Mes campagnes autour de Madagascar - 1897

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MES CAMPAGNES


NANCY,

IMPRIMERIE BERGER-LEVRAULT LT

C'^


C.

VRAY

Mes Campagnes PAR UNE FEMME

AUTOUR DE MADAGASCAR

m^m BERGER-LEVRAULT ET

C'%

NANCY

PARIS 5,

EDITEURS

RUE DES BEAUX-ARTS

I

1897

8,

RUE DES GLACIS



-^A MES AMIS D'INFANTERIE DE MARINE

Le

c;^

Le รง-^

plus petit de leurs camarades,

plus รงrrand de leurs admirateurs,

C. Vray.



MES CAMPAGNES

LE DEPART

Toulon, 10 mai 1894.

Nous

temps superbe, malgré souffle depuis J'ai

deux heures ;

allons partir dans

pu

la

assez

fait

un

forte qui

deux jours. notre bateau

visiter hier

enfant, décidé à bien nous à

brise

il

:

il

a Tair

mener; nous aurons

bord beaucoup de troupes , des canons

chevaux, des mulets,

le

bon

des

,

tout très miHtaire, très

correct.

Et quand

je

pense

qu'il

y

quinze jours,

a

je

ne

soupçonnais rien de ce départ! Vous en souvenezvous, de ce jeudi soir

?

Ce

fut

quand chacun eut raconté ce MES CAMPAGNES.

seulement

qu'il avait

table,

à fait I

dans


MES CAMPAGNES.

2 la

journée, que

annonça

d'un

lui,

qu'il venait

air très tranquille,

de se

désigner pour

faire

nous

Ma-

dagascar.

On

envoyait des troupes de renforts en prévi-

sion d'une

campagne prochaine

et,

dans quelques

jours, elles quitteraient

Toulon. Bien entendu,

ne partais pas

impossible, personne n'y

c'était

:

je

songea, excepté moi.

En

huit jours j'eus vite

renseignements

Diégo-Suarez

Quand

je

de partir

?

de prendre

me

je

mes

pouvait-elle aller à

m'accorderait-on

sus tout ce que et je

fait

une femme

:

mon

passage

?

voulais savoir, j'obtins

sentis tout de suite infiniment

soulagée.

Dieu

sait

pourtant tout ce qu'on m'a prédit

combien de peines là-bas

et

de difficultés nous attendent

d'abord un affreux cyclone vient, paraît- il,

:

de détruire

dans

et

et

le

les

quelques maisons qui existaient

pays, lequel est

un

petit coin de terre aride

desséché où souffle huit mois de l'année un

vent effrayant

qu'on

a,

;

l'eau est

m'a-t-on

dit,

une denrée

très rare, et

beaucoup de peine

procurer; on ne peut pas se baigner dans vières, à cause des crocodiles, ni

cause des requins

;

de plus,

le

dans

pays

la

à se

les ri-

mer, à

est infecté

de


LE DEPART.

3

mauvaises fièvres auxquelles peu de gens échappent

— enfin

;

le

Et cependant, sais si j'ai raison,

passe dra

!

même

les

tableau est enchanteur je

!

pars presque gaiement

mais

j'ai foi

en

mauvais jours,

mon et

;

étoile

je ;

ne

tout

un temps vien-

où nous serons de nouveau tous ensemble

J'ai fini

réglé

toutes

mes

faire... les

donc

dernières courses et visites,

mes comptes avec Dieu

à présent je puis partir;

un peu

à

du

et avec les

nous

et très sûre.

et

;

c'est

un

gardez-moi

hommes;

nous aurions beau

reste,

départs militaires, c'est fatal

et jamais adieu

!

triste

ma

!

Au

mot

;

revoir

pensez

place très grande


EN MER

Nous voilà

déjà bien loin de France

nous passions en vue de

l'île

hier matin,

;

d'Elbe, pauvre petit

coin de terre rempli de souvenirs d'antan qui vous

reviennent à

la

mémoire

mesure qu'on approche

à

de ces quelques rochers gris affreusement

tristes et

lugubres, tout seuls, au milieu de cette grande mer.

Ce

soir, à la

tombée du

jour,

nous venons de

traverser ce déUcieux détroit de Messine plus

que ce passage

joli

troisième fois que

avec

A lie,

le

près de terre; c'est la

si

je le vois,

mais

c'est

toujours

plaisir.

notre gauche, nous apercevons

la

côte d'Ita-

tout égayée de petites voiles blanches qui

filent

comme

que, de la

même

rien n'est

:

la

des argonautes; tout

plage,

cri

long, pres-

un minuscule chemin de

vue seule nous réjouit

avec son

le

aigu quand

il

:

il

a l'air

fer

dont

d'un joujou

entre et sort de tous ces


EK MER.

5

tunnels qui, eux aussi, semblent avoir été mis

De

plaisir.

petites

l'autre côté,

maisons blanches

c'est la

Sicile,

à larges terrasses

là à

avec ses

dont

les

jardins descendent en pente jusqu'à la mer.

Tout

le

monde

est sur le pont, les

ouverts pour tout voir à

quées sur

les

côtes

;

la fois, les

car voilà que nous regardons

toutes ces choses avec délice,

de voir pour

la

jours seulement, races noires,

si

ment

les

cœur un peu ému

le

dernière fois cette jolie terre d'Eu-

rope, songeant en

vilisation n'a

yeux grands

lorgnettes bra-

nous-mêmes que, dans

nous serons au milieu de

différentes de nous,

pu changer

mœurs

trois

et qui

ci-

ont gardé sévère-

costumes des

et les

qu'aucune

ces

siècles qui les

ont précédées.

Mais j'oublie de vous donner de nos nouvelles, qui sont assez bonnes

Toulon un fameux et surtout

une

nous avons eu en quittant

;

mistral,

une mer démontée,

brise assez forte

pour imprimer au

bateau des balancements funestes à nos estomacs,

encore un peu terriens le

coup de grâce avec

et qui

les

venaient de recevoir

émotions du départ.


MES CAMPAGNES.

mai.

15

La

brise est

cœurs

et

nos

son calme

tombée,

et sa sérénité.

arrivant

ici,

chacun a repris

Un mot sur

notre bateau,

du bord.

on nous

a présenté, avec

une

étiquette toute militaire, tous les officiers

embar-

qués avec nous

femme,

que .

vents sont calmés; nos

esprits sont au repos,

ses habitants, la vie

En

les

je

dont

fants,

:

d'abord

connaissais déjà

;

colonel et sa

le ils

ont avec eux

plus petit a trois mois

le

trois en-

avec

;

les

nôtres cela fera cinq à bord, dont l'ainé a sept ans; le

colonel et sa

femme prennent

leur repas avec le

commandant; nous, nous sommes au enfants s'il

mangent avec nous,

vous

plaît,

Et moi, ils

qui préside

je les

carré; les

et c'est votre servante,

la table

des officiers.

aime, nos compagnons de voyage;

ne ressemblent en rien aux passagers que nous

aurions pu rencontrer sur liens vulgaires et

les

paquebots

:

Austra-

communs, marchands de mou-

tons enrichis qui viennent faire du chic en Europe.

Tous

ces officiers partent joyeux, contents de

leur son, ravis à l'idée d'une enfin

il

a

germé dans

campagne prochaine;

leur tête quelque chose de


EN MER.

7

bon, d'honnête, de droit; chacun regarde sans sourciller

peines et des ici,

qui l'attend,

l'avenir

mêmes

même,

est le

luttes

:

notre chemin, à tous

notre but aussi, et nous

presque camarades dans

mêmes

des

fait

sommes

route qu'il nous faut

la

suivre. Il

me

semble que nous vivons dans une grande

caserne; ces six cents soldats qui, sont sur

le

pont, tous ces

tout cela est très militaire le clairon, la

on

fait le

comme

officiers, ces :

nous,

uniformes,

nôtre vie est réglée par

rapport, l'exercice, on passe

revue, et les jours s'écoulent plus vite qu'on ne

l'aurait cru, car d'ordinaire les

gues à bord

longtemps vaillons,

:

la

on

a

beau s'occuper, on ne peut

même

nous

et

faire

chose; cependant, nous

tra-

beaucoup, chacun faisant

lisons

échange de hvres

journées sont lon-

de journaux. Les heures de

repas ne sont pas drôles

:

déjeuner à neuf heures,

diner à cinq heures, mais on s'y

fait,

qu'on

qu'on se couche

d'assez

est levé à

six

heures

et

étant

donné

bonne heure.

Nous avons deux

cabines et chacun

un

enfant.

Ai-je besoin de dire que ceux-ci nous occupent

beaucoup

? il

faut les faire travailler, les occuper,

ks amuser. Pour nous

aider dans cette tâche,

on


MES CAMPAGNES.

8 Il

mis de faction devant eux

ou du moins

brouillard

le

pu trouver parmi tous ces quant bien

la

tâche et

la

le

soldat le plus dé-

plus dévoué qu'on

hommes, en

ait

lui expli-

responsabilité.

— Aimez-vous enfants — Oui, mon — Vous en aurez soin les

?

capitaine. }

à

Teau

Ils

ne se ficheront pas

?

— Oh pour ça non, mon — Ça va bien. !

capitaine.

Cette manière d'engager une bonne d'enfants

dans

le

métier militaire est décidément bien supé-

rieure à la nôtre

;

c'est clair, précis, et

exprime en

peu de mots ce que nous ne savons pas dire en de longues explications. Donc,

cun une main dans

celle

Moë

et

Jacques, cha-

de leur nouvelle bonne,

varient leurs plaisirs en allant voir les mulets et les

chevaux,

les soldats

manger

nier préparer la nôtre; est

la

soupe, ou

j'oublie le boulanger, qui

pour eux une des distractions du bord

tillesse

va jusqu'à donner de

avec énergie et qui

fait

Nous continuons

le cuisi-

;

sa gen-

qu'on

la pâte,

pétrit

de déUcieux petits pains.

à filer droit sur Port-Saïd,

nous espérons arriver demain à midi

;

nous y

res-

terons quelques heures, puis nous repartirons pour


EN MER. Diego, sans

faire d'autre escale

9

qu'une

lialte

d'une

demi-journée à Périm, pour prendre du charbon, et ce sera tout.

jours de

mer

En somme, nous allons

faire

quinze

sans arrêt, ce qui nous semblera

peu long peut-être

un


PORT-SAÏD

17 mai.

Hier, bonne escale à Port-Saïd,

la

vraie bordée

du matelot en permission sentant qu'on va

le

rem-

barquer.

En

arrivant à terre à midi, nous

par prendre des ânes pour

vons

faire et voir

deux heures

;

indispensables.

commençons nous pou-

les enfants et

beaucoup de choses pendant nos

d'abord quelques achats oubliés et

Nous constatons que

beaucoup augmentée

:

on y a

la ville s'est

bâti des hôtels

im-

menses, des magasins de toutes sortes, anglais, allemands, français, chinois, où l'on trouve à peu près ce que l'on veut et

même

ce qu'on ne veut

pas, puis des églises, des couvents, des

des chapelles de tous les cultes, désert au milieu du sable, sans

le

mosquées,

tout dans ce

un pouce de

ver-

dure.

Ensuite nous partons pour

le village

indigène,


PORT-SAÏD.

II

toujours curieux à revoir; tous ces types arabes

sont sympathiques

intéressants,

et

les

costumes

scrupuleusement conservés; celui des femmes surtout est curieux et bizarre drapées,

yeux

la

tout

et,

le

long,

sont entièrement

c'est-à-dire

menton, un chapelet de d'un assez drôle

dans

elles

;

figure voilée, ne laissant voir

d'effet

que

les

du front au

petites pièces de cuivre ;

elles

vont

viennent

et

rues portant sur leurs épaules des enfants

les

nus, très beaux, mais pas toujours propres, car leurs jolis

yeux noirs,

si

doux,

souvent couverts de mouches

si

et

expressifs, sont

tout

reste à

le

l'avenant.

Tous

ces

gens

ruelles étroites

se poussent, se

ou dans

formées en bazar

et

ces rues

heurtent dans ces

immenses trans-

où sont amoncelées des mar-

chandises extravagantes, fruits exotiques de toutes sortes

:

melons, pastèques,

concombres, corni-

chons gigantesques, ou bien ces mêmes

fruits

confits dans des sirops poisseux d'un rose violacé,

mélangé de vinaigre

Toute

et

cette foule crie, se parle, s'appelle dans

une langue inconnue d'oHves, brochant sur dinaire,

de sucre.

me

et le

étrange tout avec

;

le

un

marchand cri

extraor-

rappelle avec délices les Mille

et

une


MES CAMPAGNES,

12

Nuits

et

Y Histoire d'Ali-Baba

;

et

nos vieux Ara-

bes qui conduisent les ânes des enfants s'élancent

en avant pour nous

faire

un chemin, lançant

à

l'aveuglette des coups de bâton aux oisifs qui se

permettent de causer dans sion de

Un

la

la

rue

;

c'est la

tour de Babel que ce Port-Saïd.

peu de toutes

les

nations, de toutes les races

sont entassés dans ce coin de désert, le

confu-

nombre

infini

de bateaux qui,

attirés là

par

nuit et jour,

viennent stopper quelques heures, attendant leur tour pour entrer dans

le canal.


LE CANAL DE SUEZ

Vers

heures nous reprenons une embarca-

trois

tion qui nous remet à bord et de suite nous repar-

tons;

on organise

le soir

trique et nous

pouvons

Navigation calme

et

à l'avant la lumière élec-

de nuit.

ainsi passer

reposante que celle de ce

Que

de malheurs,

de tempêtes, de jours

d'effroi évités

par ce travail

merveilleux

que

canal et qui a bien son charme.

et délicat

hommes

les

chaque jour de voir s'effondrer, prend

En

les

plus grandes précautions

effet

du canal

un télégraphe

et, à

!

est disposé sur les berges

chaque station,

les

bateaux reçoivent

l'ordre d'avancer

ou d'attendre selon

de ceux qui

précèdent.

les

craignent

pour lequel on

et

On

la

marche

vous donne

à

bord un pilote qui doit non seulement vous conduire, mais encore régler

la

marche du bateau,

qui ne doit jamais dépasser deux ou trois nœuds.


MES CAMPAGNES.

14 sans quoi

le

ébouler

ferait

remous d'une trop grande les

bords du canal

vitesse

pourrait

et

le

combler.

On bords

a essayé

tamaris

de tout pour en maintenir

les

des pierres, du ciment, des arbres, des

:

;

rien n'a réussi

sable qu'on ne peut

le

;

consolider ni affermir retombe toujours avec une

persévérance navrante.

pauvres chameaux qui,

,

chaque jour, font ce

aucune force humaine voit,

Ce

lentement

devant

la

et

sont

n'a

travail

pu venir

dans

les

du désert,

sans fin dont à

bout; on

les

avec patience, venir se coucher

berge, recevoir leur lourde charge de

sable, puis, avec docilité, repartir

loin

somme

en

véritables habitants

le

désert, déposer cette

beaucoup plus

même

charge

pour revenir ensuite en prendre de nouvelles.

Le

Une

soir.

nuit tranquille et bienfaisante

comme

les

nuits qu'on passe à terre; plus de roulis, plus de

tangage; on est partagé entre le

le désir

de rester sur

pont pour jouir de toutes ces choses, au Heu

d'aller

dormir consciencieusement en prenant un

bon acompte sur les

nuits à venir. Finalement nous


LE CANAL DE SUEZ.

I5

restons sur le pont, c'est amusant de constater les

progrès, de voir

sommes

qui

les

constructions nouvelles, nous

passés là quatre ans auparavant

que sur ces berges, tout blie

;

c'est

long du désert,

est éta-

une assez grande population de gens

travail-

le

lant au canal, depuis les petites maisonnettes des

simples employés jusqu'aux grandes demeures, à l'architecture compliquée, des administrateurs de la

compagnie.

D'abord

chemin de geant

est le

nouveau

va de Port-Saïd à Ismaïlia, lon-

fer qui

bord du canal

le

perdu dans

désert,

changement

le principal

;

un chemin de

le sable, 'voisinant

fer

en plein

avec les ca-

ravanes de chameaux, rien n'est bizarre

deux choses. Tous

ces

plus

grand

le

soleil

plupart installés

les

de

la

comme

habitants ne craignant

journée sont dehors,

la

devant leur maison, regardant

passer devant eux mélancoliquement tous les ba-

teaux, ils

la

font

pour

plus grande distraction

mille

flottant, se

conjectures sur ce

demandant d'où

il

ces exilés

petit

vient,

;

monde il

bien aller, à quel pays, à quelle compagnie

peut il

ap-

partient.

Pour

se renseigner,

on regarde tout de

pavillon, la couleur de la

cheminée

:

«

suite le

pavillon blanc


MES CAMPAGNES.

l6 et coins

rouges, cheminée noire et rouge, ce sont

Messageries maritimes

les

»

aux Messageries nationales, bleue

et,

comme

tricolore au

il

;

nôtre, appartenant

le

a sa

cheminée noire

porte des troupes,

il

a

le

et

pavillon

mât d'artimon.

Par instant,

les

maisonnettes que nous dépas-

sons ont des petits jardinets, quelques arbres, un

peu de verdure, des

douce qui longe

fleurs, grâce

au canal d*eau

nôtre, et aussi aux efforts de

le

tous ces gens pour arriver à ce bon résultat.

Quelquefois, sans se connaître, on se

des

fait

signes d'amitié et d'adieu; nous passons devant

maison des Sœurs

:

dans un

du chemin par une simple folle

petit jardinet séparé

grille,

dansée par des petites

arabes, une ronde de France sur fait

c'est

un

une ronde

françaises

filles

comme un

et

qui aura

vieil air

danser plus d'une génération, et dont

roles drôlettes arrivent

la

les pa-

joyeusement jusqu'à nous

dernier souvenir du pays.

Un

peu plus

loin sont les Frères des écoles chrétiennes avec

une

ribambelle de petits garçons qui agitent leurs cha-

peaux en nous envoyant leurs souhaits de bon voyage. Et ces aperçus d'intérieur nous amusent

étonnent, nous qui nous sentons

si

et

nous

loin de chez


LE CANAL DE SUEZ.

I7

'nous; pendant que ces vies calmes et monotones

chaque jour

s'écoulent paisiblement, frôlant

les

agitations, les départs et les retours de tous ces

peuples différents.

De temps

à autre, défilent de-

vant nous des Arabes montés sur des petits ânes, des voitures à l'aspect colonial,

une

des

église,

maisons plus importantes étonnées de se trouver dans un pareil désert; puis, tout du long du canal,

souvent plusieurs à

la fois

amarrés

les

uns aux

autres, des bateaux plats recouverts d'un toit les

mettant à

l'abri

du

soleil,

à appeler des arches de

que

Noé

bateau joujou contenant

;

les

enfants persistent

en

effet, c'est le vrai

les

bêtes en bois blanc

qui nous ont tant amusés les matins de jour de l'an.

Tout

cela passe

verres d'une lanterne

devant nos yeux

comme

magique

ces stations

;

quand

sont passées, nous retombons dans

dans

le vrai

Alors,

là,

le

calme

les

plat,

désert.

nous avons

comme compagnons

de

route, nous suivant majestueusement à des allures aussi calmes

que

la

nôtre, toutes les caravanes qui

défilent nuit et jour s'en allant faire le saint pèle-

rinage de

la

Mecque,

gens ne feront qu'une

le

grand voyage que tous ces

fois

dans leur vie, auquel

ils

ont songé peut-être pendant de longues années MES CAMPAGNES.

2


MES CAMPAGNES.

l8

avant de pouvoir se mettre en route. Voyage long,' difficultueux, pénible de toutes façons et les enfants

hommes

s'entassent sur les

femmes

les

:

chameaux;

les

à pied, le grand bâton à la main, ayant

des airs de prophètes majestueux et résignés, résignés pour les longues heures de

un

désert sous

soleil écrasant,

mauvaise nourriture

Car

et les fatigues

rage est immense, dont

une seule

grande idée

et

toujours eu pour les

lement pour

même

Coran

bravoure

Allah

Allah encore après

la vie... et

dirai

la :

est

les

!

le

de tous genres.

ne rebute ces cœurs braves, dont

rien

J'ai

marche dans

résignés pour la

est

le

cou-

guidée par

leur dieu pendant

mort.

la

Musulmans

et principa-

Arabes une grande sympathie,

une grande admiration

;

leur livre

une œuvre magnifique dans

je

du

laquelle

nous autres chrétiens pourrions puiser sans fausse honte.

Quelquefois, nous stoppons s'en aperçoit, tant le

doux

;

on

s'arrête

:

c'est à

peine

mouvement du

si

l'on

bateau est

quelques instants dans

les prin-

cipaux garages possédant des bacs, pour donner

le

passage à l'une de ces caravanes.

Peu

à

peu,

la

nuit

tombe

;

nous ne voyons plus


LE CANAL DE SUEZ.

nous n'entendons plus rien

rien,

du désert mélangé avec une

à

et

Merson,

le

le

:

c'est l'horizon

ciel;

les

étoiles

nous songeons alors au Repos en Egypte

:

la

joli

l'im-

tableau de

Vierge endormie

désert et protégée par ce sphinx de pierre,

qui semble

immuable comme un dieu

C'est une

bonne

grand silence du soir

que imposant. Tous

mène en

et

douce chose que ce

et aujourd'hui c'est presles

pont, couchés par terre

l'air

du

une s'allument silencieusement dans

mensité,

dans

celui

I9

hommes dorment ;

une

faisant les cent pas au

sur

le

sentinelle se pro-

miUeu d'eux, ayant

de veiller ses morts...

Plus tard dans

la

nuit nous passerons devant

Ismaïlia, les lacs amers,

serons à l'entrée de

la

et,

au petit jour, nous

mer Rouge.


SUEZ

17 mai.

Finie, six

la

jolie

navigation du canal.

Ce matin

à

heures nous étions à Suez; on a stoppé une

heure,

le

temps de déposer

les papiers nécessaires

terre: la

le

pilote et de

donner

bateau n'a pas touché

chaloupe de Suez est venue jusqu'à nous,

et, à sa suite,

venant

;

le

offrir

beaucoup de barques chacune

sa

à voiles

marchandise

dattes, figues, raatloucoum, etc.

On

:

du pays

oranges,

parlementait

avec les indigènes du haut du bateau dans un lan-

gage extraordinaire; on montait

les objets

dans des

paniers que nous attachions à des cordes

;

enfin

tout cela était une distraction et nous a occupés

pendant deux heures.


LA MER ROUGE

Pour

sont nos journées

l'instant, ce

nibles qui

navigation dans

la

mer Rouge

nous allons entrer

;

dans cet état d'anéantissement, dirai-je

les plus pé-

vont commencer: quatre à cinq jours de

même, qu'on éprouve

sant cette

mer

si

— d'hébétement,

toujours en traver-

chaude. Et encore, nous qui

avons un bon bateau à vapeur, marchant bien, sans souci du vent arrière

nous

faire

ou du vent debout pour

avancer, nous n'avons

pas

à

nous

plaindre.

19 mai.

Les heures sont lentes n'en veulent pas finir;

ment chaudes coucher sur

le

la

à s'écouler, et les jours

les

cabines sont terrible-

nuit et nous avons pris

pont.

le parti

de


22

MES CAMPAGNES.

Le

chacun

soir

sur des chaises longues ou,

ment de

la

Rien n'est bizarre

par terre.

nuit

:

un coin de banc,

s'installe sur

plupart du temps,

comme

bivouac sur

c'est le

ce

campe-

pont; chaque

le

soldat apporte à son lieutenant, à son capitaine,

une couverture, une capote, ou une

pèlerine, car

nous espérons bien un peu de fraîcheur vers deux heures du matin

même

de nous couvrir

;

les

les

on nous recommande yeux

à cause de l'humi-

dité qui peut être dangereuse. Si bien qu'avant de

s'endormir chacun de nous plie

et

bande

se

les

tire

son mouchoir,

yeux tranquillement,

le

ainsi

qu'il est indiqué.

encore bien lourd, mais

Il fait

porte; les conversations cessent, petit à petit

chacun:

«

;

le

on n'entend plus que

Bonsoir,

mon lieutenant

capitaine; bonsoir,

sommeil l'em-

le

silence se

les ;

madame; bonne

fait

bonsoirs de

bonsoir, nuit. »

mon Et

le

matin, au petit jour, notre bateau prend des aspects lugubres et terribles

étendus

donnent bataille

la

sur

le

;

tous ces uniformes, ces gens

pont, un bandeau sur

la figure,

douloureuse illusion d'un champ de

au lendemain du combat.


PERIM

Escale d'une demi-journée. Petit point aride et désolé

s'il

porte de

en

véritable sentinelle anglaise à la

fut,

mer Rouge.

la

Rien que des rochers gris

on

aperçoit cependant dans

ou

trois baraques,

chine à

distiller,

le

de

et

un semblant

puis, au

terre

la

fond de

la

d'hôtel,

sommet de

rouge

;

rade deux

une ma-

l'ile,

le fort

qu'habite une garnison relevée tous les mois.

Personne

même

dire

n'est

petite rade et

La

et

faire

mouillés dans

le

dois

milieu de cette

nous n'y devons rester que

juste le

du charbon.

chaleur est extrême,

d'air et

je

qu'aucun de nous n'en avait envie.

Nous sommes temps de

descendu, bien entendu;

nous sommes

affilies

il

un

n'y a pas

sur

le

souffle

pont, sans forces

sans courage, tellement noircis par

la

houille que

nous en devenons littéralement méconnaissables.


MES CAMPAGNES.

24

Autour de nous, on n'entend que vages des noirs qui embarquent Ils

le

les cris

sau-

charbon.

arrivent par centaines sur des barques im-

menses,

semblables à celles du Dante aux

très

enfers, poussant des clameurs étranges et féroces, fliisant les

mêmes mouvements ensemble

dence pour décharger leur sac dans sont impressionnants tous allant et gesticulant

ces

la

diables

en ca-

et

cale;

ils

vivants,

au milieu d'un épais nuage de

poussière noire.

23 mai.

Hier un incident des plus comiques, une vraie scène de MoHère, mais qui aurait pu cependant

tourner très mal, nous a forcés à nous relever un

peu de notre apathie

et

de notre engourdissement.

Imaginez que nous avons

à

bord

un pauvre vieux docteur tout repos, qui nous a été

dans l'adjudication

comme médecin

à fait

mûr pour

donné par-dessus

le

le

marché

et qui fait les choses avec

une

désinvolture sans pareille.

Oh! grande

Faculté de médecine, que diriez-

vous de ce confrère qui soigne chaque jour malades sans antiseptiques

le !

moindre souci du microbe

ses

et des


PERIM.

Le matin,

consultation se passe sur

la

Le docteur,

25

qui a

l'air

pont.

le

d'un vieux loup de mer,

les

pieds dans ses pantoufles et ne lâchant jamais

sa

pipe,

tranquillement sur un banc et

s'assied

regarde défiler devant

lui les soldats

malades.

— Qu'est-ce que vous avez, mon garçon — Mal aux dents, docteur; un abcès sur ?

j'ai

la

gencive.

— C'est Et

docteur

le

essuie

— Ça y

vous ouvrir

ça.

de sa poche un bistouri

tire

un peu sur

de douleur

Et

rien, je vais

le

revers de sa manche.

qu'il

Un

cri

!

est, à

un

autre.

pauvre troupier s'en va crachant un peu de

le

sang sur

le

pont

— Et vous,

et

tenant sa tête dans ses mains.

qu'est-ce que vous avez?

— Ah docteur, un clou à — Montrez-moi

la

!

jambe.

ça.

— Aïe. Une bonne le

tour

ouverture avec

le

même

bistouri et

est joué.

Tous de nous,

les

matins nous

les

pauvres, et

côté regardant tout être brave.

les je

voyons

me

défiler a côté

penche un peu de

doucement pour m'habituer

à


MES CAMPAGNES.

26

Aujourd'hui, après

le

déjeuner, c'est-à-dire vers

midi, ce pauvre docteur, qui avait probablement

bien déjeuné, peut-être les cas

même

fumé de nombreuses

bu sec

et

dans tous

pipes, ayant passé la

matinée enfermé dans sa cabine avec son infirmier

pour y confectionner des cachets de quinine, monsur

tait

le

pont

légèrement

et

rouge, violet

très

même, trébuchant

finalement venait s'effondrer sur un

banc, perdant connaissance.

comme on

Impossible de crier cas

:

Un

médecin

que nous avions

ma

!

un médecin

!

le fait

en pareil

puisque

le seul

bien mal hypothéqué,

était là,

foi.

Alors se passa

la

chose

la

plus drôle et la plus

risible qui se puisse imaginer, car tout

amuse des

gens ayant aussi peu de distractions que nous

médecin malade Hvré

à tous ses clients,

possibilité complète de se défendre

menacé d'absorber toutes remèdes que, cas,

lui,

les

dans l'imse vo3^ant

médications, tous

médecin, eût ordonnés en

mais n'eût peut-être pas

Nous

et

un

:

les

pareil

pris.

voilà naturellement tous

affolés, accablant

de questions ce malheureux qui n'en peut mais

et

respire à peine.

On

se concerte,

on

parle tous à la fois. «

Il

a


PÉRLM.

27

— Pas du

une attaque, une congestion. Mais

— Non. —

si.

Chacun

est

Il

va, vient, court à sa

triomphalement tout avec rage

auquel

fier

!

Oh mon !

Dieu

de son idée, feuilletant

se croient obligés

les

d'emporter en voyage

ne comprennent rien

ils

»

!

cabine et revient,

bouquin de médecine que tous

le

voyageurs et

perdu

tout!

la

plupart du

temps.

D'abord où fiisse

est l'infirmier? Vite, vite,

monter; on

de mettre

la

qu'on

le

cherche partout, impossible

le

main dessus. Enfin, au bout de quel-

ques minutes on

le

connaître,

démarche chancelante

à sa

retrouve, et chacun peut re-

paroles embarrassées, qu'il est gris

à

ses

comme un

Po-

et

lonais.

On

va aux renseignements, on s'informe

s'aperçoit qu'il a

malaga

consommé

et autre vin destiné

lades. Celui-là, par le fait

de

la

mettre aux

au quinquina des ma-

immédiatement. Ça,

bonne besogne. Nous

nous-mêmes pour soigner que Dieu

le

Jamais

je

protège

!

!

le

on

à lui tout seul tout le

exemple, n'y échappe pas fers

et

voilà

donc

et

on

c'est

livrés à

malheureux docteur

;

!

n'oublierai cette scène grotesque, la

frayeur de tous,

l'air

important de chacun voulant


MES CAMPAGNES.

28

administrer son médicament favori. L'un de nous s'avance, son livre à la main,

il

a trouvé; je dois

dire qu'il a été au plus pressé, ayant cherché tout

au

commencement du

lit

d'un

grave

air

:

connaissance, ayant la

livre: A... Apoplexie...;

« Si la

une personne tombe sans

figure rouge,

chaude,

croire qu'il

d'une apoplexie. Pendant qu'une personne

s'agit

recherche du médecin qui ne tardera pas à

la

(oh

arriver

y a à

la tête

on peut

respiration embarrassée,

va à

il

faire

!

:

du

cruelle ironie

coucher

le

sort !), voici ce qu'il

malade, tenir

la tête

cou-

verte de compresses d'eau glacée souvent renouvelées, tenir les pieds chauds, etc. »

monde qu'il a

s'écrie

:

en chœur

«

:

Évidemment,

vite de la glace sur la tête

Quelques soldats sont

Et tout

!

le

c'est ce

»

qui contemplent cette

scène, prêts à obéir au premier signe; l'un d'eux revient avec

la

glace demandée,

on

l'écrase,

on

l'enveloppe dans une serviette et on emmaillote la tête

du malade. Voilà déjà un bon commence-

ment. ((

Je vous assure, dit un autre, qu'il faudrait

mettre aussi des rigoUots,

je

me

lui

souviens qu'un

de mes oncles avait eu quelque chose dans ce genre-là, et c'est ça qu'on

lui a fait. »

Puis chacun


PERIM.

29

un cousin, un

se souvient qu'il a eu pareillement

grand-père, un parent quelconque ayant eu semblable maladie. «

mesdames, courez

Vite,

teur,

»

Nous

sert de

phar-

vous trouverez mieux que nous.

descendons dans ce petit cagibi qui macie

du doc-

à la cabine

;

cela

drogues;

empoisonne

c'est

le

tabac, l'absinthe et les

un désordre

fou. Après avoir tout

remué, vidé tous

les

tiroirs,

nous trouvons

les

bienheureux sinapismes.

Le pauvre homme continuant état inquiétant,

à être dans

ne faisant aucun mouvement

répondant pas à nos questions, on

deux bons l'effet;

pas

rigollots et

un

ne

l'effet

ne s'étant

nous convenons de donner un bain

de pieds synapisé l'un tire

et

appHque

patiemment nous attendons

au bout d'un quart d'heure

fait sentir,

lui

un

;

on déchausse

soulier, l'autre

le

malheureux

;

une chaussette, tout

cela avec des airs effarés,

empressés qui sont co-

miques au possible

que nous avons

;

c'est

en songeant que ce pauvre et

là,

que

homme

le trac

peut mourir

notre imagination vagabonde va plus loin

la réalité.

Combien de temps

cela peut-il

durer? Jusqu'à

ce soir peut-être, jusqu'à demain.

Il

va mourir


MES CAMPAGNES.

30 bien sûr, affreux

;

il

ne revient pas

Et nous

le

voyons déjà dans bord

et

le jeter à la

mer.

l'horrible sac, s'en

nous

épouvantés

laissant

charge de 800 hommes,

la

d'officiers,

cela

alors ça va être

;

nous serons obligés de

allant par-dessus

avec

à lui

une quinzaine

femmes, enfants, 30 chevaux

et

mulets,

pendant encore une bonne semaine de traver-

sée qu'il nous reste à faire, sans arrêt, sans escale.

Au soit

bout d'une demi-heure de médications tant

peu

fantaisistes,

dont

je

ne

que

cite

les

plus

importantes, nous pensons qu'il serait peut-être

prudent de sur

la

faire

prévenir

passerelle, très

commandant

le

qui est

occupé des manœuvres de

son bateau. Il

minutes après,

arrive dix

nous, mais, en

ne plus rien envoyer

le

lui

maître d'hôtel qui

arriver ce dernier,

il

d'un

air

ainsi

que

un

».

le

En

verre à

convaincu

:

la

connaît et donnera effet,

nous voyons

main, tournant

c'est

un de

la

Marseille,

a l'accent.

D'un geste

monde: je

lamente

homme prudent, nous conseille de faire. « Du reste, dit-il, je vais vous

peut-être un sage conseil

cuillère

se

sais

«

Té,

à la Tartarin dit-il,

ce qu'il a,

il

veut calmer tout

ne prenez point

le

le

trouble;

j'apporte le remède, ça va le


PÉRIM. guérir sûr. » C'est

comment

Parmi tous

il

est

avions— nous

un qui

besogne

achever ce malade,

à

du bateau

les

mains dans

mécontent, haussant

les épaules,

persistance

:

«

vous vous y mettez tous tuer.

Mais

Oh

!

le

;

il

ses

il

en

se

promène

poches,

l'air

jurant et répéle

!

donc tranquille; vous

laissez-le

!

n'a pas voulu prendre part à cette rude

de long en large,

tant avec

songé

pas

ces officiers occupés avec la plus

c'est le nerveux,

:

ipéca;

complet.

grande bonne volonté est

un formidable

ipéca,

n'y

diable

Pauvre homme,

un

31

malheureux,

allez l'achever si

vous voulez donc

;

pauvre diable,

il

n'y résistera pas

le !

»

24 mai.

Tout je

est bien qui finit

bien

:

grâce à Dieu,

ne puis vraiment dire grâce à nous,

le

doc-

n'y paraît plus. Ayant repris

teur est sauvé;

il

connaissance à

longue,

la

il

a

demandé

cations sur ce qu'il avait bien

force expli-

pu avoir, n'ayant

pas souvenance de l'ipéca sauveur.

Heureusement pour lui il ignore il

en mourrait de honte, car

c'est

tout, sans quoi,

vraiment

la

plus


MES CAMPAGNES.

32 belle

vengeance des malades que d'avoir à soigner

un médecin sans

De nouveau, d'un

air

calme

voir ce qui a

défense.

il

:

«

fume

sa

bonne pipe,

disant à tous

C'est égal, je voudrais bien sa-

pu m'arriver.

»


UNE FETE A BORD

25 mai.

Une agités

petite fête à

livrés à

un peu tous

distraire

et

bord pour calmer

les esprits

ces soldats qui,

comme

eux-mêmes, redeviennent

des en-

fants.

Tous ont

été réquisitionnés et,

tance, chacun se trouve

un

pour

les

à l'arrière, le

gui,

fanal

dans

de couleur posé çà les

soldat, très

la fête

au cabestan, sur

les bastingages,

lumière rouge sur

tingent à

couleurs, des signaux

genres, sont drapés, tendus, entrelacés

formant une petite

Chaque

habituelle,

à notre disposition.

De jolis pavillons de toutes de tous

circons-

petit talent.

Le commandant, avec son obligeance met tout son bateau

la

:

salle et

nombreux

de théâtre; un envoie sa joHe

assistants.

ému, apporte son

petit

con-

chansons grivoises ou anodines,

grand monologue patriotique qui MES CAMPAGNES.

fait

battre des 3


MES CAMPAGNES.

34

mains avec enthousiasme ces

pendus en grappes

le

six cents

long des mâts

soldats

et des cor-

dages.

Puis un intermède de gymnastique qui nous cause une vraie frayeur, tant

la place

manque; mais

jeunes soldats qui se livrent à ces cabrioles

les

dangereuses conservent malgré nos vante un

air

d'épou-

cris

assuré et tranquille, rebondissant les-

tement, parant

les

coups

et les

chutes et retombant

légèrement sur leurs pieds avec

le

sourire aux

lèvres qui doit rassurer le public et leur vaudra nos

bravos enthousiastes.

Le

clou de la soirée est toute une comédie jouée

par des gens du métier % de vrais clowns en cos-

tume.

On

où chaque

un

a retiré tout cela

du

homme

affaires; c'est

range ses

petit sac

peu chiffonné, mais c'est tout de

bonne aubaine, pour

les

en

toile

encore

même une

perruques en étoupe, de

parader sous une telle latitude.

Et pendant cette soirée de récréation pour tous, notre grand bateau continue sa marche vers

but à atteindre, traçant majestueusement son

I.

Des

travaillé

le sil-

soldats qui, avant leur entrée au service, avaient

dans un cirque.


UNE FETE A BORD. Ion au travers de cette loin

du pays nombre de gens

rient de tout leur

35

mer immense, emmenant

cœur

et

qui,

pour Tinstant,

pour lesquels, cepen-

dant, la vie sera rude, pénible, et dont beaucoup

peut-être ne reviendront pas.


EN MER

31 mai.

Monte, viens

vite,

on

voit

la

terre!

Et

me

ma couchette, triste de me réveiller

voilà réveillée en sursaut, assise sur

me

frottant les yeux, presque

car je rêvais hélas!

France, et

je

que nous étions encore en

croyais vraiment m'être endormie

à Paris. Je m'habille à la hâte, laissant les petits

dormir encore du bon sommeil des bébés sans souci de ce qui les attend.

Depuis hier

soir, la

mer

s'est

un peu calmée,

mais quels mauvais jours nous venons de passer

pour doubler ce maudit cap d'Ambre, aux avec

la

mousson. Oui, on commence

prises

à la voir

cette terre de Madagascar, encore bien lointaine,

car

il

est cinq

heures du matin et nous ne serons

guère là-bas avant midi. Très loin, avec gnette,

la lor-

on aperçoit comme une traînée blanche,

cela ressemble à

un nuage qui

serait plus bas

que


EN MER. autres;

les

37

pour mieux distinguer

encore quelques heures

Cependant nous sommes

les

veinards du bateau autres

les

quelques jours de mer pour

Chandernagor

lugubre.

et cette attente est

notre traversée est finie,

car le

faut attendre

il

aller à la

Réunion

n'ira pas plus loin;

le

pénible sera pour eux l'escale de Diego, qui

portons pour Utaires

que

le

la

les

mele

matériaux que nous ap-

reconstruction des bâtiments mi-

cyclone a en partie démolis.

Nous nous promenons donc le

;

plus

nace de durer dix à quinze jours, étant donné

déchargement de tous

;

ont encore

silencieusement sur

pont, étonnés de pouvoir marcher sans tomber,

sans être jetés de droite et de gauche, jouissant de ce calme de

On

la

mer

et

descend fermer

et jeter

de cette fraîcheur du matin.

les malles,

un dernier coup d'œil

hospitalière qui

nous aura

ranger ses affaires à la petite cabine

abrités

pendant cette

courte existence de vingt jours.

Le

soleil

monte,

il

commence déjà

de nouveau nous regagnons le pont c'est

ces

;

lugubre, que c'est triste ce qu'on voit

montagnes

chaud,

à faire

mon Dieu, ;

que

toutes

grises dénudées, brûlées par le so-

rouge sans arbre, sans verdure; on

leil, et

cette terre

la voit

distinctement à présent

la terre;

oh

!

oui,

on


MES CAMPAGNES.

38

ne la voit que trop bien hélas

sommes encore dans

!

c'est à jurer

mer Rouge

la

que nous

tant l'aspect est

semblable, et nous nous regardons tous attristés de ce que nous vo3^ons, sans oser nous parler.

Ceux-là

mêmes qui nous enviaient

tout à l'heure

nous regardent avec compassion, nous, groupe qu'on va débarquer, en ((

Le

pitié.

ce sont les côtes ça la

relle le

nous

ça sera si

;

passerelle. » et

;

et leur envie se

change

plus philosophe se hasarde à dire

Ah! mais, attendez;

sur

petit

le

Oh

nous

mieux tout

à l'heure,

allions voir à l'avant

oui, allons sur la passe-

!

en bande traversant tout

filons tous

pont rempli de soldats qui eux aussi examinent avec anxiété.

la terre

Ceux de Diego sont

debout, habillés dès

là,

l'aube, la vareuse de laine encore chiffonnée,

quée de

plis et

sont tous rangés

dans

les

le

vêtements à bord

mains, écoutant avec calme

camarades

vieux,

chouette

il

les

long du bastingage,

gouailleuses des

pliments

est rien ;

on va s'amuser

au moins ; oh

!

mar-

ayant déjà cette odeur d'âpreté et

de moisi que prennent tous ils

:

la la

!

...

»

le

ici,

:

«

pays puis

les réflexions

Dis donc, ;

tous

on

;

la tête

mon

mes com-

sera à l'ombre


EN RADE DE DIEGO-SUAREZ

Par un Il

dans

est

soleil

de plomb,

.

.

une chaleur horrible.

.

deux heures quand nous mouillons enfin

la rade...

Oh!

cet affreux pays, ce coin de

on va nous

terre française sur lequel pis

.

que tout ce que nous pensions

;

laisser

;

c'est

c'est plus triste,

plus misérable que personne n'eût osé s'y attendre.

Nous sommes tous pour descendre,

sur

le

et c'est

que nous attendons

la

pont, équipés, habillés

dans un silence morne

chaloupe qui doit nous em-

mener.

De temps et gaie

nous

en temps une réflexion d'enfant naïve fait rire

une minute

et

nous récon-

forte; c'est Jacques qui s'écrie: « Tiens, là-bas,

dans un champ, des gros pâtés de foin

comme

en

France; quel bonheur, on va se rouler dans l'herbe, dis,

maman?)) Et

chose impossible

:

j'affirme

d'abord

que oui, sachant

le soleil

;

le

la

maudit so-


MES CAMPAGNES.

40 leil

quand on veut

et puis,

;

colonies, tout le

monde

s'asseoir par terre aux

s'écrie

:

Oh

!

ne vous as-

seyez pas; attention aux bêtes, gare les scorpions,

fourmis,

les

les cent-pieds,

tiques, qui, en cinq

sans compter les

mous-

minutes d'immobilité, vous

rendraient enragé.

Mais voilà

la

chaloupe qui quitte terre, nous

voyons s'avancer doucement avec réguliers; son affreux bruit de

la

ses soubresauts

machine

arrive jus-

qu'à nous, et elle roule... elle roule... Car, dans cette rade de Diego,

houle de fond,

La

échelles. officiers

du port

car

y a du

Il

on

la

mer,

la

disent les matelots.

est

pouvant en-

en train de mettre

monde dans

la

les

chaloupe, des

en uniforme qui viennent chercher

marades

les ca-

et savoir des nouvelles, puis le directeur ;

celui-ci

fantastique, laisse voir

que dans :

comme

y a toujours de

voilà qui s'arrête à tribord, ne

core accoster,

leil

il

une sorte d'ombrelle immense qui ne

que le

les

jambes; on sent tout de suite

pays on ne plaisante pas avec

aussi je

gnon de

porte un casque d'une grandeur

me

vois déjà

qu'on va

menacée d'un champi-

cette grandeur-là.

penchons pour écouter dire.

le so-

les

Anxieux, nous nous nouvelles, savoir ce


EN RADE DE DiÉGO-SUAREZ.

Nous avons dans

pays;

le

c'est lui qui

bord un

à il

qui est déjà venu

donc un peu au courant,

est

prend

officier

4I

la

et

parole et s'adresse au direc-

teur du port qui est dans la chaloupe.

— Comment — Ça va mal, répond

ça va-t-il

«

?

l'autre,

mettant ses mains

en porte-voix pour que ses paroles nous arrivent

mieux. La saison a été très mauvaise

beaucoup

;

de fièvres, beaucoup de malades.

— Et

le

commandant

X..., toujours

là ?

— Parti malade par dernier courrier. — Et lieutenant R... femme? le

et sa

le

eu de nouvelles en route

— Non.. le

deux ; vous n'en avez pas

Partis malades tous

.

Il

mois dernier

— Oh

!

oui,

paraît

?

que vous avez eu un cyclone

?

un cyclone

un geste désespéré de

ses

affreux

!

deux bras,

»

Et faisant

il

n'ose rien

ajouter.

Et toutes ces paroles encourageantes arrivent bien jusqu'à

comme

A

nous,

nous tombant sur

des gouttes de

présent nous

le

cœur

plomb.

sommes

fixés; ces quelques ren-

seignements nous suffisent pleinement; nous quittons

le

bord sans aucun enthousiasme.


MES CAMPAGNES.

42

Nous commençons

par avoir mille peines à

aborder, car bien entendu ni

embarcadère ; un

le

premières marches de

formant

n'y a ni quai, ni jetée,

appontement

sert

aux

cyclone ayant démoli

les

très petit

embarcations, mais

là,

il

l'escalier, elles

comme un

récif, et

sont restées les

em-

reste, offre

très

empêchant

barcations d'accoster.

