Alexandre vieux tpfe 2013 terres de loire, un territoire à vélo

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VIEUX Alexandre

Encadrant de diplôme : Alain FREYTET

Terres de Loire, un territoire à vélo

Travail Personnel de Fin d’Etudes

Promotion 2009 - 2013


L’intérêt de ce sujet de fin d’études est de trouver et de tenter d’expliquer les singularités de l’approche des paysages et du projet à vélo. Mon objectif n’est pas d’écrire l’histoire du vélo et de refaire un portrait «touristique» de la Loire. Je cherche à questionner l’outil de déplacement qui est le vélo et son intérêt dans le projet de paysage, en prenant comme territoire d’expérimentation, le Val de Loire.

Concernant le déroulé de mon écrit, j’ai volontairement choisi de commencer par l’exploration à vélo du territoire, qui offre une vision d’ensemble sur ce dernier, accompagnée par la présentation de mon moyen de déplacement. Pour approfondir et comprendre les dynamiques des paysages de la Loire, une partie plus contextuelle s’est avèrée utile, sans pour autant se déconnecter de l’usage du vélo. D’ailleurs, le vélo est ensuite détaillé, décortiqué et expliqué, dans son rapport au corps, au terrain et aux paysages traversés. Les dernières parties concernent le paysagiste et l’utilisation qu’il peut avoir du vélo pour nourrir ses travaux et le projet. En quoi le vélo permet un regard particulier sur le paysage ? Cela se traduit bien entendu par des notions de vitesse de déplacement, de fluidité de circulation, d’efforts physiques, de facteurs climatiques, de relief, de support de circulation, etc. Pour moi, il est nécessaire et même indispensable de vivre le terrain, le parcourir, le ressentir à travers mon corps, comprendre sa nature, sa vie. Cela fait partie intégrante de la naissance du projet.


Sommaire Emporter le site : mon expérience du parcours

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Récit de mon parcours

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Mon vélo (outil d’exploration)

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La Loire à vélo, un parcours atypique

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Prise de recul sur l’itinéraire

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Notion de parcours Apports personnels Des paysages aux multiples facettes (Loire capricieuse)

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Carte itinérante

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Présentation de l’outil Interprétation des paysages des bords de Loire (les grandes unités)

1. Grandes agglomérations 2. Loire océane 3. Milieux humides & Bords de Loire 4. Milieux marécageux 5. Coteaux remarquables 6. Coteaux viticoles 7. Milieux forestiers 8. Terres agricoles

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Loire et Val de Loire

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L’effort physique comme instantané du lieu

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Liens avec le paysage (références, imaginaire développé)

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Le vélo au service du paysagiste

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Carte d’identité du fleuve

Hydrologie et crues de la Loire Une lumière particulière Variation de la ligne d’eau Habitats aquatiques des bords de Loire

Géologie du territoire

Géomorphologie du fleuve Géomorphologie de l’Indre-et-Loire

Loire timide - Loire cachéeQuelques généralités Apprécier ses paysages par un déplacement lent

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Vers une forme idéale Outil développé : ma planche à dessin

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Vélo au service du projet de paysage

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De Langeais à Tours, entre Loire et Cher

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LE PROJET D’UN ITINéRAIRE DE TERRAIN

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Le projet concret

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La balise repère

Récit de voyage Bibliographie Remerciements

Le vélo comme outil d’arpentage de terrain QUELQUES généralités Histoire brève du vélo

1. Bicyclette citadine 2. Vélo de course 3. VTT 4. Vélo couché 5. Vélo tandem

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Emporter le site : mon expérience du parcours « Emporter le site » …en voilà une expression qui peut paraître absurde ! Comment peut-on s’emparer d’un site ? Physiquement c’est impossible !

C’est ce que je pensais il y a quatre ans, avant d’entrer pour la première fois dans l’enceinte de l’ENSP. Ces quatre années m’ont appris que le site qui est amené à voir naître un projet, peut être emporté avec soi de multiples manières. Concrètement il est difficile d’imaginer pouvoir emmener un site, un terrain aussi petit soit-il, avec soi. Néanmoins, un morceau ou un échantillon peut être récupéré. Ce dernier qui représente une portion de territoire, regorge d’informations diverses : le type de sol, la matière, la texture, les activités qui s’y déroulent, le climat, la présence de forme de vie ou non, la qualité, les couleurs, etc. J’ai appris à décrypter un morceau de site et pouvoir le faire parler, se dévoiler. Autre que emporté physiquement, un site peut être capté de multiples manières : photographie, vidéo, bande sonore, dessin, peinture, croquis, empreinte, mémorisation visuelle, etc. L’intermédiaire d’un médium est la pratique la plus courante, car elle nécessite peu de matériel et permet de capter des ambiances dans l’instant. Sur mon site de diplôme, j’ai usé de ces moyens visuels pour capter les ambiances paysagères, les couleurs, les composantes des paysages traversés, enregistrer des entretiens avec des élus et acteurs locaux. La seconde méthode qui me démarque de cette approche ordinaire, s’apparente à une intervention physique sur le site. En effet, la pratique du vélo amène une dimension physique perçue par l’effort. Les sensations et perceptions que l’on ressent sont gardées en mémoire. C’est par ces deux intermédiaires que j’ai pu parcourir une portion du Val de Loire et ainsi dire: emporter le site.

Aquarelle : Emporter le site avec soi

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RéCIT DE MON PARCOURS

Vivre une aventure en solitaire permet de s’imprégner complètement des lieux, des gens, c’est l’occasion de prendre le temps de réfléchir, de méditer, de se concentrer sur des choses vécues ou vues. J’ai apprécié à travers mon expérience pouvoir parcourir le territoire à mon rythme, selon mon itinéraire, même si sur le terrain ce dernier a été amené à changer, faute d’imprévus. Découvrir une terre inconnue en solitaire c’est l’assurance de pouvoir s’immerger complètement sans être dérangé par un quelconque prétexte. En revanche, la chose absente qui pèse dès les premières heures passées, c’est l’envie de partager son vécu. A quoi sert une réflexion et des constats s’il n’y a personne avec qui le partager, le remettre en question ?

Récit de voyage

Pour moi, l’exercice du récit de voyage s’est avéré comme une première à côté de laquelle je ne voulais pas passer. Durant le trajet, faute d’avoir gardé pour moi mes impressions, j’ai ressenti le besoin de les recueillir dans quelques pages pour les transmettre, les partager. Le format «de poche» est venu se glisser naturellement, puisqu’il permet d’être transporté partout, d’accompagner un promeneur ou un cycliste sur les bords de Loire. Il accompagne la carte itinérante du parcours de Nantes à Cosne-sur-Loire, qui est enrichie d’illustrations. Cette dernière sera détaillée dans les parties suivantes.

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La Loire se dévoile (septembre 2012)

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MON VéLO (outil d’exploration)

« Le vrai cycliste n’existe pleinement que lorsque lui est restituée la moitié perdue de son être initial, il fait corps avec elle. Le lien qui unit le cycliste à sa bicyclette est un lien d’amour et, littéralement, de reconnaissance, que le temps ne détruit pas, mais renforce au besoin sous la forme du souvenir et de la nostalgie quand la vie les a séparés ». Marc AUGE, Eloge de la bicyclette. Pour m’aventurer au cœur du Val-de-Loire, je ne me voyais pas utiliser un autre vélo que mon VTT. Je le connais par cœur. Sa résistance déjà mise à l’épreuve en montagne et sur des passages bosselés, la force que permet de développer chaque pignon, l’efficacité du freinage, la réaction du guidon, la posture du corps une fois en position sur la selle. Le fait de connaître la monture permet de s’intéresser directement aux choses qui nous entourent, d’être plus attentif. Le vélo est contrôlé de manière instinctive. Je sais où sont positionnés les freins, que je peux actionner du bout des doigts, je sais aussi à quel moment il sera nécessaire de changer de vitesse, passer sur un pignon plus gros pour moins en baver dans une montée. Je connais également le gabarit en largeur du guidon et de mes bras, ce qui me permet de me faufiler plus rapidement entre deux obstacles. Ses faiblesses ne sont pas un secret non plus. La pédale gauche a pris du jeu avec le temps, ce qui fait que bien souvent, elle émet des craquements. Le changement de vitesse sur le 6ème et 7ème pignon ne se fait pas systématiquement. Les gros pneus dont il est équipé pèsent leur poids, mais ils offrent un bon amorti et une accroche satisfaisante au terrain. L’ensemble de ces informations ont été acquises avec l’expérience, à force de pratiques et de difficultés rencontrées. Le temps renforce le savoir et entretient son lot de découvertes. Utiliser mon propre vélo était un choix primordial. Il m’a évité bien des surprises et fait gagner un temps précieux que je n’ai pas eu besoin de passer dans les essais préliminaires après l’acquisition d’une nouvelle bicyclette. Ce temps là, je l’ai plutôt mis à profit dans le choix des équipements à ajouter. - Qu’est-ce qui lui manque pour parcourir de longues distances ? - De quoi ai-je besoin pour rouler aisément ? - Partir en itinérance sur la Loire à vélo demande une certaine autonomie ?

VTT personnel, compagnon de terrain .6

Une préparation pointilleuse s’est avérée nécessaire, car un voyage bien organisé permet d’être plus efficace une fois sur le terrain. J’ai pris soin tout de-même de laisser part à l’improvisation in-situ, car on sait tous combien l’imprévu peut-être enrichissant. .7


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7. 5. 6. Matériel ajouté

Concernant les rajouts dont j’ai doté mon vélo, il s’agit de :

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Porte bagages : attacher des sacoches et transporter tout le matériel Sacoche de guidon : transporter le petit matériel, facile d’accès Porte gourde : avoir à portée de main une gourde pour se désaltérer tout en roulant Tendeurs : maintenir attachés les bagages Garde-boues : éviter les projections de boues en cas d’intempéries Second antivol : sécuriser le vélo à l’arrêt pour pouvoir s’en séparer Compteur kilométrique filaire : contrôler les distances, la vitesse et la durée

Facilement démontables, ces ajouts de matériel qui peuvent apparaître comme des gadgets, m’ont donné accès à une certaine autonomie pendant l’itinéraire. Ces commodités permettent de rendre le parcours plus agréable, car il n’y a pas le souci de trouver où dormir (la tente est sur le porte bagage), où se restaurer (tout est dans les sacoches), devoir s’arrêter et descendre de la selle pour prendre un peu d’eau (la gourde est à portée de mains), devoir changer de vêtements parce que l’on est couvert de boue et trempé (les gardes boues sont là).

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Outil d’exploration, mon vélo était le seul compagnon de voyage. Malgré son squelette d’acier, il n’en reste pas moins sensible aux secousses, aux chocs, aux éraflures, aux crevaisons. Il est nécessaire d’effectuer des contrôles réguliers de sa santé, jouer les « mécano-médecins ». L’état des patins de freins est à vérifier fréquemment car ils assurent l’immobilisation du vélo et la sécurité de l’usager. Ceux qui habillent mon VTT sont des freins à étriers, type V-brake, qui sont ceux que l’on retrouve sur la majorité des vélos. Ils présentent l’avantage de se démonter rapidement et d’être facilement remplaçables, pour un coût moindre. Le reproche que l’on peut leur faire, c’est qu’en cas de terrain boueux et collant, la terre qui s’accroche au pneu vient se coincer dans l’étrier du frein et empêche son utilisation. Il vaut mieux à ce moment là opter pour un système de freins à disques, ou bien porter son vélo s’il n’est pas trop chargé. La pratique du terrain nécessite de s’adapter à ses exigences et de fournir des efforts.

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LA LOIRE A VéLO, UN PARCOURS ATYPIQUE

Ce grand itinéraire cyclable traverse deux régions: Centre et Pays-de-la-Loire et six départements: Cher, Loiret, Loir-et-Cher, Indre-et-Loire, Maine-et-Loire et Loire Atlantique. Sur près de 800 km de distance, le parcours est décrit de la manière suivante par le site internet www.loireavelo.fr (…) l’itinéraire s’est imposé comme un fil conducteur, un concept de cheminement touristique mettant en continuité les richesses humaines, patrimoniales, gastronomiques, viticoles de la «vallée des merveilles» ligérienne. Un parcours vendu auprès du public comme une marque, mais dont la notion de paysage n’est pas directement mentionnée. Cette «marque» Loire à vélo a été déposée à l’Institut National de la Propriété Industrielle en 1998 par les deux régions, souhaitant construire un projet porteur d’enjeux tout d’abord économiques puis environnementaux. Les retombées économiques de ce projet de grandes envergures ont été bien ciblées avant d’investir plus de 50 millions d’euros ! Sa notoriété a rapidement grimpé, attirant les habitants locaux, les départements voisins, mais aussi les pays voisins voire même des nations plus éloignées (Etats-Unis, Japon, Chine). Cette fréquentation en hausse dès sa création provient sans doute de la gratuité de l’utilisation de la piste balisée, du caractère éco-responsable de l’activité cyclable, de la facilité d’accès et de pratique qui s’adresse à toute personne, et de la multitude de formules de locations de vélo, d’hébergements et de restauration. «Les touristes qui empruntent l’itinéraire Loire-à-vélo et s’arrêtent dans les chambres d’hôtes sont toujours ravis. Le sentiment d’avoir pu faire 40 km sans voiture doit y être pour quelque chose». (www.visaloire.com) L’itinéraire a été conçu comme une offre de promenades réalisables par tous, destinées à être pratiquées au goût et au rythme de chacun, petit ou grand, jeune comme senior. Les étapes recommandées dépassent rarement les 40 km, ce qui représente une distance moyenne effectuable en 4 h de vélo, à une vitesse plus que tranquille. Cela laisse le temps pour visiter le patrimoine du Val de Loire et profiter de ses services et loisirs. On retrouve la stratégie économique de la marque dont usent les topo-guides (La Loire à vélo de Nevers à l’Atlantique, L’intégrale de la Loire à vélo de Nevers à la mer, Cartes Eurovélo de la Loire à vélo) et les guides vert Michelin. Géolocalisation à l’échelle de la France (balisage extrait de Google Image.com)

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Aujourd’hui, la fréquentation est encore plus accentuée du fait du projet européen de jumelage de l’itinéraire Loire à vélo à l’Eurovélo 6. Quelques mots sur cet itinéraire qui relie l’Atlantique à la mer Noire et qui est inscrit parmi les 14 itinéraires que forme le réseau Eurovélo. Ce large réseau est né de l’initiative de la Fédération Européenne des Cyclistes (ECF) en 1994. Son objectif est de suivre trois des plus grands fleuves européens: la Loire, le Rhin et le Danube, soit de traverser la France, la Suisse, l’Allemagne, l’Autriche, la Slovaquie, la Hongrie, la Serbie, la Croatie, la Bulgarie et la Roumanie, sur plus de 3650 km. Les objectifs visent principalement à sensibiliser le grand public européen au patrimoine paysager et humain qui borde ses fleuves. Plus qu’une découverte, c’est une aventure sensible, humaine. Pour en revenir à la Loire à vélo, ce jumelage fait que l’on peut presque utiliser le terme «d’autoroute» pour qualifier la fréquentation du parcours. Les usagers sont nombreux, que ce soient des cyclistes, des piétons, des cavaliers, des aguerris comme des débutants, seul, en couple, en famille, en amis, etc.

Carte du tracé Eurovélo 6 (Atlantique - Mer Noire)

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Plusieurs catégories de piétons et de cyclistes sont discernables : - Les promeneurs : ils représentent l’essentiel des piétons et ont une fréquence de pratique élevée. Marchant souvent en famille aux abords des agglomérations ou des sites touristiques, ils parcourent des distances assez faibles (entre 5 km et 10km maximum) et préfèrent les espaces aménagés et revêtus pour des raisons de confort de déplacement. - Les randonneurs : ils parcourent des distances beaucoup plus importantes et préfèrent généralement les sentiers en pleine nature. Bien souvent ils sont affiliés à des clubs locaux de randonnées et pratiquent de façon assez fréquente sur des sites variés (à l’inverse des promeneurs). - Les coureurs : nommés aussi « joggers », sont les plus nombreux aux abords des villes.Ils parcourent en moyenne une distance de 5 à 20 km à chaque sortie. Ces trois types d’usagers se mélangent aux cyclistes, eux-même classés en fonction de 4 pratiques : - La pratique de loisirs : elle représente une grande majorité des utilisateurs du vélo et s’effectue sur des distances relativement courtes, variant de 10 à 40 km et à des vitesses faibles (de 10 à 20 km/h). Cette pratique regroupe les amis et les familles. - La pratique itinérante : elle concerne les usagers qui parcourent des distances moyennes de 45 km par jour à une vitesse de 15 km/h. Ils utilisent le vélo comme moyen de transport pour voyager et changent d’hébergement chaque soir. C’est la pratique la plus répandue sur la Loire à Vélo. - La pratique sportive : elle ne représente que 10 à 20% des pratiques cyclables. Le sportif utilise le vélo dans le but de réaliser des efforts tant sur route qu’en chemin. Il pratique régulièrement en groupe ou en club, à des vitesses élevées (25/30 km/h) sur de longues distances (70/100 km). - La pratique utilitaire : elle reste faible mais ponctuellement élevée en agglomération. Le vélo est utilisé comme moyen de transport avec pour motifs les déplacements domicile-travail, domicile-école, vers les lieux d’achats ou de loisirs. Les distances parcourues sont de l’ordre de 5 km pour une vitesse moyenne de 15 km/h. Exemples de pratiques sur la piste cyclable

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Cette polyvalence qu’offre la voie cyclable entretient une économie certaine pour les communes riveraines et l’ensemble du Val de Loire. Mais les paysages sont quant à eux perçus en second, ils servent de «cadre», de «décor». La grande fréquentation qui sévit tout au long de l’année et qui atteint des piques pendant la période estivale, est vécue par le cycliste qui circule sur la voie, mais n’impacte que dans une faible mesure les milieux traversés. Cela s’explique par le classement d’un tronçon du Val de Loire au Patrimoine Mondial de l’UNESCO. Délimitation du classement UNESCO

C’est plus de 280 km de paysages entre Sully-sur-Loire et Chalonnes-sur-Loire qui sont inscrits depuis novembre 2000. Le rôle joué par l’UNESCO est de faire prendre conscience aux acteurs et habitants du territoire, qu’ils ont le devoir de préserver leur héritage historique du fleuve et conserver leurs pratiques. Ce qui fait la force de cette portion classée, c’est la grande densité de patrimoine et de sites urbains remarquables ancrés dans la longueur sur les 280 km, puis dans la largeur du coteau de la rive droite au coteau de la rive gauche.

