1917, Le moment pershing

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1917, le moment pershing

Boulogne à l’heure américaine

Boulogne in the time of the Americans

1917, le moment Pershing 1917, Pershing’s hour

Archives municipales de Boulogne-sur-Mer

Municipal Archives of Boulogne-sur-Mer

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1917, le moment pershing

Catalogue édité à l’occasion de l’exposition 1917, le moment Pershing, présentée au musée de Boulogne-sur-Mer du 13 juin au 11 novembre 2017, sous la direction de Karine Berthaud, directrice des Archives municipales. Catalogue published on the occasion of the exhibition 1917, Pershing’s hour on show at the Museum of Boulogne-sur-Mer from 13 June to 11 November 2017, under the direction of Karine Berthaud, Director of Municipal Archives.

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"I am confident that the american troops fighting side by side with our nobles allies will, in the end, give back to France and bring to the world that liberty which is so necessary to the happiness of mankind."

« Je suis persuadé que les troupes américaines, combattant côte à côte avec nos nobles alliés, rendront finalement à la France et apporteront au monde cette liberté si nécessaire au bonheur de l’humanité. »

John J. Pershing Extrait de l’allocution du général Pershing, prononcée le 4 juillet 1917 sur la tombe de La Fayette, cimetière Picpus, Paris. Extract from the address delivered by General Pershing on 4 July 1917, at La Fayette’s tomb in the Picpus Cemetery, Paris.

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« LA FAYETTE, WE ARE HERE »

L

’année 2017 est marquée par les commémorations du

Dans cette foule figurait le colonel de Chambrun, descendant de

centenaire de l’entrée en guerre des États-Unis lors

La Fayette, celui-là même qui est considéré comme le héros de

du premier conflit mondial. À cette occasion, la Ville de

la Révolution américaine.

Boulogne-sur-Mer a souhaité s’inscrire pleinement dans la démarche initiée par le Ministère de la Défense et la Mission

Afin de commémorer cet événement, mais aussi le lien qui unit

Centenaire.

Boulogne-sur-Mer aux États-Unis, les Archives municipales nous invitent à vivre le Moment Pershing à travers une nouvelle

La Ville de Boulogne-sur-Mer fut, en effet, par son positionnement

exposition qui complète le cycle mémoriel entamé en 2014 avec

géographique, à la fois port et centre médical alliés, un des

l’exposition Boulogne, port allié 1914-1918 qui avait attiré plus de

lieux stratégiques du conflit. À ce titre, c’est à Boulogne que

10 000 visiteurs.

le général Pershing débarqua le 13 juin 1917 à la tête du corps expéditionnaire américain, symbolisant par ce geste l’entrée en

Documents, photographies, films provenant des collections

guerre des États-Unis d’Amérique aux côtés des Alliés.

boulonnaises, mais aussi des institutions françaises, anglaises et américaines nous invitent à revivre cette journée particulière

Cette date, qui porte en germe la fin de la première guerre

et le contexte dans lequel elle se produit.

mondiale, constitue un moment fondateur de la construction de la puissance américaine moderne et de l’amitié franco-

Ce catalogue d’exposition apporte un nouveau regard sur le

américaine, fruit d’une histoire partagée au fil des siècles.

rôle joué par notre ville dans la Grande Guerre et sur les liens - économiques, culturels et fraternels - qui nous unissent à nos

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À Boulogne, ce jour-là, les autorités civiles et militaires suivies

alliés américains avant et après le conflit. Vous souhaitant bonne

d’une foule nombreuse accueillirent le général Pershing.

lecture.

Frédéric Cuvillier

Régine Splingard

Député-Maire Ancien ministre

Adjointe à la Culture

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« LA FAYETTE, WE ARE HERE » The year 2017 is marked by commemorations of the centenary

On that day in Boulogne, the civilian and military authorities,

of the entry into the Great War of the United States. On this

followed by a large crowd, were gathered to welcome General

occasion, the Town of Boulogne-sur-Mer has been committed to

Pershing. Among that crowd was Colonel de Chambrun, a

playing a full part in the action initiated by the Ministry of Defence

descendant of Lafayette, the very figure who is hailed as the hero

and the Mission Centenaire commemoration association.

of the American Revolution.

