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Tendances, chiffres et évolutions

par Zyad Limam

Destin Abidjan, à l'épicentre

ELLES SONT PEU NOMBREUSES FINALEMENT CES VILLES « AFRO-GLOBALES », qui bougent, qui rayonnent. Où l’on se projette avec un relatif optimisme, où l'on sent du dynamisme, de l’ambition, de « la taille ». Des villes ouvertes sur leur région, sur le continent, sur le monde, avec un métissage des peuples et des cultures, et une ambition business. Bienvenue à Abidjan, capitale économique de la Côte d'Ivoire (la capitale politique est officiellement Yamoussoukro depuis 1983, mais tout cela reste juste officiel…). Né de l'histoire coloniale, Abidjan a su se forger sa propre identité. Devenir elle-même, avec un soft power bien réel, ses musiques, ses artistes, ses fashionistas, ses opportunités qui attirent investisseurs et aventuriers…

Elle a souffert aussi. Depuis la fin des années 1990. Et plus douloureusement encore au lendemain de la crise électorale de novembre 2010. Abidjan était à genoux, exsangue. Les traces des combats étaient sur les murs. L'eau et l’électricité manquaient. Depuis 2011, avec l’arrivée d'Alassane Ouattara au pouvoir, la Perle des lagunes a entamé sa renaissance. La Côte d’Ivoire est sur le chemin d’une croissance rapide, avec une moyenne de 8 % par an. Malgré la pandémie de Covid-19, elle a fait partie du club très fermé des 22 pays à avoir affiché une croissance positive en 2020, avec des perspectives encourageantes depuis. Le PIB du pays a doublé depuis 2011 et devrait atteindre près de 100 milliards de dollars à l'horizon 2030. Abidjan, avec ses 7 millions d'habitants, est à la fois l'épicentre et le symbole de ce second miracle ivoirien. C'est ici que ça se passe. C'est ici que l'on vient chercher fortune, créer, investir. Les avions et les hôtels sont souvent pleins, les investisseurs cherchent des opportunités. La Banque africaine de développement (BAD) y a réouvert son siège central en septembre 2014. L’Organisation internationale du cacao (ICCO), implantée depuis 1973 à Londres, s'est installée en avril 2017. Le président Ouattara a entrepris une spectaculaire opération de rénovation du patrimoine immobilier de l’État (tour Postel, tours administratives, tour F, Palais des hôtes, Hôtel Ivoire…). D'importants projets d'infrastructure ont été lancés pour adapter la ville à la modernité, au nouveau siècle : l’inauguration du 3e pont (décembre 2014), les chantiers du 4e et du 5e pont, les échangeurs Solibra et de l'Indénié, le projet de métro, enfin en phase de démarrage, et aussi le Parc des expositions, le projet d'aménagement de l'aéroport Félix Houphouët-Boigny, le projet de transport urbain… Les chantiers sont permanents. Il s'agit tout à la fois de rattraper le retard des décennies perdues (2000-2020), de sortir de la congestion et des embouteillages, et de préparer l'avenir. Cœur battant de l’économie nationale, Abidjan pèse « lourd », peut-être trop lourd. Aujourd'hui, elle représente près de 70 à 80 % du PIB du pays. Et le défi pour l’État est bien de porter le développement hors les murs de la ville, décentraliser la croissance vers les autres Côte d'Ivoire. C’est l’objectif du gouvernement dirigé par Patrick Achi. L'hyper-concentration accentue les stress. Les inégalités sont brutales, plus ici qu'ailleurs dans le pays. Certains quartiers évoqueraient presque la Californie (vers Riviera, par exemple). Les enclaves de pauvreté, les habitats anarchiques soulignent visuellement l'urgence des politiques sociales et de réhabilitation urbaine à long terme. La densité, la taille entraînent un véritable défi écologique, de traitement des déchets, des eaux, d'assainissement de la lagune.

