NOURRIR LA VILLE : ENTRE RURALITÉ ET URBANITÉ - La place et le rôle de l'agriculture dans nos villes

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NOURRIR LA VILLE : ENTRE RURALITE ET URBANITE LA PLACE ET LE ROLE DE L’AGRICULTURE DANS NOS VILLES

FLAUTO Antoine Enseignant encadrant : Rachid KADDOUR

ENSASE Licence 3 2016/2017


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REMERCIEMENTS

C’est tout naturellement que je commencerais par remercier l’Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Saint-Etienne et toute l’équipe enseignante de m’avoir permis, dans un premier temps, de m’enrichir de toutes les connaissances qu’elle a mise à ma disposition par les cours théoriques, l’enseignement de projet et les ressources documentaires. Ensuite, j’aimerais remercier plus particulièrement Rachid KADDOUR qui, depuis mon entrée à l’école, reste un enseignant soucieux de ses étudiants, et qui me suit aujourd’hui dans l’écriture de ce rapport d’études. Je souhaiterais aussi prendre quelques lignes pour adresser un merci à toutes les personnes, amis et étudiants de l’école, qui m’ont proposé des ouvertures quant à mon sujet, des enjeux de réflexion, des pistes de développement et qui ont partagé avec moi leur point de vue, toujours enrichissant, quant à mon travail. Enfin, j’aimerais remercier ma famille, première lectrice de ce travail, dont l’avis extérieur a été pour moi une source de réflexion importante quant à la transmission des connaissances que j’ai pu acquérir à l’école.

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TABLE DES MATIERES

REMERCIEMENTS ................................................................................................................. 2 AVANT-PROPOS ET RETOUR SUR LA LICENCE .................................................................................... 8 INTRODUCTION ..................................................................................................................... 12 PREMIERE PARTIE : L’AGRICULTURE ET LA VILLE JUSQU’AU XXEME SIECLE .............................................. 16 1.1

Histoire de l’agriculture, de sa genèse à la révolution industrielle ......... 18

1.1.1

La naissance de l’agriculture, première révolution alimentaire ..................... 18

1.1.2

Consolidation de son statut jusqu’au XIXème siècle ............................................ 20

1.2

La seconde révolution alimentaire sous la révolution industrielle .......... 27

1.2.1 Une première remise en cause de l’agriculture de proximité des le XIXème siècle ............................................................................................................................................... 27 1.2.2

Une nouvelle interface proposée aux individus : la naissance du

supermarché .................................................................................................................................... 31

DEUXIEME PARTIE : ETAT DES LIEUX ACTUEL : D’UNE AGRICULTURE PERIURBAINE RESIDUELLE A UNE AGRICULTURE RESOLUMENT URBAINE ............................................................................................................ 38 2.1

Une agriculture périurbaine résiduelle ....................................................... 40

2.1.1

Une situation complexe en péripherie urbaine ................................................... 40

2.1.2

Une agriculture périurbaine à enjeux ...................................................................... 46

2.2

Vers une agriculture résolument urbaine ................................................... 50

2.2.1

Une agriculture intimement liée à la ville .............................................................. 50

2.2.2 L’émergence de nouvelles formes de production agricole et de nouveaux rapports à l’alimentation ............................................................................................................. 53

2.2.2.1

Potentialités de sécurité alimentaire, l’exemple de Cuba ....................... 53

2.2.2.2

Agriculture urbaine, objet de nature en ville : des potentiels paysagers ....................................................................................................................................... 56

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2.2.2.3 .... La troisième révolution alimentaire : tendances vers une agriculture agro-communautaire ............................................................................................................................. 60

CONCLUSION..................................................................................................................... 66 TABLE DES ILLUSTRATIONS ........................................................................................................ 68 BIBLIOGRAPHIE ...................................................................................................................... 71 ANNEXE 1 : Ressources documentaires ........................................................................................ 73 ANNEXE 2 : Nations Unies, 2015, "World Population Prospects"......................................................... 75

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AVANT-PROPOS ET RETOUR SUR LA LICENCE

Issu de la filière scientifique du baccalauréat général, j’ai développé un esprit cartésien accru tout au long de ma scolarité dans le secondaire. Les relations de cause à effet, la logique et la rationalité des événements me paraissaient être les tenants et aboutissants pour réussir à résoudre les problèmes qui se posaient à moi. Engagé dans cette filière qui me correspondait, mais qui m’avait été aussi fortement conseillée pour entrer en école d’architecture, l’arrivée en cours de projet au premier semestre m’est apparue véritablement perturbante. En effet, les enseignements dispensés se situaient à des années lumières des connaissances que j’avais pu acquérir avant mon entrée dans le supérieur. Pendant un semestre, lors de cette première année de licence, j’ai donc dû apprendre à déconstruire mon raisonnement afin de pouvoir comprendre et être capable de produire les attendus des enseignants, principalement de l’enseignement projet. C’était un travail difficile et, avec le recul que j’ai maintenant en troisième année, je ne pense pas que c’était la meilleure solution. Face à une centaine de nouveaux camarades de promotion et à des enseignants architectes, on cherche indéniablement dans un premier temps à se calquer au profil d’étudiant attendu, peut-être inconsciemment, par l’enseignant. Maintenant je me rends compte que la richesse d’un architecte se trouve dans la singularité de sa réflexion, de ses positionnements et de sa personnalité. Mon esprit rationnel m’a rapidement rattrapé et me suit encore aujourd’hui dans le suivi de projet. En revanche, j’ai pu prendre conscience qu’il pouvait représenter un atout lors d’autres semestres et que cela dépendait, finalement, de l’enseignant et de sa pédagogie plutôt que de moi en particulier. Après ce premier semestre compliqué, où l’architecture m’est apparue très lointaine de ce que je pouvais imaginer, j’ai pu prendre conscience, au fil des différents semestres, de l’étendue de la profession. A l’heure de la conclusion de ma licence et de mes trois premières années en tant qu’étudiant en architecture à l’ENSA Saint-Etienne, ce rapport d’études est pour moi l’occasion de revenir sur un volet de cette discipline qui me tient à cœur. Je commencerais par avouer que si l’on m’avait dit, il y a déjà trois ans, que je serais en train d’écrire sur l’agriculture et son rapport à la ville aujourd’hui, je ne l’aurais pas cru. Mais les études en architecture ont cela d’exceptionnel qu’elles m’ont permis de transformer radicalement mon rapport au monde.

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Il est évident que, lorsque j’étais un étudiant jeune de quelques jours, l’étendue de ce qu’est l’architecture ne m’apparaissait pas encore. Aujourd’hui, je ne prends pas pour acquis l’ensemble de la chose, mais il est vrai que ces trois ans d’enseignement m’ont ouvert les yeux sur ce qu’est plus véritablement un architecte, et sur la place et le rôle qu’il occupe au sein d’un groupe qui fait société. Alors que les cours de projets ont contribué à étayer ma méthodologie de conception et d’élaboration du projet, les cours théoriques, malheureusement trop souvent placés en arrière-plan, mon permis de prendre conscience de réalités tangibles. Je regrette néanmoins le fossé qu’il peut encore y avoir entre le champ projet et le champ théorique. En effet, certains cours restent encore assez loin de l’enseignement dispensé en projet pendant le semestre. Toujours est-il que ces savoirs et savoir-faire, dont je me suis nourri à l’ENSASE, m’ont surtout permis de commencer à me positionner en tant que citoyen et futur acteur de notre société. Je pense que la première chose dont j’ai pu véritablement prendre conscience grâce à ces études, et qui est vraisemblablement la plus importante, est que l’homme est un animal social. J’entends par là que l’homme se construit autour d’un groupe qui fait sens à ses yeux. En tant qu’architectes, nous construisons pour les hommes. Et c’est cette relation à l’humain, à l’idée qu’un programme n’est jamais déconnecté d’une pratique, de personnes, que l’école m’a permis de prendre conscience dans son intégralité. On ne peut pas nier qu’en entrant dans le supérieur, une période de grands changements survient. L’ENSASE, par l’ouverture d’esprit qu’elle permet grâce à son enseignement, m’a permis de mieux l’appréhender. Cependant, je regrette d’avoir été mis dans des situations où je devais choisir entre deux enseignements, souvent entre celui de projet et les autres, théoriques, par un trop-plein de travail à fournir. Je ne pense pas qu’il faille en privilégier un par rapport à l’autre. Il est vrai que l’enseignement de projet constitue la matière principale de notre future profession, mais cela ne doit, selon moi, pas se faire au détriment d’autres enseignements apportant des enrichissements, certes parfois indirectement et « après-coup », mais réels. Quant au travail concernant le rapport d’études plus particulièrement, il n’est pas possible de contester que la situation politique et sociale a un impact sur le choix d’une réflexion autour de thèmes d’actualité. Au moment où nous venons tout juste d’élire un nouveau président pour notre pays, de nombreux débats remettent en question notre façon de penser en tant que futurs architectes.

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Ces diverses ouvertures qui se sont proposées à moi, m’ont permis d’élargir mon champ de vision sur les innovations, les atouts en devenir et les faiblesses de notre façon d’être et de disposer de l’espace. A travers les dynamiques écologistes et environnementales qui poussent à mettre toujours plus de « vert » dans nos villes, je me suis posé la question de ce que pourrait être ce « vert » s’il devenait utile. J’ai choisi d’utiliser le vecteur de l’alimentation, présent à chaque endroit du globe, pour analyser la situation et en illustrer les enjeux actuels. Venant d’un espace rural, je me suis rendu compte qu’au cours de ces trois ans, les problématiques liées à ce type d’espace étaient trop souvent éludées au profit de la ville et de l’espace urbain. Malgré la prise en compte de l’étalement urbain et de la sensibilisation sur la densification des villes qui nous est faite en cours, la question du devenir des espaces ruraux, et plus généralement des espaces agricoles, n’est pas assez posée à mon sens. Pourtant, il s’agit pour moi d’une question importante, traitant de l’évolution des villes et des liens cachés entre alimentation et urbanisation avec les enjeux urbains qui en découle.

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INTRODUCTION

Lorsque l’on prend le temps d’y réfléchir un instant, la question de l’alimentation est prépondérante dans nos façons de vivre et d’habiter nos villes. Elle organise et structure chaque société et établissement humain depuis les premières villes jusqu’à aujourd’hui. Dans les grandes villes, les questionnements et enjeux autour de l’alimentation prennent encore plus d’ampleur de par le nombre beaucoup plus élevé d’individus qu’elles regroupent. D’après l’INSEE, dans Paris intramuros, ce sont plus de 2 millions de personnes qui doivent ainsi être nourries chaque jour, plusieurs fois par jour ; et si l’on étend ce chiffre à toute l’agglomération parisienne, ce sont, toujours d’après l’INSEE, près de 12 millions de personnes concernées1. A chaque repas est alors associé un cycle de fonctionnement, générateur des formes urbaines et de relations sociales. Ce cycle est en fait le reflet du cycle de vie de la nourriture, lequel est semblable au cycle de vie de tout objet destiné à la consommation. Il comprend cinq grandes étapes que sont la production de matières premières agricoles, la transformation, le transport, la distribution alliée à la consommation et enfin la gestion du déchet et sa fin de vie. Il s’agit là de l’analyse du cycle de vie (ACV). Depuis 1997, le cadre des ACV est reconnu et il est aujourd’hui normalisé et encouragé par la Commission européenne. Bien que ces analyses du cycle de vie des produits restent complexent lorsqu’elles ont attrait aux secteurs agricoles et alimentaires, elles sont de plus en plus utilisées 2.

1. Le cycle de vie alimentaire (Réalisation personnelle d’après des documents existants) 1

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D’après l’INSEE, la population en 2013 (dernière étude réalisée à ce jour) de Paris intramuros s’élevait à 2.229.621 personnes et à 11.959.807 pour l’Ile-de-France,

https://www.insee.fr/fr/statistiques/1405599?geo=DEP-75+REG-11 2

2. Le Croissant Fertile (en

personnelle », d’après 2012, 8ème conférence LCA Food : « Analyse du cycle de vie : une bleu)éalisation méthode à partager Saintdes documents existants)

Malo ; http://ademe.typepad.fr/files/7633_16p-lca-food-en-fran%C3%A7ais.pdf

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En tant que futur architecte, le regard sur la ville que j’ai pu développer, m’a appris que ces différentes étapes se matérialisent dans l’espace en tant que formes urbaines. Pour ce qui est de la production de matière agricole, la première question qui se pose est de savoir où elle se fait, puis de comment elle est transformée et où. Ces différents lieux de production et de transformation sont alors des lieux physiques séparés par des distances mais aussi par un facteur temps qui a aujourd’hui surpassé le premier facteur kilométrique. Ces polarités entre espaces de production, de transformation et de distribution impliquent alors la question du transport de cette nourriture produite. Cette notion de transport est importante puisque son développement a lourdement transformé nos villes, surtout depuis le XIXème siècle. Mais une fois toute cette nourriture entrée au cœur de nos cités, comment est-elle distribuée à chacun ? Quels sont les principaux lieux de consommation ? La transformation récente de notre société en une société de consommation a profondément changé notre façon de nous nourrir, qui était pourtant restée sensiblement la même depuis la création des premières villes. Une fois consommé, le produit alimentaire est en phase de fin de vie, il est alors catégorisé comme déchet. La notion de déchet fait tout d’abord écho à la façon dont on élimine ces restes alimentaires de nos villes. Les infrastructures mises en place sont-elles présentent au cœur de la ville ? En sa périphérie ? Dans les communes voisines ? J’ai pris le parti de me concentrer surtout sur la première phase de production alimentaire, en étudiant néanmoins les effets du transport, de la distribution et de la consommation. Les enjeux de la transformation et de la gestion du déchet et de la fin de vie apparaîtront aussi dans ce rapport, mais de façon plus succincte. Cette première phase est associée, plus généralement, à l’agriculture. Je propose ici d’en étudier la place et le rôle dans notre façon de consommer et d’habiter la ville. La ville a toujours eu une relation étroite avec l’agriculture. Cette dernière est d’ailleurs à l’origine, d’une certaine manière, des premières villes, comme nous le verrons dans la première partie avec les premiers établissements urbains sur le Croissant Fertile, au début du Néolithique. Cependant, la transformation récente du rapport à l’agriculture, avec notamment la Révolution industrielle, nous fait aujourd’hui remettre en cause la légitimité d’une agriculture véritablement liée, spatialement et socialement, à la ville. Mais cette transformation va de pair avec le phénomène d’étalement urbain qui, en engendrant une limite floue entre espace urbain et espace rural, a conduit à la complexification du statut des espaces agricoles.