In fact, thanks to its geographical position the Town of Boulogne-

In order to commemorate that event, and also the bonds between

sur-Mer was both an Allied port and a medical centre, a strategic

Boulogne-sur-Mer and the United States, the Municipal Archives

location in the conflict. This being the case, it was at Boulogne

invite us to experience Pershing’s Hour through a new exhibition

that General Pershing landed on 13 June 1917 at the head of the

which completes the commemorative cycle initiated in 2014 with

American Expeditionary Forces, this gesture symbolising the

the exhibition Boulogne, port allié 1914-1918 (Boulogne, Allied

entry into the War of the United States of America alongside the

Port 1914-1918) which attracted over 10,000 visitors.

Allies. Documents, photographs, and films from Boulogne collections, This date was a presage of the end of the First World War. It

and also from French, English and American institutions, invite

constitutes a founding moment in the construction of modern

us to relive that particular day and the backdrop against which it

American power and Franco-American friendship, the fruit of a

was set.

history shared down the- centuries. This exhibition catalogue casts a new eye on the role played by our town in the Great War and on the links (economic, cultural and fraternal) that united us with our American allies before the conflict and have done so since. We wish you enjoyable reading!

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Frédéric Cuvillier

Régine Splingard

Deputy-Mayor Former Minister

Councillor with responsibility for Culture

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P

ar le jeu improbable d’alliances militaires conclues pour la plupart à la fin du XIXe siècle, le continent européen va,

suite à l’assassinat de l’archiduc François-Ferdinand,

héritier du trône d’Autriche-Hongrie, et de son épouse, la duchesse de Hohenberg, le 28 juin 1914 à Sarajevo, se déchirer et s’enliser dans une guerre d’une violence encore jamais vue. D’un côté la France, la Grande-Bretagne et la Russie formant la triple entente, en face la triple alliance unissant l’Allemagne, l’Autriche-Hongrie et l’Italie. Le jeu des alliances et le fait que chaque pays mobilise ses colonies et dominions, engagent 72 belligérants dans le conflit. Sur le continent européen, en 1917, les combats font rage sur de nombreux fronts. Sur le front de l’Ouest, Français et Britanniques combattent avec acharnement l’armée allemande qui, divisée en deux, bataille aussi à l’Est contre les troupes russes, lesquelles disposent d’immenses ressources humaines, mais manquent d’armes et de matériels. On se bat aussi dans les Balkans, dans le nord de l’Italie : une grande partie du continent européen est à feu et à sang. Le 1er janvier 1917, la France est en guerre depuis déjà 29 mois.

L’année 1916, marquée par de grandes offensives – La Somme, Verdun – et de nombreuses pertes humaines, s’est pourtant terminée sur une frustrante sensation de statu quo militaire. À Boulogne-sur-Mer, la vie est rythmée, depuis septembre 1914, par le flot incessant des débarquements et embarquements d’hommes et de matériel provenant d’Angleterre. Les hôpitaux,

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1917, le moment pershing maintenant bien établis, sont saturés de blessés évacués après

sociaux tourmentent les économies et ébranlent l’autorité

les grandes offensives. Les Boulonnais sont las, plus de 800

des belligérants. À Boulogne comme ailleurs, les grèves sont

d’entre eux sont déjà tombés au cours des combats.

nombreuses ; certaines sont menées par les femmes, de plus en plus présentes dans les usines.

Le général Nivelle, qui prend ses fonctions de commandant en chef de l’armée le 12 décembre 1916, promet une victoire

