1
2
3
4
5
Remerciements Nous tenons à remercier tous les partenaires qui ont participé à l’organisation de l’édition 2012 du Concours international des 10 mots de la francophonie : L’Agence universitaire de la Francophonie, Arpège maison de cuisine, Espace francophone, CampusFrance, la fondation Alliance française, le Français dans le Monde, Hachette Livre, Ibis rouge, la Librairie du Québec, Le Petit Journal, l’ONISEP, TV5 Monde, l’Université de Laval. Ainsi que les institutions qui nous accompagnent : Le Ministère des Affaires étrangères, la Délégation générale à la langue française et aux langues de France du Ministère de la Culture et de la communication, l’Organisation internationale de la Francophonie. Nous adressons également un remerciement tout particulier aux membres de notre jury : Henriette Walter, Frédéric Bouilleux, Bernard Chambaz, Jacques Godfrain, Pierre Laszlo, Gérard Leclerc, Amin Maalouf, Albert Memmi, Jean Métellus, Xavier North, Philippe Péjo, Salah Stétié.
6
7
Dix mots pour fêter la langue française L’Association francophone d’amitié et de liaison (AFAL) œuvre en faveur de la francophonie depuis plus de 30 ans et regroupe 120 associations membres à travers le monde. Chaque année, elle organise des manifestations à l’occasion de la Semaine de la langue française et de la Journée internationale de la Francophonie (20 mars). Ainsi, au printemps 2001, elle a mis en place le Concours international des 10 mots de la francophonie qui a lieu tous les deux ans. Ce concours vise à encourager les jeunes talents francophones à se révéler, à sensibiliser, notamment la jeunesse, à la francophonie et au respect de la diversité culturelle, à promouvoir la créativité et la vitalité de la langue française, à favoriser les échanges. En début d’année 2012, l’AFAL a lancé la une nouvelle édition de son Concours. Les participants devaient écrire un texte sur le thème du souvenir de vacances, d’une vingtaine de lignes, en y intégrant les dix mots choisis par la Délégation générale à la langue française et aux langues de France dans le cadre de l’opération Dis-moi dix mots : autrement / âme / caractère / chez / confier / histoire / naturel / penchant / songe / transports Le concours a, cette année encore, connu un très vif succès. Plus de 3 500 textes ont été collectés, provenant de plus d’une centaine de pays, parmi lesquels notre compétent et prestigieux jury a désigné les lauréats. Vous êtes de plus en plus nombreux à participer à ce concours et nous tenons à faire connaître, par le biais de ce recueil, l’intérêt que vous portez à la langue française. Un grand bravo et un grand merci à tous ! Jacques Godfrain Président de l’AFAL
8
9
• Le jury ........................................................................................................... p. 12 • Les lauréats jeunes étrangers .............................................................. p. 14 • Les lauréats jeunes français .................................................................. p. 30 • Les lauréats bibliothécaires .................................................................. p. 46
10
11
12
Pierre Laszlo Figure imposée / souvenir de vacances. Dans le secondaire en France, les élèves subissent comme sujet de rédaction usuel, en début d’année, un souvenir de vacances. L’exercice symbolise ce travers de notre enseignement, la mémorisation-régurgitation. Alors qu’il est aisé d’éviter ce pons asinorum, et de trouver d’autres sujets de dissertation mobilisant inventivité, esprit ludique, imagination et fantaisie. Pourquoi donc m’y prêter? Faire partie d’un jury m’astreint à me soumettre aux mêmes règles que les concurrents, telle est ma position de principe. Je vais donc transcrire ici un authentique souvenir de vacances, aux couleurs de la francophonie. Cela commença par un problème de transports. L’aéroport de Halifax avait fermé pour cause de brouillard. Je renonçai à l’atteindre depuis Boston, et rejoignis ma femme qui venait d’arriver à Montréal. On nous proposa un transfert en autobus, au prix de longues heures de route. Nous fîmes le pari d’y aller autrement et d’attendre au moins le lendemain. L’intuition ou l’obstination était bonne : le brouillard sur Halifax disparut et nous y arrivâmes un jour plus tard que prévu. Qu’à cela ne tienne, hop, une voiture de location et cap sur Cap Breton. Cap Breton, au Nord de la Nouvelle-Ecosse, fut dans l’histoire l’un des refuges des Acadiens après leur déportation, après que les Etats-Unis fussent devenus indépendants. On y traverse une rivière et l’on passe d’une bourgade anglophone à un village francophone. Avec supplément d’âme? C’est ce que je ressentis lors de plusieurs séjours. Qu’est-ce qui m’émeut chez les Acadiens? Leur caractère, avec cette indéracinable fidélité à la langue et à la culture françaises. Leur délocalisation, tout du long de milliers de kilomètres, de la Louisiane à la Nouvelle-Ecosse. Leur naturel festif, leur penchant pour la musique et la danse. J’aime ainsi, lors des vacances, partir à la découverte et me confier, comme en songe, comme dans les péripéties d’un rêve, à l’improviste et à la brusquerie des contrastes.
Figure libre, en hommage à Jean-Jacques Rousseau. Avec mon penchant pour d’extatiques transports, un caractère fait autrement, je trouvai chez cette bonne âme à me confier à mon naturel et pus, comme en songe, lui narrer mon histoire.
13
14
Jingye Zhu Née en 1990 Nationalité : chinoise Pour moi, toutes les vacances sont les mêmes parce que je choisis toujours de rester à la maison. Si vous me demandez pourquoi ? Je vais vous répondre : « Je suis chinoise. » Dans les régions touristiques en Chine, il y a toujours plein de monde ! Je n’aime pas du tout me faire bousculer dans la foule, alors je préfère rester chez moi. Et c’est devenu un penchant naturel. Pourtant une fois, ce fut différent. Et ce fut aussi une histoire amusante ou plutôt étrange. Cette fois-là, j’avais décidé de partir faire un tour pendant les vacances. Alors, j’ai préparé mon appareil photo et un pique-nique, et je suis partie en direction de la montagne. Et me voilà seule au pied de cette montagne. C’était bizarre, ce jour-là, il n’y avait vraiment personne, j’étais contente. J’ai commencé à grimper. Soudain, quelqu’un a posé sa main sur mon épaule. Surprise, j’ai tourné la tête. C’était une fille au teint pâle et aux cheveux longs. Elle portait une robe blanche. Elle m’a dit qu’elle habitait tout près. Nous avons bavardé. Elle avait bon caractère. Et je peux dire qu’elle me ressemblait même comme une âme sœur ! J’ai pris quantité de photos de ces paysages montagneux mais quand je lui ai demandé si je pouvais la prendre, elle a refusé tout net. J’ai quand même pris quelques photos d’elle au moment où elle ne faisait pas attention. Enfin, nous sommes arrivées au sommet et j’ai commencé à manger. Elle m’a dit qu’elle n’avait pas faim. Après ce petit repas, une envie pressante de dormir m’a envahie. Avant de fermer les yeux, j’ai remarqué qu’elle me fixait. Un peu plus tard, quelqu’un m’a réveillée. Mais ce n’était pas elle. C’était un chasseur, qui me demandait ce que je faisais là, seule. Il m’a conseillé de rentrer vite chez moi, avant que la nuit tombe et avant le dernier bus, unique moyen de transports vers le centre-ville. Le lendemain, j’ai confié mes bobines au photographe de mon quartier pour les faire développer. Ensuite, je suis allée les montrer à mes parents en leur racontant mon étrange rencontre avec cette fille qui avait mystérieusement disparu à mon réveil. Etait-ce un songe? Autrement comment expliquer qu’elle ne figurait sur aucune de mes photos?
15
Antonin Fassinou Né en 1991 Nationalité : béninoise La Bastille de mes vacances. L’an dernier, j’ai passé mes vacances à Yaclo, pays régenté par le président Abiclo. Beau temps éternel, paysage splendide, habitations luxueuses, Yaclo est un Eldorado, Yaclo est la huitième merveille du monde. Impressionnants gisements d’or, abondance de l’or blanc, abondance de l’or noir, agriculture prospère, développement de l’élevage et du commerce, ce pays est un paradis. Mais le tigre de la dictature y sème la terreur. Ses crocs, ses serres menacent dans les transports, dans les écoles, partout. A Yaclo, aucune radio, aucune télévision, aucun portable, absence totale de l’internet. Chez Abiclo, on se confie à huis clos. Dans le clos Yaclo, l’enclos Yaclo, la liberté tourne en rond. Chétifs comme le dénuement, les Yaclolais, buvant le calice des caprices politiques jusqu’à la lie dans leur Bastille à caractère particulier, sont petits dans leur grandeur, malheureux dans leur bonheur. Ils regardent, impuissants, brûler la chaumière de leur vie. De gros nuages assombrissent leurs âmes, obscurcissent leurs penchants, noircissent leurs cœurs, enténèbrent leurs jours. Un matin, un horrible hurlement provoque un tremblement de tympan. L’œil découvre un nuage de poussière dans les airs. L’ouragan du soulèvement exfolie les arbres et les déracine, arrache les toits, sape les édifices des caprices politiques, pendant que d’effroyables éclairs balafrent le ciel et que se succèdent d’effrayants grondements de tonnerre. Les nuages se mettent à galoper. Le sol accueille les premières gouttelettes d’eau. La pluie se déchaîne. Il pleut des hallebardes. La nuit, la pluie se replie. Le jour levé, les Yaclolais labourent leurs champs et sèment la démocratie qui, aujourd’hui, pousse, verte, vers le firmament de la plénitude. L’histoire de Yaclo ne doit pas être considérée comme le mensonge d’un songe. Elle doit être une leçon naturelle pour les dictateurs et les obliger à diriger autrement pour le rayonnement de la paix.
16
Henriette Francine Ngo Iboum Née en 1989 Nationalité : camerounaise Je me souviens lorsqu’à douze ans chez ma tante Clarence Je m’en fus passer les toutes premières vacances de ma vie Ce fut je puis dire l’histoire la plus folle de mon enfance Qui de nos jours encore à son souvenir je me sens ravie Nous allions sur les berges du Wouri regarder les bateaux Elle prenait de multiples photos de moi avec son appareil Pour moi la noblesse de son âme n’avait de pareil Que le doux vent venu du fleuve qui soulevait nos chapeaux Nous allions jouer à cache-cache dans les bois tous les Dimanches Et tout naturellement je la prenais par surprise et me ruait sur elle telle une avalanche J’avais un réel penchant pour les livres de jeunesse Et elle me confiait les siens que je gardais avec grande sagesse Malgré mon caractère de petite capricieuse Elle savait m’amadouer et m’appelait sa «précieuse» Pendant nos soirées entre filles, je la maquillais de façon odieuse Et face au résultat il n’y avait aucun moyen de rester sérieuse Le soir au coucher elle me narrait des contes Qui m’emmenaient vers le pays des songes Quelques jours seulement après les vacances, une nouvelle sanglante me parvenait Ma tante venait de se faire renverser par un car de transports alors que de son travail elle sortait C’est vrai pendant un temps je fus triste de savoir ma tante partie Au plus profond de moi je gardais ma douleur enfouie Mais plus tard je me dis que je devais remercier ma tante chérie Autrement je n’aurais jamais eu les plus belles vacances de ma vie.
