Souvenirs des guerres de Crimée et d'Italie / par le général Lebrun,...
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Lebrun, Joseph (1809-1889). Souvenirs des guerres de Crimée et d'Italie / par le général Lebrun,.... 1889. 1/ Les contenus accessibles sur le site Gallica sont pour la plupart des reproductions numériques d'oeuvres tombées dans le domaine public provenant des collections de la BnF. Leur réutilisation s'inscrit dans le cadre de la loi n°78-753 du 17 juillet 1978 : - La réutilisation non commerciale de ces contenus est libre et gratuite dans le respect de la législation en vigueur et notamment du maintien de la mention de source. - La réutilisation commerciale de ces contenus est payante et fait l'objet d'une licence. Est entendue par réutilisation commerciale la revente de contenus sous forme de produits élaborés ou de fourniture de service. CLIQUER ICI POUR ACCÉDER AUX TARIFS ET À LA LICENCE 2/ Les contenus de Gallica sont la propriété de la BnF au sens de l'article L.2112-1 du code général de la propriété des personnes publiques. 3/ Quelques contenus sont soumis à un régime de réutilisation particulier. Il s'agit : - des reproductions de documents protégés par un droit d'auteur appartenant à un tiers. Ces documents ne peuvent être réutilisés, sauf dans le cadre de la copie privée, sans l'autorisation préalable du titulaire des droits. - des reproductions de documents conservés dans les bibliothèques ou autres institutions partenaires. Ceux-ci sont signalés par la mention Source gallica.BnF.fr / Bibliothèque municipale de ... (ou autre partenaire). L'utilisateur est invité à s'informer auprès de ces bibliothèques de leurs conditions de réutilisation. 4/ Gallica constitue une base de données, dont la BnF est le producteur, protégée au sens des articles L341-1 et suivants du code de la propriété intellectuelle. 5/ Les présentes conditions d'utilisation des contenus de Gallica sont régies par la loi française. En cas de réutilisation prévue dans un autre pays, il appartient à chaque utilisateur de vérifier la conformité de son projet avec le droit de ce pays. 6/ L'utilisateur s'engage à respecter les présentes conditions d'utilisation ainsi que la législation en vigueur, notamment en matière de propriété intellectuelle. En cas de non respect de ces dispositions, il est notamment passible d'une amende prévue par la loi du 17 juillet 1978. 7/ Pour obtenir un document de Gallica en haute définition, contacter reutilisationcommerciale@bnf.fr.
SOUVENIRS DES GUERRES DE
CRIMÉE ET
D
ITALIE
LIBRAIRIE DE E. DENTU, EDITEUR
OUVRAGE DU MÊME AUTEUR LA CCEURE DE
t~70.
BAZEILLES-SEDAX,un vo!. in-8*.
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SOUVENIRS DES GUERRES DE
CMMEE ET D'ITALIE
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PAR
LE GÉNÉRAL LEBRUN ArfClEX COMMA~CA~T DE CORPS D'ARJtËE
PARIS E. DENTU, ÉDITEUR LIBRAHŒ DE LA SOCIÉTÉ DES GENS DE LETTRES 3, PLACE DE VALOIS (PALAIS-ROYAL)
1889 Droits de tr&dcctioa et de reproduction rëserrés
A MES ANCIENS COMPAGNONS D'ARMES DE CRIMEE ET D'ITALIE
C'est à vous, mes chers vieux Camarades, que je dédie ce livre, parce que c'est pour vous que je l'ai écrit. J'ai pensé qu'en y rappelant les événements de guerre qui s'étaient passés sous mes yeux, en Crimée et en Italie, et dont vous avez été les héros, je vous enverrais comme une dernière poignée de main fraternelle. Si mes souvenirs tombent sous les yeux de vos fils et de vos petits-fils, ils leur diront votre passé glorieux, et ils leur apprendront, par votre exemple, comment il faut servir la Patrie. GÉNÉRAL
Paris, 18S9.
LEBRUN.
SOUVENIRS PELA
GUERRE DE CRIMÉE
SOUVENIRS UELA
GUERRE DE CRIMÉE
t)E CO~STA~TfNE A COX~TAM!~0!'LE
J'étais lieutenant-colonel et chefd'etat-major de la division de Constantine, commandée par le général de MacMahon promu au grade de colonel, le 6 janvier je fus désigné, le 11 du même mois, pour aller prendre, à l'armée d'Orient, les fonctions de chef d'étatmajor de la troisième division d'infanterie, fonctions devenues vacantes depuis peu de temps, par suite de la rentrée en France, avec le prince Napoléon, dont il était l'aide de camp, du colonel Xcsmes-Desmarest, qui les avait exercées depuis le commencement de la guerre. Je quittai Constantine et j'allai m'embarquer à Philippeville pour être transporté à Marseille, d'où je devais ensuite gagnerpar mer Constantinople, et de là Kamiesch qui était, en Crimée, le port de débarquement de tous les arrivages venant de France. Il y avait à Marseille, lorsque j'y arrivai, une afuuencc considérable d'officiers de tous grades et de toutes armes envoyés, comme je l'étais moi-même, à l'armée d'Orient,
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et qui attendaient impatiemment leur tour d'embarquement pour Constantinople. Cela me fit craindre de me voir condamné à faire un assez long séjour à Marseille. Mais f'rt lieureusement pour moi, c'était le général de HostoJan qui commandait alors. J'avais été son chef d'état-major, pendant l'expédition et le siège de Rome en 18~, et, depuis cette époque, il s'était bicu des fois montré animé des meilleurs sentiments a mon égard. Le jour de mon arrivée à Marseille, j'allai lui faire ma visite réglementaire, et, aussitôt que je lui eus fait part de mon appréhension, il me rassura bien vite, en me promettant de donner des ordres pour que je fusse embarqué sur le premier paquebot qui ferait voile pour Constantinople. Grice au général de Rostolan, je ne passai que trente-six heures à Marseille. Le transport sur lequel je pris passage traversa le détroit de Donifaccio. Les matelots qui composaient l'équipage me montrèrent du doigt le point de la côte de Corse, où, quelques jours auparavant, s'était perdue corps et biens la frégate la Sémillante, chargée de troupes qui se rendaient en Crimée. La nouvelle de ce malheureux événement arrivée à Marseille, pendant mon court séjour dans cette ville, y avait douloureusementaffecté la population. Un jour de relâche que le paquebot fit, dans le port du Pirée, me permit d'aller visiter Athènes et les ruines célèbres de ses antiques monuments, l'Acropole, les Propylées, le Parthénon, ainsi que les musées qui renferment ce qu'on a retrouvé des restes de la belle statuaire grecque. Grande fut mon admiration pour le Parthénon,. malgré les mutilations nombreuses que les touristes lui ont fait subir depuis plus d'un demi-siècle. Sur le terre-plein qui sert de base au monument, j'étais bien placé pour pouvoir embrasserd'un coup d'ceil l'Athènes moderne et ia campagne qui l'environne. On était alors en plein
hiver, et il faut croire que la tristesse de la saison me disposait mal a trouver ravissant le panorama qui, de tous les côtes de l'horizon, se développait devant moi; sembla il car lorsque je me pris à contempler la ville, mesemblaqu'elle ne renfermait que des habituions toutes bles a celles que contiennent nos plus humbles cités de France. Descendu des hauteurs de l'Acropole, je parcourus les principales rues de la ville, et j'y rencontrai, je dois !e dire, des tvpes d'une beauté remarquable, rappelant, chez les hommes comme chez les femmes, les lignes du visage, les formes extérieures et la noblesse naturelle de démarche que l'on admire dans l'antique statuaire grecque. Je vis déjeunes hommes taillés en athlètes, a la physionomie vive et intelligente, et en contemplant leur allure imposante, il me sembla que je voyais couler dans leurs veines le sang bouillant et généreux de leurs ancètres, et fils de ces héros qui, dignes eux les retrouvais je en que a l'époque de ma jeunesse, soulevèrent tant d'enthousiasme en France pendant la guerre qu'ils soutinrent contre les Turcs pour l'indépendance de leur patrie. Je débarquai n Constantinople, a la fin du mois de janvier, après une traversée très longue, qui s'était faite par des journées un temps si épouvantable, que, pendant et des nuits entières, les vagues énormes d'une mer violemment agitée n'avaient pas cesse de déferler sur le pont du paquebot. Parmi tous les ennuis que me causa le fâcheux état de la mer, entre le détroit de BonifaccioetConstantinople, il y en ent un qui m'affecta tout particulièrement. Parmi les chevaux que j'avais emmenés avec moi, à mon départ de Constantine, il s'en trouvait un auquel je tenais beauexceptionnelles, mais coup, en raison de ses qualités dont le caractère était très irritable. Or, il arriva que l'animal, surexcite par les mouvements de roulis et de
Langage qui agitaient le navire, en vint à se débattre si furieusement dans la stalle, on il était connné, qu'il n'était plus possible de l'approcher sans courir un certain danger. Il fut un instant question de le jeter à la mer; mais, par égard pour moi, le commandant du bord ne voulut pas qu'on en vint à cette extrémité. Les frottements continuels des membres du cheval contre les parois de sa stalle lui entamèrent les chairs si profondément que, lorsque le malheureux fut débarqué a Constantinople, je crus que je n'avais plus qu'à le faire abattre. Maigre l'état déplorable dans lequel il se trouvait. un vétérinaire français, attache comme professeur à l'Ecole militaire de Constantinople, voulut bien se charger de lui donner des soins. Il me l'envoya en Crimée, sept mois plus tard, parfaitement guéri de ses blessures. Constantinople vaut un Empire, » a dit Napoléon Ces paroles du grand capitaine ont exprimé une grande vérité; depuis le règne de Pierre le Grand, le rénovateur de l'Empire russe, jusqu'à nos jours, Constantinople n'a pas cessé un seul instant d'être le point de mire des convoitises ardentes de la politique des txars. C'est pour cela que quand le tzar Nicolas avait fait, dans le couranr du printemps de !854, marcher ses armées vers les fron-
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tières de l'Empire ottoman, la France et la GrandeBretagne avaient contracté entre elles une alliance, en vue d'unir leurs forces à celles de la Turquie, pour s'opposer à ce que Constantinople tombât en la possession des Russes. Celui de tous les monuments de Constantinople que je visitai avec le plus d'admiration et d'intérêt, ce fut celui qui porte le nom de la ~r<X7ï~e ~os~Kee. On sait qu'édiné sous l'empereur Constantin, et dédié d'abord à la Sagesse divine (S 'phia, en langue grecque), il devint, après la conversion de cet empereur au christianisme, une basilique chrétienne, placée sous l'invocation de sainte Sophie.
Oétruit un peu plus tard par l'incendie, et reconstruit sous Justinien, il fut transforme en mosquée, a la suite de la conquête de Constantinople par les musulmans. La consigne du gardien de l'édifice est de n'y laisser pénétcer que les visiteurs qui consentent a déposer leur chaussure, a la porte du monument, en signe de vénération pour la sainteté du lieu. Mais un peu avant mon arrivée à.ConstantinopIe, cette consigne avait été levée en faveur des officiers et des soldats de Farméc française, de sorte qu'il me fut permis d'entrer dans la mosquée sans avoir à quitter mes bottes. Pendant mon séjour à Constantinople, le nombre des officiers français y était considérable. Tous se montraient fcrt impatients d'être embarques pour la Crimée. J"en vis pourtant quelques-uns, d'un crade élevé, qui, sous l'impression des nouvelles arrivées récemment de l'armée <FOrient, manifestaient ostensiblement des préoccupations et des inquiétudes regrettables. Le sujet de leurs conversations, citait uniquement la gravité des événements que se passaient devant Sébastopol. Ils voulaient espérer, disaient-ils, que l'armée française sortirait victorieuse des difficultés qu'elle avait à surmonter mais ils se demandaient, les uns et les autres, si, dans sa lutte contre la Russie, la France rie serait pas bientôt entrainée à s'engager beaucoup plus loin qu'elle ne l'avait voulu d'abord. Ils s'entretenaient des épreuves répétées que nos soldats avait subies déjà et de celles qui les attendaient peut-être encore. Ils racontaient quelques incidents de guerre récents, dans lesquels nous avions été malheureux ils en exagéraient l'importance et les montraient comme de fncheux pronostics pour l'avenir. Ce que l'on pouvait conclure de tout ce qu'ils disaient, c'est qu'à rencontre de ce qui s~était toujours vu dans l'armée française, où
chaqueofncieroachaquesoldatavait.sansdiscuter.brùlédu désir de se trouver partout où il y avait des coups de ca-
non à tirer, chez les quelques officiers dont je parte Fentrain n'était peut-être pas tout a fait fi la hauteur des circonstances. Je me h~te d'ajouter que l'esprit de ces officiers devait se modifier bientôt. Car aussitôt qu'ils furent devant Sébastopol, ils reprirent possession d'eux-mêmes et ne songèrent plus qu'à se montrer les dignes émules des camarades qui les avaient précèdes en Crimée.
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ARRIVEE EN CRIMÉE.
LE GÉNÉRAL MAYRAX.
sur lequel j'avais pris passage à Constantinople aborda sur la cote de la mer Noire dans le port <!c Kamiesch, a six kilomètresà l'est de ~bastopol. Kamiesch, qui devait, un peu plus tard, devenir une vaste agglomération de baraques en planches exploitées par des commerçants de toute espèce, et principalement par des cafetiers ou cabareticrs, un grand baxar rempli de toutes les denrées comestibles ou de tous les menus objets nécessaires au soldat, n'était alors qu'une plage presque nue, où l'on ne voyait, autour de quelques masures abandonnées par les habitants, que des fonctionnaires de l'intendance, des employés, des soldats de l'admistration et des détachements du train des équipages militaires. Cà et là, on y avait entassé, recouverts par des bâches, des approvisionnements considérables, destinés au ravitaillement de l'armée française. Je ne m'arrêtai à Kamiesch que le temps nécessaire pour faire débarquer mes chevaux~ et je m'acheminai vers le quartier général de la troisième division d'infanterie de l'armée, lequel était établi an centre du campement dit <~ .Vo«~, près de la tète du grand ravin de Le navire de transport
KarabeInaYa.
trajet que j'avais à faire pour me rendre à destination était de !:? kilomètres, et comme il m'obligeait a traverser une grande partie du camp français, je pus étudier sur ma route l'installation des camps. J'en parlerai un Le
peu plus loin.
J'arrivai près de Fétat-major où j'avais a me rendre. Le général Mayran y était arrivé lui-même, peu de jours auparavant pour remplacer, dans le commandement de la 3" division d'infanterie, le prince Napoléon, qui avait quitté récemment l'armée pour rentrer en France. Aussi longtemps qu'it y aura des armées, tout général qui sera appelé à y exercer un commandement ne pourra se passer d'avoir, à côte de lui, pour lui faciliter sa tâche et lui épargner le souci d'avoir à s'occuper des détails de son service, pour transmettre ses ordres, et pour en assurer l'exécution, ce collaborateur spécial que l'on appelle un chef d'état-major. Le rôle que remplira ce collaborateur sera toujours considérable et efficace, s'il est exerce avec autant de dévouement que d'intelligence. Mais pour qu'il puisse en être ainsi, il sera rigoureusement nécessaire que le général et son chef d'étatmajor aient, l'un vis-à-vis de l'autre, une confiance absolue, que tous les deux mettent leurs idées en commun, qu'ils s'inspirent des mêmes sentiments et des mêmes prévoyances, qu'ils soient, comme on dit, deux têtes sous le même bonnet: sinon, les opérations de guerre que le général aura à entreprendre ne seront pas suffisamment bien préparées, et leur exécution en souffrira infailliblement. C'est pourquoi je fais des vœux ardents pour que jamais un général et son chef d'état-major ne viennent tout à coup, en pleine guerre-, à être accolés l'un à l'autre par une simple décision ministérielle, et en quelque sorte par le seul fait du hasard, quand, dans leur carrière respective, ils n'auront pas eu des occasions fréquentes de se
rencontrer, de se connaître et de s'inspirer une confiance réciproque. Si ces deux hommes ne se sont jamais vu: il est bien certain que cette confiance n'existera pas, dès le premier jour où ils se trouveront atteins à la même besogne; ce ne sera qu'à la longue qu'elle finira par s'imposer peut-<tre. Mais avant qu'il en puisse être ainsi, le chef d'état-major sera condamné a une prudente réserve. Il recevra et transmettra les ordres qui lui seront dictes par son chef; mais son concours sera peu. utile, et sa collaboration passive ne pourra qu'être préjudiciable à la bonne direction du service. S'il s'agit d'un général commandant une grande armée, cette passivité, chez son chef d'état-major. pourra parfois avoir les conséquences les plus grandes et causer même la perte de cette armée. Qui pourrait affirmer qu'en !870, le sort de l'armée de Metz n'eut point été moins malheureux, si le maréchal Cazaine, qui commandait cette armée, avait accordé sa confiance à son chef d'état-major gênerai, au lieu de le tenir, comme il Fa fait, constamment éloigné de sa personne, sans l'initier à ses projets, sans s'éclairer de ses avis, le réduisant à n~etre pour lui qu'un simple transmetteur d'ordres ou d'instructions auxquelles il ne l'avait pas appelé à col!aborer ? A l'appui de ces observations, je citerais volontiers, si cela ne devait pas m'entraîner trop loin, tout ce qu'a écrit sur cet important sujet, dans son ouvrage sur le service d'état-major, le général Thiébaut, l'un des chefs d'état-major les plus illustres parmi ceux qui ont servi dans I~s armées du premier Empire. Xul, mieux que ce général, n'a démontré la nécessité de la communauté de caractère et d'idées qui doit, pour la bonne direction des opérations de guerre, exister toujours entre le général qui commande et Fofticier qui exerce près de lui les fonctions de chef d'état-major. Nul n'a mieux indiqué les conditions morales que ces deux hommes doivent reml.
plir, l'un à l'égard de l'autre, pour qu'on puisse utilement les atteler ensemble a la même œuvre. Il m'était réservé de voir, en Crimée, le danger qu'il y a à faire,fi des préceptes enseignes par le général Thiébaut. Avant le jour où je pris mes fonctions de chef d'étatmajor de la troisième division d'infanterie de l'armée d'Orient, jamais je n'avais vu le général Mayran qui venait de prendre le commandement de cette division. Je ne le connaissais en aucune fapon, pas plus qu'il ne me connaissait lui-même, ce qui m'obligea tout d'abord à observer une prudente réserve vis-à-vis de lui. Mais bientôt, après quelques jours seulement pendant lesquels les besoins du service m'avaient appelé à le voir et à l'entendre, je reconnus, à mon grand désespoir, qu'entre mon nouveau chef et moi, le caractère et les idées étaient dissemblables, que de longtemps' sans doute, et peut-être jamais, je ne parviendrais à gagner sa confiance. Un peu plus tard et après l'avoir bien étudié, je reconnus que le général Mayran possédait de très grandes qualités militaires. Je constatai en effet qu'il était rempli de zèle et de dévouement dans l'accomplissement de ses devoirs, qu'il exigeait beaucoup de tous ceux qui servaient sous ses ordres, et qu'il savait leur prêcher d'exemple, en ne se ménageant jamais lui-même. Je vis qu'il donnait tout son temps aux troupes de sa division, tout, excepté un instant très court qu'il se réservait chaque jour pour le consacrer à sa correspondance privée avec sa famille, qu'il chérissait tendrement. Je remarquai enfin que, brave entre tous les braves, il poussait la vaillance jusqu'aux dernières limites de la témérité, témérité qui parfois pouvait compromettre les soldats qu'il commandait. lIais je découvris en même temps que l'un des traits particuliers du caractère si chevaleresque du. général, c'était le soin exagéré qu'il prenait de faire sentir à tous sa grande
autorité, et que son esprit le disposait naturellement aux préoccupations inquiètes, aussitôt que le plus petit incident de guerre venait à se manifester sur le terrain où les troupes de sa division étaient employées. Ce fut à l'occasion de ces préoccupations que, pour la première fois, j'eus maille à partir avec mon général de division. A plusieurs reprises, j'avais vu, non sans le déplorer, que, dès qu'une fusillade un peu vive se faisait entendre du côté des tranchées, ce qui arrivait assex souvent pendant la nuit, le général Mayran mettait aussitôt sur pied' toutes celles de ses troupes qui étaient dans leurs campements, les tenant alors immobiles, l'arme au pied, pendant de longues heures. Je m'imaginai un jour, après une nuit dans laquelle ses soldats avaient, pour cette raison, été complètement privés de sommeil, qu'il était de mon devoir de représenter à mon général, avec toute la déférence qui lui était due, que les fusillades que nous entendions presque toutes les nuits pouvaient se renouveler l'ort souvent, et qu'alors, si, chaque fois, nos soldats devaient pour cela être privés de repos, il arriverait infailliblement que bientôt ils seraient exténués et Sauraient plus le même entrain ni la même vigueur le jour où il faudrait réclamer d'eux un effort sérieux. Mes observations furent reçues d'assez mauvaise grâce. Ce fut pour moi la preuve que mon général de division était trop jaloux de son autorité pour que le moindre avis, émanant de son chef d'état-major, eût la chance d'être accueilli lavorab!efuent par lui. Je me le tins pour dit, et et je me promis bien, dès lors, qu'à l'avenir je ne serais plus qu'un subordonné obéissant, mais absolument pa&sïf. Quelques jours plus tard, cependant, je manquai maladroitement à la promesse que je m'étais faite, et mal m'en prit encore, comme on va le voir. Le général Mayran s'était fait une règle de sortir chaque matin de sa tente, au point du jour, pour recc-
voir les rapports qu'avaient à lui faire parvenir, en ce moment, les commandants des postes de sûreté de sa division, chargés de lui signaler les événements survenus pendant la nuit. Il avait habitue les deux officiers qui étaient attachés à sa personne, son aide de camp, le capitaine Hautx, et le lieutenant Delaunav. son officier d'ordonnance, à être sur pied, à la mono heure que lui, pour voir arriver les cavaliers porteurs des rapports. Or, devinerait-on jamais pour quel motif sérieux ces deux officiers interrompaient leur sommeil pour se trouver près de leur général? C'est qu'il faUait qu'à l'arrivée chaque cavalier, l'un des deux prit des mains de celui-ci la dépêche qu'il apportait, qu'il en enlevât l'enveloppe et la présentât ouverte au gênerai. Quand tous les cavaliers étaient arrives l'un après l'autre, l'aide de camp et l'officier d'ordonnance étaient autorises à regagner leur tente pour y reprendre leur sommeil, si bon leur
de
semblait.
Dès que j'eus connaissance que le capitaine Hautz et
le lieutenant Delaunay, après les fatigues très grandes qu'ils avaient à éprouver dans leur service journalicr, ne pouvaient même pas se reposer suffisamment pendant la nuit, forcés qu'ils étaient d'être sur pied au petit point du jour, je me hasardai à demander au général Mayran s'il ne suffirait pas que l'un des deux, à tour de rôle, assistât seul à la réception 'des rapports des commandants de poste de la division, ce qui permettrait à l'autre de dormir convenablement une nuit entière toutes les deux nuits. Je n'avais pas réfléchi que c'était là demander au général de diminuer, pour si peu que ce pût être, tout l'apparat de mise en scène dont il jugeait que sa personne devait être sans cesse entourée. Il ne tint aucun compte de mon observation, et il continua, comme par le passé, à imposer les mêmes exigences inutiles à ses deux officiers.
j'avais mieux connu le général Mayran, je me serais bien gardé de faire auprès de lui la démarche dont je viens de parler. Comme je ne savais pas co'nbicn il était prudent de ne pas exciter sa susceptibilité, je ne compris pas les conséquences que pourrait avoir, sur son esprit, la résolution que je pris d'assister moi-même, à côté de lui. a la réception des fameux rapports dont il a été question ci-dessus. Je m'étais imagine, en effet, aussitôt que j'avais connu le lever matinal de mon général, que mes fonctions de chef d'état-major m'obligeaient strictement à sortir de ma tente, chaque matin, à l'heure où il sortait lui-même de la sienne, et même un peu plus tôt, afin de me mettre à sa. disposition, pour le cas où, après la réception des rapports, il aurait quelque ordre à faire expédier, soit aux commandants des postes de sùreté, soit aux généraux de brigade de la division. Mais je m'aperçus bien vite qu'il était désagréable à mon général que j'en agisse ainsi. Le fait seul de me trouver sur pied quelques minutes avant lui, c'était à ses yeux vouloir lui montrer que j'étais, dans le service, aussi zélé que lui, et c'était un véritable délit d'irrévérence que je commettais à son égard. Je dus cesser de lui occasionner un pareil désagrément. Si
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ni SITUATION
DE
VfER 1855. COMBUSTIBLE. SOLDATS.
L'ARMÉE
FRANÇAISE D'OHIEXT EX JA~SES CAMPEMENTS. LA PÉNURIE DU DISTRACTION DES OFFICIERS ET DES
L'existence de Foincier, comme celle du soldat, était des plus tristes dans l'armée française, a la fin du mois de janvier 1855, quand je mis le pied en Crimée. Depuis le mois de novembre précédent, des froids rigoureux avaient sévi d'une façon terrible. Une neige épaisse avait, presque sans interruption, recouvert tout le terrain qui était occupé par les troupes. De plus, les maladies, qui s'attaquent invariablement à toutes les grandes agglomérations d'hommes, s'étaient abattues sur nos soldats, faisant parmi eux d'assez nombreuses victimes, et ce qu'il y avait en ce moment de très menaçant pour l'armée, c'est que le choléra, qui avait si cruellement éprouve l'armée dans l'expédition de la Dohrutscha, venait de s'abattre de nouveau sur elle en Crimée. Sa violence, il est vrai, n'était pas bien intense, mais il y avait lieu de redouter que le fléau ne vînt bientôt à prendre des proportions alarmantes, et l'on ne pouvait songer, sans s'en elTrayer, aux conséquences qui en résulteraient alors, vu les circonstances difficiles dans lesquelles nous nous trouvions devant Sébastopol.
n'était que par des miracles, dus à sa sollicitude pour nos soldats, que le général Canrobert, commandant en chef de l'armée française, avait pu la maintenir sur le pied respectable qu'elle présentait a cette époque, malgré les rigueurs de la température et les privations de tout genre qu'elle avait endurées, pendant les trois derniers mois qui venaient de s'écouler. Car, il ne faut pas qu'on l'oublie, c'est le général Canrobcrt (que la France lui en soit éternellement reconnaissante I) qui a conservé à la patrie de nombreuses et chères existences, qui, sans les soins paternels dont il les entoura, pendant l'hiver de 1854 à t855, eussent succombé de misère à l'armée de Crimée. Ce qui avait principalement fait souffrir nos soldats, de.'uis le commencement de cd hiver, c'était la rigueur du froid et l'humidité du sol. Le lecteur veut-il. savoir comment on s'était ingénie, dans toute l'armée française, pour combattre, autant que possible, l'un et l'autre de ces inconvénients? Je n'aurais qu'à lui raconter commentje l'appris moi-même a mon arrivée en Crimée. Ainsi que je l'ai exposé précédemment, après mo;! débarquement à Kamicsch, j'avais traversé les campements français pour me rendre sur le terrain où stationnait la division d'infanterie dont j'allais être le chef d'état-major. Eh LienI dans ces campements, ce qui m'avait tout d'abord étonné, c'était la façon toute nouvelle pour moi dont les tentes étaient installées. Les tentes de campement en Crimée étaient celles de forme conique, que l'on voit habituellement dans tous les camps d'instruction à l'intérieur de la France, et qui sont faites pour abriter soit une douzaine d'hommes, soit un officier supérieur, ou un capitaine, ou bien deux officiers du grade de lieutenant ou de sous-lieutenant. Jusqu'aux premiers froids de l'hiver de t854, les officiers comme les soldats de l'armée de Crimée avaient Ce
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dresse leurs tentes sur le terrain, en se conformant aux dispositions réglementaires qui voulaient que le pourtour de la tente l'ut simplement au ras du sol. Mais dès que le froid s'était vivement fait sentir, tontes les tentes avaient été abattues, pour être relevées aussitôt d'après le mode qui avait fait mon étonnement. Pour cela, le terrain circulaire, destine à servir de hase a la tente reediHce, avait été creuse jusqu'à la profondeur d'un mètre. Puis âpres avoir dresse la tente par dessus l'excavation, après avoir étendu bien à plat et du dedans au dehors la .partie de la toile hors œuvre qui est à sa base, et après avoir fixé solidement au sol les piquets et cordeaux d'attache, on avait tassé, tout autour du bas de la tente, et jusqu'à une hauteur d'un mètre, toute la terre provenant du déblai de l'excavation. Enfin on avait terminé le travail, en creusant, au pied du tains forme par cette terre, un petit fosse destiné a recevoir les eaux pluviales tombant sur la tente. Ainsi disposée, la tente de campement présentait plusieurs avantages. EUe était plus solidement assujettie au. et offrait une plus grande résistance à la violence du vent: son intérieur contenait un cubage d'air plus considerab'c,et,ce qui était surtout une amélioration inappréciable, c'est que le soldat, s'y trouvant un peu comme dans une cave. y éprouvait beaucoup moins la rigueur du froid. A ces améliorations dans l'installation de leurs tentes, la plupart des officiers avaient su en ajouter une autre. Us s'étaient donné le luxe d'une petite cheminée, pratiquée dans la paroi intérieure de leur tente, et ayant son débouché extérieur ménage dans l'épaisseur du talus en terre qui y était adosse, de sorte qu'à la condition de pouvoir se procurer le combustible néces-saire. il leur devenait loisible de se chauffer à la chaleur de leur petit foyer. Us purent se donner cette jouissance pendant les mois d'octobre et de novembre: mais en
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décembre et janvier, ils durent y renoncer presque absolument. En effet, après s'être servi d'abord, comme bois de chauffage, des arbres assez rares qu'ils avaient trouves sur les lieux, puis des sarments de vignes et des racines des moindres arbustes, le combustible était devenu absolument introuvable, et celui que l'administration de l'armée délivrait aux officiers ne pouvait être employé pour l'alimentation des feux sous la tente, car il suffisait a peine pour les fourneaux de cuisine. Je me souviens que, vers le milieu du mois de février, il était devenu si difficile de se procurer un peu de bois de chauffage, que, chaque jour, les officiers qui composaient l'état-major de la division Mayran envoyaient au loin, dans la plaine de Balaklava, quelques-uns de leurs soldats d'ordonnance, qui, après de longues heures d'exploration, leur rapportaient quelques kilos de* menues brindilles, et c'était avec cela que ces ofucicrs entretenaient le semblant de feu de la tente sous laquelle ils avaient coutume de se réunir dans la soirée. On concevra aisément que, dans les conditions où l'armée franra!se se trouvait, au mois de janvier 1855, les officiers et les soldats avaient l'esprit peu dispose-a conserver leur gaieté naturelle. Les opérations d'un siège~ui durait depuis si longtemps et dont on n'entrevoyait la fin que dans un avenir lointain, suffisaient d'ailleurs pour que, chez plusieurs, se manifestassent des symptômes, sinon de nostalgie, du moins d'une sombre mélancolie. A un pareil mal, quel remède opposer, sinon des distractions, sous quelque forme qu'on put y recourir? Aussi, les officiers imaginèrent-ils, partout dans leurs camps, de procurer a leurs soldats des jeux de toute espèce, jeux de quilles, jeux de boules et jeux de loto. Quant à eux-mêmes, ils se mirent a se réunir les uns aux autres pour faire, comme ils disaient, leur cour à
la dame de pique, après leurs repas, et surtout pendant leurs soirées, quand le service ne les obligeait pas a être dans les tranchées. t'ar ces moyens si simples qui obligeaient en quelque sorte le soldat a se recréer, tandis qu'ils se récréaient aussi de leur côte, les officiers ramenèrent en peu de temps, dans les camps, la constante et belle humeur, cette qualité instinctive qui fait l'un des plus heureux apanages du soldat fonçais. A l'occasion de ces divertissements' dont je viens de parler, je raconterai ici une petite anecdote qui montrera comment ils valurent, a moi et aux officiers de Fetat-major de la division Mayran, la grande réprobation de leur général. A cet état-major, les officiers et les fonctionnaires de l'intendance prenaient leurs repas en commun, dans une tente voisine de celle du général Mayran. C'était là qu'ils passaient leurs soirées, quand les exigences du service n~y mettaient point obstacle, et habituellement on s'y amusait à pratiquer ce jeu de cartes, assez peu connu, que l'on appelle le jeu du chien. Ce jeu a cela de particulier que, se prêtant à de fréquentes surprises, il provoque, à chaque instant, les laxzis des joueurs. !1 en résultait que, pendant tout le temps que ce jeu durait, ce n'était qu'une succession ininterrompue d'éclats de rire que l'on entendait dans le voisinage de la tente. Or, pendant tout ce temps, !e général Mayran, son aide de camp et son officier d'ordonnance se promenaient, silencieux et mornes, non loin des joueurs. Les deux jeunes officiers se gardaient bien de demander au général Fautorisation d'aller s'associer au jeu de leurs camarades de Fetat-major. Ils savaient combien cela aurait indisposé leur chef. Cn matin, le capitaine llautz me raconta que. la veille au soir, excité par les rires bruyants qui éclataient sous la tente de l'état-major, il s'était écrié tout à coup « Est-il donc possible qu'ils se livrent à de pareils
excès de gaieté, quand, a tout moment, ils sentent trembler leur tente sous les coups de canon qui retentissent du fond du ravin de KarabcInaTa? Hélas! celui qui s'exaspérait ainsi n'était pas homme a comprendre qu'au lieu de réprouver les élans de bonne humeur des ofHciers de son état-major, il valait bien mieux les encourager,-dans l'intérêt même des services qu'ils avaient a lui rendre. Peut-être en vint-il plus tard à se repentir d'avoir tenu les officiers qui étaient attachés à sa personne constamment éloignes des jeux de leurs camarades. J'avais eu autrefois, a Lyon, en 1850, l'occasion de faire la connaissance de l'un de ces officiers, le capitaine ïfautx, pendant qu'il était, ainsi que moi, a l'état-major du général de Castellane. C:était alors un ofiïcier plein d'entrain et de bonne humeur, toujours disposé à l'enjouement et à la gaieté. En Crimée, dans le courant du mois de février, je crus m'apercevoir que ~on esprit se laissait hanter par des préoccupations pessimistes, qu'il devenait peu a peu sombre et morose, et que la nostalgie s'emparait de lui. Bientôt il tomha malade, et il fallut le transporter à l'ambulance du Grand Quartier général. Après y succomba sous les quelques jours de traitement, étreintes de la Hèvre typhoïde, au grand désespoir de tous ceux qui avaient pu apprécier l'excellence de son cœurr d'élite et ses brillantes qualités militaires. Ce fut peu apr.~s le moment ou l'on songea, dans le camp fran~is. à se créer des moyens de dist,raction, que des zouaves du 3" régiment imaginèrent de donner à rarme.e des représentations théâtrales. Après s'être organises en troupe de comédiens et avoir pris pour directeur le capitaine Rresson, qui faisait partie de l'état-major de la division dans laquelle servait leur régiment, ils firent choix, dans la plaine de Balakiava.surle terrain qui séparait l'armée francise de l'armée anglaise~ d'un emplacement sur lequel ils montèrent leur théâtre. Pour
il
cela, ils creusèrent le sol de manière à construire un demi cirque ayant comme pourtour plusieurs étapes de banquettes en terre. En face de ces gradins, ils établirent, sur le sol naturel, avec des planches, des madriers et des étoffes qu'ils s'étaient procurés, je ne saurais dire comment, à Kamiesch et à Balakiava, le terre-plein, les coulisses et lu rideau qui devaient composer la scène de leur théâtre. Cela fait, ils eurent le bonheur d'obtenir d'un jeune officier d'état-major, le lieutenant Corbin, qui était un dessinateur d'un talent remarquable et très humoristique, qu'il voulut bien illustrer les programmes de leurs représentations. Ces programmes, des qu'ils eurent été répandus dans les armées anglaise et française, y obtinrent le plus grand succès. D~s les premières représentations qu'ils donnèrent, les zouaves, artistes improvises, virent de tous côtés les officiers et soldats français et anglais accourir en grand nombre à leur théâtre, attirés tout autant par le choix des pièces légères et des scènes désopilantes qu'on y donnait que par la manière dont les acteurs savaient remplir leurs emplois. Il faut dire aussi que ce qui ravissait surtout les spectateurs, c~est que les jeunes zouaves qui jouaient les rôles de femmes se travestissaient si bien et prenaient si parfaitement les manières de jeunes premières, de soubrettes ou de duègnes, que souvent l'illusion était complète. Aussi applaudissait-on avec enthousiasme. L'entrée du théâtre était ouverte, moyennant une légère rétribution, aux officiers qui prenaient place sur les banquettes elle était gratuite pour les sous-officier:; et les soldats, mais ceux-ci se tenaient debout à l'extérieur des gradins. Jamais ceux qui ont pris part au siège de Sébastopol n~oublierontia vogue que le théâtre des xouaveseut en Crimée. Pendant le printemps et Fêté de 1855, il fut le ren-
dez-vous habituel de tous ceux qui éprouvaient le besoin de faire un instant diversion aux préoccupations que suscitaient les travaux du siège de Sébastopol. Par exemple, il arrivait parfois qu'au beau milieu d'une représentation, une canonnade ou une fusillade des plus violentes se faisait entendre du cutc des tranchées, et alors c'était un sauve-qui-peut général, tous les spectateurs s'empressant de rejoindre au plus vite leurs campements.
IV
MOIS DE FÉVRIER MARS ET AVRIL
v t855
Le générât youveUe organisation donnée a l'armée française. Réunion des généraux français Mayran dans les trancha. allocution du généra! Caurobert.
commencement du mois de février 1855, l'effectif de l'armée anglaise se trouvait considérablement réduit par suite des pertes que les batailles de Balakiava et d'Inkermann lui avaient fait subir. Celui de Farmee française, au contraire, s'était beaucoup accru, à cause des renforts qu elle avait re~us de France; elle comptait dans ses rangs près de 81,000 hommes présents sous les armes, répartis dans cinq divisions d'infanterie et une de cavalerie, plus les corps de troupes spéciales de rartillerie et du génie non endivisionnes. En raison de ce chiffre élevé de l'effectif, le ministre de la guerre décida que l'armée recevrait une nouvelle organisation, et il arrèta qu'elle se composerait dorénavant de deux corps d'armée à quatre divisions d'infanterie chacune et d'un corps de réserve. Le général Pélissier fut désigne pour prendre le commandement du 1~ corps; le général Bosquet, pour prendre celui du 2". Le corps de reserve fut formé de la brigade d'infanterie des voltigeurs de la garde impériale, qui Tcoait d'être récemment débarquée à Kamiesch, d'une diviAu
sion de cavalerie (général Morris), qui comprenait trois brigades, et qui prochainement devait en comprendre quatre, a l'arrivée de deux régiments de chasseurs d'Afrique qui avaient déjà quitté l'Algérie pour se rendre en Crimée. Le corps de réservefut laissé sous le commandement direct du gênerai en chef de l'armée. Pendant qu'on procédait à la mise à exécution de cette nouvelle organisation, les généraux en chef des armées alliées arrêtèrent, en commun, les dispositions générales qu'on allait prendre dans la poursuite des opérations du siège de Sébastopol. Mais avant d'indiquer ces dispositions, il est nécessaire que je fasse connaître d'abord ce quêtaient les fortifications de la forteresse russe au commencement du mois de février t85~. Ces fortifications, uniquement construites. en terre, se composaient d'une enceinte continue et irrégulièrement bastionnée, ayant un développement de trois kilomètres environ. Vues du plateau des monts Sapoun sur lequel étaient stationnées les armées alliées assiégeantes, elles affectaient, dans leur ensemble, une forme semi-circulaire. Vers le centre de la convexité de l'enceinte, était en saillie un ouvrage considérable, consistant en un redan qu'en raison de ses faces étendues, on appelait le ~Y<M<Z redan des jRK~cs. Sur la droite de ce redan se trouvait la partie de l'enceinte qui s'étendait jusqu'à la rade de Sébastopol. Deux points saillants y apparaissaient, reliés l'un à l'autre par une longue courtine. L'un de ces points, voisin du grand redan, était un bastion que les Russes avaient construit par'dessus une vieille tour, dite la tour Matakoff, point culminant de tout le terrain qui environnait Sébastopol; l'autre, qui surplombait le bord de la rade, était un redan d'un intérieur moins considérable que celui du grand redan, et, pour cette raison, on l'appelait le petit redan <RH~es.Enavantde cette partie droite de
leurs fortifications, ils élevèrent un peu plus tard, pour en défendre les approches, plusieurs ouvrages fermes, susceptibles chacun de recevoir une garnison nombreuse. La partie gauche de l'enceinte de la place s'appuyait par sa gauche au flanc droit du grand redan et par sa droite à la mer Noire. Elle était formée de bastions et de courtines, protèges, les uns et les autres, par des ouvrages avances, redoutes, retranchements et défenses accessoires diverses. Cette disposition de l'enceinte de Sébastopol qui présentait les trois parties distinctes que je viens de décrire. et d'autre part la diTérence qu'il y avait dans les effectifs <!es armées alliées, furent sans doute les motifs qui amenèrent les généraux en chef à arrêter les dispositions suivantes Il fut décidé que les travaux de siège, diriges contre la place, comporteraient trois objectifs poursuivis simultanément que les attaques à entreprendre contre le grand redan russe seraient confiées à l'armée anglaise seule, celles de droite au 2" corps de l'armée française, et celles de gauche au t~ corps. En uutre, il fut entendu, entre les généraux, que l'armée turque, commandée par Omer-Pacha, resterait, pendant les
opérations du siège, disposée derrière les armées française et anglaise, pour être employée suivant les circonstances. La division Mayran avait été comprise dans la composition du corps d'armée placé sous le commandement du général Bosquet. Elle conserva l'emplacement qu'elle avait occupé jusque-là, et continua, aux attaques de droite, à être employée dans les tranchées qui étaient dirigées contre le retranchement russe de Malakoff. Pendant les premiersjours de février, et, malgré l'inclémence de la saison qui contrariait énormémentles travaux de sape, on ne cessa pas un. seul instant, dans l'armée
française aussi bien que dans l'armée anglaise, de pousser de plus en plus en avant les parallèles ouvertes pour faciliter aux troupes assiégeantes les moyens d'aborder de près l'enceinte de la forteresse, tandis que, dans le même temps, l'artillerie des deux armées travailla activement dans les tranchées à augmenter le nombre de ses batteries de siège. Dans cette période des attaques contre la place, il ne se passa pour ainsi dire pas un seul jour et une seule nuit sans qu'il y eut, soit en avant, soit dans l'intérieur des tranchées, des combats livrés pour la plupart à l'arme blanche, et dans lesquels les Russes, s'cubrçant de renverser les travaux des assiégeants et ceux-ci s'acharnant à les détendre, laissaient les uns et les autres sur le terrain à peu près le même nombre de victimes. Un de ces combats, sérieux entre tous, fut engage, aux attaques de droite, entre une partie des troupes de la division Mayran et les défenseurs de la place, dans les circonstances suivantes De l'intérieur des tranchées qui étaient occupées par la division du général Mayran, on s'était aperçu que les Russes venaient de construire de vastes gabionnades sur un monticule, qui se trouvait situé entre l'enceinte de la place et la parallèle avancée que les travailleurs français dirigeaient alors vers le retranchement de Malakoff. Le général Mayran, ayant été charge de faire détruire ces gabionnades, lança sur elles, le février, cinq bataillons commandés par le général de Monet. Le colonel Cler, à la tète du 3~ régiment de zouaves, attaqua brillamment les Russes à la baïonnette et les obligea à abandonner le terrain. Mais un instant après, le feu de la place devint si vif que les bataillons français, trop éprouvés par ce feu, se virent forcés à leur tour de quitter l'espace qu'ils avaient conquis et de regagner les tranchées. Un bon nombre de leurs soldats étaient tombés, tués ou blessés,
pendant et à la suite de leur attaque, et le général de ~lonet avait lui-même été si grièvement blessé qu'it dut, à quelques jours de là, rentrer en France. Peu de temps après ce combat si glorieux pour les troupes françaises qui y avaient pris part, mais en même temps si malheureux, puisque ces troupes, après de très grands sacrifices, s'étaient vues forcées de renoncer à rester maîtresses de la position enlevée par elles à l'ennemi, les Russes terminèrent rapidement l'achèvement, sur le terrain qui séparait les retranchements de )lalakoff de la parallèle la plus avancée des Français, de trois ouvrages avancés, fermés et destinés par eux à défendre les dehors du corps d'enceinte de la place contre les attaques de la droite du 2° corps de l'armée française. Ils donnèrent à ces trois ouvrages les noms de redoutes de de To/<e et de A'~Mc/<a<7.Y<. Dans l'armée française, on appela les deux premiers, qui étaient très rapprochées l'un de l'autre, o~cy~e~ 6~es et le troisième OKr/e <~{ 7M«me/~ Un peu plus tard, ces redoutes donnèrent lieu, dans le corps d'armée français, à des opérations importantes. Dans les derniers jours du mois de février, une nouvelle se répandit dans l'armée française ~t y souleva l'enthousiasme des officiers et des soldats. Elle annonçait que les travaux du siège allaient incessamment recevoir la plus grande activité et être conduits avec une extrême énergie. Des officiers, qui prétendaient être bien informés, affirmaient que très prochainement le général en chef ferait donner l'assaut au corps de place de la forteresse russe,. et que le point, désigné déjà comme étant celui où l'opération serait entreprise, c'était le point culminant de la tour MalakofF. On se félicitait de tout ce qui se disait à cet égard, sans trop se rendre compte que les tranchées françaises, étant encore à une assez grande distance du retranchement de Malakoff, il était bien
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difficile de tenter de s'en rendre maître par escalade, avec quelque chance de réussite. On verra bientôt ce qu'il advint du projet qu'on prêtait ainsi au général en chef de l'armée francise. Dans le courant du mois de février, il ne se passa point un seul jour sans que le général Mayran allât visiter les tranchées où les troupes de sa division étaient employées. Le général avait pour habitude de se faire accompagner par tous les officiers de son état-major et même par son porte-fanion, qui était le jeune brigadier de ChoiseulPrasHn. Or, comme il était de taille très élevée, aussitôt qu'il apparaissait dans une tranchée, son képi, qui dépassait la crète du parapet, devenait le point de mire très visible des tirailleurs russes, embusqués dans les nombreuses excavations creusées par eux e.n avant des fossés de l'enceinte de la place. C'était alors une véritable pluie de balles qui accompagnait sans trêve les pas du général Mayran, ce qui, je dois le reconnaître, à son très grand honneur, ne lui était nullement désagréable, mais ce qui aussi, par malheur.avait des conséquences fâcheuses; car il arriva plus d'une fois que les balles dirigées sur son malencontreux képi frappèrent des hommes, soit en avant, soit en arrière de lui. H n'en pouvait être autrement. Qui ne sait qu'à la guerre le danger d'être atteint par une balle est peut-être moins grand pour celui que le fantassin à visé que pour ceux qui se trouvent dans son voisinage ? Que de fois je me demandai comment il pouvait se iaire que le général Mayran ne tombat pas enfin victime de son excessive témérité! Dans l'un des premiers jours du mois d'avril, la date précise ne m'en est pas restée dans la mémoire, le commandant en chef de l'armée francise, le général Canrobert, réunit autour de lui, sur un emplacement vo:sin de son grand quartier général, tous ceux de ses généraux que des nécessités de service n'obligeaient pas à se
trouver dans les tranchées, et là, il leur adressa une allocution qui eut du retentissement dans l'armée. U y exposa dabord tout ce qu'il avait souffert moralement pendant Htiver qui venait de finir, en voyant ses soldats paratyses par l'intensité du froid et ensevelis sous la neige, impuissants a continuer les travaux du siège, avec toute l'activité désirable. Puis il déclara aux généraux que sa volonté était que ces travaux reçussent désormais la plus vigoureuse impulsion. Enfin, dans un langage empreint d'énergie et de patriotisme, il fit appel à leur dévouement ai'solu. convaincu, leur dit-il, que, grâce à leur concours, réouvre entreprise en commun par les armées alliées serait, à bref délai, couronnée de succès. Cette allocution du général en chef, c'était la confirmation de la nouvelle qui avait été répandue dans l'armée quelques jours auparavant. Quand l'écho en parvint dans les camps de l'armée française, il y provoqua un cri unanime de soulagement. Il n'est que temps, s'écriaient les soldats, qu'on en vienne aux grands moyens. Nous ne demandons que cela!
Y
OBSÈQUES DU GÉNÉRAL BIZOT. LES GÉNÉRAUX BOSQUET ET PÉUSSIER.
Le général Bixot, qui commandait en chef le génie ds l'armée française, fat tue par une balle russe, Je 21 avril,
pendant une visite qu'il faisait dans les tranchées anglaises. Ce fut aux obsèques de ce général que j'eus pour la première Ibis, en Crimée, l'occasion de voir le gênerai Bosquet, qui était le commandant du corps d'année français, et le général Pélissier, qui venait tout récemment d'arriver en Crimée pour y prendre le commandement du 1e'' corps. Un grand nombre d'officiers généraux et d'officiers supérieurs étaient formes en cercle, autour de la bière du général défunt, s'apprêtant à raccompagner jusqu'au lieu où rinhumat.ioa devait se faire, lorsque tout a coup le général Pélissier m'apercevant se détacha du cercle, et vint me presser dans ses bras, en m'embrassant cordialement. Une pareille faveur venant de sa part, quand on savait qu'il n'était guère dans ses habitudes de la prodiguer, une pareille faveur, dis-je, m'attira sur-le-champ de nombreuses félicitations. Les ofnciers qui étaient près de moi me demandèrent quelle place je pouvais occuper dans l'estime du général pour qu'il m'en eùt donné sous leurs yeux un si éclatant témoignage.
leur expliquer ce qui m'avait valu les bonnes grâces du commandant du 1~ corps d'armée. Je le dirai tout à l'heure. Sur la tombe du général Bizot, ce fut le général Bosquet qui prononça le discours d'adieu qu'exigeait la circonstance. Après avoir rappelé, à grands traits, la belle carrière du général, et exprimé, dans un langage* magnifique, les regrets que sa perte soulevait dans toute l'armée, il Ht, dans des termes remplis d'une éloquence martiale, un appel aux sentiments patriotiques des assistants. Jamais, jusque-là, les paroles d'un soldat prononcées devant les restes mortels d'un compagnon d'armes, tué à l'ennemi, n'avaient produit sur moi une pareille émotion, et j'ajoute autant d'admiration. Le jour où le général Bizot fut tue, le général Xiel, l'un des aides de camp de l'empereur Napolé.'n 1!), se trouvait en Crimée; il v avait été envoyé en mission par le souverain. On ignorait, dans l'armée française, ce qui avait motivé cette mission mais on soupçonnait, non sans raison, que la présence du général en Crimée n'avait d'autre objet que de suivre attentivement le cours des événements, d'observer les actes du général en. chef, et d'informer directement l'empereur des impressions que ces événements et ces actes lui inspireraient. La mort du général Bizot modifia la situation du général ~iel. D'observateur qu'il était, il devint l'un des chefs considérables de l'armée. Le ministre de la guerre le désigna, pour succéder au général Bixot. dans le commandement en chef du génie de l'armée d'Orient. J'ai fait connaître la faveur insigne dont le général Pélissier n~avait honorée quand je fis sa rencontre aux obsèques du général Bizot, et j'ai annoncé au lecteur que je lui dirai ce qui m'avait valu cette faveur. Pour cela, il faut que je parle de mes relations avec le général Pélissier antérieures à la guerre d'Orient. Le lieu ne me permettait pas de
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En 183~
une époque déjà bien éloignée, comme on le'voit, j avais eu l'occasion de faire la connaissance du chef d'cscadr'.n d'état-major Pélissier, qui était alors à Lille, en qualité de chef d'état-major d'une division de cavalerie commandée par le général de Faudas, tandis que, dans cette même place, j'étais moi-mume capitaine aide de camp du général de Négrier, qui commandait la subdivision du 'ord. De clief d'escadron à capitaine, la distance de grade n'était pas assez grande pour s'opposer à ce que des rapprochements fréquents et des idées communes ne pussent point donner naissance, entre l'officier supérieur et rofticicr subalterne, a des sentiments de sympathie réciproque. Depuis 1839, jamais ces sentiments ne s'étaient altères; ils n'avaient fait au contraire que se consolider avec le temps, et,jusqu'au commencement de la guerre d'Orient, le chef d'escadron Pélissier, devenu alors général de division, tandis que je n'étais que lieutenant-colonel, n'avait cessé de me conserver la bienveillance que je m'étais acquise auprê$ de lui vingt-cinq ans auparavant. En 1854, au début de cette guerre, il m'en avait notamment donné la preuve dans la circonstance que voici: Au mois de janvier de cette année, le général Pélissier se trouvait à Paris, ou il était venu d'Oran pour prendre part, avec tous les généraux, ses collègues en grade, au classement des ofnciers d'infanterie proposés pour l'avancement. Or, un matin, comme j'entrais dans les salons du café d'Orsay pour y prendre mon déjeuner habituel, j'y trouvai le général qui se mettait à table pour déjeuner lui-même. Des que je l'eus salué « Asseyez-vous là, en face de moi, me dit-il, nous déjeunerons ensemble et nous pourrons causer. Puis tout à coup, quand je me < Ouel est donc ce monsieur, me dit-il, qui fus assis: est là-bas, à cette table placée près de la fenêtre ? Dans le même instant, la personne qui s'était aperçue que le :)
général la désignait, se leva pour venir le saluer. C'était le général Canrobert. Et comme tout d'abord le général Pélissier semblait le regarder d'un air étonné Est-ce que vous ne me reconnaissez pas? lui demanda-t-il. Si, je vous reconnais parfaitement à présent mais c'est qu'à vos cheveux, qui sont un peu longs, je vous avais, à distance, pris pour un savant. Les deux généraux échangèrent alors une poignée de mains, et le général Pélissier félicita son collègue à propos du commandement qui venait de lui être donné. Aussitôt que le général Canrohert se fut éloigné pour aller reprendre à table la place qu'il avait quittée: II est bien heureux, celui-là, me dit le général Pélissier, on lui a donné l'une des trois divisions qui partent pour FOrient on n'a pas cru devoir songer à moi, mais.il faudra bien qu'on y vienne; les trois divisions qui s'en vont seront bientôt suivies de plusieurs autres. Pourtant n'oubliez pas ceci, si on m'envoie là-bas. je vous emmène avec moi. » Dans le moment où il me parlait ainsi, le général songeait-il sérieusement à donner suite, le cas échéant, à ses dispositions si bienveillantes pour moi? Je n'oserais l'affirmer positivement. Mais après l'avoir beaucoup remercié « J'espère bienjui dis-je, que si l'on vous envoie à l'armée d'Orient, vous ne ferez rien pour m'avoir auprès Pourquoi donc, je vous prie ? C'est que, de vous. depuis bien des années, vous vous êtes montré si bon pour moi que je craindrais que bientôt il n'en fut plus de même s'il arrivait que je fusse rapproché de vous, comme vous m'en faites pressentir la possibilité; j'aurais Oh qu'à cela ne tienne, je peut-être trop à y perdre. maintiens ce que je vous ai dit. » Xous en demeurâmes là sur ce sujette général et moi, et nous ne nous entretinmes plus que des nouvelles qui étaient à l'ordre du jour. 11 est bien certain qu'au mois de janvier 1854, j'avais
très vif désir d'aller servir à l'armée d'Orient; mais qu'est-ce donc qui avait pu me porter à repousser, comme je viens de le dire, les moyens que le général Pélissier m'offrait de si bonne grûce de donner satisfaction à ce désir ? Ceci demande uneexplication, et je ne saurais mieux la donner qu'en esquissant ici le portrait du général, tel qu'il m'apparaissait à l'époque où j'eus avec lui rentrevue que j'ai racontée ci-dessus. Ce fut en 1812, lorsqu'il était colonel d'état-major et qu'il commandait en Algérie la subdivision d'Oran, que le général Pélissier commença à appeler sur lui l'attention (le l'armée. A cette époque, il se révéla à elle comme un officier de haut mérite, qui, sous divers aspects, présentait dans sa personne, une belle figure militaire. La remarquable intelligence qu'il apportait dans la direction des affaires militaires qui lui étaient confiées, son caractère plein de fermeté et de résolution, sa ténacité dans la poursuite des opérations qu'il entreprenait lui firent en peu de temps, une place tout exceptionnelle parmi ces officiers de l'armée d'Afrique, que l'on considérait comme étant appelés à de hautes destinées. Sa fermeté extraordinaire s'accusa pour la première fois dans la répression terrible qu'il infligea aux Arabes insurgés duDahra. Qui ne se rappelle le tapage qui se fit en France autour de son nom, quand on y apprit que ces insurgés, n'obéissant pas à la sommation qu'il leur avait faite de sortir des grottes où ils s'étaient réfugiés et de lui demander r<ï/?Y<x/~ il n'avait pas hésité à les faire périr par l'asphyxie, en faisantallumer de grands feux à l'entrée des grottes? A ses grandes qualités militaires, déjà bien étahlies en 18-H, le colonel Pélissier, lorsqu'il devint général, se fit remarquer par un grand fonds de bienveillance pour se~ subordonnés, bienveillance qu'il ne négligeait pas de manifester toutes 1~ fois qu'il en trouvait Foccasion. Malheureusement, la tournure de son esprit le disun
posait naturellement à la causticité, ce qui faisait que, pour se donner le plaisir d'un bon mot, il passait volontiers par dessus les convenances, et cela lui arrivait souvent, parce que l'esprit pétillait eu lui; mais cela aussi ne laissait pas que de lui faire des ennemis. 0:) admirait ses aptitudes remarquables pour le commandement: mais comme parfois il se montrait très rude de langage envers ceux-là même qu'il estimait davantage, on redoutait beaucoup ce qu'on appelait ses rebuffades. Cn des traits distinctifs du caractère du général, c'est qu'on lui l'upreté du langage n'excluait nullement la sensibilité du cœur, et que, sous sa brusquerie trop souvent répétée, se cachait une âme de soldat accessible aux plus affectueux sentiments. On n'a pas oublié dans l'arma combien souvent les intempérances de ses paroles rendirent malheureux les officiers qui étaient attachas à sa personne. ~lais on n'a pas oublié non plus les témoignages d'attachement qu'il leur prodiguait. Pour l'un de ses aides de camp plus particulièrement, le chef d'escadron d'état-major Cassaigne, il montra une véritable tendresse paternelle. C'est parce que je n'ignorais pas, en t854, ce que les officiers qui servaient près du général Pélissier avaient eu parfois à souffrir de ses boutades, que jamais,jusqu'à la guerre d'Orient, je n'avais ambitionne l'honneur de me trouver à ses côtés, et que je ne lui dissimulai pas que j'étais peu désireux qu'il m'emmenât avec lui en Crimée. J'ai donné, dans les lignes qui précèdent, une esquisse du caractère et des grandes facultés du général Pélissier on peut me demander de faireconnaitre quelle était sa constitution physique. Je vais essayer de la dépeindre. A. l'époque où le général arriva en Crimée, son extérieur accusait celui d'un homme de soixante ans au plus, bien qu'il en eùt soixante-quatre, étant né en 1789. L'en-
semble de sa stature rappelait assez bien celle que l'histoire prête à Duguesclin ou à Jean Hart, à la différence près que, chez lui, l'obésité commentait à se montrer. La !)*'tc était un peu forte et garnie entièrement de cheveux blancs coupés très courts, le front haut et large. Le nez, ni aquilin ni absolument droit, avait de l'ampleur à la base, de la rondeur à son extrémité. Les lèvres, quelque peu épaisses et la moustache taillée en brosse, laissaient apparaître au-dessous d'elle une impériale très petite. Les épaules étaient larges et carrées, la poitrine fortement bombée, le buste long, la cuisse courte et très arrondie, et peu faite pour les exercices de cheval, d'ou il résultait que le generui ne se mettait guère en selle que dans les circonstances ou le devoir l'obligeait à paraitre à cheval devant les troupes qu'il commandait. Eu égard à sa conrormation dont je viens de donner une esquisse, l'activité corporelle du général Pdissicr laissait à désirer; mais, dans la direction des affaires militaires, son activité d'esprit était incomparable. De là l'immense connance qu'il inspirait à ceux qui servaient sous ses ordres. Aussi peut-on dire que celle de l'armée d'Orient alla en quelque sorte au-devantdelui, quand cette armée apprit, an commencement du mois d'avril, qu'il allait arriver en Crimée, pour y prendre un grand commandement. Tons savaient d'avance que s'il advenait bientôt qu'il eut de grands efforts n. demander aux troupes placées sous ses ordres, il ne le ferait jamais avant d'avoir mûrement et savamment arrêté ses dispositions, et que, dans la mise a exécution de ses projets, sa volonté ne reculerait devant aucun obstacle, pourvu que le succès en fut le résultat.
VII
MESURES, PRISES DAXS LA DIVISION DU GENERAL MAYRAX, POUR ASSAIMR LE CHAMP DE BATAILLE D'~KERMA~N QUI ÉTAIT DAXS SOX VOJSIXAGE ET SES PRUPHES CAM-
PEm:XTS.
Les c!)aleursdu printemps, en Ï855, commencèrent à se
faire sentir, en Crimée, vers le milieu du mois d'avril, et elles menacèrent d'un très grand danger la portion de l'armée française qui était employée aux attaques de droite du siège et plus particulièrement les troupes de la division ~ayran, qui occupait le ~< MoM~, situé près de là tête du ravin de Karabe~nala. Celui qui, à cette époque, serait allé visiter le plateau sur lequel avait été livrée la bataille d'Inkermann, en novembre 1854, y aurait vu avec horreur surgir de tous c'tés, au-dessus du sol, des membres humains en décomposition, attestant le grand nombre des soldats rus:es, anglais et français qui avaient été tués dans cette bataille. Pour peu qu'il se fùt enquis des motifs de ce spectacle affreux, il aurait appris qu'au lendemain de la bataille, au lieu d'inhumer convenablement les morts, on fêtait contenté de jeter sur eux quelques pelletées de terre, pour ne pas obliger les détachements de corvée
e<)
charges de leur donner la sépulture à rester trop longtemps exposes au feu des batteries russes, qui, établies au dessus du ravin d'inkermann et du fond de la vallée de la Tchernala, balayaient incessamment de leurs boulets Je plateau sur lequel on avait livré la bataille. On peut comprendre aisément comment il arriva qu'à la première apparition des chaleurs, la décomposition de tant de cadavres laissés imprudemment au ras du sol, étant activée par ces chaleurs, répandit bientôt dans les camps français, dans ceux de la division Mayran notamment, des exhalaisons pestilentielles fort menaçantes pour la santé des troupes. En présence de cet état de choses, je re~us du général Mayran la mission d'aller, avec de nombreuses corvées etau mépris des boulets russes, faire recouvrir d'une couche épaisse de terre toutes les tombes d"où sortaientles émanations qui empestaient, à grande distance, l'air ambiant. Je devais, en outre, faire combler de terre, autant que faire se pourrait, toute la partie supérieure du ravin d'Inkermann qui était un peu plus éloigné des camps français que le champ de bataille mais ou les Russes, dans leur retraite, avaient laissé une si grande quantité de chevaux tués qu'il en découlait une sorte de ruisseau noirâtre formé des liquides sortis des dépouilles des animaux en putréfaction. La mission devait être difficile et dura long temps pendant une quinzaine de jours, elle m'obligea à me rendre chaque matin, au lever du jour, sur le champ de bataille d'inkermann,avec un oflicier d'état-major et le prévôt de la division, pour rechercher et faire couvrir d'un monceau de terre les cadavres insuffisamment enfouis. Bien souvent, il fallut que les officiers qui m'accompagnaient et moi, nous nous missions en quête, le nez au vent, pour découvrir des points où n'apparaissait aucune trace d'inhumation, et d'où s exhalaient pourtant des émanations
délétères, pour y faire procéder à la môme opération. Sur ma demande, le généra! Mayran avait bien voulu décider que, pendant leur dangereuse expédition, les hommes de corvée que j'emmenais avec moi recevraient, tous les matins, une ration d'eau-de-vie, Peut-être ne fut-ce qu'à cette mesure préventive que ces hommes durent de ne point contracter sur le plateau d'inkermann des germes de maladie infectieuse. Qunnd les détachements de corvée eurent terminé tous les travaux d'assainissement, je leur fis entreprendre ceux qu'il y avait à exécuter aussi dans le haut du ravin d'fn.'Ycrmann. Ils entasseront une masse considérable de terre sur les dépouilles des chevaux qui remplissaient la partie supérieure du ravin. L'œuvrc ne fut pas achevée, parce qu'on reconnut bientôt que, pour la terminer complètement, il faudrait imposer aux travailleurs de trop grandes et trop longues fatigues. On espéra que ce qui avait été fait suffirait pour conjurer le danger redouté. Je m'imaginai qu'après ce qu'on venait de faire sur le champ de bataille d'Inkermann, il ne serait pas question 'je s*occuper davantage de la désinfection des camps occupés parladivisionMayran. tl n'enfut pas ainsi. Les chaleurs du printemps s'étant accrues de plus en plus, on constata bientôt que, tout près de ces camps, il y avait et la des points du terrain d'où se répandaient dans l'air des miasmes d'infection. Ces points étaient ceux où, pendant l'hiver qui venait de unir, on avait enterré des soldats, sans donner à leurs tombes une profondeur suffisante. Il y eut nécessité de procéder, à l'égard de ces tombes, comme on l'avait fait pour celles du plateau d'Inkermann, à cette différence près qu'on les recouvrit d'abord d'une couche de chaux avant de les surcharger de terre. L'idée me vint, je ne sais comment, d'y faire semer de l'orge ou de l'avoine, m'imaginant que les
plantes qui verdiraient bientôt au-dessus des tombes absorberaient les miasmes si, par hasard, il s~en produirait encore. Mon idée n'avait pas été mauvaise apparemment, car elle me valut les félicitations des médecins de la division.
Ht 1
MOIS DE MAI
et
attaques de gauche de l'armée Arrivée prochaine du corps picmontai~. fran'~i<c. Le général Pélissier remplace le général CanroLert comme commaudant en chef de Farmce.
Affaires des i*~
2 mai aux
côté des attaques de gauche de l'armée française, les Russes avaient exécuté, dans les derniers jours du mois d'avril, des travaux de contre-approche menaçants pour les tranchées que les Français dirigeaient, en ce moment, vers le bastion central de l'enceinte de Sébastopol. Dans la nuit du 1er au 2 mai, le général de Salles attaqua les travaux russes avec les-troupes de la division qu'il commandait: il en chassa les défenseurs et leur enleva huit mortiers. L'affaire fut brillante pour la division de Salles: mais elle lui coûta 135 hommes tués dont 7 officiers et 600 blessés, parmi lesquels 25 officiers. Le 2 mai, dans l'après-midi, une colonne de 2,000 Russes, sortie de Sébastopol, entreprit de reconquérir le terrain dont les Français s'étaient emparés; mais elle fut repoussée vigoureusement et forcée d'aller en désordre se. réfugier dans le bastion central de la forteresse. Au commencement du mois de mai, on savait à l'armée d'Orient que le roi de Piémont,-Victor Emmanuel, s'étant Du
allié à l'empereur Napoléon 111, à la reine de la GrandeBretagne et au Sultan, pour combattre les armées de l'empereur de Russie, avait formé et dirige sur la Crimée un corps de 18,000 hommes avec 36 canons, et, le 8 mai, on apprit que ce corps commentait à débarquer dans le port de Balaklava. Ce port de la merNoire.qui se trouve à cinq kilomètres à l'est de celui de Kamiesch,avait re~u jusque-!à tous les arrivages venant d'Angleterre, tandis que Kamicsch avait été réservé pour ceux qui venaient de France. Il fut résolu que, désormais, il serait commun aux Anglais et aux Piémontais. A la même époque, on savait aussi que l'armée française allait prochainement être considérablement accrue par l'arrivée de la brigade des grenadiers de la garde impériale, déjà embarquée à Marseille, pourvenir rejoindre en Crimée la brigade des voltigeurs de cette garde qui y était depuis quelque temps, et par plusieurs divisions d'infanterie organisées en France à destination, de la Crimée. Depuis le jour où le général en chef de l'armée française avait réuni, autour de lui, les généraux de ce'te armée pour leur apprendre que les opérations du siège seraient poursuivies à l'avenir avec la plus grande vigueur, les ofHciers du génie français avaient, à l'aide des travailleurs de l'infanterie, poussé beaucoup en avant les parallèles ouvertes aux attaques de droite et de gauche des deux corpg d'armée du siège. Dans ces parallèles, l'artillerie avait construit et armé de nombreuses batteries destinées à contrebattre celles de la place. Il semblait que le moment fut arrivé d'en venir à des cubrts décisifs pour triompher de la résistance des assiégés. Ce fut à ce moment que, tout à coup, un ordre générale daté du 19 mai, annonça à Farmée française que, sur sa demande, le général Canrobert quittait le commandement en chef de l'armée, pour reprendre celui de la division d'infanterie qui avait été sous ses ordres au début de la
guerre, et que le commandement en chef passait de ses mains dans celles du gênerai Pelissier, commandant du premier corps d'armée. Si l'acte de désintéressement du général Canrobert étonna l'armée française, ce ne fut pas seulement parce que le général avait voulu descendre du poste élevé qu'il (.'coupait pour devenir le subordonné de l'un de ses lieutenants, ce fut surtout parce qu'il avait demande a commander une division qui faisait partie du deuxième corps d'armée, d'où il résultait qu'il allait se trouver placé sous les ordres du général Uosquet, commandant de ce corps, et moins ancien que lui dans son grade. '!arc exemple d'abnégation et de patriotisme, que cette résolution d'un général en chef qui veut rester dans une armée qu'il ne commandera plus pour y servir en sousordre, parce qu'il pourra encore y être utile a la patrie Le général Pélissier, dès son entrée en fonctions comme gênerai en chef, arrêta le plan d'opérations qu'il mettrait a exécution pour que les armées alliées se rendissent mai très de Sébastopol. Il donna connaissance de ce plan au ministre de la guerre, et on peut dire que, cela 'ut, il ne dévia plus d'une seule ligne de la voie qu'il s'y était tracée. Plus d'une fois ses projets rencontrèrent à Paris une assez vive opposition; mais sa fermeté inébranlable sut toujours en triompher, et cela fut très heureux, car les événements se chargèrent toujours de démontrer qu'outre ses contradicteurs de Paris et lui, les conceptions intelligentes et les combinaisons sagement étudiées étaient véritablement de son côte. Dans les circonstances où se trouvait l'armée, au jour où le général Pélissier en prit le commandement, les fonctions du commandant en chef du génie, exercées par le général ~iel, avaient une importance capitale; car il était dans les attributions de ce général de dir ger tous les travaux d'approche entrepris contre la place assiégée. 1
3 n.
