Ă ce ro pos pr
eto
AmĂŠlie Thomas
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À ce propos Amélie THOMAS
Mémoire de DNSEP Design Graphique 2014 – 2015 à l’ESAD de Reims sous la direction de Rozenn CANEVET.
Avant-propos
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i • Au fil de PRo ETO 1 2 3 4 5 6 7 8
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“ … ”
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• Un poème expérience º Prise de positions º Construction de l’espace º Hétérogénéité º Lisibilité de l’image º Richesse º Rapport de force º Paradoxe temporel º Implication du lecteur • Vers le contemporain
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• Nuancier d’une pratique • Notation subjective
II • Dérivées graphiques 1• 2• 3• 4• 5• 6• 7• 8•
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Congrats! Tales of Murder and Violence Chérie Ways of Seeing Les Pléiades Austerlitz L’Écart Absolu Pawlow-Block
Pour conclure Bibliographie
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table des illustrations
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Avant-propos
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Mayakowski, Pro Eto - That’s What, Éd. Arc Publications, 2009.
Dans la salle plongée dans la pénombre, les images défilent sur le mur. Une série attire mon attention : une double page où se confrontent un texte et un collage. Pro Eto 1 de Mayakowski et Rodchenko. J’étais déjà familière des affiches de propagande de Rodchenko et appréciais son engagement révolutionnaire. Cédant à ma curiosité, je décidai donc d’effectuer des recherches complémentaires sur Pro Eto. Ce que je découvris alors me fascina et resta dans un coin de mon esprit. Pro Eto se construit autour de ce que je nomme une image intelligente. Qu’est-ce qu’une image intelligente ? C’est une image qui commente le texte. Les collages s’opposent aux mots, les soutiennent pour mieux les contredire. Ces éléments sont autonomes mais co-existent au même endroit. Comment ce rapport de force s’effectue-t-il ? Et à qui profite-t-il ? Pro Eto se dévoile au fil de la lecture, mais plus encore dans des recherches connexes, ce que je considère comme une expérience unique. Pourquoi un tel intérêt de ma part pour Pro Eto aujourd’hui ? Parce que certains graphistes contemporains utilisent la même logique de construction que Rodchenko et Mayakowski. Cela me semble également être une bonne source d’inspiration et d’investigation dans ma pratique du design graphique contemporain, que ce soit dans le traitement de l’espace que dans celui du sens. Quelle interprétation peut-on faire de ce monde imaginaire qui appartient au passé ? Quels sont les principes qui constituent Pro Eto ? Pourquoi
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sont-ils adaptés dans une pratique de graphisme contemporaine ? Quelles sont les pratiques actuelles dérivées du collage tel qu’il est utilisé dans Pro Eto ? Je me propose dans un premier temps d’analyser et de décrypter les images intelligentes de Pro Eto en me plaçant en lectrice. En m’appuyant sur des textes théoriques qui traitent de la question de l’image et du texte et sur ma lecture de Pro Eto, je dégage huit principes fondamentaux, qui, à mon sens participent à la constitution de l’image intelligente : • Prise de positions. • Construction de l’espace. • Hétérogénéité. • Lisibilité de l’image. • Richesse. • Rapport de force. • Paradoxe temporel. • Implication du lecteur. Dans un second temps, j’expose une sélection de projets graphiques qui réinvestissent l’image intelligente en suivant le déroulement de ces huit principes précédemment définis.
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I • Au fil de Pro ETo
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Qu’est-ce ? – À CE PROPOS
Ce thème répété à plusieurs reprises, est humble, mais c’est le mien ; un bocal à poisson rouge où Je tourne en rond, encore et encore me sentant de plus en plus seul priant pour que cela ne cesse pas comme un moine bouddhiste tournant sa roue de prière ou comme un homme noir gravant “ je t’aime ” sur la peau de son voisin. Si la planète Mars était habitée par un etre humain alors il chanterait le même air, et sa cacophonie ressemblerait énormément à ma routine. Ce thème vient et prend le poète claudicant par le bras le posant bruyamment avec du papier et un stylo rapidement il se réchauffe grattant jusqu’à ce que les rayons du soleil brillent de ses lignes. Ce thème fait écho dans la cuisine *
N.B. : Toutes les traductions sont effectuées par l’auteur de ce mémoire.
comme une cloche dans la chambre de la bonne, pirouette et se détériore *
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Un poème expérience
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Mayakowski, Pro Eto - That’s What, Ibid., p. 2 3.
La lecture de Pro Eto appelle la réf lexion. Que ce soit de l’ordre des vers ou de celui des collages, l’œuvre est complexe et force à une certaine prise de recul. Le texte en cascade a tendance à nous entraîner de plus en plus rapidement au cœur des tourments du poète, lorsque tout à coup apparait une sorte de pose pas vraiment reposante : un collage de Rodchenko. Celui-ci relance la lecture en posant de nouvelles questions, comme si Rodchenko nous offrait des images en provenance directe de son esprit au moment même de sa lecture du poème de Mayakowski. Cette relation entre les collages et le texte approfondit l’expérience du lecteur dans un nouvel imaginaire, une compréhension du poème de l’ordre de l’onirisme. Les collages de Rodchenko poursuivent en image le chaos organisé du poème. Les vers de Mayakowski sont agressifs, moqueurs et tendres à la fois. La forme qui découle de ses vers courts inf lue sur la lecture. Cette mise en page travaillée en escalier souffre de la traduction en anglais. Toute la difficulté de la traduction de la poésie réside alors non seulement à en conserver le sens, le rythme et la forme. Sur cet extrait 2 , on note que le volume de mots est plus important en anglais qu’en russe, contrairement aux collages de Rodchenko dont l’aspect est appréhensible par la majorité et de fait ne nécessitant pas de traduction. La poésie est un art qui prend toute son importance à l’oral, cependant Mayakowski en a autant travaillé l’écrit de part sa mise en page et ses retours à la ligne intempestifs. Les collages sont inclus dans la mise en page du poème, ils n’en interrompent pas le fil mais agissent plus en support. On remarque que le collage se situe après la page où se trouve le vers dont Rodchenko s’est servi comme point de départ. En légende de ce collage on retrouve un rappel de ce même vers –en russe à gauche et en anglais à droite sous le collage. Ce vers garde la même
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composition et agit comme une exergue du poème, un instant fort. Le collage appuie ce sentiment d’exception dans le poème, en proposant des imaginaires tirés du poème autant comme une illustration que comme une divagation. Il enrichit le poème et profite de celui-ci afin de se contextualiser. Rodchenko a en effet utilisé des photographies de Mayakowski et de Lily Brick pour accentuer le côté autobiographique du poème ainsi que pour ancrer le texte dans la réalité de l’époque. Lors de leur publication, le poème et les collages de Rodchenko, considérés comme psychologiques, avaient subi des critiques. Celles-ci étant que les revendications révolutionnaires passaient après la relation et les émotions de Mayakowski pour Lily. Rodchenko observe un rôle de metteur en scène du poème. Dans The Struggle for Utopia 3 Victor Margolin écrit que : “ Reconnaissant une dette aux photomontages de Georges Grosz et Rodchenko, Eisenstein nota comment les « restes apparus du thêatre », c’est à dire les effets sonores et musicaux, les décors, etc., pouvaient être utilisés pour produire un choc émotionnel au bon moment au sein de l’ensemble de la pièce – Le seul moyen par lequel il est possible de rendre la fin idéologique perceptible. 4 ” Les collages de Rodchenko correspondent aux effets annexes et autres subterfuges qu’utilise un metteur en scène afin d’en créer l’atmosphère et que le spectateur visualise sa pièce. Le collage est alors une attraction pour attirer le lecteur plus profondément au cœur de l’œuvre. Dans le théâtre, ces effets servent à garder l’audience alerte et c’est dans Pro Eto la même chose : offrir une expérience de lecture pour éviter que l’on ne soit trop englouti par le poème et que l’on soit attentif aux tensions et aux évolutions du poème.
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Victor Margolin, The Struggle for Utopia, Éd. The University of Chicago Press, 1997, p. 107.
4 Version originale : “ Acknowledging a debt to the photomontages of George Grosz and Rodchenko, Eisenstein noted how the « leftover apparus of the theater » that is, the sounds, musical effects, visual paraphernalia, etc., could be used to produce certain emotional shocks in a proper order within the totality – the only means by which it is possible to make the final ideological conclusion perceptible. ”
Elle est allongée sur le lit. Pendant que lui... Sur la table se trouve un téléphone.
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1 ° Prise de positions
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Rodtchenko, Pro Eto - That’s What, Ibid., p. 31.
Elle est partout, insaisissable, à portée de main et pourtant si lointaine. Dans ce premier collage 5, Rodchenko nous expose brutalement les sentiments de Mayakowski pour Lily Brik. Celui-ci, alors qu’il branche son téléphone, la fantasme, allongée, alanguie. Il l’imagine dans des postures intimes, que Rodchenko prend un malin plaisir à dénoncer en plaçant Lily debout plutôt qu’allongée, inquisitrice et non offerte. Elle est debout, un lit à ses pieds, installée dans un canapé, et son buste sur-dimensionné semble nous toiser, en arrière-plan de toutes les silhouettes. Lily monopolise l’espace du collage tout autant qu’elle obnubile Mayakowski. Elle accapare également notre attention et devient notre point focal. Rodchenko a photographié Lily Brik avec la même expression, encore et encore, toujours le même regard impersonnel qui se dirige vers nous mais ne nous est pas adressé. Ce collage – et ce poème – est intime, mais paradoxalement il est exhibé à la vue de tous ceux qui ouvrent Pro Eto. On l’observe, mais elle ne nous regarde pas en retour : elle regarde l’appareil qui la photographie. Notre relation avec elle est filtrée par une machine, de même que sa relation avec Mayakowski. Le poème est écrit à la première personne, ce qui renforce le côté personnel de la narration et nous place en voyeur indiscret. Même si physiquement Mayakowski en est absent, sa présence plane sur le collage. Ce “ je ” est remplacé par l’objectif de Rodchenko, nous donnant à voir ce que Mayakowski pense. Son obsession pour Lily se traduit en voyeurisme par les collages de Rodchenko qui n’ont rien d’impersonnel. Le travail de l’image et sa reconstruction favorisent l’inf lexion du sens du collage. La sélection et la production de ces éléments a autant d’importance que les choix de rédaction de Mayakowski.
