elle ne répond pas, au point de vue richesse, aux espérances que beaucoup de personnes pouvaient s'en faire, au «
de
moins, dans son extrémité nord-est, présente cependant pour nous un grand intérêt à cause des ports excellents qui commandent l'océan Indien, et qui, placés à proximité de l'Afrique et sur la route de l'extrême Orient, sont d'une utilité incontestable pour une grande nation maritime comme la France. »
LefortdeTamatave.
Certes, ce ne sont point là les paroles d'un optimiste, mais elles ne sont pas non plus décourageantes, d'autant qu'il n'est question que d'une faible partie de Madagascar, de la partie la moins bien pourvue, tandis que notre protectorat, d'après le dernier traité, s'étend sur l'île tout entière, dont nous n'avons plus à dénombrer les productions naturelles puisqu'on sait que les Hovas, dont l'industrie n'est pourtant pas extraordinairement avancée, y trouvent tout ce dont ils peuvent avoir besoin. D'ailleurs, cette partie, de longtemps française, n'est pas aussi difficilement colonisable que le croit M. Grandidier; nous en pouvons citer deux exemples frappants, bien qu'il n'ait été fait aucune tentative sérieuse. La colonisation s'est faite toute seule et simplement par le contact de la protection de nos soldats. Ainsi, Amboudimadirou, une plage déserte de la baie de Passandava, est maintenant un grand village, parce que le commandant Pennequin s'y est établi
solidement; ainsi Vohémar, que M. Grandidier a connu misérable village, était en train de devenir une véritable ville lorsque la conclusion de la paix nous a obligés de l'abandonner. Et cela s'est accompli avec une rapidité qui tient du prodige et sous la simple impulsion des commandants français. « Sous leur administration, a dit M. de Mahy, à l'ombre des drapeaux français, une ville française sort de terre et pousse comme les villes d'Australie, il y a quarante ou cinquante ans. Un courant d'immigration française se manifeste, de Bourbon, de Maurice, de France même. Déjà plusieurs familles sont arrivées. Nous les avons vues à l'œuvre. La construction des maisons, la préparation des bois, la briqueterie, la forge sont en pleine activité, les magasins sont pourvus. D'emblée, la civilisation s'empare du pays. Très vite, les naturels compren« nent que le bien-être européen, la domination française, valent mieux que la misère barbare, l'insécurité et la tyrannie hovas. Les cases sakaiaves se transforment. Au lieu de nattes étendues sur le sol, on se donne un vrai lit on a une table, un peu de vaisselle, des ustensiles de ménage, des chaises, des coffres, voire mêmedu linge. des fauteuils fait irruption dans l'existence de cette popula« Nos produits fabriqués ont tion. et sont payés au moyen des denrées du cru les bœufs, le cuir, les bois de construction et d'ébénisterie notamment l'ébène, les étoffes de rabane tissées avec les fibres d'un palmier, la gomme copale, la cire, le caoutchouc. Dans le port, cinq beaux trois mâts de commerce français occupés à ces échanges fructueux. les habitants adonnés à la surveillance et à l'élevage « Dans les campagnes, .de leurs troupeaux. De tous côtés, l'ordre public assuré; le tout au moyen d'une garnison de deux cents hommes d'infanterie de marine, soixante volontaires de Bourbon, deux cents guerriers sakalaves, répartis dans la ville et dans les postes d'Ampassibasine et d'Amboania. » Voilà ce que M. de Mahy et son collègue M. Dureau de Vaulcomte ont vu à leurpassage à Vohémar, et voilà ce qu'on verrait assurément dans bien d'autres endroits si nous étions définitivement à Madagascar. Car il est une chose que l'on oublie trop, c'est que l'île Maurice fut française et a toujours regretté de ne plus l'être : c'est que la plus grande partie des créoles y sont de familles françaises qui auraient bientôt fait de renoncer à la nationalité anglaise, pour venir coloniser à Madagascar, s'ils étaient sûrs d'y trouver la France. Complétons maintenant le document de M. Grandidier par un autre plus récent encore et qui vise plus particulièrement la question commerciale il émane du correspondant spécial du journal le Temps dit-il, nous avons fait à Madagascar plus de politique que de com« Jusqu'ici, proposition la de les de loisible sera-t-il termes Quand renverser nous merce. et de donner à celui-ci le pas sur celle-là!. de son mieux, mais ce ne sera pas l'œuvre d'un « Le résident s'y émploiera jour. Civiliser un pays est bien, et l'on yarrive de cent façons. La plus prompte,
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et
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sinon la meilleure, est d'y introduire des marchandises. « Les idées circulent avec les ballots.» quoi qu'on en dise, est très en arrière sur la voie du pro« Or, Madagascar, grès, et force nous est de constater du même coup que son commerce est fort peu développé. Les importations n'y sont pas plus en rapport avec le nombre des habitants que l'exportation avec l'étendue du territoire. Qu'on ne s'y méprenne pas, cependant. Aucun pays au monde n'est plus « riche en produits naturels que la grande île de l'océan Indien. Qui a vu sa végétation puissante en reste comme ébloui. La fertilité de son sol est vraiment infatigable Dans ses immenses forêts abondent les bois de charpente, de construction, d'ebénisterie et de teinture les plus variés, les essences le plus rares, les arbres les plus fournis en gomme et en résine. La liste en est longue, et ce ne sont pas les hâtives et superficielles recherches des voyageurs qui ont pu la clore. Sur cette terre de promission, s'épanouit avec une étrange vigueur la flore intertropicale, tandis que, grâce à sa disposition orographique par plans étages, les cultures des régions tempérées s'y acclimatent à merveille. L'indigo, le chanvre, le coton et une foule d'agaves textiles y poussent à l'état sauvage. On y rencontre toutes sortes d'épices et de nombreuses plantes médicinales. Le riz s'y récolte sous ses multiples variétés. Le café, la vigne, la canne à sucre, le tabac, les céréales y sont cultivés avec un plein succès. Est-il bien utile de poursuivre cette nomenclature des productions de Madagascar? Si restreinte que je l'aie présentée. n'a-t-elle pas déjà, au point de vue commercial, une haute éloquence. «Et si j'ajoute que le règne animal et le règne minéral ne le cèdent pas en ressources au règne végétal; qu'en effet, d'immenses troupeaux de bœufs remplissent d'immenses pâturages; que les bêtes de basse-cour foisonnent sur les territoires habités, que les vers à soie, les abeilles, pullulent, sans être l'objet d'aucun soin; que, d'autre part, les métaux utiles, comme le fer, le plomb et le cuivre, sont très répandus dans le sol malgache; qu'on y a constaté l'existence de l'or et de l'argent, que la houille y occupe un vaste bassin, et, qu'en résumé, sur ce point comme sur les autres, mon énumération est forcémeut incomplète; ne voit-on pas que le commerce a là, pour charger ses navires, les matières premières les plus recherchées, des vivres de toute sorte, des cargaisons aussi riches qu'infinies? « N'a-t-on pas le droit de s'écrier avec le naturaliste Philibert Commerson : « Quel admirable pays que Madagascar! » « Pour un instant imaginez cette île, qui compte à peine six habitants par kilomètre carré et dont quatre-vingt-dix-huit parties pour cent des terres cultivables restent en friche, imaginez-la peuplée dans un rapport moyen avec son étendue, cultivée en raison de sa population, et envahie par les plantations les plus utiles et les plus diverses, et dites-moi s'il y aurait au monde une contrée d'un aussi bon rapport. Mais pourquoi, avec toutes ces richesses naturelles, Madagascar n'est-elle «
pas le siège d'un commerce plus considérable et plus prospère que celui dont les importations annuelles se chiffraient avant la guerre, par dix millions de francs et dont les exportations atteignaient à peine quatre millions? « Les raisons en sont nombreuses et j'en fournirai les principales pour l'édl fication des futurs colons. « La première et la plus importante, est, sans contredit, la défiance des Hovas à l'égard des étrangers. « Cette défiance est innée chez eux, mais elle s'est renforcée à la faveur des événements et à l'instigation des Anglais. « La défiance des Hovas ne s'est donc jamais démentie, depuis qu'ils ont une histoire et qu'ils forment un peuple, et si elle avarié dans ses moyens, elle n'a pas changé dans son principe. Aujourd'hui elle va se traduire, comme avant les hostilités, par de nombreuses prohibitions dont quelques-unes sont inscrites dans la loi, mais dont la plupart appartiennent à la tradition. dernier cas. Pour jouer au civi« Je veux donner une preuve flagrante de ce vilisé et se faire prendre au sérieux, le gouvernement a constitué — sur le papier ministre de plus que — une foule de ministres. Rien n'y manque; il y a même un chez les nations européennes celui de la proclamation des loif;!' Commebien l'on pense, c'est une pure fantasmagorie. En réalité, un seul hommè est puissant, un seul est le maître, c'est Rainilaiarivony, premier ministre, commandant en chef de l'armée, époux morganatique de la reine, sorte deprince consort. Chose singulière, il ne figure pas sur la liste des ministres, inscrite en tête du code malgache; il se contente de tenir lesficelles de tous ces fantoches, sitoutefois.ils existent. de celui de l'intérieur, se trouve mentionné : Ventretien « Dans les attributions desroutes. ? mais encore il est a Or, non seulement il n'y pas de routes à Madagascar, défendu d'en établir. Avoir des routes, n'est-ce pas ouvrir le pays, en permettre l'exploitation, mais aussi en faciliter l'invasion? Et c'est précisément ce que redoutent les Hovas. L'absence de routes a été jusqu'alors leur principale défense. « Hastie, disait Radama Ier, m'a proposé de me faire construire, aux frais des Anglais, une belle route carrossable de Tamatave à Imérina. Il prétend que ce serait fort beau de voir Radama faisant caracoler son cheval sur une route unie comme une allée de jardin. S'il en était ainsi, les habits rouges (les soldats anglais) ne tarderaient pas à être à Tananarivc. Non, non, je ne veux pas détruire les forêts et les marais qui barrent le passage. Hazo sy tazo (l'arbre et la fièvre) sont mes meilleurs généraux. Si jamais les Européens trouvent un chemin pour monter à la capitale, la puissance des Hovas est perdue. » de raisonner n'a pas cessé d'être celle des Hovas. Un étran« Cette manière ger, quel qu'il soit, -est pour eux un ennemi, et, si les Anglais n'ont pas eu à souffrir de cette défiance, c'est qu'en habiles gens ils ont toujours su la détourner sur nous. Depuis 4816, avec Farquhar, jusqu'en 1886, avec Parrett, ce sys-
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tème de dérivation a constitué le fond de leur politique, il est bon, surtout en ce moment, de ne pas l'oublier. « Mais il ne suffisait pas aux Hovas d'empêcher la construction des routes, ils voulurent la faire préjuger impossible. Dans cette intention, ils astreignirent les Vazaha et s'astreignirent eux-mêmes à suivre des itinéraires où les difficultés du
Le fort d'Amboanio. — Vue extérieure et vue intérieure.
terrain 1j disputaient à la longueur du trajet. L'exemple du chemin officiel qui conduit de Tamatave à Tananarive par Andevoranto et du pays qu'il traverse est, à cet égard, on ne peut plus probant. Examinez une carte de Madagascar. De Tamatave partez vers le sud en longeant les grands lacs qui bordent le rivage. Après trois ou quatre jours de marche, vous arrivez à Andevoranto. Jusque-là le chemin est facile; à partir d'Andevoranto, on tourne brusquement à l'ouest et on suit une direction perpendiculaire aux montagnes disposées les unes derrière les autres comme les gradins d'un colossal amphithéâtre. Aussi ce ne sont que dures montées et périlleuses descentes. Des torrents coupent à chaque moment le sen-
tier — et le sentier est défoncé, étroit et glissant. Pas de ponts. Il faut passer les cours d'eau à gué. Puis, c'est l'impérHrable forêt d'Analamazaotra, avec son sol toujours humide, ses profondes ravines, ses abatis d'arbres barrant le passage, ses fondrières, ses marais infects, sorte de défilé où la nature livrée à elle-même a accumulé tous les obstacles. Plus loin, ce sont des vallées de boue où l'enlisement est à redouter. On rencontre ensuite le Mangoro, rivière assez large et encaissée. Après l'avoir franchie, force est de gravir et de descendre des escarpements vertigineux. Encore quelques marais, quelques cours d'eau, quelques pentes très raides et le plateau d'Imérina va se développer devant vous dans sa majestueuse dénudation. « Certes, voilà un itinéraire très propre à déconcerter, à décourager le voyageur, le colon et surtout le soldat. L'impression qui en subsiste est loin d'être agréable, et, si l'on s'en contentait pour juger Madagascar, Madagascar serait condamné. N'est-ce pas d'ailleurs ce qui a eu lieu, et ce critérium restreint et superficiel n'est-il pas celui des détracteurs de la grande île africaine? Les Hovas ont donc été fort avisés en rendant ce chemin obligatoire, en l'imposant, à l'exclusion de tout autre, aussi bien aux Malgaches qu'aux Vazaha. Ils ont montré par.là qu'ils connaissaient merveilleusement l'esprit et le cœur humains, les moyens de les influencer et d'y déposer le germe d'un préjugé. Mais qu'ils ne dépassent pas la mesure en affirmant que cette voie est la meilleure qu'ils aient trouvée entre Tamatave et la capitale. Nous leur demanderons alors par quel endroit a bien pu passer Radama Ier, en 1817, pour se rendre rapidement, avec 20,000 hommes, d'Imérina devant Tamatave, et par quel autre on a réussi à transporter, vers 1832, de Tamatave sur Imérina, une grande chaloupe pontée envoyée en présent par Guillaume IV d'Angleterre à Ranavalona Ire et destinée à voguer sur le lac d'Itasy, Nous savons par deux vieux créoles malgaches, Reddington et Marius Arnaud, morts il y a près de deux ans, que ces chemins étaient assez commodes et très directs, mais nous savons aussi que, pour ces motifs, on en a interdit l'usage sous peine de mort, et que la brousse et les arbres, en y repoussant de plus belle, en ont pour ainsi dire recouvert et caché les vestiges. Nous n'ignorons pas non plus que, pendant la dernière guerre, des canons et des troupes ont été expédiées de Tananarive à Farafatrana par une nouvelle voie de communication, et cela à l'instigation de l'aventurier Willoughby. chemins de Radama, de Ranavalona et de Digby n'en font « Eh bien, les trois en réalité qu'un seul, lequel, d'après les assertionsdes indigènes, s'amorcerait derrière Farafatrana et viendrait par les hauts de la rivière d'Ivondro déboucher sur le plateau d'Ankay. La chose vaut qu'on la note. Comme on le pense bien, la défiance Les Hovas ne s'est pas localisée à la « côte orientale., et c'est sous l'empire de ce sentiment qu'ils ont adopté, pour aller de Mojanga à la capitale, le chemin du Betsiboka, long et mauvais au lieu de celui de l'Ikopa court et facile. t Et maintenant, ils auraient mauvaise grâce à objecter que le pays ne se prête
Hastie, qui s'était pas à l'établissement de routes proprement dites. Est-ce que rendu compte des difficultés du sol malgache en accompagnant Radama dans la plupart de ses expéditions, n'avait pas proposé au roi d'ouvrir une route carrossable entre Tamatave et Tananarive? Est-ce que Beniowsky n'en avaitpas exécuté de fort belles au nord, à l'effet de relier la côte orientale à la côte occidentale? Est-ce que le commandant Pennequin, avec de très faibles moyens, n'en a pas .récemment construit une qui, d'Ambodimadiro, s'enfonce à près de quinze kilomètres dans l'intérieur? Est-ce queles Hovas eux-mêmes, en 1867, lors du voyage Andeviranto, n'ont pas mis autant de promptitude que d'habileté de Rasohérina à transformer le chemindont j'ai décrit plus haut les multiples difficultés? Des ponts furent jetés sur les ravines. On combla des abîmes. Des routes furent pratiquées dans le flanc des montagnes. Le sentier, l'affreux sentier de la forêt d'Analamazaotra devint une grande avenue. Ne fallait-il pas que la reine, précédée et suivie d'une foule de près de 60,000 indigènes, passât, sans crainte de cahots, et passât avec son lourd palanquin et ses douze porteurs? quand on considère la disposition topographique de Madagascar, « D'ailleurs, on se persuade que, les unes par rapport aux autres, les montagnes disposées en amphithéâtre n'ont nulle part une grande hauteur et qu'en conséquence il ne saurait être malaisé de les contourner ou de les franchir. de communication serait, la plupart du temps, « En outre, l'entretien des voies favorisé par la nature même, la constitution du terrain. Argileux et dur dans les parties élevées, il présente de tous côtés des pointements, des affleurements de roches, qui composeraient un excellent macadam. «Mais où trouver des ingénieurs et des bras pour l'établissement raisonné et rapide des routes à Madagascar Les ingénieurs, nous les avons à deux jours de là, à la Réunion, ainsi qu'un personnel tout préparé, et bien préparé à ce genre de besogne. Aucun pays, peut-être, sur une étendue aussi réduite, ne présente un sol plus tourmenté que celui de cette petite île, et l'on peut dire que son développement vertical est décuple de son développement horizontal. C'est un enchevêtrement toujours nouveau, parfois grandiose, de montagnes aux formes singulières et aux bizarres découpures, où l'homme a tracé audacieusement des chemins larges et solides pour atteindre les sommets. Jamais, à Madagascar, on ne trouvera de difficultés semblables à celles qu'il fallut vaincre à la Réunion pour arriver à Salazie, pour se rendre de Saint-Denis à la Possession par la montagne ou pour atteindre le plateau du Brûlé. Quant au travailleurs, la reine n'a qu'à faire un signe, et cent mille Malgaches viendront se mettre sous la direction de nos ingénieurs. Qui n'a pas entendu parler, en effet, de cette, fameuse et tyrannique corvée, le Fanampoana, par laquelle le peuple — et tout le peuple — est tenu, à la moindre réquisition et sans aucun salaire, de donner à sa souveraine et son temps et sa peine? Personne n'y échappe, les grands pas plus que les petits, et c'est, avec le service militaire, la charge la plus lourde, la plus vexatoire qui pèse sur les populations. Et quand j'aurai répété, après des témoins
à
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oculaires, qu'on a vu, en Imérina, cinq mille hommes s'atteler, comme des bêtes de somme, à d'énormes blocs de granit, à des arbres gigantesques, et les traîner, pendant vingt-cinq ou trente lieues, jusqu'à Tananarive, où ces matériaux servaient à l'érection d'un palais royal et du monumental tombeau de quelque puissant personnage, on pourra se former une idée du concours immense de corvéables que nécessitaient, de leur mise en train à leur achèvement, de pareils travaux. « Mais si, un jour, pour le compte du gouvernement malgache, nous avons l'entreprise des routes, conviendra-t-il d'utiliser la multitude d'ouvriers mis à notre disposition, sans leur accorder une certaine gratification? Je ne crois pas. La seule manière d'adoucir la corvée, c'est de la rémunérer. De notre part, faire autrement serait impolitique. En fin de compte et tout bien considéré, j'estime qu'en moins de six mois, et sans qu'il en coûte plus de quatre à cinq cent mille francs, on réussirait à relier Tananarive à Tamatave par une bonne route où circuleraient les voitures, les longs convois, voire un chemin de fer Decauville. Pourquoi, du reste, la ne ferions-nous pas à nos frais? Les Hovas lâchent difficilement leur argent, et le nôtre, dans ce travail, serait placé à beaux intérêts. difficultés matérielles seraient donc facilement et promptement vaincues, « Les mais qui, au préalable, viendra à bout de la défiance, de l'inertie hova? Là est la vraie, la seule pierre d'achoppement, là est l'obstacle le plus ardu. Faire la routé n'est rien, obtenir l'autorisation de la faire est tout. Le premier ministre hova est certes un homme intelligent et on se tromperait fort en le prenant pour le premier venu. Il sait que le progrès s'accommode mal des barrières et des prohibitions, qu'il faut aller au devant de lui, qu'il s'effarouche de peu et veut être favorisé. Il sait que le commerce a besoin, pour se développer, d'une grande liberté d'allures et d'une non moins grande mobilité, qu'il recherche les déplacements aisés, rapides et sûrs, et répand la vie au moyen des routes, comme le sang par les artères et les veines. Il sait que, pour un État, sans commerce il n' y a pas de finances, — sans finances il n'y pas d'armée digne de ce nom, et que, dans l'espèce, sans armée sérieusement organisée et pouvant se mouvoir avec des impedimenta, les Hovas ne parviendront jamais à rendre effective la conquête de l'île tout entière. n'impliquent-elles pas la nécessité des routes, « Ces multiples considérations et la cour d'imérina résistera-t-elletoujours aux attirances du progrès? A bien regarder les choses, les Hovas composent un peuple plus d'à moitié usé par une débauche prématurée, des maladies honteuses et la misère. Les cinq sixièmes des femmes de Tananarive sont stériles. Comme chez toutes les peuplades affaiblies, il naît en Imérina beaucoup plus de filles que de garçons. Dans les familles un peu aisées, on se marie entre consanguins pour ne pas éparpiller les patrimoines et, d'ordinaire, les conjoints n'ontpas encore l'âge de puberté. En somme, cette race intelligente, si elle veut vivre, durer, dominer, doit chercher à sortir
de chez elle, à se régénérer, à se retremper aux sources vives de la civilisation, qui lui apportera, par les routes, des idées morales plus élevées, de nobles besoins à satisfaire et un goût d'activité productive. »
PREMIÈRES OPÉRATIONS DE L'AMIRAL MIOT
de
Les opérations l'amiral Miot, — qui menaça beaucoup avant de frapper, mais qui au moins se décida à frapper lorsqu'il eut fait connaissance avec tous les
-La batterie.
Tananarive.
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roitelets de la côte auxquels il demanda des guerriers, — ne commencèrent que le 27 novembre par l'occupation du village d'Amboanio point stratégique très important qui défend, du côté du sud, Vohémar distant de seize kilomètres. Aussi les Hovas y avaient-ils établi un fort dont ils étaient fiers et qu'ils considéraient d'ailleurs comme imprenable. Ce fort, il faut en convenir, est admirablement situé au sommet d'une colline élevée, difficilement accessible, d'autant que sa base, de quel que côté qu'on l'aborde est hérissée d'obstacles naturels qui se continuent encore sur les versants. Les approches en sont également difficiles : au nord, à environ 3 kilomètres coule le Manambero que l'on ne peut traverser à gué qu'à marée basse, encore faut-il bien choisir l'heure; à l'ouest, un ruisseau assez fangeux.suivid'une vaste marais défend l'abord du mamelon; au sud, c'est une rivière, le Fanambana, qui
l
serpente aumilieu d'une admirable et pittoresque vallée; enfin, à est, i;est la mer, à un kilomètre de distance. C'est de ce coté que le Beautemps-Beaupré, commandé par le capitaine de vaisseau Escande, attaqua le fort par un bombardement sévère et qui frappa si juste et surtout si vite que les Hovas ne crurent pas devoir en attendre le dénouement — qui ne pouvait être que la destruction .— et se sauvèrent. Ce résultat obtenu, la pluie d'obus cessa de tomber, car on tenait à ménager ce fort pour l'utiliser par la suite, et deux compagnies, l'une d'infanterie de marine, capitaine Barjeolles, et l'autre de fusiliers marins aux ordres du lieutenant de vaisseau Vicel, débarquèrent pour en prendre possession. Outre les obstacles naturels qui en défendent les abords, le mamelon qui porte le fort est entouré de haies à peu près impénétrables formées de ces plantes qu'on appelle là-bas « raquette et qui sont hérissées de piquants redoutables. Cette première enceinte franchie, il y en a une seconde, en terre, qui a son utilité militaire, mais qui sert en même temps à parquer les bestiaux pendant la nuit. Au delà, troisième enceinte, de forme carrée et armée de canons assez nombreux, puis ce que les Malgaches appellent le rova, sorte de réduit central contenant l'habitation du commandant du fort. On ne changea rien à tout cela. On répara les murailles que nos qbu.s avaient trouées etl'on augmenta même l'inabordabilité du fort au moyen d'uneligne d'abatis. Le capitaine d'artillerie Brun s'installa dans le rova comme commandant du fort, où secasernèrent les deux compagnies, pendant que les auxiliaires Antankares campaient dans le village ou sur le rivage et que le commandant Escande restait en rade avec le Beautemps-Beaupré prêt à appuyer le fort en cas de besoin ou à fournir des hommes pour une opération extérieure, ce qui arriva quelques jours après.
»
COMBAT
D'ANMAPARANY
Les Hovas en quittant le fort d'Ambaonio n'avaient pas été bien loin; en réalité ils s'étaient seulement repliés sur le gros de leurs forces, qui occupait le plateau d'Andraparany il fallait les repousser de là, comme de tous les points qu'ils occupaient de ce côté, dont le territoire était nôtre ou celui de nos alliés, et les chasser peu à peu de tout le nord de Madagascar. C'est ce que l'on fitle 5 décembre le Beautemps..Beaupré avait débarqué la veille deux centquatre-vingts hommes son équipage, qui montèrent au fort où
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:de
on ne laissa pour garnison que vingtsept hommes, choisis précisémpnt parmi ceux que la fièvre avait attaqués déjà et qui étaient le moins capables de fournir
une marche sérieuse. Toutes les forces disponibles aux ordres du capitaine Brun se mirent en marche à une heure du matin, suivies d'un millier d'indigènes qui promettaient bien haut de dévorer les Hovas qu'ils exécraient, mais sur lesquels il ne fallait guère compter pour les vaincre. , Après une marche très pénible, la colonne arriva au pied du fameux plateau &Andraparanydont nom signifie en langue malgache «point qu'il faut défendre à tout-prix». C'est d'ailleurs une position formidable on en jugera par le rapport militaire du capitaine Brun qui va en même temps nous raconter labataille
le
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Ce plateau, dit-il, dominant la vallée de Fanamba à plus de deux cents mètres de hauteur, est partagé, à l'est par une chaîne de montagnes couvertes de bois impénétrables, au nord et à l'ouest par des pentes raides, ravinées, coupées de bouquets de bois très propres à la guerre d'embuscade. ruisseau profondément encaissé, rend « Au pied même de ces pentes un encore les abords de la position plus difficiles. Il résulte d'une reconnaissance «
rapide que l'artillerie ne pourra franchir ce ruisseau qu'après avoir été démontée et en outre, après avoir dépassé le lit du torrent, il faudra remonter une gorge sauvage, boisée sur un tiers du parcours et resserrée entre des pentes à 45 degrés. « Mais nos soldats et nos marins ne sont point gens à reculer devant de pareils obstacles. D'ailleurs ils ont toute confiance dans leurs officiers, qui vont en avant, l'épéenue au soleil. A une heure de l'après-midi, les clairons sonnent la marche et la petite colonne française s'élance à l'assaut. Les Hovas cherchent à nous disputer le passage du torrent. Ils sont culbutés et les Français commencent à escalader le plateau sous le feu des tirailleurs ennemis embusqués derrière des bouquets d'arbres et des rochers. Malgré la chaleur qui est étouffante, malgré les difticultés du terrain, on avance à travers les bois semés d'abatis, qu'il faut détruire après en avoir chassé les défenseurs. Enfin on arrive au sommet du plateau. «La 5e compagnie de fusiliers marins parvient la première à couronner lacrête du piton qui se dresse brusquement sur notre droite elle est suivie à courte distance par les marins du Beautemps-Beaupré et enfin par l'infanterie de marine qui continue à suivre le fond du ravin, sous la protection des feux dominants des compagnies de marins. « Tout les mouvements s'opèrent méthodiquement, par bonds successifs, chaque section placée en arrière venant prendre la position que vient de quitter la section qui précède. « Mais nos troupes n'ont terminé que.la première partie de leur tâche. Il leur reste à enlever le village hova de Manjakatampa situé à l'extrême nord-ouest du plateau, et le camp palissadé qui est situé au centre du village.
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- un rectangle de soixante-dix mètres de
« Ce1cjamp est
long sur cinquante mètres, de large. Lapalanque de l'enceinte se compose de pieux jointifs d'essence dure, de quinze à vingt centimètres de diamètre et de quatre mètres de hauteur. « Cette palanque est démunie de créneaux et n'est pas organisée pour fournir -des feux de mousqueterie. Quatre tambours de flanquement, armés chacun d'un canon, sont placés en saillie sur les faces et au centre de lapalanque, dont ils assurent ainsi le flanquement. Des tirailleurs peuvent prendre place sur une plate-forme ménagée dans les tambours de flanquement, à deux mètres cinquante au-dessus de l'emplacement réservé à l'artillerie. , « Le village hova de Manjakatampo, est, en outre, protégé au nord et.à l'est par un ravin étroit et profond, formant une fossé naturel, d'autant plus dangereux qu'il fautarriver tout auprès pour l'apercevoir. « C'est dans ce large fossé et sur le bord qui forme contrescarpe, que l'ennemi a dissimulé et cherché à défendre des feux de l'attaque, ses troupes les plus solides. A chaque extrémité de ce ravin, deux canons sont placés en batterie. « L'attaque commence-à quatre heures trente, après un court repos accordé aux troupes. A cinq heures, nos soldats sont maîtres du ravin. Les Hovas ne songent pas à se rendre. Ils tombent les uns après les autres, sous une grêle de balles tirées presque à bout portant, et en un clin d'œil le fond et les talus du ravin sont jonchés de leurs cadavres. La victoire est complète. Tous les chefs hovas sont restés sur le champ de bataille. Le -reste n'est qu'une cohue qui se débande et se précipite par les pentes escarpées de l'ouest, sur la seule route qui reste libre. « Alors nos alliés, les Antankares, qui jusque-là, s'étaient tenus prudemment à.distance, attendant « que les dieux eussent prononcé», entrent en scène à leur tour. La bataille est terminée ils se précipitent à la curée. Ils se ruent sur le village hova, en poussant des cris sauvages. Nos soldats et nos marins sont obligés d'intervenir pour les empêcher de mutiler les cadavres des Hovas et de sagayer les blessés qui gisent à terre. le plateau « L'ennemi n'est pas seulement vaincu, il est presque anéanti d'Andraparany, les rues du village de Manjakatampo sont jonchées de plus de deux cents cadavres, parmi lesquels ceux de Rainimarosahanina, 129 honneur, commandant en chef, et celui de son fils, Rofojia. Le chef Sakalave, l'allié fidèle des Hovas, qui l'avaient récompensé en le nommant 11e honneur, est également au nombre des morts. L'ennemi a laissé entre nos mains un immense butin, ses troupeaux et les cinq canons de la reine, dont les défenseurs se sont fait tuer bravement.» Dans le Journal Officiel ce rapport tel que nous venons de le reproduire est suivi de quelques observations générales qui n'appartiennent évidemment point rapport militaire du chef de l'expédition, mais qui n'en sont pas moins bonnes au à citer.
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:
Les auxiliaires Macoas à Majunka. — Madirou, chef des francs-tireurs. Soseph, chef dela police
etdeuxsergents deville.
On voit, y est-il dit, que lesHovas ne sont pas des adversaires méprisables. Ils sont assez mal armés, et leur organisation militaire est très rudimentaire; mais ils sont braves et savent se faire tuer. On sait que les Hovas sont originaires de la Malaisie. Arrivés en réfugiés et suppliants à Madagascar il y a une dizaine de siècles, ils ont soumis peu à peu à leur domination les indigènes «
d'origine africaine, qui furent les premiers possesseurs du Antankares etc.
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pays
Sakalaves
En réalité les Hovas sont trois à quatre cent mille contre trois à quatre millions de Malgaches. Les Malgaches exècrent les Hovas, qui sont des étrangers et ont toujours employé la terreur comme principal moyen de gouvernement. Si l'on pouvait expulser en masse les.populations hovas nous ne rencontrerions plus dans l'île aucune résistance. « Les Malgaches, à l'exception de quelques chefs sakalaves, dont les Hovas ont faits leurs « chiens de chasse sont tout disposés à nous accueillir en libérateurs. La crainte seule et l'habitude d'un long esclavage, les empêchent de manifester ouvertement leurs sentiments. Malheureusement il n'y a pas à compter sur un appui efficace de leur part. Les Antankares, ainsi que les Sakalaves, sont très inférieurs, comme intelligence, aux Hovas, et n'ont pas les qualités militaires de ces derniers. Ces auxiliaires suivront nos soldats. de loin, pour mutiler les morts et achever les blessés, comme ils l'ont fait dans l'affaire du plateau d'Andraparany. Mais pour conquérir l'île il ne faut compter que sur l'intelligence de nos officiers et le courage de nos soldats. » Cela serait suffisant et le succès ne serait pas douteux, seulement il faudrait assez d'officiers et assez de soldats pour marcher de l'avant. et que l'on eût envie de conquérir. «
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OCCUPATION D'AMBOUDIMADIROU
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La conséquence du combat d'Andraparany fut l'occupation de Vohémar, où l'amiralMiot vint en personne le 8 janvier, lorsqu'il quitta Tamatave pour prendre possession de la baie de Diego-Suarez, car il entrait dans son plan, ce qui, du reste, était bien préférable à la stérile idée de blocus, de s'emparer et de s'établir solidement sur quelques points de la côte entre Tamatave et Majunga, bases de ses opérations futures. La baie de Vohémar, celle de Diego-Suarez étaient deux de ces points qu'il considérait comme de première importance, la baie de Passandava en était un
autre.
De ce côté déjà la besogne était faite et bien faite par le commandant Pennequinqui, envoyé à Ambodimadirou pour former une compagnie sakalave avec
les meilleurs soldats de la reine Binao, avait obtenu des résultats excellents. Arrivé là avec une compagnie d'infanterie de marine, il avait commencé par s'y installer solidement. Le village — situé tout au fond de la baie de Passandava, et à deux kilomètres d'un cours d'eau sans importance qui vient des montagnes voisines échelonnées en amphithéâtre, —ne luioftrantpas les garanties suffisantes il établit son
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camp à quelques centaines de mètres, sur un mamelon isolé qu'il entoura de palanques, composées de gros palétuviers et qui formaient par leur réunion un ouvrage rectangulaire fermé, de grandes dimensions et défendu à ses angles nord et sud, par des canons mis en batterie sur les plates-formes, de façon à pouvoir tirer à barbette. Ce camp retranché était certainement imprenable par les Hovas qui, à cette époque étaient fort mal commandés et n'avaient point de canons de campagne, mais ils pouvaient le bloquer et réduire ainsi la garnison à l'impuissance. C'est ce qu'ils n'auraient pas manqué de faire si le commandant Pennequin les avait laissés approcher, mais sitôt qu'il eut appris qu'ils étaient campés à Anjàbory à 15 kilomètres de là : c'est-à-dire le 15 octobre 1884, il courut les
attaquer. Il ne pouvait guère emmener qu'une centaine d'hommes, puisque les Sakalaves dont il voulait se faire des auxiliaires utiles et disciplinés, étaient à peine recrutés et qu'on ne pouvait les laisser seuls à la garde du camp, mais il ne s'inquiéta guère de cela, et il fitbien, car les Hovas qui, du, reste n'étaient pasplus de cinq cents, ne firent un semblant de résistance que jusqu'au moment où leur colonel, un 13e honneur, fut tué. Alors ils se précipitèrent en désordre par-dessus les épaulements de leur camp retranché, où ils abandonnèrent vingt cadavres. Nos soldats les poursuivirent assez vigoureusement pour changer leur retraite en déroute, et firent pleuvoir sur eux assez de balles meurtrières pour leur enlever toute velleité de revenir. De fait, ils s'enfuirent jusqu'à leur fort d'Ankaramy, qui est à 45 kilomètres d'Ambodimadirou, où l'on fut près d'un an sans les revoir, ce qui permit au commandant Pennequin de continuer et de perfectionner son installation tout en instruisant ses auxiliaires, dont il finit par faire une très belle compagnie de quatre-vingts hommes, armés du fusil chassepot transformé, qu'ils surent bientôt manier avec assez d'habileté pour ne pas faire honte aux Français, près desquels ils devaient combattre. Rien n'était mieux organisé que ce village militaire qui se doubla bientôt d'une colonie. Les quatre faces intérieures du camp retranché étaient occupées par les baraquements des soldats n'ayant qu'une seule rangée de lits de camp, au-dessus desquels s'ouvrent comme autant de petites fenêtres les créneaux percés dans la palanque. De cette façon, même surpris au milieu de leur sommeil, les soldats n'auraient eu qu'à ouvrir les créneaux placés au-dessus de la tête de leur lit, pour repousser l'attaque sur quelque face qu'elle se produise. Quant à la colonie, c'étaient les femmes, les enfants, la famille des volontaires sakalaves, dont les cases régulièrement alignées formaient un petit village militaire entre le camp et l'ancien village, et qui les reliait par des plantations de
toutes sortes, même européennes, cariecommandantPennequin considérait ses recrues comme des soldats, mais il voulait en faire surtout des soldats laboureurs. Et il y réussit, nous avons là-dessus le témoignage de visu de M. de Mahy, qui vante avec raison les plantations, le fort, les constructions, le champ de manœuvre, les routes du beau village créé de toutes pièces par le commandant Pennequin. « Ce que sesofficiersetlui obtenaient de leurs hommes est surprenant, dit-il: deux heures de manœuvre et quatre heures de travail effectif le matin quatre heures de travail, effectif et deux heures de manœuvre l'après-midi. Avec ce régime, ils les maintenaient en santé et gaieté, et avec cette petite troupe ils assuraient la tranquillité du pays à quinze lieues à la ronde. « Le commerce avait repris. Une flottille nombreuse de pirogues, montées par des matelots sakalaves, avait rendu l'animation à la merveilleuse baie de Passandava et rétabli letrafic entre la Grande Terre et notre colonie deNossi-Bé, entrepôt des transactions du nord de l'île. « Notre heureuse fortune a voulu que nous tombions à Ambodimadirou, un matin vers cinq heures, pendant l'exercice jamais nous n'avons assisté à plus noble spectacle; les commandements faits en français par le lieutenant Valette, répétés en français par les sergents sakalaves, exécutés par les soldats indigènes avec la précision germanique et la prestesse française. Ah les braves gens! Un d'eux blessé au dernier combat (il avait reçu une balle dans la tête et perdu un œil) était exempt de la manœuvre. Nous le rencontrons, et nous lui faisons compliment de sa bravoure « Ah oui, nous répond-il; si Français et Sakalaves, tous pas braves, tous f..ichus ce jour-là. » Le jour auquel il est fait allusion ici est celui du combat d'Andraparany, (27 août 1885) que nous raconterons plus loin. Pour le moment l'ordre chronologique nous appelle à Majunga.
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INSTALLATIONS DE MAJUNGA
Les Hovas ne pouvaient pas se résigner à nous abandonner Majunga et plusieurs fois ils avaient tenté contre la ville des attaques qui n'avaient jamais
réussi.
Le 13 novembre, dans lanuit, ils avaient essayé en grand nombre des'emparer de l'agence française défendue seulement, et ils le savaient bien, par un petit poste de marins que fournissaient alternativement les navires en rade et qui se renouvelait tous les jours.
Leur but, a-t-on dit du moins, et c'est d'ailleurs très vraisemblable, était d'enlever une reine indigène nommée Anarina qui étant venue se mettre sous la protection du pavillon français, avait reçu l'hospitalité dans cette maison sur laquelle flotte notre drapeau et que défendent nos marins. Ces braves gens la défendirent si bien que les Hovas durent se retirer en laissant un certain nombre de morts.
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Le fort d'Ambodimadirou et la compagnie sakalave.
Cet échec, qui n'était pas le premier du reste, ne .les découragea pas, le 31 décembre, toujours dans la nuit, ils revinrent à la charge, mais cette fois ce fut une attaque très sérieuse, se produisant en même temps sur toutes les faces du fort. La garnison, bien qu'à peu près surprise, ne faiblit pas une seconde, mais il lui fallut le concours des deux navires en rade, le Forfait et la Piquepour reconduire les' Hovas. Il est vrai que cette conduite, baïonnettes aux reins, fut si meurtrière pour les assaillants, devenus poursuivis, que de longtemps ils n'osèrent
quitter leur campement d'Amboudron. Pour éviter le retour de semblables alertes on fit à Majunga des travaux de défense et d'organisation dont le correspondant du Ternes nous donnera une idée exacte. « La physionomie de Majunga, dit-il dans sa lettre du 3 août 1885, a été complètement transformée depuis un an.
La ville, située sur le rivage occidental de la baie Bombetok, était autrefois ouverte de toutes parts. Elle est fermée aujourd'hui du côté de la terre par une longue, forte et haute palissade garnie de banquettes et percée de meurtrières. Cinqou six postes y sont adossés et contiennent les défenseurs qui, à la moindre alerte courent occuper leurs places de combat. « Placé sur une sorte de promontoire, le fort est indépendant et au nord-ouest de la ville. Il a été construit par les Hovas pour défendre l'entrée de la baie et protéger Majunga, mais il peut très bien servir et il sert, en effet, à battre le pays au nord, pendant que la canonnière la Tirailleusè le bat à l'estet que nos soldats, derrière leurs retranchements, et le Chacal, leForfait, le Boursaint, mouillés dans la rade, se tiennent prêts à couvrir de lewrs feux combinés tout l'intervalle nordest. « Indépendamment de l'équipage des navires, deux compagnies et demie d'infanterie de marine, une de fusiliers marins, une autre de volontaires créoles de la Réunion rendent Majunga imprenable. N'oublions pas de mettre au nombre de nos auxiliaires soixante Macoas (anciens esclaves mozambiques), dressés à l'européenne et qu'on est parvenu à utiliser. Ces robustes nègres, dont la figure est bi'zarrement tailladée, l'intelligence lente et le caractère très doux, se sont vite rompus à la discipline, différents en cela des Sakalaves qu'on avait essayé d'organiser avant eux, mais dont on n'a pu tirer rien de bon. Disons tout de suite que cette tentative a étéreprise à Ambodimadirou, etqu'ellesemble devoir donner des résultats; seulement nous ferons remarquer que les Sakalaves de la baie de Passandava, autrement dit les Antankares, sont beaucoup plus dociles, plus intelligents, moins sauvages que leurs homonymes de la baie Bombetok. avisé d'armer les Macoas de fusils à piston. Nous ne croyons pas « On s'est l'idée heureuse. Ils voient entre les mains de nos soldats des fusils Gras et-des kropatchecks, fusils qui, à leurs yeux, partent tout seuls, qu'on tire sans s'arrêter, qui tuent toujours et qui, pour ces raisons, excitent leur admiration et leur envie. Aussi, par comparaison, dédaignent-ils les leurs, et n'ont-ils en leur effet qu'une médiocre confiance. Qui ne sait que, pour le soldat, et encore plus pour le saules trois quarts de son courage? Nos vage, là confiance en son arme compose navires regorgent de chassepots transformés destinés aux Sakalaves. Que n'en donne-t-on aux Macoas? On triplerait la valeur de ces derniers en contentant leur «
amour-propre. » Malgré cela, ces Macoas étaient fort utiles, d'autant qu'on a augmenté leur nombre et qu'on les employait à la fois comme soldats et comme sergents de ville. Comme soldats, leur service était celui des francs-tireurs; conduits par leur chefMadiroû, gaillard très énergique; ils étaient presque toujours en reconnaissance autour de la place et harcelaient les Hovas, leurs anciens maîtres et leurs mortels ennemis. Ceux qui. restaient en ville, étaient employés au service de la police, sous les
ordres d'un nommé Soseph, qui entendait fort bien ce métier et traquait les espions hovas comme des bêtes fauves. primitif. Onze grands abris « Le casernememt de troupes à Majunga est assez et deux ambulances pouvant contenir chacun et chacune cinquante hommes, ont été construits dans l'intérieur de la ville, à l'aide des bois du pays. De gros palétuviers en forment la charpente, dont les interstices sont garnis de feuilles de lataniers qui composent aussi la toiture. En dépit de leur rusticité, ces cases sont assez appréciées de nos soldats. Ils y trouvent une fraîcheur relative et savent bien, du reste, qu'en campagne on n'est pas toujours à la fête. A la guerre comme à la guerre, disent-ils gaiement, mais ils sepromettent de se rattraper, en France, au milieu de leur famille attentive à leurs récits malgaches, dans les douceurs d'un repos bien gagné. Va, brave petit troupier, accomplis ta tâche, parcours le monde, surmonte les misères d'un moment et sois sûr que la France n'oublie pas ses enfants les plus humbles, qui sont souvent les plus méritants. prétendu, que le pays qui « Ce serait une erreur de croire, comme on l'a s'étend devant Majunga est une plaine très unie. Jamais terrain n'a été plus mamelonné. De loin en loin de hautes collines dominent de grandes étendues. Une brousse épaisse recouvre les fonds et les pentes, et favorise la guerre d'embuscades; — mais il serait aisé d'y pratiquer des chemins ou même de dénuder de vastes espaces par l'incendie. « En somme, c'est un champ de bataille tout préparé, où les positions d'artillerie ne manquent pas, où l'infanterie peut évoluer à couvert et où la cavalerie trouverait son emploi. « A la marée haute, Majunga jouit du privilège d'être protégée par une ligne de profonds marégos qui, courant du midi au septentrion, pour aller rejoindre une petite rivière assez éloignée dans le nord, compose à l'est de la ville un obstacle infranchissable. Dès que la mer descend, les marais se vident et il ne reste que quelques flaques d'eau pour témoigner de son passage. qui se jette dans la « On a beaucoup parlé de la navigabilité du Betsiboka, baie Bombetok et de celle de son affluent, l'Ikopa. Il ne faut pas se créer à ce propos d'illusion dangereuse. La vérité stricte est celle-ci Des canonnières d'un faible tirant, comme la « Tirailleuse, remontent facilement jusqu'à Morovoay avec la marée. A partir de Morovoay, il n'en va plus de même, et des chalands calant deux pieds pourraient seulsarriver à Maevatanana. « La Tirailleuse, par quelques bombardements bien réussis, a laissé sur les rives du Betsiboka une terreur salutaire. Du plus loin qu'ils l'aperçoivent maintenant, les Hovas se sauvent éperdus, et, récemment elle s'est engagée si avant, qu'elle a jeté l'effroi dans Morovoay. Les sujets de Ranavalo III semblent être en force dans ces parages, et si « nos supputations sont exactes, ils suraient au nombre de six mille. «Leur postele plus rapproché est à neufkilomètres deMajunga c'est Andretsy.
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Puis viennent successivement Amparihigidro etBetsako, qui, comme le premier, sont occupés chacun par neuf cents guerriers. Mororaogo, au fond de la baie, en a deux cents. On rencontre ensuite Ambohitrombikely, grand camp de Ramambazafy, commandant en chef, où sont concentrés deux mille Hovas, tout fiers de garder en cet endroit quatre canons se chargeant par la culasse. Un autre petit. poste d'une centaine d'hommes est placé immédiatement après. Un peu plus loin, c'est Ambatohilafiena avec deux cents Miramila,Mahevarano, Miadana et Mahitsizo, avec cent cinquante chacun. Enfin, au sud de ce dernier point, Morovoay, défendu par six cents Hovas et cinq canons. « En tout, onze postes — et onze postes fortifiés par des retranchements en terre et des rovas (camps) palissadés, mais dont la plupart ne se flanquent ni ne se commandent. » Ces fortifications élevées par un Mauricien, nommé Duverger, peuvent avoir une valeur intrinsèque considérable, mais en raison de leurs défenseurs et même de leur armement, elles étaient loin d'être aussi formidables qu'on voulait bien le dire. M. de Mahy et son collègue M. Dureau de Vaulcomte, en ont fait une expérience concluante lors de leur voyage à Madagascar, accompli en pleine période d'hostilités. « Du côté de Mazangaye (Majunga), dit M. de Mahy, la rive gauche du grand fleuve formé par l'Ikopa et la Betsiboka était absolument purgée de Hovas, lors de notre voyage, mais ils occupaient la rive droite, où ils avaient, pour de bonnes raisons, accumulé leurs plus grandes forces, car l'estuaire de Majunga commande la route de Tananarive. « Là des batteries nombreuses garniesd'une artillerie puissante de canons Krupp servis par des troupes de première qualité, dirigées elles-mêmes par les plus éminents officiers étrangers à la solde de SaMajesté, hérissent la berge de la rive droite entre Majunga et Morovoay. C'était tout de bon du sérieux, cette fois, et l'on nous en faisait un épouvantail, si bien que nous ne mettions pas en doute cette formidabilité. Lecteur français, le barbarisme n'est pas de nous; il est de ceux qui ne respectent pas plus notre langue que nos droits. de la « Mes amis et moi, nous avions entendu dire qu'en suivant les passes rive gauche, à l'abri des îles dont le lit du fleuve est parsemé, on pouvait arriver à Morovoay sans risques et sans coup férir, et ce voyage nous tentait beaucoup mais la tentation était forte aussi de regarder d'un peu près la rive fortifiée. Celleci l'emporta et nous pûmes y aller voir, grâce à la bienveillante courtoisie de M. le capitaine de vaisseau Wytz, commandant supérieur de Majunga. compagnie du colonel Romouil, du com« Nous partons sous sa conduite, en mandant Poudra et de son état-major du Bïsson,du capitaine d'artillerie Pontef, avec les canonnières la Tiraillense et la Redoute, commandées par MM. Lacourné et Muller lieutenants de vaisseau. de Majunga, nous voyons se dessiner, en « A une vingtaine de kilomètres haut dela falaise, les embrasures des batteries d'Ambatoukely. Nous sommes par
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Diego-Suarez.
de baie
la de Occupation
leur travers, à trois mille mètres. Le bras du fleuve est large d'une lieue à cet endroit. Elles tirent sur nous, les obus tombent entre le rivage et nous, tellum imbelle sine ictu. Leur trajectoire est de 1,500 mètres à peine. « Un peu plus loin, une grande batterie de seize embrasures. Elle n'a qu'un seul canon, à âme lisse, et nous salue de ses boulets ronds, qui tombent à l'eau à cinq ou six cents mètres du point de départ. Plus loin, à Mahévarane (soixante kilomètres de Majunga), trois batteries, dont une casematée, dominent un coude du fleuve. Ce sont les plus fortes, les mieux outillées de toutes. Elles nous accueillent de tous leurs feux, que nos canonnières éteignent en un clin d'œil. Il n'y a plus rien jusqu'à Morovoay. « Nous avions grande envie de pousser jusque-là et même plus loin. Mais le commandant Wytz ne pouvait s'absenter pour plus d'un jour de Majunga. Force nous était donc de rebrousser chemin, mais quel chagrin de partir ainsi! Le paysage était splendide, la température agréable et douce avec une pointe de fraîcheur, quoique l'on fût déjà à l'entrée de l'été. C'étaitle jour de la Toussaint, un très beau dimanche, 1er novembre 1885. Les équipages des canonnières étaient pleins de gaîté et d'entrain. Le commandant décide qu'on restera là quelques heures, afin que le colonel anglo-hova ne puisse prétendre qu'il nous a fait fuir. exquis est servi sur le pont des canonnières, au grand air. Ce « Un déjeuner que voyant les Hovas reviennent à leurs batteries et rouvrent le feu. Pendant plus de deux heures, ils tirent de toutes leurs pièces sur nos deux canonnières à l'ancre, immobiles comme deux cibles, à mille mètres. Pendant tout ce temps, à cette courte distance ils n'ont que quatre coups « qui aient été un peu passables, un obus a éclaté dans l'eau, à une quinzaine de mètres à l'arrière de la Tiraillense un autre entre les deux canonnières mouillées à cent mètres l'une de l'autre; un boulet rond a ricoché àune vingtaine de mètres à l'avant de la Redoute; un autre à cent cinquante ou deux cents mètres. formidabilité Au dessert, nos marins on fait jouer leurs hotekiss « Ohla belle et leurs pièces de 90 et criblé de projectiles les batteries et le village hova, et la maison du colonel. Quelques feux de salve de nos fusiliers ont terminé la fête et nous sommes redescendus tranquillement à Majunga sans avoir été autrement inquiétés parles batteries qui avaient essayé de nous barrer le passage le matin. »
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Voilà comment on démolit les légendes, en allant voir les choses de près. Mais comme il est bien plus facile de croire que d'aller voir, on continue et l'on continuera encore longtemps à écrire l'histoire pour les besoins de la cause que l'on défend.
