Contradictions et paradoxes au cœur de paradigme de développement durable : étude de cas de la ZAC Pajol
CONTRADICTIONS ET PARADOXES AU CŒUR DE PARADIGME DE DEVELOPPEMENT DURABLE : ETUDE DE CAS DE LA ZAC PAJOL
Adrianna Grzesiczak Sous la direction de Mme. Elke MITTMANN ENSAS 2016 - 2017 1
Contradictions et paradoxes au cœur de paradigme de développement durable : étude de cas de la ZAC Pajol
Remerciements Je tiens tout avant à remercier Mme Elke Mittmann, qui a dirigé cette étude, pour son soutien, son attention et ses conseils. Merci à Mme Dominique Gauzin- Müller chargée du séminaire « Architecture écoresponsable : low-tech ou high-tech » pour son temps et le cours qui a permis de construire une base théorique de mes recherches.
J’exprime ma reconnaissance à François-Gabriel Perraudin, Responsable BIM chez Jourda Architectes Paris, pour avoir participé à mon interview, qui a fait partie des précieuses ressources sur lesquelles présente mémoire se base, ainsi que au personnel des Archives de la ville de Paris pour m’avoir aidé dans les recherches historiques. J’adresse mes remerciements également à tous les membres de l’agence Jourda Architectes. Je tiens aussi à remercier à mes camarades de promotion, pour le soutien et les conseils, spécialement Cécile Elbel pour son temps passé à la correction de présent mémoire.
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Contradictions et paradoxes au cœur de paradigme de développement durable : étude de cas de la ZAC Pajol
Résumé Après trente ans depuis son apparition le concept de développement durable a besoin d’être actualisé. L’intégration des préoccupations économiques, sociales et environnementales n’est pas évidente dans un monde qui change sans escale. Le monde de bâtiment n’est pas épargné. Plusieurs contradictions par rapport au document fondateur, « le rapport Brundtland » ressortent avec une force jamais vue auparavant. A travers l'analyse des critiques développement durable, et puis à travers l'analyse de cas d’étude : projet de la ZAC Pajol à Paris (accompagné des autres exemples), le présent mémoire a pour but de vérifier à quel point nous pouvons traiter le développement durable comme un concept paradoxal. L’étude est guidée par quatre axes de critique : axe social, axe technique, axe environnemental, axe expérimental. Cette étude, à la fois objective et subjective, a pour but de mette en avant les problèmes de développement durable, et ensuite proposer les solutions possibles et ouvrir un débat.
Les mots – clefs : développement durable, high-tech, low-tech, temporalités, éco-quartiers, évaluation, indicateurs de développement durable, HQE, label Écoquartier
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Contradictions et paradoxes au cœur de paradigme de développement durable : étude de cas de la ZAC Pajol
Sommaire 1. INTRODUCTION
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La notion des friches urbaines et projet durable
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Le paradigme du développement durable
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Situation à l’échelle de l'Europe. Les projets réalisés : les retours d’expérience
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Développement durable en France
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Réflexion sur la problématique et méthodologie
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Hypothèses
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CRITIQUE DE DEVELOPPEMENT DURABLE. QUE CRITIQUE-T-ON ET POURQUOI ?
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Caractéristiques du paradigme
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Contexte historique et évolution du développement durable
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Le développement durable : un concept paradoxal
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Éthique et développement durable
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Généralisation de la ville durable à la française
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Technologie = durabilité ?
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Problème des labels et certificats : ou comment mesurer immensurable
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Temporalité dans le projet architectural : au bénéfice ou au détriment du projet ?
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Rôle des acteurs
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3. LES AXES DE LA CRITIQUE SUR L’EXEMPLE EXISTANT : LA ZAC PAJOL
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Présentation de projet ZAC Pajol, l'histoire du site et de son développement urbanistique
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Temporalité du projet. Évolution dans le temps : le projet soumis aux contraintes
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Continuité et discontinuité de l'application des citoyennes et d'autres acteurs
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Quand un ancien entrepôt ferroviaire devient un bâtiment high-tech...
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La méthode d’évaluation par indicateurs
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Les temporalités et la complexité de projet durable
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4. CONCLUSION 5. BIBLIOGRAPHIE 6. ANNEXES : ENTRETIEN AVEC FRANÇOIS-GABRIEL PERRAUDIN
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1. INTRODUCTION Trent ans après son apparition (Le rapport Brundtland, 1987) le développement durable doit aujourd’hui faire face à ses limites. Il devient de plus en plus difficile de concilier les différents volets du phénomène, aussi dans le domaine du bâtiment. La notion de développement durable, elle-même est en effet un oxymore. « En réalité, un développement infini (dans le sens d'une croissance infinie : toujours plus) ne peut pas être durable dans un univers fini ». 1 Malheureusement même les décideurs politiques n’en sont pas conscients, ils utilisent la notion de développement durable sans se rendre compte du paradoxe qu’elle contient. On aperçoit souvent le développement durable comme un concept qui est sensé remédier aux inégalités économiques, sociales et environnementales. Le concept a ses origines dans les pays développés et capitalistes qui ont donc les moyens pour expérimenter les méthodes de la création architecturale durable qui nécessite souvent un investissement financier. Pourtant c'est des pays du Sud qui se trouvent dans des situations difficiles, devrait pouvoir adopter le principe de développement durable. Pour pouvoir nous interroger sur la problématique des contradictions du développement durable, nous allons premièrement expliquer les notions clés qui concernent le phénomène de développement durable. Par la suite nous allons illustrer ces contradictions sur le cas d'études choisi : la ZAC Pajol. La notion des friches urbaines en fait partie. La notion des friches urbaines et projet durable Selon Gérard Collomb, le President du Grand Lyon, « Les friches urbaines concentrent la plupart des problématiques liées à la ville durable : alors que la lutte contre l'étalement urbain est clairement affiché comme un objectif à poursuivre pour la construction de la ville sur elle-même, le traitement des friches représente un enjeu considérable pour les responsables des agglomérations françaises, qu’elles soient grandes ou moyennes ».2 On peut donc considérer la rénovation des friches comme un projet durable en soi. Le travail sur l'existant, du point de vue de développement durable, est une approche vers la conservation des ressources, la densification de tissu bâti, les friches deviennent aujourd'hui un lieu privilégié pour l’aménagement durable. Mais, qu'est ce exactement « une friche urbaine » ? Quelle est son histoire et quelle l'approche on peut observer en France ? L'acception de « friche urbaine » est le fruit d'une dérive historique d'une notion originellement agricole, « friche » désignant au départ une terre agricole non exploitée. L'expression a peu à peu connu une évolution sémantique sur la base de son sens figuré. En tant qu’espace suggérant l'abandon, le manque d'entretien, la notion de friche a pu trouver une signification nouvelle devant la multiplication des emprises délaissées et peu à peu insérées dans l'urbain par la périurbanisation galopante du dernier quart de siècle. Le terme de friches industrielles s’est généralisé rapidement dans la deuxième moitié du XX siècle, puis le vocable s’est enrichi du terme de « friches urbaines » depuis une quinzaine d’années. En ce qui concerne le point de vue de contexte historique, les friches sont des résultats de la politique de croissance économique, politique et démographique. En France on parle de la période de forte croissance urbaine qui commence au milieu du XIXe siècle et fini dans les années 70. de XXe siècle avec l'arrivée du
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Alain Farel « Bâtir éthique et responsable » Le Moniteur Éditions, 2007
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http://www.developpement-durable.gouv.fr/IMG/pdf/Friches_urbaines.pdf
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Premier choc pétrolier. Cette période a laissé des nombreuses usines, des infrastructures, des entrepôts dans l'état d'abandon. Notre cas d’études, la ZAC Pajol est le résultat de la reconversion d'un ancien entrepôt SNCF, crée en 1926 à la suite de la Révolution Industrielle. (Nous allons traiter sa genèse de manière plus détaillée un peu plus tard). Durant les cinquante dernières années, l'urbanisation s'est construite en France dans une logique d'étalement. Ce choix entraîne aujourd'hui un mitage du territoire qui engendre des conséquences environnementales, économiques et sociales. En 2006, les friches occupent 5,1 % de la France métropolitaine.3 Dans certaines régions comme Île-de-France, les espaces artificialisés sont constitués aux trois-quarts de tissu urbain. Comme nous avons déjà mentionné, la reconversion de friches porte un fort engagement sur le plan de durabilité, ce qui était une de raisons pour le choix de cas d’étude. « Le contexte de rareté foncière, la montée des préoccupations environnementales, la prise de conscience des effets négatifs de la périurbanisation font de la reconversion des friches urbaines une évidence ».4 Pourquoi urbaniser en périphérie s’il existe un potentiel de développement les friches déjà inséré dans nos villes ? Cet urbanisme raisonné, économe en espace questionne plus largement les thèmes du renouvellement urbain et de la ville durable. Dans le contexte de développement durable (le terme de développement durable, nous expliquerons par la suite) on parle de trois piliers : environnemental, social, économique. En effet nous pouvons retrouver ces piliers dans le cas de reconversion. La reconversion a pour but de : « maîtriser l'étalement urbain, en s’inscrivant dans les stratégies territoriales de planification, en comblant les « dents creuses » insérées en milieu urbain, en encourageant un aménagement urbain plus compact, en économisant la construction de nouvelles infrastructures (voiries, réseaux,...) (ce qui concerne le pilier environnemental) ; prévenir les risques pour la santé de l'homme et pour l'environnement en limitant les impacts et les nuisances, en dynamisant la société, en revitalisant un site abandonné et dégradé en milieu urbain (le pilier social) ; et finalement « développer des projets stratégiques et emblématiques en milieu urbain en améliorant l’image du territoire, en développant de nouveaux usages (le pilier économique).5 La reconversion des friches a pris, dans le contexte de renouvellement urbain actuel, une importance considérable. Elle représente, en effet, la possibilité pour une commune de densifier le tissu urbain. On considère donc une friche comme un espace de mutation urbaine avec beaucoup de potentiel. C’est aussi l’occasion de créer des opérations de qualité, alliant respect du patrimoine hérité et construction neuve mais aussi d'impulser une nouvelle dynamique dans des espaces souvent délaissés et de produire alors un effet de levier aux abords de l'opération. Dans le contexte du présent travail, la notion de friche urbaine sera analysée sous l'angle du phénomène de développement durable. Nous allons nous interroger sur la pertinence des postulats de développement durable dans le projet la reconversion. La notion de développement durable, entendue presque partout aujourd'hui, nécessite néanmoins les précisions. Le concept de développement durable, confronté aux changements constants dans la société et du coup dans l'architecture et l'urbanisme, est de plus en plus remis en question : est-ce qu’il est toujours fiable ? Est-ce qu’il ne contredit pas ses propres objectifs ? Nous allons étudier de plus près le paradigme du développement durable.
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France Dumesnil et Claudie Ouellet, « La réhabilitation des friches industrielles : un pas vers la ville viable ? », VertigO - la revue électronique en sciences de l'environnement [En ligne], Volume 3 Numéro 2 | octobre 2002, mis en ligne le 01 octobre 2002, consulté le 22 mai 2016. URL : http://vertigo.revues.org/3812 4 http://www.arcad-ca.fr/documents/DossierFriches_201403008reconversion-sites-et-friches-urbaines-pollues7794_ADEME.pdf 5 Idem
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Contradictions et paradoxes au cœur de paradigme de développement durable : étude de cas de la ZAC Pajol
Le paradigme du développement durable N'est-il pas le temps de remettre en question modèle de développement productiviste, fondu sur « le toujours plus » ? Le modèle obsolète, d'ailleurs. Rappelons-nous qu'au tournant des années 1970, les contradictions du développement capitaliste, l’industrialisation démiurgique avaient conduit au développement de résistances multiples. Dont, entre autres le concept de développement durable. « A l'heure où la prise de conscience écologiste semble plus importante que jamais, et où le développement durable est devenu un objectif unanimement partagé, une interrogation subsiste : comment la vision profondément subversive de l'écologie politique des années 1970, a-t-elle laissée la place au très consensuel développement durable ? »6 Tout au début dans les années 70. on a procédé d'une remise en cause totale de la société de croissance. Le premier livre dans lequel nous pouvons trouver la critique de dégradation de l’environnement est paru en 1962 « Le printemps silencieux ». Le livre écrit par la biologiste Rachel Carson traitait des effets négatifs des pesticides sur l'environnement, et plus particulièrement sur les oiseaux. Bien que le sujet était encore loin des préoccupations écologiques actuelles, le livre sema les graines du mouvement écologiste. Le développement durable dans le sens contemporain du terme est né dans les années 70. du XXe siècle, au moment où la surexploitation des ressources naturelles liée à la croissance économique atteint un niveau critique. Suite à la crise économique et écologique la prise de conscience environnementale augmente, en 1971, le Club de Rome lance un vrai pavé dans la marre en publiant Halte à la croissance. Le livre fut la première étude importante soulignant les dangers écologiques de la croissance économique et démographique que connaît le monde à cette époque. Selon les auteurs « il faut mettre fin à la croissance si l'on veut sauver le système mondial d’un effondrement prochain et stabiliser à la fois l’activité économique et la croissance démographique ».7 Plus on retardera la prise de cette décision, plus elle deviendra difficile à mettre en place. Deux ans plus tard la Conférence des Nations Unies sur l’Environnement humain, à Stockholm, en 1973 lance le premier vrai concept de développement durable, baptisé à l’époque éco-développement. C'est seulement en 1987 que la notion prend son image actuelle. À l’époque la Premier ministre Norvégienne et présidente de la Commission Mondiale sur l’Environnement et le Développement, madame Brundland s’attacha à définir ce concept de Sustainable Development par « un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs »8. Depuis cette date, le concept de développement durable a été adopté dans le monde entier. Aujourd'hui, le développement durable ne semble être plus que l’idéologie de l'adaptation des objectifs initiaux. Le radicalisme des années 70 semble avoir disparu. Que reste aujourd’hui du concept initial ? Comme nous avons déjà constaté le terme développement durable est en soi un oxymore. Si on prend ce terme au pied de la lettre, il contient sa contradiction. « J’ai parfois l’impression qu’il ne s’agit plus que d’une camomille mielleuse, destinée à nous faire ingérer nos excès », déclarait Nicolas Hulot dans un entretien au magazine Terra Eco. Le slogan du développement durable peut devenir un outil de propagande. « Il sert à maintenir les esprits captifs de l’illusion que la société peut continuer dans la voie dans laquelle elle est engagée, avec seulement des retouches, même importantes. »9 Cette illusion de "la croissance verte" (un bel oxymore, là encore !). L’illusion que nous allons pouvoir continuer à exercer notre pression de confort sur la nature, avec des modifications, et que cela sera viable. 6
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Romain Felli « Les deux âmes de l'écologie. Une critique du développement durable », Editions L'Harmattan, 21 mai 2008 Meadows, D. H.; Meadows, D. L.; Randers, J.; Behrens III, W. W. The Limits to Growth: a report for the Club of Rome's project on the predicament of mankind, UniversBooks, Le site du Ministère de l'écologie, du développement durable et de l'énergie (en ligne) http://www.developpementdurable.gouv.fr/Comment-est-nee-la-notion-du.html (consulté le 23.12.15) Eliane Patriarca , « Développement durable, un "oxymore paralysant" Libération, 4 avril 2009
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Contradictions et paradoxes au cœur de paradigme de développement durable : étude de cas de la ZAC Pajol
Initialement, le développement durable est bien un concept occidental : au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, les États-Unis et leurs alliés se donnent pour objectif de reproduire au Sud le processus d'industrialisation et de modernisation qui, depuis la révolution industrielle, a permis à l'Occident de dominer le monde par sa richesse et son niveau technologique. Derrière l'affichage moralisant de la lutte contre la misère, les véritables motivations du « monde libre » sont d'abord stratégiques : il s'agit de préserver des États vassaux des tentations du communisme et de s'ouvrir de nouveaux marchés. A cette fin, d'importants moyens financiers et techniques sont, au titre de « l'aide publique au développement », fournis aux jeunes nations nouvellement indépendantes, les enfermant dans le piège de la dépendance et de l'endettement. La volonté de l’Occident de préserver la nature et de l’aide aux pays pauvres n’a au final rien de durable.
Fig.1 La machine de développement durable est en route… Source : Illustration parue dans le journal La Décroissance, N°51, Juillet-Aout 2008, auteur : Pierre Druilhe
Un autre problème qu'engendre le développement durable est la temporalité du projet. Il ne faut pas oublier le fait que « le terme de développement durable recouvre tout le tas de domaines à la fois des comportements individuels, des politiques publiques, stratégies d'entreprises, un marketing efficace etc ».10 Toutes ces composantes jouent un rôle important dans la temporalité du projet (plus il y a de composants et acteurs, plus le montage du projet dure dans le temps). Il existe deux types majeurs de temporalité : temporalité du projet comme un processus de création, et temporalité dans le sens de durabilité par exemple des matériaux utilisés dans le projet. L'analyse des projets urbains montre que le projet urbain regroupe des 10
Romain Felli « Les deux âmes de l'écologie. Une critique du développement durable », Editions L'Harmattan, 21 mai 2008
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temporalités complexes. Le processus de projet implique un très large système d’acteurs publics et privés aux logiques temporelles différenciées de par leurs objectifs, mais aussi de par leur place dans le projet et leur culture professionnelle. Le but est de parvenir au mieux à articuler les différentes temporalités : celle des acteurs, celle des réglementations, celle de mise en œuvre des technologies. Il faut également ajouter des questionnements autour de l’après-projet, mais qui ne se font qu’à travers des dispositifs d’évaluation. Un projet durable, à cause de son importance, de nombre des acteurs qui participent au montage de projet ne peux pas se réaliser dans la courte période de temps. La précipitation et la soute des étapes joue en défaveur pour ce genre de projets Situation à l’échelle de l'Europe. Les projets réalisés : les retours d’expérience Comment nous avons évoqué précédemment, le concept de développement durable est basé sur l’expérience acquise. Pour nous situer dans un contexte plus large, nous pouvons citer quelques exemples des projets durables en Europe des deux dernières décennies. Seulement à partir des années 1990, les premiers projets durables voient la lumière du jour. C'est les collectives nord-européennes qui commencent à expérimenter un autre urbanisme, une autre architecture. Les projets comme : Bo01 (Suède), Kronosberg (Allemagne), Hammarby Sjostad (Suède) font partie des projets collectifs, lancés par des familles engagées. Le développement durable est vu plutôt comme une démarche collective et démonstrative. Teofik Souami souligne notamment le fait que « Au- delà de ce caractère, les projets des quartiers durables des années 90. sont l’occasion pour les techniciens et les responsables politiques de tester, valider, corriger certains choix. Ces projets sont aussi considérés comme des lieux d’apprentissage. »11
L’éco-quartier GWL-Terrein situé à 3km du centre d’Amsterdam est un de ces projets. GWL-Terrein est un éco-quartier de 6 hectares construit sur l’emplacement d’une usine de traitement des eaux désaffectée, effectif en 1998 portant l’étiquette d’innovation en termes de « haute qualité sociale et environnementale ». Un projet né en 1990 d’une volonté politique, impulsé par les Ministères néerlandais du logement, de la planification et de l’environnement ainsi que l’Agence d’urbanisme d’Amsterdam, en coopération avec les riverains alentour ainsi que les futurs habitants. La municipalité mena une politique volontariste de peuplement favorisant le retour des classes supérieures. Les logements durables ne furent pas donc accessibles à tous. Il s’agit ici d’un phénomène de « gentrification », terme qui prend sa source dans le mot anglais « gentry », qui signifie « petite noblesse ». Une autre difficulté qu’on peut observer sur la base de retour de l’expérience est le développement des énergies renouvelables. Celle-ci n’est pas possible en raison d’un contrat passé avec la compagnie d’énergie utilisant le gaz. L’entreprise dispose d’un monopole pour l’alimentation de GWL en énergie et en chaleur. L’eau de pluie est récupérée dans des containers en sous-sol et est utilisée pour les toilettes. Ce système ne fonctionne pas bien dans tous les immeubles et n’a pas été appliqué à l’intégralité des habitations. Malgré ses quelques contradictions qui font de lui un quartier restant tout juste dans les normes de respect de l’environnement, la qualité de vie de GWL est très agréable, au-delà de l’aspect écologique. « La réalité des réalisations en France et en Europe invite donc à dépasser ce premier voile que propose le modèle européen établi dans les années 90. pour comprendre la fabrication concrète des chaque quartier durable ». 12 Ainsi, nous pouvons mieux considérer les spécificités des processus de décision, les priorités locales, les fonctionnements sociopolitiques propres à chaque ville dans ses démarches de construction. 11
Taoufik Souami ., «Écoquartiers, secrets de fabrication. Analyse critique d’exemples européens », Éditions les Carnets de l’info, Paris, 2009 12 Ibidem
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Développement durable en France En France, qui débute plus tard avec projets durables, on parle plutôt de concept de la ville durable, on met en place des outils de planification (comme l'écoquartier par exemple...) : ces outils restent très axés sur l'approche quantitatif et éco-technologique, qui semble ne pas évoluer au cours des années. Cette approche prend très souvent la forme de projets dites descendants, ou top-down (« de haut en bas » en anglais) contraires au cas de l’Allemagne dont les projets sont de forme dite « ascendantes ». Dans la plupart des cas des projets menés dans l’esprit de développement durable sont désignés par le terme « écoquartier ». Selon les architectes-chercheurs de l’école d’architecture de Paris — La Vilette, Pierre Lefèvre et Michel Sabard, le terme « écoquartier » est surtout utilisé par les médias : « il attire la curiosité et permet d’éviter un autre débat de type universitaire, c’est-à-dire purement linguistique, qui consiste à s’interroger sur le vocable de développement durable qui, selon certains, devrait être remplacé par celui de développement soutenable ». 13 Nous allons détailler le terme « écoquartier » dans la prochaine partie du mémoire.