Mais « Babi » a la foi. Ici, entre lagune et océan, à l'ombre des tours et des ponts, entre maquis et marchés, entre l'urbanité riche et l'urbanité pauvre s'écrit certainement l'un des chapitres de l'Afrique du futur. ■

Identités Les villes dans la ville

TOUT D'ABORD, ABIDJAN, c'est administrativement et officiellement un district autonome, aujourd'hui dirigé par le gouverneur Robert Beugré Mambé. Il regroupe les 10 communes d'origine (Abobo, Adjamé, Attécoubé, Cocody, Le Plateau, Yopougon, Treichville, Koumassi, Marcory, Port-Bouët), plus quatre sous-préfectures adjacentes (Bingerville, Songon, Anyama, Brofodoumé). Chacune de ces communes se vit, se ressent comme une ville à part entière. Avec son maire, élu, mais aussi sa culture urbaine, son identité, sa densité. La lagune et les distances créent des sphères d'autonomie. Chacune mériterait son livre d’histoire, son guide adapté… Yopougon, avec son 1,5 million d’habitants, est elle toute seule la plus grande ville de Côte d'Ivoire. Plus au nord, Abobo lui contesterait presque ce rang, avec son 1,3 million d'habitants, et dont le regretté Hamed Bakayoko, qui en fut maire, disait : « Ici, c'est un peu comme la CEDEAO, avec toutes ces nationalités qui cohabitent… » Le Plateau, première vitrine du miracle ivoirien, cherche une seconde jeunesse. Cocody cultive son chic et son étendue (vers les Deux Plateaux, Riviera…). Marcory (avec sa fameuse Zone 4) et Koumassi (avant, on disait « la ville au-delà des ponts ») restent les épicentres du commerce et de la nuit. Treichville, nostalgique, voudrait retrouver sa place de plus grand marché d’Abidjan. Pendant que Port-Bouët, la rebelle, s'engage dans le futur avec les nouveaux développements près de l’aéroport Félix Houphouët-Boigny. À ces identités multiples, on pourrait ajouter aussi les plus ou moins 30 « villages » ébriés ou attiés répertoriés, certes fondus dans la cité, mais qui gardent chacun des traditions, des juridictions informelles… Et puis, comment ne pas évoquer tous les nouveaux venus, les immigrants de la région, mais également de plus loin en Afrique, la communauté libanaise, consubstantielle à l'abidjanité, les Français, les Vietnamiens, les Chinois, les Tunisiens, tous les autres attirés par les lumières de la ville… Bref, une cité afro-globale de près de 7 millions d'habitants, un melting-pot assez phénoménal de langues, de cultures, d’énergies, de rêves, d'ambitions… ■

Politique L'année des élections

EN OCTOBRE ET NOVEMBRE PROCHAINS se tiendront les élections locales et régionales. Abidjan sera l'un des enjeux majeurs de ce scrutin avec le renouvellement des conseillers municipaux, et donc des maires, des 10 communes du district. En 2018, au niveau national, les partisans de la majorité présidentielle avaient conquis 92 communes, contre 50 pour le Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI). Mais côté Abidjan, les résultats avaient plus contrasté, avec quatre mairies, contre six pour le PDCI-RDA. Le scrutin de 2023 représente donc un intérêt majeur pour le parti au pouvoir, en particulier dans la capitale économique. Abidjan rassemble plus du tiers des votants inscrits dans le pays. Les résultats auront un sens particulier dans la perspective des élections présidentielles de 2025. Et depuis les législatives de mars 2021, les plus ouvertes et les plus inclusives depuis l'indépendance, une tradition de compétition politique à la (presque) loyale s’installe… Les grands barons sont convoqués pour la bataille. Adama Bictogo, président de l'Assemblée nationale, se présentera à Yopougon. Le communicant à succès Fabrice Sawegnon devrait s'attaquer à la mairie du Plateau. Tout comme le patron du port, Hien Yacouba Sié, qui devra chercher à ravir la mairie de Port-Bouët… À l'heure où ces lignes sont écrites, les jeux sont particulièrement ouverts. Et les alliances locales ou nationales ne sont pas à exclure. Fin 2022, une opération de renouvellement et d’enrôlement sur les listes électorales a été menée. De nouveaux électeurs majeurs se sont inscrits, plus jeunes, ajoutant une touche d'imprévisibilité naturelle à ces scrutins… ■

