Meilleures pratiques en politiques de soutien à l’agriculture biologique Dialogue technique agricole et forestier marocoallemand (DIAF) – Composante 1 : Agriculture biologique (PROJET N° MAR 19-02)
Avril 2020
Pour le compte de la
MAR 19-02 │ Dialogue technique agricole et forestier maroco-allemand (DIAF)
Meilleures pratiques en politiques de soutien à l’agriculture biologique Dialogue technique agricole et forestier maroco-allemand (DIAF) – Composante 1 : Agriculture biologique (MAR 19-02)
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Bonn, Avril 2020
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SOMMAIRE SOMMAIRE ...........................................................................................................................3 RESUME ...............................................................................................................................4 I. VUE D’ENSEMBLE DES MESURES DE SOUTIEN PUBLIC AU SECTEUR BIOLOGIQUE AU NIVEAU MONDIAL ..................................................................................7 A.
SITUATION GENERALE ......................................................................................................7
B. INVENTAIRE DES MESURES DE SOUTIEN UTILISEES AU NIVEAU MONDIAL POUR SOUTENIR L’AGRICULTURE BIOLOGIQUE .................................................................................................14 C.
CHOIX ET PRIORISATION DES MESURES DE SOUTIEN .........................................................17
D.
ENSEIGNEMENTS TIRES DES APPROCHES DE SOUTIEN DANS D’AUTRES PAYS .....................18
1.
REGLEMENTER L’AGRICULTURE BIOLOGIQUE NE SUFFIT PAS A LA DEVELOPPER ...................18
UNE STRATEGIE (OU PLAN D’ACTION) BIOLOGIQUE NATIONALE EST UN OUTIL PERTINENT DANS LA CONSTRUCTION DE POLITIQUES COHERENTES .....................................................................19 2. 3.
LES POLITIQUES DE SOUTIEN DOIVENT IMPLIQUER LES ACTEURS NON-GOUVERNEMENTAUX .20
4.
LA CONCEPTION DE POLITIQUES DOIT PARTIR DE L’ANALYSE APPROFONDIE DE LA SITUATION 20
5.
UNE COMMUNICATION VISIBLE DU GOUVERNEMENT SUR LA POLITIQUE DE SOUTIEN EST DEJA UNE MESURE POLITIQUE .........................................................................................................20 6.
LES POLITIQUES AGRICOLES GENERALES DOIVENT AUSSI ETRE ANALYSEES ........................20
II.
LE CONTEXTE MAROCAIN .........................................................................................24
III. GROS PLAN SUR QUELQUES MESURES DE SOUTIEN PERTINENTES POUR LE MAROC ...............................................................................................................................26 A.
SOUTIEN PUBLIC A L’ACCES AUX INTRANTS BIOLOGIQUES ................................................26
B.
SOUTIEN PUBLIC A LA FORMATION ACADEMIQUE ET PROFESSIONNELLE EN AGRICULTURE BIOLOGIQUE ..........................................................................................................................28 C.
SOUTIEN PUBLIC A LA RECHERCHE ET VULGARISATION EN AGRICULTURE BIOLOGIQUE .......31
D.
SOUTIEN PUBLIC A LA TRANSFORMATION ET AU MARKETING DE PRODUITS BIOLOGIQUES ...35
E.
DISPOSITIF INSTITUTIONNEL D’ENCADREMENT DE L’AGRICULTURE BIOLOGIQUE .................37
IV. IMPACT DES CADRES REGLEMENTAIRES GENERAUX SUR LES INTRANTS UTILISABLES EN AGRICULTURE BIOLOGIQUE .............................................................39 CONCLUSIONS: CONSIDERATIONS STRATEGIQUES POUR LE MAROC.....................44
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RESUME Ce rapport a été commissionné dans le cadre de la composante « Agriculture biologique » du projet DIAF (Dialogue Technique Agricole et Forestier Maroco-Allemand). Le Maroc est en phase finale de la mise en œuvre de son premier plan national d’action sur l’agriculture biologique, le contrat-programme pour la période 2011-2020. Cependant, l’impact de ce premier plan de soutien multi-annuel n’est pas à la hauteur des résultats escomptés, alors qu’en parallèle, de nombreux autres pays de la région ont vu une croissance bien plus importante de leur secteur biologique. Il est donc pertinent de s’intéresser aux expériences positives réalisées dans d’autres pays en matière de politiques de soutien à l’agriculture biologique et d’en extraire les meilleures pratiques et les leçons apprises, pouvant servir d’inspiration pour améliorer l’efficacité de l’action publique en faveur de l’agriculture biologique au Maroc : c’est l’objet de ce rapport. Le rapport présente d’abord une vue d’ensemble des mesures de soutien public utilisées par divers gouvernements pour soutenir le développement du secteur biologique. Après un aperçu de la situation mondiale en termes de soutien public, il présente un inventaire des mesures de soutien utilisées au niveau mondial pour soutenir l’agriculture biologique. Il présente également des considérations relatives au choix et à la priorisation de ces mesures de soutien, ainsi que les leçons à retenir des approches de soutien à l’agriculture biologique dans d’autres pays. En s’intéressant ensuite au contexte marocain, il identifie les mesures de soutien potentiellement les plus pertinentes ou intéressantes pour le Maroc, et fait ensuite un gros plan sur certaines de ces mesures, plus précisément sur la question des intrants biologiques, de la formation, de la recherche et vulgarisation, et enfin du soutien aux entreprises pour la transformation et la commercialisation biologiques. Le rapport présente également deux scénarios exemplaires de dispositif institutionnel d’encadrement de l’agriculture biologique, à savoir la Direction Générale de l’Agriculture Biologique tunisienne, et l’Agence Bio française. La Tunisie est un pays qui revient souvent dans les nombreux exemples de politiques de soutien listées dans ce rapport, car, de fait, elle a mis en œuvre une panoplie de mesures de soutien au secteur, avec un succès indéniable. Le rapport s’intéresse enfin aux impacts des cadres réglementaires généraux sur les intrants utilisables en agriculture biologique et présente des exemples d’impacts négatifs couramment rencontrés mais aussi de pays qui ont réformé ces cadres réglementaires pour les rendre plus favorables à l’utilisation d’intrants biologiques. Il conclut enfin par des considérations stratégiques pour l’action publique en faveur de l’agriculture biologique au Maroc. Nous recommandons notamment que le Maroc devrait, après une période centrée surtout sur l’aspect réglementaire à destination du marché domestique, maintenant s’intéresser à la mise en œuvre des mesures de soutien véritable, notamment celles citées plus haut qui pourront servir à la fois le secteur domestique et de l’export. Sur le plan de l’encadrement institutionnel pour l’agriculture biologique au Maroc, il est clair que le renforcement à la fois des capacités au niveau du secteur public et du secteur privé sont nécessaires. Cela passerait d’une part par un soutien financier à l’organisation faitière comme cela se fait dans de nombreux pays, c’est à dire la FIMABIO, pour s’assurer au moins de la professionnalisation de l’organisation avec au moins 2 personnes salariées à temps plein, et d’autre part la création, au sein du secteur public, d’une institution, ou à défaut d’une unité spécialisée sur l’agriculture biologique, qui serait en charge de coordonner à la fois les aspects réglementaires et les politiques de soutien. Quelle que soit la forme institutionnelle choisie, nous recommandons qu’elle respecte la règle des 3 « C », c’est à dire qu’elle garantisse la compétence, la continuité et la collaboration avec le secteur privé.
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ZUSAMMENFASSUNG Dieser Bericht wurde im Rahmen der Komponente "Ökolandbau" des DIAF-Projekts (DeutschMarokkanischer Fachdialog Agrar und Forst) erstellt. Marokko befindet sich in der letzten Phase der Umsetzung seines ersten nationalen Aktionsplans für Ökolandbau, dem Programmvertrag für den Zeitraum 2011-2020. Die Ergebnisse dieses ersten mehrjährigen Förderplans sind jedoch nicht so umfangreich wie erwartet und viele andere Länder in der Region konnten in der gleichen Periode ein viel stärkeres Wachstum ihres Bio-Sektors verzeichnen. Es ist daher wichtig, die positiven Erfahrungen anderer Länder in Bezug auf die Förderpolitik für den Ökolandbau zu betrachten und daraus die besten Lehren und Inspiration für die Verbesserung der Wirksamkeit der öffentlichen Maßnahmen zugunsten des Ökolandbaus in Marokko zu ziehen: dies ist der Zweck dieses Berichts. Der Bericht gibt zunächst einen Überblick über die öffentlichen Fördermaßnahmen, die von verschiedenen Regierungen weltweit zur Unterstützung der Entwicklung des Biosektors eingesetzt werden. Danach wird eine Bestandsaufnahme der auf globaler Ebene zur Unterstützung des Ökolandbaus eingesetzten Fördermaßnahmen vorgestellt. Es werden auch Überlegungen zur Auswahl und Priorisierung dieser Fördermaßnahmen sowie Lehren aus den Erfahrungen anderer Länder dargestellt. Anschließend wird der marokkanische Kontext betrachtet und analysiert welche Unterstützungsmaßnahmen für Marokko potenziell am wichtigsten und interessantesten sein könnten. Einige dieser Maßnahmen werden dann näher erläutert, insbesondere folgende Themen: ökologischen Betriebsmittel, Aus- und Weiterbildung, Forschung und Beratung sowie der Unterstützung von Unternehmen bei der ökologischen Verarbeitung und Vermarktung. Der Bericht stellt auch zwei beispielhafte Szenarien für institutionelle Strukturen im Ökolandbau vor, nämlich die tunesische Direction Générale de l'Agriculture Biologique und die französische Agence Bio. Tunesien ist ein Land, das in den vielen Beispielen in diesem Bericht aufgeführt wird, da es tatsächlich eine Reihe von Fördermaßnahmen mit unbestreitbarem Erfolg durchgeführt hat. Im Weiteren untersucht der Bericht die Auswirkungen allgemeiner regulatorischer Rahmenbedingungen auf Betriebsmittel, die im Ökolandbau eingesetzt werden können. Es werden Beispiele häufig auftretender negativer Auswirkungen vorgestellt, aber auch von Ländern, die ihre regulatorischen Rahmenbedingungen reformiert haben, um sie für den Einsatz ökologischer Betriebsmittel günstiger zu gestalten. Abschließend werden strategische Überlegungen für öffentliche Maßnahmen zugunsten der ökologischen Landwirtschaft in Marokko angestellt. Insbesondere empfehlen wir, dass Marokko nach einer Phase, in der es sich hauptsächlich auf die Regulierung des Binnenmarktes konzentrierte, sich nun der Umsetzung echter Fördermaßnahmen, insbesondere der oben genannten, widmen sollte. Diese könnten sowohl dem Inlands- als auch dem Exportsektor dienen. Was den institutionellen Rahmen für den Ökolandbau in Marokko betrifft, so ist es klar, dass der Aufbau von Kapazitäten sowohl im öffentlichen als auch im privaten Sektor notwendig ist. Dies könnte einerseits wie in vielen Ländern bereits praktiziert, die finanzielle Unterstützung des nationalen Ökodachverbandes (FIMABIO) beinhalten, um eine Professionalisierung der Organisation mit mindestens 2 Vollzeitangestellten zu gewährleisten, und andererseits die Schaffung einer Institution im öffentlichen Sektor oder, falls dies nicht möglich ist, einer spezialisierten Einheit für Ökolandbau, die sowohl für die Koordination der regulatorischen Aspekte als auch der Förderpolitik zuständig wäre. Welche institutionelle Form auch immer gewählt wird, wir empfehlen, dass sie die 3 K's respektieren sollte, d.h. Kompetenz, Kontinuität und Kooperation mit dem Privatsektor gewährleisten.
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INTRODUCTION Ce rapport a été commissionné dans le cadre de la composante « Agriculture biologique » du projet DIAF (Dialogue technique agricole et forestier maroco-allemand). Il s’agit d’un dialogue technique convenu entre le Ministère fédéral de l’Alimentation et de l’Agriculture en Allemagne (BMEL) et le Ministère de l’Agriculture, de la Pèche Maritime, du Développement Rural et des Eaux et Forêts du Maroc (MAPMDREF) sur la période 2019-2022. L’objectif de la composante « agriculture biologique » est que le gouvernement marocain soit en mesure de promouvoir et de contrôler efficacement l’agriculture biologique grâce à des cadres juridique, institutionnel et commercial appropriés. Il s’agit notamment, dans un premier temps, de faciliter au niveau macroéconomique national, le développement du cadre juridique et institutionnel de l’agriculture biologique. Le Maroc est en phase finale de la mise en œuvre de son premier plan national d’action sur l’agriculture biologique, le contrat-programme pour la période 2011-2020. Cependant, l’impact de ce premier plan de soutien multi-annuel n’est pas à la hauteur des résultats escomptés. Malgré les investissements réalisés, l’agriculture biologique s’est développée, certes de manière positive, mais en réalité de manière assez faible sur la période, en comparaison de sa croissance dans d’autres pays, et notamment dans les pays de la région. Alors que le Maroc n’a gagné que moins de 3000 ha de terres agricoles biologiques (selon les chiffres du Ministère) sur la période 2014-2018 (période à laquelle l’impact positif du plan 2011-2020 aurait dû se faire sentir), la Tunisie a gagné dans le même temps 147 000 Ha biologiques supplémentaires, la Turquie 154 000 Ha, l’Espagne 536 000 Ha, l’Italie 570 000 Ha, et la France a gagné plus de 900 000 Ha. Ce sont autant de pays qui concurrencent le Maroc sur l’une ou l’autre de ses productions biologiques. Même dans des pays voisins n’ayant pas investi de ressources publiques dans le soutien au secteur, tels que les pays d’Afrique de l’ouest sub-saharienne au secteur encore peu développé (comme le Maroc), on observe des croissances rapides sur la période, avec par exemple un gain de 14 000 Ha (600% de croissance) au Bénin ou un gain de 36 000 Ha (182% de croissance) au Burkina Faso, alors que le Maroc est à un petit 42% de croissance sur la période. Il est donc pertinent de s’intéresser aux expériences positives réalisées dans d’autres pays en matière de politiques de soutien à l’agriculture biologique et d’en extraire les meilleures pratiques et les leçons apprises, pouvant servir d’inspiration pour améliorer l’efficacité de l’action publique en faveur de l’agriculture biologique au Maroc : c’est l’objet de ce rapport. Le rapport présente d’abord une vue d’ensemble des mesures de soutien public utilisées par divers gouvernements pour soutenir le développement du secteur biologique. Après un aperçu de la situation mondiale en termes de soutien public, il présente un inventaire des mesures de soutien utilisées au niveau mondial pour soutenir l’agriculture biologique. Il présente également des considérations relatives au choix et à la priorisation de ces mesures de soutien, ainsi que les leçons à retenir des approches de soutien à l’agriculture biologique dans d’autres pays. En s’intéressant ensuite au contexte Marocain, il identifie les mesures de soutien potentiellement les plus pertinentes ou intéressantes pour le Maroc, et fait ensuite un gros plan sur certaines de ces mesures. Il conclut enfin par des considérations stratégiques pour l’action publique en faveur de l’agriculture biologique au Maroc. Ce rapport a été préparé par Joelle Katto-Andrighetto et Cornelia Kirchner, de l’IFOAMOrganics International, l’association internationale pour l’agriculture biologique.
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I. VUE D’ENSEMBLE DES MESURES DE SOUTIEN PUBLIC AU SECTEUR BIOLOGIQUE AU NIVEAU MONDIAL A.
Situation générale
Une analyse des facteurs expliquant les différences de croissance de l’agriculture biologique dans les différents pays et régions du monde révèle clairement que l’intervention publique peut jouer un rôle décisif. La plupart du temps, une forte croissance du secteur est le résultat combiné de politiques favorables à cette croissance et d’un dynamisme singulier du secteur privé dans le pays. Cependant, il existe des États dans lesquels la volonté politique, et les mesures de soutien concrètes qui en ont découlé, ont été LE facteur déterminant dans la conversion spectaculairement rapide à l’agriculture biologique. On peut citer notamment les cas de la Tunisie, l’Autriche, la République Tchèque, l’État du Sikkim en Inde ou le Bhoutan. L’Arabie Saoudite est un autre exemple de croissance rapide du secteur boostée par un programme public, mais axé principalement sur la consommation de produits importés. L’Union Européenne est un cas de facteurs mixtes de croissance : la plupart des pays dans la région ont un mouvement biologique national dynamique, mais il est clair que les politiques de soutien ont également joué un rôle important. Les métas-analyses1 qui ont été conduites sur la croissance du secteur bio au niveau européen et sur l’efficacité des politiques publiques menées à son encontre, ont démontré que les politiques de soutien n’ont eu, dans la région, des effets positifs importants que lorsqu’elles se superposaient à des facteurs de croissance tels que : -
La compétitivité des entreprises engagées dans le bio L’intérêt des consommateurs pour le bio La force et la bonne structuration du mouvement national de l’agriculture biologique La bonne fonctionnalité des marchés pertinents pour les produits biologiques La confiance des investisseurs dans la durabilité de l’engagement politique envers l’agriculture biologique.
