Exciting Existing de recycle la ville

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EXCITING EXISTING ALice deprez

Joint Master of Architecture



EXCITING EXISTING Ou De recycler la ville

Fribourg 2016



« Mieux que nous ne saurions le décrire nous-mêmes les photographies nous montrent le quartier des Grottes tel qu’on peut encore le voir aujourd’hui : faites vite car demain il sera livré à la pioche des démolisseurs. A ce sujet, rien à redouter, il ne sera fait nul référendum, ni levée de boucliers pour protéger cet ensemble lépreux et misérable. [ ... ] Tout crie l’extrême vétusté, la décrépitude et pourtant derrière toute cette détresse, on ne saurait demeurer insensible en pensant aux vieilles bâtisses qui abritèrent tant de vies humaines. Si bizarre que cela puisse paraître, il est des laideurs qui vous touchent, et c’est sans doute là le cas du vieux quartier des Grottes qui va mourir. » Eugène-Louis Dumont (1971)



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Genève, Les Grottes

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- la rénovation douce, pourquoi ?

Genève, Les Grottes

(Analyse d’un cas)

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Introduction

(Analyse d’un cas) 15 19 25 31 33 41 53

- pourquoi parler du quartier des Grottes ? - bref historique du quartier - le mouvement citoyen (1970-80) - propositions des architectes : - les Schtroumpfs - l’îlot 13 - pari réussi ? micro trottoir

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Conclusion

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Photos glanées du quartier

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Bibliographie

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Introduction


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La rénovation douce, pourquoi ? Pourquoi je m’y intéresse ? Je pense que la réponse à un manque de place ou à un usage qui a changé n’est pas de tout raser et reconstruire neuf, flamboyant, pimpant par dessus. En effet, le bâti existant a, pour moi, une certaine valeur. Premièrement, le bâti peut parfois avoir un intérêt d’ordre historique ou architectural. Mais il peut aussi simplement être le témoin discret d’une autre époque ou d’un autre mode vie. De plus, la variété des bâtiments et de leurs âges apporte une précieuse diversité à la ville. Celle-ci est importante non seulement d’un point de vue esthétique : pour ne pas se retrouver avec des quartiers aseptisés car tous identiques ; mais aussi d’un point de vue social : cette diversité bâtie permet une diversité des loyers par exemple (les personnes plus fragiles ne se retrouvent pas parquées en périphérie de ville). Enfin de mon point de vue d’architecte, je considère le bâti existant comme le terreau de mes projets futurs (de rénovation, réhabilitation, mais aussi neufs !). C’est pour cela que j’ai nommé ce profile search II « Exciting Existing ». L’existant m’est porteur de poésie, il me permet de mieux dialoguer avec la ville et ses habitants (au lieu de faire tabula rasa et d’imposer ce qui « serait » le mieux, mais le mieux pour qui ?!). Je pense qu’il ne faudrait pas voir la ville comme une grande feuille blanche, mais plutôt comme un tableau qu’il faudrait restaurer ou compléter par petites touches. L’architecte devrait agir comme un acupuncteur.

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Genève, Les Grottes (Analyse d’un cas)


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« Or le mot différence (avec un e), n’a jamais pu renvoyer ni au différer comme temporisation ni au différend comme polemos. C’est cette déperdition de sens que devrait compenser – économiquement – le mot différance (avec un a). Jacques Derrida (1972)

Pourquoi parler du quartier des Grottes? Pourquoi choisir le quartier des Grottes comme exemple de rénovation douce ? Comme je le disais précédemment, les quartiers qui ont su préserver leur bâti existant proposent une diversité très importante à mes yeux. Et c’est de cette différance dont parle Derrida (citation extraite de « De la différence urbaine »). Il propose de revoir, d’enrichir la signification du mot différence, de lui ajouter une dimension temporelle, de processus qui par les oppositions (polemos) crée un objet, un lieu, un quartier qui diffère. En effet la ville, ou le quartier, n’est pas un objet conçu de toute pièce par un seul esprit à un seul moment ; elle est une accumulation d’époques, de politiques, d’habitants différents, qui ont chacun à leur manière apporté leur pierre à l’édifice. Il existe une multitude de couches variées qui « font » la ville : l’architecture, les gestes du quotidien, les passants, les habitants, leur intimité, la politique, les questions sociales, les espaces (publics et privés), la matérialité, la présence de la nature, l’eau, les animaux, la nuit… La ville est un lieu de vie. Et c’est la lutte que les habitants de ce quartier des Grottes ont menée qui a permis de se battre contre une idée de la ville comme outil économique. Cette politique de rénovation légère et de loyers maintenus bas a d’ailleurs permis au quartier de résister à la gentrification. Dans ce quartier des Grottes, « la normalisation de l’espace public est mise en échec ». Il y a dans ces lieux une forte ambiguïté entre les espaces

