L'Architecture de la Décroissance

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L’Architecture de LA décroissAnce

Mémoire HMONP 2018/19

Adrien Pâris

Directeur d’étude : Julien Joly

1 Mémoire HMONP - Adrien PARIS - Dir. d’étude : Julien Joly 07.03.2019 Sommaire - introduction 2 - Apports théoriques de l’Architecture décroissante 12 - Architecture et société 14 - La Seconde Révolution Industrielle 15 - L’Art Nouveau 15 - Le mouvement Moderne puis le Post-Modernisme 15 - L’Architecture contemporaine 16 - Pour une architecture de la Décroissance au XXIème siècle 16 - Conclusion : L’Architecture accompagne les changements de Société 17 - spatialisation et fonctionnement de société 18 - Description de la ville générique 19 - Spatialisation du travail 20 - Rapport à la voiture et inégalités 20 - Spatialisation des entreprises dans nos sociétés 21 - Tertiarisation, dépendance et dématérialisation 22 - Une spatialisation qui traduit un fonctionnement de société 22 - Conclusion : Un renforcement des tendances de la société 23 - transition décroissante par l’Architecture 24 - Autonomie et résilience 25 - Réemploi et Low-Tech 28 - Sobriété et retour au local 35 - Participation citoyenne 38 - Spatialisation de la Décroissance 41 - Conclusion : Changement sociétal par capillarité 42 - etudes de cas 44 - La Cité de Chantier, Collectif Etc 46 - R-Urban, Atelier d’architecure autogérée 54 - Micro-Maison en Autoconstruction 62 - Ensemble à Boulogne-sur-mer, Construire 70 - conclusion 80 - Bibliographie 84

IntroductIon

Changement climatique

Le XXIème siècle est un siècle charnière dans l’Histoire de l’Humanité. Il l’est probablement également à l’échelle de l’Histoire de la planète Terre. Les agissements de l’Homme menacent la survie de toutes les espèces, y compris la sienne, et est en passe de provoquer un changement climatique qui ferait entrer la Terre dans une nouvelle ère géologique impropre à la vie telle qu’elle est actuellement. Par la pollution que ces actions induisent, le climat se détraque, les glaciers reculent à une vitesse vertigineuse, les océans s’acidifient, les calottes polaires fondent inexorablement, les eaux montent dangereusement, le pergélisol libère des GES dans l’air et du mercure dans le sol… Et toutes ces actions se renforcent les unes les autres conduisant à la potentialité d’un réchauffement climatique de +5°C à +8°C d’ici à la fin du siècle1. Une telle augmentation des températures moyennes implique des étés à plus de 50°C en France et une agriculture impossible dans la majeure partie du globe. C’est donc, in fine, la survie de l’espèce humaine qui est en jeu. Les sécheresses, les inondations, les incendies, les tempêtes et la sixième extinction de masse qui découlent de ce scénario catastrophique, mais largement documenté scientifiquement, conduiront, à minima, aux déplacements de 250 millions d’êtres humains.

Pic pétrolier

Le réchauffement climatique vient très largement de la combustion de matières fossiles à l’échelle mondiale. Cette combustion permet de produire de l’énergie pour les activités anthropiques. La première énergie utilisée dans le monde est le pétrole. Incroyablement concentré en énergie, léger et donc facile à transporter, c’est véritablement le pétrole qui a permis la mondialisation. Le pétrole est partout dans nos vies : du carburant aux emballages plastiques, de l’agriculture au secteur de la construction, du chauffage au transport; il est le carburant de notre civilisation. Il en est aussi sa drogue. Notre addiction est telle que sa raréfaction conduirait à des désordres sans précédent. Songez que sans pétrole comme carburant, le fonctionnement des machines, de l’agriculture, de l’hôpital, de l’éducation ainsi que le secteur de la grande distribution, de la construction et bien d’autres encore sont compromis à un moment ou à un autre dans leur fonctionnement. Or le pétrole (tous types confondus : pétrole de schiste, pétrole lourd, Brent... ) est sur le point d’atteindre son pic de production d’ici à 20252. Par la suite la production ne fera que baisser faute de rendement et donc d’investissements suffisants. Il est à prévoir que des guerres pour avoir la mainmise sur l’or noir se fassent de plus en plus fréquentes à mesure que la denrée se raréfie.

L’impasse des énergies renouvelables

Certains pays tentent timidement de diminuer leur addiction avec le développement d’un parc éolien ou solaire pour remplacer l’énergie fournie par le pétrole et les autres énergies fossiles.

3 Mémoire HMONP - Adrien PARIS - Dir. d’étude : Julien Joly 07.03.2019
1 Le Monde avec l’AFP le 7 août 2018, «La Terre risque de se transformer en étuve à cause du réchauffement climatique», disponible sur le site lemonde.fr, consulté le 24 décembre 2018 2 s. Andrews, r udall 2014, «The oil production story : pre and post-peak nations», Association for the study of Peak Oil & Gas USA Eric Feferberg/AFP/Getty Images David Jones/Getty Images

Mais le remplacement de tous les outils de production d’énergie, du parc routier, du système de chauffage basés sur la combustion d’énergies fossiles implique l’utilisation d’une quantité d’énergie et de ressources colossales que le système terrestre n’est plus en capacité d’encaisser sans anéantir définitivement toute possibilité de vies sur cette planète. En effet, les terres rares (ou métaux rares) utilisées dans les énergies dites «propres» et renouvelables sont extraites de la croûte terrestre à grands coups de dynamite et de produits chimiques dans des mines à ciel ouvert géantes anéantissant la biodiversité et tuant à petit feu les habitants des villages alentours (on parle de «village du cancer» en Chine). L’augmentation exponentielle du nombre d’appareils électriques (voitures, smartphones et autres objets connectés) n’arrangera en rien cet état de fait d’autant que les appareils de production des énergies renouvelables nécessitent une bien plus grande capacité de production et de stockage que les appareils d’origines fossiles et nucléaires du fait de leur intermittence. La seule solution serait donc de baisser drastiquement notre consommation d’énergie (de tous types : énergies fossiles, renouvelables, nucléaires).

La croissance économique

Mais notre système économique actuel ne nous permet pas ce luxe. Un des principes de base du capitalisme est d’investir financièrement dans une activité pour récupérer des bénéfices (faire du profit) et ainsi pouvoir de nouveau investir ailleurs. Il s’agit d’augmenter toujours plus la quantité de richesses créées. C’est le principe de croissance économique. Aujourd’hui, c’est le système des dettes qui permet de faire grossir l’économie. Or cette création exponentielle de richesses est directement corrélée à la consommation d’énergie et à l’exploitation des ressources naturelles. A l’heure du capitalisme financier et mondialisé, baisser sa consommation d’énergie impliquerait de produire moins, donc de ne pas rembourser ses dettes auprès des banques. S’en suit une chaine de conséquences qui peut rapidement mener à un scénario catastrophe : perte de confiance des «marchés», faillites de banques systémiques, économie mondiale gelée, faillites des entreprises, chômage de masse... Tout est donc fait pour que la croissance économique perdure même si les conséquences sur le système Terre mènent à l’extinction de la vie.

Le délitement des démocraties

Le capitalisme mondialisé et les politiques économiques libérales qui l’accompagnent détruisent progressivement les démocraties. Depuis les crises économiques mondiale de 2008 puis européenne de 2010, la croyance des populations en un avenir meilleur dans le système du néolibéralisme a été brisée. Les inégalités se creusent pour atteindre des niveaux indécents dans la majeure partie du monde et l’ascenseur social est en panne dans tous les pays dits «industrialisés». C’est le terreau idéal pour le développement de réactions épidermiques de la part des nombreux citoyens floués

par le système en place : élections d’hommes politiques ultra-conservateurs voire d’extrême droite à travers le monde, Brexit, rancoeurs, haine, terrorisme… La pression des peuples monte partout à travers le monde.

Perspective d’effondrement systémique

Le réchauffement climatique, la perspective du pic pétrolier, l’impossibilité de mettre en place une transition énergétique, un système capitaliste en panne, les démocraties brisées… C’est dans cette incubateur que s’ouvre ce XXIème siècle. La situation est hautement explosive car tous ces risques sont liés entre eux. Une seule étincelle suffisamment puissante peut provoquer une réaction en chaine. Le risque d’effondrement systémique de notre civilisation thermoindustrielle est bien réel, à tel point qu’il est présenté chaque année au forum de Davos3, devant «l’élite mondialisée», malheureusement sans effet sur d’éventuelles inflexions économiques. Yves Cochet décrit l’effondrement comme «un processus à l’issue duquel les besoins de base (eau, alimentation, logement, habillement, énergie, mobilité, sécurité) ne sont plus fournis à une majorité de la population par des services encadrés par la loi».

Quel effondrement ?

Le terme «effondrement» crée bien souvent dans les esprits humains tout un imaginaire «holywoodien» de complet chaos et de retour à un état violent, irrationnel et amoral des individus. Il est souvent envisagé comme brusque et brutal. Or l’effondrement de notre civilisation ne ressemblera probablement pas à cela. Il sera potentiellement lent (sur plusieurs dizaines d’années) et on ne saura qu’il aura eu lieu qu’avec un certain recul historique. Il est même probable qu’il ait déjà commencé. Les signaux faibles actuels comme le délitement des démocraties, la perte de confiance dans l’avenir et la sixième extinction de masse tendent à appuyer ce point de vue. On ne peut pas savoir quand précisément l’effondrement aura (ou a eu) lieu et quand en sera sa fin. On ne peut pas non plus connaître à l’avance ses conséquences sur la démographie humaine ou sur le système Terre, même si de nombreux modèles scientifiques donnent des pistes pour l’envisager.

Rapport Meadows

Le rapport Meadows, ou rapport au Club de Rome4, fut le premier rapport scientifique ayant alerté sur l’insoutenabilité de nos sociétés. A la fin des années 1960, après la période des «Trente glorieuses», les états industrialisés actuels ont connu des accélérations démographique et économique sans précédent dans l’Histoire de l’Humanité. Les dirigeants politiques et industriels s’inquiètent de l’évolution de cette croissance exponentielle, conscients qu’elle est atypique, et forment un groupe de réflexion appelé le club de Rome pour savoir comment envisager l’avenir. En 1970, ils demandent un rapport sur ce sujet à un groupe de chercheurs du MIT mené par

3 Le forum de Davos est un forum international ayant lieu tous les ans à Davos en Suisse, réunissant les dirigeants et les représentants des plus grandes entreprises mondiales, des dirigeants politiques, des intellectuels et des médias pour «améliorer l’état du monde via des collaborations entre le public et le privé».

4 5 Mémoire HMONP - Adrien PARIS - Dir. d’étude : Julien Joly 07.03.2019 L’Architecture de la Décroissance
introduction
4 donella Meadow, Jorgen randers, denis Meadows, 1972, «Halte à la croissance », éd. : Fayard Paris Trump devant un prototype de mur près de San Diego, en Californie le 13 mars 2018, REUTERS/Kevin Lamarque

les époux Meadows (Donella et Denis) et Jorgen Randers. Ce rapport, publié en 1972 sous le titre The limits to growth marquera profondément les esprits de l’époque. Avec le modèle World 3 et l’un des ordinateurs les plus puissants de l’époque, il dépeint 13 scénarii se finissant pour 11 d’entre eux par un effondrement démographique et industriel à plus ou moins long terme. Seuls 2 des scénarii sur les douze permettaient d’éviter un effondrement de la population. Ceuxci impliquaient notamment, dès 1975, un équilibre du taux de mortalité et de natalité au niveau mondial, la consommation de matière première réduite au quart de sa valeur de 1970 et un taux de pollution agricole et industrielle également réduite au quart de sa valeur de 1970.

Une étude de G.Turner en 20085, comparant la modélisation de World 3 de 1972 avec les chiffres «réels» calculables et mesurables aujourd’hui, montre que le monde suit le scénario «business as usual». L’étude prouve également que le modèle World 3 est solide et à l’épreuve de la réalité. Celui-ci anticipe un début d’effondrement démographique entre 2020 et 2030 pour revenir à un nombre d’habitants sur Terre de l’ordre de 1 milliard d’habitants d’ici la fin du XXIème siècle. Plus récemment, en 2018, une autre modélisation de dynamique de système a été élaborée par la NASA6. L’organisation scientifique table sur un effondrement de notre civilisation dans les 15 ans à venir .

Limiter et se préparer à un effondrement

La notion d’effondrement est donc prise très au sérieux dans la communauté scientifique. Elle ne l’est pas en revanche dans le reste de la société particulièrement dans la sphère politique qui ne jure encore et toujours que par la croissance économique car dans l’idéologie dominante elle est censée permettre le développement de «solutions» et ainsi résoudre tous les problèmes même climatiques (cf : géoingénierie). Pourtant la croissance économique ne fait qu’accélérer le processus d’autodestruction de notre civilisation. Si l’on prend en compte les études scientifiques, deux actions sont nécessaires :

1) Il faut d’urgence ralentir les causes de l’effondrement. Cela passe par un changement de système économique et de modèle sociétal.

2) Parce que l’inertie des activités humaines depuis 70 ans est immense et que ses conséquences auront un impact pendant encore des centaines, voire des milliers d’années (dans le cas du réchauffement climatique), l’effondrement est inévitable et il est nécessaire de s’y préparer. Il faut adapter nos sociétés à un monde où l’énergie du pétrole sera de plus en plus rare, où l’agriculture sera moins productive, où les catastrophes climatiques deviendront la norme, où les étés seront arides, où les inégalités vont se creuser et où les tensions entre les différentes classes sociales vont augmenter et se radicaliser.

Le modèle sociétal actuel

Le modèle actuel des sociétés occidentales envisage le citoyen avant tout comme un consommateur qui tire son bonheur de l’achat de biens matériels. Tout est donc fait pour qu’il consomme (publicité, crédit à la consommation, obsolescence programmée). L’Avoir se confond avec l’Être et la possession d’objets (ainsi que leur nombre) détermine le rang social. Cette démonstration d’appartenance sociale par la consommation a de graves conséquences sur les ressources naturelles et sur la stabilité des écosystèmes. Les libertés individuelles priment sur les libertés collectives et les droits de la Nature sont inexistants. Les décisions et les arbitrages politiques ont donc, de facto, une vision à court terme car les générations futures n’existent pas

5 Graham M turner, 2008, «A comparison of The Limits to Growth with 30 years of reality». Global Environmental Change, vol. 18, pp 397-411

Jules

6 7 Mémoire HMONP - Adrien PARIS - Dir. d’étude : Julien Joly 07.03.2019 L’Architecture de la Décroissance
introduction
6 Lavie, radio France, 19 mars 2014, «La Nasa prédit la fin prochaine de notre civilisation», disponible sur le site francetvinfo.fr, consulté le 24 décembre 2018 The Limits to Growth, Scénario «Business as usual » et «Ressources illimitées » «A comparison of The Limits to Growth with 30 years of reality», G. M. Turner

juridiquement. La liberté d’entreprendre (principe majeur de l’idéologie du libéralisme politique) est élevée en valeur cardinale de nos sociétés capitalistes. Tout changement du système économique, même s’il bénéficie à l’intérêt général, est donc impossible car il nuit forcément à des intérêts économiques dont on ne saurait retirer (ou très difficilement) des droits. L’économie n’est plus au service de l’Homme mais l’Homme doit s’adapter à l’économie. On retire ainsi des droits aux individus sous le prétexte de la nécessité de compétitivité économique, ce qui fait perdre espoir en un avenir meilleur à une grande partie de la population. Le modèle actuel favorise l’accroissement des inégalités ce qui crée des tensions insoutenables à long terme dans la société et entre les peuples. Dans l’ensemble, la politisation des citoyens est limitée aux seules périodes électorales et la contradiction de l’ordre établi très marginalisée. La pensée politique étant restreinte, elle réapparait brutalement sur le devant de la scène, parfois extrémisée, haineuse et sous des formes inattendues. Il y a donc urgence à changer de système sociétal.

Apports théoriques de la Décroissance

La Décroissance est potentiellement née après la publication de deux textes scientifiques apparus pendant les années 1970 : The Entropy Law and the Economic Process7 en 1971 et le rapport au Club de Rome, The limits to Growth en 1973. Ce sont deux textes fondateurs qui ont prouvé scientifiquement l’insoutenabilité du système économique en place et ont annoncé son crash certain. Ils ont tous les deux eu un impact majeur à leur époque car l’Occident sortait tout juste d’un boom économique jamais connu jusqu’à présent suite à une rupture des ressources (Trente glorieuses puis premier crash pétrolier). Ce fut également la première fois que le modèle capitaliste a été pensé en terme de physique et de thermodynamique alors qu’il avait toujours été pensé uniquement en terme économique (et faussement anthropologique). La science a donc mis un grand coup de pied dans la fourmilière bâtie depuis deux siècles par des économistes orthodoxes.

N. Georgescu-Roegen fut donc l’un des premiers à avoir prouvé scientifiquement que l’économie ne pouvait croître indéfiniment. Elle se confronterait forcément, à un moment donné, à une pénurie de ressources. Ces conclusions dataient de 1971 et ont rapidement fait des émules dans les milieux écologistes pour faire apparaître des penseurs de la Décroissance. Aujourd’hui, R. Heinberg8 parle de «Peak Everything» en référence au «Peak Oil». Le Peak Everything serait l’apparition ultra rapide, du fait de notre consommation de ressources planétaires exponentielles, de pics d’exploitations de toutes les ressources extractibles de la planète. Heinberg va ainsi plus loin que Georgescu-Roegen en démontrant que l’humanité ne se confrontera pas à la finitude d’une ressource en particulier (pour Georgescu-Roegen il s’agissait surtout du pétrole) mais bien de toutes les ressources planétaires quasiment en même temps.

Principes de la Décroissance

La Décroissance prend donc ses racines dans les sciences. Mais par ce biais elle cherche à resituer l’Homme dans son écosystème planétaire alors que le capitalisme l’en avait extrait. Elle fait appel à des principes, des théories et des idées (tout comme le capitalisme avant elle), ce qui la définit bien comme une idéologie. La simplicité et la sobriété volontaires sont probablement les deux pierres angulaires de la Décroissance. Considérant que les ressources naturelles sont limitées sur Terre, les décroissants prônent de réduire les impacts que les activités humaines ont sur la Nature. Dans cette optique, la construction sociale des individus ne doit plus passer par la possession matérielle mais par d’autres moyens immatériels comme le savoir, la technicité, la qualité des relations sociales…

La Décroissance est une idéologie qui s’inscrit dans un rapport au monde, à l’écosystème terrestre. L’Humain n’est pas vu comme possesseur de la Nature mais appartenant à celle-ci. La distinction Homme/Nature n’est d’ailleurs pas de mise dans le mouvement. Les citoyens ont leur place en ce monde tout comme les autres espèces du Vivant. Les ressources de la planète doivent donc être partagées afin que chacun et chacune y trouve son compte. On est très proche du principe de la permaculture à laquelle les décroissants se réfère souvent. La volonté de revenir à des démarches locales s’inscrit également dans cette optique écologique mais également dans une pensée d’économie de ressources pour les générations futures.

Le mouvement de la Décroissance a pour emblème un escargot et ce pour deux raisons. D’une part cet animal à la capacité biologique d’arrêter de faire croître la taille de ses spires après un certain temps pour ne pas se mettre en danger. La relation est bien entendue faite dans l’esprit des décroissants avec la croissance économique ou démographique de l’Homme. La seconde raison de ce choix singulier d’emblème tient en l’importance accordée à la lenteur et à la temporalité longue dans cette idéologie. Celles-ci permettraient d’envisager et de penser l’avenir de façon beaucoup plus réfléchie et durable qu’actuellement. Elles favorisent la réflexion, la raison, l’échange constructif, le débat dans la sérénité, l’expérimentation sociale, le développement de la culture et du savoir. La Décroissance est donc aussi une conquête pour le temps. Ses partisans souhaitent notamment la réduction du temps de travail pour le redistribuer à plus de monde.

Les 8 «R» de la Décroissance et l’Architecture

S. Latouche, économiste français, penseur de la Décroissance, propose dans son livre Petit traité de la décroissance sereine9, une sorte de mode d’emploi pour passer d’une société de la surconsommation capitaliste à une société plus durable et décroissante. Ce manuel de Décroissance repose sur 8 «R » : Réévaluer, Reconceptualiser, Restructurer, Redistribuer, Relocaliser, Réduire, Réutiliser/Recycler. Dans le cadre de la pratique architecturale, l’application de ces recommandations change radicalement la profession d’architecte.

7 nicholas Georgescu-roegen 27 janvier 1972, «The Entropy Law and the Economic Process», éd. : Harvard University Press, 476 pages

8 richard heinberg Septembre 2007, «Peak Everything», éd. : New Society Publishers, 224 pages

réévaluer peut concerner les performances de l’objet bâti. Quels objectifs le bâtiment doit-il atteindre ?

9 serge Latouche, 24 octobre 2007, «Petit traité de la décroissance sereine», éd. : Mille et une Nuits, 171 pages

8 9 Mémoire HMONP - Adrien PARIS - Dir. d’étude : Julien Joly 07.03.2019 L’Architecture de la Décroissance
introduction

reconceptualiser invite à interroger la place de l’Architecture dans le monde, à réaliser un travail quasi métaphysique sur cet Art. Quel est son rôle dans l’écosystème mondial ?

restructurer incite à changer le processus de projet architectural, notamment en terme de relations humaines entre les acteurs de la construction, les usagers et la société en général.

redistribuer peut se décliner en la redistribution des rôles dans le processus de création architectural mais aussi des espaces et des ressources entre tous les habitants (humains comme non-humains).

relocaliser met en évidence le besoin d’avoir recours à des matériaux de construction produits le plus proche possible du lieu de chantier mais également à des entreprises du territoire proche. Il traduit surtout le besoin impérieux de réinscrire le projet au sein d’un territoire avec son écosystème propre (biologique, social, culturelle…).

réduire s’interprète comme la nécessité de revenir à une architecture de la simplicité, humble, limitant au maximum le support de la haute technologie et replaçant l’Homme dans son territoire sans chercher à le dominer ou à s’en extraire.

Enfin réutiliser/recycler invite à favoriser le réemploi direct, le détournement ou l’adaptation d’objets ou encore la redécouverte de techniques vernaculaires pour la construction.

L’application des principes de la Décroissance à l’Architecture peut potentiellement créer un nouveau mouvement architectural, un mouvement adapté aux enjeux du XXIème siècle.

Pourquoi la Décroissance dans l’Architecture ?

La Décroissance est, selon moi, une alternative au système économique et social actuel, une réponse à la préparation d’un potentiel effondrement de notre civilisation thermo-industrielle, mais également une marche à suivre crédible dans le cas d’un effondrement en cours pour éviter de chuter de trop haut. J’envisage l’Architecture décroissante comme un moyen de transition entre le capitalisme et un système respectueux de tous les êtres vivants. Le rôle de l’architecte est immense pour répondre aux enjeux du XXIème siècle et ce pour deux raisons :

- La vie humaine et le fonctionnement sociétal qui l’accompagne impliquent des constructions qui impactent gravement les écosystèmes. Changer l’Architecture dans la direction de la Décroissance allègerait ce poids.