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Ainsi, quel est le rôle de l’agriculture dans la mise en tension entre espace rural et espace urbain, à l’heure où le bien-fondé de sa position à proximité de la ville semble décroître ? En établissant un état de la question, c’est grâce à une étude d’abord chronologique de cette relation entre espace rural et espace urbain, nous allons pouvoir mettre en exergue les dynamiques spatiales sous-tendues et les modes d’habiter la ville qui en découle. Je choisirai de parler plus « d’espace urbain » pour ce qui est d’une approche plus scientifique de l’analyse spatiale, et de « ville » pour ce qui a attrait au vécu, directement lié à l’humain et à ses pratiques. Mais il est d’abord important de définir ce que nous considérons comme urbain. D’après le Dictionnaire

de la géographie de Levy et Lussault, est urbain tout « système sociétal caractérisé par le couplage spécifique de la densité et de la diversité ». L’Organisation des Nations Unies va plus loin dans la définition lors de la conférence qu’elle tient à Prague en 1966. Elle donne deux critères à la définition d’une ville. Le premier serait le « groupement d’habitations compact comptabilisant au moins 10 000 habitants (dans la mesure où aucune habitation ne serait distante de plus de 200m l’une de l’autre) ». S’il y a moins de 10 000 habitants, elle propose un second critère définissant la ville comme un « groupement de 2 000 à 10 000 personnes à condition que l’effectif vivant de l’agriculture ne dépasse pas les 25% ». Cette deuxième définition est intéressante dans la mesure où elle commence à infliger un quota aux actifs de l’agriculture, induisant alors un premier clivage entre agriculture et ville. Enfin, l’INSEE décrit l’espace urbain comme un « ensemble, d'un seul tenant, de plusieurs aires urbaines et des communes multi polarisées qui s'y rattachent ». La notion d’aire urbaine change le principe de comptage qui était alors en place puisqu’une aire urbaine se définie par le nombre d’emploi qui s’y rattache et non le nombre d’habitants. Cependant, depuis octobre 2011, cette définition n’est plus en vigueur dans le nouveau zonage en aires urbaines. On préfère aujourd’hui parler « d’espace à dominante urbaine » ou « d’urbain généralisé ».

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PREMIERE PARTIE L’AGRICULTURE ET LA VILLE JUSQU’AU XXEME SIECLE

Pour commencer ce travail, force est de constater qu’il y a déjà eu, au cours de l’histoire, deux grandes révolutions alimentaires et que nous sommes indéniablement en train de vivre la troisième. En effet, comme l’écrit Myriam BOURE, co-fondatrice du « Open Food Network » et particulièrement active dans l’étude de la transformation et de la décentralisation des systèmes alimentaires. « La première révolution alimentaire marque le passage du modèle préagricole […] à l’agriculture […] Avec la révolution industrielle au XVIIIème siècle, une seconde révolution alimentaire nous conduit à l’âge agro-industriel, qui perdure encore aujourd’hui […] A présent, les individus deviennent de plus en plus conscients du non-sens de ce modèle agro-industriel […] Une nouvelle transition s’amorce, vers un âge agrocommunautaire, basé sur une production locale à petite échelle, en tous lieux. »3

Il s’agit alors dans cette partie de retracer une histoire de l’agriculture et de ses transformations à travers ces deux premières révolutions alimentaires afin de mieux comprendre l’aboutissement à la situation actuelle. Ces deux grandes révolutions alimentaires, génératrices de nouvelles formes spatiales et de nouveaux modes de vies, ont conduit à tisser des liens entre agriculture et espace urbain, tant spatialement que socialement.

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BOURE M., 2016, « La 3ème révolution alimentaire : vers un âge agro-communautaire » pour OuiShare Magazine (en ligne) http://magazine.ouishare.net/fr/2016/02/la-3eme-revolution-alimentairevers-un-age-agro-communautaire/ (consulté le 24 avril 2017) 16


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1.1 HISTOIRE DE L’AGRICULTURE, DE SA GENESE A LA REVOLUTION INDUSTRIELLE 1.1.1 LA NAISSANCE DE L’AGRICULTURE, PREMIERE REVOLUTION ALIMENTAIRE La première mention de la naissance de l’agriculture s’est, sans aucun doute, faite dans les écrits mythologiques et bibliques. C’est en tous cas eux qui en proposent l’apparition la plus lointaine. Ainsi, Hésiode, nous explique que l’agriculture est imposée aux hommes comme punition face au vol du feu par Prométhée. L’idée d’une agriculture comme pénitence est aussi présente dans les récits de la Bible. Face à la volonté de l’homme de devenir humain, le jardin d’Eden disparaît. L’agriculture devient alors nécessaire à la survie de l’homme, qui est obligé de cultiver pour se nourrir. Dans ces deux écrits, l’agriculture apparaît comme un dur labeur infligé aux hommes pour être ce qu’ils sont. Force est de constater que dans les deux cas, un lourd travail, souvent pénible, est nécessaire pour pouvoir avoir de la nourriture sur la table. Mais ces écrits font déjà écho à un système sociétal en place lors de leurs écritures et ne témoignent pas des réelles conditions de la genèse de l’agriculture. Rappelons qu’Hésiode était un poète grec qui vécut au VIIIème siècle avant J-C. et que l’agriculture apparaît dans nos manuels d’histoire au VIIIème millénaire avant J-C.

2. Le Croissant Fertile (en bleu) (Réalisation personnelle d’après des cartes existantes) 10. Organisation d'un village du Haut Moyen-Âge (Réalisation personnelle)rt11. Les effets du bon gouvernement - Lorenzettieu12. Les effets du mauvais gouvernement - Lorenzetti) (Réalisation personnelle d’après des cartes existantes)

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Avant l’agriculture, les villes, au sens de la place physique d’une civilisation urbaine intégrant une hiérarchie sociale et une segmentation par professions, n’existaient pas. Bien évidemment, des groupements humains se formaient mais ne comptaient que peu d’individus afin de ne pas créer de tensions internes au groupe qui, trop fortes, auraient risquées de le faire éclater. Ainsi, il y a 500 000 ans, les hommes s’en remettaient à une économie de chasse, de pêche et de cueillette. La recherche nécessaire de nourriture et la suivie des troupeaux de bétail dans leurs déplacements, leur conférait alors le caractère de nomades. Mais, 10 000 ans avant J-C., la fin de la dernière glaciation, avec l’apparition du croissant fertile, entité géographique de 400 000 à 500 000m², riche en terres fertiles grâce à sa situation sur des plaines alluviales, apporta de grands changements. Cette période est aussi appelée la Révolution Néolithique puisque c’est le moment où le Moyen-Orient se couvre de graminées sauvages, les premières céréales. Au fur et à mesure que les premiers campements temporaires prenaient place autour des premiers champs de graminées sauvages, les groupes d’individus s’agrandissaient. La première transition d’une vie rurale à une vie urbaine apparaît 8 000 ans avant J-C., au début du Néolithique (8 000 av. J-C. – 2 5000 av. J-C.), avec le développement de la ville de Jéricho, souvent considérée comme la plus ancienne des villes actuelles. On fait alors face à une nouvelle architecture où la forme circulaire est laissée aux lieux communautaires et de sanctuaires, tandis que les habitations se conforment à un plan rectangulaire. Cependant, cette apparition des prémices d’un mode de vie urbain se caractérise aussi par l’instauration d’une hiérarchie sociale et d’une segmentation par professions, mais surtout par la banalisation de l’agriculture. En effet, dans ces premières sociétés urbaines, l’agriculture apparaît comme le vecteur de nouveaux regards vers le monde extérieur et vers de nouveaux rapports sociaux entre individus, dans un groupe toujours grandissant. « On a pu calculer qu’une personne pourrait récolter en deux semaines assez d’engrain sauvage pour nourrir une famille de quatre personnes. » - Georges WILLCOX, Premiers paysans du monde, Naissance des agricultures, éd. Errance, 2000.

Néanmoins, les véritables débuts d’une civilisation urbaine ne se feront qu’un millénaire plus tard, vers 7 000 avant J-C., avec la ville de Çatal-Höyük. Pendant plus de 2 000 ans, cette ville a connu une série de transformations lui permettant de passer du rang de village à celui d’agglomération urbaine. Elle revêt une organisation spatiale unique tant elle est constituée de maisons serrées construites en briques crues, sans rues pour les dissocier, et où le seul accès se fait par les toits. Autour de cette ville, prend place une agriculture débutante et discrète. Celle-ci serait, d’après Jacques

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CAUVIN, née d’une pression socio-culturelle, plus que de facteurs environnementaux ou démographiques. Elle contribuerait à créer de nouveaux rapports sociaux entre individus, face à l’agrandissement du groupe et à l’augmentation des tensions internes à celui-ci. « Dès lors l’agriculture serait davantage une forme d’adaptation de la société humaine à elle-même plus qu’à son milieu extérieur. » - Jacques CAUVIN, Naissance des divinités, naissance de l'agriculture, éd. Empreintes, 1995.

1.1.2 CONSOLIDATION DE SON STATUT JUSQU’AU XIXEME SIECLE Il convient qu’après la première révolution alimentaire et le passage d’une société préagricole de chasseurs-cueilleurs à une société sédentarisée, grâce à la naissance de l’agriculture, objet de la précédente partie, le statut de l’agriculture s’est consolidé jusqu’au XIXème siècle. Avec la fin du Néolithique se termine la Préhistoire, et commence l’Antiquité. En France, les Celtes s’imposent à partir de 750 avant J –C. Il s’agit déjà ici d’une société hiérarchisée composée d’une classe dirigeante, de commerçants et de religieux, d’artisans et d’ouvriers et, enfin, d’agriculteurs. Bien que leurs habitats soient dispersés sur le territoire, ils revêtent une multiplicité de formes induisant différentes façons de se regrouper au sein d’une communauté. Du plus petit établissement au plus important, on distingue : Les aedificia, qui sont donc les plus petites unités d’habitation. Elles ont le statut de grandes fermes aristocratiques et sont, le plus souvent, composées du corps de ferme, de dépendances et d’un enclos. Souvent destinées à accueillir peu de familles, la pratique de l’agriculture y est modeste et ne prend presque aucunement place hors de l’enclos. Les vici, de petits villages ouverts, souvent distants de quatre ou cinq kilomètres. Ce faible éloignement les uns des autres a permis un fort dynamisme économique. Les maisons, très rarement accolées les unes aux autres, permettaient de tisser une agriculture dans les interstices. Cet habitat revêtait principalement un plan carré, où la structure était assurée par des poteaux en bois. Les matériaux utilisés, tels que du bois, du torchis, des branches de noisetier, de la paille de seigle ou bien même des roseaux, étaient ceux disponibles à proximité. Aussi, ces habitats se caractérisaient par

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des toits à forte pente avec des pans descendants très bas afin de les protéger des intempéries. Enfin, les oppida, premières villes constituées sur notre territoire. Contrairement aux villes établies sur le Croissant Fertile au Néolithique, un oppidum prenait place sur un site élevé ou sur une île. Avec ces oppida, et leur organisation en quartiers, on constate une première avancée vers l’organisation de nos villes actuelles. Sur ces collines fortifiées, la clôture d’enceinte était un symbole de sécurité, à l’intérieur de laquelle l’élevage et le labour prenaient place aisément. En -52, avec le siège d’Alésia et la victoire de Jules César face à Vercingétorix, la Gaule doit faire face à sa totale soumission en faveur d’une romanisation de grande ampleur. Il se met alors en place une profonde transformation des formes d’habitats. Les oppida, jugées inaccessibles en raison de leurs situations géographiques compliquées, sont désertées au profit de villes nouvelles et d’un développement urbain. On choisit alors de mettre en place un système d’unités territoriales. De cela apparaît une nouvelle forme d’habitat groupé, les pagi, d’une taille semblable aux cantons contemporains. Proches des confluents et des cours d’eau importants, ces

pagi, entourés de terres agricoles, se transformeront rapidement en villes telles que Lugdunum (Lyon), Arles, Orange ou bien même Lutèce, tissant un véritable maillage de voies de circulation entre eux. Avec l’accroissement de ce monde urbain et le besoin d’approvisionner une armée conséquente, au service des conquêtes de Jules César, l’agriculture connaît une croissance massive. Cela est surtout possible grâce à une politique romaine favorisant l’intensification des cultures et la bonification des terres. Sur tout le territoire, on observe ainsi une extension des cultures de vignes et d’oliviers, parallèlement à la venue d’animaux pour l’élevage, mais aussi de plantes et d’arbres nouveaux. L’arboriculture et l’horticulture se développent alors, multipliant la création de jardins, tant paysagers que potagers. Autour de ces villes nouvelles, le territoire se divise dorénavant selon une trame quadrillée. Néanmoins, parallèlement à cette urbanité naissante, la romanisation de la Gaule conduit aussi à la création d’une forme d’habitat particulière : les villae. Celles-ci marquent un profond changement dans l’habitat rural traditionnel tant les techniques de construction sont différentes. En effet, on choisit désormais la pierre et le mortier pour édifier les murs, les sols sont faits en durs et les toits s’habillent de tuiles. Même si, de par leur statut de fermes isolées, elles sont les héritières des aedifica celtes, ces grandes propriétés s’en écartent par leur taille incomparable, de plus de 100 hectares. A l’intérieur de ces immenses structures, il est alors possible de pratiquer une

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agriculture intensive, soutenue par la mise en place de techniques agricoles novatrices, telles qu’une rotation des cultures entre céréales et légumineuses, l’utilisation d’engrais verts à base de lupin, de labours et moissons réalisés avec des outils perfectionnés et de la constitution d’une basse-cour. Mais ces villae s’entourent aussi de petits lopins de terres, distribués à d’anciens esclaves ou à des hommes libres payant une redevance. Avec le début du Haut Moyen-Age, à la fin du Vème siècle, on assiste à une perte presque totale des techniques agricoles conduisant au retour à une agriculture presque primitive, sous l’impulsion des envahisseurs germains. Ces derniers bousculent le système économique et agricole mis en place par les romains, alors construit sur le travail d’esclaves et sur l’idée que les terres appartiennent à l’empire, comme bien commun. En effet, avec la fin des grandes guerres de conquête, les prisonniers de guerre sont de moins en moins nombreux et la main d’œuvre gratuite, qui en était la conséquence, se raréfie. Face à ces nouveaux colons, les techniques agricoles romaines sont rapidement oubliées et un système de production similaire à celui les précédant est remis en place. Il en est de même pour l’habitat, dans la mesure où on voit réapparaître massivement l’utilisation de chaume, de bois et du pisé dans les constructions. Pour ce qui est des champs, ils sont dorénavant enclos pour protéger les animaux.