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L’utilisation de la première personne plutôt que la troisième personne produit un texte plus personnel où le lecteur s’implique davantage : le poète reprend sa place de personnage principal plutôt que celle d’auteur détaché. Cette insertion d’un lecteur/ voyeur provient d’une volonté de Mayakowski de mettre en avant les effets de l’expansion des médias. Le lecteur se sent plus proche des nouvelles et de personnes qui lui étaient jusqu’alors inaccessibles et inconnues. Aucun élément n’est fortuit, que ce soit dans le poème ou dans les collages, l’esthétisme, le “ faire joli ” arrive après la production du sens. Cet esthétisme est-il quant à lui pensé ? Ou bien la forme est-elle juste une suite logique, une conséquence au matériel réuni par Rodchenko et Mayakowski ? Une chose est sûre cependant : Pro Eto se vit comme une pièce de théâtre. Les rythmes et les décors en sont plantés, le lecteur profite d’un espace intelligent pensé pour l’attirer au plus profond de la narration, retenu là par l’image qui le happe de manière implacable. Elle contribue à renforcer l’atmosphère et participe à l’originalité et l’expérience de la lecture. Chacun des aspects du collage doit être pris en compte, seul, ainsi que dans son contexte. La construction des collages fait résonner le poème en argumentant pour et contre lui. Il ne s’agit pas de créer une image passive, mais une image intelligente. Ce concept d’image intelligente prend toute sa place dans Pro Eto ; l’image – et l’image construite / pensée – est établie en un dialogue avec le texte. Cette relation n’est pas neutre, bien que texte et image soient autonomes, c’est la confrontation des deux qui va créer du sens et du lien. Dominique Baqué cite Brecht 6 pour illustrer la nécessité de manipuler l’image afin d’en maîtriser le sens : “ Une photo des usines Knupp ou de l’AEG ne révèle pas grand-
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Brecht, Modernist Painting, Éd. Cahiers Théoriques, 1974, aux n° 8-9.
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Baqué, La Photographie Plasticienne, Éd. du regard, 1998, p. 2 25.
chose sur ces institutions […]. Il faut donc, en fait, construire quelque chose, quelque chose d’artificiel, de fabriquer. 7 ” La photographie nécessite une manipulation physique pour lui ajouter une logique de sens. Ce contrôle sur le sens construit permet à Rodchenko de prendre position sur le poème de Mayakowski. Celui-ci passe alors d’un amoureux transi incompris à un voyeur obsessionnel qui pense sans arrêt à la femme d’un autre. Rodchenko détient la clef du sens dans l’optique où c’est lui qui gère le rapport de l’image avec le texte. Et sa production, loin d’être neutre, donne un regard engagé et un avis assumé sur Pro Eto. Ce rapport entre le poème et les collages va au delà de la compréhension du lecteur, il se situe au sein même de ce qui, pour moi, crée une image intelligente et qui la définit. Cette définition court autour des huit collages constituant l’iconographie de Pro Eto.
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sur le câble rampant – griffant jalousement – un monstre des âges troglodytiques
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2 ° Construction de l’espace
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Rodtchenko, Pro Eto - That’s What, Ibid., p. 47.
9 Hyde, Pro Eto - That’s What, Ibid., p. 18.
10 Version originale : “ Mayakovski struggles to make words fit the almost incommunicable love he feels for Lily, which transcends « byt ». A phone-call to her becomes a helpless encounter with the troglodytic backwardness of Moscow, waiting to be banished by the Revolution, and for the pœt maybe a battle to the death with Fate as Well. ” Le “ byt ” se déf ini par la vie quotidienne.
Telle la poésie, un collage lu évoquera des choses différentes selon la lecture effectuée. Ainsi les collages au sein de Pro Eto n’évoquent pas la même chose à un lecteur lors de sa parution qu’à un lecteur futur : les images utilisées, alors contemporaines, ne le sont plus pour nous : c’est une évocation du passé alors qu’en 1923 c’était une réalité. Les enjeux politiques évoqués ne sont également plus d’actualité. Il reste cependant certaines vérités intemporelles comme le déchirement de la rupture amoureuse, et le détachement physique du numérique à ses prémices. Mayakowski évoque le changement que subissent les rapports humains à l’arrivée d’une technologie nouvelle – le téléphone – et la distance qu’elle crée. L’homme, Mayakowski, et la femme, la gouvernante de Lily Brik, dialoguent par le biais d’un câble téléphonique – le numéro qui figure dessus est celui des Brik – traversant la ville 8 . La violence des sentiments de l’homme se traduit par le monstre préhistorique qui cherche à atteindre son interlocutrice, Lily, par les messagers : le téléphone et la gouvernante. Sans y parvenir. George Hyde explique dans la préface de la version traduite de Pro Eto son interprétation de ce passage par le fait que 9 : “ Mayakowski lutte afin de faire correspondre les mots avec l’amour pratiquement intangible qu’il ressent pour Lily, transcendé par le « byt ». Un appel devient une rencontre impuissante avec la lenteur troglodytique de Moscou, attendant d’être bannie par la révolution, et pour le poète peut être également une bataille à mort avec le destin.10 ” Soit que Mayakowski lutte à forcer les mots dans sa relation amoureuse non communicante avec la métaphore du monstre. Cette métaphore signifie également la réminiscence de Moscou et l’attente de se faire rejeter par la révolution. Cela pourrait également être une bataille intérieure sauvage avec le destin lui-même.
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On pourrait dire de ce collage qu’il est cinématographique tant il est scénarisé. En effet, celui-ci comporte des variations de cadrage qui évoquent le mouvement de la caméra afin de représenter la scène. Un gros plan sur le téléphone chez les Brick, la gouvernante en plan pied dans la cuisine debout à côté du téléphone puis un plan général qui montre à quel point le logement de Mayakowski est proche de celui des Brick et enfin un plan pied de Mayakowski assis à côté de son téléphone, en proie à son amour passionné. Ce cadrage intérieur/extérieur/intérieur est un rappel du manifeste de Vertov 11 sur la compression du temps et de l’espace : “ Libérée des frontières du temps et de l’espace, j’organise comme je le souhaite chaque point de l’univers. ” Rodchenko exerce dans son collage les pleins pouvoirs sans s’arrêter à une forme réaliste et naturelle. Le temps n’a pas lieu d’être dans un collage, où alors si l’on peut le manipuler et en faire cœxister plusieurs. On imaginera que les deux scènes d’attente ont lieu au même instant à deux endroits différents dont le liant serait le messager : le téléphone. Rodchenko met en avant le téléphone en le plaçant à une échelle plus importante tandis que le dinosaure ressort par son aspect incongru. La présence même d’un téléphone messager sort de l’ordinaire puisqu’à cette époque passer un coup de téléphone n’était pas un geste anodin comme il l’est de nos jours. Hyde fait également référence12 dans cette partie du poème à la dangerosité de la téléphonie à cette époque : “ Des personnes ont été tuées par la foudre touchant le téléphone : et en Russie un télégramme se disait « molniya », un éclair13 ” En effet, des personnes ont été foudroyées par les câbles téléphoniques lors d’orages. De plus la désignation même du télégramme se dit “ éclair ” en russe. Le coup de téléphone devient alors
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11 Dziga Vertov, Ciné-œil, 1923.
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Hyde, Pro Eto - That’s What, Ibid., p. 18.
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Version originale :“ People have been killed by lightning striking telephones : and in Russian an Express telegram was « molniya », a lightning flash. ”
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Derrida, Sovereignties in Question : The Pœtics of Paul Celan, Éd. Fordham Univ Press, 2005, p. 67.
un acte désespéré d’atteindre l’autre, et ce sans espoir de renouement. Il est également un jeu possiblement mortel. La poésie textuelle et la poésie collage font appel au même mécanisme entre visible et invisible. Le visible est le tangible, le même pour tous les lecteurs, tandis que l’invisible est pour sa part différent pour chacun et peut différer dans le temps : Jacques Derrida écrit à propos de la poésie de Paul Celan dans Sovereignties in Question : The Pœtics of Paul Celan14 : “ Le même texte lu en deux lieux différents, à des époques différentes, rend possible deux interprétations différentes : on peut avoir affaire à la production de différences dans la répétition du même. ” Derrida estime qu’un texte aura une évocation singulière propre à chaque lecteur. Cette lecture varie selon le lieu et l’époque de sa lecture. Les lectures multiples enrichissent l’écrit en lui confrontant des savoirs que son auteur ne connaissait pas forcément au moment de sa conception. Le collage, ou du moins la lecture que l’on en fait, correspond à cette idée de la dépendance aux cognitions du lecteur. Le même lecteur pourra ainsi avoir des lectures différentes à différents instants. Notre relation à l’image est évolutive, non figée. Plus l’image est complexe plus elle va intriguer, attirer et pousser au décorticage du collage lié à notre corpus de connaissances. Il en est de même pour un texte dont certaines transtextualités échapperont au lecteur non aguerri qui n’est pas à l’affût de références. Et si la lecture de ce médium peut différer en fonction du temps et de la personne qui le regarde, il permet également de lier différents temps au sein d’un même espace.
