De 1997 à 2015, la requalification de la friche DMC ou la reconquête identaire mulhousienne.

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De 1997 à 2015, la requalification de la friche DMC ou la reconquête identitaire mulhousienne. Adrien Petit // Enseignants : Fanny Lopez, Barbara Morovich 2015 // École Nationale Supérieure d’Architecture de Strasbourg



De 1997 à 2015, la requalification de la friche DMC ou la reconquête identitaire mulhousienne.

Adrien Petit Enseignants : Fanny Lopez, Barbara Morovich École Nationale Supérieure d’Architecture de Strasbourg 2015

Première de couverture: l’escalier du bâtiment 75 menant aux ateliers individuels de Motoco en 2013. Source: photographie personnelle.



Mes remerciements s’adressent à Hector, pour son soutien inconditionnel. Anne-Marie Petit et Manon Genevois pour leur patience et leur soutien indispensables. Jacques Delamarre et Charles Villemont, frères d’armes, pour leur solidarité et leur bonne humeur. Fanny Lopez, directrice de mémoire, pour sa patience et ses conseils. Marie-Claire Vitoux, Mischa Schaub, Jean Rottner, Jean-Luc Wertenschlag, Stéphanie Honigmann, Roland Kaufmann, Josselin Kaufmann, pour les entretiens qu’ils m’auront accordé et par conséquent, l’aide qu’ils m’auront apportée dans mes enquêtes relatives à l’écriture de ce mémoire. Pierre Fraenkel et Nicola Aramu pour m’avoir ouvert les portes de leurs ateliers. Philippe Aubert et Vincent Frieh pour m’avoir orienté dans mes recherches.


État du savoir

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Méthodologie

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Énoncé du plan

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La réhabilitation : un enjeu identitaire L’industrie, une valeur identitaire incontournable Mulhouse, ville monde du 19ème siècle Désindustrialisation et reconversion progressive du site Le patrimoine industriel contre l’activisme de la pelleteuse

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La sauvegarde de la Fonderie SACM

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La friche en tant qu’unité

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Situation du patrimoine DMC et liens vers la ville et le territoire

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Un environnement empreint de l’histoire industrielle mulhousienne

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DMC, un patrimoine, une identité

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La friche dans Mulhouse

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Le projet DMC dessiné par plusieurs acteurs La friche DMC prise en main

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Genèse

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Préoccupations de la ville

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Trois participants, trois points de vue

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Motoco, un avenir pour la friche DMC

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De l’argent suisse et du terrain français: de IBA à Mischa Schaub

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Un collectif international à Mulhouse

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La vie au bâtiment 75

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Openparc, Motoco à la puissance cinq

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Un projet crédible et durable

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Construire une nouvelle économie sur les ruines du passé

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Des échanges timides avec le quartier

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Conclusion : DMC, le produit d’une ville créative authentique?

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De 1997 à 2015, La requalification de la friche DMC ou la reconquête identitaire mulhousienne

L

e modèle mulhousien s’est longtemps illustré par la réussite du groupe DMC et de son usine intégrée. Sa politique paternaliste est récompensée par la médaille d’honneur de l’exposition universelle de Paris en 1878, et surtout, ses produits, essentiellement l’indienne1 et le fil qui s’exporte encore

aujourd’hui dans le monde entier malgré une histoire tourmentée depuis la création du groupe en 18002 sont mondialement reconnus. Aujourd’hui, la gloire industrielle mulhousienne dont DMC constituait la locomotive fait partie du passé. Les friches, après avoir été longtemps laissées à l’abandon, commencent à faire l’objet d’une réflexion en vue de leur reconversion même si la ville, de plus en plus consciente de l’importance de ce patrimoine, ne peut pas en assumer l’entière responsabilité financière. On trouve actuellement à Mulhouse plusieurs quartiers dominés par de grands bâtiments industriels en briques et béton, le plus souvent vides, tagués, leurs fenêtres sont brisées. Oubliés par la démolition et dans l’attente d’un projet qui reconstruise l’identité mulhousienne, ils n’apportent aux quartiers qui se sont développés autour qu’une image de désolation, rappelant les souvenirs d’une richesse passée et d’un savoir faire désormais inutile3. Ces bâtiments sont le reflet de leur ville, en plein milieu d’une transition compliquée entre gloire industrielle et l’avènement de nouvelles pratiques créatives, numériques, et de nouveaux modèles économiques. Les bâtiments de DMC, immenses, des monstres selon les mots du maire Jean Rottner4, offrent un potentiel incroyable tant les volumes sont grands, tant leur implantation offre des opportunités, vers la ville et vers l’extérieur, et tant la végétation s’est approprié l’endroit. Le réfectoire construit en 1886, lorsque Frédéric Engel-Dollfus dirigeait le 1

En textile, l’indienne est une toile de coton peinte ou imprimée.

Nicolas Shreck ; Histoire des origines à la deuxième guerre mondiale ; Pierre Fluck (dir) DMC : Patrimoine Mondial ? ; Jérôme Do Bentzinger Editeur. p.14. 2

Anne-Cécile Lefort-Prost ; Les friches industrielles, point d’ancrage de la modernité ; Quels paysages après l’industrialisation ; paysages industriels en proche banlieue parisienne (1800-2000) ; p.38. 3

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Entretien téléphonique entre Jean Rottner et Adrien Petit, le 04.05.2015.

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groupe5, est aujourd’hui cerné par une flore généreuse et un étang, dans un parc de 6000m2. La ville n’a pas toujours été consciente du potentiel de ce patrimoine industriel. Dans les années 90, la sauvegarde de la fonderie SACM (Société Alsacienne des Constructions Mécaniques) de 1922 de l’architecte mulhousien Paul Marozeau marque le début de la réflexion sur ce patrimoine. Aujourd’hui, ce sont dix hectares de la friche DMC au nord de la ville, qui font l’objet d’un projet de conservation et de requalification depuis le rachat de la friche par la ville en 2008. C’est ce potentiel créatif qui amène l’association M.O.T.O.C.O. (More To Come) à s’installer dans le bâtiment 75 du site en 2013. Motoco est un organisme mettant des ateliers à la disposition d’artistes, leur permettant d’expérimenter de nouvelles situation et de provoquer un métamorphisme de contact6. L’accueil positif du monde culturel mulhousien et de la municipalité ont encouragé le collectif à passer à la vitesse supérieure avec le projet Openparc visant à développer des activités créatives à DMC. Les nouvelles disciplines qui y verront le jour bénéficieront de la connexion avec le nouveau pôle numérique km0, une présence alsacienne de la french tech7, un label dont Mulhouse et Strasbourg devraient bientôt bénéficier. Même si un site comme celui de DMC, au nord-ouest de Mulhouse, étendu vers Dornach, inspire d’ambitieux projets comme Openparc, la réalité ramène les pieds sur terre. Si la ville fut un pôle industriel de premier ordre, elle est loin d’être riche, les investisseurs sont rares, et depuis les années 1990, de nombreux autres projets passent en priorité, notamment la réhabilitation des anciennes casernes militaires de la ville. D’après la place accordée au patrimoine industriel à Mulhouse, et en examinant les mécanismes des relations entre les différents acteurs locaux, doit-on croire au mythe du sauvetage de la ville par le développement de l’activité culturelle et créative ? Quelle est la part d’authenticité du discours officiel bénissant la démarche créative pour sauver le site DMC?

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Nicolas Shreck. Op. cit., p.24.

d’après l’entretien entre Marie-Claire Vitoux et Adrien Petit, le 01.04.2015 ; Synonyme de stimulation des compétences de l’un lorsqu’on le place au contact de l’autre. 6

la French Tech est le nom collectif pour tous les acteurs de l’écosystème de startups français. French Tech = Startup = Croissance ; Source: La French Tech ; lafrenchtech.com. 7

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Quel(s) rôle(s) pour les différents acteurs du projet DMC, dans un contexte de crise identitaire?

Le cas mulhousien est intéressant car il se déroule dans un contexte réaliste. Si on écarte son patrimoine industriel, la ville n’a aucun atout, rien à faire valoir pour dynamiser son économie, le tourisme, ou toute autre source de revenu8. C’est pourtant dans ce contexte défaitiste que des personnes se mobilisent pour défendre l’esprit identitaire de la ville par la valorisation de son patrimoine industriel. DMC est un grand blessé. La tombe n’est pas loin, mais on reste positif. Il n’y a pas de projet architectural, pas d’argent, mais on est au début de quelque chose. Marie-Claire Vitoux.9

État du savoir Pierre Fluck, professeur d’histoire des sciences et des techniques, d’archéologie et d’archéologie industrielle à l’UHA, Chercheur et Co-directeur du CRESAT (Centre de Recherche sur les Economies, les Sociétés, les Arts et les Techniques), est incontournable en ce qui concerne le patrimoine industriel mulhousien, et plus particulièrement, DMC. Le colloque qu’il organise en 2004, Le Site DMC, un enjeu pour Mulhouse !, et le livre DMC, Patrimoine Mondial?, qu’il dirige directement après, constituent deux éléments essentiels. L’histoire du groupe, de l’usine, des produits, des acteurs essentiels dont les ouvriers, est relatée dans deux parties, Des origines à la première guerre mondiale, par N. Schreck, et Le fil, l’échevette et le contemporain par Y. Frey. Il aborde également les qualités architecturales de l’ensemble des bâtiments de DMC. Ce travail défend et justifie la place de la friche DMC dans le patrimoine industriel de la ville, ce qui n’est pas forcément le cas de la plupart des ouvrages sur DMC qui traitent plus volontiers du patrimoine matériel: productions, techniques et anecdotes qui ont fait l’histoire de la firme. Les travaux de Pierre Fluck se basent en grande partie sur les documents des archives municipales de Mulhouse qui contiennent l’ensemble des permis de construire du 13, rue de Pfastatt, l’adresse de l’usine DMC. Ces document permettent d’apprécier l’évolution et la régression du parc immobilier du groupe à Mulhouse, et d’identifier les

Avec 30% sans diplôme, 25% titulaire d’un CAP ou d’un BEP, la population souffre d’un taux de chômage culminant à 25,1% en 2011 (INSEE) après une augmentation de 3,8% en cinq ans (INSEE). On note également que seulement 47,7% des ménages mulhousiens étaient imposables en 2011 (INSEE). En 2013, la dette de la ville était deux fois supérieure à la moyenne nationale (Ministère de l’économie). 8

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Entretien entre Marie-Claire Vitoux et Adrien Petit du 01.04.2015.

