7 minute read

génération

Next Article
EN MODE NOUCHI !

EN MODE NOUCHI !

Il existe des solutions pour construire à moindre coût ?

S.D. : Absolument. On peut sortir d’une architecture qui n’utilise que le parpaing.

S.S. : La réflexion doit se porter sur l’industrialisation de la chaîne de production.

Vous avez évoqué l’ample programme de logements sociaux. Mais il a connu un « faux départ » avant d’être relancé. Il semble cette fois plutôt mieux parti.

S.D. : Ce coût a en effet explosé. C’est un élément de la réflexion sur la manière de résorber le déficit d’unités. Avant même de penser à la construction, il faut dire que le prix du foncier a largement augmenté ! Le terrain reste la valeur refuge pour un placement spéculatif. Évidemment, tout le monde ne peut pas acheter un terrain pour se construire une maison individuelle. C’est pourquoi on se tourne vers des solutions de verticalité. L’extension de la ville est galopante. Pour autant, cette dernière ne doit pas devenir une nébuleuse. Nous sommes contraints de mener cette réflexion autour de la verticalité. L’Africain n’aime pas vivre dans des immeubles car la gestion en communauté est souvent compliquée chez nous. Mais il existe des verticalités intermédiaires, adaptées à nos styles de vie. Nous nous sentons à l’aise, par exemple, dans de petites unités d’immeubles de deux ou trois étages, des maisons jumelées, dos-à-dos ou latéralement, comme en Angleterre : chacun a sa maison, et son entrée particulière. Voilà une première solution de densité structurée alternative à la maison individuelle. Concernant le coût des matériaux, il faut industrialiser le secteur de la construction, sinon on ne pourra pas accompagner les projets de développement des logements sociaux. Pourquoi, en Europe, parvient-on à construire moins cher ? Parce que l’histoire du logement social est étroitement liée à celle de l’industrialisation des matériaux et des procédés de construction. Ils utilisent des matériaux locaux et les transforment. Ce n’est malheureusement pas le cas chez nous. On achète très cher les terrains, ensuite on importe des produits tels que le ciment et le fer, dont les coûts ont explosé. Tous ces matériaux sont remplaçables par certains produits que l’on trouve sur place. On peut, par exemple, utiliser du bambou à la place du fer pour les armatures des maisons de plain-pied. Ce procédé est très utilisé par les Asiatiques, notamment en Indonésie. En fait, en Afrique, nous avons perdu les habitudes et le savoir-faire de nos anciens, qui construisaient sans se ruiner.

S.S. : Il faut d’abord définir la notion de « logement social ». Pour moi, il n’existe pas en tant que tel. Un logement dit « social » ne doit pas être un « sous-logement », de piètre qualité ou non fonctionnel. Il doit respecter toutes les normes. En revanche, ses conditions d’acquisition peuvent être sociales. Il ne faut pas catégoriser les constructions mais penser que, pour un logement donné, une partie de la population pourra l’acquérir grâce à une procédure d’achat social, en fonction de certains critères. Cela nécessite un engagement fort de l’État, à travers des subventions. Sans cela, ce n’est pas possible. Nous avons un programme de 150 000 habitations sociales à réaliser. Pour nous, en tant que promoteurs, cela représente deux types de risque : celui de performance, d’abord. Autrement dit, le constructeur que l’on choisit doit respecter le cahier des charges et toutes les normes de construction, ainsi que les délais. Il faut donc des professionnels tout au long de la chaîne. Et puis le risque de commercialisation. Évidemment, ces logements, il faut les vendre, et si l’État n’apporte pas les subventions nécessaires pour accompagner ce type d’opération, il nous est impossible de le faire dans des conditions que j’appelle « sociales ». L’État, de ce point de vue, joue-t-il le jeu ?

S.S. : Depuis le début, l’État a joué son rôle en accompagnant le programme et en mettant en place une fiscalité attrayante (exonérations, facilités à l’acquisition des sites, etc.). Mais cela ne suffit pas. Il doit faire beaucoup plus, à savoir d’abord se constituer un patrimoine immobilier destiné à la location. Tout le monde ne peut pas être propriétaire, cela n’est possible dans aucun pays… Et près de 1 million de personnes vivent dans les quartiers précaires. Comment les reloger si l’État n’a aucun patrimoine ? Ce n’est pas moi qui vais pouvoir le faire en tant qu’individu… Ces personnes loueraient à bas coût des appartements proposés par l’État. Ensuite, viendrait une phase d’acquisition directe pour ceux qui peuvent le faire. Il existe aussi le système de la location-vente. C’est sur ce sujet que nous travaillons avec les services de l’État. Évidemment, la location-vente nécessite une subvention publique. Soit l’État est la contrepartie, soit il aide le promoteur à commercialiser. Le programme de logements sociaux est-il sur de bons rails ?

S.S. : Maintenant, oui. Il fallait mettre en place certaines réformes, qui sont en cours. Sur le plan de la commercialisation, par exemple, une aide aux revenus très faibles, qui évoluent dans le secteur informel, a été mise en place. Même pour ceux qui ne sont pas bancarisés. Le Smic est à 60 000 francs CFA, c’est compliqué de se loger avec un tel revenu. Après négociation, un fonds de garantie a été mis en place. Nous attendons qu’il soit alimenté. Je pense aussi qu’il faudrait mettre en place une parafiscalité pour abonder le fonds. Pensez-vous que ce programme de logements sociaux permettra à chacun d’avoir un toit sur la tête ? Ou le déficit de logements risque-t-il de perdurer ?

