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Autou de
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WyrmjTi'l Û!^ Editeurs
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2009
witii
funding from
University of
Ottawa
littp://www.arcliive.org/details/mescampagnesparuOOvray
MES CAMPAGNES
NANCY,
IMPRIMERIE BERGER-LEVRAULT LT
C'^
C.
VRAY
Mes Campagnes PAR UNE FEMME
AUTOUR DE MADAGASCAR
m^m BERGER-LEVRAULT ET
C'%
NANCY
PARIS 5,
EDITEURS
RUE DES BEAUX-ARTS
I
1897
8,
RUE DES GLACIS
-^A MES AMIS D'INFANTERIE DE MARINE
Le
c;^
Le รง-^
plus petit de leurs camarades,
plus รงrrand de leurs admirateurs,
C. Vray.
MES CAMPAGNES
LE DEPART
Toulon, 10 mai 1894.
Nous
temps superbe, malgré souffle depuis J'ai
deux heures ;
allons partir dans
pu
la
assez
fait
un
forte qui
deux jours. notre bateau
visiter hier
enfant, décidé à bien nous à
brise
il
:
il
a Tair
mener; nous aurons
bord beaucoup de troupes , des canons
chevaux, des mulets,
le
bon
des
,
tout très miHtaire, très
correct.
Et quand
je
pense
qu'il
y
quinze jours,
a
je
ne
soupçonnais rien de ce départ! Vous en souvenezvous, de ce jeudi soir
?
Ce
fut
quand chacun eut raconté ce MES CAMPAGNES.
seulement
qu'il avait
table,
à fait I
dans
MES CAMPAGNES.
2 la
journée, que
annonça
d'un
lui,
qu'il venait
air très tranquille,
de se
désigner pour
faire
nous
Ma-
dagascar.
On
envoyait des troupes de renforts en prévi-
sion d'une
campagne prochaine
et,
dans quelques
jours, elles quitteraient
Toulon. Bien entendu,
ne partais pas
impossible, personne n'y
c'était
:
je
songea, excepté moi.
En
huit jours j'eus vite
renseignements
Diégo-Suarez
Quand
je
de partir
?
de prendre
me
je
mes
pouvait-elle aller à
m'accorderait-on
sus tout ce que et je
fait
une femme
:
mon
passage
?
voulais savoir, j'obtins
sentis tout de suite infiniment
soulagée.
Dieu
sait
pourtant tout ce qu'on m'a prédit
combien de peines là-bas
et
de difficultés nous attendent
d'abord un affreux cyclone vient, paraît- il,
:
de détruire
dans
et
et
le
les
quelques maisons qui existaient
pays, lequel est
un
petit coin de terre aride
desséché où souffle huit mois de l'année un
vent effrayant
qu'on
a,
;
l'eau est
m'a-t-on
dit,
une denrée
très rare, et
beaucoup de peine
procurer; on ne peut pas se baigner dans vières, à cause des crocodiles, ni
cause des requins
;
de plus,
le
dans
pays
la
à se
les ri-
mer, à
est infecté
de
LE DEPART.
3
mauvaises fièvres auxquelles peu de gens échappent
— enfin
;
le
Et cependant, sais si j'ai raison,
passe dra
!
même
les
tableau est enchanteur je
!
pars presque gaiement
mais
j'ai foi
en
mauvais jours,
mon et
;
étoile
je ;
ne
tout
un temps vien-
où nous serons de nouveau tous ensemble
J'ai fini
réglé
toutes
mes
faire... les
donc
dernières courses et visites,
mes comptes avec Dieu
à présent je puis partir;
un peu
à
du
et avec les
nous
et très sûre.
et
;
c'est
un
gardez-moi
hommes;
nous aurions beau
reste,
départs militaires, c'est fatal
et jamais adieu
!
triste
ma
!
Au
mot
;
revoir
pensez
place très grande
EN MER
Nous voilà
déjà bien loin de France
nous passions en vue de
l'île
hier matin,
;
d'Elbe, pauvre petit
coin de terre rempli de souvenirs d'antan qui vous
reviennent à
la
mémoire
mesure qu'on approche
à
de ces quelques rochers gris affreusement
tristes et
lugubres, tout seuls, au milieu de cette grande mer.
Ce
soir, à la
tombée du
jour,
nous venons de
traverser ce déUcieux détroit de Messine plus
que ce passage
joli
troisième fois que
avec
A lie,
le
près de terre; c'est la
si
je le vois,
mais
c'est
toujours
plaisir.
notre gauche, nous apercevons
la
côte d'Ita-
tout égayée de petites voiles blanches qui
filent
comme
que, de la
même
rien n'est
:
la
des argonautes; tout
plage,
cri
long, pres-
un minuscule chemin de
vue seule nous réjouit
avec son
le
aigu quand
il
:
il
a l'air
fer
dont
d'un joujou
entre et sort de tous ces
EK MER.
5
tunnels qui, eux aussi, semblent avoir été mis
De
plaisir.
petites
l'autre côté,
maisons blanches
c'est la
Sicile,
à larges terrasses
là à
avec ses
dont
les
jardins descendent en pente jusqu'à la mer.
Tout
le
monde
est sur le pont, les
ouverts pour tout voir à
quées sur
les
côtes
;
la fois, les
car voilà que nous regardons
toutes ces choses avec délice,
de voir pour
la
jours seulement, races noires,
si
ment
les
cœur un peu ému
le
dernière fois cette jolie terre d'Eu-
rope, songeant en
vilisation n'a
yeux grands
lorgnettes bra-
nous-mêmes que, dans
nous serons au milieu de
différentes de nous,
pu changer
mœurs
trois
et qui
ci-
ont gardé sévère-
costumes des
et les
qu'aucune
ces
siècles qui les
ont précédées.
Mais j'oublie de vous donner de nos nouvelles, qui sont assez bonnes
Toulon un fameux et surtout
une
nous avons eu en quittant
;
mistral,
une mer démontée,
brise assez forte
pour imprimer au
bateau des balancements funestes à nos estomacs,
encore un peu terriens le
coup de grâce avec
et qui
les
venaient de recevoir
émotions du départ.
MES CAMPAGNES.
mai.
15
La
brise est
cœurs
et
nos
son calme
tombée,
et sa sérénité.
arrivant
ici,
chacun a repris
Un mot sur
notre bateau,
du bord.
on nous
a présenté, avec
une
étiquette toute militaire, tous les officiers
embar-
qués avec nous
femme,
que .
vents sont calmés; nos
esprits sont au repos,
ses habitants, la vie
En
les
je
dont
fants,
:
d'abord
connaissais déjà
;
colonel et sa
le ils
ont avec eux
plus petit a trois mois
le
trois en-
avec
;
les
nôtres cela fera cinq à bord, dont l'ainé a sept ans; le
colonel et sa
femme prennent
leur repas avec le
commandant; nous, nous sommes au enfants s'il
mangent avec nous,
vous
plaît,
Et moi, ils
qui préside
je les
carré; les
et c'est votre servante,
la table
des officiers.
aime, nos compagnons de voyage;
ne ressemblent en rien aux passagers que nous
aurions pu rencontrer sur liens vulgaires et
les
paquebots
:
Austra-
communs, marchands de mou-
tons enrichis qui viennent faire du chic en Europe.
Tous
ces officiers partent joyeux, contents de
leur son, ravis à l'idée d'une enfin
il
a
germé dans
campagne prochaine;
leur tête quelque chose de
EN MER.
7
bon, d'honnête, de droit; chacun regarde sans sourciller
peines et des ici,
qui l'attend,
l'avenir
mêmes
même,
est le
luttes
:
notre chemin, à tous
notre but aussi, et nous
presque camarades dans
mêmes
des
fait
sommes
route qu'il nous faut
la
suivre. Il
me
semble que nous vivons dans une grande
caserne; ces six cents soldats qui, sont sur
le
pont, tous ces
tout cela est très militaire le clairon, la
on
fait le
comme
officiers, ces :
nous,
uniformes,
nôtre vie est réglée par
rapport, l'exercice, on passe
revue, et les jours s'écoulent plus vite qu'on ne
l'aurait cru, car d'ordinaire les
gues à bord
longtemps vaillons,
:
la
on
a
beau s'occuper, on ne peut
même
nous
et
faire
chose; cependant, nous
tra-
beaucoup, chacun faisant
lisons
échange de hvres
journées sont lon-
de journaux. Les heures de
repas ne sont pas drôles
:
déjeuner à neuf heures,
diner à cinq heures, mais on s'y
fait,
qu'on
qu'on se couche
d'assez
est levé à
six
heures
et
étant
donné
bonne heure.
Nous avons deux
cabines et chacun
un
enfant.
Ai-je besoin de dire que ceux-ci nous occupent
beaucoup
? il
faut les faire travailler, les occuper,
ks amuser. Pour nous
aider dans cette tâche,
on
MES CAMPAGNES.
8 Il
mis de faction devant eux
ou du moins
brouillard
le
pu trouver parmi tous ces quant bien
la
tâche et
la
le
soldat le plus dé-
plus dévoué qu'on
hommes, en
ait
lui expli-
responsabilité.
— Aimez-vous enfants — Oui, mon — Vous en aurez soin les
?
capitaine. }
à
Teau
Ils
ne se ficheront pas
?
— Oh pour ça non, mon — Ça va bien. !
capitaine.
Cette manière d'engager une bonne d'enfants
dans
le
métier militaire est décidément bien supé-
rieure à la nôtre
;
c'est clair, précis, et
exprime en
peu de mots ce que nous ne savons pas dire en de longues explications. Donc,
cun une main dans
celle
Moë
et
Jacques, cha-
de leur nouvelle bonne,
varient leurs plaisirs en allant voir les mulets et les
chevaux,
les soldats
manger
nier préparer la nôtre; est
la
soupe, ou
j'oublie le boulanger, qui
pour eux une des distractions du bord
tillesse
va jusqu'à donner de
avec énergie et qui
fait
Nous continuons
le cuisi-
;
sa gen-
qu'on
la pâte,
pétrit
de déUcieux petits pains.
à filer droit sur Port-Saïd,
nous espérons arriver demain à midi
;
nous y
où
res-
terons quelques heures, puis nous repartirons pour
EN MER. Diego, sans
faire d'autre escale
9
qu'une
lialte
d'une
demi-journée à Périm, pour prendre du charbon, et ce sera tout.
jours de
mer
En somme, nous allons
faire
quinze
sans arrêt, ce qui nous semblera
peu long peut-être
un
PORT-SAÏD
17 mai.
Hier, bonne escale à Port-Saïd,
la
vraie bordée
du matelot en permission sentant qu'on va
le
rem-
barquer.
En
arrivant à terre à midi, nous
par prendre des ânes pour
vons
faire et voir
deux heures
;
indispensables.
commençons nous pou-
les enfants et
beaucoup de choses pendant nos
d'abord quelques achats oubliés et
Nous constatons que
beaucoup augmentée
:
on y a
la ville s'est
bâti des hôtels
im-
menses, des magasins de toutes sortes, anglais, allemands, français, chinois, où l'on trouve à peu près ce que l'on veut et
même
ce qu'on ne veut
pas, puis des églises, des couvents, des
des chapelles de tous les cultes, désert au milieu du sable, sans
le
mosquées,
tout dans ce
un pouce de
ver-
dure.
Ensuite nous partons pour
le village
indigène,
PORT-SAÏD.
II
toujours curieux à revoir; tous ces types arabes
sont sympathiques
intéressants,
et
les
costumes
scrupuleusement conservés; celui des femmes surtout est curieux et bizarre drapées,
yeux
la
tout
et,
le
long,
sont entièrement
c'est-à-dire
menton, un chapelet de d'un assez drôle
dans
elles
;
figure voilée, ne laissant voir
d'effet
que
les
du front au
petites pièces de cuivre ;
elles
vont
viennent
et
rues portant sur leurs épaules des enfants
les
nus, très beaux, mais pas toujours propres, car leurs jolis
yeux noirs,
si
doux,
souvent couverts de mouches
si
et
expressifs, sont
tout
reste à
le
l'avenant.
Tous
ces
gens
ruelles étroites
se poussent, se
ou dans
formées en bazar
et
ces rues
heurtent dans ces
immenses trans-
où sont amoncelées des mar-
chandises extravagantes, fruits exotiques de toutes sortes
:
melons, pastèques,
concombres, corni-
chons gigantesques, ou bien ces mêmes
fruits
confits dans des sirops poisseux d'un rose violacé,
mélangé de vinaigre
Toute
et
cette foule crie, se parle, s'appelle dans
une langue inconnue d'oHves, brochant sur dinaire,
de sucre.
me
et le
étrange tout avec
;
le
un
marchand cri
extraor-
rappelle avec délices les Mille
et
une
MES CAMPAGNES,
12
Nuits
et
Y Histoire d'Ali-Baba
;
et
nos vieux Ara-
bes qui conduisent les ânes des enfants s'élancent
en avant pour nous
faire
un chemin, lançant
à
l'aveuglette des coups de bâton aux oisifs qui se
permettent de causer dans sion de
Un
la
la
rue
;
c'est la
tour de Babel que ce Port-Saïd.
peu de toutes
les
nations, de toutes les races
sont entassés dans ce coin de désert, le
confu-
nombre
infini
de bateaux qui,
attirés là
par
nuit et jour,
viennent stopper quelques heures, attendant leur tour pour entrer dans
le canal.
LE CANAL DE SUEZ
Vers
heures nous reprenons une embarca-
trois
tion qui nous remet à bord et de suite nous repar-
tons;
on organise
le soir
trique et nous
pouvons
Navigation calme
et
à l'avant la lumière élec-
de nuit.
ainsi passer
reposante que celle de ce
Que
de malheurs,
de tempêtes, de jours
d'effroi évités
par ce travail
merveilleux
que
canal et qui a bien son charme.
et délicat
hommes
les
chaque jour de voir s'effondrer, prend
En
les
plus grandes précautions
effet
du canal
un télégraphe
et, à
!
est disposé sur les berges
chaque station,
les
bateaux reçoivent
l'ordre d'avancer
ou d'attendre selon
de ceux qui
précèdent.
les
craignent
pour lequel on
et
On
la
marche
vous donne
à
bord un pilote qui doit non seulement vous conduire, mais encore régler
la
marche du bateau,
qui ne doit jamais dépasser deux ou trois nœuds.
MES CAMPAGNES.
14 sans quoi
le
ébouler
ferait
remous d'une trop grande les
bords du canal
vitesse
pourrait
et
le
combler.
On bords
a essayé
tamaris
de tout pour en maintenir
les
des pierres, du ciment, des arbres, des
:
;
rien n'a réussi
sable qu'on ne peut
le
;
consolider ni affermir retombe toujours avec une
persévérance navrante.
pauvres chameaux qui,
,
chaque jour, font ce
aucune force humaine voit,
Ce
lentement
devant
la
et
sont
n'a
travail
pu venir
dans
les
du désert,
sans fin dont à
bout; on
les
avec patience, venir se coucher
berge, recevoir leur lourde charge de
sable, puis, avec docilité, repartir
loin
somme
en
véritables habitants
le
désert, déposer cette
beaucoup plus
même
charge
pour revenir ensuite en prendre de nouvelles.
Le
Une
soir.
nuit tranquille et bienfaisante
comme
les
nuits qu'on passe à terre; plus de roulis, plus de
tangage; on est partagé entre le
le désir
de rester sur
pont pour jouir de toutes ces choses, au Heu
d'aller
dormir consciencieusement en prenant un
bon acompte sur les
nuits à venir. Finalement nous
LE CANAL DE SUEZ.
I5
restons sur le pont, c'est amusant de constater les
progrès, de voir
sommes
qui
les
constructions nouvelles, nous
passés là quatre ans auparavant
que sur ces berges, tout blie
;
c'est
long du désert,
est éta-
une assez grande population de gens
travail-
le
lant au canal, depuis les petites maisonnettes des
simples employés jusqu'aux grandes demeures, à l'architecture compliquée, des administrateurs de la
compagnie.
D'abord
chemin de geant
est le
nouveau
va de Port-Saïd à Ismaïlia, lon-
fer qui
bord du canal
le
perdu dans
désert,
changement
le principal
;
un chemin de
le sable, 'voisinant
fer
en plein
avec les ca-
ravanes de chameaux, rien n'est bizarre
deux choses. Tous
ces
plus
grand
le
soleil
plupart installés
les
de
la
comme
habitants ne craignant
journée sont dehors,
la
devant leur maison, regardant
passer devant eux mélancoliquement tous les ba-
teaux, ils
la
font
pour
plus grande distraction
mille
flottant, se
conjectures sur ce
demandant d'où
il
ces exilés
petit
vient,
où
;
monde il
bien aller, à quel pays, à quelle compagnie
peut il
ap-
partient.
Pour
se renseigner,
on regarde tout de
pavillon, la couleur de la
cheminée
:
«
suite le
pavillon blanc
MES CAMPAGNES.
l6 et coins
rouges, cheminée noire et rouge, ce sont
Messageries maritimes
les
»
aux Messageries nationales, bleue
et,
comme
tricolore au
il
;
nôtre, appartenant
le
a sa
cheminée noire
porte des troupes,
il
a
le
et
pavillon
mât d'artimon.
Par instant,
les
maisonnettes que nous dépas-
sons ont des petits jardinets, quelques arbres, un
peu de verdure, des
douce qui longe
fleurs, grâce
au canal d*eau
nôtre, et aussi aux efforts de
le
tous ces gens pour arriver à ce bon résultat.
Quelquefois, sans se connaître, on se
des
fait
signes d'amitié et d'adieu; nous passons devant
maison des Sœurs
:
dans un
du chemin par une simple folle
petit jardinet séparé
grille,
dansée par des petites
arabes, une ronde de France sur fait
c'est
un
une ronde
françaises
filles
comme un
et
qui aura
vieil air
danser plus d'une génération, et dont
roles drôlettes arrivent
la
les pa-
joyeusement jusqu'à nous
dernier souvenir du pays.
Un
peu plus
loin sont les Frères des écoles chrétiennes avec
une
ribambelle de petits garçons qui agitent leurs cha-
peaux en nous envoyant leurs souhaits de bon voyage. Et ces aperçus d'intérieur nous amusent
étonnent, nous qui nous sentons
si
et
nous
loin de chez
LE CANAL DE SUEZ.
I7
'nous; pendant que ces vies calmes et monotones
chaque jour
s'écoulent paisiblement, frôlant
les
agitations, les départs et les retours de tous ces
peuples différents.
De temps
à autre, défilent de-
vant nous des Arabes montés sur des petits ânes, des voitures à l'aspect colonial,
une
des
église,
maisons plus importantes étonnées de se trouver dans un pareil désert; puis, tout du long du canal,
souvent plusieurs à
la fois
amarrés
les
uns aux
autres, des bateaux plats recouverts d'un toit les
mettant à
l'abri
du
soleil,
à appeler des arches de
que
Noé
bateau joujou contenant
;
les
enfants persistent
en
effet, c'est le vrai
les
bêtes en bois blanc
qui nous ont tant amusés les matins de jour de l'an.
Tout
cela passe
verres d'une lanterne
devant nos yeux
comme
magique
ces stations
;
quand
sont passées, nous retombons dans
dans
le vrai
Alors,
là,
le
calme
les
plat,
désert.
nous avons
comme compagnons
de
route, nous suivant majestueusement à des allures aussi calmes
que
la
nôtre, toutes les caravanes qui
défilent nuit et jour s'en allant faire le saint pèle-
rinage de
la
Mecque,
gens ne feront qu'une
le
grand voyage que tous ces
fois
dans leur vie, auquel
ils
ont songé peut-être pendant de longues années MES CAMPAGNES.
2
MES CAMPAGNES.
l8
avant de pouvoir se mettre en route. Voyage long,' difficultueux, pénible de toutes façons et les enfants
hommes
s'entassent sur les
femmes
les
:
chameaux;
les
à pied, le grand bâton à la main, ayant
des airs de prophètes majestueux et résignés, résignés pour les longues heures de
un
désert sous
soleil écrasant,
mauvaise nourriture
Car
et les fatigues
rage est immense, dont
une seule
grande idée
et
toujours eu pour les
lement pour
même
Coran
bravoure
Allah
Allah encore après
la vie... et
dirai
la :
est
les
!
le
de tous genres.
ne rebute ces cœurs braves, dont
rien
J'ai
marche dans
résignés pour la
est
le
cou-
guidée par
leur dieu pendant
mort.
la
Musulmans
et principa-
Arabes une grande sympathie,
une grande admiration
;
leur livre
une œuvre magnifique dans
je
du
laquelle
nous autres chrétiens pourrions puiser sans fausse honte.
Quelquefois, nous stoppons s'en aperçoit, tant le
doux
;
on
s'arrête
:
c'est à
peine
mouvement du
si
l'on
bateau est
quelques instants dans
les prin-
cipaux garages possédant des bacs, pour donner
le
passage à l'une de ces caravanes.
Peu
à
peu,
la
nuit
tombe
;
nous ne voyons plus
LE CANAL DE SUEZ.
nous n'entendons plus rien
rien,
du désert mélangé avec une
à
et
Merson,
le
le
:
c'est l'horizon
ciel;
les
étoiles
nous songeons alors au Repos en Egypte
:
la
joli
l'im-
tableau de
Vierge endormie
désert et protégée par ce sphinx de pierre,
qui semble
immuable comme un dieu
C'est une
bonne
grand silence du soir
que imposant. Tous
mène en
et
douce chose que ce
et aujourd'hui c'est presles
pont, couchés par terre
l'air
du
une s'allument silencieusement dans
mensité,
dans
celui
I9
hommes dorment ;
une
faisant les cent pas au
sur
le
sentinelle se pro-
miUeu d'eux, ayant
de veiller ses morts...
Plus tard dans
la
nuit nous passerons devant
Ismaïlia, les lacs amers,
serons à l'entrée de
la
et,
au petit jour, nous
mer Rouge.
SUEZ
17 mai.
Finie, six
la
jolie
navigation du canal.
Ce matin
à
heures nous étions à Suez; on a stoppé une
heure,
le
temps de déposer
les papiers nécessaires
terre: la
le
pilote et de
donner
bateau n'a pas touché
chaloupe de Suez est venue jusqu'à nous,
et, à sa suite,
venant
;
le
offrir
beaucoup de barques chacune
sa
à voiles
marchandise
dattes, figues, raatloucoum, etc.
On
:
du pays
oranges,
parlementait
avec les indigènes du haut du bateau dans un lan-
gage extraordinaire; on montait
les objets
dans des
paniers que nous attachions à des cordes
;
enfin
tout cela était une distraction et nous a occupés
pendant deux heures.
LA MER ROUGE
Pour
sont nos journées
l'instant, ce
nibles qui
navigation dans
la
mer Rouge
nous allons entrer
;
dans cet état d'anéantissement, dirai-je
les plus pé-
vont commencer: quatre à cinq jours de
même, qu'on éprouve
sant cette
mer
si
— d'hébétement,
toujours en traver-
chaude. Et encore, nous qui
avons un bon bateau à vapeur, marchant bien, sans souci du vent arrière
nous
faire
ou du vent debout pour
avancer, nous n'avons
pas
à
nous
plaindre.
19 mai.
Les heures sont lentes n'en veulent pas finir;
ment chaudes coucher sur
le
la
à s'écouler, et les jours
les
cabines sont terrible-
nuit et nous avons pris
pont.
le parti
de
22
MES CAMPAGNES.
Le
chacun
soir
sur des chaises longues ou,
ment de
la
Rien n'est bizarre
par terre.
nuit
:
un coin de banc,
s'installe sur
plupart du temps,
comme
bivouac sur
c'est le
ce
campe-
pont; chaque
le
soldat apporte à son lieutenant, à son capitaine,
une couverture, une capote, ou une
pèlerine, car
nous espérons bien un peu de fraîcheur vers deux heures du matin
même
de nous couvrir
;
les
les
on nous recommande yeux
à cause de l'humi-
dité qui peut être dangereuse. Si bien qu'avant de
s'endormir chacun de nous plie
et
bande
se
les
tire
son mouchoir,
yeux tranquillement,
le
ainsi
qu'il est indiqué.
encore bien lourd, mais
Il fait
porte; les conversations cessent, petit à petit
chacun:
«
;
le
on n'entend plus que
Bonsoir,
mon lieutenant
capitaine; bonsoir,
sommeil l'em-
le
silence se
les ;
madame; bonne
fait
bonsoirs de
bonsoir, nuit. »
mon Et
le
matin, au petit jour, notre bateau prend des aspects lugubres et terribles
étendus
là
donnent bataille
la
sur
le
;
tous ces uniformes, ces gens
pont, un bandeau sur
la figure,
douloureuse illusion d'un champ de
au lendemain du combat.
PERIM
Escale d'une demi-journée. Petit point aride et désolé
s'il
porte de
en
véritable sentinelle anglaise à la
fut,
mer Rouge.
la
Rien que des rochers gris
on
aperçoit cependant dans
ou
trois baraques,
chine à
distiller,
le
de
et
un semblant
puis, au
terre
la
fond de
la
d'hôtel,
sommet de
rouge
;
rade deux
une ma-
l'ile,
le fort
qu'habite une garnison relevée tous les mois.
Personne
même
dire
n'est
petite rade et
La
et
faire
mouillés dans
le
dois
milieu de cette
nous n'y devons rester que
juste le
du charbon.
chaleur est extrême,
d'air et
je
qu'aucun de nous n'en avait envie.
Nous sommes temps de
descendu, bien entendu;
nous sommes
affilies
il
un
n'y a pas
sur
le
souffle
pont, sans forces
sans courage, tellement noircis par
la
houille que
nous en devenons littéralement méconnaissables.
MES CAMPAGNES.
24
Autour de nous, on n'entend que vages des noirs qui embarquent Ils
le
les cris
sau-
charbon.
arrivent par centaines sur des barques im-
menses,
semblables à celles du Dante aux
très
enfers, poussant des clameurs étranges et féroces, fliisant les
mêmes mouvements ensemble
dence pour décharger leur sac dans sont impressionnants tous allant et gesticulant
ces
la
diables
en ca-
et
cale;
ils
vivants,
au milieu d'un épais nuage de
poussière noire.
23 mai.
Hier un incident des plus comiques, une vraie scène de MoHère, mais qui aurait pu cependant
tourner très mal, nous a forcés à nous relever un
peu de notre apathie
et
de notre engourdissement.
Imaginez que nous avons
à
bord
un pauvre vieux docteur tout repos, qui nous a été
dans l'adjudication
comme médecin
à fait
mûr pour
donné par-dessus
le
le
marché
et qui fait les choses avec
une
désinvolture sans pareille.
Oh! grande
Faculté de médecine, que diriez-
vous de ce confrère qui soigne chaque jour malades sans antiseptiques
le !
moindre souci du microbe
ses
et des
PERIM.
Le matin,
consultation se passe sur
la
Le docteur,
25
qui a
l'air
pont.
le
d'un vieux loup de mer,
les
pieds dans ses pantoufles et ne lâchant jamais
sa
pipe,
tranquillement sur un banc et
s'assied
regarde défiler devant
lui les soldats
malades.
— Qu'est-ce que vous avez, mon garçon — Mal aux dents, docteur; un abcès sur ?
j'ai
la
gencive.
— C'est Et
docteur
le
essuie
— Ça y
vous ouvrir
ça.
de sa poche un bistouri
tire
un peu sur
de douleur
Et
rien, je vais
le
revers de sa manche.
qu'il
Un
cri
!
est, à
un
autre.
pauvre troupier s'en va crachant un peu de
le
sang sur
le
pont
— Et vous,
et
tenant sa tête dans ses mains.
qu'est-ce que vous avez?
— Ah docteur, un clou à — Montrez-moi
la
!
jambe.
ça.
— Aïe. Une bonne le
tour
ouverture avec
le
même
bistouri et
est joué.
Tous de nous,
les
matins nous
les
pauvres, et
côté regardant tout être brave.
les je
voyons
me
défiler a côté
penche un peu de
doucement pour m'habituer
à
MES CAMPAGNES.
26
Aujourd'hui, après
le
déjeuner, c'est-à-dire vers
midi, ce pauvre docteur, qui avait probablement
bien déjeuné, peut-être les cas
même
fumé de nombreuses
bu sec
et
dans tous
pipes, ayant passé la
matinée enfermé dans sa cabine avec son infirmier
pour y confectionner des cachets de quinine, monsur
tait
le
pont
légèrement
et
rouge, violet
très
même, trébuchant
finalement venait s'effondrer sur un
banc, perdant connaissance.
comme on
Impossible de crier cas
:
Un
médecin
que nous avions
ma
!
un médecin
!
le fait
en pareil
puisque
le seul
bien mal hypothéqué,
était là,
foi.
Alors se passa
la
chose
la
plus drôle et la plus
risible qui se puisse imaginer, car tout
amuse des
gens ayant aussi peu de distractions que nous
médecin malade Hvré
à tous ses clients,
possibilité complète de se défendre
menacé d'absorber toutes remèdes que, cas,
lui,
les
dans l'imse vo3^ant
médications, tous
médecin, eût ordonnés en
mais n'eût peut-être pas
Nous
et
un
:
les
pareil
pris.
voilà naturellement tous
affolés, accablant
de questions ce malheureux qui n'en peut mais
et
respire à peine.
On
se concerte,
on
parle tous à la fois. «
Il
a
PÉRLM.
27
— Pas du
une attaque, une congestion. Mais
— Non. —
si.
Chacun
est
Il
va, vient, court à sa
triomphalement tout avec rage
auquel
fier
!
Oh mon !
Dieu
de son idée, feuilletant
se croient obligés
les
d'emporter en voyage
ne comprennent rien
ils
»
!
cabine et revient,
bouquin de médecine que tous
le
voyageurs et
perdu
—
tout!
la
plupart du
temps.
D'abord où fiisse
est l'infirmier? Vite, vite,
monter; on
de mettre
la
qu'on
le
cherche partout, impossible
le
main dessus. Enfin, au bout de quel-
ques minutes on
le
connaître,
démarche chancelante
à sa
retrouve, et chacun peut re-
paroles embarrassées, qu'il est gris
à
ses
comme un
Po-
et
lonais.
On
va aux renseignements, on s'informe
s'aperçoit qu'il a
malaga
consommé
et autre vin destiné
lades. Celui-là, par le fait
de
la
mettre aux
au quinquina des ma-
immédiatement. Ça,
bonne besogne. Nous
nous-mêmes pour soigner que Dieu
le
Jamais
je
protège
!
!
le
on
à lui tout seul tout le
exemple, n'y échappe pas fers
et
voilà
donc
et
on
c'est
livrés à
malheureux docteur
;
!
n'oublierai cette scène grotesque, la
frayeur de tous,
l'air
important de chacun voulant
MES CAMPAGNES.
28
administrer son médicament favori. L'un de nous s'avance, son livre à la main,
il
a trouvé; je dois
dire qu'il a été au plus pressé, ayant cherché tout
au
commencement du
lit
d'un
grave
air
:
connaissance, ayant la
livre: A... Apoplexie...;
« Si la
une personne tombe sans
figure rouge,
chaude,
croire qu'il
d'une apoplexie. Pendant qu'une personne
s'agit
recherche du médecin qui ne tardera pas à
la
(oh
arriver
y a à
la tête
on peut
respiration embarrassée,
va à
il
faire
!
:
du
cruelle ironie
coucher
le
sort !), voici ce qu'il
malade, tenir
la tête
cou-
verte de compresses d'eau glacée souvent renouvelées, tenir les pieds chauds, etc. »
monde qu'il a
s'écrie
:
en chœur
«
:
Évidemment,
vite de la glace sur la tête
Quelques soldats sont
là
Et tout
!
le
c'est ce
»
qui contemplent cette
scène, prêts à obéir au premier signe; l'un d'eux revient avec
la
glace demandée,
on
l'écrase,
on
l'enveloppe dans une serviette et on emmaillote la tête
du malade. Voilà déjà un bon commence-
ment. ((
Je vous assure, dit un autre, qu'il faudrait
mettre aussi des rigoUots,
je
me
lui
souviens qu'un
de mes oncles avait eu quelque chose dans ce genre-là, et c'est ça qu'on
lui a fait. »
Puis chacun
PERIM.
29
un cousin, un
se souvient qu'il a eu pareillement
grand-père, un parent quelconque ayant eu semblable maladie. «
mesdames, courez
Vite,
teur,
»
Nous
sert de
phar-
vous trouverez mieux que nous.
descendons dans ce petit cagibi qui macie
du doc-
à la cabine
;
cela
drogues;
empoisonne
c'est
le
tabac, l'absinthe et les
un désordre
fou. Après avoir tout
remué, vidé tous
les
tiroirs,
nous trouvons
les
bienheureux sinapismes.
Le pauvre homme continuant état inquiétant,
à être dans
ne faisant aucun mouvement
répondant pas à nos questions, on
deux bons l'effet;
pas
rigollots et
un
ne
l'effet
ne s'étant
nous convenons de donner un bain
de pieds synapisé l'un tire
et
appHque
patiemment nous attendons
au bout d'un quart d'heure
fait sentir,
lui
un
;
on déchausse
soulier, l'autre
le
malheureux
;
une chaussette, tout
cela avec des airs effarés,
empressés qui sont co-
miques au possible
que nous avons
;
c'est
en songeant que ce pauvre et
là,
que
homme
le trac
peut mourir
notre imagination vagabonde va plus loin
la réalité.
Combien de temps
cela peut-il
durer? Jusqu'à
ce soir peut-être, jusqu'à demain.
Il
va mourir
MES CAMPAGNES.
30 bien sûr, affreux
;
il
ne revient pas
Et nous
le
voyons déjà dans bord
et
le jeter à la
mer.
l'horrible sac, s'en
nous
épouvantés
laissant
charge de 800 hommes,
la
d'officiers,
cela
alors ça va être
;
nous serons obligés de
allant par-dessus
avec
à lui
une quinzaine
femmes, enfants, 30 chevaux
et
mulets,
pendant encore une bonne semaine de traver-
sée qu'il nous reste à faire, sans arrêt, sans escale.
Au soit
bout d'une demi-heure de médications tant
peu
fantaisistes,
dont
je
ne
que
cite
les
plus
importantes, nous pensons qu'il serait peut-être
prudent de sur
la
faire
prévenir
passerelle, très
commandant
le
qui est
occupé des manœuvres de
son bateau. Il
minutes après,
arrive dix
nous, mais, en
ne plus rien envoyer
le
lui
maître d'hôtel qui
arriver ce dernier,
il
d'un
air
ainsi
que
un
».
le
En
verre à
convaincu
:
la
connaît et donnera effet,
nous voyons
main, tournant
c'est
un de
la
Marseille,
a l'accent.
D'un geste
monde: je
lamente
homme prudent, nous conseille de faire. « Du reste, dit-il, je vais vous
peut-être un sage conseil
cuillère
se
sais
«
Té,
à la Tartarin dit-il,
ce qu'il a,
il
veut calmer tout
ne prenez point
le
le
trouble;
j'apporte le remède, ça va le
PÉRIM. guérir sûr. » C'est
comment
Parmi tous
il
est
avions— nous
un qui
besogne
achever ce malade,
à
du bateau
les
mains dans
mécontent, haussant
les épaules,
persistance
:
«
vous vous y mettez tous tuer.
Mais
Oh
!
le
;
il
ses
il
en
se
promène
poches,
l'air
jurant et répéle
!
donc tranquille; vous
laissez-le
!
n'a pas voulu prendre part à cette rude
de long en large,
tant avec
songé
pas
ces officiers occupés avec la plus
c'est le nerveux,
:
ipéca;
complet.
grande bonne volonté est
un formidable
ipéca,
n'y
diable
Pauvre homme,
un
31
malheureux,
allez l'achever si
vous voulez donc
;
pauvre diable,
il
n'y résistera pas
le !
»
24 mai.
Tout je
est bien qui finit
bien
:
grâce à Dieu,
ne puis vraiment dire grâce à nous,
le
doc-
n'y paraît plus. Ayant repris
teur est sauvé;
il
connaissance à
longue,
la
—
—
il
a
demandé
cations sur ce qu'il avait bien
force expli-
pu avoir, n'ayant
pas souvenance de l'ipéca sauveur.
Heureusement pour lui il ignore il
en mourrait de honte, car
c'est
tout, sans quoi,
vraiment
la
plus
MES CAMPAGNES.
32 belle
vengeance des malades que d'avoir à soigner
un médecin sans
De nouveau, d'un
air
calme
voir ce qui a
défense.
il
:
«
fume
sa
bonne pipe,
disant à tous
C'est égal, je voudrais bien sa-
pu m'arriver.
»
UNE FETE A BORD
25 mai.
Une agités
petite fête à
livrés à
un peu tous
distraire
et
bord pour calmer
les esprits
ces soldats qui,
comme
eux-mêmes, redeviennent
des en-
fants.
Tous ont
été réquisitionnés et,
tance, chacun se trouve
un
pour
les
à l'arrière, le
gui,
fanal
dans
de couleur posé çà les
soldat, très
la fête
au cabestan, sur
les bastingages,
lumière rouge sur
tingent à
couleurs, des signaux
genres, sont drapés, tendus, entrelacés
formant une petite
Chaque
habituelle,
à notre disposition.
De jolis pavillons de toutes de tous
circons-
petit talent.
Le commandant, avec son obligeance met tout son bateau
la
:
salle et
là
nombreux
de théâtre; un envoie sa joHe
assistants.
ému, apporte son
petit
con-
chansons grivoises ou anodines,
grand monologue patriotique qui MES CAMPAGNES.
fait
battre des 3
MES CAMPAGNES.
34
mains avec enthousiasme ces
pendus en grappes
le
six cents
long des mâts
soldats
et des cor-
dages.
Puis un intermède de gymnastique qui nous cause une vraie frayeur, tant
la place
manque; mais
jeunes soldats qui se livrent à ces cabrioles
les
dangereuses conservent malgré nos vante un
air
d'épou-
cris
assuré et tranquille, rebondissant les-
tement, parant
les
coups
et les
chutes et retombant
légèrement sur leurs pieds avec
le
sourire aux
lèvres qui doit rassurer le public et leur vaudra nos
bravos enthousiastes.
Le
clou de la soirée est toute une comédie jouée
par des gens du métier % de vrais clowns en cos-
tume.
On
où chaque
un
a retiré tout cela
du
homme
affaires; c'est
range ses
petit sac
peu chiffonné, mais c'est tout de
bonne aubaine, pour
les
en
toile
encore
même une
perruques en étoupe, de
parader sous une telle latitude.
Et pendant cette soirée de récréation pour tous, notre grand bateau continue sa marche vers
but à atteindre, traçant majestueusement son
I.
Des
travaillé
le sil-
soldats qui, avant leur entrée au service, avaient
dans un cirque.
UNE FETE A BORD. Ion au travers de cette loin
du pays nombre de gens
rient de tout leur
35
mer immense, emmenant
cœur
et
qui,
pour Tinstant,
pour lesquels, cepen-
dant, la vie sera rude, pénible, et dont beaucoup
peut-être ne reviendront pas.
EN MER
31 mai.
—
Monte, viens
vite,
on
voit
la
terre!
Et
me
ma couchette, triste de me réveiller
voilà réveillée en sursaut, assise sur
me
frottant les yeux, presque
car je rêvais hélas!
France, et
je
que nous étions encore en
croyais vraiment m'être endormie
à Paris. Je m'habille à la hâte, laissant les petits
dormir encore du bon sommeil des bébés sans souci de ce qui les attend.
Depuis hier
soir, la
mer
s'est
un peu calmée,
mais quels mauvais jours nous venons de passer
pour doubler ce maudit cap d'Ambre, aux avec
la
mousson. Oui, on commence
prises
à la voir
cette terre de Madagascar, encore bien lointaine,
car
il
est cinq
heures du matin et nous ne serons
guère là-bas avant midi. Très loin, avec gnette,
la lor-
on aperçoit comme une traînée blanche,
cela ressemble à
un nuage qui
serait plus bas
que
EN MER. autres;
les
37
pour mieux distinguer
encore quelques heures
Cependant nous sommes
les
veinards du bateau autres
les
quelques jours de mer pour
Chandernagor
lugubre.
et cette attente est
notre traversée est finie,
car le
faut attendre
il
aller à la
Réunion
n'ira pas plus loin;
le
pénible sera pour eux l'escale de Diego, qui
portons pour Utaires
que
le
la
les
mele
matériaux que nous ap-
reconstruction des bâtiments mi-
cyclone a en partie démolis.
Nous nous promenons donc le
;
plus
nace de durer dix à quinze jours, étant donné
déchargement de tous
;
ont encore
silencieusement sur
pont, étonnés de pouvoir marcher sans tomber,
sans être jetés de droite et de gauche, jouissant de ce calme de
On
la
mer
et
descend fermer
et jeter
de cette fraîcheur du matin.
les malles,
un dernier coup d'œil
hospitalière qui
nous aura
ranger ses affaires à la petite cabine
abrités
pendant cette
courte existence de vingt jours.
Le
soleil
monte,
il
commence déjà
de nouveau nous regagnons le pont c'est
ces
;
lugubre, que c'est triste ce qu'on voit
montagnes
chaud,
à faire
mon Dieu, ;
que
toutes
grises dénudées, brûlées par le so-
rouge sans arbre, sans verdure; on
leil, et
cette terre
la voit
distinctement à présent
la terre;
oh
!
oui,
on
MES CAMPAGNES.
38
ne la voit que trop bien hélas
sommes encore dans
!
c'est à jurer
mer Rouge
la
que nous
tant l'aspect est
semblable, et nous nous regardons tous attristés de ce que nous vo3^ons, sans oser nous parler.
Ceux-là
mêmes qui nous enviaient
tout à l'heure
nous regardent avec compassion, nous, groupe qu'on va débarquer, en ((
Le
pitié.
ce sont les côtes ça la
relle le
nous
ça sera si
;
passerelle. » et
;
et leur envie se
change
plus philosophe se hasarde à dire
Ah! mais, attendez;
sur
petit
le
Oh
nous
mieux tout
à l'heure,
allions voir à l'avant
oui, allons sur la passe-
!
en bande traversant tout
filons tous
pont rempli de soldats qui eux aussi examinent avec anxiété.
la terre
Ceux de Diego sont
debout, habillés dès
là,
l'aube, la vareuse de laine encore chiffonnée,
quée de
plis et
sont tous rangés
dans
les
le
vêtements à bord
mains, écoutant avec calme
camarades
vieux,
chouette
il
les
long du bastingage,
gouailleuses des
pliments
est rien ;
on va s'amuser
au moins ; oh
!
mar-
ayant déjà cette odeur d'âpreté et
de moisi que prennent tous ils
:
la la
!
...
»
le
ici,
:
«
pays puis
les réflexions
Dis donc, ;
tous
on
;
la tête
mon
mes com-
sera à l'ombre
EN RADE DE DIEGO-SUAREZ
Par un Il
dans
est
soleil
de plomb,
.
.
une chaleur horrible.
.
deux heures quand nous mouillons enfin
la rade...
Oh!
cet affreux pays, ce coin de
on va nous
terre française sur lequel pis
.
que tout ce que nous pensions
;
laisser
;
c'est
c'est plus triste,
plus misérable que personne n'eût osé s'y attendre.
Nous sommes tous pour descendre,
sur
le
et c'est
que nous attendons
la
pont, équipés, habillés
dans un silence morne
chaloupe qui doit nous em-
mener.
De temps et gaie
nous
en temps une réflexion d'enfant naïve fait rire
une minute
et
nous récon-
forte; c'est Jacques qui s'écrie: « Tiens, là-bas,
dans un champ, des gros pâtés de foin
comme
en
France; quel bonheur, on va se rouler dans l'herbe, dis,
maman?)) Et
chose impossible
:
j'affirme
d'abord
que oui, sachant
le soleil
;
le
la
maudit so-
MES CAMPAGNES.
40 leil
quand on veut
et puis,
;
colonies, tout le
monde
s'asseoir par terre aux
s'écrie
:
Oh
!
ne vous as-
seyez pas; attention aux bêtes, gare les scorpions,
fourmis,
les
les cent-pieds,
tiques, qui, en cinq
sans compter les
mous-
minutes d'immobilité, vous
rendraient enragé.
Mais voilà
la
chaloupe qui quitte terre, nous
voyons s'avancer doucement avec réguliers; son affreux bruit de
la
ses soubresauts
machine
arrive jus-
qu'à nous, et elle roule... elle roule... Car, dans cette rade de Diego,
houle de fond,
La
échelles. officiers
du port
car
y a du
Il
on
la
mer,
la
disent les matelots.
est
pouvant en-
en train de mettre
monde dans
la
les
chaloupe, des
en uniforme qui viennent chercher
marades
les ca-
et savoir des nouvelles, puis le directeur ;
celui-ci
fantastique, laisse voir
que dans :
comme
y a toujours de
voilà qui s'arrête à tribord, ne
core accoster,
leil
il
une sorte d'ombrelle immense qui ne
que le
les
jambes; on sent tout de suite
pays on ne plaisante pas avec
aussi je
gnon de
porte un casque d'une grandeur
me
vois déjà
qu'on va
menacée d'un champi-
cette grandeur-là.
penchons pour écouter dire.
le so-
les
Anxieux, nous nous nouvelles, savoir ce
EN RADE DE DiÉGO-SUAREZ.
Nous avons dans
pays;
le
c'est lui qui
bord un
à il
qui est déjà venu
donc un peu au courant,
est
prend
officier
4I
la
et
parole et s'adresse au direc-
teur du port qui est dans la chaloupe.
— Comment — Ça va mal, répond
ça va-t-il
«
?
l'autre,
mettant ses mains
en porte-voix pour que ses paroles nous arrivent
mieux. La saison a été très mauvaise
beaucoup
;
de fièvres, beaucoup de malades.
— Et
le
commandant
X..., toujours
là ?
— Parti malade par dernier courrier. — Et lieutenant R... femme? le
et sa
le
—
eu de nouvelles en route
— Non.. le
deux ; vous n'en avez pas
Partis malades tous
.
Il
mois dernier
— Oh
!
oui,
paraît
?
que vous avez eu un cyclone
?
un cyclone
un geste désespéré de
ses
affreux
!
deux bras,
»
Et faisant
il
n'ose rien
ajouter.
Et toutes ces paroles encourageantes arrivent bien jusqu'à
comme
A
nous,
nous tombant sur
des gouttes de
présent nous
le
cœur
plomb.
sommes
fixés; ces quelques ren-
seignements nous suffisent pleinement; nous quittons
le
bord sans aucun enthousiasme.
MES CAMPAGNES.
42
Nous commençons
par avoir mille peines à
aborder, car bien entendu ni
embarcadère ; un
le
premières marches de
formant
n'y a ni quai, ni jetée,
appontement
sert
aux
cyclone ayant démoli
les
très petit
embarcations, mais
là,
il
l'escalier, elles
comme un
récif, et
sont restées les
em-
reste, offre
très
empêchant
barcations d'accoster.