Erreur ! Signet non défini.. Organisation d'un village du Haut Moyen-Âge (Réalisation personnelle)

Parallèlement, les établissements humains groupés se remodèlent au sein de villages, organisés en anneaux concentriques. Du cœur du village type du Haut MoyenÂge (400 – an 1000) à sa frange extérieure, on retrouve respectivement de grandes maisons, abritant plusieurs familles, non accolées les unes aux autres, qui s’entourent de petits jardins. Au-delà, prennent place les terres cultivées, séparées par des haies. On trouve enfin sur la couronne extérieure, à la lisière des bois et de la forêt, sur des terres en friche ou en jachère, les espaces alloués aux animaux et à l’élevage. Mais ces villages ne possèdent pas la taille des villes qui ont alors pratiquement disparues. 22


L’économie redevient alors principalement rurale et s’établit entre ces derniers et de nouvelles villas, qui ne sont pourtant pas rebâties sur les anciennes villae galloromaines, abandonnées. Il s’y installe une agriculture redevenue primitive, laquelle se développe par rapport à la consolidation d’un système féodal autour de ces grands domaines princiers et monastiques. En effet, après la chute de l’Empire Romain au Vème siècle, les domaines religieux (ecclésiastiques et monastiques) s’agrandissent rapidement, s’offrant alors une toute nouvelle force de pouvoir politique. Celui de Tours regroupera, par exemple, jusqu’à 20 000 personnes4. Ces domaines proposent alors un système de fonctionnement autarcique regroupant une communauté autour de jardins maraîchers et protégée par de hautes murailles. Ils deviendront le modèle du nouveau type de villes. Le Bas Moyen-Âge, qui perdurera de l’an 1000 à 1450, est synonyme de la réapparition d’une civilisation urbaine en Europe, permise grâce à une forte croissance économique et commerciale. A l’image des domaines religieux, les villes s’entourent d’enceintes fortifiées et, grâce à de lourds défrichements, les terres constituant la ville et recevant les nouvelles habitations s’étendent désormais jusqu’aux lisières forestières. Il s’agit d’une étape charnière dans l’étude de l’évolution des communautés urbaines, dans la mesure où ces villes commencent à s’administrer avec leurs propres moyens autour de maires et de magistrats. On érige alors de grandes cathédrales gothiques, symboles de leurs indépendances nouvelles. Mais surtout, l’essor du commerce et le développement des villes, proposent de nouveaux enjeux quant à la production agricole. En effet, même si les terres agricoles entourant les villes appartenaient à une élite urbaine qui louait les terres aux paysans, grâce à la présence de l’enceinte, il régnait une véritable communauté alliée à un fort sentiment d’appartenance. Comme le rappelle Françoise CHOAY, les espaces du Moyen-Âge constituaient de véritables « espaces de contact »5 construits autour de halles et de grand-places, recevant des échanges commerciaux. C’est ainsi, qu’au XIème siècle, renaît véritablement le statut de Cité-Etat au travers de ces communes fortifiées, administrativement autonomes et indépendantes. Proposant des politiques fortes et intimement liées au travail de la terre, par l’agriculture et son rapport à la campagne, ces Cité-Etats inspirent. C’est par la représentation qui en est proposée, grâce aux fresques et tableaux, que son modèle est diffusé. C’est le cas de la fresque d’Ambrogio Lorenzetti, Les Effets du bon et du

4 5

STEEL C., 2008, Ville affamée : comment l’alimentation façonne nos vies, éd. Rue de l’échiquier CHOAY F., 2011, La terre qui meurt, éd. Fayard, p.31

23


mauvais gouvernement, réalisée en 1339, à la demande du gouverneur de la ville de Sienne.

4. Les effets du mauvais gouvernement - Lorenzetti 5. Les effets du bon gouvernement - Lorenzetti

Mais le Moyen-Âge, c’est aussi l’apparition de la première agriculture capitaliste au monde. En 1257, la ville de Bologne libère 6 000 serfs6 de leur tutelle seigneuriale, 16. Les effets du mauvais gouvernement - Lorenzetti leur permettant ainsi de produire pour eux-mêmes et de commercialiser leur surproduction. Avec la Renaissance, l’agriculture revêt un nouvel enjeu : celui de l’embellissement des campagnes et des villes. A l’heure où, au milieu du XVIIème siècle, plus de la moitié des Néerlandais sont déjà urbains7, la ville commence à déplaire. Cela se traduit principalement par la création de jardins royaux qui sont pensés comme de véritables œuvres d’art. Cette dynamique se poursuivra pendant toute la période du Temps des Modernes qui se terminera avec la Révolution Française, en 1789. Mais on ne pourrait pas parler de jardins royaux sans parler du Potager du Roi, réalisé à Versailles en 1683, pour Louis XIV. Toujours présent aujourd’hui, il est devenu, en 1991, plus qu’un parc urbain, tant il est véritablement un potager et jardin urbain s’étalant sur 9 hectares. Plus tard, lorsque Marie-Antoinette commandera la construction de son hameau dans la forêt de Versailles, à partir de 1777, le retard de la France en termes d’agriculture se fera ressentir. Il est alors très nettement perceptible que la campagne est considérée par les français comme une aire de piquenique idéalisée. En effet, malgré la volonté d’utiliser l’agriculture pour faire du « beau », jusqu’en 1710, on constate un réel désintérêt pour sa dimension de 17. Répartition des parcelles cultivables vers 1750 (Réalisation personnelle)

6

Serf : Personne attachée à une terre, dont les biens et le travail appartiennent au propriétaire de cette terre (seigneur, roi, communauté religieuse) envers qui elle a des obligations. (www.cnrtl.fr) 7 STEEL C., op. cit. p. 23 24


production alimentaire. Ainsi, vers 1750, 25% des parcelles cultivables appartiennent à la noblesse, qui représente seulement 2% de la population française. Alors que 10% sont possessions du clergé, 40% des terres sont des propriétés paysannes caractérisées par des parcelles exigües, le reste appartient aux communautés rurales.8 Cela étant, les jardins et l’horticulture restent un luxe pour les fortunés et, alors que les pays de la Mer du Nord, tels que la Hollande, pratiquent déjà l’agriculture sans jachère en utilisant des engrais, la France, en l’ayant ancrée dans ses lois, la reconnait encore comme obligatoire. Au même moment, le pouvoir prend conscience de la question agricole et décide d’agir pour son développement. Il entreprend alors de défricher les bois et forêts et de drainer les marécages. Ainsi, jusqu’à la Révolution Française, on estime le gain de surfaces labourables de 8 à 10%, tandis que le nombre d’habitants en France passe de 25 millions en 1750 à 28 millions à la fin du siècle. 9 C’est toujours vers 1750, sous l’impulsion du siècle de Lumières, qu’apparaît une école de pensée, considérée comme l’une des toutes premières théories économiques, la physiocratie. Cette doctrine économique défend la thèse selon laquelle la production de biens primaires, et tout particulièrement l’agriculture, fait toute la richesse du pays. Sous cette impulsion, prend place une véritable révolution culturelle et agronomique. Pour faire face à ce nouvel essor, des sociétés d’agricultures régionales sont mises en place par le pouvoir en place, dont les recherches sont destinées, pour la plupart, à un public cultivé, le plus souvent bourgeois ou noble. On élabore alors de nouvelles techniques novatrices afin de développer l’agriculture. On préconise, par exemple, une utilisation régulière de fumier pour fertiliser les sols et des labours répétés et nombreux. Parallèlement à cela, on choisit de planter de plus en plus de légumineuses fourragères, telles que la luzerne, le sainfoin ou le trèfle, dans l’objectif de produire une nourriture pour animaux disponible et en grande quantité. Aussi, pour l’élevage de ces bestiaux, on entreprend la création de prairies artificielles, ensemencées manuellement avec au moins 80 % de légumineuses, comme le trèfle et le sainfoin. Enfin, on importe de nombreuses nouvelles plantes et, notamment, des plantes capables de nettoyer la terre, comme les pommes de terre, les raves et les betteraves. Après la Révolution Française de 1789, en octobre et novembre, les biens du clergé et du Roi sont nationalisés. Il s’agit là de 4 à 5 millions d’hectares de terres qui sont alors revendus par lots. Disposant, pour la première fois, de leur propre lopin de terre, les paysans deviennent des fermiers. C’est aussi en cette période de grands bouleversements politiques que de nombreuses lois sont mises en place pour protéger 8 9

« L’époque moderne » http://agriculture.gouv.fr, consulté le 08 avril 2017 Ibid.

25


l’économie, les citoyens et la production agricole. Ainsi, grâce à elles, alors que le prix du pain diminue, la production agricole et les salaires augmentent considérablement. Grâce à de nombreux progrès techniques et à la diffusion toujours grandissante de la connaissance, les structures agricoles se transforment, s’agrandissent et se modernisent, permettant un accroissement général du niveau de vie. Cependant, dans les années 1850, l’agriculture subit de nombreuses attaques sanitaires et faiblit face à la puissance attractive de la ville. Si, en 1849, ce sont les manufactures séricoles de la vallée du Rhône qui sont mises en péril face à une maladie du ver à soie ; c’est véritablement en 1864, après une attaque de pucerons qui détruira en une vingtaine d’années la totalité du vignoble Français, que l’exode des paysans vers les villes se consolidera. Cependant, malgré cet exode rural et alors qu’on compte 38 millions d’habitants en 1870, le pays n’est qu’à seulement 25% urbain10. Finalement, onze ans plus tard, par décret du 24 novembre 1881, Gambetta créera le Ministère de l’Agriculture. Ce dernier finira par consolider le statut de l’agriculture sur la place politique et économique. A travers cette instance, l’agriculture revêt officiellement son caractère d’importance et trouve ses intérêts défendus par de puissants acteurs territoriaux et nationaux.

10

Ibid. 26


1.2 LA SECONDE INDUSTRIELLE

REVOLUTION

ALIMENTAIRE

SOUS

LA REVOLUTION

1.2.1 UNE PREMIERE REMISE EN CAUSE DE L’AGRICULTURE DE PROXIMITE DES LE XIXEME SIECLE Au milieu du XIXème siècle, les nombreuses innovations techniques et logistiques impulsées sous la révolution industrielle transforment radicalement le paysage européen, tant suburbain11 que rural. Il convient que, dès 1850, la première vague de transformations, génératrice de nouveaux rapports entre les entités urbaines, se produit grâce à l’essor du chemin de fer et à la mise en place, par la construction d’un maillage dense de voies ferroviaires, de nouvelles connexions entre les pays. En France, la première ligne de chemin de fer est inaugurée entre Saint-Etienne et Andrézieu le 1er janvier 1828. Le développement de ce nouveau type de transport, alloué tant aux marchandises qu’aux voyageurs, signe la fin d’une dépendance rurale de la ville en proposant de nouveaux enjeux d’approvisionnement alimentaire à plus grande échelle. Cependant, on ne peut nier que le déplacement de nourriture issue de la production agricole sur de grandes distances existait déjà avant l’invention de la machine à vapeur, même s’il n’était pas présent à la même ampleur sur le territoire et dans les habitudes de consommation alimentaire. En effet, l’Empire romain, grâce à ses nombreuses conquêtes, acheminait déjà jusqu’à Rome des denrées alimentaires provenant de nombreuses régions du continent Européen et d’Afrique du Nord. Aussi, à l’échelle de la France, dès 1750, Paris marquera sa puissance face au reste du pays lors de crises alimentaires. Avec sa situation à 300 kms de la mer, ne permettant pas une proximité directe avec un grand port d’importation, la ville établit alors, en s’appuyant sur un réseau routier et de canaux bien développés à l’échelle nationale, des couronnes d’approvisionnement sur tout le territoire12. Mais l’apparition du chemin de fer a permis une simplification des processus d’acheminements, encore complexes à l’époque préindustrielle.

11

D’après le CNRTL (Centre National des Ressources Textuelles et Lexicales), adjectif qualifiant ce qui est « situé à la périphérie, à proximité immédiate d’une grande ville ». [http://www.cnrtl.fr/definition/suburbain] 12 STEEL C., op. cit. p.23 27


18. Les couronnes d’approvisionnement de Paris en 1750 (Réalisation personnelle)

Force est de constater que la taille d’une ville, tant à l’époque actuelle qu’à l’ère préindustrielle, peut se lire à ses capacités d’approvisionnement alimentaire. Avant la révolution industrielle et la seconde révolution alimentaire qui y est liée, les villes sont compactes et ne dépassent que très rarement les 100 000 habitants13. Ce nombre reste limité par rapport à nos métropoles contemporaines dans la mesure où il correspond à la capacité d’alimentation des villes préindustrielles. Comme l’explique Carolyn STEEL dans son ouvrage Ville affamée : comment l’alimentation façonne nos vies14, même s’il existait des logiques d’approvisionnement à plus grande échelle, à l’ère préindustrielle, les villes construisaient leur sécurité alimentaire autour de leur hinterland15 proche. L’envergure de l’influence des villes sur leur hinterland se mesurait alors en « journée de charrette », soit environ une trentaine de kilomètres. A l’heure où les moyens de transports motorisés n’existaient pas, il s’agissait là de la distance maximale pouvant être parcourue par voie de terre pour le transport de grain quotidien vers la ville. Cette distance définissait alors la limite de la ceinture arable de la ville. C’est alors qu’afin d’exploiter au maximum les possibilités de culture de ces ceintures, les villes préindustrielles ont adopté naturellement un plan sur le modèle des Cités-Etat où la très grande ville prend place au milieu de terres fertiles, habitées par les agriculteurs. C’est le modèle explicité par l’économiste allemand Johann Heinrich von Thünen (17831850). En liant la distance de la ville à la rentabilité des cultures, il établit une série de cercles concentriques alloués à différents types de cultures dont le point d’émergence 13

STEEL Carolyn, 2008, Ville affamée : comment l’alimentation façonne nos vies, éd. Rue de

l’échiquier 14 15

Ibid. Anglicisme couramment utilisé pour désigner « l’arrière-pays ». 28


est la ville16. Force est de constater que même s’il prévoit une déviation à son modèle dans le cas d’une ville située sur un cours d’eau navigable, il part d’une situation limitée où la ville analysée se situerait sur une plaine homogène sans grand relief, fertile et sans interrelation avec une ville voisine d’importance.