Pour la bonne direction de ces travaux, aussi bien que pour la bonne conduite des opérations de guerre qu'il y avait à exécuter sur toute l'étendue de ces travaux, rien n'était plus a désirer que de voir un entente parfaite exister toujours entre le général en chef de l'armée et son lieutenant, le commandant en chef du génie. Mais c'était sansFagrementdu général PelissierquelegencraIXielavait conserve ses fonctions, après le 10 mai. Bientôt on put s'apercevoir dans l'armée que l'entente si désirable n'était rien moins que bien établie entre les deux généraux. J'en eus moi-même la preuve évidente dans un moment où je ne la cherchais guère. Le fait est assez intéressant pour que je le raconte. Un jour, le général Pélissier, suivi de tous les officiers de son grand quartier général, était venu visiter les travaux des attaques de droite, en face des retranchements de Malakoff. Or, ma surprise fut grande, quand je remarquai que le général Niel qui, en raison de ses fonctions spéciales et de son grade, aurait dù se tenir constamment près du général en chef, marchait au contraire à grande distance de lui et- tout a fait à la queue des officiers de l'état-major gênerai. Quelle conséquence pus-je tirer de cette anomalie exorbitante, sinon que le général Pélissier ne tenait point à ce que le général ~iel se trouvât à ses côtés, s'inquiétant peu de le consulter et de recevoir ses avis ou ses observations ? L'isolement dans lequel se trouvait le général ~iel me fut d'ailleurs bon à quelque chose, car il me permit de l'accoster pour le saluer et m'entreten:rpendant quelques instants avec lui. A son attitude résignée et mélancolique, il me fut facile de reconnaître qu'il comprenait parfaitement que la place régulière et officielle que le général Pélissier aurait dù lui faire prendre, dans sa visite des tranchées, n'était pas précisément celle où je le trouvais, et qu~il sentait
toute Fénormité du procédé dont on usait à son égard. Depuis le siège de Rome, en 1849, auquel le général Niel avait pris part comme colonel et moi comme chef d'escadron, le général était toujours demeuré plein de bienveillance à mon égard. Cela fit sans doute que, pendant notre rencontre dans les tranchées, il voulut bien me faire l'honneur de me parler de ses vues sur les travaux que Fon entreprenait devant Sébastopol aux attaques de droite, travaux que le général en chef visitait en ce moment. Il m'exposa sommairement ses idées Puis, je vais vous montrer, me dit-il, quand nous serons un peu plus avancés dans les tranchées, une petite éminence, sorte de promontoire qui domine les ouvrages russes, et d'où une de nos batteries, si on veut bien l'y construire, sera la clé qui nous ouvrira la porte de Sébastopol. Quelques minutes plus tard, comme nous étions 1res près de l'éminence dont il venait de me parler Vous le voyez, fit le général ~iel, les boulets d'une batterie qui serait là, s'ils ruinaient le pont que les Russes ont construit sur la rade de Sébastopo!, pour établir~ entre la place et le grand fort du ~ord, la communication qui permet à la garnison de recevoir de ce fort tous les approvisionnements qui lui sont nécessaires et de tirer aussi les renforts de troupes dont elle a besoin, pour avoir toujours son complet d'effectif qui lui est indispensable.. le p)nt de la rade détruit, la garnison de la forteresse serait bientôt réduite à l'impuissance~ elle ne pourrait prolonger sa résistance Le mot du général Xiel, cette se/~ clé ~K< TïOKS OKc'r~ porie de .Sc~~o/x~, m'avait rappelé celui de Bonaparte, devant Toulon, à propos de la batterie de Malbousquet.Il resta, comme ce dernier était resté dans ma mémoire. Avant d'en finir avec ce sujet, je dirai ici que, peu de temps après mon entrevue avec le général ~iel, la batterie sur laquelle il fondait tant d'espoir fut construite à
~e
l'endroit même qu'il m'avait signalé. Mais à peine cette batterie avait-elle ouvert le feu, que l'on constata que ses boulets ne portaient pas plus loin que les deux tiers de la distance qu'J leur aurait fallu parcourir pour atteindre le pont qu'ils devaient détruire. Le général XicI, hélas! n'avait pas prévu une pareille déconvenue! Dans le plan d'opérations conçu par lui pour se rendre maître de Séb~stopol, le général Pélissier s'était persuadé, à rencontre de ce que le gênerai ~iel avait pense, que la clé qui lui ouvrirait la porte de Sébastopol, ce serait la prise d'assaut de l'ouvrage qui, dans le corps de la place, et par suite de l'élévation naturelle du terrain sur lequel il avait été construit, dominait toutes les défenses qui constituaient l'enceinte (le la forteresse. Cet ouvrage, c'était celui que les officiers /OK/* de russes avaient édiné autour de la ~~<ïA'q~. Peu après son entrée en fonctions dans le commandement en chef de l'armée française, le général Pélissier avait arrêté en conséquence, dans son esprit, que, désormais, dans les attaques dirigées contre la place assiégée, les plus grands efforts auraient pour objectif l'ouvrage dont il s'agit. Afin de pouvoir y donner l'assaut, on se conformerait en cela, s'était-il dit, à toutes les règles qui de tout temps avaient été observées dans les guerres de siège. » La grande anairc pour le général en chef. c'était donc assurément que, dans les attaques de droite de l'armée française, les travaux de tranchée fussent portés vivement en avant, de manière à les faire arriver jusqu'au bord du fossé de l'enceinte de la place derrière lequel s'élev.<it le point saillant de MalakotT. Il fallait qu'en même temps, on développât activement les travaux que le 1er corps d'armée exécutait aux attaques de gauche, afin de retenir de ce côté une partie considérable de la garnison de Sébastopol. C'est à obtenir ces deux résul-
r~c
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tats que, dans les deux corps d'armée français du siège, on s'appliqua à déployer la plus grande activité à partir du 20 mai. Dans la nuit du 22 au 23 de ce mois, le général Pélissier fit attaquer par le général Pâte, avec huit bataillons de sa division, les compagnies d'élite du régiment de la légion étrangère et trois compagnies de chasseurs a pied, un grand ouvrage de contre-approche que les Husscs avaient construit, en l'appuyant au cimetière de Sébastopol, qui se trouvait en avant du bastion central de l'enceinte de la place. Après un combat opiniâtre, le général Pâte repoussa, de la partie gauche de l'ouvrage, les babillons ennemis qui la défendaient. La division du général Levaillant compléta le succès dans l'après-midi <~< cimedu 28. Cette opération, que Foi! appela ~c~ coûta à l'armée française 23 officiers et 57~ soldats tués. 39 officiers et environ 2,180 soldats blessés. Aux attaques de droite du si~ge, où le 2'' corps d'armée avait pour mission de poncer de plus en plus en avant les travaux d'approche dirigés vers le bord du fossé du saillant de MalakoiT, on se trouvait, au commencement du mois de juin, dans cette situation qu'entre les points les plus avancés des parallèles exécutées jusque-là et le fossé, la distance était encore considérable. D'autre part, la xone de terrain, comprise entre ces points des tranchéesfrançaises et l'enceinte de la place, se trouvaitfortcmentd.fcnduepar les Russes, au moyen des ouvrages qu'ils y avaient construits, et qui étaient, comme je l'ai dit précédemment, les redoutes de Voihynîe et de Sclinghinsk, que nous appelions les o~cy~~ ~<~e~, et par la redoute de Kamschatka, à laquelle nous donnions le nom de redoute du 3~~e~o~ cer~. Il y avait nécessité de s'emparer de ces ouvrages; car ce n'était qu~apres en avoir chassé les Russes qu'on pourrait continuer les cheminements d'approche pour aller établir, tout près du fossé du
r<z/e
retranchement de MaIako!T, les places d'armes d'où partiraient les colonnes françaises chargées de lui donner
l'assau t. En conséquence, et dans l'un des premiers jours de juin, le général Pelissier arrêta que, dans la journée du 7, les troupes de la division Mayran~ ayant pour soutien et réserve celles de la division Dulac, attaqueraient par escalade les OKrr~~ ~c.'<, et qu'en même temps la division Camou, appuyée par la division Brunet et deux bataillons de la garde impériale, attaquerait de même la redoute du Mamelon vert. Au jour dit, la double opération fut mise à exécution
de la manière suivante On choisit pour lancer les troupes sur les ouvrages russes l'heure de dix heures du matin, parce qu'on savait que c'était à cette hcure-Ia que les défenseurs avaient coutume de faire leur repas du rmtin, et que les parapets étaient alors moins bien gardés qu'à d'autres heures delà journée. A un signal, donne'par les officiers qui les commandaient, les colonnes d'attaque s'élancèrent hors des tranchées elles franchirent au pas de course les trois à quatre cents mètres qu'elles avaient à parcourir pour arriver au bord des tbsscs des redoutes des OKc/yes blancs. Eltes traversèrent le fossé, escaladèrent vivement les parapets, et tombèrent si rapidement à la bayonnettc sur les Russes, que ceux-ci n'eurent pas le temps de se reconnaître et de se mettre en défense. La panique s'était emparée d'eux; ils se précipitèrent vers la gorge de leurs redoutes et s'enfuirent dans la direction de la place, laissant derrière eux une grande quantité de tués et de blesses. L' affaire avait été merveilleusement préparée et conduite le succès était complet, et les bataillons du gênerai Mayran n'avaient essuyé que des pertes très faibles en tues et en blesses.
Par malheur, après l'enlèvement des deux redoutes, le gênerai Mayran, se laissant ont rai nerparFardeur bouillante qui le possédait, se jeta, avec tes troupes qu'il avait sous la main, a la poursuite des dusses. espérant peut-être qu'en les poussant vivement la baïonnette dans les reins, il pourrait pénétrer à leur suite dans l'enceinte de la place et s'établir solidement sur le haut du retranchement de Malakoff. Mais Sun action valeureuse tourna à mal. La faible troupe qu'il avait emmenée avec lui fut. repoussée par une colonne russe sortie de Sebastopol pour porter secours aux défenseurs des redoutes. Dans sa retraite, elle perdit un assez grand nombre d'hommes tués ou blessés, et, en outre. cite tut forcée de laisser entre les mains des Russes un can '[! de petit calibre dont le gênerai Mayran avait cru devoir se faire suivre dans son mouvement en avant. Du côté du mamelon vert, le général Camou n'enleva pas la redoute aussi facHc'nent que le gênerai Mayran avait enlevé les ~Kc/Y~.s Les I!u=ses défendirent ieur ouvrage de Kamschatka avec un admirable acharnc:nc:)L Ce ne fut qu'après huit heures (le combat que les !oupes des généraux Caniou et Brunet en tirent defmtm_'m- ia conquête. La divisiou Mayran avait fait 1CO prisonniers, dont ~ofncicrs, et, dans les trois divisions Mayran, Camou et ltrunet, on s'était emparé de- <~7 canons russes de gros calibre et de 6 mortiers port~ifs. ~!ais ces divisions avaient paye chèrement leur victoire, ayant eu :!76 officiers mis hors de combat, dont 6H tu<s, parmi esqueis le colonel de francien du 50" de ligne, et disparus, plus 5,067 hommes, dont C~S tués, 37') disparus et les autres blesses. Dans l'attaque de la redoute de Yo!hynie, le général de Lavarande, commandant 'le l'une des brigades de la division Mayran, s'était brillamment conduit. Tous.. autour de lui, proclamaient hautement qu'il s'y était couvert de
gloire. Le vaillant général ne jouit pas longtemps du triomphe que, pour une grande part:, on se plaisait à lui attribuer. Le 8 juin, vers dix heures du matin, le général de LaYarande se trouvait dans la redoute, dont il s'était emparé à la tête de ses soldats. Debout, il écoutait la lecture que lui faisait son aide de camp, le lieutenant Doe de Maindreville, d'une dépêche que je venais de lui envoyer par ordre du général Mayran, lorsque, s'interrompant tout à Mon général, ne restez coup, raide de camp s'écria pas là ou vous êtes; cette embrasure en face de laquelle vous vous trouvez est à tout instant enfilée par les boulets russes.– Oh! répondit le général,j'en suis encore à attendre ma première balle, et il ne se déplaça point.A peine le lieutenant Doe de Maindreville avait-il repris la lecture de sa dépêche qu'un boulet, passant par l'embrasure, frappa le général en pleine poitriue, lui broyant toute la partie supérieure du corps. Quelques minutes plus tard, son aide de camp vint rendre compte au général Mayra't de l'affreux événement qui venait de se passer à ses côtés. II avait sa tunique entièrement couverte de la cervelle et du sang de son malheureux général. Le général de Lavarande était l'un des généraux les plus jeunes et les plus distingués de l'armée française. Sa perte souleva une véritable explosion de douleur et de regrets. Le 14 juin, le général Pélissier fit connaître par un ordre du jour général que, pour honorer la mémoire du général1 Lavarande et celle du colonel de Brancion, les deux redoutes oit ces deux officiers avaient été tués seraient appelées, à l'avenir, redoute Lavarande et redoute Brancion. Dans les instructions très précises données le 6 juin, en vue de l'opération de guerre que j'ai racontée ci-dessus, le général Pélissier avait prescrit que, si l'on réussissait à s'emparer des ouvrages russes qu'il s'agissait d'attaquer
le lendemain, on se bornerait à occuper fortement ces ouvrages sans pousser plus loin les attaques. Dans la journée du 8, le général PéHssicr réunit a son grand quartier général les généraux qui avaient pris part aux opérations de guerre exécutées la veille, et il les l'élicita vivement sur le brillant succès du à eux et à leurs soldats. Mais au lieu de complimenter le général Mayran, il lui reprocha, en termes sévères, de s'être jeté inconsidérément, sans tenir compte de ses recommandations, à la poursuite des dusses, ce qui avait cause la perte d'un grand nombre de nos soldats et celle aussi d'un canon français abandonne aux mains de l'ennemi. C'était assurément tenir bien peu de compte de la valeur que le général Mayran avait montrée dans la circonstance. Aussi celui-ci ne quitta-t-il !c Grand Quartier général que les larmes aux yeux et une profonde douleur dans l'âme. Il n'était pas, dans son caractère, de se consoler aisément du blâme que le général en chef venait de lui infliger, et cela ne fit qu'aggraver les dispositions naturelles desonespritdes'inquiétcrdetout et à propos de tout. Apres le 8 juin, il se prit à adresser presque chaque jour, au général Bosquet, des dépêches dans lesquelles il n'était question que des difficultés qu'il rencontrait dans l'exercice de son commandement, des dangers que courait sa division ou de la grande responsabilité qui pesait
sur lui. Le général Bosquet, après avoir essayé plusieurs fois, mais sans y réussir, à ramener le calme dans l'esprit de ~0:1 lieutenant, me fit venir un matin à son quartier général, et dès que je fus en sa présence Votre générale me dit-il, m'écrit des lettres singulières et parfois alarmantes il ne m'y parle que de sa responsabilité, à propos des ordres qui lui sont donnés, comme si la responsabilité ne pesait pas beaucoup plus sur moi que sur luimême. Je vous ai appelé pour vous inviter à vous efforcer,
par vos paroles, de ramenerà s'agiter moins. Et comme, par hasard, le général Brunet se trouvait près du général Bosquet, pendant que ceiui-ci m'adressait ces paroles, il m'apostropha tout à coup, ne me donnant pas le temps-de répondre. Que craignez-vous donc la oit vous êtes ?a s'écria-t-il. » Justement froissé d'être ainsi directement pris à parti « Nous ne craignons pas plus, mon général, repartis-je très vivement, que vous ne craignez vousmême là ou vous vous trouvez. Si j'avais riposté de cette fiçon aux paroles blessantes du général Brunet, c'est que ce général avait, en ce moment, sa division campée sur les monts Fédioukme, à une grande distance des attaques du siège, et où elle -était en repos, tandis que dans les tranchées, les Russes et les soldats de la division ~layran se battaient chaque jour avec acharnement. Le général Bosquet, s'apercevant que l'interpellation du général Brunet m'avait fortement surexcité, coupa court au colloque entre celui-ci et moi en m'invitant à ne répondre qu'à lui seul. Je lui exprimai alors combien j'avais, pour mon propre compte, à gémir <!es préoccupations inquiètes de mon général: J'essayerai de faire ce que vous me demandez, lui dis-je, mais je ne vous dissimulerai pas que j'ai peu d'espoir que mes efforts puissent amener le résultat que vous paraissez en attendre. » J'ai été, le 7 juin 1855, après l'enlèvement aux Russes des OKrr~/es blancs, le témoin d'un incident de guerre déplorable et si extraordinaire que je seraistenté de croire que jamais on ne vit son pareil_depuis qu'on se sert du canon dans l'attaque ou la défense des places fortes. C'est pourquoi je n'hésite pas à lut consacrer ici quelques lignes. Il était midi ou midi et demi. Deux heures s'étaient écoulées depuis qu'on s'était rendu maître des OKp~e~ blanes. Après avoir pris toutes les dispositions nécessaires pour que ces ouvrages fussent occupés convenablement par les troupes, en vue d'un retour offensif que les Russes
pouvaient tenter, le général ~ayran et ses officiers d'étattranchée, et il leur avait major étaient rentrés dan~ semblé que le moment était venu pour eux de songer à leur déjeuner. Le matin, avant '!c quitter le quartier général de la division, ces officiera avaient pris leurs mesures pour qu'un soldat d'ordonnance apportât, à une heure convenue, dans la tranchée, les provisions qui devaient composer le menu de leur déjeuner. Aussitôt après l'arrivée de ce soldat, le général ~ayran et. les officiers de son entourage s'étaient étendue à terre dans le fond de la' tranchée ou adossés contre 1~ talus intérieur du parapet, afin de se mettre a !U)n des boulets qui partaient à tout instant des batterfe- <!e la p!acc. Chacun, son assiette de fer-blanc sur le- genoux, commençait tranquillementson petitrepas. Lcsc'I')t'r<'r'io)mance< qui se tenait au centre du groupe forme par les officiers, était en train d'emplir les verres qit'"[t lui présentait lorsque, tout à coup, un boulet de trc- gros calibre, parti du retranchement de Malakoff, vint tr:t\-erser, un pied au-dessus (le ma tête, l'épaisseur du p;<inc!. de. la tranchée, couvrant le général Mayran et '-eux qui l'entouraient d'un nuage épais produit par le souK'vcrnent des terres et des pierres du parapet. Quand Je nuage se fut un peu dissipé, on se reconnut, et quelle ne fut pas la stupéfaction de' tous, lorsqu'on constata que le iimU'eurcux soldat d'ordonnance gisait étendu sur le dos, au centre du groupe, faisant des efforts inouïs pour respirer et ayant entre les jambes le boulet qui avait traversé le parapet? Un médecin, qu'on courut chercher bien vite, dénoua la cravate du pauvre blessé; il mit sa poitrincà découvert et l'examina. « Il n'y a rien à faire, dit-il; ce boulet, qui lui est tombe sur la poitrine, lui a écrasé les poumons, bien qu'il n'ait point pénétré. Il n'y a en ce moment aucune de contusion; mais si, dans « trace, aucune apparence une heure d'ici, vous vouliez bien jeter un coup d'œil
« sur la poitrine, vous verriez qu'elle est absolument
"noire." Il
coup qui frappa le soldat dont je viens de raconter la triste fin ne defie-t-il pas, en son genre, tout ce que l'imagination pourrait inventer de plus extraordinaire? Et dire, âpres cela, que, depuis la guerre de IS70, on a vu un officier français proclamer, du haut de la tribune du Parleme:')t,que les soldats employés comme ordonnances ne pouvaient ctre assimiles aux soldats combattants! Est-ce donc que celui dont je viens de parler n'est point tombe victime du devoir dans son rôle modeste d'ordonnance ? X'a-t-il point péri comme périssent tous les combattants qui tombent frappés par les halles ou les boulets, à la main? Le
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TENTATIVE D'ASSAUT DHUCËE CONTRE LE RETRANCHEMENT DE MALAKOFF LE 18 JL'IX, ET REPOCSSËË PAR LES RUSSES. LE GÉNER.~L MAYRAX BLESSE MORTELLEMENT.–LE GÉNÉRAL BHL'XET TUÉ.
facilité relative avec laquelle le 2'' corps de l'année francise, aux attaques de droite du siège, s'était rendu maître des ouvrages blancs et de la redoute du mamelon vert, avait enflammé d'ardeur la plupart des officiers. Parmi ceux-ci, plusieurs, qui occupaient de hauts grades dans l'armée, estimaient qu'il fallait., sans perte de temps, profiter de l'effet moral que nos succès du 7 juin avaient nécessairement dû produire sur la garnison de Sébastopol, pour tenter l'escalade de l'ouvrage russe de MalakoS*. Depuis que nous occupons les ouvrages blancs et la redoute du Mamelon vert, disaient ces officiers, tout le terrain qui se trouve, entre nos tranchées avancées et le fossé de ~lalakoff, n'est plus défendu sérieusement par les fausses. Nos colonnes d'attaque, quand elles seront lan-. cées vers ce fossé, ne rencontreront aucun obstacle qui puisse les arrèter. La distance qu'elles auront à parcourir, avant d'arriver au bord du fossé de l'enceinte de la place, était encore, il est vrai, assez considérable, cinq à six cents mètres peut-être mais il ne fallait pas trop s'en préoccuper. Pour réussir, concluaient-ils, il n'y avait qu'à La
montrer de l'audace, et, s'n~ ce rapport, on savait tout ce qu'on pouvait attendre de nos officiers et de nos sol-
dats.'»
Bientôt le général Policier de laissa gagner par les ofucîers qui tenaient ce langage, et alors il décida que les divisions du 2' corps d'année, employées aux attaques de droite du siège, ayant pou appui et réserve la division de la garde impériale, donncrnicnt l'assaut a l'enceinte de la place dans la journée du ISjnin. La division de la garde impériale, qui était commandée parle général Regnault de Saint-Jean-d'AngeIy, se c~mp'att en ce moment de deux brigades, dont l'u ne, celle des grenadiers. était arrivée depuis peu en Crimée ~c puerai Mellinet commandait cette brigade; le général Uhrich commandait celle des voltigeurs. Le Kj juin, ravant-vciHc du jour oit l'opération devait' être exécutée, le général Bosquet reunit, dans la matinée, à son qunrticr.génér~L tous les généraux du corps d'armée et leur:- <;hc'~ d'état-major, et de plus !e~ généraux Beuret et Fro~ard, qui commandaient,l'an l'artillerie, et.l'autre le gcn:c de ce corps. Après avoir fait cunn;ut:'e a ces officiers le motif pour lequel il les avait appc'h' il leur notifia les instructions d'ensemble données par le général en chef de l'armée concernant ce qui était projeté pour la journée du 18. H leur dit qu'en conformité des ordres du général Pélissier, Jes divisions, employées aux attaques de droite du siège, seraient réunies et ma–ée:= dans les tranchées avancfes pendant la nuit du !7 an et disposées en colonnes d'attaque qui, au point '!n jour et à un signal convenu d'avance, s'élanceraient ~nuiianpment pour aller escalader'Ies divers points des retranchements russes, qui formaient l'enceinte de la place en face du corps d'armée. II leur apprit que le signal du mouvement général d'attaque serait donné pur le général Pélissier lui-même
au moyen d'une gerbe de fusées qu'il ferait partir de la redoute anglaise de Victoria. Puis avec une lucidité d'esprit et une netteté de parole vraiment merveilleuses, le général Bosquet compléta les instructions du général en chef, en indiquant à chaque vénérai le rôle qu'il aurait à jouer, avecsestroupes, dans l'attaque dont il s'agissait, le nombre des colonnes d'assaut qui scraientformées dans chaque division, la composition de chaque colonne et le poi nt des retranchements russes q::e chaque colonne aurait pour objectif particulier. 11 détermina les positions qui seraient occupées, en arrière des divisions du 2" corps d'armée, par les trompes de la division de la garde impériale, appelées à servir d'appui et de réserve à celles de ce corps d'armée. Enfin le général appela instamment l'attention des généraux, ses lieutenants, sur la nécessité qu'il y avait pour eux de prendre les mesures nécessaires pour que, <u)s la nuit du 17 au 18, leurs troupes se rendissent dans les tranchées et y- prissent position dans le plus grand silence. » 11 faut, dit-il, que nous surprenions les tiusscs. le t.S, au point du jour, comme nous les avons si bien surpris quand nous les avons attaqués, dans les o~p/~es blancs, il y a quelques jours, ce qui fait que ces ouvrages leuront été enlevas si aisément. Ufautqu'aucun bruit d~ns nos tranchées ne vienne leur faire éventer notre attaque. Dans le moment où, ayant donné ses dernières recommandations, le général Rosquet venait de congédier les généraux, et comme je quittais son quartier général, je me rencontrai avec le général Frossard, et alors s'engagea cntreluietmoilecoHoque s'nvant:–« Espérez-vousdonc, lui dis-je, que nous réussirons dans l'opération que l'on doit entreprendre après demain matin ?-Oui, sans doute. Pour mon compte, je vois, non sans appréhension, quenous allons attaquer avec un peu trop de colonnes, toutes
d'égale force, un trop grand nombre de points de l'enceinte de la place. Nous allons éparpiller nos forces, d'en il résultera que nous serons faibles partout ou nous attaquerons. Je conprendrais parfaitement que plusieurpetites colonnes fussent destinées à faire des démonstrations contre quelques points des retranchements russes pour tromper l'ennemi ou l'occuper partout, pendant qu'une colonne, très fortement organisée et appuyée par de puissantes réserves, aurait pour objectif un point de l'enceinte bien déterminé sur lequel se concentreraient alors tous nos efforts. Que voulez-vous~ fit le général Frossard, au point ou nous sommes arrives, il est imposable que nous restions dans l'inaction. Voici que déjà. dix jours se sont écoulés sans que nous ayons rien fait de sérieux. Vous regrettez que l'un attaque sur trop de points simultanément et qae l'on attaque aussi avec des colonnes ayant toutes la même composition, la même force. Mais ce dont vous me paraissez vous plaindre aura peut-être cela de bon que, sur l'un ou sur l'autre des points attaqués, nous réussirons à triompher de la résistance des défenseurs. On fera arriver alors des renforts no.nbreux sur ce point et nous nous y cramponnerons. Ce sera un point d'appui solide qui facilitera nos opérations ultérieures. Dieu veuille qu'il en soit ainsi, répliquai-je: mais il y a bien de Faléa dans cette éventualité optimiste sur laquelle vous me paraissez compter. » Comme on Fa vu dans les pages précédentes, ce fut le général Bosquet qui arrèta, à la date du 16 juin, toutes les dispositions à prendre dans le 2~ corps d'armée, en vue dc l'assaut qui devait avoir lieu le !§. Le 16, quand les gén-raux de ce corps quittèrent le quartier général du général Bosquet, après avoir re~u ses instructions, il ne serait entré dans l'esprit d'aucun d'eux que ce pourrait être un autre qui aurait à diriger l'opération qu'on allait
entreprendre.
Et pourtant ce fut ce qui arriva. Pour en donner l'explication, il est nécessaire que je dise ici tout de suite que, dans cette même journée du !6, IcgénéraIFélissier apporta des changements dans l'organisation, le commandement et l'assiette de deux des corps de l'armée française~ le 2" et le corps de réserve. Laveille du 16 juin, le corps de réserve qui était campé sur les monts Fc.lioukine, a i-dcssus de la rive gauche de la rivière de la Tchernaïa, était co nmandé par le général Morris. Il était composé ainsi qu'il suit: divisions d'infanterie et 5 batteries d'artillerie françaises, la division de cavalerie du général Morris, le corps piémontais commandé par le générât de Lamarmora, et enfin l'armée turque aux ordres d'Omer-Pacha. Les quatre divisions d'infanterie française étaient celles des généraux Canrobert, Herbillon, Brunet et Dulac. Des cinq généraux de division du corps de réserve, celui qui, hiérarchiquement, aurait du exercer le commandement de ce corps, c'était le général Canrobert dont l'ancienneté de grade primait celle de ses collègues: mais sur le désir que celui-ci avait exprimé au général Pélissier de ne comma'jder que sa division, ce commandement avait été donné au général Morris, le plus ancien des quatre
autres après lui. Comme on Fa vu, la division d'infanterie de la garde impériale était désignée pour prendre part àTattaque du 18 juin, et cette division était commandée par le général Ueguautt de Samt-Jean-d'AngeIy, qui était dans songrade plus ancien que le général Bosquet, et qui, de ce fait, ne pouvait être placé sous les ordres de celui-ci. Pour couper court à cette difficulté, le général Pélissier décida que le 1C juin, le général Bosquet irait prendre sur les monts Fédioukine le commandement du corps de réserve, en remplacement du général Morris, et que le général Rcgiault de Saint-Jcan-d'AogeIy prendrait, en son lieu et 4
place, le commandement du 2' corps d'armée. Il arrêta en outre q~e la division Camou, qui appartenait à ce corps, passerait au corps de réserve pour y prendre remplacement occupé par la division Brnnet, tandis que celle-ci la remplacerait au 2" corps, autrement dit, aux attaques de droite du su'gc. Il résulta de ces changements dans les commandements que, des le 16 juin au soir, ce fut au général Regnaott de Saint-Jean-d'Angely qu'incomba la tâche de diriger l'attaque projetée pour le 18. Le général Regnault de Saint-Jean-d'Angely ne modifia en rien les dispositions qui avaient été arrêtées par le général Bosquet il se réserva seulement le soin d'en assurer l'exécution. Pendant la nuit du 17 au 18, les troupes des divisions Mayran, Brunet et d'Autemarrc d'ErvUlé (je les désigne, de droite à gauche, dans l'ordre oit elles se trouvaient en face des retranchements de la place) furent conduites dans les tranchées avancées et formccs en colonnes d'attaque. On massa en arrière d'elles les bataillons de la garde impériale. L'effectif de chaque colonne ne dépassait pas celui de deux bataillons représentant de onze à douze cents combattants. A trois heures du matin, on était prêt partout à entamer l'action. Mais à cette heure et par suite de l'inobservation de l'une des prescriptions du général Bosquet, il était dit qu'on n'allait pas surprendre les Russes, comme on avait su les surprendre, le 7 juin, dans l'attaque des ouvrages blancs. En effet, tout silencieusement que cette fois nos troupes fussent venues dans les tranchées, leurs mouvements ne s'étaient point opérés sans qu'il en résultat un peu de bruit, et-cela avait suffi pour donner Fcveil aux défenseurs de la place. On en eut bientôt la preuve, quand on
entendit, de l'intérieur des tranchées, les échos d'an grand remuement de troupes qui se passait derrière les retranchements que l'on se disposait à attaquer. Comme on l'a vu, le générât Pélissier avait fait prévenir les généraux français q'~il donnerait lui-même le signal de l'attaque au moyen d'une gerbe de fusées qui, sur son ordre, partirait de la redoute de Victoria, au petit point du jour. Mais quand les premières lueurs commencèrent à poindre, on ne vit pas paraître les fusées. Quelques minutes se passèrent encore sans qu'elles se mo 'trassent. Le général Mayran. près de q'!i je nu tenais, ne pouvait contenir son impatience. Tout à coup une bombe, partie de la redoute de Victoria, lui Ht croire que c'était là le signal qu'il attendait, et aussitôt il donna l'ordre de commencer l'attaque. Je parvins fort heureusement à obtenir de lui qu'il donnât subitement co 'ire-ordre, en lui représenta tt que ce n'était pas une bombe, mais une gerbe de fusées qui devait signaler le moment où les troupes avaient à se mettre en mouvement Mais quelques minutes plus tard, le général Mayran voyant scintiller, au-dessus de la redoute de Victoria, le feu d'une nouvelle bombe, donna pour la deuxième fois Perdre de se jeter en avant, malgré toasies efforts queje faisais pourleconvaincrequ'i! se méprenait encore. Cette fois, les colonnes de sa division s'élancèrent au pas de course hors des tra-'chces; mais à peine eurent-elles franchi u:!e centaine de mètres qu'elles. forent accueillies par une fusillade si vive et par des ïcux d'artillerie si écrasants partaotdes ouvrages russes qui se trouvaient en face d'elles qu'on les vit s'arrêter s~r place et tourbiltonner sur elles-mêmes. En cet instant critique, le généra! Mayran jeta hors des tranchées, pour appuyer ses troupes arrêtées, le 2'' régiment des voltigeurs de la garde impériale, qui avait été mis à sa disposition pour servir de réserve à sa division. Ce régiment marcha
avec intrépidité, mais il n'arriva pa5 même jusqu'à la colonne qu'il avait mission d'aller soutenir. Ë') moins d'une minute, une pluie de balles, les boulets et les obus des batteries russes l'avaient jeté da'!S le plus affreux désordre. Lcs'bataillons de la division Mayran et ceux du 2 régiment de la garde impériale regagnèrent pèle-mêle les tranchées d'où ils étaient sortis, laissant sur le terrain la moitié à peu près de leurs officiers et de leurs soldats tues ou blesses (I). La tentative d'attaque faite par la division du général Mayran avait ainsi complètement échoue, et on en était là, quand la gerbe de fusées, le signal convenu, partit de la redoute de Victoria. Les colonnes des divisions Brunet et d'Autcmarrc d'Ervillé franchirent alors, à leur tour, le parapet des tranchées et se précipitèrent, au pas de course, vers l'enceinte de la place. Mais à leur tour également, elles furent en quelques minutes écrasées sous les feux d'infanterie et d'artillerie qui partaient des retranchements russes. Une des colonnes de la division d'Autemarre d'ErviJIe parvint pourtant à escalader le parapet, derrière lequel se trouvait la batterie russe de SaintGervais qui flanquait le côté droit du bastion dc~Ialakon, et elle s'y maintint pendant un bon moment. Il est bien probable que si, avant l'opération, la batterie russe dont il s'agit avait été désignée comme devant être l'objectif principal ou unique des efforts des divisions françaises et que si, en même temps, des renforts avaient été disposés en arrière de la colonne qui s'empara de cette bat-
lui commandait le
régiment de la irardc impérial. gncvc'ncnt h!e$sc dan? cette malheureuse affaire~ en cntiainant ses soldats, fut transporte a l'ambulance du Grand Quartier général de t'armée. Il n'y survécut qac deux ou trois jours à sa blessure. Cctait un ofttcier des plus d:stin!?ués, réputé puur l'aménité de son caractère aussi bien que pour son extrême vaillance. 1) Le
colonel de !:ouJeviHc,
terie et fussent venus appuyer la colonne, les Russes ne seraient pas parvenus à la déloger. X'étant pas constituée assez fortement, elle fut contrainte d'abandonner le point de l'euceinte de la place qu'elle avait conquis, devant des renforts russes considérables accourus pour la repousser. Après ce second insuccès des troupes françaises, on pouvait croire qu'on ne songerait pis à poursuivre l'operation d'attaque que l'on s'était proposé d'exécuter. Cependant, on n"y renonça pas absolument. Depuis quelques minutes, les bataillons de la division Mayran étaient en train de se rallier et de se reconstituer dans les tranchées, lorsque y survint un événement des plus déplorables. Le général Mayran, entouré des officiers de son étatmajor, s'était établi de sa personne, en avant de la tranchée la plus avancée, à l'extrémité d'une gabionnade que les officiers du génie avait fait ébaucher la nuit précédente. Les gabions n'étaient qu'à moitié remplis de terre, ce qui faisait qu'ils ne pouvaient présenter qu'un demiabri contre les projectiles de l'ennemi. Dans la circonstance, il convenait cependant de ne pas négliger de s'en servir. Aussi les officiers de l'état-major avaient-ils pris place derrière la gabion nadc. Mais le général ~layran, dédaigneux du danger, selon son habitude, s'était avisé de se tenir tout à fait à découvert, en dehors de l'extrémité de la gabion nade. Je le priai de changer de place et de vouloir bien s'abriter, pour si peu que ceput être, derricrcles gabions; il n'en voulut rien faire. < Il faut bien, me dit-il, que je voie ce qui se passe devant nous. comme je lui faisais remarquer que, fut-il derrière la gabionnade, sa grande taille lui permettrait de voir tout aussi bien que là où il était, il fut frappé à la main par un biscalen qui le contusionna fortement. 11 secoua le bras à plusieurs reprises et continua de con4.
Et
server la position qu'il occupait. Je venais de lui réitérer mes instances, lorsqu'un nouveau biscalen le frappa~ mais, cette fois, en pleine poitrine. Le malheureux général pirouetta sur lui-même, puis tomba à la renverse. Des médecins mandés en toute hute vinrent reconnaitre sa blessure. Ils constatèrent que, bien que le projectile n'eût point pénétré, la violence de la contusion avait été telle que l'un des poumons devait être sérieusement lésé. On transporta aussitôt le blessé à son quartier général; il y rendit le dernier soupir, après deux jours d'agonie, sans avoir pu, un seul instant, reprendre connaissance. Dans la triste circonstance dont il s'agit, le général Mayran avait, il faut le reconnaitre, oublié un peu trop que, dans la guerre de siège, les tranchées et les gabionnades n'ont été inventées que pour abriter les officiers comme les soldats contre les projectiles de leurs adversaires. Il avait oublié aussi que, si souvent le général ne doit pas hésiter à braver le danger pour donner l'exemple à ses soldats et les entramer, son devoir n'est pas absolument de s'exposer sans nécessité au feu de l'ennemi. Le général de Failly, qui commandait l'une des brigades de la division Mayran, prit le commandement, devenu vacant par suite de la mise hors de combat de celui-ci. Il acheva de faire rétablir l'ordre parmi les troupes de la division. Puis, comprenant quelle importance il y avait à se prémunir contre une sortie que la garnison pouvait faire pour venir s'emparer des tranchées françaises ou seulement pour les bouleverser, il me chargea d'aller trouver le général Pélissierà la redoute de Victoria, pour lui rendre compte de la situation et le prier de vouloir bien lui envoyer quelques renforts. J'avais l'ordre de lui faire connaître que les bataillons de la division Mayran ralliés, mais singulièrement réduits, tiendraient sur la position qu'ils occupaient jusqu'à l'arrivée de ces renforts, de manière à ne pas abandonner un
seul pouce de terrain aux Russes, qui avaient repoussé leur attaque. La redoute de.Victoria était à trois kilomètres au moins de la position où le général de Failly se trouvait. Pendant que, pour m'y rendre, je parcourais, au galop de mon cheval, le fond du ravin de Karabeinala, je m'aperçus d'abord que, dans ce ravin, étaient éparpillés, en grand nrttnbre, des soldats descendus de la hauteur où l'on avait combattu, et remarquant parmi eux quelques officiers, j'ordonnai à ceux-ci de réunir au plus vite tous leurs hommes et d'en former un détachement qu'ils conduiraient ensuite près du général de Failly. Mon ordre fut immédiatement mis à exécution. Un peu plus loin, je rencontrai sur mon chemin quelques grenadiers de la garde impériale, et leur ayant demandé où était leur régiment, ils m'apprirent qu'ils faisaient partie d'un bataillon qui, la nuit précédente, n\'ait été placé en embuscade dans le ravin, et qu'en ce moment,le commandant de ce bataillon le tenait enfermé dans une maison en ruine, pour l'abriter contre les feux de mitraille qui, partant d'ua petit bateau à vapeur russe cinbossé dans la rade de Scbastopol, enfilaient le fond du rnvin de Karabeinaïa. La maison en ruine que les grenadiers me montrèrent du doigt n'était pas loin de moi: j'y courus, et je fis appeler le chef de bataillon. Voici ce qui m'amené auprès de vous. lui dis-je. Je n'ai pas le droit de vous donner des urdres; mais le général de Failly, qui commande à présent la division du général Mayran qui a été blessé tout à l'heure, a grand besoin de recevoir des renforts. C'est pour qu'on lui en envoie d'urgence que je vais de ce pas trouver le général en chef de l'armée. Mais en attendant que ces renforts arrivent, vnns rendriez un très grand service, et il vous en serait tenu compte, à coup sùr, si vous vouliez aller mettre tout de suite votre bataillon à la disposition du général de
Failly. Mais, mon colonel, répondit le chef de bataillon, je ne puis nféloigner d'ici mon bataillon y a été placé en embuscade hier au soir, je ne saurais abandonner ce poste sans un ordre de mes chefs immédiats. Il s'agit bien d'embuscade en ce moment, repartis-je, il faut seulement prêter appui à des troupes qui, d'un instant à l'autre, peuvent être écrasées parles Russes. J'eus beau insister et déclarer que je prenais sur moi toute la responsabilité du mouvement que je réclamais de lui, le trop méticuleux chef de bataillon n'en voulut point démordre. J'allais m'éloigner de lui, l'abandonnant à sa misérable obstination, lorsqu'à ce moment, je vis descendre de la tranchée qui faisait communiquer les OKcy~c~ blancs avec le fond du ravin de Karabeinala un ofticier général dont les aiguillettes me démontrèrent qu'il appartenait à la division de la garde impériale c'était le général Mellinct, commandant la brigade des grenadiers de cette garde. J'allai à lui et lui racontai le colloque que je venais d'avoir avec l'un de ses chefs de bataillon. Oh, mon cher colonel, me dit-il, je vais bien l'obliger a sortir du terrier, oit il a confiné ses soldats, et à faire ce que vous lui avez demandé. Bien plus, je conduirai moi-même son bataillon au général de Failly. Le brave général le fit, en effet, comme il avait dit (1). Je venais de quitter le général Mellinet, lorsque je passai dans le ravin, à côté de quelques sapeurs d'infanterie qui transportaient sur un brancard le corps d'un fut dans h circonstance que je rappelle que j'eus pour la première fois l'occasion de me rencontrer avec le général MelItuet. Apres les deux guerresde Crimccct d'Italie. ma bonne fortune m'appela a servir à cote de lui durant six années consécutives, pendant qu'il commandait la division des grenadiers de la garde impériale, tandis que moi j'étais le chef d'état-major général de cette garde. Dans ces six années, le général et moi, nous nous sommes unis indissolublement par les liens d'une estime réciproque et ceux de l'affection la plus vive. (.\<~ </f feu~r.) (1' Ce
général. C'était celui du général Brunet qui, pendant que division s'était portée à l'attaque des retranchements ennemis, avait été frappé mortellement par une balle russe.
Arrivé près de la redoute de Victoria, et dans l'instant où je mettais pied à terre, me disposant à chercher le général Pélissier, quelques officiers de l'état-major général accoururent au-devant de moi. Je les priai de me dire "n le général en chef se trouvait. Le voilà tout près d ici, me répondit l'un d'eux, en me le montrant du doigi.. Xe l'apercccez-vous pas? C'est lui que vous voyez la, tout seul, se tenant les coudes appuyés sur la crête du parapet qui est devant nous. Mais gardex-vous luen de l'approcher, il est d'une humeur de dogue il vient de recevoir brutalement des officiers qui venaient l'in<c II ne l'ormer de ce qui s'est passé dans nos attaques. me mangera pas, j'imagine, rcpartis-jet; il faut que je lui parle. Et tout aussitôt, je me présentai au général en chef. Mon loin de m'accueillir avec rudesse « Ah c'est vous, mon cher Lebrun, medit-il; qu'est-ce qui vousamêne?~– Je lui exposai alors très brièvement la situation dans laquelle se trouvait le général de Failly et la détermination qu'il avait prise de résister à outrance aux Russes, s'ils tentaient de d''loger ses troupes de la position qu'elles occupaient. Puis, je lui fis connaître que le général de Failly désirait que quelques renforts pussent lui être Je vais lui envoyer tout de suite, fit le géenvoyés. néral Pélissier, ie général Uhrich avec l'un des régiments de sa brigade, le 1~ régiment des voltigeurs de la garde impériale mettez-vous en tête de la colonne que ce régiment va former pour lui servir de guide. Pendant que j'attendais que le régiment fut prêt à se mettre en marche. j'entendis des officiers qui étaient autour de moi a!'<!rmer que, dansée moment, l'intention du général Pé-
lissier était de faire renouveler une attaque générale contre les retranchements de l'enceinte de la forteresse russe. Au dire de ces officiers, la pensée du général en chef était que, si nos troupes n'avaient pas réussi dans leur première attaque, cela tenait uniquement à ce que l'opération avait été mal engagée, à ce qu'elle n'avait pas été entamée simultanément par les colonnes d'assaut, quelques-unes de celles-ci ayant commencé leur mouvement en avant, sans attendre le signai d'assaut g néraL Le 1er régiment des voltigeurs de la garde impériale, ayant en tête le général Uhrich et le colonel, s'engagea dans le chemin, qui suivait le fond du ravin de KarabclnaTa. Le premier bataillon avait parcouru à peu près la moitié de la distance qu'il lui fallait franchir pour arriver sur la position oit était le général de Failly, lorsque tout à coup le général Uhrich, jetant un regard en arrière, s'aperçut que les deux- derniers bataillons du régiment ne suivaient pas le premier; si loin que la vue put s'étendre, on ne les découvrait pas. Le général Uhrich alors rebroussa chemin pour aller à leur recherche et les presser de h:Uer leur marche. Voyant au bout d'un certain temps que les bataillons n'arrivaient pas et que le général Uhrich lui-même ne revenait point, je cherchai à obtenir du colonel du régiment qu'il voulut bien remettre son premier bataillon en mouvement. Malsau lieu de cela, l'idée lui vint, je ne sais comment, de faire enfiler à ce bataillon, sur la droite du ravin, la tranchée conduisant aux ouvrages blancs, d'où j'avais vu descendre le général Mellinet une demi-heure auparavant. Le colonel prit pour prétexte de sa détermination que le général Uhrich n'étant point de retour avec les deux bataillons qu'il était allé chercher, il ne lui était pas permis de continuer à porter en avant le bataillon qu'il ava!t avec lui. Ce bataillon s'éleva assez haut dans la tranchée, après quoi le colonel l'arrêta. J'eus beau
supplier celui-ci de le faire redescendre dans le ravin et 'le le porter vers le général de Failly. Il s'y refusa, alléguant que ses soldats, trop fatigués, avaient besoin de prendre un peu de repos. Alors désespéré de ne pas voir revenir le général Uhrich, qui, s'il eût été là, n'aurait pas manqué d'exiger du colonel qu'il fit ce que je lui avais demandé, je pris le parti d'aller rejoindre le général de FaiHy, pour lui rendre compte de ce que le général Pélissier avait ordonné et de ce qui était advenu du régiment, envoyé pour lui servir de renfort. J'étais, depuis quelques minutes, près du général de F.ulh', lorsque le colonel de Verciy, sous-chef de Fétatmajor de la garde impériale, vint l'informer, de la part du itérai Pélissier, qu'on ne renouvellerait, ce jour-là, aucune attaque contre les retranchements de la place, et que r<n devait se borner à faire occuper aux bataillons de la division Mayran les positions qu'elles avaient prises d:m5 les tranchées, au commencement de la journée. La garnison de Sébastopol ne fit rien pour .venir les y attaquer. La tentative d'assaut exécutée, dans la matinée du l~juin, parles divisions du corps de l'armée française av:)it é'é désastreuse. Ce corps d'année y avait perdu 303 officiers, dont 33 tués et 2t disparus, 3~50 sous-oftt<'iers et soldats, dont !,3'i0 tués, les autres blessés ?<. 390 disparus. Sur un effectif d'environ 5,000 combattais, la division MayratL, à elle- seule, comptait 2,500 oi'nciers et soldats tués ou blessés. Tous ses ofnciers supérieurs, à l'exception du général de Faillv et de moi, figuraient parmi ceux mis hors de combat, tués ou .blessés. Sur les cinq oifTciers composant l'état-major de la division, deux avaient été blessés, le chef d'escadron Mancel et le lieutenant Hirsch. Mais de toutes les pertes éprouvées par la division, la plus cruelle c'était celle qui l'avait frappée dans la personne du général Mayran, tué si malheureu-
sement, après l'avoir commandée brillamment pendam cinq mois. Dans l'après-midi et aussitôt après ma rentrée au quartier général de la division, j'allai me renseigner sur I:). situation du général ~layran. On m'apprit que, depuis sn. blessure, il n'avait point repris connaissance et que son état était désespéré. Je me rendis ensuite à l'ambulance de la division pour y visiter les blessés. J'y trouvai une vingtaine d'officiers supérieurs, et entre autres le chef de bataillon Boissie qui, bien qu'ayant eu la poitrine traversée par une balle, se promenait dans la salle de l'ambulance où étaient couchés ces officiers. Ce fut lui qui, en l'absence de tout médecin, en ce moment, me < connaître la situation plus ou moins grave de chacun de ses camaradesdont plusieurs étaient délirants. Une vive émotion s'empara de moi lorsque j'accostai la tète du lit occupé par le lieutenant-colonel, de Cendrecourt, commandant du régiment d'infanterie de marine qui faisait partie de la division Mayran. Blessé très grièvement par une balle qui lui avait perforé la boite osseuse du crâne, le malheureux se hercait de l'espoir qu'il en pourrait revenir. Sa sérénité d'esprit était poignante a voir. Aux témoignages d'intérêt que je lui témoignai, il répondit par quelques paroles qui dénotaient bien ce qu'il y avait en lui de sentiment chevaleresque et chrétien. « J'ai fait mon devoir, me dit-il à présent, il ne me reste plu~ qu'à mettre ma confiance en Dieu et je suis prêt à paraître devant lui, s'il ordonne que je ne survive pas au coup qui m'a frappé. Quelques heures plus tard, le colonel de Cendrecourt rendait paisiblement le dernier soupir. Dans l'affaire malheureuse dont j'ai fait ci-dessus le récit, tous les officiers supérieurs de la division Mayran avaient été, comme je l'ai dit, mis hors de combat, tous plus ou moins grièvement blessés. Après la cessation
combat, il fallut faire prendre le commandement des rjifiments et des bataillons par de simples capitaines. Un ~eul chef de bataillon du régiment de marine, le commandant Reybaud, blesse au bras, ne consentit pas à se rendre à l'ambulance; il prit le commandement de son rcg'mcnt, et en même temps celui de la brigade dont ce rcgiment faisait partie. Dans l'aprcs-mi'H, dans la soirée du t8 juin et la matittcc du lendemain, tout se passa tranquillement dans le corps de l'armée francise. Quand la nouvelle de l'échec désastreux que l'on venait d'e~uyer aux attaques de droite du siège fut portée '!a !S les camps français, on se refusa d'abord à y croire, et l'on ~'indigna même aux récits désolants des premiers ~uldats qui, revenant des tranchées où ils avaient été basses, entraient aux ambulances. Bientôt, il fallut bien ajouter foi à ces récits; ils n'étaient que trop vrais, hélas! Dans la matinée du D, les bataillons de la 3" division, a l'exception de ceux qui étaient commandés pour garder [es tranchées, quitteront celles-ci et regagnèrent leurcami'cment. A un moment donné, ils défilèrent sous les yeux 'les officiers de l'état-major de la division. La physionomie '!cs soldats était caractéristique. Chacun d'eux portait, écrit sur les traits de son visage, le sentiment de o.'Icre qu'avait excité en lui l'issue malheureuse de Fopération à laquelle il avait pris part dans la.journée précé '~ntc. Quelques-uns de ces soldats manifestaient à haute \.nx leur irritation. Je n'ai jamais oublié qu'un zouave, plus emporté que ses camarades, s'étant écrié en passant N'est-ce pas indigne de faire ainsi tuer devant moi 'tes soldats? un des ofGciers qui était à mes côtés se précipita sur lui, me disant: "II n'est pas possible de tolérer de pareilles paroles!1 J'arrêtai l'officier: « ~e 'aites rien, lui dis-je, il faut aujourd'hui faire la sourde oreille; ils ont été trop malheureux! Qu'on leur donne le
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temps de se remettre; vous verrez que si, dans quelques jours, ou a. besoin d'eux, on les retrouvera, ave' leur entrain et leur bonne humeur habituels, tout aus-i prêts à se battre qu'ils l'ont été jusqu'ici. La suite des événements prouva bien que ma prédiction n'avait eu rien d'exagéré. C'est qu'en effet, à l'époque à laquelle se rapporte l'incident que je raconte, les épreuves de tout genre précédemment subies par les officiers et par les soldat: depuis le commencement de la guerre, avaient si bien habitué les uns et les autres à ne reculer devant aucun sacrifice, qu'on pouvait tout attendre de leur esprit de dévouement. C'est que jamais on n'avait vu, dans les guerreprécédentes, et qu'on ne revcrra jamais peut-être, danles guerres futures que l'avenir réserve a notre patrie. des soldats comparables en énergie a ceux de l'armée d'Orient, tels qu ils se montrèrent vers la Un du siège d'' Sébastopol. Le lendemain du IS juin, on put faire, dans tous les corps de l'armée française, une remarque camps du qui, au point de vue psychologique, me paraît intéressante
à signaler. Il n'était pas ce jour-là un officier qui, rencontrant un
de ses camarades et Fentretenant de ce qui s'était passé la veille, ne lui tint à peu près ce langage: Ce pauvre un tel qui a été tué, avait-il assez le pressentiment du coup qui devait le frapper ? Est-ce qu'on n'a pas trouvé, dans se~cantines, un écrit dans lequel il avait eu le soin d'indiquer ses dernières volontés? Qu'on dise donc, après cela, que le pressentiment n'est qu'un vain mot Et celui qui faisait ces réflexions oubliait d'ajouter que, lui aussi, la veille, avant de se rendre à la tranchée, il n'avait pas fait autrement que celui dont il parlait, en déposant son testament en lieu sur. Cette remarque, que j'ai voulu noter ici, ne prouve-t-ellc pas combien, à la suite d'un triste événement, l'homme
est naturellement enclin à aller rechercher, dans quelque incident du passe, la prédiction certaine du malheur qui arrivé ? Dans les derniers mois du siège de Scbastopol, le service dans les tranchées était devenu de plus en plus dangereux: let'cu des f:usscsl'~isaitc))aquejourdenombreuses victimes, ~ctai~it j'as tout simple que chacun, s'appliquant t de l'Ecriture sacrée, arrêtât a~'rs prudemment ses dispositions testamentaires, en prévision du coup mortel qui pouvait le frapper subitement. <-st
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IX
LES MOXTS FÉDIOUKTXE.
juillet et première quinzaine du mois d'août. Le généra! Les monts Fédioukine, la vallée de la Tcttcrna!a. Faucheux. Les monts deMackcnxie occupés par l'armée russe. Le corps de réserve de l'armée française sur les monts Fcdioukine. Le Motifs de l'oc~encrât de La Marmora et le corps piemontai: cupation des monts Fédioukine par un corps d'armée français~ et du mont Harsfort par le corps piémontais.
Mots de
commandement de !a 3" division de l'armée française, 'levenu vacant par sune de la mort du général Mayran, fut donné par le général Pélissier au général Faucheux, promu récemment au grade de général de division. La 3" division avait eu son effectif tellement réduit, dans la journée du 18 juin, qu*il n'était pas possible de l'employer plus longtemps aux attaques de droite du siège. Le général en chef décida, en conséquence, qu'elle y serait relevée par la 1~ division, qui était commandée par le général Canrobert, du corps de réserve de l'armée, etqu'elle irait remplacer ce corps sur les monts Fédioukinc. Le général Faucheux arriva au quartier général de la division quelques jours avant celui où. cette division Le
devait faire mouvement pour se rendre à sa nouvelle des-
tination.
En passant: sous le commandementdu général Faucheux, je tombais, pour la seconde fois, sous les ordres d'un cher
que je n'avais jamais vuavant de vcnircn Crimée. J'en avais seulement entendu parler. Aussi mis-je tous mes soins à l'étudier, pour tâcher de découvrir ce qu'il allait être dans l'exercice de son commandement et dans ses relations avec son chef d'état-major. Quelques jours me suffirent pour reconnaître qu'entre son caractère el celui du général Mayran, la différence était grande. Ce qui distinguait particulièrement le général Mayran, dans son existence matérielle, c'était un mépris extrême du bien-être, une frugalité de Spartiate; c'était le soin que lui inspiraient ses devoirs militaires, qu'il remplissait avec sévérité à l'égard de tous ceux qu'il commandait, avec une sévérité plus grande encore vis-à-vis de lui-même. Le général Faucheux qui, par une éducation des plus soignées, avait été façonné aux manières de la plus exquise politesse, était naturellement disposé a la bienveillance, et ses relations avec ceux que leur devoir appelait à le voir de près étaient toujours des plus accortes. Mais il aimait essentiellement le confortable. Il lui fallait, à son quartier général, une bonne installation et une table toujours bien servie. Il n'avait cure de tout voir et de tout faire par lui-même dans sa division il laissait volontiers a son chef d'état-major la plénitude de ses attributions, et visitait peu ses troupes, se contentant de les voir par les yeux de ses généraux de brigade. On conçoit que, sous un pareil chef. le service de son chef d'état-major ne pouvait être que tr(''5 facile. Aussi, n'eus-je bientôt qu'à me féliciter de l'existence qui m'était faite à 1 état-major du général Faucheux. Ce fut, dans la journée du 22 juin, que la division dont
ce général venait de prendre le commandement quitta les campements qu'elle occupait au 2° corps de l'armée.
pour aller prendre position sur les monts Fédioukinc. ("était là qu'elle devait se réorganiser et relever ses effeciifs de régiments, au moyen de détachements venus de France. Un peu plus tard, elle prit part à un événe):'cnt de guerre des plus considérables. Mais avant 't'en venir au récit de cet événement, il est indispensable que je donne ici une description topographiquc du terrain sur lequel il se passa. Cette description s'appliquera au cours de la rivière de la Tchernaïa, aux [ncn:s Fédioukine qui, à la fin du mois de juin, étaient "ccupés par le corps de réserve de l'armée française, et au vaste plateau que Fon appelait, en Crimée, les hauteurs '!e Mackensie, ou était campée, en juin 1855, une portion considérable de Farmée russe. Il est nécessaire que je dise anssi comment les monts Fédéoukine et leurs approches. ctaientoccupés à, la même époque, par le corps d'armée de réserve de l'armée francise, et comment le corps piétnontais, après son arrivée en Crimée, prit position à la droite de ces monts, snr le mont Harsfort. La petite rivière de la Tchernaïa prend sa source dans h chaîne des montagnes de FAltaous-Dagh, dont le versant "riental tombe sur la mer Noire et le versant occidental -ur Fintérieur de la Crimée. Elle coule directement de l'est à Fouest, et, après un parcours de 40 à 15 kilomètres, elle se jette dans le fond de la rade de Séhastopol, tout ['rcs d"Inkermann. Dans la partie supérieure de son cours et sur une longueur de 30 kilomètres environ, le lit de la rivière est très resserré, et surplombé, sur sa droite comme ~ur sa gauche, par des collines abruptes couvertes de bois '~pais. C'est cette partie fort étroite de la Tchernaïa qu'on appelle la vallée de Baïùar. Avant de sortir de cette sorte de long boyau qui Fen~isse.la rivière passe devant le village de Tchorgoun
qui se trouve sur sa rire droite,
un peu au-dessus, mais à petite distance du fond de la vallée elle passe, en même temps, au pied d'une hauteur que l'on nomme le mont Harsfort et qui est situé sur sa rive gauche. Mais dès que la rivière a dépassé Tehorgoun et le montt Harsfort, son lit s'élargit tout à coup, et elle arrose alors une plaine qui s'étend sur une longueur d'environ huit kilomètres et une largeur moyenne de 1,500 à 1,800 mètres, depuis le pied du mont Harsfort, jusqu'à l'embouchure du cours d'eau dans la rade de Sébastopol. Cette plaine est circonscrite au sud par le pied des monts Fédioukine, au nord par les hauteurs de Mackensie. Désormais, nous lui donnerons, dans les pages qui vont suivre, le nom qu'on lui donna à l'armée de Crimée nous rappellerons la plaine ~e T~/<e/<ïf<ï. Les monts Fédicuk~e se composent d'une chaîne continue de coteaux, q')i, se détachant, au-dessus d'Inkermann, du mont Sapoun où les armées alliées s'étaient établies pour faire le siège de Sébastopol, s'étend a l'est et sensiblement en ligne droite, jusqu'en un point oli elle s'abaisse tout à coup pour se confondre, d'une part avec la plaine de Balakiava, de l'autre avec celle de la plaine de la Tchernaïa. Entre ce point et le pied du mont Harsfort la distance est d'environ 330 mètres. L'intervalle qui sépare cette extrémité des monts Fédioukine des contreforts descendant du mont Harsfort sur la plaine de Batakfava s'appelle le col de Balakiava. La largeur de ce col n'a pas plus de 150 mètres. Dans toute l'étendue de la plaine de la Tchernaïa- et tout contre le pied des monts Fédioukine, coule un petit canal dérivat'f de la Tchernala, qui prend son origine au point où la rivière sort de la vallée de BaTdar et contourne Je mont Harsfort, avant d'arriver au pied oriental des monts Fédioukine. Ce canal a une largeur de deux mètres et une profondeur moyenne d'un mètre et demi.
Deux fonts y existent, Fun très étroit et qui est très près du mont Harsfort, l'autre plusiarge, qui se trouve audessous de la partie centrale des monts Fédioukine et qui porte le nom de pont de Traktir. Une dépression de ces monts forme en arrière du .pont un col très étroit. La d'aîné des hauteurs de Fédioukine domine la plaine de la Tchernala à une élévation moyenne~de~Omètres. Mais la partie de cette chaîne, qui se trouve située à la droite du col de Traktir, est d'un relief sensiblement plus élevé que celle qui est à sa gauche. Les hauteurs de Maekensie, qui tirent leur nom d'une ferme qui est sur ce point sont élevées de 150 à 200 mètres au-dessus de la ~chemaîa. Elles dominent beaucoup par conséquent lésants Fédioukiae. Derrière la cime de ces hauteurs qui td~~it en pente très abrupte
sur la plaine, s'étend un très vasie plateau entre Tchorgoun à l'est et le grand fort du nord des dusses à l'ouest. C'est sur ce plateau qu'était campée, en juin et juillet, «ne partie considérable de Farinée russe. La route de Symphéropol à Sébastopol et à. Balakiava traverse le plateau dont il s'agit; elle descend de Mackensie par une pente très raide, traverse la plaine de la Tchernala, passe f'ar le pont de Traktir, franchit les monts Ftdioukine par le petit- col qui se trouve au-dessus de ce pont, et, par les monts Sapoun, gagne Sébastopol; uo embranchement se dirige sur Balakiava. L~armée russe que les alliés avaient en face d'eux, an mois dejuin 1855, était très nombreuse.EUe ne comptait pas moinsde 1 lOà 115,000 combattants,et son effectifgrossissait de jour en jour, du fait des renforts qui lui étaient envoyés de l'intérieur de la Russie. Le prince GortschakolT, qui commandait en chef cette armée, en avait disposé très habilement les forces pour détendre la forteresse assiégée et le grand établissement maritime qu'elle protégeait, et pour se préparer en même 5.
temps les moyens de pouvoir attaquer, avec chance de succès, les armées alliées, pendant leurs opérations de siège. Il avait composa en grande partie, la garnison de Sébastopol avec les officiers et les soldats de la marine russe qui étaient devenus disponibles, Je lendemain du jour oit la flotte russe avait été couh'e pour former, dans la rade de Sébastopol, une estacade capable d'empêcher les navires anglais et français de pénétrer dans le fond de cette rade pour attaquer à revers les détenses de la place; à ces officiers et soldats de marine, il n'avait ajoute, en troupes de terre, que ce qu'il en fallait pour que l'effectif de la garnison fut proportionné à rétendue de la tâche qu'elle avait à remplir. Il avai~ jeté un corps de son armée dans le grand~b/T du 2\or~ qui commandait, du côte du nord, la rade de Sébastopol, et, comme la place communiquait avec ce fort au moyen du pont construit au travers de la rade sur les matures des vaisseaux coulés, il s'était assuré la possibilité de tenir toujours la garnison assiégée au complet d'effectif qu'il jugerait nécessaire, en la renforçant, chaque fois qu'eue aurait éprojvé des pertes, par des détachements tirés du fort du Nord.. Du surplus de son armée, le général prince Gortschakoff avait formé une armée <Ye &eeoM/ concentrée par lui sur le plateau de Mackcnsie. Ce plateau était la position la plus favorable qu'il pût lui faire occuper. En effet, sur cette pos tion, l'armée russe pouvait recevoir directement, par la route de Pérécop à Symphéropol et Sébastopol, tous les contingents d'hommes et les approvisionnements venant de l'intérieur de la Russie. De plus, elle s'y trouvait à cheval sur sa ligne d'opérations naturelle~ ce qui faisait que, s'il arrivait qu'elle fùt attaquée et battue par les armées alliées, sa retraite sur Pérécop lui serait assurée. Elle avait d'ailleurs peu à redouter une
attaque de ces armées; car il semblait que celles-ci ne (tussent jamais songer à l'entreprendre, vu les difticultés trup grandes que leur présentait l'escalade des hauteurs .le Mackensie. Ajoutons encore que, pour donner plus de force à la positionne prince Gortscbakou' avait fait garnir son front, à la cime des hauteurs qui faisaient face à la plaine de la Tchernaïa, de plusieurs batteries armées de pièces de gros calibre. Des l'instant ou l'armée de secours des Russes fut établie sur le plateau de Makensie, elle y devint une menace pour les armées alliées. !1 était, en effet, de toute évidence, que, si un jour cette armée venait, par un coup d'audace, a descendre de ce plateau pour attaquer en les prenant revers, les forces françaises et anglaises qui occupaient !e mont Sapoun, en se faisant en même temps appuyer par une vigoureuse sortie de la garnison de Sébastopol, elle pouvait jeter un grand trouble dans les opérations du siège. Sans doute on n'imaginait point que cet'e armée pût, dans ce cas, réussir à déloger les armées alliées de leurs positions sous Sébastopol et à les jeter dans la mer Noire. Car ces armées, si on les réunissait, étaient en état d'opposer à l'armée russe une .masse de combattants considérable, 100 tO~JO Français, 16 a 18,000 Anglais, environ :'0,000 Turcs, et, à partir des premiers jours '!c juin, 18,OLO Piémontais. Mais si l'armée russe était jugée incapable de défaire ces forces réunies, il n'était pas impossible qu'elle réussit, en les attaquant, à jeter un grand désarroi dans les travaux du siège, en les bouleversant en partie, et qu'elle parvint de cette fa<;on à retarder la fin de l'entreprise qui se faisait attendre depuis trop longtemps déjà. C'est pour se mettre en garde contre une pareille éventualité qu'en réponse aux dispositions prises par le général prince Gortscbakoff, il avait été décidé, d'un commun accord, d'opposer une barrière à tout mouvement offensif :').
a
de l'armée russe de Mackensie, en faisant occuper le:: monts Fédioukine par le corps de réserve de l'armée francise. Ce corps y avait pris position le 25 njai. Placé. le 19 mai, à la réorganisation de l'armée, sous le commandement du général Morris, il passa, -le 22 juin, sous celui du générai Herbillon, le plus ancien des généraux commandant les quatre divisions qui étaient, à cette date, sur les monts Fédioukine. Le 2 juin, le corps piémontais avait-pris position sur le mont Harsfort, à la droite du corps de réserve français. Le 22, le général Pélissier envoya la division de cavalerie commandée par Je générât d'AIlon ville et la brigade de même arme du général de Forton, détachée de la division Morris, dans la vallée de Baldar, pour y faire surveiller, dans le haut de cette vallée, les mouvements de l'armée russe de ~lackensie. De son côté,Omer-Pacha établit une.de ses divisions d'infameric turque dans la même vallée, en lui faisant prendre position entre la division du général d'Allonville et le corps piémontais. Dans le courant du mois de juillet et pendant la première quinzaine du mois d'août, le corps de réserve de l'armée française occupa les monts Fédioukine de la manière suivante: Destroisdivisionsd'infanteriedeceeorps, la division Herbjlion tenait le centre de la position. La ligne des hauteurs sur laquelle elle était campée dominait de 35 à ~0 mètres le fond de la plaine de la Tchernala. La division Camou, placée à la gauche de la division Herbillon, avait, devant elle, là partie inférieure de la plaine les camps étaient 'établis sur le sommet de monticules dont la cime, audessus de la Tcliernaïa, ne dépassait guère 30 mètres. La division Faucheux, qui occupait la droite des mont~ Fédioukine, appuyait sa gauche formée de sa 2" brigade à la division Herbillon. Sa 1~ brigade dont l'effectif était très faible et composée seulement du 2= régiment de
zouaves et du 19" bataillon de chasseurs à pied (!), était repartie, par fractions constituées de ces deux corps, sur le faite des hauteurs qui faisaient la droite des monts Fédioukine. Les fractions constituées dont il s'agit avaient été établies sur les points du terrain qui semblaient le plus menacés d'être attaques par les Russes)1 y avait entre elles des intervalles assez considérables; .i'ou il résultait que, sur le front de la 1~ brigade de la division Faucheux, il y avait de 5 à 600 mètres de hauteurs qui étaient entièrement dépourvues de troupes.
autre très.grand inconvénient pour la division Faucheux, c'est que ses deux brigades, au lieu d'être accolées, étaient séparées, l'une de l'autre, à la distance de plus de ~"j mètres, par le petit col que les monts Ft'dioukine forment au-dessus du pont de Traktir, col que j'ai signalé précédemment. Pour rendre plus difficile aux Russes les approches du pont de Traktir, nos officiers du génie avaient couvert ce pont au moyen d'une lunette. Le général de Failly, chargé de la défense de cette lunette, 1 avait fait garder par un détachement de sa brigade, comUn
posé de 150 hommes.
Par le col de Balakiava, la division Faucheux se reliait avec le corps piémontais du général de La ~armera, mais a la distance de 4 à 500 mètres. Le petit pont, jeté sur le canal de la Tchernala un peu en avant du col, établissait tin moyen de communicationtel quel entre les Piémontais et la droite des Français. Le corps piémontais comptait à son effectif 18,000 hommes. II se composait de trois petites divisions d'infanterie commandées par les généraux Durando, Tratti et Justiniani, d'un régiment de cavalerie et d'une artillerie refluent:, de cette brigade, le riment d'infanterie de marine, avait quitté la division, après J'affaire da 18 juin, pour être envoyé à Kcr$h. (!) Un Jc&
canons et un bataillon d'artillerie de place. Le front des divisions piémontaises, campées sur les contreforts qui descendaient du mont Harsfort sur la Tchernala, était couvert par le lit encaissé de cette rivière. En avant des divisions, le général de La Ilarmora avait établi un poste avancé sur une sorte de promontoire qui se détache des hauteurs de Mackensie pour tomber sur la Tchernala, vers le point ou ce cours d'eau sort de la vallée de BaYdar pour pénétrer dans la plaine. Ce poste, situé à petite distance du petit village de Tchorgoun, avait été fortiHé au moyen d'un retranchement en terre en forme de crémaillère. On rappelait le poste piémontais du mamelon des Xigsxags, nom tiré du tracé tortueux qu'atfectait le petit chemin par lequel on y accédait. Plusieurs t'ois déjà, dans le cours de mon récit-, il a été question du général de La Marmora. Je n'irai pas plus loin, avant devoir consacré quelques lignes à cet ancien et fidde ami de la France, et sans dire, en même temps, ce qu'était le corps de troupes piémontaises qu'il avait amené avec lui en Crimée, en 1855. J'avais eu l'occasion d'entrevoir le général de La alarmora en 1819, alors que, simple chef d'escadrond'artillerie, il était venu à Paris, envoyé par le roi de Piémont pour y voir le prince Louis-Xapoléon, président de la République française, et le général de Lamoricière, ministre de la guerre, dans le but de nouer avec eux des intelligences, en vue d'une nouvelle guerre qui pouvait,à brève échéance, éclater entre le Piémont et l'Autriche. Le général de Lamoricière s'était plu à reconnaître t'.ut ce qu'il y avait déjà, à cette époque, dans l'officier piémontais, de qualités militaires éminentes, de dévouement intelligent ù son souverain et de sympathies très vives pour la France. Quand je le revis en 1855, le chef d'escadron de La Marmora était devenu général de division, et il commandait en chef le corps d'armée piémontais qui venait d'arriver en Crimée.
ayant
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ne fallut pas longtemps pour qu'à l'armée d'Orient on constatât combien l'organisation et la composition du corps piémontais étaient parfaites. C'est qu'en effet le ~(-néral de La Marmora.qui y avait présidé, s'é~a~t appliqué avec un soin particulier à ne laisser introduire, dans la :uation de ses états-majors et de ses troupes, que des officiers de choix et des soldats d'élite. Parmi les premiers, il avait fait figurer ces officiers de mérite qui.aprés s'être tait remarquer en Crimée, devaient plus tard occuper les {'fus hautes positions dans la grande armée italienne, les ))urando. Ciaidini, Petitti, Govone, di Pettincngo, etc. Dans les rangs de la troupe, il avait fait entrer un grand nombre des soldats qui, ayant servi dans cette fameuse nrigade de Savoie, qui s'était illustrée récemment dans la guerre d'indépendance soutenue par le Piémont contre l'Autriche, avaient conservé par devers eux les traditions de cette brigade. Aguerris et disciplinés comme ils étaient, le général de La Marmora était certain, avant qu'ils fussent ~n Crimée~ qu'ils n'y démentiraient pas leur glorieux [':)-é. 'J'tand le corps piémontais, âpres son débarquement à !:a!aklava. alla prendre ses campements sur le mont tf:u'sfort, on était, comme je l'ai dit ci-dessus, au commencement du mois de juin, à la tin du printemps. Cependant les nuits étaient encore très froides en Crimée. ):ien que le général de La Marmora eut rait distribuer à ses -o;'iats des vêtements d'hiver, avant leur départ du Piém"nt, on pouvait craindre qu'ils n'eussent à souffrir beaucoup de l'intensité du froid. ~lais on fat vite rassuré a cet égard. En effet, à peine arrivés sur le terrain oit its devaient dresser leurs tentes, les soldats piémontais s'éLdcntemprcssésd'aller visiter les camps français voisins du ntL'nt HarsforL pour voir comment nos soldats s'y étaient pris pour se préserver du froid, de la pluie et de l'humi'iité du sol. Quelques jours plus tard, on avait pu constater H
qu'ils s'étaient si bien assimilé le génie inventif de n~< vieux zouaves d'Afrique, que le confortable de leurs abri< ne le cédait en rien à celui des abris français. Déjà, a moment, l'armée française avait pris le corps pi~montni~ en grande estime, estime qui ne devait que grandir c~' plus en plus chaque jour jusqu'à la Un de la guerre. Le gênerai de La Marmora qui. en Crim'c. résuma < sa personne la tète et Famé du corps qu'il commandait. s'y acquit une telle renommée que lorsque, âpres la guernd'Orient, il rentra en Piémont, il était tout désigné po'f: présider à l'organisation de la grande armée qui devint celle de l'Italie unitlée. Ce fut lui qui donna à cette arm~. l'impulsion qui la caractérise aujourd'hui. On peut dire que, par les services qu'il rendit ainsi nu roi Victor-Emmanuel, il contrihua.tout autant que Cavotjr et Garihaldi, à faire l'unité de l'Italie. Puisse sa patrie. pour ne pas être ingrate envers lui, lui en garder unf éternelle reconnaissance! [<
x BATAILLE DE TRAKT!n
termine !c chapitre précèdent m'a t'nit suspendre, pour un moment, le récit des événements <{ne j'ai à exposer au lecteur. En reprenant ce récita il !<ut que je dise tout d'at~ord que si, au Grand Quartier ancrai de l'armée française, on n'ignorait pas que les furces russes campées sur le plateau de Mackensie étaient considérables, on ne savait peut-être pas au juste quelle ''tait l'importance de ces forces. Ce qui est certain, c'est (~u'au corps de réserve français deIaTchernaTa, on n'était nullement fixé cet égard. Aussitôt aprrs la prise de possession du commandement '!e ce corps, le général Herbillon ordonna que chaque matin, les chefs d'état-major des divisions et le colonel t-orgeot, qui commandait la réserve d'artillerie, se ren-iraientà son quartier général pour y assister, sous sa ['résidence, à un rapport pendant lequel seraient discutées toutes les dispositions à prendre, pour le cas oit le corps 't'armée viendrait à être attaqué par l'armée russe de Mackensie. Cette prescription fut mise à exécution sans que pour cela on prit, sur les monts Fédioukine et jusqu'à la fin du mois de jaillet, des dispositions défensives bien -crieuses. Maïs dans l'un de ses rapports journaliers qui La digression qui
eut Heu, dans l'un des premiers joxrs d'août. et sur la proposition que je lui en lis, le général )tcrhil)on arrêta que l'on assignerait immédiatement a tontes les troupes do corps d'arm'c, régiment par régiment. hatail!on par bataillon, et batterie par t~atterie, les emplacements surl' lesquels elles devraient se porter au premier signal d'une attaque de l'ennemi. 11 décida en outre, sur la proposition que je lui en tis, au nom du jouera) Faucheux, que. devant les emplacements a occuper par tes fractions constituées de la 1' brigade de la division'-ommandcc parce gênera!, on s'empresserait de creuser des tranchéesabris, afin d'y protéger nos soJdats contre les feux de l'infanterie russe. Cette dernière disposition semblait être commandée par la situation très menacée, dans laquelle se truuvait, à la droite des monts Fediouki':e~ cette brigade, en raison de retendue de front qu'elle avait à défendre et la faibtcsse de son effectif. A partir du î"' aont, il ne se passa presque pas un seul jour sans qu'une attaque des Russes fût annoncée au gênerai Herbillon comme devant être imminente. Cela était dû aux rapports journaliers, adresses a ce général par le capitaine d'état-major Baudouin, qui, à l'étatmajor du corps de réserve, avait la direction du ~e/T~ 11 faut dire d'ail<e~/o/'<?/< </c leurs que les rapports de cet ofticier étaient le plus souvent en désaccord avec ceux de son coHégue, le capitaine Saget. qui, attaché à l'état-major du général d'.Ulonville, remplissait dans la vallée de Gaïdar la même mission que celle dont on avait chargé le capitaine I~audouin sur les monts Fédioukine. Quoi qu'il en fût des avertissements menaçants donnés par ce dernier officier, comme les jours se suivaient, sans que l'événement vint justifier le bien fonde de ses prédictfons~ il en était résulté qu~on avait Hni par ne plus y attacher la même importance. Vers le 1~ aoùt~ le corps d'année français-, com-
/8e~c~/ï~.
man'tcpar le ~ncral )ferhiHon, comptait en chiH'res ron'J<i h."UO ttununc~. Sut! effectif se 'i~composait ains) qu'il .~tit:
ti!t<'rk. .rart)Hcri. t~'A~TEttU:.
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Camo't.Y compris 2 Laiteries'rar-
t)ivisi"n Hpr))iH'n. y compris 2 batteries
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Division Faucheux, y compris 2 ba.ttcrics
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CA\u.t:ntK.
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Morris.
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hatteries 'J'artiHcrio comman'tccs par
!oco)"nctF"rg<'ot.
Total.
~1 18,111 homme-.
