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Hachim Diop De l'espoir à Bingerville
from AM Hors série
by afmag
L’hôpital mère-enfant, fondé en 2018 par la première dame de Côte d’Ivoire, Dominique Ouattara, et sa fondation Children of Africa, fêtera ses 5 ans en mars prochain. L’occasion pour son directeur général de faire le bilan sur le chemin accompli et sur une offre de soins unique dans la sous-région. propos recueillis par Philippe Di Nacera
L'HME se situe à Bingerville, une des communes d'Abidjan.
Ensuite : Pouvez-vous nous rappeler les raisons et les objectifs de la création de l’hôpital mère-enfant (HME) ?
Hachim Diop : À l’origine, l’idée était de créer une structure spécialisée qui n’existait pas en Côte d’Ivoire, dont la vocation est de réduire la mortalité des enfants et des mères. C’est la ligne directrice du concept. L’objectif étant aussi de permettre aux Ivoiriennes d’avoir accès à une qualité de soins élevée, à coût abordable.
Un hôpital accessible à toute la population en somme ?
L'HME est un établissement de haut niveau destiné à tous. L’esprit et le modèle économique sont la solidarité. Vingt-cinq pour cent des consultations concernent des personnes en situation d’indigence ; les actes, entièrement pris en charge, sont supportés par les autres patients. Grâce au chiffre d’affaires réalisé, nous parvenons à financer les soins des plus nécessiteux. Pour ceux qui paient, le coût des soins est-il beaucoup plus cher qu’à l’hôpital public ?
Ce coût est un peu plus élevé (entre 20 et 30 % de plus), mais reste bien en dessous de celui pratiqué par les cliniques privées (de l’ordre de 20 à 50 % moins cher).
Ces tarifs sont-ils justifiés par les équipements ?
Oui, car le matériel est de très haute qualité. Les structures également. La maintenance est lourde. Nous investissons aussi beaucoup dans la formation continue du personnel de toutes catégories (médecins, infirmiers, sages-femmes, etc.). Par ailleurs, pour chaque spécialité, un médecin est disponible 24 heures sur 24, ce qui réduit le délai de prise en charge en urgence. Ces dispositifs induisent des dépenses importantes. Le modèle de gestion et la forme juridique de l ’établissement sont également particuliers. Est-ce une volonté de marquer la différence avec un établissement qui doit gagner de l’argent ?
Oui, en effet ! L’hôpital mère-enfant est une structure associative à but non lucratif, qui n’est pas un modèle unique en Côte d’Ivoire. Plusieurs établissements sont similaires au nôtre, comme l’hôpital Saint-Jean-Baptiste de Bodo. Nous ne versons pas d’argent à des actionnaires ou à des propriétaires. Tous les bénéfices sont réinvestis dans la structure, ce qui fait que nos bilans sont à zéro. C’est le premier élément qui démontre notre volonté d’être au service des populations. Cette forme juridique est également le meilleur moyen de promouvoir, j’y reviens, la solidarité. Il s’agit là d’un modèle équilibré et très neutre, sans intérêt financier. Nous vivons tout de même une forme de pression financière, dans la mesure où nous devons prendre en charge 25 % d’indigents, ce qui nous oblige à proposer un fonctionnement particulièrement compétent. Bien sûr, nous préservons les patients de cette pression. Toute personne qui se présente à l’hôpital est soignée avant que se posent des questions d’argent.
La première dame a inauguré l'établissement le 16 mars 2018.
En quoi consiste votre travail de gestionnaire d’un tel établissement ?
Je veille à maintenir le système performant dans son fonctionnement. L’objectif est de limiter la perte d’argent, de parvenir à nourrir toutes nos ambitions, de développer des projets de soins innovants, de maintenir un équipement de très haut niveau, de former le personnel et, surtout, de soigner le plus de gens possible. C’est cette équation que je dois résoudre tous les jours.
Quel bilan tirez-vous de ces cinq premières années d’activité ? Les objectifs fixés ont-ils été atteints, selon vous ?
