CONDITIONNEMENT & LIBERTÉ
Antoine Martinez
Interaction designer for humans
Diplômes 2016
Conditionnement & LibertĂŠ
Un grand merci !
Avant de commencer, j’aimerais remercier les personnes qui m’ont aidé tout au long de ce mémoire. En premier lieu, je souhaite remercier David Ferré, Antoine Dufeu, responsables du pôle écriture à Strate, ainsi qu’Augustin Besnier qui a su m’accompagner dans ce travail de recherche et d’écriture, J’aimerais également remercier le Docteur Luc Faucher et le Professeur Roland Jouvent pour leur temps et leur implication lors de mon travail d’enquête, J’aimerais dire un grand merci aux 114 personnes ayant répondu à mon questionnaire et qui m’ont grandement aidé dans mon enquête terrain, Enfin, je voudrais remercier Cécile pour sa patience, son investissement, sa curiosité et sa relecture attentive. Mais également Aliza pour sa présence, son incroyable soutien et sa précieuse analyse tout au long de ce travail ! Merci d’être là.
Antoine Martinez
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SOMMAIRE
Sommaire
Introduction
p. 5
I . Le conditionnement : l’aveugle qui avait des lunettes
p. 11
A. La construction de l’être 1. Fonctionnement de l’inconscient 2. Relation entre conscient et inconscient 3. Etablissement du conditionnement B. L’individu paralysé 1. Une perception faussée non sans conséquence 2. L’homme, prisonnier de sa personne 3. Passivité et souffrance
p. 13 p. 13 p. 22 p. 29 p. 43 p. 43 p. 48 p. 53
II . L’intervention : quand conscient rime avec liberté
p. 61
A. La quête d’un non-conditionnement 1. L’accès à l’inconscient 2. La prise de conscience B. Le choix d’être, et être libre 1. L’acceptation et la responsabilité 2. L’ouverture
p. 63 p. 63 p. 68 p. 75 p. 75 p. 80
III . L’abstention : ou le fatalisme qui nous fait renoncer
p. 89
A. Fatalité de notre inconscient 1. La puissance de l’inconscient 2. Perception et interprétation B. La peur de la vie 1. Rationalisation chronique 2. Contrôle et non-contrôle – une relation complexe 3. Le hasard, la chance et l’incertitude
p. 91 p. 91 p. 93 p. 99 p. 99 p. 102 p. 105
Conclusion
p. 108
Aux portes de l’exploration
p. 111
Bibliographie
p. 112
Annexes - Glossaire, enquêtes & interview
p. 115
Antoine Martinez
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INTRODUCTION
Liberté. Un mot et trois syllabes dont personne ne souhaite être privé. Pourtant, le développement inconscient de notre conditionnement, aussi fondamental soit-il, semble nuancer la part de liberté dans la vie de chacun. Le manque de clairvoyance concernant le décalage entre ce que nous pensons être et ce que nous sommes, apporte un caractère nocif à ce conditionnement puisqu’il nous éloigne de nos souffrances et de nos besoins. Face à cette paralysie, il n’est pas question de suppression et de contrôle mais de compréhension et d’attention. Il s’agit alors pour l’homme d’améliorer son niveau de conscience pour améliorer son espace de liberté, la liberté se trouvant en partie dans l’acceptation de la responsabilité de ses actions et de ses choix ; le choix d’intervention face à la paralysie orchestrée par notre manque de conscience sur notre « vérité pure ». Etre ouvert sur ce que nous sommes et comment nous le sommes, sur ce que nous devenons et comment nous le devenons. C’est pour nous le moment d’accepter et d’apprécier chaque instant.
Introduction
Comment permettre le dépassement du conditionnement créé par notre inconscient ? Aujourd’hui encore, cette question semble plus que jamais porteuse de sens. En effet, les évolutions au sein de notre société, l’histoire de nos nations et des évolutions de l’homme, notre éducation, nos cultures ou encore nos codes sociétaux influencent nos perceptions, nos croyances, notre personnalité et nos comportements. L’ensemble de nos interactions et de nos expériences du monde qui nous entoure influent sur notre personne et les différents mécanismes de notre inconscient participent quotidiennement à l’établissement de notre conditionnement. Son développement étant majoritairement inconscient, l’existence et les conséquences de notre conditionnement sur notre personne et sur nos comportements sont dans certains cas relativement ou temporairement de l’ordre de l’inconnu. Aujourd’hui encore, nous sommes parfois incapables de discerner les sources de certaines angoisses, de mettre en place des moyens d’agir face à certaines peurs, nous ne pouvons parfois même pas percevoir fidèlement et objectivement un conflit relationnel. Bon nombre de zones d’ombre nuisent à notre clairvoyance sur les sources de certaines de nos souffrances, et il en est tout autant pour certaines sources de notre bonheur. En effet, aujourd’hui encore, il nous arrive de dire : « je ne sais pas ce que je veux devenir ou faire » ou « si j’avais su, j’aurais fait d’autres choix ». Et même très honnêtement, qui peut, en moins de deux minutes, citer sans se tromper, les sources de son bien-être ? Savoir ce qui nous fait souffrir peut être difficile à distinguer, mais savoir ce qui nous anime, ce qui nous plaît, ce qui nous fait vivre et sourire devrait être simple à identifier aujourd’hui et l’on ne devrait pas pouvoir facilement se tromper. Pourtant, aujourd’hui encore, on peut voir que le non-dépassement de notre conditionnement nuit à notre espace de liberté car il ne nous permet pas de nous confronter à certaines sources de nos maux. Ces sources demeurent inconscientes, nous empêchant ainsi de nous libérer de certaines souffrances qui nous accompagneront parfois tout au long de notre vie. Qu’elles soient liées à une forme d’anxiété avant un examen, à un sentiment constant de solitude ou encore à un état de stress post-traumatique, certaines souffrances, petites ou majeures ne peuvent être atténuées ou soignées du fait de notre conditionnement. Car les sources de ces souffrances demeurent parfois inconnues et qu’un état de paralysie se crée du fait de notre incapacité à agir, il semble donc intéressant de faire le choix de dépasser notre conditionnement. A la suite d’ un passage par l’Ecole de commerce – Grenoble Ecole de Management, l’obtention du second Master Programme Grandes Ecoles a permis d’explorer de nouvelles voies de réflexion et d’apporter plus de richesse et de diversité à cette recherche. Depuis l’élaboration des attendus, il a paru dans un premier temps
6.
Conditionnement & Liberté
Introduction
essentiel de commencer cette recherche par l’étude des différentes théories psychanalytiques de l’inconscient. Cet état des lieux nous a donné la possibilité de forger les bases nécessaires à la compréhension des enjeux de ce sujet mais également de les délimiter. Par ailleurs, il a très rapidement été question de mettre en parallèle les théories psychanalytiques avec les fondements de la neuroscience et de la neurobiologie. Cela nous a ainsi permis de faire un lien entre les théories parfois abstraites de la psychanalyse et le pragmatisme de la science. Par ailleurs, l’intuition de s’intéresser au bouddhisme a toujours survolé cette recherche. Même si nos premiers pas dans ce domaine, au travers des enseignements du Dalaï-Lama, nous ont permis de comprendre en quoi cette démarche spirituelle pouvait être d’une richesse considérable pour notre questionnement, c’est au sein de l’Ecole de commerce de Grenoble que certains enseignements nous ont permis d’ouvrir encore plus le champ d’investigation de ce mémoire. A travers différents cours sur les nouveaux comportements managériaux, l’étude des cultures et des sociétés ou encore la gestion du stress au travail, nous avons pu voir comment ce questionnement pouvait concrètement toucher certaines personnes dans le milieu professionnel. Cela nous a notamment ouvert la voie vers l’étude de la Pleine conscience ou encore la quête du bien-être dans le cadre privé mais aussi en entreprise. Nous avons notamment eu l’occasion de suivre les enseignements de Dominique Steiler, enseignant-chercheur au CTI de Princeton et Directeur de la Chaire « Mindfulness, Bien-être au travail et Paix économique ». Une expérience de trois mois à l’étranger a aussi apporté une prise de recul sur ces recherches en confrontant les théories apprises quelques mois auparavant et l’apprentissage empirique du bien-être au travail. Enfin, nous avons eu l’occasion d’affiner notre questionnement et de confirmer certaines de nos intuitions en rencontrant le Docteur Luc Faucher, Chef du service Psychiatrie de l’Hôpital Sainte-Anne ainsi que le professeur Roland Jouvent, Chef du service Psychiatrie adultes à La Salpêtrière et Directeur du Centre Emotion du CNRS à La Salpêtrière. L’étude de l’inconscient d’un point de vue psychanalytique depuis Freud, Jung ou encore Lacan, nous a fait comprendre l’importance fondamentale de l’inconscient dans la construction de notre être. Ainsi, la « fatalité » de ce qu’est l’inconscient fut confirmée du fait de sa présence indéniable et de son irrémédiable puissance. Nous avons ainsi pu voir en quoi la relation entre conscient et inconscient est à la base de nos fondements, ne ramenant à la conscience qu’une certaine partie de ce que nous sommes. De plus, nous avons pu voir en quoi les différents mécanismes peuplant l’inconscient orchestrent le développement du conditionnement subi par l’homme, ce conditionnement provenant de sources externes comme l’influence de la société, notre éducation et les différentes formes d’apprentissages rencontrés au cours de notre vie. L’étude de l’inconscient d’un point de vue
Antoine Martinez
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Introduction
neuroscientifique nous a fait comprendre en quoi la plasticité de notre cerveau participait au développement de notre conditionnement. Faisant ainsi le lien avec la psychanalyse, on comprend alors que nous ne sommes que le résultat des diverses interactions et expériences vécues au cours de notre vie. Cependant, cette même plasticité participe à une certaine falsification de nos perceptions. Comme nous allons le voir, il existe un décalage significatif entre ce que nous pensons être et ce que nous sommes. Enfin, l’étude des enseignements du Dharma nous a permis de comprendre en quoi ce conditionnement ne mettait en aucun cas en péril notre volonté de liberté si nous pouvions faire acte de prise de conscience sur les contenus qui peuplent notre inconscient, pour les accepter et entraîner alors un choix d’intervention par l’action ou la non-action face au conditionnement potentiellement nocif que nous subissons. Via les trois prismes majeurs que sont la psychanalyse, les neurosciences et le bouddhisme, nous allons voir comment permettre le dépassement du conditionnement créé par notre inconscient. Dans un premier temps, nous allons étudier le conditionnement subi par l’homme. Comment ce conditionnement se développe-t-il au travers du fonctionnement de l’inconscient et de la plasticité neuronale, de la relation entre conscient et inconscient, et comment il construit peu à peu ce que nous sommes. Nous verrons également comment ce conditionnement peut être caractérisé de nocif pour l’homme, notamment s’il nous écarte de la source de certaines souffrances, conduisant l’homme à une forme de passivité et de paralysie face à ce qui le fait souffrir. Dans un second temps, nous verrons en quoi la quête d’intervention face à ce conditionnement semble cruciale pour l’homme au vu de son besoin de liberté. Nous étudierons alors comment les différents moyens d’investigation de l’inconscient peuvent venir soutenir cette quête. Cette quête s’inscrit plus largement dans une démarche d’ouverture par la prise de conscience de ce que nous sommes réellement, impliquant alors une forme d’acceptation et de responsabilité vis-à-vis de notre volonté de liberté. Enfin, nous verrons quelles sont les limites de cette quête d’intervention notamment à cause de cette « fatalité » que constitue l’inconscient et compte tenu des aspects personnels et volontaires liés à cette quête. Par ailleurs, nous verrons qu’une certaine peur de la vie nous habite, nous empêchant ainsi d’accepter et d’apprécier ce que nous sommes.
8.
Conditionnement & Liberté
« Les mécanismes inconscients contrôlent la plupart de nos comportements, nos choix, nos émotions, nos décisions, comme le montrent de nombreuses expériences de psychologie. La conscience ne serait que la partie émergée de l’iceberg des processus cognitifs1. » John Bargh
1
BARGH John. La puissance de l’inconscient. Pour la Science, n°437, mars 2014.
I LE CONDITIONNEMENT
l ’aveugle qui avait des lunettes Au sein de notre corps, il semble exister une entité psychique incontournable et fondamentale, régissant en partie notre vie, nos pensées et nos comportements. Ainsi, selon Freud, nous sommes avant tout guidés, non pas par les choses dont nous avons conscience mais par tout ce qui contrôle et induit notre conscience. Selon Christian Derouesne, chef du service de neurologie à l’hôpital de la Salpêtrière, Hélène Oppenheim-Gluckman, psychiatre et psychanalyste, et François Roustang, psychanalyste, « par sa découverte de l’inconscient, Freud marque, en effet, que nous sommes mus, dans la plupart de nos actions, non par les mobiles que nous croyons consciemment être les nôtres, mais par d’autres que nous ignorons et qu’en tout état de cause nous ne pouvons connaître que partiellement »2. C’est par les prismes des mécanismes de l’inconscient et de la relation entre conscient et inconscient que nous allons, dans un premier temps, tenter de comprendre d’où provient le conditionnement de notre être et quelles en sont les conséquences.
2 DEROUESNE Christian. OPPENHEIM-GLUCKMAN Hélène. ROUSTANG François. Inconscient [en ligne]. In ENCYCLOPAEDIA UNIVERSALIS. 2014. [Consulté le 25/05/2014]. Disponible à l’adresse : http://www.universalis.fr/ encyclopedie/inconscient/.
Chapitre I
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Conditionnement & LibertĂŠ
Le conditionnement : l’aveugle qui avait des lunettes
A.
La construction de l’être
1. Fonctionnement de l’inconscient Le développement du conditionnement de l’homme prend sa source au travers des différents mécanismes de l’inconscient sur les plans individuel et collectif. En 1896, c’est la psychanalyse qui théorisa le fonctionnement de l’inconscient. Si Sigmund Freud s’intéresse en grande partie à l’inconscient individuel et notamment à l’enfance, Carl Gustav Jung se distingue de son compère en exploitant la sphère collective, l’impact de la société et de l’environnement sur l’individu. En 1933, dans Dialectique du Moi et de l’Inconscient, Jung définit ainsi l’inconscient freudien comme étant l’ensemble des éléments psychologiques qui existent dans un être à son insu. Il ajoute également que, selon Freud, ces éléments seraient constitués uniquement par des tendances infantiles. Le premier mécanisme majeur de l’inconscient apparaissant dans la construction de l’être d’un individu est celui du « refoulement ». Le refoulement est un processus qui s’insinue dès l’enfance et dure tout au long de notre vie. Il est ainsi qualifié comme « l’écho intérieur » répondant à l’influence et à l’imprégnation morales exercées par les proches de l’individu3. Comme nous l’explique Carl Gustav Jung, le refoulement intervient alors dans la vie de l’homme, lorsque certains éléments apparaissent comme incompatibles avec les facteurs conscients du psychisme : « Selon la théorie freudienne, l’inconscient ne renfermerait donc pour ainsi dire que les éléments de la personnalité qui pourraient tout aussi bien faire partie du conscient, et qui, au fond, n’en ont été bannis, n’ont été réprimés, que par l’éducation4. »
Le principe de refoulement semble donc être un mécanisme de l’inconscient très en lien avec notre propre conditionnement. En effet, ce mécanisme participe à la construction d’un Moi ne reflétant, non pas ce que nous sommes, mais tout ce que notre éducation et notre environnement nous ont permis d’accepter. L’ analyse psychanalytique semble être un moyen de supprimer les refoulements mais également un processus permettant l’inventaire complet des contenus de l’inconscient. Dans toute psyché, Jung distingue quatre fonctions psychiques cardinales s’opposant deux à deux : « pensée et sentiment, sensation et intuition »5. Selon l’individu, l’un des deux couples deviendra son « outil de prédilection », sa
3
JUNG Carl Gustav. 1933. Dialectique du Moi et de l’Inconscient. Barcelone : Gallimard. Folio essais. 2012. p 23.
4
Ibid. p 23.
5
Ibid. p 27.
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Chapitre I
fonction principale. Carl Gustav Jung nomme cette fonction principale « fonction auxiliaire », car elle demeure partiellement à disposition du sujet car partiellement consciente. L’autre fonction, dite « fonction inférieure » est, elle, reléguée dans l’inconscient du sujet. De plus, Freud induit l’existence de deux types d’inconscient : l’inconscient « refoulé » et l’inconscient « originaire ». Selon Christian Derouesne, Hélène Oppenheim-Gluckman et François Roustang, l’inconscient originaire serait un inconscient non refoulé, attirant à lui le refoulé6. Au travers du refoulement, nous pouvons d’ores et déjà noter une forme de dissociation de notre personne du point de vue de la psyché. Ce mécanisme de l’inconscient participe au développement du conditionnement de l’individu en ne lui laissant voir qu’une certaine partie de sa personnalité. Par ailleurs, selon Carl Gustav Jung, « l’inconscient semble détenir des éléments autres que les simples acquisitions de la vie personnelle »7. L’inconscient détient en effet, en plus des matériaux personnels, des facteurs impersonnels collectifs sous forme de « catégories héritées » et « d’archétypes ». Les archétypes sont définis comme « des manières de complexes innés, des structures préformées par notre psychisme, que viendront meubler et animer les matériaux de l’expérience individuelle »8. Jung précise, par ailleurs, la place de ces contenus collectifs hérités dans la construction psychique de chaque individu. En effet, pour lui, « notre psyché personnelle et consciente s’édifie sur les larges fondements d’une disposition mentale générale et héritée qui, en tant que telle, est inconsciente et implicite, et que, dès lors, notre psyché personnelle est à la psyché collective un peu ce que l’individu est à la société »9. Appelés par Freud « résidus archaïques », les archétypes sont des contenus psychiques survivant au sein de l’esprit des hommes et ce, de génération en génération, remontant ainsi à des temps très anciens. Selon Jung, « on trouve dans beaucoup de rêves, des images et des associations analogues aux idées, aux mythes et aux rites des primitifs »10. Le psychanalyste constate ainsi que ces « images » et ces « associations » sont prépondérantes au sein de notre inconscient et font la liaison entre notre inconscient et le monde rationnel qu’est la conscience. Ces résidus hérités constituant en partie l’inconscient collectif semblent difficiles
6 DEROUESNE Christian. OPPENHEIM-GLUCKMAN Hélène. ROUSTANG François. Inconscient [en ligne]. In ENCYCLOPAEDIA UNIVERSALIS. 2014. [Consulté le 25/05/2014]. Disponible à l’adresse : http://www.universalis.fr/ encyclopedie/inconscient/. 7
JUNG Carl Gustav. 1933. Dialectique du Moi et de l’Inconscient. Barcelone : Gallimard. Folio essais. 2012. p 44.
8
Ibid. p 46.
9
Ibid. p 63-64.
10 JUNG Carl Gustav. 1988. Essai d’exploration de l’inconscient. Paris : Denoël. Folio essais. 2013. p 73.
14 .
Conditionnement & Liberté
Le conditionnement : l’aveugle qui avait des lunettes
à accepter. Cependant, Jung nous aide ici à rationnaliser ce concept pourtant, au premier abord, à la limite du surnaturel. Selon lui, les archétypes « ne sont rien d’autre que des représentations conscientes. L’archétype réside dans la tendance à nous représenter de tels motifs, représentation qui peut varier considérablement dans les détails, sans perdre son schème fondamental »11. Toujours selon Jung, « ce que nous appelons «instinct» est une pulsion physiologique, perçue par les sens. Mais ces instincts se manifestent aussi par des fantasmes, et souvent ils révèlent leur présence uniquement par des images symboliques »12. Les manifestations rationnelles de ces fantasmes au travers d’images symboliques et collectives sont donc ce que Jung appelle « archétypes ». Notre inconscient renfermerait donc des contenus hérités des générations précédentes, constituant en partie notre inconscient collectif. On peut donc imaginer que ces contenus collectifs conservent un schème de base identique entre les héritages mais différent dans le détail de leur représentation puisqu’ils sont associés à la société actuelle. Leur représentation passe, en partie, par le moyen de symboles véhiculés par la société. D’après Carl Gustav Jung, à partir d’un certain niveau de développement de la psyché collective, l’individu est confronté à la volonté d’un développement personnel. Forces d’une certaine incompatibilité, la psyché collective et la psyché individuelle entrent alors en conflit, et commence alors le refoulement du mal face au bien. Ce développement de la personne entraîne une volonté d’affirmation et une nécessité de protection face au collectif. Une enveloppe, un masque se crée alors, c’est la « persona »13. Dans Dialectique du Moi et de l’Inconscient, Jung théorise cette partie intime de notre personne de la manière suivante : « La persona est un ensemble compliqué de relations entre la conscience individuelle et la société ; elle est, adaptée aux fins qui lui sont assignées, une espèce de masque que l’individu revêt ou dans lequel il se glisse ou qui, même à son insu, le saisit et s’empare de lui, et qui est calculé, agencé, fabriqué de telle sorte qu’il vise d’une part à créer une certaine impression sur les autres, et d’autre part à cacher, dissimuler, camoufler la nature vraie de l’individu14. »
La persona se définit alors comme un fragment de la psyché collective et dont les éléments sont généraux au même titre que l’inconscient collectif. Elle est le moyen inconscient pour l’individu de se retrouver dans les standards de la société dans laquelle il évolue. On peut alors se demander en quoi le mécanisme de la persona,
11 JUNG Carl Gustav. 1988. Essai d’exploration de l’inconscient. Paris : Denoël. Folio essais. 2013. p 117-118. 12 Ibid. p 73. 13 JUNG Carl Gustav. 1933. Dialectique du Moi et de l’Inconscient. Barcelone : Gallimard. Folio essais. 2012. p 69. 14 Ibid. p 153.
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Chapitre I
si fondamental soit-il pour l’homme, participe au conditionnement de ce dernier. Jung décrit ainsi très clairement le principe de refoulement face à la persona. Dans la première hypothèse soulevée par le psychanalyste, « le Soi est refoulé à l’arrière-plan au profit de l’adaptation et de la mise en valeur de l’individu dans le cadre social » ; dans la seconde hypothèse, « cela a lieu sous l’action de l’influence autosuggestive d’une image primordiale. Dans un cas comme dans l’autre, c’est le collectif qui prédomine et l’emporte »15. On comprend ici que le poids de la société et la place de l’individu dans le collectif pèsent plus lourd dans la balance que la singularité de l’individu en question. Dans le but d’être valorisées et reconnues socialement, certaines personnes favorisent inconsciemment ce qu’elles paraissent être par rapport à ce qu’elles sont réellement. C’est notamment ce que l’on a pu voir au travers des résultats de notre enquête auprès de 113 répondants, un homme nous dit ainsi : « J’essaye de passer pour un autre. Par amusement et besoin de domination sur les autres16. » La psychanalyse nous montre que la construction de notre être passe en partie par des mécanismes appartenant à l’inconscient sur les plans individuel et collectif. Par les principes du refoulement, de la persona et des archétypes, on peut voir que plusieurs mécanismes inconscients façonnent ainsi notre être. D’ailleurs, nous pouvons d’ores et déjà déceler ici de multiples oppositions et divergences entre les contenus inconscients et conscients. Si nous souhaitons nous intéresser au fonctionnement de l’inconscient pour comprendre son impact sur le façonnement de notre être, il semble intéressant de se pencher sur certaines approches neuroscientifiques de notre psychisme. Selon François Ansermet, psychanalyste, directeur du département universitaire de psychiatrie et chef du service de psychiatrie d’enfants et d’adolescents aux Hôpitaux universitaires de Genève, et Pierre Magistretti, médecin et neurobiologiste, directeur du Brain Institute de l’École Polytechnique et du Centre de neurosciences psychiatriques de l’Université de Lausanne, « le cerveau possède des mécanismes fins pour stocker les perceptions et les rappeler lorsque cela est nécessaire, parfois d’une manière spontanée, comme dans le cas de l’apprentissage moteur. […] Il s’agit d’une mémoire non consciente que certains appellent mémoire procédurale »17. La mémoire procédurale est caractérisée de « non-consciente » car même si elle est de l’ordre de l’inconscient, elle est plus facilement rappelée à la
15
JUNG Carl Gustav. 1933. Dialectique du Moi et de l’Inconscient. Barcelone : Gallimard. Folio essais. 2012. p 116.
16
Voir enquête en annexe.
17 ANSERMET François. MAGISTRETTI Pierre. 2004. A chacun son cerveau - Plasticité neuronale et inconscient. Paris : O. Jacob. p 44.
16 .
Conditionnement & Liberté
Le conditionnement : l’aveugle qui avait des lunettes
conscience par le souvenir, ce qui n’est pas le cas de l’inconscient freudien. Comme nous l’expliquent François Ansermet et Pierre Magistretti, le fonctionnement de la mémoire procédurale laisse apparaître l’existence d’une « trace » : « Au premier abord donc, les systèmes de mémoire permettent d’accéder à l’expérience qui a été enregistrée sous forme d’apprentissage ou de souvenirs d’une manière qui préserve une remarquable correspondance avec ce qui a été initialement perçu. Par les mécanismes de la plasticité synaptique, qui rendent possible l’établissement d’une trace dans le réseau neuronal à partir de la perception du monde extérieur, se constitue une réalité intérieure dont on est conscient, ou qui peut émerger à la conscience par le rappel18. »
Par le biais du souvenir et de la mémoire procédurale, les neurosciences abordent une partie de l’inconscient sous la forme d’une « réalité intérieure ». Cette réalité intérieure se définit alors comme la trace de l’expérience vécue par le sujet, l’expérience représentant une perception extérieure perçue par ce dernier. En se penchant sur les neurosciences, on trouve un premier lien avec les divergences exposées par la psychanalyse entre les contenus inconscients et conscients. François Ansermet et Pierre Magistretti nous enseignent ainsi qu’une « perception actuelle fait surgir une représentation tout à fait différente émanant du monde interne »19. A l’instar de la psychanalyse, on retrouve une mise en lumière des potentielles différences entre réalité interne et externe. Une perception externe peut alors, par le biais d’associations et des mécanismes complexes de la mémoire, évoquer inconsciemment une réalité interne n’ayant consciemment aucun lien avec cette dernière. Ainsi, d’après les explications de François Ansermet et Pierre Magistretti, cette évocation, quand bien même ramenée au conscient, se fait par le moyen de mécanismes et d’associations inconscients : « L’anecdote amène donc à distinguer réalité et réalité psychique, en s’interrogeant sur le rapport entre l’expérience et la trace qu’elle laisse au niveau neuronal et, de surcroît, son effet psychique. [...] La trace de l’expérience inscrite à travers les mécanismes de la plasticité peut subir de nombreux remaniements, s’associer à d’autres traces, éloignant le sujet de l’événement qui a eu lieu20. »
Le système de perception de l’expérience fait passer une expérience d’une réalité externe à une réalité interne. Cependant, par les phénomènes de plasticité neuronale, le système psychique de l’inconscient peut modifier la trace laissée par la perception perçue d’un individu. Ainsi, la réalité interne peut
18 ANSERMET François. MAGISTRETTI Pierre. 2004. A chacun son cerveau - Plasticité neuronale et inconscient. Paris : O. Jacob. p 46. 19
Ibid. p 47.
20 Ibid. p 54.
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Chapitre I
être considérablement différente de la réalité externe initialement perçue par l’individu. Les mécanismes de plasticité neuronale peuvent être représentés d’une manière simple selon François Ansermet et Pierre Magistretti : « l’expérience laisse une trace dans le réseau synaptique »21. On peut voir que l’établissement d’une réalité interne se fait par le biais d’interactions entre synapses facilitées. Pour aller plus loin, François Ansermet et Pierre Magistretti nous expliquent que ce sont les mécanismes de plasticité neuronale qui sont à la source de l’établissement de cette trace synaptique : « En clair, le transfert d’informations entre neurones s’effectue de manière plus efficace aux synapses facilitées. […] La représentation de la réalité externe serait en quelque sorte cartographiée au niveau de réseaux synaptiques facilités et distribués, qui peuvent être réactivés de manière transitoire. Il n’y aurait donc pas une représentation, un souvenir inscrit dans une synapse, […] mais un réseau de synapses facilitées s’activant de manière dynamique, et cette activation synchrone correspondrait à une représentation d’une expérience spécifique du monde extérieur22. »
Si l’on fait de nouveau un parallèle avec la psychanalyse, Freud explore également le fonctionnement de l’appareil psychique au travers d’un schéma ayant pour extrémités la perception et la conscience23. Ce schéma est ici détaillé par François Ansermet et Pierre Magistretti : « Donc il y a d’abord la perception (W). Le premier enregistrement, la première trace de cette perception, est, pour Freud, le signe de la perception (Wz) aménagé suivant la coïncidence temporelle (Gleichzeitigkeit), aboutissant à des «associations simultanées». […] Il y aurait donc, d’abord, l’expérience et sa perception, puis, selon Freud, le signe de la perception, première trace psychique qu’il est possible de mettre en parallèle avec la trace synaptique24. »
Parallèlement donc, les neurosciences et la psychanalyse traitent de la modification de l’efficacité synaptique avec, pour Lacan, le « signifiant », la « trace synaptique » pour la neurobiologie et le « signe de perception » pour Freud. Pour François Ansermet et Pierre Magistretti, ces trois termes « correspondraient à un signifié qui n’est rien d’autre que la perception de l’expérience de la réalité externe »25 . Ils nous expliquent alors comment le fonctionnement de notre inconscient participe à la transformation d’une expérience perçue en fantasme :
21 ANSERMET François. MAGISTRETTI Pierre. 2004. A chacun son cerveau - Plasticité neuronale et inconscient. Paris : O. Jacob. p 83. 22 Ibid. p 83-86. 23 FREUD Sigmund. 1897. Lettre à Wilhelm Fliess n°52, du 6.12.96. In Naissance de la psychanalyse, op. cit. p 154. 24 ANSERMET François. MAGISTRETTI Pierre. 2004. A chacun son cerveau - Plasticité neuronale et inconscient. op.cit. p 88. 25 Ibid. p 89.