17
Bengie Alcime Né en 1987 Nationalité : haïtienne Souffle, souffle vent sur mon visage. Là, sur le balcon de cette chambre d’hôtel où le murmure des vagues de la mer me berce, emporte mon âme vers les lieux insoupçonnés de la félicité. Je veux en cet instant oublier les clameurs de la ville, ses saletés qui trop souvent me sautent à la gorge. Juste pour cet instant, juste pour ces quelques jours volés au monotone quotidien. Mes yeux contemplent les reflets de la lune jouant sur les vagues. Tout ceci avait la texture d’un rêve pour moi, un doux songe. Longtemps caressé mais jamais réalisé. Jusqu’à ce que le hasard voulût que ce fût moi que l’on choisisse pour participer à ce camp. Plus d’un dirait que ce n’était pas de vraies vacances, juste quelques jours à passer avec un groupe de jeunes comme moi dans le but d’échanger nos réflexions. Mais je voyais cela autrement. Pour le timide jeune garçon au caractère renfermé que j’étais, cette aventure signifiait beaucoup plus. Je me sens dans mon élément ce soir. Je ne saurais expliquer ce sentiment d’appartenance à la nature que je ressentais. Comme si j’étais chez moi. Comme si tous les atomes de l’univers s’harmonisaient pour danser un yanvalou, m’entraînant dans leur rythme syncopé. J’ai rarement eu de tels transports. Mais à chaque fois, j’avais la sensation de vivre et de mourir, mourir pour renaître encore et encore. Demain sera un autre jour. Demain le naturel reprendra sa place. Nous allons visiter la ville, faire connaissance avec les habitants. Puis nous aurons des ateliers de réflexion au cours desquels nous allons penser pour ce pays. Nous allons à travers des thématiques bien choisies, nous confier nos rêves, nos espoirs, nos craintes pour notre petit univers. Demain, un autre jour. Mais ce soir, je ne veux penser à rien d’autre qu’au vent, qu’à l’odeur de la nuit. Me penchant légèrement sur la rambarde, je prends une grande inspiration, m’imprégnant de la magie de ce merveilleux instant. Jacmel. Août 2007. L’histoire d’un pur moment de bonheur.
18
Alexandru Lefter Né en 1989 Nationalité : roumaine Un jour, je me suis décidé à voyager le plus loin possible. J’ai fait mes bagages et je suis parti. Mais je n’ai pas choisi comme destination Paris, Londres, New York ou bien Stockholm, car je les connaissais déjà. J’ai choisi un territoire inconnu : l’âme de l’homme. J’ai eu beaucoup de difficultés avec le transport, car il n’existait pas de transports publics et, pour ça, j’ai pris le songe qui est le moyen de transport le plus rapide. Je suis arrivé à ma destination en une seconde. Quelle destination touristique fascinante ! Le cadre naturel était composé de souvenirs, les montagnes étaient des moments heureux, les plaines des cauchemars. Il y avait aussi des formes secondaires de relief, comme l’enfance, les années de lycée, le premier baiser ou le premier amour. Les rivières coulaient le long du fil de la mémoire et le climat était relativement aride. Il n’y avait pas d’animaux, car le caractère humain avait tout capturé, mais la flore était représentée par les Fleurs du mal. La région avait une histoire intéressante ; elle se divisait en trois périodes : le ça, le moi et le surmoi, chacun avec ses personnalités marquantes. La capitale de cette région fleurissante était le Cœur. Les habitants n’étaient pas nombreux, mais ils avaient tous un penchant pour la philosophie. Cette nuit-là, je me suis logé chez la famille Sous-conscience, qui, bien que rusée, m’a bien amusé. Le lendemain, j’ai dû quitter ce pays et, rentré chez moi, j’ai été obligé de confier mes impressions de voyages à mon ami qui pense autrement. Il m’a beaucoup félicité pour le voyage entrepris, en me disant : je n’ai jamais cru qu’on puisse échapper à ce pays qui tend à gagner une suprématie mondiale. Mes félicitations !
19
Spéro Godjo Né en 1986 Nationalité : béninoise A l’instar de l’une de ces belles mélodies que l’on entend de façon hasardeuse et qu’on n’oubliera jamais, le souvenir de mes vacances en 2003 est écrit en lettres d’or dans l’histoire de ma vie. Après avoir entendu les résultats du BAC, tout joyeux, je pris mon vélo, le seul moyen de transports à ma disposition en ce moment, pour rentrer chez nous. Dès que j’annonçai à mon père mon succès avec la mention Bien, il me prit dans ses bras, les larmes aux yeux, et m’emmena dans sa chambre. Il me regarda droit dans les yeux et me dit d’un ton calme et naturel : « Fils, j’ai nourri l’espoir de ce moment depuis le jour de ta naissance où j’ai fermé la caisse que voici… » Ce disant, il tira du dessous de son lit une caisse qu’il épousseta religieusement. Il continua : « … tu sais, j’eus un songe assez étrange cette nuit-là et dès lors, j’étais déjà convaincu que tu ferais de grandes choses dans ta vie. Et maintenant, pour tout cadeau, je n’ai que la clé de cette caisse à te confier, fais bon usage de son contenu et réalise-toi ». Confus et excité à la fois par le caractère solennel de l’attitude de mon père, j’ouvris aussitôt ladite caisse. Je découvris avec excitation une vingtaine de romans écrits pour la plupart par Guy des Cars, tous étant des récompenses reçues par mon père durant son premier cycle au collège. Au fond de mon âme, je ressentis de la fierté et en même temps un sentiment de défi. Ce fut une merveilleuse aventure littéraire durant ces vacances avec La Révoltée, La Tricheuse, La Brute, Les Filles de Joie, la Demoiselle d’Opéra, La Vipère, etc. Le penchant que cet épisode déclencha en moi pour la lecture m’ouvrit de larges horizons, et, aujourd’hui, près de dix ans après, je me rends compte que c’était plus qu’un cadeau ce jour-là, c’était un chemin de vie. Mon père savait que le monde était en ébullition immatérielle et que je pourrais manquer de l’essentiel qui ne saurait être acquis autrement que dans les livres, dépositaires de la sagesse des âges.
20
Carly Sommerlot Née en 1991 Nationalité : américaine Un souvenir dans mes rêves Une promenade sur une plage, dans une ville de Californie, c’est un songe, n’est-ce pas ? Pour moi, c’était plus que cela. Quand j’étais en vacances en Californie, je me promenais souvent à pied à travers San Francisco tout seul. C’est le meilleur moyen de transports pour tout voir. Un jour, je marchais près de la mer quand j’ai vu un visage un peu familier. Mais, ce n’était pas quelqu’un que je connaissais personnellement. C’était Audrey Tautou, l’actrice française ! J’avais depuis toujours un penchant pour elle, alors je suis allé lui dire bonjour. J’ai essayé de rester naturel quand je me suis approché d’elle, j’ai dit : « Bonjour ! Êtes-vous Audrey Tautou ? » Et elle a répondu seulement « oui ». J’aurais voulu agir autrement, pas comme les autres quand ils rencontrent des célébrités mais c’était impossible. J’étais trop enthousiaste. Alors, quand je lui ai dit que j’aimais beaucoup ses films, elle m’a demandé si je voulais lui offrir un café. J’étais très étonné ! Bien sûr, j’étais d’accord. Nous sommes allés dans un bar tout près. Nous avons bu des cafés et avons parlé pendant deux heures. Nous avons partagé des histoires très drôles et aussi, nous nous sommes confié des secrets de nos vies. Pendant la plus grande partie de la conversation, nous avons parlé en français. Elle était très patiente et gentille ; elle avait bon caractère. Elle était à San Francisco pour son prochain film et le tournage commençait bientôt. Puis, elle m’a remercié pour cet après-midi très amusant et elle est partie. Je suis revenu chez mon amie. Elle ne m’a pas cru du tout ! Ce n’est pas important. C’était une expérience incroyable et je sais, au plus profond de mon âme que je vais la revoir bientôt.
21
Francine Mariette Ago Née en 1989 Nationalité : béninoise Belles vacances Pendant les vacances dernières, je décidai de passer quelques semaines chez mon oncle, à Accra, au Ghana. La veille de mon départ, toute mon âme était agitée. La nuit, je n’arrivais pas à m’endormir. Ce caractère, je l’ai hérité de ma mère qui me racontait souvent ses belles histoires d’enfance où les voyages occupaient ses songes. Le jour de mon départ, je me rendis d’abord à Lomé. Là, je pris un bus à la frontière d’Aflao. Ayant un penchant naturel pour les beaux paysages, j’étais émue au point d’avoir les larmes aux yeux à la vue de la toilette poétique de la flore. Vingt heures. Je descendis à la gare routière de Thirty-Seven, la plus grande d’Accra. L’œil planait sur mille transports en commun. J’étais très émue. Autrement, une frayeur joyeuse régentait mon âme. Pour me soulager, je confiai mon inquiétude à la poubelle de l’oubli, à la banque de la bravoure. Je me mis à chercher un taxi. Mon oncle François et sa fille aînée Francine, m’attendant dans la foule, me virent, m’embrassèrent. Ensemble, nous nous rendîmes dans leur domicile, La France du Ghana. Je constatai que la demeure de mon oncle était une île de francophonie dans un océan d’anglophonie. Les portraits de quelques présidents français ornaient les chambres de son Elysée. Dans son Académie française, je vis Candide et Zadig discuter, Cosette et Gavroche travailler chez Madeleine, Tistou moraliser Viou, Henri parler de l’Education Nationale à Dutourd. Le sac des rêveries en bandoulière, le promeneur solitaire longeait le ruisseau des Lumières en faisant ses Confessions aux déités de l’intimité. Comme je parlais bien la langue de Rousseau, je devins le professeur de français de la maisonnée. J’eus d’autres élèves venus de tous les quartiers d’Accra. Je réussis à faire siroter à ces Anglophones les merveilles de la langue française. Mon oncle était content de moi. J’étais heureuse d’avoir passé des vacances inoubliables, d’avoir été l’âme de la francophonie dans un pays anglophone.
22
Elvis Aguidissou Né en 1987 Nationalité : béninoise Lentement et calmement, le jour s’éteint. Depuis que le soleil, dans sa majestueuse courbe déclinante s’est laissé engloutir par l’occident, elle est apparue drapée d’une sublime robe aux couleurs de la nuit naissante. Dans une chorégraphie synchronisée, elle vient de confier aux dernières lueurs diurnes son manteau chatoyant aux motifs pittoresques arborés le jour. Chaque nuit, sa beauté se révèle davantage. Tendrement illuminée par le clair de lune, sa douce apparence au reflet naturel d’un gris argent dévoile ses recoins les plus secrets. C’est la nuit qu’on la découvre autrement. Sa belle voix, en harmonie avec le léger vent qui souffle chante la plus belle berceuse inspirée des notes musicales de la nature. C’est aussi la nuit que sa fraicheur adoucit et détend les milliers d’âmes qui vivent à ses pieds et se nourrissent des trésors qu’elle regorge. Loin du bruit, loin de tout ce qui peut troubler sa sérénité ou altérer sa beauté naturelle, l’héroïne de mes rêves a choisi ce coin paradisiaque de la terre pour propager son charme et sa douceur ; des qualités qui rehaussent son caractère attrayant et fascinant. Entre cette merveille et moi, c’est plus qu’une histoire d’amour. Une histoire ressuscitée des profondeurs de mes songes que je vis finalement dans la réalité en sentant sa présence tout près de moi. Je me joins aux millions d’yeux venus des quatre vents pour la contempler dans ses vives parures, témoignages d’une histoire aux origines ancestrales qui a vaincu le temps et les âges. Tout comme moi, ils ont aussi un penchant pour elle et c’est à dessein que chaque année, ils prennent des transports à voile ou à la pagaie pour venir la revoir. Aujourd’hui encore, je revois défiler dans ma mémoire le film de mon séjour chez elle. Telle une mère, elle m’a couvert de sa chaleur et de sa douceur. Un doux souvenir que je garderai en moi pour toujours. Jamais, je ne t’oublierai magnifique cité lacustre de Ganvié. Toi, que d’aucuns surnomment la Venise de l’Afrique.