19. Le modèle de von Thünen © Dr. Jean-Paul Rodrigue

Bien qu’importants dans la transformation spatiale du territoire par le nouveau maillage d’échange qui se crée, les nouveaux moyens de transports ne sont pas les seuls éléments contribuant à un changement majeur de la façon de cultiver la terre au XIXème siècle. En effet, si jusqu’en 1850 l’agriculture ne se nourrit que d’énergie solaire, après la révolution industrielle les potentialités de l’énergie fossile proposent de nouveaux enjeux de développement aux agriculteurs. Ainsi, avec les premiers engrais apparaissent les premières machines agricoles motorisées proposant des rendements plus importants aux exploitants17. Par cette mécanisation de l’agriculture qui surviendra tout au long du XXème siècle grâce aux progrès techniques, les façons de cultiver vont se retrouver totalement bouleversées et transformées. Tout d’abord, les exploitations changent d’échelle et se transforment en grandes exploitations, regroupant alors plusieurs parcelles, grâce aux nombreuses machines agricoles innovantes. Mais on abandonne aussi la polyculture, « consistant à diversifier les produits cultivés simultanément sur une même propriété »18, et l’agriculture mixte pour des 16

BARON

Myriam,

2004,

« Le

modèle

Von

Thünen »,

Hypergéo

http://www.hypergeo.eu/spip.php?article566, consulté le 5 avril 2017 17

On note, par exemple, l’invention de la première moissonneuse mécanique en 1834 par Cyrus McCormick et de la moissonneuse-batteuse par Hiram Moore la même année. http://www.machinisme-agricole.wikibis.com/moissonneuse-batteuse.php, consulté le 12 mai 2017 18 http://www.cnrtl.fr/definition/polyculture, consulté le 12 mai 2017 29


monocultures, proposant une plus grande efficacité. Par la mécanisation des cultures, le paysage rural se modifie alors profondément en proposant de vastes champs cultivés, majoritairement de céréales, à l’encontre des exploitations familiales à taille humaine. Mais cette mécanisation s’inscrit dans le contexte plus large de l’agro-industrie. Le Larousse la définit comme « l’ensemble des entreprises industrielles qui fournissent des biens à l'agriculture (engrais, pesticides, machines) et de celles qui transforment, élaborent et conditionnent les produits agricoles (industrie agroalimentaire) ». Il s’agit là de tout un secteur ayant attrait au cycle de vie du produit agricole, de sa production à son élimination, qui naît avec la révolution industrielle. Pendant cette période, l’agronomie se voit intimement transformée par la chimie qui contribue à proposer de nouvelles solutions aux jachères, aux mauvaises herbes, aux maladies ou bien même aux nuisibles. Il s’agit de la « révolution chimique19 » qui s’opère au début du XXème siècle. Ainsi, pour faire face à la dévitalisation des sols face à ce nouveau type d’agriculture intensive, le fumier n’étant plus assez efficace, on élabore des composants aidant à la pousse de la plante : les engrais chimiques. Parallèlement, pour lutter contre les organismes nuisibles aux cultures, on développe de nouveaux composés chimiques : les pesticides. Il est flagrant de constater qu’au départ ces composés n’étaient, pour la plupart, pas destinés à un usage agricole mais que leurs capacités pesticides n’ont été découvertes que plus tard 20. C’est le cas du DDT (dichlorodiphényltricloroéthane) par exemple. Bien qu’il soit synthétisé dès 1873 pour un usage sanitaire, dans la lutte contre le palludisme notamment, ses propriétés pesticides ne sont découvertes qu’en 1939 par Paul HERMANN MÜLLER. Pendant la Seconde Guerre mondiale, il sera aspergé directement sur les civils et militaires, pour ses capacités insecticides. Mais outre, les découvertes scientifiques, la « révolution chimique » a su trouver un appui dans la situation d’après-guerre et dans les nombreuses usines d’armements, alors désaffectées. Grâce à la transformation de ces usines et sous l’influence des procédés scientifiques mis en place durant la guerre pour le développement d’armes chimiques, les pesticides ont réussi à prendre toujours plus d’importance au cours de la deuxième moitié du XXème siècle. C’est en 1984, qu’avec la première plante génétiquement modifiée21, la dernière étape de la contribution de la chimie à l’agro-industrie semble être passée.

19

http://www.futura-sciences.com/sante/definitions/biologie-pesticide-9169/, consulté le 14

mai 2017

http://www.histoire-medecine.fr/seconde-guerre-mondiale-Le-DDT-et-la-seconde-guerremondiale.php, consulté le 14 mai 2017 21 COCKRALL-KING J., 2017, La Révolution de l’Agriculture Urbaine, Ed. Ecosociété 20

30


1.2.2 UNE NOUVELLE INTERFACE PROPOSEE AUX INDIVIDUS : LA NAISSANCE DU SUPERMARCHE Ces nombreuses transformations logistiques et de production agricole ont également eu un impact sur une autre étape du cycle de vie de la nourriture : la distribution et la consommation. En effet, si les progrès en matière de transport ont contribué à modifier le paysage d’un territoire étendu, à l’échelle de la ville et de sa périphérie directe une nouvelle forme urbaine apparaît avec l’émergence des supermarchés. Par l’importance qu’ils ont acquis tout au long du XXème siècle grâce à l’essor de la société de consommation22, ils sont aujourd’hui de véritables acteurs du territoire, tant spatialement que socialement. Dans leurs deux ouvrages, Jennifer Cockrall-King et Carolyn Steel témoignent de ces profonds basculements engendrés par l’émergence du supermarché23, il s’agit ici d’en retracer les principales étapes et leurs conséquences. Avant l’apparition du chemin de fer, la principale interface permettant aux individus d’acheter les produits de l’agriculture était les places de marché, seuls grands espaces publics situés au cœur des villes. Jusqu’au début du XIXème, elles constituaient la principale source d’aliments frais dans les établissements urbains et offraient un contact direct avec les producteurs. Ce n’est qu’avec le développement du chemin de fer que les premières échoppes et épiceries apparaissent, c’est l’avènement des rues commerçantes. C’est en 1844 que la première initiative mondiale, qui tend vers les prémices du supermarché contemporain, les « équitables pionniers de Rochdale » voit le jour sous la forme d’une coopérative de vente au détail impulsée par une initiative populaire.

22

D’après le CNRTL, « société industrielle avancée qui se caractérise par la multiplication des besoins individuels et collectifs et par l'utilisation accrue des biens et des services. » http://www.cnrtl.fr/definition/consommation, consulté le 15 mai 2017 23 COCKRALL-KING J., op. cit. p.30 STEEL C., op. cit. p. 23 31


« L’idée d’un commerce coopératif est venue des tisserands de Rochdale, près de Manchester en Angleterre, dans les années 1840. Mal payés, dépendants du patron qui fixe les salaires et des commerçants qui établissent les prix de leurs marchandises, les ouvriers ont eu l’idée de fonder la Société des équitables pionniers de la Rochdale qui va donner à l’économie sociale et solidaire ses premières règles. Ce magasin coopératif développe alors un système équitable, à partir de circuits courts, qui garantit des prix de vente raisonnables. Les principes de fonctionnement sont basés sur la démocratie (un homme, une voix) et la répartition des bénéfices entre sociétaires. Le succès est au rendez-vous. La coopérative comptera plus de 10 000 souscripteurs en 1880. Leur exemple sera largement suivi et, au tournant du XXe siècle, il y aura à Paris, 200 000 adhérents aux diverses coopératives de consommation. »24

Mais ce n’est véritablement qu’en 1916 que le rapport à la consommation alimentaire se transforme avec l’arrivée du libre-service. Si jusqu’alors il existait dans les rues commerçantes une multitude d’échoppes proposant toutes des produits ayant attrait à leur domaine de vente (boulangerie, épicerie, boucherie, etc.), le libre-service entrainera un bouleversement social majeur dans le statut de ces boutiques familiales, encore majoritairement présentes au début du XXème siècle. L’idée provient de Clarence Saunders, un visionnaire américain originaire de Memphis dans le Tennessee, qui trouva, par ce nouveau service moderne, le moyen de réduire les coûts indirects en supprimant alors une partie des interactions entre les consommateurs et les employés, qu’il considérait comme trop nombreuses et donc onéreuses. Ainsi, en choisissant de simplifier l’accessibilité physique à la nourriture dans son magasin, il créa le premier supermarché au monde. Sous l’enseigne « Piggly Wiggly », il brevète l’idée en 1917 et ouvre, en 10 ans, 1200 magasins libre-service, on en comptera même 2660 en 1932. En souhaitant aller encore plus loin dans sa démarche, il mettra en place dans ses magasins des caisses en libre-service en 1937, sans grand succès. Il faudra attendre les années 2000 pour que ce type de caisse libre-service commence à prendre de l’importance dans les supermarchés. L’essor du supermarché pendant les Trente Glorieuses (1946-1975) va de pair avec l’avènement de la société de consommation. Pendant cette période particulière d’après-guerre, le coût de la nourriture baisse tandis que le pouvoir d’achat des français augmente. Cela est principalement dû à l’implication de l’agro-industrie dans les processus de transformations de la production agricole qui, au détriment des agriculteurs, brade les coûts d’achat des produits pour proposer de la nourriture transformée toujours moins chère. En effet, les nombreux progrès techniques et scientifiques du XXème siècle permettent dorénavant d’obtenir une gamme infinie de 24

2014, « Histoire. Le bel exemple coopératif des « équitables pionniers de Rochdale » », l’Humanité.fr, http://www.humanite.fr/histoire-le-bel-exemple-cooperatif-des-equitables-pionniers-derochdale-525689, consulté le 01 mai 2017 32


produits à partir d’une sélection d’ingrédients de base. Jennifer Cockrall-King qualifie d’ailleurs cette profusion de nourriture dans les supermarchés par « l’illusion d’avoir le choix ». Cependant, cette profusion n’est finalement bien qu’illusion puisqu’elle nous explique aussi que les supermarchés ne disposent, en général, que de trois jours de réserve alimentaire. Cela tend alors à poser de véritables enjeux et problèmes sociaux de sécurité alimentaire. Il est ainsi flagrant de constater que les supermarchés possèdent un véritable pouvoir politique sur les villes tant ils sont les détenteurs de l’énergie nécessaire au fonctionnement humain, la nourriture. Spatialement, la place des supermarchés, surtout en périphérie urbaine, marque une réelle rupture avec l’échelle du centre-ville et des rues commerçantes. Ils s’avèrent très peu compatibles avec les villes européennes, souvent très dense, comme c’est le cas entre Lyon et Bron (69) (photos aériennes ci-après). C’est en cela que leur emplacement en périphérie, hors du cœur névralgique des villes, semble idéal ; afin de ne pas perturber le tissu existant, très structuré. Mais on ne peut nier que leur importance grandissante aux yeux des consommateurs contribue à leur conférer toujours plus de pouvoir tant politique qu’économique. Aujourd’hui, ils tendent à complexifier les relations entre le centre-ville et sa périphérie. « Sachant que le rôle public des centres-villes historiques était principalement d’acheter et de vendre de la nourriture, les supermarchés sont en porte-à-faux non seulement avec les rues commerçantes du quartier, mais avec la notion même de ville. »25 - Carolyn Steel

C’est avec la généralisation de l’automobile que le supermarché finit de légitimer sa place dans le paysage urbain en tant que nouvelle interface avec les consommateurs. Il est aujourd’hui l’acteur principal d’un paysage suburbain à faible densité en proie à l’étalement urbain. Aujourd’hui le secteur agroalimentaire tient les rênes de toute la chaîne de production alimentaire et est devenu un puissant lobby avec une forte empreinte sur notre façon de consommer et d’habiter la ville. Toutefois, face au développement rapide de ces grandes surfaces et à la colonisation des espaces périurbains, des lois ont adoptées pour protéger les centres-villes dans de nombreux pays d’Europe continentale. En France, la loi Royer de 1973 rend obligatoire la demande d’autorisation auprès des communes pour la construction de magasins de plus de 1.000m² et auprès de l’administration centrale pour ceux de 10.000m².

25

STEEL C., op. cit. p.23

33


20. Emprise au sol et réseau routier, l’exemple lyonnais : entre un tissu ancien dense au cœur de la ville et une zone commerciale en périphérie urbaine. Vues aériennes à la même altitude En haut : tissu ancien dense au cœur de Lyon (69), de la place Bellecour (à gauche) à la gare de la Part-Dieu (à droite) En bas : zone commerciale en zone périurbaine lyonnaise, au sud de Bron (69) © Google Earth

21. Emprise au sol et réseau routier, l’e22. Plan révisé, de 2017, de la Ceinture de verdure d'Ottawaté commerciale en zone périurbaine. Phot23. Jardins familiaux de Saint-Etienne (42), quartier à la gare de la Part-Dieu (à droite) En bas : zone commerciale en zone périurbaine lyonnaise, au sud de Bron (69) © Google Earth

de Montaud la place Bellecour (à gauche) 34


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Bien que l’agriculture ne semble pas être, à première vue, directement liée à l’établissement urbain et à l’expansion d’une ville, on ne peut contester qu’elle participe à sa formation et à son développement. De tous temps, la pratique agricole a régit les formes des villes dans la place qu’elle tenait à leur proximité ou en leur cœur. Nos villes contemporaines possèdent aujourd’hui de nombreux vestiges de ces temps souvent oubliés, il suffit d’y errer et d’observer la toponymie des rues et places pour en prendre conscience. Avec la révolution industrielle et la seconde révolution alimentaire, la relation entre espace urbain et espace rural s’est complexifiée et le statut des espaces agricoles et de l’agriculture s’est fragilisé. Celle-ci est aujourd’hui victime du secteur agroalimentaire et des supermarchés, disposant d’un pouvoir total sur la chaîne de production alimentaire. Aujourd’hui, ce sont 30 entreprises multinationales qui contrôlent 30% de l’alimentation mondiale26. Dans un contexte où l’étalement urbain a transformé le statut des espaces en périphérie urbaine, il est nécessaire de comprendre la place et le rôle qu’y occupe l’agriculture aujourd’hui et les enjeux, tant spatiaux que sociaux, qui en découlent.

