RÉTROGRESSION VERS GAÏA UN RÉCIT PROSPECTIF D’UNE VAISE POST-URBAINE, VERS UN AUTRE IMAGINAIRE POUR LA FILIÈRE TERRE
ÉTUD. STOLERU Alexandra & TOUZARD Clara UNIT UE101A - PROJET 10 PFE - MEM (My Ethique Maïeutique)
PROJ
DE.PFE
LEQUAY H.
MASTER ARCHI
S10 DEM ALT 20-21 FI
© ENSAL
RÉTROGRESSION VERS GAÏA UN RÉCIT PROSPECTIF D’UNE VAISE POST-URBAINE, VERS UN AUTRE IMAGINAIRE POUR LA FILIÈRE TERRE
Alexandra STOLERU Clara TOUZARD
REMERCIEMENTS Nous remercions tout d’abord notre directeur d’études, Hervé Lequay, pour son suivi, sa disponibilité et ses conseils, qui nous ont permis de développer notre réflexion, dépasser les moments de doutes et toujours aller au bout de nos idées. Nous tenons également à remercier Ali Limam qui nous a suivi de près dès les prémices de ce travail, mais aussi Gilles Desèvedavy ainsi que l’ensemble de l’équipe enseignante du domaine d’études ALT pour leur encadrement. Ce projet n’aurait pas vu le jour sans le travail conjoint avec nos collègues de l’INSA, Emma, Léna et Antoine, avec lesquels nous avons eu le plaisir de collaborer tout au long d’un semestre et voire même au-delà. Enfin, un certain nombre de rencontres ont jalonné notre parcours - Emmanuel Mille, Nicolas Meunier, Romain Anger, Victor Villain et Abdelkrim Bennani. Nous tenons à les en remercier.
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Alexandra STOLERU
Clara TOUZARD
PRÉAMBULE Cette notice fait l’état de la réflexion qui a conduit à ce Projet de Fin d’Études, des rencontres et des ressources qui ont pu le nourrir. Il s’agit d’un projet en co-construction entre l’INSA et l’ENSAL, projet qui, on l’espère, ouvrira la voie à un diplôme conjoint un jour. Si notre désir de travailler à deux était fondé sur un centre d’intérêt partagé, à savoir la question patrimoniale et la transmission des connaissances, cette collaboration nous a menée vers des terrains plus lointains, en dehors de nos bulles de confort respectives. Cette notice peut par ailleurs constituer les prémices d’un travail de recherche qui n’a pas été conçu en tant que tel, mais qui répond à une éternelle quête de légitimation de nos propositions. et laisse transparaître notre intérêt partagé pour la recherche. Enfin, ce PFE a été l’occasion de construire une posture engagée tout en imaginant une de ses matérialisations possibles. Dans le sillage du domaine d’études ALT, c’est notre pratique future en tant qu’architectes, mais pas que, que nous préparons à travers ce dernier projet réalisé entre les murs de l’école.
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S SOMMAIRE
SOMMAIRE REMERCIEMENTS
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PRÉAMBULE
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I. DÉCOUVERTE D’UN MATÉRIAU MULTIDIMENSIONNEL
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1.1. SE FORMER PAR UNE APPROCHE MULTIDISCIPLINAIRE ET EXPÉRIMENTALE 1.2 COMPRENDRE LE MANQUE DE VISIBILITÉ DU MATÉRIAU TERRE 1.3 MATÉRIALISATION DES RÉFLEXIONS PAR UN PROJET DE SENSIBILISATION
II. LYON, VILLE DE TERRE
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2.1 LE PISÉ DANS LA MÉTROPOLE LYONNAISE 2.2 LES MAISONS COINTERAUX, UN SITE EMBLÉMATIQUE POUR LE PÈRE DU PISÉ MODERNE 2.3 LA PLAINE DE VAISE, ANCRAGE DANS UN TERRITOIRE EN MUTATION
...14 ...30 ...36
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...42 ...46 ...60
III. LA FABRIQUE DES NOUVEAUX RÉCITS
3.1 EN QUÊTE D’UN GRAND RÉCIT 3.2 DES RÉCITS PROSPECTIFS ALTERNATIFS
IV. UN NOUVEAU PARADIGME POUR LA MATIÈRE TERRE
4.1 POUR UNE DÉCROISSANCE DES GRANDES VILLES 4.2 CONSTRUCTION DE DEUX SCÉNARIOS-HORIZONS 4.3 MILIEUX ET PROCESSUS TEMPORELS 4.4 ARCHITECTURE VIVANTE ET SOLS EN REMÉDIATION
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...74 ...80
111
...112 ...120 ...136 ...150
CONCLUSION
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BIBLIOGRAPHIE
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DÉCOUVERTE D’UN MATÉRIAU MULTIDIMENSIONNEL 1.1 SE FORMER PAR UNE APPROCHE MULTIDISCIPLINAIRE ET EXPÉRIMENTALE 1.2 COMPRENDRE LE MANQUE DE VISIBILITÉ DU MATÉRIAU TERRE 1.3 MATÉRIALISATION DES RÉFLEXIONS PAR UN PROJET DE SENSIBILISATION
1.1 SE FORMER PAR UNE APPROCHE MULTIDISCIPLINAIRE ET EXPÉRIMENTALE Un état de l’art à la recherche de verrous techniques Ce projet a commencé en septembre 2020 par un travail en équipe pluridisciplinaire avec trois étudiants-ingénieurs de l’INSA. Un travail d’état de l’art a été réalisé pour comprendre les verrous techniques, et plus largement sociétaux, qui freinent le développement de la filière terre en France. Ces productions balayent l’ensemble des problématiques actuelles associées au développement de la filière terre, des performances techniques à la législation en passant par l’approche sensible et l’économie de la construction. À titre de comparaison, on peut citer les principaux champs de recherche ciblés par le Projet National Terre Crue, d’après l’étude de montage diffusée en octobre 2020 : socioculture de la terre / impacts environnementaux / comportement mécanique des ouvrages en terre crue / confort et efficacité énergétique des bâtiments en terre crue / durabilité / sécurité incendie / essais in situ / réglementation / valorisation. Cet exercice d’état de l’art formalisé par les étudiants INSA a constitué la base scientifique de notre propre connaissance du matériau terre.
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Emma ANDRÉ
Léna LOISEAU
Antoine ROUSSET 15
Se former à la terre par une approche globale et multidisciplinaire La lecture de références scientifiques a été complétée par le suivi de la troisième session du MOOC Terre crue aujourd’hui (Amàco, 2020) , qui nous a permis de valider des acquis de base sur le matériau. Pour ancrer notre connaissance dans la réalité du secteur de la construction, nous avons également assisté au cycle de conférences de la Frugalité Heureuse, Métamorphoser l’acte de construire (Choppin et al., 2020)1, qui nous a permis de replacer le matériau terre dans la question plus large de la construction frugale et des matériaux biosourcés. Le webinar organisé par Cycle Terre (Loiret et al., 2020)2 à l’hiver pour le lancement de leur production à l’automne 2021 nous a également sensibilisées à la thématique de la valorisation des terres de déblai. À ce sujet, la visite du laboratoire matériaux de la Haute École du Paysage, de l’Ingénierie et de l’Architecture (HEPIA) à Genève nous a permis de découvrir leurs recherches menées en collaboration avec l’entreprise TerraBloc, spécialisée dans la fabrication de BTC (blocs de terre compressée) avec des terres d’exca1. Le mouvement de la Frugalité Heureuse et Créative a proposé, du 29 septembre au 15 décembre, 12 rendez-vous hebdomadaires, en ligne en accès libre, donnant la parole à des professionnels du bâtiment et de l’aménagement sur la nécessité de « Métamorphoser l’acte de construire ». 2. Le projet démonstrateur Cycle Terre, basé à Sevran (93) et porté entre autres par CRAterre, amàco et l’agence d’architecture Joly & Loiret, est un projet d’économie circulaire ayant pour objectif de produire des matériaux de construction en terre crue à partir des terres excavées du Grand Paris. 16
vation. Élaborer une vision plurielle en s’enrichissant de point de vue multiples, tel était l’objectif. Pour alimenter cette approche par l’innovation, nous avons également cherché à développer des outils de collaboration pour le travail en groupe à travers la formation Design Thinking & Maker Culture organisée par IGNITE (Ping Huang, Schreibman, 2020)3. Pour aborder une question complexe, la tentation est grande de cibler un verrou technique bien identifié pour simplifier le problème. Notre intuition était au contraire qu’il s’agit plutôt de tourner autour et de multiplier les points de vue. À la recherche de ces regards multiples, nous avons entrepris de rencontrer quelques acteurs actuels de la terre.
3. Dans le cadre de son école d’automne, IGNITE a organisé du 26 octobre au 4 décembre 2020 un ensemble de formations et de workshops autour du design thinking. IGNITE est une initiative financée par l’UE qui réunit des établissements universitaires et des partenaires de l’industrie créative de trois pays pour créer un cours en ligne open source, disponible via la plateforme #dariahTeach. 17
Source : Amàco, 2020
Source : Choppin et al., 2020
Source : Loiret et al., 2020 18
Visite du laboratoire matériaux - HEPIA, Genève 19
Emmanuel MILLE / architecte-ingénieur, doctorant au laboratoire de CRAterre sur les enjeux patrimoniaux liés à la présence du pisé dans le bâti ancien urbain de l’agglomération lyonnaise La figure d’Emmanuel Mille nous intéressait non seulement en raison de son parcours remarquable (double diplôme ENSAL / INSA, DSA Grenoble, Architecte du Patrimoine École de Chaillot, agences Archipat, RL&A, AIA, thèse CRAterre) mais avant tout car son sujet de recherche, et plus particulièrement le pisé en ville et sa dimension patrimoniale ont été un axe d'entrée en matière pour nous. Sa cartographie participative de la présence du pisé en ville ainsi que ses connaissances de la présence de ce matériau à Lyon nous ont été d’une grande aide. « L’enjeux sur ces secteurs-là (sur une grande ville comme Lyon) est de montrer qu’on peut garder ce bâti qui peut être transformable. Il y a un vrai enjeu de qualité architecturale et d’ordre écologique que de conserver et réhabiliter le bâti. C’est quelque chose qui peine à émerger pour l’instant. Un autre enjeu actuel dont on a commencé à parler de manière plus libre est la valeur écologique du bâti existant. »4
4. Entretien réalisé en visioconférence (E. Mille, communication personnelle, 22 octobre 2020). 20
Romain ANGER d’amàco
/
directeur
scientifique
Romain Anger est enseignant responsable du Workshop ALT que nous avons légèrement détourné afin de pouvoir éprouver le matériau en début d’année (malgré les restrictions administratives en raison de la situation sanitaire). Celui-ci était particulièrement intéressé par nos ébauches de proposition de projet « en kit » car en lien avec le projet RESSOURCES (Lauréat de l’appel à projets « Hybridation des formations d’enseignement supérieur » lancé par l’ANR).
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Victor VILLAIN / doctorant en sciences politiques autour de la sociologie du champ de la construction en terre crue en France Le travail de Victor Villain nous a poussé à prendre en compte le contexte social et politique du matériau pour arriver à une compréhension éclairée des évolutions de la filière : « Ce qui est en jeu, ce sont les rapports de force : quels groupes sociaux réussiront à s’imposer dans les négociations ? Cela déterminera la façon dont la construction en terre se fera. »5 Dans les stratégies élaborées par les différents agents pour promouvoir ce matériau s’expriment des structures sociales déterminantes, pour la terre crue mais aussi pour la lutte plus globale contre le dérèglement climatique. « Sanctifiés ou sanctionnés, emblèmes ou stigmates, les matériaux de construction n’échappent pas à la lutte symbolique de leur promotion et de leur destitution qui participe à l’établissement d’une hiérarchie sociale et technique inscrite dans les structures sociales et cognitives. » (Villain, 2020).
5. Entretien réalisé en visioconférence (V. Villain, communication personnelle, 22 janvier 2021). 22
Nicolas MEUNIER / artisan piseur basé en région Auvergne-Rhône-Alpes, dont l’entreprise a notamment collaboré au projet de l’Orangerie de Confluence La rencontre avec Nicolas Meunier nous a offert un regard pratique sur la réalité du métier de piseur, mais aussi sur les convictions politiques d’un artisan : « La terre c’est comme l’air, elle appartient à tout le monde »6. À travers son discours, nous avons pu saisir la portée des clivages qui animent aujourd’hui les débats au sein de la filière terre. Même s’il est connu comme le pionnier du pisé préfabriqué en France, Nicolas Meunier reste un fervent défenseur de la logique artisanale : « Le prix au m² c’est pour le placoplâtre, on ne demande pas à l’ébéniste le prix d’un m2 de table… ». Selon lui, pour apprendre il faut faire avec ses mains : « La transmission des savoir-faire se passe par l’immersion sur le chantier, pas en formation. » Nous avons donc, nous aussi, fait avec nos mains !
