Madagascar et les moyens de la conquérir, étude militaire et politique. 1895

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Madagascar et les moyens de la conquérir, étude militaire et politique... (1er décembre 1894.)

Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France


Ortus, Colonel. Madagascar et les moyens de la conquérir, étude militaire et politique... (1er décembre 1894.). 1895. 1/ Les contenus accessibles sur le site Gallica sont pour la plupart des reproductions numériques d'oeuvres tombées dans le domaine public provenant des collections de la BnF. Leur réutilisation s'inscrit dans le cadre de la loi n°78-753 du 17 juillet 1978 : - La réutilisation non commerciale de ces contenus est libre et gratuite dans le respect de la législation en vigueur et notamment du maintien de la mention de source. - La réutilisation commerciale de ces contenus est payante et fait l'objet d'une licence. Est entendue par réutilisation commerciale la revente de contenus sous forme de produits élaborés ou de fourniture de service. CLIQUER ICI POUR ACCÉDER AUX TARIFS ET À LA LICENCE 2/ Les contenus de Gallica sont la propriété de la BnF au sens de l'article L.2112-1 du code général de la propriété des personnes publiques. 3/ Quelques contenus sont soumis à un régime de réutilisation particulier. Il s'agit : - des reproductions de documents protégés par un droit d'auteur appartenant à un tiers. Ces documents ne peuvent être réutilisés, sauf dans le cadre de la copie privée, sans l'autorisation préalable du titulaire des droits. - des reproductions de documents conservés dans les bibliothèques ou autres institutions partenaires. Ceux-ci sont signalés par la mention Source gallica.BnF.fr / Bibliothèque municipale de ... (ou autre partenaire). L'utilisateur est invité à s'informer auprès de ces bibliothèques de leurs conditions de réutilisation. 4/ Gallica constitue une base de données, dont la BnF est le producteur, protégée au sens des articles L341-1 et suivants du code de la propriété intellectuelle. 5/ Les présentes conditions d'utilisation des contenus de Gallica sont régies par la loi française. En cas de réutilisation prévue dans un autre pays, il appartient à chaque utilisateur de vérifier la conformité de son projet avec le droit de ce pays. 6/ L'utilisateur s'engage à respecter les présentes conditions d'utilisation ainsi que la législation en vigueur, notamment en matière de propriété intellectuelle. En cas de non respect de ces dispositions, il est notamment passible d'une amende prévue par la loi du 17 juillet 1978. 7/ Pour obtenir un document de Gallica en haute définition, contacter reutilisationcommerciale@bnf.fr.


COLONEL OBTUS OFFICIER DE LA LÉGION D'HONNEUR ET DE L'INSTRUCTION PUBLIQUE COMMANDEUR DE SAINTE-ANNE DE RUSSIE

MADAGASCAR ET LES

MOYENS DE LA CONQUÉRIR ÉTUDE MILITAIRE ET POLITIQUE

OUVRAGE ÉCRIT POUR SES CAMARADES DU CORPS EXPÉDITIONNAIRE DE MADAGASCAR

Dédié à M.

LE MYRE DE VILERS

ANCIEN GOUVERNEUR DÉPUTÉ DE LA COCHINCHINE PREMIER RÉSIDENT GÉNÉRAL DE FRANCE A MADAGASCAR

Accompagné d'une carte hors texte

au

1\4.000.000

PARIS

LIMOGES

11, PLACE SAINT-ANDRÉ-DES-ARTS

46, NOUVELLE ROUTE D'AINE, 16

HENRI

CUARLES-LAVAUZELLE Éditeur militaire 1895


MADAGASCAR ET LES

MOYENS DE LA CONQUÉRIR


DROITS DE REPRODUCTION ET DE TRADUCTION RÉSERVÉS


ET LES

MOYENS DE LA CONQUÉRIR ÉTUDE MILITAIRE ET POLITIQUE

OUVRAGE ECRIT POUR SES CAMARADES DU CORPS EXPÉDITIONNAIRE DE MADAGASCAR

Dédié à M. LE

MIRE DE VILERS

ANCIEN GOUVERNEUR, DÉPUTÉ DE LA COCHISCHINE PREMIER RÉSIDENT GÉNÉRAL DE FRAKCE A MADAGASCAR

Accompagné d'une carte hors texte au 1/4.000.000

PARIS

i

11, PLACE SAINT-ANDRÉ-DES-ARTS

HENRI

LIMOGES

46, NOUVELLE ROUTE D'AIXE, 46

CHARLES-LAVAUZELLE Éditeur militaire 1895


A

Monsieur LE MYRE DE VILERS ANCIEN GOUVERNEUR, DÉPUTÉ DE LA COCHINCHINE

PREMIER RÉSIDENT GÉNÉRAL DE FRANCE A MADAGASCAR

MONSIEUR LE DÉPUTÉ,

Je me permets de vous dédier ce livre, parce que c'est non seulement un livre de combat écrit pour nos officiers, mais aussi une étude politique. C'est au premier résident général de France à Madagascar et à l'envoyé plénipotentiaire du gouvernement français, qui a su faire respecter au Siam le drapeau de la France, qu'il est adressé. Acceptez-le comme hommage sincère d'une respectueuse reconnaissance. COLONEL

Paris, le

1er

décembre 1894.

ORTUS.


TABLE DES MATIÈRES

PREMIERE PARTIE ÉTUDE GÉOGRAPHIQUE DE MADAGASCAR

Chap. Ier. Situation, description géographique, aspect du

Pages.

pays. — Côtes.

Montagnes. — Cours d'eau et lacs II. Climat. — Sol. — Productions. — Règne végétal. — Règne animal. — Richesses minérales. ' III. Races habitant Madagascar. — Leur origine. — Moeurs....

13

20 28

DEUXIÈME PARTIE HISTORIQUE DE L'ACTION FRANÇAISE A MADAGASCAR

Tentatives de colonisation depuis Louis XIV jusqu'à la perte de nos colonies sous le premier Empire V. L'action de la France sous la Restauration et Louis-Philippe. — Fondation du royaume des Hovas VI. L'action de la France sous Napoléon III. — Intrigues et duplicité de l'Angleterre VII. Les démêlés de la République avec la reine des Hovas. — Hostilité des missions bibliques et du gouvernement anglais VIII. La situation actuelle depuis le traité Patrimonio-Miot IV.

41

50 58

63 72

TROISIÈME PARTIE LES MOYENS DE CONQUÉRIR MADAGASCAR

IX. Le gouvernement et l'administration des Hovas X. L'armée hova XI. Topographie du plateau central de l'Emyrne et ses voies d'accès

93 107 122


XII.

Forces nécessaires pour l'expédition. — Plan dé campagne probable. — Marche rationnelle des opérations du corps

expéditionnaire XIII. Organisation-complète du corps expéditionnaire XIV. Organisation des convois. — Ressources qu'on trouvera à la Réunion, à Madagascar et en Indo-Chine XV. Habillement, équipement et chargement du soldat du corps expéditionnaire XVI. Modifications qu'il convient d'apporter à la tactique européenne pour la campagne de Madagascar.. XVII. Quelques mots sur la tactique de combat XVIII. Le combat dans les forêts de Madagascar. — Un combat sous bois dans l'Afrique centrale XIX. Les enseignements à tirer des campagnes coloniales récentes XX. La composition officielle du corps expéditionnaire. — Dernières nouvelles

134

148. 156 162 167 175 181

185

215


PRÉFACE

A

MES CAMARADES DU CORPS EXPÉDITIONNAIRE

J'ai écrit ce volume pour vous. J'ai pensé que le peu d'expérience que j'ai pu acquérir pendant trente années de service dans l'infanterie de marine pouvait vous être de quelque utilité. Si bon nombre d'entre vous ont déjà combattu en Afrique, au Tonkin, au Sénégal, au Dahomey, d'autres, jusqu'à présent moins favorisés de la fortune, recevront le baptême du feu à Madagascar. Or, la tactique des campagnes coloniales diffère notablement de la grande tactique d'Europe. Elle est faite d'imprévus, d'aléas, de surprises surtout. Il faut, avec une poignée de soldats, se tenir toujours prêt à combattre, le jour comme la nuit, car l'ennemi, invi-


sible et insaisissable, vous attaque là ou il veut, quand il veut et comme il veut.

n'est point par l'application du cliché banal d'une formation-type que vous arriverez à le vaincre. Il faut prendre de nos règlements l'esprit qui vivifie et non la lettre qui tue. Pour se tirer d'une situation, souvent difficile et parfois critique, l'officier doit compter sur sa hardiesse, son sang-froid et le moral de ses soldats, moral fait surtout de la confiance qu'il a su leur inspirer. Son initiative intelligente et résolue lui permettra sur-lechamp de fixer la victoire tout en étant avare du sang de ses soldats. Ce

Elle est inscrite dans nos règlements, cette initiative, dont le général Philebert, écrivain militaire si remarquable et vétéran des guerres d'Europe et d'Afrique, demande qu'on en fasse le plus large usage, surtout pour les capitaines de compagnie.

Je n'ai point voulu faire un traité dogmatique de tactique ; j'ai voulu simplement mettre sous vos yeux les enseignements qu'il faut tirer des guerres coloniales récentes. N'y aurait-il dans ce volume qu'une seule bonne idée, et cette idée ne servirait-elle qu'à un seul d'entre vous, je m'estimerai heureux de l'avoir écrit.


Et, maintenant, officier de France, en avant pour la vieille France et son glorieux drapeau tricolore ; mes voeux ardents te suivent et ceux de tous les bons

Franรงais. ORTUS, Colonel d'infanterie de marine en retraite.



MADAGASCAR ET LES

MOYENS DE LA CONQUÉRIR PREMIÈRE PARTIE ÉTUDE GÉOGRAPHIQUE DE MADAGASCAR

CHAPITRE PREMIER Situation. — Description géographique. — Chaînes de montagnes. Cours d'eau. — Lacs. — Côtes. — Ports, rades et baies.

Situation de Madagascar. Cette grande île est située dans l'océan Indien, à 340 kilomètres de la côte orientale d'Afrique, qu'elle longe parallèlement et dont elle est séparée par le canal de Mozam-

bique. Elle est presque orientée du nord au sud, avec une direction un peu oblique du nord-quart-nord-est au sudquart-sud-ouest. Dans sa plus grandelongueur, elle mesure 1.570 kilomètres. Sa largeur varie entre 400 et 480 kilomètres ; sa superficie est de 557.000 kilomètres carrés, c'est-à-dire qu'elle est plus grande que la France, qui ne mesure (en chiffre rond) que 529.000 kilomètres carrés.


Au point de vue de la carte marine, elle est entre les 11° 57' et 25° 41' de latitude sud et les 49° 59' et 48° 10' de longitude est. Après Bornéo et la Nouvelle-Guinée, Madagascar est la plus grande île du monde. Non loin de la côte septentrionale de Madagascar se trouvent un certain nombre d'îles, dont quelques-unes nous appartiennent : Nossi-Bé, Nossi-Tumba, Nossi-Mitziou, Mayotte, etc. A l'est, on trouve la petite île de Sainte-Mariede-Madagascar ; vers le sud, notre colonie de la Réunion, et, non loin d'elle, l'île Maurice (ancienne Ile de France), possession anglaise; plus au loin, les Comores, les Seychelles, Mahé. Par sa position géographique, Madagascar -est donc à l'entrée de la mer des Indes, dont elle est en quelque sorte la clef, car elle domine à la fois le passage du cap de Bonne-Espérance et le détroit de Bab-el-Mandeb. On comprend dès à présent la ténacité mise par les Anglais, depuis un siècle, pour nous empêcher de prendre pied d'une façon définitive dans la grande île africaine.

Description géographique. Il est probable que Madagascar est le résultat d'un soulèvement contemporain de celui du plateau de l'Afrique centrale. Comipe lui, c'est un énorme massif surbaissé, au centre duquel se trouve un vaste plateau borné à l'ouest et à l'est par des montagnes qui forment des terrasses successives, descendant graduellement jusqu'à la côte. Elle présente ainsi deux régions bien distinctes : la région montagneuse, qui se prolonge dans toute l'étendue de la côte est, descendant jusqu'à la mer en pentes abruptes

et boisées; une région relativement plate, vers l'ouest, occupant la majeure partie de l'île.


Chaînes de montagnes. Les anciens géographes ont avancé que la grande île était traversée du nord au sud par une haute chaîne de montagnes, très rapprochée de la côte orientale, qui partageait l'île en deux parties bien inégales et détachait trois rameaux

secondaires. L'explorateur Castonnet des Fosses, qui a longtemps habité Madagascar, est d'un avis tout opposé. Il affirme que l'on reconnaît aujourd'hui l'existence de cinq chaînes qui, affectant toutes plus ou moins le sens longitudinal, sont dirigées parallèlement les unes aux autres et séparées au centre de l'ile par un vaste plateau surbaissé que l'on appelle plaine d'Ankaya. Le système orographique de ces montagnes consiste en une vaste série de mamelons juxtaposés, se succédant graduellement les uns aux autres depuis la région du littoral où sont placés les premiers contreforts. Chacun de ces mamelons est séparé de celui qui le suit immédiatement par une petite vallée presque toujours raide, aboutissant à un autre mamelon qui domine le précédent, et ainsi de suite jusqu'à la base des chaînes principales, dont l'ascension peut se faire en quelques heures et sans difficultés. La raison en est très simple : en quittant le rivage, on n'a pas cessé de s'élever pendant six ou sept jours de marche, et l'on est ainsi arrivé insensiblement à une hauteur de 1.800 à 2.000 mètres au-dessus du niveau de la mer. Les trois premières chaînes, les moins élevées, sont situées sur la côte ouest de l'île et sont séparées par des plaines sablonneuses et des plateaux arides. Les deux autres chaînes, beaucoup plus considérables, forment un grand massif granitique, qui s'allonge du nord au sud de l'île en se rapprochant de la côte orientale. Les lignes des -,


sommets les plus saillants et les plus remarquables sont, au sud, les monts Ambahits Mem (Montagnes Rouges), d'Ankaratra, d'Abmohimiango au centre, et à'Antsinnaka au nord. Leur plus haute altitude est de 3.200 mètres environ. Comme dans nos montagnes de l'Auvergne, on trouve des cratères éteints et des traces d'une action volcanique aujourd'hui terminée. Cours d'eau. De ces hauteurs descendent d'innombrables cours d'eau qui traversent les plaines et les fertilisent. On peut dire que Madagascar est un des pays les mieux arrosés de la terre. Plusieurs de ces cours d'eau sont assez profonds et quelques-uns ont une longueur analogue à celle de nos rivières de France. Ils sont, malheureusement, à peu près tous impropres à la navigation, car leurs embouchures sont

encombrées de sable, d'alluvions, de galets apportés par la mer, qui forment des bancs et qui souvent, faisant refluer les eaux, créent, surtout sur la côte orientale, des centaines de lagunes. Sur un espace de plusieurs centaines de kilomètres, celles-ci s'étendent sur le rivage, n'étant séparées de la mer que par une étroite bande de sable. Par la disposition des montagnes en terrasses successives, il se produit en outre des cascades et des chutes qui sont autant d'obstacles insurmontables aux communications fluviales. Nous n'avons pas l'intention de décrire les nombreux cours d'eau de Madagascar. Nous citerons simplement, parmi les principaux : Le Mangourou, dont le cours a 400 kilomètres de long et dont la largeur est égale à celle de la Seine à Paris ; Le Mananghare, qui a 450 kilomètres ;


La Betsiboka, 300 kilomètres, et son affluent l'Ikoupa,

presque autant. Ces deux dernières rivières ont une importance considérable parce qu'elles prennent naissance dans le plateau central, tout près de Tananarive, et leurs vallées constituent deux voies d'entrée précieuses, longues, sans doute, mais d'un accès relativement facile. Lacs. Les lacs sont en assez grand nombre à Madagascar. Le plus grand de tous sur la côte est est le lac Rassoua-Bé, qui peut avoir 50 kilomètres de tour sur une largeur de 6 kilo-

mètres. Il existe, outre les lacs côtiers, d'autres lacs dans l'intérieur de l'île, mais ils sont peu connus. Côtes. Les deux côtes de Madagascar diffèrent complètement entre elles : tandis que la côte orientale forme une ligne presque droite, échancrée seulement dans sa partie septentrionale par la baie d'Antongil et par la baie de DiégoSuarez, la côte occidentale est sinueuse, garnie de renflements, de caps aigus, et découpée de baies profondes. L'île se termine par une pointe au nord, le cap d'Ambre.

Ports, rades et baies. La première baie que l'on trouve le long de la côte orientale est Diégo-Suarez, l'une des plus belles baies du monde. Son entrée a 2.400 mètres de longueur sur 2.000 de largeur et forme un véritable chenal protégé par un banc de sable et un îlot qui en rendent la défense facile.


Sa profondeur varie entre 32 et 48 mètres. Elle peut donc recevoir les plus grands cuirassés du monde construits et à construire. Elle est abondamment pourvue d'eau douce. C'est une vraie mer intérieure dont le centre forme un magnifique bassin, de 10 kilomètres de long sur 7 de large. Depuis le traité de 1885, nous avons fondé à Diégo-Suarez un établissement militaire qui s'étend tous les jours. Plus loin, on trouve la baie de Vohemar, puis la vaste baie d'Antongil, longtemps occupée par la France. A une centaine de kilomètres au-dessous, on trouve l'île de SainteMarie, parallèle à la côte, dont l'extrémité nord forme, avec la Pointe-à-Larrée, la baie de Tintingue. Au sud, se présente la baie de Fénérifïe, la plus mauvaise du littoral de l'est. Un peu plus loin, on trouve Foulpointe et, 60 kilomètres plus bas, Tamatave, aujourd'hui le principal marché de l'île et dont la rade est spacieuse et sûre. Tamatave fut bombardé par l'amiral Pierre. Les Hovas viennent d'évacuer le fort circulaire en maçonnerie qui le défend, en prévision des prochaines hostilités. De Tamatave à la baie de Sainte-Luce, c'est-à-dire pendant près de 800 kilomètres, il n'existe plus aucun abri sérieux : rien que des rades foraines dont la sûreté laisse à désirer. A l'extrémité de l'île, se trouve la baie de SainteLuce, à peu de distance des ruines de Fort-Dauphin, le principal établissement des Français à Madagascar aux xvie et XVIIe siècles. Après avoir doublé le cap Sainte-Marie, pointe sud de l'île, on trouve successivement, en remontant la côte occidentale, la baie Saint-Augustin, puis, après le cap SaintVincent, toute une série de baies très sûres, fréquentées autrefois par les négriers à l'époque de la traite, et l'on arrive au cap Saint-André. Dès que ce cap est doublé, la côte offre les plus beaux mouillages, où l'on pourrait abriter des flottes entières.


Parmi la nombreuse série de baies, nous nous bornerons à citer celle de Boueny, line des meilleures de tout le littoral sud-ouest. La baie de Bombetock, défendue par le fort de MajUnga, s'avance à 33 kilomètres dans les terres ; elle est excellente ; ce sera probablement la base d'opérations maritimes si on fait l'expédition par la côte occidentale. La baie de Saumalaza est un bras de mer d'une largeur de 5 à 8 kilomètres qui s'enfonce dans l'intérieur à 50 kilomètres. En continuant à suivre le rivage, on arrive à la grande baie de Passandava, commandée par l'île de Nossi-Bé, et où l'on pourrait établir à peu de frais une station navale si nous n'avions pas déjà choisi Diégo-Suarez. Plus loin, on trouve les baies de Bavatoubé et de Tchinpayki, excellents mouillages. On voit ensuite le cap Saint-Sébastien, la baie d'Ambavani-Bé, nommée par les Anglais Port-Liverpool, et enfin l'île se termine par la pointe du cap d'Ambre. L'énumération de toutes ces baies, susceptibles de devenir d'excellents ports avec les travaux nécessaires, n'est pas une énumération fastidieuse. Elle montre l'importance maritime que les Anglais attachent à la possession de Madagascar, eux qui ne nous ont rendu Bourbon en 1814 que parce que cette île n'avait aucun port sérieux et rien que des rades foraines. Ils ont, au contraire, gardé l'île de France (appelée par eux Maurice), à cause de ses nombreux ports et de ses belles rades, où les escadres françaises avaient trouvé des refuges précieux et des points de ravitaillement, et de radoubage pendant nos guerres navales depuis Louis XIV jusqu'en 1810, époque où nous perdîmes cette île avec nos autres colonies.


CHAPITRE II Climat. — Fertilité du sol. — Faune. — Flore. — Productions de Madagascar. — Richesses minérales de l'Ile, notamment le charbon et l'or.

Climat de Madagascar. Le climat de Madagascar a été fort diversement apprécié. D'après une légende menteuse, ce pays serait fort malsain et l'on rangerait les côtes de Madagascar sur le même. niveau que les côtes du golfe du Mexique, foyer pernicieux de la fièvre jaune. Il n'en est rien, cependant. Sans doute, il est positif que Madagascar, comme tous les pays du monde tropical où se trouvent des marais, est malsain sur la côte, quand les fortes chaleurs dessèchent les marais et déterminent des fièvres paludéennes meurtrières. Mais c'est là le lot de toutes les côtes tropicales, aussi bien en Asie qu'en Afrique. J'ai connu, dans ma carrière, plusieurs officiers d'infanterie de marine qui avaient servi dans les possessions françaises, à Nossi-Bé; Mayotte et Sainte-Marie. J'ai trouvéen Cochinchine et en Nouvelle-Calédonie des colons natifs de Bourbon ayant habité Madagascar. Tous s'accordaient à dire que le climat de Madagascar n'était pas plus malsain sur la côte que celui de la Cochinchine, de la Guyane et du Sénégal, et que, sur le plateau central, il était au

sain.?

contraire bien plus Or, j'ai connu en Cochinchine des colons et des fonctionnaires qui y sont restés pendant près de vingt années consécutives. En réalité, il y a à Madagascar, qui possède en même temps des plaines basses, des plateaux et des montagnes,


'plusieurs climats bien différents. Sur les côtes et les versants, l'année, comme dans tous les pays tropicaux, se qui sèche, saison la va bien nettes saisons deux divise en : d'avril à novembre, et la saison des pluies, qui va de novembre à fin mars. C'est ce que l'on nomme l'hivernage. C'est la mauvaise saison pour les Européens, pendant laquelle il faut bien se garder de les envoyer en expédition, Les inténsité, leur titre juste renommés à pour orages, se font souvent entendre. Il les règlent qui fixes deux Madagascar moussons à y a

saisons : celle du nord-ouest et celle du sud-ouest. Les principamarée, de à des lieu souvent donnent raz vents lement sur la côte du canal de Mozambique. Cependant, même dans la saison des pluies, la température, grâce aux brises de mer, est supportable ; à Tamatave, le thermomètre dépasse fort rarement 34 degrés. Le centre de l'île, l'Emyrne, jouit d'un climat tempéré, très supportable pour les Européens. Pendant la saison des pluies, le thermomètre ne dépasse pas 30 degrés de novembre à février. Dans la saison sèche, il se maintient, à 12 ou 15 degrés d'avril à octobre (1). La température moyenne de Tananarive est de 18 degrés, ce qui n'est pas une moyenne de pays très chaud. En somme, sur le plateau central de l'Emyrne, la température me paraît ressembler beaucoup à celle de la Nouvelle-Calédonie, où je pouvais, pendant les six mois secs de l'année, faire des exercices de service en campagne de midi à 6 heures du soir, avec un nombre de malades et d'exempts inférieur à celui des ports de guerre de France, même Toulon. La température moyenne variait de 12 à 16 degrés. dans les pays situés au-dessous de l'équateur, l'hiver a lieu en juillet et l'été en janvier. (1) Comme


Le prince Henri-Philippe d'Orléans, qui a fait un voyage à Madagascar, donne de son climat l'aperçu suivant : Deux mois de voyage à travers Madagascar, de la côte orientale à la côte occidentale, m'ont laissé successivement trois impressions bien

distinctes. En débarquant à Tamatave, la sensation des. tropiques : une bande de terre plate, zone humide et chaude à la fois, tour à tour arrosée par des pluies fréquentes ou fécondée par les rayons d'un soleil ardent une serre naturelle, dont l'atmosphère se trouve toute préparée pour certaines plantes avides d'eau ou de soleil telles que la canne à sucre, la vanille, le giroflier, le cacaoyer, mais dont l'humus n'est peut-être pas en couches suffisamment profondes pour des cultures de longue ' durée comme le café ou le thé. Quand on longe la côte, ainsi que nous l'avons fait plusieurs jours, on est frappé de l'abondance des arbres fruitiers, des essences utiles qui se serrant, au caprice de la nature, sur le sable du littoral et qui viennent mouiller leurs racines aux volutes d'une mer creusée sur des récifs de coraux. Palmiers de toutes sortes, citronniers, manguiers, calebassiers, tendent au voyageur leurs branches chargées de fruits. L'aspect est enchanteur ; il ne saurait tromper celui qui a déjà parcouru des régions semblables. Derrière les fruits délicieux, sous les frais ombrages, dans les racines mêmes, auprès des rivières, sur les bords des étangs, partout se cache le terrible poison qu'inévitablement seront forcés d'absorber les Européens séjournant sur la côte : la ", fièvre. Tous devront lutter contre la maladie ; la plupart s'affaibliront dans; le combat, beaucoup y laisseront leur santé, quelques-uns la vie; bien ' rares ceux qui ne perdront rien à la bataille. Je ne veux pas être trop pessimiste : je m'empresse de dire que de vieux colons vivent à la côte, que certains y travaillent depuis quarante ans. Ceux-là se sont familiarisés au climat et n'en souffrent plus, ils sont devenus quininomanes, qu'on me passe le mot. J'ajouterai que la fièvre est moins dangereuse à Madagascar que dans telle autre de nos colonies ; qu'ici l'on voit rarement l'accès pernicieux emportant le malade en quelques heures ; que la Cochinchino, ? par exemple, qui compte un certain nombre de vieux colons, me parait plus malsaine que la côte de Madagascar. Dès que l'on quitte le littoral pour pénétrer dans l'intérieur, lev paysage change entièrement. Au delà d'une région de forêts difficilement praticables, qui s'étendent sur les coteaux et se développent sur le pourtour presque entier de l'île comme une ceinture d'uné vingtaine s de kilomètres, on trouve le plateau central. L'altitude moyenne est ici de 1.000 à 1.200 mètres. Les saisons sont bien marquées : plus de ces pluies torrentielles qui, sur la côte, tombaient tous les quarts d'heure pour cesser subitement au bout de quelques minutes. Nous sommes en juin; c'est la saison sèche : le thermomètre descend la nuit à 4 degrés

;


pour monter le jour à 20. On se sent, vivre, l'appétit est excellent. Nous faisons volontiers la route à pied, et je suis tenté d'oublier que nous sommes par le 17e degré do latitude sud (1).

Fertilité du sol. Les opinions les plus diverses se sont produites au sujet de la fertilité du sol de Madagascar. Au début de la colonisation française, lorsque, sous Louis XIV, la Compagnie Dauphine de Madagascar voulait attirer les colons dans l'île, elle faisait appel à l'immigration au moyen d'affiches répandues à profusion dans Paris et les principaux ports de France. Voici ce qu'on lisait sur ces affiches : Le climat de l'île est fort tempéré : les personnes vivent jusqu'à cent ans et cent vingt ans. Les fruits y sont fort bons ; les légumes, les pois et toutes sortes de racines sont bonnes et fort saines. Le riz s'y recueille trois fois par an; les graines de l'Europe s'y produisent mieux qu'en France. Il y a de la vigne qui produit de fort bon vin. Les vers à soie sont communs sur les arbres et produisent une soie facile à filer. Il y a une grande quantité de boeufs, de vaches, de moutons, de chèvres, de cochons ; des mines d'or, du coton, du sucre, de

l'indigo, du tabac, etc.

On voit.que là réclame, moderne n'a rien inventé. Quoi qu'il en soit, il faut un peu en rabattre, de cette belle énumération, surtout en ce qui concerne la longévité.

Selon M. Grandidier, la terre du nord de l'île est une terre argileuse rouge, fort compacte, ne pouvant produire qu'à force d'engrais. Les hauts plateaux sont rocailleux et stériles ; seules les vallées sont productives. Les côtes sont sablonneuses et la végétation ne commence qu'à deux lieues du bord de la mer. Par compensation, dans le sud de l'île, — partie la plus froide et la plus saine, — et dans le nord-ouest, le sol est composé d'un terrain profond et par suite fertile. (1)

Henri d'Orléans,

A

Madagascar. — Calmann-Lévy, éditeur.


Le assertions de M. Grandidier sont contredites par les cultures maraîchères des missionnaires françaisà Tananarive et les plantations de café, très productives, de quelques colons français. Or on sait que le café exige pour son

développement une terre fertile. Le prince Henri-Philippe d'Orléans cite sur cette fertilité l'opinion d'un explorateur allemand, le docteur Wolf, qui s'est trouvé avec lui à Tananarive. racontait qu'après un séjour de plus de deux mois à Madagascar, ayant trouvé pleine justification à ses pressentiments enthousiastes pour la contrée, il n'avait pas craint d'écrire à un de ses amis, prêt à se fixer dans le Cameroun, de tout abandonner pour venir se ' fixer dans l'île africaine. Cest après de longs voyages sur la côte orientale d'Afrique que s'était faite l'opinion du docteur sur Madagascar. M. Wolf

Productions de Madagascar. Règne végétal. — Mentionnons d'abord les forêts, qui

sont fort belles et peuvent fournir des arbres d'essence supérieure et propres aux constructions navales ainsi qu'à L'ébénisterie. Aux productions mentionnées déjà ajoutons d'abord tous les fruits des tropiques qui poussent en grande abondance, depuis la banane jusqu'à l'arbre à pain. Sur les hauts plateaux de l'Emyrne, M. Laborde, consul français, avait importé et acclimaté les fruits et légumes de l'Europe, notamment la pomme de terre, qui vient d'une excellente qualité. On trouve à Madagascar le riz, le coton, l'orseille, le sésame, l'arachide, l'indigo, le mûrier, qui croît partout, et le chanvre, qui pousse comme du chiendent. Le tabac donne des produits de qualité supérieure. La ramie pousse partout comme une mauvaise herbe. Le plateau central paraît propre à la culture en grand du thé.


Cet aperçu-rapide est suffisant pour donner une idée des ressources que la grande île africaine offrirait aux colons qui voudraient y fonder des établissements sérieux. Règne animal. — Le règne animal est très curieux à Madagascar. Le boeuf était à l'état sauvage quand les Français s'y établirent au XVIIe siècle. La race en est belle et les boeufs de Madagascar sont l'objet d'un grand commerce avec les colonies françaises et anglaises voisines. L'élevage du cheval et du mulet pourrait-il se faire ? Il paraîtrait que ces animaux ne pourraient résister aux piqûres d'une sorte de pou ou tique nommé carapate, qui, se logeant par milliers entre cuir et chair des solipèdes, les sucent et les épuisent complètement. Mais, à l'instar des Australiens, on pourrait élever en grand le mouton sur les hauts plateaux de l'île, qui ne se prêtent pas à une culture fructueuse, et ce serait plus tard, pour la colonie, la source de richesses immenses. Il n'y a pas d'animaux dangereux dans les forêts de Madagascar, à part des serpents du genre boa, qui ne sont nullement dangereux et dont la morsure est inoffensive. Ils rendent au contraire de grands services en détruisant les rats, qui pullulent. On trouve dans ces forêts une grande quantité d'oiseaux de toute sorte, des sangliers, des chats et des chiens sauvages. Le boeuf sauvage a presque disparu. Le gibier d'eau abonde, et les sarcelles montent jusque dans le haut de l'île. Il y a encore de beaux jours pour les chasseurs à Madagascar. Il y en a aussi pour les pêcheurs, car les rivières et les lacs sont très poissonneux, et les indigènes y trouvent une de leurs principales ressources alimentaires. Dans les ruisseaux, on pêche des écrevisses et d'énormes crevettes. Par exemple, un gibier d'eau peu agréable est le caïman, qui ne se rencontre cependant que tout à fait sur la


côte, dans les lagunes

et à l'embouchure des rivières.

Il est peu dangereux et fuit l'homme, car les indigènes le chassent avec une grande dextérité. Richesses minérales. Ce n'est guère que de nos jours que l'on a exploré sérieusement la région minière. M. Grandidier, qui a écrit de si remarquables travaux sur Madagascar, a constaté l'existence de belles mines de cuivre et de plomb dans les massifs métamorphiques situés à 20 lieues au sud-ouest de Tananarive. Il y a, à Imerina, des mines de manganèse et de plombagine que les indigènes emploient pour le vernissage de leurs poteries. Le minerai de fer oligiste ou d'hématite se rencontre à chaque pas dans les montagnes. Dans tout le plateau central, dans le Betsileo, l'Ankova et YÂntsianaka, on trouve le minerai de fer : les monts Ambohimiangara, à l'ouest de Tananarive, en renferment de telles masses que les naturels les ont surnommés Montagnes de Fer. Pendant longtemps, et dans un intérêt aisé à comprendre, ces excellents méthodistes anglais ont nié l'existence du charbon à Madagascar ; aujourd'hui, sa présence est prouvée, non seulement par les récits de nombreux voyageurs, mais encore par le rapport de l'ingénieur français Guillaumin, qui, en 1863, fit une exploration de la côte du nord-ouest dans les baies de Passandava et de Bavatoubé. La surface réellement utile, quoique fortement réduite, dit-il, peut encore être évaluée à 3.000 kilomètres carrés, surface supérieure à celle de tous les bassins houillers de France, qui n'est, en effet, que de 2.800 kilomètres carrés. Cinq affleurements de houille ont été trouvés sur les bords de la baie de Bavatoubé. La qualité de celte houille offre à peu près toutes les variétés : houille sèche, houille grasse et houille à gaz. Analysés à l'Ecole des mines de Paris, les échantillons ont donné des résultats satisfaisants.


On voit l'importance énorme qu'offre pour la France la

possession de ce superbe gisement houiller entre Toulon et la mer des Indes. L'annonce de la présence de l'or à Madagascar a longtemps trouvé des incrédules. Mais l'établissement aurifère de M. Suberbie, dans la vallée de l'Ikopa, a donné des résultats rémunérateurs tant qu'on lui a fourni des ouvriers qu'il payait et que l'on a protégé l'exploitation. Le prince Henri-Philippe d'Orléans (1) prétend que la production minérale par excellence de l'île est l'or, qu'on rencontrerait partout et qui abonde en certains territoires. D'après les renseignements qu'il a pu recueillir, il sortirait mensuellement de Madagascar 300 kilogrammes d'or (1 million de francs en valeur). Il cite également l'exemple de l'exploitation aurifère Suberbie, sur laquelle le gouvernement hova a mis la main quand il a vu que cette exploitation pouvait être d'un bon rapport, et il raconte, toutes les manoeuvres employées pour frustrer notre compatriote du fruit de ses

labeurs. Il termine ainsi qu'il suit

;

qui tendrait à prouver la grande abondance de l'or, c'est le nombre des mineurs de divers pays venus pour faire des prospections. Des ingénieurs du Transvaal écrivaient à leurs commanditaires que Madagascar était beaucoup plus riche que les régions au nord du Cap, que le climat y était plus sain et que, lorsque la contrée serait au pouvoir d'une puissance européenne, on verrait s'y produire un rum comme dans les placers de la Californie. Songez à la transformation qui s'est produite en quelques années au Transvaal, au développement qu'a pris le pays, aux chemins de fer qui y ont été faits, à l'importance qu'a acquise Johannesburg, grande ville bâtie à l'européenne et comptant maintenant plus de 150.000 âmes : vous en déduirez ce que la fièvre de l'or à elle seule peut faire de Madagascar. Ce

(1)

Madagascar. — Calmann-Lévy, éditeur.


CHAPITRE III Races habitant Madagascar. —Leur origine. — Moeurs et coutumes des Malgaches.

Races habitant Madagascar. Les races habitant Madagascar sont nombreuses. Avec Martineau, qui vient de publier un ouvrage très intéressant sur Madagascar (1), nous classons les races malgaches en trois groupes : A. — Hovas et peuples qui leur sont soumis ; B. — Peuples.luttant encore contre les Hovas ; C. — Peuples encore libres ; D. — Races étrangères.

Cette distinction est logique, car, dans la conquête, nous pouvons tirer un grand parti des peuples du groupe B, en tête desquels nous trouvons les Sakalaves.

A.

HOVAS ET PEUPLES QUI LEUR SONT SOUMIS

Hovas. — Les Hovas, encore à peu près inconnus au commencement de ce siècle et dont il n'est fait nulle mention dans les histoires avant le premier Empire, se posent en dominateurs de l'île. Ce ne sont pas des Afri-

cains purs, mais ce sont des Malais. L'ethnographie, qui n'est pas une vaine science, l'a prouvé, et l'on rencontre souvent chez eux le type malais le plus pur. Leur langue présente (comme d'ailleurs tous les dialectes de l'île) de nombreuses analogies avec l'idiome de (1)

Madagascar. —E. Flammarion, éditeur.


Java, et le vocable Madécasse ou Malgache — nom générique des indigènes de l'île — est une corruption des mots razza malacassa, qui signifient « race de Malacca ». Il y a donc eu dans l'île diverses séries d'immigrations malaises ; la dernière de toutes est celle qui a donné naissance à la race hova. Les hommes de cette race ont le teint jaunâtre des Asiatiques, les yeux légèrement bridés, les cheveux lisses et droits ; ils montrent les mêmes aptitudes commerciales que les Chinois. Nul ne sait à quelle époque ils ont abordé l'île et monté de la côte sur les hauts plateaux du centre. Au temps de Louis XIV, en 1648, personne ne connaissait leur nom. Cent cinquante ans après — au commencement du siècle actuel — ils allaient entamer la conquête de l'île. En un quart de siècle, ils descendirent de leurs hauts plateaux jusqu'à Tamatave, sur la côte est, et Majunga, sur la côte ouest. Aujourd'hui, ils ont des postes partout : à Vohemar, Mourounsang, Tuléar, Fort-Dauphin, et ils menacent le reste du pays. Le caractère, et les moeurs des Hovas ont été admirablement décrits par le voyageur Grandidier, dont le nom revient à chaque instant sous notre plume. Les Hovas sont généralement de taille plus petite que les autres peuples malgaches, mais ils sont néanmoins pleins d'énergie et adroits ; si l'on peut avec raison leur reprocher leur ignorance, leur hypocrisie, leur égoïsme, leur cruauté, défauts naturels dans une population livrée de tout temps à la barbarie, mais qui tendent à disparaître, ils n'en sont pas moins intelligents, travailleurs, économes et relativement sobres; et, à cause de ces qualités très réelles, on ne saurait les comparer aux autres tribus malgaches, qui leur sont inférieures par leur penchant à l'ivrognerie, par leur paresse et leur prodigalité. Les Hovas habitent le plateau central de l'île ; leur pays,


qui se nomme l'Emyrne (1), n'a qu'une étendue de 200 kilomètres du nord au sud, et 150 dans l'autre sens. Ils ont comme voisins les Antsianacs au nord, les Sakalaves à l'est, les Bezanezanas à l'ouest, et les Betsileos au sud. Les Hovas, en dehors de l'Emyrne, sont les'maîtres incontestés des peuplades qui les environnent, sauf les Sakalaves, qui résistent encore malgré les postes hovas. Quant aux tribus du sud de l'île, elles sont indépendantes, ce qui n'empêche pas la reine des Hovas de se proclamer reine de Madagascar, titre que notre diplomatie lui a reconnu. Nous le lui maintiendrons ; mais nous aurons soin de prendre le pouvoir pour nous et de soumettre les Hovas à notre domination, comme nous avons soumis les Dahoméens. Antsianacs. — Leur territoire s'étend entre les Hovas au sud, les Antacars au nord, les Sakalaves à l'est, et les Betsimaracs à l'ouest. Les Antsianacs ont le teint d'un noir très foncé, des traits réguliers et sont bien conformés. Ce sont de vrais nègres, insouciants, paresseux, aimant le plaisir. Ils ne travaillent presque pas et vivent des produits naturels du sol. Betsileos. — Leur principal centre de population est dans la chaîne de montagnes qui supporte le plateau central de Madagascar. Ils ont comme voisins : au nord les Hovas, à l'ouest les Sakalaves, à l'est les Betsimisaracs, au sud les Bares. C'est un peuple d'un naturel très doux, que les Hovas pressurent avec férocité, lui enlevant ses terres et le réduisant en esclavage. La peau des Betsileos est d'une teinte intermédiaire entre celle des Hovas et celle des autres Malgaches. Ils sont mal bâtis. Très laborieux et très avancés dans l'agriculture, ils (1) Dénomination qui a prévalu sur celle do

l'Imerne, le vrai nom hova.


savent, comme les Canaques de la Nouvelle-Calédonie, creuflanc des le montal'eau des sur amener pour canaux ser gnes pour leurs rizières. Leur pays contient beaucoup d'or, et ils seraient d'excellents travailleurs pour les exploitations aurifères. Bezanczanes. — Ils peuplent la vallée de la rivière, du Mangour, entre l'a chaîne boisée d'Amboudinangava qui touche à l'Emyrne, et celle d'Anevonc qui touche au pays des Betsimisaracs. Ils ont au nord les Antsianacs. Les Bezanezanes sont grands et robustes, mais peu travailleurs et encore moins guerriers. Comme ils sont sur la route qui va de Tananarive à Tamatave, les Hovas les ont

convertis en porteurs. Betsimisaracs. — On désigne sous ce nom un ensemble de peuplades réunies en confédération dont les principales étaient les Antavares, les Betanimènes et les Antatsimes. Elles occupaient la côte orientale sur une étendue de cinq à six degrés géographiques. Elles avaient pour voisins : au nord les Antancars, au sud les Antaimours, à l'ouest les Antsianacs, les Bezanizanes et les Tanales. A eux seuls, ils formaient près du quart de la population totale de l'île. Ils ont été soumis facilement par les Hovas, à cause de leur extrême douceur, qui permet, malgré leur grand nombre, de les .gouverner aveô la plus grande facilité. Leur pays leur donnant en abondance de quoi vivre, ils sont horriblement paresseux et refusent absolument de travailler la terre. Quelques-uns cependant s'adonnent à la pêche. Ce sont des peuples d'une belle stature et bien conformés, de race nègre presque pure, avec le nez épaté et les cheveux laineux. Ils sont fort doux et sociables, et feraient de tristes soldats, la bravoure n'étant pas leur lot ; mais


ce sont d'excellents porteurs, et ils pourraient nous rendre à ce titre de grands services. Antancars. — Ils habitent la partie nord de l'île, entre le canal de Mozambique et l'océan Indien. Ils ont, au sud, comme voisins, les Sakalaves, les Antsianacs et les Betsimaracs. Ils luttèrent contre les Hovas, de 1820 à 1840, et leur dernier roi céda ses Etats à la France. Gela n'empêcha pas les Hovas de s'établir solidement dans le pays, où ils ont de nombreux postes. Le pays des Antancars confine, au nord, à notre établissement de Diégo-Suarez. C'est un peuple de nègres aux cheveux laineux et au nez épaté. Ils sont peu intelligents, pillards et sauvages. Ils ne travaillent pas et se contentent de l'élevage des boeufs qu'ils vendent aux Français et aux Hovas. Antaimours. — Hs sont établis le long de l'océan Indien comme les Betsimaracs, qui sont leurs voisins au nord ; à l'ouest ils ont les Tanales et les Betsileos, et au sud les petites tribus des Antaisacs et des Chafates. On prétend qu'ils descendent des Arabes. Leur teint est cuivré, leur regard vif et leur physionomie expressive. Ils soignent beaucoup l'éducation de leurs enfants. C'est le peuple le plus travailleur de l'île et, comme nos Auvergnats et nos Savoyards, ils émigrent chaque année pour aller travailler dans les Etats voisins. Les Hovas leur ont laissé un semblant d'autonomie politique en leur maintenant le droit d'élire leurs chefs à l'élection. B. — PEUPLES LUTTANT ENCORE CONTRE LES HOVAS Sakalaves. — C'était, avant les Hovas, le peuple le plus

puissant de Madagascar, car il étendait son autorité sur une grande partie de l'île et les Hovas même lui payaient tribut.


Les Sakalaves commencèrent par se partager d'abord en quatre grandes divisions qui se morcelèrent ensuite en fractions plus petites, et leur force disparut avec leur unité. Les Hovas ont fait peu à peu la conquête de ces parties divisées, conservant aux chefs un pouvoir pure-

ment nominal, plutôt sacerdotal que politique. .Les Sakalaves délestent les Hovas, leurs anciens sujets devenus leurs maîtres; mais leur défaut d'organisation politique les condamne à l'impuissance. Ils sont plus robustes qu'eux et ne manquent pas de qualités guerrières ; mais, pillards, effrénés, ils ont des instincts nomades, et paraissent peu susceptibles de se livrer à un travail régulier. Antanosses. — Habitants de Fort-Dauphin et de ses . environs, au sud de l'île ; ce sont les premiers Malgaches avec qui les Français entrèrent en relations au xvie siècle, comme on le verra plus loin. Les traits de leur visage .sont plus délicats que chez les autres peuples malgaches ; leur teint est couleur de chocolat clair et ils ont les cheveux fins et bouclés. Ils sont soumis nominalement aux Hovas, mais l'autorité de ceux-ci ne dépasse pas Fort-Dauphin. Le gouvernement hova s'est installé dans le fort construit par les Français en 1642 et dont les murailles et les tours sont encore en bon état. Nous raconterons plus loin la bravoure des Hovas, enlevant Fort-Dauphin défendu par une garnison de cinq Français. La population de Fort-Dauphin comprend et parle le français comme nos noirs de la Réunion. Les Antanosses aiment beaucoup la France et préféreront certainement notre domination à celle des Hovas, qu'ils détestent. Tanales. — Ils habitent le contrefort de montagnes adossées au pays betsileo. Ils sont forts et robustes, mais


peu nombreux. Une partie de leur territoire résiste encore aux Hovas, grâce aux immenses forêts qui la couvrent presque en entier. Bares. — Les Bares,- nommés aussi Yourimes, habitent au sud et à l'est de Tamatave et, d'autre part, touchent aux Betsileos et aux Machicores. Les Hovas ont essayé de les réduire, mais tous leurs efforts n'ont abouti qu'à la création d'un poste sur la route de la baie Saint-Augustin, port naturel du pays des Bares. Les Bares ont la taille élancée, mais les membres grêles ; ils sont aussi paresseux que les autres races malgaches. C. — PEUPLES INDÉPENDANTS DES

HOVAS

Mahafalos. — Les Mahafalos habitent les pays compris entre les rivières de Saint-Augustin et de Menarande. C'est

un peuple pillard, qui ne permet aux étrangers que l'établissement de comptoirs sur la côte. Les Français ayant pris possession de la petite île de Nossi-Vey, où ils ont fondé quelques établissements commerciaux, les Mohatalos, voulant détruire ceux-ci, ont fait plusieurs fois le siège de l'île. Antandroys. —• Ils habitent le sud de l'île, entre les Mahafalos et les Antanosses. Ce sont des peuplades sauvages qui vivent, dit Grandidier, plutôt comme des bêtes que comme des hommes, et sont divisées en petites tribus dont les chefs se battent toujours entre eux. Ils sont à peu près nus. Ils ont pillé, en 1889, les traitants des maisons de commerce françaises de Nossi-Vey. Machicores. — On désigne sous ce nom des peuplades éparses qui appartiennent à des races différentes. Ils habitent les pays compris entre les Bares, les Mahafalos,


les Sakalaves et les Antandroys, et, selon leur situation géographique se rapprochent plus ou moins des moeurs et caractères physiques de leurs plus proches voisins. Ils n'ont aucun débouché sur la mer, et leur nom signifie dans leur langue « gens de l'intérieur ». D. — RACES ÉTRANGÈRES

On trouve encore à Madagascar des Indiens, des d'Ànjouan, la Grande Comore des créoles de et gens de Maurice et de la Réunion, et des Européens. Le total des créoles et des Européens de races diverses atteint un

millier au plus d'individus. Le total de la population malgache serait d'environ trois millions, d'après Grandidier, dont le quart à peine de race hova (1). Le nombre des étrangers est évalué à 2.000, dont la moitié de race blanche ou créole. Moeurs et coutumes des Malgaches.

Les moeurs et coutumes varient plus ou moins d'une race à l'autre, mais on peut en dégager certains caractères généraux à peu près communs à toutes les tribus. En général, les Malgaches sont de beaux hommes imberbes ; seuls les vieillards portent une assez longue barbe. Leur costume est fort simple et se compose de deux morceaux d'étoffe de coton, l'un enroulé autour des reins en forme de pagne et l'autre couvrant la partie supérieure du corps. Dans les grandes fêtes, ils portent le lomba, pièce d'étoffe chamarrée de fleurs aux couleurs vives. Les femmes sont jolies, en raison de la douceur de leur D'après M. Hanotaux, ministre des affaires étrangères, il y aurait près de 4 millions d'habitants. (1)


physionomie. Elles portent leurs cheveux tressés. Leur costume est plus compliqué que celui des hommes, car elles se couvrent la poitrine. Elles ont une tendance à la coquetterie et les femmes riches commencent à porter des robes : la conquête de l'île fournira à nos modistes un nouveau débouché. Les Malgaches ne sont pas un peuple constructeur ; ils se contentent d'habiter dans des cases dont les parois sont en joncs entrelacés et la toiture en feuillage ; le bois n'est employé que pour les perches de soutien et le cadre des portes et fenêtres. Ces cases, assez rudimentaires comme on le voit, ne comprennent généralement que deux pièces : la salle à manger-cuisine, et la chambre à coucher commune à toute la famille. Le mobilier, peu luxueux, se compose de nattes, de lits et de tabourets fabriqués a coups de hache. Comme ustensiles de cuisine des pots de terre, avec un grossier fourneau en briques. On se sert de feuilles de ravenale en guise d'assiettes et de verres, et de la fourchette du père Adam

par ailleurs. Les Hovas connaissent cependant l'usage de plats en bois et de gobelets en corne de boeuf, comme nos ancêtres les Gaulois, ainsi que de jarres pour contenir et conserver

l'eau. Le riz est la base de la nourriture. Comme les Asiatiques, les Malgaches le cuisent à l'étuvée et, plus heureux que les premiers, y ajoutent des légumes, des fruits, de la volaille, de la viande de boeuf et de sanglier, du poisson sur la côte ; le tout fortement épicé de poivre et de piment. Ils boivent, en guise de vin, de l'eau bouillie dans le vase qui a servi à faire cuire le riz et au fond duquel est restée la croûte. Cependant le vin, le rhum, le cognac ne sont pas méprisés des Malgaches, bien loin de là. Il n'y a que l'argent qui leur manque pour s'en procurer.