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Conditionnement & Liberté
Le conditionnement : l’aveugle qui avait des lunettes
« Un tel mécanisme d’association entre signifiants, c’est-à-dire d’associations entre traces (psychiques et synaptiques), peut participer à l’organisation d’un fantasme dans l’inconscient en fonction de diverses expériences particulièrement investies. [...] A partir d’un signifiant, en relation dans la réalité à un signifié précis, peut se produire, par associations avec d’autres signifiants, un nouveau signifié dans l’inconscient. [...] Un nouveau signifié qui n’a plus rien à voir avec l’événement perçu dans la réalité et qui fait le propre de la vie fantasmatique26. »
Par association, plusieurs signifiants peuvent donc donner lieu à un signifié inconscient. Ce nouveau signifié devient alors fantasme. On peut voir que les mécanismes de l’inconscient, façonnant notre être mais également par incidence nos comportements, ne correspondent pas nécessairement, bien au contraire, à la réalité externe initialement perçue par le sujet.
26 ANSERMET François. MAGISTRETTI Pierre. 2004. A chacun son cerveau - Plasticité neuronale et inconscient. Paris : O. Jacob. p 92.
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Note trouvée n° 03
Date : 23 décembre 1992
Hey Pat ! Alors ? Comment tu m’ as trouvé pendant ma présentation à la conférence sur la future stratégie du groupe ? J ’étais bien hein ?! Un peu que j ’étais bien ! T ’as vu ? Ils sont tous restés bouche bée lorsque j’ai demandé qui avait des questions. Je pense que je les ai impressionnés. En même temps, y’ a pas de secret, je connaissais mon sujet. Le patron avait l ’air impressionné aussi mais je le connais, c’ est pas le genre à laisser paraître ses émotions. On se voit à la pause déjeuner avec Fred ? PS : J ’attends toujours tes retours sur la nouvelle identité graphique. Paolo Bazetti Chef de produit - IO Tech
Le conditionnement : l’aveugle qui avait des lunettes
Selon François Ansermet et Pierre Magistretti, notre réalité interne ne reflète parfois en rien la réalité externe : « Ces nouveaux signifiés constituent, de notre point de vue, des éléments du scénario fantasmatique propre à la réalité interne inconsciente de chaque sujet. Celui-ci peut interagir avec l’appréhension de la réalité externe, la rendant énigmatique pour le sujet, parasitant la conscience. De tels court-circuits sont fréquents dans la vie psychique27. »
Nous pouvons d’ailleurs citer un exemple très commun. Dans le but de donner son avis, sur le goût d’un plat, nous avons envie de dire : « C’est bon » alors que, ce qui sort de notre bouche à ce moment précis est : « C’est bion » — un mélange de « C’est bien » et « C’est bon », résultat d’un court-circuit associant deux idées entre elles sans que cela ne soit volontaire. Pour aller plus loin, on peut voir d’après François Ansermet et Pierre Magistretti, que la transcription d’une réalité externe peut alors se résumer en deux étapes. La première « correspond à l’inscription de perceptions externes dans les circuits neuronaux par les mécanismes de la plasticité, la seconde partie est le fait d’une réalité psychique coupée de la réalité externe »28. Pour François Ansermet et Pierre Magistretti, cette phase est dans le principe de l’ordre de la conscience et se trouve à la source de « l’apprentissage et de la constitution de souvenirs conscients et évocables ». La seconde étape « contribue à la formation d’une réalité interne inconsciente, à la base des constructions fantasmatiques »29. D’après les mots de François Ansermet et Pierre Magistretti, « l’inconscient n’est donc pas une mémoire, mais un système de traces mnésiques réarrangées qui ne sont pas un reflet de la réalité externe qui les a engendrées »30. Au travers de la psychanalyse et des neurosciences, nous avons pu voir comment le fonctionnement de certains mécanismes de notre inconscient façonnait au cours de notre vie une réalité intérieure différente, en certains points, de la réalité externe. Au même titre que le conscient ne semble pas être le reflet de la réalité interne inconsciente, notre inconscient — du fait d’une certaine forme de conditionnement extérieur lié à nos interactions, et pourtant définition même de notre être — semble déconnecté de la réalité externe nous entourant. Ces nombreuses divergences et oppositions entre les contenus conscients et
27 ANSERMET François. MAGISTRETTI Pierre. 2004. A chacun son cerveau - Plasticité neuronale et inconscient. Paris : O. Jacob. p 94-95. 28 Ibid. p 98. 29 Ibid.. p 98. 30 Ibid. p 202.
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inconscients nous amènent à étudier la relation entre ces deux entités. L’objectif ici, et ce tout au long de cette recherche, n’est pas de distinguer le vrai du faux mais d’essayer de poser un regard curieux sur ce qui nous a amené à devenir ce que nous sommes et les conséquences associées sur notre fonctionnement. Dans le cas présent, l’intérêt n’est pas de savoir si ce dont nous avons conscience n’est au final que fantasme car modifié par le fonctionnement de nos synapses, mais simplement de prendre conscience qu’il existe, peut-être, une différence entre ce que nous percevons (réalité interne) et ce qui nous entoure (réalité externe).
2. Relation entre conscient et inconscient « S’il est si difficile de parler de l’inconscient, c’est qu’il ne peut être connu que par la conscience31. »
La première forme de relation entre inconscient et conscient s’impose comme une évidence : il ne peut y avoir d’inconscient sans conscient. Même si cette affirmation peut sembler logique et futile, elle reflète parfaitement la complexité du fonctionnement psychique humain. Ainsi, même si l’inconscient s’impose comme une fatalité aussi bien positive pour l’homme que négative dans certaines conditions, le manque de prise de conscience des contenus inconscients annihile complètement, du point de vue omniscient de l’individu, l’existence de ce dernier. Les différentes formes de relation entre conscient et inconscient sont donc à la base de notre psyché. Les différentes oppositions entre les contenus conscients et inconscients amènent un dialogue permanent entre ces deux entités. Si l’on s’en tient aux propos de Carl Gustav Jung, cette relation est endémique dans notre vie, parfois complémentaire et parfois conflictuelle ; elle peut se matérialiser sous différentes formes : « Si l’inconscient est […], tout gravite, tout tourne autour des relations qui se sont instaurées et qui existent entre le Moi et l’inconscient. [...] Car le dialogue entre le Moi et l’Inconscient est universel. Le jeu dynamique entre le Moi et l’Inconscient constitue depuis toujours comme un flux et un reflux fondamental de la vie32. »
Comme nous avons pu le voir précédemment, l’inconscient, défini comme réalité intérieure, s’apparente à une forme de vérité de notre être, bien plus fidèle à ce
31 DEROUESNE Christian. OPPENHEIM-GLUCKMAN Hélène. ROUSTANG François. Inconscient [en ligne]. In ENCYCLOPAEDIA UNIVERSALIS. 2014. [Consulté le 25/05/2014]. Disponible à l’adresse : http://www.universalis.fr/ encyclopedie/inconscient/. 32
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JUNG Carl Gustav. 1933. Dialectique du Moi et de l’Inconscient. Barcelone : Gallimard. Folio essais. 2012. p 11.
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que nous sommes que ne l’est notre conscient, autrement dit, ce que nous avons conscience d’être. Ici même, au travers des propos tenus par Christian Derouesne, Hélène Oppenheim-Gluckman et François Roustang, nous décelons l’opposition fondamentale liée à notre réflexion, à savoir la différence entre ce que nous croyons être et ce que nous sommes : « La situation de la conscience est donc celle de l’aliénation : la vérité, l’efficacité, la cohérence sont ailleurs qu’en elle-même. […] À la conscience est à attribuer seulement la reproduction imaginaire de la vérité dans la méconnaissance, la prétention au pouvoir et la rationalisation, substitut de l’incohérence33. »
Ainsi, on en vient à penser que le conscient est, en partie, une autorité de contrôle face à la liberté, l’authenticité et la vérité de notre inconscient. En effet, en étudiant les actes manqués, lapsus, oublis, ou encore les erreurs de lecture, Freud nous invite à prendre conscience des effets de cette relation entre conscient et inconscient et ainsi dévoiler « ce que la conscience veut cacher par le contrôle qu’elle exerce ordinairement, mais qu’elle ne peut maintenir efficacement de façon permanente »34. Freud nous explique ici que la conscience exercerait un contrôle face à la parole de l’inconscient. L’étude des actes manqués, par exemple, nous montre très explicitement le conflit existant entre conscient et inconscient. L’explication de Freud nous laisse imaginer un jeu constant entre ce que veut nous dire notre inconscient et ce que veut laisser transparaître notre conscient. A l’image d’un videur qui décide qui peut rentrer en boîte de nuit, notre conscient joue le rôle de filtre. Jung rattache également au Moi et au conscient ce rôle d’arbitre entre les contenus du « Ça » et les influences du « Surmoi ». Selon lui, les rêves « prennent naissance spontanément sans que le Moi - la personnalité consciente y contribue, et ils constituent et expriment ainsi une activité psychique soustraite à l’initiative et à l’arbitraire du conscient »35.
33 DEROUESNE Christian. OPPENHEIM-GLUCKMAN Hélène. ROUSTANG François. Inconscient [en ligne]. In ENCYCLOPAEDIA UNIVERSALIS. 2014. [Consulté le 25/05/2014]. Disponible à l’adresse : http://www.universalis.fr/ encyclopedie/inconscient/. 34 Ibid. 35 JUNG Carl Gustav. 1933. Dialectique du Moi et de l’Inconscient. Barcelone : Gallimard. Folio essais. 2012. p 33.
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Note trouvée n° 99
Date : 08 mars 2001
Voilà maintenant deux semaines que cela dure. Deux semaines que je me mets à rêver d ’elles. De toutes ces autres femmes qui ne sont pas la mienne. Elles sont toutes différentes mais aucune ne lui ressemble. Toutes les nuits je trompe ma femme. Dans mes rêves bien sûr ! Car cela n’est pas moi, ça ne me correspond pas et jamais je ne pourrais lui faire ça… Je n’en ai même pas envie ! Vraiment ce n’est pas moi ! Je ne comprends pas. Ça n’ a pas de sens… Depuis trois ans que nous sommes mariés, je ne pense qu’ à elle et personne ne compte plus à mes yeux. Au travail non plus, rien, pas une seule tentation ni une seule envie d’ adultère de ma part... Je ne veux personne d’ autre ! Et pourtant, toutes les nuits je trompe ma femme.
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Il semble intéressant de s’attarder parallèlement sur l’étude de cette relation d’un point de vue neurobiologique. Ainsi, les neurosciences étudient le rôle arbitraire du conscient du point de vue de l’expérience. L’inconscient prend alors le pas sur le conscient en substituant à la réalité externe précédemment perçue une réalité interne différente et inconsciente. Ainsi, selon François Ansermet et Pierre Magistretti, « à l’expérience se substitue un ensemble de traces qui s’associent et se combinent. Le système se complexifie, jusqu’à s’organiser sous forme de nouveaux stimuli : une réalité psychique l’emporte sur la réalité externe »36. On assiste ici à un exemple de relation entre conscient et inconscient où l’expérience passe d’une réalité externe à une perception interne, ou réalité interne dite falsifiée. Même si cette affirmation semble contredire les théories précédentes, quant aux oppositions entre conscient et inconscient et la part de vérité allouée à ce dernier, elle ne fait, au final, que les confirmer. En effet, elle renforce l’idée d’associer à l’inconscient une « vérité interne de l’être » car la perception interne n’est en rien le reflet de la réalité externe perçue par l’individu à cause du conditionnement subi par ce dernier, mais elle constitue la propre vérité du sujet. Nous reviendrons plus tard sur les théories du conditionnement de l’être mais il semble important de caractériser dès maintenant l’inconscient comme vérité intérieure de l’homme. L’ inconscient s’impose alors comme le résultat d’un conditionnement externe et le résultat d’une perception de la réalité externe faussée par ce conditionnement. Alors que l’inconscient est constitué de traces laissées par les expériences vécues, nos actions sont le résultat de l’interaction entre notre inconscient et notre conscient. Ainsi, selon François Ansermet et Pierre Magistretti, ces traces constitueraient une « réalité interne inconsciente qui peut, à son tour, produire des stimuli spécifiques. Ceux-ci se mettraient aussi en relation avec des traces conscientes, voire des perceptions immédiates, en engageant la mémoire de travail, et contribueraient à la réalisation d’action face à une situation donnée »37. Par ailleurs, au travers de certains cas étudiés, on retrouve une confrontation entre le conscient et l’inconscient. Là où le conscient croit percevoir et comprendre une situation et un état somatique, il n’est en réalité que voilé par sa rationalisation et son interprétation de l’inconscient. François Ansermet et Pierre Magistretti nous donnent ici l’exemple d’une personne troublée car elle ne peut faire le lien entre un état d’agressivité envers sa femme et les raisons inconscientes qui le poussent à être dans cet état : « Notre mari est donc divisé entre ce qui provient de la situation
36 ANSERMET François. MAGISTRETTI Pierre. 2004. A chacun son cerveau - Plasticité neuronale et inconscient. Paris : O. Jacob. p 91. 37 Ibid. p 187.
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actuelle et ce qui provient d’une réalité inconsciente activée de façon fortuite par la pression d’un simple état somatique lié à la faim »38. Ainsi, plutôt que de percevoir la réalité inconsciente, le conscient cherche un sens et une explication rationnelle et en lien avec ce qui l’a conditionné. Nous sommes ici face à un pur travail inconscient. Ce dernier vient donc délivrer un message corrélé à une réalité psychique par le biais du corps. S’ensuit alors un dialogue entre conscient et inconscient. Le conscient rattachant alors cette parole de l’inconscient à quelque chose qu’il peut comprendre rationnellement car, parfois, cela est plus facile que de se confronter à la réalité psychique en question. Pour justifier ces propos, Carl Gustav Jung nous donne par exemple, le cas d’un malade pris de spasmes lorsqu’il est confronté à une situation qu’il ne peut tolérer, et qu’il essaie d’avaler. Ces réactions physiques ne sont, pour Jung, « qu’une des formes sous lesquelles se manifestent les problèmes qui nous tourmentent inconsciemment. Ils s’expriment encore beaucoup plus fréquemment dans les rêves »39. Par ailleurs, selon Jung, « c’est ce qui explique la résistance et même la peur que les gens éprouvent souvent en touchant à ce qui concerne l’inconscient. Car il ne s’agit pas de survivances qui seraient neutres ou indifférentes »40. De plus, si l’on en croit Jung, ces contenus inconscients peuvent provoquer une réelle peur chez l’individu ; et plus ils sont refoulés, plus cela impactera la personnalité de l’individu sous forme de névroses. Ainsi, en étudiant la relation entre conscient et inconscient, on comprend très bien le refoulement de certains contenus vers notre inconscient. Par la même occasion, on comprend également la nécessité de liberté de l’homme. Cependant, il reste plus facile de se dire sur le plan conscient « libre », que de l’être réellement. Le mot « contradiction » symbolise donc en grande partie la relation entre conscient et inconscient. Dans un premier temps par le fait que le conscient s’impose comme une bride du discours inconscient. Dans un second temps parce que le conscient est dénaturé de tout pouvoir car son rôle de contrôle est lui-même inconscient. En effet, pour Christian Derouesne, Hélène Oppenheim-Gluckman et François Roustang, « quand on dit, par exemple, que la conscience refoule les pulsions inconscientes ou motions de désir, on ne se rend pas compte que ce travail est lui-
38 ANSERMET François. MAGISTRETTI Pierre. 2004. A chacun son cerveau - Plasticité neuronale et inconscient. Paris : O. Jacob. p 155-156. 39
JUNG Carl Gustav. 1988. Essai d’exploration de l’inconscient. Paris : Denoël. Folio essais. 2013. p 39.
40 Ibid. p 170.
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même inconscient et qu’il ne dépend donc pas de la conscience »41. Au travers du principe de la « dénégation » exposé par Christian Derouesne, Hélène OppenheimGluckman et François Roustang, on comprend que dans cette confrontation, le conscient ne peut maintenir son rôle de filtre qu’un temps : « Méconnaître est pour la conscience sa façon de reconnaître, c’est-à-dire sa manière infaillible d’éviter la reconnaissance en y accédant. […] Le mode le plus évident de la méconnaissance par quoi la conscience trahit l’inconscient et se trahit par là même, c’est la dénégation. […] la dénégation est une manière d’accepter le discours de l’inconscient, de lever quelque chose du refoulement tout en le maintenant de façon formelle42. »
A la manière du langage corporel de l’homme parfois criant de signification lorsqu’il est analysé, ce sont les interprétations du discours conscient qui permettent une ouverture vers l’interprétation du discours inconscient. Cependant, Carl Gustav Jung insiste bien sur le fait que ce dialogue, parfois contradictoire, est avant tout complémentaire et essentiel à notre fonctionnement psychique : « Les processus inconscients se situent dans une position de compensation par rapport au conscient. J’utilise à dessein le mot de «compensation» et non celui de «contraste», car le conscient et l’inconscient ne s’opposent pas nécessairement, mais se complètent réciproquement, formant à eux deux un ensemble, le Soi43. »
On peut d’ailleurs tout à fait comprendre l’aspect complémentaire de cette relation au travers d’un exemple exposé par Jung. Il nous conte ainsi l’histoire d’un patient confronté à ses rêves et dont le contenu apparaissait à sa conscience comme dénué de sens et irrationnel : « Le rêve ne disait pas au malade de se mieux comporter. Il s’efforçait simplement de contrebalancer l’influence d’une conscience faussée qui s’obstinait à affirmer au malade qu’il était un parfait gentleman »44. Si l’on accepte l’hypothèse psychanalytique selon laquelle l’inconscient fonctionne de manière autonome et se confronte au conscient, on voit ici le rôle de l’inconscient par le fait qu’il « essayait de communiquer »45. D’ailleurs, cette action constitue en elle-même une démarche autonome de cette entité psychique. De plus, la partie de la phrase : « contrebalancer l’influence d’une conscience faussée », nous montre bien qu’ici, le rôle de l’inconscient n’est en rien un rôle moralisateur, mais un rôle bienveillant en induisant la recherche d’auto-objectivité du sujet. On peut voir qu’ici, le sujet
41 DEROUESNE Christian. OPPENHEIM-GLUCKMAN Hélène. ROUSTANG François. Inconscient [en ligne]. In ENCYCLOPAEDIA UNIVERSALIS. 2014. [Consulté le 25/05/2014]. Disponible à l’adresse : http://www.universalis.fr/ encyclopedie/inconscient/. 42 Ibid. 43 JUNG Carl Gustav. 1933. Dialectique du Moi et de l’Inconscient. Barcelone : Gallimard. Folio essais. 2012. p 122. 44 JUNG Carl Gustav. 1988. Essai d’exploration de l’inconscient. Paris : Denoël. Folio essais. 2013. p 47. 45 Ibid. p 47.
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se trouve conditionné par son auto-définition de son être, semblable à sa persona, l’empêchant ainsi d’être réellement conscient de ce que contient son inconscient. Ici, l’inconscient déverse sa parole par le biais de moyens non conditionnés par le conscient. L’étude onirique représente bien le dialogue entre conscient et inconscient. Pour Jung, il semble d’ailleurs plus que judicieux d’aborder l’analyse onirique sous cet angle-là car « c’est ce qui se produit généralement : l’aspect inconscient des événements nous est révélé par le rêve, où il se manifeste non pas sous forme de pensée rationnelle, mais par une image symbolique »46. Il semble important de noter que les contenus inconscients surgiront indubitablement, à un moment, de notre inconscient. La fatalité de l’inconscient s’exprime encore une fois ici car son contenu continuera d’apparaître sous différents aspects (réactions physiques, rêves, mots d’esprit, lapsus) jusqu’à ce qu’il devienne conscient. Ainsi, l’inconscient utilisera des tournures dissimulées pour parvenir à la conscience sans être refoulé. Dans le rêve, cela peut par exemple prendre la tournure d’images symboliques, n’ayant pour le sujet aucun lien direct, s’il ne fait pas un effort d’ouverture, d’écoute, d’analyse ou encore de remise en question. La relation entre le conscient et l’inconscient symbolise très bien le conditionnement que nous tentons d’explorer car chacun des éléments rencontrés lors de l’étude du conditionnement humain renvoie à cette relation sous-jacente. Elle est omniprésente, se retrouvant derrière chacune des portes ouvertes durant notre recherche, s’engouffrant derrière chaque contenu bâtissant notre psyché ; ce dialogue, travail inconscient entre conscient et inconscient, tantôt fondamental, tantôt nocif, ne s’interrompt jamais, marchant derrière chacun d’entre nous, telle l’ombre de notre être, régissant nos pensées et nos actions. Après avoir étudié quelques-uns des innombrables fondements théoriques de notre psyché sur les plans conscient et inconscient, nous allons voir en quoi ces mécanismes inconscients participent à l’établissement de plusieurs formes de conditionnement. Avant d’être développé par les mécanismes de l’inconscient, le conditionnement de l’homme semble être issu en grande partie de sources externes collective et individuelle. Même si ce conditionnement est d’une certaine manière bénéfique et à la base de la construction psychique, sociétale et comportementale de l’homme, il peut demeurer en certains points nocif pour ce dernier, pouvant parfois provoquer incompatibilité, rejet et souffrance. Nous allons voir en quoi il semble intéressant pour l’homme d’explorer les sources de son conditionnement. Avec un regard curieux, l’objectif est de prendre conscience
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JUNG Carl Gustav. 1988. Essai d’exploration de l’inconscient. Paris : Denoël. Folio essais. 2013. p 33.
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de ce qui nous construit depuis notre enfance, jour après jour et qui continuera de nous accompagner tout au long de notre vie.
3. Etablissement du conditionnement L’apprentissage constitue l’une des formes les plus générales de conditionnement mais également l’une des premières rencontrées par l’homme au cours de sa vie. Dans un but plus que bénéfique pour lui, l’homme se retrouve déjà conditionné au bout de quelques secondes de sa vie. Depuis ses premiers pleurs à sa naissance avec l’aide d’une sage-femme, puis lors de ses premiers mots avec l’aide de ses parents, et ce tout au long de sa vie au cours des différentes formes d’apprentissage qu’il rencontrera, l’homme ne cessera d’être conditionné. Comme nous allons pouvoir l’observer, l’apprentissage qu’il soit théorique ou empirique, est corrélé à notre conditionnement puisqu’il va participer à la fluctuation de notre être, de notre personnalité, de nos perceptions ou encore de nos comportements. Le professeur Roland Jouvent parle du conditionnement sous le terme de « tempérament ». Selon lui, « ce tempérament nous prédispose à être d’un côté ou de l’autre (du point de vue de l’attrait pour la nouveauté, par exemple). Ce tempérament est le fruit d’interactions entre des prédispositions biologiques liées à l’environnement, la culture ou l’éducation »47. Le conditionnement s’apparente donc à une composante essentielle de l’évolution. Par ailleurs, la définition initiale du mot « conditionnement » est un « assujettissement de la volonté humaine à un déterminisme » ou le « fait d’être déterminé »48. Ce mot, détaché de toute son image péjorative n’a, en soi, rien de négatif puisqu’il suggère un état résultant d’une succession de causes et d’effets. D’un point de vue behavioriste, le physiologiste russe Ivan Pavlov décrit le conditionnement classique de la manière suivante : « le sujet associe un stimulus qui déclenche de manière physiologique une réponse mesurable […] avec un autre stimulus »49. Dans le cas du conditionnement du chien, c’est l’association d’un stimulus inconditionnel (la présentation de nourriture) à un stimulus conditionnel (le son d’une cloche), a priori neutre, qui déclenche la réponse du chien (la salivation) après un conditionnement. Toujours selon Pavlov, « il faut qu’il y ait coïncidence temporelle entre ces deux stimuli pour que le conditionnement s’établisse »50. En effet, pour François Ansermet et Pierre
47 Voir enquête en annexe. 48 Voir glossaire en annexe. 49 ANSERMET François. MAGISTRETTI Pierre. 2004. A chacun son cerveau - Plasticité neuronale et inconscient. Paris : O. Jacob. p 61. 50 Ibid. p 61.
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Magistretti, cette coïncidence temporelle liée aux mécanismes neuronaux semble essentielle pour l’établissement d’associations entraînant l’apprentissage. Burrhus Frederic Skinner explore lui, le conditionnement d’un point de vue « actif » avec le « conditionnement opérant ». Ce type de conditionnement renvoie à la capacité, non seulement d’associer plusieurs stimuli entre eux, mais d’apprendre de nouveaux comportements par le biais de ces associations dans un cadre dit « actif » comme un environnement naturel. À la différence du conditionnement classique, le sujet sera conditionné par l’apprentissage des conséquences de ses comportements sur l’environnement51. On peut reprendre le célèbre exemple de la souris étudié par Skinner, qui associera l’apparition de nourriture dans sa cage (son environnement) à l’action d’une barre métallique (son comportement). Alors, elle ne cessera de manger puisqu’elle a appris qu’en appuyant sur cette barre, de la nourriture lui serait offerte. La troisième forme de conditionnement est liée à la mémoire, notamment procédurale comme vu précédemment. Comme nous le faisons depuis le début, il semble une nouvelle fois intéressant de faire des liens entre les différentes disciplines abordées ici. En effet, un lien entre les neurosciences et le bouddhisme apparaît car on trouve un lien entre le karma52 et la plasticité neuronale de l’expérience, ici en l’état de psychologie expérimentale, où une action présente aura une conséquence future. Dans son exposé sur le mouvement behavioriste, Eleanor Rosch nous apprend que « la signification des affirmations behavioristes vient essentiellement des catégories d’expériences accomplies. […] Le bouddhisme en parle en terme de karma ; la psychologie expérimentale parle, elle, d’apprentissage et de mémoire »53. Comme nous avons pu le voir précédemment avec le fonctionnement des mécanismes de la plasticité neuronale, l’expérience conditionne ce que nous sommes en modifiant notre structure (fonctionnement interne), ce qui aura pour conséquence de modifier nos comportements (fonctionnement externe). La plasticité neuronale contredit alors, au passage, tout principe de déterminisme génétique, comme l’exposent François Ansermet et Pierre Magistretti : « Au-delà de l’inné, au-delà de toute donnée de départ, ce qui est acquis au gré de l’expérience laisse une trace qui modifie ce qui était. Les connexions entre les neurones
51 Passerelles - Entretiens avec le Dalaï-Lama sur les sciences de l’esprit. 1995. Sous la dir. De HAYWARD Jeremy W. VARELA Francisco J. Paris : Albin Michel. p 125-126. 52 Le Karma représente selon l’enseignement bouddhiste la « Loi universelle de causalité ». Nous verrons plus en détail ce principe essentiel de relation causale très différent du destin en page 81. 53 Passerelles - Entretiens avec le Dalaï-Lama sur les sciences de l’esprit. 1995. Sous la dir. De HAYWARD Jeremy W. VARELA Francisco J. op.cit. p 123.
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sont modifiées en permanence par l’expérience et les changements sont tant structurels que fonctionnels54. »
Carl Gustav Jung fait aussi le lien entre l’apprentissage par l’expérience de l’individu et l’élaboration des contenus appartenant à son inconscient. Pour Jung, « il est probable que tous ces contenus, dans la mesure où ils ont été déposés par un vécu individuel, dont ils marquent les acquisitions, sont de nature personnelle »55. Ici, c’est la notion de « vécu individuel », avancée par le psychanalyste, qui laisse penser que le principe d’expérience construit en partie l’inconscient et, par la même occasion, participe au conditionnement de notre être. D’une certaine manière, l’apprentissage constitue une forme de conditionnement individuel plus que bénéfique pour l’homme. Nous permettant dans un premier temps de subvenir à nos besoins sans que cela ne soit réellement de l’ordre de la compréhension, il devient plus tard source de repères nécessaires à l’évolution de l’homme dans son environnement. Cependant, l’apprentissage conserve un aspect très contradictoire au vu de sa vocation première car, même s’il est source de repères pour l’homme, visant à lui apporter autonomie d’action et de réflexion au sein de son environnement, il peut tout aussi bien devenir source de freins dans ces mêmes domaines. Comme le dit le philosophe Jeremy Hayward, il y a une « dépendance des faits vis-à-vis de la théorie »56. C’est ici le conditionnement de la perception qui vient remettre en cause l’aspect bénéfique de certains conditionnements, comme, par exemple, l’apprentissage. Pour Jeremy W. Hayward, « on ne perçoit pas le monde simplement comme il est, mais en fonction de nos systèmes de convictions57 » . La perception est ici caractérisée comme non-objective car influencée par nos convictions. Ces convictions englobent les théories établies ainsi que l’apprentissage de ces théories. Un apprentissage, non seulement théorique mais également empirique. Ainsi, l’auto-conditionnement par l’apprentissage et par l’expérience corrélé à un manque d’ouverture est également à incorporer dans ces « convictions », de même que nos désirs, si inconscients soient-ils, ou encore nos fantasmes. On note la présence d’une sorte de boucle répétitive entre la théorie provenant de l’observation et l’observation influencée par la théorie. On peut donc s’interroger sur la nécessité d’ouverture réelle sur le monde et ce, au-delà de la
54 ANSERMET François. MAGISTRETTI Pierre. 2004. A chacun son cerveau - Plasticité neuronale et inconscient. Paris : O. Jacob. p 187. 55
JUNG Carl Gustav. 1933. Dialectique du Moi et de l’Inconscient. Barcelone : Gallimard. Folio essais. 2012. p 25.
56 Passerelles - Entretiens avec le Dalaï-Lama sur les sciences de l’esprit. 1995. Sous la dir. De HAYWARD Jeremy W. VARELA Francisco J. Paris : Albin Michel. p 39. 57 Ibid. p 40.