Un
officier
marié,
le
seul
gentiment de nous piloter chez
lui.
d'appeler
Nous
et
du
de nous
emmener
traversons ce qu'on est convenu
la ville basse, se
composant d'abord d'un
misérable quai ou plutôt du bord de la
mer sur
lequel sont échelonnées quelques cases; la direction
du port,
les
subsistances, les Messageries mariti-
le
sable noir sont couchées aussi quel-
mes. Sur
ques pirogues d'indigènes.
Nous parcourons chaque côté
les
l'unique
rue,
où sont de
échopes des marchands indiens,
construites en bois avec des toits de fer- blanc
quelques misérables boutiques françaises, tout cela ayant
l'air
ruiné et minable d'un pays qu'on aurait
abandonné depuis longtemps. Par des chemins impossibles, trébuchant sur des débris de toutes sortes
où
brille
principalement
la
monter dans
la
boîte de conserves, nous allons
EN RADE DE DiÉGO-SUAREZ. ville
Ah que
haute.
!
que l'on aperçoit vernement,
;
ce
nom
qu'on
c'est là
les casernes, la
ques cases où l'on habite. s'y est installé
comme
est
43
pompeux pour
Un
gou-
a construit le
gendarmerie,
ce
quel-
les
peu de commerce
en bas, des magasins
chi-
nois, indiens et français.
Sur ce plateau,
l'air est
plus vif, plus sain et
nous arrive plus directement qu'en bas
:
on y
a
constaté une grande différence au point de vue sanitaire,
c'est
pourquoi l'on a déserté
basse pour s'installer sur
la
la
ville
hauteur.
Après avoir grimpé par des sentiers de chèvres,
nous arrivons enfin sur
le
plateau
vide et désolé; seule, la vue de est belle et
la
c'est
:
immense,
mer, de
la
rade,
repose nos yeux fatigués de ce vent
incessant qui souffle
comme un
tempête, emportant avec
lui
jour de grande
des tourbillons de
poussière rouge qui nous aveuglent
;
que ce sera ainsi pendant toute
saison sèche,
c'est-à-dire jusqu'au
la
mois de novembre,
vents tombent pour faire place à vieuse,
humide
mois de mai
!
et
et
chaude qui dure,
la
il
paraît
où
les
saison plu-
elle,
jusqu'au
CHEZ NOUS
23 juin.
At home, oh met de
la joie
!
mot,
le joli
au cœur
et
vous
venons de passer un mois dans au chef de bataillon
et qui
sommes en
aller.
ragaillardit.
la
Nous
maison destinée
dépend des bâtiments
miUtaires. Elle était libre, on
nous n'avions pas où
bon mot qui vous
le
nous
l'a
prêtée, car
Et maintenant nous
possession de notre maison qu'on vient
de nous construire, d'une case pour mieux parler le
langage colonial. C'est une maisonnette en bois, peinte en rose
avec des volets verts, une vraie bergerie de treize sous. Elle se
compose d'abord d'une grande
randa ayant vue sur
la
mer, car
nous sommes perchés tout nous dominons tourent
;
la
la
il
faut dire
à fait sur la
vé-
que
hauteur;
rade et les montagnes qui l'en-
passe est à notre droite, et pas
un ba-
teau ne peut entrer sans passer sous nos yeux.
CHEZ NOUS.
45
c'est bien la situation la plus agréable à
tous
les
points de vue.
Ensuite une pièce que j'ose à peine décorer du
nom
de salon, puis
de toilette toir
de
et
à
la salle
manger, un cabinet
une chambre, —
la famille.
Nous
la
chambre,
travaillons bien
le
dor-
pour
l'or-
ner, l'embeUir, la pauvre petite case. Il
nous
faut tout utiUser, et faire
currence à Robinson Crusoé. ressource,
comme est
il
Il
une vraie con-
n'y a
aucune
ici
un meuble; chacun en fabrique
pas
peut. Ainsi, chez nous,
devenue une superbe cage
la caisse à
à poules
;
les
piano autres
caisses
ont été transformées en armoires, mises
debout
et
montées sur quatre
petits pieds, le
cou-
vercle devenant la porte.
Tous nos meubles seront goût
à
peu près dans
:
de petits coussins, ont déjà pris un
un canapé bas
même
se
air confortable,
composant d'un matelas posé sur
des caisses et drapé de rabanes invite à table
le
nos chaises de bord, recouvertes d'étoffes et
la sieste,
une
démontable, des étagères fabriquées par nous
pour ranger nos
livres,
quelques bibelots, des pho-
tographies, des cartes de Madagascar pendues au
mur,
le
neur
:
piano savourant d'un air
voilà tout
fier la
place d'hon-
l'ameublement de notre salon.
MES CAMPAGNES.
46
ne nous semble vraiment pas mal à nous qui
Il
avons tant
mais vous,
résultat;
vous
pour arriver à ce médiocre
travaillé
ferait sourire
de
voir,
le
sommes
pas gâtés
n'a pas le courage de lutter
pour
tion, mais, chez nous, je dois le dire,
:
tout le
l'installa-
on
a
comon
battu bravement... Aussi, du matin au soir, cloue,
on
tout cela soi,
qui
qu'on
tape,
un fait
on drape, pour tâcher de donner
petit air habitable,
mieux que chez on
aux colonies
partie de la journée,
doux
à
à
quelque chose de
qu'on aime à rester dans sa maison,
s'y plaît
comme
il
pitié.
C'est qu'ici, nous ne
monde
vous pouviez
si
il
3^
les
autres, et,
passe la plus grande
importe que
le
nid soit
ceux qui l'habitent.
Nous faisons
des recherches chez nos marchands
indiens pour y trouver des rabanes, nattes ou tissus
de l'endroit. L'indigène ne travaille que pour c'est-à-dire n'est
vanner
occupé que de sa vie matérielle
le riz, le piler, le cuire, le
ici
demander. Tous
les
rarement, des soies
et
;
on trouve
il
ne
produits vendus
arrivent des autres points de File,
des pays environnants
:
manger, consti-
tue tout l'emploi de sa journée; à part cela, faut rien lui
lui,
ou surtout
quelquefois, mais
des bijoux indiens, apportés
CHEZ NOUS.
47
par des bateaux qu'on appelle des houtres. Ces bateaux, dont tout l'arrière est sculpté à
vieux vaisseaux du xvii* et
de formes bizarres;
époque
janvier,
siècle,
façon des
la
sont très curieux
ne viennent
ils
à laquelle les vents
de
ici
la
qu'en
mousson
leur sont favorables.
Quant
à notre vent à nous,
il
continue toujours
de souffler sans se lasser jamais, nous enveloppant de sa poussière rouge, qui pénètre partout, dans les livres,
rouge,
les
dans
les caisses,
parquets aussi;
tout
les
le
linge devient
enfants prennent des
teintes de petites briques.
Ai-je besoin de vous dire qu'on ne fait
cune
toilette
:
on
est
ici
au-
d'une simplicité délicieuse
qui repose des jupes cloches et des manches ballons
;
seulement, on se recoiffe dix fois par jour,
car le vent arrache chapeaux et coiffures.
Nous ne
manque
tant soit
quittons pas nos casques
:
cela
peu d'élégance mais abrite sûrement du fait à
ceux des enfants des coiffes blanches
celles des
sus
;
soleil
;
j'ai
comme
matelots et un ruban de bateau par-des-
mais, moi,
de Jules Verne à
j'ai
la
tout à
fait l'air
des Anglaises
recherche des pays inconnus.
MES CAMPAGNES.
48
Juillet.
Toujours
grand
le
vent qui souffle
on
presque
est
somme, que
ce petit pays étrange qui, en
de bons côtés que de mauvais
temps passe, après
le
On
se lève de
chacun
comme
étant considéré
et
tout, aussi vite qu'en
bonne heure; toute
de son côté
travaille
;
remplis
si
on
;
la
ma-
se retrouve
à déjeuner; ensuite c'est l'heure de la sieste soleil
le
son cours habituel;
a tant à faire, les jours sont
France. tinée
fait à
a plus
on
puis
la vie a pris
;
toujours
soleil qui brûle,
dangereux,
les
:
le
ca-
sernes sont consignées aux heures chaudes et la vie s'interrompt
L'heure de
pendant
la sieste est
trois heures.
donc
un temps de récréation dont
mon
je fais
heure à moi,
ce que je veux,
car je n'ai jamais pu m'habituer à dormir dans
journée
;
généralement pour
j'en profite
lire
la
ou
écrire.
A
5
heures, nous prenons notre thé, tous les
jours, avec quelques fidèles amis,
voyage et
et d'exil.
vous moquant
aux pays chauds,
Ah :
« il
!
je
vous vois
camarades de d'ici
souriant
Comment, même
à
faut prendre son
thé, une
Diego,
CHEZ NOUS. boisson chaude
chose de bien
Eh bien et
!
49
quand on pourrait boire quelque
!
frais. »
oui, vous ne sauriez croire quelle
douce chose que ce thé de
beaucoup plus sain quel affreux sirop
une
réunir,
heures, d'abord
5
et rafraîchissant
que n'importe
une occasion de
puis c'est
;
bonne
un souvenir des
petite distraction,
se
hi-
vers de France.
Je
me
souviens surtout de celui de Rochefort,
de cet hiver de 1890 qui fut
ma sœur
encore
et
moi
rude journée de travail
même
dans
la
et pétillant des
à
si
rigoureux;
on préparait
;
je
vois
maison, après une
la
le
grande chambre, devant sarments de vigne que
appelaient des queues de singes
;
thé soi-
le
feu gai
les
enfants
c'était
un repos
forcé et longtemps, longtemps, la bouillotte ron-
ronnait
doucement avant qu'on
prendre
et à verser l'eau
Tout en
dans
travaillant et
se
décidât à la
la théière.
en causant, on s'inter-
rompait de temps à autre pour guetter
chande de biscuits de matelots;
elle
guettait, s'arrètant sous la fenêtre, car
pour
elle
de la bonne pratique,
plaintif et,
quand
cri
aussi
nous
elle disait
geignard
elle passait là, juste
MES CAMPAGNES.
mar-
nous étions
comme
de très loin nous entendions son
la
;
et
sous notre 4
MES CAMPAGNES.
50
on
fenêtre,
s'élançait avec quatre sous, de quoi
acheter pour cinq ou six personnes;
ou
calier
à la cuisine,
domestiques,
mon
souci des passants avec
pauvre venais
«
:
Ah
!
esprit
contente quand
vieille était
vous
v'in,
du fond de
sa
rue, sans
la
bohème,
moi
c'était
;
!
allez
)>
!
Et
qui
sont elle
deux larges
petite voiture
biscuits carrés qu'elle démaillottait avec
un soin tout
particulier d'une vieille couverture verte
;
elle était
de vendre ses biscuits de pauvres gens à des
si fière
darnes
et la
ma bonne dame y
bien chauds aujourd'hui et bons sortait
en
l'es-
nous ne trouvions pas de
moi-même dans
j'allais
dans
si,
!
Je remontais vite, un peu gelée, et de nouveau
nous écoutions, d'un cheval sur Jacques
;
cette fois, les
si
l'on entendait le trot
gros pavés de
quelquefois Pierre arrivait
que quand
je faisais
travers le carreau,
il
mon
était déjà
hâte,
on
en deux,
mer lui,
le
fauteuils,
si
vivement
petit signe d'amitié à
Alors, vite, nous lâchions tout
donnés sur nos
rue Saint-
la
on
descendu de cheval. les
:
ouvrages aban-
faisait
le
thé à la
se précipitait sur les biscuits; les ouvrir les faire griller,
mettre
le
beurre
et refer-
tout, c'était l'ouvrage de cinq minutes
rentrant gaiement, nous apportait
;
et
comme une
CHEZ NOUS. bouffée d'air froid plein
lui
;
il
51 ôtait sa capote, sa
pèlerine tout imprégnées d'humidité, et je sentais
content de s'asseoir auprès du feu,
qu'il était
sonnant
les
bûches, heureux de retrouver au logis
quelqu'un pour l'attendre
Ah
...
!
déjà...
c'était les petits
les petits
Que
le
!
...
bonheurs, ça,
pays aussi est loin
il
y en
les voit
!...
comme nous disions
ceux-là; les gros sont
a qu'à se baisser
on ne
et le fêter
pauvres petits souvenirs de France, que
vous êtes loin
les vrais
ti-
si
rares
!
!...
:
mais
a tout le
long de
pour
ramasser; seulement,...
les
pas toujours.
la
route et
il
n'y
LA RATION D EAU
Juillet.
Le vent
est à
l'état
de tempête aujourd'hui.
Nous avons même eu un peu de qui prouve que
bien étabUe
contre papier,
me
la
les rafales
mon
saison sèche n'est pas encore
installée
;
sous
véranda,
la
lutte
je
qui m'emportent tour à tour
buvard ou
connaît, nous
pluie ce matin, ce
mon
sommes de
casque
;
mais
le
très vieux amis
mon vent et
il
ne m'effraie pas.
La mer, que je contemple tout chose qui nous fasse supporter
le jour, est la le pa3^s.
Ici,
cette véranda, qui est notre endroit fiivori,
croyons être encore en mer; on en large, tout à
quand
la
brise est
bonnes soirées si
pures;
s'y
fait
:
sur
le
sous
nous
promène de long pont;
et, le soir,
un peu tombée, nous y passons de
ces nuits des tropiques sont
le ciel est
détachent
comme
s'y
seule
d'un bleu intense et
comme
si
belles,
les étoiles
de gros clous de diamant.
LA RATION D EAU.
En le
53
face de nous, de l'autre côté de la rade, est
cap Diego
c'est là
:
que sont relégués
une
plinaires, l'hôpital, toute
grande
;
avant-hier,
jour, font
nous sommes
un
service
au cap,
allés
invités par le capitaine des disciplinaires qui a fait les
est
ville.
Des chaloupes, chaque régulier
pour
nous habitons)
qui Antsirane (l'endroit que la capitale, la
les disci-
petite colonie
nous
a
menés
débarquer
forme
honneurs de l'endroit
et
nous
visiter des grottes très curieuses.
où
L'endroit
comme une
nous
allons
petite anse;
les
avec joie que
le
effet très rare
aux colonies
enfants
constatent
sable y est blanc, ce qui est en
pés, mouillés d'eau salée
;
nous arrivons trem-
les
:
soubresauts fous de
notre chaloupe cessent dès qu'on a stoppé,
de
même,
et
nous restons
saisis, stupéfaits
le
vent
devant
ce calme et ce silence immédiats.
C'est que nous voilà complètement à l'abri
notre chaloupe a lant les
l'air
d'une coquille de noix frô-
murs immenses de
formée par
le cap,
mer.
cette sorte de falaise
qui prend des airs imposants et
gigantesques avec ses lianes sortant de la pierre
;
même
et ses
pour
arbres étranges,
se baigner dans la
MES CAMPAGNES.
54
C'est sur cette hauteur et tout à construite
du capitaine; toute
case
la
de Diego est beaucoup moins
que
la
arbres
nôtre;
même
;
y
il
fait à pic
a
triste et
à cette
gravissons une espèce de jardin qui singuliers, allées
monte
et
en miniature
curieux ou étrange
;
légende ou dans un rêve
Toute
cette partie
quelques
maison, nous
fait
trop
sait
on a déjà vu
;
misérable
et
des détours
redescend avec de petites
on ne
dans une
part... est-ce
cette partie
un peu de verdure
pour arriver
qu'est
si
cela
c'est joli,
quelque
description de conte, de ?
nord de xMadagascar
est assez
montagneuse. Le plateau où nous habitons desséché par
dans
on
les
le
vent; mais
il
y
a
un peu de verdure
quelques ravins formés par
les choisit
est
montagnes
les
généralement pour en
;
faire des jar-
dins potagers, à cause des petites sources qui s'y
rencontrent. C'est dans din de
du
la
plus voisin qu'est
le jar-
troupe, but fréquent de nos promenades
soir.
Ces quelques les
le
yeux
arbres, cette rare verdure reposent
et font
plaisir
h.
voir
!
Eh
!
oui,
quand pour
nous voulons contempler un peu de
feuillage
nous changer de ce terrain rouge
de cette pous-
sière aveuglante, c'est
devant
les
et
salades et l'oseille
LA RATION D EAU.
55
des troupiers que nous venons nous asseoir
mé-
lancoliquement.
Nous
traversons de longues,
pour y arriver;
il
longues plaines
y a peu d'arbres coloniaux, pas
de cocotiers, très peu de bananiers
(il
faut
les
planter et encore dans les ravins), aussi l'aspect
de
campagne prend-il
la
On
parfois celui de France.
y voit de beaux troupeaux de bœufs, portant
sur le dos une bosse
énorme
cornes gigantesques.
Tout
le
et,
sur
couvert de grandes herbes jaunes que
prennent pour du blé
et
la tête,
des
terrain est souvent les enflints
d'où l'on voit sortir quel-
quefois de toutes petites
cailles,
comme
dans
les
champs de France. Notre tenant
;
installation est à
mais
le
peu près terminée main-
plus difficile est de se garantir des
insectes, cancrelats, souris, fourmis; ces dernières
surtout sont tenaces et malignes. N'importe où
vous
laissez
quelques miettes de sucre ou de pain,
elles arrivent
et
par longues traînées noires, sans
vous ne pouvez plus vous en débarrasser. Il
vous faut employer de
petits trucs
contribuent pas du tout à l'élégance de ainsi, et
lin,
des
vous mettez carrément lits
les
la
qui ne
maison
;
pieds des tables
dans des boites en fer-blanc remplies
MES CAMPAGNES.
5
d'eau, afin d'isoler les pieds; mais l'intelligence
étant de beaucoup supérieure à
fourmis
des
nôtre, elles trouvent
ponts
petits
Quant
et
de grimper ainsi
:
deux
un nègre apporte de petit
fois
long des pieds. elle
une brouette,
caserne, sur
la
du pays,
tonneau d'eau qui doit servir à notre con-
l'eau vient à la
le
par jour, matin et soir,
sommation. Quelquefois, entre
dre
de s'organiser de
à l'eau, la grosse question
est ainsi réglée
un
moyen
le
la
manquer
;
il
deux voyages,
les
faut se résigner et atten-
seconde distribution
:
souvent, celle-ci est
oubliée; c'est alors que, de désespoir, on dépèche à la caserne quelqu'un
pour réclamer ce qui nous
est dû.
Le matin,
c'est
moi qui
assiste à la distribution;
ce serait une liqueur des plus rares que je ne le
avec plus de vigilance. D'abord l'eau de
ferais pas
cuisine, puis celle de la maison, de la salle
la
manger; des
jarres
immenses, en
ornées de dessins indiens, de toutes de toutes le
les
et à
se
je sais ce
combien de
Quelquefois,
on
les
formes
et
grandeurs, sont destinées à recevoir
précieux liquide;
tonneau
à
terre rouge,
il
que doit contenir
récipients
j'ai
le
droit.
en manque un ou deux; alors
lamente, on se désole;
le
noir, d'un air
LA RATION D EAU. navré, est obligé d'avouer qu'il en a
57
un peu perdu
en route ou qu'il a un peu trop roulé son avant de
charger.
le
Les gens qui habitent
le
autres, sont forcés d'avoir
pays,
ont-ils
leurs amis à dîner
en
cà
commerçants ou
un bœuf porteur qu'on
charge de deux petits barils aussi
et
un boto-rano
'
;
de l'eau à discrétion et invitent-ils
prendre une douche
comme on
invite
ville.
Les années où
les pluies
peut s'approvisionner gaches; mais, dans
les
ont été abondantes, on
aux deux fontaines malannées de sécheresse, on
va quelquefois très loin, jusqu'à
mans, quand on
la rivière
Boy pour
l'eau.
des caï-
n'est pas obligé d'apporter l'eau
du cap Diego au moyen de chalands.
I.
baril
UN CIMETIERE DANS LE SABLE
Il
Diego, enfoui dans et,
qu'un autre ce cimetière de
était plus triste
de l'autre
champ
triste
côté_,
et
le sable,
presque sur
la
plage
perdu dans un champ, un grand
désert,
toujours couchées par
avec de hautes herbes,
la brise.
Et nous pensions qu'à
la
longue
les
tombes
fini-
raient bien par se découvrir, car le sable s'envolait
toujours avec ce vent terrible,
le
grand vent qui
presque toute l'année.
Il
n'y avait pas de
soufflait
fleurs, pas d'arbres,
pas de couronnes,
eût tout enlevé, tout arraché,
—
et
—
le
vent
quand nous
passions par là, ce qui nous arrivait souvent, lors-
que nous longions
immenses, qui
le
bord de
mer, sur ces plages
se continuaient très loin à l'infini,
nous avions toujours
cœur en
la
comme un
serrement de
frôlant le petit cimetière, à notre rentrée,
presque à
la nuit.
UN CIMETIÈRE DANS LE SABLE. Elles étaient toutes pareilles, ces
noms simplement temps
écrits
tombes
des
:
sur la pierre et que le
une croix
à peine
très vite;
effaçait
59
faite
grossièrement. Celles des Indiens différaient des nôtres
semblant à des tombeaux anciens,
elles
;
res-
étaient
tout en pierres, d'énormes blocs scellés fortement,
auxquels on ne pourrait plus toucher. Point de Hovas, naturellement, puisque ceux-ci à
un
ne se séparent jamais des leurs,
les
ont
culte des
le
morts poussé
jours dans les pays
pour
les ancêtres,
où
ils
le
point qu'ils
emportant tou-
vont. C'est surtout pour
parents morts qu'on
les
belles étoffes de soie
dernier vêtement,
tel
tisse ces
blanche ou de couleurs,
lamba dans lequel on
les
le
en-
veloppe.
Quelquefois, quand
la
mer
était forte,
ou bien
aux grandes marées, Teau montait jusqu'au cimetière,
nant
balayant un peu
méchante
les
tombes, creusant, ravi-
tout autour, emportant
la terre
les
comme une
semblants de fleurs qu'on avait essayé
de planter.
Et
je
me
disais
pour
me
consoler de l'abandon
de ce cimetière, de son aspect
nudé
:
si
affreusement dé-
qu'est-ce après tout que ces très petites
MES CAMPAGNES.
60 choses
un cimetière
:
fer dorées, des
En et la
effet,
que
couronnes de perles fliisaient à ces
pensée n'étaient plus d'avoir
ornés,
ou non, des croix de
fleuri
là,
oui, leur esprit....
donc
morts, dont d'être plus
le
cœur
ou moins
de belles tombes ou des pierres
seulement, à présent que
Où
?
était ailleurs,
l'esprit
grand Dieu!!... où
se trouve ce lieu de repos
était-il?...
ou de misère
vers lequel nous devons tous aller?
Qui leils,
les
sait si ces étoiles, brillantes
les plus belles, les plus
demeures des
Ou terre
bien
des so-
grandes, ne sont pas
?...
nos esprits
restent-ils
encore sur
ils
vivent peut-être avec nous, ceux que
nous croyons la
partis?
Et
je
me
demandais
nuit, sur ces grandes plages
vant cet horizon immense,
si
vrai-
désertes, de-
les esprits
de tous ces
pauvres gens ne s'en venaient pas planer sur
mer
la
?
Alors
ment
élus
comme
comme des
oiseaux perdus
la
UN GENERAL A DIEGO-SUAREZ
Juillet.
Le général inspecteur
est
de passage
ici
pour
quelques jours; nous voilà de nouveau plongés
dans les
les
occupations militaires. Cette nuit, toutes
troupes étaient sur pied pour un grand branle-
bas de
combat qui
avait lieu
dans
les
environs.
A
trois
heures du matin, Pierre partait plein d'en-
train
pour son expédition, d'une main conduisant
sa il
mule faisait
A
et
de Tautre s'éclairant avec son fanal, car
nuit noire.
sept heures et demie, les enfants et
mes allés au-devant de
la
donné rendez-vous avec M""^ fille,
étant, à
nous deux,
moi som-
troupe; nous nous étions B...
les seules
et
sa petite
femmes de mi-
litaires.
Nous avons remonté pose
la
ville
tout
le
plateau qui
haute, pris à travers
la
com-
plaine et,
après avoir longtemps marché, nous apercevions
62
MES CAMPAGNES.
enfin le gros de
la
troupe qui donnait l'assaut en
On
escaladant une montagne.
hommes, enveloppés
qu'ils
nuage de poussière; mais d'enthousiasme
qu'ils
voyait à peine
étaient dans
les cris d'excitation et
poussaient nous arrivaient
cœur en
distinctement que j'avais froid au
tendant la
réaHté,
Puis
Nous sommes
!...
il
que
cela
nous
temps, car
les
un long
près,
si
en-
les
grand Dieu
!
a fallu attendre encore assez long-
les
enfants voulaient à tout prix voir
aux ordonnances
cette troupe Ils
sière,
de
vous glace en y songeant.
passer les soldats, reconnaître leur père, faire petit signe
si
comme
et
un
marcher derrière
de vrais hommes.
finissent enfin par arriver, couverts de pous-
méconnaissables
de couleur
;
;
leurs
vêtements n'ont plus
toutes ces pauvres figures, couvertes
de sueur, sont rougiespar cette maudite poussière.
On traîne bien un peu
la patte,
mais pas un
homme
n'a l'air découragé ni effrayé par cet avenir
si
pro-
chain d'une vraie guerre qui m'épouvante, moi, rien
que d'y songer. Les canons roulent avec peine
dans ce mauvais terrain,
mais
arrivent
quand
même. Le général à
passe presque en dernier
Diégo-Suarez
!...
c'est
:
un général
un événement,
et les pe-
UN GÉNÉRAL A DiÉ&O-SUAREZ.
65
émus, enlèvent leur casque avec respect;
tits,
de rencontrer des femmes dans ces
très surpris
plaines de Madagascar, à
gne, demande nos noms dit et,
de cette campa-
la veille
à
un
officier
en passant tout près de nous,
regarde encore d'un
air
il
;
on
étonné. Tout à
arrière arrive la voiture de l'ambulance,
du
reste
le
;
ter
En ou
montez
deux
!
nous
fait
» et vrai,
«
:
on ne
en
un pauvre ;
elle est
docteur, qui trotte à côté,
signe aux enfimts et à nous nards,
les lui
salue et
vieux petit break qui n'a plus de forme vide,
lui,
Allons, les
fait
traî-
se le fait pas répé-
fois.
route, nous croisons quelques noirs, hovas
autres,
d'hommes Avant
un peu
effrayés
de ce déploiement
et d'officiers.
d'arriver
aux casernes, nous descendons
pour ne pas donner
le
mauvais exemple.
FAUSSE ALERTE
Hier, un petit événement de guerre est venu
rompre un
instant la
monotonie de notre
Des gendarmes ont amené
tence.
exis-
par ordre du
ici,
gouverneur, 8 prisonniers hovas, que Ton avait trouvés armés sur notre territoire tinzo (poste des Sakalaves ciers)
que l'on avait eu vent de
Hier
la
une distribution de
paraissaient vouloir ;
on
c'est
fusils
attaquer
;
que
et
A la
Hovas
les
l'alerte
a
et
été
mais, grâce à
tout
maintenant rentré dans l'ordre, à part niers qui, eux, ne sont pas
offi-
aux indigènes
ici
était prêt à les recevoir
Dieu, l'ennemi n'a pas bougé
de Maha-
par nos
chose.
soir, le poste télégraphiait
faisaient
donnée
;
commandé
me les
paraît
prison-
du tout rentrés chez eux
suite de cette fausse alerte, la proclamation
suivante a été affichée sous arbre du pays).
le
Tamarinier (seul
FAUSSE ALERTE.
Le gouverneur
de Dlégo-Suare^
Les Hovas ont envahi Il
n'est pas sûr
tilités
mais
;
une tension
les
que ce
et
le territoire
65
dépendances.
de
la
!.
.
un commencement d'hos-
soit
nouvelles de Tananarive font craindre
telle
dans nos relations politiques avec
gouvernement d'Imérina, que nous avons une période de trouble où
menacée par
colonie
la sécurité
de
le
à redouter
la ville serait
les pillards et les incendiaires.
Dans ces
conditions, la police locale serait insuffisante. L'administration fait appel
aux volontaires pour seconder
police en prévenant les incendies et les pillages à
la
main
armée.
Les eno[ao;ements seront reçus à
la
Direction del'In-
térieur.
La police volontaire
sera tout à fait distincte de la
police locale, elle sera directement sous les ordres du secrétaire général.
de
la
Une
décision fixera l'organisation
police volontaire.
Antsirane,
le 2 juillet
MES CAMPAGNES.
1894.
UN BAL A DIEGO
14
Grande surexcitation dans
la ville
juillet.
dames
les
;
blanches et noires essayent leurs robes (et quelles robes!), font bouffer leurs manches, frisent leurs
cheveux, en un
Un
mot
du
se préparent au bal
bal de 14 juillet au
soir.
gouvernement de Diégo-
Suarez, populations mélangées, vaut vraiment peine d'être vu. malles
la
Dans
la
journée,
j'ai fliit
grande tenue réglementaire
la
sortir des
et
une robe
de dentelle noire qui ne s'attendait pas à pareil
honneur, une de ces robes qui vont partout, sans
mode
sans époque, et qui pourraient presque
et
écrire leurs le
déjcà
pas mal couru
monde.
A le
mémoires, ayant
9 heures,
grand bal
prie
cœur
de
le
joie
;
nous sommes parés
et
partons pour
personne n'est en retard,
croire,
je
vous
chacun comptant profiter
de cette heure de
plaisir qui
à
ne revient
UN BAL A DIEGO. qu'une
fois
par an Déjà .
les
banquettes sont garnies,
les éventails s'agitent et les
Tous
67
danses commencent.
gens de bonne volonté, jouant d'un
les
quelconque,
instrument
pour former l'orchestre venir chèvre.
sont
Ils
;
là
ont été c'est
réquisitionnés
une musique à de-
cinq ou six, raclant du
violon, soufflant avec entrain dans une clarinette
ou jouant de
la flûte.
dirige, s'arrête
Un
gros mulâtre, qui
souvent entre deux mesures pour
s'éponger ou boire un verre, disant d'un lard
aux autres musiciens ahuris
toujours;
les
:
«
air gail-
donc
Allez
bien vous rattraper. » Ai-je be-
je vais
soin d'ajouter qu'on ne se rattrape jamais
Mais
?
couples heureux des danseurs tourbillonnent,
les
quand même, sans souci de
la
mesure
ni des
mu-
siciens.
La salle de
Le
buffet
choux
à la
cuisinier
Du
jeu n'est, hélas!
ne désempUt pas,
que trop bien garnie.
les
pyramides de
petits
crème fabriqués par Baha-Moucha,
du gouverneur, ont un
le
vrai succès.
reste, ces petits gâteaux m'avaient été an-
noncés dans gache, qui côté du
la
journée par
était allé,
à
cuisinier
mal-
dans l'après-midi, rôder du
gouvernement sous
un coup de main
mon le
prétexte de donner
son confrère.
MES CAMPAGNES.
68 Il
revenu
était
vu en boissons
très frappé
et
en
de tout ce qu'il avait
victuailles, la figure illumi-
née, faisant claquer sa langue d'un air d'envie fait
la description de ces
lui et
Baha-Moucha venaient
m'avait tout de suite petites tartelettes
que
il
;
justement de bourrer avec leurs doigts.
Entre
les
danses, on passe des rafraîchissements
bière et limonades
premier plateau
le
;
est
suivi
d'un second chargé de gros morceaux de glace porté par une négresse d'une je
reconnais pour être
l'endroit
taille
et
fantastique que
servante d'une
la
:
dame de
de temps en temps, un consommateur
;
maladroit laisse tomber un morceau de glace qui roule sur
le
parquet
;
mais
la
tranquille négresse,
de ses grandes pattes crochues de singe,
doucement avec
Le pour
replace
les autres.
bal bat son plein. la
le
Les cheveux
plats, frisés
circonstance, tombent en mèches
des joues, mais ceux frisés par
la
le
nature s'échap-
pent joyeusement du chignon récalcitrant,
poudre de
riz
long
tombe tristement de tous
et la
ces vi-
sages noirs.
La
seule jolie note au
coloniales est
nison
et
miUeu de
donnée par
les
des bateaux en rade.
ces excentricités
uniformes de
Le Lynx,
la
gar-
arrivé dans
UN BAL A DIEGO. la
69
journée, a débarqué sa joyeuse bande pour
fête
de ce soir; mais qui
est
étonné,
entrant dans ce gouvernement? seignes d'une
dans
même
sont
Navale;
et cette
ils
en-
les
promotion qui reconnaissent
ne peuvent en croire leurs yeux
reconnaissance
Dans un coin du
leur bonheur.
fait
salon, assis bien
sagement
uns près des autres, nous apercevons, pour mière
en
gouverneur leur ancien professeur d'his-
le
toire à
Ce
pétrifié,
la
fois
h
les
pre-
seulement, trois jeunes princes noirs, en
habits de gala, venus
on ne
sait
d'où
et
regardant
avec admiration ces couples agités qui tourbillon-
nent devant eux.
sont beaux
Ils
comme
de magni-
fiques bibelots de bronze, lourds et massifs
des objets de prix qu'on aurait placés
pour orner
La
là
comme
tout exprès
la fête.
nuit s'avance
;
2 et
3
heures arrivent vite
nos yeux, fatigués de ces choses étranges
et
;
bur-
lesques, aspirent au calme et au repos; c'est avec
déhces que nous quittons cette agitation pour re-
trouver
le
calme
et la fraîcheur
de
la nuit.
UN PIQUE-NIQUE A LA MONTAGNE DES FRANÇAIS
21 juillet.
Depuis plusieurs jours, nous sommes un peu sortis de notre coquille et
nous avons
excursions, voulant
sieurs
liberté qui
nous
reste
profiter
et voir
fait
du peu
plu-
de
pays environ-
le
nant qui sera sûrement plus beau que celui de
Diego.
D'un jour
à l'autre la guerre peut éclater, l'état
de siège arriver
et
nous serons
pris,
des oiseaux, sans pouvoir quitter petit territoire;
nous
le
il
faut
donc
comme
limite de notre
sortir auparavant et
faisons joyeusement, sans souci des inquié-
tudes et du danger de demain. suffit sa
traqués
la
peine.
A
chaque jour
»
Avant-hier donc, excursion à Français...
«
ces
la
montagne des
Messieurs à mulet et à cheval,
nous, femmes, en filanzane.
UN PIQUE-NIQUE. Le
ou
filanzane
litaçon est
7I
une espèce de petite
chaise à porteurs, dont le siège est en toile, sus-
pendu les
à
deux brancards assez longs, portés sur
épaules par deux
mes
derrière.
hommes
devant
et
deux hom-
Les Hovas pratiquent beaucoup ce
genre de locomotion
et
mais encore doit-on
sont de très bons porteurs, choisir,
les
car
il
faut
une
certaine habitude.
On
les appelle
cher très
des bourjanes
longtemps sans
;
ils
se fatiguer et
rissant fort peu. Ils sont obligés de
paule à peu près toutes
quatre qui dirige et
quatre
les
les
donne un
même
en
changement sans que vous soit,
A
du moins
si
en se nour-
changer
deux minutes;
les autres
hommes
peuvent mar-
d'é-
celui des
petit signal
temps font
sentiez quoi
le
que ce
vous avez de bons porteurs.
7 heures du matin, la température étant encore
bonne
et fraîche, le vent pas
nous mettons en route surtout
la
manière de
;
les
encore déchaîné, nous
mais
les
provisions et
emporter nous mettent
en retard.
Le bœuf porteur auquel montre sauvage
très récalcitrant ;
le
:
il
noir chargé de
péniblement par
la
est confié ce soin se
redevient tout à
fait
conduire
tire
le
le
corde et n'a pas Tair ras-
MES CAMPAGNES.
72 suré du tout;
nous
il
suit
pourtant tant bien que
mal.
Nous
traversons tout
longtemps avant de
le
plateau
le
temps en temps
quitter; de
nos bourjanes prennent leur essor gnal, partent au grand galop
enlevées
comme
:
marchons
et
sur
et,
nous fendons
sur les ailes d'un papillon
secousse, aucune fatigue
:
un
délicieux, déci-
c'est
pour traverser d'autres
mais auparavant
montagne je suis
s'assure si
toujours
personne
;
{bêfe,
comme
la
a
il
!
n'y a plus
la
corde
;
des
décidé-
montagne
cœur de bœuf hova
s'y refuse.
pas aller à
Ces Messieurs piquent un temps de galop à sa poursuite et les voilà dans ce
de vue, jouant au picador citrant.
fait
la
l'animal ne veut
des Français :'son
lâché
des-
disent les noirs)
de très loin son guide nous il
;
hommes.
mais ô douleur
désespérés,
signes
ment
;
là
de grosses roches
d'abord, avant d'opérer
bœuf
le
plaines,
nous passerons sûre-
de nos
la tête
allons
descendre une sorte de
effrayée de ce chemin,
On est
fliut
très à pic, couvertes
ment par-dessus
cente,
il
l'air^
aucune
;
dément, ce moyen de locomotion. Nous quitter la hauteur
si-
et
champ,
et
vont
à perte
au taureau récal-
UN PIQUE-NIQUE.
73
Affolé et n'en pouvant plus, béfe consent à re-
venir et
;
d'un coup d'œil,
il
sonde
la
descente à pic
nous préparant un tour de sa façon,
comme un
il
bondit
fou, arrive en bas en une seconde,
fait
sauter toutes les provisions par terre et se roule
dessus avec ivresse.
poussant des
cris
Nous
le
suivons des yeux,
désespérés, contemplant notre
déjeuner exposé aux plus grands dangers
que nous en oublions Les mulets la
les
même
et
pieds nus,
;
si
bien
nôtres.
le
cheval descendent sans
moindre objection, avec une adresse
bileté surprenantes
;
et
une ha-
nos hommes, grâce
à leurs
s'agrippent à ces
énormes roches
et
nous nous contentons de nous maintenir bien en arrière, car, par instant,
nos filanzanes prennent
une position
verticale. Aussitôt descendus,
ramassons
provisions et constatons
une
les
le
nous
désastre
:
partie des bouteilles est cassée, la salade russe
baigne dans
le café, le saladier est
tout à l'avenant
que mal
et
;
en morceaux
on ramasse tout
on recharge
:
le
cela tant bien
hcfc qui est charmant jus-
qu'à l'arrivée.
Après cette descente mouvementée, nous versons une grande plaine au niveau de
forme
là
comme une
la
mer
tra-
qui
petite anse. Cette plaine est
CAMPAGNES.
-MES
74 plutôt
un marais
l'eau et
enfoncent dans
nous sommes au milieu des roseaux
temps en temps un dessus de nos têtes et
hommes
nos
;
;
joli
;
de
vol d'aigrettes passe au-
nous quittons ce terrain
plat
nous recommençons à monter. Voilà
la
montagne des Français Nous avançons !
encore un peu
et
nous apercevons
montagne,
s'abrite contre la
droit et à pic
comme une
le petit
falaise
des arbres, du
;
qu'on ne sent plus, tout
feuillage, le vent
pour nous une exquise sensation
bois qui
haute à cet en-
très
et
cela est
vaut bien nos
cinq heures de route.
Tout tenant
le
les
pour nous
monde met mulets par faire
pied à terre; ces Messieurs,
la bride,
un chemin
passent les premiers
et
nous entrons sous
bois; nous en ressortons au bout d'un instant pour
nous trouver dans une grande tous côtés
et
cultivée par
nous confions pour
les
clairière abritée
de
deux colons auxquels
soigner nos porteurs et
nos mulets.
A
l'entrée
du
bois, près d'un joli ruisseau,
découvrons dans cette sorte de grotte très fraîche
où nous
falaise
allons
une
nous petite
manger de bon
appétit les restes de notre pauvre déjeuner, arrosé
de vin mousseux
—
le
Champagne des
colonies.
UN PIQUE-NIQUE.
A
3
75
heures, on se remet en route; on
trois
haltes
pour reposer
7 heures, nous satisfaits
sommes
hommes
fait
deux ou
et bêtes, et, à
rentrés chez nous, très
de notre exploration.
LA
CORREZE
(C
»
Août.
Dimanche déjeuner un énorme temps passé de
dame,
ça
beau bateau de
s'il
repartirait
l'avons
je
.
la
Corre::e ; c'est
marine du
la jolie
répondait
patron
le
qui nous conduisait, quand
amené
pourtant beau
est !..
comme me
et,
la baleinière
demandai
il
et
bord de
à
!...
:
Hélas
«
là à sa
on n'en
!
je lui
non, Ma-
dernière demeure ; fait
plus
d'comme
))
Puis
le
il
regarda d'un air
reux, que je crus de
mon
si
triste,
si
malheu-
devoir de rompre toute
étiquette et de dire à ce vieux loup de mer,
mot de sympathie
et
un
de condoléance sur ce bateau
qu'il aimait tant.
la
Semblable à un gros papillon qui a
fini
son vol,
Corrè^e repose pour toujours dans
les
eaux de
l'Océan Indien tennes
;
;
on
lui a
arraché ses
ailes, ses
an-
toute sa johe voilure, sa mâture, ses agrès
LA CORRÈZE, ont été enlevés, air, la
pauvre
et
pourtant
vieille frégate
Elle restera là jusqu'à
dienne
fidèle
encore grand
!
son dernier soupir, gar-
de cette rade maussade et
donnera chaque année eux
77
elle a
les jeunes,
qui
aux nouveaux bateaux,
avec leurs formes extravagantes,
leur carapace de fer, les
tout ce qui leur
asile
triste,
donne
canons dans
les
mâts, enfin
Tair de forts ambulants, de
monstres marins. Et
les
matelots, de la
même
génération que
leur bateau, des jeunes aussi ceux-là,
riront en
côtoyant dans cette rade ce vieux vaisseau d'une autre époque réduit à l'état de simple ponton et servant d'hôpital aux marins diables
!
malades
qui viendront peut-être
sur cette épave qui, elle aussi, a
:
pauvres
un jour mourir
fini
de vivre.
LE ROI DES ANTANKARES
Août.
Il
y
a
une quinzaine
est arrivé à
des Antankares et toute sa suite tites
;
Antsirane
le roi
venu
à pe-
est
il
journées pour rendre sa visite au gouverneur
et saluer les Français ses amis, ainsi qu'il a
tume de
le
faire
cou-
chaque année à l'occasion du
juillet.
14
Mais, cruelle déception, on a dû la triste
nouvelle venue de France
pauvre président Carnot
pions, de pétards, ni de drapeaux
des gens qui venaient de tite distraction,
vie
!...
si
lui
apprendre
l'assassinat
;
c'est triste
loin, espérant
pour rompre
la
du
donc pas de lam-
ainsi
;
:
pour
une pe-
monotonie de
Trois jours de repos seulement
et le
leur
retour
au pays de ce beau roi noir, porté triomphalement
dans son filanzane
et suivi
de ses ministres, de ses
parents et de ses femmes.
Dans
la
journée de leur arrivée,
ma
voisine,
LE ROI DES ANTANKARES.
M™^
C...,
me
fait
prévenir que
le roi
79
Tsialam
qu'on
sa suite viendront dîner chez elle le soir,
nous attend, que
la
peine.
En
à l'invitation, et là
on
chose en vaut
nous nous rendons
effet,
nous explique que M. C...
et
est frère
la
de sang du roi
des Antankares.
Cet usage, assez répandu à Madagascar,
comme une
alliance,
un
est
lien d'amitié qui consiste,
après une grande cérémonie, à échanger chacun
une goutte de sang, après quoi on de
l'autre les droits l'hospitalité
On
la fraternité la
se doit l'un à
plus stricte et
dans toutes ses règles.
fait cela à
cause des relations commerciales.
Les gens qui font du commerce d'importation
comme M.
C... et entreprennent de longs voyages
par terre, s'assurent ainsi
dans
le
pays, le vivre et
de pêche sur
les
la
le
sécurité de circulation
couvert, certains droits
côtes et des porteurs
pour
les
filanzanes, ce qui est encore le plus précieux.
L'hospitaUté
dans
de Tsialam va jusqu'à
case du voyageur des jeunes
la
installer
femmes mal-
gaches, destinées à charmer ses loisirs et sa soli-
tude;
le
voyageur, généralement éreinté
pouvant plus, met tout faisait
dire
le
monde
et
n'en
à la porte, ce qui
au premier ministre du roi
:
a
Ah
!
MES CAMPAGNES.
8o
comme donne
vous
!
Toute voir.
Ce
mais
ils
ils
les
Français.
la
maison
et
vous
la
!!... le roi,
pas toucher,
))
est
en branle pour
les rece-
n'est pas qu'il soient très difficiles
sont
li
nombreux
et
musulmans
et,
non
;
!
comme
sont toujours assez strictes en matière de re-
ligion,
de
du drôle de monde
vous des femmes
à
drôle ça
l'est
il
ne faut pas assaisonner
la graisse, leur offrir
semble à du porc, alcool
:
ils
et
les
aliments avec
quoi que ce soit qui res-
ne leur
faire
boire aucun
n'acceptent que du vin et de
la
limo-
nade.
Quant ment
à la maison, qui est
installée,
que leur
ils la
case, car,
du
reste très genti-
trouveront toujours plus
jolie
au fond, tous ces roitelets du
pays, malgré leur belle apparence, leurs airs su-
perbes de grand seigneur, leurs vêtements princiers, leurs
armes magnifiques, ne sont que de
vrais
sauvages et leurs demeures n'ont guère du palais
que
le
Le
nom. roi et sa suite arrivent vers 7
heures; après
de solennelles présentations, on se met à table c'est
de
pour eux
la
la suite s'installent
par terre
;
on va
:
seule chose importante. Les gens
dans une antichambre,
leur envoyer des
assis
bouteilles de
LE ROI DES ANTANKARES.
8l
vin, quelques restes du dîner, beaucoup de riz;
avec cela
Le dans
ils
seront enchantés.
roi, lui, fait le
honneur au dîner;
menu beaucoup
son plat préféré
et
on
« z*haricots lui
a réclamé
il
rouges
»
;
c'est
en a donné. C'est un
beau type d'Arabe portant bien son turban de satin vert, ayant
grand
air et taillé
son frère
est à sa droite,
mais
l'air
méchant
c'est
l'ennemi juré du roi:
et
comme un
un beau
grognon il
a
;
il
hercule
;
gaillard aussi,
l'est
en
réalité
;
voulu dernièrement
l'empoisonner pour régner à sa place
aussi le
;
pauvre Tsialam ne touche-t-il à quelque chose qu'après que son frère en a mangé.
A
sa
gauche ce sont
ses
fils,
deux beaux jeunes
gens avec des mines bien éveillées, montrant leurs dents blanches à tout propos et plaçant avec joie leurs quelques
pour tous
parle c'est
un
vieil
mots de
français.
et traduit la
Mais
celui qui
pensée de chacun,
oncle de Tsialam, s'exprimant très
bien en français. Celui-ci est charmant et c'est lui qui tient le dé de la conversation.
Tsialam, tout de suite, déverse son cœur chargé de
fiel
à l'égard de ses grands
ennemis
les
Hovas
;
il
demande
si
l'on ne va pas bientôt faire la guerre,
il
l'espère,
il
caresse mille projets
MES CAMPAGNES.
pour
cela
6
:
«
il
MES CAMPAGNES.
