La nuit rouge de YênBay / Bôn Mt Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France
Bôn Mat. La nuit rouge de Yên-Bay / Bôn Mt. 1931.
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BONMAT
(1)
La nuit rouge de Yên-bay
n'est pas mon nom, mais un pseudonyme (1) Ceci issu d'un sobriquet m'est cher et qui que je reçus il y a plus de vingt ans. en Indochine, En ce temps on faisait encore "Colonne" it souvent le un sur à la façon des terrain, A peu inamites (quatre
m'appelaient z'yeux).
Monsieur
le
Sergent
LA
NUIT
ROUGE
DE YÊNBAY
Tous
droits
de
réservé»
reproduction, par
l'auteur
traduction tous pour
et pays
adaptation
BON
LA
NUIT DE
MAT(1)
ROUGE
YÊN-BAY
(1) Ceci n'est pas mon nom mais un pseudonyme issu d'un sobriquet qui m'est cher et que je reçus il y a plus de vingt ans. En ce temps, on faisait encore " Colonne " en Indochine, on vivait sur le terrain, un à la des chats peu façon tigres souvent Les Annamites Monsieur le Sergent BON-MAT m'appelaient (quatre z'yeux).
«
Au
LE
CHEF
MON
GÉNÉRAL DES
NOGUES
MARSOUINS
DE
REIMS
GÉNÉRAL,
un Lieutenant 1918, Une nuit de Juillet Coloniale exécutait en Champagne d'Infanterie à la tête d'une compagnie de marsouins, sur la tranchée Varna, le boyau des Hongrois et un abri situé en retrait, un coup de main qui important échoua pour des raisons majeures et malheureuses qu'il faut taire, en mentionnant simplement qu'elles ont laissé intact le. mérite des exécutants et l'ont même grandi. Revenu blessé, le Lieutenant terminait, quelques heures après, dans un P. C. des ruines de Puisieux son rapport sur l'affaire, lorsque son Général suivi entra dans son abri. d'un Officier d'E.M. Tout d'abord, dans la pénombre, il ne reconnut " Mon Commandant ". pas le Général et l'appela Le Général n'en fut pas vexé, mais fit remarquer avec indulgence et enjouement, plutôt qu'être Commandant,
en son cas, c'était rajeunir de 10 ans.
Fixé sur la qualité du visiteur et encouragé par sa exhala alors bienveillance si connue, le Lieutenant à la cadence d'une sa contrariété plutôt légitime, Et lorsqu'il eut fini, le mitrailleuse déchaînée. ... Général, qui avait eu la bonté de l'écouter, tomber cette sage et apaisante sentence :
laissa
« TURENNE, dans dans toute opération
ses mémoires, a dit que. de guerre il y a une chance pour soi et une chance pour l'ennemi ; la chance d'hier était pour l'ennemi ».
Je n'oublierai jamais, mon Général, la visite que vous fîtes aux ruines de Puisieux un matin de Juillet 1918, pour venir généreusement tendre la ,main au soldat malchanceux et lui marquer votre estime. souvenir, toujours présent à mon esprit, me conduit aujourd'hui à vous offrir, parmi les pages de ce livre, celles qui peuvent être bonnes, pour avoir été conçues et enveloppées dans un sentiment de pure affection pour la bonne cause Ce
française
en Indochine.
AVANT-PROPOS
Après la grande guerre, la situation matérielle des militaires, qui est souvent médiocre, s'améliora considérablement en Indochine. Aussi, ce pays fut-il recherché par bien des gens qui ne le connaissaient pas, le dédaignaient auparavant et n'y seraient peutêtre jamais
venus sans l'attraction
de gros avantages
pécuniaires. tout du pays, il est ces gens qui ignoraient sans doute permis de dire aujourd'hui, qu'il en vint malheureusement trop. De
Certains
—
une minorité
—
avaient
de bonnes
idées, du bon vouloir, de la souplesse ; ils s'adaptèrent de bonne besogne. correctement et firent avaient souvent pour D'autres, plus nombreux et colonial des idées conçues en des bagage militaire milieux raidis ou entêtés, ils différents. Raides, eurent trop tendance à appliquer leurs idées à l'Indochine, à considérev Hanoi, Sontay ou Viétri comme Tombouctou et à traiter les Tonkinois comme des bambaras.
AVANT-PROPOS
une
Avec d'expérience
de majorité et de souplesse,
gens qui manquaient la méthode fit place à à la fantaisie ; l'hérésie
la psychologie l'empirisme, des fleurs en bien des endroits, s'installa sauvages vénéneux poussèrent dans les jardins et des fruits sacrés ....
dix ans de ce régime, un jour il y eut YênAprès un coup de tonnerre dans Bay, une sédition militaire, des rêves bleus. le firmament la psychologie est une la commettra délibérément
Négliger
faute. Chaque et longuement
fois qu'on du il y aura des réactions en Indochine, sauvages, de la répression et tout cela se résoudra massacre, en affaires sanglantes. la psychologie Indochine, plus qu'ailleurs, domine tout, c'est par elle que l'on a sans mystère de tout le passé et du présent ; c'est la signification Il estsainement l'avenir. elle qui permet d'envisager En
de la posséder bien ; essentiel il convient d'y revenir vite. Tous les milieux a-t-on un peu
après Yén-Bay, pour la carence psychologique.
précisément science de
on
l'a
d'Indochine
dit
Mauvaises
connaître
indigènes
si
masquer
délaissée
ont évolué, sans doute
vaisons ! La science est une. chose jeune, cette parce qu'elle évolue. Là psychologie;
l'ami, d'abord
évolue le fonds
à en suivre le sfluctuations.
il convient d'en aussi, commun et de s'attacher Cela
demande
du
travail,
AVANT-PROPOS
XI
de la patience ; travail de l'application, ingrat dont il ne faut attendre obscur, d'ailleurs, récompense que de sa propre satisfaction.
et de
Car, la chose indochinoise est plutôt mal cotée en France et c'est grand dommage. On calomnie, ce beau pays d'Indochine hélas ! trop facilement auquel tant de braves gens qui n'ont eu souvent pour tout bien que les planches de leur cercueil, ont donné leur
vie splendide.
purs aux pays n'offre plus d'aliments le voir, non généreuses et saines activités. Il faut à travers les vains propos et les calomnies, mais à travers l'histoire si riche en sacrifices individuels et collectifs, d'un demi-siècle d'occupation française. Aucun
penser avec ceux qui connaissent bien l'aiment, ont foi en ses bonnes destinées, qu'un jour, malgré convulsions et remous, la belle paix française finira par y triompher au grand Il suffit de le vouloir bien profit des gens d'Annam. et de tout faire dans ce sens. Il
faut l'Indochine,
Mais pour y parvenir, il importe de travailler dans la bonne méthode, et de renoncer aux a-coups des interprétations libves et de la qui résultent fantaisie. serait de se donner à ce pays, il en L'idéal vaut la peine. A défaut, de s'attacher à l'aimer dans sa fonction, ou dans sa mission. Apprendre
à bien lire dans la chose indochinoise,
XII
AVANT-PROPOS
arriver
à
respire,
avoir
de quoi est fait l'air le dans la peau, tel pays
savoir
que l'on doit être
l'objectif. la
De
sorte, arriver.
ne peut à déplorer
une
est
de grave, Et l'Indochine
rien
autre
de vraiment n'aura de-
affaire
grave
plus jamais
Yén-Bay
de regarder une broderie facile dit un proverbe chinois qui corresque de la faire, : la critique est aisée et pond au proverbe français est difficile. l'art Il
plus
sur Rester est en elles, telle
négative,
des critiques, réalité faire n'est
si
soientjustifiées ou oeuvre déprimante
mon
pas
intention.
En
conséquence, la deuxième partie de ce travail a été consacrée a traiter la question de défense telle sur l'heure, française, prise de l'Indochine se concevoir, doit est, telle quelle qu'elle compte et
tenu de
bien
situation Loin
de
tenu
de tous
les facteurs de position, militaire et scciale.
politique, moi,
leçon à qui que des énumérations
certes, ce soit,
la
prétention de la faire
et de fastidieuses.
la de faire dans surtout statistiques.
Dans le je
tiens
but principal d'être utile et vraisemblable, à offrir au lecteur, plutôt dans la nature
chambre, qu'en plutôt pratiquement un tour et d'inspection d'horizon Indochinoise. question Il
existe
dans
un
beau
livre
qu'en théorie, a travers, la
d'Anatole
France
XIII
AVANT-PROPOS
un tableau à peine crayonné pour faire valoir que le militaire passe sa vie à prendre des repas froids sur des guéridons. On consomme, en effet, beaucoup de repas froids et ce n'est pas toujours sur dans l'état militaire des guéridons. souvent dans l'abrégé d'une situation de plein air, en pleine action ou dans une accalmie d'action et de mouvement, dans une ambiance saine, Jeune, vigoureuse, ou tout reste simple, pratique et consistant. Cest
Je me suis efforcé de donner au tour d'horizon et d'inspection dans lequel je désire entraîner le lecteur les caractéristiques de ces repas froids pris en pleine nature dans toute la vigueur de la vie, de l'action et du mouvement. Eût-il
mieux valu neplus parler de l'affaire de Yén Bay et la laisser dormir dans son linceul de grisaille. Je ne le pense pas, je crois plutôt fermement le contraire. Il
est préférable pour l'amour de l'Indochine, pour l'amour de l'art et la sauvegarde de l'avenir, de regarder les choses en face et de les appeler leur nom.
par Il
vaut mieux décéler les fautes et les qualifier, les mettre en évidence, en projeter les images sur un écran lumineux. Tel a été le but principal
de ces pages.
PREMIÈRE
LES
PARTIE
TROUBLES
D'INDOCHINE
LA
NUIT
ROUGE
DE
YÊN-BAY
PRÉLUDE
L' année annamite 1929 s'ouvrit à Hanoi sur, l'émotion d'un gros crime. La veille, 9 février, vers 20 heures, deux individus vêtus à l'européenne de drap kaki ou réséda, tête nue, tirèrent trois coups mortels de revolver 6,35 sur M. BAZIN, Directeur de l'Office
Général du recrutement
d'oeuvre indochinoise, N° 110 de la Route dans son auto.
de la main-
au moment où, sortant du de Hué, il allait remonter
Sur l'heure, il fut impossible d'établir un bon signalement des assassins qui avaient profité de ce que la rue était quasi déserte, les portes voisines closes et l'air rempli des pacifiques pétarades du Têt. Les recherches qui s'engagèrent, en ce dernier soir de l'année du Dragon (9 février) et le premier jour de l'année du Serpent (10 février), ne purent être aussi actives qu'elles eussent été à une autre époque de l'année. Pour les émissaires, indicateurs, les pourvoyeurs indigènes de la police, dont le concours immédiat
LA
NUIT
ROUGE
DE
YEN-BAY
eût été si utile, il y avait trêve, la grande trêve du Têt que chaque année il faut subir dans tous les services même les plus délicats. Certes, les assassins ne manquaient pas d'habileté et c'est bien à dessein qu'ils avaient choisi ce soir de grande trêve, pour mettre à exécution leur projet de meurtre. A terre, près du cadavre, on trouva une lettre écrite comme avec la pointe d'un poignard dans un style de fer forgé. C'était l'arrêt de mort et un peu J'oraison funèbre de M. BAZIN. J'ai vu une copie fragmentaire de cette lettre Elle est dont on na jamais découvert l'auteur. troublante, jusque dans son écriture, qui pourrait être aussi bien celle d'un homme que d'une femme ou d'un enfant. C'est un factum étrange et très violent, comme il en existe à la base des gros drames, des conspirations, des convulsions populaires. Le de ce factum à côté du cadavre était dépôt d'ailleurs pure mise en scène, pour un simple assassinat, les 3 coups de revolver eussent auplement suffi. Il
y avait chez les auteurs du crime ou leurs chefs, derrière le geste de mort, intention plus de réclame, de profonde, intention d'avertissement, tam-tam, intention de donner au crime une signification de principe et à l'exécution l'allure intime et bien réelle d'un défi. L'assassinat
de M.
de tous BAZIN dépouillé les voiles dont on l'a drapé, est un crime de principe,
LA
NUIT
ROUGE
DE
YÊN-BAY
préparé, assis sur une base d'où l'on prémédité, pouvait ensuite tirer toutes les spéculations à forme et nationale. sentimentale, politique Il fallait un tremplin et un point de départ à la tourbe des agitateurs et propagandistes qui s'agitaient en marge de la vie du peuple indochinois BAZIN fut ce tremplin, rien de paisible. L'affaire plus, rien de moins. Une affaire empreinte d'un calcul froid et pénétrant qui dépasse et de beaucoup la portée d'un simple assassinat. Elle fut préparée et montée par l'association » (Nationalisme « Viét-Nam-Quôc-Dan-Dang annamite) à ses fins personnelles, à des fins antifrançaises. Les soi-disant marchandages de l'Office général de la main-d'oeuvre Indochinoise ne furent rien en tout cela qu'un prétexte de mauvaise foi. ne s'y trompa pas, elle La Sûreté du Tonhin entra en campagne contre les promoteurs et membres actifs de cette association dont les ramifications étaient nombreuses, s'étendaient partout, et y compris chez la fille de César.
jusques
jours après l'assassinat de BAZIN une criminelle à laquelle tous les conjurés furent déférés fut accréditée par arrêté du Gouverneur Général. Quinze commission
Le 3 Juillet, cette Commission criminelle proallant de 20 ans nonça environ 80 condamnations à 2 ans de détention.
LA
Dans
le
NUIT
ROUGE
nombre
DE
YEN-BAY
de ces condamnations
sept intéressaient
étaient
prononcées par défaut, elles et six le chef du mouvement NGUYÊN-THAI-HOC, de ses satellites, des fanatiques et c'est encore bien peu dire. Essaim redoutable la lutte
de tous
un soutint, les jours, de tous qui
an durant, les instants,
parfois le revolver à la main, sut attirer et façonner des adeptes mena contre nous une propagande dont le fruit monstrueux fut Yên-Bay, implacable, une mutinerie parmi les tirailleurs, quelque chose à quoi nul ne se fut bien attendu. Il
ne faut faire de tort
au diable,
a dit
Anatole
à personne, France.
pas même
Ce n'est pas faire ici l'apologie du crime ni des exécutants, que de reconnaître panégyrique
le le
flair
avec lequel ils trouvèrent faiblesse et fêlure où par définition il ne devait y avoir que force et blindage. Essaim redoutable ai-je, dit, certes, tristement. je le confirme Il y a dans tout malheur la source ou la matière d'un enseignement. de YênLe drame si brutal Bay a révélé une certaine ignorance et incompétence dans des milieux Il
qui avaient pourtant
charge d'âmes.
d'en convenir en courage foulant aux pieds toutes les fumées de vanité, les ridicules froissements d'amour-propre et les fausses hontes. faut
avoir
le
LA
Il mal
NUIT
y a lieu, ensuite, et de l'appliquer.
Ce
remède
YEN-BAY
le
de chercher
est dans l'étude
et des gens de ce pays Apprendre sans ensuite,
DE
ROUGE
raisonnée
remède
au
des choses
et dans le travail.
d'abord
et
travailler.
Se
garder l'on, ne
si fracas, sans vains mots, se garde en ce pays on est tonjours en danger et les enjeux sont très gros. de se laisser surprendre
était à Sparte, en lorsqu'une garnison lui envoyait danger d'être surprise, le Gouvernement " ce message : Attention ! Jadis,
ce mot
Que oreilles.
Attentien mais rien
que
leurs
chefs
pas pris garde, ont pactisé à Yên-Bay
Si,
unique d'Annam. rééditant
qu'a rapportée ces événements, de
mauvaise
et on
dans
ne savaient
les tirailleurs
pas assez et d un bataillon
avec l'émeute
et massacré leurs officiers,
pays
à nos
et, à ce compte, toujours, seul, il n'arrive rien, il ne peut
n'avaient
Fait
toujours
attention
à ce compte arriver.
Parce
résonne
métallique
notre
la sinistre la Harpe, on l'aurait
; ont attaqué blancs. leurs sous-officiers histoire
militaire
prophétie un quidam traité
de
ce
de
Cazotte, avait annoncé
de fou ou d'oiseau
ont aurait crié augure, n'aurait rien cru. Et pourtant,
au sacrilège le fait s'est
LA
NUIT
ROUGE
produit, il est aujourd-'hui et dans l'histoire.
DE
YEN-BAY
dans le domaine public
En ce pays, tout se paye. Les fautes que l'on accumule comme à plaisir pendant des années, finissent par exiger un rude, tribut. Ne comptez pas sur la légende et le folklore pour adoucir et polir cette lamentable affaire, bien au contraire, hélas ! Dans
50 ans, de déformations en déformations, les tirailleurs félons seront divinisés. Le théâtre chinois ou annamite, l'épopée des comédiens, la mélopée des sampaniers et des rouliers, ces grands festins de plein air, en auront fait des héros et des martyrs et de vous, les victimes, des horribles barbares. Ceci est profondément injuste, je suis absolument de votre avis, de même que je n'étais pas du tout du vôtre lorsque vous traitiez trop légèrement les choses de ce pays. Trêve de préambule, je vais vous conter YênBay : un drame sauvage et triste comme un tableau de Salvator Rosa et que je dirai vite, parce que les choses tristes ne méritent pas d'être dites au ralenti et que je n'en ai pas le goût.
,
LA
LE
NUIT
ROUGE
DRAME
DE
DE
YEN-BAY
9.
YEN-BAY
La ville de Yên-Bay est toute entière sur la rive gauche du Fleuve Rouge. Elle est peuplée de montagnards et Nùngs) d'Annamites, (Thôs et, bien entendu,
de Chinois.
Poste
de relais vers la frontière important de Chine, c'est aussi une vieille ville de garnison. Tout ne pas d'histoire juste' assez pour et malheureuse, tout ce qui s'y était passé était jusqu'à présent avouable et très digne. être incolore
en un Malheureusement, changement s'est produit.
seul jour,
un
gros
A ce changement il y a des raisons, la première, la plus courte et peut - être la meilleure, c'est avait respecté la tradition ; si l'on que si l'on avait notamment laissé à Yên-Bay la compagnie de soldats blancs qui y fut pendant longtemps et qui était un élément de contrepartie merveilbonne leux, rien n'y serait arrivé de mal. Cette vieille ville aurait une réputation très digne accolée à son nom
claironnant.
LA
10
NUIT
DE
ROUGE
YÊN-BAY
Le 9 Février 1930 (1) était un dimanche, un dimanche gris, froid et humide, pareil à tant d'autres de la moyenne région du Tonkin, ou du moins qui le paraissait, un dimanche incolore, un petit dimanche de rien. C'était la Sainte Apolline, le lendemain
devrait
être Sainte
Scholastique.
s'était détendu, le dimanche des militaires, est après tout fait pour cela. Dans les ménages on avait fait la grasse matinée, on avait ensuite voisiné On
et un tantinet
festoyé.
Le soir, dans chaque casernement, à la" traditionne manqua nelle sonnerie, l'appel fut fait. Il personne ou presque. Et il ne fut rien constaté de nouveau. des feux égrena lentement dans la nuit ses notes claires, son invite au couvre-feu et au repos des nuits calmes. L'extinction
de garde sérieux, serré et un service de patrouille vers l'extérieur? — Bah! Pourquoi? Que craignait-on? Rien, en Existait-il
à l'intérieur
un service
réalité. Il y avait eu, dans la soirée, il est vrai, des révélations embrouillées encore que têtues d'un tirailleur, puis, dans le même sens alarmant, celles d'un sousofficier
indigène.
(1) Anniversaire coïncidence ?
de l'assassinat
de
M.
Bazin.
Est-ce
une simple
LA
NUIT
ROUGE
DE
YEN-BAY
II
ou de mutinerie rocambolesque De ce beau de révolte des tirailleurs du bataillon. au seuil du bataillon livré à lui-même à Yên-Bay, haut pays, à proximité de Vinh-Yên, patrie du histoire
Une
de Hung-Hoa, NGUYEN-THAI-HOC, deux centres depuis quelques temps de des tirailleurs plutôt en effervescence. Rébellion ce bataillon si bien coté, si fier de lui-même et de
chef rebelle et Phu-Tho,
des racontars. tenait
être que ne pouvaient Les tirailleurs se révolter ! Cela ne
Ces révélations
sa mission!
pas debout.
Et tous
....
qui avaient fait l'appel n'avaient Au contraire, comme tourien remarqué d'insolite. la jours, tout respirait le calme, la soumission, ceux
stricte discipline. ou parut Yên-Bay s'endormit le monde ne dormait pas. Connaissez-vous
s'endormir.
Tout
la
d'Extrême-Orient, jungle savez-vous qu'à quelque chose près sa population, la faune, se lève précisément à l'heure où nous nous couchons. Bien des gens en ce pays font comme les hôtes de la jungle et ne dorment pas la nuit. Ce sont, les joueurs, les contrebandiers, les maraudeurs et voleurs de tout
poil,
les propagandistes,
les conjurés, les
comploteurs. Cette nuit là à Yên-Bay, de nombreux conjurés civils pénétraient dans les casernements après l'appel
LA
12
du soir affiliés tinrent
NUIT
ROUGE
DE
YÊN-BAY
des feux ; des tirailleurs l'extinction se les reçurent, lès derniers conciliabules dans les chambres à la pâle clarté de la lune. et
et les sous-officiers, Chez les officiers une les lumières s'étaient éteintes.
une
à
On s'était endormi en laissant tomber le journal, ce journal du 9 Février dans lequel, à vrai dire, il de la police y avait si peu de chose : des rengaines, au sujet d'hypothétiques propagandes, des, poursuites ou des arrestations d'individus falots, peu de chose, ou si peu, que c'en était bien monotone et fade, aussi fade, vraiment, journalier ou bi-journalier
que le « rien de nouveau " de la vie normale.
Bonnes gens ! Braves gens ! Dans quelques heures il va y en avoir du nouveau.
Il pouvait être une heure, le premier chant du coq s'était déjà fait entendre dans la campagne endormie. Partout chez les officiers et sous-officiers, on dormait
profondément lorsque des explosions de bombes, des coups de. pistolet et de fusil éclatèrent dans la partie militaire de la ville. de conjurés civils indigènes et de Un groupe tirailleurs affiliés s'empara de la grande caserne ou se trouvaient deux compagnies, les 5e et 6e du 4e Le premier but de ce. groupe fut d'attaTonkinois.
LA
NUIT
ROUGE
DE
YÊN-BAY
13
quer, pour les assassiner, les sous-officiers et de s'emparer du dans leurs chambres,
français magasin
d'armes. assaillit groupe de même composition fort) en même temps la caserne du haut (soi-disant autre
Un
les 7e et 8e compagnies, caserne dans laquelle on peut entrer facilement par des faces de suite aux et Est. Là aussi, on s'attaqua Nord où se trouvaient,
sous-officiers
français.
dans groupe prenait à son compte, le même but d'assassinat, les maisons et pavillons situés entre les deux casernes. des officiers Un
troisième
dantesque ! Les attaques Evocation tanées, sauvages, féroces, l'explosion les claquements des fusils et des clameurs
des bourreaux
forcenées
furent
simul-
des bombes
les revolvers, et des victimes,
l'air, pendant qu'en ville, dans les rues emploient dans les maisons, un silence significatif de Nécropôle s'établissait. En quelques tués, le Lieutenant Capitaine
minutes,
officiers
étaient
ROBERT près de sa femme, le où il cherchait à JOURDAN au moment sa compagnie. Deux officiers étaient
rassembler : le Capitaine blessés à la sortie de leurs Parmi
deux
GAINZA
et le Lieutenant
REUL
logements.
dans la caserne du haut, les sous-officiers, CUNEO était tué dans sa chambre l'adjudant près sa de femme et de ses enfants, le sergent CHEVALIER
LA
14
NUIT
ROUGE
DE
YEN-BAY
était égorgé. Dans
la
du
caserne
bas,
le
DAMOUR
sergent
était
tué, l'adjudant TROTOUX très grièvement blessé, le sergent chef RENAUDET et le sergent ROLLAND blessés. Enfin le sergent chef BOUHIER grièvement
était
criblé
de 14 blessures de coupes-coupes et de 3 ou 4 blessures par balles. Le malheureux, pour ne les citer que lui, avait les mains presque tranchées,
bras et les cuisses tailladés le dos
horriblement
De
plus
tonkinois
à la première étaient blessés.
La
fut
surprise simultanément
la poitrine
profondément, abîmés.
sur
heure,
et complète tous les points
5 ou
6
tirailleurs
menée
l'attaque par les
conjurés.
les parmi peut penser, les pertes assaillis furent de suite énormes ; il y eut cependant partout résistance. Comme
Dans l'affaire
l'on
la
caserne
du
bas, qui, des conjurés,
fut aux mains
dès le début un
îlot
de
de résis-
son Le sergent REYNAUD barricada s'organise. et fit avec sa femme le coup de feu toute logement
tance
la nuit.
d'eux
Auprès
TROTOUX se réfugia l'adjudant chef vinrent le sergent puis,
blessé; grièvement DESCHAMPS et le sergent HURUGUEN, lesquels participèrent aussi à la défense. Cet îlot de résistance tint toute
la nuit,
par la colonne Le Chef
jusqu'à
ce que
d'attaque de
Bataillon
la caserne
organisée
fût
reprise
dès le jour.
LE TACON
commandant
LA
NUIT
ROUGE
DE
YÊN-BAY
15
avait réussi, après avoir tiré des coups à à travers la porte de son logement, bousculer des indigènes en robe noire qui guettaient sa sortie et à se rendre sur la place de la caserne
le bataillon de revolver
du haut. sonner aux officiers là 8e compagnie fit armer restée fidèle. Malheureusement Il
fit
et sous-officiers
et
être qui paraissait les officiers et SOUS-
ne vinrent qu en minorité pour la bonne raison qu'il y avait déjà parmi eux bon nombre de morts et des blessés.
officiers
La 8e compagnie prit position pour défendre et le logement du Commandant les bâtiments où s'étaient réfugiés les femmes, les enfants, les blessés. Les révoltés étaient maîtres de la caserne du bas. Pourvus d'un matériel considérable," ils tiraient et de fusils mitrailleurs par rafales de mitrailleuses où se groupaient les sur la caserne du haut, Européens
survivants
et les tirailleurs
fidèles.
Une reconnaissance de la 8e compagnie, qui tenta de s'approcher de la caserne du bas, fut reçue par une grêle de balles et dut rebrousser vers la caserne du haut. à plusieurs reprises d'enlehaut, mais sans résultat.
Les révoltés tentèrent ver la caserne du
Quelques gradés de la caserne du bas, qui pactisaient pas avec les révoltés, s'esquivèrent
ne et
LA
16
vinrent La
NUIT
ROUGE
DE
YÊN-BAY.
fidèles. les rangs des tirailleurs privée de ses officiers compagnie
grossir 7e
dès
la première minute et désemparée, put être groupée Au petit jour, et armée, comme la 8e compagnie. entière et une bonne la 8e compagnie partie de la 7e compagnie étaient sous les armes. Au
le Commandant d'attaque en trois
jour,
colonne
LE TACON forma une le premier éléments,
par le Capitaine ROCCAS, le deuxième VARENNE, le troisième par le par le Sous-Lieutenant sergent OLLIVIER. L'assaut fut donné à la caserne
commandé
du bas qui fut enlevée. Les révoltés s'enfuirent laissant des morts et des blessés sur le terrain. De nombreux se présentèrent lui déclarèrent
en
tirailleurs des 5e et 6e compagnies à ce moment au Capitaine ROCCAS,
qu'ils n'avaient pas pris part à la révolte, mais avaient dû, sous peine de mort et rester inactifs. désarmés qu'ils étaient d'ailleurs, Ils furent armés et on leur fit prendre position offensif des révoltés. parer à un retour pour La révolte était pour ainsi dire terminée. Elle avait avorté quant à son but principal ; entraîner tous les tirailleurs du bataillon pour allumer la révolution dans le pays d'Annam. Les heure
pertes étaient les suivantes, du 10 Février :
Tués : 2 Officiers
;
3 Sous-officiers
;
à la première
LA
NUIT
ROUGE
DE
YÊN-BAY
17.
6 caporaux et tirailleurs. Blessés : 2 Officiers 4 Sous-officiers 4 caporaux et tirailleurs Huit militaires indigènes manquaient. Il fut arrêté sur l'heure, 4 caporaux, 22 tirailleurs supposés révoltés, 25 civils pour la plupart blessés, quelques tirailleurs révoltés avaient été tués; 2 fusils mitrailleurs et une dizaine de fusils ou mousquetons manquaient. De l'avis du Commandant
LE TACON, cinquante tirailleurs et gradés environ, sur un total approximatif dé six cents, prirent les armes contre nous ; le reste, demeura neutre ou fidèle. On
enfin, surprise brutale et totale des quatre compagnies, trahison de quelques tirailleurs et flottement parmi les autres privés d'armes et de commandement: Il
avouait
est
humiliant
penser que le drapeau rouge fut hissé sur la caserne, sur la maison du sur celle du Tri-Huyên. Quan-dao, de
Au jour, ces emblêmes séditieux flottaient encore à bout de drisses ; on les, amena dès qu'il fut avéré que la révolte était matée. n'est pas triste heureusement, pour notre en cette lamentable affaire. amour-propre Nos officiers, nos sous-officiers se sont conduits Tout
magnifiquement,
en héros.
Ils furent
grands
dans
LA
NUIT
ROUGE
DE
YÊN-BAY
notre toute le malheur, ils méritent salut et respect à eux sans réserve.
admiration,
nombre de militaires indigènes sont restés fidèles à leur devoir, ont été tués ou blessés à notre service. Un
certain
révolté se fut lorsque l'échec du parti dessiné, on put rassembler la majorité des tirailleurs et les mener à l'attaque. S'il y a eu défaillance neutralité coupable et trahison, la reprise initiale, Enfin,
fût de a été rapide, le mal, bien qu'il la pire espèce, n'avait pas les racines profondes que l'on aurait pu supposer. Pendant que ces tristes événements se dérouune partie de la laient dans la zone militaire, en main
civile rallia la population un refuge sûr. trouva
garde
indigène
où
elle
les fonctionnaires, son adjoint, Résident, les femmes, les enfants y cherchèrent également Le
entièrement brigade de Garde Indigène, sur pied et restée fidèle, était à son poste vigilante, calme, grave, absolument dans la main de son chef LAFAYE. aimé et respecté, l'Inspecteur asile. La
Dans la matinée du 10 Février, à 9 heures 30, le Résident de Yên-Bay télégraphiait que le mouvement était presque réprimé. Des patrouilles circulaient dans les rues et aux abords de la ville: des avions venus de Hanoi Dans
la
soirée,
un
survolaient détachement
celle-ci. de troupes
LA
NUIT
ROUGE
DE
YEN-BAY
blanches arrivait, consacrant définitivement de la révolte et la fin de ce cauchemar.
19
l'échec
Le mouvement
de Yên-Bay n'était pas isolé. avaient fait le projet d'attaquer Les révolutionnaires de Phu-Tho, aussi la province plus au Sud et et Lâm-Thao. d'enlever au préalable, Hung-Hoa Mais les autorités civiles de Phu-Tho avaient eu vent de l'affaire
et elles veillaient.
se produisit, Lorsque l'attaque de Hung-Hoa vers 3 heures du matin, toutes dispositions étaient prises. Tous" les chiens des environs se mirent à hurler furieusement donnant l'éveil au blockhaus dans Dans le calme de lequel la Garde Indigène veillait. la nuit, les conjurés lurent une proclamation invitant les gardes indigènes à se joindre à eux, les maîtres de la révolution. La réponse de la Garde Indigène fut l'ouverture du feu sur les rebelles. essayèrent vainement pendant une heure de pénétrer dans le blockhaus. Enfin, ils abandonnèrent l'attaque laissant sur place des bombes, des Ceux-ci
insignes et des drapeaux révolutionnaires, vide ayant contenu des bombes et une
une valise touque de
pétrole. Pendant
qu'une
onnaires attaquait
bande importante de révolutiune autre se portait Hung-Hoa
LA
90
sur
Lâm-Thao
du sous-préfet Cette de fusil.
NUIT
ROUGE
DE
YÊN-BAY
devant le poste des linhs (soldats indigène) dans le but d'attaquer.
deuxième bande fut
aussi reçue à coups
Chef de la bande lut cependant une proclamation aux linhs leur ordonnant de se joindre à eux et les menaçant de leurs bombes. Les linhs intimidés et impressionnés, arrêtèrent le feu-, remirent leurs fusils, mais ne se joignirent pas aux révoluLe
tionnaires. se portèrent ensuite sur le phu (souspréfecture indigène), d'où le mandarin, sa famille et son personnel avaient pu fuir. Les bâtiments furêt hissé. incendiés et le drapeau révolutionnaire Ceux-ci
M. CHAUVET, adjoint au Résident de Phu-Tho, qui se porta dès la nouvelle de l'attaque de HungHoa au secours de la garnison, constata en approchant de Lâm-Thao que le drapeau révolutionnaire sur le Phu et que celui-ci était aux mains flottait des rebelles. Il les attaqua et les mit en fuite après un combat acharné de 30 minutes; un rebelle tué et 5 rebelles blessés restèrent sur le terrain. Le plan des rebelles était de prendre Hung-Hoa et Lâm-Thao pour marcher ensuite sur Phu-Tho. Dans la journée même, un détachement de 50 était l'ordre légionnaires occupait Hung-Hoa, rétabli.
LA
Un
NUIT
mouvement
DE
ROUGE
combiné
YÊN-BAY
avec l'affaire
91
de Yên-
devait et Lâm-Thao Bay, celles de Hung-Hoa dans la nuit du 9 au 16 Février éclater à Hanoi pour y retenir les troupes. Ce mouvement n'éclata que le 10 dans la soirée. lança des bombes d'énergumènes sur plusieurs maisons de la Sûreté et sur la Gende police en service au darmerie. Un brigadier Une
bande
Pont Paul Doumer lui brisa la cuisse.
reçut une balle de revolver
qui
sonnée en ville, chacun se claquemura chez soi, pendant que la troupe prenait en ville ses postes de combat. L'alerte fut
Ce n'est
pas tout.
