Re con ver sion
RĂŠ ver sibili tĂŠ
Je tiens Ă remercier chaleureusement Pierre Engel, pour son enseignement, et son encadrement, ainsi que mes parents et mes amis pour leur aide et leurs prĂŠcieux conseils.
Introduction
p. 6 - 17
01 La reconversion comme contre p. 18 -45 pied à l’étalement urbain
1.1 Dans quelle mesure la reconversion de
bureaux en logements est-elle oportune ?
1.2 Quels sont les intérêts et pour quel type de
bâtiment ? 1.3 Les freins et les limites à la reconversion
p. 21 - 33
p. 34 - 39 p. 40 - 45
02 La réversibilité pour éviter l’obsolescence des bureaux
p. 46 - 95
2.1 Les principes et les enjeux
p. 50 - 77
2.2 Les freins et les limites à la réversibilité
p. 78 - 83
2.3 Tours Black Swan : vers une transformation
de l’acte de construire ?
p. 84 - 94
Conclusion
p. 96 - 101
Bibliographie
p. 102- 106
Introduction Tout au long des différents projets que j’ai menés durant mes études d’architecture, je me suis rendu compte que dans chacun d’entre eux, j’essayais d’apporter un impact positif sur mon environnement, y compris pour mon rapport de licence d’architecture. Pour ce rapport, effectué en 2016, je me suis intéressé au devenir de ce que nous appelons la cinquième façade : le potentiel des toitures. Plus précisément, le thème abordé était les toitures végétalisées. La durabilité des édifices au travers d’une mixité des usages et pouvant apporter des bénéfices économiques, sociaux et environnementaux est un sujet qui m’interpelle. Les recherches pour mon projet de fin d’études à travers les différentes approches de l’architecture : réhabilitation, évolutivité, hybridation, modularité, reconversion, déconstruction, réversibilité, etc, m’ont amené à me poser une question : est ce qu’un bâtiment doit être et rester monofonctionnel ? Puis l’actualité géopolitique m’a poussé à m'interroger et aussi à prendre conscience qu’il fallait réduire l’impact de l’urbanisation. Comment, à mon niveau puis-je mettre à profit ce que j’ai appris pour répondre aux préoccupations et aux envies de la société ?
6
A quoi devront ressembler nos villes demain? Quelles
problématiques
les
différents
acteurs
impliqués dans la conception, l’aménagement, la gestion des espaces urbains doivent-ils aborder dès aujourd’hui pour construire une ville écologiquement, économiquement et humainement plus durable pour les générations futures ? Pendant des siècles, les constructions ont eu une durée de vie largement supérieure à celle de leurs usagers, mais force est de constater que ce n’est APUR : Atelier Parisien 1 d’Urbanisme
plus le cas aujourd’hui. Selon l’APUR1, l’espérance de vie des constructions tertiaires ne dépasse pas la quinzaine d’année, la vingtaine au mieux, temps au bout duquel elles sont délaissées au profit de locaux
Atelier Parisien d’Urbanisme, « La 2 transformation de bureaux en logements à Paris de 2001 à 2012 », janvier 2014.
plus récents offrant des commodités supérieurs2. Que faire alors de ces locaux qui ne sont plus utiles à leur fonction initiale et qui peuvent se dégrader en l’absence d’occupation et d’entretien ? Cette «péremption» anticipée du bâtiment existant m’interpelle et a été le point de départ de mes recherches. Même si l’on raisonne du point de vue strictement économique de l’investisseur, pourquoi construire un bâtiment dont la durée de vie et la rentabilité seront, de fait, très limitées, ou dont la transformation ultérieure s’avérera techniquement difficile et coûteuse ?
7
L’Île-de-France possède le plus grand parc de bureaux d’Europe avec quarante-quatre millions de m². Des zones tertiaires qui ne cessent de croître3. Mais aujourd’hui, le constat est que trois millions et demi de mètres carrés de ce parc sont vides, dont sept cent quarante mille mètres carrés4 depuis plus de quatre ans. À l’horizon 2030, ces bureaux, vacants depuis plus de quatre ans, qualifiés alors «obsolètes»,
3 HBS Research, Recensement et
dynamiques du parc de bureaux à Paris et dans la Métropole de Grand Paris, Rapport APUR de 2016.
4 Observatoire régionale fde l’immobilier d’entreprise en île-deFrance, Rapport ORIE, 5 Novembre 2014
pourraient représenter entre trois à cinq millions de mètres carrés. 8
7,5
7,1
6,4 6
4,9
4
2
Evolution du taux de vacance des bureaux, en îlede-France, en %.
2,3
2000
2001
2002
2003
2004
2005
2006
2007
2008
2009
2010
2011
2012
2013
Source : Jones Lang LaSalle/ Immostat
Ces bâtiments obsolètes ne trouvant pas preneurs, connaissent, de ce fait une dévaluation et une partie des propriétaires préfère conserver leurs locaux vacants en attendant une potentielle hausse du marché pour pourvoir vendre à prix non dévalué5. Les entreprises tendent à délaisser les espaces qui ne correspondent plus aux nouveaux usages de travail
5 « Métamorphoses, Bureaux —>
logements », exposition présentée au Pavillon de l’Arsenal, 21 boulevard Morland, Paris, du 22 Avril au 24 Mai.
pour se tourner vers des bureaux plus récents et flexibles. Afficher des «locaux flambants neufs» alliant style architectural, et confort6 est aussi, évidemment, un critère de premier plan pour les entreprises. A l’avenir, selon l’Observatoire Régional de
8
6 SEGOND Valérie, « Immobilier de bureaux, l’heure des soldes », Le Monde, 1er Décembre 2013.
Bureaux 1980 - Chacun son poste, chacun sa tache à effectuer. Source : google image
Espaces de travail 2016. Des espaces plus petit avec de grand bureaux à partager à plusieurs pour favoriser l’échange. Source : google image « Crise du logement : la reconversion 7 des bureaux obsolètes peu exploitée », le Nouvel Obs, (en ligne), 08 Juillet 2014.
l’Immobilier d’Entreprise en Ile de France, chaque année, cent quarante mille à deux-cent quarante mille mètres carrés de bureaux pourraient être «définitivement inadaptés» à la demande et, ce uniquement pour les immeubles construits de 1980 à 20007. Il est vrai que depuis les années soixante-dix, des évolutions structurantes marquent également la société. La situation de l’emploi a évolué dans son organisation et ses demandes. En effet, nous travaillons de moins en moins dans des bureaux et de
In, « La fin du bureau? » Le Moniteur des Travaux Publics et du Bâtiment, 11 mars 2016, 25-27 p. 8
plus en plus dans des «tiers lieux» comme les espaces de co-working, les halls, les transports en communs8.
9
Il n’y a pas que nos modes de travail qui sont en train de changer. Tous nos trafics relationnels, des transports à nos relations, sont devenus «co», covoiturage,
colocation,
coworking,
collaboratif,
etc. Grâce aux plateformes de partage en ligne, qui mettent en relation les particuliers plus directement, et à moindre coût, nous pouvons bénéficier de taxis, voitures, appartements, services, etc. ; c’est l'uberisation9 du travail et de la vie en société. Ce petit préfixe «co» illustre les envies de vivre plus «co»mmunautaires. Ainsi les relations entre ancrage et mobilité, entre physique et virtuel se modifient jusqu’à flouter les frontières entre vie privée et professionnelle. A l’image des espaces «cool-office» développés par Google, Apple ou Facebook, par exemple, ces nouveaux espaces professionnels donnent la possibilité de pratiquer ses loisirs sur son lieu de travail, de faire garder ses enfants ou d’inviter un ami à déjeuner au milieu de ses collègues de travail. La frontière entre travailler et habiter est remise en cause en définissant un monde polyvalent en perpétuelle évolution et donc ré-affectable. Le schéma d’une société où chacun dans un domaine précis et défini participait à l’économie environnante est remplacé par un système collaboratif où les périmètres des uns empiètent sur ceux des autres dans une perpétuelle remise en cause des besoins et des attentes.
10
9 Du nom de l’entreprise Uber, est
un phénomène récent dans le domaine de l’économie consistant en l’utilisation de services permettant aux professionnels et aux clients de se mettre en contact direct, de manière quasi instantanée, grâce à l’utilisation des nouvelles technologies.
10 Google®, Apple®, Facebook®
Parallèlement,
la
population
mondiale
La population mondiale est estimée 11 à 7,55 milliards au 1er Juillet 2017 selon l’Organisation des Nations Unis alors qu’elle était estimée à 7 milliards au 31 Octobre 2011, à 6,1 milliards en 2000, et entre 1,55 et 1,76 milliards en 1900.
augmente rapidement . Selon un rapport de l’ONU
L’ONU examine les défis à relever pour une urbanisation durable. In, « Centre d’actualité de l’ONU, les dépêches du Service d’Information de l’ONU », (en ligne), 27 mai 2014. 12
moitié de la population mondiale vit en ville et cette
11
de Juillet 2017, nous sommes sept milliards et demi d’habitants et nous serons près de neuf milliards en 2050. Cet accroissement de la population entraînera inévitablement un étalement des villes. Plus de la part pourrait atteindre environ soixante-dix pourcent en 205012. Plus proche de nous, l’Ile-de-France représente vingt pourcent de la population française, elle ne compte toutefois que pour dix pourcent de la
THEPOT Mathias, « L’Ile de France 13 veut combler sa pénurie de logements », La Tribune, (en ligne), 01 Juillet 2014. Déficit cumulé. « Métamorphoses, 14 Bureaux —> logements », exposition présentée au Pavillon de l’Arsenal du 22 Avril au 24 Mai 2015. THEPOT Mathias, « L’Ile de France 15 veut combler sa pénurie de logements », La Tribune, (en ligne), 01 Juillet 2014.
construction de logements13. La région parisienne souffre d’un très fort déficit en logements s’élevant à environ trois-cent mille unités ces dix dernières années14 ; Or la demande ne fait qu'augmenter15. Il faudrait donc construire des logements à un rythme pratiquement deux fois plus soutenu que celui pratiqué ces dix dernières années pour pouvoir satisfaire la demande actuelle en logements. Conséquence de cette pénurie, les prix de l’immobilier résidentiel n’ont cessé de croître pour atteindre des
+21% dans le neuf, +15% dans 16 l’ancien. CHAUVOT, Myriam, « En Ile de France, les bureaux écrasent les logements », Les Echos, 27 novembre 2013.
sommets inégalés16. Cette
augmentation
démographique,
cette
rationalisation des espaces, des demandes et des usages sans cesse remis en cause ont des conséquences polluantes, et ceci doit interpeller et inciter les architectes à ajouter de la résilience dans leurs projets pour les rendre adaptables aux vues de selon Christian Devillers, architecte et 17 urbaniste.
l’accélération et de la globalisation du changement17.