Des recherches2 ont également montré l’impact du soutien public à l’agriculture biologique sur le développement du nombre d’exploitations et la surface en bio. Des corrélations claires ont par exemples été mises en évidence au Royaume Uni et au Danemark entre la disponibilité du conseil agricole biologique et le soutien à la commercialisation biologique d’une part et le nombre de fermes et surfaces converties en bio d’autre part. L’effet des politiques publiques sur la conversion des terres agricoles à l’agriculture biologique est particulièrement visible lorsque l’on compare les États-Unis et l’UE (voir encadré cidessous) : l’UE est le continent avec le niveau général de soutien public à l’agriculture biologique le plus élevé. C’est également le continent avec la plus forte proportion des terres agricoles converties à l’agriculture biologique. Ce développement du secteur, particulièrement sur le plan de la production primaire, est clairement lié à l’impact des politiques publiques de soutien. Encadré 1 : Comparaison entre les niveaux de soutien public à l’AB des États-Unis et de l’UE Les États-Unis ont, de par leur tradition, un taux assez faible de soutien général à l’agriculture biologique. En 2016, ils avaient atteint un taux de conversion de leur surface agricole à l’agriculture biologique de 0,6%, ce qui est très faible en comparaison avec le taux de conversion en UE, qui a atteint une moyenne totale de 5,7% à la même période. Cette différence s’explique essentiellement par le niveau de soutien public, car les États-Unis 1
Sanders at al, 2011, Use and efficiency of public support measures addressing organic farming.
2 Daugbjerg
et al., 2011; Lesjak, 2008; Bahrs and Held, 2006.
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représentent le principal marché mondial pour les produits bio et la part de marché des produits bio aux États-Unis est même plus élevée que la part de marché moyenne au niveau de l’UE. Les États-Unis comblent en fait leur manque de politiques de soutien au secteur bio par un fort taux d’importations pour combler leur demande en produit bio. Dans certains pays, il est vrai que l’agriculture biologique s’est développée de manière significative malgré l’absence (ou l’insignifiance) des politiques publiques de soutien à l’AB. On peut citer notamment les exemples de l’Argentine, du Pérou et de l’Ouganda (même si, pour les deux derniers, le soutien de donateurs étrangers a été très important et s’est, en quelques sortes, substitué au soutien public). On peut cependant observer que ces pays sont spécialisés dans l’exportation de matières primaires biologiques non transformées, avec peu de valeur ajoutée et une demande nationale pour les produits biologiques très faible. Les paragraphes suivants fournissent un résumé de l’historique du soutien public à l’agriculture biologique dans les grandes régions du monde. Europe : L’Europe a été historiquement le leader mondial en matière de soutien public à l’agriculture biologique, notamment, mais pas uniquement dans l’UE. Le premier programme de soutien public ciblé sur l’agriculture biologique a été introduit au Danemark en 1987, auquel ont suivi des programmes en Autriche et en Suisse. Dans le cadre de la réforme de la PAC (Politique Agricole Commune) en 1992, des programmes agro-environnementaux ont fourni un cadre unifié pour l’allocation de soutien public à la conversion et au maintien en agriculture biologique à travers l’UE. Des subventions à l’hectare pour la conversion et le maintien ont été introduites en 1994 à travers l’UE et ont constitué la pierre d’angle du soutien public à l’agriculture biologique depuis lors. Durant cette période, le soutien à l’agriculture biologique était un moyen plutôt qu’un objectif politique spécifique. Vers la fin des années 90, l’importance de l’agriculture biologique dans le contexte de la PAC a changé, avec la convergence accrue des buts de l’agriculture biologique et des objectifs de la PAC. Un large éventail de mesures de soutien au secteur biologique a été développé (tous dans le cadre des programmes agroenvironnementaux de la PAC), même si les subventions à l’hectare pour les producteurs bio sont restés la mesure la plus importante si l’on en juge par les dépenses totales allouées au secteur. Pour donner une idée de l’importance du soutien public dans l’UE pendant cette période, le montant total des soutiens publics au secteur bio était de 520 Millions d’Euros sur l’année 20013.
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Häring et al., 2004, Organic farming and measures of European agricultural policy. Organic Farming in Europe: Economics and Policy, Vol. 1
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L’impact de ces politiques sur le secteur est reconnu comme très significatif. Le graphique cidessous illustre cet impact :
Début du soutien généralisé à l’AB dans l’UE
Figure 1: Surface certifiée (biologique + en conversion), en million d’hectares en UE entre 1985 et 2007
Source: Policy for organic farming: Rational and concepts, Stolze M. and Lampkin N., 2009
Par la suite, dans la PAC 2014-2020, l’agriculture biologique est reconnue en tant que méthode de production qui répond à la demande croissante pour des pratiques agricoles plus respectueuses de l’environnement. En accord avec le slogan « L’argent public pour les biens publics », la nouvelle CAP 2014-2020 rend l’agriculture biologique encore plus visible et confirme son rôle comme fournisseuse de biens publics. En conséquence, l’expansion de l’agriculture biologique est devenue un objectif politique en elle-même dans plusieurs pays de l’UE et des politiques de soutien au secteur sont maintenant largement mises en œuvre dans de nombreux États membres. Le budget total alloué spécifiquement à l’agriculture biologique dans la CAP 2014-2020 (dans la mesure 11) est fixé à 6,3 Milliards d’Euros pour les 28 États membres. En plus de ce budget, le secteur bénéficie aussi de nombreuses autres mesures pour lesquelles il est parfois même considéré comme un critère prioritaire d’accès. Amérique du Nord : Les politiques publiques en faveur de l’agriculture biologique au Canada et aux États-Unis se sont surtout centrées sur la régulation des marchés et le maintien de la confiance des consommateurs envers le label bio via la réglementation et sa mise en application effective. Les gouvernements de ces 2 pays ne reconnaissent pas l’agriculture biologique comme un moyen d’atteindre leurs objectifs politiques et évitent de donner un soutien préférentiel au secteur biologique par rapport à d’autres secteurs agricoles. Cependant, des mesures pertinentes ont été prises pour promouvoir l’inclusion équitable de l’agriculture biologique dans les divers programmes de soutien agricole. Sur l’espace de quelques années, le Département de l’Agriculture des États-Unis a notamment augmenté les budgets alloués à la recherche en agriculture biologique, et a ajusté les critères de son programme d’assurance des risques agricoles pour faciliter l’accès aux producteurs bio, et introduit un système détaillé de collecte et de dissémination des données nationales sur l’agriculture biologique. Le Canada soutient aussi le développement du marché biologique national grâce à une table ronde spécifique (sur les 15 tables rondes mises en place sur divers sous-secteurs agricoles). Afrique : La Tunisie est de très loin le leader sur le continent en termes de politiques de soutien au secteur biologique. Il s’agit même d’un exemple radical, sur le plan international, de croissance sectorielle entièrement attribuable à l’action gouvernementale dans un contexte de secteur axé sur l’export.
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Encadré 2 : La Tunisie : la success story de l’action gouvernementale en faveur de l’agriculture biologique Le gouvernement Tunisien a joué un rôle particulièrement proactif dans la croissance du secteur biologique national au cours des 2 dernières décennies. L’agriculture biologique a démarré en Tunisie au milieu des années 80 en réponse à la forte demande européenne pour les produits biologiques. Cependant, jusqu’en 1997, elle était limitée à quelques initiatives privées, et le gouvernement n’avait pas encore saisi le potentiel de ce secteur. C’est à la suite d’échanges internationaux, notamment entre quelques professeurs d’agronomie Tunisiens et des agriculteurs bio français, que les institutions publiques Tunisiennes ont commencé à s’intéresser à l’agriculture biologique. Des discussions entre ces professeurs et les fonctionnaires du Ministère de l’Agriculture ont abouti en 1997 à l’organisation d’un atelier national, qui a ensuite été suivi par plusieurs autres conférences. Ces évènements ont rendu public l’intérêt du gouvernement pour le secteur biologique, notamment de par sa contribution potentielle aux objectifs agricoles nationaux tels que l’amélioration des revenus des agriculteurs et de la valeur commerciale des exportations agricoles. Peu après ces évènements, le soutien gouvernemental à l’agriculture biologique s’est matérialisé par des mesures concrètes. Une commission a été établie pour déterminer le potentiel de l’agriculture biologique en Tunisie. Par la suite, une proposition de loi a été formulée et circulée pour consultation publique pendant plusieurs mois auprès des acteurs publics et privés. Cette loi a été promulguée en 1999 et couvrait à la fois des aspects réglementaires et des mesures de soutien public. La loi, ainsi qu’une série de décrets d’application complémentaires, ont permis d’institutionnaliser l’agriculture biologique et de lancer des investissements publics considérables dans les domaines de la recherche et de la vulgarisation en agriculture biologique, alors même que le secteur biologique était encore à son tout début de développement. En particulier, plusieurs entités gouvernementales et institutions techniques spécialisées ont été créés, au niveau national et régional, par les décrets de 1999, parmi lesquelles la Commission nationale de l’agriculture biologique et le Centre technique de l’agriculture biologique (CTAB). En 2004, la Tunisie a développé son premier plan d’action national pour l’agriculture biologique, avec le soutien financier de la FAO. Ce plan, mis en œuvre entre 2005 et 2009, était ancré dans le plus large Plan de développement économique et social du pays. Après une analyse de la situation à la fin de la mise en œuvre du premier plan d’action, un second plan d’action biologique national a été développé, pour la période 2010-2014. Il était encore une fois développé en relation avec le plan national plus large de développement économique et social pour cette période. Il faisait en particulier référence aux objectifs liés à la sécurité alimentaire, l’augmentation des exportations agricoles et la conservation des ressources naturelles. Pour atteindre ces objectifs, le plan d’action biologique mettait l’accent sur l’augmentation des volumes, de la diversité et de la qualité des productions biologiques, ainsi que sur la création de valeur ajoutée. Le plan d’action avait des objectifs et indicateurs annuels précis tels que les surfaces en agriculture biologique. Le développement des marchés, à la fois à l’international et au niveau national, faisait aussi partie du plan d’action. Le plan a été accompagné par une série de mesures de soutien incluant une allocation de budgets aux institutions spécialisées en agriculture biologique, des subventions pour les opérateurs et les investisseurs, et des projets gouvernementaux. Les efforts gouvernementaux de soutien à l’agriculture biologique en Tunisie ont porté leurs fruits. Les investisseurs privés ont répondu aux mesures politiques en investissant massivement dans le secteur biologique. Entre 2005 et 2010, c’est environ 5,3 Millions d’Euros par an qui ont été investis dans le secteur. En 2012, les investissements ont atteint les 7,59 Millions d’Euros, ce qui a représenté plus de 52% du total des investissements réalisés dans le secteur agricole Tunisien en générale.
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Le nombre d’agriculteurs, les surfaces converties et le revenu des exportations biologiques ont connu une croissance impressionnante au cours de la décennie qui a suivi le début de l’action gouvernementale en faveur de l’agriculture biologique.
Surface totale certifiée (en Milliers d’hectares) Nombre de producteurs biologiques certifiés Figure 2 : Nombre de producteurs biologiques certifiés et surface certifiée en agriculture biologique en Tunisie entre 1997 et 2013.
Sources: Ben Khedher and Belkhiria, 2006; FiBL-IFOAM, 2012, 2013, 2014 and 2015.
La valeur des exportations biologiques a aussi augmenté de façon fulgurante, de 7 Millions d’Euros en 2004 à 35 Millions d’Euros en 2008, pour atteindre environ 140 Millions d’Euros en 2015. Plusieurs facteurs expliquent ce succès de l’intervention gouvernementale sur le secteur biologique Tunisien : -
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La Loi a défini des rôles clairs et bien coordonnés pour les différentes institutions publiques spécialisées dans l’agriculture biologique. Les plans d’action biologiques nationaux successifs ont été développés de manière collaborative et en consultant les acteurs privés et publics. Les plans d’actions adoptaient une approche complète de développement du secteur, étaient clairement structurés et étaient conçus de manière permettant leur évaluation continue et leur mise à jour. Le lien entre les plans d’action et certains objectifs spécifiques des plans de développement plus généraux du pays ont aidé à assurer l’engagement politique et financier pour leur mise en œuvre. Des institutions publiques bien établies et fortement mobilisées ont assuré la mise en œuvre des plans d’action.
La Tunisie est cependant encore une exception en Afrique. Sur le reste du continent, l’agriculture biologique n’a pas reçu de soutien public significatif. C’est même plutôt le contraire, avec un soutien généralisé pour les intrants conventionnels tels que les pesticides, engrais chimiques et OGM qui compromettent les efforts de développement du secteur biologique. Cependant, en 2011, l’Union Africaine a publié une déclaration générale en faveur de l’agriculture biologique, qui a par la suite fourni le cadre de soutiens financiers via la coopération internationale). Plus récemment le gouvernement marocain a également développé un contrat-programme sur l’agriculture biologique, même si son impact reste encore mitigé. Amérique Latine : Sur le continent, le soutien public à l’agriculture biologique a également été largement inexistant et les pays en sont plutôt restés à développer des réglementations (pas toutes effectivement mise en œuvre) plutôt que d’accorder un véritable soutien public au
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secteur. Il y a tout de même des exceptions, notamment Cuba, mais aussi dans une moindre mesure le Costa Rica, le Brésil et plus récemment le Mexique. Même si les gouvernements des pays d’Afrique et d’Amérique Latine n’ont pas investi leurs propres ressources dans le développement de l’agriculture biologique, cela ne veut pas dire que le secteur s’est développé dans ces pays purement grâce aux investissements privés. En effet, de nombreuses ONG dans ces régions ont réussi à attirer des investissements financiers étrangers sous forme de projets de développement. Dans ce sens, les partenaires au développement se sont parfois substitués au rôle de l’action publique. Asie : L’Asie a connu historiquement un niveau faible de soutien public à l’agriculture biologique, sauf en Corée du Sud. Cependant, ces dernières années, cette situation a changé et certains États ont commencé à mettre en place des politiques très proactives en faveur de l’agriculture biologique. C’est notamment le cas aux Philippines, au Bhoutan, à Taiwan et dans plusieurs états de l’Inde (notamment au Sikkim, à Kerala et au Karnataka). L’État du Sikkim est le premier État au monde à avoir atteint la conversion totale à l’agriculture biologique, à la suite d’une décennie d’intervention publique déterminée en faveur de la bio (voir encadré cidessous). Le gouvernement national de l’Inde a récemment initié des programmes de développement de l’agriculture biologique, notamment dans la région Nord-Est de l’Inde. Dans certains pays comme l’Indonésie (Bali) et le Sri Lanka, des efforts politiques favorables à l’agriculture biologique sont en cours, comme le retrait des subventions aux intrants chimiques et la promotion des engrais biologiques. Cependant, dans la plupart des autres pays d’Asie, l’action publique en faveur de l’agriculture biologique reste très marginale. C’est notamment le cas de la gigantesque Russie et des pays de l’ex-Union Soviétique d’Asie Centrale. Encadré 3 : Le Sikkim : le premier État 100% biologique Le Sikkim est un petit État du nord-est de l’Inde. Il est connu pour la beauté de ses paysages et pour être une zone sensible à forte biodiversité. Ses écosystèmes montagneux fragiles nécessitent des pratiques agricoles durables afin de préserver leur capital naturel. L’État produit une grande diversité de cultures, grâce à des conditions agro-climatiques variées allant du climat subtropical au climat alpin. Le tourisme est un secteur économique en croissance. L’engagement politique en faveur de l’agriculture biologique a commencé en 2003. A cette période, les systèmes agricoles de cet État étaient en proie à de sérieux problèmes en termes environnementaux et de santé publique à cause de l’utilisation intensive des intrants chimiques. Comme solution, le premier Ministre du Sikkim, Pawan Chamling, a annoncé sa vision de faire du Sikkim le premier État biologique de l’Inde. Dans une déclaration historique auprès de l’assemblée des députés du Sikkim, Chambling a annoncé en 2003 la lancée d’une « initiative attendue de longue date, de faire du Sikkim un État 100% biologique ». Cette déclaration a représenté le premier engagement politique ambitieux et visionnaire de cet ordre parmi les États de l’Inde et de fait aussi sur le plan international. Pawan Chamling a été Premier Ministre pendant 5 mandats consécutifs à partir de 1994, ce qui a donné au Sikkim la stabilité politique nécessaire à la mise en œuvre de cette vision ambitieuse, en seulement un peu moins d’une décennie. La déclaration de 2003 c’est accompagné de la création de la Commission biologique du Sikkim et d’un plan d’action contenant toute une série de mesures de soutien, y compris la taxation croissante des intrants chimiques (et ensuite l’interdiction de leur importation dans l’État), le soutien à la production et à l’utilisation d’engrais et de semences biologiques, la formation des agents de vulgarisation agricole, des paysans et des jeunes. A partir de 2006, plusieurs projets pilotes de certification de groupe impliquant plusieurs milliers de producteurs ont été mis en œuvre en coopération avec des ONG, des services de conseils (pour la mise en place des systèmes de contrôle interne) et des organismes certificateurs. En 2010, le gouvernement Chamling a créé la Mission Sikkim pour l’agriculture biologique, avec un plan d’action clair et ciblé, visant la conversion de 50 000 hectares de terres agricoles,
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afin d’atteindre les 100% d’agriculture biologique avant 2015. Au sein de ce programme, plusieurs actions ont été menées pour soutenir l’agriculture biologique, notamment le renforcement des capacités, la fourniture de semences et plants bio, la création d’un point de vente des produits biologiques du Sikkim à New Dehli et l’inclusion de l’agriculture biologique dans les programmes scolaires. En 2014, le gouvernement du Sikkim a adopté la Loi sur l’agriculture biologique qui a été accompagnée par un plan d’action de 5 ans pour la période 2013-2018 formulée par la Mission biologique du Sikkim. Le Sikkim a atteint son objectif de conversion totale en Décembre 2015. Ce succès a été largement publicité, en Inde et même sur le plan international. Le tourisme du Sikkim bénéficie de cette image : les hôtels complètement biologiques offrent aux touristes la possibilité de récolter, cuisiner et déguster les légumes biologiques produits sur place. Les facteurs de succès de cette conversion rapide à grande échelle à l’agriculture biologique peuvent être analysés comme suit : -
Les 5 élections consécutives du premier Ministre Chamling lui ont permis de superviser l’ensemble du processus. Les paysans ont eu le temps de se préparer et ont reçu un soutien pour la conversion y compris des formations et la fourniture d’intrants biologiques. L’État a mis en place une stratégie de conversion « obligatoire » en interdisant progressivement les intrants chimiques et en imposant des sanctions (y compris des amendes et potentiellement incarcération) pour ceux qui enfreindraient la loi. L’État a communiqué clairement ses objectifs et a obtenu l’appui de sa population. L’État est petit en superficie et culturellement homogène. La plupart des paysans avaient déjà des connaissances sur les méthodes de production biologiques et/ou traditionnelles.