Ecluse bois

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Habitat troglodyte

Château de Luynes

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PRISE DE RECUL SUR L’ITINéRAIRE

La traversée d’un territoire fait bouillonner le cerveau et bouscule les sens. La quantité et la diversité des informations perçues font que bien souvent, il est difficile de prendre des décisions directement sur le site. Il est nécessaire de prendre un temps de recul sur ce qui a été vu et dit in-situ. Cet exercice de mémoire amène à revivre l’ensemble de l’itinéraire. Se replonger dans les déplacements et les émotions vécues. Subir à nouveau les efforts à vélo.

Notion de parcours Le parcours amène un déplacement d’un point à un autre. C’est un itinéraire à suivre, direct ou avec des étapes. Il n’y a pas de distance minimale ou maximale définie, tant que l’on se dirige vers un endroit déterminé. En ce qui concerne mon parcours, il se résume à une distance de 480 km au départ de Nantes, jusqu’à Cosne-surLoire, point d’arrivée. Chaque étape était déterminée au préalable, calculée en termes de distance et de durée. Le parcours amène à se déplacer dans le paysage et donc à avoir un regard mouvant sur ce qui nous entoure.

Apports personnels Cet itinéraire réalisé au fil de la Loire m’a amené à me questionner sur l’outil qu’est le vélo, sa manière de fonctionner, ce qu’il permet de voir tout en pédalant, quels peuvent-être les apports au paysagiste non seulement pour appréhender un territoire mais aussi pour nourrir le projet ? Je me suis rendu compte de l’importance qu’il y a, à vivre le terrain. Que ce soit en vélo pour les multiples avantages qu’il offre, ou simplement à pieds, un vaste territoire doit s’appréhender de long en large. La découverte d’un territoire que je ne connaissais pas a été très enrichissante sur le plan de la culture personnelle (ambiances paysagères variées, faune et flore spécifique, rapports humains), et sur ma pratique de paysagiste. Je ne faisais pas le rapprochement entre le vélo et les paysage, bien moins avec le projet de paysage. Le vélo me servait essentiellement dans mes déplacements quotidiens et pour faire du sport le weekend. Bien entendu, mes sorties étaient motivées par les paysages, par le besoin de grand air, par l’acquisition d’une certaine liberté. C’est dans l’objectif du diplôme et les motivations de mon sujet que le vélo m’est tout à coup apparu comme un moyen d’interface entre moi (cycliste) et les paysages. Cette révélation s’est confortée au fil de mon travail et je ne doute pas qu’il reste encore bien des choses à découvrir. .18

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« Elle n’aime pas les hommes disais-tu ? Mais pourquoi les hommes la bravent-ils comme ils font ? Jour à jour, ils lui volent son domaine. Là où elle coulait hier, ils viennent et sèment leur blé, plantent leur vigne et construisent leurs maisons. Ils ramassent l’argile limoneuse, le sable même qu’elle a laissé, les amoncellent sur sa rive et lui disent : tu ne passeras plus. (...) Que lui dirai-je, demain, si elle reprend son bien, et si, rentrant làbas après la crue, je ne retrouve qu’un peu de vase à la place tiède où je dormais ? » Le père Jude (Maurice GENEVOIX - 1922 Rémi des Rauches)

Des paysages aux multiples facettes (Loire capricieuse) Le Val de Loire est imprévisible car son fleuve est plus dangereux que ne le laissent paraître les grèves immergées en période estivale. Les hommes ont d’ailleurs depuis longtemps tenté de s’en protéger. La Loire est connue localement pour ses caprices, son indocilité. C’est un fleuve d’origine cévenole, c’est-à-dire que son régime provient à la fois de la fonte des neiges, des crues dues aux gros orages et des averses provenant de l’Atlantique. La combinaison de toutes ces sources fait que si on déboise comme ça a été le cas pendant des siècles, on se retrouve avec des précipitations qui dévalent en peu de temps dans le fleuve et qui se traduisent par des crues d’une grande violence et d’une grande soudaineté. Les paysages du lit majeur du fleuve évoluent sans cesse. D’une saison à l’autre, la végétation se transforme, s’étend davantage sur les berges si les acteurs locaux n’interviennent pas. Les berges s’érodent au fur et à mesure que le débit d’eau varie, plus fort au début de printemps avec la fonte des neiges et pendant les périodes d’orages. Alors que durant l’été, lors de la période d’étiage, le débit d’eau est réduit à son minimum. La Loire laisse alors apparaitre des grèves qui se tapissent de végétation et sont rapidement colonisées par diverses espèces d’oiseaux. Le fleuve change sans arrêt de hauteur d’eau, d’épaisseur de lit, de débit, de couleurs, de faune et de flore. C’est un Être vivant à part entière. Au fil de mon itinéraire à vélo, j’ai pu noter de multiples changements liés au cours de la Loire. Les paysages créés par le passage du fleuve peuvent changer brutalement d’un coude à l’autre du cours d’eau ou bien suite à un aménagement humain. Les limites administratives de chaque département ou région n’ont pas grand chose à voir avec les changements significatifs des paysages.

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Blocs de principe : effet du déboisement

Le moteur de ces changements reste à mes yeux le sol, le socle même des paysages, le berceau des cours d’eau.

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CARTE ITINéRANTE Le terme de carte «itinérante» traduit bien là l’idée que cette représentation cartographiée du territoire, retrace une portion du Val de Loire d’un point A (Nantes) à un point B (Cosnes-sur-Loire), que j’ai reliée en vélo.

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Présentation de l’outil Le territoire cartographié de la Loire apparait comme une bande longitudinale qui traduit la linéarité bien présente en réalité. Fleuve, structures routières associées, relief particulier plus resserré entre Langeais et Tours, implantations humaines, ripisylve, ... La plupart des éléments structurants des paysages du Val de Loire sont dépendants du tracé du fleuve. On retrouve ainsi une lecture linéaire des paysages, davantage fluide et dégagée que dans la largeur, dans l’épaisseur. L’interprétation que j’en ai fait se ressent dans le dessin et dans les unités paysagères qui s’étirent le long de la Loire. Sa grande dimension traduit la longueur de l’itinéraire parcouru, les kilomètres de terrain accumulés dans les jambes et les paysages mémorisés. Prairies inondables, pâtures, coteaux crayeux, hectares de vignes, zones naturelles protégées, agglomérations, … sont les dignes représentants des paysages du Val de Loire. Ces paysages côtoyés et vécus le long de la Loire forment des ensembles correspondant à des unités paysagères structurantes du territoire. Des taches de couleurs et des formes différentes panachent l’ensemble du parcours cartographié.

Carte itinérante : copie de l’originale 5m

Le choix de dessiner une carte qui ne s’étend pas trop dans l’épaisseur traduit le parcours linéaire que j’ai emprunté, concentré près du fleuve. La forme globale qui en résulte, se rapproche nettement de celle du lit de la Loire dont ressortent les courbes sinueuses, tantôt bien délimitées, franches, et tantôt moins lisibles, morcelées. Cette carte a pour but de réinscrire l’itinéraire emprunté dans une réinterprétation de la réalité du terrain, ce par l’indication des lieux, des légendes des unités paysagères, des couleurs et des graphismes utilisés. Elle sert également de support pour transmettre mon expérience et sensibiliser un regard extérieur à la diversité des paysages qui bordent le fleuve. Les illustrations, enrichies par le récit de voyage, sont là pour développer l’imaginaire.

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Extrait carte itinérante : Jour 1

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Interprétation des paysages des bords de Loire (les grandes unités) Sur la portion de Loire de 500 km illustrée par la carte, la piste cyclable amène l’usager à passer par une grande diversité de motifs paysagers (marais, cultures de pleins champs, bancs de sables, prairies humides, prairies de fauche, bois, haies bocagères, etc.) Ces motifs se regroupent en 8 unités paysagères de Nantes à Blois, caractéristiques au territoire du Val de Loire. La définition que je donnerais au terme unité paysagère est la suivante : c’est un ensemble d’éléments, constituant un paysage et entrant dans sa composition. En basculant dans les échelles, une même unité, par exemple les terres agricoles qui se retrouvent dans la majorité de nos paysages, sera distinguée en motif paysager détaillé comme : un champ de maïs, un champ de blé, une pâture, une prairie fourragère, une parcelle maraîchère, une rizière, etc. C’est ce détail qui fait que les motifs sont spécifiques à un espace. Sont détaillées dans les pages suivantes, les 8 unités paysagères qui composent la portion du Val de Loire que j’ai parcourue. Pour chacune d’entre-elles, sont expliquées ce que l’on en perçoit à vélo.

Aide-mémoire: UNITE = grande échelle, caractéristiques d’ensemble, le territoire. MOTIF PAYSAGER = petite échelle, détail, perçu à vélo.

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1. Grandes agglomérations

Elles sont réparties de manière presque homogène sur le territoire. La majorité englobe le fleuve, ce qui nécessite de nombreux ouvrages pour s’en protéger, le canaliser et l’utiliser à des fins industrielles, commerciales et touristiques. Ces éléments perceptibles dans le paysage et identifiables, sont propres à chaque agglomération : ponts en pierres, en acier, quais, embarcadères, ports de plaisance. A cet ensemble s’ajoutent l’architecture locale et l’histoire de ces villes avec les Rois de France passés par là. Les entrées en agglomération ne sont pas des plus aisées pour le cycliste. Les flux de véhicules sont nombreux, les indications de directions restent sommaires et ne permettent pas de se repérer systématiquement. Le cycliste qui emprunte un pont doit bien souvent marcher sur le trottoir, le vélo à la main. Même si cela est un peu frustrant, car une fois monté en selle il est difficile d’en descendre, les vues qu’offrent les ponts restent remarquables. Elles permettent d’embrasser du regard l’ensemble du lit du fleuve et de profiter d’un spectacle qui est bien différent depuis les berges ou même, depuis une embarcation. Pour le cycliste itinérant, l’agglomération permet de faire le plein de provisions jusqu’à la prochaine étape, de se reposer, de nouer des contacts, s’informer auprès de divers services.

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Agglomération d’Orléans

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2.

Loire océane

Localisée entre Nantes et l’embouchure à Saint Nazaire, cette unité correspond à l’estuaire, avec ses zones humides, son industrie portuaire, ses docks. L’influence de l’Océan Atlantique se fait sentir en termes de climat (précipitations, vents remontants dans l’estuaire), la faune (anguilles, poissons et oiseaux migrateurs), la végétation (adaptée aux embruns et aux eaux saumâtres). C’est la partie la plus vaste du lit de la Loire. L’attraction de ces lieux est très forte. L’imaginaire de se trouver à proximité de l’océan provoque une envie d’appropriation des lieux. L’industrie portuaire nous plonge dans une échelle de l’ordre du microcosme, tant les grues, les containers, les péniches, et les cheminées sont gigantesques. Le pont de St Nazaire qui traverse l’estuaire est lui-même immensément grand. L’emprunter c’est s’élever vers l’horizon lointain, chahuté par le vent et les embruns. Les odeurs rappellent le bord de mer, le grand large. Remonter la Loire et tourner le dos à cette Loire océane provoque un certain regret qui s’estompe avec la traversée de Nantes et la découverte de nouveaux paysages, ceux d’une Loire de dimensions plus réduites, d’une Loire plus calme.

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Docks de Saint Nazaire

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3.

Milieux humides & Bords de Loire

C’est l’unité correspondant à l’ensemble du lit du fleuve, à ses berges, ses zones inondables, ses espaces naturels protégés et à ses affluents: la Vienne, le Cher, la Brenne pour les plus importants, sans oublier les multiples autres cours d’eau qui jalonnent le territoire. Ces milieux d’une grande richesse, accueillent diverses pratiques sur le terrain: exploitation agricole, exploitation forestière, tourisme, espaces naturels protégés. Il s’agit de l’unité la plus représentative et évolutive du Val. On pourrait presque l’assimiler au cœur du territoire. C’est l’unité qui est recherchée par le cycliste, qu’il soit sportif, touriste, riverain ou paysagiste. Regroupant des pratiques en tous genres, c’est l’image du Val de Loire qui est promue par les agences de tourismes. On sent, en tant que cycliste, que l’on rentre dans l’unité lorsqu’on laisse derrière soi, les zones commerciales, les logements à étages, les grosses infrastructures routières et les feux de signalisation, pour côtoyer de près ou de loin de vastes étendues de pâturages, de parcelles cultivées, des corps de fermes, des berges moins aménagées et davantage encombrées par la végétation. On le voit aussi en passant à proximité d’habitations et de terrains plus grands avec dans bien des cas, le chien qui aboie à s’en rompre les cordes vocales, car il n’est pas habitué à voir des foules de gens passer devant chez lui, surtout chevauchant une étrange machine. Le tumulte qui sévit en agglomération, se dissipe pour laisser la place à la quiétude, au calme. Les paysages du fleuve sont davantage appréciés. Le vélo participe agréablement à ce silence. Par moment, lorsque les voitures et les chiens se font loin, le silence n’est rompu que par les bruits de la faune environnante, le souffle puissant du cycliste, le craquement annonceur d’un changement de vitesse, les gravillons qui sautent sous les crans des pneus.

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Bords de Loire, proche de Langeais

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4.

Milieux marécageux

Regroupés autour de Nantes et au sud du domaine forestier de Chambord, ces espaces rappellent la présence de l’eau, l’importance qu’elle a joué dans l’installation de l’homme, de ses activités et les rôles écologiques actuels: ces marécages sont des milieux humides avec une végétation spécifique, des lieux de reproduction pour la faune aquatique. Soumis à la dynamique de fermeture des milieux, ils forment des écosystèmes fragiles à surveiller. Pour les aborder en vélo, il faut emprunter les sentiers battus. Faire quelques mètres ou parfois quelques kilomètres sur les chemins d’herbes avant de tomber sur ces milieux remarquables. Conservant une humidité quasi permanente, ils regorgent d’une faune terrestre mais aussi aquatique très diversifiée, avec de nombreuses espèces protégées de libellules, grenouilles, salamandres, couleuvres et oiseaux. Afin de se faire le plus discret possible, il est nécessaire de descendre de son vélo et le transporter à la main ou au mieux, le laisser contre un arbre. On peut ainsi espérer guetter une faune en pleine activité dans son milieu. La nécessité de descendre du vélo est justifiée aussi par la présence d’espèces végétales fragiles, notamment aux nombreux Iris parsemés en bouquets sur le sol.

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Marais proche de Bréhémont

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5. Coteaux remarquables

Unité caractéristique du Val, ils permettent de surplomber le fleuve, offrant alors des points de vue remarquables sur toute la plaine alluviale. En aval de Tours, c’est un véritable couloir fluvial qui regroupe une multitude d’activités touristiques, d’activités de maraîchage sur les dépôts d’alluvions fertiles. Des promontoires rocheux apparaissent par moment et viennent s’avancer en direction du fleuve. Ce sont des éléments de repère dans le paysage qui sont visibles à plusieurs kilomètres à la ronde. Pour le vélo, les coteaux annoncent la fin du plat monotone et du repos des jambes. Le dénivelé est amené à varier, tantôt montée, faux plat, puis ensuite descente. Le rythme varie, les paysages et les ambiances avec. Depuis les bords de Loire, les coteaux sont des points de repères qui élèvent notre regard et qui créent un appel fort, une invitation à grimper de quelques mètres pour aller chercher un point de vue. Lorsqu’on se trouve en pied de coteau, le regard cherche les espaces ouverts, dégagés, et est ainsi dirigé naturellement en direction de la plaine fluviale. Plus on s’approche des coteaux, plus on s’éloigne du lit du fleuve, pour rentrer à l’intérieur du Val. Cette unité est facilement repérable car elle représente les premiers reliefs bordant la Loire. L’horizon se limite alors de chaque côté du fleuve à une ligne d’arbres, ponctuée de trouées dans lesquelles sont installés des bourgs, des châteaux, des parcs, ou des parcelles agricoles. De temps à autre, une grande trainée dégagée dans ces coteaux touffus, symbolise la cicatrice laissée par le passage d’une ligne électrique à haute tension.

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Village de Savonnières, en pied de coteau

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6. Coteaux viticoles

Château Chinon, Saumur, Bourgueil, … des domaines viticoles de renommée qui représentent une unité forte, répartie principalement sur les reliefs de la rive gauche. Ils apportent une structure aux paysages, maintiennent les coteaux ouverts et produisent un panache de couleurs qui se dessine à l’automne. Les hectares de vignes, facilement repérables à la saison automnale par les couleurs éclatantes qu’elles produisent, ne laissent pas insensible le promeneur, qu’il soit local ou de passage, à pied ou à vélo. Le paysagiste le sait : le paysage se conçoit aussi à travers le goût des choses. Aller à la rencontre des paysages viticoles, nécessite de pédaler plus fort, plus longtemps et amène à quitter la Loire pour grimper dans les coteaux. L’effort fourni est récompensé par les couleurs et les odeurs caractéristiques, par la géométrie des alignements des ceps de vignes, par l’espace ouvert et respirant, par l’exposition ensoleillée qui en charmera plus d’un les soirs d’été.

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Parcelle de vignes, près de Bréhémont

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7.

Milieux forestiers

Davantage présents sur la rive droite, notamment entre Angers et Blois, ils ceinturent les cours d’eau, créent des lignes verticales et des jeux d’ombres et de lumières décrits par les écrivains et poètes de passage dans la région. Dans le paysage, ils produisent des architectures massives qui viennent cloisonner le regard, créant des successions de plans qui lorsqu’on les traverse à vélo, donnent du rythme au trajet. Les espaces forestiers apportent du rythme à une balade en vélo. Lorsqu’ils sont épais, qu’ils cloisonnent véritablement le milieu, alors le cycliste a tendance à concentrer son regard droit devant, avec pour réflexe d’appuyer davantage sur les pédales, pour aller plus vite et en sortir plus rapidement. Parfois oppressants, ils apparaissent aussi plus lumineux, plus pittoresques lorsque les arbres sont clairsemés. Les traversées dans les bois se font soit par les routes goudronnées, larges, mais qui offrent peu de surprises et de diversité, soit par des dessertes latérales qui mènent au cœur du milieu et offrent là, davantage de quiétude et de jeux avec le terrain : les feuilles qui jonchent le sol, la terre et la boue qui adhèrent aux pneus et collent aux vêtements, les flaques d’eau qui éclaboussent le bas des jambes, les creux et les bosses, etc.