23
Zoi Tsaliki Née en 1993 Nationalité : grecque Les nuits d’été sont en général chaudes. Mais cette nuit était la plus froide que ne je puisse me rappeler. Et ici commence l’histoire que je veux vous confier. Mes amis étaient venus chez moi passer quelques jours au bord de la mer. Cette soirée, nous étions assis à la plage et nous regardions l’horizon. Soudain quelque chose a attiré mon attention, quelque chose qui ne paraissait pas naturel. A côté de la mer agitée, dans quelques buissons, quelque chose a bougé. Au moment où nous nous sommes approchés, rien ne bougeait mais aussitôt que nous nous sommes éloignés, le mouvement a recommencé. Alors, en écartant les arbustes, on a découvert un petit oiseau. En se penchant vers le petit animal Paul, l’intellectuel du groupe, nous a dit que c’était un petit aigle. Surpris de sa constatation nous lui avons demandé s’il était sûr. Il a répondu sans aucun doute qu’il avait reconnu le caractère unique de cet oiseau formidable. Quand nous l’avons pris dans nos bras il a essayé de s’échapper, mais son aile droite était visiblement blessée. Nous avons commencé alors la recherche de son nid. Un peu plus loin de la plage, il y avait des rochers brusques. Le nid devrait se trouver quelque part là-bas. Au milieu du parcours, on a eu le sentiment que quelque chose de grand volait au-dessus de nos têtes. La lune ne pouvait pas éclairer les transports continuels de cet être au-dessus de nous. Tout à coup le petit a commencé à crier, donnant suite à un cri prolongé de l’oiseau mystérieux. En arrivant au sommet, la mère aigle nous attendait les ailes ouvertes. On avait peur, pourtant on ne pouvait pas faire autrement. Avec des mouvements attentifs, nous avons laissé le petit oiseau aux pieds de sa maman et on a reculé doucement. Comme si on était dans un songe, le soleil rougissait l’horizon, c’était l’aube. En descendant, on a entendu les croassements des aigles qui s’envolaient comme s’ils voulaient nous remercier. C’était un moment unique et nous étions émus jusqu’au fond de notre âme.
24
Bruno Sánchez Montes Né en 1987 Nationalité : espagnole Mon âme s’envola dès que je l’aperçus. Même si je la connaissais depuis longtemps, c ‘était la première fois qu‘on se rencontrait. Malgré sa longévité, son long et roux corps continuait à scintiller, caressé par les rayons de soleil qui voulaient faire partie d‘elle. Je me sentais tellement petit que je ne savais même pas qui j’étais. Autrement dit, elle avait conquis une partie de mon essence la plus éternelle : la persistance de ce souvenir éphémère jusqu’à ma mort. Elle me regardait impassible, tâchant d’imposer tout son caractère, tout son naturel mais j’étais conscient qu’elle faisait semblant. Son histoire la trahissait. Sans aucun doute, j’étais prêt à lui confier tous mes secrets, tous mes transports de passion. Aussi, cinq minutes après, je me disposai à traverser son squelette, fortement soudé et pas du tout penchant. Peu à peu, je vainquais la gravité et je quittais le sol sans avoir besoin d’ailes. J ‘étais dans ses veines. Cependant, la sensation la plus douce, je pus l’éprouver lorsqu’elle me permit de regarder à travers ses yeux : la ville de Paris s’étendait sous mes pieds et c’était tout à fait vrai, ce n’était pas un songe. Chez elle, je trouvai un abri fait pour moi, un abri inoubliable. Il y a huit ans, je suis monté à la Tour Eiffel pour la première fois et je me suis dit qu’un jour je deviendrai professeur de français. Aujourd’hui, j’apprends à mes élèves, cette langue douce et riche, prononcée avec des accents différents mais qui font un tout richissime : la Francophonie.
25
Aurelia Elena Vidu Née en 1988 Nationalité : roumaine Je m’appelle Âme. J’ai 23 ans. J’adore les voyages… lointains. Je rêve d’arriver un jour là où la terre se mélange avec le ciel. Je ne vois pas, mais je sens. J’ai un frère jumeau. Il s’appelle Chair. Il voit, donc je me confie à lui. Rarement, on voyage ensemble. L’été dernier nous sommes partis à la montagne, loin, comme j’aime. À midi j’ai commencé à sentir. Une odeur naturelle et pure. Il m’a dit que tout était vert. Je l’avais senti avant. Je lui avais demandé de me parler des personnes. C’est chez lui une habitude d’analyser les autres. Il m’a dit qu’ils étaient tous habillés en noir. Toutefois, j’avais senti qu’un arc-en-ciel m’avait touché. Je lui demandé où nous étions. Il m’a dit que c’était un très ancien monastère, qui datait du Moyen-Âge… avec des fleurs révélant les transports amoureux entre la terre et le ciel, une fontaine dont la chanson, je l’avais senti, apaisait mon âme, le soleil d’un côté présomptueux et de l’autre timide. Avant de pouvoir poser une autre question, il s’était déjà engagé dans une conversation. Il a un penchant pour communiquer. L’éternel problème : il parle autrement que je sens. Un sentiment bizarre m’avait envahi. Les yeux de Chair se sont arrêtés avec les pieds. J’avais senti comme un mur qui m’empêche d’avancer. Je suis resté dans cette forteresse et j’ai laissé Chair me traduire le « touchable ». De vieilles peintures et des pierres tombales étalaient l’histoire. J’avais bien deviné. Le monastère était, à l’époque, occupé par une forteresse. Étienne le Grand, prince de Moldavie, a édifié plein de monastères et d’églises. Mais celui dont je parle a le caractère de la victoire. Les vêtements royaux propagent l’odeur de la victoire. Cependant, toute l’iconographie révèle la présence de la religion. Une dernière icône montrant le visage d‘Étienne le Grand sur un mur… Oui, il s’agit de la mortalité et l’éternité sous le même cocon. Une âme et un corps qui se sont retrouvés l’un l’autre. Je suis Âme. J’ai en songe retrouvé mon frère.
26
Sara Badoura Née en 1991 Nationalité : jordanienne Un moment d’été Je m’assieds chez moi, inondée par mon caractère d’amertume Puis quelque chose touche mon âme comme la caresse d’une plume Un songe dans l’esprit qui se consume, avec les chers souvenirs qu’il exhume Comme une force miséricordieuse qui soulève le poids Comme une brise de chaleur, qui souffle dans le froid Dans un moment fugitif, je me suis rappelée des choses que je n’oublierai jamais J’utilise ma balance pour déterminer ce que j’ai gagné Mon cœur ne résiste pas et me dit que rien n’est resté… Du bonheur que j’avais dans les mains tout en sachant qu’il allait me quitter Accompagner ceux qui sont chanceux, c’était un prix à payer Et au milieu de ma mélancolie amère et sucrée, je sais que je ne ferais rien autrement Je revivrais toujours ce moment d’été… Donc dites-moi que vous vous rappelez… L’irritation de la chaleur, l’eau de la mer qui nous rafraîchissait Je n’étais pas perdue quand vous m’avez trouvée, juste défaite, et un peu rouillée Et pour cela j’ai pris de l’espace pour vous remercier… De l’espoir qui se levait dans le rougeoiement du matin Des sourires d’or, du réconfort qui a transformé le monde, un peu plus divin D’un moment parfait, comme vous l’êtes Du sommet de la montagne, les lumières de la ville m’ont laissée muette Vos sortilèges m’ont étourdie, comme vos plaisanteries… et mon penchant naturel à éclater de rire… Nous n’avions que le temps, notre faux ami, auquel nous avions confié nos vies… mais il ne peut pas s’effacer des mémoires, voler les souvenirs… La lune dans notre ciel de minuit, votre parfum, une odeur impossible à décrire N’est-il pas dommage qu’on atterrisse si bas après s’être envolé si haut? Et n’est-il pas étrange que les jours simples soient les plus beaux? Une pause dans une année, l’histoire qui a commencé Un adieu inévitable qui blesse le cœur, nos derniers tristes pleurs Les moyens de transports comprennent un aller et un retour Il faut que tu saches que je t’attends toujours…
27
Lilit Sargsyan Née en 1990 Nationalité : arménienne C’est une île inconnue, où je passe des vacances indescriptibles. Ici vous ne trouverez ni bruit urbain, ni transports, ni géants industriels. Dans ce coin fantastique du monde les gens vivent autrement. Chez eux, chacun a un penchant naturel pour créer les chefs-d’œuvre de l’esprit : la musique angélique, qui révèle l’âme au ciel, les histoires incroyables sur la bonté humaine, l’amour et la paix, les images miraculeuses, qui reflètent la coexistence harmonieuse de la nature et de l’individu. Bien sûr ici, ni les gens, ni leur caractère ne sont parfaits, mais le seul fait, qu’ils se confient et se soutiennent, rend la vie paradisiaque. Oui, c’est un songe appelé l’Utopie, qui, j’espère, un jour deviendra la réalité.
28
Caroline Renders Née en 1987 Nationalité : belge Toi. Oui, c’est à toi que je m’adresse. Toi que j’ai sauvé, le temps d’un été. Lorsque j’ai posé mon pied endolori sur le tarmac, j’ai senti l’atmosphère misérable de ce petit bout de pays m’envahir. J’ai rejoint le village, prenant à peine le temps de confier à ceux que j’avais laissés que le coucou n’avait pas commis d’impair lors de son vol. J’avais beau avoir choisi, en mon âme et conscience, de venir prêter mes mains à ces gens désœuvrés, je n’en menais pas large en pénétrant dans ton village délabré. J’aurais pu m’y prendre autrement et rejoindre l’une de ces associations qui aident à construire des puits dans les villages d’Afrique… Mais mon caractère sauvage m’a poussée à entreprendre un voyage qui me conduirait dans mes retranchements et me restituerait l’air naturel que j’ai perdu en vivant dans le tourbillon des manipulations citadines. Chez moi, il me semblait que je me perdais et qu’il me fallait écrire un nouveau chapitre à mon histoire. La vingtaine dépassée, une envie d’autre me taraudant, quelques billets pour régler les transports qui m’amènerait jusqu’à toi et j’ai débarqué au milieu des villageois rongés par un mal qui ne se guérit pas. J’ai écouté vos histoires, recueillant les témoignages de ceux qu’il ne plaît à personne d’écouter, vidant mon seul sac de tout baume dérisoire que j’avais pu amener. Et j’ai décidé que le temps et la maladie n’auraient pas d’emprise sur moi. Puis tu es apparu, un soir, malade comme les autres, sans parent et couvert de boue. Je n’ai pas eu un simple penchant pour ton air curieux ; j’ai fondu sous l’espoir que tes yeux me confiaient. Tu m’as demandé si tu pouvais repartir avec moi et j’ai répondu oui. Quelle folie… mais j’ai dit oui. Qui suis-je à présent ? Une maman toute neuve ? J’ignore toujours de quoi l’avenir sera fait, mais je songe au début de mon récit et réalise mon erreur. Je ne t’ai pas sauvé. C’est toi qui m’as sauvée en réinventant mon existence et en lui donnant le sens qui lui a longtemps manqué.