Les H batteries d'artillerie représentaient 6G canons de
~mpairne. Le tabtenu ci-dessus fait voir que Fm~anterie ne s'élevait qu'à combattants. Si l'on défalque de ce nombre rdni des hommes indisponibles, les malades aux ambutances ou sous la tente. les ordonnances d'offh'iers rete!« forcement dans les camps, on peut considérer que "'s 1~~ tommes d'infanterie ne donnaient en réalité que t~(MX' combattants, to.OOO baïonnettes. C'était avec c~s !5,(XM) combattants et G') canons que le gênerai Hert'iHon devait défendre la position des monts fe'Houkine, ''t comme le front de cette position avait une étendue de f'tus de six kilomètre le général n'avait pu la faire oc< !)per que par une mince ligne d'infanterie, li~ne c-'upée, t')t p!usieurs de ses points, par d'assez grands intervalles. En arrière de cette ligne, dans la plaine de Balakiava,
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ta cavalerie du corps de réserve, aux ordres du se trouvait général Morris. Le corps piémontais, qui était établi sur le mont Harsfort, a la droite de la position des français, se composait, comme je l'ai déjà dit, de 18,000 hommes, ayam avec lui 3G bouches a feu. Rappelons que ce corps se reliait, du côté delà vallée de Baldar, avec une division d'infanterie turque forte de 10,000 hommes, et avec la division de cavalerie française du général d'Allonville. Jusqu'au H août, chacune des divisions du corps d<réserve de la Tchernaïa conserva les deux batteries qui avaient été attachées à son organisation. Mais ce jourlà, le général Pélissier décida que l'une de ces deux batteries serait envoyée aux batteries du siège. Cette mesure avait été commandée par la nécessité ou se trouvait le général de remplacer, dans ces batteries, les servants, en grand nombre, récemment tués ou blessés par le feu <!cs défenseurs de la place. Pendant une revue de ses troupes que le général Herbillon passa, le 15 août, dans la plaine de fblakiava, :< 1'occasiun de la fète de l'empereur Napoléon 111, il eut la douleur de voir défiler, sous ses yeux, les trois batteried'artillerie qui quittaient son corps d'armée pour se rendre a leur nouvelle destination. Il fallait maintenant qu'il atfrontat une attaque de l'armée russe avec 48 canons seulement, dont G à chacune de ses trois divisions d'infanterie et 30 à sa réserve d"artillerie. Dans l'après-midi du 15 août, comme cela était arrivé déjà plusieurs fois les jours précédents, le général MerbUlon reçut un avis qui l'informait que les dusses attaqueraient le lendemain matin. Il renouvela aussitôt, pn'des officiers qui commandaient sous ses ordres, les prèspriptions qu'il leur avait données, chaque fois qu'un avis pareil lui était parvenu. Le chef d'escadron d'artillerie Baudouin, désigné quel-
.[ocs jours auparavant pour prendre le commandement ()<' l'artillerie de la division Faucheux, en remplacement (['un officier du même grade, arriva sur les monts Fédioukine le 1-1 août. Dans la soirée du 15, je le tis appeler pour lui notifier
~instructions déjàdonnécs aux commandants des troupes
la division, et pour lui indiquer notamment l'emplacement que la batterie de la division aurait à occuper au premier signal d'une attaque de l'ennemi. Tenez vos hommes tuut habilles pendant la nuit prochaine, lui dis-je; que les cotonniers conducteurs se tiennent prêts à atteler, de manière qu'en cas d'alerte vous puissiez porter la batterie, aussi rapidement que possible, sur le point que je vous :ti indique, celui qui se trouve au-dessus et un peu sur la droite du pont de Traktir n. Au centre de la plaine de la Tchernaïa et tout près de !:t route descendant de Makcnsie, il y avait une petite onincncc sur laquelle le général Herbillon avait fait étaNir un poste avancé composé d'un petit détachement d'in;;t[ttcrieetd'un peloton de cavalerie fourni par la division .!): général Morris. Ce poste, qui était relevé tous les vingt-quatre heures, avait pour objet spécial de donner !c signal d'alarme, si les Russes venaient à descendre par !:i route de Mackensie pour gagner la plaine. La nuit du 15 au IC août se passa tranquillement sur les monts Fédioukine. Cette nuit fut sombre le ciel n'était < claire ni par la lune ni par aucun scintillementd'étoiles. Aucun bruit du reste du côté de la Tchcrnam; pas un seul "mp de fusil tiré, aux avant-postes français, ni à ceux du orps piémontais. Mais tout à coup, et avant que le petit jour apparut encore, une fusillade assez vive partit du petit poste d'observation, situé au milieu de la pleine de la Tchernaïa, ':ont il a été question ci dessus. Le sergent de planton qui était de service près de la .h-
tente du général Faucheux se précipita vers la mienn'. et s'écria « Mon colonel, on entend de nombreux cou; de fusil dans la plaine. J'appelai aussitôt le clairon qui se trouvait au poste du quartier gênerai de la division, je lui donnai l'ordre de sonner ~<~cwM~ Puis je courus a la tente du général Faucheux et-Finformai de ce q':i se passait. « Les troupes, lui dis-je, vont se rendre vivement sur les emplacements qui leur ont été assignés mais en attendant qu'elles y arrivent, je vais, si vous if voulez bien, me rendre au galop sur le point oit notre batterie doit prendre position. Allez, répondit le général, je vais vous y suivre. mon arrivée sur le point dont il s'agit, je ne fus pas peu étonné de voir que le commandant Haudouiu y était déjà et que ses canonétaient en batterie tout prêts à ouvrir le l'eu. Je n'aurai* rien compris a la rapidité avec laquelle l'artillerie venait. d'exécuter son mouvement, si le commandant Baudoin ne m'avait pas appris tout de suite qu'ayant craint la veille au soir que la batterie ne fùt pas assez vite surla position, non seulement il avait voulu que pendant la nuit lehommcs restassent tout habillés, mais que les attelages fussent tuut garnis. 11 était, en ce moment, trois heures trois quarts, et Faut)'' du jour apparaissait à peine. Sur le fond de la plaine d'la Tchernara s'étendait une masse épaisse de nuées blanchâtres que l'on pouvait prendre pour des vapeurs provenant de l'évaporation des eaux de la rivière. On reconnut bientôt qu'il ne iallait y voir que la fumée, produite par la fusillade engagée, un instant auparavant, dans la plaine, et que la pesanteur de l'air retenait comme collée contre le sol. Cette fumée avait cela de très fâcheux que, des monts Fédioukine, il était absolument impossible de discerner ce qui se passait derrière elle. Dix minutes plus tard, le jour commentait a poindre. en même temps que le nuage de fumée se dissipait; je
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distinguai dans la plaine quelques masses noires, puis 'autres en assez grand nombre qui affectaient la forme de bataillons en colonne, et qui s'avançaient vers le pont .k Traktir. Ces masses notaient, en effet. que les batail!oNsd'avant-gardc de l'armée russe qui, après être descendue, pendant la nuit, des hauteurs de Mackensic et s~ctre (.-<'t!centréc, au pied de ces hauteurs, dans la plaine de la T.'hernaia, commentait, avec ces bataillons, son mouvement d'attaque contre le corps de réserve de l'armée Ira fraise. Faites donc ouvrir le feu, criai-je au commandant i~udoin faites donc tirer, voici des bataillons russes en bonnes serrées qui ne sont pas à plus de six cents mitres <t Mais, je ne les vois pas, fit le comrnan'te nous. dant. Tenez, prenez donc ma lorgnette, répartis-je, L'officier prit la \'ut!s les distinguerez parfaitement. i.'rgnettc, et tout aussitôt il ordonna d'ouvrir le t'eu. En ce moment, l'intanteric russe formait une colonne profonde sur la route par laquelle elle était venue de Mackensie. Son premier bataillon avait repousse le poste ~:e nous avions dans la plaine, et l'on voyait se détacher du flanc droit de la colonne un certain nombre de batail!uns, serres en masse, qui semblaient marcher pour venir laquer les divisions des généraux Herbillon et Camou. Au pied des hauteurs de Mackensie et sur la droite de l'infantt'ne, on distinguait un ou deux régiments de lanciers. La batterie d'artillerie de la division Faucheux. rtab!ic au-dessus du pontdeTracktir, était commandée par le capitaine de SaiMy. Ce que cette batterie produisit de ravage d;ms les rangs delà longue colonne d'infanterie russe est inimaginable. Son feu ouvert, elle y trarait de dix en dix mondes des sillons marqués par une quantité d'hummes qu'elle abattait, tués ou blessés. Comme la tète de la cok'nne était fort rapprochée de la batterie, l'idée me vint <'c demander au commandant Ihudom de faire tirer à mi-
traille.- Oh
mon colonel, fit le commandant, laisscz-mo' continuer de faire tirer à boulet; il n'est pas un seul d~' nos projectiles qui ne porte et ne produise tout son enct utile, et cet effet est autrement considérable, au point ')'-
vue moral, que celui que pourrait faire la mitraille. n L~ brave officier voulait dire, en me parlant ainsi, que chacun (le ses boulets couchait par terrede douzeàquinze homme: Tandis que le combat était ainsi engagé dans la plaintde la Tchernala, une portion de l'armée russe que le général en chef de cette armée avait conservée sur le plateau de Mackensie repoussait du mamelon des Zigsxags le poste retranché piémontais que le général de Lamarmora y avait établi, et l'artillerie russe installaitsurce mamelon une batterie armée de canons de gros calibre. Vers quatre heures. cette batterie ouvrit son feu pour appuyer le mouvement offensif que les troupes russes, descendues dans la plaine, commençaient à exécuter. A partir de ce moment, des boulets tombèrent, se succédant, à de très courts intervalles. sur le front des troupes de la première brigade du général Faucheux. et un certain nombre allèrent, bien en arrière de ce front, jeter une certaine panique dans les campements de la brigade. On vit alors tous les hommes qui y étaient demeurés, les ordonnances d'ofCciers entre autres. abattre les tentes et les transporter, à dos de mulet, avec tout le matériel qu'elles renfermaient, à une grande distance de la ligne de combat. A la même heure de quatre heures, les batteries de gros calibre. dites de Bilboquet et de Gringalet, qui, depuis longtemps, avaient été établies par les Russes à la cime des hauteurs de Mackensie, faisant face à la partie gauche de la position occupée par les Français, dirigèrent leurs feux contre les divisions des généraux Camou et Hcrbillon. Disons tout de suite que ces batteries russes du mamelun des Zigsxags, de Dilboquet et de Gringalet firent peu de mal aux troupes françaises, parce que celles-ci étaient dc-
vcloppécs sur les m'nts Fédioukine en ordre très mince, c) ne présentaient, par conséquent, au tir de l'artillerie, aucune masse- susceptible d'être entamée sérieusement. J'ai dit qu'avant le lever du jour, j'avais quitté le général Faucheux pour metransporter surle point des monts Fédioukine qui surplombait le pont de Traktir. Le général ('tait venu promptement m'y rejoindre. Pour n'avoir pas a y revenir plus tard, il faut que je déclare tout de suite que. des qu'il fut prcs de la batterie de sa division, jusqu'au !)i"ment un les Russes entreprirent d'escalader les haulext's défendues par le 2" régiment des zouaves, comme je le raconterai tout à l'heure, le général Faucheux demeura sons mes yeux parfaitement impassible, malgré nue pluie de halles qui tombaient tout autour de lui.J'ajouterai que, pendant tout le temps que dura l'attaque de l'.mnée russe, il se montra aussi intelligent et aussi pré-
\"yant que brave. Presque au commencement de l'action, le capitaine de s~iUy, qui commandait la batterie attachée à la division. et son lieutenant avaient été blessés grièvement l'un et Feutre. Cf'mmc la batterie manquait de capitaine en sec'nd, le commandant Caudoin en donna le commandement a son adjoint le capitaine de Contamine. )~ien que décimés par les boulets de cette batterie, les bataillons russes qui marchaient sur le pont de Traktir ne s'arrêtèrent pas. Pendant que ceux qui étaient en tête avançaient pour se porter a l'attaque du saillant de la hmettequi couvrait ce pont, d'autres se jetèrent, à droite et à gauche, pour déborder le saillant et aller gagner le petit canal de la Tcherna'ta, traverser ce canal et escalader ensuite les hauteurs qui étaient défendues par les deux brigades de la division Faucheux, l'une à droite, l'autre à gauche du pont de Traktir. Malgré la fusillade très vive. des t50 hommes du ?<' de c-
ligne qui occupaient la lunette située en avant, de ce pont. ils abordèrent. le parapet de ce petit ouvrage avec '!) forces tellement considérables qu'ils ohH~'rent le détachement, framjais qui le défendait à évacuer la place et se replier sur les hauteurs. Les Russes pénétrèrent dan:la lunette et s'y établirent solidement. Pendant que cecf se passait au saillant du retranchement français, une forte colonne russe, qui s'était jetée à droit'de la face gauche de la lunette, traversa le canal en av~! du pont de Traktir et s'éleva sur les hauteurs des monts Fédioukinc, par le col situé au-dessus du pont, menaçant d'aller tourner par ce col la droite delà brigade de Failh. Mais le 50" régiment de ligne, envoyé, un instant auparavant, de la division Camou, pour prêter scc"urs à cett'brigade, arriva fort heureusement à ce moment. Le régidéploya vivement vivenierit ses bataillons, en face du uan~flzin,ment iiieiit (Iéi)loya l;ice (lu ses I)zitaill(~in,,z.en droit des Russes, et ouvrant aussitôt sur ceux-ci une fusillade des plus vives, il les obligea à s'arrêter. Puis !<le même régiment, et, à cote de lui, les et ~deligft'de la brigade de Failly, prenant une vigoureuse offensive. se précipiturent sur la colonne russe, la rejetèrent en ba~ des hauteurs, où elle alla repasser le canal. Les trois régiments fran'jais poursuivirent Fennemi, la baïonnette dans les reins. et pour couronner leurs succc's, ils tombèrent sur les Uusses qui étaient dans la lunette du pont de Traktir, et, après un combat acharné, réussirent à Icen chasser. Le général de Failty constitua alors fortemen! la défense de l'ouvrage qu'on venait de reconquérir, et i: en donna le commandement au colonel t)anner du ?" dc ligne. Ceci fait, il lit prendre position, à l'un des bataillons du 50" de ligne, derrière le canal et à la gauche du pont. et il établit le reste du régiment, ainsi que les bataillons du 83" de ligne, qui venait, lui aussi, d'arriver de la division Camou. pour servir d'appui a sa brigade sur les hauteurs, derrière la portion du 5U" de ligne restée disponible.
celles des troupes 'le la brigade non employer a la 'jL'tense ~e la lunette de Traktir. La colonne russe qui entreprit, ainsi que je viens de le raconter. de se porter à l'attaque de la position défendue ;.u' la brigade de Failly, éprouva, dans sa retraite, des
{'cries considérables. Dans le moment même où cette colonne avait opère son mc'nvcmc'nt offensif sur la gauche du pont, une autre c"Ionnc de bataill"ns russes, longeant le Hanc droit de la
lunette de Traktir, s'était portée vers le canal de la Tchernaïa. li le ieu meurtrier de la batterie du capitaine <!c Contamine, ni celui du 2~ régiment fie zouaves qui <]<'fendait la crète des hauteurs, près de cette batterie, n'avaient pu l'arrêter. Arrivée à petite distance du canal, la colonne se déploya p:ir bataillons en ma~se. Ces bataillons s'avancèrent alors, précèdes chacun par un petit détachement de pionniers, portant sur leurs épaules des ponts volants, destinés à 'Hre jetés par eux sur le canal et à en faciliter le passage nnx fantassins qui les suivaient. Chaque petit pont consistait en deux madriers de très faible équarrissage reliés ~'ntre eux par des poutrelles légères d'assemblage, le tout recouvert d'un tablier en planches. La longueur des madriers avait été calculée, bien entendu, de manière à déposer de à 60 centimètres la largeur du canal. Les pionniers russes réussirent parfaitement à jeter un ''crtain nombre de ces ponts sur la partie du canal qui ctait en amont du pont de Traktir ou de la position occupée parla batterie du capitaine de Contamine, le 2" régiment de zouaves et le 19< bataillon de chasseurs à t'ied. Puis, aussitôt les petits ponts jetés, les bataillons enne-. mis passèrent dessus et entreprirent, avec un élan incomf'~rable, d'esca!ader les hauteurs au pied desquelles ils se trouvaient. Les fantassins russes avaient à gravir une
pente des plus abruptes dont le sommet dominait le canal de 40 à 50 mètres environ. Ils s'élèveront sur cette pen<~ avec intrépidité sous le feu violent de mousqueterie Ilil régiment de zouaves. Malgré ce feu, ils montèrent en gran.J nombre jusqu'au, haut de la pente, menaçant alors de ~i près la batterie du capitaine de Contamine, que celui-ci jugea prudent de faire porter ses pièces à la prolonge a une centaine de mètres en arrière. Mais à cet instant critique, les bataillons de zouaves et. sur leur droite, les quatre compagnies de gauche du bataillon de chasseursà pied reçoivent les assaillants sur pointe de leurs baïonnettes; ils engagent avec eux nu combat corps à corps, les culbutent les uns sur les autres et finalement les précipitent de la crète des hauteurs sur les bords ou dans le fond même du canal. tous tués on blessés. Zouaves et chasseurs ont combattu héroïquement. et tous ceux qui, derrière eux, n'ont pas pris part à l:: lutte, mais ont pu voir les prodiges de valeur qu'ils viennent d'accomplir, les acclament avec enthousiasme. Pour mon compte, je me félicite d'avoir été le témoin de l'un de ces combats si rares, auxquels on donne le nom de combats à la baïonnette. Dans cet épisode dramatique de la bataille, qui a étc si glorieux pour la Ire brigade de la division Faucheux. un officier du 19" bataillon de chasseurs à pied, le capitaine Versini, qui commandait les quatre compagnies dc gauche de ce bataillon, excita au plus haut degré l'admiration de ses soldats. Se mettant à !eur tète. il les entraîna par son exemple et par son énergie sans pareille. Comme je l'ai dit ci-dessus, la bataille avait été engagée un peu avant quatre heures il était six heures, lorsque les Russes, après avoir déjà été repoussés au-dessus du pont de Traktir et chassés de l'ouvrage qui couvrait ce pont par les troupes du général Camou et celles de In brigade de FaHly, furent précipités, du haut des mon)~
F'iioukine sur le canal de la Tcbernaîa, par la 1~ bri-
la division du ancrai Faucheux. A 6 heures un quart, on voyait toute l'infanterie de l'armée russe, agglomérée au centre de la plaine, tourbillonrtrr en quelque sorte sur cHe-méme, sous ]c feu de huit hatterics françaises, trois appartenant aux trois divisions '~mon, MerbiMon et Faucheux, et cinq composant l'artilicrie de réserve du corps commandé par le général Hcrbillon. A cette heure, on pouvait juger que Farmée russe était irrémédiablement vouée à une défaite certaine. Le général1 cui avait le commandement des troupes russes dans la ;ame de la Tcheruala aurait dù en être convaincu plus que personne. Il était impossible qu'il ne vit pas qu'un 'icsordre indicible s'était jeté dans ses bataillons, et qu'il ne remarquât point en même temps que les généraux, ses lieutenants, et tous les officiers supérieurs se consumaient en efforts impuissants pour y rétablir l'ordre ~ns lequel il ne pouvait songer à prolonger son attaqu contre les monts Fédioukine. Enfin, il devait lui paraitre évident que les batteries d'artillerie qu'il avait dans la plaine, si nombreuses qu'elles fussent, étaient incapables de soutenir efficacement son infanterie et de combattre victorieusement les batteries françaises, celles-ci occupant des positions dominantes, ou elles étaient déniées des -boulets russes par la :eule configuration du J'ai dit ci-dessus qu'un peu avant 6 heures, la batterie du capitaine de Contamine avait dit quitter son emplacement pour se porter un peu en arrière, lorsque les dusses tentèrent de s'emparer de la position ou elle était établie. Pendant quelques minutes, elle s'était trouvée dans la nécessité d'interrompre son feu mais aussiMt après la défaite des Russes, elle avait repris sa première position~ et à partir de ce moment, elle ne cessa de ~:uJe 'le
terrain.
G.
tirer sur les tuasses de l'infanterie ennemie qui encombraient le milieu de la plaine de la Tcbernaïa, avec un' rapidité de coups dont, assurément, jamais batteri'' n'avait montre l'exemple dans aucune guerre avant ceU'
d'Orient. Cette rapidité de tir, qui, dans toute autre circonstance, eut peut-être été trouvée condamnable, était dans celle-ci parfaitement justinec. En effet, les canonniers du capitaine de Cuntamine n'avaient guère à se préoccuper d<bien pointer leurs pièces. Si imparfait que put être leur pointage, ils étaient certains que leurs boulets tomberaient infailliblement au milieu des troupes serréc?dc l'armée russe, et que pas un seul de leurs coups de canon ne serait perdu ~.1). Quoi d'étonnant alors que ces troupes, frappées ainsi de front par la batterie du capitaine de Contamine, et battues en même temps de flanc par les batteries des divisions Herbillon et Camou, et par les cinq batteries de réserve du corps d'armée français. fussent dans cet état de désordre affreux que j'ai signait' tout à l'heure Vers G heures donc, la situation des russes semblait être tellement désespérée que, sur les monts Fédioukine. tout le monde s'imagina que l'enuemi allait renoncer prolonger la bataille et ne plus songer qu'à opérer sa retraite sur Mackensie. Mais le général russe qui commandait dans la plaine de la TchernaTa -~n avait décidé autrement, et on en eut bientôt la preuve. En effet, un peu après C heures, on s'aperçut que de& colonnes de bataillons russes, réorganisés tels quels. partaient du milieu de la plaine, se dirigeant vers la 1
Le lendemain de la bataille, on voulut savoir le nombre J~ coups de canon qui avaient été tires, la veille, par la batterie de ht division Faucheux. On constata que les cai~ou~ ayant pu être rcapprovi~unés plusieurs fuis ectre 5 et 7 heures du matio, la batterie n'avait pas consomme moins de ~00 gargousses. (1)
partie du canal du la Tchernaîa, qui se trouvait assez loin (.'a amont du p'mt de Traktir. Tout semblait indiquer que ces colonnes avaient l'intention de prononcer un retour ct'fensit' contre l'extrême droite de la division Faucheux, 'fans Fesj'Otr sans doute de tourner la t~ brigade de cette .th'ision ou de l'attaquer en flanc pour la culbuter sur le c"l de Traktir, ce qui aurait ouvert à l'armée russe l'entrée de Latakiava et obligé peut-être les troupes du ~cneral Herbinon à déserter les monts Fédioukine. Dans le moment où les colonnes russes, ayant bien des:-méle mou voncntqu'ellesvoulaient exécuter, é:aicnt déjà. ires près du canal de la Tchernaîa, je priai le général Faucheux de m'autoriser à aller voir ce (lui allait se passer 'iu côté on il n'y avait point de troupes et par où conséqucmment les Husses pouvaient, sans rencontrer d'obstacles, aborder la crète des monts Fédioukine. Je partis au galop de mon cheval, et, dans l'instant même où j'arrivais à la tète d'un petit ravin qui tombait des hauteurs de Fédioukine sur le canal, quel ne fut pas mon étonncmcnt, lorsque je constatai qu'une assez forte colonne russe était en train de gravir le fond du ravin., n'ayant déjà plus que quelques centaines de mètres à parcourir pour arriver sur la hauteur. 11 fallait l'arrêter au plus vite; sans cela, la droite de la division allait être fortement compromise. Très heureusement en me rendant à la tète du ravin, j'avais passé à côté des quatre compagnies de droite du 19" bataillon de chasseurs pied, disposées le matin en arrière du 2" régiment de zouaves pour appuyer ce régiment et pour protéger la batterie de la division. Je me précipitai vers ces compagnie~ et je donnai l'ordre au capitaine Campion, qui les commandait, de me suivre avec elles au pas de course. Hevenu a la tète du ravin, j'y établis les compagnies, de manière qu'elles couvrissent de leurs feux la tête et les deux flancs de la colonne russe, et après leur avoir fait
entamer une très vive fusillade, je prescrivis au capitaine Campiun de tenir là, coûte que Cf)')tc,avcc sa petite troupe, lui donnant l'assurance que bientôt j'allairevenir avec un renfort d'infanterie ou avec de l'artillerie. Le temps pressait, je n'avais pas une minute à perdre. en allant tout d'abord rendre compte au générât Faucheux des dispositions que j'avais prises d'urgence. Ne songean: qu'à aller chercher des renforts là où il m'était possible d'en avoir, je courus tout droit vers le point où j'avais l'espoir de trouver le général Hcrbillon. Par un de ces hasards providentiels qui se voient si rarement sur un champ de bataille, il m'arriva d'être tout de suite en présence du général. Je lui fis connaître en deux mots I<motif qui m'amenait près de lui, et je le priai de mettre surle-champ à ma disposition une des batteries d'artillerie qui étaient alors sous sa main. Il ordonna de me suivre il une batterie que commandait le capitaine Armand. Celleci, prenant immédiatement le ga!op, sur mes traces, traTersa le col de Traktir, et je la portai, en deux minute: sur le point où nos chasseurs à pied, depuis près d'une demi-heure, avaient réussi à ralentir l'élan des Russes. soutenus efficacement il ne faut pas que j'oublie de le dire, par le canon de l'artillerie piémontaiseétablie sur le mont HarsforL Le capitaine Armand fit mettre les six pièces en batterie. de manière que leurs boulets enfilassentle fond du ravin dans toute sa longueur, et il fit ouvrir le feu. Mais le général Herbillon, sans qu'il me l'eût fait pressentir, ne s'était pas contenté de me donner la batterie que je lui avais demandée, il l'avait fait suivre par In brigade du générai Cler, qui appartenait à sa division et était composée des 62* et 73" régiment de ligne. Ces deux régiments, en arrivant près du lieu où l'on combattait, se déployèrent de façon à faire face aux points où les Russes.
malgré les feux dirigés sur eux, commençaientcependant a prendre pied sur les hauteurs. Un des bataillons du 62", en ouvrant un feu intense sur la tête de la colonne ennemie, fit que celle-ci changea de direction; au lieu de continuer sa marche en avant, elle ?e dirigea obliquement sur la batterie Armand, forcée de ~c porter en arrière. Mais cette batterie la cribla de mitraille. Puis aussitôt, un autre bataillon du G~, les quatre compagnies de gauche du 19~ bataillon de chasseurs à pied qui étaient non loin de la batterie, et enfin le bataillon de droite du 2~ régiment de zouaves, accoururent tous ensemble pour appuyer le bataillon du ?" déjà engagé; ils accablèrent la colonne russe de feux si écrasants qu'après une ou deux minutes de résistance ses dans un affreux désordre s'enfuirent vers le canal pour regagner la plaine. Les deux régiments du général Cler, le bataillon de droite du de zouaves et les compagnies de chasseurs à pied du capitaine Versini poursuivirent rennemi la baïonnette dans les reins jusqu'au delà du canal. Les pertes éprouvées par les Russes pendant leur escalade des hauteurs, puis celles qu'ils eurent à subir 'ians cette retraite, ces pertes, dis-je, furent énormes. On leur fit, en outre, un grand nombre de priscnniers. Dusse-je me répéter, j'ajouterai ici que, depuis le commencement jusqu'à la fin du combat, les batteries d'artillerie piémontaises avaient contribué au succès remporté par les. Français, en couvrant de leurs boulets le flanc gauche des Russes. Dans le combat dont je viens de raconter les divers bataillon de incidents, les quatre compagnies du chasseurs à pied, qui précédemment déjà s'étaient si brillamment distinguées, dans la première attaque des Russes dirigée contre la Ire brigade de la division Faucheux, "pérorent des prodiges de valeur. Entrainées par le capi-
mis
taine Versini, qui les commandait, elles se ruèrent, tt'-tr baissée, sur I~s )}usscs, quand le moment vint. où ils commencèrent à battre en retraite.Aprcs FaM'aire,unattribt!:[ au capitaine Versini une très grande part dans le succrqu'on avait remporte. Un fait regrettable, qu'il m'est imp<ssiblc de ne pn' signaler, c'est qu'après la bataille du IC a<)'ft i8~, 1:' conduite Itéroïque qu'y avait tenue le capitaine Yersit)i ne fut pas portée officiellement à la connaissance du genéral Faucheux. Cela tint à ce que le commandant <fti 1')" bataillon de chasseurs à pied, retenu malade sous I:< tente et n'ayant pu assistera la bataille, n'avait pu rcndr' c<~mpte des services éclatants rendus par le commandant des quatre compagnies de ~aucbc de son bataillon. Sanaucun doute, si le généralFaucl<eux, dûment bien informe. avait pu savoir que le capitaine Versini, atteint de deux blessures, dont l'une très grave au genou, s'était absolument refusé à ne quitter ses soldats, pour aller se faire panser, qu'après la fin de combat, le général Faucheux. dis-je, n'aurait pas manqué de demander pour cet uiiicier le ~rade de chef de bataillon qu'il avait si vaillamment mérité, et assurément sa demande eût été accueilli' favorablement par le général en chef de Farmee. Au lieu de cela, le capitaine Versini, forcé de rentrer en France pour aller y chercher la gucrison de ses blessures, ne fut récompensé que tardivement par son élévation au grad< d'ofncier dans Fordre de la Légion d'honnenr. Apres le su préme effort qu'avait demandé à ses troupes le général qui commandait les troupes russes sur lcbords de la Tchernala, en leur faisant attaquer pour In seconde fois les hauteurs des monts Fédioukine, il était naturel de penser que ce général, ayant bien compris. cette fois, que la bataille était décidément perdue pour l'armée russe, il ne songeait plus qu'à lui faire opérer sa retraite, en la reportant sur le plateau de Mackensic.
heures et demie du matin, les Hussës reprirent aucune nouvelle attaque contre la position .~cupée parles troupes du général Hcrbillon. feulement, !es ttattcries des deux armées opposées continuèrent à se .-t'ntrcbattre; les !)atteries françaises, qui avaient pour d)es l'avantage du terrain, faisaient déplus en plusdes ravages dans les rangs de rarmëc russe. Avant d'a!)erp!usloin,il est indispensaMcquc j'indique iesdispositi'ns que le générât Pélissier, demeuré a son ~rand quartier de l'armée française, avait prises, le août an matin, en prévision du cas où le corps de ré~rve du généra! HerhiHon serait insuffisant pour résister a cette attaque. Jusqu'à G heures~lc commandant en chef n'avait arrête aucune mesure, désireux qo'i! était d'être t~nt d'abord bien fixé sur la question de savoir si les deux corps d'armée, employésaux attaques du siège, n'avaient rien a redouter d'une forte sortie de la garnison de Sébastopol. 'ais à cette heure, le générât s'était convaincu qu'il n'y avait rien à craindre de cette garnis"n. t~ alors, il avait ordonné a trois divisions faisant partie 'ies deux corps d'armée de se porter aussi rapidement (;ue possible sur les monts Fédioukine. Ces divisions L'aient celles que commandaient les généraux de La Motk'rougc, Dulac et Levaillant. :1 avait prescrit, en outre, que la division de la garde impériale, aux ordres du général Hegnauit de Saint-Jean 'i'Angely, suivrait sur-le-champ ces trois divisions. Sur sa demande, trois mille Anglais (infanterie et cavalerie), '.ommandés par le général Scarlett, avaient re';u l'ordre d'aUcr prendre position dans la plaine de Balaklava, derrière la division française du général ~orris. Ent!n la division turque de Séfer-Pacha devait aussi aller s'établir, 'tans la même plaine, un peu à droite de la division Morns et faisant face au col de Balakiava, qui se trouvait entre )~tdc fait, après
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les monts Fédioukine et la position occupée par le corp~ piémontais (t). Tous ces ordres étant donnés, le général Pélissicr était parti de son quartier général pour se rendre sur le cham;. de bataille. Les divisions françaises, détachées des attaques du sicgf. arrivèrent sur les monts Fédioukine, la-division de La Muttcrouge à 7 heures, et les autres successivement. mais un peu plus tard. La garde impériale y fut installée la dernière. La division de. La Motterouge se déploya à la gauche d'' la division Camou les divisions Dulac et LevaiHant se formèrent derrière les deux premières divisions, et à sut' arrivée, la garde impériale s'établit en arrière de la division Herbillon. A 8 heures, les troupes alliées étaient disposées sur les emplacements qu'on leur avait assignés. D'après ce qui précède, on peut juger que le générn) Pélissier avait pris les mesures les plus sages pour que les armées alliées fussent en état de lutter avantageusement contre l'armée russe, à supposer que celle-ci, âpreavoir délogé les troupes du général llcrbillon, voulussent pénétrer dans la plaine de Balakiava, pour se porter ensuite à l'attaque des monts Sapoun. Vers 6 heures et demie, comme je l'ai dit déjà, lecolonnes russes, repoussées vigoureusement des hauteurs qu'ellesavaient gravi sur la droite et sur la gauchedu pont de Traktir, puis chassées un peu plus tard de la lunette qui couvrait ce pont tombé, pour un instant en leur possession, s'étaient repliées dans un état de désordre extrême vers le centre de la plaine de laTchernala. A cet mstant (1) L'autre dhision d'infanterie de l'armée turque était dans la va!!ce de Baïdar. Comme la division de cavalerie du gênerai d'AI!on\it!c, elle ne devait pas quitter cette vallée.
t'armée russe était déjà dans un état de confusion extrême. Mais après le second échec qu'elle avait subi un peu plus tard devant l'extrême droite de la division Faucheux, sa désorganisationétaitdcvenuc bien plus complète encore. H semblait que sa situation fut vraiment dé~'spércc. En ce moment, la majeure partie des forces russes était entasséedans la plaine, à proximité de la route <!c Mackensie, et la distance qu'il y avait entre elles et les batteries de l'artillerie française n'était pas tellement grande que les boulets de ces batteries, ceux surtout de !a batterie de la division Faucheux, ne pussent continuer :t faire de nouveaux vides dans la masse de l'infanterie ennemie. Au contraire, les batteries de campagne que l'armée russe avait dans la plaine et celles de position <;ni étaient à la cime des hauteurs de Macke.'sic ne pouvaient faire que fort peu de mal aux Français. Dans cet état <ic choses, est-ce que, vraiment, le moment n'était pas venu, pour l'armée russe, d'exécuter sans plus tarder un mouvement de retraite pour se reporter sur le plateau '!e Mackensie ? Pour quels motifs le général en chef de cette armée n'a-t-il pas fait commencer ce mouvement de retraite dès 7 heures ou 7 heures et demie? Il est difficile de s'en rendre compte. Il était en effet d'autant plus urgent pour lui de n'y mettre aucun retard que, pour remonter de la [''aioe sur les hauteurs de Mackensie, les troupes russes n'avaient à leur disposition qu'une seule route, celle par laquelle elles étaient venues attaquer les Français, et cette route, tracée sur une pente des plus abruptes, était très difficile à gravir. A en juger, par le nombre des hommes et par celui des attelages d'artillerie qui devaient découler par cette voie unique, on pouvait estimer a 7 ou 8 heures le temps qu'il faudrait aux forces ennemies pour sortir toutes de la plaine. Ce fut sous l'impression de cette dernière considération, 7
et en entendant de tous cotes nos soldats faire appet a u notre cavalerie, s'écriant que c'était a elle qu'il appartenait à présent de compléteras succès qu'ils venaient d'j remporter, que, sur l'autorisation du général Faucheux. je me rendis auprès du général ~orris pour lui faite part des impressions que tous éprouvaient sur les m"nt' Je viens vou~ trouver de la part de mon Fédioukine générât, dis-je au général Morris, pour vous faire savoir que Farmée russe, battue et en pleine déroute, ne songe plus en ce moment qu'à regagner le plateau de Mackeusie. Cette :u'm' c ne forme qu'une affreuse co!tuc, au ccun\delà plaine de lalchcrnaïa. Le général Faucheux pense. et il considère comme un fait certain, que la cavalcrhque vous commandez peut trouver, dans cette situation de l'arm'-c russe, une occasion magnifique de compléter n'ttrcvict'ire. !1 est d'avis que, si vousjetiex vos régiments dans la plaine de la Tchcrnaïa, pour leur faire charger I'' flanc gauche des Russes, vous pourriex taire de H a 1~,000 prisonniers et vous emparer de toute l'artillerie ennemie, qui, elle surtout~ va éprouver les plus grandes difticultés pour sortir de la plaine. l'our exécuter le mouvement dont il s'agit, ajoutai-je, votre division n'a qu'à passer par le large c')I qui est devant elle, gagner par là le pont du canal de la TchernaTa, puis se porter sur le gu'' de la rivière où vochevaux vont chaque jour à l'abreuvoir. Quand elle aura traversé la Tchernala par ce guj, elle n'aura plus qu'à se rabattre à gauche, et longer le pied des hauteurs de Mackensie, pour tomber sur le flanc des Russes, pour sabrer et pour faire des prisonniers. s a Cumment donc, me répondit le général Morris, mes régiments pourraieot-ils s'engager dans le col dont vous parlez pour pénétrer, par là, dans la plaine de la Tchernala? revoyez-vous pas qu~ y seraient exposés aux boulets de la batterie russe, qui est à la crète des
hauteur:: de Mackcnsie et qui fait précis ment face a ce abouche? Ma division y serait infailliblem.-nt abtmée." Il est bien possible, repartis-je, que quelques boulets de cette batterie tombent dans les rangs de vos c.n'aliers, mais vo:ci plus de deux heures que la batterie 't.'nt il s'agit ne cesse tirer sur les trouves du général i'ucitcux, et je puis vous assurer qu'elle ne leur a pas t'.tit grand mal. Veuillez d'ailleurs remarquer, mon génér.tL que les boulets ne pourront menacer vos régiments 'jue pendant bien peu de temps; car aussitôt que ceux-ci aoront gagné le milieu de la plaine, ils seront dérobés à h vue des canonnière russes, par ce t'ait seul que la batterie a un commandement très élevé au-dessus de la t:iainc. Il y a un bon moment que, dans notre infanterie, il n'y a qu'un cri pour réclamer l'action de la cavaicrie. Le général Morris parut être quelque peu ébranlé: mais alors un de ses généraux de brigade, qui était à -es côtés, prit la parole pour donner son avis, et il s'exprima en ces termes Les objections du général terris :)C sont que trop fondées; la division aurait de trop grands dangers à courir, si on la jetait, comme on le demande et par les moyens qu'on indique, dans la plaine c'est ici, dans la plaine de Balakiava, '!e la Tchernala qu'elle doit attendre les Russes. » J'eus beau insister de nouveau ce fut inutilement. Les quelques paroles du général de brigade avaient eu raison 'te l'irrésolution momentanée du général de division et l'avaient décidé à ne rien faire. Voyant qu'il en étaitainsi, je ne dis plus que ceci au général Morris « Je vous en prie, mon général, veuillez donc venir avec moi sur les monts Fédioukine vous verrez dans quel état se trouve l'armée russe et vous pourrez juger parfaitement du cas que vous avez à faire de la. proposition que je suis venu général ne crut pas devoir me suivre. vous apporter.
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Dans le moment ou je rejoignais le général Faucheux où je nie disposais à lui expliquer l'insuccès de h démarche que je venais de faire en son n"m, le généra! Pélissier venait d'arriver près du général Faucheur et se faisait rendre compte des événements qui s'étaient passés depuis le commencement de la bataille. Il était 7 heures et demie, et, à ce moment, quelques troupes russes isolées paraissaient quitter la plaine pour remonter la route de ~ackensie. Le général Faucheux, montrant au général ea chef l'armée russe en désordre, lui parla des difficultés q~' cette armée allait rencontrer pour opérer sa retraite, et i! l'informa de ce que j'étais allé dire de sa part au générai Morris. Le général Pélissier étudia attentivement la situation des troupes russes, puis il envoya chercher le généra! Morris. Celui-ci, aussitôt qu'il fut arrivé près de lui, renouvela les objections qu'il m'avait faites un qua:i 1
d'heure auparavant. En ce moment, plusieurs des officiers qui étaient présents connurent, comme moi, l'espoir que le général Pélissier, ne s'arrêtant pas devant ces objections, allait sur-le-champ donner au général commandant de noti\cavalerie l'ordre impératif de mettre à exécution hmouvement d'offensive que tous attendaient impatiemment depuis une demi-heure- Mais le général en chef se contenta de prescrire au général Morris de porter en avant, dans le col de la TchernaTa, quelques escadronchargés de reconnaitre le terrain. « Après quoi l'on verrait, dit-il, quelle décision il y aurait a prendre. Quelques minutes plus tard, les escadrons se mirent en mouvement, mais ils n'allèrent pas bien loin. Ils s'an'étcrent avant d'être arrivés à la plaine de la Icuernaïa, et il ne fut plus autrement question de jeter la division dr cavalerie française dans cette plaine. Il était dit que
t'armée russe pourrait exécuter sa retraite sans être contrariée en rien par la cavalerie des armées alliées. Si je .i~ ici, cavalerie des armées alliées, et non pas seulement cavalerie française, e~est que, peu de jours après la habille, j'ai appris que dans la matinée du !C août, vers 7 heures et quelques minutes, le général de La Marmora avait envoyé un ofncierdc son état majorprcs du général terris, avec mission de lui faire savoir que, si la division <ic cavalerie française pénétrait, dans la plaine de la Tchernala, pour y charger rarm<e russe, il mettait à sa 'tisposition le régiment de cavalerie piémontais qui était j'r.'t a se joindre à ses régiments. Le général de Lamarmora avait, dans sa démarche, obéi aux mêmes impressions que celles qui avaient guidé le général Faucheux. On me raconta que le général Morris avait chargé l'officier d'état-major piémontais de remercier son général du concours empressé qu'il lui offrait; mais de lui faire connaitre aussi les raisons qui s'oppo-=ucnL a ce qu'il e ) profitât. Du reste, ce n'était pas seuk'mcnt le régiment de cavalerie piémontais qui, dans la circonstance, aurait pu appuyer la cavalerie française il y avait derrière elle la cavalerie anglaise du général Scarlett, et un mot du général Morris, adressé au général ~carIctL aurait suffi peur que cette cavalerie anglaise vint se joindre aux régiments français. V"ici que plus de trente années se sont écoulées depuis que les événements que je raconte se sont passés sur les ))"r'isdeIaTchcrnaTa, et, pendant ces trente années, je n'ai ['as cessé un seul jour, pour ainsi d!rc, de regretter Finacti"n dans laquelle la cavalerie française a été tenue à la fin de la bataille du 1G aoùt ISjj.Jc suis demeuré convaincu qu'elle a eu, à ce moment, une de ces occasions de s illustrer, qu'un corps de cavalerie rencontre bien rarement à la guerre, et que, par malheur, il ne lui a pas été ~k'cné de pouvoir la mettre à profit.
T"ut le mon<!c sait que. si le rôle de la cavalerie c-' difficile, cela tient à ce que, si l'nfficier qui la <-omman'i. ne saisit pas d'un c"npd'(cil, rapide comme l'éclair, l'instant précis où il peut avec succès lui faire cit~rgcr l'ennemi qu'il a devant lui, la situation respective des adversaires change subitement ses chances de réussite disparaissent, et parfois même alors son entreprise ne le conduit qu'à un échec. Cette grande difficulté n'a pas existé, pourlacavalcri: des armées aUiécs, après la défaite des Husses, dans h< plaine de la TchcrnaTa. L'armée russe. vaincue et jct<~ dans un affreuxdésordre, ne pouvait qu'après de longueheures sortir de la plaine et gravir la route escarpée df Mackensie. Jusqu'à~ heures, elle demeura en place sur le champ de bataille, toujours en état de désorganisation complète et incapable de résister à une masse de cavalerie qui se serait montrée entreprenante. Ce ne fut que. vers 2 heures seulement, que le général russe Gor!schakoB' dessina le mouvement de retraite de son armée, et jusqu'à 8 heures du soir, on vit des troupes et des attelages d'artillerie russes, qui éprouvaient les plus grandes difficultés pour prendre la route de Mackensic. Il :se pass~ donc de cinq à six heures durant lesquelles la majeure partie de l'infanterie et de l'artillerie ennemie, engagée dans la plaine de la TchernaTa, demeura exposée aux charges de la cavalerie des armées alliées. Âpre$ l'événement, on discuta beaucoup la question d~ savoir si la cavalerie française aurait du pénétrer, dans h plaine de la Tchernala, pour aller y charger l'armée russe mise en déroute, ou si r<'a avait eu raison (le tenir cette cavalerie dans une inaction complète à la fin de la bataille. Je reconnais volontiers pour mon compte que l'opération dont j'allai, par-ordre du général Faucheux, entretenir le général Morris, pouvait dans son exécution. rencontrer des difficultés et exposer la division de cava-
kric française a quelques dangers. En effet, p"ur se porter, ~'ahord, de la position qu'elle occupait jusqu'à cel!e où (.lIe aurait pu charger le flanc gauche des Husses, cette division avait deux dentés à franciur, d"nt l'un était In tmvcr-éedu petit canal de la Tchernaïa, etFautre, a 5 "u mctres plus loin, le passage de la rivière de laTchern~ïa elle-même. De ces deux dénier le premier présentait nu obstacle réel et pouvait iairc c"urir quelques 'hngcrs. Car Ja cavaieric travail, pour traverser Je cana).(rautrc m"yen que de passer sur un petit pontdont !a iarseur, étaut de 4 mètres, au plus, devait obH~er les ~vaUers a y passer par quatre de front seulement. La traversée de ce petit pont par la division entière du gênéral ~orris ne pouvait par conséquent être exécutée, a ~):pp'ser même qu'on y prit l'allure du trot. sans exiger un temps relativement considérable, une demi-heure p'-ut-ctre. D'antre part, il est incontestable que pendant tout ce temps les escadrons français, en devant les uns :)prrs les autres par ce pont, se seraient trouvés exposés aux boulets de la batterie russe qui était en position sur le mamelon des Xigxags. Mais quelles pertes cette batterie aurait-elle pu leur faire essuyer'? On ne saurait le dire. Seulement, si l'on en ju~e par le mal que la même batterie fit subir à la première brigade de la division Faucheux sur laquelle elle ne cessa de tirer depuis 5 heures jusqu'à <' heures et demie du matin, il est permis de penser que ces pertes eussent été peu nombreuses. Quant au second des deux déulé$, le passage de la rivière <!e la Tchernala, il ne pouvait présenter aucune difficulté s''rieuse.!l yavait,surle cours de la rivi~re.un peu en aval 'fu point où elle sort de la vallée de Baidar. un gué dont j'ai parlé et qui était bien connu de la divisi"n de cavalerie française, puisque les chevaux y étaient depuis longt'-mps conduits chaque jour à l'abreuvoir. Sur ce point, la cavalerie aurait traverséla rivière~ en colonne par peloton,
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n'ayant plus rien à redouter de la batterie russe des Xigsxags; car le commandement de cette batterie au-dessus de la plaine ne permettait pas aux canonniers russes <hdiriger leurs coups sur le gué. Aussitôt réunie de Fautr'côté de la rivicrc, la division de cavalerie n'aurait plus eu qu'à faire tète de colonne à gauche, à longer le pic'i des monts de Mackensie et à parcourir une distance <k' 7 à 800 mctres, avant ile se trouver en bonne situation, pour rejeter dans un mouvement de charge sur le
flanc des Russes. J'ai dit les difficultés et les dangers auxquels on se serait exposé en entreprenant l'opération dont il s'agit. Les unes et les autres existaient véritablement. Mais t~m réels qu'ils fussent, devaient-ils pour cela paralyser l'élan (le la cavalerie française, quand il s'agissait pour el! d'obtcnir un si grand succès et de compléter si admirablement notre victoire ? Les obstacles et les dangers ont-ils donc toujours suffi pour arrêter l'audace de la cavalerie française? Nos annales militaires ne nous racontent-elles pas quc sous la première République un chef d'escadron du nom de Labure. voyant une flotte hollandaise ennemie cmprisonnée dans les glaces du Helder, n'hésita pas aller l'ottaquer sur la glace, à la tête de ses liussards, et, par ce trait d'audace inouTe, obligea les équipages de cette flotte à capituler? Mentent-elles donc, ces annale-. quand elles nous parlent de Caulaincourtfaisant escalader les parapets de la grande redoute de la Moskowa pa; ses cuirassiers, pour enlever cette redoute aux Russes qui la défendaient. Et plus récemment, n'avons-nous pt)vu, en Algérie, le général Morrip lui-mômc, alors colonel du régiment de chasseurs d'Afrique, se précipiter en tête de ce régiment sur la Smala d'AbdeI-Kader, sans compter avec la nuée d'Arabes qu'il a~'ait devant lui, et décide:' ainsi de 1~ prise de cette Smala?
enfin, le chef d'escadron Abdclal fut-il arrêté ['arle danger qu'il allait courir, lorsqu'il se jeta avec deux t~'adrons scu)e!nent, dans la journée de Halakiava, sur !<'s bataillons épais des Russes, pour sauver la cavalerie anglaise qui était menacée d'être anéantie par ces batailbns? Combien d'artes pareils ne pourrai-je point citer, qui montreraient que si la prudence est nécessaire a la guerre, '')!c n'exclut pas l'audace, et que l'adage de nos anciens est bien réellement une vérité: Je n'ajouterai plus qu'un mot pour en finir avec ce -njct. C'est que jamais je n'aurais ose parler des regrets qu'avait suscités en moi l'inaction de notre cavalerie, dans h bataille du U' a"ut 1855, si ces regrets n'avaient été "r.rtagés, non pas seulement par un grand nombre d'of!iciers, mes camarades; mais par un homme de guerre dont on ne saurait, ce me semble, récuser la compétence. .le veux parler du général de Lamarmora. Je puis affirmer 'me ce général, en septembre t8j5, et pendant l'armistice qui existait alors entre les armées belligérantes, visitant un jour le champ de bataille de la Tchernala avec le général de Mac-Mabon, raconta à celui-ci les événements qui s~y étaient passés sous ses yeux, le IGaout précédent, et que, lui parlant de l'attitude passive qu'avait eue la .'avalerie des armées alliées, il ne le fit pas autrement que- je l'ai fait moi-même dans les pages que je viens d'écrire. Les considérations que j'ai cru devoir exposer ci-dessus m'ont obligé à suspendre, plus longtemps que je n'aurais voulu, le récit des incidents qui ont suivi la défaite des Husses sur les bords de la TchernaTa. J'en demande pardon au lecteur. Je reprends mon récit. Le !7 août, de grand matin, je fus chargé par le général Faucheux d'aller, avec quelques-uns des ofHciers de son état-major, faire, dans la plaine de la Tehernala, une reconnaissance des points du terrain ou la lutte avait 7. En Crimée
.~«~ce.br~c'~?
été des plus violentes entre les Russes et les régiments de la division. Ce tut, pour les officiers qui m'accompagnaient comme pour moi-même, une véritable stupéfaction lorsque nous constatâmes ie grand nombre des Russes, tués ou blessés, qui gisaient étendus sur tous les points. Parmi les tués, on remarqua le corps d'un officier qu'a ses insignes, on reconnut pour être celui d'un généra). C'était le corps du général Read. Dans les poches de ses vêtements, on découvrit des papiers qui établirent son identité, et qui tirent connaître, en même temps, que c'était à lui que le général en chef, prince CortschakolT. avait confié la mission d'attaquer, à la tète du corps d'armée qu'il commandait, la position occupée par le corps de réserve de l'armée francise sur les monts Fédioukine. Parmi ces papiers, on trouva un document, rédigé tout entier en français, qui n'était pas autre chose que le libellé détaillé des instructions données par le général en chef de l'armée russe au général Read, relativemetrt au dispositif que celui-ci devait faire prendre à ses troupes pour les porter à l'attaque des Francis. Ces instructions nous donnèrent FexpUcation de ce fait étrange qu'un corps français, qui ne comptait pas plus de 15,000 combattants, avait pu résister victorieusement, au commencement de la bataille, a un nombre peut-être double de Russes, qui assurément s'étaient montrés très braves, et qui avaient combattu appuyés, disait le document, par 90 canons. En effet, était-il écrit, dans les instructions du général russe, l'attaque de la position, occupée par les Français, devait être commencée, après que l'infanterie russ~, descendue dans la plaine de la Tcbernala, s'y ~ya~ déployée. Or, le général Read, ne s'était pas oun formé rigou-
reusement à cette prescription de son généra) en chef.
(n peu avant quatre heures du matin, il avait fait attaquer la lunette du pont de Traktir, tandis que son infanh'rie était encore formée en une colonne profonde, sur la partie (le la route de Mackensie qui rendait entre le j'icd des hauteurs par oit elle était descendue et cette lunette. I! n'avait, fait déployer que fort peu de bataillons ~ur la droite de la colonne. C'était pour cela évidemment que les batteries françaises, qui, à ce moment, étaient au nombre de trois seulement, et la balteriede la division faucheux particulit'-rement, avaient en beau jeu pour 'exercer de si grands ravages dans les bâtai Hons de la. (-"I"nnc d'attaque russe. Si, au lieu d'en a~ir ainsi, le général ï!ead, avant de commencer son attaque, avait déployé son infanterie par ''ataillons en masse, avec batteries d'artillerie dans les intervalles, en disposant une réserve plus ou moins forte, en arrière de la ligne de ses bataillons déployés, il se serait assurément donné de belles chances de succès. Avec des soldats dont la bravoure ne le cédait en rien à celle des nôtres, avec des forces bien supérieures à celles que le général Herbillon pouvait lut opposer, avec une nrtiilerie bien autrement considérable que celle du corps de réserve français, il eut réussi probablement a repousser ce corps des monts Fédioukine~etl'on ne saurait dire ce qui serait advenu ensuite. (Ju'est-ce qui a déterminé le général Head à ne pas se conformer absolument aux recommandations du prince '.ortscbakon'? On peut croire que le temps lui manqua i'our le faire, et qu'un peu avant quatre heures, voyant le j"urpres d'apparaitre. il aura voulu brusquer l'attaque, 'ians Fespoir de surprendre mieux les Français et de ne ['"int leur donner le temps (le prendre à leur aise leurs dispositions de défense. Le 18 août, au matin, il y eut armistice, sur la demande
du général en chef de l'armée russe, et après consentement des commandants en chef des armées alliées, afin de permettre aux Russes d'enlever, dans la plaine de la Tchernaîa, les officiers et soldats, tués ou blessés, qu'ils y avaient laissés, en opérant leur retraite sur le plateau df Macken~sie. Dans les conditions arrêtées au sujet de l'armistice, il avait été entendu que les troupes du gêner:)! Herbillon resteraient chargées du soin de donner la sépulture aux s"ldats russes, tues au pied des monts Fédionkine, dans la lunette de Traktir et sur les bords du canal de la Tchernaîa. Ces troupes reçurent Fordrc de transporter dans leurs ambulances les blessés russes qui se trouvaient sur ces parties du champ de bataitle. Le même jour, vers trois heures, je re';us la mission d' me rendre, sur-le-champ, dans la plaine de la Tchernaîa. pour y recevoir un colonel d'état-major russe qui devait venir s'entendre avec moi sur les dispositions a prendre. Le colonel arriva, au milieu de la plaine, accompagn'par de nombreux officiers supérieurs russes, parmi lesquels on remarquait plusieurs généraux. A~rès les salutations d'usage, il m'apprit que, derrière lui, arrivaient vingt voitures destinées à recevoir les corps des Russcrtués qui se trouvaient sur le terrain compris entre I' canal de la Tchernaîa et le pied des hauteurs de Mackensie. Comment, mon cher colonel, lui dis-je, vous n'amenc/ que vingt voitures! 1 Mais c'est 200 qu'il vous eu faut, et encore ne suis-je pas bien certain que ce nombre soit suffisant. Et comme le colonel me semblait être atterré par cette déclaration « Youlex-vous, ajoutai-je, que nous faisions tout de suite ensemble la reconnaissance du terrain que j'ai déjà faite une première fois ce matin? Vous jugerez vous-même de la vérité de ce que je viens de vo!
dire?
Xous parcourûmes aussitôt, le colonel et moi, une assez grande partie du champ de bataille; je lui fis voir plu~
particulièrement les abords de la lunette de Traktir et le terrain qui avoisinait le fond de la Tchcrnaïa. Le tahicau (;ui s'oiTrit aux regards attristés de rofficier était vraiment horrible a voir. Partout où je le conduisis. des tu(''s entasses les uns sur les autres, des Liesses gisant de tous r'tés et implorant des secours. A 190 ou 200 mètres en avant et tout autour de la lunette de Traktir, où les j'ertcs des dusses avaient été tn's considérables, on rcmar<)uait une xouc de terrain demi-circulaire de à R mètres '!c largeur, qui était complètement couverte de cadavres. Il semblait que les dusses fussent venus là, dans cette zone, se placer juste a la distance oit les balles des fantassins français, défenseurs de la lunette, devaient le plus sûrement les frapper. Le colonel russe, se montrant désireux de tout voir, je k conduisis sur les bords du canal, la of) une colonne russe avait voulu escalader les hauteurs des monts Fédioukine, sous les feux de la 1~ brigade du général faucheux et ceux (le la brigade Cler. De ce coté, le spectacle était plus hideux encore que devant la lunette de Tmktir. Sur une longueur de 150 à 200 mitres, le lit du ''anal était littéralement rempli de cadavres russes. La j'lupart, ayant encore les mains accrochées au bord de i'une ou l'autre rive, semblaient avoir fait/dans les convulsions de la mort, des efforts inouïs pour sortir du <inal. Leurs yeux démesurément ouverts et les traits de leurs visages contractes portaient l'empreinte de la plus terrible épouvante. Jamais, je crois, sur aucun champ de bataille, fin n'avait vu pareilles physionomies à des s"l')ats tués. Le colonel savait à présent tout ce qu'il avait voulu savoir; il s'était convaincu de r~K que les pertes de l'armée russe, dans la journée précédente, avaient été bien plus considérables qu'on ne le croyait dans cette armée. 11 me demanda si je voulais rejoindre avec lui le groupe
des officiers russes que nous avions laisses a quelqu'' distance de là. Dans le moment ou je reparus parmi ces officiers,1'un d'eux m'aborda et m'adressa cette question: des officiers anglais vont venir ici? « Non. « Est-ce que répondis-je, j'ai fait établir au pied des mont:: Fédioukine, à droite et à gauche du pont de Traktir, un cordot) de sentinelles qui ont reçu la consigne de ne laisser descendre dans cette plaine que les officiers français qui auOh, tant raient besoin de communiquer avec moi. mieux reprit Foncier russe, c'est que si nous avons Ie~ officiers français en grande estime, il n'en est pas de même pour ces officiers T~M'r~~y~ de l'armée anglaise. Nous nous verrions forcés de nous éloigner a Fin-tant même, si un seul de ces officiers venait a se présente!' ici. x Un autre officier me donna son nom en me tendant la main. Celui-ci éLait le colonel prince t~ryatinsky, aide de camp de S. M. Fcmpereur de Unssie. et l'un des frcres du général qui a commandé avec distinction l'armée russe du Caucase. 11 me demanda avec empressement des nouvelles de plusieurs nfticiers franrais auxquels il portait grand intérêt, me dit-il, ayant ft"ué d'excellentes relations avec eux, pendant les séjours qu'il avaitt faits à Paris, avant la guerre. Il se passa ensuite, au milieu des officiers russes qui m'entouraient, un incident que je prends plaisir à raconter ici, parce qu'il témoignera des sentintents de sympathie réciproques qui animaient les officiers russes et Ic~officiers fran~is pendant la guerre qu'ils se nrent en Crimée. Les voitures nécessaires pour l'enlèvement des morts et blessés russes n'arrivaient pas, et, en les attendant, il fallait bien passer le temps en causeries. Ne tn.'uvex-vous pas, dis-je al~rs aux ofliciers russes, que la différence est grande entre cette guerre que nuus n'~us summcs
faites hier et celle qui se fait là-bas devant Séitastnpol? Ici, du moins, nous avons combattu à visage découvert; la bataille a duré quelques heures seulement, et comme si elle n'avait fait ni vainqueurs ni vaincus, nous sommes venus nous réunir, vous et moi. surle champ de bataille, sans y apporter l'ombre de rancune, comme des gens de cwur à qui la confraternité des armes suffit seule pour qu'ils se rapprochent naturellement et se donnent des
tém"ignages réciproques de leur estime. Dans les tranchées, uu derrière les retranchements de Sébastopol, c'est t'.ot autre chose, sauf toutefois ce qui s'y passe, les jours 'i'~rtnistïcc, où. en s'occupant des morts et des bicssps, dusses et Français se plaisent à fraterniser ensemble. Mais !a guerre (le sirge. outre qu'elle est interminable, n'est qu'une guerre de taupe, dans laquelle on s'entretue sans se voir. Quel bonheur si nous n'avions jamais que des batailles en rase campagne comme celle que n"us avons eue hier' < Et, comme mes auditeurs applaudissaientà ces paroles, j'ajoutai en terme de péroraison Je suis tellement convaincu, Messieurs, que vous partagez les sentiments que je vnus exprime, que je viens de faire apporter ici quelques bouteilles de Champagne~ espérant bien que vous me ferez l'honneur de me permettre, le verre en main, de porter un toast à la valeur des armées russe et française. Ma motion ayant reçu un accueil empressé, les verres s'entrechoquèrent, et les trente bouteilles de dtsnopa~ne que j'avais fait apporter y passèrent toutes en moins de cinq minutes. II y a plus de trente années qu'a eu lieu, sur les bords 'le la Tcherna7a, l'incident que je viens de rappeler. Le temps n'a altéré en rien les sentiments de sympathie cordiale que j'ai manifestés pour les ofnciers et les soldats 'te l'armée russe. Toutes les fois que le souvenir m'en estt revenu à la mémoire, je me suis plu à répéter que si, pour des motifs d'ordre politique, des gouvernements obligent
trop souvent leurs armées à se combattre, on ne saurait avoir trop d'admiration pour ces armées lorsque, aprcla bataille, vainqueurs et vaincus prennent à honneur de ne plus montrer aucune haine les uns envers
autres. Après mon toast en l'honneur des Uusses et des Français, les nusses commencèrent à procéder à l'enlèvement de leurs morts et de -leurs blesses. Les officiers russeprirent contre de moi, et, de mon côté, je rem"ntai sur les monts Fé'tioukine, afin d'y aller présider a la sépn!ture des soldats russes ou français tués la veille, an pied de ces monts, devant le front delà division Faucheux. Le nombre des premiers était énorme, celui des sccon'frelativement peu considérable. Pourdonner une idée de la quantité de morts russes qu'il fallut inhumer, il me suffira de dire que, dans une seu~' fosse creusée très profondément, 400 cadavres russes furent déposés. Ce chiffre de 400 est celui que me donn:) l'officier commandant la corvée de travailleurs qui avait été chargée de procéder à l'enterrement des tués russes. Dans l'après-midi du 17 août, j'allai visiter l'ambulance <!< la division Faucheux. J'y trouvai un chef de batailL'n du génie russe et m'entretins avec lui pendant un instant. Qu.'aviez-v«us donc en fait de troupes, sur les montFédioukine, me demanda-t-il, lorsque nous vuus y avonattaqués hier? -Trois très petites divisions d'infanterie et trois batteries, répondis-je, en tout de 15 à 16,500 hommes. Comment, reprit l'officier russe, c'était donc un simple rideau de troupes que nous avions devant nous? chose, car derrière ce rideau, il n'y « Oui, pas autre avait point de réserves. » Mon interlocuteur n'ajouta pluque ces paroles: Et dire que nous avons été repoussés1 II était absolument atterré. L'armistice, qui avait duré 24 heures, fut prolongé et porté à 48~ afin de donner aux dusses le temps qui leur
ctait nécessaire pour enlever du champ de bataille leurs ;n"rtsctleurs blesses. On aurait pu donner, a la bataille du lu août 1855, le ;)"m de bataille de la TchcrnaTa, parce que c'est dans la )~:uuc qu'arrose cette rivière qu'elle fut livrée. On lui 't)na celui de bataille de Traktir, sans doute ['arce que ne fut devant et autour du pont de Traktir, qui est jeté sur le petit canal de la Tchertia7i;i, que l'armée russe avait 'iirigc ses plus grands en'orts et essuyé les pertes les plus <"nsidcrahlcs, dans son attaque contre le corps français ')i défendait les monts Fédioukine. C'est ce nom de ba':u!lc de Traktir qui restera dans l'histoire. Pour terminer m<'n récit de cette bataille, je donne cintres dans des tableaux distincts La composition et l'importance des forces que les armées altices curent le 15 août, au matin, avant le '"mmenccment de la bataille, sur les bords de la Tcbcr!)a7a. (Monts Fédioukine, mont Harsfort, vallée de Gaïdar et plaine de Calakiava.) La composition et l'importance de l'armée russe de
~ickensic. 3" Les pertes éprouvées pendant la bataille par les Français, les Piémontais, les Turcs et les Kusscs. On a vu précédemment quelle était la composition du '-orps de réserve de l'armée française occupant les monts Fcdr'ukine, à la date du l~ao:!t. De cette date à celle 'tu 16, elle avait subi quelques modifications, et avait la composition que présente le tableau suivant:
t" FnMEs nfs AMKESAt.uHEs. Corp.! /7'<ïKfCM '~encrai Herbillon, snr les monts Fédioukine). Division Ça"'eu 12 bataillons et t Laiterie
d'artiHerie. li <)'arUHcric. d'artit)cric. habitions et
Division IterttiUon
terie
Division Fauc!<cux
1
6.!SO hommes.
bat-
~.T!l
9 bataiUoas et 1 baUeric
~.S~
deBa!ak)nva).
Division de cav-'dcric Morris (dans la p!aine
For::eot).
Artillerie de rcscrv''
5 batteries (co!onc)
4Scan"n~
Tcbmx
:!S
~.433
9:7
bataiHons; 16 escadrons;
l'7.<K)hon!mcs(l.
Cc~p.! ~«'M/M (génëral de La Mar'uora. sor le mont Harsf.'rL).
place. Ircgimcntdecavateric.
5 brigades d'intantcric ('M 1 J)ataiHon d'artiHcrie de
canons). ~t hataHIons; 4 escadroos
Totaux
36
bataiUons). 1'7.2SO hommes. 600
~')
(avec
18.00 hommes.
TroMp~ //fr~/<M (dans la vallée de Baldat". 11 bataiMons, 1 escadron (avec 36 canons)
nons). 3';canons). nons).
9.0~0 hommes
HHCAPTTUt.ATIOX DES TI<Ot;PES ALUKES-.
(y compris 1.~43 hommes d'artilkrie). XS bataittous, 16 escadrons (avec ~S ca-
F~Hfa~
Pf~noHfo~. TMr<x.
!7.S58hommes-
24 bataillons, 4 escadrons (avec
11 b-itai))"ns,
1
escadron (avec ~ca-
Encctiftotaldcs troupes
alliées.
19.200
:\('50 ~I.OOS hommes.
hataiiïons de la division C~mon et un bâtai! de la division Herbi!ton étaient détaches d:Lns la Yancc de Païdar, près de la division de cavatene d'A)!pnnt!e, ce qui- réduisait !c chiffre de r7,41.~ hommes a. t~OO hommes. (1) Deux de~
:Fut:<:ES!tE L'ARMÉE RCSSE réunies sur le ptateau de Mackensic. 1'~ Cf'rp.< <r<<rrw~.
~divisions
d'infanterie.j de tinnttcnr~ (
1
balaillon
1
régiment de tanciers et
cosaques.)
h..
62 cau~n-?.
1~.1~0 !).,
canon:
13.9~0
J
2" C~'p.<: d'<7nM~
~'infanterie. tira:itcur$. JL l(icmi-bat~')!"n s~p.'nr~ divts!ou5 batniXutt de
t
de
Cot'p.< <<]T7'M~
< r~'rt~.
d'Infanterie.). ~drons cavalerie.
:<!<Tisions
canon:
de
cnvatcrip. Artillerie. RHCAPtTKt.T!"X.
~T.lOOhonnnc*
lofanterie et
7r~Mjo<<:
~</<T.!
~~Mf/</Mt
la ~e~ct~ </M
±!6can"ns. ~/</
1C
1~
Tr~~pcs anicc= crtviron 26.000 Jtommcs, avec 12 ca.n<tn<. Tronpcs de t'armée russe 3!)~00 hommes, av'c l~H canins.
Pertes <~MMP~&-{ par
arwA'.<
<fW<~
et par
f~rw~ r~«~.
Dan<esann';csanicc:
f/v~faM.
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y//rM.
iS!t)!e~,dont9oft!c!cr<. i.5!3 btessé- dont 6! officiers et para?.
~C
soldats dis-
±m tues ou blesses, parmi !<que!s le gettJrat de muntcvecchio tue. 7 blessés.
JL/v~ee rK~<?. Les renseignements recueillis sur Ie$ pertes 'Je cette armée ne permettent pas de les indiquer
par des chinres précis. Tnutef"is, il est passible (l'en faire connaitre assez exactement l'importance.
Après la bataille, les Fran<:ais enterrèrent 2,~9 soldats russes. On peut évaluer à 1~00 le nombre de ceux furent enlevés dans les chariots de l'année russe. Les t'iémontais, de leur côté, en enterrèrent un certain nombre. Quant à ce qui concerne les Messes, il est résulté, des informations qu'on a recueillies à cet égard, et de la relation d'un médecin russe qui a assisté à la bataille, que ic nombrc en a été considérable. Si on estime, d'ailleurs. que, dans une bataille, le chiure qui représente le nombndes b!essés est quadruple de celui des tués, il y aurait eu dans l'armée russe de 7 à 8,000 blessés. Parmi les oniciers de cette armée, trois généraux et deux colonels tués, huit généraux et dix colonels ou lieutenants-colonels blessés. On fit aux dusses 2,250 prisonniers, don' !,750 blessés recueillis dans les ambulances françaises ou piémon taises. Toutes les indications données ci-dessus, restées inconnues longtemps après la bataille de Traktir, Ot!t été relevées sur les documents officiels du dépôt de la guerre. Elles ont été empruntées à l'Atlas historique que ce dcpôt a rédigé âpres la guerre d'Orient.
q'
X!
LE GÉNÉRAL DE MAC-MAHOX. ASSAUT DE MAL.KOFF. PRISE DE SÉBASTOPOL.
