Introduction : Mon sujet de réflexion trouve son point de départ dans les interventions physiques observées sur mon premier lieu de stage. Cette pratique était de surcroit réfléchie et a fait l'objet d'une réflexion quant à son mode d'application et à son déroulement. Lors de mon entretien avec le chef de service, celui-ci m'avait informé des réactions parfois violentes de ce public. Je m'étais, préparé à des premières rencontres peut-être difficile, avec des conflits, des insultes mais je ne m'étais pas « projeté » dans le rapport physique avec les adolescents. La première fois que j'ai assisté à ce type d'intervention directe je me suis questionné quant à cette pratique : était-ce une aberration de l'institution et de l'équipe que de concevoir de telles « réponses » ? y avait-il un sens qui m'échappait ? En tant que futur professionnel je ne me suis pas reconnu dans cette type de pratique, je n'y ai perçu d'abord que la mise en acte d'un rapport de force. Ce n'est qu'ensuite, au travers de divers constats et observations, et qui m'ont semblé parfois paradoxaux que j'ai perçu le sens possible de cette pratique sur laquelle je souhaite m'arrêter plus avant. Car elle semble porter, parfois dans les discours ambiants le sceau du « tabou »; du non-dit. En effet, suite à de nombreuses discussions et questions, que ce soit aux professionnels présents sur mes lieux de stage ou bien certains des intervenants rencontrés lors de mes semaines de formation, force est de constater qu'il semble difficile, du moins complexe de s'exprimer sur cette réalité qu'est la maîtrise physique d'un jeune ou plus globalement d'un usager. Acte de contention, acte de contenance, acte de violence ? De par mes constatations cela se pratique dans de nombreux établissements, en particulier dans les Institut Thérapeutique Éducatif et Pédagogique (I.T.E.P)* où il peut arriver que notre corps soit sollicité lors de situations de violences, donc dans le cas d'un passage à l'acte ou d'une crise que faire de ce corps à corps. Comment se l'approprier de façon à ce que l'action éducative, fût-elle une intervention physique, conserve un caractère professionnel et ne convoque pas en nous, peur, violence ou colère.
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Je vais donc tenter de questionner ce que ce rapport particulier à l'autre, exige comme dimensions à la fois humaine et technique. De nombreuses questions se posent en effet. Se pourrait-il que cet acte soit inscrit dans une dynamique, un processus ou n'est-ce qu'une violence supplémentaire ou une façon de la légitimer ? L'objectif de ma note dactylographiée étant de réfléchir et de questionner une pratique, en tentant de rester objectif sur l'intérêt ou non d'une telle position. Est-il possible pour moi d'y mettre du sens et de finalement me positionner sur ce sujet ? Cette note dactylographiée sera composée de trois parties, elles-mêmes subdivisées en souspartie. La première partie me permettra dans son premier volet de définir le cadre légal. La seconde sous-partie sera quant à elle destinée à une tentative de mise en lumière des différentes comportements et manifestations liés à cette problématique que sont les T.C.C* (Trouble de la Conduite et du Comportement). J'aborderai en troisième points les éléments historique de la création de la section I.T.E.P.
au sein de cet établissement ainsi que les
bouleversements qui en ont découlé. Dans la seconde partie, j'exposerai la réflexion institutionnelle quant aux façons de gérer, prévenir et contenir cette violence et ce qui a amené à ces questionnements et ces recherches de réponses ou d'hypothèses. Je m'arrêterai sur le point spécifique qui est en partie à l'origine de cet écrit; la mise en place de cours de self-défense à l'intention des éducateurs. Je développerai ensuite sur le rôle et le sens des instances de supervision et d'analyse des pratiques. En troisième partie, j'analyserai les limites, les constats de cette pratique. j'analyserai les perspectives des réponses mises en œuvre dans le cadre d'une hypothèse. Ces trois parties me permettront d'inclure, vignettes cliniques et apports théoriques afin d'étayer certains éléments de cet écrit.
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I) Histoire et contexte. 1. Le cadre légal Le public et le mode de prise en charge sont définis par le décret N° 2005-11 du 06 Janvier 2005 du ministère des solidarités, de la santé et de la famille . Art- D.312.59.1 - Les I.T.E.P* accueillent les enfants, les adolescents, les jeunes adultes qui présentent des difficultés psychologiques dont l'expression, notamment l'intensité des troubles du comportement perturbe gravement la socialisation et l'accès aux apprentissages. Art- D.312.59.2.II.1 - Les I.T.E.P* conjuguent des actions thérapeutiques éducatives et pédagogiques sous la forme d'une intervention pluridisciplinaire réalisée en partenariat avec les services et établissements de l'Education Nationale, les services de l'A.S.E* (Aide Sociale a l' Enfance) et la P.J.J* (Protection Judiciaire de la Jeunesse). Actions réalisées dans le cadre d'un projet d' accompagnement personnalisé et pour se faire la prise en charge se déroule autour de 3 pôles, comme le définit le décret N° 89-798 du 27 Octobre 1989 dit « Annexe XXIV ». Le pôle thérapeutique, comporte un médecin psychiatre, une psychologue , une orthophoniste, une infirmière et un chef de service. Le pôle éducatif, comporte par 2 éducateurs-spécialisés et 6 moniteurs-éducateurs et un chef de service. Les accueils sur se font de trois façons : en internat, en externat et séquentiel. Le pôle pédagogique, regroupe la partie scolaire, 6 instituteurs dépendant de l'Education Nationale et un Directeur La partie professionnelle, comporte 6 ateliers et un C.F.A.S.* (Centre de Formation des Apprentis Spécialisés) encadrés par des éducateurs-techniques et chef de service.
Ainsi se définit le cadre légal d'accueil des publics. L'orientation vers un I.T.E.P.* Se fait via la M.D.P.H.* ( Maison Départementale de la Personne Handicapée ) et sa Commission des Droits à l' Autonomie de la Personne Handicapées (C.D.A.P.H.)*. L'O.M.S.* (Organisation Mondiale de la Santé) donne elle aussi une définition de ce public, j'apporterai cette définition dans la seconde sous-partie ainsi que des exemples afin de mieux comprendre les problématiques de ces publics.
