Écosystème

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Nous, Emma et Guilhem, jeunes étudiants en architecture intervenons dans le quartier de la Californie, à Jarville-la-Malgrange. Quartier de grand ensemble typique de la reconstruction, il est actuellement l’objet d’une rénovation urbaine sous convention ANRU. Cette entreprise

met en cause un territoire habité, et c’est l’intégrité de ce territoire qui est en jeu. Munis comme seules armes des outils d’observation et d’un potentiel d’imagination nous tentons d’appréhender ce territoire et percevoir tous les écosystèmes qui s’y sont créés.

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Jarville, Californie.

Situé dans la commune de Jarville-la-Malgrange, en Lorraine, dans la continuité de l’agglomération nancéienne, le quartier de la Californie est une quartier de grand ensemble typique de la reconstruction des années 60-70 en France. Se situant sur un ancien site industriel, le quartier s’étend le long du canal de la Marne au Rhin. Ses longues barres de béton se dressent fièrement sur la berge face au vieux quartier constitué le long de l’axe historique de la ville. Elles constituent un ensemble composé de construction parallélépipédiques aux infimes variations qui se développent en archipels sur un long terrain horizontal continu et ouvert.


Cet ensemble bâti s’articule à la limite entre la ville constituée et le grand paysage que découpe la Meurthe bordée d’arbres. Ce grand paysage est marqué par la présence de l’autoroute, entrée de la ville de Nancy où circulent une grande quantité de voitures.

Ce paysage plat est habité par 2216 vies

qui se constellent en une infinité de cellules de vies presque toutes identiques. Trois typologies de constructions principales organisent l’espace en une composition plastique selon une alternance régulière. Des tours, des barres forment un maillage ouvert de volumes sous la lumière et des établissements publics se placent dans des vides stratégiques au coeur de ce vaste champ urbain.

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Certaines barres se coudent, d’autres préservent une stricte ligne droite. Certaines sont surélevées, d’autres articulent difficilement dans leurs rezde-chaussée des logements, des garages, des halls d’entrées. Quelques excroissances au sol bordent de quelques dizaines de centimètres de haut les logements qui s’y glissent en de timides cours privées. Entre ces monstres de béton et le territoire se nouent tout un ensemble de relations, de tensions qu’il est très difficile de caractériser. C’est l’enjeux de notre travail que de repérer, comme le disent Jean-Marc Stébé et Hervé Marchal, les lieux des banlieux et de trouver à l’intérieur de ces écosystèmes, autant paysagers, architecturaux, sociaux, psychiques, techniques ou naturels, ce


qui fait sens dans le devenir de la vie foisonnante qui s’y développe.

Ce territoire est caractérisé par de fortes

déterminations physiques, autant paysagères, urbaines qu’architecturales. Ces determinations constituent l’identité du quartier. Il revient à nous d’en comprendre la nature.

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Cité archipel.

La Californie se caractérise par une insularité qui en détermine les contours à différentes échelles. Que ce soit à l’échelle du grand territoire, de celle de ses limites propres où de sa morphologie interne, la Californie est un grand archipel urbain qui s’installe dans le territoire urbain et paysager. Cette insularité, cette manière d’occuper le territoire détermine la manière dont il est habité, et c’est cette dimension là que nous avons retenu et qui a grandement défini la manière dont nous avons développé notre projet. Nous avons tenté de nous situer entre l’urbain et l’humain, entre le construit et le l’habiter pour tenter de comprendre


le mode de fonctionnement du quartier dans les interrelations qui se nouent entre les vies et le béton, dans les franges qui se nouent entre les lieux. Cette insularité se décompose en plusieurs échelles significatives, qui donnent au quartier sa morphologie qui la singularise fortement dans l’ensemble du territoire. Tout d’abord à l’échelle du grand territoire la Californie si situe au carrefour d’un ensemble d’éléments paysagers forts qui structurent l’ensemble de l’agglomération du grand Nancy. Située au sud de Nancy, le quartier prend place entre la Meurthe, le canal de la marne au Rhin, la voie ferré ainsi que proche de l’autoroute A330 qui débouche à la tête du quartier sur la départementale 674. La ville de Nancy s’est développée

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dans son rapport à l’eau, dans une relation de mise à distance/conquêtes des berges de la Meurthe et c’est le long de la meurthe que Jarville-la-Malgrange s’est développée, le long de l’axe historique de Nancy. La ville de Jarville est caractéristique d’un tissu urbain qui s’est constitué dans le temps le long de son axe principal en se construisant petit à petit sur lui même. Le quartier de la Californie est venu se greffer à ce tissu urbain constitué pendant la reconstruction, principalement pour reloger les habitants du quartier populaire Saint Sébastien à Nancy alors en pleine transformation. En marge de l’agglomération du grand Nancy, Jarville et plus encore la Californie font partie de ces franges urbaines aux frontières de la ville qui


ne se sont pas encore intégré au tissu urbain général. La Californie est un morceaux de territoire qui s’individualise dans l’ensemble de ces éléments urbains et paysagers. Dans un premier temps le quartier constitue un des seul élément urbain habité dans son territoire proche, et forme une île dans cet ensemble pour l’instant peu construit. La partie sud de la presque-île que délimitent la canal et la meurthe n’est pas ou peu construit en terme d’habitat, et la Californie y côtoie ainsi les infrastructures autoroutières, les dépôts de bus, les friches industrielles et les zones commerciales qui y ont vu le jour. Île solitaire dans le grand paysage, la Californie doit alors se confronter à ces grand espaces vides et peu qualifiés.

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CARTE DU TERRITOIRE


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Ce paysage de la voiture dessine un territoire qui s’ils ne le qualifie, le structure fortement. Ainsi, la Californie est structurée par d’une côté le grand paysage dessiné par l’autoroute et la Meurthe et par le Canal et le réseau routier. Ces dernier structurent les limites physiques majeurs du quartier en en dessinant les contours mêmes. Ils crée l’insularité propre de la Californie, qui est très souvent critiqué et mise en cause dans ses effets sur l’enclavement du quartier à l’intérieur de ces limites. Ainsi la Californie est une île en marge du tissu urbain qui s’isole dans le paysage par une série de limites fortes. Mais ce qui caractérise fortement le quartier de la Californie, outre son isolation du reste du paysage urbain, est la carac-


téristiques propres de sa forme urbaine. Composé d’un ensemble de construction architecturales indépendantes, l’ensemble urbain constitué de la Californie forme un archipel de béton dans un espace public horizontal. Des tours et des barres se constellent dans un ensemble composé d’îles architecturales habitées. L’ensemble est composé par un principe géométrique clair qui s’est adapté aux caractéristiques du site en profitant des perturbation géométriques pour donner un mouvement à chaque édifice. Ainsi, l’ensemble est une composition de barres et de tours dans laquelle chaque bâtiment prend sa propre orientation et son propre rapport au reste du site. Cinq typologies d’implantation différentes peuvent être identifiée.