15 Février dans la soirée un groupe de rebelles qui avait attaqué et pillé le huyên de PhuDuc, assaillait Vinh-Bao, province de Hai-Duong, du huyên qu'il tuait le Tri-Huyên et s'emparait Le
pillait. de au jour, un détachement garde indigène reprit le huyên. Les rebelles s'enfuirent vers le village de Cô-Am qu'ils transformèrent en repaire. Le
Une
16
Février
reconnaissance
aérienne
envoyée
dans
du 16 Février aux renseignements l'après-midi reçut des coups de feu. Le repaire fut bombardé par bombes d'avion, les rebelles s'enfuirent et le
22
LA
NUIT
village fut
occupé par deux
ROUGE
DE
YÊN-BAY
détachements
de garde
indigène. raccourci, telle est l'affaire de ses précédents, ses suites immédiates. En
Yên-Bay,
peut dire, en présence du fait accompli et moralement parlant, que ce drame ne doit pas nous étonner hors mesure. On
ne connaît pas toujours assez son intérêt, trop livré à lui-même, insuffisamment guidé, travaillé dans le mauvais sens, il peut et faire plus mal encore. se prêter aux intrigues L'annamite
commun
Il complote volontiers, l'histoire intime d'Annam fourmille d'exemples de révoltes sauvages et de réC'est un conjuré né, il compressions, impitoyables. ploterait contre lui même, il suffit de bien le savoir et de ne pas l'oublier.
Tout
s'est-il bien passé ainsi ? Si vous me posiez la question je vous dirais résolument non. Et je crois ferme que c'est non. Il est certain que le parti médité de soulever l'Annam débuter
des provinces
de la révolution
avait
et de s'emparer pour de Pat-Tho et Yên-Bay.
Il est certain qu'à Yên-Bay soixante conjurés civils indigènes, au moins, en parfait accord avec autant de tirailleurs probablement félons, sinon bien plus, sont entrés dans les casernes et qu'en
LA
NUIT
ROUGE
DE
YÊN-BAY
23
trois groupes, les conjurés civils et milifaires asso. la caserne du bas, ciés ont assailli simultanément et celle du haut, les logements de sous-officiers d'officiers. ceci est certain, fut cette nuit là Yên-Bay, et absolument dominé par la révolte, nettement sinon par la révolution. Les généralités sont nettes, d'une façon claire et lumineuse.
elles se détachent
Quant au détail de tout cela, à l'historique fidèle, exact de cette pagaie, nul n'était capable de le faire. En ces sortes d'affaires, tout le monde a vu et entendu quelque chose, chacun peut en témoigner à sa façon, à la façon dont il a vu, entendu, senti, dont il a apprécié ; c'est un clavier combien divergent et capricieux. De tout cela et de certaines choses qu'il faut en retranchant dire ou faire valoir spécialement, d'autres qu'il ne faut pas dire, ou sur lesquelles il faut glisser, sort le communiqué officiel, le rapport de l'affaire. Il ne s'agit pas ici d'un bâtard ni d'un est fait et a vu le bohémien ; quand ce rapport jour, il a droit chande pas.
au respect
et on ne le lui
mar-
et dévergondée que soit est sanctionnée par un communiqué ou un rapport officiel elle prend une forme nette sans laquelle on ne pourrait rien faire. Si décousue, chaotique une affaire, dès qu'elle
LA
24
NUIT
ROUGE
DE
YÊN-BAY
Dans l'ensemble, l'affaire de Yên-Bay ce que nous venons d'en résumer.
est bien
le détail, il y a sûrement bien des discorces grands dances. Il y a variantes à perpétuité, de légendes que sont parloirs et conservatoires les chambrées, les cantines, se chargeront bien de les broder et de les entretenir. Dans
en ma vie, affaires J'ai assisté à quelques certaines étaient et nul carrément embrouillées n'aurait bien pu en rapporter tout. De ces affaires on a fait d'abord un rapport aux apparences pures et précises comme tous les rapports. Il faut absolument commencer par là et aucune hésitation n'est permise, diriez-vous d'un Etat-Major qui serait de donner le nom d'un endroit quelincapable conque, même si cet endroit n'en possède pas? s'il de ce même Etat-Major Que diriez-vous Que
ne pouvait
fournir
la relation
d'un
campagne, même s'il n'y a pas pris et s'il n'en a pas su grand'chose ?
épisode part
d'une directe
Il
est indispensable de ne pas rester court, la platede faire un rapport d'établir cohérent, la base, une base solide qui ne saurait forme, exclure
et plutôt
requiert
l'élégance.
Il en sort des choses précisés ou assez précises comme sans doute la relation de l'affaire, de YênBay, il peut aussi en résulter des choses gaies ou
LA
NUIT
ROUGE
DE
YÊN-BAY
25
en passant un exemple monstrueuses, je citerai vécu de ces deux dernières espèces. I — En 1921, j'avais l'honneur de commander Les troupes un poste à la frontière du Kouang-Si. se battaient ; cantonnaises et celles du Kouang-Si au ces dernières furent vaincues, elles entrèrent et me livrèrent munitions.
Tonkin
beaucoup
d'armes
et de
J'étais bien renseigné, je dis tout ce que je savais, je suis né sincère et familier ; sur les points où je ne savais pas, je ne restai pas court, je brodai dans le sens du cadre. dû suffire. Non, certes, mes chefs, doucement subjugués par mon savoir, me demandèrent des choses que nul, pas même les Chinois, n'aurait pu leur dire. J'avais déjà répondu que je n'étais pas en mesure de dire cela , lorsque je et qu'il pensai qu'on allait ne pas être content Cela
aurait
ne fallait pas faire de la peine aux enfants, je déchirai ma réponse sincère et je me mis donc à une histoire tout l'oeuvre, je brodai au plus digne d'un film cinématographique. J'eus la paix, Le bien gagnée. avouez que je l'avais plus roman eut les honneurs cocasse, fut que mon de l'affichage chinois, que les Chinois eux-mêmes a, je crois, été incorporé y firent foi et qu'il dans tes annales, ce monument le plus littéraire ancien et le plus lu du monde.
LA
26
NUIT
DE
ROUGE
YÊN-BAY
II — En
à Damas, qui est le 1924, j'étais Je paradis des musulmanes après Constantinople. fus un jour désigné d'office pour défendre devant le Conseil
de Guerre
qui avait pris à une échauffourée
un
Arabe
au seuil du désert, part, entre nomades et gendarmes syriens et qui passait pour avoir tué un gendarme et blessé un autre. L'affaire
était
à mort
devaient dossier formidable, des papiers avaient dans ce dossier.
importante, s'ensuivre.
des condamnations Elle
un comportait des mois et des mois
depuis été empilés Le
sur d'autres
Président
papiers de Conseil
du
Guerre était un ancien Capitaine de gendarmerie, cette affaire le passionnait, et, il faut dire aussi, on se soutient. que dans la gendarmerie Je n'ai pas encore pièces du dossier, la je m'en étais aperçu le rapport était de
dit : La
tout
première des fausse était
I, pièce N° tout de suite. Cette pièce un l'échauffourée fait par lieutenant de gendarmerie syrienne de Kuneitra qui n'avait rien vu ; mais avait fait le rapport l'abbé VERTOT a fait quand même. Après tout, la
relation
du
siège de
aucun renseignement
Rhodes
sans
en
avoir
précis.
de goût, juste que pour sauver la tête de mon de protégé. J'y parvins avec une argumentation rien du tout et un verset du Coran : La justice J'eus n'insister
est
la
bonne
soeur de la pitié
idée
ou
le
bon
LA
NUIT
ROUGE
DE
YÊN-BAY
27
cette dernière affaire, il me reste l'impression d'avoir sauvé la vie à un homme qui était peutêtre un assassin. Mais on sauve ce que l'on peut, de toute et j'avais, n'est-il façon, pas vrai, mission de défendre cet homme. De
de Quelqu'un qui fut contrarié lorsque l'affaire Yên-Bay se produisit, ce fut le Général Commandant Supérieur, un beau général certes, un soldat. Il fut surpris très désagréablement. Et il pensa immédiatement à l'action. Il désigna aussitôt le Général des opérations. CAMBAY pour prendre la direction il ne pouvait en être question et D'opérations, c'est ici un point de tactique annamite qu'il est bon de savoir et de souligner. En ce pays, nous l'avons déjà dit, il faut se garder Toute action utile et bien, se garder toujours. toute protection vraîment efficace est préventive, dire. commence là et finit même là, pourrait-on de temps, nous eûmes à subir des coups force, ce pays est uniforme, nous devons toujours en appréhender, d'où nécessité majeure et primordiale De tout
de se garder,
d'être
toujours
vigilant.
de Après certains coups de force, des colonnes police sont nécessaires, dans certains autres, les plus fréquents, elles sont inutiles, tout objectif a disparu.
LA
28
NUIT
ROUGE
DE
YEN-BAY
Les Annamites, subtils et si mobiles, excellent dans l'art de se disperser pour un temps et réapparaître n'est plus tard et plus loin si c'est utile. L'Asie pas le pays de la fantasia et de la lutte en plein vent, c'est le pays du tigre et de l'embuscade, il faut bien le savoir, cela aussi s'apprend et doit s'apprendre. Il
n'a d'ailleurs pas fallu longtemps au Général Commandant Supérieur pour constater que d'opérations point n'était besoin, on ne fait pas la guerre aux moulins à vent guerre
ou aux ombres chinoises. est devenue pratique et objective.
Là
le Résident Supérieur, qui connaît D'ailleurs, son Indochine trouva sans effort la vraie formule : une colonne mobile de 200 gardes indigènes sous le commandement de l'Inspecteur MOGUEZ fut formée et partit de Hanoi le 18 Février. Elle opéra pendant
un mois.
mois durant, sans phrases, sans pompe, les gardes indigènes firent du bon travail. Un
LA
NUIT
ROUGE
!
SURPRIS
DE
YÊN-BAY
29
?
POURQUOI
avons été surpris.
Nous
Surpris, alors qu'il y avait en l'air tant d'avantcoureurs d'une action possible de révolutionnaires de cette action dans les milieux et d'une, infiltration militaires. LE TACON, Commandant Commandant d'Armes de Yên-Bay fut prévenu deux fois quelques heures avant le drame. Il ne sut ni recevoir bien les Le
renseignements Pourquoi le dire.
ni les utiliser.
avons-nous
été
surpris?
Je vais vous
ce que l'on sème. Yên-Bay de 10 ans au moins de mauvais travail. On
récolte
résulte
même un peu à Pour bien dire, cela remonterait la guerre. On envoya en France 20 bataillons indochinois bataillons
dont
la plupart
furent
utilisés
comme
d'étapes.
En France, ils furent commandés par des cadres : des éclopés, des de fortune ou plutôt d'infortune béquillards.
LA
30
NUIT
DE
ROUGÈ
YÊN-BAY
A la fin de la guerre avec ces chefs qui l'étaient parfois si peu et qui n'étaient pas coloniaux du tout, les Annamites avaient pris des mauvais plis, ils avaient
besoin d'une remise en mains.
est souple, il est d'Asie. La force L'Annamite en Asie c'est la souplesse, elle vaut mieux que la force proprement dite, aussi bien que l'intelligence vaut mieux et habille mieux que l'instruction. Souple comme il est et comme l'Annamite peut être repris en mains, se refond très vite. Après la guerre on cette remise en mains; il restait à ce core assez de coloniaux armes en Indochine.
il
le
reste, il se fond ou fit en réalité moment en-
et d'Indochinois
sous les
Depuis la fin de la guerre, on a continué à indochinois en France, mais envoyer des tirailleurs de ceux qui la remise en mains et la réadaptation reviennent en Indochine, ont été plutôt mal faites. A partir de 1920, en effet, le personnel militaire compétent alla toujours en diminuant. La colonie fut envahie par bien des gens qui ne la connaissaient pas et qui n'y seraient peut-être traction de bonnes soldes.
jamais venus sans l'at-
Les
soldes étaient devenues très avantageuses du seul fait de la après guerre en Indochine baisse du franc et de la hausse de la piastre, monnaie métal indochinoise avec laquelle la solde était payée. Certes,
on n'avait
pas prévu
cela. Qu'avait-on
LA
NUIT
ROUGE
DE
YEN-BAY
31
ou répercussions bien prévu des conséquences de la guerre mondiale? Pas grand chose et l'on pourrait, aussi en passant, signaler quelques unes de ces imprévisions. Nous sommes
en guerre sans connaître On bien l'emploi tactique de la mitrailleuse. la mitrailleuse comme une arme à considérait pour battre de plein fouet des routes employer et des défilés. La guerre démontra que la mitrailpartis
leuse est surtout une meilleure, la seule.
arme
de
flanquement,
la
n'avait Nul prévu que la première grande bataille de l'âge de la mécanique, de l'électricité et de la vitesse, serait paralysée par le grossier nul n'avait prévu raté d'un manque de munitions, en de siège comme que l'on ferait la guerre Crimée et même pire. Que
des
acrobates
la bourgeoisie, fournirait le
feraient
fortune
et
que clef de voûte de notre vieille société des nouveaux contingent majeur
pauvres. Nul millions
prévu qu'après la mort de dix il ne d'hommes du fait de la guerre, resterait plus, ni dans notre hémisphère ni dans l'autre, assez de place pour loger les survivants. n'avait
Madame
de Thèbes
avait tout
prévu en cette certes bien guerre, sauf sa mort. Elle pouvait se tromper de cela, alors que tous les savants, les
LA
32
NUIT
DE
ROUGE
YÊN-BAY
spécialistes, les techniciens, les statisticiens et autres augures, de la chose positive, se sont trompés sur les questions les plus simples. Ce piastre, coup.
ne
serait
pas
mais
tout,
nous en parlerons
revenons
malheureusement
à la beau-
apprit que sa valeur augmentait montait, qu'une somme de cent piastres multipliée par des francs donnait 500 francs puis 1000 francs, puis bien davantage, ce Lorsque l'on qu'elle montait,
fut
la ruée, le rush.. Cette
colonie
d'Indochine
où n'allaient avantcette mare à grenouilles,
que les déshérités, guerre disait-on dédaigneusement jadis, prit de suite un elle fut très demandée, très courue, gros intérêt, très disputée. Du côté personnel civil, il n'y eut Il y avait avant guerre un cadre pas d'arbitraire. de fonctionnaires qui avait vécu médiocrement mais ne demandait rien et qui s'était donné pour rien ou pour si peu, comme l'on savait se donner jadis. Il fut assez ébahi de cette manne qui lui tombait du ciel. Le
des candidats aux vacances de personnel ce cadre de fonctionnaires augmenta considérablement et ceci fut normal en raison de l'amélioration sensible de la situation. Il arriva que des civils des cadres étrangers à l'Indochine des Africains par exemple, se glissèrent dans les cadres indochinois, ce fut une minorité et, toutes proportions
LA
gardées,
NUIT
une petite
Chez les eut compétition
DE
ROUGE
YÊN-BAY
infiltration
33
seulement.
ce fut autre énorme et ruée bien
militaires
chose, il y caractérisée.
des troupes Général JUNG était Directeur coloniales au Ministère de la Guerre, 8e Direction. Le
certes, il signait pour le Ministre Il n'en usa pas toujours au profit dire de l'Indochine ; parfois, faut-il pour être peut juste, ce fut un peu contre son gré. On cependant ajouter, dans le même souci de justice, qui a affaibli la chose que c'est sa méthode Omnipotent, et par ordre.
militaire était
indochinoise. sa méthode.
Voici
d'ailleurs
quelle
Du
était devenue riche moment que l'Indochine il convenait de n'y pas renvoyer ceux qui en venaient, chacun devait aller meubler ses finances à son tour en Indochine et, à cette règle, digne du Dieu des marchands, il n'y avait exception qu'en faveur Au
des gens qui étaient
Ministère de la Guerre, ce fut une invasion journalière,
recommandés. à la 8e Direction, d'intricontinuelle,
bureaucrates, gens des sergants, de quémandeurs: vices, parlementaires, toutes sortes de gens influents, directement ou par ricochet qui avaient quelqu'un à recommander ou à caser, à qui l'on donnait l'Indochine tout en demandant pour le protégé, autre chose pour soi ou ses protégés.
LA
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NUIT
ROUGE
DE
YÊN-BAY
peut nier les tractations auxquelles ont donon les né lieu les désignations pour l'Indochine, mais dans l'armée coloniale, dans niera peut-être, les milieux coloniaux, dans le monde des hommes On
on sait politiques, des parlementaires, existé et on ne les oubliera jamais.
qu'elles
ont
Elles eussent lassé et fait partir tout autre Directeur que le Général JUNG. Lui tint bon et resta. des principes et, ces principes, il les à ceux qui n'avaient pas de parrains.
Il affichait appliquait
Egalité d'abord. Tout militaire revenant d'Indochine n'y retournait pas, à moins qu'il ne fût bien entendu. recommandé, Il se fâchait
tout rouge chaque fois qu' un officier qui avait servi en Indochine jadis, y
ou sous-officier avait créé même un foyer, demandait L'Indochine n'avait pas besoin" de
à y revenir. spécialistes!
quand, qui pouvait y servir n'importe n'importe où, pour faire n'importe quoi, n'importe comment. Et voilà. N'importe
Ce grand chef avait d'autres idées. Il estimait que le personnel militaire qui, servant en Indochine gagnait ainsi beaucoup d'argent, pouvait être handien grade et l'octroi des capé pour l'avancement décorations. C'était mêler injustement des questions d'argent à des questions de mérites. Qui dira bien que ceci n'est pas vrai ? Il trouva autre chose !
LA
NUIT
ROUGE
DE
YÊN-BAY
35
Jadis, au temps des précurseurs, des grands généraux colonisateurs et des amiraux gouverneurs des colonies, dans le but d'attirer un noyau des gens d'anexpérimentés on. avait facilité l'établissement ciens officiers aux Colonies. Une survivance de cette mesure qui a tant servi la colonisation existait dans la réglementation sur le tour de départ du 23 Octobre 1919. En 1923, le Général JUNG fit refondre cette réglementation et la fit remplacer par une autre, qui, ne reproduisit pas la clause bienintentionnellement, veillante accordant possibilité aux officiers en fin de carrière de se fixer dans la Colonie de leur choix. Moralement parlant, cette suppression, opérée fut une mesure sans ancune disposition transitoire sur arbitraire, elle violait les engagements de l'Etat lesquels bien des gens honnêtes avaient logiquement
tablé et bâti. des générations, les officiers coloniaux ont vécu sur le faux brillant et le mirage d'une libération aux colonies qu'ils étaient si peu certains, d'atteindre, (car la route est longue, dure, semée d'écueils. et de croix de bois) pour être Pendant
un jour. privés de ce droit par la volonté arbitraire d'un chef, qui n'a fait en somme que passer., Il y a plus de 25 ans que tous ceux qui ont des yeux pour voir, lisent les affiches appelant sous les armes vers la rengagés engagés et
LA
36
NUIT
carrière coloniale, pour plus colonies.
tard,
ROUGE
DE YÊN-BAY
au minimum, en leur promettant, aux des facilités d'installation
Depuis la fin de la guerre, les mêmes affiches s'étalent partout et font les mêmes belles promesses qu'il serait injuste de ne pas respecter et tenir le plus largement. Certes, on ne ménagea pas Les mesures injustes et les vexations aux Indochinois (ceux qui avaient et la connaissaient déjà servi en Indochine, voulaient
y revenir).
Dès qu'il en paraissait un dans un bureau du Ministère de la Guerre, du Ministère des Colonies, était du corps d'armée colonial, toute bienveillance bannie, à moins que cet impur ne fût recommandé, encore fallait-il qu'il le fût bien. était un impur. On n'a jamais Car l'Indochinois travaillé en Indochine, soutenait une théorie absurde et profondément injuste : on y fume l'opium, les interprètes, les secrétaires, les boys font le travail. malveillant et stuparfaitement et Indochinois Indochine pide, pure calomnie, valurent et valent mieux que cela. Raisonnement
Lorsque l'on monte au bâtiment où perchent de la les bureaux de la 8e Direction (Ministère on prend un escalier au bas duquel il Guerre), y a un annamite en pierre de grandeur naturelle. Est-ce
donc une statue profane
que l'on a mise
LA
NUIT
ROUGE
DE
YÊN-BAY
37
dans cette maison austère ? sans doute
le témoin muet et reconnaissant des heures dures et laborieuses que vécurent les anciens. Non,
En
ces dernières
de vaches années, temps des Indochinois ont grasses pour l'Indochine, escalier pour aller demander leur retour pris cet avaient bien servi ; certains en ce pays qu'ils voulaient s'y fixer après un dernier séjour et croyaient, sur la foi de textes antérieurs et de la en avoir le droit. tradition, La plupart sont descendus après refus indignés et sarcasmes.
avoir
essuyé
avaient changé. Avoir servi en temps n'était Indochine pas un titre à précédemment, une désignation nouvelle; vouloir s'y fixer n'était n'avait pas besoin de plus un droit, l'Indochine Les
gens spécialisés, aller à son tour.
chacun,
en principe,
devait
y
ait évincé Passé encore que l'on ceux qui voulaient simplement y faire un nouveau séjour. Mais, pour ceux qui voulaient s'y fixer et y et moraux avaient ces droits matériels indiscutablement établis, ce procédé était dépourvu de bienveillance, tout bonnement à l'intérêt bien compris de
arbitraire et nuisible la cause coloniale.
Se fixer dans une colonie, pour un Européen, est en apparence une destinée anormale, voire
LA
38
NUIT
ROUGE
DE
YÊN-BAY.
misérable. à laquelle la En réalité, c'est une orientation carrière militaire coloniale conduit insensiblement. On la provoquait comme jadis, on l'entretenait l'esprit de corps, elle a procuré à la colonisation des pionniers. de choix, française des ouvriers sans On n'avait pas le droit de supprimer, transition aux militaires coloniaux en fin de carrière, la possibilité, de se fixer dans une colonie. et fait a été une mesure ingrate à la cause coloniale, on a violé la préjudiciable on a forfait, par ailleurs, aux engagetradition, ments de l'Etat. L'avoir
M. POINCARÉ, est a dit excellemment L'Etat, un honnête homme. C'est aussi mon avis, mais je crois que l'Etat peut, être parfois servi par des gens qui n'ont pas assez de souci de l'intérêt général ni assez de bienveillance.
lu dans Buffon, ce magicien des Avez-vous mots, les pages courtes et délicieuses qu'il a écrites sur certains, animaux. L'une d'elles que je relis souvent dans une anthosiècle est logie des écrivains français du XVIIIè l'oisavoureuse, elle, a pour titre particulièfernent seau mouche le plus élégant par la forme, le plus
LA
NUIT
ROUGE
DE
YEN-BAY
39
l'oiseau mouche ; qui par les couleurs, vit parmi les fleurs, dans les contrées où sans cesse et qui semble voler, sur l'aile elles se renouvellent des Zéphirs, à la suite des printemps éternels... brillant
Dans la. même facture, aimable et fine, à 5 pages il a aussi parlé du cheval; ce qu'il, n'en d'intervalle, a pas dit vaut mieux que ce qu'il en a dit. l'autre, est un Le cheval, pas celui de Buffon, animal qui doit être dominé et qui n'est fait que pour
cela.
Dominé, il rend, il sert. Mais il sait reconnaître s'il est mal monté, mal conduit et, dans ce cas, il agit à sa guise, débride sa fantaisie et ses caprices, devient ou peut devenir une carne. Je ne vous mène pas au cirque ou à la fantasia arabe, pas plus celle de Tunis que celle de Damas, nous sommes toujours au Tonkin près de Yên-Bay Et c'est et de la nuit rouge du 9 au 10 Février. toujours
d'elle
qu'il
s'agit par des chemins
bordés
d'aubépines. Cet oiseau mouche, ce colibri, peut être l'Annamite par ses formes et ses couleurs, par son amour des fioritures et des mignardises. Laissons-le à ses griseries de lumière rien de bien grave à cela. Le mauvais
et de soleil,
cheval qui n'obéit pas parce qu'il a un mauvais cavalier, peut aussi être l'Annamite et c'est plus grave. Cela commence ainsi et finit où
LA
40
peut finir
par
NUIT
ROUGE
DE
YÊN-BAY
Yên-Bay.
Vous connaissez la chanson de Fortugé jeune et ça ne sait pas...
? — C'est
Ne pas savoir lorsqu'on est jeune passe et c'est même charmant, parfois ; mais nous ne sommes plus très jeunes en Indochine. Il y a 45 ans que nous avons débarqué la division Millot avec les Généraux NÉGRIER et BRIÈRE de I'ISLE. Nous avons appris jadis, nous avons su et nous avons appliqué notre savoir au travail du lendemain. Si nous avons oublié, si nous n'avons plus de gens qui savent c'est que nous n'avons pas su entretenir
le feu sacré. C'est une erreur.
Il est des gens épais de corps et d'esprit qui ont pu penser que l'Annamite manque de courage, qu'il a tout du bibelot, de la poupée d'ivoire et qu'il n'y a pas lieu de se gêner avec lui. Erreur aussi, erreur grossière. L'Annamite
est courageux, il y a très souvent une très grosse énergie sous sa grâce mièvre. Il est capable d'un grand dévouement lorsqu'on a su mériter celui-ci. J'en citerai deux exemples puisés dans mes propres souvenirs. Le 29 Janvier 1909, 2 miliciens de Bac-Giang à qui prenaient part l'attaque des fortins de Cho-Go et Am-Dong furent faits prisonniers (Yên-Thê) par les gens du DÊ-THAM.
LA
NUIT
ROUGE
DE
YÊN-BAY
Le DÊ-THAM les fit comparaître leur demanda s'ils voulaient le servir.
41
devant lui et L'un accepta,
il eut la vie sauve, il profita de la première occasion pour s'évader et venir reprendre sa place dans le rang. L'autre refusa, on le décapita. Le DÊ-THAM me THI-NHO
était assez enclin à gracier, sa femréclama et fit tomber la tête de ce
fidèle à la cause française. gars d'Annam petit BEHANZIN n'a pas eu, certes, d'amazone plus faroula dernière femme du DÊ-THAM. che que THI-NHO, Le
12
Février
1909 dans la forêt de Dongles abords du lieu du combat Vuong, en fouillant un pirate qui avait reçu de la veille, on trouva une balle dans la poitrine. Il fut soigné à l'Ambulance et remis sur pied. où il fut considéré comme guéri, Au moment le colonel BATAILLE le fit appeler et lui demanda s'il voulait le servir. L'homme releva fièrement la tête et refusa en ces termes : « Vous avez attaqué le DE-THAM, vous n'en « aviez je croîs pas le droit, ceci ne me regarde « d'ailleurs pas. Je n'ai connu ni mon père ni ma « mère, c'est le DÊ-THAM, qui m'a élevé et ici il à manger « précisa : il ma donné quand j'avais « faim, à boire quand j'avais soif, il m'a habillé, les « seules caresses que j'ai reçues comme enfant c'est « de lui; je lui dois tout, j'étais heureux de le « servir.
LA
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NUIT
ROUGE
DE
YÊN-BAY
captif si « Je suis entre vos mains, gardez-moi « vous le voulez, car je ne désire pas vous servir le « Mais si vous me relâchez, j'irai , retrouver « DÊ-THAM, —
Le DÊ-THAM
—
est hors la loi.
Je ne connais pas votre mon bienfaiteur »
loi, le DÊ-THAM
est
de la mauvaise graine, on le décapita vu cela et c'est bien triste, je vous assure.
C'était j'ai
au supplice Il marcha simple, calme et froid sommaire et sans apparat d'un coin de forêt. Il s'apcar pelait SAO... A ceci près qu'il était dans l'erreur, n'était au fond qu'un pirate, l'attale DÊ-THAM chement de Sao à la cause du maître, a la pureté de cette flamme qui brille dans l'âme des héros, des apôtres et des martyrs. du citer beaucoup d'exemples pourrait dans le bien parfois, dans le courage annamite, dans la vie mal souvent, il en existe journellement courante. On
sur les champs de bataille et dans les combats de brousse, que nous avons appris à conle bon et le mauvais ; cela nous naître l'Annamite, C'est
a parfois coûté très cher, rien ne coûte plus cher que l'expérience de la guerre en Asie. Puisque nous avions appris, nous n'aurions pas dû oublier, nous n'aurions pas dû cesser de travailler logiquement,
dans le sens de l'expérience
acquise.
LA
NUIT
ROUGE
DE
YÉN-BAY
43
Entre
la prise de Bac-Ninh, le combat de HoaMoc, les colonnes de la grande piraterie et Yênet Bay, il s'est placé quelque chose de déprimant de dissolvant : la piastre, l'art nouveau. Au
bout de cela, il y a eu une espèce de Cadu monde il y poue et après tous les Capoue a Zama. moment que nous faisions délibérément et légèrement fi des enseignements du passé, un jour ou nous devions infailliblement l'autre, en Indochine, avoir des aventures tragiques. Tous ceux qui connaissent bien ce pays les appréhendaient, la réalité brutale ne les a pas vraiment surpris. Du
LA
44
NUIT
ROUGE
ET
INDOCHINE
D'AVANT
Sortie meurtrie
DE
ARMEE
YÊN-BAY
COLONIALE
GUERRE
et frémissante
d'une
longue période de tutelle chinoise, du gros oeuvre de l'occupation française et des heures rouges de la grande piraterie, d'Indochine put, à partir de 1895, se mettre partout au travail sous l'égide française. fut marLa nouvelle tutelle, au début surtout, tiale, parfois rude et il le fallait. Elle fut cependant de empreinte de bienveillance, de justice et surtout désintéressement. Elle a donné des résultats excellents que nul ne saurait contester ou nier. On
dit
aujourd'hui
des choses merveilleuses
et
assez souvent justifiées de l'Indochine, on dit surtout qu'elle offre une vie facile, large, quelquefois opulente. Mais on ne sait pas assez combien de travaux de misères et de peines sont à la base de ces merveilles ni que la magicienne actuelle — j'ai nommé l'Indochine — fut d'abord une mangeuse d'hommes. En fait, un peu comme Saturne, pendant longtemps, elle dévora ses enfants ; les ouvriers, les pionniers de la première heure, ceux qui malgré tout, lui ont
LA
NUIT
ROUGE
DE
YÊN-BAY
45
fait sa belle parure et lui ont ouvert l'avenir. L'Indochine, de l'occupation
certes, ne s'est pas donnée au début française.
Infestée de bandes locales et chinoises, rude, hostile, meurtrière, il a fallu la prendre. Et si elle est devenue si belle, c'est qu'en sa brousse, en sa jungle, en ses champs, se sont épanouies bien des fleurs du sacrifice. Voilà ce que l'on ne sait pas assez et qu'il faut redire dans le culte d'un juste souvenir. Je n'aime pas faire de la peine aux enfants, ni parde choses graves. Si, contrairement ler inutilement à ma nature, je viens donc projeter un peu de grisaille sur les rêves des hommes nouveaux d'Indochine, et argentins, c'est avec sur des tableaux rutilants l'intention de tendre justice aux pionniers et précurseurs, aux ouvriers de la première heure, à ceux que l'on oublie volontiers et qui sont restés en chemin « en leur rêve enlacé ». pour toujours dormir A ceux qui croient ou qui disent que l'Indochine est un pays profane, impur et qui en parlent légèrement, je dirai, en passant, que d'autres, les anciens, y ont sanctifié leur vie, que d'ardentes jeunesses s'y sont émoussées, fondues, brisées. Il faut voir et considérer ce pays non à travers les vains propos et les apparences du moment, mais à travers ses oeuvres, ses archives, ses monographies, son histoire. Jadis, ô vous qui vous extasiez béatement et ne savez pas bien la genèse indochinoise, on ne durait pas
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LA
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DE
YÊN-BAY
en ce pays, lorsqu'on s'y attardait. Le séjour dans la vie abrégée sommaire et rude des débuts, était brutal, meurtrier à la longue. On ne vivait pas sa vie, on la brûlait sous les atteintes du climat, les fatigues du travail, les plaisirs violents parfois. Le Pactole n'y coulait pas. encore, c'était un autre il ne roulait pas des fleuve, une espèce d'Achéron, paillettes d'or, mais des vies humaines. Il avait deux sinistres tributaires : la fièvre et la dysenterie. Voilà aussi ce qu'il convient de ne pas oublier, ce qu'il y a et la cascade eu avant le confortable d'aujourd'hui, dés piastres. Pour atteindre
40 ans, autrefois en ce pays, il fallait être très fort et résistant, arriver à la cinquantaine était assez rare, ceux qui ont atteint et dépassé soixante ans avaient l'étoffe de centenaires. de ce temps semblait une belle fille mais avait sauvage qui ne sentait pas la parfumerie, plutôt l'haleine forte, à la façon de ces filles brunes aux yeux de velours, qui suivaient jadis les caravanes sur l'antique route de la soie. L'Indochine
fille sauvage et capricieuse, savait attirer et séduire. Aucune fille, aucune femme ne fut aussi tyranique. Elle exigeait que l'on se donnât tout et sans conditions; il fallait la servir dans l'obéissance, la discipline, la pauvreté. Cette
A son service se sont consumées bien des jeunesses et des maturités, mais ce ne fût pas en vain. Au seuil
LA
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ROUGE
DE
YÊN-BAY
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dans là de la grande guerre, après 20 ans de travail française bien organisée, bien en paix, l'Indochine mains, était apte à l'effort et à la coopération. Elle fit à elle seule, pendant la guerre, en matière autant que toutes les de contribution matérielle, autres colonies françaises réunies. Elle donna, en cette circonstance majeure, la mesuré éclatante de sa puissance, de sa vitalité et de son loyalisme. M. UNTEL, VOUS qui résultat, voyez-vous, a été préparé et croyez avoir découvert l'Indochine, atteint par les précurseurs, les pionniers, leurs suivants, tous ceux qui ont travaillé dans l'a bonne méthode qui leur avait été tracée. Ce
Car, il faut de la méthode et traditionaliste. uniforme
dans ce pays, si
nos colonnes à l'ocLes chefs qui ont conduit avaient cupation du Tonkin ; clef de l'Indochine, Ils faisaient, heuunité de vue et de doctrine. reusement, ditions.
grand,
cas des précédents
et
des tra-
Les résultats acquis en Indochine, avant guerre tenaient à l'unité de méthode et à l'observance du les gros facteur psychologique ; les mécomptes, accidents dérivent et dériveront toujours des coups de tête
et des caprices.
avant guerre Les gens qui servaient au Tonkin non. pas en théories savaient et avaient appris, mais dans le ou abstraites, confuses, imprécises
LA
48
travail
NUIT
et l'action.
dans le
personnel connaissaient
qui l'aimaient servaient
ROUGE
DE
YÊN-BAY
avait ce temps, l'Indochine de tous les services, des gens avec lui, le pays, communiaient En
dans
ses gens et dans sans calcul, pour servir.
ses choses,
le
Ces gens vivaient sur le terrain à la façon des eux, rien indigènes et même de la faune. Avec arriver. de mal ne pouvait le vrai Tonkinois En ce temps, le Tonkinois, existait encore ; on ou le vieux Tonkinois le considérait
comme le right man in the right place, aucune éminence n'avait encore décidé que l'on du jour au lendemain et peut devenir Tonkinois se priver de la même façon que l'on pouvait services des du Nous des anciens pays. avons vu ce qu'il en a coûté et ce n'est pas fini. Les fautes de ce genre se payent très cher en ce ne peuvent se répays, les suites d'un Yên-Bay duire
jamais complètement. Le Tonkinois, le vieux Tonkinois
portait moustache ou barbe, il était le plus souvent guêtré, il avait Il toujours une selle dans les bagages. avait aussi un flacon de teinture d'iode, pour les révulsions pour en brésilienne.
sur le foie; avoir usé,
de bonne ce qu'était
heure l'ipéca
il savait à
la
Ses bijoux, quand il en avait, étaient des déde tigres des pires fauves, des griffes pouilles montées sur or ou sur argent.
