Extrait Constant et Ernest Coquelin

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Madame, Mademoiselle, Monsieur, Malheureusement peu connue des Boulonnais, l’œuvre des frères Coquelin, tout comme leur gloire, est, comme vous allez le découvrir, immense et fait partie intégrante du patrimoine culturel aussi bien national que local. Elle y occupe même à un certain égard une place essentielle. Alors que Boulogne-sur-Mer célèbre en cette année 2009 le centenaire de leur décès, l’exposition

Constant et Ernest Coquelin, l’art du comédien nous permet de partir à la rencontre des deux célèbres artistes de la fin du XIXe siècle, qui comptèrent parmi les plus grands acteurs de notre théâtre et qui s’illustrèrent sur les planches du monde entier. Tandis que l’aîné des Coquelin entra dans la légende grâce au personnage de Cyrano de Bergerac, son frère cadet fut un grand acteur comique, spécialiste et même précurseur du monologue, qui haussa le vaudeville au rang d’un véritable art.


Riche en documents, aussi rares qu’inédits et rassemblés ici pour le plus grand bonheur des amateurs de théâtre et des passionnés d’histoire locale, cette exposition vous fera voyager de Boulogne à New York, en passant par les incontournables grands boulevards parisiens. Elle retrace minutieusement et habilement le parcours atypique des frères boulonnais et donne un véritable coup de projecteur sur leurs vies et carrières respectives. Aujourd’hui, l’œuvre des frères Coquelin, ainsi que leur mémoire, perdurent dans leur ville natale au travers de belles initiatives comme celle-ci. En hommage à ses deux illustres enfants, la ville de Boulogne-sur-Mer souhaite également prochainement restaurer la statue de la place de Lorraine qui les honore en centre-ville. Je tenais enfin à remercier vivement l’ensemble des personnes ayant permis la mise en valeur de cette enrichissante exposition et participé à la rédaction du présent catalogue qui l’accompagne, laissant ainsi dans la mémoire collective l’empreinte des Coquelin sur le théâtre de la Belle époque. Frédéric CUVILLIER Député-Maire de Boulogne-sur-Mer, Président de la Communauté d’agglomération du Boulonnais. 3


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Préface Il en va de la gloire des comédiens comme de celle des acteurs de cinéma : elle est aussi fulgurante qu’éphémère, aussi brillante qu’éclipsée par d’autres étoiles… filantes ! Et pourtant Boulogne peut s’enorgueillir d’avoir su – grâce à sa longue tradition culturelle– garder vivante la mémoire des frères Coquelin : oui, deux frères, bientôt surnommés l’Aîné et le Cadet, qui – issus d’un milieu modeste – côtoieront les Grands de ce monde, connaîtront la célébrité, fréquenteront auteurs et écrivains de cette fin du XIXe siècle. Magie du théâtre, des «feux de la rampe» qui n’exclut bien évidemment pas tous les drames de notre condition humaine… La tragédie et la comédie sont sœurs jumelles, et ils connurent l’une et l’autre. Leur Maître à tous deux, Jean-Baptiste Poquelin, dit Molière, ne leur avait-il pas montré que le rire et les larmes, la vie et la mort, étaient étroitement liés ? Mais aujourd’hui, grâce à cet admirable travail en commun des Archives et de la Bibliothèque municipales, Constant et Ernest Coquelin sont ressuscités : que résonnent donc les trois coups et que s’ouvre le rideau rouge ! Max Papyle Adjoint au Maire chargé des Archives et de la Bibliothèque municipales. 5


L’intérieur de la boulangerie familiale. Huile sur toile de Jean-Charles Cazin. Cliché J.P. Thomas © Musée de Samer

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De la boulangerie familiale à la dynastie de comédiens

V

raisemblablement originaire de Lengronne, dans la Manche, la famille Coquelin migre vers le Pas-de-Calais au milieu du XVIIe siècle. Elle s’implante durablement à Samer, où naissent cinq générations, depuis Adrien vers 1659, à Benoît Joseph en 1808. Ce dernier part pour Boulogne-sur-Mer, où il est, à l’âge de 15 ans, garçon boulanger chez Duhamel, dans la Grand-Rue1. Après le décès de celui-ci, Benoît Coquelin continue à travailler dans la boulangerie, transférée au 2 de la rue de l’Écu, où il rencontre Constance Vannoorenberghe, également au service de Mme Duhamel. Tous deux se marient le 5 février 1840, à Boulogne, et reprennent définitivement en avril la boulangerie, «une maison à un étage, puis le toit et deux fenêtres mansardées donnant sur la rue : vieille et simple demeure datant de 1789 […]. La boutique n’avait qu’une porte sur le côté gauche ; l’autre porte, droite, était celle d’un sombre et étroit corridor allant à la cour et à la porte de l’escalier de l’étage. Le vitrage très simple de la boutique laissait voir, dans le jour, des tartes, des brioches, des bocaux, et, le matin, des petits pains au beurre et des craquelins2». Située dans le quartier le plus fréquenté de la ville, la boutique est achalandée, «Les matelotes étaient d’excellentes pratiques et constituaient la plus fructueuse partie de nos clients. Elles commandaient des tartes en quantité, pour célébrer les retours ou les départs des équipages des bateaux de pêches3.»