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Dans un premier temps, le quartier est délimité au nord par un alignement de barres le long de l’axe routier. Cette barrière est modulée par l’orientation du bâti. Dans la partie nord du quartier une grande barre se tourne vers l’intérieur du quartier pour le fermer, alors que dans la partie du centre les deux barres se plient vers l’extérieur du quartier, s’orientant vers le paysage.


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Dans un second temps c’est le long du canal que s’installent des bâtiments qui profitent alors de la vue du canal pour se mettre en balcon sur le paysage, et profiter ainsi du soleil du sud. Ces bâtiments ferment légèrement le quartier mais laissent un rapport se créer avec les berges du canal. Si celles-ci ne sont pas utilisée, ce n’est pas en raison de l’implantation des bâtiments. Ceux-ci créent un réel front paysager qui est un réel avantage pour le quartier, contrairement à la barrière côté nord qui souffre de la présence de la route et des parkings.


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Cet ensemble de barre qui créent les limites périphériques du quartier est ponctué par un ensemble de tours qui stabilisent la composition et donnent une orientation transversale au quartier. Cela crée le schéma général de composition du quartier.


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Le quartier est ensuite découpé en trois parties par deux barres transversales qui s’alignent sur la voirie traversante et créent alors trois parties de quartier distinctes et aux caractéristiques différentes. Nous préciserons par la suite ces caractéristiques propres qui on été déterminantes dans l’orientation de notre projet.


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Mais cet ensemble régulier est complété dans son centre par un ensemble de constructions qui se veulent créer une centralité dans le quartier. Au centre une barre sépare en deux l’espace urbain en deux parties identiques. C’est au pied de celle-ci que se greffent les seuls commerce du quartier, une pharmacie et un bureau de tabac. Un équipement sportif tente d’occuper le vide au bord de l’écluse à côté d’un parking informel. Dans la partie nord du quartier, appelé Cali 1 par les habitants, une ancienne école primaire est occupée par la cohésion sociale et une ludothèque. Elle s’aligne le long d’un semblant de rue et crée une cour fermée obturant l’ensemble de l’espace public ceinturé par les barres environnantes. Dans la partie sud du


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quartier prend place deux édifices singuliers, une école primaire longiligne et une école maternelle de plan circulaire. Ces deux bâtiments sont ceinturés par des barrières qui ferment les cours de récréation. Le dialogue avec les bâtiments environnants est inexistant d’autant plus que cette partie du quartier est très ouverts sur son paysage, et de grande dimension, surtout que les deux grandes barres bordants le canal on été détruites, laissant vacant un grand espace le long des berges pour l’instant en chantier. Ainsi, nous voyons comment est structuré le quartier de la Californie, un ensemble composé qui s’adapte au terrain et tente de créer des entités urbaines distinctes mais continues.


PRINCIPE DE COMPOSITION GENERAL

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Au nord un ensemble plutôt renfermé à la tête du quartier délimité par de hautes barres le long de la route, par deux barres aux bords des berges surélevées et fermé au sud par une barre transversale. L’ensemble crée un îlot plus fermé plus propice à une vie domestique. Les édifices s’encrent sur le sol au nord avec des rez-de-chaussée accueillant quelques timides logements qui n’arrivent pas à habiter le sol. Les barres le long du canal profitent d’un beau positionnement, mais n’arrivent pas à profiter de leur installation en bord de canal, et malgré une opération de résidentialisation récente, leurs rez-de-chaussé surélevés sont délaissés. De même pour le bâtiment qui ferme l’îlot au sud, qui s’isole maladroitement le long de la voi


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rie, et qui voit ses rez-de-chaussée mal adossé au nord à la cour de la ludothèque qui découpe l’espace central de sa solitaire limite. Ces rez-dechaussée voient, comme les bâtiments le long des berges, des caves empêcher d’assoir sur le site ces monstres de béton. C’est dans cette partie du quartier qu’une barre est vouée à la destruction dans les mois à venir contre laquelle nous prenons position.

La partie centrale du quartier se voie constitué d’une toute autre façon. Bordé au nord par l’axe central routier qui traverse le quartier vers l’autoroute, et qui est emprunté par bon nombre d’automobilistes tout le long de la journée, et qui donne à


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voir le quartier dans la perspective de sa traversé. Partie du quartier organisée longitudinalement, sa traversée propose un ensemble de façades qui organisent la profondeur en différentes limites urbaines. ces limites organisent alors l’espace vide longitudinal. Pour l’instant peu qualifié, cet espace au centre du quartier peine à trouver son sens et est actuellement en restructuration avec le mail central qui vient d’être réaménagé en place principale. À l’emplacement d’une tour qui a été démolie prend place un parking semi sauvage provisoire en attente d’un projet. L’ensemble souffre d’une ambiguité créée par la barre centrale qui coupe l’espace en deux, empêchant une hiérarchisation de l’espace. La logique compositionelle en barres et


tours structurant un espace uniforme et continue trouve ici ses limites. Une ville demande des lieux, et ces lieux s’organisent par des hiérarchies et des orientations. Sinon l’ensemble qui s’organise sur les bords trouve une certaine logique urbaine pour l’instant pas mal mise en valeur, mais qui peut trouver son sens dans une requalification douce.

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La dernière partie du quartier est le négatif de la première. Organisée de la même manière avec un bâtiment transversal qui l’isole un peu du centre et par une grande barre le long de la route, l’ensemble créé est très ouvert, d’autant plus depuis la destruction de deux longues barres qui s’installaient autrefois le long du canal. L’ensemble crée un espace très ouvert, fuyant vers le grand paysage qui rentre fortement dans le quartier par la «coulée verte» menant de la nouvelle passerelle au dessus du canal jusqu’aux terrains de football prenants place derrière la route. Ces espaces qui flottent sont occupées au centre par deux édifices publics qui aimeraient bien donner la centralité qu’une école pourrait prendre dans un quartier


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social, mais leur géométries solitaires ne structurent rien, tout comme les limites de leurs cours qui errent au milieu d’un espace vide mal délimité. Seul un passage piéton transversal entre les deux école relie les deux bords du quartier, et fait office de place publique quand les enfants quittent l’école.

Au sud de cette partie du quartier commencent à apparaître au milieu des champs de nouvelles typologies de logements semi-collectif comme il se fait dans toute la France lors des opérations ANRU. Un compromis entre le pavillon individuel et le logement collectif, peu dense mais rassemblé, et qui peut-être arriverons à créer un rapport


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au territoire habité. Le temps nous le dira, s’ils tiennent assez longtemps que l’histoire urbaine se fasse. Ces logements sont projetés également le long du canal à l’emplacement des barres détruites et au futur emplacement de la barre bientôt détruite dans le nord du quartier. Environ 90 logements neufs sont projetés pour le futur. Nous prendrons position sur cette stratégie de renouvellement urbain.