OCCUPATION DE VOHÉMÁR
'L'occupation de Vohémar, fait accompli au lendemain du combat d'Andrarany, était importante au point de vue militaire, nous avons dit déjà, par anticipation, les excellents résultats qu'elle donna au point de vue de la colonisation. En effet, là où M. deMahy a vu une véritable petite ville avec un port animé, il n'y avaif, vingt mois plus tôt, qu'un malheureux petit village. Quand nous avons pris Vohémar, cette localité, comptait au maximum 300 habitants, non compris naturellement environ t5O ou 200 Hovas, qui, du reste, n'y -étaient plus et avaient, avant de s'en aller, incendié non seulement le quartier qu'ils habitaient, mais encore les deux autres: Car ce village se composait de trois parties assez distinctes, le village des Blancs sur les bords de la mer; à l'entrée même de la baie, le village sakalave au nord; et à l'Orient le village hova qui n'existe plus maintenant. La ville blanche, habitée par une dizaine de traitants européens ou créoles, une vingtaine d'Indiens de Bombay et quelques Arabes, était d'une simplicité rudimen'taire à ce point que la maison du vice-consul anglais était couverte en paille, ni -, plus ni moins que les autres. Quant à la ville sakalave, où vivaient avec les indigènes une soixantaine de ces noirs du Mozambique appelés Macoas, il n'en restait rien, mais' elle fut bien vite relevée, d'autant qu'on a bientôt fait de construire une paillotte, quand les matériaux comme les palétuviers et surtout le -précieux ravinala abondent. On s"orgnisa promptement; des baraquements complets et confortables, furent envoyés de Tamatave, d'où l'on expédia aussi 200 bœufs, qui furent embarqués sur lé Gyptis. Ceci, par exemple, était porter de l'eau la rivière; car la région de Vohémar est peut-être celle de toute l'île qui produit le plus de bœufs ils ysont en telle quantité que le gouverneur de Vohémar qui avait été tué combat d'Andraparany au en possédait à lui seul plus de douze mille. Avant la guerre, on en exportait plus de quatre mille par an rien qu'à destination dela Réunion, de Maurice ou des îles Seychelles, dontles bateauxvenaient leschercher depréférence, parce que les bœufs de Vohémar ont laréputation d'être les.plus beaux de Madagascar et les plus avantageux pour la boucherie. Mais peut-être ne savait-on pas cela à Tamatave, peut-être aussi craignait-on que les Hovas, maîtres encore de la plus grande partie dupays, n'aient emmené tous les troupeaux; toujours est il qu'on envoya un navire chargé de bœufs dans une
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à
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localité où ils étaient si communs qu'on pouvait s'y procurer un filet entier pour vingt centimes. Depuis cette époque les prix sont quelque peu augmentés, un bœuf qui valait de trente à quarante francs se vend aujourd'hui jusqu'à soixante, compris les y droits de douane qui sont de quinze francs, mais si l'on veut se contenter de vache, qui est en somme tout aussi bonne, on retombe dans les prix dérisoires, car, comme il est défendu d'exporter les vaches, on tue celles qui deviennent impropres à lareproduction, etelles sont en telle quantité qu'on pourraiten acheter une entière pour six francs. Il ne s'ensuit pas que le district de Vohémar, qui est grand comme notre Normandie, soit un pays de Cocagne; ilestriche sans doute, d'une fertilité extraordinaire mais jusqu'à présent peu cultivé, non seulement faute de bras, mais encore parce que les Sakalaves sont bien trop paresseux pour essayer de faire produire à la terre autre chose que le nécessaire. Il ne faut pas croire non plus, comme on l'a dit un peu vite, que Vohémar soit beaucoup plus salubrequeTamatave, lafièvreysévitcommesurpresquetout littoral, moins sans doute qu'à Majungua qui est exceptionnellement malsain, mais assez pour réduire considérablement, lorsque vient la saison dangereuse, l'effectit de nos troupes valides. C'est pour cela qu'il était très utile de doubler nos compagnies avec des indigènes et que l'on fit le possible pour instruire et discipliner une centaine de Sakalaves, d'autant que nous n'avions là pour composer les garnisons du fort d'Amboanio qui défendait Vohémar sud et dufortind'Ampasibazina au nord,quedeux compagnies l'une de fusiliers marins l'autre d'infanterie de marine. Mais avec cela Vohémar était à l'abri d'un coup de main, car il est protégé à l'ouest par les montagnes et à l'est par la mer, où indépendamment des navires suceptibles d'aller et venir, il devait rester toujoursune canonnière pourravitailler, mettre en communication constante et au besoin secourir, les deux postes, séparés l'un de l'autre par une distance de seize kilomètres. Le contre-amiral Miot passant à Vohémar le 8 janvier, y installa tous les chefs le service dont voici la liste
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Escande capitaine du Beautemps-Beaupré, commandant en chef. M. Guinet, chargé des affaires indigènes, résident du District. M. Vicel, lieutenant de vaisseau, commandant la 56 compagnie de fusiliers marins. M. Barjeolles, capitaine, commandant la 24e compagnie d'infanterie de marine. M. Brun, capitaine d'artillerie, commandant le fort d'Amboanio. M. Bastin, enseigne de vaisseau, commandant les compagnies sakalaves et chargé de leur instruction. M. Duvergé, lieutenant de vaisseau; commandant de port. M.
M. Baustrion, directeur du service de santé, M. Deltel, chef du service des Douanes. M. Hippolyte, suppléant et interprète.
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Restait à s'établir de même à Diego-Suarez difficile.
médecin en chef de l'hôpital.
ce qui ne fut ni bien long, ni bien
OOCUPATION DE DIEGO-SUAREZ
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La prise de possession de la baie de Diego-Suarez fut extrêmement simple. L'amiral Miot envoya un de ses navires, la Creuse, dans cette baie ce navire détacha en avant une chaloupe à vapeur qui avec le hotckiss dont elle était armée fit place nette sur tous les rivages, où les Hovas faisaient semblant de se montrer. Alors le commandant Héral qui dirigeait l'expédition, descendit à terre avec la 3" compagnie de volontaires de le Réunion et une compagnie d'infanterie de
marine. > Et le 15 février 1885, le drapeau français était planté officiellement sur l'îlot Clarense, ou de la Lune, qui commande l'entrée de ce port naturel qui fait l'admiration de tous les marins et qui est, d'ailleurs, l'un des plus vastes, des plus profonds, des plus sûrs qui soient au monde. Voyez la description qu'en a faite M. Barbier du Bocage.
L'entrée de la baie de Diego-Suarez, dit-il, a environ 2,400 mètres de longueur sur 2,000 mètres de largeur; mais cette dernière dimension est diminuée en un point de près de mille mètres, parune banc de sable tenantaucôté nord. Sur le point le plus resserré du chenal d'entrée, presque en son milieu, à l'extrémité du banc de sable, se trouve une île nommée île de la Lune où Nossi-V olane qui a 600 mètres de longueur, dans une direction à peu près parrallèle au rivage. les .« Elle semble admirablement placée pour défendre l'entrée de la baie batteries qu'on ne manquerait pas d'y établir, croisant leurs feux avec celles des deux rives, rendraient lapasse presque impossible à traverser. En outre, les feux d'une autre petite île, dite Nossi-Langour ou de l'Aigrette, située à l'intérieur, à quatre mille mètres de l'entrée, prendraient en tête les vaisseaux qui, par hasard, ayant franchi le goulet, voudraient pénétrer dans la grande baie. La profondeur du chenal varie entre 20 et 30 brasses (32 et 48 mètres) c'est-à-dire plus qu'il n'est nécessaire aux plus grands vaisseaux de ligne. « La grande baie de Diego-Suarez, dont le centre forme un magnifique bassin de 10 kilomètres de long sur7 de large, avec des profondeurs de 15 à 30 brasses (2 à48 mètres), jouit de deux avantages inappréciables pour les navigateurs le «
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fond sur lequel reposentseseauxestpresquepartout de sable ou de vase, et sur .un-grand nombre de points, excepté à l'orient de la baie des Français, on trouve près de terre, huit neuf, dix et quinze brasses, ou treize quatorze, seize et vingtquatre mètres d'eau, ce qui permettrait d'établir de magnifiques quais de carénage qu'accosteraient plus forts navires. «Enfin, on ne peut donnerune idée plus juste de la baie de Diego-Suarez.qu'en disant qu'elle est, sous tous les rapports, la copie exacte dela baie deSébastopol, les avantages dont jouit cette dernière étant centuplés. « Une fois les Français établis à Diego-Suarez, cette baie deviendrait le centre d'une navigation commerciale dont on ne peut se faire une idée aujourd'hui. On Ylverrait sans cesse affluer des navires de toutes grandeurs, partis de la côte d'Afrique, des Comores, des Amirantes, des Seychelles, de la Réunion et de Maurice, navires qui faisant le cabotage entre tous ces points, viendraient dans cette baie, attache de la grande navigation, confier leurs cargaisons à des vaisseaux chargés de les porter en Europe. »
les
C'est cette admirable baie que vise l'auteur anonyme, mais remarquablement expérimenté, des Colonies nécessaires, lorsqu'il parle de la nécessité pour nous deposséder Madagascar.
«Madagascar, dit-il,
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est une île très étendue dont la pointe sud pénètre comme un coin dans l'angle de la bifurcation des deux branches de la route des Indes doublant le cap de Bonne-Espérance. commande les routes par les îles de Mayotte, « Au point de vue stratégique, elle dans l'orient, et de la Réunion, dans l'ouest, détachées de ses flancs comme des postes avancés. Elle possède de belles rades, où l'on pourrait faire choix d'un excellent port « de réparation pour une nombreuse escadre, de concentration, de ravitaillement approvisionnements en y creusant des bassins et en disposant l'outillage et les nécessaires, sous la protection d'une solide défense locale et d'une flotillede tor-
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et
pilleurs. Dans ces conditions, une fois placée sous notre protectorat effectif, elle nous donnerait les ressources militaires et autres de son sol et de sa nombreuse population que nécessiterait, en temps de guerre avec l'Angleterre, l'entretien d'une forte escadre ayant pour mission de surveiller le Cap; de capturer ou de bloquer Maurice et les Seychelles, et de couper aux navires anglais les routes méridionales de l'Inde. «Ajoutons à ces avantages, exclusivementmilitaires, celui de devenir l'entrepôt naturel de l'actif mouvement d'échanges qui.s'établira bientôt, surune grande échelle, entre le commerce européen et tous les comptoirs et les colonies de la côte orientale d'Afrique, du Cap à Zanzibar. «Les navires à voiles parcourant les voies de l'Europe, des Indes, ou del'Aus«
tralierelâcheront,
accessibles en effet, directement, dans les rades facilement de Madagascar, pour y déposer leurs cargaisons ou pour charger en vue de leur retour, plutôt que de se risquer dans le canal de Mozambique où d'atterrir directement sur lacôted'Afrique, où ils seraient généralement contrariés par le régime des vents, des courants, des atterrissages et par l'incommodité des rades. marchandises à leurs destinations définitives « Quant au transport des entre Madagascar et les comptoirs du continent africain, il s'effectuera ensuite navette àtravers le canal de Mozamau moyen depetits vapeurs côtiers, faisant
la
bique. Nul doute'que le commerce français, à Madagascar, ne tire ses meilleùrs profits de cette situation privilégiée d'entrepôt, qui a fait en si peu de temps la fortune de Hong-Kong, dans les mers de Chine. du produit direct des ressources propres « En ne tenant même, aucun compte de l'île, on ne saurait donc nier que la politique bien entendue de la France soit de tirer parti, aujourd'hui, des complications que les intrigues des missionnaires anglais nous ont suscitées à Madagascar avec le gouvernement central des Hovas, pour y revendiquer nos droits historiques et y établir définitivement notre protec«
torat. «Dans ce cas, le fanatisme aveugle de ces trop zélés apôtres du piétisme et de la suprématieuniverselle de l'Angleterre aurait servi notre cause nationale et nos intérêts commerciaux. En définitive" c'était à Madagascar seulement que nous pouvions trouver - « pour notre marine militaire une assiette suffisante, la mettant à même de tenir en échec.les forces du Cap, d'annihiler entièrement l'action militaire des Seychelles et de Maurice, et d'intercepter par conséquent les voies de communication de l'archipel Britannique avec son empire des Indes, par le sud de l'Afrique. enfin, qu'en laissant à la suprématie anglaise la place libre « Remarquons dans cette île, nous sacrifierions du même coup l'avenir commercial de nos petites colonies environnantes de la Réunion, de Sainte-Marie, etc., deMayotte et de Nossi-Bé, qui, de plus, tomberaient invariablement, en cas de guerre, entre les mains dé l'Angleterre, si cette puissance occupait militairement la position stratégique centrale et dominante de cetarchipel. «. Il s'agit donc pour nous, aujourd'hui; dans la question de Madagascar, non pas seulement d'ajouter une nouvelle et importante possession à nos colonies actuelles de la côte orientale d'Afrique, mais bien d'abandonner ou non à l'Angleterre ces dernières épaves de notre fortune coloniale des siècles passés et les clefs de la mer des Indes par les routés du Cap Avec Diego-Suarez, non seulement on pourrait protéger, défendre au besoin nos colonies de l'Afrique orientale, mais encore se rendre maître de Madagascar, comme on voudrait et- quand on voudrait. Seulement il faudrait vouloir. Pour moment il ne.s'agissait que de s'y installer, et l'on ne manqua pas
»
le
i
— tant nous sommes toujours bien renseignés — de faire comme on avait fait à Vohémar, de porter encore une fois de l'eau à la rivière. Cette fois, ce ne fut pas des bœufs qu'on transporta, mais des arbres. On encombra la Creuse d'une centaine de pieds de bananier, de manguiers, de filaos que l'on devait planter tout de suite, pour donner un peu d'ombre à nos établissements futurs, parce que des observateurs très superficiels avaient dit qu'il n'y avait pas un arbre à Diego-Suarez, tandis qu'ils y abondent comme partout à Madagascar, où la paresse des indigènes ne les a pas brûlés sur pied, pour défricher un coin de terre propre à faire une rizière neuve. Mais quoi, ce sont là les petits côtés de nos opérations militaires, heureusement que le courage la bonne tenue de nos marins et de nos soldats réparent toujours et font oublier les bêtises de l'administration. A Diego-Suarez il n'y avait point à combattre, puisqu'il n'y avait plus d'ennemis; les Hovas qui occupaient les villages de la côte s'étant réfugiés dans le fort d'Ambohimarina, à une vingtaine de kilomètres dans l'intérieur — il n'y avait qu'à s'établir. Une proclamation fut faite et répandue dans tous les villages voisins, dont quelques chefs étaient venus déjà faire leur soumission, pour apprendre aux habitants la prise de possession de la France, et les informer qu'il leur était permis d'opter soit pour les Hovas, soit pour les Français, mais-le choix, une fois terminé, nous entendions qu'il fût sérieux et que nous punirions de mort tous les traîtres à notre cause. Tout aussitôt un grand nombre de Sakalaves qui demeuraient trop près, pour leur sécurité, des montagnes, où s'était retirés les Hovas, vinrent se mettre sous la protection de nos canons et fondèrent le village de Antombako. qu'on appelle aussi Diego-Suarez, lequel s'accroît de jour en jour par l'arrivée de nouveaux adhérents et même d'un certain nombre de transfuges du camp ennemi. Pour donner encore plus de confiance à nos alliés, et d'ailleurs pour assurer la solidité de son installation, l'amiral Miot fit construire un blockhaus qui domine le village et commande toute la plaine au sud, dans la direction du fort des Hovas; un second fortin fut élevé sur une hauteur voisine, et occupé par
une cinquantaine d'hommes. Mais les fortins qui défendent Diego-Suarez, du côté de la terre, seraient absolument inutiles si l'on avait délogé les Hovas d'Ambohimarina, car on serait alors maîtres indiscutés de tout le nord de Madagascar. Il est vrai que l'on n'eut pas l'air d'y penser. La besogne eût été rude, d'ailleurs, à cause de la situation inexpugnable de de monde et quelques ce fort. maisnon pas impossible si l'on avait eu assez batteries d'artillerie de plus. dit le correspondant du Temps, imaginez une sorte de montagne « Imaginez, a de craie servant de base à un piton ou morne, couronné à 450 mètres au-dessus du niveau de la mer, par une enceinte palissadée que les Hovas dénomment
prétentieusement fort ou batterie. Sur l'entablement dela montagne, au pied du morne, se trouve un petit village facile à mettre en état de défense; la batterie qui se dresse au milieu d'un pays tourmenté, heurté, hérissé, commandant les
Diégo-Suarez. — Le cap Diégo.
monts et les vallées qni l'avoisinent et les chemins qui y conduisent, n'est abordable que par des rampes de 45 degrés. Représentez-vous bien cette situation, figurez-vous le paysage, et vous aurez une idée des difficultés qu'il faudra vaincre pour s'emparer d'une position aussi judicieusement choisie.
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En lui-même, le fort n'est rien la position est tout et rappelle, à s'y méprendre, celle de Constantine ou de Kaala, en Kabylie. « Le fort, en effet, malgré sa triple enceinte de hautes et fortes palissades, ne pourrait résister en rase campagne à quelques coups d'obus. Mais, là, comme un nid d'aigle, il défie toute ascension et nargue les efforts de l'ennemi. « Le réduit est assez spacieux. Il est rempli de cases et occupé par 400 miramila (soldats) dont un quart, est armé de fusils à tir rapide. , ils y ont accumulé des vivres, et « Les Hovas peuvent y soutenir un siège l'eau vient sourdre sur le sommet même du morne. « Il était impossible d'établir un fort dans un meilleur endroit. Très éloignés de Tananarive, perdus au milieu d'un pays ennemi, en guerre incessante avec les Antakares, les Hovas ont cherché à se mettre à l'abri d'une surprise, à se poser en dominateurs inaccessibles, et ils ont réussi. «
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On peut arriver sur le fort d'Ambobimarina par trois points par la baie de Rigny, par celle d'Ambodirahibé, un peu plus au nord, et enfin parDiégo«
Suarez. elle présente de grandes difficultés et ne « Quelle que soit la route suivie, mène au pied de la montagne, où culmine le fort, qu'à travers des défilés très étroits et par des crêtes fort rudes à gravir. du fort, il n'y faut point songer. « Quant à l'escalade Hovas n'auraient pas besoin de se servir de leurs « Pour se défendre, les fusils, il leur suffirait, comme les anciens, d'accabler l'assaillant de pierres et de rouler sur lui des quartiers de rochers. l'artillerie est là tout indiquée. A quelque distance du fort « L'action de ennemi, et à peu près à la même altitude, se dresse un morne d'où l'on pourrait le contrebattre. de ce point rendraient bien vite la position des « Quelques pièces tirant Hovas intenable, et l'infanterie n'aurait plus qu'à compléter, sans péril, l'œuvre du canon. » Mais on ne fit rien; soit qu'on ne voulût rien faire dans cette singulière campagne où il semble que l'on ait toujours eu peur de causer du mal à l'ennemi soit qu'il fût impossible d'entreprendre quelque chose de sérieux avec le peu
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d'hommes que les fièvres laissaient valides.
INACTION DE L'AMIRAL MIOT
Après l'occupation de Diégo-Suarez l'amiral Miot se reposa. Et il était bien obligé de rester dans l'inaction, car tout son effectif, marine et soldats, comptait cinquante pour cent d'indisponibles, et depuis janvier, ce chiffre augmentait tous les jours. On se fera une idée de l'insalubrité du pays, par ce fait officiellement constaté, que le bataillon de fusiliers marins qui, lors de son arrivée du Tonkin, en juillet 1884. n'avait en moyenne que neuf hommes malades par jour, en avait eu centquarante, et en mars cent quatre-vingts. Et c'étaient là pourtant des hommes de choix, familiarisés avec les tampératures tropicales. Aussi, était-ce bien autre chose parmi les tout jeunes gens de l'infanterie de marine. Qu'on en juge par cette lettre écrite de Tamatave aux Tablettes des DeuxCharentes :
Je ne viens pas ici faire le récit plus ou moins fantaisiste de faits guerriers, car nous sommes dans le calme le plus profond. Je veux seulement donner une idée exacte de la situation sanitaire à Madagascar, et protester aussi contre les rapports officiels, trop optimistes, qui vont jusqu'à faire de ce pays un sanitarium, alors qu'il n'est qu'un cimetière. A Tamatave, en haut lieu, on n'admet pas la fièvre; les accès pernicieux « sont des mythes nos braves médecins de la marine sont blâmés pour écrire les dans leurs rapports il a été décrété que mots « fièvre » et « accès pernicieux Madagascar était sain et que l'on s'y portait bien. Pour un peu plus, on ferait pendre les gehs qui croient à la fièvre. lestroupes démoralisées par « Cependant, la triste réalité est là, évidente une trop prudente réserve, prêtent le flanc à la fièvre et sont décimées par ce terrible fléau. « Pendant la saison pluvieuse, de septembre à mars, il y a 500/0 de malades pendant la belle saison, la saison sèche et froide, il y a jusqu'à 72 0/0 de malades. Cette augmentation du nombre des malades pendant la belle saison tient « probablement aux émanations qui s'élèvent des marais desséchés et que le vent «
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»
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emporte.
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Dès compagnies de 170 hommes sont réduites à 110 sur ce nombre, 50 hommes seulement sont disponibles. Quant à une marche en avant, il ne faut pas y compter avec les troupes actuelles. 10 0/0 à peine des hommes pourraient marcher. — Là mortalité est considérable àMadagascar, mais elle est énorme sur «
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la côte nord-ouest, à Majunga, qui est le point le plus malsain de l'île là depuis deux ans, pour un effectif moyen de 800 hommes, il y a eu50 décès dans le seul mois de mai dernier, il y a eu 14 décès. « Il faut voir dans quelles conditions déplorables sont les malades. Les ambulances consistent en de misérables paillottes mal aérées, où les lits sont-entassés les uns sur les autres et de plus installées dans des bas-fonds, malgré l'avis des médecins. Autre chose à signaler: les médicaments ont manqué; plusieurs fois on a voulu rationner la quinine, alors que les accès pernicieux éclataient avec violence. Si les Dames de France ne venaient, par leurs envois providentiels, au secours de nos médecins, ceux-ci ne pourraient soigner efficacement leurs malades. elles sont renvoyées « On a beau faire des demandes abondantes àla- Réunion incomplètes, cette colonie ne recevant que des approvisionnements dérisoires de France. On ne saurait trop remercier les Dames de France. Que le pays entier sache quels services immenses elles rendent Grâce à elles, nos médecins peuvent nous donner mille petits soins, auxquels on est si sensible quand on est malade. « En tout, depuis deux ans, il a eu une centaine de décès par maladie pour un effectif de 1,800 hommes à Madagascar; mais si l'on pouvait suivre les malheureux qui sont renvoyés malades en France, il est probable que ce chiffre
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doublerait. Ce que je viens d'avancerestexact, les preuves seraient faciles. — Deplus, si l'on veut voir dans quel état nos troupes reviennent de ce beau pays, il n'y a qu'à assister à l'arrivée d'un transport, à Toulon, et l'on pourra avoir une idée de l'état sanitaire de Madagascar, que les rapports officiels nous font si superbe. ici, qu'on le fasse au plus tôt, qu'on marche « Si l'on doit faire quelque chose en avant, mais qu'on ne laisse pas nos troupes exposées à mourir misérablement «
de maladies.
»
La situation était absolument la même à Majunga, témoin cette lettre datée
:
du 23 mai
Je n'ai aucun incident à vous signaler. Les Hovas pourraient attaquer, car ils sont nombreux, très nombreux même dans les environs, et nous ne sommes ici qu'une poignée d'hommes, 360 combattants, dont une centaine sont toujours exempts de service. L'effectif des Hovas est de 8 à 12,000 hommes — il est difficile de le savoir exactement — et leur première ligne de défense n'est qu'à qua1 tre kilomètres de Majunga. nombre et leur bravoure, ils ne s'empareront « Je suis sûr que, malgré leur jamais de la ville, et que même ils ne l'attaqueront pas à fond, car il leur faudrait passer sous les feux des bâtiments et la partie serait trop dangereuse pour eux. La vérité est qu'il cherchent à nous lasser. Leur tactique est de nous tenir con«
tinuellement en alerte. Ils viennent par groupes de 50 ou de 100, toujours de nuit, et, quand il y a de la lune, s'approchent, en rampant dans les crevasses, et tirent sur le fort qui domine la ville. sérieux, mais il est impossible que nous restions plus « Tout cela n'est pas longtemps dans la situation où-nous sommes. Nous ferons ici une besogne absolument sans résultat tant qu'on n'enverra pas de renforts et qu'on ne se décidera pas à frapper un coup sérieux qui retentisse jusqu'à Tananarive. » Marcher en avant, frapper un grand coup, cela était bien facile àdire, et tout le monde en comprenait très bien le besoin, mais il aurait fallu pour cela avoir des soldats, et l'amiral Miot n'avait guère que des fiévreux.
Lefortd'Ambohimarina. Avec les trois mille hommes nominalement sous ses ordres, il ne lui était pas possible de former une colonne de cinq cents fusils pour prendre l'offensive. Aussi ne cessait-il de demander des renforts. En décembre 1884, il estimait qu'avec deux mille hommes de plus il pourrait en finir avec la résistance des Hovas. En mars 1885, il en demandait trois mille.
«Il est impossible, écrivait-il le 17 mars, que l'état de chose actuel que nous entretenons à Madagascar n'entraîne pas d'anné en année plus de développement dans nos moyens d'action. Il suffit, pour s'en rendre compte, de se placer en face de la situation militaire qu'occupaient les Hovas au mois de juin 1883 et de la comparer à celle qu'ils occupent aujourd'hui. « L'année 1885 se passera-t-elle sans que nous ayons songé à entreprendre autre chose que ce que nous faisons maintenant Ce serait fâcheux. « En balayant les Hovas de Marovoay, d'Ankaramy et de Farafatte, je suis convaincu qu'on n'aurait pas besoin de marcher sur Tananarive. Le peuple, fatigué
?
de la guerre, imposerait la paix au premier ministre. Que faut-il pour cJla? trois mille hommes tout au plus. « En 1884, ils ont vu tomber entre nos mains et occuper Vohemar, DiégoSuarez et Passandava nous ne pouvons nous arrêter et quelque lourds que soient les devoirs que notre honneur engagé nous a imposés, il faudra les accomplir en exécutant une action nouvelle. A mon avis, il faudra agir vers le mois de septembre sur la côte est, et à partir de juin sur la côte ouest. « Les moyens dont je dispose sont absolument insuffisants. »
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Dans une autre lettre, de la même époque, mais non officielle, il disait: «Je n'ai pas assez de bâtiments pour bloquer les ports par lesquels les Hovas fontdu commerce, et je n'ai pas assez de troupes pour garder les différents points de la côte nord-est et nord-ouest que nous voulons occuper. J'espère qu'on aura pris à Paris une décision à cet égard, car nous pourrions ajouter, sans cela, un chapitre nouveau à l'histoire de Troie. Pour amener les Hovas à composition,il faut occuper effectivement les points fi. où nous voulons nous établir, ou il faut marcher sur Tananarive; mais encore une fois, il faut des hommes, des baraquements et assez d'avisos pour pouvoir les garder dans les baies où on les établira. J'estime qu'avec trois mille hommes nous y arriverions aisément. v
L'espérance de l'amiral fut déçue, le gouvernement, toujours sans esprit de décision, n'augmenta ses ressources que de six cents hommes, puis on lui promit b régiment de Kelung que la paix faite avec la Chine allait rendre disponible, comme si ces pauvres gens, décimés par le choléra, épuisés par un climat meurtrier, étaient bien aptes à entreprendre une nouvelle campagne, sous un climat plus meurtrier encore. Du reste, le ministère qui n'avait plus de subsides pour l'expédition et qui n'osait pas encore en demander de nouveaux à la Chambre, espérait que l'on pourrait traiter avec les Hovas. L Le rapport que l'amiral Miot adressa le 9 mai à l'amiral Galiber, ministre de la marine, lui enleva cette illusion. Ce rapport, après un exposé très clair de la situation, se terminait ainsi
:
bien que la conduite à tenir, il aussi situation tout bien juger Pour cette « faut voir comment la partie s'est engagée, vis-à-vis de qui, et à côté de qui, et ave, qui par derrière. quand on examine le passé, quand on se rend compte du carac« Eh bien tère des individualités avec lesquelles il fallait compter, on reconnaît qu'on a négligé de ménager les principes de conciliation, en mettant en présence des hommes qui ont échangé des paroles amères, difficiles à oublier. qu'en à Tananarive à la tète d'une entrant possible de salut voit L'un ne «
!
c f-aniaise; l'autre ne cédera qu'après nous avoir entraînés dans des sacri-
arnu
fices coûteux, et cependant il n'est pas assez inintelligent de ses intérêts pour ne pas désirer une solution qui lui assurerait le calme et la paix dans toute autre
condition. « Ici le gouvernement s'incarne dans un seul homme, dont la volonté s'impose à tout le peuple hova. Je suis persuadé qu'il traitera quand on l'aura battu à Marovoay qui est la route de la capitale, s'il n'a pas à sitbir d'autres échecs dans son orgueil; tandis qu'il attendra jusqu'à la fin les effets de la force, dans le cas contraire. Or, une expédition sur Marovoay demandera 4, 000 hommes au plus, quand, au contraire une marche sur Tananarive est une opération fort compliquée, fort longue et fort difficile. certainement, si nous le voulons, mais lorsque notre « Nous y arriverons pavillon flottera sur le palais d'argent, nous aurons à penser aux garnisons à entretenir sur les nombreux points de la côte occupés actuellement par les soldats hovas. mais, pour en rendre une « Je ne pense pas que cette solution soit pratique, autre possible, il faudrait la formuler, et cette déclaration, faite dans les termes et les moyens que le gouvernement jugerait convenables, nous permettrait d'utiliser légalement, pour ainsi dire, l'élément indispensable sans lequel nous ne ferons rien ici l'élément hova. Suivant moi, il faut faire accepter ou imposer le protectorat. L'effort pour y arriver sera peut-être aussi sérieux que la conquête, mais nous froisserons moins le sentiment national, nous écarterons des jalousies politiques et nous nous ménagerons des moyens de gouvernement et d'administration, dont l'absence sera pour nous une source d'immenses difficultés et de dépenses considérables. Avec le protectorat, nous pouvons ne garder ici qu'une faible garnison avec la conquête, il faut au minimum six mille hommes en permanence pendant peut-être vingt ans. « Si les conditions dans lesquelles cette grosse question de Madagascar a été engagée permettaient de croire, dans le début, que quelques coups de canon suffiraient pour la résoudre, il n'en est plus de même aujourd'hui; et notre situation est telle, à l'heure actuelle, qu'il faut la poursuivre quand même pour l'honneur de nos armes, pour notre influence politique, pour notre prestige sur la côte d'Afrique, etenfin, pour la sécurité de tous nos nationaux, à qui l'accès de cette grande terre serait pour bien longtemps interdit. « J'ai tout lieu de croire qu'après quelques succès, ce protectorat serait peutêtre accepté en principe, mais, encore une fois, il faudra mettre en présence des hommes qui négocieront sans arrière-pensée d'animosité et de rancunes pensonnelles. « En résumé, le programme que je m'étais tracé a été accompli, et je ne puis maintenant qu'attendre les renforts en conservanUles points occupés. »
:
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Ainsi l'amiral Miot redemandait, ou du moins attendait des renforts, pour
organiser une expédition au départ de Majunga, sur Marovoay où il était sûr de vaincre, mais ensuite il ne croyait pas que des négociations entamées par M. Baudais, qui s'était montré trop carré, peut-être même un peu vif, avec les plénipotentiaires hovas, eussent aucune chance de réussir. Ce-fut aussi l'avis de l'amiral Galiber, car en transmettant le rapport de l'amiral Miot au ministre des affaires étrangères, il y ajouta qu'il considérait comme essentiel, si l'on voulait négocier avec chances de succès, de mettre les Hovas en présence d'un plénipotentiaire nouveau. M. de Freycinet répondait le 21 juin à son collègue
:
Je sens trop vivement moi-même l'intérêt que nous avons à régler, s'il est possible, dans les conditions indiquées par votre département les difficultés pendantes à Madagascar pour ne pas seconder, autant qu'il pourra dépendre de moi, la réalisation des vues qui vous paraissent propres à assurer*un tel résultat. Je me prêterai donc volontiers à ce que, suivant le vœu que vous exprimez, un agent diplomatique soit envoyé en mission spéciale à Madagascar.Cet agent, qui aura le titre et les pouvoirs de ministre plénipotentiaire, sera chargé de se rendre compte de la situation et des ressources qu'elle peut présenter au point de vue où se place votre département. Il aura surtout à s'assurerdesdispositions véritables des Hovas, et, si elles sont en réalité telles qu'elles nous sont signalées, il sera autorisé à entrer en pourparlers avec gouvernement de Tananarive, par les moyens qu'il jugera compatiblesavec le maintienne notre prestige, sur la base de l'établissement du protectorat de la France sur Madagascar dans certaines conditions déterminées. « En tout cas, vous jugerez sans doute comme moi nécessaire que le mandat qui sera confié à cet agent revête ostensiblement le caractère d'une mission d'études, d'une sorte d'enquête générale portant sur l'ensemble de l'entreprise tout le développement de notre politique dans la mer des Indes. « Il nous sera d'autant plus facile de procéder ainsi, que Madagascar n'est pas dans ces parages le seul point qui, à l'heure présente, se recommande à notre sollicitude. Les événements qui se sont produits récemment sur la côte du Zanguebar, les précautions que nous avons à prendre pour empêcher que le contre-coup ne s'en fasse sentir à notre détriment, jusque dans une région aussi importante pour nous que l'est l'archipel des Comores, sont autant de motifs suffisants pour justifier, au besoin, par eux seuls, la présence d'un agent spécial du gouvernement français dansl'océan Indien. » «
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Comme on le voit, le rappel de M. Baudais était convenu dès le 21 juin, ce qui ne l'empêcha pas de n'avoir lieu qu'au mois d'octobre; car fidèle son système ou à son tempérament, qui l'a fait surnommer Clle grand irrésolu», M. de Freycinet ne put pas se décider tout d'un coup, et dès le 26 juin il disait, dans une nouvelle lettre au ministre de la marine
à
:
Vous voyez que tous mes soins tendent à ce que, sous aucune forme, les avances ne viennent de notre côté. Il est essentiel, en effet, qu'au point où en sont les choses et après les votes de la Chambre, on ne puisse pas dire que nous avons affaibli de quelque façon la position morale de la France. Il ne nous est point interdit, il est même de notre devoir d'écouter les propositions des Hovas, s'ils reviennent à résipiscence, mais il ne saurait nous convenir de leur en adresser. Je tiens beaucoup, pour ma part, à ce qu'on ne puisse dire que j'ai «
À TAMATAVE Case indigène. — Le poste Aitkin. — Le petit mouillage de la pointe Hastic. — Le poste de la Dune.
envoyé à Madagascar un agent avec mission de faire des ouvertures de paix aux Hovas. C'est pourquoi je ne voudrais pas rappeler dès maintenant M. Baudais, avant même de savoir si cette mesure peut avoir une utilité quelconque. » Donc M. Baudais ne fut pas rappelé tout de suite, et il ne l'eût peut-être pas été du tout s'il n'avait mécontenté son chef, en entamant avec les Hovas, sans l'en prévenir, de nouvelles négociations, qui, d'ailleurs, ne réussirent point.
INTERVENTION DE
M-MAIGROT
Cette affaire de Madagascar est tellement extraordinaire, tellement singulière, que l'historien est obligé d'enregistrer l'intervention de particuliers sans mandat. comme sans autorité; mais essayant néanmoins de jouer le rôle que jouent quelquefois dans les conflits armés, les gouvernements des nations amies. C'est ainsi qu'un M. Maigrot entreprit de faire la paix entre la France et les Hovas. Ce M. Maigrot, riche planteur de Madagascar, n'est pas du reste le premier venu. Français d'origine, comme son nom l'indique, il est Anglais de naissance, puisque c'est un créole de l'île Maurice, mais Italien de nation, car il est consul d'Italie. C'est à ce titre qu'il fut reçu à Tananarivedans les premiers jours du mois de juin, à l'effet de ratifier le traité d'amitié conclu entre son gouvernement et celui de la reine Ranavalo. Le Madagascar Times, journal rédigé par les méthodistes anglais, a publié les discours échangés à cette occasion, ce qui n'a pas dû l'amuser beaucoup, car M. Maigrot s'étant exprimé en français, qui est partout et toujours la langue diplomatique, il a bien fallu lui répondre de même, ou tout au moins faire traduire, séance tenante, l'allocution que la reine avait prononcée en malgache. Ce discours ne s'écartait guère du ton ordinaire des harangues officielles; cependant il faut relever ce passage, que M. Maigrot plaça à la fin de son allocution, comme un jalon pour la mission qu'il s'était donnée à lui-même
:
En terminant, dit-il, que Votre Majesté me permette de faire des vœux sincères pour que son royaume retrouve bientôt la paix. Alors protégé par la haute sollicitude de Votre Majesté, sous l'habile direction de Son Excellence le premier ministre et des ministres qui l'assistent, et grâce aux puissants éléments de progrès de la civilisation moderne, auxquels le gouvernement de Votre Majesté ne peut manquer d'avoir franchement recours, Madagascar s'avancera de jour en jour davantage, vers un avenir de grandeur et de prospérité réelles. royaume « Que Dieu, Madame, garde Votre Majesté et son «
!
La reine, ou, pour mieux dire, le premier ministre qui la souffle, n'a pas répondu directement à ce vœu qui masquait mal une allusion assez transparente; mais une de ses phrases peut être considérée cependant comme une réponse.
Votre gouvernement, est-il dit dans cette phrase, peut être assuré que nous et notre gouvernement ferons toujours ce qui est en notre pouvoir, afin queles relations de bonne amitié ne subissent jamais d'altération, car ilest de noire plus «
intime désir, de vivre en bonne entente avec toutes les puissances étrangères, en vue de faire progresser la civilisation dans notre pays. » Il est plus que probable que la reine appuya d'une certaine façon sur les mots que nous avons soulignés, et que c'est en les prenant à la lettre que M. Maigrot conçut la pensée d'utiliser son voyage à Tananarive, en essayant d'amener un rapprochement entre les belligérants. S'était-il entendu au préalable, comme on l'a dit, avec l'amiral Miot ou avec M. Baudais? c'est très douteux, car c'est de Votomandry qu'il s'était rendu à
Tananarive. Ce qui paraît plus certain, c'est que, partisan du protectorat français, il s'est employé comme particulier et non comme agent diplomatique italien, et par pure sympathie pour la France, à faire aboutir cette combinaison et à lever ce qu'il croyait être seulement des malentendus. Il trouva, du reste, dans les régions officielles les esprits assez bien préparés à la paix. Malgré tous les préparatifs de guerre que l'on faisait; malgré l'arrivée d'un certain nombre d'aventuriers anglais et américains, plus ou moins colonels, qui allaient instruire les troupes et diriger les travaux de défense; malgré l'assurance que montrait M. DigbyWilloughby, investi ducommandementenchef de l'armée, le premier ministre était assez inquiet de la tournure que prenaient les choses et son entourage hova partageait ses appréhensions, d'autant que rien n'allait absolument bien; on pourrait même dire que tout tournait au plus mal. Du côté de Majunga surtout, là où l'armée de défense avait été formée à six mille hommes, répartis dans les forts de la rivière et dans le camp retranché assez voisin de la ville, on n'en comptait maintenant guère plus de la moitié, par suite des désertions qui se multipliaient et dont il était impossible de prévoir la fin, d'autant qu'il n'y avait plus de chef. Le 138 honneur, Rainimiarana, commandant du camp, avait été tué dans une attaque qu'il avait tentée dans les derniers jours de mai, et qui n'avait réussi qu'à décourager ses hommes, déjà fort peu ardents car la fièvre les décimait tout aussi bien que nos soldats, et de plus, ils étaient menacés de la famine et énervés par les continuelles surprises que leur causaient nos reconnaissances. Pour combler les vides de ce côté, on fit partir à grand fracas, de Tananarive, un régiment de quinze cents hommes, que la reine et le premier ministre haranguèrent avant leur départ, et qui jurèrent solonnellement de mourir tous pour la défense de la patrie. Mais cette manifestation belliqueuse était surtout faite pour le peuple, et il est certain que le premier ministre eût beaucoup mieux aimé conclure la paix. Et c'est pour cela qu'il répondit aux avances de M. Maigrot, peut-être pas officiellement d'abord, car il subissaittoujours l'influence des méthodistes anglais et particulièrement celle de M. Tacchi qui, dans son journal, Madagascar Times, conseillait la guerre à outrance.
;
Ce qu'il y a de certain, c'est qu'on négocia et que les négociations qui, par extraordinaire, ne traînèrent pas trop en longueur, eurent, pendant quelque
temps du moins, des chances de succès. Nous en suivrons les péripéties d'après le Livre Rouge, que le gouvernement hova publia au mois de novembre, en français et en malgache, évidemment pour servir de base aux nouvelles négociations qui furen,alors entamées. D'après ce document — auquel on peut accorder une valeur officielle, puisque rien n'en a été démenti premier ministre, Rainilaiarivony, adressait le 13 juin à l'amiral Miot, une lettre pour lui demander un armistice, non seulement pour arrêter l'effusion du sang, mais encore pour ouvrir une conférence, afin de cimenter à nouveau la plus ancienne des alliances de Madagascar, celle de la France. M. Maigrot, qui était chargé de cette lettre, la remit le 24 juin à l'amiral Miot avec une note contenant les propositions du gouvernement malgache. C'était certainement aller plus vite qu'on n'avait jamais été, puisque, avant de savoir si les représentants français commandant de l'expédition ou consul, étaient disposés, ou avaient autorité pour conclure la paix, le premier ministre leur envoyait un projet de traité. Il est probable, du reste, que M. Maigrot avait répondu de tout, puisque Rainilaiarivony avait en même temps constitué des plénipotentiaires, qui étaient descendus de Tananarive avec le consul italien, mais étaient restés au camp hova de Manjakandrianombany. Voici quelles étaient les propositions du premier ministre de Ranavalo III :
-le
:
La France reconnaîtra le titre de Sa Majesté comme reine de Madagascar et son droit de souveraineté sur toute l'île; Les troupes françaises seront retirées des points qu'elles occupent à des » 2° époques déterminées nord et nord-ouest; et « 3° La France renoncera au protectorat de la côte une amnistie générale sera accordée à la population « 4° La France s'obligera à respecter et à maintenir l'autonomie du royaume et le droit de succession au trône réglé par les lois et coutumes du pays; disposition du gouver« DO Elle s'engagera, autant que possible, à mettre à la nement de la reine, sur la demande de celui-ci, des officiers pour organiser son armée, des transports ou des navires de guerre pour convoyer ses troupes et protéger leur débarquement sur tous les points de la côte où il pourra devenir nécessaire d'envoyer des forces pour affirmer l'autorité de la reine sur ses sujets indisciplinés de la terre pour accepter « 6° Elle renoncera au droit de propriété absolue des concessions accordées pour des périodes de temps déterminées garantie dela France; « 7° Madagascar acceptera la « haute garantie il est compris que, la France s'en« 8° Par ces mots de « haute gageant à respecter l'autonomie du gouvernement hova, celui-ci ne pourra, sous « 1°
;
;
;
»,
»
;
étrangère de convention un prétexte quelconque, conclure avec une puissance accordant des privilèges spéciaux ou des cessions de territoire; qne ces privilèges ou cessions faites sans le consentement de la France seraient nulles et non accordé, une avenues, et que la France reprendrait, au cas où il en aurait été complète liberté d'action et pourrait soutenir toutes ses réclamations par tous les moyens qui lui conviendraient et même par la force. » L'amiral Miot et M. Baudais, après s'être concertés, répondirent, dès le lendemain, à cette communication, qu'ils partageraient le désir du gouvernement hova d'arriver à une suspension d'hostilités, et joignirent à leur lettre des contre-
Tamatave, — Les consulats européens.
propositions que M. Maigrot porta aux diplomates délégués par le premier ministre hova. Ces plénipotentiaires acceptèrent toutes ces contre-propositions, sauf une seule qui remplaçait l'article 7 des propositions malgaches par ceci
:
Le protectorat de la France sur toute l'île de Madagascar est accepté par le gouvernement malgache. » «
protectorat effarouchait terriblement les Hovas, et M. Maigrot revint à Tamatave dire qu'ils étaient absolument inébranlables dans la substitution du mot de « haute garantie à celui de « protectorat. » Il est vrai que pendant que M. MaigroL voyageait, ils avaient réfléchi, et lui écrivaient le 27 juin qu'ils accepteraient tout, si l'on pouvait trouver une expression moins blessante que celle de protectorat. L'amiral Miot ne voulut point céder, et après avoir expliqué aux plénipotenCe mot de
»
tiaires hovas ce que le protectorat entraînait de fait, c'est-à-dire la présence dans la capitale d'un résident avec une garde d'honneur française, il leur écrivit: « La langue de la diplomatie ne contient pas d'autre expression pour définir la haute garantie dont vous parlez, nous ne pouvons ni ne saurions employer une autre expression. » Le LivreBouge dit qu'il ajouta, mais parlant à M.
Maigrot
Si ce mot ne peut être accepté dans un traité où les préliminaires montrent de notre part tant de modération, ce sera aux armes à décider, et le moment est «
arrivé.
»
Cependant, l'amiral réfléchit, et le surlendemain, il chargeait la proposition suivante
:
M.
Maigrot de
»
Le terme signifiant « protectorat serait inséré dans le texte malgache, tandis que le mot « protectorat » figurerait dans le texte français, mais avec une note insérée dans le traité, spécifiant «que le texte français ferait seul foi dans les rapports internationaux, vu l'insuffisance de la langue malgache pour la traduction du terme en question. » Cette fois, il fallut en référer au premier ministre lui-même, et M. Maigrot retourna à Tananarive, ce qui prouve qu'il avait bon espoir, car ce voyage que l'on ne peut faire qu'en palanquin, par des chemins qui n'existent pas, est une véritable corvée qui dure une dizaine de jours. Cette espérance ne devait point être partagée par les représentants de la France, puisque l'amiral Miot n'annonça point au ministre de la marine qu'il était en train de négocier, pas plus que M. Baudais n'en avisa le ministre des affaires étrangères. Il est bien évident que s'ils avaient eu un bureau télégraphique à leur portée, ni l'un ni l'autre n'eussent négligé de prévenir leurs chefs mais comme pour correspondre télégraphiquement avec la France il fallait envoyer un navire tout exprès pour porter la dépêche à Zanzibar, l'amiral Miot ne crut pas que les nouvelles qu'il avait à donner valussent la peine de détacher un de ses bâtiments, alors qu'il n'en avait pas assez pour entretenir un semblant de blocus sur les côtes orientales de Madagascar. Le 11 juillet, le dévoué M. Maigrot était à Tananarive, et sans le faire attendre, le premier ministre lui disait qu'il acceptait le mot « protectorat dans les préliminaires de paix, mais à la condition qu'il serait modifié dans le traité définitif. Là-dessus, il rédige un nouveau projet de traité préliminaire que M. Maigrot rapporte à Tamatave. Il n'y arrive que le 24, car il ne court plus aussi vite, prévoyant la perspective d'un nouveau voyage. «
;
»
Cette prévision se réalisa, du reste, parfaitement, car l'amiral Miot et M. Baudais répondirent, le 25, par la dépêche suivante dont le consul d'Italie, faisant métier de courrier de cabine.t, voulut bien encore se charger
:
«Nous regrettons de ne pouvoir accepter lesmodification que vous proposez.
»
doit être inséré dans un traité dont l'objet est l'établisseLe « mot protectorat ment d'un protectorat. Nous avons offert de laisser dans le texte malgache le mot malgache équivalant à l'expression française, sous la condition ordinaire que le texte français seul ferait foi dans les questions diplomatiques, perdons l'espoir de conclure la « C'est avec le plus grand regret que nous paix entre les deux nations, surtout après avoir montré par les grandes concessions que nous ne pouvons dépasser, concessions dont, nous en sommes sûrs, vous avez compris l'importance, le désir dont nous sommes animés. traduction des propositions que nous « Nous vous envoyons une nouvelle vous faisons, et nous avons trop de confiance dans la haute intelligence de Votre Excellence pour douter qu'elle ne les accepte.» Cette dépêche marqua la clôture des négociations, et le premier ministre n'en accusa réception, le 12 août, lendemain du jour où il la reçut, que par une lettre adressée directement à M. Maigrot qui méritait bien cela, et mieux encore pour tout le mal qu'il s'était donné sans résultat. Cette lettre qui est insérée aussi au Livre Ronge doit être reproduite ici, car ce n'est pas seulement un renseignement, c'est un document.
J'ai l'honneur de vous accuser réception de votre communication du25 juillet et des propositions de préliminaires de paix qui l'accompagnent. C'est avec un profond regret que, après mûre délibération, le gouvernement de Sa Majesté se voit obligé de vous déclarer que les conditions établies par le premier article de ces préliminaires sont d'un tel caractère que le gouvernement de la reine ne peut les accepter sans abdiquer sa souveraineté. « Il paraissait au gouvernement de Sa Majesté que l'acceptation du second article, lequel lui impose l'obligation de ne conclure aucune convention avec les puissances étrangères sans la sanction de la France, était une limitation suffisante de son droit de souveraineté et constituait une concession importante aux désirs de la France, aussi bien qu'une garantie sérieuse pour ses intérêts. Afin de rétablir les relations amicales qui ont si longtemps subsisté entre les deux nations, le gouvernement de la reine n'hésiterait devant aucun sacrifice compatible avec l'honneur et l'intégrité de son royaume; mais il estime qu'il s'abaisserait aux yeux du monde et de la France elle-même, s'il renonçait à ses droits souverains sans les défendre. « Le gouvernement de la reine regrette profondément de voir que les bons offices de M. Maigrot, auquel il exprime toute sa reconnaissance, et les efforts faits pour arriver à une entente, aient été stériles. «
qu'après Néanmoins, il l'espoir avoir mûrement pesé la grandeur conserve « des sacrifices faits par la cour d'Emyrne dans l'intérêt de la France, les plénipotentiaires français reconnaîtront que les objections qui leur ont été faites sont bien fondées. »
YOTE DES CRÉDITS
Pendant qu'on échangeait des propositions de paix à Madagascar le gouvernement, qui n'était point au courant de ces négociations, qui ne savait même pas qu'elles se faisaient et qui ne l'apprit, d'ailleurs, que lorsqu'elles eurent échoué, le gouvernement demandait à la Chambre les -crédits nécessaires pour entretenir nos soldats de terre et de mer à Madagascar et entreprendre au besoin de nouvelles opérations. Il s'agissait de douze millions, qui furent bien un peu marchandés par les partis d'opposition, de droite et de gauche, surtout de gauche, mais dont le vote ne faisait point de doute, la commission tout entière étant favorable ce qui prouvait une majorité dans la Chambre qui l'avait élue. M. de Mahy, président de cette commission, dans un discours d'ailleurs remarquable, et dont nous citerons les passages les plus saillants, alla même beaucoup plus loin que le gouvernement n'avait envie d'aller; car il conseilla, demanda, non pas seulement l'établissement de notre protectorat Madagascar, mais la conquête de l'île, qu'il considérait comme une colonie nécessaire et dont l'avenir était assuré. «D'ores et déjà, dit-il, un grand nombre de Français quittent chaque année la France et se dispersent danslemonde entier. La plupart périssent misérablement. Parmi les cinq à six mille qui font la déclaration officielle de leur exode, une partie s'en vont dans l'Amérique du Sud, à la Plata. Le reste se mêle à la masse énorme des populations du globe et disparaît comme une goutte dans l'Océan, en pure perte, sans profit pour la nation. Que de forces vives ainsi gaspillées, qu'il est d'un intérêt suprême, d'un intérêt urgent pour la France de recueillir précieusement sans tarder davantage ! à se coordonner enfin l'instinct de la con« Un instinct profond les porte servation, qui n'anime pas seulement les individus, mais qui pénètre aussiles sociétés et se manifeste à de certains moments décisifs, par des indices que l'homme d'État doit savoir saisir et utiliser. C'est vers Madagascar que toutes ces forces, jusqu'à présent perdues, ten« dent à converger; c'est là que se rendront cette foule de gens,nos compatriotes, que la lutte pour la vie élimine et étouffe, ou déclasse et pousse au crime sur Je sol natal trop encombré.