Un

officier

marié,

le

seul

gentiment de nous piloter chez

lui.

d'appeler

Nous

et

du

de nous

emmener

traversons ce qu'on est convenu

la ville basse, se

composant d'abord d'un

misérable quai ou plutôt du bord de la

mer sur

lequel sont échelonnées quelques cases; la direction

du port,

les

subsistances, les Messageries mariti-

le

sable noir sont couchées aussi quel-

mes. Sur

ques pirogues d'indigènes.

Nous parcourons chaque côté

les

l'unique

rue,

où sont de

échopes des marchands indiens,

construites en bois avec des toits de fer- blanc

quelques misérables boutiques françaises, tout cela ayant

l'air

ruiné et minable d'un pays qu'on aurait

abandonné depuis longtemps. Par des chemins impossibles, trébuchant sur des débris de toutes sortes

brille

principalement

la

monter dans

la

boîte de conserves, nous allons


EN RADE DE DiÉGO-SUAREZ. ville

Ah que

haute.

!

que l'on aperçoit vernement,

;

ce

nom

qu'on

c'est là

les casernes, la

ques cases où l'on habite. s'y est installé

comme

est

43

pompeux pour

Un

gou-

a construit le

gendarmerie,

ce

quel-

les

peu de commerce

en bas, des magasins

chi-

nois, indiens et français.

Sur ce plateau,

l'air est

plus vif, plus sain et

nous arrive plus directement qu'en bas

:

on y

a

constaté une grande différence au point de vue sanitaire,

c'est

pourquoi l'on a déserté

basse pour s'installer sur

la

la

ville

hauteur.

Après avoir grimpé par des sentiers de chèvres,

nous arrivons enfin sur

le

plateau

vide et désolé; seule, la vue de est belle et

la

c'est

:

immense,

mer, de

la

rade,

repose nos yeux fatigués de ce vent

incessant qui souffle

comme un

tempête, emportant avec

lui

jour de grande

des tourbillons de

poussière rouge qui nous aveuglent

;

que ce sera ainsi pendant toute

saison sèche,

c'est-à-dire jusqu'au

la

mois de novembre,

vents tombent pour faire place à vieuse,

humide

mois de mai

!

et

et

chaude qui dure,

la

il

paraît

les

saison plu-

elle,

jusqu'au


CHEZ NOUS

23 juin.

At home, oh met de

la joie

!

mot,

le joli

au cœur

et

vous

venons de passer un mois dans au chef de bataillon

et qui

sommes en

aller.

ragaillardit.

la

Nous

maison destinée

dépend des bâtiments

miUtaires. Elle était libre, on

nous n'avions pas où

bon mot qui vous

le

nous

l'a

prêtée, car

Et maintenant nous

possession de notre maison qu'on vient

de nous construire, d'une case pour mieux parler le

langage colonial. C'est une maisonnette en bois, peinte en rose

avec des volets verts, une vraie bergerie de treize sous. Elle se

compose d'abord d'une grande

randa ayant vue sur

la

mer, car

nous sommes perchés tout nous dominons tourent

;

la

la

il

faut dire

à fait sur la

vé-

que

hauteur;

rade et les montagnes qui l'en-

passe est à notre droite, et pas

un ba-

teau ne peut entrer sans passer sous nos yeux.


CHEZ NOUS.

45

c'est bien la situation la plus agréable à

tous

les

points de vue.

Ensuite une pièce que j'ose à peine décorer du

nom

de salon, puis

de toilette toir

de

et

à

la salle

manger, un cabinet

une chambre, —

la famille.

Nous

la

chambre,

travaillons bien

le

dor-

pour

l'or-

ner, l'embeUir, la pauvre petite case. Il

nous

faut tout utiUser, et faire

currence à Robinson Crusoé. ressource,

comme est

il

Il

une vraie con-

n'y a

aucune

ici

un meuble; chacun en fabrique

pas

peut. Ainsi, chez nous,

devenue une superbe cage

la caisse à

à poules

;

les

piano autres

caisses

ont été transformées en armoires, mises

debout

et

montées sur quatre

petits pieds, le

cou-

vercle devenant la porte.

Tous nos meubles seront goût

à

peu près dans

:

de petits coussins, ont déjà pris un

un canapé bas

même

se

air confortable,

composant d'un matelas posé sur

des caisses et drapé de rabanes invite à table

le

nos chaises de bord, recouvertes d'étoffes et

la sieste,

une

démontable, des étagères fabriquées par nous

pour ranger nos

livres,

quelques bibelots, des pho-

tographies, des cartes de Madagascar pendues au

mur,

le

neur

:

piano savourant d'un air

voilà tout

fier la

place d'hon-

l'ameublement de notre salon.


MES CAMPAGNES.

46

ne nous semble vraiment pas mal à nous qui

Il

avons tant

mais vous,

résultat;

vous

pour arriver à ce médiocre

travaillé

ferait sourire

de

voir,

le

sommes

pas gâtés

n'a pas le courage de lutter

pour

tion, mais, chez nous, je dois le dire,

:

tout le

l'installa-

on

a

comon

battu bravement... Aussi, du matin au soir, cloue,

on

tout cela soi,

qui

qu'on

tape,

un fait

on drape, pour tâcher de donner

petit air habitable,

mieux que chez on

aux colonies

partie de la journée,

doux

à

à

quelque chose de

qu'on aime à rester dans sa maison,

s'y plaît

comme

il

pitié.

C'est qu'ici, nous ne

monde

vous pouviez

si

il

3^

les

autres, et,

passe la plus grande

importe que

le

nid soit

ceux qui l'habitent.

Nous faisons

des recherches chez nos marchands

indiens pour y trouver des rabanes, nattes ou tissus

de l'endroit. L'indigène ne travaille que pour c'est-à-dire n'est

vanner

occupé que de sa vie matérielle

le riz, le piler, le cuire, le

ici

demander. Tous

les

rarement, des soies

et

;

on trouve

il

ne

produits vendus

arrivent des autres points de File,

des pays environnants

:

manger, consti-

tue tout l'emploi de sa journée; à part cela, faut rien lui

lui,

ou surtout

quelquefois, mais

des bijoux indiens, apportés


CHEZ NOUS.

47

par des bateaux qu'on appelle des houtres. Ces bateaux, dont tout l'arrière est sculpté à

vieux vaisseaux du xvii* et

de formes bizarres;

époque

janvier,

siècle,

façon des

la

sont très curieux

ne viennent

ils

à laquelle les vents

de

ici

la

qu'en

mousson

leur sont favorables.

Quant

à notre vent à nous,

il

continue toujours

de souffler sans se lasser jamais, nous enveloppant de sa poussière rouge, qui pénètre partout, dans les livres,

rouge,

les

dans

les caisses,

parquets aussi;

tout

les

le

linge devient

enfants prennent des

teintes de petites briques.

Ai-je besoin de vous dire qu'on ne fait

cune

toilette

:

on

est

ici

au-

d'une simplicité délicieuse

qui repose des jupes cloches et des manches ballons

;

seulement, on se recoiffe dix fois par jour,

car le vent arrache chapeaux et coiffures.

Nous ne

manque

tant soit

quittons pas nos casques

:

cela

peu d'élégance mais abrite sûrement du fait à

ceux des enfants des coiffes blanches

celles des

sus

;

soleil

;

j'ai

comme

matelots et un ruban de bateau par-des-

mais, moi,

de Jules Verne à

j'ai

la

tout à

fait l'air

des Anglaises

recherche des pays inconnus.


MES CAMPAGNES.

48

Juillet.

Toujours

grand

le

vent qui souffle

on

presque

est

somme, que

ce petit pays étrange qui, en

de bons côtés que de mauvais

temps passe, après

le

On

se lève de

chacun

comme

étant considéré

et

tout, aussi vite qu'en

bonne heure; toute

de son côté

travaille

;

remplis

si

on

;

la

ma-

se retrouve

à déjeuner; ensuite c'est l'heure de la sieste soleil

le

son cours habituel;

a tant à faire, les jours sont

France. tinée

fait à

a plus

on

puis

la vie a pris

;

toujours

soleil qui brûle,

dangereux,

les

:

le

ca-

sernes sont consignées aux heures chaudes et la vie s'interrompt

L'heure de

pendant

la sieste est

trois heures.

donc

un temps de récréation dont

mon

je fais

heure à moi,

ce que je veux,

car je n'ai jamais pu m'habituer à dormir dans

journée

;

généralement pour

j'en profite

lire

la

ou

écrire.

A

5

heures, nous prenons notre thé, tous les

jours, avec quelques fidèles amis,

voyage et

et d'exil.

vous moquant

aux pays chauds,

Ah :

« il

!

je

vous vois

camarades de d'ici

souriant

Comment, même

à

faut prendre son

thé, une

Diego,


CHEZ NOUS. boisson chaude

chose de bien

Eh bien et

!

49

quand on pourrait boire quelque

!

frais. »

oui, vous ne sauriez croire quelle

douce chose que ce thé de

beaucoup plus sain quel affreux sirop

une

réunir,

heures, d'abord

5

et rafraîchissant

que n'importe

une occasion de

puis c'est

;

bonne

un souvenir des

petite distraction,

se

hi-

vers de France.

Je

me

souviens surtout de celui de Rochefort,

de cet hiver de 1890 qui fut

ma sœur

encore

et

moi

rude journée de travail

même

dans

la

et pétillant des

à

si

rigoureux;

on préparait

;

je

vois

maison, après une

la

le

grande chambre, devant sarments de vigne que

appelaient des queues de singes

;

thé soi-

le

feu gai

les

enfants

c'était

un repos

forcé et longtemps, longtemps, la bouillotte ron-

ronnait

doucement avant qu'on

prendre

et à verser l'eau

Tout en

dans

travaillant et

se

décidât à la

la théière.

en causant, on s'inter-

rompait de temps à autre pour guetter

chande de biscuits de matelots;

elle

guettait, s'arrètant sous la fenêtre, car

pour

elle

de la bonne pratique,

plaintif et,

quand

cri

aussi

nous

elle disait

geignard

elle passait là, juste

MES CAMPAGNES.

mar-

nous étions

comme

de très loin nous entendions son

la

;

et

sous notre 4


MES CAMPAGNES.

50

on

fenêtre,

s'élançait avec quatre sous, de quoi

acheter pour cinq ou six personnes;

ou

calier

à la cuisine,

domestiques,

mon

souci des passants avec

pauvre venais

«

:

Ah

!

esprit

contente quand

vieille était

vous

v'in,

du fond de

sa

rue, sans

la

bohème,

moi

c'était

;

!

allez

)>

!

Et

qui

sont elle

deux larges

petite voiture

biscuits carrés qu'elle démaillottait avec

un soin tout

particulier d'une vieille couverture verte

;

elle était

de vendre ses biscuits de pauvres gens à des

si fière

darnes

et la

ma bonne dame y

bien chauds aujourd'hui et bons sortait

en

l'es-

nous ne trouvions pas de

moi-même dans

j'allais

dans

si,

!

Je remontais vite, un peu gelée, et de nouveau

nous écoutions, d'un cheval sur Jacques

;

cette fois, les

si

l'on entendait le trot

gros pavés de

quelquefois Pierre arrivait

que quand

je faisais

travers le carreau,

il

mon

était déjà

hâte,

on

en deux,

mer lui,

le

fauteuils,

si

vivement

petit signe d'amitié à

Alors, vite, nous lâchions tout

donnés sur nos

rue Saint-

la

on

descendu de cheval. les

:

ouvrages aban-

faisait

le

thé à la

se précipitait sur les biscuits; les ouvrir les faire griller,

mettre

le

beurre

et refer-

tout, c'était l'ouvrage de cinq minutes

rentrant gaiement, nous apportait

;

et

comme une


CHEZ NOUS. bouffée d'air froid plein

lui

;

il

51 ôtait sa capote, sa

pèlerine tout imprégnées d'humidité, et je sentais

content de s'asseoir auprès du feu,

qu'il était

sonnant

les

bûches, heureux de retrouver au logis

quelqu'un pour l'attendre

Ah

...

!

déjà...

c'était les petits

les petits

Que

le

!

...

bonheurs, ça,

pays aussi est loin

il

y en

les voit

!...

comme nous disions

ceux-là; les gros sont

a qu'à se baisser

on ne

et le fêter

pauvres petits souvenirs de France, que

vous êtes loin

les vrais

ti-

si

rares

!

!...

:

mais

a tout le

long de

pour

ramasser; seulement,...

les

pas toujours.

la

route et

il

n'y


LA RATION D EAU

Juillet.

Le vent

est à

l'état

de tempête aujourd'hui.

Nous avons même eu un peu de qui prouve que

bien étabUe

contre papier,

me

la

les rafales

mon

saison sèche n'est pas encore

installée

;

sous

véranda,

la

lutte

je

qui m'emportent tour à tour

buvard ou

connaît, nous

pluie ce matin, ce

mon

sommes de

casque

;

mais

le

très vieux amis

mon vent et

il

ne m'effraie pas.

La mer, que je contemple tout chose qui nous fasse supporter

le jour, est la le pa3^s.

Ici,

cette véranda, qui est notre endroit fiivori,

croyons être encore en mer; on en large, tout à

quand

la

brise est

bonnes soirées si

pures;

s'y

fait

:

sur

le

sous

nous

promène de long pont;

et, le soir,

un peu tombée, nous y passons de

ces nuits des tropiques sont

le ciel est

détachent

comme

s'y

seule

d'un bleu intense et

comme

si

belles,

les étoiles

de gros clous de diamant.


LA RATION D EAU.

En le

53

face de nous, de l'autre côté de la rade, est

cap Diego

c'est là

:

que sont relégués

une

plinaires, l'hôpital, toute

grande

;

avant-hier,

jour, font

nous sommes

un

service

au cap,

allés

invités par le capitaine des disciplinaires qui a fait les

est

ville.

Des chaloupes, chaque régulier

pour

nous habitons)

qui Antsirane (l'endroit que la capitale, la

les disci-

petite colonie

nous

a

menés

débarquer

forme

honneurs de l'endroit

et

nous

visiter des grottes très curieuses.

L'endroit

comme une

nous

allons

petite anse;

les

avec joie que

le

effet très rare

aux colonies

enfants

constatent

sable y est blanc, ce qui est en

pés, mouillés d'eau salée

;

nous arrivons trem-

les

:

soubresauts fous de

notre chaloupe cessent dès qu'on a stoppé,

de

même,

et

nous restons

saisis, stupéfaits

le

vent

devant

ce calme et ce silence immédiats.

C'est que nous voilà complètement à l'abri

notre chaloupe a lant les

l'air

d'une coquille de noix frô-

murs immenses de

formée par

le cap,

mer.

cette sorte de falaise

qui prend des airs imposants et

gigantesques avec ses lianes sortant de la pierre

;

même

et ses

pour

arbres étranges,

se baigner dans la


MES CAMPAGNES.

54

C'est sur cette hauteur et tout à construite

du capitaine; toute

case

la

de Diego est beaucoup moins

que

la

arbres

nôtre;

même

;

y

il

fait à pic

a

triste et

à cette

gravissons une espèce de jardin qui singuliers, allées

monte

et

en miniature

curieux ou étrange

;

légende ou dans un rêve

Toute

cette partie

quelques

maison, nous

fait

trop

sait

on a déjà vu

;

misérable

et

des détours

redescend avec de petites

on ne

dans une

part... est-ce

cette partie

un peu de verdure

pour arriver

qu'est

si

cela

c'est joli,

quelque

description de conte, de ?

nord de xMadagascar

est assez

montagneuse. Le plateau où nous habitons desséché par

dans

on

les

le

vent; mais

il

y

a

un peu de verdure

quelques ravins formés par

les choisit

est

montagnes

les

généralement pour en

;

faire des jar-

dins potagers, à cause des petites sources qui s'y

rencontrent. C'est dans din de

du

la

plus voisin qu'est

le jar-

troupe, but fréquent de nos promenades

soir.

Ces quelques les

le

yeux

arbres, cette rare verdure reposent

et font

plaisir

h.

voir

!

Eh

!

oui,

quand pour

nous voulons contempler un peu de

feuillage

nous changer de ce terrain rouge

de cette pous-

sière aveuglante, c'est

devant

les

et

salades et l'oseille


LA RATION D EAU.

55

des troupiers que nous venons nous asseoir

mé-

lancoliquement.

Nous

traversons de longues,

pour y arriver;

il

longues plaines

y a peu d'arbres coloniaux, pas

de cocotiers, très peu de bananiers

(il

faut

les

planter et encore dans les ravins), aussi l'aspect

de

campagne prend-il

la

On

parfois celui de France.

y voit de beaux troupeaux de bœufs, portant

sur le dos une bosse

énorme

cornes gigantesques.

Tout

le

et,

sur

couvert de grandes herbes jaunes que

prennent pour du blé

et

la tête,

des

terrain est souvent les enflints

d'où l'on voit sortir quel-

quefois de toutes petites

cailles,

comme

dans

les

champs de France. Notre tenant

;

installation est à

mais

le

peu près terminée main-

plus difficile est de se garantir des

insectes, cancrelats, souris, fourmis; ces dernières

surtout sont tenaces et malignes. N'importe où

vous

laissez

quelques miettes de sucre ou de pain,

elles arrivent

et

par longues traînées noires, sans

vous ne pouvez plus vous en débarrasser. Il

vous faut employer de

petits trucs

contribuent pas du tout à l'élégance de ainsi, et

lin,

des

vous mettez carrément lits

les

la

qui ne

maison

;

pieds des tables

dans des boites en fer-blanc remplies


MES CAMPAGNES.

5

d'eau, afin d'isoler les pieds; mais l'intelligence

étant de beaucoup supérieure à

fourmis

des

nôtre, elles trouvent

ponts

petits

Quant

et

de grimper ainsi

:

deux

un nègre apporte de petit

fois

long des pieds. elle

une brouette,

caserne, sur

la

du pays,

tonneau d'eau qui doit servir à notre con-

l'eau vient à la

le

par jour, matin et soir,

sommation. Quelquefois, entre

dre

de s'organiser de

à l'eau, la grosse question

est ainsi réglée

un

moyen

le

la

manquer

;

il

deux voyages,

les

faut se résigner et atten-

seconde distribution

:

souvent, celle-ci est

oubliée; c'est alors que, de désespoir, on dépèche à la caserne quelqu'un

pour réclamer ce qui nous

est dû.

Le matin,

c'est

moi qui

assiste à la distribution;

ce serait une liqueur des plus rares que je ne le

avec plus de vigilance. D'abord l'eau de

ferais pas

cuisine, puis celle de la maison, de la salle

la

manger; des

jarres

immenses, en

ornées de dessins indiens, de toutes de toutes le

les

et à

se

je sais ce

combien de

Quelquefois,

on

les

formes

et

grandeurs, sont destinées à recevoir

précieux liquide;

tonneau

à

terre rouge,

il

que doit contenir

récipients

j'ai

le

droit.

en manque un ou deux; alors

lamente, on se désole;

le

noir, d'un air


LA RATION D EAU. navré, est obligé d'avouer qu'il en a

57

un peu perdu

en route ou qu'il a un peu trop roulé son avant de

charger.

le

Les gens qui habitent

le

autres, sont forcés d'avoir

pays,

ont-ils

leurs amis à dîner

en

commerçants ou

un bœuf porteur qu'on

charge de deux petits barils aussi

et

un boto-rano

'

;

de l'eau à discrétion et invitent-ils

prendre une douche

comme on

invite

ville.

Les années où

les pluies

peut s'approvisionner gaches; mais, dans

les

ont été abondantes, on

aux deux fontaines malannées de sécheresse, on

va quelquefois très loin, jusqu'à

mans, quand on

la rivière

Boy pour

l'eau.

des caï-

n'est pas obligé d'apporter l'eau

du cap Diego au moyen de chalands.

I.

baril


UN CIMETIERE DANS LE SABLE

Il

Diego, enfoui dans et,

qu'un autre ce cimetière de

était plus triste

de l'autre

champ

triste

côté_,

et

le sable,

presque sur

la

plage

perdu dans un champ, un grand

désert,

toujours couchées par

avec de hautes herbes,

la brise.

Et nous pensions qu'à

la

longue

les

tombes

fini-

raient bien par se découvrir, car le sable s'envolait

toujours avec ce vent terrible,

le

grand vent qui

presque toute l'année.

Il

n'y avait pas de

soufflait

fleurs, pas d'arbres,

pas de couronnes,

eût tout enlevé, tout arraché,

et

le

vent

quand nous

passions par là, ce qui nous arrivait souvent, lors-

que nous longions

immenses, qui

le

bord de

mer, sur ces plages

se continuaient très loin à l'infini,

nous avions toujours

cœur en

la

comme un

serrement de

frôlant le petit cimetière, à notre rentrée,

presque à

la nuit.


UN CIMETIÈRE DANS LE SABLE. Elles étaient toutes pareilles, ces

noms simplement temps

écrits

tombes

des

:

sur la pierre et que le

une croix

à peine

très vite;

effaçait

59

faite

grossièrement. Celles des Indiens différaient des nôtres

semblant à des tombeaux anciens,

elles

;

res-

étaient

tout en pierres, d'énormes blocs scellés fortement,

auxquels on ne pourrait plus toucher. Point de Hovas, naturellement, puisque ceux-ci à

un

ne se séparent jamais des leurs,

les

ont

culte des

le

morts poussé

jours dans les pays

pour

les ancêtres,

ils

le

point qu'ils

emportant tou-

vont. C'est surtout pour

parents morts qu'on

les

belles étoffes de soie

dernier vêtement,

tel

tisse ces

blanche ou de couleurs,

lamba dans lequel on

les

le

en-

veloppe.

Quelquefois, quand

la

mer

était forte,

ou bien

aux grandes marées, Teau montait jusqu'au cimetière,

nant

balayant un peu

méchante

les

tombes, creusant, ravi-

tout autour, emportant

la terre

les

comme une

semblants de fleurs qu'on avait essayé

de planter.

Et

je

me

disais

pour

me

consoler de l'abandon

de ce cimetière, de son aspect

nudé

:

si

affreusement dé-

qu'est-ce après tout que ces très petites


MES CAMPAGNES.

60 choses

un cimetière

:

fer dorées, des

En et la

effet,

que

couronnes de perles fliisaient à ces

pensée n'étaient plus d'avoir

ornés,

ou non, des croix de

fleuri

là,

oui, leur esprit....

donc

morts, dont d'être plus

le

cœur

ou moins

de belles tombes ou des pierres

seulement, à présent que

?

était ailleurs,

l'esprit

grand Dieu!!... où

se trouve ce lieu de repos

était-il?...

ou de misère

vers lequel nous devons tous aller?

Qui leils,

les

sait si ces étoiles, brillantes

les plus belles, les plus

demeures des

Ou terre

bien

des so-

grandes, ne sont pas

?...

nos esprits

restent-ils

encore sur

ils

vivent peut-être avec nous, ceux que

nous croyons la

partis?

Et

je

me

demandais

nuit, sur ces grandes plages

vant cet horizon immense,

si

vrai-

désertes, de-

les esprits

de tous ces

pauvres gens ne s'en venaient pas planer sur

mer

la

?

Alors

ment

élus

comme

comme des

oiseaux perdus

la


UN GENERAL A DIEGO-SUAREZ

Juillet.

Le général inspecteur

est

de passage

ici

pour

quelques jours; nous voilà de nouveau plongés

dans les

les

occupations militaires. Cette nuit, toutes

troupes étaient sur pied pour un grand branle-

bas de

combat qui

avait lieu

dans

les

environs.

A

trois

heures du matin, Pierre partait plein d'en-

train

pour son expédition, d'une main conduisant

sa il

mule faisait

A

et

de Tautre s'éclairant avec son fanal, car

nuit noire.

sept heures et demie, les enfants et

mes allés au-devant de

la

donné rendez-vous avec M""^ fille,

étant, à

nous deux,

moi som-

troupe; nous nous étions B...

les seules

et

sa petite

femmes de mi-

litaires.

Nous avons remonté pose

la

ville

tout

le

plateau qui

haute, pris à travers

la

com-

plaine et,

après avoir longtemps marché, nous apercevions


62

MES CAMPAGNES.

enfin le gros de

la

troupe qui donnait l'assaut en

On

escaladant une montagne.

hommes, enveloppés

qu'ils

nuage de poussière; mais d'enthousiasme

qu'ils

voyait à peine

étaient dans

les cris d'excitation et

poussaient nous arrivaient

cœur en

distinctement que j'avais froid au

tendant la

réaHté,

Puis

Nous sommes

!...

il

que

cela

nous

temps, car

les

un long

près,

si

en-

les

grand Dieu

!

a fallu attendre encore assez long-

les

enfants voulaient à tout prix voir

aux ordonnances

cette troupe Ils

sière,

de

vous glace en y songeant.

passer les soldats, reconnaître leur père, faire petit signe

si

comme

et

un

marcher derrière

de vrais hommes.

finissent enfin par arriver, couverts de pous-

méconnaissables

de couleur

;

;

leurs

vêtements n'ont plus

toutes ces pauvres figures, couvertes

de sueur, sont rougiespar cette maudite poussière.

On traîne bien un peu

la patte,

mais pas un

homme

n'a l'air découragé ni effrayé par cet avenir

si

pro-

chain d'une vraie guerre qui m'épouvante, moi, rien

que d'y songer. Les canons roulent avec peine

dans ce mauvais terrain,

mais

arrivent

quand

même. Le général à

passe presque en dernier

Diégo-Suarez

!...

c'est

:

un général

un événement,

et les pe-


UN GÉNÉRAL A DiÉ&O-SUAREZ.

65

émus, enlèvent leur casque avec respect;

tits,

de rencontrer des femmes dans ces

très surpris

plaines de Madagascar, à

gne, demande nos noms dit et,

de cette campa-

la veille

à

un

officier

en passant tout près de nous,

regarde encore d'un

air

il

;

on

étonné. Tout à

arrière arrive la voiture de l'ambulance,

du

reste

le

;

ter

En ou

montez

deux

!

nous

fait

» et vrai,

«

:

on ne

en

un pauvre ;

elle est

docteur, qui trotte à côté,

signe aux enfimts et à nous nards,

les lui

salue et

vieux petit break qui n'a plus de forme vide,

lui,

Allons, les

fait

traî-

se le fait pas répé-

fois.

route, nous croisons quelques noirs, hovas

autres,

d'hommes Avant

un peu

effrayés

de ce déploiement

et d'officiers.

d'arriver

aux casernes, nous descendons

pour ne pas donner

le

mauvais exemple.


FAUSSE ALERTE

Hier, un petit événement de guerre est venu

rompre un

instant la

monotonie de notre

Des gendarmes ont amené

tence.

exis-

par ordre du

ici,

gouverneur, 8 prisonniers hovas, que Ton avait trouvés armés sur notre territoire tinzo (poste des Sakalaves ciers)

que l'on avait eu vent de

Hier

la

une distribution de

paraissaient vouloir ;

on

c'est

fusils

attaquer

;

que

et

A la

Hovas

les

l'alerte

a

et

été

mais, grâce à

tout

maintenant rentré dans l'ordre, à part niers qui, eux, ne sont pas

offi-

aux indigènes

ici

était prêt à les recevoir

Dieu, l'ennemi n'a pas bougé

de Maha-

par nos

chose.

soir, le poste télégraphiait

faisaient

donnée

;

commandé

me les

paraît

prison-

du tout rentrés chez eux

suite de cette fausse alerte, la proclamation

suivante a été affichée sous arbre du pays).

le

Tamarinier (seul


FAUSSE ALERTE.

Le gouverneur

de Dlégo-Suare^

Les Hovas ont envahi Il

n'est pas sûr

tilités

mais

;

une tension

les

que ce

et

le territoire

65

dépendances.

de

la

!.

.

un commencement d'hos-

soit

nouvelles de Tananarive font craindre

telle

dans nos relations politiques avec

gouvernement d'Imérina, que nous avons une période de trouble où

menacée par

colonie

la sécurité

de

le

à redouter

la ville serait

les pillards et les incendiaires.

Dans ces

conditions, la police locale serait insuffisante. L'administration fait appel

aux volontaires pour seconder

police en prévenant les incendies et les pillages à

la

main

armée.

Les eno[ao;ements seront reçus à

la

Direction del'In-

térieur.

La police volontaire

sera tout à fait distincte de la

police locale, elle sera directement sous les ordres du secrétaire général.

de

la

Une

décision fixera l'organisation

police volontaire.

Antsirane,

le 2 juillet

MES CAMPAGNES.

1894.


UN BAL A DIEGO

14

Grande surexcitation dans

la ville

juillet.

dames

les

;

blanches et noires essayent leurs robes (et quelles robes!), font bouffer leurs manches, frisent leurs

cheveux, en un

Un

mot

du

se préparent au bal

bal de 14 juillet au

soir.

gouvernement de Diégo-

Suarez, populations mélangées, vaut vraiment peine d'être vu. malles

la

Dans

la

journée,

j'ai fliit

grande tenue réglementaire

la

sortir des

et

une robe

de dentelle noire qui ne s'attendait pas à pareil

honneur, une de ces robes qui vont partout, sans

mode

sans époque, et qui pourraient presque

et

écrire leurs le

déjcà

pas mal couru

monde.

A le

mémoires, ayant

9 heures,

grand bal

prie

cœur

de

le

joie

;

nous sommes parés

et

partons pour

personne n'est en retard,

croire,

je

vous

chacun comptant profiter

de cette heure de

plaisir qui

à

ne revient


UN BAL A DIEGO. qu'une

fois

par an Déjà .

les

banquettes sont garnies,

les éventails s'agitent et les

Tous

67

danses commencent.

gens de bonne volonté, jouant d'un

les

quelconque,

instrument

pour former l'orchestre venir chèvre.

sont

Ils

;

ont été c'est

réquisitionnés

une musique à de-

cinq ou six, raclant du

violon, soufflant avec entrain dans une clarinette

ou jouant de

la flûte.

dirige, s'arrête

Un

gros mulâtre, qui

souvent entre deux mesures pour

s'éponger ou boire un verre, disant d'un lard

aux autres musiciens ahuris

toujours;

les

:

«

air gail-

donc

Allez

bien vous rattraper. » Ai-je be-

je vais

soin d'ajouter qu'on ne se rattrape jamais

Mais

?

couples heureux des danseurs tourbillonnent,

les

quand même, sans souci de

la

mesure

ni des

mu-

siciens.

La salle de

Le

buffet

choux

à la

cuisinier

Du

jeu n'est, hélas!

ne désempUt pas,

que trop bien garnie.

les

pyramides de

petits

crème fabriqués par Baha-Moucha,

du gouverneur, ont un

le

vrai succès.

reste, ces petits gâteaux m'avaient été an-

noncés dans gache, qui côté du

la

journée par

était allé,

à

cuisinier

mal-

dans l'après-midi, rôder du

gouvernement sous

un coup de main

mon le

prétexte de donner

son confrère.


MES CAMPAGNES.

68 Il

revenu

était

vu en boissons

très frappé

et

en

de tout ce qu'il avait

victuailles, la figure illumi-

née, faisant claquer sa langue d'un air d'envie fait

la description de ces

lui et

Baha-Moucha venaient

m'avait tout de suite petites tartelettes

que

il

;

justement de bourrer avec leurs doigts.

Entre

les

danses, on passe des rafraîchissements

bière et limonades

premier plateau

le

;

est

suivi

d'un second chargé de gros morceaux de glace porté par une négresse d'une je

reconnais pour être

l'endroit

taille

et

fantastique que

servante d'une

la

:

dame de

de temps en temps, un consommateur

;

maladroit laisse tomber un morceau de glace qui roule sur

le

parquet

;

mais

la

tranquille négresse,

de ses grandes pattes crochues de singe,

doucement avec

Le pour

replace

les autres.

bal bat son plein. la

le

Les cheveux

plats, frisés

circonstance, tombent en mèches

des joues, mais ceux frisés par

la

le

nature s'échap-

pent joyeusement du chignon récalcitrant,

poudre de

riz

long

tombe tristement de tous

et la

ces vi-

sages noirs.

La

seule jolie note au

coloniales est

nison

et

miUeu de

donnée par

les

des bateaux en rade.

ces excentricités

uniformes de

Le Lynx,

la

gar-

arrivé dans


UN BAL A DIEGO. la

69

journée, a débarqué sa joyeuse bande pour

fête

de ce soir; mais qui

est

étonné,

entrant dans ce gouvernement? seignes d'une

dans

même

sont

Navale;

et cette

ils

en-

les

promotion qui reconnaissent

ne peuvent en croire leurs yeux

reconnaissance

Dans un coin du

leur bonheur.

fait

salon, assis bien

sagement

uns près des autres, nous apercevons, pour mière

en

gouverneur leur ancien professeur d'his-

le

toire à

Ce

pétrifié,

la

fois

h

les

pre-

seulement, trois jeunes princes noirs, en

habits de gala, venus

on ne

sait

d'où

et

regardant

avec admiration ces couples agités qui tourbillon-

nent devant eux.

sont beaux

Ils

comme

de magni-

fiques bibelots de bronze, lourds et massifs

des objets de prix qu'on aurait placés

pour orner

La

comme

tout exprès

la fête.

nuit s'avance

;

2 et

3

heures arrivent vite

nos yeux, fatigués de ces choses étranges

et

;

bur-

lesques, aspirent au calme et au repos; c'est avec

déhces que nous quittons cette agitation pour re-

trouver

le

calme

et la fraîcheur

de

la nuit.


UN PIQUE-NIQUE A LA MONTAGNE DES FRANÇAIS

21 juillet.

Depuis plusieurs jours, nous sommes un peu sortis de notre coquille et

nous avons

excursions, voulant

sieurs

liberté qui

nous

reste

profiter

et voir

fait

du peu

plu-

de

pays environ-

le

nant qui sera sûrement plus beau que celui de

Diego.

D'un jour

à l'autre la guerre peut éclater, l'état

de siège arriver

et

nous serons

pris,

des oiseaux, sans pouvoir quitter petit territoire;

nous

le

il

faut

donc

comme

limite de notre

sortir auparavant et

faisons joyeusement, sans souci des inquié-

tudes et du danger de demain. suffit sa

traqués

la

peine.

A

chaque jour

»

Avant-hier donc, excursion à Français...

«

ces

la

montagne des

Messieurs à mulet et à cheval,

nous, femmes, en filanzane.


UN PIQUE-NIQUE. Le

ou

filanzane

litaçon est

7I

une espèce de petite

chaise à porteurs, dont le siège est en toile, sus-

pendu les

à

deux brancards assez longs, portés sur

épaules par deux

mes

derrière.

hommes

devant

et

deux hom-

Les Hovas pratiquent beaucoup ce

genre de locomotion

et

mais encore doit-on

sont de très bons porteurs, choisir,

les

car

il

faut

une

certaine habitude.

On

les appelle

cher très

des bourjanes

longtemps sans

;

ils

se fatiguer et

rissant fort peu. Ils sont obligés de

paule à peu près toutes

quatre qui dirige et

quatre

les

les

donne un

même

en

changement sans que vous soit,

A

du moins

si

en se nour-

changer

deux minutes;

les autres

hommes

peuvent mar-

d'é-

celui des

petit signal

temps font

sentiez quoi

le

que ce

vous avez de bons porteurs.

7 heures du matin, la température étant encore

bonne

et fraîche, le vent pas

nous mettons en route surtout

la

manière de

;

les

encore déchaîné, nous

mais

les

provisions et

emporter nous mettent

en retard.

Le bœuf porteur auquel montre sauvage

très récalcitrant ;

le

:

il

noir chargé de

péniblement par

la

est confié ce soin se

redevient tout à

fait

conduire

tire

le

le

corde et n'a pas Tair ras-


MES CAMPAGNES.

72 suré du tout;

nous

il

suit

pourtant tant bien que

mal.

Nous

traversons tout

longtemps avant de

le

plateau

le

temps en temps

quitter; de

nos bourjanes prennent leur essor gnal, partent au grand galop

enlevées

comme

:

marchons

et

sur

et,

nous fendons

sur les ailes d'un papillon

secousse, aucune fatigue

:

un

délicieux, déci-

c'est

pour traverser d'autres

mais auparavant

montagne je suis

s'assure si

toujours

personne

;

{bêfe,

comme

la

a

il

!

n'y a plus

la

corde

;

des

décidé-

montagne

cœur de bœuf hova

s'y refuse.

pas aller à

Ces Messieurs piquent un temps de galop à sa poursuite et les voilà dans ce

de vue, jouant au picador citrant.

fait

la

l'animal ne veut

des Français :'son

lâché

des-

disent les noirs)

de très loin son guide nous il

;

hommes.

mais ô douleur

désespérés,

signes

ment

;

de grosses roches

d'abord, avant d'opérer

bœuf

le

plaines,

nous passerons sûre-

de nos

la tête

allons

descendre une sorte de

effrayée de ce chemin,

On est

fliut

très à pic, couvertes

ment par-dessus

cente,

il

l'air^

aucune

;

dément, ce moyen de locomotion. Nous quitter la hauteur

si-

et

champ,

et

vont

à perte

au taureau récal-


UN PIQUE-NIQUE.

73

Affolé et n'en pouvant plus, béfe consent à re-

venir et

;

d'un coup d'œil,

il

sonde

la

descente à pic

nous préparant un tour de sa façon,

comme un

il

bondit

fou, arrive en bas en une seconde,

fait

sauter toutes les provisions par terre et se roule

dessus avec ivresse.

poussant des

cris

Nous

le

suivons des yeux,

désespérés, contemplant notre

déjeuner exposé aux plus grands dangers

que nous en oublions Les mulets la

les

même

et

pieds nus,

;

si

bien

nôtres.

le

cheval descendent sans

moindre objection, avec une adresse

bileté surprenantes

;

et

une ha-

nos hommes, grâce

à leurs

s'agrippent à ces

énormes roches

et

nous nous contentons de nous maintenir bien en arrière, car, par instant,

nos filanzanes prennent

une position

verticale. Aussitôt descendus,

ramassons

provisions et constatons

une

les

le

nous

désastre

:

partie des bouteilles est cassée, la salade russe

baigne dans

le café, le saladier est

tout à l'avenant

que mal

et

;

en morceaux

on ramasse tout

on recharge

:

le

cela tant bien

hcfc qui est charmant jus-

qu'à l'arrivée.

Après cette descente mouvementée, nous versons une grande plaine au niveau de

forme

comme une

la

mer

tra-

qui

petite anse. Cette plaine est


CAMPAGNES.

-MES

74 plutôt

un marais

l'eau et

enfoncent dans

nous sommes au milieu des roseaux

temps en temps un dessus de nos têtes et

hommes

nos

;

;

joli

;

de

vol d'aigrettes passe au-

nous quittons ce terrain

plat

nous recommençons à monter. Voilà

la

montagne des Français Nous avançons !

encore un peu

et

nous apercevons

montagne,

s'abrite contre la

droit et à pic

comme une

le petit

falaise

des arbres, du

;

qu'on ne sent plus, tout

feuillage, le vent

pour nous une exquise sensation

bois qui

haute à cet en-

très

et

cela est

vaut bien nos

cinq heures de route.

Tout tenant

le

les

pour nous

monde met mulets par faire

pied à terre; ces Messieurs,

la bride,

un chemin

passent les premiers

et

nous entrons sous

bois; nous en ressortons au bout d'un instant pour

nous trouver dans une grande tous côtés

et

cultivée par

nous confions pour

les

clairière abritée

de

deux colons auxquels

soigner nos porteurs et

nos mulets.

A

l'entrée

du

bois, près d'un joli ruisseau,

découvrons dans cette sorte de grotte très fraîche

où nous

falaise

allons

une

nous petite

manger de bon

appétit les restes de notre pauvre déjeuner, arrosé

de vin mousseux

le

Champagne des

colonies.


UN PIQUE-NIQUE.

A

3

75

heures, on se remet en route; on

trois

haltes

pour reposer

7 heures, nous satisfaits

sommes

hommes

fait

deux ou

et bêtes, et, à

rentrés chez nous, très

de notre exploration.


LA

CORREZE

(C

»

Août.

Dimanche déjeuner un énorme temps passé de

dame,

ça

beau bateau de

s'il

repartirait

l'avons

je

.

la

Corre::e ; c'est

marine du

la jolie

répondait

patron

le

qui nous conduisait, quand

amené

pourtant beau

est !..

comme me

et,

la baleinière

demandai

il

et

bord de

à

!...

:

Hélas

«

là à sa

on n'en

!

je lui

non, Ma-

dernière demeure ; fait

plus

d'comme

))

Puis

le

il

regarda d'un air

reux, que je crus de

mon

si

triste,

si

malheu-

devoir de rompre toute

étiquette et de dire à ce vieux loup de mer,

mot de sympathie

et

un

de condoléance sur ce bateau

qu'il aimait tant.

la

Semblable à un gros papillon qui a

fini

son vol,

Corrè^e repose pour toujours dans

les

eaux de

l'Océan Indien tennes

;

;

on

lui a

arraché ses

ailes, ses

an-

toute sa johe voilure, sa mâture, ses agrès


LA CORRÈZE, ont été enlevés, air, la

pauvre

et

pourtant

vieille frégate

Elle restera là jusqu'à

dienne

fidèle

encore grand

!

son dernier soupir, gar-

de cette rade maussade et

donnera chaque année eux

77

elle a

les jeunes,

qui

aux nouveaux bateaux,

avec leurs formes extravagantes,

leur carapace de fer, les

tout ce qui leur

asile

triste,

donne

canons dans

les

mâts, enfin

Tair de forts ambulants, de

monstres marins. Et

les

matelots, de la

même

génération que

leur bateau, des jeunes aussi ceux-là,

riront en

côtoyant dans cette rade ce vieux vaisseau d'une autre époque réduit à l'état de simple ponton et servant d'hôpital aux marins diables

!

malades

qui viendront peut-être

sur cette épave qui, elle aussi, a

:

pauvres

un jour mourir

fini

de vivre.


LE ROI DES ANTANKARES

Août.

Il

y

a

une quinzaine

est arrivé à

des Antankares et toute sa suite tites

;

Antsirane

le roi

venu

à pe-

est

il

journées pour rendre sa visite au gouverneur

et saluer les Français ses amis, ainsi qu'il a

tume de

le

faire

cou-

chaque année à l'occasion du

juillet.

14

Mais, cruelle déception, on a dû la triste

nouvelle venue de France

pauvre président Carnot

pions, de pétards, ni de drapeaux

des gens qui venaient de tite distraction,

vie

!...

si

lui

apprendre

l'assassinat

;

c'est triste

loin, espérant

pour rompre

la

du

donc pas de lam-

ainsi

;

:

pour

une pe-

monotonie de

Trois jours de repos seulement

et le

leur

retour

au pays de ce beau roi noir, porté triomphalement

dans son filanzane

et suivi

de ses ministres, de ses

parents et de ses femmes.

Dans

la

journée de leur arrivée,

ma

voisine,


LE ROI DES ANTANKARES.

M™^

C...,

me

fait

prévenir que

le roi

79

Tsialam

qu'on

sa suite viendront dîner chez elle le soir,

nous attend, que

la

peine.

En

à l'invitation, et là

on

chose en vaut

nous nous rendons

effet,

nous explique que M. C...

et

est frère

la

de sang du roi

des Antankares.

Cet usage, assez répandu à Madagascar,

comme une

alliance,

un

est

lien d'amitié qui consiste,

après une grande cérémonie, à échanger chacun

une goutte de sang, après quoi on de

l'autre les droits l'hospitalité

On

la fraternité la

se doit l'un à

plus stricte et

dans toutes ses règles.

fait cela à

cause des relations commerciales.

Les gens qui font du commerce d'importation

comme M.

C... et entreprennent de longs voyages

par terre, s'assurent ainsi

dans

le

pays, le vivre et

de pêche sur

les

la

le

sécurité de circulation

couvert, certains droits

côtes et des porteurs

pour

les

filanzanes, ce qui est encore le plus précieux.

L'hospitaUté

dans

de Tsialam va jusqu'à

case du voyageur des jeunes

la

installer

femmes mal-

gaches, destinées à charmer ses loisirs et sa soli-

tude;

le

voyageur, généralement éreinté

pouvant plus, met tout faisait

dire

le

monde

et

n'en

à la porte, ce qui

au premier ministre du roi

:

a

Ah

!


MES CAMPAGNES.

8o

comme donne

vous

!

Toute voir.

Ce

mais

ils

ils

les

Français.

la

maison

et

vous

la

!!... le roi,

pas toucher,

))

est

en branle pour

les rece-

n'est pas qu'il soient très difficiles

sont

li

nombreux

et

musulmans

et,

non

;

!

comme

sont toujours assez strictes en matière de re-

ligion,

de

du drôle de monde

vous des femmes

à

drôle ça

l'est

il

ne faut pas assaisonner

la graisse, leur offrir

semble à du porc, alcool

:

ils

et

les

aliments avec

quoi que ce soit qui res-

ne leur

faire

boire aucun

n'acceptent que du vin et de

la

limo-

nade.

Quant ment

à la maison, qui est

installée,

que leur

ils la

case, car,

du

reste très genti-

trouveront toujours plus

jolie

au fond, tous ces roitelets du

pays, malgré leur belle apparence, leurs airs su-

perbes de grand seigneur, leurs vêtements princiers, leurs

armes magnifiques, ne sont que de

vrais

sauvages et leurs demeures n'ont guère du palais

que

le

Le

nom. roi et sa suite arrivent vers 7

heures; après

de solennelles présentations, on se met à table c'est

de

pour eux

la

la suite s'installent

par terre

;

on va

:

seule chose importante. Les gens

dans une antichambre,

leur envoyer des

assis

bouteilles de


LE ROI DES ANTANKARES.

8l

vin, quelques restes du dîner, beaucoup de riz;

avec cela

Le dans

ils

seront enchantés.

roi, lui, fait le

honneur au dîner;

menu beaucoup

son plat préféré

et

on

« z*haricots lui

a réclamé

il

rouges

»

;

c'est

en a donné. C'est un

beau type d'Arabe portant bien son turban de satin vert, ayant

grand

air et taillé

son frère

est à sa droite,

mais

l'air

méchant

c'est

l'ennemi juré du roi:

et

comme un

un beau

grognon il

a

;

il

hercule

;

gaillard aussi,

l'est

en

réalité

;

voulu dernièrement

l'empoisonner pour régner à sa place

aussi le

;

pauvre Tsialam ne touche-t-il à quelque chose qu'après que son frère en a mangé.

A

sa

gauche ce sont

ses

fils,

deux beaux jeunes

gens avec des mines bien éveillées, montrant leurs dents blanches à tout propos et plaçant avec joie leurs quelques

pour tous

parle c'est

un

vieil

mots de

français.

et traduit la

Mais

celui qui

pensée de chacun,

oncle de Tsialam, s'exprimant très

bien en français. Celui-ci est charmant et c'est lui qui tient le dé de la conversation.

Tsialam, tout de suite, déverse son cœur chargé de

fiel

à l'égard de ses grands

ennemis

les

Hovas

;

il

demande

si

l'on ne va pas bientôt faire la guerre,

il

l'espère,

il

caresse mille projets

MES CAMPAGNES.

pour

cela

6

:

«

il


MES CAMPAGNES.