Pour l’instant nous pouvons affirmer qu’il est fondamental de comprendre les caractéristiques physiques de ce quartier, qui d’après Jean-Marc Stébé et Hervé Marchal représente l’archétype du quartier de grand ensemble hérité de la reconstruction


en France, pour penser toute intervention urbaine. Souvent stigmatisées, ces formes urbaines sont les boucs-émissaires des maux sociaux qu’ils habitent. Nous analyserons dans la suite comment ces espaces sont vécu et pratiqués, mais pour l’instant il est important de tirer des conclusions sur l’analyse morphologique de ce tissus urbain particulier. Particulièrement insularisé à différentes échelles, le quartier se caractérise fortement par cette idée. Île urbaine dans le grand paysage, délimité par des limites fortes, elle est occupée par un archipel urbain qui se constelle selon une logique formelle très forte qui crée des formes urbaines très structurées autant que peu habitées et hiérarchisées. Le statut des espace est très difficile

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à cerner, et l’espace urbain qui entour ces îles de béton est souvent très mal défini. Des tours et des barres dans le vide peu entretenu est un peu la figure principale de cette forme urbaine. Nous avons dessiné deux cartes d’analyse de ce rapport qui se créent entre ces mastodontes de béton, pour tenter de comprendre comment ils créent des lieux et génèrent des espaces particuliers. Dans la première nous nous sommes attelés à comprendre comment ces bâtiments créent des limites dans le territoire, en s’orientant et en créant des avants, des arrières, des ruptures et des continuités dans l’espace horizontal du quartier, selon que les bâtiments ont des rez-de-chaussées surélevés, s’encrent sur le sol, ont des passages qui les traversent, tournent le


dos ou s’oriente vers un espace particulier. Cela nous a permis de comprendre le fonctionnement principal du rapport de ces bâtiments au site et de préciser la question que soulève leur insularité. Nous avions notés que ce qui caractérise une île est qu’elle ne possède pas de frontières mais des limites, des marges qui créent des transitions entre un espace et un autre. Une île n’est pas un découpage de la mer, elle est une plage qui limite des bords. Abruptes ou douces, ces limites structurent un ensemble continu de paysage. Nous pensons que ces bâtiments fonctionnent de la sorte, refusant la parcelle, le découpage du sol pour créer des limites composées dans le territoire plat, sorte de mer métaphorique peu qualifiée. Et c’est de la

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qualité de cette limite que ces îles peuvent créer un rapport avec le site, articuler des hiérarchies qui leur seraient propres. La question des espaces intermédiaires se pose alors ici de manière primordiale. Comment articuler les transitions entre le public et le privé, les marges dans lesquelles se créent les rapports sociaux ? Nous avons alors fait la second carte pour tenter de comprendre les lieux crées par ces marges, qu’elle soient de qualité ou résiduelles, et comprendre les rapports de tensions entre les différents éléments structurants du quartier, les caractéristiques propres à chaque lieux qu’ils créent. Ces notations, fruits de nos observation au cours du projet, tentent de montrer une compréhension


de l’épaisseur des lieux du quartier, qui même si partielle, nous a permis de concevoir un projet se basant sur des lieux structurés. Nous tentons de prendre un chemin différent du projet actuel qui se base principalement sur l’outil de la résidentialisation qui semble se généraliser dans les opérations de rénovations urbaines. Opération administrative visant à découper un territoire jusque là unifié par une seule appartenance foncière pour hiérarchiser la propriété et donc le statut de chaque espace. L’idée étant de retrouver un découpage de la ville proche de la ville constituée traditionnelle, et abandonner l’urbanisme radical des années 60-70. Opération administrative avant d’être spatiale, elle se veux purement lo-

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gique et ne compose pas avec cette idée de marges qu’une analyse architecturale permet de concevoir. Nous avons pris le partit de partir des lieux et de leurs qualités propres pour penser une programmation architecturale et urbaine spécifique. Nous pensons qu’il est nécessaire de donner de l’épaisseur à ces limites pour permettre qu’une vie se déploie dans ces marges pour l’instant résiduelles qui se trouvent à différentes échelles dans le quartier. De la porte du logement aux berges du canal, un ensemble de limites se développent, et notre projet tente de les requalifier pour transformer en douceur la morphologie de la ville. Ces marges se veulent des espaces en plus qui permettent aux pratiques habitantes de se déployer et trouver de


l’espace. Nous avons pour cela analysé les usages et les pratiques sociales dans le quartier pour tenter de comprendre la manière dont ces îles sont habitées.

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Kaléidoscope, Regards croisés sur un quartier

Au travers cinq rencontres, nous avons pu recueillir des témoignages provenant de regards différents sur un même territoire. Ces cinq protagonistes portent chacun leur propre regard façonné par leur expérience proche ou lointaine du quartier, leur sensibilité, leur formation et le rôle qu’il joue ou on joué au sein de ce quartier.


-Audrey Dony est responsable construction neuve et réhabilitation pour la mmH, -Karim Chebli est Médiateur chargé de la relation avec les locataires au sein de l’agence locale de la mmH à Jarville. C’est un enfant de la Cali, il habite le quartier depuis 1978. - M. Jager est le président de l’association de défense des consommateurs et locataires de Jarville. Il habite le quartier depuis 1967, deux ans après sa construction. -Shahrazad est Médiatrice sociale pour le service de cohésion social de la commune de Jarville-la-Malgrange. Elle est sur la Cali depuis 13 ans dont 5 en tant que médiatrice.

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-M. Stébé est un professeur de sociologie à l’université de Lorraine, il est un des pionniers de la sociologie urbaine. Il a participé de 2006 à 2007 à la consultation « cadre de vie » concernant la rénovation urbaine du quartier de la Californie.


A partir de ces témoignages nous avons reconstitué un dialogue imaginaire, qui pourrait avoir lieu entre ces différents acteurs du quartier. Il propose une idée multiple, qui se reflète dans chaque regards, dans chaque vison personnelle. Nous avons tenté de cerner ces échos, ces résonances. Le bruit de la Cali.

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La rénovation urbaine : destruction, reconstruction, rénovation ?

-Shahrazad : Le quartier de la Californie comme il est constitué actuellement a perdu beaucoup de ces habitants avec la rénovation urbaine. C’est le but comme pour tous les projets de rénovation urbaine sur les zones sensibles : c’est d’ouvrir le quartier sur les autres quartiers de la commune et, géographiquement parlant, sur le canal d’un côté et la Meurthe et le Grand Nancy de l’autre.

-Audrey : Le programme de rénovation urbaine du quartier de la Cali a été lancé par la


loi SRU financement obtenu pour la rénovation un partenariat entre nous mmH, la communauté urbaine du Grand Nancy et la ville de Jarville .