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2.Les T.C.C* ou Trouble de la Conduite et du Comportement
L'O.M.S* donne une définition de ce que sont les T.C.C* : « Par troubles mentaux et du comportement, on entend des affections cliniquement significatives qui se caractérisent par un changement du mode de pensée, de l’humeur (affects) ou du comportement associé à une détresse psychique. Les troubles du comportement ne sont pas de simples variations à l’intérieur des limites de la "normalité", mais des phénomènes manifestement anormaux ou pathologiques. Un épisode unique de comportement anormal ou un dérèglement de l’humeur de courte durée n’est pas en soi l’indice d’un trouble mental ou du comportement. Pour être considérées comme telles, les anomalies doivent être permanentes ou répétées et causer une souffrance ou des empêchements dans un ou plusieurs domaines de la vie courante ». Je pense malgré tout, que les symptômes que représentent les manifestations de ces troubles du comportement, sont l'expression de profondes souffrances remontant le plus souvent à la petite enfance. L' interaction complexe de nombreux paramètres et l'écho qu'ils trouvent dans la psyché de l'enfant, pourraient participer à la construction d'une pré-conception « erronée » des relations au monde et à ses composants. Afin de faire mieux apparaître les manifestations liées à cette problématique, je vais présenter deux jeunes présents sur le groupe d'accueil où se déroulait mon stage. Gaëtan est âgé de seize ans, troisième d'une fratrie de quatre enfants, il vit au domicile parental. Ce jeune présente des états dépressif récurrents et fait des tentatives de suicide à chacun de ses anniversaires. Il présente des difficultés d'expression et manifeste des comportements violents pour obtenir ce qu'il souhaite. Il est 20 heures, Une éducatrice, un éducateur et moi nous trouvons sur le groupe avec les jeunes pour le repas du soir. Gaëtan au cours du repas doit prendre un traitement. Ce soir là, il a décidé qu'il ne le prendrait pas, lorsque l'éducatrice pose le cachet à coté de son assiette, il le jette par terre. Elle lui explique, que la prise de ce traitement n'est pas soumis à condition et qu'il le sait. Il l'insulte en lui disant qu'elle pourrait faire ce qu'elle veut il ne le prendra pas. L'éducatrice tente plusieurs argumentations, afin de faire appel aux capacités de réflexion du jeune, sans résultat. Elle prend finalement l'assiette du jeune et part la déposer sur la table d'extérieur, en lui disant que puisque il ne veut pas suivre les règles de vie du groupe, il prend d'une certaine façon la décision de s'en exclure, du moins, momentanément donc, il prendra son repas seul. Le jeune continue de l'insulter et menace de la frapper, elle garde son calme quant à ces menaces. Le jeune sort du groupe, mais ne s'assoit pas à l'endroit où se trouve son assiette, il continue tout droit vers le parc du château, il disparaît à l'angle d'un mur.
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L'éducatrice choisit de le laisser, afin, avant tout qu'il se calme. Quelque minutes plus tard, le téléphone sonne, je vais répondre. C'est une éducatrice d'un autre groupe, Gaëtan est sur le parking en train de donner des coups de pieds dans la voiture de l'éducatrice . Nous quittons le groupe avec l'éducateur, nous sommes rejoins par un autre éducateur, nous arrivons rapidement sur le parking, le jeune s'est déjà éloigné et part dans la direction opposée. Lorsque nous sommes à proximité de lui, l'éducateur du groupe interpelle le jeune et commence à lui reprocher la disproportion de sa réaction et des éventuelles conséquences de son acte. Le jeune se retourne brusquement, tente d'asséner un coup de poing à l'éducateur, pas de recul, nouveau coup de poing, le deuxième éducateur prévient Gaëtan qu'il doit réussir à se calmer, qu'ils ne pourront pas le laisser frapper un adulte. Je suis un peu en recul et j'observe le jeune, il est furieux, les mots prononcés semblent ne plus être entendu, il regarde fixement l'éducateur et tente de porter un nouveau coup. Le deuxième éducateur s'approche rapidement saisit le poignet du jeune et par un geste technique, le maîtrise. Le jeune tente de se débattre, l'éducateur le dirige vers le sol, l'éducateur de Gaëtan lui maintient les jambes. Il lui dit et lui répète que sa violence ne lui permettra pas de résoudre ses problèmes, qu'il doit trouver d'autres moyens de d'exprimer ses désaccords. Cette situation a fait l'objet d'un rapport d'incident, le jeune fût convoquer par la direction, afin de reprendre avec lui, les actes commis et de lui rappeler son obligation de prise du traitement et de l'engagement qui fût le sien par le biais du contrat de séjour. Le jeune ne fût semble que peu réceptif aux paroles du directeur, ce dernier prendra la décision d'un renvoi temporaire. Cet exemple souhaite illustrer l'intolérance à la frustration et l'agressivité vers laquelle elle peut emmener le sujet. L' agressivité est certes une réponse à la frustration, mais elle est aussi l'un des mécanismes de défense mis en place par la personne, Michel Lemay la définit comme étant une façade derrière laquelle on peut apercevoir les signes essentiels du syndrome carentiel à savoir : le désir d' une relation exclusive, l'image négative de soi-même, le fond dépressif, une faible estime de soi-même, et une méfiance envers l'adulte. Steven revient sur le groupe et semble alcoolisé, sa diction et l'aspect vitreux de son œil le laisse supposer, je m'approche du jeune avec l'éducateur présent et effectivement le jeune sent l'alcool. Je lui pose la question, Steven confirme et dit avoir bu une canette de bière. La consommation d'alcool étant interdite, l'éducateur signifie au jeune qu'il en discutera avec l' équipe et que cela fera l'objet d'une sanction. A cet instant le jeune crache sur l'éducateur et se saisit d' un pain qui se trouvait sur la table, lui jette au visage et le blesse. L'obligation de l'arrêter s'impose à nous. L' éducatrice présente appelle un cadre socio-éducatif, le jeune est en crise, cette limite qui se matérialise face à lui le fait monter en pression; le cadre arrive et nous fait lever la contention avant que le jeune ne soit calmé, étant informé de la situation, le cadre dit à l'éducateur que boire une bière n'est pas si grave, que ce n'est pas la peine d'en arriver là.
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Steven fort de ce « soutien » venu d'un supérieur hiérarchique, se sent conforté dans ce sentiment de « toute puissance », L'éducateur s'en est trouvé, à mon sens discrédité dans sa démarche première et dans son autorité à la fois statutaire et naturelle, d'ailleurs en passant à coté de lui, Steven lui crache à nouveau dessus et cette fois au visage, le chef de service ne dit rien et explique que vu les problématiques comportementales et familiales de ce jeune, il ne peut être considéré comme totalement responsable de ses actes. Les vignettes cliniques présentent dans cette seconde sous-partie tentent d'illustrer les comportements pouvant ponctuer le quotidien et de quelle manière le corps peut être sollicité et malmené. La sous-partie suivante va me permettre de définir le contexte de création de ce service I.T.E.P. et les bouleversements qui en ont découlés.