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Madagascar.
C'est à Madagascar qu'une partie des capitaux que les Français jettent dans , des spéculations ruineuses, iront fructifier quand on saura que dans ce grand pays, qui est à nous, et ou tant d'espace reste à s'occuper par nos nationaux, nos gouvernants sont enfin résolus à ne plus se départir des faciles devoirs d'une politique ferme et nette. « Sur toute la surface du globe, Madagascar est la seule terre disponible où la France puisse se développer et faire de la vraie colonisation. Madagascar, c'est deux fois au centuple les îles de France et de Bourbon, à l'époque de leur découverte. « Et la fortune a voulu que cé domaine de si rare valeur soit notre propriété! «Pour la grandeur etlabeauté elle est semblable à la France même. C'est une France nouvelle, la France orientale, restée jusqu'au plein xixe siècle à peu près inhabitée, à peu près inexploitée et toute prête à recevoir le trop-plein de notre vieille France, à l'étroit aujourd'hui dans ses limites continentales. « Ce que Madagascar vous offre n'existe nulle autre part au monde. Vous le chercheriez vainement ailleurs partout ailleurs vous vous heurtez, ou vous pouvez vous heurter à des compétitions dangereuses, à des voisinages peu commodes, ou bien vous avez affaire à des populations d'une densité excessive, murées dans leur vieille civilisation, peu assimilables, presque impénétrables à notre sang, à nos mœurs, à nos idées et entassées sur un sol étroit dont la moindre parcelle a son occupant, son propriétaire individuel! Là des Français peuvent prendre la direction du pays, avoir des places, devenir fonctionnaires, exploiter le commerce et l'industrie, au profit, je le reconnais, de la masse entière de la nation, et vous avez bien fait d'y mettre votre drapeau. Mais là vous ne pouvez pas essaimer, coloniser réellement. seuls, nous avons pour frontière l'Océan; le « A Madagascar, nous sommes rivage offre à notre marine des pêcheries, des abris, des rades, des ports les plus magnifiques du globe, et des conditions locales analogues à celles qui donnent aux arsenaux de l'Angleterre une si grande supériorité sur les nôtres la houille, le fer, le cuivre, le bois, l'eau profonde, les matériaux de construction, la facilité des approvisionnements de toutes sortes, tout réuni sur place, à pied d'œuvre, et disposé pour le mieux. «Là, vous avez une position stratégique incomparable,nécessaire à la France pour la savegarde de ses possessions, de son commerce, de sa marine marchande et militaire, de ses intérêts, de son prestige dans l'Extrême-Orient et dans l'hémisphère austral. la terre nourricière qui commande et alimente toutes les îles « Là, vous avez et toute la navigation 9e cette partie de l'océan Indien. sol plantureux, propre à toutes les cultures, rempli de trou« La, vous avez un peaux, de bétail en quantité immenses, véritable Normandie tropicale, comme l'a dit un éminent officier de notre marine, M. l'amiral Fleuriot de Langle, qui a exploré et visité le pays. «
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:
Là, vous avez, dans la.plus grande partie du pays, un climat excellent, où les Européens peuvent vivre et travailler comme en Europe, et dans certaines régions seulement, des endroits insalubres faciles à assainir, oùbeaucoup d'Européens sont, au surplus, déjà établis avec leurs familles et font un commerce fructueux. voisin pour nous inquiéter et nous gêner. « Là, nous avons l'espace, et aucun Le pays n'a que 3 millions d'habitants, divisés en tribus distinctes, dispersées sur un territoire aussi beau, aussi grand que la France, et dont la majeure partie est absolument vide d'habitants. hostile, ew pour mieux dire le gouverne« Une seule de ces tribus nous est ment d'une seule tribu, gouvernement détesté dans l'île entière, même dans sa propre peuplade, qui ne demande qu'à en être délivré. Toutes les autres tribus se réclament de notre souveraineté par des traités nombreux, formant une série non interrompue, oùle droit antérieur et supérieur de la France est chaque fois reconnu, proclamé et invoqué par les naturels eux-mêmes. Là, nous pouvons nous étendre et diriger un salutaire courant d'immigration française, sans risquer de léser les droits individuels ni les intérêts des indigènes, car, encore un coup, l'espacene manque pas. « Là, vous pouvez vous établir sans exciter la jalousie des hommes du pays, car, circonstance d'un intérêt primordial quand il s'agit de colonisation, la proportion des femmes dépasse de beaucoup celle des hommes, et l'union avec un Français est recherchée dans les familles indigènes comme un très grand honneur. Fran« Là, vous êtes attendus par des populations amies, où de nombreux çais ont déjà fait souche et ont donné naissance à des générations métisses très fécondes, très intéressantes, parlant français, et qui sont vôtres. « Vous ne pouvez pas les abandonner, elles, et les tribus que vous avez compromises; vous ne pouvez pas livrer tout ce monde aux vengeances de l'oligarchie usurpatrice, dont les attentats n'ont été que trop favorisés par nos faiblesses passées. « Il ne s'agit pas, au surplus, d'exterminer la peuplade hova, dont le gouvernement actuel nous est hostile; il s'agit simplement de la faire rentrer dans le rang, en la délivrant elle-même de la tyrannie qui la tient sous le joug et qui se sert d'elle comme d'un instrument de révolte contre nous, de destruction contre les autres tribus de l'île. « Elle et les autres bénéficieront de notre présence, de notre industrie, de nos capitaux, de nos lois, de la liberté et de la douceur qui accompagnent partout la souveraineté de la France car, faut-il le dire encore? il ne s'agit pas de détruire ou d'opprimer telle ou telle tribu de l'île. Le sympathique et généreux génie de la France ne s'accommode pas de ces « proscriptions. Le Français ne fait pas périr les races à côté desquelles il s'implante il les adopte et s'y allie, les épouse, les assimile, les élève à la civilisa«
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tion par les liens du sang, par la propagande, par la salutaire contagion des idées et des mœurs, par le bienfait de nos lois tutélaires. C'est ainsi que notre troisième République réalisera la pensée traditionnelle de Richelieu et de Colbert, de la Révolution, du Premier Consul, de la Restauration la France
!
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Orientale Telle qu'elle est à ses débuts, elle « Quelle grandeur elle aura dans l'avenir fait avec le monde civilisé un commerce annuel d'une quarantaine de millions, dont les trois quarts sont dans des mains françaises; commerce rudimentaire, ce chiffre de quarante millions, mais destiné à recevoir le développement que comporte un territoire grand comme la France, plus riche, placé — ce point de vue-ci n'est pas de moi, je l'ai trouvé dans un ouvrage fort remarquable les Colonies nécessaires, qui vient de paraître sans nom d'auteur et que l'on attribue à un homme des plus compétents — Madagascar, fait-il remarquer, placé sur la route obligéeducommercequis'ouvreentrel'Australie, l'Europe et l'Afrique orientale, deviendra l'entrepôt nécessaire de ce commerce, remplissant ainsi, en face de la vaste étendue du continent africain, depuis le cap de Bonne-Espérancejusqu'au delà de l'équateur, le rôle de Hong-Kong vis-à-vis de côte asiatique; avec cette différence que l'îlot anglo-chinois de Hong-Kong ne produit rien par lui-même, tandis que Madagascar joindra aux transactions dont il sera l'intermédiaire, les ressources intrinsèques d'un ^randpays. « Là, dans cette possession que l'on nous conseille d'abandonner, et qui tombera aux mains de nos rivaux si vous l'abandonnez, là est la compensation des sacrifices nécessités par d'autres entreprises, moins bonnes peut-être, mais qui ont été rendues inévitables par la faiblesse ou l'insouciance de notre diplomatie; insouciance qu'on s'était accoutumé à prendre pour de la sagesse, dans l'état d'esprit engendré chez nous par une longue désuétude de la vie publique, préparant les désastres où le gouvernement impérial a sombré et les discordes civiles qui ont ensanglanté l'avènement de notre troisième République. « Là est laréparation de nos forces. Là est le relèvement de notre marine marchande et militaire. Là vous avez, en outre des conditions stratégiques et topographiques, l'expérience déjà faite et qui se poursuit avec succès, d'un recrutement facile, abondant, de matelots, d'hommes de peine de toute sûreté, auxiliaires excellents des équipages de vos flottes dans les mers chaudes du globe. Là vous avez, dès maintenant, pour vos diverses industries, de sûrs débouchés et de sûrs retours dematières. Là vous aurez, aussitôt que vous le voudrez, ne fût-ce que dans la perception des droits de douane, des sommes plus que suffisantes pour couvrir tous les frais, toutes les dépenses de l'occupation et de la colonisation. Que de sources de prospérité! que d'éléments pour la solution de la crise sociale qui sévit sur notre pays fil, à un moment donné. Tout cela, passez-moi « Tout cela n'a tenu qu'à un une expression un peu rude, la seule qui dépeigne bien la situation que l'on avait su nous faire à Madagascar, tout cela a failli nous être soufflé pendant une
!
à
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la
!
sorte de somnolence de notre politique extérieure, d'où nous ont enfin tirés les avertissements pressants de notre consul M. Baudais, la hardiesse, l'habileté, le retentissant éclat du commandant Le Timbre, les exploits et la mort de l'amiral Pierre, héros et martyr de cette cause française. « Plusieurs de nos ministres des affaires étrangères, M. de Freycinet l'un des premiers, M. Duclerc, M. Gambetta, M. Jules Ferry, ont revendiqué hautement les droits de la France. Vous, messieurs, vous avez tout sauvé par votre vote du 27 mai 1884. l'un des plus beaux, l'un des plus mémorables de l'histoire parlementaire de ce pays et, j'ose le dire, de tous les pays car les rivalités, les dissensions, les haines des partis ayant désarmé spontanément sur ce terrain, dans une véritable trêve de patriotisme, vous n'avez cédé, — en examinant à fond cette affaire tant de fois débattue ici et au dehors, — vous n'avez cédé à aucun entraînement. mais, dans une appréciation raisonnée, dens la claire vision de l'honneur, de la dignité et des intérêts du pays, vous ne vous êtes inspirés que des meilleures et des plus hautes suggestions de la sagesse politique. L'âme de la patrie a plané sur vos délibérations. Si le Parlement, obéissant aujourd'hui à des conseils auxquels nos rivaux « applaudissent, et que, donnant l'exemple d'une versatilité sur laquelle on ose compter ouvertemeut pour l'exploiter ensuite contre vous, vous vous laissiez conduire, par les agitations et les incohérences de notre politique intestine, à abandonner Madagascar, après votre vote réfléchi du 27 mars, après la proclamation solennelle que vous avez faite de votre volonté et de vos droits, après la consécration dernière que ces droits ont reçue du succès de vos armes et des sacrifices d'hommes et d'argent que vous avez faits pour les soutenir, ce sera une de ces fautes inconcevables, éternel sujet de désespoir et de honte pour ceux qui les ont commises, d'étonnement pour ceux qui ont osé les souhaiter Ce sera une perte sèche pour la France, un préjudice irréparable pour la République, un coup funeste à notre bon renom. Mais ce sera un bonheur inouï pour nos rivaux, qui s'empresseront de recueillir le fruit mûr, l'héritage opime ensemencé de notre or et de notre sang. »
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Ce discours très optimiste fut suivi, tout naturellement, de discours pessimistes, puisque dans les questions politiques il y a toujours des médecins TantPis et des médecins Tant-Mieux la question finit même par s'égarer, et M. Jules Ferry fut mis en cause, comme président du dernier cabinet. Cela fit simplement perdre du temps on était au samedi (25 juillet), la suite de la discussion fut renvoyée au lundi. On s'attendait, à l'ouverture de la séance, à voir M. Ferry s'expliquer; ce fut M. de Freycinet qui monta à la tribune pour dissiper un malentendu.
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Il a semblé au gouvernement, dit-il d'abord, que le débat a quelque peu dévié, dans la séance de samedi. On a parlé de la conquête de Madagascar et les «
orateurs qui se sont succédé ont semblé combattre pour ou contre cette conquête. « Or, là n'est pas la question. Le crédit de 12 millions qui est demandé ne renferme pas un tel sujet discussion; le gouvernement estime, d'ailleurs, que le grand débat sur ce qu'il faut faire à. Madagascar viendra à son heure; mais aujourd'hui, à la veille de la séparation du Parlement, y a-t-il utilité à l'ouvrir? « Vous le savez, ajoute le ministre des affaires étrangères, le moment où nous sommes n'est pas celui-où un grand effort pourrait être tenté sur Madagascar nous touchons à la fin de la saison qui permettrait ce genre d'opération. « Si vous entrepreniez aujourd'hui de résoudre cette grave question de savoir si, oui ou non, la France est décidée à s'emparer de Madagascar, de deux choses l'une ou bien vous la résoudriez affirmativement, et alors quel profit, quelle utilité y aurait-il pour vous à engager vos successeurs par une résolution dont vous ne pourriez pas voir vous-mêmes, le commencement de réalisation? Ou bien vous la résoudriez négativement, et alors vous fortifieriez lesHovas,vousles délivreriez de la crainte salutaire de ce que la France peut faire contre eux; ils se croiraient désormais plus libres pour vous braver, et leur arrogance s'en augmenterait. « De sorte que, à quelque point de vue que vous vous placiez, c'est là une question que vous ne pouvez pas, à l'heure actuelle, aborder utilement ou.même que vous ne pouvez résoudre que d'une façon nuisible, je dirai même dangereuse. « Ce ce sera guère que dans quelques mois qu'elle pourra être traitée d'une façon pratique. C'est vers le mois d'avril que de telles opérations pourraient être entreprises; c'est donc vers le mois de janvier ou de février que la question de la conquête de Madagascar pourrait être utilement examinée. » Là-dessus, M. de Freycinet fait un rapide historique de notre querelle avec les Hovas, en réservant son jugement sur la façon dont les opérations ont été dirigées. dit-il, il n'y a pas deux politiques à suivre la question qui « Pour le moment, se pose est de savoir si vous voulez donner au gouvernement les moyens de maintenir les positions, non seulement pour obtenir réparation, mais pour revenir à la pensée qui, à ce moment, a animé la Chambre entière. refuser les moyens que le gouvernement vous « Vous ne pouvez donc pas demande. «Est-ce à dire qu'après, toute chance d'arrangementaura disparu pour obtenir les satisfactions légitimes qui nous sont dues? Non. A aucun moment, les négociations n'ontété interrompues. Mais savez-vous quelles satisfactions les Hovas nous ont offertes? « Ils nous ont offert, il est vrai, une indemnité pour les Français dépouillés « de leurs propriétés en 1878, mais rien de plus. à condition que nous « Je me trompe!-Ils nous ont offert une somme d'argent
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renoncerions à nos droits séculaires et à ceux de 1840 et de 1841. Ces droits, vous pouvez vous résoudre à ne pas les exercer, mais il n'entrerajamais dans la pensée d'une Chambre française de les aliéner pour une somme d'argent. satisfactions qui nous ont été offertes. Quand nous avons demandé « Voilà les aux Hovas de laisser en vigueur le traité de 1868, en ce qui concerne le droit de propriété, savez-vous ce qu'ils ont répondu? « Nous ne défendons pas aux Français d'acheter, mais nous interdisons aux Hovas de vendre. » nation accepte un pareil langage? Et « Est-il donc possible qu'une grande quand on a voulu transformer le droit de propriété en droit de bail à long terme, jamais les Hovas n'y ont consenti. Le plus long bail accordé a été de vingt-cinq ans. donc celle-ci nous sommes en face d'un peuple qui, encou« La situation est ragé par sa situation topographique, et peut-être aussi par des hésitations qu'il croit apercevoir chez le peuple qui veut lui dicter ses conditions, et par des influences sur lesquelles je n'ai pas à insister, a cru pouvoir nous tenir le langage le plus dédaigneux et le plus offensant, langage dont vous pouvez n'être pas blessés, car ce n'est pas vis-à-vis de la République française qu'un pareil langage peut être tenu, mais que vous ne pouvez accepter. « Je ne me dissimule pas les sacrifices très douloureux qu'une telle conduite exige vis-à-vis d'un ennemi tenace. Personne ne les déplore plus que moi, et c'est pour cela qu'en 1882, quand j'ai vu la question devenir aiguë, j'ai longtemps hésité, ayant pour principe et pour habitude, avant de m'engager dans une opération difficile, de la bien examiner, sauf à m'arrêter, s'il le faut, sur le seuil; mais, •ce que je n'admets pas, c'est qu'une grande nation, quand elle est engagée, s'arrête, change de résolution, et donne au monde le spectacle d'une politique inconstante. « C'est pour cela que j'admets que les gouvernements qui se succèdent doivent recueillir l'héritage de [la politique étrangère que leur transmettent leurs devanciers. « Ils ont ce devoir, non pas pour renoncer à faire prévaloir leur politique propre, mais pour continuer les affaires engagées ou pour faire honneur aux signatures échangées. a Ici, ce n'est pas un cabinet, c'est quatre ou cinq ministères successifs qui se sont prononcés dans le même sens. « La Chambre elle-même a donné sa signature en 1884. Je n'ai pas à faire ici la revue rétrospective des incidents parlementaires qui ont précédé ou suivi ce que je sais, c'est que le peuple hova nous a donné les plus légtitimes griefs, et je considérais, dès 1882, qu'il fallait recourir à des mesures coercitives. « Si j'étais resté au pouvoir, je les aurais demandées antérieurement; nous avions des griefs à faire réparer; et, en 1884, la Chambre, saisie de la question, a jugé qu'il y avait lieu de procéder ainsi. « C'est de cette façon que là France a été engagée. Je le répète, je crois que
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ce serait un spectacle profondément fâcheux d'accuser une mobilité de politique, et, après avoir fait, il y a dix-huit mois, la démonstration que vous savez, de refuser aujourd'hui les crédits; en laissant penser que nos ultimatums n'étaient
que paroles vaines, que nos menaces n'étaient pas sérieuses, que nous étions arrêtés par la considération des sacrifices à faire, sacrifices importants sans doute et qui veulent être discutés mais au-dessus de ces considérations il y a l'honneur, il y a la dignité du pays. devons maintenir la situation que nous avons prise, « Je crois donc que nous conserver les points que nous occupons ou en prendre d'autres, nous mettre à l'abri des tentatives des Hovas, et attendre de la fermeté et du retentissement de votre vote la soumission qui ne manquera pas de se produire de la part des Hovas, quand ils sauront que notre résolution est inébranlable et que rien ne pourra lasser la patience, la persévérance de la République. »
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Après ce discours, la discussion paraissait close, d'autant que la grande majorité des députés semblait ne plus vouloir prêter d'attention à cequi pourrait être dit sur cette question, en faveur de laquelle son opinion était,faite, mais l'opposition n'avait pas dit son.dernier mot et comme en politique on ne convainc jamais personne, ce qui prouve l'inutilité des discours, - fut encore beaucoup parlé pour et contre. Contre surtout on trouvait et avec assez de raison, du reste, que M. de Freycinet ne s'était pas expliqué assez catégoriquement, sur l'éventualité d'une grande expédition et d'une occupation définitive deMada-
gascar, -
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vérité, l'orateur avait été aussi clair, aussi précis qu'il lui est possible de 1 l'être, avec l'indécision qui fait le fond de son caractère et de sa politique, mais on trouvait que ce n'était pas assez. Ce qui amena M. Brisson, alors président du conseil des ministres, à appuyer en ces termes les déclarations de son collaborateur. dit-il, a entendu les explications données par M. le minis« La Chambre, tre des affaires étrangères à l'appui du crédit que nousvous demandons de voter. Il est difficile de se méprendre sur le langage de M. le ministre des affaires « étangères, langage arrêté en Conseil des ministres. Cabinet est résolu à ne rien abandonner ni de l'honneur, ni des droits, « Le ni des intérêts de la France. raison de la saison ou nous sommes, réserver sa liberté d'action « Il peut, en mais je le répète, nous n'abandonnerons rien des droits, des intérêts et de l'honneur de la France. » A la
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Ces paroles aussi claires que patriotiques enlevèrent le vote. La question était vidée, il n'y avait donc plus qu'à envoyer à l'amiral Miot, les troupes qu'il ne cessait de demander pour faire quelque chose.
Mais la période électorale allait s'ouvrir et ce n'était pas le moment d'envoyer
des renforts, d'autant que c'était surtout sur la question coloniale qu'allaient se faire les élections. L'amiral fut donc obligé ou de rester en place ou de marcher avec ses propres ressources, ce qui explique très bien pourquoi il essayait de traiter.
Les boutres de Madagascar pour le transport des boeufs-
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CONSÉQUENCES DE L'INACTION
Au moment où l'amiral Miot apprit le vote de la Chambre, les négociations
n'étaient pas encore rompues; mais les Hovas, qui voyaient bien qu'elles n'aboutiraient pas, puisqu'ils ne voulaient point céder sur la question du mot protectorat, mettaient à profit notre inaction. D'abord en réorganisant leur armée sous les ordres de l'Anglais Digby Willougby, qui en était généralissime, bien qu'il n'eût jamais été soldat depuis la guerre des Bassutos où il était capitaine de volontaires ensuite en cherchant à gagner les populations du sud de l'île, auxquelles ils n'avaient jamais Hispiré aucune sympathie, bien au contraire, car on peut dire, et cela est certain, qu'au
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début des opérations, ces gens-là n'attendaient que notre présence pour se révolter. On le savait par M. Macé, chef de la petite colonie française de Nossi-Vey, qui était en relations constantes avec tous les roitelets malgaches de la côte, depuis Morondava jusqu'au cap Sainte-Marie. Mais on n'avait pas assez de troupes pour en envoyer, même de simples détachements, parmi ces populations prêtes à s'armer pour secouer le joug, — d'ailleurs plus nominal qu'effectif, — des Hovas, et, las d'attendre, les Malgaches commençaient à changer d'attitude à notre égard. C'est qu'ils étaient travaillés, et très habilement travaillés, par les Hovas et par ces excellents méthodistes anglais qui, depuis quelque temps, descendaient de Tananarive et réunissaient dans des kabary les chefs restés favorables à notre cause et leur tenaient à peu près ce langage, bien capable de les en détourner
:
Les Français sont incapables de faire quoi que ce soit à Madagascar. Ils sont depuis deux ans bloqués à Tamatave, bloqués à Majunga et repoussés de partout. D'ailleurs, en Europe, en Asie, en Afrique, ils ont de bien lourdes affaires sur les bras et l'univers entier est leur ennemi. « Qu'ont-ils-empêché jusqu'aujourd'hui? Ce n'est pas l'organisation de nos guerriers, dont le nombre les écrasera s'ils s'aventurent dans l'intérieur; ce n'est pas le débarquement des armes et delTmunitions, qu'ils n'osent entraver de peur de complications diplomatiques. Ils vous ont promis aide et assistance, avez-vous vu un seul de leurs soldats, un seul de leurs bateaux? Ce qu'ils combattent le plus activement, c'est la fièvre, et la fièvre les décime. Pour l'éviter et éviter nos coups, ils se tiennent à proximité de leurs navires. Ce « Ils se vantent de monter à Tananarive. Savent-ils seulement marcher? sont des « sahona antanety» (des têtards impuissants sur la terre ferme). Si, par impossible, leur entreprise réussissait et si, par malheur, vous leur prêtiez votre concours, vous seriez leurs premières victimes. Ils vous emmèneraient en esclavage, ils détruiraient vos villages et ce serait votre récompense. Mais, non; — ils ne tarderont pas à quitter ce pays, comme ils l'ont toujours quitté, découragés, malades et vaincus. Venez donc à nous, devenons amis. Chassez de votre territoire les quelques Français qui, sous prétexte de commerce, vous exploitent, ou livrez-les-nous pour que nous les conduisions à la capitale. Ce sera le premier gage de votre alliance et la reine saura reconnaître vos services. » «
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Malgré ces. discours, présentés sous diverses formes, mais dont le thème, —* trop habile pour ne pas être un danger pour notre influence, — ne variait jamais; malgré tous ces kabary, les naturels du Sud-Ouest nous étaient encore dévoués; le correspondant du Temps l'affirme dans sa lettre du Hr août, mais,
ajoute-l-il, « leur méfiance est éveillée, et elle se traduit par un redoublement d'exactions sur nos nationaux. Les droits qu'ils exigent pour le débarquement des marchandises sont de plus en plus exorbitants, et la vie de ces pauvres traitants est devenue insupportable. Je relève dans une lettre de l'un d'eux, écrite de l'île de Maro-Loha, au nord du cap Saint-Vincent, le passage suivant,que je crois devoir transcrire textuellement « Depuis qu'un bateau à vapeur battant anglais a débarqué tout un chargement d'armes et de munitions de « pavillon Morondava, les Sakalaves, inféodés jusqu'alors à notre cause, nous « guerre à «font subir toute sorte d'avanies et nous créent mille embarras. Cela n'est pas «étonnant; fatigués d'attendre nos navires de guerre, qui devaient, disait-on, «bloquer Morondava; excités d'ailleurs contre nous par un tas d'étrangers et par maintenant que nous ne sommes pas les plus forts, « les Hovas, ils se figurent «et nous payons chèrement, je vous assure, l'hospitalité qu'ils nous donnent. » traitant d'Ampalasy, non loin du cap Sainte-Marie, nous « De son côté, un fait un récit pittoresque de ses tribulations « Les Mahafales sont plus intoléjamais. Ils l'étaient pourtant bien assez. D'ordinaire, on les voit, dès « rables que arriver en grand nombre chez la victime, c'est le traitant que je veux « le matin, «dire. Ils s'installent dans sa case, les uns se tenant assis, les autres couchés, «d'autres à quatre pattes, et, dans cette position, se faisant tuer leur vermine par «un camarade complaisant. Ah? ils n'y mettent aucune forme, en prennent à leur «aise et considèrent votre demeure comme la leur. Du reste, sans vergogne, ils «vous débitent ce petit raisonnement « Tu as bâti cette case, c'est possible ; bois du pays et se trouve sur notre terre; donc elle « mais elle est composée des «nous appartient. » jure, est du matin au soir soumise à une rude « Notre patience, je vous «épreuve! Non contents d'encombrer notre habitation, ils nous harcèlent de aleurs exigences répétées. Celui-ci réclame un objet dont il a envie depuis long«temps, celui-là se palpe le ventre en criant qu'il a faim; cet autre vous presse avoir du tabac. Vous avez à peine allumé votre pipe ou votre cigarette « pour «qu'elles vous sont enlevées d'entre les dents et circulent de bouche en bouche « jusqu'à épuisement du tabac de votre blague. Ne vous avisez pas de laisser « échapper une parole de mécontentement, ou sinon vous vous attirerez un «kabary suivi d'une forte amende. « Eh bien, depuis qu'ils nous voient végéter à Madagascar, sans aboutir à «rien, ils nous regardent avec dédain, nous ont en pitié, multiplient leurs vexa«tions et nous traitent avec un sans-façon insultant qui prend des proportions « inquiétantes. » De son côté, le capitaine Macé constate également chez les Machicora, tribu « voisine des Mahafales, mais un peu moins sauvage," un changement d'attitude très significatif à notre endroit, et ce n'est pas trop de la grande amitié qui unit le roi, Lemérisa,et son frère blanc de Nossi-Vey, pour maintenir, malgré bien des heurts, les relations entre traitants et indigènes. ,
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Pendant son dernier séjour Nossi-Vey, en juin dernier, le capitaine a remarqué les allées et les venues d'officiers américains se disant colonels. « Partisde Natal, ilss'arrêtaient dans la baie Saint-Augustin et allaient débarquer à Morondava, puis de là, montaient à Tananarive. Y vont-ils proposer leurs services ou passer des marchés d'armes? «Les uns et les autres, sans doute. En tous cas, ils sont discrets, trop discrets même, car leur silence permet de deviner ce qu'ils ont intérêt à cacher. « D'autre part, M. Macé est entré en rapport avec de nombreux Antanosses venus du fort Dauphin à travers les vastes plaines du sud. Ces naturels, dont la plus grand nombre parlent un mauvais français créole, transmis par ceux d'entre eux qui ont travaillé à la Réunion sur des établissements sucriers, ont pour nous une inclination particulière. Lors du bombardement du fort Dauphin, à la fin de 1883, ils se sont soulevés comme un seul homme contre les Hovas et les ont chassés; mais, abandonnés à eux-mêmes, ils n'ont pu longtemps tenir la campagne. Les Hovas ont alors repris possession du pays et traqué nos malheureux alliés comme des bêtes fauves. Force a été aux Antanosses de se réfugier dans l'Ouest, et, cependant,malgré tout, ils ne désespèrent pas de la réussite de notre entreprise. » Bien mieux, ils se faisaient forts, si on leur donnait seulement cinquante Français pour marcher avec eux, de retourner dans leur pays et d'en chasser encore «
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une fois les Hovas. Mais on ne pouvait rien faire, , non seulement parce qu'on n'avait pas de troupes suffisantes, mais encore parce qu'on négociait, et nos soldats, qui se demandaient pourquoi ne marchait pas d'un côté ou- de l'autre, mouraient
on
d'ennui. La lettre suivante, d'un officier du corps expéditionnaire, va nous donner une idée de la situation à Tamatave au 11 août
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Ce qui reste d'habitants et le corps expéditionnaire, nous sommes répartis sur une superficie qui n'excède pas 25 hectares, et s'il nous venait un «
renfort important, un nouveau bataillon, par exemple, nous serions bien embarrassés pour le caser. sablonneuse, en forme de triangle, presqu'île petite Tamatave toute est une « et dont je fais le tour d'un temps de trot en 10 minutes. des baraques habitables.dans la bonne saison, mais « Les soldats sont sous qu'ils devront abandonner pendant l'hivernage; j'ignore encore contre quoi nous les changerons. Les officiers sont répartis par cinq ou six dans des maisons louées. Il est bien rare qu'un officier ait une pièce à lui tout seul. à un prix élevé pain, 75 centimes le kilog., pommes de « Les vivres sont terre, de 50 centimes à 1 franc; la douzaine d'œufs, 6 francs; la viande estfournie par la marine.
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sérieux, homme C'est lieutenant-colonel. un du ordres Je suis sous les « fait espérer qu'en cas l'amiral, tout de et me confiance la qui militaire a un vrai opérations. d'offensive, c'est lui qui dirigera effectivement les extrême de nos portée A la bras. l'arme restons au Malheureusement nous « positions retranchées des Hovas, dont les trouvent kilomètres, 7 6 se canons, ou il n'est pas aisé de laquelle de marécageuse plaine séparés par une nous sommes déboucher si l'on veut aborder les positions ennemies. «Combien sont-ils, les Hovas? Les appréciations varient dans des proporles uns; 10,000, assudisent 1,500, fantaisie, joyeuse d'une semblent qui tions rent les autres.
la côte malgache.
Les petits chefs de
L'exagération provient peut-être de ce que le Hova s'en va-t-en guerre avec femme, enfants et domestiques. Pour peu qu'on fasse entrer la marmaille dans les estimations, on ne doit pas s'étonner du chiffre de 10,000 que j'entends formuler à chaque instant. « L'opinion publique représente le Hova comme ayant des points de ressemblance avec le lièvre et par conséquent peu disposé à nous attendre de pied ferme. Il est pourtant bien difficile d'en juger, puisqu'en réalité nous ne leur avons jamais livré un combat, La seule donnée acquise est qu'ils ont évacué Tamatave lors du bombardement. Mais la nature de leurs fortifications les excuse et au delà. Je n'ai pas l'habitude de mépriser mes ennemis, et ce que je sais des Hovas 4 me donne à penser que s'ils nous craignent ils sont résolus à se défendre, et peut-être nous réservent-ils quelque surprise désagréable. Ne vendonspas la peau de l'ours avant de l'avoir tué. «
Si les Hovas
sont si peu à craindre, pourquoi restons-nous en face d'eux depuis deux ans sans les attaquer? S'il s'agissait d'une marche sur la capitale, l'hésitation se comprendrait à cause des difficultés de la marche et encore plus du ravitaillement. Mais Farafatre est près de nous, l'opération est à entreprendre, car elle n'exigerait pas plus de deux à trois jour. Pourquoi ne la fait-on pas? «On se le demande. Que craint-on? Les Hovas probablement. C'est, du moins, ce que les Hovas pensent et ce que disent les membres :< de la colonie européenne de Tamatave; — aussi, nous ne sommes pas, hélas! l'objet de la considération générale, —loin de là! « L'amiral Miot n'est pas responsable d'une situation si fausse et si peu politique. Il a probablement les mains liées. Il faut ménager les susceptibilités de ïAngleterre. Ilne fautpascompromettre les élections générales, etc., etc. « Oui, mais pendant que nous ménageons l'Angleterre, ses instructeurs arment, équipent et disciplinent l'armée hova. Pendant que l'on prépare de bonnes élections en France, les soldats sont décimés par la fièvre, s'étiolent et se découragent sur cette presqu'île malsaine de Tamatave. a Nos ennemis, effrayés ou tout au moins impressionnés au début par la supériorité de notre organisation et de nos armes, se familiarisent peu à peu avec l'idée d'une lutte, leur patriotisme s'exalte et, si cela continue, au lieu de trouver devant nous des bandes à peine disciplinées, nous aurons affaire à des troupes sérieuses. « .Nousavons déjà fait cette expérience au Tonkin. » «
Cette prophétie se réalisa, mais fort heureusement dans des proportions plus
réduites.
COMBAT D'ANDAMPY
Le combat d'Andampy, dont on a- peu parlé et qu'on a donné comme une simple escarmouche, fut au contraire un des plus sérieux de la campagne et l'un des plus glorieux, car c'est avec une poignée d'hommes (50 Français et 70 Sakalaves) que le commandant Pennequin mit en déroute plus de 2,000 Hovas bien armés, et relativement bien commandés par un officier anglais, M. Shervington, ancien lieutenant dans l'armée de la reine Victoria, devenu colonel dans celle de la reine Ranavalo. Nous empruntons le récit de cette affaire au correspondant du Temps, qui l'a fait un peu longuement, maisd'une façon très intéressante :
Le commandant Pennequin, dit-il, a été envoyé à Ambodimadirou, au fond de la baie de Passandava, il y a plus d'un an, tant pour formerune compagnie sakalave que pour protéger nos alliés contre les incursions des premier soin fut de se donner de l'air en enlevant, le 15 octobre 1884, « Son le camp d'Anjabory, et en refoulant l'ennemi dans le fort d'Ankaramy, à 45 kilo«
Hovas.
mètres d'Ambodimadirou. il eût été facile de s'emparer d'Ankaramy. La défaite d'An « A cette époque, jabory avait terrifié les Hovas, et ils craignaient tous les jours de nous voir apparaître devant leurs retranchements. De plus, leur armement défectueux et leur inhabileté militaire les mettaient dans l'impossibilité de résister victorieusement. « Par malheur, le nombre de nos soldats était insignifiant et nous n'étions pas outillés pour nous engager, si peu avant que ce fût, dans l'intérieur. « Quoi qu'il en soit, l'ennemi, protégé par la distance, ne bougea pas pendant un an; mais il s'organisa, s'arma, se fortifia. Le commandant français, lui non plus, ne perdit pas son temps; il recruta cc et dressa la compagnie sakalave; puis, avec la pensée d'aguerrir ses hommes et d'assurer sa sécurité, il força les Hovas à la défensive au moyen de démonstrations vigoureuses, de reconnaissances répétées et d'excursions hardies. « L'ennemi se renferma de plus en plus dans Ankaramy. Il n'osait plus se montrer. La tranquillité était complète. Les Sakalaves pouvaient laisser paître leurs bœufs et planter leur riz sans danger ils circulaient au loin, et bien des villages furent alors visités par le commandant. « Quand, le 26 août dernier au matin, des Sakalaves accoururent, effarés, à Ambodimadirou, les Hovas avaient envahi la vallée de Jangoa; ils mettaient tout à feu et à sang et jetaient l'épouvante sur leur passage par des atrocités sans exemple. — Combien étaient-ils? — Maro maro! (beaucoup! beaucoup!) répondirent les fugitifs. Mais les Malgaches sont prompts à l'exagération, et il faut se méfier de leurs dires. Aussi crut-on, dès l'abord, que la troupe ennemie se réduisait une forte bande de pillards, promenant ses ravages et exerçant ses déprédations hors de notre atteinte. « Il n'y avait pas, du reste, à hésiter. Notre mission n'était-elle pas de protéger le pays! Devions-nous laisser les Hovas dévaster impunément la riche vallée du Sambirano, — la plus fertile de cette partie de la côte ouest, — incendier ses soixante villages, ravir ses innombrables troupeaux de bœufs « La nouvelle de l'arrivée et des exploits de l'ennemi était parvenue à Ambodimadirou le 26 août, à dix heures du matin. A midi, la compagnie indigène, comptant 70 Sakalaves, se mettait en route; — à deux heures, un détachement de 50 soldats français partait à son tour. La garde du fort était confiée à 40 hommes. « On arrive à Jangoa peu de temps après les Hovas. Ce gros village était rasé. L'incendie avait tout détruit; une maison d'Indiens brûlait encore. Dix
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à
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cadavres de femmes ou d'hommes furent trouvés sous les cendres des cases; un enfant de dix ans avait été sagayé, un autre empalé. C'était horrible. Et les Hovas se prétendent civilisés! La rage était au cœur de nos soldats. Ils comprenaient maintenant les terribles représailles des Sakalaves, sans pitié, sans merci pour les blessés hovas. « Il fut impossible d'avoir le moindre renseignement. Tous les habitants avaient fuJy avaient été massacrésou traînés en esclavage. Mieux partagés que nous à cet égard les Hovas avaient appris de deux Indiens, qui s'étaient sauvés à notre approche, et notre arrivée et notre petit nombre. «Néanmoins, les nôtres reconnurent à quelques indices que l'ennemi avait passé la rivière de Jangoa et s'était dirigé vers le Sambirano. 24 kilomètres en plein « Il était déjà tard; l'étape avait été longue et rude soleil. On avait dû traverser des marais avec de l'eau jusqu'aux aisselles; le pays était-fourré, accidenté, le sentier indistinct. village, dont les « On bivaqua sur une position favorable, à proximité du ruines fumaient encore. Le gué fut vigilamment gardé, le service de sûreté bien établi, et la nuit s'écoula tranquille. arrivés d'Anibodi« Le lendemain, on distribua de bonne heure les vivres, madirou par un canot qui avait remonté le Jangoa, et on attendit. « Notre petite troupe, étant placée sur la ligne de retraite de l'ennemi, comptait être attaquée; c'est d'ailleurs ce qu'elle souhaitait. Mais des patrouilles sakalaves vinrent avertir commandantque les Hovas s'étaient postés à3 kilomètres de là, à Andampy. On se mit en marche. A huit heures on avait le contact. ils avaient « Dès que les Hovas avaient appris notre présence à Jangoa, flairé que nous irions à eux par la route de Sambirano. Alors ils s'étaient arrêtés et jetés à droite du chemin,sur les flancs de la montagne d'Andampy. Leur position était admirablement choisie, presque inexpugnable. Le commandant résolut d'en étudier les abords. En premier lieu il se plaça entre l'adversaire et le Sambirano, de façon à se ménager deux lignes de retraite. Comme de juste, il préférait pouvoir se rabattre vers le Sambirano dont les populations nous sont dévouées, et où il avait fait diriger, par mer, un approvisionnement de vivres et de munitions. de salve. Deux canons nous répondirent, « Il tâta l'ennemi par quelques feux une fusillade nourrie et bien ajustée répond à la nôtre, il y avait lieu d'être étonné; pour des Hovas ce n'était pas mal. Néanmoins leur tir dessinait en quelque sorte leur position et nous renseignait mieux que de vaines paroles. La longueur de leur tir mesurait environ un kilomètre; les éléments en étaient régulièrementdisposés tirailleurs, soutiens, réserves, aucun échelon ne manquait. L'artillerie, placée à l'extrème--droite, était protégée par un soutien de miramilas (soldats), Tout cela sentait son Européen, et ce qui recélait encore plus la prél'ininterruption était de la (blanc) choses habitué d'un Vazaha guerre, aux sence du tir ennemi.
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Combat de Farafatre.
Armés de sniders, les Hovas faisaient un feu d'enfer et balayaient littéralement notre position de mille gerbes de plomb. Par bonheur, nos soldats étaient déployés dans une forêt incendiée, et d'énormes troncs d'arbres abattus leur fournissaient d'excellents abris. D'autre part, le commandant les avait bien en main; pas un ne broncha. Français et Sakalaves étaient pleins d'ardeur. Avec des feux habilement dirigés, ils parviennent à ralentir celui de l'ennemi. Mieux que cela, une section s'approcha à 800 mètres des canons, et, au bout de quelques minutes, l'artillerie était réduite au silence. Les pièces disparurent comme par enchantement. Les pointeurs, qui n'étaient pas Malgaches, avaient été tués. « Les choses risquaient de s'éterniser. Il fallait en finir. La position ennemie, «
examinée de près, avait été jugée inabordable de front et par sa droite. Une vallée fortement ravinée nous séparait des Hovas, et les pentes de leur côté étaient abruptes et semblables à des remparts. « Mais, à gauche, le terrain présentait moins de difficultés. En venant, le commandant y avait remarqué des endroits favorables soit pour attaquer, soit pour bien protéger sa retraite s'il était forcé de lâcher prise. L'hésitation n'était pas permise et la petite troupe franco-sakalave, avec une lenteur calculée et un sang-froid admirable, défila par fractions devant le front hova, non sans lui décocher quelques feux bien réglés. «Ce mouvement trompa-t-ill'ennemi? Crut-il à notre retraite? Cela semble certain. Si bien dressé et si habilement commandé qu'il fût, il ne comprit pas la causede notre déplacement. « Tout à coup des cris formidables, des hourras s'élèvent de la colline d'Andampy; les rangs ennemis se rompent; les miramilas quittent leur position en désordre; ils descendent tumultueusement des hauteurs pour se jeter sur les nôtres. Impossible de désirer plus et de souhaiter mieux. « Le commandant Pennequin arrête sa colonne et forme le carré un peu audessus d'un col, sur des pentes raides, près de la lisière d'un bois qui lui permettait de voir sans être vu. Nos soldats ont baïonnette au canon ;ils se couchent dans la brousse; le plus grand silence est observé; pas un mouvement, pas un bruit. Ils sont là comme s'ils n'étaient pas. Ils attendent. Ordre est donné de ne tirer que sur commandement ou à bout portant. Les Hovas s'étaient rassemblés dans les bas-fonds et grouillaient en véri« table fourmilière. Ils lançaient d'immenses clameurs; ils proféraient de terribles Samboryvelona Samboryvelona! (prenez-les vivants); les tambours menaces battaient le rappel; les cris des chefs essayaient en vain de dominer vacarme. Ils s'ébranlent, ils nous cherchent. « première face du carré. Ils « Une bande vient, sans s'en douter, heurter la ne la voient qu'à une dizaine de mètres. — «Feu » ordonne le commandant. Vingt Hovas sont abattus; les autres reculent. Puis les cris recommencent, cris de rage, cette fois. Ils ont été frappés sans nous distinguer. Ils se concertent. Où sont donc les Français?Où sont donc les Français? répètent-ils en fureur. On les tue à quelques « Une deuxième banqe se jette sur la face de droite. mètres. ILs tombent comme fauchés. Une autre attaque est dirigée sur la gauche. Elle n'aboutit qu'à accroître le « nombre de leurs morts. « Les Sakalaves et nos troupiers montrent un calme surprenait; au commandement, ils se dressent ou s'agenouillent pour tirer une ou deux cartouches, pJÜ s'accroupissent, puis plus rien, silence absolu. Les officiers observent. soudain, inattendu, terrible, suivi de cette dis« Et c'est précisément ce feu parition, de ce silence, qui impressionne les Hovas. En gens superstitieux, ils voient là une force inconnue, insaisissable, surhumaine, et l'effroi les gagne.
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Cependant, ils tentent lin dernier effo.rt; une poussée générale se produit. Les tambours résonnent; les appels des chefs se multiplient. On entend leurs nôtres. paroles que. traduisent nos Sakalaves; ils veulenttoujours envelopper mais ils sont vite découragés. De quelque côté qu'ils viennent, ils rencontrent la mort. a Alors tout se tait. Puis, un bruit sourd, pareil à celui de la galopade lointaine d'un troupeau de bœufs affolés passant en tourbillon à travers la brousse, monte aux oreilles de soldats. C'est la panique qui entraîne la masse hova. « Le commandant, accompagné de quelques hommes, descend dans le col. Il aperçoit les miramilas se livrant à une course éperdue. Rien ne saurait les arrêter; ils franchissent le ravin, sautent par-dessus les obstacles, écartent les taillis, escaladent les collines; quelques feux accélèrentleur déroute. Une section postée sur un mamelon chasse les derriiers fuyards qui, dans leur affolement, abandonnent des blessés. Cinq minutes plus tard, tout avait disparu. Nos soldats parcoururent alors le petit champ de bataille quarante-huit ;< cadavres ennemis jonchaient le sol, autour de l'étroit espace occupé naguère parle carré. « Ce succès nous coûtait un mort et quatorze blessés. Dans la première phase de l'action, un sergent fut tué, trois soldats français et quatre Sakalaves blessés. Le lieutenant Valette eut le bras et l'avant-bras droits traversés par la même balle. Dans la deuxième phase, il y eut trois soldats français et deux Sakalaves blessés l. Le commandant, à la première attaque sur le carré, fut atteint à la hanche d'un projectile tiré à bout portant par un Hova, qui marchait en tête, et qui, surpris de voir nos soldats surgir devant lui, lâcha son coup sans viser. Il n'eut pas le il tomba foudroyé. le temps de revenir de son étonnement « Il ne fallait pas songer à poursuivre l'ennemi. Le combat avait duré près de quatre heures; nos hommes étaient harassés et trop peu nombreux; les munitions manquaient. En outre, il était nécessaire de rallier le convoi, que, sans raison, les porteurs avaient lâchement abandonné. Le commandant avait eu la judicieuse précaution d'acheminer ce convoi et les blessés, avant de commencer le mouvement sur la gauche ennemie, vers la rivière de Jaiigba, où stationnait un houtre chargé de provisions. En chemin, les porteurs épouvantés avaient laissé sergent tué, et les Hovas, passant par là, pour venir attaquer le carré, avaient découvert le cadavre et lui avaient coupé la tête, les mains, etc. Les blessés arrivèrent cahin-caha à Jangoa, mais l'un d'eux, un Sakalave, se noya en traversant le gué. commandant, pour se garer de tout retour offensif, fit suivre « Néanmoins, le «
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La liste nominative des tués et blessés de la, 23e compagnie du 4e régiment d'infanterie de marine a été publiée ainsi Tués Hein, sergent; Fort soldat (noyé accidentellement). Blessés Pennequin, chef de bataillon; Valette lieutenant Combes, Albouze, Michard, Chaumarall soldats; Colombani, sergent de la compagnie indigène. 1.
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l'ennemi par des patrouilles. Les Hovas s'étaient jetés dans les montagnes paj des chemins impraticables, avaient décrit autour de Jangoa un vaste demi-cercle et repris la route d'Ankaramy. Des cadavres jalonnaient leur itinéraire. Des blessés se traînaient péniblement bu gisaient inertes. Les patrouilles des Sakalaves les achevèrent. Ils se vengeaient. Cela répugne à nos mœurs; mais peut-on demander à ces peuplades barbares de penser, de sentir comme nous? Pour eux, la guerre est la destruction, et ils sont logiques jusqu'au bout en ne faisant aucun quartier. la nuit à Jangoa. Là, on recueillit d'importants « La petite colonne passa renseignements. Des fugitifs arrivaient de tous côtés. Les Hovas en déroute semaient encore une folle terreur sur leur chemin. commandant. Il prétendait avoir été fait prison« Un Indien se présenta au nier par l'ennemi et avoir dû son salut au chefhova, qu'il connaissait particulièrement. Cet Indien nous a tout l'air d'un espion et le commandant s'en est certainement méfié. «Les Hovas, auxquels la garnison d'Ambodimadirou avait eu affaire, descendaient de Tananarive au nombre de deux mille. Une moitié était armée de Sniders et bien exercée l'autre portait seulement d'anciens fusils et commençait à manœuvrer. A leur tête était placé titulairement, officiellement, Andriantsilavo, l'ex-commandant d'Ambodimadirou; mais leur vrai chef était un Anglais, le colonel Servington. positions ennemies les indices irrécusables de la pré« On ramassa sur les sence d'un Européen un morceau de journal anglais, des pommes de terres, du beurre, etc. On voit que si, dans la circonstance, le colonel avait perdu la partie, il avait du moins gardé l'appétit. donné par l'Indien, un homme petit detaille, « C'était, d'après le signalement à la barbe entière et grisonnante. Il était muni d'un appareil photographique avec lequel il clichaitle champ de bataille. Ses procédés ont-ils été assez instantanés pour lui permettre d'obtenir une épreuve bien nette de la débâcle des Hovas? Si les Hovas sont en train de devenir des adversaires sérieux, on peut dire que « les Sakalaves sont en passe d'être, pour nous, de précieux auxiliaires. A Andampy, ces derniers se sont admirablement conduits. Le commandant n'a pas cessé de les avoir en main leurs feux étaient ajustés comme à la cible; ils ont fait un service de sûreté pénible, des patrouilles continuelles, ont porté jusqu'à Ambodimadirou les blessés abandonnés par les porteurs et soulagé les hommes fatigués en prenant leurs armes, etc., etc. Déjà, on avait confiance en eux, car ils s'étaient distingués dans plusieurs reconnaissances. Mais l'affaire du 27 août où, pendant quatre heures, ils ont soutenu, sans broncher, le choc d'un ennemi qu'ils ont l'habitude de redouter et qui, ce jour-là, leur était quinze fois supérieur en nombre, prouve assez que cette confiance a de plus en plus sa raison d'être. Un officier qui a servi aux tirailleurs sénégalais m'affirmait qu'il n'avait jamais vu
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bravoure des Sakalaves, ces derniers montrer la discipline, le sang-froid, la Et tout le monde connait le renom d'intrépidité des terribles YoLofs du Sénégal. dès lors, ne pas se décider à organiser militairement un plus « Pourquoi, grand nombre de Sakalaves? La chose semble s'imposer. Jusqu'ici, on n'a voulu et en réunir qu'une centaine, commandés par un capitaine un lieutenant et encadrés de six sergents européens. Qu'on fasse un effort, qu'on élève l'effectif à 250 Aniankaranas et ce sera un excellent noyau pour la formation ultérieure d'un bataillon à quatre compagnies. On va se récrier et objecter, afin de rester fidèle
PJaine de Bétainaomby, entre Tamatave et Farafatre.