Leur religion est rudimentaire : ils croient, comme les Manichéens, aux deux principes du bien et du mal et à une seconde existence après la mort ; mais ils n'ont pas de temples. Ils ont un grand respect pour les sépultures, dont la violation est punie de mort. Le culte des ancêtres existe à Madagascar comme en Chine. On leur rend des honneurs et on leur sacrifie des boeufs. Les Malgaches ont beaucoup de superstitions, et, dans chaque village, on trouve un médecin-sorcier qui exerce la plus grande influence, de même que ses confrères du Sénégal et de toute l'Afrique ; il vend des grigris (amulettes ou talismans de toute espèce), que l'on porte au cou comme préservatifs. On retrouve à Madagascar la coutume du tabou des îles de l'Océanie par l'interdiction d'entrer dans une case en plantant un bâton devant la porte. Comme coutume particulière, signalons le fattidrah ou serment du sang. C'est un engagement que prennent deux personnes de s'aider réciproquement pendant leur vie, comme si elles étaient membres de la même famille. La cérémonie est assez compliquée et consiste surtout à faire avaler à chacun des deux contractants un morceau de gingembre imprégné du sang de l'autre, opération peu ragoûtante. La polygamie n'est pas un cas pendable à Madagascar ; le nombre des femmes est généralement en rapport avec la fortune et le rang du mari. Comme au Sénégal, la première épousée fait la loi aux autres. Le mariage n'est consacré par aucune cérémonie; c'est une association libre, sorte de collage comme, celui de nos faux ménages européens.

Les enfants sont, en général, respectueux pour leurs

parents. L'esclavage éxiste à Madagascar et la moitié de la popu¬


lation est l'esclave de l'autre. Ces excellents méthodistes. anglais, venus pour prêcher la Bible, et convertir les Hovas au christianisme, se sont bien gardés de chercher à détruire l'esclavage ; ils sont trop pratiques pour cela. Comme divisions politiques, les tribus se subdivisent en i villages, commandés par des chefs dont le pouvoir, comme celui de nos maires de village, est fort limité. Toutes les affaires d'intérêt général sont traitées par une assemblée ou kabar présidée par le chef et les anciens du village, for mant ainsi conseil municipal. Tout le monde a le droit d'assister au Avant les Hovas, il n'y avait pas de loi écrite, rien que la tradition orale. Comme chez les anciens Gaulois, on faisait les épreuves par l'eau, le feu et le poison. Cette dernière s'effectuait au moyen du suc de l'amande tanghin pilée, que le coupable avalait et qui le tuait neuf fois sur dix, avec d'horribles souffrances. Radama II mit fin à cet usage barbare d'une justice primitive. La propriété est aussi rudimentaire que la justice. Le sol appartient au roi et les propriétaires de terres ne sont que ses simples tenanciers. Aussi l'agriculture, sauf chez les Hovas, est fort arriérée, et la charrue et la houe sont des instruments inconnus. Ce sont les boeufs qui piétinent. la boue des rizières pour les préparer à l'ensemencement. L'industrie est à peu près nulle. Seul le travail du fer i est assez avancé, comme du reste dans la plus grande partie de l'Afrique. Le forgeron malgache n'a cependant qu'un outillage des plus primitifs. Le commerce d'exportation consiste principalement en gomme, ricin et en boeufs pour l'approvisionnement de Diégo-Suarez, Bourbon et Maurice. Comme monnaie d'échange, on ne connaît guère que la piastre d'Espagne à colonne et notre pièce de cent sous.

kabar.

:

:


La langue malgache indique l'origine des habitants de Madagascar et appartient à la grande famille des langues malaises. Il est plus que probable que les premiers autochtones de l'île étaient des nègres purs qui se sont mélangés avec des immigrants malais, plus intelligents, plus civilisés, et qui leur ont imposé leur langue. C'est avec l'idiome de Bali, dans la Malaisie, qu'elle offre le plus d'analogie. Qn

s'accorde à dire qu'elle est capable d'une grande énergie et possède une véritable beauté d'expression. Le verbe être de Latins, base de toutes les grammaires européennes, n'existe pas dans la langue malgache, et il faut le remplacer par un mode de structure particulier de la phrase. L'écriture est restée longtemps inconnue à Madagascar. Les Arabes y ont introduit leur alphabet, et leur littérature a par suite exercé une réelle influence. Comme cet alphabet ne pouvait rendre certaines prononciations, les Européens ont importé leur alphabet, qui résolvait mieux le problème ; à l'heure actuelle, les caractères latins sont universellement adoptés par les indigènes. La littérature malgache pure ne se compose que de chansons de noces ou de funérailles. Elle renferme beaucoup de proverbes et des fables plus ou moins puériles. Les Malgaches n'ont conservé aucune notion, aucun souvenir de leurs aïeux, et n'ont pas d'histoire. Comme tous les peuples dont le fond est de race noire, ils adorent la danse et la musique. Il est vrai que leur mélodie est grossière et leurs instruments de musique des plus élémentaires : c'est le tam-tam ou tambour creusé dans un tronc d'arbre et recouvert d'une peau, et le violon monocorde fait avec une moitié de calebasse. Avec cela on peut chanter, rire et boire, comme dit la chanson du docteur Grégoire. Ces concerts primitifs n'en causent pas moins un vif plaisir aux assistants. Le Malgache, comme tous les noirs, est encore un grand


palabreur. Retors et finaud, il en remontrerait souvent aux avocats blancs les plus huppés. Le Hova est surtout diplomate et emploie la tradition orientale : promettre toujours et ne jamais tenir. Nos diplomates en savent quelque chose. Somme toute, quoique bien plus intelligent que le nègre pur d'Afrique, le Malgache est paresseux, vit et pense, contentus sud sorte. Il vit au jour le jour, insouciant de caractère, sans penser à l'avenir. Il appartiendra à la France de développer la civilisation sur la grande île africaine par la suppression de l'esclavage et la constitution de la propriété, en même temps que, sur le plateau central, nous pourrons établir une race blanche qui prospérera, ainsi que dans le sud de l'île.


DEUXIÈME PARTIE HISTORIQUE DE L'ACTION FRANÇAISE A MADAGASCAR

CHAPITRE IV Tentatives de colonisation depuis Louis XIV jusqu'à la perte de nos colonies sous le premier Empire.

.Nous serons un peu concis dans la rédaction de

ce

chapitre, purement historique, et qui n'a d'autre intérêt que de faire connaître au lecteur les droits plus que séculaires de la France sur Madagascar. Sous Louis XIII. 1642. — Fondation, sous la protection du célèbre Richelieu, de la Société de l'Orient ou de Madagascar. Des

lettres patentes du roi Louis XIII lui accordaient le monopole du trafic avec l'Inde et « pour l'exploitation de la grande isle de Madagascar et isles voisines », à condition que la Compagnie en prît possession au nom du roi de France. La nouvelle Compagnie, à peine formée, envoya, en mars 1642, le vaisseau le Sain-Louis avec un petit noyau de colons qui fondèrent un premier établissement, au sud de l'île, dans la baie de Sain te-Luce.


Sous Louis XIV. 1643. — Louis XIV confirme les privilèges de la Compagnie le 20 septembre 1643. 1646. — La Compagnie envoie un deuxième navire, le Saint-Laurent, et abandonne l'établissement de Sainte-Luce

pour construire Fort-Dauphin. Le gouverneur de Pronis, par ses exactions et ses cruautés à l'égard des indigènes, soulève contre lui toutes les tribus voisines, qui viennent assiéger les Français. Ceux-ci se révoltent de leur côté contre le gouverneur, et un certain nombre de colons se séparent de lui et vont fonder l'établissement de Saint-Augustin, dans la baie de ce nom. 1648. — La Compagnie de Madagascar envoie un

nou-

veau gouverneur, de Flacourt, avec plusieurs vaisseaux,, bon nombre de colons et des missionnaires lazaristes pour évangéliser les Malgaches. Cependant, Flacourt est laissé, au bout de quelque temps, sans ressources et sans argent ; il cherche à exploiter les productions naturelles du pays, fait recueillir le bois d'aloès pour l'exportation et encourage la culture du riz. Mais ses plantations étaient dévastées à chaque instant par les noirs, ivres de vengeance ; malgré tous ses efforts pour faire la paix avec eux, ils l'attaquaient à chaque instant. De Flacourt était un homme intelligent qui avait été frappé des avantages qui découleraient pour la France de la possession de l'île. Il avait tout un plan de colonisation et rentra en France pour l'exposer et le faire accepter par la Compagnie ; mais, pendant son voyage pour revenir à Madagascar, son navire fut attaqué et pris par des corsaires algériens sur les côtes du Portugal, et lui-même périt dans cette affaire.


1660. — La mort de de Flacourt portait un coup fatal à

la colonie de Madagascar. Les Malgaches devenaient chaque jour plus hostiles, et un de leurs grands chefs, Dian Manange, qui avait embrassé le christianisme pour mieux nous tromper, tua un missionnaire et quarante Français surpris dans un champ à couper des cannes à sucre. Les colons furent obligés de se renfermer dans Fort-Dauphin. Toutes leurs plantations furent détruites et leur bétail enlevé. Restant assiégée et sans ressources, la population française diminua et la Compagnie, épuisée par les dépenses faites, ne put lui envoyer des renforts et des vivres. La période de sa concession étant expirée, une nouvelle concession de quinze années est d'abord accordée, par Mazarin, au duc de la Meilleraye. A sa mort, son fils rétrocède au roi, pour une somme de 20.000 livres, ses droits sur Madagascar. 1664. — Le grand ministre Colbert crée, en 1664, la grande Compagnie des Indes Orientales, au capital de 15 millions (aujourd'hui cette somme en vaudrait 80), et trouve tout de suite des souscripteurs parmi tous les courtisans de Versailles, qui voulaient ainsi faire leur cour au roi. Celui-ci s'était, en effet, inscrit le premier sur la liste pour une somme de 3 millions. Par son édit de 4664, Louis XIV concède à la Compagnie des Indes-Orientales « la grande isle de Madagascar » pour en jouir, ladite Compagnie, à perpétuité, en toute propriété, seigneurie et justice (août 1664). Le nom de SaintLaurent — nom primitif de Madagascar — est remplacé par celui d'Ile Dauphine, nouvelle dénomination qui ne

prévalut pas. Dès cette époque, le grand colonisateur Colbert avait compris que la puissance de la France dans l'Extrême Orient ne serait véritablement assise que le jour où nous serions fortement établis à Madagascar.


Nous n'avons plu% l'Inde, qui nous a été prise par les Anglais, à qui les Russes la reprendront un jour (c'est là notre doux espoir), mais nous avons la Cochinchine et le Tonkin, et la possession de Madagascar est d'une absolue

nécessité pour la France. 1665. — La nouvelle Compagnie des Indes-Orientales commence par envoyer de Brest à Madagascar une grande expédition qui comprenait : 4 navires fortement armés, portant 80 canons, 200 hommes d'équipage et 300 passagers, dont le tiers originaire de Lyon. Ces colons étaient choisis de manière à trouver parmi eux tous les éléments d'une colonie. On y comptait notamment : 3 apothicaires, 8 médecins (c'était peut être un peu excessif), 3 tanneurs (c'était trop peu pour une colonie qui voulait faire l'exportation des cuirs), 5 cordonniers, 8 bouchers, 8 charrons, 9 tonneliers, 14 boulangers, 15 charpentiers, 16 menuisiers, 17 forgerons, 18 laboureurs, 28 maçons, etc. Il y avait même deux ouvriers en soierie. La flotte était munie de munitions, linge, provisions, ustensiles de ménage et outils de toute sorte. En un mot, on n'avait rien négligé, ce qui fit l'admiration des contemporains. Et l'on ose soutenir que les Français ne savent pas colo-

niser !

La petite flotte arriva à Fort-Dauphin le 10 juillet 1665 et trouva cet établissement en piteux état. Tout était à peu près à faire, le port ne pouvait contenir que 4 bateaux, et

la ville, défendue par une simple palissade, ne renfermait qu'une chapelle en bois, la maison du gouverneur et quelques magasins de vivres avec une douzaine de mauvaises cases. Malheureusement, le gouverneur de la nouvelle expédition, de Beaune, au lieu d'être un chef sérieux, était un vieil alchimiste de 69 ans, qui avait passé sa vie en France à chercher la pierre philosophale et qui continua à la cher¬


cher à Madagascar : son administration fut déplorable et celle de son successeur ne fut pas meilleure. 1666. — Les indigènes nous étaient toujours hostiles. L'aventurier La Case, natif de La Rochelle qui avait épousé la fille d'un chef indigène, nous ménagea plusieurs milliers d'indigènes et de vassaux, repoussa les tribus hostiles, et put ainsi étendre notre influence sur une grande partie de la côte orientale de l'île. Il parvint jusqu'à la baie d'Antongil, où il construisit le fort Saint-Louis. 1667. — La Compagnie des Indes-Orientales, après avoir racolé une masse d'émigrants sur le pavé de Paris (nous avons donné le contenu d'une de ses affiches), envoie une nouvelle expédition. Elle comprenait 4 vaisseaux de guerre, 10 bâtiments de la Compagnie et 2.000 personnes, avec un gouverneur du roi et deux directeurs de la Compagnie. Le gouverneur, marquis de Mondevergue, fit de l'administration au lieu de faire de la colonisation, de sorte que les ressources furent dilapidées sans profit. Les vivres épuisés, il fallut, pour s'en procurer, faire la guerre aux Malgaches, qui redevinrent nos ennemis. Le gouverneur fut rappelé en France, où il mourut en prison. '1668. —R/assemblée générale des actionnaires de la Compagnie rétrocède au roi Madagascar, qui fait ainsi retour à la couronne. Infatigable, Colbert envoie une nouvelle flotte, plus forte que les précédentes et préparée avec le plus grand soin. 1670. — Elle part de Rochefort en 1670, et comprend 5 grands vaisseaux de ligne, 1 frégate, 3 flûtes (nos transports actuels), 1.000 hommes d'équipage et 4 compagnies du régiment de Royal-Marine. Voltaire a dit : « Il fallait un calculateur, ce fut un danseur qui l'obtint. » Ici, il fallait donner un chef colonisateur comme de Flacourt ; les intrigues de la cour de


Versaillesfirent désigner le lieutenant-général de La Haye, homme brave, mais renommé surtout par son habileté à jouer aux échecs. Colbert avait préparé l'expédition dans les plus petits détails et il avait fait embarquer une masse d'outils et d'instruments aratoires (haches, scies, brouettes, pelles, pioches, etc.), afin de pourvoir la colonie de tout ce qui était nécessaire pour la construction d'une forteresse et des maisons des colons. De La Haye trouva Fort-Dauphin dans un triste état. Il lui fallut faire, en pleine saison de pluies, une expédition contre un grand chef indigène. Elle nous coûta 3 tués, 4 blessés, mais beaucoup de malades. Les équipages de bateaux furent décimés par la fièvre et beaucoup d'officiers moururent. De La Haye, découragé, écrivit à Colbert qu'il fallait évacuer Fort-Dauphin et occuper la baie d'Antongil. 1672. — Il leva l'ancre avec sa flotte et se rendit dans l'Inde, abandonnant les colons de Madagascar à leur triste sort. 1674. — La lutte de ces derniers contre les indigènes continuait toujours, et, malgré leur bravoure, les Français, dont le nombre se réduisait chaque jour, devaient finir par succomber. Tenus assiégés dans les murailles de Fort-Dauphin, les survivants, sans vivres et presque sans munitions, s'embarquèrent au nombre de 63 sur un petit navire de commerce, le Blanc-Pignon, qui venait d'arriver, après avoir encloué leurs canons et brûlé leurs maisons, et ils se rendirent dans l'Inde. Plusieurs colons avaient quitté déjà Madagascar pour Bourbon, où il n'y avait pas d'indigènes hostiles. Les premiers colons de la Réunion viennent donc de Madagascar (1). 1

(1) Aujourd'hui, ce

Madagascar.

sont les habitants de cotte lie qui veulent coloniser


1688. — On ne renonça pas complètement à Madagascar. La possession nominale de l'île fut conservée et, en 1688,

un édit prononça sa réunion définitive à la couronne de France. Sous Louis XV. 1733. — L'ingénieur français de Cossigny, qui se trou-

vait à l'Ile de France, explore la baie d'Antongil, dans laquelle le gouvernement voulait créer un port de refuge. 1745. — La Bourdonnais envoie son escadre se ravitailler dans cette baie d'Antongil et lui-même s'y rend avant d'aller rejoindre Dupleix dans l'Inde. 1750. — Nous occupons l'île Sainte-Marie-de-Madagascar, qui nous est cédée par une princesse indigène, et nous y fondons un établissement. Toujours par la faute du gouverneur, qui maltraite les indigènes, les Français sont massacrés et la colonie détruite. 1751. — Nous reprenons possession de l'île Sainte-Marie, mais pour l'évacuer en 1761. 1753. — Le'comte de Mondave, gouverneur des Iles de France et Bourbon, prend possession du port de Fouipointe et essaye de relever les ruines de l'établissement de Fort-Dauphin. 1768-1769. — La cour de Versailles lui laisse le champ libre ; mais, un an plus tard, elle lui donne l'ordre d'évacuer complètement Madagascar. Sous Louis XVI. 1773.

— Le gouvernement de Louis XVI, qui avait repris

l'ancienne politique coloniale de la France, s'occupa de Madagascar. Le comte polonais Benyowski, qui s'était évadé du Kamtschatka, conduit par un navire français à l'Ile de France, fait un voyage à Madagascar et propose au duc


d'Aiguillon tout un projet de colonisation. Le duc l'accepte et lui donne le commandement d'une expédition. 1774. — Benyowski débarque dans la baie d'Antongil. La plupart des chefs de la côte orientale reconnaissent son autorité et des forts sont construits à Féneriffe, Foulpointe, Tamatave, Manahar et Antsirak. 1776. — Malgré l'opposition qu'il rencontra de la part des autorités de l'Ile de France, Benyowski lit des progrès rapides dans l'île, et, dans un grand Kabar (assemblée générale) des chefs de l'île, il fut proclamé roi de Madagascar, le 16 septembre 1776. Se considérant comme le chef de l'île, il s'embarqua, en décembre 1776, pour la France afin de conclure avec le gouvernement un traité pour l'exportation des produits de Madagascar et offrir son alliance. Malgré l'appui de l'Américain Benjamin Franklin, qui obtint qu'on lui décernât une épée d'honneur, Benyowski fut éconduit. Il alla, sans plus de succès, offrir son traité à l'Angleterre et à l'Autriche, et passa ensuite en Amérique, où il resta quelques années. Il ne retourna à Madagascar qu'en 1785, après dix ans d'absence. 1786. — Reçu avec enthousiasme par les chefs, Benyowsky, devenu un rebelle de la France, se déclare indépendant et fortifie le village d'Ambohirafia, où il s'établit. Une expédition est envoyée contre lui par le gouverneur de l'Ile de France. 60 soldats du régiment de Pondichéry donnent l'assaut au fort où Benyowski s'est enfermé avec 2 blancs et 30 indigènes. Il est tué d'une balle dans la tête, au moment où il pointait sur la petite colonne française une pièce chargée à mitraille. 1792. — Le gouvernement de Louis XVI envoie, comme commissaire civil, Lescallier, chargé d'étudier les moyens de rétablir les établissements français sur la côte de Madagascar.


Sous la République et le premier Empire. 1796. — La Convention confirma à Lescallier son officiel et affirma de nouveau les droits de la France.

titre

Lescallier revint sans avoir rien pu faire faute de moyens d'action, que la France, en guerre avec l'Europe entière, ne pouvait lui fournir.. 1801. — Bory de Saint-Vincent reçoit du premier consul la mission d'explorer la grande île africaine. Cet officier déclara que seule l'île de Madagascar pouvait donner à la France une position forte dans les Indes. 1804. — Sur l'ordre de l'empereur Napoléon, le gouverneur de Bourbon, le général Decaen, fait de Tamatave le centre des possessions de la France à Madagascar, et il envoie comme agent général Sylvain Roux, pour organiser les établissements, former les milices, construire des forts et des batteries, en un mot créer une véritable colonie française. 1811. — La colonisation était en bonne voie, quand l'Angleterre, s'étant emparée en 1810 de l'Ile de France et de Bourbon, envoya, en 1811, un navire de guerre devant Tamatave, qui dut capituler, la résistance étant impossible. Notre drapeau avait disparu de la grande mer des Indes. En résumé, de 1642 à 1811, la France, par droit de premier occupant, et seule de toutes les nations européennes, s'était rendue maîtresse de toute la côte orientale de l'île et de Sainte-Marie. Personne n'est venu lui disputer la possession dé ce territoire, et, en s'en emparant en 1811, comme de toutes nos autres possessions, l'Angleterre reconnaissait ainsi notre propriété.


CHAPITRE Y L'action de la France sons la Restauration et Louis-Philippe. Fondation du royaume des Hovas.

1814. — Par le traité de Paris (30 mai 1814), l'Angle- B

l'ar-

terre devait nous rendre Madagascar, en vertu de ticle VIII, ainsi conçu : « Toutes les colonies que possédait la France au 1er janvier 1792 lui seront rendues, à l'exception de Tabago, Sainte-Lucie, l'Ile de France et ses dépendances,

nommément Rodrigues et Les Seychelles. » Mais le gouverneur anglais de l'île Maurice, sir Robert Farqhar, comprenant l'importance de Madagascar, refusa% de la remettre au gouverneur français de Bourbon, affectant de la considérer comme une dépendance de l'Ile

de France, qui restait aux Anglais. Après un échange de notes diplomatiques entre Londres et Paris, le gouvernement anglais reconnut, par une dépêche en date du 18 octobre 1816, que la prétention de Farqhar n'était nullement fondée. C'est donc là une consécration officielle et absolue de nos droits sur. 4 Madagascar. Malgré les ordres de son gouvernement, le gouverneur 4 anglais refusa de s'exécuter, temporisa, noua des intrigues dans l'île et, quand il se crut sur du succès, déclara 4 purement et simplement que Madagascar était une terre 4 indépendante, et que les Français, aussi bien que les Anglais, avaient le droit de s'y établir. 1817. — Le comte Molé, ministre de la marine, répondit


en donnant l'ordre aux administrateurs de Bourbon de procéder à la reprise de Madagascar « avec le nombre d'hommes nécessaire pour faire respecter le pavillon français ». 1818. — Sylvain Roux repartit avec une petite expédition, et les commissaires français reprirent possession de Sainte-Marie le 15 octobre et de Tintingue le 4 novembre 1818, en présence de tous les chefs indigènes assemblés pour assister à la cérémonie. La goélette de guerre l'Amarante, envoyée dans les eaux de Madagascar, reprit possession de Fort-Dauphin. 1821. expé— Le 7 juin 1821, on envoya de France une dition de 70 colons pour Sainte-Marie. Ils étaient à peine installés depuis un mois, qu'une corvette anglaise fut envoyée de la colonie du Cap pour déclarer aux colons français que l'île de Madagascar était territoire indépendant, propriété exclusive de Radama Ier, roi de Madagascar, allié de la Grande-Bretagne, et qu'aucune nation européenne n'avait le droit de s'établir sur l'île. Entrée en scène des Hovas. .Avant de continuer notre précis historique, il convient de voir ce que c'étaient que ces Hovas, dont les Français ignoraient même le nom, et qu'ils n'avaient jamais trouvés sur leur route. Vers 1769, un voyageur français, Le Gentil, parle de l'existence de la tribu hova ; il nous dit que les Oves (sic) ont une espèce de ressemblance avec les Egyptiens et les Chinois dans les traits du visage et qu'ils pourraient peutêtre descendre des Arabes. Voilà de la logique, si je m'y connais bien ! D'où venaient donc ces Hovas ? C'étaient des émigrants de race malaise, comme nous l'avons dit plus haut, qui,


refoulés sur les hauts plateaux de l'Emyrne et d'Ankove, d'un sol relativement moins fertile que celui des plaines basses, mais d'un climat plus froid, devinrent forcément laborieux et s'occupèrent d'agriculture. Tout le secret de leur influence tient à leur supériorité morale et à la position stratégique de leur pays d'élection. Jusqu'à la fin du siècle dernier, les Hovas n'eurent aucune influence en dehors des hauts plateaux du centre. Ils vécurent ainsi, pendant près de neuf à dix siècles, paraît-il, à peu près inconnus au reste de l'île. Ils étaient divisés en tribus toujours en guerre les unes contre les autres, poussées par le pillage et par l'appât du gain. L'un de ces roitelets hovas, du nom de Dianampouine, ne possédait au début qu'un petit canton. Joignant la ruse à la force, il finit par soumettre sous son joug toutes les tribus hovas de la région d'Ankove. Des guerres heureuses avec les races voisines lui permirent d'agrandir son territoire, et à sa mort, en 1810, il laissait à son fils, Radama Ier, un petit royaume dont il avait fondé la capitale sous le nom de Antananarive, aujourd'hui nommée Tananarive. Radama continua l'oeuvre de son père : il descendit du plateau d'Ankove, fit d'abord la conquête des Antsianacs et des Retsileos. Radama devint ainsi le roi le plus puissant de l'île. Les Hovas, jusqu'alors peuple inconnu, étaient devenus une nation avec laquelle il fallait compter à l'avenir.

Politique astucieuse des Anglais. Quand les Anglais apprirent qu'une nouvelle puissance, celle des Hovas, s'élevait au centre de l'île, ils se tournèrent de. ce côté et, dès 1816, sir Robert Farqliar expédia à Radama un agent général, qui revint en 1817, après avoir signé avec lui un traité secret.


Radama, avec une armée de 25.000 hommes, envahit le territoire des Betanimènes (tribu des Betsimaracs), qu'il soumit sans difficulté, et s'empara de Tamatave. Après son triomphe, le roi hova reçut avec solennité, en 1817, un envoyé de l'Angleterre et signa avec lui un traité d'alliance et d'amitié. Il se promenait fièrement revêtu d'un habit rouge de général anglais et d'un chapeau à plumes, cadeau du susdit Farqhar. On voit poindre déjà la politique des Anglais, et l'on devine pourquoi ils s'étaient faits les alliés de Ramada et comment le souverain d'une tribu devint pour eux le souverain incontesté de Madagascar, au détriment des droits incontestables de la France. La ligne de conduite de la politique coloniale anglaise est unique ; elle consiste en ceci : quand l'Angleterre ne peut ou ne veut pas encore s'emparer d'un pays dont la possession est recherchée par une autre puissance, en un mot tant que la poire n'est pas mûre, elle fait comme le chien du jardinier. Elle pousse les habitants de ce pays à proclamer leur indépendance. Au nom de la philanthropie et de la civilisation, elle élève la voix en faveur de ce malheureux peuple, que l'on veut asservir ; elle le prend sous sa protection, l'inonde de missionnaires marchands de bibles et de toute autre chose, qui, au bout de peu de temps, après avoir soi-disant converti les indigènes, en deviennent les maîtres, la Bible d'une main et la trique de

l'autre. Si la puissance européenne veut passer outre, elle trouve les indigènes bien armés par les soins des Anglais, exercés par des instructeurs anglais, qui sont tout prêts à défendre leur territoire. C'est ce qui nous est arrivé à Madagascar. L'astucieux Farqhar est donc parvenu à ses fins, et ses successeurs n'ont eu qu'à suivre son exemple. Le premier agent


anglais mis par lui auprès de Radama était un sergent du nom de James Hastie. On lui accola un révérend méthodiste du nom de Jones, pour convertir les Hovas au protestantisme. 1822. — En réponse à notre prise de possession de Sainte-Marie-de-Madagascar, Radama Ier publia une proclamation déclarant nulles toutes les cessions qui auraient pu être faites à la France et qu'il n'aurait pas ratifiées luimême. Une armée de 3.000 hommes, avec un général hova, Hastie, un officier et quelques soldats anglais, vint planter le drapeau hova à Foulpointe. Notre commissaire, Sylvain Roux, n'avait pas de forces suffisantes pour reprendre notre territoire, et avait juste assez de personnel valide pour défendre Sainte-Marie contre une attaque possible. 1823. — Radama en personne, toujours accompagné par les Anglais, détruisit Foulpointe, Tintingue et Fondaraze. Le gouverneur ne put qu'adresser une protestation contre l'envahissement de nos possessions. Radama lui répondit que lui seul était maître à Madagascar, qu'il ne reconnaissait à la France ni à aucune puissance étrangère des droits à la possession d'un point quelconque de l'île, et qu'il permettait seulement aux étrangers de venir s'y établir. Quant au titre de roi de Madagascar, il le prenait, car seul, dans l'île, il était capable de le soutenir. 1825. — 4.000 Hovas se présentent devant Fort-Dauphin, défendu seulement par un officier et cinq soldats français, et s'emparent du fort après les avoir faits prisonniers. 1829. — Presse par le gouverneur de Rourbon de réparer l'insulte faite au pavillon, le Ministre de la marine, de Chabrol, envoya, le 28 janvier 1829, une petite expédition composée d'une division navale, 150 artilleurs, 90 fantassins blancs et 200 yolofs du Sénégal. Le capitaine de vaisseau Gourbeyre, commandant de


l'expédition, bombarda Tamatave et le prit d'assaut, mais éprouva un échec à Foulpointe, où nos soldats se présentèrent sans artillerie, avec des cartouches mouillées pendant le débarquement, devant un fort masqué à nos vaisseaux et défendu par sept pièces de gros calibre. Cependant, quelques jours après nous remportions un succès éclatant à Pointe-Larrée. Les Hovas, intimidés par nos victoires, manifestèrent l'intention de traiter, ne cherchant qu'à temporiser et gagner du temps. Sur ces entrefaites, survint la Révolution de 1830. Le gouvernement de Louis-Philippe, à plat ventre devant les Anglais, donna l'ordre, en 1831, d'évacuer Madagascar, ce que firent nos soldats devant les troupes hovas. On se contenta de garder Sainte-Marie, le seul lien qui reliait .encore Madagascar à la France. Madagascar sous Louis-Philippe. 1840. — Jusqu'en 1840, la France

paraît oublier une de ses plus vieilles colonies. Mais. un homme de grande valeur, l'amiral de Hell, gouverneur de Bourbon, prit sous sa protection la reine des Sakalaves, que les Hovas avaient chassée de ses Etats et qui s'était réfugiée dans l'île de Nossi-Bé. L'amiral notifia l'ordre aux Hovas d'avoir à respecter les populations qui s'étaient mises sous la protection de la France. En échange de ce grand service, la reine et les chefs sakalaves se reconnurent sujets français et signèrent, le 14 juillet 1840, l'acte de cession à la France des îles de Nossi-Bé et Nossi-Cumba et de tous leurs droits de souveraineté sur la côte occidentale de Madagascar, depuis la baie de Passandava jusqu'au cap Saint-Vincent.


1841. — Le roi de la province d'Ankara, de Nosy-Mitsiou

et des îles adjacentes faisait aussi la cession de son royaume, et le roi. de Mayotte nous en donnait la propriété. Dans l'arrêté de prise de possession de ces territoires, l'amiral de Hell affirmait les droits imprescriptibles de la France sur Madagascar. 1845. — En réponse, la reine Ranavalo, qui avait succédé à Radama, publia une proclamation qui fut lue à tous les étrangers résidant à Tamatave. Elle avait l'insolence de leur enjoindre « de prendre la loi malgache, c'est-à-dire de faire toutes les corvées de la reine, d'être assujettis à tous les travaux, même ceux que font les esclaves, d'être vendus comme esclaves en cas de dettes, de subir la loi du tanghin, d'obéir aux officiers et même au dernier des Hovas, de ne faire aucun commerce avec l'intérieur de l'île ». Quinze jours de réflexion étaient accordés aux traitants « pour accéder à la loi. Passé ce délai, leurs marchandises seraient pillées ou détruites et eux-mêmes embarqués sur le premier navire en rade ». Pour répondre à cet insolentultimatum, le gouvernement de Louis-Philippe ne trouva rien de mieux que de s'allier avec les Anglais, qui récoltaient cette fois ce qu'ils avaient semé, et une escadrille de trois navires (un anglais et deux français (bombarda Tamatave et jeta à terre des compagnies de débarquement qui refoulèrent les Hovas. Elles rentrèrent à bord avec une perte d'une vingtaine de tués, dont les cadavres restèrent sur le lieu de la lutte. Le lendemain, les têtes des Européens furent plantées sur la côte, au bout de sagayes, et y restèrent pendant une dizaine d'années, jusqu'au jour où un courageux créole (1) de Bourbon les enleva et les enterra pieusement. Louis-Philippe, hypnotisé par l'alliance anglaise, ne (1) Du

nom de Charles Jeannette.


voulut rien entreprendre contre Madagascar, laissant ainsi le champ entièrement libre aux Anglais. Ceux-ci surent en profiter. Plus experts que nous en matière coloniale, ils envoyèrent une flotte devant Tamatave, non pour attaquer de nouveau le drapeau hova, mais pour abaisser devant lui le pavillon anglais. Par mesure gracieuse, le gouvernement anglais, dont les sujets avaient vu leurs comptoirs pillés et brûlés, et qui avaient été expulsés comme des malfaiteurs, fit cadeau, comme dédommagement, de 15.000 bons dollars à la reine de Madagascar. Et nunc erudimini gentes ! Pendant dix ans, les Anglais s'aplatirent devant les Hovas, espérant se faire pardonner, à force de bassesses, les coups de canon de Tamatave. La République de 1848 ne s'occupa guère de Madagascar, ayant d'autres chats à fouetter. Quant à l'Empire, il devait imiter l'exemple de la royauté de Louis-Philippe, comme il sera aisé de le montrer.


CHAPITRE VI L'action de la France à Madagascar sous Napoléon III. — Intrigues et duplicité de sa bonne et fidèle alliée The old England.

Au moment où, en 1854, l'Empire faisait, pour le compte des Anglais, cette inepte guerre (au point de vue politique) de Crimée contre notre alliée naturelle la Russie, la soidisant alliée de la France, The old England, nous supplantait à prix d'argent à Madagascar. Elle obtint, en 1856, qu'un résident anglais reviendrait auprès de la reine des Hovas. 1856. — Il n'y avait pas un mois que les Anglais venaient de mettre le pied dans la grande île que 2.000 Hovas en-

vahissaient l'établissement d'un Français établi dans la baie de Bavatoubé, sur le territoire français de la côte occidentale. Notre compatriote et nombre de Sakalaves ses voisins furent égorgés et mutilés atrocement. Ranavalo fit tirer le canon pour célébrer sa victoire sur les Français, et elle en prévint le gouverneur anglais de Maurice. Celui-ci complimenta la reine sur sa victoire et promit de lui envoyer une frégate pour saluer son pavillon. C'était notre récompense d'avoir fait tuer ou blesser 100.000 Français à Sébastopol ; la dixième partie aurait suffi pour nous rendre entièrement maîtres de Madagascar. 1857. — Jusqu'en 1857, nous n'avons rien à signaler à Madagascar... du côté officiel. Mais deux bons Français, MM. Laborde et Lambert, établis à Madagascar, y avaient


acquis une situation prépondérante grâce au prince héritier Rakoto, dont Lambert était devenu le frère de sang. Ce prince, jeune et intelligent, souffrait de voir le vieux parti hova, hostile à la civilisation, régner en maître à Madagascar. Voulant y introduire l'élément européen, il écrivit à Napoléon III une lettre par laquelle il lui demandait son appui; elle fut remise à l'empereur par Lambert, envoyé dans ce but en France. Napoléon III, avec son indécision habituelle, fit d'abord bon accueil à l'envoyé du prince hova ; mais, pour ménager l'entente cordiale avec sa féale alliée, il envoya Lambert à Londres, où il vit lord Clarendon, premier ministre anglais. Celui-ci se dépécha d'expédier un agent de l'Angleterre à la vieille Ranavalo, qui l'effraya par l'annonce d'un complot tramé contre elle par son fils avec l'appui d'une armée française envoyée pour la détrôner. Quand Lambert rentra de France, la reine expulsa tous les Européens et fit procéder à des exécutions en masse à Madagascar. 1859 et 1860. — Le capitaine de vaisseau Fleuriot de Langle passa, avec tous les chefs de la côte occidentale, des conventions par lesquelles ces chefs cédèrent à la France tous les territoires situés sur cette côte et commandant le canal de Mozambique. 1861. — Ranavalo morte, Rakoto monta sur le trône sous le nom de Radama II. Son premier soin fut de rappeler Laborde et Lambert et de réformer les institutions du pays, en abolissant la peine de mort et l'épreuve du tanghin. Il décréta la liberté religieuse et accorda l'autorisation aux étrangers de séjourner dans tout son royaume. 1862. — Les Anglais avaient été les premiers à féliciter Radama en 1861, car ce ne fut qu'au commencement de 1862 que notre envoyé fut reçu à Tananarive. Radama avait envoyé Lambert, nommé duc d'Emyrne,


comme son ambassadeur à Paris, et celui-ci demanda nettement à Napoléon III de prendre le protectorat de Madagascar. Malheureusement, ce dernier refusa pour ne pas froisser nos bons amis-les-Anglais. Cependant, le capitaine de vaisseau Dupré fut envoyé à Madagascar pour représenter la France au couronnement de Radama, et il fut reçu avec tous les honneurs et toutes les distinctions possibles. Dupré signa, le 2 septembre 1862, un traité de commerce et d'amitié avec Radama. Dans ce traité, le souverain des Hovas est reconnu pour la première fois roi de l'île de Madagascar sous la réserve des droits de la France. De son côté, Radama accordait à la Compagnie de Madagascar la concession exclusive des terres situées sur la côte et dans l'intérieur. Par l'article II, la Compagnie avait le droit de choisir toutes les terres inoccupées qui lui conviendraient et d'en devenir propriétaire une fois qu'elle en aurait pris possession. Par l'article IV, les Français avaient la faculté d'acheter, de vendre, de prendre à bail des terres et des maisons. En définitive, l'influence française recevait une consécration officielle. Elle prenait la prépondérance et nous aurions eu le protectorat de fait, sinon de droit, avec un peu d'habileté de la part du quai d'Orsay. En effet, pendant toute la cérémonie du couronnement de Radama, l'envoyé français avait eu la préséance sur celui de l'Angleterre. Lambert quitta Madagascar quelques jours après la mission française, pour se rendre en France. Il y venait pour s'occuper de la fondation d'une grande Compagnie destinée à coloniser Madagascar. 1863. — Cette Compagnie fut constituée sous la dénomination de Compagnie de Madagascar. Foncière, industrielle


et commerciale, son fonds social était de 50 millions. Un décret de l'empereur, du 2 mai 1863, lui donna une existence authentique et légale. Mais les Anglais veillaient dans l'ombre. Furieux de voir Madagascar leur échapper, leurs prédicants excitèrent la haine du parti des vieux Hovas, les anciens conseillers de la cruelle Ranavalo. Radama fut assailli et, après une lutte dans laquelle périrent tous les jeunes mena mosos, ses quarante gardes du corps, il fut étranglé avec une écharpe. Fecit eut prodest. Le pasteur anglais Ellis avait été le principal instigateur du crime, et les sociétés bibliques anglaises manifestèrent avec lui une joie indécente. La veuve de Radama, Rosaherina, fut proclamée reine, et son premier acte de souveraine fut de déclarer nul le traité de 1862, à l'instigation de l'agent Ellis, qui n'avait reculé devant aucun mensonge et aucun argument pour obtenir ce résultat. 1866. — Napoléon III, au lieu d'envoyer à Madagascar une expédition, s'amusa à entrer en négociations avec les Hovas, pour aboutir, le 3 janvier 1866, à obtenir le paiement d'une indemnité de 906.184 fr. 21 c. Pendant ce temps, l'Angleterre et l'Amérique signaient des traités de commerce avec les Hovas, qui venaient de déchirer le nôtre. 1868. — Rosaherina mourut le 1er avril 1868. Elle eut pour successeur sa cousine Ramova, qui prit en montant sur le trône le nom de Ranavalo II, à la grande satisfaction des méthodistes anglicans. Leur influence croissait tous les jours, à tel point qu'ils firent déclarer le protestantisme comme religion d'État. 1868. — Les pourparlers du gouvernement français avec Ranavalo II aboutirent à un traité (8 août 1868) désastreux pour notre influence. Nous lui reconnaissions le titre de reine de Madagascar et, en échange, nous n'avions


que des concessions banales. Sans doute, l'article III donnait l'accès de l'île à nos missionnaires catholiques et l'article IV assurait à nos commerçants et colons une protection complète pour eux et leurs propriétés; mais ces conventions, quoique écrites, n'avaient aucune valeur avec un gouvernement qui nous était hostile, et il ne tarda pas à nous le prouver.


CHAPITRE VII Les démêlés de la République française avec la reine des Hovas. — Hostilité des missions bibliques et du gouvernement anglais. — 1870 à 1885.

Pendant la guerre de 1870-71, la France fut dénigrée auprès du gouvernement hova par les Anglais, qui la ^représentaient comme incapable de protéger la vie et les biens de ses nationaux. 1878. — Aussi, en 1878, à la mort de M. Laborde, notre ancien consul, laissant une succession évaluée à un million, les Hovas saisirent avec joie l'occasion de nous montrer leur hostilité en mettant le séquestre sur les biens du défunt. C'était une violation formelle du traité de 1868. 1881. — Devant nos protestations platoniques, la cour d'Emyrne fit paraître, le 29 mars 1881, la fameuse loi n° 85, par laquelle il était formellement stipulé que « la terre de Madagascar ne pouvait être ni vendue ni mise en gage entre les mains d'aucun individu non sujet de la reine. Les habitants du pays convaincus d'avoir violé cet article devaient être mis aux fers à perpétuité ; l'argent provenant d'un achat de terre malgache de même que les fonds prêtés sur un gage semblable étaient déclarés argent et fonds perdus ; quant au sol, il revenait de droit à la reine, son unique maîtresse ». C'était l'abrogation pure et simple du traité de 1868. Dans une de ses proclamations, la reine des Hovas avait déclaré que la mer devait être la limite de son royaume. Après avoir reçu, en juin 1881, la visite de l'amiral


anglais sir Gove Jones, elle envoie des drapeaux hovas aux chefs sakalaves de notre territoire, sur la côte en face de Nossi-Bé, avec ordre de les arborer. 1882. — Elle lit mieux, et, les 12 et 15 janvier 1882, elle envoya ses officiers planter eux-mêmes son drapeau sur le territoire soumis à la France. C'était là une nouvelle violation du traité. Ne pouvant obtenir satisfaction, notre consul, M. Boudais, quitte Tananarive le 16 mai 1882, en amenant notre pavillon. Nous commençons enfin à agir sous la pression de l'opinion publique. Le 16 juin, l'amiral le Timbre, chef de la station française de l'océan Indien, vint à Nossi-Bé et fit. abattre les mâts qui portaient le drapeau hova. Cette exécution terminée, il revint à Tamatave pour y attendre de nouvelles instructions. Employant une fois de plus le système qui avait toujours réussi jusqu'alors, la reine Ranavalo envoya en France des. ambassadeurs porteurs de propositions illusoires, qui ne cherchaient qu'à gagner du temps. Les hostilités avec les Hovas. — Le contre-amiral Pierre. Le contre-amiral Pierre fut envoyé de France, le 15 février 1883, par M. de Mahy, alors ministre de la marine, et des colonies, pour obtenir réparation. Le 16 mai, les Hovas étaient chassés de la côte nordouest et Majunga reprise de vive force. Arrivé à Tamatave le 31 mai, l'amiral faisait remettre, le 1er juin, l'ultimatum du gouvernement français au gouvernement hova. Au bout de dix jours, recevant une réponse négative, six bâtiments français ouvrent leur feu sur Tamatave. Les Hovas battent aussitôt en retraite, et, une demi-heure après, tout était nettoyé. La ville fut occupée militaire¬


ment le lendemain, et le drapeau français arboré sur le fort. Insolence anglaise. — Pendant le bombardement, la corvette anglaise la Dryad, commandée par le capitaine Johnstone, s'étant avancée dans la ligne de tir de l'escadre, l'amiral Pierre, pour la faire retirer, fut obligé de lui adresser d'abord deux invitations amicales, et, comme sir Johnstone faisait la sourde oreille, de lui envoyer une sommation formelle. « Il a obéi, raconte dans son rapport l'amiral Pierre, mais en se ménageant aux yeux des Hovas, à qui il avait promis de s'interposer, l'apparence d'une retraite en échelons. » Ah ! combien les Anglais auraient béni l'obus français, envoyé par un pointeur maladroit et venant frapper leur navire ! Nous les aurions trouvés cette fois en lutte directe devant nous. L'amiral Pierre fit occuper Tamatave. ; Ici se place l'incident du pasteur anglais Shaw. Ce digne révérend demanda, pour sauvegarder sa maison, située en dehors de la ville, un détachement français Quand celui-ci arriva, il trouva dans le jardin du pasteur méthodiste plusieurs bouteilles de vin empoisonné. Arrêté aussitôt, Shaw fut transporté sur un navire français ; mais les Anglais firent tant de démarches que le gouvernement français paya à Shaw 25.000 francs d'indemnité et désavoua l'amiral Pierre de son attitude énergique vis-à-vis du commandant anglais Johnstone. En réponse à l'occupation de Tamatave, les Hovas expulsèrent tous les Français de Tananarive. Hommes, femmes, enfants durent faire 400 kilomètres à pied, dans un pays où il n'y a pas de routes frayées, les porteurs ayant, par ordre, refusé leur concours. L'amiral Pierre, écoeuré, tomba malade et demanda à rentrer en France ; il mourut avant d'avoir revu la patrie.


C'était un homme de coeur et de tête, un Breton de la vieille roche, et sa mort fut une véritable perte pour notre pays. Les Hovas vinrent nous attaquer infructueusement pour nous reprendre Tamatave, les 17 et 26 juin et le 31 juillet. Ils déployèrent une grande bravoure, mais subirent des pertes considérables. L'amiral Pierre, avant son départ, avait demandé des renforts ; on lui avait envoyé un bataillon d'infanterie de marine et une compagnie de marins fusiliers. On formait à la Réunion un bataillon de volontaires. C'était à peine suffisant pour occuper quelques points de la côte.

Le contre-amiral Galibert. Avec le peu de forces dont il disposait, le successeur de

l'amiral Pierré, le contre-amiral Galibert, ne pouvait absolument rien faire. Il se contenta de suivre les instructions du gouvernement : débarrasser la côte nord-est des postes hovas et soutenir les Sakalaves. Il avait plein pouvoir de traiter aux conditions suivantes : 1° Reconnaissance du protectorat de la France sur la ; partie nord-ouest de 2° Faculté pour les Français d'être propriétaires à Mada-

l'île

gascar

;

3° Paiement d'une indemnité d'un million.

Pour appuyer ces demandes, il ne pouvait que bombarder de nouveau les postes de la côte, ce qu'il fit du 26 octobre au 19 novembre. Il navigua tout autour de l'île, envoyant des obus à Manabou, Vohemar, Manourou, Mahela, Benanorémana et Fort-Dauphin. Ces bombardements inutiles ne démolissaient que des cases sans valeur, les Hovas se sauvant à l'abri derrière, les montagnes dès l'apparition de nos bateaux.


Ils essayèrent cependant une attaque sur Majunga le 12 novembre, comme riposte à notre bombardement, et ils furent naturellement repoussés. Ils firent semblant d'entrer en négociations, mais tout simplement pour gagner du temps, selon leur invariable habitude, car ils manifestèrent la volonté de ne céder aucun pouce de l'île et de ne pas modifier leurs lois en faveur des étrangers. Les pourparlers durèrent jusqu'en avril 1884, date où les négociations furent rompues devant leur obstination et leur ténacité. 1884. — Le 24 mars 1884, la Chambre des députés votait, par 437 voix contre 26, l'ordre du jour suivant : « La Chambre, résolue de maintenir tous les droits de la France sur Madagascar, renvoie à une commission spéciale, qui sera nommée dans ses bureaux, l'examen des crédits demandés, et passe à l'ordre du jour. » :

Le contre-amiral Miot. Le contre-amiral Miot, qui venait de remplacer Galibert, porta cet ordre à la connaissance de la cour d'Emyrne, lui

faisant connaître que « le gouvernement de la République était résolu, pour terminer les affaires de Madagascar, à ne reculer devant aucun moyen ». Worlds, worlds ! « Des mots, des mots ! » comme disent les Anglais. L'amiral Miot posait en même temps les bases du traité qu'il avait la prétention d'imposer aux Hovas : 1° Le droit de propriété assurant aux Français tous les avantages de l'article IV du traité de 1868 ; 2° Trois millions d'indemnité pour nos nationaux ; 3° Réparations des dommages causés à tous les étrangers

par le conflit actuel.