82

enverra ses gens se battre avec nous; Français chez

lui, les traitera

nera beaucoup de bœufs

il

recevra les

de son mieux, donpar

», car c'est

que

se

traduit la richesse dans le pays.

regarde Pierre, qui est en uniforme, très at-

Il

tentivement pour reconnaître un jour sa figure, dit-il, et le

pour

prie de le regarder aussi

la

même

raison.

Afin de ne pas pas à

le

Tsialam que,

chagriner, nous n'expliquons

si

sûrement pas dans

le

la

guerre se

fait,

ce ne sera

nord de Madagascar,

c'est-à-

dire dans son pays.

Au

dessert,

on apporte un magnifique poudding

avec une sauce à part pour

les invités

qui ne doivent pas toucher au

nous

le

faisons flamber, ce qui fait leur

fin

du diner

beaucoup mangé; ils

pour nous,

;

bonheur

admiration.

et leur

La

rhum

de marque

arrive; le roi et ils

son monde ont

tombent de sommeil, mais

veulent encore boire et fumer; leur

cation

fait

la

bonne édu-

complètement défaut

et

je

suis

obligée de gazer sur les dernières paroles de ce

grand «

roi noir.

Eh

bien

!

dit le

maitre de

la

levant de table, Sa Majesté est-elle

maison en

se

satisfaite?... »


LE ROI DES ANTANKARES. Et

le

premier ministre répond

lui la bien

mangé,

la fini

Très content,

«

:

83

plein ventre, veut aller

coucher, mais demande que tu donnes à bouteilles de vin

Toute se lève

pour

li

boire avant dormir. »

comme un

homme

seul

et l'on rhabille ce

monarque indolent qui sommeille

rouges

!

»

On

déjà l'estomac

— nous craignons pour

lui

bène piquées de

remet

ses sandales

l'aide à s'asseoir

zane

;

toute

«

pompeusement

la suite se

met en

z'haricots

en bois d'é-

petits clous d'argent,

manteau de drap rouge brodé d'un

on

encore

qui boit, fume et crache à côté,

la suite,

un peu chargé,

li

son grand

liseré d'or, et

sur son filan-

route, les filanzanes

des autres princes suivent celui du roi.

On

allume leurs lanternes que des noirs portent

en avant pour éclairer fait

les autres et

la

il

est déjà tard,

Croix du Sud

nous regardons

de ce grand calme de rois

route,

il

nuit noire; seules quelques joHes étoiles éclai-

rent le ciel sombre;

que

la

mages que nous ne

la nuit,

défiler,

brille plus

au miheu

ce petit cortège de

re verrons jamais.


LA SAINT-LOUIS A DIEGO

25 août.

Une

Saint-Louis très loin de France, que nous

avons voulu

même

quand

fêter

drôle, baroque, originale infanterie de

rine,

qui avaient dû

;

marine

commander

une

;

petite fête

un dîner d'amis

principale est le souci et

ma-

;

depuis très longtemps

bouquet de Saint-Louis dont

ce pauvre

:

aimables célibataires

dont

la

la

fleur

verdure ressemble

singulièrement à des feuilles de salade. C'est égal! il

me

plaît ainsi ce

licieux, plus joli

mon

que

si

une gerbe de

pays,

l'étiquette

bouquet

d'un

et

me

semble plus dé-

l'on m'avait offert, dans fleurs élégantes, portant

fleuriste à la

mode on m'en don;

nera peut-être un jour de plus beaux que celui-là,

composés de

fleurs plus fines et plus rares, mais,

jamais d'aussi précieux

Ceux

même

!!

qui n'ont pas de fleurs apportent quand des

petites

choses très appréciables; ce


LA SAINT-LOUIS A DIEGO. sont des flacons de fruits au jus,

85

cerises^,

prunes,

abricots, entourés avec soin d'un beau papier blanc

comme

les fleuristes

en mettent aux bouquets de

cérémonie.

On

a dressé, à la suite, toutes les tables de la

maison sous

la

grande véranda,

et c'est la

mer

et

ce grand ciel tout plein d'étoiles qui forment le

fond

et le seul

ornement de

cette salle de festin.

Beaucoup de lanternes chinoises en papier rouge l'air

et bleu, se

de

rire

balancent

de nous

et

comme des

folles,

vert,

ayant

de trouver fantasque ce

drôle de repas dans ce drôle de pays. Leurs lu-

mières étranges attirent très vite tous ailés

de ce grand espace et

les insectes

les sauterelles, les ci-

gales et les papillons de nuit viennent en foule, aussi, assister à

nos ébats joyeux.

eux


UN AMI

Août.

Nous entrons dans une exploré à peu près tous

pour

moment, on

le

musique

et

de tirer

période d'accalmie, ayant les

se

environs de Diego

contente de

l'aiguille

faire

de

;

la

avec rage. Les vête-

ments apportés de France ont noblement gagné le

repos

;

il

faut les remplacer et se mettre à l'ou-

vrage, aimable couturière qui n'enverra jamais sa

note

!...

L'ami de bonne volonté, de travail, nous

fait

charmées, oublient Aujourd'hui,

mais de

travail,

installons,

la

la

libre après les

la lecture,

et les

heures

ouvrières,

longueur des ourlets.

séance se passe à notre case,

point; au

on vient nous

moment où nous nous dire

que deux Indiens

ambulants arrivent avec de gros ballots de mar-


UN AMI. chandises et,

de

vite,

les

87 entrer

faire

dans

le

salon.

Nous

comme

voilà

des enfants, déballant tout

avec précipitation, assis par terre, au milieu de toutes ces choses, marchandant, débattant les prix

dans un jargon mélangé de malgache, de français et d'anglais

;

nous finissons par nous décider pour

quelques soies indiennes, foulards et bibelots, qui

nous feront bien

rire

rococo quand nous arrivant en France

nous sembleront bien

et

les sortirons ;

mais nous

de nos malles en

garderons peut-

les

pour nous seules

être, qui sait? car

elles

seront

souvenir!...

Nous avons à

une bonne

à peine fini nos achats,

pour étrenner de nou-

tasse de thé

veaux gâteaux achetés chez

nous annonce que la

maison avec Il

toire

est

Arabe

royaume,

la suite

çais,

Chinois, quand on

vous

je

dise

en deux mots

l'his-

de ce nouvel ami.

grande Comore,

A

les

le sultan Saïd-Ali se dirige vers

sa suite.

bon que

Saïd-Ali,

petit

aspirant

il

fut

il

et

de sang royal, sultan de

vivait

y

a

paisiblement

encore

très

d'un dissentiment avec

la

son

dans

peu de temps.

le

résident fran-

envoyé en disgrâce à Diego, où

il

est


MES CAMPAGNES.

05

femme,

seule

une

prisonnier avec une maigre suite,

encore

Bien de

et réduit à

sa personne,

une vraie misère.

il

grand

a

air

ces Arabes, et portait aujourd'hui

comme

tous

un grand man-

teau de drap blanc, soutaché d'or, revers de satin

émeraude

grand turban de

et

poignard arabe dides.

Il

la

la

m.ême nuance,

sabre persan absolument splen-

du reste voyagé,

parle bien français, a

ayant été à correct,

et

Mecque

et

en Turquie

extrêmement bien élevé

et,

;

il

est très

comme

vous

pensez, a trouvé tout de suite des amis parmi

les

officiers.

Le

sultan a

donc

pris

son thé avec nous

voisins l'ont invité à passer

nous avons beaucoup avec

lui la

la

insisté

nos

soirée chez eux

pour

qu'il

;

amenât

pauvre petite sultane prisonnière, qui

partage aussi son exil

;

il

a promis, à la condition

que nous serions entre nous dirions pas; ainsi vous ne pas?... Mais je

et

bien!

en

que nous ne

tombe de sommeil, mes yeux

effet,

petite sultane, tout

se blottissant dans

elle

le

direz pas, n'est-ce

le

ferment malgré moi, à demain

Eh

et

la petite sultane.

est

charmante

se .

cette

intimidée et toute sauvage,

nos jupes

et se

cachant dans


UN AMI. les coins

;

elle

est

89

un peu comme un pauvre

oiseau qu'on amènerait tout à coup à

petit

grande

la

lumière.

fumer un peu

Elle finit par consentir à

boire du café; nous tâchons de l'amuser;

du piano, on chante, nous leur faisons ser

une polka

nos sultans

et

à

on joue

même

dan-

tout doucement,

et,

cette petite personne, qui tient surtout de la di-

remet

vinité égyptienne, se

De temps

en temps

compagnée d'un bon ((

elle

nous tend

satin violet

votre peine.

comme costume

un peu

serré

le

:

))

un pantalon de

:

aux jambes, une sorte de

blouse sans manches en satin cerise

qu'au genou,

main, ac-

semble dire

vous remercie, mais ne

je

comment vous payer de

Elle porte,

la

petit sourire qui

Je vous comprends,

sais

et s'apprivoise.

,

tombant

jus-

tout très brodé, très chamarré,

avec d'énormes bracelets aux pieds, d'autres plus petits

aux bras, des bagues

Ses cheveux très noirs,

et

de nombreux bijoux.

lisses et fins,

sont tressés

en une masse de petites nattes, formant des dessins réguHers sur sa tête petite fant,

;

de côté

est

toque de satin brodé. Elle

minces

et délicats,

posée une

jolie

a des pieds d'en-

que supportent de

petites

sandales à talons, en bois très léger, et de jolies


MES CAMPAGNES.

90

mains aux doigts longs

un peu de

noir aux yeux; elle

un grand

se drape presque entièrement dans

lamée d'or

d'étoffe foncée,

ta-

rouges aux ongles des

touée, de petits dessins pieds et des mains,

légèrement

et effilés;

et d'argent,

voile

qu'elle

consent à enlever devant nous.

A

II

heures, nous prenons tous ensemble

chemin de

la

maison

;

le

nous n'avons pas nos lan-

ternes; aussi le sultan tient-il à nous accompagner.

Sa

suite, se

composant de quelques

nous

noirs,

précède, portant chacun un fanal pour éclairer

chemin, qui

est

mauvais.

Sur un signe de son maître,

la

vient près de moi, s'accroche à serre bien fort et

petite sultane

mon

nous marchons côte

bras,

ce sultan, prisonnier,

moyen

de ressembler à un grand

seigneur, correct et poli en tout point. sant de

nombreux salams devant notre

met cérémonieusement nous saluer

en

air

case;

la

dépossédé, trouve

me

à côte.

Malgré tout, nous avons presque grand rentrant ainsi à

le

à l'arabe.

la

main

à

Nous

fai-

porte,

il

son front, pour


DANAMAKIA

L USINE

9 septembre.

Il

paraît

que nous n'avions pas tout vu en

fait

d'excursions et que ce pays sauvage contenait à

quelques lieues de chez nous une magnifique fabri-

que de conserves de viande pour l'armée, installée sur

un pied inouï

et qui est, dit-on, la plus

tante après Chicago l'installation a

que

les

coûté

la

;

si

faisait dire,

est là,

imporpuisque

cher qu'elle est en faiUite et

actionnaires ont

qui nous

preuve en

«

trinqué » fortement, ce

en considérant

marmites où l'on fibrique

le

les

énormes

Liebig, que le plus

sérieux bouillon avait encore été bu par les actionnaires.

Donc,

hier matin, visite à cette fabrique qu'on

appelle la Graineterie française,

du

nom

de

la

so-

ciété qui l'avait fondée.

Prenant passage sur une chaloupe la

à

vapeur de

direction du port, nous arrivons en

une heure


MES CAMPAGNES.

92

environ à l'embouchure de

la rivière

des Maques,

petit cours d'eau qui serpente au milieu des palé-

tuviers et qui se jette tout au fond de la rade;

nous

la

remontons pendant une heure

demie,

et

pour arriver enfin en un point appelé Anamakia,

se fait

en temps ordinaire tout l'embarquement

des marchandises.

Un

appontement nous permet

d'accoster et nous débarquons au milieu de vastes

hangars, parcs à charbon et magasins,

le

tout bien

aménagé, bien espacé au milieu de bouquets bres que

domine de temps en temps

le

d'ar-

panache

d'un cocotier. C'est de là que part

la

voie Decauvilie, longue

de 10 kilomètres, qui reUe l'usine à son débarcadère.

Le téléphone cases qui sont là

est installé ;

je

dans une des petites

dois avouer, à notre grande

honte, que nous avons d'abord beaucoup de peine à nous en

servir

:

chacun essaye sans

Serions-nous devenus tout à je

fliit

sauvages

réussir. !

?

Moi,

ne m'en mêle pas, détestant cet instrument qui

m'impressionne toujours dès qu'il s'agit

quand

même

à

et

me

coupe

de m'en servir.

un

résultat, car,

Nous

la

parole

arrivons

au bout de quel-

ques instants, nous apercevons, se dirigeant de


L USINE D ANAMAKIA.

notre côté,

voyageurs

93

wagonnet aménagé pour

le petit

par deux énormes mulets

et tiré

machine étant pour

avec délices

d'acclimatation

;

faisant face à la

tramway du Jardin

le

;

rideaux nous tiennent à l'abri du

Nous

joie, re-

nous y prenons place, dos campagne un léger toit

élançant au

menses, emmenés

sa

en réparation.

l'instant

Les enfants battent des mains, fous de connaissant

,

les

à dos, et des

soleil.

de ces plaines im-

travers

à toute vitesse par

nos bêtes,

pour lesquelles notre wagonnet ne pèse pas lourd,

nous longeons presque tout

tout

le

le

comme un

Maques, qui forme

long de ces grandes

temps

la rivière

des

bouquet de verdure

prairies,

et

tout cela

nous change heureusement de notre plateau de Diego,

Dans

si

nu

et si aride.

les descentes,

dant que

le

on décroche

wagon descend

son propre poids

;

un bon

l'attelage,

tout seul, entraîné par

serre-frein est d'ailleurs

indispensable pour éviter les accidents que veillance ne

manque

pen-

la

mal-

pas de provoquer en plaçant

des pierres sur les rails aux tournants et aux ap-

proches des ponts.

nous venons

même

Nous en

traversons plusieurs,

de franchir

le

dernier que déjà

nous apercevons au pied des montagnes

les bâti-


MES CAMPAGNES.

94

mentsde

l'usine; ce sont de grandes constructions

en briques d'une centaine de mètres de façade. Derrière ce premier plan sont étagées, sur lines, les habitations des

dans

fond de

le

Européens

la vallée, serré le

l'immense

village

employés à

l'usine.

gauche,

et, à

long de

les col-

la rivière,

habité par tous les indigènes

Encore quelques minutes de chemin

nous

et

arrivons à une barrière qui s'ouvre devant nous. C'est là que nous trouvons

M.

B..., ingénieur-

gérant, qui nous reçoit on ne peut plus aimable-

ment.

Sa case grande

et

est

l'entoure et

de faim certes,

;

une

la

un

belle

maison coloniale,

préserve du

très

une large véranda

confortable;

très

Nous mourons

soleil.

excellent déjeuner

nous attend

et,

nous y faisons honneur.

L'usine est actuellement en liquidation.

On

avait eu le tort de vouloir aller trop vite et sans se

rendre ainsi

suffisamment compte

des choses

qu'on avait envoyé, dès

le

;

c'est

début, tout un

personnel de bouchers venant directement de Villette

quer

les

;

puis

on

s'était

mis tout de suite à

conserves de viande

;

or,

il

la

fabri-

paraît que,

dans ce genre d'industrie, ce n'est pas

la

viande


L USINE

qui rapporte

D AXAMAKIA.

plus, mais

le

produits, tels que

:

95

bien tous les autres

Liebig, margarine, noir ani-

mal, etc.

M.

B... vient de tout remettre en état et de

faire construire

tous

les

bâtiments nécessaires

;

on

n'attend qu'un ordre de France pour reprendre les

travaux;

les

fourneaux sont chargés

et prêts à être

allumés.

Les bœufs ne manquent pas dans

pendant

les

le

pays car,

quelques mois que l'usine a déjà fonc-

tionné, c'est 200 bêtes par jour qu'on mettait en boites. Ajoutez à cela

de Maurice tous

les

que

le

bateauà vapeur venant

mois emporte chaque

fois des

chargements de 300 bœufs. L'abattoir est admirable d'installation et de propreté. Les bêtes arrivant par

une des extrémités,

doivent passer par une sorte de tambour à clairevoie et

un indigène, au moment où

raît, le

frappe d'un coup de sagaie à

tôt le cadavre est enlevé et dépecé,

autre

bœuf

le

bœuf appa-

la tête.

Aussi-

pendant qu'un

se présente, et ainsi de suite tout le

jour; une rivière coule en permanence, car les

heureux mortels de ce pays ont

l'eau à discrétion.

L'usine, bien entendu, se suffit

elle-même;

le

gaz et

l'électricité,

entièrement à indispensables


MES CAMPAGNES.

^6

dans une pareille entreprise, sont produits place

on trouve

;

aussi

un

une phar-

laboratoire,

macie, une boulangerie et tous

sur

de ré-

les ateliers

paration imaginables.

Les peaux, après avoir été tannées légèrement, sont expédiées à Salonique

fameux

les

cuirs de Russie

qui porte dans sa poche

à fournir

et destinées

ainsi la Parisienne,

;

porte-monnaie

le petit

élé-

gant, en cuir satiné et parfumé, est loin de se douter

que sa bourse a vu

le

jour sous

le

ciel

de

Madagascar.

Avec reste est

graisse

la

envoyé (ô douleur!)

dans toutes plus

on fabrique des bougies

les

d'illusions

comme

beurreries de France

sur

la

tartine

margarine

ainsi

;

et le

beurrée

donc,

du

five

o'dock-tea.

Le

Liebig, lui, n'est pas

falsifié et

c'est bien le

résidu le plus honnête et le plus pur d'une viande

magnifique. faire

Quant aux

os,

ils

sont pulvérisés pour

du noir animal. Vous voyez que rien

n'est

perdu.

Après cette

visite détaillée,

il

faut songer au re-

tour; nous remontons sur notre petit wagonnet qui nous reconduit jusqu'à

montre

le

Anamakia;

on nous

cadavre d'un énorme caïman qu'on ve-


L USINE

DANAMAKIA.

97

nait de capturer, alors qu'il avait dévoré

une mal-

heureuse négresse, qui avait eu l'imprudence de traverser la rivière à

Ce

gué à

la

nuit tombante.

sont des accidents qui

ment, mais nous n'avons pas encore eu d'apercevoir

qu'on ne

le

moindre crocodile vivant

les voit

que quand on n'en

MES CAMPAGNES.

couram-

arrivent

la ;

chance

il

paraît

a pas envie.


LE

KABAR

Cela se passait seulement le

les soirs

de lune, quand

très clair, ce kabar' des noirs appelé

ciel était

aussi le moiiringiie

y avait des jours où cela devenait palpitant,

Il

intéressant

ment

comme

courses de taureaux, seule-

hommes.

c'étaient des

Quand

les

monde était

tout le

plet sur la place

du

un grand

comme

cercle

foire, et le plus tait

dans

village indigène,

en train,

le milieu,

réuni au grand com-

on formait

autour des lutteurs de le

appelant

plus échauffé, se met-

un combattant,

exci-

tant les autres par des cris, des façons et des gestes

de sauvages. Ils

en profitaient généralement pour vider

querelles

I.

Kahar

du jour

:

;

réunion.

si

deux noirs avaient une

les

dis-


LE KABAR.

*

99

cussion sur un sujet quelconque,

si

une femme, par exemple,

toujours au

ringue que le

la

c'était

était

tranchée

:

se disputait

le plus

inoti-

brave,

plus fort l'emportait.

Ce habar se

question

on

était très

gardé par

la

police, laquelle

composait d'indigènes costumés en gardes cham-

une blouse de caHcot bleu

pêtres, portant

et

une

grande écharpe rouge en travers. Connaissant leur

monde,

ils

savaient qu'on s'emballerait, qu'on s'é-

chaufferait outre

entraînés dans se faire

mesure

un moment donné,

et qu'à

combattants pouvaient

la lutte, les

un mauvais sort;

alors,

armés d'énormes

bâtons, de gourdins prodigieux,

dans

le cercle,

ils

se plaçaient

tout près des lutteurs, prêts à les

séparer en temps voulu.

A

côté du cercle, perdu dans

chestre des noirs

;

la foule, est l'or-

uns jouent du tambour en

les

tapant à tour de bras sur des boîtes en fer blanc, d'autres se servent d'un instrument de

malgache, sorte de remplis de l'agite

petits

avec frénésie,

en bambous creux

triangle

cailloux le

;

le

noir qui en joue

balançant horizontalement

avec une ardeur et un entrain de tous sa petite tible

de

musique drôlette fifre

musique

fait

les diables

;

un bruit impercep-

des bois, quelque chose de

doux

et


MES CAMPAGNES.

100

d'étrange qui s'entend à peine au milieu de ce va-

carme effroyable, de

Tous entraîner

Tout

cette bagarre indescriptible.

les autres crient, hurlent pour attirer et

foule.

la

coup un noir se décide, sort des rangs

à

entre bravement dans

le cercle,

versaire, le dévisageant avec

sant; puis tait;

lutte

la

un

il

air

et

regarde son ad-

de férocité amu-

s'engage et tout

le

monde

pour un instant, tout retombe dans

se

le silence.

Les deux noirs commencent par se cogner, se rejeter,

se reprendre,

de deux ne

et finalement,

font plus qu'un, roulant l'un sur l'autre en poussant de petits cris rauques ils

viennent sur nous,

se

met

;

de temps en temps

le cercle s'élargit, la

à crier, à vociférer

pour

les

foule

entraîner en-

core davantage; on trépigne, on bat des mains, ça devient de la rage.

C'est assez, pense

du bâton, à séparer, les

la police,

qui se

met

se ruer sur les combattants

empêcher de

s'écraser

s'il

en

à jouer

pour

est

les

encore

temps.

Le

cercle est

rompu

et

toute une foule en délire,

une vraie bande de fous, dont nous faisons entraînés teurs.

comme

Comme

les autres, se jettent

partie,

sur les lut-

une énorme masse, comme une


LE KABAR.

montagne qui

lOI

se dérangerait, le moiiringue se dé-

place, courant les rues, passant les chemins la

houle,

la

;

c'est

houle furieuse d'une foule noire avec

des rugissements de fliuves

Quand on

monde

est

parvenu

à

retourne se grouper sur

veau on forme

le

rond

et,

ter la foule, les poHciers

séparer, tout le

les

la

place

pour arriver

armés de

;

de nou-

à bien écar-

leurs grands bâ-

tons, qu'ils tiennent à deux mains, les brandissent

de droite

et

de gauche avec toute

la

force de leurs

solides muscles.

On

attrape bien des jambes au passage, mais, par

ce procédé, tous se reculent sans hésitation.

La

lutte

recommence encore une

fois,

deux

fois,

trois fois, selon l'entrain et les querelles des noirs.

Quand

tout est bien

on conduit

les

fini, la

foule se disperse,

éclopés jusqu'à leur case, chacun

retourne au logis avec sa bosse, son œil poché, ou

son bras démis; toujours

la

police protectrice veille

sur eux.

Nous

autres, nous rentrons tranquillement chez

nous par le

le

chemin des écoUers, longeant

plus souvent,

le soir, car le

la

la

mer

grande mer, toujours calme

vent s'apaise

la nuit, laissant

un peu


MES CAMPAGNES.

102 de repos à ses

flots agités

par toute une journée de

houle.

Des barques de pêcheurs vont d'énormes torches,

c'est

et

viennent avec

comme une

traînée de feu

qui se répand sur l'eau profonde et noire, devenue

limpide pour un instant, et cette lueur se pro-

mène

sur la mer, éclairant

barque,

la

hommes

les

qui prennent des airs fantastiques; puis tout dispa-

en un

rait

clin d'œil

et

semble rentrer dans ces

profondeurs inconnues. Il

on

y

a de

beaux poissons dans cette rade immense ;

n'aurait qu'à les pêcher

;

mais, pour les noirs

paresseux, c'est toute une décision à prendre, véritable effort

que

d'aller la nuit se

un

livrer à ce

travail. Il

y a bien

fadi (sacré),

aussi des soles, paraît-il,

mais

oh

quand un

!

tout à

fadi, et,

fait

noir vous a dit ce terrible mot, revenir.

Malheureusement,

comme

cela qui

il

il

y a des

c'est

n'y a pas à y tas

de choses

sont fadi et auxquelles on ne

touche pas.

Les anguilles, par exemple très belles

;

on en trouve de

dans certaines rivières assez éloignées

un blanc nous en

avait apporté

une

fois

;

;

le cuisi-

nier noir les regarda avec horreur, déclarant

que


IO3

LE KABAR.

pour lui il aimerait mieux mourir que d'y toucher le

qu'on renonça à daient avec la

Quant aux que

c'est

manger. Les noirs

les

même

caché sous

le diable

horreur que

s'ils

jour que

la

soles, c'est

soles,

il

me

demandais

à

répondit

«

:

encore plus drôle

à l'eau

;

outre

;

la

voici

Mi

la

pas capable

;

Et voilà

laisser

comme

li

:

Un

tu sais.

ça n'a pas fini pousser,

qu'un côté; quand ça mi trouve, mi

pour

une

un noir de m'apporter des

Madame, poisson comme la rien

avaient vu

fadi, les indigènes ont

un poisson

je

les regar-

forme du serpent.

autre raison pour ne pas les pêcher

li

;

cuisinier de nos voisins en dit autant, en sorte

finir

quoi

jette

pousser. »

les

soles sont d'heureux

poissons, vivant en famille et filant des jours paisibles dans les

eaux de Madagascar

!...


BRUITS DE GUERRE

6 octobre.

Le

courrier de France vient d'arriver ayant à

son bord M. Le Myre de Vilers le

et

M. Ranchot,

nouveau résident de Tananarive, qui vient rem-

M. Larrouy.

placer Ils

vont tous deux à Tamatave

narive

;

il

échappatoires

;

tout est à refaire la

;

c'est

:

de

là à

Tana-

résultat définitif, sans

faut parler haut et

il

des garanties sérieuses

posé à

un

s'agit d'avoir

et

sans quoi,

ferme le

et avoir

dos tourné,

donc un ultimatum sérieux

Reine qui déterminera

la

guerre ou

la paix.

Pierre vient de recevoir l'ordre de se tenir prêt à partir

en mission

ira-t-il ?

On

;

il

doit s'embarquer sur

n'a rien

voulu

peut être qu'à Majunga guerre sur

le

Rance.

mais ce ne

quelques projets de

papier.

Je pense que son la

fliire

lui dire,

la

cœur de

faveur de cette mission

;

le

militaire se réjouit de

mien

est plus

calme.


BRUITS DE GUERRE.

IO5

Je suis donc occupée pour l'instant à enlever tout insigne militaire

donné de prendre

des dolmans blancs le

merçant en voyage,

plus possible

un

et c'est à cela

;

ordre est

air

de

com-

que nous

tra-

vaillons.

Pour moi,

je vais rester

fants, je n'aurai pas

non

seule

avec les en-

ici

de nouvelles du tout, ni

plus d'ailleurs, car nous n'avons aucun

lui

moyen

de correspondre.

Hier soir nous dinions sur

commandant y

voulait

donner

tructions; car c'est lui qui

l'Océan Indien

et

Primaiiguet,

le

le

ses dernières ins-

commande

la

station de

qui vient de recevoir tous les

pleins pouvoirs civils et militaires. J'étais étonnée d'être

comprise dans l'invitation, étant donnée

gravité des circonstances, mais j'en

car ce m'est toujours

un

plaisir

de

la

été contente,

ai

me

retrouver

dans un milieu maritime.

Après ger dans

le

dîner, je laisse ces messieurs se plon-

les cartes et les

projets de guerre, discu-

tant, parlementant, et je

tement sur les plus à voir

le

monte m'asseoir

discrè-

pont, philosopher un instant avec

jeunes de ce bateau qui, eux, n'ont rien

aux projet§, n'ayant, en temps donné, qu'à

obéir sans restriction et sans avis.


MES CAMPAGNES.

I06

Nos

réflexions sont plutôt tristes et nos idées

femme,

noires, car moi, cette guerre

?

pourquoi

je

et

veulent

la

comment,

?

je

me

et voilà

;

«

:

mal

Quand que,

je

Pourquoi pourquoi

?

vie

la

que

douce, d'où vient changer

dis

cet affreux

ce trouble inutile à tous

bonne

me

serait

hommes

les

ne

sais

trop

souviens à l'instant avec une

grande intensité de pensée de ce délicieux

livre

de Maupassant, qu'on appelle Sur l'Eau, où lui toutes ces idées de guerre

aussi se révoltait

à

quand

La guerre...

disait

il

«

:

ger... massacrer des

se battre... s'égor-

hommes...

et

nous avons au-

jourd'hui, à notre époque, avec notre civiHsation,

notre science et notre philosophie, des écoles où l'on

apprend à

tirer

de très loin, avec perfection,

même

beaucoup de monde en tas

gens

de pauvres

temps, à tuer des

innocents

et

chargés

de

famille. »

Ah

!

que tout

quand on

sait

cela est cruel à penser, surtout

que ces choses seront

celles

de

demain.

Mais

mon cœur

révolté veut se calmer malgré

tout et, refusant de s'assombrir sur cette affreuse

même

pensée, se souvient de

dans ce très joU

livre

:

«

qu'il est dit aussi,

La guerre

est sainte.


BRUITS DE GUERRE. d'institution divine

monde

;

grands

et

«

une des

c'est

lois sacrées

hommes

nobles sentiments, l'honneur,

téressement,

Armez la

et le

;

entretient chez les

elle

IO7

coup de

la

vertu et

baleinière sifflet

le

du

tous les le

désin-

courage... »

du commandant à tribord

réglementaire

me sort

!

»

de toutes

ces tristes réflexions.

Le commandant nous conduit jusqu'à pée; on se

dit adieu, le

canot

quai de débarquement, tard

;

le

rompent

Tout

la

file

la

cou-

droit sur le petit

nuit est venue,

il

est

bruit des avirons et le clapotis de l'eau seuls ce est

grand

silence.

calme autour de nous

;

la petite ville

noire est endormie...; nous regagnons silencieuse-

ment

la case,

core son idée

haut

mais chacun de nous poursuit en-

comme

s'il

craignait d'en parler tout


SULTAN

VISITES DE

10 octobre.

De

longs jours calmes et tranquilles malgré

bruits alarmants et les idées de guerre

tente de l'inconnu et

;

nous l'attendons

les

c'est l'at-

paisible-

ment.

Notre pauvre sultan Saïd-Ali en Calédonie, sans avoir

même

core un tour qu'on a voulu

Nous

lui

failli

été

être déporté

entendu

:

en-

lui jouer.

avons vivement conseillé de ne partir

qu'avec

un ordre

fournir,

il

écrit, et

comme on

n'a

pu

le lui

est resté.

De temps soirée

a

en temps,

il

vient passer

un bout de

chez nous ou chez des amis, accompagné de

la petite

sultane très drapée, très cachée dans ses

voiles épais.

Les enfants

la

considèrent

vivant et retrouvent pour

comme un

lui parler le

bébés, espérant s'en faire ainsi

joujou

langage des

mieux entendre;


VISITES DE SULTAN.

aux animaux dans ce

car, inférieurs

IO9 pau-

cas-là, les

vres humains n'ont pas même la ressource de hennir ou d'aboyer de la môme façon, de manière à se

comprendre mutuellement.

comme

Puis,

dons nos

des gens corrects, nous nous ren-

Le

visites.

la ville basse,

sultan occupe

une vraie maison de prisonnier

dépossédé; pourtant, dès

l'arrivée,

vos hôtes connaissent fort bien

on apporte tout de

talité;

offert

et

manière

;

de l'hospi-

les lois

bon

suite de très

la

de

vous sentez que

café

dans une délicieuse cafetière turque, de

bière et des petits gâteaux à sa

une case dans

la

sultane, elle, remplit

ses devoirs de maîtresse de

maison,

en vous couvrant d'eau de rose et de parfums vio-

dont vos vêtements seront pour longtemps

lents

imprégnés

;

un vague souvenir de

c'est

Caire et des galeries de

De temps jusqu'à

la

la case,

du sultan

pleine

Allah

rue du

en temps, dans l'après-midi, arrive d'un air important

et

cérémonieux,

un grand Anjouanais porteur d'une part

la

rue de Rivoli.

;

c'est

une de

d'originalité et de

me comble

de ses gâteaux,

lettre

de

la

ces lettres étranges,

nobles sentiments, où

de ses bénédictions pâtisseries

terribles

qu'elle a confectionnées de ses doigts

et la sultane

à

manger,

mignons avec


MES CAMPAGNES.

IIO

un soin tout

barbotant gentiment dans petites

ses

gingembre et les

mains noires et

une grande minutie,

particulier et

de cannelle

odeurs de

;

c'est

tout parfumé de

c'est cuit

;

suif, ainsi

blanche avec

la farine

que

les

dans

la graisse

parfums orien-

taux, s'y mélangent d'une façon désolante; mais c'est si

de

gentiment

violents efforts

Puis pour

que nous ferons sûrement

offert

pour y

finir cette

faire

honneur.

missive,

un

petit

post-

scriptum tout sanctifiant, qui n'a rien des nôtres et

dans lequel ((

il

est dit

:

Je prie Allah de toujours protéger un bon et

loyal militaire tel

que vous

;

je le prie

de

même

d'avoir soin de votre famille et de vous accorder


AUX AVANT-POSTES

21 octobre.

Nous

pour

voici

rités civiles qui

l'instant protégés par les

prennent de sérieuses mesures pour

nous garder du danger Ainsi,

par

trer chez

pour

la

et

nous préserver des Hovas.

on organise des

les civils

;

nous

les

patrouilles de nuit faites

Hovas n'ont plus

à partir

n'3^ a

la circulaire officielle

(17 octobre) sous

le

le droit d'en-

de 7 heures du soir

journée personne

Voici

auto-

;

mais,

songé

placardée ces jours-ci

tamarinier, l'arbre du pays

sur le tronc duquel sont

affichées les

nouvelles

graves de Madagascar.

ORDRE GÉNÉRAL Le Gouverneur de Diégo-Suarez

Vu

les

et

dépendances,

troubles qui régnent sur les frontières et

dans une partie du territoire de

la

colonie et pour


MES CAMPAGNES.

112 rassurer

population contre

la

de pillage

;

Décide

:

A partir de il

samedi, 20 courant, jusqu'à nouvel ordre,

quiconque

est interdit à

en service

militaire

coucher du

que

le

5

gouverneur. la ville

d'Anamakia

route neuve

la

ou

heures du matin sans un

de pénétrer dans

est interdit

voies

n'est pas fonctionnaire

de pénétrer dans Antsirane du

soleil jusqu'à

passeport délivré par Il

dangers d'incendie et

les

par d'autres et

la

route

d'Ambohimarina.

A

partir de

soleil nul

10 heures du soir jusqu'au lever du

ne pourra circuler en

ville

sans être

muni

d'un fanal.

Toute contravention à

la

punie d'une amende de 15

fr.

de 2 à

5

décision

présente et

sera

d'un emprisonnement

jours.

La présente décision dans toute

la

communiquée

sera publiée et

colonie.

Diégo-Suarez,

le

17 octobre 1894.

Le Gouverneur, Sicrné o

:

Froger.

Hier soir, nous partions en bande jusqu'aux avant-postes, après avoir acheté chez les Chinois


AUX AVANT-POSTES.

II3

de superbes lanternes multicolores de formes bizarres.

A effet,

la

nous avons trouvé, en

limite de la ville,

quelques braves individus en chapeau de

complet blanc,

paille et

beaucoup d'em-

fliisant

barras avec les fusils qu'on leur avait prêtés à

Dieu on ne

les avait

pas chargés;

grâce

;

chose fût

la

devenue dangereuse avec des gens n'ayant pas

l'ha-

bitude de manier des armes de guerre.

Somme

toute, c'est une

bonne

ordonnance des lumières pour

que cette

affaire

chemins

le soir, les

sont tellement pierreux et mauvais, qu'on risquait

toujours de se casser

le

Nous redescendons ternes que

le

les autres

on

;

travention.

cou. des avant-postes

vent agite s'éteignent les

la

le

unes après

le

la

con-

marché où

nuit quantité de malheureux,

qui eux, n'étant ni fonctionnaires,

n'ont pas

nos lan-

;

rallume vite, craignant

Nous passons devant

sont entassés pour

les

ni

militaires,

droit de circuler dans la ville après

9 heures.

Tout

noir qui n'a pas de logis doit passer

dans cette immense cage à lions

donc au passage, non des

cris

;

nuit

de bêtes féroces,

mais des gémissements de gens ennuyés MES CAMPAGNES.

la

nous recueillons

;

demain 8


^^^^

114

CAMPAGNES.

matin, au petit jour, on leur donnera leur libertĂŠ; et

seront remplacĂŠs par tous

ils

pays

:

les

marchands du

hovas, malgaches ou autres, venus pour

provisions du matin.

les


DECLARATION DE GUERRE

31 octobre, 10 heures

Une

pluie fine qui

tombe sans

du

soir.

humide

fin,

chaude, une petite pluie qui vous cingle et

vous aveugle;

et

voilà que,

nous descendons en bande, oppressé, car il

le

courrier de

le

comme

la

figure

des fous,

cœur anxieux

Tamatave

et

et

est signalé

;

entre en rade et cette fois nous rapporte des

nouvelles graves.

Pour

nous suivons

aller jusqu'à la ville basse,

grande route à pic qui longe

bord de

le

la

la

mer,

nous courons plus que nous ne marchons, en cinq minutes nous sommes sur

Toute

la

population est

indigènes de toutes sortes laves,

Antémours

;

quai.

le

là, :

officiers et civils,

Antankares,

Saka-

car tous ces gens sont venus

de très loin, pour savoir ce qui a été décidé sur leur sort et ce qu'ils vont devenir

anxieux,

les

pauvres gens;

comme

;

eux aussi sont

nous,

ils

vont

et


MES CAMPAGNES.

Il6

viennent, formant des groupes, courant de l'un à l'autre

pour

recueillir

quelques débris de phrases,

quelques nouvelles enfin. nuit noire; aussi a-t-on allumé sur les

Il fait

quais une sorte de grande torche pour éclairer tout ce

monde

ayant

elle

;

l'air

brûle en faisant

un

bruit étrange,

de cracher sa lumière avec frayeur et

achevant de donner à ce pauvre pays un et

air

lugubre

épouvanté.

Nous

allons de l'un à l'autre, tcâchant de recon-

forment ces groupes, causant

naître les gens qui

voix basse

;

tout

le

monde

est pressé, ahuri,

rant à la poste, au débarcadère, velles,

à

cou-

avide de nou-

voulant à tout prix savoir quelque chose,

bon ou mauvais.

Au

milieu du va-et-vient, nous finissons par re-

cueillir ces

mots, ces

terribles

mots qui vont de

bouche en bouche et qui se transmettent plusieurs langues guerre...

;>

:

«

La

guerre...,

comme une

C'est

la

ici

dans

guerre...,

la

traînée de terreur et

de stupéfaction que ces deux mots laissent après

eux

:

évidemment on

terrible résultat

chose n'est pas

;

le savait,

mais, c'est

faite, sait-on

on

le

égal,

prévoyait, ce tant

jamais?...

Puis nous apprenons ce qui suit

:

qu'une


UJ

DliCLARATION DK GUFRRE.

Les

I

lovas,

coinme toujours, ont voulu

gagner du temps

M. Le Myre de

n'ont pas pris

et

démarche de

la

Vilers plus au sérieux que toutes

tentées depuis dix ans;

celles déjà

ruser,

qu'ils s'en tireraient

encore une

ils

fois

ont pensé

avec un peu

d'habileté et que nous ne serions pas plus fermes

qu'auparavant.

M. Le Myre de

Vilers, à peine arrivé à

Tama-

tave, avait fait les présentations d'usage et remis le

17 octobre au premier ministre

le

projet de traité

du Gouvernement. La conférence décisive devait avoir lieu au palais

le

20

et,

dans ce but, des por-

teurs devaient venir prendre à

la

Résidence notre

ministre plénipotentiaire.

A l'heure dite, aucun porteur ne se présente et, comme M. Le Myre de Vilers envoyait au palais pour en demander

le

motif, Rainilaïarivony s'ex-

cusa disant qu'il n'était pas prêt et qu'il ne donnerait pas sa réponse avant

mauvaise

foi,

le

le

29.

ton et envoya l'ultimatum suivant «

Me

par

la

je suis

mon Gou-

obligé de mettre Votre Lxcel-

demeure d'approuver

reine, dans

cette

:

conformant aux instructions de

vernement, Icnce en

Devant

ministre de 1-rance changea de

un

et

de

faire

délai qui expirera le

ratifier

vendredi


MES CAMPAGNES.

Il8

26 octobre, à 6 heures du

que

soir, le projet

remis à Votre Excellence

j'ai

le

de traité

mercredi 17 oc-

Faute d'obtenir cette satisfaction,

tobre.

verrai dans la nécessité

d'amener

le

me

je

pavillon et de

quitter la capitale. »

Comme n'arriva

on devait

pour

le

s'y attendre,

26, en sorte que

le

de Vilers amenait son pavillon et

deux ports de Majunga

les

Européens qu'on

et

aucune réponse 27,

M. Le Myre filer

sur

Tamatave tous

les

faisait

avait fait rallier de l'intérieur.

Pendant ce temps des bateaux parcouraient

la

auraient gagné les

côte pour recueillir ceux qui ports directement.

Afin de rendre liter le

:

par Majunga descendirent

M. d'Anthouard,

puis

la

colonne plus légère

ravitaillement pendant la route,

en deux et

la

et

on

de

faci-

se divisa

M. Ranchot

résident de France par intérim,

mission catholique, c'est-à-dire huit ou dix

Pères jésuites,

enfin, l'escorte militaire

et,

com-

posée d'une cinquantaine de soldats d'infanterie

de marine, commandés par

M. Le Myre de rive

le

dernier,

religieuses

On

avait

le

capitaine

Vilers, lui,

Lamole.

a quitté

Tanana-

accompagné des colons

et

des

de l'endroit, pour gagner Tamatave.

pu

à l'avance faire disposer des vivres


DÉCLARATION DE GUERRE. le

long des deux routes

le

télégraphe

Tananarive à Tamatave qu'on

de

établi

par

et c'est

II9

toutes ces nouvelles. les postes, les fils

A

eu

a

mesure qu'on passera dans

seront coupés

:

ce seront là les

dernières communications avec la grande capitale

des

Ho vas.

Les deux colonnes sont donc en route, mais on n'en avait encore aucune nouvelle, quand rier est parti

Maurice

aller à

On

de Tamatave

c'est le

;

le

cour-

Papin qui

faire câbler tout cela

a

en France.

saura donc avant nos lettres qui, lorsqu'elles

le

arriveront, ne seront plus que

de l'histoire an-

cienne.

On serait

parle d'un grand corps expéditionnaire qui

envoyé de France

certain

;

en tous cas

qu'on ne commencera

les

il

est bien

opérations de

guerre qu'en avril ou mai, c'est-à-dire après

la sai-

époque, on

ferait

son des pluies. Jusqu'à cette occuper

les

côtes par les troupes d'ici et

de

la

Réunion.

La le

pluie

tombe toujours

quai s'éteint

l'obscurité.

goissé de

;

la

torche qui éclairait

doucement; nous retombons dans

Chacun retourne au

nouveaux soucis

:

logis le

cœur an-

nos lanternes de pa-

pier ont pris des, airs piteux et

pendent

comme

des


120

MES CAMPAGNES.

loques au bout des bâtons; seuls

les enfants

qui

n'ont rien compris à cette triste scène, sinon qu'ils

vont se coucher deux heures plus tard que d'habitude, sont ravis de cet imprévu qui les rend joyeux et leur fait

trouver charmants ce

cette agitation inaccoutumés.

mouvement

et


MAJUNGA

NOSSI-BE

4 novembre.

Pierre est rentré ce matin assez bien portant et satisfait

vie

de son voyage, après vingt-cinq jours de

un peu rude

par une très forte chaleur

et

;

je

puise dans son journal, en laissant de côté, avec discrétion, tout ce qui est militaire

«

sur

Majunga. la

— Parti

Rance,

le

j'arrivais

:

14 a 7 heures du matin le

16 au matin à

Ma-

junga, village assez intéressant par l'importance

du commerce qui

s'y est

développé presque entiè-

rement sous notre influence. Nous débarquons sur une grande plage de sable, sans quai, bien

entendu.

Il

y

a là, tout à fait sur le

bord de

la

mer, un noyau de constructions en maçonnerie

du genre arabe,

c'est-à-dire carrées avec

intérieure bien à l'abri rasses.

du

soleil, et

une cour

de grandes ter-


MES CAMPAGNES.

122 « Elles

ont été construites pour

des Indiens commerçants venus de

ou des Comores;

zibar

des Européens au quels

la

côte de Zan-

les autres sont habitées par

nombre de

ou

sept

huit, aux-

faut ajouter le résident français et les con-

il

suls américain

un

tout

plupart par

la

anglais.

et

Un

peu plus loin

est

village de paillottes habitées par les indi-

gènes.

Le pays

«

est

dominé par une hauteur plantée

de très beaux manguiers

hova où

le fort

«

Devant

:

c'est là qu'est construit

flotte le pavillon

la ville

de

la reine.

s*étend la baie de

Bambetoke

au fond de laquelle se jette l'Ikopa.

Les études terminées

« le

de

fond de là

que

situé à

la j'ai

ici,

nous partons pour

baie continuer notre travail, et c'est

l'occasion d'aller à

30 kilomètres dans

Maroway, point

la rivière.

18 octobre.

«

A

bite le

pour

2 heures de l'après midi,

M.

G..., qui ha-

pays depuis longtemps, décoré en

les

services rendus

pendant

la

1885

campagne,

vient nous prendre à bord; seulement au lieu de

nous donner une baleinière remorquée par une


MAJUNGA vedette

comme

I23

NOSSI-BÉ.

en avait été question,

il

pirogue que nous partons

quelle pirogue

et

Elle fait eau de partout et les

deux

!...

noirs, aban-

voiles et gouvernail, passent leur

donnant

en

c'est

temps

de noix de cocos, ou à bou-

à la vider à l'aide

cher les trous avec de vieux morceaux de chiffons. «

Naturellement, on profite de

remonter la

la

la

marée pour

rivière et tâcher d'arriver avant

que

mer ne descende. «

La rade,

assez houleuse, fait craindre à chaque

remphr tout

instant de voir la pirogue se

couler Il 3^

a

;

le

un

à fait et

vent souffle fortement venant du large.

énorme qui menace de nous

clapotis

chavirer et force les noirs k se

faire

cramponner au bas-

tingage pour rétabUr l'équilibre et pour amener

le

balancier, qui disparaît sous l'eau, à reprendre sa

position normale. Puis ce balancier lui-même ne tient pas et,

s'échappe, c'est

s'il

pour compléter éclairs, le

le

plongeon sûr;

l'horizon est noir,

tout,

tonnerre et

le

la pluie,

tout marche à

les la

fois.