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Bois de St Etienne de Chigny

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8. Terres agricoles

Elles représentent la composante essentielle du territoire. Elles permettent le maintien des paysages ouverts, limitant le boisement des terres. Les ressources alimentaires produites sur ces terres fertiles participent au développement de la gastronomie locale : culture d’asperges, caves champignonnières, safranières. A vélo, ces milieux sont appréciés pour leur aération, leur lumière, les odeurs et les contacts directs avec les habitants. Déambuler au printemps le long des champs de colza et sentir une odeur forte, agréable mais lourde, presque étouffante. Ces derniers peuvent se sentir à plusieurs centaines de mètres, lorsque le vent souffle dans les narines. Bordant les routes pour faciliter l’accès aux engins agricoles, les cultures sont proches de l’usager à vélo, proches des pistes cyclables. Ce contact facilité provoque à la longue une monotonie, lorsque les champs sont vastes, sans élément marquant : moulin, réservoir d’eau, abreuvoir, abri, puits, hangar, etc.

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Champ labouré: lieu-dit La Borde

L’ensemble de ces 8 unités, rependues sur l’échelle du Val de Loire, apportent du rythme aux paysages. Ce qui est intéressant pour le paysagiste, c’est d’intervenir à échelle plus réduite, de l’ordre du motif paysager, du détail. En travaillant dessus, on change les perceptions sensorielles palpables depuis le terrain. En intervenant de manière judicieuse dans le choix du site et de ses dimensions, les grandes unités n’en sont que très peu bouleversées. La notion de rythme qui vient d’être abordée, sera davantage expliquée dans les parties suivantes. En vélo, elle prend tout son sens car elle participe au dynamisme de la balade et influe sur l’état du cycliste vis-à-vis de l’environnement qu’il parcourt. .43


Loire et Val de Loire

CARTE D’IDENTITé DU FLEUVE

La Loire sur plus de 1000km de parcours draine un bassin, de l’Ardèche à la Bretagne. La largeur du val (terme populaire qui désigne cette plaine d’alluvions) est variable entre 2 et jusqu’à 6 km au coeur de l’Anjou. En bordure de fleuve, à basse altitude, le climat est doux. On parle de «douceur angevine». Il s’agit d’une variété de climat océanique, déjà méridional pour bien des aspects. D’après Roger DION, le semestre le plus chaud, d’avril à septembre, jouit d’une moyenne thermique de 15°C. La saison froide quant-à-elle reste très tempérée : moins de 60 jours de gelées par an dans le Val de Touraine et d’Anjou. Vers Saumur, on voit apparaitre, aux bonnes expositions, des plantes aux affinités déjà méridionales. Ces traits de douceur, valables encore en Touraine, voire en Orléannais, se dégradent en Nivernais, où les écarts thermiques sont plus brusques.

Hydrologie et crues de la Loire C’est un des moteurs de la dynamique fluviale, notamment par le biais des crues qui, au fil du temps, façonnent les berges, les îles et les bancs alluviaux des cours d’eau. Les submersions plus ou moins longues et fréquentes qu’imposent les crues aux lits mineur et majeur, jouent un rôle essentiel dans la dynamique écologique de ces milieux. Ces mouvements de montées des eaux, de changements de débits, de charriages attirent des populations d’oiseaux, de poissons, de mammifères terrestres et aquatiques qui se renouvellent sans cesse. Les périodes et lieux de reproductions, nidification, et de ponte des oiseaux par exemple, évoluent en fonction de l’état des écosystèmes propres au cours d’eau et de sa dynamique. Les débits de la Loire sont répartis de manière saisonnière selon un régime pluvial océanique, avec des hautes eaux en hiver et un étiage s’étalant de juillet à fin septembre. La plus forte contribution relative aux débits moyens de la Loire provient de l’amont du bec d’Allier, qui provoque des hausses du débit marquées en aval. .44

Bords de Loire, Cinq-Mars-La-Pile, le 16 avril 2013

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Les crues de la Loire laissent à chaque passage, des traces dans le paysage et dans la mémoire des hommes. Trois grands types de crues sont identifiables dans le bassin de la Loire : les crues océaniques, les crues cévenoles et les crues mixtes. - Les crues océaniques : proviennent le plus souvent des cours d’eau affluents de la rive gauche, drainant l’ouest du bassin versant et alimentées par les perturbations océaniques. Ces crues se manifestent généralement entre le printemps, l’automne et le début de l’hiver. Elles restent rares en été. - Les crues cévenoles : elles sont générées à la fin de l’été et en automne. Les précipitations évènementielles peuvent atteindre plusieurs centaines de millimètres sur un à deux jours. La dernière crue cévenole majeure date de septembre 1980, elle reste encore gravée dans les mémoires. - Les crues mixtes : elles correspondent à des épisodes climatiques qui génèrent des débits exceptionnels, comme l’a connu le Val de Loire en 1846, 1856 et 1866. L’accumulation des crues de la Loire et de l’Allier entraine de fortes montées des eaux. Les crues des quatre principaux affluents de la Loire en aval du bec d’Allier (Indre, Cher, Vienne et Maine) sont essentiellement d’origine océanique. Toujours très irrégulières, elles ont deux effets sur le végétation : - premier effet: la dévastation localisée des forêts alluviales qui participe à la dynamique de renouvellement du peuplement. - second effet: la création de grèves d’atterrissement (dépôt de matériaux alluvionnaires tels des galets, graviers ou sables, érodés en aval et déposés lors des phases de crues, qui viennent former des bancs, modifiant alors la dynamique fluviale).

Blocs illustrant deux types de crues

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Les variations du niveau des eaux sont à prendre en considération dans ma démarche d’arpentage des lieux et pour le fondement de mon projet. Souhaitant entretenir le contact avec le fleuve, en utilisant le vélo comme moyen de déplacement, il est indispensable de comprendre le fonctionnement des crues, leurs conséquences sur les paysages et sur les moyens humains. Et de ce fait, l’impact qu’elles peuvent avoir sur un cheminement en bordure de fleuve. .47


Une lumière particulière Tôt le matin ou tard le soir, aurore ou crépuscule, lorsque le soleil atteint l’horizon, une lumière enivrante vient recouvrir le Val de Loire. Cette lumière de Loire, René BAZIN (1853-1932, écrivain, juriste et professeur de droit) en donne le secret : le climat océanique, attiédi par le courant chaud du Gulf Stream qui longe nos côtes et auquel on doit la fameuse douceur qui règne dans la région. «Tous ceux qui habitent les bords de Loire, peuvent en témoigner: le vent de la marée est sur nous à toute heure On le reconnait à son souffle, à son parfum, à un goût de sel nouveau: mais surtout à la couleur du ciel, à la douceur qui descend de là sur tout être vivant. Rien n’est mieux établi: le climat de la Vallée est dans l’obéissance de la mer...» René BAZIN Les paysages qui découlent du fleuve véhiculent des jeux de lumières particuliers. La lumière traversant le feuillage d’un arbre va émettre de multiples tâches lumineuses qui vont se refléter sur la surface de l’eau. Tout cela accentue le côté pittoresque que dégage le fleuve. Séduisante, attirante, douce... Dame Loire n’a pas fini de nous étonner de ses secrets bien gardés. L’usage du vélo est un bon moyen pour entrer en contact avec ces curiosités et percevoir cette lumière attrayante.

Levé de soleil sur la Loire : près de Luynes

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Variations de la ligne d’eau Malgré sa douce apparence, la Loire n’en reste pas moins un fleuve capricieux. Savoir lire le lit d’un cours d’eau, comprendre ce qu’il indique sur son état, me semble nécessaire pour pouvoir l’approcher sans courir de risques. Il est d’autant plus nécessaire de connaître leurs limites pour le paysagiste qui souhaite réaliser des aménagements sur leurs berges. Voici quelques notions concernant les trois formes de lits des cours d’eau : - le lit mineur : c’est l’espace fluvial formé par un chenal, des bancs de sables ou de galets, recouvert par les eaux. Il correspond à la position du fleuve à son niveau le plus bas, soit à l’étiage. C’est un milieu où se succèdent spatialement et temporellement diverses espèces et strates végétales. Les espèces herbacées pionnières occupent les marges du lit du fleuve et les bancs alluviaux récents. Viennent ensuite s’installer les populations de Saules puis d’Aulnes, sous forme de fourrés dans un premier temps, puis évoluant en un manteau plus dense qui forme la ripisylve. - le lit majeur : il correspond à la plaine alluviale, soit la partie haute du cours d’eau qui est inondée périodiquement. S’y développent les forêts alluviales de bois durs (Frênes, Ormes, Chênes). On y trouve également des sous-systèmes de bras morts, de marais et des dépressions topographiques qui présentent une grande diversité d’associations végétales et animales. Le lit majeur est bien souvent submergé en période de crues, avec des débits d’eaux variables. Les conséquences sur les écosystèmes sont marquées par des remaniements fréquents des sédiments, l’arrachage régulier d’une partie de la végétation en place, la submersion de lieux de nidification, l’érosion accrue des berges. On retrouve la face changeante du fleuve, avec des paysages qui sont modifiés au gré des saisons et de ses sautes d’humeur. - le lit apparent : il est creuse dans les sédiments sur 3 à 4 m au-dessus de l’étiage. Il est recouvert et transformé chaque année par les eaux du débit moyen, facilement repérable par les deux ressauts de berges. Lit majeur de la Loire

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Habitats aquatiques des bords de Loire La végétation occupe une place primordiale puisqu’elle participe aux fondements des paysages. Leurs couleurs, textures, dimensions, formes, implantation, variétés, sont d’autant de caractères perceptibles depuis la piste. Le milieu aquatique ne se limite pas au cours principal, il est bien souvent assorti de bras secondaires et des boires (points d’eau disséminés ici et là dans le lit). Les boires forment des mares superficielles ou profondes qui constituent à elles seules des milieux aquatiques variés et riches. Les trois types de lits d’un cours d’eau reconnus par les géographes donnent des points de repères pour la végétation. L’habitat le plus proche du niveau de l’étiage correspond aux vases humides, composé d’une végétation naine de Cyperus et d’une végétation luxuriante à Bidens. Viennent ensuite les roselières, bien adaptées aux variations de régimes des eaux. Puis enfin les sables remaniés durant le printemps et l’hiver, qui sont reconquis chaque été par le Chenopodion rubri. Sur la partie du lit majeur, la plupart des groupements sont stables, constituant des végétations pérennes : les prairies à Chiendents sont caractéristiques du milieu alluvial, la pelouse à Fétuque à longues feuilles résulte du pâturage, la Landine à armoise champêtre possède la physionomie d’une steppe et recèle de nombreuses espèces, enfin les Landes s’installent sur les pelouses progressivement abandonnées. La gestion pastorale a favorisé l’extension des prairies humides sur les bords du fleuve. Le lit majeur c’est aussi le domaine des forêts alluviales de Saules (bois tendre) et de Frênes et Ormes (bois durs).

Coupe de principe des milieux aquatiques & aquarelles de végétaux

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GéOLOGIE DU TERRITOIRE

Géomorphologie du fleuve Sur l’ensemble de son parcours, la Loire traverse de nombreux paysages géologiques. La plus grande partie des étages géologiques est longée, entaillée et transformée en sédiments par le fleuve. L’action du fleuve au fil du temps et de son parcours a modelé des paysages caractéristiques témoins de son instabilité. Les roches constituant le «substrat» du bassin versant de la Loire ont une hisoire géologique qui remonte à plus de 500 Millions d’années. Le fleuve tel que nous le connaissons est très récent. Ses paysages caractéristiques sont identifiables par une physionomie qui leur est propre: forme du relief, végétation spécifique, modes de constructions, couleurs des terres, lignes d’horizons. La nature du sous-sol conditionne une grande part des paysages du fleuve ainsi que les implantations humaines et les facteurs qui y sont liés. La Loire souvent décrite comme «le dernier fleuve sauvage» en France est en fait une dénomination abusive. Depuis l’antiquité, elle a connu de nombreux aménagements pour favoriser la navigation et protéger les populations riveraines de ses crues. Malgré ce côté «sauvage» qui ressort des ambiances végétales, de ses paysages de prairies humides, de grèves, d’îles ou de bras morts, le fleuve use d’une action mécanique remarquable sur son environnement. Ce sont chaque année des millions de tonnes de sables, d’argiles et d’éléments dissous qui sont transportés depuis le Massif central et les régions environnantes vers l’Océan Atlantique. Le voyage de ces matériaux loins d’être fluides, se traduit localement par des alternances de dépôts sédimentaires et des incisions dans les lits des rivières et leurs berges.

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Les trois régions géologiques du bassin de la Loire

Le bassin de la Loire draine trois régions géologiques distinctes avec un sous-sol qui varie non seulement dans sa nature lithologique ( = Branche de la géologie qui étudie la composition des sédiments ou des roches, comprenant les caractéristiques physiques et chimiques, telles que la couleur, la composition minéralogique, la dureté ou la taille des grains) mais aussi dans ses reliefs: le Massif central, le Bassin parisien et le Massif armoricain. Le fleuve traverse ainsi du socle cristallin dans le Massif central et le Massif armoricain, des terrains sédimentaires en Anjou, du jurassique dans le Berry, en Bourgogne et en Poitou, du crétacé en Touraine et du cénozoïque en région Centre. .55


La Loire donne l’illusion d’un paysage immuable, or la mosaïque de roches et de paysages qui caractérise son bassin est le résultat de processus géologiques longs, au cours desquels se sont conjuguées des forces profondes (convection dans le manteau terrestre formant le volcanisme), des forces tangentielles (mouvements tectoniques qui construisent les montagnes) et des forces de surface (érosion, transport et sédimentation). Comme tous les fleuves, la Loire collecte l’eau de pluie qui tombe dans son bassin versant. Cet écoulement permet l’érosion, le transport et le dépot de sédiments, d’amont en aval en fonction de la pente, de la granulométrie des matériaux transportés, de leur charge et du débit d’eau. Concernant la forme du lit du fleuve, la largeur des vallées dépend de la nature des roches traversées. On retrouve bien souvent des gorges étroites sans terrasses, conservées sur le socle, et de larges vallées avec un système complexe de terrasses dans les zones sédimentaires. «Certaines études paléogéographiques suggèrent qu’à l’époque du Pleistocène (-1,8 Ma, Quaternaire), la paléo-Loire coulait vers le Nord et rejoignait la Seine alors qu’un autre fleuve: la Loire Atlantique, prenait sa source vers Gien et s’écoulait ensuite vers l’ouest en suivant approximativement le lit actuel du fleuve» [Tourenq et Pomerol, 1995]. L’ancien cours du fleuve conservait la même direction pour atteindre la Seine au Quaternaire ancien, avant de butter, plus récemment, devant les assises résistantes des dépôts tertiaires pour s’écouler vers l’Océan Atlantique. Cette jonction entre les deux fleuves reste aujourd’hui remise en question. Loin d’être figés, les paysages et soussols du bassin de la Loire subissent de multiples modifications.

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Géomorphologie de l’Indre-et-Loire

LANGEAIS

Le sous-sol du département de mon site de projet apparait comme étant d’une époque géologique récente. La majeure partie des terrains affleurants date de la fin de l’ère secondaire (Crétacé supérieur). Ils sont parsemés de sédiments plus récents et entaillés par les vallées tapissées d’alluvions fertiles. Les dépôts les plus anciens affleurants sont des calcaires marins localisés à Souvigné (N-O de Tours) et à Richelieu (S-O de Tours). La Touraine présente des faciès variés de craies à silex, de tuffeaux, et de sables. Les craies et tuffeaux constituent la plupart des coteaux abrupts visibles le long des cours d’eau du département. Les plateaux sont couverts de fins dépôts de limons qui subsistent par plaques, alors que les vallées et leurs lits inondables sont quant à elles constituées de dépôts alluvionnaires fertiles nommés Varennes. L’appellation «Val de Loire» est justifiée par la présence marquée dans le paysage des deux coteaux, qui viennent former un véritable couloir. Les plateaux qui les surmontent sont entaillés par des vallées adjacentes orientées vers la Loire. Sur la rive droite (nord), les affluents sont courts et peu nombreux, découpant le plateau perpendiculairement à la vallée du fleuve. La rive gauche (sud) possède un coteau davantage entaillé par des affluents plus larges (Indre, Vienne et Cher) qui ne se jettent pas de manière directe dans la Loire, mais la serpentent longtemps parallèlement avant de s’y engouffrer. En amont de Tours, la rive gauche est marquée par un éperon de craie turonienne sur lequel sont venus s’appuyer Montlouis et Amboise. Le Turonien est présent à Tours, qui lui a donné son nom d’étage. C’est dans cette formation que sont construites la plupart des habitations troglodytiques, utilisées bien souvent comme caves à vins. Le tuffeau blanc est le matériau de construction des châteaux de la Loire, le tuffeau jaune quant-à lui utilisé pour l’édification des digues. En aval de Tours, à la confluence du Cher, un éperon d’alluvions quaternaires est recouvert de vignes. La rive droite est aussi constituée d’un éperon turonien, surmonté par des plateaux de limons et localement de calcaires. La ville de Tours est bâtie au coeur du val, sur des alluvions récentes, entre la Loire et le Cher. Les contreforts turoniens viennent ressérer l’épaisseur du val, pris en étau entre le coteau de Villandry (rive gauche) et celui de Langeais (rive droite).

Maquette en carton plume: fond carte des paysages 1/25000e

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LOIRE TIMIDE - LOIRE CACHéE

Comme tout territoire, si l’on désire le parcourir dans son intégralité, il faut prendre le temps nécessaire de le découvrir, le traverser en tous sens, l’effleurer et être libre de ses mouvements. Le Val de Loire dissimule une multitude de micro-sites qui présentent des ambiances spécifiques : marais au cœur d’un boisement, zone humide en bord de parcelles cultivées, grottes, évènements rocheux remarquables, habitats troglodytiques. S’ajoute à chacun tout un ensemble d’écosystèmes qui renferme des formes de vies, à l’abri des regards. Pour les découvrir, il faut s’aventurer hors des sentiers revêtus et balisés. Il faut chercher à aller au plus profond du lit du fleuve et se confronter à cette Loire timide.