3.La création de l'I.T.E.P.* J'ai recueilli la plupart des informations qui suivent auprès de mon formateur de terrain, ainsi que des autres éducateurs du groupe d'accueil où se déroulait mon stage de première année. Ce sont avant tout des réalités économiques qui sont à l'origine de la création d'une section I.T.E.P.* Cet établissement était précédemment un I.M.Pro* (Institut Médico-Professionnel) d'une capacité de 115 places, mais en sous-effectif depuis plusieurs années. Afin de retrouver un équilibre financier et d'offrir une continuité dans la prise en charge des personnes accueillies la direction projeta la création d'un C.A.T.* (Centre d'Aide par le Travail). Le projet d'élaboration et de recherche du site d'implantation était à l'étude lorsque la D.D.A.S.S* (Direction Départementale de l'Action Sanitaire Sociale) octroya finalement les postes d'encadrements et les financements à une autre association départementale. La D.D.A.S.S* proposa à cet établissement d'accueillir des poly-handicapés, l'institution fît alors état des difficultés liées à cette prise en charge, du fait du plateau technique existant, difficilement adaptable à ce public. La suggestion fût donc faite par la D.D.A.S.S.* (Direction Départementale des Affaires Sanitaires et Sociales) de créer ce qui s'appelait avant, un I.R* (Institut de Rééducation). Le dispositif présent, soit des ateliers de professionnalisation encadrés par des éducateurs techniques, permettait de répondre à la demande qui était d'accueillir des adolescents de plus de quatorze ans, dans le cadre d'un projet de pré-professionnalisation avec pour objectif de progressivement les amener vers une formation qualifiante. Une équipe pluridisciplinaire interne se constitue, et reçoit une formation sur la spécificité des T.C.C*, assurée par une psychologue, psychanalyste. Des visites et des rencontres sont organisées avec d'autres institutions accueillant ce public. Il semblerait, malgré tout que les professionnels de l'établissement n'auraient pas été suffisamment préparé, à la rencontre, avec ces jeunes.
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Malgré mon absence à cette période, je trouve intéressant d'interroger, non pas l'utilité ni le contenu de la formation mais le fait qu'elle ait pu participer à la création d'un imaginaire autour de ce public. La fabrication d'un imaginaire collectif et individuel a pu influer sur les représentations, et ainsi contribuer aux sentiments de crainte pré-existants à l'arrivée des usagers et ainsi faire perdre de sa simplicité à la rencontre, peut-être même, la différer. Le premier groupe d'accueil d'une capacité de 7 places voit le jour. L'année suivante un deuxième groupe est créé et un troisième l'année d'après. Les éducateurs/trices déjà en poste , aurait été incité à rejoindre ce service, ce qui aurait été en son temps vécu comme une obligation. Donc l'arrivée des professionnels sur les groupes éducatifs se fait sans enthousiasme et avec une certaine appréhension. Les débordements sont nombreux et le personnel quelque peu dépassé. Les passage à l'acte des jeunes sont nombreux. Un évènement vient alors un peu plus déstabiliser les groupes et les équipes, en effet le départ d'une première éducatrice et le décès d'une seconde, oblige l'établissement à ouvrir ses portes et à recruter à l'extérieur, mais avec difficultés. Il semblerait que cela ait mis à mal les équipes en place. De nombreux arrêts de travail pour maladie, et un épuisement progressif des équipes s'en serait suivi. Commence un longue période de « turn-over ». Le recrutement devient complexe et se fait semble t-il dans une certaine urgence. Cette discontinuité dans l'accompagnement créa probablement une insécurité chez les usagers, qu'ils exprimèrent par une recherche accrue de limites, et par un « crescendo » dans la gravité des passage à l'acte (cambriolage, bagarres, coups portés aux adultes). Suite à un dépôt de plainte par un commerçant, pour des actes de vols et de dégradations dans son magasin durant la nuit, suite au jugement qui découla de cette plainte. La D.D.A.S.S* réalisera une enquête administrative. Il en résulta une nouvelle organisation interne et l'embauche de personnels diplômés fût imposé. Mais durant cette période à la fois de création et de développement, les relations entre les éducateurs et les jeunes s'étaient fortement dégradée, les rapports de force, la violence physique à la fois des jeunes mais aussi des adultes faisaient partie des réalités quotidiennes. De plus, certains jeunes se connaissaient déjà, car provenant du même établissement. Les éducateurs ont donc été rapidement mis en difficultés par ces jeunes et leurs recherches, d'un cadre dans lequel se poser et s'épanouir, et d'une équipe cohérente et stable apportant des réponses s'inscrivant dans une certaine continuité.
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La seconde partie de cet écrit exposera ce qui a été la réflexion et le positionnement institutionnel pour tenter de réguler cette violence dans le but de ré-instaurer un climat relationnel pacifié. Car les réactions violentes ne sont pas gratuites, elles sont avant tout l'expression d'un mal-être certes profondément ancré, mais sur lequel il est, partiellement, possible d'influer afin d'inviter progressivement le sujet vers la parole.
II) Réflexions et positionnements institutionnel. Comme je l'écrivais en fin de première partie, le climat de travail ne permettait plus une prise en charge adaptée de ces jeunes, de par cette loi du plus fort qui s'était progressivement installée. L'arrivée d'un nouvelle équipe de direction, la mise en place de loi du 02 Janvier 2002, invitant cette dernière (sous-directeur et chef de service I.T.E.P*) à s'investir véritablement dans le recrutement des éducateurs.
4. La stabilisation des équipes. L'écriture d'un projet de service, la mise en place d'un dispositif d'accueil clairement identifié, la conception de projets personnalisés demande la collaboration de personnels formés. Afin de pouvoir répondre à ces différentes commandes l'institution cherche la stabilité des équipes. L'arrivée progressive d'éducateurs diplômés insuffle une nouvelle dynamique aux équipes, une cohérence se crée autour de principes éducatifs de base tel, la nécessité de reposer clairement un cadre définissant des limites. La réflexion qui s'engage sur le sens des pratiques tant des éducateurs, que de l'institution, produira un certain nombre de remise en question quant au mode de prise en charge et d'accueil des jeunes. L'équipe éducative met un nouveau règlement en place et recréait un cadre contenant et de par le fait, sécurisant. Ainsi les règles de fonctionnement ne se font plus en fonction des individus mais sur un consensus établit entre les éducateurs. Une fois ce cadre posé et explicité, il faut prévoir des réponses adaptées et cohérentes aux différentes transgressions. La stabilisation des équipes a permis cette continuité à la fois dans les réponses, mais aussi dans les repères affectifs et temporels qu'ont ainsi pu se construire les usagers.