LA
NUIT
ROUGE
DE
YÊN-BAY
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Il était fortement embouché, il se donnait dans Il savait tout faire, le verbe comme dans l'action. car dans ce temps, on travaillait beaucoup et on réalisait avec peu en Indochine. Il avait des manies, d'ailleurs
inoffensives.
D'après lui, il possédait le meilleur cheval, le meilleur fusil de chasse, le meilleur chien et la meilleure femme indigène. Sur ce point, certes, il était charitable de ne pas le contrarier ; mais disons bien entre nous, que nul n'a le meilleur cheval, ni le meilleur fusil, ni le meilleur chien et surtout pas la meilleure
femme indigène.
Malgré son plein de manies et même de défauts on peut le répéter, le Tonkinois a beaucoup fait avec peu. Il a ouvert des routes, les a. tracées, piquetées, implantées dans la brousse et l'humus, à son pauvre corps défendant. Il a construit aussi bien des bicoques, parfois, sur les ruines de il en a fait une pour lui-même, sa belle jeunesse. Il passait vite C'est lui qui a fait l'Indochine. à la façon des printemps et des tornades, mais de son passage, il partout il a laissé l'empreinte a fait oeuvre utile et durable. qui a dressé le serviteur et l'auxiliaire annamite ; qui nous a fait notre vieux bep, notre boy, pas le muscadin, mais celui qui fait la chambre, qui peut soigner un cheval, sait laver, et repasser, C'est lui
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DE
YÊN-BAY
recoudre un pantalon, au besoin le ferait ou le referait. Le Tonkinois de race a disparu ou s'est bien raréfié ; il a élu domicile dans les cimetières, c'est là que Ceci n'est pas l'on en trouve le plus aujourd'hui. très argentin ni très dancing, c'est une évocation de labeur, de pauvreté et, en fait de tango, celui de la mort par la dysenterie, la fièvre, l'anémie, l'usure prématurée. Salut aux précurseurs, aux pionniers, aux ouvriers de la première heure, à leurs suivants, à tous ceux qui, sous ce ciel de plomb fondu, se donnèrent sans compter, sans arrière-pensée de bénéfice personnel, pour le seul profit de. la bonne cause française en Asie.
Du temps que l'on y travaillait ferme, l'Indochire avait une armée spécialisée, elle s'était d'ailleurs spécialisée toute seule et tout naturellement. D'abord, il y avait eu la campagne peur occuper le pays, puis la lutte contre les grandes bandes de pirates. Ensuite, nul ne courait après les désignations où la vie devenait de jour en jour pour l'Indochine, meilleure,, faut-il bien dire, mais où la solde était faible, et le sort médiocre. Les favorisés de ce temps, allaient
en Afrique,
LA
c'étaient
NUIT
toujours
ROUGE
les
DE
YÊN-BAY
mêmes
qui
revenaient
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en
Indochine. Au fond, ils ne s'en plaignaient pas, beaucoup, même mieux cela, j'ai bien dit plus aimaient haut que l'Indochine savait attirer, séduire et retenir. n'est pas besoin d'ajouter que du haut en bas de l'échelle, l'armée indochinoise vivait au contact de nos protégés et qu'elle savait de quoi était fait l'air Il
qu'elle respirait. qu'il n'y eut pas de soubresauts et de drames serait inexact ; il y eut, notamment eu 1908 1909, une grosse reviviscence de piraterie, provoquée par le DÊ-THAM, un vieux pirate soumissionDire
naire installé entre le delta et la moyenne région dans des forêts quasi vierges et dont toute la vie de soumissionnaire se passa dans les machinations, et les complots.
Une vieille
plaie,
on y mit le fer
rouge sur la 1913, une bombe lancée à Hanoi terrasse du « Hanoi Hôtel » tua les Commandants En
CHAPUIS
et
MONGRAND.
Par ci, par là il y eut prisonniers.
aussi des révoltes
des
il y en aura drame, en ce pays d'Indochine, est un enfant terrible, il est toujours. L'Annamite toujours susceptible de réactions mauvaises ; sans bien réfléchir il changerait de maître tous les jours. N'adans le tréfonds de lui-même, -t-il pas, d'ailleurs, Du
LA
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NUIT
ROUGE
DE
YÊN-BAY
de devenir le maître de ses destinées et l'aspiration l'idée superbe qu'il y pourrait suffire. Ce sont là des points immuables de psychologie, qu'il suffit de connaître pour bien se garder. Se garder, conserver intacte et saine dans sa tonne forme et sa bonne coupe, la gent indigène armée. l'arcelle qui avait combattu mée chinoise pour l'occupation du Tonkin et réduit les grandes bandes de pirates, celle qui connaissait L'armée
coloniale,
le pays jusque dans ses replis intimes et l'avait dans la peau, avait formé des unités de tirailleurs tonkinois
dès la
qui,
première
heure,
avaient
servi
loyalement. étaient aptes Ces unités de tirailleurs tonkinois à tout. Elles ont marché contre les réformistes chinois, contre les pirates des bandes du DÊ-THAM, plus tard on les a envoyées en France, et dans l'action glorieuse entre toutes de la reprise de Doaumont, il y en avait. Elles
étaient
filles
de l'infanterie
de marine, la couru les mers,
plus belle frégate qui ait jamais et de sa suivante la belle armée coloniale
d'avant
guerre. Mais à l'encontre d'aujourd'hui ces unités se recrutaient plutôt dans les campagnes que dans les villes. Rien
n'est
bien
difficile
dans
l'état
militaire,
LA
surtout
aux
NUIT
ROUGE
échelons
DE
YEN-BAY
inférieurs.
53
La
tactique n'a guère progressé puisque d'après le règlement français — un des meilleurs sans doute — les troupes avant doivent être placées face à l'objectif, ce d'attaquer qui est la négation de toute manoeuvre, nous ramène à la tactique linéaire de la bataille de Crécy, nous éloigne considérablement du grand changement de front oblique que fit sur le centre NAPOà 7h30 du soir, le 18 Juin 1815. LÉON à Waterloo, Pour
attaquer droit devant il ne faut pas être très savant, nos vieux doïs à barbiche d'avant guerre y suffirent toujours et il n'y avait pas matière à changer de modèle. Ils savaient à peine, faut-il bien dire, faire leur cahier de service de garde, mais ils avaient l'esprit droit et simple et ne recherchaient ni piment subversives.
ni excitations
dans les lectures
La mission militaire
des gradés indigènes se fut avantageusement accommodée des services de ces vieux gradés des anciennes unités de tirailleurs. Mais, il depuis la guerre, l'art nouveau s'est mis partout, a fallu
rajeunir, était vieux.
rénover,
changer
tout
ce
qui
On a troqué le titre de doï contre celui de sergent, celui de caï contre celui de caporal, au lieu de maintenir les dois en doublure et en subordination des sergents français on en a quasiment fait leurs ainsi considérablement l'autorité égaux, diminuant des gradés français. Ce fut la première atteinte à la
LA
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DE
YEN-BAY
valeur des unités et une lourde faute, d'autant lourde que l'on ne peut revenir sur ces choses.
plus
eût valu conserver comme gradés militaires indigènes de vieux enfants de la campagne habitués à la vie dure de brousse, plutôt que d'aller Mieux
chercher dans les citadins toute une graine de mauvais évolués et de propagandistes. tonkinois, je le répète, ont servi loyalement depuis les premières heures de l'occupation du pays par les troupes françaises ; lorsqu'il a fallu, ils se sont fait tuer crânement, stoïquement. Les tirailleurs
à la côte 208, au Yên-Thé, pendant les opérations contre les bandes de DÊTHAM, une compagnie de marsouins et une compadonnèrent vers 5 heures du soir gnie de tirailleurs Le 21 Février
1909,
sur une tranchée circulaire occupée par 120 rebelles, qui ouvrirent un feu très meurtrier. Dans la forêt très touffue, il faisait déjà presque nuit, l'assaut fut cependant donné avec brio et entrain, mais il n'aboutit à rien d'autre qu'à augmenter les pertes. rester couché au contact très rapproché, quarante mètres au plus. Tout près de moi, il m'en souvient, un tirailleur tonkinois reçut une balle qui lui sectionna la carotide. Sans une plainte, le petit Il
fallut
se vida de tout son sang que l'on gars d'Annam des entendait tomber en cascade sur la jonchée feuilles mortes.
LA
NUIT
ROUGE
DE
YÊN-BAY
55
la nuit hallucinante qui suivit, le feu des arrêté un instant, un chef, c'était pirates s'étant CARINE, celui dont le signalement se terminait ainsi « 30 ans, le regard très dur», emboucha un portevoix et hêla les tirailleurs en ces termes : « Enfants « de 1'Annam, nous continuerons avec acharnement Dans
« la lutte
contre les Français, dans quelques jours " nous leur livrerons un combat dans lequel tous « ! venez à nous, nous vous Tirailleurs périront. avec joie et reconnaissance, vous "accueillerons « participerez « Français ».
avec
nous
à
la lutte
contre
les
Il eût été facile, certes, de passer d'un camp dans l'autre ; mais pas un tirailleur ne bougea et l'on peut dire, tellement on possédait en ce temps le moral de sa troupe,
que pas un n'en
eut l'idée.
Les troupes indigènes de l'armée coloniale d'aet loyales, certes, vant guerre étaient disciplinées cela ne vient pas tout seul. Les principes de discipline, de soumission et de et s'apprennent ; ceci s'appelle loyauté s'inculquent cultiver le moral. comprise, bien menée, la culture du moral s'exerce vingt-quatre-heures par jour, tout y concourt dans la vie militaire, depuis les petits gesBien
tes, jusqu'aux
plus grands.
LA
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DE
YÊN-BAY
y concourt, au rythme des principes généraux de la subordination que tous les élèves capon'ont jamais raux ont appris sans effort et qu'ils pu oublier, parce qu'ils sont coulés dans une prose sublime. Tout
la discipline, cependant, pour une troupe, n'est effective que dans le travail, le travail matériel et moral. Une troupe qui ne et n'est pas entretenue travaille pas suffisamment Entendons-nous
bien
il faut moralement, perd en esprit de discipline; dire plus et mieux, une troupe oisive ne peut être disciplinée. Le mot discipline est donc inséparable du mot
travail.
polémiques qui ont suivi la monstrueuse affaire de Yên-Bay on a parlé de l'évolution des tirailleurs. Dans
les
c'est un mot grand et riche, un mot Evolution, plein de mouvement, un mot de kaléidoscope, mais ce n'est qu'un mot. Appliqué à des militaires, il est vide, il ne signifie rien. Tout
évolue
dans la nature, mais sous l'action de la discipline, le frein le plus perfectionné que l'on connaisse, on n'évolue pas sous les armes. On réfléchit à peine et juste ce qu'il faut pour l'accomon ne discute pas, on reste plissement des rites; sans mot, sans phrases, dans le cadre beau et sévère des charges et des devoirs. Concluons
! Une
troupe
en mains, une troupe
LA
NUIT
ROUGE
DE
nourrie moralement et tenue pas, surtout dans le mal. La
YEN-BAY
en haleine,
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n'évolue
résulte en a sévi à Yên-Bay grande partie, pourquoi ne le dirait-on pas ? de l'insuffisance et de l'incompétence des cadres, de la mauvaise méthode qui, direct complément pendant 10 ans présida à la désignation du personnel destiné à servir en Indochine. révolte
qui
Les explications les plus simples et les plus courtes sont les meilleures, la vérité est une fille rustique sans fard et sans atours.
LA
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NUIT
ROUGE
INDOCHINE
DE
YÊN-BAY
D'APRÈS-GUERRE. LA
RUÉE
Après la guerre, le colonial de race, le colonial de vocation, n'alla pas faire de l'occupation et se pacela eût été pour lui du vaner chez l'ennemi, bricolage. Il reprit la direction des grandes routes du monde et revint vers les pays auxquels, lambeaux par lambeaux, il avait donné sa belle jeunesse. Dans la mesure des possibilités, chacun alla vers le pays de ses préférences : certains, vers les sables du Soudan ou la flore opulente de l'Afrique centrale ; d'autres vers les colonies d'Asie et vers la Chine. Beaucoup allèrent vers les pays du Baroud, Maroc et Syrie ; quelques-uns enfin vers les îles heureuses où s'écoule une vie enchantée les cantilènes. Les Indochinois
revinrent
dans les gazouillis naturellement
et
en In-
dochine. Ce pays s'était maintenu en forme malgré la guerre. La plupart des militaires de carrière pardes troupes avait été fourni par tis, l'encadrement des éclopés du front de France, piètres coloniaux en
LA
NUIT
ROUGE
DE
YÊN-B4Y
59
et réalité, et, heureusement, par des fonctionnaires mobilisés sur place. Non commerçants d'Indochine, seulement le pays d'Indochine s'était maintenu en forme, mais il avait fourni à lui seul une contribution matérielle égale à celle de toutes colonies réunies.
les autres
Dès la fin des hostilités, les grands éclopés, coloniaux de circonstance, furent rapatriés, les fonctionnaires et commerçants mobilisés furent libérés ; des relèves vinrent de France et l'on reconstitua la force armée d'Indochine. La guerre avait fauché bien des coloniaux, il en restait cependant assez pour en mettre un peu partout et repartir du bon pied. Mais
il se produisit, avons-nous dit plus haut, Six mois après la fin quelque chose d'inattendu. de la guerre, la valeur de la piastre se mit à monter, lissait.
pendant
que celle
de notre
franc
s'avi-
Les
soldes, d'ailleurs largement comptées, étaient payées en piastres. Les économies réalisées, converties ensuite en francs, représentaient des sommes très rondes. Vers
ce pays d'Indochine devenu si argenté, fut la ruée ce de gens nouveaux dont le sort de ne faire que passer et qui était, en principe, ne s'attachèrent pas assez au pays. Certains pensèrent l'Indochine avait été que toujours avec légèreté
LA
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DE
YÊN-BAY
ainsi, douce et généreuse ; que les postes, les gîtes cela s'était d'étapes, les ponts, les routes, tout fait tout seul, au chant des cigales, à la caresse des pankas, à la fraîcheur des apéritifs. glacés. du sort de l'amélioration du militaire d'après guerre, car jadis c'était la pauvreté, une pauvreté dorée. On a beau dire que On
doit
se réjouir
la pauvreté sanctifie une existence, qu'elle est amie du travail, de l'audace et de l'effort, qu'elle construit
et crée, ce sont là des formules, raisons.
de mauvaises
Il est indispensable d'être convenablement payé, une solde inférieure est incompatible avec la dignité et de la fonction, la raison la plus de l'homme logique et la plus morale est là. Un effort a été heureusement fait partout dans ce sens depuis la fin de la guerre. En Indochine, réalisée a été large. Mais, pour une l'amélioration fois, il eût fallu accueillir avec calme cette manne, au lieu
de s'cpandre en enthousiasmes bruyants et débordants, de tenir ensuite des propos légers, de proférer même des calomnies. Pour
et garnirent leurs beaucoup qui profitèrent n'était qu'un pays impur, portefeuilles, l'Indochine qu'il fallait tout au plus considérer avec l'aimable mépris que l'on mercantis. Il
se broda
légendes
avait
pendant
la guerre
pour
les
sur ce pays qui donnait tant, des extraordinaires. A ceux qui allaient partir
LA
NUIT
ROUGE
DE
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par le nouvel Eldorado et le Pactole, on racontait que les auxiliaires indigènes faisaient tout. L'Européen, pour sa part, se prélassait uniquement sur la chaise longue. Le plus comique, le plus cocasse, était de voir l'air des arrivants, en constatant outragé et indigné que le boy ne fait pas tout, qu'il lui arrive de faire bien des choses mal; que le cuisinier sait faire sauter l'anse du panier et rater ses sauces ; que le blanchisseur travaille parfois mal, de même
de France
attirés
que le repasseur; que tout se paye en Indochine et même assez cher; et qu'enfin il faut travailler même beaucoup dans ce pays, si l'on veut que tout aille bien. Il y a de la légèreté, de l'inconscience chez les gens qui ont pu dire ou qui pensent que l'ndochine est le pays de la chaise longue. Si, pour leur part, ils ont fait ainsi le service qui leur était dévolu, ils sont coupables, et plus cyniques encore de l'avoir dit. Il peut y avoir des gens qui n'ont pas honte de palper des soldes élevées en ne faisant rien. Ces mêmes gens demanderont
aussi pourquoi
il y a eu
Yên-Bay. Il en coûte à 1'amour-propre et au respect humain de reconnaître certaines erreurs, certaines fautes et, dans cet ordre d'idées, bien des gens contesteront ou nieront chine,
le but
intéressé de la ruée vers l'Indo-
LA
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NUIT
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DE
YÊN-BAY
thèse est après tout soutenable, toute cause, même mauvaise, peut trouver des défenseurs. Toute
Dans les milieux sonne.
Derrière
l'on ne trompera perles dénégations de parti-pris ou coloniaux,
inconscientes, transparaîtra convoitises, des spéculations
toujours la réalité et des légèretés.
des
Elles ont conduit au drame que l'on ne saurait oublier: des petits tirailleurs, ces bibelots animés, et les fonçant sur leurs officiers et sous-officiers massacrant. En Extrême-Orient, ces genres de tourmentes ont une forme très spéciale qu'il faut bien dire une fois : cinq minutes avant il n'y a rien, le temps est au beau fixe ; cinq minutes après il n'y a rien non plus, le temps est également au beau fixe. Mais dans les il y a eu du massacre. cinq minutes intermédiaires, Massacres heureusement
rares et dont les raisons
sont simples : faiblesse du maître, tendance innée à la a derrière lui toute révolte de l'élève L'Annam une histoire impitoyables. L'Annamite
de révoltes a la révolte
féroces
et de répressions
dans la peau, il doit toune prenne pas une mau-
jours être tenu pour qu'il vaise direction. Une petite image à ce sujet : Prenez un pousse-pousse dans une rue extrêmement longue et droite, montez dedans et laissez partit le conducteur sans rien dire. Normalement il devrait aller tout droit, puisque la, rue est droite et qu'on ne lui a rien dit. Il partira, en effet, tout droit comme une
LA
NUIT
ROUGE
DE
YEN-BAY
63
flèche, mais le plus souvent au lieu de continuer droit devant, il tournera à droite ou à gauche après un petit instant de course. L'Annamite
du bas peuple, l'homme des réactions mauvaises et des coups de main est tout le guider, ou bien, au là. Il faut le conduire, lieu de suivre le bon chemin, il tourne à droite ou à gauche. Bref!
dictée plus par le goût De 1919 pour
riche, ce fut une ruée et le profit que souvent par l'intérêt de servir et de bien servir dans ce pays.
vers
l'Indochine
à
l'Indochine,
1929, les désignations sous raison parfois en réalité, la manne
militaires spécieuse que l'on
furent, d'égalité, attribua aux gens bien en cour, sans distinction, et de capacité: n'imbien entendu, d'aptitudes porte qui, pour faire n'importe quoi, n'importe comment. où, n'importe Les gens qui avaient servi avec des tonkinois étaient, bien entendu, écartés, la langue encore bien plus; parlaient se fixer dans le pays, nous voulaient on les évinça. plus haut comment
tirailleurs ceux
qui
ceux
qui avons dit
Dans tout cela comment la colonie était-elle servie ? Par la force des choses, elle ne pouvait l'être que mal et on en a vu le triste résultat. une sévère leçon et il en découle enseignement, qui doit profiter. Ce fut
un
64
NUIT
LA
AUTOUR
ROUGE
D'UN
DE
YÊN-BAY
ÉCUEIL
Il
30 ans, M. BEAU, GOUy aura bientôt française, adressait Verneur Général de l'Indochine au peuple annamite le merveilleux message suivant : " Nous sommes venus dans ton pays suivant la trace de nos ancêtres, qui depuis 2 siècles, ton rivage. Nous sommes venus, fréquentaient poussés par le même esprit d'aventures, par le même besoin d'expansion qui t'a poussé toi-même à quitter là terre natale pour venir disputer celleci à ses premiers occupants. «
tes moeurs et ton histoire nous croyions apporter à un peuple barbare les bienfaits de notre civilisation supérieure. « Et nous nous sommes heurtés dans un long et sanglant conflit. Ignorant
«
nous nous connaissons Aujourd'hui nous commençons à nous comprendre.
mieux
et
« Nous champs mort.
sommes sur les , nous rencontrés de bataille et nous avons su braver la
« Nous
avons parcouru
tes champs, tes rizières,
LA
NUIT
ROUGE
tes collines et partout labeur incessant.
DE
nous
YÊN-BAY
avons
65
admiré
ton
" Nous sommes entrés dans ta cité et nous l'avons trouvée fondée sur une admirable organisation communale. « Nous
et nous y et le culte des
sommes entrés sous ton toit
avons trouvé le respect de la famille ancêtres.
« Nous avons visité tes temples et nous y avons lu quelques. unes des plus belles maximes dont s'honore l'humanité. « A ton tour, peuple du Tonkin et de l'Annam, comprends-nous ! « Nous ne prétendons t'imposer ni nos moeurs, ni nos coutumes, ni nos croyances. « Nous t'apportons les deux bienfaits qui t'ont fait défaut jusqu'ici : La science, créatrice de la richesse et la force, gardienne de tes biens. « Voici nos colons qui s'initieront à tous les secrets de la science occidentale. Par eux, tu connaîtras le travail de la machine et tu apprendras comment les forces de la être nature peuvent asservies à l'homme
pour alléger son travail. « Nos intérêts vont se mêler aux tiens : notre richesse sera ta richesse, et de même notre force sera ta force. " Contre l'ennemi du dehors jaloux de la fertilité de ton soi et du labeur infatigable de tes enfants,
LA
66
NUIT
ROUGE
DE
YEN-BAY
nous t'apportons le secours de notre intérêts sont confondus « Nos unis. Un nouveau étroitement entre
nous, pacte librement défense des biens communs. « Ton
épée. désormais
et
pacte se fait consenti la pour
se mêle à la nôtre et c'est par aux tiens que s'achèvera ta destinée
histoire
nos fils unis historique;). Merveilleux
ai-je dit, il rayonnait de la plus affectueuse de la plus haute philosophie, il dénotait et généreuse sollicitude, qu'à ce moà ce moment lointain, on avait ment, déjà sondé et on
message,
possédait l'âme
annamite.
On la possédait telle qu'elle est, et telle qu'elle doit être pour des gens qui savent lire ou veudans ce beau livre qu'est lent lire convenablement la question beau livre,
indochinoise. j'ajoute
J'ai bien dit que c'est un que ce n'est pas un livre
d'hiéroglyphes. Mais pour bien lire dans ce livre, il faut analyser en toute indépendance, se dédoubler, faire abstraction de ses sentiments propres, ne pas avoir et d'aventure, ne pas, surtout, l'esprit d'invention vouloir
traduire
prendre
celle-ci
La plus Hottentote, l'Annamite,
d'après sa propre mentalité comme étalon de comparaison.
belle femme
ou
est sa pour le Hottentot le plus beau pays est l'Annam pour la Chine pour les Chinois. Pour eux,
LA
NUIT
ROUGE
DE
YÊN-BAY
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les moeurs les plus douces et les plus enviables sont bien son temps à vouloir les leurs et l'on perdra d'autres idées. leur inculquer l'arbitraire Il est des gens qui ont l'intolérance, et la tyrannie à fleur de peau, ils ne savent admettre, ou un Chinois raipar exemple, qu'un Annamite sonne de façon différente de la nôtre et qu'il traiter l'un ou l'autre de façon spéciale.
faille
eux tout est mystère, méandres ou circonbien y prendre garde, volutions ici, s'ils voulaient tout serait pourtant bien plus simple. Pour
Le
mieux,
sans crainte, . répétons-le est de se dédoubler. C'est
d'expérience, l'on peut, suivant
un
qui ne manque pas mettre à la page. »
Le nerre
drame
néologisme d'éloquence,
à défaut ainsi que
d'après guerre arriver « à se
de
fut un coup de tonYên-Bay dans le firmament des rêves bleus.
Il rappela à tous que le premier de tous les codes c'est l'histoire et que. l'on ne saurait néglises leçons, surtout dans ce pays ger impunément si traditionnaliste. si uniforme, pas les pas, on ne domestique pas grandes forces de la nature. On n'empêche le vent de souffler ni la marée de fluer et de On
refluer.
ne modifie
LA
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NUIT.
ROUGE
DE
YÊN-BAY
ordre d'idées plus restreint on ne peut changer sans danger la façon de conduire des peuples, ces et de traiter des collectivités, peuples fussent-ils de ces menus peuples qui ne sont pas aptes à rester maîtres de leurs destinées et que Dans
un
ces peuples forts mènent ainsi à leur remorque. Les choses de ce pays sont bourrées de psychologie ; la psychologie né s'improvise pas, elle du de l'application, s'apprend avec du travail, temps et de la patience. a une couleur propre et une essence spéciale. C'est la couleur locale, il ne faut pas seulement la chercher dans les effets de paysage et le choix des bibelots. Tout
ici
Vous,
Monsieur, qui avec la mentalité
peut pensiez que l'on de lanet la moralité
jongler namite, commettre impunément toute imprudence dans la façon de le traiter et de le conduire, n'étiez D'autres peut-être y pas à Yên-Bay. étaient à votre place, d'autres y seraient encore demain si vous ne profitiez ou si l'on ne vous forçait à profiter de la leçon qu'a été la révolte du 10 Février dernier. Prenez garde de ne pas parler légèrement de ce pays, ne dites pas que c'est le pays du farniente. autour de vous dans la nature, les Voyez champs sont toujours verts au Tonkin. L'agriculteur du delta fait trois récoltes par an et savezvous combien il faut de jours entre le moment
LA
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DE
YÊN-BAY
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ou l'on a mis. le grain dans la terre et celui où il est récolté? Il faut 100 jours, cela fait. 300 La préparation de, la jours pour les 3 récoltes. un supplément minimum, de 20 terre nécessite donc pour l'ajours pour chaque récolte. Voici du pays du Sud Pacifié l'emploi labogriculteur de rieux et quasiment décompté jour par jour son année. artisan est aussi d'un ouvrier, bien remplie. Tout en ce pays invite au labeur, penser le contraire, le dire, n'est autre chose que L'année
d'un
propos léger et calomnie. Dans le. domaine de l'action
militaire
vous ne
nulle part de luttes plus terribles que trouverez lu la celles qui se sont déroulées ici. Avez-vous prise de Son-tây du 14 au 16 Décembre 1883? Je vais vous en parler très rapidement. C'est le type le plus franc, le plus caractéristique de notre premier grand choc avec les gens qui occupaient ce pays. Elle révèle la valeur des troupes chinoises et annamites de ce temps. Ce fut une bataille épique, une bataille de trois jours sans pitié ni merci. raconte, algériens que de vieux tirailleurs blessés, gens durs et cuirassés, éprouvés par la sur le soi guerre du Sud. Algérien, se traînaient les yeux pleins d'horreur, en criant : « macache On
bonp ! » Lorsque
le
dernier
ouvrage
de la
citadelle
LA
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NUIT
ROUGE
DE
YÊN-BAY
près d'être enlevé on vit encore, des soldats chinois noirs de poudre, courir la torche à la main, pour allumer dans une frénésie d'héroïsme les dernières mines : celles qui enterraient défenseurs fut
chinoise
et assaillants Cette horreur
sur
la brèche.
dépassa ou au moins égala en et en beauté tragique toutes celles dans bataille
lesquelles des poitrines d'hommes se sont opposées, des causes diverses, à d'autres poitrines pour d'hommes. Et
côté de l'ennemi pas tout : A humain il y avait le fauve dès que l'on sortait de plus le du sentier ou de la piste. Il y avait climat
ce
n'est
et ces deux
sinistres
alliés de l'ennemi
: la
fièvre et la dysenterie. Madame, qui ne voyiez dans votre bép dans votre boy, dans les tirailleurs, (cuisinier), efféminée, soumise, espèce de valetaille qu'une geignante et parfois suppliante ; qui méprisiez dans de la virilité, ces votre européenne conception Vous,
vous avez fait bibelots animés d'Annam, petits là des jugements téméraires et de lourdes erreurs. Si vous étiez à Yên-Bay le 10 Février dernier, vous-avez entendu, n'est-ce pas, dans la nuit, ces rafales de fusils, mitraileurs qui balayaient le terrain entre le caserne du bas et celle du haut. Ces fusils mitrailleurs
étaient
actionnés
par des Annamites. homme d'un mètre cin-
Le coup de fusil d'un quante vaut celui d'un hercule,
une rafale, de fusil
LA
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ROUGE
DE
YÊN-BAY
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mitrailleur envoyée en style par une équipe de tirailleurs — et ils savent quand ils le veulent bien — vaut celle d'une équipe de soldats blancs. L'Annamite est bon élève, il apprend bien et vite.,. Le
n'a pas de patrie, ou courage, Madame, plutôt il les a toutes, il revêt dix mille et quelques formes comme les. salutations chinoises, il faut en réalité peu de matière pour en contenir beaucoup ; l'oiseau mouche, Madame, ce bijou de la nature" en a beaucoup,
voyez ce qu'en a dit
Buffon.
chef grand ou petit, qui avez Vous, Monsieur, fait la guerre, et avez assisté à l'apothéose de la avez commis un autre genre de faute. victoire, Vous-avez
pensé qu'aucun danger ne mérite du moment que pris en considération, bien-d'être l'on a gagné la guerre, la plus grande de tous les temps. Vous-avez pensé qu'il fallait en ce pays faire abstraction des impondérables et s'imposer par la force, la force souveraine qui gagna et fit gagner la guerre. Tout
vous avez sans le voud'abord, Monsieur, loir fait acte de fétichisme. La guerre est passée, elle est entrée dans l'histoire, cette espèce d'antichambre du néant. La guerre de 1914-1918 c'est déjà le passé, c'est-à-dire un peu le livre de la mort. Le livre tout grand ouvert devant vous est le livre du présent et celui de l'avenir. Il ne faut pas vivre sur le passé comme les vieux peuples morts de gloire, nous n'en sommes
pas encore là en France,
LA
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NUIT
ROUGE
DE
YEN-BAY
là séance continue, là roue tourne, d'autres guerres restent possibles et affligeront l'humanité, c'est à cela, à ce triste lot qu'il faut penser. puis vous n'avez pas bien réfléchi. La force, puisque vous pensez à elle, la force qui fit gagner la guerre, avait pour facteur principal le moral. Or, ici vous ne vous êtes pas occupé du moral, vous Et
Vous avez avez cru pouvoir en faire abstraction. mis" sur pied un capital humain à qui vous avez donné du matériel et vous ne vous êtes pas soucié du moral des gens que vous avez armés. Vous
en ignoriez
tout,
ont dit
les journalistes.
Pas tout, certes, mais vous ignoriez beaucoup de choses que vous deviez savoir. Vous avez manqué de psychologie ; entre nous, presque totalement la leçon vous servira vous avez négligé le principal, sans doute, elle ne doit pas être stérile, on ne doit plus verser de sang inutilement.
militaire Il est une vieille tradition qui consiste à chercher un responsable dès qu'un accident, un drame, une catastrophe se sont produits. miliCette fois, au point de vue uniquement de la Guerre a discrètement taire, le Ministère le tenu pour responsable de l'affaire de Yên-Bay Général
Commandant
Supérieur.
C'est logique en somme, je ne dis pas, notez bien,
LA
NUIT
ROUGE
DE
YÊN-BAY
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que ce soit vraiment juste, c'est plutôt un peu injuste, le Général AUBERT est loin d'être responsable de tout. dans une idée de grand chef, de Obsédé, chef suprême, par le souci de la défense vers l'extérieur, pour préparer celle ci, il a négligé la défense Il ne croyait pas au danger intérieur. à l'intérieur. Ce fut une erreur et une faute, sans doute. Mais il faut bien dire que le personnel européen et indigène qu'il avait sous la main manquait de compétence et de dressage. Cette insuffisance ne lui est pas imputable, d'autres en sont responsables. Ce sont les bureaux du Ministère de la Guerre et du Ministère des Colonies, d'où sont sortis pendant tant de temps des décisions si arbitraires au point de vue des désignations du personnel. du service, celui de la Quel que fut l'intérêt Colonie, toute demande qui n'avait pas la faveur de la 8e Direction était vouée à l'insuccès. Je tiens de bonne source que récemment encore, le service de renseignements d'une subdivision militaire très importante fonctionnait quasiment à vide, vivait au jour le jour, dans l'ignorance des archives, sans les avoir exhumées, consultées, classéesse privant ainsi de la meilleure source d'information initiale, dans ce pays si uniforme. que tout part de là, qu'il faut avant tout et surtout être renseigné, savoir; alors qu'un service Alors
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LA
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DE
YÉN-BAY
de renseignements s'impose, rien de ce genre, de positif, de sérieux n'existait.
rien
d'une méthode lamentable coupable, qui que tout officier ou sous-officier avait servi ici n'y revînt plus : chacun devait venir y meubler ses finances à son tour Résultat qui voulait
de l'Indochine, de la colonie, l'intérêt cela ne comptait pas et ne devait pas être pris au sérieux. L'intérêt
personnel a eu, dans tous les le manque d'ardeur et domaines, pour corollaire d'attachement du travail, le manque d'esprit de suite, l'insouciance pour ainsi dire générale. On. ne prenait L'instabilité
du
pas les choses au sérieux, on ne travaillait
pas assez.
action ici est préventive, je l'ai déjà dit, je me plais à répéter cette formule qui devrait être affichée partout. Toute
ont été les bonnes règles en Indochine sapées et mises à mal par le Ministère de la Guerre de séjour, et celui des Colonies. Les prolongations même lorsqu'elles étaient à l'avantage du service, du étaient en principe refusées. Les désignations Toutes
personnel portaient trop souvent sur des gens récommandés qui ne savaient rien de l'Indochine et que ce pays n'intéressait pas pour autre chose que les avantages
de solder.
la part du Général AUBERT pour avoir par entêtement négligé et compromis la défense Nonobstant
LA
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DE
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à l'extérieur, il a eu un autre mauvais facteur à du personnel l'affaire de Yên-Bay : l'affaiblissement militaire. De cela, le Ministère de la Guerre et celui des Colonies, plus spécialement le Ministère de la Guerre, sont responsables. A cela il faut penser aussi, y bien penser et le dire hardiment. En justice pure, ce n'est pas le Général AUBERT qui est entièrement responsable de l'affaire de Yên-
Bay. à un titre égal sinon supérieur, le Ministère de la Guerre, 8e Direction, lequel a géré par le une jalouse, tyrannique et caprice, la fantaisie, du partiale autorité, les questions si importantes personnel appelé à servir en Indochine. C'est
Il
faut rendre à César ce qui appartient à César et, comme l'a dit le grand maître, il ne faut faire tort à personne pas même au diable. donc, vous qui cherchez la genèse, au Ministère de la Guerre, ouvrez les cartons, défaites les liasses d'archives et voyez de quoi étaient faites les considérations qui présidaient à la désignation Allez
militaire du personnel depuis dix ans.
qui
a servi
en Indochine
de Yên-Bay ont été En France, les troubles et ont fait sur tous les journaux mentionnés l'objet de commentaires très fortement, inspirés de
LA
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NUIT
ROUGE
DE
YÊN-BAY
formules officielles, ce qui n'est pas un mal ; car un gros fonds de vérité dans les il y a toujours officiels. communiqués de gens en vue, compétents ou tenus pour tels, parce qu'ils ont plus ou moins visité la Colonie ou l'ont habitée, ont été rapportées Des
interviews
par les journaux. En somme, le public a été renseigné dès le début avec autant de détails et de précision que possible : rébellion ou mutinerie de tirailleurs, en complicité le avec des révolutionnaires indigènes, tel était thème, d'ailleurs
resté exact.