- Parce que l’Architecture est un Art, elle véhicule un «récit» qui a le potentiel de changer le regard des citoyens sur le fonctionnement de nos sociétés. Cette deuxième considération est probablement plus importante que la première car elle permet un changement de mentalité et donc une transformation très en profondeur du rapport au monde des êtres humains

Construction du mémoire

Le but de ce mémoire est de prouver qu’un changement sociétal vers une transition décroissante est possible via le développement d’une Architecture mettant en œuvre les valeurs de la Décroissance. Nous nous proposons en premier lieu d’étudier la relation qui existe entre les mouvements architecturaux et la société dans laquelle ils s’inscrivent. L’hypothèse est ici qu’un mouvement artistique ne peut s’affirmer qu’avec une position politique claire et cohérente sur la société contemporaine. La validation de cette hypothèse permettra de justifier une prise de position forte sur la société actuelle est une vision de l’Architecture qui doit être mise en place en conséquence non moins radicale. On se proposera donc d’étudier le fonctionnement de nos sociétés à travers la spatialisation des activités et leurs natures. L’objectif est de démontrer que la façon d’aménager la ville et l’Architecture appuie un fonctionnement de société. Dans l’avant dernière partie, nous étudierons quels peuvent être les principes de l’Architecture décroissante et en quoi leur application peut participer à transformer la société. La dernière partie est une étude de 4 exemples d’architecture décroissante reprenant les principes décrits dans la partie précédente. Leur étude permettra d’en déterminé l’impact sur les territoires et la transition décroissante ainsi que leurs éventuelles limites.

10 11 Mémoire HMONP - Adrien PARIS - Dir. d’étude : Julien Joly 07.03.2019 L’Architecture de la Décroissance
introduction

Apports théorIques de l’ArchItecture décroIssAnte

Les défis auxquels l’Humanité doit et devra faire face au cours du XXIème siècle remettent en cause sa survie. Face à l’inertie politique et culturelle, l’Architecture et l’aménagement du territoire peuvent-ils permettre d’éviter le pire ? peuvent-ils seulement limiter les risques ? Si oui, quels peuvent être les ressorts du changement ? en quoi doit consister cette nouvelle Architecture ? Nous allons tenter de démontrer que les valeurs de la Décroissance appliquées à la pratique architectural peuvent être en mesure de répondre aux enjeux de civilisation développés en Introduction de ce mémoire.

Pavillon Circulaire du Collectif Encore Hureux, photo : Cyrus
Cornut©

ArchItecture et socIété

La Seconde Révolution Industrielle

Les mouvements artistiques dans l’Histoire se sont toujours définis en rapport avec la vision de la société contemporaine d’alors. La seconde révolution industrielle a été un tournant technologique qui a complètement transformé le monde occidental en quelques décennies. A la fin du XIXème siècle, l’automobile se démocratise, les industries germent autour des villes, les découvertes en chimie, en physique, en astrophysique, en biologie, en médecine se succèdent et la puissance motrice que permet la combustion du pétrole laisse à penser que l’Homme est toutpuissant et sera bientôt en mesure de défier toutes les lois naturelles.

L’Art Nouveau

Les architectes et les artistes de l’Art nouveau craignent que la société perde le lien avec la Nature et qu’elle en oublie toute forme de poésie, d’art et d’humanité. Ils voulaient se réapproprier les formes de la Nature en réaction à la standardisation et à l’urbanisation rapide du paysage qu’ils voyaient apparaître. En lieu et place, ils proposaient la personnalisation et l’ornementation. La proximité du mouvement avec les arts décoratifs se conjuguait à l’envie de donner à la population un environnement de décors de peinture ou de cinéma. L’Art devait faire partie du quotidien. Le style faisait beaucoup référence à l’onirisme, l’exotisme, les folklores régionaux mais également à l’érotisme.

Le mouvement connut une vie courte mais intense (de 1890 à 1920). Les formes proposées ont véritablement révolutionné l’Histoire de l’Art. Mais les acteurs du mouvement ne sont pas parvenus à imposer leur vision de la société. Ils étaient probablement trop à contre-courant.Toujours estil que les architectes de l’Art Nouveau se sont positionnés sur un changement de société et qu’ils sont parvenus à créer un style majeur de la discipline en véhiculant des idéaux d’Humanisme et d’affirmation de la Culture alors que la société prônait le Techno-scientisme.

Dans ce premier chapitre nous essayerons d’analyser les raisons pour lesquels un mouvement architectural se crée. Y-a-t-il une base commune à l’émergence des mouvements artistiques ? L’hypothèse de départ est que les architectes se positionne sur le fonctionnement de leur société contemporaine pour s’affirmer en tant que créateur et acteur de la politique de la ville. L’Histoire des Arts nous permet-elle d’affirmer que les choix de développement des villes sont en mesure de changer une culture et les rapports sociétaux ? Nous prendrons comme exemple l’Art Nouveau, le mouvement Moderne, le Post-Modernisme et l’Architecture dite «contemporaine» pour confirmer ou infirmer notre hypothèse.

Le mouvement Moderne puis le Post-Modernisme

Le mouvement moderne, avec Le Corbusier comme figure de proue dans l’Architecture, s’est au contraire totalement emparé de cette vision de la société. L’heure est à la rationalisation de la ville (plan Voisin en 1925 ou charte d’Athènes en 1933) pour maximiser la productivité économique et au «machinisme» tous azimuts : la société est pensée de manière mécanique et il est nécessaire de la régler comme une horloge pour qu’elle fonctionne de façon optimale.

15 Mémoire HMONP - Adrien PARIS - Dir. d’étude : Julien Joly 07.03.2019
Un vitrail Art Nouveau d’Umberto Botazzi, Villa Torloni, Rome ©Martin Argyroglo ©S.Külcü ©2012 Matt Glass et Jordan Long, concepteur/constructeur : Nick Olsen et Lilah Horwitz

En 1972, Venturi, Scott Brown et Izenour publient Learning from Las Vegas. Cet ouvrage fut un des précurseurs du mouvement post-moderne. Par l’analyse du «Strip » de Las Vegas, ils remettent en cause les principes modernes et le style international (notamment sa volonté de rupture avec toute forme de tradition). Las Vegas est pris comme exemple pour démontrer que les formes simplistes et caricaturales des casinos et des hôtels qui bordent l’avenue sont très populaires et donnent ainsi du crédit à la pensée que l’image est plus importante que l’architecture pour la population. Avec une certaine dose de second degré, beaucoup d’architectes s’empareront de cette critique pour mettre en place un nouveau style avec des renvois à des codes et à un langage formel plus populaire, moins élitiste, teinté d’humour : le post-modernisme.

L’Architecture contemporaine

On manque probablement de recul historique pour essentialiser l’architecture contemporaine mais il est possible qu’on retienne de cette période à l’avenir son «starsystème» poussé à son extrême et sa marchandisation des édifices «signés» par des acteurs connus du secteur. A la manière de l’«Art contemporain» ou de l’industrie de la mode, ce ne sont plus les idées et l’engagement politique (ne serait-ce qu’une manière d’envisager la société) qui permettent de définir la bonne architecture mais la reconnaissance auprès d’une élite politique, culturelle et économique. En cela, l’Architecture reconnue et proposée aujourd’hui ne remet en aucune manière en cause le fonctionnement de notre société et ses multiples limites. Elle a perdu toute subversion. La dernière mode est à la transition énergétique sans aucune remise en cause de la forme ni du fond. Elle est parfaitement acceptée par les décideurs de tous ordres car elle permet de faire croire que la transition vers un monde sans pétrole, sans ressources naturelles, sans biodiversité, à +5°C dans les terres, aux inégalités croissantes et à l’économie en berne se fera voluptueusement, presque sans effort.

Pour une architecture de la Décroissance au XXIème siècle

A partir de cette lecture de l’Histoire de l’art (abusivement rapide et caricaturale, je le conçois), il est évident que l’Architecture du XXIème siècle doit s’emparer de ces enjeux. Elle sera forcément subversive car elle doit remettre en cause tout le fonctionnement de nos sociétés, toute notre culture actuelle de surconsommation. Elle doit apporter des réponses à l’effondrement probable de notre civilisation. Non pas l’éviter (croyance en la transition énergétique) mais bien se préparer à l’affronter. Cette architecture a toute les chances de marquer l’Histoire des Arts. Et pourtant cet

enjeu est tout à fait mineur. Car si cette architecture ne se diffuse pas massivement et rapidement, il se peut que les lendemains heureux se fassent plus rares, voire qu’il n’y ait plus d’Histoire tout court.

Cette architecture du futur est, selon moi, celle de la Décroissance. L’application des principes de la Décroissance à la pratique architecturale permettrait d’une part de limiter la puissance de l’effondrement par le ralentissement du processus d’autodestruction de la civilisation occidentale. D’autre part elle préparerait et permettrait de faire vivre les sociétés dans un monde transformé par la pollution, le changement climatique et les pénuries de ressources.

J’ai tenu à replacer ce qui serait une «Architecture du XXIème» (que j’espère être décroissante) dans le temps long de l’Histoire de l’Architecture pour démontrer quel pouvait être le levier d’action principale du changement que nous devons opérer : le développement d’un récit par le biais des Arts et de l’Architecture. Tous les autres mouvements architecturaux précédents, même l’Architecture dite «contemporaine», développe un récit qui fonde les principes du développement humain ; l’Art et la Nature, la machine et le productivisme, le techno-scientisme et la finance… La «tendance» doit donc aller vers des valeurs décroissantes et c’est en revendiquant ces valeurs dans un mouvement architectural cohérent qu’on parviendra à faire en sorte que les pratiques décroissantes deviennent la norme et enviables. Tout acte architectural décroissant permettra d’augmenter la résilience de nos territoires, développera une façon d’envisager le monde qui infusera dans la société et permettra à des citoyens usagers des lieux de limiter leur impact sur les écosystèmes.

Conclusion : L’Architecture accompagne les changements de Société

L’exemple de l’Art Nouveau tend à démontrer qu’un mouvement architectural n’est pas en mesure de changer les fonctionnements d’une société. On peut dire que la vision «utopique» d’une société désirée en opposition à la société contemporaine considérée comme «dystopique» par les artistes nouveaux leur a permis de marquer l’Histoire des Arts mais pas l’Histoire humaine en elle-même. Les autres mouvements, Moderne, Post-Moderne, et contemporain s’aligne sur «l’esprit du temps» de la société dans laquelle ils s’inscrivent et font siens ses valeurs et ses mécanisme culturels. C’est probablement pourquoi ces mouvements ont duré sensiblement plus longtemps que l’Art Nouveau : ils accompagnaient un mouvement historique. La tentative de changement de société par l’Architecture n’est donc possible que si la société elle-même est prête à changer. Qu’en est-il aujourd’hui ? Le changement climatique, le pic des ressources naturelle, la dépendance au pétrole, le délitement des démocraties… Je suis intimement persuadé qu’une part de plus en plus grande et de moins en moins marginale de la population occidentale prend conscience de l’impasse du mythe de la croissance économique infinie. Les Architectes doivent donc s’emparer de ce changement de conscience pour affirmer un mouvement architectural en mesure de limiter les risques d’effondrement et faire advenir une nouvelle culture plus respectueuse de la vie sur Terre.

16 17 Mémoire HMONP - Adrien PARIS - Dir. d’étude : Julien Joly 07.03.2019 L’Architecture de la Décroissance
Architecture et société
Le «Strip » pris comme exemple par Venturi, Scott Brown et Izenour dans Learning from Las Vegas

spAtIAlIsAtIon et fonctIonnement de socIété

Description de la ville générique

Les centres-villes historiques sont généralement piétons et accueillent principalement des activités marchandes : boutiques souvenirs, vente de produit «du terroir», ateliers d’artistes, magasins de vêtements de couturiers indépendants. On y retrouve également des lieux de culture comme des petits cinémas «culturels» (donc élitistes), des théâtres et des musées. Des bars et des restaurants animent la rue du matin jusqu’au soir dans les petites places parsemées dans le tissu. Des logements vieillissants, à moins de lourdes dépenses de rénovation, sont disponibles à très haut coût. Le centre-ville est parfois habité par une population «bobo» très ouverte à la «culture» et au fort pouvoir d’achat.

Puis vient un tissu haussmannien pour prendre la relève en proche périphérie du centre-ville historique (renaissance, médiéval voire romain). Des grandes avenues offrent d’immenses perspectives sur des monuments classiques (XVIIIème et XIXème siècle) accueillant les instances du pouvoir et les lieux relevant de la gestion de l’état : tribunaux, mairie, école… Là encore des commerces (plus grands que dans le centre-ville) aux RDC animent les rues mais on retrouve également des bureaux et des restaurants. C’est majoritairement ici que se trouve les bureaux des professions libérales (architectes, notaires, avocats, médecins). Des supermarchés et des centres commerciaux sont aménagés dans les RDC et sous-sol des bâtiments. Les logements sont également très chers et offrent des volumes très généreux. Ils accueillent la frange la plus aisée de la population. Ces logements ne sont disponibles que sous condition d’avoir un emploi stable et correctement rémunéré ou d’avoir le capital suffisant pour en devenir propriétaire sans passer par le prêt d’une banque (ce qui est extrêmement rare).

Les grandes métropoles s’offrent des quartiers d’affaires singeant les buildings de Manhattan et copiant à gros traits le «style international». On y retrouve des grandes surfaces, des centres commerciaux, des bureaux (en open space), des hôtels et des parkings. Les logements dans les quartiers d’affaires sont contenus dans des barres de logements aux dimensions démesurées. Les appartements sont de bonne facture et habités majoritairement par une classe «moyenne» à «moyenne/aisée», plutôt jeune et active.

Le chapitre suivant tente d’analyser la portée de l’aménagement du territoire et de l’architecture sur le fonctionnement d’une société. Les principes d’Architecture et d’Urbanisme accompagnent-ils, renforcent-ils, décuplent-ils les tendances sociétales ? Ou peutêtre n’ont-ils qu’un effet mineur sur les changements de société ?

Enfin, dans le dernier cercle concentrique, vient la banlieue. Le reste de la banlieue est destinée quasi uniquement aux logements. En fonction du revenu, la forme de l’habitation change : barre ou tour de logements pour les plus pauvres (bien souvent au nord et à l’est, dans la direction où le vent des usines souffle), puis ancien pavillon ouvrier pour les classes moyennes-basses et maisons individuelles pour les classes moyennes plus aisées. Souvent, ces derniers logements sont habités par des familles. Les banlieues les plus défavorisées ne proposent que très peu de travail et le chômage y est endémique.

Les entrées de villes sont marquées par la présence de zones industrielles. Des immenses bâtiments en tôle, à la forme de pavé, sans ouverture si ce n’est face à l’immense parking qui les bordent, ornent ce paysage plat et chaotique. Ce sont principalement des grandes surfaces de ventes de la grande distribution (bricolage, prêt à porter, électroménager, concessionnaires

19 Mémoire HMONP - Adrien PARIS - Dir. d’étude : Julien Joly 07.03.2019

automobiles, loisirs…). Elles accueillent également quelques industries mais celles-ci sont clairement en déclin depuis la fin des Trente Glorieuses.

Spatialisation du travail

La place du travail dans la ville est très significative de nos sociétés. Les lieux de travail sont disséminés partout en grande densité sauf dans la banlieue. La population de la banlieue doit donc faire un plus grand effort pour aller travailler. La proximité avec son lieu de travail est un critère de richesse. Les activités intellectuelles exercées en libéral et nécessitant un haut niveau de qualifications (juriste, architecte, avocat, médecin, designer…) sont majoritairement situés au centre-ville. Dans le quartier d’affaire, on côtoie principalement des diplômés d’école de management ou de commerce et des ingénieurs travaillant dans des sièges d’entreprises. Les métiers nécessitant moins de qualifications sont situés dans le centre-ville (principalement orientés vers la vente) et dans les zones industrielles en entrée de ville (un peu de production manufacturière et vente).

Rapport à la voiture et inégalités

En centre-ville (historique et haussmannien), le stationnement des voitures est problématique et la circulation compliquée. Des parkings payants sont proposés au sous-sol des places. Un récent choix de proscrire la voiture dans ces quartiers a amené plusieurs communes à remplacer les 1X2 voies + trottoirs par des voies à sens unique avec pistes cyclables et stationnement. Les transports en commun y sont très développés.

Dans le quartier d’affaire, l’urbanisme de dalle (piéton séparé de la circulation routière), les grandes voies de circulation très larges, les grands espaces (vides ou de parking) et les voies d’insertion disproportionnées sont le lot de ces quartiers construits dans les années 1960. Il est impératif d’avoir une voiture car les déplacements à pied peuvent être très complexes.

Dans les villes et quartiers périphériques, la voiture est le seul moyen de s’extirper de sa condition de «banlieusard» Pour aller au travail ou en trouver, pour sortir le soir, aller au cinéma, pour faire les courses… la voiture est indispensable pour vivre.

La voiture est omniprésente dans la ville contemporaine. Elle tend seulement à diminuer dans le centre-ville (où vivent les plus riches) où des efforts pour limiter la circulation sont faits : transports en commun denses, vélos en location, etc. La proximité de tout ce qui permet de combler les besoins humains offrent même le luxe à cette population de ne pas avoir de voiture. Partout ailleurs, la voiture est un passe-droit pour vivre. La dépendance à la voiture des population pauvres et moyennes est devenue un moyen de maintenir celles-ci dans un travail à long terme. Parce que des frais de plus en plus importants sont nécessaires pour avoir une voiture (augmentation du prix du baril et taxation de l’essence) et que celle-ci est obligatoire pour quasiment tous les aspects de la vie (se nourrir, travailler, se cultiver, faire société), cette population doit impérativement travailler pour seulement vivre. La population de la banlieue travaillera plusieurs heures par semaine pour payer ses frais de voiture alors que la population riche (donc par définition mieux payée) pourra

se permettre d’utiliser son argent pour tout autre chose (payer son très haut loyer notamment mais aussi se cultiver et se sociabiliser).

Le travail, quel qu’il soit, nécessite d’avoir du pétrole : toutes les populations moyennes à pauvres doivent se déplacer de la périphérie au centre-ville ou dans les zones industrielles pour pouvoir gagner l’argent qui leur permettra d’aller travailler. En d’autres termes, la société en est venue au point où les travailleurs payent pour aller travailler. Avec l’augmentation inévitable du prix de l’essence et du gasoil due à la raréfaction de la matière première, l’addiction au pétrole enferme la société dans un cercle vicieux de recherche de productivité toujours croissante pour payer ce même pétrole.

Spatialisation des entreprises dans nos sociétés

La présence des grandes firmes internationales partout dans la ville (publicité, magasins, sièges sociaux, produits consommés), remplaçant les petits commerces, démontre leur puissance (dévastatrice). Les villes moyennes se meurent car l’attraction des métropoles est immense. Les grandes marques internationales colonisent leurs centre-villes au détriment des petits commerces de proximité. La mort de ces derniers est accélérée par la construction de centres commerciaux en périphérie des communes. La visibilité est toujours l’apanage du pouvoir. Autrefois l’on construisait des palais ou des édifices monumentaux pour exprimer la puissance politique d’une personne ou d’un groupe de personnes. Aujourd’hui on construit des tours Crédit agricole, des stades Groupama, des salles de spectacle O2 posant ainsi la question de la gouvernance des sociétés ?

Dans les quartiers d’affaires et le long des boulevards périphériques, les multinationales s’imposent aux yeux sur des enseignes et des logos érigés en haut des immeubles ou sur des panneaux publicitaires de 12m². Les entreprises sont présentes dans les centre-villes sous forme de panneaux publicitaires aux arrêts de bus, dans les métros, sur les trottoirs… Les publicités qui pullulent partout dans la ville et excitent nos sens, les activités commerciales présentes en masse, tendent à prouver que la société actuelle considère l’Homme avant tout comme un consommateur avant d’être un citoyen (responsable de la politique menée sur un territoire donné). L’Homme ne vit que pour consommer. Il travaille pour consommer et se divertit en consommant. La tertiarisation traduit également que la consommation s’éloigne de plus en plus des besoins de base de l’Homme (base de la pyramide de Maslow) pour aller de plus en plus vers le superficiel et l’inutile.

20 21 Mémoire HMONP - Adrien PARIS - Dir. d’étude : Julien Joly 07.03.2019 L’Architecture de la Décroissance
spatialisation et fonctionnement de société
La RD 9 21, une entrée de ville à Juillan, Laurent Dard

Tertiarisation, dépendance et dématérialisation

L’immense majorité de l’activité est tertiaire (services). Les industries (secteur secondaire) disparaissent une à une, ne laissant la place qu’aux grandes surfaces marchandes dans les zones industrielles. L’agriculture est reléguée à la campagne, loin des villes. Le peu d’industries restantes et la part démesurée de personnes travaillant dans le tertiaire traduisent le fait que tout ce que nous achetons vient de l’étranger. La France ne produit quasiment plus rien de matériel, si ce n’est par l’agriculture. La dépendance aux autres pays «ateliers» du monde (Chine, Bangladesh, Turquie…) est immense.

La tertiarisation dématérialise le travail. La numérisation, la robotisation et l’intelligence artificielle ont décuplé la productivité dans tous les secteurs. Les échanges et le travail doivent donc être beaucoup plus rapides ce qui obligent les individus à suivre le rythme. Le travailleur contemporain est constamment pressé par le temps. Il lui court après sans cesse. La tertiarisation de l’économie traduit le besoin de suivre la fluidification, la quantité et la vitesse croissantes des échanges. Tous les individus sont noyés, toute la journée et parfois même la nuit, sous des quantités de stimuli physiques qui les empressent de répondre et/ou de consommer. L’Homme contemporain doit être disponible 24h/24. Son attention est recherchée (et monétisée) constamment. A noter que l’allongement des trajets logement/travail augmentent de facto le temps de stimulation publicitaire.

La tertiarisation de la société traduit également que l’Homme contemporain se coupe progressivement de la production matérielle. Bien peu de personnes seraient aujourd’hui à même de coudre un vêtement, élever un troupeau, récolter du blé, construire une quelconque machine. Pourtant la France est un pays riche et les salaires les plus élevés sont attribués aux personnes les moins productives matériellement (dirigeant d’entreprise, ingénieur, manager, profession libérale. La valeur ajoutée vient donc du cerveau. La gestion de la complexité est valorisée. Si celle-ci est si bien rémunérée, c’est que la société elle-même se complexifie. Le lien entre le matériau de base (la terre, les minerais) et le produit fini est devenu si distendu que la compréhension des principes de production est extrêmement valorisée. Mais la compréhension ne signifie pas pour autant la capacité de production. A nouveau, la dépendance aux pays «ateliers» du monde est immense.

Une spatialisation qui traduit un fonctionnement de société

Ce rapide et caricatural coup d’oeil sur notre société pris à travers le prisme de la localisation dans une ville générique des différentes professions en fonction des qualifications, des classes sociales, des typologies de logements et des activités informe sur le fonctionnement de notre civilisation occidentale. On peut tirer de cette observation plusieurs conclusions.

L’économie est massivement «tertiarisée» et les multinationales ne produisent presque plus rien sur le sol national. La dépendance au pays «ateliers» du monde fait craindre un effondrement en cas de raréfaction du pétrole, de crise financière ou de ralentissements économiques dans les pays émergents. L’individu occidental est un consommateur avant d’être un citoyen. Pratiquement toute son énergie est dévolue à consommer et à travailler pour pouvoir consommer. L’immense

majorité de cette consommation ne répond pas du tout à des besoins vitaux et tend même vers l’inutilité complète. Les emplois de service et le remplacement simple de ces emplois par la numérisation et l’intelligence artificielle crée un chômage de masse et une précarisation tous azimuts des populations (toutes qualifications confondues).