Aquarelle : Un tapis de fleurs jaunes

L’individu non initié qui se trouve face au même paysage qu’un individu aguerri, ne verra pas la même chose. Il sera interpellé par une belle fleur jaune tapissante étendue au bord de l’eau, tandis que le pêcheur y verra là une plante envahissante. Le paysagiste quant à lui, saura que cette Ludwigia peploïdes, plante indigène originaire d’Amérique du Sud, se développe principalement dans les milieux humides et sur les bords des cours d’eau. Chacun à sa manière peut parcourir le territoire du Val de Loire. Pour ma part, le vélo m’a permis de traverser le Val dans sa longueur, en remontant le cours du fleuve. Je suis parti à contre courant, en pensant me prendre de pleine face le cœur de la Loire. Hélas j’ai pu constater que le fait d’emprunter la piste cyclable ou les routes qui bordent le lit du fleuve, ne permet d’entrevoir que la partie extérieure, le manteau de ripisylve. Par moment, des brèches permettent d’observer la surface luisante de l’eau, mais les contacts physiques et sensoriels restent superficiels. J’ai donc été amené à quitter la piste balisée pour m’aventurer au plus près de la Loire. Une réelle émotion s’est éveillée en moi lorsque j’ai traversé le rideau de ripisylve, faisant fuir à mon passage un couple de lapins qui trouvèrent rapidement refuge dans les fourrés, puis dérangeant un peu plus loin un héron en quête de nourriture. Ces trésors qui apparaissent puis disparaissent aussitôt, sont des instants privilégiés. La Loire sait partager juste ce qu’il faut pour entretenir la curiosité au fil de son trajet. Elle sait aussi se faire égoïste et garder en son for intérieur bien des surprises… C’est la Loire cachée !

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Aquarelle : Pêcheur embarrassé

Aquarelle : L’herbier du paysagiste

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APPRéCIER SES PAYSAGES PAR UN DéPLACEMENT LENT

Aussi vaste que puisse laisser paraître le territoire sillonné par la Loire, il faut rentrer dedans, chercher la brèche qui permette de percer ses paysages. Le fleuve qui s’étend de tout son long, formant de-ci et de-là des méandres, des boucles plus ou moins régulières, ne se laissant pas facilement appréhender. Il faut être libre de ses mouvements, pouvoir venir et repartir, s’avancer au bord des berges puis prendre du recul, monter la digue puis la descendre un peu plus loin. La grande vitesse n’est pas requise pour espérer percer, discerner et comprendre comment le fleuve, ses abords, ses habitants, ses activités évoluent et constituent un même paysage ou différents paysages. C’est pourquoi les véhicules motorisés ne sont pas les plus adaptés : gabarit bien souvent trop important, vitesse rapide, peu de manœuvres possibles et donc une liberté de mouvements et de déplacements limitée, du bruit, etc. On pourrait continuer la liste, mais cela n’est pas l’objet actuel. Non ! Pour apprécier les ambiances de lumières, les odeurs, les sons, les variations de terrain, les oscillations de la végétation sous le vent, il faut faire le choix d’un déplacement lent. Par déplacement lent j’entends là un rythme d’avancée qui permette à nos yeux de regarder ce qui nous entoure et d’en informer notre conscience. Sur le moment, il est parfois difficile de faire le tri et de pouvoir rebondir de manière réactive sur tout ce que l’on voit. Il peut être nécessaire de prendre le temps de s’arrêter pour libérer notre esprit de toutes les informations sensorielles emmagasinées et prendre du recul sur ce que l’on vient de vivre. Balayer du regard un paysage est une forme de vécu, qui ne s’apparente pas à une traversée physique de l’environnement, mais qui est davantage une lecture analytique, une projection de souvenirs antérieurs qui permet de caractériser le paysage ou l’élément dans notre champ de vision.

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Pour résumer : être en position d’observateur ce n’est pas forcément vivre le terrain physiquement mais c’est regarder un élément qui fait naître en nous des émotions. L’intérêt de prendre ensuite du recul pour faire décanter toutes ces émotions, c’est de pouvoir sortir des mots, des expressions graphiques qui les traduisent et qui pourront servir par la suite le projet.

Pour appréhender le territoire de la Loire, le vélo m’est apparu comme le moyen de déplacement le plus idéal. La marche et le vélo sont deux modes de déplacement lent qui offrent un rapport direct entre l’individu et les paysages traversés. Le contact physique avec le sol est réel. Il se fait par l’intermédiaire d’une semelle de chaussure ou d’une gomme de pneu. Dans les deux cas on ressent le type de revêtement sur lequel on chemine. La composition du sol et sa texture se traduisent par des crissements, des crépitements, des frottements, des grincements, des couinements, etc. On sent la terre coller aux crampons, les cailloux se coincer entre les rainures. L’état de la surface du sol fait écho à travers notre corps. A ce ressenti physique du socle des paysages viennent s’ajouter les facteurs abiotiques liés au territoire dans lequel on se situe. Ces derniers correspondent au vent qui agit sur la température ressentie et qui vient accélérer ou au contraire ralentir notre déplacement. On peut recenser également la pluie qui va être glaçante ou rafraîchissante, le soleil apportant un peu de douceur ou trop de chaleur, la température, la lumière, l’ombre, etc. C’est donc l’ensemble des facteurs non vivants qui influent notre environnement. Le vélo et la marche permettent tous deux de percevoir ces « états d’âme » du terrain. Là où l’on note une différence entre ces deux déplacements, c’est dans le rythme. Le rythme donné à l’avancée et ce qu’il induit sur les perceptions des paysages. Interviennent alors le facteur temps, le facteur vitesse et le facteur distance. Tous trois diffèrent pour la marche et le vélo, puis varient également à l’intérieur de ces deux déplacements sous diverses déclinaisons : pieds nus, baskets, talons, chaussures de rando, … (pour la marche) ou VTT, vélo de course, tricycle, … (pour le vélo).

Empreintes de semelle de chaussure et de pneus de VTT

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Le vélo permet de parcourir de plus grandes distances, en moins de temps et plus rapidement qu’en se déplaçant à pieds. Le rythme est ainsi beaucoup plus varié en pédalant qu’en marchant. Le vélo permet de s’adapter aux dimensions d’un paysage.

Perceptions à vélo

Paysages rythmés et alternés

Un exemple simple : sur un trajet d’un point A à un point B, si plusieurs ambiances paysagères viennent s’emboiter (alternance de bois, forêt dense, espace agricole ouvert, parcelle bordée d’alignements d’arbres, etc), le cycliste va pouvoir ralentir sa vitesse pour laisser le temps à son regard de capter les éléments qui l’entourent. A l’inverse, s’il est amené à traverser de vastes paysages très étirés, alors la vitesse va être augmentée pour briser la monotonie qui peut s’installer et donner par l’enchaînement des ambiances, un rythme de défilement plus adapté. Il ne faut pas oublier que le vélo est d’une certaine manière le prolongement du corps du cycliste, une sorte d’exosquelette qui répond au mécanisme physique de poussée des jambes et dont la direction est guidée par la lecture du terrain et la réaction de l’esprit. Ce que la machine du corps traverse, la mécanique du vélo l’exécute. Cette relation parfois symbiotique permet d’oublier la machine qui nous transporte, le corps et le vélo ne faisant plus qu’un. Ce rapport de proximité permet de vivre une expérience intime avec les paysages. Il y a une multiplicité des perceptions sensorielles qui sont présentes dans ce déplacement. Le paysage peut-être ainsi saisi dans son intégralité, dévoiler toutes ses richesses. C’est en cela que le vélo prend tout son intérêt pour le paysagiste. Perceptions à pied

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Paysages étendus, répétitifs

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Le vélo comme outil d’arpentage de terrain

Pour illustrer le rapport de cet outil au terrain, voici deux citations de Marc AUGE, extraites de son ouvrage : Eloge de la bicyclette (juillet 2010, 91p. Rivage poche / Petite bibliothèque). « Le rêve du cycliste, c’est de s’identifier sur terre au poisson dans l’eau ou à l’oiseau dans le ciel, même s’il lui faut bien se mesurer aux contraintes de l’espace ». « Les individus prennent conscience simultanément du lieu qui est le leur, celui qu’ils peuvent parcourir dans tous les sens, et des itinéraires qui en éloignent ou y ramènent ». Tels des chaussures qui nous permettent de marcher sur divers sols, des véhicules qui nous déplacent à des vitesses remarquables, le train qui nous donne l’impression de glisser à travers les territoires, … Le vélo est l’outil qui permet au corps de se mouvoir dans le paysage. Il permet un mode de déplacement spécifique qui est différent de celui de la marche ou d’un véhicule, comme j’en ai déjà parlé dans les lignes précédentes. Je vais tenter de prendre du recul sur ma pratique et sur le vélo qui m’a accompagné tout au long de l’expérience.

QUELQUES GéNéRALITéS

Le VELO, abréviation de VELOCIPEDE, est d’après la définition du dictionnaire Larousse : un appareil de locomotion à deux roues et un siège, qui est mû grâce à des pédales fixées sur le moyeu de la roue avant. Il s’agit de l’ancêtre de la bicyclette. Cette définition simplifiée se déleste de toute la complexité mécanique qui a évolué à chaque époque, devenant plus minutieuse, plus légère, facilitant l’usage et le déplacement. Cette définition laisse également de côté le cycliste lui-même. Le vélo n’est rien sans un usager pour le faire fonctionner. Le mouvement du corps donne vie au vélo. Avant de présenter mon « outil d’exploration » et d’aborder les rapports du corps au vélo, du vélo avec le paysage environnant, de la mobilité et des rythmes, je pense nécessaire de faire un bref historique du « deux roues » et d’aborder la diversité de styles et de pratiques qui sont possibles.

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Histoire brève du vélo Le 12 juillet 1817, un allemand : le baron Drais de Sauerbrun (1783-1851) assis à califourchon sur une poutre en bois reliant deux roues, parcourt avec sa machine 14,4 km en une heure, cela par l’action de ses pieds sur le sol. Cette machine est appelée en France la draisienne et hobby horse en Grande-Bretagne. En 1818, un brevet est délivré pour la draisienne qui prend alors le nom de vélocipède, avec véloce- pour rapide et -pède pour pied. Son succès reste éphémère. Le vélocipède ne trouvera les faveurs de la population que le jour où, les inventeurs comme Michaux le dotèrent de pédales. En mars 1861, à Paris, un chapelier apporte à Pierre MICHAUX, serrurier, une draisienne à la roue défaillante. L’un de ses fils l’essaie et se plaint du désagrément éprouvé une fois lancé pour garder les jambes levées. Pierre MICHAUX suggère alors de poser des repose-pieds, correspondant en fait à « un axe couché dans le moyeu de la roue » qui le fera « tourner comme une meule ». Ainsi une invention simple mais primordiale vit le jour : les pédales. On cherche ensuite à rendre le vélocipède plus rapide. Les pédales étant fixées à la roue avant, il est nécessaire d’augmenter son diamètre pour accroître la distance à chaque coup de pédale. A l’inverse, on diminue le diamètre de la roue arrière. C’est la naissance du grand bi dans les années 1870. Le grand bi construit en bois à ses débuts, fût vite remplacé par une structure en acier. Vers 1875, le français Jules TRUFFAULT allège les jantes et les fourches en les fabricant à partir de tubes d’aciers creux, puis développe des rayons métalliques en tension. L’envie de parcourir rapidement de grandes distances nécessita un diamètre imposant pour la roue avant, qui pouvait aller parfois jusqu’à 3m. Cette dimension posa rapidement des problèmes de sécurité pour l’usager, ce qui les rendaient peu attirants aux yeux du grand public. La bicyclette telle que nous la connaissons avec ses roues de diamètre égal et sa traction par chaîne apparut aux débuts des années 1880. Mais la véritable révolution avait déjà eu lieu quelques années auparavant, en 1888, quand le vétérinaire écossais John Boyd DUNLOP inventa un pneumatique gonflable : « un tube creux en caoutchouc gonflé d’air ». A partir de 1900, les premières bicyclettes avec changement de vitesse furent commercialisées. .70

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Pendant les dix années qui suivent, Paul de VIVIE dit Vélocio (1853-1930), figure emblématique du cyclotourisme français, désireux que la bicyclette soit la plus commode possible pour l’usager, va mettre au banc d’essais de multiples machines à changement de vitesse. En 1911, pour la première fois au Tour de France qui franchit les cols des Alpes, le stéphanois Joanny PANEL expérimente un changement de vitesse par dérailleur. Début des années 1950, l’automobile prime sur le vélo qui est alors rangé dans la remise la semaine et devient un instrument de loisir pour la sortie dominicale. Il change par la suite d’allure pour répondre à divers types de terrains, prenant alors le nom de Vélo Tout Terrain (VTT). La France comptait 150 000 bicyclettes en 1893, environs 9 millions à l’entre-deux guerres et certainement près de 25 millions à présent. La population prend conscience de l’utilité et des bénéfices que représente le vélo, non seulement pour l’environnement en limitant l’utilisation des véhicules à moteur thermique, mais aussi pour son rôle social. Il permet de circuler sans contraintes, dans tout un territoire. Il permet également aux jeunes de sortir de l’espace familial et découvrir un autre environnement, les limites de leur corps et d’autres usagers de milieux sociaux et d’âges variés. C’est le moyen de transport idéal pour s’égarer dans des quartiers inconnus. La bicyclette est fonction de tout un esprit du temps. Elle évolue selon l’image sociale que l’on cultive, les préoccupations environnementales, l’autonomie croissante de l’usager. Elle s’adapte à chaque individu qui décide de sa vitesse de déplacement, de sa consommation d’énergie musculaire, de son parcours et de sa durée. Chacun peut bricoler sa bicyclette. Cette personnalisation de l’objet fait que chaque modèle est unique, propre à la pratique que l’usager en fait. On peut néanmoins noter une diversité de styles et de pratiques adaptés à des modèles de base. Je m’intéresse pour ce faire à cinq types : la bicyclette citadine, le vélo de course, le VTT, le vélo couché et le tandem. Ce sont les plus fréquemment rencontrés aujourd’hui et ceux qui offrent le plus de variantes : tricycle, vélo caréné, BMX, vélo à 4 roues, vélo couché, etc.

Concepts de vélo. Fonds photographiques C. Boniface : Workshop janvier 2011 Amsterdam

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1. Bicyclette citadine :

C’est un vélo fiable et efficace pour se déplacer en milieux urbains, sur les revêtements bitumeux, les bétons ou encore les stabilisés. L’utilisation sur des chemins pavés est à éviter car l’absence de suspensions provoque des vibrations qui rendent la conduite peu aisée. Son cadre certes lourd, mais néanmoins robuste, supporte aisément le poids d’un porte bagage et d’un panier fixé au guidon. Ce type de vélo est conçu pour le déplacement quotidien et le transport de courses. L’usager adopte une posture droite, le torse bombé, avec les bras légèrement courbés pour épouser la forme arquée du guidon. Bien en selle, libre de ses mouvements, il peut-être comparé à une girouette qui pivote à chaque virage pour jeter un œil par-dessus son épaule et s’assurer qu’aucun véhicule ne soit en train de le dépasser.

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2. Vélo de course :

C’est un vélo conçu pour la performance et la recherche de vitesse. La solidité du cadre est importante, mais ce qui prime c’est son poids. La légèreté est le maître mot. Chaque gramme de moins assure au cycliste de meilleures performances, car du poids en moins c’est de la vitesse de gagnée et de l’énergie économisée. Son utilisation se limite en général exclusivement aux revêtements bitumeux. Les pneus lisses et très étroits ne sont pas recommandés pour les terrains accidentés, les pavés, les graviers. Leur finesse les rend plus maniables et assure moins d’accroches au sol, moins de frottements et donc un gain en rapidité de circulation. En enfourchant ce vélo, l’usager adopte une posture de sportif. Le guidon recourbé et la selle assez haute font que le cycliste est légèrement penché en avant, ce qui permet de donner davantage de force dans les appuis et ce qui rend la conduite plus nerveuse. La tête rentrée dans les épaules et les bras légèrement pliés et crispés sur le guidon rendent les longues randonnées assez inconfortables. La rapidité de déplacement de ce vélo dont la transmission est conçue pour offrir de gros développements, ne permet pas d’apprécier pleinement les paysages. L’effort influence sur nos perceptions et notre attention à recevoir les informations sur ce qui nous entoure.

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3. VTT :

Nommé également Vélo de montagne, il est conçu pour absorber et résister aux chocs occasionnés par les divers terrains que l’on peut rencontrer. Un cadre robuste est primordial pour ne pas être brisé à la première secousse ou la première chute. Il se doit d’être léger pour limiter l’épuisement du sportif dans les pentes accidentées. Comme son nom l’indique, ce vélo est conçu pour passer sur tout type de sols : bitumes, sables, graviers, terres, roches, herbes, neiges, etc. Pour encaisser les contraintes des terrains accidentés (épines, vibrations, chocs) il est équipé de suspensions sur la fourche avant. C’est le minimum pour que la machine et notre corps supportent les secousses. Ensuite, les pneus de plus grosses dimensions et équipés de crampons, absorbent une partie des chocs et assurent une meilleure adhérence au sol. En revanche leur poids et les frottements font ralentir la cadence par rapport au vélo de course. Une particularité de ce modèle réside dans les leviers de freins et de vitesses qui, situés au guidon, peuvent être actionnés rapidement du bout des doigts en cas d’urgence, sans perdre la maitrise de la conduite. Le guidon est droit pour faciliter la tenue en main. En vélo de course, il est nécessaire de gérer sa vitesse et d’appréhender le prochain virage. Le regard porte loin. Alors que pour le VTT, il est indispensable d’être attentif aux obstacles du terrain qui se présentent bien souvent à quelques mètres de la roue avant. La transmission se doit d’être courte pour faciliter les coups de pédales dans les pentes abruptes. L’inconvénient c’est que sur les plats, on a tendance à « patiner dans la semoule » comme on dit dans le jargon cycliste. Le vététiste, soit la personne qui pratique le VTT, adopte une posture dans laquelle le corps est légèrement plié, lui-même en suspension. L’usager semble prêt à bondir de sa selle, l’ensemble du corps est en tension, en symbiose avec le vélo et le terrain qu’il traverse. Le VTT demande pour la pratique des terrains accidentés d’avoir des épaules et des bras solides pour encaisser les chocs qui meurtrissent à la fois le vélo et le cycliste. Concernant la relation avec les paysages, il m’apparait être le moyen le plus approprié pour découvrir un territoire sans être limité. Très maniable, on peut regarder tout autour de soi et adapter parfaitement sa vitesse à la lecture que l’on souhaite des environs.