82
enverra ses gens se battre avec nous; Français chez
lui, les traitera
nera beaucoup de bœufs
il
recevra les
de son mieux, donpar
», car c'est
là
que
se
traduit la richesse dans le pays.
regarde Pierre, qui est en uniforme, très at-
Il
tentivement pour reconnaître un jour sa figure, dit-il, et le
pour
prie de le regarder aussi
la
même
raison.
Afin de ne pas pas à
le
Tsialam que,
chagriner, nous n'expliquons
si
sûrement pas dans
le
la
guerre se
fait,
ce ne sera
nord de Madagascar,
c'est-à-
dire dans son pays.
Au
dessert,
on apporte un magnifique poudding
avec une sauce à part pour
les invités
qui ne doivent pas toucher au
nous
le
faisons flamber, ce qui fait leur
fin
du diner
beaucoup mangé; ils
pour nous,
;
bonheur
admiration.
et leur
La
rhum
de marque
arrive; le roi et ils
son monde ont
tombent de sommeil, mais
veulent encore boire et fumer; leur
cation
fait
la
bonne édu-
complètement défaut
et
je
suis
obligée de gazer sur les dernières paroles de ce
grand «
roi noir.
Eh
bien
!
dit le
maitre de
la
levant de table, Sa Majesté est-elle
maison en
se
satisfaite?... »
LE ROI DES ANTANKARES. Et
le
premier ministre répond
lui la bien
mangé,
la fini
Très content,
«
:
83
plein ventre, veut aller
coucher, mais demande que tu donnes à bouteilles de vin
Toute se lève
pour
li
boire avant dormir. »
comme un
homme
seul
et l'on rhabille ce
monarque indolent qui sommeille
rouges
!
»
On
déjà l'estomac
— nous craignons pour
lui
bène piquées de
remet
ses sandales
l'aide à s'asseoir
zane
;
toute
«
pompeusement
la suite se
met en
z'haricots
en bois d'é-
petits clous d'argent,
manteau de drap rouge brodé d'un
on
encore
qui boit, fume et crache à côté,
la suite,
un peu chargé,
li
son grand
liseré d'or, et
sur son filan-
route, les filanzanes
des autres princes suivent celui du roi.
On
allume leurs lanternes que des noirs portent
en avant pour éclairer fait
les autres et
la
il
est déjà tard,
Croix du Sud
nous regardons
de ce grand calme de rois
route,
il
nuit noire; seules quelques joHes étoiles éclai-
rent le ciel sombre;
que
la
mages que nous ne
la nuit,
défiler,
brille plus
au miheu
ce petit cortège de
re verrons jamais.
LA SAINT-LOUIS A DIEGO
25 août.
Une
Saint-Louis très loin de France, que nous
avons voulu
même
quand
fêter
drôle, baroque, originale infanterie de
rine,
qui avaient dû
;
marine
commander
une
;
petite fête
un dîner d'amis
principale est le souci et
ma-
;
depuis très longtemps
bouquet de Saint-Louis dont
ce pauvre
:
aimables célibataires
dont
la
la
fleur
verdure ressemble
singulièrement à des feuilles de salade. C'est égal! il
me
plaît ainsi ce
licieux, plus joli
mon
que
si
une gerbe de
pays,
l'étiquette
bouquet
d'un
et
me
semble plus dé-
l'on m'avait offert, dans fleurs élégantes, portant
fleuriste à la
mode on m'en don;
nera peut-être un jour de plus beaux que celui-là,
composés de
fleurs plus fines et plus rares, mais,
jamais d'aussi précieux
Ceux
même
!!
qui n'ont pas de fleurs apportent quand des
petites
choses très appréciables; ce
LA SAINT-LOUIS A DIEGO. sont des flacons de fruits au jus,
85
cerises^,
prunes,
abricots, entourés avec soin d'un beau papier blanc
comme
les fleuristes
en mettent aux bouquets de
cérémonie.
On
a dressé, à la suite, toutes les tables de la
maison sous
la
grande véranda,
et c'est la
mer
et
ce grand ciel tout plein d'étoiles qui forment le
fond
et le seul
ornement de
cette salle de festin.
Beaucoup de lanternes chinoises en papier rouge l'air
et bleu, se
de
rire
balancent
de nous
et
comme des
folles,
vert,
ayant
de trouver fantasque ce
drôle de repas dans ce drôle de pays. Leurs lu-
mières étranges attirent très vite tous ailés
de ce grand espace et
les insectes
les sauterelles, les ci-
gales et les papillons de nuit viennent en foule, aussi, assister à
nos ébats joyeux.
eux
UN AMI
Août.
Nous entrons dans une exploré à peu près tous
pour
moment, on
le
musique
et
de tirer
période d'accalmie, ayant les
se
environs de Diego
contente de
l'aiguille
faire
de
;
la
avec rage. Les vête-
ments apportés de France ont noblement gagné le
repos
;
il
faut les remplacer et se mettre à l'ou-
vrage, aimable couturière qui n'enverra jamais sa
note
!...
L'ami de bonne volonté, de travail, nous
fait
charmées, oublient Aujourd'hui,
mais de
travail,
installons,
la
la
libre après les
la lecture,
et les
heures
ouvrières,
longueur des ourlets.
séance se passe à notre case,
point; au
on vient nous
moment où nous nous dire
que deux Indiens
ambulants arrivent avec de gros ballots de mar-
UN AMI. chandises et,
de
vite,
les
87 entrer
faire
dans
le
salon.
Nous
comme
voilà
des enfants, déballant tout
avec précipitation, assis par terre, au milieu de toutes ces choses, marchandant, débattant les prix
dans un jargon mélangé de malgache, de français et d'anglais
;
nous finissons par nous décider pour
quelques soies indiennes, foulards et bibelots, qui
nous feront bien
rire
rococo quand nous arrivant en France
nous sembleront bien
et
les sortirons ;
mais nous
de nos malles en
garderons peut-
les
pour nous seules
être, qui sait? car
elles
seront
souvenir!...
Nous avons à
une bonne
à peine fini nos achats,
pour étrenner de nou-
tasse de thé
veaux gâteaux achetés chez
nous annonce que la
maison avec Il
toire
est
Arabe
royaume,
la suite
çais,
Chinois, quand on
vous
je
dise
en deux mots
l'his-
de ce nouvel ami.
grande Comore,
A
les
le sultan Saïd-Ali se dirige vers
sa suite.
bon que
Saïd-Ali,
petit
aspirant
il
fut
il
et
de sang royal, sultan de
vivait
y
a
paisiblement
encore
très
d'un dissentiment avec
la
son
dans
peu de temps.
le
résident fran-
envoyé en disgrâce à Diego, où
il
est
MES CAMPAGNES.
05
femme,
seule
une
prisonnier avec une maigre suite,
encore
Bien de
et réduit à
sa personne,
une vraie misère.
il
grand
a
air
ces Arabes, et portait aujourd'hui
comme
tous
un grand man-
teau de drap blanc, soutaché d'or, revers de satin
émeraude
grand turban de
et
poignard arabe dides.
Il
la
la
m.ême nuance,
sabre persan absolument splen-
du reste voyagé,
parle bien français, a
ayant été à correct,
et
Mecque
et
en Turquie
extrêmement bien élevé
et,
;
il
est très
comme
vous
pensez, a trouvé tout de suite des amis parmi
les
officiers.
Le
sultan a
donc
pris
son thé avec nous
voisins l'ont invité à passer
nous avons beaucoup avec
lui la
la
insisté
nos
soirée chez eux
pour
qu'il
;
amenât
pauvre petite sultane prisonnière, qui
partage aussi son exil
;
il
a promis, à la condition
que nous serions entre nous dirions pas; ainsi vous ne pas?... Mais je
et
bien!
en
que nous ne
tombe de sommeil, mes yeux
effet,
petite sultane, tout
se blottissant dans
elle
le
direz pas, n'est-ce
le
ferment malgré moi, à demain
Eh
et
la petite sultane.
est
charmante
se .
cette
intimidée et toute sauvage,
nos jupes
et se
cachant dans
UN AMI. les coins
;
elle
est
89
un peu comme un pauvre
oiseau qu'on amènerait tout à coup à
petit
grande
la
lumière.
fumer un peu
Elle finit par consentir à
boire du café; nous tâchons de l'amuser;
du piano, on chante, nous leur faisons ser
une polka
cà
nos sultans
et
à
on joue
même
dan-
tout doucement,
et,
cette petite personne, qui tient surtout de la di-
remet
vinité égyptienne, se
De temps
en temps
compagnée d'un bon ((
elle
nous tend
satin violet
votre peine.
comme costume
un peu
serré
le
:
))
un pantalon de
:
aux jambes, une sorte de
blouse sans manches en satin cerise
qu'au genou,
main, ac-
semble dire
vous remercie, mais ne
je
comment vous payer de
Elle porte,
la
petit sourire qui
Je vous comprends,
sais
et s'apprivoise.
,
tombant
jus-
tout très brodé, très chamarré,
avec d'énormes bracelets aux pieds, d'autres plus petits
aux bras, des bagues
Ses cheveux très noirs,
et
de nombreux bijoux.
lisses et fins,
sont tressés
en une masse de petites nattes, formant des dessins réguHers sur sa tête petite fant,
;
de côté
est
toque de satin brodé. Elle
minces
et délicats,
posée une
jolie
a des pieds d'en-
que supportent de
petites
sandales à talons, en bois très léger, et de jolies
MES CAMPAGNES.
90
mains aux doigts longs
un peu de
noir aux yeux; elle
un grand
se drape presque entièrement dans
lamée d'or
d'étoffe foncée,
ta-
rouges aux ongles des
touée, de petits dessins pieds et des mains,
légèrement
et effilés;
et d'argent,
voile
qu'elle
consent à enlever devant nous.
A
II
heures, nous prenons tous ensemble
chemin de
la
maison
;
le
nous n'avons pas nos lan-
ternes; aussi le sultan tient-il à nous accompagner.
Sa
suite, se
composant de quelques
nous
noirs,
précède, portant chacun un fanal pour éclairer
chemin, qui
est
mauvais.
Sur un signe de son maître,
la
vient près de moi, s'accroche à serre bien fort et
petite sultane
mon
nous marchons côte
bras,
ce sultan, prisonnier,
moyen
de ressembler à un grand
seigneur, correct et poli en tout point. sant de
nombreux salams devant notre
met cérémonieusement nous saluer
en
air
case;
la
dépossédé, trouve
me
à côte.
Malgré tout, nous avons presque grand rentrant ainsi à
le
à l'arabe.
la
main
à
Nous
fai-
porte,
il
son front, pour
DANAMAKIA
L USINE
9 septembre.
Il
paraît
que nous n'avions pas tout vu en
fait
d'excursions et que ce pays sauvage contenait à
quelques lieues de chez nous une magnifique fabri-
que de conserves de viande pour l'armée, installée sur
un pied inouï
et qui est, dit-on, la plus
tante après Chicago l'installation a
que
les
coûté
la
;
si
faisait dire,
est là,
imporpuisque
cher qu'elle est en faiUite et
actionnaires ont
qui nous
preuve en
«
trinqué » fortement, ce
en considérant
marmites où l'on fibrique
le
les
énormes
Liebig, que le plus
sérieux bouillon avait encore été bu par les actionnaires.
Donc,
hier matin, visite à cette fabrique qu'on
appelle la Graineterie française,
du
nom
de
la
so-
ciété qui l'avait fondée.
Prenant passage sur une chaloupe la
à
vapeur de
direction du port, nous arrivons en
une heure
MES CAMPAGNES.
92
environ à l'embouchure de
la rivière
des Maques,
petit cours d'eau qui serpente au milieu des palé-
tuviers et qui se jette tout au fond de la rade;
nous
la
remontons pendant une heure
demie,
et
pour arriver enfin en un point appelé Anamakia,
où
se fait
en temps ordinaire tout l'embarquement
des marchandises.
Un
appontement nous permet
d'accoster et nous débarquons au milieu de vastes
hangars, parcs à charbon et magasins,
le
tout bien
aménagé, bien espacé au milieu de bouquets bres que
domine de temps en temps
le
d'ar-
panache
d'un cocotier. C'est de là que part
la
voie Decauvilie, longue
de 10 kilomètres, qui reUe l'usine à son débarcadère.
Le téléphone cases qui sont là
est installé ;
je
dans une des petites
dois avouer, à notre grande
honte, que nous avons d'abord beaucoup de peine à nous en
servir
:
chacun essaye sans
Serions-nous devenus tout à je
fliit
sauvages
réussir. !
?
Moi,
ne m'en mêle pas, détestant cet instrument qui
m'impressionne toujours dès qu'il s'agit
quand
même
à
et
me
coupe
de m'en servir.
un
résultat, car,
Nous
la
parole
arrivons
au bout de quel-
ques instants, nous apercevons, se dirigeant de
L USINE D ANAMAKIA.
notre côté,
voyageurs
93
wagonnet aménagé pour
le petit
par deux énormes mulets
et tiré
machine étant pour
avec délices
d'acclimatation
;
faisant face à la
tramway du Jardin
le
;
rideaux nous tiennent à l'abri du
Nous
joie, re-
nous y prenons place, dos campagne un léger toit
élançant au
menses, emmenés
sa
en réparation.
l'instant
Les enfants battent des mains, fous de connaissant
,
les
à dos, et des
soleil.
de ces plaines im-
travers
à toute vitesse par
nos bêtes,
pour lesquelles notre wagonnet ne pèse pas lourd,
nous longeons presque tout
tout
le
le
comme un
Maques, qui forme
long de ces grandes
temps
la rivière
des
bouquet de verdure
prairies,
et
tout cela
nous change heureusement de notre plateau de Diego,
Dans
si
nu
et si aride.
les descentes,
dant que
le
on décroche
wagon descend
son propre poids
;
un bon
l'attelage,
tout seul, entraîné par
serre-frein est d'ailleurs
indispensable pour éviter les accidents que veillance ne
manque
pen-
la
mal-
pas de provoquer en plaçant
des pierres sur les rails aux tournants et aux ap-
proches des ponts.
nous venons
même
Nous en
traversons plusieurs,
de franchir
le
dernier que déjà
nous apercevons au pied des montagnes
les bâti-
MES CAMPAGNES.
94
mentsde
l'usine; ce sont de grandes constructions
en briques d'une centaine de mètres de façade. Derrière ce premier plan sont étagées, sur lines, les habitations des
dans
fond de
le
Européens
la vallée, serré le
l'immense
village
employés à
l'usine.
gauche,
et, à
long de
les col-
la rivière,
habité par tous les indigènes
Encore quelques minutes de chemin
nous
et
arrivons à une barrière qui s'ouvre devant nous. C'est là que nous trouvons
M.
B..., ingénieur-
gérant, qui nous reçoit on ne peut plus aimable-
ment.
Sa case grande
et
est
l'entoure et
de faim certes,
;
une
la
un
belle
maison coloniale,
préserve du
très
une large véranda
confortable;
très
Nous mourons
soleil.
excellent déjeuner
nous attend
et,
nous y faisons honneur.
L'usine est actuellement en liquidation.
On
avait eu le tort de vouloir aller trop vite et sans se
rendre ainsi
suffisamment compte
des choses
qu'on avait envoyé, dès
le
;
c'est
début, tout un
personnel de bouchers venant directement de Villette
quer
les
;
puis
on
s'était
mis tout de suite à
conserves de viande
;
or,
il
la
fabri-
paraît que,
dans ce genre d'industrie, ce n'est pas
la
viande
L USINE
qui rapporte
D AXAMAKIA.
plus, mais
le
produits, tels que
:
95
bien tous les autres
Liebig, margarine, noir ani-
mal, etc.
M.
B... vient de tout remettre en état et de
faire construire
tous
les
bâtiments nécessaires
;
on
n'attend qu'un ordre de France pour reprendre les
travaux;
les
fourneaux sont chargés
et prêts à être
allumés.
Les bœufs ne manquent pas dans
pendant
les
le
pays car,
quelques mois que l'usine a déjà fonc-
tionné, c'est 200 bêtes par jour qu'on mettait en boites. Ajoutez à cela
de Maurice tous
les
que
le
bateauà vapeur venant
mois emporte chaque
fois des
chargements de 300 bœufs. L'abattoir est admirable d'installation et de propreté. Les bêtes arrivant par
une des extrémités,
doivent passer par une sorte de tambour à clairevoie et
un indigène, au moment où
raît, le
frappe d'un coup de sagaie à
tôt le cadavre est enlevé et dépecé,
autre
bœuf
le
bœuf appa-
la tête.
Aussi-
pendant qu'un
se présente, et ainsi de suite tout le
jour; une rivière coule en permanence, car les
heureux mortels de ce pays ont
l'eau à discrétion.
L'usine, bien entendu, se suffit
elle-même;
le
gaz et
l'électricité,
entièrement à indispensables
MES CAMPAGNES.
^6
dans une pareille entreprise, sont produits place
on trouve
;
aussi
un
une phar-
laboratoire,
macie, une boulangerie et tous
sur
de ré-
les ateliers
paration imaginables.
Les peaux, après avoir été tannées légèrement, sont expédiées à Salonique
fameux
les
cuirs de Russie
qui porte dans sa poche
à fournir
et destinées
ainsi la Parisienne,
;
porte-monnaie
le petit
élé-
gant, en cuir satiné et parfumé, est loin de se douter
que sa bourse a vu
le
jour sous
le
ciel
de
Madagascar.
Avec reste est
graisse
la
envoyé (ô douleur!)
dans toutes plus
on fabrique des bougies
les
d'illusions
comme
beurreries de France
sur
la
tartine
margarine
ainsi
;
et le
beurrée
donc,
du
five
o'dock-tea.
Le
Liebig, lui, n'est pas
falsifié et
c'est bien le
résidu le plus honnête et le plus pur d'une viande
magnifique. faire
Quant aux
os,
ils
sont pulvérisés pour
du noir animal. Vous voyez que rien
n'est
perdu.
Après cette
visite détaillée,
il
faut songer au re-
tour; nous remontons sur notre petit wagonnet qui nous reconduit jusqu'à
montre
le
Anamakia;
là
on nous
cadavre d'un énorme caïman qu'on ve-
L USINE
DANAMAKIA.
97
nait de capturer, alors qu'il avait dévoré
une mal-
heureuse négresse, qui avait eu l'imprudence de traverser la rivière à
Ce
gué à
la
nuit tombante.
sont des accidents qui
ment, mais nous n'avons pas encore eu d'apercevoir
qu'on ne
le
moindre crocodile vivant
les voit
que quand on n'en
MES CAMPAGNES.
couram-
arrivent
la ;
chance
il
paraît
a pas envie.
LE
KABAR
Cela se passait seulement le
les soirs
de lune, quand
très clair, ce kabar' des noirs appelé
ciel était
aussi le moiiringiie
y avait des jours où cela devenait palpitant,
Il
intéressant
ment
comme
courses de taureaux, seule-
hommes.
c'étaient des
Quand
les
monde était
tout le
plet sur la place
du
un grand
comme
cercle
foire, et le plus tait
dans
village indigène,
en train,
le milieu,
réuni au grand com-
on formait
autour des lutteurs de le
appelant
plus échauffé, se met-
un combattant,
exci-
tant les autres par des cris, des façons et des gestes
de sauvages. Ils
en profitaient généralement pour vider
querelles
I.
Kahar
du jour
:
;
réunion.
si
deux noirs avaient une
les
dis-
LE KABAR.
*
99
cussion sur un sujet quelconque,
si
une femme, par exemple,
toujours au
ringue que le
la
c'était
était
tranchée
:
se disputait
le plus
inoti-
brave,
plus fort l'emportait.
Ce habar se
question
on
était très
gardé par
la
police, laquelle
composait d'indigènes costumés en gardes cham-
une blouse de caHcot bleu
pêtres, portant
et
une
grande écharpe rouge en travers. Connaissant leur
monde,
ils
savaient qu'on s'emballerait, qu'on s'é-
chaufferait outre
entraînés dans se faire
mesure
un moment donné,
et qu'à
combattants pouvaient
la lutte, les
un mauvais sort;
alors,
armés d'énormes
bâtons, de gourdins prodigieux,
dans
le cercle,
ils
se plaçaient
tout près des lutteurs, prêts à les
séparer en temps voulu.
A
côté du cercle, perdu dans
chestre des noirs
;
la foule, est l'or-
uns jouent du tambour en
les
tapant à tour de bras sur des boîtes en fer blanc, d'autres se servent d'un instrument de
malgache, sorte de remplis de l'agite
petits
avec frénésie,
en bambous creux
triangle
cailloux le
;
le
noir qui en joue
balançant horizontalement
avec une ardeur et un entrain de tous sa petite tible
de
musique drôlette fifre
musique
fait
les diables
;
un bruit impercep-
des bois, quelque chose de
doux
et
MES CAMPAGNES.
100
d'étrange qui s'entend à peine au milieu de ce va-
carme effroyable, de
Tous entraîner
Tout
cette bagarre indescriptible.
les autres crient, hurlent pour attirer et
foule.
la
coup un noir se décide, sort des rangs
à
entre bravement dans
le cercle,
versaire, le dévisageant avec
sant; puis tait;
lutte
la
un
il
air
et
regarde son ad-
de férocité amu-
s'engage et tout
le
monde
pour un instant, tout retombe dans
se
le silence.
Les deux noirs commencent par se cogner, se rejeter,
se reprendre,
de deux ne
et finalement,
font plus qu'un, roulant l'un sur l'autre en poussant de petits cris rauques ils
viennent sur nous,
se
met
;
de temps en temps
le cercle s'élargit, la
à crier, à vociférer
pour
les
foule
entraîner en-
core davantage; on trépigne, on bat des mains, ça devient de la rage.
C'est assez, pense
du bâton, à séparer, les
la police,
qui se
met
se ruer sur les combattants
empêcher de
s'écraser
s'il
en
à jouer
pour
est
les
encore
temps.
Le
cercle est
rompu
et
toute une foule en délire,
une vraie bande de fous, dont nous faisons entraînés teurs.
comme
Comme
les autres, se jettent
partie,
sur les lut-
une énorme masse, comme une
LE KABAR.
montagne qui
lOI
se dérangerait, le moiiringue se dé-
place, courant les rues, passant les chemins la
houle,
la
;
c'est
houle furieuse d'une foule noire avec
des rugissements de fliuves
Quand on
monde
est
parvenu
à
retourne se grouper sur
veau on forme
le
rond
et,
ter la foule, les poHciers
séparer, tout le
les
la
place
pour arriver
armés de
;
de nou-
à bien écar-
leurs grands bâ-
tons, qu'ils tiennent à deux mains, les brandissent
de droite
et
de gauche avec toute
la
force de leurs
solides muscles.
On
attrape bien des jambes au passage, mais, par
ce procédé, tous se reculent sans hésitation.
La
lutte
recommence encore une
fois,
deux
fois,
trois fois, selon l'entrain et les querelles des noirs.
Quand
tout est bien
on conduit
les
fini, la
foule se disperse,
éclopés jusqu'à leur case, chacun
retourne au logis avec sa bosse, son œil poché, ou
son bras démis; toujours
la
police protectrice veille
sur eux.
Nous
autres, nous rentrons tranquillement chez
nous par le
le
chemin des écoUers, longeant
plus souvent,
le soir, car le
—
la
la
mer
grande mer, toujours calme
vent s'apaise
la nuit, laissant
un peu
MES CAMPAGNES.
102 de repos à ses
flots agités
par toute une journée de
houle.
Des barques de pêcheurs vont d'énormes torches,
c'est
et
viennent avec
comme une
traînée de feu
qui se répand sur l'eau profonde et noire, devenue
limpide pour un instant, et cette lueur se pro-
mène
sur la mer, éclairant
barque,
la
hommes
les
qui prennent des airs fantastiques; puis tout dispa-
en un
rait
clin d'œil
et
semble rentrer dans ces
profondeurs inconnues. Il
on
y
a de
beaux poissons dans cette rade immense ;
n'aurait qu'à les pêcher
;
mais, pour les noirs
paresseux, c'est toute une décision à prendre, véritable effort
que
d'aller la nuit se
un
livrer à ce
travail. Il
y a bien
fadi (sacré),
aussi des soles, paraît-il,
mais
oh
quand un
!
tout à
fadi, et,
fait
noir vous a dit ce terrible mot, revenir.
Malheureusement,
comme
cela qui
il
il
y a des
c'est
n'y a pas à y tas
de choses
sont fadi et auxquelles on ne
touche pas.
Les anguilles, par exemple très belles
;
on en trouve de
dans certaines rivières assez éloignées
un blanc nous en
avait apporté
une
fois
;
;
le cuisi-
nier noir les regarda avec horreur, déclarant
que
IO3
LE KABAR.
pour lui il aimerait mieux mourir que d'y toucher le
qu'on renonça à daient avec la
Quant aux que
c'est
manger. Les noirs
les
même
caché sous
le diable
horreur que
s'ils
jour que
la
soles, c'est
soles,
il
me
demandais
à
répondit
«
:
encore plus drôle
à l'eau
;
outre
;
la
voici
Mi
la
pas capable
;
Et voilà
laisser
comme
li
:
Un
tu sais.
ça n'a pas fini pousser,
qu'un côté; quand ça mi trouve, mi
pour
une
un noir de m'apporter des
Madame, poisson comme la rien
avaient vu
fadi, les indigènes ont
un poisson
je
les regar-
forme du serpent.
autre raison pour ne pas les pêcher
li
;
cuisinier de nos voisins en dit autant, en sorte
finir
quoi
jette
pousser. »
les
soles sont d'heureux
poissons, vivant en famille et filant des jours paisibles dans les
eaux de Madagascar
!...
BRUITS DE GUERRE
6 octobre.
Le
courrier de France vient d'arriver ayant à
son bord M. Le Myre de Vilers le
et
M. Ranchot,
nouveau résident de Tananarive, qui vient rem-
M. Larrouy.
placer Ils
vont tous deux à Tamatave
narive
;
il
échappatoires
;
tout est à refaire la
;
c'est
:
de
là à
Tana-
résultat définitif, sans
faut parler haut et
il
des garanties sérieuses
posé à
un
s'agit d'avoir
et
sans quoi,
ferme le
et avoir
dos tourné,
donc un ultimatum sérieux
Reine qui déterminera
la
guerre ou
la paix.
Pierre vient de recevoir l'ordre de se tenir prêt à partir
Où
en mission
ira-t-il ?
On
;
il
doit s'embarquer sur
n'a rien
voulu
peut être qu'à Majunga guerre sur
le
Rance.
mais ce ne
quelques projets de
papier.
Je pense que son la
fliire
lui dire,
la
cœur de
faveur de cette mission
;
le
militaire se réjouit de
mien
est plus
calme.
BRUITS DE GUERRE.
IO5
Je suis donc occupée pour l'instant à enlever tout insigne militaire
donné de prendre
des dolmans blancs le
merçant en voyage,
plus possible
un
et c'est à cela
;
ordre est
air
de
com-
que nous
tra-
vaillons.
Pour moi,
je vais rester
fants, je n'aurai pas
non
seule
avec les en-
ici
de nouvelles du tout, ni
plus d'ailleurs, car nous n'avons aucun
lui
moyen
de correspondre.
Hier soir nous dinions sur
commandant y
voulait
donner
tructions; car c'est lui qui
l'Océan Indien
et
Primaiiguet,
le
le
ses dernières ins-
commande
la
station de
qui vient de recevoir tous les
pleins pouvoirs civils et militaires. J'étais étonnée d'être
comprise dans l'invitation, étant donnée
gravité des circonstances, mais j'en
car ce m'est toujours
un
plaisir
de
la
été contente,
ai
me
retrouver
dans un milieu maritime.
Après ger dans
le
dîner, je laisse ces messieurs se plon-
les cartes et les
projets de guerre, discu-
tant, parlementant, et je
tement sur les plus à voir
le
monte m'asseoir
discrè-
pont, philosopher un instant avec
jeunes de ce bateau qui, eux, n'ont rien
aux projet§, n'ayant, en temps donné, qu'à
obéir sans restriction et sans avis.
MES CAMPAGNES.
I06
Nos
réflexions sont plutôt tristes et nos idées
femme,
noires, car moi, cette guerre
?
pourquoi
je
et
veulent
la
comment,
?
je
me
et voilà
;
«
:
mal
Quand que,
je
Pourquoi pourquoi
?
vie
la
que
douce, d'où vient changer
dis
cet affreux
ce trouble inutile à tous
bonne
me
serait
hommes
les
ne
sais
trop
souviens à l'instant avec une
grande intensité de pensée de ce délicieux
livre
de Maupassant, qu'on appelle Sur l'Eau, où lui toutes ces idées de guerre
aussi se révoltait
à
quand
La guerre...
disait
il
«
:
ger... massacrer des
se battre... s'égor-
hommes...
et
nous avons au-
jourd'hui, à notre époque, avec notre civiHsation,
notre science et notre philosophie, des écoles où l'on
apprend à
tirer
de très loin, avec perfection,
même
beaucoup de monde en tas
gens
de pauvres
temps, à tuer des
innocents
et
chargés
de
famille. »
Ah
!
que tout
quand on
sait
cela est cruel à penser, surtout
que ces choses seront
celles
de
demain.
Mais
mon cœur
révolté veut se calmer malgré
tout et, refusant de s'assombrir sur cette affreuse
même
pensée, se souvient de
dans ce très joU
livre
:
«
qu'il est dit aussi,
La guerre
est sainte.
BRUITS DE GUERRE. d'institution divine
monde
;
grands
et
«
une des
c'est
lois sacrées
hommes
nobles sentiments, l'honneur,
téressement,
Armez la
et le
;
entretient chez les
elle
IO7
coup de
la
vertu et
baleinière sifflet
le
du
tous les le
désin-
courage... »
du commandant à tribord
réglementaire
me sort
!
»
de toutes
ces tristes réflexions.
Le commandant nous conduit jusqu'à pée; on se
dit adieu, le
canot
quai de débarquement, tard
;
le
rompent
Tout
la
file
la
cou-
droit sur le petit
nuit est venue,
il
est
bruit des avirons et le clapotis de l'eau seuls ce est
grand
silence.
calme autour de nous
;
la petite ville
noire est endormie...; nous regagnons silencieuse-
ment
la case,
core son idée
haut
mais chacun de nous poursuit en-
comme
s'il
craignait d'en parler tout
SULTAN
VISITES DE
10 octobre.
De
longs jours calmes et tranquilles malgré
bruits alarmants et les idées de guerre
tente de l'inconnu et
;
nous l'attendons
les
c'est l'at-
paisible-
ment.
Notre pauvre sultan Saïd-Ali en Calédonie, sans avoir
même
core un tour qu'on a voulu
Nous
lui
failli
été
être déporté
entendu
:
en-
lui jouer.
avons vivement conseillé de ne partir
qu'avec
un ordre
fournir,
il
écrit, et
comme on
n'a
pu
le lui
est resté.
De temps soirée
a
en temps,
il
vient passer
un bout de
chez nous ou chez des amis, accompagné de
la petite
sultane très drapée, très cachée dans ses
voiles épais.
Les enfants
la
considèrent
vivant et retrouvent pour
comme un
lui parler le
bébés, espérant s'en faire ainsi
joujou
langage des
mieux entendre;
VISITES DE SULTAN.
aux animaux dans ce
car, inférieurs
IO9 pau-
cas-là, les
vres humains n'ont pas même la ressource de hennir ou d'aboyer de la môme façon, de manière à se
comprendre mutuellement.
comme
Puis,
dons nos
des gens corrects, nous nous ren-
Le
visites.
la ville basse,
sultan occupe
une vraie maison de prisonnier
dépossédé; pourtant, dès
l'arrivée,
vos hôtes connaissent fort bien
on apporte tout de
talité;
offert
et
manière
;
de l'hospi-
les lois
bon
suite de très
la
de
vous sentez que
café
dans une délicieuse cafetière turque, de
bière et des petits gâteaux à sa
une case dans
la
sultane, elle, remplit
ses devoirs de maîtresse de
maison,
en vous couvrant d'eau de rose et de parfums vio-
dont vos vêtements seront pour longtemps
lents
imprégnés
;
un vague souvenir de
c'est
Caire et des galeries de
De temps jusqu'à
la
la case,
du sultan
pleine
Allah
rue du
en temps, dans l'après-midi, arrive d'un air important
et
cérémonieux,
un grand Anjouanais porteur d'une part
la
rue de Rivoli.
;
c'est
une de
d'originalité et de
me comble
de ses gâteaux,
lettre
de
la
ces lettres étranges,
nobles sentiments, où
de ses bénédictions pâtisseries
terribles
qu'elle a confectionnées de ses doigts
et la sultane
à
manger,
mignons avec
MES CAMPAGNES.
IIO
un soin tout
barbotant gentiment dans petites
ses
gingembre et les
mains noires et
une grande minutie,
particulier et
de cannelle
odeurs de
;
c'est
tout parfumé de
c'est cuit
;
suif, ainsi
blanche avec
la farine
que
les
dans
la graisse
parfums orien-
taux, s'y mélangent d'une façon désolante; mais c'est si
de
gentiment
violents efforts
Puis pour
que nous ferons sûrement
offert
pour y
finir cette
faire
honneur.
missive,
un
petit
post-
scriptum tout sanctifiant, qui n'a rien des nôtres et
dans lequel ((
il
est dit
:
Je prie Allah de toujours protéger un bon et
loyal militaire tel
que vous
;
je le prie
de
même
d'avoir soin de votre famille et de vous accorder
AUX AVANT-POSTES
21 octobre.
Nous
pour
voici
rités civiles qui
l'instant protégés par les
prennent de sérieuses mesures pour
nous garder du danger Ainsi,
par
trer chez
pour
la
et
nous préserver des Hovas.
on organise des
les civils
;
nous
les
patrouilles de nuit faites
Hovas n'ont plus
à partir
n'3^ a
la circulaire officielle
(17 octobre) sous
le
le droit d'en-
de 7 heures du soir
journée personne
Voici
auto-
;
mais,
songé
placardée ces jours-ci
tamarinier, l'arbre du pays
sur le tronc duquel sont
affichées les
nouvelles
graves de Madagascar.
ORDRE GÉNÉRAL Le Gouverneur de Diégo-Suarez
Vu
les
et
dépendances,
troubles qui régnent sur les frontières et
dans une partie du territoire de
la
colonie et pour
MES CAMPAGNES.
112 rassurer
population contre
la
de pillage
;
Décide
:
A partir de il
samedi, 20 courant, jusqu'à nouvel ordre,
quiconque
est interdit à
en service
militaire
coucher du
que
le
5
gouverneur. la ville
d'Anamakia
route neuve
la
ou
heures du matin sans un
de pénétrer dans
est interdit
voies
n'est pas fonctionnaire
de pénétrer dans Antsirane du
soleil jusqu'à
passeport délivré par Il
dangers d'incendie et
les
par d'autres et
la
route
d'Ambohimarina.
A
partir de
soleil nul
10 heures du soir jusqu'au lever du
ne pourra circuler en
ville
sans être
muni
d'un fanal.
Toute contravention à
la
punie d'une amende de 15
fr.
de 2 à
5
décision
présente et
sera
d'un emprisonnement
jours.
La présente décision dans toute
la
communiquée
sera publiée et
colonie.
Diégo-Suarez,
le
17 octobre 1894.
Le Gouverneur, Sicrné o
:
Froger.
Hier soir, nous partions en bande jusqu'aux avant-postes, après avoir acheté chez les Chinois
AUX AVANT-POSTES.
II3
de superbes lanternes multicolores de formes bizarres.
A effet,
la
nous avons trouvé, en
limite de la ville,
quelques braves individus en chapeau de
complet blanc,
paille et
beaucoup d'em-
fliisant
barras avec les fusils qu'on leur avait prêtés à
Dieu on ne
les avait
pas chargés;
grâce
;
chose fût
la
devenue dangereuse avec des gens n'ayant pas
l'ha-
bitude de manier des armes de guerre.
Somme
toute, c'est une
bonne
ordonnance des lumières pour
que cette
affaire
chemins
le soir, les
sont tellement pierreux et mauvais, qu'on risquait
toujours de se casser
le
Nous redescendons ternes que
le
les autres
on
;
travention.
cou. des avant-postes
vent agite s'éteignent les
la
le
unes après
le
la
con-
marché où
nuit quantité de malheureux,
qui eux, n'étant ni fonctionnaires,
n'ont pas
nos lan-
;
rallume vite, craignant
Nous passons devant
sont entassés pour
les
ni
militaires,
droit de circuler dans la ville après
9 heures.
Tout
noir qui n'a pas de logis doit passer
dans cette immense cage à lions
donc au passage, non des
cris
;
nuit
de bêtes féroces,
mais des gémissements de gens ennuyés MES CAMPAGNES.
la
nous recueillons
;
demain 8
^^^^
114
CAMPAGNES.
matin, au petit jour, on leur donnera leur libertĂŠ; et
seront remplacĂŠs par tous
ils
pays
:
les
marchands du
hovas, malgaches ou autres, venus pour
provisions du matin.
les
DECLARATION DE GUERRE
31 octobre, 10 heures
Une
pluie fine qui
tombe sans
du
soir.
humide
fin,
chaude, une petite pluie qui vous cingle et
vous aveugle;
et
voilà que,
nous descendons en bande, oppressé, car il
le
courrier de
le
comme
la
figure
des fous,
cœur anxieux
Tamatave
et
et
est signalé
;
entre en rade et cette fois nous rapporte des
nouvelles graves.
Pour
nous suivons
aller jusqu'à la ville basse,
grande route à pic qui longe
bord de
le
la
la
mer,
nous courons plus que nous ne marchons, en cinq minutes nous sommes sur
Toute
la
population est
indigènes de toutes sortes laves,
Antémours
;
quai.
le
là, :
officiers et civils,
Antankares,
Saka-
car tous ces gens sont venus
de très loin, pour savoir ce qui a été décidé sur leur sort et ce qu'ils vont devenir
anxieux,
les
pauvres gens;
comme
;
eux aussi sont
nous,
ils
vont
et
MES CAMPAGNES.
Il6
viennent, formant des groupes, courant de l'un à l'autre
pour
recueillir
quelques débris de phrases,
quelques nouvelles enfin. nuit noire; aussi a-t-on allumé sur les
Il fait
quais une sorte de grande torche pour éclairer tout ce
monde
ayant
elle
;
l'air
brûle en faisant
un
bruit étrange,
de cracher sa lumière avec frayeur et
achevant de donner à ce pauvre pays un et
air
lugubre
épouvanté.
Nous
allons de l'un à l'autre, tcâchant de recon-
forment ces groupes, causant
naître les gens qui
voix basse
;
tout
le
monde
est pressé, ahuri,
rant à la poste, au débarcadère, velles,
à
cou-
avide de nou-
voulant à tout prix savoir quelque chose,
bon ou mauvais.
Au
milieu du va-et-vient, nous finissons par re-
cueillir ces
mots, ces
terribles
mots qui vont de
bouche en bouche et qui se transmettent plusieurs langues guerre...
;>
:
«
La
guerre...,
comme une
C'est
la
ici
dans
guerre...,
la
traînée de terreur et
de stupéfaction que ces deux mots laissent après
eux
:
évidemment on
terrible résultat
chose n'est pas
;
le savait,
mais, c'est
faite, sait-on
on
le
égal,
prévoyait, ce tant
jamais?...
Puis nous apprenons ce qui suit
:
qu'une
UJ
DliCLARATION DK GUFRRE.
Les
I
lovas,
coinme toujours, ont voulu
gagner du temps
M. Le Myre de
n'ont pas pris
et
démarche de
la
Vilers plus au sérieux que toutes
tentées depuis dix ans;
celles déjà
ruser,
qu'ils s'en tireraient
encore une
ils
fois
ont pensé
avec un peu
d'habileté et que nous ne serions pas plus fermes
qu'auparavant.
M. Le Myre de
Vilers, à peine arrivé à
Tama-
tave, avait fait les présentations d'usage et remis le
17 octobre au premier ministre
le
projet de traité
du Gouvernement. La conférence décisive devait avoir lieu au palais
le
20
et,
dans ce but, des por-
teurs devaient venir prendre à
la
Résidence notre
ministre plénipotentiaire.
A l'heure dite, aucun porteur ne se présente et, comme M. Le Myre de Vilers envoyait au palais pour en demander
le
motif, Rainilaïarivony s'ex-
cusa disant qu'il n'était pas prêt et qu'il ne donnerait pas sa réponse avant
mauvaise
foi,
le
le
29.
ton et envoya l'ultimatum suivant «
Me
par
la
je suis
mon Gou-
obligé de mettre Votre Lxcel-
demeure d'approuver
reine, dans
cette
:
conformant aux instructions de
vernement, Icnce en
Devant
ministre de 1-rance changea de
un
et
de
faire
délai qui expirera le
ratifier
vendredi
MES CAMPAGNES.
Il8
26 octobre, à 6 heures du
que
soir, le projet
remis à Votre Excellence
j'ai
le
de traité
mercredi 17 oc-
Faute d'obtenir cette satisfaction,
tobre.
verrai dans la nécessité
d'amener
le
me
je
pavillon et de
quitter la capitale. »
Comme n'arriva
on devait
pour
le
s'y attendre,
26, en sorte que
le
de Vilers amenait son pavillon et
deux ports de Majunga
les
Européens qu'on
et
aucune réponse 27,
M. Le Myre filer
sur
Tamatave tous
les
faisait
avait fait rallier de l'intérieur.
Pendant ce temps des bateaux parcouraient
la
auraient gagné les
côte pour recueillir ceux qui ports directement.
Afin de rendre liter le
:
par Majunga descendirent
M. d'Anthouard,
puis
la
colonne plus légère
ravitaillement pendant la route,
en deux et
la
et
on
de
faci-
se divisa
M. Ranchot
résident de France par intérim,
mission catholique, c'est-à-dire huit ou dix
Pères jésuites,
enfin, l'escorte militaire
et,
com-
posée d'une cinquantaine de soldats d'infanterie
de marine, commandés par
M. Le Myre de rive
le
dernier,
religieuses
On
avait
le
capitaine
Vilers, lui,
Lamole.
a quitté
Tanana-
accompagné des colons
et
des
de l'endroit, pour gagner Tamatave.
pu
à l'avance faire disposer des vivres
DÉCLARATION DE GUERRE. le
long des deux routes
le
télégraphe
Tananarive à Tamatave qu'on
de
établi
par
et c'est
II9
toutes ces nouvelles. les postes, les fils
A
eu
a
mesure qu'on passera dans
seront coupés
:
ce seront là les
dernières communications avec la grande capitale
des
Ho vas.
Les deux colonnes sont donc en route, mais on n'en avait encore aucune nouvelle, quand rier est parti
Maurice
aller à
On
de Tamatave
c'est le
;
le
cour-
Papin qui
faire câbler tout cela
a
dû
en France.
saura donc avant nos lettres qui, lorsqu'elles
le
arriveront, ne seront plus que
de l'histoire an-
cienne.
On serait
parle d'un grand corps expéditionnaire qui
envoyé de France
certain
;
en tous cas
qu'on ne commencera
les
il
est bien
opérations de
guerre qu'en avril ou mai, c'est-à-dire après
la sai-
époque, on
ferait
son des pluies. Jusqu'à cette occuper
les
côtes par les troupes d'ici et
de
la
Réunion.
La le
pluie
tombe toujours
quai s'éteint
l'obscurité.
goissé de
;
la
torche qui éclairait
doucement; nous retombons dans
Chacun retourne au
nouveaux soucis
:
logis le
cœur an-
nos lanternes de pa-
pier ont pris des, airs piteux et
pendent
comme
des
120
MES CAMPAGNES.
loques au bout des bâtons; seuls
les enfants
qui
n'ont rien compris à cette triste scène, sinon qu'ils
vont se coucher deux heures plus tard que d'habitude, sont ravis de cet imprévu qui les rend joyeux et leur fait
trouver charmants ce
cette agitation inaccoutumés.
mouvement
et
—
MAJUNGA
NOSSI-BE
4 novembre.
Pierre est rentré ce matin assez bien portant et satisfait
vie
de son voyage, après vingt-cinq jours de
un peu rude
par une très forte chaleur
et
;
je
puise dans son journal, en laissant de côté, avec discrétion, tout ce qui est militaire
«
sur
Majunga. la
— Parti
Rance,
le
j'arrivais
:
14 a 7 heures du matin le
16 au matin à
Ma-
junga, village assez intéressant par l'importance
du commerce qui
s'y est
développé presque entiè-
rement sous notre influence. Nous débarquons sur une grande plage de sable, sans quai, bien
entendu.
Il
y
a là, tout à fait sur le
bord de
la
mer, un noyau de constructions en maçonnerie
du genre arabe,
c'est-à-dire carrées avec
intérieure bien à l'abri rasses.
du
soleil, et
une cour
de grandes ter-
MES CAMPAGNES.
122 « Elles
ont été construites pour
des Indiens commerçants venus de
ou des Comores;
zibar
des Européens au quels
la
côte de Zan-
les autres sont habitées par
nombre de
ou
sept
huit, aux-
faut ajouter le résident français et les con-
il
suls américain
un
tout
plupart par
la
anglais.
et
Un
peu plus loin
est
village de paillottes habitées par les indi-
gènes.
Le pays
«
est
dominé par une hauteur plantée
de très beaux manguiers
hova où
le fort
«
Devant
:
c'est là qu'est construit
flotte le pavillon
la ville
de
la reine.
s*étend la baie de
Bambetoke
au fond de laquelle se jette l'Ikopa.
Les études terminées
« le
de
fond de là
que
situé à
la j'ai
ici,
nous partons pour
baie continuer notre travail, et c'est
l'occasion d'aller à
30 kilomètres dans
Maroway, point
la rivière.
18 octobre.
«
A
bite le
pour
2 heures de l'après midi,
M.
G..., qui ha-
pays depuis longtemps, décoré en
les
services rendus
pendant
la
1885
campagne,
vient nous prendre à bord; seulement au lieu de
nous donner une baleinière remorquée par une
MAJUNGA vedette
comme
—
I23
NOSSI-BÉ.
en avait été question,
il
pirogue que nous partons
quelle pirogue
et
Elle fait eau de partout et les
deux
!...
noirs, aban-
voiles et gouvernail, passent leur
donnant
en
c'est
temps
de noix de cocos, ou à bou-
à la vider à l'aide
cher les trous avec de vieux morceaux de chiffons. «
Naturellement, on profite de
remonter la
la
la
marée pour
rivière et tâcher d'arriver avant
que
mer ne descende. «
La rade,
assez houleuse, fait craindre à chaque
remphr tout
instant de voir la pirogue se
couler Il 3^
a
;
le
un
à fait et
vent souffle fortement venant du large.
énorme qui menace de nous
clapotis
chavirer et force les noirs k se
faire
cramponner au bas-
tingage pour rétabUr l'équilibre et pour amener
le
balancier, qui disparaît sous l'eau, à reprendre sa
position normale. Puis ce balancier lui-même ne tient pas et,
s'échappe, c'est
s'il
pour compléter éclairs, le
le
plongeon sûr;
l'horizon est noir,
tout,
tonnerre et
le
la pluie,
tout marche à
les la
fois.