Conclusion : Un renforcement des tendances de la société

A l’évidence, le développement des villes et l’aménagement du territoire ont un véritable impact sur la politique globale d’une société. Ils ont la capacité d’exacerber des tendances. En l’occurrence, l’économie néo-libérale actuelle tend à accroitre les inégalités et à détruire toute vie sur Terre. L’aménagement du territoire décuple cette tendance en éloignant les plus pauvres des lieux de travail et de toutes les autres activités (culturelles, sportives…) et ne leur permet pas d’y aller par des moyens de transports gratuits. Il aggrave également l’état des sols et augmente la séparation entre Ville et Nature de nos sociétés alors, que cette distinction n’a pas lieu d’exister. Très clairement, la politique d’aménagement du territoire actuelle ajoute une inégalité spatiale, matérielle et culturelle à une inégalité économique et participe à accélérer l’effondrement en cours. Le pari de ce mémoire est de démontrer qu’une certaine Architecture est en mesure d’accompagner une autre tendance qui voit le jour dans nos sociétés, celle de la Décroissance. Celle-ci entend répondre aux problématiques de nos sociétés actuelles.

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spatialisation
et fonctionnement de société

Le mouvement politique de la Décroissance promeut des valeurs écologiques, de partage des ressources, de sobriété heureuse, de développement humain par la culture et la connaissance. Comment l’Architecture décroissante peut-elle faire siennes ces valeurs ? Comment celles-ci se traduisent-elles dans l’espace ? Comment l’Architecture de la Décroissance peut-elle se déployer sur le territoire ? En quoi répond-elle aux enjeux du XXIème siècle ?

trAnsItIon décroIssAnte pAr l’ArchItecture

Autonomie et résilience

Résilience de nos sociétés

La résilience désigne la capacité d’un objet ou d’un matériau à résister aux chocs. Dans le cas d’un système (organisme, espèce, société) cela désigne la faculté de surmonter un changement survenu dans son environnement ou dans son fonctionnement interne. La notion de résilience est devenue incontournable dans nos sociétés occidentales après la crise des Subprimes en 2008 puis la crise de la zone euro en 2010. Ces effondrements systémiques de deux des plus importantes économies mondiales (les Etats-Unis et l’Europe) ont révélé la fragilité de nos sociétés face aux aléas économiques. Par effet domino, à cause des politiques financières beaucoup trop accommodantes et de l’avidité des «marchés», quelques impayés de crédits aux Etats-Unis sont parvenus à déstabiliser l’économie mondiale. Cet épisode dramatique, dont on peine encore à sortir 10 ans après, a prouvé que le capitalisme financier n’était pas en mesure d’accuser des chocs sans que les peuples n’en souffrent. Les raisons actuelles de craindre un nouvel effondrement financier sont nombreuses (voir l’Introduction). Pourtant nos sociétés sont tout sauf résilientes.

Stratégie de résilience

L’architecte doit donc participer à mettre en place un environnement sociétal indépendant de la consommation de pétrole et des autres ressources non-renouvelables, adapté aux risques climatiques, en mesure de reconstruire une culture après un éventuel effondrement politique ou social, ayant sa propre logique économique et ses propres moyens de production. Le cahier des charges est immense mais de sa réussite dépend la survie de l’Humanité.

La résilience par l’Architecture passe par l’autonomisation à l’échelle la plus petite possible des territoires (logement, quartier, ville). L’autonomie se caractérise par le fait qu’une entité est capable de fonctionner de façon indépendante sans avoir besoin d’apports extérieurs. Cette autonomie concerne les besoins en eau, en nourriture, en énergie et en culture. Traduit en terme d’espaces, l’architecte décroissant doit favoriser la création de potagers ou d’espaces d’agriculture urbaine. Il doit concevoir ses bâtiments afin qu’ils stock l’eau de pluie et mettre en place des outils pour purifier les eaux (eau de pluie, eau usée, eau vanne), si possible par phyto-épuration et phytoassainissement. Il doit se battre pour la normalisation des toilettes sèches et du compost et réfléchir à son adaptation à l’environnement urbain. Il doit penser la ville, le logement et tous les lieux accueillant les activités humaines afin qu’ils soient les moins énergivores possibles. Enfin, l’architecte décroissant doit s’investir dans la conception de lieux où les échanges de savoirs et où l’expérimentation citoyenne peuvent se déployer.

C’est probablement là l’aspect le plus efficace de la stratégie. Au-delà de la construction physiques d’outils permettant l’autonomie, l’architecte doit construire la décroissance dans les têtes. Chacun de ces outils peut être accompagné d’une organisation de diffusion des pratiques résilientes. L’intégration d’un potager dans la conception d’un bâtiment peut mener à la création d’une organisation citoyenne d’entretien de potager ; des personnes souhaitant profiter d’un

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© Cyberarchi 2019 © New Frontier Tiny homes

L’Architecture de la Décroissance transition décroissante par l’Architecture

espace extérieur inutilisé pour produire des légumes locaux mais ne sachant pas faire de l’agriculture urbaine peuvent être mis en relation avec des citoyens-agriculteurs pour cultiver leur jardin à leur place. Des lieux de rencontre comme des cafés, des bars et des restaurants peuvent être mis à disposition des citoyens en marge de ces lieux de production agricole pour des conférences, des stages d’apprentissage sur l’agriculture urbaine ou des échanges de graines paysannes. Les espaces de stockage des eaux pluviales sont l’occasion de se retrouver autour d’un plan d’eau pour discuter de l’intérêt de la bonne gestion de cette denrée précieuse. Elle peut être collectivisée et utilisée pour l’arrosage des potagers. La construction d’un habitat collectif totalement écologique peut permettre la création d’un collectif citoyen promouvant le bienfondé des toilettes sèches, remplaçant les toilettes standards dans les autres logements du quartier et gérant les composts du quartier.

Mais l’architecte décroissant ne doit pas se contenter d’accompagner les initiatives. Il doit les provoquer. Lors de la phase de conception, l’architecte est lui-même acteur du changement de mentalité. Il doit faire part des enjeux de société rapidement décrits en introduction à ses clients et les convaincre d’agir à la juste mesure de ces problématiques. Il doit bien entendu les accompagner dans ces changements de mode de vie et c’est pourquoi la mission de l’architecte décroissant ne s’arrête pas à la livraison du bâtiment. Il peut mettre en réseau les clients pour qu’ils apprennent des techniques résilientes ou leur montrer le fonctionnement des outils permettant l’autonomie, pour qu’ils puissent réparer par eux-mêmes les éventuels outils défectueux.

L’architecte doit mettre en relation les différents citoyens acteurs, «sachants», professionnels, expérimentateurs, profanes des outils de résilience et d’autonomie et concevoir la ville afin de favoriser la redistribution de la production pour faire émerger une culture de la décroissance dans la société. La redistribution de la production peut être l’aménagement d’un marché des produits d’agriculture urbaine, la construction d’un système de collecte des eaux à échelle d’un quartier pour l’arrosage de la production agricole, la construction d’une université des savoirs résilients, un espace de stockage des déchets accompagné d’un atelier collectif pour favoriser le réemploi…

Les «autonomies liées»

La stratégie de résilience par l’Architecture allie la création d’un réseau parallèle et au réseau actuel et autonomie à différentes échelles. Elle procure les outils nécessaires à l’autonomie et favorisant l’échange de la production (matérielle et théorique). C’est donc bien ce paradoxe entre «autonomie» et «réseautage» qui permet la résilience des sociétés. Cette alliance paradoxale est vertueuse mais l’application d’une seule de ces stratégies de résilience pourrait être dangereuse.

La seule mise en place d’un nouveau réseau pourrait ne pas suffire à la construction d’une société résiliente car l’aménagement du territoire contraint les échanges. La production agricole actuelle se fait à l’extérieur des villes. Dans le cadre d’une raréfaction des ressources pétrolières, d’une stérilisation des sols et d’une dégradation de la biodiversité, le fait de transformer le réseau entre l’agriculteur et le consommateur (par une transaction directe par exemple) ne résout en rien la résilience de la société. L’agriculteur aura toujours besoin de transporter sa production dans la ville et il ne bénéficiera toujours pas d’un compost permettant de re-fertiliser les sols que seule la collectivité est en mesure de fournir.

L’autonomie des territoires sans la distribution de la production peut rapidement mener à l’autarcie. Le mouvement des survivalistes en est une dérive très parlante. Il s’agit d’une mouvance idéologique qui pense la résilience de l’Humanité par la constitution de groupes sociaux restreints et très sélectifs dans le choix de ses membres se préparant à l’effondrement par le stockage de denrées vitales, l’apprentissage de techniques de survie en milieu sauvage et hostile. Selon cette idéologie, l’effondrement et les pénuries qui en découleraient vont pousser les citoyens non préparés à renier toutes moralité et à s’entretuer pour la survie. Le survivaliste pense donc en terme individualiste et se prépare à un état de guerre civile notamment par le maniement des armes pour protéger ses plus proches. On plonge donc en plein scénario d’apocalypses zombies où la théorie de l’évolution darwinienne se résume à la loi du plus fort et du plus adapté.

Il faut donc veiller à ne tomber dans aucun de ces travers en aménageant l’autonomie des territoires à des échelles diverses (les plus petites seront les plus efficaces) tout en favorisant l’échange des productions. Jean Marc Huygen parle «d’autonomies liées1» pour désigner ce système.

Bénéfices décroissants

Les autonomies liées peuvent avoir de nombreux effets bénéfiques sur le fonctionnement de la société en plus d’augmenter sa résilience.

L’autonomisation des territoires va inévitablement favoriser le recours à des produits locaux. En terme d’agriculture, même si la production ne vient pas directement de son propre potager dans le jardin, la nourriture fera au maximum quelques kilomètres de trajet avant d’être revendue. Le bilan carbone est bien meilleur que l’immense majorité des produits vendus en grandes surfaces. Les produits seront également moins emballés : d’une part les moyens matériels pour produire l’emballage ne sont pas à la portée de tout le monde, d’autre part il n’y en aura pas nécessité car le laps de temps entre la récolte et la vente pourra être extrêmement rapide. L’agriculture urbaine implique aussi une moins grande transformation des produits ce qui conduit à avoir une alimentation plus saine (pas de sucre, de sel ou d’autre produit addictif ou dangereux pour la santé). A terme, la santé publique peut se voir être considérablement améliorée par cet environnement plus sain. En terme de bilan carbone et de santé publique, la production agricole urbaine peut apporter beaucoup à la société.

De la même manière, l’autonomie peut favoriser la reconversion de citoyens vers des métiers

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Jean Marc huygen, 2008, «La Poubell et l’Architecte», ed: Actes Sud, Collection : L’impensé,
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Un Earthship en Afrique du Sud, un exemple d’habitation résiliente et autonome, par l’architecte M. Reynolds

L’Architecture de la Décroissance transition décroissante par l’Architecture

ayant réellement un sens, portant réellement une amélioration dans le fonctionnement de la société. L’autonomisation et le travail pour la résilience de la ville peuvent potentiellement créer de nombreux emplois. Une fois autonomes, certains citoyens peuvent être en mesure de quitter leurs emplois, de manière beaucoup plus sereine qu’aujourd’hui où une forte pression est mise sur les sans-emplois et où le discours de «l’assistanat» détruit la société. S’ils le souhaitent, ils pourraient s’adonner à une autre activité, si possible améliorant la résilience de la ville. La problématique de la qualité des soins apportés aux personnes âgées aujourd’hui peut se voir solutionnée par l’autonomisation des territoires par exemple. Ce sont également des trajets pendulaires entre lieu de travail et logement en moins, donc un air moins pollué dans les villes et, in fine, moins de personnes asthmatiques et moins de décès.

Enfin l’autonomie peut favoriser la création d’une nouvelle économie basée sur la connaissance ou l’expérimentation. Le fait que les citoyens soient assurés de leurs moyens de subsistance peut les conduire à prendre des risques pour développer des projets et expérimenter de nouvelles façons de vivre en société ou de vivre de manière écologique. Extraits de toutes contingences de rentabilité économique, les projets culturels ou associatifs peuvent s’exprimer librement et favoriser l’émergence d’une conscience décroissante.

Réemploi et Low-Tech

Entropie, thermodynamique et décroissance inévitable

L’entropie est une notion scientifique issue de la thermodynamique (une discipline étudiant l’équilibre des systèmes). Elle se définit par la dégradation inévitable de toute matière par la désorganisation de ses composants. Elle passe d’un état concentré, stable, organisé et à fort potentiel énergétique ou physique à un état éparpillé, imprédictible, désorganisé et faible énergétiquement, pauvre en capacité physique.

physique de la matière. Il s’agit de la transposition à la dynamique des systèmes du principe de Lavoisier : «rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme». Il est ainsi impossible de créer de l’énergie ou de la matière du néant dans le système terrestre.

Nicholas Georgescu Roegen fut le premier scientifique à avoir rapproché la notion d’entropie au système économique capitaliste et ayant démontré son insoutenabilité dans le cadre d’une croissance basée sur la consommation d’hydrocarbure et de matière première. Ces travaux furent publiés en 1971 dans The entropy law and the economic process. Puisque le pétrole est en quantité limitée sur la planète Terre, la consommation exponentielle de cette ressource ne peut tenir indéfiniment et l’économie s’effondrera irrémédiablement. Il applique également cette loi entropique aux ressources naturelles et en vient aux mêmes conclusions que pour le pétrole : si on veut permettre aux générations futures de vivre décemment, il est nécessaire d’exploiter les ressources naturelles avec parcimonie. La consommation actuelle est bien trop rapide pour envisager une société durable. Il appelle à l’exploitation maximale de l’énergie éolienne et solaire qui est en quantité quasi illimitée (le soleil s’éteindra dans quelques milliards d’années mais l’Humanité aura disparu depuis bien longtemps d’ici là) pour remplacer l’énergie pétrolière. En ce qui concerne les matières premières, il rappelle qu’elles seront forcément épuisées à terme (ou inaccessibles) et qu’on ne peut que limiter leur utilisation.

On comprend que le système économique actuel est face à une impasse. L’Humanité s’est peu à peu extraite de nombreuses contraintes physiques et biologiques mais cela n’a été possible que par d’incroyables dépenses énergétiques et une immense consommation des ressources naturelles. La difficulté pour l’Humanité est de passer à une économie qui ne repose pas sur cette consommation matérielle de la matière. La situation est même plus grave car la transition vers les énergies renouvelables aurait dû être faite il y a quarante ans. Aujourd’hui le remplacement de tous les appareils de production d’énergies fossiles et de toutes les machines fonctionnant par combustion par des appareils de production d’énergies renouvelables et des machines électriques nécessiterait une consommation de ressources naturelles (notamment des métaux rares) que la Terre n’est plus en mesure de nous fournir. Nous sommes donc condamnés à décroitre. La question est de savoir si nous serons préparés ou non.

Limiter l’entropie par le réemploi

Le réemploi est l’acte par lequel on donne un nouvel usage à un objet existant tombé en désuétude, qui a perdu l’emploi pour lequel il avait été conçu et fabriqué.

Jean Marc Huygen dans son ouvrage La poubelle et l’architecte théorise une nouvelle production architecturale basée sur le réemploi de matières, de matériaux, d’objets, de sites et de lieux. Il fait en fait ressortir cinq principes.

L’entropie est étroitement liée à la notion de temporalité. C’est le changement d’état, l’usure d’un matériau, d’un objet ou de tout autre système qui traduit l’écoulement du Temps. On ne peut réorganiser la matière, revenir sur l’entropie qu’avec une forte dépense d’énergie et la qualité du matériau ne peut en aucun cas être améliorée et sera dans bien des cas dégradée (cela est dû à des pertes inévitables d’énergie). C’est le second principe de la thermodynamique qui est une loi

Principe de complexité : «Par un apport d’énergie, la matière devient plus stable et porteuse de mémoire. Il est irréversible : pour désorganiser la matière et revenir à un niveau de complexité moindre, il faut une nouvelle dépense d’énergie.» C’est la transposition de la seconde loi de la thermodynamique appliquée à la matière, à laquelle il ajoute la notion de mémoire. Plus on applique d’énergie à une matière, moins il reste d’énergie disponible ; plus on organise la structure

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Graphique de l’entropie : Dans un système ouvert, les particules d’une matière ont naturellement tendance à se dipercer et se désorganiser (état final). Il est alors particulièrement difficile de retrouver l’état initial à moins de dépenser de l’énergie.

de la matière, plus on lui donne une histoire. L’inverse est également vrai.

Principe de réemploi : «En conservant la matière au maximum (ou le matériau ou l’objet) à son niveau de complexité, on conserve au maximum sa mémoire (forme et histoire) sans dépense d’énergie. C’est une conservation maximale et non-totale car il y a vie donc usure inévitable et changement d’usage.» Il s’inscrit dans une optique de minimisation de l’entropie par l’utilisation maximal de la matière jusqu’à ce qu’elle ne puisse plus répondre à aucun usage. Il rappelle que la consommation d’énergie est inhérente à la vie mais que le réemploi permet de prolonger la durée de vie.

«Le réemploi se situe entre deux extrêmes : soit rien ne change, on ne consomme pas d’énergie mais on ne vit pas ; soit tout change (au mieux on recycle) mais on consomme tellement d’énergie que, à terme, toute énergie sera transformée en entropie, il n’y aura pas de vie.»

Le rapprochement de la thermodynamique à la notion de Mémoire et de matière porteuse d’histoire permet à l’auteur de mettre en garde l’Humanité contre la surexploitation de la matière et du même coup sa volonté de consommer trop rapidement son Histoire :

«Par le principe de complexité, à terme, tout ce patrimoine ne sera qu’entropie : toute la matière sera tellement organisée qu’aucune transformation ne sera possible, donc aucune vie. Economiser le patrimoine, c’est repousser le jour de la fin du monde.»

Principe de subsidiarité : «La matière (ou matériau ou objet), à son niveau de complexité existant, est utilisée à l’échelon de subsidiarité le plus bas, où la perte de rentabilité est la plus faible compte tenu de ses potentialités, où elle apporte le plus d’efficacité d’usage. Ce principe est réversible : la matière peut monter ou descendre d’un échelon, toujours sans changer son niveau de complexité, être utilisée autrement pour être plus efficace dans un autre usage, par une simple dépense de matière grise.»

La notion de subsidiarité pour Huygen est le réemploi d’une matière (ou d’un matériau, d’un objet, d’un site) par le détournement de son but premier vers un but où ses capacités physiques sont encore utilisées à leur maximum. Un pneumatique usé (devenu lisse) pourra être avantageusement réemployé comme fondation pour un bâtiment léger. On utilise sa grande résistance à la traction grâce à son armature métallique interne pour compacter de la terre à l’intérieur et obtenir ainsi un complexe pneu/terre très dense capable de supporter plus de 70 tonnes. A noter que le caoutchouc du pneumatique, si il est protégé du soleil et des intempéries, ne se dégrade quasiment pas. De plus le complexe reste malgré tout souple ce qui en fait une fondation très efficace pour les zones sismiques. Aucune application d’énergie n’a changé la complexité de l’objet. il est resté intacte et pourtant il a trouvé un usage grâce à une utilisation ingénieuse et créative (matière grise) de ses propriétés.

Principe de flexibilité : «C’est viser l’utilisation la plus efficace et économe de l’énergie et de la matière disponible sur la planète. Par une première (et faible) énergie dépensée, on utilise la matière grise pour optimiser matières et matériaux, appliquant en premier lieu le principe de subsidiarité (pour l’usage) et en second lieu le principe de complexité (pour la compétence).»

Lorsque les propriétés du matériau sont dégradées à tel point qu’il ne répond plus à un usage utilisant ces mêmes propriétés, il est alors seulement envisageable de lui appliquer de l’énergie pour le transformer et lui trouver un nouvel usage. Pour reprendre l’exemple précédent du pneumatique, en cas de dégradation de sa structure telle qu’elle ne répond plus à son but (résister à de fortes tractions et aux chocs externes), l’objet peut être percé et tissé pour être transformé en siège, puis la matière peut être découpée en lanière pour fabriquer des ceintures, puis enfin elle peut être déchiquetée pour produire un sol souple pour des aires de jeu… on complexifie petit à petit la matière pour utiliser au maximum ses propriétés au fur et à mesure de son usure. Cet exemple illustre parfaitement le prochain et dernier principe.

Principe de réduction des chutes : «d’abord, utiliser le matériau disponible selon sa plus grande dimension ; puis, si elles existent, utiliser les chutes au maximum ; puis seulement envisager de recycler.»

Le réemploi dans la construction change radicalement la discipline architecturale. Le processus de conception traditionnelle consiste à penser l’édifice en terme de formes et on choisit les matériaux disponibles sur le marché pour répondre à ces attentes formelles. En respectant les DTU, on est quasiment sûr que la mise en œuvre des matériaux permettra d’atteindre les performances techniques exigées par les règlementations. Le processus de conception par le réemploi est tout autre. Le besoin d’architecture donnera les performances programmatiques et techniques à atteindre ou vers lesquelles il faudrait tendre. La disponibilité des matériaux issus du réemploi et leur cohérence de mise en œuvre vont donner la forme de l’Architecture. Huygen détourne la formule de Sullivan : «la forme suit la flexion». En d’autres termes, la forme globale du bâtiment s’adapte à la matière disponible. «Le matériau d’occasion et l’occasion de matériau» sont intimement liés. C’est l’existence d’un «gisement» de matière qui va permettre l’Architecture du réemploi. L’architecte actuel cherche à maitriser la forme de son bâtiment malgré les aléas de chantier. L’architecte décroissant doit accepter de perdre le contrôle de la forme pour s’attacher à la réponse programmatique et performative mais aussi promouvoir une manière de vivre décroissante, «économisant le patrimoine» et donc «repoussant la fin du monde».

L’économie du réemploi

Le système économique actuel génère une quantité industrielle de déchets. Un déchet est une matière dont on se sépare parce qu’on ne veut pas en devenir propriétaire. Cette matière devient alors publique et c’est à la collectivité de la gérer. Elle peut faire le choix de réemployer, de récupérer, de recycler, d’exporter ou de bruler la matière. Le bilan carbone pour chacune de ces actions n’est pas le même. Les lois de la thermodynamique devraient nous inciter à considérer plus étroitement la gestion de nos déchets. L’objectif pour une société durable serait de changer le regard qu’on porte sur cette matière pour la considérer comme une ressource et créer ainsi une économie circulaire. Ainsi le système économique actuel deviendrait le plus important gisement de ressources au monde. Changer de regard sur les déchets, c’est économiser de l’énergie en usant de créativité. La matière grise est l’énergie la moins chère et la plus rentable en terme de rapport consommation d’énergie/fabrication d’usage ; seul l’esprit humain est en mesure d’additionner plusieurs propriétés de matériaux pour créer un objet complexe répondant à un usage précis. Les

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transition
décroissante par l’Architecture

besoins humains doivent dorénavant être comblés par l’exploitation de matière existante et locale sur lesquelles on appliquera un minimum d’énergie mais un maximum de créativité. Une économie du réemploi peut donc se déployer en parallèle de l’économie capitaliste actuelle. La première étape de cette économie est de «glaner» la matière première. Celle-ci est en l’occurrence des déchets, qui sont par essence gratuites. Il est donc inutile avec cette économie d’avoir un capital financier pour démarrer une activité. Une fois collecté, il s’agit de stocker et de classer la ressource. Elle peut être avantageusement classée en fonction de ses propriétés physiques et son état d’usure pour faciliter sa recherche. On voit déjà apparaître des «valoristeries» sur certains territoires. Elles mettent en place des banques de données en ligne sur l’état des stocks pour les personnes adeptes du réemploi. Enfin, la dernière filière de cette économie du réemploi consistera à créer des objets par addition et mise en relation spécifiques de plusieurs ressources entre elles. Jean Marc Huygen met en garde contre l’institutionnalisation de cette économie : l’accumulation d’objets et la connaissance de leur disponibilité risquent de conduire à une construction inutile ou inefficace. La décision et le choix de réemploi d’un objet doivent donc rester un moyen et non une fin en soi.

