Mémoire de fin d'études : "De la reconversion des lieux désaffectés en espaces théâtraux"

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De la reconversion des lieux désaffectés en espaces théâtraux Alexia Florens



Mémoire de fin de cycle dans le but de l’obtention du grade de master en architecture.

Etudiante : Alexia Florens Promotrice : Marianne Puttemans Année académique : 2016-2017 Faculté d’architecture La Cambre Horta Université Libre de Bruxelles



Table des matières Abstract 6 Motivations 7 I. Introduction générale 9 II. La scénographie au regard de l’architecture 11 III. Introduction à la scénographie 13 A. Origines de la scénographie et évolution du terme

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B. La scénographie et l’architecture théâtrale

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IV. V. VI. VII. VIII.

a) Le théâtre grec

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b) Le théâtre romain

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c) Le théâtre à l’italienne

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d) Le théâtre élisabéthain

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Les grandes révolutions théâtrales contemporaines La question de la démocratisation du théâtre Le théâtre de rue Le théâtre des lieux désaffectés La question de la réaffectation architecturale

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A. Friches culturelles

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B. L’obsolescence de l’architecture

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C. La psychogéographie et la théorie de la dérive

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IX. X.

Bruxelles et le Jeune Théâtre Cas d’études

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A. Le Boson de X

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B. Le Théâtre Océan Nord

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C. Le Kaaitheater

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D. La Bellone

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XI. Conclusion XII. Bibliographie XIII. Iconographie

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Annexes 62 A. Les Kaaistudio’s

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B. Le Boson de X

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Remerciements 69


Abstract Peut-on faire du théâtre partout ? C’est la question à laquelle répond la problématique de la reconversion des lieux désaffectés en théâtres. Dans un refus de fonctionnalisme, le théâtre expérimental remet au centre du débat les questions de la flexibilité de l’architecture et de la temporalité de la scénographie. Il met en lumière la corrélation entre le lieu de la représentation et la représentation du lieu.

Mots-clés : théâtre, scénographie, architecture, réaffectation, friches

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Motivations Ma petite enfance a connu une passion dévorante pour le théâtre, mon entrée dans l’âge adulte a vu cette passion s’élargir à la scénographie. Durant sept années, j’ai usé les planches de la petite scène de l’Académie de musique et des arts de la parole de Molenbeek. Durant sept années, j’ai pu appréhender différents publics et différents lieux de représentations, les fondamentaux du théâtre donc, excepté la représentation du lieu et la scénographie qui en découle, dans laquelle l’Académie n’avait pas les moyens d’investir. Le commencement de mes études en architecture a marqué une rupture avec le monde du théâtre. Ce n’est qu’en troisième année de bachelier que je renoue avec celui-ci, dans le cadre de l’atelier d’architecture Mutations dirigé par Francis Metzger et Sylvie Bourgeon. L’atelier propose la participation au concours international d’idées « Theatre Architecture Competition » organisé par la Commission d’Architecture d’OISTAT (Organisation Internationale des Scénographes, Techniciens et Architectes de Théâtre). Le thème du concours portait sur la conception d’un théâtre flottant sur la rivière Spree à Berlin. Ce fut l’occasion de mettre mes compétences en architecture au service du théâtre, combinant deux de mes passions. Pour ce projet, nous avons décidé de créer un théâtre flottant qui pourrait s’amarrer à n’importe quel endroit des berges de la Spree, utilisant les friches environnantes comme autant de décors aux possibilités variées. C’est véritablement la découverte de la Cavallerizza Reale lors de mon échange Erasmus à Turin qui a marqué un tournant décisif dans mon rapport au théâtre, à la scénographie et à l’architecture. La Cavallerizza Reale comporte le Maneggio Reale, construit vers 1740 et placé au patrimoine mondial de l’UNESCO. En 2005, le Maneggio Reale fait l’objet d’une réaffectation par le Teatro Stabile, qui, devant l’impossibilité de répondre aux dépenses liées à son entretien, l’abandonne cinq ans plus tard. Le Maneggio Reale avait déjà subi des travaux de rénovation en 1997 mais ce n’est qu’avec sa réaffectation par le Teatro Stabile qu’il change de visage. Les travaux comportent l’ajout d’une cage préfabriquée pour le foyer, le placement d’échafaudage pour la régie ainsi que celui d’un plancher thermique en bois pour permettre les représentations (qui détériora considérablement le plancher original), plus en fonction aujourd’hui. On ajoute aussi les coulisses, les loges et les sanitaires. Des toiles insonorisantes (cachant malheureusement la voûte d’Alfieri, chef-d’œuvre architectural de tout le complexe royal). Enfin, l’installation des gradins caractérise l’espace comme théâtral. En 2017, le Maneggio Reale est investi par la compagnie Assemblea 14:45, et voit la restructuration des coulisses et de la salle de répétition ainsi que l’installation d’équipements techniques. Le Maneggio Reale m’a d’abord séduite pour la poésie qui émane de ce lieu insolite, à michemin entre une friche et un chef-d’œuvre de l’architecture italienne du XVIIIe. La multifonctionnalité de la Cavallerizza est également unique en son genre. En perdant sa fonction d’origine, le lieu commence à se morceler et offrir des possibilités scéniques à foison. Lors de Here X en 2017, un festival d’arts performatifs autoproduit d’arts, la soirée de clôture présente une sorte de « marathon théâtral ». De 22h à 3h du matin se succèdent de brèves performances à divers endroits du Maneggio Reale. Le Maneggio Reale m’a également séduite pour sa multiculturalité. En tant que bien public, il continue à affirmer son ouverture à tous. Cela conduit à la rencontre de gens provenant d’univers différents, des gens de théâtre, de cirque, de danse, mais aussi des touristes ou simplement des curieux.

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La réaffectation du Maneggio Reale en lieu de spectacles a relevé le défi de lui réinsuffler la vie, et ce, sans aucun subside. Ce lieu insolite m’a permis de porter un regard neuf sur le monde théâtral.

Figure 1 : La Cavallerizza Reale di Torino

“Ce projet prévoit des moments de rencontre entre les citoyens qui permettront d’immaginer, (de se rencontrer) et de projeter ensemble une nouvelle réalité pour la Cavallerizza. Si la réalité proposée du système institutionnel est la création de fortereses inaccessibles aux citoyens et financées par l’argent public, l’irréalité que nous voulons vous proposer est la participation à la création partagée d’une “non-institution”, durable et autonome dans son organisation.”1

1 Traduction personnelle depuis la description de la Cavallerizza Reale de la page facebook officielle : «[…] Questo progetto prevede momenti di incontro cittadini in cui sarà possibile immaginare, incontrarsi e progettare insieme una nuova realtà per Cavallerizza. Se la realtà proposta dal sistema istituzionale è la creazione di fortezze inaccessibili ai cittadini finanziate con i soldi pubblici, l’irrealtà che vi vogliamo proporre è la partecipazione alla creazione condivisa di una “non-istituzione” auto-organizzata e sostenibile.»

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I. Introduction générale Peut-on faire du théâtre partout ? Le « lieu théâtral » sous-tend le lieu de la représentation mais aussi la représentation du lieu. L’œuf ou la poule ? Lequel induit l’autre ? Lieu théâtral ? Le terme est ambigu. Les mots ne signifient que le contenu qu’on leur donne. D’aucuns considèrent que le lieu théâtral désigne le bâtiment architectural, le cadre matériel dans lequel se déroule l’événement théâtral. Pour d’autres, le lieu théâtral n’est pas seulement la coquille dans laquelle a lieu la représentation, mais désigne un cadre mental, dans lequel la projection mentale émanant de l’esprit du scénographe est transmise aux acteurs et finalement livrée aux spectateurs. Il s’agit par conséquent d’un lieu essentiellement imaginaire. Il n’est au final que la représentation d’un autre lieu. La représentation du lieu est indissociable du lieu physique dans lequel le spectateur se trouve, le lieu de représentation. La question est de savoir s’il est possible de faire coïncider un lieu matériel avec un lieu imaginaire, ce lieu imaginaire étant lui-même généralement antérieur au lieu réel qu’il s’agit de construire. Ainsi, est-ce à l’œuvre dramatique d’imposer les moyens de sa réalisation et de déterminer ses besoins architecturaux ou au lieu théâtral de faire naître une dramaturgie ? Très longtemps, l’architecture a été l’instrument de base du théâtre, en a conditionné le spectacle. A tel point qu’étudier une dramaturgie à une époque donnée, c’était étudier le théâtre d’une forme donnée. Nous illustrerons ce fait à travers quelques types théâtraux canoniques comme le théâtre à l’italienne et le théâtre élisabéthain. On assiste à une sorte de mise en abîme : la mise en scène théâtrale met en scène une société donnée dans un lieu qui est-lui-même à l’image de cette société. L’étude de l’interdépendance entre la fonction artistique et la fonction sociale permet d’appréhender de manière relativement complète l’ensemble de l’activité théâtrale. Lieu de représentation. Représentation du lieu. Architecture et Scénographie. A l’image de l’interdépendance entre la fonction artistique et la fonction sociale, nous verrons que ces notions sont complémentaires. Au cours du XXe siècle, le lieu théâtral a été profondément remis en question en réaction au théâtre à l’italienne, d’une part à travers son architecture, d’autre part à travers le public qu’il accueille. D’une part, la remise en question de l’architecture théâtrale comporte celle de sa fonctionnalité. Le théâtre de demain doit-il multiplier les usages en adoptant la forme d’une salle polyvalente ? Ou doit-il, au contraire, se limiter à l’acte théâtral seul ? Dans le second cas, son architecture doit-elle forcément dépendre directement du registre théâtral présenté ? D’autre part, la remise en question du public cible entraîne la volonté de démocratiser la culture. Cette volonté s’accompagne d’une réflexion sociale ; la démocratisation de la culture rime-t-elle avec la culture de masse ? Mais aussi d’une réflexion politique ; quid du financement de la culture dans la société ? Au jour d’aujourd’hui, nous vivons dans une société profondément instable, en mutation permanente. Dès lors, une architecture théâtrale fixe, immuable, créant des édifices permanents spécifiquement destinés au théâtre, est-elle suffisante ? Nous verrons que cette aspiration de notre société au(x) changement(s) se retrouve aussi dans la 9


Introduction générale manière souvent audacieuse de repenser l’espace théâtral et ses limites. Celui-ci déborde, fait tomber les frontières et donne naissance à un théâtre « hors les murs ». L’infrastructure théâtrale toute entière étant remise en question, les lieux mis au rebut par une société de consommation conditionnée par l’usage unique, suscitent un nouvel intérêt. Les hauts lieux culturels oubliés et les sites industriels et militaires désaffectés sont ressuscités par la créativité. Ces friches culturelles retrouvent une nouvelle identité. La réaffectation des friches sous-tend la pérennisation de celle-ci. Cela étant, leur caractère pérenne ne va-t-il pas anéantir la poésie émanant de leur caractère obsolète ? L’obsolescence est souvent vue péjorativement. En se penchant sur cette notion appliquée au domaine de l’architecture, nous verrons que l’obsolescence peut s’avérer être une chance. Les friches culturelles foisonnent à Bruxelles. La capitale de la Communauté française de Belgique offre aux Arts de la scène un creuset où création et innovation artistiques rehaussent la pérennité des lieux. Nous clôturerons ce mémoire par la preuve en trois cas d’étude ; le Théâtre du Boson de X, le Kaaitheater et la Bellone.

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II.

La scénographie au regard de l’architecture

« Comme scénographe, on a plus de liberté qu’un architecte pour adapter la réalité. Il n’en reste pas moins qu’un parallèle avec l’architecture demeure : l’universalité du projet et du langage visuel. » Gafpa Si je devais résumer en un mot la différence primordiale entre la scénographie et l’architecture, je dirais « liberté ». La scénographie est plus libre que l’architecture et ce, pour une raison toute simple, son caractère éphémère. Le code déontologique qui pèse si lourdement sur les épaules de l’architecte n’a pas lieu d’être pour le scénographe ; pas de garantie décennale pour des représentations provisoires, pas de suivi de chantier étalé sur plusieurs mois ou plusieurs années, seulement une orchestration de plusieurs représentations. C’est une des raisons pour lesquelles la scénographie m’a toujours fascinée. Tout comme l’architecte, le scénographe est une chef d’orchestre, polyvalent, maîtrisant plusieurs domaines, qu’ils soient artistiques ou techniques. Mais ses responsabilités sont moins lourdes que celles de l’architecte. Le scénographe peut se permettre de rêver, il se doit même, selon moi, de laisser libre cours à la rêverie. L’architecte, lui, doit garder les pieds sur terre. Le scénographe a certes des responsabilités, de sécurité et de fonctionnalité notamment, mais une mauvaise architecture théâtrale n’empêche pas forcément l’épanouissement d’une représentation scénique. C’est aussi l’avis du scénographe Guy-Claude François qui écrit : « A l’opposé cette fois de l’architecte, le décorateur invente des images d’espace qui n’ont vocation ni à durer dans le temps ni même à être véritablement habitées. Il ne travaille que pour le temps d’un regard et se voit dès lors autorisé toutes les illusions, dans la sélection des matériaux comme dans le jeu des déformations perspectives et tous les choix qui, dans un monde vrai plutôt qu’un monde vraisemblable, résulteraient dans des espaces architecturalement incohérents. »2 Ainsi, selon lui, le décorateur (entendu ici comme scénographe) peut, contrairement à l’architecte, se permettre de simplifier tous les éléments de la mise en scène (mobilier, organisation spatiale,…) jusqu’à l’incohérence afin, d’une part de permettre au spectateur éloigné de la scène de s’imprégner de la représentation du lieu et d’en décoder la lecture, d’autre part de répondre aux nombreuses contraintes des mises en scène modernes qui réclament des changements de décor quasi instantanés. En outre, l’architecte s’implique personnellement dans la conception d’un projet jusqu’à sa livraison. Ce projet doit être livré dans les délais fixés au préalable. Il y a une passation de l’architecte au client. L’architecte ne vit plus avec son projet une fois qu’il est livré3. Le scénographe, lui, enfante un projet avec lequel il vivra jusqu’à la fin de la pièce, et en quelque sorte jusqu’à la mort de son projet. Il conçoit le projet, le met en œuvre ou du moins suit sa mise en œuvre, puis sa représentation. Au contraire de l’architecte donc, le scénographe participe jusqu’au bout au vécu de son projet et, si passation il y a, elle s’établit à d’autres niveaux, du metteur en scène à l’acteur et de l’acteur au spectateur. Le scénographe s’imprègne de la pièce via le texte théâtral, puis par la poétique du lieu de représentation, pour la retranscrire dans la représentation du lieu. Alors que l’architecte qui participe à un concours par exemple, ne visite pas toujours le site du projet pour lequel il concourt. C’est évidemment à l’architecte contemporain que je fais allusion. Je ne parle pas de l’âge d’or où l’architecte était à la fois peintre, scénographe, décorateur, jardinier même parfois et architecte.

2 FRANCOIS, Guy-Claude, « Construire pour le temps d’un regard », éd. Fage, 2009. 3 Nous ne parlons évidemment pas du cas des architectes construisant leur propre maison.

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La scénographie au regard de l’architecture Un autre aspect de la scénographie qui m’a toujours séduite est son caractère assumé. La partialité de la mise en scène est assumée, voire revendiquée dans certaines représentations. Le scénographe prend clairement position quand il décide de représenter ou de mettre en évidence tel ou tel élément de la pièce. Cette assurance n’est pas sans lien avec le caractère éphémère de la représentation, sa petite échelle (dans le monde scénographie, on ne parle pas de « site » comme dans le milieu architectural, évoquant d’emblée une échelle plus grande, mais de « lieu », voire de « pièce ») et l’impact moindre des conséquences en cas d’échec. En revanche, le caractère durable de l’architecture lui permet de témoigner du passé, par les ruines, les vestiges, ou les marques qu’elle laisse. Le patrimoine architectural est une nécessité pour l’Homme. Or la scénographie étant par essence éphémère, ne laissant que très rarement des traces tangibles de son passage. Avec l’architecture, la scénographie est la seule pratique artistique à moduler l’espace, et ce faisant, à exercer un impact sur le public. Loin de moi l’idée de comparer la scénographie et l’architecture pour faire l’apologie de l’une au détriment de l’autre, mais je voudrais ici montrer que la scénographie, le parent pauvre du milieu artistique, mérite une estime, une attention et une place de choix dans une société où l’architecture fait souvent référence. J’en veux pour preuve les difficultés que le monde du théâtre rencontre pour obtenir des financements, alors que l’on peut parfois débloquer des fonds exorbitants à des Archistars pour construire un nouveau symbole urbain qui remplacera l’ancien.

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III.

Introduction à la scénographie

A. Origines de la scénographie et évolution du terme Le mot « scénographie » nous vient du grec skènographia qui se décompose en skènè et graphein. La polysémie du terme provient directement de la traduction de ces deux mots : skènè désigne, dans le vocabulaire du théâtre grec, un bâtiment en bois situé derrière l’espace de jeu tandis qu’aux XIXe et XXe siècles, le mot « scène » qui en dérive, désigne l’espace de jeu des acteurs. La signification actuelle du lieu de jeu de l’acteur est donc en opposition avec la signification originelle du lieu caché de l’acteur ; graphein peut se traduire en français aussi bien par écrire que par dessiner ou peindre. Par opposition aux deux premières traductions qui se réfèrent à une conception générale, la dernière recèle un caractère plus spécifique. Pour les Grecs anciens, la « scénographie » désigne plus généralement l’art de peindre la scène. A la Renaissance, les architectes et les théoriciens italiens retrouvent le mot dans le traité de Vitruve4 et l’emploient pour désigner l’art de représenter en perspective, en peinture, en architecture ou en décoration de théâtre, mais ne se réfère donc pas spécifiquement au théâtre. En France, du XVIIe au XIXe siècle, le terme « scénographie » n’est pas encore plus employé dans le langage spécifique du théâtre. Rappelons qu’à cette époque, en Italie comme en France, les différentes spécialisations que l’on connaît actuellement sont regroupées dans le même métier. A la fin du XIXe siècle, le rejet des excès du théâtre à l’italienne entraîne le rejet de la peinture et de la perspective et la valorisation du corps et du volume. Peu à peu, les notions de décor et de décoration, en lien direct avec la peinture, sont remplacées par la notion de scénographie. Cette révolution de la pensée théâtrale donne naissance à de nouvelles fonctions : celles de metteur en scène et de décorateur-scénographe, agissant sur la représentation théâtrale globale, sur ses lieux de représentation et son rapport au public. A l’aube du XXe siècle, la décoration et par extension l’ornementation en général subit les foudres de l’architecte viennois Adolf Loos dans son célèbre ouvrage « Ornement et crime ». Dans le contexte de l’entrée de l’architecture dans la modernité, il oppose le fonctionnalisme à l’ornementalisme qu’il rejette sans pour autant le dissocier de la tradition, en ce qu’elle a de meilleur. La scénographie retrouve alors sa fonction de concepteur d’espace de représentation, attribuée à la Renaissance. Dans les années 1950, le terme de « dispositif scénique » remplace celui de « décor » avant que le terme de scénographie ne leur succède. C’est en Europe centrale et orientale que le mot prend son essor théâtral, artistique et esthétique dans une dynamique moderniste, progressiste et techniciste lorsque les scénographes tchèques Tröster et Svoboda sont primés à la Biennale Internationale de Sao Paulo entre 1957 et 1965. Ces succès réitérés lancent à Prague une manifestation consacrée exclusivement à la scénographie au théâtre. C’est en 1967 qu’a lieu la première édition de la Quadriennale de Prague sous la forme de l’Exposition internationale de scénographie et d’architecture théâtrale.