Hiver rude, pénurie alimentaire, lassitude face à la guerre… le

rapide et redonne ainsi espérance aux troupes et à la population

début d’année 1917 réunit le terreau propice à l’éclatement d’une

française. L’échec de l’assaut donné en avril-mai 1917 au

révolte populaire, ce qui survient en Russie où dès le mois de février

chemin des Dames et la désillusion engendrée n’en sont que

des grèves se généralisent à Petrograd. La situation dégénère

plus vivement ressentis. S’ensuivent, très rapidement, dans les

rapidement. Sous la pression de l’état-major, le tsar Nicolas II

armées françaises une lassitude, une colère qui débouchent

abdique le 15 mars 1917. Les gouvernements provisoires qui se

sur les premières grandes mutineries. Elles sont diverses -

succèdent ne remettent pas en cause l’implication de la Russie

on refuse de monter en ligne, on chante l’Internationale… Le

dans la guerre au grand dam d’une population qui condamne ce

nombre de mutins se chiffre entre 30 000 et 40 000, mais ces

jusqu’au-boutisme. L’impopularité de la guerre et la lassitude

mutineries restent dispersées, sans réelle organisation ; leur

gagnent du terrain. Les soldats désertent par milliers, causant

caractère politique et révolutionnaire demeure négligeable.

une extrême confusion sur le front de l’Est. La 1e armée russe

Elles cessent d’ailleurs en grande partie quand Nivelle est

estime ses déserteurs à plus de 80 000 à la mi-mai 1917.

remercié et remplacé le 15 mai 1917 par Philippe Pétain qui, par quelques décisions - arrêts des offensives inutiles, amélioration

Sur le front de l’Ouest, après de nombreuses tergiversations, les

des conditions de vie du soldat -, ôte aux soldats l’envie de se

Allemands décident le 1er février 1917 de reprendre la guerre

mutiner.

sous-marine à outrance. Cette décision entraîne la multiplication des naufrages - le 1er mars, un sous-marin allemand coule deux

Ce début d’année 1917 est, de plus, marqué par une importante

chalutiers et huit voiliers dont six provenant de Boulogne - mais

vague de froid : les températures sont très souvent négatives,

aussi le courroux des États-Unis qui le 6 avril déclarent la guerre

descendant quelquefois jusqu’à - 20°C. Il neige encore début avril,

à l’Allemagne.

épuisant les poilus et fragilisant une population déjà vulnérable. À Boulogne, les vols de charbon ou de bois connaissent une forte augmentation. À l’arrière front, les deuils et les souffrances pèsent énormément. Les premiers grands mouvements

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Through an improbable web of military alliances, concluded for the most part at the end of the nineteenth century, and following the assassination of the heir to the throne of the Austro-Hungarian Empire and his wife on 28 June 1914 in Sarajevo, between 1914 and 1918 the European continent was mired in a war of unprecedented savagery. On one side, the Triple Entente formed by France, Great Britain and Russia was ranged against the Triple Alliance of Germany, the Austro-Hungarian Empire and Italy, each country calling upon its allies and colonies until no fewer than 72 belligerents were drawn in. In 1917, battles were waged on numerous fronts on the European continent. To the west, the French and British were engaged in a bitter fight against the German army which, divided between two fronts, was also battling against the Tsar’s troops to the east, until the Russian Revolution prompted their disengagement. There were also battles in the Balkans and northern Italy. After a year 1916 marked by major offensives - the Somme, Verdun - which caused significant losses, weariness took hold of the front. The failure of the attack launched in April-May 1917 at the Chemin des Dames led to disillusionment; the morale of the troops was at its lowest. Mutinies erupted in the trenches - men refused to go into battle, sang The Internationale - a situation only alleviated by the arrival of General PÊtain to lead the French troops and the promise of improved living conditions. In Boulogne-sur-Mer, life for the townspeople followed the incessant rhythm of landings and sailings; the hospitals were overflowing with those wounded in the great offensives. Families mourned their dead; 800 local people had already perished in the trenches. The winter of 1917 was extremely harsh; there were constant thefts of coal and wood and the people of Boulogne, the Boulonnais, were hungry. Many strikes broke out during this troubled period. To make matters worse, the Germans decided in February to resume unrestricted submarine warfare - that is to say, making no distinction between military and civilian targets - and torpedoed many military and civilian ships, causing distress in Boulogne and anger in Washington, which contributed to the United States’ entry into the War on 6 April 1917.

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Carte d’état-major indiquant l’emplacement de la ligne de front quelques jours avant le premier engagement des troupes américaines dans la région de Lunéville, les 2 et 3 novembre (15 octobre 1917). Archives municipales de Boulogne-sur-Mer, 38Fi25. Ordnance Survey map indicating the position of the front line a few days before the first engagement involving American troops in the region of Lunéville on 2 and 3 November (15 October 1917).

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Un contexte boulonnais riche A rich Boulonnais background

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L

orsque le 3 août 1914 l’Allemagne déclare la guerre à la France, Boulogne-sur-Mer vit au rythme de la saison touristique, même si celle-ci est contrariée par les bruits de bottes qui résonnent depuis déjà plus d’un mois, depuis l’assassinat à Sarajevo le 28 juin 1914 de l’héritier du trône d’Autriche-Hongrie et de son épouse. Boulogne est en effet alors une station touristique courue – même si elle tend

à décliner -, riche d’une communauté anglophone importante hors saison, considérable l’été. Parmi cette population, très majoritairement composée de Britanniques, se comptent quelques Américains. Pour autant, que connaissent les Boulonnais de 1914 des États-Unis et de leurs habitants ? Quelle est leur perception de ce pays immense, à la fois familier et mystérieux, porteur déjà du rêve américain, à la société bigarrée ? Une multiethnicité que Boulogne va découvrir rapidement, et intensément, lorsqu’elle devient dès août 1914 une base alliée majeure, bouillonnant des allers et retours de plusieurs millions d’hommes provenant de tout l’empire britannique, mais aussi, le 13 juin 1917, de quelques Américains porteurs d’un espoir immense…

Quelle connaissance locale de l’Amérique ? How well did local people know America? Les liens qui unissent Boulogne-sur-Mer et les États-Unis sont

Unis d’Amérique, y demeurent, à titre individuel ou cantonnés

anciens, aussi anciens que les États-Unis. En effet, tandis que la

en garnison. Afin de marquer dans le territoire le souvenir de

France s’engage officiellement, à partir de 1778, dans la guerre

cette guerre d’indépendance, la Ville décide d’ailleurs au

d’indépendance qui oppose les 13 colonies d’Amérique du Nord à

siècle de nommer l’une de ses voies rue de Boston – l’actuelle

l’Angleterre, on ne manque pas de saluer, à Boulogne, les succès

rue de Folkestone -, en hommage aux Bostoniens qui furent les

des armées du roi dans la campagne de 1781 en faisant sonner

premiers à prendre les armes.

XIXe

les cloches du beffroi. Un certain nombre de Boulonnais prennent alors part au conflit. S’il est impossible de les dénombrer

Même si elles sont ténues, on peut observer ensuite dans les

précisément, on sait toutefois grâce aux registres paroissiaux

archives municipales, notamment au milieu du

que, en 1782 et 1783, six familles de la basse ville demandent

traces de certains Boulonnais émigrés aux États-Unis : l’aumônier

que soit célébrée une messe en mémoire de leurs fils – Jean

des Ursulines devient évêque de Cleveland ; un charpentier,

Duchêne, Pierre Delattre, François Carlut, Louis Rivet, Charles

un horticulteur partent à la conquête de l’Ouest – ils meurent

Pérard, Joseph Cary -, morts au service du roi « dans l’Amérique »

respectivement à Oakland et San Francisco - ; un tailleur vit un

ou lors de leur retour en France. D’autres, passé le traité de

temps à Philadelphie… Mais le Boulonnais le plus lié aux États-

Paris qui acte le 3 septembre 1783 l’indépendance des États-

Unis est sans doute Jules Huret (1863-1915), l’un des premiers

XIXe

siècle, les

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1917, le moment pershing grands reporters, qui témoigne de ce nouveau monde qu’il

population, il ressort tout de même clairement que les chefs

découvre en 1904 et 1905 dans deux volumes : En Amérique – De

de famille présents au

New York à la Nouvelle Orléans et De San Francisco au Canada.

avec une très grande majorité de rentiers. On note également

Le premier de ces ouvrages est proposé pour le prix Goncourt ;

la présence de médecins, dentistes, artistes, et de quelques

Jules Huret s’y interroge : « la force d’absorption de ce pays est-

commerçants, dont deux photographes parmi les précurseurs

elle si grande que je sois déjà en train de devenir Américain ? ».