En Janvier 2016, le premier Ministre de l’Inde, lors d’un discours pour le Festival biologique du Sikkim, a encouragé les autres États de l’Inde à suivre l’exemple du Sikkim. « Le Sikkim a montré la voie, et ce que nous voyons aujourd’hui est le résultat d’un travail acharné et de la foi dans la valeur d’une idée ». Moyen-Orient : Au Moyen-Orient (on n’inclut pas ici la Tunisie), l’Arabie Saoudite est le leader en termes d’intervention publique en agriculture biologique. L’Arabie Saoudite a en effet financé des programmes de développement du secteur pendant plus d’une décennie. Ces programmes ont été mis en œuvre avec l’appui technique des services internationaux de la GIZ (coopération allemande). Océanie : L’Australie et la Nouvelle Zélande n’interviennent généralement pas dans le secteur agricole, et n’ont, par conséquent, pas mis en œuvre de politiques de soutien à l’agriculture biologique. Un intérêt politique pour l’agriculture biologique commence à émerger dans les îles de la communauté du Pacifique, où plusieurs initiatives intéressantes sont à noter, telles que la mise en place de territoires (îles) biologiques. Dans l’ensemble, on observe un intérêt politique croissant pour l’agriculture biologique sur plusieurs continents. Cependant, l’impact sera influencé par la compétition pour les financements publics, entre les divers systèmes agricoles (notamment entre le système biologique et le système conventionnel) car des politiques en faveur de l’agriculture biologique peuvent aussi facilement être rendues inefficaces par des politiques parallèles de soutien aux systèmes conventionnels.
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B.
Inventaire des mesures de soutien utilisées au niveau mondial pour soutenir l’agriculture biologique
Il existe, au niveau international, une vaste panoplie de mesures de soutien qui ont été utilisées par un ou l’autre pays pour soutenir le développement de l’agriculture biologique. On peut les catégoriser comme suit : a. Les mesures incitatives de l’offre, c’est à dire celles qui encourage la production et la mise sur le marché des produits biologiques. b. Les mesures incitatives de la demande, c’est à dire celles qui encourage la demande pour les produits biologiques, que ce soit la demande nationale ou les débouchés à l’internationale pour les produits biologiques nationaux. c. Les mesures transversales qui ont un effet plus général de soutien au secteur et jouent à la fois sur l’offre et la demande. Par mesure, on entend ici l’action publique sur un point donné de la chaine d’approvisionnement et d’écoulement des produits biologiques, c’est à dire un angle d’action pour essayer, de par la politique publique, d’influencer les décisions de certains acteurs dans le sens de la conversion (en terme de production ou d’achat) à l’agriculture biologique. Ces « mesures » sont donc des catégories assez larges d’interventions politiques qui peuvent en fait inclure des instruments politiques de natures variées. Le diagramme suivant illustre l’éventail des mesures de soutien et les points de levier qu’elles représentent le long de la chaine d’approvisionnement et d’écoulement des produits.
Figure 3: Vue d’ensemble des points de levier possibles pour l’action politique et les mesures de soutien leur correspondant
Les mesures de soutien envers l’agriculture biologique utilisées par plusieurs pays de par le monde peuvent donc se classer comme suit : Les mesures incitatives de l’offre : •
Le soutien à la recherche et à la vulgarisation biologiques (un leader dans ce domaine est la Tunisie)
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•
Le soutien au développement et à l’utilisation des intrants biologiques, tels que les engrais, les semences… (on peut citer les cas exemplaires du Sikkim, ou de Bali en Indonésie)
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Le soutien à la certification biologique (Le Danemark est la meilleure pratique sur le plan mondial avec une certification biologique gratuite pour tous. Mais des pays moins riches ont aussi fortement subventionné la certification biologique. C’est le cas par exemple de la Tunisie ou des Philippines)
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Le soutien à la formation professionnelle et académique (encore une fois, la Tunisie est un cas exemplaire, mais on peut aussi citer la Suisse et l’Inde)
•
Les subventions à l’hectare pour la conversion et le maintien en agriculture biologique (mesure principale dans l’UE, mais aussi au Japon, en Corée, au Costa Rica…)
•
Les subventions attribuées pour des pratiques agro-environnementales compatibles avec l’agriculture biologique (très utilisées par le passé en UE)
•
Les crédits d’impôts pour les opérateurs biologiques (par exemple en France et en Tunisie)
•
Le soutien à l’investissement (notamment sous forme de subventions, ou prêts à taux réduits) dans les fermes biologiques (l’Ireland et l’Allemagne sont des cas exemplaires, mais aussi la Tunisie ou la Turquie)
•
Le soutien à la diversification des activités des fermes et à l’agro-tourisme qui bénéficient souvent en grande partie à l’agriculture biologique (par exemple en Italie ou à Bali)
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Le soutien aux entreprises pour la transformation, le développement et le marketing des produits biologiques (mesure qui a donné de très bons résultats en Allemagne, et au Danemark par exemple)
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La gestion biologique des espaces publics et des terres agricoles appartenant à l’état/collectivités (en France et dans plusieurs villes européennes pour les espaces publics, au Fiji pour les terres agricoles)
•
L’interdiction de l’utilisation des intrants chimiques dans les zones sensibles telles que les zones de captation d’eau potable (exemples au Danemark ou en Allemagne) ou les zones naturelles protégées (exemples en République Tchèque et bien sûr dans l’État du Sikkim).
•
Les projets de développement de filières bio (par exemple en Autriche pour la filière du porc bio, ou au Népal pour la filière pommes bio)
Les mesures incitatives de la demande : •
Les campagnes d’information des consommateurs (cas d’école au Danemark et en Arabie Saoudite)
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Augmenter la part du bio dans les achats publics telles que les cantines gérées par les ministères ou les municipalités (meilleures pratiques au Danemark ou au Brésil)
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Le soutien à la commercialisation des produits biologiques au niveau national grâce à la création des points de vente pour les produits bio, que ce soit des marchés de producteurs (Pérou), des magasins bio (Philippines), des sections dans les supermarchés conventionnels (Arabie Saoudite), ou encore la vente en ligne (Taiwan), ou simplement répertorier les points de vente existants (France).
•
La création d’un logo (national) commun pour les produits bio (exemple de l’Allemagne qui a également fortement promotionné le logo)
•
La promotion du jardinage bio et les démarches pédagogiques dans les écoles (par exemple au Costa Rica)
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•
Le soutien aux exportations des produits biologiques (mesure importante en Tunisie et aux Pays-Bas par exemple)
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La négociation d’accords commerciaux et d’équivalence pour les produits biologiques (par exemple entre les États-Unis et l’UE).
Les mesures transversales : •
La production et la publication de données sur le secteur biologique (notamment l’UE qui a des données fiables sur la production, et l’Argentine qui excelle dans la qualité de ses données sur l’exportation).
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Le soutien au développement institutionnel des associations biologiques telles que les interprofessions (mesure utilisée par exemple dans plusieurs pays de l’UE, et au Brésil et Canada)
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Le renforcement de l’expertise en agriculture biologique au sein du secteur public (par exemple en France avec la création de l’Agence Bio, ou au Mexique avec des formations)
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Le soutien au développement des Systèmes Participatifs de Garantie4 (avec l’exemple impressionnant de l’Inde, où le gouvernement a financé la coordination d’un SPG national ayant permis de convertir plus de 700 000 producteurs à la bio en l’espace de quelques années)
•
Le soutien à l’agriculture urbaine et aux jardins collectifs (exemple de Cuba).
Le classement selon l’axe offre-demande permet de garder à l’esprit l’importance du bon fonctionnement des marchés, lors de la mise en place de mesures de soutien. En cas de déficit d’une partie du marché (offre ou demande), il est naturel notamment de mettre l’accent sur la partie la moins développée. Par exemple, les mesures de soutien vont logiquement porter sur l’offre si l’on est dans une situation d’insuffisance de l’offre pour les produits biologiques : par exemple pour un pays ayant une balance commerciale très négative pour des produits biologiques qu’il produit pourtant en abondance sous forme conventionnelle sur son propre territoire, ou encore pour un pays dont les acheteurs de produits biologiques étrangers se pressent mais exigent toujours des volumes supérieurs à ceux disponibles dans le pays. Cependant, il peut aussi être intéressant de jouer à la fois sur l’offre et la demande, afin de déplacer l’équilibre offre-demande vers un équilibre plus élevé. Il peut parfois être bénéfique d’avoir un surplus temporaire de production (supérieur à la demande) artificiellement induit par des politiques de soutien à l’offre (par exemple des subventions à l’hectare) car cela peut permettre d’atteindre les volumes nécessaires à la mise en place de filières de transformation et de commercialisation efficientes (grâce aux économies d’échelles) et ensuite à l’offre de créer aussi sa propre demande. Bien sûr, il est évident que dans le monde actuel globalisé, l’équilibre offre/demande n’est plus un problème purement national, car les marchés sont en grande partie des marchés internationaux. Cependant, il est toujours intéressant d’avoir quand même une certaine partie du commerce des produits biologiques qui se fasse au niveau national, non seulement pour des raisons de durabilité écologiques, mais aussi pour éviter la dépendance totale aux fluctuations des marchés internationaux, et également car les 4
Les SPG (systèmes participatifs de garantie) sont des systèmes alternatifs à la certification par tiers, qui reposent sur une implication active des acteurs concernés. Ces systèmes sont intéressants de par leur accessibilité en terme de coût notamment, mais ils demandent un investissement en temps important de la part des acteurs locaux. Ils ne peuvent pas être utilisés pour l’export de produits biologiques, mais sont pertinents pour le marché local (national).
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acteurs (publics et privés) peuvent avoir plus de contrôle et de possibilité d’agir sur les filières nationales que sur les filières internationales.
C.
Choix et priorisation des mesures de soutien
Chacune de ces 25 mesures peut se décliner suivant plusieurs modalités. On peut donc dire qu’en termes de possibilités de soutien public à l’agriculture biologique, les gouvernements ont l’embarras du choix. Il est cependant clair qu’aucun pays ne peut se permettre, à la fois du point de vue budgétaire et du point de vue administratif, de mettre en œuvre la totalité de ces mesures. Il faut donc faire des choix, et établir des priorités. Le choix de ces priorités va dépendre de plusieurs facteurs, notamment du contexte national, et des objectifs politiques associés au développement de l’agriculture biologique. Pour faciliter le choix des mesures pertinentes, IFOAM-Organics International a développé un outil d’aide à la décision qui permet de classer les mesures par pertinence selon le contexte du pays et selon les objectifs politiques. Cet outil d’aide nécessite de déterminer, pour le pays en question, les facteurs suivants : Facteur 1 : Quel est le stade de développement du secteur biologique ? - Scenario a) : L’agriculture biologique est à un stade embryonnaire de développement, c’est à dire que le pays compte peu de producteurs biologiques, que les exportations biologiques sont peu développées et que le marché interne est non-existent ou encore très embryonnaire. (exemple : l’Algérie) - Scenario b) : Le pays est essentiellement un pays exportateur dans lequel les exportations de produits biologiques sont bien développées, mais le marché interne reste faible ou non-existent (exemple : l’Ouganda). - Scenario c) : Le pays est essentiellement un pays importateur dans lequel le marché interne est fort consommateur de produits biologiques mais la production est faible, ce qui engendre de fortes importations pour répondre à la demande (exemple : l’Arabie Saoudite). - Scenario d) : Le secteur biologique est bien développé, à la fois sur le plan de la production et de la consommation, même si le pays n’a pas forcément atteint un équilibre parfait entre offre et demande (exemple : l’Allemagne). Facteur 2 : Le contexte réglementaire pour l’agriculture biologique : - Scenario a) : Le pays n’a pas de réglementation biologique ni de système de garantie biologique officiel de référence (exemple : le Sénégal). - Scenario b) : Le pays n’a pas de réglementation biologique mais a un système de garantie biologique de référence qui définit ce qui peut être considéré comme biologique ou non, en termes de cahier des charges et de système de contrôle (exemple : les 5 pays de la Communauté des pays d’Afrique de l’Est, ou encore les pays de la Communauté du Pacifique). - Scenario c) : Le pays a une réglementation biologique qui s’applique uniquement pour les exportations et n’a pas de système de garantie biologique officiel de référence pour son marché national (exemple : la Nouvelle Zélande). - Scenario d) : Le pays a un marché biologique complètement réglementé (à la fois pour l’export et pour le marché national) (exemple : les États-Unis). Facteur 3 : Quelle est la culture gouvernementale en terme d’intervention sur le secteur agricole ? - Scenario a) : Le pays a une culture politique de libre marché mais intervient quand même de façon significative sur les marchés agricoles, notamment au travers de
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taxes et de subventions visant à corriger les imperfections du marché et à soutenir le secteur agricole (exemple : les pays de l’Union Européenne). - Scenario b) : Le pays exerce un contrôle significatif sur les marchés agricoles mais plutôt en utilisant des instruments de régulation, ses propres programmes interventionnistes et/ou des projets de coopération au développement, plutôt que des instruments d’incitations permanentes (exemple : le Laos). - Scenario c) : Le pays préfère culturellement laisser le secteur agricole aux forces du marché et n’intervient pratiquement pas sur le secteur (exemple : l’Australie). Facteur 4 : Quels sont les différents objectifs politiques du soutien au secteur biologique ? - Développer un secteur d’exportation biologique fort dans le but de gagner des devises étrangères et de contribuer à l’éradication de la pauvreté ? - Encourager la production de biens publics en agriculture, c’est à dire encourager la production d’externalités positives (les bénéfices socio-environnementaux de l’agriculture biologique) et éviter les externalités négatives (les coûts cachés de l’agriculture conventionnelle pour la société et les générations futures) ? - Améliorer l’autosuffisance en terme de produits biologiques (réduire les importations et donc améliorer sa balance commerciale) - Faciliter l’accès à une nourriture saine pour tous les citoyens du territoire national, c’est à dire populariser la consommation nationale de produits biologiques. Pour les facteurs 1 à 3, les scénarios proposés sont exclusifs (un seul scénario possible), alors que pour le facteur 4 (les objectifs politiques), un gouvernement peut combiner plusieurs, voir même la totalité des objectifs. Dans l’exercice de priorisation des mesures de soutien, on peut jouer sur l’importance relatives des différents objectifs, en testant l’outil d’aide à la décision avec d’abord l’objectif politique prioritaire et ensuite les objectifs secondaires.
D.
Enseignements tirés des approches de soutien dans d’autres pays
De manière générale, on retient de l’expérience des autres pays en matière de soutien public à l’agriculture biologique, les points suivants : 1.
