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interview Thierry Dia Dénicheur de talents

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EN MODE NOUCHI !

EN MODE NOUCHI !

Grâce à Houkami Guyzagn, la galerie qu’il a ouverte il y a vingt-deux ans, ce passionné d’art a lancé sur le marché la plupart des plasticiens qui comptent parmi les plus prisés aujourd’hui. propos recueillis par Philippe Di Nacera

Ensuite : Nous sommes à la galerie Houkami Guyzagn. Pouvez-vous décrire les divers espaces de cet endroit vaste et chaleureux, qui n’est pas seulement un lieu d'exposition ?

Thierry Dia : Nous y menons en effet plusieurs activités. Avant tout, c’est une galerie où nous faisons la promotion de jeunes plasticiens. À l’extérieur, la cour, dénommée La Terre promise, sert pour les grandes expositions et les ateliers. Mais nous disposons aussi d’une salle plus petite, pour les expositions permanentes. En plus de cela, nous avons des chambres d’hôtes pour recevoir les artistes qui viennent de l’étranger ou de l’intérieur du pays. Ils séjournent ici pour travailler et exposent in situ. Autour de ces activités purement artistiques, nous possédons un bar lounge et le restaurant Houkami.

Ce lieu, vous l’avez longuement pensé. Pourquoi avoir rassemblé en un même endroit ces différentes activités ?

Vous savez, l’art est difficile à promouvoir en Afrique. Cela demande également beaucoup d’investissements. Mon expérience, mon vécu de mécène m’ont fait toucher du doigt les difficultés auxquelles les artistes et les galeristes sont confrontés. Les amateurs d’art aiment se retrouver, échanger, débattre… Et prendre l’apéro et manger ! J’ai compris qu’il fallait associer l’art à un endroit où l’on pouvait déguster de bons mets, boire du bon vin pour discuter. Justement, vous n’êtes pas un professionnel. Votre activité, c’est le café-cacao. Mais vous avez toujours été un très grand amateur d’art, au point d’ouvrir une galerie il y a plus de vingt ans. C’était au départ un tout petit endroit, chargé d’émotion, où le tout-Abidjan aimait se retrouver sans protocole le vendredi et le samedi soir…

Cet endroit est mythique… C’est la base de tout ! De toute la réflexion qui nous a amenés où nous en sommes aujourd’hui. Et de toute la générosité des gens. Notamment celle des mécènes qui ont cru à ce projet et qui nous ont accompagnés. Sans oublier ceux qui, bien que n’y croyant pas, étaient là également ! Ma passion pour l’art a commencé avant 1999. En 2000, j’ai ouvert une galerie, rue des Jardins, aux Deux Plateaux. Elle faisait 15 m2 tout au plus. C’est ainsi que tout a commencé. Un endroit magique, qui reste cher à mon cœur et à celui de nombreuses personnes qui le fréquentaient. On m’en parle encore aujourd’hui. On a connu de grands moments, comme la visite de la première dame, Dominique Ouattara, celle du grand peintre Ouattara Watts, ou d’autres personnalités incroyables ! J’ai compris, ici, que l’art pouvait intéresser beaucoup de gens et qu’investir dans ce domaine était possible. Treize ou quatorze ans plus tard, j’ai construit cette galerie, à la Riviera 2, avec tous les compartiments dont j’avais rêvé. Vous avez la réputation d’être un dénicheur de talents. Comment faites-vous ? Quel est votre regard sur l’art et quels sont les plasticiens qui sont passés par votre galerie et dont le nom résonne aujourd’hui à l’international ?

J’ai un regard qui me permet de reconnaître un futur grand. Je crois, pour paraphraser un grand mécène du football, que lorsque je vois un grand attaquant, un numéro 9, je sais que ce joueur va faire carrière. J’ai du flair. Je ne sais expliquer ce don que Dieu m’a donné. Quand je rencontre un artiste, je discute avec lui, je vois ses premiers coups de pinceau. Si je crois qu’il faut l’encadrer, c’est le signe que ce jeune-là ira très loin. Aujourd’hui, je peux m’en vanter. La nouvelle génération qui fait honneur à la Côte d’Ivoire est passée chez Houkami Guyzagn. La plupart y ont fait leurs classes. Notamment Aboudia, Armand Boua, Yapi Roger, Lanin Saint-Étienne Yéanzi… et bien d’autres. Cette galerie était leur maison de jeunesse, et elle reste leur maison. Nous poursuivons ici ce travail de découverte de jeunes talents. Ils viennent quand ils veulent. Ils me rencontrent quand ils le souhaitent. C’est une maison qui leur est dédiée.