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science elle-même. De plus, la quête scientifique semble elle-même être associée à une quête de réalité objective. Cependant, comme l’ajoute Jeremy Hayward, on note que « l’observation est fondée par la théorie »58, et donc sur notre apprentissage. Comme vu plus haut avec François Ansermet et Pierre Magistretti, l’apprentissage conditionne notre réflexion et donc nos observations. Cette observation conditionnée a des conséquences sur nos conclusions mais également sur nos actions. Il y a peu de temps, une personne s’est ainsi vue malencontreusement se faire ôter la vie car ses observations du monde étaient en contradiction avec la perception que le monde entier en avait. A cette époque, notre apprentissage et nos convictions nous laissaient alors percevoir la Terre comme plate. Pour reprendre les mots de Jeremy Hayward, par un manque d’ouverture sur le monde et les théories associées, nous ne percevions pas le monde comme il était mais comme il devait être, au vu de nos convictions actuelles. Plus tard, on apprendra tout de même que Galilée avait raison. Au-delà de cet exemple historique, il semble donc intéressant pour nous de prendre conscience que nos perceptions se confrontent inconsciemment à nos convictions et aux théories établies, puisque nous pouvons voir cela au travers d’exemples de la vie de tous les jours. La quête d’une réalité objective apparaît alors comme compromise à cause d’une perception de la réalité externe dépendante de ce que l’on connaît, pouvant donc être potentiellement en partie faussée. Jeremy Hayward pose d’ailleurs lui-même la question : « Pouvonsnous réellement obtenir des données pures, indépendamment de nos désirs et de nos théorie59? ». Eleanor Rosch, professeur en psychologie cognitive, participe à l’élaboration d’une réponse face à cette question en caractérisant le manque d’objectivité de la pensée orientale : « L’argument, souvent attribué à la pensée « orientale », que, dans la mesure où nous ne connaissons le monde que par l’esprit – nos préconceptions, désirs, conditionnement, interprétations –, il ne saurait y avoir de connaissance objective du monde60. » La construction de notre réalité interne inconsciente participe donc à la modification de notre perception au vu des contenus inconscients. En résulte alors une perception faussée de la réalité externe initialement perçue, nous confortant dans l’hypothèse de l’incapacité pour l’homme d’adopter une vision objective du monde qui l’entoure. Nous étudierons un peu plus tard et plus en détail les limites de la perception. Cependant, il convient de noter ici que notre perception
58 Passerelles - Entretiens avec le Dalaï-Lama sur les sciences de l’esprit. 1995. Sous la dir. De HAYWARD Jeremy W. VARELA Francisco J. Paris : Albin Michel. p 36. 59 Ibid. p 36. 60 Ibid. p 154.
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et la connaissance du monde qui nous entoure semble, en grande partie, limitée par cette perception peu fidèle de la réalité. Francisco Varela souligne d’ailleurs que, du point de vue des neurosciences, « on ne voit pas vraiment l’objet, mais seulement son image »61 ; cette image correspondant au résultat de l’interaction entre notre perception et la confrontation avec notre apprentissage : « Vous ne pouvez pas dire que je vais percevoir le jaune parce que celui-ci est déjà là et qu’il est appréhendé par mon cerveau. […] L’objet est une émergence de l’interaction, et il n’est pas encore constitué en lui-même62. » Pour les neurosciences, nous ne percevons donc pas une chose en tant que telle, mais l’image – ou la désignation – de cette chose. Le Dalaï-Lama rejoint d’ailleurs parfaitement ce point de vue neuroscientifique : « Le seul mode d’existence qui reste à l’objet, c’est par la force de la désignation, de l’imputation, de la conscience. Par exemple, quand vous voyez ceci en tant que tasse et que vous l’utilisez pour boire du thé, vous le faites en vous reposant sur une expérience conventionnelle ; vous ne remettez pas en question la validité de cette convention. Mais cette tasse n’existe pas dès lors que vous poussez l’analyse jusqu’au bout. Son seul mode d’existence, c’est d’exister en vertu d’une désignation conceptuelle63. »
On peut d’ores et déjà établir une liaison très claire entre l’expérience et le conditionnement de notre perception. C’est également ce que l’on peut apprendre de la « révolution copernicienne » explorée de manière philosophique par Emmanuel Kant, en 1781, dès la préface de son ouvrage majeur, Critique de la raison pure : « C’est ainsi que les lois centrales des mouvements des corps célestes convertirent en certitude absolue la théorie que Copernic n’avait admise tout d’abord que comme une hypothèse, et qu’elles prouvèrent en même temps la force invisible qui lie le système du monde (l’attraction de Newton) et qui n’aurait jamais été démontrée si Copernic n’avait pas osé rechercher, d’une manière contraire au témoignage des sens, mais pourtant vraie, l’explication des mouvements observés, non dans les objets du ciel, mais dans leur spectateur64. »
Cette grande critique de la métaphysique par la réponse « transcendantale » kantienne replace le sujet au centre de la connaissance que l’on a du monde. Cette connaissance est donc largement critiquée puisqu’elle est représentée selon Kant par nos « a priori » auxquels notre perception va se confronter65. Cette « révolution
61 Passerelles - Entretiens avec le Dalaï-Lama sur les sciences de l’esprit. 1995. Sous la dir. De HAYWARD Jeremy W. VARELA Francisco J. Paris : Albin Michel. p 254. 62 Ibid. p 254. 63 Ibid. p 253. 64 KANT Emmanuel. 1781. Critique de la raison pure. Paris : Gallimard. Folio Essais. 2006. 65 Ibid.
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Chapitre I copernicienne » philosophique distingue très clairement notre apprentissage empirique de l’expérimentation. Le premier étant la conséquence d’une perception en partie faussée par notre conditionnement, alors que la seconde permet au sujet d’utiliser la raison afin de comprendre et de percevoir le monde de manière juste et fidèle par le biais de dispositifs expérimentaux. L’utilisation quotidienne que l’on peut avoir de l’adverbe « a priori » reflète notre méthode de perception des objets composant le monde qui nous entoure. Il n’est en effet pas question d’expérimentation réelle du monde, mais d’expérience, où nous confrontons notre connaissance « a priori » des choses, à ce que nous pouvons percevoir du monde. Ainsi, par le biais des phénomènes de plasticité neuronale et des différents mécanismes de l’inconscient, l’expérience entraîne la construction d’une réalité intérieure. Cette réalité intérieure influera alors sur notre perception, devenant ainsi perception conditionnée, lors de futures expériences. Cette perception conditionnée participera elle aussi, par la suite, à la construction de notre réalité intérieure. Ainsi, l’apprentissage conditionne le sujet à ce qu’il va vivre. En extrapolant, on se rend compte que c’est ce qui se passe quand une personne croit connaître quelque chose en se confrontant à une situation déjà rencontrée par le passé, alors qu’au final, il est simplement conditionné par son expérience précédente et ne fait pas assez preuve d’ouverture sur son expérience actuelle. Contrairement à l’exemple de Copernic et de sa découverte, notre perception se retrouve parfois faussée car nous cherchons à nous confronter à ce que nous connaissons, plutôt que de percevoir de manière ouverte ce que nous vivons. De plus, pour François Ansermet et Pierre Magistretti, « le comportement est déterminé aussi bien par la perception de la réalité externe que par le parasitage de cette perception par la réalité interne inconsciente »66. L’inconscient conditionne alors ce que nous sommes et ce que nous faisons. Notre réalité interne fantasmatique induit alors des comportements très différents de ceux d’une perception fidèle à une réalité externe. Par exemple, le fait d’interpréter inconsciemment le discours d’un ami comme un discours prétentieux et hautain nous conditionnera à adopter un comportement sûrement défensif. Pour les deux auteurs, « c’est par cette voie que le fantasme parasite de manière intrusive la perception de la réalité externe et détermine l’acte produit, qui peut se trouver très éloigné de ce qui aurait pu être la réponse motrice en lien direct avec le stimulus externe »67. Cette confrontation entre réalité interne et externe nous rattache une fois de plus à la construction de
66 ANSERMET François. MAGISTRETTI Pierre. 2004. A chacun son cerveau - Plasticité neuronale et inconscient. Paris : O. Jacob. p 130. 67
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Ibid. p 187.
Conditionnement & Liberté
Le conditionnement : l’aveugle qui avait des lunettes
notre être sur le plan inconscient et à l’ensemble de ses contenus ; ces contenus, comme nous l’avons vu précédemment, pouvant être développés par certains mécanismes inconscients comme le refoulement, l’établissement de la persona, ou encore les fantasmes qui peuplent notre inconscient. Comme le soulignent si bien François Ansermet et Pierre Magistretti, « la question est de savoir en quoi et comment cette réalité interne inconsciente contribue à moduler nos perceptions de la réalité et à déterminer notre comportement et nos actions, c’est-à-dire notre relation avec notre environnement familial, social, culturel et professionnel »68. Il semble à nouveau intéressant de faire le lien avec la psychanalyse pour voir comment, et par quels mécanismes de l’inconscient individuel et collectif, cette réalité interne se crée et vient à conditionner notre perception. Comme nous l’avons vu lors de l’explication des processus de refoulement69, la théorie freudienne affirme que l’inconscient ne contient ces éléments refoulés que parce qu’ils ont été bannis du conscient par l’éducation. On retrouve ici une nouvelle fois l’hypothèse que l’apprentissage, notamment théorique, par l’éducation, se présente comme fervent acteur de notre conditionnement. Quel que soit son type, comme nous avons pu le voir avec l’exemple des théories du behaviorisme, l’éducation conditionne l’individu en induisant certains de ses comportements. Nous pouvons notamment rappeler l’existence de différentes approches dédiées à la mesure de l’impact social de l’éducation. L’OCDE (l’Organisation de Coopération et de Développement Économiques) cite d’ailleurs l’approche du « sujet en contexte » permettant d’évaluer l’influence de l’éducation sur les différentes interactions sociales que peut rencontrer un individu quotidiennement. En effet, « l’éducation peut avoir un impact en termes de retombées sociales à travers les effets qu’elle exerce sur le sujet, notamment sur ses capacités et sa faculté d’action – c’est-à-dire son aptitude à faire des choix tout au long de sa vie et à s’y tenir »70. Par ailleurs, l’OCDE rappelle dans cette même publication que « l’éducation influence également le choix des contextes dans lesquels les individus évoluent ou les occasions qui s’offrent à eux de choisir entre différents contextes »71. Nous pouvons alors la caractériser de source de conditionnement externe individuelle, au même titre que l’apprentissage empirique lié à l’expérience vécue par l’individu. Cependant, l’éducation conserve une certaine nuance face à l’apprentissage empirique car elle semble très liée à
68 ANSERMET François. MAGISTRETTI Pierre. 2004. A chacun son cerveau - Plasticité neuronale et inconscient. Paris : O. Jacob. p 187. 69
cf. I. A. 1. Fonctionnement de l’inconscient
70
OCDE. 2007. Comprendre l’impact social de l’éducation. ISBN-978-92-64-03419-8. p 12.
71
Ibid. p 12.
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Chapitre I
la société. En effet, comme nous avons pu le voir au travers de la construction de la persona chez l’individu, Carl Gustav Jung a établi un lien direct entre le refoulement inconscient de certains contenus et la société dans laquelle évolue l’individu : « Ainsi donc, pour le développement de la personnalité, une différenciation rigoureuse d’avec la psyché collective constitue une nécessité absolue, toute différenciation insuffisante entraînant une dissolution immédiate de l’individuel dans le collectif72. »
La persona et le travail inconscient, basé sur la psyché collective, semblent apparaître comme nécessaires face à la survie de l’individu en société. Un besoin de différenciation, d’être, se dégage. Cependant, on peut voir que la réponse à ce besoin au travers du masque n’est calquée et inspirée que des représentations collectives héritées, et ne correspond pas forcément à l’individu qui le porte. D’ailleurs, François Ansermet et Pierre Magistretti font le lien entre le refoulement lié à la persona et l’exemple plus qu’actuel des travers de la société de consommation occidentale. En effet, selon les deux auteurs, « la société de consommation actuelle nous bombarde quotidiennement d’objets de désir préconditionnés, uniformes pour tous »73. Dans le cadre des résultats de notre enquête, une jeune femme nous dit ainsi que selon elle, « vivre en société suppose d’accepter un ensemble de normes, de règles nécessaires qui conditionnent toutes nos interactions sociales si l’on refuse d’être exclu »74. Au travers du concept psychanalytique de la persona, on se rend bien compte que la construction sociale de l’individu est basée sur un modèle, en partie inadapté à sa personnalité. D’après les mots de Carl Gustav Jung, « grâce à la persona, on veut apparaître sous tel ou tel jour, ou l’on se cache volontiers derrière tel ou tel masque, oui, on se construit même une certaine persona donnée, pour s’en faire un rempart »75. La persona est donc un concept psychanalytique très commun et connu du grand public. Bien souvent inconsciemment, et d’autres fois stratégiquement, l’imitation ou l’emprunt d’un rôle, de codes ou encore d’une personnalité différente de ce que nous sommes au plus profond de notre être, est chose courante en société. Pouvant s’apparenter à un outil de reconnaissance et d’affirmation de l’individu en collectivité, ce dernier peut nuire à la personne s’il vient supprimer la personnalité réelle de l’individu, au profit d’une personnalité
72 JUNG Carl Gustav. 1933. Dialectique du Moi et de l’Inconscient. Barcelone : Gallimard. Folio essais. 2012. p 72. 73 ANSERMET François. MAGISTRETTI Pierre. 2004. A chacun son cerveau - Plasticité neuronale et inconscient. Paris : O. Jacob. p 139.
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Voir enquête en annexe.
75
JUNG Carl Gustav. 1933. Dialectique du Moi et de l’Inconscient. op.cit. v p 118.
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conçue de toutes pièces au vu des codes acceptés en société. Carl Gustav Jung met ainsi le doigt sur la souffrance engendrée par le refoulement de l’individu face aux diktats de notre société, et ce, au profit d’un être construit de toutes pièces : « Plus une communauté est nombreuse, plus la sommation des facteurs collectifs, qui est inhérente à la masse, se trouve accentuée au détriment de l’individu par le jeu des préjugés conservateurs ; […] Dès lors, naturellement seuls prospéreront la société et ce qu’il y a de collectif dans l’individu. Tout ce qu’il y a d’individuel en lui est condamné à sombrer, c’est-à-dire à être refoulé. De ce fait, tous les facteurs individuels deviendront inconscients, tomberont dans l’inconscient76. »
76
JUNG Carl Gustav. 1933. Dialectique du Moi et de l’Inconscient. Barcelone : Gallimard. Folio essais. 2012. p 73.
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Note trouvée n° 278
Date : 01 juin 2010
Comment me définir ? En un seul mot ? hum… Inaccessible. Inaccessible, surtout avec les femmes. Je n’ ai jamais réussi à ne me contenter que d ’une seule femme premièrement. Il faut dire que j’ai toujours travaillé pour ressembler à ce qu’ elles désirent. Plutôt beau, athlétique, je gagne bien ma vie, entreprenant et sûr de moi, leader en équipe, tout ce qu’ une femme recherche ! J ’ai toujours eu énormément de succès, de liaisons en divorces, de mariages en célibats. Une vie remplie de conquêtes, ça on peut le dire, je suis un homme à femmes ! Aujourd’hui à bientôt 50 ans, je commence tout juste une nouvelle histoire d ’a mour… Ça me plaît ! Toujours se sentir désiré. En vouloir toujours plus. C ’est sûr, on ne peut pas me dire en mal d’ amour ! Jonathan
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Face au collectif, l’individu est confronté aux préjugés conservateurs. Tout ce qui constitue la psyché individuelle est alors sujet à disparaître, à être refoulé. Ces facteurs individuels refoulés seront alors identifiés systématiquement comme négatifs. Jung fait ainsi état de la société comme reflet de sa masse. Plus la masse est importante et plus les facteurs individuels s’effacent. L’effacement de l’individu au profit du collectif et de ce qu’il dégage, provoque un travail inconscient de refoulement de son Moi engendrant des comportements et des actions sans précédent pour la vie, l’environnement et l’entourage du sujet. Jung ajoute cependant une nuance importante ici car, même si l’influence de l’inconscient collectif n’est pas à démontrer, l’inconscient individuel reste à la source du conditionnement : « Bien que dans nombre de tels cas de transformation de la personnalité on rencontre l’existence de facteurs extérieurs qui, soit conditionnent directement la transformation, soit au moins la déterminent, il faut tout de même constater que les facteurs extérieurs sont assez rarement un motif suffisant d’explication qui rende compte de la genèse de la transformation. On doit bien reconnaître que c’est à partir de motivations internes et subjectives, en vertu d’opinions et de convictions, que des métamorphoses de la personnalité peuvent prendre naissance, sans que les circonstances extérieures interviennent ou sans qu’elles jouent un rôle important77. »
Si, dans une certaine mesure, l’inconscient collectif détermine et conditionne l’individu en aiguillant sa personnalité, cela ne peut se faire sans une cohérence avec la personnalité initiale de l’individu. Le conditionnement de l’homme conserve ainsi deux faces bien distinctes. Il est d’un côté un mécanisme prépondérant et moteur dans l’évolution de l’homme. Au travers de l’apprentissage théorique, empirique de l’éducation et de l’influence plus ou moins directe de la société, l’homme se retrouve comme résultat des différentes expériences qu’il a vécues et ce qu’il en a retenu. Au même titre que cela lui offre une grille de lecture et un bagage nécessaire pour son évolution future, cela entraîne par la même occasion un conditionnement de ce qu’il est, auquel est rattachée la manière dont il va percevoir ce qu’il est et le monde qui l’entoure. Il convient de se détacher ici de tout caractère négatif pouvant être associé à cette idée de conditionnement. En effet, le conditionnement n’a de nocif que la vision que l’on en a. Ainsi, c’est seulement si ce conditionnement est perçu comme définitif par l’individu qu’il en devient nocif car il mène à une forme de passivité vis-à-vis de sa propre personne et de la capacité de choix associée, allant directement remettre en cause notre liberté.
77
JUNG Carl Gustav. 1933. Dialectique du Moi et de l’Inconscient. Barcelone : Gallimard. Folio essais. 2012. p 118.
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Chapitre I
L’intérêt pour nous est donc de comprendre ce conditionnement et d’en prendre conscience pour dépasser cet état de paralysie pouvant entraîner une inhibition de l’action au sein de la vie de chacun. En effet, nous allons voir que la perception faussée étudiée précédemment se trouve être l’une des plus grandes sources de paralysie et de souffrance pour certaines personnes.
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Chapitre I
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Le conditionnement : l’aveugle qui avait des lunettes
B.
L’ individu paralysé
1. Une perception faussée non sans conséquence Le conditionnement que nous subissons a des conséquences sur notre perception. Ainsi, la perception de la réalité externe initialement perçue se voit être modifiée par le parasitage de notre réalité interne, notamment par les phénomènes de plasticité neuronale. De plus, la perception de notre réalité interne, à savoir ce que nous sommes, ne semble point être fidèle à cette réalité, au vu des mécanismes de construction de l’inconscient tels que le refoulement ou encore la persona. La perception constitue donc un élément très sensible en ce qui concerne le conditionnement humain. Comme nous allons le voir, la perception et son caractère valide ou faussé vis-à-vis de la réalité perçue, qu’elle soit interne ou externe, sont capitaux dans l’établissement du conditionnement de l’individu. Ainsi, il semble essentiel de bien comprendre en quoi la perception peut tout aussi bien être vecteur de liberté pour l’homme, comme de paralysie. La « paralysie » a très souvent été citée tout au long de notre recherche pour qualifier l’attitude passive de l’Homme face à ce qui le fait souffrir ou encore face à ce qu’il est et ce qu’il représente. Nous avons préféré le mot « paralysie » à celui d’ « inhibition » ou de « passivité », car la paralysie, définie au sens figuré comme une « impossibilité d’agir »78, exprime plus que tout, l’incapacité d’intervention de l’Homme face à ce qui l’anime inconsciemment. Comme nous allons le voir, l’individu se retrouve bel et bien parfois « paralysé » puisqu’il ne peut, du fait de son conditionnement, atteindre les sources de certaines souffrances ou penser pouvoir agir afin d’atténuer ces souffrances. La réalité interne est décrite comme constituée en grande partie par des fantasmes. Ainsi, comme nous l’avons vu précédemment, le travail inconscient modifie la perception d’une réalité externe. François Ansermet et Pierre Magistretti, nous expliquent qu’ « à travers des processus d’association, de fusion, de déformation, de modification, de fragmentation, l’expérience est plusieurs fois réinscrite. Elle prend une nouvelle forme, par exemple celle d’un fantasme »79. Pour Freud, les fantasmes sont constitués par des « processus de fusion et de déformation »80, entraînant une falsification de l’expérience vécue et François Ansermet en compagnie de Pierre
78
Voir glossaire en annexe.
79 ANSERMET François. MAGISTRETTI Pierre. 2004. A chacun son cerveau - Plasticité neuronale et inconscient. Paris : O. Jacob. p 56. 80
FREUD Sigmund. 1897. Manuscrit M du 25.5.1897. In Naissance de la psychanalyse, op. cit. p 180.
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Chapitre I
Magistretti laissent alors apparaître ici les conséquences de ce travail inconscient pour l’homme. Selon les deux auteurs, « d’une inscription à l’autre, de trace en trace, on ne retrouve plus l’expérience vécue, mais une série de fantasmes qui viennent dès lors déterminer la vie psychique en tant que telle »81. Même si certains souvenirs restent intacts et certaines scènes conservent leurs états originels, comme le décrit Freud, des « fantasmes superposés » viendront participer au refoulement et modifier la plupart de nos perceptions, peuplant alors notre réalité interne d’une majorité de souvenirs falsifiés82. Nous sommes alors en face d’une réalité interne inconsciente dite « fantasmatique »83. La différence entre réalité interne et réalité externe ainsi que le caractère faussé de la perception de ces deux réalités forgent ainsi un conditionnement nocif pour l’individu. Pour François Ansermet et Pierre Magistretti, « c’est ce que révèlent par exemple certaines situations de succès social où un objet – un objectif – est identifié comme objet de désir ultime »84. Le conditionnement orchestré ici par la réalité interne inconsciente et fantasmatique engendre une perception faussée de la réalité. Les perceptions des deux réalités sont ici conditionnées. D’un côté, la perception de la réalité externe d’une situation comme, par exemple, la condition sociale d’un individu, sa place ou encore son rôle dans la société ; de l’autre, la perception de la réalité interne associée comme, par exemple, les objectifs à atteindre ou encore les comportements à avoir, au vu de la réalité externe perçue. François Ansermet et Pierre Magistretti nous apportent ici quelques précisions : « Le sujet pense avoir identifié un objet de désir, au niveau conscient et cognitif. Il organise sa vie, sa carrière afin de l’obtenir. Il l’atteint, mais se trouve plongé dans un état d’insatisfaction insistant. En quelque sorte, il a raté l’objet de son désir, qui est en fait issu de son fantasme85. »
81 ANSERMET François. MAGISTRETTI Pierre. 2004. A chacun son cerveau - Plasticité neuronale et inconscient. Paris : O. Jacob. p 56. 82
FREUD Sigmund. 1897. Manuscrit M du 25.5.1897. In Naissance de la psychanalyse, op. cit. p 179.
83 ANSERMET François. MAGISTRETTI Pierre. 2004. A chacun son cerveau - Plasticité neuronale et inconscient. op.cit. p 92. 84 Ibid. p 138. 85 Ibid. p 138.
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Conditionnement & Liberté
Note trouvée n° 102
Date : 13 février 2003
Mon Thierry, Bravo pour ton spectacle ! Sincèrement. Nous sommes venus te voir au théâtre du Point Virgule la semaine dernière avec Vanessa et les enfants. Je suis fière de toi vraiment ! Au moins, toi, tu as eu la chance de réussir dans ce métier. De toute façon, avec mes études en contrôle de gestion, j ’avais d’ autres choses en tête ! Et puis que veux-tu ? J ’étais fait pour ça il paraît ! Au moins, moi, je ne loge pas dans un 20 m2 et je suis pas obligé de rentrer en métro haha ! Je te taquine ! Comme disait papa, on se lasse de tout, sauf de l ’argent. Peut-être devrais-tu essayer de l ’appeler un de ces quatre ? Essayer de reprendre contact tu vois ? Je sais qu’ il a été dur avec toi mais c’ est ton père. Je t ’embrasse petit frère. Encore bravo ! Alain
Chapitre I
On observe donc l’apparition d’une véritable conséquence négative provenant de la différence entre le désir issu du fantasme, résultat d’une perception conditionnée, et le désir réel de l’individu. Il semble intéressant de s’attarder sur un autre exemple un peu différent mais basé sur la même théorie. Jung définit « l’anima »86 comme une sorte de modification psychique, résultant de la contradiction entre la nécessité d’être du Moi et la nécessité d’exister de la persona : « Ainsi donc, la persona, l’image idéale de l’homme tel qu’il devrait et voudrait être, se trouve intérieurement de plus en plus compensée par une faiblesse toute féminine; et, dans la mesure où extérieurement il joue l’homme fort, intérieurement il se métamorphose en une manière d’être féminoïde, que j’ai appelé anima. C’est alors l’anima qui s’oppose à la persona87. »
L’ anima est vue par Jung comme une forme de compensation inconsciente du conscient. Le concept psychanalytique de l’anima, si difficile soit-il à accepter par l’homme, au vu des contraintes liées à sa condition sociale, sa place et son rôle imposés par la société, semble pourtant très commun. Ainsi, il est le résultat d’une perception faussée de la réalité externe, ici l’image idéale de l’homme, et d’une perception faussée de la réalité interne associée, ici le rôle de l’homme fort. Ces deux perceptions sont dites « faussées » car elles ne reflètent en rien les besoins du Moi exposés par Jung. Elles ne sont que les désirs fantasmés de l’individu, qui, dans ce cas présent, souhaiterait être l’homme fort attendu par la société. Les femmes n’échappent en rien à ce concept psychanalytique puisque Jung définit également en parallèle de l’anima, « l’animus » : « L’anima est féminine ; elle est uniquement une formation de la psyché masculine et elle est une figure qui compense le conscient masculin. Chez la femme, à l’inverse, l’élément de compensation revêt un caractère masculin, et c’est pourquoi je l’ai appelé animus88. » A la manière de Jeremy Hayward, il semble donc normal ici de continuer de se poser la question de la faisabilité d’une perception objective de la réalité, par l’homme89. Cette question se pose réellement puisque le philosophe ajoute que « la perception est un processus actif », l’œil ainsi que le cerveau ne prennent pas « simplement des instantanés de ce qui est à l’extérieur, mais en quelque sorte ils l’influencent »90. On comprend donc clairement que la perception est soumise
86
JUNG Carl Gustav. 1933. Dialectique du Moi et de l’Inconscient. Barcelone : Gallimard. Folio essais. 2012. p 159.
87 Ibid. p 159. 88 Ibid. p 186. 89 Passerelles - Entretiens avec le Dalaï-Lama sur les sciences de l’esprit. 1995. Sous la dir. De HAYWARD Jeremy W. VARELA Francisco J. Paris : Albin Michel. p 36. 90 Ibid. p 36.
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Conditionnement & Liberté
Le conditionnement : l’aveugle qui avait des lunettes
et influencée par notre être. Nos désirs, nos fantasmes, notre apprentissage, nos théories, nos croyances participent à l’interprétation de nos perceptions. Le bouddhisme questionne bien évidemment le caractère valide et non valide de la perception. Le Dalaï-Lama « pense que l’attitude bouddhiste fondamentale est qu’il faut réussir à distinguer ce qui existe et ce qui n’existe pas, le facteur déterminant étant la présence ou non d’une perception valide91. » Ainsi, il s’attarde à donner une définition de la conscience très différente des neurosciences et de la psychanalyse : « La perception valide signifie la conscience. Dans ce cas, je définis la conscience comme une perception qui ne se trompe pas sur son objet »92. Nous sommes ici face à une définition très enrichissante de la conscience car elle est très différente de celle communément définie comme tout ce qui est perçu consciemment par le sujet. En effet, le bouddhisme attribue à la conscience le caractère « valide » d’une perception. Comme si une perception faussée n’était donc pas « valide ». Ainsi, une perception non valide ne serait pas de l’ordre du conscient mais, comme nous avons pu le voir avec la neurobiologie et la psychanalyse, de l’inconscient. Bouddhisme et neurosciences se rejoignent ici sur le fait que notre perception de la réalité serait faussée et ne constituerait pas une source de confiance93. Le bouddhisme s’attelle lui aussi à une réflexion sur le conditionnement de notre perception et les conséquences associées. Pour le Dalaï-Lama, « le conditionnement peut se faire de deux manières. Il peut vous mener plus profondément dans la réalité, ou bien en dehors, et par conséquent, fausser votre mode d’expérience »94. Le conditionnement est vu ici de son côté positif et négatif. D’un côté, la théorie peut conditionner l’observation en apportant une lecture bénéfique au sujet, mais aussi annihiler l’expérience et la perception du sujet en ne lui proposant qu’un certain choix d’observations. Le sujet ne percevra alors non pas la réalité mais essaiera de justifier et d’expliquer les théories apprises. Nous pouvons d’ailleurs ici citer un exemple de la vie de tous les jours. Dans ce but, si cela est possible, je vais employer le « je » au travers d’un exemple vécu lors de la lecture du livre Passerelles dont nous parlions avec cette citation du Dalaï-Lama : « Après avoir lu ces passages concernant notre perception de la réalité, je ne peux m’empêcher de faire simplement acte de perception d’expérience, tout en ayant conscience du conditionnement de ma perception, qui ici induira mon raisonnement. Ainsi,
91 Passerelles - Entretiens avec le Dalaï-Lama sur les sciences de l’esprit. 1995. Sous la dir. De HAYWARD Jeremy W. VARELA Francisco J. Paris : Albin Michel. p 59. 92 Ibid. p 59. 93 Ibid. p 62. 94 Ibid. p 47.
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Chapitre I
après avoir lu cette citation du Dalaï-Lama sur le double conditionnement et donc forcément après l’avoir inconsciemment confrontée à mes convictions (théories), je décide de la surligner mais, par acte manqué, je la raye. Je me questionne donc sur la nature et l’éventuelle présence de sens de mon geste, qui pourrait tout aussi bien être qualifié d’accidentel (théories) que de cohérent (théories). Deux sortes de théories s’opposent ici, et conditionnent ma perception : soit en me rapprochant de la réalité, soit en m’en écartant. Si bien qu’au final, la seule réalité perceptible, est non pas la signification de l’acte, mais l’acte lui-même ». Comme nous pouvons le voir, nos perceptions se trouvent inconsciemment conditionnées par notre apprentissage théorique et empirique. Ainsi, la majeure partie de nos perceptions se trouvent être modifiées par les mécanismes d’association liée à la plasticité neuronale. Cela a notamment pour conséquence de provoquer l’interprétation de ces perceptions de manière inconsciente. Nous voyons alors en partie cette réalité externe qu’est le monde qui nous entoure par le filtre de nos perceptions conditionnées. De plus, notre réalité interne se trouve caractérisée de réalité fantasmatique puisque les souvenirs de nos perceptions ne reflètent que rarement les perceptions originelles. Ce conditionnement a donc des conséquences sur la perception de notre réalité interne, à savoir, ce que nous sommes. L’intérêt pour nous n’est en aucun cas de se résoudre à penser que nous ne pouvons pas percevoir le monde et ce que nous sommes de manière fidèle mais bien d’avoir conscience de la possible différence entre la réalité et ce que nous en percevons car cela influera grandement sur nos comportements.