6. Entretien réalisé en visioconférence (N. Meunier, communication personnelle, 25 novembre 2020). 23
Un matériau multiphysique à expérimenter par le toucher La terre construite est un matériau multiphysique, composé de grains solides (éventuellement de fibres), d’eau et d’air. « Le pisé est poreux : les espaces microscopiques entre les grains d’un pisé sain contiennent de l’air, de la vapeur d’eau et de l’eau. Les pores communicant entre eux forment un réseau, voie de circulation des fluides gazeux (air, vapeur) ou liquide (eau) » (Heitz et al., 2015). La terre est donc une matière issue d’un mélange, d’une formule : si on sculpte le bois ou la pierre à partir d’un élément qui existe déjà à l’état brut dans la nature, la terre à construire, elle, se pétrit. Elle se forme précisément sous l’action de la main. En décembre 2020, nous avons ainsi initié un workshop d’une semaine pour nous familiariser avec la matière et nous confronter à ses différentes formes. Zoé Tric, responsable du pôle Design d’amàco, décrypte bien ces potentialités multiples de la terre :
« Je crois que ce qui nous attire dans cette matière c’est sa grande plasticité. » Le fait qu’elle soit malléable et réceptive lui confère des potentiels expressifs qui sont très inspirants pour les concepteurs et les artisans. Selon la manière qu’on va mettre en œuvre, que ce soit en la compactant, en la moulant, en la coulant ou en la modelant, on va générer une palette de textures absolument incroyable qui peut aller des strates graveleuses du pisé à la surface lisse parfois même brillante de certains enduits en passant par la terre qui porte l’empreinte de la main ou de l’outil qui l’a transformée. » (Amàco, 2020). 24
Thermique et rôle culturel Pour comprendre la place culturelle du matériau terre, nous avons cherché à saisir les liens entre ses qualités thermiques (inertie, déphasage et régulation de l’hygrométrie) et l’expérience sensible partagée à son contact. L’étude de l’ouvrage Volupté thermique de Lisa Heschong nous a permis d’appréhender la source de la dimension spirituelle et sensuelle du matériau terre. « À l’égal de nos autres sens, le sens thermique révèle un simple plaisir ; nous le laissons parler de notre univers ambiant, nous en disposons pour explorer et apprendre, ou pour observer seulement. [...] Dans cette conscience de ces petits fragments d’information sur notre univers ambiant, il y a comme une présence qui participe de notre propre vie. Quand le soleil inonde mon visage, quand l’air me baigne de sa fraîcheur, je sens qu’il fait bon vivre » (Heschong, 1981). Par le plaisir sensoriel partagé, les constructions en terre créent du lien social dans l’usage :
« Les lieux qui rassemblent des qualités thermiques recherchées tendent naturellement à devenir des espaces de sociabilité où les gens se retrouvent pour profiter des avantages du confort qu’ils peuvent y trouver ». (Heschong, 1981). Au vu des multiples qualités du matériau terre (environnementales, ambientales, sociales), comment expliquer alors que la construction en terre crue reste une niche et peine à gagner sa part de marché ? 25
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Expérimentations Workshop ALT S09 27
Expérimentations Workshop ALT S09 28
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1.2 COMPRENDRE LE MANQUE DE VISIBILITÉ DU MATÉRIAU TERRE En découvrant la terre, on pense être tombé sur la panacée (des bâtiments écologiques, confortables et recyclables) et on reste perplexe devant la lenteur de son adoption par la construction conventionnelle. Nous avons donc cherché quelques réponses pour éclaircir le laborieux développement de la filière et cette mystérieuse absence de soutien politique.
Petit patrimoine méprisé Encore synonyme de ruralité, les constructions en terre crue subissent les mêmes stéréotypes que le reste du petit patrimoine. « Les acteurs publics sont saisis d’effroi devant les manifestations de l’attachement populaire au patrimoine de proximité », rappelle Guy Sallavuard, co-président de Maisons Paysannes de France dans l’éditorial du numéro de mars 2020. Cet attachement populaire effraie car il fait apparaître un pluralisme d’identités locales qui compromet l’unité nationale. Pourtant, comprendre et cultiver l’héritage d’un passé constructif est essentiel à l’épanouissement des territoires et plus largement à l’innovation : « si la sauvegarde des matériaux anciens et des méthodes traditionnelles sert d’abord l’exercice du devoir de mémoire, elle est aussi une contribution majeure à la vie 30
économique et à la vie sociale des territoires, ainsi qu’à l’éducation des jeunes générations qui, pour choisir où elles vont, doivent savoir d’où elles viennent. »7
Déni d’existence et processus d’invisibilisation Malgré les programmes de recherche sur la terre crue qui existent depuis les années 70, et les nombreuses innovations techniques développées depuis, le matériau terre pâtit toujours d’une mauvaise représentation dans l’imaginaire collectif. Comme le mentionne l’étude de montage du projet national Terre Crue, la terre est encore disqualifiée sur le plan social (matériau du pauvre), sur le plan de la mise en œuvre technique (facile), et sur le plan de sa solidité (fragile, périssable). Le progrès serait synonyme de techniques constructives standardisées, d’industrialisation et donc incompatible avec l’artisanat entretenu par les sociétés paysannes. Recouverte d’enduits ou cantonnée aux parties invisibles ou annexes des habitations, la terre crue, marqueur d’infériorité sociale, est souvent cachée et rarement documentée dans les archives. Encore aujourd’hui, cette absence de documentation se fait sentir : il subsiste une méconnaissance du comportement du matériau dans le système complexe qu’est un bâtiment (hygrométrie, sismique), comme en atteste le champ d’action du Projet National Terre Crue.
7. Dossier « La terre crue en héritage », in Maisons Paysannes de France, Patrimoine rural, bâti et paysager, n°215, mars 2020. 31
Au fil de l’histoire, ce matériau a souffert d’abandons successifs et d’un processus global d’invisibilisation. « Tout se passe comme si la construction des habitations [en terre crue] ne faisait pas intervenir d’acteurs et de connaissances spécifiques, ni d’ailleurs de rituels. À des techniques jugées simples mais dont on ne trouve pas ou peu de descriptions pointues (un air entendu suffit), on associe un contexte sociologique équivalent » (Pecquet, 2011). Ce processus d’amnésie s’est accentué au XXe siècle avec la rupture de la chaîne de transmission des savoirs sur la terre crue, provoquée par l’exode rural massif et par la première guerre mondiale : les charpentiers-piseurs mobilisés pour la construction des tranchées et tués par milliers emportent dans la tombe les savoir-faire constructifs complexes liés au coffrage du pisé. À partir de 1945, l’aprèsguerre est marqué en France par un investissement massif dans le béton pour reconstruire les villes disparues — contrairement à l’Allemagne et la Pologne qui optent pour une reconstruction en terre crue (Announ et al., 2020).
Le diagnostic de la filière aujourd’hui D’après l’étude de montage du PNTC, mais aussi de ce qui ressort de nos différentes rencontres, la construction en terre reste aujourd’hui en manque de visibilité pour les raisons suivantes : Assurabilité : du fait de l’absence de réglementation, la construction en terre crue n’est pas considérée comme une technique courante 32
Réglementation : l’absence de modèle de calcul entraîne un surcoût des études nécessaires pour dimensionner les ouvrages Calcul de structure : la variabilité des performances en fonction de la nature de la terre et de sa mise en œuvre compromet la représentativité des simulations Image de la terre : image rétrograde auprès du grand public et des professionnels Formation : il y a un manque de compétences (notamment dans la maîtrise d’ouvrage) car les formations ne prennent pas en compte ces matériaux Coûts : surcoût lié à une main d’œuvre nécessaire importante et surtaxée, une mise en œuvre saisonnière Ce qu’on peut lire entre les lignes raconte une histoire plus large, qui dépasse largement le cadre du matériau terre : ces obstacles rappellent la dévalorisation du travail humain, la réprobation d’une intelligence constructive non réglementée, le refus du risque et de l’incertitude, le déterminisme des lobbies industriels.
« La valeur du travail doit être à nouveau reconnue et supplanter la valeur marchande de l’argent. Une autre politique devrait valoriser plus concrètement l’impératif écologique et redonner de la « valeur » aux matériaux naturels dans le secteur de la construction. » (Guillaud et al., 2016) Finalement, cela appelle une lutte sociétale et systémique, bien plus qu’une innovation technique. 33
Les moteurs politiques et sociaux de l’investissement dans la filière Après le rapport du Club de Rome et le premier choc pétrolier, les années 70 sont marquées par un retour de la construction en terre crue en France. La rencontre entre des intérêts nationaux et des ingénieurs issus de la contre-culture architecturale conduit à la naissance du laboratoire CRAterre (1979), et de projets démonstrateurs comme le Domaine de la Terre à Villefontaine (1982-85). Contrairement à aujourd’hui, ce n’est pas l’argument écologique lié à la crise de l’énergie qui a motivé à l’époque cet essor de la filière mais plutôt une politique monétaire. En effet, dans les années 80, l’économie française en difficulté se voit dans l’obligation de redynamiser le champ de la construction par l’intermédiaire du Plan Construction, dont l’un des programmes expérimentaux vise à créer un marché de la construction en terre. Les investissements publics se portent vers la terre car le marché intérieur de la construction fait face à « une saturation de la demande qui oriente l’offre vers la demande extérieure, notamment les pays en voie de développement » (Villain, 2020). Dynamiques démographiquement, ces pays désinvestis depuis la décolonisation présentent des « débouchés potentiels aux économies des pays industrialisés » – notamment pour la construction en terre qui limite les besoins en devise par l’utilisation d’un matériau local. Cette analyse du contexte politico-social semble essentielle pour comprendre les réussites et les échecs de développement de la filière terre.
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« Pour saisir la variété des usages et abandons de la terre crue, il faut se référer à des changements sociaux [...] et considérer, là comme ailleurs, que les techniques et les matériaux relèvent de choix, tant individuels que collectifs. » (Announ et al., 2020) « L’argument écologique [...] constitue à l’inverse au XXIe siècle un argument de poids qui oriente les politiques de recherche depuis que les questions environnementales sont à l’agenda des politiques publiques. » (Announ et al., 2020). Cependant, la prise en compte de l’argument écologique dans le discours public officiel ne signifie pas pour autant que les modes d’action font consensus dans la communauté scientifique.
« L’institutionnalisation de la construction écologique s’effectue principalement par une approche réductionniste relevant de la performance énergétique. » (Villain, 2020) La perception de la construction écologique en France, et des instruments privilégiés pour la promouvoir, reste ainsi une source de clivage important. Les tensions internes à la filière terre qui résultent de ces positionnements polarisés sont assurément responsables des difficultés de structuration de la construction en terre crue à l’échelle nationale.
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1.3 MATÉRIALISATION DES RÉFLEXIONS PAR UN PROJET DE SENSIBILISATION Après toutes ces pérégrinations, il nous fallait matérialiser notre réflexion de plusieurs mois en un projet collectif, accoucher d’un objet commun qui réinvestisse toutes ces connaissances accumulées sur le matériau terre. Pour clôturer le projet d’initiation à la recherche (PIRD) mené par les étudiants INSA, nous avons ainsi imaginé ensemble un dispositif de sensibilisation des étudiants à la construction en terre crue.
Sensibiliser les futurs constructeurs Le fil directeur était de sensibiliser au matériau terre sur le campus de la Doua en mettant les usagers au contact direct du pisé par l’intermédiaire d’un banc. Un élément de mobilier permettrait de rendre la terre visible et de surprendre en la plaçant là où on ne l’attend pas, c’est-à-dire confrontée à l’usage et à l’usure. Ce banc serait destiné au hall d’entrée du bâtiment Freyssinet de l’INSA, abritant le département Génie Civil et Urbanisme. L’installation s’accompagnerait de la diffusion auprès du grand public de supports de vulgarisation.
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Concevoir un kit pédagogique Le banc imaginé est conçu pour être réalisé en Travaux Pratiques à l’INSA : le mobilier est construit à partir de 12 blocs modulaires manuportables qui peuvent être réalisés par un ou plusieurs binômes de TP. Chaque année, le banc pourra être détruit et reconstruit avec la même terre par les élèves, ce qui limite les déchets générés par les travaux pratiques et encourage à l’innovation d’une année à l’autre. Chaque bloc mesure 0.20 x 0.24 x 0.33 cm pour un poids estimé à 20 kg par bloc. L’assemblage des blocs inférieurs est réalisé par des fixations sur un socle en bois qui protège également le banc de l’humidité du sol. Une assise en bois permet de protéger les angles des blocs des chocs tout en réalisant un chaînage des blocs supérieurs. Une fente est ménagée dans l’assise pour rendre le pisé visible et permettre aux élèves de le toucher. Au-delà de la proposition de design du banc en lui-même, il s’agirait de créer un kit pédagogique prêt-à-l’emploi avec coffrages et prémix de terre à destination des écoles d’ingénieurs et d’architectes.