«
Cependant
le
temps
se
nous nous approchons de au fort du courant
et
à
calme la
petit à petit, et
côte pour échapper
son clapotis
terrible.
A à
CAMPAGNES.
^^^^
124
heures, nous doublons
3
4 heures
et
d'Ambatoukeli
rana;
la
palétuviers
les
est
la
encore assez basse
met de distinguer une
et
au milieu
d'un éboulis de roches
tagneux ((
A
:
on aperçoit un
celle
venue
tombée,
brise est
et
pour
trée de la rivière
et
rivière
la
au loin der-
;
assez gros massif mon-
7 heures, nous quittons la grande rivière
est tout à fait
;
nous per-
Anteranombé.
pour entrer dans
ment
le
petite plage de sable et de
une pointe qui plonge dans
c'est
c'est
:
pointe de Maeva-
vase, avec
rière le cap,
;
travers
le
on aperçoit seulement quelques
;
nous doublons
marée
pointe Bezezika
demie, nous passons par
pirogues échouées dans port. Enfin
la
il
la
de il
Maroway
;
mais
la
nuit
faut bien connaître l'en-
trouver à cette heure. La
nous
faut nager continuelle-
des nuées de moustiques nous envahissent
nous dévorent
:
c'est à
de maintenant on rentre plus qu'à l'aviron, car la
cendre;
le
devenir enragé. la
voile et
A
partir
nous n'allons
mer commence
à des-
paysage ne change plus, sauf que
rivière n'a plus
la
qu'une cinquantaine de mètres de
large. ((
Les palétuviers
à petit
ils
la
bordent toujours, mais
disparaissent et
petit
on distingue de chaque
MAJUNGA
—
NOSSI-BE.
I25
côté une vaste plaine élevée d'un mètre ou deux
au-dessus de «
la rivière.
Voici que nous apercevons des lumières
Maroway
;
encore un coup de pagaie
et
:
c'est
nous y
serons. « C'est
dans
la
vase que nous nous arrêtons, en
face des premières maisons;
par
un
il
est 8 heures, porté
un
noir, je touche terre sur
selle cassée. J'ai le dos endolori et les
guées de ces six heures d'immobilité
ruelles
vant ces maisons,
M.
habitants à travers
de cette
et
étroites, bordées de
En
sons en pisé et souvent à étages. G... jette
portes
mai-
passant de-
un bonsoir aux
fenêtres
et
fati-
Nous suivons
navigation tant soit peu périlleuse.
un dédale de
de vais-
tas
jambes
closes
et
nous arrivons chez son représentant, M. JeanBart, noir de
la
Réunion, qui habite
là
avec sa
famille. «
Nous montons au premier
duits dans elle
une
assez vaste pièce,
pourrait l'être en Europe
:
et
sommes
meublée
deux
lits
à
intro-
comme mousti-
quaires, horloge, petite chapelle de la Vierge et,
au milieu, une table ronde couverte d'une toile cirée, sur laquelle est le
désordre d'une
fin
une lampe de repas.
à globe éclairant
MES CAMPAGNES.
126 « Vite,
on nous
fait
une place, on nous donne
des assiettes, des couverts, des serviettes blanches, et
nous attaquons
diner que
le
M.
G... a apporté
avec nous. «
Pendant que nous dînons de bon
appétit,
on
prépare en bas, dans un petit bâtiment en planches séparé du grand, notre Hts,
deux
chambre
une
fauteuils,
à
toilette,
coucher le
:
deux
tout remar-
quablement propre. ((
j'ai
quelque peine à m'endormir, peut-être
par excès de fatigue à la longue, le et le
matin
et aussi à
sommeil
me
finit
cause de
la
par prendre
chaleur; le
dessus
trouve tout disposé de nouveau
pour l'exploration. (.(
D'abord,
visite à la ville, qu'il faut connaître.
beaucoup
Elle ressemble
Majunga
à
;
là
aussi se
trouve un centre assez important de maisons se
rapprochant du style arabe imperceptibles, d'autres
terrasses
grands murs, fenêtres
:
et
escaUers extérieurs;
avec l'horrible toit en tôle apporté par
nous aux colonies, persiste à
si
employer
chaud
à cause
et si laid,
de sa
mais qu'on
facilité
de trans-
port et du prix de revient. «
De chaque
côté de ce noyau, au nord et au
sud, s'étend une
immense agglomération de
cases
—
MAJUNGA indigènes.
La
partie
nord
I27
NOSSI-BE.
est ravissante et consiste
en une large rue bordée de cases sur une cinquantaine de mètres de long, tout entière abritée par
de superbes manguiers. Elle s'éloigne un peu de la rivière.
Enfin, à
«
la
l'est,
ville
est
dominée par une
hauteur d'une centaine de mètres,
presque à pic derrière rue
;
vers
le
les
qui
s'élance
maisons qui bordent
la
nord, cette hauteur descend en pente
douce jusqu'au
lit
de large environ,
d'un ruisseau
de 50 mètres
Cependant,
à sec aujourd'hui.
quelques sources d'eau potable y sortent de terre
même
au pied la rivière
«
ou
Sur
de l'éperon
et
s'écoulent
en ruisseaux fangeux. le
sommet du
Rouve
plateau se trouve le
ho va. Remarquablement
fort
jusqu'à
situé,
le
fort
cependant aujourd'hui aucune chance de
n'offre
résistance possible. «
Un
chemin
ment du sud de s'élève
taillé
en
la ville
un massif en
au
escalier
conduit directe-
sommet du
plateau. Là,
terre, sous lequel est la
voûte
d'entrée; dès qu'on a dépassé la porte,
on aperçoit
à droite, entourés d'une palissade, les
logements
du gouverneur gauche
les
et
des
différents honneurs, et
paillotes habitées par la
garnison
;
à à
MES CAMPAGNES.
128
l'extérieur de la porte sont affûts
deux autres dans
à l'intérieur,
;
deux vieux canons sans
même
le
état.
Grâce
((
à
mon
obligeant conducteur, nous pé-
nétrons dans l'enceinte réservée aux chefs et
même pour
présenté à
la
femme du gouverneur,
qui, en raison des
prendre
est,
absent
l'instant. Il est allé jusqu'à Suberbieville, au-
devant de Ramastoumbasa,
((
je suis
le
du
événements prochains, vient
commandement
Admirablement
honneur hova,
i6^
de
province.
la
accueillis par cette
reste, un. joli type
de
la
femme
qui
race hova, nous
acceptons de nous asseoir un instant sous sa vé-
randa
et
qu'elle
nous
u
de
prendre un
Pour moi,
conversation
de
verre
pippermint
offre très gracieusement. la laissant se
malgache
crayonner tout à
mon
lancer dans une grande
avec
aise sur
M.
G...,
puis
je
mes manchettes un
croquis sommaire du fort. «
A gauche du
logement du gouverneur, qui
face au sud, se trouve
j'aperçois et
un
petit
fait
hangar sous lequel
une pièce de 4 de montagne sur roues
un canon-revolver
sur
trépied.
A
droite,
est
une habitation en construction, presque terminée, et
qui est destinée à remplacer
la
paillote
sous
MAJUNGA
—
nous sommes reçus.
laquelle
De
vée part une route qui, suivant
descend en droite ligne vers sort
du
fort par
sade, traverse
I29
NOSSI-BE.
l'enceinte réser-
la crête
le
une ouverture
un mauvais pont
nord faite
;
du plateau, cette route
dans
jeté sur
la palis-
un
fossé,
puis passe par une deuxième porte flanquée à droite et à
gauche de
3
extérieurement
le
fossé
;
palissade bordant
à côté de la porte gisent
deux pièces de canon sans
à terre la
ou 4 mètres de
aflûts;
route continue à descendre jusqu'au
seau
déjà
lit
au delà,
du
circule au milieu de la
indiqué,
ruisville,
abritée sous les manguiers, et se termine à l'abattoir. «
Toute
cette seconde partie de la ville est do-
minée à
l'est
logue à
celle
que par ((
le
Outre
roway,
est
par une hauteur d'une forme ana-
du Rouve, dont
elle
n'est
séparée
ruisseau. l'eau
de
douce,
la rivière qui, à
hauteur de Ma-
existe au pied
du plateau toute
il
une zone de terrain où
les puits
fournissent de
l'eau excellente.
En résumé, Maroway est une ville qui peut présenter, à un moment donné, de grandes res«
sources en raison de sa situation et de sa proximité
de Majunga. L'important serait de n'y pas mettre MES CAMPAGNES.
9
MES CAMPAGNES.
130
monde
trop de reste, «
à la fois
même
cette
;
peut s'appliquer à Majunga.
Un
vigation des petites embarcations
Maroway
à
:
c'est
n'y a rien actuellement et, assez vite, le
il
est
si
Le
na-
mais
;
il
occupe Maroway
l'on
probable que
la
rendant de
se
Maevarana
les
Hovas n'auront
temps d'y apporter des canons
un point de «
gêner
seul point pourrait peut-être
Majunga
pas
du
réflexion,
et d'en fliire
défense.
soir, à 9
heures et demie, abandonnant
la
pirogue tant soit peu volage qui nous a amenés,
prends passage sur
boutre de
M.
G..., et
le
lendemain matin, au petit jour, nous doublons
la
pointe de Boinaoumari, endroit
la
je
le
pour
difficile
navigation et réputé dangereux pour les embarcations indigènes. « Il existe
jolie
dans ces parages une coutume assez
qui rappelle les héros
notre patron ne
d'Homère
manque
Cet usage consiste à
offrir
pas
un
et à laquelle
de se soumettre. sacrifice
aux dieux
de l'endroit, pour apaiser leur colère et pour cal-
mer
la
mer
et les
vents. Malheureusement, nous
n'avons pas grand'chose à finissent,
offrir;
les
matelots
cependant, par réunir au fond d'une noix
de coco une banane, un morceau de biscuit
et
une
MAJUNGA poignée de se
met
à
Muni de
riz.
genoux
et vide le
I3I
NOSSI-BE.
cette offrande, le patron
à l'arrière
du boutre,
contenu de sa noix dans
plus grand sérieux du «
—
fait sa
prière
mer avec
la
Vers neuf heures, nous arrivons à Majunga;
en somme, très bonne traversée; nuit calme, rée
le
monde.
par
la
lune, ce soir
éclai-
idéalement resplendis-
sante.
22 octobre.
«
Hamparahiniguidro.
— Nous
partons en
expédition dans l'intérieur où nous devons continuer nos travaux militaires; certains
points
d'une rivière,
et
s'agit d'explorer
on suppose par
faut
il
nons un guide
;
il
un
aider à débarquer,
là
l'existence
nous en assurer. Nous emmefitacon ; ce dernier doit
car la
rivière
nous
indiquée n'est
qu'un vaste arroyo, c'est-à-dire une cuvette d'eau de mer dont
le
niveau
monte
et
descend avec
la
marée. «
A
6 heures,
leinière
nous sommes en route, notre ba-
remorquée par une chaloupe
nous ne tardons pas
à quitter la rade
à vapeur, et
pour entrer
dans l'arroyo indiqué, qui présente à cet endroit
MES CAMPAGNES.
132
200 mètres de largeur
et est
bordé de palétuviers
sur une assez grande épaisseur. «
sant
Une demi-heure :
C'est
«
du bord
là
à l'aide
et,
engageons dans un des palétuviers
gage,
le sol se
pied à terre;
plus tard, le guide nous di-
qu'on débarque
;
»,
nous approchons
de notre fitacon, nous nous
étroit couloir
vaseux au milieu
dix minutes après, le pays se dé-
un peu
raffermit
et
nous mettons
une grande plaine s'ouvre devant
nous, couverte de salines, mais ce n'est qu'à un kilomètre plus loin que
le
terrain
relève
se
un
peu. «
A
deux ou
cet endroit sont
trois misérables
cases dont les habitants ne sont pas sauvages
tout; l'un d'eux
même,
du
espérant trouver un mé-
decin parmi nous, n'hésite pas à nous exhiber ses infirmités.
de
la
Il
ne
s'est
pas trompé, car
Rance nous accompagne;
il
le
docteur
l'examine avec
bienveillance et l'engage à venir se faire
soigner
dans un endroit plus propice, à bord, par exemple. «
Nous sommes maintenant dans un
endroit.
Le pays, qui
est
un peu plus
planté de grands manguiers poussant
assez joli élevé, et
au
milieu
des cases et des cultures, est coupé de grandes
mares de 7 ou 8 mètres de profondeur, au fond
MAJUXGA desquelles
il
y
—
I33
NOSSl-BE.
époque, 80 cen-
a encore, à cette
timètres d'une eau stagnante couverte de grandes feuilles
ressemblant aux nénuphars
et
d'où émer-
gent d'énormes fleurs violettes. Des bœufs viennent «
s'y
abreuver et ont de l'eau jusqu'au ventre.
Deux
de ces messieurs se mettent immédiate-
ment en chasse, tirant à qui mieux mieux canards et sarcelles
pendant que nous poursuivons notre
exploration.
Il
en
fliut,
douce, potable, car
les
effet,
raient
être
danger
sans
de l'eau
lagons que nous venons de
bons peut-être pour
voir,
trouver
les
indigènes, ne sau-
utilisés
Euro-
par des
péens. «
Le guide nous prévient que nous n'en
verons pas avant xMarohogo C'est égal, 8''45"'.
En
et
que
nous nous mettons en route effet,
;
ruisseaux absolument à sec
;
nous
fiiisons
camarades de ne pas nous attendre
poursuivons nos recherches. res
il
est
au bout d'une heure environ de
marche nous n'avons rencontré que des
les
trou-
c'est assez loin.
que nous arrivons
Ce
petits
prévenir et
nous
n'est qu'à 11 heu-
à la rivièretant désirée, après
avoir traversé une série de hauts plateaux d'où l'on aperçoit «
La
Maroway
et la rade.
rivière a 25
mètres environ de largeur
et
'^lES
134
CAMPAGNES.
25 centimètres seulement de profondeur; l'eau,
sement
très
chaude à cette heure-là. Nous nous
reposons cinq minutes sur
pour
malheureu-
est très belle, très claire,
y
est vrai,
puis en route
la rive,
déjeuner que nous ne prenons qu'à 2 heu-
le
fatigués au possible, mais ayant fait ce
res,
nous vouhons
A
«
heures,
3
que
faire. il
nous
faut repartir cette fois
pour Majunga, où nous n'arrivons qu'à
Nous avons
fourbus Uttéralement.
kilomètres, presque tout
3 5
il
le
6 heures,
fait
temps par
environ la
forte
chaleur. «
Un bon
tiib
en arrivant, une bonne nuit par
là-dessus, et, demain,
il
n'y paraîtra plus.
25 octobre.
«
Nos
travaux sont terminés et aujourd'hui, à
7 heures du matin, nous passons de la Rance sur le
Lynx
là
que
le
mener
à
qui doit nous conduire à Nossi-Bé; c'est courrier du
nous prendra pour nous
Diego -Suarez. Le Lynx
tout petit, où
donner;
3
la
il
place
est
un bateau
n'y a pas une couchette à nous
manque
totalement.
MAJUNGA
—
I35
NOSSI-BE.
26 octobre.
«
Bonne
superbe,
nuit passée sur
la
mer
est
pont
le
comme un
nous arrivons
;
il
un temps
fait
de vent,
nous donne un peu
rien qu'une légère brise qui
de fraîcheur
;
lac; pas
à
Nossi-Bé à
une
heure de l'après-midi. «
— Une
Nossi-BÉ.
jolie
arrive devant ce pays, qui et
absolument
impression dès qu'on
nous semble délicieux
différent de tout ce
que nous avons
vu jusqu'à présent. Malheureusement, malsaine, «
bord
la
chaleur très forte
et
la ville est
humide.
Le débarquement nous dispose bien tout une
:
belle jetée
d'a-
longue d'une centaine de
mètres, avec voie Decauville, aboutit à
un parc
charbon, puis une bonne route, contournant pavillon des messageries et la
la
à le
résidence noyée dans
verdure, conduit à une belle avenue plantée de
quatre rangées d'arbres et agrémentée d'un bassin
avec «
jet
y
Il
triste,
d'eau. a là de belles maisons,
sombre
ruines.
On
beau temps
et
sent
humide,
la
mais à l'aspect
plupart tombent en
un pays abandonné,
est passé;
une colonie qui
fini,
dont
s'en va.
le
MES CAMPAGNES.
136
Et cependant, à une certaine époque, vers
«
1855, année des grandes constructions, Nossi-Bé tout à
fut
aujourd'hui que «
mais on n'a plus guère
fait florissante;
le
Le pays dont
souvenir de cette prospérité. la
seule richesse était la canne à
sucre fut complètement ruiné par l'abolition de la traite
des nègres, qui supprimait en un jour
la
main-d'œuvre. «
La résidence, qui
l'aspect
est joHe,
mourir sur
triste à
la
vue de belle
la
mer, a
avenue de
manguiers; on n'entretient plus rien en dehors des constructions résidence
;
caserne, église, hôpital,
officielles,
végétation envahit tout et laisse voir
la
de temps en temps émerger de ses
dure des pans de murs écroulés.
On
sent, en effet,
jour;
on
:
de ver-
que
le
climat ne doit
fait
la
chaleur de
humidité chaude
la
nuit
pas être brillant
chinchine
flots
des maisons en partie
et
n'est
;
tout à
Co-
comme
vraiment bien qu'à table, sous
le
le
panca. «
La campagne prochaine, qui donnera peut-
être de l'extension coloniale sur la
aura peu d'influence soit le dernier
ici;
je
coup porté
malgache veut dire
fie et
grande
crains bien
terre,
que ce ne
à Nossi-Bé. (Nossi
Bé veut
dire grande,)
en
MAJUNGA
—
I37
NOSSl-BE.
28 octobre.
((
Nous venons d'apprendre que Binao, une
des
reines de Madagascar, dont le territoire est juste
en face (Ambavatoubé
et
Passandava), est venue à
Helleville pour s*y reposer des soucis du gouver-
nement, ou peut-être tout simplement pour les tracasseries
fuir
des Hovas, qui deviennent d'autant
plus vexatoires que les affaires semblent près de se gâter. «
C'est une amie de la France, celle-là, et depuis
de longues années. Elle nous a témoigné son atta-
chement en nous de 1885
^^ ^
restant fidèle malgré l'abandon
toujours tenu à honneur de donner
des preuves de son amitié aux Français qui venaient la voir. «
Que
d'officiers
bon souper, bon « Ils lui fit,
de marine ont trouvé chez
gîte et le reste
ne furent pas ingrats,
un
jour,
don d'un
elle
!
d'ailleurs, et la
France
tableau représentant
marine quelconque avec cette simple dédicace
A LA REINE BINAO
POUR SERVICES RENDUS AU PAYS
une :
MES CAMPAGNES.
138 « Il
même,
en fut de
Bouéni,
et distribuait volontiers
aux enfants de lui faire
ses faveurs
France, qui venaient chez
la
aimer notre pavillon
munie d'un
du
maintenant, mais qui eut aussi son
vieille
beau temps
d'ailleurs, de la reine
certificat.
Toutes
;
elle
également
elle est
ces petites royautés
féminines ne demandent qu'à se jeter dans nos bras.
Après
«
village
dîner,
le
que Binao
Heu de résidence
nous partons pour
a choisi, c'est
;
non
au bord de
royal repos est bercé par le la brise
loin d'ici, la
murmure
le petit
comme
mer, son
des flots et
constante venant directement de son pays.
Nous sommes
guidés sous
du tam-tam
nous arrivons bientôt devant une
et
les étoiles
assez vaste
pour
l'instant en résidence royale.
verte de bijoux, est étendue petit
autour
lit
de
camp
qu'elle est
ment par une «
Dehors,
bruit
et
La
reine, cou-
ou plutôt vautrée sur
une cinquantaine de femmes
accroupies par terre, chantent en
d'elle,
battant des mains
nuée
le
(paiUote d'ailleurs) transformée
case
un
par
;
cette case a l'air misérable, dé-
de tout meuble
et éclairée
simple-
sorte de veilleuse fumeuse.
trois
hommes
tapent sur des tam-tam,
tandis qu'un quatrième frappe à coups redoublés
—
MAJUNGA
I39
NOSSI-BÉ.
avec deux baguettes sur un petit plateau de cuivre
un tabouret. Autour d'eux,
placé à l'envers sur
une vingtaine d'hommes tournent lentement, en chantant de vages. «
choses mélancoliques et sau-
tristes
Une mauvaise
Nous quittons
peut-être
ici
lanterne éclaire
le tout.
ce petit intérieur royal qui voit
ses derniers
beaux jours
;
un orage
gronde; déjà de grosses gouttes tombent lourde-
ment,
la
pluie
commence
temps de regagner
nous n'avons que
;
le
bord.
le
31 octobre.
«
Nous sommes retournés
d'hommes
tournait
complet; toujours la
case était
voir
la
reine.
Le cercle
encore, mais cette fois plus
même
le
orchestre, d'ailleurs;
moins remplie, cependant,
chantait plus; nous avons salué
la
et
Ton n'y
reine, cette fois;
comme nous ne pouvions nous comprendre que nous n'avions qu'un les
très
conversations languissaient un peu
compris
cependant
qu'elle
et
médiocre interprète,
resterait
;
nous avons là
quelque
temps pour attendre Tarrivée des deux courriers qui vont venir prochainement. Attente diplomatique, par conséquent
!
MES CAMPAGNES.
140
i^f
«
Nous
allons de royauté en ro5^auté; aujour-
d'hui, visite à la reine
Kavy,
femme
à che-
petit-fils.
Nous
vieille
veux blancs venue pour voir son la
novembre.
trouvons dans une case bien modeste, dont
propriétaire, tailleur.
son
fils,
Elle a, cependant,
un
orchestre
complet composé de quatre violons bours indigènes
comme
artistes s'en servent
leurs cordes; aussi,
un
et
mais quels violons
;
quand
comme
quelque chose
est
le
assez
deux tamî
.
!
.
.
Les
de boîtes pour ranger
ils
en ont besoin, est-ce
véritable travail de patience
que de
les
faire
sortir par les S. «
Cet orchestre accompagne un chœur d'une
vingtaine de femmes, qui chantent par instant des airs assez
curieux mais toujours tristes et
mono-
tones.
2
«
Enfin, voici
le
novembre.
courrier arrivé avec
quatre
jours de retard, mais ayant des nouvelles de l'intérieur!
Le
fait saillant est le
refus des
Hovas
d'ac-
MAJUNGA
—
I4I
NOSSI-BE.
cepter l'ultimatum, c'est-à-dire la guerre et l'aban-
don de
la capitale
par tous les Français,
civils
militaires.
4 novembre.
«
Nous
rentrons à Diégo-Suarez.
»
et
AMBOHIMARINA
5
novembre.
Les Français sont décidément des gens chevaleresques
une
et,
ne serait-ce que pour vous en donner
idée, je
vous
que nous avons embarqué
dirai
ce soir, avec le plus grand
hovas regagnant
officiers
Conformément
h
de leur
ciers
il
main_,
en temps de guerre,
comme
garantie la
ministre et qui prouve à quel
compte sur
le
d'Ambohimarina
patriotisme hova), les et le
ont dû, sur un ordre de
Ce
cour d'Émyrne,
preuve de confiance de
fidélité (triste
famille à
la
de ses fonctionnaires
part du premier
point
la
femmes des
la capitale.
un usage de
qui tient à avoir sous les familles
soin, les
offi-
gouverneur Ratovello
la
cour, renvoyer leur
Tananarive en passant par Tamatave.
matin, nous avons donc vu arriver à Diego,
portées en fitacon, les
Le gouverneur
femmes de
les a
ces officiers.
pilotées toute la journée.
AMBOHIMARINA.
I43
reçues à déjeuner, logées au gouvernement, puis, finalement, conduites au bateau et
recommandées
chaudement au commandant. C'est à bord que nous
sommes
allés les voir.
Elles sont toutes groupées tristement sur
comme
de pauvres petites créatures,
les
le
pont
unes près
des autres, avec des airs de sauvagerie et de décou-
ragement qui font peine les
à voir,
enveloppées dans
grands manteaux que portent tous
hommes
et
les
Hovas,
femmes, qu'on appelle des lambas
qui sont d'ordinaire en cotonnade blanche
et
ou de
couleur. Elles ne sont pas jolies, c'est toujours le
type, qui semble être
de Malais,
Ce
le
même
un mélange de Chinois
visage plat, les cheveux noirs et
et
lisses.
poste d'Ambohimarina, qu'elles viennent de
quitter, est d'aigle au
un camp hova, perché comme un nid
sommet d'une
avoir accès que
falaise,
où l'on ne peut
par des échelles, faciles à retirer à
l'occasion.
Des légendes
assez bizarres courent sur cet en-
droit qu'on prétend en térieur de
l'Ile
communication avec
l'in-
par de longs couloirs souterrains
qui conduiraient directement à Tananarive, mais tout cela est
évidemment de pure invention.
'^ÏES
144 C'est
meuses
là
CAMPAGNES.
aussi que, tous les ans, ont lieu les fa-
fêtes
du Bain de
la Reine, fêtes nationales
du pays auxquelles sont conviés en général
les
fonctionnaires de Diégo-Suarez. Il
y
lieu à
a
quelques années
un incident qui
même,
faillit
donna
cet usage
devenir grave
nos
;
rendant à l'invitation du gouverneur
officiers se
avaient trouvé les échelles retirées et avaient dû
rebrousser chemin.
Cette année encore l'invitation fut reçue d'habitude sir,
;
comme
nous nous y serions rendus avec
mais, en raison de
la
plai-
situation poUtique,
jugea prudent de s'en abstenir.
on
LA MONTAGNE d'aMBRE
28 novembre.
Un et
petit bateau
de commerce, arrivé ces jours-ci
venant de Maurice où aboutit un câble, nous
apprend que
le
pays vient de voter 65 millions
campagne
pour
la
plus
de sûreté, nous attendons
et
Tenvoi des troupes
demain qui doit nous donner
le
pour
;
paquebot de
aussi des nouvelles
de Tamatave.
Nous sommes rien, et c'est
ici
tout à
de France,
la
fait
perdus, ne sachant
plupart du temps, que
nous apprenons ce qui nous concerne. Qu'allonsnous devenir faire
?
On
vit
au jour
aucun projet; toute
fixés sur la rade et
passe, car d'une arriver et est prêt
mence
pour
le
le
jour, ne
pouvant
journée nos yeux sont
nos lorgnettes braquées sur
minute
emmener
la
les
à l'autre
un bateau peut
troupes qui sont
ici
;
départ, l'éîément militaire
à devenir nerveux.
MES CAMPAGNES.
la
10
tout
com-
MES CAMPAGNES.
146
Le pays
est très
calme
et
cependant nous serions
en état de siège que nous ne serions pas plus condans notre petit coin. Le gouverneur ayant
finés
imaginé dernièrement de marquer de nouveau limites de notre territoire,
!
.
.
Finies les
.
les
en est résulté qu'une
nous ne nous appartient
partie de ce qui était chez
plus
il
promenades
au tra-
à l'aventure
vers de ce pays étrange, portées dans nos fitacons
comme
sur les ailes d'un oiseau sauvage.
Justement, nous avions
fait le
montagne
passer quelques jours à cette flimeuse
d'Ambre
:
monter
projet de
récompense bien méritée des habitants
de ce pays qui contemplent toute l'année
rouge
et les plateaux
dénudés de Diego.
C'est assez difficile
d'abord mal tracée, et .
la terre
comme la
voyage
:
la
route est
plus grosse partie en est
raide et escarpée.
On qu'on
prend, pour y monter, une voiture à bœufs laisse à
mi-chemin
et l'on
continue avec des
porteurs. Il
n'y a là-haut ni village, ni indigènes
;
seuls
quelques rares colons y séjournent toute Tannée vivant de leurs propres ressources. construit
un
petit
sanatorium pour
On les
qu'on y envoyait en convalescence, mais
le
y
avait
malades cyclone
LA MONTAGNE D AMBRE. de février
I47
— toujours ce fameux cyclone dont
habitants sont encore dans
stupeur
la
—a
!
détruit, tout enlevé. Cependant, on peut à
gueur
aller
les
tout la ri-
chez des colons de l'endroit (seuls
émigrants ayant réussi dans cette colonie) qui et
vous reçoivent pendant votre
officiers qui
ont pu séjourner quelques jours
vous hébergent séjour là-haut.
Les
dans ce pays des dieux vous en font des descriptions
enchanteresses
dit-on, délicieux
avec ses
:
cascades,
dans
les
qu'on respire y petit coin
la
mousse
troncs humides des vieux arbres
les raisins
mot
de
choses.^...
!
il
sonne à nos
la terre
fleurs, les arbres, les jolis
de France!...
est,
d'Auvergne
montagnes verdoyantes,
poussant dans
verdure, quel joU
comme
un
ses
ses orchidées rares
la
l'air
;
c'est
promise.
chemins
fleuris
!
et
Ah
!
oreilles
Oh
!
les
du pays
quand reverrons-nous toutes ces
l'hivernage
4 décembre.
Depuis quatre ou cinq jours, ferme; se
c'est l'hivernage
tout à
bourre de quinine, car
terre sèche,
la
les pluies
fait.
Tout
planches
lac
;
rien
n'en peut donner
pour passer,
il
fiut se
et, le soir, les grenouilles,
domicile, font
fièvres.
devant notre maison
celui qui est
formé en
monde
que rien n'a mouillée depuis des mois,
Quant aux chemins, :
le
pluie détrempant cette
amène toujours une recrudescence de
idée
tombent
un vacarme
est trans-
munir de
qui y ont élu
assourdissant.
Ces messieurs sortent en bottes pour leur service, mais
il
est difficile
aller à
pour une femme
de manœuvrer dans ces profondeurs de terre rouge
amoUie par
la pluie,
devenue
terre glaise et dans laquelle
comme une véritable
on enfonce jusqu'à mi-
jambes.
Quand
je sors à
pied,
je
chausse
le
vrai go-
L HIVERNAGE.
I49
de soldat, orné des clous que vous con-
dillot
naissez.
Hier je
me
soir,
en rentrant de diner chez nos voisins,
suis véritablement échouée,
embourbée, dans
dire
la
mène
à notre
C'est une telle difficulté aussi de marcher
case.
dans ces chemins bourbeux
!
boue gluante
faut faire
il
chaque pas pour détacher
effort à
Au
ou pour mieux
route qui
un
tel
ses pieds de cette
!
bout de quelques minutes de chemin,
je
ne
pouvais plus avancer du tout; impossible de lutter davantage. Les enfants, qu'on portait, avaient pris
de l'avance sur moi, le
n'hésitai plus et,
je
gagnant
bord du chemin pour m'asseoir, j'enlevai mes
souliers; cette fois, je marchais; mais j'enfonçais
comme
dans du beurre,
c'était
une drôle de sen-
sation.
En
arrivant je m'offris
jambes
;
et voilà
Diégo-Suarez, pendant
On
avait
les
économie;
une Direction de fait
la
rentre chez soi à
saison des pluies...
cependant pétitionné pour que l'on
empierrât un peu disant par
un formidable bain de
comment on
routes; mais on a refusé soià côté
de cela, on a construit
l'intérieur
monumentale; on
ajouter une salle des fêtes au
a
Gouvernement
MES CAMPAGNES.
150 qui plus est,
et,
on commence un autre Gouver-
nement. Il
est
venu,
il
y
a
peu de temps, un bateau étran-
ger qui, heureusement, n'est resté que quelques heures
;
nous avions honte de leur montrer ce
petit
coin de terre française.
L'appontement où accostent
les
embarcations
ayant été presque effondré au dernier cyclone, on n'a
pu encore obtenir
d'avoir, le soir,
qu'il fût réparé; pas plus
une lanterne
à ce
ment. Quand on rentre en canot devient tout à
fait
dangereux.
même
que
apponte-
à la nuit, cela
NOUVELLES DE MAJUNGA ET DE TAMATAVE
Notre courrier vient de nous
être
distribué
:
bonnes nouvelles de France, mais encore rien de très précis sur la
campagne.
Le paquebot ramène
l'escorte militaire descen-
due enfin de Tananarive, après vingt-trois jours de marche, beaucoup de
fiitigues,
de misères et de
tribulations de toutes sortes.
Les porteurs ont lâché a
manqué de
la
colonne en route; on
vivres et force a été de brûler tout ce
qu'on ne pouvait emporter.
Le 20 novembre, jour de
leur arrivée,
MM.
chot et d'Anthouard, qui faisaient partie de lonne, s'embarquaient sur bique, d'où à
ils
Tamatave,
envoyaient à la
le
Ranla
co-
Lynx pour Mozam-
M. Le Myre de
Vilers,
nouvelle télégraphique de leur
arrivée.
On
comprend avec
quelle impatience ce der-
MES CAMPAGNES.
152
nier, qui était sans
corte, attendait à
Tamatave,
était bien
il
graphique avec mais
il
était
Européen
le
;
malgache.
la terre
moment pour
A
cupation de Tamatave. Thoiiars, qui venait de
faire
préparer à
cet effet, le
France
et
nion, d'où avec a
le
à
Tamala
Réu-
Peïho des Messageries maritimes,
pu ramener 600
rine, 8 pièces de
Petit-
que nous avions
tave le 26, en est reparti tout de suite pour
il
la
à l'oc-
Du
20 novembre, étant arrivé
ici le
télé-
à l'immobilité tant qu'un
Réunion un corps de débarquement destiné
vu passer
l'es-
novembre
en correspondance
encore sur
était
arrivé le 2
Gouvernement par Maurice,
condamné
profita de ce
Il
aucun renseignement sur
nouvelle
la
hommes
canon
et
d'infanterie de
ma-
20 gendarmes sous
les
ordres du lieutenant-colonel
Enfin,
le
11
novembre,
le
Papin
arrivait
à
10 heures du soir de Maurice, apportant l'ordre
de
télégraphique le
12, après
était
commencer
les
opérations
un court bombardement, Tamatave
occupé. Cette nouvelle a dû être annoncée en
France par dépêche. Le sous-gouverneur hova quelques
hommes
restés dans a
et,
un
à lui ont été tués
petit fort
où un obus
complètement réduits en
bouillie.
:
ils
et
étaient
à mélinite les
NOUVELLES DE MAJUNGA ET DE TAMATAVE. I53 Le commandant Bienaimé
ment
les
reçu définitive-
a
pleins pouvoirs civils et militaires sur
tout ^Madagascar.
Le Hiigon amène
ici la 4^=
lon de Diego, prise été laissée
ment
comme
où
le
batail-
elle avait
débarque-
eût présenté des difficultés.
Voilà l'ordre du
communiqué
compagnie du
Sainte-Marie, où
réserve, au cas
Tamatave
à
h.
commandant Bienaimé
à la colonie
qui a été
:
Priniaugud, rade de Tamatave, 12 décembre 1894.
Monsieur J'ai
le
Gouverneur,
l'honneur de vous informer que nous avons pris
Tamatave sans coup
férir et
sans pertes de notre côté.
Par télégramme du 8 décembre, arrivé hier par Papin,
le
Gouvernement me
prescrit de mettre
le
Tama-
tave en état de siège, et d'assumer les pleins pouvoirs civils et militaires à
Madagascar. Je vous prie donc de
continuer à rester sur toutefois, étant
la
donné
pouvez repousser par
défensive l'état
les
la
plus stricte
de guerre actuel
armes
les tentatives
;
mais,
,
vous
de
pil-
lage qui viendraient à se produire sur le territoire de colonie.
Recevez,
etc.
Signé
:
Biex.\imé.
Diégo-Suarez, 17 décembre 1894.
la
^^^^
154
La
division navale, pendant ce temps-là, s'aug-
mente rapidement, trés
bâtiments qui étaient enle
i^"*
com-
octobre
mettant un peu de mouvement
à arriver,
Diego.
Nous avons le
et les
en armement en France
mencent à
CAMPAGNES.
déjà
20 novembre,
Romanche
Dumont
le
vu passer
le
Météore
le
Du
Petit-Thouars
12 décembre,
la
14 décembre; on attend encore
le
le
d'Urville et le Gabès.
Notre tamarinier velles affiches
en reste, a
;
le
s'enrichit tous les jours de
nou-
gouverneur, ne voulant pas être
fait, lui aussi, sa
proclamation.
Habitants de Diégo-Suarez,
Les Chambres ont voté 65 millions de francs pour l'expédition de Madagascar.
désigné pour prendre
hommes côté.
Le général Duchesne
commandement
des
est
15,000
qui vont être envoyés à Madagascar.
Tamatave
la
le
a été
occupé
le
12, sans pertes de notre
Le Gouvernement compte sur
le
patriotisme de
population française à Diégo-Suarez pour aider, de
sang-froid, à la protection de la colonie et épargner
aux troupes, dont
le
rôle sera pénible pendant
cet
hivernage, une partie du service de garde et de surveillance. Je ne
doute pas que
tances ne ranime
le
la
gravité des circons-
zèle des cito3'ens qui
ont bien
NOUVELLES DE MAJUNGA ET DE TAMATAVE. I55 voulu contribuer, jusqu'à ce jour, à et
garde de nuit
la
déterminer ceux qui se sont réservés jusqu'ici à
prendre leur part du service ingrat mais nécessaire des volontaires auxiliaires de la police urbaine. Le registre d'inscription des volontaires est toujours
ou-
vert à la Direction de l'intérieur.
Antsirane, 26 décembre 1894.
Le Gouverneur.
C'est tout à
fiiit
amusant de voir
l'excitation de tous ces braves
sous
les
commerçants
montent
la
garde, pendant que
garnison, chargée de leur sécurité, passe
tranquillement couchée dans son
Tous
ces gens,
d'ailleurs,
ne
bons patriotes ils
et,
se font
nuit
aucune
mais, en
semblables aux pompiers de
partent gaiement du pied gauche,
sur l'épaule, pour s'en aller passer étoile.
la
lit.
illusion et sont les premiers à en rire,
terre,
qui,
ordres du gouverneur et du secrétaire gé-
néral, s'agitent et la
l'entrain et
la
Nan-
le fusil
nuit à la belle
LA PLUIE CHEZ SOI
20 décembre.
Notre grand vent faire
chaud
très
est
tombé;
;
pluies antédiluviennes
il
commence
à
tour des orages et des
c'est le
aussi nos faibles toits de
;
tôle n'y peuvent-ils résister.
Les maisons sont transformées en passoires nuit on est réveillé par la pluie qui
votre
lit;
vite
on
roule au milieu de
le
éponge, on bouche
les
trous et l'eau
la
en a qu'un dans l'arrache, car
près; on sur
le
le
toit
le
on
cherche partout, on d'un ami.
—
trop d'ouvrage,
«
fini,
Eh
!
à côté;
parapluie.
plombier
:
se le dispute,
chez tout
a plu
il
quand vous aurez vous prie?
pays,
le
monde
le
finit
mon
par
le
brave
il
n'y
on à
se
peu
trouver
homme,
passez donc chez moi, je
Lnpossible pour aujourd'hui, il
la
on
pièce,
tombe
on ne peut pourtant pas dormir avec un Le lendemain on court chez
;
tombe sur
pleut partout.
»
j'ai
LA PLUIE CHEZ SOI. C'est charmant
salon ou dans
le
nous coucherons dans
allons,
!
la salle à
I57
manger,
et cette fois
on
ouvrira son parapluie.
Les chemins continuent à être impraticables
nous manquons de porteurs
les
;
grent presque tous, étant de race hova,
ceux qui restent en autant que
le
ville,
on
et
bourjanes émiet
quant à
se les dispute tout
plombier.
continue de rêver plaies
et
bosses, et son idée fixe serait de s'illustrer dans
un
L'autorité
petit
combat quelconque, sans songer que
tout à des
civile
la fois
hommes
danger
et folie
sur un point inutile.
Le commandant Bienaimé, de «
a
cela,
dit
»
Cette phrase
et leur seul désir
aussi aguichent-ils les les
:
est
de se
les laisse rê-
faire attaquer,
Hovas de toutes
les
manières.
environs de Diego et principalement
Mahatinzo sont pour
l'instant très agités
poste a reçu l'ordre,
la
sur notre territoire
;
;
ce dernier
nuit dernière, de s'emparer
d'un établissement hova qui,
cier, sans
doute
défensive et ne vous battez
la
qu'en cas d'attaque.
Tous
se méfiant sans
dans ses dernières instructions
Tenez-vous sur
veurs
ce serait
de perdre du temps et
on y
paraît-il, se trouvait
a tué 6
hommes
et
i
offi-
que nous ayons rien eu de notre côté.
MES CAMPAGNES.
158
Depuis ce temps-là, mettant
le feu
nées par
les
moyen de
les
Hovas répondent en
aux habitations françaises abandon-
colons,
défense.
le feu
étant toujours leur grand
Le canon de Mahatinzo répond
en tirant sur eux; mais nous ne savons tout cela
que quelques heures après, par
nouvelles arrivant
les
télégraphe optique, ou souvent
le
même
des indigènes, qui rallient Diego en grand bre, venant chercher chez nous
Malgré la vie
chaque jour qui
asile et protection.
c'est la petite
pour
brave à vivre avec
si
peu
et
et
;
les militaires
ne
soi-même on devient
les braves.
Les enfants comptent de Noël
routine de
se déroule paisiblement au milieu
des événements qui se préparent s'affolent pas
nom-
un peu inquiétante,
cette situation plutôt
marche toujours;
par
les jours
du Premier de l'An;
nement
;
serait-il
devenu sans
heureusement pour cela !...),
le
qui les séparent
c'est le
grand évé-
petit Jésus
(que
une maison de com-
merce vient de recevoir tout un envoi de joujoux qui, sans être merveilleux, feront encore le
des petits, qui ne sont pas des blasés.
bonheur
NOUVELLE FRONTIERE
21 décembre.
Aujourd'hui, journée agitée, mais beaucoup de bruit
pour rien ou tout au moins pour peu de chose.
Craignant sans doute de voir
Hovas exécuter
les
sur un de nos postes ce que nous venions de faire sur
un des
leurs,
on
a fait rentrer
dans
d'hier les détachements qui occupaient tar, la
Douane
et
aujourd'hui dans et les aider à
Orangea la
;
la
milice
'
la
journée
Antanamidevait aller
matinée leur prêter main-forte
évacuer
les
postes; elle n'en eut pas
Hovas mettaient
le
temps, car, dans
le
feu partout, se sauvaient en entendant les coups
l'intervalle, les
de canon, et partaient en incendiant quelques cases.
En ville, rait
I.
que
la
l'émoi avait été plus grand,
miUce
Police indigène.
avait été enlevée;
le bruit
cou-
aussitôt le
MES CAMPAGNES.
léO gouverneur
ment soir
et
gendarmes précipitam-
ce ne fut qu'à leur rentrée à 6 heures
qu'on sut
On
partir les
fit
du
la vérité.
eût pu facilement
éviter
en se
tout cela
contentant de rayonner autour de Maliatinzo pour
en protéger trouilles,
les
ou
abords
même
et
en
fiiisant
quelques pa-
en tendant quelques embus-
cades, pour s'emparer des maraudeurs.
C'est à croire qu'on veut se faire attaquer de
façon à forcer
la
main
et à
Ambohimarina. Pourquoi
Nous soupirons
nous obliger de prendre faire,
après
attend tous les jours
le
l'état
;
grand Dieu
!
qu'on
Priinauguet
de siège remettrait
choses au point en concentrant dans
d'un seul chef, miUtaire cette
les
mains
les
fois, la direction et
l'autorité.
23 décembre.
Nous continuons de
tirer le
canon
et les
Hovas
continuent, eux, de brûler tout ce qui se trouve à leur portée.
Toutes
marcher; on écoute et, le soir,
les nuits, la les
on prépare
la
troupe s'attend à
sonneries, l'oreille au guet,
tenue de campagne, bottes
et revolver, sans oublier le
précieux fanal.
NOUVELLE FRONTIÈRE.
On
rappelle aussi aux
sérieux, en leur
de nuit,
et
hommes que
supprimant toutes
les
l6l cela devient
permissions
en leur communiquant l'ordre suivant
paru cette après-midi
:
Le lieutenant-colonel informe
le
personnel
de
la
garnison qu'il pourrait y avoir du danger à s'écarter
isolément des abords immédiats de militaire
mandé, dépasser de
la Baie des
Oh
!
la ville.
Aucun
ne devra donc, en dehors du service comla ligne allant
du cimetière au camp
Amis.
ironie
du
sort
que
le
nom
tière, qui devrait désorm.ais être
Baie des Ennemis...
MES CAMPAGNES.
de cette fron-
changé en
celui
de
DIEGO EN ETAT DE SIEGE
24 décembre.
A
midi,
la
Romanche entre en rade venant de
Tamatave; on entend tambouriner comme dans les
grandes occasions; chacun, s'attendant à des
nouvelles graves, débotdine en trébuchant
boueuses qui mènent directement à
tes
les
rou-
la
ville
basse, c'est-cWire au quai.
Je
me
sans pitié sieste, le
prive de cette promenade, et je réveille le cuisinier
voir pourquoi ça J'ai
noir qui
nez sur sa vaisselle
tambour
li
remarqué que, quand
grassement
fait
Mon
«
:
fape
fort. »
si
m'exprimais en bon
je
absolument de
français, ce digne serviteur refusait
me comprendre
j'ai
donc adopté
moindre hésitation
et
deux, de cette manière,
le
sans les
:
la
la
ami, va vite
le
langage nègre
nous obtenons tous plus grand succès.
J'attends patiemment une
après quoi je vois arriver sur
bonne demi-heure, la
route, galopant
DIEGO EN ÉTAT DE SIEGE. avec frénésie et paraissant fort agité,
me
cuisinier qui
Ce
rapporte
les flimeuses nouvelles.
M. Colonel
débrouille ce qui suit
je
même
devenir
li
verneur; mais, M. Gouverneur tout... J'ai
compris,
nous pour
en
air
sio:ne
:
«
Tout
tuer... »
ça soldats garder
et,
du
épouvanté,
me
la ville
la
main
;
ça, tirer sur
d'un geste dramatique,
qui part, porte
le fusil
Dans
à
il
son cœur
une dernière pirouette
fait
de salut et retourne à ses casseroles. la
journée, l'ordre suivant est affiché par-
tout et c'est ce
même
ordre qu'on tambourine aussi
en malgache et en français
La
plus rien
de siège, mais ce n'est
c'est l'état
coucher 9 heures, sans
les noirs, fini
d*un
li... la
j'écoute le reste qui, selon lui, est encore
important
imite
:
chose M. Gou-
))
fini et
très
brave
puis des phrases en malgache, mêlé
finir,
de français, desquelles
pas
mon
sont d'abord des gestes et des exclamations à
n'en plus
«
I03
colonie de
Diégo-Suarei
:
est
déclarée en état de siège.
Le capitaine de vaisseau, chef de
la division
de Tocéan Indien, chargé des pleins pouvoirs militaires à
navale
civils et
Madagascar,
Considérant que
les
troupes hovas investissent
la
MES CAMPAGNES.