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10 hectares acquis par la ville par le biais de la SERM comme le coeur historique du site. Ces documents peuvent être remis dans leur contexte historique et urbain grâce aux cartes de la ville disponibles sur le site internet de la mairie, proposant des versions allant de 1642 à 1943, argumentant encore une fois l’expansion industrielle et résidentielle de Mulhouse et de son agglomération. Grégory Schott, actuellement Architecte des Bâtiments de France, chef du service territorial de l’architecture et du patrimoine dans le Haut-Rhin, écrit son mémoire à l’ENSAS en 2004, intitulé Reconversion de la friche D.M.C. à Mulhouse ; Présentation d’un site urbain du patrimoine industriel, qui, au travers de l’histoire de la ville et de l’entreprise, propose une réflexion sur DMC en tant que patrimoine essentiel. Depuis la rédaction de ce mémoire, plusieurs évènements ont modifié le site et son image, le rachat par la ville, le marché de définition, et l’arrivée de Motoco, qui seront traités dans notre travail. L’utilisation de l’exemple SACM comme premier pas vers la réhabilitation de friches industrielles s’appuie néanmoins essentiellement sur deux éléments. Le premier, un document intitulé La fonderie, est écrit par Christian Plisson, de l’agence Mongiello & Plisson, architectes mandataires du projet. Le second est l’article écrit par Paul Béranger dans l’ouvrage Les friches industrielles, point d’ancrage de la modernité, dirigé par Pierre Lamard et Marie-Claire Vitoux. Cet ouvrage traite, au-delà de l’article énoncé précédemment, des enjeux économiques relatifs à la friche industrielle, et de son évolution de statut de déchet social à celui d’objet patrimonial essentiel. Un deuxième ouvrage écrit par Pierre Lamard et Marina Gasnier, Le patrimoine industriel comme vecteur de reconquête économique continue cette réflexion sur l’est français avec l’utilisation des friches pour le développement, l’alliance des valeurs économiques et culturelles, tout en dépassant la simple muséification du patrimoine industriel, ou encore la difficulté de réhabilitation des friches face aux exigences et aux normes esthétiques. Dans ces deux ouvrages, la friche DMC et le projet qui s’y développe ne sont pas analysés, mais leur approche théorique permet d’argumenter l’ensemble du travail et de comprendre la direction prise par le projet ces dernières années, avec une volonté initiale de relance économique, renforcée par une présence associative de plus en plus forte, militant pour un nouveau type d’économie, de nouveaux modèles de productivité par l’industrie créative. À DMC, la présence associative est incarnée par Motoco depuis 2013, par conséquent il n’existe encore aucune documentation à ce sujet, si on écarte les articles de la presse locale, le dossier de presse de Motoco et autres fascicules "5


d’information. Ce manque s’avère finalement bénéfique pour l’élaboration d’un point de vue critique sur le projet, puisque il a été possible d’obtenir plusieurs entretiens avec différents acteurs clés du projet, chacun ayant un avis ou une version différente, permettant d’utiliser la source même de l’information pour mettre en valeur les dysfonctionnements ou au contraire, les succès de cette entreprise. Puisque les artistes, les créateurs, menés par Mischa Schaub constituent actuellement le moteur du projet, l’ouvrage d’Elsa Vivant Qu’est-ce que la ville créative permet de placer le cas Mulhousien par rapport aux deux types de ville créative qui y sont développés: l’une voyant ses friches investies naturellement par des artistes en quête d’espace et d’inspiration, menant à une densification et une gentrification naturelle, l’autre préparant et aménageant un espace pour apporter artificiellement une activité créative et obtenir une reconnaissance culturelle pour ses nouvelles installations. Nous confronterons notre exemple avec cette théorie bipolaire pour déterminer l’authenticité du discours officiel mettant en valeur la coopération entre association et municipalité. Méthodologie Alors que le sujet de ce mémoire n’est que peu documenté, puisqu’il concerne une ville française moyenne dans la période contemporaine, une grande partie des informations provient de sources orales. Un premier entretien d’une heure trente minutes avec MarieClaire Vitoux, ancienne présidente du Conseil Consultatif du Patrimoine Mulhousien, chercheuse et historienne au CRESAT, a lieu le 01.04.2015. au Grand Comptoir, le café de la gare de Mulhouse. Cette première conversation apporte des informations sur la chronologie du projet DMC, l’histoire de la ville et de la friche, depuis les débuts des réflexions sur la patrimoine industriel à Mulhouse dans les années 1990 à nos jours. Pendant la même journée, une courte entrevue avec Roland Kaufmann et son fils Josselin, bénévole à Radio MNE, a lieu à leur domicile mulhousien. La conversation porte essentiellement sur les initiatives culturelles associatives dans la région mulhousienne, et sur les fonctionnements et dysfonctionnements du projet DMC et de sa phase Motoco. Un troisième entretien d’une heure se déroule avec Jean-Luc Wertenschlag le 08.04.2015 à La Vitrine, boutique de créateurs et créatures qu’il co-fonde en 2011 à Mulhouse. Nous discutons de son point de vue critique par rapport au fonctionnement politique interne de Motoco, et des liens entre les friches réhabilitées et les populations voisines. La mairie de Mulhouse fut assez réactive et suffisamment "6


intéressée par ma démarche pour m’accorder un entretien avec Stéphanie Honigmann, Chargée d’Étude en Urbanisme à la mairie de la ville de Mulhouse, dans les locaux du service d’urbanisme de la mairie, Av. Kennedy, le 23.04.2015. Un peu plus tard, on m’accordait un entretien téléphonique le 04.05.2015. avec le maire de Mulhouse, Jean Rottner, qui répondait à mes questions par un discours personnel sincère et réaliste. Enfin, Mischa Schaub, directeur de l’Hyperwerk à Bâle et fondateur de Motoco et Openparc m’accorde un entretien téléphonique le 15.05.2015. Notre conversation porte sur les débuts du projet et plus particulièrement sur le jeu d’acteur dans le croisement entre le projet DMC et Motoco.
 Ce travail s’est également documenté avec la consultation des archives municipales de Mulhouse le 24 février 2014, et les archives personnelles de Liliane Rayot-Augsburger dont le mari, André Rayot, fut « fondé de pouvoir » jusqu’en 1978. Énoncé du plan Pour comprendre les éléments qui ont contribué à la prise de conscience de la ville par rapport à ses ressources patrimoniales, nous retracerons d’abord un bref historique de la ville et de son industrie emblématique Dollfus-Mieg & Cie avec son passé glorieux et la désindustrialisation progressive jusqu’aux années 2000. Nous verrons ensuite un premier exemple de requalification de friche industrielle à Mulhouse, avec la friche SACM qui aurait entièrement disparu sans l’intervention du Conseil Consultatif pour le Patrimoine Mulhousien (CCPM). Dans une deuxième partie, nous nous intéresserons aux différents acteurs, leurs interactions et leurs impacts sur le projet DMC dont on peut confondre la genèse avec le rachat du site par la ville en 2008. Nous verrons ainsi la période 2008-2010, avec une étude de cas lancée par la ville de Mulhouse à laquelle ont participé les agences d’architecture Seura, Bernard Paris, et Reichen & Robert à qui le projet sera finalement confié. Il sera ensuite question de l’arrivée de Motoco, créé par Mischa Schaub en 2013, dans le bâtiment 75 de DMC, et la mise en place du projet Openparc visant à développer une économie créative sur le site. Après avoir déterminé le rôle de chacun et la succession des évènements qui font le projet tel qu’on le connaît aujourd’hui, nous rapprocherons le site DMC aux théories développées par Elsa Vivant dans Qu’est-ce que la ville créative?, qui expose deux types de ville créative, l’une dont les friches sont investies naturellement par des artistes et créateurs au style de vie bohème, et l’autre qui invente des infrastructures ayant pour but de recevoir une activité créative et culturelle encore inexistante.
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La réhabilitation : un enjeu identitaire Mulhouse est une StadtRepublik indépendante avant son annexion par la France en 1798, un demi siècle après le début d’une industrialisation sérieuse, essentiellement dans le domaine de l’impression textile. Son succès industriel, qui lui vaut la qualification le Manchester français au 19ème siècle10 lui vient en grande partie du rôle tenu par l’usine Dollfus-Mieg & Cie, créée en 1800, et encore active aujourd’hui, pour le compte de DMC SAS11. Depuis la moitié du XVIIIème siècle, l’histoire de la ville Mulhouse se confond avec les différentes révolutions industrielles. Son territoire urbain reste encore aujourd’hui profondément marqué par la présence d’anciennes usines, souvent de la taille d’un quartier. Jean Rottner12

Mulhouse constitue un bon exemple de la puissante industrialisation de l’est français au XIXème siècle, et de la désindustrialisation de la fin du XXème siècle au profit de la multiplication des activités de service. Après la cessation d’activités, les machines sont déplacées, démantelées, vendues ou entreposées dans des musées, alors que les murs restent, enfermant des espaces monumentaux et vides. Ils restent finalement les derniers témoins, la dernière trace du Manchester français.

L’industrie, une valeur identitaire incontournable La marque au cheval des fils mercerisés DMC est connue dans le monde entier. Le site DMC n’en mérite pas moins tant par l’intérêt architectural de ses bâtiments que par son histoire industrielle. Pierre Fluck13.

De nos jours, la ville tire un bénéfice important de son patrimoine technologique, avec notamment la Cité du Train ou la Cité de l’Automobile, les plus grands musées de leurs catégories en Europe, sans oublier le patrimoine industriel local avec le Musée d’Impression sur Étoffe. Qu’en est-il si on tente de projeter le patrimoine industriel plus loin qu’un simple remplissage de musées ? Si les tissus imprimés trouvent leur place au 10

Nicolas Shreck. Op. cit., p. 15.

11

Mairie de Mulhouse ; Réaménagement du quartier DMC ; DMC en quelques dates ; mulhouse.fr.