«

Cependant

le

temps

se

nous nous approchons de au fort du courant

et

à

calme la

petit à petit, et

côte pour échapper

son clapotis

terrible.


A à

CAMPAGNES.

^^^^

124

heures, nous doublons

3

4 heures

et

d'Ambatoukeli

rana;

la

palétuviers

les

est

la

encore assez basse

met de distinguer une

et

au milieu

d'un éboulis de roches

tagneux ((

A

:

on aperçoit un

celle

venue

tombée,

brise est

et

pour

trée de la rivière

et

rivière

la

au loin der-

;

assez gros massif mon-

7 heures, nous quittons la grande rivière

est tout à fait

;

nous per-

Anteranombé.

pour entrer dans

ment

le

petite plage de sable et de

une pointe qui plonge dans

c'est

c'est

:

pointe de Maeva-

vase, avec

rière le cap,

;

travers

le

on aperçoit seulement quelques

;

nous doublons

marée

pointe Bezezika

demie, nous passons par

pirogues échouées dans port. Enfin

la

il

la

de il

Maroway

;

mais

la

nuit

faut bien connaître l'en-

trouver à cette heure. La

nous

faut nager continuelle-

des nuées de moustiques nous envahissent

nous dévorent

:

c'est à

de maintenant on rentre plus qu'à l'aviron, car la

cendre;

le

devenir enragé. la

voile et

A

partir

nous n'allons

mer commence

à des-

paysage ne change plus, sauf que

rivière n'a plus

la

qu'une cinquantaine de mètres de

large. ((

Les palétuviers

à petit

ils

la

bordent toujours, mais

disparaissent et

petit

on distingue de chaque


MAJUNGA

NOSSI-BE.

I25

côté une vaste plaine élevée d'un mètre ou deux

au-dessus de «

la rivière.

Voici que nous apercevons des lumières

Maroway

;

encore un coup de pagaie

et

:

c'est

nous y

serons. « C'est

dans

la

vase que nous nous arrêtons, en

face des premières maisons;

par

un

il

est 8 heures, porté

un

noir, je touche terre sur

selle cassée. J'ai le dos endolori et les

guées de ces six heures d'immobilité

ruelles

vant ces maisons,

M.

habitants à travers

de cette

et

étroites, bordées de

En

sons en pisé et souvent à étages. G... jette

portes

mai-

passant de-

un bonsoir aux

fenêtres

et

fati-

Nous suivons

navigation tant soit peu périlleuse.

un dédale de

de vais-

tas

jambes

closes

et

nous arrivons chez son représentant, M. JeanBart, noir de

la

Réunion, qui habite

avec sa

famille. «

Nous montons au premier

duits dans elle

une

assez vaste pièce,

pourrait l'être en Europe

:

et

sommes

meublée

deux

lits

à

intro-

comme mousti-

quaires, horloge, petite chapelle de la Vierge et,

au milieu, une table ronde couverte d'une toile cirée, sur laquelle est le

désordre d'une

fin

une lampe de repas.

à globe éclairant


MES CAMPAGNES.

126 « Vite,

on nous

fait

une place, on nous donne

des assiettes, des couverts, des serviettes blanches, et

nous attaquons

diner que

le

M.

G... a apporté

avec nous. «

Pendant que nous dînons de bon

appétit,

on

prépare en bas, dans un petit bâtiment en planches séparé du grand, notre Hts,

deux

chambre

une

fauteuils,

à

toilette,

coucher le

:

deux

tout remar-

quablement propre. ((

j'ai

quelque peine à m'endormir, peut-être

par excès de fatigue à la longue, le et le

matin

et aussi à

sommeil

me

finit

cause de

la

par prendre

chaleur; le

dessus

trouve tout disposé de nouveau

pour l'exploration. (.(

D'abord,

visite à la ville, qu'il faut connaître.

beaucoup

Elle ressemble

Majunga

à

;

aussi se

trouve un centre assez important de maisons se

rapprochant du style arabe imperceptibles, d'autres

terrasses

grands murs, fenêtres

:

et

escaUers extérieurs;

avec l'horrible toit en tôle apporté par

nous aux colonies, persiste à

si

employer

chaud

à cause

et si laid,

de sa

mais qu'on

facilité

de trans-

port et du prix de revient. «

De chaque

côté de ce noyau, au nord et au

sud, s'étend une

immense agglomération de

cases


MAJUNGA indigènes.

La

partie

nord

I27

NOSSI-BE.

est ravissante et consiste

en une large rue bordée de cases sur une cinquantaine de mètres de long, tout entière abritée par

de superbes manguiers. Elle s'éloigne un peu de la rivière.

Enfin, à

«

la

l'est,

ville

est

dominée par une

hauteur d'une centaine de mètres,

presque à pic derrière rue

;

vers

le

les

qui

s'élance

maisons qui bordent

la

nord, cette hauteur descend en pente

douce jusqu'au

lit

de large environ,

d'un ruisseau

de 50 mètres

Cependant,

à sec aujourd'hui.

quelques sources d'eau potable y sortent de terre

même

au pied la rivière

«

ou

Sur

de l'éperon

et

s'écoulent

en ruisseaux fangeux. le

sommet du

Rouve

plateau se trouve le

ho va. Remarquablement

fort

jusqu'à

situé,

le

fort

cependant aujourd'hui aucune chance de

n'offre

résistance possible. «

Un

chemin

ment du sud de s'élève

taillé

en

la ville

un massif en

au

escalier

conduit directe-

sommet du

plateau. Là,

terre, sous lequel est la

voûte

d'entrée; dès qu'on a dépassé la porte,

on aperçoit

à droite, entourés d'une palissade, les

logements

du gouverneur gauche

les

et

des

différents honneurs, et

paillotes habitées par la

garnison

;

à à


MES CAMPAGNES.

128

l'extérieur de la porte sont affûts

deux autres dans

à l'intérieur,

;

deux vieux canons sans

même

le

état.

Grâce

((

à

mon

obligeant conducteur, nous pé-

nétrons dans l'enceinte réservée aux chefs et

même pour

présenté à

la

femme du gouverneur,

qui, en raison des

prendre

est,

absent

l'instant. Il est allé jusqu'à Suberbieville, au-

devant de Ramastoumbasa,

((

je suis

le

du

événements prochains, vient

commandement

Admirablement

honneur hova,

i6^

de

province.

la

accueillis par cette

reste, un. joli type

de

la

femme

qui

race hova, nous

acceptons de nous asseoir un instant sous sa vé-

randa

et

qu'elle

nous

u

de

prendre un

Pour moi,

conversation

de

verre

pippermint

offre très gracieusement. la laissant se

malgache

crayonner tout à

mon

lancer dans une grande

avec

aise sur

M.

G...,

puis

je

mes manchettes un

croquis sommaire du fort. «

A gauche du

logement du gouverneur, qui

face au sud, se trouve

j'aperçois et

un

petit

fait

hangar sous lequel

une pièce de 4 de montagne sur roues

un canon-revolver

sur

trépied.

A

droite,

est

une habitation en construction, presque terminée, et

qui est destinée à remplacer

la

paillote

sous


MAJUNGA

nous sommes reçus.

laquelle

De

vée part une route qui, suivant

descend en droite ligne vers sort

du

fort par

sade, traverse

I29

NOSSI-BE.

l'enceinte réser-

la crête

le

une ouverture

un mauvais pont

nord faite

;

du plateau, cette route

dans

jeté sur

la palis-

un

fossé,

puis passe par une deuxième porte flanquée à droite et à

gauche de

3

extérieurement

le

fossé

;

palissade bordant

à côté de la porte gisent

deux pièces de canon sans

à terre la

ou 4 mètres de

aflûts;

route continue à descendre jusqu'au

seau

déjà

lit

au delà,

du

circule au milieu de la

indiqué,

ruisville,

abritée sous les manguiers, et se termine à l'abattoir. «

Toute

cette seconde partie de la ville est do-

minée à

l'est

logue à

celle

que par ((

le

Outre

roway,

est

par une hauteur d'une forme ana-

du Rouve, dont

elle

n'est

séparée

ruisseau. l'eau

de

douce,

la rivière qui, à

hauteur de Ma-

existe au pied

du plateau toute

il

une zone de terrain où

les puits

fournissent de

l'eau excellente.

En résumé, Maroway est une ville qui peut présenter, à un moment donné, de grandes res«

sources en raison de sa situation et de sa proximité

de Majunga. L'important serait de n'y pas mettre MES CAMPAGNES.

9


MES CAMPAGNES.

130

monde

trop de reste, «

à la fois

même

cette

;

peut s'appliquer à Majunga.

Un

vigation des petites embarcations

Maroway

à

:

c'est

n'y a rien actuellement et, assez vite, le

il

est

si

Le

na-

mais

;

il

occupe Maroway

l'on

probable que

la

rendant de

se

Maevarana

les

Hovas n'auront

temps d'y apporter des canons

un point de «

gêner

seul point pourrait peut-être

Majunga

pas

du

réflexion,

et d'en fliire

défense.

soir, à 9

heures et demie, abandonnant

la

pirogue tant soit peu volage qui nous a amenés,

prends passage sur

boutre de

M.

G..., et

le

lendemain matin, au petit jour, nous doublons

la

pointe de Boinaoumari, endroit

la

je

le

pour

difficile

navigation et réputé dangereux pour les embarcations indigènes. « Il existe

jolie

dans ces parages une coutume assez

qui rappelle les héros

notre patron ne

d'Homère

manque

Cet usage consiste à

offrir

pas

un

et à laquelle

de se soumettre. sacrifice

aux dieux

de l'endroit, pour apaiser leur colère et pour cal-

mer

la

mer

et les

vents. Malheureusement, nous

n'avons pas grand'chose à finissent,

offrir;

les

matelots

cependant, par réunir au fond d'une noix

de coco une banane, un morceau de biscuit

et

une


MAJUNGA poignée de se

met

à

Muni de

riz.

genoux

et vide le

I3I

NOSSI-BE.

cette offrande, le patron

à l'arrière

du boutre,

contenu de sa noix dans

plus grand sérieux du «

fait sa

prière

mer avec

la

Vers neuf heures, nous arrivons à Majunga;

en somme, très bonne traversée; nuit calme, rée

le

monde.

par

la

lune, ce soir

éclai-

idéalement resplendis-

sante.

22 octobre.

«

Hamparahiniguidro.

— Nous

partons en

expédition dans l'intérieur où nous devons continuer nos travaux militaires; certains

points

d'une rivière,

et

s'agit d'explorer

on suppose par

faut

il

nons un guide

;

il

un

aider à débarquer,

l'existence

nous en assurer. Nous emmefitacon ; ce dernier doit

car la

rivière

nous

indiquée n'est

qu'un vaste arroyo, c'est-à-dire une cuvette d'eau de mer dont

le

niveau

monte

et

descend avec

la

marée. «

A

6 heures,

leinière

nous sommes en route, notre ba-

remorquée par une chaloupe

nous ne tardons pas

à quitter la rade

à vapeur, et

pour entrer

dans l'arroyo indiqué, qui présente à cet endroit


MES CAMPAGNES.

132

200 mètres de largeur

et est

bordé de palétuviers

sur une assez grande épaisseur. «

sant

Une demi-heure :

C'est

«

du bord

à l'aide

et,

engageons dans un des palétuviers

gage,

le sol se

pied à terre;

plus tard, le guide nous di-

qu'on débarque

;

»,

nous approchons

de notre fitacon, nous nous

étroit couloir

vaseux au milieu

dix minutes après, le pays se dé-

un peu

raffermit

et

nous mettons

une grande plaine s'ouvre devant

nous, couverte de salines, mais ce n'est qu'à un kilomètre plus loin que

le

terrain

relève

se

un

peu. «

A

deux ou

cet endroit sont

trois misérables

cases dont les habitants ne sont pas sauvages

tout; l'un d'eux

même,

du

espérant trouver un mé-

decin parmi nous, n'hésite pas à nous exhiber ses infirmités.

de

la

Il

ne

s'est

pas trompé, car

Rance nous accompagne;

il

le

docteur

l'examine avec

bienveillance et l'engage à venir se faire

soigner

dans un endroit plus propice, à bord, par exemple. «

Nous sommes maintenant dans un

endroit.

Le pays, qui

est

un peu plus

planté de grands manguiers poussant

assez joli élevé, et

au

milieu

des cases et des cultures, est coupé de grandes

mares de 7 ou 8 mètres de profondeur, au fond


MAJUXGA desquelles

il

y

I33

NOSSl-BE.

époque, 80 cen-

a encore, à cette

timètres d'une eau stagnante couverte de grandes feuilles

ressemblant aux nénuphars

et

d'où émer-

gent d'énormes fleurs violettes. Des bœufs viennent «

s'y

abreuver et ont de l'eau jusqu'au ventre.

Deux

de ces messieurs se mettent immédiate-

ment en chasse, tirant à qui mieux mieux canards et sarcelles

pendant que nous poursuivons notre

exploration.

Il

en

fliut,

douce, potable, car

les

effet,

raient

être

danger

sans

de l'eau

lagons que nous venons de

bons peut-être pour

voir,

trouver

les

indigènes, ne sau-

utilisés

Euro-

par des

péens. «

Le guide nous prévient que nous n'en

verons pas avant xMarohogo C'est égal, 8''45"'.

En

et

que

nous nous mettons en route effet,

;

ruisseaux absolument à sec

;

nous

fiiisons

camarades de ne pas nous attendre

poursuivons nos recherches. res

il

est

au bout d'une heure environ de

marche nous n'avons rencontré que des

les

trou-

c'est assez loin.

que nous arrivons

Ce

petits

prévenir et

nous

n'est qu'à 11 heu-

à la rivièretant désirée, après

avoir traversé une série de hauts plateaux d'où l'on aperçoit «

La

Maroway

et la rade.

rivière a 25

mètres environ de largeur

et


'^lES

134

CAMPAGNES.

25 centimètres seulement de profondeur; l'eau,

sement

très

chaude à cette heure-là. Nous nous

reposons cinq minutes sur

pour

malheureu-

est très belle, très claire,

y

est vrai,

puis en route

la rive,

déjeuner que nous ne prenons qu'à 2 heu-

le

fatigués au possible, mais ayant fait ce

res,

nous vouhons

A

«

heures,

3

que

faire. il

nous

faut repartir cette fois

pour Majunga, où nous n'arrivons qu'à

Nous avons

fourbus Uttéralement.

kilomètres, presque tout

3 5

il

le

6 heures,

fait

temps par

environ la

forte

chaleur. «

Un bon

tiib

en arrivant, une bonne nuit par

là-dessus, et, demain,

il

n'y paraîtra plus.

25 octobre.

«

Nos

travaux sont terminés et aujourd'hui, à

7 heures du matin, nous passons de la Rance sur le

Lynx

que

le

mener

à

qui doit nous conduire à Nossi-Bé; c'est courrier du

nous prendra pour nous

Diego -Suarez. Le Lynx

tout petit, où

donner;

3

la

il

place

est

un bateau

n'y a pas une couchette à nous

manque

totalement.


MAJUNGA

I35

NOSSI-BE.

26 octobre.

«

Bonne

superbe,

nuit passée sur

la

mer

est

pont

le

comme un

nous arrivons

;

il

un temps

fait

de vent,

nous donne un peu

rien qu'une légère brise qui

de fraîcheur

;

lac; pas

à

Nossi-Bé à

une

heure de l'après-midi. «

— Une

Nossi-BÉ.

jolie

arrive devant ce pays, qui et

absolument

impression dès qu'on

nous semble délicieux

différent de tout ce

que nous avons

vu jusqu'à présent. Malheureusement, malsaine, «

bord

la

chaleur très forte

et

la ville est

humide.

Le débarquement nous dispose bien tout une

:

belle jetée

d'a-

longue d'une centaine de

mètres, avec voie Decauville, aboutit à

un parc

charbon, puis une bonne route, contournant pavillon des messageries et la

la

à le

résidence noyée dans

verdure, conduit à une belle avenue plantée de

quatre rangées d'arbres et agrémentée d'un bassin

avec «

jet

y

Il

triste,

d'eau. a là de belles maisons,

sombre

ruines.

On

beau temps

et

sent

humide,

la

mais à l'aspect

plupart tombent en

un pays abandonné,

est passé;

une colonie qui

fini,

dont

s'en va.

le


MES CAMPAGNES.

136

Et cependant, à une certaine époque, vers

«

1855, année des grandes constructions, Nossi-Bé tout à

fut

aujourd'hui que «

mais on n'a plus guère

fait florissante;

le

Le pays dont

souvenir de cette prospérité. la

seule richesse était la canne à

sucre fut complètement ruiné par l'abolition de la traite

des nègres, qui supprimait en un jour

la

main-d'œuvre. «

La résidence, qui

l'aspect

est joHe,

mourir sur

triste à

la

vue de belle

la

mer, a

avenue de

manguiers; on n'entretient plus rien en dehors des constructions résidence

;

caserne, église, hôpital,

officielles,

végétation envahit tout et laisse voir

la

de temps en temps émerger de ses

dure des pans de murs écroulés.

On

sent, en effet,

jour;

on

:

de ver-

que

le

climat ne doit

fait

la

chaleur de

humidité chaude

la

nuit

pas être brillant

chinchine

flots

des maisons en partie

et

n'est

;

tout à

Co-

comme

vraiment bien qu'à table, sous

le

le

panca. «

La campagne prochaine, qui donnera peut-

être de l'extension coloniale sur la

aura peu d'influence soit le dernier

ici;

je

coup porté

malgache veut dire

fie et

grande

crains bien

terre,

que ce ne

à Nossi-Bé. (Nossi

Bé veut

dire grande,)

en


MAJUNGA

I37

NOSSl-BE.

28 octobre.

((

Nous venons d'apprendre que Binao, une

des

reines de Madagascar, dont le territoire est juste

en face (Ambavatoubé

et

Passandava), est venue à

Helleville pour s*y reposer des soucis du gouver-

nement, ou peut-être tout simplement pour les tracasseries

fuir

des Hovas, qui deviennent d'autant

plus vexatoires que les affaires semblent près de se gâter. «

C'est une amie de la France, celle-là, et depuis

de longues années. Elle nous a témoigné son atta-

chement en nous de 1885

^^ ^

restant fidèle malgré l'abandon

toujours tenu à honneur de donner

des preuves de son amitié aux Français qui venaient la voir. «

Que

d'officiers

bon souper, bon « Ils lui fit,

de marine ont trouvé chez

gîte et le reste

ne furent pas ingrats,

un

jour,

don d'un

elle

!

d'ailleurs, et la

France

tableau représentant

marine quelconque avec cette simple dédicace

A LA REINE BINAO

POUR SERVICES RENDUS AU PAYS

une :


MES CAMPAGNES.

138 « Il

même,

en fut de

Bouéni,

et distribuait volontiers

aux enfants de lui faire

ses faveurs

France, qui venaient chez

la

aimer notre pavillon

munie d'un

du

maintenant, mais qui eut aussi son

vieille

beau temps

d'ailleurs, de la reine

certificat.

Toutes

;

elle

également

elle est

ces petites royautés

féminines ne demandent qu'à se jeter dans nos bras.

Après

«

village

dîner,

le

que Binao

Heu de résidence

nous partons pour

a choisi, c'est

;

non

au bord de

royal repos est bercé par le la brise

loin d'ici, la

murmure

le petit

comme

mer, son

des flots et

constante venant directement de son pays.

Nous sommes

guidés sous

du tam-tam

nous arrivons bientôt devant une

et

les étoiles

assez vaste

pour

l'instant en résidence royale.

verte de bijoux, est étendue petit

autour

lit

de

camp

qu'elle est

ment par une «

Dehors,

bruit

et

La

reine, cou-

ou plutôt vautrée sur

une cinquantaine de femmes

accroupies par terre, chantent en

d'elle,

battant des mains

nuée

le

(paiUote d'ailleurs) transformée

case

un

par

;

cette case a l'air misérable, dé-

de tout meuble

et éclairée

simple-

sorte de veilleuse fumeuse.

trois

hommes

tapent sur des tam-tam,

tandis qu'un quatrième frappe à coups redoublés


MAJUNGA

I39

NOSSI-BÉ.

avec deux baguettes sur un petit plateau de cuivre

un tabouret. Autour d'eux,

placé à l'envers sur

une vingtaine d'hommes tournent lentement, en chantant de vages. «

choses mélancoliques et sau-

tristes

Une mauvaise

Nous quittons

peut-être

ici

lanterne éclaire

le tout.

ce petit intérieur royal qui voit

ses derniers

beaux jours

;

un orage

gronde; déjà de grosses gouttes tombent lourde-

ment,

la

pluie

commence

temps de regagner

nous n'avons que

;

le

bord.

le

31 octobre.

«

Nous sommes retournés

d'hommes

tournait

complet; toujours la

case était

voir

la

reine.

Le cercle

encore, mais cette fois plus

même

le

orchestre, d'ailleurs;

moins remplie, cependant,

chantait plus; nous avons salué

la

et

Ton n'y

reine, cette fois;

comme nous ne pouvions nous comprendre que nous n'avions qu'un les

très

conversations languissaient un peu

compris

cependant

qu'elle

et

médiocre interprète,

resterait

;

nous avons là

quelque

temps pour attendre Tarrivée des deux courriers qui vont venir prochainement. Attente diplomatique, par conséquent

!


MES CAMPAGNES.

140

i^f

«

Nous

allons de royauté en ro5^auté; aujour-

d'hui, visite à la reine

Kavy,

femme

à che-

petit-fils.

Nous

vieille

veux blancs venue pour voir son la

novembre.

trouvons dans une case bien modeste, dont

propriétaire, tailleur.

son

fils,

Elle a, cependant,

un

orchestre

complet composé de quatre violons bours indigènes

comme

artistes s'en servent

leurs cordes; aussi,

un

et

mais quels violons

;

quand

comme

quelque chose

est

le

assez

deux tamî

.

!

.

.

Les

de boîtes pour ranger

ils

en ont besoin, est-ce

véritable travail de patience

que de

les

faire

sortir par les S. «

Cet orchestre accompagne un chœur d'une

vingtaine de femmes, qui chantent par instant des airs assez

curieux mais toujours tristes et

mono-

tones.

2

«

Enfin, voici

le

novembre.

courrier arrivé avec

quatre

jours de retard, mais ayant des nouvelles de l'intérieur!

Le

fait saillant est le

refus des

Hovas

d'ac-


MAJUNGA

I4I

NOSSI-BE.

cepter l'ultimatum, c'est-à-dire la guerre et l'aban-

don de

la capitale

par tous les Français,

civils

militaires.

4 novembre.

«

Nous

rentrons à Diégo-Suarez.

»

et


AMBOHIMARINA

5

novembre.

Les Français sont décidément des gens chevaleresques

une

et,

ne serait-ce que pour vous en donner

idée, je

vous

que nous avons embarqué

dirai

ce soir, avec le plus grand

hovas regagnant

officiers

Conformément

h

de leur

ciers

il

main_,

en temps de guerre,

comme

garantie la

ministre et qui prouve à quel

compte sur

le

d'Ambohimarina

patriotisme hova), les et le

ont dû, sur un ordre de

Ce

cour d'Émyrne,

preuve de confiance de

fidélité (triste

famille à

la

de ses fonctionnaires

part du premier

point

la

femmes des

la capitale.

un usage de

qui tient à avoir sous les familles

soin, les

offi-

gouverneur Ratovello

la

cour, renvoyer leur

Tananarive en passant par Tamatave.

matin, nous avons donc vu arriver à Diego,

portées en fitacon, les

Le gouverneur

femmes de

les a

ces officiers.

pilotées toute la journée.


AMBOHIMARINA.

I43

reçues à déjeuner, logées au gouvernement, puis, finalement, conduites au bateau et

recommandées

chaudement au commandant. C'est à bord que nous

sommes

allés les voir.

Elles sont toutes groupées tristement sur

comme

de pauvres petites créatures,

les

le

pont

unes près

des autres, avec des airs de sauvagerie et de décou-

ragement qui font peine les

à voir,

enveloppées dans

grands manteaux que portent tous

hommes

et

les

Hovas,

femmes, qu'on appelle des lambas

qui sont d'ordinaire en cotonnade blanche

et

ou de

couleur. Elles ne sont pas jolies, c'est toujours le

type, qui semble être

de Malais,

Ce

le

même

un mélange de Chinois

visage plat, les cheveux noirs et

et

lisses.

poste d'Ambohimarina, qu'elles viennent de

quitter, est d'aigle au

un camp hova, perché comme un nid

sommet d'une

avoir accès que

falaise,

où l'on ne peut

par des échelles, faciles à retirer à

l'occasion.

Des légendes

assez bizarres courent sur cet en-

droit qu'on prétend en térieur de

l'Ile

communication avec

l'in-

par de longs couloirs souterrains

qui conduiraient directement à Tananarive, mais tout cela est

évidemment de pure invention.


'^ÏES

144 C'est

meuses

CAMPAGNES.

aussi que, tous les ans, ont lieu les fa-

fêtes

du Bain de

la Reine, fêtes nationales

du pays auxquelles sont conviés en général

les

fonctionnaires de Diégo-Suarez. Il

y

lieu à

a

quelques années

un incident qui

même,

faillit

donna

cet usage

devenir grave

nos

;

rendant à l'invitation du gouverneur

officiers se

avaient trouvé les échelles retirées et avaient dû

rebrousser chemin.

Cette année encore l'invitation fut reçue d'habitude sir,

;

comme

nous nous y serions rendus avec

mais, en raison de

la

plai-

situation poUtique,

jugea prudent de s'en abstenir.

on


LA MONTAGNE d'aMBRE

28 novembre.

Un et

petit bateau

de commerce, arrivé ces jours-ci

venant de Maurice où aboutit un câble, nous

apprend que

le

pays vient de voter 65 millions

campagne

pour

la

plus

de sûreté, nous attendons

et

Tenvoi des troupes

demain qui doit nous donner

le

pour

;

paquebot de

aussi des nouvelles

de Tamatave.

Nous sommes rien, et c'est

ici

tout à

de France,

la

fait

perdus, ne sachant

plupart du temps, que

nous apprenons ce qui nous concerne. Qu'allonsnous devenir faire

?

On

vit

au jour

aucun projet; toute

fixés sur la rade et

passe, car d'une arriver et est prêt

mence

pour

le

le

jour, ne

pouvant

journée nos yeux sont

nos lorgnettes braquées sur

minute

emmener

la

les

à l'autre

un bateau peut

troupes qui sont

ici

;

départ, l'éîément militaire

à devenir nerveux.

MES CAMPAGNES.

la

10

tout

com-


MES CAMPAGNES.

146

Le pays

est très

calme

et

cependant nous serions

en état de siège que nous ne serions pas plus condans notre petit coin. Le gouverneur ayant

finés

imaginé dernièrement de marquer de nouveau limites de notre territoire,

!

.

.

Finies les

.

les

en est résulté qu'une

nous ne nous appartient

partie de ce qui était chez

plus

il

promenades

au tra-

à l'aventure

vers de ce pays étrange, portées dans nos fitacons

comme

sur les ailes d'un oiseau sauvage.

Justement, nous avions

fait le

montagne

passer quelques jours à cette flimeuse

d'Ambre

:

monter

projet de

récompense bien méritée des habitants

de ce pays qui contemplent toute l'année

rouge

et les plateaux

dénudés de Diego.

C'est assez difficile

d'abord mal tracée, et .

la terre

comme la

voyage

:

la

route est

plus grosse partie en est

raide et escarpée.

On qu'on

prend, pour y monter, une voiture à bœufs laisse à

mi-chemin

et l'on

continue avec des

porteurs. Il

n'y a là-haut ni village, ni indigènes

;

seuls

quelques rares colons y séjournent toute Tannée vivant de leurs propres ressources. construit

un

petit

sanatorium pour

On les

qu'on y envoyait en convalescence, mais

le

y

avait

malades cyclone


LA MONTAGNE D AMBRE. de février

I47

— toujours ce fameux cyclone dont

habitants sont encore dans

stupeur

la

—a

!

détruit, tout enlevé. Cependant, on peut à

gueur

aller

les

tout la ri-

chez des colons de l'endroit (seuls

émigrants ayant réussi dans cette colonie) qui et

vous reçoivent pendant votre

officiers qui

ont pu séjourner quelques jours

vous hébergent séjour là-haut.

Les

dans ce pays des dieux vous en font des descriptions

enchanteresses

dit-on, délicieux

avec ses

:

cascades,

dans

les

qu'on respire y petit coin

la

mousse

troncs humides des vieux arbres

les raisins

mot

de

choses.^...

!

il

sonne à nos

la terre

fleurs, les arbres, les jolis

de France!...

est,

d'Auvergne

montagnes verdoyantes,

poussant dans

verdure, quel joU

comme

un

ses

ses orchidées rares

la

l'air

;

c'est

promise.

chemins

fleuris

!

et

Ah

!

oreilles

Oh

!

les

du pays

quand reverrons-nous toutes ces


l'hivernage

4 décembre.

Depuis quatre ou cinq jours, ferme; se

c'est l'hivernage

tout à

bourre de quinine, car

terre sèche,

la

les pluies

fait.

Tout

planches

lac

;

rien

n'en peut donner

pour passer,

il

fiut se

et, le soir, les grenouilles,

domicile, font

fièvres.

devant notre maison

celui qui est

formé en

monde

que rien n'a mouillée depuis des mois,

Quant aux chemins, :

le

pluie détrempant cette

amène toujours une recrudescence de

idée

tombent

un vacarme

est trans-

munir de

qui y ont élu

assourdissant.

Ces messieurs sortent en bottes pour leur service, mais

il

est difficile

aller à

pour une femme

de manœuvrer dans ces profondeurs de terre rouge

amoUie par

la pluie,

devenue

terre glaise et dans laquelle

comme une véritable

on enfonce jusqu'à mi-

jambes.

Quand

je sors à

pied,

je

chausse

le

vrai go-


L HIVERNAGE.

I49

de soldat, orné des clous que vous con-

dillot

naissez.

Hier je

me

soir,

en rentrant de diner chez nos voisins,

suis véritablement échouée,

embourbée, dans

dire

la

mène

à notre

C'est une telle difficulté aussi de marcher

case.

dans ces chemins bourbeux

!

boue gluante

faut faire

il

chaque pas pour détacher

effort à

Au

ou pour mieux

route qui

un

tel

ses pieds de cette

!

bout de quelques minutes de chemin,

je

ne

pouvais plus avancer du tout; impossible de lutter davantage. Les enfants, qu'on portait, avaient pris

de l'avance sur moi, le

n'hésitai plus et,

je

gagnant

bord du chemin pour m'asseoir, j'enlevai mes

souliers; cette fois, je marchais; mais j'enfonçais

comme

dans du beurre,

c'était

une drôle de sen-

sation.

En

arrivant je m'offris

jambes

;

et voilà

Diégo-Suarez, pendant

On

avait

les

économie;

une Direction de fait

la

rentre chez soi à

saison des pluies...

cependant pétitionné pour que l'on

empierrât un peu disant par

un formidable bain de

comment on

routes; mais on a refusé soià côté

de cela, on a construit

l'intérieur

monumentale; on

ajouter une salle des fêtes au

a

Gouvernement


MES CAMPAGNES.

150 qui plus est,

et,

on commence un autre Gouver-

nement. Il

est

venu,

il

y

a

peu de temps, un bateau étran-

ger qui, heureusement, n'est resté que quelques heures

;

nous avions honte de leur montrer ce

petit

coin de terre française.

L'appontement où accostent

les

embarcations

ayant été presque effondré au dernier cyclone, on n'a

pu encore obtenir

d'avoir, le soir,

qu'il fût réparé; pas plus

une lanterne

à ce

ment. Quand on rentre en canot devient tout à

fait

dangereux.

même

que

apponte-

à la nuit, cela


NOUVELLES DE MAJUNGA ET DE TAMATAVE

Notre courrier vient de nous

être

distribué

:

bonnes nouvelles de France, mais encore rien de très précis sur la

campagne.

Le paquebot ramène

l'escorte militaire descen-

due enfin de Tananarive, après vingt-trois jours de marche, beaucoup de

fiitigues,

de misères et de

tribulations de toutes sortes.

Les porteurs ont lâché a

manqué de

la

colonne en route; on

vivres et force a été de brûler tout ce

qu'on ne pouvait emporter.

Le 20 novembre, jour de

leur arrivée,

MM.

chot et d'Anthouard, qui faisaient partie de lonne, s'embarquaient sur bique, d'où à

ils

Tamatave,

envoyaient à la

le

Ranla

co-

Lynx pour Mozam-

M. Le Myre de

Vilers,

nouvelle télégraphique de leur

arrivée.

On

comprend avec

quelle impatience ce der-


MES CAMPAGNES.

152

nier, qui était sans

corte, attendait à

Tamatave,

était bien

il

graphique avec mais

il

était

Européen

le

;

malgache.

la terre

moment pour

A

cupation de Tamatave. Thoiiars, qui venait de

faire

préparer à

cet effet, le

France

et

nion, d'où avec a

le

à

Tamala

Réu-

Peïho des Messageries maritimes,

pu ramener 600

rine, 8 pièces de

Petit-

que nous avions

tave le 26, en est reparti tout de suite pour

il

la

à l'oc-

Du

20 novembre, étant arrivé

ici le

télé-

à l'immobilité tant qu'un

Réunion un corps de débarquement destiné

vu passer

l'es-

novembre

en correspondance

encore sur

était

arrivé le 2

Gouvernement par Maurice,

condamné

profita de ce

Il

aucun renseignement sur

nouvelle

la

hommes

canon

et

d'infanterie de

ma-

20 gendarmes sous

les

ordres du lieutenant-colonel

Enfin,

le

11

novembre,

le

Papin

arrivait

à

10 heures du soir de Maurice, apportant l'ordre

de

télégraphique le

12, après

était

commencer

les

opérations

un court bombardement, Tamatave

occupé. Cette nouvelle a dû être annoncée en

France par dépêche. Le sous-gouverneur hova quelques

hommes

restés dans a

et,

un

à lui ont été tués

petit fort

où un obus

complètement réduits en

bouillie.

:

ils

et

étaient

à mélinite les


NOUVELLES DE MAJUNGA ET DE TAMATAVE. I53 Le commandant Bienaimé

ment

les

reçu définitive-

a

pleins pouvoirs civils et militaires sur

tout ^Madagascar.

Le Hiigon amène

ici la 4^=

lon de Diego, prise été laissée

ment

comme

le

batail-

elle avait

débarque-

eût présenté des difficultés.

Voilà l'ordre du

communiqué

compagnie du

Sainte-Marie, où

réserve, au cas

Tamatave

à

h.

commandant Bienaimé

à la colonie

qui a été

:

Priniaugud, rade de Tamatave, 12 décembre 1894.

Monsieur J'ai

le

Gouverneur,

l'honneur de vous informer que nous avons pris

Tamatave sans coup

férir et

sans pertes de notre côté.

Par télégramme du 8 décembre, arrivé hier par Papin,

le

Gouvernement me

prescrit de mettre

le

Tama-

tave en état de siège, et d'assumer les pleins pouvoirs civils et militaires à

Madagascar. Je vous prie donc de

continuer à rester sur toutefois, étant

la

donné

pouvez repousser par

défensive l'état

les

la

plus stricte

de guerre actuel

armes

les tentatives

;

mais,

,

vous

de

pil-

lage qui viendraient à se produire sur le territoire de colonie.

Recevez,

etc.

Signé

:

Biex.\imé.

Diégo-Suarez, 17 décembre 1894.

la


^^^^

154

La

division navale, pendant ce temps-là, s'aug-

mente rapidement, trés

bâtiments qui étaient enle

i^"*

com-

octobre

mettant un peu de mouvement

à arriver,

Diego.

Nous avons le

et les

en armement en France

mencent à

CAMPAGNES.

déjà

20 novembre,

Romanche

Dumont

le

vu passer

le

Météore

le

Du

Petit-Thouars

12 décembre,

la

14 décembre; on attend encore

le

le

d'Urville et le Gabès.

Notre tamarinier velles affiches

en reste, a

;

le

s'enrichit tous les jours de

nou-

gouverneur, ne voulant pas être

fait, lui aussi, sa

proclamation.

Habitants de Diégo-Suarez,

Les Chambres ont voté 65 millions de francs pour l'expédition de Madagascar.

désigné pour prendre

hommes côté.

Le général Duchesne

commandement

des

est

15,000

qui vont être envoyés à Madagascar.

Tamatave

la

le

a été

occupé

le

12, sans pertes de notre

Le Gouvernement compte sur

le

patriotisme de

population française à Diégo-Suarez pour aider, de

sang-froid, à la protection de la colonie et épargner

aux troupes, dont

le

rôle sera pénible pendant

cet

hivernage, une partie du service de garde et de surveillance. Je ne

doute pas que

tances ne ranime

le

la

gravité des circons-

zèle des cito3'ens qui

ont bien


NOUVELLES DE MAJUNGA ET DE TAMATAVE. I55 voulu contribuer, jusqu'à ce jour, à et

garde de nuit

la

déterminer ceux qui se sont réservés jusqu'ici à

prendre leur part du service ingrat mais nécessaire des volontaires auxiliaires de la police urbaine. Le registre d'inscription des volontaires est toujours

ou-

vert à la Direction de l'intérieur.

Antsirane, 26 décembre 1894.

Le Gouverneur.

C'est tout à

fiiit

amusant de voir

l'excitation de tous ces braves

sous

les

commerçants

montent

la

garde, pendant que

garnison, chargée de leur sécurité, passe

tranquillement couchée dans son

Tous

ces gens,

d'ailleurs,

ne

bons patriotes ils

et,

se font

nuit

aucune

mais, en

semblables aux pompiers de

partent gaiement du pied gauche,

sur l'épaule, pour s'en aller passer étoile.

la

lit.

illusion et sont les premiers à en rire,

terre,

qui,

ordres du gouverneur et du secrétaire gé-

néral, s'agitent et la

l'entrain et

la

Nan-

le fusil

nuit à la belle


LA PLUIE CHEZ SOI

20 décembre.

Notre grand vent faire

chaud

très

est

tombé;

;

pluies antédiluviennes

il

commence

à

tour des orages et des

c'est le

aussi nos faibles toits de

;

tôle n'y peuvent-ils résister.

Les maisons sont transformées en passoires nuit on est réveillé par la pluie qui

votre

lit;

vite

on

roule au milieu de

le

éponge, on bouche

les

trous et l'eau

la

en a qu'un dans l'arrache, car

près; on sur

le

le

toit

le

on

cherche partout, on d'un ami.

trop d'ouvrage,

«

fini,

Eh

!

à côté;

parapluie.

plombier

:

se le dispute,

chez tout

a plu

il

quand vous aurez vous prie?

pays,

le

monde

le

finit

mon

par

le

brave

il

n'y

on à

se

peu

trouver

homme,

passez donc chez moi, je

Lnpossible pour aujourd'hui, il

la

on

pièce,

tombe

on ne peut pourtant pas dormir avec un Le lendemain on court chez

;

tombe sur

pleut partout.

»

j'ai


LA PLUIE CHEZ SOI. C'est charmant

salon ou dans

le

nous coucherons dans

allons,

!

la salle à

I57

manger,

et cette fois

on

ouvrira son parapluie.

Les chemins continuent à être impraticables

nous manquons de porteurs

les

;

grent presque tous, étant de race hova,

ceux qui restent en autant que

le

ville,

on

et

bourjanes émiet

quant à

se les dispute tout

plombier.

continue de rêver plaies

et

bosses, et son idée fixe serait de s'illustrer dans

un

L'autorité

petit

combat quelconque, sans songer que

tout à des

civile

la fois

hommes

danger

et folie

sur un point inutile.

Le commandant Bienaimé, de «

a

cela,

dit

»

Cette phrase

et leur seul désir

aussi aguichent-ils les les

:

est

de se

les laisse rê-

faire attaquer,

Hovas de toutes

les

manières.

environs de Diego et principalement

Mahatinzo sont pour

l'instant très agités

poste a reçu l'ordre,

la

sur notre territoire

;

;

ce dernier

nuit dernière, de s'emparer

d'un établissement hova qui,

cier, sans

doute

défensive et ne vous battez

la

qu'en cas d'attaque.

Tous

se méfiant sans

dans ses dernières instructions

Tenez-vous sur

veurs

ce serait

de perdre du temps et

on y

paraît-il, se trouvait

a tué 6

hommes

et

i

offi-

que nous ayons rien eu de notre côté.


MES CAMPAGNES.

158

Depuis ce temps-là, mettant

le feu

nées par

les

moyen de

les

Hovas répondent en

aux habitations françaises abandon-

colons,

défense.

le feu

étant toujours leur grand

Le canon de Mahatinzo répond

en tirant sur eux; mais nous ne savons tout cela

que quelques heures après, par

nouvelles arrivant

les

télégraphe optique, ou souvent

le

même

des indigènes, qui rallient Diego en grand bre, venant chercher chez nous

Malgré la vie

chaque jour qui

asile et protection.

c'est la petite

pour

brave à vivre avec

si

peu

et

et

;

les militaires

ne

soi-même on devient

les braves.

Les enfants comptent de Noël

routine de

se déroule paisiblement au milieu

des événements qui se préparent s'affolent pas

nom-

un peu inquiétante,

cette situation plutôt

marche toujours;

par

les jours

du Premier de l'An;

nement

;

serait-il

devenu sans

heureusement pour cela !...),

le

qui les séparent

c'est le

grand évé-

petit Jésus

(que

une maison de com-

merce vient de recevoir tout un envoi de joujoux qui, sans être merveilleux, feront encore le

des petits, qui ne sont pas des blasés.

bonheur


NOUVELLE FRONTIERE

21 décembre.

Aujourd'hui, journée agitée, mais beaucoup de bruit

pour rien ou tout au moins pour peu de chose.

Craignant sans doute de voir

Hovas exécuter

les

sur un de nos postes ce que nous venions de faire sur

un des

leurs,

on

a fait rentrer

dans

d'hier les détachements qui occupaient tar, la

Douane

et

aujourd'hui dans et les aider à

Orangea la

;

la

milice

'

la

journée

Antanamidevait aller

matinée leur prêter main-forte

évacuer

les

postes; elle n'en eut pas

Hovas mettaient

le

temps, car, dans

le

feu partout, se sauvaient en entendant les coups

l'intervalle, les

de canon, et partaient en incendiant quelques cases.

En ville, rait

I.

que

la

l'émoi avait été plus grand,

miUce

Police indigène.

avait été enlevée;

le bruit

cou-

aussitôt le


MES CAMPAGNES.

léO gouverneur

ment soir

et

gendarmes précipitam-

ce ne fut qu'à leur rentrée à 6 heures

qu'on sut

On

partir les

fit

du

la vérité.

eût pu facilement

éviter

en se

tout cela

contentant de rayonner autour de Maliatinzo pour

en protéger trouilles,

les

ou

abords

même

et

en

fiiisant

quelques pa-

en tendant quelques embus-

cades, pour s'emparer des maraudeurs.

C'est à croire qu'on veut se faire attaquer de

façon à forcer

la

main

et à

Ambohimarina. Pourquoi

Nous soupirons

nous obliger de prendre faire,

après

attend tous les jours

le

l'état

;

grand Dieu

!

qu'on

Priinauguet

de siège remettrait

choses au point en concentrant dans

d'un seul chef, miUtaire cette

les

mains

les

fois, la direction et

l'autorité.

23 décembre.

Nous continuons de

tirer le

canon

et les

Hovas

continuent, eux, de brûler tout ce qui se trouve à leur portée.

Toutes

marcher; on écoute et, le soir,

les nuits, la les

on prépare

la

troupe s'attend à

sonneries, l'oreille au guet,

tenue de campagne, bottes

et revolver, sans oublier le

précieux fanal.


NOUVELLE FRONTIÈRE.

On

rappelle aussi aux

sérieux, en leur

de nuit,

et

hommes que

supprimant toutes

les

l6l cela devient

permissions

en leur communiquant l'ordre suivant

paru cette après-midi

:

Le lieutenant-colonel informe

le

personnel

de

la

garnison qu'il pourrait y avoir du danger à s'écarter

isolément des abords immédiats de militaire

mandé, dépasser de

la Baie des

Oh

!

la ville.

Aucun

ne devra donc, en dehors du service comla ligne allant

du cimetière au camp

Amis.

ironie

du

sort

que

le

nom

tière, qui devrait désorm.ais être

Baie des Ennemis...

MES CAMPAGNES.

de cette fron-

changé en

celui

de


DIEGO EN ETAT DE SIEGE

24 décembre.

A

midi,

la

Romanche entre en rade venant de

Tamatave; on entend tambouriner comme dans les

grandes occasions; chacun, s'attendant à des

nouvelles graves, débotdine en trébuchant

boueuses qui mènent directement à

tes

les

rou-

la

ville

basse, c'est-cWire au quai.

Je

me

sans pitié sieste, le

prive de cette promenade, et je réveille le cuisinier

voir pourquoi ça J'ai

noir qui

nez sur sa vaisselle

tambour

li

remarqué que, quand

grassement

fait

Mon

«

:

fape

fort. »

si

m'exprimais en bon

je

absolument de

français, ce digne serviteur refusait

me comprendre

j'ai

donc adopté

moindre hésitation

et

deux, de cette manière,

le

sans les

:

la

la

ami, va vite

le

langage nègre

nous obtenons tous plus grand succès.

J'attends patiemment une

après quoi je vois arriver sur

bonne demi-heure, la

route, galopant


DIEGO EN ÉTAT DE SIEGE. avec frénésie et paraissant fort agité,

me

cuisinier qui

Ce

rapporte

les flimeuses nouvelles.

M. Colonel

débrouille ce qui suit

je

même

devenir

li

verneur; mais, M. Gouverneur tout... J'ai

compris,

nous pour

en

air

sio:ne

:

«

Tout

tuer... »

ça soldats garder

et,

du

épouvanté,

me

la ville

la

main

;

ça, tirer sur

d'un geste dramatique,

qui part, porte

le fusil

Dans

à

il

son cœur

une dernière pirouette

fait

de salut et retourne à ses casseroles. la

journée, l'ordre suivant est affiché par-

tout et c'est ce

même

ordre qu'on tambourine aussi

en malgache et en français

La

plus rien

de siège, mais ce n'est

c'est l'état

coucher 9 heures, sans

les noirs, fini

d*un

li... la

j'écoute le reste qui, selon lui, est encore

important

imite

:

chose M. Gou-

))

fini et

très

brave

puis des phrases en malgache, mêlé

finir,

de français, desquelles

pas

mon

sont d'abord des gestes et des exclamations à

n'en plus

«

I03

colonie de

Diégo-Suarei

:

est

déclarée en état de siège.

Le capitaine de vaisseau, chef de

la division

de Tocéan Indien, chargé des pleins pouvoirs militaires à

navale

civils et

Madagascar,

Considérant que

les

troupes hovas investissent

la


MES CAMPAGNES.