à nos traditions delésinerie, que ce bataillon coûtera bien cher. Or, savez-vous quelle est actuellement la solde mensuelle d'un guerrier sakalave Trois piastres, autrement dit quinze francs Et on ne le nourrit pas, et on ne l'habille pas! En vérité, c'est misérable. On m'a certifié que les officiers placés à la tête des Sakalaves se cotisaient pour les nourrir. Si le fait est exact, il est à la louange de nos braves officiers, mais à laconfusion de ceux qui laissent subsister un tel état de choses, tout en ayant le pouvoir, d'y mettre fin. Et remarquez qu'un bataillon de Sakalaves rendrait d'autres services que les soldats européens ou créoles, si bons qu'ils puissent être, qu'il serait tout acclimaté, qu'en fin de compte notre argent serait bien placé, que la dépense ne dépasserait pas la moitié de ce que peut coûter une troupe française de même force, et qu'avec es bataillon on tiendrait d'une façon effective le pays autour de la baie de Passandava. Certes, si le com-
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?
mandant Pennequin avait eu seulement à sa disposition trois cents Sakalaves, pas un Hova ne regagnait Ankaramy. « Disons, afin de rendre hommage à la vérité, que, si nos officiers ont dans les Sakalaves une confiance croissante, ceux-ci la leur rendent au centuple. Ils avaient toujours eu pour le commandant Pennequin un respect mêlé de crainte; aujourd'hui, c'est un culte. Ils le vénèrent, ils l'adorent, ils le croient muni d'un puissant fanafody (talisman). On devrait profiter de ce prestigè pour créer le bataillon sakalave. Tant vaut l'Homme qui en sera chargé, tant vaudra la création. « Chez les Antakaranas on a des ressources. Avec des armes et de l'argent, on y recrutera quand on voudra un millier d'hommes qui nous permettraient de chasser entièrement et sans peine les Hovas de cette partie de l'île. Et plus tard, lorsque nous songerons à monter à Tananarive, de quelle utilité ne sera pas ce noir bataillon! »
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COMBAT DE FARAFATRE
à
La défaite, oh peut même dire la déroute des Hovas, Andampy, décida l'amiral Miot à se donner de l'air, car s'il n'était pas absolumentbloqué dans Tamatave, puisqu'il était maître de la mer, sa situation du côté de la terre n'était guère tolérable, puisque les Hovas l'entouraient et lui barraient le passage de tous côtés s'il voulait aller de l'avant. On en jugera, d'ailleurs, par cet aperçu topographique qu'a donné le correspondant du Temps
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La plaine de Tamatave a la forme d'un trapèze nettement délimité sur une face par la mer, et sur les trois autres par une série de rivières qui l'enserrent complètement. le Nord, l'Ivondro, qui se « Ce sont, en partant du Sud pour remonter vers Sangalatra,affluent de la jette à la mer, laVornikina, affluent de l'Ivondro, Vornikina; puis, formant un autre système, la Veleza-Antony qui se jette dans la Ranomainly, la Ranomainly quisejette dansl'Ivoloina et l'ivoloïna qui se jette à la mer. Ce trapèze, du Nord au Sud, peut avoir quinze ou seize kilomètres de long, etde l'Est à l'Ouest, sept. accidentée les manguiers, les citronniers, les « La plaine est extrêmement vacoas, les ravinalas, les broussailles épaisses y abondent, de gros ruisseauxla coupent en tous sens, deux lignes de dunes en bordent la surface cl entre les deux croupisseht des marais, dont quelques-uns ont une profondeur cbnsidé«
la
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rable. C'est, en somme, au point de vue militaire, un terrain très difficilement praticable. avoir été trois fois durement repoussés de Tamatave, les Hovas ont « Après renoncé à toute tentative sur cette ville et se sont fortifiés sur la ligne de rivières dont je viens de parler. Si, partant de Tamatave, vous tiriez une perpendiculaire au rivage, à sept « kilomètres, vous trouveriez Farafatre, dont le vrai nom indigène est Manyakandrianombana (celui qui mit le roi régnant). C'est là, sur une colline, qu'ils ont établi un camp très fortement palissadé, des batteries et un populeux village. A droite et à gauche sur les deux bords des rivières dans des points généralement bien choisis, ils ont installé d'autres postes, de façon à fermer complètement le trapèze de la plaine. » Dans tous ces postes, dont les noms indigènes, fatigants à lire, ne jetteraient aucune lumière dans ce récit, les Hovas avaient dispersé environ 4,000 soldats bien armés, et tout naturellement, ceux qu'ils considéraient comme les meilleurs de toutes leurs forces. En arrière decette ligne fortifiée, ils en avaient encore autant, sinon plus, abrités par des retranchements, dans des camps ou dans des villages. Ceux-là, peu redoutables d'abord, mais qui le devinrent, relativement, peu à peu parce qu'ils reçurent des fusils, des canons, et furent instruits par des officiers américains et anglais, qui leur apprirent à se défendre derrière de bonnes fortifications et les mirent à peu près en état, sinon de nous attaquer, au moins de nous résister. à quatre ou cinq contre un. L'amiral Miot savait tout cela, il avait ordonné assez de reconnaissances autour de Tamatave pour avoir pu constater les améliorations qui se produisaient successivement, en hommes et en matériel, dans la situation de l'ennemi. Six mois plus tôt, s'il avait disposé de forces raisonnables, il ne lui eût pas été difficile de chasser les Hovas de leurs retranchements et de les repousser au loin, mais maintenant la situation était changée, et plus on attendrait, plus les difficultés d'une opération augmenteraient. Il entrait, d'ailleurs, dans le plan de l'amiral Miot, d'agir sur la côte Est, vers le mois de septembre, il l'avait dit dans sa lettre au ministre, que nous avons citée plus haut, et peut-être voulut-il montrer qu'il était homme de parole et d'action. Seulement il ne fit pas à son amour-propre la part assez belle, car il avait annoncé qu'il ne pouvait mettre son projet à exécution qu'avec trois mille hommes, et il allait l'entreprendre avec moins de la moitié. Ce fut certainement une faute, sinon absolument de marcher en avant, du moins d'essayer de prendre Farafatre en commençant par le poste de Sabamafy, situé sur la Sangalatra, à six kilomètres à gauche; car, en supposant qu'on voulût marcher sur Tananarive par Tamatave, la possession de Farafatre n'était d'aucune espèce d'importance, au contraire, puisqu'il suffisait de laisser une forte
garnison à Tamatave pour immobiliser les Hovas qui lagardaient et qu'on n'aurait pas eu à combattre en avant de Tananarive. D'un autre côté, maîtres de Farafatre et des postes voisins, il fallait y laisser des garnisons, et on affaiblissait d'autant la colonne expéditionnaire. Sans doute, il devait être pénible à l'amiral de piétiner sur place, quand il savait très bien que notre inertie donnait de l'audace à l'ennemi. Mais puisque jusque-là, il avait gardé la complète immobilité qui lui était prescrite, au moins tant que durerait la période électorale; il aurait peut-être pu attendre encore un peu. Il est vrai qu'il savait bien que des renforts à son adresse ne partiraient point de France avant la dernière semaine d'octobre, et c'est peut-être ce qui le décida à agir, d'abord, pour ne pas laisser morfondre ses soldats, ensuite, parce qu'il en avait menacé les Hovas, lors de la rupture des négociations. Le combat d'Andampy avait dû leur porter un coup, le moment lui semblait favorable pour essayer d'en frapper un second. Malheureusement, ce fut un échec, déguisé d'ailleurs, parla dépêche datée du 12 septembre qui nous l'apprit, et qui disait en substance
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L'amiral a dirigé, le 10, une reconnaissance offensive dans le but de constater les travaux exécutés par les Hovas dans les positions de Farafatre il a conduit sa colonne vers le gué Sahamafy, à la droite de l'ennemi, et a reconnu la présence d'un corps nombreux retranché derrière quatre ouvrages réguliers paraissant bien établis. « Un engagement a eu lieu, dans lequel nos troupes ont eu 33 hommes hors 4 officiers blessés. de combat, dont 2 tués les « Les troupes ont été pleines d'entrain, le prochain courrier apportera détails. » «
et
Le prochain courrier, daté du 26 septembre, n'apporta pas, officiellement du moins, de très grands détails; l'amiral Miot, confirmant les renseignements déjà fournis par son télégramme expédié par Zanzibar, disait ceci
:
Le gros de la colonne s'est avancé jusqu'à 600 mètres des retranchements ennemis, malgré les difficultés du terrain, et a engagé, pendant deux heures, un vif combat d'artillerie qui a permis de constater l'importance des nouvelles lignes de défense des Hovas et la solidité de leur armement, consistant en fusils Remington et plusieurs canons à longue portée. les navires sur rade canonnaient les hauteurs de Farafatre, « En même temps et la compagnie de débarquement de la Naïade opérait une diversion à l'extrême gauche, en simulant une attaque sur levillaged'Ampassimandour.On peut évaluer à 7 ou 8,000 hommes les forces des Hovas autour de Farafatre. cinq heures du matin, avaient rejoint leurs cantonnec Les troupes, parties à ments à cinq heures du soir. » «
Willoughby.
ministre. Dighby
5. premier
9
ministre. du secrétaire premier
8 du camp, fils
7
de Zanamanga, aide Emmanuel,
6
Raïn ÉTAT-IAJOR.
4.
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interprète. deFarafatle. SON ET officier WILLOUGHBY gouverneur
5
Édouard, du
i 8
fils 8. DIGHBY Sanza, Rabibissoa. GÉNÉRAL Ramahery
3.
Marc LE
- 7. Zanaharv. l'artillerie.
2
Ratouvelon commandant
2. Sanacoule, douanes.
1 des
Raïn
chef
6. Falfininga.
1.
Il était difficile avec cela, de se faire une opinion sur l'intérêt de l'expédition et son résultat final. On ne voyait qu'une chose, c'est que l'honneur était saufet que les troupes s'étaient bien battues, puisque l'amiral signalait pour leur belle conduite M. le capitaine Retrouvey, qui, gravement blessé, n'a cessé d'encourager
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ses
troupes; M. l'enseigne de vaisseau Martel, qui a fait preuve d'une grande bravoure; Le canonnier breveté Quélen, de la Naïade qui, blessé à la tête, n'a pas voulu quitter son poste et a continué à servir sa pièce exposée à un feu violent; Le brigadier de gendarmerie à cheval Raymond, et le second maître de mousqueterie Carlou, de la Naïade M. le docteur Gardies, médecin principal de la division, qui a dirigé l'ambulance avec sang-froid et habileté M. l'abbé Millour, aumônier de la Naïade, qui, sur la ligne des tirailleurs, a donné des secours aux blessés avec le plus grand C'était du moins, une consolation, mais ce ne fut qu'une consolation. Car, d'après les journaux anglais, nous avions été battus àplate couture, non seulement à Farafatre, mais encore àAndampy.
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dévouement.
«Le général Willougby, disaient-ils, avait attaqué à la côte Est, 3,000 Français, et, après une lutte acharnée et des prodiges de valeur, les Hovas avaient mis nos troupes en déroute complète et les avaient forcées à se réfugier à Tamatave; le lendemain, les vainqueurs avaient bombardé la ville, brûlé un grand nombre de magasins, de maisons, après quoi ils s'étatent retirés dans leurs lignes, n'ayant subi que des pertes insignifiantes. « A la même époque, sur la côte Nord-Ouest, le colonel Sherrington surprenait un corps de 4,000 Sakalaves appuyé par 250 Français, le battait à plate couture, le forçait à fuir en laissant sur le terrain 40 morts et beaucoup de blessés. »
Fort heureusement ces renseignements, qui firent, néanmoins, le tour de la presse, étaient non seulement des exagérations, mais de purs mensonges. La vérité est dans le compte rendu du correspondant du Temps, que nous
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citons toujours à cause de cela
L'opération, dit-il, avait été préparée delongue main, unpeutapageusement peut-être, et le bruit en était allé jusqu'à Tananarive. Je tiens, en effet, d'un traitant suisse, arrivé tout dernièrement de la capitale, qu'on y connaissait les projets d'attaque des Français et même le point où ils se proposaient de commencer le combat. Les Hovas, on le voit, sont merveilleusement renseignés. septembre, à quatre heures quarante-cinq du ma« Quoi qu'il en soit, le 10 tin, une colonne éclairée par quinze gendarmes et composée de 1,300 hommes, s'engageait au Sud-Ouest sur la route de Sahamafy, pendant qu'une autre de .200 hommes se dirigeait au Nord, dans le but de provoquerune diversion. «
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s'emparer de Sahamafy, où l'on espérait trouver Le plan était le suivant peu de résistance, s'assurer du pont voisin de ce village, un pont do pirogues, chercher un gué qu'on savait exister, traverser le Sangalatra, se jeter sur Ainbohinamboarina, arriver à ce dernier endroit et de là se rabattre sur camp retranché de Farafatre et le prendre ainsi à revers. Au départ, tout le monde était joyeux. La colonne principale s'avance lente« ment; elle est nombreuse, les chemins sont étroits et les marais bien pénibles à traverser. De plus, elle est accompagnée d'une batterie d'artillerie et suivie d'un petit matériel de pont et d'une longue file de mules portant vivres et munitions. a A neuf heures le contact est pris. Les éclaireurs continuent leur marche, mais devant eux et sur leur droite, éclate une fusillade très nourrie, très ajustée et appuyée de quelques coups de canon. — Il faut s'arrêter. — On aperçoit à 700 mètres, au bout du sentier, les palissades et les cases de Sahamafy; adroite, de l'autre côté du Sangalatra, et à 500 mètres, une redoute en terre renforcée de pâlanques, — redoute dont on ignorait l'existence. : demie, les éclaireurs commencent le combat à pied « Vers neuf heures et pour donner le temps à l'avant-garde d'accourir. Le pays était très fourré et bien boise vers Sahamafy, mais dégagé, sans doute exprès, devant la redoute. On devinait une rivière en avant de cet ouvrage, grâce aux hautes herbes qui miroitaient au soleil. Le gué cherché était peut-être là. : marins, l'infanterie de marine, débouchent. Le combat s'en« Les fusiliers d'autre. Nos coups sont dirigés sur la redoute. Mais quel gage, furieux de part effet peut avoir la fusillade sur un ennemi abrité derrière des retranchements en terre de fortes palissades? Dix-neuf de nos soldats tombent. On fait avancer 'artillerie. Elle se met en batterie à 500 mètres de la fortification hova, à 500 mètres seulement, de sorte qu'à chaque coup de canon l'ennemi riposte par un feu dé salve. Aussi, du côté des artilleurs, les pertes sont sensibles. Un maréchal des logis est tué sur sa pièce; un jeune lieutenant frappé mortellement un capitaine blessé. Les artilleurs sont admirables de bravoure. A chaque instant, l'un d'eux est touché'; cependant, le tir des pièces ne se ralentit pas. L'une d'elles est restée avec un seul servant « Que faire? L'amiral Miot tient conseil. La retraite est décidée. Elle s'accomplit sans désordre, bien qu'un peu inquiétée par l'ennemi, qui vient tirailler sur nos flancs. « Pendant ce temps, la colonne de diversion avait accompli heureusement sa tâche. Elle avait rencontré quelques hommes et les avait refoulés au delà de la Ranomainly, sans subir de pertes. « Les résultats de cette journée sont absolument négatifs. Nos pertes se montent à deux hommes tués sur le champ de bataille et trois morts des suites de leurs blessures. Nous avons ramené trente-deux blessés. Dans ce nombre sont compris cinqofficiers un capitaine d'artillerie, un d'infanterie, deux lieutenants d'artillerie (un a succombé) et un sous-lieutenant d'infanterie. «
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Les convois mêmes ont souffert. Toutes ces pertes viennent de ce qu'on a engagé l'artillerie à cinq cents mètres de la position ennemie, c'est-à-dire fort inutilement à portée de la mousqueterie. On ignore les pertes des Hovas. « Cette malheureuse affaire a son épilogue. Dans les nuits du 12 au 13 et du 13 au 14 septembre, l'ennemi, rendu audacieux, est venu nous relancer devant Tamatave. Il y a eu des coups de fusil échangés. Les hotchkiss ont vite dispersé les assaillants, à qui l'on a prêté l'intention de vouloir incendier la ville. « Du rapprochement du combat victorieux d'Andampy, qui fait si grand honneur au brave commandant Pennequin, et de l'échec de Sahamafy, on peut tirer d'utiles enseignements et une appréciation exacte des troupes hovas. Ce rapprochement, je l'ai entendu établir par des hommes compétents et j'en veux donner la substance. Il n'arrivera pas trop tard. Nous ne faisons rien à Madagascar et, pendant l'hivernage qui commence et s'apprête à sévir, nous allons nous immobiliser tout à fait. Il faut donc profiter du peu qui s'y passe, non seulement pour éclairer l'opinion, mais encore pour en déduire des indications précises et utilisables au moment où l'on se décidera à agir et à agir complètement. « Les soldats hovas ont donné leur mesure dans ces deux affaires. A Sahamafy, sur un terrain préparé, il se sont montrés solides dans la défense, bien que leur feu ait fini par se ralentir devant celui de notre artillerie, que nous n'ayons pas mis en ligne toutes nos troupes et que nous n'ayons pas persisté quelque peu dans notre attaque en modifiant notre dispositif de combat. « AAndampy, ils ont pu faire bonne contenance au début, grâce à leur excellente position et à leur effectif plus de quinze fois supérieur au nôtre. Mais, dès qu'il leur a fallu passer de la défensive à l'offensive, dès qu'il s'est agi de venir à nous, de nous défier en plaine, ils ont été rabroués d'importance. « C'est qu'en effet, autre chose est de ésister derrière des fortifications, autre chose est de tenir en rase campagne. Le premier venu, au bout de quelques jours, s'il est suffisamment abrité, est capable de faire le coup de feu; mais, pour arriver à combattre en plaine, il faut être un soldat, un vrai soldat discipliné, exercé et bien conduit. Nos ennemis ont montré qu'en dépit de réels progrès,ils ne sont pas encore parvenus à ce degré de perfection. Sachons-en profiter. Chaque jour de retard verra surgir une difficulté de plus. «
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Que conclure de cette affaire de Farafatre C'est qu'au point de vue militaire les Hovas ont fait de grands progrès, grâce à notre inertie et au concours actif des Américains et des Anglais qui leur ont fourni des armes et des officiers. Nous renouvelons ici les mêmes fautes et continuons les mêmes errements qui nous ont déjà coûté si cher sur un autre point de notre empire colonial. Nous avons pournous une organisation militaire qui nous permet d'entrer en campagne du jour au lendemain, et, au lieu de profiter de cet avantage énorme qui rendrait barnos coups irrésistibles si nous frappions tout de suite, nous donnons aux bares que nous allons combattre, deux ans, trois ans, pour se préparer à la lutte «
et s'organiser à leur tour à l'européenne. Il y a deux ans, il n'y avait pas d'armée hova; qu'on continue à l'aguerrir par la sotte campagne que nous faisons, etvous verrez qu'un jour elle sera en état de jeter à la mer nos faibles effectifs. Ce manque de décision que nous apportons dans nos entreprises lointaines rend fort malheureux ceux qui y sont mêlés. Nous sommes irrités et honteux. Qu'on évacue Madagascar, c'est une politique. Qu'on aille à Tananarive, c'en est une autre. Mais rester sur les bords fiévreux de la mer, l'arme au pied, uniquement pour faire l'éducation militaire des sauvages que nous avons devant nous, c'est de l'impéritie pure. » Tout ceci est très juste; il est certain que les responsabilités sont aux ministères qui ne savent ce qu'ils veulent, ni même s'ils veulent quelque chose; mais du résultat du combat, on peut cependant tirer une autre conclusion et même un enseignement. C'est qu'en général il faut laisser les marins sur leurs navires, où ils sont admirablement placés, d'ailleurs, et donner à terre le commandement des troupes à des officiers de l'armée qui seraient évidemment fort embarrassés s'ils devaient diriger un navire, mais qui ont sur la stratégie d'autres idées que n'en peuvent avoir ordinairement les plus brillants capitaines de vaisseaux. Car, il faut en convenir, l'opération de Farafatre n'a été un échec que parce qu'elle a été mal préparée et surtout mal conduite. L'amiral Miot a lancé son infanterie de marine et ses fusiliers contre les Hovas dix fois plus nombreux, parfaitement abrités derrière des retranchements -en terre, doublés de solides palissades, sans penser peut-être que ces ennemis, peu redoutables un an plus tôt, ne pouvaient plus guère être abordés de front par des forces minimes, depuis qu'ils étaient armés de remingtons et qu'ils savaient s'en servir. L'artillerie, qui aurait dû être employée d'abord et à distance, pour démolir les fortifications ennemies, ne l'a été qu'après l'échec de l'infanterie et elle s'est mise en batterie si près, que les artilleurs tombaient sous les balles hovas, à ce point qu'une pièce resta avec un seul servant. Peut-être aussi s'est-on découragé trop vite, et il est probable, que si l'on avait recommencé l'attaque après une canonnade sérieuse, les Hovas n'auraient pas tenu; mais l'amiral ordonna la retraite pour ménager le sang de ses soldats. Sans doute cette affaire n'a pas été très meurtrière, mais quand on fait des sacrifices il faut faire tout le possible pour qu'ils portent, et celui-là a été fait en pure perte. Deuxhommes ont été tués sur le champ de bataille le quartier-maître Lervier, des fusiliers marins, et le maréchal des logis Jacquin, de l'artillerie de marine, et un officier, M. Lubert, lieutenant de l'artillerie, est mort le lendemain, d'une blessure qu'il avait reçue au ventre. La liste des blessés n'a pas été publiée officiellement; mais on peut l'établir
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en partie parles récompenses qui, naturellement, ont été décernées auxplus gravement atteints, car, d'après un singulier système, ce ne sont pas les méritants qu'on récompense, ce sont les blessés qu'on indemnise. Ce sont: pour les marins, les quartiers-maîtres Rosenwald, Paris et Mary; les matelots Le Pennec, Le Glech et Sapte; Pour l'artillerie de marine, le maréchal des logis Amiet, les canonniers conducteurs Rigoulot et Dravigny; Pour l'infanterie de marine, les sergents Colombani, Wagmann, les soldats Drocourt, Lepècheur, Sonchay, Cotteret et Cousles. Quant aux officiers, le journal les Tablettes des Deux Charentes a donné leurs Ce sont M. ReLrouvey, capitaine major au 2e régiment d'infanterie de noms marine (qui a été fait officier de la Légion d'honneur). M. Haye, sous-lieutenant d'infanterie de marine, M. Silvani, capitaine d'artillerie de marine, blessé au bras gauche et M. Lubert dont nousavons déjà parlé. Ces deux derniers venaient de Formose ou ils avaient pris part aux dernières affaires de Kélung. Intrinséquement et au point de vue militaire, cet insuccès était sans conséquences et, sur le continent, il eût à peine été mentionné comme une reconnaissance manquée, mais là-bas, ce n'était pas la même chose; dans les guerres coloniales, et surtout en Orient, il faut être toujours vainqueurs, sous peine de perdre d'un coup tout son prestige. Aussi le Créole, journal qui se publie à la Réunion et qui est bien placé pour voir juste, disait-il
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Cette affaire de Farafatre est certainement pour le corps d'occupation un faut échec déplorable qui fera chanter victoire au gouvernement hova; mais reconnaître que c'était presque nécessaire pour ouvrir enfin les yeux au ministère français; c'est ce que chacun dira quand il aura les détails sous les yeux. déplorable, c'est que nos ennemis, parfaitement édifiés « Ce qu'il y a de plus aujourd'hui sur la force réelle dont nous disposons à Madagascar, vont probablement devenir plus audacieux, à preuve le coup de main qu'ils viennent de tenter à la côte Ouest. plus grave assurément qu'on ne semble le- supposer « La position est grave, l'amiral ouvriront au ministère. Il faut croire que les dépêches et le rapport de les yeux au gouvernement français. Ils arriveront en France au moment où la nouvelle Chambre sera constituée, et nous espérons qu'ils y feront sensation autrement ce serait à désespérer le plus sincère républicain.
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Le coup de main dont il est parlé ici n'a jamais été connu en France, du moins datée comme une escarmouche de quelque importance, sinon par cette dépêche de Tamatave 7 octobre et que le Standard a publiée
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Les étrangers sont tenus ici en grande méfiance, surtout depuis l'affaire de Farafatre. Un sujet anglais a été arrêté comme un suspect. Passandava annoncent qu'une nouvelle rencontre « Desnouvelles de la baie de a eu lieu entre les Français et les Hovas. Les Français, ayant appris que les Hovas s'avançaient, sont allés à leur rencontre. Les Hovas étaient en grande force, mais étaient presque tous armés de lances. entourés, prirent position sur une montagne, « Les Français, craignant d'être où ils attendirent l'attaque. Plusieurs engagements ont eu lieu, mais sans résultats. Les pertes sont considérables des deux côtés. L'amiral Miot se rend à Majunga. « Vatoumandri a été bloqué par les Français. «
Il fauttenir compte de l'exagération anglaise, mais comme il n'y a pas de fumée sans feu, il est probable que le commandant Pennequin eut de nouveau maille à partir avec les Hovas. Ce qu'il y a de certain, c'est que, depuis son succès d'Andampy, il ne s'endormait point sur ses lauriers et multipliait les reconnaissances autour de lui, de façon à s'assurer que la contrée était bien débarrassée des Hovas.
«Dans une de ces reconnaissances, nous apprend le correspondant du Temps, il afaiten sens inverse le chemin suivi par les Hovas, lorsqu'ils se dirigeaient sur le Sambirano et que les.nôtres les ont arrêtés à Andampy. Partie d'Ambodimadiro, à la tombée de la nuit, la petite troupe franco-saka« laveest arrivée à la pointe du jour à un kilomètre d'Ankaramy. C'était déjàbien audacieux; mais, ce qui l'était plus, c'était de prendre position entre le fort hova et un poste ennemi établi sur une hauteur. Et c'est précisément ce qui eut lieu. Malgré un clair de lune magnifique, la reconnaissance avait réussi, en se dissimulant derrière des roches, à échapper à la surveillance et du fort et du poste. « De la colline où il se trouvait, le commandant voyait Ankaramy se dérouler à ses pieds. Le fort hova s'élevait au milieu d'un plateau dont les abords étaient facilement accessibles. La position était commode à attaquer en avant et par derrière. Au sud de la batterie, un populeux village s'étendait sur une longueur d'au moins deux kilomètres. « Autant que les jumelles permettaient d'en juger, le fort était composé d'une première enceinte en fortes palissades au pied desquelles étaient amassées des pierres et d'une seconde enceinte en pieux trèsjointifs et disposés sur deux rangs. C'était le rova, — autrement dit le réduit, destiné à contenir les cases des princi paux officiers hovas. « Entre les deux enceintes, on remarquait quatre cavaliers portant chacun une vieille pièce de canon et une foule depaillottes pour les miramilas de la garnison. Sud, presque désert maintenant, était occupé, il y s « Le grand village du
quelques mois, par les deux mille Hovas expédiés de Tananarive, sous les ordres d'Andriantsilavo, à l'effet de châtier les Sakalaves de la côte. On connaît le sort de ces deux mille guerriers. Le commandant Pennequin les mit si bien en déroute qu'ils ne s'arrêtèrent qu'à Tananarive,où ils se mirent, cependant, à chanter victoire. « Quand Andriantsilavo arriva à Ankaramy, il voulut entraîner à sa suite le commandant du fort. Ce dernier s'y refusa. « Si je m'en vais, dit-il, qui gardera la batterie, qui gardera les canons de la reine? » L'autre se moqua delui et le traita de poltron. Le commandant répondit à ces injures par des conseils: « Prenez bien garde, répéta-t-il à Andriantsilavo, vous ne savez pas à qui vous avez affaire. » Et quand la fameuse cohorte des deux mille revint précipitamment sur ses pas et en complète déconfiture, le commandant d'Andampy demanda à Andriantsilavoquel était le goût des Français qu'il avait dévorés. « C'est qu'en effet la leçon avait été particulièrement rude. Nos officiers qui ont exécuté le levé du champ de bataille d'Andampy et d'une partie de la route suivie par les Hovas ont compté jusqu'à 112 squelettes. »
APRÈS LA BATAILLE
Au surlendemain du combat de Farafatre et l'émotion dissipée, la situation redevint exactement ce qu'elle était avant, à cela près pourtant que les Hovas s'enivrèrent un moment de leur victoire. loin le besoin de se congratuler les uns les autres Ils poussèrent même qu'ils considérèrent le combat d'Andampy comme un succès pour eux et que le colonel Serington, qui se fit porter à Tananarive pour savourer sa prétendue victoire, y fut reçu, le 26 septembre, par une salve de neuf coups de canon. Manifestation qui, d'ailleurs ne faisait de mal à personne, pas même au faux vainqueur, et qui faisait grand plaisir aux méthodistes, bien qu'ils en connussent exactement le contresens. Le gouvernement lui-même savait bien à quoi s'en tenir, mais l'important était que le peuple crût à la victoire, car il était bien las de la guerre et le prouvait dans les camps par ses désertions de plus en plus fréquentes. Chez nous, il commençait à y avoir sinon découragement, du moins un grand être restés si longtemps l'arme au pied pour arriver, non pas préénervement cisément à se faire battre par les Hovas, car il ne faut rien exagérer, mais à ne pouvoir les chasser de leurs camps qui nous enfermaient àTamatave Non seulement les Hovas nous assiégeaient en quelque sorte dans les pos-
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Tamatave, — La pointe Hastie et l'intérieur du fort.
sessions que nous avions conquises sur eux, mais ils nous surveillaient de y manière à être prévenus d'avance de la moindre de nos prises d'armes. Tamatave regorgeait d'espions, qu'avec l'insouciance qui nous caractérise, on supportait plus ou moins; aigris par notre insuccès, on se montra tout à coup plus sévère et l'on en arrêta deux où trois, les autres se sauvèrent.
Vun de ces deux, le nommé Paul Rakabija, employé d'un négociant anglais, M. Procter, était sous le coup decharges accablantes; on a trouvé dans ses effets une-proclamation de la reine RanavaloIII, et de nombreuses lettres le remerciant des renseignements fournis par lui à diverses dates, sur nos opérations et sur ce qui se disait de nos projets. Condamné à mort par le conseil de guerre siégeant à Tamatave, il fut exécuté le 15 octobre.
Ses aveux ont été complets, dit le correspondant du Temps, et n'ont pas , laissé de compromettre gravement les frères Procter, commerçants anglais à Tamatave. Déjà, au commencement de l'année 1884, un Betsimisaraka, du nom de Joseph, avait été convaincu d'espionnage au profit de ces mêmes Procter, dont l'un est consul malgache à Maurice. Notre longanimité est, ma foi, exemplaire. Ne doit-elle pas cependant avoir des bornes? M. le ministre des affaires étrangères est en cela le meilleur juge. En attendant, les frères Procter continuent à mener doucement la vie à Tamatave, et à réaliser de beaux bénéfices sur la «
côte.
»
L'un de ces Procter, le consul, s'est pourtant trouvé mèlé aux négociations qui ont amené la signature du traité de paix, comme conseil de son compatriote Willougby, mais il semble que ce soit un sort, et que nous ne puissions faire ni la paix, ni la guerre sans trouver toujours des Anglais dans nos jambes. Cet exemple produisit un certain effet, non pas qu'il fit disparaître complètement les espions, mais il réconforta la population de Tamatave, qui, voyant toujours nos soldats rester en place à grelotter la fièvre, finissait par croire que nous n'étions capables d'aucun acte énergique et n'avait plus guère de confiance dans notre prestige militaire, depuis l'affaire de Farafatre. Ce symptôme ne se faisait pas sentir que là; aux environs de Vohémar, où, pourtant, nous n'avions jamais montré de faiblesse, et où nos soldats étaient doublés par des troupes indigènes, la confiance en nous décroissait à ce point que deux petits villages, distants de 10 à 12 kilomètres de notre camp, étaient passés à l'ennemi et qu'il n'était que temps d'arrêter un chef sakalave, nommé JoajaoOmby, car il allait en faire autant. Il faut dire que, de ce côté, ljapjar-ovisionnementdu riz était si mal réglé qu'on , -. le payait trois foisplus cher qtrtLÎnèurs, ce qui faisait fuir les habitants, désireux, tout naturellement, de vivre à meilleur marché. Et puis les Hovas ne cessaient de les harceler et nous n'avions pas assez de monde à Vohémar pour faire bien sérieusement la police de la campagne.
--
.'--
A la fin de novembre, dit le correspondant du Temps, une reconnaissance composée quatre-vingt-dix soldats d'infanterie et de trois cents indigènes et «
de
commandée par le chef de bataillon Toureng, a quitté Amboanio pour gagner Andraparany.
Elle y est arrivée vingt-quatre heures trop tard. L'ennemi, musique en tête, avaitparusur cepointjuste au moment nous nous mettions en marchepour l'atteindre, mais il avait disparu en emportant un vieux canon et en incendiant un village. Un chef de tribu, bien connu dans la province sous le nomdeBakary,est venu trouvé le commandant Toureng et lui a déclaré que, devant les brigandages incessants des Hovas, l'existence des indigènes était intenable et que, si la p-rotection française n'était pas plus efficace, il ne répondait plus de la fidélité de ses sujets. » «
ou
Fort heureusement, ce n'était pas partout comme cela. Les populations du Sud et particulièrement des environs du Fort-Dauphin attendent notre présence dans leurs parages pour se révolter contre les Hovas. Deux traitants français, MM. C. et G., venus récemment d'lambola, où ils sont restés ces dix derniers mois, nous ont raconté, à ce sujet, des choses bien intéressantes, dont la plus caractéristique a été le refus formel du petit roi indépendant de cette contrée de les livrer aux Hovas. » «
dit des.choses pareilles, en racontant son voyage de circumnavigation, dans les premiers jours de novembre. M. de Mahy nous a
à Saint-Augustin, au lever du soleil,
«C'était
dans un très beau site. Nous y avions abordé inopinément de nuit. Notre embarcation ayant manqué la passe, un compatriote, M. Thibault Desprès, établi dans le village, éveillé par nos cris, s'était jeté à l'eau suivi de ses camarades et de quelques Sakalaves et nous avait tirés d'embarras. « Parmi eux était un ancien volontaire créole, de la guerre de 1870, M. Charlot, que j'avais vu en France, à Bordeaux, du temps de l'Assemblée nationale. Quelle joie de le retrouver là, le cœur toujours chaud de patriotisme! Leur hospitalité fut charmante. « Le lendemain, au point du jour, le vieux chef de l'endroit, presque octogénaire, Belambe, suivi d'une centaine de guerriers et accompagné d'un chef plus jeune, Sitampi, très intelligent et parlant très bien français, arriva dans la cour de la factorerie pour nous souhaiter la bienvenue. « Comme nous lui faisions part du bontémoignage que nos compatriotes nous avaient porté, de ses procédés à l'égard des Français « Ce nest pas à moi qu'en « revient le mérite, nous répondit-il. Avant moi, mon père était l'ami des Fran« çais, et avant lui mon grand-père et cela remonte loin! loin! Vous le voyez, vos « compatriotes n'ont rien à craindre parmi nous. Leurs personnes, leurs biens « sont respectés à l'égal des nôtres. * « Quant aux Hovas, nous les avons toujours eus en horreur, et jamais nous « ne leur avons permis de pénétrer parmi nous. Cette année, ils nous ont envoyé des émissaires, pour nous offrir leur alliance et nous exciter à chasser les Fran«
:
çais qui sont ici. Nous avons renvoyé ces émissaires en leur faisant défense de «revenir. Ils sont partis en nous menaçant de la colère de leur reine et en ajoutant que les Français leur demandaient la paix et offraient des navires pour « aider les Hovas à se rendre maîtres de notre pays. Nous avons chassé ces im« posteurs. Pourtant, nous nous souvenons qu'on avait parlé d'un projet comme «cela du temps de M. Valon. Puisque vous pouvez voir les ministres en France, «dites-leur que jamais nous n'accepterons les Hovas pour maîtres. Les Hovas «sont les ennemis de notre race. S'ils viennent, nous les recevrons avec le fer et « le feu. » «
Cela donne une idée de ce qu'on aurait pu faire; mais nous n'avons à parler que de ce que l'on fit, ce qui sera bien plus facile, car résumer les faits de guerre ne sera pas long. D'abord, l'amiral Miot proclama le blocus deVatomandry, à la date du 5 oc-
tobre.
Ce port se trouve sur la côte orientale de Madagascar, à 80 kilomètres environ au sud de Tamatave, et est en communication avec le plateau de Tananarive par un sentier qui n'est relativement pas mauvais, ce qui explique que Vatomandry, sans importance, au temps où Tamatave appartenait aux Hovas, était devenu presque considérable, les Américains y écoulaient leurs toiles,lesAllemands leur ferblanterie, et les Anglais toutes sortes de choses et principalement de la contrebande de guerre. C'est pour cela que l'amiral Miot voulait le bloquer; mais que pouvait-il avec le nombre ridicule de navires dont il disposait? Et puis, Vatomandry bloqué, il restait Mahanoro, tout aussi fréquenté mainteHovas avaient nant, comme il restait aussi sur l'autre côté, Morondova,paroù reçu tout un chargement de canons Krupps, de fusils Remington, de Sniders et de munitions, dont le Boursaint apprit le débarquement deux jours trop tard. Dans le nord-ouest, si nous leur avions pris Diego-Suarez et Vohemar, ils fai-
les
saient absolument ce qu'ils voulaient sur toute la côte depuis Vohemar jusqu'à Tamatave, où des rades insignifiantes jadis, comme Sambavà, Antalaha, Angoutsi étaient devenues des ports, par où ils recevaient toutes les marchandises dont ils avaient besoin, y compris, bien entendu, les munitions de guerre. Le blocus était un -mauvais moyen, parce qu'il était impossible, et l'amiral Miot le savait bien, c'est pour cela qu'il envoya le Bisson bombarder Mananjary, port de la côte Est, entre le 21e et le 22e degrés de latitude. La batterie qui défend l'entrée de la baie est restée muette, dit le correspondant du Temps, par l'excellente raison qu'il n'y avait personne. De ce côté, la principale défense des Hovas est le fort de Tsiatosikia, à 20 kilomètres dans l'intérieur. En gens avisés, les Hovas ne songent pas à défendre le littoral; ils .s'y savent impuissants, mais ils ont toujours soin de choisir, à quelques kilo«
mètres plus loin, une bonne position qui les metàl'abri des bateaux, leur facilite la domination du pays et nécessiterait, pour être prise par une troupe débarquante, l'organisation d'une quasi-expédition. » Ils savaient bien que c'était chose impossible dans l'état actuel de nos forces, mais s'ils s'en enorgueillissaient leurs chefs ayant des prétentions à l'intelligence, ne partageaient point le sentiment qu'avait exalté, ce qu'ils appelaient leur grande victoire de Farafatre.
Allée des Manguiers. — Baraquement construit pour les négociations
Willougby surtout, en sa qualité d'Européen, sinon de par le titre d'ami particulier de la reine, qu'on lui donnait officiellement avec le 15e honneur, se rendait parfaitement compte de la véritable situation. Il comprenait très bien qu'il ne lui servirait de rien, ni pour sa gloire ni pour celle de Ranavalo III, d'avoir formé, instruit, discipliné ou à peu près, l'armée malgache, car le jour où la France le voudrait bien elle écraserait cette armée et détruirait le royaume de Madagascar. S'exagérant son succès du 10 septembre, il crut que ce moment approchait, car la France qu'il voyait vaincue, parce qu'elle n'avait pas persévéré à marcher de l'avant, n'allait pas rester sous le coup d'une défaite et allait envoyer une division qui marcherait sur Tananarive et ferait une purée de l'armée hova. Or, comme il se trouvait très bien à la tête de ladite armée, malgré qu'il touchât ses appointements en bœufs, il ne vit pas d'autre moyen pour y rester que
de faire la paix avec la France, qui le laisserait alors tranquillement jouir de l'amitié particulière de la reine et vendre ses bœufs au plus offrant et dernier
enchérisseur. En conséquence, il conseilla fortement aux ministres hovas de négocier, en leur exposant la situation, que le mari de la reine comprit du reste fort bien mais avant, il voulait savoir ce qu'il pouvait attendre du gouvernement anglais, que les méthodistes lui disaient toujours prêt àle soutenir et à se mettre en travers des prétentions de la France, en envoyant à Madagascar flotte et troupes dedébarquement. C'est pour cela que le révérend Parrett fut dépêché à Londres, en compagnie de M. James Procter, frère du négociant de Tamatave, dont le commis avait été fusillé comme espion. Ces messieurs croyaient-ils véritablement que le gouvernement anglais prendrait fait et cause pour les Hovas? il faut bien le supposer puisqu'ils firent le voyage, mais cela paraît difficile à admettre. Quoi qu'il en soit, ils échouèrent absolument auprès du Foreign-Office revinrent par Paris, où M. Procter trouva moyen de s'aboucher, non officiellement, avec un agent du ministère des affaires étrangères et de faire au nom du généralWillougby, plénipotentiaire hova, des ouvertures pour des préliminaire&. de paix. Mais cette démarche faisait double emploi, car, à cette époque déjà, le premier ministre hova, sachant qu'il n'avait rien à attendre des Anglais, avait surplace ouvert les négociations que nous allons suivre dans le chapitre suivant
;
et
DERNIÈRES NÉGOCIATIONS
Le ministre des affaires étrangères était presque dans le vrai quand il disait à la Chambre que les négociations avec les Hovas n'avaient jamais été aban-
données. De son côté, du moins, il n'avait pas perdu l'espérance de les renouer, de façon à les faire aboutir à un traité quelconque, toujours meilleur que la guerre, en raison de notre vieuxproverbe « Un mauvais accommodementvaut mieux que le meilleur procès », qui s'applique aussi bien à la politique qu'aux affaires
:
f particulières. Bien que l'intervention de M. Maigrot, n'ait donné aucun résultat, M. de Freycinet ne considérait point cet échec diplomatique comme définitif puisque, le 22 septembre, il écrivait à M. Patrimonio, notre consul général à Beyrouth,,
pour le moment en mission à Zanzibar, en prévision des éventualités probables, lalettre suivante: D'après lesavis de M. le ministre de la marine il serait possible que, pendant le cours de votre mission à Zanzibar, M. l'amiral Miot fit appel à votre concours, si les dispositions manifestées par les Hovas, permettaient de nouer utilement des négociations avec eux. soit cette éventualité, je dois cependant la xf Quel que peu probable que prévoir pour vous autoriser, en ce cas, à répondre à l'invitation de M. l'amiral Mi-ot. La présente lettre vous servirait de pouvoirs provisoires pour traiter en attendant que, sur l'information que vous m'enverriez, je puisse, par voie télégraphique ou par le plus prochain courrier, vous investir de pouvoirs réguliers. Dans cette prévision, je joins à la présente un projet d'arrangement dont vous auriez à négocier l'acceptation et dont vous ne devriez pas vous écarter sans mon consentement. « Pour cette négociation éventuelle, vous feriez usage de votre qualité de ministre plénipotentaire, qui, hors de cette circonstance, ne devra pas être mentionnée par vous jusqu'à votre retour en France, attendu que votre mission à Zanzibar vous est attribuée au titre exclusif de consul général. « Recevez, etc. «
« G. DE FREYCINET. »
Patrimonio se le tint pour dit et étudia le projet d'arrangement que lui envoyait M. de Freycinet, mais quand il apprit l'insuccès des négociations des mois de juillet et août, compliquées d'un nouvel insuccès de M. Maigrot, il ne conserva pas degrandes espérances. Le consul d'Italie, difficile à décourager et qui faisait, d'ailleurs, une question d'amour-propre du résultat des pourparlers qu'il avait entamés, avait essayé, toujours non officiellement, du côté de l'Angleterre; il avait demandé, le 28 -septembre, à lord Salisbury, s'il ne lui conviendrait pas de proposer la médiation soit des gouvernements anglais et italien réunis, soit du gouvernement anglais seul,entrelaFrance et Madagascar, mais le chef du Foreign-Officequi se trouvait ainsi très insuffisamment sollicité, n'avait pas cru devoir proposer une médiation que ne lui demandait aucun des intéressés. Malgré son peu d'espérances, M. Patrimonio, pour se conformer au désir de M. de Freycinet, se rendit à Tamatave afin de conférer avec l'amiral Miot. Il y arriva le' 16 octobre, passa quelques jours à bord de la Naïade et revint à Zanzibar avec la conviction que l'on n'aurait aucun besoin de lui à Madagascar ; ce dont il avisa le ministre des affaires étrangères par dépêche du 24 octobre. Si le voyage de notre consul n'avait pu être complètement caché, même aux espions hovas, très nombreux, comme toujours, à Tamatave, du moins le but de M.
-
ce voyage resta-t-il absolument secret, ainsi qu'on peut le voir par le passage suivant de la correspondance particulière du Temps.
Patrimonio, consul général et ministre plénipotentaire de France, est parmi nous depuis une huitaine de jours, dit le correspondant, leNielly est allé le chercher aux Seychelles et l'a amené ici, on ne sait trop dans quel but. L'attention detcTtxs été fort éveillée, et les hypothèses les plus bizarres ont expliqué sa présence à Madagascar. « Vient-ilavec un traité de paix en poche? Les affaires de Zanzibar ne seraientelles pas plutôt la cause de son déplacement? M. Patrimonio est resté fermé comme une porte de prison. Rien n'a transpiré de sa mission. Voilà au moins un excellent diplomate, si j'en juge par son mutisme. consul général partira sur le Nielly, le 25du mois courant. « Le » Même dans les régions officielles on nesavait riendu tout, puisque M. Campan, chancelier du consulat de France à Tamatave, en rapportant, le 18 novembre, au ministre des affairesétrangères les bruits qui circulaient relativement au voyage de M. Patrimonio, lui disait « qu'il avait interrogé l'amiral Miot sur ce point et que l'amiral avait répondu que le consul de Beyrouth n'était chargé d'aucune mission, nipour lui, ni pour les Hovas. » «
M.
a
-,
,
cette époque pourtant, il y avait du nouveau, mais c'était par le fait du gouvernement de Tananarive. Le 11 novembre, deux officiers hovas, nommés Édouard et Emmanuel., très connus à Tamatave où ils s'étaient trouvés mêlés comme interprètes à toutes les négociations antérieures, étaient arrivés en parlementaires chargés d'une lettre pour l'amiral Miot, qui les reçut surla Cette lettre contenait évidemment des ouverturesnon équivoques du premier ministre hova, puisque l'amiral en envoya, le jour même, par le Limier, avis à M. Patrimonio. M. Patrimonio télégraphia immédiatement à M. de Freycinet, qui lui répondit dépêche suivante: de même, A
-
Naïade.
la
de
ministre la marine a reçu de l'amiral Miot des renseignements assez « Le détaillés sur les ouvertures du gouvernement hova. Son impression est qu'il ne faut pas négligercette chance d'accord. Je vous autorise en conséquence à vous rendre à Tamatave, pour donner suite, s'il y a lieu, à la négociation. devra marcher assez vite, si « Au point où en sont les choses, la négociation les ouvertures des Hovas sont sérieuses. De notre côté, nous sommes prêts à introduire dans le projet de traité que vous avez emporté les modifications qui
n'enaltéreraient pas lespartiesessèntielles." »
:
Suivaient ces modifications ainsi libellées
Article lor. Le motprotectorat ayant fait échouer la précédente négociation,
hovas.
plénipotentiaires
des
et Willougby
de Tamatave,
de Départ
— négociations.
Les
vous pourrez, s'il le faut, supprimer cet article lui-même que les articles suivants rendent inutile. Art. 2, 3 et 4. A conserver en remplaçant, s'il le faut, escorte militaire parescorte d'honneur. Art. 5 à 15. Pas d'observations. Art. 16. A remplacer, s'il le faut, par quelque disposition ainsi conçue.
«Le gouvernement
de la reine s'engage à traiter avec bienveillance les. populations placées sous la protection de la France en vertu des traités conclusen 1841 et 1842, et à tenir compte des indications qui lui seront fournies à cet. égard par le gouvernement de la République. « En outre, tâcher de faire accepter une disposition ainsi conçue: Le gouvernement de la République se réserve le droit d'occuper la baie de Diego-Suarez et d'y faire les installations à sa convenance. «Je vous autorise, d'ailleurs, ajoutait le ministre, à consentir les modifications. de détail qui ne changeraient pas Le sens des clauses générales et à accepter, ad referendum, les modifications plus importantes qui vous paraîtraient néanmoins susceptibles d'être acceptées par nous. « Je compte sur votre sagacité pour tirer tout le parti possible des circonstances et mener à bien, avec le concours de l'amiral Miot, cette négociation dont le succès vous ferait grand honneur. «
C.
DE FREYCINET. »
Muni de ces pleins pouvoirs, M. Patrimonio, que le Limier attendait, partit lei6 novembre de Zanzibar. Il n'était à Tamatave que le 21, au grand désarroi des envoyés hovas, qui montraient assez manifestementleur inquiétude sur lalenteur Tananariveque gouvernement de France mettait à répondre aux propositions Cette lenteur s'expliqua bientôt par la lettre, à l'adresse de Rainilaïarivony, que l'amiral Miot remit aux envoyés Édouard et Emmanuel, le 24 novembre, et dont voici la teneur.
de
le
«
àbord de la Naïade, le 24 novembre 1885.
Tamatave,
Monsieur le premier ministre, j'ai l'honneur d'informer Votre Excellenceque la réponse du gouvernement français au sujet de votre lettre du 31 octobreest arrivée le 21 novembre au soir. amène M. Patrimonio, ministre plé« Le croiseur le Limier, qui l'a apportée, nipotentiaire en mission à Zanzibar, et qui a été autorisé, par une dépêche dont il est porteur, à prendre part avec moi à l'entrevue demandée. Votre Excellence de nous faire connaître l'époque à laquelle « H appartient à aura lieu cette entrevue, afin que je puisse faire disposer, en dehors de nos lignes, un emplacement convenable. où se sont déjà tenus les premiers pour« L'allée dite des « Manguiers «
-
H,
parlers, me semble réunir les conditions favorables, et je la propose comme lieu .de rendez-vous. « Veuillez agréer, etc. commandant en chef, « Le contre-amiral, « -c(
E.MIOT.
Le ministre plénipotentiaire, « PATRIMONIO. »
Au reçu de cette lettre, le premier ministre nomma les plénipotentiaires chargés de suivre les négociations, c'est-à-dire le général DigbyVillougby, car lui seul avait la signature, mais il partit accompagné de son état-major militaire et de quelques fonctionnaires civils sans oublier l'indispensable Édouard, officier interprète, et le non moins indispensable Emmanuel, secrétaire aide-de-camp du premier ministre; la mission comptait, comme notabilitésRainizanamanga, fils du ministre de la guerre), lequel parle .aîné du premier ministre et Rabibisoa fort bien le français, ce qui n'a rien dréLonnant, d'ailleurs, puisqu'il a fait une .partie de son éducation à Paris, à l'école des hautes études commerciales. Ces envoyés arrivèrent le 13, au camp de Farafatre, et les négociations commencèrent dès le lendemain, entre le camp Tamatave, à l'endroit neutre appelé « sous les Manguiers », où. l'amiralMiot avait fait construire un baraquement à -cet effet. Il faut croire que les plénipotentiaires ne se trouvèrent pas très confortablement installés dans cette maison en bois, ouverte à tous les vents car l'amiral Miot proposa, dès le 15, de tenir les conférences à bord de la Naïade, où il offrit
:
(fils
et
:
l'hospitalité aux envoyés hovas, qui l'acceptèrent et traversèrent Tamatave, comme des parlementaires, les yeux bandés. La discussion dura eucore deux jours, Villoughby ne voulant accepter que sous conditions de ratification par le premier ministre, l'article relatif à notre établissement à Diego-Suarez, mais comme ni M. Patrimonio ni l'amiral Miot n'insistèrent pour l'insertion du mot « protectorat », ils acceptèrent tout le reste, pourvu qu'il fût expressément mentionné que la France reconnaîtrait formellement-la souveraineté de la reine sur toute l'île de Madagascar. C'était là, écrivait M. Patrimonio à M. de Freycinet, en lui annonçant que le traité avait été signé le 17 au soir, c'était là une question délicate et qui a failli faire manquer les négociations l'idée m'est venue alors de changer une seule expression dans l'article 13 de notre projet, devenu l'article 12 du traité « Sa Majesté la reine de Madagascar continuera, comme par le passé, de présider à l'administration intérieure de toute l'île, au lieu de « ses États. » «
:
:
Le ministre des affaires étrangères, répondit par le télégramme suivant à cette ,dépêche, quine fut expédiée de Zanzibar que le 21.