2. L’homme, prisonnier de sa personne « D’autres me semblèrent vivre dans le plus étrange état d’esprit, comme si leur condition présente était définitive, sans possibilité de changement, ou comme si le monde et la psyché étaient statiques et devaient le demeurer à tout jamais95. »
Dans son dernier essai, écrit peu de temps avant son décès, Carl Gustav Jung fait foi de son expérience en illustrant l’un des résultats les plus communs de conditionnement. Au vu d’un conditionnement inconscient de leur être, Jung témoigne avoir rencontré bon nombre d’individus (« d’autres ») prenant la situation actuelle et leur apprentissage comme référence, s’en tenant alors à une forme de déterminisme fatal où les choses sont telles qu’elles sont, sans que rien ne puisse changer. S’enfermant alors dans une définition de leur être dont les sources
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JUNG Carl Gustav. 1988. Essai d’exploration de l’inconscient. Paris : Denoël. Folio essais. 2013. p 99.
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Le conditionnement : l’aveugle qui avait des lunettes
semblent inconscientes, nous allons voir que cet exemple reflète magistralement ce que l’on peut déceler lorsque l’on se penche sur le conditionnement nocif subi par l’homme.
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Note trouvée n° 12
Date : 16 février 1964
Parfois je suis violent. C ’est vrai, je ne peux pas le nier. Mais je n’ y peux rien. Ça monte, ça monte et à un moment je peux plus me contrôler. Faut que j ’extériorise ce que j’ai en moi, je suis obligé, je le contrôle pas. Mais ça me coûte. C’est vrai, je ne peux pas le nier non plus. Entre les trous dans les murs, les doigts cassés plusieurs fois dans l ’année et mon travail… Encore un avertissement ce mois-ci pour excès de colère envers un collaborateur. Mais qu’ est-ce que je peux y faire hein ? J ’ai toujours été comme ça. Depuis tout petit. Depuis toujours. Quand je suis énervé je tape ! C ’est comme ça, je n’ y peux rien.
Le conditionnement : l’aveugle qui avait des lunettes
Comme nous l’avons vu, la persona est définie par Jung comme un fragment de la psyché collective dont les éléments sont généraux au même titre que l’inconscient collectif. Elle est alors le moyen inconscient pour l’individu de se retrouver dans les standards imposés par la société dans laquelle il évolue. Parfois et bien souvent, cela se fait au détriment de sa propre personnalité et de ses besoins fondamentaux. En effet, selon Jung, « le sujet doit sacrifier trop de composantes humaines au bénéfice d’une image idéale de lui-même, telle qu’il voudrait se modeler sur elle. […] J’ai désigné du nom de persona ce fragment de la psyché collective dont la réalisation coûte souvent tant d’efforts »96. Jung nous parle ici de sacrifices. Dès lors, on entend résonner l’écho de nombreux « maux visibles » de la société au travers de cette phrase. On peut en effet se poser les questions suivantes : « Pourquoi l’homosexualité fait encore débat en prenant plus de place dans nos discussions que l’hétérosexualité ? », « Pourquoi le transsexualisme estil tabou et marginal ? », « Pourquoi construisons-nous notre vie et nos actions dans le but d’être nécessairement représenté socialement ? ». D’ailleurs, si l’on revient à l’origine du mot, « Persona » désignait originairement le masque porté par les comédiens au théâtre97. Selon Jung, « la persona n’est qu’un masque, qui, à la fois, dissimule une partie de la psyché collective dont elle est constituée, et donne l’illusion de l’individualité »98. Ce masque est défini selon les données et les impératifs de la psyché collective mais a pour but de provoquer l’illusion d’un soi individuel auprès des autres mais également de soi-même. Toujours selon Jung, la persona « n’est qu’une formation de compromis entre l’individu et la société, en réponse à la question de savoir sous quel jour le premier doit apparaître au sein de la seconde »99. La persona n’a ainsi rien de réel, elle n’est pour Jung « qu’une apparence et, pourrait-on dire par boutade, une réalité à deux dimensions »100, constituant un compromis entre l’individu et la société, en réponse à la place de l’individu au sein de cette dernière. Tel sujet a un nom, acquiert un titre, assume une charge qu’il représente et l’incarne. La société et notre environnement extérieur nous poussent alors à nous conformer à des modèles et des rôles prédéfinis. La persona représente pour l’individu un moyen de se démarquer au sein du collectif en lui permettant de jouer pleinement, comme au théâtre, son propre rôle, rôle défini et choisi selon les impératifs de la psyché collective.
96
JUNG Carl Gustav. 1933. Dialectique du Moi et de l’Inconscient. Barcelone : Gallimard. Folio essais. 2012. p 83.
97 DELAUNAY Alain. Persona [en ligne]. In ENCYCLOPAEDIA UNIVERSALIS. 2015. [Consulté le 15/10/2015]. Disponible à l’adresse : http://www.universalis.fr/encyclopedie/persona/. 98
Ibid. p 84.
99 Ibid. p 84. 100 Ibid. p 84.
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Chapitre I
Il apparaît fondamental pour le sujet de se conformer à ces modèles car c’est pour lui un moyen de se reconnaître, de se trouver en tant qu’individu mais également de s’affirmer et de s’assumer au milieu du collectif. Cependant, on peut voir que les mots « conformer », « compromis », « représenter », « jouer » ou encore « assumer », ne peuvent véhiculer l’écho bienfaisant associé à un épanouissement personnel de l’individu au sein de la société. Comment peut-on alors accepter de parler de jouer un rôle devant la scène dressée par le collectif alors qu’il est question de vivre au travers de notre propre singularité ? Comme l’expose si bien Jung dans son œuvre Dialectique du Moi et de l’Inconscient, le travail de la persona annihile la personnalité de l’individu au profit d’un masque conforme à l’acceptation du collectif. L’individu adoptera alors une forme de rejet vis-à-vis des contenus peuplant son inconscient et reflétant ce qu’il est réellement, s’opposant à ce que la société lui demande. En conséquence, il dira : « je suis un rêveur à l’âme malade et je ferais mieux d’enterrer ou de jeter par-dessus bord mon inconscient et tout ce qui s’y rapporte »101. Ainsi, même si l’inconscient ressortira de l’ombre, quoi qu’il advienne de l’acceptation et de la prise de conscience de l’individu, ce dernier s’enfermera lui-même dans le sarcophage de la personne préconçue par la société. Jung décrit ainsi l’impact de la société et de la construction sociale sur notre être, construite sur la base de codes préétablis, de cases dans lesquelles chacun doit rentrer, et en assumer alors les comportements associés102. Jung soulève que le rejet de l’existence de notre persona et de fait, tous les contenus refoulés associés, vient à l’encontre de notre quête de liberté : « Qu’il soit superflu de cacher sa vraie nature, seul peut le prétendre celui qui s’identifie à sa persona103. » Ainsi, le manque d’ouverture sur notre inconscient et le manque de prise de responsabilité face à nos actions nuisent à notre liberté. C’est en se rapprochant de notre être intérieur, en s’identifiant à notre persona, en acceptant de donner une place à l’anima ou l’animus en chacun de nous, et surtout en faisant le choix de rompre la part de conditionnement qui en découle, que la notion de liberté peut alors être abordée ; tout ceci, en opposition au refoulement de ce qui constitue notre être. En effet, dans le cas contraire, le conditionnement externe subi par l’individu aura une influence directe sur ce dernier. L’individu adopte alors inconsciemment une identité qui ne lui correspond pas mais la perçoit comme réelle. Cette perception faussée de lui-même, à savoir comme nous le disions plus haut, de sa réalité
101
52 .
JUNG Carl Gustav. 1933. Dialectique du Moi et de l’Inconscient. Barcelone : Gallimard. Folio essais. 2012. p 101.
102
Ibid. p 154.
103
Ibid. p 154.
Conditionnement & Liberté
Le conditionnement : l’aveugle qui avait des lunettes
intérieure, pourra avoir de lourdes conséquences sur les actions, les comportements ou encore la psyché de l’individu en question. Ce manque d’ouverture aura donc des incidences néfastes dans la vie de l’individu du fait de cette passivité, pouvant entraîner souffrance à plus ou moins grande échelle.
3. Passivité et souffrance L’idée d’une « souffrance » éprouvée par l’Homme est abondamment abordée durant notre recherche. En effet, nous pouvons voir que le conditionnement subi ne nous permet pas, dans certains cas, d’atténuer certaines douleurs ou certains manques allant à l’encontre de notre bonheur. Parfois, bien avant d’aller chahuter la notion de liberté de chacun, notre conditionnement ne nous permet pas de nous rapprocher des sources de ces « souffrances » et parfois même, il ne nous permet pas de penser pouvoir intervenir face à ces souffrances, même si elles ont été consciemment identifiées par l’individu. Ainsi, aujourd’hui encore, à la vision de certaines douleurs ou de certains manques, nous pouvons nous dire « incapable d’agir » du fait de la perception que nous avons de nousmêmes et de la situation. D’ailleurs, autour de nous, notre entourage nous fait parfois part de certaines réactions qui témoignent de manière criante cette forme de paralysie. Nous entendons alors : « J’ai toujours été stressé par mon travail, que veux-tu que j’y fasse ? », « Je ne peux pas accepter ce qui vient de se produire, ça n’a aucune logique » ou encore « Il faut que j’envisage chacune des éventualités pour que tout se passe bien ». Dans un autre registre, nous pouvons d’ailleurs regarder du côté des différents réseaux sociaux et de la nécessité chronique pour certains de contrôler l’image sociale qu’ils incarnent, allant parfois jusqu’à envisager une action, comme un dîner entre amis, dans le but d’être valorisé socialement, avant de voir les bénéfices de l’action en elle-même, à savoir, le partage de l’instant présent et non pas les retombées en nombre de « Like » sur la photo publiée le lendemain. Dans certains cas, l’individu souffre alors de cette perception faussée, précédemment étudiée. Il se plaît, par exemple, à se conformer à une identité préconçue. Cependant, nous pouvons constater que la souffrance provient de la contradiction entre ce que l’individu croit être une perception correcte de lui-même et les exigences de sa réalité intérieure inconsciente. Selon Jung, « derrière ce masque se développe ce qu’on appelle la «vie privée» »104. Cette différence entre le Moi et la persona
104
JUNG Carl Gustav. 1933. Dialectique du Moi et de l’Inconscient. Barcelone : Gallimard. Folio essais. 2012. p 155.
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Chapitre I
incarnée entraîne une contradiction parfois terrible pour l’individu car elle « contraint directement le Moi à s’identifier avec la persona, de sorte qu’il existe réellement des individus qui croient être ce qu’ils représentent »105. Comme nous l’étudions précédemment, de cette contradiction entre le Moi et la persona peut naître l’anima chez l’homme et l’animus chez la femme. En reprenant l’exemple de « l’homme fort » cité plus haut, Jung illustre un exemple de ce qui peut ressortir d’une telle contradiction pour l’homme : « Un homme qui s’identifie à sa persona peut, sans y prendre garde, laisser dégouliner et glisser sur sa femme tous les éléments de sa propre psychologie qui le gênent et qu’il voudrait rejeter : sa femme les incarnera […] L’homme qui dans la vie sociale se présente comme «l’homme fort», «l’homme de fer», est bien souvent dans la vie «privée», en face de ses sentiments et de ses états d’âme comme un enfant [...] ; sa morale «exemplaire» a, quand on soulève le masque, bien singulière allure106. »
Par ailleurs, Jung souligne ainsi que, « tandis que l’individu assume, dans son rapport avec le monde, le rôle d’une personnalité forte et efficace, se développe au fond de lui une faiblesse efféminée en face de toutes les influences qui émanent de l’inconscient »107. Ainsi, la contradiction entre le Moi et la persona entraîne indubitablement des modifications de comportements et d’humeurs chez l’individu. Ici, l’individu pourra être sujet à des comportements inhabituels comme des sautes d’humeur, des excès de frayeur ou encore des caprices, pouvant même aller toucher jusqu’à sa sexualité. L’inconscient et la perception faussée – voire la non perception – de cet inconscient, autrement dit de notre être, peut engendrer de lourdes conséquences sur notre personne et sur nos comportements. Il semble donc nécessaire d’intervenir face à cette passivité afin de combler les fantasmes nuisibles de notre réalité interne inconsciente qui ne reflètent en rien nos besoins réels. Cependant, sans l’accepter, on peut comprendre cette forme de passivité qui nous touche tous dans nos vies. Que ce soit au travers d’un conflit avec un être cher, parce que l’on est anxieux dans l’attente d’un résultat, car on est coupable d’un acte peu respectueux en matière d’éthique ou quoi que ce soit d’autre, il est en effet moins contraignant et pénible de se préoccuper d’un problème différent de celui réellement à la source de nos maux. Le refoulement en psychanalyse en est d’ailleurs l’exemple parfait. Cependant, la Pleine conscience (Mindfulness) aborde également ce choix crucial entre intervention et passivité. Au travers des enseignements de Dominique Steiler, nous pouvons voir qu’il existe
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105
Ibid. p 155.
106
Ibid. p 157.
107
Ibid. p 158.
Conditionnement & Liberté
Le conditionnement : l’aveugle qui avait des lunettes
deux voies d’approche liées au stress. La première est une stratégie d’évitement. Comme nous le disions juste au-dessus, il est plus facile de détourner son attention d’un sujet contraignant que de résoudre ce facteur de stress. Cependant, cette stratégie semblable au refoulement ne nous aide en rien à résoudre le problème en question. L’idée est de détourner son attention pour que cela soit moins pénible à vivre en attendant que cela passe et surtout avec la certitude que cela recommence. La seconde voie est celle de la confrontation. Celle-ci a pour objectif de se confronter à la source du problème pour le comprendre, l’accepter et agir108. Même si cette voie est bien plus complexe et énergivore que la première, elle a pour but de nous permettre d’apprendre à vivre avec ce qui nous anime. François Ansermet et Pierre Magistretti nous rejoignent d’ailleurs ici en nous expliquant que « l’émergence à la conscience de ces motions pulsionnelles issues du fantasme cause un déplaisir insupportable pour le sujet. [...] Le motif et la finalité du refoulement ne sont rien d’autre que l’évitement du déplaisir »109. On comprend alors qu’une des causes majeures de la souffrance provient de la passivité liée au manque de recherche de ses véritables sources. Il semble toujours cohérent ici de s’attarder sur l’étude du bouddhisme dans la recherche de quête d’intervention face au conditionnement. En effet, la quête de libération de la souffrance liée au bouddhisme au travers des Quatre nobles vérités110 ne peut se faire sans la découverte de ses causes. Autrement dit, il y a nécessité de remonter à la source de la souffrance, celle-ci étant bien souvent inconsciente. Le DalaïLama nous apprend ainsi qu’aspirer à s’en libérer ne suffit pas. « Il faut soi-même découvrir les causes réelles de la souffrance qu’on expérimente, et les extirper. A elles seules, les belles intentions demeurent sans résultat. Telle est l’attitude bouddhiste de base111. »
108 Les quatre étapes liées à la Pleine conscience sont exposées au chapitre II. B. 1. 109 ANSERMET François. MAGISTRETTI Pierre. 2004. A chacun son cerveau - Plasticité neuronale et inconscient. Paris : O. Jacob. p 207. 110 Passerelles - Entretiens avec le Dalaï-Lama sur les sciences de l’esprit. 1995. Sous la dir. De HAYWARD Jeremy W. VARELA Francisco J. Paris : Albin Michel. p 58. 111 Ibid. p 59.
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Note trouvée n° 311
Date : 05 décembre 2014
Bonjour chérie, J ’espère que ta journée se passe bien. Excuse-moi pour hier soir. Je sais que je ne devrais pas réagir comme ça, surtout que tu n’ y es pour rien. Je suis stressé en ce moment tu sais. C ’est le boulot, ils me mettent la pression pour le nouveau rapport de la commission. Je sais que je te l ’ai déjà dit mais ça va aller mieux. Tu verras, dès que j ’aurai fini ce rapport, tout redeviendra dans l ’ordre car j ’irai beaucoup mieux ! Peutêtre qu’ on pourrait aller au restaurant ce soir… Pour me faire pardonner ? Qu’ en dis-tu ? A ce soir mon amour, Patrick
Le conditionnement : l’aveugle qui avait des lunettes
Le bouddhisme a pour objectif commun avec la psychologie de dissiper certaines « distorsions mentales » appelées kleshas. Identifiées au nombre de trois ou cinq selon les différents enseignements bouddhistes, ces kleshas peuvent notamment s’apparenter à des formes de groupes très liés à l’inconscient. Ainsi, la quête d’intervention face au conditionnement, conditionnement entraînant l’apparition de souffrances pouvant être réparties en kleshas, semble similaire à la quête bouddhiste. Le Dalaï-Lama énonce d’ailleurs cet objectif commun à la psychologie et au bouddhisme. Pour lui, « le but ou l’objectif principal de la théorie bouddhiste et de la pratique psychologique est de dissiper complètement les distorsions mentales ou kleshas, en particulier l’attachement ou la colère, qui sont, pour l’essentiel, la cause du déséquilibre mental, du dysfonctionnement, etc »112. Si l’on revient aux Quatre nobles vérités, la première enseignée par le Bouddha est la souffrance, comme l’énonce Jean-Pierre Schnetzler, médecin-chef de service en psychiatrie : « Je n’enseigne, dit le Bouddha, que la souffrance (dukkha) et la libération de la souffrance. En résumé, les cinq agrégats d’attachement sont souffrance. Dukkha a bien le sens de douleur, mais plus généralement celui d’insatisfaction113. » De plus, selon Jean-Pierre Schnetzler et d’après le bouddhisme, « le dharma est l’ordre du monde et c’est en le découvrant à l’œuvre, en lui et autour de lui, que le méditant se libère des illusions qui l’asservissaient. Mais, avant cet éveil du cauchemar, le sujet est, comme nous tous, plongé dans l’erreur et la souffrance »114. L’ auteur souligne ainsi le conditionnement du sujet comme un état « d’erreur », très en lien avec la perception faussée étudiée précédemment mais aussi comme un état de souffrance justifiant notre quête d’intervention. En lien avec le conditionnement étudié, nous pouvons voir que, dans de très nombreux cas, la souffrance éprouvée par certaines personnes est en grande partie orchestrée par l’incapacité de trouver les sources réelles de cette souffrance. Nous pouvons voir aussi que ce manque de recherche est notamment dû à une forme de passivité et d’inhibition de la part de ces personnes face à leur perception de ce qu’elles sont. Le manque de prise de conscience de leur vérité intérieure mais également le fait de ne pas dépasser ce que leur perception faussée et fantasmatique d’elles-mêmes leur laisse voir, les placent dans une forme de paralysie allant à l’encontre de toute notion de liberté. Au travers de notre rencontre avec le Docteur Luc Faucher, Chef du service Psychiatrie de l’Hôpital Sainte-Anne à Paris, nous pouvons constater que ce dernier ne peut que confirmer cette thèse de paralysie. En effet, le
112 Passerelles - Entretiens avec le Dalaï-Lama sur les sciences de l’esprit. 1995. Sous la dir. De HAYWARD Jeremy W. VARELA Francisco J. Paris : Albin Michel. p 155. 113
SCHNETZLER Jean-Pierre. 2006. Le Bouddhisme et l’illusion, Imaginaire et Inconscient, 2006/1 n° 17. p 244.
114
Ibid. p 244.
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Chapitre I
conditionnement subi de différentes manières durant notre vie nous installe dans un système préconçu qui, dans certains cas, reflète ce qui nous anime et ce qui nous correspond mais qui, dans d’autres cas, ne fait que nous enfermer dans un chemin tout tracé dont les désirs ne sont pas les nôtres. Par exemple, nous sommes ainsi pris dès l’enfance par un discours « parental » associé à certains « désirs » qui deviennent les nôtres. Cependant, selon le Docteur Faucher, notre « propre désir s’articule autour du désir de l’Autre, pour reprendre la pensée lacanienne et dans ce cas présent, nos désirs propres n’existent pas car nous sommes en présence de désirs parentaux refoulés ». On peut donc voir qu’un manque de prise de mesure et de conscience concernant notre conditionnement, et ce qui en découle, peut nous enfermer dans une perception de notre être loin de ce que nos propres besoins et nos désirs sont réellement. Il y a alors une réelle contradiction entre ce qui nous anime et ce que l’on croit nous animer car en reprenant la théorie lacanienne, le Docteur Faucher nous dit que « nous courons après le désir de l’Autre ». Pour le Docteur Faucher, « le lien à l’Autre ne doit plus être inhibant » et cette démarche d’ouverture sur notre être a pour objectif « d’acquérir un degré de liberté dans ce lien à l’Autre ». Bien évidemment, il n’est pas nécessaire de rappeler que les conséquences du conditionnement subi par chacun sont aussi nombreuses et différentes qu’il y a de personnes sur cette Terre. L’idée n’est pas de lister et stigmatiser les nombreux « cas » subissant cette forme de paralysie. A l’image de ce mémoire, il paraît intéressant pour chacun d’entre nous, de nous ouvrir sur les multiples maux que nous rencontrons durant notre existence, et d’essayer de faire remonter à la conscience les véritables sources de ces souffrances, de nous confronter, chacun notre tour, à ce qu’est la définition même de notre liberté, nous rapprochant ainsi au plus près de ce que nous sommes, nous extirpant ainsi du gouffre fantasmatique de ce que nous pensons être. La quête d’intervention vis-à-vis du conditionnement auquel nous nous confrontons prend la forme d’une libération de ce conditionnement par la prise de conscience des contenus inconscients, de notre personnalité et de nos comportements, l’acceptation de ces contenus et la prise de responsabilité associée. Cette démarche d’ouverture implique alors en premier lieu le choix pour l’individu. Celui de rester dans un état d’inhibition vis-à-vis de ce qu’il croit être ou celui de choisir d’intervenir en se libérant du conditionnement inconscient potentiellement nocif pour lui.
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Conditionnement & Liberté
« La liberté extérieure que nous atteindrons dépend du degré de liberté intérieure que nous aurons acquis. Si telle est la juste compréhension de la liberté, notre effort principal doit être consacré à accomplir un changement en nousmême115. » Mahatma Gandhi
115
RICARD Matthieu. 2004. Plaidoyer pour le bonheur. Paris : Pocket. p. 87.
II L’INTERVENTION
quand conscient rime avec liberté Le manque de prise de conscience ou tout simplement le rejet des contenus inconscients bâtissant notre vérité intérieure, ne fait qu’accentuer le conditionnement, parfois nocif, subi par l’homme. Cette inhibition de l’action face à ce conditionnement conserve en lieu sûr les sources de la souffrance éprouvée par ce dernier. L’homme se trouve alors dans un état de passivité face à ce qu’il croit être et conserve, du fait de son absence d’ouverture et d’acceptation de ce qu’il est au fond de lui, un état de paralysie par rapport à ce qui le fait souffrir. Le dépassement de notre conditionnement se matérialise autour de la notion d’intervention. Cette intervention est dépendante du choix d’intervenir de chacun et prend naissance dès la première étape de prise de conscience du conditionnement. Nous allons voir que l’intervention vis-à-vis de ce conditionnement est plus que bénéfique pour l’homme, là où l’individu est et agit parfois en contradiction avec son être sans même en avoir conscience, le plongeant alors dans un état de passivité face à ce qu’il vit et de paralysie face à ce qui le fait souffrir, annihilant alors toute notion de liberté.
Chapitre II
62 .
Conditionnement & LibertĂŠ
L’intervention : quand conscient rime avec liberté
A.
La quête d’un non-conditionnement
1. L’accès à l’inconscient L’intervention induit l’action. L’action, elle, n’est pas nécessairement synonyme de « faire ». Ainsi, « ne rien faire » constitue une forme d’intervention par l’action de « ne rien faire ». Cependant, cette étape liée à l’action succède à l’étape de la prise de conscience. L’intervention, avant de susciter l’action ou la non-action, se trouve dans l’éveil et la prise de conscience de notre être. Si l’on suppose que le développement du conditionnement trouve sa source au travers des mécanismes de l’inconscient, l’idée ici est d’étudier les différents moyens d’accéder aux contenus renfermés par l’inconscient avant de décider comment agir face à ces contenus. Selon la psychanalyse, l’ouverture sur le dialogue entre conscient et inconscient nous permet ainsi de prendre connaissance de certains contenus de notre inconscient. De manière générale, c’est au travers des « blancs » du discours conscient que l’on parvient à la parole de l’inconscient. Selon Christian Derouesne, Hélène Oppenheim-Gluckman et François Roustang, « comme dans le rêve ou le mot d’esprit, ce sont les lacunes ou les malformations du discours conscient qui renseignent sur les désirs inconscients de celui qui le tient »116. En effet, assez communément et sous l’influence de Freud lui-même, l’analyse des rêves, des actes manqués ou encore des mots d’esprit représente les trois champs majeurs d’investigation des contenus de l’inconscient. Que cela soit par ces trois moyens d’accéder à l’inconscient, par l’hypnose ou encore par la méthode de « l’association libre » élaborée par Freud suite aux travaux de Josef Breuer en 1893, il semble nécessaire d’aborder l’investigation de l’inconscient par la relation et le dialogue entre conscient et inconscient117. L’enjeu est ainsi de permettre la sollicitation et la libération de la parole de l’inconscient sans passer par le filtre dit « arbitraire » du conscient. C’est d’ailleurs ce que soulignent Christian Derouesne, Hélène Oppenheim-Gluckman et François Roustang avec l’exemple de la méthode de « l’association libre » :
116 DEROUESNE Christian. OPPENHEIM-GLUCKMAN Hélène. ROUSTANG François. Inconscient [en ligne]. In ENCYCLOPAEDIA UNIVERSALIS. 2014. [Consulté le 25/05/2014]. Disponible à l’adresse : http://www.universalis.fr/ encyclopedie/inconscient/. 117 Ibid.
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Chapitre II
« Apparaissent alors des événements totalement oubliés et dont il était incapable de se souvenir lorsque sa conscience était vigilante. Par la parole ainsi libérée, autant qu’il est possible, du contrôle conscient, les faits traumatiques, source de la maladie, viennent au jour et les symptômes se dissolvent118. »
Les différentes formes d’investigation des contenus inconscients fournies par la psychanalyse ont pour principe de déceler les signaux faibles émis par l’inconscient au travers du discours parfois irrationnel ou haché du conscient. Ces signaux faibles, se symbolisant sous la forme de lapsus, d’oublis ou encore de contenus irrationnels pour le sujet, sont la preuve pour Freud de l’existence d’une entité psychique travaillant indépendamment du conscient et produisant des conséquences pathologiques pour le sujet. Les différentes formes d’accès à l’inconscient nécessitent donc de contourner la conscience et de déjouer ses mécanismes de contrôle.
118 DEROUESNE Christian. OPPENHEIM-GLUCKMAN Hélène. ROUSTANG François. Inconscient [en ligne]. In ENCYCLOPAEDIA UNIVERSALIS. 2014. [Consulté le 25/05/2014]. Disponible à l’adresse : http://www.universalis.fr/ encyclopedie/inconscient/.
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Conditionnement & Liberté
Note trouvée n° 88
Date : 29 février 2012
Coucou Clara ! On ne t ’a pas vue à la soirée d’ hier ! T ’as vraiment raté quelque chose… On a dansé toute la soirée c’ était génial. J ’ai même réussi à approcher Ludo haha ! Chloé, elle, s’ est comportée comme d’ habitude, tu la connais… Toujours à vouloir être la plus belle et la reine de la soirée, toujours bien entourée par les mecs !! Quelle traînée haha !!! Non je plaisante bien sûr, je l ‘adore ! Bref, tu nous as manqué. On se voit samedi ? Gros bisous ma belle, Elo
Chapitre II
Fidèle au principe du déterminisme, Freud s’attaque à l’analyse onirique car c’est pour lui, tout comme Jung119, la voie royale vers notre inconscient. Le rêve constitue la preuve d’un travail psychique en marge de notre conscience contenant nos plus profondes pulsions, déterminantes dans l’existence d’un individu. Dans L’Interprétation des rêves, Freud explique l’incohérence du rêve comme un moyen pour l’inconscient de contourner les mécanismes de contrôle de la conscience120. En effet, selon Christian Derouesne, Hélène Oppenheim-Gluckman et François Roustang, pour Freud, « l’incohérence apparente de la texture du rêve est pour l’inconscient le moyen d’éviter la censure de la conscience qui n’hésiterait pas à réveiller le dormeur si l’expression des désirs contrariant ses normes et ses habitudes était traduite en clair et non pas à travers un code immédiatement inintelligible »121. Comme le disait Jung, les rêves expriment ainsi une activité psychique indépendante et libérée du Moi qui, comme nous l’avons vu précédemment , joue le rôle de filtre arbitraire entre les contenus du Ça et les influences du Surmoi. La théorie jungienne concernant les méthodes d’investigation de l’inconscient par l’analyse onirique vient par ailleurs contrebalancer l’impossibilité d’une quête consciente d’objectivité face aux perceptions faussées par notre réalité interne. Le rêve et son analyse pourraient être un moyen de parvenir à cette quête d’objectivité face à notre réalité interne car pour Jung « le rêve est un produit naturel de la psyché, une émanation dotée au suprême degré d’objectivité »122. L’étude onirique pourrait permettre une vision objective de notre réalité interne qui, elle, semble être le reflet de notre vie. Ainsi, selon Jung dans Dialectique du Moi et de l’Inconscient, les rêves ne sont pas que de simples fantasmes mais « l’autoreprésentation de développements inconscients »123. A l’instar de l’exemple du transfert entre le patient et le psychanalyste, où le médecin constitue une image onirique en apparaissant sous la forme d’un père semi-divin, les rêves répètent les contenus conscients sans la critique du conscient. Ils se permettent d’ailleurs d’être irrationnels pour conserver cette distance avec le conscient. De plus, pour B. Allan Wallace, traducteur pour le Dalaï-Lama dans Passerelles, « du point de vue bouddhiste, la conscience de rêve est la plus subtile, la plus proche du niveau subconscient de l’esprit, et, par le fait même, il semblerait qu’elle soit
119
JUNG Carl Gustav. 1933. Dialectique du Moi et de l’Inconscient. Barcelone : Gallimard. Folio essais. 2012.