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4. Vélo couché :

N’ayant jamais utilisé ce modèle, je vais tenter une analyse de ce que j’imagine être la plus proche de sa pratique. Il s’agit là d’un vélo original qui possède un cadre robuste, destiné comme le vélo citadin, davantage aux chemins goudronnés ou stabilisés. Le guidon cède sa place à deux poignées fixées au niveau des cuisses. La grande caractéristique de ce vélo est que le cycliste se trouve installé en position assise, presque allongée. La selle cède sa place à un véritable siège avec un dossier pour maintenir le dos. Les concepteurs ont recherché une forme de confort. Effectivement, la position horizontale des jambes et la posture assise que l’on adopte offrent une poussée différente avec des appuis tout autres. Installé contre le dossier, la liberté de mouvement est plus réduite que sur une selle où le corps peut pivoter. Il est donc moins aisé de jeter un œil derrière son épaule. La perception du paysage environnant est bien différente de celle d’un vélo « traditionnel ». La position presque couchée, à moins d’un mètre du sol fait que le champ de vision est rasant ou dirigé vers le haut. Face à une haie arbustive, il ne faut pas espérer regarder par-dessus pour avoir la vue dégagée, mais chercher plutôt à regarder à travers si le feuillage n’est pas trop épais. Le fait d’être légèrement incliné vers l’arrière permet de porter le regard vers un horizon haut, en direction du ciel. Beaucoup de gens n’ont pas l’habitude d’observer les nuages, leur lumière, leur couleur, le vol des oiseaux, le passage d’un avion. Or ces éléments font partie des paysages. Michel CORAJOUD l’a écrit : « Le paysage, c’est l’endroit où le ciel et la terre se rencontrent ». En ce sens, l’horizon peut-être considéré comme une ligne de rencontre, un point de basculement entre les éléments ancrés de la terre et les éléments flottants du ciel.

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5. Vélo tandem :

C’est un vélo très robuste, avec des rayons renforcés aux roues pour supporter le poids de deux cyclistes. La poussée qui est développée en pédalant est décuplée par les deux paires de quadriceps et les deux paires de mollets. L’inconvénient de ce vélo, c’est qu’il fonctionne avec l’action de deux personnes qui doivent coordonner leurs mouvements pour ne pas se ralentir l’une et l’autre et prendre les virages de manière synchronisée. L’intérêt de se déplacer à deux en même temps, avec la même cadence, la même dépense d’énergie et en parcourant le même territoire fait qu’il y a un vécu commun qui se crée. Il est alors possible d’échanger des ressentis, de partager des émotions in-situ, de garder des souvenirs.

La liste qui vient d’être énoncée n’est pas exhaustive, elle permet d’avoir une idée des pratiques développées autours du deux-roues. .82

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L’EFFORT PHYSIQUE COMME iNSTANTANé DU LIEU

Comme il a été mentionné dans les parties précédentes, le vélo est un outil de déplacement qui répond à une force développée par le corps du cycliste. C’est une série de transmission d’ordres et d’exécution d’actions : Les quadriceps et les mollets poussent sur les pédales, qui par un système de manivelle, entrainent une rotation des plateaux avant, entrainant la chaîne, qui elle-même répand le mouvement de rotation aux pignons arrières, puis le répercute au moyeu de la roue…le vélo est lancé ! Cette succession d’action est le moteur pour avancer. L’équivalent du carburant pour faire fonctionner la machine corps-vélo, correspond au glucose et à l’eau pour les muscles, à la volonté de subir l’effort et au plaisir de la pratique. « (…) la bicyclette est un sport qui fait mal aux jambes, qui nécessite des efforts prolongés et de la patience ». Paul FOURNEL : Besoin de vélo – Récits.

Schéma de la relation CORPS - VELO - TERRAIN

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Enfourcher son vélo, c’est se préparer à subir le relief, à vivre le terrain. Chaque variation du socle est transmise dans l’ensemble de l’armature, puis dans le squelette humain. Une expérience toute simple que j’ai moi-même eu l’occasion de faire pendant l’exercice du diplôme, c’est de changer brusquement de revêtement de sol : passer d’une route bitumée à un chemin sur le bas côté en pavés ! On met peu de temps à sortir de nos pensées et se rendre compte à quel point les secousses qui font trembler tous nos membres peuvent être désagréables. Même la parole est prise de soubresauts. Nos mots deviennent des syllabes hachées : …d..d…des syy…syyyyll….syllaaa… syllabes… Ce genre d’aléas du terrain reste imprégné dans notre mémoire. Le paysage se vit de cette manière. On le perçoit, on le sent, on l’entend, mais c’est aussi entrer en contact avec lui, entretenir un dialogue permanent qui est conservé tant que l’on ne s’arrête pas. Descendre de son vélo pour grimper une côte, le porter sur une épaule ou bien se reposer les cuisses en marchant à ses côtés, sont toujours des actions qui permettent de ressentir le relief. Du moment que l’on utilise une bicyclette, il faut être prêt à fournir un effort, aussi minime soit-il, et subir une force opposée provenant de la réaction du vélo au terrain. .85


« Les changements d’activité et de position étaient très fréquents. Sur le plat, l’affaire n’est plus la même : on peut passer des cinq ou six heures sans s’arrêter de pédaler, sans changer de position, et des douleurs inédites apparaissent, des lassitudes sans exemples, des protestations d’épaules, des délicatesses de nuque ». Paul FOURNEL : Besoin de vélo – Récits. La relation à un territoire et à ses paysages par le biais du vélo, se traduit par des sensations. Elles se manifestent soit sous forme d’un changement d’état du caractère de l’usager, soit sous forme d’effort physique. Le vélo donne au cycliste la mesure du temps et de l’espace, évite les précipitations, réaffirme qu’on ne peut pas tout faire d’un coup, rappelle la fragilité de l’être humain. L’effort physique est la sensation qui laisse le plus de souvenirs, qui produit un « instantané des lieux ». Ce dernier que l’on grave en pédalant, est intéressant pour le paysagiste car il permet de parler en tant que connaisseur d’un terrain et c’est une manière d’emporter avec lui le site, de le ramener à son bureau. Le vélo s’avère être un excellent outil pour le travail de la mémoire. La liberté qu’il procure nous libère des énergies négatives, ce qui permet de faire le vide, de profiter du silence et du vent dans les cheveux qui nourrit notre cerveau de bouffées d’oxygène. Cela favorise la méditation et éclaircit nos réflexions. Enfin, il fabrique pour les muscles des jambes une quantité de rythmes de poussées et de résistances qui peuvent se traduire par autant de coups de crayons sur un morceau de calque ou une planche à dessin.

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LIENS AVEC LE PAYSAGE (références, imaginaire développé)

Moyen de déplacement mobile et rapide, le vélo permet d’être en contact intime avec l’environnement extérieur. Le rapport aux sensations qu’il procure en tant qu’usager, puis en tant qu’observateur non pratiquant, est depuis toujours décrit et représenté par le plus grand nombre d’auteurs et d’artistes divers. Les artistes éprouvent immédiatement une grande familiarité avec ce moyen de locomotion. Les formes de cadre, les couleurs, les reflets, les roues animées par le système de pédalier, le mouvement d’oscillation des pédales, etc. Ces effets constituent des éléments d’inspiration très riches. Le vélo inspire, il démultiplie la vélocité des auteurs, qui rêvent en pédalant et inventent des intrigues incroyables. Nombreux sont les littérateurs qui enfourchent allègrement leur bicyclette : Emile ZOLA, Marcel PREVOST, Alfred JARRY, Jules RENARD, Paul FOURNEL, … pour n’en citer que quelques un. Dans l’ouvrage d’Emile ZOLA (Les trois villes : Paris, 1898, livre IV, chapitre III, pp.408-430), il nous fait une description détaillée et sensible du lien avec le paysage. Pour écrire avec une telle justesse, l’auteur est forcément un cycliste : (…) Ils prirent le chemin d’Achères aux Loges qui se rétrécissait et montait, d’une intimité ombreuse. Ralentissant leur allure, ils durent pédaler sérieusement dans la côte, parmi les graviers épars. La route était moins bonne, sablonneuse, ravinée par les dernières grandes pluies. Mais l’effort n’était-il pas un plaisir ? « Vous vous y ferez, c’est amusant de vaincre l’obstacle… Moi, je déteste les routes trop longtemps plates et belles. Une petite montée qui se présente, lorsqu’elle ne vous casse pas trop les jambes, c’est l’imprévu, c’est l’autre chose qui vous fouette et vous réveille… Et puis, c’est si bon d’être fort, d’aller malgré la pluie, le vent et les côtes ! » Un des premiers poètes à chanter cet engin merveilleux est certainement Théodore de BANVILLE (recueil Occidentales, 1875, Triolets – Le Vélocipède)

Dessin crayons de couleur polychromos

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Moitié roue et moitié cerveau, Voici l’homme-vélocipède. Il va, plus docile qu’un veau, Moitié roue et moitié cerveau. Il se rit, animal nouveau, De Buffon et de Lacépède ! Moitié roue et moitié cerveau, Voici l’homme-vélocipède. .89


Il est aussi source d’inspiration dans la cinématographie, qui s’en empare très tôt pour le valoriser à travers de multiples scènes, bien souvent en arrière plan, mais jamais sans passer inaperçu : Marcel CARNE (Le jour se lève, 1939, avec Jean Gabin), Alex JOFFE (Les Cracks, 1968, avec Bourvil), Bruno DUMONT (L’Humanité, 1999), etc. Dans le long métrage Les Cracks, le vélo est la vedette, tout le scénario tourne autour de lui. Les plans vidéo réalisés concentrent l’attention sur la machine et le cycliste. Toutes les mimiques, les gestes et les conséquences (accélérations, pédalage, chutes) sont montrés dans le détail. Le paysage s’inscrit en fond comme un décor, pour asseoir l’homme et sa machine dans un contexte. Puis tout au long des séquences, le cycliste et le cycle vont se fondre dans le paysage, se mettre en scènes jusqu’à devenir indissociables : La caméra se déplace au rythme du cycliste qui chute de son vélo, offrant un cadrage qui rase le sol, qui nous fait presque entrer en contact avec la terre. Ces films qui mettent en scène la bicyclette et le monde du cycliste sous tous leurs angles, nous montrent bien souvent de manière ironique mais terriblement réelle, les bienfaits et méfaits procurés par les deux-roues. Des a prioris qui ne remplaceront jamais l’expérience concrète d’un coup de pédale.

Planche analyse du long métrage : Les Cracks, 1968

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LE VéLO AU SERVICE DU PAYSAGISTE

Ce propos amène deux questions fondamentales qui font l’objet de mon diplôme et sur lesquelles j’essaie de me placer : Qu’est-ce que le déplacement à vélo et le vélo lui-même peuvent apporter au paysagiste ? Comment la pratique du vélo peut-elle nourrir le projet ? Il me semble important aujourd’hui de nous poser ces questions non seulement parce que notre profession évolue, mais aussi parce que les enjeux actuels liés à notre planète nous forcent à la considérer avec plus d’attention. Les déplacements en véhicules sont moins sollicités, ceci au profit de l’usage du vélo ou de la marche. De nombreuses études dont une récente (Le vélo et les Français en 2012 - réalisée sur un échantillon de 5000 personnes, par le président du Club des villes et territoires cyclables) donne des constats encourageants sur l’utilisation croissante du vélo personnel et du vélo libre-service, non seulement pour les balades de loisirs et les balades sportives, mais plus particulièrement dans les déplacements quotidiens et utilitaires, pour aller chercher son morceau de pain, se rendre au travail, assister à un rendez-vous, etc. Le vélo sort de la marginalité pour entrer dans le quotidien, devenir presque un réflexe. Encourager la pratique du vélo pour se déplacer dans la vie de tous les jours nécessite de repenser les circulations sur des aménagements spécifiques, repenser les distances entre les services, les accès, la signalisation, ainsi que l’économie qui gravite autour de la pratique. C’est l’ensemble des professions de l’aménagement du territoire qui sont concernées par cette évolution des déplacements. La profession de paysagiste change avec les paysages, donc avec les mutations de la société. Qui sait, peut-être que demain nous croiserons nos collègues paysagistes, architectes, urbanistes, biologistes, agronomes, botanistes, … à bicyclette ! Il est indispensable de soutenir et d’accompagner les efforts mis en place par les collectivités et les élans poussés par la population. En tant que futur paysagiste et cycliste au quotidien, ce qui m’intéresse c’est d’arriver à trouver le fil conducteur entre les deux. Que l’un et l’autre se nourrissent mutuellement, que mon regard et le déplacement permettent de profiter des paysages, d’un site de projet. Pour ce faire, le vélo de base ne permet pas d’être complètement opérationnel. .92

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A travers les quatre années d’exercices de projets passées à l’ENSP de Versailles et les discussions avec les paysagistes intervenants, j’ai constaté qu’on passe bien souvent trop de temps assis derrière un bureau avec un écran d’ordinateur ou un rouleau de calque. Le terrain ne représente qu’une infime part de notre temps de travail. Contrairement à l’école où on nous recommande d’aller autant de fois qu’il est nécessaire sur le site de projet, dans la vie active, il en est autrement. Le manque de temps est une maladie symptomatique qui touche la majorité de la profession. La conséquence, c’est qu’on passe peu de temps in-situ, que les relevés sont souvent incomplets, nous forçant à jongler à droite et à gauche pour obtenir les données manquantes et se rendre compte qu’elles se superposent difficilement. Je pense pour les générations que nous sommes et les futures, qu’il faut réinvestir davantage le site, afin de rentrer vraiment dedans, de le comprendre, de le sentir, de le vivre pleinement. La naissance du projet en sera facilitée, ses évolutions plus enrichies et en concordance avec le terrain, et le projet lui-même sera plus cohérent. Sans revenir sur les apports du vélo, qui est le mode de déplacement adéquat et adapter à l’échelle des paysages, je me suis penché sur la recherche d’une forme de vélo qui répondrait le mieux aux besoins du paysagiste in-situ.

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Vers une forme idéale ... Cet outil doit permettre l’acquisition d’une autonomie sur le terrain. En vis-à-vis sur la page de gauche, est présentée une liste non exhaustive qui m’a permis de dessiner les outils à emporter avec soi in-situ. Elle recense les besoins matériels du paysagiste, sans oublier les besoins du cycliste…créer un outil pour le cyclo-paysagiste. Ce terme peut être défini de la manière suivante, à savoir : un paysagiste qui ne tient pas en place, qui est attiré par l’extérieur, qui ressent le besoin de rentrer dans un territoire, de s’y confronter physiquement pour le comprendre. Le vélo est sa seconde moitié qui lui assure l’autonomie du déplacement et des relevés in-situ. Le projet naît de leur étroite relation et de leurs rapports aux paysages. Le vélo idéal pour le paysagiste doit -être capable de s’adapter à tous les types de terrains: pentus, plats, rocailleux, lisses, boueux, sableux, glissants, etc. Il doit pouvoir transporter le matériel nécessaire à un état des lieux précis du site, quelque soient ses dimensions. En cas des grandes distances, il doit permettre d’être parfaitement autonome et pouvoir passer une nuit ou plusieurs sur place. Enfin, ce moyen d’itinérance doit être respectueux des paysages traversés, c’est-à-dire ne pas laisser de traces pérennes de son passage et ne polluer d’aucune manière. Ces conditions requises me semblent nécessaires pour ne pas entraver le milieu. On doit pouvoir se fondre dans l’environnement, passer inaperçu pour la biodiversité et les paysages. Cette forme de respect est fortement appréciée des habitants locaux, qui reconnaissent là, une estime de leur présence, de leur travail, de leur milieu de vie. Tout cela encourage les échanges de dialogues et enrichissent fortement notre connaissance des lieux et du projet. Habitants - Paysages - Elus sont les éléments nourriciers des projets.

Notes sur les besoins du paysagiste pour travailler sur site

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Pour produire une esquisse de l’outil idéal, j’ai confronté à la recherche des besoins du paysagiste, ma propre expérience de la traversée du Val de Loire. Cette dernière m’a permis d’établir divers constats sur la posture du cycliste, la conduite du vélo, la gestion de l’effort sur de longues distances, l’encombrement des bagages, l’accès aux matériel de prise de notes. Le vélo qui me semble le plus abouti pour le moment et le plus à-même d’accompagner le paysagiste dans ses sorties, regroupe les points suivants : - LEGERETE pour le cycliste, qui doit être libre de ses mouvements. Eviter le portage de sac à dos afin de réduire la fatigue musculaire des épaules et du dos. - MATERIEL DE PRISE DE DONNEES à portée de main, pour éviter d’avoir à chercher dans ses sacoches et perdre du temps. - PORTAGE du matériel de travail, de camping et les vivres à l’arrière du vélo pour faciliter la conduite et assurer un meilleur équilibre. - SURFACE PLIANTE sur laquelle pouvoir s’appuyer pour travailler, esquisser, organiser des discussions, prendre ses repas. - TUBE pour ranger les documents roulés de grandes dimensions. - ADAPTE aux saisons. Le chargement sera différent entre l’automne où la fraîcheur qui sévit nécessite du matériel plus chaud et plus encombrant, qu’en période estivale.

Les pages suivantes détaillent quelques planches de recherches .

Recherche de formes pour l’outil idéal

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Caméra pour vidéos Pince pour maintenir les feuilles Dictaphone pour les sons Pied télescopique pour régler la hauteur de prise de vue Roulette pivotante pour stabiliser le vélo à l’arrêt Tube PVC pour ranger les plans roulés, parapluie, calque ... .100

Armature acier pour souder les éléments, les rendre plus solides Attention au poids Les roulettes viennent également soulager la direction Roulettes pour stabiliser le vélo et le transport du matériel Tablette de travail dépliante. Fixée sur porte-bagage Chaine démontable pour compartimenter .101


Durant la phase de recherche, j’ai réalisé un travail en maquette. Fabriquer un vélo miniature permet de mieux cerner sa forme, son fonctionnement et ses dimensions. La maquette m’a été utile pour vérifier que la table pliante que j’avais dessiné auparavant, s’incrustait bel et bien dans le cadre de vélo. De manière générale, le travail en volume permet une approche faussée de la réalité qui offre néanmoins l’avantage de pouvoir jouer avec les échelles, les matières et les textures.

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Outil développé : ma planche à dessin Suite à mon aventure au fil de la Loire, j’ai été déçu de ne pas avoir fait plus de croquis, pris plus le temps de m’arrêter et de relever des choses. J’ai décidé que pour les prochaines sorties sur mon site de projet, il me faudrait être équipé d’un support qui me facilite la prise de notes, sans avoir à descendre de mon vélo. J’ai donc concrètement fabriqué une planche à dessin, qui se fixe sur le guidon, permettant ainsi d’avoir devant soi, une surface lisse pour dessiner, écrire, lire une carte. Pour justifier davantage l’intérêt de venir équiper l’avant du vélo et ne pas se servir uniquement de la surface pour poser des feuilles de papier, j’ai ajouté un trépied sur lequel on peut fixer une caméra ou appareil photo pour faire des prises de vues et des films, puis une pince sur laquelle on peut ajouter un dictaphone pour enregistrer des ambiances sonores.