164

colonie de Diégo-Suarez et interceptent les

communi-

cations du dedans au dehors et du dehors au dedans,

déclare cette colonie en état de siège et

commandement de

l'état

de

siège

M.

colonel d'artillerie de marine.

Tamatave,

le

21 décembre 1894.

le

nomme

au

lieutenant-


LA NUIT DE NOËL

Tout

est très silencieux

quand nous quittons

case, longeant le village indigène

vers la grande route qui

monte directement

partie la plus haute de la ville, là

maison des sœurs

et

la

pour nous diriger

doit se dire

à la

se trouve la la

messe de

minuit.

Quelques patrouilles, quelques rondes de nuit assurant

la

sécurité de la ville vont et viennent le

long des maisons

;

nous traversons

les flaques d'eau, les tas

combrent

les

à grand*peine

de terre mouillée qui en-

rues; avec nos lanternes et nos bâ-

tons en main, nous cherchons nos pas, nous tâtons le

terrain,

les

pieds chaussés de galoches ou de

sabots.

On

réveillonnera au retour,

on tâchera

même

de s'égayer un peu, pour se faire croire qu'on est encore en France

et

que demain ne séparera pas


MES CAMPAGNES.

l66

toutes ces existences, toutes ces vies que

du métier les

et

de

la

le

hasard

guerre vont éparpiller dans tous

coins de ce pays, pour combien de temps

pour quelles destinées

?

personne ne saurait

?

et le

dire... Il

ne pleut pas ce

soir, le ciel est très

étoiles n'ont jamais tant brillé.

Ce dut

pur

et les

être

une

nuit semblable a celle-ci, une de ces nuits merveilleuses des pays d'Orient,

qui vit passer dans

les

plaines de Palestine, au milieu du silence de la nuit, le

cortège des rois mages, et

humble des bergers

et

le petit

groupe plus

des pâtres qui, guidés par

leur étoile, s'en allaient, silencieusement et avec

émotion,

à la

naître dans

recherche de ce Dieu qui venait de

une

étable, de ce bébé pauvre et misé-

rable, réchauffé par les

Ce n'était

animaux de ce

triste réduit.

ni le froid, ni la neige, qui sont le lot

ordinaire de nos nuits de Noël, mais bien le calme inaltérable de ces nuits des tropiques, ce ciel d'un

bleu saphir et ces

comme Et

je

mêmes

astres diamantés, brillants

des soleils

songe à toutes ces choses en gravissant

péniblement rendez-vous.

la

côte qui

mène au heu de

notre


LA XUIT DE NOËL.

Ce

n'est pas

une

église, pas

où nous allons ? tout ou du moins

167

même

cela n'existe pas

une chapelle dans

le

pays,

n'existe plus, car la vraie, l'église pa-

roissiale, a été

entièrement détruite, toujours au

fameux cyclone

;

on Ta remplacée provisoirement

par une petite maisonnette de planches mal jointes

où entrent librement C'est

qu'on

main du jour où Carnot;

fit

le soleil et la pluie.

un

service solennel le lende-

mort du Président

l'on apprit la

pays, qui ne veut plus de Dieu, sembla

le

se souvenir ce jour-là qu'il y en avait un, car tous

fonctionnaires de Diego, civils et militaires,

les

ainsi

que

le

sultan et sa suite, assistèrent à la messe

des morts qui fut célébrée dans cette misérable chapelle.

Quelques bancs mal caillouteux, bris

de

la

un

assujettis

sur ce terrain

autel de bois confectionné des dé-

pauvre

église,

quelques morceaux d'an-

drinople, de mousseline blanche à rideaux en font les seuls

ornements; des bouquets de roses en pa-

pier, des fleurs artificielles dorées

de grandes

fêtes, tel est, hélas

!

pour

tout

le

les

jours

luxe de

la

maison de Dieu. Aussi le

le

vieux curé de Diego s'en est

allé

monde, jusqu'à Rome même, quêter

de par

à toutes


MES CAMPAGNES.

l68 les portes,

gement

tendre

et sans

la

main partout, sans découra-

honte, avec

qui

la foi

fait les forts,

voulant à tout prix rebâtir une grande église, car

son idéal n'a pas de bornes,

mon,

il

semblable à Salo-

et,

rêve de construire dans ce pays perdu

quelque chose de magnifique

Nous déposons en nos bâtons

et

arrivant à

de grandiose.

et la

maison des sœurs

nos lanternes dans un coin de

randa et nous prenons place dans pièce de la maison,

Tous

les noirs,

se trouve

hommes

et

la

l'autel

la

vé-

plus grande

improvisé.

femmes, sont

à

genoux

par terre, suivant attentivement, de leurs grands

yeux de fauves, tous

Un

les détails

de

la

messe.

pauvre petit orgue, genre accordéon, qu'on

pourrait appeler

une machine

un orgue de poche, grand comme

à coudre, tenu par

accompagne de son mieux

une des

les

religieuses,

chants bizarres de

tous ces indigènes qui chantent à leur manière, avec une dévotion touchante,

gneur dans un

les

latin qui n'a rien

Et tandis qu'on célèbre

louanges du Seid'orthodoxe.

ici, si

misérablement,

sur ce coin de terre à peine française, une des plus

grandes cérémonies chrétiennes, des milliers de gens, sur d'autres coins du

monde,

se réunissent

dans des cathédrales magnifiques, dans des églises


LA NUIT DE NOËL.

169

somptueuses, au milieu de concerts harmonieux et

de lumières éblouissantes, en somme... pour

songer aux le

même

mêmes

Dieu

!

!

grandes choses

et

pour y

prier

!

Et puis, tous ensemble, avec d'autres amis trouvés

nous avons

là,

repris la route

mide pour retourner

et

hu-

un peu tristement

à la case,

Noël

peut-être, car cette nuit de

boueuse

était

sans cloches,

sans animation, sans gaieté.

Une

nuit de

Noël sans bûche

et sans

cheminée,

avez-vous jamais pensé que cela pût être!... nuit de

Noël sans

réjouit!...

Un

le feu

Noël

enfin!...

colonial

Aussi sentons-nous qu'il est

bon de retrouver un peu de

et

train

dans cette maison qui

loin

comme un

vie et d'en-

est nôtre,

perchée

joujou fragile

nous pouvons l'apercevoir,

petite lueur faible

Un Noël

loin de France!...

doux

sur sa hauteur

Une

qui pétille, réchauffe et

comme une

;

brillant

étoile qui

de très

d'une

scintille à

peine.

Les enfants,

ne veulent pas dor-

restés au logis,

mir, s'émoustillent et s'agitent, vibrant de joie à l'idée

Oh

du !

réveil

de demain

les nuits

souvient

comme

!

déHcieuses du petit Noël, on s'en si

c'était hier

;

dans un souvenir


MES CAMPAGNES.

IJO

cœur ému de

lointain je vois passer le petit moi, le

l'attente merveilleuse qui ne devait jamais se réaliser,

luttant des heures entières contre le

som-

meil, espérant voir enfin ce Jésus d'or tout étincelant, les bras remplis de joujoux

:

bergeries de

bois peint, moutons enrubannés, poupées de

Noé

au sourire pincé, arches de

vous vois encore quand

Le

je

cuisinier s'agite plus

un camarade vont

et

merveilleuses, je

ferme

yeux...

les

que de coutume

viennent de

randa, où est dressée

la table,

cire

la

;

cuisine à

lui et la

vé-

faisant, avec leurs

pieds nus, des bonds de singes qui font trembler

toute

la

maison

;

l'ordonnance, plus calme, veille

à son couvert et allume ses lanternes: de gros bal-

lons chinois, choisis exprès pour

ornés de cigognes et de

Les la

bambous

la

circonstance,

dorés.

enfants, ravis de ce bruit, collent leur nez à

porte vitrée et demandent avec anxiété

— C'est y venu, — Non, pas encore, mais qu'il est déjà

le petit

:

Jésus, dis

?

tant que vous ne dor-

mirez pas

ne viendra pas.

il

— Crois-tu Va donc

les

pour ne pas la

qu'il verra les bottes,

mettre tout près sur

qu'il les

mer. Et puis, tu

oubUe,

laisseras

s'il

maman les

?

marches,

passe du côté de

beaucoup de lumières,


LA NUIT DE NOËL.

quand on

sera parti,

naisse bien la

pour que

le petit

Jésus recon-

maison.

Et toutes ces explications la

I7I

me

sont données par

porte entrebâillée pendant que tout

s'assied à la

grande table

et

le

monde

qu'on attaque d'abord

l'oie traditionnelle.

Songez tits,

émotion pour des tout pe-

aussi à cette

qu'un jour de Noël dans un pays ne possédant

pas de cheminées!... alors... pas

«

Pas de cheminées

», mais...

de souliers, pas de joujoux...

Heureusement qu'avec un peu d'imagination de

ma

nous avons eu une fameuse idée!

part,

nous sommes

dit

et

nous

que, descendre par une chemi-

née ou entrer par une porte, ça n'était pas plus surtout quand on était

difficile, il

a

donc

été

justement du côté de

semblé

le

le petit Jésus...;

convenu que, ce dernier s'envolant la

mer

(c'est celui qui

m'a

plus poétique), en éclairant beaucoup

maison, en mettant

les

bottes de papa,

il

la

entrerait

jusque chez nous...

Et

il

va venir,

joujoux délicieux

ils

et

en sont sûrs, inespérés;

il

apportera des

déjà leurs rêves

commencent, bercés du doux espoir de

la réalité.


ADIEUX DU SULTAN

28 décembre.

monde

L'état de siège continue; tout le l'autorité militaire

:

il

était

temps

vaux de défense tout autour de y

travaillent avec

Comme mon

fait

des tra-

troupes

cuisinier

de recevoir des coups de

j'ai

moi,

je

me

soir est

vois bien qu'il va falloir partir,

mauvais goût

..

sant du tout, cette perspective

semble que

exemple, qui serions

menacé

fusil.

vée en plein mois de janvier.

me

les

tout noir qui

et

du

retour en France, seule avec

Il

annoncé,

l'avait

tardé le plus longtemps possible

crois qu'il serait de le

;

acharnement.

sort de sa case après 9 heures

à

sous

la ville et les

mesures sont des plus sévères,

Quant

on

est

si

à présent, je ;

mais

les enfants, l'arri-

ça n'est pas réjouis!...

j'allais à

est à trois jours

;

d'insister

la

Réunion, par

de Madagascar, nous

moins séparés, sans pouvoir

toutefois nous


ADIEUX PERSONNELS DU SULTAN


174

^lES

voir davantage,

on

CAMPAGNES.

plus facilement; c'est et qui

demande

Et puis

tits

les

un

projet que je vais mûrir

à être étudié...

paraît qu'en restant, je serais

il

en contravention

ainsi dire

moins des nouvelles

aurait au

;

j'ai lu

pour

ça dans les pe-

bouquins bleus, un, notamment, qui s'appelle Places de guerre. Hein! je suis calée...

savez, ces terribles petits livres

prennent à commander

ap-

les officiers

et les soldats à obéir,

inondent leur maison

les militaires

Vous

dont

de vrais la-

;

pins d'Australie, qu'on renouvelle constamment

mais qui ne changent jamais,

paraît-il. C'est

dans l'un d'eux qu'est écrite

ma condamnation,

on y

parle des familles d'officiers dans

état de siège

Tout

le

c'est terrible,

;

monde

part

comme

du reste;

une

bien

ville

en

c'est ça.

il

n'est pas jus-

qu'au pauvre sultan qu'on envoie continuer son exil à la

Réunion.

Toujours correct adieux touchants,

et affectueux,

et quitte, les

ce pays de misère qu'il précié, grâce à la

moignée.

Il

a

il

nous

fait

des

larmes aux yeux,

semble presque avoir ap-

sympathie que chacun

lui a té-

voulu que tous eussent une part

d'adieu et que personne n'ignorât son amitié pour la

France, qui, cependant, ne

lui a

procuré que du


ADIEUX DU SULTAN.

I75

désagrément. Le journal de Diego donnait aujourd'hui l'article suivant

AuK En

:

braves habitants de Diégo-Suarez..., salut... quittant,

pour

me

charmante colonie où

à

Réunion, cette

la

reçu un

accueil

mes

pression de

meilleurs sentiments et

\^otre

et

vous accorde

l'ex-

l'hommage de

profonde reconnaissance. Je prie Allah

protège

bien-

si

vous prie tous de vouloir bien agréer

veillant, je

ma

rendre

j'ai

qu'il

vous

ses grâces.

ami qui n'oubliera jamais vos

honorables

sympathies, Sultan Saïd-Ali,

ben sultan Saïd-Omar. Antsirane, 4 décembre 1894.

Le

journal ajoutait cette réponse

Nous transmettons

à qui de droit l'adieu plein de

nobles e du sultan Saïd-Ali.

empreints de

la

qu'il

En échange de

ses

vœux

poésie orientale et d'une reconnais-

sance toute française, nous

pour

:

lui

adressons

triomphe de ses ennemis

à aimer la France.

les

et qu'il

nôtres

continue


ET

M.

Il

n'y a pas que

tons,

y

il

CHARIFOU-JEWA

M^^^

sultan, ni

le

que moi qui par-

Charifou-Jewa

a aussi M"'^

et

toute sa

aux Indes incognito, aussi

smala qui retourne

femme musulmane,

incognito que peut partir une ce qui n'est pas peu de chose.

Vous ne connaissez non

pas M""^ Charifou

plus, figurez -vous, tant

chrétiens de pénétrer dans

même quand

c'est celui

n'ignorez pas que

Bombay,

est

Louvre

notre

et

ment sous

la

tout à

un

il

et les

Maison Charifou-Jewa, de la

notre Potin, notre

fois

et

nous donne

fi

!

l'horretir

gentleman, un

vrai-

beaucoup de consolations.

M. Charifou

épicier, tripotant tout le jour la

pruneaux,

parfait

musulman,

de votre épicier. Car vous

N'allez pas croire surtout que

un vulgaire

Ni moi

est difficile à des

intérieur

Bon-Marché

ce rapport

?

!

homme

M. Charifou

soit

morue est

un

charmant, plein de


M. ET M"'^ CHARIFOU. tact

77

de délicatesse, un aimable causeur avec

et

lequel

1

souvent des conversations

j'ai

très intéres-

santes.

Nous causons que

femme, sons

je sais

la

France

et

des Indes

tout ce qui

la

concerne

font quitter Madagascar

lui

bien

et,

encore pu être présentée à

pas

n'aie

je

de

venue au monde d'un quatrième

la

:

;

sa

trois rai-

guerre,

la

Charifou et

petit

de l'aîné qui entre dans sa sixième

les fiançailles

année.

que

paraît

Il

cela se passe ainsi

aux Indes

:

dès

qu'un garçon atteint l'âge de cinq ans environ, les

On

donne heu celles

pour

s'entendent

familles

femme.

lui

lui

chercher une

présente donc sa fiancée, ce qui

à des fêtes

du mariage

;

presque aussi solennelles que

après quoi

les

deux enfants

re-

tournent à leurs jeux, chacun de leur côté, en attendant l'âge d'être mariés. Ils

ont donc toute

l'autre et je

Il est

que

vie

me demande,

pas beaucoup d'ailleurs

la

mieux les

ainsi.

pour s'habituer l'un

après tout,

cela n'est

M. Charifou m'affirme

Indiens font d'excellents ménages.

vrai de dire

qu'une femme indienne qui

aurait la mauvaise idée de vouloir

mari

si

à

tromper son

serait bien en peine d'y arriver, car elle n'a

MES CAMPAGNES.

12


MES CAMPAGNES.

lyS pas

droit de sortir de chez elle

le

jamais

maison.

la

amènerait une

Oh

ne quitte

et

sage mesure

!

mais qui

!

révolution dans notre pays,

jolie

si

on voulait l'imposer aux femmes.

Des malins, tous airs

doux

ces gens-là avec leurs petits

!

aussi, les relations

com-

merciales dans cette maison.

M. Charifou

tient

avant tout à ne pas faire de

peine à ses clients

Vraiment charmantes,

il

est

un de

en train de

ces jours

;

faire failUte et

tous

qu'on va

le saisir

gens de sa maison

les

lent et le grugent à qui

mieux mieux.

Il

le pil-

parle assez

bien français; mais les écritures, les chiffres,

comprend il

rien et c'est

malheur pour la

caisse

n'y

il

quand

reçoit la chentèle.

Un

jour

il

pièce (c'était

a

voulu

me vendre des coquetiers

un peu cher)

et

une casserole o

(ce n'était pas assez cher); en j'ai

voulu qu'on intervertît

touché

en

était si

les

coquetiers pour rien.

c'était

et

;

pas besoin de vous dire qu'avec ce système-

je n'ai là,

la

un

Si

vous

de

la

homme allez

les

Quand

fr.

50

c.

honnête personne

prix et

qu'il a insisté

fr.

2

M. Charifou

pour que je

vous

je prisse

disais

que

de tact!

au magasin commander du sucre

bougie, choisir des dentelles ou des étoffes,


M. ET le

maître de

CHARIFOU.

maison vous reçoit

la

homme,

lant

possible

M"'^

I79

comme

en vous faisant asseoir

du fromage

un ga-

plus loin

le

du pétrole.

et

Avez-vous soif? un Indien de

la

maison vous

apporte, dans de délicieux petits bols de cuivre,

une eau pure

comme

le cristal et fraîche

glace, ce qui est, croyez-le bien,

précieux à Diego

vous

si

;

comme

un Hquide

la

très

n'aimez pas l'eau,

M. Charifou n'hésite pas à envoyer chercher une petite limonade.

Désirez-vous manger du bon kary,

comme

les

Indiens l'accommodent pour eux trois fois par jour ? causez-en avec

vous vendre ça

!

vous

il

M. Charifou,

celui

il

ne consentira pas à

du magasin, bon pour Malgaches,

offrira tout

de suite un bon cornet du

sien propre, de ce kary spécial et parfumé,

mant

la

cannelle et

famille se délecte

Quand vous

le

gingembre

et

embau-

dont toute

la

chaque jour.

passez payer

la

note, on vous offre

gracieusement une petite diminution, on vous rabat toujours quelque

Madame,

deau, deste

lecs;

puis

;

dehors

:

dit

menue monnaie,

M. Charifou d'un

petit caair

mo-

on vous reconduit poHment jusque

échange de grands saints

on s'incUne, on

s'abaisse

et

comme

de salamade grandes


MES CAMPAGNES.

l80

marionnettes majestueuses. M. Charifou ne con-

fond pas

les

grades

taine, au revoir. »

:

«

Au

Toujours, pour

adieux français, leur

joli

salut de la

répété plusieurs fois avec tion.

revoir,

Madame finir,

capi-

après

main au

les

front,

une grande componc-


DEMENAGEMENTS AUX COLONIES

ler

Un sible,

pauvre petit jour de l'An, misérable au pos-

un jour tout

en moins

pareil

et les soucis

aux autres avec

en plus

luttons pour ne pas nous

Tout

le

mains; songez donc

au découra-

pour

être braves.

monde

et

:

les

autres sont

jubile et se frotte les

quitter Diego, partir avec des

campagne

troupes, faire une

cependant nous

nous séparons,

part nous, qui

enchantés.

;

les joies

laisser aller

gement, pour nous remonter

A

janvier 1895.

!

C'en

est assez

pour

rendre heureux tous ces militaires.

Quant aux cadeaux, aux joujoux, enfants n'est

nous aura

plus

n'est plus

qu'on

Dès

dans

les

amusant;

servi

d'étrennes

tout petits,

le

c'est fini, c'est

la

joie

des

dès qu'on

;

jour de l'An

pour

les autres

travaille.

sept heures

du matin,

c'est

une

allée et ve-

nue de plantons, de noirs porteurs de paquets, avec


MES CAMPAGNES.

l82

des cartes à Fadresse de Monsieur ou de selle

A

tout à

,

personnes

;

jusqu'à

commandé

de bonbons,

temps

en France depuis long-

c'est ça qui est gentil

:

Le Primauguet

!

est arrivé hier.

des troupes imminent, d'une façon

Quant

à

mon

projet,

il

est tout

Réunion, avec escale

C'est

le

départ

ou d'une

autre.

mûri, tout

réflé-

chi; dans trois jours, je prendrai le aller à la

Mademoi-

comme pour des grandes maman qui reçoit un beau sac fiiit

paquebot pour

Sainte-Marie

à

et à

Tamatave.

Un déménagement n'est jamais bien

chez nous, vous savez, ça

compliqué, surtout aux colonies.

Cela consiste à vider sa maison, en vendant pour

un morceau de pain des choses très cher, à

possède

qui vous ont coûté

donner une grande

partie de ce

et à faire ses malles, qui

qu'on

ne sont jamais

très

nombreuses.

On

devient pratique dans nos existences

s'habitue à vivre avec peu de choses,

pour

cela plus

malheureux que

Un déménagement et qui n'a

qui

:

on

sans être

les autres.

s'est effectué l'autre

jour

pas été compliqué, c'est celui des pau-

vres sœurs dont

on

a réquisitionné la

y mettre des troupes.

maison pour


DÉMÉNAGEMEKTS AUX COLONIES. Le lendemain de Noël, un formait que leur local

de service

les in-

devenir un poste de

allait

soldats et qu'elles eussent

pli

183

à

quitter

le

de

tout

y camper à 4 heures

suite, car les troupes devaient

de l'après-midi. Alors ce fut une débandade, une déboulinade à travers

ville

la

de pauvres choses,

simples et propres, un vrai mobilier de couvent des

lits

de

fer, des tables, des chaises

n'y en avait pas beaucoup, nécessaire.

On

je

de paille;

vous assure, juste

déménagea tout

cela

:

il

le

une

dans

charrette à bœufs, sorte de grande prolonge, qui,

en un seul voyage, emporta tout à

la

nouvelle mai-

son qu*on leur avait prêtée. C'était lugubre, triste tout à fait, cette fuite en plein jour

;

on eût

dit

un temps de révolution, ou

bien de ces mauvais jours

tous les

habitants

d'un

où l'ennemi met en village

;

sœurs suivaient silencieusement

et

cette

les

fuite

pauvres

charrette,

portant respectueusement dans leurs bras

les

pré-

cieux objets qu'elles seules voulaient transporter

une statue de d'elles, tite

la

un Christ

:

Vierge aussi grande que l'une et les rares

ornements de

chapelle, jusqu'au tabernacle,

la

pe-

que des femmes

malgaches portaient aussi sur une sorte de brancard

.


MES CAMPAGNES.

184

Le

un

soir, vers 8 heures,

qui s'intéressait aux sœurs

officier

me

fit

de chez nous

prier d'y jeter

un

coup d'œil, pensant bien qu'elles n'auraient rien

manger jusqu'au lendemain, vu et

imprévue,

cette fuite forcée

que nous

et aussi parce

à

les

savions

très pauvres.

Donc,

je

me

mets en mesure d'organiser un

dîner quel qu'il soit

je

table, le

un

pain,

quelque chose de simple

comme

de faimahle,

ment

:

bœuf à

la

mode

:

absolument

Je charge

que

le

juste-

des familles, du potage,

une bouteille de

de campement

fanal en

Bretons;

les

trouve un reste de viande très présen-

gamelle fermant bien,

c'est

disent

et

le

main,

la

voilà l'effet

vin.

Avec une bonne

soupe dans une marmite le

dîner des prisonniers,

que

cela

me

produit.

noir de ces objets, je lui remets lui

donnant l'ordre

dîner soit accepté et

lui

d'insister

recommandant

tout d'être bref dans ses explications.

le

pour sur-


DEPART DE DIEGO

4 janvier.

Un

En mer

Que

d'étapes dans

une de franchie

si

cœur

inconnu,

et

la vie,

que d'étapes

une rude, car il

!

Encore

a fallu se quitter,

pour combien de temps,

cette fois, et J'ai le

trisie soir

mon

Dieu

!

.

.

plein d'angoisse à l'idée de cet avenir si

sombre,

si

troublé

Et pourtant, ceux qui nous ont vus partir n'auraient si

se

douter que nous nous quittions pour

longtemps

nous, à

pu

!

Hélas

!

on

s'en va

si

souvent, chez

qu'il faut savoir se séparer sans lâcher la bride

son cœur, se

faire des

adieux bien calmes, bien

tranquilles, en gardant au fond de soi sa tendresse et ses larmes.

Un

départ sans l'affolement

c'est la vraie

bravoure

Le paquebot

du chagrin,

ça,

!

doit partir

demain matin au

petit


MES CAMPAGNES.

l86

em-

jour, mais les passagers avaient l'ordre d'être

barqués ce soir à lo heures.

Oui, demain nous quitterons ce pays pour n'y plus jamais revenir, et voilà qu'en y songeant je

me

sens prise d'indulgence et de sympathie pour

ce coin de terre qui m'avait semblé toujours

horrible

Me

!

rant pour

C'est

la

si

voilà toute attendrie en le considé-

dernière fois.

un Diego inconnu, nouveau pour moi,

vraiment pas

laid

du tout, vu

ainsi

de

la

rade

par une belle nuit claire. Toutes les cases s'allu-

ment,

pareilles à des vers luisants posés là,

sur

des hauteurs différentes et qui démarquent bien l'aspect de la ville basse et de la ville haute

m'amuse

pourrais les

nommer

sans

me

cœur

tite

autres!!... C'est

chée tout là-haut ..

j'ai

gros, savez-vous, de penser que sa pe-

lumière ne va pas briller

rade..

je

tromper.

Seule, notre case est déserte maintenant, et le

;

à les regarder, je les connais toutes, je

dommage,

comme

celle

des

elle faisait si bien, per-

comme un

phare

et

dominant

la


UNE ESCALE A SAINTE-MARIE

6 janvier.

De grand

matin, par une

mer un peu houleuse,

mais d'un bleu transparent, nous mouillons devant Sainte-Marie^ Devant nous, une petite

vu dans d'autres bout de

bouquet de l'océan

Que

atti-

élégante, quelque chose de déjà

rante, coquette,

l'autre

ile

pa3^s

la

très lointains,

terre,

c'est

presque à

comme un

fleurs, planté là, seul,

et

gros

perdu dans

immense. fait

donc

si

près de Madagascar,

des montagnes arides, de

la

le

pays

poussière rouge et des

pierres noires, cette terre fleurie et verdoyante?

Quelque

oubli, quelque erreur bien sûr à

distribution des

Vue du

grande

large, ainsi éclairée par le soleil, avec

un peu de brume de beau temps, qui un

la

mondes.

jette

comme

voile clair sur toutes ces choses, Sainte-Marie,

avec son

nom

simple, très français et qui lui va

si


MES CAMPAGNES.

l88

nous apparaît

bien,

comme une récompense

pour nos yeux, privés depuis longtemps de tout ce qui est la nature, les arbres et les fleurs; c'est

comme un une

soulagement pour nos cœurs fatigués,

très jolie chose,

trevue

Là,

calmante

à

contempler, en-

pour un instant seulement

Nous devons

relâcher deux heures; une embar-

cation du bord ira seule à terre, car

ment aux

ici,

contraire-

autres relâches, aucun canot, aucune pi-

rogue indigène ne viennent

à

bord encombrer

le

bateau de marchandises ou de bibelots du pays. Est-ce que

On

n'aperçoit

mon ile enchantée serait même pas d'habitants.

déserte?

J'accepte de descendre avec l'agent des postes et le

docteur. Le canot nous dépose au Gouverne-

ment,

à la

rêver,

ce jardin

maison de taines

Résidence plutôt. C'est

joli,

joli

à faire

exotique qui entoure l'énorme

pierre,

toute

simple,

rappelant

cer-

demeures Louis XVI, qu'on trouve encore

quelquefois n'est ni

en France,

logis confortable, qui

le

maison, ni château.

L'entourage, l'enclos de ce jardin colonial, c'est tout simplement le

long de ce

la

mer bleue

petit talus.

qui clapote gaiement

Des héliotropes gigan-

tesques, des roses de Bengale et des géraniums.


UNE ESCALE

A SAINTE-MARIE.

189

France, mélangées aux fleurs

toutes les fleurs de

des tropiques, poussent

fraternellement, sans

ou de

souci du trop grand soleil, de la vague

la

tempête.

Trois grandes marches de pierre servent d'escalier et

d'accès à

Résidence. C'est

la

que nous

accostons.

Pendant que ces messieurs causent service remettent ture, faire

les lettres

de France,

je

et se

pars à l'aven-

une promenade autour de

la

maison,

dans ce grand jardin qui se continue encore très loin là-bas.

Ce

sont des plantations de café, de

des citronniers, poussant l'état

au hasard,

vanille,

la

un peu

à

sauvage, sans que personne y prenne garde,

toutes choses qui

embaument, dont l'odeur porte

à la tête, avec des senteurs grisantes de

parfums

trop forts.

Contournant

la

maison,

je vais

m'asseoir

un

instant tout près de la mer, au milieu des fleurs

de

joHes

verveines violettes,

reines-marguerites très roses,

justement,

comme

dans

et

:

des

les jar-

dins de campagne, en France. J'ai

voulu m'arrêter un instant, juste en face

d'une grande épave,

tristement échouée devant


MES CAMPAGNES.

190 ce pays

si

devant ces choses

riant,

du Lahoiirdonnais

l'épave

:

si

vivantes,

un beau grand bateau

qui, chassé par la tempête, s'en est

venu

faire

nau-

frage dans cette rade houleuse de Sainte-Marie, il

y

deux ans.

a bientôt

Hélas

!

presque tous des jeunes à bord, des en-

seignes surtout, dont trois ne purent être sauvés

;

comme

la

mer, toujours avare, garda pour

le

butin de cette grande bataille, ces trois pauvres

petits,

-si

braves,

elle,

enthousiastes pour

si

métier,

le

dont l'un, presque un ami d'enfance, avait

à tout

prix voulu devancer son tour afin de s'en aller

plus vite, disait -il...

C'est à ceux-là que

mot de

je

suis

souvenir, un adieu

!

venue

dire

un

petit

eux qui ne retour-

neront plus jamais au pays.

Presque en

flice

de ce coin charmant est

pays de Sainte-Marie

;

le vrai

nous reprenons notre canot

pour y aborder.

En

partant,

énorme bouquet c'est les

résident

le

un matelot

fait

à

me

à

une

remettre un

avec les fleurs de ce jardin

nous qui vient de

coupant rudement avec

pendu

fait

ficelle, la

même

;

les cueillir,

son gros couteau,

que pour son

sifflet

;


UNE ESCALE A SAINTE-MARIE. il

engloutit pêle-mêle dans sa large main et

les

me

les

moi pour

les

quand à

I9I

il

donne,

il

me

deux miennes

faut les

tenir toutes. Je les regarde avec

une admiration, un étonnement qui font autres

c'est qu'il

;

a

y

si

longtemps que

rire les

n'en

je

avais senti et touché de ces fleurs fraîches qui sen-

tent

si

bon.

Cette fois nous accostons n'importe où, où nous

pouvons

pas de marches, pas d'escaHer, un peu

;

de sable, des petits cailloux blancs qui font un drôle de bruit quand on hisse

le

canot pour des-

cendre.

Là,

de suite,

tout

ombragé qui longe

le

nous prenons un sentier

bord de

la

mer, rien que des

grands arbres, des palmiers, des fougères qui s'enchevêtrent dans un

beau

ici,

très

donné par

Où n'y

lequel

on ne

sont donc

a-t-il

c'est

encore

comme un chemin

aban-

fouillis

sauvage,

les

de verdure

passerait plus.

habitants de ce pays

?

ou

plus personne?...

J'obtiens de

mes compagnons de route quel-

ques renseignements, quelques voient pas ce pays pour

Cette

;

île

la

détails, car

première

de Sainte-Marie,

me

eux ne

fois.

dit-on, fut très

prospère autrefois, et fut entièrement construite


MES CAMPAGNES.

192

(c'est-à-dire ses maisons, sa résidence,

par un

neur;

c'est lui

son

comme

de marine envoyé

officier

église)

gouver-

qui créa en entier ce pays

il

y a

vingt-cinq ou trente ans. Elle eut

donc

ruinée grâce à l'abolition de

jour

vage

et à l'invention

elle fut

disons-le,

de

la

maudite

mort insolente qui plane sur nos fantôme

invisible,

pays tal,

:

prenant

beaux,

forts, les plus

fit

l'escla-.

betterave. Et puis aussi,

cette

fièvre,

la

son beau temps, jusqu'au

aussi

fièvre,

têtes

les plus

cette

comme un

jeunes, les plus

déserter petit à petit le

seuls, quelques indigènes, fidèles au sol na-

continuent de vivre sur cette terre insalubre.

Nous longeons

toujours notre sentier fleuri, de

temps en temps une potis de l'eau

trouée bleue et

jolie

nous rappelle que

que nous ne sommes

mer

la

le cla-

est là,

pas perdus dans une forêt

vierge.

Des fougères, des

lianes, des

mille choses verdoyantes et

en travers du chemin, sur

nous barrant

On

dirait

le

fleurs étranges,

moussues ont poussé

les arbres,

sur

la

route,

passage par instant.

qu'une

fois

tout

ce pays, la nature ait pris l'air, le soleil, la sève

le

pour

monde elle

parti de

toute seule

de vie destinée aux

hommes


UNE ESCALE A SAINTE-MARIE. et qu'elle s'en soit nourrie,

cent pour

un

et se

I93

abreuvée, produisant

multipliant avec épanouisse-

ment.

Et partout sentier,

où nous passons, en quittant

dans d'autres chemins qui mènent à

térieur, ce

;

tombant

unes sur

les

des

les autres, toits

pauvres petites cases avec leur jardin

encombré par des arbustes choses gigantesques

posséder

l'in-

ne sont que maisons en ruines, pierres

toutes vertes

effondrés

le

son escalier,

et des

fleurs

chacune

;

sa

barrière,

vermoulue; on sent que tout

cela

devenus

d'elles

a

aujourd'hui a été gentil,

coquet, construit avec soin.

De temps

en temps, mais rarement, nous trou-

vons une case habitée; des enfants noirs, tout nus, jouent tristement sur

le

chemin

;

ils

ont

petits insectes, restés là, par hasard, au

toute cette verdure. la

Tout

l'air

de

milieu de

cela respire la misère,

ruine, l'abandon, tous ces vieux murs, toutes

ces

maisons délabrées suintent l'humidité

la

fièvre

Il

faut cependant regagner le

bord

et

pour

cela

nous allons retrouver notre canot qui nous attend à l'appontement,

un

MES CAMPAGNES.

petit

embarcadère qui sort de I3


CAMPAGNES.

^^^S

194

toute cette verdure, de ce fouillis d'arbres et de fleurs.

justement un grand rassemblement de

a

y

Il

de choses; tous

gens

et

nis,

hommes, femmes

tristement

indigènes sont réu-

les

et enfants;

ils

attendent

corps d'un des leurs, un matelot de

le

Sainte-Marie, mort cette nuit à bord de notre bateau

;

on

pauvre

promis de

lui a

homme,

et cela

ramener chez

le

lui,

le

aura été sa dernière joie de

venir reposer sur cette terre qui était

la

sienne.

Des vies rudes que celles de ces matelots noirs, si

vous saviez

Tous

!

les

bateaux de guerre faisant

campagne dans

ces pays-ci en ont toujours à bord

une quinzaine;

c'est à

eux que sont confiés en gé-

nérai les corvées pénibles, les plus rudes travaux,

eux

chaudes le

montent

qui

et, si

les

embarcations aux heures

des officiers descendent à terre pour

service, en pays inconnu,

c'est

encore eux qui

leur servent de guide et de défenseurs à l'occasion. Ils

sont de bons serviteurs en général, dévoués

comme

le

chien à son maître.

Tout doucement, nous voyons cer, les

hommes

par respect pour tent;

on

l'a

nagent le

très

le

canot s'avan-

lentement,

pauvre cercueil

qu'ils

comme appor-

enveloppé tout simplement dans un


UNE ESCALE A SAINTE-MARIE.

I95

drapeau français, un grand pavillon de laine,

grand que et cela fait

ses

deux pointes trempent dans

comme un

une dernière

sillon

sur la mer,

traînée de souvenir

noir, qui s'en vient

l'eau,

comme

pour ce pauvre

dormir pour toujours dans ce

pays aussi endormi, presque aussi mort que

même.

si

lui-


TAMATAVE

que nous débarquons

C'est sur du sable

du sable partout, du

sable dans les rues,

blanc

et fin

remplace là

le

sur cette quai.

grande plage

Toute une

ville s'est

joli

du

:

sable

infinie

qui

construite

sur cette terre mouvante, sur ce semblant de

désert. Par instant, dans les rues étroites, bordées

de grandes tites villes

et belles

maisons, on

dirait

de ces pe-

de bains de mer encombrées, agitées

bruyantes, dont

la vie

ne dure que

trois

et

mois de

l'année; et pourtant ce n'est pas cela, pas cela du

tout

même.

Toute gens

et

cette

agitation, tout ce va-et-vient de

de choses,

qu'on prépare;

c'est la

elle

guerre, l'affreuse guerre

règne

maîtresse absolue, chassant

ici

en souveraine, en

les

habitants de leurs

maisons, bousculant, renvoyant de leur logis des tas

de gens qui ne demandaient pas à partir.


TAMATAVE.

!<)']

Partout des maisons réquisitionnées pour y loger des troupes, des boutiques suspectes qu'on a fermées, des Chinois ou autres renvoyés du pays.

Des chevaux, des mulets, des voitures, tout pris,

confisqué pour être employé

tout cela est voulu, forcé; c'est

et

est

dans le service, la

guerre avec

ses exigences et ses férocités.

Pilotée dans la ville par des amis militaires,

pu quitter

le

bord pendant quelques heures

;

j'ai

de

cette manière, pas de permission extraordinaire à

demander pour descendre

à terre,

comme

cela se

passe en temps de guerre, puisque ce sont eux qui les

donnent.

C'est une grande agitation,

un grand

va-et-vient

d'indigènes, de soldats, matelots, officiers à pied, à cheval, portant des ordres affairé,

;

tout

monde

le

a Tair

préoccupé.

Dans une rue où nous passons, tout un poste de soldats, revolvers à la ceinture, sort le

colonel qui est avec nous; son

est et

une grande maison, gardée par des

dont on a Il

fait partir les

pour saluer

campement

à lui

sentinelles,

habitants.

y a de beaux magasins dans ces

jolies rues

de

sable fin, des maisons importantes, françaises, anglaises,

allemandes, mais pour

le

moment

beau-


MES CAMPAGNES.

198

coup

se ferment, la vie

devenant très coûteuse, très

difficile.

Presque toutes les maisons ont d'élégants jardins, ce qui égaie infiniment le pays.

De temps en temps

des chèvrefeuilles gigantesques, qui ont dépassé les limites, s'en viennent jusque dans la rue,

de

jolis rosiers

ou bien

grimpent entre deux maisons

;

car

poussent à foison, ce qui étonne

là aussi les fleurs

au milieu de ce sable, de ce pays sans terre, sans

comme

arbre,

Un

le

commencement du

désert.

petit chemin de fer Decauville traverse

rue principale, prenant à

chemin;

alors, tout à

lui

tout seul

la

coup, sans qu'on y prenne

garde, c'est un mulet, une voiture, a devant soi, vous barrant

la

un cheval qu'on

route; on n'a qu'une

ressource, la raison du plus fort étant toujours meilleure, entrer sous une véranda

maison pour

que

le

ou dans une

la

population soit dehors, cou-

pour des raisons quelconques, bien

pays soit très

mouvementé pour

l'instant,

tout se passe sans bruit, tout est tamisé par sable

De

la

les laisser passer.

Quoique toute rant çà et

la

moitié du

doux qu'on

leur côté aussi,

à leur manière.

le joli

a sous les pieds.

J'ai

lesHovas préparent

la

guerre

eu l'occasion aujourd'hui de


TAMATAVE.

199

voir une très belle photographie de leur colonel

un gentleman des plus

c'est

vington, aventurier de son métier, qui, rir ie

monde,

vient jouer

ici

;

corrects, appelé Serlas

de cou-

ne trouvant plus rien à faire, s'en au militaire. Mais pourquoi sont-ce

toujours des Anglais, ces sortes de faux ennemis

que nous rencontrons en

pays de

conquêtes,

essayant de se mettre en travers pour nous barrer la

route?

Au moment où

nous retournons sur

la

plage

voyons em-

pour reprendre notre canot, nous

barquer dans une chaloupe, accompagnés par des trois espions américains,

gendarmes, par

un bateau allemand

des

Hovas

;

ils

et

qui passaient

ici

du côté

sont ligottés, garrottés, tellement

me demande comment ils marcher; ils vont, comme nous, que

amenés

je

peuvent encore regagner

le

pa-

quebot, car on nous confie ce précieux dépôt avec ordre de

le

débarquer à Maurice;

anglaise, le reste s'ils ils

ont

le

c'est

une

terre

ne nous regarde plus!... mais,

moindre

désir de rentrer à Madagascar,

y arriveront facilement.

La mer

qui paraissait calme ce matin est deve-

nue furieuse;

le

vent

s'est

élevé

et la

rade est

mauvaise, plus houleuse encore que de coutume.


MES CAMPAGNES.

200

En moins vague

à

d'une minute nous voilà jetés d'une

une autre, de grandes masses d'eau se

lèvent autour de nous, et cela vous engloutit, vous

reprend à chaque coup de lame, faisant de notre

comme une

canot

pauvre petite chose sans force,

sans volonté;...

malgré

surhumains pour

se retenir

soi,

on

fait

chaque

des efforts

qu'on se

fois

sent enfoncer dans ces gouffres.

L'accostage est pénible, on avance, on recule; c'est

une manœuvre lente

prendre sur

le

le

et difficile

que

bon moment pour accoster

celle-ci

:

l'échelle;

pont tout garni de monde on nous regarde

avec anxiété. Plusieurs fois nous tendons

pour

saisir la

mais

c'est

les

bienheureuse corde de cet

comme une

nous reprennent

et

mains

escalier,

taquinerie des vagues qui

nous

ressaisissent

à

chaque

secousse, faisant craquer pitoyablement notre ca-

not, en

même

temps qu'une grande gerbe d'eau

nous inonde, nous

laissant couverts d'eau salée.

Enfin, profitant d'une seconde où

soulève plus haut que jamais,

deux mains, d'un bond suis sur le

pont!

la

je saisis la

lame nous corde des

j'attrape l'échelle, et

je


EN MER

Et maintenant, a repris tout à fait

comme

large,

le ;

grand calme de

nous voilà au

la

mer,

le

c'est

du bleu

:

le

bleu

bleu du ciel; c'est une étendue im-

mense de choses l'eau,

mer nous

disent les matelots.

Tout autour de nous, de

la

large, bien au

très

semblables, l'horizon et

confondent ensemble

qui par instants se

un grand repos pour

les esprits,

au milieu des agitations de

Et pourtant cela va

la

;

une grande halte

guerre.

finir, cette

navigation aura

peu duré, cinq jours seulement; mais dès qu'on est

en pleine mer, c'est une

tout l'univers, qu'on

temps

se

séparation d'avec parti

depuis des

infinis.

Notre pauvre paquebot bateau d'émigrants

pauvre

telle

croit

monde

;

tout

a les airs tristes d'un

le

pont

est

rempli de ce

d'indigènes et de créoles, toute

la


MES CAMPAGNES.

202

gamme

du noir au blanc, emmenés avec nous au

départ et qui avaient l'ordre de quitter Diego.

On

chercher un peu

était allé les

partout, les

dénicher très loin dans les campagnes, tous de-

venant des bouches inutiles avec

demain pays

et

nion,

il

;

alors

on

leur

demanda

comme beaucoup fallut s'en

le

étaient

guerre de

la

nom de

de leur la

Réu-

retourner, repartir pour cette

terre natale qu'ils avaient fuie, chassés par la misère.

Tous

ces gens-là sont des passagers de pont,

couchant à ils

peuvent pour C'est

vres,

débrouillant

la belle étoile et se

la

comme

nourriture.

un campement de bohémiens,

que notre bateau, pour

l'instant

!

très

pau-

Tous

les

pauvres objets, vêtements ou autres, sortis de case à la hâte, sont là, amoncelés sur

empaquetés dans de grands morceaux aux couleurs voj-antes, tous les pays noirs

;

le

le

pont,

d'étoffes,

pagne traditionnel de

ce sont des

monceaux de

quets et de petites caisses mal ficelées avec des

de déménagements très pauvres, ainsi au

grand

soleil,

la

et

paairs

tout cela va

en plein jour, prend des

airs

misérables qui font peine à voir.

Aux

heures des repas on

apporte de grandes


EN MER. platées

de

riz, l'éternel

riz,

dévore gloutonnement avec terre,

203

que toute les

la flimille

doigts, assise par

en cercle, avec des petites manières de singes

tout à

fait

comiques.


LA POINTE AUX GALETS.

ARRIVEE

DIFFICULTUEUSE

10 janvier.

comme un affolement général, quelque comme une bagarre indescriptible que cette

Ce

fat

chose

arrivée à la Réunion,

ou plutôt

à la Pointe

aux

Galets.

Nous

étions arrivés

le

lo au soir,

à la nuit, et

nous avions mouillé assez loin en rade, en attendant

le petit

Ce

jour pour être envoyés à terre.

fut vers 6

s'avancer,

heures du matin que nous vimes

péniblement remorqué par une cha-

loupe à vapeur,

le

chaland, l'affreux chaland tout

noirci de charbon,

sorte de vieux radeau de la

Méduse, qui devait nous

emmener nous

et

nos ba-

gages.

Cette Pointe aux Galets a vraiment mérité son

nom

:

c'est

un coin de

terre desséché, aride, sans

constructions, sans arbres, exposé à tous

les

vents


LA POINTE AUX GALETS.

2O5

ne ^ressemble en rien au délicieux pays que

et qui

nous devions trouver quelques heures plus Depuis longtemps déjà, faisait sentir à la

Réunion

;

tard.

besoin d'un port se

le

on

a construit celui-là

avec des bassins, des cales pour réparer

les

un parc

imponant;

à

charbon, tout

cela

assez

bateaux,

mais on Ta placé, on se demande pourquoi, de Saint-Denis,

heure de chemin de

fer

pour y

si

loin

encore une

capitale, qu'il fliut

la

arriver.

Toutes ces rades foraines de l'océan Indien sont généralement mauvaises, toujours houleuses. Autrefois, quand

Denis,

la

mer

était

on descendait toujours

si

à terre à Saint-

forte qu'on

pour débarquer, dans des

mettait,

nègres se passaient tout

marchandises;

je

comme

barils

vous

que

les

des tonneaux de

souvent entendu raconter

l'ai

par des marins et affirmer par des gens qui en avaient tâté.

Après ciers,

les

adieux du bateau, adieux aux

l'excellent

h

et

paternel

Ylraouaddy, on nous entasse à

pauvre chaland, tous, émigrés,

Et

le

les

bagages,

remous,

le

les

offi-

commandant de la

diable sur

noirs, les

le

blancs, nos

les colis.

grand remous de

entraîne très vite loin du bord;

les

la

mer nous

autres nous


MES CAMPAGNES.