11
Compte tenu de ces carences en logement et de la rareté du foncier en Ile de France, la question de la reconversion fonctionnelle et architecturale du bâti se pose aujourd’hui de manière accrue. Elle ne touche plus seulement le spectre des monuments dits «historiques» mais également «les architectures 18 SCHITTICH Christian, « En détail, construire dans l’existant », Birkauser, 2006
quotidiennes et profanes»18 La réappropriation des ressources existantes est une thématique qui m’intéresse : entrepôts industriels reconvertis en lofts ou en bureaux, piscine transformée en musée, centre commercial restructuré en équipement social de quartier, ou bien une caserne aménagée en pièce urbaine, par exemple. Dans le cadre de cette étude, j’ai choisi de me concentrer sur la transformation bureau/logement puisqu’il m’a semblé que l’obsolescence anticipée atteignait son paroxysme dans le secteur tertiaire et que le changement d’affectation bureau/logement est aujourd’hui la transformation fonctionnelle la plus importante à Paris en terme de surface. De
plus,
comme
je
vous
l’ai
expliqué
précédemment, cherchant dans chacun de mes projets à avoir un impact positif sur l’environnement, cette opportunité de créer du logement par la voie du changement d’usage comme un cycle de recyclage m’intéresse. Reconvertir plutôt que démolir et reconstruire a un impact très favorable en termes d’émissions de gaz à effet de serre, puisque les fondations et le gros 12
œuvre, responsables de soixante-dix pourcent des émissions, sont en grande partie conservés dans ces opérations. Je vais m’appuyer sur deux exemples de transformation bureau/logement. Le premier est celui réalisé dans un immeuble tertiaire datant de 1975, situé 91 bis rue du Cherche midi à paris (75006) m’a interpellé du point de vue de la transformation physionomique qui a été opéré, par Studio d’Architecture Ory et associés. Le second est celui réalisé dans les bureaux vacants et en partie désaffectés du 76 quai de Carrières à Charenton-le-Pont réalisé par les architectes Moatti et Rivière. Concernant ce dernier, j’ai déjà eu l’occasion Projet urbain de Master 1 sur 19 la ville de Charenton-le-Pont. directeur d’étude : BRARD Dominique.
Cas d’étude 1 : 91 bis rue du Cherche-Midi, Paris 6e, par Studio d’Architecture Ory et associés Source : ©Adrien Bedouain
d’étudier ce lieu pour un autre projet19 qui questionnait la transition entre Paris et sa banlieue. L’analyse de ces deux cas d’études a pour vocation de mettre en
Cas d’étude 2 : 76 quai de Carrières, Charenton-lePont, par Moatti et Rivière. Source : ©Michel Denancé
question la reconversion bureau/logement souvent présentée comme une réelle solution d’avenir. J’aimerais, de fait, critiquer cette évidence par une approche pragmatique découlant de ma formation : Dans quelle mesure la transformation des locaux tertiaires en logements est-elle opportune ? Quels peuvent être les freins techniques, économiques et réglementaires qui pèsent sur ce type de reconversion ? Mais ne pourrait-on pas, en amont, éviter l’obsolescence du bâtiment en le construisant réversible et ainsi ne pas avoir à le détruire de façon aussi précoce ? Le développement d’une architecture réversible qui anticipe les mutations du bâtiment pour le rendre adaptable aux besoins de la population est une approche innovante qui permet de sortir du
14
modèle unique. A l’heure où l’environnement est considérablement malmené et provoque l’ouverture d’une conscience collective (illustrée lors de la COP 21 : Conférence de Paris de 20 2015 sur le climat qui a eu lieu du 30 novembre au 12 décembre 2015 au Bourget en France. Elle est la 21e conférence des parties(d’où le nom COP21) à la Conventioncadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC). Chaque année, les participants de cette conférence se réunissent pour décider des mesures à mettre en place, dans le but de limiter le réchauffement climatique.
COP 2120, à Paris, en 2015) En effet, nous devrons produire, dans l’avenir, une architecture domestique économe en matières et en énergies. Pas seulement à la construction, mais aussi durant toute sa durée de vie, jusqu’à sa déconstruction. Pourra-t-on encore longtemps gaspiller, à l’image des dernières décennies, chacun dans sa spécialité, matières, énergies et ressources, de façon redondantes ? Pour répondre à cette question, je me suis aussi intéressé à d’autres écrits qui m’ont permis de
Cradle to cradle veut dire du berceau 21 au berceau. Cela signifie que tout peut être considéré comme une ressource (un nutriment) et que la notion de déchet disparaît : les bons matériaux entrent dans des cycles à l’infini (métabolismes), utilisés au bon endroit au bon moment.
découvrir le label «cradle to cradle»21 qui conceptualise un cycle de vie d’un produit ou d’un service à l’infini. Une démarche illustrée dans le documentaire «Demain» de Mélanie Laurent et Cyril Dion, où l’on voit tous ces gens, au quotidien, se lèver pour faire en sorte, que, comme l’a dit le chef indien dans ce long métrage :
Citation du chef indien dans le 22 documentaire “DEMAIN”, Laurent Mélanie et Dion Cyril.
«nous n’héritons pas de la terre de nos ancêtres, nous l’empruntons à nos enfants» 22
Je pense que la réversibilité doit intégrer les modalités de cette notion d’emprunt dès la conception du bâtiment. La conception et la fabrication du
15
Cas d’étude 3 : Tours «Black Swans» Strasbourg, par Anne Démians. Source : ©Jean-Pierre Porcher
bâtiment doivent être pensées pour que celui ci puisse être récupéré, désassemblé et entièrement réutilisé.
«Rien ne se perd, rien ne se crée, tout ce transforme» 23
C’est en effet une loi physique développée par Lavoisier, et qui vient prendre tout son sens dans la démarche «cradle to cradle». J’ai
choisi
d’illustrer
ce
processus
23 La maxime « Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme » attribuée à Lavoisier, est la paraphrase du philosophe grec présocratique Anaxagore : « Rien ne naît ni ne périt, mais des choses déjà existantes se combinent, puis se séparent de nouveau ».
de
réversibilité des usages à l’aide du projet d’Anne Démians24 dans lequel l’évolutivité des usages apparaît comme une opportunité d’amener plus de moyens dans la qualité et la durée de vie d’un bâtiment et donc d’en réduire l’empreinte carbone. La réversibilité et l’évolutivité sont fondamentales si on souhaite une ville durable. Toutes ces recherches, m’amèneront finalement à réfléchir à la question suivante :
16
24 Architecte et professeur à l’université Paris-Dauphine.
La réversibilité est-elle une alternative durable à la reconversion ?
18
01
La reconversion comme contre pied à l’étalement urbain ©Adrien Bedouain
Dans un contexte où les questions environnementales préoccupent, les opportunités de réutiliser, de recycler les biens existants prédominent. Les espaces tertiaires vieillissants constituent à ce titre, selon Silvia Pinel, «un gisement foncier qui doit être exploité»25.
< 300 m²
entre 300 et 1000 m²
entre 1000 et 5000 m²
> 5000 m²
Et, selon l’Atelier Parisien d’Urbanisme26, une centaine d’opérations de transformation de bureaux en logements ©Michel Denancé
ont lieu en moyenne chaque année, soit environ quatre-cent à cinq-cent logements par an27. La plupart de ces opérations
19
ont eu lieu dans les arrondissements du nord parisien, là où précisément les bureaux sont les plus présents. Le nombre de permis de construire pour opérations de reconversion semble croissant28. Notons que le «Pacte priorité au logement»29 de la ville de Paris s’est fixé un objectif de reconvertir deux-cent cinquante mille mètres carrés de locaux tertiaires en logement d’ici 2020. J’ai sélectionné deux opérations traitant de la reconversion bureaux/logements : - L’un ayant connu un changement assez radical de physionomie extérieur. (Résidence Sagan, 91 bis rue du Cherche- Midi,75006, Paris). - L’autre ayant, au contraire, conservé son identité des années 1970. (Ensemble de bureaux, 76 Quai de Carrières, Charenton-le-pont, Val de Marne). A travers ces deux exemples, je souhaite illustrer les intérêts et les limites de ce genre de programmes.
PAGE PRÉCÉDENTE : EVOLUTION ANNUELLE DU NOMBRE DE PERMIS AUTORISANT LA TRANSFORMATION EN LOGEMENT ENTRE 2001 et 2012 source : « La transformation de bureaux en logements », Atelier Parisien d’Urbanisme, 2014, (en ligne).
25 « Des millions de mètres carrés de
bureaux vides s’accumulent en Ilede-France », Le Monde, (en ligne), 15 Novembre 2003.
26 APUR. Elle a pour missions
d’étudier et d’analyser les évolutions urbaines et sociétales participant à la définition des politiques publiques d’aménagement et de développement, de contribuer à l’élaboration des orientations de la politique parisienne et notamment de ses documents d’urbanisme et de projets à l’échelle de Paris et de sa métropole.
27 Atelier Parisien d’Urbanisme, «
La transformation de bureaux en logements entre 2006 et 2012 », 2014.
28 « La transformation de bureaux en logements », Atelier Parisien d’Urbanisme, (en ligne), 2014.
29 Pacte dit du « logement pour tous » signé entre professionnel et Anne Hidalgo (maire de Paris) : objectif 30 % de logements sociaux en 2030, à raison de 10 000 logements/an, Juin 2014.