4 VITRUVE, De architectura, Livre V.

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Introduction à la scénographie Dans la rétrospective de ces cinquante dernières années5, deux approches de la scénographie émergent : soit la scénographie se définit comme dessin de la scène, au service du projet dramatique ; soit la scénographie désigne l’écriture scénique, et par extension la dramaturgie et la mise en scène par rapport à l’acteur. Le sujet de mon travail se focalisera surtout sur la première définition. Actuellement, la scénographie désigne l’art d’organiser l’espace en général, et plus précisément celui de la fiction théâtrale. Ainsi, sa signification originelle a traversé le temps en conservant plus ou moins la mémoire du sens originel.

B. La scénographie et l’architecture théâtrale L’origine théâtrale du terme « scénographie » est souvent oubliée. Il représente actuellement une notion ambivalente, employée de plus en plus dans d’autres domaines, que ce soit en architecture, en design ou en urbanisme. Pour comprendre à quel point l’architecture a conditionné le théâtre jusqu’ici, il nous faut retracer brièvement l’histoire de l’architecture théâtrale en Occident, au cours de laquelle la skènè grecque s’est trouvée profondément modifiée. a) Le théâtre grec Dans l’Antiquité grecque, le théâtre est circulaire, gratuit, à ciel ouvert et à flanc de colline. Le koilon, désignant les gradins creusés dans le relief naturel, entoure sur plus de 180° l’orchestra circulaire où évolue le chœur et où se situe l’autel consacré à Dionysos. Placé tangentiellement à celle-ci se trouve le proskénion, l’estrade ou avant-scène sur laquelle évoluent les acteurs, du côté opposé au public. Enfin, la skènè, désignant une construction close de même longueur que le proskénion, se situe derrière celui-ci et sert de loge aux acteurs et d’entrepôt pour les décors.

Figure 2 : Vue aérienne du Théâtre d’Epidaure6

Il est le lieu d’une cérémonie religieuse en l’honneur de Dionysos et un espace commun où acteurs et spectateurs se « regardent ». En effet, le terme théatron apparaît dans les écrits de Hérodote et Thucydide (historiens grecs du Ve s. av. J.-C.) et désigne le lieu où l’on voit (du grec theaomai signifiant « regarder »), devenu des siècles plus tard le mot « théâtre » en français. 5 SCENOGRAPHIE, 40 ANS DE CREATION, Editions L’Entretemps, Montpellier, 2010. 6 http://footage.framepool.com/fr/shot/665492297-epidaure-visions-of-greece-culture-antique-amfitheatre

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L’importance d’un théâtre surélevé vers lequel tous les regards convergent se retrouve dans les théories des architectes utopistes du XVIIIe siècle Claude-Nicolas Ledoux et Etienne-Louis Boullée. En effet, Ledoux attend du théâtre qu’il soit le lieu du regard de la cité et qu’il présente une forme amphithéâtrale parce que, pour cet utopiste, tout est cercle dans la nature : « (…) qui pourra douter que la forme de nos théâtres ne doive être progressive ; puisqu’on obtient par elle les seuls effets qui naissent du concours de la nature, sans accessoires étrangers ? Qui pourra douter qu’elle ne doive être amphithéâtrale, puisque c’est le seul parti qui puisse détruire les inquiétudes qui naissent de l’insolidité des plans magiquement suspendus ? »7 En 1775, il fait figure d’avant-gardiste en concevant le Théâtre de Besançon, espace ouvert, dépourvu des loges cloisonnées propres au théâtre à l’italienne pour une meilleure vision du spectacle. Pour la même raison, il place l’orchestre dans une fosse en Figure 3 : Vue intérieure du Théâtre de Besançon avant avant de la scène. l’incendie de 1958

Quant à Etienne-Louis Boullée, il pense que le théâtre doit s’édifier en hauteur, sur une colline ou sur un socle accessible par de grands escaliers, sans doute parce qu’il lui semble que le théâtre est, comme Mallarmé le qualifiera plus tard dans ses « Divagations », « d’essence supérieure »8. b) Le théâtre romain Le théâtre romain constitue le chaînon intermédiaire entre le théâtre grec et le théâtre à l’italienne. Il est à ciel ouvert, souvent au centre d’une ville, près d’un forum, et donc pas nécessairement à flanc de colline. Les gradins étant à 180°, la frontière entre l’espace des acteurs et l’espace du public est tout à fait linéaire. Les différences entre le théâtre grec et théâtre romain sont reprises par Vitruve dans le cinquième livre de son traité d’architecture9, rédigé à l’époque où les premiers théâtres romains permanents sont construits. A Rome, le premier théâtre en pierre a été construit par Pompée sur le champ de Mars en 55 av. J.-C. Vitruve pointe notamment une différente majeure concernant l’orchestra : « Ainsi le pupitre sera plus large que celui des Grecs : cela est nécessaire, parce que tous ceux qui jouent demeurent dans notre scène, et l’orchestra est réservé pour les sièges des sénateurs. »10 L’orchestra, devenue semi-circulaire, contient désormais les sièges des invités de marque (prêtres, magistrats,…) tandis que les acteurs et le chœur évoluent tous sur le plancher du pulpitum (le proscenium grec) devenu inévitablement plus large. 7 LEDOUX, Claude-Nicolas, L’Architecture considérée sous le rapport de l’art, des mœurs et de la législation, 1804, Tome I, p.223. 8 MALLARME, Stéphane, Divagations 9 VITRUVE, De architectura, Livre V. 10 VITRUVE, op.cit.

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Introduction à la scénographie Le théâtre romain offre donc plus de place pour les spectateurs et moins d’espace pour le spectacle que le théâtre grec. Par les dimensions plus modestes de la skènè et du proskénium, l’architecture du théâtre romain tend donc à une visibilité plus grande de l’acteur par le public. Cette visibilité sera accentuée par l’emploi de masques, de perruques, de vêtements rembourrés aux couleurs chatoyantes et de chaussures à hautes semelles. Le théâtre à l’italienne sera l’héritier de cette volonté de visibilité de l’acteur par le public. Le mur de scène ou frons scenae, décoré de toiles peintes en trompe-l’œil et plus tard, de colonnes et de statues, remplace la skènè grecque et constitue une barrière physique et visuelle pour le spectateur, ce qui le pousse à garder les yeux rivés sur la scène au sens moderne du terme, c’està-dire le plancher du pulpitum/proscenium.

Figure 4 : Vue aérienne du Théâtre d’Orange

c) Le théâtre à l’italienne Le théâtre à l’italienne s’ébauche en Italie aux XVe et XVIe siècles avant de s’exporter dans l’Europe entière. Le bâtiment théâtral, clos et entièrement couvert, sépare l’espace des acteurs et celui du public de façon symétrique par le cadre de scène. C’est un théâtral frontal où le public est assis face aux acteurs. Son architecture reflète la société hiérarchisée de l’époque. En effet, la salle présente la forme d’un arc de cercle, d’un U ou d’une portion elliptique et comporte plusieurs étages, provoquant ainsi des inégalités de visibilité au sein du public qui correspondent aux inégalités sociales très marquées à l’époque. Le théâtre devient d’ailleurs payant. Le théâtre à l’italienne diffère du théâtre gréco-romain par ses dimensions plus modestes qui permettent au public de mieux saisir et apprécier le jeu des acteurs et la musique.

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La scène est surélevée par rapport à la salle et comprend la « cage de scène », invisible du public qui abrite la machinerie permettant de produire les effets spéciaux ou décoratifs demandés par la mise en scène. Quant à l’éclairage, il est assuré jusqu’au début du XIXe siècle, par de nombreux lustres équipés de chandelles. Il faudra attendre l’avènement de l’éclairage au gaz vers 1820 pour plonger les salles de spectacle dans une pénombre presque totale et mettre ainsi en valeur les éclairages scéniques. Ce n’est qu’en 1880, grâce à l’électricité que l’obscurité complète est obtenue et que le public peut se concentrer pleinement sur ce qui se passe sur la scène. La Renaissance marque aussi la naissance de l’humanisme, courant qui, comme son nom l’indique, accorde une attention particulière à l’homme. La skènè est dès lors dépourvue de son caractère sacré et devient toute dédiée à l’acteur. La disparition du caractère sacré de la représentation s’accompagne de la volonté de représenter le sens propre et non plus le sens figuré et ce, en s’appuyant sur les lois de la perspective redécouvertes à cette époque. Le mode de représentation perspectif est, en effet, présumément connu des Egyptiens, des Grecs et des Romains mais il a été redécouvert à la Renaissance, théorisé et privilégié à tous les autres modes de représentation. Ainsi, dès le Ve siècle av. J.-C., les Grecs cherchent à représenter des bâtiments en trompe-l’œil et utilisent des méthodes empiriques pour corriger les illusions d’optique. A titre d’exemple, contrairement à ce que l’on pourrait penser, il n’y a pas de lignes droites dans le Parthénon d’Athènes mais bien des courbes : les colonnes sont convexes au tiers de leur hauteur en partant du haut pour éviter de passer pour plus étroites en leur centre, les colonnes d’angle sont plus larges que les autres pour sembler identiques ou encore les architraves reliant les colonnes sont aussi convexes pour tromper l’illusion de fléchissement. La scénographie à l’époque se fonde donc sur des décors peints en perspective. Si, à l’origine, ces décors étaient spécifiques à la tragédie, la comédie et la pastorale, en référence aux trois scènes de Vitruve, ils évoluent vers un décor fixe pour les œuvres les plus jouées. Il n’est pas anodin de constater que les plus grands architectes de l’époque comme Brunelleschi, Bramante ou Serlio ont d’abord pratiqué la peinture. Ainsi, les perspectives dites urbinates, en d’autres termes « relatives à la ville », de Sebastiano Serlio (peintre et architecte italien du XVIe siècle) sont souvent décrites comme des projets de décor pour le théâtre. Il insère d’ailleurs son traité sur la scène dans son traité d’architecture, il libro de Prospettiva. Dans ses perspectives théâtrales en trompe-l’œil, Serlio imagine d’une part de monter sur la scène tragique par deux escaliers qui s’éloignent et les façades des maisons sont bien alignées, d’autre part de monter sur la scène comique par deux escaliers qui se rencontrent sur un palier et les façades des maisons sont irrégulières.

Figure 5 : scène tragique à gauche, scène comique à droite

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Introduction à la scénographie d) Le théâtre élisabéthain Le théâtre élisabéthain émerge en Angleterre à la fin du XVIe siècle, comme son nom l’indique sous le règne d’Elisabeth Ier. C’est un bâtiment circulaire en bois, appelé « wooden O » par Shakespeare dans le prologue de son Henry V. Cette forme circulaire viendrait des cours d’auberge où les troupes ambulantes dressaient leur scène, les spectateurs s’entassant dans la cour, près de la scène, ou aux fenêtres des chambres des étages. Ce bâtiment fermé sur lui-même mais ouvert sur le ciel est entouré sur trois côtés par trois étages pour les spectateurs les plus riches tandis que les plus pauvres se tiennent debout dans le parterre à ciel ouvert et sont donc exposés aux intempéries. La scène et les places assises, elles, sont protégées par un toit. L’encerclement du public autour de la scène sur presque 260° implique que certains spectateurs voient les acteurs de dos, à l’inverse de la configuration frontale du théâtre à l’italienne qui néglige le dos de l’acteur. Ainsi, les acteurs apprennent à évoluer différemment sur la scène élisabéthaine en considérant leur posture arrière. L’espace scénique comporte trois aires de jeu : une scène qui s’avance sur le parterre, une scène intermédiaire couverte et une arrière-scène, également couverte, à deux niveaux, l’un pour les acteurs, l’autre pour les musiciens. Le théâtre élisabéthain présente ainsi une configuration volumique et non plus plane, ce qui induit l’abandon du trompe-l’œil propre au théâtre à l’italienne. On voit donc combien la pluralité des espaces et la variation des plans offrent de potentialités scéniques, l’espace théâtral associant ici intimement architecture et scénographie. Nota bene : Le théâtre de l’âge d’or espagnol aux XVIe et XVIIe siècles ressemble fort au théâtre élisabéthain. Les corrales de comedias sont des théâtres aménagés dans la cour centrale rectangulaire d’un groupe de maisons. La scène couverte se situe à une extrémité ; des loges dans des galeries à plusieurs étages elles-aussi couvertes occupent les trois autres côtés. La cour centrale forme le parterre et est à ciel ouvert. Les gens y sont placés en fonction de leur catégorie sociale et de leur sexe. De ce rapide tour d’horizon, que pouvons-nous conclure ? Au regard de ces types théâtraux, on peut dire qu’au XVIIe siècle, les différents types d’architecture théâtrale en Occident ont tous été inventés. Certains, comme le théâtre élisabéthain, sont propres à une période particulière. D’autres ont continué à être réinterprétés durant des siècles. C’est le cas du théâtre à l’italienne qui se répand au XVIIIe siècle et s’impose dans toute l’Europe par l’intermédiaire des scénographes italiens. Les avatars de ce théâtre foisonnent comme la salle à l’italienne de l’opéra Garnier à Paris, le théâtre à l’italienne de Douai, etc. Depuis le XVIIIe siècle, de nombreuses formes dérivées de ce type sont formulées et mises en œuvre grâce à l’intégration de nouvelles techniques scéniques de plus en plus performantes qui associent le décor à la machinerie pour obtenir de meilleurs effets visuels et sonores. D’autres formes dérivées sont abandonnées, après avoir remis en question les rapports de la scène à la salle, du visible à l’invisible ou encore du corps à l’espace. Force est de constater que, depuis l’Antiquité grecque, la fonction de scénographe, sous des appellations différentes, a toujours existé. Son rôle au sens large consiste à penser et à matérialiser sous diverses formes l’univers de la représentation théâtrale.

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IV.

Les grandes révolutions théâtrales contemporaines

La remise en question du lieu théâtral depuis 1870 découle de la volonté d’échapper aux contraintes du théâtre à l’italienne, dont la sophistication de la machinerie masque souvent la pauvreté de la mise en scène et qui, avec ses places soumises à de mauvaises conditions de visibilité et d’audition, souligne des inégalités au sein du public. Au siècle des Lumières déjà, les théories de l’architecture théâtrale cherchent à créer un théâtre pour le plus grand nombre et à atténuer l’inégalité des points du vue propre au théâtre à l’italienne. Ainsi, l’architecte et graveur français du XVIIIe siècle Pierre Patte pose cette problématique de façon critique dans son Essai de l’architecture théâtrale : « La meilleure manière & à la fois la plus naturelle de voir un objet, c’est sans contredit de le regarder en face, sans être obligé de hausser, de baisser ou de tourner la tête (…). Il en est de même pour l’aspect des décorations théâtrales : il n’y a qu’un petit nombre de spectateurs qui jouissent complettement (sic) de leurs effets ; & pour peu qu’on y fasse attention, on observera qu’il n’y a qu’un point de vue qui soit exactement vrai par rapport à l’évasement, à la position ou à la perspective des décorations ; lequel point de vue correspond d’ordinaire au milieu de la loge du premier rang en face du Théâtre (…). »11 A l’époque où la peinture officielle se fonde sur la perspective, Pierre Patte, dans le même ouvrage, remet en question le trompe-l’œil cher au modèle italien : « (…) C’est la grande supériorité que le réel ou le relief aura toujours sur le factice, ou sur ce qui est peint. Le premier a une multitude de points de vue ou d’aspects qui paraissent sans cesse naturels malgré leurs variétés : le second, c’est-à-dire un tableau, une décoration théâtrale ou une perspective n’a véritablement qu’un seul endroit, un seul lieu, d’où il fasse un effet raisonné, & hors duquel on ne saurait guère l’apercevoir que d’une façon défectueuse : l’art ne parviendra jamais à rectifier ce désavantage, auquel l’habitude, & encore plus le défaut de réflexions, rendent d’ordinaire insensible. »12 Pierre Patte pose ici le primat du volume sur le plan et constate les limites de la perspective, donc du trompe-l’œil. L’étude des différents types de représentation théâtrale aident à la compréhension de ce nouveau souffle qui traversent la fin du XIXe siècle jusqu’à aujourd’hui grâce à des précurseurs comme Wagner, Appia, Craig, ou encore Copeau. Comprendre la scénographie contemporaine c’est aussi comprendre les grands courants artistiques qui l’ont nourries. Il s’agira ici de retracer succinctement les grands jalons de la révolution scénique, et non d’en faire une liste exhaustive. Le premier de ses jalons est la conception du Gesamtkunstwerk communément traduit par « œuvre d’art totale »13 de Richard Wagner lorsqu’il ouvre à Bayreuth en 1871 une salle de festival dans laquelle il expérimente ce nouveau concept. Selon Wagner, l’art ne peut véritablement répandre la culture que lorsqu’il unit tous les genres artistiques dans une œuvre d’art commune représentée par le drame. Pour lui, le théâtre nouveau doit assurer une « séparation aussi totale que possible du monde scénique idéal et du monde réel représenté par le spectateur, d’empêcher tout empiètement de la réalité sur le domaine de l’idéalité », ce qui dénote son pessimisme propre au romantisme allemand du XIXe siècle. En 1876, l’architecte Brückwald conçoit le Festspielhaus de Bayreuth selon les théories de Wagner. Il s’inspire du théâtre grec en donnant une forme amphithéâtrale au parterre dans lequel les spectateurs ont une vision plus homogène de la scène. Il rompt donc avec la forme traditionnelle du fer à cheval propre au théâtre à l’italienne bien qu’il comporte deux niveaux de balcon avec loges. 11 PATTE, Pierre, Essai sur l’architecture théâtrale ou De l’Ordonnance la plus avantageuse à une Salle de Spectacles, relativement aux principes de l’Optique & de l’Acoustique, Paris, chez Moutard, 1782. 12 PATTE, Pierre, op. cit. p.25-26 13 Wagner n’utilise en réalité qu’une seule fois le terme Gesamtkunstwerk, lequel sera traduit par Prod’homme par « drame intégral » et par Appia par « œuvre d’art intégrale ».