Réglementer l’agriculture biologique ne suffit pas à la développer
Le rôle du gouvernement en matière d’agriculture biologique dans les pays au secteur biologique encore peu développé devrait être en premier lieu celui de soutenir le secteur, et seulement dans un deuxième temps celui de le contrôler. Trop souvent, les gouvernements intéressés par le potentiel de l’agriculture biologique songent en premier lieu (et même parfois uniquement) à mettre en place une réglementation du secteur. Pourtant, il n’est pas nécessaire pour un pays de réglementer l’agriculture biologique quand il est encore à un stade peu avancé de développement du marché national (demande locale des consommateurs) pour les produits biologiques. A titre d’exemple, les États-Unis n’ont réglementé leur marché national bio qu’une fois qu’il ait atteint les 7 milliards de dollars de ventes annuelles en produits bio. L’Inde vient de réglementer son marché domestique (la réglementation n’étant pas encore mise en œuvre), après avoir atteint un nombre de 300 000 producteurs certifiés SPG (pour le marché national), et que certaines régions de l’Inde se soient déjà converties à 100% à l’agriculture biologique, comme l’État du Sikkim. L’Australie et la Nouvelle Zélande n’ont toujours pas réglementé leur marché domestique, et cela n’empêche pas son développement. Il existe plusieurs scénarios possibles de systèmes de garantie permettant d’orienter les consommateurs vers un label bio crédible, dans un contexte non-réglementé. Les exemples des pays d’Afrique de l’Est et du Pacifique sont à ce titre les plus intéressants. De plus, de nombreux gouvernements s’engagent dans le développement d’une réglementation nationale avec pour objectif principale de booster les exportations de produits biologiques vers les grands pays importateurs tels que les États-Unis ou l’UE. Il s’agit là bien souvent d’un malentendu sur le rôle d’une réglementation nationale. L’hypothèse qui est faite
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(implicitement ou explicitement) est la suivante : que le pays peut développer une réglementation nationale qui pourra se substituer à l’application des réglementations des pays importateurs une fois obtenue l’équivalence, et que l’application de la réglementation nationale sera meilleure, pour la compétitivité des entreprises nationales que les réglementations internationales. Il y a là pourtant plusieurs erreurs de compréhension ou de raisonnement, notamment : a) Les possibilité d’obtention d’équivalence pour un pays ne représentant pas un marché importateur significatif de produits bio sont maintenant infimes. Les États-Unis n’accordent en effet pas d’équivalence, sauf aux gros pays importateurs qui représentent un intérêt commerciale d’exportation pour les produits biologiques américains. L’UE avait, quant à elle, adopté une approche plus généreuse en accordant l’équivalence unilatérale à certains pays exportateurs tels que l’Argentine, la Tunisie, etc. Cependant, cette possibilité se ferme avec l’entrée en vigueur en Janvier 2021 de la nouvelle réglementation européenne qui va conduire la Commission Européenne à adopter la même approche que les États-Unis, à savoir ne signer que des accords d’équivalence bilatérale avec les pays représentant un intérêt économique d’exportation pour les produits biologiques européens. b) Même en cas d’équivalence, il n’est pas du tout certain que la compétitivité des opérateurs se voit améliorée par une réglementation nationale. Les organismes certificateurs opèrent sur un marché mondial compétitif et basent leur prix sur une variété de facteurs, et le prix de la certification biologique n’est statistiquement pas moins cher dans les pays ayant obtenu l’équivalence que dans les pays où des réglementations étrangères s’appliquent. Par exemple, le prix de la certification a tendance à être plus élevé en Tunisie qu’au Maroc, pour le même type de production. La facilité de conformité à la réglementation ne sont pas non plus forcément accrues par une réglementation nationale, car la plupart des pays aspirant à l’équivalence ont de toute façon essentiellement copié les exigences de la réglementation européenne. c) Au final, l’obligation de double certification qui est imposée dans les pays exportateurs ayant développé une réglementation nationale résulte au contraire en des coûts de certification plus élevés pour les opérateurs. Ils doivent être certifiés selon la réglementation nationale en plus de la certification selon la réglementation du pays importateur. Ce double coût réduit leur compétitivité, donc au final, nuit à l’objectif d’augmentation des revenus nationaux par l’exportation de produits biologiques. Dans ce nouveau contexte géopolitique de l’agriculture biologique, une réglementation nationale n’a de sens pour un pays que s’il nécessite d’assainir la situation de son marché national pour les produits bio : en l’occurrence, s’il est confronté à trop de cas de publicité mensongère sur les produits bio vendus sur le marché nationale et s’il est en mesure de mettre en application de façon effective une réglementation en menant des contrôles sur les points de vente, une supervision des organismes certificateurs, et en engageant des poursuites contre les personnes et entreprises en infraction. Souvent, dans les pays à faible budget gouvernemental, les ressources humaines et financières ne sont pas suffisantes pour une application effective de la réglementation, et donc elle ne contribue malheureusement en fait pas non plus à l’objectif d’assainissement du marché national. Pour résumer, la mise en place d’une réglementation nationale n’est pas en tant que telle une mesure de soutien au secteur biologique. Au contraire, souvent elle peut être une contremesure. De toute façon, si réglementation il y a, elle doit s’accompagner de mesures de soutien véritables, telles que celle citées plus haut. 2.
Une stratégie (ou plan d’action) biologique nationale est un outil pertinent dans la construction des politiques cohérentes
Un effet, cela permet de structure l’action politique en faveur de l’agriculture biologique dans une stratégie cohérente. Le processus de développement du plan d’action, avec notamment la formation claire des objectifs politiques nationaux de soutien de l’agriculture biologique, et les actions prioritaires choisies pour y parvenir, ainsi que des réflexions sur l’allocation des
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ressources qui y seront nécessaires, sont une démarche de réflexion essentielle avant de passer à la mise en œuvre de mesures de soutien. Les plans d’action effectifs contiennent des objectifs et indicateurs précis et réalistes. Les plans d’action et stratégies nationales peuvent ensuite donner lieu à la formulation de lois de promotion de l’agriculture biologique, ou à un programme national de développement de la filière, avec budget alloué pour plusieurs années. 3.
Les politiques de gouvernementaux
soutien
doivent
impliquer
les
acteurs
non-
Le secteur privé et associatif a, depuis toujours, été le moteur du mouvement de l’agriculture biologique. Même si les gouvernements s’emparent maintenant du concept de l’agriculture biologique et de son potentiel, ce qui est naturellement positif, il est indispensable, pour être efficaces, que les stratégies de développement du secteur impliquent ces acteurs nongouvernementaux. Les partenariats public-privé sont donc essentiels, autant pour la conception que pour la mise en œuvre des stratégies et politiques de soutien au secteur. De plus, dans de nombreux pays, l’expertise technique sur le secteur biologique se situe au niveau des acteurs non-gouvernementaux, et la complexité des dynamiques influant sur le secteur exigent que les décideurs politiques fassent appel à cette expertise avant toute conception d’intervention. 4.
La conception des politiques doit partir de l’analyse approfondie de la situation
Les gouvernements (ou même les agences de coopération au développement) se lancent souvent dans la conception de programmes de soutien à l’agriculture biologique sans avoir vraiment analysé la situation existante dans le pays ni l’impact des mesures politiques et de programmes de soutien prée-existants ou antécédents. Il est pourtant indispensable de consacrer du temps et des ressources à cette analyse, sans quoi on risque de ne pas agir sur les leviers pertinents pour le développement du secteur. Cette analyse doit se faire nonseulement en enquêtant auprès des opérateurs (analyses des besoins) mais aussi en analysant les tendances statistiques du secteur, en recoupant les informations, et en comparant les tendances aux tendances observables par exemple dans les mêmes filières de pays voisins, afin de comprendre les facteurs qui influencent le plus le développement (ou la stagnation) de ces filières. 5.
Une communication visible du gouvernement sur la politique de soutien est déjà une mesure politique
Lorsqu’un gouvernement communique publiquement son engagement pour soutenir l’agriculture biologique, il donne déjà un signal fort aux investisseurs privés. Cette communication, si elle est suivie des faits, représente donc en tant que telle une mesure qui va booster l’investissement dans le secteur biologique, et donc contribuer à son développement. Cependant, les acteurs privés investissent s’ils ont confiance dans l’efficacité et la continuité du soutien gouvernemental : dans les pays où les politiques ne sont ni efficacement mises en œuvre ni stables dans le temps, de telles annonces n’auront pas l’effet escompté. En terme de continuité du soutien public, la transition entre deux périodes/programmes de soutien public est particulièrement critique, notamment dans les programmes à forte composante de subventions annuelles : il faut anticiper les tendances de conversion et s’assurer, dans la planification du calendrier de mise en œuvre et dans la construction des budgets, qu’il n’y aura pas de disruption du soutien du fait de la transition entre deux programmes multi-annuels, sans quoi les opérateurs risquent d’abandonner l’agriculture biologique. 6.
Les politiques agricoles générales doivent aussi être analysées
Souvent, les stratégies nationales de promotion de l’agriculture biologique ne portent que sur les politiques et réglementations spécifiques à l’agriculture biologique. Pourtant, l’impact des politiques agricoles et alimentaires générales est parfois supérieur aux politiques spécifiques
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de promotion de l’agriculture biologique. On peut citer notamment les politiques suivantes, comme ayant eu, dans divers pays, des impacts négatifs sur le développement du secteur biologique : Les subventions (ou réduction de la TVA) sur les engrais et pesticides de synthèse. Les autorisations de l’utilisation de certains pesticides, notamment les pesticides très rémanents et notamment lorsque les modes d’épandages sont très peu ciblés (voir exemple ci-dessous du DDT en Ouganda). Les subventions aux cultures énergétiques (biogaz et biocarburants) qui peuvent rentrer en compétition (dans les choix des producteurs) avec la production biologique. Les programmes de soutien à des labels ou à des pratiques qui concurrencent l’agriculture biologique, comme par exemple, la lutte intégrée ou d’autres labels, même si ces pratiques peuvent aussi représenter des possibilités de conversion intermédiaires vers l’agriculture biologique. Les réglementations défavorables sur les engrais biologiques, les produits naturels de protection des cultures et les semences, avec notamment des exigences trop complexes et trop coûteuses en matière d’homologation qui vont favoriser les multinationales au détriment des petits fabricants et de la production sur ferme. Les programmes de gestion des risques agricoles (assurances et compensations des risques de perte de récolte, etc.) qui peuvent, de par leur construction financière, pénaliser les producteurs biologiques par rapport aux producteurs conventionnels, en cas de pertes agricoles. Les autorisations de cultures OGM (voir exemple ci-dessous du coton Burkinabé) Les normes de sécurité alimentaires et autres normes phytosanitaires qui peuvent imposer des exigences contraires aux cahiers des charges et/ou à l’esprit de la production biologique en demandant par exemple des conditions trop aseptisées. Les lois sur l’accès aux terres agricoles, qui peuvent freiner l’accès au foncier pour les jeunes agriculteurs et entrepreneurs dynamiques, qui sont souvent les plus à même de réussir dans l’agriculture biologique. Il est donc important, dans la conception des programmes de soutien, de ne pas oublier aussi d’analyser les politiques générales agricoles et alimentaires, et dans le cas où des effets négatifs importants sont observés par rapport à l’agriculture biologique, il convient de concevoir des stratégies et des instruments pour annuler, réduire ou compenser leurs effets négatifs sur le secteur biologique. On peut par exemple prévoir des mesures compensatoires telles que des subventions équivalentes aux engrais bio lorsque les engrais chimiques sont subventionnés, afin de rétablir au moins un équilibre neutre dans les incitations financières à l’usage de tel ou tel intrant. Encadré 4 : le risque OGM Le risque OGM est un risque majeur pour le secteur biologique d’un pays. Il constitue un risque de pertes de marchés, de coûts supplémentaires, et de perte de réputation. Le cas de l’autorisation du coton OGM au Burkina entre 2008 et 2015 en est une illustration tragique pour le secteur biologique du Burkina. Le coton occupe une place économique très importante pour le Burkina Faso (deuxième valeur exportatrice du pays). Le coton biologique était en forte croissance entre 2004 et 2008 avec une croissance annuelle de près de 130%, jusqu’à l’introduction commerciale à large échelle du coton OGM Bt en 2008. Le coton OGM s’est d’abord rapidement répandu : en 2011, 70% des champs de coton étaient plantés en OGM, même si, déjà en 2009, les résultats attendus en termes de rendements économiques n’étaient pas au rendez-vous. Mais plusieurs années consécutives de mauvaises performances du coton OGM ont conduit les producteurs à progressivement abandonner cette culture et même l’interprofession Burkinabé du coton à
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demander en 2015 l’arrêt de la culture du coton OGM. Mais ces quelques années OGM ont laissé une cicatrice importante sur le secteur du coton bio qui a vu sa croissance coupée dans son élan et même des pertes économiques considérables pour les acteurs de la filière biologique à cause des contaminations OGM qui ont engendré des pertes massives de certification et donc de marchés. Les productions de coton bio se sont ensuite relocalisées vers des zones traditionnellement moins propices au coton, dans lesquelles elles ne risquaient pas la contamination par le coton conventionnel et la croissance a repris quelques années plus tard, mais n’a recouvert qu’en 2014 un niveau équivalent à celui de 2008 en termes de surfaces et de producteurs. Le secteur a donc perdu 6 années de croissance, et perdu durablement en compétitivité à cause de l’introduction des OGM.
10000 9000 8000 7000 6000 5000 4000 3000 2000 1000 0 2004
2005
2006
2007
2008
Number of organic cotton farmers
2009
2010
2011
2012
2013
2014
Surface in organic cotton (ha)
Tons of organic cotton production
Conscients d’un tel risque, certains pays ou régions adoptent des solutions telles que de se déclarer officiellement « pays sans OGM » ou « région sans OGM ». En 2015, 37 pays avaient officiellement interdit la culture des OGM sur leur territoire. D’autres pays ont mis en place des mesures de coexistence, par exemple un fond de compensation pour les producteurs biologiques contaminés par les OGM : c’est le cas par exemple au Portugal, où les compagnies fournisseurs d’OGM doivent financer ces compensations. Bien sûr, du côté de la consommation, la transparence obligatoire de l’étiquetage des OGM pour le consommateur est un facteur qui contribue fortement à diminuer l’intérêt économique de leur utilisation car les consommateurs y sont fortement opposés. Cependant, dans un pays produisant surtout pour l’exportation, cette mesure ne sera pas suffisante pour limiter l’utilisation de semences OGM pour les produits exportés. Encadré 5 : Le risque lié à l’autorisation de certains pesticides L’épandage aérien de pesticides a été pratiqué par le passé dans certains pays (par exemple en Égypte dans les années 90 contre les ravageurs des cultures) et est encore parfois pratiqué aujourd’hui (par exemple à Madagascar pour la lutte contre les moustiques transmettant la malaria). Il est évident que ce type de pratiques (souvent encouragées ou organisées par les autorités) réduit à néant les efforts de développement de l’agriculture biologique dans les zones traitées et les zones avoisinantes, car les méthodes de détection des résidus de pesticides sont devenues extrêmement sensibles et peuvent détecter des quantités infimes de résidus provenant d’une contamination par le vent sur plusieurs kilomètres en cas d’épandage aérien. L’utilisation orchestrée à grande échelle de certains pesticides, même lorsque utilisés de manière plus ciblée que l’épandage aérien, peut aussi avoir des répercussions désastreuses sur le développement du secteur biologique. L’utilisation du DDT en Ouganda en 2008 en est un cas d’école. Le pays a rendu obligatoire l’utilisation du DDT en 2008 pour lutter contre la malaria. S’en est suivie une perte de certification biologique pour plus de 16 000 producteurs biologiques, du fait des résidus de DDT trouvés sur leurs produits. Compte tenu de la
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rémanence importante du DDT, l’impact s’est fait sentir sur plusieurs années, avec une croissance des surfaces biologiques en Ouganda qui a complètement chuté et ensuite stagné pendant plusieurs années. Total area under organic (certified) in Uganda in Ha 350.000 300.000 250.000 200.000 150.000 100.000 50.000 2002/03 2004/05 2006/07 2007/08 2008/09 2009/10 2010/11 2011/12 2012/13 2013/14 2014/15
De tels cas montrent que, quelles que peuvent être l’importance et l’efficacité des mesures spécifiques de soutien à l’agriculture biologique, leur impact peut facilement se voir anéanti par une ou quelques décisions de politiques générales ayant un impact négatif indirect sur la production biologique, notamment en ce qui concerne le risque de contamination qui engendre des pertes immédiates (et parfois durables) de marché pour les producteurs biologiques du territoire.
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II. LE CONTEXTE MAROCAIN L’agriculture biologique existe au Maroc depuis 1986, et s’est développée de façon régulière, mais globalement relativement lente, depuis lors. L’état des lieux de la filière biologique au Maroc, ainsi que la politique du Maroc envers l’agriculture biologique, ont été présentées de manière détaillée dans le rapport commissionné par le projet DIAF intitulé « La filière biologique au Maroc : État des lieux et stratégie de développement » (Chibane A., Décembre 2019). Nous ne répéterons pas ici les informations contenues dans ce rapport, mais les résumerons en rappelant qu’en 2018, le Marco comptait 9 500 Ha de plantes cultivées certifiés en bio et 980 Ha en conversion, à quoi s’ajoutent quelques 273 000 Ha de zones de collectes certifiées bio pour les plantes spontanées. Le secteur biologique au Maroc se résume à 302 opérateurs dont 213 pour les produits cultivés et 64 pour les plantes spontanées. Il s’agit essentiellement d’un secteur tourné vers l’exportation vers l’Union Européenne. Alors que les conditions climatiques et les possibilités de production sont assez voisines de celles de la Tunisie, on observe tout de même des différences marquantes dans les tendances de développement des productions phares de ces pays. Certaines cultures cultivées de manière importantes dans les deux pays ont connu des croissances spectaculairement divergentes. C’est le cas notamment : -
De la production d’olives, qui stagne sur la dernière décennie au Maroc (même si on observe une légère croissance sur les 3 dernières années pour lesquelles on a des chiffres 2015-2017), alors qu’elle a explosé en Tunisie sur la même décennie (où elle est passée d’environ 90 000 Ha en 2007 à 254 000 Ha en 2017 soit environ 14% de sa surface oléicole). La production d’olives au Maroc est l’une des plus importantes productions agricoles, avec 784 000 Ha et un Plan Maroc Vert qui vise 1 220 000 Ha en 2020. Pourtant, la part de l’agriculture biologique est négligeable : on est actuellement à environ 1 300 Ha en agriculture biologique, ce qui représente moins de 0,2% des surfaces oléicoles.