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Je tripote mes oreilles en un pÊtrissage inutile. J’entend ma seule ma seule et unique voix. Le couteau de sa voix traverse mes mains.
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3 ° hétérogénéité 15 Rodtchenko, Pro Eto - That’s What, Ibid., p. 61.
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Hutchings, Russian Literary Culture in the Camera Age : The Word as Image, Éd. Routledge Curzon, 2004, p. 6 8. 17
Version originale :“ Rodchenko’s collage transposes figure of speech into concrète image, time into space ”
Ce collage15 nous donne à voir une première silhouette de Mayakowski debout sur le pont Neva qui regarde vers le bas et une seconde silhouette de lui assis sur un iceberg, se pressant les mains contre les oreilles. Deux ours polaires sont également dans l’image. Un détail agrandi du Neva fait le lien entre les différentes images. La première silhouette a une posture suicidaire, renforcée par sa grande échelle comparée à celle du Neva. La seconde, forcée dans l’espace du collage, apparait comme plus fantasmagorique. Le poète dans sa position de désespoir et de solitude intense, se voit rapproché de deux ours polaires qui, par leur solitude, sont une métaphore imagée de Mayakowski. Il est ici question de deux actions : le Mayakowski suicidaire de sept ans plus tôt et le Mayakowski désabusé du présent. Les ours polaires sont également des métaphores pour désigner Mayakowski. Dans Russian Literary Culture in the Camera Age : The Word as Image16 , Stephen Hutchings indique que : “ Les collages de Rodchenko transposent la figure du langage dans des images concrètes, le temps dans l’espace17 ”. Soit que Rodchenko transpose le poème dans les images et reproduit les sept ans qui séparent les Mayakowski par une distance spatiale. Le Neva est alors un pont physique et imaginaire entre ces deux temps où les deux poètes dialogueraient ensemble. Les différentes images et leur composition rendent le collage cohérent, un élément qui paraîtra vraiment incongru comme l’ours polaire marquera ainsi un tournant dans le collage et se détachera du reste Celui-ci est en effet une construction complexe qui profite de la richesse des divers éléments qui le composent. Il permet l’introduction de différentes natures d’images au sein d’une
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image unique. Les images sont comme des objets manipulés par le graphiste pour créer un nouvel objet dont la nature est hybride. C’est un patchwork d’éléments hétéroclites. La pratique du collage implique la sélection, le découpage et le positionnement de fragments au sein d’un “ tout ”. Ces fragments sont issus d’images matières recueillies par le graphiste au cours le plus souvent d’un travail d’accumulation et d’archivage, mais également d’une création de l’image matière. L’image matière c’est la matière première du collage, elle est de nature multiple et c’est son origine, sa personnalité qui vont intéresser le collecteur. Ce médium nécessite une grande méticulosité et une rigueur quant à sa construction afin que le tout soit cohérent dans la cœxistence. Le collage se caractérise par la rencontre, ce qu’appuie Jacques Rancière au sein de son livre Malaise dans l’esthétique18 : “ le collage peut se réaliser comme pure rencontre des hétérogènes, attestant en bloc de l’incompatibilité de deux mondes ”. Pour Rancière, le collage se définit et s’enrichit dans la différence des éléments qui le compose. Plus les différences des images matières sont marquées plus le collage sera engagé et tiraillé par ces écarts qui le composent. Ce sont ces nuances qui font la richesse de sens du collage : il tient sa complexité dans les éléments disparates qui le constituent et de la manière dont tous les éléments sont assemblés, rapprochés, opposés. Les fragments agencés deviennent donc des constructions d’un nouveau sens, d’une nouvelle réalité. Ils permettent de raconter une histoire, la leur tout d’abord, fragment par fragment, l’historique de chaque partie, et enfin l’histoire nouvelle à partir de leur assemblage. En associant des images matières qui s’opposent, le tout gagne en complexité. L’assem-
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18
Rancière, Malaise dans l’esthétique, Éd. Galilée, 2004, p. 67.
19 Adorno, Théorie esthétique, Éd. Klincksieck, 1982, p. 2 07.
blage des fragments est une référence à des éléments, le “ passé ” de l’image matière. Cette juxtaposition est forcée et rapproche des choses auparavant si dissociées qu’elles n’auraient jamais dû se retrouver dans le même espace. Et cette rencontre ne se fait pas sans violence. Cette violence va provoquer, forcer, la création du nouveau sens, du nouveau monde. Théodor Adorno fait allusion à cette cohabitation forcée dans la Théorie esthétique19 : “ Tout élément non intégré est comprimé par l’instance supérieure de la totalité, de sorte que celle-ci provoque de force la cohérence des parties par défaut et redevient évidemment par là-même apparence de sens [...]. ” Adorno signifie que la proximité forcée des éléments est ce qui permet au lecteur de créer un lien entre les éléments de l’image. C’est l’idée que l’articulation, au sein de l’œuvre, se situe dans un rapport du détail au global. C’est une administration du sens par le graphiste au moment de la construction du collage. Le graphiste considère de manière commune l’image et le texte comme deux objets différents. La nécessité de penser la globalité l’oblige à gérer l’espace en fonction du sens ainsi que de l’esthétique.
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Ainsi ça a toujours été et cela devrait Toujours être Un monde sans fin
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4 ° Lisibilité de l’image
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Rodtchenko, Pro Eto - That’s What, Ibid., p. 91.
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Hutchings, Russian Literary Culture in the Camera Age : The Word as Image, Ibid., p. 6 8-69. 22 Version originale : “ Are Rodchenko’s compositions illustrations subordinate to a pre-given text of which Mayakowski is the undisputed pœtic subject ? ”
Le collage est une pratique graphique qui réinvestit et questionne l’image autant dans son fond que dans sa forme. Rodchenko se sert de certains fragments de la poésie afin de concevoir ses collages poésies. Les collages y sont abrupts, féroces et ne laissent pas de repos au lecteur qui retrouve ainsi la rythmique du poème au sein de l’image construite. On retrouve également la rigueur du constructivisme exacerbée par des lignes et des formes géométriques au sein des collages. Dans ce collage 20 , Rodchenko met en avant le confort bourgeois auquel il oppose l’oppression exercée sur les esclaves noirs. Il confronte ces deux populations en les liant par le thé. On retrouve en effet plusieurs fragments faisant référence à l’univers du tea-time à l’anglaise : des éléments de vaisselle ainsi qu’une assiette décorative montrant un homme et une femme prenant le thé. Les bourgeois sont détendus et profitent de temps libre, prennent le thé, écoutent de la musique. Une photographie de Mayakowski, plus contrastée que les autres images du collage, ressort du reste des éléments. Il est assis et semble observer le lecteur de façon culpabilisante. Dans Russian Literary Culture in the Camera Age : The Word as Image 21, Stephen Hutchings soulève le questionnement suivant : “ Les compositions de Rodchenko sont-elles subordonnées à un texte pré-donné dans lequel Mayakowski est le sujet poétique non disputé ? 22 ” Rodchenko suit-il en tous points le déroulement du poème de manière objective et détachée ou est-ce que ses collages proposent une vision, un avis sur le poème de Mayakowski ? Ces collages sont le ref let du poème. Une illustration, ou plutôt une hyper-image, une résonance au texte par l’image. Hyper-image plutôt qu’illustration car l’illustration illustre, elle ne commente
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pas, ou du moins ne va pas au bout d’un discours puisqu’elle est de l’ordre de l’image instant. L’hyper-image est une évocation de la transtextualité appliquée à l’image ; c’est un concept que Bernard Vouilloux exprime dans Langages de l’art et relations transesthétiques 23 : “ Les relations internes ont pour homologue dans le champ strictement textuel, qu’elles englobent, ce que Genette nomme la « transtextualité », celle-ci étant étendue comme tout ce qui met un texte « en relation, manifeste ou secrète, avec d’autres textes ». [...] Élargies à l’ensemble du champ esthétique, ces cinq classes font apparaître une opposition entre celles qui sont susceptibles d’être assumées, totalement ou partiellement, par les systèmes symboliques non linguistiques et celles qui nécessitent la médiation du langage verbal. ” Vouilloux indique que la “ transtextualité ”, telle que la nomme Genette dans Palimpsestes 24 , est la nomenclature d’une référence d’un texte à un autre. Appliquée à l’esthétique, la transtextualité diviserait les images en deux catégories : l’image-texte qui peut parler pour elle-même sans traducteur et le visuel qui a besoin qu’un orateur parle à sa place. Le concept de Vouilloux tient sa limite au sein même de son titre : “ relations transesthétiques ”, la transtextualité de l’image ne se limite pas à la seule image : elle peut également faire référence à l’imaginaire ou à un acte, un événement, un élément culturel. Le graphiste doit également prendre en compte cet aspect lorsqu’il construit une image qui devient texte : une image intelligente. Une image qui produit autant, si ce n’est plus de sens que le texte, en faisant appel à l’hyper-textualité. En composant ses collages, Rodchenko commente le poème en narrant une histoire de Pro Eto ; dont il en établit une version propre. Afin de réunir
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Vouilloux, Langages de l’art et relations transesthétiques, Éd. L’éclat, 1997, p. 74.
24 Genette, Palimpsestes, Éd. du Seuil, 1982, p. 7.
de la matière, il a pris des photos dans l’intimité de Mayakowski et de Lily et place visuellement leur vie à la vue de tous de façon plus ou moins codée. Il leur ajoute des images de la production de masse qu’il met ensuite en contact du texte. Cette mise en contact a pour effet de confronter l’image et le texte dont chacun raconte presque la même histoire mais de deux manières différentes. Chaque fragment du collage correspond à un vers d’un poème. C’est l’accumulation de tous ces fragments qui permet la constitution d’une narration cohérente.