120 FREUD Sigmund. La Science des rêves (Die Traumdeutung, 1900), trad. I. Meyerson, Paris, 1926, éd. rev. par D. Berger, sous le titre L’Interprétation des rêves. Paris : P.U.F. 1967. 121 DEROUESNE Christian. OPPENHEIM-GLUCKMAN Hélène. ROUSTANG François. Inconscient [en ligne]. In ENCYCLOPAEDIA UNIVERSALIS. 2014. [Consulté le 25/05/2014]. Disponible à l’adresse : http://www.universalis.fr/ encyclopedie/inconscient/. 122
JUNG Carl Gustav. 1933. Dialectique du Moi et de l’Inconscient. op.cit. p 33.
123 Ibid. p 39.
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Conditionnement & Liberté
L’intervention : quand conscient rime avec liberté
la plus puissante »124. Le bouddhisme rejoint donc l’étude psychanalytique du rêve et d’accès à l’inconscient car le rêve et la conscience de ce dernier seraient vus, pour le bouddhisme tibétain, comme la forme la plus subtile de conscience, la Claire Lumière. Dans l’enseignement bouddhiste, réaliser l’esprit de Claire Lumière revient pour l’Homme à réaliser la forme la plus subtile de conscience. Du point de vue du conditionnement de notre personne, l’analyse onirique semble permettre l’ouverture sur notre réalité interne. Alors, la prise de conscience des contenus inconscients, de ce que nous sommes réellement et possiblement des sources de certaines souffrances, vient à l’encontre de ce conditionnement. Même si toutes les images symboliques employées dans nos rêves ne relèvent pas de la même sensibilité, il semble crucial pour nous d’y prêter attention. En effet, elles peuvent renfermer bon nombre d’éléments de la vie consciente dont nous n’avons pas conscience mais qui constituent notre personne. Jung fait ainsi état du lien entre le dépassement potentiel du conditionnement, et la prise de conscience de ce que nous sommes et des sources de certaines souffrances : « Beaucoup de crises, dans notre vie, ont une longue histoire inconsciente. Nous nous acheminons vers elles pas à pas, sans nous rendre compte du danger qui s’accumule. Mais ce qui échappe à notre conscience est souvent perçu par notre inconscient, qui peut nous transmettre l’information au moyen du rêve125. »
L’inconscient et, dans une certaine mesure, les rêves, reflètent notre vie, nos actions, nos expériences, notre personnalité et nos pensées. D’ailleurs, beaucoup de souffrances semblent trouver une source inconsciente, du fait de l’impossibilité pour l’individu de résoudre le problème car il n’y prête pas attention ou le rejette. L’étude du rêve semble être un des moyens les plus accessibles pour accéder à ces contenus inconscients, qui en savent bien plus sur nous que nous-mêmes. Jung fait d’ailleurs état du cas d’un de ses patients pour exprimer le potentiel conditionnement nocif dont peut souffrir l’homme s’il n’est pas en phase avec ce qu’il est réellement et ce dont il a besoin. Selon Jung, « ce n’est pas seulement le côté « ombre » de notre personnalité que nous ignorons, refusons de reconnaître, et refoulons. Il peut arriver aussi de méconnaître nos qualités positives »126. Jung nous expose alors le cas d’un patient adoptant généralement une attitude « discrète » voire « effacée », « se contentant toujours des derniers rangs » mais avec une opinion toujours sérieusement exposée lorsqu’il devait prendre la parole.
124 Passerelles - Entretiens avec le Dalaï-Lama sur les sciences de l’esprit. 1995. Sous la dir. De HAYWARD Jeremy W. VARELA Francisco J. Paris : Albin Michel. p 270. 125
JUNG Carl Gustav. 1988. Essai d’exploration de l’inconscient. Paris : Denoël. Folio essais. 2013. p 76-77.
126
Ibid. p 105.
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Cependant, il était fréquemment amené à rencontrer durant ses rêves les plus grands personnages de l’histoire. Jung nous dit alors que « ces rêves compensaient clairement un complexe d’infériorité. Mais ils impliquaient autre chose encore »127. Dans le cas présent, ce sont les rêves qui viennent chuchoter à l’oreille de l’individu la notion de liberté. En effet, selon Jung, « le rêve indiquait une mégalomanie secrète, qui compensait le sentiment d’infériorité du rêveur »128. Comme nous pouvons le voir au travers de cet exemple apporté par Jung, les rêves viennent imposer au conscient certains symboles reflétant le conditionnement actuel de l’individu. Sans être moralisateurs, ils laissent apparaître une ouverture, peut-être ignorée ou rejetée jusqu’ici par l’individu, pouvant alors permettre une intervention afin de trouver les sources réelles de ses souffrances actuelles et de les apaiser. Accéder aux contenus peuplant notre inconscient au travers des différents moyens d’investigation étudiés ici nous donne l’occasion de prendre conscience des véritables contenus façonnant notre individualité. N’étant pas confrontés et pollués par notre conscience et notre perception, ils sont le reflet fidèle de ce que nous sommes. Qu’ils puissent nous paraître faux, dénués de sens ou inacceptables, au vu de notre éducation et des modèles vers lesquels nous souhaitons tendre, ils sont pourtant au plus proche de ce qui nous a conditionné et renferment en grande partie les sources de nos souffrances.
2. La prise de conscience Ouvrir l’accès à notre inconscient induit une nécessité de conscience sur les contenus renfermés de l’individu. La prise de conscience des contenus de l’inconscient constitue la première étape majeure de l’intervention. Comme nous avons pu le voir, la relation entre conscient et inconscient représente à la fois un dialogue complémentaire et une confrontation entre ces deux entités. Ce sont les interprétations du discours conscient qui permettent une ouverture vers l’interprétation du discours inconscient. Cependant, il convient ici de préciser que l’interprétation du discours inconscient, via les différentes formes d’accès à l’inconscient citées plus haut, ne peut se faire sans un minimum de rigueur et de subtilité de la part de celui qui interprète. C’est ce que l’on peut comprendre lorsque l’on étudie les différents mécanismes de l’inconscient théorisés par Freud comme, par exemple, les mécanismes de « condensation » et de « déplacement ».
127 JUNG Carl Gustav. 1988. Essai d’exploration de l’inconscient. Paris : Denoël. Folio essais. 2013. p 105. 128 Ibid. p 105.
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Comme nous l’expliquent Christian Derouesne, Hélène Oppenheim-Gluckman et François Roustang, « la condensation consiste à représenter par un seul une multiplicité d’éléments »129. Ainsi, on peut prendre l’exemple de la présence d’une personne dans un de nos rêves. Cette personne nous est familière, nous la connaissons et pouvons alors penser que sa présence symbolise un contenu en lien avec elle. Cependant, parfois cela est plus subtil dans le sens où ce personnage se trouve être la représentation d’une multitude d’autres personnes en empruntant à chacune d’elles une partie d’elles-mêmes. Le mécanisme de déplacement est selon Christian Derouesne, Hélène Oppenheim-Gluckman et François Roustang un « procédé par lequel un trait secondaire ou un détail insignifiant dans le récit du rêve acquiert dans l’interprétation une valeur centrale ; et à l’inverse ce qui est au centre du récit n’a qu’une importance minime »130. Ces deux mécanismes qui structurent l’inconscient nous montrent que le fonctionnement de ce dernier nécessite une approche fine et subtile basée sur l’ouverture et l’interprétation des signaux faibles peuplant le discours de l’inconscient. Par ailleurs, Jacques Lacan attribue aux mécanismes de condensation et de déplacement les termes « métaphore » et « métonymie »131 car selon lui, il ne suffit pas de traduire la parole de l’inconscient, comme nous pourrions simplement le faire en expliquant un détail d’un rêve, en disant par exemple : « derrière cet acte vécu au sein de mon rêve se cache un désir incestueux ». En effet, nous sommes conduits à sans cesse réinterpréter ce discours car il constitue une ouverture bien plus large qu’une simple définition. De plus, Christian Derouesne, Hélène OppenheimGluckman et François Roustang soulignent la pensée lacanienne dans le sens où les processus de métaphore et de métonymie « renvoient à la totalité des signifiants et que ces processus inconscients ne sont jamais épuisés par la traduction que l’on peut en faire en interprétant une névrose, un rêve ou un mot d’esprit »132. En effet, on ne peut réduire un élément sujet à une analyse par sa seule traduction de la réduction dont il fait l’objet. En effet, si un élément d’un contenant renvoie par association à ce contenant, on ne peut pas réduire ce contenant à ce simple élément, c’est bien plus. La condensation et le déplacement ne sont ainsi que des moyens pour l’inconscient de susciter l’ouverture et amener un dialogue en renvoyant le sujet, par le biais d’images symboliques, à l’ensemble des contenus peuplant son inconscient associé. L’analyse et l’ouverture sur l’inconscient permettraient de
129 DEROUESNE Christian. OPPENHEIM-GLUCKMAN Hélène. ROUSTANG François. Inconscient [en ligne]. In ENCYCLOPAEDIA UNIVERSALIS. 2014. [Consulté le 25/05/2014]. Disponible à l’adresse : http://www.universalis.fr/ encyclopedie/inconscient/. 130 Ibid. 131 LACAN Jacques. 1966. Écrits. Paris : Edition du Seuil. 132 Ibid.
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prendre conscience de certains contenus refoulés pouvant d’ailleurs conduire le sujet à découvrir les sources réelles de certaines souffrances. Le passage de contenus inconscients au conscient, avec toute la précaution et la rigueur que cela nécessite, serait donc plus que bénéfique pour le sujet comme en témoigne Carl Gustav Jung : « Tous ces éléments psychologiques lorsqu’ils sont venus s’adjoindre au conscient, déterminent un élargissement considérable de l’horizon, une connaissance approfondie de soi-même133. »
Jung identifie alors « l’individuation » comme possible source de nonconditionnement face à l’impact de l’inconscient collectif sur l’individu. Jung définit cette démarche comme un « processus de différenciation qui a pour but de développer la personnalité individuelle »134. On retrouve alors le lien suscité par la confrontation entre l’emprise de l’inconscient collectif sur le développement de l’individu et la nécessité pour ce dernier de se démarquer des contenus de l’inconscient collectif. Pour Jung, « l’individu n’est pas seulement unité, son existence même présuppose des rapports collectifs ; aussi le processus d’individuation ne mène-t-il pas à l’isolement, mais à une cohésion collective plus intensive et plus universelle »135. L’individuation semble donc être une source potentielle de libération du conditionnement de l’inconscient collectif car elle passe notamment par une ouverture sur notre inconscient, individuel et collectif, pour prendre conscience de leurs contenus et de les accepter. C’est ainsi ce que l’on peut comprendre au travers de l’explication faite par Jung dans Dialectique du Moi et de l’Inconscient : « La voie de l’individuation signifie : tendre à devenir un être réellement individuel et, dans la mesure où nous entendons par individualité la forme de notre unicité la plus intime, notre unicité dernière et irrévocable, il s’agit de la réalisation de son Soi, dans ce qu’il a de plus personnel et de plus rebelle à toute comparaison136. »
L’individuation de Jung s’inscrit donc dans une démarche globale de prise de conscience des contenus de notre réalité interne, nous ramenant alors à une perception beaucoup plus fidèle de cette réalité et parfois à l’opposé de ce que l’on pouvait penser être. Pour Jung, ce processus « n’a d’autre but que de libérer le Soi, d’une part des fausses enveloppes de la persona, et d’autre part de la force suggestive des images inconscientes »137. La prise de conscience de notre persona
133
JUNG Carl Gustav. 1933. Dialectique du Moi et de l’Inconscient. Barcelone : Gallimard. Folio essais. 2012. p 40.
134
Ibid. p 77
135
Ibid. p 77.
136
Ibid. p 115.
137 JUNG Carl Gustav. 1933. Dialectique du Moi et de l’Inconscient. Barcelone : Gallimard. Folio essais. 2012. p 117.
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et de son incohérence avec notre personnalité permettra alors de nous libérer de ce rôle et, d’autre part, de nous libérer des codes, des images, et des stéréotypes imposés par la société. La psychanalyse reconnaît donc que l’analyse et la prise de conscience des contenus de notre inconscient serait une méthode de libération du conditionnement. Jung constate ainsi, à partir d’un grand nombre de ses cas, que l’effort de prise de conscience par les sujets suivis et l’analyse des contenus fantasmatiques entraînent trois grandes conséquences pour les sujets : « 1) un élargissement de la conscience (d’innombrables contenus inconscients devenant conscients) ; 2) un démantèlement de l’influence dominante et excessive de l’inconscient sur le conscient ; 3) - qui résulte du 1er et du 2e - une modification de la personnalité »138. Cette investigation de l’inconscient permettrait donc de modifier notre personnalité, notamment en la détachant de celle empruntée par la persona, mais également des comportements et attitudes qui en découlent. La prise de conscience de notre être et de cette « vérité » qui lui est associée constitue l’un des points centraux des différents courants du bouddhisme, amenant alors à la libération de la souffrance. Le bouddhisme apporte donc lui aussi des éléments de réponse face à notre nécessité de prise de conscience de ce que nous sommes. Eleanor Rosch insiste d’ailleurs sur le besoin d’avoir quelque chose « qui ressemblerait à la méditation - à l’attention-vigilance - dans la vie quotidienne, d’une méthode quelconque pour apaiser et former l’esprit afin qu’il devienne un instrument de connaissance de lui-même »139. Les techniques méditatives issues du bouddhisme semblent être des axes à enjeux très forts pour l’Homme du XXIe siècle. Les neurosciences ont récemment « validé » les bénéfices pour l’Homme de l’approche méditative. Les différentes techniques méditatives, avec la Pleine conscience, l’approche transcendantale ou encore la méditation active, permettraient entre autres d’influer sur les émotions dont la mauvaise gestion est un facteur clef notamment chez les dépressifs. Les travaux débutés en 2005 de Sarah Lazar, chercheuse au Massachusetts General Hospital de Boston, ont montré « chez ceux qui méditent un développement plus important de l’hippocampe (qui joue un rôle de premier plan dans la mémorisation, l’apprentissage, la vigilance et l’adaptation à son environnement), et au contraire un rétrécissement de l’amygdale (qui gère les émotions, en particulier nos réactions de peur et d’anxiété) »140. La répétition au quotidien des exercices de méditation a de grandes conséquences sur
138 JUNG Carl Gustav. 1933. Dialectique du Moi et de l’Inconscient. Barcelone : Gallimard. Folio essais. 2012. p 215. 139 Passerelles - Entretiens avec le Dalaï-Lama sur les sciences de l’esprit. 1995. Sous la dir. De HAYWARD Jeremy W. VARELA Francisco J. Paris : Albin Michel. p 145. 140 MOLGA Paul. La méditation validée par les neurosciences [en ligne]. In LES ECHOS. 04 septembre 2015. [Consulté le 11/09/2015]. Disponible à l’adresse : http://www.lesechos.fr/idees-debats/sciences-prospective/021305306394-lameditation-validee-par-les-neurosciences-1152448.php#Xtor=AD-6000.
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le changement de nos modes de perception. Selon Antoine Lutz, du Centre Inserm de neurosciences de Lyon, ses propres recherches ont montré que « des exercices intensifs de méditation permettaient de soutenir l’attention et d’améliorer la vigilance cérébrale »141. La méditation semble être présentée ici comme une voie de réponse possible face au conditionnement de notre perception, en permettant par conséquent l’exploration de notre réalité interne et la prise de conscience de ses contenus jusqu’ici inconscients. Les techniques méditatives seraient un moyen d’accéder à la conscience très subtile – l’esprit de Claire Lumière – contenant l’ensemble de nos empreintes. En effet, le Dalaï-Lama nous apporte une vision de la conscience au travers du yoga tantra supérieur. Ainsi, « la conscience se divise en trois niveaux : grossier, subtil et très subtil »142. Ici, la conscience très subtile serait ce Soi alors que le niveau grossier serait celui des perceptions sensorielles. S’opposant à la psychanalyse, le bouddhisme ne conçoit pas l’existence d’un Soi s’opposant au Moi. Cependant, le « soi pur » bouddhiste existe et représente une continuité de notre corps, impliquant également la mémoire et l’histoire du sujet, sans en être la définition. Le Soi est vu sous l’aspect de la continuité physique mais également temporelle. Ainsi, il ne cesse de changer au fil de notre vie. Par exemple, même si le Soi d’un enfant est le même Soi, en termes d’entité, que celui de l’adulte 30 ans plus tard, il aura changé et sera différent car il conserve son caractère d’impermanence. Il semble intéressant de poser, à nouveau, un regard sur l’enseignement du Bouddha puisqu’il est potentiellement question ici de pouvoir accéder par les techniques méditatives à ce que nous, Occidentaux, appelons l’inconscient. Le Dalaï-Lama évoque ainsi, dans le cadre de l’enseignement bouddhiste, le Dharma, comme une quête de libération de la souffrance par la recherche d’une vérité ultime, appelée shunyata, la « vacuité » ou « vide de nature propre ». Matthieu Ricard, moine bouddhiste, auteur et traducteur, nous aide ainsi à comprendre cette idée de « vacuité » selon laquelle, d’après le bouddhisme, « les phénomènes existent sur un mode essentiellement interdépendant et n’ont pas d’existence autonome et permanente. La réalité ultime est donc ce qu’il appelle la vacuité d’existence propre des phénomènes, animés et inanimés. Tout est relation, rien n’existe en soi et par soi »143. Selon les mots du Dalaï-Lama, « quand vous abordez la voie du voir, vous réalisez directement la vérité ultime, shunyata, la
141 MOLGA Paul. La méditation validée par les neurosciences [en ligne]. In LES ECHOS. 04 septembre 2015. [Consulté le 11/09/2015]. Disponible à l’adresse : http://www.lesechos.fr/idees-debats/sciences-prospective/021305306394-lameditation-validee-par-les-neurosciences-1152448.php#Xtor=AD-6000. 142 Passerelles - Entretiens avec le Dalaï-Lama sur les sciences de l’esprit. 1995. Sous la dir. De HAYWARD Jeremy W. VARELA Francisco J. Paris : Albin Michel. p 208. 143
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RICARD Matthieu. 2004. Plaidoyer pour le bonheur. Paris : Pocket. p. 23.
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vacuité »144. La réalisation de shunyata semble apparaître, selon l’enseignement du Dharma, comme une quête personnelle d’évolution apportant vérité sur notre être et modifiant considérablement nos comportements et nos attitudes, permettant selon le Dalaï-Lama « d’atteindre un certain degré de réalisation »145. La quête de liberté associée à la libération du conditionnement, développé par les mécanismes de l’inconscient, commence dès la prise de conscience de ce conditionnement et de ses effets sur notre personne. Il n’est en aucun cas question de croire que liberté signifie la suppression de ce conditionnement ou encore que la prise de conscience a pour but de court-circuiter l’inconscient. La notion de liberté ne peut être associée à un état passif et inconscient. En effet, elle nécessite un choix de la part de l’individu. Un choix d’intervenir pour cesser d’usurper cette liberté qu’il croit être sienne alors qu’il se laisse porter par son propre conditionnement, se dédouanant alors de toute part de responsabilité lors de certains comportements qu’il n’assume pas. Il dira même : « J’agis ainsi, car je suis comme ça, je n’y peux rien ». Un choix qui ne demeure jamais loin de la notion de volonté et qui entraînera alors l’acceptation de soi et la prise de responsabilité de l’individu vis-à-vis de son intervention face à son conditionnement. Jacques Brel aurait dit : « Je vous souhaite surtout d’être vous »146.
144 Passerelles - Entretiens avec le Dalaï-Lama sur les sciences de l’esprit. 1995. Sous la dir. De HAYWARD Jeremy W. VARELA Francisco J. Paris : Albin Michel. p 74. 145 Ibid. p 72. 146 SASSI Leila. 2013. Je vous souhaite surtout d’être vous – TEDxCarthage (11 min 28). 10 octobre 2013.
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B.
Le choix d’être, et être libre
1. L’ acceptation et la responsabilité Après avoir pris la mesure des contenus inconscients, l’acceptation de ces contenus et de notre réalité intérieure semble apparaître comme la seconde étape majeure de l’intervention. C’est après cette étape que la notion de liberté prend alors tout son sens et sa réelle signification pour l’individu au travers du choix, le choix d’agir, ou de ne pas agir, face à ces contenus. C’est alors seulement, en prenant la responsabilité de ses choix en vue de la précédente prise de conscience, que l’on peut parler de liberté du sujet face à son conditionnement. Cette liberté du sujet par rapport à son conditionnement positif et nocif peut alors s’apparenter à une forme de libération de ce conditionnement. Du point de vue de notre réalité interne, la liberté n’est pas de se libérer du désir de l’autre ou de se couper du monde mais elle se trouve dans la prise de mesure du poids de notre lien aux autres. Alors, après cette prise de conscience, une certaine forme de liberté apparaît en nous permettant de faire le choix de prendre une certaine distance vis-à-vis du discours ambiant. Il s’agit, selon les mots du Docteur Faucher, de « reprendre un degré de liberté par rapport à nos convictions »147 ; ces convictions étant fortement conditionnées, comme nous l’avons étudié, par notre société, nos apprentissages théoriques et empiriques ou encore notre éducation. Le professeur Roland Jouvent aborde lui aussi la question de la liberté vis-à-vis de notre conditionnement. Selon lui, « la liberté est dans le choix de l’adaptation au monde à travers les comportements et non pas dans notre déterminisme biologique de nos préférences. On peut s’habituer, se raisonner. La liberté est là : d’adapter dans nos conduites ce qui permet de satisfaire nos besoins biologiques »148. L’acceptation constitue donc la genèse de l’idée de liberté face au conditionnement subi par l’homme. Elle se tient elle-même dans une démarche issue de la volonté de l’individu de dépasser ce conditionnement ou plus concrètement d’interrompre ses souffrances. Selon Christian Derouesne, Hélène Oppenheim-Gluckman et François Roustang, « Freud montrait également que la cure, pour être durablement efficace, devait se faire avec la collaboration du patient et non dans un état de passivité totale. Il fallait que la conscience acceptât d’entendre cet inconscient que,
147 Voir enquête en annexe. 148 Voir enquête en annexe.
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dans les circonstances normales, elle fait taire systématiquement »149. Jung rejoint bien évidemment Freud sur ce point lié à l’acceptation de notre inconscient. Selon ses propres mots, « croire que l’on puisse arracher, grâce à une théorie ou une méthode en quelque sorte magique, de façon définitive, la libido de l’inconscient et exclure ce dernier, le court-circuiter, le mettre sur la touche, serait donc une illusion »150. S’il souhaite cesser de demeurer dans une attitude passive face aux souffrances qu’il endure, il est fondamental pour l’individu d’accepter la présence de cette entité psychique ainsi que sa fatalité, son utilité et ses contenus. Si difficiles et contraires à nos principes, aussi conscients soient-ils, ils constituent notre être et vouloir les détruire revient à détruire ce que nous sommes vraiment, au plus profond de notre inconscient. Selon Jung, c’est par la perception objective de notre réalité interne et par l’ouverture sur cette dernière que l’on peut vérifier si l’objectif de l’individuation est atteint, tout cela résidant en grande partie dans l’acceptation : « Quand on parvient à percevoir le Soi comme quelque chose d’irrationnel, qui est, tout en demeurant indéfinissable, auquel le Moi ne s’oppose pas et auquel le Moi n’est point soumis, mais auquel il est adjoint et autour duquel il tourne en quelque sorte comme la terre tourne autour du soleil, le but de l’individuation est alors atteint151. »
Même si le bouddhisme insiste sur l’absence de Soi au sens philosophique ou psychanalytique, ces mots se trouvent être très liés à l’enseignement bouddhiste et à celui de la Pleine conscience. Ainsi, cette perception passe par l’acceptation de notre Soi, même s’il semble irrationnel et difficile à accepter de par son contenu, et par la perception du Moi comme une entité non plus soumise à l’inconscient mais complémentaire. A travers l’enseignement du Bouddha et de la quatrième des Nobles Vérités vers « la cessation de la souffrance », nous pouvons comprendre que l’acceptation est bien plus qu’essentielle. L’enseignement du Dharma est ainsi détaillé en huit moyens regroupés en trois grandes catégories : l’éthique (sîla), la concentration (samâdhi) et la sagesse (prajñâ)152. Au travers de la seconde grande catégorie samâdhi, c’est le principe même de la Pleine conscience qui s’applique. Pour Jean-Pierre Schnetzler, la méditation de la concentration (samâdhi) se concrétise par une « fixation réussie menant à la sédation du bavardage intérieur, au calme progressif, et à la découverte d’une paix et d’un bonheur naturels, qui ne dépendent que de la concentration »153. Cette méthode méditative de concentration
149 DEROUESNE Christian. OPPENHEIM-GLUCKMAN Hélène. ROUSTANG François. Inconscient [en ligne]. In ENCYCLOPAEDIA UNIVERSALIS. 2014. [Consulté le 25/05/2014]. Disponible à l’adresse : http://www.universalis.fr/ encyclopedie/inconscient/. 150 JUNG Carl Gustav. 1933. Dialectique du Moi et de l’Inconscient. Barcelone : Gallimard. Folio essais. 2012. p 103. 151
Ibid. p 258.
152 SCHNETZLER Jean-Pierre. 2006. Le Bouddhisme et l’illusion, Imaginaire et Inconscient, 2006/1 n° 17. p 249. 153 Ibid. p 250.
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sur notre être a pour objectif d’accepter ce que nous sommes en nous recentrant sur nous-mêmes. En s’écoutant, l’idée est de trouver la source de notre présence, nos moyens de parvenir au bonheur, nous rapprochant alors des sources de notre bien-être en trouvant ce qui nous rend heureux. Pour Chögyam Trungpa, maître de méditation formé dans les lignées kagyü et nyingama du bouddhisme tibétain, supérieur des monastères de Surmang, docteur en théologie et écrivain, « la pratique fondamentale consiste à être présent, ici et maintenant »154. Etre ainsi précisément dans l’instant que l’on vit, sans être pour autant passif ou le refouler mais justement, être conscient de ce que l’on est. Du point de vue de l’enseignement bouddhiste, la quête de liberté ne peut se passer de la prise de conscience de ce que l’on est, tel que l’on est. En effet, pour Chögyam Trungpa, « l’approche bouddhiste tout entière consiste à développer le bon sens transcendantal, la vision des choses telles qu’elles sont, sans magnifier ce qui est ni rêver sur ce que nous voudrions être »155. La démarche liée à l’enseignement du Bouddha et de la méditation ne peut se faire sans le souhait d’être « des gens complètement ordinaires, ce qui signifie nous accepter tels que nous sommes »156. En effet, sans remettre en question l’aspect singulier et le caractère exceptionnel de chaque être humain, l’objectif est d’accepter nos imperfections pour nous en servir, et plus généralement prendre conscience et accepter ce qui nous anime dans le but, selon Chögyam Trungpa, de « travailler avec nos peurs, frustrations, déceptions et irritations, les aspects pénibles de la vie »157. L’acceptation des choses telles qu’elles sont réside à la base de la voie de la méditation. Selon le Bouddha, « il nous faut en premier lieu faire l’expérience de la vie telle qu’elle est. Percevoir la vérité de la souffrance, la réalité et l’insatisfaction »158. J’espère qu’au moment même où ces lignes sont lues, le principe d’acceptation apparaît comme une évidence et une nécessité vers un dépassement de notre conditionnement. L’intervention vers la liberté apparaît d’ores et déjà lors de l’étape de la clairvoyance puisqu’elle nous offre la possibilité de faire un choix. La démarche d’intervention n’étant en aucun cas un processus de suppression de l’être et de ses contenus, elle est la voie de la liberté en permettant la clairvoyance sur les contenus qui ont façonné ce que nous sommes et comment nous fonctionnons, nous offrant, dans un second temps, l’occasion de faire le choix de les accepter. D’un point de vue philosophique, la liberté est notamment définie comme l’ « état de
154
TRUNGPA Chögyam. 1979. Le mythe de la liberté – Et la voie de la méditation. Paris : Edition du Seuil. 2015. p 16.
155
Ibid. p 19.
156
Ibid. p 56.
157
Ibid. p 15.
158
Ibid. p 15.
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celui qui se détermine après réflexion, en connaissance de cause, d’après des motifs qu’il accepte »159. Nous pouvons voir au travers de cette définition, et de l’ensemble de nos recherches sur la notion philosophique et psychologique de liberté, que l’acceptation va de pair avec la notion de responsabilité liée au choix et à l’action. L’étape de l’acceptation précède alors celle de la responsabilité, la responsabilité de nos choix. Pour François Ansermet et Pierre Magistretti, l’acceptation des contenus inconscients, et de la signification de notre personne et de nos comportements associés à cette réalité interne, entraîne l’individu à agir ou à ne pas agir : « Plutôt que d’être victime d’une causalité induite par les éléments de sa vie, le sujet, en identifiant ce signifiant, peut se libérer des contraintes du scénario fantasmatique et inventer ses propres réponses, dont il est finalement responsable160. »
Outre l’intérêt fondamental pour l’individu d’intervenir face au conditionnement exercé par l’inconscient, c’est ici le lien avec la liberté à travers la responsabilité de l’individu qui nous intéresse. Cette ouverture et cette cure analytique seraient ainsi une des voies vers la liberté de l’être du sujet, puisqu’elles entraîneraient des actions dont le sujet se doit d’être responsable s’il veut prétendre à la notion de liberté trop souvent usurpée. En effet, sans cette prise de conscience, l’individu continue « d’être victime d’une causalité induite par les éléments de sa vie ». Par ailleurs, pour Raymond De Becker, auteur de l’introduction dans Essai d’exploration de l’inconscient, Jung ne nous invite pas à fuir nos responsabilités sociales. Bien au contraire, « il veut plutôt que celles-ci soient assumées par des êtres conscients des forces qui les conditionnent »161. En effet, pour Carl Gustav Jung, en se rattachant à l’environnement qui l’a conditionné, l’individu se dédouane parfois de toute responsabilité : « fondu dans la société, il est en quelque sorte libéré de sa responsabilité individuelle »162. Pour Jung, plus la masse est importante et plus les facteurs individuels s’effacent. Il en va d’ailleurs de même avec l’exemple de la moralité qui repose sur le sentiment éthique de chacun. En société, l’individu se libère parfois de sa part de responsabilité en passant sous l’influence du groupe, ce qui annihile par la même occasion toute notion de liberté. Jung fait le lien entre la responsabilité de ce que nous sommes et de ce que nous faisons, à savoir notre responsabilité d’être, et le fait d’être conscient de ce qui nous conditionne. Il nous incite donc à nous ouvrir sur ces contenus inconscients et à les accepter, afin de prendre la responsabilité de ce que nous
159 Voir glossaire en annexe. 160 ANSERMET François. MAGISTRETTI Pierre. 2004. A chacun son cerveau - Plasticité neuronale et inconscient. Paris : O. Jacob. p 207. 161
JUNG Carl Gustav. 1988. Essai d’exploration de l’inconscient. Paris : Denoël. Folio essais. 2013. p 26.