Cas 1
Cas 2
Contours de Paris Source : ©Adrien Bedouain
20
1.1 ©Google image
Dans quelle mesure la reconversion de bureaux en logement est elle opportune ? Cas 1 : Résidence Sagan (du nom de l’auteur de Bonjour tristesse qui a vécu à cette adresse du 6ème arrondissement de Paris pendant quelques années) L’immeuble d’origine a été construit en 1975 sur un ancien entrepôt au fond d’un îlot calme et verdoyant. L’architecte Jean-Jacques Ory a métamorphosé complètement cet ancien immeuble de bureaux obsolètes en logements sociaux. Ce projet de reconversion illustre la volonté de la ville de favoriser le logement social et la mixité partout dans Paris. 21
Etat de l’ancien ensemble tertiaire de la rue du Cherche midi. Source : ©google image
Certains
immeubles
tertiaires
sont
plus
complexes à réaménager que d’autres, notamment ceux comme celui-ci construits à partir des années 1975. Les plateaux de bureaux, d’une largeur de quatorze à vingt mètres, doivent être entrecoupés de patios ou de cours afin d’éclairer convenablement les appartements. Les façades vitrées non porteuses doivent être changées pour une plus grande intimité des
occupants
et
une
meilleure
performance
thermique du bâtiment. Et les fines dalles de planchers doivent être traitées de manière particulière pour être isolées à l’acoustique et au feu. La structure en béton a été conservée et il a été construit tout autour un programme de trente-deux logements dont onze HLM30. La coupe, présentée pages suivantes, met en évidence l’adjonction de deux nouveaux niveaux surplombant l’édifice original. Les volumes ajoutés sont des penthouses en verre qui donnent une forme pyramidale à l’immeuble dont le volume devient plus singulier que le simple parallélépipède d'origine.
22
30 HLM : Habitation à loyer modéré.
Les bureaux sont conservés dans le socle du rezde-chaussée et au premier étage. Puis quatre niveaux d’appartements composés de logements sociaux et de logements de luxe proposés en accession viennent les surmonter. La coupe montre aussi que le bâtiment proposé, courant 2016, par Studio d’Architecture Ory et associés est également élargi latéralement par des cubes de verre superposés. Cette disposition en gradins permet de maximiser l’apport en lumière (sur le modèle de l’organisation à redents), et d’offrir des prologements extérieurs (terrrases, balcon), aux logements sur les faces supérieures de chaque “boite”. Grâce à ces interventions, l’ancienne façade Il s’agit d’ailleurs, du premier 31 immeuble en verre opacifiant construit en France. « Quand l’immobilier revisité Sagan », In Le Figaro Properties, 19 Janvier 2016.
en mur rideau relativement banal31 au départ gagne en complexité. Notons aussi que l’aspect tramé du bâtiment originel a été conservé par le rythme des panneaux de verres permettant de devenir opaque ou transparent suivant le degré d’intimité désiré. Et grâce à ce subtil jeu de façades, la transparence, les reflets de la lumière et les perspectives dialoguent avec la frondaison des arbres environnants.
23
Avant
Après
Coupes de l’immeuble avant et après la reconversion : Source : tiré et adapté de «Métamorphoses» , Pavillon de l’Arsenal. ©Adrien.Bedouain
La colonne de circulation verticale placée au deux tiers de la largeur du bâtiment vient desservir les logements dont la surface est très variable (de vingt-cinq mètres carrés pour les studios proposés à deux-cent seize mètres carrés pour les appartements en duplex les plus hauts). A l’intérieur, la hauteur sous plafond a visiblement été augmentée passant de 2.5 à 2.73 mètres certainement pour donner plus de confort et de lumière aux logements. De grandes baies vitrées ont été installées. Toujours à l’intérieur, les fines dalles de planchers ont été remplacées par de véritables parquets pour améliorer l’isolation et l’acoustique, des critères qui autrefois n’étaient pas dans les préoccupations des constructions. Les logements ont de vastes terrasses aux sols en bois côté jardin. Pour agrémenter les parties communes extérieures les plus proches des logements, la paysagiste Olivia Putman a imaginé des espaces de verdures zen et luxuriantes de part et d’autre de l’ensemble architectural. Il s’agit d’une volonté commune avec l’architecte pour créer comme une sorte d’oasis en plein Paris.
25
Cette reconversion
opération
est
intéressante
architecturale
métamorphosant
un
ancien
qu’elle
par
la
propose
en
ensemble
tertiaire
sans qualités manifestes. Le caractère du nouveau bâtiment permet d'imaginer qu’il offre des prestations exceptionnelles aux locataires et qu’il soit agréable à vivre. Si cette opération de reconversion est intéressante, il faut bien garder à l’esprit que les logements proposés en accession sont hauts de gamme (vingt-cinq mille euros le mètre carré) et qu’une reconversion de ce type semble difficilement transposable à moindre coût dans d’autres contextes.
26
Cas 2 : 76 quai des Carrières En décembre 2013, 3F, premier bailleur social en France, acquiert un ensemble de bureaux des années soixante-dix à Charenton-le-Pont (en Val-de-Marne), au 76 quai des Carrières. Il s’agit d’un ensemble Façade après réhabilitation des 7 000 m² de bureaux quai de Carrières. Source : ©Michel Denancé 3F, premier bailleur social 32 français, est une filiale d’Action Logement Immobilier. Composée de 14 Entreprises sociales pour l’habitat, elle gère plus de 250 000 logements sociaux, foyers d’hébergement et commerces dont 144 000 en Île-de-France.
immobilier qui est en majorité vacant. Il a une façade en béton préfabriqué, totalisant neuf mille cinq-cent mètres carrés. Un an plus tard, 3F32 lance les travaux de transformation des sept mille mètres carrés de bureaux en une résidence de quatre vingt dix logements sociaux, destinée en priorité aux jeunes et aux personnes âgées. Les deux mille cinq-cent mètres carrés de bureaux restants seront quant à eux rénovés en vue de leur remise en location.
27
Au bord de l’A4, mais des vues lointaines sur Ivry et aux alentours. Source : ©google image
Etat initiale de cette barre de bureaux de 260 m. Source : ©google image
Parmi les atouts du site, citons la proximité avec Paris grâce à l’autoroute A4, les transports en commun et le centre-ville de Charenton-le-Pont, mais aussi, une vue panoramique sur la Seine, Ivry-surSeine et le Sud de Paris. Pour domestiquer le bâtiment, la façade du quai des Carrières, longue de deux-cent soixante mètres et orientée au Sud, est repensée. La confrontation des plans d’origine au plan d’étage après reconversion révèle que la profondeur du bâti a été conservée sur deux des trois « branches de la forme en « P » du bâtiment. La profondeur de treize mètres en cœur d’ilot a été réduite à huit mètres, épaisseur
28
76 quai de Carrière - De grand plateaux de bureaux typique des années 70. Source : ©google image
Asc. Asc. Asc. Asc.
Asc.
Asc.
Plan d’étage du projet Source : tiré et adapté de Moatti et Rivière ©Adrien.Bedouain
Coupe du projet Source : tiré et adapté de Moatti et Rivière ©Adrien.Bedouain
correspondante d’avantages aux besoins en lumière des logements. La barre coté Seine, s’ouvre, quant à elle, des deux côtés proposant ainsi des logements, en partie traversant. Les circulations verticales desservent cinq appartements, comme on peut le voir sur le plan page précédente. Les couloirs sont placés sur le côté extérieur de l’îlot quand cela est possible, certainement afin de permettre aux logements de s’ouvrir sur la cour plus calme. Les modénatures en béton préfabriqués sont conservées et les fenêtres existantes sont déposées. Une nouvelle façade en béton architectonique est positionnée à soixante-dix centimètres en retrait de la façade existante. Sa finition en bardage bois participe à la domesticité de la façade. Ce qui est très intéressant dans ce type de projet, c’est le frottement des histoires. «Il faut utiliser la force du lieux pour aller plus loin».
33
En tant qu’architecte, Alain Moatti et Henri Rivière s’attachent à rénover l'existant tel qu’il a été, mais ils y ajoutent systématiquement un objet très contemporain, autonome et fort. Ainsi, à Charentonle-Pont, ils ont ajouté derrière la façade en béton préfabriqué, une façade en bois qui transforme ce bâtiment de bureaux en un espace habitable, avec des
30
33 Alain Moatti
Rajout d’une deuxième façade en retrait de 70 cm pour domestiquer les espaces. Source : ©www.Moatti-Rivière.com
loggias. Cet élément ne sert pas qu’à la façade, il est aussi une manière de mettre à distance l’autoroute, en faisant un cadre épais depuis l’intérieur. Cette reconversion tout à fait intéressante a fait le pari de garder une façade originale très typée des années soixante-dix. La seconde façade créée en recul permet de donner un caractère résidentiel et d’offrir des prolongements extérieurs aux appartements tout en maîtrisant les coûts.
31
Le bois habille les espaces privatifs extérieurs de chaque logement : platelages, jardinières, murs et sous-faces des loggias. Ce retrait régule les apports solaires (par l’effet de brise soleil généré par l’existant). Il donne une nouvelle identité au bâtiment par la profondeur et le rythme aléatoire des loggias (suite à la démolition de quelques éléments en béton préfabriqué). Le rythme de cette suppression est guidé par les vues intérieures des logements : - de grandes et larges loggias dans les salons avec vue vers la Seine. - une jardinière végétalisée pour les chambres et les salles de bains. Par ailleurs, afin de respecter la réglementation acoustique, les fenêtres sur rue, en aluminium, sont équipées de triple vitrage. La végétalisation de la façade est permise par son orientation mais aussi par l’irrigation régulée des jardinières et ceci grâce à la récupération des eaux de pluie en terrasse. Après cette présentation de deux opérations de reconversion, essayons maintenant de porter un regard critique à plus grande échelle sur la transformation de bureaux en logements en région parisienne. Suite Coupe détails de la façade - Rythme aléatoire des loggias suite à la démolition de quelques éléments en béton préfabriqués Source : tiré et adapté de Moatti et Rivière ©Adrien.Bedouain
aux lectures de diverses horizons, l’idée est d’évaluer les opportunités et la faisabilité de la transformation bureau/logement aujourd’hui au regard des objectifs politiques de la ville de Paris. La confrontation des différents arguments qui suit n’a pas prétention à l’exhaustivité, mais à vocation à donner un panorama des différents arguments du débat. 33
1.2
Quels sont les intérêts et pour quel type de bâtiment ? En règle générale, un des intérêts principal de ce type de projet de reconversion réside dans le fait de reconstruire la ville sur la ville, de rehausser l’attractivité urbaine tout en gardant l’identité du lieu. Il ne s’agit pas simplement de «faire du logement» mais bien de «faire la ville» pour maintenir ou pour remettre en état et ainsi attirer les nouveaux investisseurs là ou les friches et autres bâtiments abandonnés tendraient à les repousser. Du bureau vers le logement. Source : Pavillon de l’Arsenal, exposition «Métamorphoses»
34
Le recyclage urbain.