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Prototype de banc modulable en terre crue 38
Photomontages mettant en scène le matériau terre 39
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LYON, VILLE DE TERRE
2.1 LE PISÉ DANS LA MÉTROPOLE LYONNAISE 2.2 LES MAISONS COINTERAUX, UN SITE EMBLÉMATIQUE POUR LE PÈRE DU PISÉ MODERNE 2.3 LA PLAINE DE VAISE, ANCRAGE DANS UN TERRITOIRE EN MUTATION
2.1 LE PISÉ DANS LA MÉTROPOLE LYONNAISE Le terme de pisé urbain, employé initialement par Anne-Sophie Clémençon, renvoie aux « édifices en pisé construits en contexte urbain, avec souvent des typologies adaptées à la densité urbaine » (Mille, 2016). Cela peut être des ensembles denses de bâtiments construits pour étendre la ville mais aussi « d’anciennes constructions rurales ou de faubourgs qui ont été enveloppées dans le tissu urbain » (Mille, 2016). En effet, par son développement, « Lyon [a attiré] des populations agricoles qui [se sont installées] en arrivant aux portes des villes, près des grands axes de circulation » (Alex, 2016). Riches seulement de leurs savoir-faire artisanaux, elles ont construit avec le matériau disponible sur place, c’est-à-dire la terre. Ainsi, « les constructions en pisé sont surtout situées sur des zones frontières entre la campagne et la ville » (Alex, 2016). Par là-même, on comprend que le pisé a joué un rôle essentiel dans les expansions urbaines successives de Lyon. Le travail d’inventaire mené entre 2016 et 2021 par Emmanuel Mille, a permis de compléter les inventaires précédents du patrimoine en pisé urbain sur l’agglomération lyonnaise : ce recensement a identifié plus de 400 édifices en terre à Lyon. Les bâtiments en pisé qui subsistent encore sont principalement situés dans les quartiers de Saint-Just, Tassin, Croix42
Rousse et Vaise, qui ont la particularité de se trouver sur une colline ou à proximité de massifs rocheux riches en moraines donc en terre bonne pour construire. Contrairement à la typologie généralement associée aux constructions en pisé – un bâtiment de 1 ou 2 étages avec des percements étroits et de larges trumeaux, certains spécimens relevés par E. Mille dépassent les 20 mètres de hauteur avec jusqu’à 6 niveaux portés par des murs en pisé. Il s’agit dans ce cas d’immeubles localisés sur le plateau de la Croix-Rousse « ayant une façade à priori en pierre et des murs latéraux, peu percés, en pisé (mur pignon, mitoyen ou de refend) » (Mille, 2016). Malgré cette présence avérée, le patrimoine en pisé de Lyon est encore largement ignoré et victime de sinistres fréquents liés à un manque d’entretien et à une méconnaissance du matériau conduisant à de mauvaises pratiques de rénovation (soubassement imperméable, enduits ciments épais, isolation par l’extérieur). Fréquemment détruits sous la pression immobilière, ces bâtiments pâtissent de la dévalorisation du matériau terre qui constitue ainsi un prétexte pour détruire les ensembles : « c’est en pisé ça ne vaut rien ! ». À l’image de la rive gauche du Rhône où subsistaient encore il y quelques décennies des faubourgs entiers de terre, la progression de ces destructions alarme les spécialistes de ce patrimoine car « c’est un pan majeur de l’histoire urbaine de la ville qui disparaît en silence » (Mille, 2016). En effet, outre sa valeur écologique (faible énergie grise, propriétés thermiques propices au confort d’été), ce bâti en pisé – par sa concentration urbaine remarquable et ses propriétés architecturales uniques (immeubles hauts) – présente une va43
leur patrimoniale indéniable. Il constitue assurément un témoignage essentiel pour l’avenir : la démonstration que l’on peut construire des quartiers denses en terre qui sauront résister au temps. Mais à qui doit-on ce patrimoine audacieux ?
Répartition du corpus à l’échelle de la commune de Lyon (366 constructions) et de ses abords immédiats (170 constructions) Source : Mille, À paraître 44
Immeuble de 5 niveaux, 43 rue Coste, Caluire Source : Mille, À paraître 45
2.2 LES MAISONS COINTERAUX, UN SITE EMBLÉMATIQUE POUR LE PÈRE DU PISÉ MODERNE François Cointeraux (1740-1830), inventeur et architecte français spécialiste de la construction en pisé, n’est plus à présenter. Par la diffusion de ses travaux de recherche et de vulgarisation sur le pisé (traduits dans plusieurs langues), François Cointeraux a contribué à la démocratisation de cette technique. Sans doute n’est-il pas pour rien dans l’« âge d’or » du pisé qui a permis l’importante expansion urbaine de Lyon au XIXe siècle. Même si la portée de son travail sur les pratiques constructives lyonnaises reste peu étudiée, Emmanuel Mille fait tout de même l’hypothèse dans son dernier article que la construction des maisons Cointeraux où il implante son École d’architecture rurale fin XVIIIe « [a] pu avoir une influence sur les pratiques constructives de certains architectes et maçons locaux, participant à l’émergence de nouvelles pratiques constructives particulièrement audacieuses dans les premières années du XIXe siècle. » (Mille, À paraître). Cointeraux est notamment l’inventeur de la crécise, première presse à blocs de terre mise au point dans son atelier parisien entre 1806 46
« Lorsqu’il meurt dans son couvent, à Paris, le 13 mai 1830, âgé de 90 ans, il semble déjà être oublié mais, ses idées qu’il a portées avec passion, conviction autant que détermination, dans un climat de lutte permanente jalonnée de succès, de joies, d’échecs et de déceptions, font déjà des émules, notamment parmi les propriétaires bâtisseurs des campagnes, et vont encore faire écho en Europe chez nombre d’architectes baignés par les préoccupations culturelles de cette fin du Siècle des Lumières. Un monde nouveau se développe sur de profondes mutations culturelles, sociales, économiques et techniques. » (Guillaud, 1997) et 1808 (Guillaud, 1997), ce qui fait de lui le précurseur du bloc de terre comprimé (BTC). Dans le catalogue de l’exposition Architectures de terre ou l’Avenir d’une tradition millénaire de 1981 au Centre Pompidou, Cointeraux est désigné comme « l’architecte prophétique de ce matériau élémentaire auquel il conf[é]r[a] une nouvelle dignité culturelle et technique à l’aube de la société industrielle » (Cellauro, Richaud, 2016). Encore aujourd’hui, il est considéré par beaucoup comme le père spirituel de la construction moderne en terre. Le propos développé dans ce chapitre s’appuie largement sur l’ouvrage intitulé Les leçons de la terre. François Cointeraux (1740-1830) professeur d’architecture rurale (Baridon et al., 2016) qui fait suite au colloque « François Cointeraux, Pionnier de l’architecture moderne en terre », organisé à Lyon en mai 2012. 47
Cointeraux dans la pensée des Lumières Pour comprendre la pensée de Cointeraux, il faut la resituer dans le contexte plus global des préoccupations du Siècle des Lumières. Certains mouvements de pensée donnent à l’époque une place centrale à l’habitat rural en cherchant à l’extraire de sa position de « bâti mineur exclu de la pratique architecturale traditionnelle » pour l’élever « au rang d’architecture ». Une « nouvelle idée du bonheur de vivre une existence champêtre, saine et utile » se diffuse alors : « cet idéal instruit aux vérités de l’émotion, de l’intuition, fondé sur l’exaltation du sentiment, de l’amour familial, de la générosité et de la bienfaisance « naturelles », est opposé par Rousseau au caractère vain, futile et mensonger de la vie urbaine qui génère des inquiétudes, des luttes fraternelles, des disparités de propriété. » (Guillaud, 1997). C’est dans le cadre de cette fracture idéologique que Cointeraux portera haut et fort son idée d’agritecture, une nouvelle discipline qui selon lui doit associer étroitement architecture et agriculture. Au-delà de l’architecture rurale, l’utopie technologique de Cointeraux est avant tout politique et sociale : son projet « reliait la technique bon marché de la terre compressée à une éthique de la générosité qui au final cherchait l’égalité économique et politique pour tous, sans égard à la classe sociale et au pays d’origine » (Young Lee, 2008).
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« L’avenir sort des presses qui compriment la terre, comme si le temps lui-même, celui de la géologie et celui des sociétés, pouvait être accéléré par l’action du clairvoyant mécanicien. Dans le monde nouveau esquissé par Cointeraux, l’homme n’est plus attaché à la glèbe. La Terre promise est sous ses pieds, à la portée de chacun. » (Baridon, 2016) Cependant, malgré ses idées humanistes, cet artiste-inventeur s’est heurté maintes fois de son vivant aux refus et à l’indifférence de la communauté scientifique (Demeulenaere-Douyère, 2016). Comme de nombreux autres génies incompris, c’est seulement après sa mort que l’on verra les répercussions à grande échelle de sa pensée. On pourrait expliquer cet échec en remarquant qu’« à vouloir, par l’enseignement généralisé de l’agritecture, imposer l’usage d’un matériau sans intérêt commercial, « l’idéalisme naïf » de Cointeraux s’est heurté, à partir du début du XIXe siècle, aux impératifs économiques de l’industrialisation naissante. » (Cellauro, Richaud, 2016). Cependant, notre début de XXIe siècle, fait de transitions et de ruptures, n’est pas si différent du Siècle des Lumières qu’a vécu Cointeraux : les préoccupations économiques et écologiques actuelles nous incitent même à revisiter l’héritage de Cointeraux pour repenser la façon de construire en terre.
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Héritage de l’agritecture Cointeraux crée le terme d’agritecture en 1797, un néologisme soutenant sa thèse selon laquelle :
« la profession de bâtir et celle de cultiver doivent être exercées par une même personne ». (Cointeraux, 1809b) Dans ses écrits, le lien entre architecture et agriculture est alimenté par un imaginaire scientifique du sol qu’on pourrait qualifier de poétique de la géologie. Ce choix d’une architecture étroitement liée à l’agriculture s’inscrit dans un « ordre cosmogonique » (Baridon et al., 2016), c’est-à-dire un récit mythologique qui explique la formation du monde. Cointeraux hiérarchise les matériaux en rapport avec le processus de formation du globe terrestre par accrétion de couches successives issues de la décomposition de végétaux et d’animaux morts : « la pierre, qui constitue les couches plus anciennes du globe, est décrite comme le produit de terres épuisées, ce qui est une façon d’en relativiser l’intérêt et d’affirmer l’importance des principes vitaux qui fécondent le sol fertile » (Baridon, 2016). Cointeraux est convaincu qu’il existe un « cycle qui lie la décomposition des plantes à leur vie même » (Baridon, 2016) : le « gluten », humus responsable de la fertilisation des sols, et la sève parcourant les plantes seraient le « produit d’une dissolution aqueuse appelée menstrue » (Baridon, 2016). Il s’établit ainsi une relation cosmique entre la matière terre et le soleil qui « ne se contente pas de réchauffer les terrains puisqu’il y dépose un principe de vie qui émane de ses rayons lumineux » (Coin50
teraux, 1809a). Bien qu’étant un inventeur ayant recours à l’empirisme, Cointeraux soutient par ce discours que l’agritecture serait un art supérieur qui opérerait par une sorte de magie. Dans la continuité de ce lien entre terre à bâtir et terre nourricière, il affirme que
« les terres qui produisent le meilleur blé, produisent aussi les meilleurs murs » (Baridon, 2016) puisque l’humus ou gluten rendrait la terre apte à se durcir. Même si le raisonnement scientifique de fond est approximatif et fait des raccourcis, il ne semble au final pas si loin de la vérité8. En application de cette théorie, Cointeraux propose notamment un système de clôtures fertilisantes à dégradation progressive, mais cette innovation n’a pas rencontré un franc succès auprès de la communauté scientifique de l’époque (Baridon, 2016). Aujourd’hui, les inventions de Cointeraux sont regardées d’un autre œil – inspirent même, car la notion d’agritecture prend un nouveau sens dans notre monde actuel. À l’ère du changement climatique et de la prise en compte des écosystèmes, son discours prônant la cyclicité et une connexion cosmique avec la nature trouve des résonances dans de nombreux récits écologistes modernes (voir chapitre 3 - La Fabrique des nouveaux récits).
8. Les plantes tirent effectivement leur nutriments du sol par l’intermédiaire d’échanges chimiques avec le complexe argilo-humique formé par des colloïdes de matière organique (humus) et de matière inorganique (argiles). L’argile est également le liant permettant à la terre de durcir et de devenir matière à construire. 51
« la profession de bâtir et celle de cultiver doivent être exercées par une même personne »
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Interprétation du concept d’agritecture et de la poétique cosmogonique de Cointeraux 53
Les maisons Cointeraux, un site expérimental et une école d’agritecture aux portes de Lyon À l’entrée de Lyon, il existe un site emblématique qui occupe une place particulière dans la vie de Cointeraux : il s’agit de l’ensemble dit des « maisons Cointeraux », un îlot bordant la place Valmy dans le 9e arr. de Lyon. Sa façade sur la Grande rue de Vaise est constituée de cinq maisons de faubourg mitoyennes en pisé datant de 1782. Ce site est remarquable pour sa composition – innovante à l’époque : plusieurs maisons formant un ensemble, avec des commerces continus en rez-de-chaussée et des logements à l’étage accessibles depuis une cour commune. « On peut penser que Cointeraux a utilisé cette disposition afin d’optimiser le nombre de boutiques le long de la Grande rue de Vaise, [offrant] par ailleurs une plus grande modularité aux surfaces commerciales, qui peuvent être regroupées suivant les besoins. » (Delavenne, Mille, À paraître). Outre cette innovation architecturale largement passée inaperçue, l’îlot représente surtout un projet charnière pour Cointeraux et un lieu central dans sa vie : il y installe son domicile familial et surtout son école d’architecture rurale de 1795 à 1797. « L’école de Vaise lui permet de développer des expériences sur la construction des murs de clôture et sur la décoration peinte des murs en pisé, grâce à des modèles élevés dans la cour. On ne peut exclure qu’une partie des bâtiments secondaires et murs de clôture actuellement situés dans l’ancienne cour soient des remplois de ces anciens modèles. » (Delavenne, Mille, À paraître). Si les murs pouvaient garder la trace de la sueur des hommes qui les ont édifiés, ceux des maisons Cointeraux conserveraient as54
surément la marque de cet inventeur acharné et entrepreneur poussé à la ruine. Entre tous les bâtiments en terre de Lyon, c’est sans conteste celui-ci, avec sa charge symbolique particulière, qui serait le lieu matériel privilégié de la mémoire de l’œuvre de Cointeraux.