Cet ultimatum, lancé sans rien pour le soutenir qu'un


nouveau et inutile bombardement de Vohemar, ne fit au-; cune impression sur les Hovas. Comme disait un de leurs, ministres : « Les Français sont des chiens qui aboient, mais qui ne mordent pas. » Et nous restâmes à nous regarder avec les Hovas comme des chiens de faïence, sans bouger ni les uns ni les autres. Il faut dire, à la décharge du cabinet Jules Ferry, que.; nous étions absorbés à cette époque par l'expédition du, Tonkin, qui durait depuis deux ans déjà, et qu'il nous était impossible d'avoir à la fois sur les bras les Chinois et les Hovas. Le ministère était déjà fortement attaqué au sujet du Tonkin et finit par être renversé à propos de l'affaire de Lang-Son. M. de Freycinet. 1885. — M. de Freycinet commença par rappeler en France, en disgrâce, notre consul, M. Boudais, dont le tort

(grave à ses yeux) était d'avoir déclaré que la seule solution du conflit était l'acceptation du protectorat de la France par le gouvernement malgache. Pour motiver le rappel de M. Boudais, on prétexta qu'il avait, de son autorité privée, entamé des négociations avec le premier ministre malgache par l'intermédiaire d'un certain Maigrot, sujet anglais de Maurice et consul d'Italie à Tamatave. Mais, en même temps, M. de Freycinet s'abouchait avec deux Anglais : Parret, un ami du premier ministre hova, et Procter, consul de Madagascar à Londres. Naturellement, les confidences intempestives de notre ministre des affaires étrangères français furent vite connues à Tananarive. M. de Freycinet fit alors appel au concours de M. Patrimonio, consul général à Beyrouth, qui n'était pas très au


courant de la question malgache, et il l'envoya pour se mettre à la disposition de l'amiral Miot, qui reçut l'ordre formel de rester sur la défensive et de ne rien tenter contre les Hovas. Nous eûmes alors le magnifique combat de M. le capitaine Pennequin, qui, avec 120 hommes (70 Sakalaves et 50 marsouins), mit en fuite 2.000 Hovas après leur avoir tué plus de 100 hommes (25 août 1885). Quelques jours plus tard, le 10 septembre, l'amiral Miot attaqua les lignes fortifiées de Farafate. Les Hovas tinrent bon derrière leurs ouvrages en terre, et l'amiral ne put pas lancer ses troupes à l'assaut. Après un bombardement inutile, la colonne d'attaque avait été arrêtée par un marais qu'une reconnaissance mal.faite n'avait pas su découvrir. Ce combat, dans lequel il n'y avait ni vainqueurs ni vaincus, mais où l'avantage était resté en somme aux Hovas, eut du moins le mérite d'amener une solution, les deux partis étant fatigués de la lutte. M. Patrimonio put enfin traiter à Tamatave avec les négociateurs hovas : un fils du premier ministre et un aventurier anglais, le sieur Digby Willougby, instructeur et général des troupes malgaches. Ce fut un tort d'accepter un pareil négociateur ; et, pardessus le marché, le ministre donna la croix de la Légion d'honneur au sieur Willougby. -

Le traité Patrimonio-Miot de 1885. Le gouvernement français proposait le protectorat de la France aux Hovas. Mais les négociateurs, ne pouvant obtenir que le mot « protectorat » fût écrit dans le traité, le rayèrent et, d'après les instructions de M. de Freycinet, renoncèrent également à la possession des


mouillages des côtes nord-est et nord-ouest compris entre Vohemar et la baie de Mourounsang. Il était, par contre, stipulé que le gouvernement de la République représenterait Madagascar dans toutes ses relations extérieures, qu'il occuperait la baie de DiégoSuarez pour y installer des établissements et que le gouvernement lui paierait 10 millions pour les victimes de la guerre. En outre, un résident général français devait s'installer à Tananarive avec escorte militaire. Un double traité, en malgache et en français, donna une consécration à ces stipulations. Ce traité, du 17 décembre 1885, n'avait de valeur que par la manière dont nous saurions le faire appliquer et surtout le faire respecter. Le mot « protectorat », non inséré dans le traité, n'aurait pas. constitué une reculade si nous avions eu un résident général avisé, ayant la chose et non le mot, et qui eût été pourvu d'une escorte suffisante pour en faire respecter la teneur. 1886. — Il fut ratifié en février et mars 1886 à la Chambre et au Sénat et inséré le 7 mars à l'Officiel. Au moment de le signer, le premier ministre hova demanda des explications sur l'article II, au sujet du résident français qui présiderait aux relations extérieures de Madagascar. Il en demanda également sur l'article III, stipulant que le résident serait installé à Tananarive avec une escorte militaire, et sur l'article XV, où le gouvernement de la République se réservait le droit d'occuper la baie de Diégo-Suarez et d'y faire des installations à sa convenance. MM. Miot et Patrinionio eurent le tort grave de s'engager par écrit, dans une lettre-codicille, à ce que le résident n'eût le droit de s'ingérer que dans les affaires ayant un caractère de politique extérieure, et que l'escorte ne


dépassât pas 50 fantassins .ou cavaliers, avec interdiction pour elle de pénétrer dans l'intérieur du palais royal. Poussant encore plus loin leurs concessions regrettables (que jamais aucun Anglais n'aurait osé faire pour son gouvernement), les négociateurs assurèrent que l'étendue du territoire de Diégo-Suarez ne dépasserait pas un mille et demi (2k,800) dans le sud de la baie et 4 milles (7k,500) dans le nord. Sur ces déclarations écrites, le premier ministre signa le traité. Quant au gouvernement français, il ne voulut point soumettre cette lettre à la ratification des Chambres et la considéra comme nulle et non avenue : elle n'avait par suite aucune valeur diplomatique.


CHAPITRE VIII L'action de la France à Madagascar depuis le traité de 1885. — Nos résidents généraux : Le Myre de Vilers, Bompard, Larrouy. — La situation actuelle. — Causes de la guerre avec les Hovas.

Nos résidents généraux à Madagascar. LE MYRE

DE VILERS

(1886-1889). — Notre premier rési-

dent général fut Le Myre de Vilers, ancien gouverneur de la Cochinchine, où nous l'avons connu personnellement, homme d'une haute intelligence et d'une grande valeur, habitué aux roueries et aux finesses de la diplomatie des peuples de race jaune. La France entière sait la manière habile dont il a terminé, récemment, le conflit franco-siamois, d'où pouvait sortir une guerre avec l'Angleterre. Au moment de sa nomination à Madagascar, M. Le Myre de Vilers avait quitté, depuis 1882, le gouvernement de la Cochinchine, où il avait accompli de nombreuses réformes au point de vue des lois du pays, créé la ligne des paquebots fluviaux et commencé la construction du chemin de fer de Mytho à Saigon. Il avait laissé la réputation d'un habile gouverneur, intègre, très actif, tenant bien son gouvernement dans la main, ayant obtenu du roi du Cambodge, notre protégé, tout ce qu'il était possible d'obtenir sans amener un conflit. C'est un homme d'une rare indépendance de caractère qui avait préféré quitter son gouvernement que de plier devant certains ordres du ministre de la marine.


rascal Willougby remettre au ... la croix de la Légion d'honneur. A peine installé à Tananarive, il eut de graves difficultés à résoudre et ses débuts furent heureux. .La première fut l'affaire du sieur Kingdon, méthodiste anglais, qui avait obtenu du premier ministre un contrat par lequel il prêtait 20 millions au gouvernement hova, à 7 p. 100 d'intérêt, et recevait en retour le privilège d'une banque d'Etat avec émission de billets et concession de la frappe de la future monnaie malgache. Cette somme devait payer la France et fournir en outre .des armes aux Hovas. Ajoutons que M. Kingdon avait aussi le droit de percevoir à son profit les droits de douane établis à MadaA Madagascar, il refusa de

gascar. C'en était fait du peu d'influence de la France si nous

laissions les Anglais mettre leur main crochue sur les finances de Madagascar. Notre résident général comprit le danger, s'opposa formellement à la réalisation du traité Kingdon et déclara que Tamatave ne serait pas évacué tant que nous n'aurions pas satisfaction. Il y eut lutte entre lui et le premier ministre, qui soutenait la thèse que le traité de 1885 nous interdisait toute immixtion dans les affaires intérieures de Madagascar. Le Myre de Vilers tint bon et finit par faire prêter par le Comptoir d'Escompte de Paris la somme de 15 millions remboursable en vingt-cinq annuités et portant intérêt à 6 p. 100.

La superficie de notre colonie de Diégo-Suarez constituait le deuxième point litigieux. Nous avons vu que ce traité nous donnait le droit d'y créer des établissements à notre convenance. Le premier ministre s'en rapportait tout simplement à la fameuse lettre explicative Miot-Patrimonio, qui fixait à 1 mille et


demi dans le contour d'est et ouest et à 4 milles dans le nord de la baie l'étendue de notre terrain. Le Myre de Vilers refusait d'accepter cette interprétation ; tenant la lettre comme nulle et non avenue, il déclarait que le traité seul devait faire foi et n'accepterait aucune base de négociation en dehors. Ce conflit d'interprétation fut long et pénible. Notre résident général réclamait 24 kilomètres d'étendue dans le sud (au lieu de 3 seulement), qui lui paraissaient nécessaires pour fournir l'eau et les vivres à la colonie. Une mission franco-malgache fut envoyée pour régler la délimitation et revint sans avoir pu tomber d'accord. Ce fut là un succès incontestable pour M. Le Myre de Vilers, car, depuis août 1886, le gouverneur de DiégoSuarez a continué à étendre peu à peu son territoire, qui se prolonge actuellement jusqu'à 40 kilomètres. Battu deux, fois de suite, le premier ministre prit sa revanche dans une troisième question, qui a donné naissance au conflit actuel. Ile s'agit du différend sur l'exequatur. On sait que l'exequatur est la permission qu'un gouvernement régulièrement établi donne à un consul étranger d'exercer sur son territoire les fonctions qui lui sont con— TT n ti\\nu ftorim'i» lo.mf.Tlt. t ferées par son propre gouvernement. Le plus generalement, on donne au consul une lettre patente du chef du gouvernement, contresignée par le ministre des affaires étrangères. Or, à Madagascar, en vertu du traité de 1885, le ministre des affaires étrangères n'est autre que notre résident

général. Aussi M. Le Myre de Vilers exigeait que la demande d'exequatur passât par ses mains, tandis que le premier ministre émettait la prétention que la reine Ranavalo recevrait la demande des consuls étrangers et leur délivrerait directement ledit exequatur sans aucune intervention de notre part. C'était, par le fait, nous imposer, d'une manière


détournée mais formelle, la reconnaissance de la malencontreuse lettre Miot-Patrimonio. Il y eut une véritable joute entre les deux diplomates. D'abord les gouvernements de l'Angleterre et de l'Amérique reconnurent le bien fondé des réclamations du gouvernement français, qui voulait que l'exequatur passât par le canal de notre résident général, à qui les consuls devaient le demander directement. Mais le premier ministre ne répondit même pas à la lettre par laquelle M. Le Myre de Vilers lui transmettait la demande des consuls anglais et américain. Notre résident, ne pouvant avoir raison de l'obstination du premier ministre, donna l'ordre à son escorte d'évacuer Tananarive et annonça au gouvernement hova qu'il cessait toute relation diplomatique et qu'il allait en référer à son gouvernement. Cependant, le lendemain, il rappela l'escorte et reprit ses négociations avec le premier ministre. Ces négociations aboutirent à un accord verbal qui ne précisait rien, en sorte que la question soulevée n'était pas résolue. En résumé, nous avions perdu la partie, et cela faute .... d'une escorte suffisante. Si notre résident avait eu sous ses ordres un millier d'hommes et une batterie d'artillerie, il aurait pu parler en maître ; mais, avec 50 pauvres marsouins, il était en somme le prisonnier diplomatique des Hovas.

Le gouvernement français ne voulut point ratifier l'accord verbal et l'affaire est encore à régler. Cependant, malgré l'échec de notre diplomatie, les Anglais sentaient que notre situation finirait par se consolider. Ils usèrent alors d'un procédé dans lequel ils sont passés maîtres : nous fûmes attaqués d'une manière inqualifiable par la presse anglaise de Madagascar, qui mena contre la France une campagne de diatribes et de calomnies. De plus,


les commerçants anglais de Madagascar nous suscitèrent des embarras de toute sorte. 1888. — Le Myre de Vilers, qui avait pris un congé de six mois pendant lequel l'intérim avait été exercé par M. Larrouy, résident adjoint, revint à son poste à la fin de 1888 (novembre). Il s'occupa beaucoup, pendant son second séjour, de toutes les questions qui pouvaient intéresser l'avenir de Madagascar. Travailleur infatigable (et nous l'avons connu tel en Cochinchine), il prêchait d'exemple et il exigeait de ses subordonnés des efforts considérables. Il avait au plus haut degré le sentiment profond de la responsabilité, qui seul fait les bons administrateurs, et c'était à la suite d'un regrettable malentendu qu'il avait dû quitter le gouvernement de la Cochinchine. Aussi tous ceux qui ont servi sous ses ordres — et nous nous honorons d'être du nombre — sont restés ses amis dévoués et fidèles, car il a su rendre justice à tous ceux qui ont voulu le seconder sans arrière-pensée. Son deuxième séjour ne fut que de quelques mois, car il partit en juillet 1889. 1889. — Avant son départ, il avait fait envoyer par la reine une expédition hova contre les Mahafalos de la côte sud-ouest, qui pillaient les commerçants européens. Cette expédition échoua piteusement. BOMPARD (1889-1892). — Notre deuxième résident général fut M. Bompard, un diplomate de la jeune école, qui répondit aux flatteries du premier ministre par des procédés de même valeur. Il fut d'abord favorisé par les circonstances ; tout était à la paix, et le gouvernement hova ne s'occupait plus que de réparer l'échec de sa précédente expédition. 1890. — Une nouvelle expédition d'un millier de Hovas, transportée sur un vapeur anglais, débarqua à l'impro¬


viste à Tular, sur la côte sud-ouest, et mit les Sakalaves à la raison. Les Hovas installèrent de suite, un poste à Tular, ce qui rendit la sécurité à notre établissement de Nossy-Vey. Petit à petit, notre influence prenait pied, des concessions avaient été accordées à nos nationaux, quand l'ar.rangement conclu entre la France et l'Angleterre à propos de Zanzibar vint remettre sur le tapis l'éternelle question du protectorat. Nous reconnaissions aux Anglais leur protectorat sur Zanzibar, et ils reconnaissaient le .nôtre sur Madagascar. Les Hovas crurent que tout était perdu et commencèrent ; à construire des fortifications sur la route entre Tamatave et Tananarive, après avoir évacué les armes et munitions de la côte en lieu sûr. Après cette alerte, la question malgache retomba dans -le statu qu-o. Une fois notre protectorat reconnu par les Anglais, il fallait en tirer un parti immédiat et exiger : 1° que l'exequatur passât dorénavant par les mains du résident général; 2° que les agents du gouvernement anglais ne traitassent plus directement avec la cour d'Emyrne. Leurs correspondances devaient passer par l'intermédiaire du résident général. Le gouvernement anglais ne pouvait point se refuser à accéder à nos justes demandes, mais il excitait sous main, par les agissements des méthodistes, les Hovas contre nous. Aussi le premier ministre refusa nettement de reconnaître nos droits, et opposa l'inertie la plus absolue. Il avait sa colique diplomatique toutes les fois que notre résident voulait régler avec lui ces questions. Elles sont encore en suspens. Il en résulta que les Anglais reprirent courage et refusèrent de placer les sujets anglais à Madagascar sous la


juridiction française, ce qui était une conséquence naturelie de notre protectorat. Notre situation dans l'île, au lieu de s'améliorer, était donc devenue plus mauvaise. 1891. — Pendant que notre résident luttait en vain contre le premier ministre, celui-ci se préparait à la guerre et faisait en Europe de grandes commandes d'armes et de munitions. Sur la côte, les gouverneurs reçurent comme instructions de mettre leurs postes en état de défense, et, au lieu de résister à une attaque de notre part, de se retirer dans l'intérieur sur une position fortifiée, à 3 ou 4 lieues de la côte, et d'y attendre notre attaque. Le premier ministre, en homme intelligent et selon les données d'une bonne tactique, se disait que, contre nos pièces de gros calibre de la marine, les Hovas étaient impuissants, mais que, dans l'intérieur, nos canons de débarquement devenaient à leur tour impuissants contre une solide position garnie d'ouvrages à fort relief, construits sur les plans des Anglais. 1892. —M. Bompard, ne pouvant aboutir à aucun résultat pratique, partit en 1892. L'intérim, pendant son absence, fut. rempli par M. Lacoste, qui voulut essayer de prendre le gouvernement hova par la douceur, mais qui échoua complètement. M. LARROUY (1892-1894). — Le dernier résident fut M. Larrouy, nommé en octobre 1892 et qui clôt la liste des résidents. Il a fait preuve, en ce poste difficile, de bon sens et de sang-froid. On ne connaît pas les termes des instructions qui lui ont été données, mais il borna son rôle à ne provoquer aucun conflit et se contenta de fournir au Ministre des affaires étrangères les renseignements les plus exacts sur notre situation à Madagascar.


La situation actuelle.

Causes de la guerre avec les Hovas.

Un homme de grand talent, diplomate de carrière, dont la parole a été écoutée pour les affaires de Siam et dont le grand sens pratique et le patriotisme éclairé sont aujourd'hui universellement reconnus, notre Ministre des affaires étrangères, M. Hanotaux, a résumé admirablement la question de Madagascar dans son discours prononcé à la Chambre des députés le 13 novembre dernier. Ce discours est d'une lucidité remarquable et il présente sous son vrai jour la question de Madagascar ; à ce titre, nous le reproduisons in extenso, car le lecteur y trouvera l'explication de la conduite de notre Ministre des affaires

étrangères. LA QUESTION DE MADAGASCAR

Discours du Ministre des affaires étrangères.

ministre les affaires étrangères. — Par une série de télégrammes, dont le dernier nous est parvenu samedi, M. Le Myre de Vilers a prévenu le gouvernement de la République que la mission qui lui avait été confiée n'avait pas abouti et qu'après avoir pris les mesures nécessaires pour assurer le retour à la côte de nos nationaux, il était rentré à Tamatave, où il attendait nos instructions. L'heure est venue d'exposer à la Chambre et au pays les motifs qui ont déterminé le gouvernement à confier, dans les premiers jours de septembre, à M. Le Myre de Vilers, la mission qui vient de prendre fin, et l'heure est venue également d'exposer à la Chambre et au pays les suites que l'affaire comporte. On peut dire que, depuis que la France a jeté les yeux hors de l'Europe et a songé à se créer des possessions coloniales, elle s'est attachée a Madagascar, qui a été l'objet des premières espérances et des premiers efforts de ses hommes d'Etat et de ses marins. La crise qui a abouti à la campagne de 1883-1885 est le dernier chapitre d'une histoire de trois siècles. A la suite de cette campagne fut signé le traité du 27 décembre 1885, M. HANOTAUX,


qui, à l'heure actuelle, régit, ou du moins devrait régir, nos relations avec Madagascar. (Très bien ! très bien !) Les clauses de ce traité nous assuraient, à Madagascar, une situation prépondérante en vertu d'une formule usitée généralement pour établir le protectorat. Voici le texte do l'article premier : « Un résident, représentant le gouvernement de la République, présidera aux relations extérieures de Madagascar ; il résidera à Tananarive avec une escorte militaire ; il aura droit d'audience privée et personnelle auprès de S. M. la reine. » Il est vrai qu'un article suivant ajoutait que S. M. la reine de Madagascar continuerait comme par le passé de présider à l'administration intérieure de l'Ile, et qu'il était également stipulé que le résident général ne devait pas s'immiscer dans l'administration intérieure. Il n'en restait pas moins que notre résident avait une autorité protectrice non seulement sur nos nationaux, mais aussi sur les étrangers venus dans l'île qui recouraient à lui pour la défense de leurs personnes ou de leurs intérêts. Cela résultait dos termes identiques employés pour définir l'autorité de la reine à l'intérieur et celle de notre résident en ce qui concernait les relations extérieures. Ce traité a été discuté et critiqué à des points de vue divers. A peine était-il signé que les contractants hovas en donnaient, dans une lettre, une interprétation qui en restreignait la portée. Je me hâte d'ajouter que cette interprétation n'a jamais été ratifiée par le gouvernement de la République, aux yeux duquel elle est sans aucune valeur, et que nous avons toujours demandé qu'on se renfermât dans l'application scrupuleusedu traité de 1885. Le gouvernement de la République espérait trouver, dans ce traité, le moyen d'établir une entente et une collaboration féconde pour l'amélioration des rapports entre les deux pays et pour la civilisation de la grande île africaine. D'ailleurs, tous les avantages n'y étaient pas uniquement réservés à la France : le gouvernement hova en avait sa part. En effet, pour la première fois son autorité s'étendait à l'île tout entière, car nous renoncions au protectorat que nous exercions de longue date sur divers points ; et c'est ainsi que ce gouvernement a pu acquérir, à l'ouest notamment, un pouvoir qu'il n'avait pas jusqu'ici. D'autre part, nous nous engagions à défendre le gouvernement hova contre les agressions et à envoyer dans l'île des officiers instructeurs, des ingénieurs et dos professeurs. Que voulions-nous obtenir par ce traité ? Le protectorat de l'Ile, et c'est pour cela que nous avons occupé Diégo-Suarez, dans la ferme intention de vivre en bonne harmonie avec le gouvernement hova et de développer le commerce de l'île. Des instructions furent données dans ce sens au premier résident


général, M. Le Myre de Vilers, et à ses successeurs, M. Bompard, M. Lacoste et M. Larrouy. S'inspirant toujours de ces vues, le gouvernement de la République a offert longtemps l'exemple de la prudence et de la patience, quelquesuns disent : de la longanimité. (Très bien ! très bien !) Voix diverses à gauche. — De la faiblesse. pendant ces neuf années, aucun progrès sérieux n'a été accompli ni pour la collaboration ni pour la civilisation. On n'a fait que piétiner sur place. politique du gouvernement hova a consisté uniquement à éluder le traité en déclinant nos bons offices, et les relations ne se sont maintenues que grâce à notre inexplicable... inaltérable patience. (Très bien ! très bien !) Nos résidents, qui n'avaient pas d'autre moyen d'action que la parole, ont rempli avec un entier dévouement une mission qui n'était ni sans difficultés ni sans péril. Je vais appeler votre attention sur les deux points où ils ont épuisé leurs efforts.. Je crois avoir démontré que le traité, dans son article premier, qui en est l'essence, assure l'autorité de nos résidents sur les relations extérieures. Mais jamais le gouvernement hova n'a consenti à exécuter cet article. JE n'entretiendrai pas la Chambre de toutes les difficultés auxquelles donné lieu cette question de l'exequatur, qui n'est pas une question a de forme, mais de fond. La question de l'exequatur se résume ainsi : les puissances, reconnaissant la situation de droit créée à notre profit par le traité de 1885, s'adressaient à notre résident général pour obtenir par son intermédiaire le document initial accréditant leurs représentants et les autorisant à exercer leurs attributions dans l'île. Notre résident général transmettait leurs demandes au gouvernement hova ; or, celui-ci a toujours refusé de donner suite aux demandes présentées sous cette forme. Par suite de ce refus, .Madagascar s'est trouvé depuis huit ans dans une véritable anarchie, au point de vue des relations extérieures. Cest là le fait qui domine l'histoire de nos relations avec le gouvernement hova depuis huit ans, la cause première de nos difficultés. Pas de représentation étrangère, cela veut dire pas de sécurité pour .les étrangers dans un pays à peine sorti de la barbarie. Les faits déplorables qui se sont multipliés depuis lors à Madagascar ne l'ont que trop prouvé. J'arrive au deuxième point, sur lequel nos résidents généraux ont rencontré les mêmes résistances que sur la question de l'exequatur ; il s'agit des garanties indispensables vainement réclamées pour sauvegarder nos concitoyens. Je ne parle pas du manque absolu de sécurité qui, depuis huit ans, avait paralysé l'effort de la colonisation, des difficultés opposées à toute M. LE MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES. — Or,

.La


entreprise de travaux publics, tandis que des concessions imprudentes étaient prodiguées sur le papier à tout aventurier se disant hostile à la France ; mais je ne puis omettre les attentats, partout impunis, attribués aux fahavalos, mais où on retrouve la main de fonctionnaires hovas. Je rappellerai l'assassinat de nos compatriotes Lescure, Bornave, Bézia, Muller, la tentative d'assassinat -contre de -P. -Montant, et là mort d'un autre de nos compatriotes tué dans une lutte contre les favahalos soudoyés par le gouvernement. Enfin, je rappellerai le double assassinat, au mois de septembre dernier, de notre compatriote Louvemont, et d'un sujet britannique, Gelez. Tous ces crimes sont restés sans châtiment ; en vain nos résidents généraux ont accumulé réclamations sur réclamations ; le gouvernement hova, qui doit présider à l'administration intérieure de l'île, n'est plus responsable de cette administration quand il faut sévir ; il n'a d'énergie que pour nous résister. Sur tous les points de l'Ile, les crimes et délits contre les personnes et contre les biens se renouvellent, sans qu'on puisse obtenir du gouvernement hova autre chose que des satisfactions dérisoires. La sécurité n'existe nulle part ; même à Tananarive, l'escorte de notre résident et la résidence elle-même ne sont plus en sûreté. Quand le gouvernement a été amené à envoyer à Madagascar la mission de M. Le Myre de Vilers, il ne l'a pas fait sans motifs pressants. Le gouvernement se rendait compte de tous les inconvénients d'une rupture, mais les événements ne lui ont pas permis d'hésiter, ils l'ont saisi aussitôt son arrivée aux affaires. Les difficultés que la France rencontrait à Madagascar ont attiré à maintes reprises l'attention du Parlement ; les débats qui ont eu lieu ont toujours témoigné de son désir do voir une politique énergique s'affirmer dans la grande île africaine. Au début de cette législature, le 22 janvier, M. Casimir-Perier, président du conseil et ministre des affaires étrangères, répondant à une interpellation de l'honorable M. Brunet, indiquait les instructions qu'il avait adressées à notre résident général à Madagascar : « Notre représentant devra appeler la plus sérieuse attention du premier ministre sur les actes de violence commis contre les compatriotes et contre les autres étrangers ; il déclarera que nous tiendrons le gouvernement malgache responsable des nouveaux attentats qui seraient commis, et que, dans le cas où la cour d'Emyrne ne s'acquitterait pas des devoirs qui lui incombent, nous serions dans la nécessité de prendre des mesures pour assurer nous-mêmes la sécurité de nos nationaux et des résidents étrangers. » Nous conservons l'espoir que le gouvernement hova tiendra compte de nos représentations ; mais nous saurons faire respecter les droits et sauvegarder les intérêts do la France à Madagascar. » Après avoir entendu ces déclarations, la Chambre vota l'ordre du


Brunet : « La Chambre, résolue à soutenir le gouvernement dans ce qu'il entreprendra pour maintenir notre situation, nos droits à Madagascar, rétablir l'ordre, proléger nos nationaux et faire respecter le drapeau français, passe à l'ordre du jour. » En portant à la connaissance de notre résident général cet ordre du jour, le président du conseil lui confirmait ses précédentes instructions. Il faisait connaître sa décision de renforcer les garnisons de DiégoSuarez et de la Réunion et d'accroître l'effectif de notre division navale dans l'océan Indien. Les représentations nouvelles de notre résident étant restées sans résultat, il devenait évident que le gouvernement hova se précipitait chaque jour vers cette rupture que nous aurions voulu éviter. Cest dans ces circonstances qu'entre le résident général, M. Larrouy, et le cabinet qui venait d'arriver aux affaires, s'engagea la correspondance suivante : Voici une première dépêche de notre résident, M. Larrouy, en date du 25 juillet dernier : « Tananarivc, 2o juin 1894. » Je vous ai fait savoir, par ma lettre du 20 de ce mois, qu'un soldat de l'escorte du résident, général a été attaqué et gravement blessé par le neveu de la reine et ses aides do camp. Je crois nécessaire de vous donner des renseignements sur l'état actuel do celte affaire avant le départ du paquebot de Tamatave, ainsi que sur de nouveaux faits que j'apprends à l'instant. » Malgré mes représentations énergiques et pressantes, le premier ministre ne poursuit pas les coupables. Il se contente de me faire connaître qu'il a fait arrêter le chef de la police du quartier pour n'avoir point sévi contre les perturbateurs de l'ordre : ce qui est un leurre. » Il est de mon devoir d'avertir Votre Excellence que l'impunité d'un attentat commis ainsi publiquement sur un soldat de l'escorte excite contre nous la partie turbulente de la population et alarme la colonie française et étrangère. » La mauvaise volonté du premier ministre est évidente; son inaction est interprétée comme une approbation tacite. J'ai pris les mesures de prudence que la situation comporte. L'escorte a été provisoirement consignée à la caserne ; mais celte mesure ne saurait être maintenue définitivement sans inconvénient pour la discipline. » Il résulte des enquêtes que j'ai provoquées que, depuis le commencement de février dernier, date à laquelle les Hovas ont acquis la certitude qu'il n'y aurait pas d'expédition cette année, des incidents de ce genre ont commencé à se produire et que depuis environ deux mois on constate une recrudescence dans ces manifestations. Nous avons la preuve qu'elles sont le résultat des excitations directes des fonctionnaires hovas, qui, pour détourner les mécontentements causés parmi le peuple par la perception de l'impôt et par la corvée, motivent leurs exactions en disant qu'elles sont nécessaires pour faire face aux dures exigences des Français.

jour suivant de

M.


Les rapports qui me parviennent des provinces sont unanimes à cet égard et confirment ce que je constate à Tananarive. » Le mauvais vouloir des autorités hovas se manifeste vis-à-vis de tous les étrangers. Le vice-consul d'Angleterre m'a transmis une plainte d'un Mauricien arrêté illégalement par les autorités hovas d'Amhosibia. On m'annonce que le jeune Salomon a été attaqué, blessé et volé par les favahalos à trois jours à l'ouest de Tananarive. » Le directeur des mines de Suberbiéville m'annonce des actes de violence graves, commis par les Malgaches sur son personnel, et il me signale l'attitude provocante et les excitations des autorités hovas. » Le résident à Tamatave me communique les renseignements d'après lesquels un Français de la Réunion aurait été assommé par les esclaves du gouverneur de Mahanoro et à l'instigation de ce dernier. » Signé : Lauuouv. » »

D'autres télégrammes reçus bientôt après nous peignaient la situation sous un jour de plus en plus sombre. Cependant, nous invitions notre résident à patienter encore, à gagner du temps. Voici la dépêche que nous lui adressions le 1er août : «

»

Paris, le 1er août 1894.

Le gouvernement de la République se préoccupe vivement de la si-

tuation signalée par vos télégrammes et par votre correspondance. Cependant, il ne pense pas qu'il y ait lieu d'entrer d'ores et déjà dans la voie qui conduirait à une rupture immédiate. Il examine actuellement les conditions d'une action éventuelle dans la grande île africaine, de façon à saisir la Chambre à la rentrée, au cas où la situation ne se serait pas améliorée. » Le gouvernement n'est nullement d'avis que vous procédiez à une évacuation immédiate et que vous vous installiez à Tamatave. Vous signalez avec raison les inconvénients d'une telle mesure. Il y a tout avantage à ce que vous restiez on contact avec le gouvernement hova et que, tout en persistant dans vos revendications, vous nous aidiez à gagner le temps nécessaire : une dernière action diplomatique tentée à Tananarive devrait précéder do très peu la date de l'évacuation et do l'action éventueUe. » Il est bien entendu cependant que, tout en vous faisant connaître ses vues, le gouvernement s'en rapporte à votre expérience et à votre sang-froid en cas de péril urgent. » Voici ce que nous répondait, le 6 août, M. Larrouy : »

«

Tananarive, 6 août.

Je réponds à votre télégramme. Je comprends les raisons qui obligent le gouvernement de la République à gagner du temps. Cepen¬ «


dant, je dois vous faire part des préoccupations que m'inspire le souci de la sécurité des Français habitant Tananarive. » L'arrogance des Hovas augmente toujours; cette année, leur audace a pris des proportions extraordinaires lorsqu'ils ont vu que les bruits de guerre mis en circulation il y a huit ou neuf mois et paraissant corroborés par certaines mesures prises par le gouvernement (mission do M. de Beylié, envoi de renforts à Diégo-Suarez et à la Réunion, etc.) n'étaient suivis d'aucun effet. » Cet état d'esprit chez les Hovas provoqua les incidents dont je vous ai entretenus précédemment, et en ce moment, après nous avoir en quelque.sorte tûtés, ils attendent dans une attitude provocante ce que fera le gouvernement de la République. » Tout tend à nous prouver qu'une rupture est inévitable. Dès lors, il convient tout d'abord d'assurer la retraite vers la cote des ceut cinquante Français, non compris l'escorte du résident général et les fonctionnaires établis dans l'intérieur de l'île. » Cette évacuation doit précéder toute modification dans notre attitude, qu'il s'agisse d'une dernière action diplomatique, du transfert de la résidence générale à Tamatave ou même d'une demande de crédits aux Chambres. » Votre Excellence me dit que le gouvernement français, tout en me faisant connaître ses vues, s'en rapporte à mon expérience et à mon sang-froid en cas de péril urgent. Permettez-moi de répondre à Votre Excellence que, lorsqu'il y aura urgence, il y aura précipitation et panique, et que l'évacuation se ferait alors dans des conditions désastreuses. » Tel a été le cas en 1883. Dans mon sentiment, le départ des Français doit précéder toute modification dans notre attitude, et le transfert de la résidence générale à Tamatave ne doit s'effectuer qu'après que tous nos compatriotes seront en sûreté. « C'est pourquoi je crois de mon devoir d'insister auprès de Votre Excellence pour qu'elle m'autorise à faire partir d'Emyrne, d'Angousy et du Bouéni les malades et les impotents et à donner à nos nationaux la possibilité de se mettre en sûreté. » Cela fait, le gouvernement de la République pourra, s'il le juge convenable, saisir les Chambres de la question, tout en maintenant la résidence générale à Tananarive jusqu'à la dernière action diplomatique. » Signé : LARROUY. » Nous répondions encore, le 12 août :

En vous confirmant mon télégramme précédent, je crois devoir préciser les vues du gouvernement. Nous persistons à penser qu'en l'état actuel des faits, et même en vue d'une intervention éventuelle, l'évacuation immédiate présenterait en tant que mesure politique de sérieux inconvénients. »


Dans notre pensée, on ne devrait procéder à l'évacuation que lorsque le gouvernement, après avoir terminé l'étude indispensable des voies et moyens, aura résolu de demander des crédits aux Chambres. On ménagerait encore, entre cette décision et le dépôt du projet de loi, le temps qui vous serait nécessaire pour évacuer. » Toutefois, ces considérations ne sauraient prévaloir au cas où vous jugeriez la situation assez grave pour mettre en péril la vie de nos nationaux à Emyrne et rendre impossible votre retour à la côte dans des conditions de sécurité suffisante. Si de telles conjonctures se »

présentaient, le gouvernement ne peut que s'en remettre à votre appréciation, certain que la résolution que vous prendrez vous sera dictée par le sentiment éclairé de tous vos devoirs. » Or, messieurs, nous recevions bientôt de M. Larrouy le télégramme. suivant : «

Tananarive, le 28 août 1894.

La sécurité de nos nationaux est si précaire, que je n'hésite point à considérer leur vie comme menacée. » »

Le résident général exposait ensuite qu'il fallait éva-

cuer d'urgence Tananarive. C'est après cette lettre que M. Le Myre de Vilers fut envoyé : on sait ce qu'il advint de sa mission et comment à sa demande on opposa un contre-projet, annulant en somme le traité de 1885. Le Ministre, examinant alors les diverses solutions possibles, déclare qu'une seule s'impose, l'expédition : elle comprendra 15.000 hommes et coûtera 65 millions; mais il faut en finir. Examinant alors la situation vis-à-vis des puissances, M. Hanotaux rappelle le traité de 1885. Le lendemain de ce traité, M. de Freycinet adressait aux" représentants do la France auprès des puissances étrangères une circulaire les. informant que le traité de 1885 avait été approuvé par ces puissances et qu'il avait été inséré au Journal officiel. Ils étaient en même temps invités à en informer les puissances auprès desquelles ils étaient accrédités. Le gouvernement anglais prit acte de celle déclaration. Il en fut de même ailleurs. .En 1890, une conférence internationale se réunit à Bruxelles pour réglementer l'importation des armes à feu à Madagascar et dans les


Iles Comores. Les plénipotentiaires français firent alors la déclaration

suivante : « Le gouvernement de la République s'engage à provoquer les mesures nécessaires pour empêcher les importations d'armes de guerre dans les îles de Madagascar et des Comores, et à exercer à cet effet un contrôle efficace dans les ports de ces îles. » .La conférence ne faisait que reconnaître à la France un droit qui lui appartenait et lui demandait d'en user en faveur de l'oeuvre poursuivie par cette conférence. Enfin cette confirmation de notre droit s'est encore précisée dans des arrangements importants dont vous n'avez certainement pas perdu le souvenir. Au moment où l'Angleterre établissait son protectorat sur Zanzibar, la France, qui pouvait invoquer le traité de 1882, consentit à le laisser modifier. En revanche, l'Angleterre signait en faveur de la France l'acte

.suivant :

Le gouvernement de Sa Majesté Britannique reconnaît le protectorat de la France sur Madagascar avec toutes ses conséquences, notamment en ce qui touche l'exequatur des consuls britanniques, qui devra être demandé au résident général. » .Cet acte confirme et élargit les bases du traité de 1885. Il établit entre la situation de Zanzibar et de Madagascar un parallélisme qui existe dans le fond comme dans la forme. Cela est si vrai que l'Angleterre s'interdit d'exercer dans l'intérieur de l'île aucun contrôle pour la protection de ses missionnaires. Dans les deux îles de Madagascar et de Zanzibar, la tolérance religieuse, le respect de tous les cultes, do tous les missionnaires sont garantis. M. DE MAHY. — L'Angleterre a respecté les vôtres en les chassant à coups de canon. M. LE MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES. — Quelque temps après, un arrangement analogue intervenait avec l'Allemagne. Au moment où cette dernière puissance faisait l'acquisition des Etats du sultan de Zanzibar, elle reconnaissait formellement notre protectorat à Madagascar avec toutes ses conséquences. Donc, au point de vue des puissances, il n'y a aucune obscurité, aucune entrave ; qu'il s'agisse de réclamations de nos compatriotes Contre le gouvernement hova, ou de forces à envoyer dans l'île pour faire respecter le protectorat, qui nous crée des devoirs en même temps qu'il nous donne des droits, notre liberté est complète. Aucune complication ne s'est produite jusqu'ici, et la sagesse des puissances nous est un sûr garant qu'il ne s'en produira pas non plus dans l'avenir. (Très bien ! très bien !) Telle est la situation au point de vue diplomatique. On peut se demander maintenant si l'état général de l'Europe nous permet d'entreprendre, dans ces pays lointains, une campagne dont nous no nous dissimulons pas les difficultés. Il serait imprudent de faire aujourd'hui des pronostics que l'avenir «


pourrait démentir. Vous me permettrez cependant de faire remarquer

que les éléments pacifiques dominent dans un moment où l'Europe témoigne les regrets unanimes que lui inspire la disparition d'un souverain désigné à la reconnaissance de l'histoire comme le plus ferme soutien de la paix (Applaudissements), où partout on n'entend que des paroles de concorde et d'apaisement, et où tous ceux qui ont une part active à la direction des Etats manifestent leur horreur pour tout ce qui pourrait lancer les peuples dans un conflit universel. Toutes les puissances veillent avec un soin jaloux à ce que, sur les divers point du monde, l'émulation des intérêts ne compromette pas la cause de la paix. (Très bien ! très bien ! ) Je crois que, dans ces conditions, nous pouvons, nous aussi, aller là où nos droits et nos intérêts nous appellent. (Très bien ! très bien !) Je ne rappellerai pas les circonstances qui auraient pu nous pousser depuis longtemps à une action immédiate; mais nous avons voulu préalablement établir nettement nos droits et faire un dernier appel à la concorde. Aujourd'hui nos nationaux sont à l'abri, les précautions sont prises, et le gouvernement vous demande de dire nettement votre opinion. (Très bien ! très bien!) Il est prêt à vous soumettre les mesures qu'il a arrêtées et il vous prie de vous prononcer virilement, avec la pleine conscience de votre force, de votre dignité et de votre droit. (Applaudissements.)

La presse française est unanime à reconnaître que la guerre est nécessaire et que notre longue pusillanimité, depuis trois quarts de siècle, a fait la force du gouvernement hova et a favorisé les intrigues de nos bons amis les Anglais. Seuls certains députés en quête d'une popularité malsaine, diplomates à courte vue qui regardent toujours les questions au point de vue terre à terre, critiquent l'expédition. Je ne parle pas des misérables feuilles stipendiées par l'Angleterre, qui ne vivent que de scandales et de chantages et qui n'attaquent l'expédition que parce qu'elles sont payées pour cela : les agents de ces basses oeuvres n'osent pas mettre leur signature au bas de leurs factums. Tout ce qu'on peut reprocher au gouvernement de la République, c'est d'avoir montré, depuis 1882, trop de mansuétude. Mais la faute en est aux mesures d'aplatis¬


sement devant les Anglais de certains de nos ministre des affaires étrangères et aux menées sourdes des anglomanes protestants. C'est du moins l'accusation que porte M. de Mahy, un homme d'un profond patriotisme qui voulait faire régler dès 1882 la question de Madagascar. A cette époque, avec 6 à 8.000 hommes et 25 à 30 millions, l'affaire était faite, et aujourd'hui nous aurions déjà des milliers de colons à Madagascar. Nous publions in extenso cette interview de M. de Mahy, publiée dans l'Echo de Paris du 20 novembre dernier : CHEZ M. DE MAHY

député de l'île de la Réunion, membre du conseil supérieur des colonies, est peut-être celui de nos hommes politiques qui connaît le mieux Madagascar et la question malgache. Il nous a entretenu hier de cette grave question avec une chaleur, une jeunesse, un enthousiasme des plus communicatiis. Comme nous le combattions quelque peu dès l'abord, émettant des doutes sur la nécessité d'agrandir un empire colonial qui nous apparaissait suffisant en face du manque d'entrain colonisateur qui nous caractérise : — « Qui dit cela ? Qui prétend cela ? Les Anglais toujours et les amis des Anglais et tous ceux qui ont intérêt à soutenir les Anglais ! Ils finiront par nous le faire croire! Ils nous le font croire déjà! Mais ne savez-vous pas, Monsieur, que vingt-cinq mille Français —ceci c'est de la statistique — émigrent tous les ans de la mère-patrie, au bas mot? Où vont-ils ? Vers quel point du globe mettent-ils le cap? Car, remarquez bien que je ne pousse pas les gens qui se trouvent à l'aise chez eux à s'expatrier ; mais ces vingt-cinq mille-là qu'en advient-il? » L'Algérie ne les voit pas ; l'Algérie est une colonie d'avenir ; l'Algérie ne saurait être utile à cette heure à des émigraiçjs .sans le sou. Ils ne vont pas au Tonkin : le Tonkin a une population des plus denses qui ne .permettra point avant un grand nombred'années à l'élément européen de prédominer, de vivre, de prospérer. Ouvrez Madagascar à ces gens, ils s'y précipiteront, Monsieur ! Et il y a de la place, allez ! Elle est plus grande que la France, cette île, et les indigènes sont assez clairsemés pour ne les y point gêner. Soupçonnez-vous combien Madagascar peut nourrir d'habitants ? Quarante millions ! Or, à l'heure actuelle, l'île n'en compte que trois... et les plaines y sont d'une invraisemblable fertilité, et le climat y est salubre !... Que de fois, lors de mon voyage à M. de Mahy,


Madagascar, songeant à toutes les misères de France, aux vagabonds, aux criminels, aux malheureux que la loi a frappés et qui ne peuvent plus se reclasser, et qui ne se reclasseront jamais plus, et qui iront grossir la légion des révoltés, et qui augmenteront tous les jours le péril social, que de fois je me suis dit que cette île serait le remède suprême au mal dont nous souffrons ! Les vingt-cinq mille émigrants dont je vous parlais tout à l'heure augmenteraient cette bande noire et affamée et menaçante. Souvenez-vous de l'Australie. Rappelez-vous que l'immense terre anglaise fut la terre des bandits et des convicts et que s'y déversa toute la lie, tout l'infamant limon de la vieille société européenne, et que de cette horde d'hier est sorti le peuple d'aujourd'hui, d'une santé morale très puissante et presque primitive. » Le bénéfice à tirer de Madagascar est incalculable. Je ne parle pas au point de vue restreint du budget de la métropole ; je parle de la richesse nationale, de la richesse commerciale et industrielle répartie sur tous. En 1887, avant la crise dont l'île souffre à cette heure et qui se terminera bientôt, espérons-le, le chiffre des importations était de cinq millions et celui des exportations de deux millions. A Tananarive seulement, on achetait alors, annuellement, plus de 150,000 cuirs de boeuf salés, 20,000 cuirs de mouton, 80,000 kilogrammes de caoutchouc, 50,000 kilogrammes de café, 86,000 kilogrammes de cire vierge, etc., etc. Songez à la difficulté des transports, aux charges portées à dos d'homme, à l'absence des chemins, et vous pourrez vous faire une idée de ce que sera, quand nous le voudrons, le commerce de Madagascar. » Je ne vous parle pas de notre influence en Extrême Orient, qui sera décuplée, de la situation formidable que la possession de l'île nous fera dans la mer des Indes. Elle est sur la route du Tonkin en quelque sorte,. et les points stratégiques y sont de premier ordre.

que les quinze mille hommes que l'on se prépare à envoyer là-bas seront suffisants à la conquête ? — « Parfaitement et c'est aussi ce que vient de me dire l'officier que vous venez de voir sortir de mon cabinet et qui connaît un peu ces.. questions, je vous en réponds. Toutes les narrations admiratives sur l'organisation militaire des Hovas sont des contes publiés par les Anglais et leurs amis, dans un but que vous devinez. Et puis, les Hovas sont peu nombreux. Il ne faut pas s'imaginer que nous aurons à combattre tous les indigènes de l'île. Les diverses peuplades ont la haine. du Hova et se rangeront do notre bord. Si, au lieu d'établir aussi stupidement le pouvoir des Hovas, nous l'avions détruit, Madagascar serait à nous depuis longtemps. A-t-on jamais compris, en France, ce qui s'est passé en 1885, lors de la guerre que nous faisions aux indigènes ? S'est-on jamais expliqué le traité signé par MM. de Freycinet, Patrimonio et Miot, traité de paix qui ne nous accordait absolument rien, ni protectorat, ni haute garantie ? — Et vous, Monsieur, avez-vous une explication à nous fournir ? — » Pensez-vous

»


faut la chercher du côté des quakers, des friends, des méthodistes. Tous ces gens, à Madagascar, sont tout-puissants, — sur quatre Malgaches, il y a trois protestants, et les protestants de France sont très puissants aussi, croyez-moi, assez pour avoir réussi jusqu'à ce jour à faire le jeu de l'Anglais. » Ici M. de Mahy est pris d'une froide colère et nous met sous les yeux des textes, des articles, des volumes qui prouvent indéniablement le rôle néfaste joué dans la question de Madagascar par les prolestants : MM. Frédéric Passy, de Pressensé, Boegner, Théodore Monod, etc. Il nous rappelle cette réunion du 20 octobre 1884 qui eut lieu à l'hôtel du Louvre entre protestants d'outre-Manche et protestants français, à .laquelle assistaient les personnes ci-dessus nommées et dans laquelle fut résolue moralement l'évacuation de l'île par les Français. Les membres français de la réunion s'engageaient à tout faire pour cela. Quelque temps après paraissait un volume intitulé : Nos Droits à Madagascar, signé de M. Saillens avec une préface élogieuse de Frédéric Passy, dans lequel on pouvait lire : « Il est temps de conclure. Nous croyons avoir démontré, dans ce qui précède, que la France n'a aucun droit réel sur Madagascar. Ceux que nous donnait la prise de possession de Richelieu sont prescrits par le long espace de temps écoulé depuis l'évacuation de nos établissements sur la côte. » — « Et. ceci a été écrit par un Français, s'écria M. de Mahy, et la préface de ce livre est d'un Français ! » Et comme nous partageons un peu la stupéfaction de notre interlocuteur, celui-ci nous feuillette les pages de quelques volumes anglais où l'on se félicite fort de l'attitude de certains de nos compatriotes. — « Ces gens-là ont tout fait pour que la France catholique cédât le pas, à Madagascar, à l'Angleterre protestante. Leurs influences, leurs amitiés, leur puissance politique qui n'est pas, hélas ! un vain mot, ils ont tout employé pour arriver à leurs fins. Nombreux sont les ouvrages que je pourrais citer où vous trouveriez des phrases dignes de celles qui nous révoltaient tout à l'heure. Cest M. Monod qui traduit et répand l'oeuvre d'un Anglais : Madagascar et ses habitants, où nous lisons ceci : « Mais, si, laissant do côté la guerre politique, nous nous » plaçons au point do vue religieux — qui est celui de l'auteur du livre » — nous sommes obligés de reconnaître qu'il est heureux pour le vrai » bien de Madagascar que l'influence anglaise ait prévalu en cette île » sur celle de la France, et le christianisme anglican sur celui de -,

— » Il

Rome. » — » Ce sont des fanatiques, continue M. do Mahy, qui ont une bizarre idée do la patrie — je parle de protestants français — et dont l'internationalisme est autrement terrible que celui de nos révolutionnaires, et je vais vous raconter une histoire qui vous montrera combien tous ces gens se tiennent et se soutiennent et comment ils entendent la politique française. Vous connaissez l'Association évangélique internationale. Elle comporte presque autant de branches que l'on compte de peuples. Il y a trois ans environ, la secte luthérienne alle¬ »


mande convoquait à Genève les principaux membres de l'Association. Ceux-ci s'y rendirent de tous les points de l'Europe. Il s'agissait d'adresser une plainte au tsar et de le sommer d'avoir à cesser les vexations dont prétendaient être victimes les hobereaux luthériens des provinces baltiques. Tous les membres — excepté les membres français qui s'étaient abstenus de venir à Genève — concoururent à la rédaction de l'adresse, qui fut définitivement mise au point par M. de Saint-Georges. L'adresse fut reçue par le tsar ; très « dure » au fond, elle était impeccable en la forme. Et c'est justement cette impeccabilité de la forme et cette politesse extérieure de l'adresse qui furent la cause du refus de signer des Français. Ils ne trouvaient point la rédaction « assez raide » et ils chargèrent l'un des leurs, M. Recolin, d'en écrire une autre qui fut refusée par Alexandre III. » Ce n'est point la première fois qu'ils se lancent dans une pareille aventure. A la veille de la guerre, en 1869, ils avaient déjà expédié an tsar une adresse identique, tellement insolente, qu'on doit la considérer comme l'une des causes du statu quo de la Russie à cette époque. »


TROISIÈME PARTIE LES MOYENS DE CONQUÉRIR MADAGASCAR

CHAPITRE IX Le gouvernement et l'administration des Hovas. — Les finances.

Pour soumettre par les armes un pays, il faut connaître à fond son adversaire et les forces dont il dispose, afin de lui opposer des forces plus grandes permettant de briser sa résistance. C'est là, il est vrai, une vérité de La Palice ; mais, comme elle a été constamment perdue de vue dans toutes nos expéditions étrangères (celle d'Algérie, en 1830, exceptée), il n'est pas oiseux de la mettre en évidence. Les moyens de défense d'un peuple sont le produit de trois facteurs principaux : 1° Son gouvernement et son administration ou son état politique ; 2° Son armée; . 3° La topographie de son territoire. Il y a donc lieu d'étudier successivement chacun de ces trois facteurs principaux. .Les deux premiers sont intimement liés entre eux, et, pour mieux dire, l'armée d'un pays n'est autre que la résultante indiscutable de l'organisation politique que ce pays possède. C'est une loi mise en lumière par M. le général Jung, notre président de la Plume et l'Epée, dans ses deux magistraux ouvrages La République et l'Armée et Stratégie, Tac¬


tique et Politique (1). Que le lecteur veuille bien nous permettre quelques citations : La politique de l'Etat républicain français consiste dans l'agencement judicieux du territoire national, de ses habitants et de leurs ressources, en vue de la prospérité, de la sécurité et de la dignité de cet

Etat.