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Et de nouveau les murs br没lants comme les steppes 茅cho et soupir dans mes oreilles, dans le two-step
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5 ° Richesse 25
Rodtchenko, Pro Eto - That’s What, Ibid., p. 113.
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Aff iches pour la diffusion de l’Agence de Télégraphie Russe.
Dans ce collage 25, Rodchenko a sélectionné des images commerciales afin de les mettre en perspective des vers de Mayakowski. Cette pièce qui met en avant le côté publicitaire fait également référence à un autre travail collaboratif, les affiches ROSTA 26 , entre les deux hommes. Cette mise en relief par des fragments d’images de productions de masse questionne l’utilisation de la photographie et de l’image comme médium d’une utilisation vulgaire, commerciale. Il dénonce ainsi le déplacement de l’image et de l’écrit vers une utilisation plus pécuniaire. Si l’on s’arrête au caractère visible de ce collage, il serait alors juste ce qu’il semble être : une illustration d’une danse en goguette où l’on se divertit, on mange, on fume, on boit. Et non un diatribe sur le débauchement de l’image et du texte vers une fonction commerciale. Cette idée du caractère invisible du collage se retrouve au sein de la plupart des travaux de Rodchenko fervent croyant de la cause communiste. Mayakowski et lui soignent toujours avec minutie le sens et le message des vers de Pro Eto tout en laissant une part de projection libre pour le lecteur de l’image. Or, n’est-ce pas la responsabilité du design graphique que de comprendre la portée de son travail de l’Image Texte et donc de prendre soin du sens de celle-ci ? Le graphiste, pour contrer l’idée d’une image visible, doit passer dans une ère de l’image lisible. Le dialogue par l’image intelligente, construite, pourrait agir contre l’immédiateté de la consommation de l’image et ré-investir l’imaginaire d’un lecteur de l’image. L’accès à l’image est simple, le sens premier en est rapide, c’est la lecture instantanée, plus de l’ordre de la vision. Le second sens est plus complexe, sa temporalité plus f loue. Identique à celle d’un texte, c’est la partie où l’imaginaire entre en jeu. Le graphiste se doit donc de créer une image responsable, consciente de
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son sens et de sa portée possible sur le lecteur de l’image. Dans Le destin des images, Jacques Rancière revient sur cette séparation entre visuel et image 27 : “ Ce que les oppositions simples de l’image et du visuel ou du punctum et du studium proposent c’est le deuil d’un certain âge de cet entrelacement, celui de la sémiologie comme pensée critique de l’image. ” C’est à dire que la séparation de l’ancienne image en deux entités, visuel et image, permet la fin d’une idée de l’image unique où le sens était utilisé contre celle-ci. La séparation en deux catégories de l’image est l’étape suivant “ la fin des images ”. L’image a désormais deux pendants : celui d’un temps court, neutre et celui d’un temps plus long, concentré et appliqué : une étude de l’image. Rancière sépare l’image du visuel : l’image est le pendant long, complexe : c’est l’image texte, l’image lisible ; le visuel quant à lui est une surface dénuée de sens profond dont la compréhension est instantanée. Le visuel ne fait référence qu’au sens de la vue, tandis que l’image fait référence à l’imaginaire, l’esprit, la réf lexion. Jacques Rancière considère que l’image a dépassé son côté dissimulateur, car elle est désormais dénuée de sens 28 : “ on se plaint alors non plus de ce que les images cachent des secrets qui ne le sont plus pour personne, mais, au contraire, de ce qu’elles ne cachent plus rien. ” Rancière indique ici que l’image est devenue vide ; qu’elle ne renferme plus de sens caché, ce qui nous appauvrit. L’image est un visuel, dénué de double sens et d’hyper-textualité. On s’est habitué à la possibilité de manipulation de l’image, on la suspecte d’ailleurs à chaque image rencontrée ( par exemple au sein d’outils commerciaux ). Le collage n’est pas un médium
43
27
Rancière, Le destin des images, Éd. La fabrique, 2003, p. 2 6.
28
Rancière, Le destin des images, Ibid., p. 3 0.
fourbe : il met en avant sa construction, il ne s’agit alors plus de manipulation de l’image mais de construction consciente de l’image dans le respect du lecteur. Lorsque le graphiste compose ce n’est pas un acte égoïste, il est destiné à être partagé. L’image possède une sensibilité, elle est compréhensible de tous, même si ce n’est pas forcément de la même manière.
44
Je regagne mon équilibre gesticulant frénétiquement
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47
6 ° Rapport de force
29 Rodtchenko, Pro Eto - That’s What, Ibid., p. 131.
30
Hutchings, Russian Literary Culture in the Camera Age : The Word as Image, Ibid., p. 70.
31 Version originale : “ The Word as Icon ( the Russian writer as Christ figure ) becomes literally the word as mass-produced image. Maiakovskii’s gase over the people and into the camera eye reestablishes the familiar link between his readers and the hostile masses. ”
Pro Eto est une œuvre complexe réunissant la double construction du texte et de l’image, les deux actes principaux du graphiste. Cette édition poétique va même plus loin en fondant le texte et l’image en une seule entité : Le Texte Image et L’Image Texte. La composition graphique s’attache à faire du sens et de la lecture une priorité. Ce collage 29 montre la relation entre le poète et la foule. On y voit Mayakowski en équilibre au dessus du Kremlin avec une foule et Lily Brik à ses pieds ainsi qu’un avion volant à ses côtés. Trois enfants sont à l’écart de la foule et un pneu de voiture dans une échelle importante est accolé au Kremlin. Le pneu et l’avion sont des réminiscences de l’intérêt de Mayakowski pour les avancées technologiques futuristes de l’Amérique et les automobiles. On assiste à une scène de crucifixion revisitée où Mayakowski est placé au sommet, à la vue de tous. Dans Russian Literary Culture in the Camera Age : The Word as Image 30 Hutchings analyse cette composition comme étant : “ Le Mot comme Icône ( l’écrivain russe comme visage du Christ ) devient littéralement le mot comme image produite en masse. Le regard de Mayakowski sur les gens et à travers l’objectif de la caméra ré-établit le lien familier entre ses lecteurs et les masses hostiles. 31 ” Le mot perd sa place sacro-sainte d’uniquement littéraire et glisse vers l’image de masse. Les lecteurs de la poésie de Mayakowski proviennent des masses révolutionnaires et sont exigeants quant au message transmis par celui-ci. Rappelons-le, lors de sa première parution Pro Eto avait été accueilli froidement par le public qui le trouvait trop axé sur la relation entre Mayakowski et Lily. Ce collage qui donne le poète en pâture aux masses, et donc à ses lecteurs, est un rappel de la condition non sacrée du poète.
48
Le public peut et doit se retourner contre celui qui le nourrit afin de motiver la création de celui-ci et le garder dans la contemporanéité. Si le poète devient trop confiant en son propre pouvoir, il en oublie sa vision précise et sans concession de la société à laquelle il appartient. Aujourd’hui encore, le graphiste se place entre la commande et le public auquel le message est destiné. Le graphiste se doit, à mon sens, de soigner le sens de son message afin qu’il soit de l’ordre d’une image-texte dans l’esthétique lisible. Les moyens graphiques employés se justifient par une utilité liée à la construction consciente de l’image dans un rapport de rencontre entre détail et globalité. Une construction complexe de l’esthétique pousse vers un temps de réf lexion autour de l’image. L’image texte, une image de l’ordre du lisible plutôt que du visible. Représenté par le collage, elle nous raconte une histoire articulée semblable à celle que l’on pourrait lire dans un texte. En tant qu’artisan de l’image, le graphiste est au cœur d’une tempête entre l’éthique et la commande. Dans son livre Design graphique et changement 32 , Philippe Quinton fait état du graphisme en ce sens : “ La communication graphique est un support de transaction autant qu’une stratégie d’inf luence, pilotée par des intentions et des décisions, des conceptions et des pratiques professionnelles – artistiques, techniques ou économiques – qui ne sont pas neutres dans les messages. Mais en tant que processus d’inf luence, le design graphique peut être lui-même le résultat d’une inf luence, ne serait-ce qu’en raison des relations de subordination, de conf lit ou de négociation que ses praticiens entretiennent avec un commanditaire. ” Le graphiste produit une image inf luente, qui répond à une liste de demandes, critères et obligations, générés par le commandi-
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32 Quinton, Design graphique et changement, Éd. L’harmattan, 1997, p. 182.
taire. Le travail du graphiste sous commande se construit autour du dialogue entre celui-ci et son commanditaire. En plus de perdre le contrôle du fond, le graphiste lâche prise sur la forme de son projet. L’image intelligente serait un moyen qui permettrait de reprendre la possession de ces deux actes.
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Quatre fois j’ai essayé –quatre fois un enfant à nouveau
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7 ° Paradoxe temporel 33 Rodtchenko, Pro Eto - That’s What, Ibid., p. 147. 34 Charlie Chaplin, The Kid, 1921.
35 Tour à claire-voie construite en treillage d’acier à Polibino en Russie, breuvetée en 1896 par l’ingénieur russe Vladimir Choukhov.
36
Voir supra collage du pont de Neva Rodtchenko, Pro Eto - That’s What, Ibid., p. 33.
