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Bertrand Derome
À quoi ressemblent et consistent les rôles et responsabilités de Bertrand Derome, directeur général de l'Organisation mondiale du design ? Des images valent mille mots…
La Terre Tremble
En réponse aux séismes qui ont frappé la Turquie en février dernier, et avant de se rendre sur place, il a organisé une réunion en ligne avec une dizaine de membres turcs provenant d'établissements d'enseignement, d'associations professionnelles et de l'industrie.
Veiller Le Renouveau
Le constat ? Certaines entreprises sont prêtes à contribuer à la fabrication de logements de fortune pour les sinistrés et, à long terme, dans la reconstruction des 10 villes dévastées, affectant plus de 10 millions de personnes. Ce sont des enjeux de taille, selon Bertrand Derome, « assurer le retour des cerveaux et des artisans forcés de quitter leur région et pour les villes, de retrouver leur dynamisme d’antan. »
Impliquer La Prochaine G N Ration
« L'Association turque des designers industriels nous a invités à tenir une réunion du conseil d'administration dans leurs locaux et à participer à des ateliers. Cela a conduit au lancement conjoint d'un défi de design entre les universités turques et canadiennes. Les réunions auront lieu sur nos plateformes virtuelles cet été. Nous accompagnerons les participants et mettrons à leur disposition des experts, dont un responsable du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés. »
SES ORIGINES
Né à Montréal en 1974, Bertrand Derome a grandi aux côtés de sa sœur aînée. Très tôt, ils ont appris l’importance de faire des choix, de se remettre en question, et ont perfectionné l’art du débat en s’exerçant auprès d’un père scientifique et météorologue et d'une mère formée en psychosociologie et en criminologie.
SES PLUS BELLES ANNÉES
Après un parcours collégial allant des sciences à l’art, en passant par les sciences humaines, le futur bachelier de l’UdeM choisit la branche du design industriel. Créant à sa guise, ce sont ses plus belles années.
AVEC AUDACE
Dans le cadre d'un projet d'étude, il a créé un système de recyclage intégré des pédales conçu pour la cuisine, appelé Tri-cycles (1997-1998). Dans un projet visant à concevoir et construire un jeu d'échecs, allant à contre-courant des autres étudiants du groupe, il aime mettre l'accent sur l'aspect social du jeu en développant de nouvelles règles plutôt qu'en concevant les pièces.
UN COUP DE FOUDRE
« Un moment marquant, c’est quand ma marraine est revenue d’Italie avec Il Conico d’Alessi (1979), cette bouilloire en inox de forme cylindrique à la base, au design épuré très efficace, parce que sa base ronde et large récupère bien toute la chaleur de l’élément chauffant et, de par sa forme, la concentre au-dessus. C’est un superbe objet désigné par l’architecte Aldo Rossi. Pour moi, à ce moment-là, c’était clair que j’allais, un jour, créer un produit comme celui-là. »
En Mode Exploratoire
Poursuivant ses propres projets, il a rejoint la société d'ingénierie STO, où il a dirigé le département de design de 2000 à 2004. Ensuite, chez Artopex, à une époque où les politiques d'approvisionnement durable émergeaient dans l'industrie du mobilier, il a bénéficié de l'opportunité de se plonger dans la recherche et l'analyse des cycles de vie des produits et de leur impact sur l'environnement.
Bertrand Derome
Directeur général World Design Organization (WDO) wdo.org
LE DESIGN INDUSTRIEL, PARTOUT & TOUJOURS
« J’adore cette image du philosophe Michel Serre qui considère l’humanité comme une grande toile où chacun participe à construire ou à détruire des maillons. J’aime la perspective de construire ce qui servira à d’autres demain. »
Un Cheval De Bataille
Bertrand Derome a fait de l’écoconception, son cheval de bataille. Il prend part à O2, un réseau international de designers intéressés aux enjeux de développement durable qui avait une antenne à Montréal. Grâce à ses contacts, il sera amené à joindre l’Institut de Développement de Produits (IDP) en 2006 à titre de conseiller en écoconception. Son mandat l’amène à rencontrer des dirigeants d’entreprises pour poser des diagnostics et proposer des stratégies d’innovation responsable. L’équipe de sept personnes à Montréal grandie rapidement, appuyée par le ministère de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie, développe des programmes de formation, dont certains sont parrainés par des entreprises telles que RONA. En 2011 à 2019, il prend la direction générale de l’Institut.