162 JUNG Carl Gustav. 1933. Dialectique du Moi et de l’Inconscient. Barcelone : Gallimard. Folio essais. 2012. p 74.
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sommes vraiment et de ce que nous faisons, et ainsi parvenir à une véritable liberté. L’enseignement du principe de la Pleine conscience est issu de l’enseignement bouddhiste et repose par ailleurs sur quatre grandes étapes ayant pour vocation, selon Dominique Steiler, d’ « améliorer son niveau de conscience pour améliorer son espace de liberté, la liberté étant d’accepter la responsabilité de ses choix et de ses actions »163. La première étape est « l’observation » qui renvoie à la capacité pour l’individu d’observer ce qui se passe, ce que nous étudions jusqu’à présent sous la forme de la prise de conscience. La seconde étape attribuée à la Pleine conscience est celle de « l’acceptation ». Comme nous l’étudions précédemment, Dominique Steiler insiste sur l’importance de cette étape où « nous allons tenter d’accepter en reconnaissant que ce qui est présent est présent »164. La troisième étape est celle du « non-jugement » où l’idée est de « détecter le jugement que l’on porte spontanément sur les contenus observés afin de le suspendre »165. Enfin, la quatrième étape de la Pleine Conscience est celle de « l’action juste » par rapport à ce que nous vivons. L’ objectif final réside dans l’action et la responsabilité corrélée à cette action. Il nous est, en effet, possible de tenter d’agir pour provoquer un changement face aux contenus observés ou décider de continuer dans cette voie sans ne rien changer. L’enseignement de la Pleine conscience justifie la nécessité de la responsabilité de l’individu dans la notion de liberté car, peu importe le choix qu’il fera, l’important est d’être responsable de la décision prise. Si l’idée de se rapprocher des sources de notre bonheur peut être utopique ou naïve pour certains, celle qui concerne notre liberté en intervenant face à notre conditionnement et à son développement inconscient, semble l’être beaucoup moins. Qu’elle soit abordée du point de vue philosophique, d’après les enseignements du bouddhisme, par la science ou encore la psychanalyse, la liberté de l’Homme semble pouvoir être énoncée en trois points fondamentaux : je suis libre en étant clairvoyant sur ce que je suis et ce qui m’anime, je suis libre si j’accepte ce dont je viens de prendre conscience, je suis libre si je suis responsable face aux actions que je décide d’entreprendre ou de ne pas entreprendre. Face au caractère inconscient de notre conditionnement, l’intervention a pour but de nous aider dans cette voie, qui je l’espère, pourra en conséquence nous mener vers les états de bien-être et de paix qui jonchent le chemin complexe du bonheur.
163
STEILER Dominique. 2014. Stress, équilibre et performance : Grenoble Ecole de Management. Septembre – Janvier.
164
Ibid.
165
Ibid.
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2. L’ ouverture Face au conditionnement précédemment étudié, l’étape finale de l’intervention est une étape qui s’inscrit dans le temps ; c’est une démarche d’ouverture. La prise de conscience par l’analyse, l’acceptation de ce que nous sommes réellement pour ensuite avoir la possibilité de faire des choix et entreprendre des actions en en prenant la responsabilité, nous permet d’accéder à la notion de liberté. Mais cette démarche d’ouverture symbolise un état de conscience et d’acceptation permanent. Ainsi, nous n’en sommes plus seulement à l’étape de la libération de la souffrance vécue par l’individu, c’est maintenant pour lui le moment « d’apprécier chaque instant de sa vie, non plus comme si c’était le dernier, mais comme si c’était le premier de tous les instants »166. C’est pour lui le moment d’accéder au bonheur, en appréciant la saveur des bons et des mauvais moments à venir. Pour Carl Gustav Jung, la connaissance de notre être entraîne une rectification de notre comportement conditionné. Selon ses propres mots, « plus on prend conscience de soi-même, grâce à la connaissance que l’on en acquiert petit à petit, et grâce aux rectifications de comportement qui en découlent, plus s’amincit et disparaît la couche de l’inconscient personnel déposée, tel un limon, sur l’inconscient collectif »167. Au fur et à mesure, cette évolution de notre conscient l’amène à se libérer de l’empreinte nocive de la définition préconçue de ce qu’il doit être. Pour Jung, le conscient « n’est plus emprisonné dans le monde mesquin, étroitement personnel et susceptible du Moi »168 et on en vient alors à lui attribuer le caractère d’un « conscient élargi »169. Il est alors inscrit dans une démarche constante d’ouverture sur ce qu’il fut, et ce qu’il est, enclin à l’acceptation de ce qu’il est réellement, ne cherchant plus alors à freiner la parole inacceptable de l’inconscient. Cette démarche d’ouverture se retrouve très liée aux enjeux de la compréhension des mécanismes de plasticité neuronale exposés précédemment. Comme nous pouvons le voir avec François Ansermet et Pierre Magistretti, accepter les conséquences de ce que nous pouvons vivre au travers de nos diverses expériences, c’est accepter ce que nous sommes : « La plasticité participe à l’émergence de l’individualité du sujet. Chacune de nos expériences est unique et a un impact unique. Certes, la plasticité exprime en soi une forme
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DAMASIO Alain. 2014. Très humain plutôt que transhumain – TEDxParis (13 min 08). 16 octobre 2014.
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JUNG Carl Gustav. 1933. Dialectique du Moi et de l’Inconscient. Barcelone : Gallimard. Folio essais. 2012. p 123.
168
Ibid. p 123.
169
Ibid. p 123.
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L’intervention : quand conscient rime avec liberté
de déterminisme, mais en même temps qu’elle opère cette sorte de détermination du sujet, elle l’affranchit du déterminisme génétique170. »
La prise de conscience des phénomènes de plasticité neuronale vient contredire certaines théories liées au principe du déterminisme. En effet, si l’expérience laisse une trace, elle modifie constamment ce que nous sommes et va donc à l’encontre de toute forme de conditionnement préétabli et d’un hypothétique « déterminisme génétique ». Le Karma bouddhiste semble avoir une réflexion commune avec l’idée de l’absence de déterminisme ; cependant, ici, cela n’a rien à voir avec l’idée d’un destin. En effet, pour le bouddhisme, le karma est « la loi universelle de causalité » là où « une cause produit son effet lorsque les circonstances sont mûres »171. C’est ce dont traite Francisco Varela lorsqu’il nous explique avec une image « que la situation d’un individu est le résultat de causes antérieures, qui peuvent être appelées son karma. Ce point de vue ne constitue pas un déterminisme, dans la mesure où plusieurs choix sont toujours offerts »172. D’une certaine manière, nous ne sommes que le fruit de nos interactions et de nos expériences, avec les autres et avec notre environnement. Ne pas prendre conscience de cet état, qui est le nôtre, ne pas réussir à l’accepter, nous enferme donc dans un conditionnement lié à un supposé déterminisme irrévocable. Cette forme de conditionnement nuit gravement à notre espace de liberté, notamment dans la manière dont nous prenons nos décisions, en nous empêchant de voir notre vie et son évolution telle qu’elle est. A l’inverse, cette démarche d’ouverture exposée ici nous permet d’être libérés de ce conditionnement car elle nous permet d’accueillir à bras ouverts les différents événements de notre vie, qu’ils soient bons ou mauvais, mais surtout de ne pas les laisser passer. L’expérience laisse donc une trace et modifie notre structure neuronale mais les phénomènes de plasticité neuronale soulèvent le caractère imprévisible de leur apparition au sujet. En effet, François Ansermet et Pierre Magistretti énoncent très clairement la place de « l’imprévisible dans la construction de l’individualité »173. Il semble difficile de rejeter l’idée symbolique que nous ne soyons que le résultat d’une somme d’expériences, dans tout ce
170 ANSERMET François. MAGISTRETTI Pierre. 2004. A chacun son cerveau - Plasticité neuronale et inconscient. Paris : O. Jacob. p 14. 171 Passerelles - Entretiens avec le Dalaï-Lama sur les sciences de l’esprit. 1995. Sous la dir. De HAYWARD Jeremy W. VARELA Francisco J. Paris : Albin Michel. p 93. 172 Ibid. p 93. 173 ANSERMET François. MAGISTRETTI Pierre. 2004. A chacun son cerveau - Plasticité neuronale et inconscient. op.cit. p 24.
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Chapitre II
que cela a de positif. François Ansermet et Pierre Magistretti témoignent ainsi qu’« à chaque étape de son histoire, à chaque étape du devenir, un croisement synchronique intervient, produisant de l’imprédictible, parasitant l’histoire »174.
174 ANSERMET François. MAGISTRETTI Pierre. 2004. A chacun son cerveau - Plasticité neuronale et inconscient. Paris : O. Jacob. p 179.
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Note trouvée n° 23
Date : 7 janvier 2008
Je viens de prendre conscience qu’ un jour, une de mes décisions a complètement changé ma vie. Il y a 13 ans j’ai pris la décision de choisir entre deux fac’ de droit. Toutes deux aussi prestigieuses et aussi attirantes. Je fais donc un choix. Après la rentrée, 6 mois se sont écoulés avant la grève générale de 2 mois qui mit en péril nos examens. A la fin de cette grève, tous les élèves furent dispatchés dans de nouvelles classes, d’ autres même, furent transférés dans un autre établissement. C’est d’ ailleurs comme ça que tu arrivas dans la même fac’ que moi. Tu m’ avoueras même, plus tard, que tu te retrouvas dans ma classe car la spécialité que tu avais choisie fut supprimée à la dernière minute. C’est comme ça que nous nous sommes rencontrés. Depuis je ne t’ ai plus lâchée. Je ne peux m’ empêcher de me demander à quoi auraient pu ressembler ces 12 dernières années si j’avais choisi l ’autre fac’ de droit. Ton homme
Chapitre II
La prise de conscience du caractère en partie imprédictible de la construction de notre être et de notre individualité nous aide ainsi à accepter ce que nous sommes, non pas comme une erreur au vu des exigences du Surmoi et de la société, mais comme un être singulier de par l’enchaînement des conséquences de chaque expérience vécue. Il semble alors intéressant pour nous de rester le plus souvent possible dans cet état d’ouverture face aux apparitions imprévisibles de nos expériences. Ceci dans le but de rester au plus près de ce qui nous construit, jour après jour, rencontre après rencontre et conserver un état de conscience sur ce que nous sommes, jour après jour, rencontre après rencontre. Ainsi, pour François Ansermet et Pierre Magistretti, l’analyse et l’investigation de l’inconscient ont pour objectif de ne plus voir notre vie et ce que nous sommes à travers le spectre fantasmatique qui nous éloigne de la réalité, le but étant de « libérer le sujet du fantasme » afin qu’il se rapproche de ses propres besoins175. Par ailleurs, d’après les mots de François Ansermet et de Pierre Magistretti, ce travail analytique permettrait également à l’individu de changer de point de vue vis-à-vis de l’inconscient et de ses contenus : « A travers une liberté nouvellement acquise, par rapport aux contraintes du fantasme, le parcours d’une psychanalyse devrait permettre au sujet d’aborder la réalité sous un angle nouveau, de passer de la contrainte d’une réalité interne inconsciente à un accès aux potentialités offertes par toute éventualité176. »
Nous passons alors d’un inconscient contraignant et dont les contenus sont difficiles à accepter, à une entité reflétant nos besoins, nos expériences et notre personnalité. Nous pouvons alors voir cette entité psychique comme porteuse de sens et de vérité, là où parfois le regard porté par notre conscience laisse apparaître notre existence comme sombre et dénuée d’utilité. Ainsi, si l’on devait résumer symboliquement, nous pourrions emprunter un dicton assez juste : « Tout est une question de point de vue ». Cette phrase toute faite prend tout son sens ici car d’après Jeremy W. Hayward dans Passerelles, pour Kuhn, la réalité perçue par l’individu ne prend que « la couleur que nos lunettes donnent à cette réalité »177. Ainsi, la prise de conscience de ce que l’individu est au fond de lui n’a de lien qu’avec la manière dont il se regarde. Au vu des mécanismes de plasticité neuronale, de l’influence de nos perceptions faussées sur la réalité externe et sur ce que nous sommes, de l’impact de l’inconscient collectif et individuel sur notre
175 ANSERMET François. MAGISTRETTI Pierre. 2004. A chacun son cerveau - Plasticité neuronale et inconscient. Paris : O. Jacob. p 223. 176 Ibid. p 223. 177 Passerelles - Entretiens avec le Dalaï-Lama sur les sciences de l’esprit. 1995. Sous la dir. De HAYWARD Jeremy W. VARELA Francisco J. Paris : Albin Michel. p 47.
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personne, ainsi que de tout ce qui participe à notre conditionnement aussi bien essentiel que nocif, la quête de vérité sur ce que nous sommes réellement demeure, selon Jeremy W. Hayward, compromise : « Jamais nous ne pourrons voir la réalité telle qu’elle est ; nous la voyons toujours à travers un filtre. Il y a bel et bien un type de réalité, là, quelque part, mais, jusqu’à un certain point, il dépend de celui qui regarde178. »
Ici, même si l’absence potentielle de réalité objective est soulevée, l’aspect optimiste lié au point de vue demeure plus important. La « couleur » évoquée par Kuhn ici s’apparente à notre conditionnement et les « lunettes » de Jeremy W. Hayward à notre perception. Ainsi, l’objectivité sur ce que nous sommes réellement, sur les sources de nos souffrances et sur nos besoins réels dépend entièrement de celui qui perçoit car la réalité, elle, est bien là. Du point de vue de la perception, il semble plus qu’important de s’intéresser à l’enseignement bouddhiste associé. En effet, selon les mots du Dalaï-Lama, « les logiciens bouddhistes soutiennent que la relation de la pensée conceptuelle à l’objet se développe à travers l’exclusion. Vous percevez une chose en excluant ce qu’elle n’est pas »179. On trouve ici un principe d’ouverture en lien avec les mécanismes liés à notre perception. Plutôt que de s’engager par rapport à une chose, les bouddhistes la définissent par ce qu’elle n’est pas. Ainsi, on trouve un moyen de ne pas être confronté à une forme de conditionnement suscité par notre apprentissage, en essayant de définir une chose par rapport à ce que l’on connaît, permettant alors de voir peut-être plus loin et plus juste. Cette manière d’aborder le monde qui nous entoure par une perception « ouverte » semble donc très porteuse de sens vis-à-vis de notre désir de libération de notre conditionnement. Si l’on essaie d’adopter ce mode de perception un instant, en se détachant de nos méthodes habituelles, nous pouvons prendre l’exemple d’un arbre. L’ « arbre » n’existe alors plus du tout à proprement parler. Ce qui existe, c’est une structure faite de ce que nous appelons « bois » et « écorce », parcourue par de la « sève ». Cette structure qui prend racine et qui se nourrit de la terre pour donner naissance à des feuilles et qui vit et fluctue, comme nous, au gré des saisons, est ce que nous définissons par l’image de l’« arbre ». C’est, d’ailleurs, la description faite par Jean-Pierre Schnetzler de l’enseignement du Bouddha, à savoir, « la libération par la connaissance juste de ce qui est comme
178 Passerelles - Entretiens avec le Dalaï-Lama sur les sciences de l’esprit. 1995. Sous la dir. De HAYWARD Jeremy W. VARELA Francisco J. Paris : Albin Michel. p 47. 179
Ibid. p 248.
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c’est »180. Le lien entre l’enseignement du Bouddha et notre quête d’ouverture sur ce que nous sommes semble plus que sensé. En effet, la quête analytique de libération et l’enseignement du Bouddha s’apparentent tous deux, en partie, à une quête d’ouverture, de connaissance et d’acceptation de notre être et de ce qui tourne autour de nous, entraînant alors un non-conditionnement. Alors que pour Chögyam Trungpa, « il s’agit de reconnaître l’existence de l’ouverture consistant en un état méditatif continuel »181, pour Jean-Pierre Schnetzler, « la consigne de base est d’être conscient de tout ce qui se présente, sans rien choisir ni éliminer. L’esprit est complètement ouvert »182. « Être ouvert » pourrait alors résonner comme une forme de salvation, de salut ou encore d’accès au nirvana. Comme si, un matin, nous pouvions nous réveiller et enfin nous dire : « Ça y est, je suis ouvert sur ce que je suis et sur le monde ». Il n’en est rien. N’attendons pas que cet état de clairvoyance nous tombe dessus. N’attendons pas en nous disant : « Je n’en suis pas encore capable, un jour peutêtre, cela viendra ». L’ouverture est un état dépendant de notre seule volonté. La volonté de voir les choses comme elles sont. La volonté, non pas de nous voir à travers les exigences de notre Soi, mais comme nous sommes réellement, sans jugement. La volonté de voir notre vie et l’apparition des événements qui nous font évoluer, comme ils sont, sans y trouver une quelconque logique ou certains regrets. La volonté de voir et percevoir le monde comme il est en comprenant à la fois le potentiel et les limites de notre conditionnement. La volonté d’être en phase avec les sources de certaines souffrances et les sources de notre bonheur. L’ ouverture est un état constant d’intervention face à notre conditionnement, c’est un choix responsable de conscience et d’acceptation. C’est avant tout le choix d’être et d’être libre.
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180
SCHNETZLER Jean-Pierre. 2006. Le Bouddhisme et l’illusion, Imaginaire et Inconscient, 2006/1 n° 17. p 243.
181
TRUNGPA Chögyam. 1979. Le mythe de la liberté – Et la voie de la méditation. Paris : Edition du Seuil. 2015. p 96.
182
SCHNETZLER Jean-Pierre. 2006. Le Bouddhisme et l’illusion, Imaginaire et Inconscient, 2006/1 n° 17. p 252.
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« Notre cerveau peut falsifier l’information qui vient se projeter sur la rétine. Autrement dit, nous pouvons annuler la réalité qui nous entoure pour lui donner la forme qui convient à ce que nous croyons. C’est très puissant183. » Allan Snyder
183 D’AMICIS Francesca. HÖFER Petra. RÖCKENHAUS Freddie. Le cerveau et ses automatismes - La magie de l’inconscient. Paris-Sciences - WRD Allemagne - Arte, 1h26min, 2011.
III L’ABSTENTION
ou le fatalisme qui nous fait renoncer La quête d’intervention permettant d’accéder aux sources de nos propres maux, levant ainsi le voile sur ce que nous sommes réellement et ce qui a construit notre être au fil des années, et qui nous permet, par la même occasion, d’accéder à une liberté réelle, rencontre certaines limites. Ces limites correspondent à l’ensemble des freins que nous avons pu relever au travers de notre recherche, et qui vont à l’encontre de l’intervention et du dépassement de notre conditionnement. Ces différents freins viennent ponctuer notre quotidien et sont profondément le résultat de notre conditionnement. Ils sont ainsi perceptibles au travers de nos comportements, de nos modes de pensée ou encore de certains automatismes, qui, s’ils restent à l’état de non conscient pour l’individu, ne font que perpétuer son conditionnement en ne permettant pas son dépassement, laissant l’Homme comme paralysé et peu enclin à profiter d’une liberté véritable. Ces limites sont notamment liées à la présence fondamentale de l’inconscient et le déploiement de ses mécanismes aux dépens de toute volonté. En effet, nous considérons la présence de l’inconscient comme une « fatalité » puisque cette entité régit en grande partie ce que nous sommes au fond de nous et ce que nous faisons. De plus, nous allons voir que le conditionnement de certaines personnes va à l’encontre de la démarche d’ouverture et d’acceptation proposée précédemment. Cette démarche de prise de conscience de ce que nous sommes, et d’acceptation de la manière dont nous nous construisons, s’oppose à une certaine forme de peur justifiée et propre à l’homme d’aujourd’hui.
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A.
Fatalité de notre inconscient
1. La puissance de l’inconscient L’une des premières limites de l’intervention face au conditionnement apparaît avec le mot « fatalité » que l’on associe depuis le début de cette réflexion à l’inconscient. Ici, la limite ne réside non pas dans le fait d’associer malencontreusement ces deux termes mais tout simplement parce que, si l’on en accepte les théories psychanalytiques, l’inconscient s’impose à l’homme de manière factuelle et inévitable. Par ailleurs, la « fatalité » de cet inconscient ne représente en rien quelque chose de négatif, mais quelque chose qui est, sans qu’une quelconque volonté de notre part ne puisse interférer. En revanche, elle ne doit pas être confondue avec la paralysie que peut entraîner la vision que l’on peut avoir de cette fatalité si l’homme se résout à se conformer au conditionnement développé par cette dernière. Ainsi, la fatalité de l’inconscient et sa nature s’opposent de manière intrinsèque à la démarche d’ouverture et de prise de conscience des contenus inconscients. A juste titre, l’une des premières questions qui pourra être posée est : « Comment peut-il être possible de prendre conscience de quelque chose justement dit inconscient ? ». En d’autres termes, l’étape de la prise de conscience se trouve être extrêmement complexe puisqu’elle est directement en lien avec la démarche de chacun. La volonté de l’individu, son implication mais également sa capacité de remise en question et d’introspection seront les facteurs déterminants de cette démarche de prise de conscience. Comme nous avons pu le voir, Freud et Jung insistent tous deux sur le rôle de l’individu dans la démarche de prise de conscience et d’acceptation de l’inconscient. Le premier frein à cette démarche sera donc en corrélation avec l’individu luimême. Pour le professeur Roland Jouvent, la difficulté d’intervention chez certaines personnes est liée à la peur du changement. Selon son expérience, « le cas le plus fréquent ce sont les gens qui, sans le savoir, ne veulent pas changer car ils ont peur du changement, ça c’est fréquent. Ils ont beau dire qu’ils veulent changer, au fond d’eux, ils ont peur du changement pour des raisons historiques ou personnelles »184. Par ailleurs, il est très intéressant de noter que certaines personnes ont totalement conscience du degré de capacité lié au dépassement
184 Voir enquête en annexe.
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du conditionnement. Au vu des résultats de notre enquête, une femme nous dit ainsi que pour elle, « il est possible de dépasser ce conditionnement, à la condition d’avoir cette volonté de le dépasser et d’avoir le courage de se battre au quotidien avec soi-même »185. La seconde limite que l’on peut déceler est liée aux mécanismes et aux contenus de l’inconscient collectif. En prenant l’exemple de la persona, on se rend compte de la subtilité avec laquelle il est essentiel d’aborder l’investigation de ces contenus. En effet, la persona est à la fois une structure de construction sociale fondamentale pour l’individu, mais elle peut être source de souffrances pour ce dernier si la personnalité de l’individu est refoulée au profit de la persona. La persona lui est essentielle et il semble peu approprié de remettre en cause cette première affirmation puisqu’elle est. Tout comme l’inconscient, si le mécanisme que nous appelons « persona » existe, il convient de l’accepter comme une forme naturelle du fonctionnement humain, en réponse à un stimulus, au même titre que le clignement des yeux lors d’un éternuement ou encore une réaction de peur face à une agression externe. Comme nous avons pu le voir, la persona est le moyen inconscient pour l’individu de se retrouver dans les modèles de la société dans laquelle il évolue. En effet, au travers des résultats de notre enquête quantitative, nous pouvons voir qu’il existe chez de nombreuses personnes, une dissociation entre le Moi social et le Moi privé. Ainsi, certaines personnes évoquent un réel besoin de mettre en « cohérence » le moi intime et le moi social186. Ce besoin fondamental, à la fois conscient et inconscient, d’être accepté et reconnu par les autres, ne peut être balayé aussi simplement du fait de son caractère, en partie nocif pour l’individu en question. C’est d’ailleurs ce que l’on peut déceler en analysant notre enquête où l’on voit, chez certaines personnes, une réelle volonté de faire la différence entre ces deux Moi pour se protéger du jugement des autres ou par sentiment de honte. Elles nous disent ainsi avoir « peur », « peur de décevoir », et beaucoup de « difficultés à assumer » certaines parties d’elles-mêmes. Cela entraînant par conséquent un certain mal-être car selon ces mêmes personnes, nous ne sommes finalement pas pleinement nous-mêmes en société quand « chacun joue un rôle »187. Les mécanismes de l’inconscient collectif comme la persona constitueront des freins à notre quête d’intervention du fait de leur validité et de leur cohérence vis-
185 Voir enquête en annexe. 186 Voir enquête en annexe. 187 Voir enquête en annexe.
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à-vis de la perception que certaines personnes ont d’elles-mêmes. Si, par exemple, la persona identifiée par l’individu semble correspondre, d’après sa propre perception de lui-même, à ce qu’il est, ce dernier ne verra pas les conséquences de ce conditionnement sur lui-même. D’une certaine manière, il peut ne pas se sentir concerné par un éventuel conditionnement de la société. C’est notamment ce que l’on peut voir avec la question numéro trois de notre questionnaire : « Comment pensez-vous que votre entourage (professionnel et/ou privé) vous perçoit ? »188. Ainsi, une très grande majorité de répondants se retrouvent dans des catégories stéréotypées comme « attentionné », « exigeant » ou « protecteur » alors que très peu se définissent à l’aide de la case « autre ». Par ailleurs, on peut noter que les modèles imposés par la société subsisteront et la capacité de l’homme à savoir quand ils sont nocifs pour lui semble peu à sa portée. Ainsi, la société continuera de déployer toutes ses exigences par le biais de contraintes, d’attentes et de modèles. On continuera alors de retrouver les exigences de la société dans les contenus de l’inconscient collectif. L’individualité de l’individu sera toujours inconsciemment en péril car elle demeurera inlassablement confrontée aux standards et aux prérequis acceptés par la société.
2. Perception et interprétation La falsification de nos perceptions internes et externes entraînée par nos différentes formes de conditionnement va à l’encontre de notre quête d’ouverture sur ce que l’on est. Comme nous avons pu le voir, le conditionnement subi entraîne une perception faussée de notre réalité interne en peuplant cette dernière d’un grand nombre de fantasmes. Cette perception de notre réalité interne falsifiée, en partie, a bien entendu de grandes conséquences sur nos comportements. Ainsi, selon Eleanor Rosch, cette perception de nous-mêmes remet en cause la validité de la démarche d’introspection puisque, « laissés à notre traitement de haut en bas, nous ne voyons que ce que nos propres désirs et préjugés nous autorisent à voir »189. La nécessité pour Eleanor Rosch de voir apparaître, dans le quotidien de chacun, des techniques méditatives, comme nous avons pu le voir précédemment, vient répondre à l’éventuelle incapacité pour l’individu de se percevoir de manière objective. Les mécanismes d’association inconscients liés aux phénomènes de plasticité neuronale ne peuvent nous empêcher de constamment interpréter la majorité de nos perceptions. Dans un sens, la perception objective de notre être,
188 Voir enquête en annexe. 189 Passerelles - Entretiens avec le Dalaï-Lama sur les sciences de l’esprit. 1995. Sous la dir. De HAYWARD Jeremy W. VARELA Francisco J. Paris : Albin Michel. p 145.
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et de ce que nous sommes au plus profond de nous, semble parfois compliquée puisque cette perception se confronte à certains de nos fantasmes et désirs inconscients. On peut notamment noter au travers de notre enquête190 que certains répondants ont la perception de renvoyer une image reflétant leurs comportements et leur personnalité. Cependant, si l’on s’en tient aux théories liées à la plasticité neuronale, cette image qu’ils ont d’eux-mêmes peut se trouver faussée par ce vers quoi ils tendent. On peut alors penser que dans certains cas, il existe une confusion inconsciente pour certaines personnes entre ce qu’elles pensent être et l’image qu’elles pensent renvoyer. Cela s’explique notamment par l’influence des fantasmes inconscients dans l’interprétation de nos perceptions. On retrouve ici le paradoxe de la relation entre conscient et inconscient car nous ne pourrons percevoir de nous-mêmes, que ce que le conscient sera prêt à accepter de l’inconscient. Comme nous avons pu l’étudier précédemment, en regardant les propos de Chögyam Trungpa, nous pouvons voir que l’étape d’acceptation de notre être et de ses contenus est fortement compromise par nos systèmes d’associations et d’interprétations inconscients. Encore aujourd’hui, nos perceptions se trouvent être faussées car elles se confrontent inconsciemment à nos préconceptions et à nos croyances : « A vrai dire, nous ne voyons pas complètement les choses telles qu’elles sont. En général, nous percevons quelque chose, puis nous regardons. Dans ce cas, le regard consiste dans l’acte de nommer et d’associer. Mais voir les choses signifie les accepter telles qu’elles sont, tandis que le regard est un effort superflu pour vous assurer de votre sécurité personnelle, pour vérifier que rien ne va embrouiller votre relation avec le monde. Aussi créons-nous cette sécurité en catégorisant les choses, en les nommant, en employant des termes relatifs pour identifier leurs relations, la façon dont elles s’agencent191. »
Chögyam Trungpa distingue donc les principes de « voir » et de « regard » plus ou moins enclins à l’acceptation de ce que l’on est. Le premier n’est donc en rien sujet à une perception faussée par nos systèmes d’associations et de jugement, et nous permet de percevoir les choses telles qu’elles sont, sans se confronter à un système de jugement dualiste opposant le bien et mal, allant par la même occasion à l’encontre de tout refoulement. Le second, lui, s’oppose à notre quête d’ouverture. En effet, l’acceptation nécessite de ne pas opposer le sujet de l’acceptation à un jugement conditionné par les différentes sources de conditionnement potentiellement rencontrées par l’individu. Il semble donc nécessaire, au vu de notre quête d’ouverture, de distinguer ces deux principes de perception auxquels nous sommes tous potentiellement et inconsciemment soumis. En effet, selon
190 Voir enquête en annexe. 191
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TRUNGPA Chögyam. 1979. Le mythe de la liberté – Et la voie de la méditation. Paris : Edition du Seuil. 2015. p 75.