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Les locaux font aussi partie de cette réflexion, en effet les locaux ont avec le temps subit nombre de dégradations,esthétiquement les groupes d'accueil n'offrent plus un cadre de vie décent, un plan de réhabilitation est donc enclenché. Les adolescents sont invités à participer à cette réhabilitation de par leur présence en atelier, ils ont la possibilité de remettre en état un certain nombre d'objet tels des meubles, ce visant à responsabiliser les jeunes. Les éducateurs et l'institution ont donc opérer une « mise à plat » des fonctionnements et/ou dysfonctionnements. Ces différents réajustements ont participé à un apaisement relatif des relations entre l'équipe éducative et les usagers, restait le problème spécifique, de la violence contre les adultes. Le rapport d'incident d'un éducateur pose un jour la question de la violence des adultes. De la nécessité lors d'une contention, de l'utilisation de sa propre force, elle même mobilisable par la montée d'adrénaline que suscite ces moments de tension. Ce rapport soulève également le fait que cette pratique de contention revêtait le plus souvent un caractère réactionnelle et que de par le fait il perdait toutes éventuelles portée éducative et se retrouvant ainsi dénué de sens et ne conservant qu'un caractère conflictuel et donc contre productif. Une réflexion s'engagea donc sur ce sujet.
5.Le self-défense. La mise en place de ces cours trouva sa place dans le processus de réflexion qu'avait enclenché ce rapport d'incident. J'ai eu la possibilité de participer, au tout début de mon stage, à la dernière session. J'ai été plus que surpris par cette pratique, par cette « institutionnalisation » du rapport physique que peut représenter cette option. J'ai donc fortement questionné l'équipe à ce sujet. La question de la violence sur les adultes et des adultes était centrale dans cette réflexion. Les maîtrises physiques faisant parfois partie des obligations du quotidien, dans le sens où en cas de crise d'un usager le professionnel est en droit de se protéger et en devoir de protéger les autres usagers ainsi que le jeune, de ce débordement. Les coups portés par les jeunes étaient le plus souvent la cause de la démission des éducateurs de leur poste, la direction ayant comme objectif la pérennisation des équipes. Ces maîtrises pouvant être elle même source de violence, car pratiquées dans le stress de la peur. De plus, le manque de technique rendait l'utilisation la force nécessaire. Il fallait donc trouver une solution permettant de satisfaire ces différents objectifs. Donc, puisque les maîtrises physiques sont une réalité, il fallait s'en emparer et tenter de les transformer en un outil éducatif et tenter de le dégager de leur aspect réactionnel ainsi que des violences potentielles qui pourrait y être lié.
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L'acquisition de techniques permettant de maîtriser rapidement une personne et donc de dispenser de l'utilisation de la force, le professionnel s'en trouve rassuré sur son aptitude à se protéger et à protéger les autres. Ce qui permet de peut-être mieux conserver son sang-froid et donc une certaine lucidité sur, à la fois sa propre peur et sur les enjeux de la colère de l'autre. Une réaction empreinte de peur et/ou de colère avec l'utilisation de la force serait à mon sens totalement contre-productive et ferait perdre de vue cet objectif de contenance de l'autre et ne serait plus que tentative de domination. Pour cela, les éducateurs ont réfléchi aux modes possibles d'interventions. Avant tout cet acte se doit être posé dans le contexte spécifique de la violence physique envers un adulte ou un usager, la parole est le premier mode d'intervention. L'intervention physique ne se fera que si le jeune n'est plus dans la capacité de se contrôler. Ces contentions se réaliseront donc toujours à deux éducateurs afin, de ne pas y induire l'idée d'un conflit interpersonnel, mais bien d'une décision portée par l'équipe et l'institution. Le mode concret d'intervention a été pensé afin de réduire le nombre de gestes nécessaires et de ne pas transformer cet acte se voulant sécurisant, en une lutte. Les paroles posées durant l'acte vont dans le sens d'une ré-affirmation de l'interdit qu'est la violence envers les adultes et les autres usagers. La contention n'est relevée que lorsque le jeune a réussi à évacuer sa colère,car il est question d'accompagner le passage d'une tension extrême vers un relâchement, un apaisement. L'institution quant à elle a entendu les arguments des éducateurs, mais n'a pas intégrer cette pratique à ses protocoles et reste vigilante quant à son utilisation. Ce acte se doit d'être pratiqué dans la clarté et fait donc l'objet d'un rapport d'incident, il est ensuite reparlé en réunion pluridisciplinaire. La violence des adultes restant un sujet de d'attention particulière au sein de cette institution. En fonction de la gravité des actes posés par le jeune et afin de les reprendre avec lui, l'institution met trois moyens à sa disposition : Faire appel au chef de service, afin que ce dernier vienne porter les règles de fonctionnement et la loi en tant que représentant de l'institution. Le conseil de re-médiation (création de la nouvelle équipe de direction), est avant tout une étape intermédiaire dans le traitement des actes de violence envers les adultes. C'est une rencontre entre le jeune, son éducateur référent et un membre de la direction.
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Le conseil de discipline est quant à lui l'instance compétente pour prononcer les sanctions disciplinaires au niveau institutionnel pour les faits les plus graves. Y sont présents la direction, le chef de service, les éducateurs référents ainsi que des parents représentant du jeune. Cette sous-partie tente de « faire le tour » des raisons qui ont amené à la mise en place de cours de self-défense et de la façon dont les professionnels se sont emparés et tentent de le pratiquer ainsi que la volonté commune d'en préserver l'aspect professionnel et tenter ainsi de progressivement influer sur les phénomènes de violence. Il faut certes parallèlement à « l'institutionnalisation » d'une réponse physique poursuivre la réflexion sur les causes de ces violences et réussir à en identifier les sources et garder à l'esprit que cette violence est à la fois inhérente, en partie peut-être, aux problématiques des usagers mais que l'institution dans ses fonctionnements et les personnels en tant qu' environnement, peuvent aussi en être une source.