Or, que peut être la sécurité d'un Etat, si ce n'est la faculté, pour cet Etat, de pouvoir se défendre à un moment donné? Mais cette sécurité ne peut être assurée que par l'armée. Par conséquent, la politique se

trouve dans l'obligation d'envisager toujours le cas possible de la lutte et, par suite, de s'occuper continuellement de cette armée sur laquelle repose sa sécurité extérieure et intérieure. Politique et armée sont donc, en définitive, deux termes indissolublement unis.

que le général Jung dit du gouvernement et de l'armée française peut se généraliser et s'appliquer à toutes les nations du monde. Il consacre un chapitre spécial (XX, la politique et l'armée) au développement de cette idée. Ce

L'organisation des forces militaires, a dit Von der Goltz, dépend. du degré de civilisation d'un peuple. » Pour être viable, il faut qu'elle se base sur l'état social de la nation. » M. de Freycinet a ajouté dans le même sens : « L'état militaire d'un peuple n'est, à bien des égards, que la résultante d'un ensemble de moeurs et d'institutions qui influent directement sur son armée. » Rien n'est plus exact. En effet, si la tactique intérieure est logiquement établie, c'est-à-dire si les rouages administratifs sont en concordance avec les nécessités de sécurité de la nation, si l'instruction est pratique, une et nationale, il est hors de doute que la préparation militaire et tactique sera de beaucoup facilitée. Toute question civile touche d'ailleurs à une question militaire, et réciproquement. «

Quant à la valeur militaire d'un Etat, elle reste proportionnelle à celle des facteurs composant cet Etat. Réciproquement, sa valeur politique est en raison de celle de l'armée. Toute porte de force, au civil, a sa répercussion au militaire, et réci-

proquement. (1)

Charpentier, éditeur.


Le gouvernement hova. Il est constitué par ce qu'on nomme la cour d'Emyrne, qui comprend : Une reine souveraine qui règne et ne gouverne pas ; Un premier ministre, sorte de maire du palais, qui gouverne et exerce un pouvoir presque sans contrôle ; Le cabinet, sorte de conseil de gouvernement ; Les ministres; Le secrétariat.

première vue, si l'on ne pénètre pas au fond des choses, ce gouvernement paraît sérieux, et, si on le compare à l'état social des autres peuplades de l'île, il paraît et leur est en effet supérieur, car il a beaucoup contribué à la conquête rapide des Hovas. Ceux-ci, il y a moins d'un siècle, n'étaient pas mieux organisés que les autres habitants de l'île, et l'organisation donnée par Radama Ier, en 1810, .marque l'évolution de la politique des Hovas. Mais on se tromperait grossièrement si l'on voulait assimiler l'état social de nos futurs adversaires à celui d'une nation civilisée, même asiatique. L'état social hova est très inférieur à celui des Chinois, des Annamites et des Indiens. C'est un pastiche grossier des institutions européennes, et il nous sera facile de montrer que, derrière l'étiquette fallacieuse de « cour d'Emyrne », nom sous lequel on le désigne, il n'y a pas de gouvernement digne de ce nom, pas d'administration, si ce n'est le vol et le pillage organisés du haut en bas des échelons administratifs, avec une armée qui n'existe en réalité que sur le papier et qui n'a qu'une valeur inférieure à celle des peuples de l'Extrême-Orient. L'étude détaillée que nous allons en faire justifie entièrement les idées de M. le général Jung et en est la confirmation sans conteste. A


La reine des Hovas ou de Madagascar. — Ce n'est pas en vertu d'une constitution que gouverne Ranavalo III, la reine-actuelle. Comme dit la chanson des Bottes du gendarme. C'est un usage, et L'usage fait loi. ...

Depuis un siècle, on a donc l'usage de prendre le roi ou la reine des Hovas dans la lignée du fondateur de la monarchie hova Dianampouine; mais il n'y a pas d'ordre bien réglé de succession au trône. Après la série des rois, Radama Ier, Radama II, le royaume de Madagascar, contrairement au royaume de France, est tombé en quenouille. La coutume s'est établie de prendre une reine, que le premier ministre épouse. La reine règne et le premier ministre gouverne ; c'est un mariage platonique ou plutôt politique. Ranavalo III est sur le trône depuis onze ans ; elle ne s'occupe absolument de rien, et c'est une véritable reine fainéante, passant son temps entre la toilette et le farniente. Elle n'a pas d'autre suite que ses servantes et des domestiques, et il n'y a ni cow ni cérémonial. Le description que nous font les journaux anglais des réceptions de la cour d'Emyrne n'existe que dans leur imagination ; c'est un vrai humbug britannique. Ranavalo avait 25 ans en 1883 quand elle a été choisie pour reine. Elle a donc 36 ans. Il paraît que sa jeunesse inutile lui pèse sensiblement, surtout à côté de la vieillesse de son premier ministre. Aussi tout ne serait-il point parfait dans leur union, qui ressemble fort à celle de la carpe et du lapin. Ranavalo cumule l'emploi de reine avec celui de chef de la religion protestante de Madagascar, tout comme la


gueen Victoria l'est de celle du Royaume-Uni. C'est en flattant sa vanité que les méthodistes anglais ont obtenu ce résultat, du temps de la reine Roshoerina, en 1869. Le

:

peuple a suivi cet exemple, et c'est pourquoi le protestantisme est devenu une religion d'Etat. Au fond, le peuple malgache et sa reine se soucient autant de la religion protestante qu'un poisson d'une pomme, car il n'y a pas de peuple au monde ayant moins d'idées religieuses que les Hovas, qui ne sont ni déistes, ni fétichistes et professent une indifférence presque absolue pour tout ce qui touche aux choses religieuses. Ils sont grands amateurs de musique, et le premier achat que fait un Malgache c'est de se payer un accordéon par lequel il remplace le violon-calebasse ou le tam-tam de ses aïeux. Les méthodistes le savent si bien qu'ils ont emprunté à la liturgie catholique les cérémonies, chants, musique, etc.; et, quand le Hova s'en va au temple, il ne se dit pas comme Abner dans Athalie : Oui, je viens dans son temple adorer l'Eternel.

Il va tout simplement écouter les chants et la musique de l'orgue, et le temple devient pour lui une distraction comme le café-concert pour les bourgeois des petites villes de France.

Les pasteurs anglais, qui font du bon petit commerce sous le couvert du placement de leurs bibles, le savent parfaitement ; mais, avec ce système fort ingénieux, ils ont trouvé le moyen de faire croire à la France qu'il y avait à Madagascar une question religieuse anglaise, et cela leur a suffi pour contrecarrer notre action.


En 1884, il nous aurait suffi, pour faire la conquête de Madagascar, de la moitié des forces dont nous avons besoin actuellement. Le premier ministre. — La reine Ranavalo Ire, qui régna pendant trente-trois ans et mourut à 81 ans, a laissé la réputation d'un Néron femelle. Les amants ne lui manquèrent pas pendant ce long règne, et cela malgré sa maturité (elle était montée sur le trône à 48 ans, ce qui est loin d'être la première jeunesse, surtout pour une femme malgache). Mais quels miracles d'amour ne peut produire l'ambition du pouvoir ! Un des amants, distingués des autres par ses avantages personnels, après avoir été l'homme de confiance, devint le factotum politique, mais sans grand pouvoir, et toujours très subordonné à l'autorité de la reine. Sous Radama II, le premier ministre étant mort, son fils lé remplaça doucettement comme le fils d'un négociant;' succède à son père dans sa maison de commerce. Radama fut payé de la plus noire ingratitude : le premier ministre n° 2 conspira contre lui, le fit étrangler et mit à sa place la reine Rashoérina. A son tour, celle-ci mit à la porte le premier ministre et le remplaça par son frère, le fameux Rainelaierivoun, premier ministre n° 3, encore en fonction depuis 1864, soit trente ans d'un quasi-règne. Il a peu à peu empiété sur l'autorité de la reine et concentré à peu près tous les pouvoirs dans sa main. Pour cela, il a épousé successivement trois reines, choisissant chaque fois celle dont le caractère lui paraissait le plus malléable et augmentant pendant la lune de miel l'étendue de ses usurpations. C'est ainsi qu'il réunit actuellement.:? les pouvoirs civils et militaires, s'étant attribué le haut titre de généralissime commandant en chef, ce qui met l'armée entière à sa dévotion. La politique extérieure suivie par le premier ministre a


eu une ligne de conduite unique : contrecarrer l'action de

la France, regardée comme l'ennemi le plus redoutable. Pour cela, il s'est appuyé sur les méthodistes anglais, qui ont trouvé des auxiliaires précieux dans les protestants français, si l'on accepte les assertions de M. de Mahy. Les seuls étrangers écoutés par Rainelaierivoun sont deux Anglais : Parret et Shervinton, l'un fournisseur d'armes et l'autre instructeur de l'armée hova, sur l'appui desquels il compte pour résister à notre attaque. La politique intérieure du premier ministre a été, au contraire, très mauvaise pour son pays. Il a complètement oublié ses devoirs d'administrateur, et il n'y a plus, actuellement, ni fortune, ni travail, ni justice. Ce peuple misérable est écrasé d'impôts et pressuré par des fonctionnaires avides qui l'exploitent par tous les moyens en leur pouvoir. Le vol, la concussion, le pillage règnent en maîtres ; l'assassinat est devenu commun et la vie des étrangers n'est plus en sécurité à Madagascar, comme l'a • fait remarquer M. Hanotaux dans son. discours à la Chambre, relaté dans la deuxième partie. Personnellement, cependant, le premier ministre n'est pas un homme systématiquement cruel et injuste. Hypnotisé par la crainte d'une invasion française, il a négligé tout le reste, laissant faire, surtout les membres de sa famille, qui se sont enrichis par leurs exactions et leurs rapines. Il a justifié ainsi le proverbe « qu'il vaut souvent mieux un homme méchant qu'un homme faible ».

n'a qu'un rôle bien, opinion quand on la lui demande ; et, comme ses membres sont des créatures du premier ministre, et qu'ils ne veulent pas perdre une place qui leur procure certains bénéfices, ils font toujours la réponse du gendarme Pandore : « Brigadier, vous avez Le cabinet hova. — Ce cabinet effacé : il se contente de donner son


raison », quand le premier ministre a l'air de les consulter pour la forme. Les autres ministres. — Ils existent.... sur le papier. Leurs attributions sont bien définies, mais ils ne font pas partie intégrante du cabinet. Ils n'ont ni hôtel pour leur administration, ni bureaux, ni employés d'aucune espèce. Ils sont ministres in partibus, se contentant du titre et de l'honneur qu'il peut rapporter : par son prestige, ils savent plus ou moins arrondir leur bourse et celle des leurs. Le secrétariat. — Le premier ministre a trois secrétaires, qui sont en réalité de véritables secrétaires d'Etat, faisant fonctions de ministres, car ils s'occupent de toutes les affaires du royaume. Ce sont les dispensateurs des places, honneurs, concessions, privilèges qui sont toujours à vendre au plus offrant, et, comme en Amérique (et ailleurs), le dieu Dollar règne en maître souverain à Madagascar. Ils ont dû ramasser une grosse fortune, mais ils la cachent avec le plus grand soin, de peur de restitution forcée. Fonctionnaires hovas. — Depuis le premier ministre jusqu'au dernier fonctionnaire, personne n'a d'indemnité de fonctions. Chacun se paie sur le dos de ses subordonnés et cherche à faire fortune à leurs dépens.


L'administration hova. L'administration varie selon le pays. L'Emyrne et l'Ankove, berceau du peuple hova, ont une administration spéciale. Les peuples soumis en ont une autre. Administration de l'Emyrne. — Le chef de la race royale, Dianampouine, en soumettant sous son joug les autres tribus hovas, déposséda de leur puissance effective les chefs et les rois de ces tribus. Mais, avec une grande sagacité politique, il les combla d'honneurs stériles. C'est ainsi qu'il créa pour eux et leurs familles le titre à'andriana, qui veut dire « noble » en hova et qui est transmissible à leur descendance des deux sexes. Il y en a six classes. Les deux premières jouissent de certaines prérogatives et toutes ont le droit de porter un beau lamba rouge et d'être saluées d'une façon spéciale par le peuple. .Mais ces nobles sont tenus à l'écart de toute fonction politique; ce sont les bourgeois (hova veut dire « bourgeois ») de la classe moyenne qui ont accaparé l'administration et pressurent le paysan taillable et corvéable à merci, comme notre serf du moyen âge. Chaque classe de nobles a un chef qu'elle élit ellemême, mais qui n'a aucune autorité politique. L'influence de ces chefs est contrebalancée par les pouvoirs des chefs du peuple, nommés par le premier ministre dans les six grandes divisions, politiques de l'Empire. Ce sont ceux-ci qui lèvent les impôts, les soldats et organisent la police. Leur pouvoir effectif est d'autant plus considérable qu'ils sont plus éloignés de Tananarive et que l'action du premier ministre est plus lointaine. Les gouverneurs des pays soumis. — Les pays soumis, en dehors de l'Emyrne, sont divisés en provinces. A la tête


de chacune est un gouverneur hova. Il a sous ses ordres des gouverneurs secondaires commandant les districts et, au-dessous, des sous-gouverneurs qui commandent les cantons. Cette filière réunit à la fois tous les pouvoirs civils, militaires, de toute sorte, chacun dans sa petite sphère. Toutes proportions gardées, les gouverneurs hovas. sont de véritables proconsuls romains. Le fameux Verrès eût passé pour un honnête homme à Madagascar, et, jus- ; qu'à présent, aucun Cicéron malgache n'a fait entendre de harangues. Cependant, le gouverneur hova a toujours une épée de Damoclès dans la personne du second gouverneur, placé directement auprès du gouverneur pour le surveiller et rendre compte de ses actes au premier ministre. En apparence, ce second gouverneur est chargé de la police et fait l'intérim du premier en cas d'absence. Mais, à son tour, l'espion est espionné par ses aides de camp, que le premier ministre accrédite auprès de lui et qui sont sous les ordres du gouverneur pour la perception des impôts, des droits de la douane, de la justice et de la police. Ils sont 6e, 7e ou 8e honneur et ont, eux aussi, sous leurs ordres des juges ou andriamavente, qui les secondent et qui, n'étant pas Hovas de race, ne peuvent prétendre à une classe quelconque d'honneurs. Au-dessous, on trouve les chefs de village, qui correspondent à nos maires de France et qui sont pris parmi les personnages influents; ils président au Recrutement et; sont responsables de la rentrée des impôts. Leurs fonctions sont gratuites et ne leur rapportent rien que des ennuis, car ils ne peuvent point pressurer leurs administrés, qui sont leurs parents, alliés ou amis. Les gouverneurs de province sont presque tous pris dans la bourgeoisie ou la noblesse hova, aucun dans la descendance des anciens rois d'Emyrne. Le premier mi¬


nistre les choisit surtout parmi ceux qui lui paraissent habiles dans l'art de plumer la poule sans la faire trop crier. Au besoin, un fort cadeau adroitement offert lui fait trouver au postulant des qualités remarquables d'administrateur. Comme le gouverneur et son entourage n'ont aucune rétribution du gouvernement, ils vivent sur le pays conquis. On le sait à Tananarive, et l'on ferme les yeux tant qu'il n'y pas d'abus trop criants ni de plaintes trop vives. Mais Tananarive est loin et les pouvoirs des gouverneurs hovas sont presque absolus. Ils n'ont aucun système régulier de finances ni de justice. Tout est soumis à leur arbitraire et leur bon plaisir, et ils tarifent à leur gré les impôts de la corvée, de la piastre, dont nous parlerons tout à l'heure, et a les revenus des douanes de la côte qui passent par leurs .mains ne montent pas tous jusqu'à Tananarive. En dehors de ces trois grandes sources de revenus, ils ont des produits éventuels qui ne sont pas à dédaigner, vendent, trafiquent, font le commerce, rendent des jugements iniques et prélèvent des taxes et des contributions fantastiques. Dans certaines provinces du nord-ouest, on assure que les gouverneurs sont les complices des fameux Fahavahs, sortes de bandes de voleurs organisées comme nos chauffeurs de la Révolution, qui pillent et attaquent à main armée les provinces. Quand un gouverneur hova s'est enrichi du fruit de ses rapines, il faut qu'il en envoie une partie au premier ministre. Si le cadeau ne paraît pas suffisant, celui-ci, renseigné par ses espions, envoie un avertissement salutaire au gouverneur, lequel s'exécute et rend gorge, de crainte de pire aventure. Les postes hovas dans les pays soumis. — L'escorte de ces gouverneurs est souvent faible, et ils sont exécrésdes popu¬


lations, dont ils sont les sangsues. Aussi prennent-ils des précautions. Dans les villes de la côte, ils habitent des forts, sorte de batteries qui servent à la fois contre les Européens et les Malgaches. Dans l'intérieur du pays, les gouverneurs s'installent sur un mamelon supportant un plateau, sur lequel ils édifient les constructions nécessaires pour pouvoir se .loger, eux, leur famille et leur escorte. Des haies de cactus, plantées tout autour et le long des pentes, en défendent les abords. Les indigènes, nus et sans autres armes que des sagaies, ne peuvent attaquer les Hovas armés de fusils, qui sont à l'abri derrière les haies. Ces forteresses curieuses, qui rappellent les châteaux forts des nobles du moyen âge (toutes proportions gardées), se nomment des rouves. C'est avec ces rouves que les Hovas ont fait la conquête de l'île, sinon entière, du moins une grande partie. Ils ont d'abord entouré l'Emyrne et l'Ankove d'une série de rouves, où ils ont établi à demeure des soldats dénommés « gardiens des boeufs de la couronne », et qui ne doivent pas bouger du pays, car leur rôle consiste à repousser les attaques de l'ennemi. Ils sont dispensés, par ailleurs, de tout service, et les terres qu'ils cultivent deviennent leur propriété. Une fois ces premiers-postes établis commem un cordon, les Hovas ont peu à peu avancé les postes en les tenant assez rapprochés les uns des autres pour pouvoir se prêter secours. Ils ont uni la patience et la ruse à la force, devant des populations douces, mal armées et en état de désunion complète. Tout en descendant le long des grandes vallées pour arriver jusqu'à la mer, ils en soumettent les populations au fur et à mesure. C'est ainsi qu'ils sont parvenus à Tamatave en 1810, puis à Fort-Dauphin en 1845, à Majunga, à Tullear et la pénétration est presque complète à l'heure actuelle.


Les finances du royaume hova. On conçoit, d'après ce que nous venons de dire, que les

finances sont aussi mal organisées que le reste. Le gouvernement cherche à toucher le plus d'argent possible et, en revanche, ne paie aucun de ses fonctionnaires et ne fait aucune dépense pour les grands travaux publics, qui brillent par leur absence. La liste des ressources qu'il touche est cependant longue. Il a la capitation, les droits de douane, l'impôt de la piastre, la corvée ou fanampouane, et divers droits et amendes sur lesquels il serait trop long de s'étendre, sans compter la part du lion que le premier ministre prélève sur les exploitations concédées aux étrangers. Droits de douane. — La plus grande partie des droits de douane, surtout ceux qui sont touchés en argent, restent entre les mains des gouverneurs de la côte. Ils n'en font parvenir qu'une faible partie à Tananarive, et principalement les impôts en nature, moins faciles à dissimuler que des sacs de piastres. Impôt de la piastre. — Il est tout récent ; établi depuis quatre ans à peine, il a été créé pour payer les rentes de l'emprunt du Comptoir d'Escompte. En principe, chaque esclave doit payer par tête une piastre (cinq francs) par an, en dehors de l'Emyrne. Dans la pratique, cet impôt a été étendu à tout le monde, hommes, femmes et enfants, et a pénétré jusque dans l'Emyrne ; mais, d'une piastre par tête, il est monté à 10 et 12 piastres, imposées aux gens qui, travaillant gagnaient quelque argent et avaient un peu de bien-être. On l'étend même aux malheureux qui gagnent à peine de quoi vivre, et le gouvernement leur extorque la moitié de leur salaire. Aussi, personne ne veut plus travailler à 1,


Madagascar, et le pays s'appauvrit d'une manière effrayante. Quand le Malgache est à bout de ressources et ne peut plus satisfaire aux exigences qui l'écrasent, il prend la fuite. On ne sait pas exactement ce que l'impôt sur la piastre a pu rapporter ; on parle de 500.000 à 800.000 francs que toucherait le premier ministre; mais les gouverneurs, pour envoyer cette faible somme, en ont exigé et touché une quatre ou cinq fois plus forte, et, en somme, le malheureux Malgache a dû suer de 3 à 4 millions, chiffre énorme pour un peuple ne possédant rien ou pas

grand'chose. La corvée ou fanampouane. — En principe, c'est une prestation en nature qui ne devrait être acquittée qu'un jour sur sept. Dans la pratique, comme tous les gouverneurs, fonctionnaires, dignitaires, officiers ont droit à la corvée, elle est devenue un impôt arbitraire. On réquisitionne des populations entières que l'on enlève au travail des champs pendant des mois entiers pour leur imposer la corvée, bien entendu sans s'occuper le moindrement d'assurer les besoins des corvéables. Aussi cette corvée est un nouvel instrument de ruine qui chasse les populations de leur pays et les oblige à piller pour vivre. Les Fahavolos. — Les Malgaches, qui, au fond, sont fort doux, finissent par devenir des moutons enragés. Ils se forment en bandes et se réfugient dans les forêts et les parties inoccupées de l'île, pillent, volent et assassinent en plein jour, enlevant les boeufs, les femmes et les enfants, dont ils font commerce, tout comme les pirates chinois au Tonkin. Les forces de police envoyées contre eux désertent ou bien se joignent à eux.


CHAPITRE X L'ARMÉE HOVA Ancienne organisation de l'armée hova avant Radama Ier. — Organisation actuelle : Recrutement ; Forces entretenues régulièrement ; Répartition en compagnies et bataillons ; Réserves. — Esprit militaire. — : Instruction et tactique. — Tenue. — Discipline. — Armement de ; l'infanterie. — Artillerie. — Services auxiliaires.— Difficultés pour les H vas d'opérer en masses suffisantes pour résister à une attaque sérieuse.

Ancienne organisation de l'armée hova avant Radama Ier. Avant le Napoléon malgache, Radama Ier, qui poussa sa conquête jusqu'à Tamatave, on peut dire que l'armée hova n'existait pas. Tous les hommes valides étaient soldats, formant des bandes de pillards, indisciplinés, qui vivaient sur le pays et qui n'avaient aucune notion d'une organisation militaire. Leurs bataillons n'étaient que des milices confuses où les deux partis en venaient aux mains en poussant de grands cris. Les chefs se défiaient à la façon des héros d'Homère, en s'insultant avant de combattre, et la mort de l'un des chefs de parti mettait fin généralement à la bataille. Tels étaient encore, il y a à peine un quart de siècle, les combats des tribus canaques de la Nouvelle-Calédonie, avec cette différence que ces derniers faisaient rôtir les corps de leurs ennemis pour en faire un plantureux festin dans un pilou-pilou monstrueux. L'armement des Hovas se composait d'une sagaie, sorte de javeline, lancée, comme le pilum romain et le javelot. grec, à 25 ou 30 mètres de distance, d'un bouclier en bois


recouvert de cuir de boeuf et d'une sorte de grand coutelas. Leurs fortifications, analogues à celles des Romains, consistaient en un fossé de 6 à 7 pieds de largeur et de profondeur, au fond duquel on plantait une palissade de bois formant à la fois couvert et obstacle. Ce sont les Anglais qui ont servi d'instructeurs aux Hovas, leur ont fourni des fusils, des canons et leur ont donné un rudiment d'organisation militaire et de tactique. Cela a pu être suffisant contre les tribus malgaches armées de sagaies et sans aucune organisation militaire, et aussi tant que les Français ont borné leur action à des bombardements de cases, des batteries de côte, et n'ont jeté à terre que quelques centaines d'hommes provenant des compagnies de débarquement ou des troupes de la marine. La question change de tout en tout, maintenant que la France est décidée à une action énergique poussée jusqu'au plateau central. Organisation actuelle de l'armée hova. Recrutement. — Commençons par le recrutement, qui est la pierre angulaire de tout édifice militaire. Le principe est le service militaire obligatoire que doit pendant cinq années tout homme libre et valide, âgé de 18 ans. Après cette période de service actif, les soldats sont libérés et envoyés dans la réserve, à moins d'un cas extrême, celui d'une guerre, où le gouvernement a le droit de les retenir sous les drapeaux. Les fraudes en matière de recrutement, de la part des

autorités, sont punies fort sévèrement. Voilà pour le principe. Dans la pratique cela se passe autrement.


Les levées n'ont d'abord pas lieu régulièrement chaque .année. Quand le premier ministre veut en faire une il

convoque les gouverneurs chefs de district de l'Emyrne, et ceux-ci lui rendent; compte du nombre d'hommes en état de porter les armes n'ayant pas encore été soumis à la loi de recrutement. Le contingent est déterminé d'après ce total et fixé généralement à 25.000 hommes. Il est réparti entre les gouverneurs, selon le chiffre numérique qu'ils ont fourni au premier ministre. De retour chez eux, les gouverneurs font appeler à leur tour les chefs de village et leur indiquent l'effectif dû par

leur district. C'est alors que les opérations réelles du recrutement commencent. Les chefs dressent la liste des futurs soldats. C'est à qui n'en fera pas partie : à prix d'argent ou de cadeaux, chacun cherche à s'en exempter. Alors, le chef de village enrôle les enfants de 14 à 16 ans, les pouilleux, les infirmes et même les vieillards qui n'ont pas le sou, pendant que ceux qui ont donné la forte somme sont rayés de la liste. Les valides sans argent se sauvent souvent dans la brousse ou s'expatrient. Quant aux esclaves, ils ne peuvent jamais être soldats, à moins qu'ils ne soient complètement affranchis et libres de toute obligation envers leurs anciens maîtres. Leur nombre en est, par suite, insignifiant (1). Le recrutement terminé, la cohue des conscrits, qui, loin d'imiter la conduite de nos joyeux « bleus » de France, restent plongés dans le marasme, est envoyée à Tananarive. Beaucoup désertent en route ; le reste est passé en revue par le premier ministre, qui fait lui-même office de conseil de revision. Il les voit une matinée par semaine, les examine, les reçoit et les fait immatriculer. Quand l'inscription (1) Ils

s'arrangent, en effet, de manière à ne jamais être libérés.


est faite sur le registre, le conscrit hova se résigne généralement à son mauvais sort. Le chiffre théorique de la levée, qui s'élève à 25.000 hommes, est loin d'être atteint dans la pratique. De 20.000 hommes incorporés au début de la loi de recrutement (qui remonte seulement à 1879), le rendement est tombé, en 1893, à 7.500 environ. De plus, les levées n'ont pas eu lieu régulièrement tous les ans. De sorte qu'en estimant à 100.000 hommes le chiffre des soldats enrôlés depuis 1879, on sera largement au-dessus de la vérité. Si nous prenons comme base ce chiffre de 100.000, il ne semble point exagéré de dire que la mort, la vieillesse, les maladies, les infirmités, etc., en rendront une bonne moitié indisponibles ; de sorte que la population totale hova de l'Emyrne ne fournira que 50.000 combattants pour la défense du territoire. Dans le pays betsiléo, le recrutement, chez le vaincu, donne encore de plus mauvais résultats, et il n'y a pas 1.000 hommes qui aient, fait leur service militaire. Dans les autres provinces de Madagascar, les soldats hovas encadrent les indigènes sakalaves, betsimaracs, etc., comme nos cadres français encadrent nos soldats indigènes dans les troupes d'Afrique et coloniales. Il peut y avoir 3.000 Hovas et environ 12.000 soldats indigènes. Mais, au premier obus français qui viendra éclater auprès d'eux, ces soldats enrôlés par force, qui détestent les Hovas, prendront la poudre d'escampette. Le premier ministre n'a donc à compter sérieusement que sur 50.000 hommes pour repousser une invasion qui sera cette fois poussée à fond. Que valent, au point de vue militaire, ces 50.000 hommes ? Sont-ce des soldats exercés ou des milices sans valeur sérieuse ?


Forces entretenues régulièrement. — Quand le recrutement est terminé, la majeure partie des recrues retournent dans leur village. On les instruit sur place, et elles restent à la disposition du gouvernement. Leur instruction est à peu

près nulle.

Une autre partie est envoyée dans les rouves (postes) de l'intérieur et les batteries de la côté, pour en constituer la garnison. On en garde 4.000 à Tananarive pour former la .garde royale. C'est là le véritable noyau de l'armée malgâche. Répartition en compagnies et bataillons. — Le système décimal est la base de l'organisation des corps de troupe.

hommes forment une compagnie, dont le capitaine ;(amboujinost-e) a un officier sous ses ordres et 5 sergents. Pas de caporaux. Le simple soldat est au-dessus du paysan, car il est au pied de l'échelle hiérarchique, en sa qualité de premier counani hitd, dont le mot à mot signifie « fleur d'herbe » et que nous avons traduit par « honneur ». Il n'en est pas plus fier pour cela. Les hauts personnages du royaume sont des 12es ou 15es honneurs. V. L'instruction de la compagnie commence dès que 100 hommes sont recrutés. Quand elle est supposée finie, on réunit 10 compagnies sous le commandement d'un chef de bataillon dénommé ambou narine (chef de mille). Voilà où s'arrête l'organisation tactique réelle de la niasse de l'armée liovai Elle doit former six corps d'armée, chacun de 3 brigades à 3 ou 4 bataillons, mais ces corps n'existent que sur le papier. La garde royale a une organisation plus complète. Ses 4.000 hommes sont divisés en six bataillons qui comptent en tout près de 250 officiers, soit un officier pour 16 hommes. Si l'on veut y joindre les sergents, on voit que la garde est solidement encadrée. Il est probable que ces 100


4.000 hommes seraient portés à 15 ou 20.000 en écrémant le reste de l'armée pour en faire un corps d'élite contre

lequel nous aurions à lutter d'abord. Cependant, ces hommes d'élite ne font d'autre service que de fournir les corps de garde au palais et ailleurs et ne vont à l'exercice qu'une fois par semaine. Néanmoins, d'après des informations récentes, il paraîtrait qu'on leur fait faire l'exercice tous les jours maintenant, dans l'éventualité de la guerre. Ce sont les seules forces entretenues régulièrement avec les 3.000 Hovas qui encadrent les Malgaches dans les postes des pays sakalaves, Betsimarac, Antokoro, etc. Nous avons vu combien était douteuse la fidélité de ces contingents, dont l'effectif n'est guère supérieur à 12.000. Réserves. — En somme, Madagascar dispose de 7 à 8.000 soldats à peu près réguliers ayant derrière eux une réserve au plus de 40 à 45.000 hommes. C'est un total de 48 à 53.000 soldats. Prenons le chiffre moyen de 50.000 hommes, et nous ne serons pas loin de la vérité.

Esprit militaire. On peut déjà, par la résistance que les Hovas présen-

tent à se laisser incorporer, prévoir qu'ils n'ont nullement l'esprit militaire de nos nations européennes. Or le moral est presque tout, à la guerre. Il fait, comme dit Napoléon, les trois quarts du succès. Sous ce rapport, sans manquer de bravoure, le Hova est fort inférieur au Dahoméen et aux noirs du Soudan. Depuis Radama Ier, le métier militaire est mal considéré. La discipline, qui était terrible dans l'armée hova, car on brûlait vifs les déserteurs du corps, est devenue des plus bénignes, et l'on n'a infligé aucune peine aux déserteurs des dernières expéditions.


Après le premier choc entre nos troupes et les Hovas, quand ceux-ci auront éprouvé les effets de nos balles Lebel et de nos obus à mitraille, ils déserteront en masse ou se laisseront faire prisonniers sans résistance. Ce ne sera point par lâcheté, car ils ont très bien tenu dans leurs lignes fortifiées de Farafate en 1885 ; mais cette fois, devant des attaques poussées à fond par nos soldats, ils ne tiendront pas. On peut baser cette prévision sur les résultats des dernières expéditions. Sur 2.000 Hovas envoyés en 1893 sur Mevatane, dans le Boueni, il n'en restait plus que 300 au bout de quelques semaines. Déjà, dans la première expédition de Tullear, en 1888, la moitié des troupes avait déserté. En 1891, dans une expédition de 500 hommes dirigée contre un chef de la côte sud-ouest, il arriva 30 soldats : 470 avaient filé dans la brousse pendant la route. Peut-être la haine nationale du Hova contre le Français, son ennemi héréditaire, le fera-t-elle rester davantage sous le drapeau ; mais ce bel enthousiasme s'évanouira au

premier revers.

Instruction et tactique. Les Hovas ont bien fait appel à des instructeurs étran-

gers pour dresser leurs troupes ; mais, tout en reconnaissant la supériorité des méthodes d'instruction et de tactique européennes, ils n'ont pu se les assimiler. Des règlements tactiques, ils n'ont pris, comme les Chinois, que la partie mécanique et superficielle sans en pénétrer le sens et l'esprit. Il ne faut pas trop leur jeter la pierre : nous avons vu, dans l'armée française, tout le mal que nous avons eu, après 1870, pour sortir des règles routinières et empiriques, fruit de tous nos règlements tactiques depuis celui


de 1791, dont l'influence néfaste a pesé sur notre armée. pendant trois quarts de siècle. Les instructeurs anglais sont les honorables gentlemen Graves et Shervinton. Ce dernier dirige une école de cadets d'artillerie, dont le nombre ne dépasse pas 49. Ils ont une certaine valeur. Par ailleurs, l'instruction des officiers hovas est celle de nos anciens: officiers de la garde nationale de Louis-Philippe. Ils savent quelques manoeuvres en ordre serré, d'école de compagnie et de bataillon. L'instruction individuelle qu'ils donnent à leurs soldats consiste à peu près uniquement dans le maniement d'armes. Pas d'école de

tirailleurs....

Quant aux formations de combat, elles ne sont nullement réglementées. Chaque chef cherche à innover. On les fait au son du clairon, dernier vestige de notre ancienne école de tirailleurs d'avant la guerre de 1870. Au premier son, les hommes forment une masse plus ou moins confuse derrière les officiers à cheval ; au deuxième son, il en sort une chaîne de tirailleurs informe et grouillante, suivie par le. reste en réserve. C'est une parodie grotesque de nos formations de combat. On ne fait jamais de service en campagne, pas même d'instruction de tir. Quand l'officier malgache a enseigné au soldat l'art de mettre le fusil en joue dans une position à peu près correcte, cela lui suffit. .Le fantassin hova et l'artilleur ne tirent jamais le fusil et le canon, les cartouches et les gargousses coûtent trop cher. Le feu des Hovas n'est donc guère à redouter. Tenue. Le simple soldat porte un pantalon en toile blanche, un veston de même couleur de coupe anglaise bordé de rouge

;


sur la tête une sorte de toque de pâtissier en toile blanche avec les initiales de la reine et la couronne royale. Pour son équipement, il a un ceinturon à boucle, dans lequel on passe la baïonnette sans fourreau ; derrière, une vieille giberne. Ni sac, ni musette à vivres, ni toile de campement, ni couverture, ni capote," ni manteau, et cependant les nuits sont froides sur les plateaux de l'Emyrne et de l'Ankoye pendant l'hivernage. L'habillement n'est pas donné au pauvre diable de soldat. Aussi, on peut penser dans quel état de propreté doit se trouver un costume de toile blanche qu'il ne lave jamais faute de savon et surtout de peur de l'user, Les officiers ont une tenue fantaisiste, et un simple capitaine a le droit de porter un habit de général s'il peut se le payer. L'inverse est également vrai. L'idéal pour un ' .officier bova est d'avoir un bel habit rouge d'officier anglais, des épaulettes, un chapeau à plume et des bottes, de belles bottes vernies et bien reluisantes. Discipline. Pas plus qu'il n'est habillé, le. soldat hova n'est logé et nourri par son gouvernement. La caserne et la sonnerie de la soupe lui sont également inconnues. Il résulte de ce fait et de la tolérance qui permet qu'avec quelques sous donnés à l'officier un soldat carotte l'exercice hebdomadaire, qu'il n'y a dans l'armée hova guère plus de discipline que d'instruction. Cette armée n'est donc, en somme, qu'une mauvaise milice mal organisée n'ayant guère plus de valeur que les régiments réguliers chinois qui viennent de faire si piteuse figure devant les Japonais organisés, et exercés à l'européenne par nos deux missions militaires françaises.


Armement.

L'infanterie est armée, pour la majeure partie, du fusil anglais Suider. C'est une ancienne arme-bouche de gros calibre (14mm,77) transformée, dont la culasse a servi de modèle à notre vieux fusil à tabatière dont nous avons armé la garde nationale mobile en 1870-71. Sa justesse est médiocre et sa portée limitée à 1.000 yards (900 mètres). Il est fort mal entretenu par le fantassin hova, et la rouille doit lui enlever le peu de justesse qu'il possède. Il y a, en outre, des remingtons américains de ce calibre (14mm, 77) et qu calibre de 12mm5. Le total de ces armes ne dépasserait pas 20.000, moitié sniders et moitié remingtons. On prétend cependant que les Hovas auraient acheté plusieurs milliers de carabines américaines Winchester à 16 coups (magasin tubulaire dans le fût) destinées à l'armement de la garde royale. Nous avons trouvé devant nous, au Tonkin, les Chinois armés de winchesters et de remingtons, armes qui se sont montrées très inférieures à notre fusil Gras. Elles le seront encore plus en présence du Lebel. Ajoutons pour mémoire, aux 25.000 armes à culasse mobile que possèdent les Hovas, 10 ou 12.000 vénérables, fusils à pierre, contemporains des guerres de la Révolution et de l'Empire et qui ont servi aux Hovas pour soumettre, depuis Radama Ier, les peuplades malgaches. Il est à peine nécessaire de dire que ces armes n'ont aucune valeur. Elles sont si mal entretenues qu'elles éclatent toutes les fois que l'on veut s'en servir, car les Malgaches, comme les nègres du Sénégal et du Soudan, ont la rage de forcer la charge de poudre et de mettre plusieurs projectiles dans le canon de ces vénérables antiquailles. Quant aux armes se chargeant par la culasse, elles sont


si mal entretenues qu'il y en a une bonne partie hors de service. Somme toute, en laissant de côté les guerriers peu favorisés à qui le sort donnera un fusil à pierre et ceux encore moins fortunés qui n'auront que des sagaies et des .coutelas, nos 15.000 soldats n'auront devant eux pas plus de 25.000 à 30.000 hommes munis d'un armement infé-

rieur.

Artillerie hova. Le principal arsenal de Madagascar est dans le palais de la reine, à Tananarive. Il contient une assez grande quantité de pièces d'artillerie, savoir : Six batteries de canons anglais de campagne, de 10 livres, à chargement par la culasse, avec les munitions, les fusées et les armements en quantité suffisante ; Douze canons-revolvers et environ cinquante canons Hotchkiss français de petit calibre (37mm) lançant des obus de 500 grammes à 3.000 mètres de distance ;

Quarante mitrailleuses et trente canons Gardner anglais, lançant des balles de gros calibre en acier avec bague de forcement en plomb. Au total, 36 pièces de campagne et 100 canons-revolvers, canons de petit calibre et mitrailleuses (1). On trouve encore sur divers points de l'île, comme Tamatave, Majunga, Farafate, etc., une douzaine de vieilles pièces en bronze ou en fonte et une trentaine de hotchkiss et de gardners. Le débarquement se fera donc sans être contrarié par les artilleurs hovas, et ceux-ci réserveront leurs pièces et mitrailleuses pour la défense des ouvrages de fortifipour la valeur réelle de ces pièces, le chapitre XX, au paragraphe : Dernières nouvelles. (1) Voir,


cation qu'ils élèvent autour de Tananarive pour en défendre l'accès. Il paraît donc nécessaire que le corps expéditionnaire dispose de deux batteries d'un calibre assez puissant pour détruire, avec leurs obus allongés chargés à la mélinite, les redoutes et batteries qui pourraient résister aux obus de 80 de montagne. Il faut remarquer, en effet, que la terre du plateau d'Emyrne est une argile rouge très compacte, qui durcit vite au soleil et devient difficile à perforer, en sorte que, si les Hovas construisent actuellement leurs ouvrages, la terre aura le temps de sécher et de se tasser d'ici le mois de mai. Le prince Henri-Philippe d'Orléans porte le jugement suivant sur l'armée malgache et son armement : L'effectif sur lequel pourrait compter le gouvernement malgache comprendrait quarante-cinq mille Hovas et quinze mille hommes de contingent étranger (Betsiléos, Antankars, etc.), ceux-ci plus mauvais soldats que les Hovas. L'armement se composerait de vingt mille fusils se chargeant par la

culasse, huit à neuf mille fusils à pierre et environ quatre-vingts canons, parmi lesquels un Armstrong se chargeant par la culasse, dix mitrailleuses anglaises, trente gardners, douze canons-revolvers et vingt-quatre pièces diverses se chargeant par la culasse. En outre, dix mille nouveaux fusils se chargeant par la culasse seraient arrivés récemment et on attendrait douze canons de gros calibre commandés à M. Shervinton. Ce dernier, actuellement absent de Madagascar, ramènerait avec lui à son retour une vingtaine d'Anglais pour diriger des travaux de fortification. Tels sont, en résumé, les renseignements que j'ai pu recueillir sur l'armée des Malgaches. On voit que leur gouvernement se prépare à la guerre, et c'est en difficultés nouvelles, c'est-à-dire en hommes et en argent, que nous devrons payer le temps perdu à prendre une décision (1).

ne serait pas l'argent qui manquerait au premier ministre pour l'achat d'armes, car M. Martineau prétend Ce

(1)

Madagascar.

— Calmann-Lévy,

éditeur.


qu'il existerait au palais de la reine une réserve de plusieurs millions en numéraire, laquelle serait enfermée dans des jarres et enfouie en terre. Seuls le premier ministre et le ministre de l'intérieur auraient l'accès de ce précieux trésor, dont la valeur serait évaluée à 12 ou 15 millions (d'aucuns disent 20) (1).

C'est à notre flottille chargée du blocus d'empêcher les canons et les fusils achetés en Amérique et en Europe de débarquer leur chargement à Madagascar. On prétend même que le premier ministre aurait commandé à la maison Nordenfeldt des mitrailleuses Maxim, en concurrence avec le gouvernement français (???)

Intendance et services auxiliaires. Nous n'étonnerons pas nos lecteurs en leur disant que ; l'intendance n'existe pas dans une armée où le soldat n'est ni logé, ni nourri, ni habillé. .Le service médical et pharmaceutique est également .inconnu, de même que le train. Inutile de parler des postes et télégraphes et autres services auxiliaires. Il résulte de là qu'une armée hova est obligée de vivre sur le pays. Les soldats vont en maraude pour chercher des vivres, comme les soldats de Masséna devant les lignes de Torres-Vedras en Portugal, en 1810. "Si 'l'on "veut utiliser les porteurs, comme chacun d'eux ne peut porter plus de 25 kilogrammes de riz ou autres provisions et que la moitié leur est nécessaire pour vivre, il faudrait à une armée hova, pour une expédition qui durerait seulement quatre semaines, un nombre de porteurs au moins double de son effectif. Au bout de ce temps, l'armée hova devrait encore rece(1)

Madagascar. — Ernest Flammarion, éditeur.


voir le double de porteurs pour ne pas mourir de faim. On voit, par ce seul exposé, que si, par exemple, 10.000 Hovas venaient, à moitié route de Tamatave, nous barrer le passage dans les défilés de la chaîne secondaire, il leur faudrait 10.000 porteurs pour quinze jours de vivres ; ces porteurs devraient ensuite repartir et revenir quinze jours après avec un nouveau convoi. Si la défense se portait sur la route de Majunga à Monatanana, dans la vallée de la Betsiboka à côté de Suberbie ville. il faudrait 20.000 porteurs, dont 10.000 en route pour l'aller et 10.000 pour le retour, faisant constamment la navette et ne restant dans les lignes hovas que vingt-quatre heures pour déposer leurs vivres. Notre corps expéditionnaire aura, au contraire, des convois de boeufs, mulets, des éléphants s'il le faut, des porteurs, des bateaux, etc., et sera dans de meilleures conditions que l'armée hova pour se ravitailler et remplacer les munitions épuisées. Nous empruntons à M. Martineau, ancien député, le fait suivant, relaté dans son ouvrage sur Madagascar (1) : Dans la guerre de 1883-85, la garnison de Farafate, après avoir épuisé toutes les ressources du pays environnant, a dû envoyer chercher du riz à Tananarive, c'est-à-dire à 300 kilomètres. La durée du voyage de chaque porteur n'a pas été inférieure à quinze jours. Chaque homme a pu ramener 50 livres de provisions ; mais, comme lui-même était obligé de vivre, il en a absorbé la moitié pendant la durée du voyage, et il n'en est arrivé que 20 ou 25 livres à Farafate.

On peut donc avancer sans crainte que, à moins d'établir dès maintenant des postes fortifiés à la tête des vallées

que suivent les voies d'accès sur Tananarive, et de les munir de magasins à vivres, précaution que prennent toujours les Chinois et Annamites, la partie principale

(1)

Ernest Flammarion, éditeur.


se jouera à Tananarive. Tout au plus trouverons-nous sur la crête des plateaux des lignes avancées qui servi-

ront plutôt à signaler notre marche qu'à la retarder d'une manière sérieuse. Le manque de voies de communication praticables tournera plutôt au détriment des Hovas qu'à leur avantage. Outre le manque de vivres, par suite de l'impénétrabilité de leur pays et de l'absence de sentiers, ils ne pourront manoeuvrer sur nos flancs et ne faire qu'une défense directe de front. C'est ce qui va ressortir clairement du chapitre suivant.


CHAPITRE XI LA TOPOGRAPHIE DU PLATEAU CENTRAL DE L'ÉMYRNE ET SES VOIES D'ACCÈS

La chaîne centrale. — L'ascension sur l'Emyrne. — Le plateau de l'Emyrne. — Tananarive et ses voles d'accès.

La chaîne centrale. Nous complétons ce qui a été dit dans la première partie sur la géographie de Madagascar. Nous avons décrit la côte, ses baies et mouillages, et donné un rapide aperçu des rivières qui descendent toutes de la chaîne centrale, la plus élevée de l'île. Au centre de l'île et presque à égale distance du cap d'Ambre au nord et du cap Sainte-Marie au sud, s'élève le haut plateau de l'Ankove ou de l'Emyrne, analogue, comme dimension et position, au haut plateau de la Suisse. De ce plateau de l'Ankove descendent : Dans la direction du nord-ouest, conduisant au pays des Antiboina, la Maha jamba. Dans la direction ouest, conduisant chez les Sakalaves, les deux rivières la Betsiboka et son grand affluent YIkopa. Dans la direction est, conduisant chez les Bezanosanes, les Antsihanka, les Betsimaracs et les Betanimem, toute

une série de rivières dont la plus remarquable est l'Analazaotra, dont la vallée est utilisée par la route venant de Tamatave. De même, des montagnes qui composent le haut plateau suisse descendent le Danube, le Rhin et le Rhône. Les Suisses, par leur esprit guerrier et leur labeur infatigable, auraient envahi les Etats voisins si, au lieu de


grandes nations civilisées comme la France, l'Allemagne et l'Autriche, ils avaient, comme les Hovas, trouvé devant eux des peuples désunis et moins civilisés qu'eux. L'ascension sur l'Emyrne. Montons en Emyrne et sur l'Ankove. .Nous avons dit que, sur la côte orientale, se trouve une série complète de lagunes sur près de 400 kilomètres de long entre Masindrano et Tamatave. C'est une mince bande de terre sablonneuse où poussent cependant certaines espèces d'arbres et dont les habitants cherchent dans la pêche leur principale ressource. Ce pays est très malsain pour les Européens. On n'y circule qu'en pirogue. Quand on l'a traversé, — en admettant que nous venions de Tamatave ou de tout autre port de la côte orientale (Andevoranto par exemple), — on entre dans une région mamelonnée, dont les hauteurs, en forme de pains de sucre, sont séparées par des vallons de plus en plus étroits. Cette région est peu peuplée, les villages y sont rares. Les habitants pratiquent le farniente presque absolu et partagent leur temps entre le repos, l'amour, la danse et

la musique. La terre produit de quoi vivre. Elle est abondamment arrosée de petites rivières herbeuses qui permettent de planter des rizières et d'élever des troupeaux de boeufs. Derrière cette première zone de mamelons on trouve la grande forêt de Madagascar, qui descend au nord jusqu'au bord de la mer et, à partir de la baié d'Antongil, suit les flancs de la première grande chaîne parallèle à l'arête principale, dont la hauteur varie entre 800 et 1.000 mètres. C'est une grande forêt vierge, ayant une profondeur de 50 à près de 80 kilomètres, et contenant quelques rares


habitants qui demeurent dans les clairières. Elle arrive jusqu'à la crête, où elle s'arrête. L'autre versant des montagnes ne s'abaisse que d'une centaine de mètres à peine, formant une plaine d'une largeur de 30 à 40 kilomètres. A l'horizon se dessine la chaîne centrale, qui se dresse presque à pic, dominant la vallée du Mangour, dans laquelle nous sommes (1). Cette plaine, assez ondulée, est un peu plus peuplée que le versant de la côte. Elle est aussi plus salubre ; la température est plus fraîche, car nous sommes à une altitude moyenne de 1.000 mètres. Subitement, au bout de la plaine, commence un mur quasi-vertical de 3 à 400 mètres, se dressant comme une gigantesque marche d'escalier géant. C'est la grande chaîne centrale, la véritable épine dorsale de l'île, qui va presque en ligne droite du cap d'Ambre au cap Sainte-Marie. On la franchit par une montée fort raide et pénible, par des sentiers impossibles où il faudrait marcher à la file indienne, à la queue leu-leu, et par des cols où une poignée de soldats résolus arrêteraient un corps plus considérable. Au sommet de la crête on trouve une seconde forêt parallèle à la première, dont les essences d'arbres se rapprochent beaucoup de celles d'Espagne, d'Italie et de Corse. Nous sommes à 1.500 mètres d'altitude. La chaleur est tempérée, les nuits froides et les matinées fraîches. A cette altitude, l'Européen, fatigué du climat chaud et lourd de la côte, se sent revivre : il respire enfin à son aise. Une fois cette forêt franchie, nous sommes en plein sur le haut plateau de l'Ankove ou de l'Emyrne, épanouissement du centre de la chaîne dorsale. Il est dominé luicours du Mangour, d'abord parallèle aux deux chaînes, tourne ensuite à l'est et vient se jeter sur la cdte orientale au-dessous de Mohanoro. (1) Le


même par le massif des montagnes de l'Ankaratra, d'une hauteur de 2.000 mètres.