29
30
Anne-claire Jaulin Née en 1987 Tous les ans, on part au même endroit. C’est comme ça et c’est pas autrement. Tous les ans, c’est la même musique dans la voiture, les mêmes aires d’autoroute, le même petit hôtel de caractère, les mêmes histoires à raconter et tous les ans, je m’ennuie fermement. Il y a quelques années, mon frère et moi, nous les aimions ces vacances. Tout était si naturel qu’avant même d’arriver, on pouvait inventer la fin. Papa conduisait tout le trajet, il nous racontait des blagues pour passer le temps, planifiait les arrêts pipi, les pauses déjeuner, c’était lui le roi des transports ! Avec mon frère, c’était la guerre dans la voiture. Nous nous disputions sans fin et finissions toujours par tracer une ligne imaginaire entre nos deux sièges : ne pas dépasser. Une fois arrivés, nous courrions dans la chambre pour réserver le lit du haut, baptisé meilleur lit depuis notre première visite. Commençaient alors des vacances qui, nous le savions, ne finiraient jamais. Aujourd’hui, le nez collé contre la vitre de la voiture, je regarde ces paysages familiers défiler. Tout me semble déjà vu, déjà fait, déjà vécu que j’en ai la nausée. Mon frère aussi a grandi. Il a maintenant un fort penchant pour les jeux électroniques en tout genre. Les écouteurs dans les oreilles, son ordinateur sur les genoux, il se connecte à une nouvelle réalité pendant que je contemple la mienne, intacte. Papa conduit encore et toujours mais ne dit plus rien. Lui aussi, il songe à un futur différent. Mais chez nous, il n’y aura pas d’autrement. Ici, le temps s’est arrêté. Maman, elle ne se souvient plus. Un jour, elle a dû avoir peur alors elle a tout oublié. C’est son âme je crois qui ne veut plus se rappeler. Depuis ce jour-là, tous les ans, on part au même endroit pour qu’elle se souvienne. Chez elle, il n’y a plus rien d’avant, plus rien d’après, tout est maintenant. Elle nous a confié sa mémoire et nous, on écrit son histoire. Alors ensemble, on se souvient, pour elle.
31
Annabelle Chalopin Née en 1992 L’océan s’éveille sur le sable en plein songe. Du vent. Il y a toujours eu beaucoup de vent, je l’ai souvent écouté. Je l’ai souvent écouté, il emportait tout. Cette fois-ci, c’est moi qui me confie. Je lui raconte, l’histoire d’il y a des années, dans ce port, à l’âme décrite par Baudelaire, sur cette même mer, sous ce même ciel, je souffle mes mots dans tous ces bleus naturels. L’histoire de mon père. Chaque vacance, nous allions sur cette île où, disait-il, la mer avait du caractère. Il partait souvent seul, une habitude chez lui. Mais ce jour-là il en fut autrement. Avec lui dans l’embarcation, j’observais silencieusement. Les voiles tendues par un vent sifflant, et la coque penchant dangereusement à cause de la houle. Menaçante. Nous partîmes, affrontant le temps qui se détériorait au fur et à mesure que nous progressions dans les ondulations de l’eau, notre mince voilier était loin d’être adapté à de telles conditions. Le courant devenait hargneux, les mouvements étaient saccadés ; grisé par son plaisir, mon père se dressait loin devant moi, stoïque et fier. Il m’avait oubliée, moi, du haut de mes 6 ans. Perdue et effrayée. Quand soudain, bulle de savon, la mer m’engloutit. Je sens l’eau monter sur ma bouche. Comme un baiser. Monter sous mes yeux, larmes glacées. Apnée. Ma peau se liquéfie, mes cheveux se font algues au milieu de l’obscurité. Le silence raisonne soudain autour de moi. Assourdissant. Des gouttes se cassent sur la surface, je le sens, je le sais. Noir. Je flotte sous la mer énervée, mes cris se heurtent au mur de l’eau, je Je secoue la tête. Le souvenir est encore bien présent, trop présent. Je me suis réveillée le lendemain, entourée de blanc, ignorant tout de mes transports entre la mer et mon lit d’hôpital. Ma mère endormie à mes côtés me tenait la main, des larmes avaient séché sur son visage. Et mon père, mon père n’était pas là.
32
Juliette Schwak Née en 1991 Paris en août, grande première pour une native un peu blasée. Moi qui ai vu le jour entre la gare du Nord et celle de l’Est, et qui pensait que la ville n’avait plus d’histoires à me confier. Un homme m’a pris par le cœur avant même de me prendre par la main, et m’a révélé l’âme que Paris n’a pas perdue. Parisien d’adoption, Italien de naissance, il voyait dans chaque coin de rue et chaque image un songe ayant pris forme. Je suis entrée dans ce film qui semblait se tourner partout où nos pas nous guidaient. Nous avons dévalé les escaliers de Montmartre dans l’air frais d’une soirée d’été. Nous avons pique-niqué sous les tilleuls jaunissants du Palais Royal, et admiré le coucher du soleil depuis un banc des quais de Seine. Nous avons arpenté le dédale de rues parisien en ne cessant de nous dévoiler un peu plus l’un à l’autre. Il était alors naturel que nous nous aimions à Saint Germain des Prés, et que nous connaissions les transports de la chair dans une loge de concierge de la rue des Martyrs. Chez moi est devenu chez nous. Mon cœur a pris des vacances d’avec la morosité et j’ai fait des adieux peu solennels à mon penchant pour l’ennui. Cet été doux-amer, s’acheminant vers mon départ inexorable pour Séoul, aura fait couler des larmes de détresse et de tendresse. Paris, belle à en crever, belle à n’avoir rien d’autre à faire que de la contempler, a retrouvé son caractère qui pour moi seule s’était éteint. J’ai parcouru mon univers autrement, effacé les souvenirs anxieux qui y demeuraient, j’ai inventé à ma ville natale une nouvelle mémoire et l’histoire d’amour qu’elle aura toujours à me raconter.
33
Amandine Jardin Née en 1988 Pour nous les chats, entendre de la bouche de nos maîtres le mot «vacances» entraîne une sorte de vague à l’âme et des questions automatiques parmi lesquelles «Que vont-ils encore me faire subir?». Ce que vous les humains, savez peu, c’est que notre espèce est plus attachée au lieu dans lequel elle vit qu’aux personnes qui y sont présentes. C’est dans notre caractère, on est un peu casaniers. Avec notre penchant naturel au songe, les yeux mi-clos la plupart du temps, mieux vaut ne pas nous confier au premier voisin venu, chez qui les fauteuils sont bien moins confortables, autrement vous risqueriez de nous retrouver plus hargneux que lorsque vous nous y aviez déposé. On ne plaisante pas avec le sommeil du chat. N’essayez pas non plus de nous emmener avec vous : les transports sont tout aussi désagréables que les ressorts de canapé de Monsieur Ducreux, mais malgré nos miaulements, vous restez sourds à nos malheurs. J’ai de quoi écrire tout un tas de belles histoires avec tous les moyens de vengeance que j’ai mis en place pour faire payer les humains des désagréments que nous subissons. Mais cet été 1989... Enfin!! Enfin!! Si vous saviez comme il est éreintant d’être mignon et câlin des jours durant, de se laisser tripoter le poil par des mains gamines, grasses et sales, quand on n’aspire qu’à une chose dans la vie : dormir. L’été 1989, pendant deux longues semaines de bonheur, je suis resté seul à l’appartement. Mawie, adolescente alors, câline juste ce qu’il faut, venait chaque soir me nourrir, faire place nette dans la litière. Le reste du temps, j’étais tranquille. Ça, c’est mon meilleur souvenir de vacances. Laissez-moi vous les conter, j’ai tout mon temps. On ne m’a pas nommé Oblomov* par hasard... * : Oblomov : héros de Gontcharov dans le roman russe éponyme
34
Aurore Chaussepied Née en 1993 Une solution pour vivre le tourisme en Chine autrement : prendre place parmi l’un de ces trains de nuit qui sillonnent le pays de long en large. Bien que les transports y soient divers et nombreux, rien de tel pour approcher au plus près la manière d’être et de vivre de ces millions de chinois, et pour connaître un peu de leur histoire, si ton anglais est assez correct pour te permettre d’échanger quelques mots avec ton voisin de couchette. Passée l’heure de la soupe, la fameuse soupe aux nouilles chinoise, extinction des feux : chez les Chinois, ça ne rigole pas, à 22h, tout le monde au lit ! Pourtant, commence là un véritable remue-ménage. Les couloirs voient défiler fumeurs, insomniaques, grands bavardeurs nocturnes qui semblent confier toute leur vie et leur miséricorde à leur interlocuteur (et à nous avec !), et propagent enfin des sons charmants de crachats et raclements de gorge, d’un naturel déconcertant. Alors de nuit tu n’en vois que la lueur des étoiles ; et de songe tu n’en vois pas même l’ombre. Mais il s’agit aussi d’un lieu bouillonnant de vie, de gens, de paroles, d’énergie. Lieu où cette parole paraît enfin libérée, où elle ne craint plus l’œil sévère du Big Brother local. Parce que, quoi qu’elle dise, la Chine reste un Etat policier. Alors, comme pour échapper à cette omniprésence militaire, et comme si était ancré dans leur caractère un penchant pour l’hospitalité, ils te tendent la main, te proposent un thé, de partager le repas avec eux, et t’intègrent à leur culture, sans gêne aucune. Et même si la nuit fut courte, une sorte de doux enchantement nous incite à monter dans le prochain train... Et si un voyage en train révélait l’âme d’un pays?
35
Fayçal Zarrouk Né en 1989 Alger. Pour moi ce n’était pas le retour au pays, au « bled » de tant de mes amis qui rentraient tous les étés à Casa ou à Tunis. Étaient-ce même de vraies vacances, pour moi dont le penchant pour la solitude m’empêchait de me sentir chez moi, alors que j’étais là-bas chez ma grand-mère, avec mes oncles, tantes et cousins ? Cette fois-ci, je savais que ce serait différent. Cette fois-ci, il me paraissait naturel de m’y rendre, de cesser de me comporter comme un privilégié qui ne peut passer une semaine sans son téléphone ou internet. Il fallait que j’agisse autrement, que je sois digne, pour une fois. Pour la dernière fois peut-être, je devais aller à l’encontre de mon caractère froid et distant. Alors je restais auprès d’elle, toute la journée et l’écoutais se confier à moi, me dire ses douleurs contre lesquelles je ne pouvais rien, raconter des histoires et se rendormir. J’étais parfois son petit-fils, parfois son fils ou un autre. Mais même en songe, alors qu’elle était loin du tumulte qui régnait dans la demeure familiale, je savais au plus profond de mon âme qu’elle était là, avec nous. Sa main trahissait ses peurs, et parfois, lorsque la douleur s’éclipsait un instant, une larme perlait sur sa joue. Sans tristesse, lucide. Alger, ce n’était pas une ville, c’était une maison. Pendant longtemps celle de ma grandmère où nous allions pendant les vacances. Il n’y avait rien d’autre à y faire qu’attendre, à y vivre ensemble et ce, alors que nous étions tellement différents. Il m’est encore arrivé de me demander lors de mon dernier voyage ce que je faisais dans un pays où les transports étaient si difficiles pour une Mouima mourante et où une place d’hôpital valait si cher... Qu’importent aujourd’hui ces détails ? Ce que je garde d’Alger, ce ne sont pas les souvenirs de vacances passées cloîtré dans une chambre sans vouloir sortir dans des rues inconnues, c’est une main serrée dans la mienne et de l’amour échangé jusqu’au dernier moment.
