Relation historique de la campagne du Sénégal. (1861) Extrait du journal d'un capitaine de tirailleurs algériens , par [...]
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Dubois, E.. Relation historique de la campagne du Sénégal. (1861) Extrait du journal d'un capitaine de tirailleurs algériens , par E. Dubois. 1863. 1/ Les contenus accessibles sur le site Gallica sont pour la plupart des reproductions numériques d'oeuvres tombées dans le domaine public provenant des collections de la BnF. Leur réutilisation s'inscrit dans le cadre de la loi n°78-753 du 17 juillet 1978 : - La réutilisation non commerciale de ces contenus est libre et gratuite dans le respect de la législation en vigueur et notamment du maintien de la mention de source. - La réutilisation commerciale de ces contenus est payante et fait l'objet d'une licence. Est entendue par réutilisation commerciale la revente de contenus sous forme de produits élaborés ou de fourniture de service. CLIQUER ICI POUR ACCÉDER AUX TARIFS ET À LA LICENCE 2/ Les contenus de Gallica sont la propriété de la BnF au sens de l'article L.2112-1 du code général de la propriété des personnes publiques. 3/ Quelques contenus sont soumis à un régime de réutilisation particulier. Il s'agit : - des reproductions de documents protégés par un droit d'auteur appartenant à un tiers. Ces documents ne peuvent être réutilisés, sauf dans le cadre de la copie privée, sans l'autorisation préalable du titulaire des droits. - des reproductions de documents conservés dans les bibliothèques ou autres institutions partenaires. Ceux-ci sont signalés par la mention Source gallica.BnF.fr / Bibliothèque municipale de ... (ou autre partenaire). L'utilisateur est invité à s'informer auprès de ces bibliothèques de leurs conditions de réutilisation. 4/ Gallica constitue une base de données, dont la BnF est le producteur, protégée au sens des articles L341-1 et suivants du code de la propriété intellectuelle. 5/ Les présentes conditions d'utilisation des contenus de Gallica sont régies par la loi française. En cas de réutilisation prévue dans un autre pays, il appartient à chaque utilisateur de vérifier la conformité de son projet avec le droit de ce pays. 6/ L'utilisateur s'engage à respecter les présentes conditions d'utilisation ainsi que la législation en vigueur, notamment en matière de propriété intellectuelle. En cas de non respect de ces dispositions, il est notamment passible d'une amende prévue par la loi du 17 juillet 1978. 7/ Pour obtenir un document de Gallica en haute définition, contacter reutilisationcommerciale@bnf.fr.
RELATION HISTORIQUE DELA
CAMPAGNE DU SÉNÉGAL (1861.)
(Extrait du Journal d'un Capitaine de Tirailleurs algériens.)
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RELATION HISTORIQUE DELA CAMPAGNE
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BLIDAH P.
ARNAVON,
IMPRIMEUR-LIBRAIRE, ÉDITEUR.
1863.
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DE I.A
CAMPAGN
DU
SÉNÉGAL
(1861)
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d'un"Capitaine de Tirailleurs Extrait du Journal algériens.
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AVÂWPROPOS,
Avant de parler d'un pays, il est bon de le faire connaître. Nous croyons donc utile de mettre en tête de notre relation de la campagne du Sénégal de 1861, uo aperçu rapide sur la position et les antécédents de cette colonie. Ensuite, munis du manuscrit dans lequel nous puisons les faits qui vont suivre, et de YAnnuaire officiel de Saint-Louis, nous entrerons dans les détails historiques de l'expédition, que nous prendrons à son embarquement à Mers-el-Kebir, sur le transport YYonne, le 5 décembre 1860. Il ne suffit pas de donner à un récit tout l'attrait possible, il faut encore que la vérité ne subisse aucune altération. Cést
là une garantie que nous offre le manuscrit que nous publions.
Notre but étant de faire connaître une colonie que des relations de commerce vont lier prochainement à la nôtre, nous espérons que le public algérien nous saura gré de cette publication.
I. Aperçu historique et géographique sur le Sénégal et ses dépendances.
Le Sénégal est la plus ancienne colonie de la France. Elle comprend d'abord le bassin du fleuve le Sénégal, qui a 1,600 kilomètres deparcours, depuis les montagnes duFoutaDjalon jusqu'à son embouchure, et des forts et comptoirs situés le long de la côte occidentale d'Afrique, depuis l'embouchure du Sénégal jusqu'à l'équateur. celui de « La colonie se divise en trois arrondissements Saint-Louis (ville de 15,000 âmes) ou du bassin inférieur du Sénégal, celui de Bakel ou du haut Sénégal, et celui de Gorée, chef-lieu de tous les établissements au sud de cette île jusqu'à Sierra-Léone. « La population soumise à la France était, en 1861, de 102,600 âmes, la population vivant sous notre dépendance, peut être évaluée à 150,000 âmes, et les populations commerçant exclusivement avec nous, à plus d'un million d'âmes. exportation « Le commerce de la colonie, importation et réunies, monte à plus de trente millions. » «
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Le Sénégal, situé à 16°00'48" de latitude N. et 10o51'10"
de longitude 0., fut découvert par les Dieppois vers l'année 1560. Quarante-six ans plus tard, les Portugais s'en emparèrent, y fondèrent des établissements et élevèrent un fort à Arguin. Ce fut l'année 1626, qu'une association de marchands de Dieppe et de Rouen y formèrent une Compagnie dite Compagnie normande. Le 5 février 1658, les Hollandais surprirent le fortd'Arguin. C'est à cette époque que la Compagnie normande vendit tous ses établissements à la' Compagnie des Indes occidentales, qui, huit ans après, fut forcée de céder ces mêmes établissements, avec tous les priviléges s'y rattachant, à une nouvelle société qui, par lettres patentes du roi, prit le titre de Compagnie d'Afrique, et obtint, de plus, de négocier exclusivement depuis le cap Blanc jusqu'à celui de Bonne-Espérance. En 1677, les Français enlevèrent de vive force aux Hollandais l'île de Gorée, les comptoirs de Rufisque, Portudal et Joal. Le traité de Nimègue les confirma dans cette possession. La Compagnie d'Afrique, ruinée par les pertes qu'elle éprouva durant la guerre contre les Hollandais, se vit réduite à céder tous ses droits a une nouvelle Compagnie. Depuis cette époque jusqu'au moment où il fut pris par les Anglais, en 1758, le Sénégal subit de nombreuses transformations diverses Compagnies s'y succédèrent sans pouvoir s'enrichir des forts furent alternativement construits et brûlés, et la prospérité de cette riche contrée fut un instant compromise. Les Anglais occupèrent le Sénégal et l'île de Gorée. pendant une dizaine d'années, jusqu'au moment où le duc de Lauzun s'empara de vive force de Saint-Louis dans la nuit du 29 janvier 1779. Pendant les guerres du premier Empire, le Sénégal fut de nouveau surpris par les Anglais. Il fut restitué à la France en 1814, par le traité de Paris, ainsi que tous les
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établissements qu'elle possédait sur la côte occidentale d'Arique. La reprise de nos possessions sénégaliennes fut effectuée le 25 janvier 1817 par le colonel Schmaltz. Deux ans après, ce même officier, nommé commandant et administrateur du Sénégal, passa un traité avec le brack (roi) et les principaux chefs duOualo, par lequel ceux-ci cédèrent à la France, en toute propriété et à toujours, moyennant les coutumes annuelles, les îles et terres du Oualo qu'on voudrait cultiver. A partir de cette époque, une ère nouvelle s'ouvrit pour notre colonie les forts Bakel, Mérinaghen, Lampsar, Sénoudébou (sur l'emplacement de l'ancien fortSt-Pierre), Podor, Médine,Matam, Saldé, assurèrent nos possessions et tinrent en respect, du moins pour quelque temps, l'esprit turbulent et guerrier des Maures du Trarza et de la haute et basse Cazamance. La campagne de 1861, dont nous donnons les détails circonstanciés, eut pour résultat d'asseoir définitivement notre domination et de rendre impossible tout retour agressif de la part des naturels, indépendamment de l'annexion à la colonie des riches contrées du Toro et du Damga. Les institutions libérales ont été, ainsi qu'en Algérie, appliquées au service administratif, et l'imprimerie du Gouververnement, qui date de 1855, achève, par la publication du Journal officiel et de l'Annuaire du Sénégal, de répandre la lumière, en faisant sans cesse appel au progrès.
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Embarquement de la colonne. Tempête. — Un homme à la mer! — Passage du tropique. — Arrivée à Saint-Louis.