– Charles Bonnemer et Andrew Ebert. À l’inverse, au

XIXe

siècle sont issus d’un milieu aisé,

XXe

siècle,

les rentiers disparaissent pour laisser la place à quelques Parcourant la route inverse, la petite communauté américaine qui s’installe au milieu du

XIX

e

domestiques, employés, cafetiers, ouvriers…

siècle à Boulogne-sur-Mer est

plus aisément quantifiable. Le premier citoyen américain officiellement recensé à Boulogne est une citoyenne, Marianne

Outre les échanges qu’ils peuvent mener avec ces quelques

van de Velde, en 1856. On compte 19 Américains en 1866, 17

Américains, et principalement ceux qui ont pignon sur rue, les

en 1872. Boulogne compte alors 38 514 habitants - dont 2 297

Boulonnais tissent rapidement un lien économique avec les

étrangers, soit 6 % de la population totale - parmi lesquels 0,05 %

États-Unis. Un « sous agent commercial » représentant les

d’Américains. Une communauté presque invisible. Pourtant, la

intérêts américains est nommé à Boulogne dès 1794. Guillaume

plupart des Américains installés dans la région sont à Boulogne :

Lafontaine, un citoyen français, se maintient à ce poste contre

en cette même année 1872, on y en compte en effet autant que

vents et marées sous l’Empire. Puis cette représentation

dans tout l’arrondissement, de Calais à Samer en passant par

disparaît jusque 1866, lorsqu’est nommé le premier vice-

Guînes. Ils seront au maximum 35 en 1876. Paradoxalement, le

consul d’origine américaine, John de la Montagnie. À ce poste

nombre d’Américains habitant Boulogne tend à se réduire après

se succèdent alors quelques Français, ou le plus souvent des

que celle-ci devient une escale transatlantique, en 1889 ; ils ne

Américains ; ils sont généralement négociants, et installés dans

sont plus qu’une poignée dans la première moitié du

siècle.

une maison particulière. L’influence de cette représentation ira

Très vraisemblablement, c’est la station balnéaire huppée

croissante, jusqu’à être élevée au rang de consulat en 1929 ; elle

qu’était Boulogne dans les années 1860-1880 qui les y aurait

est pourtant transférée à Calais en 1932.

XX

e

attiré ; dès lors que celle-ci décline, une fois que l’on a compris le peu d’utilité des bains de mer froids, la population américaine

C’est sous l’influence de John de la Montagnie que s’établissent

diminue elle-aussi. Cela se ressent d’autant plus à travers le

les premières relations commerciales avec l’Amérique : un

milieu socioprofessionnel de ces Américains de Boulogne. S’il

brick goélette de 650 tonneaux, le B. L. Bowen entre au port le

est difficile de tirer des statistiques fiables sur une si faible

11 février 1871 après une traversée de 17 jours. Il débarque de

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1917, le moment pershing la farine destinée à ravitailler Paris, affamée par un siège de

devient le 4e port transatlantique de France. En 1914, débarquent

plus de quatre mois et qui s’apprête à s’ériger en Commune ;

ou surtout embarquent 30 000 passagers lors de 800 escales,

il repart le 24 février chargé de ciment fabriqué par les usines

soit une moyenne de près de 4 par jour. La guerre interrompt en

boulonnaises. Cette première transaction marque le début du

effet le trafic transatlantique le 30 juillet, lorsque jettent l’ancre

commerce avec les États-Unis. Pour mieux se faire connaître,

les 6 derniers paquebots – dont 3 allemands. Le personnel du

plusieurs entreprises boulonnaises prennent part à l’exposition

port perçoit d’ailleurs une certaine ironie dans les « au revoir, à

internationale de Philadelphie en 1876 : la Société des ciments

bientôt ! » lancés par leurs équipages.

français Lonquéty & C et les plumes métalliques Poure, Gillott, ie

O’Kelly & Cie, ainsi que le statuaire Eugène Blot, y sont primés.