Intérêts économiques :
Source : demainlaville.com
Le réemploi de la structure d’un bâtiment existant permet l’économie en matière première et Selon le ministère de 34 l’environnement, de l’énergie et de la mer, en charge des relations internationales sur le climat, en 2014, les entreprises du bâtiment et des travaux publics (BTP) produisent 227,5 millions de tonnes de déchets.
diminue considérablement la production de déchets34.
Loi ALUR : Accès aux logements 35 et à un urbanisme rénové, N°2014366 du 24 Mars 2014.
initiale aux volumes transformés. La loi ALUR35, en
L’Etat, dans le cas d’une transformation bureau/logement, offre une exonération de taxe foncière durant cinq ans tout en laissant la possibilité pendant quinze ans de redonner leur affectation plus de cela et pour encourager les reconversions, propose des dérogations aux règles de gabarits, de densités ainsi qu’aux obligations de stationnement. En 2015, l’Etat a également instauré une taxe pour pénaliser les propriétaires réalisant de la rétention foncière favorables aux friches commerciales.
35
Intérêts écologiques : Lorsque l’on sait que soixante-dix pourcent des déchets produits en Ile de France proviennent du secteur du BTP (Batiments Travaux Public) et que l’énergie dépensée lors de la reconversion d’un bâtiment a un bilan carbone en moyenne dix fois inférieure à celui de la construction neuve36, la
128kg équivalent Carbone/m² dans le cas d’une construction neuve en béton contre 5 à 10 kg/ m² pour une reconversion. Selon « Transformation des bureaux vides en logements ? », par la rénovation 36 française, (en ligne), 2015.
limitation des déchets devient un argument majeur dans les politiques municipales de développements durables de «ville à zéro déchet»37. De plus ces projets étant généralement intra-muros, la pollution et les nuisances engendrés auprès des riverains
37 « Métamorphoses, Bureaux —> logements », exposition présentée au Pavillon de l’Arsenal du 22 Avril au 24 Mai.
par ces chantiers seront plus faibles que lors d’une reconstruction du fait qu’ils seront sur une plus courte durée38.
La mixité sociaux :
38 LITZER Jean-Bernard, « Les promoteurs misent sur la transformation de bureaux en logement », Le Figaro.fr immobilier, 2015.
Elle devient une priorité si l’on veut éviter les zones franches et autres zones de non droits créées dans de nombreuses mégapoles durant les précédentes décennies. Les opérations de transformation de bureaux en logement favorisent cette mixité. Le potentiel de bureaux transformables se situe en grande partie dans les quartiers des affaires ou dans les arrondissements où le foncier est le plus cher. Ces quartiers ont souvent un taux de logement sociaux inférieur aux minimales requise par la loi Solidarité Renouvellement Urbain39. Entre 2001 et 2006, quatre-vingt pourcent des logements issus de ce type de programme ont été autorisés dans les zones en déficit de logements sociaux. 36
Loi Solidarité Renouvellement Urbain instituant des quotas en matière de logement sociaux pour toute opération de plus de 800 m² de plancher, moins de 25% doivent être 39 alloué au locatif social.
La production de logements sociaux en et hors zone en déficit de logement social. Source : Atelier Parisien d’Urbanisme, La transformation bureaux/logements de 2002 à 2012, 2014.
37
Les principes de choix architecturaux : Le bâtiment doit être de plusieurs niveaux avec un rez-de-chaussée d’une forte hauteur (si possible 3.5 mètres) pour autoriser les activités économiques. Son architecture doit permettre des ouvertures vitrées pour augmenter son attrait aux commerces et autres usages atypiques. La façade souvent poreuse si elle n’est pas amiantée pourra être conservée et mise en avant par des habillages esthétiques et techniques (isolation). Si la normalisation des logements découlant de la réglementation PMR40 risque d'entraîner « le mal
Personne à Mobilité Réduite, cela inclut l’ensemble des personnes qui éprouvent des difficultés à se déplacer, de manière provisoire ou 40 permanente.
logement de demain » comme le soulignait Catherine Jacot41, en règle générale, les contraintes techniques liées à la reconstruction d’un bâtiment existant offrent de façons contradictoires l’opportunité la plus importante : celle de réinventer des logements non standards et singuliers. Comme le dit Alexandre Labasse, directeur du Pavillon de l’Arsenal, «Profiter
des
décors
et
des
volumes
Haussmanniens, habiter les toitures terrasses et les cours d’immeubles tertiaires, tirer parti de nouvelles façades des murs-rideaux des années soixante dix,
38
41 JACOT Catherine, présidente du conseil national de l’ordre des architectes, «Le logement est un bien commun », 2014.
offre à chaque opération l’opportunité d’une stratégie singulière. La contrainte inhérente à la reconversion pousse à réinventer de nouveaux modes d’habiter et de sortir des modes de productions standards des logements». Les bâtiments des années soixante-soixante dix et des années précédentes semblent intéressant de ce point de vue là.
39
1.3
Les freins et les limites à la reconversion. Le choix de transformer un bâtiment tertiaire en logement réside aussi dans son potentiel attractif. Mais l’étude de l’Atelier Parisien d’Urbanisme42 (APUR) en 2014 montre que si le stock actuellement disponible sur Paris est important (environ trois millions et demi de mètres carrés dont cent quarante mille mètres carrés inoccupés depuis plus de quatre ans), il ne permettra de produire que cinquante milles logements soit une réponse seulement à un sixième des besoin. Les principales raisons sont les suivantes.
Frein social : La condition préalable et indispensable pour démarrer les travaux est l’inoccupation des immeubles. Or il est rare que tous les baux se terminent en même temps et l’éviction des utilisateurs et les délais de libération peuvent devenir long et couteux.
Frein géographique : La localisation des lieux à reconstruire, s’il peut être un atout, peut devenir rapidement un frein important. La transformation de bureaux en logement le long du périphérique, ou bien, d’un aéroport, par exemple, reste peu attrayante. Les accessibilités aux transports et commerces doivent être attractifs si on ne veut pas nuire au projet et donc à sa rentabilité.
40
42 APUR, « Le potentiel de transformation des bureaux logement », (en ligne), 2014.
Frein réglementaire : Les
dispositifs
d’urbanismes
peuvent
également freiner de tel projets : Est ce que les règlements de co-propriété n’interdisent pas le changement de destination ? Est ce que le logement est susceptible de recevoir les raccordements de fluides et des réseaux obligatoires ? Un bâtiment de logements de 50 mètres de hauteur ne pourrait être reconverti en bureaux que jusqu’à une hauteur de vingt-huit mètres, sans une refonte importante des lieux pour l’accès des secours. La réglementation exige en effet un accès des secours pour un bâtiment tertiaire à une hauteur inférieure (28 mètres) à celle d’un bâtiment de logements.
Frein économique : Si la reconversion a un impact carbone très en dessous de la construction, le cout de revient en A titre indicatif, elle coûte 2000 43 à 2500 euros par mètre carré contre 1600 à 1800 euros pour une construction neuve, in « Transformer des bureaux en logements, la preuve par l’exemple », Immo Week, You Tube, (en ligne), 2015.
est plus élevé de dix à quinze pourcent43, voire trente pourcent sur certains bâtiments demandant des couts d’opérations préalables telle que le désamiantage. A cela il faut ajouter que la transformation par exemple de bureaux en logement diminue les surfaces utilisables de dix à quinze pourcent du fait des
Ibid. 44
cloisonnements supplémentaires44. Ces surcoûts expliquent que la majeure partie de ces projets sont effectués par des bailleurs sociaux, le secteur privé préférant la reconversion à usage hôtelier et/ou résidence étudiante. 41
Frein architectural : Avoir des dimensions (longueur, largeur) compatibles avec plusieurs usages et favorisant l’éclairage naturel avec des fenêtres et/ou autour de puits de lumière est un point d’entrée important. La majeure partie des bâtiments tertiaires a très souvent des noyaux centraux sombres et des pièces aveugles très difficiles à éclairer. Cela nécessite alors de lourds travaux pour les rendre exploitables pour des logements. Le cloisonnement des surfaces ouvertes des bâtiments tertiaires vers des modules de logements habitables entraine également à repenser tous les réseaux de distributions, des sanitaires et autres gaines. Les années 1990 ont vu le retour des ossatures béton et des façades rapportées dans l’immobilier d’entreprise avec des profondeurs avoisinant les 18 mètres, donc non mutables. De plus les hauteurs de plateau doivent être supérieure à 2,5 mètres (la hauteur de 2.7 mètres étant idéale) pour permettre une mixité et une flexibilité simple. Les projets de reconversion sont donc des projets délicats. S’ils offrent de forts potentiels identitaires, architecturaux, urbains et sociaux, ils sont d’une rentabilité qui reste fragile et peu attractive pour le secteur privé.
42
Ecologiquement leur attraction est importante car comme le souligne l’architecte Alain Moatti : «conserver ce qui peut l’être et le réintégrer dans de nouveaux usages. La reconversion est un acte résolument écologique». Mais il me semble néanmoins que cela reste une solution pour du court terme. L’évolution des besoins et envies de la société peut remettre en cause l’attrait et l’utilisation d’un bâtiment qui s’il n’est pas totalement flexible peut redevenir obsolète et donc vacant. Chaque projet de reconversion doit donc, si on veut qu’il perdure, adopter le plus possible les principes d’adaptabilités et de flexibilités indissociables de nos mutations sociales et économiques. Les transformations de bureaux en logements restent malgré tout assez peu nombreuses. On vient de voir, que la reconversion bureau logement rencontrait d’importants freins et limites qui font que ces opérations s’avèrent difficiles, voire, parfois, impossibles. Ne pourrait-t-on pas éviter en amont l’obsolescence du bâti en le construisant flexible et réversible pour ne pas avoir à le détruire aussi précocement ?
45
02
La réversibilité pour éviter l’obsolescence des bureaux. Les recherches portant sur des édifices modulables ne sont pas nouvelles. On en trouve de nombreuses occurrences dans l’histoire de l’architecture : par exemple les incontournables «Typical plans» dont traite, entre autres Rem Koolhaas45, dans «S, M, L, XL»46, ou encore le plan libre, espace sans mur de refend largement théorisé par Le Corbusier47, «qui se définit précisément, par les qualités qu’il n’a pas» et permet une utilisation libre de l’espace, non entravée par des voiles porteurs. Les réflexions sur «l’Open-building»48 dans les années Source : ©Jean-Pierre Porcher
soixante, et les expérimentations ultérieures pour concevoir des espaces modulables marquent, un pas de plus vers la réversibilité : les espaces sont désormais conçus pour être recomposés selon les besoins.
