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POURQUOI

Partout, une multitude d’initiatives émergent pour proposer une nourriture de qualité, le plus souvent locale, accessible financièrement sans passer par la case supermarché.

Qu’elles soient portées par les consommateurs euxmêmes, par des producteurs ou par des distributeurs, leur point commun est de vendre autrement afin de rémunérer correctement l’agriculteur tout en préservant l’environnement.

La garantie, pour le consommateur, d’acheter équitable et durable.

C’est un village de 1 400 habitants dans les Yvelines. Plus de commerce, excepté une boulangerie. Seule solution pour faire ses courses : l’hypermarché à plusieurs kilomètres. En 2016, les habitants décident de monter leur propre épicerie. Sur les rayons, essentiellement du local et du bio. Sur les étiquettes, des prix doux, car les bâtiments sont mis à disposition par la mairie et l’épicerie est gérée et animée par ses adhérents. Aujourd’hui, L’Épi castelfortain, épicerie participative, compte 125 familles adhérentes qui bénéficient de plus de 200 références.

Au bord de la départementale 945, à Morlanne, dans les PyrénéesAtlantiques, L’Épicentre paysan, magasin de producteurs, propose les produits d’une soixantaine de fermes des alentours. Tout est bio ou issu d’une agriculture raisonnée et la marge du magasin est volontairement réduite. Les paysans qui l’ont monté début 2020 n’en reviennent pas : le chiffre d’affaires espéré a été multiplié par deux. Le personnel recruté en CDD est passé en CDI.

Toutes les deux semaines, dans 17 quartiers populaires de la métropole lyonnaise, l’association locale du réseau Vrac (Vers un réseau d’achat en commun) prend possession d’un local en rez d’immeuble pour livrer épicerie, fromage, fruits et légumes et produits d’entretien. Tous proviennent de producteurs locaux et bios. Les habitants gèrent ce groupement d’achat* avec quelques bénévoles. Grâce à l’achat en gros et au soutien des pouvoirs publics, d’associations et de mécènes, plus de 1 000 familles ont accès aujourd’hui à près de 150 références à des prix très bas.

À Rezé, dans l’agglomération de Nantes, un groupe de militants cherche à mettre en accord leurs valeurs et leurs actes. Et si on commençait par l’alimentation ? Le supermarché coopératif Scopéli naît en 2017. En échange d’une adhésion à vie de 50 euros et de trois heures de travail par mois, les “coopérateurs” peuvent remplir leur caddie avec quasiment que du bio peu cher mais payé au juste prix aux producteurs, très majoritairement locaux. Et comme le supermarché compte aujourd’hui plus de 3 000 références, en alimentaire et non-alimentaire, il n’est plus besoin de se fournir ailleurs.

Depuis 2017, Virginie Renard sillonne quant à elle les routes du centre de l’Alsace au volant de son camion qui transporte une épicerie complète (ainsi que des produits d’hygiène et d’entretien) en vrac. Les clients de Tootopoids achètent donc juste ce dont ils ont besoin, sans emballage, toujours bio et si possible local. Et comme l’épicerie est ambulante, Virginie les libère de l’obligation hebdomadaire – surtout en zone rurale – de prendre le volant pour aller à l’hypermarché.

Partout surgissent, en France et ailleurs, des initiatives citoyennes afin de reprendre en main ses achats alimentaires et court-circuiter les intermédiaires, éviter le gaspillage, consommer local et bio. Les Amap (Associations pour le maintien d’une agriculture paysanne) avaient donné le ton au début des années 2000 en inversant la relation commerciale : les consommateurs récupèrent chaque semaine des produits qu’ils se sont engagés à acheter à des agriculteurs locaux2. Pourquoi cette tendance ? Qu’est-ce qui pousse de plus en plus de consommateurs à se détourner des circuits de distribution classiques ?

1. Magazine Linéaires, décembre 2019.

2. À lire, dans cette collection, S’engager dans une Amap, de Françoise Vernet et Marie-Noëlle Himbert, 2017.

Les préoccupations de santé tiennent une place essentielle dans cette désaffection. Les consommateurs veulent savoir ce qu’ils mangent et comment cela a été produit. D’où la croissance à deux chiffres de la consommation bio : les Français n’étaient que 37 % à consommer au moins un produit bio par mois en 2003 contre 73 % en 20203.