164
colonie de Diégo-Suarez et interceptent les
communi-
cations du dedans au dehors et du dehors au dedans,
déclare cette colonie en état de siège et
commandement de
l'état
de
siège
M.
colonel d'artillerie de marine.
Tamatave,
le
21 décembre 1894.
le
nomme
au
lieutenant-
LA NUIT DE NOËL
Tout
est très silencieux
quand nous quittons
case, longeant le village indigène
vers la grande route qui
monte directement
partie la plus haute de la ville, là
maison des sœurs
et
où
la
pour nous diriger
où
doit se dire
à la
se trouve la la
messe de
minuit.
Quelques patrouilles, quelques rondes de nuit assurant
la
sécurité de la ville vont et viennent le
long des maisons
;
nous traversons
les flaques d'eau, les tas
combrent
les
à grand*peine
de terre mouillée qui en-
rues; avec nos lanternes et nos bâ-
tons en main, nous cherchons nos pas, nous tâtons le
terrain,
les
pieds chaussés de galoches ou de
sabots.
On
réveillonnera au retour,
on tâchera
même
de s'égayer un peu, pour se faire croire qu'on est encore en France
et
que demain ne séparera pas
MES CAMPAGNES.
l66
toutes ces existences, toutes ces vies que
du métier les
et
de
la
le
hasard
guerre vont éparpiller dans tous
coins de ce pays, pour combien de temps
pour quelles destinées
?
personne ne saurait
?
et le
dire... Il
ne pleut pas ce
soir, le ciel est très
étoiles n'ont jamais tant brillé.
Ce dut
pur
et les
être
une
nuit semblable a celle-ci, une de ces nuits merveilleuses des pays d'Orient,
qui vit passer dans
les
plaines de Palestine, au milieu du silence de la nuit, le
cortège des rois mages, et
humble des bergers
et
le petit
groupe plus
des pâtres qui, guidés par
leur étoile, s'en allaient, silencieusement et avec
émotion,
à la
naître dans
recherche de ce Dieu qui venait de
une
étable, de ce bébé pauvre et misé-
rable, réchauffé par les
Ce n'était
animaux de ce
triste réduit.
ni le froid, ni la neige, qui sont le lot
ordinaire de nos nuits de Noël, mais bien le calme inaltérable de ces nuits des tropiques, ce ciel d'un
bleu saphir et ces
comme Et
je
mêmes
astres diamantés, brillants
des soleils
songe à toutes ces choses en gravissant
péniblement rendez-vous.
la
côte qui
mène au heu de
notre
LA XUIT DE NOËL.
Ce
n'est pas
une
église, pas
où nous allons ? tout ou du moins
167
même
cela n'existe pas
une chapelle dans
le
pays,
n'existe plus, car la vraie, l'église pa-
roissiale, a été
entièrement détruite, toujours au
fameux cyclone
;
on Ta remplacée provisoirement
par une petite maisonnette de planches mal jointes
où entrent librement C'est
qu'on
là
main du jour où Carnot;
fit
le soleil et la pluie.
un
service solennel le lende-
mort du Président
l'on apprit la
pays, qui ne veut plus de Dieu, sembla
le
se souvenir ce jour-là qu'il y en avait un, car tous
fonctionnaires de Diego, civils et militaires,
les
ainsi
que
le
sultan et sa suite, assistèrent à la messe
des morts qui fut célébrée dans cette misérable chapelle.
Quelques bancs mal caillouteux, bris
de
la
un
assujettis
sur ce terrain
autel de bois confectionné des dé-
pauvre
église,
quelques morceaux d'an-
drinople, de mousseline blanche à rideaux en font les seuls
ornements; des bouquets de roses en pa-
pier, des fleurs artificielles dorées
de grandes
fêtes, tel est, hélas
!
pour
tout
le
les
jours
luxe de
la
maison de Dieu. Aussi le
le
vieux curé de Diego s'en est
allé
monde, jusqu'à Rome même, quêter
de par
à toutes
MES CAMPAGNES.
l68 les portes,
gement
tendre
et sans
la
main partout, sans découra-
honte, avec
qui
la foi
fait les forts,
voulant à tout prix rebâtir une grande église, car
son idéal n'a pas de bornes,
mon,
il
semblable à Salo-
et,
rêve de construire dans ce pays perdu
quelque chose de magnifique
Nous déposons en nos bâtons
et
arrivant à
de grandiose.
et la
maison des sœurs
nos lanternes dans un coin de
randa et nous prenons place dans pièce de la maison,
Tous
les noirs,
où
se trouve
hommes
et
la
l'autel
la
vé-
plus grande
improvisé.
femmes, sont
à
genoux
par terre, suivant attentivement, de leurs grands
yeux de fauves, tous
Un
les détails
de
la
messe.
pauvre petit orgue, genre accordéon, qu'on
pourrait appeler
une machine
un orgue de poche, grand comme
à coudre, tenu par
accompagne de son mieux
une des
les
religieuses,
chants bizarres de
tous ces indigènes qui chantent à leur manière, avec une dévotion touchante,
gneur dans un
les
latin qui n'a rien
Et tandis qu'on célèbre
louanges du Seid'orthodoxe.
ici, si
misérablement,
sur ce coin de terre à peine française, une des plus
grandes cérémonies chrétiennes, des milliers de gens, sur d'autres coins du
monde,
se réunissent
dans des cathédrales magnifiques, dans des églises
LA NUIT DE NOËL.
169
somptueuses, au milieu de concerts harmonieux et
de lumières éblouissantes, en somme... pour
songer aux le
même
mêmes
Dieu
!
!
grandes choses
et
pour y
prier
!
Et puis, tous ensemble, avec d'autres amis trouvés
nous avons
là,
repris la route
mide pour retourner
et
hu-
un peu tristement
à la case,
Noël
peut-être, car cette nuit de
boueuse
était
sans cloches,
sans animation, sans gaieté.
Une
nuit de
Noël sans bûche
et sans
cheminée,
avez-vous jamais pensé que cela pût être!... nuit de
Noël sans
réjouit!...
Un
le feu
Noël
enfin!...
colonial
Aussi sentons-nous qu'il est
bon de retrouver un peu de
et
train
dans cette maison qui
loin
comme un
vie et d'en-
est nôtre,
perchée
joujou fragile
nous pouvons l'apercevoir,
petite lueur faible
Un Noël
loin de France!...
doux
sur sa hauteur
Une
qui pétille, réchauffe et
comme une
;
brillant
étoile qui
là
de très
d'une
scintille à
peine.
Les enfants,
ne veulent pas dor-
restés au logis,
mir, s'émoustillent et s'agitent, vibrant de joie à l'idée
Oh
du !
réveil
de demain
les nuits
souvient
comme
!
déHcieuses du petit Noël, on s'en si
c'était hier
;
dans un souvenir
MES CAMPAGNES.
IJO
cœur ému de
lointain je vois passer le petit moi, le
l'attente merveilleuse qui ne devait jamais se réaliser,
luttant des heures entières contre le
som-
meil, espérant voir enfin ce Jésus d'or tout étincelant, les bras remplis de joujoux
:
bergeries de
bois peint, moutons enrubannés, poupées de
Noé
au sourire pincé, arches de
vous vois encore quand
Le
je
cuisinier s'agite plus
un camarade vont
et
merveilleuses, je
ferme
yeux...
les
que de coutume
viennent de
randa, où est dressée
la table,
cire
la
;
cuisine à
lui et la
vé-
faisant, avec leurs
pieds nus, des bonds de singes qui font trembler
toute
la
maison
;
l'ordonnance, plus calme, veille
à son couvert et allume ses lanternes: de gros bal-
lons chinois, choisis exprès pour
ornés de cigognes et de
Les la
bambous
la
circonstance,
dorés.
enfants, ravis de ce bruit, collent leur nez à
porte vitrée et demandent avec anxiété
— C'est y venu, — Non, pas encore, mais qu'il est déjà
le petit
:
Jésus, dis
?
tant que vous ne dor-
mirez pas
ne viendra pas.
il
— Crois-tu Va donc
les
pour ne pas la
qu'il verra les bottes,
mettre tout près sur
qu'il les
mer. Et puis, tu
oubUe,
laisseras
s'il
maman les
?
marches,
passe du côté de
beaucoup de lumières,
LA NUIT DE NOËL.
quand on
sera parti,
naisse bien la
pour que
le petit
Jésus recon-
maison.
Et toutes ces explications la
I7I
me
sont données par
porte entrebâillée pendant que tout
s'assied à la
grande table
et
le
monde
qu'on attaque d'abord
l'oie traditionnelle.
Songez tits,
émotion pour des tout pe-
aussi à cette
qu'un jour de Noël dans un pays ne possédant
pas de cheminées!... alors... pas
«
Pas de cheminées
», mais...
de souliers, pas de joujoux...
Heureusement qu'avec un peu d'imagination de
ma
nous avons eu une fameuse idée!
part,
nous sommes
dit
et
nous
que, descendre par une chemi-
née ou entrer par une porte, ça n'était pas plus surtout quand on était
difficile, il
a
donc
été
justement du côté de
semblé
le
le petit Jésus...;
convenu que, ce dernier s'envolant la
mer
(c'est celui qui
m'a
plus poétique), en éclairant beaucoup
maison, en mettant
les
bottes de papa,
il
la
entrerait
jusque chez nous...
Et
il
va venir,
joujoux délicieux
ils
et
en sont sûrs, inespérés;
il
apportera des
déjà leurs rêves
commencent, bercés du doux espoir de
la réalité.
ADIEUX DU SULTAN
28 décembre.
monde
L'état de siège continue; tout le l'autorité militaire
:
il
était
temps
vaux de défense tout autour de y
travaillent avec
Comme mon
fait
des tra-
troupes
cuisinier
de recevoir des coups de
j'ai
moi,
je
me
soir est
vois bien qu'il va falloir partir,
mauvais goût
..
sant du tout, cette perspective
semble que
exemple, qui serions
menacé
fusil.
vée en plein mois de janvier.
me
les
tout noir qui
et
du
retour en France, seule avec
Il
annoncé,
l'avait
tardé le plus longtemps possible
crois qu'il serait de le
;
acharnement.
sort de sa case après 9 heures
à
sous
la ville et les
mesures sont des plus sévères,
Quant
on
est
si
à présent, je ;
mais
les enfants, l'arri-
ça n'est pas réjouis!...
j'allais à
est à trois jours
;
d'insister
la
Réunion, par
de Madagascar, nous
moins séparés, sans pouvoir
toutefois nous
ADIEUX PERSONNELS DU SULTAN
174
^lES
voir davantage,
on
CAMPAGNES.
plus facilement; c'est et qui
demande
Et puis
tits
les
un
projet que je vais mûrir
à être étudié...
paraît qu'en restant, je serais
il
en contravention
ainsi dire
moins des nouvelles
aurait au
;
j'ai lu
pour
ça dans les pe-
bouquins bleus, un, notamment, qui s'appelle Places de guerre. Hein! je suis calée...
savez, ces terribles petits livres
prennent à commander
où
ap-
les officiers
et les soldats à obéir,
inondent leur maison
les militaires
Vous
dont
de vrais la-
;
pins d'Australie, qu'on renouvelle constamment
mais qui ne changent jamais,
paraît-il. C'est
dans l'un d'eux qu'est écrite
ma condamnation,
on y
parle des familles d'officiers dans
état de siège
Tout
le
c'est terrible,
;
monde
part
comme
du reste;
une
bien
ville
en
c'est ça.
il
n'est pas jus-
qu'au pauvre sultan qu'on envoie continuer son exil à la
Réunion.
Toujours correct adieux touchants,
et affectueux,
et quitte, les
ce pays de misère qu'il précié, grâce à la
moignée.
Il
a
il
nous
fait
des
larmes aux yeux,
semble presque avoir ap-
sympathie que chacun
lui a té-
voulu que tous eussent une part
d'adieu et que personne n'ignorât son amitié pour la
France, qui, cependant, ne
lui a
procuré que du
ADIEUX DU SULTAN.
I75
désagrément. Le journal de Diego donnait aujourd'hui l'article suivant
AuK En
:
braves habitants de Diégo-Suarez..., salut... quittant,
pour
me
charmante colonie où
à
Réunion, cette
la
reçu un
accueil
mes
pression de
meilleurs sentiments et
\^otre
et
vous accorde
l'ex-
l'hommage de
profonde reconnaissance. Je prie Allah
protège
bien-
si
vous prie tous de vouloir bien agréer
veillant, je
ma
rendre
j'ai
qu'il
vous
ses grâces.
ami qui n'oubliera jamais vos
honorables
sympathies, Sultan Saïd-Ali,
ben sultan Saïd-Omar. Antsirane, 4 décembre 1894.
Le
journal ajoutait cette réponse
Nous transmettons
à qui de droit l'adieu plein de
nobles e du sultan Saïd-Ali.
empreints de
la
qu'il
En échange de
ses
vœux
poésie orientale et d'une reconnais-
sance toute française, nous
pour
:
lui
adressons
triomphe de ses ennemis
à aimer la France.
les
et qu'il
nôtres
continue
ET
M.
Il
n'y a pas que
tons,
y
il
CHARIFOU-JEWA
M^^^
sultan, ni
le
que moi qui par-
Charifou-Jewa
a aussi M"'^
et
toute sa
aux Indes incognito, aussi
smala qui retourne
femme musulmane,
incognito que peut partir une ce qui n'est pas peu de chose.
Vous ne connaissez non
pas M""^ Charifou
plus, figurez -vous, tant
chrétiens de pénétrer dans
même quand
c'est celui
n'ignorez pas que
Bombay,
est
Louvre
notre
et
ment sous
la
tout à
un
il
et les
Maison Charifou-Jewa, de la
notre Potin, notre
fois
et
nous donne
fi
!
l'horretir
gentleman, un
vrai-
beaucoup de consolations.
M. Charifou
épicier, tripotant tout le jour la
pruneaux,
parfait
musulman,
de votre épicier. Car vous
N'allez pas croire surtout que
un vulgaire
Ni moi
est difficile à des
intérieur
Bon-Marché
ce rapport
?
!
homme
M. Charifou
soit
morue est
un
charmant, plein de
M. ET M"'^ CHARIFOU. tact
77
de délicatesse, un aimable causeur avec
et
lequel
1
souvent des conversations
j'ai
très intéres-
santes.
Nous causons que
femme, sons
je sais
la
France
et
des Indes
tout ce qui
la
concerne
font quitter Madagascar
lui
bien
et,
encore pu être présentée à
pas
n'aie
je
de
venue au monde d'un quatrième
la
:
;
sa
trois rai-
guerre,
la
Charifou et
petit
de l'aîné qui entre dans sa sixième
les fiançailles
année.
que
paraît
Il
cela se passe ainsi
aux Indes
:
dès
qu'un garçon atteint l'âge de cinq ans environ, les
On
donne heu celles
pour
s'entendent
familles
femme.
lui
lui
chercher une
présente donc sa fiancée, ce qui
à des fêtes
du mariage
;
presque aussi solennelles que
après quoi
les
deux enfants
re-
tournent à leurs jeux, chacun de leur côté, en attendant l'âge d'être mariés. Ils
ont donc toute
l'autre et je
Il est
que
vie
me demande,
pas beaucoup d'ailleurs
la
mieux les
ainsi.
pour s'habituer l'un
après tout,
cela n'est
M. Charifou m'affirme
Indiens font d'excellents ménages.
vrai de dire
qu'une femme indienne qui
aurait la mauvaise idée de vouloir
mari
si
à
tromper son
serait bien en peine d'y arriver, car elle n'a
MES CAMPAGNES.
12
MES CAMPAGNES.
lyS pas
droit de sortir de chez elle
le
jamais
maison.
la
amènerait une
Oh
ne quitte
et
sage mesure
!
mais qui
!
révolution dans notre pays,
jolie
si
on voulait l'imposer aux femmes.
Des malins, tous airs
doux
ces gens-là avec leurs petits
!
aussi, les relations
com-
merciales dans cette maison.
M. Charifou
tient
avant tout à ne pas faire de
peine à ses clients
Vraiment charmantes,
il
est
un de
en train de
ces jours
;
faire failUte et
tous
qu'on va
le saisir
gens de sa maison
les
lent et le grugent à qui
mieux mieux.
Il
le pil-
parle assez
bien français; mais les écritures, les chiffres,
comprend il
rien et c'est
malheur pour la
caisse
n'y
il
quand
reçoit la chentèle.
Un
jour
il
pièce (c'était
a
voulu
me vendre des coquetiers
un peu cher)
et
une casserole o
(ce n'était pas assez cher); en j'ai
voulu qu'on intervertît
touché
en
était si
les
coquetiers pour rien.
c'était
et
;
pas besoin de vous dire qu'avec ce système-
je n'ai là,
la
un
Si
vous
de
la
homme allez
les
Quand
fr.
50
c.
honnête personne
prix et
qu'il a insisté
fr.
2
M. Charifou
pour que je
vous
je prisse
disais
que
de tact!
au magasin commander du sucre
bougie, choisir des dentelles ou des étoffes,
M. ET le
maître de
CHARIFOU.
maison vous reçoit
la
homme,
lant
possible
M"'^
I79
comme
en vous faisant asseoir
du fromage
un ga-
plus loin
le
du pétrole.
et
Avez-vous soif? un Indien de
la
maison vous
apporte, dans de délicieux petits bols de cuivre,
une eau pure
comme
le cristal et fraîche
glace, ce qui est, croyez-le bien,
précieux à Diego
vous
si
;
comme
un Hquide
la
très
n'aimez pas l'eau,
M. Charifou n'hésite pas à envoyer chercher une petite limonade.
Désirez-vous manger du bon kary,
comme
les
Indiens l'accommodent pour eux trois fois par jour ? causez-en avec
vous vendre ça
!
vous
il
M. Charifou,
celui
il
ne consentira pas à
du magasin, bon pour Malgaches,
offrira tout
de suite un bon cornet du
sien propre, de ce kary spécial et parfumé,
mant
la
cannelle et
famille se délecte
Quand vous
le
gingembre
et
embau-
dont toute
la
chaque jour.
passez payer
la
note, on vous offre
gracieusement une petite diminution, on vous rabat toujours quelque
Madame,
deau, deste
lecs;
puis
;
dehors
:
dit
menue monnaie,
M. Charifou d'un
petit caair
mo-
on vous reconduit poHment jusque
échange de grands saints
on s'incUne, on
s'abaisse
et
comme
de salamade grandes
MES CAMPAGNES.
l80
marionnettes majestueuses. M. Charifou ne con-
fond pas
les
grades
taine, au revoir. »
:
«
Au
Toujours, pour
adieux français, leur
joli
salut de la
répété plusieurs fois avec tion.
revoir,
Madame finir,
capi-
après
main au
les
front,
une grande componc-
DEMENAGEMENTS AUX COLONIES
ler
Un sible,
pauvre petit jour de l'An, misérable au pos-
un jour tout
en moins
pareil
et les soucis
aux autres avec
en plus
luttons pour ne pas nous
Tout
le
mains; songez donc
au découra-
pour
être braves.
monde
et
:
les
autres sont
jubile et se frotte les
quitter Diego, partir avec des
campagne
troupes, faire une
cependant nous
nous séparons,
part nous, qui
enchantés.
;
les joies
laisser aller
gement, pour nous remonter
A
janvier 1895.
!
C'en
est assez
pour
rendre heureux tous ces militaires.
Quant aux cadeaux, aux joujoux, enfants n'est
nous aura
plus
n'est plus
qu'on
Dès
dans
les
amusant;
servi
d'étrennes
tout petits,
le
c'est fini, c'est
la
joie
des
dès qu'on
;
jour de l'An
pour
les autres
travaille.
sept heures
du matin,
c'est
une
allée et ve-
nue de plantons, de noirs porteurs de paquets, avec
MES CAMPAGNES.
l82
des cartes à Fadresse de Monsieur ou de selle
A
tout à
,
personnes
;
jusqu'à
commandé
de bonbons,
temps
en France depuis long-
c'est ça qui est gentil
:
Le Primauguet
!
est arrivé hier.
des troupes imminent, d'une façon
Quant
à
mon
projet,
il
est tout
Réunion, avec escale
C'est
le
départ
ou d'une
autre.
mûri, tout
réflé-
chi; dans trois jours, je prendrai le aller à la
Mademoi-
comme pour des grandes maman qui reçoit un beau sac fiiit
paquebot pour
Sainte-Marie
à
et à
Tamatave.
Un déménagement n'est jamais bien
chez nous, vous savez, ça
compliqué, surtout aux colonies.
Cela consiste à vider sa maison, en vendant pour
un morceau de pain des choses très cher, à
possède
qui vous ont coûté
donner une grande
partie de ce
et à faire ses malles, qui
qu'on
ne sont jamais
très
nombreuses.
On
devient pratique dans nos existences
s'habitue à vivre avec peu de choses,
pour
cela plus
malheureux que
Un déménagement et qui n'a
qui
:
on
sans être
les autres.
s'est effectué l'autre
jour
pas été compliqué, c'est celui des pau-
vres sœurs dont
on
a réquisitionné la
y mettre des troupes.
maison pour
DÉMÉNAGEMEKTS AUX COLONIES. Le lendemain de Noël, un formait que leur local
de service
les in-
devenir un poste de
allait
soldats et qu'elles eussent
pli
183
à
quitter
le
de
tout
y camper à 4 heures
suite, car les troupes devaient
de l'après-midi. Alors ce fut une débandade, une déboulinade à travers
ville
la
de pauvres choses,
simples et propres, un vrai mobilier de couvent des
lits
de
fer, des tables, des chaises
n'y en avait pas beaucoup, nécessaire.
On
je
de paille;
vous assure, juste
déménagea tout
cela
:
il
le
une
dans
charrette à bœufs, sorte de grande prolonge, qui,
en un seul voyage, emporta tout à
la
nouvelle mai-
son qu*on leur avait prêtée. C'était lugubre, triste tout à fait, cette fuite en plein jour
;
on eût
dit
un temps de révolution, ou
bien de ces mauvais jours
tous les
habitants
d'un
où l'ennemi met en village
;
sœurs suivaient silencieusement
et
cette
les
fuite
pauvres
charrette,
portant respectueusement dans leurs bras
les
pré-
cieux objets qu'elles seules voulaient transporter
une statue de d'elles, tite
la
un Christ
:
Vierge aussi grande que l'une et les rares
ornements de
chapelle, jusqu'au tabernacle,
la
pe-
que des femmes
malgaches portaient aussi sur une sorte de brancard
.
MES CAMPAGNES.
184
Le
un
soir, vers 8 heures,
qui s'intéressait aux sœurs
officier
me
fit
de chez nous
prier d'y jeter
un
coup d'œil, pensant bien qu'elles n'auraient rien
manger jusqu'au lendemain, vu et
imprévue,
cette fuite forcée
que nous
et aussi parce
à
les
savions
très pauvres.
Donc,
je
me
mets en mesure d'organiser un
dîner quel qu'il soit
je
table, le
un
pain,
quelque chose de simple
comme
de faimahle,
ment
:
bœuf à
la
mode
:
absolument
Je charge
que
le
juste-
des familles, du potage,
une bouteille de
de campement
fanal en
Bretons;
les
trouve un reste de viande très présen-
gamelle fermant bien,
c'est
disent
et
le
main,
la
voilà l'effet
vin.
Avec une bonne
soupe dans une marmite le
dîner des prisonniers,
que
cela
me
produit.
noir de ces objets, je lui remets lui
donnant l'ordre
dîner soit accepté et
lui
d'insister
recommandant
tout d'être bref dans ses explications.
le
pour sur-
DEPART DE DIEGO
4 janvier.
Un
En mer
Que
d'étapes dans
une de franchie
si
cœur
inconnu,
et
la vie,
que d'étapes
une rude, car il
!
Encore
a fallu se quitter,
pour combien de temps,
cette fois, et J'ai le
trisie soir
mon
Dieu
!
.
.
plein d'angoisse à l'idée de cet avenir si
sombre,
si
troublé
Et pourtant, ceux qui nous ont vus partir n'auraient si
se
douter que nous nous quittions pour
longtemps
nous, à
pu
!
Hélas
!
on
s'en va
si
souvent, chez
qu'il faut savoir se séparer sans lâcher la bride
son cœur, se
faire des
adieux bien calmes, bien
tranquilles, en gardant au fond de soi sa tendresse et ses larmes.
Un
départ sans l'affolement
c'est la vraie
bravoure
Le paquebot
du chagrin,
ça,
!
doit partir
demain matin au
petit
MES CAMPAGNES.
l86
em-
jour, mais les passagers avaient l'ordre d'être
barqués ce soir à lo heures.
Oui, demain nous quitterons ce pays pour n'y plus jamais revenir, et voilà qu'en y songeant je
me
sens prise d'indulgence et de sympathie pour
ce coin de terre qui m'avait semblé toujours
horrible
Me
!
rant pour
C'est
la
si
voilà toute attendrie en le considé-
dernière fois.
un Diego inconnu, nouveau pour moi,
vraiment pas
laid
du tout, vu
ainsi
de
la
rade
par une belle nuit claire. Toutes les cases s'allu-
ment,
pareilles à des vers luisants posés là,
sur
des hauteurs différentes et qui démarquent bien l'aspect de la ville basse et de la ville haute
m'amuse
pourrais les
nommer
sans
me
cœur
tite
autres!!... C'est
chée tout là-haut ..
j'ai
gros, savez-vous, de penser que sa pe-
lumière ne va pas briller
rade..
je
tromper.
Seule, notre case est déserte maintenant, et le
;
à les regarder, je les connais toutes, je
dommage,
comme
celle
des
elle faisait si bien, per-
comme un
phare
et
dominant
la
UNE ESCALE A SAINTE-MARIE
6 janvier.
De grand
matin, par une
mer un peu houleuse,
mais d'un bleu transparent, nous mouillons devant Sainte-Marie^ Devant nous, une petite
vu dans d'autres bout de
bouquet de l'océan
Que
atti-
élégante, quelque chose de déjà
rante, coquette,
l'autre
ile
pa3^s
la
très lointains,
terre,
c'est
presque à
comme un
fleurs, planté là, seul,
et
gros
perdu dans
immense. fait
donc
si
près de Madagascar,
des montagnes arides, de
la
le
pays
poussière rouge et des
pierres noires, cette terre fleurie et verdoyante?
Quelque
oubli, quelque erreur bien sûr à
distribution des
Vue du
grande
large, ainsi éclairée par le soleil, avec
un peu de brume de beau temps, qui un
la
mondes.
jette
comme
voile clair sur toutes ces choses, Sainte-Marie,
avec son
nom
simple, très français et qui lui va
si
MES CAMPAGNES.
l88
nous apparaît
bien,
là
comme une récompense
pour nos yeux, privés depuis longtemps de tout ce qui est la nature, les arbres et les fleurs; c'est
comme un une
soulagement pour nos cœurs fatigués,
très jolie chose,
trevue
Là,
calmante
à
contempler, en-
pour un instant seulement
Nous devons
relâcher deux heures; une embar-
cation du bord ira seule à terre, car
ment aux
ici,
contraire-
autres relâches, aucun canot, aucune pi-
rogue indigène ne viennent
à
bord encombrer
le
bateau de marchandises ou de bibelots du pays. Est-ce que
On
n'aperçoit
mon ile enchantée serait même pas d'habitants.
déserte?
J'accepte de descendre avec l'agent des postes et le
docteur. Le canot nous dépose au Gouverne-
ment,
à la
rêver,
ce jardin
maison de taines
Résidence plutôt. C'est
joli,
joli
à faire
exotique qui entoure l'énorme
pierre,
toute
simple,
rappelant
cer-
demeures Louis XVI, qu'on trouve encore
quelquefois n'est ni
en France,
logis confortable, qui
le
maison, ni château.
L'entourage, l'enclos de ce jardin colonial, c'est tout simplement le
long de ce
la
mer bleue
petit talus.
qui clapote gaiement
Des héliotropes gigan-
tesques, des roses de Bengale et des géraniums.
UNE ESCALE
A SAINTE-MARIE.
189
France, mélangées aux fleurs
toutes les fleurs de
des tropiques, poussent
fraternellement, sans
là
ou de
souci du trop grand soleil, de la vague
la
tempête.
Trois grandes marches de pierre servent d'escalier et
d'accès à
Résidence. C'est
la
Là
que nous
accostons.
Pendant que ces messieurs causent service remettent ture, faire
les lettres
de France,
je
et se
pars à l'aven-
une promenade autour de
la
maison,
dans ce grand jardin qui se continue encore très loin là-bas.
Ce
sont des plantations de café, de
des citronniers, poussant l'état
au hasard,
vanille,
la
un peu
à
sauvage, sans que personne y prenne garde,
toutes choses qui
embaument, dont l'odeur porte
à la tête, avec des senteurs grisantes de
parfums
trop forts.
Contournant
la
maison,
je vais
m'asseoir
un
instant tout près de la mer, au milieu des fleurs
de
joHes
verveines violettes,
reines-marguerites très roses,
justement,
comme
dans
et
:
des
les jar-
dins de campagne, en France. J'ai
voulu m'arrêter un instant, juste en face
d'une grande épave,
tristement échouée devant
MES CAMPAGNES.
190 ce pays
si
devant ces choses
riant,
du Lahoiirdonnais
l'épave
:
si
vivantes,
un beau grand bateau
qui, chassé par la tempête, s'en est
venu
faire
nau-
frage dans cette rade houleuse de Sainte-Marie, il
y
deux ans.
a bientôt
Hélas
!
presque tous des jeunes à bord, des en-
seignes surtout, dont trois ne purent être sauvés
;
comme
la
mer, toujours avare, garda pour
le
butin de cette grande bataille, ces trois pauvres
petits,
-si
braves,
elle,
enthousiastes pour
si
métier,
le
dont l'un, presque un ami d'enfance, avait
à tout
prix voulu devancer son tour afin de s'en aller
plus vite, disait -il...
C'est à ceux-là que
mot de
je
suis
souvenir, un adieu
!
venue
dire
un
petit
eux qui ne retour-
neront plus jamais au pays.
Presque en
flice
de ce coin charmant est
pays de Sainte-Marie
;
le vrai
nous reprenons notre canot
pour y aborder.
En
partant,
énorme bouquet c'est les
résident
le
un matelot
fait
à
me
à
une
remettre un
avec les fleurs de ce jardin
nous qui vient de
coupant rudement avec
pendu
fait
ficelle, la
même
;
les cueillir,
son gros couteau,
que pour son
sifflet
;
UNE ESCALE A SAINTE-MARIE. il
engloutit pêle-mêle dans sa large main et
les
me
les
moi pour
les
quand à
I9I
il
donne,
il
me
deux miennes
faut les
tenir toutes. Je les regarde avec
une admiration, un étonnement qui font autres
c'est qu'il
;
a
y
si
longtemps que
rire les
n'en
je
avais senti et touché de ces fleurs fraîches qui sen-
tent
si
bon.
Cette fois nous accostons n'importe où, où nous
pouvons
pas de marches, pas d'escaHer, un peu
;
de sable, des petits cailloux blancs qui font un drôle de bruit quand on hisse
le
canot pour des-
cendre.
Là,
de suite,
tout
ombragé qui longe
le
nous prenons un sentier
bord de
la
mer, rien que des
grands arbres, des palmiers, des fougères qui s'enchevêtrent dans un
beau
ici,
très
donné par
Où n'y
lequel
on ne
sont donc
a-t-il
c'est
encore
comme un chemin
aban-
fouillis
sauvage,
les
de verdure
passerait plus.
habitants de ce pays
?
ou
plus personne?...
J'obtiens de
mes compagnons de route quel-
ques renseignements, quelques voient pas ce pays pour
Cette
;
île
la
détails, car
première
de Sainte-Marie,
me
eux ne
fois.
dit-on, fut très
prospère autrefois, et fut entièrement construite
MES CAMPAGNES.
192
(c'est-à-dire ses maisons, sa résidence,
par un
neur;
c'est lui
son
comme
de marine envoyé
officier
église)
gouver-
qui créa en entier ce pays
il
y a
vingt-cinq ou trente ans. Elle eut
donc
ruinée grâce à l'abolition de
jour
où
vage
et à l'invention
elle fut
disons-le,
de
la
maudite
mort insolente qui plane sur nos fantôme
invisible,
pays tal,
:
prenant
beaux,
forts, les plus
fit
l'escla-.
betterave. Et puis aussi,
cette
fièvre,
la
son beau temps, jusqu'au
aussi
fièvre,
têtes
les plus
cette
comme un
jeunes, les plus
déserter petit à petit le
seuls, quelques indigènes, fidèles au sol na-
continuent de vivre sur cette terre insalubre.
Nous longeons
toujours notre sentier fleuri, de
temps en temps une potis de l'eau
trouée bleue et
jolie
nous rappelle que
que nous ne sommes
mer
la
le cla-
est là,
pas perdus dans une forêt
vierge.
Des fougères, des
lianes, des
mille choses verdoyantes et
en travers du chemin, sur
nous barrant
On
dirait
le
fleurs étranges,
moussues ont poussé
les arbres,
sur
la
route,
passage par instant.
qu'une
fois
tout
ce pays, la nature ait pris l'air, le soleil, la sève
le
pour
monde elle
parti de
toute seule
de vie destinée aux
hommes
UNE ESCALE A SAINTE-MARIE. et qu'elle s'en soit nourrie,
cent pour
un
et se
I93
abreuvée, produisant
multipliant avec épanouisse-
ment.
Et partout sentier,
où nous passons, en quittant
dans d'autres chemins qui mènent à
térieur, ce
;
tombant
unes sur
les
des
les autres, toits
pauvres petites cases avec leur jardin
encombré par des arbustes choses gigantesques
posséder
l'in-
ne sont que maisons en ruines, pierres
toutes vertes
effondrés
le
son escalier,
et des
fleurs
chacune
;
sa
barrière,
vermoulue; on sent que tout
cela
devenus
d'elles
dû
a
aujourd'hui a été gentil,
coquet, construit avec soin.
De temps
en temps, mais rarement, nous trou-
vons une case habitée; des enfants noirs, tout nus, jouent tristement sur
le
chemin
;
ils
ont
petits insectes, restés là, par hasard, au
toute cette verdure. la
Tout
l'air
de
milieu de
cela respire la misère,
ruine, l'abandon, tous ces vieux murs, toutes
ces
maisons délabrées suintent l'humidité
la
fièvre
Il
faut cependant regagner le
bord
et
pour
cela
nous allons retrouver notre canot qui nous attend à l'appontement,
un
MES CAMPAGNES.
petit
embarcadère qui sort de I3
CAMPAGNES.
^^^S
194
toute cette verdure, de ce fouillis d'arbres et de fleurs.
justement un grand rassemblement de
a
y
Il
de choses; tous
gens
et
nis,
hommes, femmes
tristement
indigènes sont réu-
les
et enfants;
ils
attendent
corps d'un des leurs, un matelot de
le
Sainte-Marie, mort cette nuit à bord de notre bateau
;
on
pauvre
promis de
lui a
homme,
et cela
ramener chez
le
lui,
le
aura été sa dernière joie de
venir reposer sur cette terre qui était
la
sienne.
Des vies rudes que celles de ces matelots noirs, si
vous saviez
Tous
!
les
bateaux de guerre faisant
campagne dans
ces pays-ci en ont toujours à bord
une quinzaine;
c'est à
eux que sont confiés en gé-
nérai les corvées pénibles, les plus rudes travaux,
eux
chaudes le
montent
qui
et, si
les
embarcations aux heures
des officiers descendent à terre pour
service, en pays inconnu,
c'est
encore eux qui
leur servent de guide et de défenseurs à l'occasion. Ils
sont de bons serviteurs en général, dévoués
comme
le
chien à son maître.
Tout doucement, nous voyons cer, les
hommes
par respect pour tent;
on
l'a
nagent le
très
le
canot s'avan-
lentement,
pauvre cercueil
qu'ils
comme appor-
enveloppé tout simplement dans un
UNE ESCALE A SAINTE-MARIE.
I95
drapeau français, un grand pavillon de laine,
grand que et cela fait
ses
deux pointes trempent dans
comme un
une dernière
sillon
sur la mer,
traînée de souvenir
noir, qui s'en vient
l'eau,
comme
pour ce pauvre
dormir pour toujours dans ce
pays aussi endormi, presque aussi mort que
même.
si
lui-
TAMATAVE
que nous débarquons
C'est sur du sable
du sable partout, du
sable dans les rues,
blanc
et fin
remplace là
le
sur cette quai.
grande plage
Toute une
ville s'est
joli
du
:
sable
infinie
qui
construite
sur cette terre mouvante, sur ce semblant de
désert. Par instant, dans les rues étroites, bordées
de grandes tites villes
et belles
maisons, on
dirait
de ces pe-
de bains de mer encombrées, agitées
bruyantes, dont
la vie
ne dure que
trois
et
mois de
l'année; et pourtant ce n'est pas cela, pas cela du
tout
même.
Toute gens
et
cette
agitation, tout ce va-et-vient de
de choses,
qu'on prépare;
c'est la
elle
guerre, l'affreuse guerre
règne
maîtresse absolue, chassant
ici
en souveraine, en
les
habitants de leurs
maisons, bousculant, renvoyant de leur logis des tas
de gens qui ne demandaient pas à partir.
TAMATAVE.
!<)']
Partout des maisons réquisitionnées pour y loger des troupes, des boutiques suspectes qu'on a fermées, des Chinois ou autres renvoyés du pays.
Des chevaux, des mulets, des voitures, tout pris,
confisqué pour être employé
tout cela est voulu, forcé; c'est
et
est
dans le service, la
guerre avec
ses exigences et ses férocités.
Pilotée dans la ville par des amis militaires,
pu quitter
le
bord pendant quelques heures
;
j'ai
de
cette manière, pas de permission extraordinaire à
demander pour descendre
à terre,
comme
cela se
passe en temps de guerre, puisque ce sont eux qui les
donnent.
C'est une grande agitation,
un grand
va-et-vient
d'indigènes, de soldats, matelots, officiers à pied, à cheval, portant des ordres affairé,
;
tout
monde
le
a Tair
préoccupé.
Dans une rue où nous passons, tout un poste de soldats, revolvers à la ceinture, sort le
colonel qui est avec nous; son
est et
une grande maison, gardée par des
dont on a Il
fait partir les
pour saluer
campement
à lui
sentinelles,
habitants.
y a de beaux magasins dans ces
jolies rues
de
sable fin, des maisons importantes, françaises, anglaises,
allemandes, mais pour
le
moment
beau-
MES CAMPAGNES.
198
coup
se ferment, la vie
devenant très coûteuse, très
difficile.
Presque toutes les maisons ont d'élégants jardins, ce qui égaie infiniment le pays.
De temps en temps
des chèvrefeuilles gigantesques, qui ont dépassé les limites, s'en viennent jusque dans la rue,
de
jolis rosiers
ou bien
grimpent entre deux maisons
;
car
poussent à foison, ce qui étonne
là aussi les fleurs
au milieu de ce sable, de ce pays sans terre, sans
comme
arbre,
Un
le
commencement du
désert.
petit chemin de fer Decauville traverse
rue principale, prenant à
chemin;
alors, tout à
lui
tout seul
la
coup, sans qu'on y prenne
garde, c'est un mulet, une voiture, a devant soi, vous barrant
la
un cheval qu'on
route; on n'a qu'une
ressource, la raison du plus fort étant toujours meilleure, entrer sous une véranda
maison pour
que
le
là
ou dans une
la
population soit dehors, cou-
pour des raisons quelconques, bien
pays soit très
mouvementé pour
l'instant,
tout se passe sans bruit, tout est tamisé par sable
De
la
les laisser passer.
Quoique toute rant çà et
la
moitié du
doux qu'on
leur côté aussi,
à leur manière.
le joli
a sous les pieds.
J'ai
lesHovas préparent
la
guerre
eu l'occasion aujourd'hui de
TAMATAVE.
199
voir une très belle photographie de leur colonel
un gentleman des plus
c'est
vington, aventurier de son métier, qui, rir ie
monde,
vient jouer
ici
;
corrects, appelé Serlas
de cou-
ne trouvant plus rien à faire, s'en au militaire. Mais pourquoi sont-ce
toujours des Anglais, ces sortes de faux ennemis
que nous rencontrons en
pays de
conquêtes,
essayant de se mettre en travers pour nous barrer la
route?
Au moment où
nous retournons sur
la
plage
voyons em-
pour reprendre notre canot, nous
barquer dans une chaloupe, accompagnés par des trois espions américains,
gendarmes, par
un bateau allemand
des
Hovas
;
ils
et
qui passaient
ici
du côté
sont ligottés, garrottés, tellement
me demande comment ils marcher; ils vont, comme nous, que
amenés
je
peuvent encore regagner
le
pa-
quebot, car on nous confie ce précieux dépôt avec ordre de
le
débarquer à Maurice;
anglaise, le reste s'ils ils
ont
le
c'est
une
terre
ne nous regarde plus!... mais,
moindre
désir de rentrer à Madagascar,
y arriveront facilement.
La mer
qui paraissait calme ce matin est deve-
nue furieuse;
le
vent
s'est
élevé
et la
rade est
mauvaise, plus houleuse encore que de coutume.
MES CAMPAGNES.
200
En moins vague
à
d'une minute nous voilà jetés d'une
une autre, de grandes masses d'eau se
lèvent autour de nous, et cela vous engloutit, vous
reprend à chaque coup de lame, faisant de notre
comme une
canot
pauvre petite chose sans force,
sans volonté;...
malgré
surhumains pour
se retenir
soi,
on
fait
chaque
des efforts
qu'on se
fois
sent enfoncer dans ces gouffres.
L'accostage est pénible, on avance, on recule; c'est
une manœuvre lente
prendre sur
le
le
et difficile
que
bon moment pour accoster
celle-ci
:
l'échelle;
pont tout garni de monde on nous regarde
avec anxiété. Plusieurs fois nous tendons
pour
saisir la
mais
c'est
les
bienheureuse corde de cet
comme une
nous reprennent
et
mains
escalier,
taquinerie des vagues qui
nous
ressaisissent
à
chaque
secousse, faisant craquer pitoyablement notre ca-
not, en
même
temps qu'une grande gerbe d'eau
nous inonde, nous
laissant couverts d'eau salée.
Enfin, profitant d'une seconde où
soulève plus haut que jamais,
deux mains, d'un bond suis sur le
pont!
la
je saisis la
lame nous corde des
j'attrape l'échelle, et
je
EN MER
Et maintenant, a repris tout à fait
comme
large,
le ;
grand calme de
nous voilà au
la
mer,
le
c'est
du bleu
:
le
bleu
bleu du ciel; c'est une étendue im-
mense de choses l'eau,
mer nous
disent les matelots.
Tout autour de nous, de
la
large, bien au
très
semblables, l'horizon et
confondent ensemble
qui par instants se
un grand repos pour
les esprits,
au milieu des agitations de
Et pourtant cela va
la
;
une grande halte
guerre.
finir, cette
navigation aura
peu duré, cinq jours seulement; mais dès qu'on est
en pleine mer, c'est une
tout l'univers, qu'on
temps
se
séparation d'avec parti
depuis des
infinis.
Notre pauvre paquebot bateau d'émigrants
pauvre
telle
croit
monde
;
tout
a les airs tristes d'un
le
pont
est
rempli de ce
d'indigènes et de créoles, toute
la
MES CAMPAGNES.
202
gamme
du noir au blanc, emmenés avec nous au
départ et qui avaient l'ordre de quitter Diego.
On
chercher un peu
était allé les
partout, les
dénicher très loin dans les campagnes, tous de-
venant des bouches inutiles avec
demain pays
et
nion,
il
;
alors
on
leur
demanda
comme beaucoup fallut s'en
le
étaient
guerre de
la
nom de
de leur la
Réu-
retourner, repartir pour cette
terre natale qu'ils avaient fuie, chassés par la misère.
Tous
ces gens-là sont des passagers de pont,
couchant à ils
peuvent pour C'est
vres,
débrouillant
la belle étoile et se
la
comme
nourriture.
un campement de bohémiens,
que notre bateau, pour
l'instant
!
très
pau-
Tous
les
pauvres objets, vêtements ou autres, sortis de case à la hâte, sont là, amoncelés sur
empaquetés dans de grands morceaux aux couleurs voj-antes, tous les pays noirs
;
le
le
pont,
d'étoffes,
pagne traditionnel de
ce sont des
monceaux de
quets et de petites caisses mal ficelées avec des
de déménagements très pauvres, ainsi au
grand
soleil,
la
et
paairs
tout cela va
en plein jour, prend des
airs
misérables qui font peine à voir.
Aux
heures des repas on
apporte de grandes
EN MER. platées
de
riz, l'éternel
riz,
dévore gloutonnement avec terre,
203
que toute les
la flimille
doigts, assise par
en cercle, avec des petites manières de singes
tout à
fait
comiques.
LA POINTE AUX GALETS.
—
ARRIVEE
DIFFICULTUEUSE
10 janvier.
comme un affolement général, quelque comme une bagarre indescriptible que cette
Ce
fat
chose
arrivée à la Réunion,
ou plutôt
à la Pointe
aux
Galets.
Nous
étions arrivés
le
lo au soir,
à la nuit, et
nous avions mouillé assez loin en rade, en attendant
le petit
Ce
jour pour être envoyés à terre.
fut vers 6
s'avancer,
heures du matin que nous vimes
péniblement remorqué par une cha-
loupe à vapeur,
le
chaland, l'affreux chaland tout
noirci de charbon,
sorte de vieux radeau de la
Méduse, qui devait nous
emmener nous
et
nos ba-
gages.
Cette Pointe aux Galets a vraiment mérité son
nom
:
c'est
un coin de
terre desséché, aride, sans
constructions, sans arbres, exposé à tous
les
vents
LA POINTE AUX GALETS.
2O5
ne ^ressemble en rien au délicieux pays que
et qui
nous devions trouver quelques heures plus Depuis longtemps déjà, faisait sentir à la
Réunion
;
tard.
besoin d'un port se
le
on
a construit celui-là
avec des bassins, des cales pour réparer
les
un parc
imponant;
à
charbon, tout
cela
assez
bateaux,
mais on Ta placé, on se demande pourquoi, de Saint-Denis,
heure de chemin de
fer
pour y
si
loin
encore une
capitale, qu'il fliut
la
arriver.
Toutes ces rades foraines de l'océan Indien sont généralement mauvaises, toujours houleuses. Autrefois, quand
Denis,
la
mer
était
on descendait toujours
si
à terre à Saint-
forte qu'on
pour débarquer, dans des
mettait,
nègres se passaient tout
marchandises;
je
comme
barils
vous
que
les
des tonneaux de
souvent entendu raconter
l'ai
par des marins et affirmer par des gens qui en avaient tâté.
Après ciers,
les
adieux du bateau, adieux aux
l'excellent
h
et
paternel
Ylraouaddy, on nous entasse à
pauvre chaland, tous, émigrés,
Et
le
les
bagages,
remous,
le
les
offi-
commandant de la
diable sur
noirs, les
le
blancs, nos
les colis.
grand remous de
entraîne très vite loin du bord;
les
la
mer nous
autres nous
MES CAMPAGNES.