-
De la production de dattes biologiques, en forte croissance en Tunisie (atteignant près de 3 000 Ha en 2017 contre 900 Ha en 2014) et en stagnation (voir même décroissance, selon la provenance des chiffres) au Maroc, avec actuellement moins de 100 hectares, alors même que la production de dattes (conventionnelles) est en très forte croissance au Maroc notamment grâce au contrat-programme de la filière avec l’État, ayant conduit à la plantation de 3 millions de palmiers sur 28 400 nouveaux Ha (investissements de 7,6 milliards de DH dont 4,9 milliards de subventions). Il est vrai que la plupart des dattes sont destinées à la consommation nationale mais le contrat programme vise aussi l’exportation de 5 000 tonnes (sur une production totale de 160 000 tonnes), et ce type de segment aurait pu, ou pourrait à l’avenir, s’intéresser à la certification biologique.
Les chiffres sur la filière maraichère sont quant à eux assez volatiles ces dernières années, à la fois au Maroc et en Tunisie, avec, semble-t-il, des hausses et des baisses sur la période. Il conviendra d’approfondir la compréhension des chiffres exactes et des tendances plus détaillées par spéculations, pour en tirer des enseignements sur l’évolution de ce secteur. Le soutien public à l’agriculture biologique au Maroc est clairement en retard par rapport au cas de la Tunisie. Le « Plan Maroc Vert » que le gouvernement marocain s’est fixé en 2008 comme stratégie générale de développement du secteur agricole marocain, est décliné en 19 contrats programme dont 1 contrat programme avec l’interprofession du secteur biologique. En effet, le secteur biologique au Maroc s’est organisé au sein de la FIMABIO, une organisation faitière qui regroupe les producteurs, les transformateurs, et les distributeurs et exportateurs biologiques. Le gouvernement soutient l’agriculture biologique principalement via le contrat programme qu’il a signé avec les représentants de la filière pour la période 20112020. Le contexte réglementaire de l’agriculture biologique au Maroc est devenu récemment celui d’un secteur réglementé, du moins en ce qui concerne la production à visée de commercialisation nationale. Cependant, cette réglementation n’est pas encore complètement
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mise en œuvre, et il existe aussi des questions à résoudre en ce qui concerne son lien avec le soutien public au secteur biologique en général. Le gouvernement a en effet publié une loi (39-12) depuis 2013 et ensuite de nombreux décrets et ordonnances jusqu'en septembre 2018. Mais du point de vue de ces acteurs, les compétences consultatives de l'État, les instruments de promotion adéquats et les autres mesures nécessaires pour développer réellement la filière et exploiter pleinement son potentiel font toujours défaut. La pertinence de la réglementation par rapport aux objectifs attendus sera un point à discuter lors de prochains ateliers de stratégie nationale pour l’agriculture biologique. En effet, certains objectifs qui avaient pu être légitimes au moment de la formulation de cette réglementation, peuvent se révéler irréalistes sur le court et moyen terme au vu des changements réglementaires internationaux. C’est notamment le cas de la réglementation nationale comme moyen de booster les exportations via une obtention d’équivalence avec l’Union Européenne (voir Chapitre I, section D). D’autre part, le conditionnement des subventions à la certification nationale, alors que la quasi-totalité des entreprises est tournée vers le marché à l’export et que le développement des exportations est l’objectif politique principal, explique en grande partie la sous-utilisation des budgets alloués au soutien au secteur biologique. L’analyse des contraintes et des besoins du secteur biologique marocain est en cours, et sera disponible au travers d’un autre rapport commissionné par le projet DIAF. Cette analyse sera bien sûr déterminante pour le choix des mesures de soutien les plus appropriées dans la prochaine phase de soutien public au secteur (c’est à dire à partir de 2021). En l’absence du rapport mentionné ci-dessus, pour le choix de mesures de soutien à approfondir dans ce rapport, nous nous sommes référés aux conclusions de l’Atelier de concertation du projet DIAF sur la composante « Agriculture Biologique » qui a eu lieu le 10 Décembre 2019 à Rabat. Lors de cet atelier, les participants ont commencé à identifier des contraintes entravant le développement de la filière biologique. Les contraintes suivantes ont été mentionnées : Disponibilité insuffisante en intrants, notamment les semences, biofertilisants et les produits phytosanitaires ; Insuffisance en matière de formation : formation des opérateurs et des cadres de l’administration (centrale et régionale) chargés de l’encadrement des producteurs ; Insuffisance en matière de programmes dédiés à la recherche appliquée ; Insuffisance en matière de valorisation des produits biologiques (techniques de transformation, emballage et présentation) ; Insuffisance en matière de stratégie de marketing et de promotion. Ces 5 points font l’objet de l’étude approfondie des mesures de soutien d’autres pays, dans le chapitre suivant.
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III. GROS PLAN SUR QUELQUES MESURES DE SOUTIEN PERTINENTES POUR LE MAROC Dans ce chapitre, nous nous intéressons plus précisément aux expériences d’autres pays en matières de mesures de soutien concernant les sujets évoqués comme prioritaires dans l’atelier de concertation du 10 Décembre (voir chapitre précédent). Il s’agit plus précisément de la question des intrants biologiques, de la formation, de la recherche et vulgarisation, et enfin du soutien aux entreprises pour la transformation et la commercialisation biologiques.
A.
Soutien public à l’accès aux intrants biologiques
Plusieurs pays ont reconnu l’utilité publique de soutenir la production ou l’utilisation d’intrants agricoles conformes aux cahiers des charges biologiques. En effet, l’utilisation d’intrants biologiques (par exemples les semences, les produits de gestion des ravageurs, les amendements du sol) contribuent aux objectifs environnementaux en agriculture, et peuvent aussi contribuer à l’objectif d’une offre alimentaire saine. Les intrants biologiques peuvent se substituer à une panoplie d’intrants chimiques, depuis les semences traitées jusqu’aux pesticides extrêmement toxiques. Réduire l’utilisation des intrants chimiques, est l’une des interventions politiques permettant d’améliorer la durabilité en agriculture de manière directe. De plus, même si les produits biologiques ne sont pas exempts de contamination par la pollution environnementale, les tests de résidus de pesticides montrent qu’ils ont des taux détectables de ces derniers, beaucoup moins élevés. La disponibilité d’intrants biologiques à des prix abordables, profite directement aux producteurs biologiques, mais ces intrants peuvent aussi être utilisés par les agriculteurs conventionnels, afin d’aboutir à une réduction de l’utilisation mondiale des intrants chimiques. Ceci a été démontré avec succès dans les systèmes conventionnels pratiquant la lutte intégrée. De plus, le manque d’accès aux intrants biologiques pour répondre aux besoins agronomiques, est connu pour être un frein important à la conversion des agriculteurs à l’agriculture biologique. L’analyse des politiques de soutien aux intrants biologiques au niveau mondial montre qu’il existe plusieurs modalités de mise en œuvre d’un tel soutien. Les gouvernements peuvent faciliter (et ont facilité) l’accès des producteurs biologiques aux intrants via un panel d’options politiques comprenant notamment : L’amélioration de l’offre et de la diversité des intrants grâce au soutien à la recherche et au développement de nouveaux intrants biologiques Les gouvernements peuvent soutenir la recherche et le développement des intrants biologiques au travers des financements aux compagnies privées et/ou à des programmes de recherche publique, pour le développement de nouveaux intrants. Il peut s’agir d’un soutien général au développement des intrants bio, ou d’un soutien plus ciblé visant à répondre aux défis spécifiques de l’agriculture biologique dans le pays. La production et distribution directes des intrants bio aux agriculteurs Certains gouvernements décident de fournir directement des intrants biologiques aux agriculteurs. Dans ce cas, des intrants tels que le lombricompostage, les semences et jeunes plants biologiques ou les insectes auxiliaires, sont produits sur des sites gouvernementaux ou des sites sous contrat avec le gouvernement, et sont ensuite distribués aux producteurs via les systèmes publics, soit gratuitement, soit à prix subventionné. Une formation sur l’utilisation de l’intrant est souvent associée à sa distribution. Cette option est particulièrement adaptée aux situations dans lesquelles l’agriculture biologique se développe tout juste, et où les producteurs ont besoin d’être fortement soutenus dans leur processus de conversion. L’exemption des intrants bio des taxes et des droits de douanes Les intrants commerciaux utilisables en agriculture biologique peuvent être identifiés et exemptés des taxes telles que la TVA, et/ou les taxes sur la vente. Ceci peut permettre d’encourager la production et l’achat des intrants biologiques. Les intrants biologiques qui sont communément importés, et cependant cruciaux pour l’agriculture biologique dans le pays,
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peuvent aussi être exemptés de taxes à l’importation (par exemple, la chaux agricole pour l’amendement des sols acides dans un pays où les sources nationales sont inexistantes). La subvention de l’achat des intrants bio par les producteurs La subvention peut prendre la forme d’un financement d’investissement sur les installations et les équipements pour la production d’intrants sur ferme. Elle peut aussi prendre la forme d’une subvention régulière pour l’achat des intrants, comme par exemple le remboursement d’une partie des frais sur facture. Exemples : Tunisie Par décret présidentiel en 2007, les équipements et les intrants biologiques (tels que les insectes auxiliaires) se sont vus exemptés de la taxe sur la valeur ajoutée, et des droits de douane. Le gouvernement tunisien finance également le Groupement Interprofessionnel des Légumes (GIL), pour le développement de variétés et la multiplication de semences de légumes spécifiquement adaptées à l’agriculture biologique. Il travaille aussi en partenariat avec le Centre Technique de l’Agriculture Biologique (un institut public), sur la production de composte et tests sur les intrants biologiques. France Le plan d’action français Ecophyto visait à réduire l’utilisation des pesticides de 50% au niveau national sur la période allant de 2008 à 2015. L’une des mesures de ce plan est de fournir un soutien au développement des agents de biocontrôle. Son objectif est de catalyser l’émergence de compagnies françaises innovantes dans ce secteur. Un soutien parallèle pour le développement d’alternatives naturelles aux antibiotiques dans la production animale, a été établi dans le cadre d’un autre plan d’action, Ecoantibio 2017. Inde Sikkim est l’un des États de l’Inde qui fournissent un soutien important en matière d’accès aux intrants biologiques. Voici quelques exemples d’intrants fournis par l’état du Sikkim à ses producteurs :
Installations pour le compostage et le lombricompostage ; Lombrics et cocons de lombric pour le lombricompostage ; Biofertilisants adaptés aux conditions locales, telles que l’azolla (fougère aquatique), tourteaux et inoculum pour le composte, produits dans des installations gouvernementales ; Formations des producteurs à la gestion biologique de la fertilité et des ravageurs, notamment sur les bio contrôles et le lombricompostage ; Semences pour l’engrais vert ; Amendements minéraux gratuits ou subventionnés ; Production et dissémination d’agents de bio contrôle.
Mexique Le gouvernement fédéral subventionne à hauteur de 50% le coût total des intrants permis en agriculture biologiques (avec une limite de 9700 Euros en 2015). Les États du Chiapas, de Oaxaca, du Michoacán, de Jalisco, et le district fédéral de la ville de Mexico, ont également subventionné la production d’intrants biologiques, notamment de composte. Népal Le ministère de l’agriculture a démarré en 2015 un programme de subvention des engrais biologiques. Les groupements de producteurs et les coopératives, avant de construire des abris pour le bétail et des installations de lombricompostage, peuvent recevoir une subvention allant jusqu’à 200 Euros par producteur, dispensée par les bureaux régionaux du développement agricole. Les producteurs qui achètent des engrais biologiques (que ce soit
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en poudre, granulés ou lombricompostage) peuvent aussi recevoir une subvention de 82 euros par tonne d’engrais, jusqu’à un maximum de 1,5 tonne. Philippines La loi sur l’agriculture biologique de 2010 ordonne que les collectivités, aux niveaux régional et municipal, mettent en place des installations de production d’intrants biologiques, et les fournissent gratuitement ou à prix réduit aux producteurs. Entre 2011 et 2016, ces gouvernements ont mis en place, maintenu et amélioré, quelques 746 installations de production d’intrants biologiques. Elles ont aussi distribué plus de 199 tonnes de semences bio, 233 000 jeunes plants, 1100 tonnes d’engrais biologique et 4,4 millions d’agents de contrôle biologique. Des lombrics pour le lombricompostage ont été distribués à plusieurs milliers de familles pour démarrer leur propre installation de lombricompostage. Le gouvernement a également distribué plusieurs milliers d’animaux biologiques, y compris des alevins et des poissons reproducteurs pour l’aquaculture biologique.
B.
Soutien public à la formation académique et professionnelle en agriculture biologique
Une grande partie des connaissances transmises dans l’enseignement agricole classique ne sont pas applicables en agriculture biologique (par exemple l’utilisation intensive d’intrants agrochimiques et des variétés à fort rendement, les nouvelles techniques de biotechnologies, l’optimisation de la croissance animale au prix de leur bien-être, etc.). Pour soutenir la croissance du secteur, il est donc crucial de développer la formation en agriculture biologique, en parallèle de l’enseignement agricole conventionnel. Le développement de formations académiques et professionnelles est applicable et pertinent dans presque tous les contextes, et quelles que soient les raisons politiques de développer le secteur biologique, sauf dans le cas d’un pays se trouvant au tout début du développement de son agriculture biologique. Dans ce cas, le manque de connaissances dans le pays pour concevoir et mettre en œuvre les programmes d’enseignements professionnels, peuvent constituer un frein, à moins d’avoir recours à une expertise et un soutien extérieurs importants. À un tel stade de développement, les personnes voulant se spécialiser dans l’agriculture biologique peuvent cependant étudier à l’étranger. Une fois que les universités nationales ont accumulé une certaine expérience en travaillant sur des projets de recherche en agriculture biologique, et qu’il existe des professionnels expérimentés en agriculture biologique dans le pays, des formations spécifiques sur l’agriculture biologique et des fermes de démonstration peuvent être établies. Les gouvernements de divers pays ont reconnu la nécessité évidente de ce type de soutien public au secteur biologique et l’ont mis en œuvre de plusieurs manières. Sur la base des expériences existantes, on peut conclure que les possibilités suivantes pour structurer ce type de soutien peuvent être envisagées : Organiser la création de départements et des diplômes spécifiques à l’agriculture biologique au sein des universités agricoles existantes Ce choix politique est une meilleure pratique pour assurer une formation stable et continue d’un certain nombre d’experts en agriculture biologique, qui pourront travailler dans la formation et dans la recherche. Certains gouvernements sont même allés plus loin en créant des universités complètement dédiées à l’agriculture biologique (par exemple, récemment, l’État de Gujarat en Inde). Ouvrir des opportunités d’enseignement et de spécialisation dans l’agriculture biologique dans les diplômes et les formations professionnelles agricoles générales Une université ou un département universitaire dédiés à l’agriculture biologique sont un véritable atout pour le pays, mais il est aussi très important d’offrir des spécialisations biologiques dans les filières professionnelles, telles que les programmes de formation de techniciens agricoles, voire même dans les programmes scolaires dans les zones où de
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nombreux élèves finiront par travailler dans le domaine de l’agriculture. Ces spécialisations peuvent être offertes dans le contexte d’un diplôme d’agriculture général. À minima, les institutions d’éducation supérieure peuvent au moins offrir aux étudiants en agriculture un ou quelques cours sur l’agriculture biologique, obligatoires ou facultatifs. Soutenir les ONG offrant des programmes de formation professionnelle sur l’agriculture biologique Les gouvernements peuvent aussi soutenir les formations professionnelles biologiques par le biais de financements et subventions aux programmes de formation spécialisés, conduits par des associations et autres ONG. De tels programmes de formation peuvent être orientés vers des objectifs politiques spécifiques, tels que la création d’emplois ou la réinsertion. Ils peuvent être orientés vers les systèmes agricoles ruraux ou bien même vers l’agriculture urbaine. Il existe par exemple un tel programme de formation d’une année complète en Belgique, offert gratuitement aux demandeurs d’emploi. Soutenir, par des projets de coopération, la mise en place des programmes d’enseignement sur l’agriculture biologique au sein des universités et des formations professionnelles Les institutions publiques peuvent aussi soutenir des projets de coopération entre plusieurs institutions pour le développement de programmes et de matériel de formation sur l’agriculture biologique. Plusieurs projets de coopération de ce type entre des institutions d’éducation supérieure européennes ont par exemple été financés par l’Union Européenne. Des projets similaires peuvent aussi être financés par les pays développés dans le cadre de projets de coopération au développement. Exemples : Union Européenne Les États membres soutiennent de façon croissante l’intégration de l’enseignement en agriculture biologique au sein des institutions publiques. Il existe des cours spécifiques et des diplômes spécialisés en agriculture biologique dans plusieurs universités et écoles d’ingénieurs à travers l’UE. On peut notamment nommer l’Université de Wageningen aux Pays-Bas, l’Université de Hohenheim en Allemagne, la Faculté d’agriculture biologique de Witzenhausen, rattachée à l’Université de Kassel, en Allemagne, ou encore l’Université de Aarhus au Danemark, qui offrent toutes des diplômes de Master en agriculture biologique ou agroécologie. De plus, un certain nombre de doubles-diplômes européens en agriculture biologique ont été mis en place grâce à des coopérations entre diverses universités publiques et privées en Europe. Les pays européens qui n’offrent pas de diplôme spécialisé en agriculture biologique (peu nombreux) ont au moins une option de spécialisation en agriculture biologique dans un ou plusieurs de leur programme d’enseignement agricole. Suisse Depuis 1996, presque toutes les écoles d’agriculture suisses offrent un cours en agriculture biologique. Déjà en 2009, plusieurs formations professionnelles spécifiques sur l’agriculture biologique dans les cantons germanophones du pays, et les directeurs des écoles agricoles des cantons francophones, avaient pris l’engagement officiel de développer des programmes similaires dans leurs écoles. Aujourd’hui, un cours de 2 jours minimum sur l’agriculture biologique est obligatoire pour tout étudiant ou apprenti, et des options de spécialisation sont toujours disponibles. 12 écoles agricoles à travers le pays offrent des formations en agriculture biologique. Il existe aussi une école spécialisée en agriculture biologique pour la formation des futurs agriculteurs bio, la « Bio-Schule Schwand ». L’université ZHAW de Zürich offre une spécialisation en agriculture biologique dans le cadre de son diplôme d’ingénieur en environnement. L’université de HAFL Zollikofen offre une qualification supplémentaire en agriculture biologique dans le cadre de son diplôme d’agronomie.