Le plateau de l'Emyrne. Le plateau de l'Emyrne ou d'Ankove est également, fort mouvementé et présente une succession de collines arides, aux sommets dépouillés d'arbres et sans arbustes. La terre du fond des vallées, traversée par des rivières et de nombreux marais, est une argile rouge et compacte. Elle serait, dit-on, infertile dans un climat moins chaud. Mais, telle qu'elle est, dans le fond des vallées, l'industrie des Hovas lui fait nourrir des troupeaux de boeufs, produire du riz, du manioc, des patates, des citrouilles, des cannes à sucre, du coton, etc. Près de Tananarive se trouve la grande plaine de Betsimitama, autrefois un lac et aujourd'hui convertie en une immense rizière d'où émergent comme des îlots de nombreux villages bâtis sur la pente des coteaux. Le plateau d'Ankove peut produire du blé, de la vigne et de la pomme de terre avec une culture convenable. L'expérience en a été faite par les Pères jésuites et les colons français, et a pleinement réussi. Si maintenant nous voulons inversement descendre sur la côte ouest de l'île, dans le pays sakalave, nous trouve rons des régions dépeuplées et incultes. Les mamelons sont moins serrés que sur la côte orientale ; les plaines sont plus vastes, mais elles contiennent peu d'habitants. Par les grandes vallées de la Betsiboka et de l'Ikopa, on descend, par une pente peu sensible, lentement vers la mer. Les montagnes forment plusieurs ramifications secondaires confusément enchevêtrées les unes dans les autres. Au sud de l'Ikopa, le haut plateau central de Madagascar s'arrête subitement, dominant de plusieurs cen¬


taines de mètres la chaîne parallèle à la côte ouest des monts Bougoulaves. Le haut plateau de l'Ankove et le pays betsiléo, qui en est le prolongement naturel au sud, sont ainsi isolés au centre de l'île. Au fur et à mesure que l'on se rapproche de la côte, les villages commencent à reparaître, et l'on retrouve les forêts à 40 ou 50 kilomètres de la côte. Ces forêts sont isolées et ne forment point un seul bloc comme la grande forêt de la côte orientale. Enfin, plus bas, sur la côté, sont des plaines couvertes de bois de tamariniers. La terre contient de l'humus ; elle n'attend que la main de l'homme pour devenir fertile. Cette côte étant sensiblement plus basse que la côte est, les rivières qu'elle reçoit coulent sur une pente moins rapide ; les chutes, qui empêchent la navigation presque à l'embouchure des rivières de la côte est, commencent ici beaucoup plus loin. C'est ainsi que l'Ikopa et la Betsiboka sont navigables pendant près de 200 kilomètres. C'est une remarque intéressante à mettre à profit et qub sera la cause déterminante de la marche par la côte ouest. Mais n'anticipons pas.

Tananarive et ses voies d'accès. Tananarive, la capitale du royaume hova, primitivement un misérable village nommé Antananarivo, composé de quelques huttes, est devenu une ville de 80 à 100.000 habitants. Il ne faudrait pas cependant y chercher le confort de nos cités européennes, et le moindre de nos bourgs a une voirie et surtout une viabilité meilleure. Autour de la ville serpentent de mauvais sentiers inaccessibles à peu près aux chevaux et a fortiori aux voitures. Seul le che¬ :


min de Tananarive à la ville sainte d'Ambouimang, à 25 kilomètres de distance, pourrait devenir carrossable. Tout autour de Tananarive on trouve un pays complètement déboisé, jusqu'à la forêt d'Ankeramadine, à 30 kilomètres à l'extrémité orientale du plateau de l'Emyrne. Les habitants ont, en effet, détruit complètement les bois pour ne pas être surpris par les. bandes ennemies qui les attaquaient autrefois. En même temps, ce déboisement permet la pâture de leurs grands troupeaux de boeufs.

Il en résultera que notre corps expéditionnaire, une fois sur le plateau, après avoir vaincu la première résistance à la crête, sera lui aussi à l'abri des surprises, si dangereuses, dans les pays boisés tropicaux, pour les colonnes européennes. La précaution prise par les Hovas se retournera ainsi contre eux. Il leur restera seulement le bénéfice du grand champ de tir, des ouvrages élevés autour de Tananarive par l'Anglais Shervinton ; mais cet avantage profitera aussi à l'attaque, qui pourra, dès 3 ou 4.000 mètres de distance, concentrer le feu de son artillerie sur le point d'attaque choisi. Un certain nombre de pièces de fort calibre sont donc nécessaires pour la lutte finale (1). Tananarive est l'objectif final, le but unique de tous nos efforts. Pour y monter, trois routes seulement s'offrent à nous. Ce sont, classées dans leur ordre d'emploi : 1° La route de Tamatave; 2° La route de Majunga ; 3° La route de Fianarantsoa. Pour décrire ces trois routes, il faut en emprunter la description aux voyageurs et aux colons qui s'en sont Après la conquête, les 12 pièces de 9oml° serviront pour l'armement de la citadelle à construire à Tananarive. (1)


servis. L'auteur qui nous a paru en donner la description la plus exacte est M. Martineau. Il commence par faire ressortir qu'il n'y a pas de véritables routes dans l'île, mais seulement de misérables sentiers où les Malgaches, seuls peuvent s'aventurer. C'est un plan préconçu, suivi par les Hovas. Ils veulent ainsi décourager les puissances européennes d'envoyer une expédition ; sachant qu'ils sont incapables de se défendre contre une force organisée un peu sérieuse, ils se rendent compte que la nature du pays et les difficultés de la marche constituent leur meilleure défense. Or, il faut l'avouer, il n'est rien de comparable aux sentiers de Mada-

gascar, pour décourager même un voyageur de s'engager dans le pays. Ces sentiers sont tracés par les pas de l'homme et ne sont l'objet d'aucun autre travail. Entre les villes ou plutôt entre les localités qusont en rapports continus les unes avec les autres, la marche répétée finit par durcir la terre et constituer un chemin. Ce chemin suit tous les caprices de la nature et décrit les courbes les plus fantaisistes ; il ne viendrait à personne l'idée de couper un arbre ou même une touffe d'herbes un peu épaisse pour tracer une ligne droite. Un arbre vient-il à tomber, les Malgaches no l'enlèvent pas ; ils attendent qu'il pourrisse. S'il est au ras du sol, ils l'enjambent ; s'il est à une certaine hauteur, ils passent dessous ; s'ils ne peuvent ni l'enjamber, ni passer dessous, ils le contournent. Une fondrière vient-elle à se produire, ils ne la comblent pas, ils marchent dans l'eau boueuse, jusqu'à ce que le soleil ait desséché le sol. Toutefois, ce ne sont là, pour une marche à travers l'Ile, que des difficultés sans importance. Quand on est en plaine, ces obstacles no comptent pas ou comptent peu. Ils deviennent au contraire très sérieux et très réels lorsqu'on s'élève dans le pays. On a vu quelle est la configuration de Madagascar : c'est une série de mamelons juxtaposés, sans ordre apparent, et qui, vus d'une certaine hauteur, font l'effet de tombes gigantesques dans un cimetière infini. Les plaines sont très rares et très étroites ; il faut toujours monter ou descendre. Parfois, comme sur la route de Tamatave à Tananarive, ces montées sont très brusques, s'élevant d'un seul coup de 300 à 400 mètres, avec des inclinaisons de 60 à 70 centimètres par mètre. Cest alors que se manifestent [les difficultés de la route. Les pieds. glissent sur la terre argileuse, et, pour peu qu'il ait tombé de la pluie, les voyages deviennent presque impossibles. Ajoutez qu'il faut traverser fréquemment soit des marais, soit des rivières ; quand il y a peu d'eau, en les passe à gué ; lorsqu'il y en a trop, on les franchit sur dos troncs


d'arbres jetés d'une rive à l'autre : les ponts sont inconnus à Madagascar. Inutile de songer à faire passer dans ces sentiers des chevaux, ni même des mulets ou des ânes ; les hommes seuls peuvent s'y engager. Les Malgaches sont à ce sujet d'une adresse et d'une intrépidité vraiment prodigieuses ; aucun obstacle ne les arrête, et c'est en courant qu'ils font l'ascension des collines les plus escarpées. L'Européen doit avoir recours à leur service s'il veut faire un voyage quelconque ; à défaut des autres difficultés, les fondrières, les marais et les cours d'eau lui en font une nécessité. Il engage à cet effet un certain nombre de porteur dits bourjanes pour le voiturer sur leurs épaules dans une sorte de brancard auquel est adapté un siège en toile ou en cuir et que l'on nomme filanzane ; le nombre des porteurs est proportionné à la corpulence du voyageur ; il varie de huit à douze. Les bagages nécessitent également des bourjanes : chaque homme peut porter de 20 à 25 kilogrammes. Les charger davantage serait prolonger le voyage; ils ne pourraient fournir ;les 40 à 45 kilomètres de course qu'on est on droit d'exiger d'eux dans une journée. Toutes conventions débattues avant le départ, on peut s'en rapporter à leur loyauté pour la durée du voyage; ils emploieront à vous servir toutJe dévouement dont ils sont capables. Il importe seulement d'être .bon et ferme à leur égard et de ne point les brutaliser. S'ils peuvent gagner du temps, ils le feront volontiers ; ils mettent une sorte d'amourpropre à prouver au blanc qu'ils ont le pied ferme et le jarret solide. Pour le voyage de Tamatave à Tananarive, qui dure six jours, on les paye généralement 17 fr. 50 par homme ; toutefois, ce prix n'a rien d'absolu. Telles sont les conditions dans lesquelles on voyagea Madagascar; il est toutefois des contrées plus mauvaises les unes que les autres. La route la plus fréquentée est celle de Tamatave à Tananarive ; elle est aussi la moins bonne. C'est à elle surtout qu'il convient d'appliquer les observations qui précèdent sur les difficultés d'un voyage dans l'île. On marche d'abord pendant deux jours le long de la mer, jusqu'à Andévourante, dans un terrain plat et sablonneux, assez bien gardé des rayons du soleil par les filaos, les vacoas et les autres arbres de ces Régions. A Andévourante seulement, on s'engage dans l'intérieur du pays. C'est un coude qu'il faut nécessairement faire. Il a été, jusqu'à ce jour, impossible d'aller directement de Tamatave à Tananarive. On raconte que le roi Radama Ier a fait ce trajet avec une armée; mais, depuis qu'il est mort, la route de Radama, comme on l'appelle, n'a plus été fréquentée par les voyageurs, et ceux qui ont voulu traverser le pays la déclarent impraticable. Après Andévourante, commencent les mamelons, puis viennent les montagnes avec des pics abruptes, dont le plus élevé atteint 1.565 mètres. Il n'est qu'une plaine un peu étendue, celle de Mouramang ou du Mangour ; on la traverse en huit heures.


La route de Tamatave à Tananarive par Andévourante est de 282 kilomètres. Après la route de Tamatave, la plus importante est celle de Majunga. Elle a une longueur plus considérable — 442 kilomètres — mais elle est moins fréquentée. Depuis les incursions des fahavalos, le commerce de l'intérieur do l'île aboutit presque tout entier à Tamatave. Cependant, la route de Majunga est meilleure, non que le sentier y soit mieux tracé, mais il passe dans une région moins accidentée. Les montagnes d'Ambouimène, qui sont les plus hautes, ne dépassent guère un millier; de mètres et ne présentent nulle part ces pentes abruptes ou ces longues ascensions qui caractérisent la route de Tamatave. On pourrait, en. contournant quelques mamelons ou en les coupant à mi-côte, tracer une route régulière et facile à suivre. Par contre, au sortir de l'Imerne, le pays est plus pauvre encore que sur la côte orientale; les villages y sont plus clairsemés et plus déserts ; à perte de vue, sauf en approchant de la mer, ce ne sont, après la saison des pluies, que des collines sans végétation et sans culture; les indigènes brûlent toutes les herbes pour faire paître leurs troupeaux; alors une brousse insignifiante et rare tient lieu de forêt. Il n'est, sur toute cette route, qu'une localité un peu importante, Suberbieville, non loin du confluent de l'Icoupe et du Betsibouc. Suberbieville est le centre de l'exploitation aurifère qui a été concédée en 1886 à M. Suberbie. Des pirogues calant un mètre et portant trois tonnes de marchandises peuvent remonter toute l'année jusqu'à Suberbieville. On abandonne alors assez généralement la route de terre pour descendre en pirogue le cours du Betsibouc. En deux ou trois jours, si les eaux le permettent, on arrive à Majunga. Une troisième route assez importante est celle de Tananarive à Fianarantsoa, à travers l'Imerne et le pays betsileo. Elle passe dans la partie la plus riche et la plus peuplée de l'île et n'est guère fréquentée que pour les services administratifs. Elle n'offre d'ailleurs pas plus de difficultés que celle de Majunga et pourrait, comme elle, être convertie sans trop de peine en une route où les voitures pourraient circuler. La. distance de Tananarive à Fianarantsoa est de 391 kilomètres et est facilement parcourue en sept jours. Fianarantsoa est à son tour mis en communication avec la côte par un assez mauvais sentier qui aboutit à Mananzar et, de là, se dirige au sud le long de la mer dans la direction du Fort-Dauphin. Il n'est pas dans l'île d'autres routes régulières ; l'homme qui veut suivre d'autres pistes est obligé de se frayer lui-même un chemin à travers la brousse; son voyage prend alors le caractère d'une explo-

ration

(1).

Tous les ouvrages récents écrits par des hommes sérieux ont fait ressortir que, si la route de Majunga est plus longue, (1) A.

Martineau, Madagascar. — Ernest Flammarion, éditeur.


elle est en revanche beaucoup moins raide. C'est l'avis général des colons, qui est rapporté par le prince Henri d'Orléans. Qu'il me suffise de dire que, de l'avis général, le corps expéditionnaire doit comprendre une douzaine de mille hommes : que par la route de Majunga (nous l'avons parcourue, la montée est facile), les troupes rencontreront beaucoup moins de difficultés matérielles que nombre de gens se l'imaginent en France.

Nous avons donc été grandement étonné de trouver précisémenttout le contraire dans une brochure d'une cinquantaine de pages, que son auteur, M. P. Drut, s'est donné la peine de nous envoyer. Dans cette brochure, que beaucoup de personnes ont dû recevoir comme nous, l'expédition future de Madagascar est attaquée avec une habileté remarquable. L'auteur se bat les flancs pour prouver que la France engage là une dépense inutile, que Madagascar n'est pas colonisable et qu'il suffit de faire le blocus pour mettre les Hovas à la raison. M. P. Drut a édité lui-même sa brochure. A-t-il visité Madagascar? C'est ce qui ressort de son livre. En tout cas, il est pessimiste. A l'entendre, la route par Majunga serait encore plus mauvaise que celle par Tamatave, et, comme celle-ci est reconnue par tout le monde comme impraticable, la conclusion est forcée : notre corps expéditionnaire, ne pouvant déboucher sur le plateau, sera obligé de revenir sur ses pas, d'où un échec moral et matériel pour la France. Nous donnons, à titre documentaire, la description des deux routes de Tananarive, faite par M. P. Drut : Il n'y a pas plus de route du côté de Majunga que de Tamatave ; le pays n'est qu'un amoncellement de collines et de montagnes. Voyons rapidement quelles sont les deux routes qui mènent à Tananarive. La distance de Tamatave à la capitale est d'environ 280 kilomètres. De Tamatave à Andevoranto, on marche entre la mer et les étangs ; on se sert aussi de pirogues.


Cette distance est de 100 kilomètres. D'Andevoranto, généralement on remonte la rivière jusqu'à Maromby, mais on peut la traverser seulement et faire la route par terre. Le pays est mamelonné, facile, pas d'arbres, si ce n'est dans les fonds, où il y a un peu d'eau, quelques raffias ou arbres du voyageur (ravenala). On approche des montagnes qui apparaissent boisées, on est à Ampasimbe (46 kilomètres) ; on traverse un petit bois et on arrive à Beforona (500 mètres d'altitude), à l'entrée de la forêt, que l'on quitte à Ampasimpotsy (985 mètres d'altitude). D'Ampasimbe à ce village (44 kilomètres), c'est la partie la plus pénible de la route. La forêt peut avoir 25 kilomètres d'épaisseur ; nous l'avons traversée en une journée. La première chaîne de montagnes est franchie ; on gagne sans difficulté Moramanga (8 kilomètres). On aperçoit pour la première fois des maisons en briques. La traversée de la vallée du Mongoro est très facile et, après avoir circulé dans les rizières, on arrive à Sabotsy (32 kilomètres). On attaque alors la seconde chaîne de montagnes ; on traverse encore une petite forêt de très peu d'épaisseur et on est entré dans l'Emyrne ; on continue à s'élever facilement jusqu'à environ 1.550 mètres d'altitude et on aperçoit au loin Tananarive. De Sabotsy à la capitale, il y a 49 kilomètres ; au loin, on voit des villages, mais nous avons dit ce qu'ils étaient. Pour éviter les marais entre Tamatave et Andevoranto, on pourrait se diriger directement sur Ampasimbe ; et, si on pouvait débarquer à Andevoranto, quel avantage ! 100 kilomètres gagnés ! La distance de Majunga à Tananarive est de 450 kilomètres. On fait valoir on faveur de cette route que l'on peut remonter l'Ikopa au delà de sa rencontre avec le Betsiboka jusqu'à Maevatanana. En pratique, il n'en est pas toujours ainsi, et c'est malheureux, car de Maevatanana et Tananarive il n'y a que 280 kilomètres. Le fleuve no peut être remonté que par des bateaux d'un très faible tirant, et encore seulement pendant la saison des pluies — octobre à

mars.

.Nous l'avons descendu en pirogue à partir do Maevatanana, et, étant partis à 2 heures du soir, nous n'avons pu parvenir que le quatrième jour à minuit à Maroway ; l'hivernage était cependant commencé. De là, avec un boutre, il nous a fallu, pour arriver à Majunga, un jour et une nuit, cotte dernière passée à attendre la marée. Nous nous demandons quel avantage offre cette route ; on se. trouve en présence, dans une expédition, d'un ravitaillement qui peut devenir extrêmement difficile et sera en tout cas toujours très onéreux. Ce n'est pas tout : il faut songer aux porteurs. Or, cette région est la moins peuplée et, en outre, si les Sakalaves sont des combattants, ils ne pourront servir de porteurs.


C'est d'autant plus grave qu'il faut bien savoir qu'on ne trouvera

rien dans le pays.

Ceci dit, revenons à

notre route. En quittant Maevatanana, on circule au milieu de gros blocs de rochers, isolés ; on longe un peu l'Ikopa et on arrive à Ampasihiry (60 kilomètres.) Il faut gravir des collines qui s'éboulent, et, circulant dans des vallées plus ou moins étroites, on est à Malasty (30 kilomètres). Après avoir passé la rivière Kamalandy, on trouve un défilé des plus étroits ; il faut traverser la rivière Mamokimita et s'élever brusquement sur une crête à pic des doux côtés, longue de quelques kilomètres, pour descendre brusquement à Ampotaka (40 kilomètres). On est dans les montagnes, on a vu quelques petits bois pendant ce parcours ; village d'Ambohinoro (18 kilomètres). A partir de ce point, nous n'allons plus voir un arbre, même un arbrisseau, sauf exception dans les villages. Kinagy, pays désolé, desséché ; puis on descend brusquement dans une gorge tourmentée. Tous les villages traversés étaient sakalaves, construits en paillotes, entourés de fossés profonds défendus par des cactus. Maintenant, nous sommes dans de misérables villages de l'Emyrne, quelques maisons et quelle pauvreté ! et ce jusqu'à Tananarive. Lorsque cette triste gorge est franchie, on trouve Ankadoze (30 kilomètres). De ce point, on remonte entre les montagnes jaunes, aveuglantes, sans rien qui repose le regard, pour arriver aux marais qui sont auprès de Tananarive, qu'on n'aperçoit seulement qu'à quelques heures de distance (85 kilomètres). Nous ne voulons pas savoir, si on veut aller à Tananarive, quelle route sera préférée. Nous avons donné un aperçu rapide des deux itinéraires, qui ont chacun leurs avantages et leurs inconvénients.

Quoi qu'en dise

M.

P. Drut, ce bloc enfariné ne me dit

rien qui vaille, et malgré la manière adroite dont l'auteur critique la route de Majunga, son assertion nous paraît contestable, surtout quand on la rapproche de celle de M. Martineau. Entre les deux, nous n'hésitons pas et nous préférons la version de ce dernier, un bon Français patriote.


CHAPITRE XII Forces nécessaires pour l'expédition. — Plan de campagne probable. Marche rationnelle des opérations du corps expéditionnaire.

Forces nécessaires pour l'expédition. Il résulte de ce qui a été dit plus haut que nous aurons pour principal ennemi la nature du terrain et l'insalubrité de la côte. Une brigade de 6.000 hommes paraîtrait suffisante pour mater toute l'armée hova s'il ne fallait pas compter avec les pertes et l'invalidation. Partis 6.000 du bas de la côte, on arriverait 3.000 devant Tananarive, et, en cas d'échec, la retraite serait presque impossible. En effet, avec un effectif de 6.000 hommes, on ne peut disposer que de forces insignifiantes pour garder la ligne de communications. ' Un échec de la colonne une fois engagée sur le haut plateau pourrait tourner en désastre, faute de vivres et de munitions, si on laissait couper la ligne de communications. Il faut éviter de retomber dans les fautes commises au Tonkin. La brigade Négrier, réduite par les combats et les maladies à la moitié à peine de son effectif, se voit, à l'issue d'un seul combat douteux survenant après une série ininterrompue de succès, dans l'obligation de battre précipitamment en retraite, abandonnant même Lang-Son. Ce douloureux épisode, qui a brisé la carrière et fait périr à la fleur de l'âge le lieutenant-colonel Herbinger, est encore, présent dans toutes les mémoires. Pour arriver 8.000 devant Tananarive, après une marche. ;


longue et pénible, il faut partir 12.000. Pour garder la ligne de communications, non seulement sur la côte, mais encore par des postes échelonnés au fur et à mesure dans l'intérieur, il faut encore de 2 à 3.000 hommes. C'est donc une force de 15.000 hommes dont il faut pouvoir disposer, soit l'effectif d'une division sur le pied de

guerre. Infanterie. — La composition normale serait de deux brigades composées chacune de six bataillons de 1.000 hommes. Au total, 12.000 fantassins. Mais, s'il faut détacher un bataillon ou même deux pour une mission éventuelle, si l'on veut manoeuvrer en deux colonnes, — l'une chargée d'une attaque de front, l'autre d'un mouvement tournant, — la composition symétrique des deux brigades devient un embarras : l'une d'elles sera trop forte, et il sera nécessaire d'en détacher un ou deux bataillons pour une mission temporaire. Pour constituer une réserve dans la main du général commandant en chef, il faut enlever un régiment à l'une des brigades, ou tout au moins deux bataillons. Or, il est toujours mauvais d'enlever des unités tactiques au commandement de leurs chefs naturels. Pour ces diverses raisons, il est indispensable de doter le corps expéditionnaire de deux bataillons non endivisionnés, formant, dans la main du général en chef, une .réserve avec laquelle il pourra renforcer la colonne chargée de l'effort principal. Ces quatorze bataillons seront naturellement à quatre compagnies d'un effectif de 200 hommes chacune. Elles auront le cadre prévu pour une campagne européenne : par conséquent, 4 officiers (dont un de réserve) et un cadre complet en sous-officiers et caporaux. Elles compteront simplement 50 hommes de moins. Il serait mauvais de ne composer l'infanterie que de -,


troupes blanches. Les troupes indigènes doivent y entrer pour une part importante : elles sont, en effet, indispensables pour le service de sûreté, en marche et en station de jour, sous les ardeurs d'un soleil tropical et pour l'escorte des convois. Il est impossible que le soldat blanc puisse faire avec efficacité l'office de flanqueur et d'éclaireur de la colonne en marche. Il faut, pour ce service, des troupes indigènes. Nous pensons qu'il faudra, au minimum, quatre bataillons indigènes, savoir : deux de tirailleurs algériens pour la brigade n° 1, et deux de troupes coloniales de la marine (tirailleurs sénégalais, sakalaves ou annamites même) pour la brigade n° 2. Chaque colonne de brigade doit avoir ainsi deux bataillons indigènes, l'un à l'avant garde pouf éclairer et l'autre au convoi pour le flanquer. Leur rôle et le dispositif qu'ils doivent prendre seront indiqués plus loin (1). Le 19e corps fournira au moins trois bataillons européens : un de légion étrangère, un de zouaves et un d'infanterie légère d'Afrique (zéphyrs) ; L'infanterie de France, un bataillon de chasseurs et trois bataillons d'infanterie de ligne ; L'infanterie de marine, trois bataillons. Nous arrivons ainsi à notre chiffre de quatorze bataillons de 800 hommes chacun, ce qui donne 11.200 fusils. Artillerie. — Chaque brigade doit avoir deux batteries, de manière à pouvoir donner une batterieà chaque colonne de régiment, si la brigade se fractionne en deux. Deux batteries montées doivent rester à la disposition du général, ainsi que deux batteries de gros calibre de campagne pour l'attaque des positions fortifiées. C'est donc un total de huit batteries (quarante-huit caIl y aurait tout avantage à mettre six bataillons indigènes et huit seulement de blancs. (1)


nons). Avec les sections de munitions, cela fait environ 1.000 artilleurs. ' Cavalerie. — Il faut un régiment à trois escadrons de 150

sabres chacun. Avec les vétérinaires, maréchaux ferrants, etc., qu'il faut compter en plus, cela fait 400 sabres environ. On sera surpris que nous, fantassin, nous.demandions autant de cavaliers pour opérer dans un pays aussi accidenté que Madagascar. Mais il ne faut pas oublier que l'effet moral de la cavalerie sur le soldat noir est considérable, et qu'une fois sur le haut plateau de l'Emyrne, la cavalerie trouvera son emploi. Elle sera très utile pour couper la retraite de l'ennemi en se portant sur sa ligne de communications, mouvement qui amènera presque infailliblement sa retraite, à moins qu'il ne soit enfermé dans une enceinte fortifiée. Ce mouvement, quand il est exécuté à propos, est toujours d'un effet décisif avec les noirs. Pour l'investissement de Tananarive, la cavalerie sera donc très utile, surtout maintenant qu'elle possède sa carabine Lebel, très supérieure aux fusils de l'infanterie liova. Génie. — Dans un pays où il faudra marcher constamment la pelle et la pioche à la main, un bataillon du génie ne sera pas de trop. Il est nécessaire, en effet, de donner une compagnie à chaque brigade et d'en conserver deux à 'la disposition'du commandant en chef comme réserve. D'ailleurs, le génie est chargé de beaucoup de choses en campagne (ponts, télégraphes à établir, chemins de fer, aérostats, etc., etc.). Logiquement, un bataillon de 800 hommes nous paraît nécessaire. Gendarmerie, train, ouvriers d'administration et autres services accessoires. — Ce n'est pas exagérer que d'estimer à 1.500 ou 1.600 hommes environ l'effectif de ces divers services.


RÉCAPITULATION GÉNÉRALE DE L'EFFECTIF

Infanterie Artillerie Cavalerie Génie Services accessoires Soit, au total, 15.000 hommes.

11.200 hommes 1.000 — 400 800

1.500

— — —

Choix de l'effectif. — Comment choisir cet effectif et dans

quelle classe du contingent ? .Pour les troupes indigènes, l'âge importe fort peu, cela. se conçoit; mais, pour les troupes blanches, c'est bien différent. La légion étrangère se compose presque entièrement d'hommes au-dessus de 25 ans. Pour le reste de la troupe, ce serait, croyons-nous, une faute grave que de prendre de jeunes soldats ayant d'un à trois ans de service. Leur instruction militaire peut être suffisante, et nous ne mettrons pas en doute leur bravoure. C'est leur endurance que nous critiquerons : ils sont trop jeunes, et, pour une campagne coloniale qui s'annonce rude au point de vue des fatigues, ils ne sont pas assez résistants. L'homme n'a atteint toute sa croissance et sa vigueur physique qu'à 25 ans, quand ses apophyses sont soudées. Ce serait donc une faute de prendre des soldats trop jeunes pour cette campagne. Les Anglais, dont il faut admirer le bon sens pratique, ont un proverbe excellent : « Laissons les enfants à la maison, et envoyons les hommes à la guerre. » Et ils n'envoient jamais aux colonies de soldats ayant moins de 25 ans.


C'est d'ailleurs une vérité démontrée aujourd'hui par

l'expérience. En Cochinchine, au Tonkin, à Formose, au Sénégal et au Dahomey, le déchet parmi les troupes métropolitaines a toujours atteint d'énormes proportions, tandis que les troupes indigènes et les unités prélevées sur la légion étrangère et les bataillons d'Afrique ont montré une endurance suffisante. Et serait facile au Ministre de la guerre de se convaincre de ce fait sans même recourir aux statistiques d'un autre département ministériel ; il n'aurait qu'à demander à ses bureaux des renseignements sur la condition sanitaire des régiments de marche, des zouaves et des bataillons de chasseurs à pied qui ont été envoyés au Tonkin en 1884 et 1885. Les chiffres lui montreraient que, dès leur arrivée, ces troupes ont fondu avec une rapidité effrayante, par les entrées dans les hôpitaux et les décès ; .or, sous certains rapports, l'expédition de Madagascar est beaucoup plus difficile que celle du Tonkin, pays riche, plein de ressources, où l'alimentation du soldat a toujours été des plus aisées. Dans l'artillerie et l'infanterie de marine, le nombre de soldats rengagés est assez considérable. Il n'y en a pas dans les troupes de la guerre. Le Parlement n'a donc qu'à promulguer une loi spéciale portant que tous les hommes de la réserve et de l'armée territoriale de 25 à 35 ans, ayant fait trois ans de service actif ou un an et deux périodes d'instruction comme réservistes, pourront s'engager dans les troupes de la guerre et de la marine pour la durée de la guerre et au plus pour une période de deux ans. On en aura 20.000 en un mois, et l'on pourra faire un choix physique. On ne pourra pas, de cette manière, reprocher à l'expédition d'écrémer l'effectif de l'armée active.


Plan de campagne probable. Deux plans peuvent être adoptés. Le premier consiste à bombarder les villes et la côte, à les occuper et à attendre la réponse des Hovas à nos sommations. Ce plan, qui a parfaitement échoué en 1883, 1884 et 1885, est à rejeter, car c'est le système des demimesures. Un seul s'impose : c'est la marche sur Tananarive, et c'est celui que le gouvernement a proposé aux Chambres. Dans ce but, il a demandé 15.000 hommes et 65 millions, afin d'éviter le système des petits paquets successifs, qui, depuis l'expédition de Saint-Domingue, sous Napoléon Ier, jusqu'à celle du Tonkin de 1882, 1883 et 1884, nous a été funeste. Avec les peuples de l'Afrique comme avec ceux de l'Asie, il faut frapper un coup de massue. L'Algérie n'eût jamais été conquise si, en 1830, on n'avait pas envoyé du premier coup 30.000 hommes avec une nombreuse artillerie. Un corps plus faible aurait pu être battu et obligé de se rembarquer, abandonnant son artillerie, ses vivres, etc., comme les émigrés à Quiberon et les Français à Djidjelli dans l'expédition du duc de Beaufort, sous Louis XIV. Les trois routes d'accès sur Tananarive ont, été merveilleusement décrites par M. Martineau. En procédant par élimination, il faut d'abord écarter la route par Fianarantsoa, qui est trop indirecte et qui prend dans toute sa longueur l'Emyrne et le pays betsiléo. On n'a plus que le choix entre la route de Tamatave et celle de Majunga. La première est plus courte et plus directe; mais, en la choisissant, on justifierait l'axiome que « les chemins les plus courts ne sont pas les meilleurs ». Ses pentes sont à


peu près infranchissables pour de l'infanterie européenne, et seuls les Malgaches peuvent y cheminer. .Cette route présente, en outre, des défilés difficiles dont la prise ne serait pas sans difficultés s'ils étaient défendus suivant toutes les règles de l'art. Précisément à cause du peu de distance qui sépare de Tananarive (quatre ou cinq jours de marche) le passage de la chaîne. secondaire et son débouché dans la plaine de Mangour, ainsi que le pas.sage de la route dans la chaîne centrale qui n'est qu'à deux ou trois jours de marche de Tananarive, on donnerait, par cela même, aux Hovas, des facilités de résistance plus grandes. C'est, en effet, la question du ravitaillement en vivres et en munitions qui est la plus importante pour eux. 10.000 liommes, avec cinquante canons, défendant les passages de la chaîne secondaire, n'ont besoin que de 10.000 porteurs en deux équipes de 5.000. Chaque équipe consommant à l'aller et au retour, en une semaine (quatre à l'aller et trois au retour presque à vide), environ 7 à 8 kilogrammes de vivres sur les 25 qu'elle peut porter, il en résulte que chaque porteur donne, comme rendement utile, 17 à 18 kilogrammes de vivres, soit la nourriture d'un soldat hova pendanfquinze jours. Ces 5.000 porteurs assureront pendant huit jours la nourriture du corps de 10.000 hommes. Il suffit donc de n'envoyer qu'un convoi par semaine, laissant à chaque équipe une semaine sur deux de repos. Pour défendre le passage de la chaîne centrale, 6.000 porteurs suffiraient. C'est pour cette raison majeure que l'on n'a jamais songé à faire l'expédition de Tananarive par la route de Tamatave, si chère à M. P. Drut, qui l'a trouve plus facile que l'autre. La route de Majunga, par la vallée de l'Ikopa et de la Betsiboka, est donc la seule praticable pour une armée européenne, et nous n'avons pas. l'embarras du choix.


Décrivons ces vallées, ce qui complétera la description de

la route. — La rivière de l'Ikopa prend sa source à l'est-sud-est de Tananarive ; elle décrit une vaste courbe sur le plateau de l'Emyrne. Après s'y être grossie d'un grand Vallée de l'Ikopa.

nombre de ruisseaux et de torrents, elle prend une direction nord-ouest et traverse la série de gradins qui marquent le soulèvement du plateau central vers l'ouest. Les deux gradins principaux se rencontrent : le premier vers Kinojy, le second vers Ampotaka. Ils représentent,. sur un faible parcours, le premier une brusque descente de 300 mètres, le second de 200 mètres. Le chemin actuellement suivi les franchit, comme tous les chemins malgaches, suivant la ligne de plus grande pente ; mais la configuration du terrain permet de les aborder obliquement de manière à passer par les cols qu'on peut atteindre par des pentes rendues accessibles aux charrois. Si les Hovas veulent défendre ces deux mouvements de terrain, ils en sont respectivement à huit et douze jours de marche. Toujours dans l'hypothèse d'un corps de 10.000 hommes à ravitailler, il leur faudra deux équipes de 15.000, soit au total 30.000 porteurs pour assurer leurs ravitaillements. Il est probable, qu'ils se garderont bien de descendre jusqu'à Ampotaka. Nous ne pensons pas non plus qu'ils mettent autre chose qu'un faible détachement de 3 ou 4.000 hommes à Kinojy, qui se retirera dès qu'on fera mine de l'aborder par derrière, une des brigades simulant une attaque de front pendant que l'autre fera un large mouvement enveloppant. Nous doutons fort que les Hovas aventurent un corps sérieux, muni d'une artillerie suffisante, dans les défilés de Kinojy, qui ont contre eux le défaut grave d'être trop éloignés de Tananarive, ce qui exigerait des convois conti¬


nuels de porteurs pour en assurer le ravitaillement d'une manière complète. Les difficultés de la route se retournent ainsi contre les Hovas, et ils sont presque dans la nécessité de ne pouvoir défendre que la crête du plateau central. Dans cette région des brusques descentes et des gradins géologiques dont nous venons de parler, le pays est fort peu peuplé et ne présente presque pas de ressources. Audessous d'Ampotoka jusqu'à Ambohinoro, les incursions des fabavalos l'ont rendu presque désert. En continuant la descente de la vallée, on arrive à Andriba, marché le plus important du versant occidental de l'île, sur la route de Majunga. Au-dessous, la route passe à Ampasiry, à Tsarasaotra, centre minier où les Hovas ont installé des postes, et l'on arrive à Suberbieville. Cette petite cité, créée par l'intelligence d'un Français, M. Suberbie, qui a fondé un important établissement aurifère, est à 265 kilomètres de Tananarive et située sur le bord de l'Ikopa, à 35 kilomètres de son confluent avec la Betsiboka. Tout près de Suberbieville, se trouve le poste hova de Mevatanana, qui a été créé pour le surveiller. Vallée de la Betsiboka. partir confluent A de avec son — l'Ikopa, la rivière, de la Betsiboka, qui suit la route de Majunga, commence à être navigable. Elle porte, dans la saison des pluies, des bateaux qui calent 1 mètre; dans l'arrière-saison sèche (de juillet à octobre) les bateaux ne doivent pas caler plus de 0m,50. La Betsiboka va se jeter dans la baie de Bombetoc, la plus sûre de la côte ouest. Majunga. — Son port, qui se trouve à l'entrée de la rade de Bombetoc, est à l'abri des orages et des tempêtes qui


peuvent venir du large. Il est donc excellent pour une base d'opérations. Ce port est le débouché naturel des produits de la vallée et du plateau. Quoiqu'il soit à 450 kilomètres de Tananarive, il sera le grand entrepôt des marchandises avec toute la côte orientale d'Afrique, le jour où la France aura tracé des routes et des chemins de fer à Madagascar. La route actuelle de Majunga à Tananarive a été complètement relevée par divers explorateurs et par plusieurs officiers, notamment le lieutenant-colonel d'infanterie de marine de Beylié, sous-chef d'état-major du corps expéditionnaire (1), et le lieutenant d'infanterie de marine Aubé, qui, sous le déguisement d'un prospecteur d'or, a étudié la route et a procédé sans hâte à un levé méthodique et détaillé des parties de la route dont le lieutenantcolonel de Beylié lui avait confié l'étude. Il vient de rentrer en France avec la conviction que les principaux obstacles entre Tananarive et Mevatanana seront facilement tournés au moyen de travaux de faible importance. D'autre part, pendant les derniers jours d'octobre et la première quinzaine de novembre, l'escorte militaire du résident a pu, malgré les hostilités des gouverneurs hovas, descendre de Tananarive à Majunga, ayant avec elle M. d'Authouard, qui a fait plusieurs fois le trajet de cette route et en a établi un itinéraire très étudié. Tous les documents qui sont nécessaires à une expédition de ce genre sont donc à pied d'oeuvre : il ne reste plus qu'à les utiliser.

(1) A

qui on doit l'idée première de la marche par Majunga.


Marche rationnelle des opérations du corps expéditionnaire. Base d'opérations. — Diégo-Suarez est trop loin. Bombetoc lui est préférable. On pourra cependant réunir à Diégo-Suarez les bataillons de volontaires de la Réunion pour les instruire ; ils rendront disponible la garnison, qui viendra occuper Majunga. De même, la garnison blanche de la Réunion viendra occuper Tamatave. Majunga et Tamatave seront évacuées par les Hovas aux premiers coups de canon de nos navires. De Majunga à Suberbieville, si l'on commence la mar che à fin avril, on pourra faire remonter la Betsiboka en bateau, et le corps expéditionnaire ne devrait arriver à Majunga que vers cette époque. Mais, en l'attendant, il faut que la marine s'empare de Majunga, qu'elle l'occupe

et que l'on construise immédiatement des docks, un warf pour le débarquement des hommes et des marchandises, et des magasins pour les recevoir. On peut employer les constructions en tôle ondulée avec carcasse en fer, qui seront fabriquées en France et montées sur place. A Suberbieville, on installera une grande tête d'étapes de route. Les bâtiments actuellement construits seront d'un grand secours. Suberbieville servira de dépôt central de vivres et de munitions. On le couvrira par des ouvrages de fortification, de manière à le préserver d'un coup de main et à mettre les magasins en sûreté. Il n'est pas nécessaire d'établir une place forte. Quelques redoutes armées de pièces de campagne de vieux modèle (ancien 4 rayé, encore employé par la marine, de 5 ou de 7 Reffye) avec quelques canons revolvers Hotchkiss, dans des blockhaus réduits, suffiront largement tout en n'immobilisant qu'une faible

garnison.


On peut être tenté de faire suivre par une brigade le

cours de la Betsiboka, et par l'autre la route de l'Ikopa. Mais il serait impossible de les tenir en liaison, à cause deS l'épais massif montagneux qui sépare les deux vallées. Une fois établi solidement à Suberbieville, on en partira pour s'établir par bonds successifs à Ampotoka et Fiahomina, qui deviendront sans doute le point de départ de la vraie opération de guerre. On installera, dans ces deux localités, des dépôts, des parcs et des magasins, et on les couvrira également par dés ouvrages de fortification. Il serait bon d'envoyer de France des blockhaus démontables en planches de chêne à l'épreuve de la balle en plomb des fusils hovas. Après Fiahonana, c'est la lutte, qui commencera peutêtre à Kinojy. Une fois ce deuxième gradin franchi, on n'a plus qu'à attaquer la crête du plateau central et faire la y;4 conquête de Tananarive. Le débouché du gradin de Kinojy devra être occupé fortifié avec le plus grand soin. C'est notre premier point. d'appui, en cas de retraite, peu probable il est vrai ; mais, en guerre, il faut tout prévoir. On manque de documents sur les travaux de défense que les Hovas ont déjà dû commencer à Tananarive.

et.

Service d'évacuation des blessés et malades. sera un des plus importants dans une pareille expédition : Nossi-Bé, les Comores offrent de grandes ressources pour l'évacuation ; mais il faut compter sur la nécessité de créer un hôpital de 4 à 500 lits à SuberbieviUe -4; et avoir les ressources nécessaires pour traiter également autant de malades sur un point à déterminer en avant. Il sera bon de prévoir, dès à présent, le matériel de baraquement indispensable, se composant de baraques à huit. Ce service


lits à planches et bois avec fermes en fer. Ces baraques, démontées, tiennent fort peu de place et sont d'un trans-

port facile. Chemin de fer à voie de

mètre. — Une idée qui paraît judicieuse, ce serait d'établir au fur et à mesure de la marche en avant un chemin de fer à voie de 1 mètre, que l'artillerie emploie dans la défense et l'attaque des places. L'expérience du siège fictif de Vaujours a donné des indications précieuses et prouvé qu'on peut en établir un rapidement. Il rendrait de très grands services dans la saison sèche, quand l'Ikopa serait à sec. 1


CHAPITRE XIII ORGANISATION COMPLÈTE DU CORPS EXPÉDITIONNAIRE

Nous avons, sans entrer dans les détails, esquissé à grands traits les forces nécessaires au corps expéditionnaire. Ainsi, par exemple, nous" n'avons point parlé de l'état-major de l'artillerie ni de sa division en batteries, sections de munitions, parc du corps expéditionnaire. Nous n'avons point mentionné que chaque compagnie du génie est suivie de son parc contenant les explosifs, les artifices et le matériel nécessaire à la construction des ponts. Il faut aussi doter le corps expéditionnaire d'un peloton d'aérostiers de campagne avec son parc spécial; car, au Tonkin, on s'est servi des ballons militaires avec succès. Même observation pour la télégraphie optique et ordinaire. Il est clair également que le train des équipages, le service de santé et le service administratif, le trésor et les postes doivent avoir leur matériel spécial. Mentionnons la prévôté, qui jouera un rôle spécial pour la surveillance des convois et des porteurs (1). Nous ne disons rien non plus du train régimentaire des divers corps de troupe, des convois administratifs de vivres, des cacolets de l'ambulance de campagne, qui Les officiers de gendarmerie devront assurer l'ordre à Majunga et dans tous les postes d'étapes exerçant le rôle dévolu en campagne aux commandants militaires d'étapes pour surveiller les milliers de porteurs qui assureront l'évacuation des malades et des blessés et accompagneront les convois de vivres et de munitions. (1)


devront être organisés d'une manière spéciale, car on ne trouvera aucune ressource sur place. Le détail complet de ces services ne peut trouver place que dans des tableaux dressés par le service d'état-major donnant l'indication du personnel et du matériel à une unité près. Nous nous contenterons de dire que le corps expéditionnaire comprendra, grosso modo, un général, commandant les forces avec son état-major, et qu'il sera divisé en deux brigades (n° 1 et n° 2), l'une fournie par la guerre et l'autre par la marine, chaque brigade étant pourvue des organes nécessaires pour opérer isolément et lui permettre au besoin de se dédoubler. 1° Brigade de la guerre, constituée par : un régiment à trois bataillons, dont deux de tirailleurs algériens joints à un bataillon de la légion étrangère, et un régiment d'infanterie de ligne à trois bataillons ; deuxbatteries de montagne de la guerre ; une compagnie du génie; un escadron de cavalerie, plus les services nécessaires. 2° Brigade de la marine, comprenant un bataillon de tirailleurs annamites, un bataillon de tirailleurs sénégalais et un régiment d'infanterie de marine à trois bataillons, avec un bataillon d'infanterie légère d'Afrique (zéphyrs) pour la compléter à six bataillons. L'infanterie de marine, complètement anémiée et réduite aujourd'hui à l'état de squelette, pourrait à peine prélever une compagnie de 100 hommes dans chacun des huit régiments qui la composent. Et ce ne sont pas les cadres qui font défaut, mais les soldats, depuis la loi inepte votée par le Sénat. Si, comme tout le fait prévoir, le Corps législatif autorise, par une loi spéciale, les engagements pour la durée de la campagne dans les troupes expéditionnaires, plusieurs milliers de volontaires provenant de nos réserves (sept der¬


nières classes libérées) répondront à l'appel. Alors l'infanterie de marine n'aura plus qu'à encadrer 2.000 volontaires triés sur le volet, qui fourniraient non point trois faibles bataillons de 500 hommes chacun, mais trois beaux bataillons de 800 hommes. A la 2e brigade on adjoindrait deux batteries de montagne d'artillerie de marine, plus une compagnie du génie avec un escadron de cavalerie. Troupes non endivisionnées. Infanterie. — Un bataillon de chasseurs à pied et un de zouaves. Artillerie de corps. — Constituée par les quatre batteries montées (deux ou trois de la guerre et deux ou une de la

marine). Génie. — Des deux compagnies qui restent, l'une est chargée spécialement des services des ponts permanents ; l'autre a les aérostiers. Cavalerie. — Un troisième escadron de cavalerie reste à la disposition absolue du commandant en chef. Avec cette répartition, chaque brigade peut opérer isolément, ce qui permet à l'une d'agir par un mouvement de flanc ou tournant pendant que l'autre opère sur le front de l'ennemi. C'est la stratégie constamment employée au Tonkin avec les deux brigades de Négrier et Brière de l'Isle, notamment dans les opérations contre Bac-Ninh et Hong-Hoa. L'effet moral de ce genre de mouvement est infaillible sur des troupes africaines peu manoeuvrières. Nous avons mis l'artillerie montée en dehors des brigades, et nous l'avons dénommée artillerie de corps. Cette artillerie, avec les deux bataillons d'infanterie et l'escadron de cavalerie, formera une troupe toujours dis¬


ponible sous la main du général en chef, et qui jouera le rôle d'une troisième brigade. Il faudra attacher tout ou partie de l'artillerie de corps ainsi que la cavalerie à celle des brigades qui aura l'objectif le plus important ou le plus difficile, en laissant à la brigade chargée d'un objectif moindre sa composition normale. De même, si les deux brigades, ayant un objectif commun, marchaient sûr deux routes séparées, l'artillerie de corps se mouvra entre elles, si le terrain le permet, de façon à appuyer, selon le cas, les mouvements de l'une ou de l'autre brigade. Sa sécurité en marche sera assurée, dans cette hypothèse, par l'escadron de cavalerie, la compagnie du génie et les deux bataillons non endivisionnés. Sur le point où l'on devra faire un effort puissant, l'entrée en ligne de 24 pièces et 2.000 fusils et sabres produira un effet décisif pour le dénouement de l'action (1). La disposition proposée est à la fois simple, maniable et d'une grande souplesse. Calibres de l'artillerie. — Quel calibre choisira-t-on ? Nous avons en France du 4 rayé et du 80 de montagne, du 80 et du 90 de campagne (système de Bange) et une pièce de 95 (système Lahitolle) qui, après avoir constitué une artillerie de grande réserve de campagne, a été affectée ensuite aux pièces légères de siège. On vient tout récemment d'adopter un canon léger de 120 millimètres destiné à l'attaque et à la défense des positions fortifiées. Artillerie de montagne. — Pour elle, il n'y a pas d'hésitation possible. Seule la marine s'obstine à conserver dans les colonies le vieux canon en bronze de 4 de montagne, qui n'a plus aucune valeur après 500 mètres, et cela sous Une pareille marche ne pourra avoir lieu que sur le haut plateau dénudé de l'Emyrne. (1)


le prétexte spécieux que cette pièce est robuste, simple et que, se chargeant par la bouche, elle ne peut se détraquer comme une pièce de 80 se chargeant par la culasse. Cette théorie est peut-être soutenable quand on n'a affaire qu'à des nègres armés de fusils à pierre, comme au Sénégal ou au Soudan. Mais le 4 de montagne aurait fait piteuse figure au Dahomey, contre l'artillerie Krupp à la solde de Behanzin, tandis que le 80 de montagne, avec son obus à mitraille et son obus-torpille chargés à la mélinite, a vite fait taire l'artillerie ennemie. Le 80 de montagne formera donc l'armement exclusif des quatre batteries mises à la disposition des deux brigades. Artillerie-montée. — Faut-il prendre un seul calibre, le 80 ou le 90 ? Lequel des deux paraît préférable? Ici, les artilleurs, seuls compétents dans la question, ne sont pas tous du même avis. Mais nous pouvons dire, avec le colonel d'artillerie Langlois, ancien professeur à l'Ecole de guerre, que, si « notre matériel de 80 de campagne est dans des conditions de mobilité tout à fait remarquables, il n'en est pas de même de notre matériel de 90 ». D'autre part, le colonel Langlois fait ressortir l'efficacité des projectiles de 80 est à peu près celle des projectiles de 90, et que, pour un même poids total transporté, on a un plus grand nombre de coups. Tout en étant moins lourde et partant plus mobile, une batterie de 80 transporte trois cents coups de plus qu'une batterie de 90. Malheureusement, quoique pourvu d'un obus allongé à quatre calibres chargé à la mélinite, le 80 (comme aussi le 90) pourrait se trouver impuissant contre une position fortifiée à l'avance avec de solides ouvrages.