Lacolonne expéditionnaire du Sénégal se trouva réunie à Mers-el-Kebir, près Oran, le 26 novembre 1860. Elle était
composée de trois compagnies tirées de chacun des trois régiments de Tirailleurs algériens, et d'un détachement du Train des équipages militaires de la division d'Alger, sous les ordres du lieutenant Combalon. Le commandement supérieur de ce détachement fut contié, par rang d'ancienneté, au capitaineBéchade, du 1er régiment. Les autres capi- ; taines étaient M. Girard, du 2m% et M. de Pontécoulant, du 5ffle. Après avoir été passé en revue par M. le colonel chef d'état-major Reuson, délégué de M. le général de division de Ligny, le petit corps de troupe prit passagesur le bateau transport mixte l' Yonne, qui leva l'ancre le 6 décembre. L'Yonne mit le cap sur Gibraltar, où elledevait relâcher pour faire du charbon mais les vents d'Est qui règnent continuellement dans ces parages à l'approche des équinoxes, ne lui permirent pas d'atteindre sitôt son but. Elle fut forcée, à deux reprises, de chercher un refuge pour échapper à la tempête, qui devenait violente la première relâche eut lieu devant le château Philippe, à trois lieues du cap de Gâte, sur la côte Est de l'Espagne. Le lendemain, navire reprit sa route, se dirigeant toujours sur Gibraltar; mais, arrivé à la hauteur des Roquettes, petit port situé à dix lieues 0. du même cap, une nouvelle bourrasque, plus violente que la première, força de nouveau à chercher un abri dans le -port qui s'offrait a lui. Ce début d'une traversée qui semblait devoir être longue, surtout en cette saison, produisit une certain effet sur quelques tirailleurs indigènes qui n'avaient jamais vu la mer, et qui ressentaient pour la première fois les atteintes de ce terrible mal. Après être resté dans le port temps nécessaire pour n'avoir plus rien à redouter du mauvais temps,YYonne se remit en route malgré la grosse mer, espérant atteindre bientôt le port désigné pour le ravitaillement. Le navire commençait à filer de toute la force de sa vapeur,
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lorsque, surl'arrière, on-entendit ce cri lugubre répété par plusieurs voix à la fois Un homme à la mer « » Ce cri était poussé par les matelots qui travaillaient aux manœuvres de cette partie du navire, et qui venaient de voir un de leurs camarades tomber et disparaître dans les flots bouillonnant autour de la poupe. Tout ce qu'il est possible de faire en pareille circonstance commandant du bord quelques hommes fut ordonné par de l'équipage se jetèrent à la mer malgré la hauteur des vagues; toul fut inutile; le malheureux matelot ne reparut
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plus. Enfin le 14 au matin, après neuf jours d'une affreuse traversée, l' Yonne jeta l'ancre dans le port de Gibraltar. Le lendemain dans l'après-midi, après s'être muni de vivres frais et de charbon, le navire franchit le détroit et continua sa route. La mer était encore mauvaise. Après quatre jours de marche, on aperçut l'île de Ténériffe, et, dans l'après-midi, on mouilla devant la délicieuse petite ville de Santa-Cruz, sa capitale, que quelques officiers (Mirent le loisir d'admirer dans tous ses détails. Vingt-quatre heures après, le navire reprenait de nouveau sa roule pour ne s'arrêter, cette fois, que devant SaintLouis-du-Sénégal. C'est le 22 que fut célébrée à bord du bâtiment, par tous les matelots de l'équipage, la fête dite du Bonhomme- Tropique, ou, autrement dit, du passage de la Ligne. Tout le monde connaît le cérémonial en usage dans la marine française, lequel consiste, à chaque passage de la ligne des Tropiques, à faire subir aux passagers une aspersion d'eau salée, et à laquelle on a donné pompeusement le nom de baptême. C'est tout bonnement une mascarade bouffonne affectionnée des matelots, mais à coup sùr très-peu récréa live pour les passagers qui en font les frais. Ce qui donnait un cachet tout particulier à la cérémonie, c'était l'attitude des enfants deMohammed, dont la coutume
n'estpasprécisément de s'administrer ainsi les ablutions prescrites parle Prophète. Tous se récriaient^ l'unissonsur cette sorte de douche malencontreuse. Mais un grand efflanqué principalement, qui trouvait le divertissement fort peu de son goût, ne put s'empêcher d'interpeller ainsi, dans la languELSabir, un loustic de l'équipage qui emblait s'être spécialement attribué la tâche de l'assaisonner convenablement à l'eau de mer : « la, Sidi! quéfech?moi Arbi; moi,, macach elma fi ras
s
kifkifelRoumi.
Je
(Hé, fnon';ur! que fais-tu? suis musulman; je ne veux pas être baptisé comme un Chrétien. A quoi l'enfant de Neptune répondit, non sansavoir au préalable fait passer du côté droit dans le côté gauche de sa bouche, une chique de tabac d'une dimension fort respectable a — Ne crains rien, Sidi Couscousc; c'est au contraire une manière de te faciliter l'accomplissement de tes devoirs religieux. Est-ce qu'il ne t'est pasprescrit plusieurs arrosages par jour? Va, personne ici ne songe faire de toi un roumi. »> Et il fut littéralement inondé. Cette distraction nautique se termina par une quête faite par les Jean-Baptiste du bord et devant leur servir dans le premier port venu, à faire couler autour d'une bonne table un antre liquide dont le palais s'accommode plus volontiers. Après ce passe-temps, le navire mit encore trois jours pour arriver devant Saint-Louis, où il jeta l'ancre à deux milles environ de la plage. La traversée avait duré vingt-un jours. Le transbordement des troupes, du matériel et des bêles de somme (chevaux et muletsy au nombre de 71), dura deux jours, à cause de la barre, qui rend très-difficile, a certaines époques, l'entrée du fleuve. Il fut effectué par l'aviso a vapeur l'Etoile, commandant Aube. Ce fut donc le 29 décembre que la colonne expéditionnaire du Sénégal, sous les ordres du capitaine Béchade, se trouva sous les armes à Saint-Louis.
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III. Expédition dans le royaume de Cayor (pays des Mages)..
Les Tirailleurs algériens avaient été fêtés de toutes parts à leur arrivée. Bientôt il fallut songer à se mettre en route. Un ordre du Gouverneur, en date du 27 décembre, désigna de nouveau M. le capitaine Béchade, du Ierrégiment, pour prendre le commandement des trois compagnies; M. de Manssion, lieutenant au 39, fut appelé à remplir celles d'adjudant-major, et le sergent-major Brodier celles d'adjudant. Les trois compagnies réunies formaient un bataillon de six pelotons. Le 51 décembre, la colonne expéditionnaire fut passée en revue par le Gouverneur. Le lendemain, elle se mit en campagne. Les hommes étaient en tenue d'été, et n'emportaient dans leur havre-sac qu'une chemise, une paire de guêtres, cinq jours de vivres et soixante cartouches. La première expédition fut dirigée contre Cayor, royaume Yolof, comprenant le littoral entre Saint-Louis et Gorée, sur une longueur d'environ trente-cinq lieues. Ce pays était encore presqu'inconnu. Après six jours de marche à travers un pays couvert de sables marécageux, de bois de cocotiers, de baobabs assez fourrés, la colonne arriva à M'Boro, sur le bord de la mer, où elle devait établir un poste. flanqué - Au bout de cinq jours ce poste fut achevé; il était de deux blockaus et entouré de palissades. Le 12 janvier au soir, en présence des troupes assemblées sous les armes, le Gouverneur, au nom de la France, prit possession du territoire, et le drapeau national fut hissé sur un des hlockaus. Une salve de 21 coups de canon, qui fut
répétée par les avisos à vapeur VEtoile et l'Africain; compléta cette prise de possession. Une colonne venue de Gorée, sous les ordres du chef de bataillon de génie Pinet-Laprade, commandant particulier de cet arrondissement, fit sa jonction avec les Tirailleurs algériens. Le corps d'armée réuni se composait de 1,600 hommes, d'une batterie d'obusiers de montagne, dont deux rayés, et dIuDe section de fuséens. Les bêtes de somme, mulets et chameaux, étaient au nombre d'environ 200. te 15 janvier au matin, la colonne se mit en marche dans la direction du grand village de Mekhey, une des résidences de Dainel, roi de Cayor; elle y arriva le lendemain soir, après avoir parcouru un pays d'une végétation puissante et riche en essences d'arbres. Ce village était abandonné, aipsi que ceux de moindre importance que venait de traverser la colonne. Tous les habitants, leur roi en tête, avaient fui à l'approche des troupes françaises. Peu de temps après la formation du camp, des ambassadeurs du monarque Yolof vinrent en députation. au nom de leurroi, auprès du Gouverneur, pouroffrir leur soumission et accepter ses conditions de paix. Ce premier début, assez heureux par ses résultats, put faire croire que cette campagne se résumerait en une vaste promenade militaire mais les événements ne tardèrent pas à démontrer le contraire. Après l'exécution des conditions stipulées par le Gouverneur, la colonne rentra à M'Boro, où elle arriva le 16, au point du jour, après une marche forcée de onze heures. Au bout dedeux jours de repos, le corps expéditionnaire se remit en marche dans la direction de Gorée, pour établir un poste à M'Bignen, à huit kilomètres de la mer. Il atteignit ce but le troisième jour. Deux forts villages furent traversés Taïba et Guelleck. La végétation de ces parages était luxuriante et bien supérieure encore a celle des autres contrées déjà parcourues.