Dès la première heure on a su que le mouveà une alerte ment était enrayé, qu'il se limitait tragique et sanglante, mais sans suite. sont parvenus ensuite Les journaux du Tonkin en France, de même que les lettres particulières. l'action de L'on a pu suivre, sur les journaux la police, les opérations Commission Criminelle.
et
les
jugements
de la
la Chambre, des demandes d'interpellations qui avaient été déposées sont venues en discussion les 12 et 13 Juin. A
M.
des Colonies est monté à PIÉTRI, Ministre la tribune le 13 Juin pour faire valoir l'oeuvre de la France en Indochine, oeuvre. dont, soit dit en passant, il ne sera jamais assez fait d'éloges. Il
a fourni
les explications
attendues,
tant
sur
LA
la nature
NUIT
ROUGE
DE
YEN-BAY
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des troubles
que sur les dispositions prises, la principale de celles-ci étant, le renforcement ainsi à neuf des troupes portées européennes mille
hommes.
une réflexion très courte bien, la qualité c'est mieux. Ici
; la quantité
c'est
en Indochine a dénoncé l'activité du parti Il communiste dont la propagande est soutenue par En terminant son les agents de la 3e Internationale. l'intention du discours, il a affirmé énergiquement Gouvernement français de ne pas laisser les proles populations troubler pagandistes de Moscou et de combattre le implacablement indigènes, communisme. PIÉTRI a été chaudement acclamé. Il est utile avec laquelle la Chambre de souligner l'unanimité a réprouvé les désordres et a manifesté la volonté M.
très ferme de poursuivre des désordres.
implacablement
les auteurs
le meilleur, le plus positif est atteint : le Gouvernement français dans un acte de confiance a répondu au voeu du Goude foi et d'énergie et de la population verneur Général de l'Indochine Le résultat
équivoque ne peut et ne doit subsister, la répression sera exercée tant qu'il faudra, elle ira jusqu'au bout.
saine. Aucune
Cette
communion
un très beau
résultat,
d'idées de vues et d'action grâces
en
soient
est
rendues
LA
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DE
YEN-BAY
des Colonies, à tous ceux qui ont au Ministre ou y ont travaillé. sollicité de lui cette solution
Aux ovations et aux acclamations de la Chambre, joignons les nôtres, mais que ce ne soit pas sans réserve. M. PIÉTRI a enlevé la Chambre, il a eu un franc succès et le succès avec la foule est toujours incertain,
on n'est jamais sûr de l'obtenir.
ni plus apte aux Rien n'est plus indiscipliné mauvaises qu'une foule, qu'elle soit manifestations composée de gens de bonne compagnie ou d'énergumènes. Rien n'est plus apte qu'elle aux emballements purs, le tout est de savoir lui parler, la faire vibrer, la prendre; de chance.
c'est aussi une grosse
affaire
La foule de France est l'auditoire le meilleur et le plus enviable, elle se donne facilement à ceux qui savent bien lui parler. Elle est femme, elle aime les images et les figures, les audacieux et leurs audaces sans bien ne rendre compte et malgré qu'elle s'en défende, elle ne demande qu'à se laisser dominer et séduire. les questions complexes ou qui lui sont — les — questions coloniales en sont étrangères elle accepte, si on sait les lui imposer, les solutions Dans
LA
toutes
NUIT
ROUGE
DE
YEN-BAY
79
les formules de compensation qu'on lui présente non pas timidement et en coupable,' mais en juge, en maître et en tyran. faites,
Les questions coloniales sont d'ordre tout à fait ceux qui ont à en conspécial, elles transportent naître dans un domaine ou étranger, original devant laquelle un large fantastique. La Chambre a été porté, était débat sur l'affaire de Yên-Bay dans ce cas; tout ce qu'elle savait de la question tenait à des échos lointains de choses lointaines. de son savoir et de son inforDans l'indigence des mation, elle était à la discrétion du Ministre à condition Colonies, qu'il sût bien lui parler. PIÉTRI n'y a pas manqué. Il possédait son sujet, il en savait tout ce qui était nécessaire pour faire vibrer, convaincre, dominer et enlever cet auet timide. ditoire bienveillant M.
savait, il l'a exposé et imposé avec énergie et fermeté, la Chambre a suivi, conviction, l'essentiel était cela. En France, heureusement l'union se fait dans le danger, les ennemis de la cause Tout
ce qu'il
française devraient
méditer
M.
PIÉTRI, cependant, faut mettre en évidence pour bien
cela. a fait pour
une erreur, qu'il savoir exactement,
savoir tout.
le communisme comme le moteur de l'affaire de Yên-Bay et des troubles d'Indochine. Il a dénoncé
Il s'agit, je crois,
moins de communisme
que de
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LA
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ROUGE
DE
YÊN-BAY
nationalisme. Le communisme existe ; c'est un danger latent. Il a des propagandistes, voire des agitateurs partout, a soutenir mais qui voudrait sérieusement qu'il beaucoup d'adeptes sincères en Indochine, qui voudrait dire de quoi est faite sa clientèle ? qui voudrait, face à face avec sa bonne raison, soutenir qu il réussira en Indochine et que nous serions assez faibles pour l'y laisser implanter
?
Le communisme en cette affaire est plutôt une solution toute faite, une formule de compensation. N exagérons pas ! Ce n'est pas le communisme c'est plutôt la tendance de qui a fait Yên-Bay, à la révolte, une espèce de nationalisme l'Annamite malsain et mal avisé, le même qui fit tenter, il y a des troupes de Hanoi. 22 ans l'empoisonnement Tous les chemins conduisent à Rome, les Annamites savent bien cela et ceux qui rêvent de se débarrasser de nous pourront chercher à favoriser leurs desseins en faisant du communisme. Qu'importe le moyen ! le tout est d'arriver. Le 17 Juin on a guillotiné à Yên-Bay 13 bandits qui prirent part à la sinistre affaire du 10 Février. Dix d'entre eux n'ont rien dit et ils ont eu à cela un immense mérite. Trois ont crié : « Vive l'Annam !» A un moment pareil on ne crâne pas inutilement, on ne blague pas, on ne maquille pas ses sentiments.
LA
NUIT
ROUGE
DE
YÊN-BÂY
81
Ces révoltés, ces soi-disant clients du communisme, « à l'instant suprême n'ont pensé qu'à crier : Vive l'Annam ! ». C'est un cri de nationaliste. Le communisme existe, le mot et la chose ont fait fortune. C'est un danger auquel il faut penser toujours et qu'il est prudent de combattre dans ses manifestations. On
lui attribue
tous les maux, c'est lui faire ou de déshonneur. Il absorbe, beaucoup d'honneur le nationalisme en Indochine, c'est une dit-on, erreur je crois et, au fond des choses, le contraire, pourrait être plus vrai, savoir : que le nationalisme cherchera à l'exploiter et à du pays d'Annam l'utiliser largement dans l'intérêt de ses desseins. Parler
de communisme dans les uniquement est plus simple et mieux à la troubles du Tonkin portée de. tous, que de se pencher sur le tic-tac du coeur de l'Annamite et de rechercher dans les méandres de son âme capricieuse, inconstante et ingrate de quoi il s'agit exactement. Il y a lieu de ne pas se griser de mots, de formules toutes faites, de raisonnements de compensation. Il convient de raisonner et de comparer, de se demander, en toute bonne foi, ce qui est le plus fort ou le plus" sincère ici: de l'idée communiste d'une part ; de l'idée nationaliste et tendance innée à la révolte d'autre part. Si l'on réfléchit bien
on doit être embarrassé pour
LA
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ROUGE
DE
YEN-BAY
qui plaît répondre. Embarrassé entre l'explication — le communisme dont a parlé par sa simplicité M. PIÉTRI — et celle qu'après froide réflexion on nationalisme ou tendance peut juger plus vraie: innée à la révolte. Le communisme
ne peut réussir en Indochine ni même en Extrême-Orient. Il n'est pas un pays de nuances et de hiérarchie, où existent tant où les distances sont tout à la fois si grandes et si petites, si difficiles à franchir et à supprimer de toute façon. Il ne sera jamais possible de ramener tout à un terme unique ou moyen, à moins de refaire une éducation de 5.000 ans. En cette matière, l'inertie est une force, le communisme des idéalistes rouges s'émoussera et se brisera sur cette force qui sera éternellement en travers de toutes les atteintes à la morale et aux rites de la vieille au sentiment Or, le communisme heurte ou tend délibéremment à heurter tout cela. Chine. On
en parlera, certes, on fera de la propagande sous cette étiquette, mais au bénéfice du nationalisme annamite et de l'idée révolutionnaire, raisonnée ou non. Avant guerre, on ne parlait pas de communisme, mais on parlait déjà de révolution en pays d'Annam. Le
du 10e 30 Janvier 1909, la 9 compagnie du 2e Tonkinois, une Colonial, la 1re compagnie section d'artillerie, un détachement de garde indigène prirent
Cho-Go
au Yên-Thé.
LA
Au milieu
NUIT
ROUGE
DE
YÊN-BAY
83
où se trouvait la maichef rebelle et seigneur du Yênson du DÉ-THAM, Thé, s'élevait un bambou le plus grand que j'aie jamais vu. Au bout de ce bambou flot tait un dran'était pas communiste : peau rouge. Le DE-THAM c'était un rebelle. La faillite
de l'enceinte
du communisme
est assurée en Asie
et dans notre pays d'Annam. On peut, sur certaines apparences, dire le contraire ; mais le mal profond, le mal intime n'est pas là. En pays d'Annam, la masse principale, la masse saine vit sur la terre. Celle-là est peu accessible aux théories communistes. Il en est de même des gens des campaqui composent ensuite la population gnes : les petits commerçants et les petits ouvriers. La clientèle des propagandistes trouve peu d'adeptes dans la gent laborieuse de la terre, destravaux manuels, du petit commerce. Elle les recrute dans le monde oisif des centres urbains ou suburbains, parmi les salopards, les méceux que, par contents, les ambitieux, les illuminés, ailleurs, l'on
est convenu d'appeler des évolués. Minorité en fait, minorité infime, dangereuse, on ne doit pas se le dissimuler et il convient de lutter contre elle ; contre elle il faut se garder. En ce pays, je l'ai dit déjà, les distances sociales sont considérables et graduées du néant à l'infini dans une gamme indélébile que des milliers et des
NUIT
LA
84
d'années
milliers elle
ROUGE
ont
et gravée. Que a 150 ans au
fixée
communisme
un
DE YÊN-BAY
qui par nous de BABEUF à LÉNINE? L'Annamite
est
qui
arrivé,
quel
chemin
peut
sur
plus
vu
que soit le de la situation
suivi, ne pense qu'à profiter A la façon d'un peu partout, plus encore acquise. à la le plus clair de son idéal se limite et mieux, et à la conservation
jouissance
de
ses biens
dans
la
famille. La jouissance de son bien — livré la concevra à la manière chinoise, maison
chinoise.
Tout
moins
très vieux
ici.
chinoise
— il
à lui-même comme
dans la
éternel
eu du
est uniforme,
cette ville Long-Tchéou, il y a de l'électricité moyenâgeux,
d'aspect
A
; à côté de jusque dans les cases en paillotte partout, cela on voit, autour de la ville, circuler la charrette aux roues pleines des Etrusques. Le Chinois
laissé l'empreinte ture merveilleuse, Entre
il y a l'Annam, longtemps de sa langue, de son écriprofonde de ses coutumes, de ses rites.
domina
le Chinois
finité
de profonde modifier. pourrait
et l'Annamite suzerain
Chinois
Qu'on est resté le modèle
voyons
un
Il
y
peu
a du
munistes, mais tout détenteur, timents
du côté communisme
subsiste
à vassal, le veuille
une af-
que nul ou non,
ne le
de l'Annamite, spirituel du modèle. en Chine
et des com-
sans grande conviction. C'est pour d'autorité qui fait parade de senla le moyen de subjuguer communistes,
LA
NUIT
ROUGE
DE
YEN-BAY
85
ou de s'imposer à elle, de vivre sur population son dos, de mieux la piller. Le peuple, d'ailleurs, du Kouang-Si ne s'y trompe pas. Celui appelle « Hong-Tsack— le communiste pirate rouge ". l'homme de la terre, ni l'ouvrier, ni le n'adhéreront ou sécommerçant complètement rieusement au communisme. Ni
L'homme qui parvient — parfois au prix de quels excès, il en est qui arrivent par la piraterie — dès qu'il est arrivé, revêt la belle et sévère robe noire des Mandchoux, le « Maotze » à pompon rouge, sa maison à la chinoise, il organise douillettement à la façon de la vieille, de la très vieille Chine. la plus profonde de tout Chinois ou L'aspiration de tout Indochinois de la masse est là et en cela. Dans les provinces excentriques, le Kouang-Si et le Kouang-Tôung par exemple, la piraterie conduit a tout à condition de n'en pas sortir par la petite porte des exécutions ; le premier roi de ces pays fut un pirate heureux, le dernier ne sera pas autre chose. lorsque l'un de ces pirates est parvenu, il sait, sans l'avoir jamais appris, devenir ou redevenir l'homme des éventails, des parasols, des bibelots et des hénufars blancs. Mais
C'est là une tendance innée, profonde qui dépasse et de beaucoup, les facultés matérielles et morales de l'individu.
de penser que nôtre moumalgré l'indéniable
Il serait présomptueux
demi-siècle d'occupation,
LA
NUIT
ROUGE
DE
YÊN-BAY
vemént d'évolution qu'il a entraîné, puisse entamer ou modifier le rayonnement d'une profondément éducation que dés millénaires ont forgée et polie et qui agit avec la lenteur, la sûreté, la constance des grands impondérables. « La nature ne fait pas de sauts », elle va doucement et sûrement. Sans vouloir être paradoxal on peut penser que c'est un peu la diffusion désordonnée de l'idéologie occidentale qui a induit l'Annamite, léger et spéculateur, à vouloir être maître de ses destinées. qu'il a raison, même d'y penser, est bien loin de notre esprit. Le malheureux ! si nous l'abandonnions un jour, s'il s'affranchissait, il apprendrait vite Ce qu'est une couronne d'épines. Dire
Etre maîtresse de ses destinées, ximum ce que peut penser la masse. Mais, si elle y parvenait de disposer d'elle à son gré, pas dans l'idéal communiste, parfumées — mettons qu'elles du Fleuve Jaune ou du Fleuve
voilà,
et s'il lui était
au maloisible
non elle se plongerait mais dans les eaux le soient vraiment — Bleu.
Il s'est noirci beaucoup de papier de Yên-Bay et à son sujet.
depuis l'affaire
Sur le thème si favori et si commode nisme on a beaucoup brodé.
du commu-
LA
Le Moniteur
NUIT
ROUGE.
DE
YEN-BAY
de l'Indochine
du 14 Juin 1930 a « A publié une étude d'Yves Le Gadec intitulée propos de l'action coloniale de Moscou, des sociétés secrètes et du communisme ». en Indochine — dit cet article — HOANGKouang-Si dit PHI-LONG « DAI-HUNG disposerait de 5.000 « hommes, PHI-HO de 7.000, encore que ces pseudos « généraux soient considérés par d'aucuns comme « Au
« de simples chefs de brigands, « du reste.
toujours
utilisables
« Au Siam, des Capitaines et des Commandants « annamites se tiennent prêts à pénétrer par le Laos existent sur la rive droite du " et des groupements aux abords de Lakhone, « Mékpng Sayaboury, « Sakhone, mais leur action ne peut être déclanchée où se trouverait « que sur ordre vertu de Canton révolutionnaire ». « l'Etat-Major Je ne sais pas ce qu'il peut y avoir de vrai dans la deuxième information : présence de Capitaines et de Commandants annamites au Siam, j'en doute et j'ai pour cela une raison majeure, c'est que la première information, celle des 5.000 hommes de PHI-LONG servir la et des 7.000 de PHI-HO qui pourraient cause communiste est absolument fantaisiste. Je m'inscris
le plus formellement
en faux contre elle.
Je connais ces deux personnages, je les connais très bien, ils font partie de la clientèle du service de de la frontière sino-tonkinoise. renseignements
LA
38
PHI-LONG
NUIT
ROUGE
s'appelle
DE
YÊN-BAY
est
PHONG-PHI-LONG
le
seigneur de Yang-Ly (2 jours de marche Est de 2me Territoire notre poste de Ban-Cra, Militaire). ce mot n'est pas trop fort, le KouangSeigneur, l'on dit être en pleine Si, ce pays que souvent anarchie, est un pays de fiefs et de seigneurs. PHONG-PHI-LONG
de Ngan-Xune, est originaire est c'est-à-dire que Yang-Ly
le village du boeuf, un pays d'élevage. C'est aussi un pays où l'on fait au Kouang-Si. commerce d'opium, comme partout un commerce PHONG-PHI-LONG a, d'ailleurs, personnel
d'opium.
Ses affaires
sont
cierait
peu d'entrer, dans communistes,
prospères au profit des
en Chine.
Il
se sou-
des Annamites
aventures
et des
scabreuses
et
vides de profits ; en Chine dangereuses, absolument le profit et toute quespasse avant tout sentiment tion d'idéal. PHONG-PHI-LONG très fortement
est national, à sa terre, attaché
il est Chinois
et
chaque fois que elle s'y est déloger,
chinoise a voulu l'en avec lui. usée, elle a dû composer
l'autorité
Pour
vous
Le Chinois,
convaincre,
j'ajouterai
ceci tout
bas :
n'a pas d'estime pour et le méprise même. l'Annamite, « On Nam Tsaï », Lorsqu'il parle de lui il dit « le d'Annam», petit ce qui veut dire au choix « le freluquet d'Annam ». », " l'oncle il le sous-estime
LA
Il ne faut faire
NUIT
ROUGE
DE
YÊN-BAY
dire, à moins jamais au moins d'ignorant,
traiter
! Les
valeur, rien,
des
Il c'est
que cela, n'en rassembler bien
commencent
à
notre
dans être
du
est
frontière
doutez
n'est
fusils
un
pays force.
une dit
aucun
parti
lité
qu'un
parti:
et
au
gens
le sans
seconde. moins
où
PHI-HO
de originaire et Long-Tchéou,
pas un
sert
ne
des
pas une
20
dit
et fusils
HOANG-
entre CHOC-KHUÉ, la place d'armes
notable
ce n'est marque, il a derrière seigneur, de
pas à proprement parler un lui tout un Il passé de pirate. fois que la situation s'embrouille
Sept
dans
inférieur.
Kouang-Si Ce
s'associent sont
1000
HOANG-PHI-PHOU CHUNG-TAO
C'est
des propres à moyens, comme l'on disait jadis dans à voiles et en bois. PHONG-PHI-LONG
marine
peut très
se
sans
crédit, des faillis-chiens
mieux
Annamites.
qui
communistes
sans
la vieille vaut
Chinois
vouloir
qu'un Chinois dans peut entrer
comme PHONG-PHI-LONG campé des combinaisons avec des impossible mal avec
de
mille
avec son hommes
apparaît chaque en Chine, il ne il
attachement, intérêt. il
ne
les
n'a
aura
de pourrait jamais rassembler plus il aurait dans ce rassemblement y
de potence d'échappés gens on ne peut rien timent : le pillage.
que faire,
d'individus. ils
n'ont
en réa-
il jamais, 200 fusils autant Avec
qu'un
ces sen-
90
NUIT
LA
DE
ROUGE
YÊN-BAY
aussi est national HOANG-PHI-PHOU ; lui aussi « on nam tsai » d'Annam». « le petit pense et dit il n'entrede véritables s'il avait Même moyens scabreurait pas non plus dans des combinaisons alors qu'en avec des Annamites, dangereuses et dans les bas de la il a, dans les hauts
ses et réalité vie
en
d'aventurier
des
Chine,
profits
largement
suffisants. Jamais, PHI-PHOU
en résumé, PHONG-PHI-LONG au service ne se mettront Ils
annamite.
nisme
des s'occuper d'Annam. gants
de
Au sur
qui
autre
s'est
d'Indochine, a demandé qu'une
taire
spéciale soit étudier la situation réformes
envoyée et proposer
éventuellement
du à
chose
affaires
affaires
socialiste
toutes
petites
cours du débat
les
ont
et HOANGcommufaire
des petits
ouvert
que intri-
à la Chambre
le
radical groupe commission parlemenen Indochine, pour y ensuite
à la Chambre
utiles.
à conférences Depuis la guerre, tout est prétexte et à commissions, heureusement celle-ci n'a pas été acceptée. Une
commission
parlementaire quel que soit le choix de ses membres ne serait apte à rien faire de bon et d'utile. Mieux vaut faire confiance pleine et entière
aux autorités
du pays,
(Gouverneur
Général
LA
NUIT
ROUGE
DE
YÊN-BAY
91
et Résident Supérieur), à ceux qui connaissent ce pays et sont seuls bien aptes à en traiter convenablement les affaires. Le
débat s'est clos le vendredi 27 Juin sur un solennelle de vote de confiance et la résolution les fauteurs de troubles. combattre énergiquement Ceci est très bien. Un mot maintenant conclure :
et en confidence
avant
de
fut pendant des siècles et des siècles sous l'emprise de la Chine. Par la force des choses, étant donné qu'il y a et qu'il y aura toujours contact, encore sa vassale spirituelle. elle restera longtemps L'Indochine
Notre tutelle d'un demi-siècle n'a pu entamer très sérieusement l'attache profonde et si lointaine qui existe entre les deux peuples. Dans ce domaine les. progrès sont lents il y a déjà vingt nous y travaillons, a été réduite consians que l'étude du chinois c'est dérablement dans l'enseignement indochinois, un acheminement vers lé but envisagé. Certes,
1°
Mais, au fond des choses, notre intérêt est-il bien ou de spirid'annihiler toute teinture d'éducation tualité chinoise ? La question vaut d'être examinée. Deux réflexions se posent à l'esprit : — La réduction du intense de l'étude chinois,
et la formation
trop
française,
trop
libre,
LA
92
NUIT
ROUGE
DE
YEN-BAY
semble n'avoir qui s'en est suivie pour l'Annamite, pas été avantageuse à notre cause. 2° — L'étude des auteurs et philosophes du 18e siècle, ceux qui ont prôné ou préparé la révolution française est un mauvais aliment pour l'esprit porté à la critique et, d'sons aussi, plutôt ingrat
de l'Annamite.
En conclusion
:
Un mouvement existe en Indochine, esprit de spéculation
indéniable de communisme affilié par intérêt, par pur au communisme ou au bol-
dans le russe, qui a fait tâche d'huile monde et qui est en travail permanent. Que sont les revendications annamites en ellesmêmes, que seraient-elles par elles-mêmes ? Rien ou peu; elles n'auraient ni consistance ni écho. chevisme
Tandis qu'incorporées dans le cadre général d'un elles ont, du moins en communisme mondial, apparence, de la couleur et du caractère. Ce n'est là que tactique, artifice et spéculation, au profit, je répète, du nationalisme annamite ou d'une tendance innée à la révolte. Le présent raisonnement peut paraître erroné, le temps, le temps seul le démontrera bien, il convient d'en attendre la sentence.
LA
NUIT
ROUGE
DE
YÊN-BAY
93
Fin Juin, le Ministre des Colonies a câblé au Gouverneur Général de l'Indochine pour lui annoncer l'heureuse terminaison des longs débats sur les et lui renouveler l'exévénements de l'Indochine de la pression de la confiance du Gouvernement
République. Général a transmis Le Gouverneur reuse nouvelle au Résident Supérieur avec ses amicales félicitations.
cette
heu-
au Tonkin
son côté, le Résident Supérieur, dans son habituelle générosité, a fait parvenir les plus chaudes aux Résidents de province et aux félicitations De
Commandants
de Territoires
Militaires.
En France, a-t-on dit, tout finit par des chansons ; c'est assez vrai dans le domaine officieux et populaire. Dans le domaine
officiel, dans les sphères admiil y nistratives, ministérielles ou interministérielles a mieux et l'on fait mieux que les chansons. Lorsque l'on est passé à travers bien des écueils, des dangers, des traquenards et qu'après beaucoup de peine, il en est sorti un succès net et claironnant, on tire, en toute justice d'ailleurs, un grand feu d'artifice
de félicitations.
voiles dehors et grand Après quoi, toutes largue, la flamme de l'optimisme à la corne d'artimon, on repart vers d'heureuses destinées ou d'autres aventures.
LA
94
LE
NUIT
MAL
ROUGE
ET
DE
LE
YEN-BAY
REMÈDE
L'affaire
de Yên-Bay a marqué l'Indochine d'une façon indélébile comme ces tatouages qui défigurent à tout jamais les fins profils de médailles de certaines bédouines de Syrie. Le mal est grave, nous n'en saurons guérir que si nous sommes de bons malades, si nous nous remettons au travail dans la bonne méthode indochinoise, celle qu'ont forgée les apôtres, les pionniers, les ouvriers de la bonne cause française en Asie. On est rentré beaucoup en France après Yên-Bay, il paraît aussi que l'Indochine n'est plus très recherchée et que l'on y revient facilement. mieux ! partez, partez vite tous ceux qui n'êtes plus à l'aise en Indochine, restez en France tous ceux que l'Indochine n'intéresse plus; laissez venir à nous ceux qui aiment ce pays. Eux, nous et Tant
nous nous remettrons Nguyên, enfant d'Annam, travail, il y a certes fort à faire ou à refaire. Nous
ne sommes
sûrs
de nos
au
militaires indigènes, il ne nous est plus permis de les considérer plus
LA
NUIT
ROUGE
DE
YÊN-BAY
95
avec sérénité, quiétude et confiance, il faut les reprendre et remettre en mains. Nos troupes indigènes sont devenues inutilisables, ont dit certains et c'est peut-être là une opinion outrancière. Ce qui est certain, c'est qu'elles ont perdu beaucoup en qualité, leur moral a été entamé, falsifié, gâté; or, le moral c'est tout, la valeur d'une troupe, d'une armée, d'un peuple, commence et finit là. Le mal est grand, il y a, cependant remède à tout, parfois le remède est à côté du mal. remède, un bon remède, cela fait mal au physique ou au moral, parfois aux deux. Le physique passerait encore, mais le moral, l'amour-propre mal placé, perdre la face comme disent les Chinois, à cela on se résigne difficilement; au diable la douleur, les douleurs sont des folles, dit la populaire et sublime chanson de Théodore Botrel. Un
faut de la volonté, du courage, de la vertu des premiers pas, pour se polir revenir à l'humilité remettre au travail dans la méthode..... Il
Cependant, il faut et l'énergie de guérir.
s'y décider,
avoir
la volonté
Il faut rompre avec l'empirisme, la fantaisie, les à libres, se remettre à la méthode, interprétations la gymnastique rationnelle. Il faut apprendre, ou rapprendre, remettre à l'alphabet indochinois. L'outil
se mettre ou se
est devenu mauvais et l'ouvrier
est sans
LA
96.
NUIT
ROUGE
DE
YÊN-BAY
doute insuffisant parce qu'il ne sait pas assez ; il y a lieu d'éduquer ou de rééduquer l'ouvrier et de reforger l'outil. ? Ici l'optimisme Y parviendra-t-on s'impose, le succès commence par là, vouloir c'est pouvoir et il faut vouloir avec la plus grande énergie. sur le au travail, vivre remettre terrain auprès de la troupe, la connaître, la former, encore l'aimer, être pour elle le guide bienveillant que ferme et à l'occasion sévère. Il
faut
se
Vivre sur le terrain un peu à la façon de faune et à ce compte il ne pourra rien arriver, n'arrivera rien.
la il
Il sera très avantageux de consulter les archives relevées sur les de ce pays, depuis les inscriptions chinois jusqu'aux papiers pierres et les grimoires modestes, parfois opulents des premiers occupants les du pays : les explorateurs, les missionnaires, commerçants, les soldats de la conquête, nistrateurs de la première heure.
les admi-
des renseignements papiers contiennent certains récèlent parmi les utiles, voire précieux, moisissures et les bavures du style, de véritables perles, des choses qui sont marquées au coin de Ces
du génie. fugitive Certes, ces perles sont très rares et il convient même de dire ici. que les papiers des archives contiennent
l'inspiration
LA
souvent faut
bien
NUIT
ROUGE
DE
YÊN-BAY
97
des choses inutiles
savoir distiller,
ou inexactes, il ou du moins il convient de
s'y appliquer. En principe, un papier, n'est jamais pauvre, il lui arrive même d'être très riche, comme le roi des mendiants de Pékin. En
lui, il y a d'abord et bien entendu ce que l'on y a dit, ce que l'on n'y dit pas tout en le disant ou ce que l'on dit tout en ne le disant pas. rien que Beaucoup de papiers ne contiennent des mots ; dans certains on ne relève tout au plus Cependant, où que des indices ou des empreintes. que l'on soit, il y a intérêt à lire au moins une fois et bien les archives. Il existe beaucoup d'archives dans tous les services de l'Indochine, ce pays est uniforme, veret traditionnaliste, la plus éloquente, beux, plumitif la plus profitable leçon de choses est dans la lecture raisonnée des archives. Il
en tout, de commencer importe, par le commencement : lire d'abord ou plutôt étudier, distiller les archives ; écouter ensuite les anciens qu'ils soient blancs ou jaunes, écouter l'habitant, l'observer, adopter de lui tout ce qui est bon : la première qualité du colonial, a dit Galliéni, est de savoir vivre sur le pays. Il est du plus haut intérêt
de se mettre
à appren-
LA
98
NUIT
ROUGE
DE
YÊN-BAY
dre la langue, le véhicule le plus sûr, de toutes les Ce sera un du coeur et de l'esprit. émanations de pénétrer l'âme peut-être, moyen, le meilleur annamite, non avec fracas ni en force, car alors elle se rétracte comme les feuilles des sensitives, mais avec souplesse : la véritable force de ce pays c'est la souplesse. Nous l'avons déjà dit. faut éduquer les cadres non seulement en choses militaires, mais en choses civiles et coloniales. coloniale et celle Leur, apprendre la psychologie plus spécialement indochinoise ; quelques entretiens familiers, courts et clairs, de gens qui savent bien, qui aiment le pays, donneront d'excellents résultats. Il
Il ne faut admettre à des fonctions spéciales que ou qui auront été des gens aptes à ces fonctions préparés par des moniteurs ou des maîtres compésans chocs, tents. La machine, ainsi, fonctionnera sans heurts, sans ratés, nous serons à l'abri des aventures. il convient expressément de ne pas tolérer que qui que ce soit parle mal de ce pays, de ses gens, de ses choses. Ce sont là des tendances négatives, Enfin,
nuisibles. Les mauvais déprimantes, toujours de mauvais outils, ils ne savent en silence. Le bon ouvrier est celui en silence avec patience et amour, difficulté sait polir
ouvriers
ont
pas travailler qui travaille celui que la
ne rebute pas, mais stimule, celui qui et repolir comme s'il avait en mains le ciseau de Pierre Puget.
LA
NUIT
ROUGE
DE
YEN-BAY
99
Le pays, les gens, les choses doivent être pris tels qu'ils sont avec les bénéfices et les maléfices. des bénéfices, on les agrandit, on les profite améliore encore, quant aux maléfices on s'attache à les réduire, le mérite, le vrai mérite est là et On
n'est que là. est mieux Aujourd'hui être mieux qu'aujourd'hui,
demain devra qu'hier, il importe d'aller avec
confiance vers le mieux, vers perfection qui perche là-haut, très haut et dont il convient autant que possible
chaque
jour
de s'approcher
un
peu
plus. Le remède est dans le travail, le travail rationcelle du chef nel, méthodique ; dans l'éducation, petit ou grand et celle de l'élève ; dans la culture du moral.
Il est aussi dans l'exemple qui est le plus militaire, pur et le plus puissant moyen d'action civil et colonial.
LA
100
LE OU
LA
NUIT
DE
ROUGE
ROUGE
ROMAN MORT
YÊN-BAY
DE
THI-GIANG
Le 17 Juin 1930, lorsque NGUYÊN-THAI-HOC, fut exécuté, une jeune femme le chef révolutionnaire, était au premier rang des spectateurs: d'Annam c'était NGUYÊN-THI-GIANG, sa maîtresse. jeune femme était-recherchée par la police et révolutionnaire parce qu'elle était elle-même très active. propagandiste Cette
Elle sut, d'ailleurs, en cette horrible circonstance, avoir une attitude assez réservée pour ne pas attirer et passer une fois de plus inaperçue... l'attention Elle brava le danger d'être arrêtée pour revoir celui qu'elle aimait, pour le revoir pendant le temps si fugitif qu'il faut à un condamné pour aller de la porte de la dernière prison à la guillotine. Après l'avoir vu, l'avoir enveloppé du dernier regard qui contenait toute l'affection dont mieux et plus qu'un homme une femme est capable, elle subit le spectacle de l'exécution brutale : une planche qui bascule sous le poids d'un corps, l'éclair d'un couteau qui descend et une tête qui tombe dans un flot de sang.