VTT équipé de la planche à dessin

Equipé de cet outil, mon état des lieux sur le site de projet a été amélioré. J’ai pu ramener en atelier davantage d’informations prises sur le vif. Les coups de crayons donnés sur l’instant sont toujours plus sensibles que ceux repris au bureau ou simplement quelques heures après. Sur l’instant, le site nous traverse, notre sensibilité est accentuée car l’ensemble de nos sens sont en éveil. L’effort du vélo est encore inscrit dans la mémoire de nos muscles de jambes, le coeur battant à tout rompre, le souffle saccadé, des gouttes de sueur perlant sur le corps entier. Ces états physiques et mentaux conditionnent notre coup de crayon. Le trait qui en découle traduit cette humeur du moment. Développer cet outil était un travail intéressant dans la phase de recherche et d’esquisse, puis dans son usage réel sur le terrain.

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VéLO AU SERVICE DU PROJET DE PAYSAGE

Rapport au terrain, au territoire, aux habitants… le vélo permet de s’imprégner de tous les composants d’un milieu. Il assure le rôle parfait de médium entre le terrain et la feuille de calque, il permet le va-et-vient entre les deux. Son utilisation en amont du processus de projet est pertinente puisqu’elle permet de gagner du temps et de l’efficacité dans la collecte d’informations sur le site, dans sa compréhension et son analyse. Acquérir de l’autonomie permet de passer quelques jours supplémentaires à l’extérieur et réduit la durée de réflexion pour la phase de recherche. L’immersion complète que procure le vélo dans un milieu, permet de gagner en réflexion, en inspiration et en production une fois la phase d’esquisse entamée. Le ressenti se communique par les coups de crayons puis par les idées qui sont dessinées. Faire du terrain c’est avoir des idées plus enrichies, des intentions mûries plus rapidement et un projet inscrit sensiblement dans son territoire. La planche à dessin que j’ai fabriquée, s’inscrit dans cette démarche d’enrichissement du projet par le biais du terrain. Après avoir effectué ce trajet de 470 km sur la piste cyclable Loire à vélo, j’ai relevé certains points à problèmes, qui m’amènent à une critique plutôt négative de l’itinéraire. Je ne remets pas en question le choix de l’implantation de son tracé, des choses qu’il amène à découvrir, car il a toute sa légitimité. Seulement, par rapport à mon regard de paysagiste et de cycliste en VTT, je constate que la Loire à vélo, sur la majeure partie de son itinéraire, n’offre pas la possibilité de : - Sortir du tracé linéaire, bien souvent monotone, pour traverser dans l’épaisseur le Val de Loire. - Rentrer davantage dans l’intimité du Val, en empruntant un itinéraire qui traverse des ambiances plus rythmées : milieux plus humides, alternances d’espaces ouverts/fermés, découverte de motifs paysagers remarquables, etc. - Emprunter d’autres revêtements que les bitumes et bétons désactivés. - Jouer avec des variations du relief : alternances de montées, descentes, faux plats, bosses, creux. - Laisser tomber un balisage trop marqué et trop présent, qui oriente le parcours et ne laisse guère la liberté de choisir son trajet et de place pour l’aléatoire. - Jouer avec le terrain et tout ce qu’offre l’environnement extérieur. Pratiquer le terrain pour le révéler

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Mon projet est né de ces constats, cultivés et enrichis au fil de mon expérience du terrain, de la traversé de ce vaste territoire et de l’envie de faire partager ce dernier en proposant un itinéraire secondaire, plus «paysager».

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De Langeais à Tours, entre Loire et Cher

Le site qui me sert de terrain d’expérimentation, pour mettre à profit mon outil à vélo et dessiner mon projet se situe sur une portion de territoire du Val de Loire, en aval de Tours. Cette portion s’étend jusqu’à Langeais sur une trentaine de kilomètres, d’Est en Ouest. La Loire symbolise une ligne de démarcation entre la rive gauche, où passe la Loire à vélo, et la rive droite. La piste cyclable qui poursuit son tracé linéaire, se détache complètement du fleuve au niveau du Bec du Cher, pour suivre le Cher jusqu’à l’entrée dans l’agglomération de Tours. On perd le fil de la Loire pour complètement l’oublier . Concernant l’itinéraire, il reste encore une fois bien linéaire, rythmé par quelques passages en lisières de boisements et par des escapades touristiques : Château et jardins de Villandry, Azay-le-Rideau, coteaux viticoles, gastronomie. Le paysage est traversé sans être révelé ! Pour dire quelques mots sur les paysages du site, le fleuve possède un lit majeur délimité par les deux levées, composé essentiellement de terres cultivables et pâturables. La particularité de ce site réside dans sa géomorphologie, avec ses deux coteaux remarquables qui forment un étau dans lequel est encaissé la Loire, le Cher et les plaines agricoles. On se retrouve ainsi avec une rive gauche plus densément marquée par l’agglomération de Tours et la présence de lieux touristiques, alors que la rive droite reste quant à elle un lieu de passage, dont l’urbanisation a été limitée par le coteau plus franc dans lequel est venu s’installer des habitats troglodytiques. En vis-à-vis est représenté l’itinéraire Loire à vélo en rouge, sur les bords de la rive gauche, puis l’itinéraire projet que je propose sur la rive droite, en pointillés jaunes. .108

Carte sensible des paysages

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Ce que je propose à travers mon projet, c’est d’investir la rive droite en créant un itinéraire «baroudeur», qui amène à entrer dans l’épaisseur du Val de Loire et aborder les paysages de manière plus rythmée, plus ludique que le parcours emprunté par la Loire à vélo. Cet itinéraire en projet, offre au choix la possibilité d’effectuer une boucle d’environ 60 km ou simplement de changer de rive pour se retrouver plonger dans l’intérieur du Val-de-Loire. Le choix du tracé s’est fait par la confrontation d’une lecture sur carte d’éléments remarquables et du relief, puis par des vérifications in-situ des perceptions, des ambiances, de la difficulté du parcours. La philosophie de ce projet, c’est de venir se greffer au mieux sur le terrain existant, afin que l’itinéraire n’impacte que très peu les milieux qu’il traverse. Le rythme qui diffère de celui de la rive gauche amène l’usager qu’il soit cycliste de passage ou habitant, à jouer avec le Val aussi bien en longueur qu’en épaisseur. Cet itinéraire invite à longer sur quelques kilomètres le fleuve, s’en détacher pour rejoindre le pied du coteau et profiter de la situation de balcon sur le lit de la Loire et la rive gauche, découvrir tout un panel d’habitats troglodytiques, grimper une côte pour plonger au milieu des champs, pénétrer dans un milieu boisé, sentir la fraîcheur de l’ombre, les odeurs de la litière sous les cimes des arbres, descendre une route en lacets avant de rejoindre une petite vallée, nouer le contact avec les riverains, etc. Ce projet issu de l’autonomie acquise par le vélo et conforté par l’utilisation de la tablette à dessin, est un appel à l’exploration du territoire.

Intentions de projet : un itinéraire paysager en rive droite

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Travail dans l’épaisseur du territoire

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La démarche pour aboutir au choix du tracé de l’itinéraire, c’est fait par un premier repérage en atelier, à l’aide d’une carte IGN au 25 000 ème. Elle offre un minimum d’informations de terrain. Ce que j’ai recherché, c’est du rythme avec des variations du relief et des ambiances paysagères. Sur la carte, cela se traduit par les courbes de niveau et les légendes colorées des milieux boisés, agricoles, aquatiques, etc. Suite à cela, je suis parti arpenter le terrain de long en large, en suivant les relevés de la carte. Cette vérification insitu s’est avérée indispensable puisqu’elle permet une première piste de projet à venir enrichir et conforter. De nombreux allers et retours sur le terrain ce sont avérés nécessaires pour bien lire le site, faire une sélection dans la diversité des milieux présents, déterminer lequel serait le plus pertinent à cheminer et le plus remarquable. Le vélo a prouvé son utilité dans cet arpentage des lieux et dans cette phase de projet. Il a permit en peu de temps, ce qu’a pied il n’aurait pas été possible de réaliser. La tablette à dessin a servie de support à la carte ci-contre, pour relever les perceptions depuis l’itinéraire dessiné, les ambiances, les éléments remarquables, les vues intéressantes pour la compréhension du territoire, les difficultés de la piste.

Des paysages parcourus dans l’épaisseur. Leur diversité dévoilée.

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LE PROJET D’UN ITINERAIRE DE TERRAIN

La série de coupes et photos suivantes vous invite à plonger dans le territoire tel que perçu par le cycliste, en empruntant une succession de 13 tronçons remarquables.

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Des espaces de transition entre l’agglomération tourangelle et les plaines alluviales. La densité du bâti s’affaiblie. L’usager est à proximité du fleuve, sans pour autant entrer en contact avec. Il est observateur. .115


En poursuivant son chemin, l’usager se retrouve dans une situation de pied de coteau. Le relief fabrique un belvédère qui permet de surplomber les prairies. .116

Cet espace apparait comme un lieu phare du parcours puisque c’est un point culminant, dont le relief est bien visible. La butte invite à prendre de la hauteur, à s’élever pour découvrir caché dans un écrin de verdure, un magnifique verger dominant une prairie de fauche. .117


Arrivé dans des paysages qui s’élèvent sur un vaste plateau, milieux ouverts, aérés, avec un horizon qui varie au gré de l’avancée. Cette esplanade exprime une forme de ruralité. .118

En sortie de forêt, l’usager débouche dans cet espace respirant et lumineux qui permet de faire le plein d’oxygène avant de repartir. Un milieu qui amène à ralentir sa course, à sortir le nez du guidon pour apprécier les environs. .119


Ils correspondent à une série de virages qui fabriquent avec la vitesse du vélo, des paysages ondulants. La position légèrement encaissée de la route entre le champ de céréales et la lisière accentue l’effet de vitesse et de défilement. .120

Un passage surprenant sous un couvert boisé qui forme un abri naturel. Les passages d’entretien de l’épareuse provoquent cette forme de voûte qui guide le regard droit devant. Un point de fuite, un échappatoire qui est accentué par les lignes directrices des motifs composants le paysage. .121


La tonnelle amorce la plongée dans la petite vallée du Breuil, où s’alternent milieux ouverts et milieux fermés, avec des structures verticales marquées par les troncs d’arbres qui créent des jeux de lumières. .122

La traversée de Cinq-Mars-la-Pile se fait par des ruelles étroites qui forment un goulot dans lequel on entre pour découvrir l’architecture locale, pouvoir faire une halte en chambre d’hôte, se restaurer et se reposer. .123


Située en sortie du bourg, la Pile est un ancien vestige romain qui symbolise à la fois un point de repère visible depuis les bords de Loire et un belvédère qui offre une vue panoramique sur le fleuve et le coteau opposé. .124

L’usager est plongé dans le lit majeur, en pied de levée. Cette position le protège de la circulation routière. Cet entre-deux amorce une approche du fleuve, sans pour autant pouvoir le voir ou le toucher. .125


Il faut poursuivre son chemin jusqu’à tomber sur le point de rupture des terres. Une image un peu chaotique des berges érodées par les caprices du fleuve. A cet instant on entame un contact avec la Loire. .126

Le contact est alors renforcé sur le dernier tronçon de l’itinéraire. Cette ultime portion amène à dialoguer avec le fleuve, à le toucher, le découvrir dans son intimité. La Loire cachée qui a été abordée précédemment prend ici tout son sens et se dévoile. .127


Le site de la Butte

EXISTANT

En vis-à-vis, l’itinéraire pour se rendre à la Butte amène le cycliste à passer devant des anciennes caves troglodytiques laissées à l’abandon. Ces espaces constituent de véritables abris en cas d’orage ou pour chercher un peu de fraîcheur. Il m’apparait nécessaire de les révéler davantage en les requalifiant non plus en état de ruines, mais comme points de haltes sur l’itinéraire. Les interventions à effectuer sur le terrain consistent à venir dégager l’entrée en amassant les pierres et éboulis qui peuvent être réutilisées pour marquer l’entrée, puis en venant effectuer un débroussaillage des parties enfrichées.

LE PROJET CONCRET

L’intérêt de cet itinéraire c’est de travailler le plus avec les potentiels du site. Tout est déjà en place, ce qu’il manque c’est savoir où regarder, quel milieu privilégier plutôt qu’un autre, comment amener du rythme et de la diversité en proposant un parcours sans obstacles ou presque, évoluant au fil des saisons. Un parcours qui propose une vision paysagère du Val de Loire, venant compléter celle offerte par la piste Loire à Vélo. La question de la saisonnalité intervient principalement en hiver et au début du printemps, où il arrive que l’itinéraire soit partiellement immergé. Ces aléas rendent le parcours plus dynamique, on ne sait pas si 5 km plus loin le passage sera accessible, auquel cas il faudra s’aventurer sur un autre chemin pour contourner l’obstacle. Les interventions ponctuelles qu’il est nécessaire de réaliser pour rendre l’itinéraire opérationnel et le révéler aux yeux des usagers requiert peu de moyens financiers et matériels. Ce sont essentiellement des tâches d’entretien (tailles, tontes, élagages) qu’il faut mettre en place de manière régulière et ciblée sur le tracé de l’itinéraire.

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EXISTANT

Traversée forestière

La forêt est un milieu frais qui apporte du charme à l’itinéraire. Le milieu cloisonné par les troncs d’arbre se parsème de tâches lumineuses lorsque les rayons du soleil viennent percer le couvert des houppiers. Le tracé doit être marqué par une fauche rase et régulière, afin de limiter l’impact sur les écosystèmes et de ne pas dénaturer les lieux.

EXISTANT

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Les Bords de Loire

L’accès aux bords du fleuve nécessite de prendre en considération pour le passage de l’itinéraire, de venir aménager les abords du pont pour sécuriser l’espace en cas de crues. Je propose ici de nettoyer le pavage existant pour dessiner le cheminement et installer une jambe de force pour la sécurité des usagers.

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PROJET


LA BALISE REPèRE

Pour se repérer sur mon itinéraire, je ne voulais pas encombrer davantage les paysages avec des panneaux verticaux qui bien trop présents à mon goût et qui conditionnent notre approche des sites. On perd la liberté de découverte, l’effet de surprise disparait. Mon choix s’est donc porté sur une balise-repère, de petites dimensions : 60 cm de haut. Son implantation est nécessaire aux croisements ou à proximité d’éléments remarquables, comme par exemple les arbres isolés qui jalonnent le parcours : Noyer, Chêne, Frêne. L’inspiration pour créer la silhouette qui sera le symbole, la mascotte de l’itinéraire s’inspire directement de la forme d’un arbre.

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Pour conclure ...

Je dirai que mon projet s’inscrit dans le site du Val de Loire sous la forme d’une empreinte de vélo qui n’est pas immuable, que la Loire peut reprendre à tout moment. Intervenir sur un site de projet de cette manière c’est le respecter lui et les gens qui y vivent. Le vélo qui a été d’abord un moyen de déplacement à muté en un véritable outil de terrain au service du paysagiste. Sa relation au projet se fait en amont par l’approche du terrain, il permet d’enrichir des idées, de développer des concepts vérifiables directement in-situ et de fonder le projet. Pour moi, futur paysagiste, le vélo s’est avéré être mon atelier de travail ambulant, me permettant d’emporter le site.


RéCIT DE VOYAGE D’UN CYCLO-PAYSAGISTE

Un paysagiste à vélo sur les bords de Loire 470 kilomètres parcourus le long de la Loire, en empruntant la piste cyclable balisée. La découverte d’un territoire façonné par l’homme mais gouverné par son fleuve. Ce court récit de voyage est un moyen pour moi de partager mon aventure, ma sensibilité, mes découvertes. Des mots pour des souvenirs...


Des coups de pédales avec en tête un diplôme, la fin d’une scolarité et la naissance d’un paysagiste. Pour tous ceux qui m’ont soutenu et fait confiance, me permettant d’avancer comme je l’ai souhaité. Je leur dois ces quatre années à l’ENSP de Versailles. ...

L’envie de bouger, de me déplacer, de voyager. Je ne ressentais pas nécessairement le besoin de partir loin, la France possède de magnifiques territoires que j’aimerais explorer davantage. Pour moi, ce diplôme est l’opportunité d’exercer mes connaissances acquises durant ces quatre années passées à l’école, sur un terrain concret. C’est également l’occasion de vivre une véritable aventure, une expérience en soi. J’aurai découvert un territoire et des paysages que je ne connaissais pas et qui se seront livrés à moi, un peu plus, à chaque coup de pédale supplémentaire.

Merci à eux et bon voyage !

J’espère au travers de ces quelques pages vous transmettre l’aventure humaine et sensible que j’ai vécue.


Vendredi 21 septembre 2012 C’est également la chance de pouvoir mêler plaisir du parcours, de la découverte avec une réflexion poussée sur les paysages traversés. Pour cela, le vélo apparaissait comme l’outil idéal pour me déplacer. Adaptable à tout type de sol, d’une grande facilité de transport et permettant de parcourir de plus grandes distances qu’en se déplaçant à pied. Le vélo permet de traverser un territoire en ressentant les kilomètres parcourus dans les jambes, en vivant le terrain et en permettant aussi d’apprécier du regard, le lent défilement des paysages environnants. A travers ce récit, j’essaie de vous faire vivre mes ressentis, mon vécu personnel de cette aventure le long de la Loire. Je souhaite vous transmettre les émotions perçues aux regards des paysages traversés. Ce diplôme réalisé sur les territoires de la Loire est un enrichissement personnel, un véritable parcours initiatique pour ma pensée paysagère et une opportunité pour des projets futurs à la sortie de l’école.

Versailles - Nantes (2h30 de train) Nantes - Les Ponts-de-Cé (104km)

Jour J - La nuit a été courte ! Les préparatifs de la veille m’ont tenu en haleine. Penser à tout, ne rien oublier… opinel, lampe torche, gamelle, réchaud à gaz, serviette, matelas, sac de couchage, tente, PQ, lunettes, casque, veste imperméable, kit de rustines, pompe, appareil photo, carnets, stylos, crayons, barres de céréales, conserves, jus d’orange, eau, papiers d’identité. J’ai bien fait de rédiger une « check-list », bien pratique pour s’assurer que tout est dans le sac. Malgré cela, un doute est présent. Et si j’oubliais quelque chose ? Est-ce si important après tout ? Les premiers kilomètres me feront vite oublier les doutes et de toute manière, une fois lancé je ne pourrai plus faire machine arrière.