36
Pauline L’hôte Née en 1987 La Renault 21 grise franchissait pour la dernière fois le portail de notre petite location à l’île d’Oléron, on n’entendait que la voix de Michel Jonasz qui chantait : « On allait au bord de la mer, avec mon père, ma sœur, ma mère. » Assise à l’arrière de la voiture, je me disais que cette chanson avait été écrite pour nous. Dans mon âme d’enfant, elle résonnait comme une belle coïncidence. Il faut dire que les transports ont toujours été pour moi propices à la réflexion avec une certaine tendance aux bilans. Et je dois vous confier que mon caractère n’est pas conditionné pour vivre pleinement l’instant présent, j’ai plutôt un penchant naturel pour la nostalgie des moments passés. Alors, en écoutant ma mère fredonner par-dessus cette chanson – une oreille musicale préciserait qu’elle la massacrait – je voyais défiler l’histoire achevée de ces vacances en famille à travers les vitres de la voiture. Les concours des plus belles roues sur le sable avec ma sœur, les coquillages ramassés sur les rochers, la visite de la criée, et sur la plage, les confidences de mon père – chez qui c’est plutôt rare -… Des vacances modestes, comme l’évoquent les paroles de Michel Jonasz, mais qui, passées autrement, n’auraient pu être meilleures. Lorsqu’il m’arrive d’entendre à la radio les premières notes de cette chanson, je songe alors à la petite fille dans cette voiture, qui regrette déjà la fin des vacances passées avec son père, sa sœur, sa mère.
37
Armande Diquas Née en 1987 Chassez le naturel, il revient au galop dans les transports de l’âme. Mais il faut savoir se confier : j’ai un penchant pour cette histoire d’amour Commencée dans le songe d’une nuit d’été (chez des amis). Et achevée un matin de septembre. Mauvais temps, mauvais caractère. Autrement dit, c’en fut fini.
38
Florian Guillot Née en 1990 Il y avait ce piano à gauche, avec son pianiste, ce soleil au fond et ces livres partout, dorés du soleil d’hiver. Je pensais que chacun voulait me confier son histoire, je voulais m’avancer vers eux et même m’y fondre, rentrer chez leurs auteurs et m’asseoir aux coins de leurs feux. J’avais cette envie de savoir et cette soif de découverte qui faisait pétiller mes yeux. Il y avait cette musique qui sortait du piano, ce jazz insensé qui possède une âme, qui s’écoute alors même que toutes les lumières sont éteintes, les portes fermées et le musicien rentré chez lui ; ces notes qui remplissent l’espace d’un air naturel et désinvolte. Ce jazz me poursuit encore, il est là dans mes songes et certaines nuits, les yeux fermés, je me revois assis là, sa main dans la mienne et nos yeux ailleurs, vers les rayons jaunes du soleil, froids de neige et de glace. Cette journée est comme coupée, sans que rien ne nous amène ou nous en remmène, comme si elle ne pouvait exister, et qu’en me penchant sur ce trop-plein dans ma mémoire, je ne pouvais faire autrement qu’y tomber encore et encore. J’avais alors ce caractère de chien qui vous fait penser qu’un mieux nous attend, qu’une autre main nous attend et qu’elle sera plus douce, plus belle. Je n’étais alors qu’un enfant et mes transports innocents. Je n’ai jamais revu ni ce piano ni son pianiste, ni ouvert aucun de ces livres dont je ne comprenais même pas la langue. Je me suis laissé caressé par le soleil et bercé par la musique. Cette main ? Je ne l’ai revue qu’une fois, pour voire à son doigt un anneau auquel je n’aurais même jamais pensé.
39
Apolline Barra Née en 1987 Elle m’attend parmi les autres et prend mon sac des mains. Elle me conduit à travers les terres de lave, et, dans le silence de ce paysage austère qui défile, je me demande pourquoi mon père est venu confier ici sa jeunesse. La voiture ralentit dans un village dont je ne m’essaie même pas à prononcer le nom, tout bardé de caractères incongrus. Mon grand-père ouvre la porte d’une petite maison posée dans les hautes herbes, prend le sac des mains de ma grand-mère, le pose dans ma chambre. J’aimerais me confronter à la nouveauté, mais je me butte sans cesse sur l’inconnu. J’apprends alors l’âcreté du poisson séché, j’apprends les bottes, les retours de mer, la pêche, le sel sur les lèvres. J’apprends les entrailles chaudes et vivantes de la terre et des poissons. J’apprends les gris, les noirs, les bleus des laves déchiquetées. Et la mousse. Les mousses, qui viennent adoucir les pierres tranchantes comme les moutons donnent vie aux grands espaces. J’apprends partout le penchant de cette nature pour une beauté brute et tellurique. Autour de la table de la cuisine, les syllabes des quelques mots appris s’entrechoquent dans ma bouche et c’est toujours le naturel de nos gestes qui triomphent. Ainsi, après une semaine passée chez eux, je suis devenue le parfait mime de tout un vocabulaire qui devient presque superflu. Je vois mes yeux dans ceux d’inconnus suspendus dans des cadres aux murs. J’y vois mes cheveux et mes joues trop roses. J’y vois mon histoire autrement. Sans les récits et les yeux mouillés de mon père. J’y vois ma mère. J’y vois les traits que j’aurai sans doute en vieillissant. A l’aéroport, les transports de bonheur et de tristesse de mes grands-parents disent ce que nous ne pouvons pas articuler. Un dernier regard aux gris du ciel et de la terre. Lorsque j’atterris de l’autre côté de la mer, mon séjour a déjà la réalité trouble et ténue des songes. Mais je reviens avec une force nouvelle. Celle qui est de savoir d’où on vient, et qui reste vissée à l’âme.
40
Julien Golomb Né en 1988 Enviable Bretagne ! Enfant, j’y ai soulevé sur la plage tant de galets. Par chance pour eux, le sable fin, quelquefois animé de velléités accapareuses, pouvait aussi consentir à partager son bercail et se montrer accueillant. Souvent blottis les uns contre les autres, les galets doivent avoir froid et je m’efforce de compatir. Vous êtes tous un peu pareils, ma foi : de drôles d’animaux. Les plus effilés d’entre vous ont cette singularité virile de laisser entendre le grondement de montagnes fort lointaines, à la place du gémissement des vagues offert par vos rivaux coquillages, qui se révèlent être des compagnons de promenade moins captivants lorsqu’ils se mettent à raconter leur redondante histoire. Mais depuis combien de temps siégez-vous ici, au juste ? Décidez-vous du temps qu’il fera tout à l’heure ? Le poids d’années chez vous oisives à l’excès vous porte-t-il seulement préjudice ? Vous aurez besoin d’une âme bienveillante qui saura forger votre caractère, et je reviendrai. Vous êtes les gardiens de pas mal de choses ici, on dirait. Les grands naïfs de tous âges, dépassés par leurs transports passagers puis éconduits rondement – comment peut-il en advenir autrement ? –, aiment à vous confier leurs peines, trop rarement leurs espoirs. Entendez-vous à jamais, seuls, endurer cette innocente ingratitude ? Curieux «penchant doloriste», diraient certains. Quand j’y songe, vous m’êtes bien sympathiques ! Chassez le naturel, il reviendra auprès du galet. Transcendant, vigoureux, véritable, le naturel n’invoquera ni n’admettra celle qu’on nomme nostalgie ; car il ne sait pas être complaisant et ne s’estompe que pour faire semblant. Il cherche juste un endroit furtif pour reprendre son souffle jusqu’à la plage.
41
Pauline Seignon Née en 1992 On me l’avait bien dit : il vaut mieux se croire dans un songe si l’on ne possède pas la force de caractère pour ce genre d’aventure… D’un naturel curieux, j’ai ainsi contemplé le parcours qui nous attendait : des gorges aux tons ocres orangés, creusées par l’eau d’un bleu azur. Nous nous sommes lancés à l’assaut du canyon, bercés par les eaux glaciales servant de transports, cheminant entres rochers et cascades, jouissant d’une pseudo-liberté rythmée sur le chant des oiseaux. Au début c’était facile, des glissades, des toboggans, des tourbillons, des petits sauts de 4 mètres à travers ce décors magnifique ; c’était histoire de nous mettre en confiance… Mais là, en me penchant au-dessus du vide, j’ai réalisé que c’était 10 mètres de hauteur qui séparaient mon perchoir du petit bassin d’eau en bas… Une espèce de puits étriqué, noyant les rochers dans ces profondeurs devenues obscures et mystérieuses… Dans ce cas il ne faut pas penser, ni essayer de confier à ses parents que l’on souhaiterait rentrer chez soi… Autrement j’avais la possibilité d’emprunter le petit passage que le guide venait de nous montrer, sans encombre, en pente très douce, ce tout petit chemin tranquille et paisible… Non! Ce n’était pas le moment de se dégonfler, sinon que raconterais-je aux autres? Hors de question de leur dire que j’ai échoué. J’entendais déjà les moqueries de mes camarades « petite joueuse ! ». C’est alors que j’ai sauté! La décharge d’adrénaline venait de me pousser de la falaise, tandis que mon âme s’arrachait avec la vitesse, mon corps chutait telle une masse que l’on venait de jeter, déferlante incontrôlable de sentiments, subtil mélange entre détresse, plaisir, angoisse, joie, qui remontait jusqu’à mes yeux humidifiés. Enfin le contact brusque avec l’eau glaciale ; la deuxième décharge, celle qui annonce la fin, la fin des trois secondes les plus intenses de ma vie. J’ai alors pris conscience de ce que je venais d’accomplir : du haut de mes dix ans, j’ai vaincu la peur du vide.