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Pour arriver à M'Bigoen, la colonne dut passer, non Joiu de ce village, au milieu d'un' lac de 250 à 500 mètresde largeur, aux trois quarts desséché, mais dont le fond, excessivementvaseux, rendait la marche pénible etdifficile. Le parcours de cet obstacle, que l'on ne pouvaitéviter sans faire un long détour à travers des broussailles impénétrables et peuplées de reptiles dangereux, présentait des inconvénients analogues à ceux de la locomotion dans le sable; toutefois, les difficultés à vaincre étaient plus sérieuses les hommes et les animaux, n'étantpas maîtres de leurs mouvements, n'avançaient que lentement et avec des efforts inouïs. Heureusement que la distance à franchir dans ces conditions était insignifiante. Un malheureux tirailleur, brisé par la fatigue, trébucha dans les racines d'une plante aquatique, perdit l'équilibre et tomba de toute sa longueur de plein visage dans la fange. Lorsqu'il se fut relevé, il faisait pitié à voir; la boue formait sur lui une espèce d'enveloppe qui se détachait en lambeaux; sa figure était littéralement masquée, et c'est à peine si l'on vit s'ouvrir la bouche dupauvre musulman, lorsqu'il prononça en arabe la sentence fataliste « Dieu l'a voulu » C'est alors que le baptême du Bonhomme-Tropique eût été de circonstance; maison ne put l'administrer, car l'eau propre manquait. A défaut de ce liquide, un camarade de la victime s'ingénia de lui racler la face et les vêtements avec la lame de sa baïonnette. Mais tous les soinsde ce Figaro improvisé ne réussirent que bien imparfaitement à atteindre le but désiré, et un bain et une lessive énergiques étaient devenus indispensables pour l'achèvement de la toilette. Un jeune caporal, enfant de Paris, qui avait été témoinJe l'accident, et qui éprouvait le besoin d'alléger son sac par quelque plaisanterie, jeta d'un ton goguenard cette question aux oreilles crottées du descendant d'Ismaïl : Eh bien! Lackmar, tu ne t'es pas cassé de dents? Si toi voulir sabir, toi fasir kif kifanai'a,, répondit
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Lackmar, d'un air peu satisfait de sa disgrâce; puis il continua sa roule; Après avoir passé la nuit à M'Bignen, M. le Gouverneur de la colonie se dirigea vers le siège de sa résidence, emmenant avec lui les divers détachements appartenant à la garnison de Saint-Louis. Avaut son départ, il réunit les officiers des Tirailleurs algériens et leur témoigna, en termes chaleureux, toute sa satisfaction pour l'énergie, l'entrain et la bravoure dont les militaites placés sous leurs ordres avaient donné des preuves pendant la durée des opérations qu'il avait dirigées. Les troupes qui restaient à M'Bignen, et dont l'effectifs'élevait à 660 combattants, ravitaillés par une cinquantaine de bêtes de somme, furent placées sous le commandement de chef de bataillon Pinet-Laprade. M. Ces troupes employèrent les journées des 21 et 22 à transporter à dos et à bras, de la plage au camp, des pièces de bois de construction pour l'édification d'unposte et d'un blockaus. Le 23 au matin, elles furent réunies sons les armes pour assister h la prise de possessionofficielle du territoire qu'elles occupaient et des alentours. Cette prise de possession, effectuée par M. le commandant Laprade, au nom de son Souverain, eut lieu avec le même cérémonial que pour celle pratiquée à M'Boro : le drapeau de la France fut hissé ausommetdublockaus; se déploya lentement au souffle d'une douce brise, et, avant de prendre sa position naturelle, il s'agita en tous sens commepour saluer sa nouvelle conquête et pour indiquer qu'ilétendrait désormais sa protection civilisatrice sur les contrées environnantes. Une salve d'artillerie lui prêta sa voix solennelle pour avertir ceux qui ne pouvaient voir. Les troupes défilèrent au cri de Vive l'Empereur sous Tes ordres du capitaine Béchadc, au son des tambours et des claidont le bruit retentissant semblait être le cri de rons
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guerre d'extermination à l'esptit de ténèbres dont le joug pesait depuis tant de siècles sur les tribus d'alentour. Le jour, même à quatreheures du soir, la petite colonne • leva le camp pour s'acheminer vers Gorée, et dressa ses tentes successivement a Galam, Rufisque et Hann. Le 26, elle eutrait à Dackar, village nègre situé au bord de l'Océan, et séparé de l'île par un détroit de moins d'un mille de largeur. Dans ce village sont installés quelques trafiquants européens et un couvent de missionnaires apostoliques dirigé par un
évêque in-partibus. La mer marquait le terme de l'expédition contre le royaume de Cayor, expédition qui avait pour résultat la soumission de toute la province parcourue. Pour obtenir ce résultat, relativement imporLantr les troupes n'avaient pas eu à tirer un seul coup de fusil, ni à essuyer le feu de l'ennemi; aussi n'avaient-elles à déplorer la perte d'aucun homme. Quoique la campagne eût été de courte durée, les soldats n'en avaient pas moins été rudement éprouvés par des mar-' ches exécutées presque toujours la nuit, sur des terrains dépourvus de voies de communication et hérissés de difficultés de toutes sortes pendant le jour, ils avaient puissamment contribué à l'érection des blockaus et des postes de sécurité, travaux que le soleil du Sénégal rendait excessivement
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pénibles.
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Au milieu de ces fatigues, ils n'avaient pas failli un seul instant aux devoirs rigoureux de la discipline toujours animés d'une ardeur martiale et aussi dévoués que persévérants, ils s'étaient montrés, dans toutes les occasions, dignes d'appartenir à cette grande armée française qui fait l'orgueil et la gloire de sa patrie et l'admiration du monde entier. Cette conduite justifiait pleinement les éloges que le Gouverneur de la colonie avait chargé M. le capitaine Béchade de
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leur adresser en son nom. Dans la soirée du 26, la colonne passa le détroit; elle laissa ses animaux à Dackar. sous la surveillance d'une garde.
M. le commandant Pinel-Laprade fit part au corps d'offi. ciers qu'une expédition devait avoir lieu prochainement dans la Haute-Casamance, afin de chàtier les nègres de ces parages qui commettaient de fréquentes exactions envers nos nationaux établis à Sedhiou, poste et comptoir situés à quarante lieues environ de l'embouchure du fleuve qui donne
son nom a la contrée. En attendant le jour du départ, qui était fixé au 4 février, les officiers utilisaient leurs loisirs par des fouilles dans l'intérieur de l'île; les uns s'amusaient à collectionner des plantes, des insectes, des reptiles d'autres poussaient le gibier, enfin les plus entreprenants chassaient la bête fauve. Plusieurs panthères furent abattues; quelques-unes étaient d'une taille monstrueuse; on en peut juger par les fourrures que ces messieurs ont rapportées. M. lé capitaine Béchade, entre autres, possède une peau qui n'a pas moins de quatre mètres du bout du museau à l'extrémité de la queue. Les soldats s'occupaient, sous la tente, à réparer le désordre que les broussailles avaient occasionnées à leurs vêtements et à leurs chaussures, tout en devisant tranquillement et en faisant mille commentaires sur les circonstances qui les avaient le plus frappé, se promettant bien d'en faire l'objet de merveilleux récits à leur retour dans la tribu. Le Parisien, qu'une soif de parler agitait comme la lièvre, et qui n'avait pas perdu de vue leturco rasé à labaïonnette, s'approcha de ce dernier et engagea avec lui le colloque suivant : Lackmar ? Ché volir? (Que veux-tu? Depuis que tu es tombé dans la mare, le-o-commandant croit que Mohammed t'appelle à de hautes destinées, et ce matin, au rapport, il t'a désigné pour retourner à M'Boro, où tu établiras ta résidence définitive. Chose extraordinaire, le Parisien était grave, presque im posant. Aussi cette comipiuakation fut-elle prise au sérieux
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clic abasourdit Lackmar et produisit sur lui l'effet d'un coup de foudre sa voix et ses mouvements se trouvèrent subitement comme paralysés; ses yeux seuls semblaient vivre. Lui qui, un instant auparavant, avait fait, en imagination, son entrée triomphale dans le douar de ses ancêtres; qui avait vu les chiens accourir à sa rencontre, bondir de joie et lui lécher les mains; qui avait embrassé l'épaule de tous ses amis et connaissances et leur avait touché le bout des doigts; qui avait assisté à une diffa splendide donnée en son honneur; qui avait raconté à la farka (fraction de tribu) assemblée autour de lui, les faits dont il avait été témoin, et qu'il avait brodés et amplifiés en véritable Oriental lui, enfin, qui avait glissé dans ses narrations quelques détails à son avantage et avait réussi à attendrir son auditoire et à lui lui qui avait peut-être une médaille sur arracher des larmes la poitrine et qui obtenait la main de la plus jolie fille de latribu., lui, retourner a M'Boro., c'étaient ses illusions détruites, son bonheur anéanti, c'était la mort Puis, s'apercevant que ses camarades avaient l'air de s'amuser de sa mine piteuse, recouvra peu à peu l'usage de la parole et hasarda cette question en tremblottant :
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-Bergoué
moi. tornar.à M'Bo.bo
ro?
Sa langue refusait d'achever ce dernier mot. Pour garder le blockaus, civiliser les habitants de l'endroit, et leur apprendre à faire du couscous. Le Parisien en prononçant ces mots, n'avait pu s'empêcher de rire. Reconnaissant à celle réponse qu'il avait été cruellement mystifié, Lackmar sortit complètement de l'état de stupeur où il était plongé et riposta sur un ton de mauvaise humeur, sans laisser à son interlocuteur le temps de finir sa phrase --:"Toicourageoux làfr'azaloun, toiparlar kifbarougue, toi tornar M'Boro, toi fasir meillour Lnckmar. , (Toi qui es courageux comme une gazelle et qui parles comme un perroquet, lu retourneras a M'Boro; tu feras bien mieux que Lackmar ).
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nommé chef el tu auras une bonne solde. Tu seras — bezef et taleb kifk'taboun, toi star kbir carotti l'oi — bono, bono. (Toi qui es très-carottier et savant comme un livre, tu feras un excellent chef). On te donnera une douzaine de jolies moukères (femmes) pour te Toi fasir fantasia, toi sabir meillour blaguir mleh 'adjeb el moukères. Toi qui es un fignoleur et un beau parleur, tu sauras mieux plaire aux femmes). Tu aimerais peut-être mieux des hommes pour te gar-
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servir.
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L'Arabe prit cette question eu mauvaise part et devint pâle de colère il lança un regard courroucé à son adversaire et fit contre lui cette vigoureuse sortie — Rai-ca amchiParisien mâmenouch! si moi, star caboural, moi a'ta es seu ! (Assez! va-t-en, mauvais Parisien; si seulement j'étais caporal, je te couperais la langue ) Le Parisien en était arrivé a ses fins, c'est-à-dire qu'il avait réussi, en terme de caserne, à faire monter le Turco à l'échelle. Il s'esquiva en se frottant les mains et tout en disant que Pipelet devait avoir une figure comme celle de Lackmar, lorsque Cabrion voulut embrasser Anastasie..