47
Aujourd’hui, les besoins de la société et la rapidité des mutations économiques font que l’on recherche de plus en plus à aller au-delà de la modularité pour se diriger vers la réversibilité parfois totale permettant des changements d’affectation. Après avoir construit en masse et de manière peu pérenne, une des démarches contemporaines est de commencer à penser à accroître la durée de vie des bâtiments en facilitant leurs changements d’affectation. Dans les pays de culture latine, la grande majorité de l’architecture a tendance à être relativement «statique» et «monofonctionnelle» et «les architectes contemporains sont peu nombreux à intégrer des possibilités d’évolution dans leur projet»49 mais il semble que cette tendance soit en passe de changer. La réversibilité fait désormais partie intégrante des
PAGE PRECEDENTE :
45 Architecte, théoricien de l’architecture et urbaniste néerlandais. Il est également professeur en architecture et design urbain à la Harvard Graduate School of Design, aux États-Unis. 46 O.M.A, KOOLHAAS, R. et MAU, B. (1995). S, M, L, XL. Jennifer Sigler. The Monacelli Press. 47 Basset, A. et Etienne, A. (2016). La démarche cradle to cradle, ou comment construire un bâtiment à impact positif, Université de Montpellier, 2015-2016 48 Architecte hollandais, John Habraken auteur de « An Alternative to Mass Housing », Urban International Press, UK, 1989 49 KRONEMBURG Robert, « Flexible : une architecture pour répondre au changement », 2007, Norma.
concepts de renouvellement urbain et d’éco-quartier.
L’openspace et la felxibilité. Source : «La flexibilité selon Rem Koolhaas», http://visle-en-terrasse. blogspot.fr tiré et adapté du site internet. ©Adrien.Bedouain
48
2.1
Les principes et les enjeux. La réversibilité doit anticiper et intégrer les modalités de la déconstruction et/ou celles du futur changement d’usage dès la conception du projet ou du bâtiment, et ainsi minimiser l’ampleur et les coûts des adaptations. On distingue deux formes de réversibilité : - La réversibilité fonctionnelle. - La réversibilité constructive.
La réversibilité fonctionnelle : La réversibilité fonctionnelle est la plus courante. Elle est la possibilité pour un aménagement ou un bâtiment de changer facilement ou radicalement d’usage. - Avoir des dimensions (longueur, largeur)
compatibles avec plusieurs usages - Etre construit sur plusieurs niveaux (un seul
50
limitant les types d’usages)
- Prévoir des faux planchers suffisamment
dimensionnés pour pouvoir placer de
multiples points d’eau - Prévoir une hauteur de plateau suffisante
sans être inférieur à 2.7m - Favoriser l’éclairage naturel avec des
fenêtres et/ou autour de puits de lumière - La voirie qui dessert l’opération doit définir
des îlots d’une taille suffisante pour pouvoir
muter individuellement. Pour pouvoir mener à bien ces modifications
d’usages, c’est au niveau des choix techniques qu’il faut envisager la démarche. Pour prévoir une future réversibilité et la rendre plus facile, il faut que le bâti présente certaines caractéristiques. Ces caractéristiques suivante sont illustrées ci-après avec l’implantation théorique de deux barres jumelles de PAGE SUIVANTE : Plan et façade d’une barre permettant d’envisager une diversité architecturale. Source : «construire reversible», canal-architecture. tiré et adapté de canal architecture ©Adrien.Bedouain
soixante mètres de long et treize mètres de large, s’élevant sur six niveaux et implantées en périphérie urbaine. Il s’agit d’un cadre permettant d’envisager une diversité architecturale. Elles ont été évaluées sur une situation foncière fictive par Canal Architecture : Patrick Rubin, Annie Le Bot et Antoine Hersant
51
A
E
F
C
D
B
BUREAUX
A
E
F
C
D
B
LOGEMENTS
A - Une épaisseur de bâtiment de 13 mètres Aujourd’hui, l’épaisseur pour un bâtiment, constitué essentiellement de bureaux, est de 18 mètres. La largeur des immeubles de logements mono-orientés est de quinze mètres. Une épaisseur du bâti équivalente à treize mètres permet de répondre aux besoins de plateaux plus flexible et à un agencement plus mobile pour ainsi répondre à l’adaptation des espaces due à l'évolution des modes de travail et d’habitation. Une largeur de treize mètres remet en cause le principe de mono-orientation. Mais on sait que la double exposition ne peut qu’améliorer la qualité des aménagements des plateaux et de leurs transformations futures. Une trame porteuse limitée et les circulations positionnées à l’air libre libèrent des plateaux de tout obstacle pour implanter indifféremment activités, bureaux ou logements.
54
3
2 1 0
3,3m
2
2
1
1
0
Standard bureau
2,7m
0
Bâtiment réversible
2,5m Standard logement
40m
Tiré et adapté de canal architecture ©Adrien.Bedouain
2 3
1
B - Une hauteur d’étage à 2,70 mètres Depuis les années 1960, les hauteurs d’étages sont à 3,30 mètres pour le bureau, 2,50 mètres pour le logement. Une hauteur à 2,70 mètres serait-elle un juste équilibre ? Pour l’habitation, ce sont vingt centimètres en plus qui entraînent un gain de lumière naturelle et plus de confort. Dans les bureaux on évite les faux planchers et faux plafonds qui réduisent considérablement la hauteur et à partir du quatrième niveau de la construction, l’addition d’un étage supplémentaire est rendue possible. Ce niveau supplémentaire permet ainsi de répondre à l’augmentation de la densité urbaine et à l’économie générale de l’opération. Mais si la hauteur entre sol et plafond est de 2,70 mètres, l’accès au plancher du R+3 avec l’échelle de pompiers sera situé au-delà de huit mètres. Il faut, dans ce cas, créer une voie de desserte pour ces véhicules de secours. Ne faudrait-il pas envisager de revoir cette norme ?
56
5
5 4 3
5 5
4
5 4
3
3 2
2 1 2,7m
ment sible
0
4
1 0
2,5m 3,3m
Standard Standard logement bureau
Tiré et adapté de canal architecture ©Adrien.Bedouain
3
2
2
1
1
0
2,7m Bâtiment réversible
0
5
4
4
3
3 2
2
1 0
1 2,5m 3,3m
Standard Standard logement bureau
0
C - La Circulation : placettes et pontons extérieurs Les immeubles de bureaux ont tous fonctionné avec un ascenseur et un escalier qui débouchaient sur un palier ouvrant sur des espaces de travail. Mais, on ne peut pas faire ouvrir des logements directement sur un palier d’escaliers ou d’ascenseurs, lorsque la circulation est intérieure. Une proposition pourrait donc être de placer les circulations verticales (escaliers et ascenseurs) à l’extérieur du bâtiment. Ainsi, lorsque la réversibilité est activée les gaines verticales, escaliers, ascenseurs et colonnes techniques ne sont pas impactés. Chaque palier forme une placette naturellement éclairée et ventilée. Il permet l’accès au sas du plateau de bureaux ou aux portes palières des logements. De part et d’autres des placettes, les coursives assurent des circulations latérales continues. On peut imaginer que lors des beaux jours ces extensions offrent aux utilisateurs la possibilité de téléphoner, finaliser un dossier, d’improviser des réunions informelles,etc, et pour les habitants, de partager un verre entre voisins, par exemple. Ces larges passerelles sont utilisées comme des balcons, mais commun à tous. C’est une sorte de pièce en plus que chacun peut s’approprier pour entretenir un micro jardin par exemple.
58
40m
2 3
1 2
15m 30m
13m
1 - escaliers 2 - ascenseurs 3 - placettes 4 - pontons Tiré et adapté de canal architecture ©Adrien.Bedouain
D - L’enveloppe : moins de 30% des composants à modifier L’image graphique d’une façade d’immeuble ne définit plus systématiquement sa destination originelle.
L’enveloppe
peut-être
de
l’ordre
du
générique, ne nécessitant ainsi que des modifications mesurées pour s’adapter aux possibles changements d’affectations. Sans systématiser un principe, l’expression de la façade affiche un caractère hybride et assure l’unité des performances environnementales. Les matériaux apparents offrent une variété de finitions. Et, les doubles hauteurs, les percements, les jeux extensifs sont laissés libres à l’interprétation des architectes. Le contexte et le paysage urbain encouragent la variété des initiatives. La fabrication industrielle des façades, testées en atelier, facilitera les processus de réversibilité. En cas de mutation d’un immeuble, moins de 30% des composants devraient être modifiés sur l’enveloppe. Il s’agit principalement des modules de façades.
60
BUREAUX
LOGEMENTS
Tiré et adapté de canal architecture ©Adrien.Bedouain
E - Le procédé constructif : poteaux-dalles Comparé aux refends perpendiculaires, aux façades porteuses, aux systèmes poteaux-poutres, le mode constructif poteaux-dalles, procédé semiindustrialisé à faible empreinte carbone, maximalise la flexibilité des plateaux. Noyées dans les vingtdeux centimètres de la dalle, les poutres ne sont plus des obstacles. La sous-face de plancher sans relief favorise le passage et l’accessibilité des réseaux aériens pour les bureaux. Au centre des plateaux, légèrement décentré, un seul rang de poteau est nécessaire pour franchir l’épaisseur de l’immeuble sur treize mètres et permet ainsi toute liberté de configuration intérieure. Cette trame reste favorable à l’installation des parkings. En résumé, toutes formes d’agencements intérieurs restent envisageables à partir de ce vaste plan libre.
62
Tiré et adapté de canal architecture ©Adrien.Bedouain
F - La distribution des réseaux sans reprise structurelle. Les cheminements techniques sont jumelés aux escaliers et ascenseurs. L’ensemble des fluides, eau, air, courant fort, courant faible, transite par ce canal vertical. En terme d’exploitation l’accessibilité aux réseaux s’organise à tous niveaux depuis les placettes. De plus, en prévision des transformations, les pièces humides des futurs logements sont alignées sur un axe prédéterminé, favorisant les distributions primaires. La constitution des planchers autorise la création de percements pour créer des gaines gravitaires sans reprise structurelle. Pour réduire encore la durée de la transformation, les réseaux techniques indépendants, nécessaires à chaque logement, sont intégrés dans les cloisons pré-équipées. Le réglage des typologies d’habitats favorise toujours les espaces traversant.