LA
Ce n'est
NUIT
ROUGE
DE
YÊN-BAY
101
pas tout :
Le surlendemain
un paysan du village de Donvenait rendre compte Khe, province de Vinh-Yên, au Sous-Préfet que le indigène de Vinh-Tuong cadavre d'une femme, indigène âgée de 30 ans environ avait été trouvé sur le talus d'une rizière près de son village. Le mandarin constata que la femme s'était suicidée en se tirant un coup de revolver sur la tempe ; l'arme était à ses côtés. Dans
une poche du vêtement de la suicidée on découvrit une lettre de THI-GIANG, dans laquelle la elle déclarait qu'elle se donnait volontairement mort pour ne pas survivre à son amant NGUYÊNTHAI-Hoc qui venait d'être exécuté à Yên-Bay. Un Commissaire de police français avisé de la découverte vint exarniner le cadavre et constata qu'il s'agissait bien de THI-GIANG. Les parents de celle-ci, qui habitent la province de Bac-Giang, le corps afin de lui réclamèrent une sépulture ainsi qu'ils le désiraient, donner, convenable.
Suicide Monsieur
ici
banal
et
crapuleux! PRUDHOMME..
Oh ! que
non,
mieux que cela, nous entrons C'est infiniment où il ne doit y dans un domaine sentimental
102
LA
NUIT
ROUGE
DE
YEN-BAY
avoir ni amis ni ennemis, et où la sincérité s impose devant la tragique et pure beauté d'un geste humain de valeur. femme a aimé un homme, ce qui Lorsqu'une s'appelle aimé. Qu'elle a suivi son procès, a entendu la condamnation, vu l'exécution, puis, tout étant consommé, s'est suicidée d'une balle de revolver, sur un talus de rizière où même les chiens ne vont pas, car dans les villages annamites on vit, la nuit, — les chiens — à l'abri des haies de bamcompris bou et des palissades... femme a fait cela pour un homme, Lorsqu'une quelle que soit cette femme, quel que soit même cet homme, quel que soit le côté de la barricade où l'on se trouve placé, pour être bon, juste, humain, il faut reconnaître que c'est beau, cette jeune femme a honoré là femme. J'entends bien, Madame, votre cri de protestation pudique et indigné : il y a femme et femme ; jusqu'à un certain point c'est bien vrai. Mais En
ici ça ne l'est pas. car il s'agit amour,
d'amour, devant l'amour, ce grand bien, ou ce grand mal qui régit le monde, il n'y a pas de grands hommes ni de grandes femmes il n'y a que de petits garçons et de petites filles. Il n'y a ni rang, ni âge, ni opinion, ni nationalité. Il n'y a pas davantage de classe ni d'éducation ;
LA
NUIT
ROUGE
DE
YÊN-BAY
103
ont épousé, des bergères, des lutteurs possédé des femmes du monde et la môme des fortifs sinon plus, le collégien aima cinq minutes, blond et rose qu'elle déniaisa un jour de sortie...
des rois ont
En
il n'y a pas d'hommes forts, ni de il n'y a que des guenilles et des fortes, Ceux ou celles qui restent forts, ont le
amour,
femmes chiffes.
de THI-GIANG
geste
une nuit,
tempe, hostile, hurlent Que ouvrière
sur
pendant que les chiens à la lune et à la mort.
Le
du village
ce
vienne d'une geste ou de la môme des fortifs,
seul but l'amour homme,
: le coup de revolver à la un talus de rizière désert et
désintéressé
d'une
marquise,
proche d'une
a pour lorsqu'il femme pour un
il reste beau. roman
de THI-GIANG
est tissé
beaux sentiments beaux livres
que ceux qui servent des éditions de luxe.
des mêmes, à fleurir
les
Plus
les souvenirs de tard, très tard, lorsque se seront ou effacés de nos Yên-Bay. estompés mémoires fiévreuses, le théâtre chinois et la légende, enfants
des millénaires, se chargeront la mort de THI-GIANG. l'ignominie Et sur sa tombe
bine il n'en
existe
aucun
jardin.
dans
pousser une fleur part, comme il n'en
ils feront nulle
de relever
de
comvient
DEUXIÈME
TOUR
PARTIE
D'HORIZON
ET D'INSPECTION
LA
NUIT
ROUGE
TOUR ET
DE
YEN-BAY
107
D'HORIZON D'INSPECTION
Ainsi que je le disais en préambule, il serait mauvais, à bien des égards, et contraire à mon intention, et des critiques, de rester Sur des remarques si justifiées puissent-elles d'ailleurs être. Dans cette idée, j'exposerai en cette deuxième partie mes opinions sur la question de défense de l'Indochine Française, telles que je les conçois et telles qu'elles doivent, j'estime, être conçues, tous éléments de position et de situation considérés et bien considérés. Sujet plus ample et compliqué en apparence qu'en réalité, simple, très simple lorsqu'on l'a ramené à ses véritables limites et proportions.
Le Tonkin est la clef de l'Indochine Française, il en est la place d'armes, toute attaque et toute défense commence et doit, en principe, finir par lui. La
situation
que
nous
y avons
acquise
et
LA
108
NUIT
ROUGE
DE
YÊN-BAY
et de bien des façons, matériellement est de premier ordre et de premier moralement, choix. Avant toute chose, il faudrait savoir cela et bien le savoir. consolidée
En réalité, on ne sait pas assez, ni bien, ce que un l'on devrait savoir. C'est un mal, évidemment; proverbe paysan qui est de tous les pays dit qu'un homme prévenu en vaut deux. Il convient de sortir des abstractions
et des savoir et
ignorances ; d'apprendre ce que l'on doit de s'affranchir, surtout, de toute idée de mystère vers incline si facilement, lorsqu'il ne laquelle l'homme sait pas et qu'il vit ou sert dans les pays d'Asie, dont on raconte à plaisir tant de choses fantaisistes, voire fantastiques.
L'homme n'a vraiment peur que de ce qu'il ne sait pas, de ce qu'il ne voit et ne comprend pas bien, le mystère est à la base de la vie. Un
danger connu devient familier, il rompt la monotonie, colore l'existence en apportant, ce je ne sais quoi de sel et de piment, qui est. indispensable à la vie si fugitive et périssable de l'homme. Il
de savoir identifier le danger, les importe pires sont ceux que l'on ne connaît pas ; savoir où sont les possibilités d'action, quelles en sont les formes ; connaître enfin de quoi est fait l'air que l'on respires Deux
hypothèses,
deux possibilités
doivent
être
LA
considérées matière
NUIT
ROUGE
au
Tonkin, de défense :
DE
clef
YÊN-BAY
109
de l'Indochine
en
à l'intérieur, du I. — Les troubles provenant réveil des instincts de révolte ou de piraterie à peine Les manifestations de endormis dans la population. ces instincts peuvent être aggravées par des menées ou communistes nationalistes et à forme intensive.
d'un
style
nouveau
de suite que pour se garantir contre les troubles il faut absolument tenir le pays et bien le tenir en ses points sensibles. Disons
Il
dans l'ensemble, un effecblanches et de de troupes
est essentiel d'avoir
assez important répartir celles-ci de façon élément de contre-partie. tif
qu'elles
constituent
un
Cet élément, s'il existe, n'aura pas à intervenir, il agira par sa seule présence ou sa propre existence, il en imposera aux révoltés possibles, il les retiendra ; toute action vraiment utile est surtout préventive ici. IL — Les hostilités
porter chez que peuvent le Kouang-Si, nous le le KouangYunnan, trois provinces chinoises turbulentes au Toung, sauvage, aux moeurs viopassé lourd, à l'histoire nous sommes en contact lentes, avec lesquelles sur 1200 km. de frontière environ. Le Yunnan du Tonkin,
à une superficie quadruple de celle il compte 13 millions d'habitans,
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DE
YEN-BAY
nous sommes en contact avec lui sur plus de 600 km. de frontière. a une superficie double de celle Le Kouang-Si il compte 8 millions le du Tonkin, d'habitants, en a 7 millions. Nous sommes en contact Tonkin avec lui sur 450 km. environ
de frontière.
a une superficie Le Kouang-Toung plus que il compte 35 millions triple de celle du Tonkin, nous sommes en contact avec lui sur d'habitants, 100 km. de frontière seulement. de ces 3 provinces chinoises si l'on juge surtout d'importance,
Le voisinage
un danger chose par les facteurs
est la
matériels
de quantités et de mais la qualité vaut mieux dimensions, que la quantité et cette qualité est de notre côté.
Voyez la carte, elle vous révélera, de notre côté, et venant de Chine, un pays de montagnes, de couloirs, de corniches, de défilés, de cours d'eau un vrai réseau de traquenards pour des nombreux, En réalité, si nous avions fait le pays sur mesure dans l'intérêt de notre position, de la défense, de la contre-attaque éventuelle, nous ne l'aurions peut-être pas fait ni réalisé autrement. assaillants.
Voyez de plus ces nombreux postes appuyés sur des centres fortement équipés; et le terrain couvert, en plus des organisations de formations militaires, nombreuses
de partisans.
En arrière, des réserves et deux bonnes voies ferrées
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qui s'avancent vers la Chine tenaille. formidable
DE
YÊN-BAY
111
comme les pinces d'une
y a de la force, une force organisée. Pour menacer effectivement ce pays, pour une idée de direction il faut un cran, l'envahir sont actuellement et d'entreprise, que les Chinois Dans
tout
cela il
incapables d'avoir et qui sont, au-dessus, de leurs moyens. Notre
frontière
avec
bien
présentement,
le Yunnan
ne
doit
pas
nous donner de souci. A
part la trouée du Fleuve Rouge qu'a utilisée notre chemin de fer pour pénétrer au Yunnan et qui est une voie facile d'accès des Chinois au Tonest kin, notre immense frontière avec le Yunnan défendue par la nature même d'un pays tourmenté, sont difpeu habité, et dont les communications ficiles et lentes. De ce côté, il ne peut rien nous venir de grave, le pire se bornera toujours à des affaires de détail et les postes que nous entretenons sur cette frontière constituent une armature suffisante.
à tous points
de vue
à entretrop d'intérêt avec le Tonkin. tenir de bonnes relations Gêné vers l'Ouest vers le Nord, vers l'Est, par des la majeure partie communications très difficiles Le Yunnan
a d'ailleurs
de ses importations se fait par le Tonkin. On peut est son port et qu'il est, de dire que Haiphong bien des façons, tributaire du Tonkin.
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Le pays apparemment sensible, celui où nous somoù nous mes en possibilité permanente de frictions, devons être quasiment l'arme au pied et d'où pourraient nous venir des entreprises contre le Tonkin, est le Kouang-Si environ) (450 km. de frontière de 100 km. de frontière avec et le prolongement En tout, environ 550 km. d'un le Kouang-Toung. vers l'Ouest un point pays frontière que limitent du méridien de situé à 15 km. environ à l'Ouest et vers l'Est un point de la basse côte du Bao-Lac situé à 20 km. environ à l'Est du Kouang-Toung méridien
de Moncay.
et km. Kouang-Si Ce pays frontière (450 ne fait qu'un. Il est 100 km. Kouang-Toung) lié par un intérêt matériel commun indissolublement et l'on peut dire vital, car en Chine le moteur, le l'intérêt matériel. levier, le ciment, c'est l'intérêt, Disons tout de suite que l'intérêt est ici représenté par le commerce et le transit d'opium venant du à travers le Kouang-Si, Yunnan et du Kouei-Tchéou par voie de terre, pour aboutir à la côte du KouangToung. De là, cet opium est distribué par mer aux cent millions de clients de l'Est chinois, Il ne s'agit certes pas de petites quantités, de quelques kiloil s'agit grammes, ni même de quelques quintaux, de tonnes et de tonnes, de 200 tonnes environ et inférieur (1/3 au moins par an. Tout le Kouang-Si et un dixième du environ du Kouang-Si total) Kouang-Toung
en vivent.
LA
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113
Pays de l'opium et aussi des armes, des munitions, : opium venant deux commerces conjugués de armes et munitions venant de l'Est. l'Ouest, du Kouang Si - Kouangpays frontière est. farouche et sauvage, pas sentimental Toung pour deux sous, le dernier rendez-vous de la piraterie, la loi et le droit des gens y sont le plus souCe
vent au bout des fusils et au fond des cartouchières. Pour nous, qu'importe bien d'ailleurs, il suffit de le savoir. Cher Monsieur PRUDHOMME, si un assassin vous parle de sa douceur, un voleur de sa si l'on vous parle de virginité dans un probité, et d'éducation dans une porcherie, vous lupanar saurez bien quoi en penser. Je dis bien et je répète à plaisir, il suffit de savoir où l'on est et à qui l'on a affaire. Toutes la Chine
les grosses affaires que nous eûmes avec vinrent du Kouang-Si et du Kouang-
C'est de là que partirent jadis les bandes Toung. chinoises, Pavillons Noirs et autres, qui vinrent au Tonkin combattre nos troupes. C'est le Kouang-Si et le Kouang-Toung qui absorbèrent les bandes et les troupes chinoises qui le Territoire Tonkinois sous la abandonnèrent poussée de nos troupes. en vérité, il Pays d'une couleur extraordinaire, en sortit jadis, et il en sort encore, les meilleurs généraux chinois, les meilleurs officiers et chefs
LA
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DE
de bandes, les meilleurs réguliers est interchangeable).
YÊN-BAY
et pirates (tout
cela
Il faudrait vraiment compter avec ce pays si ses par le commerce d'ohypnotisés gens n'étaient pium et d'armes, surtout par celui d'opium. les absorbe toutes Le commerce d'opium toutes les attentions, capte toutes les volontés, au énergies, tout ce qui n'est pas opium n'est rien inférieur et sur la basse côte du KouangKouang-Si bien que les gens qui On n'y connaît Toung. les font le commerce d'opium, ceux qui protègent ceux qui les raviconvois, ceux qu'i les imposent, et eh en petit taillent et ceux qui les pillent, gros. : L'opium tue partout, ici il fait vivre 3 provinces et vend, le Kouang-Si le Yunnan qui produit achètent et et le Kouang-Toung qui transitent, vendent. de noter que l'on évidemment, convient, Comme partout il fait autre chose au Kouang-Si. des et il faut bien, des cultivateurs, s'y trouve, ouvriers, des artisans, des petits commerçants. Il
La terre ne chôme pas, les champs sont cultivés comme des jardins dans le sentiment d'âpreté au travail et au gain qui est le fond du tempérament chinois. Les champs sont cultivés et nulle part il ne le faut davantage, car le Chinois est peut-être le plus grand mangeur de la terre.
LA
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DE
YÊN-BAY
115
Mais, je répète à dessein, le principal est l'opium, ne comptent bien que les catégories de gens qui, de près ou de loin, font des affaires d'opium ou y sont intéressés. Au-dessous, très au-dessous de ces catégories, de à l'état de poussière, il y a cette population la terre, des petits métiers, du petit commerce, le menu peuple, une matière négligeable, négligée, méprisable
et. méprisée.
En
Chine, malgré tout ce que l'on en dit, peuple est peu de chose ou rien.
le
blasphémer, n'en est-il pas ainsi un peu partout? Notre histoire a rapporté que Danton avant de faire le saut dans l'éternité avec aurait dit au bourreau : son grand sac d'illusions, « Tu montreras ma tête au peuple, elle en vaut Sans vouloir
la peine ». en valait évidemment la peine, mais le peuple, le brave peuple n'était-il pas insensible et le peuple de tous les temps sinon inconscient n'a-t-il pas été un peu cela ? Elle
En ce qui concerne la Chine, d'après Confucius, l'homme du peuple chinois, est le premier, des animaux domestiques qu'il faut bien soigner pour voilà tout. C'est d'ailleurs en tirer, beaucoup, l'ancienne
chinoise datant de l'origine, dans le Tchéoû-Li exposée systématiquement (WIEGER, la Chine à travers les âges, page 43). conception
116
LA
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Nous possédons sur le Kouang-Si et le KouangToung une assez grande quantité de renseignements général et matériel, mais ceux de détail et d'ordre d'ordre
psychologique
nous
font
plutôt
défaut.
Nous sommes redevables de ce que nous possédons à l'Etat-major qui, depuis quelque 40 ans, a patiemment codifié tous les distillé, recueilli, et civils : les comptes-rendus, apports, militaires rapports, monographies, des officiers en opérations, des chefs de postes, des Commandants de cercles et de subdivisions; les communications de nos missionnaires, les rapports de nos Consuls, ceux du Service Douanes chinoises; enfin, les articles de la des presse locale, de la presse anglaise et de la presse chinoise. Il serait injuste de dire que ces renseignements manquent de valeur, ce n'est pas cela que l'on pourrait leur reprocher, c'est plutôt d'avoir été énoncés dans la forme toujours trop sèche de la statistique. Des notes plus vivantes seraient plus en harmonie avec l'essence trépidante des gens de ces pays si — colorés du Kouang-Si Kouang-Teung. Personnellement, elles m'eussent appris bien plus vite ce que j'ai acquis moi-même à la longue, dans l'observation lente, raisonnée encore que libre, des faits, des gestes, des attitudes, de tous les contingents, enfin, de la psychologie très spéciale de ces gens.
LA
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sincèrement dans une simple Je désire restituer esquisse les points saillants de cet acquis laborieux. Présenter notre frontière avec le Kouang-Toungdans le nu, je dirai immuable de ses caractéristiques, qui sont en Chine, tout à la fois d'un mercanfarouchts, sauvages et trépidantes Kouang-Si,
tilisme
le mousquet au poing. sur une Projeter une lumière digne de nous, grisaille de convention à travers laquelle il faut voir gens et choses tels qu'ils ont été, tels qu'ils sont et tels qu'ils resteront. Faire justice une bonne fois des légendes et des innombrables sur ce pays, histoires qui courent ramener ces histoires au minimum de celles qui sont vraies et se répètent toujours. Les savoir bien une fois, c'est être renseigné du pays dominante pour toujours, la caractéristique est l'unifrontière Kouang-Si Kouang-Toung formité : ce sont toujours les mêmes gens qui font les mêmes choses aux mêmes endroits, de la même façon. Ne
dire que ceci, rester sur cet avertissement serait peut-être suffisant. Je tiens cependant à dire en détail ce préambule, plus et mieux, à justifier éclairer encore ma lanterne chinoise. Dans le but principal d'être utile à ceux qui débutent, à ceux à ceux aussi, qui veulent apprendre simplement, dont le bagage est insuffisant parce qu'ils n'ont eu du folklore que la partie inconsistante des légendes brodées, fioriturées,
parfois
dramatisées
à plaisir.
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ROUGE
LA
FRONTIERE
YÊN-BAY
Il y a évidemment frontière et frontière. Dans la nos vieux pays d'Europe, où que l'on soit, frontière est en général aussi sûre que l'intérieur et, à part le petit désagrément des investigations douanières, tout
contact
est aimable, piquant
et curieux.
Il n'en est pas tout à fait de même en Orient ou en Extrême-Orient et surtout rien de pareil à la frontière du Kouang-Si et du Kouang-Toung, où, derrière le sourire aux dents blanches des mandarins et marchands chinois, il y a une espèce de piraterie endémique contre laquelle il convient de se garder. On se garde, d'ailleurs, et l'on peut dire bien. Notre
frontière
a donc, ainsi, plutôt un air martial à l'intérieur On et farouche à l'extérieur. vit bien, d'ailleurs, dans ces deux ambiances, prises séparément ou fondues. INTÉRIEUR
a été dit plus haut, lé Tonkin, Ainsi qu'il clef de l'Indochine, a 450 environ kilomètres de frontière avec le Kôuang-Si au Nord et à l'Est et 100 km. environ avec le Kouang-Toung à l'Est.
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ROUGÉ
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A part Moncay qui a les pieds dans l'eau, toute la frontière est en pays montagneux et tourmenté, pays que nous avons partout ouvert et adouci. Les trois piliers de . cette frontière sont CaoBang, De
Lang-Son
et Moncay.
et d'autre de ces piliers, une armature de 16 postes de première ligne parmi lesquels il faut compter, étant donné leur situation : Ban-Xom, et Coc-Pan. Trung-Khanh-Phu, Ha-Lang part
Et neuf postes de seconde ligne. est un pays de postes, rien ne changera cela. C'est en créant des postes, et en ouvrant des routes que nous avons réduit la piraterie. C'est en partie parce qu'il n'y a pas assez de postes et de routes que la piraterie sévit toujours au Kouang-Si. Le Tonkin
peut considérer que le nombre de postes protégeant notre frontière est suffisant, car la nature a bien fait les choses, le terrain est favorable à la On
les délégadéfense. A part le bas pays de Moncay, et la région de Lôc-Binh tions de Dinh-Lâps Lang-Son qui sont assez débridés, tout le reste est un pays de couloirs et même les régions ouvertes conduisent
à des couloirs.
Derrière
les postés, une voie ferrée prolongée par une bonne route empierrée et deux routes stratégiques, une à l'Est, l'autre à l'Ouest de la voie ferrée. C'est tout. La population
de la frontière,
en majorité
Thôs
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et Nùngs (famille Thaï) nous est attachée et dévouée. Gens de la terre, accrochés très fortement au sol, nous leur avons apporté la sécurité à l'abri de laquelle ils peuvent mener la vie de leurs aspirations simples. Ils ont l'occasion de mesurer très souvent, depuis ces dernières années, tous les bienfaits de notre tutelle en comparant leur vie quiète à celles qu'ils menaient autrefois et a celle que mènent, présentement, les habitants chinois du pays d'en face. Les Thôs qui sont les premiers venus dans le pays sont dévoués et soumis sans réserve, on peut compter sur eux. Les Nùngs venus après les Thôs, gens issus de Chinois, sobres, travailleurs et âpres au gain, ont en eux, question d'atavisme, une petite flamme chinoise, mais celle-ci est dominée par un instinct féroce de propriété. Ils ont chez nous, leurs tombeaux, leurs foyers, leurs familles, leurs terres tout cela suffit pour que leur cause soit nôtre.
et
La population du haut pays nous fournit, depuis 40 ans, un corps de partisans très utile et qui n'a qu'une caractéristique pratique ; un partisan vaut un autre partisan, il sert suivant la façon dont il est actionné. Bien entendu, le partisan doit être choisi parmi les gens installés dans le pays depuis longtemps, et qui y ont leurs biens de toute sorte, maisons, terres, familles, tombeaux. Cette population de montagnards nous donne mieux encore, des tirailleurs et il ne tient qu'à nous
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d'en recruter autant qu'il sera utile pour former un élément susceptible de balancer ou remplacer les effectifs purement annamites. n'est plus aussi bon ni aussi sûr que jadis, l'affaire de Yên-Bay a jeté sur lui une suspicion qui durera sans doute longtemps. Dans un but de prévoyance et de self-protection, Le
tirailleur
annamite
il a fallu penser à chercher un élément de contrepartie, il était sous la main, rien ne pouvait nous arriver de plus heureux que de recruter des montagnards, Thôs et Nùngs, gens simples, droits et aucun goût soumis, qui n'ont pour l'intrigue, réfractaires tout aussi bien à l'influence des Annamites qu'à celle des Chinois. Autrefois, des tirailleurs étaient recrutés dans le haut pays parmi les montagnards et servaient dans les unités du haut pays en faible quantité, il est vrai. Après nos premiers mécomptes avec les Annaen a d'abord été augmentée mites, la proportion jusqu'au tiers des unités, ce qui était bien ; puis, on a jusqu'à la moitié, ce qui était mieux. Enfin, créé des unités ment un bataillon
de
notammontagnards, thô à Lang-Son et c'est très bien.
n'est pas uniquement thô, il un certain nombre de heureusement
Ce bataillon comporte
entières thô
Nùngs. Le Thô manque d'étincelle. Il est doux et soumis, indolent, même. Le Nùng, trop, doux peut-être, Chinois émigré, comme l'a dit excellemment le Colo-
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nel BONIFACY, homme dur, actif, farouche et parfois au milieu Thô le brio et l'activité violent, apporte Il faut des Nùngs dans les unités qui lui manquent. et il en faut dans la proportion de montagnards d'un tiers au moins, on peut aller, on pourrait aller, sans inconvénient, jusqu'à la moitié. on crut faire une innovation 1929, officiellement des Nùngs dans les en acceptant sans qu'on s'en rendit tirailleurs. En réalité, — et comme M. JOURDAIN on faisait là compte de la prose sans le savoir — il y en avait déjà, parmi En
et
1928
les tirailleurs qui étaient tière étaient
appelés Thôs. Ceux des soi-disant Thôs les meilleurs dans les unités de la frontout
été recrutés d'implantation l'Asiatique
bonnement
des Nùngs des Thôs. C'étaient
comme
ancienne, fondus, se fond et s'adapte très vite
Le Nùng est un Chinois émigré, et là il y a un danger. Ceci mérite sera courte
qui
Le Nùng, un Chinois contrainte. lation
chinoise
au milieu.
observera-t-on une explication
et simple. dire cultivateur) est bien mais il a émigré par émigré, refoulé a été plutôt par la surpopu-
(le mot Il
qui avaient des Nùngs très fondus,
et
la
veut
rareté
des terres
cultivables.
Il
a quitté un sol dur où il n'avait même d'ailleurs les meilleures terres étaient pas la paix. Au Tonkin, occupées par les. Thôs, il ne restait plus que les parties arides de la montagne, le Nùng s'y est accroché. Il
s'est
installé
dans
des cirques
privés
d'eau,
LA
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les a cultivés et les cultive comme des jardins. Ce qu'il a fait et ce qu'il fait dans ce sens, il faut aller sur le terrain pour le voir et bien le savoir. Par un labeur acharné, il a fertilisé un domaine ingrat et dur ; aussi son instinct farouche de propriété s est encore accru et domine de beacuoup la en lui. petite flamme chinoise qu'il a naturellement où il est, il se défend, il se défendra et, Partout pour bien se défendre, il attaquera même celui qui le menacera. Mais il n'attaquera pas le maître, il a le sens, un sens profond de la soumission. intense du sol et de sa famille, culte Amour de ses morts, soumission au maître, telles sont les du Nùng, fixé et bien fixé aspirations instinctives sur le sol. a acquis au Tonkin une position excellente, nous n'avons pas à nous en plaindre. Allons voir sur le terrain et demandons-nous, qui, sinon lui, aurait mis en valeur les parties si rudes et si tourmentées de la montagne sur la frontière du KouangIl
Si
et
du
Kouang-Toung. l'ai parlé de son amour de la famille, de ce côté il est resté prolifique à la façon des Chinois. Un proverbe chinois qui vise plus spécialement les femà la femme s'applique hermétiquement savoir, qu'elle a beaucoup d'enfants : un Nùng, tous les ans et un plein panier, tous les 3 ans. Un plein panier, Madame, en Chine, c'est 30 kiloévidemment. C'est grammes 225. beaucoup, mes Hakkas
LA
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Le Nùng gagne en population sur le Thô. Plus travailleur, plus sobre, plus économe que celui-ci, il gagne aussi du terrain, un jour il arrivera à le dominer en tout. Il y a évidemment une mesure, et il vaudrait peut-être mieux que les Nùngs ne supplantassent pas trop vite les Thôs. l'homme des cirques, est bien plus Le Nung, souvent sur le terrain et au travail qu'au plaisir. Il faut admirer dans cet homme laborieux, dans ce simple et ce rustique, cette grosse vertu antique : l'amour
infini
du sol et de la famille.
pas douter de ce qu'il défendra, au besoin contre les bandes ou hordes chinoises, le sol rude qu'il a arraché à une nature sauvage et qu'il a domestiqué. Il
ne faut
Il
convient
d'ajouter, que jamais il ne saurait prêter l'oreille aux propagandistes de la révolution ou du communisme ; de ce côté, nous ne devons avoir aucune appréhension. Le Nùng, enfin, est un rude montagnard et, pour utiliser une formule éloquente bien que très usée, s'il n'existait pas il eût fallu l'inventer. A
L'EXTÉRIEUR
Il
fut autrefois
une
Chine
KOUANG-SI
appelée intimement l'Empire fleuri comprenant d'abord un pur noyau de 18 provinces groupées dans les bassins du Hoang-
LA
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DE
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125
et constituant l'Empire et du Yang-Tsé-Kiang du milieu. Ensuite, s'agglomérant à ce noyau, une ou d'Etats tributaires. quantité de provinces au moins aussi grand Dans ce groupement
Ho
tout était impérial depuis les merque l'Europe, veilles accumulées dans les grandes cités : les palais de Pékin, les monuments, les temples, les tombeaux, jusqu'aux routes misérables que suivaient les émisà un peuple béat saires impériaux pour apporter la parole de l'Empereur. Depuis 2400 ans au moins, tout culte commenIl s'inculquait dans la çait par celui de l'Empereur. famille et tenait tout entier dans les trois préceptes suivants : soumission du sujet au souverain, du fils au père, d'épouse à époux. Avant tout, et par dessus tout, il y avait l'Empereur. son La splendeur de la Chine, sa grandeur, à ce temps et particulièrement épopée se rapportent à la période de près de 300 ans pendant laquelle régnèrent les Mandchoux. n'est plus depuis L'Empire le culte dont il était spirituel, pour ainsi dire du peuple, a funeste démagogie. La Chine
Ce principe tout l'idéal l'objet dans une disparu
1908.
était bien le dernier
pays à mettre en république. La souveraineté du peuple, le peuple pour le peuple, c'était très joli et séduisant comme formule, mais le peuple dont parle à tout propos une minorité de meneurs pour couvrir des abus, n'est le plus
LA
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souvent qu'une populace : un grand corps sans spiritualité ni vraie sensibilité ; un grand troupeau qui n'a plus que de mauvais bergers. était plutôt une le Kouang-Si Par définition, colonie ou un pays tributaire pour la Chine. Faà l'imaavec une population rouche physiquement, ge de sa structure, il fut assujetti à la Chine vers le onzième siècle et les militaires chinois partagèrent le pays en fiefs. C'est, actuellement encore un pays de fiefs ; à cet égard rien n'a changé. On y a toujours bataillé soit à l'intérieur pour le commerce et le transit d'opium du Yunnan à la le mer, soit vers l'extérieur avec le Koei-Tchéou, ou le Tonkin. Yunnan, le Hou-Nan ont un sort Le Kouang-Si et le Kousng-Toung commun, leur histoire s'est souvent confondue. Ce tantôt un tyran du les fluctuations, fut, suivant tantôt un tyran du Kouang-Si Kouang-Toung, qui domina. L'atmosphère de ces deux provinces, souvent trépidante de mercantilisme et de piraterie, reste quamais avec en moins le frein siment telle aujourd'hui, ou crainte du d'un idéal: culte de l'Empereur Seigneur. en laisse le pas étroitement Kouang-Si, pays si éloigné, si difficile à atteindre et à gouverner directement, la Chine avait des méL'Empire
thodes
ne tenait
coloniales
adéquates :
pas
d'immixtions
LA
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DE
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directes, des directives vigoureuses mais très larges à le résultat surtout, à obtenir dans le l'exécutant, sens des directives, importait. Et lorsqu'il était atteint un rescrit d'un large cachet le sanctionnait.
impérial
orné*
n'écette Chine et ce Koùang-Si Evidemment, taient pas à regarder au microscope, mais avec le c'est toujours ainsi que gros bout de la lorgnette, la Chine est belle. Les Annales, d'ailleurs, celles qui. faisaient l'histoire mentionnaient les beaux résultats et non pas le détail des tractations et des opérations. Toutes les choses
de détail
manteau
étaient
de velours, d'un beau cachet.
couvertes, par le rescrit
comme
d'un
impérial
orné
Le Kouang-Si, ce fut autrefois cela : un pays rude, mené rudement et de haut par l'Empire, qui savait à son profit traiter les mêmes par les mêmes. La population qui en est issue est marquée par une aptitude spéciale à l'action violente. J'ai dit plus haut que l'on tire aujourd'hui d'elle la meilleure matière à pirates et à soldats, les fortunes militaires les sont encore la prime accessible plus extraordinaires à ces gens, je vous en donnerai un exemple palpable : Le
Général
ex-Gouverneur du LY-CHUNG-YEN, et qui est actuellement l'un des quatre Kouang-Si gros de la Chine était encore sous-officier. il y a 10 ans environ.
LA
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Parlons un peu de cette population. environ 3 millions 1er élément de descendants d'anciens soldats, fonctionnaires, déportés, commerçants et aventuriers. Aptes à tous les tratics et à la piraterie bien entendu, ils sont, Deux éléments
comme
leurs
commerçants,
ascendants, aventuriers.
soldats,
fonctionnaires,
2me élément - 5 millions de gens du sol. Ils cultivent la terre en principe, à l'occasion, ils servent comme réguliers. Une partie d'entre eux est apte à la piraterie, elle en fait en Chine et au Tonkin. La population du Kouang-Si a la piraterie dans la peau, parce que de tout temps il y eut de la piraterie au Kouang-Si. Il en est resté une empreinte indélébile qui fait que la piraterie dès est partout que l'autorité n'estpas assez forte pour tenir le pays très serré et faire de la répression immédiate et quelquefois préventive. LE
COMBATTANT
KOUANGSINAIS
.
Nous
ou à pouvons avoir affaire au régulier ils sont interchangeables et il est bien l'irrégulier, rare que le régulier n'ait pas été pirate ou, inversement, que le pirate n'ait pas été régulier. Le combattant du Kouang-Si est en général assez grand, fort et surtout très souple, assez intelHabitué, aux rudesses et aux coups, il a ligent. généralement
vu le feu,
soit
comme
pirate,
soit
LA
comme régulier, convoi d'opium.
