Préface
Hervé Barbaret Directeur général de France Muséums
Sandra Lagumina Présidente du Conseil d’administration de France Muséums
Jean-Luc Martinez Président du Conseil scientifique de France Muséums
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Depuis l’ouverture du Louvre Abu Dhabi, toutes les expositions organisées et produites avec le concours des musées français et de France Muséums ont été le fruit d’un important travail de recherche et de décentrement pour prolonger, dans des présentations inédites, le récit universel des galeries permanentes. Nous sommes tout particulièrement heureux de voir se poursuivre, à l’issue d’une crise sans précédent pour l’ensemble des musées à travers le monde, la dynamique collective essentielle à la réalisation d’expositions aussi passionnantes que celle qui inaugure aujourd’hui la nouvelle saison du Louvre Abu Dhabi consacrée aux échanges culturels entre Orient et Occident. Le Centre Pompidou est un partenaire essentiel du Louvre Abu Dhabi depuis ses origines, tant par la qualité de ses prêts dans les galeries permanentes que par le commissariat d’expositions telles que « Rendez-vous à Paris : Picasso, Chagall, Modigliani & Cie (1900-1939) » présentée en 2019. Témoignage de la fascination des artistes occidentaux pour les formes d’écritures anciennes, « Abstraction et calligraphie : voies d’un langage universel » explore un nouveau pan de notre culture visuelle commune, à savoir l’équilibre plastique entre image (picto) et écriture (graphie) au XXe siècle et jusqu’à la période contemporaine. À travers leurs voyages, des artistes tels que Hans Hartung, Jackson Pollock, Henri Matisse ou encore Joan Miró font ainsi revivre la tradition calligraphique. L’exposition souligne également l’intérêt pour la calligraphie chez les artistes originaires des pays mêmes où cette pratique constitue une expression culturelle majeure, à l’image de l’artiste franco-tunisien eL Seed et de l’artiste pakistanais Sanki King qui ont été invités à réaliser des « calligraffitis » monumentaux pour l’exposition. Première exposition inaugurée depuis la fermeture temporaire du musée, « Abstraction et calligraphie » rassemble ainsi pour la première fois à Abu Dhabi une sélection d’une centaine d’œuvres majeures des collections du Centre Pompidou, du Louvre Abu Dhabi, du Guggenheim Abu Dhabi et d’autres institutions françaises et internationales comme les fondations Adolph and Esther Gottlieb ou Pollock-Krasner à New York. Nous saluons le remarquable travail du commissaire Didier Ottinger, directeur adjoint chargé de la programmation culturelle au Musée national d’art moderne, assisté de Marie Sarré, attachée de conservation. Que soient chaleureusement remerciés Serge Lasvignes, président du Centre Pompidou, et Bernard Blistène, directeur du Musée national d’art moderne-Centre de création industrielle, ainsi que leurs équipes, tout comme celles de France Muséums et du Louvre Abu Dhabi qui ont œuvré ensemble à la réalisation de cette belle exposition. En ces temps où tout ce qui nous rapproche mérite d’être cultivé, cette exposition témoigne de l’importance des échanges culturels dans le renouvellement des horizons créatifs et nous invite à poser un regard ouvert sur l’histoire de l’art.
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Manuel Rabaté Directeur du Louvre Abu Dhabi
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C’est avec un immense plaisir que nous présentons « Abstraction et calligraphie : voies d’un langage universel » au Louvre Abu Dhabi. Cette exposition comptera probablement comme l’une des plus attendues compte tenu des perturbations et des incertitudes engendrées, en l’année 2020, par la crise de la Covid-19. Lors de la longue période de confinement et de la fermeture temporaire du musée, la préparation de cette exposition a constitué non seulement une stimulation bienvenue face à la pandémie mondiale, mais également une source d’espoir et la promesse de temps meilleurs. Elle explore les échanges et les points communs entre certaines formes du modernisme occidental et des pratiques contemporaines et les arts traditionnels d’Extrême-Orient, la langue arabe et la culture de l’Islam. Ce faisant, elle interroge les courants de l’histoire de l’art qui tendent sciemment à l’universel et à la transcendance et reflète aussi le caractère unique de la mission de conservation que s’est donnée le musée, ainsi que son rôle dans l’exploration de dialogues culturels et d’échanges intellectuels négligés par le passé. Le commissaire de l’exposition, Didier Ottinger, directeur adjoint chargé de la programmation culturelle au Musée national d’art moderne, a réalisé un travail véritablement remarquable : la sélection des œuvres qui composent cette magnifique exposition représente le monde entier et toutes les époques depuis l’Égypte ancienne jusqu’à nos jours. Pour cela, nous lui adressons notre profonde reconnaissance. Nous sommes redevables aux prêteurs de cette exposition : le Centre national d’art et de culture Georges Pompidou, le musée du Louvre, le Guggenheim Abu Dhabi, le musée de Grenoble, le Centre national des arts plastiques, le Zentrum Paul Klee, l’Adolph and Esther Gottlieb Foundation, la Pollock-Krasner Foundation, l’Administration Jean Matisse, le musée municipal de Saint-Germain-Laval, la galerie Michael Werner, la galerie Jeanne Bucher Jaeger, la galerie Jacques Bailly, la McKee Gallery, le Mona Hatoum Studio et noirmontartproduction. Les musées régionaux français qui abritent des œuvres du Musée national d’art moderne, attestant de leur importance, doivent également être remerciés pour leurs prêts d’œuvres. Enfin, que soit ici soulignée la contribution apportée par les équipes de France Muséums et du Louvre Abu Dhabi grâce auxquelles, malgré ces temps difficiles, nous avons pu présenter une exposition si vaste et exhaustive. Le Louvre Abu Dhabi a toujours eu à cœur de repenser le musée du XXIe siècle. La pandémie mondiale nous a poussés à aller encore plus loin en réévaluant nos priorités et en agissant comme un puissant catalyseur de changement. Surtout, elle nous a encouragés à imaginer de nouvelles manières d’interagir avec nos visiteurs. Nous avons ainsi numérisé une grande partie de nos collections afin de les rendre accessibles à un public encore plus large. Je peux vous assurer que l’esprit de rayonnement et d’innovation qui en a découlé va continuer à nous inspirer dans le développement du Louvre Abu Dhabi et qu’il demeurera une partie intégrante de son ADN intellectuel et de son identité en matière de conservation.