Ces artistes n’étaient donc pas connus avant de passer entre vos mains ?

Non, et c’est bien la spécificité de cette galerie. Houkami signifie « Aidez-moi » en baoulé. Je pense qu’il faut aider les jeunes plasticiens à grandir, à affirmer leur style. J’avais constaté qu’en Côte d’Ivoire, il fallait être un professionnel aguerri pour avoir accès aux galeries importantes sur le marché de l’art. En 2000 donc, nous avons cassé les codes ! J’ai exposé des artistes à peine sortis des Beaux-Arts parce qu’ils avaient du talent. Ainsi, peu à peu, ils ont bâti leur renommée. Comme Soro Péhouet, qui vendait ses toiles 250 000 francs CFA et les vend aujourd’hui entre 10 et 15 millions de francs CFA. Ou Aboudia, dont certaines œuvres se sont achetées aux ÉtatsUnis jusqu’à 200 000 ou 300 000 dollars… Je vous assure, c’est une fierté ! Vous-même, quel est votre rapport à l ’art ? Vous y êtes venu par passion, mais dans votre vie, que représente-t-il ?

C’est une thérapie. Je ne peux pas passer une journée sans regarder un tableau. Chaque jour, quand je quitte mon travail, je vais me ressourcer à la galerie. Je suis toujours impatient de voir une nouvelle création, de rencontrer un artiste que je ne connais pas. Je peux faire des kilomètres pour rencontrer dans son atelier un talent que l’on m’a signalé. L’art, c’est la vie ! La création, c’est la vie ! Ça rend joyeux. Ça permet de comprendre les difficultés du quotidien. Voir un jeune homme qui part de rien, qui n’a que 500 francs CFA en poche et dans lequel bien peu de personnes croient, qui finit par peser des milliards dix ans plus tard, c’est formidable ! Les jeunes n’ont pas besoin de partir loin pour réussir. Ils n’ont qu’à aimer leur travail et le pratiquer passionnément.

D’autres galeries existent à Abidjan. Certaines s’exportent à Venise, à Dakar, à Paris ou encore à Londres. Ce n’est pas votre démarche. Vous découvrez des talents, et puis vous les laissez partir. Quand ils s’envolent vers d’autres cieux, vous n’avez pas un pincement au cœur ?

Franchement, je vois cette attitude comme celle d'un parent qui aime vraiment ses enfants, qui les éduque avec sévérité et est heureux de les voir s’émanciper, se prendre en charge et réussir. Je ne signe aucun contrat d’exclusivité. Je leur transmets l’esprit de discipline dans le travail. Quand ils réussissent, s’ils sont reconnaissants, ils reviennent vers moi. Ils m’appellent « Monsieur », « le Père », « le Boss », « le Grand Frère »… Ma satisfaction, c’est de voir le chemin que nous avons parcouru ensemble.

Pourquoi ne pas vous exporter dans les grandes expositions à l’étranger ?

Je pourrais le faire, mais je ne le souhaite pas. Mon objectif est d’aider à positionner nos artistes débutants. S’ils ont du talent, ils s’imposeront à l’étranger. Aboudia a présenté ses œuvres sur Internet, et la galerie londonienne Jack Bell l’a immédiatement invité. Ils ont tout sur place. Aujourd’hui, nous vivons dans un monde globalisé. La Côte d’Ivoire est un pays international. Pourquoi aller en Europe ? Aux États-Unis ? Nous sommes vus partout !

Comment se porte l’art en Côte d ’Ivoire ? Les peintres, sculpteurs, photographes font-ils preuve de créativité ? Existe-t-il un marché pour la création artistique ?

L’art se porte très bien. La chance qu’ont nos talents, c’est de pouvoir bénéficier d’une école des beaux-arts : l’Institut national supérieur des arts et de l’action culturelle (INSAAC). Il faut féliciter le ministère de la Culture pour cela. Cet établissement forme des apprentis artistes, qui se façonnent ensuite. Et ils savent se vendre. Abidjan est une plaque tournante en Afrique de l’Ouest. Elle est en passe de devenir la capitale de l’art contemporain sur le continent ! Il y a tellement de noms qui sortent de la pouponnière à la suite de Ouattara Watts. En Côte d’Ivoire même, il existe un marché important. Vous n’imaginez pas le nombre de structures qui achètent des œuvres : les banques, la présidence de la République, la primature, les entreprises… Je peux vous dire que l’art représente des milliards dans l’économie. ■

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