26

Ibid. 36


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DEUXIEME PARTIE ETAT DES LIEUX ACTUEL : D’UNE AGRICULTURE PERIURBAINE RESIDUELLE A UNE AGRICULTURE RESOLUMENT URBAINE

Dans ces nouveaux rapports de force qui se tissent entre espace rural et espace urbain pendant la seconde moitié du XXème siècle, l’agriculture tient une place prépondérante, mais son pouvoir d’influence reste limité. Face à la consommation conséquente d’espace, impulsée par l’implantation, toujours plus importante, de grandes surfaces commerciales et par la multiplication des voies de transport, les espaces agricoles tendent à se morceler et à disparaître. En constat de cette « désagricolisation du rural »27, Brigitte Prost qualifie l’agriculture périurbaine comme marginale « Parler de marginalité à propos de l’agriculture périurbaine, c’est avancer l’idée que, même si elle apparaît active, développée, productive, cette agriculture est résiduelle et menacée. »28

Dans leur programme de recherche « Agriculture urbaine », que Pierre Donadieu et André Fleury ont créé à l’École nationale supérieure du paysage de Versailles, les deux professeurs expliquent qu’une agriculture périurbaine qui s’affirme en tant que telle ne doit pas être, seulement, une agriculture rejointe par l’étalement urbain29. Elle doit, en effet, être plus qu’une conséquence de la croissance urbaine et c’est par les différentes interactions spatiales et sociales qu’elle génère avec la ville qu’elle peut alors devenir périurbaine, voire urbaine. Il sera alors question, dans cette partie, de comprendre le statut des espaces périurbains aujourd’hui et la place qu’y tient l’agriculture, actuellement considérée comme résiduelle. En réponse à Pierre Donadieu et André Fleury, les enjeux fondamentaux d’une agriculture véritablement lié à la ville et les nouvelles relations à l’alimentation qu’elle propose seront explicités. Plus que d’agriculture périurbaine, il sera également question d’agriculture urbaine et des différentes formes que cette dernière peut prendre au cœur des villes, de façon non exhaustive.

DONADIEU P., 1998, Campagnes urbaines, Ed. Actes Sud PROST B., 1944, « L’agriculture périurbaine : analyse d’une marginalité », Bulletin de l’Association des Géographes Français, p.144 du bulletin (en ligne) 29 DONADIEU P., FLEURY A., 1997, « L’agriculture, une nature pour la ville ? », Natures en villes, Annales de la recherche urbaine, n°74 27 28

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2.1 UNE AGRICULTURE PERIURBAINE RESIDUELLE 2.1.1 UNE SITUATION COMPLEXE EN PERIPHERIE URBAINE D’après les Nations Unies, depuis 1950, la population mondiale a triplé pour atteindre, en 2017, plus de 7,5 millions d’individus. Parallèlement, dans ce même laps de temps, la population strictement urbaine s’est vue multipliée par plus de 5,5 ; passant alors de 746.000 individus à 4.110.000. 30 En analysant plus en détail la base de données des Nations Unies, on constate aussi que c’est à partir de 2008 que plus de la moitié des habitants du monde sont urbains. L’augmentation considérable des individus urbains à partir des années 1950 a engendré de profondes mutations du territoire à proximité des villes, alors en proie à son expansion. L’urbanisation croissante, pour la construction de zones aéroportuaires, pavillonnaires, industrielles ou bien même récréatives, s’est faite aux dépens des espaces agricoles, générant des zones périurbaines au statut complexe. Avec cela, un nouveau type d’espace à la périphérie des villes est alors apparu en tant que tenseur entre espace urbain et espace rural : l’espace périurbain. Bien que ce dernier se situe immédiatement à la limite de la ville, considérée comme établissement urbain dense et principal, il garde tous les attributs paysagers et fonctionnels de la vie agricole, tels que les parcelles cultivées ou les exploitations. Face au développement du maillage des voies de circulation et à l’implantation de grandes surfaces commerciales, il se retrouve souvent morcelé et se définit le long des routes. Il en devient le « négatif de cette extension, un espace vacuolaire31 ». Sa situation particulière, entre espace urbain et espace rural, le qualifie comme lieu de contact entre la ville et la campagne. En tant que tel, il ne constitue pas seulement la périphérie urbaine mais aussi la périphérie rurale, supportant alors deux périphéries superposées. Par cela, il est un type d’espace à part entière, répondant à des modes de fonctionnements ni urbains, ni ruraux32. Cependant, on ne peut nier que la ville est en position dominante face à l’espace rural, victime de l’urbanisation, ce dernier en devient alors un espace en attente, souvent en proie aux spéculations

30

Nations Unies, Département des Affaires Sociales et Economiques, Division de la Population, 2015, « World Population Prospects : The 2015 Revision » (Document en annexe) 31 PROST B., op. cit. p.145 de l’article Vacuolaire est un terme emprunté au langage médical et scientifique, il désigne de petites cavités, des intervalles vides, des interstices au sein d’une structure. (Source : CNRTL) 32 Ibid. 40


foncières33. Dans leurs recherches, P. Donadieu et A. Fleury expliquent que, pendant longtemps, « l’expulsion de l’agriculture [était] un préalable nécessaire à l’urbanisation34 » qui permettait ainsi la préservation et la pérennité de l’identité urbaine. C’est le cas de villes comme Mexico, capitale Mexicaine, ou Medellìn, en Colombie, qui ont connu un processus d’urbanisation continu et ininterrompu, où l’agriculture a été véritablement expulsée au profit de la croissance urbaine. Il est d’ailleurs flagrant de constater que la métropole colombienne, située dans une région à fort relief, entre les cordillères occidentale et centrale, a aujourd’hui consommé une grande, voire la majeure, partie des versants montagneux qui la contraignent. Autrefois entièrement consacrés à l’agriculture et à l’horticulture, même si la culture des fleurs représente encore aujourd’hui une part importante de la consommation d’espace35, ils sont aujourd’hui majoritairement urbanisés.

33

CHARVET J.-P., 1994, « Nouvelles approches et nouvelles questions à propos des agricultures périurbaines », Bulletin de l’Association des Géographes Français 34 DONADIEU P., FLEURY A., op. cit. p.38 35 Medellìn est surnommée « la ville de l’éternel printemps » tant l’horticulture représente une part importante de l’économie de la ville. 41


24. Etalement urbain et grignotage de l’espace agricole et rural au cours du temps, le cas de Medellin. Photos aériennes comparatives réalisées à la même altitude. En haut : Medellin en 1985 En bas : Medellin en 2016 © Google Earth

25. Etalement urbain et grignotage de l’espace agricole et rural au cours du temps, le cas de Medellin. Photos aériennes comparatives réalisées à la même altitude. En haut : Medellin en 1985 En bas : Medellin en 2016 © Google Earth

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L’espace périurbain, en tant que lieu de connexion entre espace rural et espace urbain, soulève alors de nombreux enjeux quant aux relations, tant spatiales que sociales, entre ces deux entités. En effet, les modes de fonctionnement des systèmes agricoles et urbains sont à l’opposé l’un de l’autre. Si l’urbain se caractérise par une croissance discontinue, par phases successives, autour de points centraux et de lignes de forces ; l’espace agricole nécessite une continuité spatiale et temporelle et se retrouve en péril face à de nouveaux découpages parcellaires, aboutissant le plus souvent à des parcelles exigües et enclavées, alors non fonctionnelles36. En cela, l’espace périurbain, en posant de nouvelles problématiques face l’étalement croissant de la ville, représente un nouveau type d’espace à enjeux, générant, le plus souvent, une limite floue entre espace urbain et rural, entre ville et campagne. « Ordinairement, la frontière visible entre ville et campagne n’est pas une raison de conflit, puisque cette distinction est nécessaire à l’identification relative de deux cultures, rurale et urbaine. »37

A l’échelle des exploitations agricoles périurbaines, la présence de la ville a aussi un impact sur les systèmes de production agricoles. Il convient alors que le modèle de Von Thünen, calqué sur le modèle des villes préindustrielles, est de moins opérationnel. En effet, les effets de la distance de l’exploitation agricole par rapport à la ville principale sont, dans nos métropoles contemporaines, brouillés par la superposition de plusieurs réseaux, en raison du fort étalement urbain. Deux schémas sont alors récurrents : tandis que le premier constitue une connexion à l’exploitation agricole par un réseau direct avec la ville principale ; le second représente un modèle plus complexe où l’exploitation agricole s’inscrirait dans un réseau de petites ou moyennes villes, elles-mêmes présentent dans la périphérie de la ville principale38. Face à cette complexité, l’espace périurbain devient alors générateur de nouvelles formes de zones agricoles.

36

PROST B., op. cit. p.38 DONADIEU P., FLEURY A., op. cit. p. 38, page 36 de l’article 38 CHARVET J.-P., op. cit. p.41 37

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26. Inscription des exploitations agricoles dans un réseau direct ou complexe à la ville centre (Réalisation personnelle)

Jean Vaudois, dans son article « Les zones maraîchères périurbaines : espaces résiduels ou nouvelles formes d’intégration des espaces agricoles aux stratégies urbaines ? »39, isole quatre grands types de zones agricoles, par rapport à leur relation à la ville : Les zones maraîchères résiduelles : Ce premier type dépeint des zones agricoles vouées à disparaître rapidement, ou à perdurer en devenant des zones récréatives en raison de leur poids historique. Malgré leur passé riche, elles sont aujourd’hui submergées par l’urbanisation, car n’ayant pas su s’adapter au développement des nouveaux circuits d’échanges et commerciaux. Les zones maraîchères et horticoles à fonction locale : Tout d’abord, force est de constater que, par rapport à la zone précédente, apparaît dans ce nouveau type l’horticulture, souvent plus compétitive sur le marché économique que la culture de fruits et légumes. Ces zones sont aujourd’hui présentes sur le territoire, mais se révèlent, par leur système de production, leur taille ou leurs équipements, être très hétérogènes. Leur fonction locale témoigne d’une dépendance urbaine totale, dans la mesure où elles sont

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VAUDOIS J., 1994, « Les zones maraîchères périurbaines : espaces résiduels ou nouvelles formes d’intégration des espaces agricoles aux stratégies urbaines ? », Bulletin de l’Association des

Géographes Français 44


isolées, tant professionnellement qu’économiquement, d’autres producteurs et opérateurs agricoles présents sur le territoire et ne constituent donc pas de réseau. Les zones maraîchères et horticoles extraverties : Contrairement aux zones maraîchères et horticoles à fonction locales, celles-ci sont ouvertes sur des marchés d’expédition et d’exportation, aussi bien à l’échelle régionale que nationale, voire même internationale. Elles en deviennent alors des centres d’activité économique en elles-mêmes et peuvent s’affranchir de la dépendance à la ville-centre. Entre différents éléments de cette zone, un véritable réseau de solidarité entre producteurs et opérateurs est généré, conférant, par cet effet d’agglomération, une solidité économique aux exploitations agricoles concernées. Ces dernières, grâce au pouvoir d’association accumulé, sont aussi à l’origine de l’installation de nombreux équipements et infrastructures agricoles sur l’espace périurbain, aidant à la gestion de la production agricole tant en amont, par les centres de formation et d’expérimentation par exemple, qu’en aval de la production, avec l’implantation de coopératives et de marchés permanents. C’est ainsi que, grâce au déploiement conséquent de cette filière d’acteurs du secteur agricole, ces zones extraverties possèdent de véritables capacités d’influence des politiques urbaines, devenant même des pôles de développement de projets urbains. Les zones horticoles périurbaines : Ce dernier type de zones, plus récent que les anciens, est surtout présent dans les couronnes extérieures de l’espace périurbain. Tout en répondant aux objectifs des zones extraverties, leur établissement peut naître de plusieurs logiques économiques différentes. La première constitue la création ex nihilo, c’est-à-dire à partir de rien, d’une nouvelle zone d’activité horticole. Mais elle peut également naître d’une volonté de développement plus conséquent de l’exploitation agricole. Cette dernière est alors réimplantée sur un site nouveau disposant de plus de surface, mais souvent plus éloigné de la ville-centre. Enfin, la dernière logique économique procède d’opérations concertées et planifiées de réinstallations groupées d’exploitants agricoles touchés par le développement urbain. Ces différentes zones, sauf le premier cas où elles revêtent un caractère résiduel, sont aujourd’hui prises en compte dans les stratégies urbaines. Outre leurs valeurs patrimoniales, historiques, culturelles et sociales fortes, elles possèdent une véritable

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fonction de gestion territoriale de structuration de l’espace périurbain et des espaces ouverts.