« On savait déjà que cette expérience jouait un rôle charnière entre deux époques de la vie de Cointeraux, sa carrière de praticien principalement à Lyon et son œuvre de théoricien à Paris. On découvre désormais qu’elle a représenté le plus important revers de fortune de son parcours, mais également sa principale source de revenus, par lesquels il a pu combler une partie de ses dettes antérieures. L’ensemble de Vaise doit être reconsidéré comme le lieu central de la vie de François Cointeraux. Il a été son lieu de travail pendant de nombreuses années, en 1780-1783 d’abord, puis à nouveau en 1794-1802, mais également son lieu de vie et son domicile familial, et enfin son lieu d’enseignement et d’expérimentation avec l’école d’architecture rurale. » (Delavenne, Mille, À paraître)
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Plan de rez-de-chaussée de l’ancien ensemble de Vaise (état actuel) et développé des façades correspondantes avec synthèse des dates des principales modifications connues (E. Mille, d’après les photographies de F. Trabouillet, © Région Auvergne-Rhône-Alpes, Inventaire général du patrimoine culturel) Source : Delavenne, Mille, À paraître 56
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Dispositions supposées de l’ensemble Cointeraux de Vaise en 1796, plan de rez-de-chaussée (E. Mille). Le plan positionne l’école d’architecture rurale Source : Delavenne, Mille, À paraître 58
Maisons Cointeraux vues depuis l’angle entre la Grande rue de Vaise et la rue du Marché Source : E. Mille 59
2.3 LA PLAINE DE VAISE, ANCRAGE DANS UN TERRITOIRE EN MUTATION Suite à la découverte du site emblématique des maisons Cointeraux, nous avons décidé d’ancrer notre projet dans le territoire de Vaise.
Berceau de la civilisation lyonnaise Vaise a longtemps gardé cette image d’une zone marécageuse inhospitalière, commune modeste de transition entre la ville et sa campagne qui n’est rattachée à Lyon qu’en 1852. Pourtant, elle est le véritable berceau de la civilisation lyonnaise puisque les collines de La Duchère et de l’actuel périphérique Nord auraient accueilli des hommes préhistoriques en 10 000 av. J.-C. (Franc, 2016). La plaine alluviale fertile de Vaise bordée par la Saône aurait été habitée en continue depuis cette période, bien avant la Presqu’Île qui s’impose pourtant aujourd’hui comme le cœur historique de Lyon. Les chantiers de fouilles préventives commencés en 1984 pour la création de la ligne D du métro ont révélé une trentaine de sites dont une nécropole du IIe siècle av. J.-C. qui dort sous l’actuel parking du Pathé Vaise. Faubourg de la ville sur le bord de Saône, Vaise fut pendant longtemps le lieu de passage de la voie royale pour entrer 60
dans Lyon. La voie bordant la rive droite de la Saône, aujourd’hui un enchaînement de quais occupé par des voies rapides, fut utilisée pendant des siècles « par les voyageurs et les armées, comme chemin naturel pour arriver à Lyon » (Bourguignon et al., 2018). De village modeste, Vaise devient à partir du XIXe siècle une cité industrieuse. « Agriculteurs et artisans ont laissé place à l’essor des métiers de la soie, de la fonderie, des chantiers de construction navale et une fabrique d’automobiles. » (Bourguignon, 2018). C’est l’ancien port de Vaise, autrefois appelé « Gare d’eau », qui a conduit au développement d’un important trafic de marchandises et à la création du Quartier de l’Industrie. Cette gare d’eau est comblée en 1967 avec les remblais du tunnel de Fourvière, et remplacée aujourd’hui par le stade Boucaud.
Un quartier en mutation Avec l’arrivée du métro en 1997 et l’ouverture du périphérique TEO (Tronçon Est Ouest), une nouvelle ère s’ouvre pour Vaise devenue une immense friche industrielle. Alors que les chantiers se multiplient ces dernières années sur l’agglomération lyonnaise, le Quartier de l’Industrie a déjà entrepris depuis le début des années 2000 une métamorphose radicale, en totale rupture avec le Vaise ancien. Le nouveau quartier est aujourd’hui tourné vers l’économie tertiaire, les loisirs et une mixité de logements et de services. Vaise Industrie regroupe aujourd’hui des entreprises et start-up du secteur du numérique et des nouvelles technologies. Le long des quais au nord de l’ancien port, les entrepôts et manufactures ont laissé leur place à des immeubles de bureaux et de logements faits de verre et d’acier, conformes aux dernières réglementa61
tions. De même, en parcourant le centre plus ancien de Vaise, on constate de plus en plus d’îlots de constructions récentes qui poursuivent le remplacement du tissu industriel et annoncent l’inexorable disparition du petit patrimoine de faubourg.
« Le traumatisme est d’autant plus grand qu’il correspond à l’abandon des activités industrielles et artisanales historiques laissant place à un secteur tertiaire [...]. Nous sommes bien loin de cette population laborieuse, multiethnique et multiculturelle du siècle dernier, exemple de cohabitation aux conditions de vie difficiles, mais qui avait donné une âme à ce quartier de l’Industrie, remplacée par la génération du XXIe siècle, celle des « cols blancs ». (Bourguignon, 2018)
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Les usines de pâtes Rivoire et Carret en demolition en 2000. Après-guerre, l’usine employait 600 personnes; le blé arrivait par la Saône via la Gare d’eau. (Photo d’archives Le Progrès, crédits Laurent Thevenot)
Carte postale des années 50. L’Epicerie-Droguerie de la Pyramide, à l’angle de la Grand rue de Vaise. On aperçoit les maisons Cointeraux dans le prolongement de la rue à droite. 63
Carte postale de l’ancienne gare d’eau de Vaise vers 1909
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La gare d’eau de Vaise comblée le 11 février 1974 (Photo d’archives le Progrès)
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Une cuvette encerclée par le relief et les transports Si elle est de plus en plus déconnectée de son passé, Vaise est aussi coupée de son environnement proche par l’enclave de la voie ferrée et des divers axes routiers. Vous, lecteurs, avez sûrement déjà traversé cette plaine en voiture sans vous attarder sur ses particularités. Elle se trouve par ailleurs enserrée par des versants de tous les côtés : Loyasse-Trion au sud, de la Vallonière au sud-ouest, d’EcullyMontribloud et de la Duchère à l’ouest, de Rochecardon au nord, de la Croix-Rousse à l’est de l’autre côté de la Saône. Ce relief escarpé engendre une couture de plusieurs tissus urbains aux morphologies différentes, marqués par une ségrégation socio-spatiale forte : la population modeste de La Duchère semble avoir été mise en quarantaine sur sa colline, alors qu’en face les Monts d’Or abritent les plus hauts revenus de l’agglomération. Accessoirement, la concentration d’axes routiers importants est à l’origine d’une pollution non négligeable, qu’elle soit de l’air, sonore ou des sols (par ruissellement des eaux pluviales depuis les routes). Au sud dans la ZAC SaintPierre, la gare de Gorge-de-Loup, décaissée par rapport au niveau de la voirie qui se hisse vers les balmes, a profondément modifié la perception de la topographie naturelle du site : la transition avec le paysage naturel ne se fait plus.
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Un site paysager d’exception, entre terre et eau Ce relief escarpé est dominé par un paysage naturel remarquable, les balmes. Le paysage des balmes lyonnaises constitue le dernier témoignage urbain de l’assise géologique du bassin lyonnais, et donc un patrimoine à préserver. Les balmes se caractérisent par des pentes instables qui peuvent être soumises à des glissements de terrain, chutes de pierres, coulées de boue, ou effondrements liés à des sous-cavement. L’implantation d’infrastructures et habitations sur ces massifs doit être très précautionneuse et est suivie de près par la commission des Balmes de Lyon. Les principales causes d’accidents sont le ruissellement des eaux de pluies sur le massif, et les installations humaines lorsqu’elles créent des tassements différentiels ou des sous-cavements qui peuvent déstabiliser le massif de la balme. Maximiser l’infiltration des eaux pluviales et privilégier des installations légères avec peu d’emprise au sol et de modification du soussol de ces massifs semble ainsi être une stratégie déjà mise en place pour préserver leur stabilité. Dans un scénario futur, on pourrait aller plus loin et restreindre les usages de ces terrains à des activités telles que les jardins partagés, comme ceux qui occupent actuellement les balmes au sud près du fort de Vaise ou le long de la voie ferrée. La plaine de Vaise se caractérise en outre par la présence d’une trame bleue oubliée sous la forme de nombreux ruisseaux dévalant les proches versants et qui traversent aujourd’hui le site en souterrain : parmi eux, le ruisseau de Gorge de Loup au sud, des Planches au niveau de l’actuel parc Montel, le ruisseau des 67
Gorges et plus au nord celui de Rochecardon. La Cressonnière, qui se trouve derrière la piscine de Vaise de l’autre côté de la voie ferrée, constitue par ailleurs la dernière zone humide de Lyon – précieuse pour sa fonction hydrologique et écologique essentielle (régulation du débit des ruisseaux, zone tampon en cas d’inondation, dépollution, puit de CO2). Dans cette tourbière formée par une dépression topographique, ensoleillement et apport d’eau régulier ont permis d’y développer la culture du cresson. Auparavant cette eau canalisée dans le ruisseau des Planches alimentait le quartier des Lavandières puis celui des Tanneurs, proche de l’îlot Cointeraux (Bourguignon, 2018). La présence de l’eau, qui fut ainsi à l’origine du développement de nombreuses activités artisanales, reste aujourd’hui une opportunité peu exploitée : pourquoi ne pas imaginer faire ressurgir ces ruisseaux et en tirer partie par l’implantation de petits moulins hydrauliques comme autrefois ?
Une plaine inondable rendue vulnérable par l’imperméabilisation des sols Outre ses ruisseaux et sa zone humide, l’élément eau est d’une importance cruciale pour la plaine de Vaise de par la proximité de la Saône. D’après l’atlas du TRI9 de Lyon mis au point par le Service de Prévention des Risques en 2013, le scénario extrême10 envisage une entrée des eaux dans le quartier de l’Industrie 9. TRI = Territoire à Risque Important d’Inondation, il correspond à un périmètre de délimitation des actions pour la prévention des risques d’inondation. 10. Le scénario extrême correspond à la crue d’occurrence Q1000 : il s’agit d’une crue extrême, avec une faible probabilité d’occurrence (1 risque sur 1000 chaque année), mais dont l’impact potentiel est important à prendre en compte pour la gestion du risque. 68
et du vieux Vaise jusqu’à une hauteur de 2 mètres. La plaine de Vaise est ainsi clairement définie comme un site où l’enjeu hydraulique est important. Bien que moins violentes que les crues torrentielles et malgré la rareté de leurs occurrences, les crues de plaines sont susceptibles d’affecter durablement le mode de vie des habitants d’un territoire : en effet, la rivière sort alors de son lit lentement et peut inonder la plaine pendant une période relativement longue (plusieurs semaines). « Un des caractères essentiels des crues de la Saône est leur remarquable lenteur. La taille du bassin versant implique que les crues les plus exceptionnelles ne se produisent qu’après des pluies longues et répétées (de plusieurs jours à plusieurs semaines). L’eau monte alors à une vitesse relativement faible (entre 2 et 5 centimètres par heure, au maximum 10 centimètres), et n’atteint des niveaux importants qu’après une longue période (5 à 7 jours). Les hautes eaux peuvent ainsi durer de nombreuses semaines. » (DREAL Rhône-Alpes, 2013). Même si de telles crues sont aujourd’hui considérées comme peu probables, il n’est pas impossible que leurs occurrences deviennent plus fréquentes avec le dérèglement climatique. Face à ce risque, l’imperméabilisation des sols qui caractérise actuellement la plaine de Vaise11 augmente considérablement sa vulnérabilité face aux inondations en empêchant l’infiltration des eaux dans le sol. Désimperméabiliser et végétaliser massivement ce territoire semble donc vital pour l’avenir.
11. Le taux d’artificialisation de la plaine de Vaise a été évalué à 69% (calcul effectué grâce au jeu de données « Classification des espaces végétalisés et artificialisés de la Métropole de Lyon (Ortho 2015) » disponible sur : https:// geo.data.gouv.fr/fr/datasets/5ecac1d8373c78790b9477b4515b6c9af0c07f7a 69
Cartes des zones inondables Plan du faubourg de Vaise avec la zone submergée par les inondations de 1840 Source : Bibliothèque nationale de France, 1849 70
Atlas des surfaces inondables du Rhône et de la Saône, zoom sur Vaise. Cartographie des débordements pour le scénario extrême Source : DREAL Rhône-Alpes, 2013 71
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LA FABRIQUE DES NOUVEAUX RÉCITS 3.1 EN QUÊTE D’UN GRAND RÉCIT 3.2 DES RÉCITS PROSPECTIFS ALTERNATIFS
3.1 LA FABRIQUE DES NOUVEAUX RÉCITS « Nous sommes une espèce fabulatrice. » (Dion, 2020) La fin des grands récits en Occident Depuis la Préhistoire avec les peintures rupestres, jusqu’aux stories Instagram d’aujourd’hui, nous n’avons cessé de raconter des histoires et de transmettre des récits. Des grands récits comme ceux du Communisme ou encore du Capitalisme, agrégeant des représentations communes, se sont affrontés au cours du XXe siècle. Le récit écologique, pourtant si affirmé pendant les années 70, peine à dépasser le récit capitaliste et consumériste dont les représentations (publicités, réalisations cinématographiques, mode, etc.) nous entourent sans répit. « Depuis des années je me pose la question de savoir ce qui nous permettrait d’affronter à la fois la crise écologique, la crise climatique et la crise de la biodiversité. [...] Il m’est apparu que proposer des solutions techniques [...] n’était pas suffisant, ce n’est pas à cet endroit là que se jouait le nœud du problème. Pour moi, le nœud du problème se joue dans les récits. » (Dion, 2020) 74
« Il est extrêmement difficile de construire un monde différent si on n’est pas capable de l’imaginer d’abord. » (Dion, 2020) L’intervention de Valérie Colomb dans le cadre du séminaire ALT (Colomb, 2021) interroge la place du récit dans la politique. La séparation entre le réel et l’imaginaire ne serait ainsi qu’apparente. Si le rôle du politique réside également dans la capacité à mettre en récit le monde, l’imaginaire devient un véritable outil pour le concevoir, rendre visibles des possibles et avec eux des actions. Quelles solutions face à cette « profonde crise de l’imagination » évoquée par Cyril Dion ?