6.Analyse des pratiques. Conformément à la demande d'évaluation de la loi du 02 Janvier 2002 fut mis en place un dispositif d'analyse de la pratique, appelé aussi supervision. L'analyse de la pratique est un groupe de parole dont l'objectif est de permettre aux éducateurs de revenir sur les mécanismes affectifs et relationnels en jeu lors de situations rencontrées dans le quotidien. Le travail éducatif en internat trouve ses appuis dans le quotidien et dans la relation à l'autre. Le quotidien de par sa répétition pose les premiers éléments du cadre, à savoir des repères spacio- temporels, il contribue aussi de par cette répétition, cette continuité, à une sécurisation affective des personnes accueillies. Toute relation, toute rencontre fait entrer en jeu, nos affects, nos représentations, nos conceptions de l'autre, ainsi que nos valeurs. Cette base que représente la relation et de par cette sollicitation affective, il peut arriver que des « nœuds relationnels » se créent entre un éducateur et un jeune. L'accompagnement de ces jeunes sollicitent particulièrement les aptitudes de chacun à porter et à utiliser son autorité et à rencontrer avec plus ou moins d'intensité le sentiment de rejet, la frustration devant la répétition des conduites, la désillusion....l' émergence de ces sentiments peut faire naître l'antipathie et être à l'origine de violences réelles mais plus insidieuse comme l'ignorance, l'indifférence, le désintéressement mais aussi la rigidité, l'intolérance, l'acharnement.
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L'analyse de la pratique est un lieu de parole permettant aux éducateurs de mettre en mots les éprouvés liés à cette prise en charge. Le psychologue, par l'apport de concept, permet une meilleure identification des émotions et ainsi une prise de recul peut s'opérer, c'est donc aussi, un lieu d'élaboration des savoirs. « Ni étude de cas ni psychodrame, et encore moins analyse sauvage, la supervision est le lieu d'exploration des questions posées dans sa pratique à chaque éducateurs » Ce dispositif permet donc aux équipes de relire leurs différentes pratiques et de poursuivre ou d'enclencher un travail de réflexion, il s’agit là de souligner l’importance du travail en équipe face à des situations d’impasse auxquelles chaque éducateur peut être confrontés cela se concrétise par un « passage de relais » entre les membres de l’équipe afin de ne pas laisser s’ installer des conflits inter-personnels dévastateurs entre éducateur et usager.
Cette seconde partie a tenter d'exposer certaines des réponses mises en œuvre par cet établissement pour ré-instaurer à la fois des règles de vie sur les groupes éducatifs, un environnement réhabilité, avec comme objectif de recréer une ambiance de travail permettant à tous de trouver sa place. J'ai pour objectif dans cette troisième partie d'analyser plus spécifiquement cette pratique de la maîtrise physique. Est-il possible de passer outre ce qu'elle peut représenter visuellement et de peut être lui du sens ou cet acte ne demeure t-il qu'une violence institutionnelle supplémentaire ?
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III) Analyse des réponses. Cette pratique mérite tout d'abord une clarification sur les différents termes la définissant : La contention : Action ou procédé visant à l'immobilisation totale ou partielle d'un corps humain. La contention en psychiatrie renvoie à une notion d'urgence et de passage à l'acte. La contenance : Ce terme fait lien avec les fonctions du « Moi-peau » définit par D.Anzieu « A la peau qui recouvre la surface entière du corps et dans laquelle sont insérés tous les organes des sens externes répond la fonction contenante de la peau. Cette fonction est assimilée essentiellement par le « handling » maternel ». Le « handling » est un concept défini par D.W. Winnicott, il regroupe sous ce terme l'ensemble des soins et contacts apportés par la mère ou son substitut. Ces soins participant à l'acquisition d'une image du corps comme unifié. Je souhaite dans cette première sous-partie apporter les différents constats sur les effets produits par cette pratique.
7. Les constats. J'ai en effet pu constater des modifications du comportement de certains jeunes. Particulièrement pour les jeunes qui semblaient le plus en recherche de confrontation physique avec l'adulte et dont l'accès à la parole s'avérait difficile. Une intolérance à la frustration telle que la tension interne qui en résulte ne trouve de résolution que par un agir corporel, un passage à l'acte. Steven est un jeune homme de 15 ans, fasciné par le grand banditisme, utilisant pour s'exprimer les codes de la culture urbaine. Il n'accorde que peu de crédit aux paroles des adultes que ce soit dans le cadre d'une simple discussion ou d'un entretien plus formelle. Un éducateur et moi jouions au basket avec deux jeunes du groupe. Steven et Alexandre. Il est 13h20. L'éducateur fait la demande aux jeunes de rejoindre les ateliers. Alexandre s'en va paisiblement, Steven lui refuse, l'éducateur reformule sa demande rappelant sans agressivité le caractère obligatoire de sa présence. Le jeune s'énerve et s'approche de l'éducateur, dans un vif mouvement vertical, il tente de lui faire tomber le ballon des mains. L'éducateur esquive et réaffirme sa position et dit au jeune de ne pas s'énerver qu'il pourra rejouer tout à l'heure. « Non, c'est maintenant que je veux jouer ». « De toute façon, je rentre et je vais ranger le ballon ». A ce moment l'éducateur fait demi-tour et part vers le groupe d'accueil. Je le suis. Le jeune nous rattrape et tente de mettre un coup à l'éducateur, qu'il réussi à esquiver par réflexe. Le jeune tente de lui asséner un deuxième coup, l'éducateur saisit le poignet du jeune et opère une « clef de bras » il dirige lentement le jeune vers le sol. Je maintiens les jambes du jeune. 13
J'ai tout d'abord été sceptique quant à cette réponse, car visuellement elle m'a plus fait penser à une agression qu'à un acte pensé. Après avoir questionné cet éducateur quant aux raisons de ce choix, à l'écoute de ses réponses. De par les fréquents passage à l'acte de ce jeune, que ce soit envers ses pairs ou envers les adultes. Il lui semblait judicieux que de ne pas laisser le jeune dans « cet état de dispersion où sa colère prenait le contrôle de ses réactions » et qu'il est insécurisant et pathogène que de laisser un jeune croire qu'il peut physiquement prendre le pas sur un adulte. « Il peut être plus fort que moi en sport, mais je ne peux pas le laisser croire, qu'il pourra obtenir ce qu'il désire par la force et l'intimidation ». Mon stage s'est déroulé sur une durée 6 mois. J'ai pu observer et constater des changements dans les rapports que Steven pouvait entretenir avec les adultes, semblant plus en confiance, réussissant progressivement à assimiler cette interdit, porté par la loi, qu'est la violence sur autrui. Ce jeune n'avait pas banni la colère, ni les oppositions de ses comportements, mais la violence physique s'était progressivement effacée de ses réponses. A ma connaissance ce jeune n'a été maîtrisé que quatre fois. D'un point de vue concret c'est une très bonne chose que ce jeune se trouve apaisé dans ses relations à l'autre. J'ai assisté et pratiqué ces actes de contenance, j'ai constaté sur d'autres jeunes cet impact positif que cela semblait avoir cet acte et ce à la fois sur les individus, mais aussi sur les groupes. La dynamique de groupe est « l'ensemble des phénomènes, mécanismes et processus qui émergent et se développent dans les groupes sociaux ». La place de leader au sein d'un groupe est convoitée, ce dernier doit donc mettre en œuvre des stratégies pour conserver sa place. Les places de chacun dans ce groupe se définissait par l'aptitude à résister aux intimidations du leader. De par cet interdit fort de la violence physique, de par l'impossibilité de concrétiser ses menaces, non pas par peur de l'intervention des éducateurs, mais de par la disqualification physique que semblait représenter le fait d'être maîtrisé, à la fois dans les perceptions propres du sujet mais aussi dans les perceptions de ses pairs. S'est opéré dans ce groupe une redistribution de la parole, c'est à dire la possibilité de s'exprimer pour chacun sans subir l'intimidation d'un tiers. Le leader s'il souhaitait conserver sa place, se devait ainsi de développer d'autres stratégies et de faire appel à d'autres aspects de sa personnalité. Dans cette seconde sous-partie, je vais tenter de repérer les limites et les excès possibles de cet acte de contenance. Ces limites que je vais tenter d'identifier, ne me sont accessibles qu'au travers de ma propre subjectivité, je ne pense donc pas réussir à les percevoir dans leur totalité.