12

Mairie de Mulhouse ; Quartier DMC, perspective d’avenir. p.1

Pierre Fluck ; Le Site DMC: Un Enjeu Pour Mulhouse ! ; Colloque les 14 et 15 mai 2004; CRESAT ; La SIM; p. 1. 13

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musée d’impression sur étoffe de Mulhouse, si la grande machine à vapeur Sulzer-BBC de DMC peut être vue au musée EDF-Electropolis, le plus grand musée consacré à l’électricité en Europe, qu’en est-il des murs qui ont connu l’aventure de l’industrie textile? L’architecture industrielle, malgré sa forte symbolique, porte encore les stigmates d’un désamour du grand public14. Le site industriel doit en quelque sorte justifier sa valeur patrimoniale, son appartenance à la mémoire territoriale. Mulhouse, ville monde du 19ème siècle L'industrie textile apparaît à Mulhouse en 1746 avec l'imprimerie Koechlin, Schmaltzer, & Cie. Cette nouvelle activité est exclusivement consacrée à l'impression de tissus de coton. L’union de plusieurs imprimeries textiles sous l’aile des familles Dollfus et Mieg donne naissance à Dollfus-Mieg & Cie en 1800. Les vicissitudes commerciales relatives à la période post-révolutionnaire et à l’annexion de la petite Stadtrepublik sont relativement bien négociées par la jeune entreprise, notamment grâce à l’association au banquier bâlois Théodore de Speyr. Lorsqu’en 1806, la France interdit l’importation de toiles depuis l’étranger15, le groupe se tourne vers le tissage et la filature, en se procurant notamment des machines à tisser à partir de 1812. Cette démarche annonce l’une des principales valeurs de DMC avantguerre, l’usine de Mulhouse est intégrée, toutes les étapes de transformation de la matière première, le coton, sont réalisées à l’usine de Mulhouse. C’est dans cette perspective que l’usine acquiert en 1813 une machine à vapeur, et les Houillères de Ronchamp pour son alimentation en charbon. Elles sont exploitées jusqu’en 1840. Pendant cette grande période de l’indienne, DMC emploie de 2000 à 3000 employés, et l’usine s’étend sur 39,2 ha. Pendant tout le 19ème siècle, l’activité génère d’importants bénéfices qui permettent d’entretenir la politique paternaliste de Frédéric-Engel Dollfus, et de réinvestir sans cesse dans la modernisation de l’usine. Au XIXème siècle, Mulhouse est une ville monde qui exporte ses indiennes de coton vers le monde entier, New Delhi, Rio, etc. Après que l’industrie locomotive, textile, et ses industries satellites, chimique et mécanique, aie été propulsée par la première révolution

Grégory Schott ; Reconversion de la friche D.M.C. à Mulhouse ; Présentation d’un site urbain du patrimoine industriel ; Mémoire ENSAS, 2004. ; p. 4. 14

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Nicolas Shreck. Op. cit., p. 15.

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industrielle [du début du XIXème]16, la Prusse envahit l’Alsace en 1870, ce qui perturbe l’activité économique des entreprises mulhousiennes: l’exportation vers la France est soumise à des frais de douanes exorbitants, ce qui amènera DMC à construire une seconde usine à Belfort et à déménager une partie de la direction à Paris pour conserver sa clientèle française. Ces préoccupations privent DMC et ses industries annexes de la deuxième révolution industrielle, initiée par les perdants de la première, qui passent au devant de la scène, reléguant Mulhouse au second plan. La ville reste sur la base d’industries extrêmement performantes mais incapables de rivaliser avec ses nouveaux concurrents des pays émergents et des anciennes colonies de la seconde moitié du XXème siècle.

DMC dans les années 1970. On distingue le toit du réfectoire 1886 à gauche de l’image, avec, juste derrière, le bâtiment 75 dans lequel est actuellement installé Motoco. Derrière les bâtiments à sheds se trouvent les deux monstres, les bâtiments 62 et 63. Le nord-ouest de la cité ouvrière apparaît à droite de l’image, et en haut, les barres d’habitation apparaissent le long de l’avenue D.M.C. Source : Photographie, archives personnelles de André Rayot fondé de pouvoir de DMC jusqu’en 1978.

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Marie-Claire Vitoux. Op. cit.

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Désindustrialisation et reconversion progressive du site Pendant le 19ème siècle et jusqu’au début de la seconde guerre mondiale, l’industrie mulhousienne et DMC se portent bien, mais la deuxième occupation allemande coupe la ville du reste du monde et les usines sont réquisitionnées pour la fabrication d’équipements militaires, en particulier des pièces optiques pour les sous-marins allemands fabriqués par Siemens à DMC. Affaiblie par l’occupation, l’entreprise Mulhousienne est finalement contrainte de fusionner avec le groupe Thiriez-Cartier Bresson, c’est la création du « groupe DMC ». Le nom est conservé, mais la direction est désormais transférée à Paris puisqu’il faut gérer plusieurs usines. Malgré la perte du statut d’usine intégrée qui faisait sa robustesse, et la régression progressive du site, l’usine DMC de Mulhouse continue à faire du bénéfice17 jusqu’au dépôt de bilan du Groupe DMC en 2004. Aujourd’hui, une unité de production DMC SAS existe encore sur 5 ha, mais les 10 ha du cœur du site sont acquis en 2008 par la SERM, la Société d’Équipements de la Région Mulhousienne, le bras armé immobilier de la mairie18. Depuis les années 1970, la ceinture du site est progressivement distribuée par d’autres organismes, comme le journal L’Alsace ou encore l’entreprise Clemessy dont l’implication dans le programme spatial vaut à Mulhouse son appellation Ville Ariane19.

Le patrimoine industriel contre l’activisme de la pelleteuse À Mulhouse dans les années 1990-2000, le patrimoine industriel est considéré comme un boulet20. La municipalité de l’époque menée par Jean-Marie Bockel ne comprend pas tout de suite la valeur du patrimoine industriel. Le site de l’entreprise SACM (voire carte 1 en annexe), fermé depuis 1986, est jugé impossible à réhabiliter à cause de sa taille. La seule option explorée est donc celle de la destruction. La fonderie, avec une partie des sheds, est la seule à être sauvée grâce aux négociations entre défenseurs du patrimoine et le maire.

Yves Frey ; Le fil, l’échevette et le contemporain ; Pierre Fluck (dir) DMC : Patrimoine Mondial ? ; Jérôme Do Bentzinger Editeur. p. 51. 17

18

Entretien entre Jean-Luc Wertenschlag et Adrien Petit à Mulhouse le 08.04.2015.

19

Community of Ariane Cities ; Members ; www.ariane-cities.com/en/membres/.

20

Marie-Claire Vitoux. Op. cit.

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La sauvegarde de la Fonderie SACM La friche SACM est coincée entre le canal du Rhône au Rhin et la voie ferrée au sudouest du centre historique mulhousien. Dans ce cas, le problème soulevé par la réhabilitation d’une friche industrielle concerne l’apparence: on a sauvé un bâtiment pour l’unique raison qu’on pouvait le faire rentrer dans l’esthétique architecturale globale, admise par l’ensemble de la population21. Ce n’est évidemment pas le propre des bâtiments industriels, sauf dans le cas particuliers de la fonderie construite par l’architecte mulhousien Paul Marozeau en 1922. La cathédrale de béton, son architecture quasiment gothique et ses voûtes de béton permettait un éclairage naturel généreux et une ambiance caractéristique22.

Photo aérienne du site SACM, avec la fonderie de P. Marozeau au centre à droite. Les bâtiments à shed du haut seront remplacés par la clinique Saint-Sauveur, ceux à gauche seront occupés par Wärtsilä et Mitsubishi. Source : Pierre Lamard & Marie-Claire Vitoux (dir) ; Les friches industrielles, point d’ancrage de la modernité ; éd. Histoire, Mémoire & Patrimoine. ; p.156.

21

Marie-Claire Vitoux ; Op. cit.

22

Christian Plisson ; La fonderie ; p.19.

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Le Conseil Consultatif du Patrimoine Mulhousien (CCPM) joue un rôle majeur dans la sauvegarde de ce bâtiment, en luttant contre l’activisme de la pelleteuse23. En effet, la ville ayant projeté et commencé la destruction de l’ensemble de la friche, le CCPM parvient finalement à sensibiliser la municipalité sur l’importance de son patrimoine industriel, qu’on qualifiera plus tard d’essentiel à l’identité et à l’image de la ville. L’attention est plus particulièrement portée sur la Fonderie, qui dégage un potentiel esthétique plus intéressant que le reste des bâtiments SACM. Plusieurs solutions de réaménagement sont envisagées, même les plus extrêmes, le but étant de ne se priver d’aucune option et surtout, de ne pas se précipiter hâtivement vers une solution inadéquate qui aurait décrédibilisé l’utilisation d’un bâtiment industriel pour un nouvel usage. C’est finalement l’arrivée de la faculté des sciences sociales et juridiques de l’Université de Haute Alsace (UHA) qui joue un rôle décisif puisque qu’elle apporte le financement pour la réhabilitation de 17 300 m2 de programme avec une remise aux normes sismiques entière du bâtiment.

La fonderie SACM, ou cathédrale Marozeau, construite en 1922 et réhabilitée de 1997 à 2007 par Mongiello & Plisson pour l’UHA. Source : Mongiello & Plisson.

Sur le reste du site, la transformation débute au début des années 90 avec une partie des sheds conservée, pour conserver une activité industrielle avec Wärtsilä qui restera dix ans, et Mitsubishi encore présente aujourd’hui. La clinique Saint-Sauveur, aujourd’hui Diaconat Fonderie, des logements sociaux inaugurés en 1995 et 199724, et un hôtel d’entreprise sont également construits sur cette friche pour dynamiser les quartiers environnants avec certains classés Zone Urbaine Sensible. Aujourd’hui, c’est le bâtiment 23

Marie-Claire Vitoux. Op. cit.