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Deux heures plus lard, les troupes s'alignaient sur la place publique pour être passées en revue par M. le commandant supérieur de Gorée. Leur attitude sousles armes était belle, et leur tenue ne laissait rien à désirer. Durant le défilé qui suivit la revue, les tambours et les clairons des Tirailleurs algériens prirent la tête de la colonne. L'ensemble avec lequel ils exécutèrent les marèbes et les pasredoublés exigés par les circonstances impressionna vivement les habitants de l'île; il en avait été de même à Saint-Louis. Mais à M'Boro et M'Bigneu, l'effetque produisit ce petit corps de troupe
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si bien discipliné sur les peuplades sauvages de ces contrées, fut beaucoup plus considérable. C'était, sans doute, pour la première fois qu'elles assistaient à un pareil spectacle. M. le commandant Laprade fut très-satisfait du résultat de son inspection; il fut heureux de constater que les troupes étaient remises de leurs fatigues et prêtes à se mettre en
route pour l'expédition projetée. Avant de parler de cette expédition, il n'est pas sans intérêt de jeter un coup-d'œil rétrospectif sur le pays déjàparcouru. Les villages nègres du royaume de Cayor sont installésjur des terrains découverts mais limités, à une certaine distance, par une ceinture presque circulaire de forêts et de hautes broussailles; ils consistent en une agglomération de cases peu spacieuses, élevées sans ordre et séparées les unes des autres par un labyrinthe de rues excessivement étroites; elles affectent la forme des kiosques de nos jardins d'agrément de France; elles sont construites en bambous-et couvertes en paille. L'intérieur de ces cases est assez malpropre et l'ameublement en est fort simple il se résume en quelques vases à l'usage domestique, en bois ou en terre, grossièrement façonnés; des tapis, le plus souvent des nattes, y servent de sièges et de lits. Quelques-uns de ces villages sont entourés de palissades qui n'offrent de solution de continuité qu'aux endroits où aboutissent les ruelles de circulation. Ces palissades, de la hauteur d'un homme, sont confectionnées au moyen de pieux en bois enfoncés dans le sol et reliés entre eux par des bambous, des joncs et des roseaux. Cette clôture offre assez de solidité lorsqu'elle est neuve, mais elle se détériore promiltement. Les nègres du Cayor travaillent la terre, mais ils n'en exploitent que de faibles étendues; les produits cultivés sont peu variés ils se composent en général d'arachides, de mil et de riz rose. Lorsque la récolle est faite, les fruits et les grains sontenfermés dans des récipients appelés lampands
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dans le pays, et qui ressemblent a d'énormes paniers. Ils sont placés dans les champs, à peu dejdistance des habitations, sur des piquets en bois de deux à trois pieds, destinés à tes isoler du sol et à préserver leur contenu de l'humidité pendant la saison des pluies. Ceux appartenant a une même famille sont réunis ensemble. Vus de loin, ces greniers sur -
pilotisont beaucoup de rapport avec les ruches d'abeilles. A proximité de chaque village, il existe des puits assez qui fournissent de l'ean profonds., creusés par les nègres, en quantité suffisante pour les besoins des hommes et des animaux. Le royaume de Cayor est moins bien cultivé, moins fertile et moins riche que celui de la Haute-Casamallce, que la colonne devait aller visiter et soumettre.
et
IV.
Expédition de la HauLe-Casamancr.
Le 5 février, les troupes furent sur pied de bonne heure, etavant le lever du soleil, elles prirent passage à bord des avisos à vapeur l'Africain, le Dialmatt et le Grand-Bassam. ; la goëllette la Trombe, chargée d'eau potable et d'un partie du convoi. La petite flottille, faible détachement, naviguant de conserve, passa successivement devantl'embouchure du Saloum et de la Gambie et arriva le 7, à la tombée de la nuit, à l'elltrée de la Casamance. Les navires s'engagèrent immédiatement dans le lit du fleuve, qu'ils montèrent sans accident, malgré les hauts fonds de vase et de sable quien rendent la navigation difficile. La largeur moyenne de ce cours d'eauest de 21 kilomètres; lors des crues, cette largeur augmente considérablement. Les rives de la Casamance sont garnies de palétuviers derrière lesquels se trouvent des massifs d'arbres gigantesques,
fit
tels que cocotiers, fromagers, caliédras, orangers, etc.; çà et là, ces massifs sont coupés par des clairières étroites, où croît une herbe abondante qui atteint parfois une hauteur de deux mètres; partout où se porte la vue, elle s'arrête sur une végétation d'une puissance incomparable; c'est Ja. nature dans toute sa force et sa splendeur. A trois lieues de l'Océan, la peiile flotille salua le postecomptoir français de Carabanne, qui est le rendez-vous du trafic de la Basse-Casamance. Le 9, elle jeta l'ancre devant Sédhiou, bâti sur la rive droite du fleuve. Ce point est le centre où aboutissent tous les courants du négoce de la HauteCasamance. Les Européens qui vont chercher fortune dans ces parages sont en continuelles relations commerciales avec les tribus éparpillées sur le territoire environnant, et principalement avec les Mandingues, qui occupent la rive opposée à Sédhiou. Ces derniers, avides du bien d'autrui, comme le sont généralement les peuples que la civilisation n'a pu atteindre, ne laissaient échapper aucune occasion de rançonner, de piller et de maltraiter les étrangers, leurs voisins. Ilsse livraient à ces violences avec d'autant plus d'audace que le châtiment, souvent promis, se faisait plus longtemps attendre. Cette conduite odieuse allait bientôt avoir un terme, l'expédition ayant pour but de la réprimer, Les bourgades appartenant aux Mandingues sont construites de la même manière que celles du Cayor; elles sont disséminées dans les hautes forêts qui bordent la Casamance, et on ne peut les apercevoir que lorsqu'on est arrivé sur la lisière des terres arablesqui les séparent des fourrés. L'agriculture semble assez avancée chez cette nation car les champs sont parfaitement cultivés et irrigués. Le 10 février, à cinq heures du matin, la colonne, opéra son débarquement sous là protection d'une section de Tirailleurs algériens, qui avait débarqué quelques instants auparavant. Cette section, tirée de la compagnie du capitaine Béchade
,
et commàndéejjar MM. Léonard et Ruyssen, se déploya en tirailleurs a 150 pas du rivage, sur une ligne parallèle au cours du fleuve; ellene fut nullement inquiétée, et le débarquement s'effectua paisiblement. Après le débarquement, qui fut terminé à neuf heures, le corps expéditionnaire fut disposé de la manière suivante pour se porter en avant. Une seconde section, fournie par l'infanterie de marine, alla se déployer en tirailleurs à gauche, sur le prolongement de celle qui était déjà en place. La ligne ainsi formée couvrait entièrement le front du petit corps d'armée, composé en ce moment de cinq pelotons de Tirailleurs algériens, cinq pelotons d'infanterie de marine, de l'artillerie et d'une centaine de laptots (marins noirs), représentant l'équivalent d'une compagnie de débarquement. Les cinq pelotons de tirailleurs"algériens, formés en colonne, furent placés à droite; ceux d'infanterie de marine, dans le même ordre de bataille, prirent la gauche l'artillerie et les laptots occupèrent le centre. , Ces préparatifs achevés, la troupe se mit en mouvement. A cinq cents mètres en avant de son front, ^'étendait un rideau de forêts de prèsé d'un kilomètre de largeur, qu'elle dut traverser obliquement pour atteindre Grand-Sandi-. niéri, qu'elle se proposait d'attaquer. Arrivée de l'autre côté du massif, elle se trouva a une portée de fusil des habitations, mais ne vit pas trace d'ennemi les champs étaient déserts. Les officiers qui commandaient la ligne des Tirailleurs avaient reçu l'ordre d'attendre le premier feu de l'ennemi pour commencer le combat. Cette ligne s'était avancée jusqu'à trente mètres de l'enceinte du village, nulle démonstration ne lui avait encore donné l'éveil. Tout-à-coup, elle entendit une série de détonnations, et des balles sifflèrent à ses oreilles : c'était une décharge que lui envoyaient les nègres placés en embuscade. Aussitôt elle s'élança au pas de course dans la direction de la place, qu'elle enleva d'un coup de
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le
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main. Les deux officiers et le sergent Lavandis, qui portait le fanion de la compagnie, avaient pris la tête de la section, qui poursuivit l'ennemi, l'épée aux reins, à plus d'une lieue de son réduit. A son retour, elle trouva le village en flammes le gros de la colonne était campé sur le terrain limitrophe. Avant de livrer les cases à l'incendie, les soldats y firent quelques perquisitions et s'emparèrent des objets à leur convenance, tels que pièces d'étoffes, parures de femmes, ar ils découvrirent une dizaine de mes. livres arabes, etc. barils de poudre, qui furent détruits, et une grande quantité de grigris, sorte damulettes de formes variées dont se parent les guerriers, et auxquelles ils attribuent la vertu de les préserver des balles ennemies. En résumé, quoique le village fût très-riche, le butin recueilli était presque insignifiant. A peine les faisceaux avaient-ils été formés, que les Mandingues du Grand-Sandiniéri, renforcés par les contingents des villages voisins, vinrent menacer le camp. La compagnie du 1er régiment de Tirailleurs algériens reçut l'ordre de les repousser, elle se porta lestement à leur rencontre et les contraignit promptement à faire demi-tour et à prendre la fuite; elle les chargea un moment, échangea avec eux quelques coups de fusil, puis rentra au bivouac. Dans cette affaire, le corps expéditionnaire eut deux hommes tués et quelques blessés. L'ennemi perdit quinze hommes et une cinquantaine de prisonniers, parmi lesquels se trouvaient quelques femmes et quelques enfants. Dès que la compagnie du capitaine Béchade eut terminé cette première tâche, elle partit pour accompagner les blessés et les prisonniers, dirigés sur le petit Sandiniéri, village de traitants soumis, bâli vis-à-vis de Sédhiou, sur les bords de la Casamance. Quarante laptots marchaient en tête de l'escorte, pour aider à l'embarquement. Au moment de sortir du réseau de forêts dont il a été question plus haut, et qui sépare les deux Sandiniéri en se prolongeant jusqu'au fleuve, le détachement essuya unepre-