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8. Les limites.
Cette acte de contention, de par la sollicitation du corps et de par l'immobilisation de l'autre, demande de conserver un regard critique et de préserver une dynamique d'identification des éprouvés liés cette rencontre, à ce contact avec l'autre. De manière à ne pas « se perdre » dans la colère ou la rancœur. Cet acte n'est pas être une façon détournée de régler ses comptes. La vigilance doit être de rigueur, car cette acte perdrait tout son sens s'il tendait vers une systématisation, face au premier comportement d'opposition. Ce n'est pas un moyen pour poser le cadre. Les éducateurs posant se geste doivent aussi prendre garde à la jouissance possible émanant de cette prise de contrôle du corps de l'autre. Je ne vois pas non plus dans cet acte, une solution magique pour faire disparaître la violence, cette dernière étant à mon sens inhérente à tout être humain. «L ’Homme n’est pas cet être débonnaire, respectueux de son prochain que l’on croit. L’être dit humain est habité d’une violence indéracinable » Cette acte ne doit pas non plus faire l'objet d'une menace car il pourrait prendre en ce cas l'apparence d'un défi. Ce qui ne participerait pas à calmer le jeune, au contraire. Car les confrontations physique font partie de l'adolescence. Elles participent à la découverte et au test de ce « nouveau » corps en transformation, mais à mon sens l'éducateur n'est pas là pour s'inscrire dans cette logique. Ce besoin de se mesurer physiquement peut être mis en scène dans le cadre d'une pratique sportive mais le conflit n'en est à mon sens, pas le lieu. Dans le cadre d'une contention, l'éducateur tente et se doit de poser un acte professionnel dans un cadre clairement défini, pour chacun des protagonistes. Je pense qu'il est aussi nécessaire de prêter attention à d'autres aspects car cela demande que le sujet dispose d'une certaine faculté de symboliser. C'est à dire de percevoir le sens de l'acte et non pas seulement son implication concrète. La fonction symbolique étant définit comme « la capacité à se représenter quelque chose par une image mentale et ensuite par un code, un mot, un signe. » Bertrand est un jeune adulte de 18 ans. Il n'accède pas à la lecture ni à l'écriture. J'ai assisté par deux fois à la maîtrise de ce jeune. Lorsque que les éducateurs tentait de rediscuter de la situation avec lui, il ne semblait pas saisir ce qu'avait pu être la volonté des éducateurs et ne retenait que l'aspect physique de l'acte, « Il a fallut que vous soyez deux pour me tenir, en un contre un c'est moi qui gagnerait » l'équipe lui ré-expliquait que le but n'était pas de gagner mais de le contenir et de l'empêcher de se blesser lui ou un autre. Ces paroles ne semblait pas influer sur sa compréhension, il restait dans cette illusion d'un conflit.
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L'équipe a donc constaté que cet acte ne prenait pas de sens pour ce jeune, elle a donc affinée ses observations afin de mieux repérer les causes pouvant être à l'origine de la violence de Bertrand afin de mieux anticiper ses réactions. Cette troisième sous-partie va me permettre de mettre en perspective cette notion de contenance et certains concepts de la psychologie et de la psychanalyse, car je pense qu'il est important d'articuler sa pratique autour de références théoriques, cela participant à un affinement du regard sur l'autre et à la préservation une certaine distance dans cette rencontre particulière qu'est l'accompagnement éducatif. 9.Hypothèses. Je n'étais professionnellement parlant, pas totalement satisfait par un simple changement concret de comportement. Car je restais sceptique quant à l'aspect behavioriste de l'acte, n'était-ce pas là une tentative de redressement, de correction de comportement « déviants ». Je pars du principe que la théorie peut offrir un étayage à mes positionnements. J'ai donc au cours de mes lectures chercher un sens possible à cet acte de contenance. Ce terme de contenance fait appel à la théorie de Didier Anzieu sur le concept de « Moi-peau » Il fait dans ce livre un lien entre le vécu corporel d'un individu au travers des soins apportés par la mère ou son substitut et l'acquisition par la peau de certaines fonctions. « Cette métaphore du Moi-peau maintient le lien entre le corps et la psyché ». « Le Moi-peau corporel n'est pas la paroi d'un sac mais une surface en permanent échange avec ce qui l'entoure. » J'ai retenu deux fonctions de ce « Moi-peau ». La Contenance : « A la peau qui recouvre la surface entière du corps et dans laquelle sont insérés tous les organes des sens externes répond la fonction contenante du Moi-peau. Cette fonction est exercée essentiellement par le « handling »* maternelle. Cette fonction de contenance est donc liée à un autre concept celui-ci, développé par Donald Wood Winnicott, le Handling. Ce « handling » correspond à l'ensemble des contacts physiques et des soins apportés au corps du bébé par la mère ou son substitut. Cela participerait à l'élaboration progressive du schéma corporel, c'est à dire la perception sensorielle d'un corps unifié, possédant une limite. Cette perception d'un corps possédant une limite participe à l'assimilation du principe de limite comme par exemple celle de la société des Hommes; la loi. 16
L'acquisition de cette sensation d'unité, permet à la fois physiquement et psychiquement de résister aux attaques pulsionnelles et aux agressions externes. La maintenance : De même que la peau remplit une fonction de soutènement du squelette et des muscles. Le Moi-peau assure une fonction de soutènement de la psyché. Cette fonction psychique se développe par l'intériorisation du « holding » maternelle. Le Holding est un autre concept de D.W. Winnicott, il définit par ce terme le soutien physique et psychique que représente les bras de la mère ou son substitut. Selon Winnicott ce principe de holding s'évalue de manière qualitative, il parle d'une l'aptitude de la Mère à se rendre disponible et d'une certaine capacité à l'empathie, c'est à dire à ressentir quels peuvent être les besoins de son enfant..Sans pour autant définir une Mère parfaite Winnicott parle d'une « Mère ordinaire normalement dévouée » (ordinary devoted Mother). Ces fonctions de maintenance et contenance sont donc reliées, à la fois des notions physiologiques et psychiques. Mon hypothèse naît d'une constatation, les jeunes, durant la période de mon stage, étant passés à l'acte physiquement présentaient des similitudes à la fois dans leurs passé et dans leurs présent. Bob. : Placé dans plusieurs familles d'accueil depuis l'age de 4 ans, en internat depuis l'age de 6 ans, peu de contact avec sa mère, père absent. Stephen. : Père absent, mère absente, placé dans plusieurs en famille d'accueil à 8 ans, en internat depuis l'age de 9 ans. John. : Placé depuis l'age de 4 ans, peu de contact avec son père, mère absente. Je ne cherche pas à faire un lien de cause à effet, mais de par ces placements précoces, de par la discontinuité. « Le facteur pathologique n'étant pas la disparition de l'image parentale mais l'impossibilité d'expérimenter un milieu de remplacement qui demeure stable. ». Je pars du principe que la vie, que ce soit en famille d'accueil ou en internat ne permet pas sur un plan, affectif, relationnel, d'éprouver les contacts physiques nécessaires à un développement affectif harmonieux. Cette absence de contact pourrait-il avoir des conséquences sur l'acquisition des fonctions de contenance et de maintenance du Moi-peau et donc de limites pour la psyché.