-Audrey : Finalement sur les 1000 logements du quartier il y en a seulement 333 qui sont détruits, il ne reste plus qu’une barre à démolir. Ce qui a été décidé dans la carde de la loi, c’est qu’il y aurait plus de mixité donc si on détruit 333 logements, c’est pas pour reconstruire les mêmes. Il était prévu qu’il y ait de la mixité, du commerce, des logements en accessibilité, de la promotion privée à la place de la tour détruite et des commerces et de l’activité 51


en façade sur la rue. Mais finalement la pré commercialisation n’a pas marché et la ville ne souhaite plus qu’il y ait de construction là, ils préfèrent un espace vert, une respiration verte pour l’entrée de Jarville.

-Karim : C’était pas réalisable comme projet, les tarifs des logements n’étaient pas adaptés aux gens du quartier. Y a beaucoup de précarité ici. C’est pas possible pour eux d’acheter un logement à 130 000 / 140 000 euros… et puis les gens extérieurs ne voulaient pas venir.


« et pourquoi avoir choisit la destruction - reconstruction plutôt que la rénovation pour les grandes barres qui fonctionnaient plutôt bien ? »

-Audrey : Pourquoi on choisit de reconstruire ou de réhabiliter, y’a des questions qui se sont posées. Bon on était financé à 100% pour démolir par l’ANRU. Et puis on avait la possibilité de reconstruire du neuf donc de renouveler notre parc aussi. On a quand même un parc très vieillissant de 14 000 logements qui n’est plus très attractif.

-Karim : La destruction à la basse c’était sur53


tout pour l’image du quartier. C’est vrai que c’est vendeur comme image le logement en bande à la place des grandes barres. Mais après y avait plein de petits trucs : des fenêtres qui ferment mal, les locataires avaient du mal à chauffer, des problèmes de bruit… Après c’est la décision de la direction et de l’ANRU, eux ils sont là et ils nous disent ce qu’on doit faire, ils sont pas là pour nous dire pourquoi ils détruisent ou alors il nous disent ce qu’ils veulent nous faire entendre et puis c’est tout.

-Audrey : Ce que tout le monde veut c’est changer l’image du quartier, c’est des choix avant tout politiques.


-M. Jager : La démolition c’est juste pour une question de perspective, ça fait moche dans le paysage, c’est la seule raison qu’on a su me donner !

-M. Jager : Avec l’association, on avait lutté contre la destruction de ce bâtiment là parce que quand on le regarde, ce bâtiment là il est en face du grand carrefour de l’autre côté ? Oui ça coupe un peu la vue mais ça coupe aussi au niveau du bruit. Quand vous regardez les cartes du bruit diurne et nocturne ben vous voyez que y a quasiment pas ou très peu de bruit devant cette grande barre. Je suis in55


tervenu en faisant des courriers etc. en disant que c’était idiot de le détruire. J’ai même fait une pétition …

-Shahrazad : C’est du gâchis de la démolir seulement pour ça. Cette barre là pour moi qui y ai vécu pendant plus de 5 ans, c’était l’endroit de la Cali qui n’avait aucun problème. On a perdu en qualité humaine. C’est la crème de la crème des habitants qui étaient là. Avec les déménagements, on les trouve plus. C’était une énergie humaine sur laquelle on ne peut plus s’appuyer.


-Shahrazad : C’est vrai qu’on a des problèmes de trafics, de sécurité, de décrochage scolaire … mais comment on fait ? Je pense pas que se soit en venant avec les gros moyens, on casse, on éparpille la population, qu’on va arranger les choses.

« A propos du projet de rénovation, on s’intéresse à la manière dont il a été perçu et appréhendé par les habitants : »

-Karim : La crainte, c’est de savoir que le quartier allait changer et le devenir des locataires, où ils vont aller, qu’est ce qu’ils vont devenir, 57


quel logement ils vont avoir, y’a des locataires qui ne voulaient pas aller dans du neuf pour avoir le même type de logement qu’avant. Faut pas que ça change trop pour les anciens du quartier.

-M. Stébé : Les personnes sont majoritairement informées de l’opération de rénovation urbaine mais de façon assez imprécise, la plupart d’entres elles ne sachant pas effectivement ce qui va être réalisé, excepté la démolition de certains bâtiments. Cela peut s’expliquer en partie par le fait que le « bouche à oreille » est le vecteur principal d’information entre les habitants.


Pour 40% des enquêtés, la RU reste véritablement inconnue. Il est clair que ce qui préoccupe les plus l’ensemble des locataires, ce sont avant tout les questions qui se rattachent au logement. La question du relogement est source d’angoisse en ce qui concerne son propre avenir ; c’est d’autant plus vrai lorsque l’on habite depuis longtemps au sein du quartier de la Californie. Cette crainte trouve son origine dans la peur d’un relogement à l’extérieur sans retour possible.

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Le retour des délogés : preuve d’un attachement fort au quartier

-Karim : Y a des familles qui sont la depuis la création, y’en a qui sont parties faire leur vie en dehors du quartier mais la plupart reviennent car ils ont leurs parents ici. Y’a des familles, si y avait pas eu de démolissions, elle seraient toujours dans leur logement d’origine. Y a d’autres locataires qui sont là depuis pas longtemps, eux ça a pas posé de problème pour les reloger, mais ceux qui sont là depuis longtemps voulaient rester sur le quartier. Y a eu un attachement au quartier et à leur logement, c’est un repère. Y a beaucoup de travail


pour reloger ces familles qui sont là depuis longtemps, elles voulaient rester sur le quartier, on en a reloger pas mal dans la barre en face des terrains de foot.

-Shahrazad : L’étude qui a été faite en 2007 a démontré que beaucoup de gens n’était pas attachés à leur quartier ou en avait cette idée que c’était une cité dortoir alors que c’était tout à fait le contraire. Avec la première opération on a commencé à chambouler la vie du quartier alors c’était plus ou moins calme à ce moment. Quand on a touché un peu au bâti et à cette identité là, on a trouvé que les habitants étaient pour la 61


plus part très attachés à leur quartier. Ceux qui sont parti restent encore en contact avec le quartier. Ils ont quitté la commune, mais ils reviennent. Beaucoup de familles qui ont déménagées dans une commune limitrophe réalisent qu’avec ce déménagement elles ont perdu en qualité de vie. Peut-être que le bâti n’était pas terrible ou beau mais ils n’ont pas retrouvé cette qualité de vie. Ça tenait au travail qui a était mis en place, aux actions sur le terrain, le tissu associatif.

-M. Jager : Les gosses qui sont partis là-bas ils reviennent jouer ici car ils n’ont pas de jeux. Dès qu’y a un rayon de soleil, ces gosses sont


ici, sur le city stade, même s’il est un peu délabré.

-Shahrazad : Après voilà la Cali a brassé tellement de monde et tellement de familles qui restent, mais elle aussi un côté très turn-over : y a des jeunes couples qui ne font que passer et veulent fonder une famille ailleurs et ceux qui sont nés à la Cali et qui ont leur famille ici et qui sont très attachés au quartier. Ça dépend de l’histoire de chaque famille.