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inière décharge de coups de fusils trois hommes reçurent des balles dans leurs vêlements, mais aucuil d'eux ne fut blessé. Pour parer au danger de la situation, la 2e section de la déploya sur le flanc gauche de compagnie de Tirailleurs la i'% qui continua d'avancer avec le convoi. L'escorte resta au Petit-Sandiniéri.pour y garder l'endroit où la colonne devait venir camper dans la soirée, et pour y protéger rembarquement des blessés, mollement mais continuellement inquiétés par les noirs. A cinq heures, tout le corps expéditionnaire était rallié sur l'emplacement où il devait passer la nuit. Cette première journée, qui avait été si désastreuse pour l'ennemi, se termina par la razzia d'un troupeau de 250 bœufs et de 300 chèvres qui avait été aperçu à peu de distance du camp. Le lendemain 10 février, M. le chef de bataillon Laprade se rendit à Sédhiou ; il confia au capitaine du Génie Fulerand le commandement de la colonne, qui se mit en mouvement à six heures du matin, pour aller surprendre le village de Dioudoubou, distant de huit kilomètres du Petit-Sandiniéri. La colonne marcha dans l'ordre de bataille adopté la veille; seulement, les Tirailleurs algériens prirent la gauche et l'infanterie de marine la droite. La forêt qui défend l'approche du-village de Dioudoubou est tellement épaisse, tellement fourrée de lianes et de broussailles, que la colonne ne put la traverser qu'en défilant homme par homme. L'arrière-garde déboucha des fourrés juste à temps pour recevoir l'ennemi, qui, chassé du village et coupé en deux par la tête de la colonne, était rejeté à droite par l'infanterie de marine, et à gauche par l'artillerie et les laptots. Les Tirailleurs se mirent à sa poursuite et le chassèrent dans les bois. Après avoir incendié les habitations et les récoltes, lacolon-
se
ne rétrograda sur le petit Sandintéri en obliquant à gauche pour aller visiter un autre village qu'elle trouva abandonné et qui eut le même sort que Dioudoubou. En regagnant son campement, et au moment où elle quittait la forêt, la colonne fut attaquée par les noirs, qui, fidèles à leur coutume, restaient cachés derrière les arbres. La compagnie de Tirailleurs du 3e régiment, envoyée pour les refouler, fut obligée de battre en retraite, parce qu'elle se voyait menacée de manquer de munitions, l'ennemi étant en face. Deux sections dela compagnie du 1er régiment, commandées par MM.Abd-el-Kader et Ruyssen, portèrent successivement à son aide et la dégagèrent le feu se prolongea encore une demi-heure, puis la colonne continua sa route, essuyant quelques rares coups de fusil dont personne n'eut à souffi'il. Dans cette sortie, un Tirailleur algérien fut blessé au bras gauche, et un autre reçut deux balles dans sa veste sans être touché. De retour au camp, la troupe se reposa des fatigues de la matinée; mais, vers les trois heures, les grand'gardes, composées chacune d'une escouade de Tirailleurs, furent vigoureusement attaquées par un parti considérable de noirs. Trop faibles pour résister, elles durent céder le terrain. Au bruit de la fusillade, tout le camp prit les armes; trois sections de Tirailleurs furent lancées contre lesassaillants, qui, les voyant accourir, jugèrent prudent de se sauver au plus vile mais ils ne purent échapper aux Turcos, malgré la distance qui les séparait d'eux. Ceux-ci, avec la rapidité de l'éclair, se précipitèrent sur leurs traces et les atteignirent au Grand-Sandiniéri;là, ils leur tuèrent plusieurs hommes, au-nombre desquels se trouvait le chef noir le plus influent de la région, le marabout de Karantaba, ville sainte et siège du gouvernement mandingue. Le Tirailleur Kaddour-ben-Rhazi rapporta au camp, fixée au bout de sa baïonnette, la tête de ce personnage vénéré. Cet acte de vigueur jeta l'épouvante parmi lesMançlin-
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se
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gues; ils en furent d'autant plus frappés qu'il croyaient leur lendemain, tous les aumarabout invulnérable. Aussi, dès tres chefs assemblés s'empressèrent-ils de venir présenter leur soumission à M. le commandant Pinei-Laprade Cet officier ne crut pas devoir accueillir les avances qui lui étaient faites avant de s'être emparé du village de Bambadiou, qui servait de repaire aux nègres coupables des violences commises contre les Européens de cette rive du fleuve. Ce village se trouvait à huit kilomètres au-delà du GrandSandiniéri, sur les bords de la Casamanoe. Le 12, h la chute du jour., la colonne, après une marche de quatre heures, tombait à l'improviste sur ce village immédiatement et sans résistance il fut livré aux flammes, les récoltes furent détruites. Les soldats dressèrent leurs tentes à la lueur de l'incendie, et passèrent la nuit sur les lieux témoins d'aussi justes représailles. Le 13 février, une nombreuse députation composée des chefs qui, le jour précédent, avaient demandé la paix et des : autres chefs leurs voisins, vint au camp pour renouveler les propositions de la veille. Ces propositions furent acceptées à des conditions assez dures pour les vaincus, mais proportionnées toutefois, aux ressources du pays. Elles furent ensuite converties en un traité régulier. L'apparition des troupes françaises dans ces contrées lointaines et pour ainsi dire inexplorées, constituait un fait qui n'avait pas de précédent dans l'histoire. Les Mandingues en conserveront longtemps le souvenir. Le commerce de toutes les nations trouvera, dans les stipulations de la convention intervenue, de sérieuses garanties pour ses intérêts trop e longtemps compromis par la mauvaise foi et la cupidité des indigènes. Rentrée auPetit-Sandiniéri, la colonne s'y embarqua le 14 pour se rendre à Sédhiou, dont elle n'était séparée que par la largeur du fleuve. Là, elle eut un moment la douce illusion de se croire aucentre dun pays civilisé, car elle put
le
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-
admirer d'élégantes constructions à la française, parmi lesquelles se distinguent le poste de commandement et de vastes établissements appartenant à de riches maisons de commerce de Bordeaux, de Marseille et d'autres villes de la métroy
pole.
L'cscadrille appareilla lé15, dans l'après-midi, pour ramener le corps expéditionnaire à Gorée, où il débarqua le 21 dans la soirée. A cette date, les troupes tirées d'Algérie comptaient environ trois mois d'absence de leurs corps respectifs. Durant cette période, elles avaient été soumises aux épreuves d'une laborieuse traversée et de fatigantes expéditions, rendues plus pénibles par des privations sans nombre et par une chaleur excessive. Cependant, malgré ces circonstances défavorables, le courage de tous ne s'était pas démenti un seul instant, la discipline avait été religieusement observée etl'état sanitaire ne laissait rien à désirer. Cette relation, renfermant plus spécialement l'historique de la compagnie du 1er régiment de Tirailleurs, ne s'arrêtera, en fait de citations personnelles, qu'aux noms des militaires de cette compagnie qui se sont le plus particulièrement distingués aux yeux de leur commandant dans celle première expédition. Toutefois, ce serait commettre une omission regrettable que de ne pas s'empresser d'ajouter que toutes tes troupes du corps expéditionnaire, à n'importe quelle arme qu'elles appartinssent, rivalisèrent d'ardeur, de dévouement et d'abnégation pendant la durée des expéditions du Cayor et de la Casamance. Lesmilitairesqui. dans cette expédition, s'étaient le plus particulièrement fait remarquer étaient, au 1er régiment de Tirailleurs : MM. Béchade, capitaine, Ruyssen, sous -lieutenant, Brodier, sergent-major, Ahmed-ben-Zitouli et Ahmed-benTalia, sergents indigènes; Bordier. fourrier, Abd-el-Kadcr, caporal indigène, Treil de Pardaillant, Piélri (blessé) StBel-Hadj, tirailleurs. Marc En outre, M. le Gouverneur du Sénégal ayant manifesté
a
et
toute la satisfaction que lui avaient données les compagntes de Tirailleurs-venues d'Algérie et son intention de signaler les plus méritants à la bienveillance impériale, un mémoire spécial de propositions fut présenté par chaque commandant de compagnie. Pour le 1er régiment furent signalés pour l'avancement: MM. Léonard, lieutenant, Ruyssen, sous-lieutenant; pour l'épaulette, MM. Brodier, sergent-major, et Lavondès (1). sergent; pour la croix, M. Abd-cl-Kader, lieuet enfin, pour la médaillemilitaire, les sergents Mautenant cassin et Ahmed-ben-Taiiar. Cette première expédition terminée, il s'en préparait une seconde vers le Saloum, rivière assez considéiable située un peu au nord de la Gambie. Mais dans l'intervalle qui s'écoula entre chacune d'elles, plusieurs Tirailleurs algériens, évacués sur Saint-Louis pour cause de maladie, avaient été incorporés dans le bataillon de Tirailleurs sénégalais. C'est peut-être le moment de parler de la façon dont il est organisé. Les soldats portent l'uniforme absolument pareil à celui des Tirailleurs algériens, à la couleur près du drap, qui est six vert foncé au lieu d'être bleu. Le bataillon est composé compagnies, formant six pelotons égaux, sous les ordres d'officiers d'infanterie de marine hors cadre. Quelquefois, cependant il arrive que ces officiers comptent aux cadres des compagnies; à défaut d'officiers, le commandement en est confié à des sergents-majors. Chaque chef de peloton reçoit les vivres et la solde pour les hommes qu'il a sous ses ordres. En expédition, les Tirailleurs sénégalais marchent dans la tenue qui leur convient, pieds nus, sans sac, portant sur leur tète un piquet qui renferme leurs vivres et leurs effets. La plus grande partie d'entre eux est armée de fusils a deux coups avec baïonuelle; les autres ont d'anciens fusils de voltigeurs. Leur solde est invariablement fixée 50 centimes
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de
h
(I) Ce sergent est le môme que, par erreur typographique, l'on a
faitnommerLacandà.
par jour, plus les vivres de campagne, composés de pain, viande, sucre et cal'é, sel et bois. En expédition, la rationest plus forte, et ils touchent, en outre, du vin et de l'eau-devie. Chaque homme vit comme il l'entend, et très-peu de Ti-
railleurs couchent en caserne, attendu qu'ils sont presque tous mariés. Le bataillon Sénégalais possède une fanfaredans le genre de celle des régiments de Tirailleurs algériens; ils ont nn assez grand nombre de clairons, mais de tambours, point. Ce bataillon, bien que commandé par un officier supérieur très distingué, M. Faron, lieutenant-colonel d'infanterie de marine, ne pourra encore d'ici à long-tempsrivaliser,-quant à la bonne organisation, avec nos régiments de Tirailleurs algériens. JNOHS croyons utile, pour complément de ce qui précède, de terminer la relation de celle première partiedeootre manuscrit par les extraits suivants, que nous empruntons à l'Annuaire officiel du Sénégal
le
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Au commencement de 1861, Je Cayor était le seul état du Sénégal avec lequel nous n'eussions pas de traité de paix cependant il s'étend entre Saint-Louis et Gorée, nos deux principaux établissements de la côte occidentale d'Afrique, auquel il fournit, comme pays agricole, une grande quantité de produits. Un courrier à pied desservait la correspondance
;
«
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entre nos deux villes, avec une sécurité, sinon avec une rapidité suffisante, en longeant la mer sur la grève même il mettait trois jours pour faire les cinquante lieues environ qu'il avait à parcourir. « Nos traitants, qui allaient dans l'intérieur du Cayor avec des marchandises, étaient exposés à être pillés ou rançonnés par les tiédos, satellites armés des chefs de ce pays. Mais le plus grand reproche qu'on ait toujours à faire au gouvernement du Cayor, c'est que le roi ou damel, quand ses revenus ordinaires ne suffisent pas pour subvenir à ses besoins, et qu'il veut se procurerdes chevaux, de l'eau-de-vie, de la pou-
dre, des fusils ou toute autre chose, s'arroge le droit de faire enlever par ses liédos non-seulement les troupeaux de bœufs et les biens de ses sujets, mais ses sujets eux-mêmes, libres ou captifs, pour les vendre, soit dans le pays, soit aux Maures, soit dans le Fouta. dépopulation de sécueffrayante là De et manque un une « rité pour les producteurs, également nuisibles à noire commerce.
ligne électrique Saintd'établir désir Le entre une « Louis et Gorée, d'y avoir des relais de courriers à cheval et des caravansérails pour rendre commodes les voyages par terre entre les deux villes, nous amenèrent à proposer, en 1859, au damel Biraïma, nn traité dans lequel il nous faisait toutes ces concessions. A peine l'avait-il signé qu'il mournl, et son père et successeur, Macodou, malgré les promesses qu'il nous avait faites pour nous rendre favorables à son élection, déclara formellement, une fois au pouvoir, que nous ne ferions aucun établissement sur son territoire, parce qu'il n'y en avait jamais eu du temps de ses pères. Après avoir patienté un an, Son Excellence le Ministre des Colonies donna l'ordre d'exiger l'exécution du traité passé avecBiraïma. « Une lutte avec le Cayor passant, dans les idées reçues, pour sérieuse, tant à cause des forces qu'on supposait à Damel qu'à cause des difficultés d'un pays où nul cours d'eau ne peut servir au ravitaillement des colonnes, quelques renforts furent envoyés d'Algérie au Gouverneur, à la fin de décembre 1860. Le Gouverneur prit le commandement général des « troupes, au nombre de 2,200 hommes 380 hommes d'infan terie de marine étaient commandés par le capitaine Hopffer ; 5 compagnies de tirailleurs algériens, par les capitaines Béchade, du 1er régiment, Girard, du 2°, de Pontécoulant, du 5e l'escadron de spahis (100 chevaux), parle capitaineBaussin. La milice mobile de Saint-Louis avait fourni 250 hommes, celle de Gorée 125 hommes. Il y avait en outre 500 volontaires de la banlieue de Gorée. L'artillerie, avec 2 canons
:
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rayés, 4obusiers de montagne, 2 chevalels de fusées el 200 hommes, était commandée par M.le chefd'escadron Dutemps; un peloton du train des équipages envoyé d'Algérie, parJe lieutenant Combalot. M. le capitaine de spahis de Négroni, faisait les fonctions de chef d'état major M. le médecin en chef Chassaniol dirigeait le service de santé M. le capitaine sous-directeur Marilz. celui du génie; M. laide-commissaire Liautaud était commissaire d'armée, et M. le capitaine Flize était chargé des affaires indigènes, des guides et dps réquisitions.
8. ;;
,
Grâce à la construction de trois postes et aux communications de plus en plus fréquentes que nous allons avoir avec le Cayor, il faut espérer que nous arriverons progressivement à l'exécution complète des conditions du traité île paix et à des réformes dans le gouvernement de ce pays, sans être obligé d'en venir à une guerre sérieuse qui le dévasterait entièrement el pour longtemps, à cause de la haine profonde qu'éprouvent contre les liédos les populations quis'em«
FINBFIAPREMIÈREPARTIE,
DEUXIÈME PAUTIE
Expédition du Saloum et
duSine
1
Arrivée au Saloum. Prise de Caoura et de Kaolakb. — Capture des
princesses noires.
L'expédition du Saloum et du Sine .était résolue. Elle avait pour but de venger, contre les grands villages Mandingues musulmans du Sonna, dix années d'outrages et de violences : en 1855 les gens de Bombadiou avaient pillé nos embarcations et massacré les équipages en 1860, ils avaient trainé aux pieds de leur chef, le commandant de Sédliiou, M. le lieutenant Faliu, qui avait débarqué sans dé- fiance sur leur rivage en 1856, les gens de Sandiniéri avaient mis nos comptoirs au pillage; en -1860, ils avaient déclaré insolemment au commandant de Gorée qu'ils n'exécuteraient pas les traités signés par eux; à la fin de cette même année, Dioudoubou se partageait un toi de 2,500 francs fait dans Sédhiou même, et enfin le 5 février 1861, Bouniadou, village du Pacao, sur la rive droite, venait de piller chez nos traitants une valeur de 10,000 francs.
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;
,
est une des
plus importantes rivières du Sénégal; il reçoit à vingt lieues environ de son embouchure, un autre cours d'eau assez considérable connu sous le nom de Le Saloum
Sine. C'est dans le triangle formé par ces deux rivières que se trouvent les deux royaumes du Saloum et du Sine. Ce triangle est coupé en deuxpar une épaisse forêt d'une largeur d'environ trois lieues. Les peuplades de ces deux royaumes étaient presque. cont nuellement en guerre mais elles se réunissaient chaque fo qu'il s'agissait de combattre un ennemi commtm. Le chef de bataillon du génie Pinet-Laprade, commandant particulier de Gorée, reçut l'ordre d'aller régler nos affaires sur ce point, éloigné du chef-lieu de 200 lieues au moins. La garnison de Gorée, renforcée des trois compagnies de Tirailleurs algériens commandées par le capitaine Béchadç, formait le contingent de la colonne expéditionnaire. Pour atteindre plus sûrement le but de l'expédition, et afin d'empêcher la jonction des deux tribus, il fut décidé que la marche de la colonne serait environnée du plus profond mystère. Les plus habiles précautions furent prises dans ce sens les vapeurs l'Africain, le Dialmalth, le Grand-Bassam et la goëlette la Trombe, chargés du transport des troupes, avaientdissimulé, par des voiles tendues perpendiculairement du côté du rivage, la présence de ces troupes à leur bord. Après trois jours de traversée, la colonne débarqua sans bruit, le t:er mars, à une heure du matin, dans une petite crique près de Caoum. Là, elle fut divisée endeux portions; la première, conduile parM. le commandant Pinet-Laprade, était composée des Tirailleurs algériens et des laplot-s;elle devait marcher sur le village de Caoum. l'une des résidences -du roi de Saloum; la seconde était composée d« l'infanterie devait se porter sur le village de Kaolakh. de marine, Chaque colonne se mit «n marche au milieu de la nuit, en
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:
et
ohservant le plus grand silence; les atlentions les plus minutieuses furent prises pour que la marche à travers les herbes sèches et les hautes broussailles ne puisse donner l'éveil il fut fait défense même de fumer. C'est dans cette condition que la colonne du commandant Laprade arriva à six cents mètres du village de Caoum. Cet officier supérieur, ayant acquis la conviction que les danger qui les meindigènes reposaient sans soupçonner naçait, ordonna à la troupe de se coucher la face contre terre, tandis que lui-même, accompagné des trois capitaines de Tirailleurs et guidé par un indigène, poussait une reconnaissance jusqu'à l'entrée du village. Tout-à-coup on aperçut, à gauche da bataillon, de vastes flammes s'élevant jusqu'aux eieux et provenant, ainsi qu'on ra su-plus tard, de l'incendie du village-de Kaolakh, dont l'infanterie de marine s'était emparée plus tôt qu'on ne l'avait prévu et auquel elle avait mis le feu. Il était à craindre que le reflet de l'incendie ne donnât l'éveil aux habitants de Caoum et ne leur permit de se mettre en état de résister à l'attaque projetée. Aussi le commandant Laprade, averti à temps, vint aussitôt donner l'ordre de continuer la marche, conservant auprès de lui une section de la compagnie du capitaine Béchade, destinée à la garde des prisonniers qu'on ne manquerait pas de faire. Dix minutes à peine suffirent à nos Tirailleurs pour cerner le village, s'en emparer, le piller et le livreraux flammes. Cent cinquante prisonniers, plusieurs chevaux et un butin considérable furent le résultat de cette attaque habilement conçue et exécutée avec un entrain au-dessus de tout éloge. "Mais ce qui ajoutait à l'importance du résultat, c'est qu'au nombre des prisonniers se trouvaient des princesses du sang royal, sœurs du roi régnant. D'après les lois en vigueur chez ces peuples, l'héritier de la couronne n'est pas un des fils du roi, mais bien un des fils de ses sœurs. La capture de ces princesses avait donc une certaine valeur. Aussi la colonne s'ét nt remise en marche le lendemain dès cinq heures du
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le
malin, pour rejoindre ses embarcations, pendant la route, fa petit caporal Parisien s'approcha de Lackmar, et lui frappant surl'épaule Eh bien Lackmar, lui dit-il, tu ne diras plus qu'on se moque de toi; cette fois, c'est du sérieux, à ce qu'il paraît ; j'ai entendu le commandant dire au capitaine qu'il te destinait la plus belle et la plus jeune des princesses prisonnières. Tu seras le père du roi futur. Pour le coup, tu vas monter en
-
:!
grade, « ; ? toi toujours
parlar kiflouricot. Mais, mon brave turco, ne te fâche pas, je t'en prie je te parle sérieusement, je t'assure. Tiens, jette tea regards surces joliescréatures de négresses elles ne sont pas à dédaigner, parole d'honneur; l'une d'elles semble même te lancer un coup-d'œil malin et te montrer ses jolies dents. Toi blague bezef, Parisien moi chouïa tocar toi. — Allons donc, tu plaisantes, t'emporter à la veille de devenir père d'un roi, presque roi toi-même, époux d'unc-princessede sang royal, premier prince du royaume. Ah! toi pincer moi ; attends, moi pincer toi aussi. Et Lackmar allait se ruer poings fermés sur le jeune farceur, si quelques sous-officiersprésents au colloque n'étaient intervenus à temps. L'affaire en resta là. Mais Lackmar murmura longtemps entre ses dents; Moi pincertoi, moi tocar toirchouïa. * La petite colonne se rembarquait à huit heures du matin. L'infanterie de marine arriva peu de temps après. Elle avait aussi fait environ cent cinquante prisonniers et pris une quinzaine de chevaux ainsi qu'une cinquantaine de bœufs. Les prisonniers furent emportés àGorée dès le soir même. Quant aux bœufs, confiés à la garde de l'infanterie de marine, ils disparurent la nuit suivante par défaut de surveillance.