P. Béranger ; Pierre Lamard & Marie-Claire Vitoux (dir) ; Les friches industrielles, point d’ancrage de la modernité ; éd. Histoire, Mémoire & Patrimoine. ; p.155 24

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9-15 (9 fenêtres en hauteur, 15 en largeur) de la friche qui est transformé en lofts par un promoteur, et km0, le pôle numérique en Alsace réunissant les différents acteurs du territoire25 qui se développe dans un bâtiment de la friche. Sans l’intervention de l’UHA, la fonderie serait passée à côté de sa réhabilitation, faute de moyens (23 millions d’euros pour les aménagements réalisés26). Il serait donc préférable de voir plus de programmes accessibles et normaux, d’initiatives privées, citoyennes, associatives, pour réinvestir les friches, sans avoirs recours aux deniers publics, insuffisants face au nombre de sites en attente de restructuration27. Alors que le patrimoine industriel ne peut pas être pris en charge entièrement par le pouvoir public, il doit être utilisé autrement que pour n’y installer que des services comme une université, en tentant de concilier valeur économique et valeur culturelle.28 Le projet porte à l’origine sur l’insertion des quartiers environnants pour leur développement et l’insertion de leurs habitants dans une friche initialement enclavée. Malheureusement, les nouvelles installations ne sont toujours pas suffisamment intégrées à la vie du quartier selon Jean-Luc Wertenschlag qui estime par exemple, que la fonderie n’est malheureusement d’aucun usage aux jeunes des quartiers sensibles adjacents: “Aujourd’hui, le campus fonderie est coupé du quartier de façon hallucinante. On s’arrache les cheveux pour trouver un moyen de faire coexister les deux ensembles. […] L’implication des habitants, la connexion avec les citoyens a forcément été pensée, avec des no man’s land tout autour.” Jean-Luc Wertenschlag29

La friche en tant qu’unité Le modèle SACM consiste donc en un fractionnement du site pour récupérer du foncier et y placer des services, développer des activités économiques et industrielles, ou encore construire des logements. Dans le cas de DMC (voire carte 1 et carte 2), le CCPM fait partie des acteurs qui ont permis de faire changer le regard sur un site industriel en

25

définition de km0 ; km0 ; www.km0.info.

Archi contemporaine ; La Fonderie ; www.archicontemporaine.org/RMA/p-8-lg0-La-Fonderie.htm? fiche_id=220. 26

27

Paul Béranger ; Op. cit., p.164

Marina Gasnier & Pierre Lamard (dir) ; Le patrimoine industriel, comme vecteur de reconquête économique ; éd. Histoire, Mémoire & Patrimoine. ; p. 12, p.13, p.14. 28

29

Jean-Luc Wertenschlag. Op. cit.

"14


orientant la pensée non pas sur un seul bâtiment, mais bien sur un ensemble industriel, en contrastant avec le travail de fragmentation effectué sur le site de la SACM. Le CCPM se positionne donc dans l’attente d’une proposition architecturale qui justifie par des arguments forts la destruction d'une ou plusieurs des parties du site industriel, en contraste avec la politique de destruction standard qui consiste à libérer du terrain pour redessiner un quartier et mettre du foncier à disposition. “Plutôt que de faire la preuve de l'innocence du bâtiment, on attend qu'on puisse faire preuve de sa culpabilité.”30 Marie-Claire Vitoux31.

Avec l’instrumentalisation de ce premier projet, le CCPM incite la mairie à adopter une politique urbaine qui prenne en compte la conservation de l’ensemble du site DMC, tout en évitant la fragmentation du site par une succession de programmes propres à chaque bâtiment.

Situation du patrimoine DMC et liens vers la ville et le territoire Un environnement empreint de l’histoire industrielle mulhousienne Mulhouse souffre d’une partition entre l’est et l’ouest de la ville, une division héritée de l’industrialisation. Au temps de la ville médiévale, tous les habitants vivent dans l’enceinte fortifiée, alors qu’au cours du 18ème siècle, la ville s’étend au delà de ses remparts32. Les industriels souhaitent ensuite s’installer en communauté de personnes de même catégorie sociale, avec notamment la construction des appartements particuliers de la place de la bourse autour de la Société Industrielle Mulhousienne, co-fondée en 1826 par Émile Dollfus, un des directeurs de l’usine DMC. Les nantis s’installent peu à peu sur la colline du Rebberg surplombant la ville, pour y construire maisons et parcs sur les anciennes vignes33. Parallèlement, le monde ouvrier se développe à proximité des usines, et notamment dans la cité adjacente à l’usine, en ce qui concerne le cas de DMC

30

Marie-Claire Vitoux. Op. cit.

31

ibidem.

32

ibid.

d’après la banque de plans des archives municipales, 1642, 1797, 1830, 1844, 1850, 1860, 1873, 1877, 1886, 1896, 1903, 1910, 1911, 1912, 1919, 1934, 1943. 33

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qui mettra plusieurs mesures en place pour l’épanouissement de ses ouvriers pendant sa politique paternaliste menée par Frédéric Engel-Dollfus au 19ème siècle. On retrouve encore cette partition aujourd’hui, avec les quartiers adjacents à DMC globalement populaires : la cité ouvrière classée zone urbaine sensible, développée autour de l’activité économique du gigantesque site industriel, ou encore les appartements de la rue Aristide Briand, paupérisés après le départ des classes moyennes mulhousiennes vers l’agglomération mulhousienne. DMC, un patrimoine, une identité La réhabilitation du site DMC doit être pensée comme un ensemble, tirant ses leçon de la première opération de réhabilitation de la SACM en 1997. On parle bien d’un ensemble industriel, qui doit progressivement se rattacher aux quartiers environnants.

Le réfectoire 1886 dans un environnement végétal riche. Source: photographie personnelle.

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Je ne valide pas la défense du patrimoine industriel d'un point de vue quantitatif. Ce la n'a pas de sens. Je ne valide pas non plus l'idée de défendre les bâtiments tels qu'ils sont là maintenant. J'affirme que la défense du patrimoine n'a de sens qu'à partir du moment où elle accompagne les mutations et les dynamiques urbaines. Ce ne doit pas être quantitatif, mais qualitatif. Marie-Claire Vitoux.34

Mulhouse tire sa particularité de son passé industriel, c’est ce qui la distingue de Colmar ou Strasbourg. Selon Marie-Claire Vitoux, il ne faut en aucun cas s’occuper de conserver les bâtiments dans leur état originel dans un souci d’authenticité pur, puisque ces installations ont connu d’innombrables transformations au cours de l’histoire de l’usine. À chaque réorganisation de l’activité, chaque installation de nouvelles machines, les bâtiments voient leur fonction modifiée. Le seul paramètre à conserver, c’est l’esprit des lieux. Mulhouse doit renouveler ses ressources ouvrières, évoluer vers de nouvelles pratiques industrielles, numériques, créatives, mais son histoire ne change pas. L’intégrité de l’identité mulhousienne doit être respectée. La friche dans Mulhouse La parcelle de 10ha acquise par la ville contient l’ensemble des bâtiments historiques de DMC construits entre 1870 et 1930 comprenant principalement des constructions à sheds, et des barres pouvant faire jusqu’à 228m de long. Autour de cette friche se trouvent plusieurs anciens bâtiments industriels réhabilités, comme l’usine en activité pour le compte du nouveau groupe DMC SAS, l’entreprise Clemessy et le journal l’Alsace qui occupent d’anciennes filatures depuis 1963 et 1970, ou encore le lycée professionnel Stoessel, installé dans une ancienne usine Frey depuis 1946. Le groupe scolaire Jean XXIII, des locaux d’entreprises et d’associations diverses, des concessions automobiles, la cité ouvrière du 19ème, et des barres HLM relativement dégradées35 complètent l’environnement disparate du site. La friche DMC est également accompagnée d’autres friches disséminées dans ce tissu hétérogène, comme l’ancienne usine Superba. Globalement, cette friche est le vestige persistant d’une gloire passée36,

34

Marie-Claire Vitoux. Op. cit.

35

Entretien entre Stéphanie Honigmann et Adrien Petit à Mulhouse, le 23.04.2015.

N. Durand, M. Chen, J. Yvon ; Les friches industrielles, point d’ancrage de la modernité ; Les friches industrielles, une face des impacts anthropiques. ; éd. Histoire, Mémoire & Patrimoine. ; p.38. 36

"17


un objet de fierté qui aurait pu souffrir d’une éventuelle pression foncière37 dans un marché immobilier moins atone38 Pour le moment, la gare de tram-train de Dornach constitue le seul point d’accroche de DMC vers la ville. Cette gare, placée stratégiquement à proximité de la friche lors de l’extension du réseau, relie la vallée de Thann à la gare de Mulhouse, permettant un trajet DMC-Bâle en une demi-heure avec une correspondance. En plus de la gare tram-train, le site bénéficie de plusieurs liens potentiels. Sa proximité avec la voie rapide permet d’envisager une ouverture commerciale vers le territoire. L’axe Av. Aristide Briand - Av. Président Kennedy connecte DMC au centre-ville. Progressivement paupérisé et délaissé depuis les années quatre-vingt avec le déclin industriel et le départ des classes moyennes de la ville vers sa banlieue, cette artère de premier ordre ne peut que tirer profit de la dynamisation du quartier DMC. À la veille du rachat du site par la SERM, la ville fait le deuil de DMC devenu un déchet social, mais qui n’est pas considéré comme une opportunité foncière puisque la ville et son maire, Jean Marie Bockel, sont sensibilisés à l’importance du patrimoine industriel mulhousien grâce au premier épisode de la friche SACM.

Une ville dans la ville ; L’évolution du quartier DMC selon l’agence Seura. L’usine initialement construite à la campagne est peu à peu gagnée par la ville puis contrainte par l’automobile, avant d’être divisée en sous-ensembles dans les années 70. Source : Quartier DMC: Perspectives d’avenir, p. 8.

37

idem, p.37.

38

Jean Rottner ; Op. cit.

"18


Le projet DMC dessiné par plusieurs acteurs La réhabilitation du projet DMC est le produit d’une opération mêlant différents acteurs parmi lesquels figurent deux municipalités successives, les défenseurs du patrimoine mulhousien, les associations, le collectif Motoco incarné par Mischa Schaub, et trois agences d’architectes urbanistes sollicités par la municipalité.

