5 minute read

Définitivement

Next Article
EN MODE NOUCHI !

EN MODE NOUCHI !

« espace élyséen » en soi en raison de sa vocation résidentielle de haut standing. Le 3 décembre 1960 fut signé entre le président ivoirien et le groupe Mafit Trust Corporation, dirigé par Mayer, un protocole d’accord prévoyant l’édification d’un palace de classe internationale sur le territoire de Cocody. Moins de trois ans plus tard, en août 1963, la première tranche du luxueux complexe hôtelier était livrée.

Au départ, il s’agit d’intégrer l’hôtel dans un vaste projet d’aménagement urbain baptisé « la Riviera africaine ». La zone dans laquelle l’opération doit être mise en chantier fait partie du domaine coutumier des Ébriés, qui en tirent des revenus grâce à la culture de plantes vivrières et industrielles (manioc, café, palmier à huile, colatier). Qu’à cela ne tienne : les paysans seront expropriés, et Houphouët-Boigny les dédommagera en leur offrant des terrains viabilisés. Après Kossou et San Pedro, la Riviera africaine est présentée comme une « autre grande œuvre de promotion économique et sociale que le gouvernement s’est engagé résolument à entreprendre pour le meilleur devenir de notre pays », comme le souligne le ministre de la

Construction et de l’Urbanisme

Alexis Thierry Lebbé dans un discours prononcé lors de la pose de la première pierre, le 7 septembre 1970. Dès cet instant se matérialise, sur plus de 15 ha, la notion d’un véritable « Village Ivoire », fleuron de la coopération ivoiro-israélienne, Tel-Aviv finançant en partie l’édification du « plus grand et [du] plus élégant hôtel de l’Afrique de l’Ouest », comme on peut lire à l’époque dans la presse. Durant l’année 1961, les Abidjanais verront se dresser chaque jour un peu plus sur les hauteurs de Blokosso une « structure immense », dont la construction est supervisée par des Blancs qui ne s’expriment pas en français.

Faste Sur La Ville

Le cadre paysager est élaboré en collaboration avec des experts israéliens, mais aussi à la faveur des apports importants de spécialistes français, italiens, allemands et américains. On doit les lignes audacieuses et les intérieurs artistiques et harmonieux du complexe aux efforts créatifs conjugués des architectes israéliens Heinz Fenchel, Thomas Leitersdorf et Joseph Goldenberg, du Californien Williams Pereira et de l’architectepaysagiste Zvi Miller. La première partie de l’ensemble hôtelier, dévoilée en 1963, abrite un bâtiment de socle d’un étage incluant un lobby, un restaurant et d’autres fonctions générales. Sur ce socle repose un volume de 13 étages, le « Bâtiment » ou la « Barre », destiné à loger 200 chambres environ. En 1969, l’Ivoire prend sa configuration emblématique avec l’élévation d’une tour de 24 étages, haute de 107 mètres, dotée d’une capacité d’accueil de plus de 200 chambres, toutes pourvues d’un téléphone et d’une baignoire. Jusqu’en 1984 – année à laquelle la tour D de la cité administrative la coiffe de 6 mètres –, la Tour restera l’édifice le plus haut de Côte d’Ivoire. Plus tard, une patinoire (la première et la seule de toute l’Afrique subsaharienne), un casino (dont Houphouët-Boigny, en bon père du peuple ne souhaitant pas que ses enfants aillent s’y ruiner, avait interdit l’accès aux Ivoiriens) et un palais des congrès érigé sur la grande esplanade s’ouvrant au pied de la Tour parferont l’ensemble. Entre autres commodités et infrastructures de loisirs permettant de vivre en totale autarcie dans cette enclave de luxe et de volupté, on trouve également un centre commercial comprenant des magasins de luxe, une galerie d’art, une pharmacie, un supermarché, une banque, cinq restaurants, des bars, de nombreuses salles de conférences, un complexe sportif comptant 11 courts de tennis, d’immenses jardins, une discothèque, un bowling, un cinéma, une piscine et un lac artificiel long de 250 mètres, qui couvre une superficie de plus de 7 500 m2. Les vœux de gigantisme du président sont exaucés au-delà de toute mesure : lorsque l’hôtel est définitivement achevé, il devient incontestablement l’un des plus prestigieux édifices de tout le continent et incarne à lui seul le triomphe du modernisme africain inspiré du style international, mouvement architectural majeur du XX e siècle et courant dominant pour les bâtiments institutionnels et commerciaux.