— Kifach
maboul
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-
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«
;
n Entrée dans le Sine. — Traite de paix.
Au moment de notre invasion dans le Saloum, le roi qui, était en guerre avec un de ses voisins de l'Est, se trouvait
absent de ses Etats. Persuadé qu'il ne manquerait pas d'offrir sa soumission à la nouvelle des événements qui venaient dp s'accomplir, le commandant Laprade décida qu'on se rendrait immédiatement dans le Sine. Il exigea des différents villages du Saloum les bœufs et la nourriture nécessaires à la colonne expéditionnaire On se lIlit en marche le 2 mars, à trois heures du matin. La journée fut fatigante. Après avoir traversé sans résistance les villages de Sindéan, Guoroid et Dio, la troupe vint camper le soir même à Diokroul. te commandant Laprade reçut en cet endroit la visite d'un pauvre diable, ex-roi du Sine, qui avait été détrôné par le roi actuel. II amenait avec lui une cinquantaine de guerriers, et sollicitait la faveur de se joindre à nous pour combattre son ennemi. Sans rien lui promettre, on lui permit de suivre l'expédition, et on lui fit entrevoir l'espoir de relever son parti, dans le cas où un engagement aurait lieu sur les terres du roi de Sine. Le lendemain 3 mars, on traversa la forêt qui sépare les deux royaumes, et on vint camper à Marouck. Le roi de. Sine, ainsi qu'on l'apprit, était à deux lieues de là, dans l'une de ses capitales, appelée Diakhao. Nos troupes comptaient bien avoir une rencontre avec ces redoutables cavaliers du Sine, et elles se promettaient de leur fournir l'occasion de juger de la valeur du soldat fran-
çais. Il n'en fut rien. La colonne trouva, le lendemain, laim capitale déserte, ainsi que les gros villages de Moun et Maram. Le roi s'était réfugié indécis, à quatre kilomètres de là. Il se décida à envoyer des ambassadeurs pour demander auCommandant paix et amitié. Mais il n'osait pas venir. luimême au milieu des étrangers, et demandait une .entrevue a moitié chemin des deux camps. Le commandant Laprade , accepta la proposition et se rendit au rendez-vous, accompagné de son Etat-major et de l'infanteriedé marine. lei reste de la troupe resta à Diakhao, sous le commandement du capitaine Béchade. Bientôt après le commandant revint, porteur du traité de paix et amenant avec lui, lefils même de roi, qui lui avait été remis en otage On revint le soir même coucher à Marouck, et le lendemain 5 mars,.dès dix heures du matin, on était de retour à Diokoul. La troupe a eu à souffrir, pendant les journées des 4 et 5 du manque d'eau, auquel venait s'ajouter, comme surcroit d'inconvénient, un vent d'Est étouffant, qui joue, sous l'Equateur, le rôle de notre sirocco de l'Afrique septentrionale. Le soir même du 5 mars, la colonne vint établirJlPO bivouac de nuit à Gaudiope, à l'extrémité d'un marigot formé par le Saloum, où s'étaient rendus, pour l'attendre, les bateaux qui avaient été laissés à Caoum. Le lendemain, dès six heures du matin, les troupes rembarquaient pour"Gorée. En arrivant à l'embouchure du Saloum, le capitaine Béchade et sa compagnie faillirent devenir victimes d'un accident qui pouvait avoir les conséquences les plus terribles. Le bâtiment qui les portaittrainait à la remorque la goëldtc la Trombe, chargée de provisions d'eau etde fourrage, des chevaux et d'une centaine d'hommes. Tout à coup le bâtiment remorqueur échoua sur un de cesbanes de sable qui encombrent toutes les bouches des fleuves de la côte occidentale de l'Afrique.Mal dirigée par son capitaine, la Trombe
vinl briserson mal de beaupré contre le bateau, ics lames lai imprimèrent plusieurs secousses qui amenèrent diverses reprises la rencontre des deux bâtiments et firent craquer plusieurs fois la quille. Ou parvint à sortir de cette position embarrassante, et on arriva à Gorée, avec quelques avaries, le 9 Mars au matin. Quoique de courte durée, cette expédition a été l'une des plus fatigantes que nos tirailleurs aient eu à supporter. Ils avaient emporté peu de provisions, et, pendant presque tout le temps, les officiers, comme les soldats, ont été privés de vin et quelquefois "de nourriture. Les vents d'Est ont aussi beaucoup contribué aux souffrances phisiquesdans ces pays sablonneux. Aussi a-t-on été forcé de prendre les chevaux desofficiers pour transporter les trainards et les malades. De retour à Gorée, les hommes furent bientôt remis de leurs fatigues, et à leur départ ils ne laissèrent l'hôpital que deux hommes, l'un blessé, et l'autre atteint de dyssenterie. A leur arrivée à Saint Louis, les tirailleurs ne furent pas même débarqués et ils furent dirigés immédiatement sur Mouil à l'entrée du Cayor.
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Makodou (ou Damel) roi de ce pays, avait profitédudé, part des troupes pour l'expédition de Saloum et du Sine, et de l' affaiblissement momentanée de la garnison de Saint Louis, pour violer le traité de paix qu'il avait signé trois mois auparavant. Il avait pillé différentes caravanes et menacé même, assurait-on, d'incendier et piller Gandiole et Saint Louis même. 1 Gandiole est un village situé à cinq lieues de Saint Louis et à deux kilomètres environ de Mouil, ou les tirailleurs algériens ont été débarqués. Instruit de la mauvaise foi de Damel, le gouverneur s'était rendu à la hâte sur les lieux même, pour tirer un châtiment exemplaire du monarque parjure et sans foi. était parti avec une faiblecolonne, et les tirailleurs algériens étaient destinés à augmenter ses forces. Deux jours après le débarquement de ces derniers, ie commandant Faidherbe rentrait
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Gandiole au bout de dix jours d'expédition. Il avait pak*. brillé et saccagé 25 villages et battu deux fois l'ennemi en rase campagne. Les troupes furent rembarquées le 19 mars pour Saint-Louis, ou ils arrivèrent le même jour. à
III
Voyage à Podor.
Le Gouverneur du Sénégal voulut profiter du séjour des tirailleurs algériens, pour les montrer à leurs coreligionnaires du haut Sénégal, avec lesquels la France était dans les meilleures relations d'amitié et d'alliance, Il pensait que leur présence au milieu des populations maures serait d'un excellent effet et pourrait en engager un certain nombre à suivre leur exemple ou à contracter'des engagements dans les rangs de notre armée. Déjà 42 tirailleurs avaient été versés, sur leur demande, aubataillon de Sénégalais et à l'escadron de Spahis. Ce qui avait réduit considérablement l'effectif des trois compagnies. Le Gouverneur les fit embarquer le 23 mars au soir sur l'aviso l'Etoile. Ils visitèrent successivement les postes de Richard-Toll, Dagana et Podor, partout ils furent acceuillis par les Maures de la rive droite du fleuve avec les marques de la plus franche sympathie et furent l'objet d'une vive curiosité. Après une excursion de quatre jours, la petite troupe rentra à Saint Louis le 25 mars. M. le capitaine de Pontécoulant, et M. Léonard, lieutenant du capitaine Bécbade, qui se trouvaient malades en ce moment, ne prirent pas part à ce voyage d'agrément. De retour à Saint-Louis, les tirailleurs algériens, qui espéraient retourner bientôt en Algérie, apprirent que leur dé-
part était retardé. On venait d'être avisé que Damel avait menacé d'attaquer notre porte de M'bora. Une nouvelle expédition dans le Cayor devenait nécessaire et ils avaient été désignés pour en faire partie.
TROISIEME PARTIE
DEUXIÈME EXPÉDITION DANS LE CAYOR (PROVINCE DE M'BAOUARj ET RETOUR EN ALGÉRIE.
Le capitaine Béchade avait été informé que les trois compagnies sous ses ordres allaient être rembarquées pour l'Algérie à bord de YYonne, qui les avait prises à Mers-el-Kébir quatre mois auparavant. Déjà les cartouches étaient versées, et tes chevaux et mulets allaient être répartis dans les différents corps de la garnison de Saint-Louis quand tout-à-coup il reçut l'ordre de faire distribuer ces cartouches à chaque tirailleur. Deux heures après,-la troupe algérienne embarquait une seconde fois pour Gandiole qui devait être attaqué, disait-on, ainsi que Mouït, le soir même du 29 mars, jour du Vendredi-Saint. En vertu des ordres du Gouverneur, M. le capitaine Béchade prit le commandement des troupes réunies au camp de Mouit. Il y trouva, à son arrivée, l'escadron de spahis, une compagnie de Tirailleurs sénégalais, et une section d'artillerie. Ces troupes, arrivées à Mouit quelques jours avant les trois compagnies de Tirailleurs algériens, étaient occupées à la construction d'un fortin en avant de ce village. M. Béchade combina l'emplacement de chacun des petits corps placés sous ses ordres, de manière à préserver de tout coup de main et à garantir, autant que possible, de toute attaque imprévue, le grand front des trois villages qui couvrent le poste de Gandiole. L'attaque annoncée pouf le vingt-neuf mars n'a pas eu lieu. Mais chaque jour, M. Béchade recevait à son campquel-
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ques malheureuses victimes des traitements barbares des tiédos du Damel de Cayor. Foulant aux pieds toutes les règles de la bonne foi et de l'humanité, violant la parole donnée, ce chef indigène semblait prendre attache de lasser la magnanimité de la France. Tous les naturels qui nous étaient dévoués éprouvaient les effets de sa haine contre nous. Illes menaçait et les faisait maltraiter par ses satellites ; 'bon nombre même furent blessés. Enfin trois avril, comme couronnement de leurs forfaits, les tiédos se dirigèrent sur Ker, grand village situé à trois lieues de Garidiole et entièrement soumis aux Français. Ils enlevèrent un troupeau de 190 bœufs deux habitants voulurent s'opposer à cet acte de pillage l'un fut tué et l'autre blessé. Les réfugiés qui se rendaient journellement faisaient connaître ces détails à M. le capitaine Béchade, qui les transmettait régulièrement au Gouverneur par voie télégraphique. Instruit de ces événements, M. le colonel du Génie Faidherbe, gouverneur du Sénégal, résolut de frapper un coup décisif. Rassemblant toutes les troupes disponibles à SaintLouis, il se mit à leur tête et arriva à Mouit le 4 avril, à deux heures de l'après-midi.