La Low-Tech

La Low-tech, ou la «basse technologie», désigne des technologies qui ne sont pas ou très peu carbonées et qui sont facilement mises en œuvre sans énormément de moyens financiers ou matériels. La Low-tech charrie derrière elle toute une culture du bricolage, du système D, de la débrouille, de l’auto-construction. La Low-tech s’oppose donc à la High-Tech qui requiert des compétences spécifiques très pointues et une production industrielle. Elle consiste à chercher des solutions simples, naturelles ou mécaniques, plutôt que de passer par une solution toute faite, hautement carbonée et nuisible pour la biodiversité dans le système marchand actuel. En ce sens, la Low-Tech est très démocratique car elle propose à tous les citoyens d’avoir accès à un certain confort à partir du moment où ils sont un minimum curieux, «bricoleurs» et créatifs. La Low-Tech met donc l’accent sur le détournement, l’adaptation et la réparation d’objets. L’interchangeabilité des composants, la facilité de compréhension du fonctionnement interne, le faible coût marchand et carbone, la consommation moindre d’énergie pour son usage sont autant d’aspects primordiaux dans la Low-Tech. C’est en cela que cette pratique est à rapprocher de la pratique du réemploi (elle sont d’ailleurs bien souvent étroitement liées) car elles utilisent les mêmes compétences et s’inscrivent toutes deux dans une pensée décroissante.

repair café, regain de l’artisanat, agriculture paysanne, permaculture et redécouverte de la traction animale… Les exemples sont nombreux et ne cesse de prendre de l’ampleur, preuve que les mentalités changent, lentement mais surement, au sujet de la société de consommation. Contrairement à ce qu’on pourrait penser, la Low-Tech n’est pas du tout une technologie de basse qualité ou une technologie au rabais. Elle nécessite de bonnes connaissances scientifiques et techniques et un tempérament curieux favorisant l’expérimentation. Mais ces compétences sont facilement accessibles à qui souhaite se lancer. D’autant que des réseaux se construisent pour que les «sachants» puissent enseigner aux «non-initiés» les pratiques et les techniques low-tech (voir «les autonomies liées» dans le chapitre précédent). Il s’agit bien d’une technologie avancée car elle consiste à réaliser (ou se rapprocher) des performances que la technologie numérique ou industrielle parvient à faire avec des moyens très limités.

Naturellement l’utilisation des Low-Techs nécessite d’adapter ses modes de vie. La Low-Tech ne peut pas obtenir les mêmes performances que les hautes technologies car elles utilisent moins d’énergie à la fabrication, à l’utilisation et à la réparation. La Low-Tech va s’appuyer sur les énergies disponibles gratuitement dans la nature (pesanteur, aides des animaux, biodiversité, propriétés physiques de la matière) et la matière grise pour compenser ce que la haute-technologie parvient à faire avec l’exploitation d’énergie fossiles et d’importants moyens financiers. Les performances thermiques d’une maison construite selon les principes de la low-tech et du réemploi ne peuvent pas atteindre les mêmes performances qu’une maison équipée d’une climatisation, d’un système de ventilation double-flux, d’un chauffage électrique ou au fuel, à la cuisine toute équipée etc… La Low-Tech et le réemploi implique un retour au bon sens et à l’adaptation des modes de vie aux lois de la Nature. Il n’est pas normal de pouvoir être en T-Shirt dans un logement en plein hiver tout comme il n’est pas normal d’importer et de manger des mangues en France. Ces deux pratiques sont indissociables d’un retour à plus de sobriété et à la relocalisation des productions.

L’Architecture Low-Tech

Le choix des matériaux est un aspect primordial à prendre en compte pour une architecture Low-Tech et décroissante. L’architecte peut donc prévoir la construction de l’édifice grâce au réemploi de chutes de chantier ou d’erreur de livraison mais aussi, s’il la connaissance d’un gisement autre que des matériaux de construction, de l’utilisation d’une ressource pour répondre à bas coût à son programme. L’Architecte s’assure ainsi d’une esthétique tout à fait originale et avant-gardiste (à l’heure actuelle). Le bois (local) est en soi un matériau Low-Tech de la construction car sa mise en œuvre ne nécessite pas des moyens matériels conséquents et la connaissance de son comportement physique est facilement accessible à tous. Le matériau est léger, malléable, remplaçable, biodégradable, renouvelable (pour peu qu’il soit issu d’une forêt correctement entretenue) et ses performances techniques sont impressionnantes : résistance à la compression, à la traction, au cisaillement, souplesse, isolation, contrôle hygrométrique. De plus ses chutes peuvent être facilement réemployées en cales pour le plancher, la sciure peut être utilisée comme isolant ou absorbant dans des toilettes sèches…

Les pratiques qu’on peut considérer comme Low-Tech actuellement sont nombreuses : autoconstruction et hobby du bricolage, chantier participatif, écodesign, mouvement zéro déchet,

Tous les matériaux en fibres végétales comme la paille ou le chanvre sont très efficaces

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Exemple de panneaux solaires Low-Tech construits avec des grilles de Réfrigérateur, des cadre en bois et des vitrage de fenêtres

transition décroissante par l’Architecture

énergétiquement et ne nécessitent pas d’importants moyens pour leur production et leur mise en œuvre. La ressource peut être très locale si elle est issue d’un champ agricole à proximité. La matière est très légère et sa production peut être totalement renouvelable puisqu’il s’agit d’un matériau organique. Si la paille et le chanvre sont cultivés biologiquement, les matériaux sont sains et la mise en œuvre pendant le chantier peut tout à fait être manuelle. L’achat de paille à un agriculteur peut aussi représenter un véritable second revenu pour lui, ce qui est tout à fait bienvenu pour une profession en grave crise. Les fibres végétales peuvent être utilisées comme isolant, comme mur porteur lorsqu’elles sont compressées, comme armature dans les bétons (grâce à leur résistance à la traction), comme couverture de toit (toit de chaume) …

L’utilisation de la terre crue répond également aux valeurs de la Low-Tech. Si la terre est issue du terrassement du chantier, elle est clairement le plus écologique des matériaux. En effet quasiment aucune énergie, à part celle nécessaire au terrassement, n’a été requise pour sa production. La mise en œuvre de la terre crue s’accompagne forcément d’une bonne toiture mais son démantèlement est «naturel» puisque la terre peut revenir à son milieu d’origine une fois l’édifice totalement déconstruit. L’utilisation de la terre pour la construction est une pratique vieille comme le monde et les techniques de mise en œuvre sont légions : béton de terre crue, pisé, torchis, adobe, bauge…

L’Architecture vernaculaire est probablement la plus grande source d’inspiration de l’Architecture décroissante car elle exploite des techniques de construction antérieure à la civilisation industrielle. Le bon sens, l’économie de moyens et la sobriété énergétique étaient de mise ce qui répond parfaitement aux valeurs de la Décroissance. Les architectes décroissants ont donc tout à apprendre des techniques ancestrales de la construction mais également de la conception même des édifices.

L’utilisation de l’environnement pour concevoir l’édifice se retrouve dans les principes de l’architecture bioclimatique et de la pensée permacole. Mais ces pratiques ne sont qu’une réadaptation de savoirs ancestraux avec des modes de vie actuels. L’étude des relations du bâtiment avec son environnement extérieur et ses intrants pour améliorer ses performances se trouvait déjà dans la conception des fermes traditionnelles. On peut citer comme utilisation de l’environnement à l’avantage de l’architecture : la présence d’une surface réfléchissante comme un point d’eau devant une façade sud pour maximiser l’apport solaire en hiver et d’arbres à feuille caduque pour s’en protéger l’été, la construction enterrée ou semi-enterrée pour profiter de la fraicheur constante du sous-sol terrestre, la conception intégrée d’un potager à l’architecture pour maximiser l’autonomie alimentaire en toutes saisons, l’isolation et la minimisation de la surface de la façade Nord…

Dernier point et non des moindres de l’Architecture Low-Tech et décroissante : l’usage. Celuici doit être compatible avec des valeurs décroissantes. Construire un bâtiment parfaitement écologique, au faible bilan carbone à la construction et à l’exploitation ne peut pas accueillir une activité qui détruirait ce pourquoi les décroissants se battent. Le boycott de programme est donc inhérent à la pratique architecturale décroissante, pour des raisons de cohérences idéologiques.

Sobriété et retour au local

Thermodynamique, exploitation des ressources et honoraire d’architecte.

Les lois de la thermodynamique montrent que chaque transformation de la matière, chaque action d’un être vivant traduit une dépense d’énergie. L’acte de construire est donc une dépense d’énergie phénoménale car elle implique une transformation de la matière en des quantités incroyables. Pour autant faut-il renoncer à construire ? Le prix énergétique et en ressources naturelles d’un chantier est quasi directement proportionnel à son prix coûtant. Seul le savoir-faire ou l’expertise (ce qui n’est pas matériel) ne dépend pas de cette dernière dépense (économique).

Le système actuel fait que les honoraires de la maîtrise d’œuvre sont directement liés au coût du chantier, donc à son coût énergétique et en ressources. Intrinsèquement, l’Architecte a tout intérêt à maximiser le coût de chantier, donc le coût énergétique pour augmenter son revenu. C’est cette logique qu’il est nécessaire de changer.

Réduction des espaces construits

La sobriété voulu par la Décroissance est matérielle. Parce que l’exploitation de matière première est une dépense d’énergie et parce qu’elle augmente l’entropie, l’architecte décroissant doit mettre en œuvre une architecture économe en matière. Le réemploi est une manière de répondre à cette économie de matière mais la réduction des espaces construits en est une tout aussi efficace. En effet, un bâtiment aux dimensions plus restreinte utilisera naturellement moins de matière. Le gain de ressources naturelles se cumule au gain d’énergie pour la production des matériaux de construction, pour leur mise en œuvre mais aussi pour l’entretien et l’usage du bâtiment. Des espaces de vie plus réduits induisent une consommation d’énergie et de ressources moindre pour le chauffage, l’entretien des surfaces, l’éclairage. Une surface habitable plus petite permet

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Construction terre crue en bauge coffrée, photo : Pierre-Yves Brunaud Exemples de Tiny Houses, des habitats prônant la sobriété, photos : Gwendal Cosson

également de moins grandes déperditions énergétiques pour la production d’eau chaude sanitaire et une moins grande quantité de ponts thermiques. Enfin cette surface habitable moindre incite à minimiser la possession de biens matériels et à faire un choix sur ce qui est essentiel à une vie digne. Réduire le volume des espaces est donc un acte d’anti-consommation - -et donc décroissant- très fort. Cela induit également, de facto, à une augmentation des espaces nonconstruits donc propices au développement de la biodiversité.

Partage d’espaces

Le partage d’espace semble être un bon compromis entre sobriété matérielle/énergétique et conservation d’un certain niveau de vie. Les exemples ne manquent pas : cuisine équipée, salle à manger, grand salon, chambre ou studio d’ami, sauna, salle de sport, salle de jeu, bibliothèque, atelier de bricolage et de jardinage, potager, salle de réunion pour les entreprises. L’intérêt est de faire en sorte que des espaces qui ne sont utilisés que quelques fois dans l’année soit collectivisés. Il serait aussi souhaitable que l’équipement qui est à l’intérieur le soit également. Il n’est pas normal d’avoir à chauffer une pièce comme une chambre d’ami dans un logement, alors qu’elle n’est utilisée que quelques fois par an. Le fait d’avoir un immense salon pour un logement n’accueillant qu’un couple est tout à fait anti-décroissant. Ces espaces «de luxes» nécessitent de consommer des ressources à la construction, à l’entretien, au fonctionnement, à l’équipement et au démantèlement alors qu’ils peuvent être parfaitement partagés. Il est alors inutile d’avoir pour chaque ménage tous ses outils de bricolage, son équipement de sport, ses jouets pour les enfants, sa voiture, ses livres. Cette collectivisation des espaces pourrait améliorer les conditions de vie de beaucoup de citoyens. Le partage des ressources par le partage d’espaces répond à la volonté de promouvoir équitablement l’accès à la culture, à l’auto-construction, à la Low-Tech et à une vie digne.

Retour au local

La sobriété passe également par un «retour au local». L’exploitation du pétrole et la mondialisation qui en a découlé ont permis à l’Humanité de consommer des produits venant de partout à travers le monde. Celui-ci est constamment en plein déménagement. Ces transports de marchandises ont un impact majeur sur la consommation d’énergie fossile, sur la qualité de l’air, sur l’acidité des océans et sur la biodiversité en général. La mondialisation est le reflet d’une société qui est inconsciente de la finitude de la planète. Il est urgent de retrouver un peu de bon sens et de consommer les produits disponibles à proximité de son lieu de vie.

Dans l’ensemble, la Décroissance doit éviter l’étalement urbain, d’une part pour des raisons de sauvegarde biologique, et d’autre part pour des raisons de sobriété énergétique. L’objectif est de concentrer le plus possible les activités pour éviter les dépenses d’énergie liées aux transports. Cela nécessite d’importantes réflexions sur l’Urbanisme et l’Architecture et une très forte organisation. Il s’agira de revoir entièrement le fonctionnement de la ville et des territoires. L’urbanisation de la France est très fortement «zonée». Les activités qui permettent de vivre en société sont encore très dissociées et concentrées en certains lieux. On hérite très probablement d’un urbanisme des années 1960 et 1970 s’inspirant de la charte d’Athènes. La réponse qu’apporte l’Architecture

de la Décroissance est celle de l’autonomie des territoires à l’échelle la plus petite possible pour répondre à cette problématique du grand déménagement constant.

En Architecture, cela peut se traduire par la consommation de matériaux de construction produit à proximité du chantier. Les trajets entre lieux de production et chantier sont ainsi considérablement réduits. Une ressource naturelle peut également être transformée plusieurs fois avant d’être vendue et donc être déplacée et transformée plusieurs fois avant d’être mise en œuvre sur le chantier. C’est autant de dépenses d’énergies qui sont à éviter. Un effort de conception pour privilégier les matériaux les plus bruts possibles est donc évident. Le meilleur moyen d’être sobre matériellement en architecture est encore d’exploiter la ressource autochtone. La terre, les fibres végétales ou le bois local sont des alternatives bien plus sobres que le béton ou l’acier. Les entreprises doivent également être locales (à proximité du chantier) mais l’idéal est probablement, tout comme les ressources naturelles, de s’aider de la population autochtone. On reparlera plus en détail de la participation citoyenne dans le prochain chapitre mais il est évident que la possibilité d’avoir une population autochtone souhaitant s’investir dans l’aménagement de son propre territoire est un atout majeur dans la sobriété énergétique en plus de tous les avantages culturels et sociologiques que cela pourrait avoir. L’auto-construction répond également à la limitation des dépenses énergétiques dues au trajet.

Mise en œuvre des matériaux et durée de vie

La mise en œuvre des matériaux de construction peut exiger d’importantes dépenses d’énergie et de ressources. Un chantier pour une structure en béton nécessité beaucoup d’eau et l’énergie nécessaire à porter de très lourdes charges. De plus, la déconstruction d’un bâtiment en béton est impossible : on ne peut pas récupérer des éléments en béton pour les utiliser sur un autre chantier. La déconstruction est donc forcément une démolition. Selon le principe de complexité de Huygen, plus on a appliqué de l’énergie sur un matériau, plus on devra dépenser de l’énergie pour le transformer. La dépense d’énergie pour la production et la mise en œuvre du béton est telle qu’il est quasiment impossible de le retransformer. Il faudrait pour cela re-concasser les éléments, séparer les fers de la roche recomposée, et de nouveau produire du béton sachant qu’il aura perdu en qualité physique (moins grande résistance à la compression). Les matériaux hautement transformés sont donc à proscrire (sauf s’il s’agit de réemploi). Le bois est facilement réexploitable, réutilisable ou réemployable. Le bois est un matériau très peu transformé qui peut passer directement du lieu de production (la forêt et la scierie à proximité) au chantier. Sa mise en œuvre n’implique que des transformations minimes (découpe, ponçage, éventuels traitements de surface…) et son démantèlement peut être réalisé sans avoir à déconstruire l’ensemble du bâtiment. Il est facilement réparable et les éléments sont aisément remplaçables. L’élément en bois «défaillant» peut être réutilisé dans une construction avec moins de contrainte physique ou retaillé pour être réemployé.

Cette question sur la sobriété des matériaux, leur mise en œuvre et leur démantèlement pose la question de la durée de vie d’une architecture. Dépend-elle de la durée de vie de ses matériaux structurels ? Si tel est le cas, une architecture a la durée de vie du matériau à la durée de

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transition
par l’Architecture
décroissante

vie la plus courte. Cette hypothèse est vraie en ce qui concerne les structures en béton car ses éléments sont difficilement dissociables les uns des autres mais elle est fausse pour les architectures à ossature (bois ou acier). Si chaque pièce est remplaçable, une architecture bois est quasiment immortelle. Ce seront potentiellement les fondations qui feront défaut car elles ne peuvent pas être en bois. Ce principe d’interchangeabilité des pièces constitutives d’une architecture remet radicalement en question la notion de «solidité» de la construction. Certes un édifice en pierre ou en béton est plus solide mécaniquement contre les dommages ciblés et courts dans le temps (exemple des bombardements), mais dans le très long terme, l’addition des matériaux sobres et de l’entretien par l’Homme est bien plus «solide». De plus, la période de changements que connaît l’Humanité en ce XXIème siècle pousse à reconsidérer la notion de durabilité de l’Architecture. Est-il préférable de construire une architecture immuable, qui ne peut pas évoluer, rigide et donc consommatrice d’énergie dans une époque dont on peine à envisager les futurs possibles (réchauffement climatique, pénuries, guerres civiles…) ? La notion de résilience tend naturellement à privilégier la sobriété et l’adaptabilité de l’Architecture.

Participation citoyenne

Soif de participation

La participation citoyenne, le fait d’intégrer la parole des habitants pour mener les différentes politiques des territoires, n’est pas commune en France ni dans aucune autre «démocratie» européenne. Le système de gouvernance est censé être une «démocratie représentative» c’està-dire que les citoyens élisent des personnes pour les représenter. La défiance vis-à-vis de ce système s’est véritablement révélée avec le mouvement des gilets jaunes. Il a rapidement été question du Référendum d’Initiative Citoyenne pour faire en sorte que les citoyens puissent s’impliquer dans les politiques que mène l’Etat et la demande est soutenue par une grande partie de la population française, preuve que les citoyens ont soif de participation.

A défaut de pouvoir gouverner un Etat, les citoyens sont, à mon avis, parfaitement en mesure de s’auto-gérer sur des territoires plus restreints, comme ceux de la commune ou du quartier, en ce qui concerne la politique urbaine et l’aménagement du territoire. Cela est par ailleurs tout à fait logique puisqu’il s’agit de leur lieu de vie et l’échelle leur permet une certaine maîtrise des tenants et des aboutissants de cette gouvernance. Il est donc tout à fait approprié d’inclure les citoyens volontaires pour participer à un projet d’architecture, particulièrement quand celui-ci concerne l’ensemble de la collectivité.

Processus

Le mouvement des «villes en transition» initié par Rob Hopkins est un bon exemple pour illustrer la façon dont on peut impliquer les citoyens dans la gestion de leur ville. Une (ou plusieurs) personne(s) consciente(s) des enjeux du XXIème siècle et du potentiel risque d’effondrement réunit(issent) autour d’elle(s) un groupe de citoyens décidés à s’engager dans la gouvernance de leur territoire. L’explication de ses enjeux et leur illustration par des ateliers développés dans

le «Manuel des villes en transition» pousse les citoyens à agir dans le sens de la résilience. On crée alors une émulation de solutions accessibles au niveau des citoyens permettant de répondre à ces enjeux. Des groupes de citoyens se partagent alors les projets et les développent pour augmenter la résilience de la collectivité en général.

Pour l’architecte, le processus peut sensiblement être le même. Il peut être l’initiateur d’un projet. L’occasion d’une dent creuse ou d’un espace vide peut permettre l’implantation d’une activité résiliente dans le quartier. L’architecte se met en relation avec des groupes de citoyens ou des associations qui se sentiraient concernés par le développement de la résilience urbaine et développe avec eux un projet à plus ou moins grande échelle répondant aux besoins du territoire. L’implication citoyenne dans un cercle plus large (de non-initiés, ou de citoyens non-affiliés à une association) peut être améliorée par l’organisation d’évènements festifs et artistiques autour du projet, le but étant de réunir un maximum de personnes soutenant l’initiative. Une fois le projet fixé, l’aménagement de l’espace peut à nouveau faire appel à la participation citoyenne. L’architecte décroissant peut mettre en réseau les associations du quartier avec d’autres associations ou des citoyens d’autres territoires pour les aider à faire fonctionner le projet.

On voit à travers ce processus générique, le caractère radicalement différent des missions de l’architecte décroissant dans ce type de projet. Il peut être l’initiateur du projet, l’informateur des risques systémiques, le conseiller pour comprendre les enjeux de l’aménagement du territoire et de la politique de la ville, la personne qui va synthétiser les attentes et aider à rendre le projet opérationnel, l’opérateur qui va mettre en relation les acteurs pour augmenter les chances de réussite du projet. La pratique de la participation citoyenne, dans le cadre d’un projet d’architecture, s’accompagne parfois d’une «permanence architecturale». L’architecte conçoit le projet «in situ» pour être constamment à proximité des habitants et des futurs usagers du projet. Cette présence permanente peut également aider à comprendre les mœurs et les pratiques de la ville autour du projet. En somme, c’est une transformation totale de la profession d’architecte. Pourtant ses compétences restent les mêmes : conseil à la maîtrise d’ouvrage, synthèse des contraintes, regard critique sur l’aménagement du territoire… L’Architecture décroissante est une sorte de prolongation des compétences de l’architecte.

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transition décroissante par l’Architecture Un jardin partagé en pied d’immeuble à Grande Synth, une «ville en transition»

transition décroissante par l’Architecture

Quelles participations ?

Antoine de Saint-Exupéry, «Citadelle », Gallimard, 2000

La participation peut avoir lieu à toute les phases d’un projet. Dans l’élaboration d’un programme, les citoyens sont les plus à même de connaître leurs besoins et les mœurs culturelles de leur quartier capables de fédérer un maximum d’habitants. A la conception, les citoyens peuvent être particulièrement utiles avec leur retour d’expérience sur le fonctionnement du territoire. Les compétences cachées des citoyens sont parfois à découvrir pour faciliter le fonctionnement de l’édifice et de ses activités dès la phase de conception. La phase de conception va surtout être l’occasion de recueillir les envies des habitants et de fédérer un groupe d’acteurs en montrant que les avis sont pris en compte. Les citoyens peuvent être mis à contribution pendant la phase de construction en participant tout simplement au chantier mais aussi comme «glaneurs» de matériaux de récupération. A l’usage, tout doit être fait pour faciliter l’autogestion du groupe en leurs fournissant les outils pratiques, matériels et éventuellement théoriques (via le réseautage).

Bénéfices et limites à la participation citoyenne

La concrétisation d’un projet et son maintien dans la durée est un véritable outil d’ «empowerment» ; il cristallise la preuve qu’un groupe de citoyens est en capacité de se gouverner et de se penser culturellement et politiquement. Le projet est également le moyen de se former à la véritable démocratie, ce qu’on appelle par euphémisme «démocratie directe». C’est également une réponse à la défiance des élites politiques : les citoyens prouvent et se prouvent à eux-mêmes qu’ils sont en capacité de faire aussi bien voire mieux que ce qu’une élite sociale peut décider pour eux. D’un point de vue purement architectural, c’est également l’occasion de faire la promotion de

l’Architecture et de son rôle social dans la création d’une culture collective et politique. Enfin, la participation dans des projets d’architecture décroissante est une promotion parfaite des valeurs de la Décroissance.