Fig. 2 Ségolène Royale, ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer, à l’inauguration de Green Tech Verte : un nouveau outil de gouvernement français pour promouvoir la croissance verte Source : http://www.developpement-durable.gouv.fr/Greentech-verte.html
Réflexion sur la problématique et méthodologie La problématique est le résultat des nombreuses recherches sur le sujet de développement durable. Premièrement les recherches étaient axées sur le rapport entre l'aspect social et la gestion de l’énergie et de la mobilité dans le projet de l'éco-reconversion. Grâce aux recherches sur ce sujet, j'ai commencé à m’intéresser au concept de développement durable. Au fur et à mesure, pendant la lecture j'ai remarqué que le sujet des contradictions dans le développement durable, attire mon attention, et que je trouve ce sujet qui engendre nombreuses débats aujourd'hui, très passionnant. Nous venons d'aborder deux sujets qui seront les sujets principaux de présent mémoire : le 13
Pierre Lefèvre et Michel Sabard, Les écoquartiers, Éditions Apogée, 2009
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développement durable et la reconversion. En ce qui concerne la méthodologie nous allons, dans les prochains paragraphes, approfondir la réflexion sur les paradoxes, contradictions du développement durable sur le plan théorétique et pratique.
Dans la partie critique de développement durable nous allons mettre en relation des différents textes venant de la discipline architecturale mais aussi les textes des penseurs de la société moderne, textes faisant de l’écologie politique. Les sujets polémiques comme : l’hégémonie des réponses techniques dans le développement durable en architecture, ou participation citoyenne vont être mises en avant. Dans la partie Les axes de la critique sur l’exemple existant : ZAC Pajol nous allons confirmer ou nier les hypothèses en se basant sur les exemples des projets durables existantes avec la ZAC Pajol dans le centre de la réflexion. Les entretiens avec des nombreux acteurs qui ont participé au projet de la reconversion de la ZAC Pajol: les habitants de quartier, les usagers, les architectes, les maîtres d'ouvrage vont argumenter les propos. Nous allons analyser l’évolution architecturale de la ZAC Pajol (son évolution de l'architecture ferroviaire à l'architecture durable), sa temporalité et durabilité qui s’exprime à travers les choix architecturaux. Cela permettra de comprendre les moteurs de la conception durable et vérifier si les moyens utilises peuvent donner des résultats à l'attente des objectifs. Pourquoi le choix a porté sur la ZAC Pajol ? Selon moi cet exemple illustre bien les enjeux de développement durable : également sur le plan de temporalité, que sur la question sociale, et de l’hégémonie de la technologie dans le développement durable. Le but n’est pas de résoudre si la ZAC Pajol c’est un projet durable ou pas, il s’agit de la prise d’une posture critique envers ce projet. Le projet se trouve dans une zone urbaine dense, il est donc intéressant d’étudier son insertion sociale et physique dans le quartier. En tant que rénovation, ce type de projet adopte une approche durable (par exemple à travers la réutilisation de la charpente existante). C’est en même temps un projet signé un écoquartier et labellisé HQE. Il combine avec une exactitude les innovations high-tech et le bâtiment sobre lowtech, pour trouver un équilibre entre ces deux tendances : ce qui est le défi majeur de développement durable. C’est à ce sujet je vais dédier une grande partie de mon mémoire dans le but d’en expliquer les ambivalences. Jourda Architectes, les auteurs de la halle Pajol, cherchent un juste milieu entre approche scientifique et sobriété architecturale. A partir de l’entretien que j’ai pu faire avec François-Gabriel Perraudin, responsable de l’agence, il est clair que l’architecture durable est « la question de l’éthique : nous ne devons pas nous laisser surmonter par la technologie. La véritable innovation verte de demain naîtra quand on cessera d'opposer nature et technologie. Mieux vaut les faire collaborer. Le développement durable impose à la technologie d'intégrer les éléments naturels, plutôt que de chercher à les maîtriser. » 14 Selon François-Gabriel Perraudin, les nouvelles technologies risquent d'accentuer la ségrégation sociale. « Mais nous sommes dans une période charnière. Personne ne mesure l'ampleur des changements dans lesquels nous nous engageons. » 15 Le développement durable métamorphose notre perception des progrès du numérique. D'après Perraudin le produit le plus perfectionné n'a pas d'avenir s'il n'intègre pas son environnement. Dès le début de son existence, la philosophie de l’agence Jourda Architectes repose sur les fondements de l’architecture durable. Tout cela grâce aux influences de sa fondatrice, Françoise-Hélène Jourda, diplômée en 1979 de l’École d'architecture de Lyon, qui prend très tôt conscience de l’importance de construire des bâtiments responsables et de qualité. Un premier concours en 1979, « Pour un habitat économe en énergie » 14
Entretien avec François-Gabriel Perraudin, Responsable BIM chez Jourda Architectes, le 11.10.2016
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Ibidem
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lui permet de mettre en pratique de nombreuses recherches. Suivent des réalisations, d'abord modestes, telles une maison à Saint-Péray en Ardèche en 1981 ou quatre maisons en pisé à l'Isle-d'Abeau en Isère (19811984). La construction en Allemagne du Centre de formation de Herne Sodingen (Westphalie), achevé en 1999 après huit années de recherches et d'études, marque une nouvelle étape dans sa carrière. L’intégration au bâtiment d’un "champ solaire" de 10 000 m2 de cellules photovoltaïques, qui protège la serre de l’ensoleillement et évite des effets de contre-jour, fait du bâtiment une des plus grandes centrales solaires au monde. Le développement durable reste l'objectif affiché de son travail d'architecte et d'enseignante, consciente de la situation particulière de la France sur ce terrain de « l’architecture durable » elle a créé « EO.CITE » une société de conseil en architecture et urbanisme qui a pour vocation d’accompagner tous les acteurs du projet (maîtres d’ouvrage, élus citoyens) sur la voie développement durable. L’architecture de Françoise-Hélène Jourda, semble dépasser son temps : les solutions appliquées sont innovantes mais en même temps elles respectent les règles d’éthique. Hypothèses Nous venons de mettre en évidence les relations des différents textes issus de la discipline architecturale mais aussi de la sociologie ou du domaine des sciences. A partir des opinions, des analyses et des études évoquées précédemment, nous pouvons tirer un certain nombre d'hypothèses. Ces hypothèses vont constituer le point de départ de ma propre réflexion sur les approches critiques du développement durable et seront vérifiés par l'étude de cas. Première hypothèse : Utilisation uniquement de la technologie high-tech, n’est pas adapté aux projets durables. Parmi les quartiers durables qui se focalisent sur des solutions high-tech on peut citer l’exemple du nouveau quartier de la Confluence à Lyon. Les bâtiments qui se veulent durables, sont conçues seulement sous l’angle technique : cela concerne les matériaux et la performance énergétique. « Le projet Confluence a la folie des grandeurs. Les projets architecturaux les plus fous ont été mis en place. On peut déjà y observer tout ce qui se fait de plus extravagant en matière d’architecture contemporaine : formes déstructurées, choix des matériaux et autres prouesses de fer et de verre ».16 Pourtant les espaces publics n’ont pas fait l’objet de réflexion particulière : « Chacune de ces allées, parcs et autres traverses sont barrées par de grandes barrières et autres grilles closes commandées par une armée de digicodes et surveillées par toute une série de caméras ». 17 L’architecture high-tech applique l'esprit de l'innovation aux constructions. C'est aussi une réponse à la désillusion croissante envers l'architecture moderne. Une telle approche pragmatique des concepts de développement et de ville durables, totalisants et performatifs, peut servir deux objectifs antagoniques. Il n'est pas logique de penser que la technique peut améliorer la nature car ces deux domaines s'excluent mutuellement. Face à la critique, cette grammaire du développement durable peut alors s’actualiser et élaborer sa nouvelle image pour se survivre à elle-même (« transition énergétique », « croissance verte », etc.). Dans cette image trompeuse, on retrouve à peine des objectifs initiaux de développement durable. Bien qu'il en appelle au principe de précaution et fasse montre de beaucoup de prudence, le développement durable repose sur l'idée qu'une connaissance relationnelle quasi - complète de la nature est possible, et que, par conséquent, des solutions technologiques aux problèmes environnementaux sont possibles. Les panneaux photovoltaïques, la Ventilation Mécanique Contrôlée Double Flux, et d'autres techniques similaires à la pointe, ne garantissent pas la durabilité d'un projet. Jusqu’au quel point l’utilisation de la technologie high-tech ne nie pas à la durabilité ? Comment trouver un juste milieu ? Nous allons étudier les dispositifs techniques, la position des différents acteurs envers la technologie, sur l'exemple de la ZAC Pajol en prenant en appui les 16
Lena Pradelle, « Eloge de la zone / Critique du projet urbain "Confluence" », Extrait de l’INTERNATIONALE UTO PISTE #2 – été 2011 17 Ibidem
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autres projets concernés. La deuxième hypothèse : On ne peut pas appeler « durable » un projet qui ne prend pas en compte les aspects sociaux. Malgré son omniprésence, le volontarisme institutionnel qui porte le développement durable repose aujourd’hui sur une ambition de maîtrise des processus et une défiance vis-à-vis des populations qui va le rendre de plus en plus fragile. Scientifiques, décideurs politiques ou citoyens, tous abordent, plus ou moins discrètement, la dimension sociale du développement durable mais en y accolant des objectifs qui sont loin d’évoquer l’harmonie entre les êtres humains, comme le prône le Rapport Brundtland. La notion de cohésion sociale est-elle si difficilement abordable ? « Le fait souvent oublié dans le cadre de développement durable est la relation entre humains qui s’expliquent aussi par le rapport patrimonial. Il existe les convergences et divergences de valeur morale associée à un objet du territoire, et leurs effets sur les relations entre humains ». 18 Les friches industrielles, qui se situent très souvent dans les lieux importants pour les communautés, et qui font objet de la préoccupation citoyenne peuvent en effet engendrer l'action donc le nouveau projet. Cette hypothèse pourrait être confirmée ou déniée par rapport au projet de la ZAC Pajol. Pour élargir le champ d’analyse nous pouvons citer un autre exemple : le projet Bed ZED, près de Londres en Angleterre. Dans le cas de cette opération, les 2 500 m2 de bureaux ont quasiment tous été reconvertis en logements, transformant le quartier en quartier purement résidentiel. Après 16 ans de fonctionnement on peut se rendre compte que « la mixité sociale a en partie échoué : en effet, les habitants des logements sociaux sont regroupés dans un îlot qui leur est réservé et sont physiquement séparés des autres résidents par la voie d'accès au quartier. »19 Les quartiers durables : des projets d’une grande ampleur et un grand investissement en soi, manquent souvent une réflexion plus poussée sur l’individu. Celle-ci reste secondaire par rapport aux autres préoccupations (par exemple l’environnementaux). La troisième hypothèse pourrait être la suivante : La temporalité, les cycles de vie de bâtiment sont des aspects à prendre en compte dès l'esquisse. Le temps, devient le point central et ambigu du développement durable. En réalité le projet durable perd en durabilité automatiquement au cours des années. Plus le projet est complexe (dans le sens des matériaux, et des techniques utilisés) plus vite il perd en durabilité à cause de temps. « Tous les projets de quartiers durables ont été confrontés à une construction paradoxale du temps : ils devaient respecter les délais et les rythmes d’un projet urbain classique (…) cette condition paraissait indispensable pour assurer la crédibilité de ce type de projet. En même temps, ils devaient intégrer les évolutions longues et les cycles de vie du cadre physique produit ». 20 Teofik Souami met notamment en évidence les désavantages de raccourcissement du temps consacré au chantier afin de coordonner mieux l’aménagements extérieurs et la réception des quartiers eux-mêmes sur l’exemple de projet Bo01 à MalmÖ: « A BoO1, le délai court de construction et d’aménagement a contribué à une démobilisation relative concernant les dimensions environnementales et une précipitation dans la phase du chantier ».21 Enfin la dernière hypothèse pourrait être celle qui suit : La méthode d’évaluation par indicateurs a besoin d’être renforcée : techniquement et au niveau de communication. La mesure de la durabilité est une question récurrente : tel ou tel projet est-il effectivement durable comme ses porteurs l’annoncent ? Cependant, dès lors que nous envisageons la durabilité comme un cheminement et un objectif de projet, l’évaluation doit aussi en assurer le suivi, sous la forme d’un tableau de bord. Visant la transparence, l’évaluation contribue à une meilleure conduite et gestion des projets ; elle apporte une garantie que les efforts humains, techniques et financiers apportent une plus-value aux projets urbains. Le projet de reconversion d’une ancienne friche 18
Sandra Mallet et Thomas Zanetti, « Le développement durable réinterroge-t-il les temporalités du projet urbain? », Septembre 2015, (consulté le 01.05.2016) (en ligne) http://vertigo.revues.org/16495 19 Yvette Veyret et Jacqueline Jalta, « Développements durables », Paris, Autrement, 2010. 20 Taoufik Souami ., «Écoquartiers, secrets de fabrication. Analyse critique d’exemples européens », Éditions les Carnets de l’info, Paris, 2009 21 Ibidem
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ferroviaire à Neuchâtel en Suisse, a servi d'application-test pour le développement de la méthodologie d'évaluation SIPRIUS (système d'indicateurs pour les projets de régénération de friches urbaines). « L'intégration réelle des critères du développement durable implique en effet un «monitoring» des solutions retenues au cours des différentes étapes du projet, notamment lors de sa réalisation et de son utilisation. Dans le cas d’éventuelles différences entre les objectifs fixés et les performances obtenues, leur mise en évidence favorise en outre l’émergence de nouvelles connaissances sur les processus d’élaboration du bâti. Leur analyse détaillée permet de capitaliser des informations particulièrement utiles pour les futures étapes du projet et, plus largement, pour d’autres réalisations ». 22 Néanmoins, l’usage de l’évaluation s’appuyant sur des systèmes d’indicateurs se généralise dans tous les domaines, suscitant de nombreuses critiques. Le développement durable est-il donc un concept paradoxal ? A travers de quels éléments de projet durable ces contradictions s'expriment ? Comment on peut remédier à ces contradictions ? Voici les questions qui vont guider la réflexion sur le sujet.
2. CRITIQUE DE DEVELOPPEMENT DURABLE. QUE CRITIQUE-T-ON ET POURQUOI ? Dans les textes dédiés à la critique de développement durable nous pouvons retrouver des sujets qui apparaissent le plus souvent, ils vont devenir nos axes de réflexion. Dans l'introduction nous avons abordé de manière générale le concept de développement durable. Pour comprendre mieux pourquoi y a-t-il des contradictions dans le paradigme de développement durable, nous allons expliquer de manière plus détaillée l'essentiel de celui-ci, analyser l’évolution du concept (sous l'angle architectural), ainsi que les motifs pour lesquelles il y a eu autant des changements au cours des trois dernières décennies. Il s’agira par la suite d'identifier les principaux paradoxes et des difficultés du paradigme. Le développement durable est une notion très large, elle regroupe différents domaines : la politique, l’économie, mais aussi l’architecture. Depuis quelques années nous pouvons observer une hausse des critiques envers le développement durable, notamment dans le domaine architectural. Parmi les architectes qui critiquent ce paradigme nous pouvons citer Ruddy Riciotti qui dans son livre « L’architecture est un sport de combat » explicite les principaux combats qu’il mène depuis plusieurs décennies, interrogeant de manière iconoclaste les enjeux et les perspectives du métier d’architecte. Il critique entre autres la « terreur verte » de la HQE » 23 . Selon Riciotti la norme HQE (Haute Qualité Environnementale), défavorise le savoir-faire des constructeurs, l’économie locale et la nature qu’ils prétendent défendre : « le monde normatif prend le pas sur l’innovation et accentue un phénomène de standardisation ». 24 Il critique la démarche HQE pour son manque de lisibilité et sa défense des intérêts commerciaux des industriels (elle adhère à l'AIMCC, le syndicat des fabricants de produits de construction). L’architecte et urbaniste français Philippe Chiamberetta, porte également un regard critique sur le développement durable. D’après lui « La question du développement durable amène les architectes à inventer une écriture qui se cherche encore, inhérente au contexte ultranormé qui paralyse la création ». Aujourd’hui nous sommes exposés au risque de tomber dans le piège des 22
Emmanuel Rey, « Régénération des friches urbaines et développement durable : vers une évaluation intégrée à la dynamique du projet », Université Catholique de Louvain, Faculté des Sciences appliquées, Département d'architecture, urbanisme, génie civil et environnemental, Thèse de doctorat en sciences appliquées, Louvain-la-Neuve, 2006 23
La haute qualité environnementale (HQE) est un concept environnemental français datant du début des années 1990. C'est une initiative associative d'origine privée, fondée sur un référentiel de quatorze cibles à vocation environnementale 24
Emmanuelle Borne « L'innovation architecturale menacée, la norme au banc des accusés », Le courrier de l’architecte, [en ligne] https://www.lecourrierdelarchitecte.com/article_1619
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engagements sous la forme de labels et de certifications et de l’expression « monothéiste » d’une couleur (le vert) et l’utilisation de matériaux à l’apparence louable.