42
Morgane Lemonnier Née en 1989 Tulle, le 27 juillet 1957 Chère Julie Me voilà en vacances chez les cousins. Je ne suis pas peu fière d’être venue seule par le train, en adulte responsable, plongée dans l’effervescence des transports en commun. Dimanche, après la messe, j’ai accompagné Pierre et Valentin au bord de la rivière. Etendue sur l’herbe, en songe, je me laissais porter par les flots, telle notre chère Lady of Shalott. Je coulais des instants délicieux, jusqu’à ce que Valentin ne me ressuscite pour me demander de tenir le manche de son épuisette pendant qu’il descendrait dans la rivière, détacher le filet pris dans une racine. J’ai été assez naïve pour y croire. En me penchant un peu, j’ai vu que le filet ne s’était pas accroché du tout et Valentin, l’âme pétrie de malice, a tiré sur l’épuisette. J’ai fait un beau plongeon et ma robe du dimanche avec ! Mamie Yvette d’un naturel calme mais surtout très pieux eu peine à contenir sa colère et nous accabla de reproches. Elle n’a jamais voulu croire qu’il puisse s’agir d’un accident, elle était pourtant crédible notre histoire. Il a fallu confier la robe à la teinturière, les tâches de boue ne voulaient pas partir. De ce fait, nous sommes tous les trois punis. Dans ma chambre, privée de dessert, je me livre à ma douce repentance, me rappelant les canards offusqués, nasillant depuis l’autre rive, alors que mes anglaises s’étiolaient dans le courant et ma robe, gonflée d’eau, s’étirait en corolle vaporeuse. J’eus été une belle naufragée, quoique je dus patauger lamentablement pour m’extraire de l’eau. Oh ma Julie ! Comme j’aimerais savoir que ce récit t’aura rendu le sourire, ne serait-ce que le temps de lire cette lettre. Je ne connais que trop le caractère monotone des journées qui languissent en maison de repos. Malgré les joies qu’il m’est donné de savourer, ton absence m’est pénible et rien ne saurait me réjouir tant, autrement la nouvelle de ton retour prochain. Sophie, ta sœur qui t’aime.
43
Marie Lammer Née en 1993 Rencontre avec un homme d’ailleurs. Un homme face à qui j’ai ouvert mon âme et grâce à qui le temps des vacances j’ai vécu autrement, simplement, au naturel. Cet homme pour qui j’avais un penchant et face à qui j’ai pu confier mon histoire en toute simplicité. Cet homme avec qui j’ai vécu quelques jours de rêve, dans une idylle folle et sans avenir, mais tellement simple et naturelle où son caractère d’ange a tout facilité. Il est rentré chez lui, quelques jours avant moi, en utilisant les transports que nous offre le monde, dont celui qui est le plus approprié pour s’approcher du paradis. Aujourd’hui encore, malgré le temps qui passe, je songe encore à lui. Je le remercie dans mes rêves et dans mes pensées de cet état de liberté et de réalité qu’il m’a fait vivre.
44
Étienne Labaou Né en 1992 Sur le sable chaud du Sud, on oublie jusqu’à ses infimes soucis citadins. Tandis que nos pieds s’enfoncent dans la caresse brûlante, les préoccupations s’envolent dans des éclats de rire que peinent à camoufler les supplications des vagues. Et ça s’tape les épaules, et ça s’embrasse, parce qu’on est jeunes et qu’on a du caractère, parce que la vie ça se joue maintenant, sur cette plage et sous ce soleil. Alors nous courons dans les dunes et nous roulons, nous trébuchons, nous nous relevons à grand peine, dévoilant nos sourires éblouis au ciel immaculé. Nous posons nos serviettes comme on construit une maison, en se disant que ça durera toujours, puis nous nous jetons à l’eau, laissant derrière nous songes et vêtements. Nous plongeons dans les remous et oublions dès lors qui nous sommes, qui nous avons été, parce que notre vie commence, parce que c’est le début de l’histoire. Nous nageons jusqu’à ne plus savoir marcher, et nous rions jusqu’à ne plus savoir ce qu’est la tristesse, puis, fourbus, nous sombrons dans un sommeil si naturel. Nous ne rouvrons les yeux qu’entre chien et loup et nous nous serrons alors que le vent se lève, bastion invincible à l’ennemi invisible. Nous chantons aux étoiles naissantes des sonnets pleins de secrets et d’âmes de poètes disparus aux penchants désabusés, et allumons un feu autrement plus chaleureux que les froides lumières de la ville de chez nous. Nous nous confions des mensonges prétentieux, les yeux plongés dans la langueur ardente des flammèches, puis nous nous levons dans un bruit de tempête et dansons aux éclats, en oubliant que demain c’est terminé, que demain notre vie ne sera rythmée que par les transports urbains. Ce n’est que lorsque nos baladeurs expirent dans un râle que nous nous écroulons, inertes, en une masse informe. Lorsqu’enfin mes yeux se fermeront aux premières lueurs du jour, ma dernière pensée sera la suivante : «De retour dans mon triste Nord, garderai-je encore l’empreinte de ces embruns salés ?»
45
46
Paula Huguette Anani Nationalité : béninoise Vacances dans les livres Les vacances ! Où aller ? Visiter les pyramides d’Egypte ? Découvrir le phare d’Alexandrie ? Me promener dans les jardins de Babylone ? Contempler le temple d’Artémis? Non ! Je vais au pays des livres ! « Dans les livres, on découvre aussi le tombeau de Mausole, la statue de Zeus, le colosse de Rhodes ! » Cela dit, je me mets à explorer, l’âme allumée par les transports, l’immense pays des livres. Dans le pays des livres, j’ai visité Houtteville, Houtteville et Haussonville, Haussonville et Malleville, Malleville et Morville, Morville et Ermenonville. A Ermenonville, Le Devin du village m’a confié trois histoires : La fessée, Le peigne cassé, Le ruban volé. A Ermenonville, je me suis rendu chez M. de Wolmar qui m’a parlé des penchants de Saint-Preux pour Julie d’Etanges. A Ermenonville, Pygmalion m’a lu, dans le château de Rousseau, des Lettres écrites de la montagne. Dans le pays des livres, la vedette Vedel m’a prouvé que tout va bien chez Vatout, tellement bien chez Tallemant qu’il se sent aussi bien loti que Loti. France m’a parlé du beau sort de Bellessort, du beau destin de Giscard D’Estaing, de la cause que défend d’Encausse. Mérimée m’a parlé de l’art rare de Conrart, de Frossard, de Sicard, de Rouart et de Suard. Jean Bernard m’a décrit le beau sang Beaussant. Mon cousin Victor, cédant à son bon naturel, m’a décrit le bon caractère de Voltaire, le chapelet Chapelain, les citadelles Kessel et Fontenelle. Revel me révèle la cour Valincour, la force La Force, les forteresses Faure et Dufaure. Avec la caméra Camara, j’ai vu Laye chez Laya, Laya chez La Faye, La Faye chez Houssaye, Houssaye chez Aboudoulaye, Aboudoulaye Sadji chez Sainte-Palaye, Sainte-Palaye chez Noailles. Depuis ce jour, j’ai compris qu’on peut passer autrement les vacances sur la Terre des hommes et que qui explore le site des livres peut éviter les songes de Perrette, éviter de dire : « Orge, ouvre-toi », sculpter son cheval de Troie, semer ses sésames.
47
Lydie Lorssery Nationalité : française Danse ! J’ai un fort penchant pour les danses africaines traditionnelles de l’Afrique de l’Ouest, que je pratique depuis plus de vingt-cinq ans. Celles où les percussions emportent l’âme et le corps dans des transports incendiaires, celles où les pieds parlent à la terre, celles où l’été déhanche la pierre et enflamme les yeux, les songes et les membres de ceux qui parviennent à rester assis. Et des autres. Peut-être pour leur caractère fier, chaud, animal. Ma plus grande fierté de danseuse m’a été donnée par une vieille dame sénégalaise de 76 ans, lors de ma première venue au Festival du Chemin des Arts. C’est un festival de danse en milieu rural, qui se passe pendant les vacances d’été, la dernière semaine de juillet, à Authiou, dans la Nièvre. Elle m’a dit : « Toi, tu danses comme nous.» C’est le plus beau compliment que j’aie jamais reçu sur ma façon de danser. Parce qu’elle est noire et que, moi, eh bien, je suis plutôt pâle, au naturel… Ma petite fierté en a fait toute une histoire. Ce souvenir–là m’a tenu chaud au cœur pendant toutes ces vacances, et il me pousse encore vers le soleil ; j’y puise force et naturel, au point qu’une autre dame, malienne, m’a dit plus tard que mon âme était noire. Peut-être après tout. Mon âme est noire et c’est ma grande fierté. Je vous la confie quelques instants, qu’elle vous réchauffe et vous fasse danser chez vous devant votre cuisinière, devant votre télévision, devant votre ordinateur. Autrement, comme nous, les Noirs. Posez vos chaussures, frappez dans vos mains, ce poème part à Trois : 3-4-5-6 ! Ton âme est belle à voir Derrière ton corps drapée Noire, elle danse ton histoire C’est la vieille dame qui l’a dit Toi tu danses comme nous La dame médecin me l’a confié C’est un bonheur de te regarder Ça se passe chez Lucie Chaque été fin juillet On y danse autrement Les transports de l’âme Les penchants de nos vies Toi, tu danses, Toi, tu regardes, Toi, tu songes… Quel naturel, Quelle ivresse Quel caractère !
48
Placide Bidossessi Agounfon Nationalité : béninoise Vérité. Elève excellent excellant surtout en français, j’écris. On me lit. On applaudit. On me confie : « Tu es l’académicien Paris. Ton expression est belle comme la ville de Paris. Ton style est naturel. Chez toi, écrire, c’est s’exprimer autrement ; c’est semer les fleurs des transports dans le champ de l’âme. Bons vents ! » Venues les vacances, je dis aux cours : « Adieu ! ». Je me rends chez mon oncle Vérité. Gourmet littéraire, il est gourmand de lecture. Je lui donne mon roman Illusions, attendant qu’il dise : « Excellent ! » Il lui décerne le prix Nobel de la littérature dans un petit texte qu’il me tend, un matin. Ce texte, le voici : «Que dire à l’auteur de ce roman ? Narrateur talentueux, il a raconté l’histoire intéressante des affres du mariage, évoqué le lamentable effilochement d’une famille par des problèmes intestins, démontré que le labyrinthe de notre vie est habité par le monstre apprivoisé de nos mégalomanies, la panthère domptée de nos penchants, l’hydre dressée de nos caractères. Instructive, cette histoire est loin d’être littéraire. Insipide, le récit est farci de solécismes. La concordance des temps est immolée à la désinvolture. On a narré pour narrer. Narration sans variété, narration dépourvue de pittoresque, narration exempte d’originalité. L’auteur n’a pas réalisé que le sel de toute production littéraire est l’esthétique, que le socle de la littérature n’est pas la graphomanie. Portez des perles à vos mots ! Parfumez-les ! Dans votre livre, peignez-moi ces déserts enneigés, ces midis constellés d’étoiles, ces feux glacés, mille impossibilités rendues possibles par la fée de l’inventivité, l’ange de la littérature, le dieu de l’art. La littérature peut encore s’écrire “Lire tes ratures’’. Maintenant, éclatante victoire à votre élan vers la perfection et la consécration ! » Je vois mes songes de renard gardant des poulaillers s’écrouler comme des châteaux de cartes. Tel Le Petit Chose, je me mets à me cultiver de tout mon courage !