206 regardent ainsi
de très
de
partir avec pitié
nous avons
car
l'air
d'un grand amas de marchandises avariées, choses qu'on aurait sorties du fond
vieilles
la cale.
Et
le
vent nous pousse et
la
houle nous soulève
avec un peu de tangage et un fort roulis, régulier
comme un Tout
lent
cela n'était rien
nous attendait J'en
balancement de
ai
l'eau.
en comparaison de ce qui
à l'arrivée.
gardé un souvenir de cauchemar, quel-
que chose
comme un
mauvais rêve
Ce débarquement du chaland
!
et le
sauve-qui-
peut des bagages au milieu de ce peuple noir qui se rue sur
vous
poussant des
comme une bande
cris féroces, se
de sauvages,
battant, s'injuriant
à la créole, s'interpellant par de gros mots, des
injures grossières dites
gue d'enfant, tout
naïvement dans
cette lan-
cela devait être assez curieux,
assez
amusant pour un spectateur inoccupé, mais
pour
les
pauvres acteurs
comme nous,
c'était
beau-
coup moins drôle.
Le chaland nous sins,
Oh
!
nous étions ces
comme
là
escaliers
avait déposés
comme de
au fond d'un puits
pierre,
des échelles, qu'il
dans un des bas-
immenses, raides
fallait
gravir, entourés
LA POINTE AUX GALETS.
lO'
des porteurs de nos caisses, lesquelles menaçaient
toujours de nous tomber sur
la tête, ces escaliers
sans rampes, sans parapet! et la foule noire qui rugissait, qui
hurlait, car les nègres se croient
toujours obligés de crier dès qu'ils travaillent
moindre peu
Et puis cette douane genre!...
le
!... !
Un
supplice d'un autre
Des malles éventrées sans
pauvres bagages
pées, des cadenas qu'on
sauter,
flùt
pitié,
des
des cordes cou-
pillés, saccagés,
une
vraie scène
comme
de sauvagerie jouée par des gens
nous,
qui se croient des civilisés.
Tout
ce
monde
au train, car une
pitalier,
la
manqué,
fois celui-là
aura plus qu'un autre
devra passer
journée
le soir ici,
au grand soleil, sans
m'étaient venus en aide
rie,
auquel
le
commandant
— On a souvent besoin dont
le
seulement,
asile,
et
on
sans abri.
:
un
pitié
de moi
soldat d'artille-
m'avait recommandée,
d'un plus petit que soi
—
bagage, étant très peu de chose, ne
donnait pas de préoccupations, les
n'y en
il
dans cet endroit inhos-
Des gens cependant avaient eu et
pour arriver
se presse, se débat
enfants sous sa protection; c'était
lui
de prendre
offrit
mon
bagage
MES CAMPAGNES.
208 le
plus précieux, mais
aussi j'acceptai
son
le
plus encombrant, celui-là;
offre.
Il
eut une idée géniale et partit en
«
Madame, pour
mener
à la
me
disant
plus de sûreté, je vais les
gendarmerie.
:
em-
»
Puis un bon Monsieur,
empressé, aux petits
soins, qui se confondait en excuses, en indigna-
tions
pays, faire
cette arrivée difficultueuse, dans
pour
un pays
« si
si
joli,
mal juger par
et je fus obligée
de
si
complet, qui
son
allait
se
cette première impression »;
le
rassurer, de
le
consoler,
lui
affirmant que, chez moi, les impressions passaient très vite.
Le le
train est là
;
chaland court à
c'est la la
dernière émotion
:
tout
gare, toujours suivi de nos
noirs dont l'excitation et les cris n'ont
fait
qu'aug-
menter. Il
sait
y
a aussi
d'où,
un
monde
tas d'autres
de noirs
et
gens venus on ne
de créoles comiques
au possible.
Des Madames toutes
noires, avec des ballons
de cheveux crépus très récalcitrants, sur lesquels est
perché un petit chapeau à
et
coquet; en général leurs robes sont
roses,
la française,
élégant claires,
bleues, blanches, beaucoup de choses des-
LA POINTE AUX GALETS. SUS, le plus possible, et,
209
surtout, ce qui est très
apprécié, très bien porté, une forte épaisseur de
poudre de
sur tous ces visages noirs,
riz
mant atrocement Puis des
jolis
patchouli et le corylopsis.
le
Missieax, très noirs aussi, portant
comme
des complets
peaux de toutes
embau-
les
sur
le
boulevard, des cha-
formes, mais par exemple leurs
bons gros pieds sont nus, dispensés
qu'ils
sont des
supplices de la civiHsation.
Une
dernière bataille pour faire enregistrer nos
caisses
dans cette gare en miniature, un dernier
assaut de coups de poings et d'injures.
De
loin, par-dessus toutes ces têtes crépues, j'a-
perçois le
gendarme
enfants
me
se les
;
il
fait
bienfaiteur qui a gardé
mes
me protéger,
qu'il
signe qu'il va
charge pour moi de jouer des coudes et de dire gros mots nécessaires pour arriver.
Enfin, au
moment
de prendre
inconnu vient vers moi d'un
envoyé par et
le
vu plus tôt
On
me Que
l'hôtel.
:
il
un est
venir en aide
ne
l'avais-je
!
se place
min de
air obligeant
capitaine C... pour
nous mener jusqu'à
les billets,
comme on
fer; c'est
un
peut dans ce petit che-
vrai joujou,
il
a les allures
de
ces petits trains qu'on tire des boîtes en carton,
MES CAMPAGNES.
I4
MES CAMPAGNES.
210 avec des
en vert,
wagons mal accrochés,
peints en rouge,
joujou bon marché,
joujou de bazar,
le
deux wagons pour
le
wagons pour
six sous, quatre
dix sous.
On nous
demande comment
se
et
nos nombreux
malgré tout, ce à
une
il
colis.
petit train
;
il
nous portera tous,
Et
nous emporte,
il
nous emporte
allure très respectable;
même
et voilà que, très
vite,
nous voyons
des
campagnes, des montagnes; nous passons
même
défiler
devant nous des
sous de petits tunnels
tout près de
la
mer
:
très
taillés
dans
le
roc,
joujoux aussi, ces tunnels.
Longtemps, nous longeons
le
de grandes plages interminables gris,
villages,
bord de Teau, fiiites
de galets
formant des étendues immenses, des monta-
gnes presque, car
De
la
mer
les
pousse toujours.
grosses vagues blanches, toutes mousseuses
d'écume, arrivent de
très
loin,
de l'immensité
bleue du large avec de petites crêtes argentées,
blanches aussi, qui augmentent à mesure qu'elles
approchent de
terre.
Toutes ces plages ont des la
mer mouvementée, que
airs
rien ne
abandonnés gêne
ni
range, vient s'y étendre avec délices, en raine,
et
ne désouve-
en maîtresse absolue, laissant après chaque
LA POINTE AUX GALETS.
211
vague un grand sifflement d'eau, ce bruit étrange
que font
les
lames en se brisant sur
les galets.
Les montagnes se rapprochent, de
mon-
jolies
tagnes toutes bleues avec beaucoup d'arbres, de verdure, des choses très vertes, qui ont s'accrocher après,
puis
derrière
elles,
montagnes, absolument grises cette
l'air
de
d'autres
fois,
dénu-
dées, déchiquetées, qui font des découpures bizarres sur ce ciel, d'un bleu trop violent.
De temps
en temps, une petite station, un court
arrêt de cinq
d'autres
minutes; quelques noirs descendent,
montent
;
un
petit
coup de
sifflet
aigu et
notre joujou se remet en marche.
Enfin voilà
la
ville,
des
monuments,
des mai-
sons importantes, des casernes, un clocher
:
c'est
Saint-Denis.
Une le
figure
amie nous attendait
capitaine C..., qui fut
mon
leur des pilotes pendant les sai
dans
la
capitale.
à la gare, c'était
sauveur
et le meil-
deux jours que
je
pas-
—
LA REUNION.
comme
Rien n'est drôle pays; moi,
elle
SA VIEILLE HISTOIRE
m'amuse,
la
elle
géographie de ce
me
carte de cette curieuse petite terre. je
ne voudrais pas
faire
et apprécié
Dans
En
disant petite
mieux que personne,
splendides, poétiques et grandioses à la fois, la
j'ai
au delà de tout.
montagnes pittoresques, absolument
ses
eu, pour
la
de peine aux habitants de
ce délicieux endroit que,
aimé
passionne,
première
fois
hors de France,
la
j'ai
sensa-
tion que j'aimerais vivre là, et jamais je n'avais
éprouvé cela nulle part.
Très tous
Bourbon avec
sanctifiante aussi la carte de
les jolis
noms
une constellation,
qui l'entourent
c'est
;
une auréole sainte:
comme Sainte-
Marie, Sainte-Suzanne, Sainte-Rose, Saint-Philippe,
Saint -Joseph,
Saint-Pierre,
Saint-Louis,
Saint-Leu, Saint-Gilles et Saint-Paul.
LA REUNION.
Tous
SA VIEILLE HISTOIRE.
nommés
ces pays furent ainsi
ancienne époque,
de
—
la jolie
vigateurs.
213
une
à
très
celle des belles frégates à voiles,
marine du temps passé, des grands naLes gens partaient
bravement,
sans
ordre de retour, pour des années, souvent pour des temps infinis, à la découverte de pays incon-
nus, étranges, sans cartes et sans pilotes, et
donnaient
le
vraient le
nom
plus souvent à la terre qu'ils décou-
noms
leurs voyages,
pour
avaient atterri.
ils
se passionnaient
ces pays
les
de leur bateau ou bien
des saints du jour où Ils
ils
pour
nouveaux, pour ces
terres qu'ils allaient
conquérir, tous ces marins d'autrefois
ils
;
fai-
saient de belles et intéressantes choses, c'étaient
des vies enviables que laisser des
fants,
comme
comme
nôtre.
souvenirs de notre enfance, que la
les
tour Eiffel et des expositions uni-
Panama,
verselles, les histoires de
voyages présidentiels
Ah!
le
qui n'aurons à raconter à nos petits-en-
merveilles de
les
qui devaient leur
souvenirs autres que ceux qu'ils auraient
gardés d'un temps
Nous
les leurs et
siècle qui portaient,
14 Juillet
et
!
oui, cela devait être bien
d'être de l'époque de ces
les
plus
amusant
beaux bateaux de
au lieu de tous ces
l'autre
noms de
214
CAMPAGNES.
^^^^
comme
guerre foudroyants et insolents
nos jours, des
noms
jolis
ceux de
d'espoir, de poésie,
de
saintes choses.
Tels furent
les
noms
XIV
partirent sous Louis
pays inconnus
ces
VHeure-dii-Berger,
des premiers bateaux qui à la découverte de tous
VÈtoile-du-Matin , V Espoir,
:
la Perle,
Sainte-Marie,
la
la
Vierge-du-bon-Porl
Et puis de cette alors
ile,
nom
— son histoire
la
d'il
si
y
drôle, l'histoire
a très
longtemps,
que
l'habitait encore,
connaissaient à peine,
les
désignant sous
la
de Petite terre inconnue.
Ces deux
îles
étaient sœurs, bles,
curieuse,
est si
que personne ne
marins le
elle
que
les
si
de Maurice .
navigateurs
Elles avaient de jolis
de-France
et l'île
et
de
les
Réunion
la
près l'une de l'autre,
si
sembla-
confondaient.
noms
très français (l'Ile-
Bourbon) qu'on
s'est
empressé
de leur enlever, avec cette férocité de notre époque de vouloir supprimer tout ce qui a été, détruire
même le
en pensée des choses qui ont existé
et
dont
souvenir n'eût gêné personne. J'ai lu
des choses très intéressantes sur ce petit
pays dans un gros livre très savant. N'est-ce pas que cela paraît toujours étonnant
—
LA RÉUNION.
SA VIEILLE HISTOIRE.
femme
de penser qu'une
puisse
21
quelque chose
lire
Eh
de sérieux, un livre autre que des romans. bien! et
comme
suis
je
même
ce qui
vous, cela m'étonne aussi,
m'étonne
plus, c'est
le
que nous
puissions nous en souvenir; vous avouerez que je n'ai
aucune
nos pauvres cerveaux de
illusion sur
femmes, tout
petits, pas
compliqués
raient en retenir beaucoup
Mon de
gros livre savant s'appelle
Bourbon
l'île
Madagascar, par
de
Les Origines
I.
Guïet. C'est
Les appellations
pourrait
là qu'il est dit
noms de la
saints
Réunion
le
donnés
ce à
:
aux différents points
laissées
pas un vocable de
côte n'étaient
comme on
:
de la colonisation française à
toutes ces petites localités de
la
ne sau-
et
qui suit, au sujet des
«
et qui
à la fois.
penser.
On
paroisse,
les devait
géné-
ralement au premier navire dont l'équipage avait
campé
à terre assez de
temps pour que
de son
nom
ci
tous ces
un faux
restât fixé
noms de air
Toutes petit pays
:
saints qui
de calendrier.
les il
la localité.
le
souvenir
Delà viennent
donnent
à la colonie
»
nations se disputèrent longtemps ce faisait
Les Portugais, miers, mais n'y
les
envie à tous.
Hollandais y vinrent
restèrent
pas.
les
pre-
Nous occupions
MES CAMPAGNES.
2l6
Madagascar depuis longtemps, depuis 1600 environ, que nous ne connaissions pas encore Bour-
bon
des navigateurs y étant passés en avaient
;
des récits
si
merveilleux,
fait
enchanteurs, qu'on
si
envoya successivement beaucoup de frégates avec mission de découvrir à nouveau cette
On
la disait
île
enchantée.
inhabitée, mais elle possédait tout
ce que la nature peut produire pour rendre
une
population absolument heureuse.
Le
plus drôle, c'est qu'on eut beaucoup de peine
N'ayant aucune carte exacte de tous
à la retrouver.
on s'imagina longtemps
ces pays,
qu'il
y
avait là,
en plus de l'Ile-de-France, alors appelée Sainte-
ApoUonie, deux sait
îles différentes
Mascareigne, du
nom
:
une qu'on
bapti-
du navigateur portugais
qui l'avait découverte, et une autre qu'on désignait
sous
nom
le
de Jean-de-Lisboa. Pendant tout
xvii^ siècle, les
cette troisième île imaginaire
une émotion, à
il
le
navigateurs s'acharnèrent à trouver ;
un d'eux eut un jour
crut l'avoir découverte, ayant vu
peu près dans ces parages un papillon voltiger
autour de son navire.
Ce et,
d'ailleurs
fut
vers
tout ce
qu'on en
vit
jamais
1780, on se rendit compte que Masca-
reigne et Jean-de-Lisboa ne faisaient qu'une
île:
LA REUNION.
Bourbon,
SA VIEILLE HISTOIRE.
connue des Français
déjà bien
et
217 colo-
nisée par eux depuis plus de cent ans.
Ce
donc pas
n'est
d'hier
que furent inventées
colonies et voilà déjà très longtemps que nous
les
avons
déplorable habitude d'aller vivre loin de
la
chez nous, quand on
Très drôle, rent à
la
Bourbon
qu'ils vinrent
y
serait si bien
au pays
façon dont les Français :
!
s'établi-
ce fut absolument par raccroc
faire
souche.
Sous Louis XIII, une compagnie de navigation, autorisée par RicheHeu, envoya de Dieppe
un
cer-
tain Pronis avec des navires et des colons. Ils eu-
rent d'abord
la
malencontreuse idée de
Sainte-Marie, où un tiers couragés, à
ils
se
rembarquèrent
Tholongare où, pour
digènes,
ils
mourut des
bâtirent
et
s'établir à
fièvres.
Dé-
vinrent s'installer
se défendre contre les in-
un
fort
qu'on appela Fort-
Dauphin, en l'honneur de Louis XIV, enfant.
Un
fort, c'était bien
dans, Pronis,
homme
;
mais une
fois
trouva que ça manquait de femmes en épousant une Malgache
De
tous
les
enfermé de-
d'imagination vagabonde,
;
:
il
y suppléa
ce fut son malheur.
coins du pays arrivèrent une nuée de
cousins et arrière-cousins de
M™^ Pronis, réclamant
des vivres, de l'argent, des cadeaux. Les ressources
MtS CAMPAGNES.
2l8 de
colonie allaient y passer; les colons se révol-
la
tèrent et jetèrent Pronis en prison, pendant la
femme
que
compagnons.
infidèle s'enfuyait avec ses
Heureusement pour Pronis, des
renforts arrivèrent
de France au bout de six mois
;
il
fut délivré et
douze révoltés des plus dangereux furent déportés à la
grande Mascareigne.
La pénitence
un pays où
quittant
on
sère, tit
où
paradis
vécurent l'ile.
ils
envoyait
les
comme dans la chanson;
fut douce,
la
avaient
comme
maladie
abondamment
failli
mourir de mi-
punition dans un pe-
était
inconnue
et
où
ils
des produits naturels de
Et quand, quelque temps après,
le
successeur
de Pronis eut l'idée d'aller voir ce qu'étaient deve-
nus
les
malheureux déportés,
gras, dans
que
le
Au
un
trouva gros
les
faisait
complètement défaut.
de cette aventure, l'imagination des
Fort-Dauphin
s'exalta
;
tous
volontiers rejoint leurs camarades et effet
un
et
état de santé d'autant plus évident
vêtement leur récit
colons de
il
certain
nombre de
il
eussent
y eut en
transfuges. Les bateaux
de passage laissèrent aussi à Bourbon des déserteurs et des
malades,
et la
population s'augmenta peu à
peu. Mais tous ces gens-là étaient des rien que des
hommes.
hommes,
— SA
LA REUNION.
Un
VIEILLE HISTOIRE.
navire avait cependant,
un jour dix noirs eurent un
tel
trois
et
est vrai,
il
négresses,
219
débarqué lesquelles
succès que, pour sauvegarder leur
honneur de nègres, ceux-ci durent immédiatement
femmes dans
s'enfuir avec leurs
où
ils
En
firent
les
montagnes,
souche.
i66j, un amiral compatissant, dont
le
nom
mérite d'être conservé, Mondevergue, débarqua à
Bourbon cinq jeunes
Françaises. Inutile de dire
que, quoique sans dot, elles ne furent pas d'un
placement
difficile
que toute
la
:
c'est d'elles
que descend pres-
population blanche de Bourbon, où
l'on retrouve encore les
noms
de leurs maris, ce qui
prouve à quel point cette colonie
est
profondément
française.
Cependant augmenter
la
et,
population mascuUne continuait à
en 1671,
la
colonie ne comptait pas
moins de deux cents Européens jours que cinq
voyez. Enfin
femmes
les
;
c'était
;
bert «
n'y avait tou-
peu
réclamations et
pérés des colons furent entendus
Regnault,
il
les ;
comme
vous
appels déses-
leur gouverneur
homme doux et généreux,
écrivait à
Col-
:
Ne
pauvres
pourrait-on envoyer de France quelques filles,
pour
les
marier avec des garçons qui
MES CAMPAGNES.
220 attendent des
femmes depuis
si
longtemps
pauvres personnes étaient assurées de cette
? Si ces
bonté de
la
du bien qu'on leur veut procurer,
île et
elles
feraient certainement le
voyage dans l'espérance du
bonheur qui
dans un climat
les suivrait
Cette demande touchante par Louis
XIV
;
le
grand
roi,
si
enfin
fut
doux.
»
accueillie
mieux que personne,
pouvait compatir aux peines de ces sujets lointains;
il
fut
donc décidé qu'on enverrait
On
un sérieux convoi de femmes. un orpheUnat, venture.
Ce
Très mal le
fut toute
une odyssée. bord de
h.
capitaine de Beauregard,
deux moururent en route
On
une rude traversée se rembarquer, avait
;
;
la
Dunherquoise par
homme
Fort-Dauphin après
déclarant formellement qu'on les
envoyées au loin pour les
les
marier, qu'elles
voulaient pour fem-
et qu'il était inutile d'aller plus loin.
résister
et brutal,
passagères refusèrent de
verneur de Fort-Dauphin n'eut pas
et,
dur
Beauregard s'en réserva
arriva à là, les
trouvaient des colons qui
mes
Bourbon
seize qui consentirent à tenter l'a-
traitées
une troisième.
à
en trouva, dans
le
Le gou-
courage de
aux demandes énergiques de ces jeunes
malgré
les
filles
ordres du roi qui avait destiné les pas-
sagères a Bourbon,
on
les
maria à Fort-Dauphin.
LA RÉUNION.
De dont
là,
—
221
SA VIEILLE HISTOIRE.
femmes malgaches
révolte et grève des
colons s'étaient jusque-là contentés,
les
comdu
plot, massacre de la moitié des blancs, blocus
gouverneur
du
et des autres à l'intérieur
Le passage inopiné du Pigeon-Blanc sauver
fort.
vient les
tous s'embarquent à bord de ce navire qui
;
dépose dans une colonie portugaise, où
les
nouveaux ménages
part des
Deux seulement
le
nombre
colonie à sept. Plus tard filles
de
celles-là
plu-
restèrent.
finirent par arriver à
en 1672, ce qui porta
la
il
des
Bourbon
femmes de
en vint d'autres,
la
les
grandirent et, petit à petit,
la
colonie se peupla.
Mon à
auteur insinue que les Parisiennes envoyées
Bourbon devaient
être le
point de vue physique.
dans toutes
les
A
dessus du panier au
époque on
cette
colonies des envois de
faisait
femmes dont
on ne pouvait pas toujours garantir la beauté, ce qui donnait souvent Heu à des réclamations, et
Colbert avait reçu entre autres, des Indes, une lettre fort vive
mes amers de « Si ces
du gouverneur, la
se plaignant
en ter-
mauvaise qualité du dernier envoi.
femmes,
écrivait
ce
dernier, ne se
ma-
rient pas plus vite, c'est qu'elles sont trop laides. »
Le
succès obtenu par celles de
la
Dunkerqttoise
fait
MES CAMPAGNES.
222 supposer que
celles-ci
puisque, à toutes
veur de
A
du moins devaient être
les escales,
on
jolies
se disputa la fa-
garder.
les
longue, des colons sérieux, des familles
la
nombreuses vinrent tablirent
ils
à
Bourbon. Partout où
encore aujourd'hui selon leur légende grettes, de la
:
terrifiants, la
nos plus
On
retrouve
les
dangereux ou
gais,
pointe des Avirons, des Ai-
Ravine au Malheur, du Gouffre, des
etc.; la rivière des Pluies,
des Marsouins, du Bel-Air,
Le pays
s'é-
donnèrent des noms pittoresques qui
tous avaient une raison d'être.
Orangers,
ils
alla
des Chèvres,
etc.
toujours croissant et devint une de
belles colonies, jusqu'au jour
où
la
ruine
arriva avec la suppression de la traite et l'appari-
tion
du sucre de betterave. Aujourd'hui, Bo^^bon
est fini
;
il
y
a encore de belles constructions, des
maisons magnifiques, mais on sent que vétusté règne en maître dans ce petit pays dont
les
beaux
jours sont passés.
De
toutes ces jolies choses
il
ne reste plus
qu'une grande misère, des noirs inoccupés, des propriétés abandonnées, et voilà ce que nous appe-
lons
le
progrès colonial
! ! . .
EN ROUTE POUR SALAZIE
Nous laissant
quitterons Saint -Denis demain j'espère,
ici,
moustiques
les
hébété, vous
laisse
enlève
matin, la
cha-
vous anéantit,
leur, la grosse chaleur lourde qui
vous
et
vos
toutes
fa-
cultés.
Nous nous Salazie,
très
Bourg
là
:
enfuirons vers ces montagnes de loin,
où sont
dans
petit village
le
l'hôpital
thermales, et où toute
la
d'Hell-
militaire, les eaux
population civiHsée va se
réfugier pendant les grosses chaleurs.
Oh
!
il
a fallu
beaucoup de pourparlers avant
de décider ce voyage, beaucoup de difficultés pour
nous
et
retenir
nos bagages, beaucoup de peine aussi pour
une servante, une négresse
sente à monter, car là-haut ces
dames
campagne
et ces ;
on
il
fait
d'ici
qui con-
froid, et puis
demoiselles noires s'ennuient à
la
n'a plus la distraction de la ville et
MES CAMPAGNES.
224
beaucoup
l'on se fait
tirer l'oreille
pour
partir dans
montagnes.
les
Rien n'est drôle
monde
comique
et
comme
de noirs jouant au monsieur, à
à la demoiselle, et se
prenant tout à
tout ce
dame
la
fait
et
au sé-
rieux.
Ah
!
ont bien compris
ils
même
bons nègres, voire et ils
en profitent à cœur
C'est
la
tous ces
liberté,
l'égalité et la fraternité, joie.
servante de l'hôtel qui m'a procuré
la
la
mienne, une négresse amie. Nous avons eu une petite entrevue, tre,
on
avons «
est
Tune
l'engagement,
à l'au-
et
je
nom), m'avait
dit la servante,
Et madame
ma
un grand
rap-
appre-
»
bonne m'arrive en
efi'et
doux, une dame toute noire, une
veuve même, car
elle
comme
cachemire,
qu'il
cherchais une négresse.
Oui, oui, amène-la.
air très
nous
par nous entendre.
Tu veux, Madame, mi l'amène à toi, ça mon amie, madame une telle » (je ne me
nant que
très
a présentées
a discuté les prix,
fini
pelle plus le
«
on nous
les
porte un
énorme
avec un
madame châle de
veuves en ont en France,
châle qui lui va très mal et qui lui tient
chaud
;
elle a
même
des bottines qui craquent,
EN ROUTE POUR SALAZIE. seulement
je
ne suis pas sûre
225 ait
des bas
langage enfantin
et naïf,
qu'il
y
dedans.
Nous causons dans un
dans ce jargon créole qui est une langue d'enfant
amusante au possible,
émaillée de locutions
très
maritimes, un peu du langage du matelot, puisque ce sont eux les premiers qui parlèrent notre langue
dans ce
pa3'S
guer, et
les
;
on
dit
amarrer, souquer, espérer, lar-
expressions équivalentes, c'est à peine
noirs les connaissent.
si les
Nous nous tutoyons tout
Ma
bonne consent
soigner petits babas (enfants),
:
peu cuisine lents, des très
tous.
», et tout cela est dit
balancements de
avec des airs do-
tête et des
doux qui vous endorment
à
« faire petit
et
mouvements
vous engourdis-
sent.
Puis quand aller,
elle
je lui dis
l'endroit
où nous
regarde sa compagne d'un
effrayée et l'idée de ces
montagnes
air
allons
un peu
fraîches la fait
frissonner à l'avance; elle se blottit dans son châle
avec
le
mouvement
de quelqu'un qui a très froid
me montrant ses belles dents gros rire, elle me dit « Ça l'est et,
:
blanches, d'un froid
même
là-
haut. » C'est entendu; iMES
elle
CAMPAGNES.
viendra demain matin au I5
MES CAMPAGNES.
226
petit jour avec ses malles et tous ses paquets les vois déjcà ces petits
de ces
baluchons. J'en
tant
ai
déménagements de négresses, de
quets volumineux roulés dans
les
;
je
vu
ces pa-
indiennes du
pays, amarrés avec de petites cordes très fines, tressées en bourre de coco.
Nous avons de fer;
c'est lui
retrouvé notre joujou de chemin qui nous a
Descendus au
village
menés encore une
de
avons trouvé notre voiture,
une voiture
;
elle avait
le
cela peut s'appeler
dû être calèche dans son
jeune temps, mais à présent avoir gardé que
nous
Saint-André, si
fois.
elle
me
semble n'en
nom.
Trois bonnes petites mules,
l'air
un peu sau-
vage, vont nous mener jusqu'à Salazie, où
il
fau-
dra relayer et changer nos bêtes. Il
y
qui est
a là aussi, à côté de la nôtre, la
une voiture
diligence; elle est encore bien plus remar-
quable, celle-là; c'est une espèce de break avec des
formes tout lage,
à fait bizarres.
pourvu
La nôtre
qu'il
Mais qu'importe
l'atte-
nous mène.
s'appelle
un mylord
;
c'est
ma bonne
qui m'en avertit, elle a conscience de l'importance
de notre équipage
;
aussi
est-ce avec
un
certain
EN ROUTE POUR SALAZIE. mépris qu'elle regarde
22/
voyageurs s'en-
les autres
tasser dans la diligence.
Ce
pays doit ressembler
quelque chose
à
comme
1830 conservée, témoin cette voiture appelée mylord, et puis les
noms
donne encore volontiers; pour
M""* de Staël qu'on
porterait des
manches
à gigot.
traversons tout
le village
de Saint-André
un peu on
Nous
encore
c'est
et brûlé
prétentieux de l'époque de
le
bord de
la
;
mer, un peu desséché
par ce soleil ardent; de grandes haies de
cactus bordent les routes, de vrais remparts qui limitent bien
les
chemins
nous dépassons
;
les
cases, les maisons, les routes poudreuses.
Les clochettes de nos mules font sortir joyeu-
sement
les habitants
en temps
c'est
de leur intérieur; de temps
un énorme cochon noir qui dor-
mait tranquillement dans réveillons en sursaut.
Il
la
poussière et que nous
se jette affolé dans les
jambes de nos bêtes, pousse un grognement rible et va rouler
un peu plus
ter-
loin.
Puis bientôt nous entrons dans
la
vraie
campa-
gne, débordante de végétation, éclatante de couleur
;
c'est
idéalement beau!... et pourtant cela
ne ressemble à
rien.
Nous côtoyons d'abord
les
montagnes avant d'y
MES CAMPAGNES.
228 entrer tout à
fait
chemins étranges
ce sont des
;
qui changent d'aspect à chaque tournant, des
chemins tout
du trop grand
abrités
verts,
par de grands arbres très légers, des la
verdure
est fine et transparente,
tamaris
les
monte, ça descend,
ça
;
soleil
dont
filaos,
un peu
jolis
comme plein
c'est
d'imprévu ces chemins de montagnes. Je ne sais plus
chose
:
;
que
c'est
nom de ces villages, j'ai oublié ne me souviens que d'une mes yeux et mon cœur se repo-
le
ceux des routes
je
saient délicieusement, oubliant
angoisses de C'était
la veille et les
un
gnes verdoyantes
vue que ces monta-
la
ces routes
!
les
soucis de demain.
pour
tel régal
pour un instant
semées de
fleurs, ces
fougères, ces lianes, ces mousses humides!...
me
semblait que
temps en temps
me
un doux
je fliisais
je
fermais
Il
rêve, et de
yeux, craignant de
les
réveiller trop tôt.
Notre mylord
est
lancé à
mules galopent gentiment
toute vitesse,
et le
nos
bon noir qui con-
duit notre attelage sifflote avec joie.
Madame ma grand châle, la
se prélasse fièrement
voiture, elle
vements de
bonne, toujours drapée dans son
ma
dans
le
suit avec attention tous
figure,
mon
fond de
les
étonnement
et
mou-
mon
EN ROUTE POUR SALAZIE. admiration; chée
même
elle est flattée
nom
le
me
dit
les petites histoires,
des ravines, des montagnes, les accidents, se sont passés
que nous traversons. Elle d'un ton traînard naïve de parler
exclamations
et
et,
;
de
ajoute chaque fois
même
me
dans
même
endroits
doucement,
dit cela
je
et
pousse souvent des d'admiration,
elle
:
joli,
mon
pays?
Oh!
ça
l'est
!... »
Toutes deux, madame ma bonne le
les
toujours avec cette manière
comme
surprise
Vi trouve ça
beau, beau
dans
très touelle
événements qui
((
évidemment,
de voir que j'apprécie son pays;
m'en raconte toutes
les
229
et
moi, unies
sentiment, nous promenons nos
regards admirateurs tout autour de ces très belles choses.
Devant nous passent les
les ravins, les
routes à pic,
grands précipices où sont entassés des
de verdure, des arbres de toutes sortes
côtoyons à
les
;
fouillis
nous en
bords, poussant des cris de frayeur
chaque tournant.
De temps
en temps
chaume, toute seule sur de
jolies fleurs
c'est le
une case au
toit
de
bord du chemin, avec
de France, des petites roses sau-
vages qui grimpent tout autour.
MES CAMPAGNES.
230
Nous passons
sur des ponts de fer, immenses,
suspendus au-dessus de grandes rivières, pour l'instant à sec et qui
deviendront torrents
peu,
d'ici
à la saison des pluies.
Tout d'un coup nous
voilà
comme
dans de grands couloirs: ce sont qui se resserrent; fois.
De
très
les voici très
les
enserrés
montagnes
près de nous cette
haut, coulent des milliers de petites
cascades, toutes minces
comme
des lacets d'argent
qui serpentent dans cette verdure.
Oh ces
!
oui, elles sont belles, elles sont délicieuses,
montagnes de Bourbon
;
par instant elles de-
viennent toutes bleues, poudrées de nuages blancs très légers, des petits
nuages qui ont
l'air
voler et de vouloir se poser partout. est reposant,
Vers
1 1
lazie et
à
Bourg.
de s'en-
Tout
beau à voir, sans jamais se lasser
cela !
heures nous arrivons au village de Sa-
midi
et
demi nous sommes
à
Hell-
UNE LETTRE POUR FRANCE
Hell-Bou'-g, février 1895.
Ma Vous
chère amie.
verrez par cette lettre que
j'ai
en-
franclii
core une nouvelle étape. Je pense que ce sera dernière avant
mon
Voilà un mois que
j'ai
après nous pour
devait partir peu de jours
due, seule avoir pas
ici
avec
me
mes
si
sens
le
Ma-
moindre
avant d'y rien...
misérable,
si
per-
enfants; et pourtant je vais
mal d'occupations avant
mois de mars. Oh!
précisément choisi,
mari
ces jours d'attente
si
mon
vous savez peut-être que j'attends
pour
la
la ville
nous ne savons
Ai-je besoin de vous dire je
pas eu
je n'ai
nouvelle; on a dû bombarder installer les troupes, et
mon
Diego;
quitté
junga. Depuis ce temps-là,
sont douloureux?
la
retour en France.
le
départ, car
le
moment
mais croyez-vous
bébé n°
3
n'est pas
qu'on
le
MES CAxMPAGXES.
232
trouverait jamais,
Cela
me
si
on
fera rentrer
avait le droit de le choisir?
en mai,
j'aurai juste
un an
d'absence. C'est ce que j'avais promis aux miens.
Nous avons gieuses et
ici
un hôpital
un jeune médecin
les
dernières cam-
pagnes; mais les soldats, que je sache,
étoile
J'espère que
!
mettaient
n'}^
ma bonne
ne m'abandonnera pas encore cette
Nous sommes dont
monde
les
ici
femmes de
trois
femmes de devoir
également occupées
dont on pourrait
bon
C'est un
et
faire
village
menons
à rendre des points
comme
aux plus sérieuses, vivant
fois.
militaires
maris sont à Madagascar; nous
des vies de
reli-
qui, dit-on, s'est fait
remarquer au Soudan pendant
pas d'enfants au
des
militaire,
des béguines,
préoccupées de nos enfants
une crèche. que
celui
où nous habitons
:
une seule rue, des maisons perchées de chaque côté;
car
nous sommes complètement dans
montagnes, quelquefois dans connaissais
la
vraiment broder là-dessus, ce ne
endroit
ce
que
est
nuages.
Si
je
Suisse, je vous dirais que c'est tout
mais n'y étant jamais
à fait cela;
Tout
les
les
je
allée,
serait pas
je
n'ose
honnête
!
puis vous dire, c'est que ce petit
délicieux,
niché dans
montagnes, au miHeu de
la
le
creux
des
verdure, des cascades
UNE LETTRE POUR FRANCE. Mais
et des fleurs.
je suis
seule à profiter de toutes
ces choses et je regrette presque
bien que
vaillance et
ma
Vous devez tie
gaîté
sera cette
marche
où tous
Quant aux troupes
les
Hovas
?
que tout
la fiè-
le reste.
qui maintenant occupent
côtes, elles ne seront plus le
je le
Tanana-
plus terrible, croyez-moi, sera
vre, bien plus difficile h vaincre
viendra
monde,
fameuse campagne.
réunis nous attendent avec anxiété le
le
militaire vers
rive, la ville sainte, la capitale!
L'ennemi
ma
entrain,
!
du corps expéditionnaire, car tout
Que
je crois
avoir beaucoup d'amis qui feront par-
vois, veut prendre part à cette
la
Diego;
mon
dans ce pays
laissé
j'ai
233
bonnes
mois de mai. Pauvres gens
à !
rien ils
les
quand
auront eu
plus mauvaise part, car ayant été beaucoup à
la
peine, je crains fort qu'ils n'aillent pas à l'honneur.
Tamatave
L'état sanitaire de fait
monter
ici
à
est déplorable;
chaque courrier quantité de
dats minés par les fièvres et dont la vue seule
peine à voir.
Que
sures,
vous
fait
sera-ce dans trois mois? que
va-t-on faire? tiendra-t-on sur
mai? Si l'on prenait
on sol-
à ce sujet
le sauriez
les
côtes jusqu'en
quelques sages me-
avant nous.
Beaucoup de gens venus de Madagascar un peu
2
MES CAMPAGNES.
34
de tous
les
dans
petit hôtel
dresse des
la
commerçants ou
montagnes de
les
Notre
tallée
points,
autres, dont
sont interrompues, viennent se réfugier
les affaires
lits
Salazie.
de
partout;
Source
la
est plein
moi-même
suis ins-
j'y
depuis un mois, n'ayant encore pu trouver
moindre
Mon
petite case.
voisin de table est
sage à Bourbon,
voyagé
à
tumes qui
le
un explorateur de
M. Wolff;
Madagascar
et
il
beaucoup
a déjà
vous en entendrez sans
part ses petites drôleries de cos-
font
vaguement ressembler à M Vieux.
bois à la recherche de
la
belle Elvire,
c'est
aimable causeur, inteUigent, très instruit
le
pas-
A
doute parler.
ment
on
;
un
et vrai-
pas trop raseur pour quelqu'un qui a couru
monde. Tous
les jours,
il
part en promenade,
avec des guides, pour explorer très sérieusement les
montagnes environnantes;
il
a soin, avant son
départ, de faire envoyer aux enfants
de framboises sauvages cueiUies dans
une la
corbeille
montagne
par son boy, un petit nègre qu'il a acheté sais
où
et qui le suit partout.
je
Les enfants ont
ne la
reconnaissance de l'estomac généralement, aussi les
miens
appellent-ils
cet
monsieur aux framboises
)>.
aimable voisin
:
«
le
UNE LETTRE POUR FRANCE. La température soir
fait
il
est délicieuse ici
très frais et,
comme
beau jour d'été
dans
la
:
et le
journée, c'est
en France.
Que
choses on eût pu faire dans ce pays des installations, des cases
2}$ matin
le
:
de
un
jolies
construire
un peu plus confortables
et coquettes, planter des jardins potagers, car tout
pousse
ici,
légumes qu'on ne cultive pas
les
et
sont déjà délicieux. Les roses, lettes et les petits pois
où on
les
met;
sauvage
et
arbres;
mais
les
les fraises, les
viennent gentiment partout
héliotropes croissent à l'état
camélias sont grands
les
nonchalance
la
vio-
créoles est effrayante, et tout ce
des
comme
des
noirs et
des
monde, paresseux
à faire frémir, a de grandes prétentions dès qu'il s'agit
du paiement.
Notre courrier de France nous apprenons ce n'est
la
terai ce pays,
au
démission de M. Casimir-Périer;
donc pas seulement
tristes choses?...
vie,
est arrivé aujourd'hui;
si
Au
qu'il se passe
ici
revoir, chère
tout va bien et
commencement de mai
Dieu
si
;
amie
;
me
je serai
Paris en juin.
L
de
je quit-
prête
donc à
NOTRE CASE
Ce
n'était pas qu'elle fût bien élégante, bien co-
même
quette, ni
rien de tout cela
confortable c'était tout
;
comme
maisons
ces petites
non,
:
n'avait
elle
bonnement une de
en ont
les
ouvriers
dans une honnête aisance, avec, en plus, l'apparence bien coloniale des cases de ces pays-là.
perchée tout au
Elle était
comme
adossée à
grise, très dure,
la
bord de
montagne,
la
et c'était la
un peu verdoyante par
route,
roche
endroits,
qui servait de murailles à notre petit enclos.
véranda formait
mur en
pierre qui
de parapet C'était tie
comme une
dominant
assez élevée,
et
là
la
nous
La
espèce de terrasse
route, et soutenue par servait en
même
un
temps
de clôture.
que nous passions
de nos journées,
là
la
plus grande par-
qu'on guettait
la
diligence
arrivant chaque jour, nous apportant les lettres.
NOTRE CASE. les nouvelles,
les
commissions
voyés de Saint-Denis. C'était de
la
journée, tout
le
monde
voiture pour y chercher
un
237
grosse émotion
la
allait à l'arrivée
la
fraîcheur de
montagnes.
L^
diligence
remontait toute
la
qu'à l'hôpital militaire, y déposer les
la
de
un ami, ve-
parent,
nant se reposer quelques jours à ces
paquets en-
et les
soldats malades,
rue allant jusles
ofîiciers et
ceux qui du moins étaient
assez forts pour supporter les cinq heures de voiture.
Oh
!
ces pauvres figures amaigries, ces joues
creuses et ces mines de fiévreux j'avais la
même
peine à
les
!
toutes les fois,
voir défiler devant moi.
PETITS BABAS
Une
assez
bonne personne après tout que ma-
dame ma bonne; seulement,
la
poussière
très indifférente et la civilisation
Elle s'était attachée h
comme
moi
la laissait
encore bien plus
et, loin
!
de vouloir
me
quitter,
fait
adopter ses deux babas, deux négrillons très
drôles, qui ne
devenus je
ne
deux
me
le
je
craignais, elle m'avait
quittaient jamais et qui étaient
compagnons de jeux de mes enfants
les
faisais
pas
un pas
très blancs, et
sans
deux
mes quatre
enfants
;
;
très noirs.
Le jour où nous devions
entrer chez nous, elle
m'avait raconté d'un ton larmoyant que son petit
baba, à était
elle, laissé à la ville
devenu tout
triste
aux soins des voisins,
depuis qu'il n'avait plus de
maman. C'était
une rusée
,
elle
prendre et quelle corde
il
savait fallait
comment me faire vibrer. Je
PETITS BABAS. n'hésitai
pas
et
je
tout de suite, un peu
lui dis
attendrie de son récit
« Fais-le
:
dras avec toi à la case.
239
monter, tu
une né-
aller
chez monsieur Vépicier, dont
montaient de Saint-Denis deux
les charrettes
par semaine,
commander son
mènerait avec
les provisions.
Le surlendemain, le
pren-
»
Alors très vite, aussi vite que peut gresse, elle courut
le
ladite
petit
fois
haha; on
l'a-
charrette s'arrêta sur
chemin, juste en face de notre maisonnette.
Ce
furent d'abord des poignées de mains, des
échanges de poHtesses, des bonjours vraiment
très
corrects entre le noir qui conduisait les mules et
madame ma bonne;
puis
on déblaya un peu
charrette et, entre deux sacs de et
pommes
une provision d'oignons, on dénicha
la
de terre
en
le colis
question; seulement, figurez-vous qu'il avait fait des petits
:
au lieu d'un seul on en découvrit deux
même comme un mouton, un vrai La mère me regarda un
Il était
vait pas osé «
Tu
!
!
!
très drôle le second, tout petit, frisé
m'avouer
sais,
sœur
l'a
chose
mon
fini
peu confuse,
elle n'a-
celui-là.
Madame, mourir
nègre en chocolat.
!
n'a plus de l'a
petit baba. »
donné
maman à
moi
!
ma même
li ;
MES CAMPAGNES.
240
généralement bonnes mères, toutes
Elles sont
ces négresses si
touchée, et le
;
me
celle-ci
drôlement, avec une le
raconta son boniment,
telle
naïveté, que j'en fus
second négrillon fut adopté
comme
premier.
Le dimanche, tout les
dames de
et-un. éclatait
On
le
monde
se faisait très beau,
l'endroit tout à fait sur leur trente-
étouffait
dans des corsages de soie, on
dans des collerettes montantes très serrées
au cou, chacun s'en trouvait très mal à son
mais au moins de cette façon on
était habillé
aise,
comme
en France; on ressemblait aux dames des journaux de modes reçus par
même
qu'il
dernier courrier. Je vous dirai
le
y en avait de
très
charmantes, pas du
tout à dédaigner, de ces jeunes
qui se pressaient dans
les
femmes
bancs de
grand'messe de huit heures, venues chanter à l'orgue de grands
L'éghse cieuse,
était toute
comme une
champ
jolies fleurs
allées
là aussi
pour
compHqués.
en bois, très large, très spa-
se trouvait le cimetière
des morts
tout entouré
à la
l'église,
belle chapelle coloniale.
peu plus loin derrière petit
airs
créoles
;
ce
était plein de gai soleil,
de grandes
montagnes, avec des
qui poussaient à l'aventure, dans
comme
Un
sur les tombes.
les
PETITS BABAS.
Madame ma pour
offices
les
jour-là son
chemire
on les
faisait
du dimanche;
elle
grand châle de veuve,
et ses bottines
en liberté
on
bonne aussi se
de
les avait lavés,
briqués
tout à
paraître
fait l'air,
sa
robe en caelle
laissant ses pieds
endimanchait, et quand
comme
leur mettait des habits faisaient
remettait ce
d'une madame.
toile qui n'avaient rien elle les
belle
corde certaines blou-
et usant jusqu'à la
Ses petits aussi,
très
En semaine
neuves.
moins élégante, par exemple,
était
ses
24I
de
toile
encore plus
cette fois,
des marmites,
blanche qui noirs,
ayant
d'avoir été passés au
Nubian. Alors, toute l'après-midi, c'était une grande fête,
car
on
s'en allait faire l'école buissonnière
très loin avec tous les enfants
sentiers perdus,
village,
dans des
des chemins de chèvres qu'eux
seuls connaissaient et par se glissant
du
comme
où
seuls passaient,
en
des serpents, leurs petits corps
grêles.
MES CAMPAGNES.
16
BOTANIQUE DE PETITS NEGRES
Quelquefois aussi nous faisions de grandes pro-
menades dans d'école, car
les
mes
montagnes, après enfants d'adoption,
heures
les
mes
petits
bibelots noirs, passaient de longues heures sur les
bancs de
la classe,
épelant sans le moindre entrain
b a ba, b o bo, connaissant,
pour leur malheur,
toute rhorreur de l'école laïque et obligatoire. qui étaient
faits
pour vivre dehors, au grand
comme
Eux
soleil,
de leur pays; quelle
en plein
air,
injustice
que de vouloir leur apprendre la grammaire
et l'histoire
les plantes
de France
!
s'en allaient bravement,
Ils
comme
miers,
de petits
marchant
les pre-
hommes, nous servant de
guides, en général. C'est qu'ils connaissaient très
bien petits
le
pays, donnant des
noms aux moindres
chemins, aux sentiers de montagnes, aux
cascades, traversant habilement les rivières et les
BOTANIQUE DE PETITS NEGRES. torrents que nous rencontrions,
Teau
comme
Quand
barbotant dans
poissons chez eux.
les
n'y avait pas de ponts, vite
il
chercher des grosses pierres,
raient
243
jusqu'à nous avec
exclamations,
des
me montrer
soupirs, pour bien
les
que
ils
cou-
traînant
des
gros
c'était lourd,
que ça leur donnait de
la
étaient très forts
triomphalement, quand ce
pont de pierre
;
puis,
était
peine, mais qu'aussi
ils
mes guides nous
terminé,
faisaient signe d'avancer, offrant leurs mains, tout
leur petit corps faible
pour qu'on s'appuyât dessus.