Le rêve américain touche donc Boulogne, qui voit tous ces candidats au nouveau monde – des Européens, mais aussi déjà

Et c’est dans ce contexte d’effervescence économique que

de nombreux Syriens - s’embarquer. La modernité que portent

Boulogne-sur-Mer devient une escale transatlantique desservant

les États-Unis transparaît donc dans les enseignes et activités

l’Amérique du Nord, du Sud et l’Afrique. La modernisation des

boulonnaises : tout ce qui est neuf, efficace, avant-gardiste

navires – machine à vapeur puis turbine, hélice plutôt que roues

est américain. Ainsi, on retrouve notamment à Boulogne la

à aubes, coques en acier plutôt qu’en bois – permet dorénavant

Photographie américaine – c’est légitime, son propriétaire Andrew

de parcourir des distances immenses ; le rêve américain

Ebert vient de New York – mais aussi, plus étonnant, le jambon

pousse des millions d’Européens sur les mers. Déjà grand port

d’Amérique en 1854, les soins par injection américaine en 1867,

transmanche, Boulogne devient donc à partir de 1889 et jusqu’à

les machines à bois américaines en 1902, voire les édredons

la seconde guerre mondiale une escale, entre les Pays-Bas ou

américains… En 1868, l’établissement de bains proposent ses

l’Allemagne et les États-Unis. L’Obdam, en provenance de New

nouveaux bains américains, qui permettent d’amener avec

York et à destination d’Anvers, jette l’ancre à 5h30, le 6 juin

célérité les cabines dans l’eau grâce à un système de rail.

1889, dans la rade : le port, trop peu profond, ne permet pas aux paquebots d’accoster à quai, le transbordement des voyageurs et marchandises se fait donc par l’intermédiaire de tenders, tel

Mais au-delà de tout cela, si un lien existe bien, quelle est la

le Chicago ou le Holland. La compagnie Holland America Line,

perception de l’Amérique à Boulogne ? Certes, on connaît

première à investir Boulogne où elle trouve pour ses paquebots

quelques Américains. Certes, on sait toutes les promesses

un abri idéal à l’intérieur de la digue Carnot, inaugure alors un

économiques d’une nation à construire. Mais comment

service hebdomadaire. Le trafic va rapidement s’intensifier ; on

appréhender un pays dont un seul état est plus grand que

compte en 1913 13 compagnies faisant escale à Boulogne, qui

la France toute entière ? Le premier vecteur de ce mystère

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1917, le moment pershing américain est le roman d’aventure, qui se popularise au XIXe siècle

Le premier studio créé à Hollywood, en 1909, permet d’y

avec l’alphabétisation croissante. Le goût d’ailleurs, entretenu

tourner des films encore muets en décors naturels et toujours

par les récits de voyages et biographies d’explorateurs, contribue

ensoleillés. D’autres suivront, et le cinéma s’industrialise depuis

au succès de ce genre littéraire, en particulier chez les jeunes

ce qui n’était qu’un simple ranch de Californie en 1886. Et toutes

gens. Au travers d’ouvrages tels Le dernier des Mohicans de

ces images atteignent les écrans boulonnais. Par le biais du

Fenimore Cooper (1826), Le chef blanc de Thomas Mayne-Reid

cinéma, l’on découvre ici comme ailleurs les métropoles de la

(1855), Les aventures de Tom Sawyer de Mark Twain (1876) ou,

côte Est, les plaines du Far West… Un journaliste de la Revue du

moins connus mais très bien diffusés – notamment à Boulogne -,

port témoigne en 1936 de ses souvenirs d’enfance en évoquant

les 85 romans, souvent publiés en feuilletons par les journaux

ce passage de la littérature au cinéma : « Nos héros favoris

français, de Gustave Aimard, les jeunes Boulonnais découvrent

s’échappèrent alors des livres pour venir peupler l’écran de leurs

avec ravissement les États-Unis.

folles chevauchées et ces redresseurs de torts qui assuraient le triomphe du bon droit à coups de lasso et de révolver devinrent

Puis vint le cinéma. Invention française des frères Lumière,

nos idoles. (…) Pendant des années on vit galoper sur le carré

appuyés par l’industriel Victor Planchon qui dans son usine de

de toile blanche des silhouettes coiffées de larges feutres ». La

la rue de Constantine à Boulogne met au point la pellicule, le

programmation du Kursaal pour la semaine du 2 au 8 juin 1916,

cinématographe est breveté le 13 février 1895. Grâce à Victor

adressée au maire de Boulogne, est en cela exemplaire : 4 des 5

Planchon, Boulogne-sur-Mer est la sixième ville au monde à

films proposés sont américains, dont Charlot concierge, œuvre

découvrir cette révolution, après Paris, Lyon, Londres, Bordeaux

de Charlie Chaplin tournée en 1914.