Mais la société ne favorise pas la participation citoyenne. La culture politique commune qui nous est proposée se résume à mettre parfois un bulletin de vote dans une urne et de laisser les professionnels se charger des affaires de la cité. Ce constat a rendu la plupart de nos concitoyens amers et cette colère se ressent dans le taux d’abstention élections après élections. Une repolitisation des citoyens est donc nécessaire pour faire vivre une démocratie. Cela passe également par une éducation populaire à la politique et ses enjeux. Le temps disponible à faire de la politique ou à s’informer manque également cruellement à la plupart des citoyens. Après plusieurs heures de travail, il est normal que l’envie de débattre sur la gouvernance de la cité en décourage plus d’un. Le travail d’autonomisation des territoires est une réponse à apporter pour résoudre ce problème de temps accordé à la vie collective. Enfin, d’un point de vue purement pragmatique et réglementaire, la construction d’un édifice par des non-professionnels du bâtiment peut poser des problèmes d’un point de vue juridique et assuranciel. La responsabilité de l’architecte est en jeu, ce qui est un véritable frein à la réalisation de tels projets.

Spatialisation de la Décroissance

L’hypothèse du mémoire est que la Décroissance peut être atteinte dans nos sociétés par l’implantation d’une Architecture mettant en œuvre ses valeurs dans des espaces urbains. La question de la spatialisation des projets décroissants est donc tout à fait légitime. Dans quel contexte sont-ils possibles ? A quelle échelle ?

Tiers-village

Jean Marc Huygen parle du Tiers-village en référence au Tiers-paysage de Gilles Clément. Il s’agit selon lui d’une «portion de territoire (des parties de la planète), à caractère indécidé, qui re-fonctionne de manière écologique, écosystémique, en l’absence de toute décision ou réglementation humaine extérieure». Toujours selon l’auteur, il est nécessaire de «laisser se développer naturellement des tiers-villages sur les terrains délaissés, sur les déchets et les chutes du découpage fonctionnel de l’espace, sans intervention extérieure». La question est alors de savoir si l’action d’un architecte décroissant dans le processus de conception du tiers-village fait partie de ce qu’on pourrait appeler «une intervention extérieure» ? A mon sens la réponse est «oui» à moins que l’architecte soit directement l’initiateur du projet, le «pionnier» du lieu. Il n’en reste pas moins que si les compétences de l’architecte sont demandées et nécessaires dans l’aménagement du lieu, il doit y participer car il s’agit là d’une occasion de développer une activité résiliente de la ville et d’emmagasiner du savoir sur ses pratiques.

Le processus de création d’un Tiers-village suit selon Jean Marc Huygen un procédé générique : un pionnier vient s’approprier l’espace délaissé ou obsolète («site, bâtiment, objet, matériaux ou individu») et développe à partir de cet existant un projet de vie personnel et autonome. Il ouvre ensuite cet espace aussi bien culturellement que physiquement aux voisins du lieu. Une

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Chantier participatif au Teich (33), des bénévoles viennent apprendre à construire une maison en paille compressée. photo : Adrien Pâris
« Quand tu veux construire un bateau, ne commence pas par rassembler du bois, couper des planches et distribuer du travail, mais réveille au sein des hommes le désir de la mer grande et belle »

communauté se crée partageant la culture du lieu puis vient la cohabitation de ses membres. Ceux-ci se retrouvent sur leur volonté de garder l’autonomie du projet. On retrouve en filigrane dans ce processus de fabrication les squats, les ZAD (Zones à défendre), les camps de fortune et les bidonvilles.

Faire feu de tout bois ?

Mais à mon sens l’Architecture décroissante ne doit pas se contenter des seuls espace délaissés dans la fabrication des tiers-villages. Bien entendu, elle doit s’appuyer sur ces espaces «subversifs» et incroyablement riches en savoir-faire et pratiques résilientes de la ville mais elle doit aussi se développer dans des cadres plus institutionnels, si cela est possible, si elle veut avoir une chance d’aboutir à un véritable changement de société et donc se préparer correctement aux problématiques du XXIème siècle.

L’architecture décroissante doit pouvoir se développer dans des projets privés notamment chez des particuliers. L’autonomisation d’un logement est par exemple un excellent moyen de contrecarrer un modèle économique capitaliste destructeur. La construction d’un espace collectif, privé ou public, selon les valeurs de la décroissance architecturale (autonomie, résilience, réemploi, Low-Tech, sobriété, écologie et participation) permet la diffusion du récit décroissant ce qui a un impact considérable sur la culture collective. A une plus grande échelle, l’implication d’une commune pour rendre son territoire résilient est une occasion unique d’avoir un impact considérable sur une société. A mon sens, jusqu’à l’échelle de la commune, toute occasion est bonne pour développer une Architecture de la Décroissance. En revanche, je suis intimement persuadé qu’une institutionnalisation à plus grande échelle des pratiques architecturales décroissantes pourrait dévoyer l’objectif de résilience du territoire urbain.

Conclusion : Changement sociétal par capillarité

L’hypothèse du mémoire est donc une systématisation du processus de diffusion de l’Architecture de la Décroissance jusqu’à atteindre un seul critique qui renversera la culture globale de la société. Par l’implantation à de multiples endroits de projets autonomes et décroissants puis par ouverture et capillarité, on fait se répandre l’idéal décroissant, changeant ainsi la façon d’habiter le territoire et donc le mode de vie. Il s’agit d’un pari risqué et potentiellement long à mettre en place. Mais les signaux faibles qu’on peut d’ores et déjà percevoir tendent à prouver qu’une partie croissante de la population est prête à faire ce pas vers plus de sobriété et de bon sens. Le soutien citoyen d’une telle architecture est hautement probable d’ici à quelques années, lorsque l’urgence de l’action se fera ressentir. Les exemples d’architecture décroissantes existent déjà sur le territoire français. Qu’en est-il de leur réussite concrète, culturelle et sociétale ?

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transition décroissante par l’Architecture

etudes de cAs

Nous avons sélectionné quatre projets mettant chacun l’accent sur un aspect de l’Architecture Décroissante. La Cité de Chantier du Collectif Etc développe la notion de réemploi à travers la conception/construction d’un lieu de création pour penser un tiers-lieu. R-Urban de l’Atelier d’Architecture Autogérée expérimente trois programmes pour rendre un quartier de Colombelle autonome. Gaël et Laurence auto-construisent leur micro-maison pour leur permettre de réaliser leur rêve de sobriété. Ensemble à Boulogne-sur-Mer est un projet de l’atelier Construire qui met en jeu la participation des habitants pour leurs rénovations de logements. Pour chacun de ces projets, nous étudierons cinq critères en particulier : la pratique et la vision de l’agence d’architecture ou de la Maîtrise d’œuvre, le contexte dans lequel s’inscrit le projet, son programme, sa construction et enfin son usage. Ces études de cas vont nous permettre de déterminer s’il existe des points communs entre toutes ces architectures en vue de dégager des caractéristiques générales à la conception d’une Architecture de la Décroissance.

lA cIté de chAntIer collectIf etc

Le collectif

Le collectif etc est une association «loi 1901» spécialisée dans la mise en œuvre de supports physiques et culturels pour générer la participation des habitants et des futurs usagers de projets architecturaux et urbains. Par le biais d’événements artistiques, pédagogiques ou encore festifs, souvent sur les sites de projet, les neuf architectes permanents et la vingtaine de collaborateurs réguliers qui composent ce collectif incitent les habitants et les acteurs de la construction à s’interroger sur l’espace urbain et la manière de vivre en société. Contre «la manière de faire la ville aujourd’hui en France» qui «suit essentiellement une logique verticale et hiérarchique faisant intervenir les différents acteurs de l’aménagement urbain dans des temps et des espaces déterminés et figés» ils souhaitent s’immiscer «dans cette structure verticale de la manière de faire la ville en mettant en place un réseau souple d’interactions artistiques et sociales, de rencontres et de débats».

Le collectif passe très souvent par la construction par les membres mêmes du collectifs et quelques intervenants extérieurs (notamment parfois par des citoyens et des passants dans la rue) de petits projets architecturaux, de mobiliers urbains ou d’installations artistiques éphémères pour susciter la curiosité et provoquer une émulation de participation autour d’un projet. L’idée est de faire en sorte que les habitants et les usagers des espaces se sentent concernés et qu’ils aient leur mot à dire sur la façon dont le projet va être conçu et construit.

L’installation éphémère oriente le questionnement sur l’usage du futur projet. Ainsi dans le projet Place au changement!, le collectif etc a reconstitué sur la place dit «du géant» à l’angle de la rue Cugnot et de la rue Ferdinand à St Etienne, les plans à l’échelle 1:1 au sol des futurs logements et la coupe sur la façade aveugle au Nord du site. Cette installation a été l’occasion d’organiser des cours de jardinage, de workshop de construction de mobilier urbain, des événements artistiques (concerts de musiques, performances artistiques) pour dynamiser la vie de quartier.

Outre la participation dans les processus de conception, les objectifs du collectif sont aussi politiques ; le souhait est de démontrer que la démocratie horizontale est possible et que l’autogestion est parfaitement envisageable voire enviable. Autre conviction de ses membres, le processus est plus important que le résultat final. C’est l’expérimentation par le faire et la création d’une vision commune qui crée l’espace urbain. L’échange de savoir et de connaissances sur les lieux du site de projet permet de générer et de développer un sentiment d’appartenance à un territoire et de culture commune qui grandit lorsqu’elle est partagée par plusieurs citoyens en même temps.

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La place «du géant», et le projet «Place au changement», Photo : Collectif ETC

Contexte programme et présentation rapide

Le projet de la cité de chantier débute en 2016 à Colombelles, une commune limitrophe de Caen (14). Il s’agit de la construction d’une «baraque de chantier augmentée» pour le projet de réhabilitation de la Grande halle de Colombelles. Il s’agit d’un des derniers vestiges de la Société Métallurgique de Normandie. Pendant près d’un siècle, elle a été la plus grosse industrie de Normandie employant jusqu’à 6000 personnes à son apogée en 1973. Cette société, dans la plus pure tradition paternaliste du début du XXème siècle avait mis en place des équipements pour les ouvriers tels que des écoles, des centres culturels et sportifs. Depuis la mondialisation a eu raison de ce joyau de l’industrie lourde française. Le site a fermé définitivement ses portes en 1993 et les machines qu’il contenait ont été vendues à des investisseurs chinois et transportées hors les murs. La Grande halle a donc été vidée et abandonnée et elle s’impose comme un témoignage du déclin industriel de la ville de Caen. Le site est alors squatté par des artistes et un camp de gitans s’est installé dans les 160 hectares du terrain de l’ancien usine. Normandie Aménagement entreprend de réhabiliter le site pour en faire un tiers-lieu centré sur l’économie circulaire. L’objectif est de construire des espaces pour des nouvelles formes de travail (co-working, makerspace, hackerspace…) pour redynamiser économiquement le territoire. L’association WiP intervient pour préparer et organiser l’installation et le fonctionnement des futurs usages du projet. Le programme prévoit des espaces pour des entreprises et des start-ups, des ateliers d’artistes, des services aux habitants, des espaces de loisirs, des locaux pour accueillir des évènements grand public. Le tout est mis en œuvre avec des valeurs écoresponsables et un fort caractère social.

La conception et la maitrise d’œuvre du projet est attribuée à l’agence d’architecture construire et au Collectif Encore heureux. Selon les préceptes de l’agence de Patrick Bouchain, la cabane de chantier est l’occasion de construire avec les ouvriers des entreprises «un abri pour la démocratie avec des matériaux destinés aux rebus. Cette entreprise de construction atypique permet la création d’un collectif de travail fondé sur un objectif commun élaboré horizontalement. Les rôles traditionnels entre maître d’ouvrage, maître d’œuvre et entreprises (les usagers ne sont généralement pas mis autour de la table) tombent et une nouvelle dynamique se crée. C’est pour la réalisation de cette «cabane de chantier» que le collectif etc a été mis a contribution.

L’équipe avait un mois pour concevoir et construire cette installation temporaire. Celle-ci devait représenter les valeurs mises en avant dans le futur projet de la Grande halle : économie

circulaire, éco-responsabilité, créativité, nouvelles formes de travail, nouvelles façons de vivre en société. Une fois la cabane construite elle accueillera la permanence architecturale et le WiP pour co-concevoir «horizontalement» le projet. Ainsi des architectes, des artistes, des graphistes, des designers, des ouvriers, des futurs usagers et bien d’autres acteurs de la société civile se réuniront dans ces locaux éphémères pour élaborer un tiers-lieu qui redynamisera le quartier. Selon les préceptes du collectif etc, c’est le processus de conception et l’engouement que cela suscitera qui créera la dynamique plus que le résultat final. Il s’agit bel et bien d’un outil de médiation et d’expérimentation comme le collectif sait les faire.

Programme

Il convient à ce stade de définir ce qu’est un tiers-lieu. Le terme vient de l’anglais «third-place» utilisé par Ray Oldenburg dans ses livres «Celebrating The Third Place» et «The Great Good Place». Il désigne des espaces autres que ceux du logement et du travail. Ils impliquent d’autres façons de vivre en société et favorisent la socabilisation et la politisation par l’échange et le débat. Selon Antoine Burett , il s’agit d’ «une configuration sociale où la rencontre entre des entités individuées engage intentionnellement à la conception de représentations communes». Ils permettent la création d’une culture commune qui induit le sentiment de faire société ou faire communauté. Selon Oldenburg, ces espaces sont en déclin numérique depuis la démocratisation de la voiture et la construction des «streetcar suburbs». Les individus, privés de tiers-lieu, perdent petit à petit cette conscience de communauté (ou de classe) et se construise alors sociologiquement dans un esprit plus individualiste. L’acception des tiers-lieu d’Oldenburg semble inclure les espaces de loisirs (parcs, terrains de sport, stades), de restauration (cafés, pubs, restaurants) ou encore les lieux culturels (théâtres, cinémas, salles de concerts).

Des acceptions plus précises rapprochent les tiers-lieux de l’ensemble des espaces permettant les nouvelles formes de vivre ensemble en dehors des carcans traditionnels : coworking, les FabLabs, les HackerSpaces, les Repair’Cafés, les jardins et habitats partagés ou les entreprises ouvertes… Le ressort principal est bien l’échange de connaissances et de savoirs par des acteurs différents les uns des autres pour créer une émulation pouvant être de plusieurs ordres (artistique, économique, productive, ou de nouveaux mode de vie). On retrouve les principes de la permaculture où l’ensemble des atouts/compétences de chaque entité individualisée donne un résultat supérieur à la simple somme des parties.

On note l’importance de l’ancrage au territoire. Le territoire est alors vu comme un espace physique dont le périmètre est défini par le partage d’une culture commune aux usagers et aux habitants. Le sentiment d’appartenance communautaire semble faciliter la création et le dynamisme des tiers-lieux et leur présence le renforce. Le tiers-lieu est donc tout à la fois un espace physique, un espace virtuel et un espace mental. On parle d’architecture «fluide» ou poreuse dans ces dimensions spatio-temporelles. L’architecture accueillant un tiers-lieu est donc un enjeu majeur pour l’architecte décroissant car il permet l’élaboration d’un récit, d’une culture qui sera partagée par de nombreuses personnes au-delà des murs du bâtiment.

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La cité de chantier, collectif etc
Le projet de la Grande halle par l’agence construire et le Collectif Encore Heureux pour Site de la Grande Halle de Colombelles avec la Cité de Chantier, Photo : Damien Douche

Normandie Aménagement consiste bien en la réhabilitation d’un édifice industriel en tiers-lieu. Mais la cité de chantier qui permet son élaboration est également un tiers-lieu dans son acception d’espace, d’émulation de connaissances et de création d’une culture commune. L’ensemble du projet est donc une méthode empirique de conception d’un espace construit par l’espace construit lui-même. Une première expérimentation à plus petite échelle, celle de la cabane de chantier permet de préfigurer la seconde expérimentation, la principale, dans le projet de la Grande halle

Construction

La cité de chantier est essentiellement composée de 7 containers et d’une voute en charpente métallique couverte de tôles. La majorité des matériaux est issue du réemploi. Les containers (4 vingt pieds et 3 quarante pieds) viennent du Havre et ont été achetés en «dernier voyage».

L’isolation du plancher est composée de bouchons en liège acheté à une association caritative : Les bouchons du cœur. Celle-ci entreprend de collecter les bouchons auprès des particuliers et des entreprises pour les revendre aux usines de traitement et permettre de faire des dons pour aider les handicapés. L’avantage du liège est qu’il est imputrescible. Il est donc un matériau parfait pour l’isolation de zones humides d’un bâtiment comme les pieds de murs ou les planchers bas.

Au total, environ 10m3 de bouchons ont été déversés dans des solives/caissons, elles-mêmes posées sur des dallettes en béton. Les bouchons ont été mélangés à de la sciure provenant d’une scierie proche pour compléter l’isolation. L’idée est de pouvoir redonner les bouchons à l’association à la déconstruction de la cabane de chantier afin de leur procurer un double bénéfice.

La charpente métallique en arc de cercle provient de la structure d’un chapiteau récupérée chez un ferrailleur, Breuil, qui s’emploie à récupérer les morceaux de métal les plus intéressants (au lieu de les broyer et de les fondre) pour les revendre au poids, une sorte de brocante de la filière métal. La sous-face de la couverture est une récupération de bac acier, d’isolation en laine de verre issue d’un surplus de chantier, d’un pare vapeur et de tôles fines conçues pour l’extérieur.

Les parties métalliques ont été achetées également chez le même ferrailleur «brocanteur».

Les façades «ouvrables» des containers sont remplies par des fenêtres achetées chez un célèbre brocanteur en ligne. Leur structure en bois est donc construite sur mesure et les espaces vides sont comblés par du polycarbonate 30mm permettant de minimiser les pertes énergétiques. Les portes des containers serviront de volets. Les grandes façades à l’est et à l’ouest sont en polycarbonate opalescent pour les étages et translucide pour le rez-de-chaussée montées sur une charpente en douglas (acheté neuf). Chacune des façades est également agrémentée d’une baie vitrée, double baie fixe, récupérée chez un menuisier. Une porte de secours métallique provenant du stade Malherbe de Caen (alors en rénovation) a même été (ré)utilisée.

Les gardes corps pour la mezzanine et les escaliers sont les chutes du chantier de la Médiathèque de Caen (réalisée par OMA). L’équipement électrique et des lavabos proviennent d’un chantier de démolition de hangar dans le quartier Koenig à Carpiquet. Le mobilier est également issu du réemploi. Il est réalisé par l’association Art Itinérant qui utilise du bois de palette raboté. 20 chaises et 20 bancs empilables permettent ainsi d’accueillir convenablement de grandes assemblées

tout comme un nombre restreint de personne. Dans l’ensemble du projet, seule la charpente en douglas, le doublage ont été acheté neufs. Une belle performance pour un projet qui n’aura duré qu’un mois du début de la conception à la livraison.

Conception

Le projet de la cité de chantier ne suit pas le processus habituel de conception architecturale. Certes un programme avec des surfaces bien définies a été fourni et le collectif savait déjà qu’il travaillerait avec des containers maritimes. Mais la particularité de ce projet est qu’il s’est conçu empiriquement quasiment lors de la construction. Ce sont véritablement les matériaux récupérés qui ont dicté la forme globale du bâtiment. La chance est venue du fait que les éléments principaux de la structure (containers et charpente métallique) ont rapidement été intégrés dans la conception. A l’inverse du processus de conception traditionnelle de l’architecture, où l’architecte dessine le bâtiment (avec un minimum de connaissances sur ce qu’il est possible de faire avec les matériaux sur le marché) et les matériaux s’adaptent au design architectural, le collectif a dû recenser, dénicher et mettre en œuvre des matériaux de réemploi et adapter l’édifice à ces matériaux. Le dessin de la cité de chantier a donc considérablement évolué entre le début et la fin des travaux mais les valeurs et les principes qu’elle transmet sont restés inchangés : réemploi, horizontalité démocratique, partage du savoir-faire et transdisciplinarité.

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La cité de chantier, collectif etc
Construction de la Cité de Chantier, photo Collectif Etc

Usage

La cité de chantier accueillera donc la permanence architecturale du projet de la Grande halle de Colombelles ainsi que le WiP. Cette association a pour but de mettre en œuvre la redynamisation du territoire selon des valeurs éco-responsables par le biais de la réhabilitation de la Grande halle

La cité de chantier fait donc office de lieu de réflexion. Des architectes de chez construire, des collaborateurs du Collectif Encore Heureux et de l’association WiP travailleront de concert pour élaborer/adapter le programme et étudier sa mise en œuvre concrète dans l’enceinte de la Grande halle avec les ressources matérielles, les compétences et les attentes des citoyens. Des graphistes, des artistes, des entreprises, des associations… seront invités pour participer à la conception du projet. L’idée est de mettre en commun de manière cohérente les compétences et les atouts de chacun des acteurs pour faire émerger un projet porteur et autogéré qui redynamise la zone après une désindustrialisation subie. Cette «cabane de chantier augmentée» est bien plus qu’un contenant pour un processus de conception atypique. Elle est en réalité le support physique d’une œuvre qui dépassera largement les limites du site. Il s’agit bien d’une démarche lo-bale ou glo-cale : intervention locale pour des conséquences globales. D’où la nécessité de transmettre les intentions de l’économie circulaire et des valeurs éco-responsables par l’architecture même du bâtiment, fut-ce-t-elle éphémère. Elle prend réellement un caractère artistique en élaborant un «récit» transmis par le choix des matériaux et le processus de conception. L’hypothèse est en définitive que le lieu de création influe sur la création elle-même.

Démarches décroissantes

On trouve dans ce projet de nombreux principes politiques de la Décroissance : la démocratie horizontale, le partage de savoir, l’économie circulaire, la permaculture, le réemploi, l’ancrage territorial local...

Le principal ressort architectural décroissant de ce projet tient dans sa volonté de maximiser le réemploi de matériaux (de construction ou non). Cette démarche implique tout un processus de conception qui diffère des procédés actuellement de mise dans le secteur de la construction. Elle renvoie aux 7ème et 8ème «R» de la Décroissance : réutiliser et recycler. Qu’en est-il des 6 autres ?

La valeur du bâtiment n’est en aucun reflété par des quelconques performances techniques ou des gains de productivité économique. On peut même aller jusqu’à dire que la réponse spatiale au programme chiffré (surfaces, usages et coût) n’est pas la qualité première du bâtiment. La valeur principale de l’édifice (revaloriser) est celle de la démonstration par l’architecture du processus de conception. Le choix et la mise en œuvre des matériaux reflète une pensée architecturale mais aussi politique sur la société de consommation et sur les «déchets» qu’elle produit. Ceuxci sont ici envisagés sous l’angle d’une ressource précieuse (reconceptualiser). Le collectif a recherché des «gisements» dans les chantiers de Normandie Aménagement et notamment dans les chantiers de démolition mais aussi par des réseaux internet ou des réseaux plus informels (particuliers, professionnels du bâtiment, brocanteurs). Le collectif minimise l’impact carbone en ne faisant produire qu’un minimum de matériaux neufs (il est par ailleurs renouvelable dans le cas du douglas) et en se limitant à des «gisements» proches du site de conception/ chantier (relocaliser). La structuration de l’équipe de conception se confond avec l’équipe de réalisation. C’est une refonte totale des rôles dans le secteur de la construction (restructurer). La réelle performance de ce projet est la capacité de ces concepteurs/constructeurs a réaliser un édifice habitable et cohérent en s’adaptant constamment aux «gisements» trouvés. Le temps très court ne fait que renforcer cette performance mais c’est bien l’adaptation aux aléas (au hasard) qui fait la saveur de ce projet et celle-ci est perceptible dans l’architecture (revaloriser, reconceptualiser). L’architecture contemporaine a plutôt tendance à vouloir masquer l’aléa, la rupture, le doute, le conflit, l’hétérogénéité… au fond ce qui constitue la vie. Elle cherche plus la fluidité, la simplicité des formes, l’uniformisation, l’apparence du consensus… C’est une vision toute autre que transmet le collectif etc par cette architecture, certes, éphémère mais ô combien durable pour les valeurs qu’elle transmet à la société.