49
Aurélie Lacouchie Nationalité : française J’avais quitté mes frères vêtu d’un bel habit de cérémonie, avec un ruban à la taille. En arrivant dans ma nouvelle demeure, un salon cossu, je pensai continuer mon existence paisible et sans histoire : j’avais toujours été choyé à la librairie, il ne pouvait donc pas en être autrement. Or, un matin, je fus jeté dans un sac ! Moi qui n’ai aucun penchant pour l’aventure, je me retrouvai dans le noir, secoué, avec de drôles d’inconnus. L’un d’eux, une sorte de cyclope, m’expliqua : « Ah, les transports, c’est toujours fatigant … » Pour lui, tout cela était naturel ; c’est le photographe officiel de nos maîtres, il est de tous les voyages. Le lendemain, alors que la chaleur m’accablait, le sac s’ouvrit enfin. La lumière m’aveugla. Des mains collantes me saisirent. Je sentis la crème solaire sur ma couverture. Quelques chapitres plus tard, Madame m’installa sur une serviette, un billet de train dans les entrailles. Par bonheur, on ne m’avait pas corné de page ! En revanche, des grains de sable m’irritaient la reliure. Les jours passaient, tout était nouveau et merveilleux : la beauté de la mer, les cris des mouettes, l’odeur des pins … Je fis connaissance d’un dénommé Churros, mais il disparut assez vite. Un chien me renifla – je n’en avais jamais vu d’aussi près ! Je dois vous confier qu’un soir j’ai eu très peur : nous étions attablés à une terrasse de café, quand soudain, un liquide verdâtre me tomba dessus et me glaça l’encre ! Une bonne âme me sécha rapidement, mais j’en garde une vilaine cicatrice sur la tranche. C’est sûr, mon caractère s’est endurci ! De retour chez moi, j’ai des souvenirs plein le sommaire. Mon ami, le gros Robert, m’écoute attentivement : il n’a jamais quitté la maison, pourtant il rêve de découvrir le monde ! C’est un érudit : il sait comment se forment les plages, et me montre, sur une carte, celle où j’étais. Il m’apprend aussi ce qu’est une station balnéaire. Je songe déjà aux prochaines vacances.
50
Muriel Hoareau Nationalité : française Enfants, nos vacances se déroulaient toujours à l’identique : ma mère, atteinte d’un incurable mal des transports, refusait d’aller autrement qu’à pied ; mon père, d’un naturel bourru, n’avait d’autre but, lorsqu’il ne travaillait pas, que de s’éloigner davantage encore d’une société qu’il redoutait et méprisait tout à la fois. Les clés de notre maison confiées au voisin Richard, nous nous mettions en route sur le sentier qui débutait derrière l’église. Après deux jours de marche, nous installions notre campement sur le penchant du Bronchard ; cette petite montagne verdoyante surplombait l’Îlet de Roche Plate, qui abritait une vingtaine d’âmes, des planteurs. Chez eux, nous pouvions nous fournir en œufs, bananes et patates douces. Cet été-là, alors que nous alternions, selon notre habitude, baignades dans les ravines, promenades dans la montagne et jeux autour de notre camp, une découverte devait décider de ma vocation. Un matin, alors qu’avec mon frère nous cueillions, à proximité d’un ruisseau, des racines et des feuilles de songes, avec lesquels ma mère préparerait de délicieux beignets, un chat sauvage surgit brusquement de la falaise que nous longions. Face à cette apparition inopinée, notre premier mouvement fut la frayeur ; mais le mystère fut vite éclairci lorsque nous écartâmes les lianes qui recouvraient la paroi : une grotte s’ouvrit devant nos yeux ébahis. Oubliant à l’instant notre cueillette, nous nous précipitâmes jusqu’à notre tente pour y prendre une lampe, et pouvoir explorer la caverne. Quelle ne fut pas notre surprise de découvrir, gravés sur la lave, d’étranges caractères. Nous avions entendu parler, par notre père, de l’histoire de ces esclaves marrons qui avaient fui la violence de leurs maîtres pour se réfugier dans ces montagnes inaccessibles. Etaient-ils les auteurs de ces inscriptions ? Qui étaient ces « marrons » et comment vivaient-ils? Ces questions allaient occuper toutes ces vacances. Y répondre allait occuper toute ma vie.
51
María José Riego Maidana Nationalité : paraguayenne Le trou. Ah! Fouler le sol d’Istanbul, sous les appels du muezzin! Voilà qui vous fait oublier les jours d’un long voyage, en transports en commun. L’on ne songe à rien d’autre qu’au bien être de son âme. L’on respire profond et admire un ravissant lever du soleil. C’est ainsi qu’arriva Joséphine chez son amie Elvan. La tête pleine d’images, d’histoires colossales à la grandeur d’un Empire oublié. Autrement dit, nul n’est besoin d’ajouter combien la ville vit les foulées de ses pieds. Elle visita, explora, patrouilla, côtoya ; Sainte-Sophie et ses enivrantes mosaïques, Le Palais de Topkapi et son diamant de Pigot, La Mosquée Bleue et ses carreaux de faïence. Bref, elle était transportée aux mille et une nuits. Sans la peine de mort, bien sûr! Néanmoins, ce qui étonna notre chère plaisancière, au caractère débonnaire, ce fut le nombre de chats peuplant la ville. Ils étaient deçà, delà, partout. Tel le bon Nasreddin Hodja, maître des lieux. La démarche naturelle, confiante ils vagabondaient, sans- souci. Elle aimait les chats. La cuisine turque étonna Joséphine. Elle goûta le célèbre dolma ; feuilles de vigne farcies au riz. L’agneau semblait être le plat favori de la famille d’Elvan. On en mangeait midi et soir. Et, mon Dieu notre hôte souffrait quelque peu. Ce régime n’était guère ragoûtant, à ses yeux. Elle qui avait un rude penchant pour le bœuf. “Un cheval! Un cheval! Mon royaume pour un cheval!”. A la mémoire de Joséphine vint cette célèbre phrase. Un drôle de sourire maquillait ses lèvres. Néanmoins, son plus cher désir disait ceci: “Une vache, trouvez-moi une vache, s’il vous plait”. C’est ainsi qu’elle et ses amis s’en allèrent dans un restaurant de cuisine occidentale, à la recherche du bœuf. Elle mangea un bon steak, joyeuse. Puis, elle s’en alla aux toilettes. Elle ouvrit la porte. Ce qu’elle vit dépassait tout entendement! Les murs de carrelage blanc impeccable. Et au beau milieu de la pièce, un simple trou!
52
Isabelle Le Bastard Nationalité : française Etrange Visite chez le Dieu Ganesh L’hôtelier nous conduisit dans notre chambre après nous avoir fait déguster un thé au lait brûlant. Chaque soir depuis le début de notre séjour, nous recouvrions notre chambre, rudimentaire, d’un voile d’exotisme, grâce à la moustiquaire salutairement emportée dans nos bagages, que nous fixions au-dessus du lit. La mousson nous poursuivait encore mais ses déluges incessants ajoutaient au contraire une pointe d’excitation à notre désir de découvrir la campagne du Tamil Nadu. Nous partîmes, impatients, enfourchant la moto louée à notre hôte. Soudain, à l’orée d’un village, tel un songe, un temple nous apparut, son caractère mystérieux accentué encore par la moiteur brumeuse de l’atmosphère. Pour atteindre l’âme sacrée de l’édifice, il fallait escalader un nombre incalculable de marches. Durant notre longue ascension, nous sentions les regards observateurs des singes. Nous étions les seuls visiteurs. Arrivés enfin au sommet, nous fûmes soudain environnés de chants étranges, d’odeurs divines d’encens et une fumigation épaisse nous enveloppa tout entiers. N’ayant pas de penchant connu pour l’angoisse, j’avoue cependant m’être sentie à ce moment-là envahie d’une frayeur incontrôlable, mue par la peur de l’inconnu. Je me suis vue l’espace d’un instant sacrifiée sur l’autel des dieux hindous. Mon ami, qui vivait tout autrement cette scène était, lui, fasciné par cette cérémonie d’offrandes aux dieux, conduite par un jeune couple venu de Madras. Ils offraient aux dieux toutes sortes de fruits, disposés sur l’autel par un prêtre silencieux et majestueux…qui nous invita avec naturel à faire de même. C’est ainsi que nous sacrifiâmes avec émotion, au dieu Ganesh, quelques feuilles de bananier et des noix de coco. Une fois la cérémonie achevée, j’entrepris une descente accélérée, afin de me retrouver au plus vite en terrain plus sûr. J’éprouve toujours une légère honte en confiant cette histoire à mes proches, aventure qui témoigne cependant de cette sensation de vertige qu’un occidental éprouve immanquablement en Inde… Mais le voyage ne prend-il pas toute sa saveur que lorsqu’il procure de tels transports ?
53
Oumou Slama Ly Nationalité : mauritanienne Un songe. Comme ce matin-là d’avril. Comme ce pays aux mille collines, aux coteaux ensoleillés et aux vallées riantes d’eau et de verdure. La beauté saisissante d’un pays qu’on croirait sorti d’un univers féerique. Et pourtant je m’en souviens comme si c’était hier. Nous étions à Kigali sur la colline de Kiyovu, quand un matin Samba, qui nous avait loué cette superbe villa fleurie, me dit : « ça y est, Coumba, nous partons aujourd’hui pour l’Akagera, sinon tu n’auras jamais l’occasion de le découvrir, car d’ici à votre départ, je serai fort pris. Nous n’avons que cette journée, si ça te dit. » Si cela me disait ? J’en mourais d’envie ! « Tu sais comme j’aime ce genre d’excursion ! Le seul problème c’est le bébé. » En effet, notre bébé avait six mois et c’était toute une histoire de l’apprêter et de le faire voyager sur ces pistes poussiéreuses. Allons, reprit Samba, nous allons le confier à la voisine, il sera en sécurité chez elle. Depuis la veille, tout était fin prêt et Samba ne m’en avait rien dit, fidèle à son caractère. Son penchant pour les petits mystères destinés à surprendre était charmant et j’étais fort touchée par tant d’attentions émanant d’un époux au naturel si prévenant. Nous nous mîmes en route avec allégresse ! J’étais attentive aux paysages alentour. Dieu ! Qu’ils étaient beaux à couper le souffle ! Regarderai-je le monde autrement une fois que j’aurais découvert l’Akagera comme le prétendait Liliane, mon amie belge ? Je l’ignorais. Cependant je savourais la vue de la luxuriance qui se présentait à moi et qui contrastait tellement avec le panorama sahélien autrement plus aride et plus dépouillé et que seul je connaissais jusque-là. Le paysage me jetait dans des transports de joie indicible, car nous traversions un bout de forêt où prospéraient des fruits que je ne connaissais pas et surtout de magnifiques orchidées sauvages. Comme moi, Samba adorait les bêtes. Il disait que tous les animaux avaient une âme. La journée fut mémorable.