LE GÉNÉRAL ESPINASSE.
aout, le général Faucheux, dont la santé était altérée, demanda à être relevé du commandement de la division d'infanterie de l'armée d'Orient. H obtint {'autorisation de rentrer en France, et l'emploi qu'il laissait vacant fut confié par le général relissier, c'mman.iant en chef, au général Espinasse, récemment promu :)u grade de général de division. J'allais donc, p"ur la troisième fois, changer de chef, dans mes tbncti"ns spéciales de chef d'état major, depuis mon arrivée en Crimée. Mais cette fois, ce n'était plus sous les ordres d'un inonnu que j'étais appelé à servir. Je connaissais en effet le général Espinasse de longue date. J'avais eu d'excellentes relations avec lui pendant le siège de Rome, en 18-!9. Xous nous étions fréquemment vus à cette époque, lui et moi, par la raison qu'il était alors le lieutenant-colonel d'un régiment faisant partie de la division commandée par le général de Rostoian. près de qui j'exerçais les fonctions de chef d'état-major. Dans les "pérations du siège, j'avais pu, à maintes reprises, reconMttre que le lieutenant-colonel Espinasse, doué d'un caractère plein d'entrain, très brave, très !\s<lu, très Le 17
entreprenant, réunirait en lui les pius brillantes qualités militaires. Mais, d'autre part, j'avais pu constater aussi que s~'n esprit était très autoritaire et fort entier. et cela m'inquiétait un peu. J'espérais t<'utef"is qn'i) allait être pour m'i bienveillant et sympathique, tel qu'it s'était montre autrefois sous les murs de Hume. M ne jnc fut pas donne d'en faire l'expérience. Le gméra) opinasse entra en tbnctions le tsaoùt~'t. dès le lendem:un, comme cela se voit trop souvent citez les hommes qui arrivent au pouvoir, il s'imagina tout d'abord qu'il devait apporter des changements dans ce q'K' sespr~déccsscursavaicnt faitjusque-In dans la division. H :se proposa de modiner principalement les campementoccupes par' ses troupes et d'arrêter de nouvelles dispositions défensives pour celles-ci, en prévision d'une seconde attaque de l'armée russe. Cependant, quand je lui eus représenta, en m'appuyant sur des misons plausibles, que les mesures qui avaient etc arrêtées par le général Faucheux paraissaient ètre sagement appropriée: a la circonstance et à la con!igurati<'n du terrain, il se ravisa, et bt\'f, il ne changea rien. Dans cette circonstance, un, puur la première fois, il avait été question d'intcre:? de service entre mon nouveau chef et moi, le gênerai Espinasse ne s'était pas refuse à m'entendre. Je m'en rejouissais Ibrt. voyante dans cet acte de condcscendencc de sa part, un heureux augure des relations que j'aurais avec lui dans l'avenir. Mais le :M août, dans la matinée, je reçus, du G'an'l Quartier général de l'armée, une dépêche, sign- e du gênerai de Nac-Mahon, dans laquelle celui-ci m'apprenait qu'il venait de débarquer en Crimée, pour venir y prendre le commandement d'une division d'infanterie, et m'invitait à lui faire savoir sur-le-champ si je consentais à redevenir son chef (Tetat-major. Ce mot redevenir employé par le général s'explique naturellement. On peut
-c t'appeler que, dès la première page de ces ~Mre~/rs, j'.u dit qu'avant d'aller en Crimée, j'avais été, en Atgcrie, )(.'chef d'état-major du général de Mac-Mahon, qui y com[mndait la province de Gonstantine. Pendant, les onze derni<-rs mois de l'année 18~, je m'hais trouva pré:: de lui en cette quaHté, et pendant tout ce temps, le gênera! ne s'était pas seulement borne a me rendre le service très facile mais il n'avait pas
nu seul instant de me prodiguer des témoignages 't'~time et desympatbicaH'ectueuse. AcettCt''poquc déjà, ):i ré;'ut:tti"u du gênera! de Mac-Mahon était ))icn établie .I.utS l'armée. Formé à l'école du maréchal Clauxct, sous tes ordres duquel il avait servi dans la province d'Oran, 0:) savait qu'a la !)ravoure~qui ctait sa qualité maîtresse )c puerai j'i~nait un talent tout particulier pour bien 'Hriirer les op ration de petite guerre, pour bien con'inire les troupes qu'il commandait et p"urYoir sagement, à t"!)s leurs besoins, sans jamais les excéder de fatigue. T'jus ceux qui l'avaient vu réussir sans cesse dans toutes ~'a entreprises disaient volontiers de lui qu'il était né :-ous une bonne ~t-'ile, et qu'heureux jusque-la à la guerre, i) le serait toujours. Dans le cours du printemps de is~, j'avais pris part, j'rcs du général de Mac-Mahon, à la première expédition 'ie la grande Kabylie, qui eut lieu cette anmc-1. et, dans 'es opérations où les troupes de la division de Constantine avaient été e.tgag.'es, les qualités militaires du général, :.a vaillance inco'ttparable et son boniteur constant ~étaient counrniés de la t'atjon la plus brillante. Tout cela était bien plus qu'il ne me fallait pour que je u'hésitassc pas à devenir le chef d'état-major du général 'ic Mac-Mahon en Crimée. A la dépêche qu'il m'avait en\uyéc~ je m'empressai de répondre que j'étais heureux '!c me mt'ttre entièrement à sa disposition, et, le jour même, le général en chef Pélissier me désigna pour cL'ssé
prendre les fonctions de chef d'état-major de la 1~ 'tivision d'infanterie du 2" corps d'armer commandé le général Bosquet. Cette division était celle dont le général Canrobert avait demandé à prendre le commandement, âpres avoir résilié ses fonctions de général en clic)' de l'armée. Or. avant le 20 août, le généralCanrobert avait été rappelé en France par une décision du ministre de !;< guerre, et c'était, pour occuper l'emploi laissé par hii vacant à l'urmce d'Orient, que le génér.dde Mac-Mal)" venait d'être envoyé en Crimée. Il résulta des mutations que je viens d'indiquer que. comme la division dont il s'agit "coupait présenteme!)). aux attaques de droite du siège. l'ancien emplacemcm' qui avait été celui de la division Mayran, je m'en fns. Je 2! août, après avoir quitté la divisi"n Espinasse, fai' redresser ma tente, près de la tète du ravin de Karabbinala, et sur le point même oit je l'avais eue, depuis mon arrivée en Crimée jusqu'après l'assaut malheureux '!)) 18 juin. 11 semblait que je ne m'étais éloigné, pendant six semaines, des attaques du siège que pour aller prendre part avec la division Faucheux à la bataille de Traktir. On n'a pas souvent pareille chance à la guerre. A cette date du 21 août, tout le monde, dans l'armée. pressentait que le général Pélissier ferait prochainement donner l'assaut, et tout le monde disait en outre que la division du général de Mac Mahon serait celle qui serait chargéed'exécuter l'opération. A ce moment du siège, nos travaux, comme ceux d<défenseurs de la place, présentaient un tableau véritablement saisissant. Pendant que nos sapeurs du génie c) nos travailleurs de l'infanterie redoublaient d'efforts pour rapprocher de plus en plus nos tètes de sape du saillant de Malakoff, notre artillerie ne cessait pas un seul instant de battre de ses plus gros projectiles l'épaisseur considérable des hauts parapets de ce saillant, afin d'y produire
j'
éboulements qui combleraient de terre les fossés qui l'cnceignaient. A la fin de chaque journée, il semblait que l'artillerie eût atteint son but, tant les parapets parai~aientétre endommages. Mais a l'aube du jour suivant, quand on examinait les parapets, on reconnaissait que. pendant la nuit, les Russes les avaient reconstruits dans leur état primitif. Bien mieux, quand la nuit ne leur avait pas suffi pour remettre leurs parapets en état, on les voyait continuer leur travail après le leverdu jour. ("était alors un spectacle vraiment admirable que celui auquel nous faisaient assister ces intrépides soldats qui, le corps tout à fait à découvert, et, au mépris des balles qui pleuvaient sur eux, entassaient terres sur terres pour achever l'oeuvre de réfection de leurs parapets. Ils se dévouaient pour le service de leur empereur, celui qu'ils appelaient leur père, et cela suffisait pour que leur courage fut tout simplement héroïque. Ah l'on peut dire, à l'honneur du général de T'~tleben, qu'il avait habilement dressé les hommes vaillants dont les bras élevèrent, sous sa direction, les défenses de Séi'astopol et surent si longtemps les conserver intactes Quoi qu'il en soit, le jour arriva pourtant où le général PcHssier décida que l'heure de donner tassant était venue. Les officiers du génie lui avaient donné l'assurance que les places d'armes vis-à-vis de Malakoff n'étaient p!us qu'à une petite distance du fossé qui entourait le retranchement russe. Après s'ètre entendu avec les géraux en chef des armées alliées, le général Pélissier arrêta que, pendant qu'une attaque générale serait dirigée :-ur tous les points saillants de l'enceinte deSébastopol, 'ians la journée du 8 septembre, l'assaut serait donné d'après les dispositions suivantes La division de Mac-Hahon monterait à l'assaut de la t'ur Malakoff, ayant derrière elle, pour la soutenir, «ne réserve, composée de la brigade de WimpfTen <tcs
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empruntée à l'une des divisions campées sur les n)'tit< Fédioukine et le régiment des zouaves de la garde impériale, commande par le colonel Janin. La longue courtine qui reliait l'ouvrage de Malakoff.m petit redan serait attaquée en même temps par la division de La M"tterouge du corps d'armée du général qnet, appuyée par les deux brigades des grenadiers et des voltigeurs de la garde impériale, commandées par kgcnéral Hegnault de Saint-Jean d'Angely. Deux batteries de campagne, sous les ordres du lieut' nant colonel Huguenot, disposées derrière la division de La Mottcroug'e et les grenadiers et les voltigeurs de la gar'kimpériale. concourraient à l'attaque de la grande courtine. Apres l'enlèvement de celle-ci, ces batteries se p"r feraient en avant, avec les troupes d'infanterie, pour )cs soutenir, quand, ayant franchi la courtine, elles marcheraient a l'attaque des retranchements russes qu\i savait exister plus loin. Le petit redan, formant le point extrême de renccintc de la place au-dessus du fond de la rade de S''bast<u). serait attaqué par la division Dulac, ayant pour appui, c:) deuxième ligne, la division Hisson. L'arm e anglaise aurait pour tache de s'emparer du grand redan, qui se reliai a rouvrage de Malakoff, par t:t petite courtine sur laquelle était établie la batterie russe de Saint-Gervais. Cette armée serait appuyée par rinfaf)lerie du corps piémontais. Aux attaques de gauche, le corps du g.'néral de Salles attaquerait toute la partie de l'enceinte de la place, comprise entre le grand red~n et la mer. Le bastion du mât devait être le point sur lequel elle aurait principalement à porter ses efforts. Les troupes d'in~nteric ottomane, placées derrière les forces anglaises et françaises, concou.rraieot~au besoin. à l'attaque générale dans la limite d$ leurs~ moyens. Entin, toutes les troupes des armées alliées, non em-
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[th.yécs dans l'opération qu~on projetait, seraient tenues t't) ol'servation, !a cavalerie prête à monter à cheval, .tisposécs de manière à pouvoir se mettre en mouvement, au premier ordre qui leur serait donné de marcher. L'infanterie et la division de cavalerie du généra! )!lonville, qui se trouvaient dans la vallée de BaTdar,
descendraient cette vallée pour venir prendre position j)n's du col de !!alaklava. Comme "n le voit, les dispositions, arrêtées par le ancrai PéHssier, avaient pour objet une attaque général dirigée contre toute l'enceinte de Séhastopol mai:: "hjcctif capita) de cette attaque, ce devait être l'assaut qui serait donne au retranchemeut de l'ouvrage russe de Mahkon'. Aussi le généra! Pélissier avait-il dc<-iJé que l'attaque générale serait commencée contre toutes les autres parties de l'enceinte, seulement au moment ou le général de ~ae-Mahon, ayant fait monter les tr"npes de sa division à Fassaut du saillant de la t"ur Malakon', aurait réussi à se rendre ma!trc de ce saiiiant. et y aurait fait arborer un grand pavillon tricoI"re. A la vue de ce signal, le général Pélissier. qui serait ')<' sa personne à la redoute de Brancion, y ferait élever les drapeaux français et anglais, ce qui indiquerait, aux troupes françaises du général de Salles et aux troupes anglaises d'avoir à se mettre en mouvement pour se ['ort.er à l'attaque des retranchements russes qu'elles avaient à escalader. Il avait encore été entendu, entre les généraux en cher des armées française et anglaise, que. c"mme prélude à l'attaque générale, toutes les batteries de sicge de ces armées couvriraient de feux aussi violents que possible et sans aucune interruption les ouvrages russes situés ça face d'elles, qu'à midi précis, elles cesseraient tout a c'~up de tirer, et que ce serait à cet instant que les tr"upes du général de Mac-Mahon se précipiteraient hors
des tranchées, pour aUer franchir le fosse de Malakcft et monter à Passant du saillant de cet ouvrage. Le plan d'ensemble que je viens d'indiquer ci-dessus dan:: ses grandes lignes ayant été notifié parlegénéral Péli~icr aux généraux de Salles et Bosquet, ce dernier réunit m conférence a son quartier général, le 4 septembre a mi<!i, les généraux des divisions du deuxième corps d'arm'c qui deva'<t, le lendemain, prendre part aux opérationdirigées c"ntrc la partie de l'enceinte de la forteresse russe qui s'étendait depuis le grand redan jusques et compris le petit redan des Russes. A cette conférence assistèrent, outre les généraux de division deMac-Maho:). de La M<'tterouge, Dulac et Hegnault de Saint-Jean-d'Angely, les chefs d'état-major de ces généraux, les géncraux qui commandaient les brigades de ces divisions, !c général de Cissey, chef d'état-major du deuxième corpd'armée: le général Beurct, commandant l'artillerie: !c général Frossard, commandant le génie du même corps. Le généra!: Rosquet, aprc~ avoir fait connaître le plan. arrêté paric~énéral Pélissie'r, pour l'opération qu"on aurait à exécuter le lendemain, indiqua à chaque officier gén' rai la tàcne qu'il aurait à accomplir, entrant pour ce);! dans les plus petits détails. Jamais jusque-là, je puis dire, je n'avais entendu un général donner des instrm tions à ses subordonnés dans un langage aussi Iuc:dc. aussi net et aussi précis. Quand il eut terminé ses dernières recommandations Est-il quelqu'un parmi mes auditeurs, dit-il, qui sire m'adresser des observations ou qui réclame de mci de plus amples explications? Je suis prêt à le satisfaire. Le géoprai avait si admirablement parlé, discutant c'L prévoyant tout. ne laissant place à aucune indécision. qu'il semblait impossible qu'on pùt lui demander plus qu'il n'avait dit. Au grand étonnement de leurs collègues. deux généraux prirent cependant la parole. L'un d'eux.
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i~'neral de La. Mottcrouge, pria simplement le général );.)squct de vouloir !)icu répéter ses instructions, en ce qxi concernait la division qu'il commandait, 11 lui fut donne satisfacMon. L'autre, le général Uisson. déclara qtte, de tout ce qu'il venait: d'entendre, ce qu'il devait c"nclure, c'était que son ruic. à lui, serait absolument mu, que la division qui était sous ses ordres n'aurait ri'n à f~irc.– Uhl pour cela, lui répondit le ancrai !:c'squet, je ne crains qu'une chose, c'est que demain vous n'ayez beaucoup tro~ja. faire. « Le gcncral Disson ne ;'cpliqua point. L'événement devait lui démontrer hienf't que, dans son appréhension, son général en chef s'était montre plus clairvoyant que lui-même. Ce que le général Bosquet avait fait, en réunissant ses ~'neraTix autour de lui pour leur donner ses instructions, le général de Salles, commandant le 1~ corps d'armcc français, les généraux en chef des armées alliées )'jvaient fair également; ils avaient, dans la journée du 7 septembre, indique a chacun de leurs généraux les dispositions qu'il aurait à prendre pour l'exécution de Fopération qu'on devait entreprendre le lendemain. Le 7 septembre, a certains préparatifs qui se faisaient [~rmi les troupes françaises, en vue du grand évenetncnt qui était a la veille de s'accomplir, on comprit parfaitement que l'assaut dont on parlait depuis longtemps allait enfin être donné à l'enceinte de SebastopoL Ce tut alors, dans tous les camps français, un cri dejoie universel et d'indicible soulagement. « On avait donc résolu d'en unir. s'écriaient. les soldats, on ne nous a que trop tait attendre 1 Le même jour, dans l'après-midi, le général de Macdation re~ut la visite d'un de ses anciens camarades '['école et son ami, le colonel d'état-major de La Tour!)upin. Cet officier supérieur~ très instruit, très intelligent parfaitement doué au point de vue des qualités )c
'ja
s.
militaires, n'avait qu'une seule passion, c'était celle <)'' laguerre. Mais, depuis bien des années, deux intirmités sérieuses s'étaient opposées à ce qu'il put être employc activement dans J'armée. Il avait le maHtcur d'être afHnn' d'une myopie telle qu'il ne distinguait pas les objet:: :'i vingt pas de lui, et, de plus, sa surdité était si grande qu'il n'entendait ceux qui lui parlaient qu'à la condition d'avoir un cornet acoustique appliqué contre l'oreille. Désole d'être, pour ce double motif, éloigne de l'armée. le brave colonel s'en était allé, pendant ses années d'indisponibihté forcée, chercher, partout en Europe, des occasions d'assister à des actions de guerre. On racontait de lui qu'on l'avait vu n'importe où, des qu'un coup canon avait pu être tiré. A la déclaration de la guerre d'Orient, le colonel <tc La Tour-Dupin n'avait pas manqué d'iusister vivement. près du ministre de la guerre, pour obtenir d'ètre employé dans l'un des états-majors de l'armée française. L'ministre, ne pouvant accueillir favorablement sa demande, l'avait autorisé, par faveur spéciale, à se rendre à l'armée a titre de volontaire. En Crimée, le colond s'était fait octroyer par le général en chef la permissif) d'établir sa tente près de son Grand Quartier générai. Dans sa visite du 7 septembre au général de Mac-Mahon. le colonel de La Tour-Dupin n'avait pas voulu uniquement venir prendre.des nouvelles du général il s'était proposé, en outre, un autre but qui l'intéressait an dernier point. Comme il avait appris, au Grand Ouartic:' général, que la division de Mac-Mahon devait prochainement, le lendemain peut-être, donner l'assaut à l'enceinte de la place, il s'était empressé d'accourir près d): général de Mac-Mahon pour le prier de vouloir bien lui dire qu'il le préviendrait, à l'avance du jour et de l'heure, où ses troupes auraient à se mettre en mouvement pour se rendre dans les tranchées, et lui pro-
mettre, en même temps, qu'il lui permettrait de prendre place parmi les ofliciers de son état-major pendant l'opération <te l'assaut. Le général de Mac-Mahon assura le colonel de La TourDupin qu'il ferait tout ce qu'il desirait de lui. Seulement, quand le c"!onel le quitta pour regagner le (.rand Quartier Je me garderai bien de le prévenir, général, il me dit je craindrais trop que sa myopie et sa surdité ne lui portassent. malheur. n Le 8 septembre, après la soupe du matin, toutes les troupes de la division de Mac-~lahon prirent les armes et s ébranlèrent pour s'acheminer vers les tranchées de Ka-
rabeinala. Au moment même où le général de Mac-Mah"n mettait le pied à rétrier pour se mettre à la tète de sa division, il vit le culonel de La Tour-Dupin apparaître tout à coup. Celui-ci avait appris, je ne sais comment, ce que le générât fêtait si bien abstenu de lui dire la veille; il fallut bien alors qu'il lui permit de s'adjoindre aux ol'ticiers de son état-major. Ici, il faut que je place une petite anecdote qu'il me parait intéressant, de raconter, parce qu'elle mettra en évidence, dans le caractère du général de ~ac-Mahon, un de ces traits particuliers qui a toujours fait mon étonnement et mon admiration, pendant les années où j'ai eu l'honneur de servir auprès de lui, en A'gérie, en Crimée et en Italie. Je veux parler de l'extrême confiance qu'il apportait dans toutes les opérations de guerre qu'il entreprenait. Pour se rendre de leurs campements dans les tranchées, les troupes de la division de Mae-Mahon avaient à descendre le long ravin de Karaheinala, et c'était aussi par ce ravin que les troupes anglaises devaient aller gagner, avant l'assaut. leur position en lace du grand rcdan des )!usses. Ur, il arriva qu'entre 9 heures et heures 1/2 du
matin, les deux colonnes anglaise et francise cheminèrent. dans Ic.fond du ravin, l'une à côte de l'autre, les tètes <!c colonne étant toutes les deux à la même hauteur. Alor: le généra] qui commandait les Anglais aborda le générât deMac-Mahon, et. âpres avoir écltangé avec lui un sain' C'est bien vous, gênera!, lui et une poignée de main dit-i', qui êtes chargé de donner l'assaut a MalakoH'~ Oui, répondit le général de Mac-Mahon, oui, à midi, je ferai monter à l'assaut, et, bientôt, je serai sur t.sommet de la tour Malakon*. Vous y verrez flotter mo:t fanion tricolore. Ce sera le signal pour que vous jctic/ vos troupe- en avant et leur fassiez escalader le parapd du grand redan. Mais, fit le général anglais, vous êtes donc bien sur que vous aurez triomphé des Russes à MaIakon' aussi vite que vous le dites?" Oui, oui, repri! le généra! de Mac-Mahon, à midi, je serai maître de Malakou', c'est certain. 0!)I alor-, répliqua le général anglais, je suis bien heureux que vous m'en donniez l'assurance. Et cela dit, il salua et s'en alla reprendre sa place à la t~'te de ses troupes. En-s'éloignantde son interII n'y locuteur, n'a-t-il pas du se dire a part lui vraiment que ces Français pour ne jamais mettre en doutc qu'ils réussiront toujours Quelques minutes plus tard, les corps de la division de. Mac-Mahon prenaient dans les tranchées les emplacemen)qui leur avaient été assignés, en face du retranchement 1
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de MalakotT. La i~ division d'infanterie de l'armée française, commandée par Je général de Mac-Manon, était, à la date du 8 septembte 18~, composée ainsi qu'il suit ETAT-MAJOR.
Le gênera! de division de MAC-M.\ttOX, comman'~nt. Aide de camp, Borel, chef d'escadron d'et~t-MMJor.
Officier d'ordonnance, d'Harcourt, sout-Iieutenartt de chasseurs .'tpied. Chef d'etaL-majur de la division, Lcbrnn, co'oncl d'état-major. Ufticier atUtchcs a Uroyc, capitaine d'utat-major.
retat-m:tjor. (' Baux, Commandant, de l'artincric, Jo!y Frégola, chef d'escadron d'ar)ineric. Commandant I'? ~me, Ra~on, chef de bataiDoQ du ~nie. Sous-intendant,
K.
TROUPES
Le c'~onel Dccaen, faisant fonctions de gênera! r* /Ïr/yw/< f. brigade. l'emploi étant vacant.
régiment de zouaves (~ bataillons), colonel CoHineau. T-' régiment de ti~oc (3 bataiHon~.), cotonel Decaen. jR/w/< Gênera! Yinoy~ commandant. 7<= bataHton de chasseurs a pied, commanda'. L Gambicr. ~0' régiment de ti:r[tc(3 bat;uHon'<), coionct Adam. régiment de li~nc (3 batai)tun$), colonet Oria.nne. S*
général de Mac-Mahon avait arrêté que ce serait l:t 1~ brigade, renforcée du 7e bakuHon de chasseurs à pied, détache de la brigade pour la circonstance, qui 'bnnerait. l'assaut, et que la 2~ brigade servirait, d'appui à la première. En conséquence, les deux brigades furent disposées dansiez tranchées, aussitôt qu'elles y arrivèrent: !a 1~, dans la tranchée et la place d'armes qui étaient le brigade, en ['!us rapprochées d! saillant de Malakon'; la seconde ligne, dans les tranchées situées en arrière. Le 2" bataillon du régiment de zouaves, commandé, a 'iéfaut de chef de bataillon titulaire, par le capitaine Sée, ['t massé sur le point de la tranchée qui était le plus près <!u ibssé du saillant. Le 1~ bataillon du même régiment, avec le colonel Collineau, fut établi sur la droite du 2e bataillon. Le 7" bataillon de chasseurs à pied et les trois bataillonss '!u 7" de ligne~ sous la direction du colonel Decaen, se Le
formèrent dans la tranchée, sur la gauche du 2~ bataille!) de zouaves. Le général de Mac-Mahon avait fait connaître à tous !ccommandantsdcstroupcsdelaprcmièrebrigade que,dan< l'opération qu'on allait entreprendre, il marcherait, de personne, avec le bataillon de zouaves, et que ce seran a son commandement qu'on se porterait a l'assaut, en s'conformant rigoureusement aux dispositions suivantes Asa voix, le2c bataillon du. zouaves franchirait le parapet de la tranchée et se jetterait en avant, au course, pour aller traverser le fossé du saillant de Ma!akoff, et escaladerait ensuite le haut talus extérieur de ce saillant. Dans le même moment, le colonel Co)lincau,avc<son t~ bataillon, opérerait de même contre le Hanc cauchc du saillant, et le colonel Dccaen, avec ses quatre bataillons, en attaquerait le Hanc droit. Pendant le mouvement exécuté ainsi par ]a l~ brigade. la 2~ demeurerait en position dans les tranchées, prc~' à marcher au premier ordre, s'il advenait qu'il fut nécessaire de lui faire appuyer les premières troupes ec~a~ces. Quant à la brigade du général de WimpH'en et au régiment des zouaves de la garde impénale, destinés à servir de réserve à la division du général de Mac-Mahon, ce général leur avait fait prendre position dans les tranchées. de manière que leurs bataillons fussent aussi rapprochés que possible de ceux du général Yinoy. Il avait été prescrit au généra! de WimpSen et au colonel Janin de tenir leurs troupes prêtes à marcher pour soutenir, le cas échéant, la brigade Vinoy. Dans le dispositif du plan arrêté pour l'assaut que ses troupes devaient exécuter-,le général de ~lac-Mahon~ heureusement inspiré par son esprit de prévoyance, n'avait rien négligé pour rendre plus facile à ses soldats l'opération capitale qu'ils allaient entreprendre. Je signaleraii
pas'
ici
les mesures importantes qu'il avait cru devoir pren-
dreacetcfïet.
générai. l~squet, en donnant, le 7 septembre, ses instructions au général de .Mac-Maiion, avait cru pouvoir informercclui-cique.lorsqncses troupes se présenteraient, lendemain, an bord du fossé du. retranchementde Mahkoff, elles trouveraient ce fossé, sinon entièrement, du moins à peu près comble de terre, d'ou il résulterait que te passade du fossé ne leur serait point un obstacle difn<-i!e a franchir. En parlant ainsi, le général bosquet s'était appuyé sur k-s rap~rts qui lui avaient été adressés par les officiers <)u génie, citargés de reconna!trc la largeur et la profondeur du fossé. Mais le général de Mac-Mahon, se prêtant i~cu à ac<rder une confiance abs"Iue à ces rapports, :ait prié le général D'squet de vouloir bien, à tout hasard, faire c"nlcctionner par les sapeurs du génie ~!e longues et solides échelles, en prévision du cas ou le i"ssé serait trup profnnd. Un jetterait ces échelles pardessus le f'ssé: on les couvrirait de planches, etf'n aurait ninsi un ou deux ponts, par ou les troupes pourraient )'.isser et atteindre t<'ut de suite le pied du parapet. Le général Hosquct avait promis défaire établir, le jour même, les échcties, pour être remises au général de Mac-~lahon, ajoutant que le lendemain elles lui seraient portées, bien avant l'heure de midi, sur le point des tranrhécsoù il était convenuqu"il se trouveraitde sa personne. D'autre part, le général de Mae-Mahon, après avoir constaté, de ses propres yeux, que le parapet de MalakoCT avait une hauteur de sept a huit mètres au-dessus du fossé, et que de plus son talus extérieur présentait une pente n'es abrupte, s'était rendu compte des grandes difficultés que les soldats rencontreraient pour en faire l'escalade. Il s'était imaginé alors que ces difficultés seraient bien moindres s'il faisait donner aux zouaves de la compagnie Le
qui (levait être en tète de la colonne d'assaut un certain nombre de petits pies à roc, cet outil dont se servent 1' soldats du génie, quand ils exécutent des travaux < sape. « Chaque zouave qui sera porteur de l'engin, avai! pensé le général, enfoncera son pic dans le talus <Jn parapet pour s'y faire un appui, et il s'élèvera au plus vitr jusqu'au faîte. En conséquence, et sur la deman~' du général de Mac-Mahon, 75 zouaves de la compagm' désignée pour monter la première a l'assaut avaient été munis d'un pic à roc. En se rendant a la tranchée, 8 septembre au matin., chacun de ces zouaves portait l'outii fixé à son ceinturon porte-baïonnette. On verra tout a l'heure comment les zouaves ~utilisèrent pendant Passant. Le général de Mac-~lahon avait disposé encore qu'une section de sapeurs du gécie et un petit détachement d'artilleurs marcheraient, pendant l'assaut, immédiatement derrière le bataillon de zouaves, commandé parle capitaine Sée. La section de sapeurs du génie devait être employée. sous la direction du chef de bataillon Hagon, à jeter surile fossé les ponts qu'on se proposait de cons~uire avec les échelles et les planches dont il a été question cidessus, si cela devenait nécessaire. Au capitaine qui commandait le détachement d~artilleurs, le général de MacMahon avait donné la mission de faire enclouer par sc:soldats les canons des batteries russes de Malakoff, ao fur et à mesure que les colonnes d'assaut en auraient chassé les défenseurs. Enfin, le général de Mac-Mahon, en se rendant dans letranchées, s'était fait suivre par un caporal de zouaves porteur du grand fanion tricolorequ'il avait à faire arborer sur le sommet du saillant de Malakoff.à l'instant où il s'en serait rendu majtre. Ce caporal, du nom de G~A~, avait brigué l'honneur d'être le porte-fanion du général. Le général de Mac-Manon ne connaissait qu'imparfaitement en quoi consistaient les défenses russes qui exis-
taient derrière le point culminant de Malakoff. Il n'était pas non plus bien fixé sur la question de savoir si le retranchement de Matakoff ne faisait pas partie d'un grand ouvrage fermé. )lais, dans le doute on il se trouvait à cet <-gard, il avait décidé qu'aussitôt que le saillant de MaIakoff aurait été enlevé aux Uusscs par le bataillon de zouaves du capitaine Sec, et que les bataillons des colonels Collineau et Dccaen seraient parvenus à en escalader les deux flancs, ces deux colonels pousseraient leurs troupes en avant, de manière à leur faire déborder et tourner les défenseurs du saillant, ce qui aurait vraisemblablement pour effet, d'obliger ceux-ci à la retraite. Ainsi que je l'ai dit plus haut, c'était a midi précis que l'assaut devait être donné. Comme la question d'heure avait son importance dans la circonstance, le général de Mac-Mahon m'avait, dans la journée du 7, envoyé au (.rand Quartier général, avec mission d'y régler ma montre sur celle du général Pélissier, et celui-ci, dans la soirée du même jour, avait pris les mesures nécessaires pour que les montres des généraux, appartenant, soit au corps d'armée du général de Salles, soit à celui du général Uosquet, marquassent exactement la même heure. Le 8, dès onze heures du matin, toutes les troupes, commandées par le général de Mac-Mahon, étaient réunies dans les tranchées et disposées, comme il a été indiqué cidessus. On n'avait plusqu'àattendre lemoment de l'assaut. A onze heures vingt minutes, le général de Mac-Mahon et les officiers de son état-major formaient, dans la petite place d'armes avancée qui faisait face'au saillant de Malakoff, un petit groupe autour duquel étaient entassés, les uns sur les autres, les zouaves de la compagnie désignée pour marcher, sous le commandement du capitaine Sée~ en tète de la colonne d'assaut. Mais, à cette heure-là~ les échelles que les officiers du génie avaient dù faire construire n'étaient pas encore arrivées, et le général de Mac9
Mahon s'en montrait quelque peu impatienté. Je cour~
au-devant d'elles dans la tranchée du coté par lequel ut) devait les apporter. Je trouvai bientôt le chef de bataiU'jf) du génie de .Ma/'c<([), qui avait été chargé d'assur'-tleur transport. II m'exposa qu'à son grand désespoir, il était en retard, ce qui tenait a ce que. les tranchées encombrées de troupes, il éprouvait les plus gran'h". difficultés pour y faire avancer ses soldats porteurs d'éche'ies et de planches, principalement sur les po!it[s où des traverses obligeaient ceux-ci à passer par dc.~ couloirs étroits. Je lis sortir les échelles de la tranchée. j'ordonnai au commandant de Marcilly de les faire transporter, ses hommes marchant sur le revers de la trancha. dussent-ils pour cela, en se mettant a découvert, s'cxpo~r quelque peu aux balles des Husscs. Puis, jetant un c"U[' d'œil sur ma montre et voyant que dix minutes plus tan!. elle marquerait l'heure de midi <:Jc vousiaissc, dis-je a't commandant, il faut que j'aille rejoindre le général <i~ Mac-Mahon: mais pour Dieu arrivez au plus vite1 Revenu près du général, je lui appris qu'il ne fal!;ti' plus compter sur les échelles qu'il attendait, parce qu'eH'" étaient encore trop loin pour qu'elles pussent arri\r avant midi. C'était là un contretemps des plus fâcheux car à lui seul il pouvait compromettre le succès de l'assaut. Le général de Mac-Mahon, tout en le déplorant, ju~e~. cependant qu'il lui était impossible de retarder l'heure'!tl'opération, et il décida qu'il la ferait exécuter à la minute indiquée, quoi qu'il pût en advenir. Un moment plus tard, tous ceux qui se trouvaient dans la tranchée autour du général de Mac-Mahon fureurr frappés du tableau admirable qui s'offrait à leurs regard:
ét:
Je crois que ma mémoire ne me trompe pas ~ur le nom rbf6c!er doat il s'agir (1)
d~
tableau, que j'appellerais volontiers ici l'aiteikie de l'assaut, disait, d'une façon saisissante, le grand drame qui allait s'accomplir. L'instant était solennel. J'étais près (lu général de Mac)Iahon, tenant ma montre sous mes yeux et y suivant attentivement la marche de la grande aiguille, attendant qu'elle marquât midi. Les zouaves du capitaine Sée, ayant pour la plupart une main accrochée aux gabions qui couronnaient la crête du parapet de la tranchée pour :cn faire un appui et pouvoir plus vite élancer par 'cssus cette crête, avaient tous Fœil eniïammé et fixe sur ma montre, impatients de voir arriver la dernière seconde. Dans le même instant, toutes les batteries franr.uses et ang!aiscs,qui,durant toute la matinée, n'avaient pas cesse, un sculinstant, decouvrirdcleurs projectilesles "nvrages défensifsde la place, redoutdaient l'intensité de leurs feux, et l'artillerie russe leur répondait avec une intensité pareille. C'était le grondement, retentissant et ininterrompu, d'environ t.~U'J bouches à feu de gros calibre qnt se faisait entendre, de la droite a la gauche des travaux d'attaque et de déi'ense, sur tout le pourtour de l'enceinte de la place de Sébastopol (1). Du saillant deMalakoff.les canonniers russes projetaient incessamment, sur le point de la tranchée où se tenait le général de Mac-Mahon, de petites bombes qui éclataient ~'ut autour du général. Ce
(!) Après la ~acrrc de Crimée, un arttste de talent du nom de tai'leau représentât~ la Aittaud cxpo~ au S:t!ou de peinture
uu
-ccne que j'a.i e'–n.yé de décrire <!ana ces H~nes.
H
y ~va.it montre
k génend de )!.)c-)t;tt~n et les ofticier-. de s"n état-major, entourés de z"uave: à t'in~mt qui préce<ta l'assaut de 31alak-off. Ce tabl~ao p&rt:tit pour titre La m~/f~ ~CCK< f~.MM~. Au lieu d'aller (igurer dans !e<: gâteriez histurique~ de Vcrsaine~ ou sa place était toute marquée, il est demeure en la p'es~iojt t!e la veuve de l'artiste, décédé peade temps après l'achèvement de
~ra~
son «;UTrc.
Personnencdisaitmot.maischacunse répétait /)<?~'<: Qu'arriverait-il si, par malheur, un éclat de ccsbom)~ venait à frapper le général ? L'impatience et l'anxiété était écrites surtousiesvisa~. Personne ne disait mot, ai-je dit; je fais erreur, le cototx't de La Tonr-Dupin, m'adressa alors, à voix basse, cette Comment. question: Il Est-ce qu'"n entend le canon ? lui répondis-je sur le même ton, c'est un vacarme ~j'ouvantable, plus de !~00 canons tirent à la fois chex no)~ et chez les Russes I" –< C'est extraordinaire, rit Icc'j! nel, jen"cntcnds ai)solument rien. » Enfin, la seconde, fiévreusement attcnduc,arriva..rab: et le ~encsai le bras en prononçant à haute voix rai de ~fac-Mahon s'écria En T/re r7~M/)p~ 11 voulut franchir ic parapet pour se mettre en tête de: zouaves, mais son aide de camp le commandant Bore! <-) moi nous rarretàtnes, en le retenant par le pan de sa tuCe sera bien assez temps pour vous, lui dis-je, nique quand nous verrons quelques zouaves de Fautre côte du
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fossé.
de toutes les batteries françaises avait cc–c tout à coup. Les zouaves, bondissant comme des lions pardessus la crête du parapet, se sont précipites au pas de course vers le fossé de Malakoff. C'est à qui y arrivera le premier. Xos ofnciers dn ~énic avaient estime qu'ils n'auraient iruerc qu'une distance de ~5 à ~0 mètres pour y atteindre. Mais au lieu de cela, c'est plus de 75 mètres qu~il y a entre le parapet et le fossé, et il faut qu'ils les parcourent sous la très vive fusillade des Russe-. Ce n'est pas tout, la zone de terrain qu'ils ont à franchir a été profondément remuée pendant la dernière période des attaques; les bombes y ont creusé partout de profondes excavations, ce qui fait que nos intrépides soldai y culbutent à chaque pas qu'ils font et que leur course en est fort ralentie, ~importel Voici qu'après une minute an Le feu
d'entre
plus, ils arrivent tout essoufflés au bord du fossé. ~lais quel
n'est pas alors leur désappointement, quand ils reconjtaisscnt que, loin d'être comble de terre, comme on leur a l'ait espérer qu'ils le trouveraient, le fossé a une profondeur de a 7 mètres et que ses talus d'escarpe et de contrescarpe sont taillés à pic dans le roc. Le capitaine Sée, qui les commande, est, a cet instant, comme saisi d'épouvanté. Mais ses soldats, eux, n'en sont {x'int effrayés, et sans hésiter, au risque de se tuer ou de se briser bras et jambes-, ils se jettent au fond du précipice qu'ils ont devant eux. La plupart d'entre eux y resteront, ds le savent bien, mais les camarades qui pourront se remettre sur pied n'en poursuivront pas moins leur entreprise héroïque. Un instant se passe, instant d'angoisse qui parait bien long, et pendant lequel l'anxiété du général de MacMahon est indicible. Il a vu disparaître les zouaves ils sont dans le fossé, mais il ne les voit pas reparaître sur la bcrme du parapet de Malakoff. ne mord pas, Mais attendez donc un peu, lui dis-je a me dit-il alors. mon tour, attendez qu'ils aient eu le temps de gravir l'escarpe du fossé. Et, à peine avais-je prononcé ces paroles, que les quelques zouaves qui, les premiers, étaient parvenus à sortir du fossé, commençaient à monter à l'escalade du talus extérieur du saillant de Malakoff. Comment ces vaillants soldats s'y étaient-ils pris pour faire l'ascension de l'escarpe, de cette muraille gui était taillée à pic dans le roc ? Je pense que le lecteur prendra quelque intérêt à ce que je le lui apprenne. De tous les zouaves qui s'étaient jetés dans le fossé, quelques-uns avaient été blessés mortellement, beaucoup assez grièvement pour ne plus être en état de combattre. Mais parmi ceux qui étaient demeurés valides, les hommes que Fon avait prudemment munis du petit pic à roc
s'étaient habilement servis de cet outil. A l'aide du pic enfoncé de proche en proche dans la muraille de l'escarpe, ils avaient pu s'élever jusqu'au-dessus du f"sse. Les autres zouaves, ceux qui n'avaient point de pics à roc. s'étaient servi d'un autre moyen pour arriver au même but. Us avaient mis a profit les levons de gymnastique qu'on leur avait enseignées au régiment pour se faire les uns aux autres ce qu'on appelle, en terme technique la coKr~e ëe/W~. Tous ceux qui ont assisté à des exercices gymastiques savent en quoi consiste cette sorte d'échelle. Une fois arrivés au sommet del'escarpe, les zouaves, porteurs de pics aussi bien que ceux qui étaient montée sans cet outil, avaient repris en main leur fusil porte jusque-là en bandoulière. A leur apparition de l'autre côté du fossé, le général de Mac-Mahon s'élança pour aller les rejoindre. En ce moment même arrivait le chef de bataillon de Marcilly, apportant les échelles et les planches, et ce fut un grand bonheur en vérité car, sans cela, le général de Mac-Manon, lui aussi, se serait sans nul doute jeté dans le fossé, comme avaient fait les zouaves, sans calculer s'il pourrait comme eux en gravir l'escarpe. Le chef de bataillon Ragon fit aussitôt jeter une première échelle par dessus le fossé, et alors le général, sans donner au commandant le le temps d'en jeter plusieurs et de les couvrir de planches, passa sur cette échelle, au risque d'y trébucher et d'être précipité au fond du fossé. Les officiers de son état-major suivirent son exemple. Alors se passa, su r le parapet de Malakof, une de ces scènes émouvantes que la plume est impuissante à décrire. j~os zouaves, au nombre d'une vingtaine tout au plus, abordent le faite du parapet mais là se dressent tout à coup devant eux une quantité de 'fantassins et de canonniers russes, les uns sortis dé leurs abris, les autres de leurs batteries, et qui les reçoivent à coups
fusil ou d'écouvillon. Les bâties russes jettent à terre quelques-uns des nôtres, les coups d'écouvilton en renversent d'autres, et parmi ceux-ci il en est plusieurs qui -.xt précipites jusque dans le fossé du retranchement. ~.us bientôt, heureusement, les zouaves, qui combattent il la baïonnette sur le haut du parapet, sont appuyés par <!e
camarades qui les ont suivis, et après une minute d'une lutte acharnée, les Russes sont repousses du saillant de Malakoff, et courent se réfugier derrière une traverse qui fait face au talus intérieur du retranchement dont nos soldats viennent de s'emparer. Le général de Mac-Mahon arrive à cet instant sur le point culminant de Malakoff, et il fait planter le grand l'mion que le caporal Gihaut lui apporte. Au signal donné par ce fanion, Faction offensive va s'engager du côté des Anglais, et aussi du côté des troupes du 1~ corps d'armée français. Pendant que l'on combattait, comme je viens de le raconter, sur le sommet deMalakoff,le chef de bataillon du ~nie Hagon s'était Ii:Ué de faire construire un pont solide sur le point où le général de Mac-Mahon avait traversé le fossé. Par ce pont, établi en deux ou trois minutes au plus, les dernières compagnies du bataillon de x'.uaves du capitaine Sée purent rapidement aller se joindre à la première qui était montée à l'assaut. Qu'on ne s'étonne donc pas si j'ose avancer ici que les échelles qui servirent à la construction de ce pont jouèrent un rôle considérable dans le succès de l'assaut. En effet, à l'instant ou le général de Mac-Mahon arriva de sa personne sur l'éminence de Malakoff, le point capital pour lui, c'était d'avoir, tout de suite sous la main, assez de monde pour se trouver en état de s'y maintenir solidement. Or, s~il en put être ainsi, ce ne fut que grâce au pont d'échelles jeté sur le fossé par le commandant Hagon. Je ne veux pas dire pour cela que, sans ce pont, les
nos soldats n'auraient point triomphe de la résistance des Russes. Je pense au contraire qu'à force d'intrépidité, ils seraient parvenus à rester maires du saillant de Malakoft, mais après combien d'efforts répétés et an prix de quels sacrifices (ï). Ce n'était pas assez pour les troupes de la division du général de Mac-Mahon qu'elles eussent à leur disposition un pont pour franchir le fossé de jMalakofT; ce pont achevé, le commandant Ragon en Ht sur-le-champ jeter un second puis, si j'ai bonne mémoire, un troisième, ces deux derniers construits par les mêmes moyens que le premier. Les troupes qui étaient dans les tranchées et celles qui se trouvaient sur MalakofT avaient ainsi le moyen de communiquer aisément entre elles. II était midi un quart environ, et le général de Maclecteur se demandera, peut-être comment deux ou trois minutes seulement avaient suffi au chef de bataillon Hagon pour qu'il construisît le pont d'cchcHcs dont il est question dans !<-s lignes précédentes. Cela tint a l'esprit de prévoyanre de l'oflicier qui avait été chargé de faire confectionner les echet!es au parc du génie du corps d'armée; je regrette de ne pouvoir donner ici son nom qui m'est demeure inconnu. Cet ofticier, en se rendant compte de la difficulté qu'il y aurait de manœuvrer des echcHes dont la longueur devait être de '7 :t 8 mètres et le poids très considérabtc, s'était mis a ta. recherche d'un moyeu qui permettrait de les jeter tacitement en travers du f'~sc, et ce moyen~ il l'avait trouve dans un appareil dont je vai~ essayer de donner la description. Cet appareil, construit en bois, consistait en. un socle solide surmon'c de deux petits madriers verticaux de 1 mètre de hauteur, reliés entre eux, à leur partie supérieure, par une ti~e de fer servant d'axe à un rouleau mobile en bois ayant vmgt centimètres de diamètre. Aussitôt que cet engin était disposé le tong du bord du fossé, il n'y avait qu'à placer l'extrémité d'une échoue sur le miticn du rouleau et à lancer celle-ci avec force d'arrière en avant, par l'extrémité opposée, pour que la. première aïïàt tomber sur le haut de l'escarpe du fossé. La. manoeuvre devait être facile et rapide, et c'est ce qui arriva, en effet, quand on la mit en application. (1) Le
\hh"n venait de remporter un brillant succès, succès acheté c!)eremcnt, il est vrai, car il avait coûté la perte d'un certain nombre d'officiers et de soldats mis hors de combat pendant l'assaut, et, sous les yeux mêmes du ircnéi-al, le colonel de La Tour-Dupin, en mettant le pied sur le haut de la tour de MalakofT, était tumbé très grièvement blesse, frappé à la tète par une balle russe. Mais ce succès ne devait pas mettre fin à la lutte, sur le ;)uint de l'enceinte où elle avait été entamée. Le général ()c Mac-Mahon le reconnut bien vite, aussitôt qu'il eut jeté un c"up d'œil sur l'ensemble des défenses que les "aciers du génie russes avaient accumulées derrière le retranchement dont il s'était rendu maitre. En cnct, il ccnstata alors que ce retranchement, le saillant de la tonr de ~alakofT, que ses soldats occupaient en ce moment, n'était autre chose qu'un bastion faisant partie d'un grand ouvrage, un véritable f<'rt dont l'enceinte fermée était protégée, sur tout son développement, par des retranchements en terre très solides. Il se rendit rumptc, alors aussi, de l'habileté merveilleuse avec laquelle le général cummandant le génie, dans la garnison de Sjbastopol, avait su utiliser, pour la défense de la forteresse, le terrain qui se trouvait en arrière de la t"ur de )!a!akoS'. Avant de poursuivre le récit des événements que j'ai à raconter, il est indispensable que je fasse connaître ce qu'était rouvrage de Malakoff, quand il fut attaqué yar le 8 septembre 185o. Ce grand ouvrage consistait, dans sou ensemble, en un vaste quadrilatère de forme allongée, dont les côtés étaient des retranchements en terre d'une hauteur et d'une épaisseur considérables, retranchements protégés a l'extérieur par des fusses larges et protunds. L'ouvrage présentait par conséquent quatre faces bien distinctes. L'une de ces faces avait devant elle les tranchées fran9.
çaises, et elle faisait partie intégrante de l'enceinte continue de la place de Sébastopol. Son développement, pri~ en ligne droite, était d'environ 100 métrés, et c'était n son centre, faisant une saillie prononcée vers l'extérieur de l'enceinte, que se trouvait le bastion très élevé que le:: officiers du génie russes avaient édifié par dessus la vieille tour de Malakcû*. Les côtés latéraux de la saillie représentaient les deux flancs du bastion. L'enceinte de la place, en se rattachant à l'extrémité intérieure de l'un et de l'autre flanc, formait deux courtines, dont l'une, celle qui partait du flanc gauche, s'étendait sur une longueur d'environ 600 mètres jusqu'au petit redan des Russes: dont l'autre partant du Hanc droit allait se relier au flanc gauche du grand redau qui avait devant lui les tranchées anglaises. Sur cette dernière courtine et dans la partie qui attenait au bastion, se trouvait la batterie russe que l'on appelait la batterie de Saint-Gervais et qui flanquait parfaitement le flanc droit du bastion. Des deux points extrêmes de la face dont il s'agit, partaient les deux faces latérales de l'ouvrage; elles étaientt à peu près perpendiculaires a la première. Elles se développaient, sur le terrain qui s'étendait entre Fenceinte de la place et l'arsenal maritime de Sébastopol, sur une longueur de 180 mètres. se rapprochant un peu l'une de l'autre, de telle sorte que, du côté de l'arsenal, l'intervalle qui séparait leurs deux extrémités n'était guère que de 50 mètres. Le retranchement que les Russes avaient construit sur cet intervalle constituait la quatrième face de l'ouvrage. Une ouverture de 2 mètres, laissée libre vers le milieu du retranchement, formait la gorge dudit ouvrage. Pour mieux défendre les approches et les fossés des deux longues faces latérales, les officiers russes n'en avaient pas construit les retranchements absolument en ligne droite, mais bien en ligne brisée, en ligne à cré-
manière. Ils s'étaient donné ainsi le moyen de protéger ces retranchements, ainsi que leurs fossés, par des feux (ienancetd'entilade. Tout Fintér~cur de Fourrage était hérissé de traverses. L'une, peu longue et comme isolée, se trouvait placée immédiatement en arrière du bastion de ~lalakoff. Derrière celle-ci trois autres, sensiblement parallèles entre elles, liaient ensemble les retranchements des deux longues faces de l'ouvrage auxquelles elles étaient perpendiculaires. Ces différentes traverses présentaient des massifs <!e terre tellement considérables qu'elles ressemblaient de très hauts cacaliers. De l'une à l'autre des trois principales qui occupaient la partie centrale de Fouvrage, on ne pouvait communiquer que par d'étroits passages solidement blindés, pratiqués dans l'épaisseur des traverses au niveau du terre-plein environnant. Les retranchements des trois premières faces étaient couverts de nombreuses batteries, armées de canons de gros calibre, empruntés à l'arsenal maritime de Sébastopol, qui en contenait un approvisionnement énorme. Avec les gros cordages de marine que renfermaient les immenses magasins de cet arsenal, le commandant 'le l'artillerie russe avait eu l'ingénieuse idée de faire construire de grands et épais volets, au moyen desquels les canonniers russes pouvaient à volonté fermer hermétiquement les embrasures de leurs batteries, ne laissant, dans chaque volet, que l'ouverture qui était nécessaire pour livrer passage à la bouche du canon, quand ils avaient à faire feu. Ces volets protégeaient admirablement les canonniers contre les balles de l'infanterie assiégeante. Ce n'est pas tout encore, avec les bois de construction de la marine qui abondaient dans les établissements de Sébastopol, les Russes avaient établi dans F<'paisseur des retranchements et des traverses de MalakoiT de nom-
breux abris voûtés, à l'épreuve de la bombe. Ils s'y réfugiaient quand le feu des assiégeants était trop 'violent. ou bien quand le service ne les obligeait pas a se tenir dans les batteries ou sur les banquettes des retranchements. Cn de. ces abris, plus spacieux que les autres, existait dans la tour de MalakofT, disparue sous un amas de terre considérable, et il était solidement blinde. Eutin, (les magasins, construits, comme les abris, dans le massif des retranchements, étaient littéralement bondes de munitions pour l'artillerie et pour rinfanicric de la garnison de ~lalakoff. Par la description que je viens d'essayer d'en faire, on peut juger que l'ouvrage des Russes, eu égard aux moyens de défense qu'il renfermait, était loin d'être conquis par le général de Mac-~lahon, quand le bataillon de x'uaves du capitaine Sec eut réussi a s'emparer de son saillant. Il fallait, après ce succès, déloger les Russes des traverses qui étaient derrière ce saillant et des retranchements qu'ils occupaient sur les trois faces principales de l'ouvrage. L'œuvre à achever était pleine de difficultés et de périls. Ce ne fut qu'à force d'intrépidité, et grâce aussi à la bonne direction des ofnciers qui les commandaient, que les troupes de la brigade du général de Mac-Mahon réussirent à la mener a bonne lin. Pendant que le capitaine Sec, avec ses zouaves, avait enlevé aux Russes le sommet de la tour MalakoS, le colonel Collincau, avec le bataillon de zouaves à la tête duquel il marchait, et le colonel Decaen, avec son régiment et le bataillon de chasseurs du commandant Cambier, avaient pu faire escalader le parapet du retranchement russe, le premier a droite, le second à gauche du saillant de Malakofî. Le commandant Gambier s'était rendu maître de la batterie russe de Saint-Gervais. Aussitôt après, les colonels Collineau et Decaen, se conformant aux instructions que le général de Mac-Mahon
leur avait données avant l'assaut, avaient jeté leurs s"Idats CM avant, en leur faisant occuper, de proche en proche, la crête des deux longues faces de Fourrage. Comme je l'ai dit précédemment, les Russes, repousses du saillant de Malakon', étaient allés se réfugier derrière le haut de la traverse qui se trouvait en arrière du basti'n. Ceux qui avaient été chassés des retranchements formant les deux lianes du bastion avaient suivi leur exemple. Les uns et les autres, réunis ensemble et composant alors une masse imposante, essayèrent de riposter par une vive fusillade à celle que le bataillon du capitaine See dirigeait sur eux. Mais, après un moment de résistance, s'apercevant que les soldats des colonels CoUineau et Decaen, en s'avançant de plus en plus sur la crête des retranchements qui étaient à leur gauche et a tour droite, commençaient à les tourner et allaient incessamment les fusiller de flanc et de revers, ils abandonnèrent leur traverse pour aller prendre position sur celle qui était plus en arrière, Ils tentèrent encore de défendre celle-ci mais forcés de nouveau de se replier, parce que les bataillons des deux colonels français, en gagnant de plus en plus du terrain sur les parapets, les couvraient de balles sur leurs deux flancs, ils se décidèrent à opérer leur retraite vers la gorge de l'ouvrage. En ce moment, leur nombre s'était accru de tous les Russes qui jusque-là avaient occupé la partie centrale de l'ouvrage; ce nombre était fort considérable. t'ne lutte acharnée s'engagea alors, aux approches de la gorge, entre les soldats russes~ qui voulaient défendre celle-ci, et les soldats français qui les y avaient poursuivis, la baïonnette dans les reins. Mais le combat qui
eut lieu là, presque uniquement à l'arme blanche, ne dura pas longtemps, deux à trois minutes au plus. Les Russes, se précipitant dans la gorge de l'ouvrage, ou se jetant du haut des retranchements voisins de cette
gorge dans le fossé, s'enfuirent en désordre du côté de l'intérieur de Sébastopol. U était alors une heure ou une heure un quart, et le général de Mac-Manon put croire qu'il était définitivement maître des défenses de Malakoff. Mais, à ce moment, les batteries ennemies, qui étaient établies en arrière, audessus de l'arsenal de Sébastopol, commencèrent a faire tomber, sur l'intérieur de l'ouvrage occupé par les troupes françaises, une quantité énorme d'obus et d~ bombes, qui y tuèrent ou blessèrent un grand nombre d'hommes. Certes, le général de Mac-Mahon pouvait se dire qu'i! était absolument en possession delà position qu'il venait de conquérir, après le dernier combat qui avait décidé de la retraite des défenseurs de MalakoS, et pourtant la lutte n'avait pas dit son dernier mot. Un quart d'heure environ s'était écoulé depuis que le général de Mac-Mahon avait fait arborer son grand fanion tricolore sur le sommet de Malakoff, lorsqu'un officier a glais se présenta à lui, se disant envoyé par s~o général pour lui demander si, étant maitre de cette position, il croyait pouvoir s'y maintenir. Dites à votre général, lui dit le général de Mac-Manon, que j'y suis et que j'y reste (1). S'il m'a paru intéressant de rappeler à cette place cette réponse si laconique et si caractéristique, c'est qu'elle est devenue légendaire, et que, de plus, elle a confirmé, dans la circonstance où elle a ét$ prononcée, ce que j'ai déjà dit de la confiance extrême que le général de Mac-Mahon <'
a
Le mot: oeJ'y suis et j'y reste fait, pourl'iUustre peintre Horace Vernet, le sujet d'un magnifique tableau qui lui avait été demandé par la ville d'Autun, ïoi<-ine du lieu de naissance du génerai de Mac-Mahon. Cetui-ci y est représente~ entoure des officiers de son état-major, dans le moment oùTonIcier anglais rt~borde sur le haut de la tour de MaiakoS. (1)
avait toujours eue jusque-là de réussir constamment dans les opérations de guerre qu'il entreprenait. Mais on peut se demander comment un général anglais Ht, auprès du général de Mac-Mahon, la démarche dont j'ai parlé cidessus? L'explication est facile. Dans le moment où le géncral anglais avait envoyé un de ses officiers à Malakoff, l'inquiétude était grande chez les Anglais. Leurs bataillons, chargés de s'emparer du grand redan des Russes, avaient escaladé, avec intrépidité, le parapet du redan, et ils étaient parvenus ensuite à prendre pied dans l'intérieur de l'ouvrage. Mais attaqués bientôt par des forces ennemies très supérieures, il leur était devenu impossible de s'y établir solidement, et force leur avait été d'évacuer le redan, en abandonnant aux Russes le terrain qu'ils avaient d'abord conquis sur eux. Voici, d'ailleurs, ce qu'on me raconta après l'événement: A leur entrée dans le redan, les colonnes d'assaut an~hises avaient été fortement éprouvées par une très vive fusillade de l'infanterie qui défendait les parapets et l'intérieur de l'ouvrage russe, et le désordre s'était jeté dans les rangs des bataillons anglais. Alors les généraux qui commandaient ces bataillons, au lieu de les faire simplement appuyer tout de suite par les réserves qui les suivaient et de pousser immédiatement leurs troupes en avant pour ne pas donner aux Russes le temps de se bien reconnaître, car eux aussi avaient beaucoup souffert du premier choc des Anglais et étaient en partie désorganisés, ces généraux, dis-je, s'étaient imaginé au contraire d'arrêter l'élan de leurs soldats, pour ne leur faire reprendre leur mouvement en avant que lorsqu'un ordre parfait aurait été rétabli dans chaque bataillon. Or, prontant habilement du répit que les Anglais leur accordaient ainsi, les généraux russes avaient fait accourir dans le redan, pour soutenir ses défenseurs, de nombreux renforts tenus jusque-là, en réserve un peu en arrière.
qu'au moment on les bataillons anglais. reformés et déployés, s'ébranlèrent pour reprendre l'offensive, ils trouvèrent, devant eux, des forces russes tellement considérables que les feux écrasants de celles-ci l's anéantirent presque en entier, et obligèrent les Anglais restés debout a évacuer le redan. Ce fut un immense échec pour l'armée anglaise. C'est à la suite de cet échec qu'un général de cette armée avait voulu savoir si les Français avaient été heureux dans leur attaque de ~lalakoff (1). On a vu précédemment que le général de ~lac-Mahon avait fait marcher, avec ses troupes se rendant dans lc~ tranchées, un petit détachement d'artillerie command'par un capitaine, dont la mission devait être de iaire enclouer par ses hommes les canons des batteries russes de Malakoff, aussitôt que nos soldats en auraient chassé les canonnicrs ennemis. Déjà un certain nombre de ces canon:avaient été cncloués, lorsque le général de Mac-Mahon. remarquant que, sur chaque plate-forme ou se trouvait une bouche a feu. étaient disposés près d'elle le matériel et les munitions nécessaires pour la charger, donna l'ordre au capitaine d'artillerie de faire cesser l'enclouage des canons. Il avait compris que les batteries de Fennemi, retournées contre la place, pouvaient lui être très utiles, s'il arrivait que la garnison de Sébastopol voulut, par un retour offensif, reconquérir l'ouvrage de Ma!akoff. 11 était d'autant mieux fondé à se mettre en garde contre ce .retour offensif que, dans le moment même où il voulait se réserver la possibilité de se servir de l'artillerie russe Il résulta de là
de l'assaut de Malakou, le yjncral Sympson. ~cncra! fn chef de l'armée anglaise, rendit compte a son ~ouverncnx'nt '!c f'in~icccs de ses troupes dans des termes pleins de noHcsse et de grandeur d'âme. « ~os troupes ont échoue, dit-il simptetuent. dans une dépêche télégraphique.L'année fran~ai~c, victorieuse, est dans Scbastopo!. La-n~c admirable et bien raru chez un générât à qui le sort des armes a ctc défavorable1 (1) Le lendemain
était dans Malakoff, on voyait des troupes russes se concentrer en masses assez compactes sur le terrain qui a\'(jisinait l'arsenal maritime de Sébastopol. Je vais l'aire connaître les dispositions que prit le général de Mac-Mahon, en prévision d'une attaque possible de ces forces russes. Mais, auparavant, il me parait nécessaire de dire ce qui se passait, dans l'intérieur et dans le voisinage de Malakoff, au moment où le générai arrêta ces dispositions, une heure et demie environ après l'assaut. Déjà avant ce moment, des fourneaux de mine, prépares de longue main par les officiers du génie russe dans le massif des parapets et des courtines attenantes au bastion de ~lalakoff, avaient fait explosion, et les pierres, ;'rojetées en l'air par ces mines, en retombant dans l'intérieur des retranchements de Malakon'ct plus particulièrement tout autour du saillant de l'ouvrage, avaient tué ou blesse un grand nombre d'officicrs et de soldats français. !1 paraissait bien probable que les Russes ne s'étaient pas hornés à établir des fourneaux de mine dans le voisinage de Malakoff, mais qu'ils en avaient construit aussi dans Malakoff même, et si ces fourneaux étaient fortement chargés, il était possible que leur explosionfît d'un instant a l'autre sauter le fort russe tout entier. Il n'y avait pas <ic temps à perdre pour se prémunir contre les conséquences qui pourraient en résulter. Les dispositions arrêtées par le général de Mac-Mahon furent basées sur cette éventualité menaçante. Le général décida que la 1~ brigade de la division, fortement éprouvée par les pertes qu'elle avait subies pendant et après l'assaut, serait sur-le-champ relevée dans MalakoiT par la 2~ brigade (général Vinoy) et qu'elle irait prendre la place de celle-ci dans les tranchées. M arrêta en outre que la brigade de réserve (général de Wimpffen) et le régiment des zouaves de la garde impériale (colonel Janin) entreraient, aussitôt que possible, dans l'ouvrage fjni
russe, à la suite de la brigade du général Vinoy, de fa<;on qu'il y eut, dans Malakoff, deux brigades et un régiment pour repousser -les Russes, s'ils entreprenaient un retour offensif contre les retranchements occupes par les Français. Il fallait, bien entendu, que les mouvements de troupes dont il s'agit s'exécutassent avec la plus grande célérité car il était urgent que des forces imposantes fussent tout de suite réunies dans l'enceinte de ces retranchements. Le général de Mac-Mahon fit appeler le général Vinoy pour lui donner ses instructions, et il lui dit en ma présence « Vous allez, général, amener ici votre brigade en « toute bâte pour qu'elle y relève la 1~ brigade, qui « est trop fatiguée et qui a perdu déjà beaucoup trop de <' monde. Depuis un moment, je vois que des mines font explosion tout autour de nous. Il est fort possible que <' cet ouvrage ou nous sommes soit miné sur différente « points et que tout à l'heure les Russes le lassent sauter en communiquant le feu à leurs fourneaux de mine. Mais c si cela arrivait, et si par malheur votre brigade venait « a être anéantie, la 1~ brigade s'élancerait aussitôt des tranchées, ou elle va aller s'établir, et elle ac« hors « courrait pour occuper la position. Nous n'en resterions «pas moins les maîtres du terrain. » Ceci dit, le général de Mac-Mahon m'envoya communiquer ses ordres au général de Wimpffen et au colonel Janin. Ma mission remplie, je me disposais à. regagner l'intérieur de Malakoff, quand je crus m'apercevoir que les régiments de la brigade de Wimpffen, qui déjà s'étaient mis en mouvement, ne- marchaient que très lentement dans les tranchées. Je cherchai le général de Wimpffen pour lui répéter ce que je lui avais dit déjà, à savoir que ses troupes ne devaient pas s'attarder dans l'exécution de leur mouvement; mais ne le rencontrant pas assez vite et me trouvant près du colonel Rose, dont le régiment des <'
ti:uHeurs algériens était en tête de la brigade: Mon cher ):"se, lui dis-je, Je général de Mac-Mahon attend impatiemment votre brigade dans l'ouvrage russe où il est. Y's soldats n'avancent que très difficilement dans la tranchée; faites donc qu'ils en sortent au plus vite et portez-les, à découvert et au pas gymnastique, vers le [Wnt ofi vous voyez flotter le fanion du général. Sur le fo~sé qui est au pied de la tour Malakoff, vous trouverez un petit pont par où vos bataillons pourront passer pour pénétrer dans l'intérieur des retranchements russes. Le colonel Rose n'hésita pas, et, à sa voix, ses soldats, sortant nn~sitôt de la tranchée, se précipitèrent sur ses pas vers :c- saillant de Malakoff. Les deux autres régiments de la brigade, le de zouaves et le 50~ de' ligne, ce dernier comptant trois bataillons, suivirent l'exemple des tirailleurs algériens, de telle sorte que la brigade de Wimpffen tout entière put entrer dans ~alakotT, peu de minutes après que les deux régiments du général Vinoy y avaient pénétré eux-mêmes. Depuis un instant, j'étais revenu dans l'intérieur de l'ouvrage, et je cherchais le général de Mac-Mabon, lorsque, rencontrant par hasard le général Vinoy, celui-ci m'arrêta pour me faire part des impressions que lui avait tait éprouver le général de Mac-Mahon en lui donnant ses instructions une demi-heure auparavant. Comment trouvcx-vous votre général, me dit-il, qui m'annonce sans f:~on que ma brigade va sauter peut-être tout à l'heure; mais que cela n'empêchera pas que Fon ne reste maître brigade va se tenir toute de la position, parce que la prête à venir r remplacer la mienne si elle vient à sauter ?J'avoue~ répondis-je, que la perspective que mon général « vftus a fait entrevoir n'est rien moins que séduisante; mais, dans tout ce qu'il vous a dit, je n'ai rien entendu, ce me semble, qui aiL pu vous faire croire qu'il n'allait pas demeurer ici avec vous. Soyez bien certain que, si
votre brigade doit sauter, et vous, avec elle, il partagera le même sort. » Aussitôt après l'arrivée des troupes du général Vinoy dans l'intérieur de l'enceinte de Malakou, le général de Mac-Mahon fit prendre position à ses troupes sur les retranchements qui étaient voisins de la gorge de l'ouvrage. Quand la brigade de Wimpffen y fut venue a son tour, il en fit établir les régiments sur les deux grandes faces et sur les hautes traverses situées en arrière de la gorge. Et quant au régiment des zouaves de la garde impériale, qu'il voulait tenir, comme réserve sous sa main, il le disposa sur le terre-plein qui existait entre les traverse:centrales de l'ouvrage. Les troupes étant ainsi disposées, le général de MacMahon n'avait plus qu'à attendre que les dusses démasquassent leurs projets d'attaque, s'ils se décidaient réellement à venir l'attaquer. Pendant le temps que j'avais passé dans les tranchées pour aller trouver le général de Wimpffen et le colonel Janin, plusieurs explosions de mine s'étaient renouvelées. tout près du bastion de ~lalakoS', sur la grande courtine qui reliait ce bastion au petit redan des Russes. On en avait inféré que si les officiers russes avaient miné ceux de leurs retranchements qui étaient voisins du bastion de MalakoS, ils n'avaient certainement pas négligé de construire des fourneaux de mine sous ce bastion. Or, le danger que pouvaient faire courir de fortes explosions produites par ces fourneaux devint très grand, quand deux brigades entières et le régiment des zouaves de la garde impériale se trouvèrent réunis dans l'intérieur des retranchements de MatakoiT; car alors, sur le terre-plein de l'ouvrage et dans le bastion surtout, aussi bien que tout autour du bastion, nos soldats étaient entassés les uns sur les autres. Un peu plus tard même, l'agglomération des troupes s'augmenta encore sur ces derniers points, parce que,
après l'attaque de la grande courtine attenante au bastion de Malakou* par les divisions de La Motterougc et Regnautt <ie Saint-Jean d'AngcIy, quelques fractions constituées de la garde impériale un bataillon du 1"' régiment de voltigeurs, avec le colonel Douay commandant ce régiment, et quelques compagnies de grenadiers de cette garde, conduites par le lieutenant-colonelde ~rcttevifle, se jetèrent sans en avoir re~u l'ordre dans MalakofÏ, pour se joindre aux troupes que le général de Mac-Mabon y avait déjà concentrées. En y arrivant, elles s'é:ab!irent entre le bastion et la traverse qui l'avoisinait. Il y eut alors, tout autour du bastion, un encombrement d'hummes
extraordinaire. Le lecteur n'a peut-être pas oublié qu'en parlant des nombreux abris que les Russes s'étaient ménagés dans l'épaisseur de leurs retranchements, j'ai dit que, de l'intérieur de l'ancienne tour de Malakon, ils avaient fait l'un des plus importants de ces abris. C'était un réduit assez spacieux pour servir de refuge à un assez grand nombre d'hommes et pour contenir une quantité considérable de munitions de guerre de tout genre. Or, dans le moment même où le général de Mac-Mahon se préoccupait vivement de savoir si des fourneaux de mine n'existaient pas sous ce réduit et n'allaient pas. par leur explosion, faire sauter le bastion de MalakoS~ on rinfbrma qu'après l'enlèvement de ce bastion par les zouaves du capitaine Sée, un certain nombre de Russes, 400 environ, lui dit-on, s'étaient réfugiés dms le réduit de la tour. Le général voulut aller voir lui-même ce qui se passait du côté du réduit. Je me souviens que, comme il s'y rendait, sa bonne étoile, cette fois encore, le servit miraculeusement; car un obus, parti de la batterie russe, située au-dessus de l'arsenal de Sébastopol, lui effleura la cte, et alla. s'enfoncer en terre à dix pas devant lui. Il Favait échappé belle.
L'entrée du réduit, qui était construite en gabions, se trouvait ouverte, et, à droite comme à gauche, on voyait une rangée de créneaux par où les fantassins russes qui occupaient la tour pouvaient diriger leurs feux sur le terre-plein du bastion. Je m'approchai, et j'allais passer devant la porte du réduit, quand un soldat qui était pr' de moi, me retenant brusquement par le pan de ma tunique, me jeta presque à terre, en s'écriant: < Arrêtezvous, mon colonel, les Russes, qui sont embusqués dans la tour, ne cessent pas de tirer par les créneaux que v"us apercevez ils abattent sous leurs balles tous ceux qui passent devant ces créneaux. C'est ainsi qu'Us viennes de tuer, il n'y a de cela qu'un instant, le lieutenpnt d'artillerie dont vous voyez le corps étendu là à quelque: pas de nous. » En ce moment, les grottes du Dahra me hantèrent sandoute l'esprit, et ne songeant qu'aux moyens d'obliger les Russes a sortir de la tour et à se constituer prisonniers « Avez-vous des allumettes? dis-je aux soldats qui m'entouraient si oui, mettez le feu aux gabions qui forment rentrée de cet abri.des Russes il faudra bien qu'ils sortent et se rendent quand la fumée menacera de les asphyxier. Le feu fut mis aux gabions, et déjà il avait pris une certaine extension, lorsque, subitement, je fus comme saisi d'épouvanté en me rendant compte des conséquenceterribles qui pouvaient résulter de l'ordre que j'avais donné. Je me souvins, à cet instant, que vingt minutes auparavant, en visitant avec le général de Mac-Mahon quelques-uns des abris construits par les Russes sous les retranchements de MalakoK, j'avais constaté que le sol intérieur de ces abris était couvert d'une quantité énorme de cartouches et que sans aucun doute il en devait.être -de même dans le réduit de la tour. Le feu des gabions se communiquant à un monceau de
cartouches et produisant une explosion, c'était le feu mis à des fourneaux de mine, si des fourneaux de mine avaient été préparés dans le réduit. Je me précipitai vers quelques sapeurs du génie qui étaient non loin de moi, portant sur eux leurs outils, des Suivcx-moi bien vite, leu r dis-je pelles et des pioches. venez jeter de la terre sur les gabions qui brûlent il faut éteindre le l'en. Les sapeurs se mirent sur-le-champ à piocher le sol près de la porte du réduit, et en couvrant les gabions de terre, ils arrêtèrent complètement le commencement d'incendie qui s'y était manifesté, ~ne serait-il advenu sans <-ela?J'cn i'rémis encore rien que d'y songer, au moment on j'écris ces lignes. On le comprendra, du reste, quand j'aurai dit que, pendant que les sapeurs du génie effectuaient le travail que je leur avais demandé, leurs pioches mirent a découvert des fils métalliques qui n'étaient :<utre chose que les fils conducteurs de batteries électriques, au moyen desquelles les officiers russes s'étaient proposé de mettre le feu, quand ils le jugeraient opportun, aux fourneaux de mine préparés par eux sous la tour de Malakoff. Peut-être ne fut ce qu'à la rupture de ces fils, arrivée comme par miracle, que les troupes du général de Mac-Mahon durent d'avoir le bonheur d'échapper au plus épouvantable des désastres. rendant que cet incident se passait à rentrée de la tour 'le Malakoff, le général de Mac-Maison vit tomber sous ses yeux le lieutenant-colonel d'artillerie Hugucnet, tué par une pierre énorme provenant de l'explosion d'une mine et qui lui était tombée sur la tête. II faut que je rappelle ici que, dans le plan arrêté pour l'attaque générale de l'enceinte de Sébastopol, il avait été décidé que deux batteries de campagne, commandées par le lieutenan t-colonel Hugucnet, soutiendraient la division du général de La ~lotterouge, quand celle-ci marcherait à l'escalade de la.
courtine qui reliait le bastion de MalakofTau petit re'~n des Russes. Or, il était arrivé que, dans le moment ou ies troupes du général de La Mottcrouge s'étaient élancées des tranchées pour se jeter sur la courtine, les feux tr~ violents de l'infanterie russe qui défendait cette courtine avaient presque fatalement tué ou blessé les hommes et les chevaux des deux batteries du lieutenant-colonel fh:gucnet. Cet officier, voyant alors qu'il n'avait plus auc'rn service à rendre avec ses canons, et entendant, d'autre part, ceux de nos soldats qui étaient sur le sommet du :a tour de Malakolf crier que leurs cartouches étaient épuisées, s'était empressé d'aller faire enlever, dans les caisons de ses batteries, les munitions d'infanterie qui :s'v trouvaient, et c'est à l'instant même où il était entré dans MalakoS', suivi d'hommes portant ces munitions, qu'il avait eu la tête brisée par la chute d'une pierre. Quelques minutes après ce malheureux événement, les Russes enfermés dans la tour de MalakofT demandèrent se rendre. On avait cru jusque-là qu'ils étaient assez nombreux. Quand ils sortirent de la tour, on reconnut qu'ils comptaient une quarantaine d'hommes seulement. Il y avait longtemps déjà que les troupes françaises "ecupaient les retranchements, et il était trois heures environ lorsque les généraux russes qui commandaient dans .Sébastopol se décidèrent à entreprendre le retour offensif que le génér<d de Mac-Mahon avait prévu. A cette heure donc, une très forte colonne d'infanterie russe, qui s'était concentrée aux abords de l'arsenal de la place, s'ébranla, se dirigeant sur la, gorge de l'enceinte de MalakofF. La tète de cette colonne, bien qu'accueillie par une forte fusillade partant des parapets (lui faisaient face à Sébastopol, n'en aborda pas moins avec intrépidité les fossés de l'ouvrage, et une fraction desoldats russes de Ja valeur d'une compagnie parvint même à forcer rentrée de la gorge, malgré la précaution qu'on avait eue :')
barricader solidement. Les Russes prirent pied dans l'intérieur de l'enceinte. Alors s'engagea près de la gorge, sur le terre-plein qui se trouvait en arrière d'elle, un e"mbat des plus acharnés, les soldats français qui occu[):)icnt le terre-plein se précipitant sur les fantassins russes coups de baïonnette, tandis que, du haut des parapets attenants à la gorge, des compagnies de tirailleurs algériens les fusillaient en flanc et à revers. Après une résistance désespérée, qui dura quelques minutes, presque tous les Russes jonchèrent le sol, tués ou blessés; quelques-uns seulement parvinrent à regagner la gorge par laquelle ils étaient entrés dans Malakoff un instant auparavant. Pendant ce combat, quelques bataillons de la colonne russe avaient gagné le bord du fossé de la quatrième face de l'enceinte, espérant sans doute pouvoir franchir ce fossé et escalader le retranchement de cette face. Mais leurs soldats, décimés bientôt par les feux écrasants de l'infanterie française qui garnissait la crête de ce retranchement, furent repoussés, et se replièrent en très irrand désordre sur la queue de la colonne. Quelques autres bataillons, tournant la face droite de l'ouvrage, s'étaient dirigés sur la batterie Saint-Gcrvais, mais repoussés, eux aussi, par le feu très vif du 7*= bataillon de chasseurs à pied qui occupait cette batterie, ils avaient précipitamment rétrogradé pour aller rallier la colonne. Le général qui commandait les troupes russes, jugeant sans doute alors que tout nouvel effort demandé à ses soldats n'aurait d'autre résultat que d'ajouter de nouvelles pertes à celles qu'ils avaient éprouvées déjà, se décida à faire rétrograder ses bataillons vers l'intérieur <!e Sébastopol. Dans leur retraite précipitée, ces bataillons laissèrent derrière eux sur le terrain un grand nombre d'hommes tués ou blessés. Après le retour offensif des Russes, dont les incidents se passèrent entre trois heures et demie et cinq heures de la
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du soir, la garnison de Sébastopol n'entreprit plus aucune opération offensive contre l'ouvrage de MalakotL Elle se contenta de se servir des batteries qu'elle av:t;t à l'intérieur de la forteresse, de celles notamment qui étaient établies au-dessus de l'arsenal maritime, p'or faire tomber, sans interruption, sur cet ouvrage k's boulets, les obus et les bombes. Le feu de ces batteries ne se ralentit guère, pour cesser ensuite définitivement que vers cinq heures et demie. Dans les pages précédentes~ j'ai fait le récit des évén' mentsd<'nt l'enceinte fermée deMalakofTfut le théâtre puis midi jusqu'à cinqheures et demie. J~ai à racontera pr' sentce qui se passa, danscelong intervalle de temps, sur droitcdeMalakoff.dansrattaque des retranchements rus~ par les divisions de La Motterouge et Dulac, du 2° c"rj's d'armée fmncais, et par la division de la garde impériale, comnundée parle général Regnault deSaint-Jean d'Angdy. Cela fait, ju n'aurai plus qu'à parler des opérations qui. dans l'attaque génét'àlc de l'enceinte de Sébastopol, rent exécutées aux attaques de gauche parles troupes du 1er corps d'armée, sous la direction du général de Salit. Le lecteur n'a sans doute pas oublié que, dans le plan arrêté pour cette attaque, le général avait décidé que les divisions de La Motterouge, Dulac et Regnault de Saint-Jean d'Angely, auraient pour mission d'enlever par escalade la grande courtine qui, dans l'enceinte de forteresse, joignait le saillant de Malakoff au petit redan des dusses, et ce redan lui-même. La division de La Motterou-e deva:t s'emparer de la courtine, la division Dui:K' du petit -redan, et la division Regnault de Saint-Jeand'Angely servir d'appui aux divisions de La Motterou~e et Dulac. Voici comment ces trois divisions avaient opéré dans la mise à exécution des instructions données par le gênerai Rosquet aux généraux qui les commandaient.:
Quelques minutes après Fheure de midi et à l'apparition du fanion du générai de Mac-Manon sur le haut de la )..ur de Ma!akoff, les généraux de La Motterouge et Dulac mirent en mouvement, pour les porter a l'attaque des retranchements russes, celles de leurs troupes qui étaient en première ligne dans les tranchées françaises. Le général de La Motterouge jeta en avant, et au pas de course, sa première brigade, qui était commandée par le général1 Bourbaki, pour qu'elle allât escalader la partie gauche du retranchement de la courtine: mais, après avoir parcouru une distance de cent. cinquante mètres environ, les soldats de cette brigade trouvèrent sous leurs pas un obstacle très difficile à franchir. Cet obstacle consistait en une quadruple rangée de trous de loup juxtaposés et très profonds, creusés par les Russes, pour mieux défendre les approches de la courtine. Les bataillons du scnéral Bourbaki,. arrêtés dans leur élan, mirent un certain temps à passer à travers ces trous de loup, et, pendant ce temps, une très vive fusillade, partant de la crête du parapet de la courtine, fit de grands vides dans leurs rangs. Cette fusillade anéantit presque complètement les deux batteries qui, disposées en arrière de la divison de La Motterouge, étaient destinées à suivre le mouvement en avant de cette division, sous le commandement du lieutenant-colonel Huguenet- Mais aussitôt l'obstacle des trous de loup franchi, les bataillons français reprirent I( or course, arrivèrent au bord du fossé du retranchement, le traversèrent sans trop de difGculté, escaladèrent le parapet et se rendirent maîtres de la crète, malgré la pluie de balles que faisaient fondre sur eux l'infanterie russe qui défendait la courtine. Les Russes, repoussés, se re ['lièrent en désordre vers l'intérieur de la place, pour aller s'établir derrière une ligne de retranchements qui formait entre l'arsenal de Sébastopol et la m<ï~so~ en eyo~ touchant au ravin d'OutchakoS une deuxième enceinte de la forteresse
assiégée. Les troupes du général Bourbaki se mirent à leur poursuite, le général espérant qu'elles pourraient s'emparer de cette seconde enceinte. Mais bientôt l'ennemi, revenu de sa première surprise, sort en grande force de la place, en face du faubourg de Karabeinala: il place de l'artillerie sur les parapets désaligné de défense, et, par la violence de ses feux, il oblige la brigade du général Hourbaki à chercher un abri'derrière le parapet de la courtine. Pendant le mouvement en avant de cette brigade, la deuxième brigade de la division de LaMotterou~c est venue la remplacer sur la courtine, et elle va alors reprendre sa première position dans la tranchée. Tandis que ces événements se passaient dans la division de La Motterouge, la brigade de Saint-Pol, de la division Dulac, avait rapidement escaladé le parapet du petit redan elle avait repoussé les Russes de l'intérieur de cet ouvrage, etelle avait tournécelui-ci pourse portercontre lagauchede la deuxième ligne de défense de la place. Mais elle re~ut bientôt le choc de fortes réserves russes; elle eut à subirr non seulement le feu de ces réserves, mais celui qui partait de vapeurs russes embossés au -débouché du ravin d'OutchakotT et de la mo~so~ en croix qui enïlanquait le flanc droit. Criblée de projectiles, elle rentra dans le redan quelle fut forcée d'abandonner un peu plus tard, malgré les héroïques efforts qu'elle fit pour s'y maintenir, les sapeurs du génie n'ayant pas eu le temps d'en fermer solidement la gorge. Une partie de la brigade rentra dans les tranchées, une partie resta sur le parapet du redan, s'en couvrant pour diriger une vive fusillade sur les Russes. Dans les combats qu'elle venait d'avoir à soutenir, la brigade de Saint-Pol avait eu ses deux colonels tués par l'ennemi, le colonel Dupuis, commandant le 57~ de ligne, et le colonel Javel, commandant le 83~ Le général de Saint-Pol, après avoir rallié ses troupes,
les lança une seconde fois sur le redan, mais ce retour ufTcnsif demeura sans résultat, et lui-même y fut tué. Alors le général Bisson, qui commandait la division en
remplacement du général Dulac, appelé a succéder au général Bosquet, blessé grièvement presque au commencement de l'attaque de la place, fait avancer sa brigade et engage avec elle une nouvelle lutte contre les défenseurs du redan. Dans le même temps, le bataillon des chasseurs de la garde impériale et la brigade de Marolles. venue de l'une des divisions du corps de réserve de la Tchernala, sont lancés contre la gauche du redan; ils y pénètrent, mais sont écrasés bientôt, après des prodiges de valeur, Non loin de lui, le et le général de Marolles y est tué. général Bisson est blessé. Tous les retours offensifs des Français échouent devant les fortes réserves de l'ennemi, qui sont appuyées par une artillerie formidable. Cependant le combat se rétablit. La brigade des voltigeurs de la garde impériale, commandée par le général de Failly, débouche de la parallèle avancée; elle se précipite sur la courtine et en repousse les Russes qui vont se réfugier derrière la deuxième enceinte de la place et dans le petit redan. La brigade de Ponteves, des grenadiers de la même garde, s'avance à son tour en colonne par sections le général Mellinet est a sa tcïe. Après avoir franchi les tranchées, elle marche à découvert contre le centre de la courtine. Pendant qu'elle se déploie, le général de Ponteves est blessé mortellement. Mais la partie de la courtine qui s'appuie à Malakou', protégée qu'elle est, contre les retours offensifs de l'ennemi, parles troupesqui, àcemoment.sontdéjaaccumulées dans l'ouvrage de MalakoK, est définitivement conquise par nos soldats. Le 2" régiment de grenadiers, qui se trouve sur cette partie de la courtine, reçoit l'ordre (le la quitter pour se porter vers la droite du petit redan où s'organise contre cet ouvrage~ sous la direction du 10.
général Mellinet, une nouvelle et vigoureuse attaque. Pour appuyer le mouvement et contrebattre l'artillerie de la place et celle des vapeurs russes du fond du ravin d'Outchakon", les batteries de la division du général de La Motterouge sont amenées vers le milieu de la courtine, et elles franchissent celle-ci par des coupures que no~ sapeurs du génie pratiquent dans le parapet. Aussitôt qu'elles sont de l'autre côté de ce parapet, elles se mettent en batterie, à découvert, sous une grêle de projectiles. Mais, en un instant, elles sont réduites au silence: elles perdent le chef d'escadron Ganty,qui les commande. et presque tous leurs hommes et leurs chevaux. Quelques minutes plus tard, le général Mellinet est grièvement blessé à la face par un éclat d'obus. Vers cinq heures enfin, quand l'ouvrage de MalakofTes). tout entier entre les mains des Français et que la grande courtine est en majeure partie occupée fortement par eux. les troupes russes, à bout de résistance devant les attaques de droite du corps d'armée français, se retirent découragées derrière la deuxième enceinte de la place. Leur artillerie se contente de diriger de là une vive canonnade sur la première enceinte qu'ils ont perdue, et cette canonnade dure jusqu'à cinq heures et demie. Comme, à cette heure, tout était parfaitement tranquille dans MaIako!T, le général de Mac.Mahon entreprit de visiter, mieux qu'il ne l'avait pu faire jusque-là, tout l'intérieur de l'ouvrage. Il visita tous les abris russes dans lesquels il n'était pas encore entré, et il les trouva tous pareils à ceux qu'il avait vus précédemment. Le sol intérieur y était jonché de cartouches jetées ça et là, à côté de tas d'immondices de toute sorte. Ce fut en se livrant à cette nouvelle reconnaissance des refuges, queles Russes avaient pratiqués sous leurs retranchements, que des soldats vinrent lui montrer des tableaux trouvés par eux sur les parois intérieures de ces refuges.
