Les réprouvés de l’Histoire…

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1948-1954 : Avec la légion en Indochine

Les réprouvés de l’Histoire…

En 1965, Dans le film de Pierre Schoendeoerffer, "la 317°section", L'adjudant Willsdorf, interprété magistralement par Bruno Cremer (1919-2010), incarne ces soldats allemands, réprouvés qui sont venus sceller dans les rangs la Légion leur destin d’hommes de guerre…

par Hélie Denoix de Saint Marc, extraits de "Mémoires, les Champs de braise" « (…) La Légion fut la grande affaire de ma vie, A la sortie de Saint Cyr, j’ai été attiré par elle comme un aimant. Je connaissais l’histoire des "hommes sans nom", des "Français par le sang versé" dont la mythologie faisait partie du roman national. (…) Je me souviens de notre premier contact au bas fort Saint Nicolas à Marseille. Par la fenêtre du premier étage, je regardais les engagés qui se présentaient. Originaires de l’Allemagne, des pays baltes, et des pays de l’Est, ils sortaient à peine de la guerre. Ils paraissaient un peu perdus, vêtus de capote trop grandes. Les visages étaient creusés, les regards las, mais ils semblaient soulagés d’avoir trouvé un endroit où renaître. (…) Nous reconnaissions cet accent allemand qui avait été la langue de notre malheur. Mais les compagnies de légionnaires rassemblaient tous les blessés des années trente et quarante : anciens du Frente Popular, Allemands en masse, premiers exilés du rideau de fer. J’imaginais ce qu’avait pu être ces vies éclatées, déchirées par lambeaux, haletantes. Ensemble, nous partions pour une grande aventure. (…)

Les hommes avaient mis entre parenthèses leur nom, leur famille, leurs racines, leur nationalité. Ils s’étaient volontairement dépouillés de tout ce qui faisait l’apparence sociale. Devant nous ils étaient nus. La règle tacite était de ne jamais parler du passé. (…) Je partageais avec eux la vision de trop de morts. Comme moi ils essayaient de vivre avec le souvenir des engloutis.


Indochine 1948-1954 – Les réprouvés dans la Légion - Page 2

« Un jour l’un d’eux ma traduit le passage d’un de leurs chants : "Enfants, profitez de la guerre, la paix sera terrible." Ils recherchaient le combat non par goût de tuer, mais pour ce qu’il impliquait de dépouillement, le seul manteau capable de recouvrir leurs blessures. (…) Ces êtres étranges portaient à la fois le chaos et la pureté, une grande brutalité et un mysticisme à fleur de peau. La guerre les habitait. Ils avaient des explosions de vitalité. Ils étaient rudes, indomptés sauvages à l’occasion. Laissés sur le tapis de l’Histoire, ils se vivaient comme des réprouvés. Leur métier les conduisait a avoir des rapports avec les choses les plus simples. : le courage, la peur, la sueur, le sang, la mort. Ils étaient fait de passions extrêmes. J’ai connu nombre de légionnaires de qualité qui refusaient toute promotion. Ils ne concevaient dans la vie que des positions absolues. Comme les grades élevés de la Légion leur étaient interdits, ils préféraient rester simples soldats, l’absolu de l’obéissance. Ils affrontaient ainsi la mort dans un silence hautain. (…) ils croyaient à un idéal à leur mesure. Ils voulaient simplement aller ensemble, jusqu’au bout de leur destin. En entrant à la Légion, j’ai voulu être digne de leur silence. Ils me faisaient penser à ces minerais dont seule la cassure trahit la nature intérieure. Pour commander de tels hommes, qui semblent jouer et mourir de la même manière, il fallait les comprendre et - j’hésite à utiliser ce mot – les aimer. Je ne le disais jamais et le montrait encore moins. (…) Leurs grands rêves d’enfants avaient été humiliés. Ils avaient perdu l’innocence. Leur mémoire les blessait comme du silex.

Le lieutenant Hélie Denoix de Saint Marc (assis à droite de la photo) et ses hommes

Je me souviens de mon ordonnance en Indochine, dont le nom légion était Eggerl. Il se prétendait sans conviction autrichien. Il parlait plusieurs langues mais s’en servait peu. Il était renfermé, silencieux. De quelle manière avait-il vécu les cinq années de la seconde guerre mondiale ? Il en avait gardé des traces physiques, mais les plus spectaculaires semblaient morales. Il avait cinq ans de plus que moi et ne me quittait jamais. C’était mon ombre. (…) L’un et l’autre nous venions de deux camps opposés, fétus de paille dans l’orage de la guerre… »


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Des diables verts aux képis blancs… Johann Wallisch

L’adjudant-chef Johann Wallisch est un de ces soldats exceptionnels, plongés dans le maelstrom de l’Histoire: ce jeune maréchal-ferrant autrichien s’engage à 17 ans fin août 1943, il participe à la bataille de Normandie au sein de la 5ème Division parachutiste allemande ( F.JR 15) face aux unités parachutistes américaines. Il fait partie des rares survivants de la 5° division des "Diables verts" disparue dans les combats ! Puis ce sont les combats acharnés à Arhnem en Hollande puis dans les Ardennes et en Allemagne jusqu’au 7 mai 1945 où il est fait prisonnier. En septembre 1945, il s’engage dans la Légion Etrangère et entre 1946 et 1954 effectue 3 séjours en Indochine où il participera aux combats les plus violents. A 25 ans il est sergent, plusieurs fois blessé comme à Na San ou Dien Bien Phu en 1954, ou il est chef de section. Fait prisonnier à l’issue de la bataille Johann Wallisch fait partie des rescapés des camps de la mort viets libérés en août 1954. En septembre il s’embarque pour l’Algérie et poursuit sa carrière à la Légion puis au sein du 6e Régiment de Tirailleurs Marocains et au 19e Groupe de Chasseurs Portés. Entre l’armée allemande et l’armée française, L’adjudant chef Johann Wallisch aura passé 24 ans de sa vie sous l’uniforme et survécu à 18 années de guerre ! Il est titulaire de 8 citations dont 2 à l’ordre de l’armée, commandeur de la légion d’honneur, titulaire de la médaille militaire, officier dans l’ordre national du mérite, croix de guerre des T.O.E., croix du combattant, médailles commémorative s d’Indochine, du Moyen Orient et des opérations d’Afrique du Nord, médaille coloniale, … Il est un témoin et un héros de notre histoire (référence Internet : http://www.theatrum-belli.com/archive/2012/03/28/legion-etrangere-n-2.html) Extrait de « Enfant du Danube, Fils de France » de Johann Wallisch « (…) en janvier 1946 et affecté au 3e Régiment étranger d’infanterie. Sur place, nous n’avons que peu d’instruction militaire. "De toutes façons" disent nos gradés, "vous avez déjà tous fait la guerre". Et c’est vrai qu’en y regardant de plus près, les bonshommes qui m’entourent sont tous des vétérans du conflit que vient de prendre fin. La plupart sont d’anciens soldats de l’armée allemande mais il y a aussi quelques Français et Belges désireux d’effacer leur passé sous l’uniforme feldgrau. Sous nos habits de légionnaires se retrouvent aussi tous les grades de la Wehrmacht. Si la plupart d’entre-nous avaient été de simples soldats, d’autres avaient été sous-officiers ou officiers. Dans ma compagnie, par exemple, j’ai comme camarades, trois anciens officiers allemands, dont un pilote. (…) L’encadrement de mon groupe se compose d’un lieutenant, d’un adjudant-chef français et d’un sergent-chef allemand. Ce dernier est un ex-lieutenant de la Wehrmacht, ancien des combats de Russie. »


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