-M. Stébé : Au terme de la consultation « cadre de vie », nous sommes en mesure de proposer une typologie de la population de La Californie 63


en quatre groupes : 1/ les Désaffiliés, 2/ les Dissidents, 3/ les Enracinés, 4/ les Consensuels. Transversalement à ces groupes, il existe une ligne de fracture entre ceux qui sont installés de longue date et relativement bien insérés, et ceux qui se sont installés à la Californie « par défaut » et qui sont d’une certaine façon « captifs » de leur logements HLM. Une autre ligne de démarcation traverse ces quatre groupes : d’un côté il y a les ménages qui ont des revenus modestes, et de l’autre des ménages qui sont dans une situation de grande détresse économique. C’est ainsi que la rénovation urbaine est perçue de façons différentes d’une famille à l’autre


selon des variables à la fois économiques et sociales : opportunité de quitter le quartier pour les Dissidents, risque de désenracinement pour les Enracinés, et anxiété pour les Désaffiliés.

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Situation familiale Vie sociale dans Représentations du Sentiments sur la Rénovation Urbaine et résidentielle le quartier quartier Personnes seules, célibataires. Image assez négative du Habitent les petits Inexistante ou Opportunité de quitter le quartier, mais quartier qui apparaît Désaffiliés Environ 10% logements, très peu existence d’une appréhension face aux comme un univers hostile. essentiellement développée. changements. Sensibles aux incivilités et situés dans les sentiment d’insécurité. tours. Inexistante ou Quartier considéré comme très peu un espace secondaire. développée au Attachement et Opportunité de quitter le quartier, et si En retrait de leur Dissidents Environ 25% impossibilité de partir, fortes attentes sein du quartier investissement minimum. lieu d’habitation. au profit Peu de relations et peu quand à l’amélioration du cadre de vie. d’espaces d’activités au sein du extérieurs. quartier. Familles, ou Très développée couples de Dimension essentielle de la Volonté de rester au sein du quartier et au sein du retraités. Habitent vie quotidienne. Fort Enracinés Environ 15% quartier, que ce appréhension face à un éventuel attachement au quartier qui les grands déménagement contraint. soit les parents logements situés a une fonction identitaire. ou les enfants. dans les barres. Tous types de Passivité face à la RU, mais opportunité Consensuels Environ 50% Indéterminée. Variée. situation. de changer le quotidien.

Nombre de ménages

Tableau 1 : Une typologie des ménages de la Californie


L’indenté « Cali-Village » : la vie collective, identité, image et solidarité.

-M. Stébé : On a pu observer que certaines familles d’anciens du quartier sont dans une très large majorité très attachées au quartier, tant du point de vue des relations qu’ils y ont nouées que du lieu lui-même. Ces Enracinés ont globalement une image positive de leur quartier ; certains disent même qu’ils ont « envie de le défendre », se sentant eux-mêmes blessés, voire injuriés, dès lors qu’une mauvaise image du quartier est véhiculée dans les médias ou dans les représentations communes des habitants du centre-ville par exemple. 67


« Au départ on voulait travailler uniquement sur le projet de la barre mais on s’est rendu compte que la Cali c’était pas un morceau de ville mais qu’il y avait vraiment une unité, c’était plus comme un village. »

-Shahrazad : Oui vous ne pouvez pas prendre la Cali partie par partie, il faut la prendre dans sa globalité, c’est comme un squelette qui se construit. Par ce qu’ après ça risque de flouter votre vision. Ici, la vie du quartier c’est surtout tout ce qui est vie d’un quartier populaire, y a une grande diversité et mixité dans la typologie de famille. A la Cali 1 y avait beau-


coup de familles étrangères très nombreuses. Un peu moins du côté Cali 2 où on retrouvait plus une typologie de famille française, des familles nombreuses et des personnes seules qui vivent dans les studios. Avec le recul, la partie Cali 1 était la plus calme du point de vue sécurité.

-Karim : Jarville c’est petit, tout le monde se connaît bien. Quand on met en place la fête du quartier ça marche bien.

-Shahrazad : Il y a une vie collective très forte, par le passé, il y avait les fêtes de quartier au mois de juin. C’était quelque chose de très po69


sitif, y avait des spectacles, après les gens faisaient un barbecue. C’était des moments très importants qu’on a un peu perdu faute de financements.

-Karim : Après l’école ça aide aussi : les enfants se fond des copains et ça fait se rencontrer les familles.

-Shahrazad : Si y un coeur à travailler à la Cali c’est vraiment la place qui mène à l’école. L’école a un rôle très important dans la vie du quartier.

-M. Stébé : D’après nos observations, nous


avons repéré l’existence d’une certaine solidarité interlocataire qui parvient à s’imposer en dépit de l’individualisme ambiant et des nombreux départs de locataires du quartier. Cette solidarité peut être perçue, à certains moments particuliers, comme les sorties d’école, la fréquentation des bancs sur la place centrale ou les fêtes de quartier. Il n’est pas rare de voir certains soirs d’été des petits groupes de personnes discuter aux pieds des immeubles ou sur les bancs situés au sein du quartier.

-Shahrazad : Ici y a énormément de gens qui ont grandis dans le « système D » en s’aidant entre voisins. Une voiture par exemple, ça se 71


répare pas forcément au garage, on peut demander un coupe de main au voisin ou au cousin. S’il y avait un garage social qui les aiderait à s’organiser sur un planning et à gérer le matériel ça serai bien. Les prix seraient à la portée des gens d’ici.

-Karim : Avant y avait ça, on avait des ateliers mécaniques : vélo et mobylette, menuiserie y avait des personnes qui nous encadraient et puis on tournait d’atelier en atelier. De remettre ça sur le quartier ça serait vraiment intéressant. Surtout qu’y a plein de gens qui bricolent ici. On pourrait faire ça avec une assoc et donner des coups de main aux gens qui


ne savent pas bricoler ou aux personnes âgées.

-Karim : On a aussi mis en place un service : quand y a des problèmes d’ascenseur. Avec des jeunes du quartier, on donne un coup de main aux personnes âgées pour montrer les courses. Ils ont un moment où ils doivent être là et ils sont rémunérés par la mmH. Les gens s’entraident entre eux.

-Shahrazad : Un quartier comme la Cali, ce qui pourrait la sauver c’est que le tissu associatif se développe d’avantage et que les associations puissent travailler sur des projets communs et une certaine complémentarité. Le 73


plus important c’est le bien être de l’habitant et que l’habitant n’hésite plus à aller vers les associations. C’est notre travail au quotidien de démystifier tout ce qui est culture, sport.

-Karim : Moi j’ai eu la chance d’avoir eu des assos de quartier; y avait le Saloon, quand on cherchait quelqu’un on savait qu’il était là. Ils organisaient des activités, des chantiers jeunes ... tout le monde se retrouvait là-bas. Y avait jamais de problème … Y avait une assos, ça serait bien d’en avoir d’autre.