« C'était comme prendre sa retraite (pour la première fois...), car être consultant à l'IDP n'était plus un travail, cela signifiait être rémunéré pour faire ce qui me passionnait : aider les entreprises à évoluer. Mais lorsque j'ai pris la direction générale de l'IDP, je pensais pouvoir amener toute l'organisation vers le développement durable. Mais cela n'a pas été le cas. »
Un Monde De D Couvertes
Dans ses temps libres ou dans ses fonctions, partir à la découverte est un loisir pour Bertrand Derome. C’est aussi pour lui l’opportunité d’être à l’écoute des réalités propres aux différentes cultures. Il explore, notamment, en collaboration avec ONUDI, l’Organisation des Nations Unies pour le développement industriel, la façon avec laquelle des communautés d’artisans peuvent développer leurs marques, les exporter, tout en préservant leur savoir-faire ancestral. Son organisation actuelle, WDO et ONUDI ont un long historique de collaboration, organisant ensemble la première conférence de l’ONU sur le design et y signant en 1979 la Déclaration d’Ahmedabad sur le développement par le design. Cette collaboration qu’il renforce aujourd’hui l’amène à développer des projets de développement international qu’il rêvait de lancer depuis longtemps.
« Quand on me demande à quel endroit j’aimerais retourner, je réponds que c’est là où je ne suis pas encore allé. J’adore connaître du nouveau, je suis un geek de documentaires. »
PASSION-TRANSFORMATION-AMÉLIORATION
Après avoir remodelé le monde pendant ses études et goûté à la création en toute liberté, il a été confronté à la réalité quotidienne d'un studio de design lors d'un stage à Milan en 1998. Se concentrer uniquement sur la dimension esthétique du produit pesait lourdement sur son esprit, car il cherchait passionnément une plus grande profondeur dans son geste créatif. Un sentiment, selon lui, partagé par de nombreux designers industriels.
ACHETER, C’EST VOTER
« Ce qui me fait me lever le matin, c’est sentir qu’on peut accomplir des transformations, en étant engagé face à des problématiques. Le cas de café Acheter, c’est voter de Laure Waridel a cristallisé ce que je faisais : boycotter ou privilégier des marques en fonction de mes valeurs. Cette conviction aurait bien pu m’amener vers des ONG plus militantes. Or, j’ai senti que j’aurais plus d’influence par le design à travailler avec l’industrie plutôt que de travailler contre. Beaucoup choisissent le design industriel parce que l’on ne se satisfait pas du statu quo. Dans notre pratique, nous pouvons fournir des alternatives tout aussi séduisantes que culturellement acceptables et désirables. Les designers industriels doivent dorénavant se donner cette mission. »
« L’un des piliers de développement durable dont on ne parle pas assez, ai-je constaté pour avoir travaillé trop longtemps sur les aspects techniques du développement durable, est le pilier culturel. »
Un Univers Parall Le
Qu'y a-t-il de mieux, entre deux réunions ZOOM, que de laisser son esprit et ses doigts se détendre sur la basse ou la contrebasse, « la basse qui assure le lien entre le rythme et la mélodie », dit-il, « gardant les musiciens ancrés. »
« Je joue du jazz. Avec mes amis, c'est du rock. Quand j'étais au Cégep, certains amis m'ont approché pour former un groupe. J'avais l'intuition que la basse était ce dont j'avais besoin. Trois mois plus tard, nous avons fait notre premier concert à la fin de l'année scolaire au Collège Stanislas. »
Transmission De Valeurs
La vie familiale est déjà bien remplie en compagnie de ses ados : un « petit gars » de 16 ans, de 6'3 et une fille de 19 ans. Il est heureux d’avoir joint WDO en 2019, dont le siège social se situe à Montréal – sa seconde retraite – au moment où ses enfants étaient plus indépendants, et leur mère flexible sur les arrangements en raison des déplacements mensuels sur le terrain et à l’étranger.
« C'est drôle, je n'ai pas l'impression d'avoir poussé les enfants trop fort, mais mon fils est inscrit au Cégep en design industriel et ma fille envisage deux admissions universitaires possibles : la psychologie et les arts. »
L'International Council for Societies of Industrial Design (ICSID) a été fondé en 1957 par des associations professionnelles nationales et des organismes de promotion du design du monde entier, y compris l'Association des designers industriels du Canada (ACID). Au fil du temps, des écoles de design ont rejoint l'organisation, de même que des membres de l'industrie et, plus récemment, des villes, un niveau de gouvernement pouvant exercer une grande influence sur la qualité de vie et le développement durable. Parallèlement, le champ du design industriel s'est considérablement élargi, incitant l'association à réviser son nom pour refléter la pratique et sa communauté.