Je remerciais beaucoup, faisant
ments et, quand on
force
compli-
rentrait au village, je leur
payais des bâtons de sucre, tout parfumés de vanille,
qu'on achetait chez
chand,
le
même
l'épicier,
l'unique mar-
qui nous vendait de
la
moutarde,
des bananes et des allumettes.
Souvent fleurs
on cherchait des
aussi,
qu'on rapportait pour mettre dans
où tout poussait
si
vite
ver la moindre chose.
Il
qu'on y
un de
comme
;
dès
qu'on aper-
ces petits points rouges,
très loin et très haut,
le jardin,
avait plaisir à culti-
avait aussi des fraises des
bois, des framboises sauvages cevait
plantes, des
n'importe,
ils
que ce
fût
bondissaient
des petits singes, s'accrochant à
la pierre,
CAMPAGNES.
^^ES
244
aux arbres, aux lianes
Et à
voir ainsi, courant
les
agiles et joyeux, je
pays de à
moins
les vrais
fièrement rapportaient
voulant à peine y toucher, par dis-
leur butin,
crétion.
et
me
de verdure avait été
soleil et
qu'ils n'eussent été faits
enfants de
Moi-même tions que
pour
pour eux,
lui; c'étaient
nature.
donnait
le
que
maladies,
les
les explica-
plus grand sur les pro-
priétés des herbes et des plantes
pays emploient pour
lestement,
fait
m'amusais à écouter
je
me
la
si
vraiment, ce
disais que,
les noirs
fièvre et les
la
bobos. Il était très fort là-dessus ce
du
bambin, qui
pouvait bien avoir huit ou neuf ans, l'autre n'en avait
que cinq,
et
d'un
air très
drôle de petit langage créole,
il
sérieux, avec son
me
faisait
tout un
cours de botanique que j'écoutais avec un grand intérêt. Il
ne
les
trouvait pas toujours tout de suite, les
plantes dont
il
m'avait
fait
la
description
;
quel-
ques-unes ne poussaient, que dans l'eau, ou bien très
haut dans
la
montagne, ou
même
encore près
de certaines cascades, à côté d'autres plantes qui lui
servaient
consoler
comme
de ne pas
d'indication; et,
me
ment, pensant que ce
pour
me
les
montrer immédiate-
serait
un regret pour moi,
BOTANIQUE DE PETITS NEGRES. il
me
promettait d'y
aller
un autre
jour, de
245
me
les
apporter bien sûr.
On
s'attardait
plantes, dans ces
souvent dans ces découvertes de
promenades
petits mâtins, les blancs
à l'aventure, car ces
comme
les noirs,
m'en-
traînaient quelquefois très loin à travers des che-
mins inconnus, eux qui couraient
comme
des
la-
pins, pensant toujours qu'on était à cinq minutes
de
la case.
Moi,
je
me
laissais faire,
force de vivre seule avec eux
redevenue enfant, à ;
je parlais leur lan-
gage, nous jouions ensemble et tout cela était
comme un
repos d'esprit, un
moment
milieu des grandes inquiétudes reprendre, dès que j'aurais quitté
qui le
de répit au allaient
me
calme de ces
LE VILLAGE
On
suit d'abord tout le
chemin du
village, l'u-
nique rue, où sont étagées de chaque côté
les
mai-
sons d'Hell-Bourg; petites cases plus ou moins
importantes selon leurs possesseurs
les plus jolies
;
n'étant pas louées, mais habitées par les propriétaires.
Presque toutes ont des jardinets qui viennent jusque sur
la
route et dans tous, c'est une profusion
de fleurs qui violettes
embaument
:
bégonias gigantesques,
parfumées que l'humidité de
la
nuit et
la
rosée du matin se chargent de faire fleurir toute l'année.
Et tout de suite tant très droite,
la
montagne commence, mon-
comme un
grand éventail, cou-
verte, elle aussi, de choses verdoyantes et de ces fines cascades argentées qui font
un murmure
assez
un
bruit discret,
doux qui semble venir de
très
LE VILLAGE.
Quelquefois aussi, on l'entend très près de
loin.
soi ce petit bruit, c'est tout
qui traverse si
247
route
la
gentiment,
si
passe
elle
;
bonnement une source
discrète,
si
là
sous vos pieds,
imperceptible, qu'on
n'a pas envie de lui en vouloir.
Une l'église
menant
autre descend tout le chemin si
;
limpide,
à
transparente, avec ses petites
si
plantes d'eau semées de fleurettes blanches, du cresson, des mousses,
un
de
tas
jolies
choses dans
ce ruisseau bruyant et agité, car elle coule très vite,
un peu
affolée, la petite
vant plusieurs maisons et
source
;
elle
les habitants
passe de-
l'enjambent
simplement en rentrant chez eux, sans jamais maudire grande
;
puis
elle
va se perdre dans une
s'en
rivière qui, elle, fait
dégringolant
la
la
montagne
et
un
bruit terrible en
roule tout écumeuse
sur des grosses pierres noires.
Nous
avions tant
manqué
d'eau à Diego, nous
n'en avions pas vu pendant des mois d'aller très loin, et
caïmans, que voir tous jolie
me
à
moins
de s'exposer aux surprises des
c'était
pour nous une vraie
les jours ces cascades, ces
joie de
sources, cette
eau pure et transparente, qui se perdait ainsi;
car cela il
,
me
choquait de
semblait qu'on
la
la
voir couler pour rien,
gâchait.
MES CAMPAGNES.
248
Le
jour de
mon
arrivée,
en passant devant
grande source du pays, qui coule de le
chemin
et qui est
quelle tout le
solée
Ah »
!
route
.
mais nous nous
!
du tout que
là
de
c'est la faute
;
veau sur
Tout
cette
le petit le
je
sommes trompés de
la petite
source
à fait
voulais vous conduire. Re-
sentier et
au bout, sont
pour lesquelles
nous serons de nou-
il
;
les
celles qui
constructions sé-
ne ferment jamais,
n'y a ni bonne, ni mauvaise
saison et dont les habitants restent l'église, le
du médecin Étrange
et celui des et
La porte
dure
;
toute l'an-
là
presbytère, l'hôpital,
le
celle
la
maison
de Lakmé.
d'entrée, la véranda,
perdent dans un
logement
sœurs.
délicieusement coloniale,
du docteur, absolument
tière se
et ce n'est
;
grand chemin d'Hell-Bourg.)
rieuses de l'endroit
:
eau qui se
.
montons
née
la-
vient puiser, je m'écriais dé-
donc toute
voyez
!
(Tiens
pas
fontaine publique à
:
«
perd
monde
la
la
haut sur
très
la
case tout en-
fouillis d'arbres et
de ver-
des Hanes sauvages, des grosses pervenches
bleues,
une foule de
au pays, poussent
là
fleurs curieuses, particuhères
en
liberté,
grimpant partout.
Et sur toutes
LE VILLAGE.
249
ces jolies choses,
un peu dans tous
du jardinet, des
les coins
petits jets d'eau discrets
pleurent silencieusement. C'est
là
que tout
le village défile
pour un bobo ou pour une
médecin de
combe pour
la
chaque matin au jeûne
fièvre, et c'est
marine, en service à l'hôpital, qu'in-
ainsi dire la responsabilité
tous ces pauvres gens
deux docteurs que
;
j'ai
un rude métier
connus
ici
de soigner et
dont
les
s'acquittaient, je
vous assure, avec un soin touchant.
Les sœurs aussi vivent
à côté,
de paix, un coin tranquille
dans un petit
asile
calme, tout près du
et
médecin, plus près encore des malades qu'elles soignent.
Nous leur faisons souvent moi, avec tous
et
les
notre
enfants,
comme
lages de France
où
M.
bonnes sœurs.
le
curé et
A voir
le
les
jardinet
les fleurs alignées
visite, ces
dans
dames les vil-
l'on va voir la société,
si
propre,
en bordure,
les treilles le jet
dont
de raisin,
d'eau
mono-
tone, tombant dans un bassin de poissons rouges,
on
se croirait bien loin,
dans n'importe quelle
campagne de chez nous. Pas de bruit, pas d'agitation
et
pourtant on est
MES CAMPAGNES.
250
nombreux
à
la
maison
l'école des petites
:
né-
gresses, orphelines la plupart, travaillant à la cou-
sœurs, malades elles-mêmes, venant
ture; des
souvent de très loin, qu'on envoie fièvres se refaire il
faut être
si
atteint,
France. Elles vont
pant avec
les
présidant à
chez
elles,
;
pour retourner en
viennent au jardin, s'occu-
et
autres; souvent nous les trouvons leurs
la lessive,
vées jusqu'aux coudes
tordent
à l'abri des
ici
un peu pendant quelques jours
le linge
elles
;
manches de
toile rele-
savonnent, rincent et
avec ardeur, et cela
grosse mousse blanche plein
les
fait
de
la
chaudrons de
cuivre.
On
va chercher
litesse
la
timidité,
et
mère supérieure
sœur
la
entre au parloir. Et cela petit salon
de couvent
;
insiste
et,
avec po-
pour qu'on
m'amuse de retrouver il
me
semble que
je
ce
suis
redevenue tout d'un coup une pensionnaire, avec
mes cheveux dans un
On
filet et
mon
tablier noir.
nous apporte de grands fauteuils imposants
— bleu, — on
recouverts de housses blanches
dessous
il
y
a
du velours
je parierais
aussi des petits carrés de tapisserie
sous nos pieds, car les
que
nous donne pour mettre
c'est ciré, tellemient ciré,
enfants s'y jettent par terre toutes les fois.
que
LE VILLAGE.
dames veulent
« Si ces
25
I
mère va
s'asseoir, notre
venir. »
Mais, justement, ces dames ne veulent pas seoir, c'est
cérémonieux,
Nous
—
:
—
«
car
on
La sœur frappe dans
de
orphelines
est
ses
si
poli
dans
mains, pas
Deux
maison
la
chaises de paille, et
énervés
dans ce couvent
comme sement placée
,
très fort,
nous apportent des
nous nous asseyons pour
at-
et !
les agités
bienfaisant
qu'un instant passé
Nous-mêmes, nous
parlons bas
dans une éghse, contemplant silencieula
vierge de plâtre un peu verdie, qu'on a
mïvement
pagnie des
calme
cou-
supérieure.
la
les
les
petites négresses,
Quelle cure de calme, quel repos
pour
ne vous
Enfants, des sièges. »
presque avec précaution.
tendre
ma sœur,
»
Et alors, vite vents
le jardin.
resterons dehors,
tourmentez pas.
s'as-
intimidant ce petit
si
nous aimons mieux
parloir; «
si
et
à côté
du
poissons rouges.
de sérénité
est
jet
un peu
de toutes ces sœurs, dont
la
d'eau, en
com-
Son expression de la
même
que
celle
vie s'écoule paisible,
mais remplie, dans ce petit logis monotone.
Dès
qu'on a dépassé ces
deux maisons, on
MES CAMPAGNES.
252
tourne brusquement
et l'on traverse
un
petit
de bois un peu vermoulu qui passe sur rivière.
Une
les créoles
ment fait
;
emharateuse
la
grande
comme
celle-là,
ce n'est pas qu'elle possède
d'eau, ni qu'elle soit très profonde
:
pont
disent
énorménon,
elle
surtout beaucoup de bruit pour rien, tombant
avec fracas, sautant d'un rocher à l'autre, arrachant tout sur son passage, laissant après elle de l'écume,
de
la
mousse qui monte dans
l'air
comme une
va-
peur blanche.
Et maintenant un grand cirque immense, formé par toutes ces montagnes; beaucoup d'espace, de
du
l'air,
soleil,
le
ciel
bleu devant soi.
plus enserré dans ce grand couloir village; c'est
un
véritable
On
comme
n'est
dans
le
changement de décors,
des petites routes en lacets, de très petits chem.ins
qui s'accrochent à
rectement à
la
la
montagne, nous mènent
di-
source d'eau thermale, une source
chaude, ferrugineuse, qui a une vraie réputation et qui est Il
y
du
reste très agréable à boire.
a toute
douches
une
installation
très bien organisées
;
pour le
les bains,
des
matin, toute
la
population en villégiature à Hell Bourg descend boire son verre de cette eau réconfortante, très
appréciée aussi des Anglais de Maurice, qui vien-
LE VILLAGE. nent
le
plus
possible,
253
c'est-à-dire
rarement,
à
cause de ces stupides quarantaines qui sont une taquinerie perpétuelle entre les deux très difficile le
De
voyage de Tune
temps en temps, en
les enfants,
rendant
iles,
à l'autre.
allant à la source avec
nous rencontrions un vieux gentleman
qui se faisait conduire dans
la petite
chaise à por-
teur du pays, qu'on emploie généralement pour les
explorations
paraissait se trouver très bien
il
;
de son traitement,
était frais et rose,
quoique
re-
levant, disait-il, d'une grave maladie.
Il
n'y avait pas que cette source dont
tants d'Hell-Bourg et de
avaient une autre, tout à
montagne,
à Cilaos
;
l'ile
fait
les
étaient fiers
de
mais on y
:
habiils
en
l'autre côté de la
allait
peu,
le pa3^s
ne possédant pas de médecin, on n'osait guère
s'y
aventurer et s'y soigner à l'aveuglette; cette eau, assez vigoureuse
comme
effet,
est,
de plus, une
source froide.
Que
de choses encore j'eusse aimé voir dans
ce curieux pays; rien et les
noms
que d'entendre
les créoles
voyageurs en parler entre eux, dire
les jolis
des plaines et des montagnes, j'étais prise
de désespoir
à
l'idée
que
je
ne
les
verrais pas.
CAMPAGNES.
^^^S
254 C'étaient
le
:
fameux Piton des Neiges,
la
plaine
des Palmistes, d'où l'on dominait tout l'horizon
de
la
mer,
la
Brûlé, tout à
plaine des Cafres, le pays du
sur
fait
Grand-
côte et où se trouvait le
la
volcan.
Loin de ressembler à
celui
dont
il
est
question
dans cette
jolie pièce
de Gondinet:
avaient
un volcan
et ils l'ont laissé éteindre
ils
celui-ci n'était pas éteint
pendant
les
du
tout.
grandes marées,
il
«
Malheureux! »
!
Souvent même,
se passait, racon-
tait-on, des choses merveilleuses et effrayantes
une grande
lutte terrible entre la
mer, qui voulait
à tout prix éteindre et ensevelir cette feu,
montagne de
qui crachait avec fureur de
et le volcan,
:
la
cendre et des pierres, usant de toute sa force pour refouler cette
mer
envahissante.
Et longtemps cette
bataille continuait^ les forces
étant presque égales. saient,
comme un
De
grandes vagues se dres-
cheval qui se cabre, sur la mal-
heureuse montagne, laquelle se défendait de son
mieux, brûlant tout les noirs
effrayés,
ment pour garder
le
pays d'alentour, faisant fuir
mais combattant courageusesa place
au
soleil.
Petit à petit, les choses finissaient par se calmer et
tout rentrait dans l'ordre,
comme
sur
un aver-
LE VILLAGE. tissement d'en haut
;
vagues diminuaient
et,
la
mer
255
s'apaisait, les
grandes
devenues de petites lames
toutes simples, elles s'en retournaient honteuse-
ment lĂ -bas
se perdre au large, dans le
grand
infini
de
LE PETIT CHAT
Elle ressemblait lés et
beaucoup à ces
petits chats
pe-
couverts de suie, qui se pelotonnent au coin
des cheminées de pauvres. C'était une petite négresse, encore plus noire que les autres,
que
je
ne savais jamais de quel côté
tournée. Je
la
faisais
parler
pour voir
si
noire
elle
était
ses
yeux
qui brillaient et sa rangée de dents blanches qui servait
comme
de phare à toute sa petite per-
sonne. Elle pouvait bien avoir dix ans,
son âge au
juste,
comptent pas
les
comme
années
ne sachant pas
tous les noirs, qui ne
et vivent tout
de
même,
sans calendrier. C'était la
bonne de ma bonne
s'étant plainte qu'elle avait
qui ne
la
(cette dernière
beaucoup à
contrariais jamais, je lui avais
petite servante,
dont
la
faire,
moi,
donné
cette
principale occupation était
LE PETIT CHAT. d'aller
chercher de l'eau à
toute
la
journée,
la
matin,
le
vêtue de
comme
elle,
pauvres
ça
elle faisait
;
soir, par la pluie
le
comme par le grand soleil. De la véranda, où j'étais passer,
2)7
source)
souvent, loques
je la
voyais
toutes
noires
qui montraient ses genoux et qu'elle
une
appelait sa robe. Elle rapportait sur sa tête
grande cruche pleine d'eau, trop lourde pour son petit corps faible, et cela dégouttait
comme
des
larmes sur ses épaules, sur son dos, sur ses mains
maigres sans qu'elle y
prît
garde jamais.
Et toujours cette mine de
beaucoup battu voyant
si
et qui a été
misérable,
si
En
très mouillé.
pauvrette,
des envies de l'adopter tout à recueillir
qu'on a
petit chat
il
me
prenait
fait celle-là,
un peu comme on ramasse
les
la
de
la
animaux
martyrisés que des gamins vont jeter à l'eau avec
une
pierre au cou.
Mais son père
était
un
ivro-
gne, un mauvais noir, qui m'eût sans doute de-
mandé beaucoup pour
me
d'argent,
vendre son rejeton
que ;
je
n'avais
pas,
alors je renonçai à
ce projet.
Quelquefois
elle
n'y
tenait
l'importance de ses fonctions,
plus elle
et,
oubliant
se mettait à
courir, à faire des parties de cache-cache folles;
MES CAMPAGNES.
I7
2)8 je
xMES
CAMPAGNES.
l'encourageais au lieu de
consolait
comme avait
Chat.
un peu de
les
la
autres. Je
un nom; nous
ne
la
gronder
et ça
me
voir rire et jouer tout sais
mĂŞme
pas
si
elle
l'appelions toujours le Petit
NOS LETTRES
Mars.
Les jours de courrier étaient des jours d'attente et
de grosses émotions. Pas rassurantes et déjà
terribles, les nouvelles car. la
qu'on recevait de Madagas-
Les troupes arrivaient en masse
maladie,
les fièvres,
et,
avec
elles,
qui causaient de grands ra-
vages.
Ces
jours-là, la diligence était toujours
en
re-
voyageurs en grand nombre,
tard, ayant pris des
sans compter tous les sacs de lettres à distribuer
aux pauvres
exilés des
montagnes.
gendarmes nous
Je ne sais trop pourquoi, les
avaient pris sous leur protection le
;
nos
lettres,
grand cachet du corps expéditionnaire,
impressionnés militaires,
et cela leur disait l'effet
en sorte qu'ils nous
gravement, un peu
Nous
étions
comme
donc
les
avec
avaient
de papiers
les distribuaient
des procès-verbaux.
servies les premières,
moi
sur-
MES CAMPAGNES.
260 tout, dont la
maison
on
vres lettres
!
dant on ne
les
était à côté
les avait tant
la
poste. Pau-
attendues et cepen-
ouvrait qu'en tremblant.
Bien plus pénibles encore,
darme
de
les
jours où le gen-
passait devant la case, faisant signe qu'il n'y
avait rien
pour nous.
BEBE
18 mars.
Elle était tite,
venue au monde,
un mauvais
pauvre toute pe-
la
soir de pluie, par
une nuit d'orage
terrible.
Des jeunes femmes amies m'étaient venues en prenant mes enfants chez
aide,
nuit avec moi. ces colonies!
Dieu que
sait
Comme
comme on
on
les
passant
la
hospitalier dans
est
s'aide
qu'on a besoin
elles et
mutuellement!
et
uns des autres
et
services qu'on se rend ne sont pas su-
les
perflus.
Les enfants qui vinrent
le
lendemain matin
fu-
rent étonnés de cette petite sœur, l'attendant de
France
comme un
gence
cependant, Jacques, plus poétique et plus
;
naïf, n'hésita
apportée
la
colis qui arriverait par la dili-
pas à penser que
les
anges l'avaient
nuit, sur leurs ailes.
Ce bébé était, comme beaucoup de ses pareils,
ni
MES CAMPAGNES.
262
très laid, ni très joli, tenant le milieu entre tite
souris et
On
un petit
une pe-
lapin également nouveau-nés.
donna des noms baroques qui désolèrent
lui
les assistants et
son d'être
:
qui pourtant avaient tous une rai-
Que
«
voulez-vous? leur répondis-je,
tant de gens faisant de longs voyages rapportent
des bibelots de prix, des souvenirs, des coquillages; moi, je reviens avec des enfants; ce ne sont
pas des
noms que
je
leur donne, mais des éti-
quettes simplement, pour qu'on sache le pays ils
où
sont nés. »
Cependant Bébé eut un
petit
nom
malgache,
On
lui choisit
car elle était plutôt de Madagascar.
un parrain qui
fût de la
marine aussi
une mar-
et
raine de France, dont la très sûre amitié à tous
deux Il
lui porterait
y
un peu bonheur dans
la vie.
eut, pendant quinze jours, des pluies tor-
rentielles,
qui avait
un
l'air
vrai déluge venant des
montagnes
et
de vouloir nous engloutir tous. Les
habitants étaient terrifiés
;
pas
moyen
de
fuir,
toutes les communications étant coupées.
La
diligence ne montait plus; les routes effon-
du
petit
exilés
dans
drées en plusieurs endroits, les poteaux
télégraphe enlevés, nous étions
comme
une autre planète, loin de tout
et
de tous.
BÉBÉ.
La
263
nuit surtout, c'était efFra)^int
:
les
portes et
battaient; les négresses, épouvantées,
les fenêtres
un cy-
poussaient des cris de terreur, croyant à
clone
et,
sur
faisait
un
tel bruit
de
la
route transformée en rivière, cela
qu'on se
serait cru
en chemin
sous un tunnel.
fer,
Dans bottes,
journée,
la
trempé
si
une vraie
le
médecin venait
qu'il avait
difficulté
que
me
voir, en
peine à entrer
d'aller
c'était
;
de l'hôpital à notre
case et d'en revenir.
Les cascades déboulinaient maintenant des montagnes
comme
de vraies chutes d'eau, des torrents,
qui tombaient de très haut, avec
Toute beau
ment
seule à la case
fracas.
devenue obscure, car notre
soleil s'en était allé aussi, je regardais triste-
toutes ces choses par la petite fenêtre qui
de
était à côté
mon
lit.
Quand nous fûmes moi,
un grand
je fis
tagnes, et
mes adieux le
bien rétablis, à ce
même mylord
le
temps
déUcieux pays de
et
mon-
qui nous avait amenés
eut l'honneur de nous reconduire à Saint-Denis.
Je passai
là
huit jours,
on ne peut mieux reçue,
dans une famille à laquelle on nous avait recom-
mandés
;
j'eus le
temps de voir
la ville et les
envi-
MES CAMPAGNES.
264
rons, de m'apprêter au grand départ pour France et
de trouver pour embarquer avec moi une bonne
bretonne, native de
Guéméné, égarée
à
Bourbon
depuis six ans.
Le
9 mai, V Amazone
petits «
babas
» et
nous emporta, moins
madame ma bonne
les
qui nous firent
des adieux touchants, et qui n'auraient pas mieux
demandé que de continuer
Nous devions mettre junga:
on
j'étais
disait les
mon
pour aller
à
Ma-
sans nouvelles depuis quelque temps;
troupes déjà en route
m'embarquai, priant jusqu'à
l'existence avec nous.
trois jours
ma bonne
retour en France.
;
étoile
anxieuse,
de
je
me guider
MAJUNGA
Voilà
pour
longtemps que j'attends sur
si
pont,
le
être la première à voir cette terre de
Ma-
junga!!!
Enfin, vers lo heures du matin, nous mouillons
en rade, assez loin du pays. Vingt-trois bateaux, portant tous
le
pavillon français, sont là, rangés
comme pour
une
flotte, et c'est
un
même
bataille;
c'est
imposant, cette
spectacle unique.
On
plus les navires entrants, tant
il
ne signale en arrive
;
tout doucement nous nous plaçons près d'eux, en
attendant
la
Santé
rien d'intéressant,
;
du
reste, notre
n'amenant
bateau n'a
ni troupes, ni
mu-
nitions.
Le commandant m'explique qu'à moins de contre-ordre,
heures
;
il
ne compte rester que deux ou trois
aussitôt qu'il aura
pagnie, on partira.
vu l'agent de
la
Com-
MES CAMPAGNES.
266 J'ai froid
Alors,
il
au cœur en entendant cette sentence.
n'aura peut-être pas
temps de venir
le
jusqu'à bord, sil est encore à Majunga, lui que
venue voir
seul j'étais
Et tout
ici!...
glace à la pensée qu'il faudra s'en s'être
vus une dernière
pagne!...
ment
corps se
avant cette rude cam-
qu'il faudra repartir sans s'être
serré la
main
!...
cette joie d'embrasser
camp de Majunga fois
fois
mon
retourner sans
moi qui
voulais lui
seule-
donner
amener au
ses enfants et
ce bébé, pour qu'il le vît
une
seulement, avant cette longue séparation des
mauvais jours. Je passai quelles je
là
deux heures d'attente, pendant
faillis
devenir folle d'angoisse
et
les-
de dé-
couragement. Je n'avais aucun moyen d'envoyer à terre
ou d'y
aller
qui passait et le
je
moi-même. Je
ne pouvais rien
sentais le faire
;
temps
j'arpentais
pont en tous sens, sentant mes jambes encore
faibles qui fléchissaient
sous moi.
J'allais et venais, braquant
ma
lorgnette de tous
côtés, consolant les enfants qui pleuraient de ne
pas voir arriver leur père, sans avoir
courage de leur dire
Quand fit
la
moi-même
le
la vérité.
Santé vint à bord, notre docteur
signe de descendre avec lui à
la
me
coupée du faux
MAJUNGA.
267
pont; nous parlerions au médecin, on apprendrait peut-être quelque chose.
C'est V Annamite qui
un médecin de la libre
«
commande
la
ce bâtiment qui vient
rade et c*est
nous donner
pratique.
Savez-vous
'si
capitaine X... est encore à
le
Majunga?
— Hélas
!
répond
a tant, tant de El: je
les
l'autre,
monde non, ;
remonte sur
le
comment je
ne
savoir,
il
y
sais pas. »
pont guetter de nouveau
embarcations.
Mais voilà qu'un des grands bateaux alignés côte mettre en route; sa
à côte avec le nôtre paraît se
cheminée fume
et
il
Sans oser rien demander,
groupe de matelots page «
et qui
Tiens, dit l'un, voilà
qui s*en va
que
;
ah
m'approche d'un
je
faisant partie de notre équi-
causent ensemble
!
avant nous.
était là bien
par
c'est les troupes
ma
le
foi,
:
Notre-Dame-du-Salut il
est
de Diego
chargé
;
parait
qui s'en retour-
nent. »
me comme
Et ter,
je
mets
à regarder ces
hébétée,
les
hommes,
quillement de leur bouche et qui l'effet
de
ma
à
écou-
paroles qui sortent tran-
condamnation.
me
font, à moi,
MES CAMPAGNES.
268
me
Il
sembla que
c'était
mon
s'en allait avec ce bateau
d'appeler, de
me
dernier espoir qui
J'eus envie de crier,
jeter à la
mer en
le
voyant s'en
majestueusement, avec cette lenteur du na-
aller
met en mouvement.
vire qui se
Désespérée, la tête
je
me
laissai
tomber sur un banc,
comme
dans mes mains, pleurant
fants
que rien ne peut consoler...
trop
tard...
mes
tous
J'étais
n'avaient
efforts
les en-
venue
servi
ci
rien.
J'en étais
larmes,
main
là
mon
de
sans
vint se poser
ramener
à
la
chagrin, laissant couler
souci des indifférents,
doucement sur
réalité.
C'était
la
mienne
une des
mes
lorsqu'une et
me
religieuses
embarquée avec nous. Je crois bien que j'avais
fini
par faire pitié à
tous ces gens, car chacun d'eux semblait compatir
mon angoisse. D'une voix tout attendrie, me disait « Allons, Madame, ne pleurez
à
:
voyons! mais venez approche du bord
;
être votre mari. »
côté l'air
avait
:
en
effet,
vite voir
y
il
a
un
officier et c'est je
G
à l'avant
;
peut-
fus de l'autre
bien une baleinière ayant
de venir vers nous, quoique encore loin
un
pas,
une embarcation qui
D'un bond,
c'était
elle
ce ne pouvait être
;
elle
que du
MAJUNGA. Gabès
et le
commandant, un ami,
me donner des nouvelles. En moins de temps qu'il je
descendis l'escalier. Le
— debout
bien lui faisait
269
n'en faut pour
commandant
Pour
la
seconde
;
c'était
sûr enfin de
force
fois, je faillis
fois
—
me
tinctement;
je
entrain et la
m'essuyai
jeter à la
mes larmes, qui
même
fois lui
les
yeux
et,
et après
:
!
»
mer,
coulaient
avec
force, je répondis
débarqué
me me
« // est là
:
un peu, m'empêchaient de voir
bien encore
Une
et,
me cria de toute sa
mais de joie cette
le dire,
m'ayant aperçue,
à l'arrière,
des signes avec ses bras
reconnaître,
venait peut-être
le
dis-
même
« Merci... »
de chaudes poi-
gnées de mains, on s'expUqua fiévreusement. Voici ce qui
s'était
passé
:
le
commandant du
Gabès, qui était à bord de son bateau, nous avait
vus entrer venu,
il
et tout
avait
de suite,
envoyé
comme
c'était
sa baleinière à terre
;
les
con-
ma-
telots, habitués à obéir sans explications, n'en de-
mandèrent pas, bien entendu, sur
la
et allèrent
s'échouer
plage, attendant patiemment. Mais au bout
d'une heure, personne n'étant venu, tournèrent au Gabès. Le
de suite
qu'il
ils
s'en re-
commandant comprit
y avait eu malentendu ou qu'un ser-
vice avait retenu Pierre hors de chez lui.
MES CAMPAGNES.
270
Ce que
nous chercher sans perdre
fut alors qu'il vint
une minute, songeant je
à
mon
inquiétude et à ce
devais penser en voyant partir le
Dame-du-Saliit. C'était un brave cœur,
pour
naissais
tel, et,
Notre-
con-
je le
mieux que personne,
il
com-
prenait toute l'angoisse de cette rencontre.
Avec
embarquons tous dans nagez ferme
partout et
bébé, nous nous
enfants, la bonne,
les
ce petit canot !
»
Nous
foi
dans
:
«
Avant
partons pour
le
camp de Majunga.
Une dans
fois
ma
de plus,
tout oublié
joie, j'ai
lations, le
j'ai
danger de descendre
avec un bébé d'un mois,
:
mon
étoile, car,
le soleil, les
à cette
les autres
inso-
heure chaude
encore petits
une bonne portant pour tout chapeau une
et
coiffe
bretonne. Il
faut préserver tout ce
monde
de ce
soleil
mon om-
gereux, de cette maudite fièvre; avec brelle, j'essaie
de
les abriter tous, car le
encore long, nous
sommes
dan-
trajet est
mouillés très loin de
terre.
Une c'est
fois
en route, nous voilà pris d'une peur
:
de nous croiser avec Pierre, qui pourrait bien
venir à bord d'une manière quelconque. à ce danger,
Pour parer
nous signalons notre baleinière
à tous
MAJUNGA.
271
bateaux que nous dépassons, avec prière de
les
veiller les
Au
embarcations allant à notre paquebot.
bout d'une bonne demi-heure, nous sommes
arrivés
;
les
matelots se
mettent dans l'eau
du fond du canot
qu'aux genoux, tirant
la
planche qui doit nous servir pour débarquer
bond nous sommes sur
L'encombrement
la
;
d'un
plage.
causé par
terrible
dans ce pauvre pays se
jus-
petite
la
guerre
sentir jusqu'ici et c'est
fait
au milieu de soldats de toutes sortes que nous faisons notre entrée à
La
case est
capitaine; se
là,
homme
un
doute de
la
suite de quoi
Majunga.
tout près
il
;
on court chercher
d'infanterie de
chose, un
mahn
il
s'écrie «
Mon
marine qui
qui voit tout de
retourne, se précipite vers
son; d'un air fier et respectueux,
le
la
la
mai-
main au casque,
:
capitaine, venez vite
c'est vot'
;
dame
et
vos enfants. » Alors, cette
fois,
oubliant toute étiquette, sans
souci des gens et de cette foule qui nous entoure,
nous tombons dans
J'apprends
qu'en
les bras l'un
effet
Notre-Daine-du-Saïut avec
//
de l'autre.
devait partir sur le
les
troupes de Diego,
MES CAMPAGNES.
272
mais qu'un ordre du colonel, paru port, l'avait maintenu
ma bonne
le
matin au rap-
àMajunga. Une fois encore,
étoile m'avait
protégée
!
Et maintenant, nous allons tout de
suite à sa
une grande maison indienne, toute
case,
construite à
façon arabe, avec une terrasse à
la
une cour
place de toit et
peu à
l'abri
Elles ont
du
carrée, la
un
intérieure mettant
soleil.
d'enceintes fortifiées, ces maisons,
l'air
avec leurs terrasses un peu crénelées, les auvents
comme
de leurs portes tout en maçonnerie
des
guérites en pierre.
Un
général et son état-major occupent tout
premier étage
;
lui est
logé en bas dans une espèce
de sous-sol, de cave pour mieux dire, avec sous
les pieds.
Il
pauvre logis: un
y
lit
le
la terre
a juste le nécessaire dans ce
malgache, c'est-à-dire un cadre
de bois monté sur quatre pieds, tendu avec des cordes et sur lequel est une natte plété par
coin,
ce
lit
com-
est
un semblant de moustiquaire. Dans un
une vieille
caisse sert
de table, et une toilette
des plus primitives est faite sur
Dans
;
la
la
malle de cantine.
cour intérieure, tout autour de
son, ce ne sont que soldats; ces pauvres
hommes
il
y en
la
mai-
a partout
déjà fatigués, chargés,
de
armés
MAJUNGA.
273
comme si cette guerre allait commencer tout de suite, comme si l'on allait se battre là immédiaportent sur eux tout
tement.
Ils
guerre
le fusil, le
:
rien n'y
revolver,
manque, jusqu'à
les
le
fourniment de
guêtres,
le
bidon
;
leurs vêtements cachou,
couleur de poussière, qui achèvent de leur donner Tair de soldats s'étant déjà
beaucoup battus.
Quelqu'un qui ne saurait rien en arrivant pourrait s'imaginer que
la
guerre
est
ici
déjà faite.
Hélas!...
Des hommes de chez nous remphssent
la
cour,
sont assis par terre, formant des groupes.
ils
En
passant j'en
ai
feu avec des vieux chauffer
remarqué deux allumant du
morceaux de bois pour
faire
quelque chose dans une casserole; un
autre faisait la barbe à son camarade avec un petit canif de poche.
A
toutes ces
nues
?
Du
je
reste, j'ai
par
le détail, le petit détail
un autre moment, eût Si
vous courez
j'ai
pu voir
les ai rete-
remarqué souvent que, dans
circonstances graves de la vie,
les
à
me demande comment bêtises? comment même je
présent
affolé
on
est
absorbé
bête et insignifiant, qui,
passé tout à
fait
inaperçu.
d'un endroit à un autre,
appelé par une mauvaise nouvelle, vous lisez toutes MES CAMPAGNES.
18
MES CAMPAGNES.
274
sans en passer une seule, toutes
les affiches
seignes des magasins, toutes les réclames
les en-,
rien ne
:
vous échappe; ou bien vous considérez attentive-
ment
le
dos d'un monsieur qui passe,
et,
tout
d'un coup, vous vous apercevez que son paletot est
d'une drôle de couleur, ou que son chapeau
est
de travers. Et ce misérable détail vous occupe
malgré vous
,
alors
nue quand même,
vous absorbant d'une façon
que votre pauvre cœur bat
cruelle, et
que vous considérez
fou, pendant et les
que votre inquiétude conti-
comme un
les indifférents
joyeux qui passent à côté de vous.
Nous ne sommes mence une
pas plus tôt entrés que
com-
défilade sans interruption de soldats,
plantons, officiers qui viennent apporter ou de-
mander des
ordres.
Tous ont ils
restent
des airs pressés, des mines affolées
comme
logis militaire Il
y a tout
une femme à côté
grande machine à C'est
un
pétrifiés
de trouver
là
;
dans ce
et des enfants.
de nous, touchant
distiller qui fait
un
le
mur,
la
bruit infernal.
va-et-vient d'homrnes de toutes sortes,
des blancs, des noirs, qui transportent de l'eau
dans des petits sacs en
toile,
et
cela leur
donne
MAJUNGA.
275
un
l'apparence de gens allant éteindre
feu,
courant
camp,
laissant
ahuris à an incendie.
Vite nous allons partir pour les
enfants à
qui
me
la
garde du
soldat, mais voilà bébé
réclame; c'est vrai,
je l'avais
oubliée, cette toute petite que
amenée
Alors, de
là.
bonne me «
dit
Faut que
Mais
c'est
!!
il
!
3^
recours au
;
donne.
»
est incapable
quelle nourriture
lait
il
concentré, aille
lui
don-
émue,
agi-
bon
le
Oh mon
une gamelle
capitaine,
ma gamelle; hommes sont
des petits
lait
chercher une boite :
et le
bonne d'enfant pour un
!
de
vaut beaucoup mieux avoir
chez un Indien et rapporte «
aussi
aurait de quoi la rendre malade!...
chauffera dans
pier, passé
lui
que madame
coloniaux. Vite, qu'on le
nous avions
calme des Bretons, sa
l'air
Madame
impossible;
c'est
complètement
:
ner quelque chose tée
le
le lait
j'ai
;
on
pauvre trou-
instant, court
en question.
pas seulement
mon
quart, ni
tout qu'est encore emballé;
mais
là
les
En
effet,
nous
le
suite je vois toutes les
qu'en ont tous.
leur
et tout
de
mains qui s'avancent, cha-
cun apportant son quart, prêtera quelque chose.
demandons
»
sa gamelle, c'est à. qui
MES CAMPAGK'ES.
276
On
chauffa
au feu qui était dans
le lait
la
cour,
nous étions tous autour formant un rassemble-
ment
touchant aussi cette
et c'était très drôle, très
petite cuisine en plein vent,
par ces
hommes, pour
Tout de
le
ce biberon préparé
bébé de leur capitaine.
suite en partant, en quittant cette espèce
de cave dans laquelle
geons vers
le
tout, et cela
camp
est logé,
il
y
il
:
commence un
tel
diri-
un peu par-
dès que nous sortons de la
grande maison indienne. Dans telle foule,
nous nous
a des tentes
les rues c'est
une
monde que nous avons de
la
peine à avancer. Il
les
y a
des soldats de tous les pays, de toutes
là
nations, des bleus, des rouges, des turcos, des
spahis, et
beaucoup d'autres encore, des noirs ve-
monde
coins du
nus de tous
les
sénégalais.
Dahoméens, Kabyles, sans
:
Somalis, tirailleurs parler des
indigènes du pays, Malgaches, Sakalaves, et des volontaires créoles de
la
Réunion. C'est une con-
comme une
fusion terrible, quelque chose
tour de
Babel, une réunion de toute l'humanité.
En
route, nous rencontrons
mulets conduit par des noirs boire là-bas, très loin
;
on
;
a fait
un long convoi de on mène
les bêtes
une espèce d'abreu-
voir à côté d'un puits possédant encore
un peu
MAJUNGA. d'eau
;
c'est
277
une vraie route à
pour
faire
aller jus-
que-là.
Nous nous rangeons pour
les
laisser
passer,
regardant défiler tous ces noirs conducteurs de mulets,
ils
ont des
airs
des airs
et fatigués,
las
de tristesse et de résignation, qui
me
fendent
le
cœur. Hélas
la fièvre les
!
prend
eux-mêmes n'échappent Il
y en a toute une
ravane d'hommes
ment,
pas à
maladie.
la terrible
interminable, une vraie ca-
et de.bêtes, qui s'en
trainant
se
file
aussi, car les nègres
presque
et
vont lente-
soulevant à leur
passage un grand nuage de poussière rouge qui
les
enveloppe tous. Alors
commença pour moi une rude
une course lieu
de ce
folle à travers ce
camp
mifitaire. Il fallait tout voir, tout
regarder, avec des amis retrouvés
tout
journée,
pays inconnu, au mi-
me montrer,
là. Ils
voulaient
tout m'expliquer: leurs travaux,
leurs peines, et jusqu'à leurs petits déboires,
pour qui la guerre
était
mois; car l'ennemi pant
les plus forts,
nemi dangereux se battre!
!...
!
eux
commencée depuis de longs
était là, les
guettant tous, frap-
n'épargnant personne
le seul
!
Cet en-
avec lequel on ne pût pas
avec qui personne,
même
les
plus
MES CAMPAGNES.
278
mauvaise
fièvre de ce
injuste et lâche,
pagne, quand
mesurer
osé se
braves, n'eussent
dont
fièvre, la
la
:
pays des Hovas. Cet ennemi parlait la reine
elle disait
:
«
avant
la
Je sais que les Français
sont des braves et qu'ils savent se battre
moi,
je
mais
;
leur enverrai le plus puissant, le plus fort
de mes généraux
En
cam-
(la fièvre). »
considérant toutes ces choses,
plus ce que j'éprouvais,
mes idées
mon cœur
renversées,
était
je
ne savais
étaient brouillées,
comme
Il
afl?'olé.
y
avait de la joie, bien sûr, la joie de se revoir, de se
retrouver pour un instant, mais
de se quitter, et
l'effroi
je
me
il
y
avait aussi
demandais
l'un
si
valait l'autre.
Oh
!
ce
camp de Majunga,
c'était hier, la
même
je
verrai ainsi
le
intensité
dépensée.
comme si toute ma vie avec C'était comme un
je le
vois
chaos formidable, un débordement de gens, persés dans cette plaine
immense, plantée
magnifiques et qui semblait diminuée, trop petite pour contenir tout ce
Et cela commençait depuis
même, où les
la
dis-
d'arbres
devenue
monde.
plage, sur le sable
l'on avait entassé toutes les munitions,
marchandises,
bre, à la hâie et
lés vivres arrivés
en grand
nom-
qu'on ne savait plus où ranger.
MAJUNGA.
Oh! il
montait
!
!
et rude, car
arriver.
279
chemin qui menait au
ce
A
Dieu
!
!
fort hova,
comme la route
comme
en était longue
nous avions pris mille détours pour y chaque minute, nous nous arrêtions
pour voir une chose ou une autre
c'étaient des
:
puits qu'on avait voulu creuser et qui étaient
abandonnés,
hommes
les
étant tous
là,
tombés ma-
lades, puis des travaux de défense, sortes de re-
tranchements inachevés
aussi, car dès
qu'on tou-
chait à la terre la fièvre arrivait tout de suite
mal
était là,
dans
nemi ne vous
le sol,
dans
l'air,
;
le
partout; l'en-
quittait jamais.
Nous vouhons
voir aussi
troupes de Diego parties
compagnies M.
et
le
campement
le
D. qu'on renvoyait,
qu'on n'avait plus besoin
d'elles;
troupe d'infanterie de marine,
des
matin même. Les
si
à présent
pauvre petite
perdue au miHeu
de ce grand corps, tellement que personne n'en parla
jamais et
comme
qu'elle
fliisant partie
Un
Madagascar.
ne
compta
du corps expéditionnaire de
oublié et
grand'peine qu'une poignée de ses I
pas
général d'infanterie de marine
réclama pour ce bataillon
à-dire 50 et
même
obtint à
hommes,
oliicier fussent ajoutés
ment d'mfanterie de marine.
il
c'est-
au 13^ régi-
MHS CAMPAGNES.
280
Ce vant
fut à cette occasion
que parut l'ordre
sui-
:
ORDRE GÉNÉRAL
N°
Le général en chef ne veut pas troupes prélevées sur
Suarez sans
les
15
laisser partir les
garnison normale de Diégo-
la
remercier du concours qu'elles ont
apporté dés la première heure pour l'occupation de
Majunga
et les opérations
Comme
contre Maroway.
témoignage de sa
satisfaction
pour
les ser-
vices rendus par cette troupe d'élite et afin de permettre à quelques-uns
au moins d'entre eux de
du corps expéditionnaire,
commandant capitaine
la 2^
Dupuis
et
il
autorise
M.
faire partie le
général
brigade à retenir à Majunga
50
hommes
M.
le
des deux compagnies,
qui demanderont à être incorporés dans les régiments
de la 2^ brigade.
Au
quartier général de Majunga, le
10 mai 1895.
Le Général commandant en signé
Et pourtant, fait
je
:
chef,
Duchesne.
vous jure que ce bataillon avait
de rudes choses;
je
puis vous certifier qu'il y
avait là des braves et des gens de valeur.
Quand les dernières troupes de France
arrivèrent
MAJUNGA.
281
au mois de mai, songez que ceux-là avaient déjà
un an de Madagascar depuis
Ce
les
premiers jours de janvier.
se souvint.
de
la
occupaient Majunga
fut la période de préparation, période qui
resta tout à fait dans
pour
et qu'ils
Ce
l'ombre
et
bataillon passa à
mauvaise saison.
dont personne ne
Majunga
On prépara des
les
mois
campements
troupes qui allaient venir, on leur cons-
les
truisit des paillotes.
Tous
les
pauvres Indiens habitant
rent évacuer leurs maisons.
On
les
le
pays du-
logea ailleurs,
mais ce fut un gros événement pour tous ces mu-
sulmans qui demandèrent
à quitter leurs logis à la
nuit, toute leur smala ne devant jamais sortir de
jour; cette afHuence de
monde, de
militaires, les
avait jetés dans l'épouvante.
Une
fois les habitants partis,
il
fallut travailler à
percer des fenêtres pour donner du jour et de
l'air;
ces maisons sont de vrais châteaux forts, sans
une
ouverture au rez-de-chaussée. Leur sécurité et aussi la crainte
qu'on ne
vît leurs
femmes
les
obligeaient
à construire de la sorte.
On
fit
ville, et
des travaux de défense tout autour de
la
tout cela sans coolies, sans indigènes pour
venir en aide, car
les
Hovas
avaient
fait
le
vide
MES CAMPAGNES.