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Robert Motherwell Article I, [1984]
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Henri Matisse (1869-1954)
Élève à l’École des arts décoratifs, à l’Académie Julian puis à l’École des beaux-arts dans l’atelier du peintre symboliste Gustave Moreau, Henri Matisse entre en peinture guidé par un sentiment qui l’obsédera sa vie durant : reproduire l’évidente simplicité de la nature en alliant l’intelligibilité du dessin et l’intensité de la couleur. D’abord proche des postimpressionnistes (Luxe, calme et volupté, 1904), il dépasse la réflexion scientifique que ces derniers mènent sur le coloris dans une série de peintures aux couleurs pures exposées au Salon d’automne de 1905, donnant ainsi naissance au fauvisme dont il fait figure de chef de file (La Raie verte, 1905). Vers 1907-1908, de nombreux voyages en Algérie et au Maroc renouvellent son répertoire visuel tempéré par l’usage de tons plus sourds et un espace davantage construit. En contrepoint de la peinture, la sculpture apparaît à Matisse comme un champ expérimental indispensable, propre à réduire son vocabulaire à l’essentiel, à asseoir les courbes et les lignes, à synthétiser la forme (La Serpentine, 1909 ; série des « Nus de dos », 1930). À partir de 1943, affaibli, il met au point une nouvelle technique consistant à découper à vif des feuilles préalablement colorées (Jazz, 1947 ; La Tristesse du roi, 1952). Entre 1949 et 1951, il réalise son ultime chef-d’œuvre que sont les vitraux et les ornements de la chapelle du Rosaire à Vence.
Dès 1940, alors que Matisse travaille à Verve, la revue artistique et littéraire publiée par l’éditeur Tériade, ce dernier formule le vœu de publier un ouvrage essentiellement illustré des œuvres de l’artiste. Ce projet, qui voit le jour en 1947 sous le titre de Jazz, rassemble vingt planches en couleurs, réalisées en gouaches découpées entre lesquelles des pages de texte calligraphié par l’artiste interviennent comme des intermèdes, des temps de repos dans la couleur pure. L’intérêt de Matisse pour la calligraphie n’est pas nouveau. L’année précédente il s’est attelé aux Lettres portugaises avec tant d’exaltation qu’Aragon rapporte qu’« il passe ses nuits à faire des lettres1 » et, reprenant les propos de l’artiste : « Je sais maintenant ce que c’est un J… Un A c’est difficile un A…2 ». Pour Matisse, il s’agit de penser la lettre comme forme pure avec la même liberté, le même élan vital que celui qui guide le trait spontané de ses visages à l’encre ou, plus tard, des figures de la chapelle du Rosaire : « Il faut que je sois si pénétré, si imprégné de mon sujet que je puisse le dessiner les yeux fermés. […] ça sort tout naturellement de moi, et alors le signe lui-même est noble3. » Le signe chez Matisse est, comme celui du calligraphe, libre, évident et définitif. Le panneau chinois en bois laqué orné de quatre idéogrammes dorés qu’il conserve dans son atelier confirme son intérêt pour la calligraphie et l’art extrême-oriental : « Aussitôt que mon trait ému a modelé la lumière de ma feuille blanche, sans en enlever sa qualité de blancheur attendrissante, je ne puis plus rien lui ajouter, ni rien en reprendre4. » M. S.