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publics et privés, les limites ne sont pas dessinées clairement, les passants peuvent traverser l’intérieur des îlots qui deviennent squares ou jardins communs. Si un espace extérieur n’est pas physiquement accessible à cause d’une grille ou d’une pente, il est tout de fois visible par les passants. Les habitants des Grottes se sont appropriés leur quartier de différentes manières : tables de pic-nic, jeux pour enfants, poulailler, plantes sur le trottoir… Ils y interviennent aussi pour défendre leurs idées : affiches, fêtes, pétitions, associations… Ils y ont par exemple installé des petits carreaux de céramique représentant le tracé de l’ancien Nant des Grottes, une rivière disparue lors de l’urbanisation du quartier dans les années 1950. Cette intervention caractérise parfaitement ce que sont les Grottes, un mélange entre mémoire et innovation. En effet les habitants du quartier proposent de libérer ce ruisseau, à l’image de l’urbanisme écologique qu’on retrouve aujourd’hui dans le quartier. Une petite anecdote pour terminer cette introduction au quartier des Grottes. Saviez-vous que son nom n’est pas lié à d’anciennes cavernes, mais plutôt à cette fameuse petite rivière ensevelie qui s’appelait en premier lieu le Nant des Crottes car ses eaux étaient très sales. Son nom a ensuite été publiquement changé en Grottes pour ne pas ternir la réputation de ce nouveau quartier en construction.

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Bref historique du quartier proposĂŠ par le Collectif 500.

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«Après les ténèbres la lumière», plan d’extension de Genève, De Morsier, Golay et Barde, 1896


Plan directeur de Genève, Département des travaux publics, Maurice Braillard, 1935

Concours pour l’aménagement de la rive droite, 1929. «Réorganisation», 4e rang, P. Artaria et H. Schmidt «Qui vivra verra», 2e rang, E.-A. Favre


Quartier des Grottes, projet d’aménagement, DTP service de l’urbanisme, 1953

Quartier des Grottes, rapport de la Commission pour la reconstruction du quartier des Grottes, 1966


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Image directrice, FAG, 1980


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« Aujourd’hui, refuser la démolition des Grottes, ce n’est pas refuser un logement décent pour les travailleurs. Ce n’est pas non plus pleurer sur les vieilles pierres. C’est dire non à la logique capitaliste qui détruit, transforme et décide du développement urbain à son seul profit. » Collectif d’auteurs (1979)

Le mouvement citoyen. Le mouvement citoyen du quartier des Grottes est né fin des années 70 et existe encore et toujours, aujourd’hui sous la forme du Collectif 500 qui s’est créé en 2011 contre le projet d’agrandissement de la Gare de Cornavin (qui planifiait de s’étendre hors sol et pour cela de raser la partie basse du quartier des Grottes). Les revendications des habitants ont été et sont encore aujourd’hui très liées au respect du bâti existant (et du non bâti également, tel que la structure perméable des îlots), ainsi qu’à l’innovation. Ces idées ont façonné au fil des années le quartier tel qu’on le connaît aujourd’hui. La sauvegarde du quartier se retrouve dans l’attention portée au patrimoine architectural, mais aussi celui lié au tissu socio-professionnel des lieux. Le but est entre autre de stopper la spéculation. L’envie d’innovation quant à elle concerne tant les processus de décisions politiques, les technologies de la construction, le chantier, les méthodes d’expertises (par exemple la MER), mais aussi et surtout les nouvelles façons d’habiter (les formes d’organisation sociale). Le patrimoine bâti « banal » du quartier permet des expérimentations de technologies durables dans un cadre bâti existant et ancien. Les revendications des habitants sont non seulement esthétiques, mais aussi éthiques. C’est pour cela que l’on retrouve dans le quartier, sur les murs, les boites au