206 regardent ainsi

de très

de

partir avec pitié

nous avons

car

l'air

d'un grand amas de marchandises avariées, choses qu'on aurait sorties du fond

vieilles

la cale.

Et

le

vent nous pousse et

la

houle nous soulève

avec un peu de tangage et un fort roulis, régulier

comme un Tout

lent

cela n'était rien

nous attendait J'en

balancement de

ai

l'eau.

en comparaison de ce qui

à l'arrivée.

gardé un souvenir de cauchemar, quel-

que chose

comme un

mauvais rêve

Ce débarquement du chaland

!

et le

sauve-qui-

peut des bagages au milieu de ce peuple noir qui se rue sur

vous

poussant des

comme une bande

cris féroces, se

de sauvages,

battant, s'injuriant

à la créole, s'interpellant par de gros mots, des

injures grossières dites

gue d'enfant, tout

naïvement dans

cette lan-

cela devait être assez curieux,

assez

amusant pour un spectateur inoccupé, mais

pour

les

pauvres acteurs

comme nous,

c'était

beau-

coup moins drôle.

Le chaland nous sins,

Oh

!

nous étions ces

comme

escaliers

avait déposés

comme de

au fond d'un puits

pierre,

des échelles, qu'il

dans un des bas-

immenses, raides

fallait

gravir, entourés


LA POINTE AUX GALETS.

lO'

des porteurs de nos caisses, lesquelles menaçaient

toujours de nous tomber sur

la tête, ces escaliers

sans rampes, sans parapet! et la foule noire qui rugissait, qui

hurlait, car les nègres se croient

toujours obligés de crier dès qu'ils travaillent

moindre peu

Et puis cette douane genre!...

le

!... !

Un

supplice d'un autre

Des malles éventrées sans

pauvres bagages

pées, des cadenas qu'on

sauter,

flùt

pitié,

des

des cordes cou-

pillés, saccagés,

une

vraie scène

comme

de sauvagerie jouée par des gens

nous,

qui se croient des civilisés.

Tout

ce

monde

au train, car une

pitalier,

la

manqué,

fois celui-là

aura plus qu'un autre

devra passer

journée

le soir ici,

au grand soleil, sans

m'étaient venus en aide

rie,

auquel

le

commandant

— On a souvent besoin dont

le

seulement,

asile,

et

on

sans abri.

:

un

pitié

de moi

soldat d'artille-

m'avait recommandée,

d'un plus petit que soi

bagage, étant très peu de chose, ne

donnait pas de préoccupations, les

n'y en

il

dans cet endroit inhos-

Des gens cependant avaient eu et

pour arriver

se presse, se débat

enfants sous sa protection; c'était

lui

de prendre

offrit

mon

bagage


MES CAMPAGNES.

208 le

plus précieux, mais

aussi j'acceptai

son

le

plus encombrant, celui-là;

offre.

Il

eut une idée géniale et partit en

«

Madame, pour

mener

à la

me

disant

plus de sûreté, je vais les

gendarmerie.

:

em-

»

Puis un bon Monsieur,

empressé, aux petits

soins, qui se confondait en excuses, en indigna-

tions

pays, faire

cette arrivée difficultueuse, dans

pour

un pays

« si

si

joli,

mal juger par

et je fus obligée

de

si

complet, qui

son

allait

se

cette première impression »;

le

rassurer, de

le

consoler,

lui

affirmant que, chez moi, les impressions passaient très vite.

Le le

train est là

;

chaland court à

c'est la la

dernière émotion

:

tout

gare, toujours suivi de nos

noirs dont l'excitation et les cris n'ont

fait

qu'aug-

menter. Il

sait

y

a aussi

d'où,

un

monde

tas d'autres

de noirs

et

gens venus on ne

de créoles comiques

au possible.

Des Madames toutes

noires, avec des ballons

de cheveux crépus très récalcitrants, sur lesquels est

perché un petit chapeau à

et

coquet; en général leurs robes sont

roses,

la française,

élégant claires,

bleues, blanches, beaucoup de choses des-


LA POINTE AUX GALETS. SUS, le plus possible, et,

209

surtout, ce qui est très

apprécié, très bien porté, une forte épaisseur de

poudre de

sur tous ces visages noirs,

riz

mant atrocement Puis des

jolis

patchouli et le corylopsis.

le

Missieax, très noirs aussi, portant

comme

des complets

peaux de toutes

embau-

les

sur

le

boulevard, des cha-

formes, mais par exemple leurs

bons gros pieds sont nus, dispensés

qu'ils

sont des

supplices de la civiHsation.

Une

dernière bataille pour faire enregistrer nos

caisses

dans cette gare en miniature, un dernier

assaut de coups de poings et d'injures.

De

loin, par-dessus toutes ces têtes crépues, j'a-

perçois le

gendarme

enfants

me

se les

;

il

fait

bienfaiteur qui a gardé

mes

me protéger,

qu'il

signe qu'il va

charge pour moi de jouer des coudes et de dire gros mots nécessaires pour arriver.

Enfin, au

moment

de prendre

inconnu vient vers moi d'un

envoyé par et

le

vu plus tôt

On

me Que

l'hôtel.

:

il

un est

venir en aide

ne

l'avais-je

!

se place

min de

air obligeant

capitaine C... pour

nous mener jusqu'à

les billets,

comme on

fer; c'est

un

peut dans ce petit che-

vrai joujou,

il

a les allures

de

ces petits trains qu'on tire des boîtes en carton,

MES CAMPAGNES.

I4


MES CAMPAGNES.

210 avec des

en vert,

wagons mal accrochés,

peints en rouge,

joujou bon marché,

joujou de bazar,

le

deux wagons pour

le

wagons pour

six sous, quatre

dix sous.

On nous

demande comment

se

et

nos nombreux

malgré tout, ce à

une

il

colis.

petit train

;

il

nous portera tous,

Et

nous emporte,

il

nous emporte

allure très respectable;

même

et voilà que, très

vite,

nous voyons

des

campagnes, des montagnes; nous passons

même

défiler

devant nous des

sous de petits tunnels

tout près de

la

mer

:

très

taillés

dans

le

roc,

joujoux aussi, ces tunnels.

Longtemps, nous longeons

le

de grandes plages interminables gris,

villages,

bord de Teau, fiiites

de galets

formant des étendues immenses, des monta-

gnes presque, car

De

la

mer

les

pousse toujours.

grosses vagues blanches, toutes mousseuses

d'écume, arrivent de

très

loin,

de l'immensité

bleue du large avec de petites crêtes argentées,

blanches aussi, qui augmentent à mesure qu'elles

approchent de

terre.

Toutes ces plages ont des la

mer mouvementée, que

airs

rien ne

abandonnés gêne

ni

range, vient s'y étendre avec délices, en raine,

et

ne désouve-

en maîtresse absolue, laissant après chaque


LA POINTE AUX GALETS.

211

vague un grand sifflement d'eau, ce bruit étrange

que font

les

lames en se brisant sur

les galets.

Les montagnes se rapprochent, de

mon-

jolies

tagnes toutes bleues avec beaucoup d'arbres, de verdure, des choses très vertes, qui ont s'accrocher après,

puis

derrière

elles,

montagnes, absolument grises cette

l'air

de

d'autres

fois,

dénu-

dées, déchiquetées, qui font des découpures bizarres sur ce ciel, d'un bleu trop violent.

De temps

en temps, une petite station, un court

arrêt de cinq

d'autres

minutes; quelques noirs descendent,

montent

;

un

petit

coup de

sifflet

aigu et

notre joujou se remet en marche.

Enfin voilà

la

ville,

des

monuments,

des mai-

sons importantes, des casernes, un clocher

:

c'est

Saint-Denis.

Une le

figure

amie nous attendait

capitaine C..., qui fut

mon

leur des pilotes pendant les sai

dans

la

capitale.

à la gare, c'était

sauveur

et le meil-

deux jours que

je

pas-


LA REUNION.

comme

Rien n'est drôle pays; moi,

elle

SA VIEILLE HISTOIRE

m'amuse,

la

elle

géographie de ce

me

carte de cette curieuse petite terre. je

ne voudrais pas

faire

et apprécié

Dans

En

disant petite

mieux que personne,

splendides, poétiques et grandioses à la fois, la

j'ai

au delà de tout.

montagnes pittoresques, absolument

ses

eu, pour

la

de peine aux habitants de

ce délicieux endroit que,

aimé

passionne,

première

fois

hors de France,

la

j'ai

sensa-

tion que j'aimerais vivre là, et jamais je n'avais

éprouvé cela nulle part.

Très tous

Bourbon avec

sanctifiante aussi la carte de

les jolis

noms

une constellation,

qui l'entourent

c'est

;

une auréole sainte:

comme Sainte-

Marie, Sainte-Suzanne, Sainte-Rose, Saint-Philippe,

Saint -Joseph,

Saint-Pierre,

Saint-Louis,

Saint-Leu, Saint-Gilles et Saint-Paul.


LA REUNION.

Tous

SA VIEILLE HISTOIRE.

nommés

ces pays furent ainsi

ancienne époque,

de

la jolie

vigateurs.

213

une

à

très

celle des belles frégates à voiles,

marine du temps passé, des grands naLes gens partaient

bravement,

sans

ordre de retour, pour des années, souvent pour des temps infinis, à la découverte de pays incon-

nus, étranges, sans cartes et sans pilotes, et

donnaient

le

vraient le

nom

plus souvent à la terre qu'ils décou-

noms

leurs voyages,

pour

avaient atterri.

ils

se passionnaient

ces pays

les

de leur bateau ou bien

des saints du jour où Ils

ils

pour

nouveaux, pour ces

terres qu'ils allaient

conquérir, tous ces marins d'autrefois

ils

;

fai-

saient de belles et intéressantes choses, c'étaient

des vies enviables que laisser des

fants,

comme

comme

nôtre.

souvenirs de notre enfance, que la

les

tour Eiffel et des expositions uni-

Panama,

verselles, les histoires de

voyages présidentiels

Ah!

le

qui n'aurons à raconter à nos petits-en-

merveilles de

les

qui devaient leur

souvenirs autres que ceux qu'ils auraient

gardés d'un temps

Nous

les leurs et

siècle qui portaient,

14 Juillet

et

!

oui, cela devait être bien

d'être de l'époque de ces

les

plus

amusant

beaux bateaux de

au lieu de tous ces

l'autre

noms de


214

CAMPAGNES.

^^^^

comme

guerre foudroyants et insolents

nos jours, des

noms

jolis

ceux de

d'espoir, de poésie,

de

saintes choses.

Tels furent

les

noms

XIV

partirent sous Louis

pays inconnus

ces

VHeure-dii-Berger,

des premiers bateaux qui à la découverte de tous

VÈtoile-du-Matin , V Espoir,

:

la Perle,

Sainte-Marie,

la

la

Vierge-du-bon-Porl

Et puis de cette alors

ile,

nom

— son histoire

la

d'il

si

y

drôle, l'histoire

a très

longtemps,

que

l'habitait encore,

connaissaient à peine,

les

désignant sous

la

de Petite terre inconnue.

Ces deux

îles

étaient sœurs, bles,

curieuse,

est si

que personne ne

marins le

elle

que

les

si

de Maurice .

navigateurs

Elles avaient de jolis

de-France

et l'île

et

de

les

Réunion

la

près l'une de l'autre,

si

sembla-

confondaient.

noms

très français (l'Ile-

Bourbon) qu'on

s'est

empressé

de leur enlever, avec cette férocité de notre époque de vouloir supprimer tout ce qui a été, détruire

même le

en pensée des choses qui ont existé

et

dont

souvenir n'eût gêné personne. J'ai lu

des choses très intéressantes sur ce petit

pays dans un gros livre très savant. N'est-ce pas que cela paraît toujours étonnant


LA RÉUNION.

SA VIEILLE HISTOIRE.

femme

de penser qu'une

puisse

21

quelque chose

lire

Eh

de sérieux, un livre autre que des romans. bien! et

comme

suis

je

même

ce qui

vous, cela m'étonne aussi,

m'étonne

plus, c'est

le

que nous

puissions nous en souvenir; vous avouerez que je n'ai

aucune

nos pauvres cerveaux de

illusion sur

femmes, tout

petits, pas

compliqués

raient en retenir beaucoup

Mon de

gros livre savant s'appelle

Bourbon

l'île

Madagascar, par

de

Les Origines

I.

Guïet. C'est

Les appellations

pourrait

là qu'il est dit

noms de la

saints

Réunion

le

donnés

ce à

:

aux différents points

laissées

pas un vocable de

côte n'étaient

comme on

:

de la colonisation française à

toutes ces petites localités de

la

ne sau-

et

qui suit, au sujet des

«

et qui

à la fois.

penser.

On

paroisse,

les devait

géné-

ralement au premier navire dont l'équipage avait

campé

à terre assez de

temps pour que

de son

nom

ci

tous ces

un faux

restât fixé

noms de air

Toutes petit pays

:

saints qui

de calendrier.

les il

la localité.

le

souvenir

Delà viennent

donnent

à la colonie

»

nations se disputèrent longtemps ce faisait

Les Portugais, miers, mais n'y

les

envie à tous.

Hollandais y vinrent

restèrent

pas.

les

pre-

Nous occupions


MES CAMPAGNES.

2l6

Madagascar depuis longtemps, depuis 1600 environ, que nous ne connaissions pas encore Bour-

bon

des navigateurs y étant passés en avaient

;

des récits

si

merveilleux,

fait

enchanteurs, qu'on

si

envoya successivement beaucoup de frégates avec mission de découvrir à nouveau cette

On

la disait

île

enchantée.

inhabitée, mais elle possédait tout

ce que la nature peut produire pour rendre

une

population absolument heureuse.

Le

plus drôle, c'est qu'on eut beaucoup de peine

N'ayant aucune carte exacte de tous

à la retrouver.

on s'imagina longtemps

ces pays,

qu'il

y

avait là,

en plus de l'Ile-de-France, alors appelée Sainte-

ApoUonie, deux sait

îles différentes

Mascareigne, du

nom

:

une qu'on

bapti-

du navigateur portugais

qui l'avait découverte, et une autre qu'on désignait

sous

nom

le

de Jean-de-Lisboa. Pendant tout

xvii^ siècle, les

cette troisième île imaginaire

une émotion, à

il

le

navigateurs s'acharnèrent à trouver ;

un d'eux eut un jour

crut l'avoir découverte, ayant vu

peu près dans ces parages un papillon voltiger

autour de son navire.

Ce et,

d'ailleurs

fut

vers

tout ce

qu'on en

vit

jamais

1780, on se rendit compte que Masca-

reigne et Jean-de-Lisboa ne faisaient qu'une

île:


LA REUNION.

Bourbon,

SA VIEILLE HISTOIRE.

connue des Français

déjà bien

et

217 colo-

nisée par eux depuis plus de cent ans.

Ce

donc pas

n'est

d'hier

que furent inventées

colonies et voilà déjà très longtemps que nous

les

avons

déplorable habitude d'aller vivre loin de

la

chez nous, quand on

Très drôle, rent à

la

Bourbon

qu'ils vinrent

y

serait si bien

au pays

façon dont les Français :

!

s'établi-

ce fut absolument par raccroc

faire

souche.

Sous Louis XIII, une compagnie de navigation, autorisée par RicheHeu, envoya de Dieppe

un

cer-

tain Pronis avec des navires et des colons. Ils eu-

rent d'abord

la

malencontreuse idée de

Sainte-Marie, où un tiers couragés, à

ils

se

rembarquèrent

Tholongare où, pour

digènes,

ils

mourut des

bâtirent

et

s'établir à

fièvres.

Dé-

vinrent s'installer

se défendre contre les in-

un

fort

qu'on appela Fort-

Dauphin, en l'honneur de Louis XIV, enfant.

Un

fort, c'était bien

dans, Pronis,

homme

;

mais une

fois

trouva que ça manquait de femmes en épousant une Malgache

De

tous

les

enfermé de-

d'imagination vagabonde,

;

:

il

y suppléa

ce fut son malheur.

coins du pays arrivèrent une nuée de

cousins et arrière-cousins de

M™^ Pronis, réclamant

des vivres, de l'argent, des cadeaux. Les ressources


MtS CAMPAGNES.

2l8 de

colonie allaient y passer; les colons se révol-

la

tèrent et jetèrent Pronis en prison, pendant la

femme

que

compagnons.

infidèle s'enfuyait avec ses

Heureusement pour Pronis, des

renforts arrivèrent

de France au bout de six mois

;

il

fut délivré et

douze révoltés des plus dangereux furent déportés à la

grande Mascareigne.

La pénitence

un pays où

quittant

on

sère, tit

paradis

vécurent l'ile.

ils

envoyait

les

comme dans la chanson;

fut douce,

la

avaient

comme

maladie

abondamment

failli

mourir de mi-

punition dans un pe-

était

inconnue

et

ils

des produits naturels de

Et quand, quelque temps après,

le

successeur

de Pronis eut l'idée d'aller voir ce qu'étaient deve-

nus

les

malheureux déportés,

gras, dans

que

le

Au

un

trouva gros

les

faisait

complètement défaut.

de cette aventure, l'imagination des

Fort-Dauphin

s'exalta

;

tous

volontiers rejoint leurs camarades et effet

un

et

état de santé d'autant plus évident

vêtement leur récit

colons de

il

certain

nombre de

il

eussent

y eut en

transfuges. Les bateaux

de passage laissèrent aussi à Bourbon des déserteurs et des

malades,

et la

population s'augmenta peu à

peu. Mais tous ces gens-là étaient des rien que des

hommes.

hommes,


— SA

LA REUNION.

Un

VIEILLE HISTOIRE.

navire avait cependant,

un jour dix noirs eurent un

tel

trois

et

est vrai,

il

négresses,

219

débarqué lesquelles

succès que, pour sauvegarder leur

honneur de nègres, ceux-ci durent immédiatement

femmes dans

s'enfuir avec leurs

ils

En

firent

les

montagnes,

souche.

i66j, un amiral compatissant, dont

le

nom

mérite d'être conservé, Mondevergue, débarqua à

Bourbon cinq jeunes

Françaises. Inutile de dire

que, quoique sans dot, elles ne furent pas d'un

placement

difficile

que toute

la

:

c'est d'elles

que descend pres-

population blanche de Bourbon, où

l'on retrouve encore les

noms

de leurs maris, ce qui

prouve à quel point cette colonie

est

profondément

française.

Cependant augmenter

la

et,

population mascuUne continuait à

en 1671,

la

colonie ne comptait pas

moins de deux cents Européens jours que cinq

voyez. Enfin

femmes

les

;

c'était

;

bert «

n'y avait tou-

peu

réclamations et

pérés des colons furent entendus

Regnault,

il

les ;

comme

vous

appels déses-

leur gouverneur

homme doux et généreux,

écrivait à

Col-

:

Ne

pauvres

pourrait-on envoyer de France quelques filles,

pour

les

marier avec des garçons qui


MES CAMPAGNES.

220 attendent des

femmes depuis

si

longtemps

pauvres personnes étaient assurées de cette

? Si ces

bonté de

la

du bien qu'on leur veut procurer,

île et

elles

feraient certainement le

voyage dans l'espérance du

bonheur qui

dans un climat

les suivrait

Cette demande touchante par Louis

XIV

;

le

grand

roi,

si

enfin

fut

doux.

»

accueillie

mieux que personne,

pouvait compatir aux peines de ces sujets lointains;

il

fut

donc décidé qu'on enverrait

On

un sérieux convoi de femmes. un orpheUnat, venture.

Ce

Très mal le

fut toute

une odyssée. bord de

h.

capitaine de Beauregard,

deux moururent en route

On

une rude traversée se rembarquer, avait

;

;

la

Dunherquoise par

homme

Fort-Dauphin après

déclarant formellement qu'on les

envoyées au loin pour les

les

marier, qu'elles

voulaient pour fem-

et qu'il était inutile d'aller plus loin.

résister

et brutal,

passagères refusèrent de

verneur de Fort-Dauphin n'eut pas

et,

dur

Beauregard s'en réserva

arriva à là, les

trouvaient des colons qui

mes

Bourbon

seize qui consentirent à tenter l'a-

traitées

une troisième.

à

en trouva, dans

le

Le gou-

courage de

aux demandes énergiques de ces jeunes

malgré

les

filles

ordres du roi qui avait destiné les pas-

sagères a Bourbon,

on

les

maria à Fort-Dauphin.


LA RÉUNION.

De dont

là,

221

SA VIEILLE HISTOIRE.

femmes malgaches

révolte et grève des

colons s'étaient jusque-là contentés,

les

comdu

plot, massacre de la moitié des blancs, blocus

gouverneur

du

et des autres à l'intérieur

Le passage inopiné du Pigeon-Blanc sauver

fort.

vient les

tous s'embarquent à bord de ce navire qui

;

dépose dans une colonie portugaise, où

les

nouveaux ménages

part des

Deux seulement

le

nombre

colonie à sept. Plus tard filles

de

celles-là

plu-

restèrent.

finirent par arriver à

en 1672, ce qui porta

la

il

des

Bourbon

femmes de

en vint d'autres,

la

les

grandirent et, petit à petit,

la

colonie se peupla.

Mon à

auteur insinue que les Parisiennes envoyées

Bourbon devaient

être le

point de vue physique.

dans toutes

les

A

dessus du panier au

époque on

cette

colonies des envois de

faisait

femmes dont

on ne pouvait pas toujours garantir la beauté, ce qui donnait souvent Heu à des réclamations, et

Colbert avait reçu entre autres, des Indes, une lettre fort vive

mes amers de « Si ces

du gouverneur, la

se plaignant

en ter-

mauvaise qualité du dernier envoi.

femmes,

écrivait

ce

dernier, ne se

ma-

rient pas plus vite, c'est qu'elles sont trop laides. »

Le

succès obtenu par celles de

la

Dunkerqttoise

fait


MES CAMPAGNES.

222 supposer que

celles-ci

puisque, à toutes

veur de

A

du moins devaient être

les escales,

on

jolies

se disputa la fa-

garder.

les

longue, des colons sérieux, des familles

la

nombreuses vinrent tablirent

ils

à

Bourbon. Partout où

encore aujourd'hui selon leur légende grettes, de la

:

terrifiants, la

nos plus

On

retrouve

les

dangereux ou

gais,

pointe des Avirons, des Ai-

Ravine au Malheur, du Gouffre, des

etc.; la rivière des Pluies,

des Marsouins, du Bel-Air,

Le pays

s'é-

donnèrent des noms pittoresques qui

tous avaient une raison d'être.

Orangers,

ils

alla

des Chèvres,

etc.

toujours croissant et devint une de

belles colonies, jusqu'au jour

la

ruine

arriva avec la suppression de la traite et l'appari-

tion

du sucre de betterave. Aujourd'hui, Bo^^bon

est fini

;

il

y

a encore de belles constructions, des

maisons magnifiques, mais on sent que vétusté règne en maître dans ce petit pays dont

les

beaux

jours sont passés.

De

toutes ces jolies choses

il

ne reste plus

qu'une grande misère, des noirs inoccupés, des propriétés abandonnées, et voilà ce que nous appe-

lons

le

progrès colonial

! ! . .


EN ROUTE POUR SALAZIE

Nous laissant

quitterons Saint -Denis demain j'espère,

ici,

moustiques

les

hébété, vous

laisse

enlève

matin, la

cha-

vous anéantit,

leur, la grosse chaleur lourde qui

vous

et

vos

toutes

fa-

cultés.

Nous nous Salazie,

très

Bourg

:

enfuirons vers ces montagnes de loin,

où sont

dans

petit village

le

l'hôpital

thermales, et où toute

la

d'Hell-

militaire, les eaux

population civiHsée va se

réfugier pendant les grosses chaleurs.

Oh

!

il

a fallu

beaucoup de pourparlers avant

de décider ce voyage, beaucoup de difficultés pour

nous

et

retenir

nos bagages, beaucoup de peine aussi pour

une servante, une négresse

sente à monter, car là-haut ces

dames

campagne

et ces ;

on

il

fait

d'ici

qui con-

froid, et puis

demoiselles noires s'ennuient à

la

n'a plus la distraction de la ville et


MES CAMPAGNES.

224

beaucoup

l'on se fait

tirer l'oreille

pour

partir dans

montagnes.

les

Rien n'est drôle

monde

comique

et

comme

de noirs jouant au monsieur, à

à la demoiselle, et se

prenant tout à

tout ce

dame

la

fait

et

au sé-

rieux.

Ah

!

ont bien compris

ils

même

bons nègres, voire et ils

en profitent à cœur

C'est

la

tous ces

liberté,

l'égalité et la fraternité, joie.

servante de l'hôtel qui m'a procuré

la

la

mienne, une négresse amie. Nous avons eu une petite entrevue, tre,

on

avons «

est

Tune

l'engagement,

à l'au-

et

je

nom), m'avait

dit la servante,

Et madame

ma

un grand

rap-

appre-

»

bonne m'arrive en

efi'et

doux, une dame toute noire, une

veuve même, car

elle

comme

cachemire,

qu'il

cherchais une négresse.

Oui, oui, amène-la.

air très

nous

par nous entendre.

Tu veux, Madame, mi l'amène à toi, ça mon amie, madame une telle » (je ne me

nant que

très

a présentées

a discuté les prix,

fini

pelle plus le

«

on nous

les

porte un

énorme

avec un

madame châle de

veuves en ont en France,

châle qui lui va très mal et qui lui tient

chaud

;

elle a

même

des bottines qui craquent,


EN ROUTE POUR SALAZIE. seulement

je

ne suis pas sûre

225 ait

des bas

langage enfantin

et naïf,

qu'il

y

dedans.

Nous causons dans un

dans ce jargon créole qui est une langue d'enfant

amusante au possible,

émaillée de locutions

très

maritimes, un peu du langage du matelot, puisque ce sont eux les premiers qui parlèrent notre langue

dans ce

pa3'S

guer, et

les

;

on

dit

amarrer, souquer, espérer, lar-

expressions équivalentes, c'est à peine

noirs les connaissent.

si les

Nous nous tutoyons tout

Ma

bonne consent

soigner petits babas (enfants),

:

peu cuisine lents, des très

tous.

», et tout cela est dit

balancements de

avec des airs do-

tête et des

doux qui vous endorment

à

« faire petit

et

mouvements

vous engourdis-

sent.

Puis quand aller,

elle

je lui dis

l'endroit

où nous

regarde sa compagne d'un

effrayée et l'idée de ces

montagnes

air

allons

un peu

fraîches la fait

frissonner à l'avance; elle se blottit dans son châle

avec

le

mouvement

de quelqu'un qui a très froid

me montrant ses belles dents gros rire, elle me dit « Ça l'est et,

:

blanches, d'un froid

même

là-

haut. » C'est entendu; iMES

elle

CAMPAGNES.

viendra demain matin au I5


MES CAMPAGNES.

226

petit jour avec ses malles et tous ses paquets les vois déjcà ces petits

de ces

baluchons. J'en

tant

ai

déménagements de négresses, de

quets volumineux roulés dans

les

;

je

vu

ces pa-

indiennes du

pays, amarrés avec de petites cordes très fines, tressées en bourre de coco.

Nous avons de fer;

c'est lui

retrouvé notre joujou de chemin qui nous a

Descendus au

village

menés encore une

de

avons trouvé notre voiture,

une voiture

;

elle avait

le

cela peut s'appeler

dû être calèche dans son

jeune temps, mais à présent avoir gardé que

nous

Saint-André, si

fois.

elle

me

semble n'en

nom.

Trois bonnes petites mules,

l'air

un peu sau-

vage, vont nous mener jusqu'à Salazie, où

il

fau-

dra relayer et changer nos bêtes. Il

y

qui est

a là aussi, à côté de la nôtre, la

une voiture

diligence; elle est encore bien plus remar-

quable, celle-là; c'est une espèce de break avec des

formes tout lage,

à fait bizarres.

pourvu

La nôtre

qu'il

Mais qu'importe

l'atte-

nous mène.

s'appelle

un mylord

;

c'est

ma bonne

qui m'en avertit, elle a conscience de l'importance

de notre équipage

;

aussi

est-ce avec

un

certain


EN ROUTE POUR SALAZIE. mépris qu'elle regarde

22/

voyageurs s'en-

les autres

tasser dans la diligence.

Ce

pays doit ressembler

quelque chose

à

comme

1830 conservée, témoin cette voiture appelée mylord, et puis les

noms

donne encore volontiers; pour

M""* de Staël qu'on

porterait des

manches

à gigot.

traversons tout

le village

de Saint-André

un peu on

Nous

encore

c'est

et brûlé

prétentieux de l'époque de

le

bord de

la

;

mer, un peu desséché

par ce soleil ardent; de grandes haies de

cactus bordent les routes, de vrais remparts qui limitent bien

les

chemins

nous dépassons

;

les

cases, les maisons, les routes poudreuses.

Les clochettes de nos mules font sortir joyeu-

sement

les habitants

en temps

c'est

de leur intérieur; de temps

un énorme cochon noir qui dor-

mait tranquillement dans réveillons en sursaut.

Il

la

poussière et que nous

se jette affolé dans les

jambes de nos bêtes, pousse un grognement rible et va rouler

un peu plus

ter-

loin.

Puis bientôt nous entrons dans

la

vraie

campa-

gne, débordante de végétation, éclatante de couleur

;

c'est

idéalement beau!... et pourtant cela

ne ressemble à

rien.

Nous côtoyons d'abord

les

montagnes avant d'y


MES CAMPAGNES.

228 entrer tout à

fait

chemins étranges

ce sont des

;

qui changent d'aspect à chaque tournant, des

chemins tout

du trop grand

abrités

verts,

par de grands arbres très légers, des la

verdure

est fine et transparente,

tamaris

les

monte, ça descend,

ça

;

soleil

dont

filaos,

un peu

jolis

comme plein

c'est

d'imprévu ces chemins de montagnes. Je ne sais plus

chose

:

;

que

c'est

nom de ces villages, j'ai oublié ne me souviens que d'une mes yeux et mon cœur se repo-

le

ceux des routes

je

saient délicieusement, oubliant

angoisses de C'était

la veille et les

un

gnes verdoyantes

vue que ces monta-

la

ces routes

!

les

soucis de demain.

pour

tel régal

pour un instant

semées de

fleurs, ces

fougères, ces lianes, ces mousses humides!...

me

semblait que

temps en temps

me

un doux

je fliisais

je

fermais

Il

rêve, et de

yeux, craignant de

les

réveiller trop tôt.

Notre mylord

est

lancé à

mules galopent gentiment

toute vitesse,

et le

nos

bon noir qui con-

duit notre attelage sifflote avec joie.

Madame ma grand châle, la

se prélasse fièrement

voiture, elle

vements de

bonne, toujours drapée dans son

ma

dans

le

suit avec attention tous

figure,

mon

fond de

les

étonnement

et

mou-

mon


EN ROUTE POUR SALAZIE. admiration; chée

même

elle est flattée

nom

le

me

dit

les petites histoires,

des ravines, des montagnes, les accidents, se sont passés

que nous traversons. Elle d'un ton traînard naïve de parler

exclamations

et

et,

;

de

ajoute chaque fois

même

me

dans

même

endroits

doucement,

dit cela

je

et

pousse souvent des d'admiration,

elle

:

joli,

mon

pays?

Oh!

ça

l'est

!... »

Toutes deux, madame ma bonne le

les

toujours avec cette manière

comme

surprise

Vi trouve ça

beau, beau

dans

très touelle

événements qui

((

évidemment,

de voir que j'apprécie son pays;

m'en raconte toutes

les

229

et

moi, unies

sentiment, nous promenons nos

regards admirateurs tout autour de ces très belles choses.

Devant nous passent les

les ravins, les

routes à pic,

grands précipices où sont entassés des

de verdure, des arbres de toutes sortes

côtoyons à

les

;

fouillis

nous en

bords, poussant des cris de frayeur

chaque tournant.

De temps

en temps

chaume, toute seule sur de

jolies fleurs

c'est le

une case au

toit

de

bord du chemin, avec

de France, des petites roses sau-

vages qui grimpent tout autour.


MES CAMPAGNES.

230

Nous passons

sur des ponts de fer, immenses,

suspendus au-dessus de grandes rivières, pour l'instant à sec et qui

deviendront torrents

peu,

d'ici

à la saison des pluies.

Tout d'un coup nous

voilà

comme

dans de grands couloirs: ce sont qui se resserrent; fois.

De

très

les voici très

les

enserrés

montagnes

près de nous cette

haut, coulent des milliers de petites

cascades, toutes minces

comme

des lacets d'argent

qui serpentent dans cette verdure.

Oh ces

!

oui, elles sont belles, elles sont délicieuses,

montagnes de Bourbon

;

par instant elles de-

viennent toutes bleues, poudrées de nuages blancs très légers, des petits

nuages qui ont

l'air

voler et de vouloir se poser partout. est reposant,

Vers

1 1

lazie et

à

Bourg.

de s'en-

Tout

beau à voir, sans jamais se lasser

cela !

heures nous arrivons au village de Sa-

midi

et

demi nous sommes

à

Hell-


UNE LETTRE POUR FRANCE

Hell-Bou'-g, février 1895.

Ma Vous

chère amie.

verrez par cette lettre que

j'ai

en-

franclii

core une nouvelle étape. Je pense que ce sera dernière avant

mon

Voilà un mois que

j'ai

après nous pour

devait partir peu de jours

due, seule avoir pas

ici

avec

me

mes

si

sens

le

Ma-

moindre

avant d'y rien...

misérable,

si

per-

enfants; et pourtant je vais

mal d'occupations avant

mois de mars. Oh!

précisément choisi,

mari

ces jours d'attente

si

mon

vous savez peut-être que j'attends

pour

la

la ville

nous ne savons

Ai-je besoin de vous dire je

pas eu

je n'ai

nouvelle; on a dû bombarder installer les troupes, et

mon

Diego;

quitté

junga. Depuis ce temps-là,

sont douloureux?

la

retour en France.

le

départ, car

le

moment

mais croyez-vous

bébé n°

3

n'est pas

qu'on

le


MES CAxMPAGXES.

232

trouverait jamais,

Cela

me

si

on

fera rentrer

avait le droit de le choisir?

en mai,

j'aurai juste

un an

d'absence. C'est ce que j'avais promis aux miens.

Nous avons gieuses et

ici

un hôpital

un jeune médecin

les

dernières cam-

pagnes; mais les soldats, que je sache,

étoile

J'espère que

!

mettaient

n'}^

ma bonne

ne m'abandonnera pas encore cette

Nous sommes dont

monde

les

ici

femmes de

trois

femmes de devoir

également occupées

dont on pourrait

bon

C'est un

et

faire

village

menons

à rendre des points

comme

aux plus sérieuses, vivant

fois.

militaires

maris sont à Madagascar; nous

des vies de

reli-

qui, dit-on, s'est fait

remarquer au Soudan pendant

pas d'enfants au

des

militaire,

des béguines,

préoccupées de nos enfants

une crèche. que

celui

où nous habitons

:

une seule rue, des maisons perchées de chaque côté;

car

nous sommes complètement dans

montagnes, quelquefois dans connaissais

la

vraiment broder là-dessus, ce ne

endroit

ce

que

est

nuages.

Si

je

Suisse, je vous dirais que c'est tout

mais n'y étant jamais

à fait cela;

Tout

les

les

je

allée,

serait pas

je

n'ose

honnête

!

puis vous dire, c'est que ce petit

délicieux,

niché dans

montagnes, au miHeu de

la

le

creux

des

verdure, des cascades


UNE LETTRE POUR FRANCE. Mais

et des fleurs.

je suis

seule à profiter de toutes

ces choses et je regrette presque

bien que

vaillance et

ma

Vous devez tie

gaîté

sera cette

marche

où tous

Quant aux troupes

les

Hovas

?

que tout

la fiè-

le reste.

qui maintenant occupent

côtes, elles ne seront plus le

je le

Tanana-

plus terrible, croyez-moi, sera

vre, bien plus difficile h vaincre

viendra

monde,

fameuse campagne.

réunis nous attendent avec anxiété le

le

militaire vers

rive, la ville sainte, la capitale!

L'ennemi

ma

entrain,

!

du corps expéditionnaire, car tout

Que

je crois

avoir beaucoup d'amis qui feront par-

vois, veut prendre part à cette

la

Diego;

mon

dans ce pays

laissé

j'ai

233

bonnes

mois de mai. Pauvres gens

à !

rien ils

les

quand

auront eu

plus mauvaise part, car ayant été beaucoup à

la

peine, je crains fort qu'ils n'aillent pas à l'honneur.

Tamatave

L'état sanitaire de fait

monter

ici

à

est déplorable;

chaque courrier quantité de

dats minés par les fièvres et dont la vue seule

peine à voir.

Que

sures,

vous

fait

sera-ce dans trois mois? que

va-t-on faire? tiendra-t-on sur

mai? Si l'on prenait

on sol-

à ce sujet

le sauriez

les

côtes jusqu'en

quelques sages me-

avant nous.

Beaucoup de gens venus de Madagascar un peu


2

MES CAMPAGNES.

34

de tous

les

dans

petit hôtel

dresse des

la

commerçants ou

montagnes de

les

Notre

tallée

points,

autres, dont

sont interrompues, viennent se réfugier

les affaires

lits

Salazie.

de

partout;

Source

la

est plein

moi-même

suis ins-

j'y

depuis un mois, n'ayant encore pu trouver

moindre

Mon

petite case.

voisin de table est

sage à Bourbon,

voyagé

à

tumes qui

le

un explorateur de

M. Wolff;

Madagascar

et

il

beaucoup

a déjà

vous en entendrez sans

part ses petites drôleries de cos-

font

vaguement ressembler à M Vieux.

bois à la recherche de

la

belle Elvire,

c'est

aimable causeur, inteUigent, très instruit

le

pas-

A

doute parler.

ment

on

;

un

et vrai-

pas trop raseur pour quelqu'un qui a couru

monde. Tous

les jours,

il

part en promenade,

avec des guides, pour explorer très sérieusement les

montagnes environnantes;

il

a soin, avant son

départ, de faire envoyer aux enfants

de framboises sauvages cueiUies dans

une la

corbeille

montagne

par son boy, un petit nègre qu'il a acheté sais

et qui le suit partout.

je

Les enfants ont

ne la

reconnaissance de l'estomac généralement, aussi les

miens

appellent-ils

cet

monsieur aux framboises

)>.

aimable voisin

:

«

le


UNE LETTRE POUR FRANCE. La température soir

fait

il

est délicieuse ici

très frais et,

comme

beau jour d'été

dans

la

:

et le

journée, c'est

en France.

Que

choses on eût pu faire dans ce pays des installations, des cases

2}$ matin

le

:

de

un

jolies

construire

un peu plus confortables

et coquettes, planter des jardins potagers, car tout

pousse

ici,

légumes qu'on ne cultive pas

les

et

sont déjà délicieux. Les roses, lettes et les petits pois

où on

les

met;

sauvage

et

arbres;

mais

les

les fraises, les

viennent gentiment partout

héliotropes croissent à l'état

camélias sont grands

les

nonchalance

la

vio-

créoles est effrayante, et tout ce

des

comme

des

noirs et

des

monde, paresseux

à faire frémir, a de grandes prétentions dès qu'il s'agit

du paiement.

Notre courrier de France nous apprenons ce n'est

la

terai ce pays,

au

démission de M. Casimir-Périer;

donc pas seulement

tristes choses?...

vie,

est arrivé aujourd'hui;

si

Au

qu'il se passe

ici

revoir, chère

tout va bien et

commencement de mai

Dieu

si

;

amie

;

me

je serai

Paris en juin.

L

de

je quit-

prête

donc à


NOTRE CASE

Ce

n'était pas qu'elle fût bien élégante, bien co-

même

quette, ni

rien de tout cela

confortable c'était tout

;

comme

maisons

ces petites

non,

:

n'avait

elle

bonnement une de

en ont

les

ouvriers

dans une honnête aisance, avec, en plus, l'apparence bien coloniale des cases de ces pays-là.

perchée tout au

Elle était

comme

adossée à

grise, très dure,

la

bord de

montagne,

la

et c'était la

un peu verdoyante par

route,

roche

endroits,

qui servait de murailles à notre petit enclos.

véranda formait

mur en

pierre qui

de parapet C'était tie

comme une

dominant

assez élevée,

et

la

nous

La

espèce de terrasse

route, et soutenue par servait en

même

un

temps

de clôture.

que nous passions

de nos journées,

la

plus grande par-

qu'on guettait

la

diligence

arrivant chaque jour, nous apportant les lettres.


NOTRE CASE. les nouvelles,

les

commissions

voyés de Saint-Denis. C'était de

la

journée, tout

le

monde

voiture pour y chercher

un

237

grosse émotion

la

allait à l'arrivée

la

fraîcheur de

montagnes.

L^

diligence

remontait toute

la

qu'à l'hôpital militaire, y déposer les

la

de

un ami, ve-

parent,

nant se reposer quelques jours à ces

paquets en-

et les

soldats malades,

rue allant jusles

ofîiciers et

ceux qui du moins étaient

assez forts pour supporter les cinq heures de voiture.

Oh

!

ces pauvres figures amaigries, ces joues

creuses et ces mines de fiévreux j'avais la

même

peine à

les

!

toutes les fois,

voir défiler devant moi.


PETITS BABAS

Une

assez

bonne personne après tout que ma-

dame ma bonne; seulement,

la

poussière

très indifférente et la civilisation

Elle s'était attachée h

comme

moi

la laissait

encore bien plus

et, loin

!

de vouloir

me

quitter,

fait

adopter ses deux babas, deux négrillons très

drôles, qui ne

devenus je

ne

deux

me

le

je

craignais, elle m'avait

quittaient jamais et qui étaient

compagnons de jeux de mes enfants

les

faisais

pas

un pas

très blancs, et

sans

deux

mes quatre

enfants

;

;

très noirs.

Le jour où nous devions

entrer chez nous, elle

m'avait raconté d'un ton larmoyant que son petit

baba, à était

elle, laissé à la ville

devenu tout

triste

aux soins des voisins,

depuis qu'il n'avait plus de

maman. C'était

une rusée

,

elle

prendre et quelle corde

il

savait fallait

comment me faire vibrer. Je


PETITS BABAS. n'hésitai

pas

et

je

tout de suite, un peu

lui dis

attendrie de son récit

« Fais-le

:

dras avec toi à la case.

239

monter, tu

une né-

aller

chez monsieur Vépicier, dont

montaient de Saint-Denis deux

les charrettes

par semaine,

commander son

mènerait avec

les provisions.

Le surlendemain, le

pren-

»

Alors très vite, aussi vite que peut gresse, elle courut

le

ladite

petit

fois

haha; on

l'a-

charrette s'arrêta sur

chemin, juste en face de notre maisonnette.

Ce

furent d'abord des poignées de mains, des

échanges de poHtesses, des bonjours vraiment

très

corrects entre le noir qui conduisait les mules et

madame ma bonne;

puis

on déblaya un peu

charrette et, entre deux sacs de et

pommes

une provision d'oignons, on dénicha

la

de terre

en

le colis

question; seulement, figurez-vous qu'il avait fait des petits

:

au lieu d'un seul on en découvrit deux

même comme un mouton, un vrai La mère me regarda un

Il était

vait pas osé «

Tu

!

!

!

très drôle le second, tout petit, frisé

m'avouer

sais,

sœur

l'a

chose

mon

fini

peu confuse,

elle n'a-

celui-là.

Madame, mourir

nègre en chocolat.

!

n'a plus de l'a

petit baba. »

donné

maman à

moi

!

ma même

li ;


MES CAMPAGNES.

240

généralement bonnes mères, toutes

Elles sont

ces négresses si

touchée, et le

;

me

celle-ci

drôlement, avec une le

raconta son boniment,

telle

naïveté, que j'en fus

second négrillon fut adopté

comme

premier.

Le dimanche, tout les

dames de

et-un. éclatait

On

le

monde

se faisait très beau,

l'endroit tout à fait sur leur trente-

étouffait

dans des corsages de soie, on

dans des collerettes montantes très serrées

au cou, chacun s'en trouvait très mal à son

mais au moins de cette façon on

était habillé

aise,

comme

en France; on ressemblait aux dames des journaux de modes reçus par

même

qu'il

dernier courrier. Je vous dirai

le

y en avait de

très

charmantes, pas du

tout à dédaigner, de ces jeunes

qui se pressaient dans

les

femmes

bancs de

grand'messe de huit heures, venues chanter à l'orgue de grands

L'éghse cieuse,

était toute

comme une

champ

jolies fleurs

allées

là aussi

pour

compHqués.

en bois, très large, très spa-

se trouvait le cimetière

des morts

tout entouré

à la

l'église,

belle chapelle coloniale.

peu plus loin derrière petit

airs

créoles

;

ce

était plein de gai soleil,

de grandes

montagnes, avec des

qui poussaient à l'aventure, dans

comme

Un

sur les tombes.

les


PETITS BABAS.

Madame ma pour

offices

les

jour-là son

chemire

on les

faisait

du dimanche;

elle

grand châle de veuve,

et ses bottines

en liberté

on

bonne aussi se

de

les avait lavés,

briqués

tout à

paraître

fait l'air,

sa

robe en caelle

laissant ses pieds

endimanchait, et quand

comme

leur mettait des habits faisaient

remettait ce

d'une madame.

toile qui n'avaient rien elle les

belle

corde certaines blou-

et usant jusqu'à la

Ses petits aussi,

très

En semaine

neuves.

moins élégante, par exemple,

était

ses

24I

de

toile

encore plus

cette fois,

des marmites,

blanche qui noirs,

ayant

d'avoir été passés au

Nubian. Alors, toute l'après-midi, c'était une grande fête,

car

on

s'en allait faire l'école buissonnière

très loin avec tous les enfants

sentiers perdus,

village,

dans des

des chemins de chèvres qu'eux

seuls connaissaient et par se glissant

du

comme

seuls passaient,

en

des serpents, leurs petits corps

grêles.

MES CAMPAGNES.

16


BOTANIQUE DE PETITS NEGRES

Quelquefois aussi nous faisions de grandes pro-

menades dans d'école, car

les

mes

montagnes, après enfants d'adoption,

heures

les

mes

petits

bibelots noirs, passaient de longues heures sur les

bancs de

la classe,

épelant sans le moindre entrain

b a ba, b o bo, connaissant,

pour leur malheur,

toute rhorreur de l'école laïque et obligatoire. qui étaient

faits

pour vivre dehors, au grand

comme

Eux

soleil,

de leur pays; quelle

en plein

air,

injustice

que de vouloir leur apprendre la grammaire

et l'histoire

les plantes

de France

!

s'en allaient bravement,

Ils

comme

miers,

de petits

marchant

les pre-

hommes, nous servant de

guides, en général. C'est qu'ils connaissaient très

bien petits

le

pays, donnant des

noms aux moindres

chemins, aux sentiers de montagnes, aux

cascades, traversant habilement les rivières et les


BOTANIQUE DE PETITS NEGRES. torrents que nous rencontrions,

Teau

comme

Quand

barbotant dans

poissons chez eux.

les

n'y avait pas de ponts, vite

il

chercher des grosses pierres,

raient

243

jusqu'à nous avec

exclamations,

des

me montrer

soupirs, pour bien

les

que

ils

cou-

traînant

des

gros

c'était lourd,

que ça leur donnait de

la

étaient très forts

triomphalement, quand ce

pont de pierre

;

puis,

était

peine, mais qu'aussi

ils

mes guides nous

terminé,

faisaient signe d'avancer, offrant leurs mains, tout

leur petit corps faible

pour qu'on s'appuyât dessus.