64
Tiré et adapté de canal architecture ©Adrien.Bedouain
La réversibilité constructive : une conceptualisation du label C2C («cradle to cradle») ? La réversibilité constructive est la capacité d’un aménagement ou d’un bâtiment à être facilement déconstruit, laissant le terrain d’assiette proche de son état initial. Je pense que l’idée que certains ouvrages, à terme, n’auront plus le même intérêt qu’ils ont eu lors de leur création, nous oblige de ce fait à anticiper leur mode de déconstruction, de recyclage et de réutilisation dès la conception. Pour répondre à ces nouveaux cycles de vie le chimiste allemand Michael Braungart et l’architecte américain William McDonough ont proposé un nouveau schéma de fonctionnement de nos sociétés. Ils sont partie du constat que le schéma classique que nous suivons depuis des années « extraire – produire – consommer – jeter »50 est arrivé
Basset, A. et Etienne, A. (2016). La démarche cradle to cradle, ou comment construire un bâtiment à impact positif, Université de 50 Montpellier.
à bout de souffle et doit être réinventé. Ce schéma classique est ce qu’ils appellent le «cradle to grave»51. En effet, trop de ressources sont gaspillées sans bénéficier à tous et nous croulons sous les déchets. Leur principe est de passer d’un système actuel linéaire «cradle to grave» en un système circulaire qu’ils appellent le «Cradle to Cradle».
66
51 Du berceau au tombeau Ibid.
Ce nouveau système
implique la distinction
entre un cycle biologique et un autre technique. Le cycle biologique comprend tous les éléments qui peuvent se dégrader dans la nature. ils ne rejètent pas de substance nocive et contribuent à regénérer les sols. Le cylce technique rassemble quant à lui, tous les éléments non biodégradable. Cette
philosophie
a
trois
principes
fondamentaux, illustrés de la page 68 à la page 74.
67
Extraire
Produire
Consommer
Jeter
«Cradle to Grave» ©Adrien.Bedouain
Produire
Cycle technique
Consommer
Transformer
Retourner
Produire
Cycle biologique Nutriments biologique
«Cradle to Cradle» ©Adrien.Bedouain
Décomposition
Consommer
L’éco-conception Dans la nature, il n’y a aucun déchet, tout est nutriment. Il ne viendrait à personne l’idée d’aller nettoyer une forêt en enlevant toutes les feuilles mortes… D’abord parce que c’est mission impossible et ensuite parce que ce serait une belle erreur ! En effet, quand les feuilles d’un arbre, ses « déchets », tombent au sol et fanent, elles deviennent alors de la nourriture pour tout l’écosystème vivant qui en profite et redonne à son tour à la terre les précieux nutriments qui profitent à l’arbre. Il y a une revalorisation à chaque état de vie ; Les déchets des uns deviennent les matériaux des autres. L’éco-conception fait porter l’attention sur ce que l’on fabrique et surtout avec quoi. On ne prend que des ingrédients ou des matériaux maitrisés pour lesquels on connait leurs impacts sur la santé et l’environnement52. On ne les transforme que par
Basset, A. et Etienne, A. (2016). La démarche cradle to cradle, ou comment construire un bâtiment à impact positif, Université de 52 Montpellier.
des procédés non dégradants car à quoi bon parler recyclage à l’infini si d’emblé la base est toxique ou qu’elle le devient une fois transformée ? Partant de ce principe, le Cradle to cradle transforme la notion de déchets en ressources que l’on peut réutiliser à l’infini dans des cycles de vie autonome. Le recyclage traite des déchets alors que cette notion circulaire élimine la notion de déchets et ne traite que des ressources et leurs différents usages. Le Cradle to Cradle appelle cela « l’économie circulaire à impact positif»53.
70
53 Ibid.
02
C02
©Adrien.Bedouain
L’upcycling Nos technologies utilisent des matériaux qui ne peuvent pas entrer dans l’éco-conception. Selon le Cradle to Cradle, pour éviter de jeter et gaspiller les ressources, il faut transformer les produits arrivés en fin de vie pour leur redonner de la valeur afin qu’ils réintègrent un nouveau cycle de production, plutôt que de finir en déchets dont on ne sait pas quoi faire ! Un
produit
upcycling54
fait
partie
d’un
métabolisme technique qui se compose de flux de matériaux industriels, intentionnellement maîtrisés qui maintien la qualité des matières premières tout au long des multiples vies du produit. L’idée est de permettre aux produits industriels de masse de circuler en circuit fermé, tout en maintenant un niveau de qualité constant. Ce système doit être fermé pour laisser la possibilité d’utiliser des substances toxiques. Une fenêtre isolante, par exemple, si elle est conçue pour être désassemblée facilement
pourra
permettre
un
réemploi
des
matériaux. Ainsi, donc, si à la conception nous pensons à n’utiliser que des matériaux maîtrisés pour lesquels nous connaissons leurs impacts directs, alors nos actions et investissements n’auront plus d’impact négatif sur notre environnement.
72
54 L’upcycling, également connu sous le nom de réutilisation créative, est le processus de transformation des sous-produits, des déchets, des produits inutiles ou indésirables en nouveaux matériaux ou produits de meilleure qualité ou pour une meilleure valeur environnementale.
©Adrien.Bedouain
L’utilisation des énergies renouvelables Fort de ces deux principes, le Cradle to Cradle élimine la notion de déchet, qui a coup sur, est le facteur le plus polluant actuellement55. Reste que tous ces matériaux et technologies ont besoin d’énergie. La première révolution industrielle a obtenu son énergie en puisant majoritairement dans les réservoirs du passé, ces énergies fossiles créées il y a des millions d’années et qui malheureusement sont épuisables et généralement polluantes. Le Cradle to Cradle met en avant l’utilisation d’énergie naturelle. Les énergies éolienne, solaire, marée-motrice et autres sources d’énergies naturelles, sont disponibles et performantes et doivent être plus exploitées. Les systèmes naturels fonctionnent et prospèrent à travers la complexité de ses échanges. Comparée aux solutions standards de la révolution industrielle et à l’uniformité tellement prisée par la mondialisation, la nature encourage une abondance de variété et de diversité presque infinie. Les systèmes complexes dotés de connections et de strates multiples sont résiliants, cela s’applique aux économies comme aux sociétés. En faite, la diversité fonctionnelle permet aux communautés d’espèces à l’image des écosystèmes naturels, d’exploiter au mieux les ressources du lieu et du moment. Plus la diversité fonctionnelle est importante, plus l’écosystème est productif et résilient face aux perturbations. La manière dont
74
55 Basset, A. et Etienne, A. (2016).
La démarche cradle to cradle, ou comment construire un bâtiment à impact positif, Université de Montpellier.
Energie solaire
Energie éolienne
Energie marée-motrice
©Adrien.Bedouain
nous procédons pour fabriquer des produits doit être calquée sur ce modèle, avec le même génie pour la diversité et la variété. Cette démarche du Cradle to Cradle met en avant qu’il est fondamental de considérer qu’en diversifiant les fonctions, les déchets d’un système peuvent devenir les ressources pour un autre. Dans toutes nos réflexions et projets, nous devons nous remettre en cause et nous projeter au delà des limites de rentabilité économique linéaire et y ajouter une notion de rentabilité écologique. Cette approche de pouvoir réemployer tout ce qui constitue le bâtiment doit être le fil rouge d’un projet réversible. Cette capacité, pour un aménagement ou un bâtiment à être facilement démontable à petite échelle, en procédant à la dépose et au tri sélectif des matériaux est déjà appliquée en Europe. Les collectifs d’architectes Rotor56 et Encore Heureux57 sont des défricheurs remarqués du réemploi des matériaux, que les déconstructions rendent possible. Jean Prouvé58 au milieu du XXe siècle évoquait déjà “l’anticipation de la déconstruction” appelant à concevoir des systèmes constructifs capables d’être désassemblés. Les anglophones nomment cette méthode de conception «design for deconstruction» ou «design for disassembly». Une telle démarche remet à l’honneur l’usage du métal et du bois, qui ont été massivement supplantés par le béton en France.
76
Collectif de neuf proffessionnel de 56 diférentes diciplines. 57 Collectif d’une quinzaine de concepteurs d’horizons variés. 58 Architecte et Designer français.
2.2
Les freins et les limites à la réversibilité. L’opération
de
construction
de
bâtiment
réversible dépend d’aspects financiers, commerciaux et techniques mais vient s’ajouter aussi une dimension politique d’aménagement territorial qui s’avère souvent être des freins juridiques et fiscaux à la transformation d’usage. La conception de bâtiments réversibles contredit la logique qui est d’assigner un usage précis au bâtiment qu’on souhaite construire lors du dépôt de permis de construire. Ne pas avoir à en spécifier l’affectation ne permettrait-il pas plus de souplesse ?
Impact pour les collectivités L’architecture réversible remet en cause le classement à priori des bâtiments. Ne plus spécifier l’affectation aurait un impact, pour les collectivités. Elle ne pourraient plus pouvoir vérifier si la stratégie de développement est cohérente et si les taxes perçues sont en adéquation avec les services développés. En effet, les collectivités définissent une stratégie de développement de leur territoire et notamment d’implantation de logements, de pôles d’activités, dans le cadre des documents d’urbanisme. De plus, la fiscalité dépend de ce qui a été notifié sur le permis et est liée à la nature de l’usage de la construction
78
(logement, activité, entrepôt, etc). Elles doivent restées vigilantes sur l’équilibre du territoire. Aujourd’hui, le système est beaucoup plus souple, il regroupe les diverses catégories en deux familles : - les « surfaces résidentielles » qui concernent tout ce qui relève de l’habitat, du logement et des équipements publics, y compris les espaces de logistique urbaine, les incubateurs ou les hôtels d’entreprises. - les « surfaces économiques » qui regroupent tous types d’activités : les commerces, les bureaux, l’industrie, etc. Il n’est pas toujours simple de définir la fonction d’usage d’un bâtiment. Par exemple: un gymnase, peut servir à la fois pour le repas des personnes âgées, l’accueil des écoliers, les logements pour les sans-logis au mois de décembre… Toutefois, des efforts ont été fournis en ce Loi pour l’accès au logement et un urbanisme rénové, 24 Mars 2014 59
sens depuis la promulgation de la loi Alur ainsi que de ses décrets59. Une place importante a été faite, au sein de ses dispositions portant sur le plan local
En France, le plan local 60 d’urbanisme (PLU), ou le plan local d’urbanisme intercommunal (PLUI), est le principal document d’urbanisme de planification de l’urbanisme au niveau communal ou intercommunal. Il remplace le plan d’occupation des sols (POS) depuis la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains du 13 décembre 2000, dite « loi SRU ».
d’urbanisme60, et sur le principe de mixité fonctionnelle et sociale. Ces principes, s’ils parviennent à se mettre en place et à s’insérer dans la programmation urbanistique des communes, auront un impact positif dans le sens de l’hybridation des bâtiments.