5h - Je claque la porte de l’appartement…

Le départ à vélo depuis mon appartement…un élan de liberté ! Je sors de mes 15 m² pour me retrouver confronté dans un premier temps aux boulevards versaillais qui ne sont rien en comparaison avec ceux de Paris, mais qui suffisent amplement à décourager une balade compte tenu de leur linéarité monotone. Les Tilleuls s’enchainent le long du boulevard. Le calme qui règne sur la ville à cette heure matinale est vraiment appréciable. Peu de véhicules, un air qui ne sent pas encore le gasoil et l’odeur d’embrayage cramé, seuls quelques silhouettes marchant d’un bon pas viennent croiser mon itinéraire sans même me remarquer. Tiens, cela me rappelle qu’il faudrait peut-être que je m’active un peu. Je donne de bons coups de pédales pour ne pas arriver en retard à la Gare des Chantiers Déjà à 5h45 des gens s’activent pour prendre les premiers départs pour le centre parisien. La rue des Etats Généraux commence à exhaler des odeurs sucrées de viennoiseries. Les boulangers se hâtent derrière les fournées. Ca y est ! L’agitation citadine commence à s’éveiller. Bientôt des dizaines de personnes bondiront et s’agiteront en tous sens, se rendant à leur lieu de travail, d’étude, de recherche, de repos.

Je m’installe sur le quai, vérifie une dernière fois de ne rien avoir oublié…toujours le doute du dernier moment, celui qui va me poursuivre jusqu’à la fermeture des portes de la « voiture 11 » D’ailleurs, la matinée va débuter avec un petit aléa… les portes du train de 6h01 qui se referment devant mon nez…j’ai été trop lent ! Heureusement, j’avais prévu le coup en arrivant plus tôt, j’attendrai et prendrai donc le suivant 15 minutes plus tard. L’arrivée en Gare de Montparnasse se fait sans problèmes, malgré le poids du vélo, la descente s’effectue rapidement, ce qui me permet d’arriver dans les temps sur le quai n°9 pour embarquer à destination de Nantes. Le trajet en train me permettra de vérifier mon parcours sur les cartes et de profiter du défilement des paysages. Alternance répétée de champs céréaliers récoltés, labourés ou ressemés, puis de grandes étendues de prairies bocagères. A pleine vitesse, les perceptions que l’on a des paysages apparaissent déformées, aplanies, avec des formes et des couleurs qui s’unissent puis se brouillent. Vers 8h30, un voile de brouillard émerge peu à peu du sol, s’élevant jusqu’à la cime des arbres et offrant avec le soleil qui se lève également, un spectacle pittoresque remarquable. Mieux qu’une boisson énergisante, ce


petit coup de chaleur naturelle me donne de l’énergie et de la motivation.

A vrai dire, je suis impatient de poser pieds à terre et enfourcher mon vélo.

Des points d’arrêt ont été aménagés, matérialisés par des bancs en pierres ou en bois. Hélas, pour la majorité il ne reste rien des points de vue qui ont été refermés par la végétation spontanée, notamment celle constituant la ripisylve. J’ai rencontré quelques cyclistes. Etant donné l’arrivée de l’automne et donc un climat plus froid et plus humide, souvent incertain, leur nombre est peu élevé…les plus courageux ou tout simplement ceux qui ont le temps de visiter la région sont de sortie. Cela me rassure et m’enthousiasme de voir que je ne suis pas seul à parcourir ces pistes cyclables, que d’autres personnes s’aventurent elles aussi. Les paysages traversés me laissent perplexe, récompensant amplement les efforts fournis. La Loire renferme un formidable cortège faunistique et floristique, ainsi qu’une grande diversité de milieux : marais, canaux, îles, bancs de sables, étangs, zones humides, prairies inondables.

L’arrivée à Nantes se fait sans faute, dans les temps. Non pas que le timing soit une contrainte à respecter, mais ayant tracé un itinéraire avec des points de couchage précis, je dois tout de même garder un œil sur la montre pour arriver avant la fermeture des campings. Passer les nuits à la belle étoile ce ne sera pas pour cette fois. Fin septembre le climat peut vite changer et tourner à l’orage avec des nuits plutôt fraîches. C’est ce que je constaterai rapidement dès le lendemain matin. … la Loire est un fleuve qui change de face rapidement. Pleine de caractère, tantôt lente, douce et de grandes dimensions, elle peut être chamboulée quelques kilomètres plus loin pour apparaître plus agitée, plus vive, à l’image d’un torrent. Son lit ne peut être « bordé », car il est sans cesse en déplacement, creusant plus encore ses méandres, grignotant davantage les berges déjà érodées et bien souvent transformées en « plages » de graviers et de sables.


J’aimerais m’arrêter et prendre le temps de contempler toute cette vie. La distance qui sépare la piste cyclable du cours d’eau donne l’avantage de pouvoir observer les multiples espèces d’oiseaux sans les déranger ou les effrayer. Cette position privilégiée d’observateur permet de suivre le déplacement du Héron cendré ou de l’Aigrette Garzette, ainsi que les scènes de chasse du Grand Cormoran. Pour espérer observer le temps de son envol le Guépier d’Europe ou le Martin pêcheur, il est nécessaire de s’aventurer hors de la piste balisée. Le sentiment de liberté est alors plus fort à l’approche des berges. Sur les 104 km qui séparent Nantes de Les-Pontsde-Cé, je n’ai côtoyé que trois aires de « pique-nique » équipées de sanitaires et tables-bancs. Effectuant le parcours en solitaire, cela ne m’a guère posé de problème pour les pauses casse-croûte. Je préfère amplement avoir le choix de l’endroit où m’arrêter et ne pas risquer de tomber sur une aire de pique-nique surbombée de vacanciers. Cependant, pour les familles ou groupes qui recherchent un minimum de confort, je dois dire qu’il est nécessaire de bien pédaler pour trouver un coin de repos aménagé.

Arrivé à Pont-de-Cé, je m’adresse à un promeneur pour demander l’adresse du camping. Ce dernier m’annonce qu’il se trouve peu après la sortie de ville. Me voyant chargé, il me conseille un hôtel situé à quelques pas. N’ayant pas pris cela en compte dans mon budget et la pluie s’étant stoppée depuis quelques heures, je poursuis vers le camping. C’est donc décidé, ce soir sera la première nuit sous la tente. L’avantage d’être hors saison, c’est que j’ai le luxe de choisir mon emplacement. Etant donné que le temps redevient menaçant, j’établirai mon campement entre deux arbres, pour m’isoler un minimum en cas de grosses averses. Repas de fortune avec mon réchaud et mes conserves. 19h30, la fatigue me gagne déjà, je ne pense pas tenir éveillé encore très longtemps. Une bonne nuit de repos et je serai en pleine forme pour le lendemain matin.


Samedi 22 septembre 2012

Les Ponts-de-Cé - Cinq-Mars-la-Pile (84,5km)

La nuit qui semblait longue a finalement été écourtée à plusieurs reprises par le froid et le sol dur malgré le matelas de camping. Dormir en tente implique un certain nombre de désagréments à cette époque de l’année, mais il me faudra néanmoins m’en accommoder pour les nuits suivantes, l’essentiel étant tout de même d’avoir un toit pour dormir. 7h45 mon réveil retentit, je me lève avec plutôt une bonne mine et pas de courbatures. Première opération, j’allume mon réchaud et verse dans ma gamelle trois tasses d’eau pour me préparer un petit café soluble. Un bon petit déjeuner pour attaquer les kilomètres, surtout les premiers qui sont les plus durs le temps que les muscles se réchauffent et prennent le rythme. Le vent qui se lève n’annonce rien de bon pour la journée. Effectivement une petite averse vient me sortir de mes pensées. N’ayant personne avec qui parler pendant le trajet, je passe le temps à réagir sur ce que je vois, à chantonner à tue-tête.

Les coups de pédales sont vite oubliés et deviennent automatiques. Le corps répond à un besoin presque naturel d’effectuer le mouvement du pédalier, ma vue évoluant sur le paysage qui défile pour ralentir ou au contraire accélérer la cadence. Le vélo offre une perception dynamique des environs. Notre déplacement anime le paysage qui nous entoure, le fait se déplacer. Comme c’était le cas dans le train avant mon arrivée, les éléments qui composent les paysages s’animent, se mélangent, se transforment. Le déplacement apporte une mise en scène, une forme d’art qui varie d’intensité en fonction de l’outil utilisé. Ainsi une succession de champs et prairies apparaitra plate, linéaire pour celui qui se déplace en train ou en véhicule motorisé. Tandis que pour une personne à vélo ou à pieds, entre les parcelles se dessineront les clôtures, les haies, les fossés qui viendront rythmer la lecture des paysages. Le parcours traverse des communes aux noms célèbres donnés par ses vins: Saumur, Chinon, Sancerre, … Autant de saveurs que les visiteurs prennent le temps de déguster et savourer. En arrivant à Saumur, je suis surpris par le bain de foule dans lequel je suis plongé. Jour de marché, le centre est rempli de stands et des gens se croisent dans tous les sens.


Je descends donc de mon vélo pour me frayer un chemin. A mon passage prês d’un stand, une bande de jeunes m’interpelle pour m’encourager et me féliciter tel un coureur du Tour de France qui vient de terminer une étape. Cette pointe d’humour me fait sourire, il se dégage de cette ville une ambiance chaleureuse, presque festive. Quelques mètres plus loin, je m’arrête pour consulter la carte de l’itinéraire. Un cycliste vient m’aborder. Il s’agit d’un anglais qui profite de ses vacances en France pour réaliser une partie de la Loire à vélo. Bien sympathique et aussi enthousiaste que moi de tomber sur un « collègue », nous bavardons 5 à 10 minutes. Il m’annonce qu’il emprunte la piste cyclable en suivant l’itinéraire touristique à la lettre, s’arrêtant dans les parcs et jardins, les villages et les châteaux qui bordent la Loire. Son quotidien se résume à pédaler entre 20 et 40 kilomètres pour profiter de multiples visites et dégustations. Reprenant sa route, il me souhaite bien du courage dans mon aventure. A mon tour je repars. Je prends la route départementale D947 qui alterne avec des traversées de lieux-dits. La Loire s’éloigne de la route, se dissimulant dans un écrin de végétation abondante.

J’arrive en fin de journée à Langeais, point de halte pour dormir. Hélas, lorsque je m’adresse aux chambres d’hôtes, il s’avère que toutes sont réservées pour le weekend à l’occasion d’un mariage. Fatigué par le trajet, je prends mon courage pour parcourir les 5 kilomètres me séparant du prochain village où d’autres chambres d’hôtes sont disponibles. Je suis accueilli à Cinq-Mars-la-Pile dans une charmante demeure datant du XIXème siècle. Le couple de grands-parents très serviable, m’installe à l’étage dans une de leurs chambres et propose de mettre mon vélo à l’abri dans le garage. Ce sera pour lui une nuit de confort, protégé de l’humidité. Je sors me promener dans les ruelles, découvrant de belles architectures et un petit café au pied de l’église. Je décide de prendre un petit verre de vin rouge du pays. Après tout, pourquoi déroger à la règle ? Après l’effort le réconfort ! C’est dans un bon lit, au chaud et au sec que je passerai la nuit.


Dimanche 23 septembre 2012

Cinq-Mars-la-Pile - Blois (97km)

Une nuit de repos digne d’un palace. Les muscles de mon dos se sont décontractés du fait d’avoir dormi sur un bon matelas. Je réunis mes affaires et les range par ordre d’importance dans les sacoches. Les vêtements de pluie doivent rester à portée de main, la nourriture pour le midi ensuite. Après m’être passé de l’eau sur le visage pour apparaitre tout frais et finir de me réveiller, je descends prendre le petit déjeuner. Je suis accueilli dans la salle à manger par mes hôtes. Une somptueuse table garnie de vaisselle en porcelaine et de victuailles m’attend. Trop de luxe pour moi. La vaisselle ornée de motifs et gravures en tout genre, me font penser à une mise en scène burlesque. Mes hôtes entament la discussion et me précisent qu’ils aiment bien faire le tour des brocantes pour dénicher toutes sortes de vaisselles et bibelots décoratifs. Voilà qui explique la décoration mondaine des lieux. J’attaque un petit déjeuner copieux qui m’apportera toute l’énergie nécessaire pour reprendre la route : croissant, pain frais avec beurre et confitures maison, salade de fruits frais, jus d’orange et café.

Depuis Langeais j’étais mis à distance de la Loire. Après quelques kilomètres, je me retrouve à suivre son cours. Cette portion de territoire est classée au Patrimoine Mondial de l’UNESCO. Le fleuve dévoile des paysages plus sauvages, avec des débits très variables, des îlots grignotés, des zones de hauts-fonds. C’est un tout autre visage du fleuve que je perçois ici. La voie cyclable de Langeais à Tours emprunte la route départementale. Cette situation ne permet pas une conduite aisée, puisque je dois sans cesse m’assurer de bien serrer l’accotement à ma droite pour permettre aux véhicules de me dépasser. La circulation me fait vite perdre patience. Heureusement, la route offre pour une partie du trajet, une situation de balcon, en pied des parois rocheuses dans lesquelles viennent ponctuellement, s’insérer des habitations troglodytes. En passant à proximité, j’ai l’impression d’être observé depuis les cavités creusées dans la roche. Les habitants de ces lieux insolites vivant retranchés dans la roche, jouissent d’une situation de «voyeur», dissimulés dans l’ombre produite naturellement par la paroi.


Ces habitations troglodytes apportent un charme supplémentaire aux paysages. Elles bordent la route entre Langeais et Tours, où elles deviennent plus rares à chaque coup de pédale supplémentaire. L’entrée dans l’agglomération de Tours me replonge dans le tumulte urbain, avec sa circulation importante en tous sens, ses feux de signalisation, ses routes qui se croisent, se décroisent, s’enlacent, se séparent. L’ambiance sonore n’est pas des plus sympathiques. En revanche, je retrouve une portion de piste cyclable aménagée sur les berges du fleuve. Le partage de cette voie entre cyclistes et piétons se passe dans la bonne entente. Les promeneurs du dimanche qui profitent du beau temps pour se balader me cèdent volontiers la piste pour éviter de freiner ma course. C’est d’autant plus agréable de la croiser lorsqu’ils se prennent au jeu en m’encourageant comme si je bouclais une étape décisive du Tour de France. En poursuivant mon chemin je me retrouve avec une concentration plus importante de gens, puis de sportifs avec des dossards. Je me rends alors compte qu’il s’agit de l’arrivée d’une épreuve de marathon. Un joyeux bordel émane de cette manifestation qui réunit beaucoup de monde.

Des cyclistes équipés de sacoches s’arrêtent le long de la piste et sur les trottoirs voisins pour assister au mouvement. Ce dynamisme m’encourage à poursuivre et me motive pour la suite. La route dont le dénivelé était quasiment nul jusqu’à présent, laisse place à une succession de montées qui m’amènent dans les coteaux viticoles. Au milieu des vignes, le soleil cogne et la chaleur se fait sentir. Il faut dire que je double d’efforts pour les montées, le chargement du vélo se faisant sentir dans les mollets et les poumons qui demandent davantage de bouffées d’air pour alimenter le cœur devenu gourmand. Mais les paysages traversés valent le coup d’œil. La Loire à laquelle je tourne le dos depuis Montlouis-sur-Loire, succède à un panache de couleurs automnales que les pieds de vignes exhibent fièrement à tout observateur. Je les vois d’ici se pavaner avec leurs multiples couleurs chaudes, cuivrées, fiers du raisin qu’ils ont produit et qui ramassé quelques semaines plus tôt, servir à la lente maturation et à la confection de vins AOC et IGP, chers aux producteurs, aux habitants et aux voyageurs. Déguster du vin ou des produits locaux quels qu’ils soient, c’est déjà une manière d’aborder les paysages d’un territoire. Le paysage se découvre aussi à travers une assiette, le temps de partager un repas.


Je poursuis ma route jusqu’à Amboise où tombant sur le marché local, je décide d’acheter un fromage de brebis et m’arrête en surplomb des berges pour reprendre des forces et laisser mes mollets se reposer un peu. Comme à chaque redémarrage après un long effort, je sens d’ores-et-déjà que l’acide lactique contenu dans les muscles de mes jambes me rappellera à l’ordre, le temps qu’il se résorbe avec la reprise de l’exercice physique. Je profite tout de même de ce moment de répit pour observer la berge enherbée située juste en contrebas. Le soleil et la chaleur étant au rendez-vous en ce jour, les couples, les amis, les familles ou les promeneurs solitaires en profitent pour étendre leurs nappes ou serviettes et flemmarder avec la Loire comme scène de spectacle. Un verre de rosé en main, les discussions sont entrecoupées d’éclats de rires. Il fait décidément « bon vivre » dans ce pays ! Amboise illustre vraiment les riches heures de l’époque des Rois de France. La minéralité des places publiques et des façades bâties apportent une belle distinction à cette ville retranchée entre Loire, vignes et forêts. Le château, architecture forte de la ville, en impose au visiteur de par sa situation culminante et la blancheur de ses façades taillées qui reflètent les rayons du soleil. Ce domaine est éblouissant en tous sens du terme.

Je quitte presque à regrets Amboise en destination de mon étape pour la prochaine nuit à Blois. Le soleil et la chaleur prolongent en cette fin septembre la période estivale. « Est-ce ce phénomène d’été indien qui anime d’une joie de vivre les gens que je croise ? Ou peut-être est-ce la présence du fleuve majestueux dont les multiples éclats attirent l’œil et invitent à s’approcher des bords de l’eau ? »

La Loire se laisse d’ailleurs plus facilement approcher. Les bancs de graviers recouverts par des tapis de Jussie (Ludwigia grandiflora), invitent par leur côté sauvage les aventuriers en herbe à caresser l’eau. Le passage à Chaumont-sur-Loire se fait par une large esplanade traitée en stabilisé, tournant quasiment le dos à la ville pour nous offrir une situation de belvédère sur le cours d’eau. Cette situation d’esplanade crée une véritable respiration. C’est la bouffée d’oxygène supplémentaire qui me pousse à continuer. Je constate par la traversée de ce large espace dégagé, de ce paysage presque plat, que le cycliste devient tout petit. Un point à l’horizon semble loin, très loin, quasiment à une distance infinie. A chaque coup de pédale supplémentaire, on se dit qu’en relevant la tête, le petit point que l’on apercevait à l’horizon sera devenu plus gros, une forme


commençant à naître, se rapprochant davantage, devenant plus distincte. Or il n’en est rien ! Le temps semble tout du moins être arrêté, ralenti au maximum. Ce ressenti provient de l’échelle des paysages traversés, dans laquelle la démesure demeure pour l’homme qui la traverse. Elle replace la petitesse de l’Être humain face à la nature. Cette réflexion occupe mon esprit jusqu’à Blois que je traverse par les bords de Loire sans poser pied à terre. Je pousse encore un peu jusqu’à la base de loisirs de La-Chaussée-St-Victor, cinq kilomètres plus loin, pour faire ma halte dans le camping « Val de Loire » situé le long de la D951. Malgré l’endorphine libérée pendant l’effort qui produit un effet euphorisant et dynamisant, je suis content de m’arrêter et de pouvoir me libérer du poids de mon matériel. Je monte la tente, attache mon vélo à un lampadaire situé sur mon emplacement et file prendre une douche fraîche qui me donne un coup de fouet.