La friche DMC prise en main En 2008, la Société d’Équipement de la Région Mulhousienne (SERM) achète 10 ha du site DMC pour la ville, alors que l’usine du groupe DMC SAS nouvellement créé se recentre sur 7 ha39. Immédiatement après, en 2009, la ville de Mulhouse lance une étude de projet sur un périmètre dépassant largement le site: de l’avenue DMC à l’avenue Aristide Briand, de la rue de Pfastatt aux voies ferrées40, en vue de dynamiser tout un morceau de ville oublié. À cette époque, Jean-Marie Bockel est encore maire de Mulhouse (1989 à 2009), et déjà sensibilisé aux enjeux liés au patrimoine industriel de sa ville après la sauvegarde in extremis d’une partie des bâtiments de la friche SACM dans les années 90. Genèse La population mulhousienne, elle, a terminé son travail de mémoire41 sur son héritage, puisque les citoyens commencent à projeter leurs propres visions sur la friche. C’est ainsi qu’en 2007, à la veille des élections municipales, l’association Mulhouse, J’y crois édite un document Projet DMC, accélérateur de métropolisation regroupant les visions citoyennes et les propositions des adhérents. Ce travail est effectué avec deux personnes incontournables, Marie-Claire Vitoux, présidente du CCPM à ce moment-là, et Pierre Fluck, chercheur à l’UHA. Alors que le président de l’association Frédéric Marquet précise que le rôle de

39

Mairie de Mulhouse ; Réaménagement du quartier DMC ; DMC en quelques dates ; mulhouse.fr.

Ville de Mulhouse, David Cascaro, École Supérieure d’art le Quai, Stéphanie Honigmann, Service de l’urbanisme ; Quartier DMC: perspectives d’avenir. ; Mairie de Mulhouse ; p. 5. 40

41

"19


l’association est strictement force d’idées et de propositions42, plusieurs des conclusions et propositions se retrouvent dans les versions successives du projet DMC, à savoir43 : -

la préservation du patrimoine, appuyée par les chercheurs du CRESAT pour accroître l’intérêt touristique de Mulhouse, déjà reconnue pour ses musées de l’industrie, avec La Cité du Train, le musée de la collection SNCF depuis 1971, la Collection Schlumpf, le musée de l’automobile et Électropolis, le musée de l’électricité où est visible la grande machine à vapeur Sulzer-BBC qui alimentait l’usine DMC de 1901 à 1953.

-

l’ambition de faire du quartier DMC un quartier écologique, et l’inscrire dans un esprit de développement durable, en conservant l’empreinte végétale qui sublime aujourd’hui le réfectoire de 1886, ou encore en préservant le quartier de la circulation automobile pour ainsi amorcer la transition vers d’autres modes de transport, et en restaurant le réseau de canaux, jugé comme partie intègre du patrimoine industriel.

-

la mise en place d’un moteur économique favorisant l’implantation de petites et moyennes entreprises de préférence créatives, avec la création d’une « maison des artistes ». L’association préconise la mixité sociale dans la création de zones résidentielles et commerciales, pour éviter exclusion par élitisme.

-

la création de liens nouveaux aux échelles du quartier, de la ville et du territoire, en utilisant la richesse des solutions de transport existantes, en créant une connexion entre le site et la gare de tram-train de Dornach située à 150m de l’entrée du site au bout de la rue Antoine Herzog. Le tram-train mulhousien dessert principalement le centre-ville, les quartiers nord et l’ouest, avec les Coteaux et le campus universitaire.

Préoccupations de la ville Dans le fond du projet DMC, la ville projette de renforcer son rayonnement régional et tri-national, de revitaliser ce quartier populaire pour atténuer les inégalités, mettre en 42

Échange entre Frédéric Marquet et Adrien Petit, e-mail, 02.03.2015.

Pour l’ensemble des propositions énoncées : Mulhouse, J’y crois ; Projet DMC : accélérateur de métropolisation ; 2007 ; p. 2. 43

"20


valeur son patrimoine exceptionnellement bien conservé en 2009 sur plusieurs friches, et établir un modèle, un exemple sur le plan environnemental44. Le patrimoine est utilisé comme une source de développement local, en alliant l’ancien et le nouveau45, et nous le verrons plus tard avec Motoco, pour recréer une activité économique sur les ruines de l’industrie passée. Ces ruines, ces bâtiments qui ont fait l’histoire, on désire désormais les conserver et les insérer dans un projet plus large de recomposition du tissu urbain46. On désire démontrer la culpabilité d’un bâtiment avant de le démolir, plutôt que de devoir trouver une raison de le garder47. Pour trouver une forme, la municipalité se tourne vers trois agences d’architectes urbanistes renommées, Richard Seura, Bernard Paris, et Reichen & Robert, sélectionnées parmi d’autres candidats, pour effectuer trois études de définition48 du projet DMC en parallèle49. Un premier diagnostic commun aux trois agences sélectionnées met en avant le besoin d’équilibre par rapport aux autres grands projets mulhousiens, comme l’élaboration d’un nouveau pôle économique autour de la gare et du TGV, le besoin d’utiliser le potentiel foncier d’une friche en bon état de conservation, tout en respectant l’unité de DMC, ville dans la ville50. Ces préoccupations se précisent avec les trois projets avancés par chacune des agences participantes, avec la nécessité de voir DMC comme un projet évolutif et réversible, pouvant s’adapter à des dynamiques variantes selon les périodes que traversera le projet, tout en précisant son rôle dans sa participation à la construction d’une cité durable.

Ville de Mulhouse, David Cascaro, École Supérieure d’art le Quai, Stéphanie Honigmann, Service de l’urbanisme Op. cit., p. 5. 44

45

Marina Gasnier & Pierre Lamard (dir) ; Op. cit., p. 14.

J. L. Kerouanton ; Réhabilitation de la friche industrielle de l’île de Nantes, 1999-2006, Projet, Connaissances, Programme, Trois évolutions simultanées ; Marina Gasnier & Pierre Lamard (dir) ; Le patrimoine industriel, comme vecteur de reconquête économique ; éd. Histoire, Mémoire & Patrimoine. p. 72. 46

47

Marie-Claire Vitoux. Op. cit.

«[Une étude de définition] permet, dans les cas où un projet ne peut faire l’objet d’un programme précis déterminé à l’avance, d’explorer les possibilités et les conditions d’établissement d’un marché ultérieur». Source : M. Daniel Raoul, question écrite n°11835 ; Les marchés de définition et l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne du 10 décembre 2009, 13e législature. www.senat.fr/questions/base/2010/ qSEQ100111835.html. 48

49

Stéphanie Honigmann, Op. cit.

Ville de Mulhouse, David Cascaro, École Supérieure d’art le Quai, Stéphanie Honigmann, Service de l’urbanisme Op. cit., p. 7. 50

"21


Trois participants, trois points de vue Dans leurs différentes propositions, les trois équipes abordent des approches différentes, divergentes concernant la porosité de l’ensemble, mais sans pour autant se contredire. sur l’ensemble des questions posées. La réponse au projet reste globalement unanime en ce qui concerne les enjeux environnementaux, avec des conclusions proches de celles avancées par l’association Mulhouse, J’y Crois mentionnées précédemment. L’accès au site est prévu pour les piétons, les cyclistes, et uniquement les véhicules de desserte et de secours. L’empreinte végétale est conservée et renforcée dans chacun des trois projets. L’eau bénéficie d’un redéploiement sur l’ensemble du site permettant de capter les eaux pluviales.

Le projet selon l’atelier Bernard Paris & Associés. Semé d’espaces publics, le site est traversé par un lien végétal permettant de relier la voie ferrée et la rue de Thann à la cité ouvrière. Source : Quartier DMC: Perspectives d’avenir, p. 16

L’accès au site est une composante essentielle du projet, coupé de la ville par sa configuration. Les projets de B. Paris & Associés et Seura dégagent des accès et aèrent le site par la destruction d’un certain nombre de bâtiments, alors que le projet avancé par Reichen & Robert est le seul à conserver un maximum de bâtiments existants, tout en concevant un ensemble fonctionnel. C’est une des raisons qui mènent à sa sélection. Les trois candidats utilisent l’ouverture évidente vers la gare de tram-train de Dornach reliant le site à la gare de Mulhouse, elle même le rendant accessible depuis Bâle, "22


Colmar ou Belfort en une trentaine de minutes. Pour ouvrir le site sur la ville, malgré le cloisonnement apparent, les trois équipes connectent DMC au tissu urbain par les rues existantes, renforçant la trame et en y intégrant celle de la friche. Ces connexions se font différemment selon le projet. L’atelier Bernard Paris & Associés travaille sur le caractère durable du quartier et son ouverture. Le projet consiste à faire émerger du site des espaces publics (la place de la fabrique, le square Lagrange) dans le périmètre ouvert sur la ville avec l’extension de l’artère végétale se déployant autour du réfectoire 1886, au prix de la destruction d’une partie des bâtiments à sheds, alors que deux tiers des 650 logements proposés utilisent des constructions neuves. La voirie est revue et structurée selon la même artère végétale, et par les nouveaux espaces publics, tapissés de briques recyclées, qui occupent la fonction de forum indispensable pour la réhabilitation de l’ensemble. Plusieurs équipements et jardins familiaux sont mis à proximité et à disposition du quartier Aristide Briand/Cité pour dynamiser la zone et éviter l’apparition de barrières sociales. La friche est également utilisée pour mieux traiter l’entrée de ville avec la revalorisation du terrain de l’ancienne concession Peugeot.

L’agence Seura propose d’articuler le quartier autour d’un centre, ce qui permettrait d’attirer la population et les activités. Source : Quartier DMC: Perspectives d’avenir, p. 20.

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L’agence Seura organise le quartier entier autour d’un noyau situé à l’emplacement actuel du plus grand bâtiment à sheds. Cette configuration créé une orientation de l’ensemble du site vers ce point central traduisant la volonté des candidats de faire de DMC un pôle attractif de la création, de la culture et des activités nocturnes peu développées à Mulhouse, pour y drainer les habitants et les investisseurs. Des équipements culturels comme la Cité de la musique et des loisirs, des galeries ou encore un nouveau conservatoire de musique (l’actuel se trouvant derrière la gare de Mulhouse) viennent compléter l’identité défendue par Seura pour une friche reconquise par la programmation événementielle et culturelle. Seulement un tiers des 500 logements proposés se fait par la réhabilitation de l’existant.