Ce collage 33 met en scène un Mayakowski adulte et quatre enfants. L’image de l’enfant dont le visage se superpose à celui de Mayakowski est tirée du film The Kid 34 – il s’agit de Jackie Coogan. À l’arrière plan on retrouve des éléments mécaniques tels qu’un moteur électrique, un klaxon de voiture, une structure hyperboloïde 35 . Ces pièces mécaniques sont les signes de la modernité qui arrive à grands pas. L’époque est aux changements drastiques, le début d’une nouvelle ère. Elles entrent en conf lit temporel avec les enfants qui, eux, sont ancrés dans une époque passée. Ces différents temps sont – de nouveau 36 – réunis au sein d’un seul et même espace, celui du collage. Le thème de ce collage tourne autour des paradoxes temporels, soit comment, en un espace, faire co-exister des fragments qui ne sont ou ne font pas référence à la même époque. Ce rassemblement permet de figurer une faille temporelle, la réunion de différents temps afin de quitter une logique linéaire. En effet, ce collage survient lors d’un pivot du poème de la résurrection miraculeuse de Mayakowski en gardien de zoo. Les photographies des enfants sont des réminiscences pour le futur. Elles survivent à ceux qui y figurent. Les personnes connues tel que Coogan sont immortelles via la photographie, dont Rodchenko se sert comme d’une capsule temporelle dans ce collage. Les enfants à différents stades de la vie représentent l’évolution de Mayakowski, qui se régénère à l’infini. Ce temps du collage, partagé avec la photographie, navigue entre réalité et fiction. Le visage de Jackie et celui de Mayakowski me sont familiers et pourtant je n’ai pas eu le plaisir de les rencontrer. C’est un espace du vrai, tous les éléments ont existé à un instant T, mais c’est également un espace du faux puisque certains éléments sont morts. Ce paradoxe temporel est au centre
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de l’intrigue de la fin de Pro Eto. Mayakowski trouve un échappatoire au suicide et au désemparement par sa propre résurrection en gardien dans un zoo. Celle-ci rend possible une histoire avec Lily Brik. Enfin.
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Elle aussi –elle aimait les animaux– viendrait au parc zoologique
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8 ° Implication du lecteur 37
Rodtchenko, Pro Eto - That’s What, Ibid., p. 159.
Le dernier collage 37 de Rodchenko est inséré dans le déroulement du poème au moment de la résurrection de Mayakowski en tant que gardien dans un zoo utopique où Lily le rejoindrait. Rodchenko personnifie ici Mayakowski dans les animaux exotiques qui entourent Lily. Ces animaux sont enfermés dans des cages, observés par une foule de visiteurs qui s’amasse contre les grilles de la captivité. Lily regarde de façon hantée les lecteurs de Pro Eto qui s’arrêtent sur cette image. Deux types de personnes se retrouvent autour de ce collage : le lecteur impliqué de Pro Eto d’une part et le visiteur du zoo d’autre part. Le visiteur consommera de la distraction – ici sous la forme des animaux exposés dans les cages – et passera à une autre activité sans pour autant forcement s’attacher à ce qu’il a vu ; tandis que le lecteur se nourrira et réf léchira de cette distraction – ici le poème et ses collages – et se questionnera sur sa lecture. Cependant, si la personne ne s’implique pas dans son activité, elle reste un visiteur de celle-ci.
38 Stiegler, De Twitter à Cinelab : technologies de la contribution et nouveaux espaces critiques, Intervention au palais des Congrès pour les TechDays de la structure de R&D du centre Pompidou, 2011.
La consommation de l’image est l’un des problèmes auxquels celle-ci est exposée, tout comme les animaux de ce zoo, elle est vue sans que le visiteur ne tente d’aller vers elle, d’en apprendre plus, de l’analyser. Une étude a été réalisée sur le temps passé en moyenne par un visiteur devant un tableau du Louvre. Ce temps : 42 SECONDES! L’art est devenu un outil de consommation comme un autre. Le visiteur zappe – Bernard Stiegler 38 : “ Les industries culturelles ont transformé les œuvres d’art en icônes et en outils marketing pour capter l’attention des individus. Ils sont devenus des zappeurs, des consommateurs. C’est ce que j’appelle «le premier tournant machinique de la sensibilité» ”. Le visiteur ( et non le lecteur ) consomme également le graphisme
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comme un produit courant. La démocratisation de ses outils en ont facilité l’accès. Cependant l’outil ne fait pas le regard, et l’image peut être dénuée de texte, soit de sens et d’intelligence. Elle peut être distrayante. Mais dans une société où la fabrication de l’image est plus rapide que l’éclair, et ce par l’essor de plateformes de partage, où est l’intérêt de créer une nouvelle image dénuée de sens ? Le graphiste se doit, contrairement à l’amateur, de s’adresser à un lecteur et non à un visiteur zappeur. Il est responsable de tous les aspects de sa production et en particulier du sens de lecture de celle-ci afin que sa démarche soit originale et apporte quelque chose à son lecteur. Afin d’établir le profil du lecteur de l’image et savoir l’importance de celui-ci pour l’image texte, il faut se tourner vers le lecteur texte, dont Roland Barthes fait état dans Le bruissement de la langue 39 : “ quelqu’un qui entend chaque mot dans sa duplicité, et entend de plus, si l’on peut dire, la surdité même des personnages qui parlent devant lui : ce quelqu’un est précisément le lecteur […] mais il y a un lieu où cette multiplicité se rassemble, et ce lieu, ce n’est pas l’auteur, comme on l’a dit jusqu’à présent, c’est le lecteur ”. Pour Barthes, le lecteur va enrichir le texte par sa réf lexion et son imaginaire. Il va penser les mots dans ses significations diverses et être un observateur impliqué dans son imaginaire. Le lecteur est le réceptacle d’une diversité qu’il ré-implante au sein du texte par le biais de son esprit. Cet espace permet la rencontre des transtextualités fondées dans le texte par l’auteur. Pro Eto nécessite une attention absolue afin que le lecteur soit pleinement conscient de chaque détail mis en œuvre par Rodchenko
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39 Barthes, Le bruissement de la langue, Éd. du Seuil, 1984, p. 6 9.
40 Vaudray, L’invention du visible, Éd. Hermann, 2008, p. 182.
et Mayakowski. La même attention est requise du spectateur lorsque Patrick Vaudray donne une déf inition du f ilm et de son spectateur dans L’invention du visible 40 “ le film n’est pas un défilé d’images auquel on assiste passivement, c’est une projection d’imaginaire qui présuppose l’implication du spectateur. L’image n’est plus l’ombre trompeuse de l’objet mais celle du sujet qui fait acte d’existence en opposant à la réalité la négation irréalisante de l’imaginaire. ” Selon Vaudray, le film serait la projection d’un imaginaire, celui du réalisateur. Le film n’attend pas son spectateur celui-ci se doit donc d’être à l’écoute. L’image n’est plus un faux mais un sujet propre qui affirme son irréalité. L’implication présupposée du spectateur au sein du film n’est pas forcément réaliste au vu des blockbusters américains dont le scénario semé d’actions, d’événements va chercher l’attention du spectateur puis chercher à la maintenir. Le spectateur est devenu aussi zappeur que le visiteur. Certains types de films ( comédies, actions... ) attirent le visiteur : le film ne leur apportera que du divertissement, il ne les impliquera pas. Les images ont quitté le rôle de simulacre de réalité : les images sont images non réelles. Elles permettent, à l’instar d’un texte, d’inventer un nouveau monde, un monde du faux, de l’imaginaire. C’est cet imaginaire qui va impliquer le lecteur : celui-ci devrait étudier le collage afin de se faire son idée propre sur les images et leur poésie. Un collage complexe nécessite une lecture appliquée pour être compris par le lecteur de celui-ci. Le graphiste se doit donc, à la manière de Rodchenko d’en étudier les sens car c’est ce qui le dissocie de l’amateur.
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dans le fer du téléphone. Attrape-le, envoie lui quelques notes provenant du Comité Central du Parti. Va et vérifie s’il est politiquement correct à la lumière du Programme Erfurt. Une bête creusant son passage absurdement avec rage à travers sa première peine Que peut-il
Quel adorable spectacle.
arriver à un
Camarades!
homme ?
Faites le point ! Un poète voyage à Paris l’été. Le valeureux collègue de l’Izvestia égratigne une chaise avec sa chaussure comme une griffe. Hier un homme – moi – avec un claquement de crocs se transforme en ours Poilu sa peau flottant autour de lui comme un T-shirt trop grand. Essaies-tu de rentrer là toi aussi ? ?! Progressant dans le téléphone comme cela ! ? Va rejoindre tes amis et ta famille sur la mer glacée !