« La question aujourd’hui est de savoir de quelle manière nous, êtres humains, allons trouver un espace dans lequel nous allons ensemble pouvoir élaborer, pas un récit, mais des récits qui nous réenchâssent avec le vivant. » (Dion, 2020) Face au manque actuel de grand récit fédérateur autour de la question écologique, construire des récits sur le futur relève d’une certaine forme de mobilisation et d’engagement. C’est dans cette démarche que s’inscrit notre PFE.
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Le récit de Gaïa : questionner la séparation nature-culture Un récit auquel nous avons été particulièrement sensibles est celui proposé par Bruno Latour autour de la figure de Gaïa. Celle-ci offre avant tout un cadre conceptuel à l’auteur afin de mieux relater la dichotomie nature / culture. Cette dernière serait effectivement un symptôme de l’altération de notre rapport au monde. On doit le concept de Gaïa à James Lovelock qui la décrit comme étant « un système évolutif, système composé, d’une part, de tous les objets vivants et, d’autre part, de leur environnement de surface - les océans, l’atmosphère et les roches de la croûte terrestre -, les deux parties étant étroitement couplées et indissociables. » (Lovelock, 2001).
« Gaïa ne tient pas dans le schéma Nature/Culture - pas plus que la Terre en mouvement de Galilée ne tenait dans le cosmos médiéval ». (Latour, 2015) Par simplicité, on pourrait lui préférer l’euphémisme « sciences du système Terre ». Gaïa représente ainsi l’ensemble des êtres vivants qui composent l’écosystème terrestre, mais aussi les relations qui les relient. Ces connexions traduisent un monde en perpétuelle évolution, et non pas un paysage de fond inerte, figé dans un état stable. Par ailleurs, les êtres humains font partie intégrante de ce système complexe. Lorsque l’on intègre cela, il devient inconcevable de distinguer la nature d’un côté et l’action de l’homme de l’autre. 76
« Qu’il s’agisse de l’idée d’Anthropocène, de la théorie de Gaïa, de la notion d’acteur historique comme l’Humanité, ou de la Nature prise comme un tout, le danger est toujours le même : la figure du Globe autorise à sauter prématurément à un niveau supérieur en confondant les figures de la connexion avec celle de la totalité. » (Latour, 2015) Transposée à l’architecture, la théorie de Gaïa soulève la question des implications et conséquences de l’action de bâtir et plus généralement de nos manières d’habiter, déconnectés des autres êtres vivants dont nous sommes cependant si dépendants.
Le temps des écosystèmes Intégrer une vision à long terme, compatible avec le temps des écosystèmes, devient une évidence et une obligation lorsqu’on projette la ville en tant qu’architecte. « Tandis que certaines options de réponse ont un impact immédiat, d’autres n’ont d’effet mesurable qu’après plusieurs décennies. Les exemples d’options de réponse à impact immédiat incluent la conservation d’écosystèmes riches en carbone comme les tourbières, les zones humides, les pâturages extensifs, les mangroves et les forêts. Les exemples d’options qui procurent de multiples services et fonctions écosystémiques, mais qui prennent plus de temps à donner des résultats, incluent le boisement et le reboisement ainsi que la restauration d’écosystèmes riches en car77
bone, l’agroforesterie et la remise en état de sols dégradés (degré de confiance éle- vé). » (Masson-Delmotte et al., 2020).
« Ce qu’il faudrait, par conséquent, c’est découvrir un parcours de soins - mais sans prétendre pour autant se guérir trop vite. En ce sens, il ne serait pas impossible de progresser, mais ce serait un progrès à l’envers, qui consisterait à revenir sur l’idée de progrès, à rétrogresser. » (Latour, 2015) Cette idée du progrès de l’homme moderne entraîne la notion de croissance. Un véritable changement de paradigme réside alors dans la manière de concevoir cette notion de progrès. « Rétrogresser », notion proposée par Latour, n’est pas ici synonyme de « régresser ». Il s’agit de trouver de nouvelles manières d’habiter la Terre, d’« atterrir »12.
12. La notion d’ « atterrissage » est davantage développée par Bruno Latour dans son ouvrage intitulé Où atterrir ? (Latour, 2017b). 78
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3.2 DES RÉCITS PROSPECTIFS ALTERNATIFS « Si on ne sait pas réagir c’est qu’on n’a pas les capacités esthétiques de comprendre l’ampleur de la situation, de s’équiper pour pouvoir réagir à peu près à la hauteur. » (Latour, 2017a)
Biorégion 2050 - l’Île-de-France après l’effondrement « La méthode du backcasting conduirait à décrire la société rêvée pour 2050 puis les étapes nécessaires pour y parvenir par réorientation continue, réforme graduelle, transition souple à partir de la situation existante. Dans le scénario Biorégions 2050, les étapes sont inspirées par la nécessité autant que par la volonté. Inspirées aussi par l’espoir qu’au tournant du demi-siècle, il existera encore une certaine douceur de vivre en Ile-de-France. » (Cochet et al., 2019) 80
Source : Cochet etal., 2019 81
Porte de Saint-Cloud, Région Ile-de-France, 2016 Source : Cochet et al., 2019 82
Jardins partagés de la Porte de Saint-Cloud, Biorégion de Paris-Mantois, 2050 Source : Cochet et al., 2019 83
Triangle de Gonesse, Région Ile-de-France, 2016 Source : Cochet et al., 2019 84
Bocage de Gonesse, Biorégion de la plaine de France, 2050 Source : Cochet et al., 2019 85
Prendre la clef des champs : agriculture et architecture - Sébastien Marot
Scénario Incorporation La métropole capitaliste envahit les campagnes (Photo : Martin Etienne) Source : Marot, 2020 86
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Scénario Negotiation L'urbanisme intègre l'agriculture comme une palette de nouvelles composantes (Photo : Martin Etienne) Source : Marot, 2020 88
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Scénario Infiltration Les pratiques agricoles et horticoles colonisent les villes et leurs franges (Photo : Martin Etienne) Source : Marot, 2020 90
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Scénario Secession De nouvelles formes de communes autonomes se séparent de la métropole (Photo : Martin Etienne) Source : Marot, 2020 92
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Schéma à l'origine des quatre scénarios imaginés par Sébastien Marot Source : Marot, 2020 94
2050 Scenarios - four plausible futures - ARUP
Schéma décrivant les quatre scénarios imaginés par ARUP Source : Schemel et al., 2019 95
Scénario Post Anthropocene Source : Schemel et al., 2019 96
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Scénario Greentocracy Source : Schemel et al., 2019 98
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Scénario Extinction Express Source : Schemel et al., 2019 100
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Scénario Humans Inc. Source : Schemel et al., 2019 102
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Une tendance renforcée par la crise du COVID ? « Nous sommes tou·tes des pangolins ! » Chapitre introductif de l’ouvrage Pour en finir avec les grandes villes, Manifeste pour une société écologique post-urbaine
(Faburel, 2020) Nous vivons des temps incertains : il s’agit d’utiliser cette incertitude comme source d’inspiration pour créer ensemble une vision du futur désirable. « Notre avenir est fictionnel. C’est une histoire que nous écrivons ensemble, limitée seulement par notre imagination et notre compréhension du monde qui nous entoure. » (Schemel et al., 2019). En fin de compte, construire des scénarios futurs aident à visualiser ce qu’il faut prioriser, ce qui a du sens pour nous en tant que société. Dans son livre Actual Minds, Possible Worlds (1987), Jerome Bruner note que « la vision occidentale du monde scientifique et philosophique s’est largement préoccupée de la question de savoir comment connaître la vérité, tandis que les conteurs s’intéressent à la question de savoir comment conférer un sens à l’expérience ». Avec la situation inédite que nous vivons depuis de la crise du COVID, les récits d’un « monde d’après » n’ont fait que se multiplier, si un certain nombre de discours et de projets sont mis au goût du jour par la crise, de nouvelles formes de mobilisations émergent également. 104
Plateforme « Où atterir » - Bruno Latour, médialab Science Po Lancée le 1er mai 2020, la plateforme13 portant le titre éponyme d’un des ouvrages de Bruno Latour, a pour objectif de centraliser des réflexions et des actions collectives. Celle-ci fonctionne en trois temps. Le premier consiste en un questionnaire qui se donne pour but de « faire la liste des activités et activités dont [nous nous sentons] privées par la crise actuelle et qui [nous] donne la sensation d’une atteinte à [nos] conditions essentielles de subsistance ». Le questionnaire se divise ensuite en deux grandes thématiques de questions :
« Que faut-il arrêter ? » « Que faut-il développer ? » La deuxième et la troisième étapes ont pour objectif d’explorer ces premières préoccupations issues du questionnaire, à travers des groupes de travail et une série d’atelier et évènements.
13. La plateforme est disponible à l’adresse : https://ouatterrir.medialab.sciences-po.fr/#/ 105
Les Imagineur.e.s « Les Imagineur.e.s » est une démarche participative née pendant le premier confinement, qui rassemble le Réseau Université de la Pluralité et Imaginarium-s14 autour de la création d’une série audio15 contribuant à la création et au renouvellement des imaginaires, notamment dans la perspective d’un monde d’après plus désirable.
« Le concept de la série consistait à créer un lien entre cet avenir désirable et le présent, pour découvrir qu’on a le pouvoir de transformer le présent si l’on a une représentation positive de l’avenir. »
14. Imaginarium-s est une communauté ouverte d’activateurs d’imaginaires qui s’engagent pour construire l’avenir en récits. 15. Les 15 épisodes sont disponibles en ligne à l’adresse : https://soundcloud.com/user-761033227/sets/serie-les-imagineures 106
Alternatiba
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Concours Creativity for New Hygienism
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Projet réalisé en 2020 lors du premier confinement dans le cadre du concours Creativity for New Hygienism proposant des solutions innovantes capables de répondre à la crise sanitaire que nous traversons. Étudiants : André Luiz Barros da Silva, Célina Prenez, Arthur Randé, Alexandra Stoleru 109
4 UN NOUVEAU PARADIGME POUR LA MATIÈRE TERRE
4.1 POUR UNE DÉCROISSANCE DES GRANDES VILLES 4.2 CONSTRUCTION DE DEUX SCÉNARIOS-HORIZONS 4.3 MILIEUX ET PROCESSUS TEMPORELS 4.4 ARCHITECTURE VIVANTE ET SOLS EN REMÉDIATION
4.1 POUR UNE DÉCROISSANCE DES GRANDES VILLES Convaincues que « le nœud du problème se joue dans les récits », nous avons donc décidé d’élaborer un scénario d’évolution au long terme pour le territoire de Vaise, tout en alimentant un autre imaginaire de la filière terre — un conte joyeux qui rétablirait un lien profond de l’humanité avec la nature.
La fin des grandes villes Pourquoi envisageons-nous la décroissance des villes ? La préservation des sols, la renaturation massive des villes et la réintroduction de la biodiversité nécessitent un déclassement d’échelle des métropoles et une désimperméabilisation systématique. En contribuant à l’atténuation de l’effet d’îlot de chaleur urbain et à la gestion du risque d’inondation, l’enjeu de cette décontraction est de rendre Vaise plus vivable malgré le changement climatique à venir. « La probabilité, l’intensité et la durée de nombreux événements extrêmes peuvent être modifiées de manière significative par des changements de condition des terres, y compris des événements chauds tels que les vagues de chaleur (degré de confiance élevé) et les épisodes de fortes précipitations (degré de confiance moyen). » (Masson-Delmotte et al., 2020). 112
Guillaume Faburel dénonce à travers ce manifeste les conséquences sociales, sanitaires et écologiques des grandes villes. Ce sont les pistes d’une société écologique post-urbaine qu’il dépeint dans le dernier chapitre de cet ouvrage. Définir un cadre pour des « modes de vies alternatifs » et pour les « pangolins » que nous sommes devenus par « l’entassement largement organisé par nos autorités ». Il ne s’agit pas selon Faburel de « laisser le vaisseau amiral Métropole tanguer sous l’effet de son propre poids » mais plutôt de « cesser de participer à la fabrication du néolibéralisme urbain » en quittant les grandes villes. Le chapitre se décline en sept grandes orientations de désurbanisation de la terre, impliquant donc une notion de décroissance. 1. Organiser des états généraux autonomes Cette première orientation traduit une volonté d’autonomie politique, indispensable aux yeux de l’auteur au fonctionnement des communautés biotiques. Il s’agit dans ce sens d’un « cadre politique afin d’organiser l’action de l’ensemble des alternatives post-urbaines » et « structurer une ambition collective de désurbanisation ». 2. En finir avec le BTP L’urgence de la crise que nous affrontons exige, selon l’auteur, un arrêt de toute nouvelle construction, accompagné d’une sanctuarisation des espaces. 3. Renaturer la terre Dans un même ordre d’idées, la désartificialisation et la remise en pleine terre des sols sur le territoire est indispensable. Par ailleurs, 113
c’est l’agroécologie et les techniques douces qui nécessitent d’être soutenues et encouragées, mais il est aussi grand temps de « renouer avec la gestion commune des biens de la terre ». Des collectifs de citoyens aux ÉtatsUnis ou encore au Canada existent et sont donnés en exemple. 4. Habiter sans bétonner Une mesure, certes source incontestable de débat, consiste à « réquisitionner immédiatement les logements, bureaux et commerces vacants partout en France ». Cela constitue un élément de réponse à la crise du logement qui concerne 4 millions de personnes mal logées en France. Faburel va jusqu’à suggérer le lancement de « foires locales aux biens immobiliers » ou encore des actions comme l’ « attribution de maisons vacantes pour 1 euro ». 5. Réorienter et augmenter les ressources budgétaires Un certain nombre de fonds provenant des investissements métropolitains peuvent être réorientés selon l’auteur afin de soutenir les productions alimentaires, les services médicaux, éducatifs et culturels relocalisés (tout en priorisant leur autonomisation progressive). Une autre solution pour assurer des rentrées de fonds réside dans la possibilité de taxer les vols, les SUV ou encore l’achat du matériel numérique et informatique neuf. 6. Autogérer des biorégions par un confédéralisme communaliste Afin d’accompagner les propositions précédentes, un « bouleversement démocratique » est nécessaire. Cette coordination doit se faire « par le bas de l’échelle, c’est-à-dire par les 10 000 villages, bourgs-centres et petites villes de 114
proximité qui maillent l’ensemble des espaces périphériques ». « Cette nouvelle organisation politico-territoriale ne pourra devenir société écologique post-urbaine à proprement parler qu’à condition d’un fonctionnement autonome et décentralisé du pouvoir, c’est à dire autogestionnaire. » Cela va de pair avec des périmètres d’agencements définis par la nature géographie et les ressources des milieux - les biorégions. 7. Reprendre la main et reprendre pied dans la connaissance du vivant La dernière proposition concerne enfin le système éducatif et plus précisément la « mise en pratique d’une culture écologique ». Il faudrait ainsi « refermer les manuels scolaires » et intégrer en contrepartie « les savoirs paysans et artisanaux dans le socle commun des éducations ».