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L’abstention : ou le fatalisme qui nous fait renoncer
Chögyam Trungpa le « regard » a pour objet de favoriser un sentiment de sécurité pour l’individu en lui fournissant « un bonheur et une assurance temporaire »192. Comme nous pourrons le voir plus tard, même si ce sentiment de sécurité semble tout à fait justifiable, il apparaît nécessaire de s’en détacher car il fait en effet partie de notre conditionnement inconscient. En effet, selon Chögyam Trungpa, la « première précision apportée par le Bouddha concerne la «vue juste». La vue erronée est une question de conceptualisation »193. Cette vue erronée ou faussée, comme nous l’avons appelée précédemment, n’est pas « juste » car nous ne voyons pas la situation telle qu’elle est. Lors d’une rencontre, nous nommons ainsi « ami » ou « ennemi » la personne qui marche vers nous. Cette même personne marche donc dans un espace préalablement « gelé » par notre interprétation et le « regard » que nous posons sur la situation à venir. Cependant, pour Chögyam Trungpa, « il y a la possibilité de ne pas geler cet espace. La personne se meut alors dans une situation lubrifiée impliquant moi-même et elle-même, tels que nous sommes. Une telle situation lubrifiée peut exister et créer un espace ouvert »194. La perception objective de la réalité externe semble donc, elle aussi, être compliquée à atteindre puisque cette perception sera également confrontée à nos fantasmes, désirs et préjugés peuplant notre inconscient. L’interprétation est donc constamment à l’œuvre lorsqu’il s’agit de percevoir le monde extérieur. Le professeur en psychologie à l’Université de Yale, John Bargh, nous parle ainsi des jugements instantanés comme des « processus de pensée quasi automatiques » et très fréquents dans notre quotidien : « Dès que nous apercevons quelqu’un, nous lui associons inconsciemment un comportement et une personnalité, même si nous ne disposons que d’informations très limitées. Nous nous attendons à ce que les serveurs se comportent d’une certaine façon, différente de celle des bibliothécaires ou des chauffeurs de poids lourds. Ces a priori nous parviennent à l’esprit sans que nous y pensions, simplement d’après la position sociale d’une personne195. »
Les mécanismes d’association liés à l’expérience vécue constituent une limite réelle à la démarche d’ouverture car ils développent, en partie, le conditionnement de la perception de l’individu face à ce qu’il est et face à ce qu’il vit. Cela peut alors avoir de sérieuses conséquences quant à notre point de vue sur l’apparition de certains événements dans notre vie ou encore sur les interactions et les
192 TRUNGPA Chögyam. 1979. Le mythe de la liberté – Et la voie de la méditation. Paris : Edition du Seuil. 2015. p 75. 193 Ibid. p 103. 194 Ibid.. p 104. 195 BARGH John. La puissance de l’inconscient. Pour la Science, n°437, mars 2014.
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relations avec d’autres. Certaines personnes interrogées pensent ainsi qu’« en se surprotégeant, on passe peut-être à côté de belles rencontres humaines »196. Cependant, il convient de conserver une vision optimiste liée à notre capacité de prise de conscience et d’ouverture sur ce que nous sommes et ce que nous vivons au travers de nos perceptions. Pour le Dalaï-Lama, « même si une perception ne saurait observer son soi profond, il n’en est pas moins possible, et très pratique, d’ « observer la perception » : une perception en observera une autre, et il s’agira, entre la perception observée et la perception observante, de deux événements mentaux différents »197. Le bouddhisme vient ainsi soutenir le principe d’introspection et la démarche d’objectivité associée à une intervention face au conditionnement subi. Même si une première perception peut être caractérisée de non objective en raison de l’influence de nos fantasmes sur notre interprétation de cette perception, le fait de percevoir cette perception comme non objective constitue une forme d’objectivité. Enfin, nous ne pouvons qu’être optimistes en étudiant les propos de Matthieu Ricard quant à l’enjeu de se libérer de ces perceptions erronées : « Soukha est l’état de plénitude durable qui se manifeste quand on est libéré de l’aveuglement mental et des émotions conflictuelles. C’est aussi la sagesse qui permet de percevoir le monde tel qu’il est, sans voiles ni déformations. C’est enfin la joie de cheminer vers la liberté intérieure, et la bonté aimante qui rayonne vers les autres198. »
L’établissement d’une falsification de beaucoup de nos perceptions par le moyen de mécanismes d’association laisse tout de même présager quelque chose de plus inhérent à la condition humaine. On note en effet, une prédisposition de l’homme à « se méfier », penser « devoir se protéger » ou encore « ne pas avoir confiance » en l’inconnu et l’autre199. De plus, le besoin chronique pour chacun de nous de toujours se rassurer nous conduit à penser qu’une certaine forme de peur nous accompagne presque tout au long de notre vie.
196 Voir enquête en annexe. 197 Passerelles - Entretiens avec le Dalaï-Lama sur les sciences de l’esprit. 1995. Sous la dir. De HAYWARD Jeremy W. VARELA Francisco J. Paris : Albin Michel. p 121. 198 RICARD Matthieu. 2004. Plaidoyer pour le bonheur. Paris : Pocket. p. 24. 199 Voir enquête en annexe.
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B.
La peur de la vie
1. Une rationalisation chronique L’individu semble ne pas totalement être enclin à la démarche d’ouverture prônée, notamment à cause d’une certaine nécessité de rationaliser ce qu’il perçoit. Comme vu précédemment, cela peut poser problème, dans certaines situations, car ses propres perceptions sont conditionnées. Il n’est donc pas, à proprement parler, « ouvert » sur ce qui l’entoure mais tente d’expliquer ce qui l’entoure. Pour François Ansermet et Pierre Magistretti, « le devenir du sujet est le plus souvent examiné à partir d’un point de vue rétrospectif, qui donne l’impression qu’une histoire se déroule dans la continuité suite à une série d’enchaînements causaux »200. Les deux auteurs soulèvent ici le paradigme affligeant de notre condition dans la société où l’on ne peut envisager d’être, sans que la logique ne vienne justifier cet être. Nassim Nicholas Taleb, écrivain et philosophe des sciences du hasard, décrit très bien au travers des Cygnes Noirs, notre besoin chronique de rationalisation ou plutôt « notre cécité face au hasard et spécialement aux événements qui se démarquent particulièrement de nos attentes »201. Les Cygnes Noirs sont des événements « rares », à l’« impact extrêmement fort » et à la « prévisibilité rétrospective »202. Ces événements sont hautement improbables, de même qu’ils jalonnent notre vie. C’est le cas pour tout le monde, cependant, nous ne sommes pas tous à même de les reconnaître. En effet, notre besoin de logique nous pousse à constamment essayer de leur trouver une explication rationnelle afin qu’ils soient acceptés et dits « conformes » à ce que notre expérience nous a déjà appris. Pour Nassim Nicholas Taleb, « notre esprit est une fabuleuse machine à expliquer, capable de donner un sens à presque tout, de bâtir des explications pour toutes sortes de phénomènes, et généralement incapable d’accepter l’idée d’imprédictibilité »203. Ce besoin quasiment vital de rationalisation nous empêche de voir les Cygnes Noirs qui ponctuent notre vie et peut nous enfermer dans une perception rationnelle de l’extérieur. Cependant, cela n’a rien de positif dans la mesure où nous ne pouvons alors percevoir le monde et notre vie que par la fenêtre de notre propre connaissance. Si nous reprenons la pensée de Kant,
200 ANSERMET François. MAGISTRETTI Pierre. 2004. A chacun son cerveau - Plasticité neuronale et inconscient. Paris : O. Jacob. p 171. 201
TALEB Nassim Nicholas. 2007. Le cygne noir – La puissance de l’imprévisible. Paris : Les Belles Lettres. 2012. p. 11.
202
Ibid. p. 10.
203
Ibid. p. 35.
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nous ne percevons pas notre vie de manière « ouverte » comme par la voie de l’expérimentation mais nous essayons de comprendre ce qui se passe au vu de ce que notre expérience nous a déjà enseigné. Ainsi, si Copernic n’était pas sorti du champ de sa propre expérience, nous croirions peut-être encore que le Soleil tourne autour de la Terre. Aujourd’hui encore, la rationalisation est de rigueur, qu’elle aille de notre CV jusqu’à nos actes. Il semble difficile, pour bon nombre de personnes, de faire certaines choses ou de prendre certaines décisions si cela n’a pas de « sens » à proprement parler. Le rapport à l’intuition semble d’ailleurs intéressant ici. On peut voir, par exemple, que lors d’un entretien d’embauche, la question de la rationalité est, d’une manière générale, immédiatement soulevée par le recruteur et par le candidat. Il est alors question de trouver un lien de causalité évident entre les diverses expériences vécues par le candidat. Des ateliers sont même organisés afin de permettre aux étudiants nouvellement diplômés de trouver de la cohérence entre les diverses expériences vécues durant leur formation et trouver un futur emploi en lien avec leur profil. Au vu de notre étude, il semble intéressant de questionner le caractère bénéfique de cette recherche de sens. Si l’on reprend l’exemple de la recherche d’un emploi, on peut noter que, cette quête de sens semble liée à la volonté de se rassurer quant à sa future place au sein d’une entreprise afin de pouvoir dire fièrement : « je ne suis pas là par hasard ». Cela reste d’ailleurs tout à fait justifié et il n’est aucunement question de jugement concernant la volonté d’être rassuré en ce qui concerne notre avenir. Si l’on prête attention aux résultats de notre enquête, le besoin de reconnaissance sociale et en très grande partie professionnelle, regroupant le besoin d’accomplissement, de réussite et de fierté, arrive en troisième position des besoins fondamentaux les plus cités204. Cependant, même si ce besoin, pour l’individu, de se rassurer quant à son avenir semble compréhensible, il ne semble pas être en phase avec le caractère imprévisible de ce dernier. Selon les mots de François Ansermet et Pierre Magistretti, si l’individu semble vouloir détenir un contrôle quant à la prévision de l’apparition des futures expériences qu’il pourra vivre, « la réalité du sujet est pourtant différente : potentiellement, il reste soumis à tout instant à l’imprévisibilité radicale de son devenir »205.
204 Voir enquête en annexe. 205 ANSERMET François. MAGISTRETTI Pierre. 2004. A chacun son cerveau - Plasticité neuronale et inconscient. Paris : O. Jacob. p 171.
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Par ailleurs, Carl Gustav Jung exprime lui aussi la nécessité pour « l’homme occidental » de toujours se rassurer en rationalisant le moindre élément de sa vie, qui plus est, lorsque ce dernier est associé à une situation dénuée de sens pour l’individu. Selon ses propres mots, « nous sommes si accoutumés à la nature apparemment rationnelle de notre monde que nous pouvons à peine imaginer qu’il s’y produise quelque chose que le bon sens ne suffise pas à expliquer »206. La parole de Jung explique notamment le manque d’ouverture majoritaire en occident. Lorsqu’un élément est ainsi sujet à cette forme d’ouverture, nous n’en avons alors même pas conscience, et pire, lorsque c’est le cas, nous le réduisons, à la manière des Cygnes Noirs, à quelque chose de rationnel et d’acceptable pour notre conscient. C’est d’ailleurs ce que rappelle Jung au sujet du contraste entre les pensées conscientes de notre vie de tous les jours et la richesse de nos rêves car selon lui, « dans notre monde civilisé, nous avons dépouillé tant d’idées de leur énergie affective, qu’elles ne provoquent plus en nous de réactions »207. Pour Jung, c’est, en partie, notre besoin de cohérence, de sens et de rationalité en ce qui concerne les contenus de notre être qui annihile l’essence même de nos contenus inconscients. Jung présente d’ailleurs le rationalisme endémique du monde occidental comme la source des maux générés par l’inconscient. Pour lui, « l’homme moderne ne comprend pas à quel point son «rationalisme» (qui a détruit sa faculté de réagir à des idées et à des symboles lumineux) l’a mis à la merci de ce monde psychique souterrain »208. Notre conditionnement influe quotidiennement sur notre manière d’appréhender le monde et notre évolution. Les différents besoins de l’Homme le poussent à s’enfermer dans un schéma de perception logique et rationnel basé sur ce qu’il connaît ou ce qu’il a pu retenir de sa propre expérience. Comme nous l’avons vu précédemment, l’expérience laisse une trace et conditionne grandement la manière dont nous allons vivre nos futures expériences. Ce conditionnement nous empêche alors d’être ouverts sur ce qui nous entoure et ce qui va peu à peu construire ce que nous sommes au fond de nous. Nous pensons alors pouvoir tout expliquer rationnellement, ce qui à terme, entraînera une volonté justifiée de contrôler ce qui nous arrive. La volonté de contrôle et d’emprise sur l’apparition des événements qui peuplent notre vie nous empêche alors de voir ce qui s’y passe réellement et de profiter de l’instant présent. A vouloir comprendre ce qui s’est passé ou prévoir ce qui va se
206 JUNG Carl Gustav. 1988. Essai d’exploration de l’inconscient. Paris : Denoël. Folio essais. 2013. p 70. 207 Ibid. p 73. 208 Ibid. p 161.
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produire, dans le but de nous rassurer, nous naviguons constamment entre passé et futur, délaissant bien souvent ce qui se passe sous nos yeux.
2. Contrôle et non-contrôle – une relation complexe La volonté de contrôle, présente de manière endémique chez certaines personnes, est en parfaite contradiction avec la démarche d’ouverture et d’acceptation vue précédemment. En effet, elle vise à une anticipation et une rationalisation vouées à l’échec dans bon nombre de situations. L’attitude liée au lâcher-prise, presque constant, rencontrée chez d’autres personnes ne semble pas non plus être en phase avec notre quête d’attention et de prise de conscience de ce que nous sommes. En effet, cette attitude, ô combien positive, consiste, dans certains cas, à se laisser porter par les choses sans pour autant constituer un état de conscience. Elle peut alors s’apparenter à une forme de passivité. Sans chercher à stigmatiser ces deux démarches que l’on pourrait qualifier d’ « extrêmes », nous allons voir que le contrôle, si nécessaire et utile dans certains cas, peut représenter une certaine limite à notre quête d’ouverture et de libération du conditionnement. La volonté de contrôle de certains individus de notre société actuelle ne semble pas que bénéfique, bien au contraire. Pour Jung, « l’homme primitif était bien plus gouverné par ses instincts que ne l’est l’homme «rationnel», son descendant, qui a appris à se «contrôler» »209. Un des inconvénients soulevés ici est le fait de ne plus penser en suivant et en faisant confiance à ses instincts dans l’unique but de s’assurer réussite ou de minimiser le risque. En effet, nous en revenons ainsi au besoin fondamental de bon nombre de personnes de se rassurer quant à leur avenir. Le Docteur Faucher, que nous avons rencontré, soulève ainsi l’idée, relative selon chacun, que « nous sommes animés par l’idée de contrôle » et le but de la psychanalyse est justement de « lâcher cette idée du contrôle ». Selon lui, « aujourd’hui nous voulons toujours plus de contrôle, contrôler le risque, nous participons même à des formations pour cela, mais la liberté n’est pas dans le contrôle »210. Cette volonté de contrôle est donc clairement énoncée comme limite à notre quête de liberté. Ici, l’idée de se libérer du contrôle nous amène ainsi à nous rapprocher, par le travail analytique, de ce qui nous anime au fond de nous-mêmes. Le Docteur
209
JUNG Carl Gustav. 1988. Essai d’exploration de l’inconscient. Paris : Denoël. Folio essais. 2013. p 79.
210 Voir enquête en annexe.
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Faucher nous donne ainsi l’exemple d’essayer de « voir ce qui se répète » (dans notre quotidien, nos comportements, nos actions, nos réactions) « pour voir ce qui nous anime et pouvoir ensuite faire des choix par rapport à la prise de conscience de ce que l’on est »211. On peut clairement voir ici un lien direct entre la perception potentiellement faussée de ce que nous sommes induisant ce que nous devons faire vis-à-vis de ce que nous croyons être nos besoins et ce qui nous anime réellement. Le « non-contrôle » représente une forme très souhaitable de « lâcher-prise » s’il est mesuré. En effet, s’il est adopté d’une manière chronique, il peut, de la même manière que le besoin de contrôle, nous écarter de ce qui nous anime. En effet, un lâcher-prise total s’apparente plus à une forme de refoulement conscient peu souhaitable dans lequel nous ne voulons pas regarder et où nous nous laissons porter. L’idée d’une posture de « non-contrôle » n’est donc pas à prendre, du point de vue extrême lié à un lâcher-prise constant sur les événements de notre vie ; mais plutôt de viser une perception « juste » de l’apparition de ces événements. Pour Dominique Steiler, « le non-contrôle n’est pas de subir mais de comprendre le mouvement des choses pour pouvoir s’y inscrire et fonctionner avec elles »212. Si l’on se réfère donc aux principes de la Pleine conscience, l’idée n’est pas d’être passif face à ce qui nous arrive mais plutôt de poser un regard « juste » sur ce qui nous arrive, acceptant l’apparition des événements et ce qu’ils sont. Ils font partie de nous. Même si l’on comprend parfaitement le caractère imprédictible de l’apparition des événements, des rencontres et des expériences vécus par l’homme, il semble difficile pour lui d’accepter cette part de non-contrôle dans sa vie. Pourtant, si l’on fait nous-mêmes acte d’ouverture pendant quelques minutes, nous pouvons prendre conscience, au vu des différents mécanismes et concepts étudiés précédemment, que la part de non-contrôle de la vie de chacun est plus qu’importante. L’inconscient et ses mécanismes en sont l’exemple même, puisqu’ils régissent en grande partie ce que nous sommes, ce que nous croyons être et ce que nous faisons, sans que cela soit de l’ordre du contrôle et même de la conscience. En effet, « le cerveau est capable d’accomplir à l’insu de notre conscience, 90% de tout ce que l’on fait, que l’on soit éveillé ou non »213. C’est, d’ailleurs, ce que soulève Jung quand il nous dit
211 Voir enquête en annexe. 212
STEILER Dominique. 2014. Stress, équilibre et performance : Grenoble Ecole de Management. Septembre – Janvier.
213 D’AMICIS Francesca. HÖFER Petra. RÖCKENHAUS Freddie. Le cerveau et ses automatismes - La magie de l’inconscient. Paris-Sciences - WRD Allemagne - Arte, 1h26min, 2011.
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que « l’homme aime à se croire maître de son âme. Mais tant qu’il est incapable de dominer ses humeurs et ses émotions, ou de prendre conscience des multiples manières qu’ont les facteurs inconscients de s’insinuer dans ses projets et dans ses décisions, il n’est certainement pas maître de lui-même »214. Allan Snyder, professeur et directeur du Centre for the Mind de l’Université de Sydney, s’interroge sur la part réelle de contrôle que nous exerçons quotidiennement. Ainsi, certains aspects que nous pensons contrôler, ne le sont pas en réalité. En effet, il paraît compliqué de penser contrôler quelque chose alors que certains aspects de cette chose peuvent même ne pas être conscients. Pour Jung, « nous avons l’illusion que nous nous contrôlons. Mais un ami peut aisément nous dire sur nous-mêmes des choses dont nous n’avons pas conscience »215. Nous retrouvons ici le lien entre la perception faussée entraînée par notre conditionnement et ce que nous pensons être ainsi que l’image que nous avons de nous. De plus, nous pouvons également nous amuser à faire un petit test très simple afin de mesurer l’importance de la notion de contrôle dans notre vie. Nous pouvons ainsi tenter de faire une liste des trois plus grands événements clefs de notre vie. Nous entendons par là des événements ou des rencontres qui ont fondamentalement bouleversé le cours de notre vie ou encore la manière d’appréhender le monde ou notre vision des choses. Cela peut être la rencontre d’un grand amour, la manière dont nous avons décroché un poste important au sein d’une entreprise ou encore la manière dont nous nous sommes retrouvés ou non dans une situation dangereuse. Maintenant, il est question de faire preuve d’attention et de prendre conscience du caractère imprédictible de ces événements et de l’impact qu’ils ont pu avoir sur notre vie. En effet, il est peu probable de pouvoir affirmer que ces rencontres, ces événements, ces projets ou ces discussions mais surtout leur apparition dans notre vie ait été calculée, prévue, anticipée ou encore contrôlée. Car les plus grands et les plus beaux événements de notre vie arrivent, et ce bien en dépit de notre volonté et de nos prévisions. C’est ce qui rend la vie aussi belle car nous ne sommes que la somme des nombreux concours de circonstances et des rencontres qui ont été semées sur notre chemin. Le plus intéressant est de prendre conscience de ces événements lorsqu’ils surviennent et de la manière dont ils surviennent. Nous pouvons d’ailleurs nous référer à l’histoire de Tim dans le film About Time réalisé par Richard Curtis. C’est l’histoire d’un jeune homme, Tim, ayant le pouvoir de
214 JUNG Carl Gustav. 1988. Essai d’exploration de l’inconscient. Paris : Denoël. Folio essais. 2013. p 143. 215 JUNG Carl Gustav. 1988. Essai d’exploration de l’inconscient. Paris : Denoël. Folio essais. 2013. p 37.
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remonter le temps et de revivre chacun des moments de sa vie. Durant ce film, nous voyons donc ce jeune homme changer plusieurs fois le cours des choses en exerçant un contrôle sur l’apparition des événements de sa vie et la tournure de ces derniers. Comme, par exemple, la rencontre avec sa petite copine ou encore le déroulement de sa première relation sexuelle. Après avoir fantasmé sur ce pouvoir, nous nous rendons compte que les plus beaux moments de la vie de ce jeune homme sont ceux où il n’a paradoxalement exercé aucun contrôle et où il a juste laissé le cours des choses se produire, tout en réussissant à ne pas laisser passer les beaux événements et les rencontres de sa vie. Tim nous parle d’ailleurs de sa manière de procéder avec ses voyages dans le temps. Il nous dit ainsi « revivre chaque jour presque de la même façon ; la première fois avec toutes les tensions et les soucis qui nous empêchent de nous rendre compte comme le monde est beau. Et la deuxième fois, en en profitant »216. Il a même conscience à quel point la vie est belle et nous dit : « Désormais, je ne fais même plus ces voyages dans le temps. J’essaye juste de vivre chaque jour comme si c’était le dernier jour de mon extraordinaire existence »217. Il semble qu’à la lecture de ces paroles pleines de sagesse, nous comprenions tout l’intérêt pour nous de rééquilibrer notre rapport au contrôle. En effet, à la différence de Tim, il semble compliqué pour nous de remonter le temps mais nous pouvons essayer de prendre conscience de notre existence.
3. Le hasard, la chance et l’incertitude La croyance faussée de contrôle, et le manque d’acceptation de l’aspect hasardeux et imprédictible de la vie et de l’apparition des événements, semblent être également une source de freins envers notre quête d’intervention et d’ouverture. En effet, la peur et le besoin chronique de l’Homme de se rassurer l’empêchent d’envisager un futur en partie imprévisible et lié au hasard, et d’accepter la part de chance inhérente à chacune de nos vies. Conséquence directe de nos besoins de rationalisation et de contrôle, nous pouvons voir, au travers des résultats de notre enquête, que le besoin de protection vis-à-vis d’autrui et de l’inconnu nous pousse à adopter une personnalité et des comportements qui ne nous correspondent pas forcément. Ainsi, certaines personnes nous disent avoir besoin de « cacher leurs faiblesses »
216 CURTIS Richard. 2013. About Time. 123 minutes. 217 Ibid.
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ou encore avoir besoin de « domination sur les autres »218. Un homme nous avoue même avoir conscience de son conditionnement : « j’agis parfois à l’encontre de ma nature par conditionnement »219. Ces mêmes personnes justifient d’ailleurs ces différents besoins car elles se doivent de « montrer une image forte » pour « se protéger des autres »220. On peut très clairement voir qu’un certain conditionnement orchestré par le moyen de mécanismes inconscients, en lien avec l’histoire de chacun, entraîne une perception faussée de la réalité externe. Ainsi, on comprend que certaines personnes détiennent une perception faussée du monde extérieur dans lequel elles évoluent, en pensant nécessairement « devoir se protéger des autres ». Au travers d’un autre témoignage, un homme nous évoque les conséquences de sa part de « timidité » dans ses relations avec les autres. Ici, cette carapace que l’on se construit face au regard des autres mais aussi par rapport à notre propre perception faussée, et bien souvent non-objective de ce regard, entraîne un manque : « cela me prive de rencontres intéressantes, de découvertes »221. De plus, concernant la question d’un écart entre ce que l’on représente et ce que l’on est au fond de nous, une jeune femme évoque la différence entre les besoins de la sphère privée et les comportements et l’image affichés dans la sphère publique. Pour elle, il y a un « décalage entre mon image sociale de contrôle et de dominance, et mon besoin d’être aimée et d’avoir de la reconnaissance »222. On peut voir, au travers de ce témoignage, que la satisfaction de certains besoins fondamentaux en tant qu’individus sociaux n’est volontairement réservée qu’à un cercle « privé ». En effet, cette jeune femme nous dit offrir « à ceux qui méritent sa confiance et qui partagent vraiment sa vie » le soin de combler son besoin d’amour et de reconnaissance. Ce « manque de confiance » envers l’inconnu, plus que commun et compréhensible de nos jours, nous pousse parfois à rester dans une zone de confort pouvant avoir comme conséquence un manque : « En se surprotégeant, on passe peut-être à côté de belles rencontres humaines »223. Outre le besoin de protection face à l’inconnu d’un point de vue relationnel, notre cécité face au hasard nous empêche d’accepter le monde tel qu’il est. Nous avons ainsi la perception erronée de pouvoir prévoir certains événements ou de pouvoir expliquer rétrospectivement leur apparition.
218 Voir enquête en annexe. 219 Voir enquête en annexe. 220 Voir enquête en annexe. 221 Voir enquête en annexe. 222 Voir enquête en annexe. 223 Voir enquête en annexe.
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L’idée n’est plus du tout alors de nécessairement se rapprocher de la vérité mais d’expliquer coûte que coûte ce qui se produit, dans le but de se rassurer, d’atténuer notre peur. La peur d’être abandonné du jour au lendemain, celle de ne pas être accepté, de ne jamais tomber amoureux ou de trouver la mort à la terrasse d’un café. Et pourtant, la cohérence ne semble pas être synonyme de vérité puisqu’elle est basée sur notre expérience, nos croyances et nos désirs. Comment pouvons-nous alors accepter ce que nous sommes si nous ne pouvons même pas regarder, dans les yeux, le hasard qui impacte notre quotidien ? Ce renfermement face à l’imprédictibilité de notre vie ne peut nous rapprocher de ce qui nous anime, et nous écarte, par la même occasion, de notre quête de liberté. Cette peur que nous associons ici à la vie, à notre légitimité et à notre place dans la société, à la valeur de nos actions et de nos pensées, à la manière dont les événements arrivent ou encore à l’incertitude de notre avenir, est tout à fait compréhensible car naturelle. Cette peur nous laisse en revanche interrogatifs quant à son caractère bénéfique pour la vie de chacun. N’est-elle pas, elle aussi, résultat de notre conditionnement ? – « Si j’ai peur de l’abandon, n’est-ce pas parce que j’ai déjà été moi-même abandonné par le passé ? » – La prise de conscience de ce que nous sommes réellement, de la vérité de notre inconscient, de la manière dont nos expériences nous ont construits mais également de la façon dont les plus beaux événements de notre vie nous sont apparus, et ce avec une étrange imprévisibilité, nous aide à prendre conscience de cette peur, là, au fond de nous, résultat partiel de notre conditionnement, qui guide en partie, jour après jour, rencontre après rencontre, la manière dont nous abordons l’inconnu et les autres. Etre libre ce n’est pas ne plus avoir peur. Ce n’est pas non plus se dire étranger aux expériences et aux contenus qui ont construit cette peur, et qui demeurent au fond de notre être. La liberté c’est d’être conscient de cette peur, de la comprendre, de l’accepter et de faire le choix. La liberté c’est intervenir.
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L’inconscient. Fantastique théorie n’est-ce pas ? A la fois criante de sens quand pour nous, il n’y en a pas. A la fois lourde à accepter puisqu’au premier abord elle semble totalement s’opposer à ce que l’homme tient, depuis toujours, au plus profond de luimême, sa volonté de liberté. Comment, si l’on a foi en la liberté de l’homme, en sa capacité de contrôler sa vie, ses pensées, ses actions, comment peut-on accepter qu’une partie de notre psyché échappant à notre conscience, n’ayant parfois même, pour certains, aucune existence, puisse être en partie le régisseur de la petite pièce de théâtre qu’est notre vie ? Comment accepter que plusieurs sources externes à l’homme soient à la base de son conditionnement ?