«
Paris, le 24 décembre 1885.
La nouvelle de la conclusion de la paix dans les conditions indiquées par votre télégramme du 21 courant a été accueillie avec une vive satisfaction. Recevez. ainsi que l'amiral Miot, tous nos remercîments pour le succès de cette importante négociation. « Nous vous autorisons, vous et l'amiral Miot, à vous rendre à Tananarive aussitôt que vous jugerez le moment opportun. Nous croyons que votre présence dans la capitale hova aura un effet salutaire, à la condition, toutefois, que les conditions de votre voyage et les détails de votre réception seront réglés d'avance, de façon à sauvegarder pleinement la dignité de la France. « Je me propose de soumettre le traité à la sanction des Chambres dès la reprise des travaux législatifs. Veuillez, en conséquence, me télégraphier le texte des dix-neuf articles et du préambule, en veillant sur l'orthographe exacte des noms propres. « Dès que votre présence ne sera plusutile à Madagascar, vous retournerez à Zanzibar, où vous trouverez des instructions qui vous permettront, sans doute, de rentrer prochainement en France. «
«
C.
DE FREYCINET. »
Les félicitations adressées à nos plénipotentiaires étaient méritées, car les négociations avaient été menées fort habilement et surtout très vite, mais il fallait que le traité, signé seulement par le général Willougby, fût ratifié par le gouvernement hova. Le général, du reste, ne perdit point de temps et voulut le porter lui-même à Tananarive. Il quitta la Naïade avec ses compagnons, qui s'y trouvaient pourtant très bien, et arrivé sur le port, bien que l'on pût considérer la paix comme faite, il se banda les yeux avant de monter en filanzana, de façon à traverser Tamatave et toutes nos positions sans les voir. Naturellement, ses compagnons en firent autant, mais s'ils ne virent pas la ville, ils virent du moins les habitants, car il y avait foule sur la plage pour souhaiter bon voyage à ces messagers de paix, dont on attendit le retour avec une certaine impatience. A Tananarive, d'ailleurs, on était tout à fait revenu des idées belliqueuses, et le Madagascar Times, organe à peu près officiel publiait le 16 décembre, les lignes suivantes
:
Depuis un mois déjà, le premier ministre prépare les esprits à une réconciliation. Nous le constatons non seulement dans son discours prononcé à l'occasion du Fandroana, fête de la reine, où il fait clairement allusion aux négociations, mais encore dans celui adressé à Ambohimanga, dans un kabary, à une foule composée principalement des officiers des dix honneurs. Il y laissait, en effet, entrevoir l'éventualité d'une tournure favorable que prendraient les négo«
ciations et qui nécessiterait la visite de l'amiral à Tananarive, à l'effet d'en arriver à une conclusion finale. Bien que le gouvernement français soit fatigué de l'expédition de Madagascar et désireux d'y mettre fin, il n'est cependant un secret pour personne que le gouvernement malgache a pris lesr devants, et le premier a fait un pas vers les négociations. C'est là un trait diplomatique digne de Son Excellence (??) et qui sûrement rendra les choses plus faciles. Manjakandrianombona, « Les négociations préliminaires ont été entamées à dimanche dernier; il est donc trop tôt pour faire des conjectures sur leur issue. Mais il est assez certain que le caractère des arguments des présentes négociations ne sera pas aussi brutal et tranchant qu'il l'a été précédemment; la situation, par conséquent, se présente bien. L'amiral Miot a trop bien étudié la question de Madagascar pour se laisser influencer, dans la tâche de procurer une paix honorable à la France, parles hurlements de ses compatriotes d'outre-mer. La reine et le premier ministre tiennent trop aux intérêts de leur pays pour entraver, par une politique étroite, la solution pacifique d'un état de choses dont l'un et l'autre parti sont depuis longtemps fatigués. » Willougby, n'eut donc point de temps à dépenser aux tergiversations gouvernementales, et put faire le voyage, aller, séjour et retour, en moins de vingt jours. Le 7 janvier, nous dit le correspondant du Temps, nous avons vu apparaître aux lignes les parlementaires habituels, Édouard et Emmanuel. Ils viennent annoncer l'arrivée, pour le lendemain, du général Willougby. « En effet, le 8, ce dernier, accompagné d'un jeune officier hova, arrive à Tamatave et se rend à bord de la Naïade, qu'il quitte le même jour. « Le 9, vingt et un coups de canon sont tirés sur les hauteurs de Farafatrana. Ce salut est adressé aux plénipotentiaires hovas qui, toujours sous la conduite de Willougby, sortent.du camp hova pour se diriger sur Tamatave. Un peloton de gendarmes à cheval va à leur rencontre, M. Patrimonio et l'amiral les attendent sous les manguiers qui forment une magnifique allée en avant du fort. A l'arrivée des Hovas, les clairons sonnent aux champs, la garde leur rend les honneurs militaires. « Les plénipotentiaires sont restés deux jours à bord de la Naïade. On est si bien sur le bateau-amiral! Bon souper, bon gîte; mais il paraîtrait que les affaires ont failli se brouiller. Fidèles à leur système, les Hovas ont essayé de rediscuter des points déjà admis. M. Patrimonio les a arrêtés net dans cette voie. Aussi, quand nos nouveaux amis sont descendus à terre, le 11 au matin, ils avaient la mine un peu déconfite. Et cependant ils n'avaient plus, cette fois, les yeux bandés. Ils pouvaient voir la population, parmi laquelle ils avaient de nombreuses connaissances; les gendarmes les précédaient et une compagnie d'infanterie de marine fermait la marche. — Villougby était à cheval. « Douze de nos pièces saluent le départ des plénipotentiaires de vingt et «
un coups de canon et la gendarmerie les aècompagne jusqu'à la rivière qui coule au pied de Farafatrana. » « Nous apprenons que l'amiral Miot est invité à dîner à Farafatrana. Les Hovas veulent lui rendre toutes les politesses dont il les a comblés à bord de la Naïade; aussi tous les jours on rencontre Édouard et Emmanuel occupés à courir les magasins de Tamatave, pour y acheter les meilleures conserves afin de faire honneur à l'amiral et à M. Patrimonio. Le 13, à une heure et demie, M. Patrimonio et son secrétaire, l'amiral et « .son aide de camp, le commandant duNielly et un capitaine d'infanterie se font fitaconner vers Farafatrana. Les canons liovas saluent leur arrivée. La Naïade répond. Du côté des Français et du côté des Hovas, on arbore en même temps les drapeaux des deux nations. Ces messieurs ne sont rentrés que le lendemain, 14, à cinq heures du soir. Le généraiWillougby et un officierhova les accompagnaient encore une fois. Le général anglo-hova se plaît certainement à Tamatave, car il y est toujours. Aujourd'hui, 16, deux cent cinquante borozana sont amenés à Tamatave par « une dizaine d'officiers hovas pour former le convoi de l'amiral, je veux dire pour transporter jusqu'à Tananarive les bagages et les provisions des plénipotentiaires français qui doivent partir, lundi 18, pour la capitale. Un lieutenant de vaisseau et un médecin serontleurs seuls compagnons de route. »
Freycinet avait été prévenu de ce voyage par la dépêche suivante, partie Zanzibar le 15 janvier et qui est la dernière du Livre Jaune. M. de
de
Le traité a été ratifié par le gouvernement malgache tel qu'il vous a été expédié. Il y a eu des tentatives de modifications que nous avons écartées. Nous avons consenti seulement à fournir par correspondance quelques explications sur la signification de certaines clauses. la baie de Diego-Suarez le terrain « On nous a demandé de limiter autour de que nous croyions nécessaire pour nos installations. Un mille et demi, dans les parties sud et ouest, et quatre milles au nord nous ont semblé d'autant plus suffisants que ce qui reste au nord, jusqu'au cap d'Ambre, sera nécessairement aban donné par les Malgaches. Sur une invitation de la reine, nous allons nous rendre «
à Tananarive. «
PATRIMONIO. »
Pour terminer ce chapitre, dont l'intérêt fera passer la longueur, donnons -maintenant le texte du traité.
--.
,.
TRAITÉ conclu le 17 décembre 1885 entre le gouvernement de la RépubliqueFrançaise et le gouvernement de Sa Majesté la reine de Madagascar. Le gouvernement de la République française et celui de S. M. la reine de Madagascar, voulant empêcher à jamais le renouvellement des difficultés qui se sont produites récemment, et désireux de resserrer leurs anciennes relations d'amitié, ont résolu de conclure une convention à cet effet, et ont nommé pour plénipotentiaires, savoir
:
Paul-Émile Miot, contre-amiral commandant en chef la division navale dela mer des Indes, Et M. Salvator Patrimonio, ministre plénipotentiaire, Pour la République française Et M. le général Digby Willougby, officier général commandant les troupes malgaches et ministre plénipotentiaire, Pour le gouvernement de S. M. la reine de Madagascar; Lesquels après avoir échangé leurs pleins pouvoirs, trouvés en bonne et due. forme, sont convenus des articles qui suivent, sous réserve de ratification M.
;
:
Article 1er. Le gouvernement de la République représentera Madagascar dans toutes ses relations extérieures. Les Malgaches à l'étranger seront placés sous la protection de la France. Art. 2. Un résident, représentant le gouvernement de la République, présidera aux relations extérieures de Madagascar, sans s'immiscer dans l'administration intérieure des États de S. M. la reine. Art. 3. Il résidera à Tananarive avec une escorte militaire. Le résident auradroit d'audience privée et personnelle auprès de S. M. la reine. Art. 4. Les autorités dépendant de la reine n'interviendront pas dans les contestations entre Français ou entre Français et étrangers. Les litiges entre Français et Malgaches seront jugés par le résident, assisté d'un juge malgache. Art. 5. Les Français seront régis par la loi française pour la.répression de tous les crimes et délits commis par eux à Madagascar. Art. 6. Les citoyens français pourront résider, circuler et faire le commerce librement dans toute l'étendue des États de la reine. Ils auront la faculté de louer pour une durée indéterminée, par bail emphytéotique renouvelable au seul gré des parties, les terres, maisons, magasins et toute propriété immobilière. Ils pourront choisir librement et prendre à leur service, à quelque titre que ce soit, tout Malgache libre de tout engagement antérieur. Les baux et contrats d'engagement de travailleurs seront passés par acte authentique.
devant le résident français et les magistrats du pays, et leur stricte exécution garantie par le gouvernement. Dans le cas où un Français, devenu locataire d'une propriété immobilière, viendrait à mourir, ses héritiers entreraient en jouissance du bail conclu par lui pour le temps qui resterait à courir, avec faculté de renouvellement. Les Français ne seront soumis qu'aux taxes foncières acquittées par les Malgaches. Nulne pourra pénétrer dans les propriétés, établissements et maisons occupés par les Français ou par les personnes au service des Français, que sur leur consentement et avec l'agrément du résident. Art. 7. S. M. la reine de Madagascar confirme expressément les garanties stipulées par le traité du 8 août 1868, en faveur de la liberté de conscience et de tolérance religieuse. Art. 8. Le gouvernement de la reine s'engage à payer la somme de dix millions de francs, applicable, tant au règlement des réclamations françaises liquidées antérieurement au conflit survenu entre les deux parties, qu'à la réparation de tous les dommages causés aux particuliers étrangers par le fait de ce conflit. L'examen et le règlement de ces indemnités sont dévolus au gouvernement
français.
-
Art. 9. Jusqu'à parfait payement de ladite somme de dix millions de francs, Tamatave sera occupé par les troupes françaises. Art. 10. Aucune réclamation ne sera admise au sujet des mesures qui ont dû êtres prises jusqu'à ce jour par les autorités militaires françaises. Art. 11. Le gouvernement de la République s'engage à prêter assistance à la raine de Madagascar pour la défense de ses États. Art. 12. S. M. la reine de Madagascar continuera, comme par le passé, de' présider à l'administration intérieure de toute l'île, ; Art. 13. En considération des engagements pris par S. M. là reine, le gouvernement de la République consent à se désister de toute répétition à titre d'indemnité de Art. 14. Le gouvernement de la République, afin de seconder la marche du gouvernement et du peuple malgaches dans la voie de la civilisation et du progrès, s'engage mettre à la disposition de la reineles- instructeurs militaires, ingénieurs, professeurs et chefs d'ateliers qui lui seront demandés. Art. 15. Le gouvernement de la reine s'engage expressément à traiter avec bienveillance les Sakalaves et les Antankares et à tenir compte des indications qui lui seront fournies à cet égard par le gouvernement de la République. la République se réserve le droit d'occuper la Toutetois, le gouvernement baie de Diego-Suarez et,d'y. faire les installations sa convenance. Art. 16. Le président de la République et S. M. la reine de Madagascar accordent une amnistie générale, pleine et entière, avec levée de tous les séquestres mis sur leurs biens, à ceux de leurs sujets respectifs, qui, jusqu'à la
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guerre.
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conclusion du traité et auparavant, se sont compromis pour le service de l'autre partie contractante. Art. 17. Les traités et les conventious existant actuellement entre le gouvernement de la République et celui de Sa Majesté la reine de Madagascar, sont expressément confirmés dans celles de leurs dispositions qui ne sont point contraires auxprésentes stipulations. Art. 18. Le présent traité ayant été rédigé en français et en malgache et les deux versions ayant exactement le même sens, le texte français sera officiel et fera foi sous tous les rapports, aussi bien que le texte malgache. Art. 19. Le présent traité sera ratifié dans le délai de trois mois, ou plus tôt, si faire se pourra. Fait en double expédition, àbord de la Naïade, en rade de Tamatave, le dixsept décembre mil huit cent quatre-vingt-cinq. Le contre-amiral commandant en chef la division navale de la mer des Indes,
:
Signé
Le ministre plénipotentiaire de la République française,,
:
Signé
E. MIOT.
S. PATRIMONIO. Le ministre plénipotentiaire de Sa Majesté la reine de Madagascar, officier général commandant les troupes malgaches,
:
Signé
DIGBY WILLOUGBY
Comme annexe à ce document, il ne faut pas oublier la lettre explicative que nos plénipotentiaires crurent devoir adresser à M. Willougby : ce qui ne fait pas grand honneur à leurs textes, car un traité qui a besoin d'être expliqué n'est pas un instrument de paix bien solide; mais ce n'est là encore que son moindre défaut, comme nous le verrons plus loin, car cette annexe réduit à leur plussimple expression tous les avantages que nous donnait le traité. Tel qu'il est, voici ce document, qui fut publié d'abord par le journal le Times, par les soins de M. James Procter consul de Madagascar à l'île Maurice, l'un des négociateurs du traité, qui, pour être resté dans la coulisse, n'a pas moinsjoué un rôle d'une certaine importance au cours des négociations.
le général Digby-Willozigby, officiergénéral, commandant les troupes malgaches, envoyé extraordinaire et ministre plénipotentiaire de S. M. la reine de Madagascar
A M.
A
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bord de la Naïade, Tamatave, le
9
janvier 1886.
Monsieur le plénipotentiaire,
Conformément au désir que vous avez bien voulu nous exprimer, et afin de lever les doutes manifestés par le gouvernement malgache relativement à l'interprétation de certaines expressions du texte du traité du 17 décembre 1885,nous consentons volontiers à vous fournir les explications suivantes « Son Excellence le premier ministre vous a cjaargé de préciser le sens du paragraphe 1er de l'article 2 du traité à savoir République présidera aux « Un résident représentant le gouvernement de la « relations extérieures. » « Cela veut dire que le résident aura le droit de s'ingérer dans les affaires ayant un caractère de politique extérieure, qu'il aura le droit de s'opposer, par exemple, à toute cession de territoire à une nation étrangère quelconque, àtout établissement militaire et naval à ce qu'un secours quelconque en hommes ou en bâtiments, sollicité du gouvernement de la reine de Madagascar par une nation étrangère ne puisse être accordé sans le consentement du gouvernement français. Aucun traité, accord ou couvention ne pourra être fait sans l'approbation du gouvernement français. « Par l'article 3 du traité, il est stipulé qu'il (le résident) résidera à Tananarive avec une escorte militaire. « Le premier ministre désire savoir ce que nous entendons par escorte militaire. Nous consentons à lui déclarer que qui dit escorte ne dit pas corps d'armée et, pour mieux préciser, nous prenons l'engagement que cette escorte ne dépassera pas cinquante cavaliers ou fantassins. Cette escorte n'entrera pas dans l'intérieur du palais royal. « A l'article 6, l'expression bail emphytéotique signifie un bail spécial d'une durée de quatre-vingt-dix-neufans et renouvelable au gré des parties. «Dans le paragraphe du même article, en stipulant qu'ils (les citoyens français) pourront choisir fibrement et prendre à leur service, à quel titre que ce soit, tout Malgache libre de tout engagement, nous avons nécessairement entendu exclure les soldats et les esclaves, puisque les soldats et les esclaves ont, plus que tout autre, engagé leur personne. «Le gouvernement de la République ne prêtera évidemment son assistance à la reint, de Madagascar pour la défense de ses États, que si cette assistance est sollicitée par S. M. la reine. «En ce qui concerne le territoire nécessaire aux installations que le gouverne«
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:
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;
3
ment de la République fera, à sa convenance, dans la baie de Diégo-Suarez, nous croyons pouvoir vous assurer qu'il ne dépassera pas un mille et demi dans tout le sud de la baie, ainsi que dans le contour de l'est à l'ouest, et quatre milles autour du contour nord de la baie, à partir du point de ladite baie le plus au nord. « Il est superflu d'ajouter qu'à Diégo-Suarez les autorités françaises ne donneront pas asile aux sujets malgaches en rupture de ban, ou qui ne pourront exhiber un passeport des autorités malgaches. « Veuillez agréer, monsieur le plénipotentiaire,les assurances de notre haute considération. « Le ministre plénipotentiaire,
P.-S. comme par «
:
« Signé «
S. PATRIMONIO.
:
Le contre-amiral commandant en chef, E. MIOT. « Signé
-
Vous nous avez demandé si le gouvernement de la reine pourrait, 13 passé, continuer à négocier des traités de commerce avec les
puissances étrangères. Sans doute, autant que ces traités de commerceneserontpas contraires aux stipulations du traité du 17 décembre 1885. «
«
: :
Le ministre plénipotentiaire, S. PATRIMONIO. « Signé «
Le contre-amiral. « Signé
MIOT. »
On remarquera que cette lettre est datée du 9 janvier, c'est-à-dire que les explications qu'elle donne, les amoindrissementsqu'elle apporte au texte du traité, n'étaient pas indispensablespour obtenir sa ratification; mais nous ne manquerons
pas d'occasions d'en reparler.
APRÈS LE rRAITÉ
La signature de la paix avait fait licencier le bataillon des volontaires de la Réunion qui devait être rapatrié à Saint-Denis, mais l'amiral Miot ne laissa point partir ces braves gens sans leur adresser les remerciements de la France, par l'ordre du jour suivant, qui annonçait la mesure au corps d'occupation de
Madagascar, et qui fut lu dans tous les postes, affiché dans les batteries de tous les navires. Conformément aux ordres du ministre de la marine, le bataillon des volontaires de la Réunion sera embarqué prochainement sur la Seudre, pour être rapatrié à Bourbon et y être congédié. de ce bataillon, le commandant en chef est heureux de « Avant de se séparer lui transmettre les félicitations du gouvernement et celles du pays pour la part active que les volontaires ont prise dans les opérations de la campagne. «Il remercie personnellementles officiers, sous-offoiers et soldats, duconcours qu'ils lui ont toujours prêté, tant par leur bon esprit et leur discipline que par leur bravoure quand il a eu à l'éprouver. « Tous, officiers, sous-officiers et soldats, vous vous êtes montrés les dignes enfants de la France. janvier 1886. « Fait à Tamatave, le 15 «
«
Le contre-amiral, commandant en chef,
:
« Signé
E.
MIOT. »
cette date, la ville de Tamatave était pleine d'officiers hovas et de borozona, autrement dits porteurs. Ces derniers devaient porter à Tananarive, l'amiral Miot, M. Patrimonio et : leur escorte; les officiers étaient venus pour leur faire honneur et le général Willougby avec eux. Celui-ci était descendu chez son ami, M. Procter, mais ne tenait guère en place, car on le rencontrait un peu partout, bravant les insolations avec son petit bonnet écossais et battant l'air de sa cravache. Il tenait à se faire remarquer. A
Le 18 janvier, dit le correspondant du Temps, l'amiral, M. Patrimonio et leur suite quittaient Tamatave sans tambours ni trompettes. Dans ce départ, trop modestement effectué, il n'y avait rien qui pût rappeler les pompes d'un triomphe. Et pourtant Willougby était de la fête. « On arriva à Tananarive le 28, c'est-à-dire 10 jours après; on s'était hâté «
lentement. « Le séjour de nos plénipotentiaires à la capitale ne dura pas plus que trois fois vingt-quatre heures. Le peuple hova, stylé par le premier ministre, ne se livra à aucune manifestation. Tout parut se passer fort bien. « M. Patrimonio et l'amiral reçurent l'hospitalité chez le fils aîné du premier ministre. Entrevue avec le premier ministre, entrevue avec la reine, visites officielles, telles furent leurs occupations. Quand ils sortaient, Willougby se faisait leur cicerone. Et les Malgaches de se dire, en les voyant passer « Eisy ! mody
:
miady ka misakaiza. » (Peuh! ils font semblant de se battre et cependant ils sont amis. ) « Si l'on en croit les racontars qui circulent et quelques lettres venues de Tananarive, le premier ministre aurait avoué à M. Patrimonio que les Hovas étaient exténués et ne pouvaient tenir plus longtemps. Il aurait même laissé percer une grosse rancune contre les Anglais. «Cela m'étonne bien; aussi jene vous lerépèteque sousbénéfice d'inventaire.»
C'était, en effet, très improbable, d'autant que les méthodistes anglais n'avaient point désarmé, même en apparence. Ainsi, le 27 janvier, l'ex-révérend Tacchi publia dans son journal un entrefilet, d'ailleurs officiel, qui annonçait en termes fort convenables l'arrivée du plénipotentiaire français, M. Patrimonio (il n'était fait aucune mention de l'amiral Miot). Mais deux jours après, le même Tacchi, dans le même journal, faisait une relation carnavalesque de l'entrée des ambassadeurs français dans la capitale, relation qui a, sans doute, beaucoup amusé les méthodistes et leurs affiliés, mais qui ne donnepas une haute idée de l'esprit de son rédacteur, encore moins de sa bonne foi, car les choses grotesques qu'il raconte sont absolument fausses. Tout s'est passé convenablement à la réception de nos plénipotentiaires, qui ont fait leur entrée en grande tenue, portés sur les palanquins qui sont les voitures de gala de Madagascar et escortés par 200 Hovas des plus disciplinés, commandés par huit officiers parmi lesquels il y avait un 15" honneur et un 14e honneur, grades équivalents à ceux de général de division et de général de brigade. La population, qui s'était portée en foule à leur rencontre et qui les accompagna jusqu'à leur gîte, a eu une attitude très correcte. Comme hospitalité, le premier ministre leur offrit ce qu'il avait de mieux à leur disposition, la maison de son fils Ratsimatahodriaka, et, d'ailleurs, nos plénipotentiaires ne pouvaient être mieux, car Mme Ratsimatahodriaka, plus connue parmi les Français sous le nom de Mme Victoire, est une catholique fervente dont les sympathies sont françaises et qui leur fit le plus grand accueil. Très correcte aussi fut la réception officielle, qui eut lieu le 29 janvier et où il y eut tout naturellement un échange de discours. L'amiral Miot, parlant en son nom et en celui de M. Patrimonio, a prononcé d'abord les paroles suivantes
:
Madame, En nous rendant à la gracieuse invitation de Votre Majesté, nous sommes surtout venus pour témoigner des sentimentsd'amitié sincère et de réeila sympathie qui animent le gouvernement de la République envers votre personne, madame, envers votre gouvernement et le pays tout entier. «
Les dernières négociations ont mis fin au conflit qui a trop longtemps troublé les relations entre nos deux pays. reprendre leur cours interrompu, « Désormais les travaux de la paix pourront et le concours désintéressé du gouvernement de la République française est acquis à votre gouvernement pour l'aider à accomplir, dans vos États, les progrès qui font l'honneur de l'humanité et la gloire de notre siècle. Qu'il lui fasse une longue et « Que Dieu, madame, protège Votre Majesté paisible existence et qu'il lui accorde tous les succès qui font les règnes glorieux et prospères » «
!
!
:
La reine a répondu
Moi et mon gouvernement, nous sommes excessivement heureux de votre arrivée à la capitale de mon royaume, comme représentants de la France, arrivée dont nous avons souhaité le moment, afin de cimenter les relations d'amitié entre «
les deux pays. «Noussommes égalementheureux d'entendre, par votre bouche, les sentiments rd'amitié sincère qui animent le gouvernement de la République à notre égard. Il est de notre plus grand désir de vivre continuellement en bonne entente avec cette grande République et nous sommes fortement convaincus que les bons rapports qui viennent d'être renoués dureront pour l'intérêt commun des deux nations. « Je vous remercie cordialement des souhaits sincères que vous formez pour ma personne et pour mon pays. «Que Dieu vous protège »
!
Évidemment ces échanges d'allocutions ne font ni chaud ni froid, c'est de l'eau bénite de cour, mais s'ilscachent quelquefois des arrière-pensées, puisqueladiplomatie est ainsi organisée, qu'elle fait sa gloire de ce qui serait une tare dans la vie privée, du moins indiquent-ils la cordialité des rapports officiels et il fallait au sieur Tacchi un bien grand fond de mauvaise volonté pour trouver quelque chose de drôle ou de narquois là dedans. Mais il paraît qu'il doutait encore de la possibilité de la paix, puisqu'il poussait toujours à la guerre; il est vrai que lorsqu'il fut convaincu que la reine avait ratifié le traité, apposé sa signature au bas de la convention qui mettait Madagascar sous le protectorat dela France, il ne se montra guère plus réservé. Le 10 février, l'amiral Miot et M. Patrimonio rentraient à Tamatave et l'abondance y revenait avec eux, car depuis qu'on était tout à fait bloqué du côté de la terrepar les troupeshovasdeFarafatreetdes environs, les vivres frais s'y faisaient assez rares. La paix signée, on ouvrit un marché, ce qu'on appelle là-bas un bazar, en avant du fort, sous les ombrages de la fameuse allée des Manguiers.
Tout d'abord, dit le correspondant du Temps, de rares Malgaches se décidèrent à venir, presque à la dérobée, vendre à des prix exorbitants de rares volailles. Mais quand, le 28 janvier, sur un ordre de la reine, l'ouverture du bazar fut autorisée, le mercantilisme des Hovas put s'en donner à cœur joie. « Ils arrivèrent par bandes, poussant devant eux des moutons et des porcs et chargés de volailles, d'œufs, de riz, de légumes et de fruits le bœuf ne se paya plus que quinze centimes le kilogramme on eut un poulet pour cinquante centimes, un canard pour un franc, une oie pour deux et une dinde pour trois. Le pays de Cocagne était retrouvé. Les soldats et les traitants ne se sentaient pas d'aise et se livraient à de franches lippées. Le journal de Tamatave, la Cloche, participa à l'exaltation générale et se mit à tinter, à sonner des hymnes pantagruéliques. Les satisfactions de l'estomac avaient engourdi les tristes pensées de l'heure présente.Tout le monde chantait l'hosannah du ventre. « La plupart des marchands sont des soldats hovas, et je vous certifie qu'ils s'entendent mieux à peser de l'argent coupé qu'à manier un fusil. Néanmoins, ils vous ont un petit air moqueur qui semble dire « Sans nous, vous creviez de faim, votre empressement le « Le marché est tenu de six heures du matin à quatre heures du soir,,et, comme il y a encombrement de choses et de gens et qu'il faut faire exécuter certaines prescriptions, lesHovas ont organisé une sorte de police sous la direction d'un officier de ma connaissance, il a été tailleur, maître déole « Ce personnage a essayé de tous les métiers , et maître d'hôtel. Bien souvent il est venu à Tamatave en parlementaire; aujourd'hui il a huit ou neuf honneurs et semble très content de son sort. Ses policemen ont un uniforme pantalon et lamba blancs, chapeau en jonc autour duquel est enroulé un ruban blanc sur lequel sont imprimées en noir les lettres P. L., cequi signifie police On a placé cette bande d'agents sous la surveillance de deux gendarmes français, et si parfois les prescriptions relatives à la propreté du bazar ne sont pas remplies, ceux-ci n'hésitent pas a mettre le balai entreles mains des policiers et à leur faire exécuter la corvée qu'ils n'ont pas su exiger des mar«
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troupiers. Un d'égayer laisse original Ce spectacle assez et nos est ne pas « autre ne l'est pas moins Quand un Hova est surpris en flagrant délit de vente de immédiatement conduit à la prévôté. Le trajet n'est pas long, mais rhum, il le Hova le temps de prier, de supplier le gendarme de lui pardonner; alors il attitudes les plushumbles,invoque prend les contorsionne de manières, cent se Zanahara, se courbe en deux, se couche presque à terre. C'est drôle à force d'être vil. »
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A propos de l'impression produite par la signature de la paix, le même correspondant ajoute
:
redevenus apaisée, sont faim leur depuis Les Tamatave, traitants de est que «
d'Arabodiuiadiro.
Atterrissage
â&#x20AC;&#x201D; Passandava.
de Baie
'inquiets, Quant aux pauvres Malgaches qui. sont restés avec nous jusqu'au bout, .ils se disent perdus. « Que la paix ne soit pas populaire parmi les résidents français et parmi nos alliés dela côte nord-ouest, cela n'a pas besoin d'être démontré; mais il est inutile d'insister sur les craintes qu'on a autour de nous. Aussi je vais me contenter 4e mettre en lumière ce qu'on eût pu faire sur la côte ouest, en prenant exemple sur ce qu'a fait le commandant Pennequin dans cette admirable province Antankarana, dont j'ai visité bien des endroits. «Là, nous étions chez nous; là se trouvaient réunis, comme à miracle, tous les éléments de colonisation ports magnifiques, population nombreuse et amie, sol généreux et bien arrosé, cours d'eau navigables. En outre, aucun territoire n'était plus facile à défendre, et chaque pas en avant aurait été définitif mois, le commandant Pennequin est dans le pays, et, « Depuis seize non content de se montrer tacticien habile, ils'est révélé organisateur éclairé. Livré à lui-même,un peu délaissé, tie disposant que de faibles moyens, mais sentant tout le prix de la belle région où on l'avait placé, il s'appliqua à la rendre tous les jours un peu plus nôtre. En un mot, il fit œuvre de vrai colonisateur, « Tout d'abord, il terrifia les Hovas par quelques coups décisifs et ramena ainsi la sécurité chez les Sakalaves. Le riz, dont la culture avait été presque abandonnée, fut semé de nouveau sur de vastes étendues et, cette année, le développement des rizières fut tel qu'il était réputé sans précédent. Les bœufs, ces boeufs superbes de l'Ankarana et du Boina, qu'on était obligé de rapprocher de la côte et de parquer pour les soustraire aux maraudages ennemis, purent alors yaquer en liberté dans les gras pâturages, dans les herbeuses vallées. Il n'est pas jusqu'à l'humeur vagabonde des indigènes qui n'ait profité du nouvel état de choses et on les revit circuler au loin, sans plus s'inquiéter des Hovas. fois les populationsrassurées, le commandant se mit à parcourir le pays « Une et s'enfonça même dans l'intérieur à de grandes distances. Il reconnut chaque village et s'aboucha avec les moindres chefs, étudia sur place les ressources de la pontrée, les besoins des uns et des autres, écouta les doléances, prodigua les ppnseils et les encouragements et parvint à se rendre un compte exact, non seulement de la valeur des choses et des hommes, mais encore des moyens propres les utiliser. ennemi des improvisations et « Trop avisé' pour heurter de front les usages, des complications administratives et pourtant désireux d'avoir tout et tous en Plain, il donna aux Antankarana un rudiment d'organisation conforme à leurs aptitudes, à leurs goûts, à leurs mœurs. Monza, secondés par lui, avaient compris ce g Déjà la reine Binao et le roi que c'était quegouverner. Illeur avait appris à tenir conseil, à régler les affaires, à pendre la justice, et cela d'une façon moins barbare, plus expéditive, moins capricieuse qu'autrefois. française. Aussi bénéficia-t-elle, la « Binao se prêtait volontiers à l'influence
:
première, des changements reconnus nécessaires. Récemment, ses petitsÉtats furent divisés en quatre circonscriptions, ayant chacune un chef à leur tête, lequel relevait du pouvoir royal. jeune reine se trouva simplifiée, et « Grâce à ce fractionnement, la tâche de la sa puissance pour ainsi dire agrandie. Son autorité put, dès lors, rayonner partout, à la fois, avec facilité et promptitude, et se faire sentir jusque dans moîhdre recoin du royaume. Elle réunit à Ankisomana un grand kabary où l'on promulgua une série de lois délimitant les attributions des chefs, régularisant la justice, répartissant. les impôts, etc., etc. C'estLilliput. j'en conviens et, s'il est permis d'en sourire, il ne faut pas se moquer du résultat. A la faveur de cette organisation, en effet, nous n'avions toujours affaire qu'à un seul chef; mais plus obéi et mieux outillé, ce dernier était à même de nous rendre plus de services. soldats et des travailleurs. « Pour le moment, nous ne demandions que des Des soldats Ce n'était pas ce qui manquait. Le renom militaire du commandant attirait incessamment vers lui plus de guerriers qu'il n'avait le droit d'en recruter, puisque l'effectif de la compagnie sakalave avait été limité à cent hommes. Quant aux travailleurs, on ne discontinuait pas de lui en fournir un nombre suffisant, en vertu de stipulations temporaires qui soumettaient chaque homme capable de se servir d'une hache, à quinze jours de corvée par an. C'était une sorte d'impôt, le seul que nous eussions réclamé des populations, — et c'était même moins qu'un impôt, attendu que les travailleurs étaient nourris et recevaient parfois une légère redevance. Il s'ensuivit que corvée (fanampoina) qui, partout à Madagascar, est considérée par les indigènes comme la plus lourde charge et la mesure la plus vexatoire, fut regardée par eux, à Ambodimadiro, comme juste, nécessaire et presque désirable. « Avec ses travailleurs sakalaves, le commandant Pennequin renouvela la face du pays à plusieurs lieues à la ronde. Il éleva des constructions de toute sorte, établit des chaussées, multiplia les plantations utiles, installa des potagers, enfin exécuta des routes dont l'une circulait à flanc de coteau pendant une partie de son parcours, et conduisait à plus de huit kilomètres dans l'intérieur. Voilà, j'imagine, delabonnebesogne, etlesnaturelsn'étaientpas les derniers « à en sentir tous les avantages. Aussi le commandant était-il leur oracle et à trois autres roitelets sakalaves, — Monza, Tsialana et Ahono, — se disposaient-ils à adopter l'organisation appliquée au royaume de Binao. De sorte que du cap d'Ambre à Majunga, sans solution de continuité, notre influence était sur le point de s'établir sérieusement, de jeter insensiblement de profondes racines et de créer, contre les Hovas, un foyer puissant de résistance. « Et non seulement, pour atteindre ce but, le commandant Pennequin était occupé, comme on l'a vu, à fortifier l'autorité, à augmenter le prestige des petits princes sakalaves, tout en les tenant bien en main, mais encore il croyait bon, afin de les attacher plus solidement à nous, de leur laisser quelques bénéfices de leur royauté, — la perception de douanes très réduites, par exemple, — celle
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d'impôts insignifiants et le droit à la corvée. Par contre, il se réservait d'intervenir, le cas échéant, comme pouvoir tutélaire et modérateur et d'agir comme tribunal suprême, autant pour empêcher les exactions et les abus des chefs que pour sanctionner l'exercice de leur juste autorité. » Sans doute cela était bien compris et cela promettait beaucoup, mais la signature de la paix rendait tout cela inutile. Tout cela et bien d'autres choses encore, dont on ne peut guère parler sans regrets. Au nombre de celles-là était le projet de colonisation fait par un groupe important des créoles Mauriciens, Français de naissance, qui venaient précisément de faire parvenir au président de la chambre des députés l'adresse suivante, revêtue de 1,270 signatures sérieuses, puisqu'elles étaient légalisées par le consul de France. «
Monsieur le président,
Nous soussignés, Français de naissance, et créoles d'origine. française, habitants de l'île Maurice, ancienne île de France, avons l'honneur de soumettre respectueusement à l'appréciation de la chambre des députés les considérations suivantes, au sujet de l'expédition de Madagascar. « La nouvelle, répandue à Maurice, de négociations entre les représentants de la France à Tamatave et des envoyés hovas pouvant aboutir à un abandon des droits de la France sur la totalité de l'île, a produit sur nous l'impression la plus pénible. t Les nouvelles d'Europe, arrivées depuis par le dernier courrier, nous ayant appris que parmi les membres de la Chambre il s'en trouve un certain nombre qui ont inscrit dans leur programme électoral l'abandon de la politique coloniale, cette impression n'a fait que se fortifier, et nous croyons qu'il est de notre devoir comme de l'intérêt de la France, de vous faire connaître notre sentiment et de joindre notre voix à celles des partisans de l'expédition de Madagascar. « Dans la catégorie de la population mauricienne, à laquelle nous appartenons, un grand nombre de personnes de toutes classes s'apprêtaient à aller porter à Madasgascar, avec leur intelligence et leur activité, toute l'expérience qu'ils ont acquise dela colonisation dans un pays qui a tant d'analogie avec la grande île, et à former ainsi, en peu d'années, une colonie de «peuplement », ce qu'on reproche si souvent à la France d'être incapable de constituer. exprimer la crainte que nous éprouvons que, si la France •« Mais nous devons renonce au programme solennellement affirmé par les Chambres à deux reprises différentes, si même elle se bornait à occuper partiellement quelques points de la côte, l'élan qui s'était produit si spontanément ne soit entravé et il est même à notre connaissance que des symptômes de ces appréhensions se sont déjà «
f
;
traduits par un ralentissement marqué dans les,adhésions à la Société de colonisation à Madasgascar, fondée à Port-Louis, dans le but de régulariser cette émigration de colons. d'ailleurs, persuadés que la France ne pourrait trouver, ni « Nous sommes, fonder nulle part une colonie offrant les mêmes avantages à tous les points
:Situation insulaire,
de vue «
;
pas de complications à redouter avec des puissances
limitrophes de celui du midi de la « Climats variés, dont quelques-uns se rapprochent
France; minières « Richesses forestières et extraordinaire du sol dans certaines parties « Fertilité disposées à accepter la civilisation « Populations indigènes généralement européenne, et, en tout cas, peu dangereuses en raison de leur chiffre restreint pour une aussi grande étendue de terre « Enfin, population immigrante d'origine française, de mœurs et de langage, toute prête, acclimatée, et à trois jours de ses rives. Pour ces motifs, nous venons vous prier de transmettre aux membres de la « Chambre dont vous êtes le président, le vœu que les soussignés forment pour que le protectorat ou la conquête de l'ile entière soit la conclusion des efforts et des sacrifices faits par la France, pour ouvrir à ses nationaux et au monde civilisé un pays jusqu'ici fermé, et qui fournira à l'industrie et au commerce français, un débouché des plus importants. « Avec l'espoir, monsieur le président, que notre requête sera favorablement accueillie, nous vous prions d'agréer l'expression, etc. »
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Au pis aller, la conclusion de la paix pouvait ne pas amener la dissolution de la société de colonisation de Madagascar créée à Maurice, mais le protectorat, tel que nous le donnait le traité ne lui offrait pas les garanties nécessaires, car ce que les émigrantsvoulaient ce n'était pas seulement tenter la fortune à Madac'était réclamer la naturalisation française gascar, c'était n'être plus anglais aussitôt leur arrivée, et cette clause qui était conforme à l'un des articles des statuts de la société, devenait irréalisable avec un protectorat seulement politique et point du tout effectif. C'est ainsi que l'on ne put faciliter la rentrée dans la grande famille française, à un nombre considérable de créoles qui sont nôtres et qui seraient venus chercher travail et protection, à l'abri de notre drapeau.
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DISCUSSION DU TRAITÉ
Le traité du 17 décembre ne pouvait avoir d'effet qu'autant qu'il serait ratifié par les gouvernements des puissances engagées. A Tananarive cela avait été la chose la plus simple, à Paris il n'en fut pas de même, d'autant que si le traité ne mécontentait pas absolument tout le monde, il est certain qu'il ne satisfaisait personne à la Chambre et au Sénat, et on pourrait dire dans le pays, si le pays ne s'était pas presque complètement désintéressé de cette question, qui est pourtant bien française. Mais, en général, la presse, qui éclaire l'opinion publique, n'est point favorable Madagascar et elle n'en parle absolument que quand elle ne peut pas faire
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autrement. Au moment où les chambres allaient avoir à se prononcer sur la ratification du traité, il fallait bien s'en occuper. Eh bien le traité fut trouvé mauvais à la presque unanimité, seulement tout le monde fut à peu près d'avis qu'il fallait l'accepter, faute de mieux, pour ne point recommencer la guerre. Ce sentiment de lassitude, ce consentement pis aller, ressortent de la lecture du rapport que M. de Lanessan, fit sur la question dans la séance du 22 février, rapport qui exprime les opinions de la majorité de la commission chargée d'examiner le traité, car chose bizarre, le président de cette commission., M. de Mahy, et le secrétaire, M. Dureau de Vaulcomte, tous les deux députés de l'île de la Réunion et partisans de l'expansion coloniale, étaient absolument opposés à la
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ratification. Voici le document qu'a lu le rapporteur, M. de Lanessan.
Messieurs, pour juger convenablement le traité dont le gouvernement nous demande la ratification, il faut examiner, d'une part la situation qu'il crée à la France dans l'île de Madagascar, par rapport aux puissances étrangères et, d'autre part, les relations qu'il établit entre le gouvernement français et le gouvernement de la reine de Madagascar. de la République « D'après l'article premier du traité, « le gouvernement L'article 2, représentera Madagascar dans toutes les relations extérieures précisant davantage, « établit qu'un résident représentant le gouvernement de la République présidera aux relations extérieures de Madagascar )- En vertu de l'article 3, le représentant de la France « résidera à Tananarive avec une escorte militaire et il aura droit d'audience privée et personnelle auprès de S. M. la reine». partie du traité donne « Le gouvernement semble être convaincu que cette «
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lequel la Chambre 1884 du 27 satisfaction vote importante par mars au une s'était déclarée « résolue à maintenir tous les droits de la France sur Mada« gascar». lisons, en effet, dans l'exposé des motifs dont M. le président du « Nous conseil a fait précéder le projet deloi soumis à votre ratification le commentaire suivant des trois premiers articles du traité En se prolongeant, écrit M. de Freycinet, le conflit avait ouvert devant « nous des perspectives nouvelles, et le vote mémorable du 27 mars 1884, par lequel la Chambre des députés s'était déclarée « résolue à maintenir tous les imposer au gouvernement des « droits de la France sur Madagascar », est venu devoirs sur l'étendue desquels il ne pouvait se méprendre. Les trois premiers articles du traité attestent dans quelle large mesure il nous a été donné de répondre au vœu presque unanime des représentants du pays. Parces clauses, le gouvernement hova, comprenant les avantages qu'il est appelé à retirer d'une plus étroite union entre ses intérêts et les nôtres, n'a pas hésité à resserrer les liens existant depuis plusieurs siècles entre la France et Madagascar. Il a remis expressément entre nos mains la direction exclusive de ses relations extérieures,c'est-à-dire l'exercice le plus manifeste de la souveraineté. » « Dans votre commission, M. leprésident du conseil s'est montré plus explicite encore. Il résulte de ses déclarations que le gouvernement considèl les trois premiers articles du traité du 17 décembre 1885 comme instituant, en faveur de la France, un protectorat politique effectif sur toute l'île de Madagascar. « Votre commission a pris acte de cette importante déclaration, sur laquelle le résident français à Tananarive devra régler sa conduite. C'est par l'intermédiaire obligé de notre gouvernement qu'auront lieu toutes les relations diplo-. matiques du gouvernement de Madagascar avec les autres puissances. Notre gouvernement seul aura pouvoir de traiter avec ces dernières au nom de la reine. « Par l'article 11, « le gouvernement de la République s'engage à prêter assistance àla reine de Madagascar pour la défense de ses États. » « Interrogé par votre commission sur la signification de cet article, M. le président du conseil a déclaré qu'il s'appliquait non à la défense du gouvernement de la reine contre les soulèvements qui pourraient se produire parmi les populations sakalaves, antankares, etc., qui, jusqu'à ce jour, ont échappé à la domination des Hovas, mais seulement à la défense des États de la reine contre les agressions du dehors. « L'article 11, ainsi interprété, donne, sans contredit, auprotectoratpolitique de la France sur Madagascar une grande importance, mais ce n'est pas sans lui créer de graves devoirs. « C'est, d'ailleurs, à l'exercice de ses devoirs et à la fonction de « ministre des affaires étrangères de la reine selon l'expression employée par M. le président du conseil, que se bornerait le rôle de la France, si notre résident ne
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de
savait acquérir, auprès du gouvernement Madagascar, une autorité morale de nature à relever la situation qui nous est faite dans le domaine de l'administration intérieure du pays, par le traité du 17 décembre 1885. « L'article 2 interdit, en effet, au résident français de « s'immiscer dans l'administration intérieure des États de Sa Majesté la reine. » « M. le président du conseil trouve un avantage considérable à ce que la France ne prenne aucune part à l'administration intérieure de notre protectorat politique il voit dans le respect de l'autonomie intérieure de Madagascar un moyen d'éviter les conflits. « Par contre, divers membres de la commission ont fait remarquer que l'article 2 du traité, aurait pour effet de nous rendre impuissants à défendre nos nationaux etsurtoutles étrangers, dont nous assumons la protection. Ils ontajouté que l'article 2 mettait notre pays dans l'impossibilité de tirer de notre protectorat aucun avantage commercial ou industriel, le gouvernementhova restant le maître absolu des tarifs douaniers et devenant, dans l'île entière, le dispensateur souverain des concessions de mines, des entreprises de travaux publics, etc., pour lesquelles aucun avantage n'est stipulé en faveur des citoyens français. D'autres membres de votre commission ont fait remarquer qu'il serait même impossible à la France de songer à se créer des avantages, à l'aide de conventions commerciales ultérieures car l'acte du 17 décembre 1885 consacre l'existence de tous les traités déjà conclus par le gouvernement de Madagascar avec les nations européennes,, traités qui, tous, contiennent une clause assurant à leurs signataires le traitement de la nation la plus -- T ces observations. M. le président du conseil répond qu'il comptesur « A l'influence morale, que ne manquera pas d'exercer le résident français sur le gouvernement de Madagascar, pour assurer à notre industrie et à notrecommerce les avantages qu'ils sont en droit d'attendre de notre protectorat.. française dans toutes les parties de « Dans le but de faire pénétrer l'influence l'administration intérieure de Madagascar, le gouvernement de la République s'engage, par l'article 14 à « mettre à la disposition de la reine lesinstructeursmilitaires, ingénieurs, professeurs et chefs d'atelier qui lui seront demandés. » lareine peut s'adresser à touteautre nation que la France « Il est vrai que pour avoir ces instructeurs militaires, ces ingénieurs, ces professeurs etces chefs d'atelier; mais, sur ce point encore, M. le présidentdu conseil ne doute pas que l'action morale de notre résident ne suffise pour assurer la préférence à nos nationaux. les clauses du traité qui ont attiré plus particulièrement l'attention « Parmi sort des Sakalaves et des de vos commissaires figurent: celle qui règle, Antankares et autres peuplades, celle qui détermine le régime auquel sera soumis l'usage du sol et celle qui a trait aux indemnités dues à-nos nationaux. questions ont,provoqué le conflit survenu entre « On n'a pas oublié que ces la France et le gouvernement des Hovas.
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favorisée..