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Les grandes révolutions théâtrales contemporaines Le théâtre de Bayreuth innove aussi dans son choix de placer la fosse d’orchestre sous la scène. Comme elle est dissimulée aux yeux du public, celui-ci parvient à mieux se concentrer sur le drame. En outre, le noir complet fait dans la salle pour la première fois contribue lui aussi à capter l’attention des spectateurs. Une autre de ses innovations est le double cadre de scène éloignant cette scène de la salle. Ainsi, avec le concept du Gesamtkunstwerk, le théâtre va être influencé par les autres disciplines du domaine artistique et par conséquent, les grands courants artistiques. C’est aussi le début d’une remise en question du théâtre dans son rapport au texte et à la scène. Ce questionnement s’accompagne de l’émergence des deux grands courants esthétiques qui dictent la création artistique européenne à la fin du XIXe siècle : le naturalisme et le symbolisme.

Figure 6 : Plan du palais des festivals de Bayreuth.

A l’époque des grandes découvertes scientifiques, le naturalisme amène à reproduire la nature humaine de la façon la plus rationnelle possible. Parler du naturalisme au théâtre, c’est citer son initiateur en la personne d’André Antoine, fondateur du Théâtre-Libre en 1887. Influencé par les théories d’Emile Zola sur le naturalisme, il revisite le spectacle théâtral avec beaucoup de liberté et de réalisme, notamment dans le jeu des acteurs qu’il veut le plus naturel possible, dans le choix des pièces (il présente beaucoup d’œuvres inédites ou refusées dans les autres théâtres), dans le choix des affiches souvent provoquantes et surtout dans la mise en scène : l’acteur joue en faisant abstraction du public comme s’il y avait un « quatrième mur »14, écran invisible séparant la scène de la salle, la réalité de la fiction. C’est aussi lui qui, le premier, crée la fonction de « metteur en scène » : du rang d’artiste-interprète, le metteur en scène passe à celui d’artiste-créateur et bouscule le théâtre bourgeois sclérosé par la censure, la cupidité des directeurs de théâtre et le manque de professionnalisme des acteurs. Ainsi, la fonction de metteur en scène qu’il crée découle directement de son expérience : « Quand, pour la première fois, j’ai eu à mettre un ouvrage en scène, j’ai clairement perçu que la besogne se divisait en deux parties distinctes : l’une, toute matérielle, c’est-à-dire la constitution du décor servant de milieu à l’action, le dessin et le groupement des personnages ; l’autre immatérielle, c’est-à-dire l’interprétation et le mouvement du dialogue. Il m’a donc paru d’abord utile, indispensable, de créer avec soin, et sans aucune préoccupation des événements qui devaient s’y dérouler, le décor, le milieu. - Car c’est le milieu qui détermine les mouvements des personnages, et non les mouvements des personnages qui déterminent le milieu. »15 En réaction contre le naturalisme, le symbolisme, qui lui est contemporain, tend à teinter la représentation théâtrale d’onirisme, favorisant l’imagination du spectateur. Le rejet du réalisme s’accompagne d’une volonté de réduire le décor au strict minimum, voire de s’en passer totalement. Mais, représenté par des artistes dont les noms sont, pour beaucoup, aujourd’hui oubliés, il ne parvient pas à s’imposer mais il ouvre la voie à de grands précurseurs comme Appia, Craig ou Meyerhold. 14 Denis Diderot, dans le Discours sur la poésie dramatique (1758), formule l’idée qu’un mur virtuel devait séparer les acteurs des spectateurs : « Imaginez sur le bord du théâtre un grand mur qui vous sépare du parterre ; jouez comme si la toile ne se levait pas. » (Chap. 11, De l’intérêt.) 15 ANTOINE, A., Causerie sur la mise en scène, Revue de Paris, 1er avril 1903, Paris, p.603

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Au XXe siècle, architectes et scénographes révolutionnent le lieu théâtral, non plus en se rattachant à des mouvements esthétiques mais en remettant en question les carcans esthétiques imposés par le théâtre à l’italienne. Ils retournent à la scène ouverte des modèles anciens comme le théâtre grec ou élisabéthain et cherchent à unifier l’espace salle/scène pour établir un contact direct entre les spectateurs et les acteurs. Soit ceux-ci se font face, soit le public entoure la scène, soit c’est la scène qui se déploie autour de lui. Les metteurs en scène Adolphe Appia (1862-1928) et Edward-Gordon Craig (1872-1966) font figure de précurseurs. APPIA remet en question le modèle wagnérien de l’art total et critique le réalisme naturaliste pour privilégier l’acteur et le texte. Ainsi, il écrit : « Il va de soi qu’en renonçant à une grande partie de l’illusion produite par la peinture, nous changeons la direction de notre goût ; et c’est là, me semble-t-il, le point le plus intéressant de la question, je veux parler de l’influence de la mise en scène sur la production des auteurs, sur leur conception dramatique elle-même, sur les motifs qu’ils choisiront pour les développer et en faire une pièce. Car le réalisme au théâtre c’est la monotonie définitive, le piétinement sur place et surtout la mort de l’imagination. »16 Pour lui, le corps à trois dimensions de l’acteur ne peut s’exprimer totalement dans un espace scénique à deux dimensions ; il va donc remplacer les toiles peintes (propres au théâtre à l’italienne) par des volumes (cubes, paravents,…) fonctionnels et transformables en fonction de l’action du drame qui, grâce à des jeux de lumière subtils, intensifient la puissance expressive du corps et du décor. Et, comme il refuse aussi la séparation entre la salle et la scène, il imagine de les relier par un escalier pour renforcer la relation entre le spectateur et l’acteur. Tout comme Appia, le dramaturge et metteur en scène Vsevolod Meyerhold (1874-1940) accorde une importance particulière à l’acteur et sa mouvance corporelle. Inspiré de la danse, de la commedia dell’arte et de la rythmique de Jacques-Dalcroze, il applique le concept de biomécanique au théâtre, se trouvant ainsi lui aussi en rupture avec le théâtre académique et bourgeois. Sans entrer dans le détail, on peut encore citer à propos de la nouvelle importance accordée au corps du comédien, le langage articulé d’Artaud, auteur du théâtre de la cruauté ou encore le corps-vie de Grotowski et son travail extrême de la musculature et de la respiration entre autres. CRAIG, dont les travaux sont indissociables de ceux d’Appia, est lui aussi d’avis de remplacer la scène picturale par une scène architectonique aux éléments transformables. Il fait de l’espace théâtral un « espace vide » dans lequel il intègre des panneaux articulés, dépourvus de décoration peinte, qui, sous l’effet du mouvement et des jeux d’ombre, de lumière et de couleurs, crée une multiplicité de formules scéniques en relation avec les différentes étapes du drame ou réutilisables dans une autre pièce. Voici ce qu’il nous dit sur cet « espace vide » qui révolutionne la scénographie car il n’est plus question à ses yeux de rechercher un modèle théâtral idéal répondant à des normes précises puisqu’il y a autant de lieux scéniques que de types de drames : « Une … nécessité m’apparut : le théâtre doit être un espace vide avec seulement un toit, un sol, des murs ; à l’intérieur de cet espace il faut dresser pour chaque nouveau type de pièce une nouvelle sorte de scène et d’auditorium temporaire. Nous découvrirons ainsi de nouveaux théâtres, car chaque type de drame réclame un type spécial de lieu scénique. »17 La radicalité de cette vision d’une structure architecturale non fixe empêche les projets de Craig de se concrétiser mais ses écrits exerceront une grande influence dans le milieu théâtral en Europe. 16 APPIA, Adolphe, Œuvres complètes, édition élaborée et commentée par Marie L. Bablet-Hahn, trois tomes, L’Âge d’homme, Société suisse de Théâtre, 1983, 1986, 1988, tome III, p. 68-69. 17 Cité par Denis Bablet, « Le lieu, la scénographie et le spectateur », Théâtre/Public, n» 55, 1984, p. 20.

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Les grandes révolutions théâtrales contemporaines En France, en 1913, le critique de théâtre JACQUES COPEAU, influencé par Craig et Appia, veut rendre au théâtre sa grandeur en le dépouillant de ses artifices. Partant de la scène élisabéthaine et du tréteau nu, il crée le Théâtre du Vieux-Colombier. En 1920, en collaboration avec le comédien et metteur en scène LOUIS JOUVET, il le dote d’un dispositif scénique architecturé qui privilégie le jeu de l’acteur en offrant à celui-ci une grande liberté de mouvements : une arche en bois surmontée d’une passerelle, à laquelle on accède par un escalier de chaque côté, occupe tout le fond de la scène ; à l’avant, un proscénium relie un troisième espace doté de deux trappes par trois marches centrales et trois autres sur les deux côtés. En Allemagne, en 1919, l’architecte WALTER Gropius fonde le Bauhaus à Weimar, alors sous la direction de son confrère Mies van der Rohe. L’école du Bauhaus recherchait de nouvelles formes par la réunion des tendances artistiques et artisanales. Cette recherche s’appliquait également au domaine de la scène car « elle est une composition architecturale d’ordres de plans ; le spectacle vivant de formes et de couleurs »18 nous dit Tut Schlemmer, épouse d’Oskar Schlemmer. Le Théâtre du Bauhaus voulait table rase du passé. L’étude portait sur l’espace, la forme, la couleur et la lumière ; les démonstrations sur la mécanique et la machine. Tut Schlemmer poursuit en affirmant que « ceci est le domaine exploré qui devait même atteindre l’architecture théâtrale ; l’on conçut un théâtre construit dans un matériel nouveau avec de grandes innovations dans le domaine de l’optique, de la mécanique et de l’acoustique ; non plus une scène italienne mais une scène tournante, divisées en étages, pouvant être descendue et déplacée. »19 En 1927, GROPIUS est sollicité par son ami, le metteur en scène ERWIN PISCATOR, pour concevoir un théâtre entièrement transformable. Il s’agit, dans l’esprit de Piscator dont l’engagement artistique sert son combat politique, de sensibiliser le public à la cause socialiste. Les moyens d’expression se doivent d’être simples et efficaces. Ils seront aussi révolutionnaires que le message politique que Piscator veut délivrer. Gropius imagine alors son « théâtre total », resté à l’état de projet, dont le Figure 7 : Le théâtre total par Walter Gropius but « n’est pas d’accumuler matériellement des dispositifs et des trucs techniques raffinés, mais des moyens en vue d’obtenir que le spectateur soit entraîné au centre de l’action scénique, qu’il ne fasse plus qu’un avec l’espace où l’action se déroule. » et dont l’architecture doit permettre à l’instrument théâtral d’être « aussi impersonnel, aussi souple et aussi transformable que possible, afin de ne déterminer d’aucune façon la mise en scène et de laisser s’exprimer les conceptions les plus diverses ». Le théâtre, en forme d’œuf, se compose d’une scène annulaire disposée autour du public qui entoure lui-même une seconde scène, cette fois circulaire. Dans cette conception expérimentale qui abolit la vision frontale, les sièges pivotent et acteurs et spectateurs interagissent. Comme le dit Gropius « C’est une grande machine spatiale. » 20 De ses nombreux projets restés à l’état d’esquisse, Gropius a toutefois exécuté la transformation du modeste théâtre d’Iéna, inauguré lors de la Semaine du Bauhaus en 1923, ainsi que le théâtre de l’Ecole d’Impington (Angleterre) en 1936. Rappelons qu’à cette époque, le cinéma s’est déjà bien imposé. Décuplant les angles de vue et révolutionnant le concept de mobilité, il n’est pas étonnant que le phénomène théâtral ait été 18 Schlemmer, Tut, La Scène du Bauhaus, in Polieri, Jacques, 50 ans de recherche dans le spectacle, Biro éditeur, Paris, 2006, p.15 19 Schlemmer, Tut, La Scène du Bauhaus, in Polieri, Jacques, 50 ans de recherche dans le spectacle, Biro éditeur, Paris, 2006, p.15 20 GROPIUS, Walter, « Le théâtre total, une machine spatiale », cité dans FREYDEFONT, Marcel, Petit traité de scénographie, Editions joca seria, Nantes, 2007.

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influencé par lui. Ce n’est donc pas un hasard si, au même moment, certains projets (théâtre total, théâtre mobile, auditoriums tournants) tentent d’instaurer un rapport salle-scène fondé sur la mobilité à laquelle le cinéma a habitué le spectateur. En Tchécoslovaquie, dans les années cinquante, JOSEPH SVOBODA exploite avec beaucoup de créativité la lumière et les techniques modernes de l’optique, de la cinétique et de la mécanique pour produire volume et mouvement. Pour lui, le théâtre doit être « un grand espace absolument libre et variable qui permettrait à l’animateur de décider, pour chaque spectacle, des structures de la scène, du nombre de spectateurs et de leur position […], de supprimer le décor mort [et de] le remplacer par un espace infiniment modelable, défini par des éléments mobiles en perpétuelle composition et recomposition ». Ainsi, pour la représentation d’Hamlet en 1965, son décor s’avance vers le public en se reflétant dans un miroir, dans un jeu de doubles qui sert remarquablement le drame. Dans les années cinquante toujours, mais en France, le peintre et plasticien ANDRE ACQUART construit des panneaux mobiles ou fixes en toile, en bois ou en acier qui partent du sol pour créer des espaces de jeu qu’il décompose ou recompose au fil de la pièce. Dans le même ordre d’idées, le projet présenté par WERNER RUHNAU et JACQUES POLIERI au concours de Düsseldorf en 1958 sous le nom de « théâtre mobile » conçoit des podiums en forme de prismes hexagonaux partout sur la scène et dans la salle, laquelle est dotée de fauteuils amovibles et pivotants. Certains théâtres présentent même des auditoriums tournants comme l’Auditorium du château de Krumlov (Tchécoslovaquie) conçu en 1958 par l’architecte et scénographe Joan Brehms, ainsi que le Théâtre d’été de Pyynikki construit un an plus tard par l’architecte Reijo Ojanen à Tampere (Finlande).

Figure 8 : Auditorium de Krumlov

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Les grandes révolutions théâtrales contemporaines Ces théâtres dits « transformables » parce qu’ils modifient la forme et les dimensions de la scène et de la salle, et par là-même le rapport entre les acteurs et les spectateurs, sont donc des avatars du « théâtre total ». Ils bénéficieront d’innovations techniques capitales comme le projecteur, la stéréophonie, le son panoramique, et subiront l’influence positive du cinéma qui décuple les angles de vue et fait preuve d’une très grande mobilité. La fonction principale du théâtre transformable consiste à instaurer pour chaque spectacle le rapport scène-salle le mieux adapté à la dramaturgie, chaque configuration (scène frontale, scène centrale, scène éclatée, etc.) entraînant des conséquences particulières sur les modes de représentation et de perception. En fait, ce capacité de transformation correspond à un refus de figer l’espace théâtral dans une configuration unique. Il devient ainsi possible de « tout jouer », et ainsi répondre aux besoins de la recherche expérimentale. Ce type de théâtre « transformable » sera aussi appelé « Théâtre Polyvalent » par René Allio dans les années soixante, pour marquer la polyvalence, la malléabilité de son espace. D’où la confusion avec les « salles polyvalentes » qui présentent une pluralité d’usages (sportif, culturel, festif) mais pas nécessairement une flexibilité spatiale. Pour citer encore quelques exemples de théâtres transformables, je signalerai le théâtre ambulant d’Ohl, le théâtre variable de Raimund Von Doblhoff à Vienne (le plus riche en combinaisons, depuis les structures traditionnelles jusqu’aux aménagements les plus modernes), le Théâtre-Atelier de Belgrade, les petites salles des théâtres de Gelsenkirchen, de Mannheim et de Budapest, ou encore la salle théâtrale d’essai de la Cité des Arts à Ottawa. Une nouvelle génération de salles transformables a même créé des scènes numériques, comme le petit théâtre des Médias. Depuis l’idée d’art total défendue par Wagner à la fin du XIXe siècle jusqu’au réseau sémantique contemporain basé sur les notions de mobilité, du corps, de la métamorphose, une nouvelle manière d’appréhender le théâtre s’est construite, par une pensée novatrice de son art, de son architecture et de sa mise en scène.

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V.

La question de la démocratisation du théâtre

Il faut attendre 1831 pour que l’on revendique un théâtre populaire en France sous la plume de l’auteur des Misérables : « Ce serait l’heure, pour celui à qui Dieu en aurait donné le génie, de créer tout un théâtre, un théâtre vaste et simple, un et varié, national par l’histoire, populaire par la vérité, humain, naturel, universel par la passion ».21 La fin du XIXe siècle sera marquée par une volonté de rénover le théâtre perverti par le matérialisme bourgeois né de la révolution industrielle. Il s’agira de rechercher un nouveau public qualifié de « populaire », qui, à l’époque, se distrait plutôt dans les cabarets et les cafés concert. Dans ce contexte de révolution scénique, deux tendances s’affirment ; la première vise à agrandir la salle et par là à accroître et diversifier le public par des scénographies innovantes, la seconde à épurer l’art en se focalisant sur le texte et le jeu des acteurs. Le TNP (Théâtre National Populaire) de Jean Vilar est le premier théâtre qui synthétisera ces deux tendances. Considérant le théâtre comme essentiel pour tout un chacun, Vilar sera, sa vie durant, animé par la volonté d’en faire un véritable service public. Pour lui, théâtre populaire rime avec théâtre public. Il en fait son credo, comme le prouvent ses mots : « Le public d’abord. Le reste suit toujours. »22 Lors d’une interview figurant dans la revue Théâtre Populaire, l’écrivain Jean-Paul Sartre critiquera l’approche de Vilar : « En fait, le TNP n’a pas de public populaire, de public ouvrier. Son public, c’est un public petit-bourgeois, un public qui, sans le TNP et le prix relativement bas de ses places, n’irait pas ou fort peu au théâtre, mais pas un public ouvrier. Il y a des ouvriers qui viennent au TNP : le TNP a donné des représentations pour des ouvriers, mais le TNP n’a pas de public ouvrier. Même quand il se déplace et va jouer dans la banlieue. »23 Le discours de Sartre, aux accents communistes, veut placer le débat du théâtre populaire dans un contexte politique de luttes de classes en opposant le public ouvrier au public petit bourgeois, alors que Vilar parle de théâtre populaire comme art pour la masse, tous types de publics confondus et sans connotation politique. En lançant en 1913 un appel à la jeunesse24, aux lettrés et aux autres, pour redonner vitalité et noblesse au théâtre, le créateur du Vieux-Colombier Jacques Copeau veut lui aussi toucher le plus grand nombre. Pour lui, le théâtre est un moyen privilégié d’éduquer et de grandir l’homme grâce aux valeurs et à la beauté qu’il véhicule, tout en le distrayant. Mais, là où Vilar requiert une participation active de l’Etat, Copeau la rejette quand il dit : « Je ne veux pas de l’argent des financiers : il me lierait. Je ne veux pas de la subvention de l’Etat, elle m’étoufferait ».25 Il veut rester libre dans ses choix et exigences, dégagé des contraintes et des compromissions de ces théâtres parisiens de divertissements trop commerciaux, ce qui fera connaître au Vieux-Colombier des hauts et des bas jusqu’en 1978, date à laquelle il est classé monument historique et racheté par l’Etat. Dans le but de faciliter l’accès de la culture à un public plus nombreux et diversifié, le théâtre s’exporte en province car, au début du XXe siècle en France, le théâtre qualifié de « bourgeois »reste ancré dans la capitale.