NUIT
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YÊN-BAY
soit comme homme
d'escorte
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d'un
Il
sait tuer, tout d'abord un poulet,
homme a tué au Kouang-Si: un canard, un porc, un boeuf, un petit carnassier, un fauve ; puis des habitants un soir de pillage lorsqu'il était pirate, ou bien des d'hécatombe, pirates ou présumés tels, un jour lorsqu'il était régulier. Il constitue
un type excellent de soldat de montagne, à qui l'on peut demander tous les raids de marche, course, ascension. est sobre lorsqu'il le faut et il le faut assez souvent au Kouang-Si. Par contre, lorsqu'il y a de quoi, il est vorace, fait bombance et ripaille, il passe son temps à manger et à boire. Dieu seul sait ce Il
qu'il engloutit ! Aucun aliment ne le rebute, il avale tout et tout passe, il a un estomac de chien et c'est encore peu dire. la chose Pas d'instruction militaire méthodique, militaire chinoise est en grande décadence, on vit à l'emporte-piècc sur de vagues réminiscences ou des traditions lointaines. Peu de dressage morale.
technique
; pas d'éducation
La discipline est un peu l'image de la justice chinoise, elle n'est pas moralisatrice ni éducative, elle est très sommaire et répressive. On passe longtemps ou l'on peut passer longtemps à travers les
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punitions, et les peines et, un beau jour, pour peu de chose, sinon pour rien, on est tout simplement Le Kouang-Si est en permanence sous le fusillé régime de la loi de la jungle et de la loi martiale. du Kouang-Si a. 500 grammes Le combattant d'effets, sur le dos, son bagage matériel est bien léger, mais son bagage moral l'est bien plus encore : pillard et cupide, tout objectif de guerre ou d'action disparaît pour lui dès qu'il y a du butin. C'est là un terrible défaut, il est bon de le savoir, j'en cite un exemple majeur : Le 24 Mars 1885 à Bang-Bo (Nord de Namun bataillon du Quan, en face de Dong-Dang), de ligne, attaquait, droit devant, une position 111e qui commandait une vallée. En principe, il était encadré à sa droite par un bataillon du 143e qui attad'approche quait aussi; Des mouvements se faire à la faveur du brouillard.
devaient
le bataillon du 111e avait rempli sa mission préliminaire, mais le bataillon du 143e non. Il s'en suivit que, lorsque le brouillard se dissipa, non seumais lement le bataillon du 111e était découvert, l'ennemi l'assaillit par devant, par sa droite et même Or,
par derrière. Il dut refluer et fut reconduit très durement. Il allait être anéanti, lorsqu'une partie du convoi se trouva entre lui et l'ennemi. Celui-ci arrêta la poursuite pour piller le convoi —des sacs, des — et ainsi le bataillon du simples sacs 111e put se dégager et échapper au désastre. Il avait perdu
LA
89 hommes
NUIT
sur
ROUGE
un peu
DE
YÊN-BAY
131
plus de 300.
est plus qu'un épisode, il fixe et souligne le grave défaut du combattant chinois, lequel abandonne toute action même victorieuse pour le butin. Ceci
et tout finit tout commence Kouang-Si et ceci n'est également par l'opium pas nouveau, de tout temps il en fut de même. En Mai 1899, Au
des bandes de notre
formées
frontière
Pé-Sé-Nanning) tonnes d'opium à ce moment, Le Maréchal
à 100 km.
sur le Yu-Kiang ont un pillé
appartenant était le grand Sou
environ
s'était
(artère convoi
au Maréchal maître
illustré
au Nord fluviale de Sou
20 qui,
du
Kouang-Si. à Bang-Bo, c'est
il fut nommé à la suite de y commandait, de ce gros succès chinois, Maréchal et 2e gardien l'héritier de l'Empiré. A part cela, il était présomptif le grand chef marchand d'opium. LUU-VINH-PHUOC lui
qui
au de Kin-Tchéou noirs était originaire un des plus grands marchés de l'oKouang-Toung, marchand d'opium. pium. Il était lui-même des Pavillons
Plus (Luc-A menses
LOU-YONG-TINH près de nous, le Maréchal avait des richesses imSUNG) acquis dans le commerce Et, d'opium. aujour-
lui manque des fonds, l'homme du lorsqu'il de 1'heure, les trouve dans la jour ou le maître d'un convoi négociation d'opium. d'hui,
vaut couramment au Kouang-Si L'opium 1$ le les 37 grammes, c'est à peine plus c'est-à-dire taël
LA
132
lourd
NUIT
que l'argent, avantageuse, facile vendre. Elle
ROUGE
DE
YÊN-BAY
aucune
marchandise n'est si à conserver, à transporter, à
fait monnaie.
Au Kouang-Si, tout commence et tout finit par dans tout, je répète, il y a de l'opium l'opium, aucune conférence au monde ne modifiera cela ; il s'agit au Yunnan, au Kouang-Si, au KouangToung, des finances de la province, des profits des mandarins, des notables, il est à peine besoin d'ajouter, qu'en Chine, toute question de profit passe avant le , sentiment. Le Kouang-Si a 200.000 de superficie, km2. c'est-à-dire le double du Tonkin. Il n'est pas ouvert vers l'intérieur. Comme toujours en Chine, surtout en périphérie, les routes sont les voies d'eau. A cet est assez bien servi et il a par égard, le Kouang-Si eau des communications avec le Yunnan Oriental, le Kouei-Tchéou, le Kouang-Toung, le Hou-Nan et le Tonkin. Cela
ne donne pourtant que des communications précaires. La liaison intérieure, la communication entre les artères fluviales se fait par des mauvais sentiers dont certains prennent des noms pompeux. C'est ainsi que l'un d'eux qui va du Yunnan Oriental à Pac-Hoi (bas Kouang-Toung) s'appelle la route de l'opium. Cette route est, paraît-il, ma fille, tout le premier je l'aurais appelée ainsi. Peu importe que ce soit moi ou d'autres, ce qui est certain c'est qu'elle est exactement dénommée.
LA
NUIT
ROUGE
DE
YÊN-BAY
133
Les hauts du Kouang-Si sont peu habités ; la population vit plutôt dans les vallées et se presse, en Extrême-Orient, le long des comme partout voies d'eau. En résumé, le Kouang-Si notre grand voisin un pays rude et farouche ; il a une population été menée. rudement son image qui a toujours
est à et
doit l'être. Le sol n'en est pas riche, mais le cultivateur chinois en tire le maximum. La principale source de revenus est le commerce d'opium du Yunnan. L'opium nourrit
une grande partie du bas Kouang-Si.
On n'a jamais beaucoup pensé à la chose publimoins encore que maintenant que au Kouang-Si, jamais. Cependant, l'air de s'en
de temps en temps, les officiels ont le occuper, il faut bien entretenir met ainsi sur le papier des projets
moral ! On qu'on ne réalise
jamais
si
même on les
amorce.
L'armée
existe plus guère, ni régulière n'y même les bandes bien organisées. L'armement est disparate, les munitions rares, ceci est le mal commun aux réguliers et aux irréguliers. Non seulement les munitions sont rares, elles sont mal stockées, mal entretenues. Il
mais
et mauvaise gouverne. y a désorganisation Tout ce qui subsiste encore de bien ou que 1'on voit de bien, est une survivance du régime anté-
LA
134
rieur
dont
dant, était
NUIT
ROUGE
DE
YÊN-BAY
on avait dit bien du mal et qui, supérieur à celui-ci.
Gardons
nous
vrai comme le plus
cepen-
toutefois
d'exagérer et le plus sûr de tout cet exposé, le voici :
les rudesses, les cahots, la mauvaise gouMalgré le Kouang-Si tient et verne, la désorganisation, peut tenir. On
n'y attend meilleur car jamais
pas un état de choses rien n'y alla très bien.
bien
On
y fut mieux il y a quelques années, c'est un fait, on y fut plus mal aussi à d'autres moments et, d'instinct, on ne souhaite qu'une chose : ne pas être demain plus mal qu'aujourd'hui. Et
même
si cela advenait, si demain on y était le Kouang-Si tiendrait et plus mal qu'aujourd'hui, les Kouangsinais resteraient face à face. Ceux qui excédé déborpensent qu'un jour le Kouang-Si dera chez nous et se ruera sur nos campagnes, font de l'imagination et de la fantaisie. Ceci est ma conviction, et croyez bien que je ne cherche pas à faire du paradoxe. B
KOUANG-TOUNG
Le bas Kouang-Toung avec lequel nous sommes en contact est plat au Moncay et vers la cote, et montagneux vers à la façon du Kouang-Si l'Ouest. La montagne est assez bien habitée, j'entends
au point au vue qualité
des gens.
LA
NUIT
ROUGE
DE
YEN-BAY
135
En plaine et sur la côte, grouille une population dans laquelle les mauvais éléments abondent. Maritimes ou issus de maritimes, et pillards eux seraient écumeurs, les plus honnêtes d'entre encore les marchands d'opium et tous ceux qui vivent
de l'opium,
je ne dirai rien
de plus à leur
égard. des gens de cette population du KouangToung pénètrent par terre dans nos exploitations minières de la côte et de l'intérieur. Ils s'y travailleurs ; quelques-uns s'attachent montrent et se fixent à leur besogne. D'autres, ils sont nomBien
breux, disparaissent après avoir commis des violences. Les appréciations sur le combattant
ont
été portées plus haut au Kouangsinais s'appliquent combattant sans qu'il cantonnais, y ait rien à ajouter ou à retrancher. qui
La région de Moncay, vers le Kouang-Toung,
de notre frontière a toujours été agitée et le sera toujours quelque peu. En 1888, après avoir été assez tranquille une grande pendant pilier
partie de l'année, sa citadelle fut enlevée par une forte bande de pirates. Durant tout l'hiver de cette année, une colonne commandée par un officier supérieur opéra dans le massif situé entre Moncay et Tien-Yen. Elle ramena dans la région une paix relative pendant plus de 3 ans. En 1892, des bandes de Moncay, et nécessitèrent apparurent à l'Ouest l'intervention des colonnes Messier de St James
LA
136
NUIT
ROUGE
DE
YÊN-BAY
En 1894, enlèvement d'européens et Froestatter. par le chef de bande LO-MAN qui prétendait obtenir des rançons de 30 à 50.000$. de la région s'améliora bien à tranquillité partir de 1895, mais il y eut longtemps de la piraterie et il y en a un peu de temps en temps encore. C'est aussi le coin favori d'agitateurs de deuxième La
ou troisième
plan.
faut toujours Cependant, à part le fait avéré qu'il y être en garde il ne peut rien nous en venir de sérieux, le Tonkin n'est pas vraîment vulnérable par Moncay. mouvement y constate, que l'on d'ailleurs, est peu à côté de celui qui se fait sur la côte par toute une flotte de jonques : opium, armes, fausse monnaie, traite des jaunes, piraterie, contreTout
le
bande variée et bien autre chose encore, la plus belle ou la plus vilaine histoire de la baie d'Along ou de n'est pas celle du serpent la baie de Faï-Tsi-Long de mer. Il y a beaucoup mieux et ce serait là le sujet qui
et très intéressant est sur place et en aurait le goût.
La Toung
d'un
travail
frontière
touffu
dû
c'est donc
Kouang-Si cela. Côté
organisé, en progrès constant douce ou adoucie qui peut
pour
et du Kouangun pays Tonkin et une population en paix; travailler
LA
NUIT
ROUGE
DE
YÊN-BAY
137
du côté Chine,
un pays assez mal tenu de tout à moeurs plutôt temps, pourvu d'une population violentes qui vit sa vie, non pas en mieux actuellement, mais en un peu plus mal, gardons-nous bien d'exagérer. Dans
une bande
d'environ 15 km. de part et d'autre c'est-à-dire dans l'espace maximum qui sépare de bout en bout les marchés chinois et tonkinois il y a interpénétration et une espèce de vie commune. sont assez deux éléments de population différents ainsi qu'on l'a vu plus haut. Mais de — c'est le moins — part et d'autre, on se connaît et on règle ses rapports communs en conséquence. On est prudent. sait fort bien parmi les On Les
Tonkinois qu'il ne faut pas s'attarder en Chine les soirs de marché ni rentrer isolément. On sait aussi que des bandes peuvent surgir à tout moment, on sait bien des choses dans cet ordre
d'idées.
se garde, en petit et en grand, on doit et une très se garder c'est le lot de la frontière vieille histoire. On
De
cela est résulté une espèce de modus vivendi, que ce mot si respectable, appliqué à des choses sauvages, ne vous choque. tout
Ce modus vivendi n'a pas de statut, il n'est mais plutôt de deux issu d'aucune réglementation, facteurs qui font prime ici : l'instinct d'une popula-
128
LA
NUIT
ROUGE
DE
YÊN-BAY
tion
très près de la nature et une grande souplesse. On est prudent, on se méfie, on se garde, mais on vit et on vit même bien, malgré qu'un débordement de la piraterie chez nous soit possible. La ce n'est pas tout. Une autre incursion piraterie, celle de bandes recrutées par le peut se produire, annamite parti révolutionnaire très actif existe à Canton. Ce
dont
un noyau parti n'a rien pu faire encore et pour monter quelque chose de — grand, quelque chose de sérieux et d'effectif — la tâche est passer de la théorie à l'action considérable. Si je ne devais tenir compte ici que de mon sentiment, je dirais que je suis sceptique, mais il de bandes révoluy a des précédents d'incursion de n'y pas prêter tionnaires et il serait imprudent un peu attention. elle n'est pénètre au Tonkin en général pas dépistée ni signalée par les autorités chinoises ; celles-ci excipent toujours d'ailleurs de Il serait leur ignorance ou de leur impuissance. Lorsqu'une
bande
oiseux de s'attarder à l'analyse du pour et du contre dont sont faites les déclarations des mandarins chinois ; il y a plus pressé: agir. Nous ne sommes
pas sûrs de nos voisins,
voilà
le fait. sauvegarde, nous conduit à nous garder sur place par l'activité de nos postes, par Le souci de notre
LA
une vigilance renseignement d'être renseigné.
NUIT
ROUGE
DE
YEN-BAY
139
constante des partisans et, par le il est. essentiel, il est indispensable
A cet égard, nous réussissons mieux qu'on ne le pense, les défauts seuls de ce service, ses ratés font saillie, les qualités et les bénéfices non, du moins si on ne réfléchit pas. Si l'on veut bien y réfléchir, on convient
de ce que le renseignement nous évite bien des histoires et des désagréments. Ce n'est pas d'ailleurs sans difficultés. Il ne suffit pas d'ouvrir les yeux et de tendre l'oreille, d'avoir des yeux et des oreilles partout ; ce n'est pas là le plus difficile, les sources et les apports ne sont pas rares, la quantité ne manque pas; quant à la qualité c'est une autre affaire. On
ne peut se renseigner en ce pays sans parler beaucoup, on ne peut parler beaucoup sans dire bien des choses inutiles et des mensonges, ce sont là les parasites du renseignement. Depuis que l'on se renseigne, beaucoup de léet s'y sont gendes sont nées dans la bande frontière installées. Elles enveloppent intimement, parfois profondément, presque tous des renseignements. Ceux-ci doivent donc être épluchés, distillés, dégagés des superfluités. ce n'est On apprend à faire du renseignement, pas très difficile, en somme, mais il faut de la pratiIl faut savoir que et un gros fonds de psychologie. ou apprendre à se dédoubler, penser en indigène
LA
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NUIT
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DE
YEN-BAY
s'agit de choses indigènes, en chinois lorsqu'il s'agit de choses chinoises, il faut être souple, patient, avoir l'esprit libre, ne pas croire à trop de dans tout mystère ni à trop de machiavélisme, conflit chercher non pas la femme, mais l'intérêt et, s'il s'agit du Kouang-Si, ne pas oublier l'opium. lorsqu'il
Certes, il y aurait bien des choses intéressantes à dire au sujet du renseignement, mais c'est là un secret et très réservé qu'il convient compartiment simplement d'effleurer.
BRUITS
ALARMANTS,
RUMEURS
D'ATTAQUE
un renseignement venu de devant ou de latéralement signale des rumeurs d'attaque, grosse attaque. Cela paraît assez fou en certains Parfois
cas, mais le renseignement firmé par d'autres venant et quelquefois Là, étant
initial, est souvent cond'à côté ou de plus loin des services centraux.
donné
les mauvais
antécédents
du
Kouang-Si, quel que soit son sentiment personnel, il faut aller voir, par émissaire, bien entendu. Et lorsqu'on y est allé très souvent tout disparaît comme l'ombre devant le soleil. Mais, je répète bien, il faut y aller et il faudra même y aller la fois suivante, l'enjeu serait trop gros si, n'y allant pas, l'attaque se produisait, il s'agit, bien entendu, ici de grosses affaires.
LA
NUIT
ROUGE
LES
DE
YÊN-BAY
141
INDICES
Notre
vieux règlement du service en campagne apprenait autrefois à observer les indices et donnait à cet égard de précieux conseils. La méthode a vieilli en Europe ; ici elle a gardé toute sa valeur. En cas de troubles, d'opérations, d'effervescence, les indices sont nombreux et faciles à traduire; il faut en faire le plus grand cas. LES
COUPS
DE
MAIN
CHINOIS
Nous en subissons et continuerons à en subir, c'est notre lot. Rien de grave d'ailleurs, nous n'avons que des queues de typhon, ce sont les Chinois qui subissent les gros coups. Lorsque notre frontière vient d'être touchée par un coup de main il faut regarder la carte, mais la regarder en pirate. Chercher d'où l'on peut venir le plus facilement au point de vue minimum de distance et de risques. Ne pas céder à la tentation de placer L'itinéraire
de la bande le long d'une voie naturelle d'invasion, par exemple la belle diagonale d'une de vue théoririvière. C'est très séduisant appoint que, cela ne vaut pas grand'chose au point de vue pratique qui nous intéresse. Les pirates sont des gens rustiques, à qui des routes rustiques suffisent, à condition, bien entendu, d'être praticables.
LA
142
NUIT
ROUGE
DE
YÊN-BAY
de manoeuvre dit qu'avant règlement les troupes doivent être placées face à d'attaquer l'objectif, c'est aussi là un précepte du pirate. La route prise par les pirates sera donc la plus proche, si elle est praticable, la bande revient généNotre
par cette même route. Lorsqu'un coup de main a été fait sur notre territoire, il ne faut pas en rejeter la faute sur l'indigène ; mais on doit voir cependant du côté des partisans, qui ont besoin par moments d'être ralement
en Chine
réveillés. Les poursuites ne donnent pas grand' chose, à moins qu'elles soient faites sur l'heure par les partisans. Le mieux est de se garder, d'aller voir les hauts, les creux, descendre dans les ravins, vivre avec et sur le terrain un peu comme la faune et alors il arrive difficilement quelque chose. Un coup de main est parfois l'indice que l'on ne se garde pas bien ou qu'il y a un défaut, l'ennemi est subtil, il observe toujours. Après un coup de main par une bande chicondes renseignements noise, si l'on a surtout cernant les pirates, il faut agir auprès des Chinois chefs de postes et auprès du Commissaire Déléà Long-Tchéou ; leur gué à la police frontière écrire, c'est d'ailleurs
réglementaire. Il ne faut pas partir de l'idée qu'il n'en sortira rien, mais plutôt de l'idée contraire. Il faut y
LA
NUIT
ROUGE
DE
YÊN-BAY
113
revenir
sans craindre sa peine, faire ainsi une espèce de harcèlement pour la bonne cause, la cause des indigènes qui ont été pillés. Le Chinois est orgueilleux, son orgueil le poussera un jour à nous donner une satisfaction et lorsqu'il s'en mêle, ce n'est pas par des demi-mesures, c'est par des mesures capitales. De temps en temps, lorsque la piraterie a pris un caractère trop aigu, on fait de la répression en Chine; on organise une battue dans une région suspecte, les pirates ou supposés tels, que l'on capun tribunal ture, sont traînés devant le Tribunal, sans grand
apparat,
croyez m'en.
Ce n'est pas très long, ni très compliqué, on fait abstraction de bien des formes, les décisions qui en sortent sont capitales et rapidement exécutées.' le Tribunal chinois a sanctionné des Lorsque affaires de piraterie on pense, malgré soi, à cette formule de Kipling qui ne s'adapte pas hermétiquement; mais que je tiens à citer quand même: des beautés de la loi de la Jungle c'est que une la punition règle tout. Ici, c'est le cas, tout est réglé, nul ne peut réclamer car tout le monde est fusillé. Evidemment, ces choses de justice ainsi bâclées en vitesse sont loin
d'être
n'y trouve mentalités
la justice pure pesées au milligramme, et de tout cela nos pas son compte sont choquées. Bah ! nous sommes en
LA
Chine
ETAT
NUIT
ROUGE
DE
et ceci se passe entre
D'ESPRIT DES KOUANGSINAIS A NOTRE
YEN-BAY
Chinois.
ET
CANTONNAIS
ÉGARD
Il ne faut faire de tort à personne, diable.
pas même
au
et Après avoir tant dit contre le Kouang-Si ses habitants, il faut reconnaître que les officiels de ces pays, militaires et civils ne sont animés d'aucun vraiment malveillant ou offensif à notre esprit égard. Et s'il nous vient parfois des rumeurs d'attails n'ont jamais pris naissance que ou d'incursion dans les milieux officiels ou réputés tels. nous sommes Lorsque nous allons en Chine, reçus avec amabilité et courtoisie. Si l'on avait à se du Kouang-Si, déplacer à l'intérieur par exemple, on trouverait venant des offi— j'en ai usé—, ciels, une hospitalité très empressée, toutes facilités de circulation et des garanties de sécurité. Ils ne font pas, me dira-t-on, tout ce qu'ils peuvent, lorsque nous leur demandons intervention ou sanction au sujet d'actes de piraterie. C'est vrai. Mais leur abstention on ne peut pas ?
est faite un peu de faiblesse, bien donner que ce que l'on a n'est ce
LA
NUIT
ROUGE
DE
YÊN-BAY
145
Pour contenir, chacun dans son secteur, les éléments pillards que renferme la population , il faudrait, à demeure des forces supérieures à celles et un outillage meilqu'ils ont, une organisation leurs. Il y a donc avant tout un peu de faiblesse à la base de ce manque d'ingérence et d'activité. Les pillards, d'autre part, sont gens subtils : ils se groupent en secret, agissent rapidement et se dispersent. L'action des pillards est toujours courte, ils ne peuvent présentement rien d'ample ou de prolongé et rien de grave ne peut nous en venir. Etant
les donné les antécédents du Kouang-Si, exploits des grandes bandes restent possibles, mais pour monter des grosses opérations, il faut des chefs, de la préparation, de la méthode et c'est cela qui manque le plus en ce moment. J'ai dit plus haut et je redis ici que le Tonkin n'est guère vulnérable par Moncay ; il ne lest pas beaucoup non plus par Cao-Bang, d'autant plus que le
2e Territoire
a beaucoup
de défense.
Il l'est ou le serait par Lang-Son mais il faut bien réfléchir à ce qu'une entreprise de ce genre représenterait de difficultés pour être menée à bien par des masses de Chinois plutôt incohérentes. La matière à soldats existe en Chine, mais elle a perdu considérablement de sa valeur. Le KouangSi est à 40 ans de son épopée militaire. Le Kouang-
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LA
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DE
YÊN-BAY
sinais armé n'a pas de dressage ni physique ni moral, en ce moment. Il n'a rien du soldat qui peut aller loin, il a l'instinct du pirate qui fait un coup de main de va et vient. Ces gens sont allés, pu du moins certains d'entre eux sont allés depuis 1927 jusque près de Pékin, aussi. C'est vrai, mais il faudrait voir me dira-t-on comment. Cela se passait d'ailleurs entre Chinois. A part certains points où l'on s'est parfois battu assez sérieusement, partout ailleurs on a réussi sans coup férir, la cavalerie de St Georges a donné. le peuple souverain, il a au peuple, Quant marché par engouement pour la chose révolutionnaire, d'où doit sortir pour lui tant de bien, du moins on le lui a dit. Il reviendra bien de ses illusions et ceci est une autre histoire, que l'on racontera bien plus tard au Kouang-Si
et au.Kouang-Toung.
et pour revenir à mon point de des mandarins est faible en Chine vis-à-vis de nous, à l'intérieur ; quant à l'extérieur, n'ont pas d'idées offensives, ils les Kouangsinais savent bien que nous sommes forts , du moins par En attendant, départ, l'autorité
rapport à eux. craindre.
Et
ce sont eux qui devraient
nous
LA
NUIT
LA
Il
n'est
ROUGE
DEFENSE
DE
YÊN-BAY
147
CHINOISE
les Chinois, d'attaquer notre expansion est close, jetons quand un coup d'oeil par même, à titre de curiosité, dessus le mur. pas
question coloniale
Les Chinois
he nous craignent pas, pas du tout même. Ce n'est pas de la bravoure, ni froide, ni c'est de la logique, ils sont renseignés, bouillante, savent que nous ne voulons pas les attaquer et que, pour nous le temps est au calme. Il y a une trentaine d'années (vers 1900) ils avaient d'autres idées et n'étaient pas si tranquilles sur nos intentions. Nous caressions le grand projet à Long-Tchéou pacifique de relier le Tonkin puis de prolonger la voie ferrée jusqu'à Wou-Tchéou du Nord) et par delà le Kouang-Si (Kouang-Si Des études du tracé avaient jusqu'au Yang-Tsé. été faites pat la Compagnie Ce projet Fives-Lille. fut d'ailleurs abandonné. Nos
projets étaient pacifiques, mais les Chinois étaient loin de croire à la pureté de nos intentions. Ils disposaient sur la frontière de 29 bataillons de troupes régulières ainsi répartis : De la frontière du Kouang-Toung (cent mille monts) à la vallée de Ninh-Minh-Chau incluse: 2 bataillons. De la région au Nord de Dong-Dang à Long-Tchéou, en profondeur, sur 3 lignes : 18 bataillons. Dans
LA
118
la
vallée
Ha-Dong frontière
du
NUIT
ROUGE
DE
YÊN-BAY
: 2 bataillons. Song-Ky-Kong (vallée du Song-Bang-Giang)
du Yunnan:
De à la
7 bataillons.
la y avait donc pour couvrir Long-Tchéou, dans un inférieur, place d'armes du Kouang-Si couloir qui ne représentait pas le 1/10e du secteur et à défendre, les 2/3 des forces de la frontière de leur état d'âme du ceci est assez significatif Il
moment. était doté de 6 Chacun de ces 29 bataillons petits canons de montagne en bronze de fabrication sans grande valeur; il existait de plus, chinoise pour l'ensemble des bataillons, 30 canons Armstrong de montagne
et 2 mitrailleuses.
et Les ouvrages de la porte de Nam-Quan environs et les camps retranchés de Ping-Siang et Lien-Tchang (axe Dong-Dang Longde forteresse suil'artillerie contenaient Tchéou) de gros calibre vante: 12 canons Armstrong (12 cm) montés sur affûts à frein hydraulique, 6 canons Krupp de 120 m/m et un certain nombre de canons de 15 cm, 12 cm et 10 cm. Que sont devenus tous ces canons, les légers et les lourds ? On peut répondre sans hésiter : de la ferraille. Et puis qu'importerait bien ! Le Kouang-Si est surtout le pays du fantassin, de l'homme au moukala.
De plus, pour se permettre de compter sur l'artillerie, il faut de l'ordre et de l'organisation,
LA
NUIT
ROUGE
DE
YÊN-BAY
vous savez ce que je pense de tout en Chine.
149
cela actuellement
Après 1900, la vallée du Song-Bang-Giang conduisant du Territoire à Longde Cao-Bang Tchéou fut pourvue d'une dizaine de forts dont 7 aux avancées de Long-Tchéou ; ils étaient de canons Krupp et canons révolver.
armés
En LUC-A-SUNG ( LOU-YONG-TINH) 1906, Général en Chef du Kouang-Si, alla au Japon avec quelques officiers du Kouang-Si. A son retour il s'efforça d'organiser et d'instruire ses troupes suivant lés méthodes nouvelles. Il fit venir ensuite, une mission de 10 instructeurs japonais qui restèrent
au Kouang-Si pendant les années 1908 et 1909. Ceux-ci montèrent à Long-Tchéou une école de sous-officiers et à Ha-Dong (aval de Taune école militaire où se formèrent des Lung) instructeurs
et où tous
commandement
vinrent
ceux qui exerçaient faire un stage.
un
Trois batteries d'artillerie furent formées, elles vécurent quatre ans environ. Elles étaient dotées de quelques canons Krupp de montagne sur roues. peut aussi penser de ces pièces qu'elles sont On devenues de la ferraille. aujourd'hui En
1910, il ne restait plus au point de vue dans la zone frontière infanterie que 5 bataillons. ceux-ci, un seul gardait la trouée NamParmi Quan-
Long-Tchéou.
Ces cinq bataillons
étaient
LA
150
NUIT
ROUGE
DE
YEN-BAY
organisés, dressés, bien habillés, équipés et armés. Actuellement, lorsque la situation n'est pas trop anormale, Nanning-Fou, capitale du KouangSi inférieur, de gens compte quelques milliers armés. la place la plus importante, à proLong-Tchéou, ximité de notre frontière en a, en principe, un millier. Il existe une compagnie, dans certains centres de sous-préfectures et un détachement importants de moins de 20 hommes dans chaque poste conjugué. De
à 1922, le Kouang-Si a été sous 1908 l'autorité de LOU-YOKG-TINH qui devint Gouverneur du Kouang-Si et Inspecteur général des deux après avoir été, sampanier, Kouangs boy (vers 1885), pirate et chef pirate en 1890, soumissionnaire en 1894 et Capitaine, Général de Division en 1910,
Maréchal
en 1914.
du Kouang-Si, il sut tenir Enfant comme il convenait avec une main de fer. de l'ordre autant que cela se pouvait, il police, une troupe, des fonctionnaires, stable partout. Il freinait les abus avec ses inspections étaient très redoutées.
son pays Il y mit eut une un
état
sévérité,
Il est tombé en 1921 parce qu'en vieillissant il s'était amolli et n'avait pas su dresser des élèves à qui passer la main. Ses enfants avaient été élevés en oisifs, de même les enfants de son chef d'Etat-Major DAM-HAO-MINH
et il en est ainsi pour
tous les
LA
NUIT
enfants de familles
DE
ROUGE
YÊN-BAY
151
riches en Chine.
Personne donc, pour prendre la suite, lorsqu'il trahi et battu.
fut
Le Kouang- Si a été in grat vis à vis de LOU-YONGTINH et se serait trouvé bien mieux d'avoir un continuateur — un seul — de l'oeuvre de celui-ci. En son temps, le Kouang-Si tout ce qu'il lui faut. A
titre
avait un maître c'est avant
de simple
mémoire, pour j'indiquerai clore ce paragraphe qu'à l'heure présente, Longdu bas Kouang-Si ne Tchéou, capitale militaire pourrait pas grand chose contre quelques bataillons attaquant
par Lang-Son
Lang-Son,
et Cao-Bang,
soit :
—
par route Nam-Quan-Long-Tchéou par rive gauche
du Song-Ky-Kong
par Ban-Xom(N.E. de Ninh-Minh-Chau. Cao-Bang.
de Lang-Son)
et la vallée
—
La vallée du Song-Bang-Giang (rive gauche) (1) 32) Bi-Ha Long-Tchéou (près B. Dông-Khê-Na-Lan-Bo-Cup,
Ha-Dong-
Long-Tchéou, La
route
(1) borne
de Bi-Ha
à Long-Tchéou
est peu
152
LA
NUIT
ROUGE
DE
YÊN-BÀY
connue, elle mérite cependant mieux que cela: 38 km. d'une excellente route, carrossable en bonne saison. De plus, de Ban-Cra (2me Territoire Militaire), une colonne
légère qui pourrait être suivie par des animaux de bât pourrait atteindre Taï-Pinh-Fou qui est déjà l'arrière pays en 30 heures de marche (114 km).
APERÇU
KOUANG-SI KOUANG-SI POSITIONS KOUANG-SI
GÉNÉRAL
INTIME D'ENSEMBLE DU RESPECTIVES ET DU TONKIN
L'AVENIR
LA
NUIT
ROUGE
DE
YÊN-BAY
155
Le Kouang-Si est pour nous le gros morceau. C'est lui qui tient sous sa dépendance tout le pays compris entre la frontière du Yunnan et la mer,' c'est-à-dire les 550 km de notre frontière sensible avec la Chine. affaire.
C'est surtout
à lui
que nous avons
On pourrait objecter à ceci que les Cantonnais tiennent le débouché de la route d'opium vers la ne pas laisser aboutir les mer et qu'ils pourraient convois à la côte ou bien ne pas laisser monter ceux — armes et munitions — qui vont de la côte à la montagne. En principe,
c'est vrai. La plus importante route N° 1, voir crode l'opium (la route de l'opium sur 450 quis), après avoir cheminé au Kouang-Si sur 100 km. km. emprunte le Kouang-Toung environ avant d'arriver à la mer. cette étroite bande de Mais, pratiquement, et jusqu'à la terre qui prolonge au Kouang-Toung mer la route de l'opium est toujours tenue par des
LA
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NUIT
ROUGE
DE
YÊN-BAY
ou bien par des bandes bandes du Kouang-Si tonnaises affiliées aux Kouangsinais.
can-
Une autre objection
se présente ici à l'esprit : les Cantonnais admettre peuvent-ils
Comment que le bas Kouang-Toung des Kouangsinais ?
soit
ainsi
régenté
par
raisons à cela : L'intérêt d'abord, l'intérêt du trafic que l'on fait en commun, toute question de régionalisme et même de nationalité s'effaEnsuite le bas Kouang-Toung ce devant l'intérêt. Trois
est un pays peu ouvert, pour ainsi dire livré à luiavec ses forces vives, est même; enfin Canton, pour occuper le pays à trop loin pour intervenir, demeure et dicter sa loi. Kouang-Si, pour sa part, est près. Il doil continuera mina toujours le bas Kouang-Toung, dominer, c'est pour lui une question vitale. d'y Le
si les Cantonnais s'avisaient de fermer D'ailleurs, la route de la mer, les Kouangsinais, eux fermen'arriraient la route de la montagne. L'opium verait
au Kouang-Si et au plus ; or, l'opium, c'est tout ; c'est, de toute façon, Kouang-Toung, plus et mieux qu'une question de régionalisme ou de nationalité. On pourrait, encore, aller faire pensera-t-on dans leur montagne. contrainte aux Kouangsinais l'ont essayé, Ceci, bien des fois, les Cantonnais mais en vain. Les Kouangsinais sont maîtres dans
LA
NUIT
ROUGE
DE
YÊN-BAY
157
leur montagne ; ils détiennent seuls, et bien seuls, la clef de cet inépuisable trésor qu'est le trafic d'opium. A ce pays si sommaire qu'est croquis très sommaire suffit : voisins, les grandes vallées, le se pressent, enfin, populations
le Kouang-Si un les limites avec les long desquelles les trois routes
les de
l'opium. Le principal est l'opium au Kouang-Si et c'est le cas de dire à la façon des bonnes femmes et des enfants : mon est de 1'opium, mon premier deuxième est de l'opium, mon troisième est de l'opium,
mon tout est de l'opium.
Il
existe, en effet, trois terre et deux fluviales.
routes
d'opium,
une de
La première, la plus importante est celle de terre, Oriental au bas Kouang-Toung. Elle du Yunnan sur une grande partie de longe notre frontière son parcours. La deuxième vient aussi du Yunnan elle prend la voie fluviale du Yu-Kiang. La troisième la voie fluviale
vient
du Yunnan
Oriental,
central, elle utilise
du
Hong-Soui. et beaucoup Beaucoup d'eau au Kouang-Si, cultures irriguées dans les vallées. Hors
de
des vallées, dans les intervalles, montagnes. et rochers, cultures appropriées : maïs, sarrazin et
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toutes
LA
sortes
NUIT
ROUGE
DE
YÊN-BAY
de plantes vivrières.