Parmi ces tableaux quiétaient de récole byzantine et qui représentaient des sujets religieux, plusieurs accusaient une certaine valeur artistique. Leur existence, en pareils lieux, c'était bien, il faut le reconnaître, un témoignage caractéristique et attendrissant de cette ferveur croyante qui est profondément gravée dans le cœur de tout soldat russe et qui fait une de ses grandes forces: la foi en Dieu et son dévouement à son empereur. Le général de Mac-Manon parcourut ensuite, dans tous les sens le terre-plein des retranchements de MalakoS, et alors s'ourit à ses regards le spectacle le plus horrible qu'il soit possible d'imaginer. Partout, sur ce terre-plein, des morts et des blessés, couchés en si grand nombre les uns sur les autres qu'il fallait, en marchant au milieu d'eux, prendre de- précautions infinies pour ne pas poser le pied sur un cadavre ou sur un blessé. De tous côtés, on n'entendait que le râle des mourants et les gémissements des blessés, qui imploraient des secours. Parmi les corps des officiers russes tués, on découvrit celui du général KrouleEf, le commandant des troupes russes qui avaient défendu MalakoS. Dès que le général de Mac-Mahon eut mis un à sa reconnaissance de l'intérieur de l'ouvrage, j'allai jeter un coup d'œil à l'extérieur, du côté de la courtine, où avaient combattu si longtemps la division de La Motterouge et celle de la garde impériale. J'y fus saisi d'épouvanté en constatant que, près de l'angle formé par le saillant de MalakofEet la grande courtine, il y avait tout le long de celleci, sur une longueur de plus de cent mètres et six à sept de largeur, une zone de terrain qui était littéralement couverte de morts et de blessés français. Cela démontrait surabondamment que ce n'était qu'après des efforts répétés et au prix de sacrifices énormes que les soldats des deux divisions avaient fini par triompher de la résistance désespérée des Russes.
J'ai dit plus haut que, vers cinq heures et demie, les batteries russes de la deuxième enceinte de Sébastopol Otj
celles que l'ennemi avait établies au-dessus de l'arsen:)! maritime de la place avaient cessé de tirer sur l'ouvrage de MalakofT et sur les retranchements, voisins de cet ouvrage, occupés alors par les troupes françaises. De cinq heures et demie jusqu'à huit heures, rien de particulier ne parut se manifester du côté de Sébastopol. Tuut semblait y être calme et silencieux. Mais à cette dernière heure, on s'aperçut, du haut des retranchements de MalakofT, que la garnison russe venait de mettre le feu à toutes les gabionnades qui couronnaient la crête de leur seconde enceinte, de même qu'a. leurs grandes casernes, à leurhôpitaux et à tous les édifices que la ville renfermait. A la nuit tombante, ce fut pour les Français, un spectacle saisissant que celui de ce vaste incendie, au milieu duquel les monuments de la grande cité, dévorés par les flammes, leur apparaissaient sous les formes les plus fantastiques. présentant à leur imagination des frontons d'édifices majestueux ou de splendides colonnades, là où, en réalité. on le reconnut plus tard, rien de pareil n'avait jamais existé. Bien longtemps déjà avant le jour de l'assaut donné aux retranchements de la forteresse russe, la ville de Séhastopol n'était plus qu'un immense amas de ruines, tant l'artillerie des armées alliées y avait jeté d'obus, de bombes et de fusées incendiaires. Les toitures des habitations étaient toutes effondrées et les murs en grande partie renversés. Seuls les édifices à l'usage de l'armée ou de la marine russes semblaient, pour la plupart, n'avoir pas été complètement abattus. Pourquoi donc les Russes venaient-ils d'achever de leurs propres mains, en recourant à l'incendie, l'œuvre de destruction que l'artillerie ennemie avait ellemême presque entièrement accomplie? Cest que le géné1
nd en chef de Farinée russe, aussitôt qu'il s'était rendu c'mpte qu'il ne pouvait plus songer à reprendre aux Français le grand ouvrage de Malakoff, qui était la clé <tes défenses de Sébastopol, avait décidé que, pendant la nuit suh'antc, la garnison évacuerait la place pour aller ~e réfugier dans le fort du Nord. II avait arrêté en même temps que, pour couvrir les derrières de cette garnison, dans son mouvement de retraite vers le fort du Nord, le feu serait mis partout sur les retranchements intérieurs de la forteresse abandonnée et dans tous les quartiers de la ville. En effet, des neuf heures du soir, on put voir des hauteurs de Malakon* les troupes russes et la population de Sébastopol défiler, en masses compactes, sur le pont qui mettait en communication la ville et le fort du Nord. Le lendemain, vers sept heures du matin, les troupes françaises du t~ corps d'armée firent leur entrée dans Sébastopol et n'y trouvèrent plus aucun habitant. Le !7 septembre, on partagea la ville en deux grands quartiers distincts, dont l'un fut occupé par les Français et l'autre par les Anglais. Le général Pélissicr désigna le général Bazaine pour commander dans la place, à titre de gouverneur militaire. Dans tout ce que j'ai écrit jusqu'ici sur les dernières opérations du siège de Sébastopol, il n'a été question que des événements de guerre qui se succédèrent aux attaques de droite de ce si~ge. En dernier lieu, je me suis attaché particulièrement à ceux de ces événements qui signalèrent la journée du 8 septembre, et auxquels prirent part les troupes du 2~ corps d'armée français, la division de la garde impériale et l'infanterie de l'armée anglaise qui, ce jour-là, attaquèrent la partie droite et la partie centrale de l'enceinte de Sébastopol. n me serait impossible d'exposer, avec les mêmes détails, tout ce qui se passa, en fait d'actions de guerre, aux attaques de gauche de cette
enceinte, dans le 1er corps, commandé par le général, de Salles, depuis la formation de ce corpsjusqucs et y compris le 8 septembre, jour de l'assaut général donné à la place russe. Je n'ai en effet connu ces actions de guerre que par ce que j'en ai entendu dire après coup, ou par les rapports officiels qui en ont rendu compte. Tout ce qu'il m'est permis de faire, c'est d'en donner un résumé succinct, emprunté aussi exactement que possible à un rapport ou extrait de l'Atlas historique de la guerre d'Orient, qui, à la suite de cette guerre, a été publié en France par le Dépôt de la guerre. Pendant les mois de mai, juin, juillet et aoùt, les divisions du 1~ corps. d~armée déployèrent, aux attaques de gauche de Sébastopol, tout autant d'activité et d'énergie que celles du 2e corps en montrèrent aux attaques de droite. Je n'ai point à revenir ici sur les combats sérieux dans lesquels furent engagées, au 1~ corps, les divisions Paté et Levaillant, dans la nuit du 22 mai et le jour suivant. J'ai parlé de ces combats dans l'un des premiers chapitres de mon travail. Mais, avant comme après cette date du 22 mai, il ne se passa pour ainsi dire pas un seul jour sans que les troupes du général de Salles eussent à lutter avec acharnement contre rennemi devant les parties saillantes de l'enceinte de la place, notamment le Clocheton, le Bastion central et le bastion du Mât. Elles eurent à. se livrer à des combats violents et sans cesse répétés pour déloger les fantassins russes de ce que, dans leur langage, nos soldats appelaient le&entonnoirs de ces fantassins. Ces entonnoirs n'étaient autre chose que de profondes excavations, creusées par les défenseurs de la place, en avant des retranchements de l'enceinte, et servant aux tirailleurs ennemis d~embuseades abritées, d~où ils tiraient sans relâche sur les têtes de sap& et sur les gardes de tranchées des assiégeants. Ce n'était qu'en se précipitant à l'arme blanche sur ces
embuscades, et le plus souvent pendant la nuit, que nos soldats parvenaient à en déloger les occupants; mais jamais sans que plusieurs d'entre eux fussent tués ou blessés. Aussi, le nombre des hommes que le 1~ corps d'armée perdit dans ces engagements renouvelés presque chaque jour, s'éleva-t-il, vers la fin du siège, à un chiffre fort considérable. Le S septembre,le jour de l'assaut, le signal donné pour commencer l'attaque générale contre les retranchements de Sébastopol ne fut aperçu, dans le l~ corps d'armée, que vers deux heures après midi. A ce moment. deux heures, les généraux Trochu et Couston (division Lcvaillant) lancent leurs brigades sur le bastien central ctsurdcuxlunettesqui flanquent ce bastion. La brigade Trochu attaque en deux colonnes la face droite du bastion et la face gauche de la lunette contiguë. Le général Couston jette ses deux régiments sur la face droite de la lunette de gauche. Malgré des obstacles sérieux, les deux brigades prennent pied dans Fintérieur des trois ouvrages russes. Mais l'ennemi, qui les a reçus avec un violent feu de mousqueterie, démasque tout à coup des canons que l'on croyait avoir démontés, et fait jouer avec succès quelques fougasses. Ces moyens, réunis à des réserves russes considérables, obligent les colonnes françaises à ne pas poursuivre leur attaque, et leur retraite s'opère avec précipitation. Le général Trochu est blessé grièvement en cherchant à ramener ses troupes au combat. Le général Couston, blessé également, est forcé de se Deux fois, les deux brigades, ralliées à. la voix du général Levaillant, qui commande la division, se précipitent sur les trois ouvrages, et deux fois elles sont ramenées dans les tranchées par un feu foudroyant de mousqueterie et d'artiDerie et par l'explosion des fourneaux de mine. Le général de Salles prend ~alors des dispositions pour
retirer.
faire relever la division Levaillant par celle du général d'Autemarre d'Ervilté, et faire reprendre l'attaque par celui-ci. Mais le mouvement des troupes du général d'Aulemarre d'Ervillé, rendu difficile par l'encombrement des tranchées et par la nature des communications, exii~c un temps considérable. Quand il est terminé, le généra! en chef Pélissier envoie au général de Salles l'ordre de ne pas faire renouveler les assaut-, parce qu'ils sont devenus inutiles, par suite des succès décisifs qui unt été obtenus aux attaques de droite. Ainsi se terminèrent les opérations du corps d'arelles avaient duré jusque vers cinq heures ou cinq mée heures et demie après midi. Le corps piémontais qui, dans la matinée du $ septembre, avait pris position derrière les troupes anglaises pour servir de soutien à ces troupes, ne fut point engagé directement de toute la journée. Seulement, les batteries russes lui firent essuyer quelques pertes. La division turque, commandée par Séfer-Paclia et qui, avant l'assaut, était placée en arrière des forces françaises chargées d'enlever les retranchements de MalakoiT, ne prit non plus aucune part active à l'opération. Mai? avant même que la lutte eut cessé autour de ces retranchements entre les Français et leg Husses, et pendant toute la soirée du 8 septembre, les soldats de cette division, mis par Séfer-Pacha à la disposition du général d'' Mac-Mahon, accoururent dans l'ouvrage de MalakoiTpour enlever les blessés et les transporter dans les ambulancefrançaises. Ils aidèrent ensuite nos soldats à inhumer les morts, et se rendirent ainsi fort utiles. Le surlendemain de la prise de Sébastopol, j'allai visiter les différents quartiers de la ville. L'état de dévastation dans lequel je la trouvai dépassait de beaucoup celui que j'avais imaginé. Elle présentait l'aspect d'une
cité qu'un tremblement de terre effroyable aurait tout à coup bouleverse de. fond en comble et complètement anéantie. Les Russes seuls ont pu savoir les pertes en hommes qu'ils avaient faites dans la journée de l'assaut de Sébastopol. Ilais dans les armées française et anglaise, on a relevé avec soin celles que nos armées essuyèrent dans cette journée. Elles sont indiquées dans le tableau suivant
tnés. btesscs. dopants. tues. ALXATTAQCESfEPROtTK:
Officiers
Sous-officiers et soldats
~2) l 135 5)
Totaux.
r(
263
1
~n Messes. 3,0!)5'
mes. btesscs. disparus. tues.
!,475
ACXATT.tût;ES!<ECArCHE
Officiers
Sous-of~ders et soldats
Messes. disparus.
OfSeicrstuës. blesses.
M~ 11~~>
156
15~ 1~1~ i,30u~ 1,76~ 331)
RHC.\P!TCL.\T10~ PnCR L'AMtKE FRAXÇA!SE
disparus. tues.
ulspanl::o Sous-officiers et <-otdats
blessés blesses,
disparus.
It5~ 254~>
419
S<)~ J }
1,6U5
1
4,395~ 4,39" 6,331 6,3-31 ~31)
TOTAL DES PERTES DE L'ARNÉE PJtAXÇ.USE
disparus.
OfCeiers tues, btcsscscL 419 ~ous-ofGcicrs et soldats tues, blessés et disparus 6,331
Totalgeacrat.
6,750 11
quatre divisions françaises qui avaient pris par; aux attaques de droite le jour de l'assaut, la division d~~lac-Mahon fut celle qui perdit le plus de monde. Le: rapports que les chefs de corps de cettedi vision adressèrent au général le lendemain de l'assaut, permirent de constate v q)ie,surun effectif de 5,UOO combattants, ladivisionavaiteu ~,500 hommes tués ou blessés par le feu des Russes pendant l'assaut et dans Fouvrage de Malakon'. Le col'nel Collineau, commandant le 2" régiment xouaves, figurait parmi les blessés de cette division une balle russe l'avait frappé à la tète, dans le moment on il était monté, avec l'un de ses bataillons, à Passant da flanc droitdu bastion deMalakoff. Le lieutenant-colonel de Camas, du 7" de ligne, se trouvait, au nombre des officiers de ce régiment que les balles ennemies avaient blessés, dans l'intérieur de l'ouvrage russe. Dans le chiffre de 2,5<)0 que j'ai indiqué comme étant celui des tués et blessés dans la division du général de Mac-Mahon, je n'ai pas compris, bien entendules tués et. blessés de la brigade de Wimpffen, ni ceux du régiment des zouaves de la garde impériale, par la raison que cette brigade et ce régiment, bien qu'ayant opéré, !r 8 septembre, sous les ordres du général deMac-Mahon~ n<faisaient pas partie de la division qu'il commandait (1). Aux attaques de gauche, on eut a déplorer, dans Ir Des
a
Singulier rapprochement à faire entre le premier assaut d<-s retranchements de Malakoff, qui fut tenté le 18 juin et qui écho~ i-i malheureusement, et l'assaut <!u K septembre, qui décida de h prise de Sebastopot! Dans le premier de ces assauts, la division Mayran dont j'étais le chef d'etat-major le 18 juin, et qui comptait 5,000 hommes à son effectif, perdit environ 2,500 hommes en tucet blessés. Dans le second assaut, celui du S septembre contre les mêmes retranchements, et qui fut couronué d'an si brillant succès. ta division de Mac-Manon, qui comprenait aussi, ce jour-là, 5,00~ combattants, eut également 2,500 hommes, ofliciers et soldats, mihors de combat, tués ou blessés par le feu des Russes. (1)
premier corps d'armée, la perte de deux généraux, le général Uivet, chef d'état-major de ce corps, et le général Breton; l'un et l'autre tués par le feu de l'ennemi. En abandonnant précipitammentSébastopol pour opérer -a retraite sur le fort du Xord, la garnison russe avait laissé dans la forteresse tout le matériel de guerre qu'elle renfermait. Le nombre des bouches à feu, existant tant dans l'arsenal maritime que dans les ouvrages qui constituaient l'enceinte dela place, s'élevait a un chiffre considérable. 11 dépassait, dit-on, huit cents pièces. Dans les magasins de Sébastopol, il y avait, en quantités énormes, des approvisionnements en munitions de guerre de toute espcce.Il fut arrêté, par lesgénérauxen chef des armées alliées, que ces trophées magnifiques seraient partagés entre les puissances qu'ils représentaient, au prorata des effectifs de combattants que ces puissances avaient en brimée, et qu'il en serait de même pour la quantité de fer prodigieuse qui recouvrait le terrain tout autour de l'enceinte de Sébastopol. Le partage des bouches à feu, de~ munitions et approvisionnements de guerre russes ne présenta aucune difficulté. Mais il en fut tout autrement quand il s'agit du fer qu'il fallait ramasser, aux abords de la place. Sur plusieurs parties du terrain, et notamment sur celles où le deuxième corps d'armée français avait procédé à ses attaques, à la fin du siège, les boulets et les éclats de bombe ou d'obus étaient si nombreux, à la surface du sol, qu'il était presque impossible d'y poser le pied sans qu'il portât sur du fer. Le fond des ravins qui avoisinaient l'enceinte de la forteresse, du côté de ces attaques, celui de Karabeinaïa particulièrement, était littéralement pavé de boulets. Pouvait-on songer sérieusement à recueillir cette énorme quantité de fer, pour que la part afférente à chacune des puissances intéresséesfut ensuite transportée de Crimée en France, en Angleterre, à Constantmople et en Piémont? On Fentrepnt.néamoins,et,
pendant un certain nombre de jours, on vit de nombreuses corvées d'infanterie ramasser péniblement une partie assez minime du fer provenant des opérations du siège. ~lais bientôt, quand on reconnut que pour recueillir le tout i] faudrait beaucoup de temps, qu'on devrait imposer aux troupes qui fournissaient les travailleurs des fatigues trop grandes, et que d'ailleurs tout le profit qu'on pourrait retirer du fer recueilli ne couvrirait pas les dépenses qu'exigerait son transport à Toulon, à Portsmouth, à Constantinople et à Gènes, on renonça à poursuivre le travail qui avait été commencé, et il ne fut plus question de le reprendre. Un a vu que le général Bosquet le commandant du deuxième corpsde l'armée française, avait été blessé, aux attaques de droite, des le commencement des opérations d'assaut devant Malakoff, et qu'il avaitété forcéde remettre le commandemententre les mainsdu général Dulac. Quand le bruit se répandit, dans le corps d'armée, que la blessure du général était grave, on remarqua, dans tous les rangs, un sentiment d'anxiété très grand, chacun se demandant si Farmée n'allait pas perdre en lui l'un de ses chefs les plus éminents. Fort heureusement, la robuste constitution du général triompha de la gravité du coup qui l'avait frappé. Bien que j'aie eu déjà l'occasion de parler assez longuement du général Bosquet, je tiens à consacrer ici encore quelques lignes à son passé glorieux Pendant les six mois que je passai en Crimée aux attaques de droite du sr'ge de Sébastopol, d'abord comme chef d'état-major de la division Mayran, puis ensuite après la bataille de Traktir, comme chef d'état-major de la division de Mac-Mahon, j'assistai au rapport journalier que le général Bosquet tenait, chaque matin, à son quartier général, et où se trouvaient réunis, sous sa présidence, les chefs d'état-major des divisions et les commandants
'le l'artillerie et du génie du corps d'armée qu'il commandait. C'est à ce rapport réputé chaque jour, que, voyant de très près le général Bosquet, j'appris à le bien connaître, et plus je le vis, plus je me sentis subjugué par sa haute intelligence et la supériorité avec laquelle il savait discuter et résoudre toutes les questions qui intéressaient, soit le commandement des troupes de son corps d'armée, soitcelles quiconcernaient les attaques du siège qu'il était chargé de diriger. Je me rappelai bien souvent alors l'opinion que le général de Lamoricière, ministre de la guerre, avaitexprimée, en 18!0, sur le compte du général Bosquet. Un soir qu'après avoir assisté a une séance de FAssemblée nationale, le ministre venait de rentrer a son hôtel, encore quelque peu ému de ce qui s'était passé dans cette J'ai été tout à l'heure vivement interpellé, avaitséance il raconté devant moi; on m'a beaucoup reproché d'avoir élevé trop vite le colonel Bosquet au grade de général de brigade, en prétendantque ce n'était que pendant quelques mois seulement qu'il avait commandé un régiment. J'ai tout simplement invoque, en ma faveur, le texte f"rmel de la loi qui dit qu'en campagne l'officier e-t dispensé de l'obligation d'avoir à passer un temps déterminé dans son grade avant d'être promu au grade supérieur. Maiscequeje n'ai pas cru devoir dire, c'est la raison vraie qui m'a fait donner à Bosquet un avancement aussi rapide. Cette raison, c'est qu'il faut qu'il arrive, aussi vite que possible, au grade le plus élevé de l'armée, parce que je le considère comme un officier admirablement préparé pour devenir un excellent gouverneur de l'Algérie. -En le faisant .général, je n'ai songé qu'à sa grande valeur militaire et à la façon dont il saura la mettre en évidence des qu'il exercera un grand commandement Par les services qu'il rendit en Algérie, après 1849, puis
l'armée d'Orient en 185~ et 1~5. notamment a la bataille de l'Aima. et cnt!n dans !e commandement <h< corps de l'armée française sous Sét~astopol, le générât Bosquet justifia. et an delà, les paroles prophétiques du général de Lamoricierc en t8t'). Aussi, quand, a la suite de la guerre d'Orient, il fnt élevé a la dignité de maréchal de France, tonte l'arma applaudit-elle a la faveur qui lui était accordée, estimant qu'il l'avait largement méritée. Le nouveau maréchal nf jouit pas longtemps des grandeurs attachées a sa hante position. Au moment où il prenait un peu de repos, apr~s les longues fatigues qu'il avait eu a supporter en Azérie et cn Crimée, la mort l'emporta presque subitement, quand il était encore dans toute la force de l'aire et dans la plénitude de ses grandes facultés intellectuelles et militaires. Ce fut un immense malheur pour l'armecet pour la France. Je me suis demandé bien souvent, en Crimée, comment il se faisait qne le scnéral Pclissicr, le commandant en chef de n"trc armée, se montrât, dans l'exercice de son commandement, <:i peu sympathique a son lieutenant, le général !!osquct. En effet, dans l'entourairc dn ~néral Pélissier. comme dans celui du général bosquet, ce n'était un secret pour personne que, non seulement le général en chef n'avait point toujours, pour le commandant du deuxiemecorps d'armée.Ieséirardsdusàsaposition élevée, mais que, parfois, il lui arrivait, dans sa correspondance de service, de ne point lui ménager les expressions rudes ou déplacées. Moi-même, j~eus la preuve que ce qu'on en disait n'était que trop fondé. Un matin. qu'âpres son rapport joumalier.le général nosquct m'avait retenu dans son cabinet il me fit la confidence des soucis que lui donnait sa correspondance avec le général Pélissier. « Vous ne sauriez vous imaginer, me dit-il, combien mes relations avec le général en chef me deviennent a
it)supp"r)a!)!es. On ne parlerait pas a un caporal, comme il le l'ait, dans les lettres qu'il m'adresse. Ju~ex-cn par ce t'il!et que je vicus de re''cvnir de lui. !I prit le biltet. qui était sur sa table de travail et me 'Ht 'Tenez, lisez cela. Je lus et, en vérité, je dois convenir que je trouvai la lettre conçue dans des termes tels qu'il était impossible que la susecptibitité du commandant de c"rps d'armée n'en fut pas très légitimement tressée. Apres la guerre d'Orient j'ai cherche a c<.nna!trc les )û"tifs qui avaient pu amener le maréchal Pélissier a se montrer, en Crimée, si peu sympathique au mènerai Hosquct. Le irénéraL t'r(''rc du marechat, avec qui je me suis entretenu a ce sujet, m'a crrtilié qu'en Crimée le marc''hal avait eu des preuves que le général t~squet se livrait, vis-a-vis <!e !)H. a des actes de felfuic. J'ai rcp"ussc '-ette accusati'm. parce que, dans t"u:: mes entretiens avec le mènera.! Bosquet, avec qui j'avais été si souvent en rapport, jamais une seille pan'Ic de lui ne m'avait donné à supposer que son attitude vis-a-vis de son chef ne fut p'~int absolument correcte. J'ai interroiré un de mes amis. un officier haut ptacc, qui, ayant autrefois servi l'~temps en Algérie dan.sla province d'Oran. 'i c'tc des généraux Pélissicr et i~'squet, -'était trouve en p"sition de se faire une idée exacte des relations qui s'étaient établies a cette époque,entre les deux généraux. Cet ofncicr m'a appris que l'eloi~nement du céneral Petissier à re:rard du général Bosquet, bien antérieur i ta guerre de Crimée, datait du temps où le premier, commandant comme c<J"ne! d'abord, puis comme vénéra!, la subdivision de M~sta~anem, avait eu, sous ses "rdres~ le capitaine ~squet, directeur du bureau araJ)e<~ !:) subdivision. Dès cette époque, le général Favaittoujours tenu sévèrement a distance. par crainte peut-être qu'il ne '-herchat à se soustraire à son autorité, ~i la vérité est là,
et je n'en saurais douter, âpres les renseignements qui m'ont été donnes, comment ne pas déplorer que le général Pélissier ne suit pas revenu à d'autres sentiments en Crimée, quand, loi et le général Bosquet, étant, run comme l'autre, investis des plus hautscommandcmcnts, n'avaient plus qu'à s'unir étroitement pour mettre en commun leurs éminentes qualités militaires c! triompher de l'armer russe qu'ils avaient à combattre?
\n APt<È') LA PRISE DE SÉMASTOPOL
Situation de~ armces aH!cc~. Di~posiUons prises dan? ces Forma.tion d'un trotsi''me coi'p-! d'arm'c, d!L corps armccs. de rc-crvc de l'~rutc'~ française, nus fous les "rdrcs du ~cnerui de )ïac-)I:'h'~n. Ltj~nes défensives de Ka<n!c-ch corps cxp~ditton)ia!rcs d'Ëupatonn, de Kerset* 'L de Kinburn.
Par la prise de Sébastopol, les armées alliées avaient remporta sur l'armée russe un éclatant succès. Mais ce succès allait-il mettre fin a la guerre? On en pouvait douter. En effet, rarmcc russe, qui, au lendemain de sa défaite, était réunie, partie dans !c fort du ~ordet partie sur le plateau de Mackensie, tcut pn's de ce fort, présentait encore un effectif très considérable, malirre les pertes que lui avaient fait éprouver la bataille de Traktir et le siège de la forteresse. Cet effectif s'élevait à 1!8 ou ~0,000 hommes. Le général en chef de l'armée russe pouvait des lors tenter de nouveau la fortune des armes en rase campa-. gne, soit qu'il voulût venir attaquer les armées alliées sous SébastopoL soit qu'il préterat obliger celles-ci a venir attaquer son armée sur la position qu'elle occupait à Mackensic. Il paraissait peu vraisemblable qu'il put se décider à prendre la première de ces résolutions; car, IL
après le sn'gc, le~ forces réunies des alliés étaient, par I'' nombre de leurs combattants, supérieures a celles dont il pouvait disposer, et elles étaient composées de soldats parfaitement aguerris et ayant pour eux le prestige de leurs succrs passes. Mais ce qui semblait être plus probable, c'est que le général en chef de l'armée russe, se bornant d'abord a prendre une attitude défensive, attendrait une attaque (le ses adversaires, se réservant, suivant les circonstances, la faculté d'accepter la bataille, ou bien de la (lécliner, en faisant repHer son armée, par sa ligne de retraite naturelle, sur le défilé de Pérécop, qui serait alors pour elle une nouvelle position défensive des plus avantageuses.On sait que ce défile n'est autre chose que le passage étroit par lequel la Russie communique avec la presqu'ile de Crimée et qu'on peut fermer tacitement. Si cette dernière éventualité venait A se réaliser, que feraient al"rs les commandants en chef des armées alliées? II n'y avait pas d'apparencequ'ils pussent songerià mettre ces armées dans les traces de l'armée russe pour aller l'attaquer à Pérécop. Tant que les forces des alliés n'avaient eu qu'à opérer contre Sébastopol. et depuis le jour ou le siège de cette place ayant été commencé, un courant continu et régulier de transports s'était établi entre les ports de France, d'Angleterre, de Constant! nople. de Gènes et de Kamiesch et de Balakiava, on avait pu considérer ces deux derniers ports comme formant la base d'opérations des armées alliées, et on comprend tous les avantages qui en étaient résultés pour elles. Or, les obliger à présent à s'éloigner de cette base pour les faire marcher sur Pérécop, est-ce que ce n'eut point été les priver de ces avantages et les faire aller au devant de difficultés énormes ? On savait pertinemment que tuute la contrée située entre Mackensie et Pérécop n'était qu'une vaste steppe dépourvue de toutes
ressources, et que la route de Pérécop, la seule dont fin put se servir pour faire venir de Kamiescit et de Halai\)ava les nomtjrcux convois nécessaires nu ravitaillement des troupes alliées, était dans un état de viabilité détestable. Et puis enfin, si, maître toutes les difficultés de l'entreprise, les armées alliées marchaient sur Pérécop, qu'arriverait-il si l'armée russe, n'y acceptant pas la bataille, se retirait vers l'intérieur de la Russie? La poursuivrait-0!! encore X'avait-"n point, pour renoncer a l'entreprise, le souvenir de la désastreuse campagne de l'armée française en l.si~? De ces diverses considérations, on pouvait conclure que la guerre de siège, dont la prise de Sébastopol venait d'être le dénoùment, pouvait être suivie d'une nouvelle guerre d'un caractère tout dinerentet dont la durée serait longue cnc"rc. En présence de cette éventualité, les généraux en chef des armées alliées prirent des résolutions importantes. Ils décidèrent qu'avec la majeure partie des forces disponibles de l'armée franraisc, il serait ibrmé une armée d'"bservation qm prendrait immédiatement position sur les monts Fédioukine, sur la rive gauche de la Tchcrnala et dans la vallée de Haldar, ou elle ferait face à l'armée russe de ~lackonsie et aurait pourap~ui le corps piémontais, maintenu sur sa position actuelle du mont Harsfort. Cette armée française devait être composée de troiscorps d'armée, qui seraient: le dcuxièmecorps, commandé provisoirement par le général Camou pendant l'indisponibilité du général Uosquet; le premier corps, commandé par le général de Salles, et un troisième corps, créé sous la dénomination de corps de réserve, mis sous le commandement du général de Mac-Mahon. 11 fut arrêté que le corps (général Camou) se main-
tiendrait sur la position qu'il était allé occuper sur les monts Fédioukine aussitôt après la prise de Scbastopol, que le premier corps (général de Salles) irait s'établir dans la vallée de Baïdar, avant devant son fr"nt la gauche de Farmcc russe, et que le 3" corps (général de MacMahon) prendrait position, sur les monts Fedioukine, à la droite et un peu en arrière du corps. La formation du corps, dit corps de réserve de Farmec française, fut arrêtée ainsi qu'il suit KT.<.T-H.U«H
Le générât de divi~u de Mar-M~ItO! ~ner~t c"mm~m1ant. Aides de camp, Borel, chef d'c:.c~Jr<n <rctaL-tnaj'r. D'Andtau. c;ipit:unc (r<tat-m~j<)r. Officiers d'ordonnance, d'H~court, sous-Ueutcuant Je chasseurs
à pied.
cheval. Chef d'ctat-major du corps d'armcc. Lebrun, c~toac! d'etat-
VicI-J'E~pemne~. sons-IteutcQa.nt de chasseurs
major.
OFFICIERS ATTACHÉS A L'ÉTAT-HAJOK
De Loverdo, chef d'escadron d'e~t-major. DaYunet, capitaine d'ctat-major.
Sumpt, capitaine d'c~t-tnaj'r. Commandant l'artillerie, genénd Commahdant le ~cnic, ~encrai de briytde de DeviUc. Intendance, Viguier, sous-intendant mititairc de 1~* cta$se. TROCPES
Trois divisions d'infanterie, savoir 1'* La division qui avait été commandée par le ~encrât de MacMahon à l'assaut de MalakotT: ±' La division dn générât d'Anre!!c de Patadines 3" La division du général de ChasseIoup-Laubat (t). Cette division~ récemment organisée en France, notait point encore en Crimée à la formatiun du X'' corps d'année. Elle devait y arriver prochainement. Eu faut, elle ne rtllia ce corps que le (1)
1~ septemhrc.
dépositions ci-dessus indiquées furent mises a Mention dans la deuxième quinzaine de septembre, et t))i:md, à la date du t7 de ce mois, le corps d'armée du ncncra! de SaHcs eut pris position dans la vallée de !!aTdar, t'armée française, réunie dans cette val~c et surles monts )'c'!ioukine pour faire face à l'armée russe de Mackcnsie, Les
c'-mprit dans son effectif An
1'
corps !ner;d de SaHes), fonnant ta droite de t'armée va!)cc d'' Baïd.u'. ;{1,000 baTooncUcs.
Inf;mt<;rie. Quat~De.
t):ms la.
Au
At'UH''t'ie. Infanterie. <~t\-atcrie. ArtiU"ri'
c<'rp* (i~ner~t Camon), ipmcttc
~H
<'anou<.
de i'arn)'c. ~i,')~) It:)t<'nn''<tcs. ~,U()0 citc\ aux (G'' Morri~. H< cam'n?.
Au Cur~s de l'J-crvc ~cncra! de Mac-Mahon), derrière lu ±* corps. Réserve d'artmcnc de i'arm''c. ~4 canons.
Ittfantcric. Artillerie.
~i,UOC b.noHttdtc:' ~).
tS canon?.
Si l'on tient c~pte de ce fait que le corps piémontais, ctahli sur le m ,nt Harsfort, entre le et le corps de !'armée,comptaitenviron !8,000 ))ommes,a\'ec canoDs. Jetait en totalité plus de 110,000 hommes que les ar-
I'
mccs alliées française et piémontaise pouvaient opposer en première ligne à Farince ennemie qu'elles avaient devant elles. Ajoutons que rarmec de la TchernaYa pouvait d) La division de cavalerie, qui pritnitivcment. deva-it rester dans la vaHéc de Baïdar avec le 1*~ corps d'arme' f':t dirigée i~ 1~ septembre, par ordre du générât en chcf~ sur Katniesc!t j'our y être crubarque~, comiue il sera dit ulterieurem'-nt, a desnnatioa d'Eupatoria. ~) Dans ces ~1.000 baïonnettes ne comptent point celles de la division de Chasse!oup-Laubat, non cHCore arriver Cti Crimée.
être considérablement renforcée, au besoin, par les troupf. anglaises et turques qu'on n'y avait point fait entrer. <-) par celles de l'armée française qui étaient encore disponibles. En effet, l'eu'ectif de cette armée dépassait de beaucoup, a cette époque, celui des troupes comprises dans 1<~ trois corps d'armée envoyés sur la Tchernaïa. Au 1" septembre, cet effectif était de t33,~87 hommes et présentai) par conséquent un excédent disponible considérable. Le général Pélissier employa une partie de cet excédent a la construction de fortes lignes défensives, ayant pont-l' objet de couvrir, du côté de terre, le port de Kamics'-h contre toute attaque de l'ennemi, si improbable que pu) paraître cette attaque ~t). Il remploya aussi à établir dans Sébastop~'l des batteries. destinées a battre la partie nord de la rade, d'où l'artiMerk' russe continuait à couvrir la ville de ses projectiles, et enfin il utilisa les troupes du génie, en leur faisant combler les tranchées du siège. rendant toute la durée de la guerre d'Orient ou, plu:exactement, pendant toute la période de cette guerre qui dura depuis le débarquement des armées aMiées en Crimée jusqu'à la prise de Sébastopol, et même jusqu'à la paix qui s'ensuivit, l'armée russe de Crimée ne reçut le? renforts et les approvisionnements qui lui. étaient nécessaires que par terre, c'est-à-dire par la route qui, de l'intérieur de la !!ussie, conduisait à Sébastopol. Jamaices renforts et approvisionnements ne lui parvinrent par les deux voies de mer sur lesquelles elle avait compte. au début de la guerre, pour se faire expédier en Crimée. sinon les renforts de troupes, tout au moins une grande partie des ravitaillements et du matériel de guerre z
Les ti~ncs de Ka.micsch furent terminées le ~<: décembre c! janvier avec des canons pris dans l'arseual de Séarmées le (1)
bastopol.
1'
aurait besoin.
deux voies de mer étaient, <i')m côté, le Dnieper, d'ou les transports devaient partir ;'our côtoyer la rive occidentale de la Crimée et débarquer leurs chargements sur un des points de cette rive, n"tamment a Eupntoria, et, du côté oriental de la Crimée, la mer d'Axow, d'ou des navires russes, en pas~nt par le détroit qui sépare cette mer de la mer ~oirc, anraicnt pu, en accotant quelque point de la côte occidentale de cette mer, apporter a l'armée russe le matériel et tout ce qu'il aurait fallu pour ses ravitaillements. <.r:lce aux sages dispositions que prirent les généraux en chef des armées alliées, aussitôt après le débarquement de ces armées en Crimée, et a celles auxquelles ils recoururent plus tard jusqu'à la conclusion de la paix, ces 'icnx voies de mer furent enlevées aux dusses. Yoici com(i..nt elle
Ces
menta) <Juand, au début de leurs opérations cri Crimée, les
armées alliées eurent débarqué a. Old-Fort, tout près de la ville et du port d'Eupatoria, et que les généraux en chef de ces armées eurent résolu de les conduire vers l'Aima pour y déi'aire l'armée russe, qui y était en positi"n,ces généraux arrêtèrent que l'armée turque, désignée pour former, sous Omer-Pacba, la réserve de leurs armées, serait embarquée immédiatement pour la Crimée et viendrait occuper fortement Eupatoria. Le 15 janvier 18~5, une des divisions d'Omcr-Pacba 'iébarqua dans le port de cette ville. Les autres divisions débarquèrent les jours suivants, si bien qu'a la date du février, Omer-Pacba eut autour d'Ëupatoria environ ~000 hommes d'infanterie, appuyés par une artillerie en rapport avec cet effectif. Tout ce qui suit, concernant les disposition-. <tunt il c~t question, n'c<t que le rcsumc de I't!as hisL'jn~nc < I.) guerre 'l'Orient publié, au Dup't de 1~ guerre, peu aprc~ la conclusion (tu la p~ix faite entre les puissances a.!Iiecs et la Hussic. (I')
Deux jours plus tard et alors que les "uvragcs de r~n. pagne qu'Omcr-Pacha avait fait construire, autour de h ville, étaient encore fort incomplets, elle avait été attaqua par 30,000 tousses, comprenant une division de cavalcrit. celle du général ChroulelT, et ayant avec eux 80 boucha à feu. Après une heure de lutte et une tentative d'assa;:). les Husscs s'étaient mis en retraite. Eupatoria et son p't. transformés en place forte, étaient des lors demeures ao pouvoir des alliés. A la date du 22 mai, un corps expéditionnaire al)it.\ commande par le général d'Autemarre et comprenant ):' division de ce général comptant 7,000 hommes, la divisi~t anglaise de sir Georges Brown, dont l'effectif était '!c 3,000 hommes, et ~,000 Turcs de l'armée d'Omer-Pac)).). avait été dirige par mer sur le détr"it de Jénikale, qui ~cpare la merXoircdela mer d'Ax"\v. Ce corps devait parer de Jénikale et de la petite place de guerre de Kersch. qui commandait le passage du détroit, détruire ou inquiéter tout au moins, an moyen d'une escadre de vapeurs légers, la marine russe qui, par la mer d'Ax"\v. pouvait apporter à l'armée russe de Crimée les renforts et les approvisionnementsqui lui étaient nécessaires. Le corps du général d'Autcmarre avait réussi a débri: quer a Kamisch-ouroun, a 2 kilomètres t/2 de Kers' sans que les Russes eussent essayé de s'y opposer. Dans les journées des 2-1 et 25, Kersch et Jénikale s'' taicnt rendus aux alliés. Les Husses, avant de capitula'. avaient brute leurs approvisionnements, encloué 80 nons, coulé trois vapeurs de guerre, mais laissé dam Kersch une énorme quantité de blé et d'avoine.Quatorx'vapeurs de l'escadre alliée, entrés dans la mer ~oir~ étaient d'abord parvenus, en trois jours, à détruire cent six navires de commerce russes, et avaient bombar'Ic la petite forteresse d'Arabat. Les Russes avaient bn')!~ eux-mêmes quatre de leurs vapeurs de guerre devant
sé-
c:
)!'t'diansk pr'ur empêcher que Fcscadrc anglo-française ne empant).. Apres ces opérations diverses, si henreusfmenf: menées a i~onnc Hn. le corps expéditionnaire, d"nt la mission était accomplie, avait été rappel a Farméc qui faisait le siège ')o Sébastopol. Toutcf"is, un régiment de ce corps. Ie0'' rément de ligne français, était reste a Kcrsch et aJénikalé p.'ur continuer a occuper ta place de Kersch et le camp retranche de Jenikalc, ce qui paraissait snt'nsant pour cinpecher <jnc l'armée russe de Crimée put recevoir une (~rtie de ses renforts et de ses appro\'isi"nnements par
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Apres !a prise de SchastopuI par les armées aUiees, les ircneraux en chef de''es armées estimèrent qn'it était possible que la p!a''c d'Enpatoria lut attaquée prochainement ;'ar l'armée russe de Mackensic, et que tes tr"t)pes turques 'nji occupaient cette place fussent insuftisantes p'ur ré' -ister aux f"rces russes qu'eltes aunnent a rep"usscr. Ils 'ieciderent en cunsequence que le corps turc qui était à
~upatoria serait considerablemcut renforce. cet cn'et. un c"rps expéditionnaire comprenant 7,~00 hommes d'infanterie, la division de cavalerie d'AIt"nviHc, qui comp'ait ~00 cavaliers, et. appelés de la vaUee de Daïdara AamiescJt, et huit batteries, fut organise près dece'p"rt, embarqué le 1~ septembre, et dirigé sur tlupatoria, snus !e commandement dn genémi d\\I!<'nviUe. H avait été arrêta qu'à Eupatoria ce gcné~l aurait sous ses ordres les tr"upcs égyptiennes faisant partie des !7,000 Itommes d'infanterie, embarquées et commandées par le muchir Ahmed-Pacha. Trois jours plus tard, toutes les troupes du c"rps expéditionnaire étaient débarquées a. Ëupat"ria. Cette forte occupatiun d'Rupatoria par des forces franco-turques, c'était pour les commandants des armées la presque certitude que toute la côte de Crimée qui se trouvait a proximité
de l'armée russe serait fermée aux transport russes vt nant du Dnieper pour ravitailler cette armée. Le 2~ septembre, une petite expédition, organisée par):) garnison de Kersch et la marine anglo-française, se pon:' à l'attaque des places de Taman et de Fénagoria, situe" sur la rive orientale du détroit de la mer d'Axow. E!)c occupa ces deux places sans coup férir, et y détruisit dplogemcnts que les dusses y avaient prépares pour rcccv' 10,000 hommes. I.c ~5 du même mois, une colonne, composée 'i'-~600 Turcs et de huit escadrons et demie et trois hattcrxde troupes françaises, sortit d'Eupatoria pour se port' '-t vers Ur:ix-e!-Sas.E!lc y refoula 3,000 brûla une partie de leurs approvisionnements. le général d'AHonvilIe partit de la même plac' Le avec les troupes turques et sa divisi"n de cavalerie, pour aller faire une reconnaissance au nord dn !nc Sassit: il joignit la cavalerie russe près du village de Kanghi!, et !:) mit en déroute, lui faisant i(~ prisonniers, lui tuant 50 hommes et lui enlevant !50 chevaux. Les pertes des aHiés dans cette brillante affaire furent ()tucs et 35 Messes ()~ La colonne du général d'AHonville rentra dans la soirée à Eupatoriasans avoir été inquiétée par l'ennemi. Le l~'octobre, la garnison de Kcrscb, qui s'était emparé'' de Taman et de Fénagoria, dans la journée du ~4 septem))re, détruisit ces deux petites places de guerre. Au point ou en était, vers la fin de septembre, la situation des armées alliées, les généraux avaient peu a redouter que la place d'Eupatoria put être attaquée et enlevée parl'armée russe de Mackensie. Cependant, par exc~'s de prudence, ils décidèrent qu'ils fermeraient aux na-
russes.
Parmi ces 3~ b!c~ fut le c~pit~ine frct~t-major Poj~~c. frappé de fi coups ()e s~br~, dont plusieurs fort ~mves. (1)
vires russes le passage du Oniéper dans la mer ~oirc.
envoyant un corps expéditionnaire s'emparer de la j.-Tteresse de Kinhni'n, qui commandait, ce passage. Ils arrêtèrent en même temps que les troupes alliées qui occupaient ]a place d'Eupatoria seraient fortement renen
forcées.
corps expéditionnaire, qui, sous le commandement 'In général Haxaine, devait être dirigé sur Kinburn, a l'effet (l'assiéger cette place et de l'enlever, fut organisé, a Katuiesch et à Dalakiava, dans les journées du au 5 octf'brc. Un le composa d'une brigade française, celle du général <ic Wimpucn. qui, avec le personnel de? services ncccs~ires, comptait UOO hommes et -i,<jl soldats d'intanterie anglaise, places sous les ordres du ancrai Spencer. Ce corps fut embarqué le ('. D'autre part, la division française du général de Failly et ~50 cavaliers, comprenant la cavalerie lëscre anglaise 'iu général Lord Paget. furent fgalement emi'arques a t\:tmiesch et à Halakiava les t3. 14 et 15 septembre pour ailcr renforcer le corps du gênerai d'AIlonviIIc a Eupatc'ria. Le convoi français débarqua, dans le port de cette place, le 15, au s"ir: la cavalerie anglaise. le !7. Lc~, H bataillons, escadrons et 3 batteries, sortis 'i'Eupatoria, al!erent Itivouaquer près de Sik. sous le commandement du ~néral de Failly et du muchir Abmedt'actia. Tandis que le général d'AIlonvîIIe se portait sur Karairarut avec 3') escadrons et trois batteries à cheval, vingt escadrons russes manœuvrèrent devant les deux colonnes. Mais ils se déroberont, et les escadrons du général d'AIlonvillc ne purent les atteindre. Le 23, les généraux français se portèrent sur TchaLator;les Husses y montrèrent 40 escadrons, quelque peu 'l'intunteric et 3 batteries, mais ils refusèrent encore le combat. Le lendemain, les troupes alliées, qui n'avaient Le
emporté avec elles que deux jours de vivres, rcntt
rentaEupatoria. Le ~7, le général d'Allonville se porta de nouveau »n' Tchabator avec 21 bataillons, 3S encadrons et5G bouc)t:s à feu. n se rct!ra sans avoir pu réussir mieux que !<" jours précédents a amener la cavalerie russe n s'cnga~'r avec la sienne. Pendant que des opérations de guerre s'étaient engages. ainsi que je viens de le dire sommairement, du c'")té 'h' Kcrsh, de Kinburnetd''Eupatoria,Icsdivisionsdu!<cor['d'arméc français ~général de Salles) avaient fait plusieurs reconnaissances dans la vaUce (le Mhek et dctruit redoutes construites par les nusscs aux cols de CardoncM! et de Tchcsme, après en avoir chasse les défenseur ennemis. Les armées alliées prirent leurs quartiers d'hiver
1' novembre.
Les journées du
2,
du 3, du 5 et du ~0 novembre furen) marquées uniquement par les incidents suivants: Le 2~ les troupes françaises qui gardaient Kcrsch détruisirent les fortifications d'Anapa. Le 3, le général d'AUonviUe. qui c'était porte avec une forte colonne sur le village d'Et-Eoch, à huit lieues an
nord d'Eupatoria~y enleva aux dusses 3,SUO tètes dcbétai! et vingt voitures. Le 5~ le corps expéditionnaire de Kinhnrn, qui avait occupé cette forteresse, à la suite d'une attaque de vi\ force heureuse, était rentrée à Kamiesch, laissant seulement à Kinbum le 95~ de ligne, et. dans le port dé cet~ forteresse, une partie des vapeurs français et anglais pou: assurer la garde de la place. Le 20, la cavalerie légère de lord Paget, qui avait é!~ envoyée à Eupatoria, en revint pour débarquer à BahMava et rallier Farmée anglaise.
X!H
L'mvER DE 1855-I85G EN cm~iËE
Ainsi que je l'ai déjà dit précédemment l'armée française {'rit ses quartiers d'hiver le l~ novembre. Bientôt après la température devint rigoureuse en Crimée. En décembre et janvier, le thermomètre Réaumury descendit plusieurs )"is jusqu'à degrés au-dessous de zéro. Les troupes heureusement ne manqueront pas de combustible, comme. cites en avaient manqué l'hiver précédent. Outre celui qne l'administration de l'armée leur distribuait, elles
purent s'en procurer abondamment, en allant le prendre elles-mêmes, à leur gré, dans la vallée de Daldar, dont l'un des versants, celui de la rive gauche de la TchernaTa, était entièrement couvert de forêts. Les corvées, qui allaient faire du bois dans ces forets, n'avaient rien a craindre des Russes, les troupes du 1~ corps de l'armée française occupant fortement la vallée. Les officiers et les soldats, qui avaient ainsi du bois de chauCage à discrétion, ne pouvaient trouver cependant que ce fùt assez pour se préserver du froid. Dès que la rigueur de la saison commenta à sévir avec intensité, on les vit emprunter aux ruines de Sébastopol des pièces de bois équarries, des planches, des pierres de taille, des briques, des tuiles, avec lesquelles -ils se construisirent
des abris remplaçant avantageusement leurs tentes 'ir campement. Il n'est tel que le soldat français en campagne pour savoir s'ingénier, de manière à trouvera -;) portée tout ce dont il a besoin. Si j'avais jamais pu douter de cette vérité, elle m'eut démontrée surabondamment par ce que tirent sous m. yeux, sur les monts Fédioukine, les ordonnances des f't!iciers de l'état-major du corps d'armée tranrais d~'n j'étais le chef. Avec des matériaux de toute espèce qu'iiétaient ailes ramasser dans les ruines de Sébastopol, c< ordonnances construisirent, pour les officiers qu'ils servaient, non point de simples abris, mais de vraies pet't' maisons, ayant leurs murs bâtis en pierres et en briques. des toits couverts en tuiles, des cheminées, des portes <-t des fenêtres bien agencées, leur sol intérieur planchéiéct tout le mobilier indispensable, lit, tables et chaises or) bois. Assurément ces habitations ne valaient pas. sous i'' rapport du confortable, celles de nos paysans de l'Auvergne ou de la Bretagne,.mais telles qu'elles étaient, sur les monts Fédioukine, ou l'un des premiers besoins était d'être bien garanti contre l'excès du froid, elles su montraient à ceux qui les occupaient comme de charmants petits palais d'hiver. Les officiers de l'état-major, dont je viens de parler, avaient presque tous, au commencement de l'hiver ts5~s56, passé de 15 à 18 mois en Crimée. Aussi en étaient-ils arrivas, au bout de ce temps, à prendre en aversion le pain manutentionné et le pain biscuité qui leur était distribué par l'administration de Farmée. Comment s'y prirent-ils pour se procurer un meilleur pain? Ils demandèrent et obtinrent de l'administration qu'elle leur donnât de la farine en échange de leurs rations. Et alors, un de ces officiers, le sous-intendant VMniier, construisit sous sol, de ses propres mains, avec des briques et des cercles en fer de caisses à biscuit, un petit four de campagne~ au moyen duquel un soldat,
c'
k'~angcr de profession, confectionna cttaqnejon)' pour )\'(:'t-fnajor du corps d'armée un véritable pain de )u\e et de temps a autre d'excellentes pâtisseries. )n peu plus tard, à ce luxe de table des oHicicrsde Fctat-major vint s'en joindre nn autre, celui-ci dû a la bienveillance du général en 'tcf de l'armée. A l'époque a laquelle se rapportent les souvenirs que j\oqnc en ce moment, il y avait, au grand parc a bestiam de l'administration française, en Crimée, un certain nombre de vaches laitières, et le général Pélissier, ayant 'iccidé qu'elles seraient livrées en partage aux divers '~ats-majors de l'armée, une d'elles fut accordée aux "fffciers qui composaienirëtat-majordu corps d'armée. t'ft ne saurait s'imaginer avec quel bonlicur ces officiers, '}(n, depuis Icu!' arrivée en Crimée, n'avaient pas bu une ~'utte de lait, virent pour la première fois apparaître sur loir table nu potage au lait. Ce bonheur ne se renouvela ;ur eux qu'à d'assez longs intervalles: car. privée de tout t"urrage vert et nourrie seulement avec du foin de qualité médiocre ou mauvaise, leur misérable vache ne pouvait donner que très peu de lait. C'était à peine si, en trois ou quatre jours, on en eut deux litres. Mais, 'fans la circonstance, ces deux litres avaient une valeur inappréciable. Ce qui contribua grandement, pendant l'hiver de 185~~5U, à donner un certain bien-être aux officiers et aux 'Idats de l'armée i'rançaise, ce furent les dons patriotiques et les dons provenant de Fétranger, dont on leur fit de l.irges distributions, pendant la durée de cet hiver. Ces 'iuns consistaient en conserves de viande ou de légumes, cti vins, en spiritueux, en chocolat, en pâtes alimentaires, en tabac, en vêtements chauds de toute sorte, etc. Il faut dire aussi que, dans le même temps, le général en chef ne ménagea point aux soldats de son armée les
rations dites
c.ao/W~/y'~
sucrectdccaféd).
de vin, d'eau-dc-vie, 'k'
y
Sous bien dus rapports dune, comme on le voit d'np)\-s ce que je viens (le dire, l'existence des officiers et soldats français devint très supportable, en Crimée. ;)u commencement de l'hiver de t~M-1850. Sur deux poiot: cependant, elle laissait furt à désirer. La viande que l':)'iministration de l'armcc délivrait aux troupes était dctc:table, et les légumes frais manquaient totalement, ce (;)); occasionnait chez les soldats de nombreux cas (le scorhu!. les dons envoya de France à l'armée de Crimée, un !ot de quctqucs bouteilles de vieux cogmc échut par hasard m partage à Fétat-major du ~e corps d'armée. On sut par !c~ étiquettes des boutei!!cs, qui portaient les noms des donataires. ';))<: ceux-ci étaient des habitants de la ville de Troyc~. Je ma sonvi. <)< que mes jeunes coHaboratcurs n'eurent pas plns tut fait con<):)i– sancc avec ce qu'ils appelèrent dc& lors leur excellente tinc champagne, qu'ils décidèrent a l'unanimité que l'un d'entre eux ccrir:tit immédiatement a Troyes pour remercier chalcureusementses ha))itants, et leur dire l'accueil empresse qui avait été fait à i. ur gracieux envoi. Je pense que cette résolution fut mise à cxëcuti";): mais dans le cas on elle n'aurait na.s été suivie d'etlet, je prierais voutoir bien recevoir ici, si ta.rdivc les donataires dont it qu'eUc soit, l'expression des sentiments de reconnaissance qu'ont voulu leur faire parvenir !es officiers qui sen'aient près de tt~i pendant t'hiver de 1835-H~6. Tout c~t matière à plaisanterie chez le soldat français; qu'on '-n juge par ta petite anecdote suivante. Je me souviens que, dans fcdons étrangers envoyés en Crimée, pour être distribués à t'arma française, les Américains avaient fait entrer une quantité énon))'dé cigares montés sur paiïïc, ayant toutes les apparences ')' cigares parfaits. Or, quand nos soldats voulurent les fumer, ils en trouvèrent le tabac tellement fort que la plupart d'entre eux virent forcés d'y renoncer, tmmcdiatcmcnt cela donna lieu à une caricature dans laquelle on voyait figurer un zouave fièrement can); fumant an cigare américain, tandis que quatre de ses camarade le soutenaient so!id<'ment pour Fempecher de tomiter à la renverLa caricature courut tous les rangs de l'armée et y obtint un grand succès d'uHanté. (1) Dans
de
La viande <!e distribution était détestable. parce
qu'à )'cpoquc dont il s'agit, l'administration n'avait dans les parcs a bestiaux que des animaux tombant d'inanition, la nourriture qu'on leur donnait étant ou insuffisante ou de mauvaise quatité. Le fait était d'autant plus regrettable 'lue, dans toute l'armée, on avait pris en grand dégoût, pour en avoir trop consommé, les viandes de conserve qui pourtant, il faut le reconnaître, étaient parfaites. Il en ctait 'railleurs de même pour les conserves de légumes: à la longue, on avait fini par les prendre en ave:sioD. Oserai-je parler ici des moyens qui furent employés à cette époque par les officiers qui étaient installés sur les monts Fé'iioukine pour remplacer en partie les aliments que l'administration. leur distribuait? Qu'il me soit permis d'en indiquer au moins quelques-uns. Us commcnccrcnt par faire une chasse acharnée, pendant leurs soirées, aux ban')cs de moineaux qui, dans les temps de neige et de froid rigoureux, venaient de toute la contrée environnante :-e réfugier sur les toits de leurs baraques. Puis, ils se procurèrent de temps en temps un peu (le venaison, en s'adressant à l'obligeance de ceux de leurs camarades du t~ corps d'armée qui, se trouvant dans la vallée de Gaïdar, pouvaient s'y livrer à la chasse du gros gibier dans-les bois qui couvraient les flancs de cette vallée. Plus tard, ils recoururent aux turbots de la mer ~oire <[ui, dans la saison d'hiver, se péchaient en grande abondance dans la baie de Balaklava. Ennn, à l'approche du printemps, ils remuèrenna terre de leurs propres mains tout autour de leurs installations, et y improvisèrent de petits jardins potagers, où ils semèrent toute sorte de graines venues de Constantinople, et qui, bientôt après, icuf fournirent quelques légumes verts. Dans le courant du mois de mai, le scorbut, qui, depuis un certain temps déjà, s'était attaqué à un assez grand nombre de soldats, se développa d'une façon menaçante, t2
ut, dans le même moment, apparut une épidémie bien pius terrible, celle de la fièvre typitoïde, qui envahit tout coup la plupart des camps français. Ou cumitattit le scorbut en faisant entrer dans l'alimentaticn du ~Idat, et en aussi grande quantitc qu'on I<lmt, toutes les herbes mangeables que le s"l du paypruttuisait, le pissenlit tout particulièrement, en les assaisonnant avec force vinaigre. Grâce à cette mesure, Iccas de sc'rbut diminuèrent sensiblement. le n"mhre de:ifueris"ns al!a de plus en plus en augmentante et raffection finit bientôt par disparaitre totalement. Un atténua la violence de l'épidémie typbique en obligeant les troupes à changer de deux en deux jours lc~ emplacements de leurs campements. Malheureusement. comme partout autour de Sebastop"! le sol était infecté par suite du séjour prolongé que l'armée y avait fait, il était difficile d'y trouver des parcelles de terrain qui ne fussent pas contaminées. H résulta de là que, malgré dedéplacements de camp sans cesse renouvelés, la maladie n'y continua pas moins à faire des victimes, bien que sa violence allât sans cesse en s'atténuant de plus en plus.
X!V
LA!'A!\ t{cvuc de l'armée russe passée
par
Ics commandante en chef des
armecs attiecs.– Hevnc des armées franc:)ise et an::taisc passée par le générât en chef de l'armcc rn-sc. –t)i~tribuHon tic décorations faite dan:. les arnx~es française et anglaise.– Uispositions prises dans t'armée francai-c p'ur son evac'):'tion de la Crimée et sa rentrée en France.
Pendant le temps qui s'était écoulé entre la prise (le Sébastopol et la conclusion de la paix, le général prince
'tOrtsehakofr, rappelc à Saint-Pétersbourg, avait, par ordre de l'empereur Atcxandre I!~ remis, entre les mains du général Luders. L; commandement en chef de rarméc russe de Crimée. Après avoir appris, le 1~ avril, que la paix était dénnitivcment signée, les sénéraux en chef des armées alliées nesongeaient déjà plus qu'aux dispositions qu'ils avaient a prendre pour rapatrier ces armées, lorsque le général Luders les invita courtoisement à faire a son armée l'honneur de la passer en revue sur le plateau de Mackensie. Les généraux en chef, accompagnés (le tous les officiers composant leurs états-majors, se rendirent, le 15 avril, à l'invitation qui leur avait été faite. A leur tour, le gé-
néral PéUssier et le g~n'al C"dringtun, le. commanda;) en chef de l'armée anglaise, arrêtèrent entre cu\ qu'ils réuniraient leurs armées dans une grande revu<?. dont ils feraient les honneurs au généra! Ludcrs. Le 17avril, jour convenu entre eux et le général Luder*. les généraux en chet, suivis de leurs états-majors, seportèrent au-devant de celui-ci pour le recevoir. Ils le trouvèrent dans le moment où, descendu de ~lackcnsie, il venait de passer par le pont de Traktir et allait entrer dans la plaine de Halakiava. En le remerciant de l'honéchangèrent neur qu'il avait bien voulu leur avec lui une poignée de main des plus cordiales. Le général Ludcrs, officicr d'un extérieur hrillant. plein de distinction dans ses manières, répondit, patquelques paroles émues et empreintes de' noblesse, l'accueil empressé qui lui était fait, et un instant âpres. le général Pélissier le conduisit jusqu'à la droite de la ligne que l'armée française, rangée en bataille, formait dans la plaine de DalaMava. Le général Luders passa lentement devant le front detroupes, chaque régiment lui rendant successivement les honneurs militaires. Arrivé a la gauche de la ligne qui touchait presque au Grand Quartier général de l'armée française, il s'arrêta un instant pour complimenter le général Pélissier sur la belle attitude de ses soldats sous les armes. sur leur air martial, et surtout sur les prodiges de va!eur qu'ils avaient accomplis pendant les dureépreuves de la guerre qui venait de finir. Après avoir passé en revue l'armée française, le général Luders fut conduit par le général Codri.ngton sur le terrain où l'armée anglaise était rangée en bataille (1). t
ils
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(t) Aprc~ la prise de Sébastopol, le commandement en chef <h! ranaee an:r!a.!sc Jt&it passé des maiH~ du ~cncr~t SytQpsoa (I~n<'e!!es
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~cticnd Codrington.