21 VICTOR HUGO, Marion de Lorme, Librairie Ollendorff, 1908, Théâtre, tome II, préface de G. Simon, p.8 22 Jean VILAR, memento, 29 mars 1955, p.221 23 Jean-Paul Sartre, Jean-Paul Sartre nous parle de théâtre, in Théâtre populaire, 15, septembre-octobre, 1955. 24 L’Appel de Jacques Copeau en 1913 pour la création d’un nouveau théâtre, Gallica, Bibliothèque nationale de France 25 Clément Borgal : Jacques Copeau, Paris, l’Arche, 1960, p.200

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La question de la démocratisation du théâtre C’est Jean Vilar avec la Compagnie de la Roulotte, et Jacques Copeau avec Les Copiaux, qui lancent le mouvement de décentralisation théâtrale en se déplaçant de village en village, jouant dans les bistrots ou directement dans la rue, pour faire travailler des artistes au chômage et surtout répondre à la mission du théâtre de réunir et éduquer le peuple. « Ce qu’il nous faut, » écrit Copeau « c’est un théâtre de la Nation. Ce n’est pas un théâtre de classe et de revendication. C’est un théâtre d’union et de régénération ».26 Avec cette idéologie, nous sommes loin de Sartre. Un peu moins loin du temps des grands rassemblements dans les théâtres gréco-romains qui réunissaient la cité tout entière pour, il est vrai, davantage les divertir que les éduquer. Aujourd’hui, avec l’explosion prodigieuse des mass media et la fascination qu’ils exercent sur les jeunes et les moins jeunes, pour mille raisons que je ne développerai pas ici, le public s’est fait plus rare au théâtre, un certain public en tout cas. Le rêve de Copeau a vécu. Et le prix peu démocratique des places n’encourage pas les plus motivés à en faire autre chose qu’une sortie exceptionnelle quand leur portefeuille fait grise mine. Le théâtre serait devenu, comme l’écrit Antoine Vitez « élitaire pour tous, par opposition à l’idée que le théâtre populaire est nécessairement un art de masse. […] Ce n’est pas parce qu’il y a quatre mille ou deux mille personnes que c’est populaire, on peut être populaire avec vingt personnes »27.Fort heureusement voyons-nous assez régulièrement des groupes scolaires dans le sillage d’un professeur désireux de porter son enseignement « hors les murs » pour en décupler la force et la richesse. Essayons maintenant de comprendre pourquoi le théâtre est devenu l’apanage d’un public spécifique et restreint. Depuis les années quatre-vingt, de nombreuses villes européennes sont victimes d’une crise industrielle, économique et, par là-même, culturelle. La culture et l’art ont en effet du mal à s’imposer dans un contexte capitaliste où les plus défavorisés peinent à garder la tête hors de l’eau au quotidien. Le théâtre populaire perd dès lors en popularité. Il est déserté par les masses et redevient bourgeois. A cette époque, Charles Landry (né en 1958) urbaniste et fondateur du groupe de réflexion Comedia visant à connecter la culture, la créativité et la planification urbaine, définit le concept de villes créatives. Selon lui, les villes peuvent relancer leur économie tout en améliorant la qualité de vie de leurs habitants grâce au développement de leur créativité et à la création d’espaces d’échanges sociaux. Sous son impulsion se développe peu à peu un activisme pour la promotion de la création artistique, représenté par exemple par le réseau City Mine(d), une association bruxelloise datant de 1997 qui promeut des projets urbains visant à contrer les problèmes sociaux propres aux métropoles, comme la pauvreté ou l’exclusion, par exemple. Selon son représentant Jim Segers, la promotion de la création artistique des villes, qui devait être un moyen pour les habitants de se questionner et de s’exprimer sur la ville, est devenue un moyen pour les industries d’attirer de nouveaux investisseurs. La machine capitaliste a broyé la vocation initiale de ce projet, contestataire et émancipateur. La créativité étant désormais au service de l’establishment, l’activisme est pour Jim Segers l’ultime échappatoire à toute activité lucrative. Celui-ci défend activement les initiatives dites ascendantes, c’est-à-dire créées par et pour les citoyens, pour donner du prestige à une ville et contribuer à la vie artistique et, par là-même, à l’élévation culturelle d’une société. Il préconise aussi des changements radicaux au niveau des instances politiques, en faveur de la solidarité et de l’environnement. Ces initiatives citoyennes et financements participatifs sont nés d’une méfiance à l’égard du mécénat privé que d’aucuns jugent assez opaque et opportuniste. Mon intention n’est pas d’ouvrir ici un débat sur la question de « l’argent sale » de certains de ces mécènes privés, 26 COPEAU, Jacques, Le théâtre populaire, Paris, Presses universitaires de France, 1941, p.32 27 VITEZ, Antoine, Le théâtre des idées, éd. Gallimard, 2015.

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des ressources dont ils priveraient l’Etat qui en a bien besoin pour financer la culture, du risque de les voir plus volontiers financer des projets prestigieux largement relayés par les médias, ou des pressions que leur générosité est susceptible d’exercer sur les artistes. Méfiance également à l’égard de l’Etat toujours susceptible d’exiger un droit de regard sur les créations artistiques qu’il subventionne. Petit clin d’œil à Monsieur Copeau qui, pour rappel, renvoyait déjà dos à dos les financiers et l’Etat.Il n’en reste pas moins vrai que, sans le financement par ces deux instances parfois tant critiquées, le secteur culturel en général, et celui du théâtre en particulier, se porterait encore nettement moins bien. Signalons à ce propos que, dans un contexte de baisses ou de gels persistants de subsides, l’extension du « Tax shelter » (conçu dès 2002 pour le cinéma) aux arts de la scène en 2015 par le gouvernement belge a constitué une véritable aubaine. Rappelons-en brièvement le principe : un investissement par une société privée établie en Belgique dans une œuvre, théâtrale notamment, bénéficie d’une exonération de ses bénéfices imposables à concurrence de 310% du montant investi. D’aucuns restent cependant perplexes. En effet, le secteur des arts de la scène est moins rentable que le cinéma. D’emblée, cela soulève la question de l’implication véritable ou non des investisseurs potentiels. En outre, avec le tax shelter plane la menace de la substitution de celle-ci aux subsides publics, permettant à l’Etat de se désengager davantage. Les artistes sont aussi dans l’expectative de voir si le tax shelter ne s’adressera pas d’abord aux grosses productions, plus rentables, laissant pour compte les petites productions. Par ailleurs, les travaux sur l’économie du marché du travail des artistes de l’économiste australien David Throsby encourage les villes à développer leur secteur culturel et à assurer la durabilité des arts créatifs afin de maximiser leur potentiel d’innovation, condition du progrès technologique, lui-même garant de développement économique. Pour financer le secteur culturel, David Throsby distingue deux types d’investissements : le premier est un investissement à long terme dans les infrastructures culturelles telles que les musées, galeries d’art, bibliothèques, etc. ; le second est un investissement dans des projets culturels éphémères tels qu’un festival, un concert ou une pièce de théâtre. L’art non institutionnel persiste car les artistes continuent à créer de l’art pour leur propre plaisir, indépendamment des circonstances économiques. Toutefois, David Throsby affirme que les artistes contemporains ne peuvent pas se consacrer pleinement à leur activité artistique à cause de contraintes financières. En effet, s’il n’est pas une star reconnue, l’artiste a souvent un statut précaire ; il est considéré comme un chômeur ou, dans le meilleur des cas, comme un travailleur itinérant au même titre que le bûcheron ou le pêcheur en mer pour reprendre les termes de David Murgia, comédien belge engagé. Quant aux artistes de rue, ils sont généralement méconnus, ignorés, voire méprisés… A l’ère du néo-libéralisme, il y a de moins en moins de place pour la promotion de l’art pour l’art alors même que les infrastructures théâtrales coûtent cher et ne se maintiennent souvent que grâce à des subventions. Comme l’explique J. Dubois dans son ouvrage « Les usages sociaux du théâtre hors ses murs » : « … les théâtres sont de superbes machines qui coûtent cher à construire, à entretenir et à faire vivre ; ils sont donc confiés à des professionnels reconnus comme compétents par ceux qui les financent : le propriétaire pour les théâtres privés, l’Etat ou les collectivités locales pour les théâtres subventionnés. Ces directeurs reçoivent un cahier des charges à remplir, surtout financier pour les théâtres privés. Les théâtres subventionnés ont bien sûr une marge de manœuvre plus importante, mais en contrepartie ils doivent rendre des comptes sur la programmation à ceux qui les financent : l’Etat. On voit que jouer dans des théâtres revient effectivement à jouer dans l’institution théâtrale, sauf à être son propre mécène et à pouvoir assumer les frais du théâtre pour s’affranchir du jugement de ceux qui ont la responsabilité des théâtres et qui de fait définissent ce qui est de la création artistique, ce qui est culturel et ce qui ne l’est pas. »28 Cette situation explique la nécessité de créer de plus en plus de spectacles dans des salles – si l’on peut parler de salles – précaires et inadaptées, ou encore de réaffecter des lieux désaffectés en 28 DUBOIS, Jérôme, Les Usages sociaux du théâtre hors ses murs, L’Harmattan, 2011.

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La question de la démocratisation du théâtre théâtres, impliquant d’exploiter l’existant « avec les moyens du bord », souvent faute de mieux, voire de créer des représentations théâtrales carrément dans la rue.

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VI.

Le théâtre de rue

« Comme le théâtre à l’italienne, le théâtre de rue est un théâtre machiné, mais tout y est donné à voir l’image et ce qui l’actionne. » Delarozière Ainsi donc, le théâtre est sorti dans la rue par nécessité. Mais pas uniquement. Le théâtre de rue est aussi né d’une volonté. Celle de décentraliser le théâtre afin de le rendre accessible au plus grand nombre. Depuis que le théâtre sort dans la rue, il n’y a plus un théâtre de la ville, mais des théâtres en ville, laquelle les nourrit autant qu’ils la nourrissent. Il y a aussi, dans la foulée du mouvement de décentralisation, des théâtres hors de la Ville, dans les régions, à la campagne. Cela s’accompagne donc, on le voit, d’une véritable philosophie ; la rue est accessible à tous, tout comme l’art doit l’être. La ville est une fenêtre sur l’art. La rue est une fenêtre sur la ville. Les compagnies théâtrales qui s’approprient la rue investissent le plus grand théâtre jamais connu, un théâtre à 360° à l’échelle de la ville. Rappelons qu’en 1924, le Vieux-Colombier doit fermer provisoirement ses portes et Copeau monte la troupe des « Copiaux » et exporte le concept de « tréteau nu » dans les villages de Bourgogne ; le théâtre abat ses murs. Ecoutons Copeau : « Nous cherchons un public… Nous voulons voir les ouvriers de la vigne et des champs, les commerçants, les bourgeois, les fonctionnaires, les châtelains, comme au Moyen Age, s’assembler pour nous entendre et prendre à nos jeux un plaisir commun. »29 Une vingtaine d’années plus tard, en 1947, Jean Vilar fonde le Festival d’Avignon, aujourd’hui l’une des plus grandes manifestations du spectacle vivant. Vilar veut toucher un public jeune, nouveau et créer un théâtre différent de ceux de Paris. D’innombrables sites liés au Festival d’Avignon reprennent sa célèbre phrase : « Redonner au théâtre, à l›art collectif, un lieu autre que le huis clos (...) ; faire respirer un art qui s›étiole dans des antichambres, dans des caves, dans des salons ; réconcilier enfin, architecture et poésie dramatique »30 Dans cette perspective, Avignon devient, le temps du festival, une ville-théâtre, mettant son patrimoine architectural au service de la représentation théâtrale. Si la dramaturgie et l’architecture y sont toujours liés, c’est, dans le cas du Festival d’Avignon, une liaison tout à fait innovante. A propos des spectacles du festival d’Avignon, Georges Banu conclut : « La scène qui fait de l’adresse son régime m’intime l’ordre de l’entendre. La scène qui m’oublie me conduit en douceur vers moi-même. »31 C’est dans les années soixante que le théâtre de rue connaît son véritable essor. Le scénariste et metteur en scène Philippe Madral lui attribue alors l’appellation de « théâtre hors les murs ». Cet espace libéré de ses « murs », au sens propre comme au figuré, l’artiste Lara Almarcegui le compare à un « terrain vague » comme épure du lieu indifférencié. 29 Conférence de Clément Borgal : Jacques Copeau, réformateur du théâtre moderne, 17 mars 1964. 30 COPEAU, Jacques, Le théâtre populaire, Paris, Presses universitaires de France, 1941. 31 BANU, Georges, in Solitude du dos et frontalités chorales, Alternatives Théâtrales, n°76-77, Choralités, p. 17

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Le théâtre de rue La « province » n’est plus un lieu désert culturellement mais devient un nouveau lieu d’expérimentation théâtrale. En témoigne la représentation en 1985 du « Mahâbhârata » de Peter Brook32 dans la carrière minérale de Boulbon, à 15 km au sud d’Avignon qui requérait, selon Brook, « un lieu vierge de tout passé culturel et artistique ».

Figure 9 : Carrière de Boulbon © Christophe Raynaud de Lage

Ainsi, qu’elle soit choisie pour des raisons économiques ou philosophiques, la rue a montré qu’elle peut aussi être cadre de scène.

32 La scénographie incontournable de Book est développée dans le chapitre suivant

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VII.

Le théâtre des lieux désaffectés

« Je cherche des lieux qui ne soient pas destinés au théâtre. Le théâtre est le dernier endroit où l’on peut jouer un spectacle ! »33 Tadeusz Kantor

De la même manière que le théâtre de la rue, le théâtre des lieux désaffectés résulte d’une nécessité ou d’un choix. D’une nécessité à cause de contraintes financières lorsque, par exemple, le metteur en scène André Villiers recourt à des lieux de représentation rudimentaires parce qu’il se retrouve face à des situations de pauvreté extrême, si fréquentes dans le milieu théâtral. D’un choix ponctuel quand par exemple, le réalisateur Patrice Chéreau met en scène en 1983 « Combat de nègre et de chiens » dans un hangar d’aéroport (Bron, hangar n°6 pour la représentation du TNP) pour rendre l’ambiance plus prégnante. Voire d’un choix permanent quand la metteur en scène Arianne Mnouchkine installe son Théâtre du Soleil dans l’ancienne Cartoucherie de Vincennes en 1970, cartoucherie à laquelle son confrère Antoine Vitez fait allusion : « (…) je dirais que le théâtre peut être encaserné (…) ou campé, à l’improviste, dans une grange, voire une cartoucherie… Sans oublier les lieux proprement fonctionnels, parfaits outils techniques, confinant à l’univers usinier (…). Je n’ai de prédilection marquée pour aucune de ces formes. Tout dépend, à chaque fois, de ce que l’on veut y produire. »34 Ainsi des lieux insolites sont réaffectés pour plusieurs raisons ; notamment pour la protection que certains y trouvent, comme nos deux metteurs en scène. Mnouchkine utilise d’ailleurs la métonymie du parapluie comme lieu symbolique ; « Mais pour en revenir à la notion de lieu, ma vision du lieu idéal est, au fond, celle d’un parapluie, un parapluie le plus léger possible, le plus discret et le plus malléable aussi. » Elle poursuit en parlant de cette « carcasse suffisamment sensuelle, chargée d’histoire et de respiration pour pouvoir se laisser transformer tout en regardant sa personnalité déjà évoquée, manifestant une sorte d’hésitation entre pur et simple abri et espace sensible. »35 Vitez, quant à lui, utilise la métaphore de l’abri qu’il oppose à l’édifice ; « Finalement, il n’y a que deux types de théâtre ; l’abri et l’édifice. Dans l’abri on peut s’inventer des espaces loisibles, tandis que l’édifice impose d’emblée une mise en scène. »36 Partant de la réflexion d’Antoine Vitez, l’abri semble désigner un théâtre non institutionnalisé, c’est-à-dire singulier, tantôt spontané et/ou improvisé, tantôt original (par exemple dans un type de lieu jamais investi auparavant), tantôt clandestin… Ensuite, l’abri évoque d’emblée une certaine précarité, un rudiment, le strict minium en somme. Enfin, il évoque quelque chose de fragile, et donc d’éphémère. L’édifice en revanche, selon Vitez, semble désigner le théâtre officiel. Par officiel, j’entends classique, communément admis dans les esprits. L’édifice envoie au tangible, au pérenne.

33 in Théâtres, de Gaëlle Breton, éditions du Moniteur, Paris, 1989. 34 VITEZ, Antoine, Le théâtre des idées, Gallimard, 1991. 35 Le Moniteur, Special Rehabilitation 36 VITEZ, Antoine, Le théâtre des idées, Gallimard, 1991.