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vers le contemporain
41 Rodtchenko, Pro Eto - That’s What, Ibid., p. 4 9.
42 Agamben, Qu’est-ce que le contemporain ?, Éd. Payot & Rivages, 2008, p. 11.
Lors de sa parution en 1923 dans LEF, Pro Eto apparaît comme une bombe révolutionnaire, ou plutôt une révolution qui s’amollit au contact des évolutions technologiques et des gains de confort. La vie politique et les tourments amoureux de Mayakowski se placent au centre de Pro Eto, qui veut littéralement dire “ À ce propos ”. Le poème est un état des lieux critique de son temps. Le sujet central de Pro Eto selon Mayakowski serait l’enterrement d’un mode de vie et un état d’esprit par la Nouvelle Politique Économique, la NEP. M ayakowski fait fréquemment référence à des événements, des personnes réelles, ou encore ici 41 à l’un des deux principaux journaux de l’URSS . Izvestiya, nouvelles, et Pravda, vérité, portaient à eux deux l’idéologie du parti communiste avec tant de similitudes que la question : “ Quelle est la différence entre Izvestiya et Pravda ? ” donnait réponse à une blague : “ Dans les nouvelles il n’y a rien de vrai, et dans la vérité rien n’est nouveau. ” La redondance des journaux ainsi que la difficulté d’accéder à de véritables informations étaient courantes. Le contrôle de l’accès à l’information contribue à l’ignorance des populations sur qui les propagandes ont plus d’impact. L’URSS interdisait les journaux d’opposition et les seuls journaux autorisés à la publication étaient étroitement liés à son idéologie. Mayakowski montre ici, et ce malgré son lien très fort au Bolchevisme, la nécessité de partir à la chasse aux informations au-delà de celles que proposent le régime en place. Ne pas être en accord total avec son époque tout en acceptant d’y appartenir c’est être contemporain. Dans son questionnement sur Qu’est-ce que le contemporain ? 42 Giorgio Agamben explique ainsi que : “ La contemporanéité est donc une singulière relation avec son temps, auquel on adhère tout en prenant ses distances ”. Il veut ainsi signifier que si l’on est trop partisan de son temps,
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on perd alors la capacité de chercher et de montrer ses défauts. Celui qui correspond alors en tous points avec son époque perd sa capacité à la contempler : “ ils ne peuvent pas fixer le regard qu’ils portent sur elle. ” Si l’on est trop confiant de son époque et que l’on ne s’interroge pas à son propos, on ne voit pas ses défauts : celle-ci semble alors être parfaite puisque l’on n’en voit plus les failles. Mayakowski et Rodchenko sont tous deux des précurseurs. Ils innovent dans leurs pratiques afin de constater leur époque et les progrès techniques constants. La pratique du collage en est encore à ses balbutiements, et Rodchenko participe grandement à son essor. Être contemporain c’est aussi être en oscillation permanente entre les temps. Car c’est bien de cela dont il est question : tout en étant dans son temps, il faut vivre dans un “ entre temps ”. L’exemple du monde de la mode, que Agamben évoque 43 , met en avant un aspect cyclique dans la création : “ Mais la temporalité de la mode a encore une autre caractéristique qui l’apparente à la contemporanéité. Dans le geste même par lequel son présent divise le temps selon un « ne plus » et un « pas encore », elle instaure avec ces «autres temps» une relation particulière. Elle peut donc « citer » et, de cette manière, réactualiser un moment quelconque du passé ”. La mode et ses artisans évoquent ainsi, et ce afin de les revisiter, des objets du passé qu’ils avaient précédemment banni afin d’en construire de nouveaux. La mode a de fait un aspect cyclique qui ne contredit en rien son côté contemporain. On parlera alors “ d’inspirations ”, ou même de renouveau de tendance. Pour le collage, on ne parle pas de clin d’œil mais de réactualisation d’images dans un nouvel ensemble qui n’en est pas moins actuel. Ce désir d’une suite que souhaite et rêve le contemporain s’exprime dans
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43 Agamben, Qu’est-ce que le contemporain ?, Ibid., p. 3 2.
sa pratique plastique que ce soit dans le fond ou bien dans la forme. Pro Eto ref lète son époque tout en désignant ses limites. Cette œuvre questionne dans sa forme les œuvres existantes et associe tant un travail du texte qu’un travail de l’image par l’intervention de Rodchenko. Le concept graphique de ce poème, qui était innovant à son époque, reste une clé pour la création graphique contemporaine. 44
Agamben, Qu’est-ce que le contemporain ?, Ibid., p. 3 4.
Agamben indique en effet que 44 : “ Les historiens de l’art et de la littérature savent qu’il y a entre l’archaïque et le moderne un rendez-vous secret, non seulement parce que les formes les plus archaïques semblent exercer sur le présent une fascination particulière, mais surtout parce que la clé du moderne est cachée dans l’immémorial et le préhistorique. ” Le passé inf lue le présent aussi bien dans l’histoire que dans la pratique. La clé du présent réside dans le passé pas forcément lointain mais un temps révolu que l’on ne peut vivre. Être contemporain c’est alors avoir un œil autant sur le présent et ses ambivalences que sur le passé et ses caractéristiques. Le passé répond au présent, en une fascination de l’expérience de l’inaccessible. Pro Eto est une collaboration entre deux artistes qui questionnent une époque charnière pour l’histoire de la Russie. Elle marque en 1923 le pivot après la guerre civile russe à la naissance de l’Union des Républiques Socialistes Soviétiques, tout en tournant autour de sujets récurrents tel que l’amour, la passion, et les imbroglios politiques. Les relations entre textes et images dans Pro Eto gardent une actualité pour la pratique moderne quant à l’expérience qu’elle fait vivre à son lecteur. Comment les praticiens de notre époque ré-investissent-ils des principes de ce qui est pour moi un pilier du graphisme dans une pratique dite contemporaine ?
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“
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Et Maintenant ?
En 1912 - 1913, le collage devient une pratique établie et récurrente dans le monde de l’art. C’est alors une réappropriation du réel dans un espace en deux dimensions. Un coup d’éclat face aux conservateurs. Cette technique innovante est un acte à la fois engagé et révolutionnaire. Rodchenko est l’un des premiers à utiliser le collage comme un moyen de manipuler et d’orienter le regard et le réel. De figuration du réel, il met le collage au service de l’imaginaire. Il construit une image intelligente au service des propos qu’il désire diffuser. Mais cette technique est également à la portée de tous. Et cette démocratisation l’a en un sens vulgarisé, voir même appauvri. Maintenant, tout le monde fait du collage, quel que soit l’âge, l’origine, la localisation... Sa facilité d’accès permet à tous de construire une image de l’imaginaire, mais celle-ci est plus de l’ordre de l’instantané et du visuel que de l’ordre de la profondeur et la recherche de sens. Le collage est la réunion d’images multiples qui produit une nouvelle image. Il semble avoir perdu ces nuances et s’en tenir à une narration figée et sans double sens. De fait, c’est pour ses capacités à raconter des histoires que le collage a été investi par de nombreux illustrateurs. Cependant, en illustrant il redevient visuel, plus ou moins dénué de sens. Il est le support d’une histoire mais ne la confronte plus. Je me propose ici de faire, dans un premier temps, un nuancier des pratiques contemporaines de collage par des illustrateurs. Puis de les noter subjectivement selon les points clefs et les huit principes fondamentaux que j’ai dégagé lors de la première partie.
Nuancier d’une pratique
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Notation subjective
Paradoxe temporel Implication du lecteur
Rapport de force
Lisibilité de l’image
Construction de l’espace
Richesse
Prise de positions Hétérogénéité
James Dawe Financial Times Worldscape
James Dawe Terry Reworked
Bela Borsodi Foot Fetish
J'utilise la grille de notation représentée ci-dessus pour évaluer les images de mon nuancier. Le centre équivaut à la non application d'un principe et plus on va vers l'extérieur, plus le principe est employé. Je note chaque principe de 0 à 4.
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Mark Lazenby Noah Shine as a Star
Graham Hutchinson Argument
Mark Lazenby Make Mountains 32
Mark Lazenby Rediscovered
Julian House Playing cards for Oasis
Mark Lazenby Fear Factor
Julian House Berberian Sound Studio
Ashkan Honarvar Meat 2
Ashkan Honarvar Ubakagi 1
Ashkan Honarvar Meat 1
Eva Eun-Sil Han Sans titre
Sally EdelsteinWhite wash
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Daniel Sanchis Libro illustrado
Vincent Pacheco The Meadow
David Wallace The exquisite purity
David Wallace These are traits
Vincent Pacheco Dreams of wandering
Daniel Sanchis Ficciòn
Vincent Pacheco The ocean lies across the canyons
Julien Pacaud Funny games
Julien Pacaud Quintuplets Novelists
M. Nicotra & G.Rizzo Super8 n°5
Brandon McLean Buffalo
Brandon McLean Evil Empire
”
II • dérivées graphiques Quelles sont les dérivées 45 graphiques de ces principes de l’image intelligente, telle que je la conçois, dans la pratique graphique contemporaine ? J’ai choisi de vous présenter dans cette deuxième partie des projets graphiques qui, à mon sens, mettent en valeur un des huit principes fondamentaux de l’image intelligente que j’ai déployé précédement, suite à ma lecture de Pro Eto, à savoir : • Prise de positions, un engagement du sens. • Construction de l’espace, vers un rapport cinématographique. • Hétérogénéité, diversité des natures et des origines. • Lisibilité de l’image, plutôt que visibilité. • Richesse, des images matières complexes. • Rapport de force, confrontation entre les éléments. • Paradoxe temporel, traduction du temps dans l’espace. • Implication du lecteur, interaction avec la production graphique.
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“ La dérivée d’une fonction est le moyen de déterminer combien cette fonction varie quand la quantité dont elle dépend, son argument, change. Plus précisément, une dérivée est une expression ( numérique ou algébrique ) donnant le rapport entre les variations inf initésimales de la fonction et les variations inf initésimales de son argument. ” Déf inition tirée de techno-science.net
1•Congrats!
Prise de positions
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Association Congrats! , Congrats! , 2012 2014.
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Deuleuze, Qu’est-ce qu’être de gauche ?, L’Abécédaire, 1988.