Je dirais que, « mathématiquement », les objectifs sont atteints, oui. Nous sommes là où nous devions être en matière d’évolution d’activité, d’équilibre financier, de développement du nombre de prises en charge, selon le business plan qui a été fait en 2013 ou 2014. C’est la preuve que le concept a été très bien pensé dès le début. Quand on connaît un peu Madame Dominique Ouattara, qui est très rigoureuse, on comprend pourquoi, depuis sa conception, le projet est sur de bons rails.
Quelles spécialités médicales sont offertes aux Ivoiriens, tant en matière d’hospitalisation que de consultation externe ?
Presque toutes les spécialités pédiatriques sont disponibles : pédiatrie, chirurgie, ORL, ophtal mologie, cardiologie, odontologie, neurologie, neuropsychiatrie, hématologie, endocrinologie, néphrologie, diététique, médecine physique et de réadaptation, psychologie, psychomotricité, orthophonie, etc. Du côté de l'hospitalisation, notre principal service est la pédiatrie médicale, qui est le cœur de notre activité. Auquel s’ajoutent la chirurgie et les urgences, avec la présence permanente de chirurgiens-pédiatres (nous devons être les seuls en Côte d’Ivoire, aujourd’hui, à proposer ce dispositif). Le volet « Enfant » comprend un service d’oncologie pédiatrique, capable de prendre en charge toutes les pathologies liées aux cancers pédiatriques. Le volet « Mère », notre département gynécologie-obstétrique, est assorti d’un bloc et d’un service d’hospitalisation. L’établissement dispose aussi d’un service de médecine polyvalente, dont le rôle est de recevoir certains cas de consultations externes qui arrivent à l’hôpital dans un état dégradé. Nous avons également un département de néonatologie, un service de soins critiques. Le nombre de couveuses n’étant pas excédentaire en Côte d’Ivoire, nous y recevons des enfants venus d’autres hôpitaux. Enfin, nous possédons un service d’anesthésie-réanimation et un centre de fertilité. Si l’on prend en considération les consultations externes, le nombre de spécialités proposées est bien plus large… Beaucoup plus ouvert, effectivement. C’est là où le modèle est intéressant.
Les pères peuvent-ils venir ?
Parfaitement. Les pères, les grandspères aussi. Les mères, les filles, les sœurs ! En consultation externe, l’hôpital est ouvert à tous. Notre offre de soins comprend les unités suivantes : médecine générale, dentisterie, ophtalmologie, cardiologie, psychologie, psychomotricité, orthophonie, nutrition. Ainsi que tous les supports de soins : laboratoire d’analyse, imagerie, scanner, IRM, etc.
L’hôpital rayonne-t-il également à l’international ?
L’établissement accueille de plus en plus de patients venant de tout le pays. Certains d’entre eux sont régulièrement orientés vers l'HME par des structures sanitaires situées à l’intérieur de la Côte d’Ivoire. Nous avons beaucoup communiqué avec ces structures, et des liens se sont tissés entre nous. L’hôpital mère-enfant de Bingerville est identifié comme un centre de référence pour certaines prises en charge, comme en chirurgie néonatale. Pour certains accouchements compliqués, les patientes sont accueillies chez nous. Je pense que le travail que nous faisons sur la qualité de la prise en charge porte ses fruits. Nous recevons également des demandes de pays voisins. Récemment, une femme enceinte est venue du Gabon accoucher à l’HME. Elle se sentait rassurée par l’environnement. Ces demandes sont de plus en plus fréquentes. Par ailleurs, nous participons à des missions de haut niveau, en partenariat avec La Chaîne de l’espoir notamment. Cette ONG française, centrée sur l’aide sanitaire, intervient dans une dizaine de pays, en Afrique et dans le monde. Pourvoyeuse de médecins, de professionnels de santé, de formations, elle se rend au Mali, au Sénégal, chez nous. Nous travaillons avec elle depuis que nous existons, et nous menons actuellement ensemble une mission sur la sténose caustique de l’œsophage. C’est-à-dire ?