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Le théâtre des lieux désaffectés Ce cheminement nous plonge finalement dans le champ lexical de l’architecture. Quoi de plus étonnant, sachant que l’abri et l’édifice sont deux typologies fortes, si pas élémentaires, de l’architecture. Or en architecture, l’abri est communément admis comme l’étape préliminaire à l’édifice. C’est le champ de tous les possibles et c’est en cela qu’il séduit la scénographie. L’architecture doit, de façon générale, offrir une certaine sécurité. Par conséquent, elle rassure. Ainsi, il n’est pas si étonnant que le théâtre à l’italienne se soit imposé en maître pendant si longtemps. S’en détourner impliquait de supprimer la sécurité qu’elle offrait. Qu’on la désigne par un abri comme Vitez, ou par un parapluie comme Mnouchkine, le lieu théâtral implique l’idée de protection. On pourrait évoquer les façons dont il protège physiquement et faire une liste non exhaustive mais je crois que le lieu théâtral est avant tout une protection intellectuelle, pour l’histoire, pour la sociologie, pour l’esprit critique. L’inventeur du théâtre de la cruauté37 Antonin Artaud, lui, songe à un « théâtre spontané » au milieu des usines, et préconise l’abandon des salles traditionnelles pour « un hangar ou une grange » reconstruit « selon les procédés qui ont abouti à l’architecture de certaines églises ou de certains lieux sacrés... ». Notons que, sous la même appellation de « théâtre spontané », l’architecte Le Corbusier proposait vers 1955 l’installation de tréteaux sur les chantiers des grands ensembles en construction et sur lesquels les ouvriers pourraient improviser des sketches inspirés par les quiproquos de la vie quotidienne. La tendance semble donc plutôt tournée vers les lieux retrouvés que les lieux élaborés. L’historien et théoricien français de la mise en scène et de la scénographie Denis Bablet souligne l’ubiquité de la pratique théâtrale : « Le lieu théâtral, il est banal de le rappeler, ce n’est donc pas seulement le « théâtre » auquel nous sommes habitués, ce peut être la place publique où l’on dresse temporairement une estrade autour de laquelle va se grouper une foule, le parvis d’une cathédrale, le stade où s’ordonne une représentation, le mur auquel s’adosse un tréteau, un parc, une cour d’usine, un vaste hall, un g ymnase ou un terrain vague. C’est la représentation qui donne au lieu son caractère théâtral. »38 Admettre l’idée que l’on peut faire du théâtre partout, c’est admettre que l’art est omniprésent, sous des formes très diverses qu’il serait impossible d’enfermer dans une architecture définie et faire tomber les barrières mentales qui se sont érigées au cours des siècles, avec la tendance de l’homme à vouloir tout classifier, tout nommer. Le concept d’architecture théâtrale a perdu de sa force à l’heure actuelle. Certes, elle existe encore, elle se renouvelle, elle se réinterprète sans cesse. Mais elle n’est qu’une pierre parmi l’édifice artistique. L’art, et donc le théâtre n’a pas besoin d’elle pour exister. Ceci dit, considérer que l’architecture n’existe que via son occupation serait tout aussi absurde de considérer que le théâtre n’existe que via l’architecture, ou via telle ou telle forme théâtrale. En d’autres termes, le théâtre n’est que la toile complexe que nombre d’acteurs, au sens propre comme au figuré, ont tissée. L’architecture n’est donc qu’un fil parmi d’autres ; s’il se rompt, la toile se maintiendra. L’architecture, elle, est souvent entendue sans l’occupation que l’on en fait. Tous ont en mémoire la villa de Le Corbusier telle qu’elle se présentait à l’achèvement des travaux. Combien la perçoivent telle qu’elle est actuellement, scarifiée par les épreuves du temps ?A l’inverse, combien de spectateurs, avant le commencement du spectacle, se souviennent-ils du revêtement du sol de 37 Développé dans son ouvrage Le théâtre et son double, théâtre qu’Artaud veut débarrasser de son langage visuel pour les signes et de son langage auditif pour les sons 38 BABLET, Denis, “La remise en question du lieu théâtral au vingtième siècle », in Le lieu théâtral dans la société moderne, CNRS, Paris, p.13

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la salle ? Tous, pourtant, auront en mémoire les effets scénographiques et les rebondissements dramaturgiques. Mon propos ici n’est pas de dénigrer l’architecture théâtrale. D’ailleurs, celle-ci peut être grandiose et être le miroir d’une époque, le symbole d’une ville. J’en veux pour preuve que les plus grands théâtres, qu’ils soient contemporains ou qu’ils datent de l’Antiquité, sont visitables, et peuvent provoquer l’exaltation du visiteur sans l’intermédiaire de la scénographie. Mon propos est donc celui de dire que la scénographie existe et exalte sans forcément recourir à l’architecture tout comme l’architecture théâtrale existe et exalte sans la scénographie. Leur mariage existe, et a produit de grandes œuvres, mais il n’est pas une condition sine qua non de leurs qualités individuelles. « Je me méfie des généralisations absolues sur la nature du théâtre. (…) Il m’est arrivé une fois de demeurer assis pendant quatre heures, écrasé parmi cinquante personnes dans un grenier de Hambourg, et de participer à la représentation d’une manière si intime qu’il semblait qu’on prenait véritablement part à la vie des personnages. Mais je ne tire aucune conclusion de cette expérience exaltante. Ce grenier devenait une salle donnant pleine satisfaction uniquement parce qu’on savait que toutes les autres avaient été bombardées. Mon plaisir cette nuit-là dépendait du temps et du lieu. »39 C’est entre autres pour ce genre de réflexion que Peter Brook est considéré comme un des plus grands metteurs en scène. Il évite les généralisations et donc les rangements dans des tiroirs que l’on oublie trop souvent de rouvrir. Attardons-nous un instant sur cette figure de proue de la scénographie contemporaine. Peter BROOK (né en 1925) est un metteur en scène novateur dans ses interprétations des pièces du répertoire international, tout particulièrement les classiques de Shakespeare. Egalement reconnu pour ses écrits sur le théâtre, il est l’auteur de L’Espace vide. Il y distingue quatre formes de théâtre : le théâtre rasoir, synonyme de mauvais théâtre, c’est le théâtre bourgeois, souvent commercial ; le théâtre sacré, basé sur la recherche de l’invisible à partir d’une manifestation concrète, devenu dégénéré par le mort du rituel ; le théâtre brut, c’est le théâtre populaire, improvisé, ambulant, qui échappe aux conventions ; le théâtre immédiat basé sur la représentation de la vie quotidienne. En dépassant les divisions établies (bourgeois, sacré, brut, populaire), il recherche un théâtre vivant où l’événement théâtral serait une relation vivante entre l’acteur, la pièce et le public. L’auteur développe alors trois aspects du théâtre : le travail de mise en scène en étroite relation avec celui de la scénographie ; celui des répétitions et du travail des acteurs ; et l’analyse qu’il fait de la réception d’un spectacle par un public dans un lieu précis. Aussi, conclut Brook, doit-on chercher à construire « un théâtre où, entre acteurs et public, n’existerait qu’une différence de situation et non pas une différence fondamentale » 40. Vers 1970, Peter Brook et sa compagnie s’installent en résidence au Théâtre des Bouffes du Nord à Paris, dont il nous dit : « C›est souvent beau, un vieux théâtre, mais toute mise en scène y reste confinée dans des espaces d›autrefois. Un théâtre tout neuf peut être dynamique et pourtant rester froid et sans âme. Aux Bouffes du Nord, on est frappé par la noblesse des proportions, mais en même temps, cette qualité est cassée par l›apparence rude du lieu. Ces deux aspects font un tout. Si l›on restaurait parfaitement le théâtre, alors la beauté de l›architecture perdrait en quelque sorte de sa force et deviendrait un inconvénient. » 41

39 Peter Brook, « Don’t be bamboozled by theories », dans The Mermaid Theatre at Puddle Dock, numéro spécial de The Mermaid Theatre Review, 1959, p.103. 40 BROOK, Peter, L’espace vide — Écrits sur le théâtre, Editions du Seuil, 1977 41 BROOK, Peter Points de suspension, Éditions du Seuil.

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Le théâtre des lieux désaffectés Le Théâtre des Bouffes du Nord a parcouru un long chemin depuis sa construction en 1876 à sa reconnaissance en tant que monument historique en 1993. Par sa réaffectation par Peter Brook et Micheline Rozan en 1974, il est l’exemple « vivant » de la résurrection architecturale, il est la preuve qu’un bâtiment peut naître, mourir et renaître. « Quand Peter Brook, tournant délibérément le dos aux pompes décoratives du théâtre à l’italienne, joue devant ces murs écaillés où la scène n’est plus qu’un grand trou vide, revêt ses comédiens d’oripeaux vaguement orientaux, passés sur des costumes quotidiens, il justifie ce qu’il nomme l’anonymat de Shakespeare, en situant le drame de Timon dans un lieu nul, hors du temps et, par là-même, près de nous. De l’espace vide renaît un théâtre à la fois brut et sacré qui, dans son dépouillement suprême témoigne d’une humilité, d’une ascèse qu’aucun art de saurait nous donner. »42

Figure 10 : Une vue du théâtre des Bouffes du Nord où l’on voit bien la construction élisabéthaine avec ses trois balcons et un cadre de scène, le dernier balcon étant fermé au public et réservé aux projecteurs.

Le Théâtre des Bouffes du Nord est aujourd’hui salué pour son architecture, son acoustique et son originalité. Peter Brook aurait-il finalement réalisé son rêve de théâtre vivant ?

42 Guy Dumur, Préface in l’Espace Vide, Ecrits sur le théâtre de Peter Brook, éditions du Seuil, Paris, 1977.

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VIII.

La question de la réaffectation architecturale « La destination et la fonction des édifices sont les conditions passagères de l’architecture. » Auguste Perret

Au préalable, il semble utile de définir quelques terminologies propres au patrimoine qui sont trop souvent confondues.43 Tout d’abord, la restauration ; elle désigne la sauvegarde ou la réfection à l’identique de tout ou partie d’un bâtiment. Ensuite, la reconversion ; elle désigne le changement de fonction d’un bâtiment. Enfin, la réhabilitation ; c’est un procédé par lequel on modifie un édifice tout en conservant sa fonction d’origine. Parmi ces définitions, la réaffectation architecturale, qui désigne l’action d’attribuer à un bâtiment un nouvel usage, correspond donc plutôt à la reconversion. Ainsi, si l’on considère souvent dans le jargon architectural que la réhabilitation n’implique pas de changement d’usage, c’est à nuancer puisque toute modification, légère ou lourde, peut affecter l’usage. Précisons aussi que les termes « reconversion » et « réhabilitation » sont souvent confondus. L’historienne de l’art et critique d’architecture Anne Norman parcourt d’une façon très juste les bienfaits de la réaffectation architecturale : « La réaffectation est une opération capitale en architecture. Sans elle, la plupart des édifices du passé sont voués à disparaître. Un espace sans usage se disloque peu à peu, s’étiole, se laisse grignoter par l’oubli et enfin meurt physiquement après avoir quitté nos mémoires depuis longtemps. C’est le cycle de la vie qui touche les pierres, comme parfois les gens. C’est l’oubli qui tue avant tout. C’est une histoire naturelle, éternelle, qui toujours recommence. Parfois la résurrection est possible. Et ce sont alors deux vies qui ne font qu’une. Le nouveau réveille l’ancien en un dialogue fascinant, captivant car c’est celui du temps. L’un n’étouffe pas l’autre, l’un éveille l’autre. L’un ravive l’autre, le met en évidence. Mais parfois le dialogue ne se fait pas et le mutisme s’installe. Ces édifices aphones, paralysés, fuselés dans un carcan trop contraignant, deviennent alors comme des momies, des poupées vides aux sourires pétrifiés et inquiétants. Ils ne sont pas dans la vie car on a voulu les extraire du temps, n’en assumant pas l’ancrage pourtant essentiel. C’est ce qu’on appelle des œuvres pastiches, tristes imitations, caricatures futiles. Pourtant, elles agissent encore trop souvent sur le terrain et dans nos esprits, nous donnant l’illusion de posséder le temps et l’histoire dont on pourrait à loisir emprunter le langage en reniant celui de notre époque. »44 Pour elle, donc, la réaffectation est essentielle pour la survie des édifices du passé. Mais cette opération peut aussi s’avérer être une illusion, les transformant en « œuvres pastiches » pour reprendre ses mots. En filigranes, elle nous fait comprendre qu’une réaffectation est souhaitable si elle est plus qu’un simple lifting, relevant davantage de la restauration. En outre, la réaffectation architecturale n’a plus à prouver ses effets bénéfiques, qu’ils soient économiques, écologiques, historiques ou éthiques. D’un point de vue économique, les lieux désaffectés sont des ressources immobilières. En ce début du XXIe siècle, le patrimoine bâti est sans précédent. Dans ce contexte, on voit se développer le mouvement de la non-construction soulignant que l’espace est une matière première limitée et épuisable. Dimitri Minten et Tim Vekemans, dans leur plaidoyer pour la non-construction45, illustre ce concept par la performance de l’artiste belge Francis Alÿs poussant un bloc de glace à travers les rues de Mexico, jusqu’à ce qu’il n’en reste qu’une flaque d’eau. L’idée qui s’en 43 Voir La réhabilitation des bâtiments – conserver, améliorer, restructurer les logements et les équipements Pascale Joffroy 44 NORMAN Anne, Avant-propos in [Métamorphoses] : Architectures réaffectées, éd. J. Benthuys, 2006. 45 MINTEN, Dimitri, VEKEMANS, Tim, Plaidoyer pour la non-construction, in A+ 258, février/mars 2016

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La question de la réaffectation architecturale dégage, que l’obsession d’expansion spatiale actuelle nous a fait oublier, est que le fait de ne pas réaliser quelque chose consciemment, dans ce cas-ci, la non-construction, implique précisément de réaliser quelque chose. Ainsi concluent-ils que « ne pas construire nécessite d’aborder l’espace à partir d’une vision solide de ce qui existe déjà. Ne pas construire n’est pas pareil que ne rien faire, c’est un terme pour travailler autrement. »46 Toujours sur le plan économique toutefois, il n’est pas systématiquement intéressant de réaffecter plutôt que de démolir et de reconstruire. Jeroen Vrijders, spécialiste du Développement Durable et Rénovation de la CSTC (Centre Scientifique et Technique de la Construction), considère deux paramètres ; le coût d’une rénovation sur une période de trente ans d’une part et l’impact environnement sur une période de trente à soixante ans d’autre part. En chiffres absolus, rénover semble plus avantageux financièrement. Cependant, tout dépend des coûts par mètre carré neuf utilisable, qui parfois conduisent à considérer la reconstruction comme la meilleure option. Le choix entre la réaffectation ou la reconstruction dépend d’une multitude de paramètres qu’il convient de considérer attentivement et donc d’opter pour l’une ou l’autre solution au cas par cas. En effet, en se greffant à un bâtiment désaffecté par exemple, l’opération est a priori moins coûteuse qu’une reconstruction, mais encore une fois, cela dépend de l’état de la structure existante du bâtiment. D’un point de vue écologique, réaffecter le bâti existant c’est aussi éviter leur démolition produisant une grande quantité de déchets nuisibles pour l’environnement. En effet, le XXIe siècle est entré dans l’ère du recyclage. Dans ce contexte, il convient donc de ne pas systématiquement détruire un bâtiment mais de le recycler. Rappelons en effet que le secteur de la construction est l’un des secteurs les plus polluants en matière d’écologie. Par ailleurs, réaffecter, c’est aussi freiner l’étalement urbain. D’un point de vue historique, certains lieux désaffectés sont des vestiges du passé qu’il convient de conserver car ils sont les témoins de l’histoire. Concernant la restauration surtout, il convient donc de réinvestir ces lieux sans les dénaturer. D’un point de vue éthique enfin, les architectes se doivent aussi d’instaurer une méthode visant à « raccommoder » correctement l’existant, les contraignant parfois à des choix éthiques. C’est donc aussi une attitude philosophique. Le rôle de l’architecte, qui se doit de porter une attention particulière au contexte, est ici poussé à l’extrême étant donné que le contexte constitue la matière première et le résultat fini du projet. Il s’agit non seulement d’attribuer de nouvelles qualités au bâti mais aussi d’en déceler les qualités existantes. La question de la réaffectation architecturale est donc une problématique majeure, aussi lointaine que l’architecture-même. Cependant, il convient aussi de considérer le réemploi d’un bâtiment sous un angle plus pratique et contraignant, surtout si celui-ci est à usage public comme un théâtre. La réaffectation d’un bâtiment implique une mise en conformité de celui-ci selon les normes en vigueur. Cette mise en conformité est souvent lourde. Il faut tenir compte des prescriptions en matière de sécurité ; celle des équipements techniques, ce qui entraîne parfois le changement du système électrique, du système de chauffage, des sanitaires, l’ajout d’un accès pompier et d’équipements anti-incendie ; ou encore le respect des hauteurs sous plafond (ce qui peut impliquer la rénovation des escaliers ou des portes). Mais aussi des normes prenant une importance croissante : celle concernant la performance énergétique des bâtiments, obligeant parfois à ajouter une isolation interne et externe. Au niveau de l’enveloppe du bâtiment, il faut parfois considérer la reprise de la toiture ou le ravalement de la pierre par exemple. Enfin, selon la destination de la réaffectation, il convient 46 Op. cit. p. 36

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parfois de changer l’acoustique du bâtiment, pouvant entraîner de lourds travaux comme ce fut le cas de la Bellone (cf. cas d’étude).

A. Friches culturelles Dans le champ lexical de la réhabilitation, le terme de « friche », qu’elle soit dite industrielle ou culturelle, apparaît souvent. Tout d’abord, il s’agit donc de comprendre ce que l’on entend par « friche ». Les dictionnaires définissent généralement ce terme en renvoyant à son origine agricole selon laquelle la friche désigne communément une terre laissée à l’abandon. Au jour d’aujourd’hui, le champ de sa définition s’est élargi comme le montre la définition proposée par le glossaire du site Géoconfluence de l’École normale supérieure de Lyon : « Les friches sont des terrains qui ont perdu leur fonction, leur vocation, qu’elle soit initiale ou non : friche urbaine, friche industrielle, friche commerciale, friche agricole. Laissées momentanément à l’abandon, ces surfaces peuvent fournir l’opportunité de repenser l’aménagement du territoire, tant en milieu rural qu’urbain. La situation n’a pas de caractère irréversible : la friche peut être réaffectée à une activité comparable ou être réaffectée à une autre activité (anciennes usines réhabilitées en ensembles résidentiels, de bureaux ; terrils en espaces de loisir, etc.). Il s’agit donc souvent d’un temps d’attente, d’une situation transitoire entre un usage et un autre. » 47 Si la définition proposée ici est intéressante car elle replace la friche dans le contexte urbain contemporain, les notions de réaffectation et de reconversion sont à tort confondues (cf. plus haut). La définition qui, selon moi, colle relativement bien à la notion de friche se retrouve dans celle de « lieu anthropologique ». Le lieu anthropologique est un espace que, selon le… Marc Augé, les gens peuvent s’approprier, et se faisant, qui nourrit leur identité. La friche dès lors considéré comme lieu anthropologique, peut désigner l’antonyme de ce que Marc Augé appelle « le non-lieu » : « Si un lieu peut se définir comme identitaire, relationnel et historique, un espace qui ne peut se définir ni comme identitaire, ni comme relationnel, ni comme historique définira un non-lieu. »48 Le non-lieu existe quand il n’est pas ou plus espace de partage, ne créant pas une identité commune. Le non-lieu est au final un lieu inerte qui d’après Augé, est « un espace interchangeable où l’être humain reste anonyme », comme un supermarché par exemple. Pour nous éclairer dans la problématique de la réaffectation des théâtres, c’est la friche en tant que lieu culturel qui sera examinée ici. C’est au milieu des années 1980 qu’apparaissent les premières friches culturelles, ou tout du moins c’est à cette époque qu’on commence à les nommer. L’infrastructure théâtrale a parfois un temps de retard par rapport à la culture : les friches culturelles sont la preuve tangible de ce retard. Les lieux de création théâtrale sont particulièrement touchés par ce déphasage ; comment entreprendre des projets innovants dans une infrastructure fixe. Le cas échéant, ces lieux de création deviennent de simples lieux de reproduction. Investir les friches (industrielles, urbaines, commerciales,…) pour les transformer en friches culturelles, ce n’est pas (forcément) se dresser contre les infrastructures théâtrales, mais proposer une expérience nouvelle, pour un nouveau public. Dans l’idéal, c’est aussi instaurer un dialogue entre les lieux anciens et les lieux nouveaux. 47 http://geoconfluences.ens-lyon.fr/glossaire/friches 48 AUGE, Marc, Non-lieux, introduction à une anthropologie de la surmodernité, La Librairie du XXe siècle, Seuil, p. 100.