Caractéristiques du paradigme Le développement durable propose entre autres choses de corriger les erreurs, de compenser les manques, réparer les dommages causés par le paradigme classique de développement. Il est essentiellement un mode de développement basé sur une recherche d'articulation des équilibres sociaux, économiques et environnementaux. Mais intégrer la dimension écologique dans un paradigme de développement est d'emblée problématique car cela renvoie à des questions fondamentales portant sur la relation nature / culture et donc sur la nature de l'homme. Ces difficultés sont illustrées par le débat qui eut lieu au milieu des années 1990 lors de la sortie du livre de Luc Ferry, le « Nouvel Ordre Écologique » dans lequel l'auteur exprimait sa crainte de voir l'humanisme remis en question par la pensée écologique. La critique qui avait alors été faite au livre de Ferry est que ce dernier avait réduit la pensée écologique à l'un de ses courants, le plus radical d'entre eux, l'écologie profonde (« deep ecology »). Cette approche théorique critique cependant un des héritages de l'humanisme, le scientisme, qui verrait dans la science et la technique non seulement des moyens pour la libération de l'homme mais également pour la maîtrise de la nature. Contexte historique et évolution du développement durable L'historien des idées Olivier Meuwly dans son livre « Le développement durable, critique d'une théorie politique »25 met en avant le fait que : « Le développement durable n'est pas apparu de jour au lendemain (…) il n'a pas était inventé par la Commission Brundtland (..) le développement durable a d'abord caractérisé la vision politique et sociale de l'écologisme fondamentaliste ». Autrement dit, Meuwly pense qu’il n'est plus possible aujourd’hui d’envisager autrement le développement durable, que dans la pensée écologiste. Les premiers penseurs de l’écologie demandaient une remise en cause fondamentale de nos modes de vie, en appelaient aux valeurs d'autonomie, d'autogestion. Les tenants du développement durable se contentent de demander une réorientation de l'économie, afin de préserver à long terme le système existant afin de le rendre durable. Romain Felli dans son livre « Les deux âmes de l'écologie. Une critique du développement durable » 26 souligne le paradoxe de développement durable : « comment un mouvement autogestionnaire, critique de la technique, a-t-il pu conduire à un ensemble de politiques centralisés et technocrates ? »27 Pierre Lascoumes, spécialiste français des politiques de l'environnement, a décrit dans son ouvrage ce paradoxe : « L’écologie, qui était à son origine très critique vis-à-vis des techno-structures, voit ses formes actuelles de développement déboucher sur la possibilité d'un éco-pouvoir »28 Les objectifs et idéologies des débuts étant trop « utopistes » ont évolué au cours des années pour laisser la place aux « spécialistes » qui ont introduit des normes, des moyens de création architecturales dites « écologiques ». Parmi les ouvrages qui ont participé à la création de la pensée environnementale nous pouvons citer (dans l’ordre chronologique) : 1962 : « Printemps Silencieux », 1972 : « Halte à la croissance », 1973 : « La convivialité », 1979 : « Soleil, nature architecture », 1997 : « Facteur 4 ». Dès le début l’écologie politique 25 26
Olivier Meuwly « Le développement durable, critique d'une théorie politique », Lausanne, L’Age d'Homme, 1999 Romain Felli « Les deux âmes de l'écologie. Une critique du développement durable », Editions L'Harmattan, mai 2008
27
Ibidem
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Pierres Lascomes, « L'éco-pouvoir, environnements et politiques », Paris, La Découverte, 1994
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nous a mis en garde : à 1968, le Club de Rome l’énonce : « il ne peut pas y avoir de croissance infinie sur une terre dont les limites sont connues ». Mais dans l’espoir que tout continue sans limites, on caractérise les édifices et quartiers qui se réclament de la protection de l’environnement de « durable ». Tout un vocabulaire est venu appuyer cette idée, laissant croire à la possibilité d’une croissance, d’un progrès illimité, teinté d’une nuance verte. C’est en ce sens que le terme de développement durable est discutable. Aujourd’hui, les mentalités évoluent mais il reste un écart immense entre le discours politique actuel et les lanceurs d’alerte sur le climat. Philippe Bihouix, ingénieur auteur d’un livre sur le low-tech, écrit dans la revue Le Crieur, paru en novembre 2015 « La conférence mondiale sur le climat, à Paris fin 2015, ne manquera pas de le confirmer : l’écologie politique est à la peine. Elle ne parvient pas, malgré l’urgence, à mobiliser autour d’un projet de société dans lequel les hommes devraient en grande partie renoncer à leurs ambitions prométhéennes... »29
Le développement durable : un concept paradoxal Dans ce point je chercherai à montrer la dimension paradoxale du concept tel que Matthieu Goubin a pu l'identifier dans son texte « Le développement durable en question »30, dans lequel il fait un tour d'horizon des sens parfois contradictoires qui sont attribués à ce concept, ce qui amène bon nombre d'auteurs à le qualifier de « coquille vide », lui reprochant d'être « imprécis ». Cette imprécision est pointée du doigt dans la mesure où elle « favoriserait l'instrumentalisation d'un terme aux enjeux stratégiques puisqu'il concerne le contrôle des ressources». 31 Mancebo cité par M. Goubin signale ainsi les dangers d'une «doctrine molle autorisant toutes les distorsions », un « concept en perte de sens » qui « dérive » et vire aux « effets d’image», favorisant une récupération politique et permettant de peu changer les pratiques anciennes tout en leur attribuant un nouvel aspect. Serge Latouche, lui, considère cette notion comme un oxymore. Il s'agit d'un « concept alibi », véritable « piège dont le leurre écologique cache la continuité du mode de développement libéral et ses dommages sociaux et environnementaux »32
Le développement durable fait l'objet de nombreux débats. Son corpus théorique est déjà considérable. Mais il est peu stabilisé et présente nombre de contradictions internes. Le fait que la notion, par sa diffusion très large, aie investi les discours politiques, administratifs, militants ou entrepreneuriaux n'est pas étranger à cette situation. Mais ses écueils sont riches d'enseignements en ce qu'ils nous informent du processus de diffusion et de formalisation de ses principes. Si l'on désire un développement durable réellement opérationnel, il convient de donner une réponse à ces questions. Elles devraient constituer le socle d'une redéfinition à la fois théorique et pratique du développement durable. La meilleure politique est inutile si elle reste lettre morte. Sa faisabilité est une question aussi importante que ses objectifs.
29
Philippe Bihouix, « Les technosciences ou l’utopie corrompue », (in) Le N° 2 de la Revue du Crieur, 11.2015
30
Mathieu Goubin, doctorant à l ́IEDES sous la direction de Bruno Lautier, est l'auteur de « Le développement durable en question », texte non-publié. 31 Ibid., Cité par M. Goubin 32 Serge Latouche « Développement durable : un concept alibi ». Revue Tiers Monde, n°137, pp.77-94, 1994
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Fig. 3 et 4. Différentes exemples de « greenwashing »
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Éthique et développement durable Le développement durable engendre des nombreuses polémiques sur le plan d’éthique. Quand on ouvre le dictionnaire sur le mot « éthique » on peut lire ainsi : « adjectif (gr. êthicos, morale). Qui concerne les principes de morale. Jugement éthique ».33 On peut constater un paradoxe : souvent les projets qui se disent être parfaitement « en règle » sont très souvent une injure à l’environnement. Les projets durables répondent aux exigences des réglementations, mais cela ne veut pas dire qu'ils répondent aux besoins de l'homme. « L'engagement dans une voie plus éthique est lié à notre dimension humaniste : au-delà de tous de tous les progrès techniques, c'est avant tout l'homme qu'il faut changer ». 34 En ce début de troisième millénaire, nous devons passer d'une société où l'homme est au service de la performance et de la compétition à une société où la performance et la compétition seront au service de l'homme. Le développement durable exige le changement des mentalités. L’argument éthique, qui doit faire en sorte que l’humanité soit dans un environnement viable se traduit par une responsabilité exprimée au travers de l’équité intergénérationnelle. Une nouvelle responsabilité environnementale portée par l’équité intergénérationnelle peut alors fonder un rapport nouveau au temps dans les actes économiques dotés du pouvoir de dégradation irréversible de la nature. Généralisation de la ville durable à la française Dans la partie « Introduction » nous avons souligné les spécificités de développement durable à la française. Dans les prochains paragraphes nous allons détailler cette vision. Contrairement aux premiers écoquartiers expérimentaux, les projets d'écoquartiers français du début des années 2000 s'inscrivent dans une logique d’intégration progressive des préceptes de la ville durable au sein des modes de production habituels d'urbain. Grâce au développement durable, en France une série de labels a été créé dans le but de remplacer le mode de construction traditionnelle par neuve. En Hexagone on peut observer une attitude qui est différente des projets durables en Allemagne ou en Scandinavie. Dans la mise en œuvre du développement durable, on assiste à une hégémonie des réponses techniques. « Si pallier les excès de la technique requiert la technique, force est de s'armer contre une autre dérive techniciste, surtout en France où le poids de la technique et de la science est lourd de raison ».35
La mise en place de Grenelle Environnement fin 2007, suite à un pacte écologique de Nicolas Hublot, qui médiatise véritablement la planification écologique et en renforce les orientations. Elle banalise notamment le terme d’« écoquartier », jusque-là réservé dans le vocable professionnel français aux opérations étrangères des années 90. L'attitude français envers les projets durables consiste : « à généraliser de nouveaux types d’aménagement et de construction dans un cadre de production non seulement émancipé du militantisme, mais aussi de l’expérimentation » .36 On peut observer dans les exemples de projets français cette tentative de généralisation de l'urbanise durable: par exemple dans les espaces publics on favorise la création des espaces rustiques (les praires fleuries, les espaces de récupération des eaux de pluie...). On remarque aussi la généralisation de l'ensemble des nouveautés techniques. Cela provoque d'un côté un problème d'usage et d'autre côté une négation de l'emploi des matériaux durables (les nouveautés technologies contiennent souvent des matériaux sophistiques, rares et non recyclables). En meme temps on assiste à une hégémonie des réglementation, labels, lois qui compliquent un projet durable, déjà suffisamment 33 34 35
36
Le Petit Larousse Alain Farel « Bâtir éthique et responsable » Le Moniteur Éditions, 2007 Philippe Madec « Architecture, éthique et technique » Pour le séminaire « Développement durable », de L’académie d'Architecture, novembre 2006 Vincent Renauld, Daniel Pinson « Fabrication et usage des écoquartiers : Essai critique sur la généralisation de l'aménagement durable en France » Editeur : PPUR Presses Polytechniques, 2014
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sophistique. La conception d’un projet d’« écoquartier » demande aujourd’hui de nouvelles formes de gouvernance, des nouveaux moyens pour vérifier l’efficacité de celles-ci, ainsi que des « encouragements » de la part de l’État, par exemple au moyen d’une loi. Quelle est la position de l’Etat en tant qu’acteur responsable de l’image de la ville durable ? Quels moyens utilise l’État pour encourager d’un côté le développement de l’urbanisme durable, et de l’autre pour créer une vraie dynamique de progrès ? Chaque projet qui prétend s’appeler officiellement écoquartier doit désormais posséder le label « Écoquartier » livré par l’État. Pour cela il devra passer par les procédures et des étapes prédéfinies. Il s’agit de trois étapes majeures: la première étape comprend la préparation d’un dossier de labellisation qui représente le futur « écoquartier » et la signature de la « charte des écoquartiers », la deuxième étape prévoit l’admission à la démarche nationale, la dernière étape est l’obtention du Label qui une fois attribué, ne pourra jamais être retiré. L’encouragement de durabilité à travers le label représente des avantages mais aussi quelques défauts. « Le label EcoQuartier permet d’encourager, d’accompagner et d’urbanisme réellement durables, quels que soient leur échelle ou leur contexte ». Le processus de labellisation et le label lui-même provoquent plusieurs débats. Les chercheurs, les architectes, les maires, les urbanistes se posent des questions : Est-ce-que le label est une garantie de projet de qualité ? Est ce qu’il prend en compte la question concernant de l’eau ? Est-ce que le label « EcoQuartier » est une démarche vraiment nécessaire ? Quel intérêt peut avoir une collectivité à obtenir ce label ? Charlot-Valdieu et Outrequin prêtent attention à ces questionnements « En effet, comment évaluer la qualité de vie, la qualité de concertation etc? (…) outils d’évaluation (…) font référence à divers types d’indicateurs, y compris des indicateurs qualitatifs(...) ».37 Les auteurs de « Écoquartier, mode d’emploi » reprochent donc au label son intérêt prioritaire pour tout ce qui est mesurable sur les thèmes environnementaux. Un autre problème concerne le coût de la labellisation. En période de crise économique une telle dépense seulement pour « avoir label » ne semble pas être complètement raisonnable. Cela pourrait engendrer une situation dans laquelle l’écoquartier sans label serait défavorisé. Certes, la procédure de labellisation donne place au dialogue entre les acteurs, et met l’accent sur développement durable, mais cette procédure est élaborée par les grands groupes à destination de leurs actionnaires.
37
Charlot-Valdieu C., Outrequin, P, Ecoquartier - Mode d’emploi, Eyrolles, 2009
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Fig. 5. La carte des projets déjà labellisés Ecoquartier et engagés dans la labellisation. Etat au 09.2013. Source : www.developpement-durable.gouv.fr/
Technologie = durabilité ? Se posant comme un savoir, le développement durable mobilise des ressources techniques afin de résoudre les problèmes environnementaux. C'est le cas du cadre bâti : dans la mise en œuvre de développement durable. Est-ce que l'utilisation des techniques avancées dans un bâtiment nie le concept de la durabilité ? Est-ce que l'utilisation des solutions prêtes-à-appliquer remplace le bon sens, rationalité et simplicité ? « Le recours à la science et à la technique n'est pas une fonction collatérale de nos sociétés, mais un de ses principes régulateurs ; elles sont devenues des valeurs en soi et se trouvent au fondement de la légitimation du mode de production industriel ». 38 La domination dans nos sociétés avance donc sous le couvert de la technique « neutre », simple objet au service de l'homme. La critique de la technique ne signifie pas le retour à l'âge de pierre. C'est une exigence de changement qualitatif et quantitatif de nos modes de vie. Selon Ivan Illich « l'homme a besoin d'un outil avec lequel travailler, non d'un outillage qui travaille à sa place. Il a besoin d'une technologie qui tire le meilleur parti de l’énergie et l'imagination personnelle, pas d'un outillage qui l'asservisse et le programme ». 39 Il existe d'autres outils et d'autres techniques qui permettent de reconquérir l'autonomie. Le simple fait d'utiliser des objets construits pour durer est déjà un pas vers plus d'écologie, moins de production et plus de maîtrise de son environnement. Les solutions « techniques » aux problèmes environnementaux en vrai ne tendent pas à réduire la croissance, mais à lui donner de nouveaux ressources.
38 39
Romain Felli « Les deux âmes de l'écologie. Une critique du développement durable », Editions L'Harmattan,2008 Illich Ivan, « La convivialité », Paris, Seuil, 1977
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« L'idée par exemple, que des améliorations techniques permettraient de consommer toujours moins d’énergie en augmentant l'efficacité énergétique des objets ne tient pas, car les gains en efficacité énergétique sont affectés non à la diminution de la consommation énergétique, mais à l'augmentation de l'utilisation de l'objet en question ».40 L'industrie de bâtiment élabore des solutions parfois extrêmement innovantes mais qui, du fait de la rupture qu'elles représentent, sont souvent ignorées ou rejetées par les prescripteurs, maîtres d'ouvrage ou architectes, et mal utilises et détournées par les usagers finaux. Aussi le rôle des acteurs dans un projet durable devient de plus en plus souvent le sujet de débat. Il existe un décalage fondamental entre comportements nécessaires à la production et au fonctionnement des nouveautés techniques et d'autre part les savoir-faire et savoir-vivre en usage. Les cycles techniques sont indissociables des comportements sociaux. Une parfaite connaissance de fonctionnement du bâtiment de la part des utilisateurs, est la garantie d'un bon usage. Si usager n'est pas appliqué on risque une contre-performance. Un autre paradoxe lié au développement durable consiste à la participation des acteurs dans le montage du projet. La conception architecturale et urbaine n'est plus l'adaptation de quelques professionnels privilégiés. Les usagers, encore aujourd’hui sont parfois dépourvus de possibilité de participer au projet dont ils seront les utilisateurs. « L’efficacité de démarches réglementaires semble également être tributaire de l'inertie des usagers. En effet, dans leur grande majorité, ces derniers ne changent pas leur mode de vie sous la contrainte d'une nouvelle technologie (..) à moins que celle-ci réponde à une forte demande de leur part ».41 Il est vrai que la conception durable peut être source d’inégalités sociales, ce qui est parfois le cas de la performance énergétique lorsqu'elle engendre des dépenses supplémentaires. Le rôle pédagogique de développement durable ne peut pas être négligé dans le processus d'adaptation des nouvelles technologies, elle permet d’émerger une culture de l’évaluation, indissociable des processus de conception dans une démarche de développement durable. Ils peuvent aussi permettre d'anticiper et de tester de futures évolutions. Innovations techniques, volonté politique et évolution des modes de vie vont de pair pour faire émerger des projets urbains innovants. Ce défi est certes pour une bonne part technique et mobilise actuellement la recherche industrielle et universitaire qui s'intensifie progressivement. Il ne sera pourtant pas possible d'atteindre des objectifs significatifs par cette seule conjonction, même si celle-ci renforcée par un arsenal réglementaire et législatif. Il est nécessaire d'agir dans le cadre d'une conception de projets multi acteurs, ce qui impose une coordination entre tous les participants, politiques, professionnels et usagers, sachant que chacun d'entre eux conservera sa propre logique économique et sociale, sa trajectoire professionnelle, ses objectifs. Problème des labels et certificats : ou comment mesurer immensurable Comme nous avons mentionné précédemment utilisation des nombreux certificats, labels comme par exemple label écoquartier ou certificat HQE, mettent en cause la véracité de concept. Étant très concentrés sur les valeurs quantitatives, ne prennent pas en compte le contexte ni social, ni architectural. La haute qualité environnementale (HQE) est née en France en 1996 avec l'association du même nom ; composé des experts environnementaux, plutôt ingénieurs de formation, celle-ci a essayé de jeter les bases d'une construction à la française. Que signifie HQE ? La lettre « H » signifie « haute » semble vouloir dire que les Français se positionnement parmi les meilleurs, alors qu'en réalité, arrivées quinze ans après d'autres Européennes sur le marché de la construction écologique. Cela posait en outre, du côté des utilisateurs un réel problème de communication : les usagers estimaient à juste titre que le bâtiment HQE qui leur était livré, devrait être parfait sur toutes les plans. Pourtant on remarque les contre – références et la banalité de certaines réponses de certificat HQE, qui ont fait du tort à l’appellation Haute Qualité Environnementale, surtout chez les architectes.
40 41
Romain Felli « Les deux âmes de l'écologie. Une critique du développement durable », Editions L'Harmattan,2008 Jean-Jacques Terrin, « Le projet du projet. Concevoir la ville contemporaine » Editeur : PARENTHESES, Collection : ARCHITECTURE, 2014
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Le certificat HQE est accompagné par quatorze cibles et de nombreuses sous cibles. Estimant qu'il faut les traiter toutes, au moins au niveau minimum, les concepteurs n'ont pas réussi à concilier des exigences contradictoires du type « plus de confort visuel » et simultanément « moins de consommation d’énergie de chauffage ». « Les quatorze cibles de HQE peuvent servir de base à la réflexion, mais la juxtaposition de réponses pertinentes à des objectifs spécifiques n'est pas toujours juste. Pour normaliser la démarche d'autres pays d'Europe ont développé un système des grilles à points (ex. Breem en Angleterre). Contrairement à l'approche HQE française, qui ne certifie que la démarche, ces grilles sont basées sur des objectifs quantifies avec une obligation de résultat ». 42 Certes, l'association HQE a fait de gros efforts d'explication et de normalisation, mais la mission était quasiment impossible : trop d'exigences, des cibles trop analytiques, non regroupées dans des thèmes fondateurs, les cibles ne sont ni synthétiques, ni cohérentes. Les quatorze cibles pourraient être regroupes en thèmes fondateurs (par exemple comme l'ont fait les démarches LEED au Canada). On arrive parfois à une situation difficile à résoudre : la plus-value écologique de ces cibles. Il ne faut pas oublier que la démarche HQE est issu du milieu industriel car élaboré en majorité par les ingénieurs qui s'attachent plutôt au côté formelle que « réelle » de la construction. Aujourd'hui, partout dans le monde les professionnels du bâtiment sont d'accord pour construire écologique et même conscientes de quelles mesures il faut prendre en compte pour réussir la construction écologique. Malgré cela, certains réussissent et d'autres pas. Souvent l'échec est dû à l'oubli ou à la mauvaise mise en œuvre de soi-disant « vraie qualité ». Elle s'exprime plutôt par la mise en œuvre d’amélioration continue que de la mise en place de normes et de réglementations. La garantie de la « vrai qualité » repose sur des retours d’expériences. L'efficacité de certificat HQE est limité par plusieurs facteurs. Le problème majeur des certificats est que dans leur logique le bâtiment est perçu comme un produit plutôt qu'une œuvre. Il est donc difficile de passer d'un produit à un ménagement tourné vers des hommes du bâtiment, des hommes qui aiment les choses concrets, car la mise en œuvre des cibles est difficile à comprendre. La certification HQE ne prévoit rien en matière d’évaluation des résultats. Cela provoque un ménagement inefficace et une non-assistance. Le certification HQE pourrait progresser beaucoup plus vite si elle modifiait radicalement son approche : l'Ordre des architectes a quitté l'association HQE en 2005 à cause du contenu de cette certification. « Il faudrait donc réfléchir sur un nouveau dispositif, qui intègre à la fois une nouvelle manière d’évaluer ou de certifier. Il ne s'agirait pas de supprimer mais de modifier fortement la certification ».43 Certains sont très critiques envers les réglementations et labels : ils disent que ceux-ci jouent au profit des grandes entreprises, leur provenance n'est pas fiable (les labels pour les matériaux établies par des productiques eux-mêmes), que les labels coûtent cher (en. 2000 € pour le certificat HQE). Certes, mais en même temps les labels et les réglementations restent un facteur stimulant et encouragent pour les constructions écologiques. En parlant des labels et des certificats, nous pouvons également aborder le sujet de la méthode d’évaluation par indicateurs. Commençons par la définition : « Les indicateurs de développement durable servent à montrer, mesurer ou apprécier un phénomène : ils en constituent une représentation au moins tout aussi subjective qu’une démarche qualitative ».