Réserves de première ligne. Troupes de débarquement de la marine. — Si, en principe, nous affectons les fusiliers et canonniers marins à la garde des points de communications, ce n'est pas que nous doutons le moindrement de leur valeur militaire. Ancien

instructeur pendant quatre ans au bataillon d'instruction de Lorient, nous connaissons tout le parti qu'on peut en tirer sur tous les points du globe. Mathurins et marsouins ont combattu côte à côte et partagé en frères les dangers et la gloire. Mais l'effectif des équipages de la flotte n'est pas suffisant pour lui permettre de disposer d'un bataillon de 800 hommes et d'une batterie de débarquement pour une opération de quelque durée. Cependant, le Ministre de la marine pourrait remplacer avec avantage, dans la brigade de la marine, le bataillon d'infanterie légère d'Afrique par un bataillon de fusiliers marins ayant tous passé par l'Ecole de Lorient. Une simple dépêche, lancée dans les ports de guerre et les quartiers d'inscription maritime, demandant des volontaires pour la campagne, fera affluer des milliers de demandes, et l'on n'aurait que l'embarras du choix. De même, la marine pourrait fournir une des deux batteries de montagne de sa brigade. Mais, comme les fusiliers sont armés du modèle 1878 de 11 millimètfes, il faut leur retirer cette arme, car elle est, balistiquement, aussi inférieure au fusil modèle 1886 que le modèle 1874, puisqu'elle tire la même cartouche que celui-ci. De plus, l'expérience de la campagne du Dahomey a prouvé que les troupes qui ont fait usage de la cartouche à fumée du modèle 1874 ont non seulement produit moins d'effet, mais encore subi des pertes plus graves que celles qui ont employé le modèle 1886 à poudre sans fumée. Le mécanisme à répétition du fusil modèle 1886 dérive de


celui du modèle 1878 ; les charges et les feux sont les mêmes : le changement d'armement n'offrira donc aucune difficulté pour les fusiliers marins. A terre, la marine emploie comme pièce de débarquement le canon de 65 millimètres, très léger, puisque cinq hommes le traînent, et dont l'obus à mitraille a des effets encore puissants à 3.000 mètres. Le grand avantage que cette pièce possède sur le canon de 80 de montagne, c'est que ses munitions sont plus légères que celles de ce dernier, ce qui permet de transporter, à poids égal, cinq obus de 65 contre trois obus de 80. Cette dernière pièce tire, par contre, un obus allongé dit de 4 calibres, chargé à la mélinite, qui produit contre les obstacles des effets plus puissants que ceux de 65 millimètres. Il y aurait, en outre, la complication de deux calibres de montagne, ce qui peut être dangereux, car une des deux batteries peut manquer de munitions et n'en trouvera pas chez la voisine. Aussi émettons-nous l'idée d'armer la batterie de canonniers marins avec du 80 de montagne comme l'artillerie de marine. On pourrait peut-être encore lui donner le canon-revolver de 37 millimètres monté sur un affût de 65. Quoique sensiblement plus lourd que le 80 de montagne, on a pu, au Tonkin, faire marcher une batterie de ce système, pour lequel le regretté amiral Courbet manifestait une certaine préférence. L'effet du canon-revolver sur un but animé est irrésistible, car une batterie de six pièces peut, avec le tir ordinaire, lancer en une minute 200 obus criblant l'adversaire de leurs éclats, ou bien, dans un tir rapide, 300 boîtes à mitraille contenant 10.000 balles en plomb durci. Malheureusement, le canon-revolver n'a aucune valeur contre les obstacles. C'est pour l'attaque des positions que l'on a créé le 120 léger. Il serait trop lourd pour la campagne de Madagascar, et le 95 serait bien préférable. Il a


.pour lui l'expérience de la campagne du Tonkin, car le colonel Révillon, commandant l'artillerie du corps expéditionnaire, conduisit une batterie de 95 d'Hanoï à Bac-Ninh et : jusqu'à Hong-Hoa. Cette batterie produisit des effets d'une puissance remarquable dans le bombardement de HongHoa. Ce calibre n'est guère plus lourd que le 90, car celui-ci pèse 1.205 kilogrammes, pièce sur affût, et le 95,1.450 kilogrammes. Le 80, au contraire, ne pèse, dans les mêmes conditions, que 970 kilogrammes. Il paraît donc logique de doter les deux batteries d'artillerie de marine de corps qui feront partie de l'artillerie de 80, l'habitude d'atteler de la pièce de qu'elle corps a aux i colonies, et de donner au contraire aux deux batteries de la guerre du 95, pièce que les artilleurs de la guerre connaissent, ce qui a une certaine importance, le mécanisme de culasse système Lahitolle 95 n'étant pas le même que le mécanisme de culasse de Bange du 80 et du 90.


CHAPITRE XIV ORGANISATION DES CONVOIS. — RESSOURCES QU'ON TROUVERA A LA RÉUNION, A MADAGASCAR ET EN INDO-CHINE

Les impedimenta divers du corps expéditionnaire (ambulances, convois, vivres, munitions et services accessoires) ne peuvent êtres assurés, comme en France, parles mêmes moyens de transport. Il faut s'attendre, en effet, à trouver

une viabilité plus que rudimentaire, et il faudra généralement établir soi-même la route. Les voitures attelées qui roulent si bien en France sur nos superbes routes départementales ou nationales, voire même sur nos plus simples chemins de grande communication, seraient arrêtées, là-bas, à la première étape. Il faut de toute nécessité les remplacer par des mulets de bât, des voitures du pays et des porteurs indigènes dit coolies. Mulets de bât. — Les mulets de bât, pas plus que les chevaux, n'existent à Madagascar ; les chevaux de la Réunion sont en fort petit nombre. Ils n'ont guère que 1m,20 et 1m,25, soit la taille du petit cheval de la Camargue. D'une force suffisante pour porter un Européen dont le poids ne dépasse pas 80 kilogrammes, ces chevaux, quoique très résistants à la fatigue, sont incapables de traîner du 80 attelé. C'est pour cela que, dans presque toutes les colonies, même en Nouvelle-Calédonie, l'artillerie de marine fait atteler son 80 de campagne et fait transporter son 80 de montagne par des mules et des mulets. Le mulet passe partout, comme le fantassin. Mais il faudrait en acheter en France un nombre fantastique, si tous les transports devaient se faire à dos de mulet. Il faut donc. réserver le mulet pour l'usage exclusif de l'artillerie. Heureusement, l'expérience des colonnes qui ont opéré


dans le Dahomey, dans le Cambodge et le Tonkin nous permet de compter sur les ressources ci-après. Coolies. —En Asie, les coolies portent leur fardeau au moyen d'un bambou placé sur l'épaule; c'est le mode adopté dans tout l'Extrême-Orient. Les portefaix divisent leur charge en deux parties d'un poids égal, qu'ils suspendentaux extrémités d'un bambouflexible, formant ainsi une sorte de balance qu'ils font, sans s'arrêter, pivoter d'une épaule sur l'autre. Les poids plus lourds sont portés par deux ou quatre coolies à l'aide d'un ou deux forts bambous dont ils placent chacun une extrémité sur l'épaule. En Afrique, les nègres portent leur fardeau sur la tète ; une charge de 20 kilogrammes est un maximum. Dans un convoi, le portage à deux est le plus avantageux; il permet de maintenir l'ordre plus facilement. Pour une marche de plusieurs jours, deux coolies peuvent porter de 40 à 50 kilogrammes. Les caisses blanches de munitions pour le 80 de montagne, qui pèsent 58 kilogrammes, peuvent être portées par deux hommes ; mais il faut changer, toutes les heures, les porteurs avec ceux qui traînent les pièces. Au Tonkin, les coolies sont embrigadés par escouade de dix ou douze, sous les ordres d'un cai (caporal indigène). L'administrateur civil, en les réquisitionnant, ou l'inten. dance, en les embauchant, leur désigne des chefs, appelés dois, qui ont autorité sur les caïs mis sous leurs ordres et sont responsables de tout leur personnel vis-à-vis du commandant de la colonne ; on choisit les dois parmi les notables des villages. On peut appliquer cette organisation aux porteurs nègres (1). peut également procéder comme au Dahomey dans les colonnes du général Dodds. (1) On


Il y a avantage à employer les coolies pour les colonnes qui doivent exécuter des marches rapides, quand on a à suivre d'étroits sentiers de forêts, à traverser des rachs (ruisseaux, petites rivières) encaissés où les berges sont à pic et où il est très difficile de faire passer les voitures et les attelages. En cas d'attaque, et surtout lorsqu'ils sont loin de leur village, les coolies, retenus par la crainte de tomber, s'ils se sauvent, aux mains de l'ennemi, obéissent très docilement, restent d'eux-mêmes à la tête de la colonne et se couchent, à côté de leur charge dans le combat, rendant ainsi plus facile la tâche de la portion de la colonne chargée de la garde du convoi. Les coolies asiatiques (et aussi les porteurs nègres) marchent bien et longtemps, sont très sobres et supportent la fatigue sans se plaindre; mais il faut, quand on traverse un pays entièrement soulevé, où les habitants ont déserté les villages en enlevant toutes les provisions, que les coolies emportent leurs vivres, ce qui augmente encore le convoi. De plus, comme ils sont pillards au delà de toute expression, ils profitent des stations faites dans ces villages pour déposer leur charge et aller piller, faisant ainsi perdre à la colonne un temps précieux pour les rallier. Il faut les surveiller de très près pour s'opposer à ces causes de désordres. Enfin, le poids relativement faible que peuvent porter deux hommes oblige à subdiviser les charges, à multiplier les coolies, par suite à augmenter l'encombrement. Nous ne parlons pas des coolies haut le pied parce que, sur le nombre de ceux employés au transport des vivres, chaque jour de marche nous donnera de nouveaux disponibles que l'on emploiera comme relais et au transport des blessés en cas de combat. Si dans les pays plats et peu accidentés on a avantage à employer le portage à deux coolies, dans les régions mon¬ ;


tagneuses du haut plateau de Madagascar on sera obligé de recourir au portage à un. Les Sakalaves, peuplades hostiles aux Hovas, ne sont pas porteurs. Les Bazanezanes sont soumis aux Hovas. Il y aurait donc avantage à recruter 5 ou 6.000 porteurs, moitié en Indo-Chine et moitié au Dahomey, parmi nos nouveaux sujets. Ces coolies dépaysés seront très maniables. Voitures à boeufs. — Dans tout le Cambodge, on se sert de voitures à deux boeufs trotteurs qui sont très légères. Les boeufs supportent très bien la fatigue et suivent facilement la colonne sans la retarder. Presque toujours on trouve autour des campements assez d'herbe pour leur nourriture et si, d'après les renseignements, on ne doit pas en trouver, les conducteurs peuvent en couper pendant la route et aux haltes ordinaires. Ces voitures sont particulières au Cambodge et à la haute Cochinchine. On pourrait en acheter un millier, les faire charger sur un vapeur du commerce, et les envoyer à Madagascar avec autant d'indigènes. Une voiture à boeufs coûte, avec son attelage, 50 piastres (200 francs). La voiture à boeufs est très maniable ; pour passer un gué peu profond, huit coolies la soulèvent facilement avec sa charge et la portent sur leurs épaules, jusqu'à ce qu'on ait franchi la partie du gué où l'eau pourrait atteindre le fond de la voiture Mais elle ne peut porter qu'une faible charge (150 kilogrammes environ). Les essieux, en bois, et formés de deux baguettes qui, partant du moyeu de chaque roue, viennent se relier à la flèche prolongée dans toute la longueur de la voiture, se rompent facilement: d'où, chaque fois, un.temps d'arrêt pour les remplacer. Cette réparation est rapide; mais il faut avoir soin de s'assurer, avant chaque départ, que le conducteur possède, à l'arrière de sa voiture, une douzaine d'essieux de rechange, qu'il remplacera au fur et à mesure qu'il les aura employés.


Comme on aura le temps, avant le départ de la colonne de la base d'opérations, on substituera aux essieux en bois un essieu en fer, ce qui évitera les rechanges d'essieux et permettra à la voiture de porter 250 kilogrammes, soit 100 kilogrammes de plus. Avec l'essieu en fer, il suffira de 7 à 800 voitures, car un convoi de 100 voitures transporte 25.000 kilogrammes (1). Nous voyons, d'après toutes ces observations, qu'il y a avantage à employer les coolies lorsqu'on a à traverser des sentiers étroits dans les forêts, les pays de rizières sans grands chemins, les régions coupées de ruisseaux à bords escarpés ou de cours d'eau un peu rapides. Les voitures à boeuf s'emploieront lorsqu'on aura à parcourir des chemins à peu près viables ; leur usage est surtout indiqué pour les convois administratifs, voitures à vivres et à munitions. Les charrois à mulets serviront surtout pour les lourds fardeaux, tels que les parcs des aérostiers, pontonniers et d'artillerie. On les utilisera également pour traîner les pièces attelées et transporter les pièces de montagne ; mais on sera souvent obligé, faute d'un nombre suffisant de mulets, de les réserver pour les attelages et de faire traîner à la bricole (limonière) les pièces de montagne, dont le poids total (pièce, affût et Limonière) est de 320 kilog. Nous citerons le fait suivant, résultat de l'expérience. Il faut douze coolies pour traîner le 80 de montagne dans les terrains ordinaires ; mais nous avons vu, au Cambodge, dans les plaines inondées où la pièce disparaissait par moment entièrement sous l'eau, vingt-quatre coolies

avoir grand'peine à en traîner une, les roues étant arrêtées à chaque instant par les nids de termites, cachés par l'inondation, qui faisaient aussi trébucher les coolies et rompaient (1)

Soit une journée de vivres pour le corps expéditionnaire.


leur élan. On devra donc s'attendre à être obligé parfois de doubler momentanément l'équipe des pièces. On renferme les munitions d'infanterie par 150 paquets à la fois (1.200 cartouches) dans des caisses à munitions, du poids total de 40 kilogrammes, comme celles que l'on emploie en Algérie ; les munitions d'artillerie de montagne sont contenues dans des caisses dites 80 de montagne, renfermant chacune quatre obus à mitraille, deux obus à mélinite, deux boîtes à mitraille et pesant 58 kilogrammes. Deux coolies suffisent pour les porter avec un bambou en travers pour les porteurs à deux. Avec les nègres, il faudrait faire des petites caisses de 600 cartouches (20 kilogrammes) pour chaque porteur. Somme toute, le transport par le coolie des munitions d'artillerie et d'infanterie donne la quasi-certitude de les avoir sous la main ; car, partout où l'artilleur et le fantassin passeront, le coolie passera, et quatre coolies portent le poids qu'on peut affecter à un mulet robuste (100 à 120 kilogrammes). Mais ce ne sont pas là les seuls services que peut rendre ce bétail humain. Eléphants. — S'il est avéré que les chevaux et les mulets ne peuvent pas vivre à Madagascar, on aura à sa disposition : 1°. les coolies pour le train régimentaire ; 2° les voitures à boeufs pour les convois de vivres et les blessés. Pour les munitions et impedimenta lourds, il faudra faire venir de trente à quarante éléphants du Cambodge, avec leurs cornacs. En résumé, il faudra au moins 30 éléphants, 1.000 voitures à boeufs, 5,000 mulets et 15,000 porteurs pour assurer le transport de quinze journées de vivres, les réserves de cartouches d'infanterie (200 par fusil) et 1.000 coups par batterie et les impedimenta divers, soit un poids qui n'est pas loin de 1 million de kilogrammes. Si l'on n'avait que des porteurs, il en faudrait cinquante mille.


CHAPITRE XV HABILLEMENT, ÉQUIPEMENT ET CHARGEMENT DU SOLDAT DU CORPS EXPÉDITIONNAIRE

Si en Europe le fantassin porte un chargement de 28 kilogrammes, dans les pays tropicaux il faut réduire ce chargement de moitié et ne pas dépasser un poids de 15 kilogrammes. De ce fait, les impedimenta croissent au point qu'il faut un coolie pour transporter la diminution du chargement de deux combattants. L'expérience a été faite bien souvent. Toutes les fois qu'il a fallu charger outre mesure le fantassin, on a eu un déchet considérable, dû aux fatigues de la marche sous un soleil torride qui épuise les forces de l'Européen. Les Anglais le savent si bien que, dans leurs expéditions contre les Achantis, sur la côte d'Afrique, le bagage de chaque soldat blanc (vivres, effets, etc.) était confié à un porteur, le fantassin anglais ne portant exclusivement que son fusil et 80 cartouches, soit, avec l'équipement et l'habillement, un poids qui ne devait pas dépasser 10 kilogrammes-

L'habillement et l'équipement du marsouin. Voici comment des instructions quasi-officielles prescrivent d'habiller et d'équiper le soldat d'infanterie de marine, que l'on peut prendre comme type du soldat colonial dans les expéditions d'outre-mer. Il est vêtu de son paletot couleur cachou en étoffe de coton, vêtement souple et large, sans col, et d'un pantalon


en forte toile blanche. Une paire de brodequins lacés et un casque en tissu de liège caoutchouté complètent cet habillement, réduit à la plus simple expression. Le casque, blanchi à la craie en temps de paix, est recouvert d'une coiffe de couleur sombre en campagne. Le havresac doit être absolument proscrit, son usage étant matériellement impossible, comme l'expérience l'a constamment prouvé. Il est remplacé par deux musettes en toile solide, couleur cachou, portées en sautoir à droite et à gauche et maintenues par le ceinturon, de manière que le poids porte sur les fesses et non sur les hanches, Chaque homme possède un paquetage composé d'une demi-couverture de laine et d'une toile caoutchoutée, système Valdejo, ou d'une toile de tente abri, dans laquelle sont roulés le pantalon de drap, la vareuse de molleton, une flanelle de rechange et une chemise avec un mouchoir. La couverture est pliée en anneau, et les paquetages sont mis au convoi régimentaire, qu'il est bon de faire porter par des coolies. Les deux musettes contiennent les cartouches de réserve, les vivres de la journée (et souvent pour trois ou quatre jours si l'on manque de coolies). La cuiller et le couteau sont dans la gamelle individuelle, placée dans une des musettes avec un nécessaire d'armes ou une brosse à graisse et des chiffons. Le bidon plein et le quart sont portés en bandoulière à droite pour ne pas heurter le pommeau du sabre-baïonnette à gauche. Les 120 cartouches, minimum du nombre à transporter, peuvent se mettre dans les trois cartouchières dont le soldat est pourvu avec le dernier modèle d'équipement — deux devant et une un peu derrière — car chacune en contient 40. Il n'est pas nécessaire de les mettre à l'avance dans les trois cartouchières, car chaque musette en peut contenir cinq ou six paquets sans aucune gêne. Le poids


total que transporte l'homme, tout compris, même le fusil, n'est que de 15 kilogrammes avec 120 cartouches et les vivres d'une journée. On peut bien faire porter quatre paquets de cartouches (32) en supplément, ce qui ne le surchargera que d'un kilogramme. Chaque journée de vivres (biscuits et viande) pèse en plus 800 grammes ; de sorte que trois ou quatre journées de vivres comprendraient un supplément de 1k,600, ce qui ferait, avec 152 cartouches, un total de 17k,500 à 18 kilogrammes. C'est là un poids maximum que nous croyons dangereux de dépasser, surtout avec les soldats d'infanterie de marine, du régiment de ligne et des zouaves, plus jeunes et partant moins vigoureux que les vieux brisquarts de la légion et des tirailleurs algériens. Troupes indigènes. Le tirailleur annamite est à peu près dans les mêmes conditions que le marsouin, sauf que, pour lui, le casque est remplacé par le petit chapeau conique en rotin, à peu, près du même poids, et qu'au lieu du fusil il a la carabine Gras, qui pèse 600 grammes de moins. Il porte en sautoir une petite couverture de laine rouge, de fabrication chinoise, bien plus légère que la demi-couverture des Européens, et dans laquelle il roule sa vareuse et son pantalon de flanelle. Dans ses deux cartouchières, il met huit paquets de cartouches modèle 1874, soit 48, et en porte autant dans la couverture roulée. Enfin, il n'a pas de chaussures; à ce. sujet, il est à remarquer que, lorsqu'il faut pénétrer, pour atteindre l'ennemi, dans les fourrés de bambous épineux qui pullulent dans les forêts de l'Asie, — fourrés dont les indigènes profitent toujours pour masquer leurs embuscades, — les tirailleurs ne peuvent le faire sans se


blesser les pieds. Pour obvier à cet inconvénient, on leur fait prendre des sandales en peau de buffle, maintenues au pied par un anneau en cuir dans lequel l'Annamite engage son gros orteil, très séparé du reste des autres doigts, particularité physiologique d'où vient le nom de la race (les Gia-o-chi). Il ne chausse ces sandales que dans .cette occasion et les porte habituellement suspendues à l'épaule par une corde. Pour les vivres de la journée, le tirailleur emporte une simple boule de riz cuit pesant 1 kilogramme environ. Ainsi allégé, le tirailleur annamite, malgré son visage imberbe et son chignon féminin, peut faire des marches incroyables pour ceux qui n'ont point vu son allure très rapide. Le tirailleur sénégalais et le Sakalave sont plus robustes que le petit Annamite, mais pas plus résistants à la marche et à la fatigue. Ils sont armés du fusil modèle 1874, dit Gras. Au lieu de riz cuit, ils portent du biscuit de campagne et se contentent pour boisson (et l'Annàimite aussi) de tafia. Au besoin, l'indigène peut boire une eau vaseuse, qui serait détestable pour l'Européen.

L'artilleur de marine et le spahi. L'artilleur de marine a un costumé aussi allégé que le fantassin. Il est armé, selon le cas, du revolver ou du mousqueton avec 36 cartouches. Quant au cavalier, le spahi sénégalais, il serait trop long de décrire ici son habillement et son équipement. Il est allégé le plus possible ; mais, comme il est à cheval et peut être chargé plus que le fantassin, il est armé d'un mousqueton, d'un revolver et d'un sabre, ce qui lui permet de combattre à pied en cas d'accident. Le cheval arabe a de grandes qualités de résistance en


Afrique et au Sénégal. Nous ignorons comment il s'est comporté au Dahomey. On doit le savoir au ministère de la guerre. Armement. Aux troupes européennes le Lebel, aux tirailleurs annamites la carabine Lebel de gendarmerie à chargeur à trois coups, avec baïonnette. L'Annamite est fort intelligent et entretient son arme d'une manière remarquable. Au bout de six mois de service, il connaît à fond le mécanisme, la nomenclature, lé montage et le démontage de sa carabine. Il est, de plus, excellent tireur. De 1889 à 1891, nous avons constaté, dans notre brigade de Cochinchine, que les tirs individuels des Annamites avec la carabine Gras étaient presque aussi: bons, jusqu'à 600 mètres, que ceux des soldats blancs avec le Lebel (1). Il tire avec calme en campagne. Le nègre est, au contraire, peu soigneux de son arme. passe son temps à la râcler avec du sable pour en enlever la rouille. Un fusil Lebel serait vite hors de service entre ses mains. Cependant, on pourrait lui donner le fusil à répétition de la marine (Kropatscheck) du calibre du Gras, et, en même temps, lui faire tirer dans cette arme des cartouches sans fumée, ce qui est excessivement facile. Le nègre ne sait pas se servir de la hausse et ne vise que par le guidon, comme un chasseur dans le tir à plomb mais il a un grand sang-froid et on peut lui faire exécuter de près des feux de salve qui produisent des effets irrésistibles si on le fait viser un peu bas. D'ailleurs, en tirant dans le feu de salve, il donne un coup de doigt brusque au commandement de Feu ! ce qui fait lâcher le coup ; dans le feu rapide, il tire en bombe, sans presque épauler.

Il

Ils n'étaient inférieurs qu'après 600 mètres, en raison de la moindre justesse de leur arme. (1)


CHAPITRE XVI MODIFICATIONS QU'IL CONVIENT D'APPORTER A LA TACTIQUE EUROPÉENNE POUR LA CAMPAGNE DE MADAGASCAR

Nous n'avons pas la prétention de faire ici un cours complet de tactique à l'usage des corps expéditionnaires. Il ne nous paraît pas cependant oiseux d'esquisser les modifications fondamentales imposées à la tactique européenne par les différences radicales qui existent, comme armement, moral et nombre, entre les forces adverses. Les Malgaches seraient-ils tous munis de fusils à répétition ou à chargeurs de petit calibre, qu'ils ignoreraient encore la manière de s'en servir; ils n'ont qu'une artillerie défectueuse qui ne vaudra certainement pas mieux que celle des Allemands à la solde de Behanzin au Dahomey, s'ils n'ont qu'un petit nombre de rascals européens à leur service. Quant au moral des Hovas, nous doutons fort qu'il soit à la hauteur de celui des Dahoméens, que leur courage téméraire rendait très dangereux. D'autre part, le Hova, comme le Dahoméen, cherchera à nous attaquer par surprise, en nombre supérieur, au lieu et au moment qu'il aura choisis. Examinons successivement l'ordre de marche, les bivouacs, le service de sûreté en marche et en station, et enfin le combat.

L'ordre de marche. Une brigade du corps expéditionnaire, comptant moyennement 4.500 à 5.000 combattants en ligne, selon l'invali¬


dation, constitue la plus, lourde colonne qu'on puisse mettre en mouvement sur une même route. L'expédition du Dahomey a prouvé qu'une force régulière européenne de 2.000 hommes, composée même pour la moitié de soldats indigènes, n'a rien, à craindre si elle s'éclaire suffisamment. Par suite, la, colonne de régiment d'un effectif de 2.500 hommes (trois bataillons, une batterie, une compagnie de génie, un demi-escadron de cavalerie) pourra donc être employée quand le besoin s'en fera sentir. Cependant, en principe, la colonne de. brigade sera le plus souvent employée à cause du manque de routes. Formation normale de marche. — On sait que toute colonne, en Europe, est subdivisée en service d'abord d'exploration puis de sûreté fait par la cavalerie, avant-garde, gros de la colonne et arrière-garde. Une partie, du convoi suit la colonne sous le nom de train de combat et train régimentaire. Entre ces divers échelons, il y a des espaces assez grands pour que la colonne me soit pas en butte à un feu d'artillerie qui, même aux portées extrêmes, à 5 et 6 kilomètres, jetterait le désordre dans la colonne; Aussi, non seulement l'avant-garde est subdivisée en pointe, tête et gros, mais encore, entre elle et le gros de la colonne, il existe une distance, variable selon l'effectif de là co lonne, pour permettre de déployer ses éléments et la faire manoeuvrer soit pour accepter, soit pour refuser même le combat, dans le sens des intentions du commandement. Les convois sont relégués en arrière de la colonne et me servent qu'au ravitaillement des vivres et munitions monsommées. Formations de marche. — Un pareil dispositif serait dangereux à Madagascar. Quand on rencontreral'ennemi, c'est qu'il sera paré à vous attaquer, sinon même à vous surprendre; son artillerie, n'est pas à craindre, mais il est plus nombreux que nous. Il ne faudra donc pas épar¬ ,


piller sur une longueur trop grande les éléments des colonnes pour qu'ils puissent se porter un appui réciproque. Enfin le convoi doit être encadré dans la colonne et non relégué à l'arrière. Le dispositif sera donc le suivant pour une colonne de brigade : Pour éclairer au loin, faisant à la fois le service d'exploration et de sûreté en marche, un escadron de cavalerie (1). Derrière, à 3 ou 400 mètres, deux compagnies de tirailleurs éclaireront la route sur un demi-cercle de.-S. à 600 mètres de rayon. Le service d'exploration et de sûreté doit permettre à la colonne, prévenue, à temps, de prendre ses dispositions de combat et au convoi de serrer pour diminuer sa longueur et par suite sa vulnérabilité. Deux autres compagnies de tirailleurs seront sur les flancs. Marche en carré. — Quand on ne pourra faire le service ' d'exploration à une distance suffisante pour remplir ces conditions, la marche de la colonne doit se faire en carré, comme au Dahomey, pour la colonne d'un effectif inférieur à 2.000 hommes, et, pour un effectif plus fort, on marche, comme Bugeaud à l'Isly, en losange, composé de bataillons pouvant former chacun un carré isolé ou même de compagnie. On place au centre le convoi, ce qui occasionne une marche lente et pénible. Nous admettons que ce sera un cas exceptionnel et qu'à titre général on marchera en colonne ordinaire. Détail de la formation de marché. — 1° Avant-garde. Deux compagnies de tirailleurs forment donc la pointe et la tête d'avant-garde, éclairant en avant et sur les-flancs. A une distance de 2 à 300 mètres plus en arrière, marchera la compagnie du génie, la compagnie de tête du premier bataillon, puis, derrière, la batterie de montagne, suivie n'indiquons pas le dispositif que nos cavaliers devront prendre. Ils ne seront pas embarrassés pour le trouver. (1) Nous


immédiatement par les trois autres compagnies du premier bataillon, qui forme le gros de l'avant-garde. Sur chaque flanc, à hauteur de l'artillerie et à 3 ou 400 mètres, marchera une compagnie de tirailleurs. Ainsi, nous sortons un peu du règlement; mais l'avantgarde, disposant d'une batterie, d'un bataillon indigène, de la compagnie du génie, avec un bataillon européen, a une force suffisante pour arrêter net une attaque et détruire les obstacles qui retarderaient la marche de la colonne. On pourra ainsi réduire à moins de moitié les distances du gros de l'avant-garde au corps principal, qui est en France de 1.500 mètres environ pour une colonne de brigade. 2° Corps principal. Le gros de la colonne comprend : l'état-major de la brigade, la compagnie de tète du deuxième bataillon, la deuxième batterie d'artillerie, les trois compagnies restantes du deuxième bataillon européen et deux bataillons moins deux compagnies. Le convoi vient ensuite, éclairé sur les deux flancs par les quatre compagnies du bataillon de tirailleurs resté disponible. On voit que le service d'éclaireurs et de flanqueurs en marche est effectué par la cavalerie et par les tirailleurs, qui font ce service d'une manière remarquable. Selon l'importance du convoi. et la difficulté de la marche, l'arrière-garde, qui le protège sur l'arrière, sera d'un effectif variable, mais jamais moindre de deux compagnies blanches. Lorsque la colonne de brigade sera renforcée par l'artillerie de corps, celle-ci prendra place derrière le troisième bataillon en entier. On l'encadrera à l'arrière par deux compagnies du bataillon de chasseurs, et les deux autres compagnies formeront l'arrière-garde de la colonne. Si l'on a en plus un bataillon de zéphyrs, il pourra former seul l'arrière-garde. Avec ce dispositif élastique, quoique réduit à un minimum de profondeur, les surprises sont moins à craindre


et la répartition de l'artillerie permet de la mettre rapidement en batterie pour faire face à une attaque inopinée, qu'elle vienne de la tête, de la queue ou des flancs. Prescription pendant la marche. — On devra toujours partir à la pointe du jour, afin d'utiliser les heures fraîches. Les hommes prendront le café avant le départ et les gradés s'assureront que chacun a rempli son bidon de thé léger, dans lequel on mettra l'eau-de-vie d'acidulage. On fera toujours des haltes horaires. Elles seront d'abord de dix minutes ; mais à partir du moment où le soleil deviendra gênant, vers 8 heures, le commandant de la colonne pourra les porter à quinze minutes. Il faut d'ailleurs que les éclaireurs et flanqueurs, qui auront à se mouvoir dans un terrain souvent difficile, puissent conserver leur distance de la colonne sans être obligés de courir. On ne marchera que jusqu'à 9 heures du matin, 10 heures au plus, sauf le cas d'absolue nécessité, à moins de bien connaître le pays, d'avoir de bons guides et d'être sûr de trouver de l'eau vers 10 heures. On fera bien de s'arrêter à partir de 9 heures quand on rencontrera un cours d'eau potable. Le bivouac de jour pourra se faire, comme le règlement le prescrit, en colonne double, dans une clairière accessible, ou en ligne sur les bords du cours d'eau,-si celui-ci présente des ombrages, sous lesquels on établira les tentes abris. Après le repas du matin, la sieste à l'ombre, quand elle n'est pas trop longue, repose beaucoup l'Européen. Faite au soleil, elle est nuisible et il vaut Bivouac de jour.

mieux rester éveillé. On ne se remettra pas en marche avant 2 heures, 3 heures même si la saison est chaude ; on ne marchera pas plus tard que 5 h. 1/2. Il faut au moins une demi-heure de jour pour installer le bivouac de nuit. On reconnaîtra les envi¬


rons afin d'habituer tout le monde à se familiariser avec le terrain environnant. Bivouac de nuit. — Le bivouac de nuit devra toujours être formé en carré, le convoi au centre, gardé par les

tirailleurs, qui sont fatigués par le service d'éclaireurs et de flanqueurs et ont besoin de repos. Les quatre faces du carré sont formées par les troupes blanches. L'artillerie est placée aux quatre angles pour battre les secteurs sans feux, les pièces pointées bas et chargées à mitraille. Si l'on est dans un terrain couvert de brousse, on la fera couper à 200 mètres au moins en avant si c'est possible. Le bivouac de Dogba, au Dahomey, qui n'avait été débroussaillé que sur une centaine de mètres, a été surpris, et les Dahoméens étaient à 50 mètres des faces quand le feu de l'infanterie de marine et de la légion a pu les arrêter. Les artilleurs n'avaient pas eu le temps de mettre leurs pièces en batterie et ont dû se servir de leurs mousquetons. Service de sûreté en station. Il serait absurde de placer des grand'gardes à 800 mètres du bivouac, avec des petits postes à 300 mètres couverts eux-mêmes par une, chaîne de sentinelles à 200 mètres. Le jour, en marche, on est couvert par les éclaireurs, et flanqueurs ; à la grand'halte de jour, les sections de soutien des compagnies, de tirailleurs placent des postes sur les directions où l'ennemi pourrait s'approcher. La nuit, c'est plus, difficile : les faces du carré sont formées en arrière des faisceaux et chaque face se garde ellemême sur son front et sous un angle de 45 degrés dans les secteurs sans feux adjacents. I; , .... , ,


On emploie une compagnie pour garder un bataillon,

soit le quart des forces. Cette compagnie porte trois postes (un peloton au centre, une section aux ailes) formant une grand'garde irrégulière à 200 mètres au riioiïis et"'250 mètres au plus en avant du carré. Chaque posté s'éclaire à 100 mètres en avant par des petits postes de quatre hommes dits à la cosaque, dont trois veillent assis, l'arme à la main, baïonnette au canon, à une vingtaine de pieds en arrière de la sentinelle debout, qui est relevée fréquemment. Dans les petits postes et grand gardes, on se forme près des faisceaux. La moitié des hommes veillent debout, si on le juge nécessaire, ou biën tous se couchent en rang, le fusil à leur droite, là musette sous; la tête, le ceinturon desserré mais 'testant autour des reins. Toutes les demiheures, on fait faire une ronde par une patrouille, de manière qu'il y ait uùe liais'ôri constante entre la grand'garde et les petits postes à la cosaque. Si l'on entend ou voit quelque chose dé suspect, la grand'¬ garde se lève sans bruit et se trouve massée prête à marcher au commandement ; si elle reçoit des coups de feu, elle ne doit pas tirer avant d'avoir réuni ses petits postes. En principe, ni les petits postes irréguliers, ni les grand'¬ gardes ne doivent tirer la nuit, et ne le font que pour éviter une attaque par grandes masses. Quant aux sentinelles et aux postes à la cosaque, leur tir ne sert qu'à donner L'alarme et à prévenir à temps. La surprise n'est possible que si le service est mal fait, car une troupe nombreuse fait toujours un certain bruit, même quand elle n'est composée que de nègres marchant pieds nus. On éventera leur marche, même silencieuse, par l'emploi de chiens pris à Bourbon et Diégo-Suarez et qui pullulent dans les casernes et postes. Elevés par les soldats, ces animaux ont une haine féroce contre le nègre et le sentent à plusieurs


centaines de mètres, celui-ci ayant un fumet particulier. C'est pour cela que nous n'employons pas les tirailleurs sénégalais ou autres dans le service de sûreté la nuit. En outre, une surveillance incessante peut à peine les obliger à faire convenablement leur service après minuit. Ils dorment parfois ayant les yeux ouverts et, comme sentinelles, ne supportent pas l'isolement (1). Attaque de nuit. Si l'on tire la nuit sur le bivouac, celui-ci nedoit répondre à aucun coup ; autrement, le camp ne serait que rumeur. et désordre, la pétarade commencerait, et l'on fusillerait dans le dos les avant-postes. En cas de danger sérieux, les

hommes se forment aux faisceaux et attendent en silence les ordres. S'il faut absolument tirer après avoir recueilli les avant-postes, employer le feu de salves. Le tir des pièces à mitraille avec pointage répéré à l'avance sera précieux dans une attaque de nuit.

(1)

Il suffît de se rappeler la surprise de la colonne Bonnier au

Soudan.


CHAPITRE XVII QUELQUES MOTS SUR LA TACTIQUE DE COMBAT

La tactique européenne a pour caractéristique la marche sous le feu de la première ligne, que l'on fractionne pour l'approcher jusqu'à 300 mètres environ de l'ennemi et qu'on reforme, à cette distance, en ligne pleine sur un ou deux rangs soutenue par les réserves et les troupes de deuxième ligne. Celles-ci, soit en ligne déployée sur deux rangs, soit en colonnes de la force d'une compagnie, donnent à cette ligne de combat la consistance qui lui manque. L'intervention de ces fractions en ordre serré est

indispensable. Le règlement d'infanterie envisage le cas le plus difficile : celui de la marche en terrain plus ou moins plat, présentant peu d'abri, sous un feu violent et efficace d'artillerie et d'infanterie. Il prévoit le combat et les autres circonstances de guerre contre un ennemi de valeur similaire. Il doit donc subir, quand l'adversaire change, des changements ou des modifications qui ne soient pas contraires à son esprit. On peut résumer ainsi qu'il suit les principes qui doivent servir de base à la tactique contre les Hovas : 1° L'échelonnement de marche d'avant-poste et de combat doit être basé sur la portée efficace de l'armement ennemi. La distance entre les fractions doit permettre un passage rapide d'une formation à une autre ; 2° Dans le combat, les causes qui, en Europe, fractionnent, émiettent la première ligne disparaissent quand on a affaire à un ennemi dont l'armement n'est pas suffisant


ou bien qui tire un mauvais parti d'un armement même perfectionné. Par suite, toutes les prescriptions du règlement qui ont en vue le choc, l'abordage à la baïonnette, doivent être maintenues, car elles sont valables contre un ennemi exotique. Mais, par contre, toutes celles dont le but est de neutraliser le plus possible les effets du feu de l'ennemi doivent être modifiées.

Formation de combat contre les Africains. On n'a guère à redouter, avec les Hovas, qui sont des

Asiatiques, le corps à corps comme avec les noirs du Soudan et du Dahomey. Au contraire, ils ne tiendront jamais contre la menace du choc, comme le prouve l'expédition entière du Tonkin. Le noeud de. la question réside pour nous dans la. manière dont on doit se former et agir lorsqu'on est à petite portée, environné d'une masse d'ennemis légers et peu saisissables, qui peuvent couper une ligne mince de combat et l'envelopperont si elle ne présente pas un front assez étendu. La solution réside dans l'ordre serré préconisé par Bugéaud et Skobeleff. Si un homme isolé, quel que soit son courage, devient facilement victime de plusieurs hommes qui l'attaquent résolument, cent hommes en ligne tiendront contre un ennemi dix fois supérieur en nombre. Mais la formation en longue ligne, qui est celle des Prussiens du temps de Frédéric II, est difficile et n'offre qu'un front relativement peu étendu. La marche en ligne est à peu près impossible,. si ce n'est dans un terrain plat et sans obstacles ; à cause du faible front, on peut être tourné par les ailes et cerné. Contre un ennemi audacieux, la formation en carré des fractions restant disposées en ligne s'est imposée au Dahomey. Ce n'est pas le cas ici de l'appliquer, si ce n'est pour


un bataillon isolé attaqué de tous les côtés. Tout en conservant la formation en ligne déployée au lieu de ranger les compagnies côte à côte, nous les fractionnons par pelotons (de 75 à 80 hommes au plus) dont le front sur un rang ne dépasse pas 50 à 60 mètres, très maniables par un seul chef. Ces pelotons forment une ligne pleine et vide alternativement, ce qui augmente le front. On maintient plus d'espace entre deux compagnies qu'entre deux pelotons de la même compagnie, où l'on peut même la réduire à 20 pas. On formera en arrière, d'après les mêmes principes, .une deuxième ligne dans les intervalles des deux compagnies, à une centaine de mètres, si possible, deux cents au plus. Sa force pourra être moitié moindre. ^ Si l'effectif de chaque compagnie en ligne ne dépasse pas 100 à 120 hommes, on laisse la compagnie entière dans la formation sur deux rangs, et la ligne sera alternée tant pleine que vide. Que la compagnie soit pleine ou divisée en deux pelotons à 20 pas, elle reste toujours sous le commandement .du capitaine, le fractionnement en deux pelotons n'ayant pour but que de favoriser la marche par le jeu et l'aisance que donne l'intervalle. Par suite, la marche peut s'opérer par mouvements indépendants, la compagnie qui a progressé le plus faisant feu et permettant. aux compagnies voisines de venir à sa hauteur. Si c'est nécessaire, chaque compagnie pourra se former rapidement en carré ou en colonne contre la cavalerie, mais ce sera bien rare. Si l'ennemi devient trop pressant, chaque compagnie est capable d'une résistance prolongée pendant que, de son côté, la deuxième ligne intervient pour dégager une fraction dans l'embarras. Comme cette seconde ligne se porte dans les intervalles, l'ennemi ne pourra cerner tous les éléments ainsi disposés. Si l'ennemi paraît broncher, après

...


les préparations suffisantes par le feu de salve de préférence aux feux rapides, la charge est exécutée par une marche en avant toujours à rangs serrés.

Règles du combat.

du combat dans la formation proposée, ou toute autre analogue dans l'ordre serré, car nous n'avons pas la prétention de donner un On peut formuler ainsi les règles

dis-

positif de combat invariable : 1° On devra tirer tout le parti possible de la supériorité du feu avant d'en venir au choc; 2° Lorsque l'ennemi sera à découvert, il sera rarement nécessaire de le charger avant qu'il commence à se perser. Toutefois, il y aura lieu, dans certains cas, de se porter en avant pour rapprocher les distances ; 3° Lorsque, grâce au terrain, l'ennemi se trouve à l'abri du feu, il faut pousser vivement l'attaque et aborder nemi à la baïonnette, comme au Dahomey. Le choc sera irrésistible, quand bien même l'ennemi oserait l'attendre ; 4° Chaque élément de la ligne doit maintenir rigoureusement, sous le feu, sa formation en ordre serré ; 5° Les éclaireurs et tirailleurs qui ont pu engager l'action et obliger par leur feu l'ennemi à se démasquer doivent être ralliés dans les intervalles de la 6° De faibles unités en ordre compact ne sont pas nécessairement obligées, même quand elles sont entourées par l'ennemi, de se maintenir sur la position qu'elles occupent. L'ennemi ne peut rester longtemps en contact avec elles. Au moment où il cède le terrain, il est toujours possible de se porter en avant ou en retraite ; 7° Le concours de la cavalerie sera très utile toutes les fois que le terrain permettra de l'employer. Une charge

dis-

l'en-

ligne

;


pourra empêcher une fraction d'infanterie d'être cernée ou bien la dégager dans le cas où elle se trouverait trop isolée des autres ; 8° Quand le convoi sera trop considérable pour l'effectif, il faudra marcher et combattre en losange comme Bugeaud à Isjy, ou en carré comme la colonne Dodds au Sénégal, pour les raisons suivantes : Quand une fraction seule ne peut défendre le convoi, la formation en ligne trop peu étendue est dangereuse, car alors le convoi serait laissé en arrière dans les fluctuations du combat. On est réduit à le mettre au centre d'un losange ou d'un carré selon l'effectif. L'avant-garde, qui jouit d'une grande force de résistance, peut manoeuvrer avec une certaine indépendance, dégager les faces trop rudement pressées ou les flanquer dans la formation en losange. Mais l'ennemi peut faire plusieurs attaques dans divers sens, et la prudence force à ne pas dégarnir les faces non attaquées dont les forces seraient immobilisées. Quand l'ennemi commence à flotter, les compagnies se portent en avant pour le charger à leur tour. Au Soudan et au Dahomey, la colonne était trop faible pour former le losange. L'avantgarde et l'arrière-garde formaient face avant, et la face arrière était laissée vide pendant la marche. Principes moraux du combat. Les pertes des assaillants et le résultat du combat sont d'autant plus grands que l'ennemi a été plus nombreux et s'est mis à plus faible portée sous le feu terrible de la balle Lebel, qui'traverse de cinq à sept hommes à 50 mètres. Il faut donc que la ténacité des Européens soit absolue et qu'ils soient prêts à recevoir les assaillants sur la pointe des baïonnettes si l'ordre de charger n'est pas donné. Mais toujours un retour offensif fera plier l'ennemi.


C'est après la victoire que la cavalerie et les partisans

auxiliaires sont précieux, car le désordre des vaincus leur livre une proie facile. Dans toutes les expéditions coloniales, on a remarqué que les batailles et combats où les Européens attaquent donnent des résultats matériels et moraux bien inférieurs à ceux dans lesquels ils ont gardé d'abord la défensive, pour écraser à petite portée l'assaillant par des feux ajustés (surtout les feux de salve) et pour prendre ensuite l'offensive franche et décidée.


CHAPITRE XVIII LE COMBAT

Le combat dans les forêts de Madagascar. — Exemple de combat

sous bois dans l'Afrique centrale.

Combats dans les bois. On pourra, avant d'arriver sur le plateau de Tananarive,

être forcé de livrer de grands combats dans les forêts. Dans les bois, les tirailleurs ne serviront à rien, malgré la grande puissance de pénétration de la balle Lebel, qui perfore de part en part un arbre de 40 centimètres de diamètre. L'Africain, couche derrière l'arbre qui le cache, pourrait tenir longtemps ; il faut absolument le déloger à la baïonnette. Mais les mouvements par compagnies et pelotons seraient trop difficiles et notre fusil permet de tenir en échec de petits groupes au moyen de quelques hommes. On est exposé à tirer dans de fausses directions et d'atteindre ses propres troupes. Il faut que les officiers et sousofficiers se servent de la petite boussole portative (déclinatoire) employée dans la topographie rapide de campagne. On pourra ainsi diriger le feu dans la direction donnée. Il est indispensable de tenir les chemins qui permettent les mouvements et les attaques de flanc et de faire des pointes qui brisent la ligne ennemie et la forcent à reculer. Le type de la formation à prendre pourrait être celui d'une ligne assez dense de tirailleurs (de deux pas au plus de distance) unis à de petites fractions groupées (demi-section de 20 hommes) faisant les trouées dans la ligne ennemie, avec


une petite réserve en arrière de la ligne de combat, chaque compagnie ayant trois sections en avant et une section en arrière. On laisserait un intervalle suffisant entre les sections pour donner place à la section de réserve, qui reste maintenue, groupée ou fractionnée en demi-sections à 100 mètres derrière les intervalles de la chaîne. Dans les bois, l'artillerie, à cause du peu de vue, de l'éclatement des projectiles sur les troncs d'arbre, n'est pas d'un grand secours. Tout au plus peut-elle, avec des boîtes à mitraille, dégager l'infanterie obligée de reculer momentanément. Elle ne retrouve son effet que contre des forts ou retranchements de troncs d'arbre (deux lignes comprenant entre elles de la terre battue), comme les Cambodgiens en avaient établis presque partout dans l'insurrection de 1884-86. Pour que le combat de bois arrive au vrai succès, il faut qu'il prenne le caractère d'une battue où l'ennemi est acculé à un obstacle ou bien rejeté en plaine ; car autrement, dans les bois, sa légèreté le rend insaisissable. Un combat sous bois dans l'Afrique centrale. Comme exemple des difficultés et des obstacles que nos

soldats pourront rencontrer pendant leur route dans les grandes forêts de Madagascar, nous citerons le combat dans la forêt vierge avant la prise de Thiassalé, en 1893. Thiassalé est une ville bâtie sur les bords du fleuve Bendama, qui se jette dans le golfe de Guinée. Cette petite expédition, commandée, par le capitaine Marchand, de l'infanterie de marine, fut dirigée contre Thiassalé, dont le roi avait fait assassiner et manger deux explorateurs français. La colonne française était bien petite, car elle ne comportait que 115 hommes dont 18 blancs, armés du Lebel, et


tirailleurs et laptots, armés du fusil Gras, sans artillerie. Le récit émouvant de l'expédition a été fait dans les colonnes du Petit Journal par Thomas Grimm, qui a eu en sa possession le rapport officiel. Nous lui en empruntons une partie. Ce récit, peut-être un peu coloré, indique bien qu'en forêt comme en plaine l'ordre serré et la salve auront toujours raison d'une attaque tumultueuse et désordonnée. 97

LA PRISE DE THIASSALÉ

La petite colonne expéditionnaire quitta aussitôt Grand-Lahou et remonta le Badama ; elle était répartie dans seize immenses pirogues, creusées d'une seule pièce dans les arbres géants de la forêt, manoeuvrées par cent quarante piroguiers. Le gouverneur, l'administrateur colonial et un médecin s'étaient joints à l'expédition. Le temps était effroyablement chaud, le soleil était de plomb. Pour avancer sur le fleuve, il fallait faire sauter à la dynamite des rochers. Mais continuer la marche en bateaux devenait dangereux; elle eût déjà été périlleuse avec la permission de Thiassalé. A plus forte raison quand on y allait pour l'attaquer. Dans une rencontre sur l'eau, dans les rapides, la colonne aurait été anéantie. Aussi, quittant brusquement la voie du fleuve, le capitaine Marchand prit la voie de terre. Cette voie de .terre, c'était la forêt vierge; c'était le sentier perdu sous cette gigantesque végétation tropicale. C'était la privation de clarté, la marche hésitante dans une ombre continuelle, dans une atmosphère de serre chaude, d'humidité suintante et de puanteurs se dégageant d'un sol tremblant formé par les couches do bois pourrissant depuis des siècles dans ces profondeurs. C'étaientles rivières bourbeuses et noirâtres à franchir à la nage, quoiqu'elles fussent encombrées de caïmans ; c'étaient les troncs géants tombés dans la forêt et qu'il faut escalader à force de bras ou sous lesquels on se glisse à plat ventre comme des couleuvres ; c'étaient les cobra ou les cracheurs à éviter à chaque pas ; c'étaient les lianes, les fourrés, les branches à sabrer pour ouvrir le passage; c'étaient les embuscades à éventer; c'était enfin l'horreur de ces solitudes, horreur résultant surtout de la privation d'air et de lumière. Un moment, nos soldats crurent qu'ils ne sortiraient jamais de la forêt maudite. On peut imaginer que les sensations des monstres géants des premiers âges, enfouis dans dos océans de boue à la formation de notre terre, devaient être analogues à celles que ces vaillants ont éprouvées pendant leur marche. En un jour on faisait six kilomètres, pas un de plus. Les hommes


auraient préféré en faire soixante en canot sur une rivière remplie de cataractes, ou six cents à pied sur une grande route. Impossible dans cette forêt d'envoyer en avant des éclaireurs, qui auraient été massacrés sans profit. Il fallait marcher l'oeil au guet, s'attendre continuellement à l'attaque. Elle se produisit tout à coup. Le feu éclata dans les jambes de nos soldats, devant, derrière, à droite et à gaucho. Il y en avait partout, et cela au milieu d'un horrible concert de cris aigus poussés par les guerriers de Thiassalé. A quatre mètres au plus, on voyait bondir à travers les arbres et le feuillage de grands corps nus, avec des figures de diables effrayantes pour les enfants ; ils s'étaient mis des masques en bois et s'étaient peint le corps en rouge et en blanc. Leur nombre était très élevé : c'était un véritable grouillement.