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La question de la réaffectation architecturale Baptiste De Reymaeker, coordinateur de Culture & Démocratie, tente de définir une friche culturelle49 qui, selon lui : « — ne se réduit pas à la seule réaffectation en lieu culturel d’anciens bâtiments témoins du passé industriel ; — quand elle n’est pas dès le départ investie et occupée avec l’accord et le soutien des pouvoirs publics, tend à régulariser et pérenniser son occupation. La friche culturelle ne s’inscrit pas (ou plus) dans un courant illégaliste. Elle accepte d’entrer dans un processus d’institutionnalisation (qualifié par ses détracteurs de disciplinarisation) et tente de faire reconnaître ses activités en échange de subventions, cherchant un équilibre entre l’intérêt d’obtenir des financements publics structurels et/ou par projets et le maintien de son indépendance ; — intègre la dimension industrielle initiale de l’espace qu’elle occupe, se laisse travailler par la mémoire du lieu, lui rend justice ; — accueille une diversité de pratiques artistiques, culturelles et citoyennes ; — est un espace cogéré ; — donne la possibilité de s’affranchir des conditions normées de production et de diffusion d’une œuvre et offre des conditions de création hors du commun qui représentent des contraintes inédites et motivantes ; — se conçoit comme une alternative aux industries culturelles et au rapport marchand à la culture ; — cherche à ce que les habitants riverains et autres passants nourrissent et s’approprient les promesses qu’elle représente. » Le deuxième point de son analyse introduit la différence majeure entre la friche culturelle et le squat d’artiste (développé ci-après), à savoir le caractère non officiel de celui-ci (illégal est un mot fort). Le point antépénultième souligne le potentiel créateur de la friche. Ses contraintes spatiales sont propices à l’innovation. Les possibilités de gestion de l’espace sont décuplées par rapport à une gestion uniforme de la salle à l’italienne par exemple. Débarrassée des normes, qu’elles soient spatiales ou culturelles, elle permet des mises en scènes bien plus audacieuses que celles qu’offrent les lieux formatés. L’avant-dernier point, en évoquant le rapport marchand à la culture, pointe le caractère libérateur des friches culturelles. En devenant des lieux de création et de production, elles produisent des œuvres exemptes de la logique capitaliste. Il y a là un paradoxe amusant à relever ; si ces bâtiments désaffectés sont à l’origine issus de l’industrialisation pendant l’âge d’or du capitalisme, ils sont aujourd’hui l’envers du décor capitaliste depuis la désindustrialisation. Ainsi, c’est le capitalisme qui a créé ces friches, et c’est aujourd’hui contre le capitalisme qu’elles luttent. Le dernier point enfin, mette en lumière l’opportunité que ces friches représentent pour réinstaurer un dialogue avec la population. Ce dialogue vise à ce que les habitants se réapproprient ces lieux avec qui ils partagent un passé commun. La friche devient alors le fruit d’une expérience collective, comme le formule pertinemment la réalisatrice Nimetulla Parlaku : « Il est bon de garder à l’esprit les mécanismes traditionnels qui font de la friche un lieu des possibles : refuge d’expériences collectives, moyen de redéfinir, par la réaffectation de son usage, le maillage social de la communauté urbaine. » 50 Au départ, l’investissement des friches correspondant à un effet boule de neige survenant à la suite de la crise pétrolière de 1973. Tandis que la fédéralisation de la Belgique croît, délaissant la gestion de sa capitale, Bruxelles devient un parc d’attraction pour spéculateurs immobiliers. Avec la construction de bâtiments administratifs de l’Union européenne, la capitale devient elle-même 49 DÉFINIR AVANT D’OBSERVER, OBSERVER POUR DÉFINIR La friche culturelle, révélatrice de la manière dont la vie culturelle s’institutionnalise in Le Journal de Culture & Démocratie / 45/ juin 2017 50 Nimetulla Parlaku, Friche, un rêve des possibles in Le Journal de Culture & Démocratie / 45/ juin 2017

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une énorme friche urbaine. Les édifices sont construits aussi vite qu’ils deviennent obsolètes. La spécialiste de géographie économique belge Bernadette Mérenne-Schoumaker a développé le processus par lequel se développent les friches industrielles: - Départ d’une firme importante et abandon des locaux ; - Départ d’autres firmes dynamiques ; - Disparition de l’activité commerciale liée à ces firmes, surtout des cafés, des restaurants, voire d’autres commerces […] ; - Marginalisation et ségrégation des populations du quartier […] ; - Sous-utilisation des infrastructures […] ; - Dégradation progressive de tout le quartier et multiplication des friches. 51 Avec la naissance de la Région bruxelloise en 1989, la situation s’améliore grâce à l’instauration d’une taxe sur les immeubles à l’abandon, s’accompagnant d’une diminution de la destruction du patrimoine bâti et donc d’une nouvelle occupation pour ces lieux désaffectés. Ainsi, les friches culturelles sont à la fois le symbole d’un mouvement sociétal, en ce qu’elles témoignent d’expériences innovantes par et pour des communautés, et à la fois le symbole d’un mouvement anticapitaliste, en ce qu’elle récuse la spéculation immobilière et ses abstractions financières. Lutter contre la spéculation immobilière, c’est aussi lutter pour la sauvegarde du patrimoine. Les friches culturelles participent donc à patrimonialisation, mais pas d’une façon nostalgique que l’on pourrait qualifiée de ruskinienne.52 A la lumière de ceci, si la réaffectation ou la reconversion des friches implique parfois une intervention architecturale, et donc matérielle, l’intervention est avant tout immatérielle ; elle contribue en effet à réanimer l’esprit des lieux. Toutefois, un lieu porteur d’une histoire, et donc d’une identité commune, ne rentre pas forcément dans le catalogue patrimonial. Si le processus de patrimonialisation est à l’origine philosophique, il est aujourd’hui essentiellement socio-politique, faisant intervenir des choix idéologiques. Aujourd’hui, sauvegarder un bâtiment est une affaire d’Etat (au sens propre) délicate ; le patrimoine industriel est-il considérable comme ruine, sachant que la sauvegarde patrimoniale concerne avant tout les vestiges d’époques plus anciennes ? Le patrimoine industriel se construit ainsi sur la décision éthico-politique de le conserver tout ou partie ou non qui dépend de facto de sa force de transmission de l’histoire. Les friches industrielles recèlent donc une identité urbaine des communautés qui ont jadis composé avec celles-ci comme espace vécu. Elles participent à un nouveau type de patrimonialisation, qui se caractérise par une revitalisation du lieu. Selon Patrice Gourbin, docteur en histoire de l’architecture et spécialiste du patrimoine et de l’architecture de la reconstruction, c’est le versant immatériel du patrimoine, et donc la mémoire du lieu, qui attire les artistes, confirmant les tendances recensées par l’UNESCO à enrichir la notion de patrimoine avec l’aide des particuliers. La question se pose de savoir dans quelles mesures la transformation d’une friche industrielle en friche culturelle la dénature. L’héritage que recèlent les friches sont le moteur de la patrimonialisation, il s’agit donc de ne pas anéantir cet héritage par une réaffectation, une reconversion, ou même une simple occupation. Comme le souligne Françoise Lucchini lors du colloque « De la friche industrielle au lieu 51 MÉRENNE-SCHOUMAKER B., Le problème des sites désaffectés dans les régions de vieille industrialisation. Le cas de la Wallonie D, dans GEO, N°4, 1978, pp. 29-39 52 Ruskin (1819-1900), figure de proue en architecture pour qui la restauration « signifie la destruction la plus complète qu’un édifice puisse subir », position en opposition à celle, au contraire interventionniste, de Viollet-le-Duc (1814-1879)

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La question de la réaffectation architecturale culturel »53, l’intervention artistique entre en jeu dans le processus de patrimonialisation. Mais lorsque cette intervention artistique est aussi patrimoniale, ne rentre-ton pas dans un processus de pérennisation de la friche ? Initialement, la friche est un lieu en suspens, elle n’est ni vivante ni morte, mais peut devenir l’un ou l’autre à tout moment. Ainsi, si le lieu désaffecté est investi de façon prolongée, peut-on encore le qualifier de friche ? Peut-on enfermer toutes ses nuances dans le terme de « friche culturelle » ou, est-il préférable de marquer la transformation de la friche industrielle en lieu culturel comme c’est le cas dans le thème proposé par le colloque évoqué ci-avant. La problématique des friches a encore bien des problèmes à soulever, sur les plans culturel et patrimonial mais aussi sur le plan politique. A l’heure actuelle, les politiques culturelles en Fédération Wallonie Bruxelles peinent à trouver une destination officielle pour ces friches. Cela s’explique parce qu’elles relèvement du secteur fédéral, communautaire, régional et local tout à la fois et n’appartient à aucun secteur spécifique. La solution qui sera apportée demain pour ces friches émergera peut-être de la prise de conscience citoyenne (de l’artiste au fonctionnaire d’Etat) vis-à-vis de la culture contextualisée dans un territoire spécifique. C’est l’interrogation que souligne Baptiste De Reymaeker, coordinateur de Culture & Démocratie : « Peut-être faut-il renverser notre manière de réfléchir l’intégration de ces lieux de culture hors normes dans le paysage culturel : la question n’est alors pas comment la friche culturelle y trouve sa place, mais comment elle interroge et modifie l’ensemble du paysage culturel, l’ensemble des pratiques culturelles… La friche n’interroge pas que notre rapport à la culture, plus fondamentalement elle questionne la disponibilité citoyenne et politique de chacun à investir ces lieux et remet en question le temps de travail : pour que la friche culturelle puisse fonctionner comme elle le veut, il faut libérer du temps pour la culture. » Cependant, la prise en charge de ces friches n’est-elle pas le début de sa fin ? L’investissement de la friche naît justement de la volonté d’échapper aux contraintes que cette prise en charge implique. L’énergie du subversif n’est-elle pas vouée à s’éteindre si elle est affublée d’un cadre institutionnel ?

B. L’obsolescence de l’architecture « Dire la chance de l’obsolescence, c’est dire cette double possibilité de conservation et d’adaptation » Mathias Rollot Parler de l’obsolescence en architecture, c’est un peu parler de l’existentialisme en philosophie. Tout existe avant d’« être », l’existence est la condition préalable à l’essence, ainsi l’existence précède l’essence. Illustration : l’architecture donne naissance à l’édifice. Il n’est alors qu’une enveloppe, qu’une interface entre intérieur et extérieur. Il existe. Ce n’est qu’en lui attribuant une fonction qu’il « est ». C’est la fonctionnalité qui définit son essence. L’obsolescence pourrait être la troisième étape dans le raisonnement philosophique ; l’existence précède l’essence précédant elle-même l’obsolescence. Puisque la détérioration de l’architecture est inéluctable. La comparaison avec l’existentialisme s’arrête évidemment là, les conséquences découlant ce concept étant applicables exclusivement à l’humain. Ainsi, c’est comme si la forme architecturale existe sans la fonction architecturale. En transformant la célèbre sentence de Louis Sullivan « Form follows function », l’obsolescence pourrait s’expliquer simplement par « Form exists without function ». Dans le même ordre d’idées, Diane Simard définit en 1981 l’obsolescence comme ce qui « crée un vaccum au niveau du contenu ; brise en quelque sorte la relation qui existe entre le contenant, qui est la 53 LUCCHINI F., (dir.), De la friche industrielle au lieu culturel, Actes de colloque, Sotteville-lès-Rouen, 14 juin 2012.

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manifestation physique de l’objet, et le contenu qui est la justification de l’existence de ce même objet (on construit pour répondre à un besoin précis) »54. L’architecte et docteur en architecture Mathias Rollot est l’auteur d’un ouvrage jugé très juste quant à la notion de l’obsolescence55. Dans son chapitre « L’architecture, art obsolescent », il met en lien la notion d’obsolescence avec celle d’abandon : « C’est ce chantier d’actualisation programmatique qui rend, en première instance, l’architecture potentiellement soumise à l’absurde ou à l’abandon. Ces spatialités ont beau former des masses stables dans la tempête, si ce qu’elles permettent n’intéresse plus personne, elles ne resteront que des coquilles vides sans bernard l’hermite pour les habiter. »56 Ainsi, la notion d’obsolescence renvoie à l’inadaptation au « goût du jour », à la mode. Le mot « obsolescence » vient du latin obsolescere et signifie « perdre de sa valeur ». D’emblée, la disparition de sa fonction originelle implique-t-elle une perte de sa valeur ? Illustration : l’utilisation de la pierre dans les théâtres gréco-romains permettaient une meilleure réverbération du son. Avec l’apparition de l’électricité, l’usage du microphone et de l’amplificateur a rendu obsolète l’utilisation de la pierre comme amplificateur naturel. Pour autant, peut-on considérer que les théâtres gréco-romains sont obsolètes, entendus comme de moindre valeur ? Ce serait raisonner sans tenir compte de leur valeur patrimoniale. Ce serait rendre dérisoires les traces historiques constituants les points d’ancrage de l’Homme nécessaires à son épanouissement. Rollot conclut « Ainsi l’obsolète pourra être le terreau fertile d’une métamorphose, d’une reconversion, d’un recyclage ou d’un détournement, voire d’un réemploi tel quel dans un autre contexte si l’occasion se présente (…) L’obsolète est bien souvent un sujet prioritaire, dans les processus de transformation urbaine par exemple, mais aussi pour ce qui est de la réhabilitation architecturale ou de l’invention paysagère. »57 C’est donc dans la reconversion des friches que recèle la force latente de l’obsolescence. C’est encore le caractère obsolète des friches qui leur confère une aura mystique, un charme singulier, une poésie inqualifiable. Dès lors, ne serait-il pas temps de considérer l’obsolescence comme une chance, en ce qu’elle marque un témoignage du passé et une promesse pour le futur ?

C. La réaffectation comme sauvegarde du patrimoine A l’origine, la réhabilitation et la réaffectation a commencé avec les édifices du passé, précisons d’un passé lointain. Et le début de la réaffectation elle-même date d’un passé lointain, comme le souligne K. Powell : « La réaffectation des édifices du passé est aussi ancienne que l’architecture elle-même. Depuis toujours, l’homme réutilise, détourne, réemploie les bâtisses, ou éléments de cellesci. Il le fait par nécessité, par économie, en réalité par pure logique. Son rapport à l’histoire était vécu dans une parfaite continuité, un rapport naturel, un lien avant tout vital. Le réemploi d’édifices anciens pouvait également signifier une affirmation de sa propre identité s’inscrivant en surimpression à celle d’un autre, culture, religion, famille… »58 Toutefois, les premières réaffectations ne remontent pas au XIXe siècle, c’est à cette époque qu’éclot une véritable prise de conscience de la valeur des édifices du passé. En effet, le XIXe siècle dominé par le positivisme, et donc une confiance dans le progrès scientifique, donne suite à une période de nostalgie lors de laquelle on mesure réellement 54 SIMARD, Diane, « Le recyclage des bâtiments : ébauche de principes », in Congrès international, conservation, réhabilitation, recyclage, Laval, Presses de l’université de Laval, 1981, p.615. 55 ROLLOT Mathias, L’obsolescence : ouvrir l’impossible, ed. MétisPresses, 2016, p.67. 56 Op. cit. p.69 57 Op. cit. p.120 58 POWELL, K, l’architecture transformée. Réhabilitation, rénovation, réutilisation, Paris, Ed. du Seuil, 1999, p.10

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La question de la réaffectation architecturale l’importance de la sauvegarde du patrimoine dans un monde remplaçant rapidement l’ancien. Dans ce contexte, deux tendances s’affirment, l’une en Angleterre, l’autre en France. Pour les Britanniques Ruskin et Morris, tous deux représentants du mouvement Arts & Crafts prônant un retour à l’artisanat, chaque génération doit construire en fonction des besoins et du style propres à l’époque. Tous deux défendent une conservation tournée vers la modernité et la créativité plutôt que vers la mimésis des œuvres du passé. Ils n’optent pour la restauration qu’en derniers recours qui, le cas échéant, doit garder le plus possible un caractère authentique. En France, l’autre école a tendance à idéaliser le passé, s’accompagnant d’une utilisation à outrance du pastiche. Sa conception de la restauration admet que l’on restaure un édifice dans un état n’ayant jamais existé auparavant. Ce mode de pensée fut surtout lisible dans les restaurations de Viollet-Le-Duc. Si différentes soient-elles, ces deux tendances posent la sauvegarde du patrimoine en priorité. Tout au long du XIXe siècle, les associations pour la protection des monuments se multiplient mais se limitent à l’échelle nationale. L’internationalisme culturel a vu le jour au sortir des deux guerres mondiales, avec la création de l’Unesco notamment. Ce n’est qu’au cours de la seconde moitié du XXe siècle que la nécessité de protéger le patrimoine bâti se manifeste sous forme de traité international. En 1964, le IIe Congrès international des architectes et des techniciens des monuments historiques, réunis à Venise, instaure la Charte internationale sur la conservation et la restauration des monuments et des sites, dite Charte de Venise. Il est à noter que ce traité n’a pas de valeur réglementaire mais constitue encore aujourd’hui un document de référence en matière de patrimoine. « La conservation des monuments est toujours favorisée par l’affectation de ceux-ci à une autre fonction utile à la société ; une telle affectation est donc souhaitable, mais elle ne peut altérer l’ordonnance ou le décor des édifices. C’est dans ces limites qu’il faut concevoir et que l’on peut autoriser les aménagements exigés par l’évolution des usages et des coutumes. »59 La Charte de Venise se montre ainsi favorable à la réaffectation des édifices, pour peu que leur nouvelle fonction soit utile à la société. On entre alors dans une logique utilitaire, l’économie étant la motivation principale des opérations de sauvegarde architecturale. Depuis l’élaboration de la Charte de Venise, la patrimonialisation est allée bon train ; avec la naissance de l’ICOMOS (International Council on Monuments and Sites) en 1965 et celle du DOCOMOMO (International working party for Document and Conservation of Buildings, sites and neighbourhoods of the Modern Movement) en 1988. Lors de la création de ce dernier, le concept de patrimoine bâti accroît son domaine d’action. Avec la considération des créations du Mouvement Moderne, les édifices entrant dans les critères patrimoniaux ne remontent plus forcément à un passé lointain. Un autre jalon de la patrimonialisation correspond à la crise industrielle qui suit le premier choc pétrolier. Durant les années 80 et 90, de nombreuses industries font faillite et produisent force friches industrielles. La réaffectation devient aussi une tendance, presqu’une mode, notamment comme à New York où des artistes aménagent des lofts dans d’anciennes usines désaffectées. On peut aussi citer l’exode urbain des « néo-ruraux »60 lassés de la ville, qui réaffectent d’anciennes fermes, granges et autres pour s’y installer. Il n’est pas étonnant que le phénomène se soit étendu par capillarité aux arts de la scène. Ainsi, la réaffectation constitue une opération fréquente en architecture. Elle concerne donc 59 Charte de Venise, article 5 60 http://www.demainlaville.com/exode-urbain-qui-sont-les-neo-ruraux-12/

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tous les architectes et non plus seulement les spécialistes de la sauvegarde du patrimoine bâti (excepté bien sûr les spécialistes de la restauration des monuments historiques classés).