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La cité de chantier, collectif etc
Différentes «phases» de conception en fonction des ressources issues du réemploi, source : collectifetc.com

r-urbAn

AtelIer d’ArchItecure Autogérée

L’Atelier d’Architecture Autogérée

L’Atelier d’Architecture Autogérée est fondé en 2001 par quatre architectes et une sociologue. Depuis, l’agence compte bien d’autres collaborateurs et a réussi à se construire une solide réputation à l’international de par leur démarche architecturale tout à fait innovante et «alternative». Il s’agit d’une association a but non-lucratif qui cherche à ancrer la pratique de l’architecture empiriquement et de façon participative avec tous les citoyens. Ses compétences se situent principalement dans les espaces collectifs autogérés et les usages temporaires, le recyclage urbain et l’auto-construction. Sa valeur cardinale est de donner «le droit à la ville pour tous». L’AAA affirme faire de la recherche de manière indépendante.

Le mode opératoire est de s’immiscer dans les interstices urbains (terrain vague, dents creuses…) et de mettre en place, avec l’aide d’associations d’habitants, un programme temporaire ou définitif qui tente de répondre aux enjeux du XXIème siècle (les mêmes que précédemment énoncés dans l’introduction de ce mémoire). Face à ces perspectives, leur mot d’ordre est «Résilience» urbaine et toute la pratique d’AAA tourne autour de cet objectif. Les membres de l’association impliquent donc les citoyens dans la conception, la construction et le fonctionnement d’un projet et s’appuie sur un large réseau international pluridisciplinaire pour répondre le mieux possible aux besoins et aux attentes des habitants tout en limitant au maximum l’impact négatif que peut avoir l’activité humaine sur la planète. L’atelier est également adepte de la conception In Situ ce qui s’entend parfaitement avec la volonté de participation citoyenne.

Le suivi «architectural» des projets dure en moyenne quatre ans mais va bien au-delà de la simple maîtrise d’œuvre traditionnelle. Les membres de l’atelier utilisent leurs expériences pour mettre en place des outils favorisant la participation, conseillent sur la manière de faire vivre une activité associative, mettent en réseau les associations, les chercheurs et les entreprises pour favoriser l’émergence d’un écosystème urbain résilient et décroissant. L’atelier fait véritablement office de chef d’orchestre et souhaite profiter de cette position centrale pour s’ouvrir et se former à d’autres disciplines par la même occasion afin d’améliorer sa pratique résiliente de l’Architecture. Cette pratique tire vers la politique et les membres du groupe assument complétement sur leur site cet engagement. Pour eux, l’autogestion, l’écologie, l’éducation populaire, le partage de savoirs sont les solutions pour sortir par le haut de l’impasse dans laquelle la société se trouve. Toutes ses valeurs se retrouvent dans leurs projets dont le plus abouti est probablement r-urban

R-Urban

r-urban semble être le pendant politique de l’Atelier d’Architecture Autogérée. Il s’agit d’un organisme, (d’une «initiative» selon le site internet) visant à mettre en place la résilience urbaine par des soutiens à des associations de quartier (et parfois même la création d’associations) engagées dans cette même optique. La résilience urbaine passe par l’autogestion, l’autoproduction et l’autoconstruction. Pour cela, il est nécessaire de réaliser un échange des savoirs et c’est en cela que r-urban est une aide précieuse pour ces associations. Il les fait bénéficier de son important réseau international et de son savoir-faire pour mettre en relation des acteurs novices

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ou profanes dans une pratique de résilience urbaine (agriculture urbaine, réparation, réemploi, bricolage…) avec d’autres acteurs plus expérimentés ou même des chercheurs et des entreprises.

Sous l’appellation r-urban se trouve l’organisme et son réseau mais il va de pair avec une stratégie urbaine globale. Le R fait référence aux verbes «Réduire, Réutiliser, Recycler et à leurs itérations : Réparer, Re-designer, Repenser, Réassembler». Difficile ici de ne pas voir la proximité idéologique avec la Décroissance et ses huit «r». Mais ce r désigne également la volonté d’apporter la ruralité dans l’espace urbain, particulièrement la production agricole située traditionnellement dans nos sociétés dans les campagnes. Enfin et surtout, le r réfère au mot «Résilience». Ce mot valise englobe à lui seul les deux significations précédentes. Elles sont les moyens pour atteindre cette résilience souhaitée et les membres de r-urban ambitionnent de la développer à l’échelle urbaine.

L’expérience la plus aboutie de cette stratégie globale en faveur de la résilience a pris place dans la commune de Colombes dans les Hauts-de-Seine (92) en île-de-France. Cette ville de 84 000 habitants subit le sort de beaucoup d’autres villes moyennes du pourtour parisien ; elle est de moins en moins attractive et le chômage y atteint des niveaux très élevés (17% en l’occurrence).

Elle souffre d’un manque d’équipements publics et un d’un fort taux de délinquance. Le tissu urbain est surtout partagé entre des petits pavillons et des logements sociaux. C’est dans ce contexte que r-urban souhaite mettre en œuvre sa démarche avec l’appui de la Communauté Européenne (programme Life+) et plusieurs des 450 associations qui existent dans la ville.

Cette stratégie globale pilote repose sur six axes structurants : l’écologie du quotidien, l’habitat collectif, l’économie locale, la production culturelle, les énergies alternatives et l’agriculture biologique. Ces axes structurants vont être développés à travers trois sites de projets (appelés «Hubs») localisés dans des dents creuses de la ville. Le premier hub, Agrocité, vise à développer la résilience alimentaire d’un des quartiers de Colombes. Un second, recycLab, cherche à promouvoir une économie basée sur la récupération, le réemploi et les Low-Techs. Enfin, ecohab, souhaite expérimenter des nouveaux modes d’habitats et de vie écologique. Malheureusement, ce dernier ne vit jamais le jour. Les deux autres hubs sont rendus visibles par une architecture de bois, par l’utilisation de containers maritimes et d’éléments de construction réutilisés (menuiserie, planches de séchage, etc). Il fallait également que ces architectures soient facilement démontables car les terrains sont occupés de façon temporaire.

AgroCité

Agrocité est une «unité d’expérimentation d’agriculture urbaine et citoyenne». Le projet prend place sur une friche urbaine de 1000m² suite à la démolition d’un immeuble dans le quartier de Fossée-Jean. AAA et r-urban ont souhaité débuté l’expérimentation de résilience urbaine par ce projet car il mettait en place l’activité la plus ouverte et la plus inclusive : le jardinage urbain. Cette activité a été appuyée par une série de conférences et de workshops (Eco-communs), ayant pour but la sensibilisation et l’acquis de savoirs nécessaires aux pratiques résilientes. L’AgroLab fut la première pierre à l’édifice. Ce «composant intégré à l’Agrocité» accueille une serre, un marché, un atelier, ainsi qu’un café pensé comme un espace culturel et pédagogique. La construction du bâtiment s’est faite en même temps que ces activités avaient lieu. Un certain nombre de prototypes ont étés construits lors des workshops collectifs. Ils ont été inclus dans le projet au fur et à mesure de la construction du bâtiment. On trouve notamment :

- Un chauffage au compost (le liquide conducteur passe à travers des tuyaux plongés dans un compost, la température pouvant y atteindre les 90°C)

- Une ferme à lombrics et les toilettes compost (toilettes sèches et excréments valorisés en compost par les vers de terre)

- Un système de plantation hydroponique (système d’irrigation en goutte à goutte avec des tuyaux de récupération percés permettant d’apporter constamment de l’eau à la plante sans l’humidifier et ainsi limiter les pathologies notamment fongiques)

- Un système de phyto-épuration (épuration de l’eau par les plantes

Le partage de compétences et de savoir-faire sur l’agriculture a pour but d’augmenter à terme le potentiel du groupe de citoyens actifs afin qu’ils deviennent eux-mêmes les porteurs de l’Agrocité (autogestion). Le site comprend :- Une ferme expérimentale d’agriculture urbaine, Animal-Lab

- Un jardin partagé pour les habitants du quartier (50 parcelles)

- Un jardin pédagogique

- Une serre partagée pour des plantes et des semis cultivés

- Des équipements pour la collecte de l’eau pluviale

- Une zone de phytoépuration,

- Une espace de production d’énergie solaire et biogaz

- Une zone de cultures aquaponiques

- Une zone dédiée aux circuits courts agricoles

Les constructions inclueront des prototypes «bio-agro-intensifs» et une série d’équipements autour de savoir-faire agricoles et sociaux :

- Une bibliothèque de graines

- Un marché de légumes et des produits agricoles locaux

- Un café associatif

- Un four à pain collectif

Toutes ces activités et les 900m² de production de légumes bio ont permis de développer des micro-économies comme une école pour le compost, un système d’agriculture collective, un poulailler et des ruches, des ateliers d’apprentissage etc. A la clé ce sont dix emplois qui ont été

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r-urban, Atelier d’architecture autogérée Ecosystème R-Urban et ses trois Hubs, source : r-urban.net

créés dont trois permanents et quatre cents colombiens qui ont participé au projet. L’aventure Agrocité à Colombes a malheureusement été écourtée après que la mairie a repris le terrain en 2017 (il s’agissait d’une concession temporaire des espaces). Malgré un procès intenté contre la mairie de Colombes, le bâtiment a dû être déconstruit puis reconstruit à Gennevilliers (92). Il a été accompagné d’équipements semblables au projet colombien et poursuit ainsi depuis 2018 l’expérimentation de l’agriculture urbaine, citoyenne et autogérée.

RecycLab

Le recycLab est une unité de production citoyenne et professionnelle à partir de matériaux de réemploi. Elle intègre, dans un même lieu, un atelier professionnel et un atelier participatif, des espaces pour le stockage des matériaux récupérés ainsi que des résidences et un espace de coworking à l’étage. L’édifice a été pensé pour pouvoir être déconstruit en 48h (les terrains d’implantation des trois Hubs étant octroyés par la mairie à titre temporaire). Il est construit à partir de dix containers maritimes au RDC surmontés par trois édicules en structure et bardage bois reliés entre eux par une passerelle en bois. Tout comme l’Agrocité, les matériaux de construction sont issus du réemploi.

A nouveau, l’idée est de faire émerger une dynamique citoyenne durable autour de la thématique du réemploi par l’agrégation de plusieurs activités s’auto-alimentant les unes-les autres. L’entraide et le partage de savoirs sur le réemploi et les pratiques constructives ont pour but encore une fois d’améliorer la résilience de la société. Le réemploi est en soi une pratique résiliente : c’est une réponse directe et crédible à la raréfaction des ressources en énergie et en matière première. Des marchés sont organisés pour vendre les produits réalisés dans les ateliers du recycLab. Des conférences sont tenues pour informer ou initier les colombiens engagés aux techniques et au bienfondé du réemploi et à la gestion des déchets. Un Repair Café prend même place dans les locaux pour faire se rencontrer des initiés à l’écodesign et au bricolage et des profanes ou

des novices en la matière. La structure revendique la présence régulière de vingt professionnels et l’action de trois cents colombiens dans le projet. Cent dix tonnes/an de déchets sont recyclés et réutilisés.

Le recycLab propose aux bricoleurs citoyens de bénéficier d’outil professionnel moyennant une rétribution horaire permettant de faire vivre le lieu. Les professionnels peuvent également avoir accès au lieu sur des durées plus longues également contre rétributions. Les auto-entrepreneurs ou les personnes souhaitant un lieu de travail peuvent avoir accès à l’espace de co-working à l’étage.

Le recycLab ambitionne de :

- Recycler des objets et des déchets à l’échelle locale, en leur inventant de nouveaux usages et en les utilisant comme matière première pour des chantiers d’éco-construction

- Réaliser des aménagements écologiques par des techniques d’éco-construction (matériaux recyclés localement, énergies renouvelables, etc.) afin de développer des activités d’économie sociale et solidaire à Colombes.

- Favoriser l’éco-design, l’éco-construction, le réemploi et le recyclage de déchets locaux (menuiserie, vélos, électroménager...), et offrir la possibilité de concevoir, réaliser et tester soimême toutes sortes de prototypes.

- Initier de nouvelles pratiques urbaines, à partir d’actions pédagogiques, afin de propager des pratiques éco-responsables telles que la réduction des déchets ménagers, la réparation et la réutilisation.

- Réduire la consommation d’énergie pour les opérations de construction sur l’ensemble du projet r-urban

On comprend ainsi la logique derrière l’ensemble du projet. Le recycLab est le lieu où les prototypes et les expérimentations constructives à base de réemploi de matériaux (bruts ou non) seront mis au point pour améliorer la résilience des deux autres hubs mais également la résilience globale du quartier à moindre frais. C’est le pari que la créativité, démultipliée par l’échange des savoirs et des moyens de productions, peut remplacer des moyens financiers et matériels énormes des pôles «recherche et développement» des grandes entreprises. Plus qu’un lieu d’expérimentation sur la résilience, c’est un lieu d’autonomisation (au sens d’ «enpowerment») des citoyens.

Tout comme l’Agrocité, le projet a été contraint de déménager après la fin de la durée d’installation autorisée par la mairie. Il a donc été déconstruit et reconstruit à Gennevillier.

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r-urban, Atelier d’architecture autogérée Le bâtiment principal de l’AgroCité depuis les jardins partagés, photo : Atelier d’Architecture Autogérée Le RecycLab , source : r-urban.net

EcoHab

ecohab était un projet d’habitat collectif comportant sept logements. L’immeuble mélangeait du logement social, de l’accession à la propriété et des résidences d’artistes, étudiants et chercheurs. L’édifice avait été conçu pour être le plus autonome possible. Les toits terrasses étaient végétalisés pour accueillir des potagers, le jardin était également une surface de production alimentaire, l’eau de pluie était récoltée et stockée pour l’arrosage et les toilettes et des panneaux solaires avait été prévus sur le toit. Un système de récupération des déchets de compost aurait dû être mis en place pour les valoriser en intrant pour les potagers. Cet habitat d’un nouveau genre était résolument pensé pour être expérimental, à mi-chemin entre habitat collectif et coopérative d’habitat. le partipris de cette unité résidentielle était de:

- Expérimenter des modes d’habitat et de vie écologiques (partage de services et des espaces, recyclage d’eau, potagers intensifs, énergies renouvelables, etc.).

- Gérer de manière raisonnée les ressources naturelles, en instituant un modèle applicable à d’autres habitations, afin de réduire les consommations domestiques.

- Constituer une archive de savoirs et de savoir-faire d’écologie urbaine et créer, à moyen terme, un lieu de partage des pratiques résilientes Le chantier devait être l’occasion d’allier autoconstruction et «chantier école». Le principe est toujours le même : augmenter la résilience des citoyens en leur apprenant à construire de façon écologique et décroissante par le biais de l’échange de connaissances et d’expériences.

Le chantier aurait dû débuter en 2013 avec les habitants des logements. Malheureusement, les terrains qui étaient initialement rendu disponibles pour les expérimentations de r-urban ont été récupérés par la mairie.

Une illustration de «l’autonomie liée»

ecohab était le dernier des trois Hubs permettant au projet de vraiment aboutir. En effet, chacun des Hubs s’autoalimente l’un l’autre et renforce la résilience dans le quartier. L’Agrocité permettait la production et la vente de produits locaux aux habitants du quartier et aux activités dont le recycLab faisaient parties. Ce dernier devait permettre de réaliser des prototypes pour améliorer l’efficacité écologique des édifices du quartier (dont l’Agrocité et l’ecohab) et de ces habitants. Enfin l’ecohab devait compiler les savoirs des initiatives écologiques et résilientes du quartier dont celles de l’Agrocité et du recycLab. Malgré tout, l’absence du troisième Hub ne pèse pas sur le fonctionnement des deux autres. Cela prouve bien que ceux-ci sont autonomes. Les activités de chacun des trois Hubs augmentaient le savoir-faire, la culture empirique et l’intelligence collective des citoyens. D’autant que d’autres expériences, notamment en Angleterre, également sous l’égide du réseau r-urban s’ajoutait à celle de Colombes. Par la multiplication des points de vue et des échanges entre des citoyens porteurs d’enseignements dans des domaines très différents, tous les citoyens plus ou moins impliqués dans ces projets pouvaient augmenter significativement leurs connaissances et ainsi leur résilience. L’absence d’ecohab n’a fait que ralentir l’émergence d’encore plus de savoirs collectifs mais ceux-ci ont malgré tout potentiellement augmentés dans la collectivité.

Démarches décroissantes

On le voit, les Hubs fonctionnent avec leur ressources propres, mais aussi entre eux et enfin à une échelle plus large, en dehors de ces systèmes autonomes. Les hubs pris un par un, bénéficient d’une très grande résilience quant à leur fonctionnement matériel. Chacun est équipé d’un système produisant de l’énergie, de la nourriture, et récupère l’eau de pluie. Les activités qu’ils abritent se portent entre elles et permettent d’élever le niveau de résilience au sein de chaque domaine (agriculture urbaine, savoir-faire du réemploi et habitat). Une fois ces différents savoirs dans des domaines hétérogènes réunis et collectivisés, la créativité pour plus de résilience urbaine, induite par la possibilité d’avoir un nouveau point de vue et par le nombre d’acteurs potentiels ayant accès à ces connaissances, pouvait s’opérer. Cela correspond à la nécessité d’autonomie intra- ET inter-scalaires évoquée dans le paragraphe précédent. Ce principe permet de faire en sorte qu’un système continue de fonctionner même en cas de rupture d’un autre système avec lequel il travaille. Le projet r-urban est un exemple parfait pour montrer qu’une architecture, construite en faisant en sorte d’impliquer les citoyens à son fonctionnement, peut être le déclencheur d’une résilience urbaine. Ces architectures et les activités qu’elles abritent sont toutes à la fois autonomes et étroitement liées entre elles.

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r-urban, Atelier d’architecture autogérée Principes de l’EcoHab , source r-urban.net

mIcro-mAIson

en AutoconstructIon

Acteurs du projet

Laurence et Gaël ont vécu en Guyane française pendant 1 an. De retour en France métropolitaine, ils souhaitaient retrouver la simplicité et la sobriété de la vie outre-Atlantique à Lyon. Leur budget était très limité mais ils ne se voyaient pas vivre en appartement. Ils tenaient tout particulièrement à avoir un jardin notamment. Ils ont donc décidé de construire une maison a très petit budget. Ils se sont inspirés pour cela des Tiny houses ont eu recrous à l’auto-construction pour limiter le budget. Dans cette même optique, le choix de s’installer sur le terrain de la mère de Laurenc a permis de réduire les dépenses. Cela allait également avec leur volonté de créer un foyer intergénérationnel. Pour réaliser ce projet, ils ont d’abord essayé de faire appel à des entreprises de construction mais les devis étaient beaucoup trop chers pour leur budget et ne correspondaient pas forcément à leurs attentes en matière d’écologie.

Ils ont alors fait appel à Hugo qui a été leur colocataire en Guyane pendant six mois. Après son diplôme d’architecture de l’école de Grenoble, Hugo a vécu pendant quatre ans dans toute l’Amérique latine et a voyagé d’un chantier à l’autre pour acquérir une certaine expérience de la construction. Il a été très marqué par l’intelligence constructive des constructeurs latinoaméricains et par leur capacité à travailler avec très peu de moyens. Il souhaite alors mettre en œuvre une Architecture basée sur les low-techs et la sobriété constructive. Déjà éduqué par ses parents à l’écologie, il est conscient des enjeux du XXIème siècle sur le réchauffement climatique et le pic pétrolier et n’envisage l’avenir que sous les principes de la Décroissance. Il est tout autant passionné par la conception architecturale écologique que par la construction. Il envisage d’être charpentier et de proposer des missions de conception à ses futurs clients pour allier ses deux passions. La maison de Gaël et Laurence est l’occasion pour lui de faire ses armes pour la première fois en tant que concepteur/constructeur dans un cadre sécurisant. En effet, Hugo a bénéficié de la confiance la plus totale du couple pour gérer ce chantier réalisé en autoconstruction. Ce projet est aussi une première réalisation de qualité à montrer pour ses futurs clients.

Contexte

Le projet prend place dans le jardin de la mère de Laurence qui offre le double avantage de ne pas avoir à payer un terrain et de correspondre à leur envie de fonder un foyer intergénérationnel. Ils ont envoyer une déclaration préalable pour surélever le volume du garage existant en fond de parcelle. Le PLU ne permettait pas d’augmenter la surface du garage horizontalement, seule une surélévation était permise. Le garage a été démoli et remplacé par une petite maison. Elle prend place dans un contexte pavillonnaire tout au nord de Vénissieux. La conception et la construction devait correspondre aux idéaux écologiques et de sobriété volontaire du couple. La maison fait donc la part belle à la récupération, aux low-techs, à la conception bioclimatique et à la minimisation des moyens et des matériaux de construction.

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Programme

L’inspiration de la maison vient des Tiny Houses. Il s’agit de maisons construites en bois et pouvant être déplacées très facilement en remorque ou démontées puis remontées rapidement. Le but de la conception étant de réduire le poids de la maison et donc sa surface afin d’être transportable. Elles se différencient des mobile Homes car elles sont généralement auto-construites et bénéficie d’une grande diversité de formes. Cela est dû au fait qu’elles s’adaptent très facilement aux envies des usagers. Beaucoup de Tiny Houses sont directement construites sur un châssis de remorque et se tractent directement en voiture. L’idée derrière ces habitats en pleine expansion dans le monde est de permettre un mode de vie beaucoup plus écologique et décroissant. La faible surface impose de faire le tri dans les objets à garder et de limiter sa consommation. C’est aussi un mode de vie qui implique une très grande promiscuité de ses habitants. Elles sont très peu énergivores du fait du très faible volume. Les Tiny Houses sont donc écologiques, nomades, sobres en énergie et en matières premières et favorisent un mode de vie plus proche de la nature et moins individualiste.

Mise à part l’aspect nomade, la maison de Gaël et Laurence correspond tout à fait aux principes des Tiny Houses. Le couple recherche exactement ce mode de vie plus sobre et écologique en construisant leur maison. Les 40m² de surface habitable comprennent une cuisine, une salle à manger, une salle de bain, un WC au rez-de-chaussée ainsi qu’une chambre et un salon/chambre d’ami à l’étage. La volonté de dépenser le moins d’argent possible en consommation d’énergie et en impôt permettra au couple de moins avoir à travailler pour avoir plus de temps pour réaliser leurs hobbies et des voyages. Le jardin revêt notamment une grande importance car le couple passe beaucoup de temps à l’extérieur à cultiver leur potager. La promiscuité induite par les Tiny Houses se retrouve également dans le choix de vivre à proximité de la mère de Laurence.

Le couple compt d’ailleurs profiter du savoir de cette dernière en ce qui concerne l’agriculture domestique.