42
43
Séminaire « Développement Durable, un défi pour l'architecture, un défi pour la ville », Académie d’Architecture, Pavillon de l’Arsenal PARIS, 25 novembre 2006 Alain Farel « Bâtir éthique et responsable » Le Moniteur Éditions, 2007
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Contradictions et paradoxes au cœur de paradigme de développement durable : étude de cas de la ZAC Pajol
Temporalité dans le projet architectural : au bénéfice ou au détriment du projet ? La référence au développement durable est devenue aujourd'hui incontournable dans la production et la gestion des espaces urbains. Développement durable est une notion temporelle par excellence, nous pouvons nous s'interroger : en quoi transforme-t-il la façon de penser le temps des projets urbains ? Nous allons nous concentrer sur les temporalités du projet urbain, c’est-à-dire aux modes de temporalisation de l’action, à la fabrication des temps communs du projet urbain, à la façon dont les acteurs se préoccupent et se sentent concernés par la question des temps du projet et à leurs articulations avec les préoccupations relatives au développement durable. La dimension temporelle du développement durable est centrale dès la formulation de la notion et les premières théories qui lui sont liées. Avec la popularisation de développement durable dans le monde de bâtiment, le temps consacré au projet (depuis les premières esquisses jusqu’à la livraison) a changé en importance. Les acteurs sont plus nombreux, les réglementations plus sophistiquées. Le nombre grandissant des acteurs qui interviennent sur un projet compose une chaîne de compétences hétérogènes, qu'il est indispensable de coordonner. Le processus de décision, réflexion et passage à l'action dans le cas de projet durable nécessite du temps. Souvent on dit que le temps joue en faveur pour le projet. Est-ce que c'est réellement le cas ? Le projet durable en raison de sa complexité dure environ 20 ans en moyenne. Pendant ce temps plusieurs changements peuvent survenir : les changements économiques, politiques, culturelles, technologiques... Imaginons que les réglementations qui étaient en vigueur pendant la conception d'un projet, n'est sont plus au moment de livraison de bâtiment, disons 15 ans après. Cela veut dire qu'on peut plus appeler ce projet durable ? Le même problème concerne les matériaux et les technologies utilisées dans un projet durable. Avec le temps ceux-ci deviennent obsolètes, ils ne fonctionnent pas avec la même efficacité qu'il y a cinq ou dix ans. Le développement durable semble se laisser prendre à leur propre piège. La question de la planification du temps tient une place majeure dans cette approche systémique. Les exemples des projets durables déjà exécutées, nous montrent que ce type de projet regroupe des temporalités complexes. Le processus de projet implique un très large système d’acteurs publics et privés aux logiques temporelles différenciées de par leurs objectifs, mais aussi de par leur place dans le projet et leur culture professionnelle. « Les maîtres d’ouvrage urbain, au cœur de la dynamique de projet de sa conception à sa réalisation doivent parvenir à coordonner les acteurs concernés et doivent donc, sans cesse, parvenir au mieux à articuler leurs différentes temporalités ».44 Cette articulation se fait à travers différentes stratégies mises en œuvre de leur part sans qu’ils aient une vision d’ensemble des temporalités du projet. Plus encore, ces acteurs élaborent ces stratégies pour tenter de maîtriser les différents temps, mais surtout pour s’adapter aux temporalités des autres acteurs, considérées alors comme contraignantes. La prise en compte de la temporalité ajoute des questionnements autour de l’après-projet, mais qui ne se font qu’à travers des dispositifs d’évaluation. « Le fonctionnement du nouvel espace urbain est compris sous un angle technico-environnemental, auquel ne saurait être réduit le développement durable ». 45 La temporalité ne s’évalue pas à travers les dispositifs techniques mais à travers les usages. De par sa proposition de repenser l’articulation des différentes échelles de temps, le développement durable pourrait entraîner une redéfinition des temps traditionnellement compris dans l’activité de projet, une remise en question du projet urbain comme opération d’aménagement marqué par un début et une fin, renouvelant les représentations temporelles de la production de la ville. Peut-être cela permettrait de répondre à des questions polémiques qui concernent le développement durable : combien de vie devrait avoir un bâtiment ? Est-ce qu'il faut mieux construire les bâtiments éphémères avec des matériaux biodégradables ou plutôt flexibles avec des matériaux 44
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Sandra Mallet et Thomas Zanetti, « Le développement durable réinterroge-t-il les temporalités du projet urbain ? », Septembre 2015, (consulté le 01.05.2016) (en ligne) http://vertigo.revues.org/16495 ; DOI : 10.4000/vertigo.16495 Idem
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et des technologies qui résistent à l'épreuve du temps ? Rôle des acteurs Nous avons abordé brièvement à plusieurs reprises l'aspect social du développement durable, il est le temps de s'interroger de manière plus détaillée pourquoi la question sociale soulève la controverse. Le rôle des acteurs dans un projet durable devient de plus en plus souvent le sujet de débat. Il existe un décalage fondamental entre comportements nécessaires à la production et au fonctionnement des nouveautés techniques et d'outre part les savoir-faire et savoir-vivre en usage. Les cycles techniques sont indissociables des comportements sociaux. Une parfaite connaissance de fonctionnement du bâtiment de la part des utilisateurs, est la garantie d'un bon usage. Si usager n'est pas applique on risque une contre-performance. Un autre paradoxe lié au développement durable consiste à la participation des acteurs dans le montage du projet. La conception architecturale et urbaine n'est plus l'adaptation de quelques professionnels privilégiés. « Les villes, les communautés urbaines de toutes tailles et sur tous les continents, ont aussi compris ce qui sont leurs citadins qui assureront l’efficacité de leurs projets ».46 Selon une étude commandée par la société Veolia, près de trois citadins sur dix seraient prêts à modifier leur mode de vie, à réduire leurs déchets, leur consommation de l'eau, à limiter leur usage d'automobile.47 Pourtant, encore aujourd’hui les usagers sont parfois dépourvus de possibilité de participer au projet dont ils seront les utilisateurs. Une attitude qui limite l'engagement des usagers et citoyens, en laissant le processus de création réservé seulement aux « spécialistes de bâtiment » a ses origines dans le Mouvement Moderne. Aujourd'hui ce lourd héritage reste toujours présent, et de plus la complexité des acteurs et conflit des intérêts empêchent les usagers/habitants/citoyens de participer au projet qui leur concerne. « La multiplication des acteurs a une conséquence importante : le projet urbain et architectural est devenu ce qu'on pourrait appeler une « entreprise-projet » qui, contrairement à la plupart des entreprises, est éclatée, éphémère et fractionnée ». 48 Certains acteurs n'y sont en effet appelés, qu’occasionnellement pour une mission partielle, sans avoir participé préalablement à l’élaboration d'objectifs communs ni à l'adoption de méthodes de travail partagés. D'autres interviennent alors que la plupart des décisions sont déjà prises. Les défauts d'organisation sont très présents dans les projets durables, les acteurs travaillent très souvent individuellement sans partager son savoir-faire et d’intérêts avec des autres acteurs. Le processus de conception est à la fois collaboratif et participatif. La mobilisation des acteurs est nécessaire à la réussite du projet durable. Malheureusement celle-là est souvent absente. Nous allons étudier plus en détail ce phénomène dans la partie suivante de présent mémoire en s’appuyant sur l’exemple de la ZAC Pajol et d’autres exemples pertinents. 3. LES AXES DE LA CRITIQUE SUR L’EXEMPLE EXISTANT : LA ZAC PAJOL Le développement durable étant un paradigme très large nécessite une démonstration sur les exemples empiriques. Après avoir mis en évidence les aspects clefs de ce paradigme, nous allons illustrer nos propos sur l'exemple de la ZAC Pajol, un projet Nord-Parisien. Premièrement, nous allons mettre en évidence : l'aspect historique (dont l’évolution de projet, l'histoire du site), la spécificité architecturale en tant qu’architecture industrielle, analyser la temporalité sous l'angle des acteurs qui ont participé à la transformation de projet. Cela nous permettra de mieux comprendre les choix architecturaux et le contexte 46
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Jean-Jacques Terrin, « Le projet du projet. Concevoir la ville contemporaine » Editeur : PARENTHESES, Collection : ARCHITECTURE, 2014 François de Joenevel, « Perspectives de modes de vie urbains » Jean-Jacques Terrin, « Le projet du projet. Concevoir la ville contemporaine » Editeur : PARENTHESES, Collection : ARCHITECTURE, 2014
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urbaine ainsi que de donner le point de départ pour les axes de la critique : axe social, axe technique, axe environnemental, axe expérimental. Nous allons situer la ZAC Pajol au centre de notre analyse, accompagnée des autres exemples. Souvent négligé, l'aspect historique est portant essentiel pour avoir une vision globale et situer dans un contexte plus large la problématique des paradoxes de développement durable. Dans le cas du projet choisi, qui s'inscrit à la fois dans le cadre de développement durable mais qui est aussi le cadre, de rénovation urbaine, l'analyse historique est indispensable pour pouvoir expliquer la spécificité de projet.
Fig. 6. L’emplacement de projet ZAC Pajol sur la carte de Paris Source : Google Earth Pro
Présentation de projet ZAC Pajol, l'histoire du site et de son développement urbanistique Le site de projet se situé dans le XVIII arrondissement de Paris, entre deux très importantes gares de Paris : Gare de Nord et Gare de l'Est. Au XIXe siècle, cette zone fait partie de la commune de La Chapelle. « Depuis la seconde moitié du 19e siècle, le site de 3,4 hectares a été marqué par les débuts de l’ère industrielle et l’évolution du chemin de fer. Après la guerre de 14-18, avec le dédoublement des voies de la gare de l’Est, des infrastructures de fret ferroviaire sont construites le long du faisceau ». 49 En 1926, à l'occasion de l'agrandissement de la gare de l'Est, les services des douanes et messageries des chemins de fer de l'Est furent transférés rue Pajol. Plusieurs bâtiments furent construits à cette occasion : un bâtiment à deux étages sur sous-sol, de 105 m x 22 m, pour les bureaux de ces deux services. Le rez-de-chaussée s'organisait en une série de bureaux de part et d’autre d'une galerie longitudinale couverte d'un comble en béton translucide. Le second étage servait aux logements des chefs de service. Ce bâtiment abrite aujourd'hui le Collège Aimé 49
http://www.halle-pajol.fr/
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Césaire. Un autre bâtiment faisant partie de l’ensemble était une halle des messageries de 196 m x 20 m constituée par des pans de fer avec remplissage en briques et couvert avec des combles en Sheds, et desservie par une cour supérieure de 22 m de largeur. Des passerelles transversales avec monte-charges et goulottes assuraient la liaison entre la halle et les quais sans avoir à traverser les voies (aujourd'hui la Halle Pajol). Dans l’ensemble du XIXe siècle se trouvait aussi : la Halle des Douanes à trois étages, de 90 m x 30 m, construite en béton armé comprenant des combles vitrés (qui abrite aujourd'hui l'IUT Paris Diderot), la cour supérieure des messageries, le long de la rue Pajol jusqu'à la rue Riquet (qui a été aménagée en Esplanade Nathalie Sarraute), la cour des Douanes, qui séparait la halle des douanes de la rue du Département (devenue aujourd'hui le square Françoise-Hélène-Jourda). L’ensemble portera le nom de « messageries de l’Est » durant toute l’activité industrielle qui s’étendra pendant près de soixante-dix ans jusqu’au début des années 1990.
Fig.7. (du haut en bas) Services des Messageries et de la Douane, angle des rues Pajol et du Département, plan détaillé ; Halle des messageries, coupe transversale ; coupe transversale. Source : Les Archives de Paris
Pendant son activité, la halle Pajol, desservie par quatre voies ferrées, était destinée au chargement et déchargement des colis postaux. Avec une technologie constructive caractéristique d’une architecture fin XIXe siècle, la halle Pajol a été un bâtiment industriel très fonctionnel en matière de dispositifs de circulation et d’organisation de ses volumes intérieurs. Ces éléments architecturaux deviendront par la suite un vrai atout pour la future la reconversion, assurant la flexibilité de l'aménagement intérieur. Françoise-Helene Jourda explique le défi de la rénovation de ce patrimoine ferroviaire : « Quand le concours a été lancé par la ville de Paris, il nous a fallu trouver un parti qui permettrait de conserver l’esprit du lieu, sans pour autant développer une réhabilitation « classique » qui n’avait que peu d’intérêt de fait de l’absence de grande qualité architecturale ou constructive de l’édifice ». 50 Une fois « déshabillée » que la halle retrouvait sa valeur : celle de volume crée par la vaste charpente métallique. Très rapidement, l’ancienne charpente métallique réhabilitée retrouve sa fonction d’abri, tantôt parasol et tantôt parapluie, sous lequel s’installe le nouveau 50
Margot Guislain, « La Halle Pajol » Editeur : Archibooks, 2014
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Fig.8. Plan de rez-de-chaussée de la hall Pajol: 1. Commerces, 2. Hall d’accueil Auberge de jeunesse, 3. Hall d’accueil Bibliothèque, Source : www.jourda-architectes.com/
Fig.9. Axonométrie : la répartition des grands éléments de programme, Source : Margot Guislain, « La Halle Pajol » Archibooks, 2014
Les sites ferroviaires ont largement contribué à modeler un type de paysage périurbain depuis le XIXe siècle, en imposant une nouvelle logique de développement au territoire : segmentation les paysages et développement de nouvelles dynamiques de croissance. En même temps les gares de Paris se caractérisent par la situation urbaine exceptionnelle : ils se situent au milieu de tissu urbain existant. Cette spécificité donne une valeur supplémentaire aux éventuels projets de reconversion des friches. On peut observer cette opportunité dans le cas de projet de reconversion de la ZAC Pajol. En même temps le manque de végétation dans ce secteur de Paris est significative : la reconversion peut participer à la mise en valeur des espaces verts dans le milieu urbain. 27
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« La programmation de la ZAC Pajol a vocation à en faire un élément structurant de l'arrondissement, qui devrait avoir un impact important sur le développement économique et local du territoire ».51 En effet, celui-ci souffre d'un enclavement et d'un manque d'équipements publics. Il concentre des problématiques socio-économiques difficiles. Ses habitants considèrent qu'il a longtemps été « délaissé » par les pouvoirs publics. Le projet de la ZAC Pajol devient ainsi emblématique d'une reconsidération du territoire et de ses habitants. Il s’inscrit également sur la grande échelle : « Le projet de la halle Pajol est lié au développement d’une vaste opération d’aménagement et de requalification urbaine baptisée Paris Nord – Est, qui couvre un territoire compris entre la porte de la villette et la porte de la Chapelle ».52 Temporalité du projet. Évolution dans le temps : le projet soumis aux contraintes Au début des années 80., l'activité d'ancien entrepôt SNCF n'a pas tout à fait cessé sur le site Pajol, mais partout ailleurs la reconquête des friches industrielles est en cours. Après l’arrêt de l’activité industrielle, le site appartenant à la SNCF devient une friche urbaine. Négociations entre la ville de Paris et la SNCF durent un certain temps : « Lorsque la ville a proposé de racheter le site Pajol, il était désaffecté, il n'y avait plus d'utilisation ferroviaire, et le terrain appariaient à un seul propriétaire, RFF. (…) Le prix est en général moins élevé lorsque la ville achète dans le but de réaliser un espace vert : le site a bénéficié de 25% pour cent de remise ». 53 Les négociations avec la SNCF n’était cependant pas une tâche facile, à la question « Quelles ont été les discussions les difficiles avec la SNCF ? » Baptiste Le Brun, le directeur des opérations urbaines à la SEMAEST chargé du projet Pajol, répond : « Celles concernant l’évacuation des structures métalliques par voies ferres. Cela a été très compliqué à mettre en place : la SNCF ne souhaitait pas que l'on utilise ses voies (…) nous avons dû faire intervenir Daniel Vaillant (maire du XVIIIe arrondissement) auprès de la directrice de fret SNCF pour faire accepter le projet ». 54
Fig.9. Halle métallique comme plateforme de chargement pour les marchandises, années 80. Source : http://www.halle-pajol.fr/
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La citation fait partie de la documentation remise aux participations d'une journée d'étude qui a eu lieu le 18.09.12 et intitulé « L'implication des habitants dans les projets d’écoquartiers en France : quelles pratiques, quelles perspectives ? » Margot Guislain, « La Halle Pajol » Editeur : Archibooks, 2014 L'entretien avec adjoint au maire de Paris, en tant que chargé de l'urbanisme, jusqu’en 2008, Jean-Pierre Caffet (in) Carine Merlino, Soline Nivet, « Paris Pajol : la ville en partage » Editeur :Archibooks, 2014 L'entretien avec Baptiste Le Brun, le directeur des opérations urbaines à la SEMAEST chargé du projet Pajol (in) Carine Merlino, Soline Nivet, « Paris Pajol : la ville en partage » Editeur :Archibooks, 2014
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Fig.10. Esquisse d’aménagement de 620 logements, 1994, Source : Margot Guislain, « La Halle Pajol » Archibooks, 2014
Le projet de la ZAC Pajol s’inscrit dans une temporalité assez longue. Son histoire peut être décomposée en trois temps : premier projet dans les années 1994-95 sous la mandature de Jacques Chirac puis de Jean Tiberi: projet d'un ensemble de 620 logements pour lesquels il était prévu de détruire la halle, deuxième projet présenté au début des années 2000, au début de la première mandature de Delanoë, comportant des équipements et prévoyant la destruction de la halle et finalement le troisième projet pensé à partir de 2002, sur le principe d'une ZAC sans logements mais avec des équipements et des espaces verts et dans lequel il est prévu de réhabiliter la halle. Durant la période de la friche urbaine qui va du milieu des années 90 au démarrage de chantier du nouveau projet, des artistes, des associations socio-culturelles, des jardins partagés, un parquet de bal transformé en théâtre… occuperont les lieux de façon éphémère et permettront ainsi d’expérimenter de nouvelles formes d’expression artistiques au plus près de la population. La presse commence à s'intéresser à la halle Pajol à l'occasion d'un singulier épisode. Le sculpteur argentin, Carlos Reggazoni, s'est installé dans la halle et l'occupait pendant dix ans. « D'un côté, une halle de 3000 m² pour un artiste, de l'autre une multitude d’équipements publics pour tous les habitants du quartier. Pour les promoteurs de la ZAC Pajol, le dossier de Carlos Regazzoni ne fait pas le poids face à l’intérêt général ».55 Mais ce que ne disent pas les journalistes, c’est l'influence de cet artiste et des autres artistes de la scène off sur la perception positive du site qu'ils ont occupé. Cette étape de la transformation de l'ancienne friche est souvent oubliée, cependant elle permet de comprendre comment et pourquoi le projet a pris cette et pas d'autre direction. La participation des artistes a permis d'attirer l'attention des habitants, de mettre en valeur des espaces et de donner la direction vers le développement durable. « Notre argument était de dire que la halle était un témoignage du patrimoine industriel. Depuis l’extérieur, elle ne paraissait pas très belle, mais l’intérieur était impressionnant par sa capacité volumétrique (…) nous nous sommes rendu compte de son potentiel pendant tout la période de fermeture du site, au début des années 2000, lorsque la halle était occupée par des artistes ». 56
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Benoît Hasse « Le géant génial de la halle Pajol tient tête à la SNCF », Le Parisien, 20 novembre 2004 L'entretien avec porte-parole de la Coordination espace Pajol (CEPA), Olivier Ansart (in) Carine Merlino, Solin Nivet « Paris Pajol : la ville en partage » Editeur :Archibooks, 2014 56
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« Dressée par l'APUR57 en 1993, la première Esquisse de l’aménagement de la gare Pajol et de la Cour Maroc prévoit la pincement de réseau ferré et la démolition de l’ensemble des bâtiments au profit du tracé des sept îlots réguliers ».58 En 1994, la Ville de Paris prévoit d’acquérir le terrain, de raser la halle ainsi que le bâtiment des messageries pour y construire un lotissement de plus de 600 logements. Ce projet sera suspendu en 1999 puis relancé au début des années 2000 sur la base d’une programmation plus en adéquation avec les attentes des habitants. Selon le président de l’entreprise d’aménagement SEMAEST, Philippe Ducloux « Le quartier la Chapelle manquait cruellement d’espaces verts, d’équipements culturels, scolaires, mais aussi de lieux de convivialité où les habitants pouvaient se retrouver. Dans ce contexte, une nouvelle programmation a vu le jour, qui répondait aux besoins du quartier et plus largement à ceux de la collectivité parisienne ». 59
Fig.11. Les sculptures de Carlos Reggazoni dans la halle Pajol, années 90., Source : Margot Guislain, « La Halle Pajol » Archibooks, 2014
Continuité et discontinuité de l'application des citoyennes et d'autres acteurs Dans les prochains paragraphes nous allons expliquer les enjeux liés à la participation citoyenne dans le cadre d’un projet durable sur l’exemple de la ZAC Pajol puis en comparaison avec d’autres projets. Pour mieux comprendre les enjeux, nous allons tout d’abord présenter la structure des acteurs qui ont pu participer au montage de cette opération.