DMC²

Mulhouse, France En plus d’améliorer les connexions avec l’extérieur, l’agence Reichen & Robert Lauréat propose la conservation de de l’étude de définition, 2010 tous les bâtiments de la friche. Source : Agence Reichen & Robert ; DMC2, domaine métropolitain de la coopération etETdeDElaLA création. Maître d’ouvrage : DOMAINE METROPOLITAIN DE LA COOPERATION CREATION Revalorisation du site par la programmation, 7 façons de valoriser les usages, le projet urbain, 7 actions et concepts de la ville offrant aux développements futurs un cadre basé sur des notions d’invariants et de mobilité, et 7 enjeux environnementaux

Ville de Mulhouse SERM Maître d’œuvre :

et Robert & Associés Enfin, l’agence lauréate, Reichen & Robert, se détache de sesReichen concurrents avec la Gallois Curie Atelier de paysage, paysagiste

conservation de la totalité des bâtiments présents sur la friche en Tetra gardant leurs peaux et , Programmiste Depuis plus d’un siècle DMC a animé une ville, une société et partagé une ambition sociale, technique et de développement. Aujourd’hui, la symbolique de cette dynamique, tournée vers l’avenir, doit se retrouver dans le projet urbain qui concrétisera sa réintégration à part entière dans la ville de Mulhouse, à nouveau comme un fleuron de son dynamisme.

Franck Boutté Consultants, Conception et ingénierie environnementale BEJ SAS , Bureau d’études LTA, Economiste de la construction

en repensant les espaces intérieurs. Le traitement prévoit également plusieurs projets Le projet qui va prendre place dans lieu unique tant par sa valeur symbolique, sociale, patrimoniale distincts répartis dans lescedifférentes entités du quartier selon une structure nucléaire que par sa composition urbaine particulière que nous nommerons « domaine », doit amener l’esprit de la Superficie : 70ha

société actuelle et ses ambitions.

avec les activités rassemblées au centre du site, et les logements neufs construits en Cette dualité entre patrimoine et invention constitue les fondements du développement du projet urbain s’appuyant sur le principe du réemploi associé à une démarche environnementale globale. Le réemploi de la structure urbaine, des bâtiments, une programmation innovante fondée sur les « classes créatrices », les arts, la culture, l’enseignement, la démarche environnementale globale vont proposer une mosaïque de solutions adaptables aux modes de vie, aux « sociétés en mouvement », composer ce site et en faire un lieu de destination.

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En devenant Le Domaine Métropolitain de la Coopération et de la Création, DMC, va (re)prendre sa place dans l’espace et le temps et (re)devenir un point d’intensité à l’échelle de la métropole tout en conservant sa vie de proximité qu’il reste à (ré)inventer.


périphérie du cœur industriel historique. Le quartier de la gare de Dornach est repensé, avec des activités commerciales et des logements, et s’accroche à la friche avec un large parvis minéral. La présence végétale est dérisoirement plus légère que dans les autres projet, mais semble mieux répartie, avec en plus d’une forêt urbaine, la mise en place de jardins participatifs. Les voitures ne circulent pas sur le site, mais des parkings silo sont prévus pour ne pas priver le site d’une partie de la population utilisant l’autoroute ou n’étant pas desservie par le tram. Cet appel à projet est encore vivement critiqué en raison des sommes d’argent pharaoniques qui y ont été consacrées51

52,

mais puisque c’est chose faite, il faut bien

reconnaître que cette étape fournit un modèle, une photographie des enjeux mulhousiens en 2009 sur laquelle la ville travaille encore aujourd’hui pour l’adapter aux nouvelles problématiques, dans une reconversion qui s’étalera très certainement sur plusieurs décennies. Une grande période vide succède à l’excitation et l’engouement du projet. Certains dénoncent les caisses vides de la ville tandis que la municipalité explique ce tournant par la décision de la Cour de justice de l’Union européenne d’interdire « l’attribution d’un marché d’exécution à l’un des titulaires des marchés de définition initiaux, avec mise en concurrence limitée à ces titulaire »53

54.

Cet arrêt étant décrété en décembre 2009, la

ville ne peut plus travailler légalement avec l’agence Reichen & Robert. Pour le maire de Mulhouse, Jean Rottner, en fonction depuis 2009, cette première étape constitue pourtant une base pour l’évolution progressive et précautionneuse du projet, un tâtonnement55 indispensable pour la validité du projet. L’étude complexe menée par l’équipe lauréate étant juste et la toute nouvelle collaboration avec IBA amenant le projet DMC dans une nouvelle dimension tri-nationale, le maire reconnaît toutefois que le budget mulhousien est limité, la ville ne pouvant pas financièrement engager une reconversion de cette ampleur seule, comme nous en avons convenu en conclusion de l’analyse du projet SACM. Cette limite budgétaire s’avère être un atout puisque la ville

51

Jean-Luc Wertenschlag. Op. cit.

52

Entretien téléphonique entre Mischa Schaub et Adrien Petit le 15.05.2015.

53

M. Daniel Raoul ; Op. cit.

54

Stéphanie Honigmann, Op. cit.

Didier Plas ; Pierre Lamard & Marie-Claire Vitoux (dir) ; Les friches industrielles, point d’ancrage de la modernité ; éd. Histoire, Mémoire & Patrimoine. ; p. 167. 55

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se tourne vers les acteurs locaux moins exigeants financièrement mais motivés par les projets qu’ils avancent et l’idée de contribuer au projet DMC. Avec l’intervention de ces nouveaux acteurs, essentiellement Mischa Schaub et Motoco, le projet ne doit non pas se construire en une multitude de pôles indépendants, mais bien en une multitude d’organes complémentaires à l’échelle de la friche dont on souhaite conserver l’ensemble, mais aussi à l’échelle de la ville.

Motoco, un avenir pour la friche DMC De l’argent suisse et du terrain français: de IBA à Mischa Schaub En 2012, Christine Eckert saisit l’opportunité d’inscrire le projet DMC à l’IBA, ce qui permet à la ville de devenir partenaire du projet. IBA-Basel est une exposition internationale d’architecture se définissant comme un instrument de développement urbain et régional au sein de la région tri-nationale. Son slogan, Au-delà des frontières, ensemble, traduit le désir de donner un nouvel élan à cette culture de coopération transfrontalière56 en développant le rayonnement régional et la coopération entre ses différentes agglomérations suisses, allemandes, et françaises. Comme son nom l’indique, IBA Basel s’articule principalement autour de Bâle, une ville cernée par la frontière allemande et le massif de la Forêt Noire au nord, et l’arc jurassien au sud. La vallée du Rhin, à l’est, étant trop étroite, la ville ne peut que s’ouvrir vers le généreux plateau alsacien à l’ouest. Cette configuration amène par exemple les villes de Mulhouse et Fribourg en Allemagne, à coopérer avec la Suisse pour la construction de l’aéroport Basel-Mulhouse-Freiburg qui entre en service dans les années 7057. Aujourd’hui encore, au-delà des avantages financiers, la saturation de Bâle conduit l’équipe du projet Motoco à investir de l’espace français. Selon le discours officiel, c’est IBA Basel qui fait l’intermédiaire entre les projets de DMC et de Motoco. Selon Mischa Schaub, l’IBA constitue avant tout un instrument de communication essentiel à la diffusion des actions menées par l’association.

56

IBA ; IBA-BASEL 2020, Objectifs ; Grandir ensemble dans l’espace trinational ; iba-basel.net

57

EuroAirport Basel Mulhouse Freiburg ; EuroAirport : au service de la RegioTriRhena ; euroairport.com.

"26


Un collectif international à Mulhouse C’est en 2011 que Motoco voit le jour, fondé par son président Mischa Schaub, directeur et professeur à HyperWerk Institute for Postindustrial Design de l’école d’art de Bâle, Sabine Hirtes, professeure en postproduction vidéo à la Hochschule Offenburg, Thibaut Wenger, metteur en scène et directeur artistique à Premiers Actes, Dirk Lohaus, chef de projet à IBA Basel, Julien Pauthier, artiste sonore et membre de ÖDL, Jean-Luc Wertenschlag, chargé de multiplier Old School et Radio MNE,et Hélène Cascaro, directrice du musée Unterlinden de Colmar58. Né du besoin de réinventer le design et son enseignement, le collectif lance un Social Activist Movement, une révolution éducative en créant un mouvement dans lequel les créateurs créent leur éducation59. Après avoir activement recherché de nouvelles méthodes de travail, établi de nouvelles structures lors de collaborations internationales, des Balkans à l’Inde60 en passant par la Turquie61, Motoco passe au niveau supérieur en recherchant un lieu qui constituerait le noyau du collectif, un quartier général accessible aux acteurs internationaux du projet. Comme nous l’avons vu, Bâle est enclavée et le prix de l’immobilier est extrêmement élevé, ce qui conduit Mischa Schaub vers Mulhouse, une ville qui rassemble tous les atouts essentiels au bon fonctionnement de l’association. En plus des avantages liés à sa localisation, sur le plateau alsacien et sur l’axe métropolitain Rhin-Rhône, la ville est impliquée dans la tradition de coopération transfrontalière avec ses voisins suisses et allemands, tout en bénéficiant d’une image entrepreneuriale ancrée dans l’histoire industrielle de l’Alsace du sud62. Après une collaboration avortée avec la Chambre de Commerce et d’Industrie de Mulhouse pour l’occupation d’un bâtiment situé près de la gare, l’alsacien David Cascaro, directeur de l’école d’art Le Quai et de la HEAR (Haute École d’Arts du Rhin) montre la friche DMC à Mischa Schaub qui y voit immédiatement un potentiel précieux et des espaces immense inutilisé. Lorsqu’il inscrit, en 2012, le projet Motoco au 58

motoco ; Les fondateurs de motoco ; motoco.me

59

Mischa Schaub ; Op. cit.

60

Hyperwerk ; Swiss & Indian Students Design Together Clever Crafts for Green Steel ; hyperwerk.ch ; p. 1.

61

motoco ; L’HISTOIRE DE motoco ; motoco.me.

62

Stéphanie Honigmann ; Op. cit.

"27


programme Triptic63 de ProHelvetia, il propose à la SERM de rejoindre le projet64 en mettant une partie de la friche à disposition. 500m2 du bâtiment 75 sont ainsi attribués après la sélection du projet par le jury tri-national de Triptic65. Succédant au collectif ÖDL, ayant utilisé le bâtiment pour y organiser des concerts, Motoco s’installe définitivement dans la friche DMC. On avait gagné, on était entrés par la porte de derrière. Mischa Schaub66.

Le bâtiment 75, siège de Motoco. Source : photographie personnelle.