et Bruxelles : une première séance de projection a en effet lieu le 8 mars 1896 au cirque Rancy, un cirque en bois installé place

Mais le plus spectaculaire, le plus phénoménal médium porteur

Frédéric Sauvage. Celui-ci accueille de nombreuses projections

de la démesure américaine est sans conteste le cirque. Si

jusqu’à sa destruction en 1908. Parallèlement se multiplient les

d’autres – français, suisses… - fréquentent déjà Boulogne, le

lieux de projections – casino, hôtels, restaurants… -, avant la

cirque Barnum & Bailey, « The greatest show on earth », dépasse

sédentarisation dans des salles dédiées au cinéma, la première

les limites de l’entendement. Initialement prévu pour s’installer

étant le Kursaal, ouvert en 1911 rue Victor Hugo. Si les premières

place de Capécure les 22 et 23 octobre 1902, il est finalement

projections sont françaises – le cinéma français étant en position

monté sur un terrain du Moulin Wibert du fait de son gigantisme.

dominante en occupant avant la première guerre mondiale près

Amené par 4 trains, composés de 67 wagons de 20 m arrivés à

de 85 % des écrans mondiaux grâce aux deux géants Pathé et

Calais le matin du 22, Barnum & Bailey qualifie ses infrastructures

Gaumont – le cinéma américain va rapidement le supplanter.

de « ville blanche des tentes » - on monte effectivement 17

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1917, le moment pershing chapiteaux, incluant 3 arènes, 2 scènes et une piste de courses.

cette vision des cow-boys et des Indiens qui marque l’esprit des

Si un vent trop violent empêche de dresser le chapiteau principal

Boulonnais, jusqu’à l’arrivée le 13 juin 1917 d’Américains bien

le 22, et interdit les représentations alors prévues, les séances

plus semblables, finalement, aux millions de militaires anglais

du 23 octobre comptent 4 000 entrées en matinée, et entre 7 et

qui traversent la ville depuis 1914.

8 000 en soirée. Ces spectateurs médusés découvrent, au travers de 15 numéros, des animaux que l’on voit rarement à Boulogne : éléphants, girafes, tigres du Bengale, lions, chameaux, zèbres, singes, rhinocéros, kangourous, tapirs, gnous… mais aussi un numéro rassemblant simultanément 70 chevaux, ce qui donne une idée plus précise de l’étendue de la piste. Autre singularité du cirque Barnum, ses « phénomènes prodiges », sorte de zoo humain où les Boulonnais et touristes présents découvrent notamment la fille léopard, la femme magnétique, l’albinos disloqué, l’homme électrique, l’homme pelote d’épingles, Jo-Jo l’homme chien… Un autre cirque américain se produit à Boulogne les 4 et 5 mai 1905. Même s’il lui faut un espace de 100 m sur 170, même s’il emploie 500 personnes, le cirque Maccaddon’s, créé par un ancien directeur de Barnum, laisse pourtant une impression moins prégnante chez les Boulonnais. Enfin, le 27 juin 1905 s’installe place de Capécure le Buffalo Bill’s Wild

West show. Spectacle destiné à recréer l’atmosphère de l’Ouest américain dans toute son authenticité, il est créé par William F. Cody, dit Buffalo Bill, figure mythique de la conquête de l’Ouest, et tourne en Europe en 1889 et 1905. C’est alors qu’il passe à Boulogne-sur-Mer, où les spectateurs découvrent des scènes de la vie des pionniers : chasse au bison, attaque d’une diligence par des Indiens – la présence de vrais Indiens constitue le clou du spectacle. Cette version romantique de l’Ouest américain inaugure alors le mythe du Far West, et c’est sans aucun doute

