5 Questions à Julie Baudin et David Ducoin

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014. ACTUALITÉS

Texte albane levêque

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« Pour tout avouer, notre ambition première était de réaliser un périple plus sportif, engagé physiquement. Ensuite, la rencontre avec les autochtones s’est imposée à nous, comme une évidence. »

Quelle était l’idée de départ de ce voyage ?

Julie Baudin

&

David Ducoin

Enfants du voyage, David Ducoin et Julie Baudin sont partis pour un périple au cœur de l’Amérique des peuples premiers. Lancés sur les routes, comme un simple couple de découvreurs qu’ils étaient alors, ils ont fait de leur voyage un chapelet de rencontres sensibles et sincères qui, au-delà du choc culturel les a menés à partager le quotidien des tribus indigènes. C’est à pied, à cheval, en autostop, en bus ou en bateau, à travers glaces, déserts, plages et jungles que depuis la banquise du détroit de Béring, ils ont relié les fjords de Patagonie. Deux ans et quelque seize pays plus tard, ils nous livrent deux ouvrages complémentaires, fruits de cette grande traversée, chacun avec son talent, David la photo et Julie l’écriture. En attendant leur sortie le 17 septembre prochain, Julie nous offre une avant-première de ce travail.

5 questions à...

Nous avions entrepris d’effectuer un vrai grand voyage. Nous avions certes chacun pas mal voyagé, mais jamais ensemble, de cette façon-là. Puis il y avait l’idée de découvrir ensemble un continent, que nous ne connaissions ni l’un, ni l’autre. Et c’est tout naturellement que nous nous sommes tournés vers l’Amérique. En revanche, il n’y avait pas une volonté affirmée de notre part de provoquer les rencontres avec les peuples indigènes. Pour tout avouer, notre ambition première était de réaliser un périple plus sportif, engagé physiquement. Ensuite, la rencontre avec les autochtones s’est imposée à nous, comme une évidence. Nous avions d’ailleurs en poche quelques contacts et coordonnées d’associations liées aux populations locales d’Amérique du Nord, que les parents de David avaient rencontrées auparavant.

Comment définir le contact que vous avez eu avec les autochtones ?

Au début, c’était presque facile, grâce aux fameuses relations que l’on nous avait conseillées. Après, plus on avançait, plus nous devions établir le lien de nous-mêmes, dépasser le choc culturel, les différentes conceptions du temps et d’engagement notamment. Au fur et à mesure, nous avons pris enseignement des expériences passées et nous étions introduits par les autorités locales, ce qui nous donnait plus de légitimité. Arriver avec sa position de voyageur occidental et blanc, c’est l’école de la modestie avec l’héritage que notre couleur porte en ces contrées. Nous avons parfois pu subir un peu de rejet, mais jamais de réelle discrimination. En tout cas, elle n’a jamais été exprimée clairement. Malgré l’appréhension face à l’histoire que l’on représente, jamais l’on a subi la redoutée phrase : “On ne veut pas de vous ici”. De manière générale et surtout en Amérique du Nord, ils étaient plutôt flattés que l’on s’intéresse à eux, ce qui

forcément provoque une envie de partage. Dans l’ensemble, nous avons été admirablement reçus, puisque nous avons été invités à partager le quotidien de nombreuses tribus.

Qu’est ce qui vous a le plus touchés dans le mode de vie des peuples premiers ? La spiritualité des peuples indigènes est omniprésente. Elle semble presque un recours là où la culture locale a été écrasée par le mode de pensée occidental. Malgré les problèmes sociaux et l’alcool qui envahissent les réserves, la ferveur paraît toujours là, impérissable. Parfois la religion chrétienne et surtout dans le nord du continent, a inondé les croyances ancestrales, mais elles finissent par ressortir avec le renouveau identitaire, lors de feux sacrés, de danses ou de cérémonies. Ils ont aussi une force, qui m’a énormément médusée : leur rapport à la Terre, comme une fusion, une connection. Ils la connaissent mieux que nous, vivent d’elle, vivent par elle et peut-être que les clés de son avenir, ce sont eux qui les détiennent par leur expertise et leur sagesse.