La maîtrise d’ouvrage du projet de la ZAC Pajol était partenariale. Elle a impliqué à la fois la Mairie de Paris, à travers de son Maire et de son adjoint à l’Urbanisme, mais aussi la Mairie du XVIIIe arrondissement. Aussi bien les élus que les services techniques sont impliqués : notamment la Direction de l’Urbanisme de la 57 58 59
Atelier parisien d'urbanisme Carine Merlino, Soline Nivet, « Paris Pajol : la ville en partage » Editeur :Archibooks, 2014 Margot Guislain, « La Halle Pajol » Editeur : Archibooks, 2014
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Ville de Paris, au sein de laquelle un chef de projet travaille spécifiquement sur cette opération. A partir d’août 2004, la SEMAEST (Société d’Economie Mixte...) devient aménageur de la ZAC. La SEMAEST a assuré un rôle d’assistance à maîtrise d’ouvrage de 2003 à 2004 en réalisant les études préalables à la création de la ZAC. Une programmiste a également été recrutée en AMO, mais elle n’a pas mené sa mission à terme. Enfin, en ce qui concerne spécifiquement la halle, la FUAJ est associée dans un premier temps en tant que maître d’ouvrage car le bâtiment abritera une auberge de jeunesse. Les maîtres d’œuvre sont aussi divers. A partir de 2003, une équipe est missionnée pour assurer la maîtrise d’œuvre urbaine : Jeanine Galiano (de l’agence Galiano-Simon-Ténot) devient architecte- coordinatrice. En ce qui concerne les réalisations architecturales, chaque bâtiment a un maître d’œuvre : pour la Halle, c’est Françoise-Hélène Jourda. Elle travaille avec une équipe de paysagistes, In Situ. Du côté de la société civile, les acteurs impliqués dans le processus participatif sont d’une part des représentants d’associations du quartier regroupés en coordination (la CEPA60 constituée à l’initiative de l’association Cactus) et d’autre part des architectes, urbanistes et sociologues qui s’étaient bénévolement organisés pour réfléchir à la ZAC Pajol dès 2002 au sein de la cellule de prévisualisation. Une partie des représentants associatifs présents dans le processus participatif pour la ZAC Pajol s’étaient déjà mobilisés contre le premier projet dans les années 1990, tandis que d’autres commencent à se mobiliser en 2002. Depuis cette date, plusieurs d’entre eux sont restés impliqués tout au long des années 2000. Par ailleurs, les habitants non organisés en association ont été sollicités à l’occasion de réunions publiques. L’opposition initiale des habitants à la destruction de la halle (afin de construire 620 logements) a amené l’adjoint à l’urbanisme du Maire de Paris à demander une remise à plat complète du projet. « En réalité, l’intérêt du projet est dans sa genèse : comment occupe-t-on une friche ? Comment négocie-t-on avec des habitants ».61 Ainsi, il semble que la mobilisation des habitants ait fortement modifié les objectifs initiaux. « On leur a dit, attendez ce n’est pas possible ! On a un collège trop petit, on n’a pas d'école, il y a trois brins d'herbe ! Je me voyais mal accepter que l'on fasse venir des gens sans leur offrir simultanément des équipements publics. » 62. Un habitant du quartier et architecte, fondateur de la « cellule de prévisualisation » a justifié cette opposition de point de vue architecturale : « A ce moment-là, à Paris, on démolissait beaucoup, des pans entiers de la ville étaient reconstruis uniformément. […] Reconstruire la vie à l’intérieur est plus difficile dans ces quartiers nouveaux, quand les choses ne se sont pas passées de manière progressive. Donc je suis venu dans ces associations pour aider dans la bataille. Avec une certaine position, des argumentaires, et pour contrecarrer ce projet un peu surréaliste »63 Suite à cette opposition, l’opération fut suspendue. Ce deuxième projet a pris la forme d'un schéma d’aménagement avec des équipements mais il continuait à prévoir la destruction de la halle. De ce fait, il a provoqué à nouveau une mobilisation des habitants. Elle s’est exprimé à travers la création de la cellule de prévisualisation. Celle-ci a eu pour objectif d’aider les propositions « émanant du quartier » et plus spécifiquement des associations et des habitants. Pendant la réunion publique ses membres ont argumenté, grâce à un projet qu’ils ont édifié (sous forme de maquette et de visuels), qu’il est possible de conserver ce bâtiment. Il faut préciser que les habitants se positionnent dès le départ en tant que « réformistes » et non comme « contestataires ». Alors même si de nombreux maîtres d'ouvrage redoutent voire refusent la mise en place de dispositifs participatifs par crainte de l'opposition souvent portée par les associations locales, le cas de la ZAC Pajol montre bien comment celle60
Il s’agit de la Coordination Espace Pajol qui se définit comme un « groupe d’habitants, d’associations et de professionnels de l’urbanisme, bénévoles, réunis pour réfléchir ensemble sur l’avenir du site Pajol » 61 L'entretien avec adjoint au maire de Paris, en tant que chargé de l'urbanisme, jusqu’en 2008, Jean-Pierre Caffet (in) Carine Merlino, Soline Nivet, « Paris Pajol : la ville en partage » Editeur :Archibooks, 2014 62 Siska Piérard, Présidente de l’association Cactus 63 Membre de la cellule de prévisualisation et de la CEPA
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ci n'est pas nécessairement contre-productive dans un projet d'aménagement et dans les possibilités d'interactions entre habitants et acteurs institutionnels.
Fig.12. Le potager dans le périmètre du jardin de la Halle Pajol : une des initiatives des habitants. Source : photo personnelle
Lors les réunions des comités de suivi, plusieurs points de vue s’affrontent, notamment en ce qui concerne le nombre de travées de la halle à conserver ; la taille (mètres carrés et hauteur) et l'emplacement de l'immeuble d'activités ; les usages et l’aménagement de la salle de spectacle ; l'élaboration de cahiers des charges de concours ; les questions de desserte et de flux. La discussion la plus tendue concerne le nombre de travées de la halle qui doivent être conservées, la volonté d’en gardes engagent vivement dans le débat. Certains membres associatifs du comité de suivi ont pris ainsi position pour la conservation du maximum de travées. Ils ont cherché alors à appuyer leur point de vue par l’avis d’un professionnel contacté dans une optique militante : c’est pourquoi ils se sont mis en relation avec une architecte connue pour ses réalisations éco-techniques : Françoise-Helene Jourda en lui demandant de dire, à titre bénévole, ce qu’elle pense des possibilités de conservation et de réhabilitation de la halle. Selon son témoignage, « Il fallait conserver cette halle (…) Moi, j'avais livré mon bâtiment à Herne Sodingen en Allemagne avec 10 000 m² de photovoltaïques 10 ans avant. En France, je bouillais de voir dans quel état on était. Car il faut voir que le BBC a fait des progrès formidables depuis seulement quatre ou cinq ans [2012]. Mais on vient de très loin. Donc j'ai proposé ça. Je prends mes responsabilités sur ce rapport d'expert» 64 Ce conflit est révélateur des frontières qui restent encore à franchir entre les sphères politiques, professionnelles et habitantes. Il met aussi en valeur des nouvelles figures d’acteurs, notamment le professionnel agissant à titre de militant, l’habitant s’entourant d’expertise, le politique allié à un groupe d’habitants.
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Françoise-Helene Jourda (in) Margot Guislain, « La Halle Pajol » Editeur : Archibooks, 2014
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Jean-William Souffront, le directeur des opérations urbaines au sein de la SEMAEST, décrit le caractère de la relation entre les acteurs. A la question « Comment la SEMAEST a-t-elle communiqué, par la suite sur les projets avec les habitants du quartier ? » il répond : « Nous avons fait un énorme effort sur la communication, en mettant tous les moyens possibles. Nous avons fait un petit magazine spécial, 22bis rue Pajol, qui marche encore d'ailleurs ». 65 Du côté des habitants, Siska Piérard, Présidente de l’association Cactus exprime son avis : « On a travaillé en confiance et je dis heureusement que l'on a eu Michel Neyreneuf comme élu référent du projet Pajol parce que ça ne se serait pas passé comme ça avec les autres élus, par rapport à ce que l’on a pu faire sur Pajol »
Fig. 13. Les jardins provisoires installés dans la cour de la future halle Pajol par les habitants de quartier. Source : Merlino, Soline Nivet, « Paris Pajol : la ville en partage » Editeur Archibooks, 2014
Malgré un grand engagement de la part des citoyens au début, le dialogue exemplaire entre les acteurs dure jusqu’au moment de la conception architecturale. Les groupes de travail des habitants ne sont pas pensés pour accompagner cette étape. Le début du travail de création architecturale et paysagère clôt la période intensive de la concertation qui reste concentrée sur les questions de programmation. Les maîtres d’œuvre de la halle estiment qu'ils n'ont pas travaillé avec les habitants. En miroir, les habitants pensent également que s'ils ont pu échanger avec les concepteurs sur leurs propositions, ils n'ont pas « travaillé » avec eux à leur élaboration. Il semble en effet qu’il y ait un écart entre des discussions impliquant les habitants sur des éléments programmatiques et le processus de conception des équipements. Néanmoins cela ne décourage pas des associations à poursuivre leur travail pour le quartier une fois bâtiment livré. Certains associatifs, notamment un architecte, envisagent en effet la création des actions socioculturelles dans la continuité de l’engagement concernant l’aménagement urbain, qui va aller au-delà de la ZAC Pajol. « Il faut établir un travail en profondeur avec les habitants au cours de l'année et cette fois-ci avec les communautés chinoises, sri lankaises, maghrébines etc. Il faudrait les inviter à s'exprimer à travers ces manifestations. Elles seront
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L'entretien avec Baptiste Le Brun, le directeur des opérations urbaines à la SEMAEST chargé du projet Pajol (in) Carine Merlino, Soline Nivet, « Paris Pajol : la ville en partage » Editeur :Archibooks, 2014
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organisées autour de la danse avec des compagnies connues bien au-delà du quartier, au niveau national. » 66 Cette opération est une des rares opérations françaises à avoir fait l’objet à la fois d’une mobilisation habitante et de la mise en place d’un dispositif participatif ayant œuvré à la définition du schéma d’aménagement d’urbain et à des choix programmatiques. En ce sens, ce projet illustre une constante notée dans les recherches menées dans le champ de l’urbanisme sur les dispositifs participatifs en France : même lors de projets dans lesquels les habitants ont été fortement impliqués, ces derniers sont rarement invités à participer à l’intégralité du processus d’élaboration du projet. Le projet étant une expression de l'innovation et technique reste un objet de réflexion des spécialistes, qui souvent ne prennent pas en compte l'usage et la dimension humaine de l'architecture. Pourtant le développement durable étant un concept qui agit à travers la transparence et la synergie, devrait avoir un impact direct sur l’amélioration de processus de participation des habitants et des usagers. Afin d’élargir le champ de la critique nous allons dans les prochains paragraphes confronter l'application des citoyens et d'autres acteurs dans la ZAC Pajol avec les autres écoquartiers européens. « Un des objectifs de la ville durable est de proposer à ses habitants et à ses usagers une qualité de vie durable qui s’exprime dans sa dimension sociale, par des objectifs d’équité, de solidarité, de mixité et de diversité, de convivialité et de participation citoyenne ».67 Ils existent des projets qui ont été initiés entièrement par les citoyens, d’autres qui n’ont jamais fait l’objet de la préoccupation citoyenne. Le projet Eva-Lanxmeer construit de 1994 à 2009 dans la ville de Culembourg aux Pays-Bas fait partie de ce premier type des projets. Le projet a été créé par des intellectuels et militants de la cause écologiste réunis un sein de Fondation EVA. Ils ont d’abord conçu leur projet d’écoquartier, puis pour le mettre en œuvre, ils ont recherché un territoire. « A EVALanxmeer, l’appel aux expressions d’intérêt a dépassé le cercle des résidents locaux puisque les réseaux associatifs et d’interconnaissance hollandais ont permis d’identifier les futures résidents ».68 Dans les exemples européens (hors France), les communes font appel très précocement, aux habitants et aux riverains pour plébisciter et exprimer leur adhésion à l’établissement du le quartier durable. Il est courant dans les pays du Nord de l’Europe, que la venue et l’investissement dans le quartier soient construits (publiquement) comme une adhésion idéologique et politique. C’était le cas de l’opération EVA-Lanxmeer et Kreuzberg. Habiter ensemble devient sorte d’action d’intérêt général qui contribue à la réduction des problèmes environnementaux. Les habitants se sentent favorisés, ils deviennent des acteurs de la valorisation du quartier durable. Quelle est la bonne place des habitants dans un projet durable ? Dans certains projets, les habitants sont associés en amont comme résidents mais surtout futurs gestionnaires, voire exploitants du quartier. C’est pour cela qu’un soin particulier doit etre mise en œuvre en ce qui concerne la sensibilisation des futurs usagers. Les dispositifs environnementaux exigent une surveillance constante et pointue, seuls les habitants sont en mesure de l’assurer (par exemple, le recyclage de l’eau suppose une vigilance permanente des rejets de chacun dans le réseau commun). L’introduction des habitants dans la gestion des espaces et des équipements permet de maintenir l’identité des lieux mais aussi d’améliorer la solidarité sur la base d’une adhésion idéologique. « Dans certains cas, le contrôle mutuel est clairement formalisé : à EVA-Lanxmeer, GWL-Terrein, Krosenberg, es habitants signent préalablement sorte de charte d’usages et s’engagent à la respecter. Dans ces trois sites, des responsables de quartier (gestionnaires) ont été désignés pour assurer ce contrôle direct en lien avec les instances de décision : association de quartier, co-propriétés, municipalité… »69
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Architecte, membre de la cellule de prévisualisation et de la CEPA Charlot-Valdieu C., Outrequin, P, «L’urbanisme durable : Concevoir un écoquartier », Le Moniteur Editions, 2009 68 Taoufik Souami ., «Écoquartiers, secrets de fabrication. Analyse critique d’exemples européens », Éditions les Carnets de l’info, Paris, 2009 69 Ibidem 67
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Pourtant, dans certains projets comme le projet Bo01, le personnel en charge de la maintenance n’a été formé que très tardivement à ces nouveaux équipements ce qui a entrainé de nombreux dysfonctionnements pendant les premières années d’exploitation du projet. Un autre exemple du même quartier : l’installation d’une centrale de cogénération par gazéification, a considérablement augmenté le coût du projet sans pour autant permettre au quartier d’atteindre son objectif. Qui plus est, la technologie utilisée pour la centrale de cogénération n’étant pas maîtrisée, elle n’a fonctionné que très peu de temps et va bientôt être remplacé par une chaudière bois. L’implication des habitats peut également avoir des mauvais côtés à cause du coût social de la participation qui devient de plus en plus important : jusqu’à quel point pourrait-il etre supporté par large éventail des sociétés urbains ? Est-ce que cela n’engendre pas la gentrification ? En France nous pouvons observer souvent un manque d’intervention de la part des habitants. Ceux-ci interviennent tardivement dans l’élaboration des quartiers durables. Certes les modes de mobilisation sont spécifiques aux contextes politiques, historiques, locaux : tous les citadins ne sont pas sur le font de la mobilisation… En revanche, il ne faut pas oublier que l’attention et la mobilisation se construisent quand des actions et des projets sont rendus plus concrets et plus clairs. En France, les quartiers durables sont principalement initiés par les collectivités (le plus souvent par un couple technicien-politique. Pourquoi ? Le pouvoir et le savoir-faire rendent le projet plus réaliste, en France on tient beaucoup à la crédibilité. Rappelonsnous : la ZAC Pajol a été initiée par la ville de Paris et l’adjoint de mairie responsable d’urbanisme. Les habitants arrivent plus tard (avec leur remise à plat de projet). La fragilité de ce système réside dans le passage politique plus large (plusieurs élus, plusieurs techniciens…) mais aussi dans les changements fréquents sur la scène politique. Les projets durables, qui durent en général des dizaine d’années, risquent de subir les changements politiques. Anne Gomez, chef de projet ZAC Pajol à partir de 2005 explique l’histoire langue de la participation citoyenne : « C’est une histoire des conjonctions d’évènements : l’alternance politique, la situation environnementale… La démocratie participative à l’époque était à ses débuts, et la halle est devenue un peu le symbole de cette résistance urbaine ».70 Un autre problème qui apparait souvent dans les quartiers durables français c’est le manque d’articulation entre l’effort environnemental et des questions sociales. La vision d’un quartier durable en France est basée sur l’image de la qualité environnementale. « Il va donc s’agir pour les écoquartiers français de rompre avec des conceptions « protectionnistes » voire « anti-urbaines », des politiques environnementales dont les racines historiques et disciplinaires sont profondément ancrées dans la culture de ceux qui définissent et conduisent ces politiques ». 71 Quand un ancien entrepôt ferroviaire devient un bâtiment high-tech... Comment et à quel moment l'idée de créer un projet durable est-il né ? Michel Neyerneuf, issu du milieu associatif, adjoint au maire de XVIIIe arrondissement, chargé d'urbanisme à la question « L’opération Pajol est-elle devenue innovante du fait de nouvelles expérimentations liées au développement durable ? » donne la réponse suivante : « Oui. L'approche environnementale n'était pas prévue au départ. Bertrand Delanoë (sénateur de Paris de 1995 à 2001, puis maire de Paris de 2001 à 2014) a demandé à ce que le projet soit conçu dans ce sens. (...) Le développement durable est devenu un réflexe automatique aujourd’hui. La logique a fait prendre la décision d'installer des panneau photovoltaïques ».72 On peut constater que ce genre d’incitative est tout à fait bienvenue, malheureusement, et c'est aussi le cas de projet ZAC Pajol, le concept de développement durable est perçu de manière superficielle, avec un intérêt porté spécialement sur les performances (la technologie) et au détriment d’une réflexion plus poussé . 70
L'entretien avec Anne Gomez, chef de l’aménagement de projet ZAC Pajol à partir de 2005 au sein de la ville de Paris, adjoint a (in) Carine Merlino, Soline Nivet, « Paris Pajol : la ville en partage » Editeur :Archibooks, 2014 71 Taoufik Souami ., «Écoquartiers, secrets de fabrication. Analyse critique d’exemples européens », Éditions les Carnets de l’info, Paris, 2009 72 L'entretien avec Michel Neyerneuf, issu du milieu associatif, adjoint au maire de XVIIIe arrondissement, chargé d'urbanisme (in) Carine Merlino, Soline Nivet, « Paris Pajol : la ville en partage » Editeur :Archibooks, 2014
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Fig.14. 3 500 m² de panneaux photovoltaïques couvrant le toit de la halle Pajol, Source : www.jourda-architectes.com/
Dans l’introduction nous avons évoqué le paradoxe relie à l'application de l'architecture high-tech dans le contexte de projet durable. La hall Pajol qui abrite une auberge de jeunesse est conçue dans l'esprit de style architectural high-tech et low-tech. Que signifient les termes high-tech et low-tech en architecture ? Hightech : « Se dit des technologies de pointe, des industries utilisant ces technologies ».73 Dans le cas de monde de bâtiment, il va s’agir d'un bâtiment performant énergétiquement grâce à l'utilisation de la technologies de pointe, mais aussi d'une apparence industrielle. Low-tech : « La nouvelle vision de l'architecture, où la sobriété devient séduisante et où les techniques et la créativité des architectes produisent de nouvelles formes d'architecture : moins opulentes mais plus intelligentes, moins luxueuses mais plus confortables et fonctionnelles ».74 Le développement des nouvelles technologies en architecture a permis de mettre au point des bâtiment Hightech dotés d’un système technologique très développé pour avoir le moins de perte d’énergie possible, et pour tendre vers un bâtiment autonome. Mais il y a un paradoxe entre l’énorme dépense d’énergie nécessaire pour mettre en place des systèmes hyper performant qui vont recouper cette énergie par la suite. Le bilan reste à zéro. Il est donc primordial dans un projet durable que le système constructif, les matériaux utilisés expriment le juste milieu entre l’architecte low-tech et high-tech par rapport à son contexte et le climat dans lequel il se trouve. Nous allons justifier le choix de ces deux systèmes utilisés (qui sont en théorie contradictoires) sur l’exemple de projet choisi. Malgré l'attitude écoresponsable de la ZAC Pajol (la structure est conçue presque entièrement en bois) afin de résoudre les problèmes de ventilation, un système (très sophistiqué) VMC double flux a été mis en place. La Halle Pajol est la première centrale solaire de centre-ville en France : 3 500 m2 de panneaux polycristallins opaques produisent 396 MWh/an (puissance : 471 kWc). Pour produire le dispositif comme des panneaux photovoltaïques il faut beaucoup d’énergie. Avec le temps le système va perdre en rentabilité, et puis on ne sait pas encore comment les recycler. L’équipement performant est d'habitude très coûteux, l'entretien et la réparation comprise. Françoise-Hélène Jourda, l'architecte de la halle Pajol, ellemême admet le fait que « aujourd'hui l'architecte doit s'investir au maximum dans le développement d'une
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Le Petit Larousse Alessandro Rocca “Low cost, low tech. Inventions et stratégies », Actes Sud, 2010
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écriture qui sera peut-être moins bling-bling, mais plus satisfaisante d'un point de vue éthique ». 75 FrançoiseHélène Jourda ajoute concernant les nouvelles technologies dans le monde de bâtiment : « Le produit le plus perfectionné n'a pas d'avenir s'il n'intègre pas son environnement. L'opposition entre le naturel et l'artificiel débouche tôt ou tard sur un déchirement entre la technologie et l'individu qui la possède. La domotique a, a priori, tout pour s'imposer. Ses outils sont matures et permettent même d'optimiser la consommation d'énergie d'un bâtiment. Pourtant, elle ne perce pas. Sa limite n'est pas technologique, mais psychologique ». 76 Cependant si on regarde de plus près les choix des technologies, on peut retrouver les arguments favorables. Dans l’entretien François-Gabriel Perraudin, Responsable BIM chez Jourda
Fig.15. La halle Pajol côté jardin. La structure métallique en shed ajourés abrite un jardin et supporte des panneaux photovoltaïques, Source : photo personnelle
Architectes, précise le contexte de mise en œuvre des systemes complexes : « 3 500 m² de panneaux photovoltaïques couvrant le toit de la halle Pajol, ce n’est pas rien…les gabarits de projet et son bilan global (en matière d’énergie grise et bilan carbone) justifie ce choix. Le coût d'investissement des panneaux photovoltaïques était assez élevé (1,6 millions d’euros HT soit 800 € HT par panneau), montage de dossier financier pas facile, mais malgré tout ça, nous devrons souligner le fait que la Halle représente aujourd’hui la plus grande centrale solaire urbaine de France : l’énergie en surplus qu’elle produit est vendue à EDF ». 77 Baptiste Le Brun, ajoute : « L’aspect le plus important dans une démarche de création dans un projet écoresponsable est d’aller dans le sens de la mutualisation des équipements pour en faire bénéficier le quartier, comme nous avons pu le faire avec le chauffage urbain et les équipements partagés entre FUAJ et les associations locales ». 78 On peut appeler durable le choix d’équipement high-tech qui est justifiable : au même temps au niveau économique, sociétale et environnementale, qui s’adapte au climat et les
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L'architecte de projet de la hall Pajol, Françoise - Hélène Jourda (in) Margot Guislain, « La Halle Pajol, Editeur : Archibooks, 2014 76 L'architecte de projet de la hall Pajol, Françoise - Hélène Jourda, l’entretien sur http://www.industrie-techno.com/latechnologie-devra-apprendre-a-integrer-la-nature.19278 77 L’entretien téléphonique effectue le 11.10.2016 (voir Annexe) 78 L'entretien avec Baptiste Le Brun, le directeur des opérations urbaines à la SEMAEST chargé du projet Pajol (in) Carine Merlino, Soline Nivet, « Paris Pajol : la ville en partage » Editeur :Archibooks, 2014
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caractéristiques du site et du bâtiment.