79
Emmanuelle Cosse ministre du Logement et de l’Habitat durable : «Afin de faciliter la réversibilité, nous avons plutôt, dans le cadre de la modification du règlement d’urbanisme entré en vigueur le 1er janvier 2016, simplifié les changements d’usage. Ceci permet donc d’encourager la réversibilité des bâtiments». Les différentes utilisations des bâtiments sont très explicitement définies dans l’article R123-9 du code de l’urbanisme.
Impact pour les promoteurs Quelle est la viabilité économique d’un projet réversible ? Comment convaincre les investisseurs ? Depuis toujours le domaine privé cherche à obtenir une valorisation à court terme et essentiellement financière. Il y a dix ou quinze ans, lorsque nous étions dans une rentabilité courte, le bâtiment devenait vite obsolète, mais personne ne s’en préoccupait, ce n’était pas le sujet. L’idée de la réversibilité a été à l’ordre du jour puis elle a été vite abandonnée parce que l’on a préféré céder au «toujours plus spectaculaire» sans se préoccuper «du lendemain». Aujourd’hui, une approche différente et plus globale apparaît. Le fait d’inscrire un projet en
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se projetant dans la durée de vie d’un bâtiment à également un effet rebond sur la qualité physique et esthétique de la ville. Là où le public et le privé peuvent se rejoindre est sur la notion de valorisation : si celleci est mise en jeu dans le long terme cela revient à dire que l’investissement initial est de plus grande qualité car pour durer et pour être réversible il faut déjà que le bâtiment soit bien construit au départ. Et un bâtiment est transformable si, déjà, à la base, il est construit avec des matériaux pérennes et de qualité. L’immeuble de bureaux a les faveurs des promoteurs qui le vendent plus cher, tandis que le logement est moins rentable et impose la construction en parallèle d’équipements publics (crèches, écoles, ..) Mais certaines villes ne savent pas si les bureaux qu’elles construisent vont trouver preneur. Dans les années 1990, Une très mauvaise période pour la construction, ce sujet là n’effleurait même pas les esprits ! Par exemple, à la Défense, on trouve des bâtiments datant de cette époque, qui vont être démolis parce qu’ils sont irrécupérables. Le diagnostic est clair, cela coute moins cher de les démolir…C’est pourquoi, il est important que la pérennité et la qualité patrimoniale d’un bâtiment à long terme sécurisent le risque de l’investisseur.
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La mixité n’est plus du tout un effet de mode, tout le monde comprend les risques d’avoir des quartiers uniquement occupés par des bureaux qui finissent par être «mortels» parce qu’ils se vident le soir. A la Défense, par exemple, l’EPADESA61 cherche à inverser l’image de ce quartier d’affaires afin qu’il ne soit plus assimilé uniquement à un quartier de bureaux. Je pense que les promoteurs sont également soucieux d’apporter d’avantage de qualité à la programmation, c’est-à-dire sur les services annexes qui pourraient être fournis, comme par exemple les salles de fitness, des espaces de rencontres professionnelles ou privées sur l’organisation de séminaires, des espaces de co-working, des espaces d’études pour les étudiants.. En outre, la jeune génération est très habituée à cette notion de services à disposition via les smartphones, notamment pour la mobilité et les loisirs. Depuis peu, l’espace est, lui aussi, devenu un service. Il serait, en effet, raisonnable de s’interroger sur la mise à disposition des espaces d’un lycée ou d’un collège, rendant ses périodes de fermeture (w-eek-end, vacancs scolaires) pour des cours de formation par exemple, voir même pour l’utilisation des cours de récréation par des associations sportives de quartier. Les entreprises sont notées sur la durabilité de leurs investissements, sur la résilience des consommations, sur des stratégies écologiques, etc.
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61 Établissement public d’aménagement de la Défense Seine Arche.
La réversibilité peut être un axe de communication de la pérennisation de l’investissement dans un actif ; l’investisseur prend un risque pour réaliser des bureaux, mais la réversibilité peut diminuer ce risque car il permet, dans le futur, de transformer le programme en d’autres activités. Pour l’investisseur, ce n’est pas forcément une idée évidente, d’investir cinq pourcent de plus dans son immeuble de bureaux. Il faut prouver que construire en poteaux-dalles n’est pas générateur de coût supplémentaire. Mais cela rend plus rentable car transformable et adaptable à d’autres marchés. S’il est plus cher de construire réversible, l’investisseur considérera
immédiatement
que
ce
n’est
pas
recevable, si cela n’est pas rentable. L’idée est donc de faire en sorte que cette reconversion soit le moins chère possible ; si les maîtres d’ouvrage et les maitres d’œuvre identifient ce coût, dès le départ, il leur sera possible d’investir plus largement dans la construction initiale tout simplement parce que l’investissement se fait sur le long terme. Mais cette démarche n’est envisageable que sur une opération importante, supérieure à cents logements, et pour les bureaux, sur des espaces de plus de dix mille mètres carrés. Sur de petites opérations ce sera moins pertinent.
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2.3
Tours Black Swan : vers une transformation de l’acte de construire.
Source : ©Studio Norguet Design
J’ai choisi de me pencher sur l’étude d’une réversibilité fonctionnelle à travers le projet des trois tours réversibles de «Black Swans»62 (nom donné
62 Cygnes noir
en référence au cygne présent sur le site) d’Anne Démians63, à Strasbourg et ainsi me rendre compte comment ces changements d’affectation peuvent être réalisés à l’échelle d’un bâtiment entier. Pour ce programme dont la destination n’était pas encore prise lors de la consultation, Anne Démians a voulu aller plus loin et traiter dès la conception le problème d'obsolescence des bureaux et de la dégradation de la qualité constructive des logements
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63 Architecte
souvent tirée vers le bas par la précarité budgétaire de ces projets. L’idée a donc été d’aller plus loin que la mixité et d’opter pour une réversibilité. C’est-à-dire que le programme sera à terme mixte mais également Entretien avec Anne Démians, 64 Décideurs Magazine. Septembre 2016.
évolutif64. L’acte de construire a été dissocié de celui d’en préciser le contenu. La réversibilité des usages à donc été au centre de la démarche de l’architecte. Elle s’est appuyée sur le constat que le bureau et le logement se dégradent sur le plan de la qualité constructive. L’évolutivité
des
usages
apparaît
comme
une
possibilité de redonner plus de moyens dans la qualité constructive des bâtiments puisqu’elle augmente la durée de vie d’un bâtiment. Ce programme aura la capacité de muter au gré de la rapidité d’évolution des cycles économiques. Cette démarche à été intégrée dès la conception. L’ouvrage a été conçu pour anticiper sa transformation sans aucune dégradation de son architecture et de son équilibre économique et ainsi être réactif au besoins de rendre la ville mutable.
Paris
Cas 3
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Cette opération immobilière a été réalisée pour le compte d’ICADE65, près de la cathédrale de Strasbourg, sur la presqu’île Malraux, au bord du bassin d’Austerlitz. Les trois tours n’ont pas été
65 Icade est un groupe immobilier français, filiale de la Caisse des dépôts et consignations, créé en 1954.
implantées exactement parallèle créant ainsi un point de fuite dynamique de la presqu’île vers l’écoquartier Danube. Elle témoignent ainsi d’une volonté d’ouverture pour celui qui arrive. Elles répondent, tout à la fois, à la contrainte économique d’un projet mixte (bureaux/logements/équipements) et à l’évolutivité des programmes, dans l’immédiat ou dans le temps. Cette mixité urbaine est aujourd’hui incontournable, elle doit être valorisante pour la ville et ceux qui y habitent. «Empiler des fonctions n’est néanmoins pas un gage de réussite ni de bien être commun. Il doit y avoir des interactions, des échanges et des intérêts communs»66
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66 Anne Démians. AAD. Juin 2014
Aménagement en “bureaux” Source : ©Jean-Pierre Porcher
Aménagement en logements Source : ©Jean-Pierre Porcher
Ce projet peut donc être considéré exemplaire à deux titres : - Une reconversiond’un site industriel, ne contribuant pas à la diminution des terrains agricoles. (La Presqu’ile Malraux est entourée de bassins, à portée de vue de la cathédrale. Valoriser ce site anciennement industriel). - La naissance d’un nouveau Modèle de bâtiment qui fait met en avant la mixité des populations économiques et professionnelles ainsi que la polyvalence des espaces, sur l’architecture proprement dite.
87
Commerces
Résidence étudiante
Logements
Répartition programmatique du projet. Source : tiré et adapté d’Architecture Anne Démains (AAD) ©Adrien Bedouain
Logements
étudiante
Hôtel
Ce modèle est duplicable et adaptable suivant le site, le contexte et les programmes. Il est nommé, au sein de l’équipe d’Anne Démians L’IDI67 (L’Immeuble à Destination Indéterminée).
67 Label déposé officiellement en 2016 par l’agence d’Anne Démians.
Ces
trois
immeubles
de
vingt-huit
mille
mètres carrés au total pouvant aisément changer d’affectation constituent une première en France, à cette échelle, avec cent cinquante-cinq logements en accession allant du T1 au T568, des commerces, un
KIRALY Barbara, « Les bonnes pratiques en matière de réversibilité des immeubles 68 tertiaires », Le Moniteur, (en ligne).
hôtel quatres étoiles «Okko» de cent vingt chambres haut de gamme, une résidence étudiante «Réside Etudes» de cent quatre-vingt-douze logements, ainsi qu’une résidence services pour séniors de quatrevingt-quatre logements.