U n an après le mariage naît un premier

enfant, le 23 janvier 1841 : Benoît Constant, surnommé, y compris par ses frères, Coquelin. Suivent en 1842 Marie Constance Mélanie, puis en 1844 Louis Gustave, dit Wasa. Enfin, le 15 mai 1848, voit le jour Alexandre Honoré Ernest, usuellement prénommé Ernest, et surnommé Cadet alors qu’il est en réalité le benjamin.

Appréciée à Boulogne, la famille est dépeinte comme travailleuse et cordiale. Benoît Coquelin est «un joyeux compagnon, avec ses cheveux et ses favoris roux, son teint clair et toujours une chanson sur les lèvres, il chantait du matin au soir, et il eût chanté du soir au matin si le labeur opiniâtre auquel il se livrait pendant la journée ne l’avait obligé à prendre le repos qu’il avait bien gagné4». Selon Ernest, Constance Vannoorenberghe est «la bonté, le courage même. […] Elle se levait tous les jours, à quatre heures du matin, réveillait la servante et les garçons par un coup de sonnette formidable, travaillait depuis quatre heures du matin jusqu’à dix heures du soir. Au petit jour, dans la cave, elle fabriquait les pâtes à tartes ; la matinée, c’était la pâtisserie ; l’après-midi, elle était dans sa cuisine, dans la boutique, dans son ménage, et trouvait au milieu de ce dur labeur, le temps de nourrir et d’élever quatre enfants qui l’adoraient. […] Sa physionomie était empreinte de douceur et de cordialité. 8


La chère femme n’avait pas eu, comme ses enfants, la possibilité de s’instruire ; mais son intelligente bonté, sa simple éducation instinctive, en auraient remontré aux femmes les plus savantes5». Très proche de sa mère, Marie, que ses frères adorent «était la bonté et la douceur même et l’emportait sur toute la famille par l’effusion du cœur6» ; avec son époux, Adolphe Pottiez, elle assure jusqu’à sa mort à 34 ans la succession de la boulangerie. De son côté, Gustave est un piètre financier. «Bonne et franche nature qui rêve une situation plus truculente comme argent7», il est toute sa vie dépendant de ses frères, qu’il engage parfois dans des investissements hasardeux. Il écrit en 1877 à Constant «Depuis deux ans et demi, je n’ai fait qu’appel tout le temps à ta bonne volonté et à ton affection pour moi et chaque fois, mon cher ami, tu y as répondu simplement, fraternellement, la main et le cœur ouverts. En ce moment, tu fais plus, tu te fatigues, tu dépenses ta santé, ton temps, ton talent, tout pour moi, pour remplir les engagements que tu as contractés dans le but de me laisser une carrière ouverte8 …» Autre homme important de la famille, Emmanuel Coquelin, grand-oncle de Constant et Ernest, conserve dans le souvenir des Boulonnais du XIXe siècle une place à part. Ernest Deseille voit en lui «un être à part, doué qu’il était d’un franc génie comique qui s’épanouissait jusque dans les circonstances les plus vulgaires [… et qui] avait une manière à lui de dire, de regarder, d’agiter les gestes et de marcher dans un sérieux de si haute gamme, qu’il dilatait toutes les rates9», tandis qu’Ernest évoque «un homme extraordinaire de gaieté et de comique naturel; il faisait des affaires à Boulogne et empaumait tout le monde par une verve populaire spontanée, jaillissante, intarissable10». Pour Cadet, le grand-oncle Emmanuel est vraisemblablement à la source de l’amour du théâtre qui les a frappés, son frère et lui. 9