En signant un contrat de location avec la SERM, le collectif obtient des droits et l’accès à l’ensemble du bâtiment 75. Selon Mischa Schaub67, c’est à partir de ce changement que la confiance s’établit entre les deux parties. L’association gagne en crédibilité face à la mairie qui prend en charge une partie des risques jusque-là portés par l’association, Le projet Triptic consiste en la sélection de 17 projets artistiques mettant en valeur les échanges culturels dans la région tri-nationale dans la région de Bâle. Source : ProHelvetia ; Triptic - Cultural Exchange in the Upper Rhine Region ; prohelvetia.ch. 63

64

Mischa Schaub ; Op. cit.

65

Mischa Schaub ; CV Mischa Schaub ; transbazar.org.

66

Mischa Schaub ; Op. cit.

67

Mischa Schaub, Op. cit.

"28


qui ne bénéficie que du soutien de partenaires culturels ne pouvant pas subvenir aux besoins financiers. Ce risque et ce manque de ressource constitue une force pour Motoco, un trait survivaliste qui, selon son créateur, lui assure plus de pérennité que km0 à la SACM, soutenu entre autres par la Chambre de Commerce et d’Industrie Sud-Alsace et plusieurs banques alsaciennes68.

Le rez-de-chaussée du bâtiment 75 occupé par Motoco. C’est un espace d’exposition, de conférence, ou encore d’expérimentation. Source : photographie personnelle.

La vie au bâtiment 75 Motoco, qui se qualifie de laboratoire sociétal, et de pépinière d’artistes internationale regroupe aujourd’hui 70 membres et 24 collectifs, de discipline et nationalités diverses et variées dans ses locaux69. Ces acteurs de l’économie créative régionale et internationale70 sont plasticiens, sculpteurs, designers, photographes, vidéastes, musiciens, ou encore informaticiens71. L’un d’eux, Nicola Aramu, peintre et graveur italien, ayant fait ses études à l’Institut d’Art et aux Beaux Arts de Venise72, occupe un ateliers voisin de celui de Fraenkel,

68

Jean Rottner, Op. cit.

69

motoco ; Membres ; motoco.me

70

ibidem.

71

motoco ; 2012 Motoco -More to come- DE LA FRICHE A LA CITE D’ARTISTES ; motoco.me.

72

Nicola Aramu ; Vita ; nicolaaramu.com.

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plasticien cascadeur73 friand de performances et de peintures dans le domaine urbain74. Dans le même bâtiment se trouvent les studios de Radio MNE, la dernière radio libre75 de Mulhouse, diffusant une trentaine d’émissions, des débats et une grande variété de styles musicaux76.

L’Atelier de Pierre Fraenkel à Motoco par Pierre Fraenkel. ; Source : Pierre Fraenkel.

Être à Motoco permet aux locataires de vivre au sein d’un groupe, d’être solidaires, de s’entraider, et de profiter du métamorphisme de contact77 généré par une telle concentration, et aussi d’avoir plus de présence dans les médias et dans la presse. Ces acteurs ont rapidement sous-loué les ateliers disponibles grâce au bouche à oreille, et surtout le tarif avantageux de 1,50€/m2/mois78. Cette précipitation pourrait ne pas s’observer avec une même intensité pour OpenParc, puisque les loyers des structures

73

ibidem.

74

Julien Di Gusto ; Pierre Fraenkel ; 18.05.2011 ; subject.fr.

75

Radio MNE ; Qui sommes-nous? ; radiomne.com.

76

ibidem.

77

Marie-Claire Vitoux. Op. cit.

78

Jean-Luc Wertenschlag, Op. cit.

"30


futures passeront à 6€/m/mois79, une augmentation indispensable aux associations pour rester indépendantes80. Les artistes partagent leur art et leurs productions lors de la journée d’ouverture mensuelle au public. Cet évènement baptisé Motoco Sundays et la médiatisation croissante par internet, la presse ou encore Radio MNE rendent l’initiative familière auprès d’un public grandissant. Le maire de la ville décrit le projet comme la preuve qu’il est possible, aujourd’hui de réunir plusieurs personnes motivées pour monter un projet fou, et faire revivre la plus grande friche de la ville. Pour son créateur, Motoco n’appartient a personne, il est à tout le monde81, et c’est dans cet esprit que les partenariats se multiplient, avec l’école d’art Le Quai, ou encore le lycée professionnel Stoessel. Les artistes feront également le premier pas vers la population voisine en juin, en s’installant dans les boutiques désaffectées de l’avenue Aristide Briand avec Transbazar.

Openparc, Motoco à la puissance cinq82 Un projet crédible et durable Après un an et demi d’occupation du bâtiment 75, Mischa Schaub lance un second projet pour étendre le modèle Motoco à l’ensemble de la friche, Openparc. La liberté et la folie du mouvement restent des paramètres indispensables pour rester fidèle à la démarche, mais le projet doit convaincre les décideurs, la mairie, et par conséquent, générer un revenu qui puisse financer, au moins en partie, les travaux d’aménagements relatifs à l’évolution du projet. L’association émet les idées pour construire le projet, et la municipalité s’occupe, au delà de sa participation, de mettre des conditions en place pour permettre au projet d’aboutir dans des conditions optimales. En l’occurence, le maire ne cache pas son désir pour un projet économiquement viable, avec un plan de développement abouti, des éléments rassurants concernant le durabilité et la crédibilité du projet, ce qui permettra à la ville de confier plus de surface au projet83. La ville, par 79

ibidem.

Barbara Zegarac ; Émission Mulhouse c’est vous, OpenParc c’est qui ? ; Émission du 29 janvier 2015 ; Jules Roques Radio MNE ; http://radiomne.com/tag/motoco/. 80

81

motoco ; Op. cit.

82

Emmanuel Delahaye ; Openparc, Motoco à la puissance cinq ; L’Alsace ; 28 novembre 2014.

83

Jean Rottner ; Op. cit.

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le biais de la SERM a déjà consacré 1,5 millions d’euros, et la Région Alsace, 330 000 euros pour des aménagements et mises aux normes du bâtiment 7584. Du côté de Motoco, le projet se développe aussi avec prudence. Un projet miniature développé sur quatre bâtiments, permettra de tester le concept, identifier et corriger les éventuels dysfonctionnements85 jusqu’en 2017. En 2020, année de l’exposition IBA Basel, Motoco compte atteindre 900 personnes86 actives sur le site Openparc, et atteindre un degré de visibilité permettant de capter toujours plus d’esprits créatifs, élargir les rangs, faire grandir le projet et multiplier les initiatives et les projet. Construire une nouvelle économie sur les ruines du passé Cinq nouvelles associations chargées de cinq grands domaines viendront accompagner Motoco dans la gestion du projet. Dans le domaine économique, essentiel à la survie du projet, on retrouve :

Les bâtiments à sheds entre les bâtiments 75 et 62, qui accueilleront l’interface publique playerpiano. Source: photographie personnelle.

84

Openparc ; motoco openfab openhost openstudio playerpiano openparc ; dossier de presse ; 2015. p. 6.

85

Jean Rottner ; Op. cit.

86

Openparc ; Op. cit., p. 1.

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Cette illustration représente le projet Openparc en plan, avec de bas en haut : le réfectoire 1886 réhabilité dans sa fonction originelle, l’hôtel zéro étoiles se trouve dans le bâtiment 118 adjacent au réfectoire, et Motoco reste dans le bâtiment 75. L’interface publique s’organise dans l’ensemble des bâtiments à sheds, et l’interface économique, avec le bâtiment 62 consacré à openfab, et le bâtiment 63 pour openstudio.

-

Openstudio, avec la gestion des activités web et médias, un studio de télévision, et une pépinière d’entreprises de services, illustration parfaite de l’ouverture de la ville aux médias et aux nouvelles technologies.

-

Openfab, qui regroupe les activités de fabrication pour promouvoir l’artisanat par la création de prototypes et de petites séries de produits. C’est aussi l’occasion de développer de nouvelles techniques de fabrication de meubles à partir de machines CNC, qui seront prêtées dans un premier temps par Motoco87. Comme l’indiquent leurs noms, Openfab et Openstudio seront ouverts à tous, pour permettre à chacun de réaliser un projet et de le développer88.

87

motoco ; Op. cit.

88

Barbara Zegarac ; Émission Mulhouse c’est vous, OpenParc c’est qui ? ; Op. cit.

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-

Openhost, un hôtel zéro étoiles qui sert également de support aux conférences, réunions de travail, et expositions, il contribue au rayonnement international du projet.

-

Playerpiano, un organisme de promotion des activités du site, de démonstration de processus de travail innovants d’éducation. Cet organisme assure le rôle d’interface public, alors que Openstudio et Openfab se placent dans le domaine économique. C’est un organe important à mettre en place puisqu’il permet de diffuser les valeurs du projet pour attirer de nouveaux acteurs.

Le maire de Mulhouse est particulièrement investi dans le projet pour sa pertinence et son originalité, mais aussi parce qu’il prend un risque politique, partagé avec les initiateurs du projet. Il accueille avec enthousiasme la combinaison d’un aménagement bien français stricte et intellectualisé89, et d’une réhabilitation plus désorganisée avec une envie de réfléchir à la reconversion post-industrielle90. Openparc s’insère dans les lignes du projet de Reichen & Robert par la programmation91, en confirmant le besoin de la ville et la volonté des acteurs locaux de s’orienter vers l’entreprenariat créatif et la valorisation du patrimoine industriel. À une plus grande échelle, la ville compte bien se spécialiser dans les nouvelles formes d’économie apportées par le projet, sur ses friches industrielles. Il n’est pas question de concurrence entre les précurseurs du renouvellement mulhousien et les futurs acteurs, puisque la municipalité les pousse à cohabiter et à se développer quitte à se doter des mêmes équipements. La ville peut ainsi disposer de plusieurs pôles qui s’émulent et trouvent de nouvelles formes de coopération, à l’image de l’équation 1+1=3, les compétences de l’un plus les compétences de l’autre égale des compétences qu’on n’aurait pas imaginées au début92. La ville compte ainsi relier ces nouveaux atouts au système universitaire du Haut-Rhin avec plusieurs projets mettant en relation les institutions éducatives et les acteurs locaux. C’est un système économique entier qui peut changer, en accueillant des concepts novateurs sur les friches Mulhousiennes. Une première expérience avec l’université à la 89

Jean Rottner, Op. cit.

90

ibidem.