« En imposant l’application de ces sept propositions […] nous ouvrirons pour les pangolins que nous sommes devenu·es une nouvelle ère de l’histoire humaine, écologique et populaire, une ère qui ne se ferait pas aux dépens de la nature tout entière mais qui armerait un front politique d’abondance vertueuse sans poursuivre l’oeuvre coloniale de la métropolisation du monde. » (Faburel, 2020) La décroissance des grandes villes passe nécessairement par la déconstruction d’un certain nombre de bâtiments. Dès lors, que faire de ces milliers de tonnes de déchets potentiels ? 115
Déconstruction et réemploi La déconstruction d’un site s’accompagne d’une dépréciation de ses constituants qui perdent lors de leur démantèlement une partie de la culture embarquée dans les éléments de construction. En effet, le processus de formation d’un élément imprègne la matière d’une certaine quantité d’information : un élément donné est ainsi le produit d’une culture constructive particulière, d’un apport en énergie thermique, chimique et/ou mécanique, et surtout de dizaines voire de centaines d’heures de travail humain. De fait, « la démolition d’un bâtiment entraîne une perte des valeurs d’usage et d’échange des bâtiments et de leurs constituants. [...] Dans la plupart des cas, des éléments qui assuraient des fonctions structurelles dans les bâtiments deviennent du matériau de remplissage pour des travaux de remblais ou des sous-couches de fondations. Cette dépréciation se manifeste également sur un plan économique » (Ghyoot et al., 2018). L’exemple typique est celui du béton, difficilement réemployable sous forme d’élément structurel une fois qu’il a été réduit en gravats... Démolir les bâtiments et leurs constituants, c’est donc quelque part « dilapider un investissement antérieur, [...] dissiper l’énergie grise que contiennent les matériaux » mais aussi le capital culturel embarqué dans le matériau par les actions humaines qui lui ont donné forme. Or, tous les éléments d’un même bâtiment n’ont pas la même durée de vie, ni le même potentiel de réemployabilité. Ce principe est décrit par le concept du layering formulé par Stewart Brand dans son livre How buildings learn à travers les « six S » : Site, Structure, 116
Skin (peau), Space plan (espace plan) et Stuff (choses). Sur la figure page suivante, la durée de vie moyenne de chaque layer est figurée par l’épaisseur du trait qui la représente. La structure apparaît ainsi comme la couche la plus pérenne, mais aussi la plus énergivore à reformer une fois démolie, et donc la plus difficile à réemployer après déconstruction. « Il est assez facile de démolir une ossature en béton. Refaire une structure en partant de ces débris nécessite, on le voit, nettement plus d’efforts » (Brand, 1995). Ces éléments minéraux difficiles à reformer constituent la plus grande partie de nos bâtiments. Il a été estimé que la masse totale des bâtiments allemands, représentant 28 milliards de tonnes, était composée de « 93% de minéraux, 4.1% de métaux, 1.3% de bois, 0.9% de plastiques et 0.7% de matières non identifiées » (Ghyoot et al., 2018). Si le métal et le bois semble plus facilement re-formables, il serait au contraire préférable de laisser les ossatures minérales en place le plus longtemps possible, ou bien de les réemployer sous forme d’éléments non démolis (poutres, poteaux, linteaux...), comme cela se faisait couramment avec la pierre et la maçonnerie avant l’ère du béton armé (Ghyoot et al., 2018). Il s’agit ainsi de développer plutôt des usages en cascade qui exploitent le spectre de pratiques se déployant entre le réemploi tel quel des éléments sans modification, et « le broyage impitoyable des éléments qui les ramène à une forme de matière première et qui implique la perte de l’effort d’information investi préalablement » (Ghyoot et al., 2018).
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« L’élégance de cette proposition tient dans le fait qu’elle reconnaît la valeur du travail humain, de l’intelligence et des techniques qui ont donné forme à un élément de construction, mais d’une façon pragmatique, en lien avec les besoins du présent. » (Ghyoot et al., 2018)
Et si on déconstruisait Vaise ?
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Six S : Site, Structure, Skin (peau), Space plan (espace plan) et Stuff (choses) Source : Brand, 1995
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4.2 CONSTRUCTION DE DEUX SCÉNARIOS-HORIZONS Se projeter dans la déconstruction de la plaine de Vaine soulève tout d’un coup un tas de questions : aujourd’hui, une telle décroissance semble impossible mais comment pourrait-on la préparer sur le long terme ? Comment penser l’avenir de cette commune pour qu’il reste désirable d’y vivre malgré ce déclassement ? Et aussi, comment envisager la place du matériau terre dans ce processus ?
Pour un véritable « retour à la terre » « La terre est une matière esthétique au sens grec du terme, c’est-à-dire qu’elle va convoquer les sens, l’émotion, la perception, l’affect. Cet esthétique réside dans le caractère dual de ce que nous évoque cette matière, c’est-à-dire qu’on a d’une part une dimension de puissance, de force de permanence voir même de résistance de cette matière qui est à l’origine du monde et d’autre part sa fragilité, sa plasticité, sa malléabilité, d’une matière qui se comporte comme un miroir de nos états d’âmes. » Zoé Tric (Amàco, 2020) 120
Aux origines de ce projet prospectif, il y a eu l’intuition forte que la matière terre, à travers sa symbolique de la cyclicité, pouvait assouplir le passage d’un état construit à un état déconstruit. Car quelque part, annoncer la disparition de la ville, c’est déclencher un processus de deuil : il faut pouvoir accompagner la perte de forme de la ville, et cela a quelque chose d’un rituel funéraire. Le choix de la matière terre ne répond pas seulement à des conditions purement pratiques de biodégradabilité qui nous arrangent lorsque l’on envisage de détruire des bâtiments par la suite. Cette histoire de décroissance n’aurait tout simplement pas pu naître sans ce matériau : c’est cette matière affective qui donne toute sa puissance au récit et même le rend possible, car elle convoque l’imaginaire du retour à la terre, une poétique apaisante qui permet d’accepter la perte.
« Pour cette installation, nous avions convié les visiteurs au décoffrage de l’œuvre. Étape charnière entre deux états, de la matière brute à la matière transformée, ce moment s’apparente à un rite de passage qui fait du décoffrage un instant magique. Le temps qu’implique la mise en œuvre évoque le concept de gestation ; quant au décoffrage, il renvoie fortement à l’image de l’éclosion, de la naissance. La condition éphémère de l’œuvre induit aussi sa destruction et sa disparition. Ce nouveau passage, d’un statut à un autre, pourrait également donner lieu à un événement. Rétablir des rituels dans nos sociétés permettrait de libérer des émotions, de les partager et ainsi de nous relier aux autres. » Mathilde Béguin 121
Cette revalorisation d’une féminité sauvage incarnée par la matière terre, et la remise en question d’un dualisme nature/culture évoqué plus haut, rejoignent les considérations du mouvement écoféministe16, aux croisements de l’éthique environnementale, du care et de l’écologie profonde. Cette approche est aussi nourrie par la pensée des Lumières, redécouverte à travers le prisme de la poétique de Cointeraux autour de la géologie. Ce retour à la terre est un appel à se recentrer sur des valeurs essentielles chargées de sens : le corps et ses sensations, le cycle de la vie et l’écoulement du temps, le lien social et le processus de transmission. C’est un récit holistique que nous avons voulu empreint d’empathie, d’humilité et surtout de la joie d’être vivant. Le principe ici énoncé de retour à la terre est appliqué au projet de décroissance de Vaise à travers l’enchaînement de deux scénarios-horizons autour d’une idée centrale : l’implantation d’une filière terre temporaire à Vaise dans le but d’accompagner la déconstruction partielle de la ville. Deux horizons se construisent donc en parallèle. Le premier, 2040, commence avec le déclin des ressources. Alors que la déconstruction progressive de Vaise commence, l’installation de cette filière terre est motivée par des logiques de recyclage. La revalorisation de terres de déblai et de déchets issus de cette déconstruction alimente la production d’éléments de construction biodégradables. La vocation finale de ces constructions est de retourner complètement à la terre, rendant ainsi possible une réintégration complète de la matière dans le cycle du sol. 16. L’écoféminisme, mouvement né dans les années 70, soutient qu’il existe des similitudes et des causes communes entre les systèmes d’oppression des femmes par les hommes, et la surexploitation de la nature par les humains. 122
La disparition n’est acceptable que si elle est suivie d’une renaissance. Cette altération des constructions n’est pas vaine puisqu’elle améliore la fertilité du sol et attire une diversité d’espèces sauvages. Elle régénère des milieux entiers en assurant la double fonction de remédiation des sols et de retour de la biodiversité en ville. Ainsi, alors que s’intensifie le changement climatique, la ville devient plus vivable : 2040 permet la réintroduction d’écosystèmes résilients et de dynamiques artisanales qui préparent une temporalité bien plus lointaine, 2090 – l’ère des néo-paysans. La terre à construire amorce la terre nourricière, dans une réinterprétation du principe d’agritecture.