La soirée encore bien chaude au coucher du soleil annonce une nuit agréable. Hélas, comme bien souvent en début de saison automnale, comme on le retrouve d’ailleurs à la fin du mois d’août, la chaleur accumulée toute la journée et le contraste avec les nuits fraîches ont pour effet de produire des dépressions qui entrainent des orages. Moins épuisé que les nuits précédentes, je doute d’arriver rapidement à trouver le sommeil. Les fortes pluies et les bourrasques de vent manquent d’arracher mon toit et mettent à rude épreuve les coutures de la toile et les armatures en composite qui sont agitées dans tous les sens. Comme si tout cela ne suffisait pas, le tonnerre sévit pendant une bonne demi-heure, apportant en supplément, un véritable concert de sons et lumières dont je profite en première loge !


Lundi 24 septembre 2012

La-Chaussée-St-Victor - Châteauneuf-sur-Loire (93 km)

Je me lève les yeux gonflés par le manque de sommeil et le froid. La chaleur de la veille s’est vite dissipée avec toute l’eau qui est tombée. Des petites nappes d’eau entourent la tente. Le ciel encore menaçant, je prends mon petit déjeuner rapidement entre deux averses pour profiter d’un moment d’accalmie qui me permet de réunir les affaires et les ranger sur le portebagages, protégées par une bâche. Vêtu de mes habits imperméables, je quitte sans peine le camping, préférant oublier la nuit trop courte. Pour éviter de m’épuiser dès les premiers kilomètres, je préfère éviter l’itinéraire « Loire à vélo » qui traverse les coteaux de vignobles et conduit jusqu’au Château de Chambord. Conscient de l’erreur que je commets à passer à côté de cette prestigieuse et luxueuse architecture, je trace sur la D951 sans y réfléchir davantage. « Je reviendrai plus tard prendre quelques jours de vacances pour visiter ces domaines enchanteurs qui jalonnent la vallée des Rois de France : Amboise, Chenonceau, Azay-le-Rideau, Chambord, …) »

Durant la journée, je serai amené à traverser la Loire à deux reprises : Muides-sur-Loire et Meung-surLoire. Le passage d’une rive à l’autre reste à chaque fois un moment unique. On enjambe le fleuve, on traverse son lit sans réellement le toucher. Contrairement à l’itinéraire habituel où le fleuve se situe soit sur notre droite, soit sur notre gauche selon la rive sur laquelle on circule, le passage sur un pont permet d’avoir durant un instant, la Loire sous nos pieds. J’ai été à travers l’expérience des ponts, submergé par un sentiment d’envol, de lévitation. « J’ai la chance de pouvoir traverser un fleuve aux flots rapides dans son épaisseur »

En arrivant à mi-terme de la traversée d’un ouvrage, je m’arrête afin de profiter de la vue privilégiée qu’offre le fleuve de son intérieur. Les ponts permettent une plongée visuelle au cœur des milieux aquatiques, dans l’intimité des cours d’eau. L’itinéraire balisé de la voie cyclable me fait traverser la ville historique d’Orléans. En empruntant les quais aménagés en promenades pour les piétons et les cyclistes, je ne peux m’empêcher de bifurquer et de me diriger vers la célèbre Cathédrale Saint Croix, classée aux Monuments historiques.


Il est 15h, je peux me permettre de quitter les pédales et poser mes semelles sur les pavés pour déambuler dans les ruelles orléanaises. Trente cinq kilomètres me séparent de mon lieu de halte. Cette portion d’itinéraire restante offre des vues bien dégagées sur la Loire, parsemée de bancs de sables éparses. La piste cyclable est implantée sur la levée qui surplombe de vastes prairies inondables, dont-il est facile d’imaginer ces milieux submergés par une nappe d’eau en période de crue. Ces espaces ouverts subissent divers aléas occasionnés par l’érosion due aux courants du fleuve puis par l’érosion éolienne. Le couloir créé par la Loire permet aux vents de s’engouffrer sans rencontrer d’obstacles majeurs pouvant ralentir sa course. La position surélevée de la piste cyclable sur le sommet de la levée permet de garder les pieds au sec en cas de montée des eaux. En revanche, le cycliste est davantage exposé à la force du vent. Le vent… Ce phénomène naturel qui frappe la vie extérieure connait une multitude de bienfaits mais aussi de méfaits : transport de pollen / transport de pesticides, dissémination de graines / dissémination de virus et microbes, souffle chaud et sec / souffle froid et humide, etc. Pour en revenir à la pratique du vélo, le vent est un ennemi lorsqu’on se le prend de face, car

notre cadence est alors ralentie, freinée par une force opposée invisible. A l’inverse, lorsqu’il souffle dans notre dos, le vent devient un allié précieux qui nous fait oublier l’effort et augmenter la cadence. Depuis mon arrivée à Nantes, je dois dire que je n’ai eu que très peu de répit avec le vent. Bien souvent, comme c’est d’ailleurs le cas aujourd’hui, je me le prends gentiment en pleine figure, plus comme une caresse que comme une baffe, mais cela suffit à me faire appuyer davantage sur les pédales. Vers 18h j’arrive à Chateauneuf-sur-Loire. Je m’installe dans le premier camping que je trouve à l’entrée de la commune. Pour une fois je ne me retrouve pas seul, quelques personnes occupent des mobile-homes. J’entame la discussion avec mes voisins d’emplacement, ils viennent du sud-ouest et comme chaque année, ils passent plusieurs semaines dans leur maison à roulette rectangulaire dont ils louent l’emplacement au camping. Etonnés par mon chargement et la distance parcourue, ils m’encouragent pour la suite de mon aventure.


Mardi 25 septembre 2012

Châteauneuf-sur-Loire - Belleville-sur-Loire (77 km)

C’est effectivement une aventure à part entière que je vis à travers le parcours au fil du fleuve et à travers mon diplôme. Je suis persuadé que la bicyclette est un merveilleux moyen de déplacement, de découverte de soi, de réactions d’autrui et un porteur de projet pour les territoires traversés, vécus, marqués par la trace de la gomme du pneu. Je prolonge cette réflexion en me posant à la terrasse d’un café dans le centre-ville. Je me prépare également à l’éventualité d’une nuit encore agitée, étant donné le ciel sombre au-dessus de ma tête.

Couché avec des averses et bercé par les grondements du tonnerre, la nuit a été moins agitée que la veille. Je sors de la tente pour détacher mon vélo que j’avais pris soin de fixer au pied d’un arbre, protégé des gouttes d’eau par l’épais feuillage. L’herbe est encore bien humide et le sol détrempé. Reprenant la route avant 9h, la circulation est faible, les boutiques ouvrent progressivement leur devanture. Ce calme matinal est un moment agréable. Pendant plusieurs kilomètres je ne croiserai personne sur la piste, me laissant seul spectateur du balai incessant des vols de Cormorans et d’Aigrettes venus se réunir sur les grèves végétalisées. En portant mon regard à l’horizon, j’aperçois un nuage blanc épais au-dessus de la cime des arbres et qui va mourir dans l’étendue grisonnante du ciel. « Serait-ce un message d’avertissement d’une réserve indienne ? »

En approchant, d’énormes cylindres se dessinent. Ce sont de véritables géants de béton qui s’élèvent dans le ciel, recrachant des brassées de nuages.


« Comme si le ciel n’était pas assez chargé depuis deux jours ! »

Les formes bien distinctes sont en fait les colonnes de refroidissement de la centrale nucléaire de Dampierre-en-Burly. Ces géants de béton qui peuvent être perçus comme défigurant le paysage, surprennent certes lorsqu’on les découvre au loin. Mais finalement, le temps de les rattraper, ils sont apprivoisés par notre conscience et l’on passe à côté sans être perturbé plus que ça. Une fois de plus, ce qui interpelle est plus de l’ordre de l’échelle démesurée de ces colonnes massives et de l’homme minuscule en comparaison, que leur présence sur le territoire et dans le paysage. Peu avant d’arriver à hauteur de Gien, je suis surpris de tomber sur un troupeau d’une cinquantaine de moutons, brebis et chèvres, parqué le long de la berge. L’intérêt de laisser ce troupeau paître cette prairie inondable réside dans l’entretien qu’il effectue en limitant ainsi l’embroussaillement du milieu. De plus, les berges étant des écosystèmes fragiles, le passage du bétail évite l’intervention d’une machine mécanique pour faucher. La faune et la flore en place sont préservées.

Ma journée de vélo se termine avec l’arrivée à Belleville-sur-Loire par une courte portion du canal latéral à la Loire. L’image très rectiligne, très rigide qu’évoque cet ouvrage hydraulique contraste fortement avec la Loire large, sinueuse et morcelée que j’ai laissée derrière moi. Une nouvelle fois je me retrouve nez-à-nez ou tout du moins à quelques kilomètres près avec des géants de béton. Il s’agit cette fois de la Centrale nucléaire de Belleville-sur-Loire. La proximité du fleuve et donc d’une force hydraulique utilisable pour refroidir les réacteurs, attire les fournisseurs d’énergie qui implantent leurs ouvrages. Ce constat s’applique à l’ensemble des cours d’eau majeurs. 17h20, bien fatigué par ces deux derniers jours, je décide de dormir une seconde fois en chambre d’hôte pour me reposer un peu, dans un bon lit et surtout au sec. Les multiples averses qui sévissent ont humidifié une bonne partie de mon équipement et matériel. Je profite des radiateurs pour mettre à sécher mes habits.


Mercredi 26 septembre 2012

Belleville-sur-Loire - Cosnes-sur-Loire (16 km)

Cette nuit au chaud a été bénéfique. Je descends prendre le petit-déjeuner. La propriétaire m’attend avec un bon café chaud. Elle se prend une tasse et s’assoit pour discuter de mon itinéraire. Je découvre qu’elle est elle-même cycliste, habituée à pratiquer le vélo avec son compagnon durant leur temps libre. L’été dernier ils ont descendu la Saône le long de la voie verte, puis plusieurs fois ils sont allés jusqu’au Bec d’Allier. Cet échange me réconforte. Le fait de pouvoir discuter avec une autre personne qui partage la même activité, qui à vécu des situations identiques aux miennes permet de me libérer de plusieurs choses perçues durant mes cinq jours précédents : moments d’efforts, perceptions du paysage environnant, rapports au fleuve, petits aléas que tout cycliste rencontre au moins une fois au cours de ses sorties, etc. Je remercie la propriétaire pour l’accueil des lieux et l’abri pour mon vélo, avant d’enfourcher une dernière fois ma bécane et pédaler pour quelques kilomètres.

La pluie et le vent se remettent à l’œuvre. Me sentant moins d’attaque que les autres jours à ré-affronter des intempéries et jugeant en avoir déjà assez vu, je décide de mettre fin à mon aventure. Je continue donc jusqu’à Cosnes-sur-Loire, soit une petite vingtaine de kilomètres où je m’arrête prendre un train en direction de Nevers. J’ai de la chance, il y en aura un qui passe dans peu de temps. Arrivant en gare, un contrôleur descend pour m’indiquer un wagon en tête de train et me donner un coup de main pour hisser le vélo. L’emmarchement n’est vraiment pas pratique pour les bagages volumineux. Durant le trajet, coïncidence ou non, le jeune contrôleur me demande d’où je viens et me dis à son tour qu’il comptait faire la « Loire à vélo » avec une bande de potes, mais que le projet est tombé à l’eau et a été remis à plus tard. Je l’encourage à ne pas lâcher cette idée, car les paysages et les rencontres valent le détour.


Un certain regret s’empare de moi lorsque je pense à la journée de demain, lorsque mon vélo aura regagné sa place au garage, que les sacoches seront vidées et rangées et que je retrouverai un pull et un jean. Cette aventure reste gravée non seulement dans ma mémoire avec toutes les images de territoires traversés, de rencontres, mais aussi avec la distance ressentie physiquement dans les muscles. Durant une sortie en vélo, le cycliste et son vélo enfourché ne forment qu’un. Avec mon regard de paysagiste qui s’est enrichi une fois de plus, j’ai vécu cette remontée du Val de Loire sur 470 km comme une sorte de pèlerinage du paysage. C’est une phase que je sentais nécessaire d’accomplir avant de quitter l’Ecole. Le vélo est un outil qui m’aura permis de parcourir des territoires inconnus et de les vivre pleinement. Le contact physique avec un paysage, un territoire, un site à projet est indispensable pour l’écouter attentivement, le comprendre et lui répondre ensuite de la manière qui lui correspond le mieux.

Être cyclo-paysagiste c’est ressentir le relief dans les jambes à travers les pédales, c’est ressentir le sol dans les bras à travers le guidon et les roues, c’est ressentir l’effet du climat sur la peau. Enfin, être cyclo-paysagiste c’est observer les paysages traversés à vitesse variable. C’est les imprimer en notre for intérieur et savoir les transmettre.


Bibliographie Ouvrages consultés : - ARTHUS BERTRAND Yann et BOISLEVE Jacques, La Loire vue du ciel. Edition Du Chêne, 1992, 175 p. - AUGé Marc, Eloge de la bicyclette. Editions Rivages poche / Petite Bibliothèque, juillet 2010, 91 p. - BOUCHARDY Christian, La Loire. Vallées et vals du grand fleuve sauvage. Editions Delachaux et Niestlé, mai 2002, 287 p. - COURTET Laurent, GATEAUD Pascal et STEPHAN Bernard, La Loire en sursis. Croisade pour le dernier fleuve sauvage d’Europe. Editions La Manufacture et Sang de la Terre, Collection «Les dossiers de l’écologie», avril 1990, 305 p. - FOURNEL Paul, Besoin de vélo. Edition Point, collection Point n°1015, juin 2002, 240 p. - KAUFFMANN Jean-Paul, Remonter la Marne. Editions Fayard, février 2013, 262 p. - MITCHELL Brigitte, Campagne anglaise. Une symphonie pastorale. «L’art de la marche selon Richard Long». Série Monde (H.S.) Editions Autrement, mars 1990, n°44, 184 p. - OLLIVIER Bernard, Aventures en Loire, 1000 kilomètres à pied et en canoë. Edition Libretto, mai 2012, 219 p. - SANSOT Pierre, Variations paysagères.Editions Payot&Rivages, mars 2009, p.125-165. - Les Carnets du paysage - Cheminements. Collectif, n° 11, octobre 2004, 236 p. - Les Carnets du paysage - Cartographie. Collectif, n° 20, novembre 2010, 222 p.

Etudes : - Les paysages de l’eau aux portes de la ville. Mise en valeur écologique et intégration sociale. Colloque. Conseil Général du Rhône. Sixième entretien du Centre Jacques-Cartier, décembre 1993.

Tpfe : - BOCQUET Romain, Voyage d’un jardinier nomade en Ile-de-France. Sous la direction de Marc RUMELHART. Tpfe 2010, Ecole Nationale Supérieure du Paysage. - SARRIEN Pierre, Pratiquer les berges mobiles, dialoguer avec la Loire. Sous la direction de Gilles CLEMENT, Tpfe 2006 (21), tome 2/3, Ecole Nationale Supérieure du Paysage.


Sites internets : - www.loireavelo.fr - www.eurovelo6.org - www.velomondial.net (Association mondiale pour la pratique du vélo) - www.fubicy.org (Fédération des usagers de la bicyclette) - www.actuvelo.fr - www.spader.free.fr (Blog sur le vélo et ses origines) - www.epala.fr - www.bourgogne.ecologie.gouv.fr - www.eau-loire-bretagne.fr - www.equipe-plan-loire.org - www.fleuve-loire.net - www.loire.gouv.fr - www.loirenature.org - www.vnf.fr - www.sitesnaturelsbourgogne.asso.fr - www.visaloire.fr

Revues : - Dossier éditorial «A bicyclette». Revue Urbanisme, mai-juin 2009 (bi-mensuel), n°366. - Val de Loire - Patrimoine mondial. Revue 303 Arts Recherches Et Créations (H.S.). Collectif, juin 2012, n°121. - Le Conservatoire Régional des rives de la Loire et de ses affluents. Martine ALLAMAN, revue bimestrielle Diagonal, n°114, août 1995, p.4849.

Longs métrages : - DUMONT Bruno, L’humanité. Drame français, réalisé en octobre 1999, durée 148 min. - JOFFé Alex, Les Cracks. Comédie française, réalisée en 1967, durée 110 min.


Tous mes remerciements ... Alain Freytet, pour son encadrement, ses conseils et sa passion du terrain qu’il sait transmettre. Françoise Crémel pour son suivi tout au long de cette année et pour ses précieuses ressources. Frédérique Garnier, Laurent Defrance et Guillaume Leuregans pour leurs apports sur mon sujet et leurs retours d’expériences. Ainsi que Pauline Frileux, Alice Roussille, David Haudiquet, François-Xavier Mousquet et Jean-Luc Brisson pour leurs commentaires et leurs conseils durant les pré-jurys.

Toutes les personnes que j’aurai eu la chance de rencontrer durant ces quatre années au sein de l’ENSP et qui ont participé à former le paysagiste que je suis devenu.

Je tiens enfin à remercier plus particulièrement ma famille pour m’avoir soutenu dans mes envies de paysages et pour m’avoir fait confiance, me permettant ainsi d’avancer. Merci à l’ensemble de ma promotion, pour tous ces moments de bonheurs partagés et ces souvenirs communs. Une pensée à ceux que j’aurai oubliés ...


Crédits photographiques : Alexandre Vieux - Tous droits réservés. L’ensemble des documents: cartes, croquis, plans, coupes qui apparaissent dans le présent document ont été réalisés par mes soins. Sauf ceux dont la source est mentionnée directement sur la page concernée.


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