2.1.2 UNE AGRICULTURE PERIURBAINE A ENJEUX Le constat de l’état actuel du statut de l’agriculture périurbaine vient en réponse à la transformation profonde de la société qui est survenue au cours de la deuxième moitié du XXème siècle. Dans les années 1960, l’économie française et les échanges commerciaux se sont ouverts aux marchés européens, en entraînant la naissance de nouvelles formes de distribution, telles que les supermarchés. Aujourd’hui ces derniers détiennent une position d’influence majeure dans le développement des espaces périurbains mais, comme le rappelle Carolyn Steel, « les supermarchés ont beau procurer des fonds opportuns aux autorités locales en manque de liquidités, la « régénération urbaine » qu’ils offrent est en réalité la destruction de la ville. Car ils changent sa texture physique et sociale, et avec elle la nature même de l’urbanité. »40 Face au développement toujours croissant de la ville, les espaces agricoles, encore présents dans le maillage nouvellement formé, tendent à disparaître s’ils ne sont pas capables de s’adapter. Pour lutter contre cette « désagricolisation du rural »41, dans les années 1990, la question du devenir des espaces agricoles périurbains et enfin posée. Ces nouvelles questions viennent compléter l’adoption de la loi d’orientation foncière de 1967. Cette dernière avait alors pour objectif la mise en place du plan d’occupation des sols (P.O.S.) et de schémas directeurs d’aménagement et d’urbanisation (S.D.A.U.)42, définissants des espaces agricoles à conserver et à protéger de l’urbanisation. Après un fort exode rural qui a contribué à faire baisser la population agricole des bassins de production ; au début des années 2000, la situation semble s’être stabilisée. Aujourd’hui, ces espaces agricoles transformés ou reformés reflètent plusieurs structures économiques différentes, dans le temps de travail qui y est consacré. On peut alors y voir une agriculture à temps plein, à temps partiel, ou bien même de loisir43.

40

STEEL C., op. cit. p.23 DONADIEU P., op. cit. p.38 42 Ibid. 43 BACCHIALONI M., 2001, « Quelle agriculture pour les espaces périurbains ? », Labyrinthe 41

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Il est important de faire la différence entre les différentes catégories d’exploitations agricoles, car chacune répond à un mode de fonctionnement différent. S’il a déjà été montré qu’il existait différents types de zones agricoles en périphérie urbaines et que chacune interagissait différemment avec la ville et le territoire, il s’agit ici de catégoriser les exploitations par leur système d’échange et de commercialisation. On distingue quatre grandes catégories d’exploitations agricoles 44 : La première représente, en raison d’une absence de relève familiale, une agriculture en déclin et ne propose donc pas de systèmes de distribution d’envergure. Comme son nom l’indique, elle est vouée à disparaître. La seconde catégorie vient en contrepoint de la première en étant préservatrice du patrimoine familial. Il s’agit d’une agriculture à temps partiel permettant l’obtention d’un revenu complémentaire à l’agriculture. Dans cette mesure, il se peut qu’elle revête le statut de loisir pour l’exploitant. La troisième concerne majoritairement le maraîchage et les apiculteurs, qualifiée d’agriculture de libre-échange, elle est destinée à un marché d’auto-commercialisation et de vente directe, à l’échelle du local. Elle se réalise le plus souvent à temps plein. Enfin, la dernière catégorie s’attache au marché contingenté et stabilisé mondial. Il s’agit alors ici d’une agriculture destinée à la commercialisation nationale et internationale, où les quantités d’exportation autorisées sont limitées et les prix planchers. Réalisé également à temps plein en raison de l’envergure de l’entreprise, elle concerne principalement l’élevage bovin et laitier. Malgré leur différence d’envergure, de par leur situation périurbaine, ces différentes catégories d’exploitations possèdent tous les mêmes avantages et sont en proies aux mêmes désavantages45. Tout d’abord, cette situation à proximité des villes, entre ruralité et urbanité, offre aux exploitations agricoles de nouvelles possibilités. D’un point de vue commercial premièrement, la situation périurbaine permet un élargissement des possibilités de vente directe et de cueillette directe auprès des citadins, recherchant de plus en plus ce nouveau type d’échanges. Ensuite, quant à l’exploitant agricole, il bénéficie d’un meilleur accès aux services urbains et aux infrastructures modernes de communication, telles que les aéroports ou les autoroutes, permettant de lui faciliter l’accès à une commercialisation sur un territoire plus large. Enfin, et surtout, la proximité urbaine offre des possibilités de double emploi, et une 44

Ibid. BACCHIALONI M., op. cit. p.46 CHARVET J.-P., op. cit. p.41 DONADIEU P., op. cit. p.38 45

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sécurité financière qui vient en soutient au revenu gagné grâce aux fruits de l’agriculture. Ce dernier point concerne également les exploitants en ménage, dans la mesure où leur partenaire peut alors bénéficier d’un emploi en ville et des commodités urbaines. Cependant, il y a aussi de nombreux désavantages. Le premier réside, vraisemblablement, dans l’étalement urbain qui continue son expansion, bien que ralentie aujourd’hui. Ensuite, par ce recul des espaces agricoles face à la progression des constructions naissent alors des incertitudes sur le devenir de ces espaces. Qui, malgré leur statut d’outils de travail agricole, voient leur fonctionnalité diminuée, par le morcellement des parcelles par exemple. Entre les différentes parties d’une exploitation, alors divisée sur plusieurs endroits, parfois éloignés, la circulation, sur le réseau routier général, est compliquée. De plus, le prix élevé du sol périurbain rend ces espaces agricoles en proie aux spéculations foncières. Il faut également noter que cette situation en périphérie des villes tend à élever le montant des salaires des employés pour la main d’œuvre, montant alors souvent beaucoup plus important qu’en zone rurale. Enfin, on ne peut nier que les exploitations agricoles périurbaines sont aussi victimes de vandalisme, de vols et de viols de propriété. Mais cette situation particulière qui caractérise l’agriculture périurbaine est à exploiter pour développer les espaces agricoles en les connectant à un réseau plus large, tant urbain que rural. L’agriculteur périurbain est, en somme, un citadin qui exerce le métier d’agriculteur46. Comme nous l’explique P. Donadieu et A. Fleury, on mesure une généralisation de la baisse de la part de l’agriculture dans le revenu familial des exploitants. Cette agriculture n’est d’ailleurs plus majoritairement l’objet d’un projet de famille. Pour ce qui est des exploitations, on constate des délocalisations partielles et progressives afin de pouvoir mieux gérer sur le long terme la spéculation et la plus-value foncière dont les espaces agricoles périurbains font l’objet. Il convient aussi que les stratégies commerciales de ces exploitants se diversifie et tendent à proposer, de plus en plus, des filières courtes avec des procédés de vente directe. En cela, les valeurs ajoutées de la distribution des produits prêts à la consommation sont alors ajoutées aux bénéfices de la production agricole en elle-même.47 En réponse au statut complexe de l’agriculture en zone périurbaine, René Souchon, sous l’autorité du Ministère de l’Agriculture et de la Forêt, rédigera, en 1991, un rapport sur L’aménagement rural en zone périurbaine. Il présentera alors trois axes de réflexion afin de témoigner de l’importance et des enjeux soulevés par l’agriculture périurbaine. Il présente, dans un premier temps, un enjeu économique dans la mesure 46 47

DONADIEU P., FLEURY A., op. cit. p.38 Ibid. 48


où, selon son étude, les citadins sont en demande des « produits du marché ». Ensuite il prône un objectif de cohérence environnementale, soulignant le fait que les cadres paysagers et agricoles doivent être complémentaires au cadre urbain et non pas dans des rapports de force. Enfin, il souligne l’importance culturelle de cette agriculture qu’il qualifie d’ « authentique ».

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2.2 VERS UNE AGRICULTURE RESOLUMENT URBAINE 2.2.1 UNE AGRICULTURE INTIMEMENT LIEE A LA VILLE Dans son article « La ville nature », Chris Younès, philosophe et professeure à l’ENSA Paris-la-Villette, témoigne des conséquences sociales de l’urbanisation : individualisation, dévastation écologique, iniquités, communautarisation et fractures sociales. Face à l’étalement croissant de la ville, empiétant toujours plus sur l’espace rural, elle rappelle que chaque établissement humain tisse pourtant un lien avec le milieu naturel. C’est alors qu’elle en isole trois sortes : Une mise à distance entre ville et nature, par crainte ou respect ; Une imitation de la nature en milieu urbain ou périurbain, voire même une symbiose entre ces différents milieux, Une maîtrise par la ville sur la nature grâce à une exploitation aveugle. Elle conclut en soulignant les dynamiques récentes, venant en opposition à la tabula rasa des Modernes, selon lesquelles nous développons, aujourd’hui, notre espace urbain en prenant de plus en plus en considération l’intérêt de la nature présente autour de nos villes. En ce qui concerne l’agriculture et les espaces agricoles, on constate, depuis une quinzaine d’années, un regain d’intérêt pour l’agriculture urbaine. En réponse aux diverses crises alimentaires et aux questionnements quant à l’environnement, ce type d’agriculture, déjà présent à l’origine de nos villes mais que nous avons perdu, présente de nombreuses possibilités d’améliorations de la qualité de vie urbaine, par le verdissement de nos villes ainsi que par les alternatives qu’il propose face au système alimentaire industrialisé dominant48. L’agriculture urbaine n’est pas, en effet, un phénomène nouveau : elle a toujours existé au cœur de nos villes. Son retour au-devant de la scène politique et de développement urbain s’est réalisé progressivement à partir des années 1990, où les questions du devenir des espaces agricoles et de la sécurité alimentaire se sont posés.

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STEEL C., op. cit. p.23 50


« Depuis longtemps, nous concevons nos villes en fonction de nos besoins en matière de transport, de logement, de loisirs et d’hygiène publique, tout en espérant que les campagnes continueront de produire des aliments et que le prix du carburant permettra indéfiniment le transport de ces aliments sur des distances de plus en plus grandes. […] Peu à peu, nous sommes en train de repenser nos villes en fonction de nos besoins alimentaires. »49

L’agriculture urbaine commence ainsi à entrer dans le champ de la culture populaire et patrimoniale et dans celui de l’espace urbain. Bien qu’elle soit en rupture avec deux grands principes traditionnels de l’aménagement de l’espace urbain, les principes paysagiste50 et aménagiste51, aujourd’hui elle dispose d’une réelle influence sur la mise en place de projets urbains et y prend part à deux conditions majeures52 : Elle doit être durable. Et cela malgré le fait qu’elle constitue, face aux exploitations intensives colossales, une activité économique à faible productivité en raison de sa petite surface. Elle doit aussi démultiplier ses atouts pour contrer sa faible valeur foncière et la spéculation qui y est assimilée. Elle doit aussi être acceptée et reconnue par la ville. Il s’agit là d’un prérequis à son développement au sein d’un espace urbain. Par les nouveaux systèmes agricoles qu’elle propose, elle se doit de proposer de nouveaux services aux citadins.

49

COCKRALL-KING J., op. cit. p.30 Le principe paysagiste consiste en l’élimination de l’agriculture du paysage urbain, en le réduisant souvent à des reproductions pittoresques. 51 Le principe aménagiste tend, quant à lui, à la fragmentation de l’espace urbain en zones fonctionnelles. 52 DONADIEU P., FLEURY A., 1997, « De l’agriculture périurbaine à l’agriculture urbaine », Le courrier de l’environnement, n°31 50

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Il est donné, dans Le courrier de l’environnement, à la suite des travaux de P. Donadieu et A. Fleury, une définition assez complète de ce que peut représenter l’agriculture urbaine : « C’est une expression polysémique, dont les principaux sont : Dans le langage des agronomes tropicaux, il s’agit de l’agriculture vivrière interstitielle qui utilise à des fins essentiellement d’autoconsommation (sauf quelques surplus vendus localement) les terrains délaissés à l’intérieur des villes, quelle que soit leur taille ; Dans le même sens de production familiale, mais avec une signification psychosociale très différente, ce terme commence à être utilisé dans les pays développés pour désigner les jardins familiaux, en développement rapide actuellement ; Ce terme est également employé pour désigner les systèmes de culture des espaces verts urbains (L.M. Rivière, INRA Agronomie) ; Enfin, P. Donadieu et A. Fleury l’emploient pour les systèmes agricoles des périphéries urbaines orientés vers les nouveaux besoins urbains. »53

Par les différents sens qu’elle véhicule, l’agriculture urbaine propose ainsi de nouvelles solutions aux problématiques de l’espace urbain. Sur le plan éducatif d’abord, elle tend à faire prendre conscience de l’importance nourricière d’une agriculture locale et de l’inacceptabilité des formes modernes d’agriculture. Mais elle revêt aussi des enjeux esthétiques, en tant que génératrice de paysages urbains, et économiques, par la nouvelle gestion des espaces publics qu’elle peut proposer. Enfin, par les jardins familiaux, l’intérêt éducatif quant à l’alimentation et la possible réinsertion sociale qu’elle porte, l’agriculture urbaine agit aussi sur le plan social. Tissant ces nouveaux liens avec la ville, les exploitations agricoles ont vocation à se transformer en de véritables entreprises agricoles proposant des biens et des services. C’est d’ailleurs ce que Pierre Donadieu souligne en disant « [qu’]est urbaine l’activité agricole dont les ressources, les produits et les services sont ou peuvent faire l’objet d’une utilisation urbaine directe ».54

53 54

DONADIEU P., FLEURY A., op. cit. p. 51 DONADIEU P., op. cit. p. 38 52


2.2.2 L’EMERGENCE DE NOUVELLES FORMES DE PRODUCTION AGRICOLE ET DE NOUVEAUX RAPPORTS A L’ALIMENTATION 2.2.2.1 Potentialités de sécurité alimentaire, l’exemple de Cuba Au cours des cent dernières années, le pouvoir alimentaire est passé des agriculteurs et consommateurs à une élite composée de multinationales de l’agroindustrie. Alors que des pays, dit développés, comme les pays européens et nordaméricains baignent dans l’abondance de nourriture, grâce à des marchés mondiaux tournés en leur faveur, de nombreux autres sont encore les victimes de pénuries et d’insécurités alimentaires conséquentes. Face à cet état de fait, les Nations Unies reconnaissent, en 1996, lors de la Conférence Mondiale de l’Alimentation, la notion de sécurité alimentaire : « [La sécurité alimentaire] existe lorsque tous les êtres humains ont, à tout moment, un accès physique et économique à une nourriture suffisante, saine et nutritive leur permettant de satisfaire leurs besoins énergétiques et leurs préférences alimentaires pour mener une vie saine et active »