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Deux versions d’amménagement. Source : APUR, La transformation des bureaux en logements, 2013, ADD, op cit
Hôtel
LOGEMENTS
BUREAUX
Les tours Black Swans sont ainsi dessinées et conçue pour que l’on ne puisse pas savoir ce qui se cache derrière ses façades puisqu’elles sont rigoureusement identiques et équipées des mêmes balcons. Rien ne les différencie les unes les autres, même socle, même rythme et même configuration. Cet Immeuble se caractérise de la manière suivante : - Une coursive, en gris métalique (en résonnance avec l’ancien site portuaire), pour servir de filtre entre l’espace public et l’espace privée des logement ou des bureaux, vient entourer le bâtiment. Identique dans les deux cas, la coursive témoigne de l’évolutivité possible des espaces desservis. Elle a différents usages. Elle peut être coursive d’entretien (devant un bureau), elle peut être balcon (devant un logement) ou encore loggia quand elle est en situation privilégiée (face au canal). Elle est plus ou moins resserrée, plus ou moins élargie, mais elle conserve le même dessin et les mêmes composants comme les allèges basses et les ventelles hautes. Des coursives comme prolongement extérieur que ce soit pour des bureaux ou des logements. Source : «construire réversible», tiré et adapté canal architecture. ©Adrien.Bedouain
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- Des distributions verticales sont dessinées avec des mesures conservatoires pour rendre conformes (normes de sécurité) les logements et les bureaux. Placées au centre du plan, elles n’impactent jamais les façades qui se développent en totalité de leur linéaire, autorisant ainsi toute autre cloisonnement.
Des distributions verticales identique pour des bureaux ou des logements. Source : «construire réversible», tiré et adapté canal architecture. ©Adrien.Bedouain
- Une trame unique, de 2,92 mètres sur 6,66 mètres est commune aux différents programmes. Cette disposition est nécessaire pour autoriser toutes les évolutions de programmes à la construction: huit trames font un séjour, quatres trames pour une chambre ou un bureau, autant de multiple qui sont compatibles avec chacun des équipement du programme. Si dans vingt ans le bureau est devenu obsolète et qu’il doit être transformé en logement, la
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surface restera la même, l’habillage de la façade ne changera pas, le noyau intérieur restera identique, seul le cloisonnement sera différent. Ainsi les futurs propriétaires pourront aménager leurs appartements comme bon leur semble. Et pour y parvenir, les murs porteurs ont été minimisés, les cloisons qui sont des parois de remplissage acoustique entre deux logements, seront selon la demande construites ou pas. Par ailleurs, la trame unique permet aussi de faire une économie non négligeable sur les systèmes constructifs répétitifs, notamment la menuiserie des fenêtres, les gardes corps et les pares soleils.
Une trame unique pour des bureaux ou des logements. Source : «construire réversible», tiré et adapté canal architecture. ©Adrien.Bedouain
6,66 m
2,92 m
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«L’entrée d’une tour doit être majestueuse et Anne Démians, AAD, (en ligne). 69
élégante»69 Les halls sont donc généreux ; huit mètres sous plafond, sol en résine, beaux luminaires. Les rez-de-chaussées sont traités en transparence et accueilleront des commerces. Le coût de la réversibilité ultérieure des tours d’Anne Démians est estimé à seulement huit-cent euros du mètre carré selon Hervé Manet, directeur du pôle promotion chez Icade.
Hall majestueux des tours «Black Swans». Source : ©AAD
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L’exemple des tours Black Swann ne sera bientôt plus isolé. Il est intéressant de noter que le projet Appel à projets urbains innovants 70
lauréat du concours «Réinventer Paris»70 retenu pour le site de Sully Morland (soit le projet le plus vaste des sites concernés) est un projet réversible proposé
Architecte britanique 71
par David Chipperfield71 Architects. La proposition de transformation de l'ancienne cité administrative Morland propose d’ouvrir les lieux aux Parisiens, en créant une rue intérieure qui traverserait l’îlot pour rejoindre les quais de Seine. Elle est lauréate de l'appel à projets innovants Réinventer Paris. La réversibilité semble donc peu à peu gagner du terrain.
Projet lauréat du concours «Réinventer Paris». Source : Pavillon de l’Arsenal, exposition «Métamorphoses»
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Conclusion Même si de nombreux facteurs bloquants existent (surcoût, difficultés techniques, contraintes réglementaires,…) la reconversion de bureaux en logements présente des avantages considérables : outre une optimisation et une valorisation des infrastructures existantes, elle permet d’économiser l’espace dans une logique de reconstruction de la ville sur la ville, d’économiser de la matière, d’introduire du logement social dans des quartiers peu mixte, et également de proposer une offre de logements non standardisée comme on l’a vu. Et si seulement un sixième des bureaux vacants sont potentiellement transformables dans les années à venir72, comme le prévoit l’APUR, cette solution de reconversion ne me semble pas être une solution utopique, mais un levier significatif – même si il n’est pas le seul, bien entendu –permettant de contribuer à répondre à un déficit de logements qu’il ne sera pas facile à combler. Les bénéfices des opérations de transformation bureau/logement me semblent supérieurs aux contraintes. Certains locaux sont plus pertinents à transformer que d’autres, comme ceux de taille importante réalisés dans des programmes d’aménagements d’ensemble, sur des territoires mixtes, bien desservis, où le marché de bureaux peut
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72 Atelier Parisien d’Urbanisme, « Le potentiel de transformation des bureaux en logements »,, 2014.
Observatoire régional de 73 l’immobilier d’entreprise en Ile-deFrance, « un immeuble, plusieurs usages, quand la réversibilité ouvre le champ des possibles », (en ligne), 16 Février 2016.
présenter certaines fragilités73. Alors que d’autres locaux tertiaires n’ont pas nécessairement vocation à être transformés du fait de leur localisation, de leur morphologie mais aussi de leurs qualités intrinsèques. Il est vrai que «de mauvais bureaux feront aussi de mauvais
SABBAH Catherine, « Transformer 74 des bureaux en logements, une fausse, bonne, idée », business les Echos.fr, (en ligne), 24 Décembre 2013.
logements»74 Ainsi la reconversion est parfois pertinente mais pas toujours. La démolition/reconstruction est quelquefois préférable. Au-delà de ces transformations de l’existant, il me semble qu’anticiper les changements d’usages par des constructions réversibles soit une bonne idée. A ce titre, les bâtiments réversibles constituent une véritable opportunité pour économiser sur le long terme de la matière et de donner une plus longue vie aux bâtiments tout en conservant leur structure. Néanmoins, le risque suscité par les constructions réversibles, est à mon sens la standardisation de l’architecture. En effet, une fois la solution, la plus confortable, la plus rentable, trouvée, pourquoi continuer à développer de nouveaux concepts ? Les exigences économiques risquent de nous inviter à limiter les phases de recherches et d’innovations et nous pousser à dupliquer voir à adapter un système ou un label. Cette
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«industrialisation» de l’architecture ne risque t-elle pas de limiter l’urbanisation et l’architecture, aux impératifs économiques ? Qu’en est-il du devenir de la profession d’architecte, du savoir architecturale si l’imaginaire n’a plus sa place ? Produire, concevoir de l’architecture monotone, est-ce cela l’avenir de nos villes ? Anne Démians ne dira pas le contraire.«Si Black Swans était l'occasion de réinventer une écriture, il ne s’agit cependant pas d’un modèle puisque le projet est traversé par la question du contexte et exprime une traduction domestique du caractère industriel du site. Ce n’est pas la réversibilité qui fait le projet et il ne faudrait pas en effet qu’industriel et promoteur et constructeur se mettent avec l’enthousiasme des nouveaux convertis à tartiner la france de nouveau batiment réversible» Donc pour répondre à la question «Est ce que la réversibilité est une alternative durable à la reconversion ?», nous savons que le secteur de la construction est le premier producteur de déchets en France avec deux-cent quarante-sept millions de tonnes par an75. La loi du 17 Août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte, a fixé des objectifs importants pour les déchets issus de la construction : elle exige de stabiliser la quantité produite puis de réduire de cinquante pourcent les quantités de déchets mis en décharge d’ici 2025. Elle exige également de recycler cinquante-cinq pourcent
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75 Chiffres ADEME de 2012.
des déchets non dangereux et de favoriser l’énergie issue de la valorisation des déchets non recyclables. Donc conserver ce qui peut l’être d’un bâtiment pour limiter au maximum la production de déchets - principe de la reconversion - est un acte écologique qui permet de réduire notre empreinte écologique négative. Mais pour aller encore plus loin il faut une approche d’éco-construction différente. Si nous construisons réversible et pensons dès la conception à comment sera déconstruit – même partiellement - un bâtiment, cela nous permettra de passer à une empreinte écologique positive. Le développement de constructions réversibles, selon la labellisation «cradle to cradle» peut être un levier pour atteindre ces objectifs, et un générateur d’impacts positifs pour l’environnement. La grande diversité mondiale des millions de bâtiments construits rend injuste un classement entre eux. Au lieu d’une hiérarchisation, notre objectif est d’accélérer le nombre de structures à impact positif construites, en promouvant et célébrant leurs Professeur et Docteur Michael Braungart. 76
éléments extraordinairement inspirants en accord avec la philosophie «cradle to cradle»76.
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Cradle to Cradle
Temps
Développement Durable
Il ne s’agit pas de réduire son impact mais d’avoir un impact positif ! Source : EPEA, Paris
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Films Laurent Mélanie, Dion Cyril, 2015, DEMAIN, 120’
Expositions Métamorphoses, 22 avril 2015 - 24 mai 2015, Pavillon de l’Arsenal, Paris
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La durabilité des édifices fasse aux incertitudes de nos besoins m’interpelle. Comment devons nous concevoir, aménager et construire sans compromettre nos générations futures ? Comment devons nous appréhender l’architecture pour éviter l’obsolescence, la reconstruction et ses conséquences négatives sur l’environnement ? Si reconvertir, recycler un bâtiment parait être louable écologiquement, cette solution rencontre néanmoins de nombreuses limites qui ne peuvent répondre à tous les problèmes d’obsolescence des bâtiments. Face aux besoins sociaux de plus en plus fluctuants, l’architecture doit anticiper et faciliter les mutations futures. L’approche innovante d’une architecture réversible ne serait elle pas l’alternative durable à la reconversion ?
PA R I S VAL DE SEINE
ECOLE NATIONALE SUPÉRIEUR
D ’A R C H I T E C T U R E
MÉMOIRE DE MASTER EN ARCHITECTURE
Directeur de mémoire : Pierre Engel
BEDOUAIN Adrien