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En ce cas, cet acte de contenance que symboliserait la contention d'un sujet, pourrait en offrant une limite concrète au corps de l'autre, de par ce lien métaphorique, symbolique, offrir de par la même une limite à sa psyché. En ce sens ce serait l'éducateur qui viendrait se substituer à la fonction de contenance et maintenance et jouer le rôle d'un Moi-auxiliaire comme le définit Michel Lemay « Plus un enfant est précaire dans son identité, plus il a besoin d'autorité, c'est à dire une sorte de Moi-auxiliaire qui lui indique clairement certaines limites à ne pas dépasser et qui se substitut brièvement à sa personne lorsqu'il devient submergé par ses émotions » « Lorsqu'un enfant ne parvient pas à mettre spontanément en jeu des mécanismes de contrôle et devient submergé par la colère et la haine, il est absurde de le laisser dans cet état de désorganisation. De telles "crises" n'ont pas une fonction cathartique. Elles effraient le jeune et son entourage. Elles contribuent à lui donner aux yeux de ses pairs un statut de "fou" qui alimente gravement sa dévalorisation. » Arrêter l'agir est donc à mon sens une nécessité, la maîtrise physique venant jouer ici, un rôle de rassemblement. « Il ne s'agit pas d'une manifestation vengeresse réalisée par un adulte bafoué mais d'une restructuration momentanée du Moi afin de réintégrer le plus rapidement possible le sujet dans son milieu normal de vie. » Cet acte de contenance pourrait-il participer à la sécurisation de la personne, cela pourrait-il permettre la création d'une relation de confiance, le sujet pourrait-il se sentir rassuré par cet autre qui vient le cas échéant le retenir, le contenir. Gaël est un jeune homme de 15 ans, suite à de nombreux passage à l'acte sur les adultes il fût orienté vers la section I.T.E.P* de mon lieu de stage. C'est un jeune homme très renfermé, accédant difficilement à la parole et possédant peu de vocabulaire. En famille d'accueil depuis ses premières années de vie. Suite au vol d'un briquet vol, dans l'échoppe d'un musée. Je le raccompagne avec un éducateur afin dans de rendre l'objet et de réfléchir avec le responsable du musée aux conséquences qu'il souhaite donner à ce vol. Le Directeur tente de discuter avec Gaël sur le sens de son acte, mais le jeune reste stoïque, le regard vague et les points serrés le long du corps. Le Directeur ne souhaite porter plainte. Nous sortons du musée, Je suis sur la droite du jeune et l'éducateur sur sa gauche. Je rediscute de son acte avec lui, lui disant que le directeur lui fait « une fleur » en ne portant pas plainte mais qu'il était parfaitement en droit de le faire. Je lui dis aussi que son absence de réaction était regrettable peut-être aurait-il été de circonstance que de présenter des excuses ou d'expliquer un minimum son geste. Il me répond sèchement. « Vas-y c'est bon, c'est qu'un briquet ».
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Je lui explique que le vol ne se trouve pas dans la taille ou le prix de l'objet mais dans le fait de s'emparer d'un objet qui ne lui appartient pas. Il s'agace et m'envoie balader. « Vas-y lâche-moi, j'en ai rien à foutre de ton briquet » Il s'emporte et hausse le ton, un « flot d'insulte » sort de sa bouche, le collègue intervient et lui dit de garder son calme et que la colère ne changera rien, les choses sont faites, il faut simplement qu'il comprenne que c'est interdit par la loi et qu'il s'expose théoriquement à des poursuites. Gaël s'emporte et nous insulte. Je lui de ne pas me parler comme ça, qu'il ne soit pas d'accord avec ce qu'on lui dit est une chose mais qu'il surveille son langage. A ce moment il pivote rapidement dans ma direction et lève son poing dans ma direction. Mon collègue tente d'arrêter le bras du jeune mais échoue, mon mouvement de recul m'a permis d'éviter le coup. Il se prépare à redonner un coup, nous ne lui en laissons pas le temps, nous le tenons fermement et nous asseyons sur un banc de trouvant à proximité. Nous le maintenons toujours. Son corps est sous tension. Je lui dit « C'est n'importe quoi de te mettre dans un état pareil, t'as fais une connerie, c'est pas la fin du monde, pas la peine de me taper dessus, ça ne changera rien. », « Alors maintenant tu te calmes ». Je sens son corps trembler, il halète, il remplie ses poumons d'air et soupire, il y a des larmes qui coulent de ses yeux. Son corps se détend. « Gaël, tu vas prendre une grande respiration et nous allons te relâcher », « Mais si il faut recommencer nous serons là je te laisserai pas utiliser les coups pour résoudre ce que tu penses être un problème. », « est-ce que c'est clair pour toi ? », il nous dit que « oui ». Nous le relâchons. Ses larmes continuent de couler, il sanglote. Mon collègue s'éloigne afin de retrouver le groupe. Je reste avec Gaël, je passe mon bras autour de son épaule, je lui dis calmement d'arrêter de pleurer, Je lui dis que l'on a le droit de faire des erreurs, tout le monde en fait, moi y compris, mais ce qu'il faut c'est en avoir conscience et que pour moi c'est ça être un homme c'est assumer et savoir reconnaître ses erreurs ce n'est de balayer les problèmes à coups de poing. Il semble plus calme. Je suggère à mon collègue de s'arrêter boire un café, histoire de faire une transition avant de retrouver les autres. Nous nous installons, les cafés arrivent, Gaël ne boit rien. Ce jeune est habituellement peu bavard et ne possède qu'un vocabulaire restreint, mais à cet instant, il se livre avec des détails , la violence de son père, le silence de sa mère, l'inquiétude qu'il ressent pour ses frères et sœurs. Le débit de ses paroles est fluide alors qu'à l'accoutumée il est plutôt saccadé, hésitant. Il était très rare que Gaël se confie. Est-ce la contention comme acte de contenance, qui assurant une fonction de sécurisation de par les limites qu'elles imposent qui permettrait au sujet d'être « soulagé » de cette option du passage à l'acte, ainsi les émotions doivent-elles pour se faire entendre trouver un autre langage que celui du corps et d' ainsi amener progressivement le sujet vers la parole ?