En ce qui concerne les matériaux choisis, les architectes ont opté pour la construction entièrement en bois (avec le rives de renforcement en béton armé). Les bâtiments sont en contraste avec la halle, ce sont des volumes très purs, parallélépipédiques, construits en bois (murs, planchers et façades), posés sur des fondations indépendantes de celles de la Halle, et “ glissés “ derrière les poteaux de support de la couverture des sheds, en toute indépendance. Le bâtiment est très compact, limitant ainsi les déperditions énergétiques. Les murs d’une épaisseur de 47 cm, sont isolés de manière à supprimer les besoins de chauffage lorsque les bâtiments sont occupés, et à apporter un confort important en été. La halle Pajol qui est un équipement public de grande dimension situé à Paris, en plein milieu urbain, semble constituer une sorte de manifeste en faveur de bois. Cependant, la déforestation représente aussi un danger écologique. Est-ce que l'utilisation du bois dans la construction contribue-t-il vraiment au développement durable ? Françoise-Hélène Jourda explique : « Je reviens toujours à la question : nos ressources sont-ils renouvelables ou non ? (…) depuis qu'on réintroduit le bois dans la construction, les forets se portent encore mieux qu'avant (…) il faut savoir qu’un arbre en train de pousser va absorber beaucoup de CO2 ». Le bois peut être aussi entièrement recyclable. En même temps l’architecte de la Halle Pajol met en évidence le fait, qu’en France les architectes ont été élevés dans la culture de construction en béton. « Aujourd’hui, [béton] est devenu un matériaux d’extrême (…) Je crois que nous devons limiter notre propre créativité en fonction du coût environnemental ».79
Fig. 16. Méthode de levage Béton et Bois : le système constructif de la halle Pajol Source : ARBONIS, l’entreprise chargé de la construction en bois
Il est essentiel de garder un équilibre entre le choix de matériaux et le choix des équipements car l'un a un énorme impact sur l'autre. Dans le cas de projet ZAC Pajol on peut remarquer une contradiction entre le choix de matériaux et des équipements. « Par une multitude des dispositifs techniques et des isolations très efficaces, les bâtiments atteignent de très bonnes performances énergétiques et même l’énergie positive pour la halle ».80 Les dispositifs techniques très sophistiques se mettent en contraste avec la construction en bois qui exprime la sobriété architecturale. La technologie évolue, le système dans lequel nous vivons et dans le-
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L'architecte de projet de la hall Pajol, Françoise - Hélène Jourda (in) Margot Guislain, « La Halle Pajol » Editeur : Archibooks,
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L'entretien avec Baptiste Le Brun, le directeur des opérations urbaines à la SEMAEST chargé du projet Pajol (in) Carine Merlino, Soline Nivet, « Paris Pajol : la ville en partage » Editeur :Archibooks, 2014
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quel nous créons nos bâtiments exige d'avoir toujours plus et du coup de produire toujours plus. La technologie qui est à la pointe aujourd'hui ne sera plus demain. Néanmoins on peut remarquer un effort de la part des concepteurs en ce qui concerne l’utilisation responsable des équipements sophistiqués par exemple : le chauffage et de l’eau chaude sanitaire sont complétés par la CPCU (chauffage urbain, en 60% d’énergie propre en 2010), préchauffage de l'ECS par récupération de chaleur en cuisine et sur les évacuations des douches. Une grande attention a été portée au chantier (une étape souvent néglige dans les quartiers durables) : 4 000 m3 de matériaux issus des démolitions ont été concassés et utilisés en remblai ou pour aménager la rampe d’accès au site, grâce à cela 1 000 camions évités, soit 13 tonnes d’émissions de CO2, la démolition de la halle : 900 tonnes de ferrailles évacuées par voie ferrée pour retraitement chez un sidérurgiste du nord. 140 camions évités, soit 9 tonnes d’émissions de CO2.
La Halle Pajol s’inscrit dans plusieurs objectifs. Un de ces objectifs sont les objectifs du Plan Climat pour 2020 : réduire de 25% les émissions de CO2 dans la capitale (par rapport à 2004), réduire de 25% les consommations énergétiques (par rapport à 2004), faire en sorte que 25% des consommations énergétiques soient issues des énergies renouvelables (par rapport à 2004). Finalisé en janvier 2006, La charte de développement durable synthétise les enjeux sociaux et environnementaux du projet. Outre la rédaction de l’impact du chantier et la labellisation HQE des bâtiments, les réductions des consommations d’eau et d’énergie sont au premier plan, encore plus loin que la réglementation alors en vigueur. La ZAC Pajol est certifiée de label EcoQuartier. « En attribuant le label EcoQuartier, le ministère valorise les opérations exemplaires, qui partout en France, permettent aux habitants de vivre dans des quartiers, conçus selon les principes du développement durable ». 81 Françoise-Hélène Jourda exprime également son avis sur les labellisations et les certificats : « Je suis pour les normes, je suis même pour les quotas, mais cela ne doit pas être une fin en soi, comme cela est souvent le cas. Par exemple, un même bâtiment n'aura jamais les mêmes évaluations par différents organismes. C'est pourquoi nous devons toujours revenir à la source, aux choix que nous faisons, et non nous baser uniquement sur les certificats ». 82 Les exigences de tous ordres, les réglementations pointilleuses sont de plus en plus pénibles à atteindre, elles évoluent très vite et perdent en importance en quelques années. Si on raisonne en valeur relative, en considérant les lourdes contraintes et la grande complexité du bâtiment existant de la halle Pajol, (un ancien entrepôt) on se rendre compte que les réglementations ne suffisent pas de coordonner une telle complexité. Janine Galiano, l’architecte de l’agence Galiano-Simon, responsable de l’aménagement urbaine explique ce que signifie pour elle la dimension réglementaire de développement durable : « Il est à souhaiter que la notion de développement durable ait elle-même une durabilité, qu’elle soit soutenue comme un outil de d’évaluation critique et non comme un instrument de certification ou de préférence ; il n’est pas dit qu’en matière d’environnement le résultat chiffré ait toujours raison ».83 Il existe plusieurs cas différents qui peuvent illustrer l’ambiguïté qui concerne (concernant) les règlementations qui sont appliqués (les réglementations appliquées aux bâtiments durables) aux bâtiments durables. Un de ces exemples est l’écoquartier Rives du Bohrie. Le quartier des « Rives du Bohrie » se trouve à l’Ouest de la commune d’Ostwald. Couvrant une emprise de 50ha, dont 30ha de pleine nature, il est délimité au Nord par le ruisseau de l’Ostwaldergraben, à l’Ouest par la voie ferrée Strasbourg-Bâle, au Sud par l’allée du Bohrie parcourue par la ligne B du tram (3 stations), et à l’Est par les limites des quartiers du Wihrel et Belle-Hélène ainsi que l’Espace Culturel « Le Point d’Eau ». Catherine Linder, la paysagiste responsable du projet les Rives du Bohrie à la question « Faut-il attribuer le label « écoquartier » au projet Rives du Bohrie ? » répond : «La labellisation est un outil marketing,une publicité en faveur des grandes entreprises. L’État veut 81 82
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http://www.logement.gouv.fr/les-ecoquartiers L'architecte de projet de la hall Pajol, Françoise - Hélène Jourda (in) Margot Guislain, « La Halle Pajol » Editeur : Archibooks, 2014 L'entretien avec Janine Galiano, l’architecte responsable de la partie urbaine « Paris Pajol : la ville en partage » Editeur :Archibooks, 2014
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établir un modèle d’écoquartier, et pourtant il n’existe pas de modèle : chaque écoquartier est différent...Certes, cela montre que l’État veut passer à l’action, créer une initiative. Je ne pense pas que les Rives du Bohrie en ont besoin. Selon moi, ce n’est pas le label qui va nous indiquer si le projet « fonctionne » ou pas ».84 Pourtant, cette jeune initiative de l’État a donné lieu déjà aux 19 Labels et 53 diplômes « engagé dans la labellisation » (État au 16.05.15). Charlot-Valdieu et Outrequin prêtent attention à ce questionnement « En effet, comment évaluer la qualité de vie, la qualité de concertation etc? (…) outils d’évaluation (…) font référence à divers types d’indicateurs, y compris des indicateurs qualitatifs(...) ».85 Les auteurs de « Écoquartier, mode d’emploi » reprochent donc au label son intérêt pour tout ce qui est mesurable en priorité sur les thèmes environnementaux. La certification HQE engendre elle-aussi beaucoup de controverse. Les constructeurs peuvent l’utiliser pour faire du « HQE-washing », et ceux qui respectent des règles environnementales plus strictes sont noyés dans la masse des HQE au rabais. En ce sens, la démarche perd de son efficacité et étouffe la recherche environnementale provoquant un nivellement vers le bas de l’innovation dans l’éco-construction. L’objectif originel de l’association « améliorer la qualité de vie dans les bâtiments et préserver la planète » passe en arrière-plan derrière une course à la labellisation. Rappelons que la HQE n'est ni une réglementation ni un label, contrairement à ce qu'on peut lire ici ou là. La HQE est : une démarche de qualité, qui s'appuie sur un « cadre de référence » ; des certifications, chacune adaptée au type de bâtiment concerné (maison individuelle, habitat collectif, bureaux, etc.), une marque déposée, gérée par l'association HQE. La Halle Pajol fait partie des bâtiments français un bâtiment certifiés HQE. Francoise-Helene Jourda prend une position critique envers cette certification « Face à la complexité, notre société qui adore les formules et les solutions toutes faites, invente quantité des labels, de certifications, comme s’il s’agissait de distribuer les points, des coefficients. A mon avis, il s’agit là d’une erreur fondamentale ». 86 Philippe Madec, l’architecte, urbaniste, pionnier de l'éco-responsabilité, et écrivain français, qui a réalisé plusieurs bâtiments certifiés HQE souligne plusieurs aspects importants concernant cette certification. « [certificat HQE] en liant avec force bâtiment et environnement, elle sort le projet des seules problématiques de forme et de mise en œuvre, »87 Autrement dit, elle permet aux architectes d’ouvrir leur champs d’intervention, de sortir de leurs pratiques habituelles, et de définir l’avenir de métier : « depuis que la HQE suscite une nouvelle conception de l’espace, c’est l’architecte qui devient porteur de cette synthèse ». 88 On ne peut pas constater que la démarche HQE agit seulement en détriment des architectes et du monde de bâtiment. C’est un outil qui a pour but de synthétiser la complexité architecturale : il est donc important de favoriser l’évolution des quatorze cibles pour ils deviennent plus clairs et ne pas oublier de garder le regard critique pour ne pas tomber dans le piège de ce nouvel outil de travail.
La méthode d’évaluation par indicateurs Rendre la notion de développement durable opérationnelle dans les politiques publiques implique plusieurs défis importants liés à la mesure de concept. En effet, en l’absence d’indicateurs ou de cadres quantitatifs, il manquera aux politiques en faveur du développement durable des bases solides sur lesquelles elles peuvent s’appuyer pour avancer. Les pratiques d’évaluation par indicateurs se multiplient dans les projets de durabilité urbaine, surtout en aménagement urbain durable. La Ville de Paris a notamment mis en place, depuis 2007, un tableau de bord d’indicateurs adossé au référentiel « Un aménagement durable pour Paris »
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Interview avec Mme Catherine Linder, paysagiste responsable du projet les Rives du Bohrie, réalisée le 13.03.15 Charlot-Valdieu C., Outrequin, P, « Ecoquartier - Mode d’emploi », Eyrolles, 2009
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Margot Guislain, « La Halle Pajol » Editeur : Archibooks, 2014
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L’interview avec Philippe Madec, « Pour en finir avec la « HQE » ? Il n’y a pas d’architecture sans démarche environnementale », Dossier réalisé par Dominique Gauzin-Müller, D’Architectures, novembre/décembre 2003 88 Ibidem
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pour évaluer les niveaux de performance des opérations d’aménagement au regard des objectifs de développement durable. Dans les prochains paragraphes nous allons illustrer avec l’exemple de la ZAC Pajol le fonctionnement de cette nouvelle méthode, les enjeux et politiques d’aménagement urbain durable, les avantages mais aussi les limites de ce système. L’usage de l’évaluation s’appuyant sur des systèmes d’indicateurs se généralise dans tous les domaines, suscitant de nombreuses critiques. Prônée comme moyen de mise en œuvre du développement durable, notamment par le ministère de l’Écologie, l’évaluation accompagne couramment les projets de développement durable. Ses origines sont assez récentes : la méthode est née au milieu des années 90. Comment établit-on le système de l’évaluation par indicateurs ? « En effet, à partir d’un phénomène et/ou de données brutes présentées sous la forme de descripteurs quantitatifs ou qualitatifs du phénomène, il y a construction d’un indicateur, résultant d’un choix, plus ou moins biaisé et conscient, de données disponibles ».89 Autrement dit, l’évaluation par indicateurs devient alors une méthode d’apprentissage empirique de la durabilité urbaine « tentative pragmatique pour donner une forme à la problématique du développement durable ».90 Les indicateurs de développement durable servent à montrer, mesurer ou apprécier un phénomène : ils en constituent une représentation au moins tout aussi subjective qu’une démarche qualitative. Néanmoins ce système reste un système en cours d’évolution : une pratique expérimentale, technique, complexe et difficile à mettre en œuvre du fait des réponses transversales à apporter.
Fig.17. L’indicateur représente un phénomène à partir de données brutes sur la base de critères définis Source : http://cybergeo.revues.org/docannexe/image/25600/img-1.jpg
En 2005, le Conseil de Paris vote la signature de la charte d’Aalborg. Avec l’engagement de la Ville de Paris en 2006 dans un Agenda 21, une partie des projets parisiens d’aménagement urbain se dirige vers la durabilité. La ZAC Pajol fait partie d’un des projets parisiens durables engagés dans le programme d’évaluation, elle a fait l’objet d’une double évaluation par LesEnR91 en décembre 2010. Le projet Pajol fait preuve
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Anne Jégou, Cédissia About de Chastenet, Vincent Augiseau, Cécile Guyot, Cécile Judéaux, François-Xavier Monaco et Pierre Pech, « L’évaluation par indicateurs : un outil nécessaire d’aménagement urbain durable ? », Cybergeo : European Journal of Geography [En ligne], mis en ligne le 04 décembre 2012, consulté le 17 décembre 2016. URL : http://cybergeo.revues.org/25600 ; DOI : 10.4000/cybergeo.25600 90 Jacques Theys « Quelles recherches sur le développement durable ? Un détour par les indicateurs » in « Développement durable, villes et territoires », Notes du centre de prospective et de veille scientifique, No 13, Ministère de l’Equipement, 2000 91 LesEnR est un bureau d'études spécialisé dans le développement durable pour la construction de la ville
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d’une bonne performance en valorisation et renouvellement du patrimoine bâti (objectif 9), grâce à la réhabilitation de la halle historique ainsi qu’en développement des équipements et des services culturels (objectif 21) avec une bibliothèque, un gymnase et une salle de spectacles. La halle, multi-usages et évolutive, s’accompagne d’une grande esplanade et recouvre un jardin qui se prolonge le long des voies ferrées. La qualité paysagère du projet constitue donc un des points forts (objectif 6). Malgré les contraintes de la réhabilitation, la réduction des gaz à effet de serre (objectif 13) est jugée performante avec notamment une halle à énergie passive grâce aux 3 523 m² de panneaux photovoltaïques prévus en toiture. L’expérience de concertation s’est révélée constructive (objectif 3), avec une bonne participation des associations et une prise en compte des souhaits des habitants, conservant la halle au maximum et remplaçant le tout premier programme de logements sociaux par des équipements. La diversité fonctionnelle est intéressante (objectif 20), avec une auberge de jeunesse dans la halle et un pôle d’entreprises. La gestion de l’eau (objectif 15) a fait l’objet d’une recherche d’innovation. Un tiers de la surface de la ZAC est désormais réservé aux espaces verts paysagers avec une bonne amélioration de la part de sols perméables. Néanmoins les informations sur la biodiversité, jugée faible dans l’étude d’impact, restent insuffisantes et le concept de trame verte et/ou bleue est absent du projet (objectif 10). En revanche, la mobilité est performante (objectif 8) avec un projet très favorable aux piétons et une réduction importante de la place de la voiture sur le site.