Des organisations comme Survival International s’inquiètent de l’extinction prochaine de certains peuples que Vous avez côtoyés. quel est votre point de vue ? Certains peuples d’Amérique du Nord, comme dans les réserves d’Indiens Havasupai, il ne reste que 300 personnes tout au plus dans le village. Ils sont isolés du reste des États-Unis, on n’y accède qu’à pied puisqu’il n’y a pas de route qui y mène. Ils sont rongés par les effets de la culture occidentale. Chez eux, on observe malheureusement une tendance à l’autodestruction, une plongée dans l’alcool et une montée du diabète résultant de la nourriture trop sucrée. Ils finissent par s’entretuer physiquement dans une

Page de gauche : David Ducoin et Julie Baudin commencent leur voyage de 2 ans à Point Hope en face du détroit de Béring - Alaska.


016. ACTUALITÉS

Amérindiens. Hommage aux fils de la terre. De l’Alaska à la terre de feu. Photos David Ducoin. Textes Julie Baudin. 176 pages. 2008, éd. Glénat. Florilège de rencontres, d’heures passées dans des villages, de discussions sans fin. Chaque visage des 176 pages de ce beau livre, n’est pas une image à la volée, c’est presque un ami qui généreusement vous confie sa vision du monde. L’odyssée Amérindienne. Julie Baudin. 380 pages. 2008, éd.Glénat. Deux ans d’aventure couchés sur papier, pour partager le bonheur des rencontres et le quotidien de tous ces peuples. Intimité des conversations, euphorie des mariages, rudesse de la pêche sous la glace, proximité de la confections des repas, rencontre avec Evo Morales... En route !

Texte albane levêque

affreuse guerre de clans. C’est triste à voir, je ne sais pas quoi en penser. Nous avons notre part de responsabilité, ils ont la leur. Dans les mêmes conditions, certains s’en sortent, d’autres pas, difficile de l’expliquer. Je serai tentée de croire que le recours à leur culture identitaire les sauve. En Amérique du Sud où pourtant la précarité économique sévit, et l’accès à la culture occidentale est rare chez les autochtones, ils ont gardé leur quechua ancestral et conservent un fort esprit communautaire. À l’inverse, au Nord où ils ont été noyés dans la masse, il n’y a plus aucune conscience collective, l’interdépendance s’est effacée sous l’individualisme et l’identité s’est évanouie. L’acculturation et ses pensionnats ont fait leurs ravages. Cependant, c’est important pour eux d’aller voir ce qui se passe en dehors de la tribu. Parfois, c’est même salutaire puisque ce sont souvent ceux qui sont allés étudier en ville qui connaissent le mieux le fonctionnement de la société. Ils en reviennent pour entraîner la jeunesse, faire prendre conscience au groupe de son droit, et catalysent les énergies pour faire avancer et défendre leur peuple. Mais c’est indéniable, certaines ethnies s’éteindront, notamment en Amazonie où, chassés par la guérilla colombienne, ils ont fait un bond surprenant de dix ans dans leur mode de vie. Résultat, tous leurs repères se sont envolés et ils sont complètement perdus. Pour d’autres, je crois sincèrement à un sursaut, un rattachement aux racines profondes. Ce qui est clair c’est que leur avenir est

autant dans nos mains que dans les leurs. Nous pouvons de notre côté agir sur les législations, sur les lobby, contre les multinationales qui exploitent leurs terres. Nous avons l’arme juridique.

Vous leur avez donné une occasion de témoigner, quels sont leurs messages ? S’il a été parfois sensible d’évoquer l’Histoire, surtout desservise par notre position de blanc, porteurs d’un passé plutôt noir, d’un modèle de globalisation qui a tendance à les oublier, ils ont montré, particulièrement dans le Nord, un réel besoin de communiquer. Ils ont une incompréhension à exprimer, à propos de notre mode de vie ou notre schéma économique. Il y avait comme un cri à pousser et l’envie de provoquer une prise de conscience quant à l’état de notre planète, espérer une intervention. Ils ont pu face à notre caméra et bientôt à travers nos écrits témoigner de conditions de vie difficiles, de leur passé houleux, des menaces qui planent sur eux œ Ci-dessus : les deux voyageurs au long cours ont fait étape devant le portrait de Zapata dans le centre zapatiste de Oventic au Chiapas - Mexique. RETROUVEZ UN COMPLÉMENT DE CET ENTRETIEN SUR WWW.ROADBOOK.TRAVEL


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