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Tunisie Il existe des cours obligatoires sur l’agriculture biologique dans tous les instituts supérieurs d’agronomie du pays. Des diplômes de Master en Agriculture durable et biologique sont offerts dans certaines de ces institutions. Ces programmes servent à la fois à former des étudiants en agriculture biologique, et à conduire des recherches agronomiques sur l’agriculture biologique. Une formation diplômante en agriculture biologique a été développée pour fournir une formation professionnelle aux acteurs impliqués dans le secteur biologique. Elle est mise en place conjointement par l’Agence de promotion des investissements agricoles et l’AVFA, l’Agence de la vulgarisation et de la formation agricoles. Cette dernière est une administration publique affiliée au Ministère de l’Agriculture, et chargée de développer et d’évaluer les programmes d’enseignement agricoles. Elle supervise les 39 centres d’enseignement agricole à travers le pays. Inde Presque toutes les universités agricoles offrent des cours en agriculture biologique. L’université agricole de l’État de Himachal Pradesh dans le nord de l’Inde, et les 4 universités agricoles du Karnataka dans le sud, ont mis en place des départements universitaires sur l’agriculture biologique. En 2016, l’État de Gujarat a annoncé la création de la première université en Inde, exclusivement dédiée à l’enseignement et la recherche en agriculture biologique. Les fonds de démarrage à hauteur de 1,4 millions d’euros ont été alloués dans le budget annuel. Philippines Le gouvernement a créé le Centre de développement de l’agriculture biologique de Cordilera (le COARDC) au sein de l’Université de l’État de Benguet. Le programme a démarré avec 10 étudiants en 2010, diplômés en 2012, qui sont devenus les premiers techniciens agricoles certifiés en agriculture biologiques de la province. En 2014, le nombre est passé à 41 étudiants. Les autres universités ont aussi commencé à inclure l’agriculture biologique dans leurs programmes d’enseignement. Depuis 2012, il existe aussi une formation spécialisée à distance, et diplômante, offerte par l’Université Ouverte des Philippines (UPOU). Thaïlande L’université publique de Maejo s’est déclarée la première université d’agriculture biologique de Thaïlande. Cette ambition était inscrite dans le Plan 2027, approuvé en 2012. L’université est en train de convertir ses terres agricoles à l’agriculture biologique, et a ouvert une cantine biologique sur le campus, où les étudiants et le personnel de l’université peuvent manger et acheter des produits biologiques locaux fournis par les producteurs de la région. L’agriculture biologique est une composante obligatoire du programme de formation de tous ses étudiants (même si les étudiants peuvent toujours apprendre les méthodes d’agriculture conventionnelles dans cette université). Chine Dans le cadre de son plan quinquennal 2016-2020, la Chine planifie d’investir environ 187 millions d’euros dans la formation de nouveaux agriculteurs. La formation sera réservée aux futures agriculteurs et gérants d’exploitation, en priorité les jeunes diplômés universitaires intéressés par l’agriculture. Le programme est centré sur l’agriculture biologique, écologique et durable, et vise à former 1 million d’agriculteurs qualifiés aptes à accéder au marché international d’ici à 2020.
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Nigéria/Royaume-Uni L’Université fédérale d’agriculture de Abeokuta (FUNAAB) a commencé à intégrer l’agriculture biologique dans son programme de Licence, et l’université offre une université d’été internationale bisannuelle en agriculture biologique. Ce programme a été développé par un projet de coopération au développement entre OAPTIN (le projet sur l’agriculture biologique dans les institutions d’enseignement supérieur au Nigeria), et l’université Coventry au Royaume-Uni. Le projet a développé un programme d’enseignement et du matériel de formation adapté aux institutions d’enseignement supérieur Nigérienne et a formé les professeurs de l’université. Colombie Dans les années 90, le système d’éducation publique a commencé à inclure l’agriculture biologique et l’agroécologie dans les différents programmes académiques, allant de l’enseignement technique et professionnel, jusqu’au niveau de troisième cycle universitaire. Plusieurs universités offrent des spécialisations dans l’agriculture biologique ou l’agroécologie. États-Unis L’Université du Washington State a été la première, en 2009, à offrir à ses étudiants une spécialisation en agriculture biologique. De nos jours, au moins 12 universités publiques offrent une possibilité de spécialisation ou un certificat en agriculture biologique. L’une d’entre elles est l’Université de California-Santa Cruz, qui offre un programme d’apprentissage de 6 mois en horticulture biologique ainsi que des diplômes en agroécologie.
C.
Soutien public à la recherche et vulgarisation en agriculture biologique
La recherche scientifique en agriculture biologique, en tant que source d’innovation, est d’une importance cruciale car elle est vitale pour améliorer la durabilité, la productivité et la compétitivité des systèmes d’agriculture biologique. Il est connu que l’absence de solutions techniques biologiques aux problèmes agronomiques rencontrés par les agriculteurs est un des principaux obstacles à la conversion. Malgré cela, les budgets actuellement alloués à l’agriculture biologique sont souvent bien en deçà du potentiel considérable en termes d’innovation dans les systèmes agricoles biologiques. La vulgarisation en agriculture biologique, elle, est également indispensable pour disséminer les résultats de la recherche et pour renforcer les capacités des producteurs biologiques à répondre aux nouveaux défis et à améliorer constamment leurs systèmes de production. L’agriculture conventionnelle peut aussi bénéficier des innovations développées pour l’agriculture biologique, et par là-même améliorer sa durabilité et sa profitabilité. La gestion intégrée des ravageurs en est un exemple. Le soutien public à la recherche et à la vulgarisation en agriculture biologique ne nécessite pas forcément des ressources financières nouvelles, mais plutôt un changement dans les priorités de la recherche et du conseil agronomique. Certaines recherches ont prouvé que la disponibilité du conseil technique en agriculture biologique par les agents de vulgarisation est l’un des facteurs qui influencent le plus l’adoption de l’agriculture biologique, notamment au début du développement du secteur, alors que l’importance de la recherche agronomique en agriculture biologique devient le facteur prédominant lorsque le secteur est à un stade plus avancé de son développement. Sur la base des expériences au niveau mondial, on peut recommander l’une ou plusieurs des approches politiques suivantes pour soutenir la recherche en agriculture biologique :
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Réserver des financements spécifiques pour la recherche en agriculture biologique, mise en œuvre au sein des diverses institutions de recherche agronomique. Cette approche est intéressante pour les gouvernements ayant des budgets spécifiques pour la recherche agronomique et alimentaire. Un gouvernement peut allouer une part définie de son budget recherche agricole à la recherche en agriculture biologique. Il peut aussi organiser la création de départements ou de programmes et budgets spécifiques sur la recherche en agriculture biologique, au sein des institutions existantes. Certaines de ces actions peuvent nécessiter un cadre législatif. Soutenir la création et le fonctionnement d’institutions spécialisées dans la recherche biologique, dans le secteur public ou privé. Certains pays ont un institut de recherche spécialisé, ou un programme national de recherche en agriculture biologique. L’institut spécialisé est dans ce cas le leader dans le secteur de la recherche en agriculture biologique nationale, mais cela n’empêche pas les autres instituts de recherche de mener également des recherches sur l’agriculture biologique. C’est le cas par exemple en Suisse, en Tunisie et en Hongrie. Ce rôle de leader dans la recherche biologique peut être rempli par une institution publique ou par une institution non-gouvernementale recevant un financement important de la part de l’État. Un modèle intermédiaire aux deux modèles ci-dessus est celui dans lequel une organisation peut coordonner un « centre de recherche virtuel » dans lequel la recherche est en fait mise en œuvre grâce à des collaborations interdisciplinaires entre des groupes de recherche localisés dans différentes institutions et universités. C’est le modèle utilisé au Danemark et en Inde. Appuyer les chercheurs nationaux dans leur démarche de recherche des financements internationaux pour la recherche biologique. Lorsqu’un gouvernement n’a pas les ressources suffisantes pour financer les besoins nationaux en termes de recherche biologique, il peut envisager cette option. Les gouvernements des pays en voie de développement peuvent inclure des projets de recherche en agriculture biologique dans le cadre de programmes de coopérations qu’ils négocient avec les agences de coopération internationale. Ils peuvent également soutenir l’accès aux financements étrangers en compilant et disséminant les informations à ce sujet auprès de leurs chercheurs. Un inconvénient de ces types de financement est qu’ils sont limités dans le temps et ne permettent pas la continuité en termes de recherche nationale en agriculture biologique. Définir un agenda des priorités nationales ou régionales en matière de recherche en agriculture biologique. L’agenda de priorités nationales pour la recherche en agriculture biologique devrait être établi à travers un processus participatif impliquant les différents acteurs du mouvement biologique. Le processus participatif peut être coordonné par le secteur non-gouvernemental (par exemple par l’association nationale de l’agriculture biologique) avec le soutien du gouvernement, ou coordonné par le gouvernement lui-même. Le gouvernement peut utiliser les résultats de ce processus pour orienter les priorités de financement dans son budget pour la recherche. Quant au soutien à la vulgarisation et au conseil technique en agriculture biologique, on peut recommander l’une ou plusieurs des approches politiques suivantes : Développer le conseil technique en agriculture biologique au sein du système public de vulgarisation agricole. Pour cela, la première priorité sera de former les agents de vulgarisation agricole et de s’assurer qu’ils aient une attitude positive et des compétences par rapport aux systèmes de production biologique. On peut aussi envisager le recrutement de nouveau personnel déjà
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spécialisé dans le conseil en agriculture biologique, ou l’utilisation de conseillers agricoles du secteur privé (consultants) pour renforcer les effectifs dans une période transitoire. Subventionner le conseil agricole technique fournit par le secteur privé pour les producteurs biologiques. S’il n’est pas possible ou souhaitable de fournir un service public de conseil agricole en agriculture biologique, les gouvernements peuvent choisir de subventionner le conseil agricole dispensé par le secteur privé. La conception du programme de subvention peut être telle qu’elle assure au moins l’équité en termes d’accessibilité et de coût, avec les producteurs conventionnels bénéficiant du service de vulgarisation agricole public. Soutenir les formations sur l’agriculture biologique. Les gouvernements peuvent organiser un programme de formation directement, ou fournir des financements à des organisations non gouvernementales ou même à des entreprises, pour dispenser ces formations. Les formations peuvent prendre la forme d’ateliers pratiques et de cours de courte durée. La méthode des champs-école s’est également révélée efficace, par exemple en Eswatini, aux Philippines et en Tunisie. Les pays en voie de développement peuvent aussi inclure ces types de formations dans le cadre de projets de coopération internationale. Exemples : Cuba Lorsque Cuba a adopté l’agriculture biologique comme sa politique agricole principale dans les années 90, le gouvernement a mis en place des programmes de recherche qui ont posé les bases de l’autosuffisance alimentaire nationale par l’agriculture biologique. Cuba a conduit un grand nombre d’expérimentations sophistiquées ayant abouti à des innovations pertinentes pour les systèmes biologiques, notamment sur les intrants, les pesticides biologiques et l’utilisation de la fermentation. Le ministère des Sciences, de la technologie et de l’environnement (CITMA) a donné la priorité aux thèmes de recherche biologiques en approuvant des projets de recherche sur les thèmes de la diversification, de l’agroécologie, de l’agriculture biologique, etc. L’institut Alejandro de Humboldt de recherche fondamentale sur l’agriculture tropicale est l’acteur principal en terme de recherche biologique, mais presque tous les centres de recherche agricoles et toutes les universités agricoles de Cuba sont impliqués dans la recherche biologique. Les résultats des recherches sont incorporés dans le conseil agricole dispensé par le Directorat de la science et technologie du Ministère de l’agriculture qui supervise les différents acteurs gouvernementaux, académiques et non-gouvernementaux fournissant du conseil agricole. Ce directorat s’assure que ces différents acteurs utilisent l’information la plus à jour disponible et dispensent des recommandations cohérentes. Cuba est une destination prisée pour les visites d’échanges avec d’autres pays souhaitant s’informer sur les innovations agronomiques pour les systèmes d’agriculture tropicale et s’inspirer du système Cubain en termes de liens entre la recherche et le conseil agricole. Égypte Le gouvernement soutient la recherche en agriculture via son Centre sur la Recherche Agricole (ARC) et dans les universités. Au sein de l’ARC, le Central Laboratory for Organic Agriculture (CLOA) a été mis en place spécialement pour la recherche en agriculture biologique. Ses recherches portent sur la production de plusieurs cultures, notamment les légumes et fruits. Le centre a aussi un service de vulgarisation agricole biologique. Inde Le Conseil Indien pour la recherche agricole, (Indian Council of Agricultural Research, ICAR), a démarré en 2004 un projet de coopération sur la recherche biologique entre 13 centres répartis dans différentes régions agro-écologiques du pays. Depuis, ces centres de recherche
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ont travaillé sur le développement d’itinéraires techniques pour différentes cultures et systèmes de cultures en agriculture biologique. En 2016, le gouvernement a décidé de créer l’Institut national de recherche en agriculture biologique au Sikkim. De plus, le gouvernement de la Province de Gujarat a mis en place la première université exclusivement dédiée à l’enseignement et la recherche en agriculture biologique. Chine L’administration en charge de la certification et des accréditations (CNCA) a mis en œuvre un programme de zones de démonstration sur l’agriculture biologique. En 2015, l’administration avait déjà accepté 7 départements et 30 autres étaient en demande d’acceptation. De plus, le Ministère de la protection de l’environnement a un programme de fermes de démonstration biologiques qui comptait déjà 150 fermes en 2015. Dans la province de Taiwan, le conseil de l’agriculture biologique avait aussi mis en place 8 équipes de recherche et équipes de vulgarisation en l’agriculture biologique. Bhutan Un programme de renforcement des capacités des agriculteurs est mis en œuvre directement par le Programme national de l’agriculture biologique (NOP) du Ministère de l’Agriculture. Depuis 2008, ce NOP a formé directement 259 fonctionnaires du Ministère de l’agriculture (y compris le personnel du NOP et les agents de vulgarisation agricole), en formation de formateurs. Ces formateurs ont ensuite eux-mêmes formé les agriculteurs. Eswatini Le gouvernement a soutenu un projet financé par l’UE visant la formation de 1200 paysans aux techniques de l’agriculture biologique, ainsi que la mise en place de 6 champs-écoles avec 12 techniciens agricoles formés en agriculture biologique. Canada La province du Québec soutient de manière importante la recherche et la vulgarisation en agriculture biologique. Le Québec a un site de recherche de 200 ha intitulé la Plateforme d’innovation en agriculture biologique, créé en 2012 avec un financement public de 10 million Euros. Il existe un programme de soutien public facilitant l’accès des agriculteurs biologiques au conseil technique : ce programme rembourse jusqu’à 85 % du coût des services de conseil. Suisse FiBL est un organisme de recherche privé, spécialisé en agriculture biologique, dont 50% des financements proviennent de fonds publics (environ 8 Millions d’Euros en 2014). Trois autres centres de recherche nationaux sont aussi impliqués depuis de nombreuses années dans la recherche biologique. L’un d’entre eux, Agroscope, dédie environ 16% de son budget annuel à la recherche biologique. Certaines universités publiques conduisent aussi des recherches en agriculture biologique. La vulgarisation agricole est étroitement liée à la recherche. Le service de conseil technique du FiBL coordonne le conseil en agriculture biologique depuis 1977, mais reçoit des financements publics de la part des collectivités régionales. En outre, le gouvernement fédéral finance des conseillers spécialisés en agriculture biologique au sein du service général de conseil agricole. Danemark Le développement d’un agenda de recherche ambitieux au Danemark peut être attribué à un dialogue collaboratif entre le secteur biologique et les institutions gouvernementales, en particulier le Ministère de l’Alimentation, l’agriculture et de la Pêche, et un engagement public de promouvoir la recherche en agriculture biologique dans la stratégie nationale de recherche agricole. Dans ce contexte, le Ministère a créé le Centre Danois de Recherche en Agriculture Biologique (DARCOF) en Septembre 1995 et lui a alloué un budget de recherche et développement de près de 13 Millions d’Euros pour la période 1996-1999. Le DARCOF a été conçu comme un centre « virtuel » dans lequel chaque scientifique restait basé dans son propre institut tout en travaillant en collaboration avec des collègues d’autres instituts.