54
Cathy Roumieu Nationalité : française Le canapé d’un songe J’ai passé toute mon enfance à rêver qu’on ait un jour un canapé, comme tout le monde. Mais arrivée à l’âge adulte, l’objet par moi tant convoité n’avait toujours pas trouvé sa place, ni dans notre pièce commune, ni dans notre vie. J’étais sur le point de renoncer à ce luxe inaccessible, symbole à mes yeux de détente, de réussite et d’harmonie familiale, quand, dans un songe, il m’apparut enfin, ce sofa maintes fois fantasmé, ou était-ce une gondole ? Il était en tous cas immense et merveilleusement moelleux ; ses accoudoirs se prolongeaient jusqu’à l’horizon, là où l’azur des vagues rencontre le blanc laiteux du ciel. Il m’apparut enfin et mieux encore, moi lovée dans le creux de son âme, comme dans ses aisselles de velours, il m’emportait. Tout autour, la mer était d’huile et limpide. En me penchant à peine je pouvais y voir toute l’histoire du monde confier ses remords à ses profondeurs abyssales. Je n’aurais pu rêver moyen de transports plus confortable pour ces vacances improvisées qu’une âme bienveillante avait décidé de m’offrir. Et ces vacances-là étaient autrement plus originales, plus inoubliables que celles - plutôt rares - que j’avais connues jusqu’alors. Il est vrai que chez nous, de vacances nous ne parlions guère pour ne pas dire «pas», par pudeur naturelle, dans une entente cordiale ou tacite, qui nous protégeait de toute frustration inutile. Déjà réconciliée avec ce passé qui, aujourd’hui trouvait son lendemain, je goûtai au sel déposé par les embruns sur mes lèvres et rien ne m’avait jamais paru aussi bon ! Rêveuse, je m’appliquai à déchiffrer les caractères que des doigts habiles avaient brodé sur le tissu de mon embarcation. Peut-être y trouverais-je un indice sur la destination qui m’attendait. Mais à dire vrai, peu m’importait car ce jour-là, chère Barbara, je décidai de croire à un bonheur possible. Peu m’importait aussi que ce ne fut qu’un rêve : puisqu’enfin j’avais touché le monde !
55
Catherine Baumer Nationalité : française De mes transports amoureux dans cette ville de caractère il ne restait rien, aucune histoire à confier à qui que ce soit. Raconter quoi ? Que mon âme sœur était restée là-bas, figée à tout jamais dans mes songes et dans ma mémoire comme une icône, une sirène, une déesse ? Mes voyages m’avaient mené ailleurs, loin, très loin de Saint-Malo dont les remparts sévères montaient toujours la garde. Elle m’était apparue au détour d’un angle, puis d’un autre et puis sur ce canon, dans cette tourelle, mon Dieu comme je l’avais aimée dans cette course folle pour tenter de la rattraper, la toucher, l’embrasser. J’avais 18 ans, je venais de Paris et le moins qu’on puisse dire c’est que mon penchant pour elle et pour cette ville que je trouvais que je trouvais froide et venteuse n’avaient pas été spontanés. Nous habitions chez une tante, vieille malouine acariâtre détestant les anglais qui baguenaudaient sur les remparts, arrivant ici comme en terrain conquis dans des ferrys ventrus. Ma petite anglaise était arrivée sur l’un d’autre eux, avec ses parents, et la tante leur avait loué une chambre à son corps défendant, autrement dit elle avait besoin d’argent. Sandy était froide, anglaise, parlant un français maladroit que je ne comprenais pas, mais je m’ennuyais tellement qu’il me parut bientôt naturel d’arpenter les remparts avec elle et les goélands criards. Je me mis à l’aimer comme on aime à 18 ans, sans trop savoir pourquoi, poussé par le désir et l’ennui. Quand la fin des vacances arriva j’étais amoureux d’elle. Elle me laissa une adresse, je l’oubliais, laissant son souvenir enfoui dans un coin de ma mémoire. Jusqu’à ce jour où son souvenir me revint au détour d’un passage dans cette ville, petite sirène immobile n’ayant jamais quitté mon cœur.
56
Cécile Bourlange Nationalité : française C’était un matin d’hiver. Le départ était imminent. Les vacances devaient durer une semaine. Elles étaient déjà trop courtes, déjà terminées, déjà Histoire. Ce matin, le premier voyage c’était le taxi, le premier transport. Le deuxième serait l’avion, puis le taxi à nouveau, puis le métro, le bus. Les vacances c’était ça aussi: les retrouvailles par les transports. Un moment de vie où le temps est suspendu, une parenthèse entre deux, un songe. Et la marche à pied, le transport le plus réel, le plus humain et le plus serein, une manière plus lente, pour apprivoiser autrement la ville. La marche le long des rues, des avenues, le nez collé aux vitres, le nez levé vers les immeubles, l’âme s’envolant vers les cimes, vers les châteaux d’eau ne déversant plus leur eau bienfaitrice. Le parcours suivait une ligne sûre et droite, d’un pas naturel et léger, un penchant pour la flânerie peut-être en particulier. Le trajet pouvait être long, suivre les pas d’un promeneur chez qui la démarche, le veston, le chapeau, retenaient l’attention, le regard, chez qui le caractère incongru de la rencontre conduisait le promeneur à se confier à cet étrange destin de la rue, de la ville.
57
Aline Marsiquet Nationalité : française Comment peut-on raconter autrement que par de la prose, ce magnifique souvenir ? J’ai toujours eu un penchant pour l’écriture mais encore plus pour le récit de voyage que j’écrivais alors sur des petits carnets de fortune, durant les multiples transports fréquentés que nous empruntâmes, mon ami et moi-même, lors de nos divers périples pour sillonner les pays : avions, bus locaux, trains, bateaux... Se laisser conduire donne du temps aux songes, à la méditation... C’est un délice car l’âme vagabonde naturellement et rebondit au gré des arrêts, des situations diverses et variées ! Mes meilleurs souvenirs se situent en Grèce dans les «nineties», période d’une jeunesse insouciante et heureuse. Chaque été, mon amour et moi-même, allions à la découverte d’une des nombreuses îles de ce sublime archipel. Nous décidâmes, cet été-là, de faire de la Crête notre terre de prédilection, et c’est dans l’une de ses très jolies villes en bord de mer, à Sitia précisément, que nous rencontrâmes ce vieil homme, Ménélos, au caractère on ne peut plus enjoué et débonnaire. Il nous remarqua dans la rue où nous profitions de la douceur du soir pour nous promener. Il nous héla et nous invita chez lui, avec cette spontanéité et cette hospitalité propres aux méditerranéens. Il nous confia alors son amour immodéré pour la France et les français : «Moi, Ménélos, dit-il, moi, francophile, moi, ami des français». Après nous avoir invités à boire un Raki dans sa maisonnette chaulée de près, il nous convia de façon naturelle à le suivre dans une taverne au joli nom de «KALI KARDIA» (bon cœur). Nous continuâmes à boire raki sur raki au son du bouzouki et nous nous laissâmes bercer par les mélodieuses chansons grecques. Nous dansâmes même, avec Ménélos comme professeur, le sirtaki et dès lors, ce côté typique éveilla en moi un goût immodéré pour cette culture. Non seulement cette belle histoire nous offrit un ami grec mais nous permit aussi de découvrir la vraie vie !
58
Gontran Semado Nationalité : béninoise Chiasmes de mes vacances Âme de mes vacances, je me souviens de toi dans les flots oniriques des transports ! Autrement, je te revois sur l’écran jubilatoire des archives de mes songes ! Caractère doux, j’ai visité Francophonie, cet ange aux doux penchants. Chez elle, j’ai découvert un musée de culture, un soleil d’amour naturel Confiant ses rayons à l’amitié, aux civilisations, à l’humanisme, à l’histoire, Histoire, amitié… que ces rayons fécondent, civilisations qui se confient. Naturel symbole de xénophilie, Francophonie est poétique comme le mot chez. Penchants nivelés de l’altérité, divins projecteurs illuminant des caractères, Songes fleuris, Francophonie m’a permis de vous découvrir, autrement ! Transports suaves attisant ce merveilleux souvenir de vacances, tonifiez mon âme !
59
Diego Morales García Nationalité : espagnole L’oiseau rebelle L’âme rebelle que nul ne peut apprivoiser avait finalement été domptée par le chanteur qui lui avait regardé dans les yeux tout en chantant l’air d’un toréador saisi dans les pièges amoureux d’une gitane jalouse. Elle était raisonnable, et ses idées sur l’amour étaient autrement différentes à celles exposées par Mérimée ou Bizet. Mon caractère cartésien ne supporte pas l’idée d’une telle réaction. Cette musique a bouleversé mes convictions les plus profondes, cette voix masculine m’a fait frémir d’émotion et je suis prête à m’envoler là où l’amour m’emporte. Que m’importe ! Le lendemain, elle se rendit chez sa meilleure copine lui confier les secrets de sa conversion et lui montra son penchant le plus sauvage. Une musique, un mec, une histoire de folies me lance à l’aventure. Je veux vivre aussi une histoire tragique qui me marque à feu pendant toute ma vie. Quelque chose d’extraordinaire et de naturel que je puisse raconter à mes fils, ou à mes neveux ou au public à travers l’une de ces émissions réalistes qu’on passe à la télévision, avant que je ne perde la tête. Quelques semaines plus tard, elle atterrissait à Madrid et se laissait entraîner par la foule qui criait et qui rendait des toasts… Le songe était si réel qu’à peine pouvait-elle cacher l’émotion que lui produisait tous ces gens. Les transports pour se déplacer en ville étaient paralysés par la foule des indignés et elle se trouva faisant parti d’un mouvement rebelle que nul ne pouvait apprivoiser. Son toréador, elle le découvrit portant un mégaphone à la main, chantant contre les marchés financiers. leurs regards se croisèrent une seconde et l’amour, l’amour t’attend.
60
Toufic Kojok Nationalité : libanaise Le plaisir du temps perdu. Une notion que j’ignorais totalement jusqu’à ces fameuses vacances. Volés au temps, ces instants de bonheur, uniques, restent à jamais gravés dans mon âme et leur simple souvenir suffit à restituer en moi les émotions intenses et exceptionnelles ressenties ce jour-là. C’est que cette petite ville à caractère touristique, chargée d’histoire et située entre lagune et mer ne se laisse pas facilement aborder. Il faut pour y accéder avoir l’habitude des transports un peu particuliers et emprunter d’abord le bac puis le gbaka. La traversée, en bac, de la lagune Ebrié constitue l’unique voie d’accès à Jacqueville. Et le franchissement de cette “perle” calme et naturelle apporte un premier instant de sérénité prolongé par le paysage et la végétation qui défile sous les yeux lors des derniers kilomètres à parcourir en gbaka avant d’atteindre tel un songe la plage et ses magnifiques cocotiers. A l’ombre sous une chaleur étouffante et bercé par le doux clapotis des vagues, les vacanciers nouent alors des relations autrement improbables, certains profitant de ces rencontres d’un jour pour confier leurs états d’âme, d’autres penchants pour des liens plus profonds afin de les emporter chez eux.
61
Selma Cherkaoui Nationalité : marocaine L’année dernière, alors que j’étais en vacances à Paris chez ma nièce, je décidai de passer une journée à Bruges. Connaissant le penchant naturel de ma chère nièce vers le chocolat et l’histoire de l’Europe, je l’invitai à m’accompagner. Arrivées de bon matin, nous ne pûmes faire autrement que prendre les transports fluviaux pour naviguer sur les nombreux canaux qui encerclent la «Venise du Nord». Nous passâmes ensuite le reste de la journée à découvrir l’âme de cette cité qui réside certainement dans son patrimoine médiéval splendide et c’est ainsi que je confiai plusieurs fois à mon appareil photo, le caractère gothique des bâtiments en brique. Ce fut une magnifique journée riche en haltes culturelles que je revois souvent en songe.
62
Recueil édité par l’AFAL Association loi 1901 s/c M. Jacques GODFRAIN 5 rue de Solférino 75007 PARIS Courriel : presse@afalassociation.com Site : www.afalassociation.com Directeur de la publication : Jacques Godfrain Codirecteur de la publication : Maurice Zinovieff Rédactrice en chef : Amandine Bretonnière
63
64