Conclusion
Notre société, notre éducation ainsi que notre apprentissage théorique et empirique nous conditionnent tout au long de notre vie. L’éducation donnée par nos parents dès notre plus jeune âge, les valeurs ou encore les modèles dont nous nous inspirons nous conditionnent. Ils sont d’ailleurs eux-mêmes conditionnés, par la société dans laquelle nous vivons, ses valeurs ou encore les modèles qu’elle véhicule. Notre expérience du monde face aux théories apprises et de ce que l’on en retient nous conditionne également. Nous sommes d’une certaine manière, le résultat des différentes formes de conditionnement que nous subissons durant notre vie et qui font fluctuer ce que nous sommes, ce que nous pensons, ce que nous faisons et ce que nous voyons. Ce conditionnement est « subi » par l’homme car il n’est le plus souvent pas de l’ordre de la conscience. Comment accepter que nous ne soyons que le résultat de ce conditionnement créé par notre inconscient ? Les différents contextes et milieux que nous sommes amenés à rencontrer durant notre existence entraînent un conditionnement, tout aussi bien bénéfique que fondamental pour l’homme, qui sera développé par les nombreux mécanismes qui peuplent notre inconscient. Petit à petit, au travers de la relation et du dialogue perpétuel entre notre conscient et notre inconscient, notre être se construit, évolue et fluctue. Expériences après expériences, certains contenus sont maintenus à l’état de la conscience tandis que d’autres, beaucoup d’autres, sont renvoyés vers notre inconscient. Ce que nous sommes, c’est ça ! Le mélange des contenus conscients, qui ont été acceptés par cette entité car conformes à ce qui nous a conditionné ; et les contenus de l’inconscient, qui eux n’ont pas été acceptés du fait de notre conditionnement mais qui reflètent, puisqu’ils n’ont pas été acceptés, ce que nous sommes réellement. Nous leur attribuons ce caractère de « vérité » car ils ne sont pas soumis à l’influence arbitraire de notre conscient conditionné par ce que nous souhaitons être et la manière dont nous nous percevons. Ils sont intacts, une sorte de « vérité pure » nous appartenant et qui nous correspond de la manière la plus totale. Par ce dialogue entre conscient et inconscient, ces contenus refoulés se confrontent à notre persona, à notre anima, apparaissent par les moyens d’archétypes, d’images phoniques et essayent de parvenir à notre conscient. Ils nous parlent, au travers de nos rêves et de chaque blanc du discours conscient comme les lapsus, les mots d’esprit ou encore les oublis. Ils essaient de nous parler de nous, d’une partie de notre être encore méconnue, pourtant à la source de la majorité de nos comportements, de nos pensées et de notre personnalité. Par le moyen des mécanismes inconscients, un conditionnement s’opère, résultat de ce que nous sommes et de ce que nous percevons. Comment accepter que nous ne soyons pas en mesure de percevoir ce que nous sommes réellement ? Le décalage entre ce que nous pensons être, l’image construite que nous pensons renvoyer aux autres, la
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Conclusion
manière dont les autres nous perçoivent et ce que nous sommes peut provoquer l’apparition de certaines souffrances. Par ailleurs, notre perception faussée de ce que nous sommes peut également entraîner l’apparition de souffrances. Parfois, la définition même de ce que nous pensons être nous ramène à une certaine fatalité de cette définition où tout est figé, où toute action est inutile. Ce manque d’ouverture sur l’ensemble des contenus nous ayant permis d’être ce que nous sommes, et pas seulement une partie de ces contenus, nous enferme alors dans une forme de passivité vis-à-vis de notre existence, nous empêchant inconsciemment de trouver les véritables sources de nos souffrances. Cette paralysie entraînant une inhibition de l’action va à l’encontre de notre volonté de liberté. Comment accepter que ce conditionnement inconscient puisse remettre en cause notre volonté de liberté ? La véritable question est de savoir comment permettre de dépasser ce conditionnement créé par notre inconscient. Ce conditionnement ne remet en rien en cause notre liberté à partir du moment où il est justement dépassé. Ce dépassement du conditionnement orchestré par les différents mécanismes de notre inconscient doit être porté à la conscience de chacun. La prise de conscience des contenus inconscients, de tout ce qu’ils renferment et entraînent dans notre vie, semble à la base de notre liberté. Comment se dire libre si nous n’avons conscience que d’une partie de notre être ? Comment se dire libre si nous n’avons pas totalement conscience de ce que nous sommes, de ce que nous faisons, de ce que nous pensons ? S’ensuit alors l’acceptation de ces contenus, de leurs significations et de tout ce qu’ils peuvent remettre en question dans notre vie : l’image que nous pensons renvoyer, la nécessité de continuer à se confronter à certains modèles, notre profession et le bonheur que l’on en retire, notre situation familiale ou même notre sexualité. Il n’est pas question de renier ce que nous pensions être jusqu’à maintenant et de tout abandonner, mais de se rapprocher de ce qui nous fait souffrir et de ce qui nous rend heureux. L’intervention face à notre conditionnement n’a d’autre but que de nous rapprocher un peu plus de ce que nous sommes et de ce dont nous avons besoin. Le choix d’intervenir entraînera alors la prise de responsabilité de chacun, nous permettant de nous libérer d’une certaine forme de paralysie. Cette libération du conditionnement prend donc sa forme par la prise de conscience, l’acceptation et la responsabilité de ce que nous sommes et de ce que nous faisons, nous amenant par la même occasion à cette liberté tant convoitée. Cette démarche d’ouverture représente un état de conscience et d’acceptation constant de ce que nous sommes et de la manière dont nous nous construisons jour après jour, rencontre après rencontre. Il n’est plus alors seulement question de se libérer des maux qui nous tourmentent mais d’être ouvert. Etre ouvert sur ce que nous sommes et comment nous le sommes, sur ce que nous devenons et comment nous le devenons. C’est pour nous le moment d’accepter et d’apprécier chaque instant.
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Conditionnement & Liberté
Aux portes de l’exploration
Face aux nombreux freins que nous avons pu relever durant notre recherche, il est maintenant question de voir comment nous pouvons soutenir cette quête d’intervention, afin de permettre le dépassement de notre conditionnement. Notre perception est conditionnée par notre expérience ou encore notre éducation. De plus, notre besoin de rationaliser ce que nous percevons fait que nous ne sommes pas « ouverts » sur ce qui nous entoure mais nous tentons d’expliquer, coûte que coûte, ce qui nous entoure. Nous avons également le besoin de nous rassurer quant à notre avenir. Nous voulons ainsi détenir, en vain, un contrôle sur l’apparition de nos futures expériences mais, nous ne nous rendons pas compte que les plus grands et les plus beaux événements de notre vie arrivent, et ce bien en dépit de notre volonté et de nos prévisions. Alors, notre perception faussée du contrôle créée une frustration sous forme d’anxiété, nous poussant à prévoir le futur plutôt que de vivre le présent : Comment, en tant que designer, puis-je faire accepter l’imprédictibilité du futur, pour mieux gérer l’anxiété et vivre le présent ? La construction de notre individualité est partiellement mise en péril par le conditionnement que nous subissons. La peur de l’Autre, la peur de l’incertitude liée à ses désirs et la peur de l’inconnu, nous incitent à vivre à travers une identité qui n’est pas totalement la nôtre et à vouloir contrôler ce que nous sommes et la manière dont nous évoluons. Pour ne pas souffrir d’une certaine solitude, nous favorisons parfois notre construction sociale au dépens de notre épanouissement. Pour rester en zone de confort, nous rencontrons des personnes qui correspondent à ce que nous voulons être. Ainsi, notre peur de l’inconnu dans notre rapport aux autres nous écarte de belles rencontres et de ce que nous sommes réellement : Comment, en tant que designer, puis-je faire de l’inconnu un espace de rencontre de soi même ? Le conditionnement entraîne une perception faussée de notre réalité interne. Ainsi, il existe, pour certaines personnes, une confusion inconsciente entre ce qu’elles sont et ce qu’elles pensent être. Par ailleurs, notre société nous renvoie vers un modèle « dominant » et « décideur » au lieu d’un modèle où l’on accepte tout simplement ce que l’on est. Notre conditionnement entraîne donc une opposition entre volonté de contrôle et acceptation de ce que nous sommes. Cela a notamment pour conséquence de nous empêcher d’apprécier le présent : Comment, en tant que designer, puis-je favoriser l’acceptation d’une blessure du passé, afin d’en faire une force du présent ?
Antoine Martinez
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BIBLIOGRAPHIE
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Film CURTIS Richard. 2013. About Time. 123 minutes.
Cours STEILER Dominique. 2014. Stress, équilibre et performance : Grenoble Ecole de Management. Septembre – Janvier.
ANNEXES
Glossaire
p 116
Enquête quantitative
P 118
Enquêtes qualitatives
p 122
Glossaire
Glossaire Choix : subst. masc. Action de choisir, de prendre quelqu’un, quelque chose de préférence à un(e) ou plusieurs autres. Liberté, possibilité, pouvoir de choisir quelqu’un ou quelque chose.
Conditionnement : subst. masc. Assujettissement de la volonté humaine à un déterminisme : « fait d’être déterminé ».
Conscience : subst. fém. [Chez l’homme, à la différence des autres êtres animés] Organisation de son psychisme qui, en lui permettant d’avoir connaissance de ses états, de ses actes et de leur valeur morale, lui permet de se sentir exister, d’être présent à lui-même ; connaissance qu’a l’homme de ses états, de ses actes et de leur valeur morale.
Dialogue : subst. masc. Conversation, discussion, négociation menée avec la volonté commune d’aboutir à une solution acceptable par les deux parties en présence.
Dépassement : subst. masc. Action de se dépasser.
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Conditionnement & Liberté
Glossaire
Inconscient : adj. et subst. Ensemble des phénomènes physiologiques et neuro-psychiques qui échappent totalement à la conscience du sujet. [Inconscient collectif] Ensemble d’images, d’idées inconscientes (archétypes), communes à un groupe humain, transmises héréditairement et qui règlent les réactions de l’homme non pas en tant qu’individu mais en tant qu’être social.
Inhibition : subst. fém. Arrêt, blocage d’un processus psychologique faisant obstacle à la prise de conscience, à l’expression, à la manifestation, au développement normal de certains phénomènes psychiques. Ralentissement de l’action, état d’impuissance, de paralysie.
Liberté : subst. fém. État de celui qui se détermine après réflexion, en connaissance de cause, d’après des motifs qu’il accepte.
Paralysie : subst. fém. Impossibilité d’agir, d’exercer une fonction intellectuelle, d’extérioriser un sentiment.
Source : CNRTL.
Antoine Martinez
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Enquête quantitative
Résultats de l’enquête quantitative 114 répondants
1 . Vous sentez-vous ?
2 . Quel âge avez-vous ?
3 . Comment pensez vous que votre entourage (professionnel et/ou privé) vous perçoit ?
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Conditionnement & Liberté
114 répondants
4 . Comment expliqueriez-vous cette image que les autres ont de vous ? En synthétisant l’ensemble des 114 réponses à cette question, nous pouvons voir que, dans la majorité des cas, les personnes ont conscience de l’image qu’elles renvoient. Ainsi, l’image que les autres ont d’elles est liée à l’image que ces personnes cherchent à renvoyer d’elles-mêmes. En toute quiétude, elle font la différence entre le naturel qu’elles arborent dans un cadre «privé» et l’image choisie qu’elles renvoient en public.
5 . Cette image correspond-elle à ce que vous êtes ?
6 . Pensez-vous que la définition de vous-même (ce que vous pensez être) puisse être amenée à changer au cours de votre vie ?
7 . Pourquoi ? En synthétisant l’ensemble des 114 réponses à cette question, nous pouvons voir qu’une extrême majorité de personnes fait le lien entre ce qu’elles sont et les différentes expériences qu’elles ont vécues. Ainsi, les futures expériences ou rencontres qu’elles seront amenées à vivre, impacteront fortement ce qu’elles sont aujourd’hui.
Antoine Martinez
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Enquête quantitative
8 . Pensez-vous détenir un contrôle sur le changement de cette définition de vous-même ?
9 . Pouvez-vous énumérer 3 de vos besoins en tant qu’individu social ?
- TOP 3 N° 1 Besoin d’être entouré d’un cercle privé : famille et amis. N° 2 Besoin d’être aimé et apprécié pour ce que l’on est en tant qu’individu. N° 3 Besoin de reconnaissance sociale et en très grande partie professionnelle avec également le besoin de s’accomplir, de réussite et de fierté.
10 . Pensez-vous que ces besoins correspondent à ce que vous pensez être ?
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Conditionnement & Liberté
114 répondants
11 . Si non, pourquoi pensez-vous qu’il existe un écart entre ce que vous représentez et ce que vous êtes au fond de vous ? En reprenant les divers témoignages des personnes interrogées, nous pouvons voir qu’il existe un très fort besoin de mettre en « cohérence » le moi intime et le moi social. Il existe donc une réelle volonté de faire la différence entre ces deux moi pour se protéger du jugement des autres par « peur », « peur de décevoir », « difficultés à assumer » ou encore par sentiment de honte. Il y a ainsi une vraie différence entre les besoins de la sphère privée et les comportements et l’image affichés dans la sphère publique (« décalage entre l’image sociale de contrôle et de dominance, le besoin d’être aimée et d’avoir de la reconnaissance »). La satisfaction de nos besoins fondamentaux en tant qu’individus sociaux n’est alors volontairement réservée qu’à un cercle privé (« offre à ceux qui méritent notre confiance et qui partagent vraiment notre vie »). Enfin, on note que le besoin de protection (« cacher nos faiblesses », « domination sur les autres ») vis-à-vis des autres et de l’inconnu nous pousse à adopter une personnalité et des comportements qui ne nous correspondent pas forcément (« j’agis parfois à l’encontre de ma nature par conditionnement »).
12 . Pourriez-vous exprimer les conséquences de ce décalage sur vous et votre vie ? Au travers des divers témoignages des personnes interrogées, nous pouvons voir que ce décalage peut entraîner de sérieuses conséquences. Ainsi, certains partagent le fait d’être parfois malheureux car nous ne sommes finalement pas pleinement nous-mêmes en société où « chacun joue un rôle ». De plus, ce « manque de confiance » envers l’inconnu nous pousse à rester dans une zone de confort pouvant provoquer un très sérieux manque (« en se surprotégeant, on passe peutêtre à côté de belles rencontres humaines »). Enfin, on note un très net décalage lié aux aspirations et aux modèles vers lesquels nous essayons de tendre. Cela pouvant alors créer des frustrations du fait de leur incompatibilité avec notre personnalité et nos besoins (« On désire toujours plus et on devient plus exigeant avec soi »). On peut alors avoir une fausse perception de ce vers quoi nous devrions réellement tendre et des objectifs à atteindre.
Un immense MERCI à l’ensemble des 114 personnes ayant répondu à ce questionnaire. Vous avez réellement été d’une aide considérable.
Antoine Martinez
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Enquêtes qualitatives
Enquête qualitative n° 1 Nom : Dr Faucher
Prénom : Luc
Rencontre avec le Docteur Luc Faucher, Chef du service Psychiatrie de l’Hôpital Sainte-Anne, dans son bureau à l’Institut Hospitalier de Psychanalyse, situé entre les pavillons B et C. Cet entretien d’une heure, en l’absence volontaire de micro et de caméra, n’a pas pris la forme d’une interview mais d’un partage de points de vue autour du mouvement de ce mémoire, des différentes tensions et des enjeux. La retranscription de cette discussion se fera donc sous forme de prise de notes très succinctes. Nous résumerons donc fidèlement les différents points soulevés en mettant les diverses « citations » du Docteur Faucher en lien avec nos recherches. Nous verrons en quoi cette rencontre nous a grandement permis d’affiner notre questionnement et de confirmer certaines de nos intuitions.
Notre réflexion s’axe en grande partie sur une démarche d’ouverture sur la manière dont nous percevons les choses qui nous entourent et comment elles sont amenées à nous construire au fil des années et, par la même occasion, comment nous nous percevons vis-à-vis de cette construction. C’est une démarche d’ouverture sur ce que nous sommes au fond de nous. Cette démarche passe en partie par une prise de conscience de ce que nous sommes et donc des contenus de notre inconscient. Pour le Docteur Faucher, l’idée est là mais il s’agirait plus de parler de « prendre la mesure » de notre inconscient. Ainsi, il nous rejoint sur une démarche de conscience qui n’est en rien sujette à entraîner une suppression ou faire taire l’inconscient mais bien « mesurer » ce que cela implique pour nous et ce que ces contenus peuvent nous apporter. Ce travail analytique de prise de mesure par la psychanalyse a pour objectif de se débarrasser de certains idéaux imaginaires, d’une illusion de contrôle prépondérante dans nos vies et d’avoir conscience de ce que l’on est. Le Docteur Faucher nous rejoint ainsi sur ces points qui axent les diverses tensions de notre mémoire. En effet, même si on entend bien conserver une certaine mesure visà-vis de ces affirmations dans le sens où tout reste relatif, d’après ses mots « nous sommes tous animés par l’idée de contrôle » et le but de la psychanalyse est justement de « lâcher cette idée du contrôle ». Pour le Docteur Faucher, « aujourd’hui
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Conditionnement & Liberté
Rencontre avec Luc Faucher
nous voulons toujours plus de contrôle, contrôler le risque, nous participons même à des formations pour cela, mais la liberté n’est pas dans le contrôle ». Cette volonté de contrôle est donc clairement énoncée comme limite à notre quête de liberté. Ici, l’idée de se libérer du contrôle nous amène ainsi à nous rapprocher, par le travail analytique, de ce qui nous anime au fond de nous-mêmes. Le Docteur Faucher nous donne ainsi l’exemple d’essayer de « voir ce qui se répète » (dans notre quotidien, nos comportements, nos actions, nos réactions) « pour voir ce qui nous anime et pouvoir ensuite faire des choix par rapport à la prise de conscience de ce que l’on est ». On peut clairement voir ici un lien direct entre la perception potentiellement faussée de ce que nous sommes, induisant ce que nous devons faire vis-à-vis de ce que nous croyons être nos besoins et ce qui nous anime réellement. D’après son expérience, dans certains cas, « on agit pour atteindre un idéal sans savoir pourquoi ». Cela peut alors nous mener à une certaine souffrance si nous ne pouvons assouvir cet idéal du fait qu’il ne correspond pas à ce que nous sommes mais plutôt à ce que nous voudrions, de manière fantasmée, être. L’objectif est donc, notamment par cette démarche d’ouverture de « réviser ces objectifs inatteignables » et nous rapprocher ainsi de ce qui nous anime vraiment, nous amenant alors à chercher un idéal atteignable et qui nous correspond. On retrouve l’idée d’une perception fantasmatique de notre réalité intérieure sans précédent pour la vie de chacun puisqu’elle induit des choix et des comportements associés. La quête de liberté associée à la libération de notre conditionnement pouvant induire une réalité fantasmatique de ce que nous sommes semble juste ici, mais le Docteur Faucher vient à soulever certaines limites à cette liberté. Et tout commence par le lien que l’on a à la liberté. Ainsi, selon le Docteur Faucher et d’après son expérience, « la liberté nous fait peur et personne ne veut réellement de cette liberté car elle semble trop coûteuse ». Comme nous le disions, il est effectivement plus facile de se dire libre que de l’être réellement. Nous rejoignons ainsi le Docteur Faucher sur ce point car selon lui, « il semble plus coûteux d’accéder à la liberté que de rester pris dans un système qui est le nôtre depuis notre naissance ». En effet, comme nous pouvions le voir dans nos recherches, le conditionnement subi de différentes manières durant notre vie nous installe dans un système préconçu qui, dans certains cas reflète ce qui nous anime et ce qui nous correspond mais qui, dans d’autres cas, ne fait que nous enfermer dans un chemin tout tracé dont les désirs ne sont pas les nôtres. Par exemple, nous sommes ainsi pris dès l’enfance par un discours « parental » associé à certains « désirs » qui deviennent les nôtres. Cependant, selon le Docteur Faucher, « son propre désir s’articule autour du désir de l’autre, pour reprendre la pensée lacanienne et dans ce cas présent, nos désirs propres n’existent pas car nous sommes en présence de désirs parentaux
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Enquêtes qualitatives
refoulés ». On peut donc voir qu’un manque de prise de mesure et de conscience, concernant notre conditionnement et ce qui en découle, peut nous enfermer dans une perception de notre être loin de ce que nos propres besoins et nos désirs sont réellement. Il y a alors une réelle contradiction entre ce qui nous anime et ce que l’on croit nous animer car, en reprenant la théorie lacanienne, le Docteur Faucher nous dit que « nous courons après le désir de l’autre ». Pour le Docteur Faucher, « le lien à l’autre ne doit plus être inhibant » et cette démarche d’ouverture sur notre être a pour objectif « d’acquérir un degré de liberté dans ce lien à l’autre ». Ainsi, la liberté n’est pas de se libérer du désir de l’autre ou de se couper du monde, mais dans la prise de mesure du poids de notre lien aux autres. Alors, après cette prise de conscience, une certaine forme de liberté apparaît en nous permettant de faire le choix de prendre une certaine distance vis-à-vis du discours ambiant. Il s’agit, selon les mots du Docteur Faucher, de « reprendre un degré de liberté par rapport à nos convictions », ces convictions étant fortement conditionnées, comme nous l’avons étudié, par notre société, nos apprentissages théoriques et empiriques ou encore notre éducation.
Un grand merci au Docteur Luc Faucher pour son temps, son aide et son enthousiasme.
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Conditionnement & Liberté
Interview avec Roland Jouvent
Enquête qualitative n° 2 Nom : Pr Jouvent
Prénom : Roland
Rencontre avec le Professeur Roland Jouvent, Chef du service Psychiatrie adultes à La Salpêtrière et Directeur du Centre Emotion du CNRS à La Salpêtrière. Interview d’une demi-heure dans son bureau du Centre Emotion, bâtiment La Force.
A.M : Que vous évoque l’idée du lien entre l’inconscient et le conditionnement de l’homme ? R.J. : La physiologie de l’esprit c’est comme la physiologie tout court. C’est basé sur des systèmes opposants c’est-à-dire que la régulation dépend de l’équilibre entre deux systèmes. Chez l’homme, la physiologie de l’esprit est basée sur le bon commerce entre un système dit de « récompense » ou de « motivation » et un système « d’alerte » ou « d’évitement ». Quand les deux choses sont à l’équilibre tout va bien, quand l’un est trop important cela donne tous les écarts par rapport à la normale. L’anxiété est une exagération du système d’alerte, la dépression est un affaiblissement du système de récompense. Il y a plusieurs types d’inconscient : implicite, cognitif, automatique. Il y a des conditionnements opérants, visant à l’équilibre ou la survie, des conditionnements automatisés des tâches. R.J. : Qu’est-ce que vous appelez conditionnement ? A.M. : On est schématiquement le résultat du conditionnement rencontré durant notre vie. R.J. : On est le résultat de beaucoup de choses et pas que du conditionnement, c’est 10% des choses. C’est plutôt un outil qu’un mécanisme le conditionnement. C’est un outil pour ne pas être angoissé et pour survivre. Le but de l’humain est de prendre du plaisir en survivant et en se reproduisant. L’art c’est la même chose mais dans la tête. A.M. : Parfois le conditionnement nous écarte de certains de nos besoins et si nous n’avons pas une certaine prise de conscience sur ce qu’on est vraiment et ce
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Enquêtes qualitatives
qui nous anime, cela nous amène dans une direction qui ne nous correspond pas forcément. R.J. : Vous donnez trop d’importance au mot « conditionnement ». Cela n’est pas vraiment du conditionnement, cela peut être lié à un mauvais choix d’orientation ou à une plasticité culturelle ou l’influence du milieu. Il y a 50 mots pour dire que nous cherchons du plaisir en évitant de mourir. Donc, on cherche à trouver un travail pour notre survie et qui nous fournisse du plaisir. A.M. : Il y a autre chose que je soulève dans mon mémoire, c’est parfois la vision réductrice que l’on a de nous-mêmes et cela s’impose comme une forme de fatalité. Ça c’est ce que j’appelle une forme de conditionnement… R.J. : C’est une fausse croyance qui est une résistance au changement. Parce que la répétition nous rassure. A.M. : C’est ce que j’appelle un conditionnement nous écartant de la notion de liberté car on fait les choses comme on croit qu’elles devraient être, alors qu’au final, cela ne nous correspond pas forcément, voire même cela nous nuit, dans le sens où nous faisons des choses par rapport à des modèles, on se construit par rapport à eux et on se rend compte que cela ne nous correspond pas forcément. R.J. : Je comprends, ça c’est un autre problème. C’est la plasticité ou la suggestibilité car on est trop influencé par notre environnement et on choisit de suivre des règles qui ne sont pas forcément bonnes pour nous. La liberté peut être de survivre à la peur, à la souffrance. Cela dépend des gens, il faut avoir les moyens de sa recherche de nouveauté, de créativité. Tout le monde n’a pas les moyens de sortir des sentiers battus. A.M. : À la fin de mon mémoire je traite des limites de l’intervention vers la liberté comme vous venez de le faire… R.J. : Il y a une relation entre ce que nous avons hérité de l’animal, qui sont des systèmes de survie et de récompense très élémentaires qui conduisent nos pensées et comment nos pensées sont à la fois un bien, un enrichissement et, parfois au contraire, un moyen de métaboliser des souffrances et des douleurs. Un humain c’est un animal pourvu d’un ordinateur dessus. Cet ordinateur réfléchit, métaphorise mais il est animé par l’animal. A.M. : Vous évoquiez la capacité à intervenir…
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Conditionnement & Liberté
Interview avec Roland Jouvent
R.J. : Le système de récompense est activé par la nouveauté. C’est l’aventure, la prise de risque, l’innovation, la création mais il faut avoir les moyens de supporter cette incertitude et de lâcher le cadre rassurant de la répétition, du déjà connu. Il y a les gens qui aiment la nouveauté et d’autres que la nouveauté inquiète. C’est ça les tempéraments. Il y a d’un côté certains tempéraments comme chez les chercheurs, les artistes, les écrivains, etc. Et de l’autre côté il y a les gens qui sont plutôt phobiques et évitant la nouveauté, préférant les choses ritualisées car ils ont la crainte de la nouveauté. Donc, chacun trouve ce qui lui plaît et s’adapte à ses besoins personnels. C’est ce tempérament qui nous prédispose à être d’un côté ou de l’autre. Ce tempérament est le fruit d’interactions entre des prédispositions biologiques liées à l’environnement, la culture, l’éducation. Mais la prédisposition n’a rien à voir avec le conditionnement, c’est un acquis biologique transmis, c’est ce qu’on appelle « l’épigénétique », le fruit de choses héritées de nos ancêtres… A.M. : Si on envisage, ce qui n’est pas le cas de tout le monde heureusement, mais si justement on imagine que certaines personnes se sont adaptées à leurs besoins, si justement elles ne sont pas dans un état de bonheur ou de bien-être, alors, c’est évident tout cela est relatif, est-ce que c‘est possible de changer ce tempérament ? R.J. : Non, le tempérament c’est ce qu’on a de fixe, en nous. Maintenant, on peut essayer de négocier avec ces tendances tempéramentales mais vous ne pouvez pas faire que quelqu’un qui aime la nouveauté, ce qui est une stature biologique, aime les choses rituelles et il y a un aspect familial là-dedans. A.M. : Est-ce qu’on peut supposer que ce qui peut nous priver de liberté, c’est quand nous ne sommes pas en phase avec ce tempérament ? R.J. : Ce qui est sûr, c’est que le besoin de nouveauté ou de sensation, ça c’est biologique et génétique. Par contre, la façon dont on trouve les moyens de satisfaire ce besoin, ça c’est lié à l’environnement précoce et l’éducation. C’est-à-dire qu’à tempérament biologique égal, il y a des gens qui deviennent montagnards et d’autres toxicomanes car les deux situations stimulent leurs besoins différemment, mais il y a la même biologie. Il y a un moyen de modifier ce tempérament. Justement la liberté est dans le choix de l’adaptation au monde à travers les comportements et non pas dans notre déterminisme biologique de nos préférences. On peut s’habituer, se raisonner. La liberté est là : d’adapter dans nos conduites ce qui permet de satisfaire
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Enquêtes qualitatives
nos besoins biologiques. A.M. : Est-ce que ce choix est corrélé à une volonté de changer ou de s’adapter ? R.J. : Oui, il y a un aspect tempéramental et éducatif. A.M. : Ça s’entraîne ? R.J. : Ça se cultive oui. Dans une école d’art, on est plus enclin à accepter la nouveauté que dans l’armée par exemple. A.M. : Au vu de votre domaine d’expertise, quelles attitudes cette intervention, vers le rapprochement d’un tempérament, susciteraient-elles dans le quotidien des individus ? R.J. : C’est personnel mais par expérience je dirais que, le cas le plus fréquent, ce sont les gens qui, sans le savoir, ne veulent pas changer car ils ont peur du changement, ça c’est fréquent. Ils ont beau dire qu’ils veulent changer, au fond d’eux ils ont peur du changement. Pour des raisons historiques, personnelles. A.M. : C’est en lien avec la peur des autres vous croyez ? R.J. : Ou la peur de soi. C’est le système d’alerte qui est trop actif. A.M. : Ce sont des pistes apparues durant notre enquête auprès de 113 personnes. Pensez-vous que ce soit lié à la peur de l’inconnu ? R.J. : Oui bien sûr ! Globalement il y a un axe avec la sécurité dont le non-risque et la monotonie et de l’autre côté l’excitation dont le risque et l’imprévisibilité. C’est une balance et un rapport coût/bénéfice ou prise de risque/sécurité.
Un grand merci au Professeur Roland Jouvent pour son temps et son aide précieuse.
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Conditionnement & Liberté
© Antoine Martinez, 2015 Crédits illustrations, édition et rédaction : Tous droits réservés Mémoire, diplômes 2016 - Strate Ecole de Design
Diplômes 2016 Antoine MARTINEZ
Conditionnement & Liberté
Liberté. Un mot et trois syllabes dont personne ne souhaite être privé. Pourtant, le développement inconscient de notre conditionnement, aussi fondamental soitil, semble nuancer la part de liberté dans la vie de chacun. Le manque de clairvoyance concernant le décalage entre ce que nous pensons être et ce que nous sommes, apporte un caractère nocif à ce conditionnement puisqu’il nous éloigne de nos souffrances et de nos besoins. Face à cette paralysie, il n’est pas question de suppression et de contrôle mais de compréhension et d’attention. Il s’agit alors pour l’homme d’améliorer son niveau de conscience pour améliorer son espace de liberté, la liberté se trouvant en partie dans l’acceptation de la responsabilité de ses actions et de ses choix ; le choix d’intervention face à la paralysie orchestrée par notre manque de conscience sur notre « vérité pure ». Etre ouvert sur ce que nous sommes et comment nous le sommes, sur ce que nous devenons et comment nous le devenons. C’est pour nous le moment d’accepter et d’apprécier chaque instant.
Ecole de Design
Établissement privé d’enseignement supérieur technique www.stratecollege.fr