Cette pathologie touche les enfants qui ont bu des produits caustiques, comme de la javel, de l’acide ou tout type de produit d’entretien. Dans l’hémisphère nord, les produits dangereux sont munis d’un bouchon de sécurité. Dans nos pays, ce n'est pas le cas. Quand le liquide passe dans l’œsophage, il le brûle, provoquant son rétrécissement. Pour ceux dont l’œsophage est trop altéré, il faut le remplacer ; une lourde opération que l'HME est en mesure de pratiquer. Avec des chirurgiens parisiens et des équipes locales, nous en sommes à notre septième mission de remplacement œsophagien. C’est même la plus grande série en cours dans le monde. Grâce à ces interventions, très techniques, nos équipes montent en compétences. Nous entretenons la même logique de coopération avec le laboratoire Drouot, une référence française, qui nous accompagne depuis le début dans le cadre de notre service d’assistance médicale à la procréation. Ce genre d’activités nous aide à grandir et nous permet également de rayonner internationalement. Quels sont les axes de développement dans les années à venir ?
Je ne vais pas vous surprendre avec des annonces extraordinaires. Le projet va rester sur ses rails. Il s’agit de consolider la prise en charge holistique de tous nos patients. Nous allons poursuivre la mise en place d’un environnement complet autour du patient, afin de proposer les meilleures solutions thérapeutiques et conditions de prises en charge. Nous avons la volonté de prouver qu’une structure de santé bien organisée, animée par un personnel de santé correctement formé, peut véritablement recevoir les patients de manière bienveillante et qualitative en Côte d’Ivoire. Cette résolution peut sembler abstraite, formulée ainsi. Elle constitue pourtant notre travail de tous les jours. Vous allez bientôt créer ce que vous appelez une « maison de vie ». De quoi s’agit-il ?
C’est une structure de 48 lits offerte par la princesse Lalla Salma du Maroc à la fondation Children of Africa, qui doit servir à l’hébergement non médicalisé. Seront concernées les familles dont l’enfant est hospitalisé, en particulier ceux qui suivent des soins contre le cancer, pris en charge en chimiothérapie. Nous achevons sa construction. Cette maison de vie sera fonctionnelle courant 2023.
Qu’a apporté votre établissement au pays en matière d’offre de soins ou d’augmentation de leur niveau ?
Je pense que l’élément le plus marquant, c’est ce que nous appelons les « dossiers indigents ». Cette prise en charge sociale permet de valider administrativement la gratuité des soins d’un quart de nos patients. Quand on voit ces personnes souffrant de maladies depuis parfois plusieurs années, qui se sont souvent rendues dans plusieurs établissements, en dehors ou à l’intérieur d’Abidjan, parvenir à résoudre gratuitement leur problème chez nous, c’est une satisfaction. Même celles qui paient réussissent à trouver une solution à leur situation grâce à des possibilités de prise en charge qui n’existaient pas auparavant. Pour moi, là, nous sommes vraiment au cœur de notre mission. C’est la vision qu’avait la fondatrice à la création de l’hôpital. De ce point de vue, l’HME est une réussite. En tant que français, quel regard portez-vous sur le système de soins en Côte d’Ivoire, entre le moment où vous êtes arrivé et aujourd’hui ?
Il y a une nette évolution. On sent une volonté de faire les choses différemment : des structures sont créées, le niveau des équipements monte dans tous les établissements, y compris les hôpitaux publics. Nous entretenons des liens avec l’Institut de formation des agents de santé et le ministère de la Santé. L’hôpital mère-enfant est un lieu de stage pour de nombreux étudiants en médecine, et il forme des spécialistes. Dans ce pays, c’est clair, il existe une ferme intention de faire beaucoup mieux pour soigner les gens et leur permettre de bénéficier d’un suivi personnalisé sur place. ■