Construction

La maison est construite en lieu et place de l’ancien garage. Elle reprend la même surface au sol mais le volume a été surélevé pour accueillir tout le programme. Elle est fondée sur des fondations filantes en béton. Un hérisson recouvre une cuve de récupération des eaux de pluie. Une dalle en pouzzolane mélangée à de la chaux prend place au-dessus du hérisson. Cette dalle a été réalisée par Timur Ersen, un disciple de Martin Rauch. Ce dernier est un constructeur autrichien spécialisé dans les matériaux en terre crue et est une référence internationale pour le pisé et la terre damée. Le savoir-faire de Timur Ersen se voit à la réalisation de cette dalle se situant dans le salon. Elle est très résistante, notamment au poinçonnement, et est très agréable au toucher. Elle a une épaisseur de 10cm. La dalle se construit par compactages successifs de plusieurs couches de terre pour atteindre cette dureté identique à celle du béton traditionnel. Timur Ersen a préféré utiliser de la terre issue d’une carrière avec laquelle il a l’habitude de travailler. Celle-ci est située dans la Drôme. Mais le savoir-faire du constructeur et la qualité du matériau utilisé ont un prix et celui-ci est élevé : 250€ du m².

La structure est une charpente en douglas acheté directement à une scierie proche du chantier à Thizy-les-bourgs. La charpente est surdimensionnée à l’heure actuelle car il était prévu à l’origine de construire une toiture végétalisée. Pour des raisons de budget, cela n’a pas été possible et elle a été remplacée par une toiture traditionnelle en tuile. La façade est en bois brulé. Le procédé est très simple, il s’agit simplement de passer les planches un court instant dans un feu ( même totalement artisanal dans le cas étudié ) afin qu’elles noircissent jusqu’à atteindre la couleur désirée. Ce procédé a plusieurs avantages : Tout d’abord elle donne un aspect brillant tout à fait intéressant au bois lorsqu’il est à la lumière. La brulure craquelle le bois ce qui lui donne également une texture atypique. Elle évite également le changement non souhaité de la teinte du bois, d’une belle couleur dorée au gris terne. Enfin elle évite les pathologies du bois, notamment les champignons, en asséchant le matériau.

Certaines fenêtres sont issues de récupération chez un menuisier proche et ont été repeintes pour accorder les teintes entre elles. Beaucoup de matériaux dont des plaques de plâtres, les billes isolantes pour plancher, l’isolation, ont été acheté chez un revendeur lyonnais de matériaux de récupérations glanés sur des chantiers de démolitions ou des chantiers de construction (chutes, matériaux non-conformes à la commande, etc). La cloison séparant la chambre du salon est réalisée avec un mélange de terre crue et de paille. La terre provient du terrassement de la maison. Elle a dû être tamisée pour atteindre une texture suffisamment fine puis a été mélangée à de l’eau et de la paille pour être déposée sur une structure légère en fines lanières de bois. La paille vient du centre équestre de Parilly à quelques kilomètres de la maison.

Au final, ce projet leur aura coûté 45000€. Ce montant comprend toutes les dépenses liées aux matériaux de construction mais également la location et l’achat de certaines machines. De la conception à la livraison, le projet aura duré quinze mois avec trois ouvriers autodidactes quasiment à plein temps et des aides régulières des amis du couple, notamment pour la construction des cloisons en pisé. La seule intervention d’un professionnel de la construction a été celle de Timur Ersen pour la construction de la dalle en Pouzzolane.

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Micro-maison en autoconstruction Les fenêtres réemployées et la cloison en terre crue et paille, Photos : Hugo

Conception

Pour la conception, Hugo s’est donc inspiré des Tiny Houses mais également des appartements minimalistes japonais où le moindre espace est utilisé pour augmenter l’efficacité surface/fonction du programme. Ainsi l’espace sous l’escalier a été utilisé en tant que rangement/buanderie, le mur derrière l’escalier aménagé en étagère sur toute sa hauteur, le lit de la chambre secondaire surélevé, les espaces en dessous d’1,80m en sous-pente de toiture transformés en placards… Une mini-cave à vin accessible par une trappe a même été aménagée sous la cuisine.

Le choix du bois est tout à fait logique dans une conception écologique et il a l’immense avantage d’être facilement mis en œuvre. C’est un atout dans le cadre d’un projet en autoconstruction. Il est également isolant ce qui permet de diminuer l’épaisseur du mur (avantage conséquent avec une surface d’implantation au sol aussi réduite). Il n’est pas nécessaire par exemple de faire passer l’isolation devant l’ossature pour empêcher les ponts thermiques.

La dalle en pouzzolane et chaux répond au besoin d’inertie de la maison. En effet, le bois n’est pas inerte ; l’espace intérieur chauffe rapidement. C’est un avantage en hiver particulièrement avec un volume aussi faible que celui-ci mais c’est un véritable problème en été. La dalle permet d’apporter une masse thermique froide pendant les fortes chaleurs.

Le chauffage est électrique. La volonté de Gaël et Laurence était en premier lieu d’avoir un chauffage plus écologique (pompe à chaleur ou panneaux solaires) mais le budget était trop restreint pour cela. L’installation d’un système de chauffage plus écologique est malgré-tout possible pour plus tard. Hugo a également profité du figuier et du kiwi à proximité de la maison pour assurer une couverture naturelle apportant de l’ombre en été. La conception de la maison suit ainsi des principes bioclimatiques. L’eau de pluie est récupérée par le toit et stockée sous la maison dans une cuve. Elle sert à alimenter la machine à laver et les toilettes.

La forme de l’ancien garage a été matérialisée dans l’esthétique du bâtiment avec une rupture de teinte du bardage bois en façade. La partie haute est plus foncée (plus brulée) que la partie basse et est soulignée par un profil en zinc.

La récupération de certains matériaux a posé quelques problèmes au moment du dépôt de permis. En effet il a été par exemple difficile d’annoncer la teinte ou la dimension de fenêtres alors que les matériaux n’avaient pas encore été trouvés.

Usage

A l’usage, la maison est, au dire de ses habitants, très agréable à vivre. Malgré tout, il apparait certaines limites qui ne remettent pas en cause l’habitabilité ni la qualité de vie du lieu. La dalle en pouzzolane nécessite un traitement trois fois par an. Ce n’est pas excessif mais cela peut ne pas convenir à tout le monde. Pour cet entretien, il faut enduire la dalle d’un produit spécial (préparé par Timur Ersen qui en garde la recette secrète). La dalle résiste bien aux tâches mais il ne faut pas chercher à gratter la surface en cas de tâche tenace.

La maison, du fait de son petit volume, chauffe rapidement. En été, le moindre rayon de soleil entrant dans la maison se ressent. Gaël affirme même que l’ouverture en toiture orientée au nord fait chauffer l’air intérieur.

Le bois a apparemment la fâcheuse tendance à amplifier les ondes électromagnétiques (jusqu’à huit fois plus) ce qui peut poser des problèmes de santé. Il s’agit d’un phénomène peu connu mais bien identifiable et mesurable. Malgré tout, les usagers ne semblent pas souffrir de maux de tête ou de quelconques problèmes dus à ce phénomène.

La construction de la maison a été réalisée suite à une déclaration préalable. Aucun test d’étanchéité n’a donc été nécessaire, d’autant que la surface totale du bâtiment est inférieure à 50m². C’est une chance car Hugo estime que l’étanchéité à l’air n’est pas parfaite et il n’est pas sûr que la maison aurait réussi ces tests.

Démarches décroissantes

Gaël et Laurence sont des «écolos» convaincus. La particularité de leur engagement réside dans la sobriété matérielle avec laquelle ils souhaitent vivre. Ils ont fait un choix de vie cohérent au regard de la Décroissance. Cette simplicité matérielle correspond tout à fait à la nécessité de moins consommer aussi bien de l’énergie que des biens matériels. En effet, la diminution de la surface d’habitation implique une réduction de la consommation d’électricité pour le chauffage en hiver mais aussi un tri obligatoire sur les biens de consommation à acheter ou non car les espaces de rangement et de stockage ne sont pas illimités. Les dépenses en moins induites par ce mode de vie peuvent permettre de travailler moins et donc de se donner plus de temps pour réaliser ses passions. Ce même gain de temps peut être utilisé pour augmenter son autonomie dans son habitat. Il est par exemple possible de créer un potager. A un certain niveau de productivité agricole, on peut dépenser moins d’argent pour la nourriture et donc avoir encore moins à travailler. On enclenche ainsi un cercle vertueux d’autonomisation et de rupture avec un emploi qui peut détruire physiquement et psychologiquement les individus et/ou contribuer à détériorer la biodiversité. La volonté de vivre sobrement de Gaël et Laurence permet d’avoir un impact déjà significativement moindre sur la biosphère mais si cette logique est poussée jusqu’au bout elle améliore considérablement la résilience de la société.

L’autoconstruction a été une nécessité pour le couple. Leur budget très serré ne leur permettait pas de faire appel ni à des professionnels de la construction, ni à un architecte. Pourtant leur volonté

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Micro-maison en autoconstruction
Séparation en Zinc matérialisant le volume de l’ancien garage, Photos : Hugo

de vivre de façon écologique était indéfectible. La vie dans un appartement dans l’agglomération de Lyon ne permet pas ce mode de vie. De même, il n’est pas possible de trouver des entreprises qui portent des valeurs écologiques et qui proposent des prestations accessibles à de si petits budgets. Le cas de Gaël et Laurence est très révélateur ; dans le système actuel, capitaliste, en voulant construire selon les règles de l’art, seules les personnes ayant un capital suffisant ou une situation professionnelle stable ont la possibilité de vivre écologiquement. L’écologie est donc réservée à une élite. Il est nécessaire de sortir du système standard, en passant par l’autoconstruction et l’entraide, pour que les petits budgets puissent avoir accès à la vie dont ils rêvent, fut-ce-t-elle sobre. L’autoconstruction s’inscrit dans l’idéal d’échange de connaissance, de partage des savoirs, de reconstruction du lien social et d’expérimentation par la pratique de la Décroissance. Le cas de Gaël et Laurence montre qu’il s’agit d’un aspect très important de l’Architecture décroissante. En tout cas elle semble fondamentale si on veut construire une transition décroissante à grande échelle car elle permet de toucher une assiette de la population très large.

Avant même d’emménager, Laurence affirmait qu’elle ressentait déjà que leur maison avait une «âme». On peut facilement estimer que cela vient du fait qu’ils ont activement participé à l’élaboration de ce projet. La conception et la construction de la maison a nécessité leur concours ainsi que celui de plusieurs de leurs proches. Le chantier a sans aucun doute été le théâtre de multiples émotions et échanges ce qui procure à cette construction une réelle profondeur «émotionnelle» et «humaine» . Il s’agit réellement de LEUR maison car ils l’ont conçue ET construite. L’évènement du chantier a été l’occasion de développer ou renforcer un réseau social fort et dense. La participation est donc primordiale dans l’Architecture décroissante car elle permet cette intensification du réseau d’entraide et de partage de connaissances ce qui augmente la résilience des territoires. De même, le très fort attachement des citoyens aux projets auxquels ils participent peut améliorer la transmission du récit de la Décroissance. Par ce biais positif, la réalisation d’un projet abouti et cohérent, on peut fédérer autour d’une vision commune qui est en l’occurrence décroissante.

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Micro-maison en autoconstruction Optimisation des rangements, travail du bois et cloison terre crue et paille, Photo Hugo

ensemble à boulogne-sur-mer construIre

L’atelier Construire

L’atelier d’architecture construire est une association de fait. L’atelier s’est notamment fait connaître par une démarche prônant le «construire autrement» et travaillant majoritairement sur des projets que l’Atelier qualifie de projet HQH «Haute Qualité Humaine». Leur démarche architecturale se veut volontairement anticonformiste et à rebours de la pratique classique. L’usager ou le futur habitant du projet sera inclus en amont du processus afin de tenir compte au mieux de ses usages et attentes architecturales. L’atelier compte aujourd’hui ses deux fondateurs (Patrick Bouchain et Loïc Julienne) et quatre membres permanents. Les différents projets sont toujours encadrés par un ou plusieurs membres de l’atelier et quasiment à chaque fois par l’un des deux fondateurs. A ce noyau de base technique architectural viennent se greffer les différents intervenants du projet et naturellement les futurs usagers.

L’atelier a beaucoup évolué au cours de son histoire en jouant sur la double casquette de son fondateur principal Patrick Bouchain : architecte ET scénographe. L’atelier commence donc par se faire connaître pour des revalorisations de parcelles industrielles en espaces culturels. Cela permettra de renforcer les domaines de travail liés à la mobilité, l’éphémère et les arts du spectacle. Ensuite aux alentours des années 2010, l’atelier va se réorienter vers l’habitat social mais avec sa conception culturelle, sociale et politique de l’architecture. L’usage devient un des axes forts de réflexion de l’atelier. Pour avoir ce retour des usagers, les chantiers de l’agence sont le plus souvent ouverts à tous et s’accompagnent de mise en relation des divers intervenants mais aussi d’actes culturels et sociaux.

C’est d’ailleurs un des axes de travail réinvestit par l’atelier depuis quelques années au travers de son «université foraine». Ces universités ont lieu sur des zones de friches sur lesquelles l’atelier cherche à faire émerger des désirs des futurs utilisateurs de ces espaces, un programme peutêtre inattendu. Ces projets participatifs et d’ouverture au public de sites inoccupés de leur ville permet «une appropriation des lieux de l’impensé». L’objectif de l’atelier, quelques soient les projets, est «de faire de chaque projet et de chaque chantier un véritable acte culturel ; facteur de dynamique, de rassemblement et d’échange»

A travers ses différentes approches et démarches artistiques ou architecturales, l’atelier cherche à aider les citoyens à se réapproprier leur ville, leur quartier, leurs espaces de vie. C’est cette implication des usagers qui permettra la longévité du projet mais aussi son acceptation pour les habitants comme dans le cas de réaménagement de logements sociaux. Ainsi les habitants ne sont plus les acteurs passifs de la restructuration ou rénovation de leur quartier mais ils sont mis à contribution et en dialogue avec le maître d’œuvre et le bailleur. Cette approche ascendante ou «bottom-up» de l’usage permet une richesse du projet mais aussi un ancrage fort de ce dernier dans le contexte géographique et social.

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Contexte

Le projet ensemble à Boulogne-sur-Mer se situe à Boulogne-sur-Mer, une commune du Pasde-Calais. Il s’agit d’un projet de rénovation de soixante maisons en banlieue de la commune. Ce quartier se situe dans le secteur dit de «Transitions» au sein du site du Chemin Vert, construit entre 1954 et 1960. C’est «une Cité de Promotion Familiale» dont le but est d’accueillir des familles en situation de grande précarité, dans l’attente d’une amélioration de leurs conditions de revenus. Toutefois depuis les années 60, le secteur de «Transition», et plus particulièrement les 60 maisons du projet, n’ont fait l’objet d’aucune rénovation. En effet, le quartier était la propriété du Centre d’action communale et sociale. Toutefois faute de financement de la part de l’Etat, ce dernier se voyait dans l’impossibilité de pouvoir entretenir son parc locatif. De plus, les familles qui vivent dans ces deux rues sont marginalisées à la fois par la situation géographique de leur quartier (grande coupure avec la ville par un axe routier), leur situation sociale (rejet des banlieues associé à un niveau de scolarisation faible) et leur niveau économique (fort taux de chômage, grande précarité, etc.). Le bailleur de HLM Habitat Littoral a récupéré en 1990 la gestion de ce quartier et souhaitait apporter du renouveau à ces logements au travers d’un projet fort, alliant culture et architecture.

de salle de fêtes et de spectacles et de cité de chantier. A côté de cette maison du projet, se situe une maison jusqu’alors inoccupée où l’une des collaboratrices de construire vivra pendant toute la durée du chantier et assurera la coordination des équipes sur le chantier mais aussi l’animation culturelle du quartier. L’installation de cette collaboratrice sert également de garantie auprès des habitants du suivi du chantier et de l’implication du bailleur et de l’agence d’architecture dans le projet. C’était une demande forte de la population du quartier ayant apparemment connu de nombreuses désillusions au cours des années passées. On retrouve dans cette démarche la philosophie de Patrick Bouchain qu’il développera par la suite sur la Cité de Chantier et le rôle central de la maison de projet, lieu de coordination mais aussi de vie du quartier, voire de démocratie participative.

L’intervention architecturale ne se concentre que sur les maisons qu’il s’agit de remettre aux normes actuelles en terme d’économie d’énergie mais aussi de réhabiliter du fait de leur vétusté. Ainsi «le premier acte de transformation de cette rue révélé par Patrick Bouchain auprès de l’assistance : faire de l’architecture ensemble avec un projet commun pour les urgences, il faut rhabiller ses maisons par l’extérieur. Pour qu’une maison soit saine, il faut un toit qui ne fuit pas, des fenêtres étanches et un bon mode de chauffage et un projet diagnostiqué au cas par cas pour l’intérieur de chaque maison correspondant aux attentes et aux modes de vie des habitants1»

Cette intervention architecturale sera accompagnée d’une démarche artistique mais aussi sociale forte visant à rendre de nouveau ce quartier dynamique et surtout à le désenclaver. L’atelier construire travaillera en coopération avec plusieurs artistes (Kinya Maruyama, par exemple, artiste japonais pour l’aménagement du jardin commun) ou avec les associations cre Actifs (fabrication de meubles en cartons au cours de plusieurs workshops) et rivages Propres qui aura pour but de réinsérer des habitants dans des entreprises du bâtiment et plus spécifiquement des entreprises de peinture. C’est sous réserve de l’emploi de ces habitants en apprentissage que les entreprises de peintures ont pû obtenir les marchés. Le but global du projet à terme via cette démarche est de «mettre en œuvre une démocratie active par la participation de chacun au projet (conception assistée), à sa réalisation (autoréhabilitation ) et à sa gestion».

Le Maire de Boulogne ayant pris connaissance du Manifeste Construire Ensemble Le Grand Ensemble est entré en contact avec l’atelier construire et leur a proposé d’intervenir sur le quartier. Après négociations, l’atelier remporte la consultation en procédure adaptée et se voit attribuer la maîtrise d’œuvre du projet. Ce dernier commence en mars 2010 et durera trois ans. Il s’articulera autour de la maison du projet qui est une des maisons de la rue Delacroix. Cette maison sera la permanence du projet et servira d’atelier de travail et d’apprentissage, d’espace de réunion, de lieu d’élaboration du projet, de salle de conférences et de débats, de café, de cantine,

Le grand intérêt de ce projet réside dans la place qu’il prend dans la trajectoire de l’agence construire car il est le premier projet de rénovation urbaine de logements sociaux et de logement plus généralement pour l’équipe. Il marquera un tournant dans l’histoire de l’agence car il permet de tester sur le logement les idées élaborées lors des projets antérieurs plus culturels, ainsi que la scénographie de la Biennale d’Architecture de Venise de 2006 faisant du pavillon français un espace de vie. C’est par le biais de ce Projet que Patrick Bouchain va pouvoir vérifier si les démarches constructives, qui avait été élaborées dans des espaces culturels, sont transposables dans le cadre de l’habitat et surtout dans celui encore plus complexe de l’habitat social.

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1 sophie ricard, mars 2013, «Fiche de Projet Ensemble à Boulogne-sur-Mer», publication disponible sur le site : construire.cc, consultée le 04.03.2019 ensemble à Boulogne-sur-Mer, construire Situation «marginalisée» des soixante maisons

Programme

Le projet ensemble à Boulogne-sur-mer s’inscrit dans le cadre plus général des rénovations menées par l’ANRU (Agence Nationale pour la Rénovation Urbaine) dans les années 20042010. Si l’objectif premier du PNRU (Programme National pour la Rénovation Urbaine) est le rajeunissement du parc locatif social français par sa rénovation ou démolition-reconstruction, la démarche ne se veut pas uniquement cosmétique. En effet, ces réaménagements doivent aussi permettre le désenclavement des habitants des banlieues isolées ou une resocialisation de ces quartiers à travers la réinsertion de commerces de proximité ou de services publics dans des quartiers qui en ont été parfois longtemps dépourvus. Les projets iconiques du PNRU sont élaborés à une échelle plus large que celle des soixante maisons du projet des rues Delacroix et Molinet. Néanmoins, ce dernier est connexe à la rénovation de la zone des grands ensembles du Chemin Vert, zone d’habitation voisine du quartier. Ainsi la dynamique instaurée d’un côté est poursuivie de l’autre pour que les habitants des maisons ne se sentent pas défavorisés par rapport à ceux du Chemin Vert et s’insère totalement dans la logique des objectifs de l’ANRU de «recomposer des quartiers à vivre».

L’apport de l’atelier se fait dans ce cadre à deux niveaux : une intervention architecturale à faible coût mais à fort coefficient environnemental et d’économies pour les habitants et une intervention sociale forte et approfondissant les enjeux fixés par l’ANRU. En effet ici le projet est tourné vers l’échelle micro puisque ce n’est plus seulement le quartier qui est au cœur du projet mais l’habitant. La rénovation suivra de grandes lignes fixées par le bailleur et l’atelier au travers de Patrick Bouchain au cours du lancement du projet : isolation des logements, rénovation des façades, changement des menuiseries, mise aux normes diverses (électricité, chauffage, etc.).

A cela vient s’ajouter le réaménagement des espaces intérieurs suivant les besoins spécifiques de chaque habitant. Ainsi chaque maison reçoit un traitement particulier basé sur l’historique d’usage de ses occupants et leurs attentes liées à la rénovation. De plus, les habitants sont consultés pour la globalité du projet concernant leur logement. Ils font partie intégrante du projet puisqu’ils choisissent eux-même la couleur de leur façade et les aménagements intérieurs.

Il est aussi important de souligner que le maire de la ville de Boulogne-sur-Mer inclinera fortement le projet de l’agence vers une réhabilitation et non une démolition comme préconisée par l’architecte d’Etat. Il était évident pour le maire que beaucoup de logements supprimés avec la démolition des barres et que le relogement d’autant d’habitants était compliqué, alors que la construction de logements neufs ne parvenait pas à répondre à la demande. D’autre part, l’analyse de la vie du quartier tend à prouver qu’une dissémination des habitants dans toute la ville est à éviter alors que les populations fragiles y habitant ont un mode de vie en collectivité depuis plus de trente ans.

Le programme architectural du projet dépasse les objectifs de l’ANRU pour mieux les renforcer et les appliquer au plus efficace sur ce territoire délaissé. Patrick Bouchain insiste d’ailleurs sur le fait de dépasser, voire de remettre en cause, le cadre de la rénovation urbaine telle que penser par l’ANRU : «(…) Comme L’ANRU est une agence nationale avec des idées toutes faites, celle de Boulognesur-Mer ne fit qu’appliquer des formules prédéfinies pour requalifier les ensembles (..) des années

1950 et 1960 : détruire une partie pour augmenter la valeur de ce qui allait être réhabilité. [Vision] d’une ville qui ne prend pas et qu’on peut défaire aussi facilement qu’on l’avait mise en place. Aucune solidarité, aucun lien de voisinage ne doit venir entraver la machine à reconfigurer la trame urbaine. Quand est venu le moment de décider s’il fallait détruire les maisons de la rue Auguste Delacroix, l’ANRU avait déjà tellement détruit que ses responsables se sont trouvés dans l’obligation de faire marche arrière. Pourtant ces rangées de maisons modestes avaient toutes les caractéristiques des ensembles que l’on destine aux pelleteuses. La proposition de l’agence Construire va prendre pour point de départ cette situation aberrante. Elle va s’articuler autour d’une idée simple : rénover pour le prix d’une démolition»

Il est clair dès le commencement du projet que l’Agence construire suivra les grandes lignes du programme de rénovation, tout en le modifiant suivant ses propres principes et démarches constructives. Le premier changement évoqué est la mise en place de la permanence architecturale. Cette permanence aura un rôle décisif dans le projet et sa réception par les habitants. En effet, l’architecte qui vivra dans leur quartier, la jeune diplômée Sophie Ricard, aura la charge d’intermédiaire auprès du bailleur et des entreprises mais aussi de pédagogue, afin de faire comprendre les différentes étapes du projet, d’animatrice du projet et parfois d’un rôle proche de l’assistante sociale à l’écoute des problèmes de la population défavorisée peuplant le quartier.