Je remerciais beaucoup, faisant

ments et, quand on

force

compli-

rentrait au village, je leur

payais des bâtons de sucre, tout parfumés de vanille,

qu'on achetait chez

chand,

le

même

l'épicier,

l'unique mar-

qui nous vendait de

la

moutarde,

des bananes et des allumettes.

Souvent fleurs

on cherchait des

aussi,

qu'on rapportait pour mettre dans

où tout poussait

si

vite

ver la moindre chose.

Il

qu'on y

un de

comme

;

dès

qu'on aper-

ces petits points rouges,

très loin et très haut,

le jardin,

avait plaisir à culti-

avait aussi des fraises des

bois, des framboises sauvages cevait

plantes, des

n'importe,

ils

que ce

fût

bondissaient

des petits singes, s'accrochant à

la pierre,


CAMPAGNES.

^^ES

244

aux arbres, aux lianes

Et à

voir ainsi, courant

les

agiles et joyeux, je

pays de à

moins

les vrais

fièrement rapportaient

voulant à peine y toucher, par dis-

leur butin,

crétion.

et

me

de verdure avait été

soleil et

qu'ils n'eussent été faits

enfants de

Moi-même tions que

pour

pour eux,

lui; c'étaient

nature.

donnait

le

que

maladies,

les

les explica-

plus grand sur les pro-

priétés des herbes et des plantes

pays emploient pour

lestement,

fait

m'amusais à écouter

je

me

la

si

vraiment, ce

disais que,

les noirs

fièvre et les

la

bobos. Il était très fort là-dessus ce

du

bambin, qui

pouvait bien avoir huit ou neuf ans, l'autre n'en avait

que cinq,

et

d'un

air très

drôle de petit langage créole,

il

sérieux, avec son

me

faisait

tout un

cours de botanique que j'écoutais avec un grand intérêt. Il

ne

les

trouvait pas toujours tout de suite, les

plantes dont

il

m'avait

fait

la

description

;

quel-

ques-unes ne poussaient, que dans l'eau, ou bien très

haut dans

la

montagne, ou

même

encore près

de certaines cascades, à côté d'autres plantes qui lui

servaient

consoler

comme

de ne pas

d'indication; et,

me

ment, pensant que ce

pour

me

les

montrer immédiate-

serait

un regret pour moi,


BOTANIQUE DE PETITS NEGRES. il

me

promettait d'y

aller

un autre

jour, de

245

me

les

apporter bien sûr.

On

s'attardait

plantes, dans ces

souvent dans ces découvertes de

promenades

petits mâtins, les blancs

à l'aventure, car ces

comme

les noirs,

m'en-

traînaient quelquefois très loin à travers des che-

mins inconnus, eux qui couraient

comme

des

la-

pins, pensant toujours qu'on était à cinq minutes

de

la case.

Moi,

je

me

laissais faire,

force de vivre seule avec eux

redevenue enfant, à ;

je parlais leur lan-

gage, nous jouions ensemble et tout cela était

comme un

repos d'esprit, un

moment

milieu des grandes inquiétudes reprendre, dès que j'aurais quitté

qui le

de répit au allaient

me

calme de ces


LE VILLAGE

On

suit d'abord tout le

chemin du

village, l'u-

nique rue, où sont étagées de chaque côté

les

mai-

sons d'Hell-Bourg; petites cases plus ou moins

importantes selon leurs possesseurs

les plus jolies

;

n'étant pas louées, mais habitées par les propriétaires.

Presque toutes ont des jardinets qui viennent jusque sur

la

route et dans tous, c'est une profusion

de fleurs qui violettes

embaument

:

bégonias gigantesques,

parfumées que l'humidité de

la

nuit et

la

rosée du matin se chargent de faire fleurir toute l'année.

Et tout de suite tant très droite,

la

montagne commence, mon-

comme un

grand éventail, cou-

verte, elle aussi, de choses verdoyantes et de ces fines cascades argentées qui font

un murmure

assez

un

bruit discret,

doux qui semble venir de

très


LE VILLAGE.

Quelquefois aussi, on l'entend très près de

loin.

soi ce petit bruit, c'est tout

qui traverse si

247

route

la

gentiment,

si

passe

elle

;

bonnement une source

discrète,

si

sous vos pieds,

imperceptible, qu'on

n'a pas envie de lui en vouloir.

Une l'église

menant

autre descend tout le chemin si

;

limpide,

à

transparente, avec ses petites

si

plantes d'eau semées de fleurettes blanches, du cresson, des mousses,

un

de

tas

jolies

choses dans

ce ruisseau bruyant et agité, car elle coule très vite,

un peu

affolée, la petite

vant plusieurs maisons et

source

;

elle

les habitants

passe de-

l'enjambent

simplement en rentrant chez eux, sans jamais maudire grande

;

puis

elle

va se perdre dans une

s'en

rivière qui, elle, fait

dégringolant

la

la

montagne

et

un

bruit terrible en

roule tout écumeuse

sur des grosses pierres noires.

Nous

avions tant

manqué

d'eau à Diego, nous

n'en avions pas vu pendant des mois d'aller très loin, et

caïmans, que voir tous jolie

me

à

moins

de s'exposer aux surprises des

c'était

pour nous une vraie

les jours ces cascades, ces

joie de

sources, cette

eau pure et transparente, qui se perdait ainsi;

car cela il

,

me

choquait de

semblait qu'on

la

la

voir couler pour rien,

gâchait.


MES CAMPAGNES.

248

Le

jour de

mon

arrivée,

en passant devant

grande source du pays, qui coule de le

chemin

et qui est

quelle tout le

solée

Ah »

!

route

.

mais nous nous

!

du tout que

de

c'est la faute

;

veau sur

Tout

cette

le petit le

je

sommes trompés de

la petite

source

à fait

voulais vous conduire. Re-

sentier et

au bout, sont

pour lesquelles

nous serons de nou-

il

;

les

celles qui

constructions sé-

ne ferment jamais,

n'y a ni bonne, ni mauvaise

saison et dont les habitants restent l'église, le

du médecin Étrange

et celui des et

La porte

dure

;

toute l'an-

presbytère, l'hôpital,

le

celle

la

maison

de Lakmé.

d'entrée, la véranda,

perdent dans un

logement

sœurs.

délicieusement coloniale,

du docteur, absolument

tière se

et ce n'est

;

grand chemin d'Hell-Bourg.)

rieuses de l'endroit

:

eau qui se

.

montons

née

la-

vient puiser, je m'écriais dé-

donc toute

voyez

!

(Tiens

pas

fontaine publique à

:

«

perd

monde

la

la

haut sur

très

la

case tout en-

fouillis d'arbres et

de ver-

des Hanes sauvages, des grosses pervenches

bleues,

une foule de

au pays, poussent

fleurs curieuses, particuhères

en

liberté,

grimpant partout.


Et sur toutes

LE VILLAGE.

249

ces jolies choses,

un peu dans tous

du jardinet, des

les coins

petits jets d'eau discrets

pleurent silencieusement. C'est

que tout

le village défile

pour un bobo ou pour une

médecin de

combe pour

la

chaque matin au jeûne

fièvre, et c'est

marine, en service à l'hôpital, qu'in-

ainsi dire la responsabilité

tous ces pauvres gens

deux docteurs que

;

j'ai

un rude métier

connus

ici

de soigner et

dont

les

s'acquittaient, je

vous assure, avec un soin touchant.

Les sœurs aussi vivent

à côté,

de paix, un coin tranquille

dans un petit

asile

calme, tout près du

et

médecin, plus près encore des malades qu'elles soignent.

Nous leur faisons souvent moi, avec tous

et

les

notre

enfants,

comme

lages de France

M.

bonnes sœurs.

le

curé et

A voir

le

les

jardinet

les fleurs alignées

visite, ces

dans

dames les vil-

l'on va voir la société,

si

propre,

en bordure,

les treilles le jet

dont

de raisin,

d'eau

mono-

tone, tombant dans un bassin de poissons rouges,

on

se croirait bien loin,

dans n'importe quelle

campagne de chez nous. Pas de bruit, pas d'agitation

et

pourtant on est


MES CAMPAGNES.

250

nombreux

à

la

maison

l'école des petites

:

né-

gresses, orphelines la plupart, travaillant à la cou-

sœurs, malades elles-mêmes, venant

ture; des

souvent de très loin, qu'on envoie fièvres se refaire il

faut être

si

atteint,

France. Elles vont

pant avec

les

présidant à

chez

elles,

;

pour retourner en

viennent au jardin, s'occu-

et

autres; souvent nous les trouvons leurs

la lessive,

vées jusqu'aux coudes

tordent

à l'abri des

ici

un peu pendant quelques jours

le linge

elles

;

manches de

toile rele-

savonnent, rincent et

avec ardeur, et cela

grosse mousse blanche plein

les

fait

de

la

chaudrons de

cuivre.

On

va chercher

litesse

la

timidité,

et

mère supérieure

sœur

la

entre au parloir. Et cela petit salon

de couvent

;

insiste

et,

avec po-

pour qu'on

m'amuse de retrouver il

me

semble que

je

ce

suis

redevenue tout d'un coup une pensionnaire, avec

mes cheveux dans un

On

filet et

mon

tablier noir.

nous apporte de grands fauteuils imposants

— bleu, — on

recouverts de housses blanches

dessous

il

y

a

du velours

je parierais

aussi des petits carrés de tapisserie

sous nos pieds, car les

que

nous donne pour mettre

c'est ciré, tellemient ciré,

enfants s'y jettent par terre toutes les fois.

que


LE VILLAGE.

dames veulent

« Si ces

25

I

mère va

s'asseoir, notre

venir. »

Mais, justement, ces dames ne veulent pas seoir, c'est

cérémonieux,

Nous

:

«

car

on

La sœur frappe dans

de

orphelines

est

ses

si

poli

dans

mains, pas

Deux

maison

la

chaises de paille, et

énervés

dans ce couvent

comme sement placée

,

très fort,

nous apportent des

nous nous asseyons pour

at-

et !

les agités

bienfaisant

qu'un instant passé

Nous-mêmes, nous

parlons bas

dans une éghse, contemplant silencieula

vierge de plâtre un peu verdie, qu'on a

mïvement

pagnie des

calme

cou-

supérieure.

la

les

les

petites négresses,

Quelle cure de calme, quel repos

pour

ne vous

Enfants, des sièges. »

presque avec précaution.

tendre

ma sœur,

»

Et alors, vite vents

le jardin.

resterons dehors,

tourmentez pas.

s'as-

intimidant ce petit

si

nous aimons mieux

parloir; «

si

et

à côté

du

poissons rouges.

de sérénité

est

jet

un peu

de toutes ces sœurs, dont

la

d'eau, en

com-

Son expression de la

même

que

celle

vie s'écoule paisible,

mais remplie, dans ce petit logis monotone.

Dès

qu'on a dépassé ces

deux maisons, on


MES CAMPAGNES.

252

tourne brusquement

et l'on traverse

un

petit

de bois un peu vermoulu qui passe sur rivière.

Une

les créoles

ment fait

;

emharateuse

la

grande

comme

celle-là,

ce n'est pas qu'elle possède

d'eau, ni qu'elle soit très profonde

:

pont

disent

énorménon,

elle

surtout beaucoup de bruit pour rien, tombant

avec fracas, sautant d'un rocher à l'autre, arrachant tout sur son passage, laissant après elle de l'écume,

de

la

mousse qui monte dans

l'air

comme une

va-

peur blanche.

Et maintenant un grand cirque immense, formé par toutes ces montagnes; beaucoup d'espace, de

du

l'air,

soleil,

le

ciel

bleu devant soi.

plus enserré dans ce grand couloir village; c'est

un

véritable

On

comme

n'est

dans

le

changement de décors,

des petites routes en lacets, de très petits chem.ins

qui s'accrochent à

rectement à

la

la

montagne, nous mènent

di-

source d'eau thermale, une source

chaude, ferrugineuse, qui a une vraie réputation et qui est Il

y

du

reste très agréable à boire.

a toute

douches

une

installation

très bien organisées

;

pour le

les bains,

des

matin, toute

la

population en villégiature à Hell Bourg descend boire son verre de cette eau réconfortante, très

appréciée aussi des Anglais de Maurice, qui vien-


LE VILLAGE. nent

le

plus

possible,

253

c'est-à-dire

rarement,

à

cause de ces stupides quarantaines qui sont une taquinerie perpétuelle entre les deux très difficile le

De

voyage de Tune

temps en temps, en

les enfants,

rendant

iles,

à l'autre.

allant à la source avec

nous rencontrions un vieux gentleman

qui se faisait conduire dans

la petite

chaise à por-

teur du pays, qu'on emploie généralement pour les

explorations

paraissait se trouver très bien

il

;

de son traitement,

était frais et rose,

quoique

re-

levant, disait-il, d'une grave maladie.

Il

n'y avait pas que cette source dont

tants d'Hell-Bourg et de

avaient une autre, tout à

montagne,

à Cilaos

;

l'ile

fait

les

étaient fiers

de

mais on y

:

habiils

en

l'autre côté de la

allait

peu,

le pa3^s

ne possédant pas de médecin, on n'osait guère

s'y

aventurer et s'y soigner à l'aveuglette; cette eau, assez vigoureuse

comme

effet,

est,

de plus, une

source froide.

Que

de choses encore j'eusse aimé voir dans

ce curieux pays; rien et les

noms

que d'entendre

les créoles

voyageurs en parler entre eux, dire

les jolis

des plaines et des montagnes, j'étais prise

de désespoir

à

l'idée

que

je

ne

les

verrais pas.


CAMPAGNES.

^^^S

254 C'étaient

le

:

fameux Piton des Neiges,

la

plaine

des Palmistes, d'où l'on dominait tout l'horizon

de

la

mer,

la

Brûlé, tout à

plaine des Cafres, le pays du

sur

fait

Grand-

côte et où se trouvait le

la

volcan.

Loin de ressembler à

celui

dont

il

est

question

dans cette

jolie pièce

de Gondinet:

avaient

un volcan

et ils l'ont laissé éteindre

ils

celui-ci n'était pas éteint

pendant

les

du

tout.

grandes marées,

il

«

Malheureux! »

!

Souvent même,

se passait, racon-

tait-on, des choses merveilleuses et effrayantes

une grande

lutte terrible entre la

mer, qui voulait

à tout prix éteindre et ensevelir cette feu,

montagne de

qui crachait avec fureur de

et le volcan,

:

la

cendre et des pierres, usant de toute sa force pour refouler cette

mer

envahissante.

Et longtemps cette

bataille continuait^ les forces

étant presque égales. saient,

comme un

De

grandes vagues se dres-

cheval qui se cabre, sur la mal-

heureuse montagne, laquelle se défendait de son

mieux, brûlant tout les noirs

effrayés,

ment pour garder

le

pays d'alentour, faisant fuir

mais combattant courageusesa place

au

soleil.

Petit à petit, les choses finissaient par se calmer et

tout rentrait dans l'ordre,

comme

sur

un aver-


LE VILLAGE. tissement d'en haut

;

vagues diminuaient

et,

la

mer

255

s'apaisait, les

grandes

devenues de petites lames

toutes simples, elles s'en retournaient honteuse-

ment lĂ -bas

se perdre au large, dans le

grand

infini

de


LE PETIT CHAT

Elle ressemblait lés et

beaucoup à ces

petits chats

pe-

couverts de suie, qui se pelotonnent au coin

des cheminées de pauvres. C'était une petite négresse, encore plus noire que les autres,

que

je

ne savais jamais de quel côté

tournée. Je

la

faisais

parler

pour voir

si

noire

elle

était

ses

yeux

qui brillaient et sa rangée de dents blanches qui servait

comme

de phare à toute sa petite per-

sonne. Elle pouvait bien avoir dix ans,

son âge au

juste,

comptent pas

les

comme

années

ne sachant pas

tous les noirs, qui ne

et vivent tout

de

même,

sans calendrier. C'était la

bonne de ma bonne

s'étant plainte qu'elle avait

qui ne

la

(cette dernière

beaucoup à

contrariais jamais, je lui avais

petite servante,

dont

la

faire,

moi,

donné

cette

principale occupation était


LE PETIT CHAT. d'aller

chercher de l'eau à

toute

la

journée,

la

matin,

le

vêtue de

comme

elle,

pauvres

ça

elle faisait

;

soir, par la pluie

le

comme par le grand soleil. De la véranda, où j'étais passer,

2)7

source)

souvent, loques

je la

voyais

toutes

noires

qui montraient ses genoux et qu'elle

une

appelait sa robe. Elle rapportait sur sa tête

grande cruche pleine d'eau, trop lourde pour son petit corps faible, et cela dégouttait

comme

des

larmes sur ses épaules, sur son dos, sur ses mains

maigres sans qu'elle y

prît

garde jamais.

Et toujours cette mine de

beaucoup battu voyant

si

et qui a été

misérable,

si

En

très mouillé.

pauvrette,

des envies de l'adopter tout à recueillir

qu'on a

petit chat

il

me

prenait

fait celle-là,

un peu comme on ramasse

les

la

de

la

animaux

martyrisés que des gamins vont jeter à l'eau avec

une

pierre au cou.

Mais son père

était

un

ivro-

gne, un mauvais noir, qui m'eût sans doute de-

mandé beaucoup pour

me

d'argent,

vendre son rejeton

que ;

je

n'avais

pas,

alors je renonçai à

ce projet.

Quelquefois

elle

n'y

tenait

l'importance de ses fonctions,

plus elle

et,

oubliant

se mettait à

courir, à faire des parties de cache-cache folles;

MES CAMPAGNES.

I7


2)8 je

xMES

CAMPAGNES.

l'encourageais au lieu de

consolait

comme avait

Chat.

un peu de

les

la

autres. Je

un nom; nous

ne

la

gronder

et ça

me

voir rire et jouer tout sais

mĂŞme

pas

si

elle

l'appelions toujours le Petit


NOS LETTRES

Mars.

Les jours de courrier étaient des jours d'attente et

de grosses émotions. Pas rassurantes et déjà

terribles, les nouvelles car. la

qu'on recevait de Madagas-

Les troupes arrivaient en masse

maladie,

les fièvres,

et,

avec

elles,

qui causaient de grands ra-

vages.

Ces

jours-là, la diligence était toujours

en

re-

voyageurs en grand nombre,

tard, ayant pris des

sans compter tous les sacs de lettres à distribuer

aux pauvres

exilés des

montagnes.

gendarmes nous

Je ne sais trop pourquoi, les

avaient pris sous leur protection le

;

nos

lettres,

grand cachet du corps expéditionnaire,

impressionnés militaires,

et cela leur disait l'effet

en sorte qu'ils nous

gravement, un peu

Nous

étions

comme

donc

les

avec

avaient

de papiers

les distribuaient

des procès-verbaux.

servies les premières,

moi

sur-


MES CAMPAGNES.

260 tout, dont la

maison

on

vres lettres

!

dant on ne

les

était à côté

les avait tant

la

poste. Pau-

attendues et cepen-

ouvrait qu'en tremblant.

Bien plus pénibles encore,

darme

de

les

jours où le gen-

passait devant la case, faisant signe qu'il n'y

avait rien

pour nous.


BEBE

18 mars.

Elle était tite,

venue au monde,

un mauvais

pauvre toute pe-

la

soir de pluie, par

une nuit d'orage

terrible.

Des jeunes femmes amies m'étaient venues en prenant mes enfants chez

aide,

nuit avec moi. ces colonies!

Dieu que

sait

Comme

comme on

on

les

passant

la

hospitalier dans

est

s'aide

qu'on a besoin

elles et

mutuellement!

et

uns des autres

et

services qu'on se rend ne sont pas su-

les

perflus.

Les enfants qui vinrent

le

lendemain matin

fu-

rent étonnés de cette petite sœur, l'attendant de

France

comme un

gence

cependant, Jacques, plus poétique et plus

;

naïf, n'hésita

apportée

la

colis qui arriverait par la dili-

pas à penser que

les

anges l'avaient

nuit, sur leurs ailes.

Ce bébé était, comme beaucoup de ses pareils,

ni


MES CAMPAGNES.

262

très laid, ni très joli, tenant le milieu entre tite

souris et

On

un petit

une pe-

lapin également nouveau-nés.

donna des noms baroques qui désolèrent

lui

les assistants et

son d'être

:

qui pourtant avaient tous une rai-

Que

«

voulez-vous? leur répondis-je,

tant de gens faisant de longs voyages rapportent

des bibelots de prix, des souvenirs, des coquillages; moi, je reviens avec des enfants; ce ne sont

pas des

noms que

je

leur donne, mais des éti-

quettes simplement, pour qu'on sache le pays ils

sont nés. »

Cependant Bébé eut un

petit

nom

malgache,

On

lui choisit

car elle était plutôt de Madagascar.

un parrain qui

fût de la

marine aussi

une mar-

et

raine de France, dont la très sûre amitié à tous

deux Il

lui porterait

y

un peu bonheur dans

la vie.

eut, pendant quinze jours, des pluies tor-

rentielles,

qui avait

un

l'air

vrai déluge venant des

montagnes

et

de vouloir nous engloutir tous. Les

habitants étaient terrifiés

;

pas

moyen

de

fuir,

toutes les communications étant coupées.

La

diligence ne montait plus; les routes effon-

du

petit

exilés

dans

drées en plusieurs endroits, les poteaux

télégraphe enlevés, nous étions

comme

une autre planète, loin de tout

et

de tous.


BÉBÉ.

La

263

nuit surtout, c'était efFra)^int

:

les

portes et

battaient; les négresses, épouvantées,

les fenêtres

un cy-

poussaient des cris de terreur, croyant à

clone

et,

sur

faisait

un

tel bruit

de

la

route transformée en rivière, cela

qu'on se

serait cru

en chemin

sous un tunnel.

fer,

Dans bottes,

journée,

la

trempé

si

une vraie

le

médecin venait

qu'il avait

difficulté

que

me

voir, en

peine à entrer

d'aller

c'était

;

de l'hôpital à notre

case et d'en revenir.

Les cascades déboulinaient maintenant des montagnes

comme

de vraies chutes d'eau, des torrents,

qui tombaient de très haut, avec

Toute beau

ment

seule à la case

fracas.

devenue obscure, car notre

soleil s'en était allé aussi, je regardais triste-

toutes ces choses par la petite fenêtre qui

de

était à côté

mon

lit.

Quand nous fûmes moi,

un grand

je fis

tagnes, et

mes adieux le

bien rétablis, à ce

même mylord

le

temps

déUcieux pays de

et

mon-

qui nous avait amenés

eut l'honneur de nous reconduire à Saint-Denis.

Je passai

huit jours,

on ne peut mieux reçue,

dans une famille à laquelle on nous avait recom-

mandés

;

j'eus le

temps de voir

la ville et les

envi-


MES CAMPAGNES.

264

rons, de m'apprêter au grand départ pour France et

de trouver pour embarquer avec moi une bonne

bretonne, native de

Guéméné, égarée

à

Bourbon

depuis six ans.

Le

9 mai, V Amazone

petits «

babas

» et

nous emporta, moins

madame ma bonne

les

qui nous firent

des adieux touchants, et qui n'auraient pas mieux

demandé que de continuer

Nous devions mettre junga:

on

j'étais

disait les

mon

pour aller

à

Ma-

sans nouvelles depuis quelque temps;

troupes déjà en route

m'embarquai, priant jusqu'à

l'existence avec nous.

trois jours

ma bonne

retour en France.

;

étoile

anxieuse,

de

je

me guider


MAJUNGA

Voilà

pour

longtemps que j'attends sur

si

pont,

le

être la première à voir cette terre de

Ma-

junga!!!

Enfin, vers lo heures du matin, nous mouillons

en rade, assez loin du pays. Vingt-trois bateaux, portant tous

le

pavillon français, sont là, rangés

comme pour

une

flotte, et c'est

un

même

bataille;

c'est

imposant, cette

spectacle unique.

On

plus les navires entrants, tant

il

ne signale en arrive

;

tout doucement nous nous plaçons près d'eux, en

attendant

la

Santé

rien d'intéressant,

;

du

reste, notre

n'amenant

bateau n'a

ni troupes, ni

mu-

nitions.

Le commandant m'explique qu'à moins de contre-ordre,

heures

;

il

ne compte rester que deux ou trois

aussitôt qu'il aura

pagnie, on partira.

vu l'agent de

la

Com-


MES CAMPAGNES.

266 J'ai froid

Alors,

il

au cœur en entendant cette sentence.

n'aura peut-être pas

temps de venir

le

jusqu'à bord, sil est encore à Majunga, lui que

venue voir

seul j'étais

Et tout

ici!...

glace à la pensée qu'il faudra s'en s'être

vus une dernière

pagne!...

ment

corps se

avant cette rude cam-

qu'il faudra repartir sans s'être

serré la

main

!...

cette joie d'embrasser

camp de Majunga fois

fois

mon

retourner sans

moi qui

voulais lui

seule-

donner

amener au

ses enfants et

ce bébé, pour qu'il le vît

une

seulement, avant cette longue séparation des

mauvais jours. Je passai quelles je

deux heures d'attente, pendant

faillis

devenir folle d'angoisse

et

les-

de dé-

couragement. Je n'avais aucun moyen d'envoyer à terre

ou d'y

aller

qui passait et le

je

moi-même. Je

ne pouvais rien

sentais le faire

;

temps

j'arpentais

pont en tous sens, sentant mes jambes encore

faibles qui fléchissaient

sous moi.

J'allais et venais, braquant

ma

lorgnette de tous

côtés, consolant les enfants qui pleuraient de ne

pas voir arriver leur père, sans avoir

courage de leur dire

Quand fit

la

moi-même

le

la vérité.

Santé vint à bord, notre docteur

signe de descendre avec lui à

la

me

coupée du faux


MAJUNGA.

267

pont; nous parlerions au médecin, on apprendrait peut-être quelque chose.

C'est V Annamite qui

un médecin de la libre

«

commande

la

ce bâtiment qui vient

rade et c*est

nous donner

pratique.

Savez-vous

'si

capitaine X... est encore à

le

Majunga?

— Hélas

!

répond

a tant, tant de El: je

les

l'autre,

monde non, ;

remonte sur

le

comment je

ne

savoir,

il

y

sais pas. »

pont guetter de nouveau

embarcations.

Mais voilà qu'un des grands bateaux alignés côte mettre en route; sa

à côte avec le nôtre paraît se

cheminée fume

et

il

Sans oser rien demander,

groupe de matelots page «

et qui

Tiens, dit l'un, voilà

qui s*en va

que

;

ah

m'approche d'un

je

faisant partie de notre équi-

causent ensemble

!

avant nous.

était là bien

par

c'est les troupes

ma

le

foi,

:

Notre-Dame-du-Salut il

est

de Diego

chargé

;

parait

qui s'en retour-

nent. »

me comme

Et ter,

je

mets

à regarder ces

hébétée,

les

hommes,

quillement de leur bouche et qui l'effet

de

ma

à

écou-

paroles qui sortent tran-

condamnation.

me

font, à moi,


MES CAMPAGNES.

268

me

Il

sembla que

c'était

mon

s'en allait avec ce bateau

d'appeler, de

me

dernier espoir qui

J'eus envie de crier,

jeter à la

mer en

le

voyant s'en

majestueusement, avec cette lenteur du na-

aller

met en mouvement.

vire qui se

Désespérée, la tête

je

me

laissai

tomber sur un banc,

comme

dans mes mains, pleurant

fants

que rien ne peut consoler...

trop

tard...

mes

tous

J'étais

n'avaient

efforts

les en-

venue

servi

ci

rien.

J'en étais

larmes,

main

mon

de

sans

vint se poser

ramener

à

la

chagrin, laissant couler

souci des indifférents,

doucement sur

réalité.

C'était

la

mienne

une des

mes

lorsqu'une et

me

religieuses

embarquée avec nous. Je crois bien que j'avais

fini

par faire pitié à

tous ces gens, car chacun d'eux semblait compatir

mon angoisse. D'une voix tout attendrie, me disait « Allons, Madame, ne pleurez

à

:

voyons! mais venez approche du bord

;

être votre mari. »

côté l'air

avait

:

en

effet,

vite voir

y

il

a

un

officier et c'est je

G

à l'avant

;

peut-

fus de l'autre

bien une baleinière ayant

de venir vers nous, quoique encore loin

un

pas,

une embarcation qui

D'un bond,

c'était

elle

ce ne pouvait être

;

elle

que du


MAJUNGA. Gabès

et le

commandant, un ami,

me donner des nouvelles. En moins de temps qu'il je

descendis l'escalier. Le

— debout

bien lui faisait

269

n'en faut pour

commandant

Pour

la

seconde

;

c'était

sûr enfin de

force

fois, je faillis

fois

me

tinctement;

je

entrain et la

m'essuyai

jeter à la

mes larmes, qui

même

fois lui

les

yeux

et,

et après

:

!

»

mer,

coulaient

avec

force, je répondis

débarqué

me me

« // est là

:

un peu, m'empêchaient de voir

bien encore

Une

et,

me cria de toute sa

mais de joie cette

le dire,

m'ayant aperçue,

à l'arrière,

des signes avec ses bras

reconnaître,

venait peut-être

le

dis-

même

« Merci... »

de chaudes poi-

gnées de mains, on s'expUqua fiévreusement. Voici ce qui

s'était

passé

:

le

commandant du

Gabès, qui était à bord de son bateau, nous avait

vus entrer venu,

il

et tout

avait

de suite,

envoyé

comme

c'était

sa baleinière à terre

;

les

con-

ma-

telots, habitués à obéir sans explications, n'en de-

mandèrent pas, bien entendu, sur

la

et allèrent

s'échouer

plage, attendant patiemment. Mais au bout

d'une heure, personne n'étant venu, tournèrent au Gabès. Le

de suite

qu'il

ils

s'en re-

commandant comprit

y avait eu malentendu ou qu'un ser-

vice avait retenu Pierre hors de chez lui.


MES CAMPAGNES.

270

Ce que

nous chercher sans perdre

fut alors qu'il vint

une minute, songeant je

à

mon

inquiétude et à ce

devais penser en voyant partir le

Dame-du-Saliit. C'était un brave cœur,

pour

naissais

tel, et,

Notre-

con-

je le

mieux que personne,

il

com-

prenait toute l'angoisse de cette rencontre.

Avec

embarquons tous dans nagez ferme

partout et

bébé, nous nous

enfants, la bonne,

les

ce petit canot !

»

Nous

foi

dans

:

«

Avant

partons pour

le

camp de Majunga.

Une dans

fois

ma

de plus,

tout oublié

joie, j'ai

lations, le

j'ai

danger de descendre

avec un bébé d'un mois,

:

mon

étoile, car,

le soleil, les

à cette

les autres

inso-

heure chaude

encore petits

une bonne portant pour tout chapeau une

et

coiffe

bretonne. Il

faut préserver tout ce

monde

de ce

soleil

mon om-

gereux, de cette maudite fièvre; avec brelle, j'essaie

de

les abriter tous, car le

encore long, nous

sommes

dan-

trajet est

mouillés très loin de

terre.

Une c'est

fois

en route, nous voilà pris d'une peur

:

de nous croiser avec Pierre, qui pourrait bien

venir à bord d'une manière quelconque. à ce danger,

Pour parer

nous signalons notre baleinière

à tous


MAJUNGA.

271

bateaux que nous dépassons, avec prière de

les

veiller les

Au

embarcations allant à notre paquebot.

bout d'une bonne demi-heure, nous sommes

arrivés

;

les

matelots se

mettent dans l'eau

du fond du canot

qu'aux genoux, tirant

la

planche qui doit nous servir pour débarquer

bond nous sommes sur

L'encombrement

la

;

d'un

plage.

causé par

terrible

dans ce pauvre pays se

jus-

petite

la

guerre

sentir jusqu'ici et c'est

fait

au milieu de soldats de toutes sortes que nous faisons notre entrée à

La

case est

capitaine; se

là,

homme

un

doute de

la

suite de quoi

Majunga.

tout près

il

;

on court chercher

d'infanterie de

chose, un

mahn

il

s'écrie «

Mon

marine qui

qui voit tout de

retourne, se précipite vers

son; d'un air fier et respectueux,

le

la

la

mai-

main au casque,

:

capitaine, venez vite

c'est vot'

;

dame

et

vos enfants. » Alors, cette

fois,

oubliant toute étiquette, sans

souci des gens et de cette foule qui nous entoure,

nous tombons dans

J'apprends

qu'en

les bras l'un

effet

Notre-Daine-du-Saïut avec

//

de l'autre.

devait partir sur le

les

troupes de Diego,


MES CAMPAGNES.

272

mais qu'un ordre du colonel, paru port, l'avait maintenu

ma bonne

le

matin au rap-

àMajunga. Une fois encore,

étoile m'avait

protégée

!

Et maintenant, nous allons tout de

suite à sa

une grande maison indienne, toute

case,

construite à

façon arabe, avec une terrasse à

la

une cour

place de toit et

peu à

l'abri

Elles ont

du

carrée, la

un

intérieure mettant

soleil.

d'enceintes fortifiées, ces maisons,

l'air

avec leurs terrasses un peu crénelées, les auvents

comme

de leurs portes tout en maçonnerie

des

guérites en pierre.

Un

général et son état-major occupent tout

premier étage

;

lui est

logé en bas dans une espèce

de sous-sol, de cave pour mieux dire, avec sous

les pieds.

Il

pauvre logis: un

y

lit

le

la terre

a juste le nécessaire dans ce

malgache, c'est-à-dire un cadre

de bois monté sur quatre pieds, tendu avec des cordes et sur lequel est une natte plété par

coin,

ce

lit

com-

est

un semblant de moustiquaire. Dans un

une vieille

caisse sert

de table, et une toilette

des plus primitives est faite sur

Dans

;

la

la

malle de cantine.

cour intérieure, tout autour de

son, ce ne sont que soldats; ces pauvres

hommes

il

y en

la

mai-

a partout

déjà fatigués, chargés,

de

armés


MAJUNGA.

273

comme si cette guerre allait commencer tout de suite, comme si l'on allait se battre là immédiaportent sur eux tout

tement.

Ils

guerre

le fusil, le

:

rien n'y

revolver,

manque, jusqu'à

les

le

fourniment de

guêtres,

le

bidon

;

leurs vêtements cachou,

couleur de poussière, qui achèvent de leur donner Tair de soldats s'étant déjà

beaucoup battus.

Quelqu'un qui ne saurait rien en arrivant pourrait s'imaginer que

la

guerre

est

ici

déjà faite.

Hélas!...

Des hommes de chez nous remphssent

la

cour,

sont assis par terre, formant des groupes.

ils

En

passant j'en

ai

feu avec des vieux chauffer

remarqué deux allumant du

morceaux de bois pour

faire

quelque chose dans une casserole; un

autre faisait la barbe à son camarade avec un petit canif de poche.

A

toutes ces

nues

?

Du

je

reste, j'ai

par

le détail, le petit détail

un autre moment, eût Si

vous courez

j'ai

pu voir

les ai rete-

remarqué souvent que, dans

circonstances graves de la vie,

les

à

me demande comment bêtises? comment même je

présent

affolé

on

est

absorbé

bête et insignifiant, qui,

passé tout à

fait

inaperçu.

d'un endroit à un autre,

appelé par une mauvaise nouvelle, vous lisez toutes MES CAMPAGNES.

18


MES CAMPAGNES.

274

sans en passer une seule, toutes

les affiches

seignes des magasins, toutes les réclames

les en-,

rien ne

:

vous échappe; ou bien vous considérez attentive-

ment

le

dos d'un monsieur qui passe,

et,

tout

d'un coup, vous vous apercevez que son paletot est

d'une drôle de couleur, ou que son chapeau

est

de travers. Et ce misérable détail vous occupe

malgré vous

,

alors

nue quand même,

vous absorbant d'une façon

que votre pauvre cœur bat

cruelle, et

que vous considérez

fou, pendant et les

que votre inquiétude conti-

comme un

les indifférents

joyeux qui passent à côté de vous.

Nous ne sommes mence une

pas plus tôt entrés que

com-

défilade sans interruption de soldats,

plantons, officiers qui viennent apporter ou de-

mander des

ordres.

Tous ont ils

restent

des airs pressés, des mines affolées

comme

logis militaire Il

y a tout

une femme à côté

grande machine à C'est

un

pétrifiés

de trouver

;

dans ce

et des enfants.

de nous, touchant

distiller qui fait

un

le

mur,

la

bruit infernal.

va-et-vient d'homrnes de toutes sortes,

des blancs, des noirs, qui transportent de l'eau

dans des petits sacs en

toile,

et

cela leur

donne


MAJUNGA.

275

un

l'apparence de gens allant éteindre

feu,

courant

camp,

laissant

ahuris à an incendie.

Vite nous allons partir pour les

enfants à

qui

me

la

garde du

soldat, mais voilà bébé

réclame; c'est vrai,

je l'avais

oubliée, cette toute petite que

amenée

Alors, de

là.

bonne me «

dit

Faut que

Mais

c'est

!!

il

!

3^

recours au

;

donne.

»

est incapable

quelle nourriture

lait

il

concentré, aille

lui

don-

émue,

agi-

bon

le

Oh mon

une gamelle

capitaine,

ma gamelle; hommes sont

des petits

lait

chercher une boite :

et le

bonne d'enfant pour un

!

de

vaut beaucoup mieux avoir

chez un Indien et rapporte «

aussi

aurait de quoi la rendre malade!...

chauffera dans

pier, passé

lui

que madame

coloniaux. Vite, qu'on le

nous avions

calme des Bretons, sa

l'air

Madame

impossible;

c'est

complètement

:

ner quelque chose tée

le

le lait

j'ai

;

on

pauvre trou-

instant, court

en question.

pas seulement

mon

quart, ni

tout qu'est encore emballé;

mais

les

En

effet,

nous

le

suite je vois toutes les

qu'en ont tous.

leur

et tout

de

mains qui s'avancent, cha-

cun apportant son quart, prêtera quelque chose.

demandons

»

sa gamelle, c'est à. qui


MES CAMPAGK'ES.

276

On

chauffa

au feu qui était dans

le lait

la

cour,

nous étions tous autour formant un rassemble-

ment

touchant aussi cette

et c'était très drôle, très

petite cuisine en plein vent,

par ces

hommes, pour

Tout de

le

ce biberon préparé

bébé de leur capitaine.

suite en partant, en quittant cette espèce

de cave dans laquelle

geons vers

le

tout, et cela

camp

est logé,

il

y

il

:

commence un

tel

diri-

un peu par-

dès que nous sortons de la

grande maison indienne. Dans telle foule,

nous nous

a des tentes

les rues c'est

une

monde que nous avons de

la

peine à avancer. Il

les

y a

des soldats de tous les pays, de toutes

nations, des bleus, des rouges, des turcos, des

spahis, et

beaucoup d'autres encore, des noirs ve-

monde

coins du

nus de tous

les

sénégalais.

Dahoméens, Kabyles, sans

:

Somalis, tirailleurs parler des

indigènes du pays, Malgaches, Sakalaves, et des volontaires créoles de

la

Réunion. C'est une con-

comme une

fusion terrible, quelque chose

tour de

Babel, une réunion de toute l'humanité.

En

route, nous rencontrons

mulets conduit par des noirs boire là-bas, très loin

;

on

;

a fait

un long convoi de on mène

les bêtes

une espèce d'abreu-

voir à côté d'un puits possédant encore

un peu


MAJUNGA. d'eau

;

c'est

277

une vraie route à

pour

faire

aller jus-

que-là.

Nous nous rangeons pour

les

laisser

passer,

regardant défiler tous ces noirs conducteurs de mulets,

ils

ont des

airs

des airs

et fatigués,

las

de tristesse et de résignation, qui

me

fendent

le

cœur. Hélas

la fièvre les

!

prend

eux-mêmes n'échappent Il

y en a toute une

ravane d'hommes

ment,

pas à

maladie.

la terrible

interminable, une vraie ca-

et de.bêtes, qui s'en

trainant

se

file

aussi, car les nègres

presque

et

vont lente-

soulevant à leur

passage un grand nuage de poussière rouge qui

les

enveloppe tous. Alors

commença pour moi une rude

une course lieu

de ce

folle à travers ce

camp

mifitaire. Il fallait tout voir, tout

regarder, avec des amis retrouvés

tout

journée,

pays inconnu, au mi-

me montrer,

là. Ils

voulaient

tout m'expliquer: leurs travaux,

leurs peines, et jusqu'à leurs petits déboires,

pour qui la guerre

était

mois; car l'ennemi pant

les plus forts,

nemi dangereux se battre!

!...

!

eux

commencée depuis de longs

était là, les

guettant tous, frap-

n'épargnant personne

le seul

!

Cet en-

avec lequel on ne pût pas

avec qui personne,

même

les

plus


MES CAMPAGNES.

278

mauvaise

fièvre de ce

injuste et lâche,

pagne, quand

mesurer

osé se

braves, n'eussent

dont

fièvre, la

la

:

pays des Hovas. Cet ennemi parlait la reine

elle disait

:

«

avant

la

Je sais que les Français

sont des braves et qu'ils savent se battre

moi,

je

mais

;

leur enverrai le plus puissant, le plus fort

de mes généraux

En

cam-

(la fièvre). »

considérant toutes ces choses,

plus ce que j'éprouvais,

mes idées

mon cœur

renversées,

était

je

ne savais

étaient brouillées,

comme

Il

afl?'olé.

y

avait de la joie, bien sûr, la joie de se revoir, de se

retrouver pour un instant, mais

de se quitter, et

l'effroi

je

me

il

y

avait aussi

demandais

l'un

si

valait l'autre.

Oh

!

ce

camp de Majunga,

c'était hier, la

même

je

verrai ainsi

le

intensité

dépensée.

comme si toute ma vie avec C'était comme un

je le

vois

chaos formidable, un débordement de gens, persés dans cette plaine

immense, plantée

magnifiques et qui semblait diminuée, trop petite pour contenir tout ce

Et cela commençait depuis

même, où les

la

dis-

d'arbres

devenue

monde.

plage, sur le sable

l'on avait entassé toutes les munitions,

marchandises,

bre, à la hâie et

lés vivres arrivés

en grand

nom-

qu'on ne savait plus où ranger.


MAJUNGA.

Oh! il

montait

!

!

et rude, car

arriver.

279

chemin qui menait au

ce

A

Dieu

!

!

fort hova,

comme la route

comme

en était longue

nous avions pris mille détours pour y chaque minute, nous nous arrêtions

pour voir une chose ou une autre

c'étaient des

:

puits qu'on avait voulu creuser et qui étaient

abandonnés,

hommes

les

étant tous

là,

tombés ma-

lades, puis des travaux de défense, sortes de re-

tranchements inachevés

aussi, car dès

qu'on tou-

chait à la terre la fièvre arrivait tout de suite

mal

était là,

dans

nemi ne vous

le sol,

dans

l'air,

;

le

partout; l'en-

quittait jamais.

Nous vouhons

voir aussi

troupes de Diego parties

compagnies M.

et

le

campement

le

D. qu'on renvoyait,

qu'on n'avait plus besoin

d'elles;

troupe d'infanterie de marine,

des

matin même. Les

si

à présent

pauvre petite

perdue au miHeu

de ce grand corps, tellement que personne n'en parla

jamais et

comme

qu'elle

fliisant partie

Un

Madagascar.

ne

compta

du corps expéditionnaire de

oublié et

grand'peine qu'une poignée de ses I

pas

général d'infanterie de marine

réclama pour ce bataillon

à-dire 50 et

même

obtint à

hommes,

oliicier fussent ajoutés

ment d'mfanterie de marine.

il

c'est-

au 13^ régi-


MHS CAMPAGNES.

280

Ce vant

fut à cette occasion

que parut l'ordre

sui-

:

ORDRE GÉNÉRAL

Le général en chef ne veut pas troupes prélevées sur

Suarez sans

les

15

laisser partir les

garnison normale de Diégo-

la

remercier du concours qu'elles ont

apporté dés la première heure pour l'occupation de

Majunga

et les opérations

Comme

contre Maroway.

témoignage de sa

satisfaction

pour

les ser-

vices rendus par cette troupe d'élite et afin de permettre à quelques-uns

au moins d'entre eux de

du corps expéditionnaire,

commandant capitaine

la 2^

Dupuis

et

il

autorise

M.

faire partie le

général

brigade à retenir à Majunga

50

hommes

M.

le

des deux compagnies,

qui demanderont à être incorporés dans les régiments

de la 2^ brigade.

Au

quartier général de Majunga, le

10 mai 1895.

Le Général commandant en signé

Et pourtant, fait

je

:

chef,

Duchesne.

vous jure que ce bataillon avait

de rudes choses;

je

puis vous certifier qu'il y

avait là des braves et des gens de valeur.

Quand les dernières troupes de France

arrivèrent


MAJUNGA.

281

au mois de mai, songez que ceux-là avaient déjà

un an de Madagascar depuis

Ce

les

premiers jours de janvier.

se souvint.

de

la

occupaient Majunga

fut la période de préparation, période qui

resta tout à fait dans

pour

et qu'ils

Ce

l'ombre

et

bataillon passa à

mauvaise saison.

dont personne ne

Majunga

On prépara des

les

mois

campements

troupes qui allaient venir, on leur cons-

les

truisit des paillotes.

Tous

les

pauvres Indiens habitant

rent évacuer leurs maisons.

On

les

le

pays du-

logea ailleurs,

mais ce fut un gros événement pour tous ces mu-

sulmans qui demandèrent

à quitter leurs logis à la

nuit, toute leur smala ne devant jamais sortir de

jour; cette afHuence de

monde, de

militaires, les

avait jetés dans l'épouvante.

Une

fois les habitants partis,

il

fallut travailler à

percer des fenêtres pour donner du jour et de

l'air;

ces maisons sont de vrais châteaux forts, sans

une

ouverture au rez-de-chaussée. Leur sécurité et aussi la crainte

qu'on ne

vît leurs

femmes

les

obligeaient

à construire de la sorte.

On

fit

ville, et

des travaux de défense tout autour de

la

tout cela sans coolies, sans indigènes pour

venir en aide, car

les

Hovas

avaient

fait

le

vide


MES CAMPAGNES.