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Christian Arthaud, Matisse, l’art du livre, cat. exp., Nice, musée Matisse, juillet-septembre 1986, Nice, musée Matisse, 1986, cité par Jérôme Peignot, « À propos de Matisse », Typoésie, Paris, Imprimerie nationale, 1993, p. 356-357. Ibid. Marie-Alain Couturier, Se garder libre. Journal (1947-1954), Paris, Éditions du Cerf, 2008, p. 61. Henri Matisse, « Notes d’un peintre sur son dessin », Le Point, no 21, juillet 1939, cité dans Henri Matisse, Écrits et propos sur l’art, Dominique Fourcade (éd.), Paris, Hermann, 1972, p. 160.
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Henri Matisse Études pour Jazz, 1946
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Simon Hantaï (1922-2008)
En février 1945, la libération de Budapest par les troupes soviétiques marque un renouveau de la vie artistique hongroise à laquelle le jeune étudiant à l’École des beauxarts participe activement. Après un voyage en Italie au cours duquel il découvre les mosaïques du mausolée de Galla Placidia à Ravenne — un véritable choc artistique —, il arrive à Paris en septembre 1948 et expérimente une multitude de techniques (pochoir, découpage, collage, grattage, empreinte, frottage, coulures), désireux de trouver une place dans le débat entre abstraction et figuration qui occupe alors la scène artistique parisienne. En 1952, après avoir offert un petit tableau-objet à André Breton, il intègre le groupe surréaliste qu’il quitte trois ans plus tard, guidé par de nouvelles préoccupations plastiques, proches de celles de l’abstraction gestuelle. À partir de l’automne 1958 et durant un an, il travaille quotidiennement à deux toiles monumentales, Peinture (Écriture rose) et À Galla Placidia. En 1960, il abandonne l’écriture pour se consacrer à la méthode du pliage (les « Mariales », les « Catamurons », les « Panses », les « Meuns », les « Blancs », les « Tabulas »…).
En 1955, après avoir rompu avec le surréalisme, Simon Hantaï s’engage dans la voie d’une peinture gestuelle, ne retenant de l’écriture automatique que la puissance expressive du signe, la violence du geste. Avec une œuvre charnière, Sexe-Prime : hommage à Jean-Pierre Brisset, il inaugure une nouvelle technique consistant à recouvrir la toile d’une première couche de couleurs vives ensuite enduite de peinture noire laquelle, encore fraîche, est raclée avec un réveille-matin désossé, faisant apparaître des signes gravés dans la matière. Proche des artistes de l’abstraction lyrique dont les préoccupations picturales sont alors très communes — Judit Reigl, Jean Degottex —, Hantaï adopte comme eux les principes édictés par Georges Mathieu, la figure tutélaire du groupe : absence de préméditation à l’acte créatif, primauté de la vitesse d’exécution, formats monumentaux qui autorisent la plus grande liberté d’action. Hantaï ne peut pourtant se résoudre au geste autoritaire, ambitieux, de ce dernier. Il est, chez lui, tempéré par un exigeant travail sur l’espace et une obsession de l’écriture. Sur la surface où la peinture s’amoncelle parfois en d’épaisses coulées, les écritures semblables à des monocondyles byzantins occupent la totalité de la toile, trahissant son intérêt pour l’expressionnisme abstrait américain, notamment Jackson Pollock et Mark Tobey, tout juste présentés à Paris dans l’exposition « Cinquante ans d’art aux États-Unis : collections du Museum of Modern Art de New York » (Paris, Musée national d’art moderne, avril-mai 1955). M. S.
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Simon Hantaï Peinture, 1957
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Première édition publiée en 2021 par Scala Arts & Heritage Publishers Ltd 27 Old Gloucester Street Londres WC1N 3AX Royaume-Uni www.scalapublishers.com © Department of Culture & Tourism – Abu Dhabi, 2021 © France Muséums, 2021 © Scala Arts & Heritage Publishers Ltd, 2021 ISBN : 978-1-78551-353-4 Coordination éditoriale Laura Fox Conception graphique Change is Good, Paris Préparation de copie Renaud Bezombes Traduction de l’anglais vers le français (textes d’Anthi-Danaé Spathoni) Denis-Armand Canal Imprimé et relié en Italie 10 9 8 7 6 5 4 3 2 1 Tous droits réservés. La reproduction totale ou partielle de cette publication sous toutes formes et par tous moyens électroniques ou mécaniques, y compris photocopie, enregistrement ou tout autre système d’archivage, et sa transmission ou sa reproduction sous forme de fichiers informatiques, sont interdites sans permission préalable de l’éditeur et de France Muséums. Il n’a pas toujours été possible de retrouver les détenteurs d’éventuels droits de reproduction ou patrimoniaux. Dans le cas où une personne détentrice de ces droits ne serait accidentellement pas citée dans cet ouvrage, il va de soi que ces derniers seraient acquittés par France Muséums dans le cadre des conventions d’usage.
Couverture : Jean Dubuffet Donnée (Non-lieu H 10), 24 avril 1984 (détail) Acrylique sur papier marouflé sur toile 68 × 100 cm Dation, 1986 Paris, Centre Pompidou Musée national d’art moderne – Centre de création industrielle AM 1986-334
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