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On peut lire dans les Livres Jaunes sur les affaires de Madagascar, la dépêche du 25 avril 1882, adressée par M. de Freycinet à notre consul, M. Baudais: « Vous n'hésiterez pas, écrivait M. de Freycinet, à déclarer que notre «
aintention bien arrêtée est de ne point souffrir qu'aucune atteinte soit portée aux
Tayaiiarive. « « « « «
— Le
palais de la reine.
droits que le traité de 1841, portant cession de Nossi-Bé, nous assure également sur la côte elle-même, ou à l'autorité que les chefs de l'Ankara, et notamment les souverains de Nossi-Mitsiou et de Nossi-Faly, exercent à l'abri de conventionsqui les lient à nous, et que nous userons, à cet effet, de tous les moyens dont nous pourrons disposer. » Dans l'ultimatum que reproduit l'exposé des motifs du projet de loi actuel, «
le gouvernement français exigeait « la reconnaissance des droits que les traites « conclus en 1840 et 1841 avec les chefs sakalaves nous confèrent sur la côte « ouest». -( Or, dans le traité qui est soumis à votre ratification, cette question est résolue par l'article 15, ainsi conçu: « Le gouvernement de la reine s'engage « expressément à traiter avec bienveillance les Sakalaves et les Antankares, et à « tenir compte des indications qui lui seront fournies à cet égard par le gouver« nement de la République.Toutefois, le gouvernement delaRépublique se réserve « le droit d'occuper la baie de Diego-Suarez et d'y faire des installations à sa
convenance. » « Dans son exposé des motifs, M. le président du conseil fait.valoir de la façon suivante l'importance de l'article 15 « L'occupation de la baie de Diego-Suarez « et l'engagement pris par la cour de Tananarive de se conformer aux indica« tions qui lui seront fournies par le gouvernement de la République, en vue « d'assurer un traitement favorable aux populations sakalaves et antankares, « peuvent être envisagés comme la consécration de la situation particulière ac« quise à la Franc sur certaines parties de l'île. » « La satisfaction exprimée par M. le président du conseil dans les lignes qui précèdent n'a pas été partagée par tous les membres de votre commission. On a dit que l'article 15 paraissait consacrer l'abandon des droits formels de souveraineté que nous tenons des traités faits en 1840 et 1841 avec les populations du Nord et des traités ultérieurs passés avec les populations du Sud on a particulièrement formulé le regret de voir figurer dans le traité l'article d'après lequel « Sa Majesté la reine de Madagascar continuera, comme par le passé, de présider à l'administration intérieure de toute l'île». soumis demain à « On a exprimé la crainte que nos alliés d'hier ne fussent des vexations et à des cruautés qui sont dans les habitudes des Hovas, que notre résident, isolé à Tananarive, ignorerait ou qu'il serait impuissant à empêcher, n'ayant aucune action sur l'administration intérieure de l'île, et dont la France, cependant serait moralement responsable. Enfin, tout en reconnaissant l'importance de la magnifique baie de Diego-Suarez, on a fait remarquer qu'elle ne nous serait d'aucune utilité si nous ne possédions pas les points qui la dominent, notamment la montague d'Ambre et une zone de territoire suffisamment étendue pour que nous y puissions trouver les ressources alimentaires et les conditions d'installation sanitaire qui manquent dans les environs immédiats de la baie. conseil s'est efforcé de dissiper les craintes mani« M. le président du festées au sujet du sort des Sakalaves et des Antankares; il a dit que des sousrésidents pourraient être placés dans les points où il serait nécessaire de sauvegarder les intérêts de nos anciens protégés ou ceux des Européens, et que les indications du résident général à cet égard auraient un caractère impératif. M. le de la baie de Diego-Suarez « Quant aux terrains à occuper autour président du conseil a déclaré que rien n'était encore décidé, qu'il trouvait trop «
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étroite la zone indiquée par l'amiral Miot et par M. Patrimonio, qu'il serait aisé d'étendre notre domaine sur ce point de l'île et qu'une entente à cet égard pourrait facilement êtreconclue avec le gouvernement de Madagascar. D'ailleurs, même en s'en tenant à la lettre du traité, « le gouvernement de la République s'est réservé le droit de faire dans la baie de Diego-Suarez des installations à sa convenance ». « Après la question des traités de 1841, c'est celle de la propriété qui a joué le rôle le plus important dans notre conflit avec les Hovas. droit, « en se confor« Le traité du 8 août 1868, accordait aux Français le mant aux lois et règlements du pays, de s'établir partout où ils le jugeront convenable, prendre à bail, acquérir toute espèce de biens meubles et immeubles ». « Par une loi dite loi n° 85, promulguée en 1881 seulement, le gouvernement hova rendait illusoire cette clause du traité de 1868 en interdisantaux Malgaches de vendre leurs terres à des étrangers, ou même de les leur donner en garantie. « L'ultimatum rappelé dans l'exposé des motifs du projet de loi actuel exigeait des « garanties formelles assurant, en ce qui concerne le droit, pour nos nationaux, de posséder des immeubles, l'exécution du traité de 1868, soit que nous exigions le retrait de la loi interdisant la vente des terres aux étrangers, soit que nous nous contentions de clauses additionnelles, reconnaissant à nos nationaux le droit de contracter des baux à longue échéance, renouvelables par voie de simple accord entre les intéressés ». « Par l'article 6 du traité du 17 décembre 1885, la France cesse de revendiquer le droit de propriété au sujet duquel M. de Freycinet envoyait, le 2 mars 1882, à notre consul de Madagascar la dépêche suivante « Le mauvais vouloir des autorités hovas a, dans cette affaire, d'autant plus de portée que, indépendamment d'intérêts particuliers qui s'y trouvent engagés, elle met implicitement en cause le principe même du droit de propriété consacré à notre profit par le traité de 1868, c'est-à-dire l'une des clauses de cet arrangement qui ont le plus de valeur à nos yeux. « Non content, d'ailleurs, de l'atteinte ainsi portée indirectement à ses engagements envers nous, le gouvernement hova n'a pas hésité à y faire brèche ouvertement par la promulgation, dans les conditions que vous signalez, d'une loi qui en est, dans la pratique, la négation même. «Nous ne saurions, évidemment, ratifier par notre silence une méconnaissance aussi grave de nos droits conventionnels. Vous devez, votre langage n'eût-il d'autre effet, vous attacher par la persévérante affirmation de nos droits à prévenir chez le gouvernement hova et autour de lui toute interprétation qnl tendrait à jeter des doutessur notre intention de maintenir intact notre situation. » « L'article 6, que le gouvernement présidé par l'honorable M. de Freycinet vous demande aujourd'hui de ratifier, stipule que les citoyens français « auront la faculté de louer pour une durée indéterminée, par bail emphytéotique renou-
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venable au seul gré des parties, les terres, maisons, et toute propriété immobilière». « Dans la pensée du gouvernement français, les termes « renouvelables au seul gré des parties » signifient qu'aucune ratification des baux par le gouvernement de Madagascar ne sera nécessaire.Mais quelques membres de votre commission rappelant les mille difficultés indirectes apportées autrefois par le gouvernement deTananarive à la conclusion des baux, même de courte durée, entre Français et Malgaches, ont exprimé la crainte que ces difficultés ne se renouvelassent dans l'avenir; ils ont constaté avec regret qu'aucune garantie contre cette éventualité n'était formulée dans le traité, et ils se sont montrés très préoccupés des conflits qui pourraient naître de l'application de l'article 6. Ils redoutent l'empêchement que cet article pourra mettre aux entreprises industrielles et agricoles de quelque importance, par suite de l'insécurité qui résulte d'un simple bail, surtout dans un pays encore imparfaitement civilisé. Ils fontremarquer que ces difficultés seront d'autant plus redoutables que notre résident n'aura pas d'autre moyen d'action que son influence morale. « Votre commission ne saurait dissimuler à la Chambre que, de toutes les concessions faites au gouvernement de Madagascar, celle qui est contenue dans l'article 6 est l'une des plus graves. Elle exprime l'espoir que, grâce à L influence française, la législation intérieure de Madagascar pourra être modifiée et le droit de propriété acquis à nos nationaux. « La troisième réclamation que la France appuyait de ses armes porte sur les indemnités légitimement dues par le gouvernement hova à un certain nombre de nos nationaux. des motifs du projet de loi contient à ce propos un passage qui « L'exposé met bien en relief, à la fois, la nature de nos réclamations et la satisfaction que nous avons obtenue. « Nous nous bornons à le reproduire l'ouverture des hostilités, fixait à la « L'ultimatum, dont le rejet a entraîné fait des somme d'un million la valeur des dommages causés à nos nationaux du autorités hovas. L'article 8 dutraité du 47 décembre nous accorde dix millions, applicables tant au règlement des réclamations françaises liquidées antérieurement au conflit, qu'aux préjudices subis par les particuliers étrangers à l'occasion de ce conflit il nous laisse exclusivement maîtres, en outre, de procéder à la répartition de cette somme considérable, sur laquelle il sera facile de désintéresser nos nationaux. Par contre, une clause spéciale nous met à l'abri de toute répétition de la part des Hovas, à raison des mesures prises par nos autorités militaires. Enfin, l'article 9, qui nous autorise à occuper le principal port de Madagascar, jusqu'à parfait acquittement de la dette souscrite par le gouvernement de Tananarive, nous assure le prompt recouvrement de la somme stipulée. «La commission s'étant préoccupée du terme«particuliers étrangers employé dans l'article 8, M. le président du conseil lui a fait observer que le sens
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de ce terme était fixé par le passage suivant d'une dépêche de M. Patrimônio : soi que cette expression de « particuliers étrangersD comprendra « Il va de nationaux que nous pourrons, d'ailleurs, indemniser avant les autres.» II. les parlons ni de la juridiction à laquelle seront soumis les Français, « Nous ne ni de celle qui réglera les litiges entre Français et Malgaches, parce que ces articles n'apportent aucune modification avantageuse au traité de 1868.
Tananarfve. — Porte d'entrée du palais de la reine.
Ajoutons que le traité du 17 décembre 1885 confirme, dans son article 7, « les garanties stipulées par le traité du 7 août 1868, en faveur de la liberté de conscience et de la toléranee religieuse et nous avons exposé tous les avantages qui sont assurés à la France par le document diplomatique soumis à votre ratification. « D'ailleurs, il n'est pas inutile de rappeler qu'aux termes de l'article 17 « les traités et conventions existant actuellement entre le gouvernement de la République et celui de Sa Majesté la reine de Madagascar sont expressément confirmés dans celles de leurs dispositions qui ne sont point contraires aux présentes stipulations». « Pour achever l'exposé des observations présentées par vos commissaires, nous devons noter que le traité du 17 décembre 1885 n'assure à notre protectorat «
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politique sur Madagascar aucune ressource financière. Cela donne à notre nouveau protectorat un caractère qu'on ne pourrait trouver dans aucun autre acte de cet ordre. Il est vrai que M. le président du conseil évalue les dépenses de ce protectorat à 2 ou 300,000 francs seulement. Mais il ne fait, sans doute, rentrer dans cette somme que les dépenses occasionnées par le résident et par son personne]. Il faudra y ajouter les frais de vivres, d'hospitalisation, de transport des hommes et des chevaux qui composeront l'escorte militaire du résident; or, cette escorte devra avoir une Certaine importance, si l'on veut que notre résident jouisse à Tananarive d'une situation digne de la France. Nous devrons entretenir aussi sur les côtes de Madagascar quelques navires, afin d'éviter un isolement qui enlèverait à notre représentant toute autorité. Le gouvernement propose de créer à Diego-Suarez un grand port. Ce n'est pas sans des dépenses considérables que cette entreprise utile pourra être menée à bonne fin. Pour tout cela, des millions seront nécessaires. Or, le traité du 17 décembre 1885 ne contient aucune source de recettes, ni pour le présent ni pour l'avenir. « Plusieurs membres de votre commission ont exprimé l'avis qu'il eût été facile d'obtenir un traité plus avantageux à la France que celui dont le gouvernement vous demande la ratification. invoquer à l'appui de cette opinion, l'épuisement des Hovas si« On pourrait gnalé à votre commission par M. le président du conseil, lui-même et le besoin qu'avait le gouvernement de Tananarive de voir finir un conflit que ni ses ressources financières ni son armement ne lui permettaient de prolonger. Mais la majorité de votre commission a pensé qu'il n'y avait pas lieu d'entrer dans cet ordre de considérations, le Parlement ne pouvant qu'approuver ou rejeter en bloc le traité qui lui est soumis. « En présence d'un fait accompli auquel vous ne pouvez apporter aucune modification, et dans la pensée que les droits dela France, solennellement affirmés parla Chambre dans la séance du 27 mars 1881, restent entiers, votre commission vous propose de voter le projet de loi suivant
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PROJET DE LOI Article unique. — Le Président de la République est autorisé à ratifier et, s'il y a lieu, à faire exécuter le traité conclu le 17 décembre 1885 entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de Sa Majesté la reine de Madagascar. » «
Après la lecture de ce rapport, qui était comme l'a dit fort justement M. de Jouvencel, la critique très amère d'un traité que la Chambre ne pouvait pas faire autrement que de ratifier, l'urgence fut votée et la discussion renvoyée au surlendemain.
Bien que le résultat fut certain, escompté d'avance, il a fallu deux séances, celles du 25 et du 27 février. Nous ne nous attarderons point à analyser tous les discours qui ont été prononcés pour ou contre, nous ne citerons seulement, avec la défense de M. de Freycinet, que quelques passages des attaques du président et du secrétaire de la Commission. C'est M. Dureau de Vaulcomte qui a ouvert la discussion, en déclarant d'abord qu'il considérait le traité comme portant atteinte aux droits acquis à la France, par des traditions certaines, par des traités antérieurs et par de ré-
centes opérations militaires. Il constate ensuite le rôle singulier que les Anglais ont joué et jouent encore dans les affaires de Madagascar. L2 négociateur des Hovas à Paris, est un Anglais qui, depuis 1861, n'a cessé d'être notre ennemi le plus acharné et le plus dangereux auprès du gouvernement hova. A Madagascar, le négociateur est encore un Anglais, qui appartient àl'armée d'une nation amie, et qui a porté les armes contre nous.
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Ainsi, dit l'orateur, entre les Hovas et nous, il y a pour intermédiaire un tiers intéressé tout ce que perd la France dans le traité ce sont les Anglais qui le gagnent. il constitue notre protectorat par « Tout le traité repose sur une équivoque prétérition il reconnaît une reine de Madagascar sans s'expliquer sur sa souveraineté. Loin de fermer la question de Madagascar, le traité la laisse grande ouverte. Nous avons fait la guerre trois ans, nous avons supporté de grands sacri« fices en hommes et en argent et en fin de compte, nous avons cédé aux Hovas sur tous les points essentiels. Les territoires que la France revendiquait au début ne lui sont pas abandonnés le droit pour nos nationaux de se rendre propriétaires du sol ne leur est pas reconnu. En revanche, nous délaissons nos anciens protégés, les Sakalaves et les Antankares, et nous les plaçons nous-mêmes sous le patronat des Hovas, leurs pires ennemis. « Le traité de 1868 permettait aux Français d'acquérir et de prendre à bail tous biens meubles ou immeubles. Le gouvernement hova a toujours reconnu ce droit seulement il a interdit à tous ses sujets, sous peine des fers à perpétuité et de la confiscation, de vendre ou de louer quoi que ce fût aux Français, et il a soutenu qu'il ne violait pas les conventions. Le traité du 17 décembre 1885 n'accorde rien de plus aux Français que le traité de 1868, et il sera observé de la même manière. «
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il en est tout autrement en ce qui concerne les Anglais l'Angleterre, qui connaît bien ses alliés, ne leur a pas seulement imposé d'eccorder aux Anglais le droit d'acheter ou de louer elle leur a imposé aussi de laisser leurs sujets li«
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bres de vendre ou de donner à bail à des Anglais. Pourquoi ne fait-on pas la même chose? « Et quelle protection notre commerce obtient-il ? Quels avantages retire-t-il du traité? Aucun. On l'a oublié, il n'en est pas question c'est toujours l'intervention anglaise qui se manifeste. »
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Après avoir développé ces diverses critiques, en les appuyant d'explications qui prennent un intérêt tout particulier de sa qualité de député de la Réunion, M. Dureau de Vaulcomte, insiste avec beaucoup d'énergie sur l'abandon des Sakalaves, qui se sont compromis pour nous et sont devenus les frères d'armes de nos soldats, et termine ainsi son discours
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De toutes les dispositions de ce traité, celle qui sera accueillie avec le plus de stupeur et de désespoir à Madagascar, c'est cette disposition qui place les Sakalavès sous le protectorat des Hovas, leurs ennemis. «Ce traité va inaugurer une nouvelle politique, il va inaugurer l'ère des représailles et préparer la conquête de Madagascar par les Hovas pour les «
Anglais. « Pour ma part, je ne veux pas qu'il y ait un vaincu ou unopprimé quelconque qui puisse maudire le nom français, et si je refuse d'adopter le traité, ce n'est pas parce que la France renonce à ses droits, mais parce que la France renonce à ses devoirs. » Ces paroles furent très applaudies, semblèrent justes à la Chambre, mais il était convenu qu'on ratifierait. La droite pourtant, par l'organe de M. de la Ferronays, demanda au gouvernement s'il ne serait pas possible d'obtenir par les voies pacifiques, une amélioration du traité, et c'est alors que M. de Freycinet donna quelques explications, pour préciser certains point du traité. «Je ne suis point surpris dit-il, que ce traité ait provoqué certaines critiques; c'est le contraire qui m'eût étonné. raison « Il n'y a pas de traité qui ne puisse donner lieu à des critiques, par la qu'un traité est toujours une transaction entre deux prétentions opposées. Chacune des parties contractantes est donc obligée de renoncer à quelques-unes de ses revendications. grande assemblée d'examiner « Mais je ne crois pas qu'il soit digne d'une seulement les points d'un traité qui sont sujets à critique et de conclure pour cela au rejet du traité, ou même à son ajournement. traité est bon s'il contient des « En effet, il faut examiner si, en somme, le avantages suffisants pour le pays, et si, par conséquent, il doit être voté. »
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Le président du conseil répond alors aux diverses objections qui avaient été faites; il s'agit d'abord de la question des Sakalaves.
Antsirane, village français de la baie de Diego-Suarez.
Dans le traité, dit-il, les Hovas s'engagent à tenir compte de nos indications dour régler leurs rapports avec les Sakalaves et les Antankares. protection que les traité de 1841 et de 1842 nous reconnaissent « Ainsi cette sur ces tribus, protection qui n'a jamais été mise en pratique ni admise depuis par le gouvernement hova, elle est garantie par une stipulation du traité qui porte que ces rapports seront soumis au contrôle et à la volonté de la France. «
contrôle, je vous l'affirme, ne sera ni fictif ni illusoire, car lorsqu'on a parlé de l'influence morale de notre résident, je n'admets pas qu'on puisse rire de l'influence du représentant d'une grande nation comme la France. » « Ce
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Puis la question des baux et de la propriété foncière
Nous vous apportons un traité qui accorde à nos nationaux des baux d'une durée indéterminée et nous avons ainsi obtenu des satisfactions aussi grandes qu'aucune autre nation, plus grandes mêmes que celles qu'avaient pu obtenir les cabinets précédents, puisque sous le ministère de M. Duclerc on nous proposait des baux de vingt-cinq ans, comme aux États-Unis, tandis que l'on nous accorde aujourd'hui des baux d'une durée indéterminée et renouvelables à la volonté des parties. « On a demandé quelles seraient les garanties de cette clause f Le gouvernement s'engage à la faire respecter comme toute autre clause d'un traité. Y a-t-il donc d'autres garanties « C'est une garantie sur le papier, a-t-on dit dans tout traité que la parole du gouvernement qui l'a signé? « Contre la violation d'un traité, je neconnais qu'un recours, la force. Si vous êtes décidés d'avance à ne jamais l'employer, il ne faut pas signer de traité. » «
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Ensuite l'acquisition de la baie de Diego-Suarez
Même en prenant cette limite fixée par nos marins et qui a pu vous paraître étroite, savez-vous qu'il nous reste encore un vaste champ d'action? Car il ne faut pas vous représenter cette baie comme un de nos ports. d'une série de golfes et le port n'en est qu'un point imper« Elle est formée ceptible. Dans cette baie de 30,000 hectares pouvant contenir tous les ports de l'Europe, le port lui-même aurait une étendue égale à cinq fois celle de Paris dans l'enceinte actuelle de ses fortifications. d'ailleurs des questions accessoires, sur lesquelles il sera facile « Ce sont là de s'entendre avec les Hovas. batteries qui pourraient menacer nos établissements et qui « Quant à ces seraient à 3 ou 4 kilomètres, il se trouve que la montagne la plus rapprochée est à 30 kilomètres de là. » «
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Enfin la renonciation à toute intervention intérieure
On a dit que l'on regrettait de ne pas trouver dans le traité le protectorat intérieur Je dois dire que nous ne l'avons pas réclamé. Je conviens que nous ne l'aurions peut-être pas obtenu mais eussions-nous « dû l'obtenir, je ne l'aurais pas réclamé davantage. rien ne saurait être plus dangereux que d'assumer la res« Je considère que ponsabilité du protectorat d'un peuple qui n'est pas plus avancé dans la voie de la civilisation. «
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Je me demande, par exemple, quelle figure ferait la République française lorsque, après un pareil traité, elle se trouverait placée en face de l'esclavage: pourrait-elle l'accepter, le laissersubsister Madagascar, du jour où elle aurait la responsabilité du gouvernement? « Et ne voyez-vous pas que les mêmes difficultés pratiques se seraient présentées s'il avait fallu faire disparaître du jour au lendemain, par un traité' ces abominables abus? « Je pourrais vous montrer d'autre part qu'en ce qui concerne la constitution de la propriété, l'organisation administrative, nous aurions assumé une responsabilité des plus graves et peut-être entraîné la République dans des complications sans nombre, si nous avions réclamé ce genre de protectorat. « Il est bien certain que si nous avions pu imposer toutes nos volontés, le traité eût été autrement rédigé mais, tel qu'il est je déclare qu'il est bon, satisfaisant, honorable pour vous, et qu'il vous offre la solution pacifique et avantageuse d'un conflit qui était, pour notre pays, sinon une grande préoccupation, du moins un gros embarras. « Refuser ou ajourner la ratification, ce ne serait pas une solution, ce serait vous condamner à exiger un traité meilleur. «Et si vous ne l'obteniez pas, il faudrait dire hautement, dès aujourd'hui, que vous êtes décidés à imposer votre volonté par les armes. « Or, d'après un travail minutieux que j'ai fait établir par les hommes les plus compétents, il faudrait pour mener cette opération dans des conditions certaines de succès, mettre en mouvement 25,000 hommes et demander à la Chambre 100 millions. «Vous seriez là en présence d'une expédition, qui assurément n'est pas audessus des forces de notre pays, car il pourrait faire un effort bien plus considé rable; mais, avant d'entreprendre même uneopération pareille, je dis qu'il faut se demander si les résultats répondront aux sacrifices qu'elle entraîne. « Quant aux droits séculaires de la France, ils ne sont nullement contestés, nullement compromis ; le traité n'avait pas à les mentionner, les Hovas n'avaient pas à les reconnaître, nous en conservons le dépôt et nous leurs donnerons la forme qui nous paraîtra la plus convenable. « Il n'y a donc dans ce traité aucune disposition qui puisse coûter à notre dignité nationale, il réserve absolument l'avenir, il ouvre une voie pacifique, exempte de sacrifices, qui vous conduira sûrement aux résultats que vous avez toujours poursuivis. Dans ces conditions je crois que vous pouvez voter ce traité. » «
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Il restait à entendre M. de Mahy; mais comme il était trop tard, la séance fut renvoyée au surlendemain. M. de Mahy, du reste, en avait très long à dire; pourtant il n'apporta qu'une critique nouvelle, celle relative à l'indemnité de 10 millions consentie par les Hovas.
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Dans l'exposé des motifs le ministre des affaires étrangères, avait dit ceci
Les négociations portaient sur trois points: nous demandions une indemnité pour nos nationaux lésés, la reconnaissance des droits que nous conféraient les traités de 1841 et1842, enfin l'application du traité de 1868, en ce qui concerne le droit de propriété. Voilà les trois points sur lesquels se sont poursuivies les négociations durant les trois années qui se sont écoulées depuis l'ouverture du conflit. A quoi ont-elles abouti? Sous le premier point, l'indemnité à nos nationaux, nous avons commencé à réclamer un million, puis trois, eh bien, nous en obtenons dix, par conséquent, nous avons obtenu de ce chef satisfaction complète, nos espérances mêmes ont été dépassées. » « Eh bien! dit M. de Mahy, lisons maintenant, le traité, il s'agit de l'article 8, le voici « Le gouvernement de la reine s'engage à payer la somme de dix millions de francs, applicable tant au règlement des réclamations françaises liquidées antérieurement au conflit survenu entre les deux parties, qu'à la réparation de tous les dommages causés aux particuliers étrangers par le fait de ce conflit. » « L'examen et le règlement des indemnités est dévolue au gouvernement français. » « Et il faudra huit millions pour indemniser les étrangers « Vous voyez que ce n'est pas la même chose. Les comptes rendus de la séance disent que nous avons obtenu dix millions d'indemnité pour nos nationaux quand les précédents gouvernements n'en demandaient que deux on trois or, il est constaté dans le traité que ces dix millions seront attribués en majeure partie à des étrangers, et qu'étant chargé d'en faire la répartition nous verrons peutêtre les réclamations ardentes des étrangers appuyées par leurs gouvernements, nous obliger à rapporter quelque chose, si cette somme de dix millions devenait insuffisante. vérité « Voilà la qu'il ne faut sur ce point je me borne à affirmer qu'il « Je n'insiste pas plus y a dans le reste du compte rendu du discours de M. le président du conseil plusieurs autres inexactitudes du même genre, lesquelles, répercutées par tous les échos de la presse, répandent partout l'erreur en France, et c'est ainsi, messieurs, que la vérité n'arrive pas au public. » «
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Nous ne suivrons pas M. de Mahy dans l'examen de tous les articles du traité, d'autant que les choses qu'il a dites, un peu longuement, il les a résumées avec bien plus de force et plus de clarté dans la préface qu'il a écrite pour le livre de M. Raoul Postel. Ce sont véritablement là des pages à lire, si l'on veut s'éclairer dans la question qui, comme il le dit fort justement, « n'est pas résolue par le traité reine de cette tribu conclu le 17 décembre 1885, avec les Hovas, et dans lequel
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est gratifiée du titre de Sa Majesté la reine de Madagascar. Le débat, que la demande de ratification de ce traité a provoqué dans le parlement français et dans la presse, démontre que la solution qu'il présente n'est pas tenue pour définitive. Il a créé, en effet, un état de choses trop manifestement défavorable à la « France, et il n'a été accepté que sur l'assurance donnée par M. le président du conseil que pour obtenir mieux, il faudrait envoyer à Madagascar une armée de 25,000 hommes et inscrire à notre budget une dépense nouvelle de cent millions.
Le filanzana, seul véhicule de Madagascar.
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crToutle monde sentait bien que les avantages du traité étaient problématiques les inconvénients certains mais on n'avait pas le choix, ou pour mieux dire, on croyait ne pas l'avoir. On était persuadé que rien autre n'était possible. Cette croyance qui s'était emparée des esprits, l'appréhension habilement semée d'un ébranlement universel, un vague espoir que la force des choses, quelque hasard, heureux, les circonstances se chargeraient d'améliorer le traité, ou permettraient de reprendre l'affaire en des temps plus propices, et, enfin, cette considération qu'une indemnité de dix millions avait été stipulée pour nos nationaux lésés à Madagascar, expliquent l'autorisation donnée par les Chambres, au gouvernement, de ratifier le traité. Hélas presque tout y est illusoire, même ce grand avantage pécunaire. « C'est à des étrangers surtout que l'indemnité est destinée, nos nationaux n'en
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auront que la plus faible part, — quant au remboursement des frais de guerre rien, — et en prévision des dépenses du protectorat, rien non plus. c'est à un autre ordre d'idées « Mais je ne veux pas insister sur les détails que je voudrais arrêter l'attention du lecteur. « Ce qui me frappe le plus dans le dernier débat des affaires de Madagascar, c'est le rôle assigné à la France par M. le président du conseil « Nous sommes convaincus — dit M. de Freycinet dans son discours au Sénat, le 6 mars 1885 — nous sommes convaincus que sous l'influence morale de nos agents, sous le rayonnement de la France, le peuple hova, avec ses instincts progressifs, avec la faculté très grande, très remarquable, qu'il a de s'assimiler la civilisation européenne, pourra marcher très rapidement dans la voie où nous désirons le voir entrer. Je crois qu'il y a là une mission très honorable pour la France et que nous pouvons remplir sans faire d'importants sacrifices. Il suffira d'avoir une réprésentation bien organisée, composée d'hommes pénétrés de la mission que nous désirons leur voir remplir, et je suis sûr que grâce à l'influence qu'ils tireront de la grande nation qu'ils représentent, grâce à leurs conseils bienveillants, ils feront entrer graduellementdans ces pays, d'ici à quelque temps, l'action de la France, de sorte que sans dépense considérable pour le budget, sans perte d'hommes ni d'argent, sans déploiement de forces militaires, nous arriverons peu à peu, à fairegrandircepeuple, à assurer en même temps que son progrès intérieur sa prééminence dans Vilede Madagascar, et à lui faire apprécier aussi de plus en plus les bienfaits de son contact avec la nation française. Ainsi, au bout de quelques années, nous aurons réalisé la conquête pacifique du pays. » « La conquête du pays pour les Hovas, oui, mais non pas pour nous. Pour les Hovas, nos éternels ennemis, au détriment des autres populations nos alliées, nos amies, nos sujettes 1 « La conquête pacifique! pacifique en ce sens que des troupes françaises n'y seront peut-être pas employées, et que nous assisterons les bras croisés à la destruction par les Hovas des autres peuplades de l'île. que Sa Majesté la reine « J'entends bien que celles-ci n'ont rien à craindre abien voulu les amnistier; et que le traité les place sous la sauvegarde de la bienveillance de Sa Majesté, et que Sa Majesté s'est engagée à tenir compte des indications qui lui seront fournies à cet égard par notre résident. Sans doute mais il va de soi que la débonnaireté du souverain ne saurait s'étendre à qui ne la mériterait pas. — Elle ne peut-être poussée jusqu'à ne pas découvrir quelque complot contre la domination hova, à châtier des velléités d'indépendance à réprimer; l'ordre à rétablir quelque part; légitimes motifs d'expéditions hovas en terre sakalave ou autre, auxquelles on ne saurait raisonnablement contredire, affaires intérieures, au surplus, auxquelles notre résident, simple ministre des affaires étrangères, n'a pas le droit ni le pouvoir de s'immiscer, dont ilne sera pas même avisé et qu'il ignorera fatalement dans sa solitude de Tananarive. Et le tour sera joué, et c'est à l'ombre de notre drapeau que cela se passera.
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Oh! le gouvernement hova n'aura pas à se gêner beaucoup d'ailleurs. Qu'a-t-il à redouter? N'est-il pas à l'abri du soupçon, lui le peuple vertueux, avec ses instincts progressifs et sa facultétrès grande, très remarquable, de s'assimiler la civilisation européenne. n'a-t-on pas proclamé au moment où il « IN'est-il pas aussi le peuple fort, et était à quia, au moment où il succombait, que pour le réduire il faudrait demander à la France ce grand effort de 25,000 hommes et de 100 millions qu'elle ne veut ou ne peut pas faire? privilégié, prédestiné, en faveur de qui nous avons « N'est-il pas le peuple inventé une façon particulière de guerroyer, consistant à le ménager, à ne pas lui faire de mal, à le caresser, et à avouer, contre toute vérité et contre toute vraisemblance, qu'il nous a battus honorable mission d'exalter ce jeune « Et puis, la France n'a-t-elle pas la très peuple, de le faire grandir et d'assurer sa prééminence dans l'île de Mada«
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gascar.
Quoi, nos hommes d'État ne sont donc pas guéris de la manie de travailler à la fondation de puissances nouvelles? Comment! on espère que ce peuple hova, cette tribu barbare, éduquée par nos adversaires et dont toute la politique est faite d'hypocrisie et de violence, nous saura gré de notre faiblesse. Il a constamment foulé aux pieds tous les traités que nous avons consentis avec lui, violé tous ses engagements, molesté, dévalisé, chassé, massacré nos nationaux; dans la récente guerre, il a torturé nos soldats qui tombaient entre ses mains et mutilé leurs cadavres dans les négociations, il s'est joué de nous. « Pour le payer de ces procédés, nous le comblons d'éloges et d'égards et nous lui livrons l'île entière! Les peuplades placées sous notre protection par des traités solennels et par des droits historisques, nous les récompensons de leur fidélité en les faisant sujettes de leur ennemi et du nôtre. « Et nous espéronsque dans cet ennemi, enfin devenu grand par notre faute, nous aurons conquis un allié que son libéralisme, son amour de progrès, ses bons instincts, ses nobles facultés enchaîneront envers nous dans les liens de la reconnaissance. Illusions enfantines Quand nous aurons fait de la tribu hova un peuple, quand nous aurons établi sa domination sur Madagascar, le premier usage qu'il fera de sa puissance sera de nous jeter à la mer. «Entre Madagascar anglo-hova et Maurice anglo-indien, notre colonie de l'île Bourbon sera étouffée. Nos îles de Sainte-Marie, Nossi-Bé, Mayotte, les Comores seront absorbées par leur grande voisine, la France sera chassée de la mer des Indes. » «
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Cette prespcctive est peut-être un peu poussée au noir, mais à moins de vouloir se bercer encore d'illusions, comme nous le faisons presque toujours, on est bien obligé de convenir que c'est la plus probable.
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GRAND KABARY DE TANANARIVE
La preuve la meilleure que le traité du 17 décembre était mauvais pour nous c'est que la nouvelle de sa ratification par le parlement français fut accueille avec joie et célébrée à Tananarive par un grand kabary, le 22 mars. Et il n'y eut certainement pas de temps de perdu, car ce n'est que le 13 mars que l'amiral Miot l'expédia vers la capitale par un courrier spécial et l'on sait qu'il faut au moins huit jours pour faire la route à dos d'homme, seul moyen de
locomotion.
Donc, le 22.mars, toute la population était réunie dans cette grande place de Tananarive qu'on appelle Andohalo, pour entendre les discours de la reine et et du premier ministre. Le.journal 1QTemps a publié le compte rendu de cette assemblée telqu'il a étéfaitparla GazetyMalagasy, mais traduit en français par un Hovaqui sait suffisamment notrelangue pour l'écrire, mais pas pour la rendre claire toujours; car il y a dans saversion quelques passage qui ne sont pas absolument faciles à
comprendre. Malgré cela, nous reproduisons le tout, comme une curiosité: Le canon a annoncé dès la veille le kabary du lendemain On a tiré encore premier ministre sortait du palais. Le prince Ratsidu canon au moment où misampy a demandé des nouvelles de la reine. Cela fait, le premier ministre a pris laparoleen ces termes la grâce de Dieu et la volonté du peuple, reine de « Ranavalomanjaka, Madagascar et protectrice des lois de sonpays,etc., etc.. Ainsi parle Ranavalomanjaka. Messieurs, dites à ceux qui sont sous les cieux, lorsque je vous ai convoqués jeudi en disant réunissez-vous, vous qui êtes sous les cieux, vous êtes venus au jour et à l'heure indiqués, je m'en réjouis, hommes, qui obéissez, remerciements, satisfaction vous sont exprimés et consacrez ma souveraineté par la reine. Je vous ai dit, peuple, dans « Voici ce qu'on vous dit, c'est la reine qui parle l'est de Masoandro (nom d'une maison dans l'enceinte du palais), avant la paix conclue avec les Français, qu'il y avait eu entente, mais je vous ai dit aussi Lorsque les ratifications seront arrivées, on vous le dira. Et maintenant, voici ce que je vous dis, peuple Il est arrivé un télégramme de l'amiral ainsi concu : «Le traité entre ,Madagascar et la France est signé, et la signatureelle-même viendra après. » Ainsi le traité est signé et je vous le dis. Les soldats des armements « Voici aussi ce que je vous dis au sujet français et leur matériel de guerre seront retirés de Majunga, d'Anorontsangana «
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Tananarive. — Le palais du premier ministre. , le traité, sera évacué aussi lorsque et de Jharana (Vohémar). Tamatave, suivant l'argent sera payé. La paix est faite entre les deux gouvernements « Voici aussi ce qu'on vous dit de France et de Madagascar. Voilà pourquoi il y a des Français qui montent. » Les Français auxquels il est fait allusion ici sont les missionnaires qui étaient en effet déjà en route, puisqu'ils arrivèrent le 29. La suite*est le discours personnel du premier ministre, très inquiet alors pour sa popularité, qu'il considérait déjà comme à peu près perdue, et qui ne voyait pas d'autre moyen de la remplacer que par de la fermeté, de la sévérité dont les effets ne manqueraient pas d'être dangereux pour lui, le jour où il ne serait plus tout à fait le maître.
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Oh vous a dit les
paroles de Ranavalomanjaka, continua-t-il; inutile d'y revenir celles du peuple et surtout celles des jeunes gens qui se sont déjà enrôlés seront l'objet d'un rapport à la reine, vivezheureux — qui vous pro— tège. « Je vous répète que vous ne serez soldats que quatre ans. Ce n'est pas un mensonge. Demain, laporte Nord du palais sera ouverte pour inscrire les volon-taires. Et vous autres, enrôlés ici aujourd'hui, vous serez reçus en musique en entrant au palais; on vous inscrira après la marche. Si quelqu'un veut encore s'enrôler, qu'il s'approche. « Voici ce qu'on vous dit: Ranavalomanjaka III est la reine que nous servons pour la sanctifier. « Voilà qui est fini pour la reine. « Elle est le père et la mère du peuple. « Et l'homme qui parle, et que la reine a fait responsable de vous,dit qu'il vous conduira bien ayez confiance. « Je vous conduirai avec justice et droiture, ayez confiance vous avez un père et une mère tant qu'il vivra, cet homme qui est ici. Voilà que Ranavalomanjaka est en bonne amitié avec ceux d'outre-mer, et plusieurs races viendront ici. Qui que ce soit peut étudier la sagesse et la science, qui que ce soit peut-être ami avec les étrangers, c'est bien cela. Mais je vous le dis aussi: ce sont vos chatteries et pas autre chose qui ont amené cette affaire. C'est vous qui excitez à la jalousie contre ceux que vous enviez. Si quelqu'un fait cela, c'est le royaume qui est frappé de malheur, Ce n'est pas la sagesse que vous cherchez à apprendre pour être heureux avec vos femmes, vos enfants et vos biens. Vous vous faites du royaume un moyen de capter l'amitié, et vous dites en causant Voilà ce que fait le gouvernement. Et par ce fait le royaume est bouleversé. Et parce que deux ou trois font cela, le sang du peuple coulera. de leur appui sur les étran« Ce royaume de Ranavalomanjaka serait l'enjeu gers. Laissez donc faire les gouvernants. Mais ne craignez rien, qui que ce soit et quelle que soit son école (la reine a accordé largement la liberté d'enseignement; pourquoi n'aimerions-nous pas l'enseignement? c'est une chose utile). Ce discorde, qui flattent n'est pas de cela que je parle, mais de ceux qui excitentà les étrangers. Ils font mal en disant Je le vois, je le sais, voilà ce que fait le cela fait couler notre sang. Si quelqu'un fait cela, venez, cougouvernement,rez, les portes de l'Ouest et du Nord sont larges. Vous savez écrire, écrivez secrètement une lettre, apportez-la-moi. Sachez veiller à cela. N'est-ce pas vrai, peuple? tremblez pas devant, quelque grand qu'il êoit et puis« Ne craignez pas, ne sant, fût-il parent de la reine, l'homme qui vous parle ne fera que ce qui est utile au royaume et au peuple. Donc, si petit que vous soyez, si vous avezraison, je terrasserai le puissant. Que chacun se conduise bien; faites le bien, commercez honnêtement, vous serez heureux. «
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Voici aussi ce que je vous dis La vie des individus. Vous avez pouvoir de juger; conduisez devant la reine, s'ils n'ont pas été tués dans la mêlée, ceux qui sont surpris à faire mal. Ranavalomanjaka seule a le droit de tuer. » terminant la Gazette Malgache, ce kabary a été très « Ce kabary, dit en agréable au peuple. Le traité d'amitié avec les Français est conclu, l'enrôlement des soldats se fera désormais sans que les mauvais qui ont de l'argent s'en tirent moyennant finance (des cadeaux). « La limite du service est fixée à quatre ans. soient « Bien sot serait celui qui chercherait à ruser, puisqu'il faut que tous soldats. Allons que chacun aime la patrie et fasse ses efforts pour fortifier le royaume, qui deviendra un royaume célèbre et parfaitement indépendant, et dont l'univers admirera la gloire croissante- » «
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Sans doute ce kabary fut agréable au peuple, d'abord, parce qu'en général, la conclusion de la paix ne manquait pas de lui tous les kabary l'enchantent être agréable non plus, mais il n'en comprenait pas les conditions aussi facilement que le gouvernement. On en jugera par la lettre suivante datée du 12 avril et émanant d'un traitant français de Madagascar.
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Je viens, dit-il, de visiter plusieurs points de la côte Fénérife, Mahanaro, Marancette, Vatomandry, et autres. Partout je me suis appliqué à deviner les sentiments des Hovas. «Ils sont obligés, pour maintenir sur les Malgaches une autorité qu'ils sentent leur échapper, de faire les bravaches. Au fond, tous sont unanimes pour se réjouir de tout leur cœur de la conclusion de la paix, sans se préoccuper en aucune façon des conditions auquelles elle a été obtenue. Le fait en lui-même leur suffit. Ils peuvent recommencer à commercer: c'est ce qu'il leur faut. « Comme vous le savez, je suis un vieux résident de Madagascar, eh bien c'est la première fois que j'entends les Hovas se plaindre publiquement du premier ministre et des missionnaires anglais. Ils reprochent aux derniers de les avoir lancés en avant par des promesses qu'ils n'ont pas tenues, et au premier de n'avoir pas accepté les propositions de l'amiral Galiber) qui, disent-ils, leur demandait des concessions de territoires, mais pas d'argent. Ils comprennent l'importance du rôle que pourra jouer le résident à la capi« tale, et ils comprennent qu'une nation pas plus qu'une personne, ne peut s'engager à en défendre une autre, sans avoir une certaine autorité pour diriger sa conduite. Ils se préoccupent surtout de savoir dans quelle mesure s'exercera l'autorité de ce résident et aussi s'ils pourront, dans certains cas, en appeler à lui des actes arbitraires de leur gouvernement. « Ils sont heureux du protectorat qui, en leur assurant la paix intérieure, les mettra à l'abri des nouvelles guerres. Rassurés sur ce point, il voudraient «
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encore que l'autorité du résident général fût assez grande pour les protéger contre la barbarie de leur propre régime. « Voilà ce que pensent les Hovas du littoral, mais il faut dire qu'ils sont plus intelligents que ceux de la capitale. Quel beau rôle à jouer pour le représentant de la France, s'il est à la hauteur de la situation. « Aux dernières nouvelles de Tananarive, le peuple refusait catégoriquement de payer aucune taxe pour l'indemnité. « Ce sont nos gouvernants, dit-il, qui ont fait les bêtises, qu'ils les payent! » La situation est tellement tendue que, si le premier ministre essaye d'agir de force, il sera renversé. Il prendra donc du temps pour régler l'indemnité, et ce n'est pas un mal,!car tant qu'elle ne sera pas payée, nous garderons Tamatave. Soyez certain qu'il est à désirer que cette situation se prolonge, car rien ne contribuera plus à donner à notre résident une grande influence sur le gouvernement et sur le peuple hova. »
PROTESTATION DE LA REINEBINAO
Si les Hovas étaient contents, et avaient lieu de l'être, du traité du 17 décembre,
les Sakalaves et autres Malgaches, nos alliés et nos protégés, que nous abandonnions par ce traité, après les avoir poussés à la guerre contre les Hovas, étaient loin de l'être, et tous les roitelets de la côte nous reprochaient hautement cet abandon qui les èxposait de la part du gouvernement hova, auquel ils se trouvaient maintenant inféodés, à des représailles terribles. La reine Binao fut cependant la seule qui fit parvenir ses plaintes jusqu'en France, et le Temps publia d'elle la lettre suivante, qu'elle avait adressée à son directeur, avec un volumineux paquet. «
«
Ampassimena, 20 avril 1886.
Monsieur,
Après les malheurs qui sont venus sur moi et mes sujets parlafin de la guerre entre les Français et les Hovas, j'ai envoyé ma requête au président de la République française pour lui dire ce qui m'est arrivé. «Je lui ai aussi envoyé les lettres que j'ai reçues depuis plusieurs années, pour medire d'-être fidèle à la France et de l'aideravec mes guerriers, ce que j'ai toujours fait, puisque nous étions, moi et mon peuple, des enfants de la «
*
'France.
J'ai appris que la règle,
en France, est que tout le monde comnaisse toutes les affaires et que les journaux les faisaient connaître, et c'est parce que vous «
avez un journal que tout le peuple lit, que je vous envoie les mêmes papiers que j'ai envoyés au président de la République française. les promesses que « Vous avez su les malheurs qui sont venus chez nous et l'on nous a faites il n'y a pas longtemps et qu'on n'a pas tenues, et celles faites il y a quarante ans, quand mes ancêtres ont donné à la France des îles près de Madagascar et que la France leur a donné sa protection dans leur ancien royaume contre les Hovas. « La guerre est finie maintenant, et jusqu'à la fin mes enfants ont marché avec les soldats français il y en a qui ont été tués; il y en a aussi qui ont été blessés, et on a vendu aux Hovas mon pays et mes sujets comme on vend des
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Maison de campagne de la reine, près de Tananarive.
bœufs, excepté que ce n est pas en échange de piastres, mais en échange de la paix. « Je ne crois pas que ce soit la règle, en France, que tout le monde abandonne ses enfants quand ils aiment leur père et leur mère, ce qu'était la France pour nous. « Avec l'aide des papiers que je vous envoie, venez à notre secours, car, si vous voulez les faire connaître, la France et tout le monde en France apprendra que ses enfants sakalaves ont été trompés parce que, dans ces papiers, il est écrit tout ce qu'on nous a promis et tout ce qu'on nous a commandé de faire. « Moi et tous mes sujets nous vous prions de les faire connaître. « Je vous salue. Que Dieu vous protège. « BINAO, «
reine des Sakalaves, « Ampassimena. »
Le Temps publia une partie de ces papiers, tous les mêmes du reste, et dont nous n'avons à parler ici que pour mémoire, car ce sont des lettres des commandants de Nossi-Bé ou de l'amiral Miot, exhortant les Sakalaves à résister aux Hovas et leur disant de compter sur -notre assistance, toutes choses que nous avons vues en temps et lieu, ainsi que les promesses plus explicites de l'amiral Miot, lors de son arrivée à Madagascar. Nous reproduirons seulement la requête de Binao: «
«
«
de la République française, à Paris.
A Monsieur le président
Requête adressée parla reine Binao, reine des Sakalaves Bemihisatra, demeurant à Ampassimena Bavatoubé, au président de la République française.
Lors du commencement de l'expédition militaire, Monsieur le président, j'étais en intime accord à la nation hova, avec laquelle vous venez d'avoir une action, quoique depuis ma mère, Sahy-Mouzoungou, nous étions déjà sous votre protectorat. l'ordre de M. Le Timbre, alors comman« Lors de cette expédition, je reçus dant la station navale sur le Forfait, par l'intermédiairede M.Seignac à Nossi-Bé de me battre contre les Hovas et de les empêcher à tout prix de pénétrerdans mon territoire, que la France considérait comme sa propriété. «J'ai l'honneur, àce sujet, Monsieur le président, de vous expédier vingt-six feuilles de copies de lettres, m'ordonnant, m'excitant et me conseillant, ainsi que mes chefs, à me battre à outrance même s'il le fallait, pour empêcher toute pénétration des Hovas dans mon territoire, et conserver ce point à la France. m'avaient « Je le fis donc, Monsieur le président, avec espoir des promesses qui été faites qu'après la fin de cette guerre, si la France restait vainqueur, je posséderais le territoire que j'occupe actuellement et qui fut aussi celui de mon grand-père AdrianSouly, c'est-à-dire depuis Mouroung-Sang jusqu'à Titizambatou. réelle; car je ne doutais pas que « Ma conviction, en me battant, était sûre et la France, pour une si juste cause, c'est-à-dire soutenir les droits qu'elle avait sur Madagascar et protéger ceux qui s'étaient mis sous son protectorat, ne fût vainqueur. malgré les promesses de M. Le Timbre, « Je suis étonnée dans le moment que, qui est venu lui-même couper le pavillon que les Hovas avaient planté sur mon territoire, de force (village Mahavarounou), du contre-amiral Miot, des commandants Seignac et Le Maître, la guerre se termine d'après le traité franco-hova du 47 décembre 1885. je ne me vois aucun « Je suis retirée de mon territoire pour ainsi dire, car «
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Ampassimena, 15 avril.
pouvoir sur une portion de terre que j'ai soutenue au bout du canon du fusil, puisque cette nation est autorisée par le traité à venir y résider en autorité. sais plus, Monsieur le président, ce que je vais devenir et ce, pour avoir « Je ne été votre fille; vous m'abandonnez dans le plus bel espoir que je comptais sur que deviendrai-je Otée demes peu de revenus, de mes droits de douane vous et de mes impôts qui presque à peine peuvent me suffire ainsi qu'à ma sœur Cavy à mon jeune frère Calou Que deviendront mes sujets sous une loi rancuneuse? « Si vous auriez un coin de terre où me placer, jene demanderais pas mieux, au lieu de misérer sous le joug d'une nation rancuneuse et barbare qui depuis longtemps, depuis mes ancêtres, a à cœur cette rancune par les grandes guerres qu'ils ont eues, et que je viens moi-même, petite fille de cette nation, prouver encore par mes six combats de Benameviky, Manongarivou, Berahodaka, Bekaraka, Ambalia, et enfin Beinaneviky en dernier lieu avant qu'on établisse le fort d'Amboudimadirou, où aussi j'ai donné tous mes hommes et mes boutres et mes pirogues, avec espoir qu'un jour la France serait vainqueur, et par les soldats que j'ai fournis à ce poste et qui y sont encore et qui doivent partir pour DiegoSuarez. Les soldats que j'ai fournis étaient au combat d'Andampy au nombre de quarante, ils ont eu sept blessés. « J'ose donc espérer, Monsieur le président, qu'après tant de preuves fournies de ma-bonne volonté à votre service, de mon dévouement pour la France, don je puis me glorifier d'être fille, vous remédiez au triste sort qui m'arrive, surtout pour une si minime portion de terre qui est mon territoire depuis mes ancêtres Andrian Souly qui donna Mayotte à la France, et Tsihomekou, Nossi-Bé (voir l'annuaire de Nossi-Bé, i880 et 1881), et qui ont pris possession de Mouroung-Sang, puis chassés injustement par la force. Mon territoire comprend donc depuis Mouroung-Sang au sud, jusqu'à « Titizambatou, à l'est de la presqu'île d'Ankifi. « Me confiant entièrement à votre haut et loyal jugement, j'ose espérer que ma demande ne sera pas rejetée. «Je suis, en attendant votre aimable réponse, Monsieur le président de la République française, Votre toute dévouée servante, «
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BINAO,
reine des Sakalaves. « Bémihisatra. »
Cette requête ne reçut point de réponse, et de fait elle n'en pouvait recevoir aucune, de sorte que la reine Binao peut se plaindre non seulement d'avoir été trompée par l'amiral Miot, qui lui avait dit qu'il n'évacuerait jamais, par la raison qu'il n'était pas venu pour réclamer des droits, mais pour les exercer, mais encore d'être méprisée par notre gouvernement qui, non content de l'aban-
donner aux représailles de son ennemie acharnée, qui naguère encore mettait sa tête à prix, ne paraît pas en faire plus de cas que de la première sauvagesse venue. Il est certain qu'à ce point de vue-là, le traité ne fait pas honneur à la France. Si encore il faisait profit, ce pourrait être une compensation, mais le seul profit qu'on en ait tiré, c'est de ne plus être censé faire une guerre qu'on ne savait ou qu'on ne voulait pas faire. Il est vrai que cela n'est pas fini1
CONSÉQUENCES DE LA PAIX
Une des premières conséquences de la ratification du traité du 17 décembre fut, pour nos soldats et marins, la suspension du bénéfice de campagne de guerre, à partir du 13 mars, date à laquelle lecontré-amiral Miot avait reçu, à Tamatave, le télégramme l'avisant de l'autorisation donnée par les Chambres, pour la ratification du traité. A cette époque, le corps expéditionnaire se composait de 81 officiers et de 2,502 hommes troupe, infanterie et artillerie de marine, et des bâtiments suivants 5 croiseurs : la Naïade, la Nielly, le laPeyrouse, le Vaudreuil et le Limier; 2 avisos le Bisson et lela Bourdonnais; 6 canonnières la Pique, le Capricorne, le Chacal, le Scorpion, la Redoute et la Et 4 transports le Romanche, la Seudre, la Dordogne et le Tant. La plus grande partie de ces forces fut immédiatement rapatriée ainsi on ne maintint à Madagascar que 35 officiers et 749 hommes de troupes devant servir 1° A l'occupation de Tamatave, jusqu'au parfait payement de l'indemnité de dix millions consentie par le gouvernement hova 2° A la garnison de Diego-Suarez, qui nous appartenait en toute propriété; 3° A l'escorte du résident général à Tananarive. Mais ce dernier article n'est à citer que pour mémoire, car cette escorté ne devait guère dépasser une trentaine d'hommes. Les forces maritimes furent moins réduites, et les crédits votés en avril 1886 permirentd'entretenir en station, dans les Baux de Madagascar, quatre croiseurs, quetra canonnières de rivière et un ponton. C'était assez si nous étions là en toute sécurité, mais tout à fait insuffisant si nous n'avions qu'une demi-confiance dans la bonne foi des Hovas.
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Tirailleuse
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Mais il fallait bien avoir l'air de croire à la solidité du traité que nous avions signé. Et puis, tant que nous serions à Tamatave, la situation ne serait guère changée et il y avait des chances pour que nous y restions longtemps, le
gouvernement hova, épuisé par la guerre, n'ayant plus les ressources suffisantes pour nous verser les dix millions convenus.
La batterie qui défend le village d'Antsirane à Diego-Suarez.
Du reste, on lui donnait pour se libérer tout le temps qu'il voulait et le traité ne prévoyait, ni le nombre des annuités, ni le montant de chaque payement.