282
autour de nous, menaçant les terrorisant, s'ils
les
gens qui
restera'ient,
nous vendaient des boeufs ou
nous fournissaient quelques marchandises. Les vivres manquèrent quelquefois;
on
très rude;
travaillait
souvent
nuit à décharger
la
bateaux de passage à Majunga.
les
temps qui était
la vie était
On
sentait le
passait, les jours qui fuyaient, et l'on
épouvanté du nombre d'hommes qui
allaient
débarquer dans ce pays de misère, sentant l'impossibilité
On sins,
de fit
où
faire
pour eux davantage.
des reconnaissances dans les villages vois'étaient réfugiés les
ques coups de
fusil, et
comme
en grande partie des lâches,
longtemps
;
et
Hovas; on
pourtant,
ils
ils
tira quel-
ces gens-là étaient
ne
se battirent pas
auraient pu aisément
massacrer cette poignée d'hommes, ce bataillon isolé,
presque sans défense.
Pendant tout ce temps,
la
pluie tombait sans dis-
continuer; chacun payait son tribut ces rudes travaux, faits
pendant
la
à la fièvre, car
saison des pluies,
amenèrent une recrudescence de maladies parmi les
hommes
et les officiers.
Ceux-là, cependant, ne firent jamais partie du corps expéditionnaire.
MAJUNGA.
On a écrit
déjà
beaucoup de
pagne de Madagascar
;
«
Le
livres sur cette
cam-
dans l'un d'eux entre autres,
paru tout dernièrement, lignes à l'avant-propos
283
pu
j'ai
lire ces
quelques
:
lecteur trouvera à la fin
les pièces justificatives ainsi
du volume toutes
que divers documents
qui nous ont paru particulièrement intéressants.
Les noms de tous
campagne,
sement
à
titre
ayant pris part à
quelconque, ont été soigneu-
je
regardai à
la table, je feuilletai
pages sans en oublier une seule
tait
la
relevés. »
Alors vite les
un
les officiers
un peu, mais...
je
;
le
toutes
cœur me
ne trouvai pas
le
bat-
nom
de
mes amis Tout autour de nous
des officiers h cheval, à
mulet, passaient très vite portant des ordres, allant à
un
service
quelconque
et,
à tout instant, je re-
trouvais dans ces officiers, des connaissances, des
amis, beaucoup de gens que
je
croyais chez eux
bien tranquillement, faisant du service en France.
Tout
le
monde
avait
donc voulu
guerre, prendre sa part de cette
faire
cette
campagne déce-
vante et cruelle, pendant laquelle on devait à peine
MES CAMPAGNES.
284 se battre,
mais surtout mourir d'affreuses maladies,
de ce mauvais mal des fièvres qui, en un jour, enlevait aux plus braves leur énergie et leur vo-
lonté?
Cela blait
me
parut
hova;
loin, le fort
si
A
qu'on n'arriverait jamais.
me
il
sem-
présent nous
étions tous couverts de poussière, devenus rouges
comme
était tout
nous marchions.
terre sur laquelle
la
au haut de
la ville, la
montée, ce
la
fort
II
dominant
rade et l'immense camp.
C'est une construction peu importante du reste,
une sorte d'enceinte
fortifiée, avec des cases
en
bois vermoulu, construites par nous en 1885. Elles
servaient avant
la
campagne de logement
nison hova. Dans l'une
trouve
d'elles se
Son
d'audience du gouverneur Raraliek. est resté là, et
ment de
la
compose
maison. Sur
sont encore inscrits
R
et
un
M
les
à
à la garla salle
fauteuil
peu près tout l'ameuble-
mur
le
blanchi à
insignes de
la
la
chaux
royauté,
un
surmontés d'une couronne.
La guerre a déjà
passé par
du Hugon, au mois de
janvier, a
grâce à ces pauvres masures
;
terre à moitié é ventrées et les
des coups de canon.
On
bombardement
là et le
donné
les
le
coup de
portes sont par
murs
a réparé
se ressentent
tout cela tant
MAJUNGA. bien que mal
et,
pour
285
moment,
le
ce fort
hova
est
habité par des soldats d'artillerie.
Nous
un
étions là depuis
explications qu'on
me
instant
j'écoutais les
:
donnait, et pourtant
esprit était ailleurs, j'étais préoccupée.
comme
de nous, on entendait
gémissements
que
des plaintes, des
vit,
qu'on cherchât tout de
cela pouvait être.
Nous ouvrons une porte donnant sous randa de
à côté
quelque chose de très douloureux,
qu'on
et je voulais
suite ce
;,
Tout
mon
case
la
où nous étions
;
la
vé-
nous aperce-
là
vons, couché par terre, un pauvre soldat qui se roulait dans d'horribles souffrances, sa tête battait
de côté
et d'autre, frappant le
de ses mouvements
il
;
plancher à chacun
était brûlant,
de grosses
gouttes de sueur roulaient sur son front, sur ses joues.
Quand
pour saluer peu, mais soldats
il
nous
vit entrer,
les officiers
il
retomba.
il
comme pour
On
appela,
fit
un
effort
se soulever
un
on chercha des
pour s'occuper de ce malheureux, pour
lui
trouver une paillasse, quelque chose qui ne fût pas le
plancher sur lequel
il
se roulait.
Il
y
avait bien
là d'autres
hommes, mais on commençait
bituer à
souffrance et les camarades
daient
la
comme
hébétés
!
le
à s'ha-
regar-
MES CAMPAGNES.
286
un
« Allons, dit
officier qui lui avait pris la
main,
un peu de courage, mon garçon; vous n'avez pas bu au moins
— Oh Et ce
!
«
?
non,
non
mon
capitaine
»
!
pas douteux, à voir l'ex-
» n'était
pression de souffirance du malheureux. «
Voyons, vous autres, qu'on transporte
homme
sur un
chose de chaud
Un «
vu
de camp
faites-lui
vous avez bien du thé
cet
homme
médecin, ce matin
— Mon capitaine, et
;
?
quelque
»
gradé arriva.
Pourquoi
le
;
lit
cet
est-il là
tout seul
A-t-il
?
respectueusement
dit l'autre
du ton bref qu'on emploie dès
service,
?
nous sommes trop loin
;
du
qu'il s'agit
la visite
ne vient
pas jusqu'ici. »
On
prit le
numéro du pauvre
soldat pour s'en
occuper à l'arrivée, tâcher d'envoyer quelqu'un, et,
comme
j'objectais tout
doucement qu'on pourrait
peut-être le soigner dans « Il n'y a plus
bas, tristement,
Il
nous
dit
un hôpital
de place
»,
me
:
répondirent tout
mes compagnons de route
merci quand
il
nous
vit partir
d'avoir eu pitié de lui, voilà tout...
.
:
.
.
merci
MAJUNGA. J'aurais
aimé
un peu, mais
le
cela
consoler, cet
287
homme,
hova. Je
me
pas
soigner
ne se pouvait pas...
Nous marchions sans rien nous le fort
le
faisais
dire,
en quittant
de violents efforts pour ne
mettre bêtement
à pleurer, et
pourtant j'en
avais bien envie.
Ce
n'était pas
sur cet
homme
seul
que mes
larmes eussent coulé abondamment, mais sur tous, sur les souffrances et les peines en masse de chaallait se
passer, car
nous n'é-
commencement,
et ce serait
comme
cun, sur tout ce qui tions qu'au flot
le
qui monte, qui vient vers vous, vous dépasse,
vous emporte....
Personne ne pourrait plus empêcher toutes ces choses
;
il
faudrait les subir simplement... avec
courage
« Allons, dit
et
un de ces messieurs, n'y pensez plus
ne pleurez pas sur tous
les
malades que nous
rencontrons; vous n'auriez pas assez de larmes
Et
lui aussi eut
comme un
!
»
soupir de décourage-
ment
Nous
avions marché
si
longtemps, nous nous
étions tant attardés partout qu'en arrivant à la
maison
la
nuit était venue.
MES CAMPAGNES.
288
Quant
me
moi, mes jambes ne
à
de choses à
c'était trop
portaient plus
;
trop d'émotions,
la fois,
trop d'inquiétudes, trop d'angoisses
:
j'avais envie
de demander grâce.
Vers 7 heures, arriva
commandant du Gahcs
le
qui venait nous prendre pour nous
emmener
diner
à bord.
louvoyer habilement à travers
Il fallut
au miheu de toute cette foule (et ce
fut
rues
encore plus
retrouver
difficile à la nuit), afin d'aller
les
la balei-
nière qui avait mouillé un peu plus loin.
Grâce de
Dieu,
à
suite.
le
paquebot ne repartit pas tout
y avait eu quelques petites choses
Il
décharger, à embarquer, le
bateau
:
de guerre.
que
U Amazone,
donc, ne devait repartir
Gabès,
même
le
droit en
matinée.
la
j'étais
contente de
mon
arrivé le jour de
c'était cette
temps
en ont
Ce pauvre Il était
réquisitionné
les militaires
lendemain, dans
le
et l'on avait
à
le
revoir.
départ de Diego
baleinière, les
et
mêmes hommes
sans doute qui nous avaient conduits à bord de
notre grand paquebot,
le
mauvais
soir de ce triste
départ.
Depuis ce temps-là, mois,
le
Gabès avm
fait
il
s'était
écoulé plusieurs
beaucoup de bonnes choses.
MAJUNGA.
289
eut à bombarder plusieurs villages indigènes oc-
Il
Hovas,
cupés par
les
sances,
il
dut remonter
jusqu'à
Ankaboke
faire ses
la rivière
de
la
reconnais-
Betsiboka
avec une audace et une
le fit
il
;
pour
et,
habileté qui lui réussirent pleinement, ce qui fut
regardé
Tous
comme ces
un tour de force.
bateaux de
la
matave qu'à Majunga, mais
là aussi,
tion,
on ne
comme
c'était la
la
rude besogne;
période d'occupa-
mauvaise saison, cependant, comptaient double.
et les fatigues
Toutes
Ta-
s'en souvint plus.
C'était pendant
peine
la
station, aussi bien à
firent de la
ces forces réunies, la marine, l'artillerie,
marine, firent des efforts surhumains
l'infanterie de
pour préparer
le
pays,
assainir, construire des
aménager des logements, baraquements pour
les
hô-
pitaux, faire des routes, etc.
On
la place.
les
aussi des reconnaissances
Hovas de
les
à
fit
On
armer, tous
ser,
1.
pour chasser
leurs postes et y mettre nos troupes
réquisitionna, pour les réparer et les
bateaux dont on pouvait dispo-
V Amhohimanga
^,
le
Sigurd^,
le
Boé'me
Bateau hova pris à Diego.
2.
Appartenant à
3.
Appartenant à M. Suberbie.
la Graineterie, à
MES CAMPAGNES.
Diego.
I9
3^
qui
MES CAMPAGNES.
290
furent très utiles pour remonter les rivières. alla
chercher un peu partout
que
le
On
les
On
quelques chalands
pays possédait, à Diégo-Suarez, àNossi-Bé. disposa de tout ce qu'on avait
;
on
fit
l'im-
possible pour venir en aide à toutes ces troupes
qui allaient arriver
;
mais,
hélas
!
c'était
encore
trop peu de chose, en comparaison de ce qu'il eût fallu
pouvoir
Tous
les
faire.
matelots embarqués à bord des bateaux
furent très éprouvés par
la fièvre
et la dysenterie,
à la suite des travaux exécutés à terre pendant
la
saison des pluies.
Le Hugon,
qui n'avait pas cessé de naviguer dans
toutes ces mers pendant six années, reçut l'ordre
de regagner usé,
la
si vieilli,
France, vers
la
mi-mars.
Il était si
ce pauvre bateau, qu'on fut presque
inquiet pour sa traversée de retour. Lui aussi avait
bien pris sa part à toute
Pas grand,
logement des c'est
le
période de préparation.
Gabès ; pas confortable du tout
officiers, le carré et le
un bateau en miniature.
dant un équipage de 80 tout ce la
la
monde
chaleur,
le
vit Là,
Il
le
faux-pont...
:
y a là-dessus cepen-
hommes
et 5 officiers,
et
dans ce très petit espace, par
gros temps,
la
tempête, pendant
les
longs mois de traversée, et sans jamais se plaindre.
MAJUNGA. une
C'est
vraie
291
vocation, un grand amour du
métier qu'il faut à tout ce pauvre
monde pour
na-
viguer sur ces coquilles de noix. Et à présent ces
bateaux sont tous désarmés, rentrés au pays depuis
longtemps, maintenant qu'est
finie cette
rude cam-
pagne
vu
J'ai
l'autre jour dans
de Paris, tout à
la
que
et
les officiers
voulu
offrir à leur
un
petit
place d'honneur,
appartement
un souvenir
l'équipage du Gahès avaient
commandant.
Ils
avaient fait
graver dessus en lettres d'or, à côté de leurs à tous
noms
:
SOUVENIR DE I7
xMOIS
d'une heureuse campagne
Pauvres, pauvres gens
de toutes
les façons, et
!
qui avaient tant peiné
qui avaient encore
le
cou-
rage d'appeler cela une heureuse campagne. Quelle
leçon pour ceux qui seraient tentés de se plaindre
de
la
vie
Dans
!
la soirée, le
paquebot
;
canot nous reconduit jusqu'au
nous passons sur
le
pont une partie
MES CAMPAGNES.
292 de
nuit.
la
dire
On
avait
!
Le matin au
petit jour, vers cinq
nous retournons lais
encore tant de choses à se
à terre,
revoir encore
heures et demie,
sans les enfants
un peu
;
je
vou-
pays, dire adieu au
le
camp de Majunga. Tout de mosquée
:
suite en arrivant,
un
petit
temple
des ruelles étroites, dans rière
très
deux ou
très
et sa
la
pauvre, au milieu
un renfoncement, derAllah n'y est pas logé
trois cases.
somptueusement
nous allons voir
demeure
est fort simple;
cependant j'appris plus tard qu'une autre mosquée
beaucoup plus importante celle-là,
mais
elle n'était
non
existait
loin
ouverte au public que
de les
jours de cérémonies.
Très
respectueusement,
chaussures à
temple tions
Un passé
si
et
calme,
porte et nous entrons dans si
ce
tranquille, au milieu des agita-
indien la
musulman couché
nuit dans
la
mosquée,
par terre, ayant
se réveilla à notre
nous regarda d'abord d'un
Puis, quand
il
vit
que nous paraissions
et, se
nos
enlevons
du dehors.
arrivée et fiant.
la
nous
air très
mé-
que nous étions nu-pieds très recueillis,
recouchant de l'autre côté,
il
il
se rassura
se rendormit.
MAJUNGA.
Ah si comme je
Allah avait pu
!
l'aurais
293
m'entend re
et
m'exaucer
commencer
allait
coûter
;
cette
!
événements,
prié d'arrêter les
d'éloigner de nous dès maintenant ces
jours qui allaient
!
mauvais
campagne qui
de pauvres gens, amener
la vie à tant
tant de misères, tant de souffrances, faire couler
pour posséder un pays
tant de larmes, tout cela
qui ne servirait à rien, qu'à nous faire une colonie
de plus,
et
une mauvaise encore
ne m'entendit pas
toutes
et
!...
ces
— Mais Allah choses
tristes
arrivèrent
Dans déjà
les rues étroites
commencée,
bruyante.
Nous
du pays, avait
vie
la
visitons
la
journée étant
repris, agitée et
quelques boutiques in-
diennes, quelques échoppes
non fermées, dans
but d'y trouver un chapeau de
paille,
de bonne d'enfants destiné à remplacer
Guéméné; partout on nous
offre le
le
un chapeau la coiffe
de
chapeau hova,
semblable à notre affreux gibus, mais seulement en paille
de
riz,
coupé une
je
la
main grossièrement
et re-
fois la paille tressée.
Rien qu'à sous,
cousu à
l'idée
de voir Maiie-Anne là-des-
pars d'un grand éclat de
ragée, je renonce à
mon
rire.
Décou-
achat et nous continuons
294
CAMPAGNES.
-^lES
promenade
notre
travers
à
mouve-
rues
ces
mentées.
Nous
allons voir les bureaux de l'intendance,
la
boulangerie, tout cela campant moitié en plein
moitié dans
air,
hommes
indiennes;
les cases
qu'on distribue dans
melles en aluminium
ils
;
la
soupe des
nouvelles ga-
les
ont aussi
les
quarts, les
comme de l'archaque homme est au
bidons en métal pareil, brillant gent, et
moins
le
chargement de
très allégé.
Des tentes en grosse dans
rues pour les
les
soleil
Les puits de
hommes
monde
ailleurs et tout ce
au grand
toile grise
la ville,
Hovas ne
les
vit là, à la belle étoile
des espèces de grandes ci-
maçonnés dans
les aient
la
crainte
empoisonnés, car
sont terribles et très lâches avec leurs poisons
ne
fusille pas,
pays-là
on ne tranche pas
vaise action
noir a
tête
on
dans ce
l'invite à boire
;
commis un crime, une mau-
quelconque
un poison qu'on violents
la
;
ils
on vous empoisonne.
:
Quand un on
ou
!
ternes, ont été bouchés,
que
ont été dressées
qu'on n'a pu caser
les
une
et qu'il est
puni de mort,
tisane, c'est-à-dire à
lui a préparé... Ils
prendre
en ont de très
Hovas emploient généralement
les
MAJUNGA. poisons végétaux, surtout
donne des
assez bel arbre qui la
pêche
fait
;
le
le
293 tanguin.
fruits
poison se trouve dans
un peu le
un
C'est
comme
noyau qu'on
infuser et qui a la propriété de coaguler le sang
en amenant des convulsions affreuses
On
ribles souffrances.
son breuvage
;
j'allais
et
d'hor-
donc boire au patient
et tout le peuple, réuni
cérémonie, assiste à
heureux
fait
la terrible
en grande
agonie de ce mal-
dire de ce criminel,
mais
cela
n'est pas toujours.
Quelquefois, quand on veut dépouiller quel-
qu'un de
ses biens,
ou s'en débarrasser, on
l'ac-
cuse d'un crime quelconque et
on
lui
promettant que,
s'il
est innocent,
la tisane
les
en
lui
fait
boire
dieux l'empêcheront sûrement de mourir
boit l'affreux poison,
mais
n'empêchent rien du tout.
les
;
il
dieux imaginaires
DEPART DE MAJUNGA
A
bord, on vint aussi nous dire adieu: des amis,
ciers, des
même
et
offi-
monsieur aux fram-
le
boises, retrouvé là par hasard et qui, en galant
homme,
venait
me
présenter ses
jours
accompagné de son
nait,
comme
dans
un bouquet de petit singe
la
hommages, tou-
fidèle petit
chanson,
« à sa
roses » et de l'autre
boy, qui
main
un
te-
droite
délicieux
ou plutôt une maque de Madagascar,
ce
qui est beaucoup moins laid.
Très curieuses
et
avec leur petite tête
vraiment fine,
jolies, ces
un peu comme
maques, celle
l'écureuil, la fourrure gris pâle très fournie et
belle
queue zébrée noire
J'étais
car
Dieu
Majunga
touchée tout à sait ;
où
mais,
dois
une
et blanche. fait
l'on avait je
de
de ces petits cadeaux,
pu trouver des roses
le dire
maque ne m'enthousiasmait
honteusement,
pas.
Ayant déjà
à la
trois
DÉPART DE MAJUNGA.
297
me
enfants, l'idée d'un petit singe en plus froide.; d'autant
laissait
que ces petites bêtes ont besoin
de vivre en liberté. Elles sautent d'un arbre à l'autre, en fliisant des
bonds prodigieux
si
;
vous
enfermez dans une
les
cage, elles s'y balancent pendant des heures d'un air
ennuyé
et
joujou
vous en donner mal au cœur.
à ressort, à
Et puis
comme un
sautant bêtement
j'avais
de ces maques.
conservé un mauvais souvenir
Un
Diego, nous avions eu
soir, à
une grande frayeur. Une de ces bêtes, échappée d'une cage, avait sauté du la
tête de
ma
dents aiguës l'avait
pauvre Moë,
une
relevée, la
.entaille
d'une maison sur
toit
lui faisant
avec ses
profonde
assez
chérie, tellement
;
on
couverte de
sang qu'on ne voyait plus sa figure. Les nègres épouvantés l'emportèrent chez
bon noir de Bourbon qui de vendre des remèdes
homme. La
jusqu'à sa case fut pour
pharmacien, un
avait reçu la permission
et
route qu'il
le
qui était
un
fallut suivre
moi
le
très
pour
brave
arriver
chemin du Cal-
vaire.
Grâce
à
Dieu,
les
yeux n'avaient rien
blessure à l'eau phéniquée, mais
long à guérir, tant
la
morsure
le
;
bobo
on
lava la
fut assez
avait été profonde.
MES CAMPAGNES.
298 Depuis ce jour,
la
me
faisait
donc, quoique
à re-
vue seule de ces bêtes
horreur.
Les enfants
se décidèrent
gret, à faire cadeau de leur
Gahès
; je
bonheur
leur
et
fis
maque
comprendre
que cette
à l'équipage
qu'il
y
allait
cilement ses ébats sur
les
vergues du bateau que
bonne intention.
venu
à
Majunga avec de suivre
à exécution,
Ce
fut
la
l'idée, qu'il
colonne à
en compagnie de son
d'un âne non moins qu'il
et n'y
un explorateur sérieux que M. Wolf;
C'était
troupes.
mon-
le
aux framboises ne s'en fâchera pas,
verra qu'une
était
de son
petite bète prendrait plus fa-
dans un coin de notre cabine. J'espère que sieur
du
petit,
monta péniblement
mit du reste la suite
lire
des
petit noir et
amené de Zanzibar,
jusqu'à Tananarive.
J'eus l'occasion plusieurs fois, durant la
pagne, de
il
des articles qu'il avait
fait
cam-
paraitre
dans des gazettes allemandes, toujours fort élogieux pour nous, pour nos troupes,
et leur
rance en face des dures fatigues de
guerre.
Ce
fut
tres, car
un départ il
la
endu-
plus triste encore que les au-
y avait désormais entre nous l'inconnu
de cette campagne qui commençait déjà
si
doulou-
DÉPART DE MAJUNGA.
299
reusement. Les enfants eurent un gros chagrin et se révoltèrent tout à fait à l'idée qu'il fallait laisser ici
ce papa
heureusement retrouvé. Nous étions
si
tous trois très misérables
•.
h' Ama:(one ne mit que deux jours pour aller à
Mahé
:
un bon bateau qui marchait bien
c'était
partout nous arrivions en avance
;
c'en était
et
même
gênant. C'est ce qui m'avait valu cette émotion, à
Majunga
arrivés presque
;
qu'on ne pensait, on
une journée plus
n'était pas
venu
me
tôt
cher-
cher.
A Mahé le
aussi,
où nous devions transborder sur
grand bateau d'Australie, nous
avance, et
sommes
un jour
une
Ce
et
fut
une
en
arrivons
obligés de rester au mouillage
nuit.
terrible
chose que cette attente dans
cette petite rade pittoresque et
au possible,
jolie
mais à peu près fermée, entourée de montagnes presque de tous côtés
et
où
il
fait
toujours une
chaleur horrible.
A
trois
heures de l'après-midi, on
transbordement
et
nous quittons VAma:(one,
bateau des familles où tout et serviable
fait le fatal
le
monde
avait été
le
bon
pour nous. Nous ne devions jamais
MES CAMPAGNES.
300 plus revoir son
commandant, M. Frager, homme
charmant, père de famille
il
;
mourut quelques
mois après, d'une manière tragique, d'un accident bord d'un bateau sur lequel
à
Nous nous
mot
petit
repartir.
un
étions quittés sur une plaisanterie,
d'amitié pour rire; le courrier venait
justement de
lui
apporter l'ordre de sa rentrée en
joyeux
France
;
projets
pour ce retour qui devait
On
allait
il
en
il
avait
était tout
et faisait
de doux
coûter
lui
embarqué peu de passagers
à
la vie.
Majunga:
quelques soldats convalescents qu'on rapatriait
un
officier
ne
je
le
de chez nous très malade,
reconnus pas
et
cependant
si
et
changé que
avait passé de
il
longs mois avec nous à Diego.
Comme
un
homme
tout de suite après se mettre à
soin de
lui.
ma
bien élevé,
il
était
venu,
départ, m'offrir ses services,
le
disposition, disait-il,
Pauvre garçon
!
mais
si j'avais
c'est
moi
be-
plutôt
qui aurais pu lui venir en aide, car j'étais encore plus forte que lui rien qu'on eût
un
pu
;
le
il
était si maigri, si
prendre dans
les bras
réduit à
comme
enfant.
Les autres passagers qui transbordèrent avec
nous n'étaient pas non plus
très
presque tous étaient malades.
nombreux, mais
DEPART DE MAJUNGA. Il
y
3OI
deux familles françaises de Maurice,
avait
qui retournaient en France pour essa3^er de s'y
guérir des fièvres
le
;
résident d'Anjouan et les
siens qui venaient de passer trois rudes
dans cette
tout seuls
île,
aucune ressource, n'ayant
années
comme Français, sans même pas de pain et au
milieu de noirs qui leur étaient très hostiles et essayèrent plusieurs fois de les empoisonner les
religieuses descendues de
Tananarive
;
puis
et des
autres points de Madagascar, pauvres saintes fem-
mes, bien malades aussi,
celles-là,
mais qui ne se
plaignaient jamais.
Entassés dans un canot et remorqués par une
énorme chaloupe
à vapeur,
nous arrivons
très vite
au grand paquebot austraHen.
Un
pont très encombré, couvert de monde. Des
gens agités
et
bruyants vont
haut, riant très fort
;
et
viennent, parlant
beaucoup de femmes en
lettes claires et qui se croient très chics
:
toi-
du faux
chic par exemple, couleurs criardes et voyantes,
moins
le
bon goût
et les
johes choses.
Personne de tout ce monde ne parle notre langue; on n'entend que l'accent anglais; c'est à se
demander
si
bateau français.
nous sommes vraiment sur un
MES CAMPAGNES.
302
Le commandant
fliit
les
raissant très absorbé par le
australiennes; très
cent pas sur et les
flirt
le
pont, pa-
young misses
se multiplie, va de l'une à l'autre,
il
entouré d'une nuée de ces jeunes personnes
qu'il
garde
Oh
1
;
rude langage, avec un fort accent
lui aussi parle ce
même
dans sa langue maternelle.
tous ces gens-Là, ça ne
tout de nous voir arriver
mêmes que nous
les
amusa pas du
nous sentions nous-
;
n'étions pas à
hauteur.
la
nous regardèrent monter avec un certain mé-
Ils
nous reçurent assez mal
pris et l'effet
de colis en mauvais état
grands dieux et le singe
!
si
j'avais
;
;
nous leur
amené le petit
chat de Salazie
du monsieur aux framboises
aurait jetés à l'eau, bien sûr.
faisions
qu'auraient-ils dit,
Nous
;
on
les
n'étions à leurs
yeux que de vulgaires passagers, des voyageurs à trente
pour
un des
A
cent,
officiers
comme nous du bord
un peu
dit
!
quoi bon nous ménager
?
au point de vue
commercial, nous ne faisions pas gagner ça n'était ni par
goût
ni par plaisir
On
les
cabines dont personne n'avait voulu.
nous casa tous ensemble
la
le
bateau;
que nous étions
là.
Le vent de
plus tard
à l'arrière, dans
révolte souffla tout de suite parmi
nous; on forma dès
le
premier jour ce que nous
DÉPART DE MAJUNGA. appelions
le
clan des révoltés,
et,
3O3
mutuellement,
tous les transbordés du bateau pas chic, intrus à
bord de ce grand paquebot, jurèrent de se venir
en aide, de se protéger
les
uns
les autres
et l'on
;
se tint parole.
Un
administrateur de
aimable
lettre
compagnie,
homme
m'ayant donné au départ de
et obligeant,
Majunga une
la
de recommandation,
je la fis
remettre au commandant, mais cela ne parut pas le
frapper du tout. Par bonheur,
bord un jeune commissaire qui
je
était
fance et nous protégea de son
retrouvai à
un ami
d'en-
mieux avec son
demi-galon.
Une
fois révoltés,
modes mière
à
;
mener,
nous n'étions plus
je dois le dire,
mais vraiment c'eût été
Nous ne demandions
pas
très
moi toute si
com-
la pre-
facile à éviter.
des choses extraordi-
naires; mais, quittant un bateau où chacun nous avait
montré une grande
rions trouver
ici
bienveillance,
un peu de
cette
on oublia totalement de nous
Un
la
même
nous espésympathie
:
témoigner.
mauvais vent nous attendait pour doubler
le terrible
cap Guardafui.
— La mer démontée, des
lames qui nous arrivent de tous
les côtés,
comme
MES CAMPAGNES.
304
des montagnes d'écume, balancent notre pauvre
bateau qui roule, tangue avec une grande majesté.
Une
chaleur lourde, étouffante, les sabords fer-
més rendant pont
les
animé d'ordinaire,
gai, si
si
cabines inhabitables, c'est
sur
et,
le
un encom-
brement de gens malades, abattus, gémissants
et
désolés.
La journée
passe encore, mais la nuit arrive et
personne ne peut se décider
à quitter le
venir à table. Toutes les young si
pont pour
misses, d'ordinaire
élégantes, décolletées le soir, toutes voiles de-
hors, ont pour l'instant renoncé au chic et au
ont
flirt; elles
l'air
de leurs grand'mères,
enve-
loppées d'immenses châles à carreaux, blotties sur les chaises
vante
;
longues
pas fiers
non
et
poussant des
cris
d'épou-
plus leurs compatriotes, qui
ne dînent jamais qu'en smoking
et qui
ont aussi
l'aspect très désolé.
Du lier
:
reste, chez eux, c'est
le soir,
chic tout particu-
une grande étiquette
journée, des costumes sistes
un
;
mais, dans
la
d'intérieur des plus fantai-
qui les font ressembler vaguement à des
clowns, des pierrots, des arlequins. Les enfants, auxquels on n'avait rien
marqué,
dit, l'ont
eux-mêmes
re-
et Jacques, en enfant terrible, n'a pas
DEPART DE MAJUNGA.
manqué,
premier jour,
le
un monsieur tout
305
d'aller se poster
devant
habillé de blanc, depuis les sou-
jusqu'au chapeau de feutre en fond d'arti-
liers
chaut, et de lui dire
quoi que tu
:
«
Dis donc, Monsieur, pour-
en Gugusse?»
t'es habillé
De temps
en temps, une grosse vague passe par-
dessus bord, balayant les chaises, les bancs le
monde
secours.
Un
matelot arrive tranquillement, son
un mauvais coup de
De
fait
beaucoup
rire,
je
fants, bébé, sa
avec des
si
jetés à la
mer
Un
jeter fois
mains rudes,
ses grosses
autres à se relever.
en y pensant;
une
Pour moi,
il
C'est pas rien,
a
:
barre »
pas rien, qui pouvait nous
nous
tout
par terre, trempé, ahuri, appelant au
bonnet enfoncé jusqu'aux yeux c'est
;
est
!
et l'idée
de ce
tous à la mer,
l'émotion passée. aide les uns et les
j'en
tremble encore
courais partout cherchant les en-
bonne, que
je
petits, ils auraient
sans qu'on
ait le
ne voyais plus, car
pu
disparaître, être
temps de
crier gare.
coin de bateau qui est le nôtre, très
encom-
bré, très obscur. C'est là qu'on a casé les voya-
geurs gênants
;
les enfants,
plaintes et les cris eussent
de
les
malades, dont
pu gêner
les
passagers
plaisir.
MES CAMPAGNES.
les
20
MES CAMPAGNES.
306
D'abord
emmené
capitaine
le
cause de
la
soigner,
la
plus mauvaise à
trépidation de l'hélice.
un
soldat à lui, le
toute
les rapatriés et,
est là
marine,
avec nous, qui ne quitte plus du tout sa
cabine, la dernière de toutes,
le
de
d'infanterie
a pris,
journée, toute
la
en faction devant
nous avions
On
la
la nuit,
officier
il
pauvre chambre. Si
malheur de ne pas ramener
le
qu'en France cet
pour
moins malade parmi
malade,
c'est
la
jusnuit,
presque en cachette, toujours par crainte d'attrister les
voyageurs importants du paquebot, que se
cérémonie de l'immersion.
la triste
A
ferait
côté,
un jeune
officier anglais,
revenant des
Indes presque entièrement paralysé
une figure
:
fine d'Anglais de race, ravinée par la souffrance il
;
s'en va, se traînant sur ses béquilles, toujours
accompagné de son dernier
:
tout à
fait le
bonshommes en mense turban montée,
et
fidèle xMalabar.
Très drôle, ce
bibelot des Indes
;
ces petits
bois peint doré, coiffés de l'im-
blanc, en forme de gâteau, de pièce
la
culotte bouffante à la
taille,
très
serrée aux chevilles.
Celui-là aussi couche par terre en travers de
porte
;
il
me
rentrer chez
faut l'enjamber tous les soirs
moi
et,
vu
ainsi étendu,
il
la
pour
a encore
DEPART DE MAJUNGA. plus
Avant de s'endormir,
d'être en bois.
l'air
3O7 il
dévisse son grand turban qui reste toute la nuit
posé majestueusement à côté de sa fois,
peu,
pour amuser je
m'en
m'en vais
les
enfants et nous divertir
un
métamorphosée,
je
coiffe et, ainsi
faire
une
Quelque-
tête.
petite visite au clan des révoltés,
logés aussi tout près de nous.
Nous avons encore dans
la
cabine voisine un
bonne indienne
bébé anglais
et sa
vrai pendant
du Malabar, son ami, du
jolie paire
eussent faite tous deux, dans une vi-
ils
trine, à côté
du magot qui remue
popotame en porcelaine;
celle-ci est le
;
reste.
la tête et
Quelle
de
l'hip-
c'était là leur vraie place.
Elle portait des bagues à tous ses doigts de pieds à ses chevilles, sif;
et,
aux
;
d'énormes bracelets en argent mas-
oreilles et au nez,
pour compléter
la
de grands anneaux d'or
parure, de petites turquoises
finement encerclées d'or vissées dans ses narines. Installée par terre sur
une natte, dans
cette
demi-
obscurité, elle faisait jouer son bébé, l'éventait, le
baignait
ou
cuisinait sa petite boubou,
ce chérubin, tout nu, beau
Prud'hon,
riait
du gros
des cris perçants
qui
comme
rire des
se
pendant que
les
amours de
bébés ou poussait
mélangaient
plaintes des malades d'à côté.
avec
les
MES CAMPAGNES.
308
Tout France
ce pauvre et
monde
différent
si
:
bébé de
bébé des Indes, Malabar en bois, soldat
nounou de
d'infanterie de marine,
tonne de Guéméné, tout
Calcutta, Bre-
cela vivait pêle-mêle entre
grande intimité,
ces quatre planches, dans la plus
ne s'étant jamais vus avant^ ne devant jamais se revoir, essayant de se
comprendre
et
de se venir
en aide dans un mélange d'anglais, de français
et
d'indien, chacun ne parlant que juste sa langue.
Au
milieu de ce petit capharnaûm, un escalier
biscornu en
cohmaçon menait
par cette sorte d'échelle
sur
le
pont;
c'était
que descendait tous
les
matins, venant chercher bébé, notre matelot protecteur, îin pays de Marie-Anne.
ceau et son contenu,
son bras
et,
Il
attrapait le ber-
tenant solidement sous
les
chargé de ce précieux fardeau,
l'amarrer, avec
un bout de fil
lui paraissait le plus stable
grand mât ou
il
allait
caret, à l'endroit qui
du bateau, au pied du
ailleurs.
Cette petite
Malgache
modèle, ne criant jamais, jours, en apercevant le
fut si
vraiment un bébé
bien que, les premiers
moïse sur
sagers l'avaient prise pour
le
pont,
les
pas-
une poupée aux enfants.
LA BONNE-MIiRE
Un dans
matin, de bonne heure,
elle
bruine, encore voilée par
la
matinées de printemps
;
le
nous apparut brouillard des
comme un point nuages, comme une
c'était
lumineux vu au travers des étoile brillant à peine.
Et
le
premier matelot qui l'aperçut
sement aux autres
—
«
Té
!
cria
joyeu-
:
voilà la
Bonne-Mère
»
!
Alors ce fut une grande agitation sur tout ce bateau
:
les
hommes,
mirent de joie dire
pour nous
France!
En un
d'impatience, car ce
et :
l'équipage, les passagers fré-
«
Voilà
le
pays, voilà
cri la
voulait terre de
»
instant tout fut oublié, apaisé
peines, les ennuis, tout ce qu'on
révoltés ne s'en souvenait plus
!
les petites
avait
même
souffert pendant cette traversée;
:
le
enduré, clan des
Les soucis
s'en-
MES CAMPAGNES.
310
volaient à mesure qu'on approchait, nous faisant le
cœur
léger avec
la joie
La Bonne-Mère
aussi
du retour. avait
^
vraiment Tair de
venir au-devant de nous, dominant de très haut cette la
grande
cité
de Marseille qui prend, vue de
mer, des aspects de
tagnes
grises
ville fortifiée
découpées,
avec ses
crénelées
mon-
comme
des
tours.
Oh
!
vous,
les
sceptiques et les démolisseurs de
notre époque, vous qui voulez détruire toutes ces saintes choses, je
vous en
prie, n'enlevez jamais la
Bonne-Mère! Croyez-moi vous ne trouverez pour :
la
remplacer, rien de plus beau, de plus poétique
et
de plus doux que cette Vierge d'or qui vous
tend
I,
les bras
quand on rentre au pays.
Notre-Dame-de-la-Garde.
AU REVOIR
Au
mes amis
revoir
revoir et sans adieu
d'infanterie de marine, au
!
Nous nous retrouverons quelque pays étrange
peut-être
un jour dans
sauvage où vous ferez
et
encore de grandes choses
moi
et
de
très
pe-
tites.
Mais
il
eût fallu une autre
pour parler de tout d'héroïsmes
cela
;
plume que
pour
la
mienne
dire vos vies pleines
de bravoure, vos vies simples, sans
et
embarras, sans orgueil, avec cette tranquillité des
gens familiarisés avec face à face sans
A
le
danger, qui
étonnement
drais dire
Moi
ma
aussi,
je
comme
la vie frôle la
sympathie
et
suis fière
regardent
et sans angoisse.
vous tous, aux inconnus
tous les jours, dont
le
mon
aux amis de
mienne,
je
vou-
admiration.
d'être des vôtres, de
MES CAMPAGNES.
312 passer
ma
un peu
vie au milieu de vous, d'être
votre camarade.
Cette page de agitée,
mon
un peu rude,
beaucoup d'étapes
!
comme
Mais
vous, j'aurai
toute une année
là
vivant côte à côte avec des braves
Hélas
je
trouve
combien ne reviendront C'est d'abord
le
;
et c'est
bien
!
ceux que
de tous
!
fait
aura été aussi une
elle
des meilleures, car j'aurai passé
quelque chose,
un peu
existence aura été
et,
connus
j'ai
là-bas,
pas!...
capitaine B.
,
.
le
.
premier de tous
qui nous accueillit à Diego, qui vint nous chercher à
bord en arrivant
ment. Celui-là tant,
il
était
campagne
traite, ce serait le
ses
major de
la
!
pourtant solide
—
Après
le
lui si
et
bien por-
pauvre garçon,
cela,
genti-
—
sa
prendrait sa re-
il
bon repos pour toujours.
deux années de séjour garnison pendant
porté au choix pour la
nous reçut chez
faisait, disait-il
dernière
11 fit
et
la
à
la
c'était
et fut
pour
lui
récompense bien
gagnée de beaucoup d'années de peines
En novembre, son temps
comme
campagne,
commandant;
dernière difficulté vaincue,
Diego
de colonie
et
de soucis.
fini,
il
s'em-
barquait pour France, fatigué, déjà malade, et, dès
AU REVOIR.
313
son arrivée à Marseille, une congestion pulmonaire
en quelques heures.
l'enlevait
dans un
mourut tout
Il
inconnu, sans ceux
pour
qu'il aimait
seul
comme un
hôtel, sans parents, sans amis, lui
fermer
yeux. Et pendant ce temps, sa femme, qui,
où
un an auparavant,
elle
l'attendait
le
repos tant attendu, tant rêvé....
autre aussi de Diego,
mais qui
était
venu
le
capitaine F..., marié,
seul.
Le pauvre garçon
fut
si
m.alade qu'on dut
rembarquer après un long séjour encore tous
découragé
;
je
où
il
me
rappelle cet
sens encore les pauvres mains
peu confortable,
la la
dernière fois
Suez
Deux
même qu'il
;
pauvre cabine
devait tant souffrir et finalement mourir.
n'atteignit
vers
lui dire adieu à
je
brûlantes qu'il nous tendit pour c'était si petit, si
le
à l'hôpital. Je vois
camarades allant
les
bord du bateau qui l'emmenait; air
le
en Normandie,
venait de s'installer pour y passer le bien-
heureux congé,
Un
elle
venue à Madagascar, mais avait dû
aussi, était
quitter
les
Il
pas Marseille et c'est, je crois,
s'endormit pour toujours.
jeunes médecins de
la
marine, de Diego
encore, qui n'avaient pas trente ans, enlevés par les fièvres
en rentrant en France.
Et tant d'autres encore dont
je
ne parle pas
!
car
MES CAMPAGNES.
314 il
serait
grand,
le livre
d'or
où Ton
moires de ces braves, où l'on tier, leurs
écrirait les
dirait leur
rude mé-
souffrances de tous genres endurées loin
du pays, dans ces colonies meurtrières où
il
toujours guerroyer, et où beaucoup s'en vont rir
bravement, simplement
Tous
mé-
les
jours
terribles, si bien
comme
ils
on en apprend de
ont vécu.
ces nouvelles
que maintenant, quand
contre quelqu'un de ces officiers ayant
pagne de Madagascar, de ceux que
je
ren-
fait la
cam-
j'ose à peine dire les
connus
j'ai
là-bas,
faut
mou-
demander de
noms leurs
nouvelles, tremblant d'entendre une fois de plus la
réponse qu'on m'a déjà «
Comment
Alors
je
!
faite si
souvent
vous ne saviez pas
?
:
»
pense en moi-même, avec un profond
sentiment de chagrin
et
un peu d'amertume, que
pour ce pays maudit, nous avons perdu tant de braves, gâché, enseveli tant de courage, tant de force, tant de jeunesse et qu'après tout cela,
ne
sommes
nous
pas encore maitres de cette terre des
Ho vas. Car
je
connais
les
Français avec leurs idées che-
valeresques, qualité tout à
superflue pour aller
fait
conquérir ces pays sauvages.
Ils
faute irréparable de laisser les
commettront
la
Hovas maitres de
AU REVOIR. Madagascar, au
de
lieu
315
annihiler pour tou-
les
jours, en les remplaçant par les autres peuplades
sakalaves de
Antankares
l'île,
étaient nos amis;
ils
l'avaient
Ceux-là
et autres.
prouvé en 1885
et
nous attendaient
comme
débarrasser de
domination tyrannique des Ho-
vas
;
la
des sauveurs devant les
c'était leur droit, car
souvent de belles promesses
A
présent, ne
nière d'agir,
par
faire
ils
cause
finiront,
si
le
fait
!
comprenant plus rien
commune
grossiront ainsi
nous leur avions
l'on n'y
à notre
ma-
prend garde,
avec nos ennemis, et en
nombre.
Et puis, avec cette haine que nous avons de notre religion, plutôt que de paraitre
nous préférons favoriser n'aimons pas; protéger là-bas
compte que courant de pensée
et
c'est les
ainsi
la
défendre,
d'un pays que nous
que nous en arrivons
à
protestants, sans nous rendre
ces peuples noirs sont loin d'être au
nos idées
compliquées sur
la
libre
que, pour eux, tout grand pays
doit
avoir sa reHgion à
A
celle
lui.
leurs yeux, protestant veut dire Anglais, ca-
thohque veut dire Français; on n'aura pas
le
cou-
rage de l'avouer en France, mais en réalité toute la
question est
là.
Nous avons
brouillé les idées
MES CAMPAGNES.
3l6
de tous ces malheureux, sont tous protestants, stricts
Hovas qui
part les
et, à
Musulmans,
les autres,
très
en matière de religion, restent tout déso-
comme une
rientés de ce qu'ils considèrent
Nous avons commis
d'apostasie.
là
une
sorte
faute grave
dont nous serons punis.
Mais ne parlons plus de tout penser que suis
dans
je suis
seulement dans
les
Il
pays,
mécontents. Non,
les attristés.
de douloureuses choses que
on pourrait
cela,
je
Je
sais
je
encore tant
ne veux pas dire
!
n'appartient à aucun de nous de blâmer son
encore bien moins à une femme,
maintenant, quand laquelle
on
a
je
dès
et,
songerai à cette guerre sur
tant écrit et tant discuté,
voir seulement passer dans
mon
je
veux
esprit le souvenir
des vrais héros de cette campagne, de ces milliers
d'hommes
qui ont tant souffert, sans
eu
de
la
joie
nombre
est
se
battre
et
dont
mort misérablement,
le
même plus
loin
avoir
grand
du pays,
sans se plaindre, sans réclamer, uniquement
parce que c'était
le
devoir.
Table des Matières
Pages.
Le départ
i
En mer
4 10
Port-Saïd
Le canal de Suez
13
Suez
20
La mer Rouge
21
Périm
23
Une fête à bord En mer En rade de Diégo-Suarez
33
36 39
Chez nous La
Un Un
44
ration d'eau
52
cimetière dans
le sable
58
général à Diégo-Suarez
61
Fausse alerte
64
Un Un
GG
bal à
Diego
pique-nique à
la
montagne des Français
La Correie
Le
roi des
.
.
70 76
Antankares
78
3l8
TABLE DES MATIERES.
La Saint-Louis
à
Pages.
Diego
84
Un ami
86
L'usine d'Anamakia
91
Le Kabar
98
Bruits de guerre
104
Visites de sultan
108
avant-postes
m
Déclaration de guerre
115
Aux
Majunga
— Nossi-Bé ...........
121
Hamparahiniguidro
131
Nossi-Bé
155
Ambohimarina
142
La montagne d'Ambre
145
L'hivernage
148
Nouvelles de Majunga
La
et
de Tamatave
....
pluie chez soi
151
156
Nouvelle frontière
159
Diego en
162
La
état de siège
nuit de Noël.
165
Adieux du sultan
172
M
et M"'^
Charifou-Jewa
176
.
Déménagements aux colonies
181
Départ de Diego
185
Une
187
escale à Sainte-Marie
Tamatave
196
En mer
201
La pointe aux La Réunion.
Galets.
—
Sa
— Arrivée
vieille histoire
difficultueuse.
204 212
TABLE DES MATIERES.
}I^ Pages.
En route pour Salazie Une lettre pour France
223
Notre case
236
Petits babas
238
Botanique de petits nègres
242
Le
village
246
Le
petit chat
256
Nos
lettres
231
259
.
Bébé.
261
Majunga
265
Départ de Majunga
29e
La Bonne-Mére
309
Au
311
revoir
Nancy, impr. Berger-Levrault
et
Cie.
^ Sik'
^.
^
1^^ ^4t if?^
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