Fig.18. Les résultats de l’évaluation pour le projet ZAC Pajol http://cybergeo.revues.org/docannexe/image/25600/img-5.jpg
Comme nous l’avons constaté avant, le système d’évaluation par indicateurs doit faire face aux plusieurs problèmes et limites. Etant un système qui a ses origines dans le monde scientifique, l’évaluation par indicateurs a perdu très vite sa dimension sociale. « C’est pour n’avoir pas perçu cette double nature des indicateurs, objets à la fois scientifiques et politiques, que le mouvement des indicateurs sociaux, malgré des débuts prometteurs, s’est progressivement enlisé pour finir par disparaître complètement »92. Malgré que dans 92
Paul-Marie Boulanger, « Les indicateurs de développement durable : un défi scientifique, un enjeu démocratique » [in] L’Encyclopédie de Développement Durable, n° 78, Editions des récollets, 01.2009
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le cas parisien les critères de mixité sociale existent toujours, la ZAC Pajol n’a pas pu être évalué selon ces indicateurs car elle ne comprend que trois logements. La bonne notation de projet baisse : les résultats ne sont pas fiables. Il y a beaucoup de questionnements autour des indicateurs du développement durable: à quoi devait-il servir ? Que devait-il mesurer ? Devait-il être un indicateur de bien-être ? Le succès des indicateurs dépend de l’appréciation et l’application des décideurs politiques. Fréquemment le système d’indicateurs parait compliqué, pourtant il est censé être accessible à toutes les acteurs. Il existe deux façons de tourner le dos au public (dans le sens large du terme) : se retirer dans une tour d’ivoire scientifique ou ne vouloir s’adresser qu’au pouvoir. Souvent, les architectes et usagers ne font pas partie de Comité consultatif (les architectes ont moins d’influence sur le choix des matériaux, sur les choix constructifs…), les décisions sont imposées d’en haut. « [le système] a besoin d’être renforcée, non pas seulement techniquement, mais au niveau des portages politique et administratif. Un meilleur portage global permettra une meilleure diffusion des apports du système d’évaluation auprès de tous les acteurs concernés ainsi qu’une meilleure base de concertation avec les habitants et les usagers, dont l’harmonisation constitue également une marge de progrès. Même les opérations les plus complexes doivent être évaluées ».93 Un autre aspect qui engendre la polémique est l’approche quantitative de la méthode d’évaluation par indicateurs. Le système favorise les innovations de façon monodirectionnelle : les innovations technologiques de plus en plus compliquées et de moins en moins compréhensibles pour les acteurs sont au centre de préoccupation. Les contraintes énergétiques (par exemple le calcul de la consommation énergétique) sont sans doute très importantes mais malheureusement elles détournent l’attention des autres problèmes comme la situation sociale dans le quartier, la lutte contre la pauvreté. Souvent la méthode d’évaluation est vue comme un système d’attribution des notes car il s’appuie surtout sur des indicateurs quantitatifs. En ce qui concerne l’insertion territoriale de la démarche d’évaluation, les chefs de projets et les aménageurs font souvent part de leur inquiétude sur la prise en compte du contexte des opérations, autrement dit des contraintes spécifiques des sites. Cela augmente le risque de normalisation et banalisation des projets durables. Le système propose des indicateurs qui concernent le terrain limité, un manque de vision plus globale de projet est souvent visible. L’articulation entre les contextes et un cadre d’évaluation homogène sur l’ensemble des opérations d’aménagement fait partie des principaux défis de l’évaluation par indicateurs. Emmanuel Rey, Professeur au sein de la Faculté ENAC de l'EPFL, directeur du Laboratoire d'architecture et technologies durables LAST Swiss-academies award for transdisciplinary research (2015) explique ce défaut du système d’indicateurs : « Afin de pouvoir être intégrée à la dynamique du projet, l’évaluation doit donc prendre en compte non seulement les aspects liés au concept de développement durable (…) mais également ces diverses spécificités. Dans ce sens, les considérations suivantes détaillent les exigences auxquelles doit répondre un système d’indicateurs pour être adapté à ce type de projet ».94 La démarche d’évaluation des opérations d’aménagement de la Ville de Paris, dont la ZAC Pajol fait partie, est parmi les plus avancées mais comprend encore des limites. Les prochaines années devraient être consacrées à l’amélioration de l’évaluation des questions sociales, à la meilleure prise en compte des différentes échelles et à la meilleure gestion de communication de système en question.
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Anne Jégou, Cédissia About de Chastenet, Vincent Augiseau, Cécile Guyot, Cécile Judéaux, François-Xavier Monaco et Pierre Pech, « L’évaluation par indicateurs : un outil nécessaire d’aménagement urbain durable ? », Cybergeo : European Journal of Geography [En ligne], mis en ligne le 04 décembre 2012, consulté le 17 décembre 2016. URL : http://cybergeo.revues.org/25600 ; DOI : 10.4000/cybergeo.25600 94
Emmanuel Rey, « Régénération des friches urbaines et développement durable. Vers une évaluation intégrée à la dynamique du projet » Presses universitaires de Louvain, 2013
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Les temporalités et la complexité de projet durable Le métier d'architecte évolue. Généraliste, l'architecte doit être capable d’intégrer toutes les données techniques pour reprendre son leadership naturel. Si les autres acteurs ne sont pas convaincus, il est obligé de donner une meilleure réponse ou de renoncer (publiquement) au projet. L'architecte doit faire face aux nombreuses tâches administratives, qui l’empêchent de se consacrer librement à sa véritable occupation : la conception architecturale. Le concept de développement durable dans l’idéal devrait simplifier les démarches et la coopération entre les acteurs. Dans le cas de projet comme la ZAC Pajol, la difficulté supplémentaire consiste à la multiplication des acteurs, des normes, des intérêts... Ici vient le questionnement autour du rôle de l’architecte au sein du développement durable. La construction durable ne procédera pas seulement des intentions éthiques et de la prise de conscience des professionnels. Elle doit procéder d’un dialogue institutionnel et d’un contrat ouvert entre les acteurs concernés qui se respectent autour d’objectifs partagés et d’intérêts communs. « La profession sait que le progrès collectif ne naîtra pas de procédures et de règlements nouveaux. Elle voit que la prise en compte des exigences durables dans l’architecture ne peut être que le produit de la demande sociale et le résultat d’encouragements économiques, allant dans le même sens ».95 Récemment on peut observer l’intérêt pour la méthode qui est censé remédier à la complexité croissante du métier de l’architecte : BIM96. La méthode BIM et le développement durable semblent aller de pair. Le BIM, grâce à ses capacités d'analyses (la modélisation des données), permet très tôt de vérifier et d'adapter la conception d'un projet afin de réduire son impact environnemental. Le modèle virtuel 3D conçu avec un logiciel BIM permet d'effectuer des visualisations précises à toutes les étapes du projet, et est automatiquement consistant dans toutes les vues. En principe BIM est perçu comme une solution miracle qui permet à l’architecte d’etre plus efficace, de présenter de façon plus compréhensible son travail et surtout de mieux exprimer les résultats des recherches sur le développement durable. Cependant, il serait intéressant d’examiner plus profondément ce nouvel outil de création architecturale. Cette innovation a vu le jour aux Etats-Unis, probablement chez l’architecte M. Eastman dans les années 70. Le terme de BIM est utilisé pour la première fois par Phil Bernstein. La genèse de ce projet va de pair avec la création, dans les années 80, de logiciels d’architecture par les sociétés Graphisoft et Autodesk. Le premier logiciel permettant la création de fichier BIM est AutoCad. L’avantage majeur est de permettre à plusieurs personnes de travailler en même temps et à distance sur la maquette numérique. Ainsi, ingénieurs, architectes et tous les acteurs de la construction peuvent voir en temps réel les évolutions du bâtiment et améliorer leurs compétences (par exemple l’entreprise va pouvoir mieux gérer le chantier). En ce qui concerne les maîtres d’ouvrages, eux devront à l’avenir être sensibilisé à ce mode de représentation, ainsi que tous les acteurs de de la construction. La force de ce système est de facilité la collaboration et dans certain cas de limiter la barrière de la langue pour des projets internationaux. Il est cependant important de préciser que BIM reste un outil de finalisation et de mise en place, la conception de départ se faisant toujours dans la tête du créateur .97 On peut ainsi poser les limites de fonctionnement en cas de cyber-délinquance, est-ce que la technologie a prévu une sécurité suffisante pour protéger le travail effectué (par exemple en cas de concours et/ou de concurrence). François Pelegrin met en évidence que la prédéfinition des responsabilités entres les 95
Ordre des architectes de France avec l’appui de écodurable, « Les Architectes et développement durable », CNOA, juin 2004 Building information modeling, ou building information model (BIM) ou dans sa transcription française modélisation des données du bâtiment (MIB), bâti et informations modélisés, modèle d’information unique du bâtiment, ou encore maquette numérique du bâtiment (MNB), est une technologie et des processus associés pour produire, communiquer et analyser des modèles de construction (Eastman, 2011) 96
97
François Pelegrin « Le BIM comme Bouleversement Interprofessionnel Majeur » [en ligne] téléchargeable sur : https://bimgestiondupatrimoine.files.wordpress.com/2013/09/bim-gestion-du-patrimoine-contribution-franc3a7ois-pellegrin.pdf
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acteurs est essentielle pour limiter les problèmes d’insécurité. En fin de compte, cette démarche est très séduisante au premier abord mais en se renseignant de plus près, de nombreuses failles apparaissent. Étant donné son coût très important, il ne pourra être mis en place que dans les très grandes agences, creusant ainsi un peu plus l’écart vers une production architecturale à deux vitesses. Cela reste un outil au profit de l’industrie lourde.98 D’un point de vu plus philosophique, cela ressemble de près à du « solutionnnisme technologique ».99 La construction est devenu tellement complexe qu’il faut des outils de plus en plus complexe pour la gérer. Est-ce que cet outil répond vraiment aux problématiques actuelles de l’architecture notamment d’un point de vue social? Chez Jourda Architectes la méthode BIM est pratiquée depuis un an. Livré en 2013, le projet de la ZAC Pajol n’a pas été donc suivi par cette méthode. François-Gabriel Perraudin, le responsable BIM chez Jourda Architectes se charge de la formation initiale de l'équipe au logiciels BIM, l’installation et organisation du parc informatique / logiciel nécessaire au passage à la solution BIM, la gestion du passage des projets en cours en BIM, le suivi des équipes, formation et assistance en continu sur les sujets techniques et la gestion de l'interface avec les partenaires de l'agence face au BIM. En attente de projets durables menés selon la méthode BIM signés Jourda Architectes, nous pouvons citer l’exemple d’un projet qui n’est pas durable mais qui a été mené entièrement selon la méthode BIM : la construction de la Philharmonie de Paris. « Le BIM a été utilisé pour répondre à la complexité de l’ouvrage imaginé par l’architecte pour mettre en cohérence les enveloppes architecturales avec les faisabilités des structures et respecter les délais d’exécution. »100 Triplement du budget, chantier retardé de plusieurs années et ouvert au public alors qu’il n’était pas totalement livré, procès avec l’architecte Jean Nouvel, non vraiment le BIM. Le BIM, c’est le cheval de Troie du marché public global. Si l’on arrive à faire la synthèse de conception autant aller jusqu’au bout de la logique et pousser jusqu’à la construction. Ainsi, l’homme de synthèse ne sera plus l’architecte, mais le BIM manager du marché global (PPP, conception-construction…) payé – au détriment de l’architecte – par le mandataire du marché, généralement un des trois leaders du marché. Cela peut augmenter la croyance que l’architecte est un prestataire de service qui n’a pas de pouvoir opérationnel.
Fig.19. Le travail sans BIM (à gauche) et avec BIM (à droite) : l’architecture concentré désormais ne pas sur l’Humain mais sur le numérique…
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https://labeilleetlarchitecte.wordpress.com/2015/05/26/mais-qui- pousse-au- bim/ Terme mis au point par Evgeny Morozov, « Pour tout résoudre cliquez ici, l’aberration du solutionnisme technologique, ed. Fyp, 2014 100 Entreprises Générales de France, BTP (EGF · BTP), est le Syndicat National des entreprises générales françaises de bâtiment et de travaux publics. Il adhère à la Fédération Française de Bâtiment. 99
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La complexité concerne également le choix des matériaux et des systèmes constructifs : « quant aux objets architecturaux et urbains, ils sont eux-mêmes plus interactifs car ils intègrent des services et des technologies qui se multiplient et se sophistiquent au fil de temps, rendant leur programmation et leur réalisation elles aussi plus compliques ».101 A la question si « pourrait-on refaire le projet de la ZAC Pajol aujourd'hui ? » Anne Gomez, chef de projet, explique : « Non. On garderait peut-être la halle, même s'il est pas certain que les ABF102 nous demandent de la conserver ». L'exemple de la ZAC Pajol nous montre qu'un projet durable peut être un projet réussi seulement dans des conditions très précises, en respectant la situation économique, politique de lieu donné. De plus la ZAC Pajol comme d'autres projets durables se caractérise par une longue durée consacrée à la conception et à la réalisation. Michel Neyreneuf, souligne les obstacles dans la conception de projet : « La plus grande difficulté pour Pajol était liée aux changements de gouvernement qui ont fait prendre des décisions contradictoires à l’État ».103 Le projet a été également marque par la crise de 2008, certains décisions ont étés remis à plus tard, certaines idées ont êtes abandonnés faute d'argents. Un des enjeux majeurs d’un projet durable est de garantir l’articulation des temporalités entre elles en assurant la continuité des démarches de développement durable. On peut distinguer plusieurs types des temporalités présentes dans un projet durable. Les temporalités sociales : qui regroupent les évolutions technologiques, les évolutions
Fig.20. L’articulation entre les différentes temporalités dans un projet durable Source : http://cybergeo.revues.org/docannexe/image/25600/img-6.png
des pratiques d’aménagement, les évolutions des pensées. Les temporalités des opérations : elles regroupent les phases de conception, de travaux, de gestion et le temps des maîtres d’œuvre. Entre ces deux types de temporalités se situe le tableau de bord, un outil de suivi qui a pour but de converger les temporalités des opérations et les temporalités sociales. Le projet de la ZAC Pajol est mené dans un contexte de reconversion de friches urbaines, fait intervenir un grand nombre d'acteurs, est soumis à de multiples enjeux (spatiaux, économiques, sociaux, environnementaux, politiques...), est une opération de longue durée (de l’ordre d’une vingtaine d’années), présente une programmation multifonctionnelle et s'appuie sur une labellisation environnementale. Malgré toute cette complexité, le projet est un exemple d’une convergence plutôt réussite. 101
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Jean-Jacques Terrin, « Le projet du projet. Concevoir la ville contemporaine » Editeur : PARENTHESES, Collection : ARCHITECTURE, 2014 Architectes des bâtiments de France L'entretien avec Michel Neyerneuf, issu du milieu associatif, adjoint au maire de XVIIIe arrondissement, chargé d'urbanisme (in) Carine Merlino, Soline Nivet, « Paris Pajol : la ville en partage » Editeur :Archibooks, 2014
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Selon François Hôte, adjoint à la sous-direction de l’aménagement au sein de la ville de Paris qui a suivi l’évolution des différentes instructions politiques depuis les débuts de la conception, « le résultat est lié à une convergence des souhaits des associations et de la ville. C’est assez particulier. Une sorte de « ZAC d’équipements » avec une halle comme caractéristique principale. On ne connaissait pas ce modèle ! » 104 Nous pouvons remarquer un nouveau phénomène qui émerge aujourd’hui : le renouvellement des temporalités des projets urbains à la suite de l’adoption de principes liés au développement durable. « Dans un contexte d’incertitudes croissantes, ce phénomène invite à reconsidérer la course au progrès dans laquelle les sociétés modernes sont plongées, à se projeter autrement dans le futur, à repenser les horizons temporels, à se situer différemment dans le temps ».105 Quels peuvent etre les solutions pour une meilleure articulation des différentes temporalités ? La première solution peut être la création de calendriers prévisionnels larges tout en maintenant une cohérence d’ensemble, c’est-à-dire en incluant toutes les étapes susceptibles d’intervenir dans la conduite du projet, même celles qui ne sont pas indispensables. Une seconde stratégie mise en place correspond à prendre un temps de réflexion et de maturation. Les acteurs rencontrés soulignent qu’il est important de laisser le temps nécessaire à une réflexion en amont du projet, qui se prolonge une fois la phase opérationnelle entamée. Cela peut engendrer la mise à jour constante des techniques constructives et des matériaux au cours de la conception et de la réalisation, ce qui à la fois permet d’éviter les mauvaises décisions prises sous la pression du moment qui peuvent entrainer des vrais dégâts. Le projet durable est soumis à un paradoxe : il devient pleinement praticable mais simultanément il perd en valeur avec le temps. Plusieurs exemples des projets démontrent les effets de ce paradoxe. Parmi eux le projet durable de Kronsberg, situé à Hanovre (Allemagne), qui est le fruit d'une planification urbaine durable effectuée dans le cadre de l’exposition universelle EXPO 2000. Dans ce projet la compression des délais de conception et de mise en œuvre a modifié la planification des différentes tâches. « Au lieu d’enchaîner les tâches chronologiquement comme dans un schéma classique, elles ont été lancées et réalisées en parallèle: conception urbaine, modification des plans d’urbanisme, EIE 106, élaboration d’outils d’évaluation, montage financier et juridique etc. Cela a entraîné un travail de coordination plus lourd ». 107 Aussi en France le problème de mauvaise coordination des temporalités est très connu (LimeilBrévannes, Saint-Ouen, Île Saint-Denis, Douai…). La difficulté a été toujours le même : il fallait respecter des détails relativement courts et un niveau de qualité particulièrement exigent. Le projet BoO1 à Malmö est devenu la victime de ses propres ambitions. « La ville de Malmö et BoO1 étaient extrêmement préoccupées par les délais. L’exposition qui devrait ouvrir ses portes en 2001 exerçait une forte pression financière sur les organisateurs (…). Les retards et la pression de l’exposition ont comprimé sensiblement les délais du chantier, et on a pu relever de nombreuses malfaçons dans la construction (ex : mauvaise pose des isolants) ». 108 L’exposition a joué, dans ce contexte, un rôle négatif pour l’atteinte de la qualité environnementale.