Cette armée jx'éscnta ce jour-là un aspectdcs plus magnifiques. Comme je rai déjà dit, les Anglais avaient ctc rudement éprouves pendant la première période de la gtierrc. Le'! t'a rangs, éclaircis par le feu des Russes, l'avaient été bien plus encore par les maladies et par une urbanisation de leurs ambulances, insuffisante et défectjeuse. Mais dès le commencement de 1S55, le gouvernement de la Grande-Bretagne, qui ne compte jamais avec les sacrifices d'argent quani il s'agit de s"n armée, avait doté ses troupes de Crimée d'un service sanitaire parfaitement et même très luxueusement organisé et y avait envoyé de nombreux renforts. Aussi l'armée anglaise put-elle, le 17 avril !856, réunir sous les armes, pourr être passés en revue par le général Ludcrs, 50,000 soldats d'une tenue superbe, les uniformes, les équipements des cavaliers étant tous neufs, et Fartiile ie resplendissant, entre les autres armes, autant pa: la belle composition de ses hommes et de ses chevaux que par le
brillant de ses attelages. Des que le général Luders eut passé devant le front des troupes anglaises et qu'il eut adressé ses félicitations au général CoJr.ngton, il fut invité par celui-ci et par le général Pélissier à se rendre sous une immense tente, "a un lunch splendide avait été préparé pour lui être offert, ainsi qu'aux officiers èe sa suite, en présence des officiers généraux, et supérieurs des armées française et anglatse. Pendant ce lunch, ce ne fut que toasts portés par les généraux en chef en l'honneur des souverains des puissances qui avaient été engagées dans la guerre qui venait de finir, et a la gloire de leurs armées. Cette fête de la paix se termina p~r force poignées de main cordiales échangées entre tous les assistants. Après les revues des armées françaises et anglaises dont je viens de parler, les généraux Pélissier et Codringl~.
ton se remirent de l'un il l'autre les décorations dans l'ordre de la Lésion d'honneur que l'empereur Napoléon ni accordait aux officiers de l'armée anglaise c-t celles de l'ordre du Dain que Sa Majesté la reine d'Angleterre avait envoyées pour être distribuées aux ofucipt'~ supérieurs de l'armée française qui s'étaient le plus distingués pendant la guerre. La distribution des décorations de Fordrc du Bain d:)n.~ Farinée française se fit le ).~ avril (1). Ici, je confesserai, a ma grande confusion, que j'eus h faiblesse d'éprouver un véritable désappointement lorsqn-je constatai que, de tous les orticiers de mon grade figuras dans les états-majors de Farméc française, j'étais absolument le seul a qui la décoration de l'ordre du Pain n'était point accordée. Je m'en trouvai d'autant p!us froissé que. dans le nombre des officiers français qui la recevaient, il en était plusieurs qui étaient d'un grade inférieur an mien et qui n'étant arrivés en Crimée qu'après la pri~-e de -Sébastopol n'avaient pu y prendre part a aucune action de guerre. Je me consolai cependant assez vite de l'humiliation qui m'était infligée en réf!écbissant que si, depuis mot! arrivée en Crimée, je m'étais trouvé constamment aux attaqnes de droite du siège pour prendre part à tous les combats qui s'y étaient livrés, notamment lu 7 juin 1855, à l'enlèvement des ouvrages blancs des dusses, le 18 du même moi-, a l'assaut si malheureux et ~i Quelques jours plus tard, des décorations de la Légion d'honneur furent données aux ofticicrs de l'armée turque ''f a ceux du corps piemontais, en échange de celles des ordres du Mcdjtdte de Turquie, des Sa-ints-Mauricc et Lazare et de la médaille da mérite militaire de Piémont, accordées par t. sultan et par le rui Victor-Emma-nuel à Fermée française. Après la guerre, une mJdaiDe commémorative de la guerre d'Orient, frappée en Angleterre a réfugie de Sa Majesté ta. reine Victoria, fut donnée par celle-ci a tous les ofCcicrs et soldats fran(1)
çais qui avaient pris part à cette guerre.
meurtrier tenté ce j"ur-la contre rcnccinte de Séitastopol, que si ensuite la bataille de Traktir m'avait valu une citation des plus honorables dans le rapport du général Herbillon sur cette bataille, et que si enfin j'avais paye (le ma personne il l'assaut de MalakoS, je devais me trouver réc"mpensé. ayant, élé promu,:) suite de (le cet largement récl,mpensé, ayant été promu, Ù la Ilite assaut, au~grade de commandeur dans la Légion d'honneur. Tout remis que je fusse de l'émotion pénible que j'avais d'abord éprouvée, je m'en ouvris cependant près du général Pélissierla premi'Te fois que j'eus l'occasion de le voir, après la distribution des déc-'rations anglaises. Très surpris de la confidence que je lui faisais, il m'assura qu'il s'enquerrait des motifs de l'exclusion singulière dont j'avais été l'ubjet. Quelques jours plus tard. il m'apprit qu'ayant chargé s"n chef d'état-major généra!, le général de Martimprey, d'établir le travail de répartition des décorations de l'ordre du Hain a faire entre les ofticicrs de l'armée, le général avait, par erreur, oublié de faire figurer mon nom dans ce travail. Le général Pélissier aj"uta que, comme il était trop tard pour qu'il put faire réparer l'erreur, il me dédommagerait bientôt en me donnant une des décorations d'Espagne dont l'arrivée prochaine lui était annoncée pour être remises a l'armée française. Je n'entendis plus autrement parler de ces décorations d'Espagne; le général Pélissier ne les re';utpas. On se demandera sans doute, après avoir lu les lignes précédentes, comment j'ai pu parler, a propos de décorations étrangères, d'un incident qui m'a été tout personnel, et qui de sa nature était peu digne d'être raconté. C'est que depuis la guerre d'Orient, on m'a bien souvent demandé pourquoijeneportais pas la décoration del'ordre du I;am. Cela m'a fait penser que je pouvais me permettre, en écrivant mes souvenirs de Crimée, d'en donner ici la raison. Dans les jours qui suivirent la grande revue passée par
le général Luders, il ne fut plus question dans rarmé.franoaise que de son départ de Crimée pour rentrer c:) France. D'après les dispositions arrêtées a cet effet par le gén' ral en c!tef, les troupes du 3** corps d'armée, commandé'par le général de Mac-Mahon, devaient être rapatriécaprès tous les corps de l'armée: il fut convenu quccr corpsquitteraitimmédiatcmentles monts Fédioukine pou.' aller camper, entre Balaklava et Kamiesc<t, près du monastère de Saint-Georges, où il attendrait son tour d'emLarquement a Kamiesch. Ce ne fut pas sans éprouver quelque chagrin que !c~ officiers composant l'état-major du corps s'éloi~ncren! des petites habitations qu'ils avaient t'ait construire su' les monts Fédioukine et des jardins potagers qui commenraient a leur donner quelques légumes frais. A partir du jour ou ils s'établirent dans leur nouveau campement. ils n'eurent plus pour abris que de misérables masures on des tentes, et d'autre perspective que celle des ennuie d'un séjour sans but et d'un embarquement qui pouvai! se faire attendre assez longtemps. Ajoutons que, dans les camps du monastère de Saint-Georges, ralimentation des officiers et des soldats du 3< corps d'armée devin' bientôt exécrable. Voici pourquoi Pendant tout le temps qu'avait duré l'armistice cntr' les armées belligérantes,l'administrationde l'armée française, voulant se mettre en garde contre une reprise d'hostilités qui n'était pas impossible, avait cru qu'elle ne devait point cesser de tenir ses parcs de viande sur pie.i abondamment approvisionnés. Il arriva de là que, lorsqu" la paix eut été conclue, les approvisionnements de ce? parcs dépassèrent de beaucoup ceux qui étaient nécessaires pour assurer la subsistance des troupes qui allaient quitter la Crimée pour rentrer en France. Il fallut alors que l'administration songeât à livrer en vente au commerce, au
profit du Trésor, l'excédent de viande sur pied qui devait demeurer disponible après l'embarquement complet de tonte l'armée. !)'s qu'elle eut arrêté to 'tes ses dispositions a cet égard, on aurait pu s'imaginer que, profitant de ce qu'il y avait surabondance dans les parcs, e!Ic ne t'erait p!us abattre, pour les mettre en distribution, que !s têtes de betnil de moins mauvaise qualité, afm de d"nner à des soldats, que de longues privations avaient .'onsidernblemcnt débilites, une subsistance aussi bonne ~jue possible. Mais les fonctionnaires de l'intendance, ces gardiens vigilant- des intérêts du Trésor, rie partagèrent ;!cut-etrc pas tous cette opinion; car en leur reprocha, ;tvec raison, de ne plus faire mettre en distribution que des viandes provenant de bêtes qm tombaient d'inanition, afin de conserver dans les parcs un stock plus important d'animaux qui, encore sains et en assez bon état d'entretien, pourraient être plus avantageusement livres au commerce. Les conséquences de ce calcul ingénieux furent que, si d'un côte les finances de l'État en retirèrent quelque mince profit, nos soldats furent fort mal n"urris. dans un moment ou il aurait ~c nécessaire de profiter de la circonstance qui permettait de les nourrir mieux qu'un ne l'avait fait jusque-la. L'emb~rquemen: a Kamiesch des troupesdu ~"corps'd'artn~e française, commence vers le t~ du moisde juin, fut terminé le ~juillet. PendanMcs deux mois que je passai avec ces troupes près du monastère de Saint-Ccorges, je vis revenir, dans le voisinage de ce monastère, un bon nombre d'habitants qui avaient émigré pendant laguerre. H me serait impossible de dépeindre ici, c"mme il le faudrait; rebahissement qui les saisit quand ils se mirent à considérer l'aspect tout nouveau que la contrée avait pris en leur absence. Là ou ils avaient laissé de beaux vignobles, des champs bien cultives, ils ne trouvaient ;us que de vastes terrains dénudes, ne portant plus au-
cun arbre, aucun vestige de vigne; mais, de tous côtes, des petits abris construits en pierre ou en terre, et un' quantité de chemins que les Français avaient ouverts pour établir des communications faciles entre leurs dit)rents campements. Un des grands propriétaires du pays, revenu ainsi sur ses terres, s'étant écrié un jour devant moi qu'il lui serait à tout jamais impossible de retrouver les limites de ses champs « Consolez-vous donc, lui dis-je: est-ce quevoune voyez pas que nous avons bâti des habitations pour vos serfs, et que, sur vos domaines, nous avons ouvert des voies de communicationqui ymanquaientct qui vont ctr'pour vous une source de richesses, parce qu'elles vous permettront d'exporter plus aisément vos récoltes? –"C'est bien possible, me répondit ce marquis de Carabasde Crimais en attendant que ce que vous dites arrive, il mée faut que je reconnaisse mes terres, et je ne sais plus <!u tout où elles sont. » Je revis ce seigneur un peu plus tar' et je le trouvai quelque peu remis de ses premières inquietures. Comme on était presque à la veille du 5 juillet, jourioù j'avais a prendre passage sur le paquebot qui devait me ramener en France. je lui fis mes adieux, sans lui dire au revoir, Lien entendu (j'avais assez de la Crimée), mais en lui souhaitant toutes sortes de prospérités, la reconstitution prochaine de ses beaux vignobles et la remise en culture des champs qu'il venait de retrouver. La traversée de Kamiesch à Marseille~ qu'on m'avait dit devoir être de cinq jours au plus, dura huit jours pleins mais je n'eus pas à regretter de n'arriver pas plus vite a destination. Le paquebot fit d'assez longues relâches Constantinople, à Syra, à Smyrne et a Malte. J'employ;!ii le temps que je passai dans ces localités d'une manière aussi instructive qu'agréable A Constantinople, J'allai visiter les Eaux douces d'et~' qui, dans la saison où l'on se trouvait, étaient alors dans
toute la splendeur de leurs magnifiques ombrages. Hcvenu de cette promenade dans l'intérieur de la ville, j'allai part'r.nrir.dans tous les sens, un grand caravansérail, un immense bazar ou je vis étalés, dans une quantité prodigieuse de boutiques, tenues par des musulmans, des Grecs ou des juifs, tous les produits de l'industrie orientale, des étoffes, des tapis, des pelleteries, des objets d'orfèvrerie et de bijouterie fabriques dans le pays, des vêtements de toute forme appropriés aux usages de la population cosmopoli te de Constantinople. Le tableau de ce bazar, dans lequel dominaient (tt'incipalemcnt les couleurs éclatantes, était un des plus
intéressants qui pussent s'offrir aux regards du touriste avide de curiosités. A ma sortie du caravansérail et suivi des officiers d'étatmajor qui étaient partis de Kamiesch avec moi, je me rendis à la Corne-d'Or, et j'y fis choix, pour me faire conduire à. Scutari, du plus luxueux caîque que j'y trouvai, une charmante petite embarcation montée par son patron, Turc de prestance magnifique, et par six robustes rameurs. f! faut habituellement une heure pour aller en calque de la Corne-d'Or à Scutari je ils le trajet en moins de trois quarts d'heure. Pendant la traversée, il se passa à bord un petit incident assez piquant. J'étais assis sur un banc à l'arrière du calque, lorsque le patron, qui parlait assez couramCe n'est pas la ment le français, me dit tout à coup première fois que je te vois, mon colonel; je te reconnais parfaitement. Où donc m'as-tu vu précédemment? Crimée, fit-il, dans la soirée demandai-je. « C'est en du jour où l'assaut a été donné à Malakoff, quand on a employé les soldats turcs à relever les morts et à transporter les blessés dans les ambulances françaises. » Oui, Tu étais donc dans l'armée turque de Crimée? » j'y étais capitaine, commandant une compagnie d'infanterie. Apres la paix, je suis revenu à Constantinople, et j'ai '<
donné ma démission pour reprendre mon ancien mé.i' de patron de caïque, qui est bien plus sur et plus lu. cratif que le gra -e que j'avais dans notre armée. Les renseignements étaient précis; il u'y avait pas doute possible; celui qui venait de me tenir ce langa-c et qui, en ce moment, tenait en main la barre dcnr.n caïque, avait été tout récemment un capitaine de l'armc'turque de Crimée. Si étrange que put paraître )adétermi.nation qu'il avait prise de renoncer à sun gra'le pour faire volontaireo'ent d'évoqué meunier, il ne'faut ?:<trop s'en étonner. Les institutions militaires ne sont point, dans l'empire ottoman~ absolument les mêmes qu'' celles qui existent en France. La situation des ot'Hcier~ dans1'armée turque est assez précaire; la possession du grade n'y est pas parfaitement garantie par la loi, et pui-. la solde attachée à l'emploi n'est pas toujours régulièrement payée. En faut-il davantage pour que la. condiU'-m de rofticier manque de prestige et soit peu attrayante? La ville de Scutari, la Constantinople asiatique, e't près de la capitale de l'Empire ottoman ce que Vcrsaillc' est ~rcs de Paris. 0:! ne peut se dispenser de l'aller visiter quand on passe par Cuns~ntinopic. Ses villas aux couleurs éclatantes, ses magniliques vergers, clos ')'' hautes haies de lauriers-rosés, de grenadiers, de myrteet de lentisqnes~ ront, dans la saison ou je suis allé l'admirer, l'un des plus. beaux tableaux champètres que l'o:) puisse imaginer. Les allées qui l'entourent sont des lieux de promenade ravissants. Je revins à Constantinople. émerveillé de l'excursion que j'avais faite, et me disant que, sans exagération aucune, on avait pu écrire que c'' petit coin de l'Orient était un vrai paradis terrestre. Le port de Syra, situé sur la côte orientale de la petite île dont il a emprunté le nom, est par sa position an eentra <les Cyclades le principal entrepôt et la statiun importante de la mer Egée. Il est le point où se rattachentt
toutes les liftes de na.viga.ttOM qui font communiquer la Méditerranée avec les Dardanelles et la mer Noire. L:t ville qui y est bâtie, bien qu'on lui donne généralement le nom de Syra, s'appelle officiellement en grec //erm.o/)o~. Elle occupe, sur le bord de la mer, le pied '!c la montagne rocheuse qui t'arme le centre de nie. Vue du port, elle apparaît sur le flanc de la montagne, pareille u. une pyramide triangulaire composée de petites maisons qui sont d'une blancheur éclatante. C'est en petit la ville d'Alger, quand on la voit de la haute mer. Le sol <;ui l'environne est totalement dénué d'arbres et presque :ms culture. A son sommet se trouve une petite église ratholique, dite église de Saint-Georges, desservie par des religieux français appartenant à l'ordre des capucins. Ces religieux, quoique pauvres et n'ayant pour tous moyens d'existence que le produit de la vente du vin qu'ils retirent <!c quelques arpents de vigne, plantés par eux autour de leur couvent, font cependant beaucoup de bien dans File en venant en aide à (le plus misérables qu'eux. Aussi sont-ils aimés et respectes, et font-ils aussi aimer le nom de la France. Le vin qu'ils récoltent a de la réputation dans le pays; on prétend qu'il a une certaine analogie avec le vin de Chypre. Les habitants de Syra sont peu industrieux: ils fabriquent cependant un genre de confiserie qui est en grande faveur dans l'Orient. II n'est pas un étranger qui mette !e pied sur le quai de leur port sans qu'il se v'tie aussitôt poursuivi par une quantité de petits colporteurs lui présentant ce fameux ratakoum de Syra, une confiture de p.Ue consistante comme celle de la pàte de guimauve et fortement parfumée il l'essence de rose, dont raffolent les femmes de Constantinople, surtout celles qui peuplent les harems. Aux approches de Smyrne, ce qui excita à un haut degré mon admiration, ce fut l'immensité de la rade, toute 13
bordée sur ses rives de coteaux couvert de la plus luxtiriantc verdure. A proprement parler, il n'y a pas de port. à Smyrne, mais seulement des quais de débarquement es navires de commerce accostent avec toute racilité, '-[ dont les vaisseaux de guerre peuvent sans péril s'appr"cher jusqu'à quelques encablures seulement. La rade de Smyrne passe pour être la {'lus sure qui s<) au monde; aussi dit-on qu'elle est l'~ysce des marins. Ce qui ravit l'œil du voyageur débarquant à Smyrnc. c'est la vue du magninque manteau de verdure qui l'enveloppe. Ce n'est, tout autour de ses habitations à coaleurs éclatantes, qu'orangers et citronniers en pleine terre, des vergers plantés d'arbres fruitiers et des jardins enclos de haies formées de lauriers-rosés, de grenadiers et de myrtes. Au-dessus de la ville se dessinent à l'h". rizon des collines d'un aspect riant et pittoresque. La population de Smyrne compte de 140 à t50,UOO âme: Elle présente dans son ensemble des traits (le physionomie qui la distinguent essentiellement de toute autre. Cela tient à ce qu'elle se compose d'éléments qui appartiennentt à toutes les nationalités du monde entier. Les musulmanet les Grecs y dominent par le nombre, et parmi les musulmans, il y a des Asiatiques, des Persans et des Arabe-: puis viennent les juifs de toute origine, les Anglais, 1eFrançais, les Américains, les Allemands, des Candiote: des Russes, etc. Ce mélange de races diverses fait u': peuple à part, où se parlent toutes les langues et qui diffère de toutes les nations, autant parles mœurs que par la variété des vêtements. Tous les Smyrniotes sont commerçants; par leurs mainpasse la plus grande partie des objets manufacturés que l'industrie occidentale exporte dans l'Asie Mineure et jusqu'en Asie, et de ceux que l'Inde et la Perse expédicn en Occident. Leur existence matérielle est facile car il: ont la viande à bon marché, et les terres fertiles qu'il
cultivent à leur porte leur donnent les céréales dont ils «Ht besoin pour s'alimenter et tous les fruits e! légumes que prodaisent les contrées du midi de la France. payant, à passer que quelques heures à Smyrne, je dus renoncer à l'idée de visiter les différents quartiers de la ville. J'eus le temps cependant de me rendre jusqu'au cimetière des Turcs et de constater que, moins grand que celui de Constantinople, il lui ressemblait de tous joints, et par l'ornementation des tombes et par la foret J-j cyprès qui l'ombrage. J'allais, par la rue principale de la ville, jusqu'à son extrémité orientale, la où se trouve le pont ~es caravanes, le lieu de promenade, ombrage de beaux platanes, oùIcsSmyrniotcs vont chercher la fraîcheur pendant les grandes chaleurs de l'été. Le pont existant en cet endroit est jeté sur la petite rivière de Mêlés qui descend de la colline, 'ù a été primitivement Smyrne, avant que la population vint s'établir sur le bord de la mer, où on la voit aujourd'hui. En revenant du pont des caravanes, je vis qu'il y avait à l'intérieur de la ville des mosquées dont les minarets ne ressemblaient en rien par leur élévation et leur élégance à ceux qui font un si bel effet au-dessus des mosquées de Constantinople. Je remarquai qu'il s'y trouvait aussi des églises catholiques, des synagogues, un temple protestant.Je ne vis pas un seul de ces édifices, consacrés aux diuérents cultes, qui, sous son extérieur architectural, revêtit un semblant de cachet grandiose ou artistique. Je questionnai mon guide pour savoir de lui s'il ne pourrait pas me conduire dans une fabrique où l'on confectionnait ces fameux tapis de Smyrne, si réputés pour ht variété harmonieuse de leurs dessins et la splendeur de leurs couleurs il m'assura que ces tapis ne se faisaient t'oint dans des fabriques spéciales mais seulement dans l'intérieur de certaines familles smyrniotes, ou chez des
paysans des environs, et même assez loin dans FAsic. J'en fus pour mes frais de curiosité. La ville de Malte doit son nom à celui de File dans laquelle elle a été bâtie. Sa fondation remonte à la ph):haute antiquité, car elle a été successivement occupée par les Phéniciens, les Carthaginois, les Grecs et les mains. Il semble que la nature ait fait d'elle-même tont ce qu'il fallait pour qu'elle devînt, tôt ou tard, ce qu'eUe est aujourd'hui, l'une des inforteresses les plus inexprimables qui soient dans l'univers entier. En effet, a la côte occidentale de File de Malte, la Méditerranée, en pénétrant dans l'intérieur des terres par deux étroites ouvertures voisines l'âne de l'autre, y n. forme deux anses profondes entre lesquelles se dresse un rocher gigantesque, dont la projection affecterait Iii forme d'un long parallélogramme. L'altitude de ce rocher au-dessus du niveau de la mer est de HO à 150 m' kilomètres, depuis le tres. Sa longueur mesure point ou il se détache de la terre jusqu'à celui où il v~ tomber dans la mer, entre les deux ouvertures par off celle-ci fait son entrée dans l'ile. Sa largeur unifonne est d'un kilomètre. C'est sur le sommet de ce rocher aplati et formant plate-forme qu'est bâtie la ville de Malte. Elle a des faubourgs qui sont répandus, autour d'elle, sur les collines dont le pied est baigné par les deux anses qui l'enveloppent sur trois de ses côtés. Ces deux anses sont les ports de Malte, dont le plus important e~ celui qui s'appelle le port de la Valette. Ces ports se ramifient à leur intérieur en plusieurs ports secondaires larges et prufonds. L'entrée de chacun des ports de Malte n'a pas plus de 250 mètres de largeur. Malte, par sa situation au centre de la Méditerranée. dans l'étroit espace qui sépare la Sicile de la Tunisie, et grâce à la sûreté de ses ports, a été, de tout temps, une station commerciale importante pour les nations qui ont
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exercé leur empire sur la mer intérieure qui baigne à la fois les eûtes de l'Europe et ce!Ies de l'Afrique. Son site particulier, dont j'ai essayé ci-dessus de donner la description, la destinait nécessairement à jouer un grand rôle militaire. Le commencement de ce rôle date pour elle de t5~, année dans laquelle les chevaliers de Saint-Jean de Jérusalem, chassés de Rhodes, vinrent s'y établir comme représentants du monde chrétien, alors en lutte contre les Turcs et les Barbaresques du nord de l'Afrique. En !798, Bonaparte, en passant devant Malteavec l'armée française qu'il conduisait à la conquête de l'Egypte, s'empara de la place sans coup férir, grâce à l'habileté des intelligences qu'il avait su se ménager parmi les chevaliers de nationalité française. Mais la garnison que Bonaparte y avait laissée, après avoir été assiégée pendant deux années par les Hottes puissantes de la Grande-Bretagne, fut forcée de capituler le 5 septembre 1800, et de l'abandonner aux mains des Anglais. Depuis ce jour-là, il n'est pas de travaux que le gouvernement anglais n'ait entrepris et de sacrifices qu'il n'ait faits pour accumuler fortifications sur fortifications tout autour de Malte, et pour rendre les approches de ses deux ports de plus en plus difficiles. Quand, de l'entrée du port de la Vafette, on jette un coup d'œil sur les ('tages superposés de batteries casematées qui surmontent les hautes murailles de la forteresse, disposées ellesmêmes admirablement pour que les feux de ces batteries se croisent sur l'entrée de ce port, on se demande comment une flotte de guerre, si puissante fut-elle, pourrait, sans être vouée infailliblement à une destruction complète, entreprendre une attaque contre les défenses de Malte. Il est bien certain qu'avec l'armement dont la marine a usé jusqu'ici, elle serait impuissante à contrebattre avec avantage celui de la place, à renverser les
fortifications et à forcer rentrée de la rade. Mais il e~ vrai que depuis l'époque ou j'ai -vu Malte, l'artillerie fait des propres tels que ce n'est plus en abattant fie? murailles, en y faisant brèche par le boulet qu'on cherchera a s'emparer d'une forteresse. C'est bien plutôt?: le bombardement et par les projectiles expk'sibles. L; science ne fait-elle pas chaque jour de nouveaux eHortpour que les matières employées dans le chargement (~ ces engius de guerre triomphent de toutes les résistance; que les ingénieurs militaires chercheront à leur opposer? Il est fort possible qu'elle y réussisse. Du port de la Valette, on monte dans la ville par des escaliers aux larges dalles pratiqués sur le versant d'i rocher qu'elle domine. L'ascension est pénible; mais eli' le serait biert davantage si, dans ces escaliers, il n'existait, de distance en distance, un palier garni de bancs sur lesquc~ on peut reprendre haleine et se reposer un instant. L'intérieur de la ville est percé régulièrement. dans le sens de sa longueur, par plusieurs ruesparalh'-Ip-: entre elles, et :t égale distance l'une de l'autre, elle l'c: dans sa largeur par des rues perpendiculaires aux premières. 11 en résulte que la ville tout entière se.compo~d'une quantité d'Ilots affectant tous une superficie :i peu près quadrangulaire. Les rues sont sufnsammen' larges, pavées en dalles de pierre blanche et bordées de petits trottoirs. Les habitations, construites toutes en calcaire gris-blanc du pays, n'ont pour la plupart qu'un seul étage. Leurs façades très simples se ressemblentt à peu près toutes. Dans la rue qu'on m'a signalé comme étant la plus belle et la plus commerçante de la ville, on voit de nombreux petits magasins ou boutiques ayant à leurs étalages toules articles confectionnés que l'Angleterre expédie à Malte. !I n'est pas bon, par exemple, de s'aventurer dans cette rue, comme j'ai eu l'imprudence de le faire, en plein
mois de juillet et à l'heure de midi. Le soleil, y dardant ses rayons d'aplomb, dans toute sa largeur, et ces rayons se rénéchissant à la fois sur les murs blancs des maisons et les dalles du pavé, y développe une chaleur comparable à celle qui sortirait de la bouche d'une fournaise. Jamais, je crnis, je n'eus a supporter, dans les plaines dénudées de l'Algérie, une chaleur aussi intense que celle-là. En dehors des fortifications qui défendent si bien l'entrée du port de Malte, celles qui forment les deux mandes faces de l'enceinte de la place se composent de fronts bastionnés armés de plusieurs étapes (le batteries casematées. La pente quasi verticale du rocher, an haut duquel elles ont été construites, fait qu'elles sont absolument inaccessibles. La partie des fortifications. qoi forme la face de l'enceinte par on Malte se rattache a la terre ferme, ne présenterait pas le même obstacle à un ennemi qui aurait réussi à débarquer dans l'île et qui attaquerait la place de ce côté. Mais tes difficultés lui seraient très grandes encore car sur la face dont il s'agit, ce n'est point un seul front bastic'nné, {r~s élevé et f"rtcment armé, qu'il aurait à enlever. Derrière ce front et parallèlement a lui, il lui faudrait s'emparer ensuite d'un front tout pareil avant, qu'il put pénétrer jusqu'au cœur de la forteresse, Pour préparer son attaque contre Malte, en 179S, Uonaparte avait pu faire opérer Je débarquement d'un petit corps de troupes dan:. I')!e, et cela lui avait paru suffisant. Mais aujourd'hui on ne pourrait songer à s'emparer de Malte par terre sans y employer des forces considérables. Un débarquement de pareilles forces serait-il possible à présent? C'est à la marine seule qu'il appartient d'examiner la question. Le seul point sur lequel j'insiste ici, parce qu'il résulte de l'examen que j'ai fait des défenses actuelles de Malte, c'est que, si ces défenses peuvent être attaquées
avec quelque chance de réussite, ce n'est point par mer, mais par le c~ té où la place est rattachée à la terre. Toute la campagne qui environne Malte se compose d'un sol peu accidenté, aride, pierreux, calciné par le soleil. Ça et là, on y voit quelques plantations d'amandiers, d'oliviers, de citronniers et d'orangers. C'est <!c Malte que nous viennent ces oranges mandarines qui jouissent d'une certaine réputation, bien que, sous le rapport de la grosseur et du parfum, elles ne puissent rivaliser avec celles que donnent les orangers de Blidah. L'ancien palais des chevaliers de Saint-Jean de Jérusalem que je voulus visiter avant de quitter Malte es) aujourd'hui, dans son ensemble et son aspect extérieur. ce qu'il était au xvi" siècle. Ce n'est point un château; il ressemble bien plutôt à une caserne: il est presque complètement inhabité. Ce qui y rappelle les chevaliers de Malte, c'est la bibliothèque où sont soigneusement conservées les archives de leur ordre; puis une très vaste salle d'armes dont les parois sont couvertes de panoplies en grand nombre, composées d'armures remarquables ayant appartenu aux plus célèbres des Templiers. A ma sortie du palais, je regagnai le port et je remontai' sur le paquebot qui, deux jours plus tard, me permit de débarquer sur le quai de la Joliette, a Marseille. Ait quel cri d'actions de grâces on adresse à la divine Providence et quelle joie l'on éprouve dans l'instant où l'on revoit le sol de la Patrie, après une absence de deux années, passées tout entières dans les combats, et au milieu des maladies terribles qui caractériseront si upouvantablement la guerre de Crimée!
FIX DES SOUVENIRS DE LA GUERRE DE CRIMÉE
SOUVENIRS DE LA
GUERRE D'ITALIE
SOUVENIRS DELA
GUERRE D'ITALIE
En janvier 18~9, on pouvait prévoir que la guerre était imminente entre l'Autriche et la France. Les paroles, adressées le premier jour de l'an par l'empereur Napoléon ni à l'ambassadeur d'Autriche, en présence de tous les représentants du corps diplomatique, ne laissait aucun doute sur les dispositions bien arrêtées qu'avait ce souverain d'unir les armes de la France à celles du roi Victor-Emmanuel, s'il arrivait que l'Autriche ne renonçât pas, comme c'était son intention, à faire envahir, par son armée,
Je territoire
du Piémont. J'étais, à cette époque colonel, premier aide de camp du général de Mac-Mahon, commandant supérieur des forces de terre et de mer en Algérie, lorsque, le !6 mars, je fus promu au grade de général de brigade et invité à quitter l'Algérie et à me rendre à Paris pour y attendre la nouvelle destination qu'il conviendrait au ministre de la guerre de me donner. Mais, avant de m'éloigner d'Alger, il avait été entendu entre le général de MacMahon et moi que si la guerre venait tout à coup à éclater le général demanderait que je fusse désigné pour être le chef d'état-major du corps d'armée dont il espé-
rait avoir le commandement, et que, de mon côte, je ferais de mon mieux, pour que le ministre de la guerre consentit à ce qu'il en fùt ainsi. Dans la dernière quinzaine du mois d'avril, l'attitude du gouvernement autrichien et ses projets belliqueux contre le Piémont se démasquèrent si clairement qu'en France, le ministre de la guerre prit ses dispositions pour organiser l'armée qui devait se porter au secours de l'armée sarde. Il arrêta la composition qu'il voulait lui donner. Il décida qu'elle comprendrait six corps d'armée, y compris celui de la garde impériale, et désigna les généraux qui seraient appelés à commander ces corps, savoir: le maréchal Baraguay-d'Hillicrs, pour le corps: le général de Mac-Mahon, pour le le maréchal Canrohert, pour le 3" le général Niel, pour le i'; le prince Napoléon, pour le 5% et le général Regnault de SaintJean-d'Angely, pour le corps de la garde impériale, qu'il commandait depuis que cette garde avait été créée. L'empereur Napoléon 111, qui s'était réservé pour luimême le commandement en chef de l'armée. avait désigné le maréchal Randon, ancien gouverneur de l'Algérie, pour exercer auprès de lui les fonctions de major général, ayant pour le seconder, à titre de chef d'état-major général, le général de division de Martimprey, qui avait précédemment servi, en la même qualité, auprès du maréchal Randon en Algérie. Au ministère de la guerre, on travaillait à la composition du personnel des états-majors de Farmée~ qu'on appelait déjà l'armée des Alpes, lorsqu'un matin le chef d'escadron Ribourt.aidedecampdumaréchalRandon,me rencontrant, par hasard, dans l'une des cours de l'hôtel du ministère de la guerre, m'apprit que je devais m'attendre à être désigné pour faire partie de l'état-major général de l'arTnée~ le maréchal Randon ayant jeté les yeux sur moi pour m~y donner un emploi de mon grade.
Je fis connaître alors au commandant Uibourt que, si
honoré que je pusse être de la faveur que !c maréchal ):andon me réservait, je le priai de vouloir bien informer le futur major général que le général dcMac-Mahon m'avait promis de me demander pour chef d'état-major, dans le cas où il serait appelé à commander un corps d'armée. Je <is plus, j'allai trouver le maréchal nandon et lui fis connaitre que, probablement il désobligerait beaucoup le général de Mac-Mahon s'il s'opposait il ce que le ministre accueillit favorablement la demande que le général allait lui adresser pour obtenir que je fusse désigné pour être le chef d'état-major du corps d'armée qu'il allait commander. Ma démarche n'eut qu'un très médiocre succès. Le maréchal Randon me dit simplementqu'il comprenait parfaitement lalégitimitédcs désirs du général de Mac-Mahon, mais que lui, de son côté, dont la responsabilité allait être si grande, il ne devait avoir d'autre souci que d'appeler, au Grand Quartier général de l'armée, les officiers d'étatmajor qu'il savait être les plus capables d'y rendre les meilleurs services. Je quittai le maréchal, médiocrement satisfait de cette eau bénite de cour qui n'était au demeurant qu'une fin de non-recevoir. Je ne conservai qu'un seul espoir, c'est que le général de Mac-Mahon serait peut-être plus heureux dans ses démarches que je ne l'avais été dans la mienne. II en fut ainsi fort heureusement. Le maréchal Vaillant, ministre de la guerre, me nomma le ~3 avril chef d'étatmajor du corps de l'armée des Alpes, placé sous le commandement du général de Mac-Mahon. Mais les événements se précipitaient, et déjà les troupes françaises s'acheminaientvers la frontière d'Italie, lorsque, sur l'autorisation qui m'en fut donnée, je quittai Paris le 24 avril pour aller faire mes adieux à ma sœur, qui habitait Landrecies, dans le département du lord. Mon
absence de Paris ne devait durer que !<cures au plu-. Arrivé à Landrccies le 24 avril,:), midi, je recevais.) une heure, la visite du commandant de la place qui venait m'apporter une dépêche du ministre de ta guerre, me prescrivant de me rendre à son cabinet à sept heures do soir. Il n'y avait au chemin de fer du Nord. aucun train passant par Lan'h'ecies qui put me permettre d'être à Pan-. avant cette heure-là. Je montai dans le train qui pouvait m'y faire arriver le plus tùt possible, et a dix heures seulement, je me présentai au ministère de la guerre. Quand j'eus fait connaître l'ordre que j'avais reçu, a Landrecies. à l'officier qui était de service ce jour-là pr~ du maréchal Vaillant, cet officier m'apprit que le ministre. voulant reposer tranquillement toute la nui t. lui avait don ne l'ordre formel de ne le réveiller sous aucun prétexte. J'euheau objecter que, peut-être, il y avait urgence à ce que je visse sur-le-champ le maréchal, l'officier, en rigide observateur de la ccisigue, se refusa à m'annoncer au ministre. Je me retirai en lui annonçant mon retour pom le lendemain de grand matin. Le ~5, à se~t heures, je nie préscntai de nouveau à l'entrée du cabinet du maréchal Vaillant. Celui-ci était encore au lit mais aussitôt que l'officier de service m'eut annoncé, en ajoutant que j'étais déjà venu la veille à dix heures du soir, le ministre rabroua brusquement mon introducteur, parce qu'il ne lui avait pas annoncé ma présence à cette heure-là môme. Le maréchal sortit du lit, et, sous mes yeux, il passa son caleçon, ses chaussettes, un large pantalon en toile grise, et sa toilette ainsi complétée~ il me dit le motif pour lequel il avait voulu me voir. Vous alle~ me dit-il, prendre le chemin de fer de Lyon, pas plus tard qu'à 1 heures, pour vous rendre à Marseille. Là, vous vous embarquerez sur le premier paquebot qui partira pour Gènes, où vous aurez, des votre
arrivée, a pourvoir a l'installation et: a tous les besoins de la portion considérable de l'armée qui va, pour se rendre en Italie, passer par Gènes. Vous trouverez dans cette ville Je sous-int.cn'iant Pag's, qui y est déjà, et vous vous aiderez dp son concours pour accomplir du mieux que vous pourrez la mission dont je vous charge. Vous aurez rccc'urs à la hanque de Gènes si des fonds vous sont nécessaires.Je ne saurais entrer dans les détails; vous acirex comme gouverneur de Gènes. Je vous laisse carte blanche p'ur toutes les dispositions que vous aurez à prendre. Je m'eu rapporte entièrement à vous, très convaincu que vous mettrez, dans l'accomplissement de votre mission, toute l'intelligence et toute l'activité qu'elle réclame. Mais, dis-je au maréchal, vous me prescrivez de prendre le chemin de fer à 11 heures, et il est à présent près de huit heures. Comment voulex-vous que je puisse, en si peu de temps, prendre les quelques dispositions nécessaires pour me mettre en route –Ah: reprit le maréchal, arrangez-vous comme vous pourrez, il faut que vous partiez tout de suite. C'est bien en ce cas, repartis-je, je vais en toute diligence m'arranger pour exécuter vos ordres. Vous m'enEt comme j'allais quitter le ministre voyez à Gènes avec pleins pouvoirs, lui dis-je, mais vous ne me dunnex pas le moindre titre qui m'accrédite, comme muni de ces pouvoirs, près des autorités avec lesquelles j'aurai a m'entendre quand j'arriverai là-bas. C'est vrai, fit le maréchal, courcx chez vous; je vais vous envoyer le colonel Doutrelaine, qui vous portera la pièce officielle qui vous est nécessaire. Un quart d'heure plus tard, le colonel m'apportait un petit bout de papier signé, sur lequel le ministre avait écrit lui-même l'objet de la mission qui m'était contiée. Sasumature seuledonnait un cachet ofGciel à cette pièce. *?
Je jetai dans une petite malle, avec l'aide du colonel Doutrclaine, le peu de linge, de chaussures et de vêtements qui mutaient le plus indispensables, et je m'acheminai en voiture vers la gare du chemin de fer de rari~Lyon-Méditerranée. .11 n'était pas facile. à ce moment, d'arriver jusqu'à cette gare, parce que tous les abords étaient obstrues pa:' des troupes de la garde impériale, qui s'y rendaient, pour y être embarquées, dans des trains de chemin de fer à destination de Marseille. J'y arrivai pourtant dans les délais qui m'avaient été assignés par le maréchal Vaillant. Comme j'allais entrer dans lag.ire, je rencontrai, parle plus grand des hasards et par un bonheur providentiel, le capitaine d'état-major de Bouillé, que je connaissais de longue date, et que je savais être un officier actif, capable et intelligent. Je le priai d'aller sur-le-champ trouver le ministre de la guerre, et de le prier, de ma part, de vouloir bien renvoyer tout de suite à Gènes pour y être à ma disposition et me prêter son aide qui assurément me se-
rait très utile.
Le maréchal Vaillant fit bon accueil à ma demande le capitaine de Bouille put me rejoindre quelques jours plus
tard.
Quelque diligence que j'eusse pu mettre pour être embarqué aussitôt que possible à Marseille, je n'arrivai à Gènes que le 28 avril, quand, déjà, les premières troupes françaises delà garde impériale, du 2~ et du 3~ corps d'armée commencent à y débarquer. A partir de ce jour, ce qu'il me fallut déployer d'activité pour remplir la mission dont j'avais été chargé, il me serait impossible de le dire. Outre que j'avais à visiter tous les quartiers et les faubourgs de la ville de Gènes pour y chercher les grands établissements, les vastes habitations, les couvents etjusqu'auxéglises pouvant servir momentanément au logement des troupes, j'avais aussi à
assurer la subsistance de ces troupes, en faisant appel à la municipalité, qui, de son côté, mettait en réquisition tous les boulangers et les bouchers de la cité. Le sous intendant Pages avait, sur mes ordres, à se procurer la plillc nécessaire pour le couchage de nos soldats. Il fallait, en outre, organiser a Gènes un arsenal disposé de manière qu'on put y recevoir et y disposer les munitionsde guerre, qui, de Marseille, arrivaient a Gènes en quantité très considérable, pour en approvisionner les régiments d'infanterie qui, pour la plupart, débarquaient, venant de France ou d'Algérie, sans avoir de cartouches dans la giberne. Il y avait à emmagasiner, dans le même arsenal, un approvisionnement énorme de munitions pour l'artillerie de l'armée. Mais ce n'est pas tout encore; quand, après avoir couru pendant cinq à six heures, dans toute la ville de Gène. pour y trouver les locaux nécessaires a l'installation des troupes et a celle d'un arsenal, je rentrais au palais ou j'étais I"gé, je me voyais aux prises avec les plus grandes difficultés. Tous les officiers sans troupe envoyés a l'armée, officiers d'artillerie et du génie non enrégimentés, les fonctionnaires de l'intendance, les médecins d'ambulances, les officiers d'administration, etc., arrivaient, l'un après l'autre, sans qu'aucun d'eux fût monté. Tous s'adressaient à moi, me demandant les chevaux qui leur étaient dus. Les ambulances régimcntaires n'avaient point non plus leurs mulets de bat. Dès le lendemain de mon arrivée à Gènes, j'avais créé une commission de remonte, chargée d'acheter, en toute hâte, dans le commerce, les chevaux de selle et !es mulets dont le besoin était si grand, et qu'il était si nécessaire de se procurer promptement coûte que coûte. Cette commission, composée des premiers officiers que j'avais eus sous la main, ne comprenait d'abord qu'un seul officier,
pouvant jusqu'à un certain point être considéré comnn' un officier '-onnaissantle cheval: c'était un officier de gendarmerie. La commission avait, il est vrai, pour président un chef d'escadron du-i~ régiment dcchasscur. a cheva!, le commandant Charlemagne, ~'ayant a ma disposition aucun vétérmairc militaire. force m'av::it été d'y attacher un vétérinaire civil. Deux ~n trois jours plus tard, je pus donner a la commission sa composition régulière. Du 2S avril jusqu'au 5 mai, elle acheta chaque j.'ur de 4 à 1)00 chevaux ou mulets. J'installai. dans un des grands hôpitaux de Gènes, de grands magasins, destines à recevoir les petits dépôts de tous les régiments qui passaient par Gcnes. Ces dep'ts devaient plus tard, comme ils le furent en effet, être tr~s utiles à ces régiments. J'ai dit ci-dessus que les officiers s~ns troupe s'adressaient tous a mui à leur arrivée à Gènes, pour me demander des chevaux et des mulets. Il en était qui se réclamaient de moi pour que je leur procurasse tout ce qui leur manquait pour compléter leur outillage de campagne. À chacun il fallait répondre, et, pourchacun, j'avais quelque "rdrc adonner. Le temps me manquait tellement pour faire enregistrer les ordres que je remettais entre leurs mains, pour qu'ils pussent ensuite en aller réclamer l'exécution, que j'avais dû prendre le parti de faire mentionner par le capitaine de Douille, sur un registre particulier, chacune de mes décisions, avec mention du jour et de l'heure ou mon ordre avait été d"nne. Le matériel des batteries d'artillerie du corps de !a garde impériale et celles auectees au !< et au corps de Farm~e avait été embarqué à Marseille. Les canons et les caiss"ns étant démontés, a leur débarquement dans le port de Gènes, il fallait remettre les uns et les autres sur roues et faire porter les batteries successivement sur un grand parc d'artillerie, dont j'avais choisi l'emplacc-
ment hors de l'enceinte de la ville. Pour que les quais du purt ne l'usent jamais encombres, j'avais prescrit qu'ausitot qu'une bouche a feu serait, remise sur roues, elle serait achemine sur le parc. De là, grand étonuement chez quelques "liciers d'artillerie, qui réclamt'-rent prés de moi, se (.tfondanten doléances, parce que, prétendaient-ils, il ét:'it affligeant pour eux de ne pouvoir faire traverser la viHc de Gènes par leurs batteries au complet et trompettes en tête. Je maintins la mesure. Elle m'avait été demandée, d'ailleurs, et, comme mesure d'ordre, indispensable eu la circonstance, par le c"ntrenmiral qui commandait la marine française à Gènes. D'heure en !!eure, j'adressais au ministre de la guerre des telegram:ncs pour lui rendre compte des mesures que j'avais prises et de celles que j'allais prendre, en vue d'assurer tuus les services, et invariabLemcntIe ministre y répondait eu me donnant, son approbation cnti.re. Les régiments de la ~arde impériale et ceux du curps d'armée, venait d'Algérie, débarquèrent, les premiers et presque simuhanJ-mcnt à Gcnes. Puis arrivcrcnt les troupes du corps d'armée et avec elles le maréchal !:arasuay-d'i!t!!iers. leur commandant en chef. Celles-ci devaient laisser le corps et la garde impériale s'écouler de Gcnes par la vallée de la Scrivia avant de quitter !a. ville pour se diri~ei' par la même vallée vers Alexandrie. Ce fut u:' grand soulagement quand le maréchal Haraguay-d''niliiers devint, par le seul fait des:' prés~nce~' :ne5, le gouverneur delà place, et qucjepus luirL-ndre compte, heure par heure, des mesures que je prenais, recourant a son expérience et a ses conseils pour celles que j'avais encore à prendre. Je dois dire que, pas une seule fois, il ne manqua d'approuver ce que j'avais fait <'u comptais faire. Il arriva, par malheur, que 36 ou -!S heures après l'arrivée du maréchal à Cènes, le général Foltx, son chef
d'état-major, fut atteint d'une légère attaque d'hémiplégie, qui le rendit incapable de continuer a faire aucun service, et qu'il fut, de ce fait, condamné à prendre hlit. Le maréchal Baraguay-d'HiIIiers m'appela à remplir provisoirement ses fonctions, et cela ne contribua pas peu à augmenter les difficultés attachées à la mission spéciale dont j'étais chargé. Avec le maréchal, heureusement, les relations de service étaient faciles, et les décisions étaient promptes, ce. qui faisait que le temps n'était pas perdu en discussions longues et inutiles. Mais pendant que j'étais occupé sérieusement à Gènes, le général de Mac-Mahon, dont j'étais le chef d'étatmajor au 2" corps d'armée, avait quitté la ville avec les troupes de ce corps; il n'avait point encore reçu une seule des batteries qui devaient lui arriver de Marseille. J'avais trouvé, dans le vieil arsenal de Gènes, six obusiers d'ancien modèle, avec le matériel nécessairc pour leur transport, et les caissons remplis de munitions pour les charger. Ce fut avec ces six bouches H feu, dont on composa une batterie, que le général traversa, avec son corps d'armée, le défilé de la Boghetta et alla faire occuper par son corps la position de ~ovi.Mais aussitôt qu'il y fut rendu, il m'adressa des dépèches réitérées et instantes dans lesquelles il m'invitait à le rejoindre le plus vite possible. Chaque fois qu'une de ce;: dépèches m'arrivait, je t-'l<'graphiais au maréchal Vaillant, ministre de la guerre~ que ma présence au corps d'armée était, réclamée vivement par le général de Macmais. à mon grand désespoir, le ministre me réMahon pondait aussitôt qu'il ne me serait permis de quitter Gè::es que lorsqu'il m'aurait remplacé dans cette place par un officier général appelé à y commander et que j'eusse à attendre l'arrivée de celui-ci. Mon service à Gènes dura ainsi jusqu'au 6 mai, jour où je pus ennn le remettre entre les mains du général
de division Herbillon, qui y débarqua ce jour-la. Je rejoignis le général de Mac-Mahon le lendemain. Mais avant
l'arrivée du général Ilerbillon, le maréchal Uaraguayi.l'lfilliers avait et" itérativement invité par Sa Majesté le :oi Victor-Emmanuel, qui était à Alexandrie ou à Turin, à venir en toute hâte joindre son corps d'armée au corps du maréchal Canrobert, qui avait débouché en italie par Susc et le mont Cenis, et à celui du général de Mac-Ma))on, qui était a Xovi. Les forces de Farméc du roi, concentrées en avantt d'Alexandrie, étaient, en effet, menacées de près par l'armée autrichienne du général Ciulay, qui occupait Verceil. Les inquiétudes du roi étaient extrêmes. Mais le maréchal Baraguay-d'HiIliers,dont le corps d'armée était loin d'être complet et organisé, avait toujours répondu, en faisant connaitre les motifs qui s'opposaient a ce que ses troupes se missent si vite en mouvement. Entm une dernière dépêche du roi était si pressante qu'après l'avoir reçue, le maréchal Baraguay. m'appelant aussitôt, me dit Préparez sur-le-champ les ordres de mouvementpour le corps, qui se mettra en route demain à la première heure du jour. J'allai aussitôt établir les ordres de mouvement; il était déjà tard quand ce travail fut terminé. Ils allaient être expédiés quand tout à coup. dans la nuit, le maréchal me Ht appeler. Est-ce que les ordres sont partis? me dit-il. Xon, pas encore, lui répondis-je, mais Je vais les envoyer. Depuis que je suis au lit, reprit le maréchal, je n'ai pas fermé Focil, parce que je suis inquiet sur les conséquences que peut avoir ce que le roi demande que je fasse.
Si vous êtes si inquiet, repartis-je, c'est, a mon sens,
quelamesureestmauvaise.
C'est juste, fit le maréchal: il faut en suspendre
l'exécution. Et c'est ainsi que le ler corps d'armée ne quitta Gènes que 24 ou 36 heures plus tard. Pendant que le roi Victor-Emmanuel se montrait si impatient de voir le 1~ corps d'armée franfjais venir prêter son appui à l'armée piémontaise, il avait fait prés du maréchal Canrobert les mêmes instances que celles dont .je viens de parler près du maréchal Haraguay-d'HilIiers, et le maréchal Canrobert avait pu y rép'n'Irc dans une large mesure. Il avait fait prendre positi"n à son corps d'armée sur !a rive droite de la Sésia. II parait démontré que ce fut, irrace aux bonnes disposions que le maréchal prit en cette circonstance, que l'armée autrichienne n'osa point attaquer Farinée italienne aussi viLe qu'elle avait d'abord projeté de le faire. 11 faut dire, d'ailleurs, que, dans les premiers jours du mois de mai, l'armée autrichienne ne fut point organisée si complètement, et si bien concentrée, qu'elle putsans danger commencer les hostilités. Elle n'étaitgucre plus prête à ce moment pour une attaque immédiate que Farm'-e française ne l'était elle-même. J'arrivai près du général de Mac-Mahon, a Novi, dans la journée du 7 mai. Quel bonheur pour moi quand, je pus alors me donner un peu de repos, après neuf jours de fatigue excessive, pendant lesquels il m'avait été impossible de prendre plus d'une ou deux heures de sommeil chaque nuit, tout mon temps étant employé à pourvoir aux besoins de près de 5i,0('0 hommes qui débarquèrent à Gènes du 2S avril au 6 mai, durée de mon séjour dans cette ville Les 8, 9 et 10 mai, le 1~ corps et la garde impériale de l'armée française, partis simultanément de Gènes,
en!
arrivèrentparla vallée de la Scrivia, jusqu'à !a tète de cette vallée, et y prirent position a la droite du corps, qui
était établi sous ~ovi. Ces trois corps d'armée concentrés l'un à côté de l'autre avaient alors devant eux, a découvert, la partie supérieure du vaste bassin du Pô. En ce moment, les armées alliées française et piémontaisc étaient en mesure de préluder à leurs opérations offensives contre l'armée autrichienne du général Giulay. Ces armées, dont une partie se trouvait derrière laScrivia et devant Alexandrie, l'autre partie près de ~ovi, ne s'attardèrcut pas dans leurs positions. Elles prirent aussitôt l'initiative des hostilités, et, conformément au plan de campagne arrêté par l'empereur Napoléon II!, elles s'engageront sur la ligne d'opération par laquelle elles ('evaicnt gagner Plaisance pour aller traverser le Pu vers Stradella. Je ne me propose point d'entrer ici dans les d-tails du mouvement général qu'elles exécutèrent, :non intention étant de raconter seulement, sur la guerre de !859, les événements de guerre principaux qui la caractérisèrent, et tout particulièrement ceux auxquels le corps d'armée prit part, me bornant à tracer, à grands traits, les mouvements des armées belligérantes. Le 1~ corps d'armée qui, le premier des corps français, s'était acheminé vers Plaisance, arriva, en quelques jours, à Voguera, ou il prit position. Le 2e corps, le suivant de près, y arriva ensuite et s'établit sous les murs de la ville Les et 4~ corps marchaient dans ses traces, et, à une distance si l'approchée qu'en 24 ou 26 heures, l'armée française pouvait être concentrée tout entière sous Voghera. L'armée piémontaise longeait, pendant le même temps, la rive droite du Pô, couvrant de ce côté la gauche de l'armée française. C'est pendant que le 1~ corps (maréchal Baraguay-
d'Milliers) était déjà un peu en avant de Voguera, ayant une de ses divisions établie sur un des contreforts descendant des Apennins, qu'une forte colonne autrichienne, commandée par le général comte Stadion et sortie de Ptaisance,vint tout à coup attaquerladivisionfrançaise qui était commandée par le général Forey. Le combat fut engagé à Montebello. La lutte dura assez longtemps; mais elle tourna à l'avantage des armes françaises. Les Autrichiens, repoussés et ayant perdu beaucoup de monde, regagnèrent Plaisance pour y aller défendre les approches du pont et s'opposer au passage du Pô par l'armée française. Le succès de Montebello inaugurait bien la camc'était comme un présage heureux des événepagne ments qui allaient suivre. Il fit grand honneur au général Forcy et aux troupes de la division qu'il commandait. L'empereurNapoléon vint près deVoghcra, accompagné du maréchal VaiMant, major général, et du général de Martimprey, chef d'état-major général de l'armée, dans l'inten tion d'y con férer avec le maréchal Daraguay-d'HiIIiers et le général de Mac-Mahon. Il y arriva en chemin de fer, et, à sa descente de wagon sur le point de la voie ferrée où il était attendu, son premier soin fut de s'approcher du groupe formé par les ofUcicrs qui accompagnaient les deux commandants de corps d'armée. Sans doute qu'on me désigna à lui en ce moment, car, venant à moi aussitôt, il me dit qu'il était heureux de me rencontrer pour me féliciter et me remercier des services que j'avais rendus à Ccnes et du mal que je m'y étais donné pour y recevoir une grande partie de l'armée et pourvoir à ses bes'ins. L'Empereur remonta dans son wagon, suivi du major général, du général de Martimprey, du maréchal Baraguayd'llilliers et du général de Mac-Manon, et v tint une conférence ou des questions sérieuses sans doute furent mises en discussion, et dont le résultat m'est demeuré inconnu.
Tout ce que je pus supposer, c'est qu'on avait mis en question le plan d'opérations dont l'exécution était commencée. Les événements qui suivirent me confirmèrent
'ians cette opinion. L'Empereur, des son arrivée à l'année, avait établi son quartier général et sa maison militaire à Alexandrie. Après sa visite, près de Voghcra, au maréchal Baraguay-d'lli!liers et au général deMac-Mahon, il réunit, dans un conseil de guerre et sous sa présidence, le major général de l'armée, le maréchal Vaillant, Faide-major général, le général de Martimprey, et les généraux commandant en chef l'artillerie et le génie de Farinée. Dans ce conseil, il mit en délibération deux questions. La première était (le savoir si l'armée alliée francopiémontaise devait poursuivre les opérations sur le bas !'u, en marchant sur Plaisance, dont on aurait a faire le siège et passer le neuve sous cette place, après quoi elle irait attaquer de front l'armée autrichienne. La seconde question était d'examiner si, renonçant à tout projet d'attaque contre Plaisance, il ne convenait pas que Farméc alliée, rétrogradant sur ses pas, allât, en remontant et longeant la rive droite du Pô par Valencia et Casale, passer le fleuve vers Verceil, d'en elle irait ensuite traverser le haut Tessin en avant de ~ovare, pour attaquer l'armée autrichienne au centre même de la Lom hardie. La délibération dura longtemps, plus de 3 heures, les membres du conseil de guerre n'étant point tous du même avis sur le parti qu'il y avait a adopter. D'âpres ce qui m'en a été raconté par le général Jarras, qui, bien que n'assistant pas au conseil, était, comme second aidemajor général de l'armée, bien placé pour être mis au courant des discussions qui y eurent lieu, des opinions différentes auraient été exprimées par le maréchal Vaillant d'une part et par le général de Martimprcy de l'autre. Le premier aurait opiné pour la poursuite des opéra-
il
tions commencées sur Plaisance. Le second aurait objecté que le siège de Plaisance et le passage du Pu, sous cette place, présentait de très grandes difScultés il préférait le grand mouvement tournant qui devait permettre d'envahir la Lombardie par le haut Tessin. Ce nouveau plan d'opérations avait, d'ailleurs, pour lui cet avantage incontestable, que si, plus tard, les armées alliées et, en particulier, l'armée française, à la suite d'un revers, venait être forcée de se replier, sa retraite sur Alexandrie et Turin lui serait assurée et facile, tandis qu'un échec, subi par elle devant Plaisance, l'obligerait peut-être à 1:). retraite sur Cènes. En fin de compte, l'Empereur, après de longues hésitations, se décida en faveur de la proposition formulée par le général de Martimprey, et tout aussitôt il expédia aux commandants des corps d'armée les ordres de mouvement nécessités par le nouveau plan d'opérations qu'il avait adopté. Il invita le roi VictorEmmanuel à prendre les mesures nécessaires pour qu<' son armée s'y conformàt. Non seulement l'Empereur, une fois sa décision prise. bavait pas perdu de temps pour donner à ses lieutenants les ordres de mouvement dont il vient d'être question, mais il avait arrêté aussi que le mouvement tournant des armées alliées serait exécuté avec la plus grande célérité. Il comptait que, de cette célérité même, il résulterait que les armées alliées franchiraient le Tessin en avant de ~ovare, avant que l'armée autrichienne eût pu venir se concentrer devant elle sur la rive gauche de la rivière. Conformément au plan nouveau arrêté par l'Empereur, les 1~ 2~, 3~ et 4~ corps de Farmée française remontèrent la rive droite du Pô. Le 2" corps passa par San-Giuliano et Borgoforte. Il alla franchir le Pô à Casale, la Sésia à Verceil, sur un pont de bateaux jeté par l'artillerie française. De là, il se rendit à
~ovare. Quand il arriva sous cette ville, Je 4'' corps d'armée, qui l'y avait précède d'environ une ncurc, \enait d'en chasser, sans combat sérieux, un faible corps autrichien qu'il y avait trouve. De ~ovare, le corps d'armée se dirigea vers le Tessin, ann d'aller traverser cette rivière et le canal qui l'Ange sa rive gauche, à la hauteur de la ville de Turhigo. D'âpres les ordres de mouvement que le général de Mac-Mahon avait reçus le 2 juin, son corps d'armée devait traverser le Tessin, le lendemain matin, et l'Empereur av~it décide que, ce jour-là et le lendemain, le général de ~lac-Mahon joindrait a son commandement celui de la division des voltigeurs de la garde impériale, marchant sous les ordres du général Camou. L'Empereur avait arrête, en outre, que la division Espinasse, du 3" corps, passerait IcTessin aSan-Martino. Cette division fut portée, dans la journée du 2, a Trecate, tout près de San-)!artino: mais le même jour, un ordre de l'Empereur décida que cette division rejoindrait son corps d'armée le lendemain matin sur Turbigu, et qu'elle serait relevée devant San-Martino par la division des grenadiers de la garde impériale. Le 3 juin, vers 7 heures etdemiedu matin, le corps d'arm<c arriva sur la rive droite du Tessin, devant le pont de bateaux que l'artillerie avait jeté. La division des voltigeurs de la garde impériale, qui avait devancé le corps, avait déjà sur la rive gauche, en avant du pont et de la petite ville de Turhigo, qui n'en était qu'à kilomètres, une partie de la brigade Maucgue, chargée de couvrir le pont CL d'en défendre les approches. Le général de Mac-Mahon conféra aveclc général Camou dans le moment ou les troupes de son corps d'armée commentaient a traverser le Tessin. Il désirait que la division des voltigeurs de la .garde impériale suivit immédiatement le 2" corps d'armée mais, sur les instances du général Camou, il consentit à ce que cette division ne
commençât son passage de la rivière qu'après la soupe du matin. Le général Mancgue avait fait faire, à la première heure du jour. des reconnaissances en avant de Turbigo le gênéral Camou, dans son entrevue avec le général de MacMahon, avait fait connaître à celui-ci que ces reconnaissances avaient eu ce résultat de donner au généra! Manégue la certitude qu'à une assez grande distance de Turbigo il n'y avait point de troupes autrichiennes. Des lors, le général de Mac-Mahon n'avait plus, pour se conformer aux ordres de mouvement qui lui avaient été donnés par l'Empereur, qu'à faire prendre position à son corps d'armée en avant de Turbigo, de telle sorte que la division des voltigeurs de la garde put venir s'établir derrière ce corps, dont elle formait la réserve, dès qu'elle aurait franchi le Tessin et traverse Turbigo. Les avant-postes de la brigade Manegue avaient été établis par ce général de manière à former un cordon de sùreté, dont la droite partait d'un point du canal du Tessin, situé à3 kilomètres en aval de Turbigo, et la gauche à Robechetto, village qui se trouve à 3 kilomètres de Turbigo, a cheval' sur le chemin qui conduit de cette petite ville à ruffalora, et qui longe la rive gauche du canal du Tessin. Devançant la tête de colonne du corps d'armée, qui allait déboucher de Turbigo, pour venir prendre position autour et en avant de Robechetto, le général de Mac-Mahon, accompagné du général Camou, des officiers de son étatmajor et de moi, et n'ayant pour escorte qu'un peloton de chasseurs à cheval, courut à Robechetto pour y reconnaître avec moi les emplacementsque ses troupes devaient occuper. Arrivé à Robechetto, il constata qu'il n'était pas facile de bien voir le terrain, tant les environs du village étaient couverts de vignes et d'arbres, ce qui s'opposait a ce que la vue pût en embrasser convenablement la confi-
~uration topographique dans son ensemble et dans ses d~tans. M consentit, sur ma proposition, à monter au ~onnnct du clocher de Hobcchetto, qui est fort élevé, dans i'cspotr que, de ce sommet, il reconnaitrait mieux les abords du village. Le général de Mac-Manon se fit. ouvrir la porte de réalise et celle de l'escalier du clocher, qu'il monta, suivi dugénéral Camou et des officiers attaches à sa personne. Pendant qu'il faisait son ascension, je donnai des instructions a l'c't'ncier qui commandait son escorte? je lui prescrivis de placer sur-le-champ des vedettes à la sortie du village~ du côte qui regardait Buffalora. –Il n'y a rien a craindre sans doute, lui dis-je: les reconnaissances qui ont été faites ce matin ont fait connaître que les Autrichiens ne sont pas près de nous; mais agissez cependant comme s'ils étaient à deux pas d'ici. J'en étais là de mes instructions, lorsque t'ut à coup un lieutenant des voltigeurs de la garde, détache des avantpostes, arrivaàmoiàtoutesjambcsetmedit: Mon général, une forte colonne autrichienne marche sur le village; elle Vous en êtes sur ? lui n'en est qu'à 5 ou 600 mètres. répondis-je. –Très sur, mon général, je l'ai parfaitement vue. Merci du renseignement, répondis-je puis m'adres sant au commandant de l'escorte du général de Mac-Mahon <' Allez bien vite avec le reste de vos cavaliers à la sortie du village; ils y feront le coup de fusil pour donner l'éveil aux avant-postes, et ainsi ils contiendront sans doute l'ennemi un certain temps, s'its sont forcés de se replier. Avec quelle rapidité je montai l'escalier du clocher de Robechetto, on peut l'imaginer sans peine. Quand j'arrivai tout essoumé sur la plate-forme où le général de Mac-Mahon et les officiers de sa suite se trouvaient, le général avait la carte du pays déployée sous les yeux. <c Venez bien vite, me dit-il; voici comment vous allez disposer sur le terrain les divisions du corps d'armées–
n.
l'arrêtai < M ne s'agit pas de cela en ce moment, lui dis-je; une colonne autrichienne., qu'on dit même être assez forte et qui parait venir de Dunalora, s'avance sur le village: elle n'est plus qu'à quelques centaines de mètres d'ici. Il n'est que temps de descendre du clocher. si nous ne voulons pas être enveloppés par elle. Les lorgnettes furent aussitôt braquées dans la direction indiquée– et l'on se jeta dans l'escalier du clocher pour Ceux qui en descendre les marches quatre à quatre. étaient en queue criaient à ceux qui les précédaient. ~ais allez donc plus vite! Quand on se retrouva hors de fut bientôt en selle. Il était temps; deux ou trois minutes plus tard, les Autrichiens auraient fait une belle capture, celle d'un (ommandant de corps d'armée français et de son chef d'état-major, d'un général de division et avec eux les officiers qui les accompagnaient. Le général de ~!aeMahon se porta à toute vitesse au-devant de la tète de colonne de son corps d'armée: il arriva près d'elle dans le moment ou elle débouchait de Turbigo. M y avait urgence à ce que les premiers régiments qui la composaient se portassent en toute hâte sur Robechetto; car il paraissait certain que, si vite qu'ils pussent y courir, les Autrichiens occuperaient le village avant l'arrivée de ces régiments devant l'entrée du village et la ceinture de haies qui enceignait celui-ci du côté qui faisait face à Turbigo. Dans le moment où le général de Mac-Mahon donnait l'ordre au général de La Motterouge de faire accélérer la marche des régiments dont il s'agit, on vint lui dire qu'une autre forte colonne autrichienne marchait sur Turbigo, cette colonne s'avançant par une route tracée au nord-ouest du chemin de Buffalora, d'où l'on pouvait inférer qu'elle venait des environs de Magenta. Le général de Mac-Mahon~ dans la pensée que cette autre colonne devait être plus considérable que la première
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Je cours reconqui allait attaquer Hobechetto, me dit naitre ce que peut être la nouvelle colonne dont on vient <!c m'annrtuccr rapproche. Restez avec le général de La Motterouge, et voyez ce qu'il v a à faire pour empêcher les Autrichiens de se rendre maîtres de H'bechctto. II était alors de 2heures !/2 à 2 heures 3/1 dcl'aprésmidi. Le régimentdestirailleurs algériens elle ~~régiment de ligne,qui marchaient en tctede la division de La Motterouge, arrivèrent bientôt. Un bataillon du second de ces régiments se forma en colonne serrée, en s'établissant à cheval sur le chemin de Turbigo à Robechett" et à quelques ~00 mètres de l'entrée de la rue qui traversait le village. Le régiment des tirailleurs algériens déploya ses trois bataillons formés en colonne, par divisions et à distance de déploiement, a la droite du bataillon du 45" de ligne. Les choses ea étaient là, quand le général de La Motterouge, venant à moi, me dit, lui qui pouvait bien se passer de mes avis < Qu'avons-ncus a faire à présent? II pensait sans doute que le général de Mac-Mahon m'avait donné des instructions et que son devoir était de s'y conformer quand je les lui aurais fait connaître." Mais, mon général, répondis-je, décidez comme vous l'entendrez. Le général de Mac-Mahon ne m'a pas donné d'instructions que j'aie à vous communiquer. Mais, si vous me permettez de vous le dire. les Autrichiens occupent déjà le village; il ne faut pas leur permettre de s'y retrancher, et je crois que pour cela il faut attaquer sans perdre une minute: à chaque minute de retard, l'enlèvement du village sera rendu plus difneilc. Le bataillon du 45~ n'a qu'à se jeter tout de suite sur l'entrée du village, taudis que les trois bataillons de tirailleurs se jetteront à sa droite sur les clùC'est cela! reprit le géturcsqui se trouvent devant eux. néral. Et il alla donner l'ordre de commencer l'attaque. Comme il s'éloignait de moi, je m'approchai de la musiAllons, leur dis-je, que du régiment des tirailleurs
lui
jouez tout de suite l'air du riment: Quand les Turco~ marcitcnt au combat, et la musique se lit entendre comme les bataillons se mettaient en mouvement. A cet instant, les Autrichiens nous donnèrent la preuve qu'ils ctaien t bien réellement dans Hobechetto.Une premién' balle, partie de derrière la haie (lu village qui était à 13" ou 300 mètres du point du terrain on j'étais. siffla passant par dessus la tète du capitaine d'Abzac et la mienne. <: Celle-ci vous ctaitbien destinée, me dit le capitaine c'est <' Oui, répondis-je, c"est vousquc l'Autrichien aajustc. parce qu'il m'a ajuste qu'il m'a manqué; vous avez été exposé plusquc moi. Au cheval blanc que je montais, à mon
uniforme plus vraisemblablement, le tirailleur autrichien avait reconnu un officier général français: il avait visé et lâche son coup de fusil. Détail puéril que cela sans doute, mais j'écris mes souvenirs. que le lecteur veuille bien ne pas l'oublier, et dans ces souvenirs je donne place au récit d'incidents que je n'ai pu oublier. Le combat s'engagea, et, dès son début, il fut très -violent. Les Autrichiens, embusqués très nombreux derrière les clôtures de haies et établis fortement à rentrée du village, accueillirent par une vive fusillade les tètes de colonne des bataillons français. Mais ceux-ci n'y répondirent presque pas ils se précipitèrent sur les haies uniquement à l'arme blanche. Le bataillon du 45~ de ligne se jeta au pas de course dans la rue du -village. C'était un bataillon de chasseurs tyroliens qui en défendait l'entrée; il le culbuta en se ruant sur lui à la baïonnette, et le mit en fuite, non sans qu'il laissât derrière lui un grand nombre.de tués et de blessés. Dans leur retraite précipitée, les chasseurs du bataillon autrichien, s~étaient débarrassés de leurs fusils, de leurs sacs, de leurs fourniments et de leurs coiffures. La rue de Robechetto en était littéralement jonchée.
Mattrcs du village, nos soldats se mirent a la poursuite (les Autrichiens. De l'autre côté du village, ils s'emparèrent d'un canon abandonné par eux dans un champ de blé. La lutte n'avait pas duré plus de 15 à 20 minutes. Le combat de Hobcchetto, que l'on appela plus tard la bataille de Turbigo, du nom de la petite ville qui était voisine de Robechetto, fit grand honneur aux deux régiments de la division de La M"tterouge, qui y avaient pris part. Il inaugura glorieusement les opcrati'-ns qui illustrèrent le 2" corps d'armée dans la suite de la campagne. Apres ce combat, j'eus, dans la ruequi traversait le village de n'becbetto~Ie spectacle d'une scène trop attendrissante pour que je ne la raconte pas ici. Je vis là l'abbé Dragi.n', qui était Faumôfier du 2° corps d'armée, agenouillé et donuantles soins de son ministcrcàdes blessés qui étaient autour de lui. Parmi ces blessés se trouvaient des soldats de ligne, des chasseurs autrichiens et jusqu'à des du tirailleurs algériens, qui tous tendaient les mains vers lui et les lui baisaient. Le compatissant abbé, n'obéissant qu'à son cour et à ses devoirs de bon catholique, prodiguai à chacun ses consolations, sans tenir compte ni de la différence de leur nationalité ni de celle de leur religion. Ce tableau, qui est demeuré vivant dans mes souvenirs. était digne du pinceau d'un grand artiste. Rauet m'avait promis d'en faire le sujet de l'une de ses plus prochaine:ccuvres.quand lamort est venu l'enlever trop tut au monde artistique qu'il honorait de son talent poétique incomparable. Le combat terminé, je me mis à la recherche du général de ~lac-Mahon. II était revenu de la reconnaissance qu'il avait faite sur la gauche de Robechetto, ayant constaté de ce côté l'absence de la colonne autrichienne dont on lui avait annoncé l'approche. Je trouvai le général dans le moment ou il venait de rencontrer l'Empereur qui, sorti de Turbigo, était venu
voir de ses yeux le résultat du combat de Hobechetto. Je lui appris alors ce qui s'v était passé et le heau succ(' que les rudiments du général de La Mottercuge y avaient remporté. Apres m'avoir donné les instructions pour l'établissement des troupes de son corps d'armée autour de Robechetto, il suivit l'Empereur, qui rentrait à Turbigo, ou il devait Installer son quartier général, et je n'eus plus alors qu'à assigner aux troupes du 2" corps les emplacements de bivouac qu'elles devaient occuper. La division desvoltigeursdclagardeimpérialeprit position en arriére, entre Turbin' et Robechetto, Les ordres de mouvement que l'Empereur donna, dans 2", la soirée du 3 aoùt~ aux et 4*~ corps et à la garde impériale eurent pour but de concentrer ces corps sur Magenta, en vue d'une concentration possible de l'armée autrichienne sur ce nicme point. Le corps, avec la division des voltigeurs de la garde, devait opérer son mouvement en marchant de Turbigo sur Magenta, par le chemin qui longe le canal du Tessin, en passant sous Buffalora. Les autres corps de l'armée devaient passer le Tessin à DuSal'ra et à Ponte-di-Magenta pour de là se porter sur Magenta par la route qui relie ces deux points. Dans la matinée du 4, vers 9 heures, la tète de la colonne arriva à mi-chemin entre Turbigo et Duu'alora, ou le général de Mac-Manon lui fit faire une Imite de repos. Pendant cette halte, le canon se fit entendre tout à coup du coté de Hulfalora. Le général de Mac-Mahon port;) aussitôt dans cette direction sa première division (généra! de La Notterouge, qui était en tête de la colonne de son corps d'armée. Il était de toute évidence que les Autrichiens occupaient Buffalora assez fortement, dans l'intention de défendre le passage du Tessin aux troupes françaises qui voulaient le forcer. Les batteries de la divisiun de LaMottcrouge ouvrirent leur feu sur BuSalora, ou lc~ forces autrichiennes étaient établies sur la rive gauche du
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Te~!n. Dans le mcme moment, on entendait le canon sur la rive droite, en face de BuS'aloractde Pontc-di-Magenta, c~ qui démontrait que, de ce c~té, les corps d'armée français.Iadh'ision des grenadiers delà gardcimpériate.oules et curps d'armée étaient aux prises avec l'ennemi. Jusque-là rien n'avait fait penser qu'il dut y avoir une hatainc entre l'armée française et l'armée autrichienne. Un était fondé à s'imaginer qu'à San-Martino.à Ponte-di~lagenta et àBuffalora, il n'y avait autre chose que des détachements plus ou moins considérables de troupes autrichiennes, peut-être de simples reconnaissances qui cherchaient a retarder le passage du Tessin a l'armée française. On sut plus tard que la colonne autrichienne qui était venue, vers trois heures de l'après-midi, occuper le village de Robechetto se composait d'une brigade de la division cordon, du 1~ corps de l'armée autrichienne, partie de Malvaglio quelques heures auparavant. Il est assez ditucile de comprendre comment cette brigade ne résista pas mieux dans'ce village; attaquée qu'elle y fut par quatre bataillons seulement. Il était nécessaire cependant de savoir quelles forces ennemies on avait devant soi. Quoi qu'il en pût être néanmoins, le général de MacMahon ne songeait, ça ce moment, qu'à l'aire continuer le mouvement offensif de la division de La ~lottcrougc, dirigée sur Duffalora. Il était dans son tempérament guerrier et chevaleresque de ne pas faire suspendre une attaque déjà commencée son canon avait parlé, il ne voulait pas qu'il se tut un seul instant. Mais, du point on il était, on ne voyait pas la plaine entre Buffalora et Magenta. Ce fut alors que je crus devoir me permettre d'appeler l'attention du général sur cette circonstance qui, dans la situation des choses, me paraissait avoir une grande importance.
Nous ne voyons pas d'ici, lui dis-je, ce que senties forces ennemies qui sont devant nous. Pour essayer de levoir, voulez-vous que nous montions dans le clocher qui est là à deux pas de nous ? Etjelui montrai ce clocher. qui était celui du village de Cuggiono. –Montez-y, me répondit le général, vous examinerez et vous me direz en revenant ce que vous aurez vu. Je courus à l'église de Cuggiono avec le capitaine d'Abzac. Je montai au sommet du clocher; de 1: j'embrassai de l'œil toute la plaine de Magenta. Je reconnue qu'entre Magenta et Buffalora, il y avait des mouvement de troupes considérables. Je descendis bien vite, et ayan!~ rejoint le général de Mac-Mahon « C'est une grande bataille qui se prépare en ce moment, lui dis-je, tl est évident pour moi que l'armée autrichienne se concentre entre Buffalora et Magenta. Les troupes nombreuses que je viens de voir du haut du clocher prouvent que nous allons avoir tout à l'heure devant nous des forces très considérables. Ce qui se passe en ce moment à Buffalora n'est que le prélude d'une grande bataille. Si nous ne voulons pas nous exposer à être jetés dans le Tessin par les troupeautrichiennes, de beaucoup supérieures à celles que non? pouvons leur opposer, il n'est que temps de concentrer ici les deux divisions de votre corps d'armée et la division des voltigeurs (le la garde, ~ous les formerons en ligne de bataille pour les tenir ainsi prêtes à recevoir un'attaque de l'ennemi. Nous ferions bien de ne pas marcher sur Magenta avant que cela soit fait. Le général de Mac-Mahon m'écoutait silencieux. Comm~ je l'ai dit plus haut, son ardeur bouillante lui conseilhiit de persévérer à porter son corps d'armée en avant, a l'attaque de Buffalora, pour enlever ce village aux Autrichiens qui étaient les plus voisins de ses troupes. Comme le général paraissait cependant hésiter et que près de lui se trouvaient en même temps que moi son
aide de camp le commandant Borel et le général Auger, ({ui commandait l'artillerie du corps d'armée. Dites donc quel est votre avis, général Auger, dis« je, en m'adressant à celui-ci. Je pense, répondit le général, que ce que propose « le général Lebrun est ce qu'il y a de mieux à faire. » Sur ces mots, le générât de Mac-Mahon prit sa résolution. Je vais aller chercher la division Espinasse, fit-il. Vous, général Lebrun, occupez-vous tout de suite de réunir la division de La Motterouge, et disposez-la sur une seule ligne par bataillon en masse faisant face à Magenta. Un de vos ofHciers va aller au-devant du général Camou pour lui dire de venir former sa division a la gauche de la division de La Motterouge, et dans le même ordre que celle-ci la division Espinasse, dès qu'elle sera arrivée. sera établie à la gauche de la division des voltigeurs de la garde et formée également dans le même ordre que les deux autres divisions. Après m'avoir donné ses instructions, le général de Mac-Manon partit comme une flèche pour se mettre à la recherche de la division Espinasse. Des détachements de cavalerie autrichienne qu'il rencontra en chemin essayèrent de l'envelopper; il leur passa sur le ventre, et il était trop bien monté pour qu'ils pussent songer à le poursuivre. De mon cuté, je courus près du général de La Motterouge pour l'informer des dispositions arrêtées par le commandant du corps d'armée. J'allai jusqu'aux 70" et 45" de ligne dont les bataillons étaient, à ce moment, arrivés jusqu'à deux petites portées de fusil de Buffalora. Pendant que le général de la La Motterouge faisait rétrograder sa division vers Cuggiono, je poussai jusqu'à BuSalora, m'étant aperçu que des grenadiers de la garde impériale se trouvaient à l'entrée du village. En effet, l'un des régiments de grenadiers avait enlevé le pont de 15
Buffalora depuis un instant. Le colonel d'Alton, qui commandait ce régiment, vint à moi pour m'informer que 3 à iUO soldats autrichiens s'étaient jetés sur la route. après l'enlèvement du pont, et qu'il paraissait facile d<' les faire prisonniers. )Ion général, me dit-il, si un derégiments de votre corps d'armée s'avançait sur eux, i)s Pourquoi donc, lui répondis-je, ne se rendraient. vous servex-vous pas pour cela de votre propre régiment qui est ici sous votre main?–C'est que mes soldats sont très fatigues. ? J'étais sur le point d'aller chercher le 70° de ligne, dont les bataillons n'étaient pas loin de BufMora quand je reconnus de mes yeux que les ~00 Autrichiens dont m'avait parlé le colonel d'AltOh n'existaient pas la où il croyait qu'ils se trouvaient, ou se réduisaient à quelques hommes sculemenUc ne m'en inquiétai pas. ayant bien d'autre chose a ~airc en <:c moment que de chercher à les obliger à se constituer prisonniers. Il c'ait alors une heure et demie de l'aprèsmidi. La 1~ division du corps d'armée se concentra sur le chemin de nufTalora a Cuggiono, sur la gauche de ce village le gênerai de La Motterougc la déploya par bataillon en masse a distance de déploiement. leur front faisant face à Magenta. Le général Camou arriva bientôt avec sa division des voltigeurs de l:t garde, et, après l'avoir déployée d'abord un peu en arrière de la division de La Mottcrougc, il la porta sur la gauche de celle-ci, déployée par bataillon en masse à distance de déploiement, et faisant aussi, comme elle, face a Magenta. La cavalerie, commandée par le général Gaudin dc Vilaines, s'établit un peu en arrière de la eauche de la division La Motterougc et dans l'intervalle laissée libre entre les deux divisions. Les deux divisions d'infanterie et la brigade de cavalerie avaient pris leur formation un peu avant quatre heures.