Les informations de plus en plus nombreuses sur les pratiques de l’industrie agroalimentaire, toujours prompte à bourrer ses préparations d’ingrédients peu coûteux – additifs, sel, sucre, gras… – mais nocifs à long terme, des décennies de scandales alimentaires (vache folle, cheval dans les lasagnes, poulets à la dioxine…) les ont confortés dans cette défiance.

3. Édition 2021 du Baromètre de consommation et de perception des produits biologiques en France, rapport d’étude consultable sur agencebio.org.

C’est ce qui a poussé Lucie à adhérer à La Louve, premier magasin coopératif installé en France, dans le 18e arrondissement de Paris. “Je me préoccupais de ce que je mangeais, je recherchais des aliments de meilleure qualité, c’était compliqué là où j’habitais. Dans le supermarché de mon quartier, il y avait très peu de produits bios. J’en avais marre de ces enseignes qui font de l’argent avec des produits de mauvaise qualité ou aberrants, comme du jus de citron dans un citron en plastique ! On a besoin de brut, de cuisiner soi-même !”

Chez les plus militants, l’idée est de substituer un autre modèle à celui de la grande distribution. Car les grandes surfaces, ce ne sont pas seulement des “plaies alimentaires”, mais aussi “sociales, agricoles et environnementales”, pour reprendre l’expression de Frédéric Denhez, ingénieur écologue et essayiste spécialiste des questions d’environnement en lien avec l’alimentation4.

Sur le volet social, Alain Poullot, initiateur de L’Épi castelfortain, est formel : “En cinquante ans, la grande distribution a détruit notre réseau de petites épiceries et de producteurs. On dit qu’elle crée de l’emploi mais on n’imagine pas le nombre d’emplois supprimés autour d’une grande surface.” De fait, un emploi créé en grande surface représenterait trois emplois en moins dans le commerce traditionnel6.

Quand La Malbouffe Tue

Selon le docteur Anthony Fardet, chargé de recherche à l’Institut national de la recherche agronomique et environnementale (Inrae), la mauvaise alimentation est la première cause de mortalité dans notre pays. Les facteurs alimentaires sont impliqués dans environ

15 % des décès (par intoxication, cancer, cirrhose…) et les dérégulations métaboliques (excès de poids, hyperglycémie, hypercholestérolémie et hypertension) dans 26 % des cas.

Source : Frédéric Denhez, Acheter bio? À qui faire confiance, Albin Michel, 2019.

4. Frédéric Denhez, Acheter bio ? À qui faire confiance, Albin Michel, 2019.

En 2020, en France, 23 % des exploitations commercialisent en circuit court, soit 6 % de plus qu’il y a dix ans5.

Pourquoi ? Parce que le modèle économique de la grande distribution est fondé sur les mêmes principes que celui de l’industrie : vendre plus avec moins d’employés. C’est l’une des raisons pour lesquelles elle vend moins cher. Mais ce n’est pas la seule. La grande distribution achète à bas prix car en grande quantité, via (en France) quatre centrales d’achat, favorisant ainsi la production à bas coût et standardisée. Donc une agriculture à grande échelle, intensive, fonctionnant à grand renfort de mécanisation et d’intrants. Pour les petits exploitants locaux, cette logique est impossible à suivre, sauf à travailler à perte. En revanche, ils peuvent tenir bon dans des modèles moins destructeurs, en créant leur propre circuit de distribution. Ainsi, de nombreux agriculteurs, pour vivre, se sont mis à la vente directe à leur ferme, par le biais d’Amap ou de magasins de producteurs. “Notre but en montant notre magasin était de créer du revenu agricole. Avec la grande distribution, on nous demandait toujours de tirer les prix vers le bas et le partenariat était très volatil”, témoigne Nicolas Langlade, l’un des agriculteurs associés du magasin de producteurs L’Épicentre paysan.

La création d’emplois, c’est aussi ce que revendiquent les consommateurs conscients. “On ne crée pas d’emplois dans notre épicerie participative parce qu’on est tous bénévoles. Mais en se fournissant chez le petit producteur local, on lui offre un marché qui nécessite de la main-d’œuvre. Les personnes qui vont s’alimenter dans un Épi (épicerie participative du réseau MonÉpi*) plutôt que dans un supermarché créent cent fois plus de besoin de production locale que dans un supermarché où la production locale est quasi nulle”, estime Alain Poullot.

5. Source : Recensement agricole 2020. 6. “La grande distribution ne crée pas autant d’emplois qu’elle le prétend”, tribune de Franck Gintrand, délégué de l’Institut des territoires, Les Échos, 4 décembre 2019.

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