91

Stéphanie Honigmann ; Op. cit.

92

Jean Rottner, Op. cit.

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fonderie SACM, puis une seconde avec de nouveaux acteurs, plus de créativité mais aussi plus de risques, et peut-être d’autres activités, avec leurs créations d’emplois et de revenu dans d’autres friches en attente de reconversion, comme la friche Manurhin au nord, près de Bourtzwiller, ou d’autres friches, plus petites, plus discrètes pouvant être réhabilitées plus facilement. Des échanges timides avec le quartier Une des phénomènes négatifs observés sur la Fonderie SACM, si fonctionnelle et et renommée soit-elle, est le manque apparent de liens vers la population voisine93. À DMC, les échanges entre la population des quartiers environnants et les initiatives menées à DMC sont timides, puisque le projet en est encore à ses débuts, et qu’il est porté par une forme d’élite culturelle dotée d’un minimum de curiosité. DMC appartient à sa région, à Mulhouse, mais les habitants commencent à se manifester pour faire valoir leur point de vue sur le projet94. Certains ne comprennent pas le besoin d’un projet d’activité économique comme Openparc, puisqu'ils estiment que le quartier doit d’abord s’équiper de nouveaux logements, d’espaces verts, certains souhaitent se retrouver « entre anciens de DMC », d’autres, plus généralement, veulent des endroits conviviaux95. Dans l’émission Mulhouse, c’est vous, Openparc, c’est qui?96, Anais Ilic, membre du mouvement national des chômeurs précaires, et Astrid Noël, membre du Conseil citoyen de Mulhouse, toutes deux habitantes du quartier DMC expriment leur crainte de voir le projet évoluer sans les habitants, qui ne s’identifient pas forcément à Motoco et Openparc. Certains sont oubliés par les initiateurs du projet, en partie parce que les moyens de communication utilisés sont modernes et inhabituels. Pour les deux habitantes interrogées lors de l’émission, les plus défavorisés n’ont pas forcément accès à la radio indépendante MNE ou à internet, et par conséquent, elles reprochent à Motoco d’être en décalage avec la population voisine. Dans le discours de ses défenseurs, l’esprit d’ouverture d’Openparc s’exporte vers le quartier, et les deux parties se rapprochent tout doucement. Motoco propose aux associations sans murs d’utiliser une partie de ses locaux pour se réunir, pour construire 93

Jean-Luc Wertenschlag. Op. cit.

94

Mulhouse c’est vous, OpenParc, c’est qui ? ; Op. cit.

95

ibidem.

96

ibidem.

"35


une vie de quartier entre les habitants et les nouvelles dynamiques qui s’y installent. On s’apprivoise97, on échange dans des débats diffusés à Radio MNE, on incite les habitants à s’intéresser et à participer au projet. Les Open Sundays, portes ouvertes mensuelles à Motoco et autres partenariats, avec le lycée professionnel Stoessel situé dans le voisinage de la friche, permettant à une jeunesse défavorisée d’avoir les outils de réaliser des projets, ou l’école d’art Le Quai, fortement impliquée dans le projet. L’évènement Transbazar sur lequel travaillent le collectif et la ville, reliera le bâtiment 75 au centre ville le long de l’avenue Aristide Briand en juin 2015, annonçant la reconquête de cette artère autrefois rendue inerte par la paupérisation et le manque d’activité.

97

Jean Rottner ; Op. cit.

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Conclusion : DMC, le produit d’une ville créative authentique? La prise de conscience de la richesse patrimoniale de l’usine DMC, suite au traitement du site SACM dans les années 1990, aura permis la conservation de l’ensemble de la friche. Comme nous l’avons étudié dans ce mémoire, le projet s’articule autour d’une chronologie singulière, impliquant plusieurs acteurs de natures différentes et aux intérêts divergents. Cette chronologie, nous pouvons la percevoir à travers le prisme des villes créatives d’Elsa Vivant, qui développe deux types de développements urbains basés sur la présence d’artistes et de créateurs. La première ville créative, qu’on nommera authentique se développe grâce à l’arrivée progressive d’artistes attirés par son histoire et le potentiel immobilier de ses friches. Ces nouveaux acteurs développent leurs activités et redonnent vie à ces espaces oubliés. Elsa Vivant constate que ce renouveau économique et démographique s’accompagne d’une gentrification systématique. L’exemple type est le développement des friches berlinoises à partir des années 199098. Dans le cas de la seconde ville créative, qu’on nommera artificielle, les pouvoirs publics fabriquent une activité culturelle ex nihilo par l’installation de nouvelles infrastructures, espérant ainsi provoquer le processus de revalorisation et de gentrification développé ci-avant. On évoquera ici le projet d’un milliardaire qui proposait d’installer un musée d’art contemporain dessiné par Tadao Ando sur l’ancienne usine Renault de l’île Seguin, dépourvue d’activité culturelle99. À Mulhouse, même s’il est difficile de placer le site DMC dans l’un ou l’autre des scénarios évoqués, plusieurs éléments tendent à rapprocher le projet vers la ville créative authentique. En accord avec le processus de l’appropriation sauvage et spontanée, c’est le collectif ÖDL qui squatte le bâtiment 75 dans un premier temps, pour y organiser des concerts. Après le rachat du site par la mairie et l’écriture du premier projet urbain, Mischa Schaub, qui recherchait un lieu d’expérimentations avec l’Hyperwerk qu’il dirige, sollicite le bâtiment pour y construire le projet Motoco. C'est lui qui fait la démarche de proposer un partenariat à la SERM puisque c’est le seul moyen d’occuper légalement une friche préalablement repérée avec David Cascaro. La ville, séduite par le

Elsa Vivant, interview ; La Ville Créative ; pOlau-pôle des arts urbains ; 16 septembre 2011 ; https:// vimeo.com/31424165. 98

99

Elsa Vivant ; Qu’est-ce que la ville créative? ; puf ; nov. 2009. ; p. 67.

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projet, l’identifie immédiatement comme le moteur économique et créatif dont le projet manquait. […]on essaye ensemble d’inventer un modèle économique qui soit cohérent, qui ne soit pas de dire « bon, voilà, on aménage et ensuite on trouve des occupants », mais plutôt « on trouve des occupants et petit à petit, on réfléchit à l’aménagement ou au sens donné à tout cela ». Jean Rottner100

En passant au projet Openparc, Motoco confirme ses ambitions créatives, avec le soutien de la ville qui, même si semble passer en arrière-plan, ne perd pas de son importance dans projet. Elle reste propriétaire du site et conserve un droit de véto sur les décisions prises par Motoco101. Même si sa chronologie, avec l’arrivée de Motoco, rapproche le projet du principe de sérendipité, un ingrédient indispensable à la ville créative authentique selon Elsa Vivant, et que le projet se dessine autour d’une activité créative spontanée, il faudra attendre l’aboutissement de la reconversion. Il sera intéressant d’observer les prochaines étapes du projet, avec notamment l’aménagement de la jonction entre la friche, le quartier et la gare de Dornach, pour améliorer les connexions vers les quartiers adjacents. Avec Openparc, Motoco pourra développer une activité économique créative durable, à condition de continuer à convaincre les différents acteurs orbitant autour de la friche. Les relations avec la ville sont optimales, il faut maintenant travailler sur le dialogue avec les habitants, et se préparer à maîtriser l’arrivée de grandes entreprises dont l’intérêt pour le projet commence à se manifester, pour conserver l’authenticité du projet102.

100

Jean Rottner ; Op. cit.

Marina Gasnier ; Approche territoriale des friches industrielles : études de cas en Ille-et-Villaine ; Pierre Lamard & Marie-Claire Vitoux (dir) ; Les friches industrielles, point d’ancrage de la modernité ; éd. Histoire, Mémoire & Patrimoine. ; p. 127. 101

102

Jean Rottner ; Op. cit. et Barbara Zegarac dans Mulhouse, c’est vous, Openparc, c’est qui? Op. cit.

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Bibliographie et sources. ENTRETIENS

- Marie-Claire Vitoux, chercheuse et maître de conférence au CRESAT à l’UHA ; entretien d’une heure trente à Mulhouse le 01.04.2015.

- Roland Kaufmann, Pasteur animateur du temple Saint-Étienne ; entretien d’une heure à Mulhouse le 01.04.2015.

- Stéphanie Honigmann, chargée d’étude en urbanisme à la ville de Mulhouse ; entretien d’une heure à Mulhouse le 29.04.2015.

- Jean Rottner, maire de Mulhouse ; entretien téléphonique de trente minutes le 04.05.2015.

- Mischa Schaub, directeur de l’Hyperwerk de Bâle et fondateur de Motoco ; entretien téléphonique de trente minutes le 15.05.2015. DOLLFUS-MIEG & Cie : HISTOIRE ET PATRIMOINE Ouvrages - Jacques Mouriquand ; Une dynastie mulhousienne, la saga des Dollfus ; Editions de la nuée bleue, 1984. - Pierre Fluck (dir) DMC : Patrimoine Mondial ? ; Jérôme Do Bentzinger Editeur. - Pierre Fluck ; Le Site DMC: Un Enjeu Pour Mulhouse ! ; Colloque les 14 et 15 mai 2004; CRESAT ; La SIM. Autres - Archives municipales de la Ville de Mulhouse ; permis de construire - Archives personnelles de André et Liliane Rayot ; photographies. - Plans historiques de Mulhouse ; 1642, 1797, 1830, 1844, 1850, 1860, 1873, 1877, 1886, 1896, 1903, 1910, 1911, 1912, 1919, 1934, 1943 ; La Ville de Mulhouse ; Open data ; http://www.mulhouse.fr/fr/plans-historiques-de-mulhouse/planshistoriques-de-mulhouse.html ; 21 octobre 2013.

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- Journal du net ; Impôts à Mulhouse (68100) en 2012 ; http:// www.journaldunet.com/economie/impots/mulhouse/ville-68224.

- km0 ; km0 ; www.km0.info. - La French Tech ; site officiel ; lafrenchtech.com. - M. Daniel Raoul, question écrite n°11835 ; Les marchés de définition et l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne du 10 décembre 2009, 13e législature ; www.senat.fr/questions/base/2010/qSEQ100111835.html.

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Annexes

carte 1 : Mulhouse et points abordés dans le mémoire.

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Annexes

carte 2 : DMC et son environnement.

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Annexes

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