Pendant; cette formation, les batteries de la division de La Motterougc, dont les feux avaient été dirigés pendant environ un quart d'!)curc sur BuSalora, s'étaient repliées avec leur division vers Cuggiono; leurs canons avaient donc cesse de se faire entendre. Leur silenceavait jeté une grande inquiétude parmi les corps de l'armée qui, dans ce moment, attaquaient les autrichiens à fonte ~u"vo di Magenta. L'Empereur avait partage celte inquiétude, ne pouvant se rendre c'mptc du motif qui obligeait le général de Mac-Mahon a faire tnirc son canon. Le silence de rartillerie du corps d'armée se prolongea longtemps. 1l avait fallu employer près de deux heures pour former les divisions de La Motterougc et Camou en ligne de bataille. Mais ces heures écoulées, la division Espinassc, que le mènerai de Mae-Mah~n était allé chercher lui-même.. n'apparaissait point encore. On s'en étonnait beaucoup là ou j'étais.prcs de Cuggiono. Mais on se serait rendu compte du retard que cette division mettait a arriver si l'on avait su les motifs de ce retard. Il y en avait deux, l'un et l'autre très sérieux. Le premier, c'est que le chemin qui avait été indique au général Espinassepour porter sa division sur Magenta était très divergent de celui qui avait conduit les deux autres divisions du corps d'armée a Cuggiono et près de Runalora. La seconde, c'est que la tète de la division Espinasse, j'ai toujours ignoré ce qui en avait était la cause, au lieu de suivre, sans en dévier, le chemin qui devait la faire marcher directement vers Magenta, s'était, par erreur, jetée dans un autre chemin qui l'obligeait à s'éloigner beaucoup plus encore des divisions marchant avec le général de Mac-Mahon. Quand on s'était aperçu de l'erreur, il avait fallu faire rétrograder cette tète de colonne et la remettre dans son vrai chemin.
Du point où le général de Mac-Maison trouva la division Espinasse a celui oueUe devait prendre sa ligne de bataille, sur la gauche de la division Camou, il y avait une distance de 4 à 5 kilomètres. C'était pour elle plus d'une bonne heure de marche a faire avant d'être rendue a
destination, doutant que le terrain qu'elle avait à parcourir pour cela, à travers champs, était excessivement difncile, parce que partout de petits arbres, supportant des vignes reliées entre elles par des fils de fer, le recouvraient entièrement. Ce ne fut guère que vers quatre heures de l'après-midi que la division Espinasse, arrivée à Marcallo, se forma comme les divisions de La Motterouge et Camou à la gauche de celles-ci. Une des brigades de cette division occupa MarcuIIo (brigade Gault), et l'autre brigade (général de Castagny; se porta tout entière en échelon à droite et en avant de la première, de manière qu'elle se trouva déployée par bataillon, en avant de la gauche de la division des voltigeurs de la garde impériale. La brigade de cavalerie du général Gaudin de Vilaines avait été formée un peu en arrière de l'intervalle qui séparait la droite de la division Espinasse de la gauche de la division Camou. En faisant marcher, à ce moment, son corps d'armée résolument sur Magenta, le général de Mac-Manon l'exposait, il faut le dire, aux plus grands dangers. II savait bien que les Autrichiens étaient entre Buffalora et Magenta, et qu'ils occupaient surtout Magenta; mais il ne savait pas quelle était l'importance des forces ennemies qu'il pouvait rencontrer devant lui. En fait, ces forces étaient tellement considérables qu'un seul corps français avait pour lui peu de chance de pouvoir les aborder sans se faire battre par elles. Il est bon, pour le démontrer, d'exposer ici quelle était la disposition générale de Farinée autrichienne. Entre
trois et trois heures un quart de l'après-midi, sur la rive droite du canal du Tessin, cette armée avait fort peu de monde, un seul régiment, dont un bataillon gardait le pont, le Ponte vc~chio di Magenta, et le reste du régiment sur les hauteur:} qui se trouvent à mi-chemin entre ce pont et celui du chemin de fer de Ticino à Milan, lequel chemin franchit le canal encaissé du Tcssin sur un viaduc fort élevé au-dessus du cours d'eau. Le 1er corps d'armée autrichien (comte Clam-Gallas) occupait Magenta avec une de ses divisions. Son autre division avait une de ses brigades au nord de Magenta, sur le chemin qui conduit de ce hourg à Marcatio et à mi-distance, entre les deux localités. Le généra! en-chef, comte Giulay, était à Magenta, où son quartier général avait été établi. Le 2~ corps tout entier (prince de Lichtcnstein~ moins le régiment que j'ai signalé ci-dessus comme se trouvant sur la rive droite du canal du Tcssin, était formé entre Magenta et le pont du chemin de fer; une brigade !'t droite et une autre brigade à gauche de la voie ferrée, ces deux brigades à Buffalora et à Ponte di Magenta, à un point où la grande route de Novare à Milan franchit le canal du Tessin. Le même corps, qui comptait trois. brigades, avait sa troisième, partie dans. Buffalora et partie un peu en arrière du village. Le 7e corps d'armée avait ses deux divisions formées en demi-cercle devant Ponte-di-Magenta, et le viaduc du chemin de fer, la division du baron de Ueischach à droite et la division de Gablentz à gauche, une des brigades de cette dernière division étant en deuxième ligne derrière l'autre brigade. Enfin au nord-est et à deux kilomètres de Magenta se trouvait la division de cavalerie du général MensdorG'. Ainsi qu'on peut s'en rendre compte d'après les indications qui précèdent, le corps d'armée français, en
marchant résolument, mais tout seul. sur Magenta, allait être exposé aux plus grands dangers. Car vers quatre heures del'après midi,la division des grenadiers de la garde impériale, près de laquelle était l'empereur Napoléon 111, n'avait pas encore pu, maigre ses attaques si glorieusement conduites et plusieurs fois repétées, forcer le passage du canal du Tessin, ni devant le tunnel du chemin de fer. ni devant Poutc-di-Magenta. Les forces autriclucnncs qui défendaient les points de passage du canal étaient assez nombreuses et assez fortement établies pour que leur résistance put durer longtemps encore. Si donc, en ce moment, vers quatre heures, toutes les autres forces autrichiennes s'étaient portées promptement~ partie en avant et partie à droite et à gauche de Magenta, il en serait résulte qu'une demi-heure ou un quart d'heure plus tard, le corps d'arm'e du général de Mac-Mahon, dans son mouvement ou'ensif, aurait pu trouver devant lui, en abordant Magenta, le 1~ corps autrichien tout entier et le corps presque en entier également: car rien ne se fut opposé a ce que la brigade, qui était à trois heures et demie sur la rive droite du canal, eut rallié le gros de ce corps d'armée vers quatre heures ou quatre un quart au plus tard. Enfin, à ces forces déjà très considérables, le général en cher GiuJay pouvait ajouter la division de cavalerie Mensdorn* en la faisant donner sur la gauche du 2<* corps français entre Marcallo et Magenta. Pour oser aborder ces forces autrichiennes si supérieures en nombre à celles dont il disposait, le général de Mac-Mahon pouvait se dire que son corps d'armée était composé d'excellentes troupes venues d'Algérie et dont la solidité était parfaite. Il pouvait se dire aussi que la division des voltigeurs de la garde impériale, que l'Empereur avait adjointe à ce corps, ne comprenait que des officiers et des soldats d'élite, ayant tous passé
par les dures épreuves de la guerre de Cri mec. Sa. conliance dans les troupes qu'il commandait était assurément sanslimites. Mais, d'autre part, rien ne l'autorisait supposer que les troupes autrichiennes qui étaient devant lui n'étaient point vaillantes comme les siennes. Quoi qu'il en soit, pour que l'armée autrichienne se montrât très menaçante, il eut fallu que s"n général en en chef, comte une décision soudaine vers trois heures et faisant suivre cette décision d'une exécution trcs prompte, eut donné à cette armée les dispositions que j'ai indiquées ci-dessus sous Magenta. L'inspiration de génie qui fait prendre, sur un champ de bataille, une décision pareille semble avoir manque au comte Giulay. Vers quatre heures, impatient d'obéir à l'ardeur qui était l'essence propre de son tempérament belliqueux, le général de ~lac-Mahon ordonna à ses généraux de commencer leur attaque sur Magenta. Dans le moment même ou le mouvement allait se dessiner, une idée des plus heureuses s'empara de son esprit, et il la mit soudain à exécution. Je la lui avais suggérée, mais c'est bien à lui qu'il convient de l'attribuer, puisqu'il voulut bien l'accueillir. Il prescrivit a ses lieutenants, sur ma proposition, les généraux de La Mottcrougc, Camou et Espi nasse, que tous les bataillons, dans leur marche en avant, prendraient pour point de direction le clocher de Magenta. Il en devait résulter qu'au fur et a mesure que les hataillons, se rapprocheraient de ce bourg, ils se concentreraient davantage pour former enfin une masse compacte dont une masse autrichienne pareille aurait pu seule contrebalancer la puissance irrésistible. Cette disposition avait encore l'avantage de permettre de porter, en seconde ligne, un certain nombre de bataillons pour former une réserve. Des que cet ordre eut été communiqué :'<
prenant
à tous les bataillons, le mouvement offensif du
2~
corps d'armée commença. Il fut exécute avec un ensemble digne d'être comparé à une manœuvre du Champ-deMars. La marche des divisions de La Motterouge et Espinasse étant quelque peu accélérée, tandis que celle de la division Camou était plutôt un peu lente, il en résulta que les trois divisions formèrent bientôt une ligne circulaire dont le clocher de Magenta, l'objectif du mouvement, était le centre. A mi-chemin de la distance que les bataillons avaient à franchir avant d'arriver sous Magenta, un incident inattendu vint jeter dans leurs rangs un peu de trouble, une certaine inquiétude; les bataillons reçurent, sur leur droite et à revers, quelques boulets qui paraissaient venir de Ponte di Magenta. Était-ce que les Autrichiens se trouvaient dans cette direction et attaquaient ainsi le 2° corps d'armée? L'indécision pouvait être permise, et c'est ce qui pouvait aussi jeter de l'hésitation dans l'esprit des officiers et des soldats de ce corps. A cet instant, il ne fallait cependant pas que les bataillons du général de Mac-Mahon suspendissent leur marche. Les troupes de la division de La Motterouge et celles du général Camou eurent à lutter vigoureusement pour obliger à se replier sur Magenta les forces' du 2° corps d'armée autrichien, qui occupaient la plaine en avant de Magenta, et celles duî~ corps, qui défendaientles abords, du bourg. Ce fut dans cette marche que le 2e régiment de zouaves s'empara d'un drapeau autrichien, ce (lui valut a ce régiment de voir quelques jours plus tard son propre drapeau d'coré de la croix de la Légion d'honneur. Dans Fintention de raffermir tout de suite le moral des bataillons, je me risquai à proposer au général de Mac-Mahon de faire battre et sonner sur-le-champ la marche dans tous les bataillons.
Les arbresct les vignes.lui dis-je,'mettentobstacle à ce que nos bataillons se voient les uns les autres; niais
s'ils entendent battre les tambours et sonner les clairons a leur droite et à leur gauche, ils comprendront qu'ils sont coude à coude, et alors toute inquiétude disparaîtra chez eux; ils continueront à marcher avec la plus entière
connance."» Le général de Mac-Mahon voulut bien accueillir favorablement ma proposition. Il envoya tout aussitôt des officiers porter l'ordre aux généraux, ses lieutenants, de faire battre et sonner la marche dans tous les bataillons. La marche fut reprise aussitôt avec un entrain admirable. Quand le:: trois divisions furent à 3 ou 400 mètres de Magenta, elles ne présentaient plus qu'une masse compacte capable de dé!!er les forces autrichiennes qui en occupaient la gare et les abords, ainsi que tout l'intérieur du bourg. La division Espinassc, division de gauche, se précipita sur la rue qui, à l'ouest, était l'entrée de Magenta. La division de L'i Motterouge, a droite, attaqua l'entrée principale par laquelle la grande route de Buffalora à Magenta pénètre dans le bourg. La division Camou, au centre, se porta à l'attaque de toute la partie des habitations qui se trouvaient entre cette dernière entrée et la gare du chemin de fer et de cette gare elle-même. Toutes les maisons, situées aux entrées de Magenta et la gare, étaient occupées par des forces autrichiennes considérables qui résistèrent avec valeur aux troupes françaises. Le général Espinasse,en cherchant à forcer rentrée de la rue qui était devant lui, voulut donner l'exemple à ses soldats, en se mettant à leur tête. Il tomba victime de son intrépidité, frappé mortellement d'une ba!le autri15.
chienne partie de l'une des fenêtres de la première maison qui était a rentrée de la rue. La mort de ce vaillant gé-. néral fut une perte cruelle pour l'armée. Son orlicier d'or donnance fut tué en même temps et à c')té de lui. Le général de La Mottcrougc attaqua furieusement la rue principale du bourg. Il fut puissamment aidé, dans son offensive, parles deux batteries d'artillerie auxquelles le généra! Augcr avait ajouté les quatre batteries de réserve '.lu corps d'armée. Le général Camou jeta ses bataillons à l'assaut de la gare: ces bataillons répondaient par une fusillade des plus vives à celle n'.ni moins vive des bataillons autrichiens qui étaient embusqués dans cette gare. Des fenêtres des maisons, du clocher même de Magenta, 'occupé par l'ennemi, les balles picuvaicnt sur les soldats sans arrêter leur élan. Ce fut non loin de ce clocher que je vis mon s"us-chcf d'état-major général, le lieutenantcolonel de Dcaumont, frappé d'onc balle; il succomba quelques jours plus tard a ~ovare. oit un l'avait transporté. La lutte devant Magenta dura environ une heure et demie. Vers sept heures, les troupes du corps y entrèrent, pendant que devant elles les troupes autrichiennes opéraient leur retraite dans la direction de l'est, vers le bas Tessin. La bataille avait été très vive. Les Autrichiens avaient résisté vaillamment pour s'opposer a ce que les bataillons du général de La Mottcrouge forçassent l'entrée de la grande rue du bourg. Ils laissèrentde ce côté.surle terrain, un nombre considérable. de tués et de blessés, 15 à 20,000 fusils, un plus grand nombre d'effets d'équipement de toute sorte, sacs, gibernes, coiffures, etc. La victoire remportée par le corps français était magnifique.
J'ai dit précédemment qnc, le t juin au matin, "n ne s'attendait pas, dans l'armée française, qu'il y aurait une grande bataille ce jour-là. Cela est si vrai que l'Empereur, qui était à Novare, y déjeuna à son heure habituelle. Le personnel de son Grand Quartier général était tout entier près de lui à cette heure. Le canon du corps d'armée avait retenti sur les t'urds du. canal du Tessin, près de Butialora, bien avant six heure?. A ~ovare, personne ne l'avait entendu, bien que la distance de HufFalora à Xovare ne soit guère que de 1~ kilomètres. Apres son déjeuner, entre midi et une heure, l'Empereur, désireux de voirlestroupesdela garde impériale qui se trouvaient devant ~an-Martino et ~onte-di-Magcnta, s'était transporté en voiture vers ces points, n'ayant avec lui que le général de Martimprey, et ce ne fut que près de San-Martino qu'il apprit que le c"rps d'armée était aux prises avec l'ennemi de Fautrc coté du canal du Tessin, et que les grenadiers de la garde i'ctaient de même au pont de San-Martino, devant Dunalora et devant Ponte-Yccchio di Magenta, où passe le chemin de fer de Xovare a Milan. Les omciers du Grand Quartier impérial, prévenus de ce qui se passait, rejoignirent l'Empereur a une heure assez avancée de l'après-midi. Quant à ceux de Fétat-major général de l'armée, ils arrivèrent près de lui entre 11 heures et midi. Dès que l'Empereur avait su dans quelle situation se trouvait le corps de son armée, isolé que celui-ci était au delà du Tessin, il avait invité le roi Victor Emmanuel, dont l'armée était sur la rive du Tessin, à diriger en toute hâte une partie de ses forces sur Magenta pour prêter leur appui au corps français. La divisio't piémontaise du général Fanti avait marché aussitôt sur Mesero et Marcallo. Mais si vite qu'elle eut marche, elle n'arriva sous Magenta que lorsque déjà le corps du général de
Mac-Mahon y était entré et que les corps autrichiens s'étaient mis en retraite. Le canon du général Fanti jeta quelques boulets sur les fuyards autrichiens; il ne put rien faire de plus. Si la résistance des corps autrichiens dans Magenta se fut prolongée une demi-heure de plus qu'elle ne dura, il est certain que la division Fanti eut été d'un puissant secours pour le corps d'armée du général de Mac-Mahon. Un puhliciste, M. Alfred Du~et, dans son livre sur la guerre d'Italie, a fait au général de Mac-Mahon le reproche de n'avoir point, dans toute la matinée du i juin. envoyé des officiers près de l'Empereur pour instruire celui-ci de la situation dans laquelle se trouvait le 2' corps d'armée qui avait devant lui des forces autri-
chiennes considérables. M. Duquet ignorait sans doute, en écrivant son livre, quelle importance il y a, pour un commandant de troupes, à ne point éloigner de lui les officiers qui font partie de son état major, dans un moment où leur concours lui est le plus nécessaire. 11 ignorait bien plus encore que c'est le devoir strict d'un grand quartier général d'armée de demeurer sans cesse, surtout lorsqu'on est à proximité de l'ennemi, en constante communication avec les commandants de corps d'armée. Ce n'était point le général de Mac-Mahon qui aurait du envoyer des officiers au commandant en chef de l'armée, c'était celui-ci qui aurait dù envoyer d'heure en heure des officiers du Grand Quartier impérial au général de Mac-Mahon, afin d'être toujours bien informé sur les opérations du 2e corps. M. Duquet, qui parait avoir pris à tâche, et de parti pris, de dénigrer, dans son livre, tout ce qui a été fait par le maréchal de Mac-Mahon à l'armée d'Italie, prête au général ~iel des paroles qui certainement n'ont jamais pu sortir de sa bouche. Le publiciste raconte que l'Empereur Napoléon III, lorsqu'il récompensa le général de Mac-Mahon, après la victoire de
Magenta, en le créant duc et maréchal de France, ignorait les fautes qui avaient été commises par le commandant du corps d'armée. Puis M. Duquet écrit Si l'Empeque le général ~iel aurait dit à ce' sujet: reur s'était accordé vingt-quatre heures de rénexion avant de donner ses récompenses, au lieu de nommer le général de Mac-Mahou maréchal et duc de Magenta, il l'aurait fait traduire devant un conseil de guerre pour avoir si mal exécuté ses ordres. Ces paroles, l'écrivain assure qu'elle lui ont été communiquées par un général de la garde impériale. Dans ma conviction, jamais le généra! ~iel n'a pu tenir un pareil langage, et le racontar prêté à un général de la garde ne saurait être considéré comme sérieux. Pendant que la victoire du 2" corps d'armée français se décidait sous Magenta, des événements importants s'étaient passés au pont de Ponte-di-Magenta. Ce n'avait été qu'après des efforts héroïques et souvent renouvelés, sous la direction du général Regnault de Saint-Jean-d'Angely, que la division des grenadiers de la garde impériale avaient entin réussi à se rendre maltresse du pont. Le 3'" corps d'armée avait alors franchi le pont et s'était jeté en avant dans la direction de Magenta. L'une des divisions de ce corps, commandée par le général Vinoy, avait débouché dans la plaine qui se trouve entre Ponte-di-Magenta et Magenta, et c'est alors que s'apercevant qu'un grand mouvement de troupes s'opérait en avant de lui, sur sa gauche, et ne distinguant point ce que ces troupes pouvaient être, le général Vinoy avait fait tirer sur elle les batteries de sa division. Peutêtre ces batteries avaient-elles tiré d'elles-mêmes sans avoir reçu l'ordre de le faire. Ce sont les boulets de ces batteries qui avaient, comme je l'ai dit plus haut, causé un peu d'inquiétude, chez les troupes du corps d'armée, pendant leur marche sur Magenta.
Canrobert)
Aussitôt que le maréchal Canrobert avait eu passé le Tessin, il s'était p"rté de sa personne en avant pour aller reconnaMre les f"rces ennemies qui pouvaient être devant lui. Il était suivi par la brigade du général Cler. Comme il approchait les Autrichiens, qui étaient en force de ce côté, son chef d'état-major, le colonel (le Senneville, un des officiers les plus capables (lu corps d'ctat-major auquel il appartenait, fut trappe mortellement d'une balle à côté de lui. Le général Cler fut frappé également comme il portait ses troupes en avant. C'était une autre grande perte pour Farméc que celle de cet ofticier général dont la carrière n'avait été marquée jusque-là que par des traits de bravoure et des succès qui avaient rendu son nom célèbre en Algérie et dans la guerre de Crimée. M. Duquet raconte encore que FEmpcreur envoya deux de ses o!uciers an général de Mac-Mahon à partir de 2 heures et demie. 11 commet là une erreur grossière; aucun ofncier de l'entourage de l'Empereur n'a communiqué avec le général de Mac-Mahon depuis la mise en mouvement du 2" corps, le 4 au matin, jusqu'àl'entréc de ce corps dans Magenta. On verra plus loin que des deux ôtliciers d'ordonnance de l'Empereur cités par M. Duquet, l'un, le commandant Schmitz, ne vit le général de MacManon qu'a 7 heures et demie du soir, quand le 2" corps d'armée était dans Magenta et que les Autrichiens étaient en retraite; l'autre~ le colonel de Toulongeon, vers 8 heures seulement. J'ai raconté ci-dessus que, dans la matinée du 4 juin, lorsque le général de Mac-Mahon se trouvait sur le chemin de Robechetto à Buffalora, à hauteur et tout près de Cuggiano, j'étais descendu du clocher de. ce village pour dire au général que c'était une grande bataille qui allait s'engager entre l'armée autrichienne et la nôtre. J'ai dit que j'avais alors insisté près du général de Mac-Malton pour l'aire discontinuer la marche sur Buffalora et pour
lui demande:' de vouloir bien tout de suite réunir et former en ordre de bataille, les trois divisions qu'il commandait, afin de diriger son corps d'année à l'attaque de Magenta. J'ai dit aussi que j'avais demande au général de Mac-Ma))"n que, dans leur mouvement d'ensemble~ t"us les bataiH"ns de son corps d'armée prissent pour ;int de directiun le clocher de Magenta, ce qui avait été tait. J'ai écrit enfin qu'à un certain moment du mouvement, j'avais prié le général de Mac-Mahon de l'aire battre et s"nner la marche dans tous les bataillons, afi'i de raSerinir l'entrain des bataillons qui pouvait être ébranlé par des boulets qui les prenaient à revers, et que le générai de Mac-Mahon av:ut donné suite à ma demande. Qu'on ne s'y méprenne pas, je ne revendique en rien {"air moi l'honneur d'avoir, soit avant, soit pendant l'attaque de Magenta par le corps d'armée, dont j'étais le cher d'état-major, émis près du général de Mac-Mahon quelques demandes qui, accueillies parlui, ont été suivies d'un heureux résultat. Je sais aussi bien que personne que, s'il est sage pour un commandant de troupes d'écouter les avis et les conseils des officiers qui sont ses collaborateurs, c'est à lui qu'incombe toujours la responsabilité lorsqu'il a décidé qu'il rait bien de s'y coot'urmcr. 11 ne faut pas 'ubiicr que si, en suivant les conseils qu'on lui a donnés~ l'opération ne réussit pa~, c'est lui seul qui en endosse la responsabilité; on ne la l'ait pas retomber sur ses conseillers. Si au contraire l'opération est suivie de succès, n'estil pas juste quecesoit celui qui, en dénnitivc, l'a ordonnée qui en recueille tout l'honneur? Pendant tout le temps que le corps du général de MacMahon avait marché, puis avait combattu devant Magenta, l'empereur Napoléon 11!, le général en chef de l'armée française, s'étaittenudesapersonne près deladivisiondes grenadiers de la garde~ luttant contre les Autrichiens pour
enlever à cenx-ci le pont de Buffalora, pui~. ce qui avait été plus difficile, le pont de Ponte-Magenta. L'Empereur, en arrivant devant San-Martino, vers une heure de l'après-midi, avait appris qucle canon du général de Mac-Malion, après s'être fait entendre du côté de BaSalora, s'était tu t'ut à coup, et il en avait con<;u une véritable inquiétude. Il s'était demandé avec angoisse ce qui était advenu pour le 2° corps d'armée. X'aurait-il pas, par malheur trouvé devant lui des forces autrichiennes supérieures en nombre qui l'auraient accablé et peut être jeté dans le canal du Tessin, ou forcé de se replier sur Turb'g<'? Après de longues heures d'une perplexité facile à concevoir, l'Empereur s'était décidé à envoyer un de ses officiers d'ordonnance à la recherche du général de Mac-Mahon pour lui demander dans quelle situation était son corps d'armée. Cet officier, qui était le chef d'escadron d'étatmajor Schmitz, fut obligé de faire un grand détour pour accomplir sa mission. Du lieu où était l'Empereur, il dut aller passer par Turbigo. Il arriva près du général de MacMahon, quand celui-ci était maître du champ de bataille, ayant délogé l'ennemi de Magenta et ayant fait occuper ce bourg par ses troupes. II était alors 7 heures et demie. « L'Empereur, dit le commandant Schmitz au général de Mac-Mahon, m'envoie prendre des nouvelles de votre corps d'armée. Quelles sont celles que je dois lui porter de votre part ? Sa Majesté était très anxieuse quand je l'ai quittée. Mais, répondit le généra!, vous pouvez dire à l'Empereur que nous avons remporté une belle victoire et que l'armée autrichienne, chassée de Magenta, est en pleine retraite. « Mais commentune victoire? repritlecommandant ce serait donc une victoire qu'il faudrait lui annonOui, oui, une victoire complète qui nous a coûte cer?" des pertes sérieuses, mais une très belle victoire <Jc puis donc en donner l'assurance à l'Empereur «Mais assurément. -Et alors, je me permis de dire à l'envoyé
de l'Empereur. qui paraissait ne pas revenir de ce qu'il entendait Mais, mon cher Schmitz, est-ce qu'en traversant le champ de bataille pour arriver jusqu'ici, vous n'avez pas vu les milliers de tués et de blessés autrichiens qui jonchent partout le terrain? Est-ce que vous n'avez pas vu- cette quantité considérable de fusils, 30,000 peutêtre, et le nombre prodigieux d'effets d'équipement de toute sorte qui y sont entassés, abandonnés par les troupes autrichiennes? Le tableau serait pour vous bien plus saisissant encore si vous pouviez parcourir les abords de Magenta et en visiter les rues que nous avons
attaquées. Le commandant Schmitz partit au galc'p pour aller rendre compte de sa mission à l'Empereur. Une demi-heure plus tard arriva près du général de Mac-Mahon un second officier envoyé par l'Empereur. Celui-ci était le colonel de Toulongeon, aide de camp de Sa Majesté. Il venait, comme le commandant Schmitx, prendre des renseignements sur la situ:Ui<n du corps d'armée. Le général de Mac-Mahon lui répéta ce qu'il avait dit au commandant. « Quand j'ai quitté l'Empereur, dit le colonel de Toulongeon, il était si loin de s'attendre à une victoire que je l'ai laissé ayant une carte du pays sous les yeux, et y cherchant, avec l'aide du général de Martimprey, les lignes de retraite que l'armée pourrait prendre si elle était battue. 11 sera bien heureux quand il saura par iecommandantSchmitx, qui arrivera près de lui avant moi, ce que vous venez de m'apprendre. Je passai la nuit suivante presque entière à compulser les-rapports adressés au général de Mac-Mahon par ses lieutenants~ pour lui rendre compte des événements auxquels ils avaient pris part dans la journée, et pour préparer celui que le commandant du 2" corps d'armée devait adresser à l'Empereur.
Le lendemain, dans la matinée, l'Empereur vint a Magenta pour y voir le général de Mac-Mahon, qui lui raconta en détail les incidents de la bataille. Le maréchal Vaillant, major général de l'armée, était seul
présent à Fcntrevue du souverain avec le général. Ce fut lui qui, en sortant de la chambre on elle avait lieu, m'apprit que l'Empereur venait d'élever le général de Mac-Mahou à la dignité de maréchal, et que, de plus, il Pavai créé duc de Magenta. Sur la demande du nouveau maréchal. l'Empereur promut le général Dccaen, commandant une (les brigades de voltigeurs de la garde impériale, au grade de général de division, et l'appela au commandement de la 2" division d'infanterie du 2" corps d'armée, en remplacement du général Espinasse, tué la veille à l'ennemi. Quelques mots encore sur la bataille de Magenta. Dans la phase importante de la bataille qui se passa entre 4 heures ctH heures et demie, la lutte entre le corps d'armée du général autrichien Clam-GalIas et le corps de l'armée française fut des plus violentes et fort meurtrière. A quelques centaines de mètres des maisons de Magenta, aux abords du chemin de fer qui longe les murs extérieurs de ce bourg, et surtout près de l'entrée des deux rues par ou les troupes françaises avaient à pénétrer pour en déloger le Autrichiens, il y eut des combats répétés et acharnés, dans lesquels tombèrent, tués ou blessés, un nombre considérable de soldats, appartenant soit à l'un. soit à l'autre des deux partis opposés. Les régiments qui composaient les divisions françaises commandées par les généraux de La Motterouge et Espinassefurenttousplusoumoinséprouvés par lespertes qu'ils essuyèrent dans ces combats. Parmi eux. le régiment de~ tirailleurs algériens de la division de La Motterouge, qui déjà avait combattu si brillamment à Robechetto, s'y fit
remarquer par l'entrain et l'intrépidité de ses officiers et
de ses soldats. J'ajouterai que. si les bataillons de la même division purent, a la fin de la bataille, se frayer de vive force un passade à travers la grande rue de Magenta et en repousser les Autrichiens, ils le durent en grande partie au concours que leur prêta L'artillerie. Dans le moment où entre G heures et demie et 7 heures, le corps du général de Mac-Mahon occupant entièrement Magenta, les troupes autrichiennes du générât Clam-GalIas étaient déjà en pleine retraite, on vit arriver, a deux portées de fusil à peine de Magenta, une des divisions piémontaises qui accouraient pour prêter leur appui a l'armée française. Elle venait trop tard, puisqu'elle ne put prendre part la bataille; mais elle ne fut pas moins utile, parce que sa présence près du corps d'armée français aucrmit la position de celui-ci, en lui donnant les moyens de résister fortement, au besoin, :t un retour offensif des Autrichiens. La journée de Magenta fut des plus glorieuses pour l'armée française mais celle-ci paya chèrement la victoire qu'elle remporta, car les pertes qu'elle s~bit furent considérables. Dans la matinée et jusque vers deux heures de l'aprèsmidi, la division des grenadiers de la garde impériale qui, suivant les ordres de'l'Empereur, devait franchir le et 1~ corps d'armée, canal du Tessin, avant les 3' pour gagner ensuite Magenta, avait trouvé les points de passage du canal fortement occupés par les Autrichiens. Dans ses attaques répétées pour enlever les po'its et surtuut devant celui de Ponte Xuovo di Magenta (le pont du chemin de fer conduisant à Magenta), elle eut un grand nombre d'hommes mis hors de combat. L'enlèvement du gros bourg de Magenta aux troupes autrichiennes qui s'y étaient concentrées coûta au corps
du général de Mae-Mahon, entre autres pertes nombreuses et cruelles, celle de l'un de ses généraux de division, le général Espinasse, l'un des officiers lesplus distinguésdel'armée. Elle coùtaaussi celle du lieutenant-colonel de Beaumont, le sous-chef d'état-major du corps d'armée. Cet officier supérieur était tout près du général de Mac-Mahon les voltigeurs de la garde impériale abordaient les premières maisons de Magenta, lorsqu'une balle, qu'on supposa être partie du haut du clocher même de Magenta, vint lui traverser le bras. Il succomba à sa blessure quelques jours plus tard, comme je l'ai dit, a l'hôpital de Xovarc, où on l'avait transporté. Le régiment des tirailleurs algériens de la division de La Motterouge, qui déjà s'était conduit si vaillamment a Robechetto, se fit remarquer parl'intrépidité avec laquelle, à Magenta, il se jeta sur les Autrichiens qui, en masses compactes, défendaient les approches de la voie ferrée et celles des premières maisons de la petite ville. Un de ses chefs de bataillon, le commandan t Vanhorick,fu t blességrièvement d'un coup de feu en entrainant ses soldats à l'assaut de ces maisons. Lorsque les Autrichiens eurent abandonné, dans l'àprès midi, le Ponte, ~uovo di Magenta et CuSalora pour aller rallier le corps autrichien de Clam-Gallas à Magenta, et que le 3" corps d'armée français (maréchal Canrobert) eut commencé à déboucher par ce pont, dans la plaine de Magenta, pour y venir appuyer le corps, le général Cler, qui commandait la brigade de tête du 3'corps, fut tué par une balle autrichienne. Presque dans le même moment, le colonel de SenneviIIe, le chef d'état-major du maréchal Canrobert, en se portant en avant de son corps d'armée, pour reconnaître le terrain, subit le même sort. Ajoutons enfin que si, vers la fin de la bataille, la première division du général de Mac-Mahon. commandée par
le général de La Motterouge, finit par réussir à forcer rentrée de la rue principale de Magenla et à prendre solidement pied dans l'intérieur de ce bourg, ce succès lut dù, en grande partie, au concours que l'artillerie prêta dans la circonstance à cette division. Le général Auger, commandant de l'artillerie du corps d'armée, avait eu, en c{Tet,l'idée fortheureusede réunir, enfacedel'entrée derue dont il s'agit, les deux batteries de la division de La Motlerouge et les trois batteries de réserve du corps d'armée. [)c ces cinq batteries, ilavait composé une batterie formidable de 30 bouches à feu, qui, écrasant, sous ses projectiles, les abords et l'entrée de la rue, avait préparé admirablement l'attaque de l'infanterie. L'armée autrichienne avait éprouva, à Magenta, des pertes bien autrement considérables que l'armée française. On en put juger, aussitôt après la bataille, quand on constata que sur le terrain où rengagement avait été le plus vif, une quantité énorme d'objets d'équipement et quinze à vingt mille fusils autrichiens jonchaient le sol. C'étaient ]a de glorieux trophées pour le corps d'armée du général de Mac-Mahon. Il y en eut, pour le corps, un autre que je dois citer: ce fut un drapeau que le 2* régiment de zouaves enleva à un régiment autrichien un peu après le commencement de la bataille. Quelques jours après la bataille et par ordre de l'Empereur, le maréchal Mac-Mahon décora le drapeau du 2" de zouaves de la croix de la Légion d'honneur. Je ne reproduirai point ici le rapport adressé par le général de Mac-Mahon à l'Empereur sur la journée de Magenta. Toute la presse française et ctrangcre a publié cette pièce. Le nouveau maréchal y racontait les faits avec la plus grande simplicité, s'e~acant lui-même, ne parlant que de la valeur des troupes placées sous son commandement, et déplorant les pertes qu'elles avaient essuyées~
et notamment la mort du général Espinasse, tué à l'attaque (le Magenta. L'Empereur avait invite le maréchal de Mac-Mahon à se montrer large, dans le nombre des propositions qu'i! avait à lui soumettre, pour récompenser les officiers et lc~ soldats qui s'étaient particulièrement distingués pendant la bataille. Le maréchal s'occupa sur-le-champ d'établir ces propositions, et il les fit parvenir à l'Empereur. Il est peut-être bon qu'à ce propos j'entre dans quelques détails, parce qu'ils feront voir quel a ~té et quel fut toujours le caractère du maréchal de Mac-Mahon. Sans cesse disposé à faire valoir les services des officiers qui étaient employés auprès de sa personne, il ne craignait rien tant que d'être accusé de favoritisme, lorsqu'il s'agissait pour lui de les faire récompenser. Uuand il m'ap'pcla à collaborer avec lui à l'établissement des mémoires de propositions pour récompenses en faveur des officiers Voyons d'abord, me et soldats de son corps d'armée dit-il, ce que j'ai à demander pour les officiers généraux. Monsieur le maréchal, lui répondis-je, l'Empereur vous a recommandé d'être large dans vos propositions. Si vous ne l'étiez pas, vous amoindririez sans aucun doute la victoire que vous avez remportée. Vous ne pouvez faire moins que de demander trois croix de grand-officier pour vos généraux. –Je l'admets parfaitement, fit le maréchal mais quels seront les trois généraux pour qui je demanderai cette faveur? Il y en a un, repartis-je, qui me parait être indiqué tout d'abord, c'est le général de La Motterouge, le commandant de votre première division il a été héroïque à Turbigo il l'a été encore hier pendant la bataille. Oui, dit le maréchal, et les deux autres?a –Ohl pour ceux-ci, il y a le général Lefebvre, qui s'est distingué particulièrement, comme son général de
division; il compte de beaux services de guerre, il y a d'autant plus lieu de le récompenser, dans cette circonstance, qu'il va atteindre prochainement la limite d'~ge qui le fera passer dans le cadre d'activité. Je le proposerai, dit le maréchal, et le troisième? –Ahl pour le troisième, vous avez à choisir entre les autres généraux de brigade, qui tous ont des titres sérieux pour qu'on leur accorde cette haute faveur. Mais ils ont tous la même ancienneté de grade, et là est la difficulté de donner la préférence à l'un d'eux sur les autres. Comment faire, alors? Eh bien! Monsieur le maréchal, ce qui serait de toute justice, ce me semble, ce serait de faire porter la préférence sur celui d'entre eux qui prime ses camarades par 'son ancienneté dans le grade de commandeur de la Légion d'honneur. –C'est juste. Mais qui est le plus ancien commandeur parmi eux? Il faut s'en assurer. On lit des recherches, et il fut reconnu que le plus ancien commandeur, c'était le chef d'état-maj'.):' général du corps d'armée c'était moi-même. Je l'avais ignoré absolument jusquc-Ià.Alors s'élevèrent des scrupules dans l'esprit du maréchal. Mais si je vous propose, dit-il, on ne manquera pas de dire que je l'ai fait parce que vous êtes mon chef d'état-major. –Oh' qu'à cela ne tienne, répondis-je aussitôt, ne proposex que deux généraux pour la dignité de grandofUcier de la Légion d'honneur. La campagne n'est pas finie; j'aurai, je l'espère, un peu plus tard, des occasions de mériter cette récompense. Le maréchal s'arrêta à ce parti, et j'allai m'occuper du travail des propositions qui devaient être présentées par moi à sa signature. Pour en finir avec cette digression,
j'ajouterai que, lorsque l'armée française, après avoir passé par Mi!an et combattu à Melegnano (Marignan), avait son Grand Quartier général à Brescia, un matin comme je traversais la grande place, je vis tout à coup accourir vers moi une quantité d'officiers qui me criaient Savex-vous que vous êtes grand-ofticier de la Légion « d'honneur? Xon, leur dis-je, je ne suis pas grand. officier, et j'en suis d'autant plus certain que c'est moi qui ai prépare et fait signer au maréchal de Mac-Mahon. le travail des propositions qu'il a adressées à l'Empereur, et je sais bien que mon nom ne figure pas dans ce travail. A mon entrée au Grand Quartier impérial, mes camarades s'élancèrent au-devant de moi, et ils me donnèrent la même nouvelle. Le sous-chef d'état-major de l'armée me dit qu'il allait sur l'heure me faire remettre les insignes démon nouveau grade dansIaLégion d'honneur; ils me furent remis en effet quelques minutes plus tard. Comment m'était venue cette faveur inattendue? Pour me ménager sans doute une surprise agréable, le maréchal de Mac-~ahon avait voulu inscrire lui-même mon nom sur la liste de présentation pour récompenses avant de renvoyer à l'Empereur, et à l'appui de sa proposition faite en ma faveur, il avait rédigé des notes très chaleureusement élogieuses. A ma rentrée au quartier général du 2" corps, j'allai sur le champ remercier le maréchal de ce qu'il avait fait pour moi. Ce fut ainsi qu'il eut la nouvelle de la distinction qui m'était accordée. Il s'en montra, je dois le dire, tout aussi heureux que je l'étais moi-même, et pourtant ma joie était bien grande. Apres trois mois seulement,passés dans mon grade de général de brigade, être grand-ofScier de la légion d'honneur, n'était-ce pas, en effet, avoir été largement récompensé pour les quelques services que j'avais pu rendre depuis le commencement de la campagne ?
Dans la journée du 5 juin, le général Desvaux, qui commandait, dans l'armée, une division de cavalerie indépendante, instruisit le maréchal de Mac-Mahon qu'un corps autrichien,.iso!é de l'armée autrichienne qui était en retraite à. l'est de Magenta, se trouvait à 7 ou 8 kilomètres en avant et à l'ouest de ce bourg, et qu'il marchait péniblement pour aller rejoindre l'armée du général en chef Giulay, parce que les voitures d'un convoi qui l'accompagnait s'opposaient à ce qu'il format de vitesse pour échapper à une poursuite de l'armée française. Il était environ une heure de l'après-midi quand cet avis du général Desvaux parvint au maréchal de Mac-Manon. Celui-ci décida que les troupes du corps se mettrai' nt sur-le-champ à la poursuite du corps autrichien, qu'on sut bientôt être commandé par le général Crban. –Vous allez, me dit le maréchal, partir tout de suite, avec six escadrons des 4~ et 7< régiments de chasseurs, pour vous mettre à la recherche de la colonne autrichienne. Je vous suivrai avec l'infanterie du corps d'armée. Envoyez-moi des nouvelles dès que vous croirez devoir m'en donner. A dix minutes de là, je partais de Magenta avec les six escadrons mis à ma disposition. Je Gs bonne diligence: une heure plus tard, je me trouvais sur la direction qui m'avait été indiquée, à !5 kilomètres de Magenta. Là, je trouvai sur mon chemin, faisant halte près d'un village, la division de cavalerie du roi Victor-Emmanuel. J'appris que cette division était alors elle-même à la poursuite de la colonne du général Urban. Les habitants me firent connaître que cette colonne avait passé par le village une heure peut-être auparavant, et que ses soldats paraissaient être très fatigués. Il semblait qu'il ne dût plus y avoir, en ce moment, qu'une marche de trois quarts i6
d'heure, ou (Tuncheuretoutauplus, a faire pour atteindre la colonne ennemie. Il paraissait bien évident que si la division de cavalerie du roi et mes six escadrons se contentaient seulement de la harceler, elle serait forcée de s'arrêter pour leur tenir tête. Au cas où cette cavalerie serait impuissante à la cerner et la faire prisonnière, l'infanterie du 2~corps d'armée, venant bientôt à la rescousse, obligerait les Autrichiens à mettre bas les armes. Mais, par respect et par déférence pour le roi VictorEmmanuel, je ne crus pas qu'il me fut permis de prendre, avec mes six escadrons, la tète du mouvement qu'il s'agissait d'exécuter en les portant en avant. Je pensai que le mieux était pour moi d'Informer, le plus vite possible, le maréchal de Mac-Mahon de la situation dans laquelle je me trouvais, et c'est ce que je fis en envoyant un officier au-devant du maréchal. J'attendais les nouvelles Instructions qu'il me ferait porter, lorsque le roi. ayant renoncé à porter sa cavalerie plus loin, je reçus l'ordre de rétrograder sur Magenta. Je rejoignis le maréchal de Mac-Mahon, alors que déjà il avait, avec son infanterie. parcouru !0 à 12 kilomètres. Cette infanterie rebroussa chemin; elle reprit ses positions sous Magenta fort tard dans la nuit. Le maréchal de Mac-Mahon et moi, nous ne rentrâmes au quartier général du corps d'armée qu'a une heure du. matin. Le 6 juin au matin, l'armée française reprit le cours de ses opérations. Le corps d'armée fut porté ce jour-la autour de San-PIétrol'OImo, où le maréchal de Mac-Mahon établit son quartier général. La journée ne fut marquée par aucun incident de guerre. Dans la soirée, le maréchal rc~ut de l'Empereur un ordre de mouvement dans lequel il lui était dit que Sa Majesté ferait son entrée à Milan, le lendemain dans la matinée (vers onze heures, si ma mémoire ne me trompe pas), à la tète du 2~ corps d'armée.
En exécution de cet ordre, les troupes de ce corps se mirent en marche de bonne heure le 7 au matin. Entre u et 10 heures, elles étaient réunies devant Milan, leur tète de colonne établie au pied del'arcde triomphe, érige, a rentrée de cette capitale de l'ancien royaume d'Italie, en l'honneur de Napoléon 1~ et à la gloire de ses armées, après la constitutic.n de ce royaume, due aux victoires remportées par le grand capitaine. Le monument est grandiose: les sculptures qui le décorent sont magnifiques. Apres l'arc de triomphe de la place de l'Etoile, a Paris, cet édifice, qui resplendit de toutes les gloires du premier Empire, avec ses aigles victorieuses planant sur la grande viHc~ il n'y a pas au monde un arc de triomphe plus imposant et plus magnifique que celui de Milan. Arrivé au pied du monument, le maréchal de Mac-Mahon, duc de Magenta, descendit de cheval, et il s'étendit a terre pour se reposer et pour attendre l'empereur Napoléon lll. Un rendrait difficilement compte des ovations que les populations lui avaient faites sur son passage, depuis San-Piétro jusqu'à Miian. Mais lorsque les Milanais le virent, couché et contemplantleur glorieux arc de triomphe, ce ne fut chez eux que vivats se succédant sans interruption. Leurs démonstrations de joie ne sauraient être racontées; elles dépassèrent tout ce qu'un pourrait imaginer. Ce fut alors qu'un beau et jeune
chevalier m'ianais qui m'avait abordé m'apprit comment l'armée française libératrice allait être re~ue à son entrée dans la ville. « Vous ne vous doutez pas, me dit-il, de l'état de surexcitation dans laquelle la population milanaise se trouve en ce moment. Elle est littéralement dans le délire. Vous verrez. L'arc de triomphe de Milan était entouré de chaînes énormes de fer, reliées, entre elles, par de hautes bornes construites en pierre. Jamais ni troupe ni qui que ce fut n'avait passé sous la voûte de l'arc. Le municipe de Milan
avait, dès l'érection du monument, décrète qu'il en serait. éternellement ainsi. Maïs à l'apparition de Farméc française, les autorites locales firent enlever les chaînes pour que cette armée n'entrât dans la ville qu'en passant sous la voûte de leur arc de triomphe.. L'Empereur se faisant attendre, le maréchal de MacMahon me donna l'ordre d'entrer dans Milan pour aller déterminer, sur ses vieux remparts, les emplacements ou seraient établies au bivouac les troupes de son corps d'armée. Je le quittai, accompagné des officiers de l'étatmajor, placés sous mes ordres, et ayant près de moi, a cheval, pour me servir de guide, le chevalier milanais dont j'ai parlé ci-dessus. J'avais bien recommandé a celui-ci de me conduire directement sur les remparts, et d'éviter sutout de me faire passer par les principales rues de la grande ville. Il m'avait promis qu'il en serait ainsi. J'eus le tort de ne pas comprendre que, cédant à un désir naturel de se montrer près du premier général qui allait entrer à Milan, il ne tiendrait aucun compte de ma recommandation. En effet, je me trouvai bientôt à l'entrée de la plus grande rue de Milan, celle qui était la plus encombrée de monde, parce que c'était dans cette rue qu'on attendait, dans une impatience névreuse, l'apparition de l'empereur Napoléon. Sur tous les balcons se tenaient pressées les grandes dames de la société milanaise, ayant à coté d'elles des monceaux de fleurs. Aussitôt que je m'avançai, on se jeta de toutes parts à la bride du cheval que je montais. On s'imaginait que c'était l'Empereur que l'on voyait, et ce fut une avalanche de fleurs qui tomba sur moi du haut des balcons. Je vis des dames qui, après avoir jeté ainsi tous leurs bouquets, élevaient leurs bra~ en l'air en s'écriant: < Hélas je n'en ai plus: Je vis des femmes du peuple, de grandes dames aussi, quii étaient sur le pavé de la rue, s'élançaient vers moi, et, an risque de se faire écraser sous les pieds de mon cheval,
me prenaient les mains pour les serrer quelques-unes allèrent, faut-il que je le dise, jusqu'à couvrir mes bottes de leurs embrasements. Au milieu de tout cela, j'avançais difficilement, on peut le croire. Heureusement le cheval, que je montais était la bête la plus tranquille et la plus calme qu'on put voir. J'eus cette bonne fortune qu'au milieu des vivats et du tapage qui se faisait autour de lui, il eut l'instinct, je dirais volontiers l'intelligence, de ne se livrer à aucune ruade et de ne point donner le moindre coup de pied à ceux au milieu de qui il se frayait un passage. Oui! c'était bien, comme on me l'avait prédit, un délire qui s'était emparé de la population mi-
lanaise, un véritable délire. En écrivant ces lignes, je ne puis m'empêcher de faire un douloureux rapprochement entre ce que les Italiens se montrèrent alors pour l'armée française et pour l'empereur Napoléon !II, et ce qu'ils sont aujourd'hui vis-àvis. de la France. J'avais appris à aimer l'Italie par l'estime que m'avaient inspirée les Piémontais et les dignes généraux qui les commandaient en Crimée, les La Marmora, les Petitti, les Durando. Pendant la guerre de 1859, je me pris d'affection pour le général de Pettinungo. Je chérissais l'Italie, ne voyant en elle qu'une sœur bienaimée de la France. Et depuis. Ah! si la reconnaissance est chez l'homme une vertu trop rare, il sera donc dit qu'à tout jamais elle ne sera qu'un vain mot pour les nations! De toutes les provinces de l'Italie que l'empereur Napoléon IH a réunies pour en faire un royaume et en donner la couronne au magnanime Victor-Emmanuel, la province de Milan est aujourd'hui la seule peut-être qui honore la mémoire de celui qui a délivré l'Italie du joug étranger. La générosité de l'empereur Napoléon III a été fatale; elle n'a pas peu contribué à la perte de la France. Vers onze heures du matin, l'Empereur fit savoir au 1
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maréchal de Mac-Mahon qu'il ne devait pas l'attendre. parce que le roi Victor-Emmanuel n'était point encore arrive, et qu'il ne voulait faire son entrée à Milan que Fayant a côté de lui. Le maréchal de Mac-Mahon fit aussitôt prendre les armes a ses troupes, et, à la tète de celles-ci, il entra dans la capitale du royaume lombarde-vénitien. On lui fit, celav:< sans dire, une réceptionenthousiaste: le vainqueur de Magenta était devenu l'idole des Milanais. H s'installa de sa personne dans le plus grand hôtel de la ville il établit le personnel du quartier général au palais du gouvernement, et les chevaux dans les vastes écuries de ce palais. Après le déjeuner, que je fis ce jour-là près de lui, il voulut me donner quelques instructions. Je suis tellement excédé de fatigue, lui dis-je, que je n'entends et ne comprends plus ce que vous me dites. Les deux dernières nuits, que je viens de passer sans sommeil aucun, tout entier au travail dont vous m'aviez chargé, m'ont mis dans l'impuissance de rien faire en ce moment. Voulezvous me permettre d'aller prendre un peu de repos pour que je me retrouve après cela tout à t'ait dispos? Allez, allez vite vous reposer, repartit le maréchal; je vous promets de ne pas vous déranger. Ce qui avait ainsi épuisé mes forces physiques et morales, ce notait pas seulement la fatigue que m'avait fait éprouver la longue course que j'avais faite, le 5 juin, en allant me mettre à la recherche du général tJrban, puis les deux nuits suivantes, que j'avais passées sans dormir, pour me consacrer tout entier au travail de cabinet nécessité par la bataille de Magenta, le dépouillement des rapports des généraux et des chefs de corps, rendu nécessaire pour l'établissement du rapport général qu'il fallait adresser à l'Empereur, et enfin la préparation du travail ayant pour objet de faire accorder des récompenses aux ofnciers et aux soldats qui s'étaient distingués dans
la ba.ta.il!c une autre raison encore m'avait impose des t'atigacs inouïes. Cette raison, la voici on pourrait en tirer un enseignement utile pour ceux qui, dans l'avenir, seront appelés a diriger les opérations d'une armée, dans une grande guerre, comme fut. en 1S5'), celle d'Italie. Le Grand Quartier général de l'armée française avait contracte l'habitude, peut-être n'y avait-il pas de sa faute, de n'envoyer chaque jour, aux commandants des corps d'armée, que fort lard dans la soirée les ordres de mouvement qui devaient être exécutés le lendemain. Il résultait de là (ici je ne fais allusion qu'au 2" corps d'armée) que l'officier d'ordonnance, porteur de ces ordres de mouvement, n'arrivait régulièrement près du maréchal de Mac-Mahon qu'entre dix et onze heures du soir. Le maréchal m'envoyait cet officier tout aussitôt. Je confesse, en toute humilité, que lorsqu'il me réveillait en sursaut pour me remettre les dépêches dont il était porteur, je le recevais avec une certaine brusquerie, avec de la rudesse fuéme, comme si j'avais le droit de le rendre responsable du motif qui le faisait arriver si tard. Je me le suis toujours reproché depuis 1859. Je quittais alors mon lit en toute hâte, et j'allais conférer avec le maréchal de Mac-Mahon pour arrêter avec lui les ordres de mouvement à donner aux généraux du corps d'armée, ce qui nécessitait une bonne heure de travail. Cela fait, je quittais le maréchal, et je rédigeais, aussi vite que possible, les ordres destinés aux généraux, ses lieu tenants, ce qui me prenait deux heures, et parfois un temps plus considérable. En ce moment seulement, je réveiflais les huit ofticiers à qui je dictais les ordres à expédier, et quand j'avais fini de les signer, au nom et par ordre du maréchal, il se trouvait que, deux heures plus tard, je n'avais plus qu'à mettre le pied à l'étrier et à accompagner le maréchal, marchant en tète de son corps d'armée. En vérité, j'aurais pu être fatigué à moins.
Le maréchal de Mac-Mahon avait donc bien voulu consentir a me donner un peu de repos dont j'avais tanl besoin. Comme il s'était promis de ne point troubler mon
sommeil, je dormis depuis trois heures de l'après-midi jusqu'au lendemain 8 juin vers trois heures du matin. Le maréchal m'avait remplacé pendant ces douze heures par mon sous-chef d'état-major. Mais pendant ce temps, l'empereur Xapoléon avait été instruit qu'un corps autrichien considérable occupait la ville de Malegnano (Marignane qui n'était qu'a uu H kilomètres de Milan, et il avait décidé que le lendemain 8 juin, le 1' et le corps de son armée iraient attaquer le corps autrichien. Au moment de mon réveil, à l'aube du jour, j'appris il mon grand étonnement que le ?*' corps d'armée avait déjà quitté Milan et s'était dirigé vers Male~nano. Je partis en toute hâte pour aller rejoindre le maréchal de Mac-Mahon. A la sortie de la ville, je sus que le 1~ corps d'armée (maréchal Bara~uay-d'Hilliers) y était passé depuis assez longtemps déjà, et que le 2'' corps s'était mis à ses traces, marchant, comme lui, dans la direction de Malegnano. En outre, je vis, à cette sortie de la ville, la tète du 4* corps d'armée qui s'engageait dans la route qui, bifurquant sur ce point avec celle de Malegaano, devait porter ce corps sur la gauche du 1~ et du corps. J'atteignis bientôt la tète de ce dernier corps, et je retrouvai le maréchal de Mac-Mahon au milieu de la route et près de San-Giuliano, au moment où les premières troupes du maréchal Baraguay-d~HiIliers étaient déjà à mi-chemin entre Milan et Melcgnano. U pouvait être alors huit heures et demie ou neuf heures du matin. A quelques minutes de Ià~ le maréchal Haraguay-d'Uilliers et le maréchal de Mac-Mahon conférèrent ensemble pour arrêter les dispositions qu'ils t'rendraient de concert, avec leurs deux corps d'armée, pour attaquer Melegnano. A cause de son ancienneté dans la dignité du ma-
réchalat, c'était au maréchal !{araguay-d'lîilliers que devait être attribué le droit de diriger l'attaque. Dans cette conférence, à laquelle j'assistai, il fut arrêté que le f'' corps d'armée demeurerait en station, sur la route, des qu'il se serait mis a bonne distance de Melagnano que, pendant ce temps, le 2" corps d'armée quitterait immédiatement la route pour aller passer le Lambro au nord-est de la ville, et qu'il gagnerait ensuite la route de Mciegnano à Lodi, en arrière de la ville, de manière qu'en se formant à cheval sur cette route, qui était l'unique ligne de retraite des Autrichiens, ceux-ci tombassent forcément sous ses coups. C'était un mouvement tournant assez long que le 2'* corps d'armée avait à exécuter pour se conformer à ce programme. Aussi le maréchal de Mac-Mahon avait-il insisté particulièrement auprès de son collègue, devenu son chef dans la circonstance, pour que celui-ci ne fit commencer l'attaque de Melcgnano par son corps d'armée qu'après qu'il lui aurait fait connaitre, par son canon, que le 2" corps d'armée était en position sur la route de Lodi. Les choses étant ainsi bien entendues, le maréchal de Mac-~ahon quitta le maréchal Baraguay-d'HiIliers pour aller mettre son corps d'armée en mouvement. A peine s'était-il éloiVous gné de quelques pas de son collègue qu'il me dit verrez qu'il ne m'attendra pas. 7~ est trop ~~<x~e~ de ,faire son Le 2~ corps d'armée avait à marcher par des chemins fort difficiles; il avait un passage de rivière à exécuter, des obstacles de tout genre à surmonter, et d'ailleurs le trajet qu'il avait à parcourir était fort long, 12 kilomètres au moins. Ajoutez à cela qu'une pluie torrentielle le surprit a mi-chemin, vers trois heures de l'après-midi. Il résulta, de ces diverses causes de retard, que le malheureux corps d'armée arrivait n'ayant plus qu'une marche de 3 kilo-
c<
mètres a faire pour être tout entier réuni sur la routc
de Lodi, quand le canon du marécital Uaraguay-d')iillicrs se fit entendre, suivi bientôt d'une canonnade des plus vives. Le maréchal Uara~uay-d'HiIliers n'avait, en effet, pas attendu. Par surcroît de malheur, la pluie redoublai d'intensité. Les divisions du maréchal de Mac-Mahon, qui marchaient sur des chaussées étroites, surplombant des prairies, se jetèrent dans celles-ci, les soldats ayant do l'eau jusqu'au-dessus de la cheville, pendant qu'on Icportait vers la route de Lodi que l'on distinguait a petite distance. On vit alors les troupes autrichiennes, quiavaient été délogées de Melegna~no, s'enfuyant a toutes jambes par cette route sans que Ie~ corps put, en aucune l'a~on. les arrêter. La brigade de cavalerie de ce corps ne pouvait sortir des prairies inondées, parce que les chaussées étaient trop hautes pour qu'elle les put franchir. Tout ce que le maréchal de Mac-~lahon put faire, ce fut de faire envoyer dés obus, sur les fuyards autrichiens, par six canons que son artillerie avait pu, a ~rand'peine. mettre en batterie sur une chaussée, d'où l'on découvrait assez bien la route de Lodi. Le maréchal naraimay-d'Hillicrs avait enlevé aux Autrichiens la ville de Mel~nano.où ils s'étaient fortement établis; mais ce succès, paye chèrement, en raison des pertes éprouvées par le 1' corps, eut été autrement complet si, se conformant aux dispositions qu'il avait arrêtées luimême, il avait permis au maréchal de Mac-Mahon d( couper la retraite au corps autrichien repousse de Mele-
gnano. Il est bien certain que si le maréchal naraguay-d'HiIliers avait retardé son attaque d'une demi-heure seulement, les Autrichiens n'auraient point attendu que corps fut sur la route de Lodi, prêt à leur couper I.i retraite. Ils se seraient hâtés de quitter Mcicgna~no~ c:
maréchal t!araguay-d')Iillicrs y aura!! fait entrer ses trcupes sans coup férir. Le marécital de ~!ac-)!ahon aurait pu barrer le chemin, sinon a toute-! les troupes, <!u moins à une partie des troupes autrichiennes sorties de Mciegnanu, et il aurait fait de nombreux prisonniers. Mais, dans ce cas, le maréchal Baraguay-d'ffillicrs n'au/'(ï~/)~<ïf~.so/; eo~/). Dans son livre sur la guerre d'Italie, M. Duquct a ose écrire que, si l'opération dirigée contre Meiegna':o avait été manquée, c'était par la faute du maréchal deMacMa!t0n, qui ne s'était point conformé aux instructions du maréchal )!araguay-d'Ifilliers, sous les ordres duquel il Jetait trouve le s juin. La vérité est que, si l'opération n'a pas donné tous les résultats qu'on devait en attendre, 'est uniquement parce que le maréchal )}araguay-d'Hilliers ne s'est nullement conformé aux dispositions arrètées,entre lui et le maréchal de Mac-MahonaSan-Ciulano, le S juin, a heures du matin. La soirée et la nuit du S au ') juin se passèrent affreusement chez les troupes du corps d'armée. La pluie n'avait pas cesse de tomber dans toute la soircc elle cessa dans la nuit; mais nos malheureux soldats, trempés jusqu'aux os, bivouaquant dans des prairies inondées, ne pouvant ni s'y coucher ni y allumer des feux ue bivouac~ ne reposèrent pas un seul instant. Je me rappelle que, sur la chaussée étroite où, le maréchal de Mac-Mahon et moi. nous nous trouvions, le maréchal prit le parti, nouveau Turenne, de se coucher sur l'affût d'un canon. Le sol de la chaussée était recouvert d'une couche de fange ayant de -1 a ~centimètres d'épaisseur. De mon coté, après m'être enveloppé dans mon manteau en toile cirée, je m'étendis sur la boue, ayant la moitié des jambes hors de la chaussée, suspendues au-dessus du petit canal qui la bordait. Ainsi que je l'ai dit déjà, le 1~ corps d'armée avait h:
essuyé des pertes considérables dans son attaque contre Melcgnano. Le maréchal Baraguay-d'HiIIiers eût pu les éviter. C'est ce que tout le monde proclama hautement dans l'armée française au lendemain de l'affaire. Je me suis plu, dans une des premières pages de mon récit, a reconna!tre les hautes qualités militaires que le maréchal Baraguay-d'HHliers réunissait en lui, intelligence, caractère décidé, autorité dans le commandement. Mais, il faut bien le dire, la qualité maîtresse de ce vaillant homme de guerre n'était point de ménager beaucoup l'existence de ses soldats. Les sacrifices d'hommes ne l'arrêtaient guère, pourvu qu'ils lui assurassent le succès qu'il poursuivait. Il en avait plusieurs fois donné la preuve en Algérie, en '1841, alors qu'il avait été chargé du commandement de colonnes expéditionnaires, partant d'Alger ou de Blidah, pour escorter des convois d'approvisionnement destinés à des garnisons qui se trouvaient au sud de la plaine de la Métidja. Il en donna de nouvelles preuves à l'armée d'Italie. Je ne saurais oublier que, dans la soirée du ?4 juin, à Solferino, comme il venait de demander au maréchal de Mac-Mahon ce que le 2" corps d'armée avait perdu de monde dans la journée, le maréchal lui ayant répondu qu'il en avait perdu beaucoup trop, 1,500 hommes mis hors de combat, le commandant du 1" corps reprit avec une certaine désinvolture Moi, j'en ai perdu un bien plus grand nombre, peut-être le double: Dans la nuit, il y eut une alerte. Ali 1 les alertes! Celle-ci coûta la vie à quelques-uns de nos soldats1 Parmi les Autrichiens qui s'étaient enfuis de Melcgnano plusieurs, au tieu de prendre la route de Lodi, s'étaientt égarés dans la campagne, et pour se cacher, ils n'& valent trouvé rien de mieux que de se jeter dans les fossés quii bordaient les prairies, où les régiments français avaient pris leurs bivouacs. Mais, comme ces fossés étaient à demii remplis d'eau, transis de froid et mourants de faim, ils se
résolurent a sortir de leur cachette pour se présentera nos grand'gardes et s'y constituer prisonniers. Quand nos sentinelles aperçurent les capotes blanches de ces malheureux qui les faisaient ressembler à des fantômes, ils Hrent fuu sur eux, et, de tous côtés, une vive fusillade se fit entendre. !)ans tous les camps de l'infanterie, on se précipita :sur les faisceaux d'armes. bientôt la confusion fut extrême. La brigade de cavalerie monta précipitamment a cheval. C'était un affolement général: il semblait que chacun fut convaincu qu'en ce moment, les Autrichiens attaquaient, avec des forces considérables, la position occupée par le 2" corps d'armée français. Avec plusieurs des officiers de l'état-major, je me jetai dans la prairie, "n se trouvait le 45" de ligne, et un peu plus loin, derrière lui, la brigade de cavalerie. Mes officiers et moi, nous parvinmcs, à force de cris Il a rien! ./b/~i'<?~ cos./<x/«rf~.x/ à ramener au calme les soldats du 45". Leurs oi't'ciers n'étaient point tous avec eux à ce moment; ils avaient eu le tort, tort peut-être pardonnable en la circonstance, de quitter la prairie inondée ou se trouvaient leurs bataillons pour aller chercher, à quelque distance de là, sur les chaussées, un endroit où ils n'eussent pas les pieds dans l'eau. Ce ne fut qu'après quelques minutes que je pus mettre la main sur un chef de bataillon. Comme j'avais pu calmer les soldats du 45", je parvins à arrêter la tète de colonne de la brigade de cavalerie, dans le moment où, se portant en avant, au grand trot, sans rien voir de ce qu'elle avait devant elle, et sans que celui qui la commandait sùt bien ce qu'il voulait en faire, elle allait se jeter sur les bataillons du 45" de ligne. Rien n'est plus à redouter à la guerre qu'une panique qui se jette au milieu des troupes en pleine nuit; car rien n'est plus effroyable que les conséquences qui peuvent en résulter. L'armée autrichienne, qui avait quitté la rive gauche du i7
Tessin, après la bataille de Magenta, s'était portée vers FAdda.Onput croire, au Grand Quartier impérial de l'armée française, que le général en chef Giulay voudrait défendre le passage de la rivière, et qu'ensuite, ayant fait prendre sur la rive gauche une bonne position à l'armée autrichienne, il tenterait une seconde fois le surt des armes dans une grande bataille. 11 n'en fut rien, -comme on va le voir. L'armée française poursuivit ses opérations offensives, son objectif étant d'aller franchir FAdda. Le 2" corps d'armée, parti le 19 au matin dela position où on Fa vu tout à l'heure, et exécutant les ordres de mouvement que le maréchal de Mac-Mahon recevait de l'Empereur, alla traverser la grande plaine de Ghédi, et sans que les étapes eussent été marquées par aucun fait de guerre méritant d'être signalé, il prit position le 23 juin devant Castiglione. L'Empereur établit le Grand Quartier général de Farmée, ce même jour, près de cette ville, à Essenta, je crois. Ce fut là que mourut subitement le général de Cotte, Fun de ses aides de camp, très dévoué à sa personne. On célébra ses funérailles à Castiglione. L'armée autrichienne avait abandonné la rive droite de FAdda, et s'était repliée vers le Mincio. On pensa au Grand Quartier impérial que l'intention du général Giulay était de lui faire prendre position sur les hauteurs de la ~o/a ~'7~<~ qui sont couronnées par la tour de Solferino, et qui lui présentait une position défensive des plus favorables pour arrêter la marche offensive de l'armée française vers le Mincio. On apprit plus tard que l'armée autrichienne qui, dans la matinée du 23, s'était fortement établie sur ces hauteurs, les avait abandonnées tout à coup, le même jour, pour aller se concentrer sur la rive gauche du. Mineio. Les reconnaissances de la cavalerie française et celles d'un bataillon de zouaves du 1~ corps d'armée, commandé
par le commandant Morand, qui avait poussé jusqu'à Solferino et qui y était demeuré assez longtemps, n'avait découvert, du reste, aucune force autrichienne. Les ordres de mouvement, adressés le 33 juin au maréchal de Mac-Mahon pour être exécutes le lendemain, indiquèrent au maréchal que, le 24 au matin, il avait à porter son corps d'armée sur Guidizzolo. Rien dans ces ordres ne disait qu'on dut s'attendre à une grande bataille ce jour-là. Le maréchal de Mac-Mahon mit le corps d'armée en mouvement, le 24, entre et 5 heures du matin. Vers 8 heures, la tète de ses troupes, marchant sur Guidixzolo, faisait une halte; elle était, à huit ou neuf kilomètres en avant de Castiglione, lorsque, tout à coup, le maréchal put remarquer que des forces autrichiennes très nombreuses vouaient couronner les hauteurs de Solferino et de Cavriana, celles-ci situées un peu au-dessous de la tour de Solferino, la Spia f~~a. Il devenait évident que l'armée autrichienne qui, la veille et dans la matinée de cette journée, avait un instant quitté ces hauteurs pour aller passer le Mincio et prendre position sur la rive droite de ce cours d'eau, était revenue tout à coup des bords du Mincio pour réoccuper ces hauteurs de Solferino. Dans le moment même où le maréchal de Mac-Mahon constatait ce revirement de mouvement dans l'armée autrichienne, il s'aperçut que, non loin de lui, à 6 où 700 mètres de la tète de colonne de son corps d'armée, un-détachement d'infanterie autrichienne, dont il était difficile d'apprécier la force, occupait devant lui, sur la route même de Guidizzolo, une ferme dite Casa-Morino, ainsi que les clôtures qui l'entouraient. Ce détachement avait été embusqué là, ayant mission, sinon d'arrêter la marche en avant du 2** corps d'armée français, du moins pour contrarier et ralentir cette marche. De l'ensemble des faits que je viens d'exposer, il résultait, on ne pouvait s'y
méprendre, que l'armée autrichienne se préparait, en ce moment, à recevoir sur les hauteurs qu'elle venait occuper une attaque de Farméc franco-piémontaisc, bataille défensive, parce que le terrain ou elle prenait position é[ait tout à son avantage. A cette date du 24 juin, l'armée autrichienne, qui était en Lom hardie, comptait 198,035 hommes; celle qui venait de s'établir à Solferino s'élevait à HG,635 hommes d'infanterie, appuyés par 88 escadrons et 688 pièces d'arMUerie. L'armée alliée avait à son effectif, ce même jour, 173,6"~ hommes d'infanterie (combattants) ~,353 chevaux (combattants) et 52~ canons. Cette armée était donc sensiblement moins forte que celle qu'elle allait combattre. Le champ de bataille sur lequel les deux armées devaient lutter avait son front développé sur une ligne de près de six lieues d'étendue. Les capitaines de Bouillé et d'Abxac venaient de partir pour aller informer l'Empereur de la situation, lorsque je me prisa dire au maréchal de Mac-Mahon « Vous voyez que cette cascine Morino qui est devant nous est occupée par les Autrichiens et peut-être occupée fortement; attaquonsla tout de suite; car, si nous tardons, nous aurons peutêtre beaucoup plus de peine à en déloger l'ennemi. » A l'instant même, le maréchal donna l'ordre d'attaquer. Les tirailleurs autrichiens, vivement assaillis, désertèrent assez vite la cascine et les haies, derrière lesquelles ils s'étaient embusqués. La position fut aussitôt occupée par l'avant-garde du corps d'armée. L'Einpereiir s'était persuadé, d'après les renseignements qui lui avaient été donnés sur les opérations de l'armée au trichienne, que cette armée avait, après la bataille de Magenta, passé le Mindo pour aller prendre position dans le grand quadriïatère défensif de Pcschiera-Mantoue-Vérone-Legnago, et y attendre l'attaque de l'armée alliée. Les Autrichiens avaient en effet franchi le~Iincio,et,Ie22juin,
toutes leurs forces étaient établies sur la rive gauche de cette rivière. Dans l'armée française, le 23 et même le 2~ au matin, on avait exécute des reconnaissances en avant de Montcchiaro et de Castiglionc, et les commandants de ces reconnaissances avaient affirmé, dans leurs rapports, qu'aucune troupe autrichienne n'existait dans les parafes de Solferino. La vérité pourtant est que, dans la matinée du 23 et dans toute l'après-midi de ce jour, l'armée autrichienne avait repassé le Mincie pour venir occuper les positions ou le maréchal de Mac-Mahon les aperçut le 24 au matin. H m'a été affirmé que le roi Victor-Emmanuel, mieux informé que l'Empereur, avait su, dans la soirée du 23, peut-être le 24 de grand matin, que l'armée au trichienne était revenue, le 23~ de la rive gauche sur la rive droite du Mincio, et qu'alors il s'était empressé d'en informer le maréchal Baraguay-d'Hilliers, qui était, en ce momeni, celui des commandants de corps de l'armée française qui était le plus près de lui. Le roi devait avec raison supposer que le maréchal porterait immédiatement la nouvelle à la connaissance de l'Empereur. Le maréchal n'en fit rien, m'a-t-on assuré, ce qui se comprend difficilement. De Casa Morino, où était le maréchal de Mac-Mahon, la vue embrassait toute la grande plaine, s'étendant entre Medole et le bas des hauteurs de Solferino et de Cavriana, bornée à l'horizon par le village de Guidizzolo et les bords du Mincio. La largeur de cette plaine entre Medoïc et les hauteurs de Solferino est de sept kilomètres. La distance de Casa Morino à Guidizzolo et à Goito sur le Mincio est à peu près la même. La moitié de la superficie de la plaine, celle qui est comprise entre la grande route de Castiglionc à Mantoue et les hauteurs de Solferino, est couverte de mûriers. L'autre partie est complètement dénudée. De ce côté, la plaine ne présente
à sa surface que de très faibles ondulations. Elle se prête
merveilleusement à des mouvements tactiques de cavalerie. L'Empereur avait, le 24 juin au matin, son quartier impérial établi à Montechiaro. Le général en chef de l'armée alliée ne savait pas plus, à ce moment de la journée, qu'il ne l'avait su, le 4 au matin, avant Magenta, que les armées autrichienne et franco-piémon taise allaient, quelques heures plus tard, en venir aux mains dans une grande bataille. Le capitaine de Bouillé, en se rendant à Montechiaro, eut le bonheur de rencontrer sur son chemin le général Jarras, sous aide-major général de l'armée, et, sur les indications de celui-ci, il put trouver très vite l'Empereur, qui, sorti de Montechiarc, était tout près de cette ville. Le capitaine de Bouillé fit connaître à l'Empereur la mission dont le maréchal de Mac Mahon Pavait chargé. L'Empereur se transporta en toute hâte près de celuici, et conféra avec lui pendant quelques minutes. En quittant le maréchal, il courut au-devant du maréchal Haraguay-d'Hilliers dont le corps d'armée, venu d'Essenta, traversait Castigliône et avait déjà une de ses divisions, la division Forcy, dans la plaine, entre lagrande route de Mantoue et les hauteurs du mont Belvedere. Il donna l'ordre au maréchal de faire côtoyer d'abord, a son corps d'armée, le pied des hauteurs qui se trouvaient à sa gauche, pour lui faire gravir ensuite ces hauteurs par le Fontane, Monte di Valseura, le Grole et Monte Fenile, par où il se porterait définitivement à l'attaque du point culminant dé Solferino, objectif de ses opérations. L'Empereur fit donner au général Xiel Fordre de porter sur-le-champ son corps d'armée sur Medole.où sa gauche devrait s'appuyer à la droite du 2" corps. II envoya au maréchal Canrobcrtrordre d'appuyer en toute hâte, avec le 3~ corps, la droite du 4~, tout en se gardant contre une
attaque pouvant venir du coté de Mantone. Enfin, comme rarmée piémontaise était tout entière en marche sur la gauche de l'armée française, devant le haut Mincio et au nord des hauteurs de Solferino,!Empereur fit savoir les dispositions qu'il avait arrêtées pour les -opérations de son armée, et il déclara qu'il confiait à l'armée du roi la mission d'attaquer les forces autrichiennes qui pouvaient être, en face de cette armée, du côté du haut Mincio. C'était une grande bataille qui allait s'engager entre l'armée autrichienne et Farinée alliée franco-piémontaise. Il ne saurait entrer dans ma pensée de faire, dans les pages qui vont suivre, un récit complet de cette bataille. Je me bornerai uniquement à en raconter les incidents
importants, et plus particulièrement ceux auxquels a pris part le 2" corps d'armée, dont j'étais le chef d'étatmajor générale ceux dont j'ai été le témoin oculaire. Les études sur la guerre auxquelles je me suis livré, pendant ma longue carrière, m'ont depuis longtemps donné la conviction que rien n'est plus difficile à écrire que le récit d'une grande bataille. La preuve en est-que jusqu'à ce jour, aucun historien ne nous a encore donné la description exacte et complète de la bataille de Waterloo. Aucun historien n'a su, en racontant la bataille de Toulouse, nous dire avec certitude si le maréchal Soult l'a gagnée ou s'il l'a perdue. Aucun n'a pu nous prouver si c'est à Bonaparte qu'il faut attribuer la victoire de Marengo, ou bien si l'on doit en reporter tout l'honneur à Desaix, aidé de Kellermann. Au surplus, la bataille de Solferino est de date encore récente, et les documents officiels ou autres qui ont été publiés à son sujet sont trop nombreux et trop disséminés pour que je puisse les réunir de façon à en extraire la quintessence et à en exposer, non pas seulement Fensemble, mais aussi tous les détails. Ce serait là une œuvre
de travail et d'intelligence qui dépasserait de beaucoup les forces que je pourrais y appliquer. Je me bornerai donc à raconter, à grands traits, les événements de guerre principaux qui se sont passés sous mes yeux, très heureux si, dans mon récit, je puis réussir à apporter assez de clarté pour le rendre intelligible. Je connais, du reste, un publiciste, travailleur infatigable, qui recueille en ce moment tous les documents qui pourront l'aider à écrire le récit exact et complet de cette bataille. A-neuf heures du matin, la majeure partie de l'armée autrichienne était en position, formée partie sur les hauteurs de Solferino, partie dans la plaine, entre les hauteurs et Medole, et en avant de Goito et de Guidixxolo; le gros de sa cavalerie, la division Mensdorff, était établi devant Guidizzolo. A la même heure, le corps ~général XicI), venant de Castel-Gonredo, arrivait devant Medole, qui était occupé par les Autrichiens, et le premier corps avait la tète de sa première division (général Forey) à 7 ou 800 mètres de Le Grale, où se trouvaient des troupes autrichiennes. En ce moment, la droite du 1' corps était à un peu plus de 4,000 mètres de la gauche du 2". Jusque-là, ce dernier corps avait dû demeurer, en station, dans la plaine, sa droite développée en ligne de bataille et appuyée à la grande route de Mantouc; la division, ibrmée de même et disposée à la gauche de la 1''°. Le général ~iel attaqua Medole. Les troupes ne parvinrent à en déloger les Autrichiens qu'après un certain temps de lutte acharnée. Les Autrichiens se retirèrent dans la direction de Rebecco et de Guidizzolo. Pendant que l'attaque du général ~ici se poursuivait devant Medole, des détachements autrichiens, repoussés de ce village, furent chargés et enveloppés par une brigrade de cavalerie de la division Parthouneaux. Ils furent amenés prisonniers près de Monte Medolano; ils dén-
lèrent devant la droite du corps d'armée. Us étaient au nombre de 100 a 150 hommes. Chose singulière, ils passèrent sous nos yeux au cri de Vive l'Empereur! Vers la même heure, une colonne de cavalerie autrichienne, dont la force fut estimée à la valeur d'une brigade, détachée vraisemblablement de la division Vensdorfr, mais qui peut-être ne comprenait qu'un seul régiment, arriva tout à coup sur la gauche du 2" corps. À la faveur des muriers qui couvraient la plaine, ellcpénétra dans l'intervalle qui séparait ce corps du bas des hauteurs de Solferino- On neFapercut qu'au moment où elle s'avançait, au grand trot, dans cet intervalle, et quand, prenant le galop, elle se présentait devant le front de la brigade du général Gaudin de Vilaines pour la charger. Celle-ci n'eut pas le temps de se porter au-devant d'elle. Elle la reçut de pied ferme. Il y eut alors une mêlée complète entre les deux cavaleries. Les régiments autrichiens, sabres vigoureusement parles régiments français, et recevant, sur leur nanc gauche et a revers, les feux de quelques-uns des bataillons de la division Decaen, se replieront dans le plus grand désordre, non sans laisser sur le terrain un bon nombre de tués et de blesses. De notre côte, les régiments de la brigade Gaudin de Vilaines eurent aussi des officiers et des cavaliers mis hors de combat. Le lieutenant-colonel de l'un de ces régiments, le lieutenant colonel Savaresse, qui était, en tète des escadrons français, au moment de l'attaque dirigée contre ceux-ci, se conduisit héroïquement dans cette circonstance, ce qui lui valut la croix d'officier de la Légion d'honneur. A quelques instants de là, je partis de Casa Morino pour m'élerer, sur la droite de la grande route de Mantouc, jusqu'au sommet d'une ondulation du terrain d'où je supposais que je découvrirais ce qui se passait dans l'armée autrichienne du côté de Guidixxolo. Le point culminant de ce monticule se trouvait à 900 ou 1,000 mètres de 17.