Elle intervient dans la deuxième étape : les relevés individuels des problèmes des habitants concernant leur logement. Chaque maison sera visitée et chaque habitant sera interrogé sur son logement et son histoire personnelle en rapport avec son lieu de vie, sa manière de vivre et de s’imaginer vivre mieux. A la fin de cette seconde phase, chaque logement fait l’objet d’un classeur réunissant ses caractéristiques, l’historique de ses habitants, les problèmes émis lors des interviews et les plans du logement fourni par le bailleur annoté par les habitants. Ces plans

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ensemble à Boulogne-sur-Mer, construire Fiche maison pour l’habitante Sylvie Cousin, source : construire.cc

annotés seront la feuille de route de l’agence pour chaque logement. Chaque famille peut orienter la rénovation en fonction de ses besoins.

Comme nous l’avons vu, le maire de la ville et l’agence construire ne sont pas pleinement satisfaits de la démarche que l’ANRU souhaite mettre en place dans ces rues. C’est pourquoi il sera décidé de retirer ces dernières du projet du Chemin Vert et de leur allouer un budget de 2 300 000 euros ; ce qui représente la somme de 400 euros par mètre carré. Situant ainsi l’intervention de l’agence construire «dans la moyenne basse pour ce type de projet».

Construction

La permanence architecturale a été faite dans un des studios de la rue Delacroix laissé à l’abandon. L’idée première de l’architecte Sophie Ricard était de rénover ce logement avec les mêmes moyens que les habitants du quartier. Cela pour les habituer au futur chantier à venir mais aussi pour tisser du lien. Si cette dernière confie que la méfiance fut grande au commencement, c’est par le biais du jardin du studio et des enfants du quartier que les liens ont pu voir le jour. «le jardin est un acte fondateur essentiel qui a surtout l’avantage de se dérouler à l’extérieur et à la vue de tous». C’est par la reconstruction de ce jardin et du studio de la permanence que le projet prend un aspect concret pour les habitants et ancre ce dernier dans leur quotidien avec leurs outils. Cette démarche sera le moteur de l’activité de l’agence dans ce quartier lors de la phase de projet et plus encore lors de celle de construction. D’ailleurs, les architectes utilisent des matériaux trouvés dans les gravats et déchets du projet mené par l’ANRU dans le Chemin Vert pour mettre en forme leur jardin.

La construction sera séparée en deux temps : le chantier commun à toutes les maisons (étanchéité et isolation), et les chantiers individuels. Les maisons sont en parpaings avec des toits en tuile. Les «belles voisines» (sorte de fenêtre sur un pan de toit) feront aussi l’objet d’une rénovation. Ces dernières donnant leur caractère aux soixante maisons du quartier.

Les travaux d’isolation se feront par l’extérieur avec la construction d’une seconde peau sur les murs en parpaings et le renouvellement des menuiseries une fois les travaux extérieurs finis et la saison hivernale passée. Enfin les belles voisines reçoivent une toiture nouvelle en tôle ondulée. Toutefois, le premier appel d’offre s’est soldé par un échec : aucune entreprise ne veut intervenir dans ce quartier perçu comme un risque trop élevé pour le matériel. Suite à la renégociation avec les entreprises, la responsabilité des matériaux était délégué aux habitants. Ceux-ci leur étaient livrés directement pour la rénovation de leur logement. Le chantier démarre véritablement en juillet 2011 après une deuxième réunion publique fort compliquée pour l’agence construire et

surtout l’architecte Sophie Ricard, objet de fixation des reproches sur l’inactivité du projet. Par ailleurs, afin de faciliter l’intégration des entreprises, ces dernières ont été incitées à embaucher des habitants du quartier en insertion professionnelle. Cela a permis l’acceptation du projet par les habitants ainsi que l’amorcement d’un processus de démarginalisation/réintégration des habitants à diverses échelles.

Le chantier est aussi ouvert que la vie de la rue. Il s’organise autour de la maison jouxtant la permanence architecturale. Cette maison sert de cité de chantier et accueille le bureau de maîtrise d’œuvre du chantier. L’ameublement a été conçu auparavant avec les enfants du quartier et des outils de récupération des chantiers alentour. Les murs sont décorés des photos des habitants devant leur maison et leur nom, favorisant ainsi une personnification du projet et une approche plus humaine des ouvriers par rapport aux habitants. Enfin la maison de chantier sert aussi aux différentes activités des mercredis et vendredis après-midi.

Ensuite vient la partie personnelle du projet où chacun s’approprie son logement et en choisit le cadre. A l’extérieur, les peintures des façades et la couleur des belles voisines seront décidées par les occupants. Il a fallu deux mois d’atelier avec une coloriste Anne-Sophie Lecarpentier pour apprendre aux habitants «les subtilités des couleurs». Ces derniers étaient conviés par petits tronçons de maisons à se rendre tous les matins dans la cité de chantier. Cette démarche permet aux habitants de penser la colorisation de leur logement de manière personnelle mais aussi en lien avec les autres maisons du quartier, soit en prenant les mêmes couleurs pour les personnes d’une même famille, soit faisant des combinaisons de couleurs osées affirmant ainsi leur souhait de se démarquer des autres.

Pour les aménagements intérieurs : «Nous avons décidé d’aller jusqu’au bout de la logique d’individualisation en réalisant soixante projets différents pour chacune des soixante maisons» En suivant cette logique, il fut décider de déposer soixante appels d’offre différents, un par maison, sur la base des livrets constitués par Sophie Ricard. «Ces livrets ont été un véritable outil d’échange entre les habitants et les entreprises». De plus, le morcellement en différents appels d’offre permet l’ouverture de ces chantiers à de petites entreprises souvent engagées en sous-traitance et donc relativement peu en rapport direct avec le client. Ce choix a mis en place une implication plus importante de ces entreprises sur le chantier. Les habitants des maisons nécessitant le moins de travaux en intérieur ont obtenu une contrepartie financière afin d’effectuer d’éventuels futurs travaux d’entretien.

Usage

Le projet fonctionne parce que l’agence construire sert d’intermédiaire avec tous les intervenants et à tous les échelons. Patrick Bouchain s’occupe de la partie politique du projet et des relations de l’agence avec la mairie. Mairie qui a joué un rôle capital dans la possibilité de réalisation du projet puisqu’elle le finance sur ses fonds propres. Sans cette démarche, le projet tel qu’il fut élaboré, n’aurait jamais pu avoir lieu. Sébastien Eymard a eu la charge de la partie technique de la maîtrise d’œuvre.

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ensemble à Boulogne-sur-Mer, construire Le jardin du studio, photo : Sophie Ricard

Le rôle charnière fut celui de la permanence architecturale tenue par Sophie Ricard. En se présentant comme une habitante du quartier et non comme une envoyée de l’office HLM ou du bureau d’architecte, uniquement pour vérifier que tout fonctionne au mieux, elle offre une approche différente du projet mais aussi un biais d’appropriation de ce dernier par les habitants. C’est au travers de ses démarches de dialogues, de l’ouverture de son logement à tous et surtout aux enfants, aux travaux effectués en commun, etc. qu’une relation d’égal à égal, voire de confiance, a pu voir le jour entre elle et les habitants. Ceci permettant de mieux appréhender les besoins de chacun pour la phase de personnalisation des projets en intérieur et extérieur. Cette collaboration ne s’est pas faite sans accroc ni de manière naturelle mais le caractère collectif de la vie du quartier, très tourné vers la rue où les activités de chacun s’exposent et que l’on «traverse en chaussons», ont forcément facilité la démarche.

Par ailleurs, Sophie Ricard souligne à plusieurs reprise le fait que le personnel et le professionnel finissent rapidement par se mêler. En effet, la permanence architecturale où elle a vécu mais aussi la maison de chantier étaient deux lieux importants du projet qui, par la force des choses et des habitudes des habitants, se sont retrouvés pleinement investis par les différents acteurs du projets (habitants, enfants, architectes, ouvriers, etc.). Les pauses café étaient très souvent l’occasion de discussion ouverte entre les ouvriers et les habitants qui d’ordinaire n’auraient pas été amenés à se parler. Les divers ateliers menés au sein du quartier par l’agence construire avec des architectes, des coloristes, des paysagistes ou encore des artistes (tout le projet fut filmé) mais aussi le fait que les habitants ont parfois dû participer eux-mêmes aux travaux et aux décisions concernant leurs logements ; tout cela a contribué à une reprise en main de la part des habitants de leur espace de vie. Ils ont eu par exemple des cours pour l’entretien de leur logement à moindres frais ou de construction de mobilier en carton. Les ateliers s’orientant toujours dans la philosophie de récupération / revalorisation déjà présente au sein du quartier. Comme le souligne Sophie Ricard : «L’appropriation facilite la responsabilisation de l’habitant dans son logement».

L’approche par l’usage est on ne peut plus forte sur ce projet puisque chaque maison est rénovée suivant les goûts et besoins de ses occupants. Chaque maison est le reflet de la personne qui y vit mais aussi de son histoire et du rapport entretenu avec le logement et la collectivité. Si certains n’ont effectué que de menus travaux de rénovation décoratif de l’intérieur, certains ont émis par exemple le souhait d’avoir plus de prises électriques pour s’adapter au mieux à leur manière de vivre.

Démarches décroissantes

Il est évident que l’aspect Revalorisation de ce projet est une des démarches importantes de la Décroissance au centre de ce projet. Le but depuis le début du projet est de ne pas détruire les logements mais de les rénover à moindre frais et dans le même temps offrir une possibilité de désenclavement aux habitants de ce quartier très fortement marginalisés. Ici c’est surtout l’accent mis sur la qualité d’usage qui apparaît en premier. Le quartier et le projet sont abordés au travers des usagers. Ces derniers font remonter leur désir d’amélioration des logements en fonction de leur «art de vivre». C’est cela que l’agence construire a cherché à mettre en valeur par ce projet car si le quartier est connu de tous par sa réputation sulfureuse à Boulogne-surMer, la généralisation efface bien souvent la singularité de l’habitant. Or c’est ici cette somme d’individualités qui vivent en collectivité qui fait la force de ce quartier. De plus, certaines parties du projet comme le jardin de la permanence architecturale ou la table de la maison de chantier sont issus de matériaux récupérés sur les chantiers environnants du quartier. (Recycler / Revaloriser)

C’est d’ailleurs en s’appuyant sur ce fort aspect collectif de la vie du quartier que le projet s’est déroulé dans un partage et une atmosphère bienveillante, une fois les premières barrières culturelles tombées. Cette vie de quartier est ici envisagée comme un vrai atout permettant une meilleure communication avec les habitants et une démarche «bottom-up» de la rénovation. Démarche allant à l’encontre de ce qui se fait traditionnellement dans les secteurs de l’urbanisme et de la politique d’aménagement. Ici les attentes des habitants par rapport à leur logement sont prises en compte et les travaux mis en œuvre pour y répondre au mieux. C’est une Reconceptualisation de l’approche de l’usage, non plus généraliste mais aussi proche de l’usager que possible.

L’ancrage d’une architecte dans le quartier ainsi que la démarche d’insertion professionnelle de certains habitants dans les entreprises travaillant sur le site prouvent le caractère local du projet, outre le fait que les façades des maisons soient aussi personnelles que possibles (Relocalisation). Toutefois cela démontre aussi une volonté de casser la frontière entre l’habitant et l’ouvrier du chantier. Les habitants étant mis à contribution autant que les entreprises. De plus, ils deviennent les décideurs de l’avenir de leur logement. (Restructuration). Cela se base aussi sur l’essence même du projet : «affirmer que nous sommes tous habitants».

Enfin le principe de rénovation plutôt que de démolition est un geste fort aux côtés d’un quartier de grands ensembles partiellement détruit par l’ANRU. L’agence construire fait le choix de réutiliser l’existant, de prendre le mot rénovation au sens propre et de l’appliquer à ce quartier. Démonstration importante qu’une approche progressive par le dialogue et l’appropriation est parfois plus efficace que la tabula rasa à grande échelle. Il est difficile de traiter des problèmes individuels avec une réponse généraliste standardisée faisant fi du vécu des habitants, qui est pourtant une ressource importante dans ces quartiers délaissés.

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ensemble à Boulogne-sur-Mer, construire Participation au chantier des habitants, photo Sophie Ricard

Quatre principes décroissants

Les quatres études de cas ont toutes des spécificités dans la mise en œuvre de l’Architecture décroissante. La cité de chantier du collectif etc est un projet qui met principalement l’accent sur la récupération de matériaux de construction et son caractère Low-Tech. r-urban de l’Atelier d’Architecture Autogérée s’attache bien à répondre au besoin d’autonomie et de résilience de nos sociétés. La maison de Gaël et Laurence s’appuie surtout sur la volonté d’être sobre dans son mode de vie et dans son habitat. Enfin, ensemble à Boulogne-sur-Mer est une illustration parfaite du principe de participation citoyenne dans la fabrication d’un projet architectural. Ces exemples tendent à prouver que l’Architecture de la Décroissance peut être très diverse, pourtant les valeurs sont toujours les mêmes : écologie, autogestion, partage de savoirs, vivre ensemble, simplicité… Seule la mise en œuvre diffère.

Même si chaque projet développe un aspect de l’Architecture décroissante spécifique, certains points communs demeurent.

Permanence architecturale

Le processus de conception du projet in situ se retrouve dans tous les projets à caractère collectif. La permanence architecturale permet d’être au plus près des citoyens pour entendre leurs paroles mais cette initiative permet également de comprendre un territoire et sa culture. C’est très en cohérence avec «le retour au local» de la Décroissance : celui-ci n’est pas seulement d’ordre matériel (matériaux, entreprises) mais également immatériel (culture spécifique au lieu, savoirfaire, compétences des acteurs du projet).

Structures atypiques

Le caractère atypique des groupes d’architectes qui réalisent ses projets est tout à fait notable. On trouve un «collectif» enregistré comme une «association loi 1901» (association à but non lucratif) tout comme peut l’être l’Atelier d’Architecture Autogérée, puis à un auto-entrepreneur travaillant avec les maîtres d’ouvrage/ouvrier dans le cas de la maison de Gaël et Laurence. Enfin l’atelier construire de Patrick Bouchain et Loïc Julienne est une «association de fait». Il s’agit d’un statut très particulier qui a l’avantage d’être très permissif en terme de gestion du groupe mais a l’énorme désavantage de ne reconnaître aucune personne morale. Ces statuts bien particuliers sont assez symptomatiques de l’Architecture décroissante ; ils sont la preuve que sa mise en œuvre reste marginale et que son insertion dans une démarche de projet traditionnel (avec maître d’ouvrage, maitrise d’œuvre et entreprise) selon une mission classique de maîtrise d’œuvre, est loin d’être évidente. Mais ce constat est somme toute assez cohérent avec les valeurs de la Décroissance. La Restructuration appelée par l’idéologie décroissante implique de repenser les relations entre les acteurs du projet. De même que la reconceptualisation et la revalorisation induisent des changements d’objectif de la pratique architecturale.

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conclusIon

«Immiscion urbaine»

Ces projets ont aussi tous en commun le principe «d’immiscion» dans un espace alternatif ou un cadre «non institutionnel». La cité de chantier s’installe sur un terrain vague à proximité d’une usine désaffectée. r-urban développe ses projets sur les ruines d’un ancien parking démoli (Agrocité) et dans une impasse à proximité d’une autoroute (recycLab). La Micro-maison de Laurence et Gaël prend la place d’un garage en fond de parcelle d’une maison individuelle existante. Le projet ensemble à Boulogne-sur-Mer n’a pu s’affirmer et se concrétiser qu’en dehors des préconisations et des périmètres de l’ANRU. On retrouve la marginalité précédemment mise en évidence mais elle est cette fois-ci bien plus spatiale. Les exemples ne reprennent pas tout à fait le processus de fabrication d’un Tiers-Village de Huygen (notamment son appropriation par un «pionnier») mais ils développent bien en revanche les principes d’autonomie des modes de vie, puis d’ouverture au voisinage (en tout cas de volonté d’ouverture). L’avenir permettra de dire si le principe de capillarité et de diffusion des mœurs sera effectif… Il est à espérer en tout cas.

Le processus de fabrication plutôt que le résultat

Dans toutes ces architectures, on retiendra surtout le processus de conception ou de construction mais beaucoup moins le résultat final qui est relégué au second plan. Rien d’incohérent non plus à cela puisque la Décroissance qui met l’accent sur l’expérimentation (car ni le mouvement politique, ni le mouvement architectural ne sont encore structurés). Le projet d’architecture est souvent utilisé comme support, voire comme prétexte, à la construction d’une culture collective et d’un réseau d’habitants. L’architecte décroissant doit assumer cet état de fait et le revendiquer. Ce n’est pas la forme de l’objet fini qui donne son caractère à l’Architecture mais bien l’implication et l’affect qu’ont mis les acteurs dans le projet. Ce n’est pas non plus la qualité des finitions ou un concept architectural performant qui permet de déterminer une bonne architecture mais son appropriation par les habitants qui permet le développement d’une culture locale.

Cristallisation d’une culture

Les architectes des projets étudiés font tous le pari que le processus de conception et de construction doit refléter les valeurs du futur édifice construit ou du futur espace aménagé. Le collectif etc va mettre en avant la récupération dans sa cité de chantier pour inviter à faire de même avec la réhabilitation de la Grande halle de Colombelle. r-urban met en place des édifices tout à la fois autonomes et connectés pour faire en sorte que l’ensemble d’un quartier soit résilient. La maison de Laurence et Gaël est construite avec des moyens limités (autoconstruction, économie de surfaces, de matériaux, de mise en œuvre) pour permettre un mode de vie sobre. L’atelier construire va développer son projet avec la participation de ses habitants pour redonner une dynamique dans le quartier. C’est comme si l’Architecture devait donner l’exemple pour que s’y développent des modes d’habiter en résonnance avec celle-ci, ou plutôt comme si l’Architecture transmettait des valeurs qui génèrent une culture en cohérence avec les lieux dans laquelle elle se crée. Si tel est effectivement le cas, le pouvoir de l’Architecture décroissante dans le changement de société est considérable. Mon avis est qu’il s’agit plus de l’implication et des

affects qu’ont laissés les habitants dans le processus de fabrication du projet qui induit cette culture plus que l’objet en lui-même. L’Architecture cristallise la mémoire des différents échanges, débats, aléas, difficultés, joies et d’une quantité incroyable d’émotions qu’ont pu avoir les acteurs du projet. C’est le processus de création en commun qui crée la culture plus que l’œuvre en ellemême, d’où l’intérêt de faire participer un maximum de personnes lors de sa fabrication.

L’humanité

On retiendra enfin l’humilité et la volonté de faire société dans tous ces projets. Chaque projet porte ses valeurs à sa manière. Le collectif etc travaille en collaboration avec des personnes aux compétences très hétérogènes pour redonner une nouvelle vie à un patrimoine qui fait la fierté de ses habitants. L’Atelier d’Architecture Autogérée met en place des outils pour permettre aux habitants de s’auto-gérer avec un pari sur la puissance du partage des savoirs qui favoriserait la créativité et donc la résilience. La construction de la maison de Gaël et Laurence est une formidable aventure collective ayant rapproché les liens entre ses habitants et leurs proches et qui va permettre d’expérimenter un mode de vie intergénérationnel. L’atelier construire a écouté et dépassé les préjugés sur les habitants de ce quartier difficile pour améliorer leurs habitats et leur permettre une vie plus digne. Nul doute que tous les concepteurs de ces projets croient dur comme fer en la capacité des êtres humains à faire société malgré les difficultés dues au changement climatique, aux crises économiques, aux pénuries des ressources énergétiques et naturelles et à l’accroissement des inégalités à venir. Ces études de cas ont permis de dévoiler ce qui fait, à mon sens, la valeur cardinale de l’Architecture de la Décroissance : l’Humanisme.

82 83 Mémoire HMONP - Adrien PARIS - Dir. d’étude : Julien Joly 07.03.2019 L’Architecture de la Décroissance
conclusion

Bibliographie

Livres

donella Meadow, Jorgen randers, denis Meadows, 1972, «Halte à la croissance », éd. : Fayard, Paris

Graham M turner, 2008, «A comparison of The Limits to Growth with 30 years of reality ». Global Environmental Change, vol. 18, pp 397-411

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nicholas Georgescu-roegen, 14 mai 2014, «Energy and Economic Myths», éd. : Pergamon, 400 pages

nicholas Georgescu-roegen, juin 2006, «La décroissance, entropie, écologie, économie», éd.: Sang de la Terre, 302 pages

richard heinberg , Septembre 2007, «Peak Everything », éd. : New Society Publishers, 224 pages

serge Latouche, 24 octobre 2007, «Petit traité de la décroissance sereine », éd. : Mille et une Nuits, 171 pages

Jean Marc huygen, 2008, «La Poubell et l’Architecte », ed: Actes Sud, Collection : L’impensé, 183 pages

Julien choppin et nicolas delon, 2014, «Matière grise : Matériaux, Réemploi, Architecture », éd.: Pavillon de l’Arsenal, 365 pages

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Articles

Le Monde avec l’AFP, le 7 août 2018, «La Terre risque de se transformer en étuve à cause du réchauffement climatique », disponible sur le site : lemonde.fr, consulté le 24 décembre 2018

s. Andrews, r udall, 2014, «The oil production story : pre and post-peak nations», Association for the study of Peak Oil & Gas USA

Jules Lavie, radio France, 19 mars 2014, «La Nasa prédit la fin prochaine de notre civilisation », disponible sur le site : francetvinfo.fr, consulté le 24 décembre 2018

Etudes de cas

Cité de chantier, Collectif Etc

Site du collectif : collectifetc.com

R-Urban, Atelier d’Architecture Autogérée

Site de l’atelier d’architecture : urbantactics.org

Portfolio de l’atelier : urbantactics.org/wp-content/uploads/2015/09/portfolio-web-2015.pdf

Site de R-Urban : r-urban.net

Document de présentation du projet R-Urban pour l’organisme Life+ : r-urban.net/wp-content/ uploads/2012/01/06-LaymanReport-Rurban.pdf

Micro-Maison en autoconstruction

Entretien avec les habitants : Laurence et Gaël

Entretien avec le constructeur et concepteur : Hugo

Ensemble à Boulogne-sur-Mer, Construire

Patrick Bouchain et collectif, 2016, «Pas de toit sans toi», éd.: Actes Sud, 112 pages

Site internet de l’atelier : construire-architectes.over-blog.com/

Fiche projet de mars 2013 disponible à l’adresse : construire-architectes.over-blog.com/ensemble%C3%A0-boulogne-sur-mer

remerciements à Didier et Valentin pour leur aide précieuse, à Maëlys pour son soutien

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L’Architecture de la décroissance publié le 7 mars 2019

Adrien Pâris

Ecole Nationale d’Architecture de Lyon (Promotion HMONP 2018/2019)

Directeur d’étude : Julien Joly

Tuteur : Fabien Brisson

Jury : Marie Clément (Présidente), Gilles Desevedavy, Sidonie Joly, Christophe Boyadjian, , Huguette Vernay

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