-Shahrazad : Avec les rénovations qu’il y a sur le quartier c’est le moment de faire émerger


les choses, de garder l’énergie, mais il ne se passe pas grand chose.

-Karim : Moi j’ai grandi sur le quartier, je suis arriver ici en 78, je suis un ancien du quartier, je sais ce qu’était le quartier avant et je vois ce qu’il est devenu… Mais c’est pas mal, c’est bien que ça change même si on s’y est attaché.

M.Stébé : Les Enracinés évoquent à ce propos, avec une certaines nostalgie, l’atmosphère conviviale, voire familiale qui régnait dans le quartier il y a encore quelques années. Cette ambiance aurait disparu depuis plusieurs années au profit de relations plus individualistes 75


et parfois conflictuelles. Ici, nous sommes en présence d’un processus souvent observé par les sociologues urbains : la survalorisation du passé par rapport au présent (« avant c’était mieux, aujourd’hui, c’est pire ! »).

-M. Jager : Ben y aussi le problème de solitude, c’est un problème sociologique. Ils ont des difficultés à constater quels sont les gens qui sont seuls, si les familles s’en occupent alors personne ne s’en occupe.

-Karim : C’est pour ça qu’on organisait des fêtes de quartier, pour que les gens sortent de chez eux et qu’ils se rentrent.


S’ouvrir :

-Drifa (médiatrice famille au centre de la cohésion sociale de Jarville-la-Malgrange): Ce qui est dommage c’est qu’on a pas beaucoup de service de proximité, il faut aller rue de la République pour avoir du pain.

Shahrazad : Sur la Cali y a quand même le dépôt de pain au tabac. Dans certain quartier y a vraiment aucun commerce. Et puis la passerelle de l’abbé Pierre qui a été mise en place, ça fait gagner du temps pour aller faire ces courses à l’inter ou au Lidl. Le fait de ne pas trop mettre de commerce à 77


l’intérieur du quartier c’est pour l’ouvrir. Il faut pas enfermer les gens dans l’état d’esprit d’un village. En sortant de chez soi et de la Cali, à 100 mètres, on trouve une boulangerie, un boucher, un fleuriste … c’est aussi pour le brassage.

-Karim : C’est vrai que ça manque de petits commerces, ce qui marcherait bien et je l’ai toujours dit, c’est un marché. Connaissant les gens du quartier c’est sûre que ça marcherait.

-Shahrazad : On a proposé l’idée de mettre en place un marché hebdomadaire sur le mail central au sein de l’atelier « cadre de vie ». Après


est-ce que ça a été pris en considération ? Je sais pas … Mais ça permettrait d’amener des gens extérieurs sur le quartier au moins une fois par semaine.

« Ça pose quand même une question, parce que la Cali s’est quand même 2000 personnes. Pour un sociologue c’est déjà une ville donc forcément ça crée une identité, si on ouvre trop on va perdre cette identité et ça redeviendra une cité dortoir, faut que les gens ils fassent quelque chose à la Cali. »

79


-Shahrazad : Faire des choses s’ouvrir et tout ça, c’est une question de volonté, il faut que ça vienne des gens, qu’est-ce qu’ils veulent sur leur quartier ? C’est cette envie de s’épanouir et de se sentir bien sur son lieu d’habitation et en même temps de se sentir bien dans sa commune. La peur quelque part, c’est qu’il y ait ce communautarisme qui prenne le dessus : les gens de là Cali restent avec les gens de la Cali. Tout mon travail, c’est de travailler sur cette mixité. C’est d’ouvrir l’état d’esprit des gens vers des pratiques nouvelles et extérieures au quartier, aller au mussée des beaux-arts, au théâtre et l’idée même de devenir acteur et créateur de la culture.


-Shahrazad : Par rapport au problème de la jeunesse, le problème d’un local pour les jeunes y en déjà eu. Toutes les équipes municipales ont eu la volonté d’en mettre en place mais le problème c’est que ces lieux se sont vite transformés en lieu de squatte et d’activités qui ne correspondaient pas aux statuts de l’association. Les jeunes qu’on a sur le quartier aujourd’hui sont confrontés à un problème d’identité. On a à faire à des jeunes d’origines étrangères qui voilà veulent faire les choses mais qui sont très mal formés pour gérer un association ; à un certain moment y a un amalgame entre bénéficier d’un local prê81


té par la collectivité et qui ne doit être utilisé qu’en fonction des statuts de l’association et se retrouver pour squatter.

-Karim : On ne leur laisse pas une chance. Y a pas d’assoc pour les occupés, Du coup les jeunes ils squattent les halls, ils ont pas d’endroit où aller. Ils ont pas les outils pour émerger. Y’a un manque. Sur Jarville comme structure pour accueillir des activités, y a l’atelier. On peut y faire de la musique, de la danse, … Mais le problème c’est que les gamins d’ici ils y vont pas, ils ont l’impression d’être mal vue là-bas.


-Shahrazad : l’atelier, le centre socioculturel de Jarville doit normalement répondre à tous les quartiers. Mais après l’état d’esprit la résistance au changement et la victimisation fait que certains jeunes ne se sont pas approprié l’atelier comme espace d’expression. Après c’est sûr que l’état d’esprit de l’atelier ne correspond pas forcément à l’état d’esprit des jeunes du quartier. Mais quand on parle de stigmatisation, elle est dans les deux sens. Ces jeunes là quand il vont visiter l’atelier et qu’il se disent « waouh c’est un peu trop huppé pour moi » et de leur coté les gens qui travail à l’atelier ne sont pas prêts à recevoir cette population. Moi j’ai emmené des mamans voi83


lées, qui ne savaient parfois même pas parler français et qui traînaient la savate, faire du sport et investir ce lieu qui est aussi fait pour elles. Cette population a le droit d’investir ce lieu au même titre que n’importe quel habitant de Jarville. Le changement de mentalité ne se fait pas du jour au lendemain. Pour ça l’accompagnement est primordial comme il y a de la résistance des deux cotés.

On peut pas toujours jeter la pierre à l’état qui ne fait rien pour les jeunes, surtout que la dernière association de jeune qui a été créée sur la Cali on l’a aidé en leur proposant des formations sur le montage de projet et ils ne


sont jamais venus. Il faut être très vigilant et ne pas se cacher toujours derrière la victimisation, quand cette génération va prendre ses responsabilités et se rendre compte que, derrière leur échec, c’est pas toujours l’autre, mais c’est aussi eux, ils vont émerger.

Les espaces publics :

-M. Jager : Y a des incivilités, parfois les gens jettent tout par la fenêtre. En ce moment c’est propre, ils ont nettoyé, juste avant que le Préfet vienne faire un tour dans la cité. Alors bon quand y a des personnalités comme ça qui 85


passent ils font du nettoyage mais sinon ... Mais je suis surpris tout de même, je ne sais pas qui nettoie mais la place centrale reste propre.