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La colonne expéditionnaire était composée de la manière suivante
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200 hommes d'infanterie de marine 400 tirailleurs sénégalais,
100 spahis, 20 sapeurs du génie, 60 artilleurs, avec 4 obusiers de montagne, dont deux rayés, 175 tirailleurs algériens, 50 hommes du train 1,000 volontaires environ, de Saint-Louis et des Ouals, ayant parmi eux une nombreuse cavalerie, une soixantaine de chameaux, une quarantaine de mulets, avec vingt cacolets chargés des vivres nécessaires pour cette troupe. La petite
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armée ainsi formée,
se mit en mouvement sur Ker, où elle vint camper vers six heures du soir. Le lendemain, à trois heures du matin, elle prit la direction de l'Est, et à neuf heures elle était en vue du village-de Keur-Alimbingue. Cevillage avait été désigné comme le repaire des tiédos qui avaient enlevé le troupeau de bœufs à Ker. On le supposait occupé et l'on comptait sur unevigoureuse résistance. Quelques coups de fusils tirés sur la colonne à la sortie d'un bois qu'elle avait eu a liaverser,confirmèrent ces prévisions. Aussitôt toutes les mesures furent prises pour repousser ce que l'on supposait être une attaque des noirs.
Les. trois compagnies algériennes, sauf une section restée pour la réserve, furent déployées en tirailleurs pour couvrir le front de la colonne. On s'avança ainsi en bon ordre vers le village mais bientôt on reconnut qu'on n'avait eu a fairequ'à un peloton de cavaliers et quelques fantassins qui prirent la fuite à l'approche des nôtres. Les Spahis furent lancés à la poursuite de l'ennemi, l'atteignirent, lui tuèrent 16 hommes et ne s'arrêtèrent qu'après l'avoir suivi l'espace d'une lieue et demie. On campa a Keur-Alimbingue. Le lendemain, 6 avril, on continua la marche en faisant de grands circuits, afin de reconnaître tous les villages des environs. On en brûla une dizaine, et l'on incendia toutes les récoltes. On s'arrêta vers onze heures du matin, à Guéoul, village le plus important do la contrée. Il y avait huit heures que l'on marchait, la chaleur était étouffante, on n'avait pas trouvé une goulle d'eau pendant toute la route tous les hommes souffraient de la soif. On espérait trouver à Guéoulplusieurs puits et beaucoup d'eau on n'en trouva qu'un seul, qui avait une profondeur de 40 mètres et à peine 50 centimètres d'eau. Le gouverneur comprit que cette faible ressource serait bientôt épuisée, et il prit toutes les dispositions nécessaires pour que cette eau fut économisée et répartie également entre tous les hommes de la colonne expéditionnaire.
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Une première distribution donna a peine un quart de JitrC par homme. Il fallut attendre jusqu'aulendemain a ncufheures pour que la troupe pût faire un peu de bouillon et de café. Les animaux n'avaient pas bu depuis 50 heures. Quelques volontaires se hasardèrent à aller chercher un peu d'eau dans les villages voisins on a vu vendre 6 fr. l'eau contenue dans de petites peaux de chèvres qu'ils rapportaient de leurs excursions. C'est par ce moyen que les auxiliaires ont pourvu à l'eau du puits de Guéoul leur était interdite. leurs besoins Il fallait échapper à cette calamité, qui pouvait amener les plus funestes résultats.. Il fut donc décidé que l'on retournerait à Keur-Alimbingne. Le 8 avril, vers 4 heures du soir, au moment où la colonne allait commencer son mouvement rétrogradé, des cavaliers s'avançaient sur notre grand'garde et lachèrent plusieurs coups de fusils, chaque corps prit les armes aussitôt et l'escadron de spahis se mit à la poursuite de ces cavaliers sans pouvoir les atteindre. 11 ramena un cheval de tiédo tout sellé et bridé. Comme en Casamance, au Saloum et au Sine, la race chevaline du Cayor est petite, mais agile et vigoureuse. La race nègre, hommes et femmes, est grande et fortement constituée. A cinq heures et demie du soir la colonne partit pour KeurAliÙlbiugue, ou elle vint camper le neuf avril deux heures du matin. On y trouva de l'eau à discrétion, et tous, hommes et animaux purent enfin étancher la soif ardente qui les faisait tant souffrir depuis trois jours. On rentra a Ker le 10, et à Gandiole le 11; le même jour, à une heure de l'après-midi, on était de retour àSt-Louis. Durant cette courte campagne, on a brûlé les villages de la frontière Est du Cayor on a construit un nouveau poste à Potou, fait une razzia de mille bœufs, et l'on s'est emparé de quelques prisonniers importants. De leur côté, les troupes de Gorée opéraient en même temps, dans les environs de M'Bignen, où une redoute avait été élevée par les Tirailleurs algériens, la fin de janvier.
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Toutes ces expéditions ont frit perdre au Cayor, plus de 80 villages réduits en cendres, toutes ses récoltes de l'année anéanties par les Gammes, et un grand nombre d'hommes pris ou tués. A sa rentrée à Si-Louis, M. le colonel Faidherbe fil prévenir M. Béchade qu'il pouvait se disposer à retourner en Algérie avec sa troupe queYYonne était attendue en rade vers le 23 ou le 24 avril, pour opérer le transport des trois
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compagnies.
Désireux néanmoins de faire admirer encore une fois l'uniforme bleu par les Maures de la rive droite du Sénégal, M. le Gouverneur prit avec lui 50 tirailleurs algériens et remonta le fleuve avec eux. Partis le 14 avril, ils ne rentrèrent que le 18. Accueillis avec les transports d'une joie non équivoque par leurs corréligionnaires, qui éprouvaient un plaisir réel à s'entretenir avec eux, ils ont laissé dans ces contrées lointaines des souvenirs durables, qui profiteront aux populations indigènes et à la vitalité de notre colonie du Sénégal, destinée, sans nul doute, à un brillant avenir. Enfin, le 26 avril l'aviso l'Etoile, le même qui, 5 mois auparavant, avait débarqué les Tirailleurs algériens, vint leur faire passer la barre de St-Louis et les rendre à l' Yonne, qui déjà les avait amenés et devait les reconduire en Algérie. Ceux qui avaient été incorporés dans les troupes du Sénégal accompagnaient leurs camarades pour leur dire adieu et les charger de porter de leurs nouvelles à leurs familles. Parmi eux, se trouvait Lakhmar, que nous connaissons déjà, et qui avait obtenu de rester dans l'escadron de spahis. En l'apercevant, le petit caporal parisien, qui, avec son caractère jovial avait un excellent cœur, s'approcha de lui, et, lui tendant la main, luidit : Lackmar, pas de rancune, mon brave tu es tout ce qui a été dit était pour un bon et honnête garçon plaisanter ; mais je n'ai jamais eu. l'intention de t'oflènser je t'ai toujours aimé sincèrement ; embrassons nous avant de de nous séparer.
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Lakmar ne pouvail répondre, une larme roulait dans son œil vif et brillant, sa poitrine était oppressée. Enfin éclatant, en sanglots. il sauta ail cou du caporal et le tenant fortement Adieu, petit caporal, lui dit-il; loi donar bonjour embrassé pour moi au sergent Mohamed bën Tahar, a la quatre compagnie du premier. Toi garçon bono kifl'arabe l'arabe. Radjelrrdehkif Francis. Ces deux bons militaires sanglotaient et se tenaient dans une fraternelle étreinte qui faisait verser des larmes à tous les officiers présents à cette scène. Enfin, l'Etoile remporta à terre ceux qui devaient y rester lacôte et le 27 avril l'Fbnne'perdait de vue Saint-Louis occidentale de l'Afrique. La marche du navire a été à plusieurs reprises contrariée par des vents contraires et par un calme plat, comme aussi par un accident survenu en pleine mer à sa machine. Néanmoins on arriva à Mers-el-Kébir 27 mai et on débarqua nos tirailleurs sains et saufs. Le 29 mai, le capitaine Béchade rembarqua avec sacompagnie et arriva le 50 au soir dans le port d'Alger. Telle est la relation succincte de cette épisode de six mois, qui tiendra une page dans l'histoire de nos troupes indigènes de l'Algérie Tous les officiers se plaisent reconnaître que ces trois compagnies ont rivalisé de zèle, de dévouement et de bravoure. Leur éloge le plus précieux et le plus mérité, se trouve reproduit dans l'ordre du jour que leur a remis le Gouverneur du Sénégal au moment de leur départ et que nous nous faisons un plaisir de copier ci-dessous
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Ordre du Jour. Au moment où les compagnies des 1er 2me et 5me régiments de Tirailleurs algériens commandées par MM. les capitaines Béchade, Gérard et dePontécoulant quittent le Sénégal, le
Gouverneur leur témoigne toute sa satisfaction et ses sincères remerdments pour les brillants services qu'elles ont rendus à la colonie pendant prèsde quatre mois d'expéditions continuelles. Soutenant la réputation de bravourequ'elfe a depuis longtemps acquise, non seulement en Algérie, mais sur les champs de bataille de l'Europe, cette excellente troupe a fait éprouver aux Mandingues de la Casamance les effets de sa vigueur, de son élan irrésistible au feu, et de l'expérience de la guerre qui la distingue essentiellement, chefs et soldats. Pendant les courts moments qu'ils ont passés à SaintLouis et à Gorée, les Tirailleurs algériens ont fait admirer leur élégante tenue, et leur conduite n'a donné lieu à aucun reproche; de façon que notre jeune et déjà si bonne troupe de Tirailleurs Sénégalais, a trouvé dans ses anciens l'exemple de tontes les qualités militaires. Le Gouverneur attend aussi de très bons résultats du passage d'un certain nombre d'Algériens au bataillon Sénégalais, et il remercie les chefs de corps d'avoir facilité cette opération avec le bon esprit qui les anime en toutes circonstance. A Saint-Louis, le 25 avril 1861. Le Gouverneur du Sénégal et dépendances,
FAIDHERBE.