On reconnaît aujourd’hui à Cuba une solidité quant à la sécurité alimentaire qu’il offre à ses citoyens. Dans la mesure où une ville comme La Havane, capitale du pays, est capable de produire 80% de sa consommation de fruits et légumes et 60% de sa consommation de viande, on peut considérer que le pays est aujourd’hui presque totalement autosuffisant en termes de nourriture. 55 Aujourd’hui, la ville de La Havane dispose de nombreux systèmes de production qui se sont étendus à la totalité du territoire cubain. Mais ces résultats sont aussi et surtout les conséquences de crises politiques d’envergure, au cours des années 1990, dans tout le pays. Pour prendre conscience de la situation cubaine aux prémices du XXIème siècle, il est nécessaire de se rappeler la situation politique du pays et la nature de ses échanges commerciaux de par le monde. A partir de 1976, le régime cubain est sous l’autorité de Fidel Castro, animé d’une fervente impulsion communiste. En ce sens, il tissera de profondes relations politiques et commerciales avec l’Union Soviétique. A la chute de l’URSS, en 1991, c’est alors 85% de son commerce extérieur que perd Cuba56. Au même moment, en 1992, les EtatsUnis adoptent la loi Torricelli mettant fin au commerce entre les deux pays, c’est le début de l’embargo américain. Privé d’apport pétrolier, Cuba, qui avait développé une 55

« Cuba et l'agriculture urbaine (partie IV) », dans le reportage « Cuba, révolution globale » de l’Humain d’abord, 2011 (Vidéo) 56 COCKRALL-KING J., op. cit. p.30 53


agriculture agroindustrielle utilisant pesticides, fertilisants et combustibles, pour le pompage de l’eau par exemple, doit alors totalement réorganiser son système alimentaire. Pour faire face à ce manque d’énergie fossile, on privilégie alors d’abord une agriculture de proximité, limitant les transports, puis une économie de la petite échelle, où la nécessité de machines modernes est moins importante. Aujourd’hui dans un contexte mondial plus serein, le pays conserve une certaine indépendance quant à ses importations, dans l’objectif de continuer à mettre l’accent sur une production sans apports externes. Dans une ville comme La Havane, de plus de deux millions d’habitants, l’agriculture urbaine est alors source de nombreux emplois, intégrant toujours plus de femmes. On constate ainsi qu’en 1999 elle était à l’origine de 9.000 emplois, elle en est, en 2006, source de 44.00057. Pour ce qui est des terres consacrées à l’agriculture urbaine, il s’agit de plus de 35.000 hectares consacrés, aussi bien situés en cœur de ville que dans l’espace à proximité58.

27. Agriculture cubaine dans des « organoponicos » © Anastasiia Stryzhevska

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KOONT Sinan, 2011, « L’agriculture urbaine de La Havane » (en ligne), consulté le 01 mai 2017 « Cuba et l'agriculture urbaine (partie IV) », dans le reportage « Cuba, révolution globale » de l’Humain d’abord, 2011 (Vidéo) 58

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Cette agriculture urbaine particulière, qui fait aujourd’hui la renommée de l’île cubaine, s’appuie avant tout sur des pratiques bios et sur le principe de l’agroécologie59. Ce principe contribue à la favorisation des circuits courts et donc à l’implantation, dans différents quartiers, de plusieurs lieux de production et de vente. La Havane est aujourd’hui riche de différentes formes spatiales permettant l’agriculture en ville. La première forme reconnue est le « patio », il s’agit en fait des cœurs d’îlots. L’usage de ces espaces est alors privé et familial et destiné à l’autoconsommation. On remarque aussi la présence de nombreuses parcelles individuelles et privées répétant le même mode de fonctionnement. Ensuite, à une échelle plus collective, il existe des fermes d’Etat et des « aeras de autoconsumo », ces dernières sont, en fait, des zones cultivées par des entreprises d’Etat qui produisent leur propre nourriture pour leurs employés. Enfin on remarque également, la présence de jardins intensifs sur petites surfaces, en pleine terre, et les « organoponicos », formes urbaines propre à Cuba. Ces « organoponicos » répondent aux jardins intensifs dans leur mode de fonctionnement. La principale différence réside dans le fait que, dans leur cas, les produits de l’agriculture ne sont pas cultivés directement en pleine terre. Ils sont, en effet, généralement aménagés sur des terrains peu fertiles ou sur des sols bitumés, comme des parkings désaffectés. Ils consistent, plus précisément, en de petits espaces rectangulaires fermés par des murets. Leur longueur peut alors atteindre une trentaine de mètre et ils sont ensuite emplis d’une mixture combinant de la terre et des substances organiques comme du compost. Par la reconquête des espaces en friche de la ville, l’agriculture urbaine transforme les « parcelles de terre dépotoir » en parcelles productives, contribuant au verdissement urbain. En luttant contre les crises alimentaires, Cuba a su développer une véritable « consommation sociale »60 où le produit de cette agriculture est d’abord destiné aux services publics, comme les écoles et les hôpitaux. Par la formation des producteurs, l’agriculture urbaine cubaine a contribué à l’insertion professionnelle des femmes et des jeunes de moins de 35 ans, tout en offrant aux plus personnes âgées et aux séniors une possibilité de revenu d’appoint.

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Consiste en l’application des principes de l’écologie aux pratiques agricoles. « Cuba et l'agriculture urbaine (partie IV) », dans le reportage « Cuba, révolution globale » de l’Humain d’abord, 2011 (Vidéo) 60

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2.2.2.2 Agriculture urbaine, objet de nature en ville : des potentiels paysagers Plus qu’à l’agriculture, la ville a toujours eu une relation à la nature. Cette dernière, lorsqu’elle est présente dans l’espace urbain, est un facteur reconnu de la qualité de vie urbaine. Aujourd’hui plus qu’avant, le citadin est en demande de cette idée de nature, tant à vivre qu’à voir61. John Dixon Hunt, historien du paysage, décrit la nature comme divisible en trois entités totalement distinctes62 : la nature première sauvage, la nature seconde cultivée et, enfin, la nature élaborée sur l’art des jardins, à laquelle sont donc associés des paramètres esthétiques et de loisirs. L’espace agricole à la proximité des villes, dans sa forme actuelle, n’est pas en mesure de se montrer attractif pour la population urbaine, tant ils ne constituent pas des paysages. En effet, contrairement aux formes de l’agriculture présente dans nos espaces périurbains, c’est une nature verte et paisible qui est recherchée, dont les formes traditionnelles, comme l’arbre, la forêt ou bien même le vieux village sont reconnues par tous63. Même si les espaces agricoles périurbains ont le rôle de nature par défaut, il est important de rappeler « [qu’ils] sont créés par les agriculteurs sans intention de produire des paysages »64. Cependant, on ne peut nier qu’en périphérie des villes, ils portent le statut de paysage. Il est alors possible de faire le constat d’un entremêlement des trois natures explicitées par John Dixon Hunt, souvent source de nombreuses politiques et enjeux urbains. En effet, actuellement de nombreux projets urbains tendent à pérenniser les espaces agricoles et forestiers et à consolider leurs liens avec la ville : c’est le cas des ceintures vertes. Que ce soit en freinant le développement, en tâche d’huile, de la ville ; en offrant des lieux de détente aux habitants ; ou bien même en maintenant une agriculture de proximité, les ceintures vertes présentent aujourd’hui de véritables perspectives de développement quant au maintien d’une agriculture périurbaine ou urbaine, qui propose des services à l’espace urbain. Ces ceintures vertes sont les héritières des banlieues et ceintures maraîchères d’hier, encore présentes à proximité des villes d’aujourd’hui, comme symboles des derniers noyaux de résistance agricole. Ces dernières, nées au XIXème siècle, varient d’une ville à l’autre, tant par leur taille que par leurs structures et types de production, 61 62

DONADIEU P., op. cit. p.38 Cité par Chris YOUNES dans : YOUNES C., 2008, « La ville nature », Revue appareil, numéro

spécial 63 64

DONADIEU P., FLEURY A., op. cit. p.38 Ibid. (page 38 de l’article) 56


leurs modes d’organisation et de commercialisations et leurs rapport à leur environnement urbain. Bernard Gauthiez en donne une définition : « [Une ceinture verte est un] système de parcs et/ou de zones naturelles ou rurales reliées entre eux et créant une discontinuité entre deux secteurs urbains, soit dessinant le périmètre d’une agglomération, soit interrompant la continuité bâtie entre le centre et la périphérie, ou entre la proche périphérie et la lointaine. »65

Le meilleur exemple pour parler de ceinture verte est, vraisemblablement, le cas de la ville d’Ottawa, capitale canadienne. Dès 1950 est proposé, par Jacques Greber, architecte paysagiste français, la mise en place d’une « Ceinture de verdure » autour de la ville pour lutter contre son étalement, dévorant toujours plus d’espaces agricoles. Arborant la forme d’un croissant au sud de la ville, la Ceinture de verdure s’étend sur une surface de plus de 20.000 hectares et héberge des territoires naturels, tels que plaines humides et forêts, ainsi qu’agricoles. Au départ, le projet de Greber devait permettre d’abriter 500.000 habitants dans la surface que délimitait la ceinture. Aujourd’hui, on fait le constat qu’avec plus de 880.000 habitants en 2011, l’urbanisation s’est développée sur la couronne extérieure de ladite Ceinture de verdure. Cependant, grâce au plan directeur de 1996, cette dernière est protégée de toutes nouvelles constructions en non-adéquation avec la préservation de l’agriculture et de la biodiversité présentes. Ce sont, en effet, 5.400 hectares qui sont consacrés uniquement à l’agriculture, laquelle permet de combler une partie des besoins alimentaires de la ville. De plus, elle abrite de nombreux sentiers, totalisant une longueur de 150 km, et offre une possibilité de multitudes d’activités de plein air. C’est également un lieu de découverte, de sensibilisation et d’éducation à l’environnement et aux richesses de la terre. Enfin, il convient que la Ceinture de verdure d’Ottawa est aujourd’hui la plus grande ceinture de propriété publique au monde, étant donné que 14.950 hectares appartiennent à la Commission de la Capitale Nationale (C.C.N.) 66. Il est important de noter aussi qu’en 2013 le plan directeur de la ceinture a été révisé et que, depuis, il est prévu d’intégrer 481 hectares de terrains contigus à l’emprise existante et d’élever le nombre d’hectares consacrés à l’agriculture à 5.800.

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GAUTHIEZ B., 2003, Espace urbain, vocabulaire et morphologie, Ed. du patrimoine http://ccn-ncc.gc.ca/endroits-a-visiter/ceinture-de-verdure, consulté le 20 avril 2017

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28. Plan révisé, de 2017, de la Ceinture de verdure d'Ottawa © Commission de la Capitale Nationale

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29. Etalement urbain et dépassement de la Ceinture de verdure par l’urbanisation à Ottawa, Canada. En haut : Ottawa, dans l’emprise de la ceinture, en 1984 En bas : Ottawa, urbanisation par-delà la ceinture de verdure, en 2016 Vues aériennes comparatives prises à la même altitude © Google Earth

30. Etalement urbain et dépassement de la Ceinture de verdure par l’urbanisation à Ottawa, Canada. En haut : Ottawa, dans l’emprise de la ceinture, en 1984 59 En bas : Ottawa, urbanisation par-delà la ceinture de verdure, en 2016 Vues aériennes comparatives prises à la même altitude © Google Earth


2.2.2.3 La troisième révolution alimentaire : tendances vers une agriculture agro-communautaire Lorsque l’on entend le terme de paysage, on pense indéniablement à la nature. Et la représentation, bien que souvent vulgarisatrice de la nature en ville, se fait au moyen des espaces verts. Ces derniers constituent en ville des « espace[s] libre[s] consacré[s] au vert et destiné[s] à la récréation, au sport, aux jeux ou à l’agrément visuel »67. Dans des politiques urbaines où le vert doit être de plus en présent en ville, les espaces verts se multiplient, impliquant des coûts grandissants pour les administrations alors que leurs moyens de financement diminuent. L’agriculture, en tant que chargée de la gestion de ces espaces, est alors une option à considérer. « Une des manières les moins onéreuses d’entretenir les espaces verts en périphérie des agglomérations urbaines consiste certainement à y maintenir des activités agricoles et des agriculteurs. Toutefois, la nouvelle demande sociale qui émane des villes en matière de loisirs ou en matière de protection ou d’entretien d’un environnement « naturel » ou architectural de qualité ne manque pas d’accroître encore davantage la diversité des activités périurbaines. »68

Il convient alors de proposer une nouvelle façon de concevoir les espaces verts, dans l’objectif de les rendre productifs. Au cœur des villes, ces dynamiques tendent à rendre aux populations l’espace public en leur permettant d’y cultiver eux-mêmes leurs aliments. Ces mouvements se font alors à une échelle communautaire, plus resserrée. De par le monde, on constate aujourd’hui de nombreuses initiatives populaires en matière d’agriculture. Celles-ci nous prouvent que nous sommes capables de produire sur de petites surfaces, en cœur de ville, assez de nourriture pour nourrir plusieurs familles. Parsemées, de façon limitée, dans chacune de nos villes contemporaines quelques soit leur situation géographique, ces agricultures urbaines d’initiatives populaires sont les témoins de l’amorce de la troisième révolution alimentaire présentée par Myriam Bouré : le passage vers une ère agro-communautaire69. Il ne s’agit pas, dans ce travail, d’établir un catalogue des différentes façons de cultiver en ville, c’est pourquoi je n’entrerais pas dans un recensement exhaustif de ce qu’il peut se faire aujourd’hui, d’autant plus que les initiatives communautaires d’agriculture urbaine sont nombreuses et s’accroissent toujours plus. Outre la mise en place d’AMAP (Aires de Maintien d’une Agriculture Paysanne) et l’augmentation du

GAUTHIEZ B., 2003, Espace urbain, vocabulaire et morphologie, Ed. du patrimoine CHARVET J.-P., op. cit. p.41, page 122 de l’article 69 BOURE Myriam, « La 3ème révolution alimentaire : vers un âge agro-communautaire » pour OuiShare Magazine, Février 2016 (en ligne) 67 68