H ormis sa sœur Marie, qui a quatre enfants,

dont seules deux filles survivront, Constant est le seul de la fratrie à avoir une descendance. Il rencontre à Paris Antoinette Marie Manry, fille d’un confiseur de Clermont-Ferrand, et comédienne de la troupe du Vaudeville de la place de la Bourse, connue sous le pseudonyme de Mlle Desrieux. Amoureux, Constant écrit à son ancien professeur, François Régnier de la Brière : «Je me marie. J’épouse Mlle Desrieux11 […]. C’est une digne et honnête fille que j’adore et je veux vous demander si vous voulez bien me faire l’honneur d’être mon témoin12 …» La date du mariage est fixée au 4 janvier 1865, afin de permettre à Constant de reprendre ses répétitions d’Amphitryon le 8, provoquant l’ire de Mme Coquelin, qui ne peut abandonner la boulangerie à deux jours de l’Épiphanie13. Les galettes des rois l’emportent sur la volonté du jeune homme de profiter de quelques jours de félicité conjugale, et le mariage n’est célébré que le 10 janvier, à la mairie du 2e arrondissement de Paris, au grand bonheur du comédien: «Je suis marié depuis mardi, et tous mes vœux sont comblés… Ma femme est la plus adorable et la plus délicieuse qu’on puisse rêver… Tout s’y trouve, sa bonté égale son amour pour moi14.» Rapidement, la jeune épouse tombe enceinte, ce qui comble Constant : «Ma femme continue à s’arrondir… dans deux mois, à peu près, nous entendrons sonner l’heure de la délivrance. – Deux mois encore ! Je voudrais bien que le temps me prêtât sa montre pour un instant… Je l’avancerais avec joie, je vous le jure15…» Le 1er décembre 1865 naît à Paris Camille Léon Jean, dit Jean, fils unique et adoré de Constant, qui lui écrit à la fin de sa vie qu’il «aurait voulu être encore plus ton ami, n’ayant pu être le grand-père de tes enfants. […] Crois bien toujours mon cher Jean que jamais fils ne fut mieux et plus aimé que toi16», d’autant plus que, le couple se séparant officieusement assez vite, le comédien n’eut pas d’autre enfant. 10


Constant Coquelin et son fils Jean âgé d’une dizaine d’années. Cliché anonyme. 4° ICO PER 5618 © Bibl. nat. France

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Baigné dès son enfance dans l’atmosphère du spectacle, Jean suit tout naturellement les traces de son père, et sans passer par le Conservatoire, s’engage dans une carrière théâtrale, puis cinématographique. Son parcours est intimement lié à celui de son père, qu’il suit régulièrement en tournée, notamment aux États-Unis, où ses interprétations sont favorablement accueillies. Brièvement pensionnaire de la Comédie-Française, entre 1890 et 1892, alors que son père, mais aussi son oncle Ernest, y jouent, Jean Coquelin interprète les rôles classiques comme le théâtre contemporain : il crée notamment les rôles de Ragueneau dans Cyrano de Bergerac, ou du chien Patou de Chantecler. Il s’implique dans l’administration des théâtres, dirigeant principalement celui de la Porte-Saint-Martin. Après-guerre, le théâtre souffre des progrès du cinématographe. Jean Coquelin n’est pas hermétique à ce nouvel art, et participe, de 1925 à 1943, à une vingtaine de films. Dirigé à trois reprises par Julien Duvivier ou Sacha Guitry, il interprète indifféremment des drames ou des comédies, le plus souvent dans des rôles secondaires, et partage l’affiche avec des comédiens tels qu’Arletty, Harry Baur, Raimu, Jules Berry, Pierre Brasseur, Michel Simon, Louis Jouvet, Danielle Darrieux, Pierre Fresnay… Comme son père, Jean Coquelin voue sa vie au théâtre. Il s’éteint à Couilly-Pont-aux-Dames le er 1 octobre 1944, et y est enterré auprès de Constant. Comme son père, Jean épouse une comédienne, Louise Didès, dite Louise d’Annecy, qui lui donne un fils unique, Jean-Paul, né en 1924. À son tour, le petit-fils de Constant est saisi par le virus du spectacle. Il entre au Conservatoire en 1941 et y obtient deux ans plus tard le premier prix de comédie. Acteur de théâtre, de cinéma, mais aussi de télévision, il intègre en 1947 la troupe de la Radio-Diffusion Française, et crée à ce titre plus de 3 000 enregistrements radiophoniques17. Par ailleurs, Jean-Paul s’illustre également dans le doublage, prêtant sa voix à de nombreux artistes étrangers. Il s’éteint en 2001, lui aussi après une carrière entière offerte au monde du spectacle. La passion de Constant, communicative aux deux générations qui l’ont suivi, a perduré à travers elles près d’un siècle et demi, et est perpétuée aujourd’hui par Pascal, son arrièrepetit-fils, ingénieur du son.


Constant et Ernest Coquelin, encadrant leur frère Gustave. Cliché Melandri © Collection C. Coquelin

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