« Le terme ‘industriel’ a été retiré du nom de l’organisation pour qu’elle soit inclusive et demeure pertinente. La pratique et le processus centré sur l’usager qu’on enseigne en design industriel porte non seulement sur le design de produit, mais touche aussi aux services, aux systèmes, aux expériences, et même aux politiques publiques. »
L'HISTOIRE D'UNE ORGANISATION
À l'été 2022, accompagné de deux membres du conseil d'administration de la WDO, Bertrand Derome se rend à Brighton, en Grande-Bretagne, pour consulter les archives de la WDO.
Ils explorent entre autres qui sont les membres fondateurs de l’organisation et les visions du design qui se confrontent, entre ceux qui prônent pour la désignation « d’esthétique industrielle » et ceux qui militent pour l’appellation « design », issu du designo, signifiant tout autant le dessin que le projet, le dessein, soit l’intention. On sait aujourd’hui quel courantfit sa marque, et avec l’évolution actuelle de la pratique du design, la pertinence de ce choix est plus grande que jamais.
Les archives révèlent également comment le désir d'améliorer le monde dans lequel nous vivons, de relever les défis sociaux, culturels et environnementaux, a toujours fait partie de l'ADN des designers. Bien avant l'émergence du terme « développement durable », l'organisation mettait en place des Interdesigns, des charrettes de design de deux semaines au cours desquelles des designers du monde entier unissent leurs forces pour résoudre des problèmes locaux. Depuis 1971, plus de 40 projets de ce type ont permis de développer des solutions innovantes à des problèmes allant de la production et de la distribution de pain dans l'ex-URSS à la vie en petite communauté et au logement au Canada.
Passionné par le développement international depuis sa jeune enfance, Bertrand est fier de pouvoir contribuer au développement de programmes qui ont le potentiel d’impacter directement la qualité de vie des communautés. Alors que la pandémie frappait de plein fouet, l’équipe de WDO a mis sur pied une série de Design Challenge pour impliquer la communauté du design sur des enjeux pressants. Le premier, en partenariat avec IBM et Designers For America a attiré 5500 designers à vouloir participer, dont plus de 300 ont fait partie des équipes de travail qui allait développer des concepts pour mieux gérer la pandémie (campagnes de communications, équipements de protection, application d’aide aux personnes vulnérables…) tous mis en accès libre. Un autre Design Challenge a été mis en œuvre pour aider les Nations Unies Femmes en Asie du Sud-Est à développer des programmes visant à changer les comportements menant à la violence faite aux femmes, un champ d’action où le design n’est pas toujours attendu, mais prend tout son sens.
La dernière des initiatives d'impact de WDO, à laquelle Bertrand est fier de contribuer, s'appelle World Design Protopolis. Ce programme, qui découle du programme biennal des Capitales mondiales du design de WDO, sera attribué à Bangalore. Cette ville émergente, dont la population croît beaucoup plus rapidement que son infrastructure ne peut le soutenir, souhaite utiliser le design pour renforcer sa capacité à répondre aux besoins de sa population, que ce soit en termes d'accès et de gestion de l'eau, de mobilité, de logement ou de gestion des déchets. Le projet de 5 ans impliquera non seulement la communauté locale et internationale du design, mais également toutes les parties prenantes qui peuvent bénéficier d'une collaboration, dans un processus de design structuré et avec le soutien des décideurs publics pour la mise en œuvre des projets.
WDO est une organisation non gouvernementale qui a un statut consultatif auprès de l’O.N.U. et ses agences sur la question du design. Elle réunit plus de 190 organisations membres en 2023, soit plus de 400 000 designers à travers le monde. Sa communauté lui permet de déployer une vaste gamme de programmes allant de la désignation bisannuelle World Design Capital, des World Design Talks, des Interdesigns (dont ceux organisés au Canada en 1974 et 2007, et de nombreuses autres initiatives régionales et internationales.
Bertrand Derome, directeur général et membre du comité exécutif, est responsable de diriger et de gérer le secrétariat, ainsi que d'assurer la liaison avec le conseil d'administration. Il supervise les différents projets dans le portefeuille des membres du conseil.