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nombre de coopératives, il est important de mesurer l’étendue de l’agriculture urbaine présente dans nos villes. A Saint-Etienne, par exemple, il existe de nombreux jardins familiaux colorants les versants collinaires tout autour de la ville. Ils font aujourd’hui partie du patrimoine stéphanois à part entière. Rappelons que « les jardins familiaux sont des lotissements de parcelles gérés par une association, mis à disposition de jardiniers afin qu'ils en jouissent pour leurs loisirs et les cultivent pour les besoins de leur famille, à l'exclusion de tout usage commercial. »70 Dans le cas de la métropole stéphanoise, il s’agit d’anciennes propriétés des mines, autrefois jardins ouvriers. Ces jardins, nés au XIXème siècle, sous l’impulsion du père Félix Volpette (1856-1922), se sont étendus jusqu’à atteindre 18 hectares et à proposer des lots à 400 familles. Rappelons qu’en 1890, sur 146.000 habitants, Saint-Etienne compte 95.420 ouvriers.71

31. Jardins familiaux de Saint-Etienne (42), quartier de Montaud © Antoine Flauto, 2017

Plus récemment, un autre type de jardins émerge, les jardins communautaires, aussi appelés « jardins partagés ». La différence avec les jardins familiaux est tout de même à noter : « Un jardin partagé est un jardin conçu, construit et cultivé collectivement par les habitants d’un quartier ou d’un village. Un jardin partagé ne se décrète pas, il prend tout son sens parce qu’il répond aux attentes et aux besoins des habitants d’un lieu. Réunis en association les habitants gèrent le jardin au quotidien et prennent les décisions importantes collectivement. En ce sens chaque projet est unique par son aménagement et son fonctionnement. »72

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Définition de la Fédération Nationale des Jardins Familiaux http://www.patrimoinevivantdelafrance.fr/, consulté le 12 mai 2017 72 Définition empruntée à « Jardin dans tous ses états » (http://jardins-partages.org/) 71

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A une échelle plus vaste, l’agriculture urbaine propose également des enjeux de reprise de croissance pour des villes en difficulté. C’est le cas de la ville de Détroit, aux Etats-Unis. Face à la chute des secteurs automobile et industriel, Détroit voit sa population réduite de presque un tiers, en effet, si la ville compte plus de 1.850.000 habitants en 1950, elle n’en abrite plus que 680.000 en 2014 73, entraînant l’abandon de nombreux bâtiments. Face à un taux de vacance conséquent et à la présence de nombreuses friches, mais également pour lutter contre le chômage survenu brutalement, des initiatives populaires se mettent en place avec pour objectif de faire pousser elles-mêmes leur nourriture. Aujourd’hui plusieurs associations d’envergures sont présentes à Détroit et défendent l’agriculture urbaine comme nouveau moteur social et économique de la ville. Parmi elles, l’association « Keep Growing Detroit » regroupant plus de 20.000 volontaires et gérant 1.400 fermes et jardins bios dans la ville, sur les 1.600 fermes présentes au total. En 2015, ce sont encore 2.400 hectares de friches délaissées qui peuvent être cultivés74. « Nous nous sommes donné l’audacieuse mission de créer une ville autonome en nourriture, où la majorité des fruits et légumes consommés dans la ville est cultivée dans Détroit, par ses habitants, pour ses habitants. » - Ashley Atkinson, co-directrice de Keep Growing Detroit

32. Un des jardins de l'association Keep Growing Detroit © Keep Growing Detroit, 2011

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D’après le Bureau de recensement des Etats-Unis LEVY B., 2015, Demain (Film documentaire) 62


La dynamique impulsée à Détroit se retrouve dans de nombreuses villes à travers le monde et tout particulièrement dans les pays dits développés, parmi elles, Todmorden, en Grande-Bretagne. C’est dans cette commune de 15.000 habitants qu’est née l’initiative « Incroyables Comestibles » présente actuellement dans de nombreux pays, notamment en France. On en retrouve d’ailleurs une antenne à SaintEtienne. Créée en 2008, l’objectif est que la ville de Todmorden bénéficie d’une autonomie alimentaire, sous un rayon d’approvisionnement en circuits courts ne dépassant pas les 80 km, d’ici 2018. En 2011, après trois ans d’actions, ce sont déjà 83% des besoins des ménages qui sont comblés par l’agriculture urbaine. Au travers de leur initiative, Incroyables Comestible prône des « jardins-propagandes », visibles en tant qu’éléments structurants de la ville, et des « routes potagères »75. L’idée ici est d’investir tous les espaces vides et interstitiels de la ville, générant alors, par la libreconsommation de la nourriture cultivée, de nouvelles relations sociales entre individus, pour une agriculture résolument urbaine. « Nous avons créé une raison de se parler grâce à une plante. C’est fou, non ? Des inconnus se retrouvent devant un massif et discutent. Voilà ce qu’il nous fut pour l’avenir : se connecter les uns aux autres. » - Mary Clear, co-fondatrice des Incroyables Comestibles

33. Mise en place d'un "jardin-propagande" sous l'initiative d’Incroyables Comestible sur un campus français © Incroyables Comestibles, 2011

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http://lesincroyablescomestibles.fr/, consulté le 8 mai 2017

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CONCLUSION

A l’issu de ce travail, il est important de mesurer toute l’importance de l’alimentation et, tout particulièrement, de l’agriculture dans la forme de nos villes, tant d’hier que d’aujourd’hui. Outre les rapports à la ville, les espaces agricoles sont une composante essentielle de l’espace rural et périurbain, longtemps en proie à l’urbanisation croissante. Face à la transformation des paysages suburbains, liée au développement de la filière agroindustrielle et des nouveaux moyens de transports, l’agriculture représente un véritable tenseur spatial entre espaces ruraux et espaces urbains. Mais la ville, plus qu’une forme spatiale, est aussi un espace qui se vit chaque jour par les citadins. Face à la révolution industrielle, la façon de s’alimenter a profondément changée durant le XXème siècle, et a radicalement transformé les circuits de distribution. Aujourd’hui, face à une économie mondialisée réglée par des marchés stabilisés et contingentés, l’agriculture tend, par l’impulsion d’initiatives populaires, à retrouver sa saveur locale. Nous pouvons d’ailleurs faire le constat d’une multitude de projets visant à réintégrer l’agriculture, en la rendant intimement connectée et liée, tant spatialement que socialement, à la ville. Ce travail, n’ayant pas l’ambition d’être exhaustif, ne présente qu’une infime partie des dynamiques allant dans le sens d’une agriculture urbaine. Il s’agissait, au moyen de l’élaboration d’un état général de la question, de présenter la situation actuelle et ses enjeux, grâce à un retour sur son évolution depuis la genèse de l’agriculture, au Néolithique. L’exercice du rapport d’études m’ouvre aujourd’hui de nombreuses perspectives quant à son développement en mémoire. Plusieurs questions sous-tendent à la notion d’agriculture urbaine. Comme, notamment, la place de la nature en ville. On pourrait également envisager des études de cas précises de projets agro-communautaires à l’échelle de villes, tels que ceux développés à Cuba et à Détroit. En tant que futur étudiant en mobilité internationale à Medellin, en Colombie, les perspectives quant à la place que tient l’agriculture dans cette ville proposent aussi des questionnements intéressants et pourraient faire l’objet d’un développement avec le mémoire.

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TABLE DES ILLUSTRATIONS

Figure 1 p.12

Le cycle de vie alimentaire Réalisation personnelle d’après des documents existants

Figure 2 p.19

Le Croissant Fertile Réalisation personnelle d’après des cartes existantes

Figure 3 p.23

Organisation d'un village du Haut Moyen-Âge Réalisation personnelle

Figure 4 p.25

Les effets du mauvais gouvernement (Fresque) Ambrogio Lorenzetti, 1339

Figure 5 p.25

Les effets du bon gouvernement (Fresque) Ambrogio Lorenzetti, 1339

Figure 6 p.25

Répartition des parcelles cultivables vers 1750 Réalisation personnelle

Figure 7 p.28

Les couronnes d’approvisionnement de Paris en 1750 Réalisation personnelle

Figure 8 p.29

Le modèle de von Thünen © Dr. Jean-Paul Rodrigue Tiré de L’Etat isolé en relation avec l’agriculture et l’économie nationale, Johann Heinrich von Thünen, 1826

Figure 9 p.34

Emprise au sol et réseau routier, l’exemple lyonnais : entre un tissu ancien dense au cœur de la ville et une zone commerciale en périphérie urbaine. Vues aériennes à la même altitude En haut : tissu ancien dense au cœur de Lyon (69), de la place Bellecour (à gauche) à la gare de la Part-Dieu (à droite) En bas : zone commerciale en zone périurbaine lyonnaise, au sud de Bron (69) © Google Earth

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Figure 10 p.42

Etalement urbain et grignotage de l’espace agricole et rural au cours du temps, le cas de Medellin. Photos aériennes comparatives réalisées à la même altitude. En haut : Medellin en 1985 En bas : Medellin en 2016 © Google Earth

Figure 11 p.45

Inscription des exploitations agricoles dans un réseau direct ou complexe à la ville centre Réalisation personnelle

Figure 12 p.55

Agriculture cubaine dans des « organoponicos » © Anastasiia Stryzhevska

Figure 13 p.58

Plan révisé, de 2017, de la Ceinture de verdure d'Ottawa © Commission de la Capitale Nationale

Figure 14 p.59

Etalement urbain et dépassement de la Ceinture de verdure par l’urbanisation à Ottawa, Canada. En haut : Ottawa, dans l’emprise de la ceinture, en 1984 En bas : Ottawa, urbanisation par-delà la ceinture de verdure, en 2016 Vues aériennes comparatives prises à la même altitude © Google Earth

Figure 15 p.61

15. Jardins familiaux de Saint-Etienne (42), quartier de Montaud © Antoine Flauto, 2017

Figure 16 p.62

Un des jardins de l'association Keep Growing Detroit © Keep Growing Detroit, 2011

Figure 17. p.63

69

Mise en place d'un "jardin-propagande" sous d’Incroyables Comestible sur un campus français © Incroyables Comestibles, 2011

l'initiative


BIBLIOGRAPHIE

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Labyrinthe En ligne : http://labyrinthe.revues.org/index933.html -

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CHOAY F., 2011, La terre qui meurt, Ed. Fayard

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COCKRALL-KING J., 2017, La Révolution de l’Agriculture Urbaine, Ed. Ecosociété

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DONADIEU P., FLEURY A., 1997, « De l’agriculture périurbaine à l’agriculture urbaine », Le courrier de l’environnement, n°31

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STEEL C., 2016, Ville affamée : comment l’alimentation façonne nos vies, Ed. Rue de l’échiquier

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VAUDOIS J., 1994, « Les zones maraîchères périurbaines : espaces résiduels ou nouvelles formes d’intégration des espaces agricoles aux stratégies urbaines ? »,

Bulletin de l’Association des Géographes Français En ligne : http://www.persee.fr/doc/bagf_0004-5322_1994_num_71_2_1726 -

YOUNES C., 2008, « La ville nature », Revue appareil, numéro spécial En ligne : https://appareil.revues?org/455

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ANNEXE 1 : RESSOURCES DOCUMENTAIRES

-

BARON

M.,

2004,

« Le

modèle

Von

Thünen »,

Hypergéo

http://www.hypergeo.eu/spip.php?article566 -

BOURE M., 2016, « La 3ème révolution alimentaire : vers un âge agrocommunautaire » pour OuiShare Magazine

http://magazine.ouishare.net/fr/2016/02/la-3eme-revolution-alimentaire-vers-unage-agro-communautaire/ -

« La CCN veut consolider sa Ceinture de verdure à Ottawa », 2013

http://ici.radio-canada.ca/nouvelle/642472/ceinture-verdure-ottawa-plandirecteur -

Commission de la Capitale Nationale, « La Ceinture de verdure »

http://ccn-ncc.gc.ca/endroits-a-visiter/ceinture-de-verdure -

« Cuba et l'agriculture urbaine (partie IV) », dans le reportage « Cuba, révolution globale » de l’Humain d’abord, 2011 (Vidéo)

https://www.youtube.com/watch?v=K7vcgQDqcUQ -

FAUVE C., 2014, « L’espoir dans le potager », Revue EK, N°39, p. 28-33

-

Histoire médecine, Xavier Riaud, « Le DTT et la Seconde Guerre Mondiale »

http://www.histoire-medecine.fr/seconde-guerre-mondiale-Le-DDT-et-laseconde-guerre-mondiale.php -

Humanite.fr, 2014, « Le bel exemple coopératif des équitables pionniers de Rochdale » http://www.humanite.fr/histoire-le-bel-exemple-cooperatif-des-

equitables-pionniers-de-rochdale-525689 -

KOONT

S.,

2011,

« L’agriculture

urbaine

de

La

Havane »

https://cubanismo.be/fr/articles/l-agriculture-urbaine-de-la-havane -

LEVY B., 2015, Demain (Film documentaire)

-

LCA Food, 2012, « Analyse du cycle de vie : une méthode à partager », (conférence)

http://ademe.typepad.fr/files/7633_16p-lca-food-en-fran%C3%A7ais.pdf

72


-

Machinisme agricole, « La moissonneuse-batteuse » http://www.machinisme-

agricole.wikibis.com/moissonneuse-batteuse.php -

Ministère de l’agriculture et de l’alimentation, http://agriculture.gouv.fr

-

Patrimoine culturel immatériel, « Les jardins ouvriers familiaux de SaintEtienne », http://www.patrimoinevivantdelafrance.fr/index.php?mact=News,cntnt01,detail,0& cntnt01articleid=44&cntnt01returnid=25

-

Statistiques Canada, http://www12.statcan.gc.ca/census-recensement/2011/dp-

pd/prof/details/page.cfm?Lang=F&Geo1=CSD&Code1=3506008&Geo2=PR&Cod e2=35&Data=Count&SearchText=Ottawa&SearchType=Begins&SearchPR=01&B 1=Population&Custom=&TABID=1

73


ANNEXE 2 : NATIONS UNIES, 2015, "WORLD POPULATION PROSPECTS"

74


75


NOURRIR LA VILLE : ENTRE RURALITE ET URBANITE LA PLACE ET DE LE ROLE DE L’AGRICULTURE DANS NOS VILLES AUJOURD’HUI FLAUTO ANTOINE

76


77


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