le moment où j'y arrivai, je m'aperçus que des canons de l'artillerie autrichienne, paraissant venir de Guidizzolo, accouraient au grand trot pour prendre position sur le point où je me trouvais je rejoignis au galop le point d'où j'étais parti, lequel se trouvait à 400 mètres environ de Casa Marino. Le gênerai Auger, commandant l'artillerie du 2" corps, se trouvait là. Vite, général Auger, lui dis-je, disposez ici une 'u deux batteries. L'artillerie autrichienne va se mettre en batterie sur l'éminence qui est devant nous, en se plaçant à cheval sur la route de Milan. Je viens de voir qu'elle y venait au grand trot. Nous allons recevoir ses boutets. s Le général Auger fit venir, en toute hâte. une première batterie qu'il voulait faire suivre d'une ou de deux autres; la batterie était prête à tirer, quand les prèmiers coups de canon des autrichiens se firent entendre. L'artillerie ennemie tirait a ricochet. L'un de ses premiers .boutets vint ricochera 1~0 ou 200 mètres de l'endroit où nous nous tenions le général Auger et moi. Je l'avais vu si distinctement que je m'écriai « Gare a vous, Auger 1 Je n'avais pas fini de prononcer ces paroles que le boulet avait frappé le généra! a l'épaule gauche; on le transporta u Casa Morino, où les premiers soins lui furent donnés: car il n'avait pas été tué sur le coup. U ne devait succomber à sa blessure que deux jours plus tard. Des que l:.a.rtillerieau trichienne, vivement combattue par la n'être, se fut retirée, j'allai visiter le général Auger à Casa Morino. Plu-ieurs chirurgiens étaient au-chevet du lit uù on l'avait couché. II avait repris connaissance; mais à quelques par.'les qu il m'adressa, je vis bien qu'il ne se faisait point d'illusion sur la gravité de sa situation. Sommes-nousou serons-nous victorieux? me dit-il~ c'est Cn des chirurgiens tout ce que je désire à présent. m'exposa que jamais, aux armées,on n'avait vu une blessure pareille à celle du généraL Croiriez-vous, ajoutaCasa Morino. Dans
t-il, que le projectile qui Fa frappé, en brisantl'humérus, est demeuré logé entre Fomoplatc et la peau du dos. Nous enavonsfaitl'extraction.Ie voici. "EtHme montra leboulet qui me fit l'eu'et d'être du calibre de 4. Le général Augcr était un des officiers les plus brillants de l'arme à laquelle il appartenait. Sa perte fut vivement sentie dans toute l'armée française. Dans le m<me temps, une assez forte colonne de cavalerie autrichienne opérait un grand mouvement en avant de Monte ~edolano et de Casa Morino. Elle sembinit venir de Medoïc et se diriger vers Guidixxolo. Le maréchal de Mac Mahon Ht monter quelques pièces d'artillerie sur le Monte Medolano. De cette émincnce, où elles avaient un bon commandement au-dessus de la plaine, ces pièces dirigèrent surla cavalerie ennemie des obus et des fusées. Mais il y avait plus de ~,000 mitres entre le Monte Medolano et la cavalerie autrichienne; nos obus et nos fusées lui firent peu de mal; quelques fusées qui tombèrent sur elle jetèrent pourtant quelque désordre dans les rangs. Vers dix heures, pendant que le 4" corps d'armée poursuivait son attaque sur la droite du 2* corps, le général de Mac-Mabon, qui remarquait que ces deux corps, au lieu d'être bien reliés l'un a l'autre, laissaient, au contraire, entre eux, un intervalle d'environ 4,000 mètres, me chargea d'aller trouver le général Xiel pour lui signaler les inconvénients qui pouvaient résulter de cette trouée si large, laissée ouverte dans la ligne de bataille de rarmée française. En effet, si, par un coup d~audace, l'ennemi venait à se jeter, par cette trouée, entre le 2' et le 4~ corps, rarmée française serait coupée en deux, et qui pourrait dire ce qui en résulterait? Le maréchal de Mac-Mabon m'avait, en conséquence, donné la mission de dire au général ~iel qu'il le priait instamment de rapprocher la gauche de son corps d'armée de la droite du sien, de manière que l'ouverture qu'il lui signalait fùt fermée au
plus vite. Enfin, le maréchal m'avait recommandé de faire savoir au général Xiel que la gauche du 2~ corps d'armée, ne se reliant déjà que trop peu convenableil lui était de toute impossiment avec la droite du bilité de rapprocher la droite de son corps d'armée de la gauche du Je quittai le maréchal de Mac-Mahon pour me rendre à Medole, où le général Niel devait se trouver. Fêtais accompagné du commandant Campenon et suivi de deux cavaliers d'escorte. J'arrivai près de Medole, et nous nous aperçûmes, le commandant Campenon et moi, que les Autrichiens n'avaient point encore tous évacués le village. A droite et à gauche de la route, derrière les clôtures, on voyait postés, par-ci par-la, quelques fantassins ennemis. Un instant, je pus croire qu'ils allaient se jeter sur moi, me barrer l'entrée du village, et peut-être même m'entourer. Nous piquâmes des deux. le commandant, mes deux cavaliers et moi, et une minute plus tard, j'étais au centre même du village. Ce fut là que je rencontrai le général ~iel; je lui fis part de l'objet de la mission qui m'amenait près de lui. « Vous pouvez voir, me dit-il, que, de ce côté, mes troupes sont aux prises avec l'ennemi. Mais dès que cela me sera possible, je ferai ce que le général Mac-Manon me demande. Dites-lui qu'en attendant, je vais faire porter la division de cavalerie du général Parthouneaux en avant, avec l'ordre, pour le général, de boucher, avec cette division, le grand intervalle qui se trouve, en ce moment, entre le et le 4~ corps d'armée. A huit heures du matin, le corps de la garde impériale se trouvait encore tout entier sur la grande route de Brescia à Castiglione; la seule division des voltigeurs, qui marchait en tête de ce corps, était arrivée à rentrée de cette dernière ville. Aussitôt qu'elle l'avait eu traversée, elle avait été portée
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en avant pour occuper l'intervalle qui, jusque-là, avait sépare le 1' et le corps d'armée. Vers onze heures, le général Regnault de Saint-Jcan-d'Angelyl'avait déployée, par bataillon en ma~se~ un peu en arrière de cet intervalle. Un peu plus tard et sur les ordres de l'Empereur, le général Regnault de Saint-Jean-d'AngcIy lit prendre position à la division des grenadiers de la garde, a ~00 mètres~ en arrière de la division des voltigeurs, afin qu'elle constituât un échelon solide, prêt a servir d'appui à ceux-ci. D'autre part, la division de cavalerie (le la garde (général Morris), après avoir traversé Castiglionc, vint se former, en colonne par escadron, derrière le centre du corps d'armée et sur la droite des deux divisions d'infanterie de la garde impériale. L'Empereur informa le maréchal de Mac-Mahon qu'il plaçait cette division directement sous ses ordres. Dès onze heures, sur les ordres du général ~iel, la division de cavalerie du général Parthouneaux avait pris position à la gauche du corps d'armée, ce qui avait eu poureffet de diminuer l'intervalle existant entre ce corps Mais comme cet intervalle n'était point encore et le sufHsammcnt fermé, l'Empereur ordonna que la division de cavalerie du 3" corps (général Desvaux) accourfit pour prendre position entre la division Parthouneaux et la droite du 2' corps. De ces diverses dispositions, il résulta que, vers onze heures un quart, la ligne de bataille de l'armée française fut, de sa droite a sa gauche, assez -suffisamment pleine pour ôter à renncmi l'idée de chercher à la rompre. Le moment est venu de dire suivant quelles dispositions se trouvèrent formées, entre onze heures et midi et en face l'une de l'autre, d'un côté, l'armée alliée, et, de l'autre, l'armée autrichienne. A. cette heure de la journée, dans Farinée française, le
corps d'armée (maréchal Baraguay-d'HilIiers), s'élevant de la plaine pour gagner le hameau de Le Grale, avait dépassé ce hameau, et ses divisions avaient pu, en repoussant les Autrichiens devant elles, s'avancer vers les hauteurs qui descendent de Solferino. La division Bazaine au centre, la division Forey à droite, la division de Ladmirault a gauche formaient déjà comme un grand demi-cercle de troupes, marchant très activement sur le cimetière entouré dcmursde Solferino, qu'elles devaient enlever àFennemi, avant de se jeter surie village deSoIfcrino lui-même. Mais ces troupes avaient encore beaucoup à faire avant d'atteindre cet objectif. Au centre de la plaine de Medo!c, le corps d'armée (marécha! de Mac-Mahon) était terme en bataille, une des brigades de la 1~ division (général La Motterouge) à la droite de la grande route de Mantoue; l'autre brigade de cette division et la division Decaen a gauche de cette grande route, et la brigade de cavalerie (lu général Gaudin de Vilaines a la gauche de la division. Tous les bataillons du corps d'armée se trouvaient établis en colonne serrée a distance de déploiement. Un intervalle de 11 à 1,200 mètres séparait la droite du I" corps d'armée de la gauche du 2". L'Empereur était venu,entre dix et onze heures, s'établir, avec sa maison militaire, le maréchal Vaillant, majorgénéral, et les généraux Lebœufet Frossart, commandant l'artillerie et le génie de l'armée, près de Casa Marine, derrière la 1~ division du corps d'armée. Le corps d'armée (général ~iel), après s'être rendu maître de Medole, s'était déjà porté en avant dans la direction de liebecco, la division dcLussy-PeIIissac à droite, la division Vinoy à gauche. La division de Failly s~était formée derrière la division Vinoy pour l'appuyer. Derrière le -1~ corps, s'avan~it, à cette heure, le 3~ corps (maréchal Canrobert), venant de Mezzaoa. En route, sa 1
cr
1~ division (général Renault) avait eu à s'emparer de Castel-Gonrcdo, une petite place forte défendue par un simple mur d'enceinte, et qui était occupée par les Autrichien: Le général Renault avait fait enfoncer les portes
la placer' était entré, et en avait déloge les défenseurs. Les divisions Trochu et Hourbaki suivaient la division Renault, mais celle 'In générât Bourbaki était encore près de Selvale, à plus de ~000 mètres en arrière de Medole. J'ai dit précédemment les positions qu'avaient occupées entre dix et onxe heures les divisions de cavalerie des généraux Parthouneaux, Dosvaux et Morris. Examinons dans quelle situation se trouvait l'armée piémon taise à la même heure. D'après les ordres de mouvement qui lui avaient été donnés le ~3, dans la soirée, cette armée devait se porter de Lonato sur Poxxolengo dans la journée du Le~, ver: onze heures et même jusqu'à midi,eiles étaient bien loin d'être concentrées. Les cinq divisions d'infanterie se trouvaient. savoir la division ~ucchiari, qui avait pris la tète de mouvement, sur la voie terrée de Lonato à Vérone et à hauteur de Montc-San-Martino, lequel était fortement occupé par le S" corps d'armée autrichien; la division Mollard s'avançait derrière elle; la division Durando, après avoir quitté la grande route et marché, sur la droite de cette route, dans la dire~'ti'.m de Solferino, s'était rapprochée du 1~ corps d'armée français; elle était, entre onze heures et midi, disposée sur la ligne de hauteurs fort longue qui s'étend de Madona della Scoperta à Monte Sorino; la-division Fanti se trouvait encore à la même heure tout près de Lonato elle était concentrée au sud de cette place ayant.. devant son front, le hameau de Drodena la distance qu'il y avait entre elle et la division Durando était de plus de six kilomètres: quant à la division Cialdini, elle était fort éloignée desautres divisions, n'ayant pas encore débouche de Lonato.. de
Jetons à présent un coup d'œil sur l'armée autrichienne pour voir comment elle était formée et disposée entre onze heures et midi. Après la bataille de Magenta, le commandementen chef de cette armée avait passé des mains du général comte Giulay dans celles de l'empereur François-Joseph, ayant pour chef d'état-major général le général baron de Hess. En même temps, cette armée, qui comptait sept corps d'armée, avait été décomposée en deux armées 1"* et 2" armée; la première, formée de quatre corps, 7", 9" et 11", et de la division de cavalerie du général MensdorH': la deuxième, tbrmée de trois corps, les 5" et 8' L'empereur François-Joseph avait confié le commandement de la première armée au général comte de WimpîTen celui de la deuxième au général comte Schlik. Le 24 juin, vers 4 heures du matin, l'armée autrichienne tout entière était développée sur un front qui avait près de 6 kilomètres d'étendue, dont la gauche était au village de Medole, la droite a Monte-di-San-Martino. D'après les dispositions arrêtées par l'empereur général en chef, le général comte de Wimpu'en avait rc~u pour mission de combattre l'armée française, avec la première armée, sur toute la partie du front de bataille, comprise entre Mcdole et le bas des hauteurs de Solfcrino. Le général comte Schlik, avec la deuxième armée, devait combattre l'armée franco-piémontaise sur la partie du front qui comprenait les hauteurs de Solferino, et, à la droite de ces hauteurs, le terrain accidenté qui se trouve entre Solferino et Pozxolongo, et en particulier la position très forte de San-Martino. L'empereur François-Joseph avait considéré que le point de la ligne autrichienne qui se prêtait le mieux à la défense, c'était le point culminant de Solferino, et, en conséquence, il avait arrêté que deux des corps d'armée de la deuxième armée, le 1~ et le 5% seraient chargés de s~y opposer aux attaques des Français, et que le 8" corps
1'
de la même armée (général Denedeck) répondrait du c'té de San-Martino à celles de l'armée piémontaise. Le village de San-Martino est bâti au sommet des hauteurs où vinrent s'établir, le 24 au matin, le h' et le 5~ corps d'armée autrichien il se prétait admirablement à la défense. En y crénelant les maisons, en barricadant les rues, les Autrichiens pouvaient en rendre les approches très difficiles. En avant du village de Solferino et du côté par où les Français devaient l'attaquer était le cimetière, qui était spacieux et entouré de murs solides. En crénelant les murs qui dominaient les pentes escarpées descendant du village, on pouvait constituer ce cimetière en place de circonstance! Les troupes du 1~ corps d'armée autrichien (général Clam-GalIas) ne négligèrent rien de ce qu'il leur fallait faire pour le rendre inabordable. Entre le village de Medole et le pied des hauteurs de Solferino, se trouve une très vaste plaine, la plaine de Mcdole, qui est coupée, du nord-ouest au sud-est, en deux parties de superficie égale, par la'grande route de Ca~tiglione à Mantoue. Si de Casa-Marino, ou le maréchal de Mac-Mahon arriva avec le 2~ corps d'armée, qu'il commandait le 24 juin dans la matinée, on jetait les yeux sur cette plaine, on remarquait que toute la partie s'étendant à droite, entre Medole et la grande route, était absolument dénudée; c'est à peine si le terrain, partout horizontal, présentait quelques légères ondulations. Du côté gauche de la grande route, au contraire, tout le terrain était entièrement couvert de mûriers très rapprochés les uns des autres. Le sol vêtait plat aussi; mais les mûriers s'opposaient absolument à ce qu'on y pùt découvrir des mouvements de troupes. Cest sur les hauteurs de Solferino et de San-Cassiano et dans cette vaste plaine de Medole, dont je viens de faire sommairement la description topographique, qu'allait se
poursuivre, entre l'armée de l'empereur François-Joseph et celle de l'empereur Napoléon III, cette bataille mémorable qui devait décider des destinées du royaume lombardo-vénitipn. Les deux armées opposées étaient, au jour ou cette bataille fut livrée, à très peu près, d'égale force. On a vu quelles avaient été les opérations de l'armée française depuis le commencement de ta journée du 24 juin jusqu'à neuf heures et demie ou dix heures, que le 4" corps enleva aux Autrichiens le village de Medole. A partir de cette heure, la bataille fut violente, acharnée et marquée par les événements que je vais essayer de raconter. J'étais revenu de Medole, après y avoir vu le général Xiel et j'avais rejoint le maréchal de Mac-Mahon, quand celui-ci commença à montrer de l'inquiétude en observant avec quelle lenteur le 1'corps d'armée s'élevait vers Solferino. 11 fallait, à son sens, que ce corps d'armée rencontrât devant lui de grandes difficultés, soit une trop vive résistance chez les forces autrichiennes qui occupaient les ha&teurs, soit des obstacles sérieux tenant à la conSguration tourmentée du terrain, pour qu'il mit autant de temps à gagner Solferino. Sous l'impression de ce sentiment, comme il voyait que, sur les ordres du général Niel, la division de cavalerie du général Parthouneaux était venue s'établir entre l'intervalle qui séparait son corps d'armée du 4~, le maréchal de ~lac-Mahon se résolut à rapprocher le premier de ces corps du pied des hauteurs de Solferino. Pour cela et pour ne pas modifier la position de la 2~ division (général Decaen), il fit exécuter à la division de La Motterouge un mouvement de flanc pour la porter à la gauche de la division Decaen. Le mouvement étant opéré, il en résulta que la première de ces divisions se trouva beaucoup mieux disposée pour être prête à se porter, au besoin, vers la division Forey, du 1"* corps, pour la soutenir.
peu plus tard et sur un ordre de l'Empereur, les divisions de cavalerie des généraux Dcsvaux et Morris vinrent prendre position, la première a gauche de la division Parthouneaux, la seconde à gauche de celle-ci, et un'peu en arrière de la droite de la 2" division d'infanterie du 2~ corps d'armée (général Decaen). II pouvait ctre alors entre midi et midi et demi. L'Empereur se porta, vers cette heure de la journée, sur le sommet du mont Fenile. De là, il pouvait du regard embrasser toute la plaine de Medo!e, et suivre, en même temps, le mouvement ouensir exécuté par le 1~ corps d'armée (marécba! Baraguay-d'IIilliers) vers les hauteurs de Solferino. Ainsi que le maréchal de Mac-Mahon, la lenteur avec laquelle ce corps d'armée s'élevait sur ces hauteurs l'avait fort impressionné. Jusque-là, sa pensée avait toujours été que le corps de la garde impériale ne devait être employé que comme une réserve puissante de l'armée, et que, pour cette raison, il fallait qu'il demeurât sans cesse sous sa main pour n'entrer en action qu'à la dernière heure et pour un effort extrême qui déciderait de la victoire. Néanmoins, quand il reconnut que le. 1' corps d'armée, qui était celui des cinq corps de l'armée française auquel il avait confié l'enlèvement du point qui était la clé du champ de bataille, avait un pressant besoin d'être vigoureusement appuyé, il se décida à lui donner la garde impériale pour appui. Vers midi et demie, il donna l'ordre au général Regnault de Saint-Jean-d'Angely de porter cette garde en avant. La division des voltigeurs (général Camou) se mit en mouvement, en ordre de colonne par bataillon en masse, la brigade Manèque tenant la tête de cette colonne. Elle se forma un peu en arrière de l'intervalle qui se trouvait au pied des hauteurs de Solferino, entre la droite de Un
1' corps
et la gauche de la division de La Motterouge du 2" corps. En même temps qu'il donnait cet ordre au général Regnault de Saint-Jean-d'Angcly, l'Empereur envoyait le général Jarras, aide-major généra!, près du maréchal Baraguay-d'Hilliers pour en donner avis à celui-ci et l'inviter à continuer de pousser ses divisions en avant. Le généra! Jarras trouva le maréchal Baraguay-d'!tiUiers,dansun moment ou ses troupes, épuisées de fatigue et haletantes sous l'intensité de la chaleur excessive qu'elles supportaient depuis plusieurs heure?, avaient été arrêtées un instant pour qu'il leur fût permis de reprendre haleine et se reposer un peu, avant de continuer leur marche offensive. Le maréchal fit connaitre au général Jarras que ses soldats n'en pouvaient plus; mais, comme le général lui représenta que l'ordre de l'Empereur était formel, il le chargea de dire à celui-ci que, si excédées de fatigue que fussent ses troupes, il allait les porter vigoureusement en avant, avec l'espoir qu'appuyées sur leur droite, leurs efforts seraient couronnés de succès. Le corps de la garde impériale, dans son mouvement en avant, qui lui avait fait longer le pied des hauteurs de Solferino, s'était rapproché beaucoup, et de la droite de la division Forey, du t~corps, et de la gauche du 2" corps. Comme la question importante, en ce moment, était de donner de puissants renforts à la division Forey,le maréchal de Mac-Manon prit la détermination de porter les deux divisions d'infanterie de son corps d'armée plus près du pied des hauteurs, où combattait la division Forey, et plus près aussi du pied de celles qui descendent du village de Cavriana sur la plaine, et qui étaient fortement occupées par les Autrichiens. Lorsque ce mouvement de droite à gauche eut été exécuté, il se trouva que les bataillons du général de La Motterouge n'étaient plus qu'à 8 ou 900 mètres du hameau de San-Cassiano,
la division Forey du
qui, au bas des hauteurs, se trouve à cheval sur le chemin qui conduit de la plaine à Cavriana; à la droite de ces bataillons étaient en position, prêts a les suivre, les bataillons de la division Decaen, à la droite de laquelle se trouvait le 11" bataillon de chasseurs à pied. L'artillerie de réserve et la brigade de cavalerie du 2~ corps d'armée étaient disposées dernerc la division de La Mottcrougc. À la suite du mouvement du 2'' corps d'armée, la division de cavalerie de la garde (général Morris), se portant un peu en avant, vint occuper, sur la ligne de bataille, l'emplacement que la division Decaen y avait occupé jusque-là. Elle se trouva alors juxtaposée à la division de cavalerie du général Desvaux. A quelques instants de là, une occasion s'offrit à la division d'exécuter, en avant de sa droite, une charge qui eut pu être suivie d'un résultat très heureux. Plusieurs batteries autrichiennes s'étaient avancées dans la plaine, jusqu'à se trouver à peu de distance du front occupé par les divisions de cavalerieDcsvauxetParthouueaux, qu'elles couvraient de leurs feux. me trouvais près du géSontnéral Morris lorsque celui-ci s'écria tout à coup ils donc imprudents et audacieux! Les voici sur ma droite je n'aurais qu'à jeter ma division en avant pour Eh bien? dis-je au généra!. aller les envelopper. II n'ajouta rien, mais sa division demeura en place. Je courus au maréchal de Mac-Mahon, qui était non loin de là, et comme l'Empereur avait mis, dans la matinée, la division de cavalerie de la garde sous ses ordres, je lui dis Je vous en prie, Monsieur le maréchal, venez donc voir le général Morris sa division a en ce moment une belle occasion de charger. Le maréchal se laissa conduire près du général Morris; il lui demanda s'il ne jugeait pas que sa division dut exécuter l'opération dont je lui avais parlé. Le général, se montrant quelque peu indécis, le
-Je
1
maréchal rebroussa chemin, et, comme je me permettais de lui dire qu'il aurait pu ordonner au général Morris de se montrer plus entreprenant, puisque la division de celui-ci avait été placée sous son commandement, le maVous avez bien vu réchal de Mac Mahon me répondit qu'il n'a pas confiance d'ailleurs l'Empereur est là, non loin de nous, et il voit bien ce qui se passe; c'est à lui qu'il appartient mieux qu'à moi de donner des ordres à la cavalerie de la garde. A quoi tiennent parfois les choses à la guerre! Un peu plus de décision dans le commandement aurait pu, dans cette circonstance, nous faire enlever plusieurs batteries ennemies! Il était alors une heure ou une heure et demie. D~s que la tète de colonne de la division des voltigeurs de la garde arriva près de Monte Pelegrino, une des brigades de cette division, la brigade Mancque, fut immédiatement dirigée vers Solferino. Elle prit, pour y monter, le petit chemin qui va de Monte Pclegrino au grand chemin de San-Cassiano à Solferino. Sur ces deux voies, elle eut, avec les forces autrichiennes qui en défendaient les approches, des engagements fort sérieux. Peut-être eùtelle été impuissante à repousser ces forces si, tout à coup, obéissant à une inspiration soudaine et des plus heureuses, le général Lebœu! commandant en chef Fartillerie de l'armée, qui était près de l'Empereur, n'avait pris la détermination de conduire lui-même au secours du général Manéque deux batteries d'artillerie de la garde impériale. Les. batteries ne purent arriver sur le chemin où les bataillons du général Maneque luttaient avec la plus grande intrépidité qu'en surmontant des difficultés inconcevables. Les pentes du terrain qu'il leur fallait gravir étaient tellement abruptes que ce ne fut qu'a. l'aide de nombreux grenadiers de la division Mellinet, appelés sur les lieux, et qui s'attelèrent aux pièces pour joindre leurs efforts à ceux des chevaux et des con1
ducteurs des attelages, qu'on parvint enlin à élever les bouches à feu jusque sur les points où l'on pouvait les mettre en batterie. Le général Lcbœuf les disposa sur les points les plus favorables du terrain; leurs feux. admirablement dirigés, eurent tout le résultat qu'il en attendait. Joints aux feux des bataillons de voltigeurs, ils obligèrent les bataillons autrichiens à déserter leurs positions. Pendant les engagements qui eurent lieu entre ces bataillons et les nôtres, un de ceux-ci réussit à s'emparer de quelques canons autrichiens. Pendant que ces événements se passaient sur la droite du 1~ corps d'armée, les divisions de Ladmirault, Uaxainc et Forey se rapprochaient peu à peu de Solferino. Ver? deux heures, elles avaient réussi à former comme un grand quart de cercle qui pressait de très près la gauche, le centre et la droite du village. La brigade de Négrier, de la division de Ladmirault, qui, à cette heure, avait été mis hors de combat, grièvement blessé, n'était plus qu'à 5 à 600 mètres du cimetière de Solféri':o. ~!ais les murs du cimetière avaient été crénelés, et les Autrichiens en avaient fait un réduit dont les approches étaient difficilement abordables, attendu qu'ils y avaient jeté de nombreux défenseurs. Vers deux heures, les bataillons du général de Négrier se précipitèrent résolument à l'attaque du cimetière. Les Autrichiens les accueillirent par un feu terrible. DeFun comme de l'autre coté, on combattit avec fureur, et ce ne fut qu'après des attaques dix fois répétées et dix fois repoussées, après que notre canon eût renversé les murs d'enceinte du cimetière, que nos bataillons forcèrent enfin les Autrichiens à la retraite. La lutte avait duré sur ce point pendant près d'une heure. La prise du cimetière avait facilité le mouvement en avant des trois divisions du 1" corps. Elles se jetèrent vigoureusement à l'attaque du village de Solferino, qui se
trouvait à COQ mcU'es au delà du cimetière. Elles curent, en l'abordant, un terrible combat à soutenir avant de forcer rentrée de la rue principale. Pendant ce combat, l'empereur François-Joseph aurait pu déjà se bien rendre compte de la situation de son armée il aurait pu comprendre qu'il ne lui était plus possible de lutter avantageusement contre l'armée française. En effet, le corps d'armée du général Clam-Gallas était délogé de Solferino. Enfin, il ne pouvait se dissimuler que bientôt Cavriana, qui allait être défendu par les troupes du général Clam-GalIas~ repoussées de Solferino, ne tarderait pas à être attaqué et forcé par les divisions françaises du maréchal de MacMahon. Il voulut néanmoins que son armée se défendit jusqu'à la dernière extrémité. Entre 2 heures et 2 heures et demie, le maréchal de Mac-Mahon, reconnaissant que le 1er corps d'armée n'avait plus besoin de l'appui de ses troupes, ce corps étant soutenu par la division des voltigeurs de la garde impériale, se décida à conduire son corps d'armée à l'attaque des hauteurs et du village de Cavriana. Dans sa pensée, des que le corps d'armée se serait rendu maître de ces hauteurs et de ce village, l'armée autrichienne n'aurait plus qu'à se mettre en retraite pour repasser le Mincie. Dans le moment ou il allait faire commencer le mouvement offensif de ses divisions par la division de La Motterouge, qui était tout près de San-Cassiano, arrivait à hauteur de cette division la tète de colonne de la division des grenadiers de la garde impériale, envoyée sans doute par ordrcde l'Empereur ou parle maréchal Regnault de Saint-Jean d'Angely pour exécuter le même mouvement. Le général Mellinet arrêta sa division, reconnaissant, dit-il bien haut, que c'était à la division de La Motterouge à marcher en première ligne, et que la division des grenadiers devait seulement lui servir de soutien. Le régiment des tirailleurs algériens, qui tenait la
gauche de la division de La Mottcrouge, se jeta sur San-Cassiano, qui fut peu défendu par l'ennemi mais, après avoir enlevé le hameau, il eut aussi tut à faire l'ascension des hauteurs très escarpées, au sommet desquelles se trouve Cavriana,hauteurs qui étaient occupées par les bataillons de toute une division autrichienne (général Sxtanko~'ics). On vit alors nos tirailleurs algériens bondircommc des panthères, de sommet en sommet, s'arrêtant derrière chaque ressaut de terrain pour y reprendre haleine et y faire le coup de fusil, puis s'élançant de n.'uveau pour s'élever davantage. La spectacle que présenta à nos yeux cette tactique, qui n'était p"int encore alors usitée dans notre armée, est un de ceux qu'on ne saurait oublier. Ce spectacle, nous l'admirâmes pendant plus d'une demi-heure. Dans son mouvement d'ascension, le régiment des tirailleurs était suivi par le 70" de ligne. Ces deux régiments y eurent leurs colonels tués, le colonel Laurc, qui commandait le premier: le colonel Douay, qui commandait le second. Les deux régiments, suivis de près parles autres corps des divisions de La Mottercuge et Decaen, chassèrent victorieusement devant eux toutes les tn'upes autrichiennes. A trois heures, ils s'étaient rendus maîtres de Cavriana. Je reviens ici en arrière pour raconter les événements de guerre qui se passèrent à la droite de l'armée française pendant qu'opéraient au centre de l'armée alliée le 1~ et Ie~ corps de cette armée. J'ai laissé le 4~ corps d'armée, qui représentait cette droite, dans le moment où après que s'étant rendu maître du village de Mcdole, entre ') et 10 heures du matin, le général ~iel avait poussé ses divisions en avant vers Rcbecco et Guidizzolo. J'ai dit que vers onze heures, les divisions ncnault et Trochu du 3" corps d'armée (ma-
réchal Canrobert) étaient arrivées en avant de Medole pour prêter leur appui aux divisions Yinoy, de Failly et de Lussy-Pellissac, du 4" corps. Depuis une heure déjà, ces trois dernières divisions avaient eu de terribles engagements avec les forces autrichiennes qui, supérieures en nombre, avaient pu contenir l'impétuosité de leur marche offensive. Mais aussitôt que la division Trochu, entrée en ligne, vint, avec une de ses brigades (général Bataille), appuyer vigoureusement la division Yinoy, les choses changèrent de face pour tourner à notre avantage. Il y avait, en avant du front (le la division Yinoy, une ferme, la CasaNuova, que les Autrichiens avaient mis en parfait état de défense. Ils Fa valent fait occuper par un détachement d'infanterie assez fort, celui-ci appuyé par de l'artillerie. Les bataillons du général1 Yinoy attaquèrent cette ferme, une vraie petite citadelle, avec la plus grande intrépidité. Ils furent repoussé: et revinrent à la charge sans plus de succès mais à la suite d'efforts répétés, ils parvinrent a en chasser les défenseurs. Ils s'y établirent fortement, mais les bataillons autrichiens opérèrent contre eux un retour offensif menaçant en attaquant la ferme en même temps de front et de flanc, dans le but de tourner et d'envelopper nos soldats. Dans ce moment, fort heureusement, le général ~iel fit charger une des brigades de la division de cavalerie Parthouneaux sur la gauche de la ferme. Cette brigade dégagea de ce côté les défenseurs de la ferme, qui se maintinrent fermement dans le poste confié à leur garde. Pendant ce temps, les bataillons de la division de LussyPellissac avaient gagné du terrain en avant et s'étaient, avec l'appui de la division Renault, emparés du village de Rebecco, et, après des combats violents, réussissaient à chasser devant eux les forces autrichiennes~ qui .se re-
pliaient, mais lentement, vers Guidizzolo. IL était alors une heure et demie environ. La lutte durait, depuis plus de deux heures, entre Medoïc et Rebecco, continuée héroïquement par les divisions françaises, lutte énergique, tenace et héroïque aussi du côté des troupes des 3", 9'' et 1 corps d'armée autrichiens. A cette heure, la division de cavalerie du général Desvaux, sur un ordre émané sans douta de l'Empereur, exécuta une charge brillante sur la division autrichienne du général Mensdorff. La mèlée fut complète entre les deux cavaleries opposées. La division Desvaux se rallia, après la charge, sur la position d'où elle était partie pour l'exécuter. Outre qu'elle avait fait essuyer des pertes sensibles à la division Mcnsdorff, elle avait rendu un immense service au 4" corps d'armée français en dégageant ou couvrant, pour un temps, la gauche de ce corps des forces ennemies qui le menaçaient du côté de la route de Mantoue. On ne cessa pas de combattre, entre 1 heure et 2 heures et demie dans la plaine dcMédole.en avantdeHebeccoet de la Casa ~uova, les Autrichiens défendant le terrain pied à pied avec la ténacité du désespoir. Ce ne fut qu'après l'occupation des hauteurs de Solferino et de Cavriana par les 1~ et corps de Farinée française que les forces autrichiennes des 1' et 7° corps ayant abandonné ces hauteurs, sur les ordres de l'empereur François-Joseph, pour opérer leur retraite vers le Mincio, les 3~, ')'' et 11~ corps autrichiens, sur des ordres pareils, commençêrent eux-mêmes leur mouvement de retraite. A ce moment, le corps avait à sa gauche, formée sur une ligne de bataillons en masse, la division des grenadiers de la garde. La division des voltigeurs de cette garde se trouvait à la gauche de celle des grenadiers, qui était prolongée elle-même par les bataillons -de la division Forey.
Il était trois heures environ. L'Empereur vint a cette
heure-là s'établir à Cavriana. La perte de l'armée autrichienne était assurément consommée à cette heure-là. Le général Mensdorff voulut cependant que sa cavalerie tentât encore un effort sur la droite du 2" corps, ou se trouvait, au bas des hauteurs de Cavriana, le 11° bataillon de chasseurs à pied, qui appartenait à ce corps, et alors que la division de cavalerie de la garde impériale était venue se former en colonne serrée par escadrons, un peu en arrière de ce bataillon. Une colonne détachée de la division Mensdorff vint, à la faveur des arbres qui couvraient la plaine, se jeter au trot dans la direction du point ou était la division de cavalerie du général Morris. De la hauteur de Cavriana, je vis arriver cette colonne, et je me mis à battre des mains, espérant qu'elle allait, sans s'en douter, se présenter devant le front de la division Morris, qui ne pouvait manquer de l'anéantir dt'-s qu'elle aurait été aperçue. Malheureusement, la colonne ennemie allait passer sur le flanc droit du 11~ bataillon de chasseurs à pied, quand le commandant de celui-ci, la voyant s'avancer, forma son bataillon en carré et la fit accueillir par un feu des plus intenses. l.a colonne s'arrêta net, puis rebroussa chemin. Mais, après l'avoir ralliée, l'officier qui la commandait la ramena sur le bataillon français, qui Faccabla de nouveau sous ses feux meurtriers. J'ai regretté que le 11" bataillon de chasseurs n'eut point laissé la colonne autrichienne passer à côté de lui sans l'arrêter, et plus encore que la division Morris ne se soit pas précipitée sur elle car, dans l'un comme dans l'autre cas, cette colonne de cavalerie eùt été vraisemblablement entièrement détruite. Cet épisode fut le dernier incident de la bataille. Des forces autrichiennes considérables tinrent pourtant encore, pendmt assez longtemps, dans Guidizzolo.
Après avoir résisté, dans ce village, à des attaques plusieurs fois renouvelées, ils ne l'évacuérent tout a fait que vers 5 heures ou 5 heures et demie pour exécuter leur mouvement de retraite dans la direction de Foresto, Mantoue et Castel-Grimaldo.
J'ai dit que l'armée française était décidément victorieuse. Que s'était-il passé, dans les six longues heures de la bataille, du cuté de Poxxolongo.où l'armée piémontaisc avait eu à lutter contre le 8" corps autrichien (général Benedeck)? Je l'ai dit déjà, et je le répète ici, il ne m'appartient pas de le raconter. Les événements de guerre qui ont eu lieu sur les hauteurs de San-Martino se sont passés loin de moi je ne les ai appris que longtemps après la bataille, par les rapports de Fétat-major piémontais. Je ne pourrais en dire que ce que ces rapports m'ont fait connaître, à savoir que les divisions piémontaises engagées à San-Martino s'y couvrirent de gloire, et qu'enjoignant, sur ce point du champ de bataille, leurs efforts à ceux de l'armée française à Solferino et dans la plaine de McdcJe, elles contribuèrent puissamment a assurer la victoire aux deux armées alitées. A la fin de la journée, la division Fund s'était établie à Foxxotongo. Depuis la guerre, des publicistes, M. Duquet entre autres, ont reproché à l'armée française, qui était victorieuse avant 4 heures d<; l'après-midi, de n'avoir point poursuivi l'armée autrichienne, qui s'était mise en retraite, jusque sur les bords de Mincio, ce qui aurait complété son succès. Les publicistes, ces grands stratégistes et tacticiens en chambre, en jugent bien à leur aise quand ils parlent d'événements de guerre qu'ils n'ont entrevu, de coin de leur feu, que par le petit bout de leur lorgnette. Duquet (parmi ces publicistes, je ne citerai que celui-là) ne s'est pas rendu compte de l'état dans lequel 18.
peut se trouver une armée qui, mise en mouvement à la première heure de la journée, a combattu depuis9 heures du matin jusqu'à 3 heures et demie de l'après-midi, c'està-dire durant G heures et demie, sous une chaleur accablante et sur un terrain ou les oh-tacles étaient à tout instant semés sous ses pas. M. Duquet a écrit que les troupes du corps, moins fatiguées que celles du I"' et du 4* corps., auraient pu tout au moins poursuivre l'ennemi la baïonnette dans les reins jusqu'au Mincio. Parties de Castiglionc à la pointe du jour, les troupes du maréchal de Mac-Mahon furent, apn's leur attaque contre Cavriana et leur occupation de ce village,harassées comme étaient celles des autres corps de l'armée. Qu'on songe que, comme celles-ci, elles n'avaient eu, pendant toute la journée, pour apaiser leur faim et étancherleur soif, que le biscuit que le soldat partait dans le sac et l'eau que contient son petit bidon. j\ulle part, pendant plus de 10 heures, il n'avait trouvé sous ses pas le moindre ruisseau où il eut pu renouveler sa petite provision d'eau. Une seule chose eùt été possible à ~heures et demie ou 4 heures de l'après-midi, c'eut été de lancer ia cavalerie française à la poursuite des Autrichiens. L'Empereur ne le lit point, obéissant peut-être en cela à son grand désir de laisser reposer toutes les troupes de son armée. Un autre motif le décida peut-être à ne pas demander de nouveaux efforts à la cavalerie. A quatre heures, une tourmente de vent des plus impétueux s'abattit tout à coup sur les bords du Mincio elle balaya toute la plaine de Medole avec une telle violence qu'en un instant elle la couvrit d'un immense et épais nuage, mélangé de poussière, de pluie et de pierres, qui fit qu'on n'y pouvait plus distinguer à dix pas ni hommes, ni chevaux, ni voitures. Le spectacle était un de ceux que l'on ne voit pas deux fois dans son exigence, et il dura pendant plus d'une demi-heure. En présence d'un phénomène atmosphérique
qui avait fait la nuit sur les bords du Mincio, l'Empereur pouvait-il ordonner a son armée de se mettre à la poursuite des Autrichiens? Je ne le pense pas. M. Duquel a dit, dans son livre, que puisque les Autrichiens ont bien marche après la bataille qu'ils venaient de perdre, les Français auraient bien pu faire comme eux. Est-ce donc que M. Duquet ne s'est pas rendu compte de la vérité de ce fait, que des troupes qui se sauvent ont toujours des jambes, précisément parce qu'elles se sauvent, tout comme le délinquant trouve toujours des jambes p!us asiles que celles du gendarme quand le gendarme est à pied, tout comme le braconnier court généralement de toutes ses forces dès qu'il aperçoit la casquette du garde-chasscL'orage épouvantable qui éclata âpres les derniers efforts qui nous avaient rendus maîtres de So!fcrino et de Cavriana eut, dans la plaine de Medole, des conséquences funestes. H y jeta la panique: il y eut un moment ou quelques-uns de nos soldats crurent voir qu'une forte colonne de cavalerie autrichienne s'apprêtait à charger et à balayer plaine. Dans l'une de nos divisions de cavalerie que je ne désignerai pas, des cris irrénéchis se firent entendre, et alors l'éj'ouvante se jeta dans les rangs. Les cavaliers tournèrent bride, et. ce ne fut que grâce aux efforts que firent leurs officiers pour les arrêter que l'ordre put ètre rétabli, et la division ramenée sur la position qu'elle avait quittée. Mais en mème temps que la panique s'était jetée dans la division, elle avait bien autrement bouleverse les équipages de l'armée qui se trouvaient disposés en arrière de la cavalerie. On vit en un instant plusieurs centaines de voitures et jusqu'à des batteries se précipiter à bride abattue dans la direction de Brescia. La. panique fut si grande parmi les conducteurs des attelages que beaucoup de. nos équipages de transport atteignirent Brescia, qui était à 25 kilomètres de la plaine de Medole, et v jetèrent
l'épouvante. IL-; ne regagnèrent leur position que fort tard dans la nuit ou le lendemain matin. L'année française pouvait être Hère de la victoire qu'elle venait de remporter. A une armée autrichienne ne comptant pas moins de 150,000 combattants, armée occupant des positions formidables, elle avait pris trois drapeaux, trente canons et fait (',000 prisonniers. Mais aux joies de son triomphe se joignaient de'douloureuses pensées. L'armée victorieuse avait perdu, pendant la bataille, environ 12,000 tués ou blesses; 7~0 de ses officiers avaient été mis hors de combat, et parmi eux 158 tués. Parmi les blesses, on comptait les généraux Auger, Dieu, de Ladmirault et Douay: parmi les tués, 7 colonels, dont le colonel Laure, commandant le régiment des tirailleurs algériens, et le colonel Douay, commandant le 70" de ligne, l'un et l'autre faisant partie du 2° corps d'armée. Le général Auger succomba a sa blessure, en Italie, le 25 ou le 2'' juin; le général Dieu, à Paris, peu de temps après sa rentrée en France. Les corps d'armée français qui avaient le plus souffert du feu de l'ennemi étaient le 1"' et le 4~ corps. Apres la bataille, comme les maréchaux Haraguayd'Ililliers et ~lac-Mahon venaient de se rencontrer a Cavriana.Ic premier demanda au second ce que son corps d'arméeavaitperdu d'hommesdansIajournee.Le maréchal de Mac-Mahon ayant répondu qu'il estimait les pertes du 2~ corps d'armée à 1,500 hommes et qu'il déplorait qu'elles fussent si énormes, le maréchal .Baraguay-d'HiIIiers reprit Le mien a perdu 3,000 hommes au moins. A ce compte, le 1" et le 3e corps, la garde impériale, la division de cavalerie indépendante et les réserves d'artillerie auraient perdu ensemble 7,500 hommes, dont la plus forte part doit porter sur le 4~ corps d'armée. Dans leur lutte admirable devant San-Martino, les divi-
sions de l'armée piémontaise avaient eu 5,521 hommes mis hors de combat, savoir 49 officiers tués, 167 blessés, 6~2 soldats tués, 3,~05 blessés, 1,258 disparus. La victoire avait donc coûte à l'armée alliée, du côté de Solferino et de Médole, tant en tués que blessés, 12,000 hommes; du côté de San-Martino, 5,521 hommes; en tout,
17,5: hommes.
autrichienne s'étaient élevées à un chiffre certainement plus considérable que Les pertes éprouvées par l'armée
celui-là. Tout le monde a su, dans l'armée, que, dans son rapport adressé a l'Empereur après la bataille, le général Niel avait exprimé le regret que son corps d'armée, le quatrième, n'eut point été appuyé par le troisième, celui que commandait le maréchal Canrobert. L'assertion du général Xiel était souverainement et doublement inju'te; car si, au début de la bataille, le maréchal Canrobert avait porté son corps d'armée sur la route de Mantoue, au lieu de le tenir étroitement lié au 4" corps, il ne s'était, en cela, que conformé strictement aux ordres de l'Empereur qui, en l'instruisant qu'un corps autrichien devait sortir de Mantoue pour marcher surMedole et tombersur l'aile droite de l'armée française, lui avait prescritd aller~ avec son corps d'armée, au-devant de ce corps autrichien pour arrêter son mouvement. Et, en second lieu, il était arrivé que lorsque, pendant la première période de la bataille, le général Niel avait fait connaître au maréchal Canrobert combien son corps d'armée avait besoin de renforts, le maréchal n'avait pas hésité à détacher du 3" corps d'armée trois de ses brigades pour les lui envoyer. Il y a plus c'est que si le 4" corps d'armée finit par triompher de la résistance des forces autrichiennes, réunies devant lui vers la fin de la bataille de Solferino, il le dut en très grande partie au concours efficace que ces trois brigades du 3" corps lui apportèreut~ celle no-
tamment qui, commandée par le général Bataille,seconda puissamment les troupes du 4" corps. Il a été raconté que le maréchal Canrobert, estimant, avec raison, que le rapport du général Niel à l'Empereur avait porté atteinte à son honneur, avait d' cidé que le général lui en rendrait raison les armes à la main, et qu'il avait fallu la haute intervention de l'Empereur, puis des excuses, faites par le gcnérai Niel au maréchal, pour que l'anairc n'eut pas de suite fâcheuse. Dans la soirée du 2i et dans la matinée du 25, l'armée autrichienne s'était portée tout entière .sur la rive gauche du Mincio. Désormais, c'était dans le fameux quadrilatère, dont les quatre angles étaient représentés par les forteresses de Pescbicra, Vérone, Legnago et Mantoue, que l'empereur François-Joseph pouvait, dans une nouvelle et probablementdernière bataille, en appeler à la fortune des armes. Pendant leur retraite, les Autrichiens avaient détruit tous les ponts existant sur le Mincio. L'armée alliée passa la nuit du 24 juin sur le champ de bataille qu'elle venait de conquérir. Le 25, elle continua sa marche sur le Mincio. Le 1er corps d'armée partit ce jour-là de Solferino, pour aller prendre position en avant de Pazzolongo, sur la route de Moxambano. Le 2" corps et la garde impériale restèrent à Cavriana, où l'Empereur avait installé son quartier général. Le 26, le 1~ corps occupa Mozambano. En face de cette ville, sur la rive gauche, une division autrichienne, qui avait été chargée de la destruction du pont, était en position et appuyée par trois batteries couvertes par des épaulements. L'artillerie du corps d'armée commenta. sur-le-champ à rétablir le pont détruit par l'ennemi, et à construire en même temps deux autres ponts, l'un de chevalets en aval, l'autre de bateaux en amont du premier. La division autrichienne ne contraria pas rétablissement.
de ces ponts. Les petits postes ennemis qu'elle avait établis tout près de l'ancien pont se retirèrent sans en disputer les approches. On avait craint un instant que le génie autrichien ne se servit du grand réservoir du lac de Peschiera pour augmenter le volume. des eaux du Mincio, dont la violence aurait pu alors renverser tous les ponts que l'armée alliée avait besoin de jeter sur la rivière pour opérer son passage sur la rive gauche. Le génie autrichien n'en Ht rien, fort heureusement. Dans la même journée du 36, le corps d'armée se porta de Cavriana à Castellaxo. Le corps était, le même jour, sous Yolta le 3< avait quitté Rebecco et occupait les hauteurs en avant et à droite de Solferino. Ce jour-là, les pontonniers mirent en état le pont de Valeggio, rétablirent le pont de Borghetto, et commencèrent la construction de trois autres ponts en aval et en amont, à côté du premier. Afin de laisser à l'artillerie le temps nécessaire pour achever les ponts, Farinée ne <it aucun mouvement le 27. L'armée piémontaise, aussitôt après la bataille du 2~, avait marche de Poxxolongo sur Peschiera, et avait commence à investir cette place. Le corps d'armée français (prince Napoléon) avait été, sur les ordres de l'Empereur, porté de Parme sur Plaisance et de Plaisance sur Casa-Maggiore. En ce dernier point du cours du Pô, les pontonniers du corps d'armée réussirent à construire dans les journées du 28 au 29, en requérant les bateaux de toute dimension que les riverains avaient pu leur fournir, un pont de 950 mètres de longueur, par lequel le 5* corps tout entier put franchir le fleuve dans la journée du 30. A cette date, l'Empereur écrivait au prince Napoléon qu'il l'invitait à arriver le plus tôt possible, avec son
corps d'armée, pour rallier l'armée par la route la plus courte, qui était celle de Piadena à Gqlto. « Tous les renseignements s'accordent à dire, ajoutait en même temps l'Empereur au Prince, qu'il n'y a plus que 7,000 hommes dans Mantoue, et que toute Farinée autrichienne est derrière FAdige. Les divisions du 5* corps atteignirent Golto les 3 et4 juillet, ainsi que la division toscane du généra! UIIoa, qui marchait à la suite de ces divisions. Le 2" corps d'armée et la garde impériale étaient demeurés en position à Cavriana. La garde impériale se porta à Volta, dans la journée du ~9,. pour y relever le 4" corps qui, ce jour-là, alla occuper Borghetto, sur le Mincio. L'établissement des ponts était achevé, et l'armée tout entière était réunie sur la rive droite de la rivière entre Pazzolongo et Volta. L'Empereur décida que le passage serait exécuté le 1~ juillet au matin, et le 30, tous les ordres de mouvement, qui devaient être opérés le jour suivant, furent expédiés aux commandants des corps d'armée. L'armée piémontaise, qui déjà s'était portée par Dezenzano sur Peschiera et avait commencé l'investissement de cette place, devait poursuivre et compléter cet investissement. Le 1~ corps d'armée (maréchal Daraguay-d'Hilliers) avait ordre de traverser le Mincio par le pont jeté à Salionze et d'aller prendre position en avant de Salionze, à cheval sur la route de Yaleggio à Casteinovo et perpendiculairement à cette route. Le maréchal de Mac-Mahon devait porter le 2" corps d'armée sur la rive gauche de la rivière, par le pont de Mozambano, et appuyer la gauche de ce corps à la droite du 1~. Il était prescrit au maréchal Canrobert d'aller. établir le 3° corps en avant de Valeggio, ce. corps
traversant le Mincio par les ponts qui avaient été jetés à Valeggio. Toutefois, le maréchal devait laisser une de ses divisions à Goito, avec la division de cavalerie du général Desvaux, maintenue sur ce point. Au général Niel, il avait été enjoint de transporter le 4~ corps d'armée sur la position de Custozza et de relier la gauche de ce corps à la droite du 2". La garde impériale, réserve de l'armée, devait être portée de Cavriana à Yaleggio, ou l'Empereur établissait son quartier général. Tous ces mouvements furent exécutés, le 1~ juillet, comme l'Empereur les avait ordonnés. L'armée autrichienne n'entreprit rien pour les contrarier. Dans la soirée du 1er, le maréchal (le ~lac Mahon reçut de l'Empereur l'ordre de porter le corps d'armée en avant, pour lui faire prendre position sur les liauteurs de San-Lucia, surla rive droite du petit cours d'eau duTione. Ce mouvement avait obligé l'Empereur à prescrire que, le même jour, le -1'' corps d'armée se porterait a sa gauche sur Somma-Campagna pour s'y relier avec la droite du t"' corps. Pendant que ces mouvements de notre armée s'exécutaient sur le haut Mincie~ le 5~corps ~prince Napoléon) avaitmarchép~urse rallier aux autres corps. Le 3 juillet, la divisiot! Uhrich de ce corps devait arriver à Colto et. dès ce jour, l'armée française, au lieu de cinq corps d'armée seulement qu'elle avait concentrés devant l'armée autrichienne, pouvait désormais lui en opposer six. La présence du 5" corps, en Toscane, depuis le commencement de la guerre, n'avait d'ailleurs pas été inutile à l'ensemble des opérations de l'armée française; car elle avait eu pour résultat d'accentuer vivement, en Toscane et dans les Marches, le mouvement d'opinion italien en faveur des armes fran'jaiscs, et ce résultat avait été complètement atteint. Les troupes toscanes. n'avaient pas 19
hésité à se joindre aux nôtres pour combattre les Autrichiens. Le 3 juillet, le 2" corps, sur un nouvel ordre de l'Empereur, fut porté à Villafranca, sur le chemin de fer de Mantoue à Vérone. La veille même de ce jour, l'empereur François-Joseph y avait eu le quartier général de son armée. La ville était encore toute pavoisée de drapeaux aux armes de l'Autriche. Le maréchal de Mac Mahon s'installa, avec son état-major, dans l'hôtel où l'empereur d'Autriche avait passé la nuit précédente avec le sien. Dans cette occasion, FofGcier que le maréchal avait investi des fonctions de commandant de son quartier général, et qui, à ce titre, avait jusque-làarrêté, chaque jour, les logements des officiers appartenant à ce quartier général, n'eut pas grand'peine à indiquer le local que chaque officier devait occuper. Sur chacune des portes des locaux qui existaient dans l'hôtel, il trouva l'indication de l'officier autrichien à qui il avait été affecté la veille, avec mention de son grade et de ses fonctions. Il jl'eut qu'à substituer, au nom écrit en allemand, un nom écrit en français. L'hôtel d'ailleurs portait encore, partout dans son intérieur, les signes parlants de la réception que la population locale y avait faite à l'Empereur. Quand j'y pénétrai, les gens de l'hôtel couraient de tous les côtés, s'empressant de faire disparaître les drapeaux et d'enlever les monceaux de fleurs qui avaient orné la grande salle où l'empereur d'Autriche avait réuni ses généraux et, sans doute, les notabilités de l'endroit dans un banquet. Ces braves gens s'imaginaient sans doute que les Français allaient leur faire payer chèrement les ovations qu'ils avaient faites à leur souverain. Je m'empressai de les rassurer, en les invitant à laisser toutes choses en place~ les priant même de se persuader que les fleurs qu'ils voulaient dérober à notre vue ne pouvaient que récréer nos yeux.
Le maréchal de Mac Mahon et moi, nous montâmes sur
la vaste terrasse qui servait de toit à l'établissement. De cette terrasse, nous pûmes juger des dimensions considérables de l'enceinte de murs dans laquelle la ville de Villafranca était renfermée. Cette enceinte continue et sensiblement quadrangulaire ne pouvait ctre considérée comme constituant, à proprement parler, une forteresse, parce que les murs n'avaient ni épaisseur ni élévation; mais, telle qu'elle était, on était fondé à se demander comment les Autrichiens n'avaient pas mis Villafranca en état de défense. ~ous jetâmes nos regards au delà de la ville. Le panorama était magnifique; du côté du sud, une plaine immense et verdoyante s'étendant jusqu'à Manîoue et u. Legnagno; à l'ouest, Peschiera et les bords du lac de Garde; au nord-est., la vue de Vérone, dont les remparts et les forts extérieurs se distinguaient parfaitement, malgré la distance d'environ 12 kilomètres qu'il y a de Villafranca à Vérone. La grande route et la voie ferrée, toutes les deux en ligne droite, qui relient entre elles la forteresse et la ville, se percevaient si clairement qu'on eut pu y découvrir le moindre détachement ennemi, si, en ce moment, des troupes autrichiennes se fussent montrées de ce côté. En descendant de son observatoire, le maréchal de Mac Mahon s'empressa de visiter Pintérieurdela ville; il la trouva percée de larges et longues rues coupées, transversalement et à angle droit, par des rues pareilles, ce qui lui donnait, comme aspect général, la physionomie des cités américaines. Comme, à. Villafranca, son corps d'armée se trouvait en quelque sorte lancé en flèche en avant de l'armée française, les autres corps étant à assez grande distance de lui, le maréchal de Mac Mahon pensa qu'il n'avait pas de
temps à perdre pour mettre, sur-le-champ et du mieux possible, la ville en état de défense. La tâche qu'il avait à accomplir pour cela n'était pas facile il reconnut, en visitant toutes les parties de Fenceinte, que celle-ci était si vaste que ce ne serait pas trop de toutes les troupes du corps d'armée pour défendre les points qui pouvaient le plus être exposés à une attaque de l'ennemi. Tout au plus pourrait-il constituer une faible réserve, avec un ou deux bataillons non employés, derrière les murailles. A rentrée de la ville qui faisait face à Vérone, il fit construire des épaulements derrière lesquels il disposa quelques batteries. Le maréchal de Mac Mahon instruisit l'Empereur du danger que son corps d'armée courait à Villafranca. En quelques heures, des forces considérables autrichiennes, sortant de Vérone, pouvaient venir l'y attaquer avec des chances de succès pour elles car les corps d'armée du général ~iel et du maréchal Canrobert étaient trop éloignées pour qu'il leur fùt possible de se porter assez promptement à son aide. Dans le même temps où le maréchal faisait connaître à l'Empereur la situation fort exposée du 2~ corps d'armée, le maréchal Niel, dont le corps était à Oliozi, informait l'Empereurquele 4~corps pouvaitctre, lui aussi, menacé sur sa droite, la distance qui le séparait du 3e corps étant assez considérable. En présence des observations simultanées des commandants du 2° et du 4" corps d'armée, l'Empereur décida que le premier de ces corps, évacuant Villafranca~ reprendrait, dans la journée du 4, la position de SaM-Lucia qu'il avait quittée la veille. Le 4, à 3 heures du matin, les troupes du corps d'armée se mirent en mouvement pour regagner San-Lucia. La queue de la colonne qu'elles formaient était encore assez éloignée du point qu'elle avait à atteindre, avant que les divisions pussent se diriger sur les emplacements
où ils devaient s'établir, quand je fus le témoin d'un de ces incidents qui arrivent trop souvent dans l'armée franS.aise, incidents qui constituent pour elle un vrai danger. Je vis tout à coup arriver à moi, le maréchal de MaeMahon étant déjà à San-Lucia, un jeune lieutenant de hussards autrichien. En m'abordant, il m'apprit qu'il était parti de Vérone, envoyé à titre de parlementaire, pour prier le maréchal de faire parvenir à l'empereur Napoléon III une lettre dont il était porteur. <' Je suis bien étonné, me dit cet officier, que les troupes françaises que je viens de traverser ne m'aient point du. tout arrêté, pour que je pusse leur signaler la mission dont je suis chargé. Elles ont dû voir cependant que je n'étais autre chose qu'un parlementaire, puisque j'étais suivi d'un trompette portant un fanion blanc. C'est pour cela que je suis arrivé jusqu'ici le plus librement du monde, sans qu'on m'ait bandé les yeux, comme les lois de la guerre exigent qu'il soit fait à l'égard des parlementaires. Est-il possible que pareil fait ait pu se passer, dans une armée française qui était si près de l'ennemi ? Cela ne s'est assurément jamais vu dans une armée étrangère La journée du 5 se passa sans qu'aucun événement de guerre vînt la signaler, bien que, dans l'armée française, on eùt eu un instant la crainte que l'armée autrichienne n'attaquât ce jour-là les hauteurs de Somma Campagna à San-Lucia. Des instructions très détaillées de l'Empereur avaient invité les commandants de corps d'armée à prendre toutes les dispositions nécessaires pour recevoir une attaque sur ces hauteurs. Les corps d'armée occupaient les positions suivantes: Le 1~ corps (Maréchal Baraguey-d'HiIliers), avec deux divisions piémontaises, à Casteinovo. Le 4~ corps (Général Niel), à Oliozi Le 5~ corps (Prince Napoléon), à Salionze; Le 2~ corps (Maréchal de Mac Mahon), à San-Lucia;
Le 3" corps (Maréchal Canrobert), à Valeggio: La garde impériale (Maréchal Regnaud de Saint-Jean-
d'Angély), à Valette La division Toscane, qui était à Golto, devait être, le 6 au soir, à Vol ta; La division de cavalerie Desvaux devait se porter, le 7, à la pointe du jour, en arrière de la droite du 3~ corps (Maréchal Canrobert). On en était là, le 6 juillet. L'armée franco-piémontaise, partie de Gènes et des bords de la Doria, se trouvait, après une marche toujours victorieuse, et après avoir franchi le Mincio, à six lieues seulement de Vérone. Peschiera était investie par Farinée piémontaise. L'armée alliée comptait en ce moment 150,000 hommes, et elle était prête à livrer une nouvelle bataille. On savait, d'ailleurs, qu'un corps de débarquement, mis sous le commandement du général de WimpSen, était devant Venise, menacée d'être bombardée et de tomber entre nos mains. Malgré toute la confiance qu'une situation aussi favorable pouvait lui inspirer, malgré tout le désir qu'il pouvait avoir d'ajouterunedernière victoire aux victoires précédemment remportées par son armée, l'empereur Napoléon 111 se résolut à proposer à l'empereur François-Joseph une suspension d'armes dans l'espoir que, pendant sa durée, les deux souverains s'entendraient pour mettre fin à une guerre qui avait déjà fait couler tant de sang de part et d'autre. L'empereur Napoléon se persuadait que l'empereur François-Joseph ne se refuserait pas à accepter sa proposition. L'armée autrichienne avait combattu trop vaillamment pour que son général en chef put croire que l'honneur lui commandait de prolonger une lutte jugée comme devant être désormais inutile. Sans aucun doute, Fempereur Napoléon pouvait se dire que l'empereur François-Joseph, ayant en ce moment.son armée ap-
puyée à de puissantes forteresses, au centre desquelles l'armée alliée venait la braver, voudrait peut-être tenter une fois encore le sort des armes qui Pavait trahi jusquelà. Mais il comptait sur la magnanimité du jeune souverain de l'Autriche, et il se persuadaitque celui-ci, après réuexion, voudrait, tout comme lui, épargner de nouveaux sacrifices à ses soldats. Le 6 juillet donc, l'empereur Napoléon rédigea une demande d'armistice, et il chargea un de ses aides de camp, le général Fleury, dont il connaissait le dévouement et l'intelligence, d'aller la porter à l'empereur d'Autriche. Le général Fleury arriva à Vérone dans la soirée, et il eut, dans cette soirée même, un long entretien avec l'empereur François-Joseph. La continuation de la conversation fut renvoyée au lendemain matin. Le 7, dans la matinée, l'empereur Napoléon visita les positions occupées par son armée. On se rappelle qu'il lui avait paru possible que l'armée autrichienne vînt attaquer ces positions ce jour-là même. Mais jusqu'à 11 heures et demie les Autrichiens ne s'étaient montrés nulle part devant elles, quand, tout à coup, le général Fleury, revenant de Vérone, se présenta à l'Empereur et lui apprit que l'empereur François-Joseph avait agréé sa demande d'armistice. Les corps de l'armée française qui, depuis plusieurs heures, avaient été tenus disposés en ordre de combat, recurent l'ordre de regagner leurs bivouacs respectifs. Dans l'entrevue que le général Fleury avait eue avec l'empereur d'Autriche, il avait été convenu que les conditions de l'armistice seraient arrêtées, de concert entre des commissaires délégués, chargés de représenter les intérêts des deux armées belligérantes. Les délégués furent le général baron de Hess, chef d'étatmajor général de l'armée autrichienne, pour cette armée Le maréchal Vaillant, major général, et le général de
Martimprey, aide-major général, pour l'armée française Le lieutenant général Della Rocca, major général de l'armée piémontaise, pour cette armée. Dans une conférence qui eut lieu, le 8 juillet, à Villafranca, les délégués réglèrent les conditions de l'armistice, et décidèrent que sa durée était portée jusqu'au 15 aoùt, et que le 16 à midi les hostilités seraient reprises, si avant ce terme la paix n'avait pas été conclue. Bientôt on sut qu'à la suite de lettres autographes. échangées entre les deux empereurs, ceux-ci devaient se rencontrer, le 11 juillet, à Villafranca. La rencontre eut lieu effectivement ce jour-là. On ne sut rien dans l'année française de l'entretien qui avait eu lieu entre les deux souverains. On ne sut pas davantage qu'en rentrant à son quartier général de Valeggio, l'Empereur avait appelé le prince Napoléon et l'avait chargé d'aller porter à l'empereur François-Joseph les conditions auxquelles il lui paraissait possible que ta paix fùt décidée. Le prince Napoléon s'acquitta de sa mission, avec toute l'intelligence que l'Empereur avait espéré de lui. Les préliminaires de paix, arrêtés après de longues discussions, a-t-on su plus tard, entre le souverain de l'Autriche et lui, furent ratifiées par Napoléon III. La paix était faite. Assurément les conditions de cette paix n'étaient point absolument celles que le gouvernement du roi VictorEmmanuel eùt désirées. Mais avant de les envoyer à l'acceptation de l'empereur François-Joseph, Napoléon 111 en avait donné lecture au roi, et celui-ci, comprenant qu'en face de certaines manifestations de plusieurs grandes puissances, les plus graves intérêts de la France étaient en jeu, s'était borné à dire à l'Empereur « Quelle que soit, en dernier ressort, la décision de Votre Majesté, je lui serai éternellement reconnaissant de ce qu'EUe a
fait pour la cause de l'indépendance italienne, et en toute circonstance l'Empereur peut compter sur mon entière fidélité. Aux termes du traité arrêté entre l'empereur Napoléon et l'empereur d'Autriche, l'armée française devait laisser un corps de 40,000 hommes en Lombardie, jusqu'à la ratiScation définitive du traité de paix. Toute l'armée française, moins ce corps d'armée, mis sous le commandement du maréchal Vaillant, s'achemina aussitôt vers Turin et Suze, pour rentrer en France. On n'a pas oublié l'enthousiasme avec lequel nos populations accueillirent à leur retour, dans la mère patrie, nos soldats de l'armée d'Italie. A Paris, on leur fit, à l'occasion d'une grande revue passée par celui qui les avaient conduits à la victoire, des ovations magnifiques, bien qu'elles ne fussent pas comparables à celles que la population de Milan avait faites aux Français à leur entrée dans la capitale du Royaume lombardo-vénitien. Celles-ci, comme je l'ai raconté, avaient pris, dans leur expansion de joie reconnaissante, tous les signes d'un vrai délire. Les Italiens de la Lombardie n'ont jamais oublié les titres que la France s'est acquis à leur reconnaissance. Ils se souviennent toujours que c'est à elle qu'ils doivent leur délivrance. Faut-il que les Italiens des autres provinces paraissent ne plus partager ces sentiments
1
Xovembrc 18S4.
FIX DES SOCYEMRS DE LA GUERRE D'ITALIE
NOTE EXPLICATIVE
Au commencement des Souvenirs de la guerre <f~a~, il est dit que le maréchal Randon avait été désigné pour remplir les fonctions de major général de l'armée, et dans tout le cours du récit, ces fonctions sont attribuées au maréchal Vaillant, qui était, au début, ministre de la guerre. II faut ici quelques mots d'explication. C'est bien le maréchal Randon qui avait été nommé d'abord à remploi de major général de l'armée. Mais tout en se préparant a remplir ces fonctions, il avait tellement excède le maréchal Vaillant, ministre de la guerre, par ses demandes exagérées, que celui-ci avait fini par lui dire « Si vous trouvez que ce qui vous est accordé n'est pas suffisant, eh bien prenez le portefeuille de ministre de la guerre, et moi, je deviendrai à votre place major général de l'armée. Le maréchal Randou accepta l'offre qui lui était faite. Il s'établit un chasse-croisé entre les deux maréchaux. L'Emet c'est ainsi que le ma tâchai pereur ratitia l'arrangement, major devint major général ~énéral de 1-aillant ~li:vint Vaillant ae l'armée d'Itali~ttoam~ suivit toutes les opérations. suivil
f n'F 1,0
d'llali~~
~7
TABLE DES MATIÈRES
DEDICACE. GUERUEDECRHIËE.
P.):res.
SOCVEXIRSDE LA
Constantinop!c.
1.
De Constantino à
Il.
Arrivée en Crimée.
t 1 1
Mayran.
1
de l'armée française d'Orient, en janvier Ses campements. La pénurie du combustible. 1855. Distractions des ofnciers et des
15
!II.
Situation
Le général
soldats.
IV.–Mois de février, mars et avri! 1S55.ouvcHe organisation donnée a t'armée française. Le général 31ayran dans !cs tranchées. Réunion des généraux français allo-
Canrobert.
PcHssicr.
cution du gênera! Obsèques du généra! Bizot. V. Les généraux Bosquet et Mesures, prises dans la division du général Mayran, M. pour assainir le champ de batai!!c d'Inkermann, qui était dans son voisinage et ses propres Afiaires du 1"' et Mois de mai. mai aux VU. .'attaques de gauche de l'armée française. Arrivée prochaine'du corps piémontais.–Le généra! PéHssier remplace le généra! Canrobert comme commandant en chef de
campements.
53 31
39
du
t'armée.
ncttué.
43
Vin.
Tentative d'assaut dirigée contre le retranchement de Ma!akoff, le 1S juin, et repousséc par les Russes. Le gënéral Mayran b!cssé mortellement. Le général Bru57
Mois de juillet et première quinzaine d'août.
Le général Faucheux. Les monts Fédioukine et la vallée de la Tchemaïa. Les monts de Makensie occupés par l'arLe corps de réserve de Farmée française sur mée russe. Le général de La Marmora et le les monts Fédioukine. corps piémontais. –Motifs de l'occupation des monts Fédioukine par un corps d'armée français, et du mont HarsTI fort par le corps 88 X.–Bataille de Le généra! Espinasse. Le général de Mac Mahon. XI. 129 Assaut de Malakoff. Prise de XIf. Apres la prise de Sébastopo!. Situation des armées FormaDispositions prises dans ces armées. alliées. tion d'un troisième corps d'armée français, dit corps de réserve de Farinée française, mis sous les ordres du général de Mac Manon. Lignes défensives de Kamiescb corps expéditionnaires d'Eupatori~L, de Kirsch et de Kinburn. 189 201 XHÏ. L'hiver de 18~18~6 en Revue de Farmée russe par les comXIV. La paix. Revue des armées mandants en chef des armées aUtées. française et anglaise passée par le général en chef de FarDistribution de décorations faite dans les mée russe. Dispositions, prises dans armées française et anglaise. Farmée française, pour l'évacuation de la Crimée et sa rentrée en -`\i~ ~225 SoCVEXmS IX.
Trakdr.
piémontais.
Sébastopol.
Crimée.
France.<-<7'>~201 &Tr.t.HE. f )-' NOTEEXPUCATtVE.j. /J DS LA GCER::E
t
334