Cette négligence avait probablement sa raison d'être au point de vue politique, mais elle allait encore obliger notre budget à une avance de dix millions, car cette somme était consentie pour indemniser les particuliers lésés par l'état de guerre, et il fallait qu'ils le fussent. par nos soins, et tout naturellement à nos risques et périls. Notre gouvernement s'en était préoccupé déjà, car le JournalOfficiel avait publié la note suivante
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Aux termes de l'article 8 du traité conclu le 17 décembre 1885 entre le gou.
vernement de la République française et le gouvernement de S. M. la reine de Madagascar, le gouvernement de la reine s'est engagé à payer dix millions de francs, applicables tant au règlement des réclamations françaises liquidées antérieurement au conflit survenu entre les deux parties, qu'à la réparation de tous les dommages causés aux particuliers de toute nationalité par le fait de ce conflit. L'examen et le règlement de ces indemnités sont dévolus au gouvernement français. «Les personnes qui ont des réclamations à faire valoir, à raison des dommages susvisés, sont prévenues qu'elles doivent adresser leurs demandes avec les pièces justificatives à l'appui, soit au ministre des affaires étrangères à Paris, avant le 15 mai, soit au résident de France à Tamatave, avant le 15 juillet prochain. »
les
Comme il était facile de le prévoir, réclamations ne manquèrent point, et elles se firent presque toutes remarquer par leur exagération, de sorte que s'il avait fallu satisfaire aux exigences de tous, ce n'est pas dix millions qu'il aurait fallu, mais cinquante, et encore il y a des Anglais qui ne se seraient pas
crus indemnisés. Naturellement, une commission, une espèce de jury d'expropriation, fut constituér p.our examiner ces demandes et, comme rien ne la presse, il est probable qu'elle les examinera longtemps. Une autre conséquence dela paix, et.non pas la moins importante, au point de vue de notre domination, bien qu'elle n'ait aucun caractère politique, c'est la rentrée à Tananarive de la mission française, dont le chef est MgrCazet, évêque de Madagascar, et qui fut reçu beaucoup mieux qu'on n'aurait pu l'espérer, étant connue la façon dont nos missionnaires avaient été obligés de quitter Tananarive. Une lettre particulière adressée à un sénateur français, à la date du 1er mai, par une des personnes qui accompagnaient Mgr Cazet, va nous donner la note exacte de sa reprise de possession de l'église et des établissements religieux français. Dans la pensée, dit ce correspondant, qu'il vous sera agréable d'avoir quelques détails sur l'arrivée des missionnaires français à Tananarive, j'ai l'honneur de vous transmettre une note précise de ce qui me paraît devoir le plus vous «
intéresser. Le peuple, qui désirait ardemment la paix, n'était pas sans crainte sur l'issue du traité de décembre. Dans un kabary public et très solennel tenu le 22 mars, le premier ministre, pour rassurer les Malgaches et faire cesser des bruits mis en circulation par nos ennemis, se servit entre autres de cet argument « La paix est faite entre les deux gouvernements, la France et Madagascar il y a déjà des Français qui montent maintenant. » Ces Français, c'étaient les missionnaires. «
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C'est le 29 mars qu'ils sont entrés à Tananarive. Ils ont reçu un véritable triomphe. Je ne veux pas rapporter leur témoignage ni celui de chrétiens je me contenterai de citer un passage duMadagascar Times, journal anglais protestant de Tananarive, qui a toujours été très hostile au catholicisme et à la France surtout pendant la guerre La mission catholique romaine. — La « Madagascar Times, 3 avril1886. — semaine dernière, quatre prêtres de la mission catholique romaine, deux frères et trois sœurs sont arrivés à Tananarive, et ont recommencé l'œuvre de la mission à Andohalo. La réception qu'ils ont reçue de leurs élèves et de leurs adhérents a été fort enthousiaste; de toutes les parties des districts environnants des présents leur oniétéonerts chaque jour. Presque tous les membres sontfigures anciennes bien connues; en conséquence, leur travail va rapidement reprendre le train ordinaire d'autrefois. Son Excellence le « Les quatre prêtres ont eu jeudi dernier une audience de premier ministre, etils ont été reçus d'une manière fort amicale et fort cordiale. « A peine installés dans les emplacements de la mission, les pères ont vu revenir immédiatement à eux les anciens domestiques, ouvriers, imprimeurs, commissionnaires,etc. Je ne parle pas des maîtres d'école et des catéchistes, dont la plupart avaient continué à faire la classe et à présider les réunions des dimanches et des fêtes. « Mgr Cazet a été reçu à Tamatave d'une manière tout amicale. Par ordre du gouverneur hova, deux officiers l'ont accompagné jusqu'à Tananarive ils ont été aux petits soins pour lui. Dans tous les villages où il passait, les officiers et les chefs se réunissaient pour le complimenter, lui apporter les cadeaux d'usage et lui dire combien ils étaient heureux de la conclusion de la paix tous ces honneurs, bien entendu, revenaient à la France. « Il s'est transporté à Tananarive le 24 avril. Outre les nombreux curieux qui stationnaient dans les rues, les places publiques et les emplacements, la foule des catholiques qui l'accompagnaient était si considérable que le Madagascar Times crut qu'il y avait une procession religieuse. « La fête de Pâques a été célébrée à la cathédrale avec la plus grande solennité. Jamais, avant les derniers événements, on n'y avait vu autant de monde; les trois nefs et les tribunes étaient combles, et des centaines de personnes qui n'ont pu y entrer furent obligées de stationner dehors. » «
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Ainsi le catholicisme, représentant l'esprit; les tendances françaises, s'était réinstallé, non pas seulement sans difficultés, mais avec des égards officiels, des honneurs, à Tananarive, d'où il avait été si brutalement chassé. On remarquera, du reste, qu'il ne fut chassé de la capitale que politiquement, dans la personne des missionnaires renvoyés comme français et non comme prêtres, puisque pendant toute la durée des hostilités, la plupart des maîtres d'école avaient continué à faire leurs classes et presque tous les catéchistes avaient
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sinon célébré la messe, mais tout au moins continué à présider les réunions religieuses des dimanches et des jours de fête. L'influence française n'avait donc perdu que peu de terrain sans doute elle restait inférieure à l'influence anglaise, comme avant la guerre, mais il ne lui était pas difficile de faire des progrès, d'autant que l'arrivée à Tananarive du résident français allait lui donner un semblant de protection officielle.
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NOTRE RÉSIDENT
A
MADAGASCAR
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Le traité n'était pas encore ratifié que notre résident général était déjà nommé et l'on fit bien, car le choix qu'on avait fait de M. le Myre de Vilers, ancien gouverneur de Cochinchine, était excellent. Précaution indispensable d'ailleurs, car le traité que nous avions signé était si contingent; il y avait tant de choses qui ne dépendaient absolument que de l'influence morale de notre résident sur le gouvernement hova, qu'il ne pouvait avoir de valeur qu'autant que notre représentant à Tananarive était capable d'exercer cette influence C'était le cas de M. le Myre de Vilers, administrateur éminent, diplomate consommé, dont la bravoure et l'énergie sont proverbiales. Il n'y a à citer dans toute sa carrière, a dit M. Racot dans une étude curieuse qu'il a publiée auFigarosous le titre « Un vice-roi en habit noir », il n'y à citer dans toute sa carrière, en Afrique, dans l'Extrême-Orient, dans les circonstances les plus terribles comme les plus favorables où il a pu se trouver, aucun oubli de cette réserve impassible, de cette prudence souple, qui, jointes à son absolu mépris du danger et à son idée fixe de la supériorité de notre race sur les autres créatures du globe, lui ont toujours assuré le respect et l'obéissance. les autres. Un « Il est sûr de lui, qualité suprême et rare, ayant pu comparer de ses actes les plus étonnants, en Cochinchine, fut la répression de l'insurrection de Bac-Lieu. Il causait avec son secrétaire, après dîner, fumant un cigare, quand la nouvelle arrive.
morale.
a
— Partons. « — Partir! Comment? Et des troupes, nous n'en avons pas. dites àmes six matelotsindigènes de me tenir prête —Pasbesoin de troupes l'embarcation, et prévenez l'interprète d'avoir à me suivre. » Une heure après, le gouverneur de la Cochinchine, seul avec l'interprète français et à la merci de six «
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indigènes, s'endormait paisiblement dans sa cabine, pendant que l'embarcation louvoyait à travers les dangeureux parages conduisant à Bac-Lieu. Le jour paraît.
On aborde. Seuls, sans armes, sans suite, dans cet éternel vêtement noir qu'il n'a jamais changé contre les broderies de l'uniforme officiel, le Myre de Vilers s'avance vers les chefs et les frappe d'une contribution de vingt-cinq mille francs pour n'avoir pas su prendre de précautions contre la révolte. Une heure après,
tout était rentré dans l'ordre.
Tauanarive.
—
Le dais de la reine dans la chapelle royale.
tel homme était tout désigné à la fonction, toute de force morale, ainsi
« Un
qu'on l'a dit avec justesse pendant les débats parlementaires, que vient de créer le traité conclu avec Madagascar. On peut être sûr qu'avec lui l'honneur de la France ne souffrira aucune atteinte, et on peut même l'être que nos droits seront affirmés et mis en pratique. Le dirai-je? Dans les caractères de cette trempe, il y a toujours l'âme d'un Plélo, le héros de Copenhague, qui, ambassadeur délaissé par la France et ne pouvant plus tenir sa parole de soldat, cracha sa vie héroïque à la face des Anglais vainqueurs, comme un défi. M. le Myre de Vilers n'aura pas, à Madagascar, à en venir jamais à cette extrémité sublime, qui sourirait peutêtre à son cœur de marin. Les temps ont marché tout s'est rétréci, amoindri, aplati il suffit qu'on sache un homme capable de recommencer Plélo, pour qu'on s'en tienne là. Et les ennemis que M. le Myre de Vilers va rencontrer à Madagascar ne lui feront pas cette guerre. Ils lui en feront une autre contre laquelle il
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aura à opposer cette fermeté gouailleuse, hautaine, inflexible, bien plus puissante que les impatiences et les colères. « Coïncidence singulière, mais qui n'a certes pas été sans influer sur le choix du nouveau ministre résident de France à Madagascar, M. le Myre de Vilers, dans ce nouveau poste, va se trouver en face du même adversaire dont il réussit à déjouer toutes les manœuvres en Cochinchine. Sir Pope Hennessy, gouverneur de Hong-Kongpour Sa Majesté britannique lors du gouvernement de M. le Myre de Vilers à Saïgon, est aujourd'hui, comme par hasard, gouverneur de l'île Maurice, et c'est de l'île Maurice, quartier général anglais, que partent toutes les manœuvres dirigées contre notre influence à Madagascar. Contre cette puissance qu'a à opposer M. le Myre de Vilers? Est-ce la station navale commandée par le capitaine Dorlodot des Essarts, ancien gouverneur de Taïti, qui croisera en vue des côtes Non c'est lui seul, dans son habit noir, avec sa tête fière, le prestige de son passé, Sq. volonté, et par-dessus tout son mépris, élevé chez lui à la hauteur d'une foi mathématique. Et c'est assez. » On peut ne pas partager tout l'optimisme de cette conclusion, mais il est impossible de ne pas reconnaître que M. le Myre de Vilers était l'homme qu'il fallait à Madagascar et peut-être le seul qu'on pût y envoyer en ce moment, avec chances de succès. Ille sentit lui-même et sans récriminer contre un passé qui l'avait mis en disgrâce, il accepta comme un devoir à remplir, comme un honneur, la tâche particulièrement difficile dont on le chargeait. [1 partit sans retard, n'emmenant avec lui qu'un très faible état-major, composé de M.Daumas, résident-adjoint, de M. Buchard, lieutenant de vaisseau sous-résident, de M. Ranchot et de M. d'Anthouard attachés à son cabinet; M. Campan, ancien chancelier interprète du consulat de Madagascar, allait reprendre ces fonctions à la résidence. Le personnel civil duprotectoratdevait, d'ailleurs, être très restreint, et de fait, outre les personnes que nous venons denommer, et le docteur Bessade, attaché à la mission comme médecin de la résidence, il ne comprit que deux vice-résidents M. le Savoureux à Tamatave et M. Pinard à Majunga. Parti par le paquebot poste de la Réunion et d'Australie, M. le Myre de Vilers eut la chance de faire très vite le long voyage de Madagascar, parce qu'il s'arrêta à Mahé, où l'on avait envoyé le Nielly l'attendre. dit le correspondant du Temps « Le résident général est arrivé ici le 29 avril, à Tamatave, venant de Mahé où il avait transbordé sur le croiseur le Nielly, de la division de l'Océan Indien. En passant devant Diégo-Suarez, il s'est arrêté pour visiter notre nouvel établissement et étudier, par lui-même, la question de délimitation de nos territoires, qui est loin d'être résolue et peut être une source de difficultés. De Diégo-Suarez, le Nielly a fait route directement pour Tamatave. résident général n'a duré que dix-huit jours. Ce « En somme, la traversée du qui prouve qu'avec un service bien organisé on pourrait avoir des communica-
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tions assez rapides avec Madagascar. Malheureusement, les courriers mensuels perdent un temps considérable avec leurs escales nombreuses, et, si l'on ajoute àla durée duvoyagepar mer, tempspour monter à Tananarive et redescendre à la côte, on constate qu'il faut, en moyenne, trois mois pour avoir une réponse. Aujourd'hui que les communications postales et télégraphiques jouent un rôle si considérable, il est indispensable, si la France tient à fonder un établissement durable dans la grande île africaine, qu'elle double son service postal à bref délai, et qu'elle relie Tamatave au câble africain. Le cap Saint-André n'est éloigné que de 220 milles de la station télégraphique de Mozambique, la dépense ne serait donc pas considérable. marine a été très cordial. Chacun « L'accueil fait au résident général par la s'est empressé de lui témoigner sa sympathie. actuellement, militaires, marins, « La population civile a suivi ce bon exemple colons et même indigènes vivent en plein accord. Nous sommes dans la lune de miel. vexatoire, et dont on « La plupart des mesures qui rendaient l'état de siège se plaignait, à bon droit, viennent d'être rapportées; la distribution de la justice civile, qui ne se rendait plus depuis le bombardement, a été assurée; enfin, les relations commercialesontrepris quelque activité; un grand nombre d'indigènes viennent en ville s'approvisionner. « Le point sombre est la situation à Tananarive; on dit le premier ministre assez inquiet; un discours qu'il a prononcé au dernier kabary montre qu'il craint d'avoir perdu une partie de sa popularité et qu'il redoute les manœuvres séditieuses de ses adversaires politiques. De plus, la discipline sévère qui existait jusqu'à la paix chez le peuple hova s'est sensiblement relâchée de nombreux officiers se permettent de critiquer ouvertement les actes du premier ministre et de discuter toute sa politique. Ce nouvel état des esprits; s'il présente de nombreux avantages pour le développement de l'influence européenne, n'est pas sans présenter quelques dangers. Qu'arriverait-il si une révolution renversait Rainilaiarivony? Qui sait si les troubles ne nous obligeraient pas à une intervention? « Je ne voudrais pas trop m'étendre sur ce point, d'autant plus qu'il est toujours fort difficile de savoir ce que pensent les Hovas toujours ils plaident le faux pour tromper leur interlocuteur, et, quand on semble être de leur avis, ils se dérobent avec une désinvolture admirable. Ils sont maîtres en l'art de tirer les vers du nez au Européens. « Le résident général a donc une tâche des plus délicates, et il lui faudra montrer autant de réserve que de prudence dans ses relations avec la cour d'Emyrne et les chefs des divers partis. Après avoir réglé plusieurs affaires importantes à Tamatave, M. le Myre de Vilers s'est mis en route, le 4, sans escorte; son départ précipité a donné lieu à de nombreux commentairesqu'iL est inutile de rapporter. « Le 3 mai, l'amiral Miot est parti de Tamatave avec la Naïade, pour se ren-
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dre à Sainte-Marie de Madagascar, où il doit remettre le service au nouveau commandant de la station navale, M. le capitaine de vaisseau Dorlodot des Essarts. La garnison de Tamatave, réduite à 250 hommes, reste sous les ordres de M. le capitaine de frégate Nicolas. »
fV"rv"V'V'V'," RÉCEPTION DU RÉSIDENT GÉNÉRAL
Si bien reçu qu'il fut à Tamatave, M. le Myre de Vilers n'y perdit point de temps et s'il quitta la ville sans escorte c'est qu'il espérait ainsi marcher plus
vite. Le voyage, qui dura dix jours, fut très pénible, car bien qu'on fût dans la saison sèche, il plut souvent et le temps fut toujours exécrable. C'est du moins ce que dit un correspondant faisant partie de le mission. « La pluie, écrit-il, tombait parfois par torrents, et impossible de s'en préserver. Vêtements, caoutchouc, tentes, tout était transpercé. » La route est des plus difficiles, dangereuse en certains points, où une centaine d'hommes résolus arrêteraient une armée. Plus que les beaux paysages quise déroulaient sous nos yeux, nous admirions nos infatigables porteurs, qui enlevaient sans fatigue des étapes de dix et douze heures par des chemins qu'il est impossible de
décrire. « Jusqu'au plateau d'Emyrne, la population a fait un excellent accueil à la mission française, mais là son attitude s'est singulièrement modifiée. Nous avons été reçus avec une véritable froideur. On avait fait courir le bruit à Tananarive et dans la province d'Imerina que c'en était fait de l'indépendance des Hovas que les trente-cinq hommes qui forment la garde d'honneur durésident général, étaient l'avant-garde d'un corps d'occupation réuni à Tamatave pour monter à la capitale. Les ennemis du premier ministre et nos adversaires, les méthodistes anglais, font courir les rumeurs les plus extraordinaires. Je crois toutefois que les versatiles Hovas reviendront promptement à d'autres sentiments, quand ils verront que la politique française veut rester étrangère à l'action intérieure de leur gouvernement. A l'un d'eux, qui paraissait convaincu que nos troupes étaientsur la route de Tananarive, je faisais remarquer que, pourfaire monter de Tamatave les cinq mille hommes annoncés, il faudrait 50,000 porteurs indigènes, et je l'engageais à demander aux gens bien informés si son gouvernement avait embauché un tel nombre d'indigènes. Mon interlocuteur sourit. Je l'avais convaincu, je l'espère. admirablement reçu par le premier ministre. « M. leMyre de Vilers a été
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Vilers).
de Myre
le M. par occupée
(maison
Tananarive
à
France
de générale
Résidence
etd'unefaçonpleine d'affabilité parla reine. Quoiqu'ilen soit, illui faudra déployer beaucoup de prudence et de fermeté, car le terrain est difficile. Le premier ministre est très discuté, son pouvoir battu en brèche de divers côtés, et toute son intelligence ne sera pas de trop pour résister aux intrigues ourdies contre lui. » C'est maintenant dans la correspondance Havas que nous prendrons quelques détails sur la réception à Tananarive de note résident qui, comme tous les étrangers de distinction, s'arrêta à Andraisoro, village situé à quelques kilomètres de la capitale, où la reine avait envoyé pour l'attendre et lui souhaiter la bienvenue, un 14e honneur accompagné d'une douzaine d'officiers de l'armée. Ce qui n'empêcha point un cortège beaucoup plus considérable d'y arriver et de s'y former, pour que l'entrée du résident de France se fit selon le cérémonial réglé devance. Le 44 mai, à deux heures du soir, dit la correspondance Havas, de nom« breux officiers, sous le commandement du fils aîné du premier ministre Radiaky se rendirent à Andraisoro pour escorter M. le Myre de Vilers jusqu'à sa demeure dans la ville. « Le OOrtège se mit en marche dans l'ordre suivant: une compagnie de 100 soldats hovas armés de remingtons, tunique rouge, képi noir à bande rouge et pantalon bleu foncé, une musique de 25 instrumentistes habillés de blanc, puis une seconde compagnie de soldats, en tête de laquelle marchait le porte-étendard de la reine Ranavalo III. Il était vêtu d'un justaucorps vert, d'un pantalon à bande rouge et d'un énorme shako de la même couleur. la suite, et montés sur des chevaux venus d'Europe ou d'Australie, « A depuis le 13e rang jusqu'au 15e, entièrement couverts de brode« 25 honneurs » ries et munis de chapeaux à plumes blanches ou tricolores. habits rouges des généraux « Tous les uniformes étaient représentés anglais, tuniques de l'armée russe, redingotes de la marine française, etc. Le 15e honneur, fils du premier ministre, Rainilaiarivony, fermait cette longue file, suivi de deuxpages de Sa Majesté, habillés l'un enMameluck, l'autre en Persan. Derrière, un peloton de soldats formés sur deux rangs, enfin les officiers hovas qui avaient accompagné le résident général pendant le voyage, portés sur des fitakons (sorte de chaise sans pieds suspendue entre deux brancards et qui sert de moyen de transport à Madagascar; quatre hommes la soulèvent) et les membres de la mission française, en habit noir, M. le Myre de Vilers le dernier. C'est, ici, la place d'honneur. éminence d'où l'on aperçoit la ville. Tout le « Le cortège s'arrêta sur une monde mit pied à terre et se tourna vers le palais de S. M. Ranavalo Manjaka. Les troupes présentèrent les armes, les officiers saluèrent, et la musique joua l'air de la reine, la Marseillaise, puis l'air du premier ministre. On repartit ensuite. La même cérémonie recommença sur la place du Palais à Tananarive, et le résident général fut conduit à sa demeure. A quatre heures et demie tout était terminé. »
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Tout était terminé, pour recommencer le lundi suivant, jour fixé pour la réception solennelle dans laquelle le résident général devait remettre ses lettres de créance à la Reine. Ranavalo III reçut le ministre de France, couronne en tête, assise sur son trône, ayant à sa droite le premier ministre son mari et autour d'elle tous les dignitaires de la cour, chargés d'uniformes tous plus riches et plus ridicules les uns que les autres, mais sans aucune signification hiérarchique. M. le Myre de Vilers prononça l'allocution suivante
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«
Madame,
J'ai l'honneur de remettre entre les mains de Votre Majesté le traité de paix et les lettres de M. le président de la République, qui m'accréditent près du gouvernenent royal en qualité de ministre plénipotentiaire. France exigent que, désormais, les « Les intérêts de Madagascar et de la deux nations soient unies par des liens indissolubles. Votre Majesté peut être certaine que-je ne négligerai rien pour arriver à ce résultat. En agissant ainsi, je ne ferai, du reste, que me conformer aux intentions de M. le président de la République et de M. le président du conseil. « Je sais également que telle est la volonté de Votre Majesté. Les égards de toute sorte dont j'ai été l'objet, depuis mon arrivée dans le royaume, m'en sont un sûr garant. « Je fais les vœux les plus sincères pour la gloire et la prospérité du règne de Votre Majesté. » «
La reine répondit à cela par l'organe de son mari, qui sait parler français quand l'occasion l'exige
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En recevant de vos mains, comme représentant du président de la République, le traité de paix ratifié par lui, j'en suis heureuse, ainsi que mon gouvernement, .attendu que ce traité, qui a été élaboré avec une parfaite entente mutuelle, est le gage des relations qui unissent désormais les deux pays. « Je suis également heureuse d'entendre les bonnes paroles d'assurance que vous donnez, afin que la bonne intelligence qui règne entre la France et Madagascar ne soit jamais interrompue. Nous en concluons que le choix qui a été fait de vous, un personnage aussi distingué qu'éminent, nous en est une sure garantie. « Je tiens à vous faire connaître que le désir que nous entretenons depuis longtemps est de vivre en bon accord avec la France, et vous pouvez être assuré que moi et mon gouvernement nous sommes toujours prêts, comme par le passé, à déployer notre possible dans le maintien des bonnes relations. « Je suis satisfaite de voir qu'en raison de la paix qui règne maintenant dans voie de lacivilisamon royaume, il me sera possible de le faire progresser dans <(
la
tion et du progrès, initiative que je désire ardemment prendre durant mon règne. « Je vous remercie des vœux sincères que vous formez pour la gloire et la prospérité de mon règne vivez heureux, que Dieu vous ait en sa garde »
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!
Eau bénite de cour, sans doute, mais les relations diplomatiques ne sont jamais autre chose. Du reste, ces congratulations réciproques ne font jamais de mal, et quelquefois, surtout dans les pays où, comme Madagascar, la civilisation est encore à son aurore, elles peuvent avoir un grand effet sur le peuple, qui n'est pas obligé de savoir que ce qu'il prend pour des marques d'amitié ne sont que des conventions
d'étiquette. C'est ainsi que la visite officielle que M. le Myre de Vilers fit le 18 mai au premier ministrelui fut rendue, par celui-ci, le lendemain, avec grand appareil, et que le ministre des affaires étrangères ne crut pouvoir faire moins que de donner un grand banquet en l'honneur du résident de France. Ce banquet clôtura, du reste, la série des cérémonies officielles; depuis, si le ministre de France et les ministres hovas se voient, c'est pour parler d'affaires et non pour faire des discours. Rainilaiarivony ne semble, du reste, pas tenir beaucoup à se montrer avec M. le Myre de Vilers ; il voudrait même ne pas se montrer du tout, du tout, et car à cause de la politique qu'il a suivie pendant ces dernières avec personne années, et qui a été la cause de la guerre, et de la paix qui l'a suivie, — sa situation est très délicate et peut même devenir impossible; car il est battu en brèche en toutes occasions, par les grands et détesté par le peuple, qui ne veut pas comprendre la nécessité de payer une indemnité de guerre, alors qu'on lui a toujours dit qu'on n'avait pas été vaincu, et qui, par deux fois déjà, s'est absolument refusé à acquitter l'impôt dont le gouvernement l'avait frappé pour se procurer les ressources nécessaires.
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MIStRE DES
HOVAS
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Ce refus n'était pas seulement de la mauvaise volonté, c'était aussi un non possumus, car la population avait été véritablement ruinée par la guerre le cordonne les raisons dans sa lettre du 3 juillet. respondant du Temps
en
Tous les renseignements qui nous arrivent de l'intérieur, dit-il, nous peignent le pays comme étant dans une détresse profonde. Les Lehibe (les grands), «
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les manamboninahitra (les officiers) sont dépourvus de tout quelle doit donc être la situation du menu peuple? Pendant la guerre, le petit propriétaire d'Imérina était sous les armes. Pour se sustenter, se vêtir, — car son gouvernement ne le nourrit ni ne l'habille, —il fut obligé de vendre à bas prix sesbœufs, ses quelques esclaves, en résumé, de se démunir de son bien. fond et son mécontentement sans borne. « Aujourd'hui, sa misère est sans Que le premier ministre ne s'avise pas, pour résistera nos justes prétentions, d'ouvrir une perspective de guerre nouvelle. Il serait la première victime de son aventureuse audace. Une révolution de palais le jetterait par terre, à supposer qu'elle se contentât de cela. Et d'ailleurs, les Hovas voudraient recommencer les hostilités qu'ils en seraient incapables. Ce qu'on est convenu d'appeler leur armée est dans un état pitoyable. Tout récemment un Français, en descendant de Tananarive, a rencontré quinze cents miramila, venant de Farafatrana.Rien n'était plus lamentable que l'aspect de cette troupe. Déguenillés, repoussants, hâves, couverts de vermine, tremblants de fièvre, les guerriers hovas se traînaient par les chemins, marchant à la file indienne, se suivant à la queue leu leu, s'arrêtant à chaque instant pour reprendre haleine, dévorant tout ce qui leur tombait sous la main. Parmi leurs officiers, on remarquait des enfants de quinze ans. La route qu'ils avaient suivie était jalonnée de Cette misère des Hovas est si grande qu'ils en sont arrivés à faire argent « de leurs rancunes. Je m'explique. Pendant l'occupation française, un grand nombre de Betsimisaraka s'étaient réfugiés à Tamatave et n'avaient.cessé de Àmboalambo nous être utiles. Ils croyaient que, cette fois, c'en était fini avec les et qu'ils pouvaient montreroù allaient leurs sympathies. Le calcul se trouva faux et, quand on leur annonça la paix, ils se dirent perdus. Si la ville avait. fait retour immédiat aux Hovas, l'affaire serait liquidée depuis longtemps. Les Betsimisaraka auraient payé de leur vie leur dévouement à la France sans oser dignise plaindre. En attendant, ils le payent de leur bourse. Certains grands taires d'Imérina les ont fait officieusement prévenirque, pour une certaine somme, ils peuvent racheter leur faute; que, suivant le prix qu'ils y mettront, l'absolution plénière leur sera octroyée et que tout sera oublié. Les pauvres noirs se séparentdes piastres qu'ils avaient amassées péniblement ànotre service. Et ils ne sont pas rassurés pour cela. Il yen a même qui volent afin d'acquitter leur rançon ou celle de leurs proches. Depuis un mois, nous en avons eu plusieurs exemples. « Notre présence retarde donc les représailles sanglantes des Hovas à Tamatave. Mais il n'en va pas de même dans la province de Vohémar, où ils ont liberté de manœuvre. Tous les jours des Sakalaves disparaissent comme par enchantement, des villages sont pillés sans pitié, des exactions sont exercées sansmesure. » Ce n'est pas seulement la campagne, les villages qui souffrent les villes, appauvries par l'état de guerre ont toutes les peines du monde à se relever et
morts.
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Tamatave elle-même, qui est l'agglomération la plus considérable de l'île, n'est point assurée de retrouver jamais sa prospérité d'autrefois. « La confiance n'est pas rentrée à Tamatave avec la paix et ne semble pas devoir y retourner de sitôt.LesHovasne sentent pas chez eux. L'affluence des premiers jours était attribuable à la curiosité. Cette curiosité satisfaite, il s'est établi entre les « ambanyvola » (la campagne) et la ville un courant régulier, mais faible, qui n'augmentera guère jusqu'à la fin de l'occupation. Certainement, il y a des vendeurs au bazar. Avant la guerre, il y en avait dix fois plus. De nombreux borozana (porteurs) circulent dans les rues de Tamatave. Il y a quatre ans, ils les encombraient. On ne voyait alors que convois d'hommes arrivant ou partant. Aujourd'hui, c'est rarement qu'on rencontre par-ci, par-là une troupe de cinquante à cent porteurs armés de longs et gros bambous, et allant prendre charge chez un traitant, ou quelques groupes cheminant plus ou moins allègrement sous le poids des peaux de bœuf liées par trois aux extrémités des bambous, lesquels reposent en équilibre par leur milieu, tantôt sur l'une, tantôt sur l'autre épaule des vigoureux Malgaches. Ah ! ces borozana, ils constituaient à eux seuls et constituent encore malgré tout, la vie et le mouvement à Tamatave. Quand ils ne sont pas occupés, ils passent leur temps dans lagrande rue dela ville. Ceuxci déambulent sans hâte, drapés dans des lambas crasseux de toile américaine et coiffés de chapeaux en paille, deforme particulière et qui ont cessé d'être blancs. Ceux-là s'accroupissent en bandes sous les varangues (vérandas) des magasins ou le long des clôtures des emplacements, se cherchent réciproquement leurvermine, grattent leurs jambes galeuses, hèlent le camarade qui passe, plaisantent, rient, mangent ou dorment. Avez-vous besoin de quatre porteurs de filanjana (palanquin malgache) Sur un signe, vingt accourent et vous n'avez que l'embarras du choix. Lieu de promenade, cuisine, réfectoire, atelier, la rue est tout cela pour eux pendant la journée. La nuit, elle leur sert de dortoir. Ils s'empilent, au coucher du soleil, sous les varangues, les auvents, les marches d'escalier, les moindres abris, s'enroulent et se recroquevillent dans leurs manteaux, dorment sans désemparer jusqu'à l'aurore prochaine et se retrouvent sur pied, le lendemain, frais et dispos, pour recommencer une journée semblable à la veille. l'œil, il repousse le nez. Ces tas de chair « Si ce spectacle nocturne attire humaine répandent aux environs des lieux où ils s'étalent l'odeur fade, pénétrante et caractéristique du nègre. Les jasmins de nuit et les orangers ont beau fleurer bon, — l'huile de noix de coco dont les naturels aiment tant à s'oindre, à se parfumer (?), noie tout dans sa senteur lourde et nauséabonde. laquelle la vie reprend « Voici, je crois, la principale raison de la lenteur avec Jusqu'en 1882, ce port était le centre commercial de la côte à Tamatave orientale. Les goélettes, les petits voiliers venaient y débarquer les produits recueillis sur tous les points du littoral, pendant que de l'intérieur arrivaient, à dos d'homme, les matières premières les plus diverses. C'étaient des cuirs, du caoutchouc, de la cire, du riz, du sucre, du café, etc. Une fois emmagasinées en
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quantité suffisante, ces marchandises étaient expédiées en Europe. En un mot, Tamatave était un véritable entrepôt. Pendant les hostilités, l'occupation militaire de cette ville en modifia les conditions d'existence. Bloquée du côté de la terre par les Hovas, elle se transforma en camp ou plutôt en cantonnement. « Du coup, le commerce s'arrêta net. On n'apporta plus à Tamatave que des munitions de bouche et de guerre pour les troupes; on n'y construisit plus que des baraquements. Il fallait pourtant que les productions malgaches trouvassent des débouchés. De leur côté, les Anglais et les Américains n'entendaient pas souffrir de la crispe et voulaient, au contraire, grâce à notre éviction temporaire du marché indigène, s'en rendre les maîtres exclusifs. Le Nord étant fréquemment visité par nos navires, à l'effet d'entretenir des communications entre les postes de Sainte-Marie, de Vohémar et de Diégo, le commerce se réfugia donc dans Je Sud, Mahanoro et Vatomandry en furent les principaux foyers. Cette dernière localité, en dépit de sa rade inhospitalière, fut la plus fréquentée. Elle s'agrandit avec une singulière rapidité. De village elle devint ville, si l'on ne considère que le développement acquis, et à l'heure actuelle, bien que ravagée par un récent incendie, elle a gardé son importance. Il y a pour cela plusieurs raisons. D'abord Vatomandry est à cinq jours de marche de Tananarive, tandis que Tamatave en est deux fois plus éloigné. En outre, les Hovas, presque tous ruinés ou tout au moins appauvris par la guerre et désireux conséquemment de bénéficier des droits de douane qui leur échappent à Tamatave, firent converger leurs produits vers Vatomandry. Les navires y furent ainsi attirés et n'en ont pas encore oublié la route. »
FÊTE MILITAIRE A TANANARIVE
Le mois de juin fut marqué à Tananarive par toute une série de solennités militaires, au moyen desquelles le premier ministre espérait sans doute, sinon reconquérir sa popularité perdue, du moins s'en faire une nouvelle parmi les
soldats. Le 3, c'était la fête des volontaires, réunis sur la place d'Andohalo, oùRainilaiarivony vint les passer en revue etles régaler, dela part de la reine, d'un discours ainsi conçu « Voici ce que je vous dis à vous tous volontaires, dit Ranavalomanjaka, je vous ai donné quelques jours de délai en disant « Venez tous sur la place d'Andohalo jeudi prochain », et parce que vous êtes venus et vous n'avez pas manqué ce jour fixé, je vous remercie. Vivez heureux, messieurs.
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Voici, en outre, ce que vous dit Ranavalomanjaka : « Hier, on vous a donné l'ordre de vous réunir auprès du palais aujourd'hui, : pour commencer votre instruction militaire; mais comme je viens d'apprendre que vos parents, partis de Tamatave, sont arrivés à Ankeramadinika, je vous laisse libres encore pendant quinze jours à partir de mardi prochain, pour que vous vous réjouissiez avec eux. Prenez-y garde, messieurs malheur à celui qui n'arriverait pas au jour dit. Je sais bien que personne ne manquera au rendez-vous, car vous êtes tous des volontaires zélés. Vous pouvez vous en aller, maintenant, «
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messieurs. » Ces messieurs s'en allèrent chacun chez eux, probablement pour laisser la place à d'autres, car les fameux vainqueurs de Farafatre arrivaient par bandes déguenillées et épuisées de fatigues et de privations qui ne les empêcha pas, le 10 juin, quand tousles soldats du camp furent réunis ou à peu près, de faire leur entrée solennelle à Tananàrive. dit un témoin ocu« Malgré les salves d'artillerie et les préparatifs officiels, laire, la cérémonie a manqué d'enthousiasme. Lareine avait envoyé deux 13e honneurs avec une escorte imposante et des musiciens au-devant des troupes. Celles-ci se sont massées devant le palais où le premier ministre s'est rendu en personne pour les féliciter. Andriantasy, 13e honneur,prit parole au « Après les salutations d'usage, nom de l'armée, vanta les vertus et le courage des officiers hovas, les soins qu'ils ont donnés aux soldats, rappela leurs hauts faits et proclama de nouveau le dévouement de l'armée à la reine et au premier ministre. Lorsqu'il eut terminé, le premier ministre adressa aux officiers ces quelques mots « Vraiment, Messieurs, je vais raconter tout cela à la reine et attendez là ses ordres. » Il retourna au palais et remit à Sa Majesté l'adresse de l'armée, libellée en ces termes jamais être malade, et que Dieu « Madame, jouissez d'une longue vie, sans vous protège! Nous vous remercions, reine, de ce que vous nous avez appelés les premiers à l'honneur d'entrer dans votre palais de Manjakamiadana, quoiqu'il y ait beaucoup d'autres soldats qui, comme nous, ont défendu la patrie. Jouissez d'une longue vie, d'une parfaite santé et vivez de longs jours avec votre peuple. » ,-'La reine sortit ensuite et vint prendre place sur la véranda du palais; le premier ministre prit alors la parole dire à tous, « Voici, messieurs, ce que Ranavalomanjakam'a chargé de vous officiers et soldats : « Merci, ma santé est très bonne, mais comment allez-vous, vous autres? Je vous souhaite la bienvenue, messieurs. » les paroles de Ranavalomanjaka « Vous êtes tous présents, « Voici en outre officiers et soldats que j'ai fait monter ici; vous avez bien défendu cette île, ainsi que me l'ont fait savoir Rainandriamampandry, Rainizanamanga, Andriantasy. Soldats, lanciers, docteurs, ambaniravenkaro, je connais votre valeur les efforts :
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faits pour défendre ce royaume. Je vous remercie, messieurs, vivez heureux, que Dieu vous protège » «Ainsi dit lareine. « Quant à moi, j'ai apporté à la reine vos paroles et vos promesses, ainsi que les pensées de Rainandriamampandry. « S'ils parlent ainsi, a-t-elle dit, je puis compter sur eux et je les remercie; vivez heureux et que Dieu vous protège. » « Ainsi dit la reine. « Voici encore les dernières paroles de Ranavalomanjaka notre maîtresse « V.ous êtes tous ici présents, 1er alakarabo, deuxième, troisième et quatrième, pavillons rouges, vieux soldats qui vous êtes engagés pour cinq ans de service. A cause de ce que vous avez fait pour défendre cette patrie, j'ai dû vous retenir pendant toute la guerre, en vous demandant la permission; mais rassurez-vous, j'ai déjà levé des volontaires pour vous remplacer. Je vous congédierai prochainement etvous convoqueraiun certain jourpourvous donner votre entière liberté. N'ai-je pas bien parlé, soldats « « Mais si, par malheur, vous ne vous rendiez pas à mon appel au jour que je vous indiquerai, vous resteriez soldats à perpétuité mais j'espère qu'il n'en sera pas ainsi et que vous viendrez tous au rendez-vous, soldats? « N'ai-je pas bien parlé, Rainandriamampandry m'a déjà écrit « Et vous aussi, lanciers, betsimisaraka, tout ce que vous avez fait, vous vous êtes conduits comme nos soldats; je vous remercie aussi., messieurs, vivez heureux, que Dieu vous protège. dans mon livre tous les noms de ceux qui ont bien com« Soldats, j'ai inscrit battu pour défendre cette patrie. actuellement tous arrivés ici en bonne santé; dans quinze jours « Vous êtes à partir d'aujourd'hui, tous ceux qui ne seront pas malades, je les invite à un grand dîner que je ferai préparer pour vous, car je veux me réjouir avec mon peuple. donne une somme de vingt-cinq sous à chacun, de la part « Enfin, je vous du peuple, des chrétiens, pour vous, officiers, soldats et lanciers. » la distribution et, après une salve de treize « Le premier ministre assista à coups de canon, la reine reçut les officiers, à partir du rang de septième honneur. réception, qui avait attiré une foule considérable « Tel est le récit de cette aux abords du palais. »
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Quant à celui de la journée du 24, nous le trouvons dans journal officieux, sinon officiel, de la cour de Tananarive.
laGazette malagasu,
Le jeudi 24 juin, dit-il, la reine donna un grand dîner dans sa campagne de Mabazoarivo, aux officiers, soldats et lanciers de l'armée de Tamatave. Toute la cour était là. Grâce au premier ministre, rien ne manqua à ce splendide festin. Une fois que tout fut prêt, l'armée entière défila devant Sa Majesté, assise sur «
son trône. Tout le monde prit sa place désignée autour des grandes tables remplies des mets les plus exquis. parole aunom de la reine « Le premier ministre prit la de vous; vous avez bien soutenu « Soldats, leur dit-il, Sa Majesté est contente l'honneur du drapeau malagasu, et, Dieu aidant, nous avons fini par avoir la paix, et la guerre est terminée. Sa Majesté est contente de vous, elle vous remercie infiniment, que Dieu vous ait toujours en sa garde ! de vous, soldats, aussi elle vous a préparé un grand « Sa Majesté est contente festin. » Andriantasy, 13e honneur, répond « heureux que Sa Majesté soit contente de nous nous n'a« Nous sommes très vons fait que notre devoir, et cependant Sa Majesté nous comble de remerciements; de plus elle daigne même nous donner un grand dîner. « Nous n'aurons jamais assez d'or ni d'argent pour reconnaître tant de bonté de sa part nous n'avons de mieux à faire que de lui jurer fidélité. Oui, vous pouvez compter sur vos braves, aimable reine, nous sommes à votre disposition. Vous plairait-ilde nous envoyer encore tout fatigués en expédition lointaine? Nous irions avec la plus grande joie, ce que nous confirmons par cette piastre d'hommage que nous rendons à Votre Majesté royale. » « Alors la reine prit la parole, et dit dormirai tran« Je vous remercie, soldats, je puis compter sur vous, je quille. » « Les officiers prenaient leur repas autour de deux longues tables, et les soldats étaient assis par terre, ayant autour d'eux leurs parents, qui prenaient part aussi au festin royal. « Sa Majesté parcourait les rangs, distribuant des gâteaux aux convives. Après le dîner, l'armée défila devant Sa Majesté, qui remettait à chacun un rôti de volaille, du gâteau et quelques fruits. Tout le monde était émerveillé de la largesse royale. « Le premier ministre prit la parole au nom de l'armée. Il remercia Sa Majesté d'avoir bien voulu se donner la peine d'assister en personne à ce dîner. Il lui jura fidélité et lui promit d'être toujours prêt aux ordres de Sa Majesté. « Sa Majesté remercia toute l'armée pour les serments de fidélité que le premier ministre venait de lui faire au nom de l'armée. « Le premier ministre promit à Sa Majesté qu'il se chargerait de tous ceux qui ne marcheront pas selon la loi et la justice. Il lui dit en outre qu'il a exécuté tous les ordres de Sa Majesté pour diriger la défense des côtes et pour maintenir le bon ordre dans l'intérieur du royaume. « Ce dîner a vraiment été royal. Tous les convives ont été rassasiés et ont reçu encore de quoi faire bombance chez eux le soir. « Le 25 juin, l'armée se trouvait de nouveau réunie dans le palais. Sa Majesté leur fit dire ces mots par l'organe du premier ministre :
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Soldats, on va vous débarrasser de vos armes, seulement vous reviendrez dans deux mois pour apprendre le jour de votre licenciement. Quiconque aura manqué à ce rendez-vous, restera soldat toute sa vie. » « Le premier ministre prit encore la parole Soldats, Sa Majesté est contente de vous, cependant elle est plus contente « encore de ceux d'entre vous qui ont pris part à la journée Sahamafy (Farafatre). Ceux-ci auront chacun une carte, contenant le résumé de cette mémorable journée, avec le cachet royal. » «
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Malgré l'enthousiasme du journal officiel, ce grand dîner, comme les autres fêtes qui l'avaient précédé, n'eut qu'un succès d'estime, et restreint en quelque sorte à ceux seulement qui y prirent part. Il est évident que les officiers, soldats et lanciers qui reçurent, le 10 juin, une gratification de vingt-cinq sous, et qui essayèrent de se donner une indigestion le 24, devaient être enchantés. Mais la population, qui payait sa part des gratifications et des victuailles, l'était infiniment moins. D'autant qu'il y avait un nuage, le ministre de France n'avait pas hissé son pavillon pour ces jours de fête, et les Malgaches, très préoccupés de cette réserve, craignaient qu'il n'existât entre les deux gouvernements quelques sujets de dis-
sentiment. Ces appréhensions n'étaient point fondées, pour le moment du moins, la réserve de M. le Myre de Vilers s'explique d'elle-même; il ne pouvait avoir l'air de prendre aucune part, même passive, à une fête, où l'on allait féliciter les soldats d'avoir bien défendu le territoire, et peut-être d'avoir vaincu les Français. D'un autre côté, notre ministre ne voulait pas prendre possession officielle de la résidence avant d'être complètement installé et d'avoir reçu les deux derniers convois de soldats de son escorte, qui devaient porter son effectif àtrentecinq ou quarante hommes. Peut-être aussi attendait-il le jour de notre fête nationale pour planter la crémaillère à la résidence toujours est-il que c'est le 14 juillet qu'il choisit pour montrer pour la première fois et avec un grand éclat, nos couleurs à Tananarive.
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Le 14 juillet, dit le correspondant du Temps, a été célébré avec une grande pompe. M. le Myre de Vilers avait choisi avec intention le jour de notre fête nationale pour hisser le pavillon sur l'hôtel de la résidence. d' « honneurs et sa musique pour « La reine avait envoyé une députation la légation était entièrement pavoisée et, quand le drapeau cette cérémonie français a été arboré, il a été salué par une salve de vingt etun coups de canon. Un lunch très brillant a été servi à l'issue de cette manifestation, dont vous comprendrez dans un moment l'importance politique. «
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Le soir, grand diner à la légation, auquel assistaient le premier ministre avec deux de ses fils et ses secrétaires, le ministre des affaires étrangères et son assesseur, le gouverneur de la côte Nord, l'évêque catholique de Madagascar, les consuls d'Angleterre et d'Italie, etc. Au dessert, des toasts ont été portés par le premier ministre d'une part, M. le résident général d'autre part, à l'union des deux pays, à la reine et au président de la République. Dans la soirée, musique de la reine, illuminations, feux de Bengale. Une foule énorme se pressait sur la place d'Andohalo et admirait ce spectacle nouveau pour elle. (Majunga) « La veille, à deux heures, les troupes de l'armée de la côte Ouest avaient fait leur rentrée à Tananarive. La réception a été des plus calmes et l'en«
Les dames de la cour se rendant à Mahazoarivo escortées des intendants.
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thousiasme de la population des plus modérés. Les troupes de l'Ouest, encore plus misérables que celles de Tamatave, ne sont que des bandes armées les officiers, avec leurs costumes bariolés empruntés à tous les pays, m'ont paru tout simplement grotesques. Quelle tenue! Pour vous en donner une idée, je me contenterai de vous dire qu'un des principaux chefs de cette armée, porté en « fitaétait en chaussettes il avait retiré ses souliers pour avoir frais aux con pieds. Les cavaliers, pour se protéger des ardeurs du soleil ou s'abriter des ondées, portaient des parapluies rouges, noirs, bleus, gorge de pigeon. Ah! la singulière troupe « A l'aller et au retour, les musiques royales ont joué la Marseillaise en passant sous la terrasse de la résidence. « A voir toutes ces manifestations extérieures, on croirait que l'accord le plus parfait règne entre le premier ministre etle résident général mais cet accord me
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parait plus apparent que réel, et il faudra beaucoup de fermeté et de prudence pour asseoir notre influence Tananarive. « Je présume que M. le Myre de Vilers a donné à la fête du 14 juillet un éclat exceptionnel et choisi ce jour pour hisser le pavillon, justement pour montrer au premier ministre que la France avait pris à Madagascar une position qui n'est celle d'aucune autre puissance. Comme je vous le dis plus haut, la légation a été pavoisée brillamment, couverte de drapeaux, de lampions, de lanternes, de feuillage, à la grande surprise des habitants. Cinq bœufs ont été immolés et distribués au peuple. Le champagne a coulé à flots. Les Hovas comprendront peutêtre que tout cela a été fait pour leur prouver que la fête de la République devait se célébrer avec éclat sur la terre malgache et que, dans l'avenir, les Hovas suivraient l'exempte des pays de protectorat pour y prendre une part active. »
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La fête produisit d'ailleurs un grand effet sur la population, le MadagascarTimes le constate en disant que tout s'était passé dans les meilleures conditions. Ce qui était vlai, sauf pourtant quant à l'attitude du consul anglais qui témoigna, un peu trop visiblement, son mécontentement en présence de l'importance que notre résident donnait à la fête. Peut-être regrettait-il que M. Willoughby n'y eût pas pris part. n'avait pas le don d'ubiquité, et Mais ce personnage avaitbeau être célèbre, ne pouvait être à la fois à Tananarive et à l'île Maurice,occupé à vendre les bœufs qui représentaient ses appointements de général. Il y était parti, le 26 juin, sur la Normandy, vapeur qu'il avait récemment fait acheter par le gouvernement hova et le premier élément de la future flotte de S. M. Ranavalo 111. Ses affaires faites avec les bouchers et marchands de bœufs de Maurice, il ne revint pas à Madagascar, et partit pour l'Europe, chargé d'une, peut-être même premier ministre. de plusieurs missions, par C'estce qu'on saura vraisemblablement quelque jour, mais ce qu'on ne sait pas encore aujourd'hui, et ce qui constitua les premiers points noirs surgissant à l'horizon de M. le Myre de Vilers.