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Conclusion : J'ai tenté dans cet écrit de prendre en considération les différents éléments pouvant être la cause, de violences, ce qui pouvait relever des problématiques liées aux « Trouble du Comportement » mais aussi des équipes et de l'institution. Les vingts pages de cet écrit ne permettent probablement pas de prendre en considération tous les aspects pouvant être les causes de la violence. J'ai donc tenté de les sélectionner en fonction de leurs implications concrètes dans la réflexion institutionnelle mais aussi dans ma réflexion personnelle. L'objectif de mon écrit était d'analyser spécifiquement cette pratique de la contention, cet acte pouvait-il être porteur de sens ou n'était-ce que la concrétisation d'un rapport de force. Je ne souhaitais pas apporter une réponse affirmative, mais rester sur le plan de la réflexion. Personnellement j'ai trouvé du sens à cette pratique, ayant pu constater des modifications dans les comportements des usagers, des changements dans les fonctionnements des leaders, permettant ainsi aux autres usagers de se ré-approprier la parole au sein du groupe. Je ne vois pas dans cette pratique une panacée aux problèmes de violence, il serait illusoire de croire qu'il soit possible de la faire disparaître. Une institution, une équipe éducative se doit à mon sens de réfléchir en profondeur ses modalités d'accueil ainsi que ses pratiques afin de repérer et réduire ses propres violences tentant de par la même de ne pas susciter implicitement la violence de ceux qui lui sont momentanément confiés. Malgré tout je pense que toute institution, toute équipe éducative conserva en elle des incohérences et des imperfections. Certaines violences inhérentes à la prise en charge dans cet « espace œdipien », ce lieu de socialisation que représente l'I.T.E.P. ne pourront être limitées. J'ai aussi pu observer que cette pratique travaillait finalement à sa propre disparition, dans le sens où les paroles échangées pendant et après la contention viennent affirmer cet interdit de la violence physique et cette mise en mot des actes permet au sujet d'intégrer progressivement cette limite et de percevoir le sens de cette limite. Au jour d'aujourd'hui cette institution a pu mettre fin aux cours de self-défense et les contentions se font rare La « technicisation » de cet acte reste de par mes constatations une pratique innovante. Le quotidien imposant parfois des réponses immédiates, il est donc, à mon sens de la responsabilité de l'éducateur que de s'en saisir et de préserver à la fois, le professionnalisme de ses actions et l'indispensable réflexion, le questionnements de ses propres pratiques et conceptions et ce collectivement dans le cadre de l'analyse des pratiques, mais aussi individuellement par le biais de lecture. Car le doute et la remise en question font aussi, à mon sens, partie des obligations liées à cette profession.
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Bibliographie Livres consultés :
« Conversations ordinaires » de D.W. Winnicott - Ed. Folio Essais. « Didier Anzieu : le Moi-peau et la psychanalyse des limites » sous la direction de Catherine Chabert, Dominique Cupa, René Kaës et René Roussillon – Ed Erès « Le quotidien en éducation spécialisée » de Joseph Rouzel – Ed Dunod « Le travail d'éducateur spécialisé » de Joseph Rouzel – Ed. Dunod « Le rôle de l'éducateur » de Daniel Roquefort – Ed. L'Harmattan « J'ai mal à ma mère » de Michel Lemay – Ed. Fleurus « De l'éducation spécialisée » De Maurice Capul et Michel Lemay – Ed. Erès « Le Moi-peau » de Didier Anzieu – Ed. Dunod « Le jeune, l'éducateur et la loi » de Jean-marie Petitclerc – Ed. Don Bosco « Intégrer la violence » de Jacques Pain et Richard Hellbrun – Ed. Matrice
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Sommaire
Introduction...................................................................................... p. 1
I) Histoire et contexte ............................................................... p.3 1. Le cadre légal............................................................................... p. 3 2. Les T.C.C. Ou Trouble du comportement et de la conduite.........p. 4 3. La création de l' I.T.E.P......................................................................p.6
II) Réflexion et positionnement institutionnel ..................p.8 4. La stabilisation des équipes.......................................................... p.8 5. Le self-défense............................................................................. p.9 6. l' Analyse des pratiques................................................................ p.11
III) Analyse des réponses ..............................................................p.13 7. Les constats................................................................................... p.13 8. Les limites..................................................................................... p.15 9. Hypothèse...................................................................................... p.16
Conclusion..................................................................................................p.20 Bibliographie...............................................................................................p.21
Liste des abréviations..................................................................................p.22
Sellin Yann. Moniteur-éducateur.
Année 2006/2008
ITEP : Entre contenance et relâche.
ITS de Tours
Liste des abréviations :
I.T.E.P. : Institut Thérapeutique Educatif et Pédagogique T.C.C. : Trouble du Comportement et des Conduites A.S.E. : Aide Sociale à l'Enfance P.J.J. : Protection Judiciaire de la Jeunesse C.F.A.S. : Centre de Formation pour Adultes Spécialisée M.D.P.H. : Maison Départementale de la Personne Handicapées C.D.A.P.H. : Commission des Droits à l' Autonomie de la Personne Handicapées O.M.S. : Organisation Mondiale de la Santé I.M.Pro. : Institut Médico-Professionnel C.A.T. : Centre d'Aide par le Travaillait D.D.A.S.S. : Direction Départementale des Affaires Sanitaires et Sociale
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