Nos tirailleurs, instruits

par les officiers en prévision de cette guerre en forêt, s'aplatissent par terre au premier signal. Les capitaines Marchand et Manet, seuls, restent debout pour diriger le feu que commencent aussitôt les sections à genou. Deux tirailleurs sont tués.

Comme à la manoeuvre, les deux officiers français commandent le feu par salve à répétition. Ce sont les Lebel qui commencent. Les sections tirent à bout portant (il y avait entre eux et l'ennemi huit pas environ) sur la masse hurlante qui, se croyant sûre de la victoire, était toute debout. Nos tirailleurs, à genou, obéissent admirablement et tirent au commandement par salves. C'est un spectacle effrayant : les décharges, sèches comme des coups de trique, se succèdent sans interruption. On distingue fort bien dans le bruit assourdissant le tir des fusils Lebel du tir des fusils Gras et des fusils ennemis. A travers la fumée, on entrevoit dos noirs qui tombent ; les branches cassent avec bruit sous le passage des décharges ; la végétation est trouée, arrachée, comme évanouie sous ce feu violent. Nos lecteurs savent que les balles du Lebel traversent même les arbres do 60 à 80 centimètres d'épaisseur et tout ce qui est derrière. Pour achever la victoire, le capitaine Marchand envoie à l'ennemi, à toute volée, en guise d'obus, un paquet de dix cartouches de cotonpoudre, qui éclate avec un bruit terrible. C'est la fin, les hurlements ont cessé. Nos tirailleurs arrêtent le feu ; en quatre minutes ils avaient jeté 3.000 à 4.000 balles à bout portant dans la masse. Tout autour d'eux, la forêt était dépouillée, le taillis nettoyé comme si un ouragan avait passé là. Sans s'arrêter à compter les morts de l'ennemi, la petite colonne française se lance à corps perdu en avant. Il s'agit pour elle d'arriver avant que les bandes de guerriers noirs aient eu le temps de se reformer et de se jeter dans Thiassalé. Voici enfin un sentier. C'est le seul et elle est dessus ; elle prend une allure de marche qui est presque une course. Deux heures après elle débouche de la forêt.


CHAPITRE XIX LES ENSEIGNEMENTS A TIRER DES CAMPAGNES COLONIALES RÉCENTES

Les enseignements des campagnes coloniales récentes ne doivent pas être oubliés. Les officiers qui ont fait campagne au Tonkin et au Dahomey en ont rapporté une expérience précieuse. Il ne faut pas qu'elle soit perdue pour leurs camarades du corps expéditionnaire ; il faut, au contraire, qu'elle leur serve à éviter des fautes que devrait payer le sang des soldats. Sous ce rapport, nos campagnes du Dahomey et du Tonkin sont hors de pair. Nous avons lutté avec les ennemis les plus redoutables qu'une armée européenne puisse rencontrer outre-mer, le Pavillon-Noir au Tonkin et le nègre du Dahomey : le premier, habile, rusé insaisissable, sachant tirer un excellent parti de la fortification de campagne et du fusil à tir rapide dont il était muni ; le deuxième, féroce, d'un acharnement et d'une bravoure remarquables, d'une ténacité extrême, venant se ruer en masses sur nos soldats. Ceux-ci se sont vus dans l'obligation de se former en carré pour ne pas être enveloppés, et, après avoir broyé les assaillants par le feu rapide à répétition du fusil Lebel, de les charger à la baïonnette pour en refouler les

débris. L'armement de ces deux adversaires en carabines américaines Winchester, fusils Remington, fusils Martinifusils Mauser et Dreyse avait une valeur à peu près analogue à celui des Hovas. Ces derniers se montreront-


ils aussi courageux que les Pavillons-Noirs et les Dahoméens? Quien sabe, dit le Castillan. Il est sage, en tous cas, de ne pas mépriser son ennemi, quel qu'il soit, et d'employer contre les Hovas les procédés qui ont parfaitement réussi contre les premiers. Les points principaux sur lesquels il y a lieu d'attirer l'attention dans les guerres coloniales, sont les suivants : A. — Danger extrême d'attaquer des retranchements défendus par des armes à tir rapide sans une préparation suffisante par l'artillerie. B. — Nécessité d'éviter les surprisés de nuit. Précautions à prendre. C. carré La marche colonne dans la brousse et en en — pour éviter les surprises de jour. D. — L'attaque d'une position en partant de la formation en carré. E. — Les charges à la baïonnette. Nous ne nous livrerons pas à de longues digressions tactiques. Ce livre n'est pas un cours d'art militaire. Il ne contient que des notions pratiques à l'usage de ceux qui vont combattre. Quand nous aurons mis sous les yeux le récit de combats rapportés par des témoins oculaires, ils en dégageront eux-mêmes les conséquences qu'il faut en tirer. Reprenons successivement chacun des points principaux énumérés ci-dessus. A. — Danger extrême d'attaquer des retranchements défendus par des armes à tir rapide sans une préparation suffisante par l'artillerie.

Dans la campagne du Tonkin, nos adversaires ont fait un usage et presque un abus de la fortification passagère. Mais, tandis que certains ouvrages, défendus par les Chi¬


nois, étaient enlevés sans pertes sérieuses, d'autres au contraire, défendus par les Pavillons-Noirs, ont coûté des pertes tout à fait hors de proportion avec la valeur tactique de l'ouvrage. Nous trouvons la raison de cette anomalie apparente dans l'ouvrage d'un officier qui a servi sous nos ordres, M. le capitaine J. Huguet : En Colonne, souvenirs d'ExtrêmeOrient (1). Cet officier a fait les campagnes de 1884 à 1886 du Tonkin et de l'Annam, et son livre est vrai et vécu. C'est le récit exact des événements racontés par un homme qui y a pris part, et qui les narre tels qu'ils se sont passés. C'est là la véritable histoire militaire plutôt que le document officiel, toujours plus ou moins fardé pour les besoins de la cause. Les combats de Yuoc. — Pour débloquer une première fois Tuyen-Quan, une petite colonne de 700 hommes (deux compagnies d'infanterie de marine, deux de la légion étrangère et une section de vieux 4 rayé de montagne) est envoyée, sous les ordres du colonel Duchesne (aujourd'hui général, commandant l'expédition de Madagascar), pour-ravitailler la garnison et la relever. Le commandant Dominé, l'héroïque défenseur de Tuyen-Quan, accompagnait la colonne, et c'est avec les deux compagnies de la légion qui en faisaient partie et une compagnie de tirailleurs tonkinois qu'il a soutenu un siège qui constitue un des plus beaux fleurons de la couronne militaire du Tonkin. Les Pavillons-Noirs, postés dans des retranchements établis à Yuoc, le long de la rivière Claire, sur la route de Tuyen-Quan, dans une position tactique très forte, attendaient au passage la petite troupe française. (1)

Marpon et Flammarion, éditeurs.


Donnons maintenant la parole à M. le capitaine Huguet : Tout présage donc qu'il y aurn lutte, lutte sérieuse même, car les soldats de Liu-Vinh-Phuoc sont braves, bien armés, et la défense de Sontay est encore présente à la mémoire de chacun. Grâce à l'habile direction de leur chef, ils sont passés maîtres dans l'art de remuer la terre ; c'est ce qui fait leur force et aussi leur faiblesse : habitués à, l'abri des tranchées profondes, où ils s'enfouissent comme des taupes, ils manquent de la hardiesse nécessaire pour marcher et manoeuvrer en rase campagne. Leurs ouvrages sont d'une simplicité excessive comme tracé et comme organisation, mais ils sont distribués d'une façon très ingénieuse; le relief n'existe pour ainsi dire pas, — avantage précieux pour la rasance du tir. Dans de telles conditions, on conçoit que leur feu soit toujours meurtrier. Quant au mode de combat, il ne varie jamais. Chaque homme à son créneau attend que l'ennemi paraisse, soit dans le champ de tir, soit à certains points repérés à l'avance ; des sentinelles et des patrouilles volantes occupent ou parcourent le terrain, donnent l'éveil aussitôt qu'elles aperçoivent l'adversaire et se replient immédiatement, en démasquant les défenseurs. Bien que l'approvisionnement en munitions de toutes sortes, cartouches, poudre, balles, boulets, etc., soit considérable, les Pavillons-Noirs ne gaspillent pas leur plomb aux grandes distances ; ils n'ouvrent le feu qu'au moment où l'assaillant se présente à portée efficace, c'est-àdire à moins de 100 mètres. Ils tirent alors avec une rapidité fantastique, couvrant en réalité la zone des approches d'une grêle de projectiles. Leur armement leur permet d'ailleurs de lutter à égalité de chances, constitué qu'il est par des fusils de modèles très différents mais d'une bonne valeur balistique. Les systèmes les plus répandus sont le Winchester à répétition (mousqueton et carabine) et le Mauser allemand;, les Remington, Spencer, Peabody, Martini-Henry, etc., sont aussi très nombreux. L'artillerie, composée surtout d'anciens canons lisses en bronze et de fusils de rempart surannés, est peu portative et n'a pas grande précision ; ils en font, du reste, rarement usage. Ces troupes aguerries contre lesquelles se portait la colonne Duchesne allaient encore être servies par un terrain éminemment propice aux embuscades. Le pays arrosé par la haute rivière Claire est, en effet, un des plus accidentés du Tonkin ; il est, en outre, tellement couvert qu'il est per-' mis de le considérer comme impénétrable là où n'existent pas de sentiers frayés. Rien ne devait être plus pénible pour nos hommes que cette marche dangereuse au milieu de fourrés épais qui, à chaque pas, pouvaient celer un ennemi. Il est tels passages où notre petite troupe eût été infailliblement détruite si elle avait eu affaire à quelques audacieux ; heureusement pour nous, les Pavillons-Noirs ne surent pas profiter des avantages si abondamment mis à leur disposition par l'exubé¬


rante nature tropicale. Tant il est vrai qu'il ne suffit pas d'avoir le nombre pour gagner des batailles, mais qu'il faut encore savoir user,

et user intelligemment, de toutes les forces éparses dont la réunion crée ce faisceau de la fable que nul ne peut rompre.

Nous supprimons dans le récit de l'auteur les dispositions préparatoires pour en arriver de suite à l'ordre de marche, excessivement difficile à prendre à peu près régulièrement dans un pays aussi mouvementé et au beau milieu d'une brousse composée de grandes herbes, de roseaux touffus, où l'on ne voyait pas à dix pas devant soi. Les distances entre les divers échelons sont réduites à leur minimum, .en raison de l'étroitesse du chemin (sentier à peine tracé) et de la longueur de la colonne. Quoi qu'il en soit, on se trouvera toujours dans d'exécrables conditions au point de vue du déploiement : mais la situation est forcée et nous sommes obligés de la subir.

Après une marche rendue extrêmement pénible par le terrain et une nuit passée sans feu au bivouac, on repart le lendemain matin, et l'on tombe, à 7 heures, en plein sous la fusillade de la position ennemie. Le récit de ce premier combat de Yuoc est fort sug-

gestif. TROIS COUPS DE FUSIL

Vers 7 heures, trois détonations se font entendre à intervalles égaux : simple signal sans doute.... Les éclaireurs s'arrêtent. A une centaine de mètres sur le flanc gauche, un toit de paille se détache sur les verdures des arbres. Une patrouille, se glissant entre les brousailles, oblique de ce côté; au même moment éclatent quelques coups de feu : ce sont les hommes de pointe qui ont tiré sur deux sentinelles chinoises. Le sous-lieutenant qui commando la section do tête, M. Schuster, tombe mortellement frappé d'une balle qui lui traverse la poitrine. La fusillade crépite alors sur toute la ligne ennemie avec une intensité effroyable, et une grêle de plomb couvre la. compagnie d'avant-garde.


Un peu de désordre d'abord. Le capitaine Herbin étudie lestement la situation et reconnaît que le feu part d'une colline toute hérissée de bambous et de grands arbres, dont le sommet nous domine à 100 mètres à peine. Rapidement les sections se déploient et répondent à l'adversaire ; celui-ci resté d'ailleurs

complètement invisible, et n'étaient, quelques lambeaux de fumée qui filtrent entre les branches sur la position à conquérir, on ne saurait au juste dans quelle direction riposter. Les balles pleuvent de toutes parts, coupant avec un bruit sec les tiges de roseaux; en haut résonnent les trompes de cuivre des Pavillons ; en bas on n'entend que les voix des chefs dominant le vacarme assourdissant de la lutte et commandant les salves, qui, peu à peu s'échelonnent plus régulières et plus calmes. A 20 ou 30 mètres on arrière et à gauche de notre chaîne s'élève une petite digue. Le commandant Bouguié y fait déployer la 25e compagnie, qui tente aussitôt un mouvement tournant pour prendre d'écharpe la ligne des défenses ennemies. Les deux sifflets de 4 se sont mis en batterie à moins de 200 mètres et tirent à outrance ; les légionnaires sont on réserve. Au bout d'une demi-heure, le colonel Ducesne arrête le mouvement de la 23e et le fait reprendre par une des compagnies étrangères, qui se fraye péniblement un chemin dans la brousse, pendant que le commandant Bouguié reçoit l'ordre de traîner sur le front le combat en longueur. Où sont les canonnières'?... Telle est la question que l'on se pose nouveau ; une patrouille de la 28e envoyée vers le fleuve revient sans les avoir aperçues ; leurs 90 millimètres seraient cependant fort utiles, plus utiles que la veille, à minuit. Il est vrai que les pointeurs ne verraient, comme nous, pas grand'chose, et seraient peut-être, s'ils? étaient là, bien empêchés de trouver un but à leurs pièces. Pendant deux heures et demie la situation reste la même; les Pavillons-Noirs ne ralentissent pas leur feu et nous font subir des portes sensibles; les munitions d'artillerie baissent, les cartouches aussi ; nos salves se succèdent à de plus longs intervalles. Enfin la compagnie de la légion se dépêtre de ce labyrinthe inextricable et tombe sur le flanc des Chinois, qui, surpris et craignant pour leur ligne de retraite, abandonnent immédiatement la place. La 25e et la 28e se rassemblent, tandis que la deuxième compagnie de réserve se porto en avant et, après elle, le gros de la colonne. On côtoie un instant la rivière : la lutte recommence... De la berge opposée et de la tenaille de Yuoc partent de nombreux coups de fusil, auxquels on riposte sans cesser de marcher. Bientôt nos salves se font seules entendre : nous sommes définitivement les maîtres du terrain. A 10 h. 1/2 tout le monde est réuni au campement même des irréguliers. On déjeune. Les instants de repos qui suivent permettent de reconnaître les pertes. Une trentaine d'hommes sont hors de combat. A elle seule la 28e compagnie, qui s'est trouvée en chaîne pendant plus do deux?

de


heures, a 8 tués et 13 blessés. Les tranchées de Yuoc reçoivent nos morts, sur lesquels le pasteur protestant récite les dernières prières, et l'Eclair, qui a rejoint la colonne, prend à son bord les blessés qu'il remontera jusqu'à Tuyen-Quan. En même temps, les quatre compagnies se réapprovisionnent de munitions, car nous avons encore 9 kilomètres à parcourir et rien ne prouve qu'il ne faudra pas recommencer la bataille avant d'arriver au but. Quoi qu'il en soit, ce premier succès nous permet de juger des dispositions prises par les Pavillons-Noirs. Comme il est facile de s'en rendre compte en jetant un coup d'oeil sur le croquis, le centre de résistance était placé en avant de Yuoc, sur l'arroyo qui borne le village au sud. La courbure même de cette ravine et sa profondeur en faisaient la ligne de défense principale sur la route qu'elle couvrait de feux croisés ; une simple tranchée à flanquements la renforçait en ce point. Du côté de la rivière, une succession d'ouvrages analogues, complétés par l'organisation identique de la rive opposée, suffisait à fermer le passage. En se reportant à la carte, on remarque que le sentier du fleuve est commandé, à gauche, par un chapelet de hauteurs boisées d'un relief moyen : c'est sur l'une de ces croupes, à 200 mètres du ruisseau, que s'élevaient les retranchements qui arrêtèrent tout d'abord le détachement et dont l'évacuation fut la conséquence de notre mouvement excentrique vers l'ouest. Ces derniers se composaient d'une redoute constituée par un fort tambour casematé en rondins, crénelé sur trois de ses faces et dominé par un grand arbre où se tenait un poste d'observation, et, un peu en contre-bas,.d'une série de cinq tranchées battant et enfilant la route, le tout dissimulé derrière un masque de verdure et absolument invisible. On conçoit que, dans de semblables conditions et à si courte distance, les pertes aient été considérables et les blessures mortelles.

Tuyen-Quan, ravitaillé en novembre 1884, lut assiégé l'année suivante par l'armée entière du Yun-Nan, et il fallut, pour le débloquer, envoyer non plus un bataillon mais une. brigade entière, la brigade Giovanninelli, des troupes de la marine, accompagnée par le général en chef Brière de l'Isle. Les Chinois avaient, après notre départ, réoccupé la position de Yuoc, dont ils avaient augmenté les défenses d'une manière formidable. On connaissait, à l'état-major du général en chef, la valeur de cette position tactique,


et l'on ne pouvait avoir aucun doute sur la réception, très chaude, qui nous était réservée. Cette lourde faute devait avoir pour conséquence un combat à la Pyrrhus qui allait désorganiser la brigade de l'infanterie de marine. C'est l'opinion absolue de M. Huguet que nous donnons là, et — ne l'oublions pas — il a été acteur dans les deux actions de Yuoc. L'état-major n'ignorait pas quelle réception nous attendait sur les bords de la rivicre Claire. Le commandant Dominé, dans les rares messages qui avaient pu parvenir au général Brière do l'Isle, affirmait la nécessité de se présenter en nombre si l'on voulait franchir le cercle de fer qui étreignait la place investie. Le point de Yuoc restait le noeud vital, et il était hors de doute que les Pavillons-Noirs eussent employé scrupuleusement leur temps pour le fortifier à outrance. A l'estime des officiers d'infanterie de marine qui avaient fait partie de l'expédition de novembre 1884, il était évident que suivre le chemin déjà parcouru c'était prodiguer notre sang sans assurer le résultat ; tourner les positions adverses par l'ouest, c'était allonger beaucoup le trajet pour trouver probablement les précautions aussi bien prises ; restait une troisième solution : arriver aux assiégés par la rive gauche, où tout faisait prévoir que les Chinois s'étaient moins gardés. Si les états-majors prenaient quelquefois conseil de pauvres officiers subalternes, ne fût-ce que quand ceux-ci ont l'expérience et la pratique d'un terrain où ils ont déjà lutté et qu'ils ont étudié autrement que par des cartes assez imparfaites, celui de la brigade eût peut-être, comme le pensaient les pauvres officiers subalternes, longé la rive droite, connue jusqu'à Phu-Doan, occupé par nous, — passé alors sur la rive gauche, inconnue il est vrai, mais excentrique aux forces ennemies et n'augmentant pas sensiblement la distance ; et, au lieu de l'hécatombe du 2 mars.... Mais les états-majors sont les états-majors, — et l'art militaire est une propriété gardée !

Donnons maintenant le récit de ce combat héroïque, auquel a assisté M. Huguet, avec la même compagnie (la 28e du 4e de marine) qu'il commandait déjà au premier combat d'Yuoc : La bataille allait se livrer, en s'amplifiant sur l'emplacement exact du combat de Yuoc ; elle devait, du reste, débuter de la même façon. Les forts, visibles celle fois et incomparablement plus nombreux, présentaient une structure bien différente do celle dos ouvrages de LangSon : les mamelons qui leur servaient d'assises, déboisés sur l'étendue


de la zone dangereuse, se reliaient les uns aux autres par ces boyaux rasants si funestes à l'attaque. Quant aux forts eux-mêmes, ils ne se trahissaient que par la dénudation du sol et la présence de palissadements en bambous. Pas de relief, pas d'étendards, rien qui décelât une occupation effective. Lorsque, le 2, vers 1 heure de l'après-midi, les lihns d'avantgarde aperçurent de loin les premiers retranchements ennemis, muets et déserts, ils les crurent abandonnés. Leur marche n'étant aucunement entravée et la distance diminuant sans qu'un coup de feu vint les mettre sur leurs gardes, ils se rassurèrent tout à fait. On se souvient que, le 19 novembre, les éclaireurs de la colonne Duchesne s'avancèrent jusqu'à 100 mètres des lignes chinoises : il devait en être de mémo cette fois encore. La fusillade éclata tout d'un coup, foudroyante, et les tirailleurs tonkinois, peu aguerris, affolés par cette grêle de plomb, se débandèrent et lâchèrent pied. Avant qu'on eût pu les soutenir, les têtes de leurs morts figuraient déjà comme trophées sur les parapets ennemis. Ce début peu encourageant amena tout d'abord une certaine confusion. L'artillerie, retardée par les difficultés du terrain, fut longtemps à se mettre en batterie. Nous nous trouvions, pour ainsi dire, sur les Célestes, et la lutte prenait dès le commencement les allures d'un corps à corps. Dans cet étroit espace compris entre la rivière et les hauteurs qui dominent la route à gauche, et sur une profondeur qui n'atteignait pas 500 mètres, allait se livrer le duel le plus formidable qu'ait jamais fourni, avant et depuis, la campagne du Tonkin, duel qui, malgré les excellentes qualités militaires déployées, passa cependant on France presque inaperçu. Combien de personnes, en effet, ignorent jusqu'à ce nom d'Hoa-Moc, écrit en lettres de sang sur l'histoire du corps expéditionnaire ! Détailler par le menu les péripéties de l'action serait impossible. A 4 heures la brigade entière se démenait dans la fournaise, attaquant avec rage ces retranchements qui vomissaient une mort émanée de mains invisibles. Des engins de guerre bizarres sillonnaient l'air, fusées explosibles à trajectoires hétéroclites qui passaient avec un frémissement sinistre. Sous les pas des colonnes d'assaut éclataient des mines ; des fougasses détonaient, creusant des gouffres, projetant, avec des morceaux du sol, des cadavres horriblement brûlés et tuméfiés. Dans le vacarme de la bataille, des sonneries essoufflées de clairons se détachaient, haletant la charge et accompagnant, du pied des forts, les ronronnements sourds des trompes chinoises. Dans un si petit espace, on ne pouvait penser à diriger la lutte : l'individualité seule agissait. Avec le crépuscule, la brume tombait plus épaisse. L'artillerie s'était tue, craignant de frapper à la fois amis et ennemis dans l'enchevêtrement de la mêlée. Les ombres de la nuit, venue vite, ne tempéraient pas l'intensité de la fusillade : devant elles, personne ne songeait à lâcher prise. Sur le revers d'un talus, assis, soucieux, la tête dans ses mains, au milieu de son état-major, le général en chef entrevoyait peut-être la nécessité d'une retraite. A la vue des files do brancards ensanglantés


qui défilaient auprès de lui, le colonel Giovanninelli, pâle, ému, et pour qui la vie du plus obscur soldat était aussi précieuse que la sienne propre, s'écriait, la gorge serrée : « Mes enfants !... Mes pauvres enfants !... » tandis que, dans l'air condensé où sifflaient sans répit les balles, les plaintes des blessés râlant dans les roseaux, au milieu des fourrés de bambous ou le long des pentes des ouvrages, s'élevaient plus distinctes. La plupart des compagnies, décimées, abruties de fatigue, s'étaient étendues sur la terre, là-même où elles avaient combattu, conservant leurs dernières cartouches pour le dernier acte du drame. Les médecins allaient, errant dans l'obscurité, à la recherche des mourants, dont les voix éteintes clamaient: l'ambulance ! l'ambulance !... A ces cris, qui donnaient la vision d'êtres défaits traînant dans le chaos du champ de carnage leurs membres saignants, les coeurs des plus courageux et des plus insensibles se glaçaient. Peu nombreux furent ceux qui, allongés dans l'herbe sous la pluie d'eau et de projectiles, reposèrent cette nuit là leur lassitude dans un court sommeil ! Vers 3 heures du matin, une recrudescence de feu remit tout le monde sur pied... Les alliés allaient-ils prendre l'offensive ? Allaient-ils, par un mouvement excentrique, forcer à leur profit la victoire?... Redoutable inconnu d'une bataille indécise !... Pendant quelques instants les trompes résonnèrent ; puis un silence éélatif s'établit, troublé seulement par des détonations de plus en plus espacées. A la première lueur du jour, la lutte recommençait avec une âpreté nouvelle. La rage dans l'âme, sans attendre qu'un ordre eût été donné, d'un commun accord, toutes les troupes de la brigade ainsi que la réserve du colonel de Maussion s'élancèrent dans un élan furieux contre les positions ennemies. Vers le milieu de la nuit, une partie des forts avaient été évacués : les Chinois, étonnés de notre ténacité, redoutant plus que nous encore d'être tournés et coupés de leurs communications, avaient esquissé leur retraite. Les rares ouvrages occupés, assaillis de tous les côtés à la fois, tinrent bon jusqu'à l'extrême limite. Le dernier de ceux-ci, enveloppé complètement, ne fut pris qu'à 9 heures du matin, après une défense qu'on ne peut s'empêcher d'admirer. Un peloton de légionnaires et un peloton de tirailleurs algériens en garnissaient la crête ; au-déssus (Peux, chaque embrasure crachait sans répit des volées de balles. Nulle brèche n'existant dans les parapets, il fallait, pour écraser cette résistance suprême, donner un assaut meurtrier : or, nos pertes, déjà trop grandes, ne nous permettaient pas l'emploi d'un pareil moyen. Deux pièces de 80 millimètres furent mises en batterie à moins de 10 mètres et tirèrent à bout portant ; quelques coups de canon et trois ou quatre feux de salve achevèrent enfin la besogne... Quand on pénétra dans l'intérieur de la double enceinte, tout était mort : une cinquantaine de cadavres affreusement mutilés gisaient sur le terre-plein ou dans le fond des tranchées. Le sang ruisselait. Toutes les cartouchières étaient vides. Cette fois, nous étions maîtres du terrain.


Délivré do ses angoisses, le général Brière do l'isle rayonnait. Le combat d'Hoa-Moc jetait un lustre nouveau sur le corps expéditionnaire. De fait, ce n'était ni à la stratégie, ni à la tactique, ni au génie d'un homme qu'était dû le gain de la bataille. Le héros, ici, c'est le soldat : à lui revient tout l'honneur du succès ; c'est devant son énergie, son opiniâtreté, sa bravoure décuplée par ce sentiment du il faut passer quand même que nous avons déjà indiqué dans une des pages précédentes que l'armée impériale et les bandes aguerries do Liu-VinhPhuoc, bien supérieures en nombre, excellemment armées et parfaitement organisées, ont dû se retirer. La valeur incontestée et vraiment remarquable déployée par elles dans cette rencontre, comme aussi dans le siège de Tuyen-Quan enfin dégagé, en rehaussant le mérite du vaincu augmente encore la gloire du vainqueur. Devant la grandeur du but atteint, les sacrifices disparaissaient. Ils étaient énormes, cependant ! Mais peut-on regretter ceux qui tombent dans le flamboiement de la victoire, payant de leur vie la vie de leurs frères d'armes ?... Dans le régiment d'infanterie de marine, les deux cinquièmes des officiers et près de deux cents hommes se trouvaient hors de combat. Le chiffre total des morts et des blessés dépassait 450. Dans cette seule affaire du 2-3 mars, la 1re brigade perdait donc, à elle seule, plus de monde que la division entière pendant toute la marche sur Lang-Son.

B. — Les surprises de nuit. Les Hovas — gens de race malaise, ne l'oublions pas — attaqueront-ils de nuit, comme les peuples de l'ExtrêmeOrient ? En général, le noir de race pure n'attaque pas la nuit. Le Dahoméen seul fait exception. Il est prudent de prendre contre le Hova les mêmes précautions que contre

'lés'Dahoméens. Nos troupes ont eu à repousser deux attaques sérieuses de nuit, à Kotonou et à Dogba. Nous allons les examiner successivement. L'attaque de Kotonou. — Le 4 mars 1890, dans la première campagne du Dahomey, les Dahoméens tentent, à 4 heures du matin, une attaque par surprise contre nos troupes occupant Kotonou, dont les fortifications étaient à peine ébauchées. Sur notre ligne de défense, presque d'un kilomètre de développement, le commandant Terrillon


avait disposé sept postes, forts au plus d'une section et de quatre pièces de 4 de montagne. Le reste (environ une compagnie et demie), avec deux pièces de 4, était en réserve. Le total des forces françaises était au plus de 500 hommes et composé presque exclusivement de troupes indigènes, sauf l'artillerie. Nous donnons le récit du combat d'après l'ouvrage du capitaine Victor Nicolas, l'Expédition du Dahomey en 1890 (1), car il indique la marche à suivre pour repousser une attaque de nuit sur une position fortifiée que l'on doit conserver à tout prix. Pour la nuit du 3 au 4 mars, les avant-postes reçurent l'ordre d'exercer une surveillance toute particulière et lurent placés de manière à occuper la ligne reliant le fort en construction au Télégraphe. Ils comprenaient : 1° Sur les bords do la lagune, dans le bastion nord du fort, une section de Gabonais et une pièce de 4 rayée de montagne, sous les ordres du lieutenant Compérat ; 2° Dans un poste, entouré d'abatis, situé à 200 mètres au sud-ouest du fort, une autre scction.de Gabonais sous le commandement du capitaine Oudard ; 3° Dans un ouvrage élevé à 30 mètres au sud-ouest et à 20 mètres en arrière de la section Oudard, une demi-section de la 2e compagnie de tirailleurs sénégalais avec une pièce de 4 de montagne, commandée par le maréchal des logis Morcau ; 4° A l'Agor, maison on paillottes, entourée d'abatis, une section de la 10e compagnie de tirailleurs sénégalais, avec son chef, le sergent Albert ; 3° Derrière celle section et en réserve, les 22 gardes civils ; 6° Sur une petite élévation située en avant du Sanatorium, le souslieutenant Szymanski avait monté deux pièces de 4 rayées de montagne, qu'il dirigeait en personne ; 7° Enfin, au télégraphe, une demi-section do la 4e compagnie. Un poste de surveillance de quatre hommes était, en outre, établi sur la pointe de terre qui s'avance entre la lagune et la mer. La réserve comprenait : Trois sections de la 2e compagnie de tirailleurs sénégalais, retranchées à la factorerie Régis : (1)

Henri Charles-Lavauzelle, éditeur.


Trois sections et demie de la 4e compagnie du môme corps, occupant la factorerie Fabre sud ; Deux pièces de 4 rayées de montagne, établies un peu en arrière du Sanatorium. .En raison de la nature du terrain et de la manière de combattre des Dahoméens, qui s'avancent toujours en rampant et en se dissimulant avec beaucoup d'adresse, les différents postes se gardaient de la façon suivante : on ne portait en avant ni sentinelles ni postes de quatre hommes, qui pouvaient être enlevés trop facilement ; de 7 heures à 10 heures du soir, un tiers de l'effectif était debout; il était remplacé par un deuxième tiers, qui veillait jusqu'à 1 heure du matin, lequel ceiiàit 'sà "placé' au reste de la troupe. A partir de 4 heures, tout le monde devait être à son poste prêt à faire feu (1). Cette nuit du 3 au 4 mars fut marquée par un orage épouvantable. Les coups de tonnerre succédaient aux éclairs et répercutaient leurs grondements sinistres dans les bois. De tous côtés, les cimes des arbres ployaient sous l'effort de la tempête, avec dos craquements plaintifs auxquels venait se mêler, de temps à autre, le bruit sourd de lourdes branches se déchirant pour s'abattre sur le sol. Toute la nuit, l'horizon fut en feu, et ce n'est que vers 4 heures du matin que le vent s'apaisa et que le ciel fut moins chargé. La lune se montra alors au milieu de gros nuages, qui filaient avec une grande rapidité en la faisant paraître et disparaître tour à tour. Profitant de cette tornade et de la faveur de la nuit, les Dahoméens s'étaient avancés sous bois, comptant se rapprocher de nos lignes pour les surprendre dans l'obscurité ; mais, de tous côtés, malgré l'ouragan, on faisait bonne garde. Un peu avant 5 heures du matin, au moment où la lune était voilée par un gros nuage, le lieutenant Compérat entendit un bruit étrange, qui paraissait se rapprocher do son poste. Après avoir prévenu ses hommes à voix basse, il prête l'oreille et essaie de voir, mais l'obscurité est trop profonde. Tout à coup, les grelots des féticheurs se font entendre, et l'ennemi se dresse on masse à dix pas des remparts. Le premier feu de salve, commençant cette lutte héroïque, est aussitôt commandé d'une voix vibrante et exécuté avec le plus grand calme par les Gabonais ; en même temps, le canon de 4 rayé envoyait une volée do mitraille. Déjà, le commandant Terrillon était debout, se préparant à aller visiter les avant-postes. Il fait de suite, au Sané, le signal de combat, et la grosse artillerie do ce croiseur, ainsi que ses canons-revolvers, fouillent de leurs projectiles les bois qui se trouvent à l'ouest. La 4e compagnie (capitaine Pansier) part au pas do course pour souIl faut surtout remarquer cette manière de se garder. Elle eût gagnée à être complétée par quelques chiens attachés à 200 ou 300 mètres en avant des postes et par des patrouilles rampantes. (1)


tenir la droite de la ligne ; la 2e compagnie (capitaine Lomoine) se dirige sur l'Agor, où la fusillade vient également d'éclater. Les Dahoméens étaient venus pour nous attaquer en deux colonnes ; mais celle de gauche, comprenant un régiment d'amazones et un millier de guerriers, n'avait pas attendu sa jonction avec celle de droite, qui s'était trouvée retardée par la traversée des bois épais du Télégraphe. Cette dernière avait donc dû entrer en action un peu plus tard, ce qui avait divisé l'attaque de telle sorte qu'au centre de la ligne, en face du capitaine Oudard, il n'y avait personne. Cet officier, entendant à sa droite et à sa gaucho une lutte acharnée, brûlait d'impatience d'intervenir; mais il avait reçu ordre d'attendre le lever du jour pour prendre part à l'affaire. A droite, l'attaque est terrible; l'ennemi, après avoir tourné le bastion, l'entoure de tous côtés ; guerriers et amazones s'élancent sur les remparts, écartent les palanques et, à travers les interstices, engagent les canons de leurs fusils pour tirer plus sûrement. Quelques-uns se hissent sur le sommet de l'obstacle, où ils sont tués à coups de baïonnette; leurs corps sanglants retombent à l'intérieur de l'ouvrage. Le lieutenant Compérat, quoique blessé dès le début de trois balles, dont une lui brise l'omoplate, est sublime de calme et de froide énergie, et, lorsque le sergent Claverie, qui est aussi atteint de deux balles, vient rendre compte de sa blessure, il lui répond avec héroïsme : « Restez à votre poste; moi aussi je suis blessé et je ne dis rien. » Le brave sous-officier ne se le fit pas répéter, et la lutte continua avec plus d'acharnement. Mais déjà nous avons 3 hommes tués et 8 blessés, et l'on se demande avec anxiété si, devant ces masses acharnées et sans cesse grossissantes, ce petit groupe soutiendra le choc jusqu'à l'arrivée des renforts que le commandant Terrillon vient d'expédier à

la hâte. Heureusement que l'attitude des chefs a enflammé le coeur des soldats; un nouvel effort fait reculer les Dahoméens, et bientôt nos braves Gabonnais peuvent apercevoir, à travers la demi-obscurité du jour naissant, les chéchias dos Sénégalais de la 1re section do la 4e compagnie, sous les ordres du lieutenant Lagaspie, qui arrivent au pas de course, baïonnette au canon. Une lutte à l'arme blanche s'engage entre celte section et l'ennemi, qui entoure le poste ; le sang ruisselle, les cadavres s'entassent sur les cadavres et les amazones viennent avec rage se transpercer d'ellesmêmes sur le fer de nos baïonnettes. Pendant quatre heures, l'armée dahoméenne renouvelle ainsi ses attaques infructueuses. Elles ne cessent que quand le soleil, écartant l'obscur rideau qui couvrait la terre, permet à la section Oudard de couvrir l'adversaire de feux obliques de mousqueterie et de mitraille vomie par ses deux pièces de 4. L'arrivée de la compagnie Pansier acheva la déroute. Sur la gauche, les affaires marchaient moins bien; elles furent même un instant compromises par suite do l'abandon de l'Agor.


Le sergent qui commandait ce poste, se voyant entouré, oublie les ordres donnés et, au lieu de résister à outrance sur place, songe à se replier sur les réserves. Heureusement qu'au moment où ce mouvement de retraite commençait, la compagnie du capitaine Lemoine entrait en ligne. Les Dahoméens, croyant déjà tenir le succès, s'étaient élancés en masse sur la position ; mais, arrivés à dix pas, ils sont reçus par un feu rapide de nos tirailleurs, qui fauche leurs rangs comme les blés. Malgré l'obscurité qui règne, ils se sont tellement rapprochés des nôtres qu'on peut parfaitement les voir s'arrêter soudain, au moment du passage de l'ouragan de plomb. Lemoine, saisissant à propos ce moment d'hésitation, lance sa compagnie en avant, les gradés en tète, et une mêlée horible, sanglante, s'engage à la baïonnette. Les Dahoméens reculent; quelques-uns se couchent afin de laisser passer le flot humain qui les pousse, l'arme dans les reins, puis ils se relèvent pour nous fusiller par derrière. Rien ne peut arrêter l'élan des nôtres ; ils poussent tout devant eux, dépassent l'Agor et vont s'établir face au nord-ouest. Ils y sont à peine qu'ils reçoivent une vive fusillade par derrière; l'une des sections de la compagnie fait demi-tour et, profitant des premières clartés de l'aube, répond par un feu violent ; elle s'élance ensuite baïonnette basse et tue tous les agresseurs, à l'exception d'un petit nombre qui se réfugie dans les cases du village, mais qui est ensuite pris et passé par les armes. A 6 h. 15 du matin, les Dahoméens prononcent un nouveau retour oflensif vigoureux; nos tirailleurs les attendent l'arme au pied, et, dès qu'ils ne sont plus qu'à .200 mètres, ils ouvrent un feu rapide qui suffit pour jeter la confusion et la mort dans les rangs adverses. Dès le début de l'action, quelques groupes avaient cherché à tourner le Télégraphe ; mais ils furent arrêtés dans leur entreprise par des feux bien ajustés partant du premier étage. Vers 7 heures, l'armée de Behanzin, furieuse de n'avoir pu jeter ce petit nombre d'hommes à la mer, se reforme de tous côtés et essaie, à différentes reprises, de se rapprocher de nos lignes ; mais les obus du Sané et ceux d'une batterie de trois pièces de 4 rayé do montagne, établie par le capitaine Septans au centre de la position, en ont facilement raison. A 9 h. 1/2, l'ennemi disparaissait définitivement, laissant 127 morts, dont 7 amazones, dans l'intérieur de nos lignes. Mais là ne se bornaient point ses pertes; la plaine et les bois voisins étaient recouverts de cadavres ; on en rencontrait à chaque pas, les jours suivants, pendant les travaux de dôbroussaillement. Les rapports des espions estimaient le nombre des morts à 250, dont la colonelle des amazones, l'apologan d'Allada, et au moins 400 blessés. De notre côté, nous avions 8 tués, dont 2 artilleurs, 1 maréchal des logis et 1 canonnier, qui avaient été frappés sur leurs pièces, et 26 blessés plus ou moins grièvement.


Pendant la lutte, une amazone fut tuée sur le corps du caporal indigène Ahmadou-Samba, à qui elle venait de trancher la tête. .Les abords du fort, au pied duquel étaient amoncelés des tas de cadavres, témoignaient d'ailleurs de la rage avec laquelle on avait combattu des deux côtés. Il faut avoir assisté à ce combat, soutenu, au milieu des ténèbres, contre des ennemis nombreux et vigoureux, dit le colonel Terrillon luimême, pour apprécier l'énergie déployée par ce petit noyau d'hommes, dont le moral fut à la hauteur de la situation critique qu'il a traversée depuis le commencement de la lutte jusqu'aux premières lueurs du

jour

(1).

Le combat de Dogba. — Dans

la deuxième campagne du Dahomey, la première rencontre sérieuse entre nos troupes et les Dahoméens eut lieu à Dogba. C'est encore une attaque de nuit par surprise du camp français, surprise qui faillit réussir. Nous en donnons le récit d'après la Campagne du Dahomey (2) de Jules Poirier. Le 14 septembre au matin, la colonne arrivait à Dogba, où devait s'opérer la concentration, par les routes ouvertes par les indigènes dans les forêts. Elle s'installait dans un camp sablé, sur une colline, dans une position superbe et salubre. Les troupes s'établirent du côté de la brousse, tandis que le convoi restait au-dessous de Dogba, sur les bords de l'Ouémé. L'infanterie de marine était placée à 100 mètres du gros de la colonne. Le premier groupe, commandé par le commandant Riou, était parti en reconnaissance. La face du bivouac qu'il occupait était gardée par les troupes indigènes, soutenues par une section d'infanterie de marine. Les Dahoméens venant de l'est, ayant traversé l'Ouémé à Tohoué, à 25 kilomètres au nord de Dogba, ne s'inquiétèrent pas des troupes qui venaient de quitter le campement et s'avancèrent silencieusement, espérant envahir à la fois les trois côtés du bivouac. Le 19, le réveil était à peine sonné depuis une heure (il était donc environ 5 heures), quand les soldats d'infanterie de marine de grand'garde autour du camp virent surgir tout à coup d'un bois voisin des silhouettes humaines. Aux cris «Qui vive?» dos coups do feu seuls répondirent ; aucune do

L'Expédition du Dahomey en 1890, par Victor Nicolas, capitaine d'infanterie de marine. — Charles-Lavauzelle, éditeur. (2)Henri Charles-Lavauzelle, éditeur. (1)


nos sentinelles no fut touchée, et, tout en tirant, elles se replièrent sur le camp, où elles donnèrent l'éveil. Sous l'éclair des coups de fusil, on voyait s'agiter une masse confuse d'où partaient, avec des intonations féroces, les cris : « Dahomey ! Dahomey ! » Du haut des palmiers, où ils se hissaient à l'aide de longues cordes, les Dahoméens liraient sur le camp et particulièrement sur les tontes des officiers. Les effets de ce feu plongeant étaient des plus sûrs et des plus meurtriers, car c'est le seul tir que les Dahoméens exécutent au visé. Une première ligne de tirailleurs formée par la compagnie d'infanterie de marine, déployée en avant des abris, et par la section d'artillerie, dont les hommes font usage du mousqueton, arrêta l'ennemi à cinquante mètres. L'Opale, mouillée à hauteur du bivouac, dirigea le tir de son artillerie sur la ligne de retraite de l'ennemi. Une compagnie de la légion tirée de la première face (nord) du carré se déploie à la gauche de l'infanterie "de marine, dont la droite est prolongée par une section do la légion venant do la quatrième face (sud) ; enfin la moitié de la 3e compagnie de légion, venant aussi de la première face, renforce bientôt l'ensemble do la ligne. Pendant que l'infanterie de marine continue le feu de tirailleurs qu'elle a ouvert dès le début, la légion exécute des salves de section, et un certain nombre de tireurs habiles délogent les Dahoméens embusqués au sommet des arbres, d'où ils dirigent particulièrement leurs coups sur les officiers. Vers 6 heures, l'ennemi, arrêté et décimé, commence à plier. Après quelques retours offensifs, probablement tentés. on vue d'enlever les morts, son mouvement en arrière se prononce. La ligne de combat se porte en avant par bonds de 30 mètres, et l'ennemi, visiblement découragé, plie devant elle et regagne l'abri de la brousse. Quelques salves bien dirigées et le tir à mitraille des deux pièces d'artillerie, dont les servants ont repris leur poste normal, délogent les tireurs postés dans les arbres ; la crête est occupée par nous et le feu de l'ennemi devient dès lors peu efficace. Mais la marche en avant, rendue très pénible par l'épaisseur du fourré, est lente. Vers 7 heures, l'ennemi est en pleine déroute sur tous les points. Des salves exécutées au jugé accélèrent son mouvement. A 8 heures, le feu a complètement cessé et les reconnaissances lancées en avant né trouvent plus de résistance (1). Ce combat coûtait à l'ennemi plus de 400 morts et blessés. Do notre côté, nous avions 1 officier tué (le sous-lieutenant Badaire), 1 officier blessé mortellement (le commandant Faurax), 3 hommes tués et 11 blessés.