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lettres, un peu partout, des traces de ces luttes et de la créativité sociale des habitants du quartier via des affiches, tags, citations, tracts, banderoles… La mémoire des luttes du quartier est un point important dans les projets, ainsi que le mode de vie alternatif qu’il offre. C’est par exemple pour cela que les habitants du quartier on souvent (encore une fois aujourd’hui) lutté contre l’urbanisme de tour qui représente pour eux les modèles des grands ensembles dans lesquels on a trop souvent parqué les classes populaires et ouvrières, les éloignant du centre-ville. De plus, ces tours promeuvent des modes de vie individualistes et risqueraient d’appauvrir la vie locale du quartier en standardisant le cadre de vie de ses habitants, rendant le quartier anonyme. Ce serait pour eux la fin du quartier (entendu comme un lieu de vie, une communauté), c’est pour cela qu’ils se seront à chaque fois mobilisés pour proclamer un « droit à la ville » et un droit d’autodétermination de leur cadre de vie. C’est pourquoi ils revendiquent une rénovation légère du quartier pour pouvoir préserver la diversité des classes par l’hétérogénéité du bâti, la multiplicité des espaces et passages extérieurs… Pour défendre leurs idées, les habitants des Grottes ont mis en place une panoplie d’initiatives. La première pourrait être le fait qu’ils s’approprient l’espace public, ils vivent le quartier. Les intérieurs débordent sur les trottoirs et la rue (tables, bancs, plantes, des pots de fleurs contre les voitures…), les murs sont repeints, les bricolages s’installent aux balcons, sur les places, un poulailler est installé dans une cours ouverte au public. Des murs sont abattus pour partager et collectiviser l’espace, on crée des salles, des terrasses et des jardins communs, etc. L’empreinte des habitants se lit dans tout le quartier. Les associations s’activent dans le quartier, c’est par exemple le cas de Pré en Bulle qui se veut itinérante, elle organise des activités partout dans le quartier des Grottes. Une des formes de contestation privilégiée dans le quartier des Grottes est la fête, les habitants


organisent des inaugurations, des repas festifs, des festivals, un marché, où l’on expose les problèmes et les idées, des pétitions circulent, des projets se créent… Dans les années 70-80, l’APAG (Association populaire aux Grottes) organisait des contre-visites publiques pour montrer que les bâtiments que la ville refusait de louer étaient encore viables tel quel et ne nécessitaient certainement pas d’être détruits. L’APAG a menée une lutte contre la politique du logement en tant que bien marchand. Elle lance par exemple fin 1977 une action de « relocation forcée », il s’agit d’une sorte de squat coordonné, dans les appartements laissés vides par la Ville. L’objectif était de préserver le tissu bâti, mais aussi social, du quartier. La relocation forcée permettait aussi, en plus d’offrir un logement provisoire, de créer des infrastructures communautaires, telles qu’une cantine populaire, des ateliers, une crèche, un marché… Pour répondre à ces actions, la commune a mandaté Pierre Merminod et Jacques Vicari pour mettre au point la Méthode d’évaluation rapide (MER). Celle-ci se base sur une observation directe du bâtiment, elle permet de réduire au maximum la séparation entre experts et non-experts. Chaque détail du bâtiment est classé sur une échelle de 1 (mauvais état) à 4 (bon état), ensuite l’état du bâtiment dans son ensemble est lui-même réparti en trois catégories (détérioration lourde, moyenne et légère), enfin le choix se fait entre trois degrés d’intervention (intervention légère, rénovation lourde, reconstruction). Grâce à cette méthode, l’expertise n’est pas abandonnée mais partagée entre les architectes, ingénieurs, ouvriers, promoteurs, hommes politiques et habitants. Cela lui confère une dimension éthique, ainsi que politique car elle crée un moment de contre-pouvoir (la décision n’est pas prise unilatéralement). Pour pouvoir répondre à ces demandes, quelques modalités pratiques ont du être mises en place lors du réaménagement des Grottes.

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Par exemple, comment faire pour reloger les habitants d’un immeubles à rénover lorsque plus de 70% d’entre eux désirent rester vivre dans le quartier ? Il a fallu mettre en place des « opérations tiroir », en rénovant appartement après appartement, pour ne déplacer que temporairement les habitants dans l’immeuble. Bien entendu, cela n’était plutôt possible que si la rénovation était légère. De plus il a fallu trouver des compromis entre la antimondialisation exagérée et le besoin de plus en plus grand de nouveaux logements (certains

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propositions pour les constructions et réhabilitations d’après la Méthode d’évaluation rapide (MER), FAG, 1980 > bâtiments réhabilités

> réhabilitation lourde ou démolition à l’étude


lieux, tels que les « quartiers généraux » de l’APAG, on dut être transformés par exemple). Enfin beaucoup de rénovations légères (s’écartant des normes de confort standards) ont pu être effectuées par les habitants (avec l’aide de coopératives d’ouvriers du bâtiment proches des milieux squats), seulement grâce au caractère pilote et expérimental de leur projet.

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> bâtiments nouveaux


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Propositions des architectes. J’aimerais me pencher sur deux projets issus de la rénovation des Grottes (de 1977 à aujourd’hui). Ces projets se sont basés tout deux sur un même idéal de diversité qu’inspire fortement le quartier des Grottes, mais ils ont pris des chemins très différents pour y parvenir : les bâtiments des Schtroumpfs offrent une diversité par le dessin, tandis que les bâtiments de la Ciguë offrent une diversité grâce à une collaboration entre habitants, associations et architectes.

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Les Schtroumpfs 1982-1984 Christian Hunziker, Robert Frei et Georges Berthoud rue Louis-Favre 23, 29


Les Schtroumpfs. Le postulat de départ du trio d’architectes était que les habitants étant tous différents, il fallait leur offrir des appartements propres à chacun. Ces immeubles proposent en effet plus de trente typologies différentes. L’appropriation des lieux par les individus se ferait par le jeux des typologies, architectures, géométries, couleurs, matérialités, espaces tous différents. La différenciation des plans a été possible grâce à une structure porteuse ponctuelle. Le projet (ainsi que le quartier des Grottes dans son ensemble) tient à être un lieu d’expérimentation constructive, d’être innovant, tant pour le bienêtre de ses résidents que pour une économie d’énergie (isolations, nouveaux matériaux…). En plus du plaisir d’habiter précieux aux yeux des architectes, ils ont proposé un plaisir du travail pendant le chantier en laissant les finitions libres aux ouvriers qui ont pu laisser libre cours à leur créativité. Cependant le projet a une morphologie qui se situe entre les squares du quartier des Grottes et les barres des quartiers voisins. Sa grande hauteur (plus haute que la moyenne du quartier) permet d’en faire un mur anti-bruit, mais a suscité aussi beaucoup de protestations. Moqué et haïs à ses débuts, l’ensemble des Schtroumpfs a tout de même réussi à trouver sa place dans le quartier des Grottes aujourd’hui : même si son esthétique surprend et ne plaît pas à tout le monde, beaucoup des habitants du quartier trouvent l’îlot très convivial et agréable à vivre.

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îlot 13, immeubles de la Ciguë 1991-1998 Atelier 89 : Oleg Calame et Philippe Bonhôte rue de Montbrillant 16-18


L’îlot 13*. En 1988, des échanges ont lieu entre le quartier des Grottes et le milieu squat et alternatif de Berlin. Suite à ça, une exposition est montée à propos de la rénovation douce qu’a vécu le quartier du Kreuzberg à Berlin. En parallèle une journée de séminaire sur ce sujet est organisée, à laquelle participent l’Ecole d’Architecture, des représentants de la Ville et de la FAG. Dès lors l’îlot 13 est perçu comme le lieu parfait pour devenir un terrain d’expérimentation en la question. Les habitants se voient la possibilité de créer des coopératives en 1989 et de proposer des projets de rénovation pour leur quartier, tout en collaborant avec la FAG pour y parvenir. Ceci n’empêchera tout de même pas la FAG de proposer un projet personnel sans consultation des habitants. Celui-ci propose entre autre la démolition de certains immeubles occupés par ces nouvelles coopératives. En 1990, l’Association Gare-Montbrillant, qui s’oppose au projet de la FAG, propose une projet qui refuse une destruction du bâti existant, ainsi qu’un changement dans la structure de l’îlot ; son projet met plutôt en avant une série de programmes et d’activités à créer dans l’îlot. Pour éviter un désaccord total et paralysant, Michel Ruffieux (directeur du Service municipal des constructions) propose de participer au concours d’architecture Europan « Habiter la ville : Requalification des sites urbains ». Le programme demandé pour le concours se base sur le projet de la FAG mais également sur le contre-projet des habitants. Le bureau lauréat du concours est l’Atelier 89 (Calame & Bonhôte) qui propose un projet utilisant les motifs qui constituent l’identité de l’îlot 13 : la cour, les connexions entre les immeubles, le caractère hétérogène. Ce projet est approuvé par les habitants, tout en proposant un consensus concernant la conservation du bâti existant.

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Le projet se concentre sur plusieurs caractéristiques existant dans l’îlot 13. La brèche : le projet crée un passage discret sous une terrasse commune située au 1er étage, l’entrée s’y fait naturellement, elle est signalée par la posture des immeubles qui, continus en front de rue, se retournent sur elle et créent une place pour la buvette de l’îlot. La position de l’immeuble de logements pour étudiants permet de créer une fragmentation des espaces extérieurs, leur donnant une dimension humaine et créant une variété de cours différentes. Le contraste se ressent tant dans les matériaux, que les styles et les échelles utilisées. Le caractère collectif se retrouve dans les chambres d’étudiants qui dictent la trame du projet, mais aussi dans les coursives extérieures, les terrasses et jardins communs. D’autres immeubles squattés de l’îlot sont rénovés plus légèrement par les habitants qui sont assistés par des ouvriers du bâtiment issus eux-mêmes du milieu squat. Ces bâtiments bénéficient d’un bail associatif. Ce genre de rénovation, dont les critères de confort diffèrent des standards, a été possible grâce au caractère expérimental et pilote attribué à l’îlot 13. J’ai décidé pour ce projet de raconter l’histoire de l’îlot 13 entier car il me semble que le projet s’insère dedans et n’en n’est pas un élément distinct, isolé.

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Pari réussi ? Pour savoir ce qu’en pensent les habitants aujourd’hui, je me suis rendue dans le quartier des Grottes pour y faire un micro trottoir. Voici la question que j’ai posée : Si je devais dessiner un nouveau projet dans le quartier, quel modèle me conseilleriez-vous ? Pourquoi ? - les Schtroumpfs - l’îlot 13 - aucun des deux, parce que ?

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Sur cette photo du début des années 80, on voit le quartier des Grottes en mutation. On voit l’îlot où sont aujourd’hui implantés les Schtroumpfs se faire démolir. Tout l’îlot derrière la maison d’Austin (en bleu) est encore debout, mais il a été détruit dans ces années-là.


Austin. Pour Austin, la question de la rénovation du quartier ne se situe pas tant dans la forme des nouveaux bâtiments (bien que respecter la hauteur des gabarits existants semble quand même important pour lui) que dans le problème que crée ces travaux : le déplacement des habitants. En effet, ceux-ci sont délogés tout le long de la durée des travaux et souvent remplacés par de nouveaux occupants. Les travaux changent les gens qui habitent là, et par conséquent le quartier lui-même se voit changer. Austin vit aux Grottes depuis 1998, il habitait dans un squat qui a été rénové, il y vit avec quatre colocataires (dont deux musiciens souvent en vadrouille). S’il faut vraiment choisir, l’îlot 13 est plus mixte, il y a beaucoup de bâtiments différents ; tandis que les Schtroumpfs sont de grands immeubles qui ne seront pas faciles à rénover. Il pencherait plus pour plusieurs petits projets qui offrent plus de flexibilité dans le temps.

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Il y avait une friche à l’abandon à coté de la maison d’Austin, résidu en pente coincé entre l’ancien îlot et la nouvelle cours construite dans les années 80. Il y a installé un potager en gradins.


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Mis à part les maisons de la rue de l’industrie, tout l’îlot a été détruit dans les années 80. À l’arrière de la maison d’Austin et de Péclot13 (un magasin de vélos d’occasion), des baraques aux murs en aux toits en acier avaient été montées provisoirement. Elles y sont toujours, qu’est-ce que la ville va décider d’en faire ? Il y a des ateliers dedans, elles sont utilisées par les habitants.


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Marcela travaille à la Nature en Vrac, une épicerie bio de proximité. Ils y vendent des produits en vrac pour minimiser les déchets et acceptent les Lémans (une monnaie locale alternative).


Marcela. Pour Marcela, les deux projets fonctionnent. Les Schtroumpfs sont un lieu très convivial. Elle n’aime pas trop leur aspect extérieur, mais l’intérieur des appartements est vraiment très bien. Mais ce ne sont principalement que des logements. Ce qui lui ferait plutôt choisir l’îlot 13 car il y a plus de vie culturel là-bas, il s’y passe des choses, il y a beaucoup d’habitants différents.

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On peut voir sur les boites aux lettres des appartements des Schtroumpfs des petits autocollants qui indiquent les objets que cet habitant a à prêter à ses voisins (une échelle, un appareil à raclette, un fondue, des skis, une machine à coudre, une balance, des raquettes de ping-pong, une planche à repasser…)


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Beaucoup d’associations des Grottes se sont installées à l’îlot 13 ; on y retrouve : la Maison des habitants, l’Association des habitants de l’îlot 13, l’ATE, Pré en Bulle (qui rayonne dans tout le quartier et au-delà), Castafiore, Ciguë, Pinacothèque, Tamagotchi, Biopop, L’OT13TO, CODHA, les Ateliers d’ethnomusicologie. Il y a aussi des terrasses de coopératives, des salles communes, des ateliers, des locaux de musique, une menuiserie, un appartement commun, une scène extérieure, une buvette, des jardins communs…



Conclusion


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La plupart des habitants des Grottes ont du mal à poser un jugement général concernant la qualité du quartier. Cela est entre autre dû aux réponses formelles, peut-être quelque peu sans qualités architecturales. Je pense que l’hésitation dans ce jugement est due au fait que la vie du quartier et l’atmosphère qui y règne sont une réussite, malgré certaines parties du bâti qui plaisent moins. Dès lors, ne faudrait-il pas se demander si le patrimoine bâti des Grottes est une chose réellement acquise où si nous ne sommes pas en train d’entretenir ou de tenter de créer artificiellement cette différence si chère au quartier ? Je crois que ce qui nourrit cette différence n’est certainement pas que lié à la question formelle de l’architecture (ses spatialités, matérialités, géométries), ce sont surtout les habitants et leurs échanges. En effet ce qui fait la force de ce quartier, c’est l’implication des habitants, leur envie de participer à sa rénovation, leur collaboration avec les professionnels de la construction. Comme le dit Max Jacot, c’est le troisième chantier qui fait que les Grottes sont ce qu’elles sont aujourd’hui, c’est-à-dire qu’elles sont le résultat d’un processus collectif. Il cite dans son texte Nicolas Soulier qui développe l’idée d’un premier et d’un deuxième chantier. Le premier serait lié à des professionnels étrangers au quartier qui dessinent le bâti, les places, les rues… Tandis que le deuxième chantier est mené par les habitants dans leurs appropriations liées aux usages quotidiens, leurs façons d’adapter en permanence la ville à la vie réelle. Nicolas Soulier préconise de ce fait que les architectes et urbanistes devraient dès le départ penser à ce détournement inévitable de leurs projets : « cela suppose un état d’esprit lors de chaque projet : loin de penser à un produit fini, avoir en perspective un ouvrage non fini, volontairement incomplet et en attente de l’imprévu » (Soulier 2012).


Je pense qu’en tant qu’architecte il faudrait premièrement savoir lire la complexité du bâti existant et sa façon de s’articuler dans l’îlot, créant des espaces extérieurs et intérieurs variés, comprendre la richesse de son hétérogénéité (dans ses typologies, matérialités, styles…). Ensuite il devrait pouvoir dialoguer avec les habitants du quartier concerné, leur permettre et leur apprendre à prendre la parole, à exprimer ce qu’ils attendent, collaborer activement avec eux. Et enfin penser à « l’après-projet », en effet le bâtiment que l’architecte dessine et fait construire, n’est très certainement pas un objet fini, c’est une notion que l’architecte ne devrait pas perdre de vue, le chantier n’est pas l’aboutissement du projet, ce n’est que la naissance d’une histoire. Le projet devrait être pensé pour être appropriable dès le début par les habitants (livré CASCO par exemple), ainsi que flexible par la suite (changement d’habitant, de programme…). L’architecte aujourd’hui ne peut plus se comporter en artiste qui créerait une œuvre. Il devrait se détacher du concept immaculé et plonger dans le grouillement de la ville, explorer, observer, rencontrer, découvrir, collaborer, offrir...

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Bibliographie


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Genève Département des Constructions et de l’Aménagement, Grottes 8-10: construction d’un immeuble de logements et rénovation d’un bâtiment adjacent, Genève, Genève Département des Constructions et de l’Aménagement, 2011 Genève Service d’Architecture, 18-20-22 rue des Grottes, 1 rue de la Faucille, Genève, éd. Ville de Genève, 2005 GREFF J.-P., Passage des grottes, cinq projets pour un passage sous-voie, Genève, éd. HEAD - Genève, 2007, coll. Ouvrages JACOT A. et JACOT M., Je veux des quartiers, Le troisième chantier et la chevauchée du Collectif 500, Genève, éd. Slatkine, 2015 SIMON PH., Architectures transformées réhabilitations et reconversions à Paris, Paris, éd. du Pavillon de l’Arsenal, 1997


Sites internet. L’immeuble des Schtroumpfs, Genève, sur http://www.das-geneve.com/ immeuble-des-schtroumpfs-geneve/, consulté le 16/06/16 à 14h17. BADEL P.-H., Le Quartier des Grottes, sur http://www.immoscope-ge. ch/files/9614/3144/9218/immoscope128_bd_2.pdf, consulté le 17/06/16 à 14h15. CALAME O., Bâtiment de logements pour étudiant, îlot 13, sur http:// www.calame-architectes.ch/batiment-de-logements-pour-etudiants-ilot-13/, consulté le 20/06/16 à 13h32. CALAME O., Bâtiment de logements subventionnés, îlot 13, sur http:// www.calame-architectes.ch/batiment-de-logements-subventionne-ilot-13/, consulté le 20/06/16 à 13h33. CALAME O., Concours international Europan 2, îlot 13 - Genève, sur http://www.calame-architectes.ch/concours-international-europan-2-ilot-13-geneve/, consulté le 20/06/16 à 13h35.

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Images. p.11bis extraits photocopiés de SIMON PH., Architectures transformées réhabilitations et reconversions à Paris, pp.10-16. ATELIER LUCIEN KROLL, Bio, Psycho, Socio Eco 1, écologies urbaines, pp. 90-93. p.14 vue satellite du quartier des Grottes, sur Google Maps. p.16 photos extraites de COGATO LANZA E. et (...), De la différence urbaine, le quartier des Grottes / Genève, p.166. pp.18-19 extrait photocopié de JACOT A. et JACOT M., Je veux des quartiers, Le troisième chantier et la chevauchée du Collectif 500. 100 pp.20-23 cartes extraites de COGATO LANZA E. et (...), De la différence urbaine, le quartier des Grottes / Genève, pp.82, 92, 95, 101, 102 et 118. pp. 34-35 plans et croquis extraits de COGATO LANZA E. et (...), De la différence urbaine, le quartier des Grottes / Genève, pp.128 et 129. p.42 axonométrie extraite de COGATO LANZA E. et (...), De la différence urbaine, le quartier des Grottes / Genève, p.135. p.42 shémas extraits de CALAME O., Concours international Europan 2, îlot 13 - Genève. http://www.calame-architectes.ch/wp/wp-content/ uploads/2014/10/C-911EUR-schemas.jpg p.44 plans extraits de CALAME O., Bâtiment de logements pour étudiant, îlot 13. http://www.calame-architectes.ch/wp/wp-content/ uploads/2014/10/923CIG-plan-niv.-1.jpg p.54 photo montrée par Austin chez lui.


photos par ALice deprez

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Profile Search II

sous la direction de Sylvain Malfroy

Ce travail de recherche a pour but de collecter informations et exemples à propos de la rénovation urbaine. Comment et pourquoi certains collectifs de quartiers se sont créés et mobilisés pour revendiquer une réhabilitation douce de la ville ? Ces recherches s’inscrivent dans une démarche plus large pour moi, j’aimerais en effet traiter pour mon mémoire la question de la réhabilitation et la réaffectation du bâti bruxellois existant, vide, désaffecté, stagnant, abandonné... Je me suis posé une première question lors du Profile Search I à propos de la notion de l’Habiter. Il s’agissait de comprendre quels étaient nos modes de vie contemporains et vers quoi les usagers tendent demain. Après cette échelle programmatique liée à l’usage, j’aimerais me pencher sur le quartier. Comment et pourquoi un mouvement citoyen se crée, quels sont leurs besoins et envies ? Comment faire évoluer un quartier, ses espaces et bâtiments publics, sans faire table rase de l’existant, même si celui-ci a besoin d’être réadapté à cause de l’évolution des usages. Toutes ces questions sont nécessaires et préalables à la question de l’architecture. Qu’estce que, en tant qu’architecte, je peux faire pour améliorer ce quartier sans l’éventrer, le défigurer ou le dépeupler ? Je pense que même si mon action, en tant qu’architecte, se situe au niveau du bâtiment ou de l’espace public, il faut que je comprenne et saisisses ces questions en amont.


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