2040, la terre à construire À quoi ressemble la vie en 2040 ? La température moyenne terrestre a augmenté de +1,3°C par rapport à l’ère pré-industrielle, la limite fixée des +1.5°C en 2015 par la COP21 est en bonne voie d’être dépassée. À Lyon, le climat reste pour l’instant tempéré mais avec des épisodes d’instabilité fréquents et une amplitude thermique élevée entre hiver et été – des températures de 40°C sont fréquentes en été. Dans les années 2030, Vaise a connu la plus grosse inondation depuis la crue de 1840, et cet épisode déclenche le PDV (Plan pour la Désimperméabilisation de Vaise). Les chocs environnementaux, énergétiques, sanitaires, sociaux de plus en plus nombreux ont mis en évidence nos vulnérabilités et nous poussent à entreprendre des actions radicales pour construire un monde plus adaptable. Depuis les années 2020, les écologistes sont au pouvoir à Vaise et ont enclenché un détachement progressif de la commune vis-à-vis 123
des autres arrondissements lyonnais. L’exode urbain depuis longtemps annoncé et rendu possible par la démocratisation du télétravail, s’est accéléré suite à plusieurs épisodes pandémiques : la population de la plaine de Vaise est passée de 50.000 habitants en 2020 à 30.000 habitants en 2040, alors qu’à l’échelle du Grand Lyon le rythme d’augmentation a légèrement ralenti. Le nombre de voitures particulières est en décroissance, mais reste un moyen de déplacement privilégié. Les transports en commun, dont le métro de Vaise, restent en usage. Le réseau ferré est en grand développement grâce à la remise en service des petites lignes ferroviaires abandonnées par la coopérative Railcoop. À Vaise, le transport fluvial est redynamisé après la réouverture du vieux port, à l’emplacement de l’ancienne Gare d’eau. Le centre-ancien de Vaise devient piéton. L’usage du vélo a augmenté de manière exponentielle et a été renforcé par la diminution des trajets domicile-travail. Ces pratiques de télétravail reposent sur un usage sobre du numérique, largement remis en question. Les outils high-tech existent encore pour émanciper des tâches difficiles, mais font l’objet d’une écoconception exigeante. Le nombre d’emplois tertiaires est en baisse, et on observe une requalification professionnelle massive surtout dans le domaine du réemploi. Avec la diminution drastique des stocks de ressources naturelles, les objets périssables, fragiles, complexes, irréparables, ont été remplacés par des objets plus robustes, réparables et accessibles. En somme, la planification active de la décroissance et la déglobalisation enclenchée suite aux pandémies successives, ont créé des emplois locaux en nombre. Les principes d’économie circulaire sont au centre des usages, et le mot 124
d’ordre général est :
« Rien ne se perd, tout s’entretient ». Les habitudes de consommation ont profondément changé : la consommation de viande est en baisse mais reste courante. La SAU17 par hab est de 2000 m2 et Vaise produit 50% de sa consommation maraîchère mais reste dépendant des plaines agricoles pour les céréales et la viande. D’ailleurs, on ne « consomme » plus, on prélève consciemment sur les écosystèmes. On ne mesure plus le bonheur avec des indicateurs de croissance ou de PIB, mais avec des indicateurs de constance, ou d’équilibre. Instigatrice de ces changements de mentalités, l’école invite à construire une pensée globale, envisageant l’homme comme partie prenante de la biosphère. L’enseignement de la terre comme matière vivante est intégré aux enseignements de l’architecture, où la réhabilitation occupe par ailleurs une place primordiale. La conscience des cycles naturels, l’acceptation de l’usure, et la valeur patrimoniale attribuée au fragment ont permis le développement des pratiques circulaires de recyclage. L’éducation par le faire s’est largement répandue, développant une autonomie pratique sans opposer la pensée à l’intelligence de la 17. La Surface Agricole Utile (SAU) représente la part du territoire dédiée à l’agriculture. Elle comprend les terres arables (grande culture, cultures maraîchères, prairies artificielles, etc.), les surfaces toujours en herbe (prairies permanentes, alpages), et les cultures pérennes (vignes, vergers, etc.). Alors qu’en 1960, au niveau mondial, un habitant disposait de 4 300m² de SAU disponible, ce chiffre a drastiquement baissé à 3000 m² en 1980, pour atteindre 2 200 m² en 2005. Cette baisse est due à l’augmentation de la population et à l’artificialisation des sols. 125
main. Les lieux d’apprentissage sont ouverts sur la ville et dédiés aux études mais aussi à la recherche et à l’expérimentation. On apprend toute sa vie, et les années sabbatiques pour réaliser un service civique ou un voyage d’apprentissage, ne sont plus réservées aux jeunes dans leur vingtaine. Pour ce qui est de l’urbanité, elle aussi est en mutation. Depuis le lancement du PDV, la végétalisation de Vaise progresse à travers la reconversion d’anciennes zones commerciales et industrielles en sites de renaturation. Les sols sont massivement désimperméabilisés pour éviter l’ICU (îlot de chaleur urbain) et résister aux épisodes de chaleur. Ainsi, l’expansion des villes est à l’arrêt depuis que la protection / remédiation des sols est devenue une priorité. La reconversion du bâti existant est envisagée avant la construction neuve, même si l’on continue à construire dans les villes petites et moyennes qui ont vu leur population augmenter. De manière générale, la surface des communs croît dans l’habitat à travers des pratiques comme l’habitat partagé, ce qui permet une optimisation du bâti existant. Avec la fin des ressources pétrolières et des minerais, on assiste à une inversion de la hiérarchie des matériaux : la terre – ressource locale, recyclable et avec une empreinte carbone faible, se trouve en haut de la pyramide. Un réseau local d’ateliers, de manufactures et d’entreprises à taille humaine recyclent et produisent les objets simples du quotidien (outillage, chaussures, habits, alimentation, etc.). À travers ces activités industrielles et artisanales autour du réemploi, la plaine de Vaise a rétabli une continuité avec son passé.
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Les cinq piliers de la stratégie pour la gestion des déblais Source : Schéma directeur des déblais (SDED), Société du Grand Paris 127
Photo : amàco 128
2090, la terre nourricière Que devient Vaise en 2090 ? Une communauté biotique18 intégrée à une biorégion plus vaste, c’est-à-dire un territoire où un ensemble d’êtres vivants et non vivants vivent en interdépendance. À cause de l’inertie du climat, la température moyenne terrestre a augmenté de +2.0°C19 par rapport à l’ère pré-industrielle malgré les changements entamés il y a 50 ans. Le climat de Lyon est méditerranéen avec un été caniculaire durant lequel des températures de 45°C sont fréquentes. Il n’y a plus d’hiver mais plutôt une intersaison humide qui, tous les cinq ans environ, donne lieu à une crue de la Saône qui fait rentrer les eaux du fleuve dans les rues de Vaise20. Le Grand Lyon a perdu 18. La communauté biotique est un concept inventé par le philosophe et garde forestier Aldo Leopold en 1949. Cette idée est centrale dans le courant d’éthique environnementale. 19. Ce réchauffement a été estimé en s’appuyant sur le scénario RCP4,5 du 5e rapport du GIEC (2014). « Vers la fin du XXIe siècle (2081–2100), le réchauffement moyen à la surface du globe par rapport à la période 1850–1900 sera probablement supérieur à 1,5 °C selon les scénarios RCP4,5, RCP6,0 et RCP8,5 (degré de confiance élevé), et probablement supérieur à 2 °C selon les scénarios RCP6,0 et RCP8,5 (degré de confiance élevé). Il est plus probable qu’improbable qu’il soit supérieur à 2 °C selon le scénario RCP4,5 (degré de confiance moyen). » Le scénario RCP4,5 est un scénario intermédiaire (moyen-bas) de stabilisation qui prévoit que les émissions de CO2 repassent sous les niveaux actuels en 2070 et que la concentration atmosphérique se stabilise à la fin du siècle aux alentours de deux fois le niveau préindustriel. 20. « Avec l’augmentation du réchauffement, la fréquence, l’intensité et la durée des événements chauds, comme par exemple les vagues de chaleur, continueront d’augmenter au cours du XXIe siècle (degré de confiance élevé). La fréquence et l’intensité des sécheresses continueront d’augmenter, en particulier dans le bassin méditerranéen [...]. La fréquence et l’intensité des épisodes de précipitations extrêmes augmenteront dans de nombreuses régions (degré de confiance élevé). » (Masson-Delmotte et al., 2020). 129
presque un quart de sa population par rapport à 2020 et a ainsi retrouvé sa population de 1990. La plaine de Vaise ne compte plus que 20.000 habitants (soit 40% de sa population en 2020) : l’exode urbain s’est accéléré avec le changement climatique et il y a eu une homogénéisation démographique entre les zones post-urbaines et les zones rurales de la biorégion. Malgré ces conditions climatiques menaçantes, le milieu de la plaine de Vaise peut rebondir grâce aux changements entrepris dès 2040 : les écosystèmes vivants s’adaptent et résistent aux chocs répétés. La commune de Vaise appartient aux « Etats Généraux Autonomes »21 des biorégions, autogérées par un confédéralisme communaliste. Les habitants sont propriétaires des moyens de production, et majoritairement organisés en coopératives. Ces dernières gèrent par exemple la production et la distribution de l’électricité essentielle, mais aussi en matière d’alimentation et d’habitat. L’énergie, dont les besoins ont été réduits au minimum, est produite par les énergies renouvelables (biogaz issu de la méthanisation, agrocarburant, bois-énergie, barrages, éoliennes, panneaux solaires, géothermie). Un réseau local de petits moulins à eau et à vent permet de moudre le grain tout en produisant un peu d’électricité. Les semences paysannes constituent la base de l’alimentation. On consomme principalement des fruits et légumes, un peu de céréales et occasionnellement de la viande, ce qui a permis d’abaisser la SAU à 1000 m² / habitant (moins de surface herbagère et de cultures de céréales pour l’élevage) au niveau national. Cette baisse de la SAU a permis de sanctuariser des terres 21. Cette appellation est utilisée par Guillaume Faburel dans son ouvrage Pour en finir avec les grandes villes. Manifeste pour une société écologique post-urbaine (2020) pour décrire un monde post-urbain. 130
pour les espèces sauvages. Pour ce qui est de la plaine de Vaise, les bâtiments déconstruits entre 2040 et 2090 ont laissé place à des friches dont le sol a progressivement été restauré pour être cultivé. Les cœurs d’îlots sont également cultivés dès que possible. L’assolement triennal, l’agroforesterie, la culture sous paillis sont des pratiques courantes. La commune est autonome en alimentation à 50%, et dépend pour le reste des zones rurales de la biorégion connectées par le train. Les moyens de transport privilégiés sont la marche et le vélo sous toutes ses formes pour les déplacements proches, et le train de proximité à faible vitesse pour les déplacements longs. Le secteur équin connaît un dynamisme nouveau grâce à la traction animale (débardage, arboriculture, maraîchage) et au transport de marchandises et de personnes. Il reste quelques voitures adaptées au biogaz/ biocarburant pour les secteurs de la santé et de la construction, mais elles sont considérées comme des biens communs. Le bateau est un moyen privilégié pour se déplacer (bateaux à voile et quelques barges) mais aussi un habitat (péniches). Une véritable culture du fleuve s’est réimplantée le long de la Saône : sur ses berges on retrouve des marcheurs et des cyclistes au côté d’agriculteurs. Que ce soit pour s’y baigner ou pour assister à un événement festif, le fleuve est devenu un lieu de vie à part entière. La biodiversité a été restaurée à travers des espaces agro-forestiers multifonctionnels qui se sont répandus là où le bâti a disparu. Les infrastructures routières sont devenues des corridors écologiques plantés, cultivés parfois. Trames verte et bleue s’élargissent et s’interconnectent, prenant des formes diverses : polycultures, parcs agricoles, forêts-jardins, haies comestibles, bocages, marais, berges 131
de fleuve, lagunes, canaux d’irrigation, étangs, chemin d’eau. Pour la majorité de la population, 1/5 du temps de travail est consacré à la production de nourriture et quelques heures par semaine à l’entretien des jardins collectifs. C’est ainsi que de nouveaux bi-métiers ont émergé : il est commun de répartir son temps entre une activité agro-tertiaire et d’artisanat. Les manufactures (ferroviaire, vélo, réemploi et réparation) essaiment et pratiquent une rétro-innovation combinant savoirs experts et savoirs paysans. À l’école, le développement de pédagogies alternatives par les activités manuelles a permis l’intégration des savoirs paysans et artisanaux dans le socle commun de l’éducation. Culturellement, la conscience des divers cycles de vie/mort/vie façonne notre rapport au monde et nous permet d’accepter le changement. Le « retour à la terre » des édifices par une déconstruction « naturelle » est embrassé, en accord avec la cyclicité de la Terre.
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Collage illustrant les deux scénarios développés 133
Analyse de l’usage du bâti sur le site de projet 134
Projet de déconstruction progressive de Vaise Les bâtiments ciblés par la déconstruction sont principalement des zones commerciales, d’anciens sites industriels et des immeubles de bureaux. 135
4.3 MILIEUX ET PROCESSUS TEMPORELS Approche écosystémique de la ville : 5 sites de projet en synergie « La ville est un milieu animé : le bâtiment n’est pas en elle comme une chose dans l’espace géométrique mais comme une cellule dans la vie d’un organisme. Or cet organisme a son principe non dans la nature – c’est la limite de la métaphore biologique – mais dans la volonté de ses membres. […] pas de construction sans concertation des citoyens et de leurs représentants ; pas de ville sans politique de la ville. » (Porée, 2008) Dans la même dialectique, notre projet a l’ambition de développer une approche écosystémique de la filière terre et de la ville, où les différentes échelles spatiales et temporelles se croisent sans cesse. Cette nouvelle filière de la terre se déploie ainsi sur cinq sites répartis sur la plaine de Vaise, repérés sur le plan ci-contre : un centre de recherche implanté dans l’actuel siège d’Infogrammes, un centre de tri des déchets minéraux dans un entrepôt ferroviaire de la gare de Vaise, une école d’agritecture dans les 136
5 sites : 1. Centre de recherche 2. Centre de tri 3. École d’agritecture 4. Fabrique de la terre 5. Site de renaturation
maisons Cointeraux, une fabrique de la terre sur le site industriel d’Emile Maurin, et enfin un site de renaturation dans l’actuel parking relais de Gorge de Loup. De par leur proximité et la présence de la voie ferrée entre plusieurs sites, ces différents programmes sont amenés à développer des synergies, à la manière d’un écosystème vivant. Certains de ces sites sont amenés à disparaître d’ici 2090 et à être rendus à la nature. Il s’agit ainsi d’une industrie éphémère amenée à disparaître lorsqu’il n’y aura plus de déchets à valoriser : elle n’existe que pour accompagner la décroissance. Le bâti déconstruit lors des deux phases de déconstruction (2020-2040 et 2040-2090) est présenté ci-contre. En 2020-2040, les bâtiments ciblés correspondent à des zones commerciales et des friches industrielles, ainsi que du bâti anarchique en cœur d’îlot. Pour la seconde phase 2040-2090, un certain nombre d’immeubles de bureaux et autres usages tertiaires sont concernés, ainsi que quelques immeubles de logement. La plaine située de l’autre côté de la voie ferrée représente une surface totale de 130 ha : en prenant l’hypothèse d’une couche de revêtement imperméable de 10 cm, les déchets issus de la désimperméabilisation de cette zone représenteraient environ 130 000 m³ de matériaux soit environ le volume de la Place des Terreaux. Les cinq infrastructures de la filière terre permettent de traiter certains déchets de cette déconstruction. Prenons l’exemple d’un volume de déchets issus de la déconstruction / désimperméabilisation d’une zone commerciale de Vaise (mélange de résidus asphaltés et de terre de déblais). Il est d’abord stocké sur le site de la gare où les matériaux sont sé137
parés par type. Une partie est ensuite transférée par la voie ferrée à la Fabrique pour être revalorisée sous forme de matériaux de construction. En parallèle, des analyses sont entreprises par le centre de recherche sur un échantillon de ces déchets pour déterminer la souche de champignons la plus à même de décomposer les hydrocarbures contenus dans ces résidus asphaltés (processus de mycoremédiation). Pendant ce temps, un étudiant de l’école d’agritecture intègre un matériau biocomposite à son projet et décide d’expérimenter à l’échelle 1 son concept : il se rend à la Fabrique pour construire un démonstrateur avec les éléments produits à partir des déchets revalorisés. Enfin, le volume de matériaux qui n’a pas pu être valorisé sous forme d’éléments constructibles est transféré par la voie ferrée jusqu’au site de renaturation de l’ancien parc Relais. Il y sera entreposé sous forme de tas qui seront inséminés avec la souche de champignons développée par le centre de recherche, qui assurera ainsi sa remédiation progressive en quelques mois.