Défi Développements durables

ABIDJAN SE DÉVELOPPE, la population s’accroît, le niveau de vie et la densité augmentent. Mais l’ensemble tient sur un écosystème lagunaire particulièrement fragile. Et les pollutions se multiplient. La ville doit faire face à un véritable défi environnemental. Traitement des eaux, gestion des pluies, des déchets industriels et urbains, des plastiques, de la qualité de l’air, protection et valorisation des espaces verts, usure des berges… les urgences sont multiples. Les plastiques et les résidus industriels représentent un danger particulier. Ils ne sont pas biodégradables, s’accumulent sur les berges et menacent les communautés (riches ou pauvres) sur les berges. Côté pouvoir public, la prise de conscience est progressive et réelle. La décharge d’Akouédo [voir pages 12-13] a été fermée et devrait se transformer en parc urbain. Les travaux d’infrastructures visent à décongestionner le trafic et son impact sur la qualité de l’air. On parle de plus en plus de solutions électriques. Objectif : faire muter 30 % du parc dans les années à venir. Enfin, il faut aussi souligner l’important projet de sauvegarde et de valorisation de la baie de Cocody et de la lagune Ébrié (PABC), porté par le gouvernement du Premier ministre Patrick Achi et le royaume du Maroc. Une approche écolo-urbaine particulièrement ambitieuse avec le traitement des eaux et des déchets, la création d’une marina, la construction du 5e pont (Plateau-Cocody) et du rond-point de l’Indénié. Et enfin, l’ouverture de l’embouchure du fleuve Comoé, à Grand-Bassam, pour soulager les eaux de la lagune Ebrié. La clé du futur restera la prise de conscience globale et la mobilisation de tous les acteurs : population, État, entreprises, société civile… ■

Événement Objectif, coupe d’Afrique

C’EST DANS À PEINE UN AN. L’Afrique et le monde auront les yeux braqués sur Abidjan, Bouaké, San Pedro, Korhogo, Yamoussoukro, les yeux braqués sur la Côte d’Ivoire, où se jouera la 34e Coupe d’Afrique des nations de football (CAN). Un retour en Éburnie, quasiment quarante ans après la dernière édition du tournoi au pays (1984). Un véritable événement, un pari en matière d’organisation et d’accueil pour les villes hôtes. 24 équipes participeront à la compétition. Et tout un pays se prépare à soutenir l’équipe des Éléphants, dont le palmarès n’est pas si mal, avec deux trophées continentaux en 1992 et 2015 (et deux finales perdues en 2006 et en 2012). La route vers cette CAN aura été longue et sinueuse, avec en particulier un report de dates afin d’éviter la saison des pluies de juin-juillet, pour le climat plus sec de janvier-février. Les frictions entre les uns et les autres, entre les différences instances (comité d’organisation, fédération, ministère…), et l’épidémie de Covid-19 n’auront finalement pas trop ralenti la mise en place des infrastructures nécessaires, en particulier avec la construction des nouveaux stades (Bouaké, Korhogo, San Pedro, Ebimpé…). Abidjan sera au cœur de l’événement. Ce sera le « camp de base » de la plupart des officiels, des VIP et des personnalités du monde entier. Ce sera l’épicentre du monde du football : associations, Confédération africaine de football, et délégués de la toute-puissante FIFA. Et ce sera aussi un lieu de compétition majeur. Le tout nouveau stade olympique Alassane Ouattara à Ebimpé, construit avec la Chine, a été inauguré le 3 octobre 2020. L’enceinte multisport et multimodale, d’une capacité de 60 000 places, se présente comme l’une des structures sportives les plus modernes du continent, et accueillera évidemment le match d’ouverture et surtout la finale. À quelques kilomètres de là, en plein cœur du Plateau, en bord de la baie de Cocody, le « vieux » stade Félix Houphouët-Boigny a été entièrement rénové, avec une capacité portée à 40 000 places. Tout est presque prêt donc. Et vivement que la fête commence ! ■

Les gens, les lieux, les sons et les couleurs

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