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The links binding Boulogne-sur-Mer and the United States are old, as old as the United States. In fact, several Boulonnais had set off to fight in the War of Independence in 1782-83, and some never returned. Others, attracted by the promises of the American Dream, emigrated there in the second half of the nineteenth century. At the same time, attracted by the vibrant seaside resort which Boulogne had become, a small and relatively wealthy American community had settled there - representing just 0.05% of the population in 1872 and rising to no more than 35 people in 1876. Apart from the interactions they may have had with these few Americans, the Boulonnais soon forged an economic link with the United States. A vice consulate was opened in 1866. It became a full consulate in 1929 before being transferred to Calais in 1932. Under its influence, the first trade relations developed, starting in 1871. Later, and more importantly, transatlantic traffic developed between 1889 and 1939. As a port of call between the Netherlands or Germany and America or Africa, Boulogne saw traffic intensify in the pre-war period: served by 13 shipping lines, in 1914 30,000 passengers were recorded during 800 stopovers. But over and above these exchanges, what was the perception of America in Boulogne? The adventure novel, which became popular in the nineteenth century, was followed by the rise of the cinema. A first screening was held in Boulogne on 8 March 1896 and showings increased thereafter, initially featuring French films and later American productions, from 1910 onwards. But the biggest driver of enthusiasm for all things American was unquestionably the circus, like the Barnum & Bailey Circus in 1902 or Buffalo Bill’s Wild West Show in 1905, which popularised the myth of the Far West. It was without doubt this vision of Cowboys and

Indians that was fixed in the minds of the Boulonnais up to the arrival, on 13 June 1917, of Americans who were not so different from all the English soldiers who had been passing through the town since 1914.

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Requête communale demandant que les cloches sonnent pour célébrer notamment les avantages remportés par les armées du roy en Amérique (27 décembre 1781). AmB, cote provisoire liasse496. Municipal request for the bells to be rung to celebrate the successes gained by the king’s army in America (27 December 1781).

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Né à New York en 1852, Andrew Ebert s’établit à Boulogne en 1881 en tant que photographe et y exerce jusqu’en 1922 sous l’enseigne Photographie américaine. Il est le second photographe américain à s’y installer après Charles Bonnemer, de 1869 à 1872 (c. 1895). Cliché anonyme. AmB, fonds Tintillier, 31Fi19/3.

Born in New York in 1852, Andrew Ebert set himself up in Boulogne as a photographer in 1881, and traded there until 1922 under the name Photographie Américaine. He was the second American photographer to set up business there, after Charles Bonnemer, from 1869 to 1872 (c. 1895).

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Le Restaurant américain ouvre ses portes en 1871 ; son propriétaire, Jules Chardon, est pourtant français. Cette appellation renvoie certainement à une image de modernité et d’exotisme (c. 1905). AmB, 4Fi1478. The Restaurant américain opened its doors in 1871. Its proprietor, Jules Chardon, was French, however. This commercial name certainly conveyed an image of modernity and exoticism (c. 1905).

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En 1889, est mise en place une liaison transatlantique. Trente voyageurs débarquent de l’Obdam à Boulogne en provenance de New York, inaugurant ainsi 50 ans d’escales transatlantiques régulières (6 juin 1889). AmB, fonds Chambre de Commerce et d’Industrie Boulogne Côte d’Opale, cote provisoire 1ETP récol.116.

A transatlantic link was established in 1889. Thirty passengers disembark from the Obdam in Boulogne having sailed from New York, ushering in 50 years of regular transatlantic port calls (6 June 1889).

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Affiche touristique vantant la place notable du port de Boulogne dans les liaisons transmanche et transatlantiques à la fin du XIXe siècle [c. 1889]. Dessin Émile Lévy. AmB, 64Fi46. Tourist poster extolling the important role of the port of Boulogne in cross-Channel and transatlantic links at the end of the nineteenth century [c. 1889].

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Prospectus de la Holland America Line qui est, jusqu’en 1899, la seule compagnie à effectuer une liaison transatlantique via Boulogne-sur-Mer (1897). AmB, fonds CCIBCO, cote provisoire 1ETP récol.116.

Brochure of the Holland America Line which, until 1899, was the only shipping line to operate a transatlantic route via Boulogne-sur-Mer (1897).

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