S.D. : Je pense que le déficit va diminuer. L’urbanisation anarchique est le fait de catégories sociales défavorisées. Si, grâce à l’assistance de l’État, on règle la question du logement pour ceux qui n’ont pas les moyens de la prendre en charge seuls, on résout une grande partie du problème. On évite les bidonvilles ! Lorsque vous pensez un projet immobilier, tenez-vous compte de la beauté du site que vous concevez et de la qualité de vie des habitants ? Est-ce qu’Abidjan peut être agréable à vivre ?

S.D. : On peut penser une ville agréable, mais pas sans certains préalables. Par exemple, l’espace vert par habitant se calcule. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) propose une norme de 12 m2 par habitant. À Abidjan, je ne pense pas qu’on atteigne 1 m2. Forcément, c’est un problème pour la qualité de vie. Pourtant, 12 m2, ça ne paraît pas extraordinaire. Cette réflexion sur la qualité de vie doit être incluse dans le plan directeur. Les espaces verts sont dédiés à la promenade, ils sont inclus dans les résidences, avec des aires de jeux pour les enfants, etc. Deuxième point, vous l’avez remarqué, il y a assez peu de trottoirs. Les gens marchent sur les routes. On a vu que ce phénomène facilite le développement du commerce, mais pas vraiment la sécurité ni la qualité de la vie des populations. Tant que ce type de réflexion préalable n’est pas mené, on ne peut songer à améliorer la qualité de vie.

S.S. : Il y a la conception de la ville et celle des programmes immobiliers. Ça fonctionne ensemble. Notre objectif est de créer un cadre de vie agréable pour les habitants, en ville et dans leur cité. La beauté, pour nous, ce n’est pas forcément la beauté visuelle ! La beauté d’une ville est qualitative. C’est qu’on s’y sente bien. Il ne peut pas y avoir de rupture entre la ville et la cité. Les villes nouvelles ont l’avantage de partir d’une page blanche. On peut concevoir une bonne planification urbaine, qui tienne compte de tous les éléments d’un cadre de vie agréable. Cela va régler beaucoup de problèmes. On vivra tranquille, à l’aise dans de petites villes écologiques, bien conçues, respectant les normes internationales.

Pour Abidjan, peut-on rattraper ce qui ne va pas ou doit-on laisser les choses en l’état et se concentrer sur la construction des villes nouvelles ?

S.S. : On ne peut pas laisser les choses en l’état. Il s’agit d’améliorer ce qui peut l’être, mais cela coûte extrêmement cher. L’assainissement, par exemple, qui a été le parent pauvre dans le domaine de la construction à Abidjan. Tout remettre à niveau coûte cher. C’est une action à la fois indispensable et invisible. Il faut mettre à niveau ce qu’on peut, mais la solution se trouve à l’extérieur de l’agglomération, dans les villes nouvelles. Et les mentalités doivent évoluer parce que, culturellement, il n’est pas évident d’imposer une qualité de vie venue d’ailleurs et qui n’est pas encore dans les mœurs. Penser les villes nouvelles, c’est aussi tenir compte de la lente évolution de nos cultures. Comment voyez-vous Abidjan dans vingt ou trente ans ?

S.S. : Je vois une grande mégalopole, mais avec des zones centrées, organisées. Je crois que l’on commence déjà à vivre cela. Chacun évolue dans son milieu, dans son environnement. Les gens des Deux-Plateaux, souvent, vivent et travaillent dans ce quartier. C’est aussi le cas en Zone 4. Quand on regarde ce qui est proposé à Abatta, un nouveau quartier justement, on tend vers ce fonctionnement « localisé ». Les villes nouvelles vont suivre ce schéma.

S.D. : Et c’est très bien parce que l’impact est déjà positif sur l’environnement. Il y a moins de problèmes de trafic, de transport. La vie quotidienne s’en ressent positivement. L’un des aspects de la qualité de vie, ce sont les transports en commun. Ils sont encore trop peu développés à Abidjan.

S.S. : L’amélioration du plan directeur va permettre de régler le problème de la mobilité. On va mettre la lagune à contribution ! On se déplacera en bateau. Et puis, de plus en plus, l’Ivoirien s’adapte aux réalités de la vie d’aujourd’hui : on n’est pas toujours obligé de se déplacer pour travailler. Le télétravail se développe considérablement. D’ici trente ans, beaucoup de problèmes seront réglés : les embouteillages, par exemple ; tout ce qui est assainissement, avec les travaux qui sont en cours. Toutes les canalisations seront refaites. Il y aura toujours des zones plus riches, c’est tout à fait normal, c’est ainsi dans toutes les villes. Mais je veux dire qu’une certaine harmonie de vie se profile. Dans trente ans, Abidjan sera la ville la plus attrayante qui soit, pas seulement en l’Afrique de l’Ouest. ■

This article is from: