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la maiSon de la penitentiaire de Saint-laurent
LA MAISON DE LA PENITENTIAIRE DE SAINT-LAURENT DU MARONI
Les maisons du quartier officiel sont des maisons jumelées. Ainsi regroupés, elles donnent une impression de monumentalité, recherchée par l'administration pénitentiaire. Les ensembles d'habitations prennent rigoureusement place dans une trame de lotissement et les constructions sont implantés en retrait de voies.
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La préoccupation hygiéniste des colons ne cessent de faire évoluer les habitations du quartier officiel de Saint-Laurent vers des constructions adaptées au climat tropical de la Guyane. Dans la seconde moitié du XIXème siècle, le ministère des Colonies développe toute une réflexion sur les constructions destinées aux Européens vivant dans les climats tropicaux. Un rapport, du médecin en chef du ministère, préconise plusieurs conditions à réunir afin de rendre habitables les constructions pour les Européens, des prescriptions qui seront finalement appliquées à toutes les constructions.1
“L’emploi du pilotis ou dé en maçonnerie d’une hauteur variable suivant l’affectation du local est une condition essentielle pour la salubrité des habitations; l’orientation du bâtiment doit permettre et assurer une ventilation facile et l’aération de toutes les pièces; il faut indenter les lignes de constructions pour qu’aucune ne gêne la ventilation de l’autre; il y a lieu de munir les façades exposées au soleil de vérandas ou de “tenture en bambou natté” " 2
Ainsi, toutes les bâtiments construits par l’AP sont équipés d’une large galerie périphérique autrement appelée véranda. Similaire à la galerie des maisons cayennaise, la véranda des bâtiments de l’AP fait généralement le tour de la maison, abritant ainsi la totalité des murs du soleil et de la pluie et servant d’espace de circulation et de lieu de détente. Ce principe est appliqué dès la création de Saint-Laurent et ce jusqu’au XXème siècle. La véranda, qu’elle soit ouverte ou fermée par des caillebotis - menuiseries à persienne -, constitue l’élément principal de l’aération naturelle si chère aux colons.
“Une bonne aération des locaux habités [étant] la première des conditions à remplir”3
Soucieuse d’être aérée, la maison de la pénitentiaire s’élève sur plusieurs mètres, environ 5, créant ainsi de vastes combles. La chaleur, montante est maintenue en hauteur et le soleil tapant sur le toit en tôle, n’atteint pas les habitants.
Les bâtiments actuels du quartier officiel, datent pour la plupart de la période 1895-1915. De ce fait ils sont fait des briques fournies par la main d’œuvre pénale. La brique monte jusqu’à l’allège
1 ”Lettre du chef de service de santé au directeur de l’AP, le 11 mai 1896”, Aix-en-Provence cité par Marie-Pascale Mallé, “Saint-Laurent-du-Maroni. La construction de la “capitale du bagne” d’après les archives du service des Travaux publics du ministère des Colonies conservées au Centre des archives d’outre-mer” 2 MALLE Marie-Pascale, “Saint-Laurent-du-Maroni. La construction de la “capitale du bagne” d’après les archives du service des Travaux publics du ministère des Colonies conservées au Centre des archives d’outre-mer”, dans “Architecture coloniale et patrimoine : l'expérience française”,actes de la table ronde organisée par l'Institut national du patrimoine, Paris, Institut national du patrimoine, 17-19 septembre 2003 / [sous la direction scientifique de Marc Pabois et Bernard Toulier] 3 ”Rapport de l’inspecteur des travaux publics Fontaneilles, 1895, Aix-en-Provence, cité par Marie-Pascale Mallé, “SaintLaurent-du-Maroni. La construction de la “capitale du bagne” d’après les archives du service des Travaux publics du ministère des Colonies conservées au Centre des archives d’outre-mer”,
de la fenêtre puis des persiennes prennent le relais, favorisant le courant d’air. Cette architecture de maçonnerie, contraste avec le bâti créole en bois.
"La brique de production locale est largement employée. Elle forme les piliers, les chaînes d’angle, les bandeaux, les encadrements de baies, les corniches, les génoises, les perrons, les coffres de cheminée, les cloisons, les plafonds, les routes, les clôtures…"1
Jusqu'en 1870, le toit est fait de bois Wacapou et grignon, les tuiles importées restant coûteuses. Par la suite on trouve de la tôle galvanisée, ondulée, matériau de couverture dominant jusqu’à la Première Guerre Mondiale, apprécié pour sa légèreté et sa solidité. Le bois continue d'être utilisé pour les planchers, la menuiserie, les jalousies ainsi que pour la charpente.
Au sein de ce quartier officiel on rencontre deux types de modèle. Les maisons jumelées à rez-dechausséee surélevés, dont il ne reste aujourd'hui que cinq exemplaires. Leur base est un carré de 15m de côté, prenant place au sein d'une parcelle étroite et profonde d’environ 500m2. Le premier lotissement du quartier des Cultures - appelé ainsi car il se trouvait à l'entrée des cultures - accueille quant à lui des maisons jumelées à un étage. Ces maisons sont très vastes, 16x24m, et se situent sur des parcelles d'au moins 1 000m2
D'après l'auteur Marie-Pascale Mallé, au XIXème siècle, les constructions à étages sont rares et réservés aux fonctionnaires hauts gradés. Après 1900, les bâtiments publics se parent d’un étage mais les maisons du quartier officiel restent sur un niveau.
L’organisation de la maison pénitentiaire est similaire à celle de Cayenne en ce qu’elle comprend un corps de bâtiment principal et des dépendances. Néanmoins à Saint-Laurent, les deux entités sont reliées par une galerie couverte, aussi appelée corridor.
On retrouve la surélévation du sol car Saint-Laurent se trouve, tout comme Cayenne, sur un terrain marécageux. Les premières maisons sont surélevées par des poteaux en bois ou en brique d’au moins 1 mètre, parfois davantage. Au XXème siècle, les progrès techniques permettent d’isoler les constructions du sol par un entresol, un solin en brique ou des dés en maçonnerie, nécessitant moins de hauteur.
Pour ce qui est des combles, ils sont vastes et bien ventilés, et les couvertures à fortes pentes sont réalisées en tôles. Les matériaux utilisés étaient principalement la brique pour les murs, le métal et la brique pour les plafonds, le métal ou le bois pour les charpentes, le bois pour les menuiseries intérieures et extérieures.
“Après la Première Guerre mondiale, malgré la reprise des convois en 1921, les constructions nouvelles furent rares ; globalement, le quartier officiel resta figé dans son décor du début du siècle” 2
1 C2r Atelier d’Urbanisme, Atelier d’Architecture Bernard Castieau, “Aire de Mise en Valeur de l’Architecture et du Patrimoine de Saint-Laurent du Maroni”, DRAC, SDAP, 2013, p94 2 MALLE Marie-Pascale, “Saint-Laurent-du-Maroni. La construction de la “capitale du bagne” d’après les archives du service des Travaux publics du ministère des Colonies conservées au Centre des archives d’outre-mer”
La ville de Saint-Laurent du Maroni est donc une ville pénitentiaire, créée par et pour le bagne. Les bagnards ont édifié aussi bien les habitations des surveillants que les bâtiments administratifs du bagne, mais aussi des routes et notamment celle qui relie aujourd’hui Saint-Laurent à Cayenne. Ala fermeture de ce bagne, quittée par les administrations, Saint-Laurent est laissé en l’état, tombant inexorablement en ruine jusqu’à atteindre un stade critique dans les années 1980. Les bâtiments du quartier officiel qui ont été distribués aux différentes administrations ont été conservés mais le camp central de la transportation est laissé à l’abandon.
A la fin des années 1980, lorsque la guerre civile éclate au Surinam, les réfugiés surinamiens occupent un temps le camp de la transportation. Finalement racheté par la commune, il a été restauré et constitue aujourd’hui un patrimoine important et très visité.
Saint-Laurent est une ville relativement nouvelle - 1878 - qui a vu le jour sous un contexte colonial et pénitentiaire, faisant d’elle une ville à part entière, dont l’architecture est le souvenir. Elle tente aujourd’hui de se développer, et de concilier cet héritage à une pression démographique forte et une population particulièrement jeune.
Façade du projet de réhabilitation d'une maison de la pénitentiaire, réalisé en 2015. A l'exception de l'ajout d'un étage en partie supérieure et donc de lucarnes, l'aspect général de la maison est conservé ©Production personnelle