282

autour de nous, menaçant les terrorisant, s'ils

les

gens qui

restera'ient,

nous vendaient des boeufs ou

nous fournissaient quelques marchandises. Les vivres manquèrent quelquefois;

on

très rude;

travaillait

souvent

nuit à décharger

la

bateaux de passage à Majunga.

les

temps qui était

la vie était

On

sentait le

passait, les jours qui fuyaient, et l'on

épouvanté du nombre d'hommes qui

allaient

débarquer dans ce pays de misère, sentant l'impossibilité

On sins,

de fit

faire

pour eux davantage.

des reconnaissances dans les villages vois'étaient réfugiés les

ques coups de

fusil, et

comme

en grande partie des lâches,

longtemps

;

et

Hovas; on

pourtant,

ils

ils

tira quel-

ces gens-là étaient

ne

se battirent pas

auraient pu aisément

massacrer cette poignée d'hommes, ce bataillon isolé,

presque sans défense.

Pendant tout ce temps,

la

pluie tombait sans dis-

continuer; chacun payait son tribut ces rudes travaux, faits

pendant

la

à la fièvre, car

saison des pluies,

amenèrent une recrudescence de maladies parmi les

hommes

et les officiers.

Ceux-là, cependant, ne firent jamais partie du corps expéditionnaire.


MAJUNGA.

On a écrit

déjà

beaucoup de

pagne de Madagascar

;

«

Le

livres sur cette

cam-

dans l'un d'eux entre autres,

paru tout dernièrement, lignes à l'avant-propos

283

pu

j'ai

lire ces

quelques

:

lecteur trouvera à la fin

les pièces justificatives ainsi

du volume toutes

que divers documents

qui nous ont paru particulièrement intéressants.

Les noms de tous

campagne,

sement

à

titre

ayant pris part à

quelconque, ont été soigneu-

je

regardai à

la table, je feuilletai

pages sans en oublier une seule

tait

la

relevés. »

Alors vite les

un

les officiers

un peu, mais...

je

;

le

toutes

cœur me

ne trouvai pas

le

bat-

nom

de

mes amis Tout autour de nous

des officiers h cheval, à

mulet, passaient très vite portant des ordres, allant à

un

service

quelconque

et,

à tout instant, je re-

trouvais dans ces officiers, des connaissances, des

amis, beaucoup de gens que

je

croyais chez eux

bien tranquillement, faisant du service en France.

Tout

le

monde

avait

donc voulu

guerre, prendre sa part de cette

faire

cette

campagne déce-

vante et cruelle, pendant laquelle on devait à peine


MES CAMPAGNES.

284 se battre,

mais surtout mourir d'affreuses maladies,

de ce mauvais mal des fièvres qui, en un jour, enlevait aux plus braves leur énergie et leur vo-

lonté?

Cela blait

me

parut

hova;

loin, le fort

si

A

qu'on n'arriverait jamais.

me

il

sem-

présent nous

étions tous couverts de poussière, devenus rouges

comme

était tout

nous marchions.

terre sur laquelle

la

au haut de

la ville, la

montée, ce

la

fort

II

dominant

rade et l'immense camp.

C'est une construction peu importante du reste,

une sorte d'enceinte

fortifiée, avec des cases

en

bois vermoulu, construites par nous en 1885. Elles

servaient avant

la

campagne de logement

nison hova. Dans l'une

trouve

d'elles se

Son

d'audience du gouverneur Raraliek. est resté là, et

ment de

la

compose

maison. Sur

sont encore inscrits

R

et

un

M

les

à

à la garla salle

fauteuil

peu près tout l'ameuble-

mur

le

blanchi à

insignes de

la

la

chaux

royauté,

un

surmontés d'une couronne.

La guerre a déjà

passé par

du Hugon, au mois de

janvier, a

grâce à ces pauvres masures

;

terre à moitié é ventrées et les

des coups de canon.

On

bombardement

là et le

donné

les

le

coup de

portes sont par

murs

a réparé

se ressentent

tout cela tant


MAJUNGA. bien que mal

et,

pour

285

moment,

le

ce fort

hova

est

habité par des soldats d'artillerie.

Nous

un

étions là depuis

explications qu'on

me

instant

j'écoutais les

:

donnait, et pourtant

esprit était ailleurs, j'étais préoccupée.

comme

de nous, on entendait

gémissements

que

des plaintes, des

vit,

qu'on cherchât tout de

cela pouvait être.

Nous ouvrons une porte donnant sous randa de

à côté

quelque chose de très douloureux,

qu'on

et je voulais

suite ce

;,

Tout

mon

case

la

où nous étions

;

la

vé-

nous aperce-

vons, couché par terre, un pauvre soldat qui se roulait dans d'horribles souffrances, sa tête battait

de côté

et d'autre, frappant le

de ses mouvements

il

;

plancher à chacun

était brûlant,

de grosses

gouttes de sueur roulaient sur son front, sur ses joues.

Quand

pour saluer peu, mais soldats

il

nous

vit entrer,

les officiers

il

retomba.

il

comme pour

On

appela,

fit

un

effort

se soulever

un

on chercha des

pour s'occuper de ce malheureux, pour

lui

trouver une paillasse, quelque chose qui ne fût pas le

plancher sur lequel

il

se roulait.

Il

y

avait bien

là d'autres

hommes, mais on commençait

bituer à

souffrance et les camarades

daient

la

comme

hébétés

!

le

à s'ha-

regar-


MES CAMPAGNES.

286

un

« Allons, dit

officier qui lui avait pris la

main,

un peu de courage, mon garçon; vous n'avez pas bu au moins

— Oh Et ce

!

«

?

non,

non

mon

capitaine

»

!

pas douteux, à voir l'ex-

» n'était

pression de souffirance du malheureux. «

Voyons, vous autres, qu'on transporte

homme

sur un

chose de chaud

Un «

vu

de camp

faites-lui

vous avez bien du thé

cet

homme

médecin, ce matin

— Mon capitaine, et

;

?

quelque

»

gradé arriva.

Pourquoi

le

;

lit

cet

est-il là

tout seul

A-t-il

?

respectueusement

dit l'autre

du ton bref qu'on emploie dès

service,

?

nous sommes trop loin

;

du

qu'il s'agit

la visite

ne vient

pas jusqu'ici. »

On

prit le

numéro du pauvre

soldat pour s'en

occuper à l'arrivée, tâcher d'envoyer quelqu'un, et,

comme

j'objectais tout

doucement qu'on pourrait

peut-être le soigner dans « Il n'y a plus

bas, tristement,

Il

nous

dit

un hôpital

de place

»,

me

:

répondirent tout

mes compagnons de route

merci quand

il

nous

vit partir

d'avoir eu pitié de lui, voilà tout...

.

:

.

.

merci


MAJUNGA. J'aurais

aimé

un peu, mais

le

cela

consoler, cet

287

homme,

hova. Je

me

pas

soigner

ne se pouvait pas...

Nous marchions sans rien nous le fort

le

faisais

dire,

en quittant

de violents efforts pour ne

mettre bêtement

à pleurer, et

pourtant j'en

avais bien envie.

Ce

n'était pas

sur cet

homme

seul

que mes

larmes eussent coulé abondamment, mais sur tous, sur les souffrances et les peines en masse de chaallait se

passer, car

nous n'é-

commencement,

et ce serait

comme

cun, sur tout ce qui tions qu'au flot

le

qui monte, qui vient vers vous, vous dépasse,

vous emporte....

Personne ne pourrait plus empêcher toutes ces choses

;

il

faudrait les subir simplement... avec

courage

« Allons, dit

et

un de ces messieurs, n'y pensez plus

ne pleurez pas sur tous

les

malades que nous

rencontrons; vous n'auriez pas assez de larmes

Et

lui aussi eut

comme un

!

»

soupir de décourage-

ment

Nous

avions marché

si

longtemps, nous nous

étions tant attardés partout qu'en arrivant à la

maison

la

nuit était venue.


MES CAMPAGNES.

288

Quant

me

moi, mes jambes ne

à

de choses à

c'était trop

portaient plus

;

trop d'émotions,

la fois,

trop d'inquiétudes, trop d'angoisses

:

j'avais envie

de demander grâce.

Vers 7 heures, arriva

commandant du Gahcs

le

qui venait nous prendre pour nous

emmener

diner

à bord.

louvoyer habilement à travers

Il fallut

au miheu de toute cette foule (et ce

fut

rues

encore plus

retrouver

difficile à la nuit), afin d'aller

les

la balei-

nière qui avait mouillé un peu plus loin.

Grâce de

Dieu,

à

suite.

le

paquebot ne repartit pas tout

y avait eu quelques petites choses

Il

décharger, à embarquer, le

bateau

:

de guerre.

que

U Amazone,

donc, ne devait repartir

Gabès,

même

le

droit en

matinée.

la

j'étais

contente de

mon

arrivé le jour de

c'était cette

temps

en ont

Ce pauvre Il était

réquisitionné

les militaires

lendemain, dans

le

et l'on avait

à

le

revoir.

départ de Diego

baleinière, les

et

mêmes hommes

sans doute qui nous avaient conduits à bord de

notre grand paquebot,

le

mauvais

soir de ce triste

départ.

Depuis ce temps-là, mois,

le

Gabès avm

fait

il

s'était

écoulé plusieurs

beaucoup de bonnes choses.


MAJUNGA.

289

eut à bombarder plusieurs villages indigènes oc-

Il

Hovas,

cupés par

les

sances,

il

dut remonter

jusqu'à

Ankaboke

faire ses

la rivière

de

la

reconnais-

Betsiboka

avec une audace et une

le fit

il

;

pour

et,

habileté qui lui réussirent pleinement, ce qui fut

regardé

Tous

comme ces

un tour de force.

bateaux de

la

matave qu'à Majunga, mais

là aussi,

tion,

on ne

comme

c'était la

la

rude besogne;

période d'occupa-

mauvaise saison, cependant, comptaient double.

et les fatigues

Toutes

Ta-

s'en souvint plus.

C'était pendant

peine

la

station, aussi bien à

firent de la

ces forces réunies, la marine, l'artillerie,

marine, firent des efforts surhumains

l'infanterie de

pour préparer

le

pays,

assainir, construire des

aménager des logements, baraquements pour

les

hô-

pitaux, faire des routes, etc.

On

la place.

les

aussi des reconnaissances

Hovas de

les

à

fit

On

armer, tous

ser,

1.

pour chasser

leurs postes et y mettre nos troupes

réquisitionna, pour les réparer et les

bateaux dont on pouvait dispo-

V Amhohimanga

^,

le

Sigurd^,

le

Boé'me

Bateau hova pris à Diego.

2.

Appartenant à

3.

Appartenant à M. Suberbie.

la Graineterie, à

MES CAMPAGNES.

Diego.

I9

3^

qui


MES CAMPAGNES.

290

furent très utiles pour remonter les rivières. alla

chercher un peu partout

que

le

On

les

On

quelques chalands

pays possédait, à Diégo-Suarez, àNossi-Bé. disposa de tout ce qu'on avait

;

on

fit

l'im-

possible pour venir en aide à toutes ces troupes

qui allaient arriver

;

mais,

hélas

!

c'était

encore

trop peu de chose, en comparaison de ce qu'il eût fallu

pouvoir

Tous

les

faire.

matelots embarqués à bord des bateaux

furent très éprouvés par

la fièvre

et la dysenterie,

à la suite des travaux exécutés à terre pendant

la

saison des pluies.

Le Hugon,

qui n'avait pas cessé de naviguer dans

toutes ces mers pendant six années, reçut l'ordre

de regagner usé,

la

si vieilli,

France, vers

la

mi-mars.

Il était si

ce pauvre bateau, qu'on fut presque

inquiet pour sa traversée de retour. Lui aussi avait

bien pris sa part à toute

Pas grand,

logement des c'est

le

période de préparation.

Gabès ; pas confortable du tout

officiers, le carré et le

un bateau en miniature.

dant un équipage de 80 tout ce la

la

monde

chaleur,

le

vit Là,

Il

le

faux-pont...

:

y a là-dessus cepen-

hommes

et 5 officiers,

et

dans ce très petit espace, par

gros temps,

la

tempête, pendant

les

longs mois de traversée, et sans jamais se plaindre.


MAJUNGA. une

C'est

vraie

291

vocation, un grand amour du

métier qu'il faut à tout ce pauvre

monde pour

na-

viguer sur ces coquilles de noix. Et à présent ces

bateaux sont tous désarmés, rentrés au pays depuis

longtemps, maintenant qu'est

finie cette

rude cam-

pagne

vu

J'ai

l'autre jour dans

de Paris, tout à

la

que

et

les officiers

voulu

offrir à leur

un

petit

place d'honneur,

appartement

un souvenir

l'équipage du Gahès avaient

commandant.

Ils

avaient fait

graver dessus en lettres d'or, à côté de leurs à tous

noms

:

SOUVENIR DE I7

xMOIS

d'une heureuse campagne

Pauvres, pauvres gens

de toutes

les façons, et

!

qui avaient tant peiné

qui avaient encore

le

cou-

rage d'appeler cela une heureuse campagne. Quelle

leçon pour ceux qui seraient tentés de se plaindre

de

la

vie

Dans

!

la soirée, le

paquebot

;

canot nous reconduit jusqu'au

nous passons sur

le

pont une partie


MES CAMPAGNES.

292 de

nuit.

la

dire

On

avait

!

Le matin au

petit jour, vers cinq

nous retournons lais

encore tant de choses à se

à terre,

revoir encore

heures et demie,

sans les enfants

un peu

;

je

vou-

pays, dire adieu au

le

camp de Majunga. Tout de mosquée

:

suite en arrivant,

un

petit

temple

des ruelles étroites, dans rière

très

deux ou

très

et sa

la

pauvre, au milieu

un renfoncement, derAllah n'y est pas logé

trois cases.

somptueusement

nous allons voir

demeure

est fort simple;

cependant j'appris plus tard qu'une autre mosquée

beaucoup plus importante celle-là,

mais

elle n'était

non

existait

loin

ouverte au public que

de les

jours de cérémonies.

Très

respectueusement,

chaussures à

temple tions

Un passé

si

et

calme,

porte et nous entrons dans si

ce

tranquille, au milieu des agita-

indien la

musulman couché

nuit dans

la

mosquée,

par terre, ayant

se réveilla à notre

nous regarda d'abord d'un

Puis, quand

il

vit

que nous paraissions

et, se

nos

enlevons

du dehors.

arrivée et fiant.

la

nous

air très

mé-

que nous étions nu-pieds très recueillis,

recouchant de l'autre côté,

il

il

se rassura

se rendormit.


MAJUNGA.

Ah si comme je

Allah avait pu

!

l'aurais

293

m'entend re

et

m'exaucer

commencer

allait

coûter

;

cette

!

événements,

prié d'arrêter les

d'éloigner de nous dès maintenant ces

jours qui allaient

!

mauvais

campagne qui

de pauvres gens, amener

la vie à tant

tant de misères, tant de souffrances, faire couler

pour posséder un pays

tant de larmes, tout cela

qui ne servirait à rien, qu'à nous faire une colonie

de plus,

et

une mauvaise encore

ne m'entendit pas

toutes

et

!...

ces

— Mais Allah choses

tristes

arrivèrent

Dans déjà

les rues étroites

commencée,

bruyante.

Nous

du pays, avait

vie

la

visitons

la

journée étant

repris, agitée et

quelques boutiques in-

diennes, quelques échoppes

non fermées, dans

but d'y trouver un chapeau de

paille,

de bonne d'enfants destiné à remplacer

Guéméné; partout on nous

offre le

le

un chapeau la coiffe

de

chapeau hova,

semblable à notre affreux gibus, mais seulement en paille

de

riz,

coupé une

je

la

main grossièrement

et re-

fois la paille tressée.

Rien qu'à sous,

cousu à

l'idée

de voir Maiie-Anne là-des-

pars d'un grand éclat de

ragée, je renonce à

mon

rire.

Décou-

achat et nous continuons


294

CAMPAGNES.

-^lES

promenade

notre

travers

à

mouve-

rues

ces

mentées.

Nous

allons voir les bureaux de l'intendance,

la

boulangerie, tout cela campant moitié en plein

moitié dans

air,

hommes

indiennes;

les cases

qu'on distribue dans

melles en aluminium

ils

;

la

soupe des

nouvelles ga-

les

ont aussi

les

quarts, les

comme de l'archaque homme est au

bidons en métal pareil, brillant gent, et

moins

le

chargement de

très allégé.

Des tentes en grosse dans

rues pour les

les

soleil

Les puits de

hommes

monde

ailleurs et tout ce

au grand

toile grise

la ville,

Hovas ne

les

vit là, à la belle étoile

des espèces de grandes ci-

maçonnés dans

les aient

la

crainte

empoisonnés, car

sont terribles et très lâches avec leurs poisons

ne

fusille pas,

pays-là

on ne tranche pas

vaise action

noir a

tête

on

dans ce

l'invite à boire

;

commis un crime, une mau-

quelconque

un poison qu'on violents

la

;

ils

on vous empoisonne.

:

Quand un on

ou

!

ternes, ont été bouchés,

que

ont été dressées

qu'on n'a pu caser

les

une

et qu'il est

puni de mort,

tisane, c'est-à-dire à

lui a préparé... Ils

prendre

en ont de très

Hovas emploient généralement

les


MAJUNGA. poisons végétaux, surtout

donne des

assez bel arbre qui la

pêche

fait

;

le

le

293 tanguin.

fruits

poison se trouve dans

un peu le

un

C'est

comme

noyau qu'on

infuser et qui a la propriété de coaguler le sang

en amenant des convulsions affreuses

On

ribles souffrances.

son breuvage

;

j'allais

et

d'hor-

donc boire au patient

et tout le peuple, réuni

cérémonie, assiste à

heureux

fait

la terrible

en grande

agonie de ce mal-

dire de ce criminel,

mais

cela

n'est pas toujours.

Quelquefois, quand on veut dépouiller quel-

qu'un de

ses biens,

ou s'en débarrasser, on

l'ac-

cuse d'un crime quelconque et

on

lui

promettant que,

s'il

est innocent,

la tisane

les

en

lui

fait

boire

dieux l'empêcheront sûrement de mourir

boit l'affreux poison,

mais

n'empêchent rien du tout.

les

;

il

dieux imaginaires


DEPART DE MAJUNGA

A

bord, on vint aussi nous dire adieu: des amis,

ciers, des

même

et

offi-

monsieur aux fram-

le

boises, retrouvé là par hasard et qui, en galant

homme,

venait

me

présenter ses

jours

accompagné de son

nait,

comme

dans

un bouquet de petit singe

la

hommages, tou-

fidèle petit

chanson,

« à sa

roses » et de l'autre

boy, qui

main

un

te-

droite

délicieux

ou plutôt une maque de Madagascar,

ce

qui est beaucoup moins laid.

Très curieuses

et

avec leur petite tête

vraiment fine,

jolies, ces

un peu comme

maques, celle

l'écureuil, la fourrure gris pâle très fournie et

belle

queue zébrée noire

J'étais

car

Dieu

Majunga

touchée tout à sait ;

mais,

dois

une

et blanche. fait

l'on avait je

de

de ces petits cadeaux,

pu trouver des roses

le dire

maque ne m'enthousiasmait

honteusement,

pas.

Ayant déjà

à la

trois


DÉPART DE MAJUNGA.

297

me

enfants, l'idée d'un petit singe en plus froide.; d'autant

laissait

que ces petites bêtes ont besoin

de vivre en liberté. Elles sautent d'un arbre à l'autre, en fliisant des

bonds prodigieux

si

;

vous

enfermez dans une

les

cage, elles s'y balancent pendant des heures d'un air

ennuyé

et

joujou

vous en donner mal au cœur.

à ressort, à

Et puis

comme un

sautant bêtement

j'avais

de ces maques.

conservé un mauvais souvenir

Un

Diego, nous avions eu

soir, à

une grande frayeur. Une de ces bêtes, échappée d'une cage, avait sauté du la

tête de

ma

dents aiguës l'avait

pauvre Moë,

une

relevée, la

.entaille

d'une maison sur

toit

lui faisant

avec ses

profonde

assez

chérie, tellement

;

on

couverte de

sang qu'on ne voyait plus sa figure. Les nègres épouvantés l'emportèrent chez

bon noir de Bourbon qui de vendre des remèdes

homme. La

jusqu'à sa case fut pour

pharmacien, un

avait reçu la permission

et

route qu'il

le

qui était

un

fallut suivre

moi

le

très

pour

brave

arriver

chemin du Cal-

vaire.

Grâce

à

Dieu,

les

yeux n'avaient rien

blessure à l'eau phéniquée, mais

long à guérir, tant

la

morsure

le

;

bobo

on

lava la

fut assez

avait été profonde.


MES CAMPAGNES.

298 Depuis ce jour,

la

me

faisait

donc, quoique

à re-

vue seule de ces bêtes

horreur.

Les enfants

se décidèrent

gret, à faire cadeau de leur

Gahès

; je

bonheur

leur

et

fis

maque

comprendre

que cette

à l'équipage

qu'il

y

allait

cilement ses ébats sur

les

vergues du bateau que

bonne intention.

venu

à

Majunga avec de suivre

à exécution,

Ce

fut

la

l'idée, qu'il

colonne à

en compagnie de son

d'un âne non moins qu'il

et n'y

un explorateur sérieux que M. Wolf;

C'était

troupes.

mon-

le

aux framboises ne s'en fâchera pas,

verra qu'une

était

de son

petite bète prendrait plus fa-

dans un coin de notre cabine. J'espère que sieur

du

petit,

monta péniblement

mit du reste la suite

lire

des

petit noir et

amené de Zanzibar,

jusqu'à Tananarive.

J'eus l'occasion plusieurs fois, durant la

pagne, de

il

des articles qu'il avait

fait

cam-

paraitre

dans des gazettes allemandes, toujours fort élogieux pour nous, pour nos troupes,

et leur

rance en face des dures fatigues de

guerre.

Ce

fut

tres, car

un départ il

la

endu-

plus triste encore que les au-

y avait désormais entre nous l'inconnu

de cette campagne qui commençait déjà

si

doulou-


DÉPART DE MAJUNGA.

299

reusement. Les enfants eurent un gros chagrin et se révoltèrent tout à fait à l'idée qu'il fallait laisser ici

ce papa

heureusement retrouvé. Nous étions

si

tous trois très misérables

•.

h' Ama:(one ne mit que deux jours pour aller à

Mahé

:

un bon bateau qui marchait bien

c'était

partout nous arrivions en avance

;

c'en était

et

même

gênant. C'est ce qui m'avait valu cette émotion, à

Majunga

arrivés presque

;

qu'on ne pensait, on

une journée plus

n'était pas

venu

me

tôt

cher-

cher.

A Mahé le

aussi,

où nous devions transborder sur

grand bateau d'Australie, nous

avance, et

sommes

un jour

une

Ce

et

fut

une

en

arrivons

obligés de rester au mouillage

nuit.

terrible

chose que cette attente dans

cette petite rade pittoresque et

au possible,

jolie

mais à peu près fermée, entourée de montagnes presque de tous côtés

et

il

fait

toujours une

chaleur horrible.

A

trois

heures de l'après-midi, on

transbordement

et

nous quittons VAma:(one,

bateau des familles où tout et serviable

fait le fatal

le

monde

avait été

le

bon

pour nous. Nous ne devions jamais


MES CAMPAGNES.

300 plus revoir son

commandant, M. Frager, homme

charmant, père de famille

il

;

mourut quelques

mois après, d'une manière tragique, d'un accident bord d'un bateau sur lequel

à

Nous nous

mot

petit

repartir.

un

étions quittés sur une plaisanterie,

d'amitié pour rire; le courrier venait

justement de

lui

apporter l'ordre de sa rentrée en

joyeux

France

;

projets

pour ce retour qui devait

On

allait

il

en

il

avait

était tout

et faisait

de doux

coûter

lui

embarqué peu de passagers

à

la vie.

Majunga:

quelques soldats convalescents qu'on rapatriait

un

officier

ne

je

le

de chez nous très malade,

reconnus pas

et

cependant

si

et

changé que

avait passé de

il

longs mois avec nous à Diego.

Comme

un

homme

tout de suite après se mettre à

soin de

lui.

ma

bien élevé,

il

était

venu,

départ, m'offrir ses services,

le

disposition, disait-il,

Pauvre garçon

!

mais

si j'avais

c'est

moi

be-

plutôt

qui aurais pu lui venir en aide, car j'étais encore plus forte que lui rien qu'on eût

un

pu

;

le

il

était si maigri, si

prendre dans

les bras

réduit à

comme

enfant.

Les autres passagers qui transbordèrent avec

nous n'étaient pas non plus

très

presque tous étaient malades.

nombreux, mais


DEPART DE MAJUNGA. Il

y

3OI

deux familles françaises de Maurice,

avait

qui retournaient en France pour essa3^er de s'y

guérir des fièvres

le

;

résident d'Anjouan et les

siens qui venaient de passer trois rudes

dans cette

tout seuls

île,

aucune ressource, n'ayant

années

comme Français, sans même pas de pain et au

milieu de noirs qui leur étaient très hostiles et essayèrent plusieurs fois de les empoisonner les

religieuses descendues de

Tananarive

;

puis

et des

autres points de Madagascar, pauvres saintes fem-

mes, bien malades aussi,

celles-là,

mais qui ne se

plaignaient jamais.

Entassés dans un canot et remorqués par une

énorme chaloupe

à vapeur,

nous arrivons

très vite

au grand paquebot austraHen.

Un

pont très encombré, couvert de monde. Des

gens agités

et

bruyants vont

haut, riant très fort

;

et

viennent, parlant

beaucoup de femmes en

lettes claires et qui se croient très chics

:

toi-

du faux

chic par exemple, couleurs criardes et voyantes,

moins

le

bon goût

et les

johes choses.

Personne de tout ce monde ne parle notre langue; on n'entend que l'accent anglais; c'est à se

demander

si

bateau français.

nous sommes vraiment sur un


MES CAMPAGNES.

302

Le commandant

fliit

les

raissant très absorbé par le

australiennes; très

cent pas sur et les

flirt

le

pont, pa-

young misses

se multiplie, va de l'une à l'autre,

il

entouré d'une nuée de ces jeunes personnes

qu'il

garde

Oh

1

;

rude langage, avec un fort accent

lui aussi parle ce

même

dans sa langue maternelle.

tous ces gens-Là, ça ne

tout de nous voir arriver

mêmes que nous

les

amusa pas du

nous sentions nous-

;

n'étions pas à

hauteur.

la

nous regardèrent monter avec un certain mé-

Ils

nous reçurent assez mal

pris et l'effet

de colis en mauvais état

grands dieux et le singe

!

si

j'avais

;

;

nous leur

amené le petit

chat de Salazie

du monsieur aux framboises

aurait jetés à l'eau, bien sûr.

faisions

qu'auraient-ils dit,

Nous

;

on

les

n'étions à leurs

yeux que de vulgaires passagers, des voyageurs à trente

pour

un des

A

cent,

officiers

comme nous du bord

un peu

dit

!

quoi bon nous ménager

?

au point de vue

commercial, nous ne faisions pas gagner ça n'était ni par

goût

ni par plaisir

On

les

cabines dont personne n'avait voulu.

nous casa tous ensemble

la

le

bateau;

que nous étions

là.

Le vent de

plus tard

à l'arrière, dans

révolte souffla tout de suite parmi

nous; on forma dès

le

premier jour ce que nous


DÉPART DE MAJUNGA. appelions

le

clan des révoltés,

et,

3O3

mutuellement,

tous les transbordés du bateau pas chic, intrus à

bord de ce grand paquebot, jurèrent de se venir

en aide, de se protéger

les

uns

les autres

et l'on

;

se tint parole.

Un

administrateur de

aimable

lettre

compagnie,

homme

m'ayant donné au départ de

et obligeant,

Majunga une

la

de recommandation,

je la fis

remettre au commandant, mais cela ne parut pas le

frapper du tout. Par bonheur,

bord un jeune commissaire qui

je

était

fance et nous protégea de son

retrouvai à

un ami

d'en-

mieux avec son

demi-galon.

Une

fois révoltés,

modes mière

à

;

mener,

nous n'étions plus

je dois le dire,

mais vraiment c'eût été

Nous ne demandions

pas

très

moi toute si

com-

la pre-

facile à éviter.

des choses extraordi-

naires; mais, quittant un bateau où chacun nous avait

montré une grande

rions trouver

ici

bienveillance,

un peu de

cette

on oublia totalement de nous

Un

la

même

nous espésympathie

:

témoigner.

mauvais vent nous attendait pour doubler

le terrible

cap Guardafui.

— La mer démontée, des

lames qui nous arrivent de tous

les côtés,

comme


MES CAMPAGNES.

304

des montagnes d'écume, balancent notre pauvre

bateau qui roule, tangue avec une grande majesté.

Une

chaleur lourde, étouffante, les sabords fer-

més rendant pont

les

animé d'ordinaire,

gai, si

si

cabines inhabitables, c'est

sur

et,

le

un encom-

brement de gens malades, abattus, gémissants

et

désolés.

La journée

passe encore, mais la nuit arrive et

personne ne peut se décider

à quitter le

venir à table. Toutes les young si

pont pour

misses, d'ordinaire

élégantes, décolletées le soir, toutes voiles de-

hors, ont pour l'instant renoncé au chic et au

ont

flirt; elles

l'air

de leurs grand'mères,

enve-

loppées d'immenses châles à carreaux, blotties sur les chaises

vante

;

longues

pas fiers

non

et

poussant des

cris

d'épou-

plus leurs compatriotes, qui

ne dînent jamais qu'en smoking

et qui

ont aussi

l'aspect très désolé.

Du lier

:

reste, chez eux, c'est

le soir,

chic tout particu-

une grande étiquette

journée, des costumes sistes

un

;

mais, dans

la

d'intérieur des plus fantai-

qui les font ressembler vaguement à des

clowns, des pierrots, des arlequins. Les enfants, auxquels on n'avait rien

marqué,

dit, l'ont

eux-mêmes

re-

et Jacques, en enfant terrible, n'a pas


DEPART DE MAJUNGA.

manqué,

premier jour,

le

un monsieur tout

305

d'aller se poster

devant

habillé de blanc, depuis les sou-

jusqu'au chapeau de feutre en fond d'arti-

liers

chaut, et de lui dire

quoi que tu

:

«

Dis donc, Monsieur, pour-

en Gugusse?»

t'es habillé

De temps

en temps, une grosse vague passe par-

dessus bord, balayant les chaises, les bancs le

monde

secours.

Un

matelot arrive tranquillement, son

un mauvais coup de

De

fait

beaucoup

rire,

je

fants, bébé, sa

avec des

si

jetés à la

mer

Un

jeter fois

mains rudes,

ses grosses

autres à se relever.

en y pensant;

une

Pour moi,

il

C'est pas rien,

a

:

barre »

pas rien, qui pouvait nous

nous

tout

par terre, trempé, ahuri, appelant au

bonnet enfoncé jusqu'aux yeux c'est

;

est

!

et l'idée

de ce

tous à la mer,

l'émotion passée. aide les uns et les

j'en

tremble encore

courais partout cherchant les en-

bonne, que

je

petits, ils auraient

sans qu'on

ait le

ne voyais plus, car

pu

disparaître, être

temps de

crier gare.

coin de bateau qui est le nôtre, très

encom-

bré, très obscur. C'est là qu'on a casé les voya-

geurs gênants

;

les enfants,

plaintes et les cris eussent

de

les

malades, dont

pu gêner

les

passagers

plaisir.

MES CAMPAGNES.

les

20


MES CAMPAGNES.

306

D'abord

emmené

capitaine

le

cause de

la

soigner,

la

plus mauvaise à

trépidation de l'hélice.

un

soldat à lui, le

toute

les rapatriés et,

est là

marine,

avec nous, qui ne quitte plus du tout sa

cabine, la dernière de toutes,

le

de

d'infanterie

a pris,

journée, toute

la

en faction devant

nous avions

On

la

la nuit,

officier

il

pauvre chambre. Si

malheur de ne pas ramener

le

qu'en France cet

pour

moins malade parmi

malade,

c'est

la

jusnuit,

presque en cachette, toujours par crainte d'attrister les

voyageurs importants du paquebot, que se

cérémonie de l'immersion.

la triste

A

ferait

côté,

un jeune

officier anglais,

revenant des

Indes presque entièrement paralysé

une figure

:

fine d'Anglais de race, ravinée par la souffrance il

;

s'en va, se traînant sur ses béquilles, toujours

accompagné de son dernier

:

tout à

fait le

bonshommes en mense turban montée,

et

fidèle xMalabar.

Très drôle, ce

bibelot des Indes

;

ces petits

bois peint doré, coiffés de l'im-

blanc, en forme de gâteau, de pièce

la

culotte bouffante à la

taille,

très

serrée aux chevilles.

Celui-là aussi couche par terre en travers de

porte

;

il

me

rentrer chez

faut l'enjamber tous les soirs

moi

et,

vu

ainsi étendu,

il

la

pour

a encore


DEPART DE MAJUNGA. plus

Avant de s'endormir,

d'être en bois.

l'air

3O7 il

dévisse son grand turban qui reste toute la nuit

posé majestueusement à côté de sa fois,

peu,

pour amuser je

m'en

m'en vais

les

enfants et nous divertir

un

métamorphosée,

je

coiffe et, ainsi

faire

une

Quelque-

tête.

petite visite au clan des révoltés,

logés aussi tout près de nous.

Nous avons encore dans

la

cabine voisine un

bonne indienne

bébé anglais

et sa

vrai pendant

du Malabar, son ami, du

jolie paire

eussent faite tous deux, dans une vi-

ils

trine, à côté

du magot qui remue

popotame en porcelaine;

celle-ci est le

;

reste.

la tête et

Quelle

de

l'hip-

c'était là leur vraie place.

Elle portait des bagues à tous ses doigts de pieds à ses chevilles, sif;

et,

aux

;

d'énormes bracelets en argent mas-

oreilles et au nez,

pour compléter

la

de grands anneaux d'or

parure, de petites turquoises

finement encerclées d'or vissées dans ses narines. Installée par terre sur

une natte, dans

cette

demi-

obscurité, elle faisait jouer son bébé, l'éventait, le

baignait

ou

cuisinait sa petite boubou,

ce chérubin, tout nu, beau

Prud'hon,

riait

du gros

des cris perçants

qui

comme

rire des

se

pendant que

les

amours de

bébés ou poussait

mélangaient

plaintes des malades d'à côté.

avec

les


MES CAMPAGNES.

308

Tout France

ce pauvre et

monde

différent

si

:

bébé de

bébé des Indes, Malabar en bois, soldat

nounou de

d'infanterie de marine,

tonne de Guéméné, tout

Calcutta, Bre-

cela vivait pêle-mêle entre

grande intimité,

ces quatre planches, dans la plus

ne s'étant jamais vus avant^ ne devant jamais se revoir, essayant de se

comprendre

et

de se venir

en aide dans un mélange d'anglais, de français

et

d'indien, chacun ne parlant que juste sa langue.

Au

milieu de ce petit capharnaûm, un escalier

biscornu en

cohmaçon menait

par cette sorte d'échelle

sur

le

pont;

c'était

que descendait tous

les

matins, venant chercher bébé, notre matelot protecteur, îin pays de Marie-Anne.

ceau et son contenu,

son bras

et,

Il

attrapait le ber-

tenant solidement sous

les

chargé de ce précieux fardeau,

l'amarrer, avec

un bout de fil

lui paraissait le plus stable

grand mât ou

il

allait

caret, à l'endroit qui

du bateau, au pied du

ailleurs.

Cette petite

Malgache

modèle, ne criant jamais, jours, en apercevant le

fut si

vraiment un bébé

bien que, les premiers

moïse sur

sagers l'avaient prise pour

le

pont,

les

pas-

une poupée aux enfants.


LA BONNE-MIiRE

Un dans

matin, de bonne heure,

elle

bruine, encore voilée par

la

matinées de printemps

;

le

nous apparut brouillard des

comme un point nuages, comme une

c'était

lumineux vu au travers des étoile brillant à peine.

Et

le

premier matelot qui l'aperçut

sement aux autres

«

!

cria

joyeu-

:

voilà la

Bonne-Mère

»

!

Alors ce fut une grande agitation sur tout ce bateau

:

les

hommes,

mirent de joie dire

pour nous

France!

En un

d'impatience, car ce

et :

l'équipage, les passagers fré-

«

Voilà

le

pays, voilà

cri la

voulait terre de

»

instant tout fut oublié, apaisé

peines, les ennuis, tout ce qu'on

révoltés ne s'en souvenait plus

!

les petites

avait

même

souffert pendant cette traversée;

:

le

enduré, clan des

Les soucis

s'en-


MES CAMPAGNES.

310

volaient à mesure qu'on approchait, nous faisant le

cœur

léger avec

la joie

La Bonne-Mère

aussi

du retour. avait

^

vraiment Tair de

venir au-devant de nous, dominant de très haut cette la

grande

cité

de Marseille qui prend, vue de

mer, des aspects de

tagnes

grises

ville fortifiée

découpées,

avec ses

crénelées

mon-

comme

des

tours.

Oh

!

vous,

les

sceptiques et les démolisseurs de

notre époque, vous qui voulez détruire toutes ces saintes choses, je

vous en

prie, n'enlevez jamais la

Bonne-Mère! Croyez-moi vous ne trouverez pour :

la

remplacer, rien de plus beau, de plus poétique

et

de plus doux que cette Vierge d'or qui vous

tend

I,

les bras

quand on rentre au pays.

Notre-Dame-de-la-Garde.


AU REVOIR

Au

mes amis

revoir

revoir et sans adieu

d'infanterie de marine, au

!

Nous nous retrouverons quelque pays étrange

peut-être

un jour dans

sauvage où vous ferez

et

encore de grandes choses

moi

et

de

très

pe-

tites.

Mais

il

eût fallu une autre

pour parler de tout d'héroïsmes

cela

;

plume que

pour

la

mienne

dire vos vies pleines

de bravoure, vos vies simples, sans

et

embarras, sans orgueil, avec cette tranquillité des

gens familiarisés avec face à face sans

A

le

danger, qui

étonnement

drais dire

Moi

ma

aussi,

je

comme

la vie frôle la

sympathie

et

suis fière

regardent

et sans angoisse.

vous tous, aux inconnus

tous les jours, dont

le

mon

aux amis de

mienne,

je

vou-

admiration.

d'être des vôtres, de


MES CAMPAGNES.

312 passer

ma

un peu

vie au milieu de vous, d'être

votre camarade.

Cette page de agitée,

mon

un peu rude,

beaucoup d'étapes

!

comme

Mais

vous, j'aurai

toute une année

vivant côte à côte avec des braves

Hélas

je

trouve

combien ne reviendront C'est d'abord

le

;

et c'est

bien

!

ceux que

de tous

!

fait

aura été aussi une

elle

des meilleures, car j'aurai passé

quelque chose,

un peu

existence aura été

et,

connus

j'ai

là-bas,

pas!...

capitaine B.

,

.

le

.

premier de tous

qui nous accueillit à Diego, qui vint nous chercher à

bord en arrivant

ment. Celui-là tant,

il

était

campagne

traite, ce serait le

ses

major de

la

!

pourtant solide

Après

le

lui si

et

bien por-

pauvre garçon,

cela,

genti-

sa

prendrait sa re-

il

bon repos pour toujours.

deux années de séjour garnison pendant

porté au choix pour la

nous reçut chez

faisait, disait-il

dernière

11 fit

et

la

à

la

c'était

et fut

pour

lui

récompense bien

gagnée de beaucoup d'années de peines

En novembre, son temps

comme

campagne,

commandant;

dernière difficulté vaincue,

Diego

de colonie

et

de soucis.

fini,

il

s'em-

barquait pour France, fatigué, déjà malade, et, dès


AU REVOIR.

313

son arrivée à Marseille, une congestion pulmonaire

en quelques heures.

l'enlevait

dans un

mourut tout

Il

inconnu, sans ceux

pour

qu'il aimait

seul

comme un

hôtel, sans parents, sans amis, lui

fermer

yeux. Et pendant ce temps, sa femme, qui,

un an auparavant,

elle

l'attendait

le

repos tant attendu, tant rêvé....

autre aussi de Diego,

mais qui

était

venu

le

capitaine F..., marié,

seul.

Le pauvre garçon

fut

si

m.alade qu'on dut

rembarquer après un long séjour encore tous

découragé

;

je

il

me

rappelle cet

sens encore les pauvres mains

peu confortable,

la la

dernière fois

Suez

Deux

même qu'il

;

pauvre cabine

devait tant souffrir et finalement mourir.

n'atteignit

vers

lui dire adieu à

je

brûlantes qu'il nous tendit pour c'était si petit, si

le

à l'hôpital. Je vois

camarades allant

les

bord du bateau qui l'emmenait; air

le

en Normandie,

venait de s'installer pour y passer le bien-

heureux congé,

Un

elle

venue à Madagascar, mais avait dû

aussi, était

quitter

les

Il

pas Marseille et c'est, je crois,

s'endormit pour toujours.

jeunes médecins de

la

marine, de Diego

encore, qui n'avaient pas trente ans, enlevés par les fièvres

en rentrant en France.

Et tant d'autres encore dont

je

ne parle pas

!

car


MES CAMPAGNES.

314 il

serait

grand,

le livre

d'or

où Ton

moires de ces braves, où l'on tier, leurs

écrirait les

dirait leur

rude mé-

souffrances de tous genres endurées loin

du pays, dans ces colonies meurtrières où

il

toujours guerroyer, et où beaucoup s'en vont rir

bravement, simplement

Tous

mé-

les

jours

terribles, si bien

comme

ils

on en apprend de

ont vécu.

ces nouvelles

que maintenant, quand

contre quelqu'un de ces officiers ayant

pagne de Madagascar, de ceux que

je

ren-

fait la

cam-

j'ose à peine dire les

connus

j'ai

là-bas,

faut

mou-

demander de

noms leurs

nouvelles, tremblant d'entendre une fois de plus la

réponse qu'on m'a déjà «

Comment

Alors

je

!

faite si

souvent

vous ne saviez pas

?

:

»

pense en moi-même, avec un profond

sentiment de chagrin

et

un peu d'amertume, que

pour ce pays maudit, nous avons perdu tant de braves, gâché, enseveli tant de courage, tant de force, tant de jeunesse et qu'après tout cela,

ne

sommes

nous

pas encore maitres de cette terre des

Ho vas. Car

je

connais

les

Français avec leurs idées che-

valeresques, qualité tout à

superflue pour aller

fait

conquérir ces pays sauvages.

Ils

faute irréparable de laisser les

commettront

la

Hovas maitres de


AU REVOIR. Madagascar, au

de

lieu

315

annihiler pour tou-

les

jours, en les remplaçant par les autres peuplades

sakalaves de

Antankares

l'île,

étaient nos amis;

ils

l'avaient

Ceux-là

et autres.

prouvé en 1885

et

nous attendaient

comme

débarrasser de

domination tyrannique des Ho-

vas

;

la

des sauveurs devant les

c'était leur droit, car

souvent de belles promesses

A

présent, ne

nière d'agir,

par

faire

ils

cause

finiront,

si

le

fait

!

comprenant plus rien

commune

grossiront ainsi

nous leur avions

l'on n'y

à notre

ma-

prend garde,

avec nos ennemis, et en

nombre.

Et puis, avec cette haine que nous avons de notre religion, plutôt que de paraitre

nous préférons favoriser n'aimons pas; protéger là-bas

compte que courant de pensée

et

c'est les

ainsi

la

défendre,

d'un pays que nous

que nous en arrivons

à

protestants, sans nous rendre

ces peuples noirs sont loin d'être au

nos idées

compliquées sur

la

libre

que, pour eux, tout grand pays

doit

avoir sa reHgion à

A

celle

lui.

leurs yeux, protestant veut dire Anglais, ca-

thohque veut dire Français; on n'aura pas

le

cou-

rage de l'avouer en France, mais en réalité toute la

question est

là.

Nous avons

brouillé les idées


MES CAMPAGNES.

3l6

de tous ces malheureux, sont tous protestants, stricts

Hovas qui

part les

et, à

Musulmans,

les autres,

très

en matière de religion, restent tout déso-

comme une

rientés de ce qu'ils considèrent

Nous avons commis

d'apostasie.

une

sorte

faute grave

dont nous serons punis.

Mais ne parlons plus de tout penser que suis

dans

je suis

seulement dans

les

Il

pays,

mécontents. Non,

les attristés.

de douloureuses choses que

on pourrait

cela,

je

Je

sais

je

encore tant

ne veux pas dire

!

n'appartient à aucun de nous de blâmer son

encore bien moins à une femme,

maintenant, quand laquelle

on

a

je

dès

et,

songerai à cette guerre sur

tant écrit et tant discuté,

voir seulement passer dans

mon

je

veux

esprit le souvenir

des vrais héros de cette campagne, de ces milliers

d'hommes

qui ont tant souffert, sans

eu

de

la

joie

nombre

est

se

battre

et

dont

mort misérablement,

le

même plus

loin

avoir

grand

du pays,

sans se plaindre, sans réclamer, uniquement

parce que c'était

le

devoir.


Table des Matières

Pages.

Le départ

i

En mer

4 10

Port-Saïd

Le canal de Suez

13

Suez

20

La mer Rouge

21

Périm

23

Une fête à bord En mer En rade de Diégo-Suarez

33

36 39

Chez nous La

Un Un

44

ration d'eau

52

cimetière dans

le sable

58

général à Diégo-Suarez

61

Fausse alerte

64

Un Un

GG

bal à

Diego

pique-nique à

la

montagne des Français

La Correie

Le

roi des

.

.

70 76

Antankares

78


3l8

TABLE DES MATIERES.

La Saint-Louis

à

Pages.

Diego

84

Un ami

86

L'usine d'Anamakia

91

Le Kabar

98

Bruits de guerre

104

Visites de sultan

108

avant-postes

m

Déclaration de guerre

115

Aux

Majunga

— Nossi-Bé ...........

121

Hamparahiniguidro

131

Nossi-Bé

155

Ambohimarina

142

La montagne d'Ambre

145

L'hivernage

148

Nouvelles de Majunga

La

et

de Tamatave

....

pluie chez soi

151

156

Nouvelle frontière

159

Diego en

162

La

état de siège

nuit de Noël.

165

Adieux du sultan

172

M

et M"'^

Charifou-Jewa

176

.

Déménagements aux colonies

181

Départ de Diego

185

Une

187

escale à Sainte-Marie

Tamatave

196

En mer

201

La pointe aux La Réunion.

Galets.

Sa

— Arrivée

vieille histoire

difficultueuse.

204 212


TABLE DES MATIERES.

}I^ Pages.

En route pour Salazie Une lettre pour France

223

Notre case

236

Petits babas

238

Botanique de petits nègres

242

Le

village

246

Le

petit chat

256

Nos

lettres

231

259

.

Bébé.

261

Majunga

265

Départ de Majunga

29e

La Bonne-Mére

309

Au

311

revoir

Nancy, impr. Berger-Levrault

et

Cie.




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