D. La psychogéographie et la théorie de la dérive La dérive urbaine est un concept créé en 1956 par le situationniste Guy Debord. L’idée majeure de la théorie est d’amener le promeneur à reconsidérer la manière de concevoir l’espace urbain. L’application de cette théorie passe donc par l’abandon du promeneur à son appréhension de l’urbain. D’où le néologisme « psychogéographie » inventé par Guy Debord qui lie le topos à la psyché. Pour la première fois, un théoricien met en lumière le rapport de l’urbanisme sur le pathos. La dérive est donc le point de départ d’une réflexion sur l’urbanisme. « Entre les divers procédés situationnistes, la dérive se définit comme une technique du passage hâtif à travers des ambiances variées. Le concept de dérive est indissolublement lié à la reconnaissance d’effets de nature psychogéographique, et à l’affirmation d’un comportement ludique-constructif, ce qui l’oppose en tous points aux notions classiques de voyage et de promenade. »61 D’emblée, Guy Debord envisage la théorie de la dérive appliquée à l’architecture. « Dans l’architecture même, le goût de la dérive porte à préconiser toutes sortes de nouvelles formes du labyrinthe, que les possibilités modernes de construction favorisent. »62 Cette parenthèse pour expliquer l’impact de l’émotionnel sur un climat urbain. Dans le contexte du théâtre hors les murs, la théorie de la dérive prend également tout son sens. Le spectateur, confronté à une mise en scène inconnue dans un milieu urbain connu ou méconnu, doit se débarrasser de ses a priori pour pouvoir s’abandonner à la représentation. Le théâtre de rue est donc intimement lié à la psychogéographie puisqu’il contraint de manière douce le public à redécouvrir la ville. En outre, c’est notamment la pratique de la théorie de la dérive qui m’a conduite à visiter les cas d’étude qui suivent.

61 DEBORD, Guy-Ernest, in Internationale Situationniste n° 2, décembre 1958. 62 Op. cit.

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Bruxelles et le Jeune Théâtre

IX.

Bruxelles et le Jeune Théâtre

« Le lieu existe plus fort que le spectacle et les gens plus forts que le lieu, (…) le spectacle est un feu ouvert, pas une finalité. » Jo Dekmine63 Le contexte historique dans lequel s’inscrit le Jeune Théâtre nous éclaire quant à la destination de celui-ci. Dans la foulée de mai 68, un nouveau mouvement artistique naît en Belgique et en Hollande, officiellement en 1969 ; c’est le Mass Moving, porté par des projets et des actions éphémères et internationales. Ses acteurs, des artistes et des ingénieurs, veulent « sortir l’art dans la rue » et investir davantage la ville, en réaction aux contraintes académiques et aux mœurs bourgeoises. Ainsi, ils partent à la recherche de nouveaux lieux urbains pouvant accueillir un public plus large et plus diversifié que celui des instituts existants, mieux disposé à interagir avec leurs actions. Au début des années septante, Bruxelles subit l’onde d’une nouvelle vague théâtrale, rompant avec la pratique traditionnelle. D’une part, la primauté du texte est remise en question au regard du corps, de la voix, de l’espace et du mouvement. D’autre part, la volonté d’une organisation globale de la pièce (mise en scène, jeu d’acteur, décor…) préalable à la représentation se fait plus ressentir. En 1970, c’est le Grand Festival de Théâtre qui fait son apparition à Bruxelles. En présentant des spectacles subversifs, rompant avec les trois unités, à la psychologie compacte et parfois même aux notions de rôle et d’interprétations, le théâtre qu’il prône n’est pas sans rappeler celui défendu par Artaud : « Je dis que la scène est un lieu physique et concret qui demande qu’on lui fasse parler son langage concret (…) ce langage consiste dans tout ce qui occupe la scène, dans tout ce qui peut s’y manifester et s’y exprimer matériellement (…) musique, danse, plastique, pantomime, mimique, gesticulation, intonations, architecture, éclairage et décors. »64 Cette nouvelle vague s’accompagne également de la naissance de la Commission française de la Culture qui stimule la création et la recherche théâtrales, allant de pair avec un public vierge dans son rapport au théâtre. En 1976, sous sa tutelle, a lieu le premier festival du Jeune Théâtre regroupant vingt-deux essais théâtraux. Les années septante à Bruxelles sont aussi témoin de la reconversion économique du Théâtre de Poche. C’est le début d’une réaction en chaîne ; la plupart des théâtres bruxellois changent de statut juridique, passant du statut commercial privé au statut d’ASBL (Association sans but lucratif). Ainsi, c’est dans ce contexte révolutionnaire que prend corps en Belgique francophone le mouvement du Jeune Théâtre dans le courant des années septante. Le Jeune Théâtre, soutenu par la Commission Consultative du Jeune Théâtre (CCJT), bénéficie d’un subventionnement dit « au coup par coup », c’est-à-dire que les subventions concernent la réalisation d’un spectacle spécifique et non des spectacles permanents ou renouvelés. Le mouvement du Jeune Théâtre s’accompagne d’une recherche de nouveaux lieux, qui se démarquent esthétiquement, ou simplement qui sont inoccupés, les infrastructures existantes étant plus réticentes à accueillir de jeunes compagnies. A titre d’exemple, on peut citer la représentation de Timon d’Athènes par l’Atelier théâtral sous la direction d’Armand Delcampe, dans les hangars du dépôt de tram à Woluwé en 1975. Partons maintenant à la recherche d’exemples de réaffectation permanente à Bruxelles. 63 Jo Dekmine est le directeur du Théâtre 140 et fondateur des Halles de Schaerbeek à Bruxelles. 64 ARTAUD, Antonin, La mise en scène et la métaphysique, in Le théâtre et son double, éd. Poche, 1975

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X.

Cas d’études

Ce qui m’a frappé en visitant les théâtres ci-après, c’est leur multi fonctionnalité. Ce ne sont pas des salles polyvalentes mais des théâtres polyvalents. Plus précisément, ils gardent leur blason de théâtre, mais offre tous la possibilité à d’autres expériences, culturelles, artistiques ou juste sociales. Certaines salles font tantôt office de salle de répétition, de salle de débat, de prolongement du bar-cafétaria, comme c’est le cas au Kaaitheater. Certains théâtres, comme le Boson de x, ne prévoient des représentations que sur quelques mois de l’année. Le reste du temps, le théâtre est un abri pour des trouves de comédiens itinérants recherchant un lieu pour répéter

A. Le Boson de X

Figure 11 : vue depuis la cour intérieure de la façade du Boson de X

Le premier théâtre réaffecté qu’il m’a été permis de visiter est le Boson de X, situé dans le quartier du cimetière d’Ixelles. Son directeur artistique, Bruno Emsens, a cordialement accepté de me faire visiter les lieux et de m’en expliquer l’histoire et la dynamique. En 2010, le bâtiment occupé par le théâtre du Boson de X est un ancien entrepôt en intérieur d’îlot à Ixelles. Durant les trois années qui précèdent sa réaffectation en théâtre, l’entrepôt se transforme en un atelier de réparation informatique. Pour l’anecdote, il était curieusement doté d’une salle de culte protestant tenu par un pasteur africain. En 2013, la Brussels Playhouse devient le Théâtre le Boson et prend possession dudit lieu. Du statut de petit théâtre professionnel, il passe alors au statut de lieu de création théâtrale accueillant des compagnies professionnelles en résidence depuis 2014. Les résidences artistiques sont très demandées. En effet, les nombreuses troupes itinérantes ont besoin d’un lieu de passage où répéter. La mise à disposition de la salle est donc essentielle pour les 45


Cas d’études artistes itinérants car, le théâtre étant un art vivant, il est essentiel de répéter dans une salle où ils peuvent appréhender le rapport de leur corps et par extension de leur jeu à l’espace. En outre, le théâtre met aussi à disposition temporaire des bureaux pour des professionnels. C’est donc un lieu polyvalent. La salle de spectacles en intérieur d’îlot ne fait que 66,9 m², d’où le nom « Boson de X ». A l’entrée de la salle, un rideau coulissant permet de cacher la salle à la vue des spectateurs pour les faire directement accéder à l’étage où se trouve le foyer. Ce dernier fait office de salle de réunion ou d’espace de rencontres et d’échanges. Bruno Emsens m’explique que ce dispositif permet de faire patienter les spectateurs avant la représentation sans leur dévoiler la scénographie de la salle. Cette salle a une capacité d’environ quarante places (des chaises pliables), avec ou sans praticables amovibles.

Figure 12 : Vue de la salle du Boson de X

Dans un coin de la salle, se trouve une minuscule remise (en forme triangulaire sur le plan) servant à la fois de coulisses pour les acteurs, et de coin technique où sont stockés les gradateurs (équipements électroniques pour la lumière) commandés par le régisseur depuis la petite régie située sous l’escalier, à l’entrée de la salle. L’exiguïté de la salle ne permet que des représentations mettant en scène trois à quatre acteurs tout au plus. La politique du Boson de X, c’est que la quantité ne fait pas la qualité. Si les acteurs sont peu nombreux, ils appartiennent néanmoins tous au théâtre professionnel. Les représentations qui s’y déroulent s’étalent sur une période de trois à cinq semaines. L’intérêt majeur de ma visite était de relever les avantages et les inconvénients découlant de l’exercice de la pratique théâtrale dans un lieu autre que l’infrastructure classique du théâtre, en l’occurrence ici, l’intérieur d’îlot d’une maison bruxelloise mitoyenne. Ce faisant, mon but était de comprendre la potentialité réelle des lieux théâtraux réaffectés. 46


Ainsi, les avantages relevés par Bruno Emsens lors de notre entretien sont, en premier lieu, la proximité entre l’acteur et le spectateur permise par l’exiguïté du lieu et le rapport scène-salle qu’il offre via ses différentes configurations grâce aux gradins amovibles. Bruno Emsens m’explique que cette proximité permet un jeu plus naturel et donc plus authentique. L’éventail des possibilités du jeu d’acteur, avec ses mimiques et ses intonations, est plus large. En second lieu, Bruno Emsens souligne l’inventivité et l’ingéniosité qui découlent des contraintes spatiales. L’exiguïté du lieu oblige à recourir à une mise en scène réduite au strict minimum. Ainsi, certaines représentations intègrent l’escalier dans la mise en scène, aménagent à chaque fois différemment la salle ; créant tantôt un rapport scène-salle frontal, tantôt un espace où les deux se confondent, intégrant le public à la mise en scène. Pour illustrer des situations où les contraintes spatiales sont didactiques, Bruno Emsens prend l’exemple de la pièce « Le Dactylo et le tigre ». Pour cette pièce, la scénographie du lieu requérait deux décors différents ; dans la première partie, un bureau et dans la seconde, un squat miteux. Les mémoires de Bruno Emsens nous plongent dans la scénographie de la pièce réalisée par Vincent Bresmal : « L’univers scénographique des Dactylos est constitué de panneaux de hêtre ; C’est lisse, homogène et actuel, sauf les deux machines à écrire, signes vintage de l’absurdité de la tâche à accomplir. L’ensemble se replie sur lui-même et le mobilier s’intègre dans le placard qui se referme quand les protagonistes réalisent que leur vie est passée, et que rien n’a changé... En se repliant, les panneaux découvrent l’antre du tigre, un squat sordide où les plantes en bocaux de verre se mélangent aux livres éparpillés sur le sol. La culture ne sert pas à grand-chose finalement. Et la nature est en train de reprendre ses droits. Dangereusement. L’ambiance sonore viendra appuyer l’isolement de ces deux espaces, une impression d’être seul au monde dans Les Dactylos et une nature en décomposition – ou plutôt en recomposition – pour Le Tigre. Une ambiance feutrée d’une part et de terre vibrante d’autre part. »

Figure 13 : Le Dactylo et le tigre © Catherine Claes

Concernant les inconvénients du lieu, il s’agit tout d’abord du choix limité des pièces à représenter, d’une part à cause du nombre de comédiens rendu restreint par l’exiguïté de la salle (pour rappel, trois à quatre acteurs présents à la fois au maximum), d’autre part à cause de l’impossibilité de jouer dans une langue étrangère car la profondeur réduite de la salle n’offre pas la distance nécessaire à la lecture du surtitrage (le sous-titrage dans le vocabulaire théâtral). Nota bene : En général, le surtitrage se trouve en haut du carré de scène. (en bas de page ?) Ensuite, l’exiguïté des coulisses s’avère parfois inconfortable pour les acteurs. Enfin, la spatialité éclatée du lieu, avec la salle en intérieur d’îlot et les services situés dans le bâtiment côté rue, entraîne un accès malaisé aux sanitaires, situés à l’entre-étage du bâtiment en façade de la rue. Le théâtre n’offre pas non plus d’accès pour les personnes à mobilité réduite. Enfin, l’architecture des maisons mitoyenne n’étant pas vraiment propice à l’ajout d’un ascenseur, les accès au foyer et aux sanitaires, situés à l’étage, se font via un escalier étroit.

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Cas d’études Les travaux de rénovation qu’a subis le bâtiment lors de sa réaffectation n’ont pas été colossaux ; le recours à un architecte a été nécessaire uniquement pour l’obtention du permis légalisant le changement d’affectation d’atelier en équipement culturel. Concrètement, les travaux ont consisté en : - le recouvrement de la verrière (pour avoir un contrôle total de la lumière) - l’ajout d’un plancher de scène - l’ajout de l’escalier qui remplace l’échelle - la construction de la remise - le recouvrement de la chaudière Le théâtre a également dû s’équiper en extincteurs et en sorties de secours, mais cette rénovation n’a pas impliqué de lourds travaux, les normes de sécurité incendie étant moins contraignantes pour les salles d’une capacité de moins de cinquante personnes. Le Boson est né sur la base de fonds propres. Il tourne actuellement via des financements divers et variés : mécénats, ABSL, COCOF, la commune d’Ixelles, les entrées de la billetterie lors des périodes de représentation, mais aussi et surtout du tax shelter (cf. supra).

B. Le Théâtre Océan Nord C’est en 1982 que le Théâtre Océan Nord, alors connu sous l’appellation « Théâtre du Ciel Noir », voit le jour. Trente ans plus tard, la compagnie, animée du désir de s’insérer dans un contexte social particulier, s’installe dans un ancien garage de la rue Vandeweyer à Schaerbeek, un quartier réputé « difficile ».

Figure 14 : la façade du Théâtre Océan Nord, ayant conservé l’esthétique du garage

La réaffectation du théâtre a vu essentiellement l’installation dans la salle de bancs pour les gradins, d’un système d’insonorisation dans la salle ainsi que d’équipements pour le son et la lumière. Le principal avantage du lieu était le vaste espace qu’il offrait. Depuis son arrivée à Schaerbeeck, le Théâtre Océan Nord s’est fait une place dans le milieu théâtral, charmant par les dispositifs qu’il met en œuvre pour la création et l’expérimentation. Malheureusement, depuis quelques années, le Théâtre Océan Nord a du mal à garder le cap. Un contrat-programme le liait jadis au pouvoir subsidiant, la Fédération Wallonie-Bruxelles, portant sur une durée de cinq ans. Cette durée permet d’établir une programmation, de conclure les accords avec les compagnies et les divers participants aux projets. Or depuis 2010, 48


ledit contrat-programme est prorogé d’avenant annuel en avenant annuel. Depuis 2010, le Théâtre Océan Nord navigue dans un brouillard institutionnel permanent. Depuis lors, il a été contraint de réduire de façon drastique le nombre de représentations. La visite du Théâtre Océan Nord m’a fait comprendre à quel point de telles réaffectations peuvent être lourdes juridiquement. Notons toutefois l’ironie de la situation ; le projet mis en œuvre entre dans les priorités émises par le Ministère de la Culture ; les artistes et leurs projets sont au cœur de l’activité, certains projets sont en collaboration avec les écoles, d’autres offrent une formation continue, d’autres encore visent à développer des ateliers de quartier par le biais de rencontres. Tous ces projets entrent dans les considérations ministérielles, sans trouver d’écho toutefois.

C. Le Kaaitheater

Figure 15 : façade de l’annexe du Kaaitheater affichant fièrement l’enseigne de l’ancienne brasserie

Le Kaaitheater tient son origine du lancement du premier Kaaitheaterfestival 1977, dans la lignée des festivals de Nancy, d’Avignon, etc. Le festival connaît cinq éditions jusqu’en 1985, année où son fonctionnement ponctuel est remis en question au profit d’un fonctionnement régulier. Deux ans plus tôt, le Kaaitheater s’était installé dans l’ancienne Brasserie Etoile située dans le quartier des quais à Bruxelles, largement industrialisé. Au XIXe siècle, les brasseries foisonnent à Bruxelles. La Brasserie Etoile était à l’époque une petite entreprise familiale et comportait un ensemble de bâtiments construits entre 1875 et 1876. La maison de maître, où logeait le patron de la brasserie, était accolée à la brasserie et aux magasins de stockage. Rappelons que la fin du XIXe siècle voit l’émergence du socialisme, dans un contexte où le patron habite, si pas dans, en tout cas non loin de son lieu de travail. Cette brasserie spécialisée dans le lambic continuera ses activités jusqu’en 1957. Les machines et les cuves ne seront démontées qu’en 1982.65 65 Inventaire visuel de l’architecture industrielle à Bruxelles, Saint-Josse-ten-Noode, AAM, Bruxelles, 1980-1982, fiche 1.