Erwan Coutellier, actuellement en 5 e année aux Arts Décoratifs de Strasbourg, est le directeur artistique de Congrats! 46 , dont il en a conçu l’identité. Ce magazine – produit par huit jeunes hommes – qui questionne ce qu’est “ devenir un homme ” de nos jours est destiné aux jeunes hommes qui ne veulent pas se définir dans l’image du mètre Étalon 47 définie par Deleuze : “ En Occident, l’étalon que suppose toute majorité, c’est : homme, adulte mâle citoyen des villes. C’est ça, l’étalon. Or, la majorité est par nature l’ensemble qui, à tel moment, réalisera cet étalon, c’està-dire l’image sensée de l’homme adulte, mâle, citoyen des villes. Si bien que je peux dire que la majorité, ça n’est jamais personne. C’est un étalon vide. Simplement, un maximum de personnes se reconnaissent dans cet étalon vide. Mais, en soi, l’étalon est vide. ” Cet étalon est sensé représenter une échelle si importante qu’il en finit par ne plus s’adresser à personne. L’équipe de Congrats! revient
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sur ce modèle pour lui opposer la question du devenir-homme. Vers quel homme se construire ? Quel est le mètre étalon aujourd’hui ? À partir de ce questionnement, le magazine met en lien des réponses possibles par le biais de l’image et du texte afin de permettre une émancipation de ce moule obsolète. La sélection est rigoureuse, le contenu y est hétéroclite. Il réunit des sujets divers qui retombent toujours sur le fil conducteur du devenir-homme. Congrats! devient une réponse par l’hyper-textualité, et met en avant des pistes de ce qu’est le passage de l’adolescence vers le monde des adultes. L’image intelligente se situe alors dans l’ancrage théorique et la prise de positions, ainsi que dans l’hyper-textualité du contenu. Ces liens, par delà le texte et les images, ne sont pas anodins et l’équipe a la main mise sur le sens produit par leur magazine et ce qu’elle souhaite offrir à ses lecteurs. Soit une réponse engagée qui ne se pose pas comme la seule et l’unique pour tous, mais bien comme une proposition à destination d’une niche de jeunes hommes en devenir.
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2•Tales of Murder and Violence
Construction de l’espace
48 Marcel van Eeden, Tales Of Murder And Violence, Éd. Stroom, 2014.
Marcel van Eeden a fait réaliser une édition 48 qui réunit les productions de ses expositions passées. C’est un artiste qui dessine en copiant des images de magazines, livres, albums, cartes postales et autres archives, qui se sont ou ont été produits avant sa naissance en 1965. Il s’impose une rigueur presque mécanique en faisant un dessin par jour, et ce depuis 1992, sur un format imposé. Il ne choisit pas les actes les plus spectaculaires mais plutôt ceux qui sont en marge, comme par inadvertance. Son travail n’a aucun caractère autobiographique mais se situe plus comme une histoire de l’ordre du détail. Ses dessins, parfois légendés, sont réalistes, très contrastés et majoritairement en noir et blanc. Si Marcel Van Eeden a pensé chacun de ses dessins séparément, cette rétrospective forme une narration par le rapprochement. C’est la première fois que ses dessins semblent parcourir une histoire, dans l’esthétisme d’une nouvelle graphique.
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Les doubles pages sont les lieux de confrontation de ses dessins qui sont accolés les uns aux autres. Tales Of Murder And Violence est saturé, sans espace libre. Il est entièrement composé de la production de l’artiste, aussi bien dans les textes que dans les images, y compris sur la couverture. Ce parti pris de composition par le studio Elektrosmog 49 renforce le caractère cinématographique de cette édition. L’atmosphère sombre des dessins se déploie au fil des pages en ce qui est comparable à une table de montage pour un film. La mise en rapport forcée des sujets de chaque dessin oblige le lecteur à suivre le cours de cette histoire de 1890 à 1965. Les graphistes deviennent des réalisateurs de cette édition, qu’ils mettent en scène au profit des segments qui constituent cette narration jadis décousue.
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49 Studio basé à Zurich, formé par Marco Walser et Selina Bütler.
3•Chérie
Hétérogénéité 50 Christophe Jacquet, Chérie, 2010.
51 Gastau, Dossier de presse de l’exposition Recto Verso aux Arts Décoratifs, 2014.
Organique et en même temps dématérialisée, la série d’affiches 50 crée par Christophe Jacquet confronte le médium et son sujet de part leur hétérogénéité. Amélie Gastau décrit ainsi cette production 51 : “ Dans ses images cohabitent des éléments du monde digital et du monde tangible : saumon, poulpes, anguilles, ou encore silhouettes féminines exsudées de magazines qui donnent leur nom à la pièce. ” L’hy per-matérialité cotoie la froideur clinique des outils de re-transcription du réel – ici le scanner. Cette réf lexion autour du filtre du sujet fait appel à l’hyper-textualité, comment se rendre compte de l’étrangeté de l’apposition d’un pouple visqueux et la fermeté d’un scanner, si ce n’est en se demandant à quels mondes ils font écho ? Jacquet soigne le sens de ses productions et de ce qu’elles provoquent sur le public. Son affiche intitulée
10 8
( S )chaumont 52 pousse le principe plus loin en présentant un saumon comme sujet principal de l’affiche. Ce n’est alors plus le caractère organique du poisson qui nous intéresse en premier plan, mais la définition même d’un saumon : “ Le saumon atlantique est un poisson migrateur amphihalin dont la reproduction et la croissance des jeunes s’effectuent en eau douce, tandis que la croissance des adultes se déroule en mer. 53 ” Le saumon est un des rares poissons à naviguer entre deux eaux. C’est cette capacité qu’évoque Jacquet en une métaphore des designer/artistes graphiques. Le saumon est un symbôle d’une pratique, autant de l’ordre du commercial que de celui de l’artistique. Ce poisson devient la figure du graphiste et de sa pratique, tout comme l’ours polaire est celle de Mayakowski dans Pro Eto. L’affiche, bien qu’assez obscure et introvertie au premier rapport, recèle une richesse qui fait appel à un deuxième regard. Certains se seront sans doute arrêtés sur la ressemblance entre “ Chaumont ” et “ saumon ” et n’auront donc pas accédé au sens caché de cette image.
10 9
52 Christophe Jacquet, ( S ) chaumont, festival de Chaumont, 2012.
53
Déf inition sur le site futurasciences.com.
4•Ways of Seeing
Lisibilité de l’image
54 John Berger, Ways of seeing, Éd. Penguin modern classics, 1972.
Ways of seeing 54 de John Berger, et mis en page par Richard Hollis, met en contact le texte et l’image d’une manière qui donne un statut tout aussi important à l’image qu’au texte. Comme dans Pro Eto, la composition du texte et sa rencontre avec l’image inf luent sur la lecture et sur l’expérience du lecteur. L’image n’est plus une exergue, mais devient une illustration des propos que tient Berger ou à l’inverse on pourrait dire que c’est le texte qui devient une légende de l’image. Ce travail de l’image, qui relève plus d’une direction artistique donnée au livre, provoque et organise la lecture et notre rapport aux images. Les images entrent dans le texte, qu’elles coupent dès lors qu’elles sont citées. Cette mise en page donne un support visuel des exemples au lecteur en lui permettant de ne pas interrompre sa lecture. Celui-ci peut lire le texte et les images en un fil continu puisque les légendes sont à la verticale. Les hyper-textes sont introduits
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au sein même de la narration en une proposition de lien à travers les images et en nommant ce qui les réunit dans cet ouvrage. L e questionnement même de ce livre por te sur ce qu’est “ Voir le voir ” et sur les aboutissants d’une pratique quotidienne. John Berger offre à ses lecteurs de s’attarder sur les images qui les entourent et sur ce qu’elles représentent via leur hyper-textualité. Il s’agit de se ré-approprier les œuvres en les remettant dans leur contexte et en ré-interrogeant les enjeux de leurs époques. Les images sont tout aussi lisibles que du texte, sauf que leurs sens ne sont pas aussi clairement signifiés. Comprendre une image, la décrypter pour en tirer la substantielle moelle est ardu et fait parfois appel à des lectures annexes. Les images font partie de notre héritage commun, et leur ré-investissement vers “ un autre ” apporte un ancrage culturel à la production graphique.
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5•Les Pléiades
Richesse
55
Gavillet & Rust, Les Pléiades, 2013.
56
Gavillet, Catalogue Les Pléiades, Co-Éd. Flammarion &Platform, 2013.
Gavillet & Rust ont produit pour les trente ans du Frac Champagne Ardennes Les Pléiades 55 , une série d’affiches qui se propose de présenter différement une partie de la collection permanente. Pour cela, les affiches hybrident et associent ces œuvres par le biais de la sérigraphie et des jeux de transparences. Ces mutations offrent la possibilité d’un nouveau regard en créant des liens inédits. Gilles Gavillet explique ainsi le projet 56 : “ C’est un travail sur la reproduction et la représentation des œuvres. Nous allons produire un certain nombre d’affiches qui illustreront tout ou partie d’une œuvre de la collection du FR AC Champagne-Ardenne et joueront avec les possibilités de juxtaposition, de superposition, de confrontation, d’opposition des images. ” Ces mises en contact ne sont pas seulement d’ordre physique mais font également appel au passé des œuvres hybridées.
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Les séquences d’images produites se passent des originaux et questionnent le regard que l’on pose dessus. Shell 57 de Raymond Hains cotoiera ainsi La Joconde est dans les escaliers58 de Robert Filliou dans un rapport de proximité assez incongru. Le collage est ici visible dans la ré-appropriation que font Gavillet & Rust des collections. Ceux-ci nous donnent à examiner un point de vue sur les travaux qui sont parfois recadrés afin de mettre en avant un point précis de l’image. Ils construisent une nouvelle image par l’hybridation et le rapprochement d’images multiples. Cette production a pour but d’exalter la collection tout en lui donnant un renouveau, un élan. Par delà leur recadrage, les œuvres ont été unifiées et sont une à une devenues monochromes afin que les différents étages de l’image construite soient décelables par le lecteur. Ces jeux d’associations et de structures, bien qu’apparents, ne sont pas instantanés lors du premier regard posé sur les affiches. De même que pour les fragments d’un collage, le décryptage des couches de la sérigraphie n’intervient que dans un second temps, après l’appréciation de l’image d’ensemble – comme d’un paysage.
113
57
Raymond Hains, Shell, 1987.