104
L'entretien avec François Hôte (in) Carine Merlino, Soline Nivet, « Paris Pajol : la ville en partage » Editeur :Archibooks, 2014 Sandra Mallet et Thomas Zanetti, « Le développement durable réinterroge-t-il les temporalités du projet urbain? », VertigO la revue électronique en sciences de l'environnement [En ligne], mis en ligne le 28 septembre 2015, consulté le 19 décembre 2016. URL : http://vertigo.revues.org/16495 ; DOI : 10.4000/vertigo.16495 106 Etude d'Impact Environnemental 107 Taoufik Souami ., «Écoquartiers, secrets de fabrication. Analyse critique d’exemples européens », Éditions les Carnets de l’info, Paris, 2009 108 Ibidem 105
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Fig.21. A l’intérieur de la Halle Pajol se cachent les technologies très sophistiques qui assurent bon fonctionnement du bâtiment. Une nécessité ? Source : Carine Merlino, Soline Nivet, « Paris Pajol : la ville en partage » Archibooks, 2014
4. CONCLUSION Trente ans après sa création, nous sommes obligés de vérifier la pertinence du concept de développement durable. Les changements économiques, sociales et environnementaux que nous subissons aujourd'hui, remettent en cause les intentions initiales. Il est étonnant de constater qu’il aura fallu à peu près trente ans pour que ce terme et l’avenir qu’il projette parviennent au-devant de la scène populaire internationale et notamment dans le monde de bâtiment. Il est également étonnant de constater que la traduction française de développement durable omet la notion de « soutien » pourtant essentielle dans ce concept qui apparaissait dans le nom anglais originel « Sustainable development » et qui induisait cette notion de solidarité bien décrite dans le rapport de Mme Brundtland et définie comme indispensable à la réussite de ce nèo-développement… Le présent mémoire a pour but de dénoncer les confrontations entre la vision idyllique de développement durable et la réalité à l’ère de l’époque postindustrielle. Au début, la notion de développement durable se présente comme une synthèse théoriquement parfaite entre les précautions économiques, sociales et environnementales. Est-ce que cette synthèse peut devenir une réalité ? Ou bien elle restera un étendard que chacun s’approprie en fonction de ses intérêts et de ses objectifs, au détriment de l'architecture et de l'humanité ? Après nous être familiarisés avec l'approche théorique du développement durable, nous sommes passés à l'analyse du cas existant de la ZAC Pajol ainsi que d’autres exemples pertinentes, pour vérifier les hypothèses évoquées à la fin de l’introduction. La première hypothèse est la suivante : Utilisation uniquement de la technologie high-tech, n’est pas adapté aux projets durables. Dans l’introduction nous nous sommes interrogés sur la pertinence des solutions high-tech au sein de développement durable. Nous pouvons observer aujourd’hui que la présence des nouvelles technologies dans nos vies devient de plus en plus prononcée. Le monde du bâtiment n’en est pas non plus épargné. Les architectes vivent une transformation des pratiques professionnelles liée aux nouvelles technologies. Cette transformation est très visible en France. Outre les bonnes performances énergétiques, les nouvelles technologies nécessitent un changement de nos modes de vie, un savoir-faire et une main-d’œuvre spécialisée elles doivent s’adapter à son environnement… 48
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« Les écotechnologies se caractérisent, par rapport aux techniques habituellement utilisées dans une société à un moment donné pour répondre aux mêmes besoins, par une moindre empreinte sur la nature des activités humaines, du fait de leur performance environnementale ». 109 Cependant, cette valeur ajoutée environnementale doit, sous peine d’être vite obsolète, être constamment renouvelée dans un processus d’amélioration continue, alimenté par la recherche. Quelles leçons et quel bilan nous pouvons tirer de cela? Chaque bâtiment qui se veut durable doit trouver « le juste milieu » entre l’architecture low-tech et high-tech mais aussi privilégier l’innovation sociale à l’innovation technologique. Il n’est pas possible d’utiliser seulement la technologie high-tech dans les bâtiments durables car cela nie la définition de durabilité : « De nature à durer longtemps, qui présente une certaine stabilité, une certaine résistance ».110 Selon moi, l’architecture high-tech et low-tech, au-delà de leurs différences profondes, ont aussi des richesses communes à partager : le plus grand apport du high-tech (et de la société dite « moderne » en général), réside surtout dans son audace conceptuelle, et le respect de l’individualité créative : elle est le reflet d’une humanité qui sort de l’enfance, et apprend son indépendance par la création de ses propres lois. Je suis convaincue, qu'il est fort possible de trouver un équivalent pour architecture high-tech, qui sera mieux adapté au concept de développement durable car l'architecture high-tech bien qu’elle soit conçue pour économiser l’énergie, garder l’environnement propre et ne pas gaspiller les ressources si importantes dans le monde de bâtiment, ; elle agit exactement au contraire car les systèmes sont très sophistiqués, ils ont besoin d'énormément de matière grise pour être produit. Je trouve qu'on peut construire les bâtiments qui seront plus modestes dans son fonctionnement, mais qui vont garder au même temps l’esthétique contemporaine et ses performances. Nous pouvons observer sur l'exemple de la ZAC Pajol que la technologie détourne l'attention des préoccupations sociales. Malgré la présence d’un des représentant de l’association CEPA dans les jurys du concours architectural, ces personnes n’ont pas participé aux choix à l’échelle architecturale (dispositifs spatiaux, matériaux, énergie…) qui se sont effectués dans la sphère interprofessionnelle. Selon moi, il ne s’agit pas de légitimer un projet mais de susciter des innovations en mettant en place des dispositifs spécifiques, créés pour l’occasion, et clairement portés par la volonté d’impliquer les habitants dans la programmation des espaces. D'autre part la technologie dans le cas d’un projet durable n'est pas toujours égale à la durabilité. Selon Françoise - Hélène Jourda, l'architecte de la hall Pajol, depuis longtemps concernée par la construction durable, l'avenir de l'architecture appartient aux bâtiments éphémères : « Le jour où un bâtiment devient inutile, il doit pouvoir retourner à sa source pour réalimenter les ressources. Le bâtiment ne laissera pas d'impact et on ne devra pas gérer ses déchets ».111 Est-ce que cela signifie la fin du patrimoine ? La présence de la friche était un vrai atout pour le futur projet de la ZAC Pajol, un moteur pour la création et la confirmation de son approche durable. Finalement, est-ce que les bâtiments ne sont-t-ils pas faites pour « durer » ? Le mot « durer » signifie : « de nature à durer longtemps, qui présente une certaine stabilité, une certaine résistance ».112 A mon avis, les bâtiments durables, dans le sens résistants dans le temps, permettent de conserver mieux des ressources que les bâtiments éphémères. Il est important à mon point de vue, de simplifier la démarche réglementaire dans le cas d’un projet durable. Les réglementations sont très rigoureuses, à la fois elles ne restent pas précises et sont limitées par de nombreux des facteurs. Elles ne sont pas fiables car elles sont souvent créées en accord avec des grandes entreprises, de plus les réglementations sont parfois contradictoires. Un autre désavantage : elles sont chères. La durée d'un projet durable est souvent prolongée artificiellement à cause de règlementations draconiennes, ou à cause des réglementations qui changent. Selon moi, cela diminue la crédibilité d'un projet durable. Le certification HQE fait partie de ce lourd arsenal règlementaire. D’après Rudy Ricciotti, l’architecte français « il 109 110 111 112
http://www.developpement-durable.gouv.fr/Les-eco-technologies-au-service-du.html Dictionnaire de français Le Petit Larousse L'architecte de projet de la hall Pajol, Françoise - Hélène Jourda (in) Margot Guislain, « La Halle Pajol » 2014 Dictionnaire de français Le Petit Larousse
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y a lieu en urgence d'engager une réflexion critique autour de la question environnementale et les conséquences de la doctrine HQE et des normes sur les économies d'énergie ».113 La HQE serait un « impensé politique » permettant de générer du profit sur le dos de l'environnement grâce à la mode de l'écologie, tout en continuant à blesser la planète d'une manière différente. A mon avis les architectes, les spécialistes, les étudiants, devrions être plus prudent : garder des bons, mais à la fois ne pas tourner les regards des mauvais côtés de high-tech dans l’architecture responsable. Seconde hypothèse : On ne peut pas appeler « durable » un projet qui ne prend pas en compte les aspects sociaux. Dans l’introduction nous avons évoqué l’exemple de Bed ZED, un projet conçu sous l’angle environnemental et économique. L'écoquartier de Bed ZED s'est révélé plus cher que prévu, son fonctionnement est aussi trop complexe pour la population et les bureaux qui y étaient prévus ne se sont pas installés : du coup, la population doit se déplacer pour aller travailler. Les populations plus pauvres ne se mélangent pas vraiment avec les autres habitants. A travers ce mémoire nous avons aussi mentionné la position du rapport Brundtland (« Notre avenir à tous », 1987) envers les préoccupations sociales. En effet, si dans l’ouvrage de référence « Notre avenir à tous », les idées de réorganisation sociale ou de cohésion entre hommes sont citées, force est de constater que lorsqu’il s’agit de lister les impératifs stratégiques du développement durable, « l’harmonie entre êtres humains » se transforme vite en accès aux besoins essentiels et la dimension sociale paraît engloutie dans le mélange confus de la protection de l’environnement et du développement économique. Nous avons aussi analysé le processus de participation des citoyens ainsi que le rôle des autres acteurs dans la conception et de réalisation de projet de la ZAC Pajol. Après avoir analysé plusieurs exemples, nous arrivons à des observations communes. Dans la pratique, le volet social s’avère souvent plus compliqué à gérer que celui de l’environnemental, non seulement en raison des choix à opérer dans les indicateurs mais aussi du fait que le terme de responsabilité sociale n’est pas perçu de la même manière d’un pays à un autre, sans compter les différences au niveau des législations nationales relatives au droit du travail. Le changement sociétal sous-jacent au développement durable, l’évolution des croyances et des valeurs, les changements dans les représentations individuelles autant que collectives, les changements dans les comportements sont, aussi, autant d’enjeux concomitants. Ils rejaillissent d’ailleurs d’autant plus avec intensité dans le secteur du bâtiment que le client y est « maître d’ouvrage », que de multiples parties prenantes sont avant tout des acteurs de la société civile et que la plupart des marchés sont tributaires d’un « milieu local ». Il serait intéressant pour la France, où la dimension sociale est parfois oubliée, de prendre l’exemple de l’expérience allemande et nord-européenne de l’urbanisme participatif. En Allemagne, les luttes urbaines ont surtout été le fait de groupes « alternatifs » qui sont conscients du besoin de changement. Portés par des convictions sociales et parfois aussi écologistes, ils entreprennent des actions de résistance dont certaines vont devenir emblématiques comme à Berlin par exemple, dans le quartier de Kreuzberg où la réhabilitation à caractère écologique de l’îlot 103 marquera la fin d’une politique de rénovation brutale. À Berlin, les expériences des années 80. conduisent à l’adoption de principes environnementaux ambitieux dans les règles constructives, suscitent des partenariats entre habitants et administrations locales qui vont être à l’origine du développement de l’habitat dit coopératif et des premiers quartiers durables en Allemagne. Le développement durable devrait faire partie de l’enseignement pédagogique : les multiples exemples nous démontrent que l’engagement citoyenne est un de clefs de réussite d’un projet durable. Troisième hypothèse : La temporalité, les cycles de vie de bâtiment sont des aspects à prendre en compte dès l'esquisse. A travers ce mémoire nous avons étudié plusieurs exemples des projets durables qui confirment cette hypothèse. Un de ces projets est Bo01. La précipitation pendant la phase de chantier a été la cause de nombreuses déficiences dans ce projet. Dans une société où tout change rapidement, la construction durable trouve davantage sa place dans le potentiel d’adaptation que dans des développements figés. Que ce soit en vue d’une adaptation cyclique, ou dans des cas ultimes, en vue d’une démolition, la prise en 113
Rudy Ricciotti, « HQE: les renards du temple « Al Dante, 2009
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compte du cycle de vie des techniques constructives et des matériaux est un critère fondamental permettant de réduire sur le long terme les impacts sur l’homme et l’environnement. Aujourd’hui, penser et développer un bâtiment en tenant compte de son cycle de vie, c’est mener une réflexion dès la phase de conception sur la programmation, la volumétrie, les principes constructifs et le choix des matériaux, de façon à privilégier le potentiel d’évolution et à faciliter les changements futurs. L’objectif est d’offrir au bâtiment et à ses composants un prolongement de cycle d’utilisation. Il y a dans cette idée, deux champs d’actions complémentaires : au niveau du bâtiment - le concept d’évolutivité et de flexibilité, visant l’adaptabilité du bâtiment aux besoins changeants. Au niveau des matériaux - la valorisation du cycle de vie et le choix des matériaux, valorisant la capacité de désassemblage et de traitement ou reconversion. L’agence de Françoise- Helene Jourda semble ne pas oublier l’importance de l’analyse de cycle de vie des matériaux (ACV): lors de la conception de la hall Pajol, l’étude comparative entre trois différentes systèmes constructives pour la dalle a permis de trouver la meilleure solution de point de vue environnemental. Un soin particulier a été porté sur l’articulation des temporalités (sociales et des opérations) ce qui a permis un déroulement exemplaire des toutes les stades de projet. La dernière hypothèse : La méthode d’évaluation par indicateurs a besoin d’être renforcée : techniquement et au niveau de communication. Dans le présent mémoire nous avons illustré cette nouvelle méthode sur l’exemple de projet de la ZAC Pajol et de projet Ecoparc à Neuchâtel. La démarche d’évaluation des opérations d’aménagement de la Ville de Paris est devenue un outil de projet d’un urbanisme durable. Le tableau de bord parisien accompagne et appuie techniquement une politique d’aménagement urbain durable en cours de renforcement et de mise en cohérence, au travers du référentiel aménagement, de la mise en œuvre d’opérations d’aménagement intégrant de plus en plus les principes de la durabilité et des résultats directs et indirects des audits. Cependant, nous avons aussi mis en lumière les limites de ce système. Les résultats de cette évaluation doivent être plus facilement accessibles à l’ensemble des acteurs : la forme et la communication entre les acteurs devrait être claire, la rigueur et l’opérationnalité d’une démarche portée par l’institution locale est donc très importante. Le dispositif est conçu pour être un levier de favorisation de la ville durable et non pas un frein. Il ne faut pas oublier que la démarche ne consiste pas à noter et à sanctionner les projets mais à leur montrer des voies d’amélioration. Cette démarche interactivité est fondée sur les retours d’expérience : le but est une amélioration en continu. Il est aussi important que les collectivités assument la subjectivité (le contexte propre à chaque opération) de cet outil mêlant le quantitatif et le qualitatif. Selon moi, la méthode d’évaluation par indicateurs permet de rendre le développement durable plus crédible, de matérialiser et clarifier le concept qui parait souvent ambigu. En meme temps cela peut conduire à la banalisation de développement durable, qui est une notion complexe : la complexité étant à la fois avantage et désavantage. La notion de développement durable est finalement très ambivalente car d’un côté, elle met l’accent sur les effets négatifs du système de développement économique actuel, et, de l’autre, elle peut apparaître comme une légitimation des évolutions actuelles quitte à intégrer une dimension environnementale dans celles-ci. Le concept soulève le débat. Est-ce on assiste à la fin du paradigme du développement durable ? Comment trouver un équilibre dans un projet durable ? Comment peut-on l'adapter dans le cas de reconversion ? Est-ce que l'architecture est faite pour durer ou pour être éphémère ? Les réponses vont varier selon chaque projet : la constante sera l’équilibre entre les solutions low-tech et high-tech. Il existe encore une autre voie : celle de la décroissance. La « décroissance » n’est pas une situation subie : elle se veut au contraire une révision consciente et maîtrisée des besoins, une simplicité volontaire, une sobriété choisie. Comme le disait saint Exupéry : « Nous n’héritons pas de la terre de nos ancêtres, nous l’empruntons à nos enfants ». C’est donc tout le mode de vie qui se devrait d’être repensé, et pas seulement l’économie, comme nous fait comprendre développement durable. La vision globale est très importante : les domaines sont reliés entre eux, par exemple l’économie a des répercussions sur le monde de bâtiment, et vice-versa. Il s’agirait donc de proposer un modèle économique qui découle de priorités existentielles et spirituelles. Quel est le sens de notre vie ? Ou bien sommes-nous capables de sagesse, de mesure, de modération, de sobriété, d’altérité, afin de laisser place aux relations, à la gratuité, et au souci des générations futures ?
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Contradictions et paradoxes au cœur de paradigme de développement durable : étude de cas de la ZAC Pajol
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6, n°2 | Septembre 2015, mis en ligne le 30 septembre 2015, URL : http://developpementdurable.revues.org/10966 ; DOI : 10.4000/developpementdurable.10966 Mémoires : • •
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6. ANNEXES : ENTRETIEN AVEC FRANÇOIS-GABRIEL PERRAUDIN Entretien téléphonique avec François-Gabriel Perraudin, Responsable BIM chez Jourda Architectes, le 11.10.2016
Adrianna Grzesiczak : Qu'est est qu’est pour vous une éco-construction ? JOURDA ARCHITECTES : Pour nous une éco construction c’est une construction qui prendre en compte de l’environnement, de la place de l’autre et des générations futures et qui remet en cause le métier de l’architecte. AG : Est-ce que vous avez envisagé projet de Halle Pajol comme celui qui peut générer les engagements locaux ? Devenir un moyen de dynamisation sociale ? J.A Tout au début le projet Pajol a censé être un complexe de 600 logements, c’est grâce aux habitants que le projet a pris la direction durable. Néanmoins l’architecte porte une véritable responsabilité citoyenne, car son rôle est de communiquer le projet aux autres acteurs. AG : Est-ce que la choix d'architecture qui s’appuie sur les nouvelles technologies était évident dès le début ou vous vous êtes posé la question sur le type d'architecture ? J.A Nous essayons de trouver un juste milieu entre l’architecture high tech et low tech. Nous avons dû opter par exemple pour une ventilation mécanique malgré qu’elle est beaucoup plus chère et difficile à maintenir. Une ventilation naturelle, si elle est contrôlée, permet de réduire considérablement la consommation énergétique. Nous avons dû améliorer la performance de la ventilation naturelle : le renouvellement d’air assure maintenant un taux d’hygrométrie et une température de l’air satisfaisant quel que soit le taux d’occupation, les gabarits de bâtiment et le climat dans lequel se trouve. AG : Le bâtiment est devenu une centrale solaire photovoltaïque. Les panneaux contiennent des produits toxiques et la filière de recyclage n'est pas encore existante. En plus l’opération était 54
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coûteuse et complique. Quelle était votre attitude ? J.A 3 500 m² de panneaux photovoltaïques couvrant le toit de la halle Pajol, ce n’est pas rien…les gabarits de projet et son bilan global (en matière d’énergie grise et bilan carbone) justifie ce choix. Le coût d'investissement des panneaux photovoltaïques était assez élevé (1,6 millions d’euros HT soit 800 € HT par panneau), montage de dossier financier pas facile, mais malgré tout ça, nous devrons souligner le fait que la Halle représente aujourd’hui la plus grande centrale solaire urbaine de France : l’énergie en surplus qu’elle produit est vendue à EDF. AG : Est-ce que vous avez eu l'occasion de discuter avec des habitants, (la CEPA) sur les choix architecturaux ? J.A Le projet a émergé à partir de mouvements ascendants, ce qui n’est le cas que dans 8 % des éco quartiers français. Malheureusement, malgré la présence d’un de leur représentant dans les jurys de concours architectural, ces personnes n’ont pas participé aux choix à l’échelle architecturale (dispositifs spatiaux, matériaux, énergie…) qui se sont effectués dans la sphère interprofessionnelle. AG : Dans l'entretien Baptiste le Brun directeur des opérations urbaines à la SEMAEST explique que « par une multitude de dispositifs techniques et des isolations très efficaces, les bâtiments atteignent de très bonnes performantes énergétiques » Est ce que selon vous on pourrait atteint des résultats similaires sans l'utilisation de cette technologie ? J.A Prenez l'urbanisme, les offres de domotique se multiplient et nous sommes parfaitement capables d'automatiser le contrôle de l'éclairage et de la température des bâtiments. Mais nous assistons aussi à un retour des matériaux d'origine végétale et animale. Ces deux tendances, le naturel et l'artificiel, sont contradictoires. L'enjeu du développement durable est de les faire converger. AG : Est-ce que vous avez pris en compte le bilan d’anergie grise dans la conception des bâtiments ? J.A L'énergie grise est l'énergie nécessaire à la production, la fabrication, le transport, l'usage et le recyclage du matériau. Celle-ci était prise en compte les matériaux utilisés sont à faible énergie grise : bois, chanvre, linoléum… AG : Dans le projet emblématique Bo01 à Malmö, selon l'architecte « l’idée était que grâce à la technique aboutir à des styles de vie durables, sans que les populations n'aient besoin d’intéresser au développement durable ou à l'écologie. » Est ce que selon vous les choix architecturaux, les techniques devraient avoir une influence sur les modes de vie des usagers ? Ou devrait rester seulement un moyen pour concevoir un projet ? J.A En France, les politiques publiques ont davantage tardé à considérer la possibilité de faire jouer un rôle aux citoyens dans la définition de l’action publique. Pour le projet de ZAC Pajol F.H. Jourda a juste donné son avis en tant qu’experte : il fallait conserver la halle et l’équiper de cellules photovoltaïques sur toute la toiture car c'était une situation idéale avec des sheds orientés plein sud. Ella a construit le bâtiment à Herne Sodingen en Allemagne avec 10 000 m² de photovoltaïques 10 ans avant. En France, ce n’était pas pareil... Car il faut voir que le BBC a fait des progrès formidables depuis seulement quatre ou cinq ans. Mais on vient de très loin. Ella a pris ces responsabilités sur ce rapport d'expert. AG : Dans son article Architecture, Éthique et Technologie P. Madec constate que « Si pallier les excès du technique requiert la technique, force est de s'armer contre une autre » dans les années qui 55
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viennent comment notre rapport entre la technique et nature va évoluer selon vous ? Imaginons que la situation l'environnementale s’aggrave : dans quel sens selon vous devrait évoluer architecture J.A C’est la question de l’éthique : nous ne devons pas nous laisser surmonter par la technologie. La véritable innovation verte de demain naîtra quand on cessera d'opposer nature et technologie. Mieux vaut les faire collaborer. Le développement durable impose à la technologie d'intégrer les éléments naturels, plutôt que de chercher à les maîtriser. AG : Est-ce que le fait que la structure originaire de la halle (travées métalliques) a été finalement conservée devenue opportunité ou plutôt une contrainte dans la conception du projet de rénovation ? J.A La charpente métallique, originelle a subi diverses interventions avant de retrouver la pureté de son expression : celle d’un vaste abri qui accueille les nouveaux bâtiments et le jardin couvert. Le bâtiment repose, en matière structurelle, sur une dualité stricte entre la charpente métallique de la halle et le bâtiment qui se loge dessous, majoritairement construit en bois. Le bois confère également au bâtiment un fort potentiel en matière de flexibilité, de réaménagement, de convertibilité. On pourrait ainsi imaginer que le bâtiment dans quelques dizaines d’années soit pour tout ou partie démonté, pour que l’abri de la charpente accueille une nouvelle fonction.
AG : Est-ce que selon vous la technologie cache des vrais problèmes et ne donne que des solutions éphémères, ou au contraire, elle est un moteur des changements dans la société ? J.A À terme, les nouvelles technologies risquent d'accentuer la ségrégation sociale. Mais nous sommes dans une période charnière. Personne ne mesure l'ampleur des changements dans lesquels nous nous engageons. Le développement durable métamorphose notre perception des progrès du numérique. Le produit le plus perfectionné n'a pas d'avenir s'il n'intègre pas son environnement … Merci. Merci à vous et bon courage
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Après trente ans depuis son apparition le concept de développement durable a besoin d’être actualisé. L’intégration des préoccupations économiques, sociales et environnementales n’est pas évidente dans un monde qui change sans escale. Le monde de bâtiment n’est pas épargné. Plusieurs contradictions par rapport au document fondateur, « le rapport Brundtland » ressortent avec une force jamais vue auparavant. A travers l'analyse des critiques développement durable, et puis à travers l'analyse de cas d’étude : projet de la ZAC Pajol à Paris (accompagné des autres exemples), le présent mémoire a pour but de vérifier à quel point nous pouvons traiter le développement durable comme un concept paradoxal. L’étude est guidée par quatre axes de critique : axe social, axe technique, axe environnemental, axe expérimental. Cette étude, à la fois objective et subjective, a pour but de mette en avant les problèmes de développement durable, et ensuite proposer les solutions possibles et ouvrir un débat.
Tableau 1 ZAC Pajol, source: photo personnelle