- Audrey : L’entretien des espaces publics c’est compliqué. Avant c’était la mmH qui était propriétaire de tout le foncier et donc responsable de tout l’entretien. Mais maintenant ce qu’on essaye de faire c’est de garder que l’espace au pied des immeubles et on rétrocède le reste à la commune ou à la Communauté Urbaine pour qu’ils les entretiennent. Toujours dans le but de réduire les charges pour les locataires. Si on est dans un quartier où y a pas de pas-


sage de voitures ou de piétons, on va essayer d’attribuer un jardin privatif en rez de chaussée. Pour l’aménagement, on réfléchit toujours à la manière dont ils vont traverser l’espace ; ils vont aller au chemin le plus court, ça sert à rien d’aller dans des délires d’Archi : il faut regarder comment le locataire va se comporter. Nous maintenant on essaye de retrouver des limites qu’on comprenne quand on est chez nous ou pas chez nous, tout ça le locataire il le comprend aussi. C’est pas le cas dans les barres des années 60 où y avait la barre, les accès, les trottoirs, où on sait pas trop on peut se garer aussi, les parkings, ... 87


« Nous l’idée c’est de travailler sur ces espaces là ».

-Audrey :Y’a une problématique de réorganisation de stationnement, comment rentrer dans le hall, comment privatiser le pied d’immeuble, que se ne soit pas des grandes étendues comme il y en a beaucoup, ou on ne sait pas qui fait quoi qui entretien, qu’avec que de la pelouse ou il n’y a que les chiens et puis des papiers. C’est quoi mettre comme espace vert pour qualifier le truc, est ce que y’ a besoin d’un banc a un endroit par rapport aux pratiques observées.


« y’a toujours des peur de squat. » Oui c’est le phobie des gens sur le terrain, ils nous squissent un peu. A la Cali ils ont enlevé plein de banc et pour les air de jeux il avait peur du vandalismes mais elles sont tjrs remplies. C’est comme pour les entrées d’immeuble avant elle était en retrait mais on a tendance à les ramener au nu extérieur du mur, pour peu qu’il y du squat ou des trafics, c’était des endroit un peu caché. Les passages sous les barres c’était le point stratégique, ils pouvaient voir les flics arrivés de tous les côtés.

89


Le mail central

-Audrey : L’aménagement du mail central est issu d’une démarche de conservation avec les habitants. Ca donne ce que y a maintenant, avec les bancs en béton, quand c’est fleuri ça marche pas trop mal. C’est assez minéral, c’est un quartier où les gens ont du mal à respecter les espaces verts donc c’est assez minéral, c’est pour ça que la ville à voulu faire un parc en face.

-Shahrazad : Des choses très très positives en sont sorties, le débat a été travaillé : Entre le désir des habitants, le travail d’architecte et


la faisabilité économique, le résultat, il est là. Avant la place centrale était peut-être un peu cradosse, mais elle était belle et toujours pleine : Y avait les grands marronniers. C’était très représentatif du quartier dès qu’il commençait à faire beau, vous pouviez pas trouver un banc de libre. En début d’aprèm y avait les hommes et les grands parents qui ne travaillaient pas et qui venaient taper la causette. Ensuite c’étaient les mamans et les grand-mères qui sortaient avec les enfants. Bon y avait pas les airs de jeux mais les enfants se débrouillaient pour jouer et vers 5 h, c’était les jeunes qui venaient prendre place. Maintenant voilà les 91


gens sont déçus car les arbres ne poussent pas, les bancs en granite font très froids, y a pas un truc qui rassemble donc chacun doit trouver une moyen, les gens ramènent des chaises pliantes … peu à peu et ils investissent à nouveau le mail.

-Sonia, une habitante qui aime retrouver ces amies sur le mail central en début d’après midi :Moi je m’ennuie ici, il se passe vraiment pas grand chose. C’est calme, la journée il ne se passe rien y a personne sur la place, les gens ne s’arrêtent plus ils passent seulement. Bon après d’accord à 16h 30 y a la sortie des écoles et tout les mamans qui se retrouvent


pour discuter pendant que les enfants sont à l’air de jeux, mais avant il ne se passe rien. Avant y avait toujours du monde sur la place. Moi j’aimerai qu’il y ai plus d’animation. Pourquoi y a personne qui joue aux boules ? Tiens je vais m’acheter des boule et y jouer. Ça donnera peut être des idées aux gens... Mais bon maintenant c’est plus que des étrangers, les boules et tout ça ça les interesse pas. Par contre passé 20h-20h30 moi je sors plus. Ça devient dangereux, vous avez vu tous les cadavres de voitures grillées là derrière ? Y a plus de jeunesse, le soir il sortent, ils foutent le bordel toute la nuit mais la journée on les voit plus ils dorment,y a plus de jeunesse. 93


Les espaces communs entre usage et usure:

-M. Stébé : Bien qu’ils défendent avec vigueur une image positive de la Californie, les habitants bien insérés dans le quartier n’en dressent pas un portrait idyllique. Ils se montrent plutôt réalistes : montrant un attachement fort à leur lieu de vie, et en même temps énumérant ses désagréments. Parmi ces désagréments, l’état dégradé des parties communes est souvent mis en avant. La réhabilitation des logements et des bâtiments correspond donc à une attente forte, en particulier pour tous ceux qui occupent leur logement


et vivent au sein du quartier depuis de nombreuses années. Mais, il reste, qu’aux yeux des habitants, les interventions sur le cadre bâti et plus particulièrement la construction de logements neufs apparaissent comme une réponse limitée pour résoudre les problèmes d’incivilités et de délinquance au sein du quartier. Nombreux sont celles et ceux pour qui ces problèmes ne relèvent pas directement du bâti mais sont avant tout sont d’ordre humain. Non pas que chacun soit en conflit perpétuel avec son voisin mais il s’agit plutôt de critiques mutuelles et de processus de distinction envers l’autre qui ne partagent pas les mêmes manières de vivre et qui vit pourtant à proximité. 95


-M.Jager : Le problème quand on habite dans les cités c’est toujours le voisinage. Y a des voisins avec lesquels vous vous entendez bien et d’autres avec lesquels vous vous entendez pas. J’avais des voisins qui faisaient du karaoké jusqu’à 6h du matin, maintenant ils ont déménagé. Le problème vient surtout de l’isolation phonique, on entend tout ce qu’ils font.

-M.Stébé : L’insalubrité et l’insécurité des espaces communs sont soulignés par de nombreux locataires comme l’un des principaux désagréments de la vie dans le quartier. Certains habitants m’ont fait observer qu’ils ne


pouvaient pas inviter d’amis, tellement les odeurs d’urine, de fumé et la présence d’individus dans les halls d’entrée posent problème.