58 Robert Filliou, La Joconde est dans les escaliers, 1969.
6•Austerlitz
Rapport de force
59
Forster, Images as Memory Banks : Warburg, Wölfflin, Schwitters, and Sebald, Engramma 100, octobre 2012.
60
Version originale : “ Speaking for himself, Sebald repeatedly expressessed the feeling that «images exercise a kind of suction on the beholder, that they cannily seduce the viewer to leave the realm of reality and follow their call into an irrational world.» ”
61 Sebald, Austerlitz, Éd. Random House, 2001.
W.G. Sebald utilise quant à lui l’image intelligente comme un mémento pour le lecteur. Il collecte des images dont il se sert afin d’obliger le lecteur à voir des choses qui ne sont plus. Les images sont forcées dans le texte et participent, malgré elles, à l’atmosphère de la narration par leur présence qui fait l’effet de fantômes du /d’un passé. Dans son article, Images as Memory Banks : Warburg, Wölfflin, Schwitters, and Sebald 59, Kurt W. Forster cite Sebald concernant sa relation particulière aux images : “ Parlant pour lui même, Sebald exprima à répétition le sentiment que les « images exercent une sorte d’absorption de leur propriétaire, qu’elles séduisent le spectateur afin qu’il quitte le royaume de la réalité et suive leur appel dans un monde irrationel » 60 ” L’image attire le lecteur dans l’imaginaire et lui fait lâcher prise de la réalité. Sebald reproduit ce procédé notamment dans Austerlitz 61. Ce livre raconte la rencontre entre deux hommes, l’un d’eux reste innommé mais ressemble à Sebald et l’autre
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se prénomme Jacques Austerlitz. Ces rencontres sont prétexte à nous raconter l’histoire de Jacques Austerlitz qui ne sait rien de sa famille et de ses origines juives. Au fil du roman, celui-ci retourne sur les traces de son passé et découvre son identité et son histoire. La mère d’Austerlitz l’a envoyé à Londres par un des derniers transports d’enfants à la veille de la guerre, en 1939, juste avant de se faire elle-même déporter. L’homme sans nom et ses rencontres avec Austerlitz deviennent réceptacles de la douloureuse histoire de la Shoah. Les images qu’utilise Sebald renforcent l’atmosphère de la narration et emprisonnent le lecteur en son sein. Lecteur qui est impliqué dans le travail de souvenir qu’effectue Austerlitz. Les images y sont recadrées dans un principe de chronophotographie faisant écho à un mouvement décomposé, résumé ainsi par Muriel Pic 62 : “ Technique du regard, le cadrage offre donc une vision fragmentaire de la réalité et discontinue du temps […]. Le démontage du temps ainsi opéré permet de voir ce qui, à l’œil nu, n’est pas visible. ” L’hyper-textualité ajoute une dimension en mouvement au texte figé. C’est le lecteur, qui en s’appropriant les pièces manquantes du puzzle, va créer cette action.
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62 Pic, L’image papillon suivi de W.G. Sebald l’art de voler, Éd. Les presses du réel, 2009, p. 125.
7•L’Écart Absolu Paradoxe temporel
63 Pierre Faucheux, couverture de L’écart absolu, Éd. Galerie De l’Oeil, 1965. 64 Jacques Chancel interviewant Pierre Faucheux, Radioscopies du 27 décembre 1978.
Pierre Faucheux fait le lien entre l’architecture et la composition afin d’investir autrement sa production graphique. Ces écartelages typographiques 63 questionnent non seulement l’espace, mais l’écriture temporelle d’une image dans cet espace. Faucheux fait le lien entre le livre et la constr uction d’une maison en signifiant que 64 : “ dans les deux cas c’est de la topologie pure. Mais dans un cas c’est de la topologie à deux dimensions et dans l’autre à trois et plus. Mais j’ajoute à deux et plus si nous tenons compte, dans la couverture de livre et dans le livre, de la dimension psychologique. ” La couverture d’un livre se compose autour de deux dimensions tangibles et d’une dimension immatérielle. C’est plus cette troisième dimension qui fait selon moi appel à ce que je définis comme une image intelligente : une image par delà l’image qui fait appel à notre cognition. Bien plus que la pratique physique
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du collage lui même. Les écartelages de Faucheux suggèrent une distortion temporelle, en mouvement bien que résolument statique. La même image répétée successivement donne l’impression d’un temps intermédiaire et canalise l’attention sur un point focal. Faucheux se sert de la couverture du livre comme d’une porte d’entrée vers le contenu. Il la travaille comme un générique de film, une bande-annonce. Il tient ce rapport à la composition graphique dans une envie de perpétuelle innovation. La couverture permet alors d’étendre le sens du livre vers son lecteur, de l’accueillir. Elle nous propose également des hors champs du livre, dans une solution visible de l’hyper-textualité. Cette hybridation, dans sa vision entre l’architecture et le graphisme, donne un souff le à la pratique de Faucheux, ainsi qu’une ligne de conduite. Catherine Guiral indique que cet écart le libère des cadres et lui permet de penser 65 : “ la ligne de désir plutôt que la ligne droite, la volonté d’obéir à ses propres envies plutôt qu’à la rigidité des cadres ” Faucheux déterritorialise sa conception du graphisme vers de nouveaux champs d’investigation, ce qui lui permet de s’en créer une définition personnelle et adaptée à ses questionnements.
117
65
Guiral, La Magique coulée, L’écartelage, ou l’écriture de l’espace d’après Pierre Faucheux, Éd. B42, 2013, p. 2 4.
8•Pawlow-Block
Implication du lecteur
66
Alex Hanimann, Pawlow-Block, 1990-1991.
67 Bitterli, Alex Hanimann, dans Ohne Titel. Eine Sammlung zeitgenössicher Schweizer Kunst, Stiftung Kunst Heute, Éd. Lars Müller, 1995, p. 8 0-83.
Alex Hanimann travaille sur la relation d’un spectateur à l’œuvre, et semble militer contre la passivité par la nécessité d’implication. En effet, le spectateur est celui qui va définir le sens de la série d’images 66 qui lui est proposée. Trois lignes d’images sont superposées, la première est constituée de portraits et les deux autres de scènes animales. Konrad Bitterli décode ainsi cette installation 67 : “ L’alignement impose un mode de lecture causale. Mais c’est précisément cette lecture dont l’artiste nous frustre en détachant les images individuelles de leur contexte explicatif. Ainsi, le spectateur est contraint de donner lui-même une structure au tableau, d’en fonder le sens. Dans cette appropriation par la pensée, la force de l’œuvre se dissout, la position personnelle remplace l’ordre objectif. ” Chaque lecteur se constitue et se formule sa propre histoire dans une relation intime à l’installation. La neutralité physique de
118
ces images est confrontée par la subjectivité psychologique de ceux qui lui font face. Hanimann se refuse à formuler une seule et unique vision de son travail et pousse le silence et l’absence de légende à l’absurde. Le spectateur devient l’auteur de sa narration dont les images clefs sont fournies. L’artiste indique que “ classer, c’est interpréter ”. La mise en rapprochement de tel mot avec tel autre est ce qui va inf luer sur la lecture du travail. L e classement devient alors le mode d’emploi, l’accès à une direction, à un thème. Si Hanimann travaille l’hyper-textualité de l’image par l’implication du spectateur, il en fait de même avec les mots. Dans cette exposition 68 , il joue non seulement sur la forme des mots, mais sur leur portée et signification possibles. Il redéfinit les mots et les lettres dans leur capacité à évoquer autre chose que leur sens premier, dans ce qu’il désigne comme un “ double entendre ” accessible à celui qui y porte de l’intérêt. Les images qu’il crée ( constituées de texte ou de visuels ) sont accessibles à ceux qui le désirent. Elles restent en retrait et s’adressent en particulier à un lecteur attentif, libre d’en créer le sens, la narration.
119
68
Alex Hanimann, No proof, no commentary, no double entendre, exposition au Mamco, 2012.
Pour conclure Pro Eto se pose comme une fondation à ma recherche – sans doute utopique, je vous l’accorde – d’une image intelligente de l’ordre de l’hyper-textualité. C’est la base de ce que je considère comme étant un moyen de survie de l’image dans un monde où la sur-consommation fait rage. Les cas contemporains présentés dans la seconde partie sont pour la plupart des travaux personnels et sont à la frontière de l’art. L’image intelligente, telle que je la définis, se confine-t-elle dans des pratiques privées ? Se décloisonner et se nourrir de champs extérieurs me semble inévitable au vu des f lux de références auxquels nous sommes soumis à chaque instant. Le rappel au hors champ est constant et à mon sens ne doit pas être négligé. À l’instar de Pierre Faucheux qui hybride sa conception du design graphique avec l’architecture, je me suis servi de ce mémoire comme d’un élan à destination de ma propre pratique. Cette question de l’image intelligente hyper-textuelle m’incite à m’interroger sur la portée de ma production présente et à venir. En tant que manipulatrice de l’image, je me sens une responsabilité vis à vis du sens que je produis. Les huit principes de cette notion d’image intelligente sont loin d’être un carcan dans lequel je vais m’enfermer, mais plutôt une ouverture vers ce qui est une base du design graphique : son lecteur.
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No proof, no commentary, no double entendre, Exposition au Mamco, 2012.
p. 119
Remerciements Je tiens à exprimer ma gratitude à tous ceux sans qui ce mémoire ne serait pas ce qu’il est aujourd’hui. Je remercie particulièrement Rozenn Canevet, pour son suivi, ses judicieux conseils et sa disponibilité, ainsi que Vanina Pinter et Olaf Avenati pour leurs suggestions qui ont contribué à organiser ma réf lexion.
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