Dans notre journal l'Armée de réserve, en commentant le (1)

Rapport du colonel Dodds.


rapport du colonel Dodds, nous avions fait ressortir quels étaient les enseignements tactiques à tirer de ce combat, enseignements qui furent mis ensuite largement à profit pendant le reste de la campagne. A ce titre, nous ne croyons pas oiseux de les reproduire dans cet ouvrage, écrit — nous ne saurions trop le répéter — pour les officiers du corps expéditionnaire. COMMENTAIRES DU COMBAT DE

DOGBA

Remarquons d'abord la précaution prise de débroussailler le campement en avant, probablement à une centaine de mètres, car c'était à cette distance que les avant-postes avaient été placés. Ici, le colonel s'est inspiré des principes de la guerre au Sénégal où, en raison de la hardiesse de l'ennemi et de la faible portée de ses armes, le dispositif habituel du service de sûreté en Europe, avec ses trois échelons, grand'garde, petits postes et sentinelles, poussés en avant à 1.000 et 1.200 mètres de la troupe à couvrir et occupant eux-mêmes une profondeur moyenne de 5 à 600 mètres n'a pas de raison d'être. Il n'est d'ailleurs admissible qu'avec de forts effectifs, et ce n'est pas le cas pas plus au Dahomey qu'au Sénégal. D'autre part, on ne sait jamais par où viendra l'attaque, car on a affaire à un ennemi agile et libre de tous impedimenta, qui connaît le terrain -et combat, à l'heure et au moment qu'il a choisis. Pour toutes ces raisons, dans la campagne du Dahomey, on adopta le bivouac en carré, quoique cette formation ne soit point prévue par notre service en campagne, l'effectif de chaque face du carré variant naturellement comme celui de la colonne. La nuit, le service de sûreté est fait par un poste détaché porté à 100 ou 150 mètres au plus en avant de chaque face, poste composé d'une section qui s'éclaire par des sentinelles à une centaine de mètres en avant. D'autres fois, on emploie de petits postes irréguliers forts chacun d'une escouade, formant un cordon ininterrompu tout autour du bivouac et à une centaine de mètres. Chaque petit poste détache une sentinelle double à quelques pas en avant de l'escouade, dont la moitié dort couchée les armes à côté d'elle, et l'autre moitié veille assise. Au premier signal d'alarme, l'escouade est debout les armes à la main et commence le feu une fois les sentinelles recueillies. C'est évidemment un de ces deux dispositifs qui a été employé au bivouac de Dogba. Ajoutons que les pièces d'artillerie sont placées aux angles du carré, chargées à mitraille et pointées dans le secteur sans feu. Commentons l'attaque par surprise, car il y a eu surprise, c'est indéniable. Le 19 septembre, à 5 heures du matin, il fait nuit noire au


Dahomey, le soleil ne se levant pas avant 6 heures, et il n'y a pas, au Dahomey, d'aube comme en Europe. Le petit poste de la face est, averti par la sentinelle, n'en est pas moins obligé, pour ne pas être débordé et enveloppé, de se replier tout en faisant le coup de feu. La compagnie d'infanterie de marine a tout juste le temps de se déployer vivement en tirailleurs en avant des abris et de commencer son feu rapide à répétition, aidée par les servants d'artillerie, qui se servent de leur mousqueton modèle 1874. La surprise a été si inopinée que ces artilleurs n'ont pas le temps de mettre leurs pièces en batterie et de tirer à mitraille sur les assaillants, qui sont parvenus à 50 mètres de nos soldats. Cette mitraille aurait produit, en pointant très bas pour éparpiller les balles, un effet moral et matériel autrement considérable que le feu de quelques petits mousquetons modèle 1874. Ces pièces n'étaient donc point placées aux angles du bivouac, ni chargées à l'avance ? Heureusement que les petits marsouins n'ont point perdu la tête. Ils tiennent bon en faisant probablement un feu rapide des plus vifs et la légion étrangère vient à la rescousse. Elle arrive en ordre serré, ce qui est à remarquer, et se déploie en ligne, une compagnie à gauche de la chaîne des tirailleurs, un peloton au centre pour le renforcer et une section à sa droite. Sur ce front, qui n'a pas dû dépasser 300 à 350 mètres, on a alors une ligne solide de 500 fusils au moins fournissant un feu très dense. Aux premiers coups de feu, les soldats d'infanterie de marine ont dû sauter sur leurs armes, charger le magasin, en admettant qu'il n'ait pas été chargé à l'avance et fermé une fois chargé, précaution excellente dans le cas présent. Ils n'ont pas eu le temps de manoeuvrer, mais ont pu se déployer rapidement à la voix des chefs pour commencer le feu rapide sur l'ennemi, déjà à 50 mètres d'eux. L'ennemi s'est arrêté devant ce feu et a riposté, car lui aussi a des armes à tir rapide, des chassepots, des mausers, des winchesters à répétition et même des fusils Mannlicher à chargeur à cinq coups du calibre 8 millimètres, pas beaucoup fort heureusement. On tire probablement des deux côtés avec la plus grande vitesse possible, pas bien, car on est excité et que d'ailleurs il fait encore nuit. Mais la légion étrangère, qui s'avance en ordre serré, bien dans la main de ses chefs, et qui, comme dit le proverbe, « en a vu bien d'autres en Afrique », et nous ajoutons : « au Tonkin », troupe composée d'hommes d'un certain âge, se déploie en ligne et commence des feux. de salve à 50 mètres de l'ennemi. C'est là un fait absolument remarquable, beaucoup d'excellents militaires niant qu'il soit possible d'obtenir des feux de salve dans le combat, et nombre d'autres, déclarant qu'ils ne sont possibles qu'au delà de 800 à 1.000 mètres, ajoutent que, dès que l'on est à 500 ou 600 mètres de l'ennemi, il ne faut plus compter que sur le fou individuel du tirailleur, heureux encore si l'on peut obtenir un fou un peu ajusté. Il est vrai qu'il y a quasi unanimité à déclarer que, toutes les fois que ces feux de salve seront possibles, ils produiront un grand résul¬


(1).

tat. Et, de fait, il est probable qu'à Dogba les effets moraux et matériels de ces feux de salve de la légion ont dû être considérables. A signaler, en passant, la tactique ingénieuse des tirailleurs dahoméens montés sur les arbres, d'où ils visent à leur aise les officiers qui sont en arrière de la ligne de combat. Il faut leur opposer, pour les déloger, des tireurs habiles, par application du numéro 299 do l'école de compagnie : « Le capitaine peut réunir on un ou deux groupes de quelques hommes ses meilleurs tireurs pour les employer à exécuter, des feux très ajustés » La lutte se continue avec acharnement dos deux côtés pendant une heure. Vers 6 heures, l'ennemi commence à prononcer un mouvement en arrière. Il est probable que les fantassins du Dahomey ont dû épuiser presque toutes leurs cartouches dans cette vitesse de tirerie désor-donnée, et, comme ils ont compté sur l'effet de leur feu au lieu d'en venir résolument au corps à corps, leur moral commence à s'affaisser avec l'épuisement de leurs munitions. Le moment psychologique pour la défense de passer à son tour à l'offensive est arrivé. Il est saisi avec à-propos, et, sur l'ordre du colonel Dodds, la ligne de combat française prononce un bond de 30 mètres en avant. L'ennemi, qui est à 50 mètres, ne l'attend pas et recule d'autant à l'abri de la brousse, dont la lisière est à 100 mètres du bivouac. C'est à ce moment seulement que l'artillerie, dégagée, peut mettre ses pièces en batterie. Son tir à mitraille, aidé de quelques salves bien dirigées, permet de déloger complètement les tireurs ennemis postés sur les arbres et qui n'ont pas suivi le mouvement de retraite de la masse. Leur fou plongeant devait certainement gêner la continuation•: de notre mouvement en avant. Celui-ci est alors repris et nous occupons la crête, dit le rapport. L'ennemi est en pleine retraite vers 7 heures, car la marche on avant dans la brousse est lente à cause de son épaisseur. A 8 heures seulement, le combat cesse, après une durée de trois heures. Les Dahoméens laissent sur le terrain près do 300 cadavres, et, en admettant simplement la moitié de la proportion habituelle (1/6) entre les morts et les blessés, l'ennemi a dû éprouver une perte totale de 1.200 hommes (300 morts et 900 blessés), soit le quart de son effectif, le nombre des assaillants étant de 4 à 5.000 au plus, dit le rapport. Y a-t-il beaucoup de troupes européennes capables do supporter une perte aussi considérable sans lâcher pied, dans un aussi court délai ? Nous on doutons. Le combat de Dogba était un prélude heureux. Il avait montré à l'ennemi toute la force de nos armes et il avait également exalté le moral de nos soldats en leur prouvant que, malgré le nombre, l'audace et les armes à tir rapide de l'ennemi, on en venait à bout avec le sangfroid, la ténacité et surtout la discipline du feu. Par contre, les pertes

(1)

Ancien règlement de 1889.


effroyables subies par les Dahoméens dans leurs attaques téméraires montraient à nos soldats que, malgré leur peau noire et leur faible instruction militaire, c'étaient des adversaires qu'il ne fallait pas mépriser, car, je ne saurais trop insister là-dessus, il y a peu de troupes au monde capables de soutenir l'offensive en éprouvant des pertes du quart de l'effectif dans un combat ayant à peine duré trois heures.

C. — La marche en petites colonnes dans la brousse, Le colonel Dodds, qui s'était couvert du cours de l'Ouémé au début de sa marche, le fait franchir à sa colonne le 20 octobre, à la faveur d'un brouillard intense. Combat de Tohoué. — Une reconnaissance de spahis fut envoyée sur la rive gauche et reconnut les défenses formidables élevées par les Dahoméens. Le colonel prit immédiatement ses mesures pour no pas être surpris et laissa reposer ses troupes. La journée du 3 fut employée à ouvrir une route sous bois, grâce à laquelle, le lendemain, on put déborder l'ennemi et, malgré une brousse épaisse, se déployer avant de recevoir le choc des assaillants. Le 4 octobre, le colonel, après avoir laissé Une garnison à Gbédé, voulait gagner Peguessa en employant la route ouverte la veille ; à 2 kilomètres plus loin, notré'avant-garde fut attaquée par l'ennemi. « Nous formions ainsi, dit le lieutenant-colonel Lasserre, une série de petites colonnes marchant parallèlement, à une douzaine de mètres d'intervalle les unes dos autres ; en tête de chacune de ces colonnes, quelques tirailleurs, armés de sabres d'abatis et de hachettes, abattent les herbes ou branchages et frayent ainsi les chemins par où passe la troupe. L'herbe est tellement épaisse, haute et touffue, que ces petites colonnes ne peuvent se voir en marchant. Les chefs de section poussent de temps en temps des cris d'appel pour rester en liaison et conserver leurs intervalles. » Vers 8 h. 1/2, les têtes de colonne reçoivent quelques coups de fusil ; les sections se déploient immédiatement, tant bien que mal, à travers les hautes herbes ; elles ne lardent pas à se souder et à former une ligne continue... » Les tirailleurs, à genou, presque couchés, répondent sans se troubler au feu de l'ennemi toujours invisible. Je m'approche du capitaine Bellamy pour lui donner quelques ordres, et je m'éloigne aussitôt ; mais à peine avais-je fait quelques mètres que je vois le capitaine chanceler et tomber. Je reviens à lui : il est tombé raide mort, frappé d'une balle dans la région du coeur. Le sous-lieutenant dé la compagnie, M. Bosano (1), vient à moi en même temps, le bras pendant, la poitrine. (1)

Mort à Porto-Novo le 8 octobre ; il appartenait au

4e

régiment


ensanglantée ; il devait mourir quatre jours après des suites de ses blessures. » J'appelle le lieutenant en premier, M. Passaga, pour lui donner le commandement de la compagnie et lui prescrire de remplacer immédiatement le sous-lieutenant Bosano à la tête de sa section ; puis je m'éloigne vers » Sur la ligne, le combat continue, mais le feu cesse vers 11 heures, par suite de la fuite do l'ennemi. A une distance de moins de vingtcinq mètres de la partie du front où est tombé le capitaine Bellamy et où, moi-même, j'ai été atteint, on relève un grand nombre de cadavres d'amazones armées de carabines Winchester. J'apprends aussi que le lieutenant Amelot (1), ayant exécuté le mouvement que j'avais l'inten- ;. tion de lui prescrire, a été mortellement blessé. » Nos troupes avaient eu affaire à 10.000 Dahoméens commandés par Behanzin. A différentes reprises, les amazones chargèrent nos carrés avec une intrépidité et un courage remarquables. Un témoin oculaire a qualifié leur attitude en disant « qu'elles ressemblaient à un mur d'acier ». Ni nos canons, ni la mitraille, ni les feux de salve des Lebel et des Gras ne les arrêtaient. Il fallait le courage et le sang-froid do nos soldats pour soutenir un pareil choc. Les officiers eurent beaucoup de peine à les retenir : tous voulaient charger à la baïonnette cotte avalanche Après que nos troupes eurent soutenu trois charges, Behanzin donna le signal de la retraite, qui s'effectua au milieu du désordre le plus complet, abandonnant plus de 200 morts dont 20 amazones et plus de 200 fusils à tir rapide. De notre côté, nous avions 8 tués, dont 5 Européens et 3 tirailleurs sénégalais ; 33 blessés, dont 20 Européens (2).

l'arrière.

d'ennemis.

Le combat de Tohoué prouve la grande difficulté de marcher dans la brousse par petites colonnes séparées. En admettant même que le service des éclaireurs soit fait d'une façon remarquable, il n'en reste pas moins l'aléa que l'on ne sait jamais de quel côté l'attaque peut venir.

d'infanterie de marine. Sorti de Saint-Cyr en 1890, il avait été promu lieutenant le 1er octobre 1892. (1) Né à Lorient le 10 mai 1857, engagé volontaire à 18 ans dans l'infanterie de marine, il fut nommé sous-lieutenant au cours de la campagne du Tonkin. (2)Jules Poirier, Campagne du Dahomey. — Charles-Lavauzolle, éditeur.


Le colonel Dodds, à.partir du 12 octobre, adopta exclusivement la marche en carré.

D. — La marche en carré.

Pourquoi la colonne marche-t-elle en carré — ce qui rend la marche si difficile et si pénible — puisqu'elle est éclairée par la cavalerie dans les terrains plats et par les fantassins sénégalais dans la brousse ? En voici les raisons tactiques. Malgré toutes les précautions prises pour s'éclairer, comme dans la brousse les éclaireurs noirs ne peuvent être portés à une distance suffisante pour donner de l'air à la colonne, son commandant ne parviendra pas toujours à être fixé sur le côté probable de l'attaque ; il devra donc se garder de tous les côtés, et adopter l'ordre de marche qui lui permettra de passer le plus rapidement possible à la formation de combat. Or, la marche en carré permet seule d'obtenir presque instantanément une formation défensive de tous les côtés. Les compagnies d'infanterie formant les quatre faces marchent toutes par le flanc sur quatre rangs. Celles de la face de tête par sections (ou pelotons au plus) à distance de déploiement ; de même pour celles de la face arrière, quand cette face n'est pas occupée par une partie de la cavalèrie. Dans tous les cas, une fraction d'infanterie ferme la marche, de la colonne. Au signal d'arrêt de la marche, donné à l'approche de l'ennemi, le carré se forme très vite, car les faces de tête et de queue se forment par sections ou pelotons en ligne, et les faces de flanc, faisant à droite et à gauche, font face en dehors en s'arrêtant. L'artillerie se met en batterie dans les angles à pans coupés du carré, pour tirer dans les secteurs sans feu. Ce sont ces

considérations qui ont fait adopter la marche


en carré, toutes les fois qu'elle a été possible, dans le voisinage de l'ennemi, quoique cette formation ne permette ni de longs trajets ni des marches rapides contre un ennemi agile, libre de tous impedimenta, qui combat chez lui et d'ordinaire sur le terrain qu'il a lui-même choisi. Au Sénégal, la marche en carré a toujours été réglementaire dans toutes les colonnes. On s'en est servi souvent en Algérie, surtout dans le Sud-Oranais. Les Anglais l'ont employée dans leurs expéditions contre les Achantis, le Zoulouland et dans le Soudan. Cet ordre en carré fut adopté par le colonel Dodds dans tous ses autres combats. C'est dans les ouvrages écrits sur la campagne du Dahomey qu'il faut lire le récit de ces luttes merveilleuses où une poignée d'hommes, n'ayant rien à boire, pas même de l'eau croupie, repoussa les attaques, se renouvelant plusieurs jours de suite, d'un ennemi fou de rage.. Nulle part en Afrique, ni les Anglais contre les Zoulous, Achantis et Derviches, ni les Italiens contre les Abyssins, n'ont eu à lutter contre des ennemis aussi redoutables que les Dahoméens armés de fusils à tir rapide et munis d'artillerie. Les Zoulous n'avaient que des fusils rayés à baguette, les Achantis des fusils à pierre, les Derviches du Soudan des lances et des bâtons ; enfin, les Abyssins, n'avaient que la moitié de leur infanterie munie de fusils de tout calibre, soif à bouche, soit à culasse mobile. L'autre moitié était armée de lances, sabres et boucliers. De tous ces combats, nous n'en citerons.que deux, qui peuvent servir de modèles : le combat d'Oumbouémédi et le combat de Diokoué ; le premier comme type du combat défensif, le deuxième comme type du combat offensif d'une troupe formée en carré pour la marche et le combat,. Le combat d'Oumbouémédi. — Le 12 octobre, à 8 heures du malin, le peloton de cavalerie que commandait le lieutenant Tavernost, éloigné


seulement de 300 mètres environ du gros, essuyait le feu de quelques

tirailleurs.

La colonne, rejetant sa cavalerie en arrière, se déploya immédiatement. Bientôt sortit de la brousse une bande de Dahoméens dont le feu de la compagnie Varenne eut facilement raison. Cela n'empêcha pas la ligne ennemie de s'augmenter, et, dirigeant ses efforts sur l'aile gauche, elle chercha même à la tourner et à lui couper totalement les derrières. La cavalerie mit pied à terre, et, soutenue par des renforts haoussas, elle parvint à refouler ses adversaires. Le colonel, en présence de la témérité et du nombre sans cesse croissant des Dahoméens, ordonna une charge à la baïonnette, l'artillerie dans les rangs de l'infanterie, au son des clairons et des tambours. « La marche, écrit le colonel dans son rapport, se fait baïonnette au canon, les pièces d'artillerie à la bricole, par bonds de 200 mètres, séparés par des feux de salve. La charge à la baïonnetteest employée pour la première fois et à plusieurs reprises. Elle inspire une telle terreur à l'ennemi que, dans l'après-midi, il ne se rapproche plus autant et se maintient à environ 200 mètres des faces du carré. » Vers 3 heures du soir on bivouaque en arrière d'une clairière, mais sans eau, et il faut en envoyer chercher au bivouac de la veille. » Nous étions maîtres de toute la première partie des lignes fortifiées conquises à la baïonnette ; le reste était abandonné par l'ennemi, qui fuyait en désordre, laissant sur le terrain ses morts et ses blessés. Cette journée nous coûtait 8 tués et 37 blessés, dont 3 officiers (1).

On remarquera, dans ce combat, que la formation en

carré permit, pendant la marche, de se déployer et de prendre l'offensive après voir repoussé l'attaque de l'ennemi. Dans le combat de Dio-Koué, nous verrons que, pour parer au danger d'un mouvement tournant, la formation en carré est conservée même pour l'attaque d'une position fortifiée. Le combat de Diokoué. — Il n'y a plus de temps à perdre. On repart on avant. Cette journée vu être terrible ; les dernières ama-

zones vont entrer en ligne, ainsi que les chasseurs d'éléphants « chargés spécialement de diriger leurs coups sur les officiers ». Cette page du rapport du colonel Dodds est encore à citer tout

entière.

Jules Poirier, Campagne du Dahomey. — Charles-Lavauzelle, éditeur. (1)


8 heures, la première face, débouchant sur la crête du plateau d'Ouakon, surprend les Dahoméens, qui se préparent à l'attaque. » Les quatre compagnies de légion appelées sur cette face commencent, entre 800 et 1.200 mètres, des salves qui portent en plein dans les bandes ennemies, sans que celles-ci puissent reconnaître d'où leur arrivent ces gerbes de balles. Ce n'est que l'entrée en ligne de l'artillerie qui décèle, par la fumée, la position du carré. » Une marche en avant par la deuxième face (direction du nord) tourne le tata de Diokoué, qui est armé d'artillerie. Après la grand halte à 2 heures, la marche est reprise vers l'ouest à travers une brousse moins épaisse que les jours précédents, mais par une très forte chaleur. Los Dahoméens sont rejoints. » Après une courte fusillade à moins de 50 mètres, une charge à la baïonnette les culbute sur Cana. C'est encore à la baïonnette qu'on les déloge d'une très forte position, défendue avec opiniâtreté sur la lisière et aux abords boisés du village de Diokoué, faubourg de Cana. « A

Pendant toute la journée, ils ont montré un acharnement plus grand encore, s'il est possible, que dans les combats précédents. En particulier, une bande de 300 soldats environ a tenu la tête de toutes les attaques et a laissé la plus grande partie de son effectif sur le champ de bataille. D'après les renseignements recueillis après le combat, cette troupe était composée de soldats d'élite qui avaient prêté à Behanzin le serment de ne pas reculer devant nous. » La colonne bivouaque aux portes mêmes de Cana. » Cest fini. Nous sommes à la fin du mois terrible. Behanzin est »

vaincu..

Mais cet écrasement a coûté cher à l'héroïque troupe de celui qui sera demain le général Dodds. En cette dernière journée de combat, les lieutenants Maron, Gay et Merrienne-Lucas ont été blessés ; le lieutenant Menou a été frappé à mort.

Commentaires du combat de Diokoué. Dans le combat de Diokoué, nous trouvons trois indications précieuses. 1° D'abord l'excellent effet des salves de la légion entre 800 et 1.200 mètres. L'ennemi les reçoit en plein sans savoir d'où elles viennent. Cest là une des précieuses qualités de la poudre sans fumée de notre fusil. La troupe dont les officiers montés ne sont pas munis de jumelles puissantes permettant de fouiller l'horizon et de distinguer la partie supérieure du corps des fantassins ennemis, abrités par les obstacles du terrain entre 1.000 et 2.000 mètres (blés, buissons, haïes, murs à hauteur d'épaule (lB,2o), etc.), se trouvera dans une situation critique, car elle ne sait pas d'où vient le danger, ne peut de suite prendre les dispositions nécessaires pour y parer et subira des pertes considérables avant d'avoir pu se mettre à l'abri des balles. 2° Le tata de Diokoué, armé d'artillerie, n'est pas attaqué de front. Il est tourné, comme on avait cherché à tourner les trois lignes successives de défense qui protégeaient le passage de Koto à Kotopa, et —


comme on a tourné la position d'Ouakon. Le colonel Dodds a purement et simplement mis en pratique les préceptes tactiques du maître Bugeaud.

Etait-il donc nécessaire de tourner ce tata de Diokoué ? Nous en sommes convaincu. Ce tata devait être construit comme ceux que l'on rencontre au Soudan, dans les pays bambarras et mandingues. Ce sont des murs composites, mélange de grosses pierres et de troncs d'arbres scellés entre eux et agglutinés par de l'argile mélangée de paille hachée et fortement battue, qui, en cuisant au soleil torride, devient d'une dureté extraordinaire. Pour donner une idée de la résistance à la brèche de ces tatas, nous dirons que celui de Goubauko, village fortifié, attaqué par la colonne du colonel Borgnis-Desbordes, était un simple mur de 3m,50 de hauteur, d'une épaisseur de 50 centimètres à la hase et de 30 à 40 au sommet, en pierres agglutinées avec de l'argile ferrugineuse. Trois pièces de 4 de montagne se mettent en batterie à 300 mètres du point choisi pour faire la brèche et, quoique « les obus frappent avec une précision presque mathématique à côté les uns des autres », dit le colonel Borgnis-Desbordes, il faut tirer 85 obus ordinaires (sur les 96 tlont l'artillerie disposait) pour faire enfin une brèche de 13 mètres de large, qui permet de donner l'assaut. L'obus de 4, contenant une plus grande charge d'éclatement que l'obus de 80, produit, en deçà de 500 mètres, des effets plus considérables, et son diamètre est en outre plus grand (87 millimètres), ce qui augmente encore l'effet du choc. On voit, par ce qui précède, que la brèche à faire au tata de Diokoué aurait consommé des munitions précieuses à cause des difficultés de ravitaillement. 3° Après le mouvement tournant, la colonne finit par rejoindre les Dahoméens et les aborde de très près. Après une courte fusillade, à 50 mètres (probablement un feu rapide à répétition), on se lance sur l'ennemi à la baïonnette, dit le rapport. Il aurait été intéressant de connaître la durée exacte de ce feu rapide, sa vitesse de tir et sa consommation de cartouches. Mais, ce qui est à remarquer, l'ennemi a tenu bon devant ce feu rapide, et c'est par une charge à la baïonnette qu'il faut le culbuter sur Cana. C'est encore à la baïonnette qu'il faut le déloger « d'une très forte position défendue avec opiniâtreté sur la lisière et abords boisés du village de Diokoué ». Les tacticiens de la nouvelle école, qui prétendent qu'avec les armes actuelles de l'infanterie, l'effet du feu est irrésistible quand on arrive à 200 mètres, et qu'à cette distance celui des deux partis qui obtient la supériorité du feu fait plier l'autre, reçoivent ici un démenti formel do la part de sauvages qui n'ont aucune instruction ni en tactique ni en tir.

n'est que par la baïonnette, l'arme froide dés Russes, qu'on a pu déloger les Dahoméens à Diokoué, et cola à deux reprises différentes, malgré leur nombre, leur courage incontestable, car ils devaient Ce


subir des pertes effroyables d'une fusillade à si courte portée. Ainsi se trouve de nouveau vérifié l'axiome des vieux généraux du premier Empire, « que le fou seul ne déloge point d'un point d'appui une bonne infanterie (1) « .

E.

Influence des charges à la baïonnette pour l'acte décisif du combat.

Charges à la baïonnette. — Malgré la rapidité de tir des fusils à répétition et l'effet terrible des balles de 8 milli-

mètres qui traversent de 3 à 7 hommes aux petites distances, le rôle de la baïonnette est loin d'être fini. Nous ne pouvons que nous en féliciter, nous autres Français, dont .les pères ont conquis l'Europe à la fourchette, car c'est le nom que le fantassin français donne à sa baïonnette. Ainsi, on voit un ennemi audacieux, intrépide, qui, pendant une matinée entière, nous harcèle et nous charge avec le plus grand courage, dit le rapport. Le feu de salve même ne parvient pas à l'arrêter. On charge alors l'ennemi à la baïonnette, et il recule terrifié, n'osant plus s'approcher à moins de 200 mètres. Cependant, le noir est brave et ne craint pas la lutte corps à corps avec le blanc, car il est vigoureux, agile, et sa force musculaire est supérieure à celle du blanc, épuisé par les fatigues de la marche dans un climat torride. Il y a là, tout simplement un effet moral, analogue à celui qui se produit lorsqu'on reçoit une charge de cavalerie à laquelle on ne s'attend point. De même, quand deux lignes de cavalerie qui se chargent vont s'aborder, il est bien rare que l'une des deux ne tourne pas bride avant le choc. Ce fait est signalé par presque tous les auteurs militaires. Quand une ligne d'infanterie, la rage au coeur, se (1) L'Armée de réserve.


lance, à courte distance, sur un ennemi même victorieux et supérieur en nombre, elle le fait plier et reculer en désordre, elle le roule. L'auteur de ces lignes pourrait raconter ici les charges à la baïonnette faites avec la compagnie.qu'il commandait le 1er septembre dans la défense du village de Bazeilles, à la bataille de Sedan. Il pourrait citer également celles de ses camarades du même régiment (1er d'infanterie de marine) ; mais il préfère s'abstenir, de peur d'être accusé de parti pris. Nous terminons enfin ce chapitre, entièrementrempli par des récits de combat, par un résumé des enseignements tactiques donnés par les campagnes du Tonkin et du Dahomey. Résumé des enseignements tactiques donnés par les guerres coloniales.

En résumé, il ressort ce qui suit : 1° Il est nécessaire dans ces guerres d'Afrique, de bivouaquer en carré, de marcher et de combattre en carré, formation absolument inusitée en Europe contre l'infanterie ; 2° Le système de sûreté en station et en marche ne peut pas être poussé aussi loin qu'en Europe, mais il ne doit pas être trop rapproché non plus, car alors il ne remplit plus son rôle et n'empêche pas les surprises, témoin celle du bivouac de Dogba ; 3° On ne doit jamais attaquer de front une position retranchée où l'ennemi vous attend; mais manoeuvrer pour la déborder, la tourner, et, s'il est absolument nécessaire de l'attaquer, il ne faut jamais prendre, comme dit Bugeaud, le taureau par les cornes, mais combiner toujours l'attaque de front avec une attaque de flanc ou


même sur les derrières de l'ennemi si la chose est possible ; 4° Grande est la supériorité des feux de salve sur les feux à volonté ou rapides, non seulement aux distances au delà de 800 mètres, où ils s'imposent, mais encore aux plus petites distances de tir, où ils produisent des effets écrasants matériellement et moralement ; ajoutons que, pour les employer, il faut une troupe brave, disciplinée et entièrement dans la main de ses chefs ; 5° Le rôle de la baïonnette est décisif. Le défenseur doit l'employer dans une contre-attaque vigoureuse pour se débarrasser de l'étreinte de l'ennemi, et l'assaillant doit y avoir recours pour l'enlèvement de la position, car le feu seul ne suffit pas pour déloger un ennemi brave d'une position bien défendue et comprenant des points d'appui

sérieux.


CHAPITRE XX Composition exacte du corps expéditionnaire. — La part de la marine dans l'expédition. — Corps auxiliaire des créoles de la Réunion et des noirs du Sénégal. —L'opinion de l'auteur sur ce qu'il faudra faire de Madagascar après la conquête. — Dernières nouvelles.

.Cet ouvrage

était déjà sous presse quand la France militaire a donné la composition exacte du corps expéditionnaire et la nomenclature de tous les services dont il sera largement doté. La voici telle qu'elle a été publiée : LE CORPS EXPÉDITIONNAIRE

Voici, d'après les indications fournies

par le Ministre de la guerre à

la commission de l'armée, comment sera composé le corps expéditionnaire : Etat-major : Commandant en chef : général de division Duchesne ; chef d'état-major, colonel X... (de l'armée de terre); sous-chef d'étatmajor, lieutenant-colonel d'infanterie de marine de Beylié.

1" brigade (fournie par la guerre).

,Premier régiment : trois bataillons d'infanterie de ligne.

Deuxième rigiinent: un bataillon do zouaves ; deux bataillons de tirailleurs algériens. 2' brigade (fournie par la marine).

Premier régiment : trois bataillons d'infanterie de marine. Deuxième régiment : un bataillon de tirailleurs sénégalais; un ba-

taillon de Sakalaves ; un bataillon de tirailleurs annamites ou de volontaires de la Réunion.


Troupes non endivisionuées. Un bataillon de chasseurs à pied. Cavalerie : un escadron de chasseurs d'Afrique et un escadron de

spahis.

Artillerie : six batteries montées.

Génie : une compagnie (à effectif renforcé). Train des équipages : un escadron (à effectif renforcé). Services auxiliaires (solidement constitués, surtout le service de santé). LES EFFECTIFS

La répartition des effectifs de la division expéditionnaire de Madagascar a subi de nombreux remaniements. On nous assure qu'elle a été ainsi arrêtée, entre les représentants des différents ministères intéressés :

généraux ; Etats-majors de la division et des deux brigades ; de l'artillerie, du génie ; des services administratifs et de santé; gendarmerie; justice militaire ; télégraphie de campagne ; équipages de ballons dirigeables et de télégraphie optique; section de topographie; service vétérinaire ; archivistes des états-majors ; intendance, service et convois des subsistances ; habillement et campement; boulangeries ; ambulances; hôpitaux de campagne ; aumôniers des différents cultes ; service des étapes et des évacuations ; douaniers et forestiers ; représentants de la marine à terre : 164 officiers ou assimilés. Troupe : officiers et assimilés de toutes armes et de tous les services, 3

387.

Infanterie : douze bataillons à 950 hommes chaque, soit environ 11.500 fantassins; cavalerie : 200 hommes; artillerie : six batteries; sections de munitions et parcs : 800 hommes ; génie : deux compagnies, 400 hommes ; détachements du train, de l'intendance, de la gendarmerie, des sections d'état-major et d'infirmiers, de la télégraphie, des compagnies de douaniers et de chasseurs forestiers ; des équipages de la flotte débarqués, des mécaniciens et ouvriers de la marine: environ 1.500 hommes. On a vu,

par cette énumération, combien sont nombreux les corps et

services qui seront représentés dans la division du général Duchesne. C'est pour assurer les communications et les évacuations rapides qu'on a prévu l'envoi à Madagascar d'un effectif aussi considérable d'officiers et fonctionnaires et d'assimilés, représentant tous les rouages nécessaires aux troupes en campagne.

La part de la manne dans l'expédition. — Outre une flottille


de douze avisos, croiseurs, etc., qui font actuellement le blocus de Madagascar, la marine jouera un rôle ingrat mais important, car elle sera chargée du service des convois par eau depuis Majunga jusqu'à Suberbieville. Voici, aux dernières nouvelles, les dispositions qu'elle est en train de prendre : La marine est chargée par le département de la guerre de préparer le matériel de transport fluvial de l'expédition ; le programme déjà élaboré par la direction du matériel suit donc son cours et il va être commandé douze canonnières du type Opale à une seule roue, dont huit de 60 centimètres de tirant d'eau et quatre de 40, ainsi qu'une cinquantaine de chalands, dont deux spéciaux pour le débarquement à Majunga. Les dispositions sont prises pour que ce matériel soit livré assez à temps pour que son transport à Madagascar et son montage sur place par M. l'ingénieur Revol soient achevés avant le commencementde l'expédition. Les forges et chantiers de la Méditerranée recevraient la commande de huit de ces canonnières (quatre à la Seyne et quatre au Havre) ; les forges et chantiers de la Loire construiraient les quatre autres. Mais il parait que certaines observation sontété soumises au Ministre au sujet du prix demandé pour ces petitsnavires; ce prix semble beaucoup trop élevé — même en tenant compte du court délai donné aux fournisseurs — si on le compare aux prix des canonnières Onyx et Opale, fournies, la première par les forges et chantiers de la Loire, la seconde par une maison étrangère, pour l'expédition du Dahomey.

Critique de l'organisation adoptée. — Le Ministre de la guerre a désigné treize bataillons à un effectif de 950 hommes, ce qui fait 225 hommes par compagnie, en dédéduisant 50 hommes pour la section hors rang et le petit

état-major. Nous persistons à croire que quatorze bataillons à 850 hommes auraient été préférables. Dans une guerre coloniale, au milieu d'un terrain coupé, dans la brousse, un commandement de 50 hommes pour un chef de section à pied est très difficile. Depuis longtemps, l'expérience a fait reconnaître à l'infanterie de marine qu'une section de 30 hommes cons¬


titue une force suffisante et très maniable cependant. Aussi, pendant longtemps, nos compagnies sont restées à l'effectif de 130 hommes, officiers compris. Pour en avoir 120 au feu, 150 suffisent, et, si l'on part de l'effectif de 200, on est à peu près certain" d'en avoir encore 150 ou tout au moins 140, à moins d'une épidémie sérieuse. C'est surtout le nombre d'officiers disponibles qui est une véritable pierre d'achoppement, à cause des détachés, en mission, à l'ambulance, au service topographique, etc. Les compagnies à gros effectif sont d'une nécessité économique pour les guerres européennes, quand il est nécessaire d'encadrer des millions d'hommes. Il faudrait, pour encadrer des compagnies de 150 hommes, au moins 3 officiers, tandis que, à la rigueur, 4 suffisent avec des compagnies de 250 hommes. De là, un gain réel en officiers, car il faudrait à un bataillon au moins six compagnies à 150 hommes contre quatre à 250 avec le système actuel. Mais la situation change de tout en tout dans une guerre coloniale, quand on n'a que quelques milliers d'hommes à envoyer. Deux compagnies de 125 hommes avec 3 officiers seront bien préférables à une compagnie de 250 hommes avec ses 4 officiers. Que 2 officiers de celle-ci soient indisponibles pour une cause ou pour une autre, et le commandement des fractions de la compagnie n'est plus assuré. Il l'est beaucoup plus quand l'effectif est plus faible, et, si chacune des deux compagnies de 125 hommes perd 1 officier, total 2, les officiers restants sont largement suffisants.

Puis, pour lancer une petite troupe sur un point d'attaque, deux compagnies, chacune dans la main de son chef, rivaliseront pour enlever la position en combattant côte à côte. Si l'une échoue, l'autre peut pénétrer. Si, au contraire, un peloton de la grosse compagnie est repoussé,


l'autre ne réussira guère mieux, surtout si le capitaine et un ou deux officiers sont mis hors de combat. Nous sommes tellement convaincu des avantages que présentent, dans les expéditions coloniales, les bataillons moyens sur les gros bataillons, que nous voudrions voir, dans le corps expéditionnaire, sept bataillons par brigade, avec, en plus, deux bataillons non endivisionnés, d'un effectif de 700 hommes, soit 175 hommes par compagnie ; au total, seize bataillons. Mais le chiffre de quatorze bataillons nous a paru un moyen terme. Il donne 200 hommes par compagnie, et il permet d'avoir encore deux bataillons non embrigadés, ce qui obvie aux inconvénients tactiques de deux brigades symétriques, inconvénients que avons fait ressortir plus haut. L'effectif du Ministre de la guerre ne prévoit point de bataillon de la légion étrangère ni de zéphyrs. C'est regrettable, et nous estimons qu'un bataillon de chacun de ces deux corps, ou tout au moins un de la légion, pour former, avec le bataillon de chasseurs à pied, un régiment de marche non embrigadé, est absolument indispensable. Quant aux bataillons indigènes, le projet officiel nous en donnerait cinq, dont deux de la guerre (turcos) et trois de la marine. Nous ne pensons pas que celle-ci puisse compter beaucoup sur le bataillon de créoles de la Réunion au début de la campagne. Corps auxiliaires de la marine.

recruter, les babiller, les armer, les équiper et les instruire. En admettant que l'on envoie tout de suite de France les cadres d'infanterie de marine pour les former, ils ne pourront rendre quelques services que dans six mois. Créoles de la Réunion. — Il faut les


Il faut donc commencer dans le plus bref délai leur instruction individuelle en formant le corps à Bourbon. Quand elle sera suffisamment avancée pour qu'ils sachent se servir de leurs armes, on les enverra à Diégo-Suarez relever la garnison, qui pourra alors être expédiée à Majunga. De même, la garnison européenne de la Réunion pourra occuper Tamatave (1). Il importe de conserver à bord les compagnies de débarquement de la marine pour ne les utiliser à terre qu'en cas de besoin urgent, l'expérience ayant prouvé que le marin fusilier mis à terre sur une côte y est plus éprouvé par les maladies qu'à son bord. Eclaireurs noirs auxiliaires du Sénégal. — L'expédition du Dahomey a montré le parti précieux que l'on peut tirer des noirs du Sénégal, anciens tirailleurs ou laptots, pour une expédition coloniale. Le général Dodds avait en eux autant de confiance qu'en ses tirailleurs, et il avait raison. Et ces braves ont contracté un engagement pour toute la durée de la guerre moyennant une prime de 40 (quarante) francs, la solde et la ration des tirailleurs sénégalais. Des officiers et des sous-officiers d'infanterie de marine encadreront les compagnies de tirailleurs auxiliaires. Les

nègres yolofs seront surtout appréciés pendant les marches de nuit et pour débroussailler sur le flanc des colonnes en marche. Suivant leur vieille tactique, les Hovas ne tiendront pas devant nos troupes, mais ils chercheront à leur faire une guerre d'embuscades et de surprises. Elle nécessitera l'emploi de nombreux éclaireurs et une grande vigilance du commandement. Si nous devons poursuivre les Hovas sous bois, les tirailleurs yolofs seront lancés en avant pour frayer le chemin aux soldats européens, (1)

Il paraît que c'est fait à l'heure où nous corrigeons celte épreuve.


qui ne sauraient s'engager dans les inextricables fouillis de la faune des tropiques. L'armement de toutes ces troupes auxiliaires devrait être le fusil Kropatscheck de la marine, comme les fusiliers marins, mais avec des cartouches chargées avec de la poudre Vieille, sans fumée. L'expérience de la campagne du Dahomey a démontré la supériorité considérable du tir avec la poudre sans fumée du Lebel sur le tir avec l'ancienne poudre noire du Gras, au point de vue dé la moindre visibilité du tireur. Le rapport du général Dodds constate, en effet, que les Dahoméens étaient démoralisés par les coups invisibles des fusils Lebel des Européens, ne décelant pas les tireurs, tandis que les tirailleurs armés du Gras ne jouissaient pas de ce précieux avantage. Aussi, nos volontaires et tirailleurs noirs ont éprouvé des pertes bien plus considérables de la part des Dahoméens. Cette leçon ne doit pas être perdue. Elle doit l'être d'autant moins que le tir de la cartouche du Gras, chargée de poudre Vieille de manière à donner à la balle en plomb durci une vitesse de 480 mètres, au lieu de 450, sa vitesse normale avec la poudre noire, gagne sensiblement comme tension de trajectoire et surtout comme'précision. L'artillerie du corps expéditionnaire. — Le Ministre de la guerre prévoit six batteries de montagne et de campagne. Quoique fantassin, et même à cause de cela, j'estime que huit batteries ne sont pas de trop et qu'on doit les répartir ainsi : quatre batteries de 80 de montagne, deux montées de 80 ou 90 et deux batteries de réserve de 95. Ce dernier calibre me paraît nécessaire pour faire brèche dans les redoutes et batteries que le sieur Shervinton est en train de faire établir sur les crêtes du plateau de l'Emyrne et autour de Tananarive.


Quand l'artillerie est impuissante à pratiquer une brèche, il faut le faire avec le sang de l'infanterie, et, à cet égard, la relation des combats de Yuoc au Tonkin est par-

ticulièrement intéressante.

Sans doute, le 80 de montagne a plus d'efficacité que le vieux 4 de montagne ; mais, s'il faut produire des effets puissants de pénétration, le 95 est seul capable de¬ les obtenir. Le génie. — La division envoyée à Madagascar est un petit corps d'armée par le fait. Il lui faut, non pas deux compagnies du génie, comme le prévoit le projet ministériel, mais un bataillon entier. Dans un pays sans routes frayées, où il faut marcher la pelle et la pioche à la main, les troupes du génie rendront des services hors de proportion avec leur effectif. Nous serions d'avis de leur enlever le fusil Lebel, qui pèse, avec son épée-baîonnette, 4k,850, pour leur donner la carabine de gendarmerie nouveau modèle à chargeur à trois coups, qui pèse 3k,600 avec son épée-baïonnette. Le soldat du génie porte avec lui un outil du modèle du génie (pelle, pioche; pince, etc.) qui pèse de 1 kilogramme à 1k,200 (1). Cavalerie. — Enfin, pour les raisons exposées déjà, trois escadrons — dont deux embrigadés et un à la disposition du général — ne seront pas de trop. Sur le haut plateau de l'Emyrne, ces trois escadrons de cavalerie joueront un rôle considérable pour l'investissement de Tananarive, si on leur fait occuper la ligne de retraite des Hovas avec les deux batteries montées et trois ou quatre bataillons de troupes noires et arabes.

cette façon le soldat du génie ne serait pas plus chargé que son camarade le fantassin. (1) De


Ce qu'il faudra faire de Madagascar après la conquête.

Nous savons maintenant quelles étaient les conditions de l'ultimatum présenté par M. LeMyrede Vilers au gouvernement malgache. Les voici aux dernières nouvelles : Marseille, 1er décembre 1894. Le courrier de Madagascar, arrivé aujourd'hui, m'a apporté, dans une correspondance particulière, l'intéressante relation du voyage de M. Le Myre de Vilers à Tananarive. Arrivé à Tamatave le 8 octobre, le plénipotentiaire français s'empressait, dès le lendemain, de prendre la route de l'Imérina. En passant devant la batterie hova, M. Le Myre de Vilers fut salué de seize coups de canon. Un accident, s'est produit, à cotte occasion, qui a dû donner aux Hovas une idée do la confiance que peuvent leur inspirer les Anglais,

leurs fournisseurs d'armes. Désireux d'essayer leurs nouveaux canons de campagne se chargeant par la culasse, ils s'en servirent pour tirer leur salve. Sur les trois canons mis en batterie, deux ont eu des fissures, et le troisième a eu la culasse arrachée, tuant un servant et fracassant le genou d'un autre. A la halte d'Ankeramadinaca, M. Le Myre de Vilers trouva deux officiers et un interprète envoyés pour lui souhaiter la bienvenue, le 14 au soir. Il fut reçu aux portes de Tananarive par quatre autres officiers. C'est le surlendemain que le chargé d'affaires de France fut rendre visite au premier ministre et à la reine, pour leur présenter ses lettres de créance et fixer le jour où il leur ferait connaître l'objet do sa mission. Ce jour-là,

le 18, M. Le Myre de Vilers, accompagné do ses deux secrétaires, se rendit au palais d'Argent, où l'attendait le premier ministre, et lui exposa les conditions du nouveau traité, véritable ultimatum, dont il était porteur. En voici les principales clauses : agrandissement du territoire de Diégo-Sùarez ; droit pour les Français d'acquérir des terres ; paiement d'une forte indemnité; direction effective des affaires étrangères laissée exclusivement au résident général, ainsi que le contrôle de tous lés actes administratifs ; interdiction aux Hovas do se répandre davantage dans le pays dos Antankares, des Sakalaves, des Betsiléos, etc. ; enfin, cession en toute souveraineté de huit points autour de l'Ile: Nôssi-Vé et Majunga sur la côte ouest, Fort-Dauphin, Mananbondrona, Andevorante, Tamatave, Foulpointe et Mananoro sur la côte est. M. Le Myre de Vilers ayant déclaré au ministre hova qu'il lui donnait


huit jours pour accepter ces conditions, celui-ci lui répondit que d'ores et déjà il refusait catégoriquement de discuter un traité sur des bases semblables ; que si le gouvernement français faisait de l'acceptation de ces bases la condition expresse du maintien ou de la cessation des relations diplomatiques, il déclarait dès maintenant qu'il lui était impossible, à lui et au peuple, comme à la reine, d'accepter ces réclamations exorbitantes, alors que les Hovas n'étaient pas encore accablés par une défaite. Puis, comme M. Le Myre de Vilers l'engageait à réfléchir pendant les huit jours qu'il lui avait fixés pour faire sa réponse, Rainiliarivony répéta : « Mes réflexions sont toutes faites : je refuse, je refuse, je refuse ! » En effet, il ne répondit pas, et M. Le Myre de Vilers, les huit jours expirés, dut reprendre, le 27 octobre, la route de Tamatave, où l'avait déjà précédé, depuis le 20, la mission française et les colons de Tananarive.

Il est clair que ces conditions, fort acceptables, ne peuvent plus être celles du traité de paix, une fois la conquête faite. Il faudra y ajouter la sujétion absolue de la reine des Hovas, qui ne conserverait que son titre honorifique avec une pension royale. L'administration hova disparaîtrait complètement et serait remplacée par une administration française analogue à celle qui a fait la pacification de la Cochinchine en quelques années, c'est-à-dire une administration indigène avec des officiers choisis ad hoc. Elle a l'avantage d'être économique, simple, et elle tient le pays dans la main, car, l'officier indigène commandant les milices, il n'y a pas ainsi de rivalité entre les pouvoirs militaire et civil. Quand le pays sera complètement pacifié, et, à Madagascar, ce sera fait en douze ou quinze ans, les officiers des affaires indigènes seront peu à peu remplacés par voie d'extinction et l'administration deviendra insensiblement civile. Il n'y aura pas d'à-coups ni de changement brusque et la tradition acquise ne se perdra pas. C'est ainsi qu'on a procédé en Cochinchine, et tout y a marché à merveille. On a opéré autrement au Tonkin et dès


le début on a organisé directement une administration civile (1). Ce n'est pas un résident général qu'il faut à Madagascar, mais un gouverneur général avec des pouvoirs aussi étendus

que ceux du gouverneur général de l'Algérie. La place en revient de droit à M. Le Myre de Vilers, qui organisera à la fois la colonisation et l'administration. L'expérience précieuse qu'il a acquise en Cochinchine et à Madagascar ne sera point ainsi perdue, pour la France. C'est à lui que revient le principal mérite de notre action diplomatique depuis 1885, et il a tiré du mauvais traité Miot-Patrimonio tout ce qu'il était possible d'en tirer. Celui qui a été à la peine doit être à l'honneur. Nous le disons sans arrière-pensée et sans parti pris. M. Le Myre de Vilers est un administrateur émérite et un diplomate de premier ordre. Il nous faut un homme de cette valeur pour déjouer les intrigues et les combinaisons machiavéliques des méthodistes anglais, qui vont continuer sourdement leurs menées et chercheront par tous les moyens possibles à entraver la colonisation européenne et la francisation des Malgaches, mot qui n'est pas dans le dictionnaire de l'Académie, mais qui exprime bien ma pensée. Quant aux Malgaches et Hovas, une fois complètement .désarmés et l'introduction des armes à feu entièrement interdite dans l'île, ils ne seront pas à rédouter ; pour les tenir en respect, il suffira d'une force estimée à dix bataillons de troupes régulières et six batteries. On formera un régiment de tirailleurs sakalaves à trois bataillons et un bataillon de créoles de la Réunion. Celuici sera à Diégo-Suarez et les trois autres à Majunga., TamaIl sera facile de faire appel à la bonne volonté des anciens officiers ayant servi en Afrique et aux Colonies pour le commandement des milices malgaches, si l'on veut avoir tout de suite une administration civile. (1)


tave et Fort-Dauphin. Dans chacun de ces points, on construira une batterie de côte (ou fort commandant la rade) avec un réduit, où tiendra garnison une demi-batterie d'artillerie et deux compagnies d'infanterie européenne dont les hommes seront exercés au maniement des pièces, de manière à quadrupler l'effectif de la demibatterie en cas de besoin et à pouvoir servir les cinq ou six pièces de grosses artillerie de côte contre une agression soudaine. A Tananarive, on construira une citadelle avec escarpe revêtue (ou grille d'escarpe en fer), avec un profil de fosse et de parapet obligeant l'assaillant à faire un siège en règle. Dans son enceinte, on établira non seulement la caserne, mais encore l'hôtel du gouverneur, l'hôpital, les magasins à vivres, les bureaux de la direction de l'intérieur et services divers. Le casernement contiendra quatre bataillons européens en temps normal et quatre batteries; mais il sera construit de manière qu'en serrant les coudes on puisse doubler cet effectif Un réduit pouvant être défendu par un bataillon et une batterie permettra de disposer des trois quarts des forces pour une expédition imprévue. Cela fait six bataillons européens (trois d'infanterie de marine, deux de légion et un de zéphyrs), et quatre bataillons indigènes ou créoles. Ainsi, avec 8.000 fantassins, dont 5.000 blancs seulement et six batteries d'artillerie (deux de côtes et quatre de campagne et de montagne), soit 1.000 artilleurs, 500 hommes du génie (deux pompagnies), un escadron de cavalerie (150 hommes) pour l'escorte du gouverneur général (au total, 10.000 hommes),,pn disposera d'une force suffisante pour garder à la France ce territoire plus grand qu'elle (1). (1) Il

faut remarquer que le tiers seulement des Européens sera

dé¬

;


Dernières nouvelles. On télégraphie de Madagascar (dépêche de source an-

glaise)

:

D'après les nouvelles de Madagascar, un manifeste de la reine exhortant le peuple à la résistance aurait été lu à Andohalo. Le gouvernement a publié la correspondance échangée au sujet du conflit avec la France.

Cette attitude des Hovas n'est point pour nous déplaire. Il y aura des lauriers à conquérir dans la grande « Isle » et le vieux coq gaulois est prêt à entonner son cocorico le plus joyeux. En nous donnant le Sahara, les Anglais (par la voix de lord Salisbury, à la Chambre des communes) ont dit ironiquement que le coq gaulois aimait à gratter le sable. Ce sera du sable d'or qu'il grattera à Madagascar, et nous implanterons sur le plateau de l'Emyrne une race de colons

vigoureux qui aimeront la France, leur mère-patrie. Ce sera peut-être le moyen de liquider la question socialiste et de donner des terres, une case, des instruments aratoires et des semences, avec des vivres, aux miséreux qui meurent de faim et de misère dans nos grandes villes.

taché dans les batteries ou forts de la côte, et le reste en réserve sur le plateau salubre de Tananarive.


Paris et Limoges. — Imprimerie militaire Henri CHARLES-LÀVADZELLE,




Paris,

11 place

Saint-André-des-Arts

Précis historique des campagnes modernes. Ouvrage accompagné de

du

ravitaillement des armées de Fréd service administratif des corps de troupe

Le

siège de Lille en 1792, par Désiré

Le

Ouvrage honoré

souscription du

|ïnv|fèipMSiJfël5à^ d'une

souscription

du

du Gouvernement militaire

LACROIX. Ouvrage accompagné

publique.

ministère de l'instruction

ministère

de

^rim4^ïtâiejS^lïbt^®tj5çei^sî)!OH,dân5^îdèS'gm^a^"exâu£^)ii€ipâ^ de Wimpff La Crimée et Sébastopol de 1853 à

Lang-Son, combats, retraite

et

par le

négociation,

com

^^^gn^éîiësJ^^"obm&a^ê";à^n^laï.^nïfen^f^':ri^J;e'§;ië^^Mjic^s^^jg.^^ Le Tonkin français contemporain,

é gâ^biS^raSïrl^^bcfèBfc^dybnSî.B^RTlS'îj^e^éi^jgiijciïigë^^^^^ (1892-1894), précédée d'une étude géographique ^^^^ton^ël^Sleé,^v^:®ï^u}^6^p^?i'3i!a3^'iftti'|^§00-^Q^aîp(li^.u^Irêâji^ Campagne du Dahomey

topographique de

l'état-major

SvS%êo^l!p'^âsvp&^bÎ0s^bjjfflÈR)fay:e&'Me^Mfat^.ii3è^.fSéhi^^^^i^ô!î®

^^|p^^VSbi:^raisaWîBp':fl6ï'37^.^^"ë6^uyéiSï^^n>;@tilsûiSï5^5î^aj| L'Expédition du Dahomey ia^iiffls'tSpiâ^Su-^ays^^gp^^jîrë^^l^^'fï'^i^.F^^^f^^i^jil's^nili^airçy^t^B^ ments, cessions, échanges de dépêches

lieu l'expédition, par Victor

officier d'académie (2e

Carte de Dahomey

édi

établie

au

et

télégrammes auxquels a

bureau topographique

de

l'état

major

donné

du

corps

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Henri CHARLES-LAVAUZELLE.


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