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Cas d’études Avec sa cheminée en briques rouges qui se repère de loin, l’ancienne brasserie fait aujourd’hui partie du patrimoine architectural bruxellois. En 1993, le Lunatheater déménage et le Kaaitheater prend sa place et s’installe dans l’immeuble La Luna, bâtiment remarquable du patrimoine de Bruxelles, mélange de style art déco et moderniste. Le Kaaitheater devient le centre d’art bruxellois néerlandophone que l’on connaît actuellement, avec ses deux implantations, l’une dans l’immeuble La Luna, l’autre dans l’ancienne brasserie Etoile abritant les Kaaistudio’s destinés aux plus petites représentations. Lors de ma visite aux Kaaistudio’s, j’ai été d’emblée frappée par l’état de la façade qui semblait avoir fait l’objet d’une restauration récente. Les Kaaistudio’s se répartissent actuellement aux numéros 79, 81 et 83 de la rue Notre-DameFigure 16 : La façade des Kaaistudio’s du-Sommeil, ce qui en fait un théâtre bien plus grand que le théâtre du Boson, et donc un nouveau cas d’étude intéressant. La parcelle 79 n’est pas aménagée et sert d’espace tampon avec les voisins pour l’insonorisation. Sa réaffectation a été postposée à cause de la présence d’amiante dans les murs. Le bâtiment 83 abrite les locaux administratifs et l’hébergement des travailleurs. Il n’y a pas de salle définie comme atelier de répétition. A l’intérieur, l’architecture de l’ancienne brasserie se fait encore ressentir. Au premier étage, se trouve une grande salle baignée d’une lumière zénithale provenant du patio adjacent. C’est

Figure 17 : Vue de la salle polyvalente

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le bar-cafétaria faisant aussi office d’extension de l’espace adjacent dont il est séparé par un système de rideaux mécanisé ; une salle en double hauteur, munie d’une régie en mezzanine. C’est une salle polyvalente servant tantôt aux répétitions, tantôt aux débats ou aux conférences. Avec sa double hauteur, la salle de théâtre paraît immense. Les gradins de la salle de spectacle sont faits à partir de praticables. Ce sont des plates-formes amovibles, à hauteur réglable, destinées aux scènes à montage rapide. Il y en a seize au total.

Figure 18 : Vue de la salle de spectacle

Des chaises pliables font office de siège. Tout comme le théâtre du Boson, le caractère amovible de la scène offre des configurations variées qui modifient d’emblée la capacité de la salle. Dans un rapport scène-salle frontal, les gradins ont une capacité d’une centaine de personnes. La salle, très profonde et très haute, vierge de toute décoration, offre un large panel de scénographies variées. Certaines pièces peuvent intégrer des échafaudages dans la mise en scène ou une tribune centrale séparant la scène en deux parties. La représentation peut être aussi dynamisée grâce aux praticables, créant une configuration où les gradins sont tantôt de part et d’autre de la salle, en profondeur ou en largeur, tantôt rassemblés d’un seul côté, tantôt inexistants, etc. Voyons dès à présent les travaux réalisés lors de la réaffectation menés par l’architecte Luc Maes. Les fenêtres de la salle de spectacle ont été condamnées pour avoir le contrôle exclusif de la lumière tandis que le parement en briques originel a été conservé et repeint pour obtenir un décor neutre tout en étant chargé d’histoire. D’ailleurs, les rideaux sont proscrits afin d’offrir une vue d’ensemble sur le parement originel. Les travaux ont aussi porté sur la destruction du plancher existant jadis entre l’actuelle salle et le niveau supérieur, dans le but de créer la double hauteur actuelle. Enfin, l’aération et les sanitaires ont été totalement revus. 51


Cas d’études Le premier étage, où se situent le bar-cafétaria et la salle polyvalente, a été complètement rénové, notamment via l’ajout de la verrière zénithale pour un meilleur éclairage naturel. En fait, ne subsistent de l’ancienne Brasserie Etoile que l’enveloppe principale (à l’exception des fenêtres qui ont été pour la plupart condamnées) ainsi que l’ancienne cheminée qui servait jadis de four pour la brasserie. Le bâtiment ayant une capacité de deux cents personnes (réparties dans tout le bâtiment) et la salle ayant théoriquement une capacité de cent personnes, les normes incendies sont bien plus strictes qu’au théâtre du Boson et des aménagements ignifuges ont dû être ajoutés en conséquence. Le Kaaitheater est subventionné par la commune de la Région flamande.

D. La Bellone Au 46 de la rue de Flandre, un passage couvert mène à une cour intérieure où s’élève une maison singulière, à la fois classique par son architecture et flamande par son decorum. Construite par l’architecte Cosyn à la fin du XVIIe siècle, cette maison rappelle la maison des Boulangers du même architecte, située sur la Grand-Place. La Bellone est acquise au début du XXe siècle par la Ville de Bruxelles grâce à Charles Buls (1837-1914)66. Y logent et y travaillent différents locataires. Le poste de police du Vismet y a une antenne avec cellule pour les arsouilles. On y voit aussi des gymnastes musclés, les poupons d’une maternité, etc. Vient l’époque où la société de l’Ommegang y siège, y conserve des costumes. C’est le lieu de réceptions de tous ordres. Durant l’Exposition de 1958, un estaminet typique est joyeusement fréquenté dans le bâtiment de gauche. Des statues en plâtre ornent les pavés de la cour... Techniquement, la Bellone n’est pas un théâtre, mais une maison du spectacle, principalement dédiée à la recherche et à la réflexion pour les artistes de la scène. Elle se qualifie de plate-forme d’échanges et de rencontres. Elle organise ainsi des conférences, des ateliers, des expositions, mais aussi de nombreux rendez-vous avec les artistes et les spécialistes de la scène. C’est donc également un lieu qui fait preuve d’une grande polyvalence. Je l’ai intégrée à mes cas d’étude car les travaux de restauration dont la Bellone a bénéficié constituent un véritable projet architectural. En particulier, la Cour principale est surplombée d’une immense toiture en verre au moyen d’une structure fine en acier inoxydable. Réalisée par l’architecte Olivier Noterman, cette couverture en arc de 300 m² ne porte que sur cinq points, ce qui crée une rupture de symétrie. Vrai coup de maître ! D’une part, elle protège la cour des retombées acides qui détérioraient la façade baroque classée du XVIIe siècle, et, d’autre part, la barrière acoustique qu’elle constitue ménage une aire essentielle aux activités culturelles de la Maison du Spectacle, conciliant ainsi brillamment les techniques modernes à l’architecture tricentenaire. Elle a été réalisée grâce à la ville de Bruxelles, au gouvernement de la Région de BruxellesCapitale et l’aide des entreprises De Waele et Herpain.

66 En sa qualité de bourgmestre, Charles Buls a accordé une importance primordiale à la défense des arts et du patrimoine bruxellois. Il contribue à la restauration et à la conservation de plusieurs monuments et édifices de la ville, notamment la Grand-Place, à une époque où le patrimoine ne jouissait pas d’autant de considération qu’aujourd’hui.

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Figure 19 : Vue de la façade classÊe de la Bellone

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Conclusion

XI.

Conclusion

« Le théâtre contemporain se caractérise par le fait qu’il ne répond plus à une forme unique donnée. Le théâtre idéal n’existe pas. Les créations sont aussi multiples qu’originales et un lieu théâtral n’a de valeur que par les spectacles qui l’habitent. » Valentin Fabre & Jean Perrottet La scénographie est intrinsèquement éphémère. Sa temporalité limitée lui offre une légèreté avec laquelle l’architecture ne peut, a priori, rivaliser . Or, l’architecture théâtrale a toujours été revisitée, pour prendre, ces dernières décennies, des formes de plus en plus originales et variées. Au cœur du débat émergent diverses théories, complémentaires ou antagonistes. Presque toutes visent à trouver LA solution architecturale pour la scénographie de demain. Très peu soulèvent la possibilité qu’une telle solution n’existe pas. En effet, il serait absurde de réduire l’architecture théâtrale à un mode d’emploi dans une société en perpétuelle mutation. Cette hypothèse remet d’emblée en question les limites physiques et mentales au théâtre. L’acte théâtral doit-il se dérouler dans un théâtre « classique » ou un théâtre à l’italienne rénové donnant l’illusion d’être en phase avec les attentes et les exigences techniques de son époque ? Les dernières expérimentations du théâtre prouvent le contraire ; les représentations ont lieu dans des lieux toujours plus loufoques, du théâtre de rue au théâtre de fortune dans des lieux réaffectés. Car si les limites physiques remettent en cause la pertinence d’un carcan architectural emprisonnant l’acte théâtral, les limites mentales questionnent le public auquel il est destiné. Ainsi, le but initial du théâtre de rue n’est-il pas de s’ouvrir à des publics multiples, transformant un édifice austère en un lieu de rencontre ? Qu’il s’agisse d’un ancien entrepôt, d’un ancien garage, d’une ancienne brasserie ou d’un édifice classé, la réaffectation de ces lieux en théâtre n’a pas fini de nous étonner. Les cas étudiés dans ce mémoire sont tous différents, mais tous présentent un point commun essentiel : leur polyvalence. Ces lieux estampillés « théâtre » sont en réalité des lieux à la fois de création et d’expérimentation, basés sur l’échange et le partage. C’est la raison pour laquelle il me semble plus opportun de parler de « lieux de création théâtrale » plutôt que de « théâtres ». L’emplacement de ces « friches culturelles », qui font donc office de lieux de rencontre (café, restaurant, locaux associatifs), de création (salles de répétition, ateliers d’artistes) et de diffusion (salles de spectacle, d’exposition) n’est pas anodin ; quartier estudiantin du cimetière d’Ixelles pour le Boson de X, quartier industriel du Canal en cours de revalorisation (culturelle notamment) pour les Kaaistudio’s, centre-ville pour la Bellone. Ces friches culturelles sont très souvent situées au cœur de quartiers populaires. Ces lieux de création théâtrale naissent donc, avant tout, d’un élan social. Cet élan social veut réaffirmer la primauté de la libre expression, mais aussi de la libre représentation. Libéré des normes et conventions théâtrales ainsi que des légalisations par l’autorité publique, l’événement théâtral existe hic et nunc. Très souvent, ces friches culturelles ne bénéficient de la part des autorités publiques que d’un droit de séjour provisoire, éventuellement susceptible de se pérenniser. Parfois, ces friches culturelles recèlent une histoire, et leur réappropriation prolonge une mémoire collective (cf. la Bellone). La culture ressuscite ces lieux mis au rebut de la société, considérés comme obsolètes ou inaptes à l’exploitation (et donc au profit si cher à notre société capitaliste). 54


On retrouve le sens premier de l’animation : insuffler la vie. Le point commun majeur de ces friches culturelles est que, quel que soit le cadre de scène, qu’il soit rue ou tréteau nu, l’événement théâtral, ou plutôt la rencontre théâtrale, entre l’acteur et le spectateur, a lieu.. Il semblerait que, durant des siècles, la recherche théâtrale était obsédée par la volonté d’aboutir au théâtre idéal. Aujourd’hui, le théâtre est plus que jamais un théâtre expérimental. La mise en scène est expérimentation théâtrale. La réaffectation est expérimentation architecturale. Le lieu théâtral étant une fenêtre sur la société, quoi de moins étonnant que notre société, en perpétuelle mutation, donne naissance au théâtre du changement ? Dès lors, il faut bien convenir que, si l’architecture théâtrale a produit, produit et produira de grandes choses, depuis les amphithéâtres grecs jusqu’aux théâtres transformables, poussant toujours plus loin la technologie, elle ne constitue pas une condition sine qua non à l’événement théâtral. Le théâtre d’aujourd’hui, comme probablement celui de demain, ne crée pas une nouvelle architecture. Il réveille plutôt l’architecture existante endormie. Ainsi, son sommeil attend un réveil. Son obsolescence, une métamorphose.

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Bibliographie

XII.

Bibliographie

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Bibliographie

PERIODIQUES

- Alternatives théâtrales, Le Théâtre en sa ville, n°109, n°109, 2e trimestre, 2011. - Alternatives théâtrales, Bruxelles 72-82 - Le jeune théâtre, n°13, décembre 82. - A+ Architecture en Belgique, (Re)cycle (Re)habilitate, n°258, février/mars 2016.

OUVRAGES COLLECTIFS

- ARCHITECTURE ET DRAMATURGIE, Editions d’Aujourd’hui, Plan-de-la-Tour, 1980. (Direction, André VILLIERS) - LE LIEU THEATRAL DANS LA SOCIETE MODERNE, CNRS, Paris, 1961. - SCENOGRAPHIE, 40 ANS DE CREATION, Editions L’Entretemps, Montpellier, 2010. (Ouvrage coordonné par Luc BOUCRIS, Jean-François DUSIGNE et Romain FOHR)

SITOGRAPHIE

http://www.leboson.be/fr/ http://oceannord.org/ http://www.bellone.be/fr/ http://rabbko.be/fr/documentation/p2 http://rge.revues.org/5105 http://www.icomos.org/fr/ http://whc.unesco.org/fr/conventiontexte/

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XIII.

Iconographie

Figure 1 : http://www.mole24.it/2017/02/02/la-cavallerizza-reale-di-torino/ Figure 2 : http://footage.framepool.com/fr/shot/665492297-epidaure-visions-of-greececulture-antique-amfitheatre Figure 3 : http://www.culture.gouv.fr/public/mistral/memoire_ fr?ACTION=CHERCHER&FIELD_5=LBASE&VALUE_5=PA00101611 Figure 4 : http://www.avignon-et-provence.com/monuments/theatre-antique-dorange Figure 5 : http://www.theatrales.uqam.ca/chronologie/Serlio.html Pour la scène comique voir : Patrick M. Finelli, Theatre History Cybercourse, cédérom, 1996. Pour la scène tragique voir : Claude Mignaut, Les Temps modernes, XVe-XVIIIe siècles, Paris, Flammarion, 1996, p. 241 Figure 6 : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:L-Bayrethertheater.png Figure 7 : http://www.harvardartmuseums.org/art/48575 Figure 8 : http://www.czechtourism.com/getmedia/f39efb2b-265e-42b1-a710-dd481e459cf3/ Tocna_archiv_004.jpg.aspx/ Figure 9 : http://www.festival-avignon.com/en/venues/carriere-de-boulbon Figure 10 : http://www.soundlightup.com/archives/reportages/festival-beyond-my-piano-auxbouffes-du-nord.html Figure 11 : http://www.leboson.be/fr/2-presentation Figure 12 : http://www.leboson.be/fr/2-presentation Figure 13 : http://www.leboson.be/fr/plays/4-les-dactylos-et-le-tigre Figure 14 : https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Th%C3%A9%C3%A2tre_Oc%C3%A9an_ Nord Figure 15 : photographie personnelle Figure 16 : photographie personnelle Figure 17 : photographie personnelle Figure 18 : photographie personnelle Figure 19 : https://fr.wikipedia.org/wiki/La_Bellone

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Annexes

window

750

110 seats

door

window

21.50m

100

window

to dressing rooms

14m

9.45m

window

regie

audience entrance tribune

load-in

1m

0.5m

0.25m

foyer

A. Les Kaaistudio’s

door

beam pipe 33 x

5.30m

9m

Kaaitheater kantoren - Akenkaai 2 - 1000 Brussel - tel :+32(o)2 201 58 58 . fax: +32(o)2 201 59 65 . e-mail: info@kaaitheater.be

kaaitheater studio's Kaaitheater studio's - Onze-Lieve-Vrouw vanVaakstraat 81 - 1000 Brussel


1.400

945

2.150

lift 0.25m 0.5m 1m

nivo -1

900

kaaitheater kantoren Akenkaai 2 ,1000 brussel . tel :++32(o)2 201 58 58 . fax: ++32(o)2 201 59 65 . e-mail: info@kaaitheater.be . website: www.kaaitheater.be

kaaitheater studio's kaaitheater studio's Onze-Lieve-Vrouw vanVaakstraat 81 1000 Brussel


garage

hoogspanning

1.400

945

Theaterstudio

0.5m

0.25m

2.150

lift

atelier

nivo 0

1m

530

900

kaaitheater kantoren Akenkaai 2 ,1000 brussel . tel :++32(o)2 201 58 58 . fax: ++32(o)2 201 59 65 . e-mail: info@kaaitheater.be . website: www.kaaitheater.be

kaaitheater studio's kaaitheater studio's Onze-Lieve-Vrouw vanVaakstraat 81 1000 Brussel


regie

lift

Concertstudio foyer

1.400

Theaterstudio

945

2.150

terras 0.25m 0.5m

nivo 1

1m

530

900

kaaitheater kantoren Akenkaai 2 ,1000 brussel . tel :++32(o)2 201 58 58 . fax: ++32(o)2 201 59 65 . e-mail: info@kaaitheater.be . website: www.kaaitheater.be

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SYNTHESE A3


B. Le Boson de X


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Remerciements En premier lieu, je tiens à remercier ma promotrice Marianne Puttemans, pour ses conseils avisés. Je remercie aussi tout particulièrement Dimitri Shumelinsky de m’avoir fait part de son expérience du métier de scénographe, de m’avoir dirigée dans mon sujet de mémoire, notamment grâce aux livres qu’il m’a prêté. De plus, je remercie vivement le directeur artistique du Boson de X, Bruno Emsens, ainsi que le gestionnaire des bâtiments du Kaaitheater, Paul Van Santvoort, pour le temps qu’ils m’ont apporté et les informations qu’ils m’ont prodiguées. Ensuite, j’accorde toute ma gratitude à l’équipe du Théâtre Océan Nord ainsi qu’à celle de la Bellone, pour l’aide qu’elles m’ont apportée dans mes recherches. Je remercie mon ami Oscar Briou de m’avoir fait découvrir la Cavallerizza Reale à Turin. Merci à ma famille et mes amis pour m’avoir soutenue tout au long de la rédaction de ce mémoire.

Enfin, merci à tous les amoureux du théâtre qui lui permettent d’exister chaque jour.

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