-Karim : Comme dans tout les quartiers, on a des bâtiments qui sont squattés mais y a de la vidéo surveillance qui se met en place : un nouveau système avec des micros et des hautparleurs pour qu’un agent extérieur puisse intervenir, ça fait peur aux gens. Mais ça dépend des immeubles. Y a des familles qui ne se laissent pas faire, dès que y a le moindre bruit ils descendent dans les halls et demandent gentiment. Il y a la communication, savoir discuter avec les jeunes et puis ça se passe bien. 97


-M.Jager : C’est vrai que ça dépend des immeubles, dans la plupart des HLM le problème c’est les gens qui pissent dans les ascenseurs. Soit c’est les gens, soit c’est les chiens ? Ça c’est infernal ! Mais dans mon entrée ça se passait bien. Avec certains voisins on a regretté de se quitter. Y a un minimum de respect à avoir par rapport aux voisins, mais y a aussi des possibilités de se rencontrer, de pouvoir discuter dans l’entrée.

-Audrey : Dans certains bâtiments de la Cali les gens se sont tellement bien appropriés le pallier qu’il y mettent leur meubles à godasses.


« ça permet une tolérance entre voisins »

-Audrey : Alors pourquoi pas prolonger les paliers pour y mettre la poussette du gamin ou tous les truc qu’il ne savent pas où mettre comme les vélos. Les garages à vélo ne sont pas utilisés, c’est pas sécurisé. Y a toute cette problématique : qu’est-ce qu’il font de leurs petits vélos, y en a même qui ont dèjà monté leur scooter dans l’ascenseur.

-Audrey: Y avait un débat qui avait été fait, ce qui en ressorti c’est que les gens voulaient des entrées propres, donc on a mis du carrelage 99


au sol et du placo, mais le placo est tout de suite défoncé. Pour les autres réas, on s’est dit qu’on allait revenir au carrelage. Il faut bien réfléchir aux matériaux, à leur pérennité et à la maintenance. C’est vraiment pas évident de faire une entrée qui va bien vieillir. Quand on fait du neuf on réfléchit : pas de hall trop grand, pas de point de rassemblement, pas trop de traitement à faire, stricte minimum, pas trop de charge. Il ne faut pas qu’il y ait trop d’espaces communs à entretenir pour qu’il n’y ait pas trop de charges, il faut penser à la maintenance des bâtiments pour qu’il soient facile d’entretien pour plus tard.


Logement : prend garde l’architecte !

- Shahrazad : Il faut être vigilant quand on veut construire dans les quartiers populaires de prendre en considération la typologie des familles et leur manière d’habiter. Les architectes quand ils construisent des logements parfois on a pas l’impression qu’ils ne prennent en compte les besoins des gens. Quand on voit les bâtiments dans lesquels les habitants ont été relogés, c’est une catastrophe ! Les gens sont entassés les uns sur les autres. Ils ont beaucoup regretté, ils ont perdu en qualité de vie, on leur dit vous aller quitter un 40 m2 pour un 75 m2 mais sans placard ou range101


ment intégrés donc une fois qu’ils mettent leurs meubles, ils se retrouvent à l’étroit. Les appartements de la Cali sont bien mieux, y a le séjour, la salle à manger, les chambres, la cuisine qui est séparée,c’est important ça pour les familles maghrébines d’avoir la cuisine bien séparée de séjour. Tout ça les gens l’ont regretté et ont fait la démarche inverse de revenir sur le quartier.

« Nous on se demande ce que veulent les gens ici. 90% des français veulent avoir leur propre maison avec un petit jardin, ça doit avoir des échos ici ? »


-Karim : Oui exactement, les gens veulent leur petite maison, ils veulent leur propre entrée, un petit jardin, un balcon. T’as aussi la question du rangement dans les logements. Ca manque de place il faudrait pouvoir ranger, une petite buanderie, un placard. Les gens ont besoin de ranger leurs vélos, les jouets des enfants. Dans les nouveaux logements y a un salon, une cuisine, des chambres et rien de plus, les placards faut les construire soit même.

-Audrey : Les gens les modes d’habiter ils veulent pas forcement plus d’espace, ce qu’il veulent eux c’est une fenêtre. J’étais un peu comme vous moi au début : « on va faire des 103


trucs géniaux, ils vont adorer. » Mais ce qu’ils veulent eux, c’est une bonne fenêtre, une VMC qui fonctionne bien, une porte palière bien isolée acoustiquement, des sols qui soient propres, un bon coup de peinture sur les murs mais l’agrandissement de logement oui quand on intervient avec des balcons sur l’extérieur oui ça marche bien, ils ont leur pièce en plus.

-M. Jager : Quand je suis rentré dans cet appartement ça avait été refait, mais faut voir comment ! La peinture y en avait partout, suffit de regarder les portes, les plaintes. Les vitres de cette porte étaient complètement pleines de peinture. Je me suis dit c’est pas


possible, j’ai dit au directeur des HLM : « mais surveillez vos travaux ! ». Mais en fait c’était pas eux qui faisaient les travaux, c’était un sous traitant qui lui même sous traitait ! Alors ils sont venus me refaire un certain nombre de choses. Vous avez plein de trucs comme ça au niveau des HLM, les travaux sont pas suivis.

-Audrey :Les architecte/maîtres d’œuvre, il faut essayer de se mettre à la place des gens qui vivent à dans le logement pour le concevoir.

Shahrazad : C’est au bâti d’être au service de l’humain et non l’inverse. 105


Après coup chez l’architecte.

- « Bon alors... Avec toute cette matière brute, il y a de quoi faire !»

- « Oui, on ne sais plus où donner de la tête, le quartier est vraiment riche ! »

- « Il y aurait milles projets à faire ici, il y a tellement de besoins, d’attentes. »

- « Oui, et en même temps il y a vraiment des envies, de l’énergie disponible. Il y a une vrai vie de quartier, on dirait presque un village. »


- « Il faut vraiment faire quelque chose de tous ces potentiel,

faire émerger quelque chose

avec tout ça. Les gens habitent vraiment ici, il faut leur donner les moyens pour que ça crée quelque chose... »

- « Il y a tellement d’espaces disponibles, des espaces vacants, mais ils sont vraiment délaissé pour l’instant. »

- « Mais ils sont habités, tous ces lieux, en tous cas potentiellement. Nous avons bien vu comment les gens investissent malgré tout leur espace vital, il y a de quoi créer des espaces pour toute cette vie. » 107


- « Oui, nous baser sur ces pratiques, c’est fondamental ! »

- « Nous avons de quoi structurer un projet, il y a tous ces vides, nous devons vraiment nous positionner dessus. Le projet actuel, il ne pense pas comment est habité le quartier, nous devons proposer quelque chose de différent. Si nous pouvons éviter de trop marquer le quartier, il ne fait pas le figer... »

- « Lui laisser la possibilité d’évoluer, c’est clair ! »


- « Si nous permettons aux gestes de la vie de prendre place, peut-être que le quartier pourra trouver sa propre forme, évoluer doucement.

- « Oui, les usages peuvent densifier la ville, c’est eux qui sont les moteurs, s’ils arrivent à trouver une place. »

- « Pour ça il faut leur donner les outils adéquats, et leur faire confiance. »

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