Le temps comme outil principal de conception « La réintégration du temps ouvre la voie à une architecture expérimentalement réformiste qui ne considère plus le projet comme la conception du produit parfait mais plutôt comme un processus à long terme d'amélioration des milieux habités. Cette approche probatoire à long terme répudie le radicalisme moderniste. Elle suggère que la construction elle-même compte plus que le construit, que le temps passé à penser, à expérimenter et à faire 138
compte plus que l'exécution finale de l'objet. Et même, peut-être, que l'architecture n'est pas un objet fini mais un moment collectif de co-programmation, de co-conception et de co-construction, une phase du processus continu par lequel les humains font et refont - de manière radicante - l'habitat, la ville, le milieu, sous l'influence complexe des ressources disponibles, de l'expérience humaine, de l'échelle de temps sédimentaire de la ville et du rythme à long terme de la géographie et du climat. » (Collectif, 2017) Cette approche multiscalaire se double d’une vision polychronique de chaque site. Le projet appréhende le temps comme le principal outil de conception : les intentions sont fermes mais les formes représentées sont incertaines. L’évolution n’est pas contrôlée, anticipée mais constitue plutôt un possible parmi des possibles. On cherche à mettre davantage en évidence les processus que les résultats, à travers la représentation répétitive de différentes phases d’un même objet. Cette approche est déclinée à toutes les échelles, du territoire jusqu’à la matière. La finalité étant de montrer les dynamiques du vivant (érosion, vieillissement, métamorphose) pour proposer un récit engagé non seulement architectural mais aussi de société.
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1. Centre de recherche 141
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2. Centre de tri implanté dans l'entrepôt ferroviaire situé à l'ouest du site 143
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3. École d’agritecture 145
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4. Fabrique de la terre 147
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5. Site de renaturation 149
4.4 ARCHITECTURE VIVANTE ET SOLS EN REMÉDIATION Dans la lignée de la pensée de Cointeraux, nous avons choisi d’appréhender la terre pas seulement comme une matière constructible mais comme le substrat d’un sol vivant qui remplit diverses fonctions écosystémiques : source de matériaux de construction mais aussi de nourriture et de substances pharmaceutiques ; régulation du cycle de l’eau, du climat et du CO2 ; dépollution et régulation biogéochimique ; plateforme pour les structures humaines et habitat de nombreux autres organismes ; enfin capsule temporelle et lieu de dépôt de l’héritage culturel de nombreuses civilisations. Notre survie en tant qu’espèce dépend largement de ces fonctions et le sol ne peut en assurer l’ensemble que lorsque son intégrité et sa continuité sont conservées : le plus gros enjeux des prochaines décennies est de préserver l’ensemble de ces fonctions, et donc de protéger et de restaurer la continuité et la qualité de nos sols, partout sur notre territoire. Dès lors, la question de la remédiation des sols – en lien avec la valorisation des déchets de la déconstruction envisagée pour Vaise – est apparue centrale.
Créer des sols fertiles en valorisant des déchets En ville, on trouve une grande diversité de sols mais la plupart d’entre eux sont des sols morts (sauf parcs et jardins), imperméables 150
depuis bien trop longtemps et avec une fertilité souvent faible. Leur substrat organique est pauvre, voire absent, et ils constituent un environnement très défavorable au développement d’un couvert végétal. Cependant, il est possible d’utiliser des sous-produits et déchets urbains délaissés (terres de déblais, gravats, boues urbaines, déchets verts) pour construire des sols artificiels fertiles adaptés à la croissance du végétal – et permettant ainsi de revégétaliser les villes. C’est ce que montre le programme de recherche français SITERRE22, financé par l’ADEME entre 2011 et 2016. Ces différentes matières sont agencées pour reproduire les couches d’un sol et assurer ses fonctions : porter des charges, retenir l’eau en partie et drainer le reste, permettre le développement des racines, éventuellement confiner la surface d’un substrat plus profond qui serait pollué. Ce processus permet par exemple de revégétaliser une friche industrielle en une dizaine d’années, en obtenant des rendements comparables aux analogues naturels de prairies. Un autre projet de référence en la matière est celui de Terra Innova, qui contribue en Loire-Atlantique à la valorisation agroécologique des terres de chantier vers l’agriculture. Ces terres d’excavation sont notamment utilisées pour réaliser des exhaussements permettant de reconstituer un sol fertile ou pour créer des haies sur talus qui amènent de l’ombre au bétail, attirent la biodiversité, et coupent le vent – limitant ainsi l’érosion des sols cultivés.
22. SITERRE : Procédé de construction de Sols à partir de matériaux Innovants en substitution à la TERRE végétale et aux granulats de carrière. 151
La mycoremédiation, une solution naturelle pour dépolluer les sols La mycoremédiation est le super pouvoir du mycélium et constitue une méthode innovante de remédiation des sols. Par les enzymes qu’il sécrète, le mycélium a la capacité de décomposer les chaînes moléculaires des hydrocarbures ou des métaux lourds (Dostie, 2017) présents dans les sols de sites industriels pollués, jusqu’à les rendre assez inoffensifs pour les réabsorber en tant que nutriments. Là où d’autres espèces sont incapables de survivre, le mycélium croît en améliorant la santé du sol, à tel point que d’autres espèces biologiques peuvent y revenir et prospérer. Le mycélium est l’avant-garde de la dépollution, qui peut ensuite être poursuivie par des plantes (phytoépuration) une fois le niveau de polluants abaissé. Outre ses propriétés dépolluantes, le mycélium présente d’autres propriétés intéressantes qui le rendent idéal pour une application architecturale : en effet, une fois un substrat organique entièrement incubé par le mycélium, son système racinaire dense (biomasse mycélienne) transforme le substrat granulé en un objet solide doté d'une grande résistance à la traction et de propriétés isolantes. On a ainsi vu se développer ces dernières années divers projets architecturaux exploitant ces caractéristiques surprenantes : Hy-fi, les tourelles en briques de mycélium des architectes de The Living installé à New-York en 2014, ou encore l’étrange Growing Pavilion conçu par Pascal Leboucq et l’agence Krown Design pour la Dutch Design Week d’Eindhoven en octobre 2019, en sont deux exemples marquants.
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Matériaux composite à base de mycélium et de substrat bio-sourcé Source : https://seminairemateriaux.wordpress.com/2016/01/19/materiaux-composite-mycelium/ 153
Plus récemment, le projet de recherche de Doruk Yildirim23, intitulé Zoetic Morphologies, a poussé encore plus loin l’expérimentation architecturale mycélienne. À travers une série de manipulations de laboratoire et de simulations numériques, il conçoit un mur vivant qui, au-delà de ses fonctions architecturales, pourrait servir d’habitat au mycélium. Son mur est constitué d’une enveloppe, imprimée en argile par fabrication additive, qui ménage des cavités où le champignon peut s’installer. Il exploite ainsi les propriétés de régulation hygrothermique de l’argile pour optimiser le développement du mycélium lors de la saison humide : « l'humidité peut être collectée, absorbée et transférée dans les cavités de la structure par la géométrie des murs, et lorsque la température augmente pendant la journée, l'eau absorbée dans le mur sera utilisée comme source d'humidité ». Par ce design encore expérimental, il entend bouleverser radicalement notre manière d’habiter en étroite connexion avec d’autres espèces, militant pour l’avènement d’une architecture vivante.
23. Doruk Yildirim est un étudiant de master de la IaaC, l’Institut d’architecture avancée de Catalogne, basée à Barcelone. Il y soutient son projet Zoetic Morphologies en novembre 2020 dans le cadre de son master en Architecture Avancée. 154
« Les villes et les bâtiments dans lesquels nous vivons sont construits en ignorant la vie naturelle et en promouvant l'absence de nature dans nos maisons comme une norme positive. Il en résulte que notre environnement bâti ne possède pas les caractéristiques des systèmes naturels. Cela signifie le vieillissement, l'adaptation aux changements, la biodégradation et la circularité. [...]
... Un bâtiment vivant présenterait au contraire les caractéristiques de la nature ; il vieillirait plutôt que de se dégrader, [croîtrait] plutôt que de se construire et, grâce à cette croissance, il [s'adapterait] au changement. L'adaptation des environnements bâtis signifie qu'ils peuvent répondre aux changements et à l'imprévisibilité qui accompagnent le changement climatique. » (Yildirim, 2020)
Schéma de principe de l'intégration des déchets urbains dans le projet 155
CONCLUSION Ce PFE est le fruit d’un travail d’équipe. Que ce soit à cinq (pour la première partie de l’année) ou à deux (pour la deuxième), la réflexion qui est à l’origine de ce dernier est issue de nombreux débats et confrontations de regards. Nous sommes généralement sur la même longueur d’onde au sein du binôme et cela se matérialise par des centres d’intérêts partagés et des références communes. Cependant, ce sont les points qui créent débat qui constituent bien souvent la richesse de nos échanges. Se confronter quotidiennement au regard d’autrui n’est pas un exercice facile, mais nous permet en fin de compte d’étayer un discours, affiner des arguments et élargir notre champs de vision. Travailler à deux, tout en travaillant avec d’autres, a été pour nous l’occasion de porter plus loin une réflexion et un projet qui nous tiennent à coeur. Le récit que nous développons à travers ce projet est avant tout une poétique, un élément de réflexion face au lourd fardeau hérité par notre génération Si celui-ci peut être vu comme radical, il n’est pas moins nuancé. Il s’agit de notre manière de mobiliser des connaissances architecturales, croisées à d’autres disciplines, pour construire un récit possible. Par le choix d’une approche holistique, la recherche d’intégrité et d’entièreté nous a animées tout au long de ce travail qui matérialise la construction d’une posture éthique et politique à l’orée de notre entrée dans le monde professionnel.
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Comment proposer le changement radical de paradigme dont nous avons besoin sans tomber dans une dictature écologique polarisante, ou dans la dictature du soin ? En convoquant la nuance, le doute, la remise en question permanente. Si nous valsons consciemment entre une certaine illusion techniciste et une dimension romantisée du rétrograde, c’est en attachant la question de la technique aux questions sociales, environnementales ou encore politiques, que nous interrogeons finalement notre lien avec nos outils, nos ressources et nos savoir-faire, mais aussi notre capacité en tant que société à agir collectivement. Ce projet est enfin une recherche d’un nouveau rapport au monde, au réel, plus doux, moins obsédé par la performance et la recherche de solution miracle : « le réel n’est plus ce que je dois forcer, mais ce avec quoi je dois composer » (Charles Pépin).
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BIBLIOGRAPHIE
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RÉSUMÉ Ce projet commence par une recherche d’innovation autour du matériau terre mené en équipe avec trois étudiants-ingénieurs de l’INSA, et se poursuit par un Projet de Fin d’Études en binôme. Après s’être formés, avoir rencontré des acteurs de la filière et éprouvé le matériau par l’expérimentation, nous avons imaginé un devenir possible de la filière terre par une approche écosystèmique. La terre n’est pas seulement envisagée comme un matériau constructible, mais comme le substrat d’un sol vivant dont les fonctions diverses sont à préserver face au changement climatique et à la disparition des ressources. S’emparer du matériau terre, c’est donc nécessairement construire un projet de société. Nous proposons une matérialisation de notre vision pour la filière terre à Vaise à travers deux scénarios (2040 et 2090). Si le premier est construit autour du réemploi et de la terre comme matériau de construction, celui-ci prépare en réalité le terrain pour la temporalité 2090. Dans ce deuxième scénario, on imagine une Vaise devenue communauté biotique dans lequel on développe une poétique de la terre nourricière. Le projet s’ancre dans le territoire à travers cinq sites en synergie, et appréhende leur évolution en faisant du temps le principal outil de conception. Il s’agit de concevoir avec le vivant, car c’est en ayant pleinement conscience des dynamiques d’un milieu, et de notre dépendance à son fonctionnement, qu’on le préservera le mieux possible.
TERRE
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PROSPECTION
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AGRITECTURE
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BIODIVERSITÉ
ABSTRACT This project started with a research on innovation around the earth material, carried out in a team with three student-engineers from INSA, and continued with a final project in pairs. After having trained, met actors of the sector and tested the material through experimentation, we imagined a possible future of the earth sector through an ecosystemic approach. Earth is not only considered as a building material, but as the substrate of a living soil whose various functions must be preserved when facing climate change and the disappearance of resources. To take hold of the earth material is therefore necessarily to build a societal project. We propose to materialise our vision for the earth sector in Vaise through two scenarios (2040 and 2090). If the first one is built around reuse and earth as a building material, it actually prepares the ground for the 2090 timeframe. In this second scenario, we imagine a Vaise that has become a biotic community in which we develop a poetic of the nourishing earth. The project is anchored in the territory through five sites in synergy, and apprehends their evolution by making time the main design tool. It is a question of designing with the living, because it is by being fully aware of the dynamics of an environment, and of our dependence on its functioning, that we can best preserve it.
SOIL/EARTH
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PROSPECTION
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AGRITECTURE
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BIODIVERSITY