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Environs 100 chercheurs de 20 instituts de recherche ont été impliqués dans les programmes de recherche du DARCOF. En 2008, le Ministère a décidé de faire évoluer le centre pour en faire le Centre de recherche international sur l’agriculture biologique et a donc fondé ICROFS (International Center for Research in Organic Food Systems). ICROFS mène maintenant des programmes de recherche internationaux et est engagé dans la dissémination d’informations aux niveaux national et international. Au niveau international, il gère la plateforme « organic eprints » (www.orgprints.org), qui est la plus grande base de donnée en termes de papiers scientifiques sur la recherche en agriculture biologique. Ces papiers sont disponibles en lignes sous un format accessible à tous. Les archives contiennent plus de 13 000 publications de divers pays et le site a plus de 23 500 utilisateurs enregistrés.
D.
Soutien public à la transformation et au marketing des produits biologiques
Notamment dans les pays aux filières biologiques encore peu développées, le soutien à la transformation et à la commercialisation biologiques peut jouer un rôle important dans la valorisation des matières premières biologiques ainsi que dans la croissance et la professionnalisation du secteur. Augmenter le panel de produits biologiques (transformés) disponibles sur le marché permet d’augmenter le choix offert aux consommateurs biologiques et par là même de booster la demande. Les producteurs bénéficient de nouveaux débouchés lorsque la demande en ingrédients augmente, du fait de l’augmentation des ventes de produits transformés. Dans les pays en développement, essayer d’augmenter la valeur ajoutée au niveau même des producteurs et des groupements de producteurs est une stratégie fréquente. Les activités de transformation et de marketing au niveau des coopératives peuvent améliorer la situation économique des producteurs et générer de nombreux bénéfices collatéraux. Le soutien aux projets collectifs de marketing a été utilisé avec succès en Allemagne pour aider les initiatives de commercialisation régionale à surmonter le problème du petit nombre d’entreprises du secteur biologique, et à encourager l’entrée de nouvelles entreprises dans le secteur. L’expérience du Danemark en terme de développement de son secteur biologique suggère qu’une approche plus orientée vers le marché peut aider le secteur à pénétrer les voies de commercialisations classiques et à surmonter les problèmes tels que la discontinuité de l’offre et le manque de canaux de distribution. D’un point de vue de la balance commerciale du pays, développer l’offre nationale en produits biologiques transformés permet de capter une plus grande partie de la forte valeur ajoutée au sein de l’économie nationale. Il est connu que la production et l’export de produits transformés est souvent beaucoup plus rentable économiquement que la production et l’export de matières premières brutes. D’un point de vue de sa souveraineté alimentaire, il est aussi important pour un pays de ne pas être complètement dépendant des importations pour tout ce qui concerne les produits transformés (y compris les produits biologiques). Cette mesure de soutien politique requiert cependant qu’il y ait une offre suffisante de produits brutes à transformer, ce qui peut ne pas être le cas lors des premières phases de développement du secteur biologique dans un pays. Soutenir la transformation et la commercialisation est particulièrement pertinent dans les situations où l’on souhaite développer le marché national pour les produits biologiques. Cependant, cette mesure peut aussi être utilisée dans un contexte où l’export est l’objectif principal. L’application de cette mesure requiert l’utilisation de critères de sélection des entreprises bénéficiaires : elle est donc plus facile à mettre en place dans un contexte où l’agriculture biologique est réglementée, bien qu’elle puisse aussi s’appuyer sur la reconnaissance des systèmes de garantie biologique privés ou étrangers. Elle constitue une mesure d’intervention sur le marché agricole et alimentaire, et donc est plus facile à obtenir dans un contexte où la culture gouvernementale est un tant soit peu interventionniste dans ces secteurs. Cette mesure vise le plus souvent les micros, petites et moyennes entreprises. Les approches utilisées incluent :
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Le soutien à l’investissement pour les sites de transformation et leurs équipements. Le soutien peut prendre la forme d’aides à l’investissement dans les sites et équipements de transformation biologiques. Souvent, ces aides ne sont pas réservées aux entreprises biologiques, mais ces dernières se voient allouer une priorité dans l’accès aux aides, ou bien des montants plus élevés. Les programmes d’aides peuvent être conçus de manière compétitive ou non-compétitive et peuvent consister en des dotations d’investissements, des subventions ou des prêts à taux nul ou réduit. Des crédits d’impôts peuvent aussi être utilisés. La construction des sites de transformation à usage collectif et/ou de démonstration. Les collectivités au niveau local peuvent aussi faire construire des sites de transformation biologique à usage de démonstration ou pour un usage collectif par les entreprises de la région. C’est une approche utilisée plus fréquemment dans les pays en voie de développement. La fourniture de conseil technique gratuit ou à taux subventionné. Les gouvernements peuvent financer ou subventionner des services de conseil technique en transformation et/ou marketing auprès des entreprises individuelles ou des groupements d’entreprises. Ce type de soutien prend normalement la forme de partenariats public-privés dans lesquels le rôle du gouvernement est le soutien financier, et le conseil technique luimême est dispensé par des experts du secteur privé et/ou de la société civile. Il est également possible d’impliquer les experts du secteur universitaire. Le soutien aux initiatives collectives de marketing ou à la provision d’information de marché d’intérêt collectif. Le gouvernement peut mettre en place des lignes budgétaires spécifiques pour le soutien financier aux initiatives collectives de marketing pour certaines catégories des produits biologiques nationaux ou régionaux. Les stratégies individuelles des entreprises en matière de marketing et commercialisation peuvent aussi être soutenues de manière indirecte en commissionnant et publiant des informations de marché telles que des enquêtes consommateurs ou des études de marché. Le soutien à la participation des entreprises aux salons et foires commerciales. De nombreux pays soutiennent financièrement la participation de leurs entreprises à des salons internationaux tels que la BioFach à Nuremberg (Salon international de l’agriculture biologique) ou à des salons au niveau national (par exemple BioFach India en Inde). C’est une mesure qui profite souvent aux exportateurs de produits biologiques, mais peut aussi profiter directement aux opérateurs de transformation, lorsque ceux-ci exportent euxmêmes (et c’est souvent le cas) leur production. Exemples : Tunisie Les opérateurs de transformation reçoivent une subvention de 30% des coûts d’investissement des équipements nécessaires pour la transformation biologique. Ils reçoivent également une subvention couvrant 70% des coûts de certification les 5 années suivant la conversion. Le CTAB (Centre Technique de l’Agriculture Biologique) a également conduit une étude de marché pour identifier des groupes de consommateurs cibles et les produits pour lesquelles la demande est la plus forte. Arabie Saoudite Le Ministère de l’environnement, de l’eau et de l’agriculture, au travers de son projet sur l’agriculture biologique (financé par le Ministère et mis en œuvre en coopération avec les services techniques de la GIZ) a organisé des ateliers de formation à destination des transformateurs et des producteurs transformant et commercialisant leurs propres produits.
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Ces ateliers couvraient les sujets tels que le packaging et le marketing et ont été mis en œuvre avec la participation d’experts internationaux en marketing. Argentine L’Institut national de technologie industrielle (INTI) développe des sites pilotes de transformation biologique, sur demande des entreprises du secteur. Ces sites de transformation appartiennent à INTI mais peuvent être loués par les entreprises. Ceci permet aux entreprises, sur la base des résultats dans ces sites pilotes, de décider ou non de construire leurs propres usines de transformation. Philippines En 2014, la municipalité de Kapatagan, qui s’est déclarée une municipalité biologique, a fait construire un site de transformation pour le riz biologique, pour un coût de 58 000 Euros. Ce site comprend un sécheur solaire, un moulin à riz et un entrepôt. 20% des financements provenaient du fond de développement de la municipalité et le reste du processus 2014 de budgétisation participative au travers duquel le gouvernement national a délégué une partie de la planification aux collectivités locales, en partenariat avec le Ministère de l’agriculture. Thaïlande Le ministère du commerce a financé en 2015 une étude de marché biologique nationale mise en œuvre par le Centre de développement de l’agriculture biologique et la Earth Net Foundation. C’était la première fois en Asie du Sud Est qu’un secteur biologique national a été cartographié avec des critères clairs et que des chiffres sur le marché national ont été consolidés pour permettre aux entreprises Thai de planifier leurs investissements dans le développement de produits et la commercialisation. Danemark D’abord via son Ministère de l’alimentation et de l’agriculture, et ensuite à travers son Ministère de la croissance et des entreprises, le gouvernement Danois a alloué quelques 2 millions d’Euros au concept de l’Équipe mobile de développement de produits, qui a été mis en œuvre par Organic Denmark, l’organisation interprofessionnelle de l’agriculture biologique au Danemark. Les équipes, composées d’experts en développement de produits alimentaires transformés a travaillé avec les producteurs et les petites entreprises pour créer des nouveaux produits à valeur ajoutée et développer les compétences marketing correspondantes. Le concept a aussi impliqué des chefs cuisiniers, des designers en packaging et d’autre spécialistes pour une collaboration multi-expertise auprès des producteurs. Sur une période de 5 ans, cette approche a permis le développement de 400 nouveaux produits biologiques. L’équipe conseille aussi dans le domaine des ventes, en mettant en relation les transformateurs avec les détaillants et les entreprises de restauration collective.
E.
Dispositif institutionnel d’encadrement de l’agriculture biologique
Il existe de nombreux scénarios possibles d’encadrement institutionnel de l’agriculture biologique. Ils peuvent aller de la simple unité en charge de l’agriculture biologique au sein d’un ministère, à un programme national permanent et une Agence spécialisée. Nous résumerons ici seulement deux exemples intéressants, à savoir le cas de l’Agence Bio en France et de la Direction Générale de l’Agriculture Biologique en Tunisie. Dans les deux cas, les gouvernements de ces pays ont fait le choix de mettre en place une structure permanente, spécialisée, dotée de financements réguliers et conséquents de la part de l’État, ce qui représente les facteurs principaux de leurs succès. En Tunisie, la Direction Générale de l’Agriculture Biologique est créée en 2009, avec des directions dans chacun des 24 gouvernorats du pays. En 2019, cette direction rassemble 80 personnes à temps plein, répartie entre 15 personnes au niveau central et 65 dans les gouvernorats (au niveau des Divisions de l’Agriculture Biologique / DAB). Les rôles de la DGAB portent sur la coopération internationale AB, le développement du secteur AB (à travers la coordination des outil CTAB, la mise en œuvre de la politique de subvention, le pilotage des
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projets sur les biorégions, etc.), la mise en place du système de contrôle officiel (supervision des OC) et de garantie de la traçabilité des produits, la veille et la facilitation de la commercialisation (explicitement à l’exportation). Dans le cadre de ses fonctions de contrôle, la DGAB exerce la fonction d’Autorité Centrale Compétente (ACC), assurant en cela le suivi et le contrôle des Organismes de contrôle et de certification. En France, en complément des sections et groupes de travail sur l’agriculture biologique au sein des ministères de l’agriculture et de l’environnement, une institution publique spécifique a été créée pour l’agriculture biologique en 2001 : l’Agence Bio, qui est l’agence française de développement et de promotion de l’agriculture biologique. Cette agence a le statut de Groupement d’Intérêt Public, statut à but non-lucratif qui inclut à la fois des organisations publiques et privées. Les membres de l’Agence Bio du côté public sont le Ministère de l’agriculture, et le Ministère de l’environnement (maintenant Ministère de la transition écologique et solidaire). Du côté privé, les membres sont l’Assemblée permanente des chambres d’agriculture, la Fédération des coopératives agricoles, la FNAB (Fédération Nationale des Agriculteurs Biologiques, regroupant les agriculteurs bio) et le Syndicat national des transformateurs de produits naturels et de culture biologique (SYNABIO). En plus de son Conseil d’Administration, composé de représentants des institutions membres de l’Agence, elle fonctionne avec un Grand Conseil d’Orientation composé de représentants de l’ensemble des parties prenantes de l’agriculture biologique, y compris les producteurs, transformateurs, négociants, institutions publiques, organismes certificateurs, associations de consommateurs, instituts de recherche, etc. Cette agence est conçue comme une plateforme nationale pour l’information et l’action concernant le développement de l’agriculture biologique française. En pratique, il s’agit de plus qu’une plateforme de coopération : l’agence compte 15 employés permanents (en 2016) et reçoit des financements réguliers, principalement de la part du gouvernement français et à travers des projets européens. Ses missions sont de communiquer et d’informer sur l’agriculture biologique, y compris sur la production et sur ses impacts, et de faire un suivi du développement national (y compris de compiler les statistiques nationales), de développer le marché national, de promouvoir le label bio, de soutenir le développement du secteur et de faciliter la coopération entre les acteurs et la planification concertée des actions sur le secteur. L’agence gère les financements publics destinés à l’agriculture biologique. L’agence est particulièrement active dans les domaines de la promotion du bio dans les cantines publiques, dans la mise à dispositions d’informations et de ressources en ligne (annuaires, base de données…) pour les consommateurs et les professionnels, et dans le suivi des évolutions du marché. Ce modèle de l’Agence Bio présente de nombreux avantages, notamment celui d’assurer, de manière institutionnelle, la cogestion du secteur biologique entre le public et le privé, mais aussi d’assurer la spécialisation, la continuité et la compétence du personnel en charge de l’agriculture biologique, et une indépendance et stabilité par rapport aux aléas des remaniements ministériels.
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IV. IMPACT DES CADRES REGLEMENTAIRES GENERAUX SUR LES INTRANTS UTILISABLES EN AGRICULTURE BIOLOGIQUE Les gouvernements s’engageant dans un plan stratégique de développement de l’agriculture biologique devraient toujours analyser les réglementations en vigueur sur les intrants et les semences fermières et rectifier toute réglementation éventuelle qui pourrait décourager l’utilisation de ces intrants biologiques. Ceci concerne notamment toute clause rendant illégale ou très difficile l’utilisation de préparations préparées sur la ferme et d’intrants biologiques. Par exemple, dans certains pays, du fait des exigences en matière d’homologation officielle des intrants, il est techniquement illégal pour les paysans d’utiliser des fertilisants ou des préparations végétales non-approuvés officiellement, même lorsqu’il s’agit de préparations réalisées sur la ferme à partir d’ingrédients biologiques. Un problème similaire peut se poser au niveau des exigences légales concernant l’inscription des variétés végétales au catalogue officiel et les critères et procédures d’inscription qui peuvent être trop complexes et inadaptées aux besoins de la filière des semences biologiques. De nombreux gouvernements ont reconnu le danger des pesticides de synthèse pour la santé humaine et l’environnement, et ont donc développé – et cela est légitime - des régulations rigoureuses pour leur homologation avant leur mise sur le marché. Les grosses compagnies agrochimiques arrivent relativement facilement à remplir les conditions de procédure et de construction du dossier de demande d’homologation officielle. Par contre, lorsque les mêmes procédures complexes et coûteuses sont imposées aussi aux intrants bio, qui eux sont encore produits à beaucoup plus petite échelle, les coûts de dépôt des dossiers deviennent prohibitifs et donc entravent la mise sur le marché d’alternatives biologiques aux intrants chimiques. De même, lorsque les exigences et critères classiques d’homologation des fertilisants tels que l’analyse en laboratoire obligatoire de la teneur en métaux lourds et autres produits dangereux sont appliqués de la même manière à tout intrant fertilisant biologique, comme par exemple le fumier provenant de la même ferme ou d’une ferme voisine, alors la réglementation devient une entrave à l’agriculture biologique. Enfin, lorsque les réglementations exigent des intrants fertilisants commerciaux qu’ils précisent sur l’emballage le contenu exact en nutriments, cela peut devenir infaisable pour les compostes et autres fertilisants d’origine naturelle aux compositions plus variées et moins stables que les engrais chimiques. Les réglementations devraient donc permettre à ce type de fertilisants biologiques de donner des teneurs indicatives sur la base de valeurs moyennes. Un exemple de cadre législatif défavorable sur ce plan est la réglementation de l’Union Européenne qui, jusqu’à 2016, n’avait pas de différenciation entre les procédures d’homologation des produits phytosanitaires chimiques et des préparations à base de plantes et autres préparations naturelles. Les exigences concernant les données à fournir pour le dossier d’homologation sont en partie inappropriées ou difficiles à interpréter lorsqu’il s’agit des substances actives des biopesticides, comme par exemple les micro-organismes. De manière générale, les procédures d’homologation décrites dans la réglementation (EC) No 1107/2009 sont conçues pour l’homologation de substances synthétiques qui sont normalement des molécules isolées ayant une efficacité élevée sur des ravageurs ou maladies spécifiques. Bien que des interprétations ont été développées pour plusieurs catégories de substances présentes dans la nature telles que les micro-organismes, les phéromones et les extraits de plantes, des problèmes d’applicabilité persistent, qui ont tendance à encourager l’utilisation d’extraits de plantes purifiés au détriment des préparations moins raffinées. De manière générale, l’Union Européenne a un système d’homologation des intrants biologiques plus lent et plus coûteux que les États Unis. Dans la réglementation Européenne, les substances doivent d’abord être approuvées par la réglementation générale avant de pouvoir être évaluées pour ajout sur la liste des substances utilisables en agriculture biologique (sur les annexes de la réglementation biologique). Ce processus peut prendre plusieurs années, même lorsque la substance est en fait déjà approuvée pour utilisation dans les denrées alimentaires ! (C’est le cas par exemple avec le sucrose qui est resté bloqué des années dans le processus d’autorisation).