Pays pas ouvert, peu de routes carrossables. Celles qui existent ne sont pas empierrées et ne sont ainsi praticables qu'en saison sèche. On y trouve quelques vieilles pistes et une infinité de rudes sentiers de dont l'histoire est la suivante.: d'abord montagne un fauve passa là, puis un malfaiteur, un animal au pacage, un contrebandier, un chasseur, enfin des habitants et ce fut pour toujours un sentier. Les vraies routes sont surtout les voies d'eau, partout où il y a de l'eau on met trois planches dessus et le mot sampan ne veut pas dire autre chose que trois planches. Le Kouang-Si, dans l'ensemble est plus un pays de sampaniers pays de caravaniers.
qu'un
Cultures, élevage, commerce évidemment, celui d'opium surtout, tous les métiers du plus grand au plus petit, dans tous les domaines il y a activité intense. Le Chinois
est un gros travailleur, et sait tout exploiter pour obtenir le rendement maximum. Il produit beaucoup et il vend. Mais il ne fait pas que vendre, il achète, il consomme aussi beaucoup, s'il a toujours quelque chose à vendre, il a également toujours, quelque, chose à acheter. Le commerce a pour lui deux faces conjuguées : Les deux mots d'ailleurs se vendre, acheter. prononcent presque de la même, façon : mai mai ;
Le
vrai
visage
du Kouang
Si Opium ! Opium ! Opium ! Mon 1er
est de l'opium
Croquis ,mon
2ème est
de
l'opium,
SchĂŠmatique mon 3e
est
de l'opium
; mon
tout
est
de l'opium.
LA
NUIT
il faut longtemps la prononciation.
ROUGE
pour
DE
YÊN-BAY
apprendre
159
à en différencier
sans parler ne saurait parler du Kouang-Si de piraterie. La piraterie y est endémique, elle sévira longtemps, très longtemps encore, tant que le pays On
tant ne sera pas ouvert, organisé méthodiquement, n'aura pas perdu les instincts que la population pirates qui sont siens, car, il faut bien le dire, ce pays rude et farouche a, en somme, des habitants à son image. Les réguliers y sont aussi pirates que les fait aussi de la piraterie et la population pirates, chaque fois qu'elle en a l'occasion. Souvent, on plaint cette population parce qu'elle vit dans une atmosphère de désordres ou de violences. Là on perd un peu son temps, laissez-moi bien vous dire : ce fut toujours ainsi au Kouang Si, la population est faite à ce genre de vie, elle ne concevrait pas d'autre existence ni d'autre milieu et le pays que aime le mieux est le sien : le Kouangsinais tel qu'il est d'ailleurs. Kouang-Si,
le
Drôles de gens et charmant pays ! Fourquoi pas ? La Société des Nations a-t-elle jamais été sollicitée du Kouangsi par une délégation pour y venir instaurer l'ordre et la paix d'occident ? Il n'y a pas que des rigueurs au Kouang-Si, il y a aussi des douceurs: une belle nature, des fleurs et les plus belles à l'état sauvage, des périodes de
LA
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NUIT
ROUGE
DE
YÊN-BAY
dans lesquelles on peut, par échappées, tranquillité — comme a dit le profiter de la vie et s'aimer grand — maître sous les myrtes, au murmure des fontaines... Les
les changements de réveils, évidemment, décors sont brusques, violents, fréquents. Tout finit par de la piraterie ou tout y aboutit. Longtemps, longtemps,
sinon toujours
cela durera.
Il
y a des armes partout au Kouang-Si, pour se défendre et pour attaquer. On peut compter un fusil par dix habitants et en certaines régions un sait se servir d'un Chacun pour cinq habitants. dans le combat sommaire et rapproché, fusil, s'entend ; rien de bien méthodique, on ne cultive pas le tir, on tire droit devant, on tire dans le tas et, en principe, de près. Il serait possible de lever au Kouang-Si 90.000 hommes armés, gens aguerris déjà qui ont vu le feu, soit comme pirates, soit comme réguliers, soit comme
hommes
d'escorte
d'un
convoi
d'opium. toute Gens vigoureux, souples, courageux, l'étoffe de beaux soldats, mais avec le moral en moins ; nous avons bien dit et il n'est pas mauvais de le répéter, que pour eux, tout objectif de guerre ou d'action disparaît dès qu'il y a du butin. Ce n'est pas de la graine de soldats, c'est de la graine de pirates. Pas de bagage moral et le moral, pourtant, c'est la pierre combattant.
de
touche
de la valeur
du
LA
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161
en cherchant bien son temps à On perdrait faire vibrer sainement le combattant du KouangSi. Dites-lui que son pays a été outragé, que son drapeau a été insulté, il restera bien indifférent. Mais parlez lui d'une opération rapide derrière laquelle il y aura du pillage, d'un convoi d'opium à attaquer, à piller, alors, oui à faire, à protéger, alors, il vibrera, il sera capable de toutes les énergies, de tous les héroïsmes, on pourra compter sur lui. Après l'action, après le butin, il partira vers d'autres possibilités de pillage, peu lui importera d'ailleurs de servir le lendemain ce qu'il aura comoù desservi la veille. battu
font vivre d'opium le Kouang. Si Quels que soient les aléas, le commerce de la drogue deux piastres par rapporte une marchandise C'est kilogramme. propre, qui facile à transporter et à écouler; facilement, voyage elle fait pour ainsi dire monnaie partout. Le
transit
et le commerce
avons dit plus haut que bon an, mal an, environ par la route de il en passe 200 tonnes n° 1, celle qui longe notre frontière (Voir l'opium croquis).
Nous
Il
en vient
L'opium
n°
son
tonnes
bien
100
tonnes
par la route
2 (Yunnan Oriental Yu-Kiang) de aussi par la route l'opium
de et n° 3
162
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Au total 400 tonnes (Yunnan central Hong-Soui). environ, dont une grande partie parvient à Canton, le grand collecteur et le grand distributeur. drogue ? une bonne en Chine même et transformée en fumée. De ce qui resté on peut faire deux parts.: une est utilisée par la pharmacopée-chinoiserares sont les médicaments solides ou liquides qui n'en contiennent pas —; l'autre est embarquée discrèteQue devient toute moitié est consommée
cette
ment et gagne les ports du Pacifique ou de l'Europe. au Kouang-Si et au Le commerce d'opium est entre les mains de gros comKouang-Toung, merçants qui s'associent pour constituer des convois, aller chercher la drogue au Yunnan et l'asouvent mener au Kouang-Toung, après bien des péripéties. n° 1, un convoi Sur la route de l'opium digne de ce nom comporte 2000 coolies porteurs, encadrés par 3 ou 400 fusils et parfois plus. Ces coolies sont à un étage au-dessus des bêtes de somme,
bêtes de somme
eux-mêmes.
Parmi eux se glissent des gens bons à tout faire, suiveurs systématiques et parasites des convois d'opium. Ils vivent de cela comme d'autres vivent, d'autre chose. Leurs charges sont légères : des faux billets de banque chinois ou indochinois, un peu de verroterie, des bijoux sans valeur, de la dynamite et du bickford qu'ils vendent aux indigènes des pays traversés sous le nom de « pétards poisson ».
LA
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Cette
pègre, car ce n'est qu'une pègre, est formée d'un tas de déchets de la société : anciens anciens pirates, anciens boys,' anciens cuisiniers, ouvriers endurcis. réguliers, dévoyés, vagabonds se rendre utiles, ils Ils savent se faufiler,' voire servent ou savent servir jusqu'au-jour où ils peuvent soit
réaliser
un vol fructueux, sur les gens du convoi.
soit sur l'habitant,
La police de l'immense caravane est bien difficile à faire. Il arrive qu'assez longtemps le parasite Mais un jour il sera pris sur opère impunément. le fait d'un vol dont on connaissait l'empreinte mais pas l'auteur.
Là
son compte de n'être qu'un
est rapidement parasite, il est
réglé, Convaincu assommé sur le champ ou fusillé sommairement et ainsi se liquide d'un coup tout un passé de vie d'un crapuleuse ; cela pourrait s'intituler : « la mort salopard ». Le cadavre reste sur place, c'est la part du fauve ou du charognard qui vit entre les cantonnements des convois d'opium. Le convoi
normal, 20 tonnes environ, a cheminé 80 ou 90 jours entre le moment où il est
pendant monté pour
prendre
charge et celui où il arrive au avec l'opium. Il a laissé en
pas Kouang-Toung route quatre cent mille piastres de droits-: 1/6e au Yunan, 3/6e au Kouang-Si, 2/6e au KouangIl a payé une somme équivalente pour la Toung.
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et le salaire des coolies porteurs nourriture gens de l'escorte.
et des
Avec le prix d'achat de l'opium, les imprévus et les aléas, l'affaire représente un capital de plus d'un million de piastres qui a été réalisé par association. Le convoi mené à bien, la marchandise vendue, les bénéfices sont scrupuleusement répartis au prorata des mises. Récapitulons Le Yunnan droit
maintenant a vendu
:
son opium
et prélevé
un
de sortie.
Le
a prélevé un droit important Kouang-Si de transit, a fourni la nourriture des gens du convoi et des animaux de bât. Le Kouang-Toung a prélevé un droit d'entrée Deux mille coolies du bas Kouangimportant. et plusieurs centaines Toung ou du Kouang-Si d'hommes d'escorte ont mangé pendant trois mois et certains d'entre eux ont rapporté chez eux un petit pécule. Enfin, une centaine de commerçants, a réalisé un important bénéfice.
parfois plus,
Une manne, une vraie manne, que l'opium, on est en droit d'en dire bien du mal ailleurs, mais au et au Kouang-Toung on en dit beauKouang-Si coup de bien. Il tue ailleurs et c'est malheureusement trop vrai, ici il fait vivre.
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Toutes
les conférences du monde n'empêcheront pas ce trafic de continuer, en Chine on ne fait pas de sentiment avec les questions d'intérêt. Et pendant qu'en Indochine, marins militaires, et, civils sont penchés sur les images de la grande de sur la floraison guerre et de la colonisation, sacrifices passés et de ceux qu'une éducation pieuse et virile prépare aux champs d'action et de futurs, la Chine voisine, l'adversaire éventuel, une balance à la main, fait du commerce cultive le business du stupéfiant et ne d'opium,
bataille
fait bien que cela.
Le Kouang-Si a une superficie double de celle n'est pas double de du Tonkin, mais sa population celle du Tonkin, elle est à peine plus élevée, elle est de 8 millions environ. Ceci tient à ce que tout le pays n'est pas occupé. La population est dense le long des voies d'eau ; sont peu la périphérie, les régions excentriques occupées, avant tout à cause de l'insécurité. Pays de fiefs, pays féodal, vieux pays de fiefs militaires, les premiers occupants militaires du pays se le partagèrent. Les fiefs sont passés de mains en mains. Ce ne sont plus, certes, du moins, partout, les descendants
LA
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des premiers seigneurs qui détiennent les fiefs. Les seigneurs ont changé et ceci s'explique dans ce pays où la lutte est de tous les jours, mais les fiefs sont restés. On peut même dire qu'ils resteront, à moins de prendre en tyran résolve le problème qu'un mains toute l'autorité du pays après avoir mis à la raison tous les seigneurs locaux. Tâche impossible à réaliser dans une vie d'homme, il y faudrait cent ans d'action-dans un sens unique et encore... On
a l'esprit féodal au Kouang-Si, un nom y fait tout. Il faut, bien entendu, que derrière ce nom, il y ait force et autorité. Il y a toute une gamme de fiefs et de seigneurs : Lorsque tous les éléments de cette gamme travaillent dans le même sens, le rendement est excellent. Mais c'est l'exception et il y a plus souvent frottement qu'harmonie. Il faut au chef, au grand chef, plus encore d'habileté que de force pour imposer et maintenir son autorité. Il lui faut tenir compte des intérêts divers, de l'esprit de clan, du particularisme. C'est une intrigue constante, tous les instants.
une joute
de tous
les jours et de
Cet
tendu vers esprit resté féodal et surtout l'intérêt du clan et celui personnel, est la marque certaine d'une éducation qui retarde de plusieurs et d'un siècles, d'un esprit national inexistants ou non encore éveillés. Défaut
d'éducation,
carence d'esprit
patriotisme national
et
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patriotisme; esprit de clan trop développé, voilà les principales tares de égoïsme individuel, l'ordre social au Kouang-Si. Cela se traduit par la de
stagnation dans un âge périmé, la désorganisation, le marasme gouvernemental et administratif. Il
n'existe
pas de services vraiment organisés, pas de justice digne de ce nom, pas d'armée mais des hordes et des bandes, pas de communications dans rapides. Dans ces éléments désorganiques, ces champs de ronces et d'épines, la seule chose qui puisse bien venir est une fleur mauvaise : la piraterie. Dire
que cela durera longtemps, longtemps, n'est pas faire oeuvre de mauvais prophète. A
moins
qu'un jour un tyran ne se lève pour chercher à réaliser l'irréalisable. Il faudrait un tyran au Kouang-Si, mais de quelle envergure ! Un un Louis XI, un Cortez ou Néron, un Maximin, un Pizarre, mieux encore, bien mieux, une nouvelle l'ancienne Tsou-Hi, Yé-Ho-No-La, impératrice à plus de 400 millions de celle qui commanda sujets. à composition, ce le Kouang-Si tyran serait voué à une vie de violences. Il prendrait des bains de sang, élèverait des pyramides de têtes Pour
amener
coupées. Reste un
tyran
organiser,
à savoir si les Chinois
trouver
à une tâche nettoyer, éduquer
ouvrir,
apte
pourraient de ce genre le Kouang-Si.
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Poser la question, certes, serait la résoudre, dans le sens absolu de la négative.
mais
n'a pas d'armée permanente, Le Kouang-Si d'armée organisée dans le sens que nous le concevons, ce qui n'empêche pas qu'il y ait beaucoup de gens armés ou que l'on peut armer. Chaque seigneur, chaque personnage important a ses gens armés. Nous avons bien dit et l'on doit redire qu'il y a beaucoup d'armes au Kouang-Si, que chacun a été, à un moment donné, régulier ou pirate, ou chargé de protéger un convoi d'opium. Chacun a eu un fusil en mains pour défendre son village ou pour en attaquer un autre ; un fusil fait pour ainsi dire partie du mobilier amateur d'armes au KouangOn est toujours Si. Un bateau qui arriverait à la côte du Kouangà vendre Toung avec cent mille fusils trouverait et il pourrait revenir, ses armes immédiatement quelques mois après, avec un même qu'il écoulerait avec le même succès.
chargement
De tout temps, on acheta des armes, non pas mais pour se seulement pour la chose publique, protéger dans les clans contre la piraterie ambiante, contre les entreprises des voisins, pour favoriser ses ou en propres entreprises, pour être fort enfin avoir l'air.
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Dans ce pays du coup de main, il importe armé, c'est là le premier élément de sécurité.
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d'être
friction se produise, que les intérêts Qu'une d'un clan, d'un tief soient lésés, une bande se forme aussitôt issue de ce clan ou de ce tief ; plus et mieux elle est armée, plus elle impressionne, bien entendu. Hors du clan ou fief, pour une action importante à l'intérieur, mettre à la raison un subordonné réfractaire
lorsque c'est indispensable, le chef d'un groupement important, préfecture ou province par exemple, recrute ou fait recruter une troupe à celle qu'il a normalement en supplémentaire mains, une troupe d'un effectif suffisant pour l'entreprise ou la mission envisagée. Les recrues ne manquent pas, dans certains cas elles viennent avec leurs armes, d'autres fois le personnage qui recrute fournit les armes. Le
nous l'avons mentionné plus formé par des militaires. Il a impulsion première une large , empreinte, qui transpire même dans la langue : le mot ville est synonyme de citadelle, lorsque l'on dit je viens de la ville, on dit textuellement je viens de la citadelle. Kouang-Si, haut, fut à l'origine conservé de son
Il
y a dans l'air des rudiments de tradition de militaires, et l'on trouve toujours suffisamment encadrer ce ramassis d'individus et gens pouvant en faire quelque chose qui ressemble à une troupe.
LA
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Cette troupe est évidemment plutôt apte au mal, son bagage moral est si léger ! De discipline, il y en a trop peu ou trop, suivant le sujet auquel elle s'applique ou suivant le moment. Un jour, la troupe pille un village sur l'ordre du chef, tout se passera bien, une autre fois l'homme ou volera pour son propre compte, il sera pillera fusillé sans délai et sans phrases. reste en arrière, quitte la troupe avec son arme, s'il est repris il est fusillé. Tout commandant d'une troupe a droit de vie ou de mort ou du moins il le prend ; c'est la loi martiale et une ici. loi féroce de la jungle qui s'appliquent Un
homme
que l'action engagée n'est plus utile, dès la troupe qui que le résultat recherché est atteint, a été recrutée pour une mission de circonstance, est ne trouve d'ailleurs mal à cela, renvoyée. Nul occasion, revient à chacun, jusqu'à une prochaine Dès
ses occupations aventures.
antérieures,
ou va vers
d'autres
S'agit-il d'opérations extérieures ? le recrutement est plus difficile, mais il s'opère quand même et dans toute la mesure utile. de ce recrutement ? Que valent les apports Comme machines à tuer et à piller, beaucoup; dans un rouage, dans un ensemble, pour un but militaire, peu de chose.
LA
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est mauMais, si l'homme armé du Kouang-Si de Hou-Nan, du vais, celui du Kouang-Toung, celui de l'ennemi éventuel, ne vaut guère Hou-Pé, est au meilleur mieux, l'avantage parmi les plus mauvais. A cet
égard, l'avantage Kouangsinais. En lui, il y tué à retomber La
est souvent
du côté du a du félin, il est habi-
sur ses pattes. chinoise, le combat
tactique extrêmement différents nous
dédoubler
chinois
sont
des nôtres, aussi devons-nous lorsque nous avons à en apprécier
ou à en juger. Il y a une gamme et la voici, en principe : a — les intrigues ou luttes d'influence ; b — les pourparlers (propositions, promesses, offrandes) ; c — l'intimidation
par mouvements
plus ou moins
éloignés; d — le choc. toute Avant, pendant, après, toute volte-face, trahison est possible, toujours dans le sens unique de l'intérêt. les trois stades : pourparlers, intimidations, choc, il y a en général de la marge et du temps, une marge et un temps, une mesure, qu'il faut être chinois et Kouangsinais pour bien apprécier; Entre
en ce pays la véritable force est la souplesse, l'inertie est aussi parfois une force.
LA
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Il n'y a jamais de poursuite immédiate dans le combat chinois, jamais un combat n'est poussé à fond, la raison en est simple : le chef n'est jamais très sûr des éléments
divers qui forment
sa troupe.
sont déconcertantes pour Ces moeurs militaires la mentalité du militaire occidental. Disons tout de suite que le militaire d'occident, quelle que soit sa science spéciale, ferait un très mauvais militaire au Les officiers chinois formés au Japon Kouang-Si. ou en Europe dans les écoles ou académies militaires, sont des hommes
de guerre chinois détestables, ils n'ont rien appris là-bas de ce qui est utile à la guerre chinoise ; ce sont des figurants à un simple usage : les relations avec les militaires étrangers, lorsqu'il y a matière à cela. Et l'on peut dire ici, sans vouloir faire du paradoxe ou du dénigrement systématique que toute mission occidentale qui voudra former la masse orthodoxe chinoise à la méthode militaire (voir mission Bauer) échouera tout simplement. Telle à une masse est impropre est, cette qu'elle transformation Pour
de ce genre, il ne faut pas en douter.
ne rien
disons encore qu'au omettre, aussi bien lorsque l'on opère à l'intérieur Kouang-Si, la guerre, on que vers l'extérieur, la guerre nourrit vit sur le pays. Pas de services : ni de santé, ni d'intendance c'est là, certes, une grande simplification.
et
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Aussi une troupe qui arrive quelque part est-elle même si elle vient au secours plutôt indésirable, mise en coupe réglée par des d'une population bandes. Le régulier du Kouang-Si est tout bonnement une autre espèce de pirate, toute troupe pressure ou pille en Chine. On pille avant, pendant, après, on pille les ennemis mais on pille aussi les amis, on pille aussi la population qui, au fond et à l'occasion, est une autre espèce de pirate. Le cri de. est uniformément celui-ci. guerre au Kouang-Si Ta' xuo'ng : frappons et pillons !
Le Chinois aime beaucoup l'argent, pas pour thésauriser, mais pour les satisfactions qu'il procure. C'est un grand producteur, mais c'est aussi un gros consommateur, il dépense très volontiers, il ne lésine pas, il a en lui comme une volupté de la dépense, cela fait partie de la dignité de sa vie. Partout où il est, il amène le mouvement et la vie, il a le génie des relations et du trafic ; à cet égard, c'est un admirable échantillon humain. ne sait mieux, ni aussi bien que lui, résoudre le problème de la lutte pour la vie. Mettez-le dans un milieu nouveau pour lui, un milieu occupé en un longueur et en largeur, bondé de population, milieu, où il paraît n'y avoir rien à faire, il trouvera quelque chose à faire à quoi personne n'avait pensé Nul
LA
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et que personne n'avait entrepris. eux, les Chinois sont solidaires, ils s'ense soutiennent, celui qui. arrive quelque tr'aident, part trouve toujours à être accueilli et recueilli. Une des plus belles chansons d'amour de la vie est dans la maison chinoise. On n'y est jamais assez, Entre
on n'y
sera jamais trop.
vides en sont toujours Les caisses publiques Chine ; dès que l'une d'elles se garnit, elle se vide comme par enchantement. pas le caractère d'une soustraction cynique et se passe d'une façon digne. On consacre des fonds à une raison d'intérêt public : entretien, construction réfection, d'une route par exemple. Des travaux sont entamés ; en réalité, ils sont vite abandonnés, parce que dans l'intervalle — entre le est passé dans la projet et l'exécution — l'argent Cela
n'a
cassette des gens en place et des intermédiaires... est ainsi et n'est pas autrement. le Kouang-Si Chez les particuliers il y a beaucoup et beautoutes proportions coup d'argent, c'est peut-être, gardées, le pays où il y en a le plus. n'est jamais complètement désarChinois genté, c'est dire ici qu'il est prévoyant, il a toujours une réserve, un magot et l'on peut bien dire un se traduit en chinois magot : conserver l'argent Un
cantonnais " enterrer
par « mai l'argent ».
ngan ",
qui
veut
dire
LA
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DE
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sont vides, c'est caisses publiques normal, ou si l'on veut, le. mal familier. Les
l'état
Comment aux exigences des alors, satisfait-on choses d'utilité publique, où est le budget, d'où vient-il et comment ? Cette solution comme bien d'autres de la vie chinoise est simple. la vie au Kouang-Si est restée simple et rustique, le pays n'est ouvert que juste ce qu'il faut pour la circulation. D'abord,
Dans chaque fief, dans chaque compartiment, on vit sur le pays dans une activité où tout est bon et utile, extrait. On
fait
d'où du
riz
tout
ce qui peut
rapporter
est
le
long des voies d'eau qui sont très nombreuses, d'autres céréales et plantes vivrières en dehors des vallées très irriguées, de la badiane sur les pentes, de l'élevage un peu partout, tout cela d'une façon intense. En principe, en recettes et en dépenses on se suffit dans chaque compartiment, dans chaque fief. Les centres ont supplémentairement les produits des taxes d'opium, elles sont copieuses, les taxes sur les jeux, sur les marchés bution des marchands.
et, enfin,
la contri-
Le marchand chinois est marchand toute sa vie, riche, très riche opulent, il continue de trafiquer, de multiplier et d'empiler les bénéfices. Il
a besoin
de paix,
c'est lui
qui en a le plus
LA
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DE
YÊN-BAY,
il ne peut travailcar, dans le désordre besoin, sans courtoisie, au ler, il est exposé à des visites cours desquelles on vide sa caisse et ses étagères. Lorsqu'il exemple,
y a crise les maîtres de
importante, l'heure s'en
lorsque, vont et
par sont
par de nouveaux maîtres il faut beaucoup ont bien entendu ceux partent qui ont de grosses caisses, ceux qui arrivent à faire, ils ne peuvent prendre pied qu'en
remplacés d'argent, vidé les dépenses
très largement.
dépensant
aux besoins impéQui paiera, qui pourvoiera ? et de ceux qui arrivent rieux de ceux qui partent à ce que l'ordre Les marchands, ils ont intérêt cela fait sont beaux s'établisse vite, ils joueurs, partie
de leurs
emporta
de grammes de l'Indochine cent
généraux.
le Général HOANG-CHAO1929 lorsque des Gouverneurs quitta le Kouang-Si, de main dans son bagage 43 kilo-
En Juin HONG l'un il
frais
billets
de cent
cela
de la banque trois millions
piastres deux représente
soit environ, vingt-trois piastres un bagage de main c'est de francs et pour
mille
millions
impressionnant. de par remplacé KAI-SECK, par YU-TSO-PE Dès s'installa à Nanning. Il fut
bien
qui son
c'est
aussi
normal.
vint
CHANG-
de Canton
et
il exigea, arrivée, immise d'avènement
entendu, une première c'est tout à fait normal. portante, payèrent;
de
la volonté
Les
marchands
LA
NUIT
ROUGE
DE
YEN-BAY
177
ne resta pas longtemps en place, il se brouilla avec CHANG-KAI-SECK. qui lui désigna un successeur. Il n'obéit d'ailleurs pas à l'ordre YU-TSO-PE
mais, comme son successeur dirigeait des sur Nanning, il troupes quitta la place avec sur Long-Tchéou ses gens armés et se porta (220 km. plus au Sud) avec l'intention première de s'y maintenir. de partir,
Il ne quitta pas Nanning sans emporter tout qui pouvait être emporté. Arrivé à Long-Tchéou
ce le
21 Octobre, il fit appeler le prévôt des marchands et exigea sous 24 heures pour les premiers frais de son installation cent mille piastres. Ici se place une une histoire
histoire,
cocasse, et bien
chinoise
du
Kouang-Si. Le prévôt des marchands fit sa liste de répartition encaissa cent mille piastres et se rendit au yamen
de YU-TSO-PE. Il lui expliqua qu'il n'avait pu réunir que quatreles cent vingt mille piastres et que s'il apportait mille une
piastres exigées c'est qu'il avait dû ajouter contribution de personnelle supplémentaire
vingt
mille piastres.
Un
Chinois
est comme les pierres précieuses des lapidaires, pour bien le traiter et pour « l'avoir » il faut un autre Chinois. YU-TSO-PE fut touché et dit au prévôt des marchands : « Garde les vingt mille piastres que tu as données en plus de ta contribution, je veux bien tenir compte de la dureté des temps ».
178
LA
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DE
YÊN-BAY
Le prévôt des marchands avait ainsi gagné vingt mille piastres en vingt-quatre heures, le business ne perd jamais ses droits en Chine.
Le quart de ce pays du Kouang-Si (250 km. de environ) est tourné vers nous, encore profondeur n'est-ce ni par affinité, ni par sympathie, mais plutôt par nécessité. Il y a si souvent des troubles en ce pays qu'il faut le quitter de temps en temps pour mettre à l'abri sa personne et ses biens. Le Tonkin, à cet égard est un refuge merveilleux, proche, commode, pas cher. Le Tonkin est aussi une base de ravitaillement lorsque le sel, le pétrole, les cotonnades ne montent par le Si-Kiang. pas au Kouang-Si Le reste du pays (3/4 du Kouang-Si) vers Canton, la métropole du Sud.
est tourné
Au point dé vue mouvement, considérée par les Chinois notre Indochine est un pays un peu mort. ont Il faut dire, en effet, que nos ports d'Indochine moins de vie et d'activité que les ports chinois et qu'il y a dans l'ensemble beaucoup moins vement en Indochine qu'en Chine.
de mou-
n'était pas sujet aux troubles Si le Kouang-Si et aux conflits avec le Kouang-Toung, il vivrait
LA
NUIT
ROUGE
DE
YÊN-BAY
179
en tout et pour tout, face à face avec lui-même et nous n'aurions contact avec la population chinoise que sur une profondeur de terrain peu importante, qui ne dépasserait pas férieure.
km. et serait même
in-
Nous
serions toujours en butte à des incursions de petites bandes pirates issues de la population, mais rien de plus, rien de grave par conséquent. Les Chinois ne tenteront rien de sérieux contre nous, ils savent bien qu'il y a chez nous organisation et force. En
ils n'ont d'ailleurs, principe, s'étendre ou de se répandre.
pas l'idée
de
Le péril jaune n'existe pas. Ceux qui, de 1890 à 1900, ont trouvé et lancé cette formule dans la circulation, ont bien mérité des bavards de tous les cafés du commerce, de tous les cafés de la paix et de tous les hôtels du cheval blanc de nos sous-préfectures, mais c'est tout. Une seule invasion est possible, l'invasion pacides ouvriers, des travailleurs fique des marchands, chinois qui apportent le mouvement et la partout vie, foule parfaitement soumise, et dont les éléments l'étranger très rares.
digne et docile à sont encombrants
Le Chinois se bat facilement et à sa façon chez lui, il n'est pas porté vers les aventures violentes Il
contre les étrangers surtout si ceux-ci sont forts. est toujours homme d'affaires, pèse, soupèse,
LA
180
NUIT
ROUGE
apprécie et il ne se lance scabreuses ;
DE
YÊN-BAY
pas dans des entreprises
et le Kouangque le Kouang-Si Toung ont plus d'activité marchande que le Tonest plus organisé kin, s'il ne dit pas que le Tonkin c'est que le Kouang-Si, au point de vue militaire Il dira volontiers
tout bonnement propre
parce qu'il en coûte à son amourqui confine à l'orgueil.
du Yunnan (gauche de notre dispositif de défense) ne doit pas nous donner de souci, elle est défendue par la nature même d'un pays La frontière
aux communications difficiles et lentes tourmenté, des centres tonkinois et l'éloignement sensibles, le pire de ce côté, nous l'avons dit, se bornera toujours à des affaires de détail. Nous ayons aussi dit que le Yunnan a intérêt majeur à entretenir de bonnes relations avec le Tonkin. La frontière
du Kouang-Toung (droite du disa toujours été et sera toujours positif) agitée, les éléments pillards et pirates y abondent ; cependant, au point de vue militaire strict, le Tonkin n'est pas vulnérable par là et il ne peut rien nous en venir de sérieux. La frontière
du Kouang-Si seule est ou serait et vulnérable et dans celle-ci les pays de Lang-Son surtout celui de Lang-Son. de Cao-Bang,
LA
NUIT
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DE
YÊN-BAY
181
Nous
l'avons bien dit et il ne faut pas craindre de le répéter, les Chinois n'ont aucune idée belliqueuse contre nous et ils n'en ont actuellement aucun moyen pratique. Dans
de désorganisation qui est leur, ils seraient incapables de mettre sur pied des effectifs bien de armés, bien habillés et bien équipés; les grouper d'une façon homogène en vue d'une action d'ensemble. l'état
Si même ils réussissaient à rassembler des effectifs importants
ils n'arriveraient
à rien parce que l'idéal La discorde se mettrait
manque complètement. dans les rangs dès les premiers jours et dès les serait en jeu. premiers pas, dès que l'intérêt Les
savent parfaitement gens du Kouang-Si ne peuvent rien de grave contre nous et qu'ils
qu'ils ne peuvent rien à court rayon.
d'autre
que des incursions
pirates
Ils. savent très bien ce qu'ils font et où ils vont et il faut toujours sourire lorsqu'un agent de renseignements, civil ou militaire, dit dans un bulletin : La situation est extrêmement confuse ». Non, elle pas confuse pour deux sous, elle n'est confude celui qui porte cette apse que dans l'esprit tout dépend du point de vue. préciation,
n'est
Dans l'hiver deux
de l'année
cousines » était
basques, population
exactement maritime
1888,
le brick « Les sur la côte des
en perdition devant St Jean de Luz. La du pays était à la grève.
182
LA
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DE
YEN-BAY
était accouru avec un Le; poste des Douanes canon porte amarre pour essayer d'établir un va-etvient entre la terre et le malheureux navire. et Le spectacle était tout à la fois horrible là laissa Un citadin qui se trouvait grandiose. échapper cette exclamation " que c'est beau ! ». Ce à quoi un homme de la mer, au cuir tanné, avec indignation : « Vous trouvez cela répliqua ces deux hommes beau, vous ? » Evidemment, n'avaient pas le même point de vue.
Que doit être l'avenir ? Ce qu'est le présent, c'est-à-dire, le Tonkin, clef de l'Indochine, organisé et armé, installé l'arme au pied face au Kouang-Si, un pays rude et farouche apte seulement à la piraterie rapprochée et qui, une balance à la main, trouve
plus avantageux de faire du trafic d'opium. Il ne fera pas autre chose que ce trafic tant que nous serons forts et prêts à montrer bec et ongles. Si un jour nous partions cependant, si nous le Tonkin, le Kouang-Si quittions poserait pour un temps les balances. Il foncerait sur la terre d'Annam et la prendrait brutalement en tutelle, brisant ainsi sans égard et sans ménagement les rêves bleus ou petits d'Annam
roses de ceux qu'il On nam Tsai ».
appelle
« les
LA
Pour
NUIT
conclure, concevoir suivant
ROUGE
DE
YEN-BAY
183
la défense de l'Indochine doit se une formule très simple :
A
être toujours forts et vigilants l'intérieur, l'Annamite dans ses devoirs, pour pour maintenir réfréner les poussées de révolte et les réactions mauvaises de ce révolté né. Le pays doit être occupé, tenu militairement. Le Tonkin est un pays des postes, il n'y a pas intérêt à réduire le nombre de ceux-ci, chaque fois que l'on a voulu le faire hors mesure il s'en est suivi des aventures sanglantes. Une troupe blanche doit toujours faire pendant à une troupe indigène ; il serait avantageux d'avoir eh moyenne et haute région des unités montagnardes qui pourraient être actionnées, à l'occasion, comme éléments de contre-partie. De l'extérieur, frontière Yunnan,
Kouang-Si, rien de plus grave que des coups Kouang-Toung de main rapides de va-et-vient ne peut se produire, à condition d'être aussi toujours forts et vigilants et de nous tenir l'arme force, face à la frontière.
au pied, en souplesse et en
Telle est la formule. La mission militaire qui en résulte est peut-être un peu passive, elle n'est pas claironnante ni clinquante ; elle est cependant hermétiquement adaptée aux réalités, tout est là. Aucune inférieure.
mission militaire n'est mesquine ou La plus humble, la plus petite, la plus
LA
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ROUGE
DE
YÊN-BAY
passive, puise précisément toute sa vertu dans le fait qu'elle est acceptée telle quelle et exécutée avec par des gens qui pourraient respect et dévotion plus et mieux. C'est ici le cas d'avoir lu et bien lu dans « Servitude et grandeur Alfred de Vigny militaires
».
en Indochine, telle qu'elle mission militaire apparaît, telle qu'elle doit être, chacun devrait la connaître pour y apporter, dans une idée majeure la meilde travail et de rendement, la contribution au grand profit de la leure et la plus intelligente, La
cause française en Annam.