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PREMIÈRES DIFFICULTÉS
Ce n'est pas exactement premières qu'il faudrait dire, car dès le lendemain de sa réception à Tananarive, le ministre de France s'était trouvé en désaccord avec premier ministre hova, qui prétendait que la lettre explicative de l'amiral de M. Patrimonio devait être une annexe du traité. Miot
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Mais ce différend n'avait pas duré devant la ferme attitude de M. le Myre, qui répondit avec raison que le traité ratifié par les Chambres engageait la France, tandis que la lettre, dont le gouvernement français n'avait pas reconnu la validité, ne pouvait engager que ses signataires. Rainilaiarivony céda, ou du moins parut céder, ce qui est sans importance
pour lui, car son système politique ne l'empêche point du tout de revenir sur les choses convenues, quand son intérêt le commande. A ce moment, sa situation très menacée par le ministre des affaires étrangères, presque son rival en influence, et alors plus populaire que lui, exigeait qu'il fût bien avec la France, il n'insista point pour cette fois, mais s'il paraissait désireux d'exécuter loyalement les clauses du traité, en réalité, il ne songeait qu'à l'éluder. Officiellement il n'y eut aucune brouille, aucune discussion même, avant le mois d'août, mais la lettre suivante, datée du 27 juillet, qu'a publiée l' Agence Havas, va nous montrer que tout n'allait pas aussi bien qu'on le disait. Si nous en croyons les bruits qui circulent parmi la population européenne de Tamatave, la situation, depuis le dernier courrier, semble devoir se compliquer. On ne trouverait point chez les Hovas toute la bonne volonté désirable pour arriver à l'exécution du traité de paix. Malgré la réserve avec laquelle il faut accueillir les nouvelles qui nous sont apportées soit de la capitale, soit des différents points de la côte, habités par les blancs et qui, souvent, arrivent très exagérées, il n'en subsiste pas moins que les difficultés s'amoncellent sans recevoir de solution. « Le fait le plus important est le contrat passé entre le premier ministre et M. Abraham Kingdom, missionnaire baptiste, qui débarqua ici au commencement de juin. Cet ancien prédicant, peu rempli, paraît-il, de bienveillance à notre égard, monta aussitôt à Tananarive. Peu de jours après, un entrefilet du Madagascar-Times nous apprenait qu'il était chargé d'une mission importante. « En effet, dans les derniers jours de juin, le bruit se répandit qu'un acte venait d'être signé par Rainilaiarivony, aux termes duquel les douanes, l'exploitation des mines, la frappe de la monnaie étaient abandonnées à une compagnie anglaise moyennant un prêt de 20 millions de francs. « .., En garantie de ce prêt, le premier ministre concède les revenus douaniers de tous les ports de la côte Est, moins Mahanoro. Des agents anglais seront placés près de chaque bureau pour contrôler les recettes. « Il accorde, en outre, l'exploitation de plusieurs mines d'or et d'argent, la frappe des monnaies que la reine se propose de mettre en circulation, enfin, la création d'une banque d'État, au capital de trente millions, émettant des billets au cours forcé et revêtus du timbre de l'État. « Telles sont, dans leur ensemble, les clauses de cette convention qu'on dit avoir été préparée depuis longtemps. En effet, M. Kingdom n'était point sans «
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connaître les difficultés financières avec lesquelles le royaume de Madagascar se trouvait aux prises et, de retour à Londres depuis plusieurs années, il aurait Contribué à la formation d'unsyndicat à la tête duquel se trouveraient quelques personnages importants. Le but de cette association serait de fournir de l'argent à Rainilaiarivony, en se faisant concéder toutes les sources de revenus de la grande île. Peut-être même, par l'intermédiairede l'ex-pasteur devenu agent d'affaires, des fonds ont-ils été fournis déjà au premier ministre, pour l'aider à supporter les dépenses nécessitées par la guerre et l'achat du vapeur Normandy. Il pourrait avoir pris dès ce moment des engagements qu'il vient de réaliser. Nul ne saurait se dissimuler que, s'il est exécuté, le contrat de Kingdom « aura des conséquences désastreuses pour notre influence. C'est à ce point qu'on se demande ce que nous viendrions faire dans la grande île. Nous entretiendrions un ministre plénipotentiaire et son personnel à Tananarive; ils ne pourraient faire un pas sans se heurter aux Anglais. Nous présiderionsaux relations extérieures d'un pays livré en entier aux étrangers. Que seraient-elles? Ce que nos voisins d'Outre-Manche voudraient bien les faire, et l'on peut compter qu'ils ne nous laisseraient pas beaucoup de travail à cet égard. L'article du traité de paix deviendrait une dérision. Pas de relations extérieures! Quant à l'administration intérieure, elle se réduirait à l'exercice de la police; c'est tout ce qui resterait au gouvernement d'Emyrne. Les Anglais étaient déjà les conseillers du palais, l'armée, la religion étaient entre leurs mains le contrat Kingdom y jetterait l'industrie et les finances. Nous n'aurions qu'à protéger les Etats de S. M. la reine contre toute attaque du dehors, et cela pour le plus grand bien des habitants du Royaume-Uni. Point de nouvelles de la délimitation de Diego-Suarez; il est vrai que « le moment'serait mal choisi pour soulever une question d'ordre secondaire, alors que tant d'autres plus importantes s'agitent. Mais, en revanche, noussavons que le vapeur Normandy, acheté par le gouvernement de Sa Majesté, a mouillé sur différents points de la côte Nord-Ouest et y a déposé des armes et des munitions. On prétend, en outre, qu'un corps de troupes hovas va être dirigé sur le fort d'Ambohimarina, situé à peu de distance de notre nouvel établissement maritime. qui habitent la côte nous font part des difficultés « Dans le Sud, les Français qu'ils éprouvent à rentrer en possession des immeubles et des terres qui leur appartenaient. Les Hovas semblent considérer l'indemnité de guerre comme une liquidation générale du passé et croire qu'ils sont dans leur droit ens'emparant de tout ce qui était lapropriété de nos nationaux! de tout cela? En nous reportant à certains passages du dis« Que conclure cours prononcé par le premier ministre à l'occasion d'un banquet offert aux troupes de Farafatre, où il a exaelté leur conduit danscette affaire, considéréa par les indigènes comme'une grande victoire, où la possibilité d'une seconde expédition a été envisagée, où, enfin, il est fait mention de l'exécution des
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Tananarive. — Cantonnement des soldats de l'escorte du résident général.
ordres de la reine relatifs à la défense des côtés, n'est-il point permis de penser que Rainilaiarivony n'est pas encore persuadé du maintien de la paix? « Le retard qu'il apporte dans le licenciement de l'armée ancienne, repoussé à deux mois, bien qu'une nouvelle soit en formation, n'aurait-il pas pour but d'attendre les événements? L'avenir nous l'apprendra. A Fanarantsoa, capitale de la province des Betsileos, les persécutions contre les chrétiens recommenceraient. On enlèverait violemment les enfants des écoles catholiques pour les obliger à suivre les cours méthodistes. Les Pères
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de Tamatave reçoivent des lettres de leurs collègues leur annonçant que la situation est de moins en moins supportable pour eux. » Les faits relatés dans cette correspondance n'étaient pas seulement des on-dit, tout était vrai, même la chose laplus importante, la concession Kingdom. Mais M. Le Myre de Vilers, veillait et s'il ne disait rien, c'est qu'il croyait de notre intérêt de ne rien dire encore. Pour adresser, en pareil cas, des remontrances qui aient quelque valeur, il faut être en mesure d'appuyer d'effets les menaces qu'on peut être amené à faire. Et M. Le Myre ne l'était pas, — il ne le sera jamais du reste, isolé comme il est, avec unepoignée d'hommes, dans une ville hostile de 80,000 habitants, mais à cette époque il n'avait pas même d'escorte. Voyez plutôt ce que dit le correspondant du Temps « Figurez-vous que la marine, au lieu d'envoyer à Tananarive des troupes en ganté et convenablement équipées, — il s'agit de 35 hommes, — n'a rien trouvé de mieux que de faire monter au plateau d'Emyrne des malingreux déjà éprouvés par un séjour prolongé sur la côte, incapables de faire deux kilomètres à
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Ces malheureux ont fait le voyage de Tamatave à Tananarive assis dans des ils « filanzanes » et pendant quinze jours ils ont grelotté sous une pluie battante n'avaient pas même d'imperméables « Aussi à l'arrivée tous ont attrapé la fièvre. Le résident général n'a pas de soldats pour le protéger, mais en revanche il a des malades à soigner. » Ce n'était vraiment pas le moment de poser un ultimatum. D'autre part, le silence, à peu près obligé, de M. Le Myre de Vilers gênait beaucoup plus le premier ministre hova — qui le croyait calculé — que les récriminations qu'il attendait et auxquelles il était prêt à répondre. pardesfins de non recevoir. La réserve de notre résident l'inquiétait fort; à cette époque du reste, tout l'inquiétait, et il faut convenir que sa situation était loin d'être facile, car par suite de la guerre, dela paix, et surtout de l'indemnité à payer, tout pour lui était devenu ennemi, même les méthodistes, qu'on appelle là-bas les indépendants, dont il avait secoué le joug depuis quelques années déjà. C'est du moins ce qui ressort d'une lettre particulière dont nous extrayons quelques passages persuadé, dit ce correspondant, que le premier ministre ne se laisse « Soyez dominer par personne. Il se sert de la « London Missionary Society mais il ne la sert pas. Il a vu dans le christianisme un moyen d'affirmer son autorité et de se soustraire aux exigences des sikidy, prêtres païens, et a créé à son profit une Église nationale. Les catholiques et les anglicans, s'étant refusés à accepter les vues du premier ministre et à servir ses intérêts, ont été laissés de côté et «
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parfois entravés dans leur apostolat; les indépendants, plus souples et moins scrupuleux, ont, au contraire, prêté leur appui à la fondation de la religion nouvelle, espérant en conserver la haute direction. Leur espoir a été déçu. Aujourd'hui que leur concours n'est plus indispensable, le gouvernement les abandonne à eux-mêmes; ils ne sont que tolérés dans les temples malgaches. Rainilaiarivony, qui réunit entre ses mains les pouvoirs religieux et poli« tiques, a soumis la population à sa tyrannie, et sa nombreuse famille commet des exactions de tout genre; aussi est-il généralement détesté; la haine est encore plus grande que la crainte. A la moindre défaillance, lui et les siens seraient massacrés. Personne ne peut prévoir combien durera un pareil régime, qui de jour en jour devient plus vexatoire. Les fils, petits-fils, gendres, petits-gendres, cousins et alliés du premier ministre semblent s'ingénier à se rendre insupportables à leurs compatriotes. la France, et malgré ses succès relatifs, le premier « Depuis la guerre avec ministre a beaucoup perdu de son autorité. La mortalité dans les troupes hovas employées à la côte dépasse le chiffre de 20,000 hommes, proportion énorme pour une population qui n'atteint pas 800,000 âmes. Toutes les familles sont en deuil. Et maintenant que la paix est faite, il faut payer .une indemnité de 10 millions de francs, charge très lourde pour un pays où la journée de travail d'un homme ne coûte que 25 centimes, y compris la nourriture, où le crédit n'existe pas et où l'intérêt légal est de 2 0/0 par mois. « En apparence, la soumission est complète; en réalité, pour ceux qui comme moi ont longtemps habité Tananarive, la conspiration est à 1état latent; elle réussira certainement si un homme d'énergie en prend la direction. Le personnage leplus en vue est le ministre des affaires étrangères. Il est riche et populaire; cousin germain de Rainilaiarivony, il ne lui pardonne pas d'avoir été écarté du pouvoir et d'être sacrifié à Mariavel, un des fils du premier ministre, que son père désigné pour son successeur, malgré des engagements antérieurs. »
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Le correspondant du Tempsne partage pas tout à fait cette opinion, parce qu'il croit plus à la puissance et surtout à la valeur de Rainilaiarivony. « Le premier ministre, dit-il, n'est pas, comme on est tenté de le croire, un individu de médiocre importance et de menue valeur. Il faut compter avec lui, et M. Le Myre de Vilers a dû s'en apercevoir. C'est un diplomate d'une finesse sans égale, doué d'un esprit très ouvert, et, s'il avait pu vivre quelque temps en Europe, il se serait dégagé certainement de la masse confuse de préjugés qui l'enveloppent, l'enserrent et paralysent ses instincts. Les Hovas le détestent, mais subissent son ascendant, — et c'est une gloire pour lui d'avoir su se diriger à travers les inextricables difficultés de ces trois dernières années. « 11 a, dit-on. dans Ravoninahitriniàrivo, le ministre actuel des affaire étrangères, un rival affamé de pouvoir et friand de popularité. Ravoninahitriniarivoa beau être acclamé par la foule lorsqu'il parcourt Tananarive, il a beau recruter
des partisans jusque chez les Vazaha (blancs), il a beau faire de la propagande sous le manteau, ouplutôt sous le lamba, Ravoninahitriniarivo ne vaudra jamais son oncle Rainilaiarivony. Il y a, entre eux, la différence d'un homme d'Etat à un sous-chef de bureau. D'ailleurs, je lui conseille de ne pas trop se remuer; il pourrait lui en cuire. » En effet, le premier ministre n'est pas endurant, et comme il est le maître, en somme, il n'hésite pas du tout à supprimer tout ce qui le gêne, il en donne les preuves tous les jours. C'est ainsi que dans les premières semaines d'août, on compta, parmi les personnages de marque, deuxoutrois morts violentes, qui nesesont certainement pas produites par l'opération du Saint-Esprit. Ce fut d'abord le docteur Andriana, mari d'une sœur de la reine, mais qui s'en était séparé à cause de ses dérèglements presque publics il paraît qu'il s'occupait un peu trop des affaires de l'État premier ministre; le poison l'en débarrassa. et portait ombrage Ce fut ensuite, et pour la même cause, le prince Rosata, neveu deRadama Ier, qui n'avait jamais cessé de revendiquer ses droits à la couronne et avait été le compétiteur évincé des trois dernières reines, et pour cela, presque toujours exilé. Rainilaiarivony le fit revenir.pour l'empoisonner c'était plus sûr. La suppression de Rainizatindandy, commandant en chef de l'armée de Majunga, n'eut peut-être pas tout à fait les mêmes causes, ou du moins la même urgence, mais elle fut aussi brutale; du reste la responsabilité du premier ministre était à couvert, car il le fit inhumer avec pompe, le jour même où l'on annonçait la mort du prince Rosata, ce qui permit au ministre de pouvoir dire, comme Titus, qu'il n'avait pas perdu sa journée. Comme on le voit, le Machiavel hova est bien plus fort que le Machiavel italien; il ne se contente pas de diviser pour régner, il supprime. Et il a raison dans sa logique, ce sauvage, la soustraction est bien plus radicale que la division, il n'y a que les morts qui ne reviennent pas.
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LA
CRISE
Soit que notre résident général eût attendu des instructions de France, soit qu'il n'eût pas jugé utile de se montrer plus tôt, ce n'est que vers la fin d'août que la crise éclata, encore n'arriva-t-elle à l'état aigu que dans le courant de septembre.
C'est du reste par un incident tout à fait étranger à la politique que commença latension des rapports entre M. Le My.re de Vilers et le gouvernement hova. Cet incident est raconté dans la lettre suivante, datée du 27 août, et qui nous donnera en même temps un résumé dela situation à cette époque « Tout va mal à Tananarive. On fait courir le bruit que le résident général a reçu l'ordre de lancer un ultimatum en tous cas, il attend incessamment des ordres de Paris par le Vandreuil qui est allé les prendre à Zanzibar. La situation faite par le traité Miotn'est pas tenable pour la dignité de la France. Les Hovas, devant nos actes de faiblesse, s'enhardissent tous les jours et il y a à peine quatre mois que le résident général est à Tananarive qu'on commence déjà à lui jouer des tours qui frisent l'insulte. dernièrement, le résident général avait fait venir dans la cour de la « Tout résidence, des musiciens indigènes et des danseurs et s'amusait fort, paraît-il, ainsi que ses convives, de leur musique étrange et des pas pittoresques des danseurs. Un quart d'heure à peine s'était écoulé quand on vit deux ombres chinoises qui n'étaient autres que deux aides de camp de M. Mariavelo Rainilaiarivony, ministre de la guerre, entrer dans la cour et parler aux musiciens et danseurs. C'était un ordre de quitter la résidence immédiatement et de se rendre chez Rainilaiarivony. Le résident général porta plainte au premier ministre, qui mit immédiatement aux fers un esclave, en guise de réparation Quant à Mariavelo Rainilaiarivony, fils chéri du premier ministre, il continua à se promener'. Lepremier ministre hova et le résident général ne peuvent s'entendre sur « trois ou quatre points principaux de ce traité qui n'arrange rien. « MM. Miot et Patrimonio ont eu la simplicité d'admettre que le texte hova ferait foi tout comme le texte français Pour comble de naïveté, ils ont confié la traduction du traité à un officier hova, sans le faire contrôler par un interprète français. L'officier hova en a profité pour atténuer le plus possible la portée et le sens des mots français trop significatifs. Aussi le premier ministre hova tient à son texte et ne veut pas admettre le texte français, qui dit à peu près le contraire! Là-dessusest venu se greffer le corollaire inconcevable de MM. Miot et Patrimonio, qui réduisait le traité à néant, dans ses avantages plus que problématiques. M. de Freycinet a désavoué ce corollaire, mais le ministre hova dit,
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pendant laguerre était chef d'une bande de voleurs dontla spécialité étail de piller les maisons des Hovas qui étaient à l'armée, est un type curieux, mais peu rassurant. Il est la terreur de Tananarive; à peu près toujours ivre, il parcourt les rues de la ville suivi d'une bande d'esclaves et bouscule les passants, sans s'inquiéter de leur âge ou de leur sexe. C'est-à-dire si, il s'inquiète du sexe, car il est débauché au delà de toute expression. Toute femme qui lui plaît doit être à lui, sinon il la fait battre par ses esclaves, quand il ne la frappe pas lui-même il en est même à qui il a fait couper les oreilles quelquefois il s'amuse à faire chasser les récalcitrantes par ses chiens, appuyés de ses officiers, et cela sur la place même 1. Ce Mariavelo, qui
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d'Andoholo.
Et c'est ce monsieur-là qui est désigné, reconnu, pour succéder au premier ministre 1 Cela promet pour l'avenir
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avec raison, qu'il porte aussi bien que le traité les signatures de nos deux diplomates (?). Aussi réclame-t-il vivement la délimitation de Diégo Suarez; on fait la sourde oreille, mais il tient bon et ne cède pas sur les autres points. « Le ministre hova ne veut pas que le résident général préside les affaires étrangères hova, le ministère est composé comme par le passé de ses anciens titulaires. Ravoninahitriniarivo et deux sous-secrétaires d'État. On maintient comme consuls à Londres M. Procter et à Maurice M. Lemière et de plus, sans informer le résident général, on envoie en mission en Europe le général anglohova Willoughby, porteur de paroles à diverses cours et de présents à M. Grévy; voilà comme l'article premier est observé! « Sur 4,500 ou 2,000 Français fixés autrefois dans l'île, pas dix ont pu rentrer dans leurs anciennes demeures, les Hovas s'y opposant formellement, disant qu'en payant l'indemnité ils entendaientrachéter droits de ces Français sur leurs terres. «Le résident général est complètement impuissant et ne peut aplanir cette difficulté; depuis deux mois, aucune solution n'est survenue encore. On a livré aux Anglais les finances du pays, les douanes, tout cequ'il y « avait de bon à prendre! On leur donne des concessions tous les jours, même dans l'Imerina Etceux qui sont chargés de nous protéger laissentretirer à leurs compatriotes, même ce qu'ils possédaient. »
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Tout cela n'était que trop vrai. Et un autre correspondant celui du Temps, nous dit
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Des faits très significatifs se produisent sur tous les points où sont établis des Français. Lorsqu'un traitant, autrefois expulsé, se présente pour reprendre possession de ses biens, il voit surgir devant lui un officier hova qui lui déclare tranquillement que rien ne lui appartient plus. « N'aurez-vous pas votre part des dix millions que la France a exigés de nous? Au moyen de cette somme, nous rachetons vos prétendus droits généraux et vos propriétés particulières. Ne pensez donc plus à recouvrer celles-ci ni à exercer ceux-là. La terre malgache est à la reine, rien qu'à la reine. Personne ne peut en revendiquer une parcelle, pas même la surface que couvrirait un grain de riz. » Et cela se débite couramment à Vohémar, à Fénérive, à Mahanoro, à Vatomandry, Les lettres que j'ai reçues de ces divers endroits m'en fourà Mananjary, nissent le témoignage. Les Hovas obéissent à une conseigne, à un mot d'ordre, il n'en faut pas douter. Mais comme, en pareille matière, il serait malhabile de procéder radicalement, on dit à celui-ci « Si vous voulez rentrer dans votre ancienne demeure, ilest nécessaire de vous engager par un « taratasy » (lettre) à la quitter sur la moindre invitation de la reine. » A celui-là « Vous n'aurez la jouissance temporaire et relative de ce qui fut votre propriété que si vous consentez à nous en payer le loyer. » A cet autre, marié à une Malgache, on insinue: «
etc.
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Reconnaissez votre femme comme seule propriétaire de ce qui vous a appartenu et il vous sera loisible d'occuper votre maison devenue sienne. » rendons-leur cette justice, ne se font pas illusion sur la valeur « Les Hovas, de leurs prétentions. Ils savent aussi bien que personne que l'indemnité doit servir à payer « les dommages causés par le fait du conflit survenu entre la France et le gouvernement d'Imérina — ce sont les propres termes du traité — et rien de plus. Mais c'est le fond de leur nature que d'user intrépidement d'effronterie. Dans le cas présent, ils cherchent simplement à lancer un ballon d'essai, sans qu'ils croient pour cela qu'il montera bien haut. Soyez sûr qu'il suffira que M. LeMyre de Vilers, dûment averti, intervienne pour que cette comédie cesse aussitôt. » «
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Le résident général intervint, mais si tard que la comédie n'eut pas besoin de cesser; presque tous nos nationaux, pressés de rentrer à peu près dans leurs biens, avaient déjà transigé d'une façon ou de l'autre avec les autorités locales. La question capitale paraissait d'ailleurs être celle de la banque et celle de l'emprunt qui n'en font qu'une du reste, car les deux sont connexes, et le premier ministre ne songeait à laisser créer une banque que pour lui emprunter assez d'argent pour nous payer l'indemnité de guerre qui nous obligeait à évacuer Tamatave, et pour se préparer àune nouvelle guerre au cas très probable où nous ne nous déclarerions pas contents et satisfaits après que notre résident aurait été chassé de Tananarive et peut-être assassiné, lui et les siens, s'il ne s'en allait pas de bonne grâce.
C'était donc cela qu'il fallait surtout empêcher. Et c'est à cet effet que M. Le Myre deVilers, qui ne voulait rien brusquer, mit sous les yeux de Rainilaiarivony la note que le gouvernement français avait fait insérer dans les pricipaux journaux anglais, au moment où Willoughby cherchaitde son côté à contracter un emprunt en Angleterre. Cette note était ainsi conçue : D'après des bruits récemment mis en circulation, des négociations seraient ouvertes à Londres en vue de la conclusion d'un emprunt pour le compte du gouvernement hova. Les conditions de cet emprunt constitueraient une atteinte incontestable au traité conclu le 17 décembre 1885, entre la reine de Madagascar et la République française et qui a été régulièrement notifié aux puissances. « En conséquence, le gouvernement françaistient à faire savoir qu'il ne reconnaîtra pas, le cas échéant, la validité de tels arrangements conclus en dehors de lui, et il formule les plus expresses réserves quant aux conséquences qui pourraient en résulter pour les intéressés. » «
Cette note toucha très peu le premier ministre hova. mais elle avait produit son effet en Angleterre et elle ne devait pas manquer de le produire sur le
syndicat Kingdon, quand cette société financière saurait que la France avait déclaré qu'elle ne laisserait pas donner les douanes en garantie. Aussi M. Le Myre de Vilers n'insista pas: il savait du reste que Rainilaiarivony serait obligé d'y regarder à deux fois, s'il s'agissait d'aliéner le revenu des douanes. Il est à peu près certain, en effet, que la concession des douanes aux Anglais provoquerait une véritable révolution contre le premier ministre car si les douanes ne rapportent rien ou très peu de chose à l'État, ce sont elles qui font vivre les officiers de tout grade, qui n'ont pas d'autre solde et qui sont habitués depuis un temps imémorial à en tirer le meilleur parti possible, au milieu de fraudes, de rapines, de concussions qui sont aussi nécessaires à leur tempérament que le riz à leur estomac. Leur retirer tout cela à la fois serait évidemment leur mettre les armes à la
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main..
Cette perspective devait faire réfléchir le premier ministre bien plus que le mécontentement de Willoughby, qui étantparti pour essayer, deson côté, de contracter un emprunt sur lequel il devait avoir une grosse commission, trouvait très mauvais d'être privé de son courtage par la combinaison Kingdon, et qui ne '7 se gênait pas pour le faire voir. Mais cela inquiétait fort peu Rainilaiarivony, qui exècre Willoughby et ne serait pas fâché d'en être débarrassé. monde à Cet aventurier d'ailleurs trouvé moyen de mécontenter tout Madagascar par ses brutalités, par une hauteur véritablement excessive envers des gens, qui sont si l'on veut des sauvages,mais qu'il s'est engagé à servir, et qui le payent audelà de ses mérites. Bref, M.Le Myré de Vilersparla, et il faut croire qu'il s'exprima comme il fallait, car il y eut crise. Le 31 août les relations étaient à l'état aigu, et le 4 septembre le MadagascarTimes publiait un article de fond évidemmentinspiré par Rainilaiarivony, où il était dit ceci
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Diégo-Suarez, avec un certain nombre de milles de terrain environnants, a été cédé en cadeau à la France pour servir ses projets stratégiques vis-à-visdu monde extérieur. On lui a concédé' loyalement ce qui lui est suffisant pour en faire un Gibraltar; mais, si c'est pour des vues stratégiques se rattachant à Madagascar et aux Sakalaves, nous voyons des troubles à l'horizon. Les inquiétudes actuelles des Hovas se portent de ce côté, et il faudra le plusgrand tact de la part des représentants des deux nations pour ne pas provoquer une rupture dont, du moins en ce qui concerne la France, nous pouvons dire que le « jeu n'en vaut traité restera comme une pas la chandelle — On verra ainsi que l'annexe au espèce d'épée de Damoclès dominant toutes les futures relations entre la France et Madagascar. Car, quoi qu'on puisse dire en France dans le sens contraire et «
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-Les anciens palais.
'fauiluarive,
si vivement qu'on prétende l'ignorer ou qu'on la désavoue, il est un fait indubitable, c'est que le premier ministre n'a jamais abandonné ni n'abandonnera jamais les stipulations qu'elle contient. » Malgré cette déclaration positive, Rainilaiarivony parut accepter et comprendre les explications du ministre de France, puisque trois jours après la crise avait cessé. On s'entendait M. Le Myre de Vilers avait démontré au premier ministre que l'emprunt Kingdon ne pouvait pas réussir parce qu'il se trouvait sans garantie, mais que si par impossible il réussissait. la France n'évacuerait point Tamatave après le payement des dix millions convenus, fait avec de l'argent provenant de cet emprunt. Pour la question Diégo-Suarez, notre résident expliqua au premier ministre pourquoi le commandant Caillet avait envoyé une vingtaine d'hommes occuper la hauteur de Medgindgarivo qui domine les chemins menant d'Ambohimariva à Antsirane; c'est que cette position était indispensable à la sécurité de notre établissement, où nos soldats ne devaient pas être prisonniers desHovas. M. Le Myre fit comprendre à Rainilaiarivony que le gouvernement hova n'avait nul besoin de fortifications de ce côté; puisque c'est nous qui étions chargés de le protéger et de le défendre contre les agressions étrangères, c'était à nous de nous établir solidement et non aux Hovas, autrement leurs canons se trouveraient dirigés contre nous, ce qui serait un non-sens vis-à-vis du traitéqui nous donne charge et droits de protecteur. Bref, tous les nuages disparurent successivement; fin septembre il n'yen avait plus. Il est vrai que nous y mettions beaucoup du nôtre et que nous apportions dans nos rapports avecles Hovas, non seulement de la bonne volonté, mais encore une complaisance exemplaire. Le correspondant du Temps va nous en donner une idée en racontant l'embarquement à Tamatave, sur nos navires, des troupes hovas se rendant à leurs garnisons du Nord.
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Le 16 septembre dernier, dit-il, une vingtaine d'officiers accompagnés de leurs familles et d'une nombreuse clientèle, montèrent à bord de la Romanche, aviso-transport de la marine de l'État, à destination de Vohémar et de DiégoSuarez. Sur le nombre, douze officiers furent admis au carré. Le reste fut bien traité, et tout cela aux frais de la République. plus de cent cinquante soldats prenaient passage, à prix a Deux jours après considérablementréduit, sur le paquebot des compagnies maritimes YErymanthe. semblons-nous pas procurer à nos ennemis des ver« En la circonstance, ne ges pour nous fouetter? Nous n'en sommes pas, il est vrai, à cela près. service est d'une importance signalée. Pour aller de « Et remarquez que le «
Tamatave à Diégo, il faut trois mois à des soldats en troupes. Par bateau, ils y seront rendus en moins de quatre jours. de fusils, et l'on pourrait croire « Ils n'ont pas emporté avec eux beaucoup par ce détail qu'on n'avait pas affaire à de vrais miramila. Détrompez-vous. Des armes les attendent à Vohémar et à Diégo. Les Hovas n'en ont-ils pas reçuune pleine cargaison il y a deux mois, et l'Anglais Shervington, le lieutenant de Willoughby, n'en a-t-il pas opéré le débarquement, non loin de Diégo, sous notre nez et à notre barbe ? de notre naïve générosité, a été le spec« Ce qui m'a consolé, sur le moment, tacle de l'embarquement des braves Amboalambo, comme disent les autres Malgaches. «Beaucoup d'entre eux n'avaient pas encore vu la mer. Leur première impression ne fut pas de Fétonnement, mais une sorte de crainte superstitieuse. Dès le matin, alors que le départ était fixé pour le soir, tous étaient rassemblés sur la plage en un tas confus. Pressés les uns contre les autres comme les bêtes d'un troupeau, les femmes, les enfants, les miramila, les esclaves, se tenaient assis sur leurs mollets ou sur leurs bagages et ne bougeaient pas plus que des termes. Seuls, les manamboninanitra allaient etvenaient avec des airs importants pour faire reluire aux yeux des Vazaha (blancs) leurs costumes extravagants. l'autre se pava« L'un se carrait dans un habit de laquais largement galonné nait sous la défroque de quelque chambellan de Gérolstein. Un troisième avait revêtu une casaque qui ne lui venait pas à la taille, son voisin portait une redingote qui lui descendait jusqu'aux talons. J'en ai vu un tout de jaune habillé. Était-ce pour bien signifier qu'il était de la race de cette couleur? Je vous laisse à penser les faciles plaisanteries dont il fut l'objet. Beaucoup avaientendossé la veste rouge des soldats anglais et ressemblaient à des palefreniers de grande maison. Celui-ci était sanglé dans une tunique d'officier d'infanterie de marine, eelui-là comme ankylosé dans celle d'un collégien aux manches trop courtes. Le plus remarquable, à mon avis, avait un pantalon rouge de troupier français, un veston prussien à gros boutons et un chapeau de commodore anglais. Voilà du cosmopolitisme, ou je ne m'y connais pas. La plupart étaient coiffés de bicornes empanachés comme les feutres des membres du Directoire et semblables à ceux des amiraux, des généraux, des diplomates et des commissaires de police. Des bérets couvraient les têtes de quelques-uns des calottes ornaient les chefs d'un petit nombre. L'un d'eux, je le jure, s'était enfoncé jusqu'aux oreilles la casquette du père Bugeaud, autrement dit le casque du roi d'Yvetot. En résumé, il y en avait pour tous les goûts, on aurait dit une descente de la.Courtille. C'était à croire qu'un fripier des Batignolles avait passé par là, un lendemain de Micarême. Ces accoutrements n'avaient pas de noms dans l'histoire du vêtement. « L embarquement ne fut pas moins curieux. Les pauvres gens ne se doutaient guère de ce qu'était un navire, ils se croyaient perdus. Tout d'abord, ils
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s'étaient entassés, pêle-mêle, avec un effarement enfantin, dans le chaland qui devait les transporter à bord; sur la Romanche, ils se ramassèrent dans un coin et n'osèrent plus bouger ; la mer heureusement était clémente, mais qu'a dû être la traversée ? « Par ces faits caractéristiques, on peut juger de l'épaisseur du fonds d'ignorance et de sauvagerie des Hovas. Néanmoins, je le reconnais sanspeine, ils ont, depuis trois ans, marché à grands pas dans la voie du progrès et semblent disposés à en faire de plus grands encore. « Chose au moins miraculeuse et qui dépasse mon entendement, le premier ministre a concédé à M. Maigrot, consul d'Italie, une large bande de terrain, tout le long de la côte Est, pour y relier, à l'aide d'un chemin de fer, les points importapts entre Fenoarivo au nord et Matitanana au sud. La construction et l'exploitation de la ligne seront dirigées par une compagniefrançaise—condition sine qua non et M. Maigrot est allé en Europe réunir des adhésions et des capitaux. « Quand on est sur la pente du progrès, on la descend malgré soi. Par un effort de bonne volonté aussi étonnant que louable, Rainilaiarivony a autorisé l'établissement, à notre profit, d'un télégraphe de Tananarive. Grâces soient rendues à M. Le Myre de Vilers ! » Sans doute c'était quelque chose, et cette ligne une fois établie (on y travaille déjà), rendra de grands services; mais ce qu'il faudrait encore, c'est une bonne route suivant cette ligne télégraphique car le jour où il y aura un chemin de Tamatave à Tananarive, nous ferons ce que nous voudrons à Madagascar. Les Hovas le savent bien, et c'est pour cela que Rainilaiarivony n'en permettra jamais la construction; avec une route, c'est M. Le Myre de Vilers qui est le maître à Tananarive, tandis que dans l'état actuel ce n'est qu'un otage. Et il faut à notre résident toute son énergie, toute sa bravoure, pour ne pas être parfois frappé des dangers de sa situation, mais il a une telle confiance dans sa valeur personnelle et dans la supériorité de notre race, qu'il ne craint rien des Hovas.
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LA
SITUATION ACTUELLE
Bien que l'ère des difficultés fût close à Tananarive, on n'étaitpas encore sans inquiétudes à Tamatave, où les Anglais faisaient courir les bruits les plus ,
alarmants. De semaine en semaine on annonçait que le résident général était sur lepoint de quitter la capitale, et ces nouvelles arrivaient jusqu'en France, en passant par l'Angleterre, où les envoyait le correspondant du Standard, agent des méthodistes, et par conséquent un de nos adversaires les plus acharnés.
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Le 18 septembre il télégraphiait à son journal
Le parti français à Tamatave prétend que le différend entre le résident général à Tananarive et le gouvernement hova a été arrangé. soumis « D'après ce qu'il raconte, le premier ministre se serait complètement aux exigences formulées dans l'ultimatum de M. Le Myre de Vilers. « Je n'hésite pas à dire que cela ne peut être. eu arrangement, ce ne peut être que les Français qui ont cédé. » « S'il y «
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Ce n'était pas la vérité, puisque M. Le Myre de Vilers avait eu satisfaction sur tous les points en discussion la convention relative à la fameuse banque anglo-royale de Madagascar allait être annulée et refaite au profit de nos nationaux nos possessions de la baie de Diégo-Suarez ne seraient pas limitées comme le disait la lettre si malencontreuse de MM. Patrimonio et Miot, mais dans les conditions convenables qu'-avait demandées le résident général. Il ne lui restait qu'une chose à obtenir, la mise en possession du ministère des affaires étrangères de Madagascar, mais cette question faillit tout brouiller à nouveau, car ni la reine, ni Rainilàiarivony n'entendaient admettre M. Le Myre de Vilers dans le conseil, et s'ils ne le lui disaient pas, du moins faisaient-ils l'im-
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possible pour éviter qu'on en parlât. Mais le ministre de France n'était point résolu au silence; de là une nouvelle crise, qui cessa tout à coup comme elles ont tontes cessé du reste, au moment du passage du paquebot allant en France. Ce revirement, qui se produit périodiquement en notre faveur, dans l'attitude du premier ministre, est calculé de façon à empêcher M. Le Myre de Vilers de proposer à Paris quelque mesure coercitive car le vapeur n'est pas plutôt parti, que Rainilaiarivony reprend ses opinions premières, pour les perdre à nouveau quand le moment est venu de nous berner. Ses concessions n'étaient d'ailleurs qu'apparentes et dans son système diplomatique, il avait pu céder à M. Le Myre de Vilers sans pour cela cesser de protester. On va le voir par la longue lettre qu'il adressa à notre ministre des affaires étrangères, tant pour se plaindre du résident général que pour élever des réclamations au sujet de la lettre de nos plénipotentiaires, qu'il persiste à considérer comme une annexe du traité. Nous reproduisons ce document in extenso.
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A Son Excellence M. de
«
Freycinet, ministre des affaires étrangères, président du conseil,Paris.
Votre Excellence.
J'ai l'honneur de porter à votre connaissance les faits authentiques suivants concernant les relations qui existent entre nous et M. Le Myre de Vilers, votre «
envoyé.
Le 31 août dernier, S. Exe. M. Le Myre de Vilers a eu une entrevue avec moi, et voici en résumé ce qu'il m'a dit la publicité donnée à la lettre explicative concernant le « Premièrement traité du 17 décembre 1885, écrite par les plénipotentiaires l'amiral Miot et M. Patrimonio, n'a plus actuellement aucune valeur; elle est, en conséquence, considérée par le gouvernement français comme nulle et non avenue. l'emprunt contracté par nous avec une maison de banque « Secondement afin de payer l'indemnité n'est pas accepté par la France, et, même dans le cas où quelqu'un serait assez malavisé pour vouloir bien avancer de l'argent, dans le cas aussi où nous serions disposés à employer cet argent pour payer l'indemnité, son gouvernement ne l'accepterait pas, Tamatave ne sera pas, par suite, évacué, et les Français recevront l'ordre de ne pas payer les droits de douane aux agents d'une banque anglaise. en cequi regarde le territoire entourant la baie de Diégo« Troisièmement Suarez, il dit que la limite maximum qu'il pourrait demander est la chaîne de montagnes qui enferme la baie, et, comme argument, il fit usage des termes mêmes du traité, « d'installations qui puissent lui convenir dans la baie», et qu'il ne voulait pas consentir à accepter le mille et demi indiqué et que ce qu'il réclame c'est une étendue d'environ huit milles au sud. quant à la mission du général Digby Willoughby en « Quatrièmement Europe, il dit qu'il n'y avait pas de raison pour motiver une pareille mission, et cela en vertu de l'article 1er du traité. lime dit ensuite que legénéral Willoughby devrait être rappelé ou bien qu'on devrait lui retirer ses pouvoirs. « Je répondis alors que les négociations du traité, qui avaient été déclarées « Premièrement sujettes à ratification, avaient eu lieu à Tamatave et que, à l'occasion du voyage que fit notre ministre plénipotentiaire à la capitale pour me soumettre ce traité, je lui avais fait observer que certaines clauses dudit traité étaient trop complexes, qu'il était nécessaire de les expliquer, sans quoi elles ne sauraient être acceptées. Je rédigeai alors une note explicative que j'envoyai à notre plénipotentiaire à Tamatave, en lui recommandant formellement que s'il n'obtenait pas une lettre explicative de cette nature nous n'accepterions jamais le traité. Les plénipotentiaires français acceptèrent et firent parvenir une lettre au général Willoughby, lettre que nous appelons « appendice au traité Le seul fait de l'envoi de cette lettre décida mon gouvernement à accepter le traité et à le faire ratifier par S. M. la reine de Madagascar. le traité et la lettre avaient une « Je lui déclarai, en outre, que, à notre sens, valeur égale. désapprouvait ce que les plénipotentiaires « En conséquence, jeluidisque s'il avaient fait, nous devrions savoir à qui recourir au sujet des questions que nous traitions avec lui. l'établisSecondement au sujet de l'opposition qu'il fait à l'emprunt et à «
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sement d'une banque anglaise, je lui fis observer que nous avions le droit de nous livrer des entreprises commerciales de ce genre et que rien dans le traité ne nous en empêchait. dépêche du 27 décembre 1885, adressée aux « Pour preuve, je lui citai votre ambassadeurs français près les différentes cours de l'Europe, par laquelle vous les informiez que le traité n'avait rien à voir dans les intérêts particuliers. au sujet de la délimitation de la baie de Diégo-Suarez, je « Troisièmement lui dis que la limite revendiquée par lui dépassait de beaucoup celle dont il était question dans la lettre explicative et que vos plénipotentiaires ont reconnue comme plus que suffisante pour les installations à créer dans la baie. annuler « l'appendice », à quoi je « Il reprit alors ses arguments tendant à répondis que si son intention, en demandant une limite plus grande que celle indiquée, était d'annuler l'annexe au traité, jamais je n'y consentirais, et j'ajoutai que, dans le cas contraire, quand bien même la limite serait un peu plus grande que celle indiquée, si c'était une erreur de rédaction, je consentirais. du général « Quatrièmement : au sujet de la demande faite par lui du rappel Willoughby ou du retrait des pouvoirs de ce général, je lui exposai clairement comme quoi la mission du général avait un caractère non pas politique, mais principalement amical, en même temps qu'elle avait pour but de prouver au gouvernement français notre sincère désir de maintenir les relations amicales qui existent actuellement entre les deux nations. « Il me notifia aussi son intention de prendre lui-même en main la direction des affaires étrangères et de relever de leurs fonctions nos consuls à Londres et à Maurice, parce que c'était lui qui devait avoir la haute main sur toutes nos affaires étrangères. « Je lui répondis que, en ce qui regardait les questions politiques, c'était la France qui représenterait Madagascar à l'étranger; quant au reste, nous nous réservons le droit de traiter avec les puissances étrangères. Quant à nos consuls, je ne vois pas pourquoi ils devraient être relevés de leurs fonctions. S'il rencontrent quelques questions politiques, il est de leur devoir de vous en référer. « Je lui fis aussi remarquer que ce traité récemment conclu entre Madagascar et la France n'apportait aucun changement dans les traités conclus par nous avec les autres puissances. A l'appui de ce fait, je citai la dépêche adressée par vous le 27 décembre 1885 aux ambassadeurs de France en Europe et en Amérique. « Telles sont, Excellence, les paroles prononcées par le ministre plénipotentiaire résident général, nommé par vous à notre cour pour être le gage d'une solide amitié. Ces mots nous ont grandement surpris, et je suis convaincu qu'ils causeront la même surprise à tout le monde, si on les compare aux paroles prononcées par les deux plénipotentiaires précédents, M. Patrimonio et l'amiral Miot, qui ont négocié le traité de paix à Madagascar vers la fin de l'année 1885. « Vous n'êtes pas sans savoir, Excellence, que ce traité a été négocié à
à
:
Tamatave par vos deux envoyés et le général Willoughby (l'envoyé de ma souveraine). « Notre plénipotentiaire est ensuite retourné à lacapitalepourme soumettre le traité, et je lui fis alors remarquer que les privilèges accordés à la France aux termes du traité étaient trop complexes. « Je rédigeai alors un autre traité auquel j'apportai bien des restrictions et que j'envoyai à Tamatave. Vos plénipotentiaires ont donné leur adhésion àce nouveau traité et nous envoyèrent une lettre que nous appelons « annexe au
traité
».
C'est cette lettre que S. M. la reine de Madagascar et son gouvernement ont considérée comme l'explication et la restriction du traité. Cette lettre n'a pas été donnée, et j'insiste sur ce fait auprès de Votre « Excellence, dans le but de tromper ni d'être tenue secrète; elle a été écrite de bonne foi et pour être publiée. « A leur arrivée à la capitale pour recevoir la ratification du traité sur la reine de Madagascar, M. Patrimonio et l'amiral Miot ont été interrogés par moi deux ou trois fois en ces termes « — Admettez-vous que cette annexe est l'explication du traité? Car sans cela, ajoutais-je, S. M. la reine ne consentirait pas et n'accorderait certainement pas la ratification. « Leur réponse affirmative vint corroborer ce que notre plénipotentiaire avait précédemment dit à ce sujet. Néanmoins, pour détruire toute ombre de doute, je leur demandai une « nouvelle déclaration formelle, dans un post-scriptum ajouté au traité, qui nous permît de conclure tel traité de commerce qu'il nous semblerait bon. définissant et expliquant le traité qu'ils « En fait, VotreExcellence, la lettre nous ont délivré portait bien leur signature aussi bien que le traité lui-même. traité qui a décidé la reine de « En réalité, ce fut le reçu de cette annexe au Madagascar à ratifier le traité et sans lui Sa Majesté n'aurait certainement pas donné sa signature. Votre Excellence, je dois mentionner un autre traité, portant ma « De plus, signature et celle de notre plénipotentaire, que nous leur avons donné à titre de satisfaction et pour chasser leurs doutes. de vous adresser ci-inclus une traduction de ce traité. » « J'ai l'honneur Ce que le premier ministre hova appelle un traité secret était tout simplement une lettre de Villoughby, contresignée par lui et qui avait été remise aux plénipotentiaires français, le 17 décembre 1885, jour de la signature du traité. En voici la teneur «
:
:
«
Messieurs,
En vertu des pleins pouvoirs que je possède, je me soumets, au nom du gouvernement malgache, que je représente, aux conditions suivantes «
:
Dans le cas où le gouvernement malgache, sans le consentement de la France, ferait à une puissance étrangère l'abandon d'un port ou d'une partie du territoire dans le but d'y établir des stations de charbon ou des établissements militaires, le gouvernement précité déclare que ce fait en lui-même prouvera le protectorat de la France la cession sera considérée comme nulle et non avenue. lettre est considérée comme une convention « Il va sans dire que la présente secrète entre la France et Madagascar. » Suivent la signature de Digby Willoughby, général, et le vu et approuvé de Rainilaiarivony, premier ministre et commandant en chef. «
:
:
Ces papiers furent adressés de Londres, le 12 novembre, à M. de Freycinet alors ministre des affaires étrangères, par le général Willoughby, qui les accompagnait la lettre suivante
:
de
(l
«
Ambassade malgache, 12, Pall Mail S. A., 12 novembre.
Votre Excellence,
La France et Madagascar sont en désaccord concernant l'interprétation du traité de paix du 17 décembre 1885 et son annexe du 9 janvier 1886. Ce traité, comme le sait Votre Excellence, a été ratifié par moi, au nom de « la reine de Madagascar, le 10 janvier 1886, après avoir reçu comme unique condition à maratification, la lettre d'interprétation ou annexe du 9 janvier 1886, signée par les représentants de la République. « Malgré les expressions de joie des journaux français au sujet de la soumission du premier ministre de Madagascar à la pression exercée sur lui par la France soumission que je nie formellement — j'ai le regret d'être obligé de vous informer que le désaccord durera tant que la France croira devoir poursuivre à Madagascar une politique de confusion et traiter l'envoyé de la reine en Europe, le porteur des présents au président de la République française, d'une «
-
manière peu empressée. « Une politique d'inaction, manquant de clarté et de résolution, ne résoudra ni ne diminuera la difficulté. Je suis allé en France pour conférer avec Votre Excellence, pour amener, si possible, un accord amiable. Mais, tandis qu-e j'étais prêt, et je le suis encore, à examiner les difficultés en face pour arriver à les surmonter, je n'ai rencontré que manque de résolution de la part du cabinet français. Par ledernier courrier, le premier ministre à Madagascar m'a envoyé une « lettre ouverte adressée à Votre Excellence en me laissant, en ma qualité d'ambas1% sadeur malgache, le soin d'apprécier si je devais vous la faire parvenir. « C'est la dernière et la plus emphatique expression de l'opinion inébranlable de la reine et de son gouvernement. Voici ce qu'elle signifie « La reine ne permettra aucune ingérence de l'agent français dans les affaires intérieures du royaume de Madagascar, par exemple, au sujet de questions
:
;
comme la conclusion d'un emprunt et l'affermage des droits de douane, etc. et plutôt que d'admettre une telle ingérence, elle fera encore une fois appel à la nation. Elle laisse à votre appréciation le soin de décider quel serait le résultat de cet appel. « Quant à moi, je suis convaincu que les hostilités recommenceraient; et lorsque Votre Excellence se rappellera que Madagascar n'est plus dans la même situation qu'avant la dernière guerre, que sa puissance nationale et ses ressources défensives sont considérablement supérieures, elle comprendra que le conflit, qui me paraît imminent, sera long, incertain, coûteux et sanglant. ( Si je n'étais un ami de la France, si je ne m'étais toujours considéré comme tel, je ne m'empresserais pas aujourd'hui de vous révéler l'état exact des relations diplomatiques. Ayant prévenu Votre Excellence, je vous adjure maintenant, au nom des intérêts de la civilisation, pour l'honneur de la France, de réfléchir avant de tirer de nouveau l'épée contre une nation qui a déjà fait beaucoup desacrifices et qui ne demande qu'à remplir, à la lettre, les obligations du traité qu'elle a conclu avec la France. « Je suis prêt à me rendre officiellement auprès de Votre Excellence, au quai d'Orsay, le jour qu'il vous conviendra, d'ici à quinze jours. « En terminant, j'autorise Votre Excellence, si elle le juge convenable, à publier cette lettre en tout ou en partie. «
«
:
Signé
DIGBY WILLOUGHBY,
Ambassadeur de la reine de Madagascar.
»
Cette lettre, dans laquelle l'aventurier anglais traite de puissance à puissance avec le gouvernement français, resta tout naturellement sans réponse. Et il n'en pouvait être autrement, car reconnaître Willoughby comme ambassadeur dela reine Ranavalo eut été violer nous-mêmes le traité du 17 décembre et annuler, de gaîté de cœur, l'article de ce traité qui nous était le plus favorable. Naturellement aussi M. de Freycinet, ne crut pas devoir utiliser la permission envoi, et -<lue lui avait donnée son correspondant de publier tout ou partie de son si l'on a connu les pièces que nous venons de reproduire, c'est que Villoughby lui-même les publia dans le journal le Timés, avec une lettre dans laquelle il disait ceci
:
Comme ambassadeur de Sa Majesté la reine de Madagascar auprès des puissances à traité, il est de mon devoir envers les puissances et envers Sa Majesté, en présence de la politique suivie par le gouvernement de la République française l'égard de Madagascar et de l'attitude de protection qu'il a prise sur un État souverain indépendant, d'avoir recours à la mesure nécessaire de publier la correspondance ci-jointe, et de faire connaître aux puissances que ni la reine de Madagascar ni son gouvernement n'ont cédé à la France un droit de protectorat «
à
d'aucune sorte.
»
C'était tout bonnement la négation du traité, mais bien qu'il l'eût signé, M. Willoughby ne voulait pas le reconnaître, et donnait pour cela les raisons alléguées aussi par le premier ministre, à savoir que « si le gouvernement français répudie la lettre et le post-scriptum de ses plénipotentiaires, sur la foi desquels le traité a été signé, le gouvernement malgache, de son côté, a le droit de le considérer comme nul et non avenu». Il faut bien avouer que ces raisons n'étaient pas sans valeur et que la lettre de MM. Miot et Patrimonio était la chose la plus malheureuse, la plus maladroite qui ait jamais été faite en diplomatie; mais notre gouvernement, qui se croyait le droit de ne faire aucun cas de cette lettre, ne pouvait pas convenir que la réclamation était fondée. Du côté de Willoughby, du reste, la chose était sans conséquence, d'autant que malgré les titres qu'il prend, ce n'est point un personnage officiel et il n'a jamais pu se faire admettre comme tel par aucune des puissances à traité près desquelles il se dit accrédité. Au surplus, il n'est pas absolument certain que sa pensée fût pour le moment la pensée de Rainilaiarivony, dont la lettre sans date remonte évidemment aux premiers jours de septembre, c'est-à-dire pendant la première crise. Depuis, les relations se sont progressivement et assez considérablement détendues, et les nouvelles les plus récentes arrivées de Madagascar donnent la situation comme satisfaisante; et M. Le Myre de Vilers, qui n'est certainement point un optimiste, assure qu'il gagne tous les jours un peu de terrain et qu'il ne faut avoir aucune inquiétude. Malheureusement, ces bonnes nouvelles ne sauraient engager l'avenir et rien n'est plus incertain que notre avenir là-bas, vu le peu de confiance que l'on peut avoir dans les marques de soumission qu'on nous donne et la difficulté de suivre, tant elles sont bien cachées, les machinations de l'opposition qu'on veut nous faire. Aujourd'hui, on nous dit que tout va bien et nous le croyons sincèrement, mais rien ne prouve que le prochain courrier ne nous apprendra pas que tout va mal. En somme, et c'est la seule conclusion qu'on puisse donner à cette étude Rien n'est fini à Madagascar. Il faudra y retourner.
:
TABLE DES MATIÈRES
guerre. Madagascar. Madagascar.
I" II. traité,
Causes de la
Nos droits sur Utilité de
d'exécution. L'ennemi.,
Moyens
Sainte-Marie de
Madagascar.
etlesSakalaves.
Hovas. Rakotond.
Nossi-Bé
Les habitants de Les
Ranavalo Le prince
Madagascar
Il
Radama Rabodo-Rasohérina
Ranavalo Machinations des Anglais Autres causes des hostilités Les premières hostilités Destruction de Mouroung-Sang. Prise de Expulsion des Français Incidents de Ranavalo
III.
Majunga. Tamatave.
Négociations
Combat d'Andraparany 8 Occupation d'Amboudimadirou 1
17
Installations de
46
Intervention de
54 Vote des 71 83
, , d'Andampy.,,.
Conséquences de
l'inaction.
Combat 92 Combat de 109 Après la 121 Dernières négociations, 123 Le 131
14-1
,
Farafatre. bataille
, ,
traité.-.traité
Après le Discussion du
157 Conséquences de la
Notre résident à Madagascar 176 Réception du résident 180 Misère des Hovas 184 Fêle militaire à Tananarive 1G4
c
23l 233 239 246 252 261
266 274 284 290 299
304 315
paix. général348 crise.,.,
Legrand Kabary de Tanana¡'i 154 Protestation de la reine Binao 147
difficultés
Ce que vaut
204 La 207 La situation
Miot
M. Maigrot
crédits
196 Premières
de
,
22 Occupation de V 30 Occupation de Diégo-Suarez. 36 Inaction de l'amiral Miot
L'amiral Miot, chef del'expédition
Madagascar. Premières opérations l'amiral
Majunga ohémar., ,.
218 222 224
actuelle
FIN DE LA TABLE DES MATIÈRES
332 336 340 344
352 355 362
368 376