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Les frais d’homologation sont souvent très élevés et ne sont pas harmonisés au niveau européen. Heureusement, dans la plupart des États Membres de l’Union Européenne, les frais d’homologations pour les traitements de lutte biologiques à base de virus, bactéries, nématodes et champignons sont quand même beaucoup moins élevés que les frais pour les substances chimiques actives, ce qui limite un peu le problème. On peut citer par exemple, sur la base d’une enquête de 2016, les chiffres suivants : Au Danemark, les frais d’évaluation pour les substances de contrôle biologique étaient fixés à la moitié des frais d’évaluation des substances chimiques (110 000 Euros au lieu de 220 000 Euros). Au Royaume-Uni, les frais d’évaluation étaient de 22 500 ₤ pour les produits de contrôle biologique au lieu de 110 000 ₤ pour les substances de synthèse. Ceci faisait suite à un projet lancé en 2003 et visant à encourager l’homologation des produits de lutte alternative telles que les phéromones, les extraits de plante et les organismes biologiques, avec la réduction des frais d’évaluation comme composante essentielle du projet. Le succès de ce projet a permis la création d’un programme permanent pour les biopesticides à partir de 2006. En Belgique, une procédure spéciale a été lancée en 2007 dans le cadre du programme de réduction des pesticides, pour permettre de faciliter la mise sur le marché de biopesticides. Le projet avait permis la fourniture de conseil aux porteurs de dossiers, la mise en place d’une procédure accélérée pour l’évaluation des biopesticides, des frais réduits et une communication améliorée. Les frais ont été réduits de 100 000 Euros habituellement à 10 000 Euros pour les biopesticides et même à 300 Euros pour les autorisations de produits sur le territoire national seulement. En 2016, la Commission Européenne a lancé une initiative pour réviser la réglementation européenne sur les fertilisants et apporter notamment des solutions aux problèmes des fertilisants basés sur des matières organiques, notamment dans le cadre des efforts menés pour favoriser l’économie circulaire. Après 2 ans de négociation au sein des institutions européennes, la Commission, le Parlement et le Conseil sont tombés d’accord sur une nouvelle réglementation concernant les fertilisants, la Réglementation du 20 Novembre 2008, qui remplacera la réglementation de 2003 à partir de 2022. Cette nouvelle réglementation inclut tous les types de fertilisants, y compris les fertilisants biologiques. Elle a donc une portée plus large. Elle fait aussi maintenant référence aux annexes de la réglementation sur l’agriculture biologique. Cependant, le détail des nouvelles règles, et leur impact sur le secteur biologique ne sera connu que lorsque les réglementations complémentaires seront développées et adoptées, au cours des mois et années à venir. Les États-Unis ont un programme d’homologation des biopesticides similaire à l’approche de la Belgique. L’Agence de protection environnementale des États-Unis (EPA) a une procédure accélérée et simplifiée pour l’autorisation des biopesticides, qui est soutenue par le programme IR-4 de l’université de Rutgers. IR-4 a été initié en 1982 et ensuite considérablement étendu en 1994. Il facilite l’homologation des produits de gestion durable des ravageurs pour des cultures ou utilisations minoritaires. Travaillant en étroite collaboration avec l’EPA, IR-4 a permis de mener à bien 43 autorisations depuis 1994 pour un coût de 2,7 Millions d’Euros, et donne des conseils réglementaires aux fabricants d’intrants. En Suisse, le gouvernement finance le programme d’évaluation des intrants biologiques de l’Institut FiBL. Ce programme est aussi cofinancé par les acteurs du secteur biologique et les compagnies faisant les demandes d’évaluation. En général, si les gouvernements exigent que les préparations naturelles soient homologuées avant d’être utilisables par les agriculteurs, alors ils devraient investir de l’argent public dans le soutien aux demandes d’homologation pour les substances naturelles, car celles-ci ne représentent pas un intérêt économique suffisamment attractif pour les compagnies d’intrants (à cause de la faible taille du marché mais aussi de la possibilité limitée d’obtenir des droits de propriété intellectuelle). Par exemple, quelle compagnie voudrait investir et payer les frais d’homologation pour le purin d’orties ? Si personne ne paye, l’utilisation du purin d’orties peut
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donc se retrouver illégale. Il convient donc de développer des procédures d’évaluation et d’autorisation très simplifiées pour les substances naturelles à faible risque, comme par exemple les poudres de roches, ou encore les substances déjà utilisées pour d’autres usages, comme par exemple le bicarbonate de sodium, ou l’hydroxyde de calcium. Les réglementations devraient aussi prendre en compte le fait que les préparations et substances naturelles peuvent souvent avoir des usages multiples (par exemple, à la fois de protection des cultures et de fertilisant). Le Brésil, par exemple, a réformé son cadre légal pour faciliter l’autorisation des intrants biologiques. La loi de 2003 sur l’agriculture biologique a spécifié que les intrants spécifiquement autorisés en agriculture biologique doivent être sujet à une procédure d’autorisation différentiée et simplifiée. Par la suite, plusieurs décrets et instructions normatives ont détaillé les procédures d’autorisation pour les fertilisants et les biopesticides et les ont dispensés de certaines exigences s’appliquant aux intrants conventionnels, telles que le besoin de conduire des études agronomiques, toxicologiques et environnementales, et de l’obligation d’autorisation des composantes. Les produits faits sur la ferme sont aussi dispensés d’autorisation. Dans le cadre de son plan national pour l’agriculture biologique de 2013 à 2015, le Brésil a soutenu et facilité l’autorisation de plus de 50 intrants différents pour l’agriculture biologique en finançant et commissionnant les études et les tests pour les produits potentiels et en développant des références pour les spécifications, permettant une autorisation plus rapide et moins chère de ces produits. Des questions similaires se posent sur les législations générales concernant la vente de semences et l’inscription des variétés au catalogue officiel. Les cadres réglementaires peuvent, là aussi, être fortement défavorables à l’agriculture biologique. L’une des caractéristiques de l’agriculture biologique est de s’adapter aux conditions locales et de tirer parti de la biodiversité. Il est donc important pour l’agriculture biologique que les producteurs aient accès à un vaste choix de variétés locales, y compris les semences paysannes et les variétés anciennes et rares. Cependant, un certain nombre de législations réglementant l’utilisation, l’échange et la vente de semences empêchent les agriculteurs d’utiliser de telles variétés. Les problèmes principaux posés par de nombreuses législations sur les semences sont les suivants :
Les coûts d’inscription des variétés au catalogue officiel et les coûts de certification des semences sont trop élevés5, et les procédures trop complexes pour permettre aux petites entreprises et agriculteurs maintenant des variétés anciennes et locales de les faire enregistrer et certifier, auquel cas il devient illégal pour eux de les commercialiser. Par conséquent, les exigences en terme d’approbation des variétés réduisent la biodiversité sur le marché de la semence et le choix des variétés cultivables, ce qui réduit la possibilité pour les agriculteurs bio de trouver des semences adaptées à leurs conditions locales. Les exigences techniques d’inscription d’une variété demandent que la variété soit prouvée comme étant distincte, uniforme et stable. En particulier l’exigence d’uniformité est trop difficile à remplir pour les variétés anciennes et les semences paysannes, qui sont génétiquement plus diverses. De plus, il est en fait souhaitable que les variétés utilisables en agriculture biologique soient moins uniformes car elles ont alors une plus grande chance d’adaptation et de stabilité du rendement dans des conditions de stress.
Par exemple, selon la législation européenne sur les semences, toutes les semences qui sont vendues ou échangées doivent être inscrites sur les catalogues nationaux de variétés. Ceci implique des tests très coûteux. Les nouvelles variétés doivent être testées pour leur caractère distinctif, uniforme et stable (DUS) et pour leur valeur pour la culture et l’utilisation (VCU) avant
Par exemple, aux Pays-Bas, les autorités estimaient en 2008 que les coûts d’inscription de la variété et ensuite de certification des semences s’élevaient à environ 1000 Euros par variété. 5
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de pouvoir être acceptées sur les listes nationales et au Catalogue officiel commun de l’Union Européenne. Les test VCU sont conduits sur le plan national pour évaluer l’intérêt local de la culture et de l’utilisation dans les États Membres concernés. Selon une étude de 2010, certains pays de l’UE n’avaient pas, à l’époque, de tests VCU pour l’agriculture biologique et n’avaient pas non plus de tests organisés pour tester les variétés biologiques. Dans ce cas, les agriculteurs doivent se baser uniquement sur les tests en culture conventionnelle pour le choix de leur variété, alors que le test pertinent est celui du champs conduit en agriculture biologique. D’autres pays complémentent les tests avec des tests de variétés biologiques, et certains pays, comme le Danemark, l’Allemagne, la Norvège ou l’Autriche ont développé des tests VCU spécifiques pour l’agriculture biologique. Les frais de dépôt de dossier peuvent s’élever à quelques centaines d’Euros, auxquels il faut ajouter les frais de test des variétés et les coûts annuels de maintenance. Ceci peut être un frein, notamment lorsque les frais pour les variétés biologiques sont plus élevés que pour les variétés conventionnelles (par exemple au Danemark où les variétés biologiques doivent payer un supplément pour les tests en conditions biologiques, ce qui porte le montant total à 3 900 Euros). Les frais annuels de maintenance peuvent s’élever à 900 Euros par an (comme en Allemagne). Par contre, certains pays, comme l’Autriche, ont délibérément fixé des prix plus bas pour les variétés biologiques que pour les variétés conventionnelles, ce qui est évidemment positif. Certaines législations dispensent les variétés locales et traditionnelles des exigences d’inscription et de test6. Cependant, la multiplication de ces variétés dites « de conservation » est limitée à 0.3 à 0.5 % (selon les cultures) du total du marché de la semence pour les cultures concernées ou la quantité nécessaire pour semer 100 ha, ce qui restreint effectivement leur utilisation commerciale et fait que ces variétés ne sont pas des options viables pour la plupart des agriculteurs biologiques. De plus, seulement quelques variétés (et essentiellement des légumes) ont été pour l’instant listées selon ces directives dans quelques États Membres. On observe tout de même un progrès au niveau de l’adaptation de la réglementation européenne aux besoins des agriculteurs biologiques en termes de semences et notamment sur la question de la possibilité d’utiliser des variétés génétiquement hétérogènes. La nouvelle réglementation biologique européenne (EU) 2018/848 contient des clauses à cet effet. Cependant, tout dépendra des détails réglementaires qui restent à définir par la Commission Européenne dans les mois à venir, et de leur mise en œuvre. L’exemple du Brésil est plus favorable à la promotion des variétés locales et traditionnelles. L’article 12 de la loi sur la politique nationale en faveur de l’agriculture biologique (le Décret Nº 7.794 de 2012) introduit un changement important dans le décret nº 5.153 de 2004 sur le système national pour les semences et les plants. Il dispense les petits agriculteurs familiaux et les groupes traditionnels, ainsi que les coopératives et associations, de l’obligation d’inscrire une variété au catalogue officiel national. Ce changement a levé un obstacle important qui privait auparavant les agriculteurs de leur droit de conserver et d’échanger des semences. Il constitue aussi une preuve de reconnaissance du rôle important joué par les paysans et les communautés traditionnelles dans le maintien de la biodiversité grâce à la conservation et la propagation des variétés locales. Plus récemment, des progrès ont pu être observés concernant les réglementations sur l’échange de semences. Par exemple, en 2015 et en 2016, les États du Minnesota, Nebraska, Illinois et Californie ont voté des lois qui dispensent les activités non-commerciales d’échange de semences des obligations réglementaires. Depuis 2016, le Danemark a aussi exempté l’échange de semences (puisqu’il s’agit d’une activité non-commerciale) de la conformité avec les réglementations européennes, ce qui signifie que toutes sortes de semences peuvent être échangées, et pas seulement les variétés de conservation. L’interprétation légale danoise C’est notamment le cas des Directive Européennes 2008/62/EC du 20 Juin 2008 et de la Directive de la Commission 2009/145/EC du 26 Novembre 2009. 6
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dispense aussi les ventes de semences non-commerciales, telles que les semences destinées aux jardiniers amateurs, de la conformité avec la législation européenne sur les semences. Dans certains pays il existe aussi des réglementations avec traitements phytosanitaires obligatoires pour les semences, ce qui pose des problèmes aux producteurs biologiques lorsque ces traitements sont interdits par les cahiers des charges biologiques.
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CONCLUSIONS : CONSIDERATIONS STRATEGIQUES POUR LE MAROC Malgré les efforts du gouvernement en faveur de l’agriculture biologique et les investissements réservés à ce secteur au Maroc, l’agriculture biologique s’est développée de manière assez faible sur la dernière décennie, en comparaison de sa croissance dans d’autres pays, et notamment dans les pays de la région. On observe notamment au Maroc une croissance bien inférieure à celle des pays comme la Tunisie, l’Espagne, la Turquie, ou l’Italie, qui concurrencent le Maroc sur un certain nombre de produits. Ce rapport donne plusieurs pistes auxquelles le gouvernement Marocain pourrait s’intéresser pour améliorer l’efficacité de son action en faveur du développement de l’agriculture biologique au Maroc et la rendre compétitive sur le plan international. Pour l’instant, les efforts se sont concentrés sur le développement de la réglementation nationale, ce qui est certes un plus pour la confiance des consommateurs sur le marché marocain mais qui ne va pas directement soutenir le secteur de l’exportation, puisque celui-ci se base de toute façon sur les règlementations des pays importateurs. En effet, la révision de la réglementation et des stratégies de la Commission Européenne fait que le Maroc ne peut pas espérer à court terme une équivalence avec l’Union Européenne en terme de sa réglementation biologique, et que, même si cela advenait dans le future, rien ne laisse penser que cela ferait baisser les coûts de production ou de certification pour les opérateurs biologiques Marocains (cf., la Tunisie). D’autre part, le conditionnement des subventions à la certification nationale, alors que la quasi-totalité des entreprises est tournée vers le marché à l’export et que le développement des exportations est l’objectif politique principal, explique en grande partie la sous-utilisation des budgets alloués au soutien au secteur biologique. Il est donc maintenant temps de s’intéresser à la mise en œuvre de mesures de soutien complémentaires, notamment visant le soutien du secteur à l’exportation car cela semble un objectif important pour le gouvernement marocain. Le Maroc a encore une grande marge de progrès par rapport au développement de la formation académique et professionnelle en agriculture biologique, ainsi que sur le soutien à la recherche et à la vulgarisation dans ce secteur. Ce sont là des investissements qui bénéficieront à tous les opérateurs biologiques (que ce soit sur le marché domestique ou pour l’export), et qui pourront aussi apporter des bénéfices au-delà du secteur biologique, par exemple pour la lutte intégrée dans l’agriculture conventionnelle, et donc une agriculture marocaine globalement plus verte. L’exemple tunisien sur ces domaines peut fortement inspirer le Maroc. La question des intrants utilisables en agriculture biologique est, au Maroc comme ailleurs, une clé du développement du secteur. Le Maroc pourrait s’inspirer sur ce plan des politiques de plusieurs pays, notamment des pays d’autres continents telles que l’Inde, les Philippines ou encore le Mexique. Il faudrait aussi analyser l’impact des réglementations générales marocaines à l’encontre des intrants agricoles (fertilisants, pesticides et semences), car il est fort probable que ces réglementations représentent un frein au développement de l’agriculture biologique. L’expérience d’autres pays, et notamment le Brésil et l’Union Européenne, montre qu’une analyse de ces réglementations révèle en effet l’existence d’effets néfastes sur le secteur bio, et qu’il est possible de réviser ces réglementations pour remédier à ces contraintes en insérant des clauses spécifiques pour l’évaluation et l’homologation des intrants bio. Sur le plan de l’encadrement institutionnel pour l’agriculture biologique au Maroc, il est clair que le renforcement à la fois des capacités au niveau du secteur public et du secteur privé sont nécessaires. Cela passerait d’une part par un soutien financier à l’organisation faitière comme cela se fait dans de nombreux pays, c’est à dire la FIMABIO, pour s’assurer au moins de la professionnalisation de l’organisation avec au moins 2 personnes salariées à temps plein, et d’autre part, la création au sein du secteur public d’une institution, ou à défaut d’une unité spécialisée, sur l’agriculture biologique, qui serait en charge de coordonner à la fois les aspects réglementaires et les politiques de soutien. Quelle que soit la forme institutionnelle
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choisie, nous recommandons qu’elle respecte la règle des 3 « C », c’est à dire qu’elle garantisse : -
La Compétence des agents publics en charge de l’agriculture biologique. Cela peut se faire en recrutant des personnes déjà expertes en agriculture biologique, ou en les formants par des formations spécifiques avec l’appui d’experts d’autres pays, La Continuité du service et des rôles par rapport à l’agriculture biologique, avec notamment un budget minimum annuel garantit et des fonctions de base bien définies par le cadre légal, La Collaboration avec le secteur privé et ses représentants, notamment grâce à l’intégration à titre paritaire, des représentants du secteur privé dans les organes de pilotage des activités et de définition des stratégies nationales guidant le travail de l’unité.
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