Indochina
for
ever.
APPENDICE
LA
A
NUIT
ROUGE
NGUYÊN,
DE
ENFANT
YÊN-BAY
187
D'ANNAM
Venue en ce pays un flambeau à la main à la suite de ses explorateurs, de ses missionnaires, de ses marins et de ses soldats, la France a donné sans compter ses capitaux et ses enfants dans un but, qui, malgré les calomnies, est resté purement Un
idéal et désintéressé.
demi-siècle
d'un
rude
labeur,
d'une
polilui a
avisée, d'une sage administration, permis de réaliser l'Indochine française, le groupement merveilleux de cinq petits états de l'Empire d'Annam, éparpillés sur une immense étendue et peuplés de 18 millions d'habitants. tique
Ce groupement culièrement forte.
constitue une position partiIl serait injuste que la France ne l'occupât point, si le sort de plusieurs états, sinon du monde, doit un jour se décider ou se résoudre, en Asie, dans un conflit qui pourra avoir pour théâtre les rives des mers de Chine et de l'Océan Pacifique. Il qui
existe encore sur la planète bien des hommes ont, pris part à la dernière guerre, cette hor-
LA
188
NUIT
rible conflagration A combattants.
DE
ROUGE
YÊN-BAY
qui mit à bas dix ces gens, on a dit
millions
de
pendant
la
plus jamais cela, que l'on ne reverrait beaucoup d'entre eux l'ont cru, ce fut la baume et des misères. à bien des douleurs
tourmente
et hélas, trois fois hélas ! Les conflits Erreur, les massacres qui en résultent, ne sont pas terminés ; l'on est peut-être appelé à voir plus et pire encore. Dans un siècle, un auteur, qui sera sans doute un livre sur la Chine vraisemblable, commencera de cette façon originale : " Il était une fois un enfermé chez lui " bon vieux peuple qui s'était can« pour y vivre face à face avec lui-même, loin des « tonné dans ses rites et ses traditions, « discussions, et des des querelles, des frictions « chocs avec les étrangers. on l'obligea, « On fit obstacle à son isolement, « parfois au son du canon, à ouvrir ses murailles, « ses ports, ses routes. « De là, survint à la longue un conflit : le « plus grand et le plus terrible, qui se déroula des fleurs et dans l'empire " sur le sol chinois, « dans « Dieu
les eaux
d'un
et des. hommes
qui avait reçu de le nom de Pacifique. »
océan
soit inde la Chine, soit directement, autour de la question chinoise et de directement, celle du Pacifique que viendra le conflit. Il naîtra C'est
du heurt
des intérêts
qui
opposent
autour
d'elle
LA
NUIT
ROUGE
DE
YÊN-BAY
les principaux états du monde : l'Angleterre, la Russie, le Japon, la France, l'All'Amérique, lemagne. Lorsque l'orage éclatera et il est très douteux qu il n'éclate pas un jour, il importera sans doute d'être bien placé. A cet égard, nous l'avons dit plus haut, la position que s'est créée la France est solide et constituera une base de en Indochine choix. devenir dans Que deviendraient, que pourraient la tourmente, séparément ou en bloc, livrés à euxmêmes, les cinq petits états de l'Empire d'Annam ? Ballotés au gré des vents mauvais et des fluctuations de l'immense bataille, des jouets, en attendant qu'ils deviennent des épaves. vaut que les destinées de ces petits états harmonieusement soient groupées dans une main celle de la France qui s'est tracé la vigoureuse, Mieux
tache de conduire
leurs destinées.
tu aspires à être seul maître de d'Annam, Enfant tes destinées ; crois bien, qu'il n'en est pas encore ton ambition est pour le moment temps; puérile, il* te faut grandir, croître en force, en maturité, en savoir. Laisse
passer l'orage s'il doit venir, et s'il ne vient pas, continue à travailler sous la tutelle française. La tâche est belle, grande, vaste, on n'a rien a dit un ancien, tant qu'il reste à faire. fait,
190
LA
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ROUGE
DE
YÊN-BAY
Si tes destinées, si ton avenir n'étaient pas entre les mains de la France, elles seraient sans doute entre celles de la Chine ou du Japon. au Dans le premier cas, ce serait l'extension pays, du Sud pacifié, ton pays, des excès et des désordres qui désolent la Chine depuis bientôt 20 ans et dont on n'entrevoit pas la fin. une Dans le deuxième, ton pays connaîtrait dans laquelle son vie âpre, sévère et méthodique moral autant que matériel beaucoup moins que sous la tutelle
intérêt
compterait française.
pour
Dans l'un comme dans l'autre cas, ton sort serait Dieu veuille plus mauvais que celui d aujourd'hui. qu'il te soit épargné. Mieux vaut, crois, moi bien, que la concorde en définitivement et la paix intérieure s'installent terre d'Annam. Et que ton beau pays libre enfin de convulsions et de réactions mauvaises, marche, sous l'égide française, vers les belles destinées qui lui sont promises,
LA
A
NUIT
NOS
ROUGE
DE
YÊN-BAY
CHEFS,
LES
ET
PETITS
LES
191
GRANDS
Si l'on a apLe pays d'Indochine est uniforme. pris une bonne fois à le connaître, on en saura tout pour toujours à condition, bien entendu, de continuer à travailler et de se tenir au courant de ce qui se passe autour
de soi.
Pour avoir un minimum
de savoir de ce pays, il au moins pendant assez
faut y avoir servi une fois mieux, plusieurs fois est évidemment longtemps, l'idéal serait d'y servir pendant toute l'activité d'une carrière coloniale et ceci veut dire large spécialisation.
la guerre, il y avait spécialisation natuallaient en relle. Les gens qui aimaient l'Afrique allaient en Afrique, ceux qui aimaient l'Indochine Indochine ; il y avait dans chaque colonie, dans Avant
chaque groupe, toujours place pour celui qui y avait déjà servi. Et l'on trouvait ainsi, dans le domaine-colonial, des Français qui connaissaient aussi bien les gens et les choses des colonies françaises que les-indigènes.
LA
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NUIT
ROUGE
DE
YEN-BAY
Point
n'est besoin d'ajouter comment le service en était favorisé et Dieu seul pourrait dire combien la présence d'un personnel compétent a épargné de désordres, d'échauffourées
et de massacres.
A
de 1919 cela changea, L'Indochine partir étant devenue riche ou en ayant fait figure, fut très demandée et recherchée ; ce fut une faveur que d'être désigné pour y servir. Les gens qui venaient autrefois en Indochine aimaient ce pays et se donnaient à lui, ils travaillaient dans la pauvreté, l'obéissance et la discipline. Beaucoup de ceux qui y sont venus en ces dernières années n'aimaient pas ce pays, le méprisaient même, ne pensaient mal.
qu'au profit
et servaient
ainsi
Il y avait incompétence de la part de bien des chefs et pas de lien entre le chef et la troupe. Certaines appréciations qui ont été portées à cet égard les deux principaux du Tonkin périodiques éloquentes et méritent d'être citées : — 2 Mars N°
1930 663, page 16 :
« Tandis
—
« L'Eveil
économique
dans sont
»,
qu'à Yên Bay, de malheureux officiers « et sous-officiers succombaient à un attentat de la « part de leurs soldats dont ils ignoraient tout, et le « nom de la famille et les moeurs, et la langue et la entier s'aperce« mentalité, tandis que le Tonkin « vait de l'impardonnable folie du Ministère de la
LA
NUIT
ROUGE
DE
YÊN-BAY
[93
« Guerre et du terrible danger d'une armée indi« gène encadrée par des officiers et sous-officiers « qui n'ont avec elle aucun on point de commun, « s'apprête à célébrer à l'église de. Choquan près de « Saigon, les noces d'or d'un de ceux qui ont, eux, " pris et gardé le contact avec la population et for« ment la passerelle au-dessus de l'abîme qui, autre" ment, séparerait Français et Annamites — « Le Moniteur — 8 Mars 1930 chine », N°
571
». de l'Indo-
:
« Nos cadres ne coneuropéens des tirailleurs " naissent pas leurs hommes, ne sont pas connus « d'eux, il n'y a point, entre eux, cette confiance, « cette liaison morale et sentimentale, qui fait la « force principale d'une armée, son prestige, sa : « cohésion, son bloc. " La piastre a désagrégé l'armée indochinoise. Il « faut des années de séjour pour saisir les imponl'âme d'un peuple ". " dérables qui constituent — 16 Mars — " L'Eveil économique », 1930 N° 665 : « La Colonie réclamait une armée indochinoise, " dont les cadres seraient assurés de faire toute leur « carrière en Indochine. s'obstina à Le ministre " considérer
la désignation pour l'Extrême-Orient ne saurait " comme une faveur insigne, qu'on « obtenir deux fois de suite. «
On serait allé même jusqu'à
considérer
qu'un
LA
194
NUIT
«
séjour en Indochine « au tableau.
ROUGE
DE
YÊN-BAY
équivalait
à une inscription
« Et les officiers
de filer sous se dépêchaient « d'autres cieux, après avoir exercé un comman« dément sans histoires à Yên-Bay ou à Châu-Dôc. « Ils transmettaient à leurs successeurs des condes conseils, mais non pas l'ex« signes, peut-être « périence qu'ils avaient commencé d'acquérir. « Le haut
ne doutait pas d'ailcommandement « leurs du tonkinois. Par loyalisme des tirailleurs « contre, le Résident Supérieur ROBIN se montrait " plus sceptique. " Les événements « Résident Supérieur.
actuels
donnent
raison
au
On ignorait le véritable état tonkinois et l'on « d'esprit de certains tirailleurs « était, par cela même, impuissant à modifier cet Il n'y avait plus de contact réel « état d'esprit. " entre les hommes et les cadres. Les dispositions « prises par le Ministère d'avant-hier, l'ont rendu « impossible. ont, de ce fait, permis à la propagande « communiste de s'exercer utilement dans un milieu « Elles
« qui eût dû lui rester fermé. « Serait-il besoin de nouvelles victimes pour « que l'on renonce à des errements dont les consé« quences déjà tragiques pourraient, une autre fois, « prendre l'ampleur de grandes catastrophes ? »
LA
Qu'ajouter locale ? Rien
NUIT
ROUGE
DE
YÊN-BAY
à cet écho sélectionné ! Il suffit dé résumer :
195
de la presse
était, de par la d'Indochine de la Guerre, encadrée par des officiers et sous-officiers qui ne la connaissaient en aucune façon et n'avaient aucun point commun, aucune liaison avec elle. L'armée indigène méthode du Ministère
La piastre a désagrégé l'armée
indochinoise.
10 ans, bien des militaires qui ne conont débarqué dans ce pas l'Indochine, pays en s'écriant : « Je suis Africain » (1) ! et en répétant à tout propos ou hors de propos cette exclamation. Depuis naissaient
Africain Stanley,
! Tout Duveyrier,
comme
Scipion,
Livingstone,
Brazza, Liautey.
La grande majorité des cadres fut à un moment donné africaine. Il resta très peu d'Indochinois (2) dans le pays, par la volonté très active du Ministère de la Guerre et celle passive dû Ministère des Colonies. On l'Indochine bler
connaît l'antienne était riche chacun
: au
ses finances à son tour...
(1) Militaire
français qui a servi en Afrique.
(2) Militaire
français qui a servi en Indochine.
devait
moment
que
venir y meu-
LA
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NUIT
ROUGE
DE
YEN-BAY
Le plus malheureux fut qu'avec cette grande il se créa une ambiance afrimajorité. d'Africains, caine dans laquelle il était du meilleur ton — du — de dénigrer tout plus grand chef au plus petit ce qui était indochinois et de mettre résolument de côté presque tout ce qui était issu de la méthode indochinoise. C'était, il faut bien en convenir aujourd'hui, faire bon marché des efforts, des peines, du travail, des sacrifices de ceux qui l'ont faite, cette Indochine indochinoise. Certes, Africain, vraiment
c'est beau et souvent glorieux . d'être mais il ne faut rien exagérer, on n'est pas
Africain pour être allé faire un séjour à ou Brazzaville. Certains n'y Dakar, Tombouctou ont fait que passer, tous n'y ont pas servi avec distinction.
Africain. est un beau titre, rares sont ceux qui y ont vraiment droit — la rareté est un facteur de qualité — et l'abus de ce titre me fait penser à certains gueusards de maritimes, gens plus souvent à terre qu'embarqués et qui, cependant, n'ouvrent jamais la bouche sans dire : « Je suis navigateur » tout comme Bougainville. mais la première C'est beau dêtre Africain, qualité du colonial est de savoir vivre sur le pays, de se dédoubler, de s'adapter au milieu, qui, d'un ou est forcément monde à l'autre, changeant nouveau.
LA
NUIT
ROUGE
DE
YÊN-BAY
197
L'Indochine n'est pas un pays plein de couleur, de soleil et de mirages, qui se donne et auquel on se donne d'emblée, un pays de fantasias, de combats en plein air et en plein vent contre un ennemi qui s'offre et caracole. C'est
un pays gris, mouillé où partout si l'on n'y prend garde. Ce le pays du tigre et de l'embuscade, en prenant qu'au compte-gouttes celui à qui il s'est donné. toujours
est l'intrigue fut longtemps il ne se donne souvent pour
Il y a un art Indochinois arabe, nègre ou océanien....
il y a un
comme
art
C'est
un art subtil, délicat, souple comme le pinceau dont se servent les lettrés pour tracer les merveilleux caractères de l'écriture chinoise. ont forgé et original que des millénaires poli, adapté au milieu, à ses gens, à ses choses, auquel il y a peu à ajouter et qui, de toute façon, n'est pas modifiable au gré ou au caprice des frottements sommaires et fugitifs. Art
Les visions
celles du Soudan, de d'Afrique, de l'Afrique Occidentale, l'Afrique Equatoriale, du Maroc, ne sont pas de mise en Indochine. Vouloir y appliquer les méthodes de ces pays est tout de l'hérésie ; croyez-moi, pour faire bonnement il faut être Indochidu bon travail en Indochine, nois ou apprendre à l'être. Fille
de l'Inde et de la Chine,
l'Indochine
a un
LA
198
NUIT
ROUGE
patrimoine historique, raffiné et l'on peut peuples d'Afrique.
DE
YÊN-BAY
politique et social infiniment dire supérieur à celui des
Beaucoup de gens d'esprit et d'éducation sombourré maires sont arrivés en Indochine, l'esprit de la chose africaine, n'ont rien voulu savoir d'autre ou en Cochinet ont continué à vivre au Tonkin chine comme au Sénégal ou au Soudan. L'élite de ce personnel africain a donné dans le même défaut, est restée par orgueil, esprit de du même encocarde et suffisance, prisonnière gouement et du même rêve tyrannique. avoir laissé pas remonté le courant, une ambiance africaine en Asie, a été s'implanter à proprement parler une grosse erreur qui a nui profondément à la chose indochinoise. N'avoir
Elle a conduit, à la désagrégation de l'armée indochinoise belle avant la qui était parfaitement grande guerre, tant qu'elle fut commandée et conduite par des gens qui la connaissaient et l'aimaient. Il
est venu ici d'anciens zouaves, d'anciens chasseurs, d'anciens cavaliers qui avaient pris un simple bain dans le Niger. Ils ont voulu appliquer aux militaires d'Indochine leur bagage colonial bien léger encore. Un zouave est un pourtant, belle coupe, il" est très beau en Afrique du Nord, il reste beau en Indode faire comme celui du pont chine, à condition soldat de très
bonne
et
LA
NUIT
ROUGE
DE
YÊN-BAY
199
de l'Aima : de se taire d'abord afin d'apprendre ce que l'on a bien. Si l'on avait fait à l'Afrique si l'on y avait importé une fait à l'Indochine, majorité d'Indochinois qui eussent voulu imposer leurs méthodes, cela n'eût pas duré 10 ans et si c'est la réaction a été si longue en Indochine, que l'on y est endurant et souple et que la force véritable de ce pays est, nous l'avons bien dit, la souplesse. un navire à bord duquel on deviendrait embarquerait un équipage intrépide mais ignorant et inexpérimenté ? Le jouet des éléments, un jour il donnerait sur un écueil. Que
écueil, de sinistre mémoire, pour l'armée a été Yên-Bay, dans la d'Indochine, indigène nuit rouge du 10 Février 1930. Cet
le plus grand bien de la chose militaire en Afrique, Indochinois coloniale, soyez Africains en Indochine. Il y a quelques années, le Ministère aux fit composer un manuel tactique approprié Très différents champs d'action aux Colonies. bonne idée à condition daller plus loin que les Pour
théories et les principes, de faire de l'application la nature, au contact étroit dans le pays,dans des gens et des choses.
LA NUlT
200
Les
civils
quantaine
YÊN-BAY
du drame de Yên-Bay
acteurs
conjurés
DE
ROUGE
auxquels s'étaient de tirailleurs tonkinois
furent
joints une au moins.
des cin-
les braves gens était possible de réveiller dans, la brousse tonkiqui dorment aujourdhui ou de nos noise, dans les cimetières de l'intérieur et commandé qui. ont postes d'avant-garde S'il
jadis
les tirailleurs
tonkinois....
Si l'on
tous les bons aussi consulter pouvait épars dans le monde" et qui survivent citoyens de la période d'occupation et de celle de pacification du Tonkin.... d'abord tous, vous diraient ni possible. Ensuite n'est ni vrai, que Yên-Bay devant l'évidence des faits, que l'on n'a pas su, commander les tirailleurs tonkinois. Beaucoup,
sinon
La vérité, la vérité vraie est bien là : on n'a les tirailleurs pas su commander toukinois ; on n'a pas su, révérence parler, se servir de l'outil ; on a gâté le militaire d'Indochine. indigène Le tirailleur tonkinois fut utilisé dès la prese mière heure. Ses premiers maîtres militaires à une rude tâche dans laquelle les peines donnaient et les sacrifices étaient de tous les jours et de tous les instants. Il fut donc formé d'héroïsme, veillante,
dans une ambiance
sous l'emprise mais très ferme
d'une et
de devoir, discipline bien-
martiale.
LA
NUIT
ROUGE
DE
YÊN-BAY
201
Le
type du militaire indigène qu'une éducation de choix réalisa dès le début, s'améliora encore avec le temps, à mesure que les cadres prirent de l'expérience à la pratique des opérations et du séjour
dans, le pays.
eut l'armée inde 1900, l'Indochine digène qui lui était nécessaire : aussi forte que disciplipossible, souple, très souple, endurante, née, loyale sans raisonnement et sans phrases, pliée A partir
enfin
à l'obéissance entière
et au devoir.
avec ses exigences grande guerre survint Les de cadres actifs vers les fronts d'occident. tenus militaires indigènes furent, cela se conçoit, La
de moins, près et moins bien commandés. vécut un peu sur la vitesse acquise.
Là,
on
la guerre il y eut la piastre, toutes les d'intérêt qu'elle a suscitées, la ruée spéculations le règne enfin de l'ignorance, vers l'Indochine, de l'incompétence et. de la fantaisie. Après
Il
est des choses sur lesquelles on revient difficilement, sur lesquelles on ne peut revenir, il est des maux qui n'ont quasiment pas de remèdes. de Yên-Bay est de annamite n'insgétte espèce. Jamais le tirailleur pirera plus confiance absolue. Quoi qu'il fasse et quoi que l'on fasse, entre lui et nous, il y aura la tif du 10 Février 1930. La révolte
des
tirailleurs
LA
202
A
chacun
Le
militaire
NUIT
ROUGE
DE
YÊN-BAY
le
sien. L'Annamite doit porter la responsabilité de ses actes, de ses méfaits, de ses forfaits, sa responsabilité propre est très importante dans l'affaire de Yên-Bay ; cela n'enlève d'ailleurs rien à celle du maître, à la nôtre.
indigène
annamite
a toutes
les
qualités d'intelligence, d'esprit, de finesse de son congénère civil. Ce n'est pas, comme d'aucuns ont pu le croire et le dire, un buffle que l'on ne garde plus. Son âme n'est pas à fleur de peau, elle est envedans bien des replis. Il faut loppée et entortillée la pénétrer, la subjuguer, la dominer et cela ne s'obtient qu'avec de l'observation, de la patience, au chef de s'y du temps: Il importe cependant attacher minutieusement ; s'il ne s'en soucie pas, d'autres y penseront à des fins mauvaises. Excellent élève, le militaire annamite donne des de grosses satisfactions ; mais pour satisfactions, rendre bien dans le détail et dans l'ensemble, il doit être conduit avec fermeté. Subtil, il se rend compte des excès de bienveillance ou parfaitement des faiblesses à son égard, et il en abuse. peut en penser du bien, il vaut mieux ne pas trop le lui dire, ne pas s'extasier sur ses moyennes, sur ses performances ou ses prouesses, ne pas être trop pressé de récompenser. On
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Il y a lieu de se méfier, en général, des emballements et des enthousiasmes. La mentalité extrêmeorientale a une bien vilaine tare : tout tend, à s'acheter ou. à se vendre, le profit doit s'inscrire immédiatement L'état
en regard de la peine ou du travail. militaire
comporte un capital, un fonds moral de noblesse et de fierté qui contient, en son essence même, une récompense. de là et de ce que la situation matérielle du Partant — la marmite bout militaire indigène est bonne — partant de là, dis-je, il y a lieu de ménager les récompenses, afin d'en augmenter et rehausser le prix. Le militaire indigène sera ainsi conduit à considérer, à la longue, plus les charges et les devoirs que les profits et les récompenses. Il ne faut pas demander au militaire indigène s'il est content, il pensera ou pourra penser qu'il y un moyen de ne pas être content aurait peut-être et, sur cette hyphothèse, il spéculera ou cherchera à spéculer. Il n'y a pas davantage lieu de lui demander s'il est volontaire pour faire quelque chose. Il n'en sait rien souvent ; la question le surprend ou le trouble, il vaut beaucoup mieux le désigner, le commander. Eh Extrême-Orient, large, la soumission Lorsque
l'on
l'autorité
du chef est active, du subordonné est passive.
est appelé à juger les écarts ou les
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Indigène, il faut se méfier de ses qualités de charmeur, être sur ses gardes.
fautes du militaire Bien
bien ajusté, figé dans un garde-àvous impeccable, l'air d'un martyr ou d'une vierge, il est bien rare que l'Annamite n'arrive pas à apitoyer habillé,
et à circonvenir
son chef..
Parfois, il ne parle pas le français et il est connu comme tel dans son unité, il en use tant que c'est son avantage. Un jour, cependant, un de ses camarades lui devra de. l'argent et ne voudra pas le lui donner, il ira réclamer et il trouvera, à la stupéfaction de celui qui l'écoute, tous les mots qu'il faut pour raconter son histoire et donner corps à sa plainte. Sans que cela paraisse, le militaire indigène sonde toujours son chef. Souple comme un roseau, il se plie instantanément à la volonté d'un nouveau chef, à ses manies, à ses caprices. Dans la vie d'une troupe de tirailleurs, d'un poste, en toute chose la surface
dans la vie
est propre, luisante, nette, elle flatte toujours l'oeil. Le chef qui sait ne se contente pas de cela, il regarde le détail, ou écarte un peu l'écran ou le paravent qui travestit masque les défauts. Il y a intérêt à ne pas être dupe, à tout voir, à tout savoir et, sans mesquinerie, à tolérer le moins posréservés ou étrangers dans sible de compartiments le cadre, d'une vie. commune..
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Certains
travestissements, certaines dissimulations portent parfois sur des vétilles, pourra-t-on penser ; et c'est peut-être vrai. Mais cela peut continuer autres ment et finir mal, il est donc indispensable que tiet leurs cadres vivent dans la même atmosphère, qu'il n'y ait pas entre eux de compartiments réservés.
railleurs
Dès le début de l'année 1929, il y eut au Tonou nationaliste kin une propagande communiste aiguë, qui gagna les militaires indigènes sans que l'on s'en rendît compte suffisamment et sans qu'on la contrebattît
assez fort. Elle conduisit
à la révolte
de Yên-Bay. Il faut dire cependant que dès le même temps l'autorité militaire s'occupait de (début de 1929) purger les unités indigènes. Des cassations furent prononcées à l'égard de quelques gradés indigènes ; tous les militaires indigènes considérés comme suspects ou douteux furent déplacés et envoyés dans les unités des régions éloignées ou excentriques. arrivèrent dans leurs nouvelles unités Lorsqu'ils les mauvais tirailleurs déclarèrent tous ne pas avoir ils avaient été su, ne pas avoir compris pourquoi déplacés, et, certains, en supplément, cassés de leurs victimes de vengeances, grades. Ils se prétendirent de dénonciations calomnieuses, de machinations. Aucun d'eux n'avait fait mal. Certes, on ne les crut pas»tous, on ne crut pas tout, mais quelques uns avaient des attitudes si soignées, de tels accents
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de sincérité dans la voix que certains chefs, victimes de comédies bien jouées, furent touchés et firent même des. démarches en faveur de ces victimes apparentes; le matin de 10 Février 1930, Yên-Bay, lorsque le caserne du bas fut e reprise aux révoltés, des 5 et 6e compagnies se beaucoup de tirailleurs ROCÇAS et lui dirent présentèrent au Capitaine qu'ils n'avaient pas pris part à la révolte et qu'ils A
avaient dû, sous peine de mort,
observer un rôle
passif. C'est peut-être vrai. Ce qui l'est davantage, ce qui est troublant, c'est que tous ces innocents passèrent la nuit au milieu des conjurés et des révoltés. On pourrait, sans trop de mauvaise part, penser une attitude que certains ont attendu pour prendre définitive, de voir comment l'affaire tournerait. Une conclusion
à ceci doit être courte
et simple.
avec notre conscience, dans son intérêt bien compris et dans celui de son pays, nous devons tenir le militaire indigène bien en mains sans bienveillance déplacée, avec fermeté. Il faut un lien étroit entre lui et son chef français. Celui-ci Face
à face
doit le connaître,
vivre près de lui, le dominer.,
Là, il sera tout simplement ce que l'on veut qu'il soit. Il sera inaccessible aux mauvaises suggestions, aux propagandes malsaines,' il sera ce qu'il était
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avant : un sujet que l'on possédait corps et âme. Le remède est à côté du mal. La défaillance de l'élément annamite a conduit à envisager et même Meà commencer le recrutement de montagnards. a bon esprit, il est sure excellente, le montagnard inaccessible aux spéculations mauvaises, il constituera un merveilleux
élément de contre-partie.
On aura de ce côté l'avantage Il
conviendra
donc d'appliquer ments du passé, afin de construire
de repartir
de zéro.
les bons enseigneen terrain solide.
La tâche sera moins complexe qu'avec l'Annaest un type rustique, il a un mite, le montagnard esprit droit et simple. lui aussi a une âme, lui aussi n'est pas Toutefois, un buffle qu'on ne garde plus ; son emploi, son maniement exigent une éducation morale minumorale tieuse. Nous avons bien dit que l'éducation et est la pierre de touche de l'âme du combattant ceci est vrai aussi bien en Asie qu'en Europe.
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JUNG
Après la trahison de Bourmont, la bataille de Ligny, Napoléon, qui a dit bien des choses, se serait écrié : sont blancs sont blancs, ceux qui sont bleus. » La formule est éloquente, le sens suivant : lorsque l'on reste. Ceci
me conduira
la veille
de
décidément « Ceux qui sont bleus
je la fais mienne dans est Indochinois, on le
à dire
que tous les bureaux associés et bloqués n'ont pu empêcher les vrais ceux qui aimaient sincèrement ce Indochinois, de tout faire dans ce sens. pays, d'y revenir; ou Certes, cela n'a pas été facile, la Direction la 8° Direction dont vous étiez le d'arme, chef, y était opposée : chacun devait aller à son tour en Indochine ; ceux qui avaient déjà servi dans ce pays en étaient écartés. A cette règle il avait cependant quelques exceptions en faveur y il des gens pourvus d'une bonne recommandation; arriva même parfois que l'on vous força un peu la main à cet égard, pourquoi ne le. dirait-on pas ?
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Les gens courts de protection ou de recommandation durent se débrouiller, se tirer d'affaire seuls, d'une façon ou de l'autre ; ceci m'arriva. Pour ne citer que mon méprisable cas, après avoir fait sans succès maintes demandes afin d'être désigné pour ce pays auquel j'ai donné le meilleur de ma vie et où je laisserai mes os, j'ai dû prendre le bateau à mes frais. Si je n'avais eu l'argent embarqué comme matelot
nécessaire, je me serais à bord d'un paquebot ou d'un long-courrier, je sais aussi faire cela ou : je l'aurais su à 16 ans, j'étais, comme novice, sur les, côtes de Guinée à bord d'un trois-mâts goélette qui s'appelait le " Kinjabo ». Si je n'avais pu partir en bateau, je serais parti à pied par l'antique route de la soie que suivirent jadis tant de caravanes. C'est ainsi que l'on était dans l'ancienne coloniale.: lorsque l'on s'était donné c'était Tout
pour toujours. ancien
militaire
croit
avoir
souffert
au c'est
d'une injustice. Parler d'injustice un peu et parfois beaucoup. Qu'importe vieillir laissez-moi quand même vous dire. moins
!
N'a-t-il pas été injuste de s'opposer au retour des gens en fin de carrière qui en Indochine pour cela des voulaient, s'y fixer et offraient garanties matérielles et morales ? Alors
que pendant
des années, ceux-ci
avaient
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vécu sur les promesses que font aux jeunes engagés et aux rengagés les belles affiches illustrées du recrutement des troupes coloniales. Ces affiches, s'étalent partout
Général, existent encore et en France et aux colonies.
mon
Le moins que l'on promette dans ces affiches est la facilité de se fixer « plus tard » dans les colonies. Se fixer dans une colonie, est en réalité un sort anormal
pour un Européen, et parfois misérable.
pas, au départ, au début d'une carrière coloniale, que l'on puisse arriver à une l'on y vient indestinée de ce genre. Cependant, sensiblement. avoir vécu 15 ans, 20 ans Après On
de vie
ne croit
coloniale,
en déformations, et l'on n'est plus
de déformations parfois moins, l'on ne pense plus qu'à cela bon qu'à cela.
Peu, d'ailleurs, arrivent au terme, la route est longue, dure, semée décueils et de croix de bois. Et si, vis-à-vis de la minorité qui arrive, on ne tient pas parole, si l'on se met en travers d'aspirations que l'on a créées de toute pièce, alors c'est une sinistre farce, il faut détruire toutes les affiches qui sont encore sur les murs. fut devenue avantaMalgré que l'Indochine geuse après la guerre, vous n'aviez pas le droit, mon Général, moralement parlant, de vous opposer au' retour dans cette Colonie pour s'y fixer, de
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tous ceux qui y avaient travaillé dans et qui réunissaient et la discipline, matérielles et morales. garanties
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la pauvreté toutes les
Je me serais tu, s'il n'y avait eu Yen-Bay, j'ai le goût du silence. On apprend à se taire sous les armes, c'est beau le silence et c'est rare, on ne bien que dans le rang et, le connaît vraiment disent les bonnes femmes très respectables, dans la pénombre irisée des très vieilles églises de campagne. fruit empoiMais puisqu'il y a eu Yen-Bay, sonné de la méthode erronée qui présida, 10 ans durant, aux désignations du personnel pour le pays militant d'Indochine, j'estime qu'un Indochinois pouvait dénoncer les erreurs, afin que la leçon profite' et qu'il ne soit plus versé de sang inutilement. Ce ne sont pas les erreurs d'un homme qui les vices d'une ont été stigmatisées, mais plutôt les hommes, au regard méthode. — Qu'importent des principes ! montait A Rome, jadis, lorsqu'un Général au triomphe, un esclave qui soutenait au-dessus de sa tête une couronne d'or, s'écriait de temps en temps: « Souviens-toi que tu n'es qu'un homme ! » . n'êtes pas ce Général et je ne suis pas de l'antique cet esclave, mais la forte parole Rome vous est applicable et s'applique à tous les Vous
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hommes ; car, du plus grand au plus petit, tous sujets à l'erreur.
ils sont
les d'ailleurs, répéterons-nous, Qu'importent, hommes, grands et petits ! Les principes, les princomptent ; c'est pour eux— que l'on cipes surtout travaille, pour eux que l'on lutte.
TABLE Au
Général
DES MATIÈRES
NOGUES, le chef des marsouins
de
Pages VII IX
Reims Avant propos .............
PREMIÈRE
PARTIE
LES TROUBLESD'INDOCHINE . ..........
.
1 3 9 29 44 58 64 94 100
TOUR D'HORIZONET D'INSPECTION .
107
. Prélude.: Le drame . de Yên-Bay Surpris ! Pourquoi ? Indochine et Armée coloniale d'avant-guerre Indochine d'après-guerre. La ruée. ..... Autour d'un écueil. Le mal et le remède. Le roman rouge ou la mort de Thi-Giang
DEUXIÈME
L'intérieur frontière.
La
L'extérieur
. .
.
~
PARTIE
118
....... A)
Kouang-Si.
.
B) Kouang-Toung
124 134
alarmants, rumeurs d'attaque, indices, — Etat coups de main chinois d'esprit des Chinois à notre égard La défense chinoise
140 147
intime, Kouanggénéral — Kouang-Si Aperçu — d'ensemble Positions Si respectives du et du Tonkin . . Kouang-Si — L'avenir
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Bruits
APPENDICE A A Au
Nguyên, enfant d'Annam nos chefs, les grands et les petit Général Jung ....
187 191 208
Imprimeire 136,
LE Rue
du
coton,
VANTAN Manoi.
Au Général NOGUES, le chef des marsouins de Reims Avant propos PREMIERE PARTIE LES TROUBLES D'INDOCHINE Prélude Le drame de Yên-Bay Surpris! Pourquoi? Indochine et Armée coloniale d'avant-guerre Indochine d'après-guerre. La ruée Autour d'un écueil Le mal et le remède Le roman rouge ou la mort de Thi-Giang DEUXIEME PARTIE TOUR D'HORIZON ET D'INSPECTION La frontière. L'intérieur La frontière. L'extérieur A) Kouang-Si B) Kouang-Toung Bruits alarmants, rumeurs d'attaque, indices, coups de main chinois - Etat d'esprit des Chinois à notre égard La défense chinoise Aperçu général - Kouang-Si intime, Kouang-Si d'ensemble - Positions respectives du Kouang-Si et du Tonkin - L'avenir APPENDICE A Nguyên, enfant d'Annam A nos chefs, les grands et les petits Au Général Jung