À gauche : le bar du joyau du pays, Le Rendez-vous, en 1966. Ci-dessus : une chambre double du bâtiment principal, en 1963.

« L’hôtel Ivoire bénéficie d’une distribution assez rationnelle, analyse l’architecte ivoirien Issa Diabaté. La Tour et la Barre constituent des éléments typiques de l’écriture de l’architecture moderne des années 1960, avec des couloirs qui distribuent les chambres dans une logique fonctionnelle. L’idée, dans ce type de construction, est de garder les espaces publics en rez-dechaussée, sur une espèce de galette qui lie à la fois la Tour et la Barre, et de répartir tout ce qui est fonctionnel, c’est-à-dire les logements, au-dessus de cette galette. Autre élément important, sa vaste esplanade avec son grand totem, qui permet d’avoir une belle perspective d’ensemble sur les bâtiments. Associée au palais des congrès, elle vient compléter l’identité de l’hôtel, et le confirme comme un espace d’élévation et de représentation de soi. L’emplacement ouvert et en hauteur, sur une espèce de pointe de plateau, obéit lui aussi à une logique imparable : cette tour, qui marque l’axe du boulevard Latrille et est visible d’un peu tout l’Abidjan lagunaire, s’impose comme la tête de pont de la zone de Cocody. » Majestueusement posé à l’extrémité ouest de la baie de Cocody, l’établissement a désormais tout-Abidjan à ses pieds.

Les Ann Es Glorieuses

Très vite, le prestigieux hôtel devient le symbole de la Côte d’Ivoire triomphante, et son rayonnement dépasse largement les frontières nationales. Dans l’imaginaire collectif, il finit par s’imposer comme une destination en soi : on accourt de partout en Afrique pour le voir et y loger, et qui n’y a pas séjourné n’a pas réellement visité Abidjan. Jean-Claude Delafosse, ancien ministre du Tourisme et ex-président de la Société des palaces de Cocody (SDPC), qui gérait l’établissement conjointement avec le groupe InterContinental, se souvient que, « lorsque l’hôtel était plein, les personnes influentes passaient par la présidence de la République pour obtenir une chambre ». Le lieu, qui héberge réunions et conférences internationales telles que celles de l’Organisation mondiale du café et du cacao, contribue grandement à l’installation à Abidjan d’institutions comme la Banque africaine de développement ou Air Afrique. Il est également le point de chute et lieu de passage incontournable de tous les « grands » de ce monde – notamment, Juan Carlos Ier, Kofi Annan, Valéry Giscard d’Estaing, Jacques Chirac, Albert-Bernard Bongo, Pascal Lissouba, Denis Sassou-Nguesso, Nelson Mandela, son épouse, Graça Machel, et même le redoutable Charles Taylor qui, dit-on, y avait ses habitudes –et de stars internationales – Michael Jackson, Barry White, Stevie Wonder, Mohamed Ali, etc. – ou françaises – Johnny Hallyday, Julien Clerc, etc. En semaine, le président y réunit les cadres de son parti pour les « dialogues nationaux » et, le dimanche, place aux mariages des grandes familles, retransmis à la télévision nationale tandis qu’un peu plus loin, au bord de la piscine, des centaines de privilégiés se pressent autour d’un buffet richement garni. En marge, nombreux sont ceux qui, bénéficiant de moins de moyens, viennent s’y faire photographier dans leurs plus beaux atours ; jeunes époux bien sûr, mais aussi les Dioulas qui, à chaque fête musulmane comme la Tabaski ou le ramadan, promènent les couleurs de leurs complets chatoyants dans les lobbys feutrés et les jardins du palace. De nombreux défilés de mode, fêtes, soirées et galas sont donnés sur la patinoire, qui accueille aussi ponctuellement des matchs de basket-ball ou se transforme à l’occasion en une immense discothèque, lors des « Cocodisco », qui réunissent la jeunesse dorée et branchée du quartier. Le palais des congrès, quant à lui, est le lieu de tous les grands rendez-vous, et son taux de remplissage lors des concerts donne une idée du degré de popularité des artistes qui s’y produisent. Au milieu des années 1980, le groupe Kassav y rencontrera son plus grand succès en Côte d’Ivoire ; là encore se tiendra l’inoubliable duel entre

This article is from: