APRÈS LA RÉVOLUTION JOURNAL D’APPLICATION DE LA PENSÉE ARCHITECTURALE À D’AUTRES OBJETS QUE LA PRODUCTION DE BÂTI NUMÉRO 1 – LES INFRASTRUCTURES DE LA SANTÉ PUBLIQUE – DÉCEMBRE 2019 – 30 EUROS
SANTÉ PUBLIQUE ÉDITO
LUPUS Adrien Durrmeyer & Amélie Tripoz pour le comité de rédaction Au début des années 70, Ivan Illich constatait une inquiétante évolution quant aux objectifs de la pratique médicale ; cette dernière s’employait désormais à soigner des maladies qu’elle avait ellemême participé à créer. Il écrit : « Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, il est devenu patent que la médecine moderne a de dangereux effets secondaires. Mais il a fallu du temps aux médecins pour identifier la nouvelle menace représentée par les microbes rendus résistants à la chimiothérapie, et reconnaître un nouveau genre d’épidémie dans les désordres génétiques dus à l’emploi des rayons X pendant la grossesse. Trente ans plus tôt, Bernard Shaw se plaignait déjà : les médecins cessent de guérir, disait-il, pour prendre en main la vie de leurs patients. Il a fallu attendre les années cinquante pour que cette remarque prenne forme d’évidence : en produisant de nouveaux types de maladie, la médecine franchissait un second seuil de mutation. » […] PAGE 12
DOCUMENTS
INTERVENTIONS
Au cours de cette époque révolue, et pourtant récente, que nous appelons aujourd’hui fordisme, l’industrie de l’automobile synthétise et définit un mode spécifique de production et de consommation, une temporalisation tayloriste de la vie, esthétique polychrome et lisse de l’objet inanimé, une façon de penser l’espace intérieur et d’habiter la ville, un agencement conflictuel du corps et de la machine, un flux discontinu de désir et de résistance. Dans les années qui suivent la crise énergétique et le déclin des chaînes de montage, on cherchera à identifier les nouveaux secteurs porteurs de transformations de l’économie globale. On parlera ainsi des industries biochimiques, électroniques, informatiques, ou de la communication, comme de nouveaux supports industriels du capitalisme… Mais ces discours ne suffiront pas à expliquer la production de valeur ajoutée et la mutation de la vie dans la société actuelle. Il est pourtant possible d’esquisser une nouvelle chronologie des transformations de la production industrielle du siècle dernier, en prenant pour axe la gestion politique et technique du corps, du sexe et de l’identité. En d’autres termes, il est philosophiquement pertinent d’entreprendre aujourd’hui une analyse sexopolitique de l’économie mondiale.[…] PAGE 22
L’Union européenne, pour ne parler que d’elle, est en guerre contre les personnes migrantes. Elle dispose d’une véritable armada et a fortement militarisé ses frontières pour lutter contre cette population hétérogène : FRONTEX son bras armé, doté d’un budget de 320 millions d’euros en 2018, une externalisation des frontières au Tchad et au Niger, l’équipement des gardes côtes libyens, des frontières terrestres bunkérisées comme à Mellila, etc. Cette guerre compte de nombreuses victimes. […] PAGE 90
BIOPOLITIQUE À L’ÈRE DU CAPITALISME PHARMACOPORNOGRAPHIQUE Paul B. Preciado
SINDIANE, UN PROGRAMME D’AUTO-SUPPORT ET D’EMPOWERMENT DES EXILÉ·E·S Olga Loris
EPISTÉMOLOGIE
COMMENT NOUS SOMMES ARRIVÉS AU NID DE PIE ET CE QUE NOUS OBSERVONS DE LÀ-HAUT. Sup Galeano Lors de la réunion, on observait la poutre centrale de la chaumière. Peut-être en imaginant qu’elle garderait toute sa stabilité et qu’elle resterait entière ; peutêtre en pensant : « Et si c’était pas le cas ? » Il serait, alors, plus judicieux de se rapprocher de la porte, prêts à sortir. « Si la poutre grince, c’est peut-être qu’elle va se briser », avait dit celui qui avait la parole à ce moment-là. Plus tôt, il nous avait conduits à imaginer :
« Figurez-vous que le système est comme cette construction. Elle est faite pour qu’on y vive. Mais, sur le toit, a été construite une pièce très grande et très lourde où des hommes et des femmes fêtent leur richesse. » Il n’avait pas besoin de le dire, mais il a quand même mis en garde contre le poids qui était trop important pour la poutre centrale. La maison n’avait pas été conçue pour supporter tant de choses en haut, et cet étage, où toutes et tous se disputaient la chaise principale, était lourd, très lourd, trop lourd. De fait, on s’imaginait bien que la poutre allait protester. […] PAGE 116
PÉDAGOGIE
RECONQUÉRIR LE POUVOIR SUR NOS CORPS Lea Clémaron, Isadora Lamaudière, Clement Grosjean Dans le présent travail nous avons essayé de comprendre les valeurs qui fondent éthiquement la médecine et la pratique des médecins. Fil rouge de ce travail, nous avons retenu un extrait du serment d’Hippocrate à partir duquel nous avons construit notre propos : « Je dirigerai le régime des malades à leur avantage, suivant mes forces et mon jugement, et je m’abstiendrai de tout mal et de toute injustice. Je ne remettrai à personne du poison, si on m’en demande, ni ne prendrai l’initiative d’une pareille suggestion […]. Je passerai ma vie et j’exercerai mon art dans l’innocence et la pureté. » (Hippocrate, Serment d’Hippocrate, IVe siècle av. J.-C.). Ce travail est basé sur
l’étude de 4 ouvrages écrits issus de contextes et de périodes historiques différentes. Ces livres nous ont permis de couvrir un large spectre des problématiques liées à l’éthique en médecine. […] PAGE 130
CRITIQUE
LA GRANDE SANTÉ VS LA SANTÉ ÉTERNELLE Pierre Caye I. Avec les biotechnologies qui sous-tendent le projet post-humain se joue la constitution d’une nouvelle synthèse anthropologique, la synthèse de l’humain, de l’animal et de la machine. Dans le terme même de bio/technologie, on voit bien que l’homme est pris entre le bios, le grand fleuve de la vie selon la formule de Konrad Lorenz, et la technique, comme si son humanité consistait essentiellement à gérer la relation et la médiation entre la vie et la technique, à être un simple opérateur d’intensification de la vie par la technique et d’immersion de la technique dans le fleuve de la vie. La thèse que je défends ici est très simple : le transhumain, le post-humain, cette volonté à la fois d’intensifier nos facultés par les moyens de la biologie et de la technique, et par cette intensification, de prétendre à une santé éternelle, est de l’ordre du refoulement, d’un déni, du déni de notre sentiment d’impuissance à l’égard de l’extériorité, déni paranoïaque qui engendre nécessairement une extrême violence, l’ultime violence contre nous-même. […] PAGE 156
APRÈS LA RÉVOLUTION JOURNAL FOR THE APPLICATION OF ARCHITECTURAL THINKING TO OTHER OBJECTS THAN THE PRODUCTION OF BUILDINGS – ISSUE #1 – PUBLIC HEALTH INFRASTRUCTURES – DECEMBER, 2019 – 30 EUROS
PUBLIC HEALTH EDITORIAL
LUPUS Adrien Durrmeyer & Amélie Tripoz on behalf of the editorial comittee In the early 1970s, Ivan Illich noted a worrying shift in the objectives of medical practice, which was now working to treat diseases that it had itself helped to create. He writes: “In the aftermath of the Second World War, it became clear that modern medicine had dangerous side effects. But it took doctors time to identify the new threat posed by microbes made resistant to chemotherapy, and to recognize a new kind of epidemic in genetic disorders due to the use of x-rays during pregnancy. Thirty years earlier, Bernard Shaw was already complaining: doctors stop healing, he said, to take control of their patients’ lives. It was not until the 1950s that this remark became obvious: by producing new types of diseases, medicine crossed a second threshold of mutation.” According to Illich, the consequences of this transformation are twofold. […] He underlines the inexorable extension of the field of intervention of medicine; the latter having become responsible for the evolution of biology […] PAGE 14
DOCUMENTS
INTERVENTIONS
During this past, and yet recent, era that we now call Fordism, the automobile industry synthesized and defined a specific mode of production and consumption, a Taylorist temporalization of life, a polychrome and smooth aesthetic of the inanimate object, a way of thinking about the inner space and living in the city, a conflictive arrangement of the body and the machine, a discontinuous flow of desire and resistance. During the years following the energy crisis and the decline of assembly lines, efforts will be made to identify new sectors that would bring transformations in the global economy. We will thus speak about biochemical, electronic, computer or communication industries as new industrial supports of capitalism… But these discourses will not be enough to explain the production of added value and the mutation of life in today’s society. However, it is possible to sketch a new chronology regarding the transformations of industrial production in the last century, focusing on the political and technical management of the body, gender and identity. In other words, it is philosophically relevant to undertake a “genderpolitical” analysis of the global economy today. From an economic perspective, the transition to a third form of capitalism […] PAGE 26
The European Union, to speak only of the EU, is at war with migrant people. It has a real armada and has strongly militarised its borders to fight this heterogeneous population: FRONTEX, its weaponized arm, whose budget was 320 million euros in 2018, an outsourcing of borders to Chad and Niger, the equipment of the Libyan coast guard, bunkered land borders like in Mellila, etc. This war has many victims. In addition to the thousands of deaths in the Mediterranean, there are also deaths in the Niger desert and on the Balkan route. […] PAGE 92
BIOPOLITICS IN THE ERA OF PHARMACOPORNOGRAPHIC CAPITALISM Paul B. Preciado
SINDIANE. A SELF-SUPPORT AND EMPOWERMENT PROGRAM FOR EXILED PEOPLE Olga Loris
EPISTEMOLOGY
ON HOW WE ARRIVED AT THE WATCHTOWER AND WHAT WE SAW FROM THERE Sup Galeano
Those of us in the meeting were staring up at the central beam of the shelter. Perhaps we were appreciating the fact that the beam was still up there, sturdy and in one piece; or perhaps we were thinking “maybe it’s not”, and so maybe it’s better to take a seat closer to the door, on the ready to make an exit. “If the beam creaks, that means that it might break”, the person who had the floor at
the moment had said. Earlier, that person had asked us to use our imagination: “Imagine that the system is like this shelter. It is meant to be lived in. But a large and heavy room has been built on the roof of the house, and inside of that room men and women celebrate their wealth.” It didn’t need to be said, but the person speaking warned us anyway that the weight was too much for the central beam. The house wasn’t built to support a lot of things on top of it, and the stage where all of those men and women fought each other over the throne was heavy, very heavy, too heavy. So it was to be expected that the beam would groan in protest. […] PAGE 118
PEDAGOGY
REGAIN THE POWER OF OUR BODIES Lea Clémaron, Isadora Lamaudière, Clement Grosjean We tried to define the values of medicine and doctors. Indeed, we chose an extract of the Hippocratic oath. It is from this quote and definition that we support our words. “I will guide the diet of sick people to their advantage, according to my strength and my judgement, and I will abstain from all evil and all injustice. I will never give to anyone poison, if you ask me, nor take the initiative of such a suggestion […] I will spend my life and exercise my art in innocence and purity.” (Hippocrate, Serment d’Hippocrate, IVe century B.C.). We have been exposed to 4 books written in four different context and time. They cover a
large spectrum of our problematic. The first book is The old medicine by Hippocrate. He explains the importance of diet to have a good balance between substances in our bodies and to be healthy. […] PAGE 135
CRITIQUE
GREAT HEALTH VS ETERNAL HEALTH Pierre Caye I. With the biotechnologies that underlie the post-human project, the constitution of a new anthropological synthesis, the synthesis of the human, the animal and the machine, is at stake. In the very term of bio/technology, we can see that man is caught between the bios, the great river of life according to Konrad Lorenz’s formula, and technology, as if his humanity consisted essentially in managing the relationship and mediation between life and technology, in being a simple operator of intensification of life through technology and immersion of technology in the river of life. The thesis I defend here is very simple: the transhuman, the post-human, this willingness both to intensify our faculties by means of biology and technology, and by this intensification, to claim eternal health, is of the order of repression, denial, denial of our feeling of powerlessness towards the outside, paranoid denial that necessarily generates extreme violence, the ultimate violence against ourselves. Indeed, […] we want to make ourselves the subject of our technical power […] PAGE 158
ADRESSE AUX LECTEUR·RICE·S Voici donc le premier numéro d’Après la révolution ! C’est un début et nous prions les personnes qui liront ces pages de bien vouloir faire preuve d’indulgence à l’égard de ce travail de pensée collective encore naissant. Il faudra un peu de temps à ce journal pour trouver sa forme et comprendre la meilleure manière d’atteindre le but qu’il s’est assigné : participer de la reconstruction d’un monde débarrassé des rapports d’exploitation et d’oppression. Il faudra aussi à son comité de rédaction un peu de temps pour arriver à maîtriser la production d’un tel objet. Nous travaillons notamment à améliorer notre méthode de traduction, leur qualité dans le présent numéro est inégale et dans l’ensemble insuffisante. Composé de 40 contributions, ce numéro 1 voué à la Santé Publique présente une pluralité de points de vue. Les positions prises ne reflètent pas nécessairement le point de vue du comité de rédaction, mais elles sont considérées par ce dernier comme devant être publiées et diffusées. Nous remercions vivement l’Institut Français, le Bureau de la recherche Architecturale et Paysagère, Pierre Caye et le Centre Jean Pepin, le laboratoire Sophiapol, le groupe local stéphanois de Réseau Salariat, Archeworks, le France Chicago Center de l’Université de Chicago, l’Experimental Station, Monk Parakeet et enfin l’École Nationale Supérieure d’Architecture de Saint-Étienne pour leur soutien à l’organisation des rencontres sur la Santé Publique ayant eu lieu à Saint-Étienne en octobre 2018. Nous les remercions aussi pour leur soutien à la retranscription et à la traduction de certaines des interventions de ces rencontres ici publiées. Nous remercions la Bourse du travail de Saint-Étienne, les Ateliers Morse, la Cinémathèque de Saint-Étienne, l’Amicale Laïque Michelet, L’École Nationale Supérieure de la Sécurité Sociale, Ursa Minor, Le Méliès Saint-François et l’ENSASE pour avoir accueilli ces rencontres et pour leur soutien dans leur organisation. Nous remercions Guillaume Désanges et Workmethod, Paraguay Press, l’agence d’architecture MWAH pour leurs bienveillance et leurs retours critiques sur ce projet de journal. Nous remercions enfin notre éditeur Riot Éditions pour nous accompagner et nous soutenir dans ce projet. Avec l’espoir que la lecture de ces pages participera d’une libération des esprits face aux structures de domination et de répression. Avec l’espoir enfin que ce journal sera une aide à la pensée d’autres architectures du monde. Manuel Bello-Marcano et Xavier Wrona pour le comité de rédaction
Editeur
Comité de rédaction
Coordinateur scientifique
Périodicité
Riot Éditions
Manuel Bello-Marcano Lynda Devanneaux Adrien Durrmeyer Anaïs Enjalbert Sara El Alaoui Émilien Épale Paul Guillibert Marianna Kontos Claire Thouvenot Amélie Tripoz Emma Vernet Xavier Wrona
Manuel Bello-Marcano
Après la révolution est une publication bi-annuelle (un numéro thématique et un hors-série)
Directeur de publication Xavier Wrona
4 INTRODUCTION
Graphisme Anaïs Enjalbert
Peintures David Silly
Relecture Comité de rédaction
Adresse postale Association Après la révolution Amicale Laïque Michelet 41 rue des Passementiers 42100 Saint-Étienne
ISSN ISSN 2678-3991
Ce numéro d’Après la révolution a été imprimé avec du matériel RISO sur du papier Soporset Premium Offset 70 gr en 320 exemplaires. Après la révolution est imprimé à Saint-Étienne par l’association Après la révolution. Ce numéro est disponible en commande sur internet à l’adresse suivante : souscription@apreslarevolution.org
NOTE TO THE READER Here goes the first issue of After the Revolution! This is a beginning and, as such, we kindly ask readers to be indulgent towards this still emerging form of collective thinking. It may take us a little time to find the right format, as well as to understand how best to achieve the goal this journal has set for itself: to participate in the construction of a world free from the burdens of exploitation and oppression. It will also take its editorial committee a little time to master the production of such an object. We are working in particular to improve our translation methods, their quality in this issue is uneven and overall insufficient. Composed of 40 contributions, this issue dedicated to Public Health presents a plurality of points of view. The positions expressed do not necessarily reflect the views of the editorial committee, but are considered by the latter as being of importance for publication and dissemination. We would like to thank the Institut Français, the Bureau de la Recherche Architecturale et Paysagère, Pierre Caye and the Centre Jean Pepin, the Sophiapol research laboratory, the Saint-Étienne local group of Réseau Salariat, Archeworks, the France Chicago Center at the University of Chicago, the Experimental Station, Monk Parakeet and finally the SaintÉtienne École Nationale Supérieure d’Architecture for their support in organising the public health meetings which took place in Saint-Étienne in October 2018. We also thank them for their support in transcribing and translating some of the interventions of these meetings that are published here. We would like to thank the Bourse du Travail de Saint-Étienne, the Ateliers Morse, the Cinémathèque de Saint-Étienne, the Amicale Laïque Michelet, the École Nationale Supérieure de la Sécurité Sociale, Ursa Minor, Le Méliès Saint-François and the ENSASE for hosting these meetings and for their support in their organizations. We would like to thank Guillaume Désanges and Workmethod, Paraguay Press, the architectural firm MWAH for their kindness and critical feedback regarding the project of this journal. Finally, we would like to thank our publisher Riot Éditions for their support and assistance in this endeavour. We hope that the reading of these pages will contribute to the liberation of minds from the existing structures of domination and repression. We also hope that this journal will be useful for the thinking of other potential architectures for this world. Manuel Bello-Marcano and Xavier Wrona for the editorial committee
Publisher
Editorial Committee
Scientific Coordinator
Periodicity
Riot Éditions
Manuel Bello-Marcano Lynda Devanneaux Adrien Durrmeyer Anaïs Enjalbert Sara El Alaoui Émilien Épale Paul Guillibert Marianna Kontos Claire Thouvenot Amélie Tripoz Emma Vernet Xavier Wrona
Manuel Bello-Marcano
Après la révolution is a bi-annual publication (a thematic issue and a special edition)
Publishing Director Xavier Wrona
Graphic Design Anaïs Enjalbert
Paintings David Silly
Proofreading Editorial Committee
Mailing Address Association Après la révolution Amicale Laïque Michelet 41 rue des Passementiers 42100 Saint-Étienne
This issue of Après la révolution’s was printed with RISO material on 70 gr Soporset Premium Offset paper in 320 copies. Après la révolution is printed in Saint-Étienne by the association Après la révolution. This issue is available for order on the Internet at the following address: souscription@apreslarevolution.org
ISSN ISSN 2678-3991
INTRODUCTION
5
Journal imprimé sur les solutions d’impression écologiques et polyvalentes RISO
SOMMAIRE ÉDITO 10 12
POUR QUOI ? APRÈS LA RÉVOLUTION, UNE INTRODUCTION – Manuel Bello-Marcano & Xavier Wrona pour le comité de rédaction LUPUS. UNE INTRODUCTION À LA LUTTE DES CORPS – Adrien Durrmeyer & Amélie Tripoz pour le comité de rédaction
DOCUMENTS 18 22 30 40 44
NOURRIR L’ARCHITECTURE. INTRODUCTION AUX DOCUMENTS – Manuel Bello-Marcano BIOPOLITIQUE À L’ÈRE DU CAPITALISME PHARMACOPORNOGRAPHIQUE – Paul B. Preciado DES ÉTABLISSEMENTS DES ALIÉNÉS EN FRANCE, ET DES MOYENS D’AMÉLIORER LE SORT DE CES INFORTUNÉS. – Jean-Étienne Esquirol LA CONVIVIALITÉ. DEUX SEUILS DE MUTATION (CHAPITRE 1) – Ivan Illich LES HÔTES – Jérôme Poret
INTERVENTIONS 52 56 68 70 76 78 82 86 90 94 98
À SAINT-ÉTIENNE, L’HÔPITAL SE FOUT DE LA CHARITÉ ET LE MAIRE DE SES CITOYEN·NE·S – Manon Besson, Ulysse Hammache, Romain Venet ARCHIVE DE LUTTE – « La Psy Cause », collectif en lutte des services de psychiatrie des hôpitaux Stéphanois IMPRIMÉS DE LA SANTÉ PUBLIQUE – Roman Seban CONTRE L’OBAMA LIBRARY – W. J. T. Mitchell MA TRÈS CHÈRE VILLE DE CHICAGO – Lavon N. Pettis RECENSEMENT PROVISOIRE DES BLESSÉ·E·S DES MANIFESTATIONS DE GILETS JAUNES – Désarmons-les STREET MEDICS. HOMMAGE VISUEL – JohanPx DISPENSAIRES AUTOGÉRÉS – Collectif Solidarité France-Grèce pour la Santé SINDIANE. UN PROGRAMME D’AUTO-SUPPORT ET D’EMPOWERMENT DES EXILÉ·E·S – Olga Loris CONTRE LES FÉMINICIDES. ARCHIVE DE LUTTE – Collectif « Collages Féminicides Rennes » POUR UNE SÉCURITÉ SOCIALE DE L’ALIMENTATION – Ingénieurs sans frontières AgriSTA
ÉPISTÉMOLOGIE 112 116 120
PROLÉGOMÈNES À TOUTE ARCHITECTURE QUI POURRA SE PRÉSENTER COMME SCIENCE DES TOTALITÉS – Xavier Wrona EN GUISE DE PROLOGUE. COMMENT NOUS SOMMES ARRIVÉS AU NID DE PIE ET CE QUE NOUS OBSERVONS DE LÀ-HAUT – Sup Galeano NOTES SUR LA SANTÉ PUBLIQUE – Architectural Notes
PÉDAGOGIE 126 128 130 136 140 144 150
INTRODUCTION À UNE PÉDAGOGIE ARCHITECTURALE VISANT À TRAVAILLER L’ORDRE DU MONDE – Manuel Bello-Marcano, Xavier Wrona DE L’ENDOCTRINEMENT – Adrien Durrmeyer, Amélie Tripoz RECONQUÉRIR LE POUVOIR SUR NOS CORPS – Léa Clémaron, Clément Grosjean, Isadora Lamaudière RÉTRIBUER LA RECHERCHE – Ugo Costa, Maciej Moszant LA CARTE DE LA CLÉMENCE – Sylvain Chaduc, Justien Maes ET SI NOUS PERDIONS CE COMBAT ? – Maxime Labrosse, Amélie Tripoz REFLETS MODERNES ET CONFLITS RÉELS – Jessica Paci, Mathieu Rossi
CRITIQUE 156 160 166 172 176 182 186 190 194 200 204 208 214
LA GRANDE SANTÉ VS LA SANTÉ ÉTERNELLE – Pierre Caye L’ART D’ÉDIFIER D’ALBERTI, OU L’ARCHITECTURE COMME APPAREIL DE PRODUCTION D’UNE SANTÉ PUBLIQUE – Xavier Wrona L’AVENIR DU SOCIALISME : QUEL GENRE DE MALADIE EST LE CAPITALISME ? – Chris Cutrone TOXIC CAPITAL : ENVIRONNEMENT ET SANTÉ PUBLIQUE – Paul Guillibert EXPERIMENTAL STATION : UNE EXPÉRIENCE DE SANTÉ PUBLIQUE – Dan Peterman DE LA DÉFAITE PROGRAMMÉE DES PROTECTIONS COLLECTIVES À L’ÉMERGENCE DU SUJET RESPONSABLE ET CONNECTÉ – Olivier Chadoin AFROFUTURISM DANCE THERAPY – Ytasha L. Womack LES OBJETS-MILIEUX OU L’ORGANISATION DU MONDE PAR LA SANTÉ – Manuel Bello-Marcano TEMPS, FOLIE ET DÉMOCRATIE. NOTES SUR LE PRÉSENT – W. J. T. Mitchell LA SANTÉ ZAPATISTE. UN SYSTÈME AUTONOME ORIGINAL AU SUD-EST DU MEXIQUE – Cybèle David LE SYSTÈME DE SANTÉ DE L’AACM – Alexandre Pierrepont LA PRODUCTION DE SOINS DANS LES ANNÉES 60. UN MODÈLE À ACTUALISER – Bernard Friot À PROPOS DE QUEER SPACE. UNE CONVERSATION AVEC AARON BETSKY ALORS QUE NOUS TRAVAILLONS À SA PREMIÈRE PUBLICATION EN FRANÇAIS – Manuel Bello-Marcano & Xavier Wrona pour le comité de rédaction & Riot Éditions
INTRODUCTION
7
This journal is printed on RISO’s environmentally friendly and multi-purpose printing solutions
CONTENTS EDITORIAL 11 14
WHAT FOR? APRÈS LA RÉVOLUTION, AN INTRODUCTION – Manuel Bello-Marcano & Xavier Wrona on behalf of the editorial committee LUPUS. AN INTRODUCTION TO BODY STRUGGLE – Adrien Durrmeyer & Amélie Tripoz on behalf of the editorial committee
DOCUMENTS 20 26 35 42 47
FEEDING ARCHITECTURE. AN INTRODUCTION TO DOCUMENTS – Manuel Bello-Marcano BIOPOLITICS IN THE ERA OF PHARMACOPORNOGRAPHIC CAPITALISM – Paul B. Preciado ESTABLISHMENTS OF THE INSANE IN FRANCE, AND WAYS TO IMPROVE THE FATE OF THESE UNFORTUNATE PEOPLE. – Jean-Étienne Esquirol TOOLS FOR CONVIVIALITY. TWO WATERSHEDS (CHAPTER 1) – Ivan Illich THE HOSTS – Jérôme Poret
INTERVENTIONS 54 58 69 74 77 78 82 88 92 94 103
IN SAINT-ÉTIENNE, THE HOSPITAL DOESN’T CARE ABOUT LA CHARITÉ, SO DOES THE MAYOR ABOUT ITS CITIZENS – Manon Besson, Ulysse Hammache, Romain Venet ARCHIVE OF STRUGGLE – “La Psy Cause”, collective in struggle of the psychiatric services of the Saint-Étienne hospitals THE FORMS OF PUBLIC HEALTH – Roman Seban AGAINST THE OBAMA LIBRARY – W. J. T. Mitchell MY DEAREST ONE THE CITY OF CHICAGO – Lavon N. Pettis PROVISIONAL CENSUS OF THE PEOPLE INJURED DURING THE YELLOW VEST DEMONSTRATIONS (FR) – Désarmons-les A VISUAL TRIBUTE TO THE STREET MEDICS – JohanPx SELF-MANAGED DISPENSARIES – Collectif Solidarité France-Grèce pour la Santé SINDIANE. A SELF-SUPPORT AND EMPOWERMENT PROGRAM FOR EXILED PEOPLE – Olga Loris AGAINST FEMICIDES. A STRUGGLE ARCHIVE (FR) – Collectif « Collages Féminicides Rennes » FOR A FOOD SOCIAL SECURITY SYSTEM – Ingénieurs sans frontières AgriSTA
EPISTEMOLOGY 114 118 122
PROLEGOMENA TO ANY FUTURE ARCHITECTURE THAT WILL BE ABLE TO PRESENT ITSELF AS A SCIENCE OF TOTALITY – Xavier Wrona BY WAY OF PROLOGUE: ON HOW WE ARRIVED AT THE WATCHTOWER AND WHAT WE SAW FROM THERE – Sup Galeano NOTES ON PUBLIC HEALTH – Architectural Notes
PEDAGOGY 127 129 135 139 143 149 153
INTRODUCTION TO AN ARCHITECTURAL PEDAGOGY AIMED AT WORKING ON WORLD ORDER – Manuel Bello-Marcano, Xavier Wrona OF INDOCTRINATION – Adrien Durrmeyer, Amélie Tripoz REGAIN THE POWER OF OUR BODIES – Léa Clémaron, Clément Grosjean, Isadora Lamaudière REWARDING RESEARCH – Ugo Costa, Maciej Moszant MAP OF LENIENCY – Sylvain Chaduc, Justien Maes WHAT IF WE LOOSE THIS FIGHT? – Maxime Labrosse, Amélie Tripoz MODERN REFLECTS AND ACTUAL CONFLICT – Jessica Paci, Mathieu Rossi
CRITIQUE 158 GREAT HEALTH VS ETERNAL HEALTH – Pierre Caye 163 ALBERTI’S ART OF EDIFICATION, OR ARCHITECTURE AS A MEANS OF PRODUCTION OF A PUBLIC HEALTH – Xavier Wrona 169 THE FUTURE OF SOCIALISM: WHAT KIND OF ILLNESS IS CAPITALISM? – Chris Cutrone 174 TOXIC CAPITAL: ENVIRONMENT AND PUBLIC HEALTH – Paul Guillibert 180 THE EXPERIMENTAL STATION AS A PUBLIC HEALTH EXPERIMENT – Dan Peterman 184 FROM THE PLANNED DEFEAT OF COLLECTIVE PROTECTIONS TO THE EMERGENCE OF THE RESPONSIBLE AND CONNECTED SUBJECT – Olivier Chadoin 188 AFROFUTURISM DANCE THERAPY – Ytasha L. Womack 192 OBJECTS-MILIEUX OR THE ORGANIZATION OF THE WORLD BY HEALTH – Manuel Bello-Marcano 197 TIME, MADNESS AND DEMOCRACY. NOTES ON THE PRESENT – W. J. T. Mitchell 202 ZAPATISTA HEALTH. AN ORIGINAL AUTONOMOUS SYSTEM IN SOUTH-EAST MEXICO – Cybèle David 206 THE AACM HEALTHCARE SYSTEM – Alexandre Pierrepont 211 THE CARE PRODUCTION IN THE 60S. A MODEL TO UPDATE – Bernard Friot 216 REGARDING QUEER SPACE. A CONVERSATION WITH AARON BETSKY WHILE WORKING ON PUBLISHING THIS TEXT IN FRENCH FOR THE FIRST TIME – Manuel Bello-Marcano & Xavier Wrona on behalf of the editorial committee & Riot Éditions
INTRODUCTION
9
POUR QUOI ? APRÈS LA RÉVOLUTION, UNE INTRODUCTION
Manuel Bello-Marcano & Xavier Wrona pour le comité de rédaction Rédacteur·rice·s d’Après la révolution, nous vous adressons ici le premier numéro de cette nuée de pensées et de projets employés à la transformation de l’ordre du monde. Après la révolution est une publication d’architecture née des chutes de la révolution néolibérale. Cette révolution a transformé le monde dans des proportions que Marx appelait de ses vœux, à cette différence notable qu’elle ne fut pas la révolution du prolétariat mais celle du capital. Ceci a au moins le mérite de rappeler que les révolutions sont bien possibles. Après la révolution se veut le journal de ce qu’il faudra construire après, suscitant un horizon désirable alors qu’il s’agit de combattre les rapports d’exploitation et d’oppression, qui rendent ce monde actuellement vivable pour un petit nombre seulement. Après la révolution est une publication d’architecture car elle traite des mises en ordre, des agencements qui travaillent le réel, de notre monde, dans sa totalité, et propose d’autres mises en ordre. Elle est pour, c’est-à-dire pour un autre tout. L’unique question qui rend le présent effort collectif nécessaire est de savoir pour quoi ?
LE POTENTIEL OUBLIÉ DE LA PENSÉE ARCHITECTURALE La puissance de proposition d’Après la révolution pointe son nez à chaque grand effondrement afin de préparer la naissance des ordres d’après. Cycliquement
10 INTRODUCTION
étouffée par la masse et la stabilité des grandes totalités occupées à la structuration de la pensée et à la construction matérielle du monde, revoici donc l’architecture. Sortie de son asservissement à la perpétuation de l’état des choses, elle retrouve sa raison d’être : proposer d’autres agencements possibles pour la réalité. Il s’agira d’une part de comprendre à nouveau la pensée architecturale elle-même, mais surtout de s’employer à défaire puis refaire l’architecture des formes organisatrices de la réalité : le capitalisme, la guerre, le travail ou… la santé publique. Car l’architecture est quelque chose qui entoure et nourrit la mise en ordre du monde humain. Il s’agit donc de faire la cartographie, de relier les champs disciplinaires, de trouver les points de jonction des problèmes apparaissant comme séparés, et que le Capital s’applique à disjoindre, afin de refondre ces totalités.
LES CHEMINS CROISÉS D’UNE SCIENCE DES TOTALITÉS Après la révolution mène sa propre science. Celle d’une pensée architecturale hétérologique, c’està-dire une science de l’entrelacement des champs disciplinaires, des modalités d’expérience, d’expression et de production de savoirs, car il s’agit de penser après les certitudes que fournissaient les cloisonnements disciplinaires. Penser au risque de leur superposition avec tous les frottements et les décalages de grilles d’analyses, de critères d’évaluations de
perception et d’affects que cela implique. L’objectif d’Après la révolution est de voir un jour les modes de production de savoirs cesser d’accumuler vainement des connaissances nettes et catégoriques sur des champs circonscrits du réel et de les articuler autrement, au service d’autre chose. Cette recherche n’est pas tant une science que la tentative d’en être une. Après la révolution propose de repenser la scientificité en d’autres termes que ceux trop étroitement liés à la consolidation de l’ordre actuel du monde. Contre une recherche que l’on pourrait dire appliquée au capital, notre recherche se construit sur une instabilité systémique travaillant à faire se rejoindre l’exigence critique de réflexivité, la révocabilité des hypothèses et la boue de la création. La tâche est difficile. Ainsi, cette revue est un travail expérimental qui ne voit pas dans les objets et projets qu’elle expose des résultats mais des hypothèses. Nécessaire à l’émancipation des peuples, cette recherche se présentera ici avec la même autorité que le font les sciences dites dures, autorité largement usurpée puisque depuis trop longtemps incontestée.
SAINT-ÉTIENNE, CHICAGO, ATHÈNES… APRÈS LA RÉVOLUTION La recherche est ici une démarche tant épistémologique qu’affective. Prenant pied sur la rencontre de divers mondes, ce savoir architectural se construit depuis 2014 sur un dialogue entre des populations de lieux ayant traversé de grandes
révolutions : Chicago, forme canonique de la révolution perpétuelle du contemporain depuis trois siècles ; Saint-Étienne, forme urbaine créée ex nihilo d’une révolution industrielle et de ses suites ; Athènes, poste avancé de la révolution néolibérale en Europe. Cette pensée collective s’élargira au lent rythme de la constitution des rencontres et des débats, à d’autres territoires marqués par de grandes révolutions : Medellin, New-Orleans, Nairobi, Ahmedabad, Phnom Penh, Caracas, etc. Car on ne pense pas partout de la même manière. On ne pense pas non plus de la même manière seul·e·s ou face à ses ami·e·s, ou ses ennemi·e·s. Et on ne pense pas de la même manière après la révolution. Il s’agira toujours ici de co-penser en cumulant les problèmes, les divergences et en articulant dans le même espace journalisme, philosophie, pratique de l’infirmerie, pensée économique, pratique de la musique, enseignement des sciences dures, activisme politique, et autres modalités de production du savoir.
TRAVAIL ARCHITECTURAL DE TOTALITÉS Après la révolution publiera chaque année un travail sur une forme qui organise notre rapport au monde (travail, santé publique, pédagogie…). Ce travail comporte la publication de documents difficilement accessibles ou jugés pertinents pour aborder la totalité travaillée (section Documents), des prises de paroles (section Interventions), des travaux réflexifs et critiques sur la définition de
l’architecture portée par ce journal (section Épistémologie), des projets d’étudiant·e·s menés en école d’architecture pour transformer cette totalité (section Pédagogie), les actes des rencontres annuelles d’Après la révolution (section Critique). Après la révolution s’adresse à tout le monde. Ce journal souhaite aussi être un outil à l’attention des écoles d’architectures, de leurs étudiant·e·s et de leurs enseignant·e·s pour développer à nouveau un espace de travail sur les liens entre l’architecture et la construction politique de la réalité. Après la révolution travaille à construire un modèle économique autonome pouvant faire appel à des subventions mais ne dépendant pas d’elles. Ceci est rendu possible à la fois par la réappropriation des moyens de production de la revue (l’impression et la reliure sont réalisées par Après la révolution), ainsi que par les souscriptions des lecteur·rice·s qui seul·e·s permettent à ce journal une autonomie éditoriale, scientifique et politique.
WHAT FOR? APRÈS LA RÉVOLUTION, AN INTRODUCTION
Manuel Bello-Marcano & Xavier Wrona on behalf of the editorial committee Editors of Après la révolution, we present you the number 1 issue of this journal dedicated to the transformation of the world order. Après la révolution is an architectural publication born of the neoliberal revolution. This revolution has transformed the world in the proportions that Karl Marx called for, with the notable difference that it was not the revolution of the proletariat but that of capital. This has at least the merit of reminding us that revolutions are possible. After the revolution is intended to be the journal of what we will have to build after, when the time will come to set up a world free of the relations of exploitation and oppression, relationships which nowadays make it liveable for only a handful of people. Après la révolution is an architectural publication because it deals with ordering, arrangements, which operate in reality, in the world as a totality, and suggests other types of order. It is for, that is, for another everything. The only question that makes this collective effort necessary is for what?
THE FORGOTTEN POTENTIAL OF ARCHITECTURAL THOUGHT The power of proposition of Après la révolution appears at each major collapse in order to prepare for the birth of the orders to come. Cyclically suffocated by the mass
and stability of the great totalities involved in the structuring of thoughts and the material construction of the world, Architecture is once more being revived. Out of its subjection to the perpetuation of the state of things, it finds its purpose again: proposing other possible arrangements for reality.
scientific task of Après la révolution is to put an end to the current functioning of knowledge production methods, i.e. the futile accumulation of clear and categorical knowledge in confined fields of the real. The challenge now is to work to bring them together, to sum them up and to build tenable and desirable realities.
It will be a question of understanding architectural thought itself once again, but above all of striving to dismantle and then redesign the architecture of the organizational forms of reality: capitalism, war, labour or… public health. Because architecture is something that surrounds and nourishes the ordering of the human world. It is therefore a question of mapping, of linking the disciplines, of finding the junction points of the problems appearing to be separate, and that Capital applies itself to disjoin, in order to recast these totalities.
This research is not so much a science as it is an attempt to be one. Après la révolution proposes to rethink scientificity in terms other than those too closely linked to the consolidation of the current world order. Against a type of research that could be said to be applied to capital, our research is built on a systemic instability working to bring together the critical requirement of reflexivity, the revocability of hypotheses and the mud of creation. This is a difficult task. Thus, this review is an experimental work that does not see in the objects and projects it presents results but hypotheses.
WHAT HERE THINKS: A SCIENCE OF TOTALITIES Après la révolution leads its own science. That of an heterologous architectural thinking, i.e. a science of the intertwining of disciplinary fields, of the modalities of experience, expression and production of knowledge. It is a question of thinking after the certainties provided by disciplinary divisions. Thinking while accepting the risk of their overlapping and all the frictions and discrepancies in analysis grids, perception evaluation criteria and affects that this implies. The
Necessary for the emancipation of the peoples, this research will present itself here with the same authority as the so-called hard sciences, an authority that has been largely usurped as it has been uncontested for too long.
SAINT-ÉTIENNE, CHICAGO, ATHENS… AFTER THE REVOLUTION Research is here both an epistemological and an emotional process. Drawing on the encounter of various worlds, this architectural knowledge has been building since 2014 on a dialogue
with populations from places that have undergone great revolutions: Chicago, the canonical form of the perpetual revolution of the contemporary for the past three centuries; Saint-Étienne, an urban form created ex nihilo by an industrial revolution and the consequences of its vanishing; Athens, the outpost of the neoliberal revolution in Europe. This collective thinking will expand at the slow pace of the constitution of meetings and debates, to other cities marked by massive transformations: Medellin, New Orleans, Nairobi, Ahmedabad, Phnom Penh, Caracas, etc. Because we do not think the same way everywhere. Nor do we think in the same way alone or in the face of our friends or enemies. And, most of all, we don’t think the same way after the revolution. It will always be a question here of co-considering by combining problems, divergences and articulating in the same space journalism, philosophy, nursing practice, economic thinking, music practice, science education, political activism, and other modalities of production of knowledge.
ARCHITECTURAL WORKING OF TOTALITIES
statements (Interventions section), reflective and critical work on the definition of architecture carried by this journal (Epistemology section), students’ projects conducted in architecture schools to transform this totality (Education section), the proceedings of annual meetings of Après la révolution (Critique section). Since 2014, Après la révolution has carried out experimentation work in these various forms and on a variety of totalities that order the real. Après la révolution is for everyone. This journal also aims to be a tool for schools of architecture, their students and teachers to develop a new working space on the relationships between architecture and the political construction of reality. Après la révolution is working to build an autonomous economic model by being able to call on subsidies but not dependent on them. This is made possible both by the reappropriation of the journal’s means of production (printing and binding are carried out by Après la révolution), as well as by readers’ subscriptions which allow this journal’s editorial, scientific and political autonomy.
Each year Après la révolution will publish a work on a form that organizes our relationship to the world (work, public health, pedagogy…). This work includes the publication of documents that are difficult to access or deemed relevant to address the totality worked on (Documents section),
INTRODUCTION 11
LUPUS UNE INTRODUCTION À LA LUTTE DES CORPS Adrien Durrmeyer & Amélie Tripoz pour le comité de rédaction Au début des années 70, Ivan Illich constatait une inquiétante évolution quant aux objectifs de la pratique médicale ; cette dernière s’employait désormais à soigner des maladies qu’elle avait ellemême participé à créer. Il écrit : « Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, il est devenu patent que la médecine moderne a de dangereux effets secondaires. Mais il a fallu du temps aux médecins pour identifier la nouvelle menace représentée par les microbes rendus résistants à la chimiothérapie, et reconnaître un nouveau genre d’épidémie dans les désordres génétiques dus à l’emploi des rayons X pendant la grossesse. Trente ans plus tôt, Bernard Shaw se plaignait déjà : les médecins cessent de guérir, disait-il, pour prendre en main la vie de leurs patients. Il a fallu attendre les années cinquante pour que cette remarque prenne forme d’évidence : en produisant de nouveaux types de maladie, la méde-
12 INTRODUCTION
cine franchissait un second seuil de mutation1. » Selon Illich, les conséquences de cette transformation sont doubles. D’une part, il souligne l’inexorable extension du champ d’intervention de la médecine ; cette dernière étant devenue responsable de l’évolution du biologique, elle n’a, dès lors, plus pour finalité de guérir, mais de permettre de vivre. D’autre part, ce nouveau dessein limite mécaniquement le nombre des individus dûment habilités à prodiguer des soins ; face à des problèmes médicaux de plus en plus spécialisés, on trouve nécessairement de moins en moins de spécialistes. Nous faisons donc face à une discipline dont la pratique a participé à la profonde détérioration de nos conditions de vie, tout en arrogeant l’exclusivité des moyens de sa sauvegarde à une élite toujours plus restreinte.
LE MONDE EST AINSI Il n’est pas difficile, aujourd’hui, d’établir un parallèle direct entre ce constat et celui que l’on pourrait faire à propos d’autres disciplines tout aussi, sinon plus hégémoniques encore ; à commencer par l’économie. La crise financière de 2008 constitue un des exemples les plus frappants de cette absurdité criminelle. Les banques d’investissement, leurs compagnies d’assurances et les agences de notation ont en effet bâti, seules, les conditions de la fantastique instabilité des marchés, à travers un jeu spéculatif sur les produits dérivés (CDO, CDS, etc.) Le caractère systémique de cette crise n’est plus à démontrer : c’est l’organisation même de l’économie qui est cause de son propre effondrement2. Avec les conséquences que l’on sait pour la grande majorité de la société qui eut à essuyer, par le biais des finances publiques, les pertes abyssales de ces ac-
teur·rice·s privé·e·s. On aurait pu légitimement espérer, si ce n’est la mise en examen des responsables de la banqueroute, du moins le solide arraisonnement du système financier à une stricte régulation et l’encadrement attentif de son pouvoir de nuisance. Pourtant, dix ans plus tard, force est de reconnaître que le champ d’intervention de l’économie, loin d’avoir été restreint suite au désastre, en a été considérablement élargi ; et que face à l’inextricable foutoir que représentent les réglementations financières mondiales, se réduit d’autant plus le nombre de celles et ceux que les gouvernements désignent capables d’en comprendre les méandres et d’en limiter les dégâts. On n’est pas loin du crime parfait. Non seulement on laisse la garde du coffre-fort aux malfrats qui l’ont dévalisé, mais on les investit, en sus, des pleins pouvoirs quant à la gestion de son contenu ; tout en les dédouanant par avance de
toute responsabilité lorsque le prochain cambriolage aura lieu. Il y a là un mécanisme particulièrement pervers face auquel nous semblons, malheureusement, avoir perdu toute capacité de révolte. Et pour cause, ce mécanisme constitue le cœur même de la gouvernance néolibérale à laquelle se soumet chaque jour une parcelle supplémentaire du sensus communis et de notre humanité. Pêle-mêle, se sont ainsi retrouvés légitimées les constantes régressions dans les protections accordées par le droit du travail3, évanouies les responsabilités écologiques des entreprises quant à la gestion de leurs déchets4, ou encore motivés les traitements obscènes infligés aux migrant·e·s et demandeur·euse·s d’asile – et, par conséquent, à toute personne dont la couleur de peau laisserait suspecter une appartenance extra-occidentale. L’actuelle destruction du système de soins public, au motif d’une gestion finan-
cière rentable des CHU, ne déroge pas à cette règle. Cela dure depuis 40 ans, et on ne voit vraiment pas pourquoi on arrêterait. À chaque tentative, aussi timorée soit-elle, de formulation d’un éventuel changement de cap, la réponse du Capital reste invariable : « le monde est ainsi. » Il y a dans cette sentence tous les ingrédients du sophisme : la substitution des causes et des conséquences, et l’abandon de la raison au nom de la raison. On nous explique, en effet, d’une part, que ce n’est pas le système qui fait le monde, mais le monde qui fait le système ; de l’autre, on nous enjoint de renoncer à toute expérience de pensée alternative au prétexte que les précédentes expériences auraient échouées. C’est face à ces deux affirmations fallacieuses, qui foulent aux pieds les bases de toute démarche scientifique, que nous nous opposons ; et ce combat doit commencer par s’appuyer sur un diagnostic sans appel : nous sommes tou·te·s malades.
LE CAPITAL NE PORTE PAS DE MASQUE Il ne s’agit pas de n’importe quelle maladie. Tous les symptômes désignent de fait une forme particulière d’affection que l’on qualifie médicalement d’« auto-immune ». Le Larousse définit ainsi toute « maladie caractérisée par une agression de l’organisme par son propre système immunitaire ». Or, comment détermine-t-on autrement une société au sein de laquelle chacun de ses individus se trouve ainsi oppressé par les institutions théoriquement garantes de sa conservation ? L’institution pharmaceutique nous empoisonne ; l’institution démocratique nous déleste de tout pouvoir politique ; l’institution judiciaire nous prive de droits élémentaires ; l’institution financière nous appauvrit ; l’institution culturelle nous interdit de réfléchir ; l’institution policière nous terrorise ; l’institution commerciale nous asservit par l’obsolescence programmée ; l’institution journalistique nous désinforme. On pourrait étendre sur plusieurs lignes la liste de ces phénomènes paradoxaux. La variété de ces formes d’agressions intellectuelles et physiques nous engage dès lors à aiguiser le précédent postulat ; il faut se rendre à l’évidence, nos sociétés sont atteintes de lupus. Le lupus possède, en effet, deux traits caractéristiques : une grande diversité de symptômes et la condition chronique de sa manifestation. Ces attributs participent à rendre son diagnostic particulièrement ardu ; ça peut être un tas d’autres maladies, et ça n’est observable que par intermittence. Il est pourtant un indice généralement spécifique du mal, lors
des crises aigües, auquel on peut d’ordinaire se fier : les profondes lésions cutanées qu’il provoque, la plupart du temps au visage. C’est d’ailleurs, probablement, à l’irruption de ces stigmates, que l’on décrit comme semblables à des morsures de loup, au XIIIe siècle, que la maladie doit l’origine de son appellation. Il existe également une autre hypothèse étymologique : la disposition de ces lésions qui s’inscrivent sur le visage en suivant le pourtour des yeux, dessinant en négatif le contour d’un masque de carnaval que l’on nomme « loup ». Le lupus est donc par essence une maladie qui défigure et qui dissimule. Elle meurtrit la chair du sujet, tout en lui imposant de porter ironiquement les signes d’un joyeux travestissement. Elle déguise la souffrance en sa parodie. Elle nie les stigmates dont elle est la cause en les enveloppant dans leur propre apparence. Elle réussit le tour de force de camoufler le réel derrière le réel. À quiconque la questionne, elle répond : « la réalité est autre, ceci n’est qu’un masque. » On peinerait à définir plus justement les rouages singuliers de la propagande visant à l’acceptation massive du capitalisme contemporain : l’autojustification par l’auto-dissimulation. Il faut pourtant s’y résoudre, il n’y a pas de masque. Ou plutôt, la réalité, c’est le masque même. Il n’y a pas d’un côté la maladie et de l’autre le symptôme ; il n’y a plus distinctement de causes et d’effets. Il y a un tout qui gangrène tout. Si nous voulons tout sauver, il faut tout questionner. L’heure n’est pas à la gestion, il est temps de faire de la politique. Avant d’envisager tout espoir de rémission, on devra d’abord admettre ceci : ce dont les sociétés ont besoin, c’est en premier lieu d’un projet de santé publique global ; c’est-à-dire appliqué à l’ensemble des corps qui les constituent ; les corps mutilés de ses citoyen·ne·s, comme les corps abrutis de ses institutions. Participer à formaliser les cadres potentiels de ce projet sera, cette année, la tâche de ce journal.
LES SOUFFRANTS ET LES MALADES Car il ne faudrait pas croire que la maladie épargne qui que ce soit. Certes, un nombre restreint de privilégié·e·s semble pour l’instant à l’abri de l’affection ou bien parfaitement immunisé ; il n’en est rien. Le lupus est lui-même atteint de lupus. Comment expliquer sinon que l’oligarchie dirigeante choisisse pour représenter ses intérêts, le prototype même de celui qui la conduira inexorablement à la destruction ? On imagine mal, en effet, comment l’application d’un programme qui incarne la quintessence de l’idéologie néo-
libérale personnifiée aujourd’hui par Emmanuel Macron, saurait susciter autre chose que le dégoût, la révolte, la fatigue, et finalement, la ruine. Dans cette scène pathétique où les malades auscultent les malades, chaque constat d’échec dans la cure engendre immanquablement le même traitement ; on augmente simplement le dosage. De plus en plus de privatisation, plus de dérégulation, plus de profit, plus d’autoritarisme, plus de croissance, plus d’inégalité, plus de violence, etc. Un tel acharnement thérapeutique en vient à épuiser ceux·elles-là mêmes qui administrent le poison. Après 1 morte, 5 mains arrachées, 24 yeux crevés, 2500 blessé·e·s, plus de 10000 gardes à vue, 2000 condamnations et 390 incarcérations au long des 7 mois de mobilisation des « gilets jaunes », on pourrait croire que le Ministère de l’Intérieur appellerait dorénavant les forces de l’ordre à un minimum de retenue5. Au contraire, l’incitation à la répression est devenue si sauvage qu’elle en vient à affecter physiquement les agents qui la dispensent, quelle qu’en soit désormais l’occasion ; suite à l’utilisation de 5 litres de gaz lacrymogènes sur des manifestants écologistes en moins de 30 minutes, pont de Sully, le 28 juin 2019, le commandant des CRS chargés de les asperger en est venu à perdre lui-même connaissance6. On choisira d’en rire, tant le tableau est pitoyable. C’est que le ressort sinistre de la tragédie ne manque généralement pas d’humour ; là encore, le masque bouffon du lupus transforme la grimace en rictus.
MÉCANIQUE DE L’ENTREPRISE Les raisons de ces ricanements sont désespérément triviales. Le comique, comme le définit Henri Bergson, c’est du « mécanique plaqué sur du vivant7 ». Or, c’est exactement ce que fait, par essence, l’entreprise : plaquer du mécanique sur du vivant. On comprend dès lors sans peine le fond de sombre hilarité que suscite la gouvernance néolibérale, dont l’ambition est précisément de calquer son régime sur le modèle de l’entreprise, en tout lieu et à tout instant. En empruntant au management sa lexicologie ridicule, la simple information fait naître désormais un sourire de désespoir ; par exemple : « Agnès Buzyn, ministre des Solidarités et de la Santé, annonce la mise en place par le gouvernement français du plan “Ma Santé 2022”. » TOUT pose problème dans le précédent énoncé : le nom du ministère, qui fait de la santé publique une affaire de solidarité, c’està-dire de morale individuelle ; le pluriel de « solidarité », qui
renforce le caractère divers, subjectif, optionnel et donc atrophié de cette morale ; la démagogie de l’annonce d’un « plan », panacée miraculeuse qui n’est finalement qu’un arrangement plus ou moins complexe de chiffres sur du papier ; le naming du plan, qui substitue le contenant au contenu, plaçant les objectifs de l’action politique au même niveau que ceux du packaging pour yaourt ; le choix du déterminant possessif pour caractériser la santé, renvoyant ainsi chacun·e à la préservation égoïste de son bien-être ; la désignation arbitraire d’une date, enfin, qui ne fixe que l’échéance à partir de laquelle on nous proposera un nouveau plan. D’ici-là, on pourra tranquillement continuer à se suicider dans les hôpitaux.
VERS UN CORPS RESPONSABLE Le plus terrible, c’est qu’outre l’ineptie de sa forme, le fond du projet gouvernemental s’annonce pourtant sans fard : après la privatisation de l’environnement, du travail, des relations, de l’espace et du temps, on prévoit désormais de privatiser le corps humain. Non pas sous la forme archaïque de l’esclavage, ce serait même le contraire ; ce qu’ambitionne le programme néolibéral, c’est de faire de chacun le propriétaire de son propre corps. Vertigineux dessein ; car par définition, le corps est justement ce dont on a l’usage et non la propriété. On ne dispose pas de ses poumons comme on dispose d’une clef à mollette : même si ma·mon voisin·e en a grand besoin, il me sera difficile de les lui prêter. Que l’on ne se méprenne pas. L’aspiration néolibérale n’est pas de faire du corps une marchandise, mais d’établir entre un corps et son usager une relation de l’ordre de la relation marchande : rendre son corps utile, que son usage soit motivé par l’intérêt, en somme. Il ne s’agit pas de céder (abusus) ni tirer directement profit (fructus) de ses organes, mais de faire de la gestion de son organisme la gestion d’un bien ; car la·le propriétaire d’un bien est aussi (et peut-être avant tout) celui·elle qui en est responsable. Ainsi, ce qui intéresse avant tout le pouvoir, c’est le renversement du principe de responsabilité, que l’on voit affleurer insidieusement à chaque nouvelle occasion ; se faire fracasser le crâne lors d’une manifestation s’avère aujourd’hui du même ordre que de perdre son placement en bourse : c’est triste, mais cela relève d’une mauvaise décision individuelle. On voit bien où mène ce type de raisonnement, on y est déjà, d’ailleurs ; être blessé·e, être éborgné·e, être amputé·e, être tué·e, c’est un choix. On attend avec impatience la suite logique de la démonstration : être
malade, ça aussi, d’ici 2022, ce sera un choix. On renversera, en fin de compte, la célèbre formule du docteur Knock : dorénavant, les gens malades seront des biens portants qui s’ignorent8.
LA SANTÉ COMME EXPÉRIENCE Voilà le fantasme social du capitalisme néolibéral. Promouvoir la rentabilité comme fondement du rapport au corps, c’est-à-dire rejeter a priori toute possibilité d’expérience. Considérer les corps indépendamment les uns des autres, comme autant de micro-entreprises inlassablement en concurrence sur le marché du bien-être. Abandonner finalement tous ces corps dans l’indistincte mêlée de l’évolution pour que seuls en émergent les plus aptes, mais toujours, chacun pour soi. On peut résumer ce programme en une phrase : remplacer la lutte des classes par la lutte des corps, qui en est, en tout point, son strict opposé. C’est à cela que la pratique de l’architecture doit s’opposer. Car elle n’est rien d’autre que la tentative de formulation d’une hypothèse, fragile et pourtant implacable : un monde, ça n’évolue pas ; un monde, ça se transforme. Non pas une transformation ex nihilo, mais une transformation à laquelle chaque corps participe et continue de participer. Une transformation pour et par les corps, à travers les épreuves toujours renouvelées de leurs agencements, leurs confrontations, leurs unions, leurs éloignements ou leurs fusions. Appliquer le projet architectural à la santé publique, c’est concevoir la santé non comme un état, mais comme une expérience. Et c’est réaliser que nos corps, tous les corps, malades ou sains, sont les instruments à partir desquels cette expérience s’élabore, s’intensifie, et parfois, se réalise. 1 Ivan Illich, La convivialité, Paris, Seuil, coll. Points Essais, 2014. 2 Pour une analyse technique exhaustive, on recommandera Frédéric Lordon, Jusqu’à quand ? Pour en finir avec les crises financières, Paris, Raisons d’Agir, 2008. 3 Alain Supiot, La Gouvernance par les nombres. Cours au Collège de France (20122014), Paris, Fayard, 2015. 4 Grégoire Chamayou, La société ingouvernable. Une généalogie du libéralisme autoritaire, Paris, La fabrique, 2018, p. 191-201. 5 Chiffres Mediapart, 16 juillet 2019. [https://blogs.mediapart.fr/les-invitesde-mediapart/blog /160719/appel-du20-juillet-marchons-pour-adama-et-ripostons-lautoritarisme?utm_content=bufferfbe63&utm_medium=social&utm_ s o u rc e = Fa c e b o ok _ Pa ge & ut m _ c a m paign=CM] 6 [https://www.mediapart.fr/journal/ france/140719/pont-de-sully-l-usage-degaz-lacrymogene-ete-tel-que-le-commandant-des-crs-perdu-connaissance] 7 Henri Bergson, Le rire, Paris, Payot, 2012. 8 Jules Romains, Knock ou le Triomphe de la Médecine, Paris, Gallimard, coll. Folio, 1972, « Les gens bien portants sont des malades qui s’ignorent ».
INTRODUCTION
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LUPUS AN INTRODUCTION TO BODY STRUGGLE Adrien Durrmeyer & Amélie Tripoz on behalf of the editorial committee In the early 1970s, Ivan Illich noted a worrying shift in the objectives of medical practice, which was now working to treat diseases that it had itself helped to create. He writes: “In the aftermath of the Second World War, it became clear that modern medicine had dangerous side effects. But it took doctors time to identify the new threat posed by microbes made resistant to chemotherapy, and to recognize a new kind of epidemic in genetic disorders due to the use of x-rays during pregnancy. Thirty years earlier, Bernard Shaw was already complaining: doctors stop healing, he said, to take control of their patients’ lives. It was not until the 1950s that this remark became obvious: by producing new types of diseases, medicine crossed a second threshold of mutation1.” According to Illich, the consequences of this transformation
14 INTRODUCTION
are twofold. On the one hand, he underlines the inexorable extension of the field of intervention of medicine; the latter having become responsible for the evolution of biology, it no longer has the aim of healing, but of allowing people to live. On the other hand, this new purpose mechanically limits the number of individuals duly empowered to provide care; faced with increasingly specialized medical problems, there are necessarily fewer and fewer specialists. We are therefore facing a discipline whose practice has contributed to the profound deterioration of our living conditions, while at the same time conceding the exclusivity of the means of its protection to an ever smaller elite.
THAT’S THE WAY OF THE WORLD It is not difficult today to draw a direct parallel between this observation and the one we could make about other disciplines just as much, if not more hegemonic still; starting with the economy. The 2008 financial crisis is one of the most striking examples of this criminal absurdity. Investment banks, their insurance companies and rating agencies have in fact built, on their own, the conditions for the fantastic instability of the markets, through the speculative game on derivatives (CDO, CDS, etc.) The systemic nature of this crisis is no longer to be demonstrated: it is the very organisation of the economy that is the cause of its own collapse2. With the consequences that we know for the vast majority of society, which had to suffer, through public fi-
nances, the abyssal losses of these private actors. One could have legitimately hoped, if not for the indictment of those responsible for the bankruptcy, at least for the solid arrest of the financial system under strict regulation and the careful control of its power of nuisance. Yet, ten years later, it must be recognized that the scope of the economy’s intervention, far from having been restricted following the disaster, has been considerably broadened; and that, faced with the inextricable mess represented by global financial regulations, the number of those whom governments designate capable of understanding their intricacies and limiting their damage is being further reduced. We’re not far from a perfect crime. Not only are the safe’s custody left to the thieves who robbed it, but they are also given full powers to manage its contents, while
being cleared of any liability in advance when the next burglary takes place. This is a particularly perverse mechanism in the face of which we seem, unfortunately, to have lost all capacity for revolt. And for good reason, considering that such a mechanism constitutes the very heart of neoliberal governance to which an additional piece of the sensus communis and of our humanity is subjected every day. Pêle-mêle, the constant regression in the protection granted by labour law has thus been legitimised3, the ecological responsibilities of companies with regard to the management of their waste have been evaded4, or the obscene treatment inflicted on migrants and asylum seekers has been justified—and, consequently, on anyone whose skin colour would suggest that they belong outside the West. The current destruction of the public health care
system, on the grounds of cost-effective financial management of university hospitals, is no exception to this rule. It’s been going on for 40 years, and we really don’t see why we should stop. With each attempt, however timid, to formulate a possible change of course, Capital’s response remains invariable: “that is the way of the world.” There are in this sentence all the ingredients of sophistry: the substitution of causes and consequences, and the abandonment of reason in the name of reason. On the one hand, we are told that it is not the system that makes the world, but the world that makes the system; on the other hand, we are told to renounce any alternative thinking experience on the pretext that previous experiences have failed. We strongly confront these two false statements, which trample on the foundations of any scientific approach; and this fight must begin with an irrevocable diagnosis: we are all sick.
THE CAPITAL DOES NOT WEAR A MASK It is not just any disease. All symptoms refer to a particular form of disease that is medically referred to as “autoimmune”. Larousse thus defines any “disease characterized by an attack on the body by its own immune system”. But how else can we determine a society in which each of its individuals is so oppressed by the institutions that theoretically guarantee its preservation? The pharmaceutical institution poisoned us; the democratic institution deprived us of all political power; the judicial institution deprived us of basic rights; the financial institution impoverished us; the cultural institution prohibited us from thinking; the police institution terrorized us; the commercial institution enslaved us by programmed obsolescence; the journalistic institution misinformed us. The list of these paradoxical phenomena could be extended over several lines. The variety of these forms of intellectual and physical aggression therefore requires us to sharpen the previous premise; we must face the facts, our societies are suffering from lupus. Lupus has two characteristics: a wide variety of symptoms and the chronic condition of its manifestation. These attributes contribute to making his diagnosis particularly difficult; it can be a lot of other diseases, and it can only be observed intermittently. However, there is a specific indication of the disease in acute attacks that can usually be relied on: the deep skin lesions it causes, most often on the face. It is probably because of these stigmas, which were described as similar to wolf bites in the 13th century, that the disease
owes its name. There is also another etymological hypothesis: the arrangement of these lesions is inscribed on the face following the perimeter of the eyes, drawing in negative the outline of a carnival mask called a “loup”. Lupus is therefore essentially a disfiguring and concealing disease. It bruises the subject’s flesh, while ironically forcing him to wear the signs of a joyful transvestite. It disguises suffering as a parody. It denies the stigmas it causes by wrapping them in their own appearances. It succeeds in camouflaging the real behind the real. To anyone who asks about it, it answers: “The reality is different, this is only a mask.” It would be difficult to define more precisely the singular mechanisms of propaganda aimed at the massive acceptance of contemporary capitalism: self-justification through self-dissimulation. However, we must resolve ourselves to acknowledge that there are no masks. Or rather, the reality is the mask itself. There is no disease on one side and no symptom on the other; there are no longer any distinct causes and effects. There is a whole that gangrene everything. If we want to save everything, we must question everything. This is not the time for management, it is time for politics. Before considering any hope of remission, we must first admit that what societies need is first and foremost a global public health project; that is, applied to all the bodies that constitute them; the mutilated bodies of its citizens, such as the dumb bodies of its institutions. This year, the task of this journal will be to help formalize the potential frameworks of this project.
THE SUFFERING AND THE SICK Because we shouldn’t believe that the disease is saving anyone. Admittedly, a limited number of privileged people seem for the moment to be protected from the disease or perfectly immune; this is not the case. Lupus itself is affected by lupus. How else can it be explained, that the ruling oligarchy chooses to represent its interests, the very prototype of the one that will inexorably lead it to destruction? It is hard to imagine how the application of a program that embodies the quintessence of neoliberal ideology, personified today by Emmanuel Macron, could arouse anything other than disgust, revolt, fatigue, and ultimately, ruin. In this pathetic scene where the patients auscultate the patients, each observation of failure in the cure inevitably leads to the same treatment; the dosage is simply increased. More privatization, more deregulation, more profit, more
authoritarianism, more growth, more inequality, more violence, etc. Such therapeutic relentlessness exhausts the very people who administer the poison. After one dead, 5 hands ripped out, 24 eyes gouged out, 2500 wounded, more than 10,000 people held in custody, 2,000 convictions and 390 incarcerations during the 7 months of mobilisation of the “gilets jaunes”, one would think that the Ministry of the Interior would now call on the police to exercise a minimum of restraint5. On the contrary, the incitement to repression has become so wild that it physically affects the agents who dispense it, whatever the occasion; following the use of 5 litres of tear gas on environmental protesters in less than 30 minutes, on the pont de Sully, on 28 June 2019, the CRS commander in charge of spraying them has come to lose consciousness6. We will choose to laugh about it, because the picture is so pathetic. The sinister spring of tragedy generally has a sense of humour; here again, the buffoon mask of lupus turns a grimace into a grin.
MECHANICS OF THE COMPANY The reasons for these giggles are desperately trivial. Comedy, as Henri Bergson defines it, is “mechanics applied to living things7”. However, this is exactly what the company does, by essence: apply mechanics to living things. We can therefore easily understand the dark background of hilarity generated by neoliberal governance, whose ambition is precisely to copy its regime on the model of the company, anywhere and at any time. By borrowing from management its ridiculous lexicology, simple information now gives rise to a smile of despair; for example: “Agnès Buzyn, Minister of Solidarities and Health, announces the implementation by the French government of the Ma Santé 2022 plan.” EVERYTHING constitutes a problem in the previous statement: the name of the ministry, which makes public health a matter of solidarity, i. e. individual morality; the plural of “solidarity”, which reinforces the diverse, subjective, optional and therefore atrophied nature of this morality; the demagogy of the announcement of a “plan”, a miraculous panacea which is ultimately only a more or less complex arrangement of figures on paper; the naming of the plan, which substitutes the container for the content, placing the objectives of political action on the same level as those of yoghurt packaging; the choice of the possessive determinant to characterize health, thus referring everyone to the selfish preserva-
tion of their well-being; the arbitrary designation of a date, finally, which only sets the deadline from which we will be proposed a new plan. Until then, we can quietly continue to commit suicide in hospitals.
TOWARDS A RESPONSIBLE BODY The most terrible thing is that, in addition to the ineptitude of its form, the substance of the government’s project nevertheless looks straightforward: after the privatization of the environment, work, relationships, space and time, there are now plans to privatize the human body. Not in the archaic form of slavery, it would even be the opposite; what the neoliberal programme aims to do is to make everyone the owner of their own body. Vertiginous purpose; because by definition, the body is precisely what we use and not what we own. You don’t dispose of your lungs like you do with a wrench: even if my neighbour needs them badly, it will be difficult for me to lend them to him. Make no mistake about it. The neoliberal aspiration is not to make the body a commodity, but to establish between a body and its user a relationship in the form of a commercial relationship: to make its body useful, so that its use is motivated by interest, in short. It is not a question of assigning (abusus) or taking direct advantage (fructus) of its organs, but of making the management of its organization the management of a property; for the owner of a property is also (and perhaps above all) the one who is responsible for it. Thus, what interests power above all is the reversal of the principle of responsibility, which we witness emerging insidiously at every new opportunity; being smashed in the head during a demonstration is now proving to be similar to losing your placement on the stock market: it is sad, but it is a bad individual decision. We can see where this type of reasoning leads, we are already there, moreover; being wounded, being eviscerated, being amputated, being killed, it is a choice. We are eagerly awaiting the logical continuation of the demonstration: being sick, too, by 2022, will be a choice. Ultimately, Dr. Knock’s famous formula will be reversed: from now on, sick people will be healthy people who are simply unaware of it8.
experience. Consider bodies independently of each other, as so many micro-enterprises that are constantly competing in the wellness market. Finally, to abandon all these bodies in the indistinct mingled with evolution so that only the most suitable ones emerge, but always, each for himself. This programme can be summarized in one sentence: to replace class struggle with body struggle, which is, in every respect, its strict opposite. This is what the practice of architecture must be opposed to. For it is nothing more than an attempt to formulate a hypothesis, fragile and yet implacable: a world does not evolve; a world is transformed. Not an ex nihilo transformation, but a transformation in which each body participates and continues to participate. A transformation for and by the bodies, through the ever-renewed trials of their arrangements, their confrontations, their unions, their distances or their mergers. Applying the architectural project to public health means conceiving health not as a state, but as an experience. And it means realizing that our bodies, all bodies, sick or healthy, are the instruments from which this experience is developed, intensified, and sometimes realized. 1 Ivan Illich, La convivialité, Paris, Seuil, coll. Points Essais, 2014. 2 For a technical analysis, we recommend to read Frédéric Lordon, Jusqu’à quand ? Pour en finir avec les crises financières, Paris, Raisons d’Agir, 2008. 3 Alain Supiot, La Gouvernance par les nombres. Cours au Collège de France (20122014), Paris, Fayard, 2015. 4 Grégoire Chamayou, La société ingouvernable. Une généalogie du libéralisme autoritaire, Paris, La fabrique, 2018, p. 191-201. 5 Mediapart, on July 16th 2019. [ h t t p s : // b l o g s . m e d i a p a r t . f r/ l e s - i n vites-de-mediapart/blog /160719/ appel- du-20 -juillet-marchons-pouradama-et-ripostons-lautoritarisme?utm_ content=bufferfbe63&utm_medium=social&utm_source=Facebook_Page&utm_ campaign=CM] 6 [https://www.mediapart.fr/journal/ france/140719/pont-de-sully-l-usage-degaz-lacrymogene-ete-tel-que-le-commandant-des-crs-perdu-connaissance] 7 Henri Bergson, Le rire, Paris, Payot, 2012. 8 Jules Romains, Knock ou le Triomphe de la Médecine, Paris, Gallimard, coll. Folio, 1972, « Les gens bien portants sont des malades qui s’ignorent ».
HEALTH AS AN EXPERIENCE This is the social fantasy of neoliberal capitalism. Promote profitability as the basis of the relationship with the body, i.e. reject a priori any possibility of
INTRODUCTION 15
NOURRIR L’ARCHITECTURE INTRODUCTION AUX DOCUMENTS Manuel Bello-Marcano Celle à qui il fait manger sa merde vomit, il avale ce qu’elle rend. Marquis de Sade
Nous vous présentons dans les pages qui suivent, une sélection de textes réunis sous une rubrique que nous avons nommée Documents. Avec ce titre, nous faisons allusion d’une certaine manière à la revue française Documents, revue iconoclaste et bouillon de culture animée par Georges Bataille, Georges Henri Rivière et Carl Einstein de 1929 à 1931. La sélection des documents présents dans cette rubrique a pour but de proposer des idées et des points de vue divers et variés, ayant subi un temps prudentiel d’infusion. Nous invitons donc les lecteurs à dévorer ces documents comme on dévore des chairs attendries, de se les approprier comme on récupère des objets jetés dans la déchèterie de l’histoire afin de leur donner une deuxième vie. Nous vous proposons de faire donc une écologie des savoirs, en mettant à jour l’ensemble de ces textes comme un seul et même support, en constituant un corpus ouvert à partir de fragments, d’œuvres, ci-
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tations, livres, extraits, passages, morceaux, manuels, etc. qui pourraient être en même temps des témoins historiques et des acteurs opératoires de la réalité contemporaine. L’idée de cette rubrique est non seulement de proposer au lecteur de mener une enquête sur une thématique par le prisme de la pensée architecturale, mais aussi d’ouvrir une contre-enquête sur l’Architecture1 qui se cache furtivement dans ces divers textes sur la santé publique. Ainsi, digérer ces Documents affranchis d’une certaine actualité, libérés des chaînes de la mémoire et des droits (d’auteur, de l’oubli, de la reproduction technique), enfin, assimiler ces textes-excrétions émancipés de l’histoire s’avère une tâche lente, délicate mais néanmoins fascinante. Car, comme lorsqu’on récupère des objets mémoriels pour remplir un nouvel espace et leur donner de nouveaux usages, les textes que nous vous présentons ici sont autant de déchets (dans le plus nobles des sens) que de possibles contributions, nous l’espérons bien, à la (in)conscience
collective des architectes. Il reste à définir la manière dont ces derniers pourront s’approprier autrement les connaissances rassemblées par ces documents, l’enjeu étant de nourrir l’imaginaire architectural afin de pouvoir imaginer d’autres formes de manducation des savoirs. Comme lorsqu’on organise des résidus pour mieux les recycler, il est peut-être difficile de lier et d’organiser les textes que nous vous présentons ici. C’est pourquoi l’objectif est de faire de la pensée architecturale une « colle » fiable entre des idées hétérogènes, tout en faisant de ces documents hétéroclites des éléments « liables » et opératoires pour la pensée architecturale. S’approprier ces documents comme des sources d’excitation perdurables pour l’architecture peut être alors une tâche logique qui occupe autant l’architecte que d’autres disciplines. À cet égard, c’est donc en pensant à une forme fondamentale d’organisation de ces documents que nous empruntons à Georges Bataille la notion d’hétérologique pour qualifier la dé-
marche de la rubrique Documents. Hétérologie d’abord dans le sens d’assimilation d’un corps étranger, car un corps étranger est soit assimilé (mangé, approprié physiologiquement, juridiquement ou intellectuellement) soit rejeté avec la plus grande brutalité, c’està-dire excrété2. Mais aussi dans le sens de consommation sacrificielle qui incorpore des éléments irréductiblement hétérogènes au lecteur, et où de tels éléments risquent de provoquer un accroissement de force3. Laissé inachevé par Bataille, le chantier de cette « science » hétérologique est celui d’une science de ce qui est tout autre. En effet, pour Bataille, n’est pensé que ce qui pense à l’intégration de ce qui est étrange, c’est-à-dire de ce qui est en même temps fascinant et répulsif. C’est pourquoi, pour nommer cette nouvelle science, il hésite à utiliser le mot d’agiologie, mot qui étymologiquement voudrait dire une science du sacré dans le sens de sacer4, c’est-àdire de souillé ou de saint. Il hésite aussi avec le mot scatologie, pour parler de cette science ou logique
des excréments, autrement dit d’une « science de l’ordure ». En tout cas, ce qu’il nous propose, l’hétérologie, est une possible science globale de l’organisation : une science de la variété et de la multiplicité d’éléments s’opposant donc à n’importe quelle représentation homogène du monde. Cette nouvelle science se soulève alors contre toute conformité esthétique du monde, contre toute continuité poétique, contre toute uniformité religieuse. Toujours inquiète, l’hétérologie serait alors pour nous, penseur·euse·s architectes, l’abolition de l’homogénéisation de l’architecture sous un seul et transcendantal système, comme par exemple, le système capitaliste. Autrement dit, l’hétérologie s’oppose à n’importe quel système philosophique car elle ne cherche pas la cohérence d’une pensée, mais, au contraire, l’inhérence et la participation de tout élément possible. L’hétérologie devient alors une accumulation dans le but d’une saturation fertile. Elle ne cherche pas à expliquer mais à impliquer, tout en soulignant le besoin d’intégrer dans la pensée une détermination
propre de l’homme, celle imposée par deux impulsions humaines polarisées : l’excrétion et l’appropriation. Ainsi, pour Bataille, intégrer l’excrément dans l’acte de consommation est essentiel, car le processus d’appropriation se trouve, d’une façon naturelle, à l’intérieur même du processus d’excrétion5. Un regard hétérologique sur l’architecture peut alors nous permettre d’établir un rythme alternatif de pensée. Derechef, il ne s’agit plus de chercher la cohérence mais l’inhérence des références. Ainsi, la publication des textes variés qui nourrissent cette rubrique peut être comprise comme une lutte contre la suppression, sûrement hypocrite, de la digestion et de l’appropriation du caractère excrémentiel de la connaissance par la discipline architecturale. Le but n’étant pas de dégrader l’architecture en tant que discipline de tout et n’importe quoi mais de lui redonner ses lettres de noblesse en tant que « science de l’appropriation ». Pourtant, il ne s’agit pas d’une appropriation ayant pour but d’uniformiser
toute une pensée. Au contraire, il s’agit de rendre cette pensée architecturale multiple et riche en étrangeté, par le moyen d’une hétérogénéité. Ainsi, à l’homogénéité de la pensée qui construit une seule et unique identité, cette rubrique nous invite plutôt à nous identifier, à travers un échange, à tout ce qui nous entoure. Néanmoins, ce processus d’identification ne cherche pas l’épuisement de ce qui est étrange. En fait, Bataille nous alerte sur ce danger quand il nous dit que « l’identification de tous les éléments dont le monde est composé a été poursuivi avec une obstination constante, en sorte que les conceptions scientifiques aussi bien que les conceptions vulgaires du monde paraissent avoir abouti volontairement à une représentation aussi différente de ce qui pouvait être imaginé a priori que la place publique d’une capitale l’est d’un paysage de haute montagne6 ». De là, se dégage notre horizon : la lecture de ces documents (et le journal lui-même) comme un immense Atlas ouvert de connaissances qui cherche à réveiller des savoirs.
Il faut considérer que l’état de stagnation culturelle dans laquelle la discipline architecturale semble être aujourd’hui ne serait, dans ce sens, qu’une phase d’épuisement et d’appropriation du (d’un) monde, et que les mouvements historiques, actuels comme passés, montrent bien que l’état de stagnation précède alors toute révolution, ce que Bataille qualifie de « phase d’excrétion7 ». Car il faut bien dire que la dégradante séparation qui existe actuellement dans la discipline architecturale entre des actions dans le réel et une pensée logique, s’avère aujourd’hui presque inenvisageable, au regard de l’urgence d’assimiler et de comprendre (cumprendere – « prendre ensemble » nous rappelle le sociologue Michel Maffesoli) l’immense quantité de données, d’excrétions et de production, quasiment impossibles à digérer, qui peuplent le monde contemporain. Les documents-aliments que nous vous proposons ici sont en définitive composites. Ils ne sont pas présentés sous un aspect d’homogénéité frappante, repo-
sant sur des strictes convictions ou sur un jugement moral ou idéologique. En effet, comme les aliments, les savoirs ont des goûts et des parfums divers et variés. Il s’agira donc, tout simplement, de voir ces textes comme des ingrédients, parfois secrets (comme le texte de Paul B. Preciado Biopolitique à l’ère du capitalisme pharmacopornographique) ou sensuels (comme le texte d’Aaron Betsky Architecture and Same Sex Desire) ou bien gras (comme le texte du docteur Esquirol Des établissements des aliénés en France, et des moyens d’améliorer le sort de ces infortunés). Aliment de l’esprit critique, il faudrait cependant se poser la question : ce numéro d’Après la révolution sera-t-il un jour lui aussi, et nous l’espérons, une savoureuse ordure que des générations futures auront le plaisir de manger et de s’approprier. À nouveau, et pour reprendre les propos de Bataille, il faudrait donc considérer ces documents comme une communion de savoirs, dont la consommation peut être « sacramentelle (sacrificielle) ou non, suivant qu’on accuse ou qu’on détruit conventionnelle-
ment le caractère hétérogène des aliments8 ». 1 Pour une définition de ce que nous comprenons ici par Architecture, cf. le texte « Pour quoi ? » dans l’éditorial du présent numéro d’Après la révolution. 2 Georges Bataille, De la valeur d’usage de D.A.F. de Sade (lettre ouverte à mes camarades actuels) dans Œuvres complètes II Écrits posthumes 1922-1940, Paris, Gallimard, p. 72. 3 Ibid. p. 60. 4 Georges Bataille fait allusion à la racine du mot agios dans le sens de sacer « sacré ». Pour mémoire, l’homo sacer « l’homme sacré » désigne dans le droit romain une personne qui est exclue et qui peut être tuée par n’importe qui, mais qui, en revanche, ne peut pas faire l’objet d’un sacrifice humain car elle est « souillée ». Giorgio Agamben utilise l’expression « homo sacer » pour qualifier le réfugié politique ou le déporté. Cf. Bataille op. cit. p. 62 (note en bas de page) ; Cf. Giorgio Agamben, Homo sacer : le pouvoir souverain et la vie nue, Paris, Le Seuil, 1998. 5 G. Bataille, op. cit., p. 59. 6 Ibid., p. 60. 7 Ibid., p. 66. 8 Ibid., p. 59.
DOCUMENTS
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FEEDING ARCHITECTURE AN INTRODUCTION TO DOCUMENTS Manuel Bello-Marcano The one who eats his shit vomits; he devours her puke. Marquis de Sade
be historical witnesses as well as operating actors of our contemporary reality.
architectural imagination in order to be able to imagine other forms of knowledge manducations.
In the following pages, we present a selection of texts gathered under a section that we have entitled Documents. With this title, we are referring in some way to the French journal Documents, an iconoclastic and cultural journal run by Georges Bataille, Georges Henri Rivière and Carl Einstein from 1929 to 1931. The purpose of the selected documents within this section is to propose diverse and varied ideas and points of view, having undergone a prudential brewing period. We therefore invite readers to devour these documents as one devours tenderized flesh, to appropriate them as one recovers objects thrown into the wasteland of history in order to give them a second life. We therefore propose that you make an ecology of knowledge, by updating all these texts as a single entity, by constituting an open corpus based on fragments, works, quotations, books, extracts, passages, pieces, manuals, etc. which could simultaneously
The idea of this section is not only to propose to the reader to conduct an investigation on a theme through the prism of architectural thinking, but also to open a counter-investigation on Architecture1 one which is hidden furtively in these various texts on public health; to digest these documents freed from a certain topicality, freed from the chains of memory and rights (of authors, of oblivion, of technical reproduction), finally, to assimilate these excreta-texts emancipated from history is a slow, delicate but nevertheless fascinating task. Because, just as when memorabilia is collected to fill a new space and give it new uses, the texts we present here are as much waste (in the noblest of senses) as possible contributions, it is hoped, to the collective (un)consciousness of architects. It remains to be defined how the latter can otherwise appropriate the knowledge gathered by these documents, the challenge being to nourish the
As when organizing waste to better recycle them, it may be difficult to link and organize the texts we present here. This is why the objective is to make architectural thought a reliable “binder” between heterogeneous ideas, while making these heterogeneous documents “linkable” and operative elements for architectural thinking. Appropriating these documents as enduring sources of excitement for architects can then be a logical task that concerns architecture as much as any other discipline. In this respect, it is therefore by thinking of a fundamental form of organization of these documents that we borrow from Georges Bataille the notion of the “heterological” to qualify the approach of this Documents section. Heterology, first of all, in the sense of assimilation of a foreign body, because a foreign body is either assimilated (eaten, physiologically appropriated, legally or intellectually appropriated) or rejected
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with the greatest brutality, that is, excreted2. But also in the sense of the sacrificial consumption which incorporates irreducibly heterogeneous elements into the reader, as such elements risk causing an increase in force3. Left incomplete by Bataille, the construction of this heterologous “science” is that of a science of what is totally other. Indeed, for Bataille, only that which thinks of the integration of what is strange, that is to say, what is at the same time fascinating and repulsive. That is why, to name this new science, he hesitates to use the word agiology, a word that etymologically would mean a science of the sacred in the sense of sacer4, that is, of the soiled or the saint. He also hesitates with the word scatology, to talk about this science or logic of excreta, in other words, about a “science of filth”. In any case, what he proposes to us, heterology, is a possible global science of organization: a science of variety and multiplicity of elements thus opposing any homogeneous representation of the world.
This new science then rises up against any aesthetic conformity of the world, against any poetic continuity, against any religious uniformity. Ever worried, heterology would then be for us, thinkers architects, the abolition of the homogenization of architecture under a single and transcendental system, such as, for example, the capitalist system. In other words, heterology is opposed to any philosophical system because it does not seek the coherence of a thought, but, on the contrary, the inherent and participatory nature of any possible element. Heterology then becomes an accumulation with the aim of fertile saturation. It does not seek to explain but to involve, while emphasizing the need to integrate into thought a human being’s own determination, that imposed by two polarized human impulses: excretion and appropriation. Thus, for Bataille, integrating excrement into the act of consumption is essential, because the appropriation process is, in a natural way, within the excretion process itself5.
A heterological look at architecture can then allow us to establish an alternative rhythm of thought. Furthermore, it is no longer a question of seeking the coherence but rather the inherence of references. Thus, the publication of the various texts that feed this section can be understood as a struggle against the suppression, surely hypocritical, of digestion and the appropriation of the excremental character of knowledge by the architectural discipline. The aim is not to weaken architecture as a discipline of everything and anything, but to restore it to its former glory as a “science of appropriation”. However, this appropriation is not intended to standardize an entire thought. On the contrary, it is a question of making this architectural thought multiple and rich in strangeness, by means of heterogeneity. Thus, in response to the homogeneity of thought that builds a single identity, this section invites us to identify ourselves, by means of an exchange, with everything that surrounds us. Nevertheless, this identification process does not seek the exhaustion of what
is strange. In fact, Bataille alerts us of this danger when he tells us that “the identification of all the elements of which the world is composed has been pursued with constant obstinacy, so that both scientific and vulgar conceptions of the world seem to have voluntarily led to a representation as different from what could be imagined a priori as the public square of a capital is from a high mountain landscape”6. Beyond that, let our horizon be that we can read these documents (and the journal itself) as an immense open Atlas of knowledge that seeks to revive knowledge. This is why it should be recalled that the state of cultural stagnation in which architectural discipline seems to be today, in this sense, would only be a phase of exhaustion and appropriation of the world (of a world), and that historical movements, current and past, clearly show that the state of stagnation is then preceding any revolution, what Bataille calls an “excretion phase”7. Because it must be said that the
degrading separation that currently exists in the architectural discipline between actions in reality and logical thought is now almost unthinkable, in view of the urgency to assimilate and understand (cumprendere—“to take together” reminds us the sociologist Michel Maffesoli) the immense quantity of data, excreta and production, almost impossible to digest, that inhabit the contemporary world. The documents-aliments we propose here are ultimately composite. They are not presented in a stark homogeneous aspect, based on strict convictions or moral or ideological judgment. Indeed, like food, knowledge has different and varied tastes and flavours. It will therefore simply be a matter of seeing these texts as ingredients, sometimes secret (like the text of Paul B. Preciado Biopolitics in the Era of Pharmacopornographic Capitalism) or sensual (like the text of Aaron Betsky Architecture and Same Sex Desire) or bold (like the text of Jean-Étienne Esquirol Establishments of Insane in France and Ways to Improve the
Fate of these Unfortunate People). Fuelled by critical thinking, however, the question should be asked whether this issue of Après la révolution will one day also be, as we hope, a tasty scumbag that future generations will have the pleasure of eating and taking over. Again, and to quote Bataille’s words, these documents should therefore be considered as a communion of knowledge, the consumption of which may be “sacramental (sacrificial) or not depending on whether the heterogeneous character of food is heightened or conventionally destroyed”8.
refugee or deportee. See Bataille op. cit. p. 62 (footnote); see Giorgio Agamben, Homo sacer : le pouvoir souverain et la vie nue. Paris, Le Seuil, 1998. 5 G. Bataille, op. cit., p. 59. 6 Ibid., p. 60. 7 Ibid., p. 66. 8 Ibid., p. 59.
1 For a definition of what we understand here by Architecture, see the text “What For?” in the editorial of this issue of Après la révolution. 2 George Bataille, De la valeur d’usage de D.A.F. de Sade (lettre ouverte à mes camarades actuels) in Œuvres complètes II Écrits posthumes 1922-1940, Paris, Gallimard, p.72. 3 Idem. p. 60. 4 Georges Bataille alludes to the root of the word agios in the sense of sacer “sacred”. For the record, in Roman law, the homo sacer “the sacred man” refers to a person who is excluded and who can be killed by anyone, but who, on the other hand, cannot be the object of a human sacrifice because he is “defiled”. Giorgio Agamben uses the expression “homo sacer” to describe the political
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BIOPOLITIQUE À L’ÈRE DU CAPITALISME PHARMACOPORNOGRAPHIQUE Paul B. Preciado Au cours de cette époque révolue, et pourtant récente, que nous appelons aujourd’hui fordisme, l’industrie de l’automobile synthétise et définit un mode spécifique de production et de consommation, une temporalisation tayloriste de la vie, esthétique polychrome et lisse de l’objet inanimé, une façon de penser l’espace intérieur et d’habiter la ville, un agencement conflictuel du corps et de la machine, un flux discontinu de désir et de résistance. Dans les années qui suivent la crise énergétique et
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le déclin des chaînes de montage, on cherchera à identifier les nouveaux secteurs porteurs de transformations de l’économie globale. On parlera ainsi des industries biochimiques, électroniques, informatiques, ou de la communication, comme de nouveaux supports industriels du capitalisme… Mais ces discours ne suffiront pas à expliquer la production de valeur ajoutée et la mutation de la vie dans la société actuelle. Il est pourtant possible d’esquisser une nouvelle chronologie des trans-
formations de la production industrielle du siècle dernier, en prenant pour axe la gestion politique et technique du corps, du sexe et de l’identité. En d’autres termes, il est philosophiquement pertinent d’entreprendre aujourd’hui une analyse sexopolitique de l’économie mondiale. Dans une perspective économique, la transition vers une troisième forme de capitalisme, après les régimes esclavagiste et industriel, est généralement si-
tuée autour des années 70, mais l’établissement d’un nouveau type de « gouvernement des vivant1 » émerge d’ores et déjà des ruines urbaines, corporelles, psychiques et écologiques de la Seconde Guerre mondiale – et, dans le cas de l’Espagne, de la guerre civile. Comment le sexe et la sexualité deviennent l’enjeu principal de l’activité politique et économique ? Suivez-moi : la mutation du capitalisme à laquelle nous assistons se caractérise non seulement par la transformation du
sexe en objet de gestion politique de la vie (comme Foucault en avait eu l’intuition dans sa description biopolitique des nouveaux systèmes de contrôle social), mais aussi par le fait que cette gestion s’effectue à travers les nouvelles dynamiques du techno-capitalisme avancé. Pendant la guerre froide, les États-Unis investissent plus d’argent dans la recherche scientifique sur le sexe et la sexualité qu’aucun pays ne l’avait fait tout au long de l’histoire. Pensons simplement que la période qui va
de la fin de la Première Guerre mondiale à la guerre froide constitue un moment sans précédent de visibilité des femmes dans l’espace public, et d’émergence de formes visibles et politisées de l’homosexualité dans des contextes aussi insoupçonnés que, par exemple, l’armée américaine2. Le maccarthysme américain des années 50 ajoute à la persécution patriotique du communisme la lutte contre l’homosexualité, considérée forme d’antinationalisme, en même temps qu’il exalte les valeurs traditionalistes de la masculinité laborieuse et de la maternité domestique3. On ouvre à cette époque, dans le cadre d’un programme de santé publique, des dizaines de centres de recherche sur la sexualité en Occident. Les docteurs George Henry et Robert L. Dickinson réalisent la première étude démographique de la « déviation sexuelle », connue sous le nom de « Sex Variant4 », à laquelle succéderont le Rapport Kinsey sur la sexualité et les protocoles de Stoller sur la féminité et la masculinité. Au même moment, les architectes Ray et Charles Eames collaborent avec l’armée américaine pour fabriquer des attelles pour les mutilés de guerre avec des plaques de contreplaqué plywood. Quelques années plus tard, ils utiliseront le même matériau pour construire les meubles caractérisant le design léger et l’architecture jetable américaine5. Harry Benjamin initie et systématise l’utilisation clinique d’hormones sexuelles, on commercialise les premières molécules de progestérone et d’œstrogène, d’abord obtenues naturellement à partir de sérum de jument (Prémarine), puis produites synthétiquement (Noréthindrone) peu de temps après. Entre 1946 et 1951 est mise au point la première pilule contraceptive (antibaby) à base d’œstrogènes synthétiques. L’œstrogène deviendra la molécule pharmaceutique la plus utilisée et la plus rentable de l’histoire de l’humanité6. En 1947, les laboratoires Eli Lilly (Indiana, États-Unis) commercialisent un opiacé simple, la molécule de méthadone, comme analgésique. Elle deviendra dans les années 70 le traitement de substitution le plus répandu dans les cures de désintoxication à l’héroïne7. La même année, le pédopsychiatre américain John Money invente le terme de « genre », qu’il différencie de la dénomination traditionnelle de « sexe », pour désigner l’appartenance de l’individu à un groupe culturellement reconnu comme « masculin » ou « féminin ». Il affirme qu’il est possible de « modifier le genre de n’importe quel bébé jusqu’à 18 mois8 ». On assiste en même temps à une croissance exponentielle de la production d’éléments transuraniens (produits artificiels de l’expérimentation radioactive), parmi lesquels le plutonium, combustible nucléaire employé à des fins militaires pendant la Seconde Guerre mondiale, et qui devient désormais un matériau du secteur civil. Le lifting facial, ainsi que diverses interventions de chirurgie esthétique, deviennent des techniques de consommation de masse. Andy Warhol se fait photographier pendant une opération de lifting, transformant son propre corps en objet pop. Au même moment, l’usage du plastique dans la fabrication des objets de la vie quotidienne se généralise. Visqueux et semi-rigide, imperméable, isolant électrique et thermique, le plastique, produit par la multiplication artificielle d’atomes de
carbone en longues chaînes moléculaires de composés organiques dérivés du pétrole, émet quand il brûle une pollution considérable. Sa production en masse définira les conditions matérielles d’une transformation écologique à grande échelle : destruction des ressources énergétiques primitives de la planète, consommation rapide et pollution élevée. En 1953, le soldat américain George W. Jorgensen se transforme en Christine et devient la première femme transsexuelle médiatisée. Hugh Hefner crée Playboy, la première revue porno américaine diffusée en kiosque, avec la photo de Marilyn Monroe nue en couverture du numéro 1. Dans l’Espagne franquiste, la Ley de Vagos y Maleantes (Loi sur le Vagabondage et la Délinquance) de 1954 inclut pour la première fois les homosexuels et les déviants sexuels. Le commandant Antonio Vallejo-Nájera, chef des services médicaux militaires, et le docteur Juan José Lopez Ibor mènent des recherches visant à définir les racines psychophysiques du marxisme (pour découvrir le fameux « gène rouge »), de l’homosexualité et de l’intersexualité. Les institutions médicales industrialisées – tant dans l’Espagne franquiste qu’en Occident démocratique – préconisent lobotomie, thérapies de modifications du comportement, traitement par électrochocs et castration thérapeutique à des fins eugénistes9. En 1958, la première phalloplastie – construction d’un pénis à partir d’une auto-greffe – est réalisée, en Russie, dans le cadre d’un processus de changement de sexe du féminin vers le masculin. En 1960, les laboratoires Eli Lilly commercialisent le Secobarbital, un barbiturique aux propriétés anesthésiques, sédatives et hypnotiques conçu pour le traitement de l’épilepsie, de l’insomnie, ou comme anesthésique dans des opérations brèves. Le Secobarbital, connu sous le nom de « pilule rouge » ou « doll », devient une des drogues de la culture rock underground des années 60. À cette même époque, Manfred E. Clynes et Nathan S. Kline inventent le terme de « cyborg » pour désigner un organisme techniquement supplémenté qui pourrait vivre dans un milieu extraterrestre et opérer comme « un système homéostatique intégré inconscient10 ». Il s’agit dans les faits d’un rat de laboratoire auquel a été implantée une prothèse osmotique qu’il traîne derrière lui, comme une queue cybernétique. En 1966, les premiers antidépresseurs sont inventés, ils interviennent directement dans la synthèse du neurotransmetteur sérotonine, et conduiront en 1987 à la conception de la molécule de Fluoxétine, commercialisée par la suite sous des noms divers, selon les laboratoires, dont le plus célèbre sera le Prozac, fabriqué par Eli Lilly. En 1971, le Royaume-Uni promulgue la Loi sur l’Abus des Drogues régulant la consommation et le trafic des psychotropes. La gravité des peines pour usage et trafic varie de la catégorie A (cocaïne, méthadone, morphine…) à la catégorie C (cannabis, kétamine…). L’alcool et le tabac restent en dehors de cette classification. Et LSD was better than Jesus. En 1972, Gerard Damiano réalise, avec l’argent de la mafia californienne, le film Deep Throat (Gorge Profonde), un des premiers pornos commercialisés publiquement aux ÉtatsUnis. Deep Throat deviendra l’un des films les plus vus de tous les
temps et générera un bénéfice dépassant les 600 millions de dollars. L’industrie du cinéma pornographique explose, passant de trente films clandestins en 1950 à deux mille cinq cents en 1970. En 1973, l’homosexualité sort de la liste des maladies recensées par le DSM (Manuel diagnostic et statistique des troubles mentaux). En 1974, comme traitement au défaut d’érection, le Soviétique Victor Konstantinovich Kalnberz brevette le premier implant pénien, construit autour d’une structure faite de baleines en polyéthylène, créant un pénis naturel en érection permanente. Ces implants seront abandonnés au bénéfice de leurs variantes chimiques car ils seront jugés « physiquement incommodes et émotionnellement déconcertants ». Bill Gates et Paul Allen fondent Microsoft alors que Foucault respirait l’air de nitrite d’amyle dans les backrooms de San Francisco. En 1977, l’État de l’Oklahoma pratique la première injection létale, composée de barbituriques similaires à la « pilule rouge », au cours d’une exécution capitale. Une méthode analogue avait été appliquée dans le programme Action T4 d’hygiène raciale de l’Allemagne nazie, où furent euthanasiées entre soixante-quinze et cent mille personnes atteintes de déficiences physiques ou psychiques. Par la suite, ce procédé fut abandonné, en raison de son coût pharmaceutique élevé, et remplacé par la chambre à gaz, ou la mort par inanition. En 1983, le transsexualisme est inclus dans le DSM en tant que trouble mental de « dysphorie de genre ». Au début du nouveau millénaire, quatre millions d’enfants sont traités à la Ritaline pour hyperactivité et pour le syndrome nommé « déficit d’attention », et plus de deux millions d’enfants consomment des psychotropes destinés à contrôler la dépression infantile.
Nous sommes face à un nouveau type de capitalisme chaud, psychotropique et punk. Ces récentes transformations imposent l’agencement de nouveaux dispositifs microprosthétiques de contrôle de la subjectivité avec des plateformes techniques biomoléculaires et médiatiques. Cette dépend « économie-monde11 » de la production et de la circulation de centaines de tonnes de stéroïdes synthétiques, de la diffusion globale de flux d’images pornographiques, de l’élaboration et dissémination de nouvelles variétés de psychotropes synthétiques légaux et illégaux (Lexomil, Spécial K, Viagra, speed, crystal, Prozac, ecstasy, poppers, héroïne, Oméprazole…), du flux des signes et de circuits de transmission numérique d’information, de l’extension à la totalité de la planète d’une forme d’architecture urbaine diffuse dans laquelle des mégacités bidonvilles12 côtoient des nœuds de haute concentration de sexe-capital. Ce ne sont que quelques-uns des indices de l’apparition d’un régime postindustriel, global et médiatique, dont la pilule et Playboy sont paradigmatiques, et que
je nommerai dorénavant pharmaco-pornographique, prenant pour référence les processus de gouvernement de la subjectivité sexuelle, dans ses modes moléculaires (pharmaco) et sémiotechniques (-porno). Si ses lignes de force puisent leurs racines dans la société scientifique et coloniale du XIXe siècle, ses vecteurs économiques ne deviennent visibles qu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale. D’abord dissimulés sous les apparences de l’économie fordiste, ils sont révélés dans les années 70 par l’effondrement progressif de cette dernière. Au cours du XXe siècle, la psychologie, la sexologie et l’endocrinologie ont établi leur autorité matérielle, transformant les concepts de psychisme, libido, conscience, féminité et masculinité, hétérosexualité et homosexualité en réalités tangibles, substances chimiques, molécules commercialisables, corps, biotypes humains, valeurs marchandes gérables par les multinationales pharmacopornographiques. L’hégémonie de la science, en tant que discours et pratique technique, découle de ce que Ian Hacking13, Steve Woolgar et Bruno Latour14 appellent son « autorité matérielle », c’est-à-dire sa capacité à inventer et produire des artefacts vivants. Si la science est la nouvelle religion de la modernité, c’est par sa puissance performative : elle a la capacité de créer, et pas simplement de décrire, la réalité. La grande réussite de la techno-science contemporaine est de transformer notre dépression en Prozac, notre masculinité en testostérone, notre érection en Viagra, notre fertilité/ stérilité en Pilule, notre sida en trithérapie. Sans qu’il soit possible de démêler ce qui vient en premier, de la dépression ou du Prozac, du Viagra ou de l’érection, de la testostérone ou de la masculinité, de la pilule ou de la maternité, de la trithérapie ou du sida. Cette production en autofeed-back est le propre du pouvoir pharmacopornographique. La production pharmacopornographique caractérise aujourd’hui une ère nouvelle de l’économie politique mondiale, non par sa prépondérance quantitative, mais parce que le contrôle, la production et l’intensification des affects narcotico-sexuels sont devenus le modèle de toute autre forme de production. Le contrôle pharmacopornographique infiltre et domine ainsi tous les flux du capital, de la biotechnologie agraire à l’industrie high-tech de la communication. À l’ère pharmacoporniste, l’industrie du gouvernement sexopolitique du corps synthétise et définit un mode spécifique de production et de consommation, une temporalisation masturbatoire de la vie, une esthétique virtuelle et hallucinogène de l’objet vivant, une architecture qui transforme l’espace intérieur en extérieur et la ville en intériorité et « junkspace15 » via des dispositifs d’autosurveillance et de diffusion ultra-rapides de l’information, un mode continu de désirer et de résister, de consommer et de détruire, d’évoluer et de s’autodétruire. Ce capitalisme pharmacopornographique fonctionne en réalité grâce à la gestion biomédiatique de la subjectivité, au travers de son contrôle moléculaire et de la production de connexions virtuelles audiovisuelles. L’industrie pharmaceutique et l’industrie audiovisuelle du sexe sont les deux piliers sur lesquels s’appuie le biocapitalisme contemporain, les deux tentacules d’un circuit intégré gigantesque et visqueux. Voici le pharmacoporno-pro-
gramme de la seconde moitié du XXe siècle : contrôler la sexualité des corps codifiés comme femmes et faire éjaculer les corps codifiés comme hommes. La pilule, le Prozac et le Viagra sont à l’industrie pharmaceutique ce que la pornographie, avec sa grammaire de pipes, pénétrations et cum-shot, est à l’industrie culturelle : le jackpot du biocapitalisme postindustriel.
HISTOIRE DE LA TECHNOSEXUALITÉ Discontinuité de l’histoire, du corps, du pouvoir : Foucault décrit le passage, de la fin du XVIIIe siècle, d’une « société souveraine » à une « société disciplinaire », comme le déplacement d’une forme de pouvoir, qui décide et ritualise la mort, vers une nouvelle forme de pouvoir, qui calcule techniquement la vie en termes de population, de santé et d’intérêt national. Biopouvoir est le nom de cette nouvelle forme de pouvoir producteur, diffus et tentaculaire : débordant du domaine juridique et du cadre punitif, il devient une force qui pénètre et constitue le corps de l’individu moderne. Ce pouvoir ne se comporte plus comme une loi coercitive, un ordre négatif, mais plus versatile et accueillant, acquiert la forme d’une technologie politique générale, se métamorphosant en architectures disciplinaires (prison, caserne, école, hôpital…), textes scientifiques, tableaux statistiques, calculs démographiques, modes d’emploi, recommandations d’usage, calendriers de régulation de la vie et projets d’hygiène publique. Un art moderne de gouverner la vie se constitue ainsi, où le sexe et la sexualité occupent, selon Foucault, une place centrale : processus d’hystérisation du corps féminin, pédagogie sexuelle des enfants, régulation des conduites de procréation et psychiatrisation des plaisirs pervers constituent, selon lui, les axes de ce projet qu’il caractérise, non sans ironie, comme un processus de modernisation de la sexualité16. Suivant les intuitions de Michel Foucault, Monique Wittig et Judith Butler, j’appelle sexopolitique17 une des formes dominantes de cette action biopolitique qui émerge avec le capitalisme disciplinaire. Le sexe, sa vérité, sa visibilité, ses formes d’extériorisation, la sexualité, les voies normales et pathologiques du plaisir, et la race, sa pureté ou sa dégénérescence, sont trois puissantes fictions somatiques qui obsèdent le monde occidental à partir du XIXe siècle, jusqu’à constituer l’horizon de toute action théorique, scientifique et politique contemporaine. Ce sont des fictions somatiques, non parce qu’elles sont dépourvues de réalité matérielle, mais parce que leur existence dépend de ce que Judith Butler appelle la « répétition performative18 » de processus de construction politique. Nous pourrions appeler « empire sexuel » (sexualisant la chaste expression de Hardt et Negri19) ce système de construction biopolitique qui prend pour centre somatique d’invention et de contrôle de la subjectivité le « sexe » de l’individu moderne. La sexopolitique disciplinaire occidentale de la fin du XIXe siècle et d’une bonne partie du XXe ne se réduit pas à une régulation des conditions de reproduction de la vie, ni aux processus biologiques qui « concernent la population ». Le DOCUMENTS
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corps hétérosexuel devient l’artefact qui remportera le plus de succès gouvernemental dans la sexopolitique du XIXe siècle. La « pensée straight » – pour reprendre l’expression élaborée par Monique Wittig dans les années 80 pour désigner l’hétérosexualité, non comme pratique sexuelle, mais comme régime politique20 – garantit la relation structurelle entre la production de l’identité de genre et la production de certains organes (au détriment d’autres) comme organes sexuels et reproductifs. Une tâche importante de ce travail disciplinaire consistera à exclure l’anus des circuits de production du plaisir. Deleuze et Guattari : l’anus est le premier organe privatisé, banni du champ social, celui qui a servi de modèle à toutes privatisations postérieures, en même temps que l’argent exprimait le nouvel état d’abstraction des flux21. L’anus, comme centre de production de plaisir (et, en ce sens, proche de la bouche ou de la main, organes eux aussi fortement contrôlés au XIXe siècle par la régulation sexopolitique antimasturbation et antihomosexualité) n’a pas de genre. Ni masculin ni féminin, il produit un court-circuit dans la division sexuelle. Centre de passivité primordiale, lieu abject par excellence, proche du détritus et de la merde, c’est un trou noir universel dans lequel s’engouffrent les genres, les sexes, les identités, le capital. L’Occident dessine un tube pourvu de deux orifices : une bouche, émettrice de signes publics, et un anus impénétrable, autour desquels il enroule une subjectivité masculine et hétérosexuelle, qui acquiert le statut de corps social privilégié. Jusqu’au XVIIe siècle, l’épistémologie sexuelle du régime souverain est dominée par ce que l’historien Thomas Laqueur appelle « un système de ressemblances » : l’anatomie sexuelle féminine est constituée comme une variation faible, intériorisée et dégénérée, du seul sexe possédant une existence ontologique, le sexe masculin22. Les ovaires sont considérés comme des testicules intériorisés et le vagin comme un pénis inversé qui sert de réceptacle au sexe masculin. L’avortement et l’infanticide, pratiques courantes, ne sont pas régulées par l’appareil juridique de l’État, mais par les différents micropouvoirs économico-politiques auxquels le corps en gestation se trouve rattaché (tribu, maison féodale, pater familias…). Deux expressions sociales et politiques hiérarchiquement différenciées se répartissent la surface d’un modèle « mono-sexuel » : « l’homme », canon de l’humain, et « la femme », réceptacle reproducteur. L’assignation du sexe dépend non seulement de la morphologie externe des organes sexuels, mais avant tout de la capacité reproductrice et du rôle social. Une femme à barbe capable de gestation, de mettre au monde et d’allaiter son enfant, indépendamment de la forme et de la taille de sa vulve, sera considérée comme femme. Dans cette configuration somatopolitique, le sexe et la sexualité (pensons que le terme de « sexualité » ne sera pas inventé avant 1880) ne constituent pas encore des catégories de savoir ni des techniques de subjectivation susceptibles de surpasser la segmentation politique séparant l’esclave de l’homme libre, le citoyen du métèque, le seigneur du serf. Demeurent des différences entre masculinité et féminité, et entre plusieurs modes de production du plaisir sexuel, mais qui ne déterminent pas en-
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core les cristallisations de la subjectivité politique. Projet d’une nouvelle science générale des corps sexués, théorie des signes analysant les désirs : ainsi s’est constituée à partir du XVIIIe siècle une nouvelle épistémologie visuelle sexopolitique qui ne repose plus sur des « ressemblances » mais sur un « système d’oppositions ». Se dessine alors une nouvelle anatomie sexuelle, dans laquelle le sexe féminin cesse d’être inversion ou intériorisation du sexe masculin, pour devenir un sexe entièrement différent, dont les formes et les fonctions répondent à une logique propre. Pour Laqueur, l’invention d’une esthétique de la différence sexuelle est nécessaire à l’établissement d’une hiérarchie anatomico-politique entre les sexes (masculin, féminin) et les
Searle en 1951, sous la forme de la molécule de norethindrone, variante synthétique et assimilable par voie orale de la molécule active de progestérone. L’examen des réseaux économiques et techniques qui ont abouti à la production de la pilule nous font découvrir qu’elle est mise au point dans le cadre d’une recherche expérimentale pour l’aide à la procréation de familles blanches catholiques stériles. Les processus de recherche et d’évaluation de son efficacité technique révèlent ses racines coloniales : l’action de la première pilule contraceptive sera étudiée dans l’île de Puerto Rico, sur des corps de femmes de la population noire locale. Elle est testée simultanément sur divers groupes de patients psychiatriques du Worcester State Hospital et sur les pensionnaires de la prison d’État de l’Oregon entre 1956 et 1957 : cette recherche vise à contrôler la natalité chez les femmes, et diminuer la libido et les « tendances homosexuelles » chez les hommes. L’analyse transversale des espaces géopolitiques et institutionnels, ainsi que des implications raciales, sexuelles et de genre dans l’utilisation des
races (Blancs, non-Blancs) face au soulèvement des mouvements révolutionnaires et de libération qui demandent l’élargissement de l’horizon de la sphère publique aux femmes et aux étrangers. La vérité anatomique opère ici comme légitimation d’une nouvelle organisation politique du social. La mutation qui donnera lieu au régime disciplinaire commence avec l’avènement de la différence sexuelle, la répression technique de la masturbation et l’invention du sujet sexuel23. Le point culminant de ces technologies rigides et lourdes de production d’identités sexuelles sera atteint en 1868, avec la pathologisation de l’homosexualité et la normalisation bourgeoise de l’hétérosexualité. L’avortement et l’infanticide post-partum seront désormais surveillés et sévèrement punis par la loi. Le corps et ses produits appartiennent au pater familias et,
par extension, à l’État et à Dieu. S’il est vrai que jusqu’ici l’analyse de Foucault, quoique chronologiquement inexacte, semble d’une grande acuité critique, il n’est pas moins vrai que sa perspicacité perd en intensité au fur et à mesure que son analyse se rapproche de la société contemporaine.
« société de contrôle24 ». Je préfère la nommer : société pharmacopornographique, faisant dialoguer Burroughs et Bukowski. Voilà les deux devises de ce nouveau contrôle sexo-micro-informatique : shoot et éjaculation politiquement programmés.
Foucault néglige l’émergence d’un ensemble de transformations profondes des technologies de production de corps et de subjectivité qui se succèdent à partir de la Seconde Guerre mondiale, et qui nous obligent à conceptualiser un troisième régime de subjectivation, un troisième système de savoir-pouvoir, ni souverain ni disciplinaire, ni pré-moderne ni moderne. Deleuze et Guattari, s’inspirant de William Burroughs, appellent ce « nouveau monstre » de l’organisation du social dérivant de ce contrôle biopolitique
LE PANOPTIQUE COMESTIBLE
premières molécules d’œstrogène et de progestérone synthétiques, permet de définir la pilule non seulement comme une méthode de gestion des naissances, mais aussi et surtout comme une méthode de production et de purification de la race, une technique eugéniste de contrôle de reproduction de l’espèce25. En ce sens, la pilule fonctionne comme une pièce sémiotico-matérielle clé (à la fois machine et discours) dans la grammaire hétéro-coloniale de la culture occidentale, obsédée par la contamination des lignées, la pureté de la race, la séparation des sexes et le contrôle des genres26.
deuxième pilule est donc mise au point, dont l’efficacité est égale, à cette seule différence près : elle est capable de reproduire techniquement le rythme des cycles menstruels naturels.
et la consommation de la pilule montrent que les hormones sont des fictions sexopolitiques, des métaphores technovivantes qui, susceptibles d’être avalées, digérées, assimilées, incorporées, sont des artefacts pharmacopornographiques capables de créer des formations corporelles s’intégrant à des organismes politiques plus vastes, comme les institutions médico-légales, les États-Nations ou les réseaux globaux de circulation du capital. L’administration massive et à hautes doses d’œstrogènes et de progestérone aux corps de biofemmes occidentales de l’après-guerre permet de produire et reproduire la féminité à l’état pur. Cette nouvelle féminité microprosthétique est une technique pharmacopornographique brevetée, commercialisable, transférable et implantable dans n’importe quel corps vivant. Les œstrogènes et la progestérone administrées à haute dose pendant cette époque se révèlent peu à peu cancérigènes et responsables de diverses altérations cardiovasculaires, sans que la consommation de la pilule diminue pour autant (au contraire : sa consommation a augmenté de façon exponen-
Il est particulièrement frappant, ici, que la pilule opère depuis le début comme une technique, non seulement de gestion de la reproduction, mais aussi de contrôle et de production de genre. La première pilule inventée, quoiqu’ efficace comme contraceptif, est refusée par l’Institut Américain de la Santé (AHI) parce qu’elle supprime totalement les règles et remet donc en question, selon le comité scientifique américain, la féminité des Américaines. Une
S’il est possible d’évoquer, avec Judith Butler, une « production performative du genre », il faut préciser que ce qui est codifié, imité, et répété coercitivement, ici, ce n’est pas seulement une représentation théâtrale ou un code sémiotique, mais bien la totalité biologique du vivant. Je nommerai « biodrag » ce processus, en référence aux pratiques et cultures drag – drag queens (homme biologiquement défini qui pratique une forme visible de féminité) et drag kings (femme biologiquement définie qui pratique une forme visible de masculinité) : production pharmacopornographique de fictions somatiques de féminité et de masculinité. Ce qui est représenté et imité techniquement par la pilule n’est déjà plus un code vestimentaire ou un style corporel, mais un processus biologique : le cycle menstruel. Les processus de féminisation liés à la production, la distribution
Au moment où commencent à circuler dans les sociétés occidentales la notion de genre, la bombe H, les implants mammaires en silicone, les prothèses électriques, l’ordinateur et les meubles en formica, est fabriquée une nanotechnique pionnière de modification hormonale domestique, portable et comestible : la première pilule contraceptive est inventée presque par erreur par Gregory Pincus et les laboratoires
tielle depuis les années 70), sans non plus que soient modifiées les consignes de l’Organisation Mondiale de la Santé. La quantité d’œstrogène et de progestérone contenue dans un traitement mensuel est passée de 150 microgrammes d’œstrogène et jusqu’à 200 milligrammes de progestérone dans les années 70, à 10 microgrammes de l’un et 15 milligrammes de différentes variantes de l’autre dans les contraceptifs actuels. Afin d’améliorer la sécurité, l’actuelle micropilule (méthode la plus prescrite pendant les périodes d’allaitement) administre un dosage moins important pendant un plus grand nombre de jours, diminuant les jours de pilule placebo, pendant lesquels se produisent ce que nous pourrions appeler les techno-règles, c’est-à-dire un saignement techniquement induit
féminine. De l’autre côté, nous assistons à l’infiltration progressive des techniques de contrôle social propres au système disciplinaire à l’intérieur du corps individuel. La question n’est plus seulement de punir les infractions sexuelles des individus, ni de surveiller et corriger leurs déviations via un code de lois externes ou de disciplines intériorisées, mais de modifier leurs corps, en tant que plateformes vivantes d’organes, de flux, de neurotransmetteurs, de possibilités de connexion et d’agencements, pour en faire à la fois l’instrument, le support et l’effet d’un programme politique. Nous sommes certes toujours face à une forme de contrôle social, mais il s’agit ici d’un contrôle pop, un contrôle en mousse, multicolore, aux oreilles de Mickey et décolleté de Brigitte Bardot, par opposition au contrôle froid et disciplinaire du panoptique dépeint par Foucault. La plaquette mensuelle de pilules, avec l’impératif d’administration quotidienne, la possibilité d’oubli ou de gestion incorrecte, sa temporalité rituelle, son design pop multicolore proche des boîtes Campbell immortalisées en 1960
qui produit l’illusion du cycle naturel. Il s’agit de méthodes techniques biodrag dont l’objectif est la « mimesis du cycle physiologique normal27 ». De la deuxième pilule de Pincus jusqu’à l’actuelle micropilule, ces techniques d’invention hormonale fonctionnent selon un principe de biocamouflage : premièrement ils interrompent le cycle hormonal naturel, puis ils provoquent techniquement un cycle artificiel restituant l’illusion de la nature. La première de ces actions est contraceptive, la seconde est corollaire d’une intention de production pharmacopornographique du genre : faire en sorte que le corps des techno-femmes du XXe siècle perpétue l’illusion d’être l’effet de lois naturelles immuables, transhistoriques et transculturelles. Une étude récente, menée par l’université de Boston, met en évidence la relation entre la consommation de
la pilule contraceptive, la baisse des niveaux de biodisponibilité de la testostérone (réduite de 40 à 60 %) et la chute de la libido chez les femmes. L’étude prévient que la prise d’œstrogène synthétique peut modifier la production hormonale globale, et propose l’administration de gel de testostérone à microdoses pour augmenter « la fonction sexuelle des femmes consommatrices de la pilule28 ».
par Andy Warhol, évoque un calendrier chimique où chaque jour est signalé par l’indispensable présence d’une pastille. Sa présentation sous forme circulaire invite à suivre le mouvement du temps sur un cadran, comme sur une horloge, l’alarme qui annonce l’heure de l’ingestion opère comme un dispositif d’autosurveillance domestique de la sexualité féminine30. Version moléculaire, endocrinologique et high-tech d’un mandala, du livre des heures ou de l’examen de conscience quotidien des Exercices de Loyola, cette microprothèse hormonale permet, en plus de réguler l’ovulation, de produire l’âme du sujet hétérosexuel « femme moderne ». L’âme chimiquement régulée de la petite pute hétérosexuelle assujettie aux désirs sexuels du biomacho occidental. Hors ce microfascisme pop, moléculaire et ultra-individualisé, il est difficile d’expliquer comment la pilule a pu être privilégiée médicalement et juridiquement comme contraceptif devant d’autres méthodes moins toxiques, présentant moins d’effets secondaires et exigeant une attention quotidienne bien moindre, comme la vasectomie
(stérilisation masculine), le RU486, la pilule du lendemain, ou l’avortement par aspiration utérine au stade précoce de la gestation. Mais la pilule dépend d’une décision individuelle d’administration et de calcul temporel de la prise, elle induit inexorablement l’accident, elle compte sur l’accident, elle le programme, elle pense l’accident comme possibilité sine qua non de la sexualité féminine. La logique hétérosexiste qui domine la pilule répond à cette double exigence contradictoire : toute femme doit être à la fois fertile (et l’être via l’insémination hétérosexuelle) et capable de réduire la possibilité de sa fertilité de manière asymptotiquement proche de zéro, sans pour autant l’annuler complètement (auquel cas la possibilité d’une relation hétérosexuelle, avec son équation sexe = reproduction, semblerait manquer d’intérêt), de manière à ce que la conception accidentelle reste possible.
Mais l’administration de testostérone aux femmes reste aujourd’hui encore un tabou hormonal à caractère politique. La production de la féminité dans le régime pharmacopornographique opère selon une logique paradoxale : d’une part on administre la pilule aux biofemmes de manière généralisée, et de l’autre on cherche un moyen pharmacologique de pallier la dépression et la frigidité29. La biofemme du XXIIe
Un seul problème : la gestion individuelle et autonome par la femme introduit une possibilité d’agencement politique. À partir des années 50, la construction de
siècle résulte de ce court-circuit somato-politique ; sa subjectivité se module dans l’étroite marge d’agencement créée par ces champs de force divergents. La formation de la société pharmacopornographique se caractérise par l’apparition, au milieu du XXe siècle, de deux nouveaux vecteurs de production de la subjectivité sexuelle. D’un côté, comme nous l’avons vu, l’introduction de la notion de « genre » comme dispositif technique, visuel et performatif de sexuation du corps, la réorganisation du système médico-juridique, éducatif et médiatique qui jusque-là articulait les notions de normalité et de perversion autour du binôme hétérosexualité/ homosexualité et qui, à partir de ce moment, contemplera la possibilité de modifier techniquement le corps de l’individu pour « fabriquer une âme » masculine ou
Medicina, 1984. 10 Manfred E. Clynes, Nathan S. Kline, « Cyborgs and Space », in Journal of Astronautics, New-York, American Rocket Society, septembre 1960, p. 27-31 et 74-75. 11 J’utilise ici l’expression bien connue d’Immanuel Wallerstein, Capitalisme et économie-monde, 1450-1640, Paris, Flammarion, 1980. 12 Mike Davis, Planète Bidonvilles, Paris, Ed. Ab irato, 2005. 13 Ian Hacking, Representing and Intervening. Introductory Topics in the Philosophy of Natural Science, Cambridge, Cambridge University Press, 1986. 14 Bruno Latour et Steve Woolgar, La Vie de laboratoire. La construction des faits scientifiques, Paris, La Découverte, 1988. 15 Sur l’élaboration de cette notion, voir Rem Koolhaas, « Junkspace », October, 100 Spring, 2002, p. 175-190. 16 Michel Foucault, Histoire de la sexualité. La volonté de savoir, Paris, Gallimard, 1976, p. 136-139. 17 Paul B. Preciado, « Multitudes Queer », in Multitudes 12, Paris, 2002, p. 17-25. 18 Voir la notion de répétition performative chez Judith Butler, Trouble dans le genre. Pour un féminisme de la subversion, Paris, La Découverte, 2005, p. 256-266. 19 Toni Negri et Michael Hardt, Empire, Paris, Exils Editeur, Paris, 2000. 20 Monique Wittig, La Pensée straight, Paris, Balland, 2001, p. 65-76. 21 Gilles Deleuze et Félix Guattari, L’Anti-Œdipe, Capitalisme et schizophrénie, Paris, Éditions de Minuit, 1972, chapitre 3. 22 Thomas Laqueur, La Fabrique du sexe. Essai sur le corps et le genre en Occident, Paris, Gallimard, 1992. 23 Thomas Laqueur, New-York, Solitary sex: A cultural History of Masturbation, New York, Zone Books, 2003. 24 Gilles Deleuze, Pourparlers, Paris, Éditions de Minuit, 1990, p. 240-247. 25 Sur la pilule et la purification raciale, voir : Dorothy Roberts, Killing the Black Body, Race, reproduction and the Meaning of Liberty, New-York, Vintage, 1997. 26 Sur la « vie pure » comme objectif du technobiopouvoir, voir Donna J. Haraway, op. cit., 1997, p. 60-62. 27 « Mimicking the normal physiological cycle », in Anna Glasier, « contraception – past and future », Lothian Primary Care NHS Trust and University of Edinburgh Department of Reproduction and Development, Edinburgh, EH41NL, Scotland, octobre 2002. 28 Katrina Woznicki, « Birth Control Pills May Produce Protracted Effects on Testosterone Levels », MedPage Today Staff Writer, Janvier 03, 2006 ; Panzer et al, « Impact of Oral Contraceptives on Sex Hormone-Binding Globulin and Androgen Levels: A Retrospective Study in Women with Sexual Dysfunction », The Journal of Sexual Medicine, janvier 2006, 3, p. 104-113. 29 Cette logique est comparable à la relation entre répression de la masturbation et production de la crise hystérique par des moyens mécaniques dans le régime sexodisciplinaire du XIXe siècle. Voir l’analyse de cette production paradoxale dans Paul B. Preciado, Manifeste contrasexuel, Paris, Balland, 2000, p. 73-88. 30 Les premières plaquettes de pilule, designées dans les années 60, étaient équipées d’une alarme intégrée.
la bioféminité est devenue processus de travestissement somatopolitique (bio-drag) : surcodification moléculaire et de transformation de la structure de la vie. Référence : Paul B. Preciado, « Biopolitique à l’ère du capitalisme pharmacopornographique », Chimères, vol. 74, no 3, 2010, pp. 241-257. 1 Michel Foucault, Du gouvernement des vivants (1979-1980), Leçons du Collège de France, 1879-1980, in Dits et Écrits, tome IV, Paris, Gallimard, 1974, p. 641-642. 2 Alan Berube, Coming Out Under Fire: The History of Gay Men and Women in World War Two, New York, The Free Press, 1990. 3 John d’Emilio, Sexual politics, Sexual Communities: The Making of a Homosexual Minority in the United States, 1940-1970, Chicago, Chicago University Press, 1983. 4 Jennifer Terry, An American Obsession: Science, Medicine and Homosexuality in Modern Society, Chicago, Chicago University Press, 1999, p. 178-218. 5 Beatriz Colomina,, Domesticity at War, Cambridge, MA, MIT Press, 2007. 6 Andrea Tone, Devices and Desires. À History of Contraceptives in America, Hill and Wang, New York, 2001. 7 Tom Carnwath et Ian Smith, Heroin Century, Londres et New York, Routledge, 2002. 8 John Money, John Hamson et Joan Hamson, « Imprinting the Establishment of the Gender Role », Archives of Neurology and Psychiatry, 77, Chicago, 1957. Cf. aussi John Money, Sexual Signatures: On Being Man or Woman, Boston, Little Brown, 1980. 9 Voir par exemple Antonio Vallejo-Nájera, La Sexualización de los psicópatas, Madrid,
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BIOPOLITICS IN THE ERA OF PHARMACOPORNOGRAPHIC CAPITALISM Paul B. Preciado During this past, and yet recent, era that we now call Fordism, the automobile industry synthesized and defined a specific mode of production and consumption, a Taylorist temporalization of life, a polychrome and smooth aesthetic of the inanimate object, a way of thinking about the inner space and living in the city, a conflictive arrangement of the body and the machine, a discontinuous flow of desire and resistance. During the years following the energy crisis and the decline of assembly lines,
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efforts will be made to identify new sectors that would bring transformations in the global economy. We will thus speak about biochemical, electronic, computer or communication industries as new industrial supports of capitalism… But these discourses will not be enough to explain the production of added value and the mutation of life in today’s society. However, it is possible to sketch a new chronology regarding the transformations of industrial production in the last century, focu-
sing on the political and technical management of the body, gender and identity. In other words, it is philosophically relevant to undertake a “genderpolitical” analysis of the global economy today. From an economic perspective, the transition to a third form of capitalism, after the slave and industrial regimes, is generally placed around the 1970s, but the establishment of a new type of “government of the living1” is already emerging from the ur-
ban, physical, psychological and ecological ruins of the Second World War—and, in the case of Spain, from the civil war. How do sex and sexuality become the main issue in political and economic activity? Follow me: the transformation of capitalism that we are witnessing is characterized not only by the transformation of sex into an object of political management of life (as Foucault had intuited in his biopolitical description of the new systems of social control), but also by the fact
that this management is carried out through the new dynamics of advanced techno-capitalism. During the Cold War, the United States invested more money in scientific research on sex and sexuality than any country in history had ever done. Let us simply think that the period from the end of the First World War to the Cold War is an unprecedented moment of women’s visibility in the public arena, and the emergence of visible and politicized forms of homosexuality in contexts as un-
suspected as, for example, the US military2. American McCarthyism in the 1950s added to the patriotic persecution of communism the fight against homosexuality, considered as a form of anti-nationalism, while at the same time exalting the traditionalist values of working masculinity and domestic motherhood3. At that time, as part of a public health program, dozens of sexuality research centres were opened in the West. George Henry and Robert L. Dickinson conducted the first demographic study of “sexual deviation”, known as “Sex Variant4”, which will be followed by the Kinsey Report on Sexuality and the Stoller Protocols on Femininity and Masculinity. At the same time, architects Ray and Charles Eames were working with the American army to manufacture splints for war cripples using plywood plates. A few years later, they used the same material to build the furniture that characterized the lightweight design and American disposable architecture5. Harry Benjamin initiated and systematised the clinical use of sex hormones, the first progesterone and estrogen molecules were marketed, first obtained naturally from mare serum (Premarin) and then synthetically produced (Norethindrone) shortly afterwards. Between 1946 and 1951, was developed the first contraceptive pill (antibaby) based on synthetic estrogens. Estrogen will become the most widely used and profitable pharmaceutical molecule in human history6. In 1947, Eli Lilly Laboratories (Indiana, United States) marketed a single opiate, the methadone molecule, as an analgesic. In the 1970s, it became the most widespread substitution treatment in heroin detoxification therapy7. That same year, American child psychiatrist John Money coined the term “gender”, which he differentiated from the traditional term “sex”, to designate the individual’s membership in a group culturally recognized as “male” or “female”. He said it is possible to “change the gender of any baby up to 18 months of age8”. At the same time, there is an exponential growth in the production of transuranium elements (artificial products of radioactive experimentation), including plutonium, a nuclear fuel used for military purposes during the Second World War, which is now becoming a material in the civilian sector. Facial lifting, as well as various plastic surgery procedures, are becoming mass consumption techniques. Andy Warhol is photographed during a facelift operation, transforming his own body into a pop object. At the same time, the use of plastic in the manufacture of everyday objects is becoming more widespread. Viscous and semi-rigid, impermeable, electrically and thermally insulating, plastic, produced by the artificial multiplication of carbon atoms into long molecular chains of organic compounds derived from petroleum, emits when it burns considerable pollution. Its mass production will define the material conditions for large-scale ecological transformation: destruction of the planet’s primitive energy resources, rapid consumption and high pollution. In 1953, American soldier George W. Jorgensen became Christine and became the first transsexual woman to receive media coverage. Hugh Hefner created Playboy, the first American porn magazine to be distributed on newsstands, with a picture of Marilyn Mon-
roe naked on the cover of issue 1. In Francoist Spain, the 1954 Ley de Vagos y Maleantes (Law on Vagabonding and Delinquency) included homosexuals and sexual deviants for the first time. Commander Antonio Vallejo-Nájera, Chief of Military Medical Services, and Dr. Juan José Lopez Ibor were conducting research to define the psychophysical roots of Marxism (to discover the famous “red gene”), homosexuality and intersex. Industrialized medical institutions—both in Franco’s Spain and in the democratic West—promoted lobotomy, behaviour modification therapies, electroshock treatment and therapeutic castration for eugenic purposes9. In 1958, the first phalloplasty—the construction of a penis from an auto-transplant— was performed in Russia as part of a process of sex change from female to male. In 1960, Eli Lilly Laboratories marketed Secobarbital, a barbiturate with anesthetic, sedative and hypnotic properties designed for the treatment of epilepsy, insomnia, or as an anesthetic in brief operations. Secobarbital, known as the “red pill” or “doll”, became one of the drugs of the underground rock culture of the 1960s. At the same time, Manfred E. Clynes and Nathan S. Kline coined the term “cyborg” to refer to a technically supplemented organism that could live in an extra-terrestrial environment and operate as an “unconscious integrated homeostatic system”10. In fact, it was a laboratory rat that has had an osmotic prosthesis implanted and draged it behind itself, like a cybernetic tail. In 1966, the first antidepressants were invented, they were directly involved in the synthesis of the neurotransmitter serotonin, and in 1987 led to the design of the Fluoxetine molecule, which was subsequently marketed under various names, according to laboratories, the most famous of which was Prozac, manufactured by Eli Lilly. In 1971, the United Kingdom enacted the Drug Abuse Act regulating the consumption and trafficking of psychotropic drugs. The severity of penalties for use and trafficking varies from category A (cocaine, methadone, morphine…) to category C (cannabis, ketamine…). Alcohol and tobacco remain outside this classification. And LSD was better than Jesus. In 1972, Gerard Damiano directed, with the money of the Californian mafia, the film Deep Throat, one of the first porno movies publicly released in the United States. Deep Throat will become one of the most popular films of all time and will generate a profit in excess of $600 million. The pornographic film industry exploded from thirty clandestine films in 1950 to two thousand and five hundred in 1970. In 1973, homosexuality was removed from the list of diseases identified by the DSM (Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders). In 1974, as a treatment for erectile dysfunction, the Soviet Victor Konstantinovich Kalnberz patented the first penile implant, built around a structure made of polyethylene whales, creating a natural penis in permanent erection. These implants will be abandoned in favour of their chemical variants because they will be considered “physically inconvenient and emotionally disconcerting”. Bill Gates and Paul Allen founded Microsoft while Foucault breathed amyl nitrite air in the San Francisco backrooms. In 1977, the
State of Oklahoma performed the first lethal injection, consisting of barbiturates similar to the “red pill”, during a capital execution. A similar method had been applied in the Action T4 racial hygiene programme in Nazi Germany, where between 75 and 100,000 people with physical or mental disabilities were euthanized. Later, this process was abandoned, due to its high pharmaceutical cost, and replaced by the gas chamber, or death by starvation. In 1983, transsexualism was included in the DSM as a mental disorder of “gender dysphoria”. At the beginning of the new millennium, four million children were treated with Ritalin for hyperactivity and for the syndrome called “Attention Deficit Disorder”, and more than two million children were taking psychotropic drugs to control childhood depression. We are facing a new type of warm, psychotropic and punk capitalism. These recent transformations require the combination of new microprosthetic devices for subjectivity control via biomolecular and media technical platforms. This “global economy”11 depends on the production and circulation of hundreds of tons of synthetic steroids, the global dissemination of pornographic image streams, the development and dissemination of new varieties of legal and illegal synthetic psychotropic drugs (Lexomil, Special K, Viagra, speed, crystal, Prozac, ecstasy, poppers, heroin, omeprazole…), the flow of signs and digital information transmission circuits, the extension upon the entire planet of a diffused form of urban architecture in which slum megacities12 coexist with nodes of high concentration of sex-capital.
These are just some of the indications of the emergence of a post-industrial, global and media-based regime, of which pill and Playboy are paradigmatic, and which I will now refer to as pharmacopornographic, taking as a reference the processes of governance of sexual subjectivity, in its molecular (pharmaco) and semiotechnical (-porno) modes. While its lines of force have their roots in 19th century scientific and colonial society, its economic vectors only became visible at the end of the Second World War. First hidden under the appearances of the Fordist economy, they were revealed in the 1970s by the gradual collapse of the latter. During the 20th century, psychology, sexology and endocrinology established their material authority, transforming the concepts of psyche, libido, consciousness, femininity and masculinity, heterosexuality and homosexuality into tangible realities, chemical substances, marketable molecules, bodies, human biotypes, market values manageable by multinational pharmacopornographic companies. The hegemony of science, as a discourse and technical practice, derives from what Ian Hacking13, Steve Woolgar and Bruno Latour14
call its “material authority”, i.e. its ability to invent and produce living artefacts. If science is the new religion of modernity, it is because of its performative power: it has the capacity to create, and not simply to describe, reality. The great success of contemporary techno-science is to transform our depression into Prozac, our masculinity into testosterone, our erection into Viagra, our fertility/ sterility into Pill, our AIDS into triple therapy. Without, however, the possibility to disentangle what comes first, depression or Prozac, Viagra or erection, testosterone or masculinity, pill or maternity, triple therapy or AIDS. This autofeed-back production is the hallmark of pharmacopornographic power. Pharmacopornographic production now characterizes a new era in the global political economy, not because of its quantitative preponderance, but because the control, production and intensification of narcotic-sexual affects have become the model for any other form of production. Pharmacopornographic control infiltrates and thus dominates all flows of capital, from agrarian biotechnology to the high-tech communication industry. In the pharmacopornist era, the sexopolitical government industry of the body synthesizes and defines a specific mode of production and consumption, a masturbatory temporalization of life, a virtual and hallucinogenic aesthetic of the living object, an architecture that transforms interior space into exterior space and the city into interiority and “junkspace”15 through ultra-fast self-monitoring and information dissemination devices, a continuous mode of desire and resistance, consumption and destruction, evolution and self-destruction. This pharmacopornographic capitalism actually works, thanks to the biomediatic management of subjectivity, through its molecular control and the production of virtual audiovisual connections. The pharmaceutical industry and the audiovisual sex industry are the two pillars on which contemporary biocapitalism is based, the two tentacles of a gigantic and viscous integrated circuit. This is the pharmacoporno-program of the second half of the 20th century: to control the sexuality of bodies codified as women and to make ejaculate bodies codified as men. The pill, Prozac and Viagra are to the pharmaceutical industry what pornography, with its grammar of blowjobs, penetrations and cumshot, is to the cultural industry: the post-industrial biocapitalism jackpot.
HISTORY OF TECHNOSEXUALITY Discontinuity of history, body and power: Foucault describes the transition from a “sovereign society” to a “disciplinary society” at the end of the 18th century as the shift from a form of power, which decided and ritualized death, to a new form of power, which technically calculates life in terms of population, health and national interest. Biopower is the name of this new form of productive, diffuse and sprawling power: going beyond the legal and punitive framework, it becomes a force that penetrates and constitutes the body of the modern individual. This power no longer acts as a coercive law, a negative order, but in a more versatile and welcoming way, it acquires the form of a general political technology,
metamorphosing into disciplinary architectures (prison, barracks, school, hospital…), scientific texts, statistical tables, demographic calculations, instructions for use, recommendations for use, timetables for regulating life and public health projects. A modern art of governing life is thus constituted, where sex and sexuality occupy, according to Foucault, a central place: the process of hysterization of the female body, the sexual pedagogy of children, the regulation of procreation behaviours and the psychiatrization of perverse pleasures constitute, according to him, the axes of this project which he characterizes, not without irony, as a process of modernizing sexuality16. Following the intuitions of Michel Foucault, Monique Wittig and Judith Butler, I call sexopolitics17 one of the dominant forms of this biopolitical action that emerged with disciplinary capitalism. Sex, its truth, its visibility, its forms of exteriorization, sexuality, the normal and pathological ways of pleasure, and race, purity or degeneration, are three powerful somatic fictions that have obsessed the Western world since the 19th century, until they constitute the horizon for all contemporary theoretical, scientific and political action. They are somatic fictions, not because they lack material reality, but because their existence depends on what Judith Butler calls the “performative repetition”18 of political construction processes. We could call “sexual empire” (sexualizing the chaste expression of Hardt and Negri19) this biopolitical construction system that takes the “sex” of the modern individual as its somatic centre of invention and its control of subjectivity. The Western disciplinary sexopolitics of the late 19th century and much of the 20th century were not reduced to regulating the reproductive conditions of life, nor to the biological processes that “concern the population”. The heterosexual body became the most successful artefact of government in 19th century sex politics. “Straight thinking”— using the expression developed by Monique Wittig in the 1980s to refer to heterosexuality, not as a sexual practice, but as a political regime20—ensures the structural relationship between the production of gender identity and the production of certain organs (at the expense of others) as sexual and reproductive organs. An important task of this disciplinary work will be to exclude the anus from the pleasure production circuits. Deleuze and Guattari: the anus is the first privatized organ, banished from the social field, the one that served as a model for all subsequent privatizations, at the same time as money expressed the new state of abstraction of flows21. The anus, as a centre of pleasure production (and, in this sense, close to the mouth or hand, organs also strongly controlled in the 19th century by sexopolitical regulation against masturbation and anti-homosexuality) has no gender. Neither male nor female, it produces a short circuit in the sexual division. A centre of primordial passivity, an abject place par excellence, close to rubbish and shit, it is a universal black hole which genders, sexes, identities and capital plunge into. The West draws a tube with two orifices: a mouth, which emits public signs, and an impenetrable anus, DOCUMENTS
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around which it wraps a male and heterosexual subjectivity, which acquires the status of a privileged social body. Until the 17th century, the sexual epistemology of the sovereign regime was dominated by what the historian Thomas Laqueur called “a system of similarities”: female sexual anatomy was constituted as a weak, internalized and degenerate variation of the only sex with an ontological existence, the male sex22. The ovaries are considered as internalized testicles and the vagina as an inverted penis that serves as a receptacle for the male sex. Abortion and infanticide, common practices, are not regulated by the State’s legal system, but by the various economic and political micropowers to which the body in gestation is attached (tribe, feudal house, pater familias…). Two hierarchically differentiated social and political expressions divide the surface of a “mono-sexual” model: “the man”, the canon of the human being, and “the woman”, the reproductive receptacle. The assignment of sex depends not only on the external morphology of the sexual organs, but above all on reproductive capacity and social role. A woman with a beard capable of gestation, childbirth and breastfeeding, regardless of the shape and size of her vulva, will be considered a woman. In this somatopolitical configuration, sex and sexuality (let us remember that the term “sexuality” will not be invented until 1880) do not yet constitute categories of knowledge or techniques of subjectification that can overcome the political segmentation separating the slave from the free man, the citizen from the métèque, the lord from the serf. There are still differences between masculinity and femininity, and between several modes of production of sexual pleasure, but these do not yet determine the crystallizations of political subjectivity.
ducts belong to the pater familias and, by extension, to the State and God. While it is true that Foucault’s analysis, although chronologically inaccurate, seems to be very critical so far, it is no less true that his insight loses intensity as his analysis approaches contemporary society. Foucault neglects the emergence of a set of profound transformations of body production and subjectivity technologies that have followed one another since the Second World War, and that force us to conceptualize a third regime of subjectivation, a third system of savoir-pouvoir, neither sovereign nor disciplinary, neither pre-modern nor modern. Deleuze and Guattari, inspired by William Burroughs, call this “new monster” of the social organization derived from this biopolitical control, a “control society”24. I prefer to call
it: a pharmacopornographic society, with Burroughs and Bukowski in dialogue. These are the two mottos of this new sexo-micro-informatics control: politically programmed shoot and ejaculation.
THE EDIBLE PANOPTIC At a time when the notion of gender is beginning to circulate in Western societies, the H-bomb, silicone breast implants, electric prostheses, computers and formica furniture, a pioneering nanotechnology for domestic, portable and edible hormonal modification is being manufactured: the first contraceptive pill was invented almost by mistake by Gregory Pincus and Searle laboratories in 1951, in the form of the norethindrone molecule, a synthetic and orally assimilable variant of the active progesterone molecule. An examination of the economic and
technical networks that led to the production of the pill reveals that it was being developed as part of experimental research to assist in the procreation of sterile white Catholic families. The processes of research and evaluation of its technical effectiveness reveal its colonial roots: the action of the first contraceptive pill will be studied on the island of Puerto Rico, on the bodies of women from the local black population. It was being tested simultaneously on various groups of psychiatric patients at Worcester State Hospital and residents of the Oregon State Prison between 1956 and 1957: this research aims to control birth rates among women, and reduce libido and “homosexual tendencies” among men. The transversal analysis of geopolitical and institutional spaces, as well as racial, sexual and gender implications in the use of the first synthetic
estrogen and progesterone molecules, makes it possible to define the pill not only as a birth management method, but also and above all as a method of production and purification of the race, a eugenicist technique for controlling the reproduction of the species25. In this sense, the pill functions as a key semiotic-material piece (both machine and discourse) in the heterocolonial grammar of Western culture, obsessed with lineage contamination, racial purity, gender separation and gender control26. It is particularly striking here that the pill has operated from the beginning as a technique, not only for reproductive management, but also for gender control and production. The first pill invented, although effective as a contraceptive, was rejected by the American Institute of Health (AHI) be-
Project of a new general science of sexual bodies, sign theory analysing desires: thus, from the 18th century onwards, a new visual sexopolitical epistemology was created which was no longer based on “similarities” but on a “system of oppositions”. A new sexual anatomy then emerges, in which the female sex ceases to be an inversion or internalization of the male sex, becoming an entirely different sex, whose forms and functions respond to a specific logic. For Laqueur, the invention of an aesthetic of sexual difference is necessary to establish an anatomical-political hierarchy between the sexes (male, female) and races (Whites, non-Whites) in the face of the uprising of revolutionary and liberation movements that demand the expansion of the horizon of the public sphere to women and foreigners. Anatomical truth operates here as a legitimization of a new political organization of the social. The mutation that will give rise to the disciplinary regime begins with the advent of sexual difference, the technical repression of masturbation and the invention of the sexual subject23. The culmination of these rigid and cumbersome technologies for the production of sexual identities was reached in 1868, with the pathologization of homosexuality and the bourgeois normalization of heterosexuality. Abortion and postpartum infanticide will now be monitored and severely punished by law. The body and its pro-
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cause it completely abolished the menstruation and therefore, according to the American Scientific Committee, called into question the femininity of American women. A second pill is therefore developed, whose efficacy is equal, with only one difference: it is capable of technically reproducing the rhythm of natural menstrual cycles. If it is possible to evoke, with Judith Butler, a “performative production of gender”, it should be pointed out that what is codified, imitated, and repeated coercively, here, is not only a theatrical representation or a semiotic code, but the biological totality of living things. I will refer to this process as “biodrag”, with reference to the practices and cultures of drag— drag queens (biologically defined man who practices a visible form of femininity) and drag kings (biologically defined woman who practices a visible form of masculinity)—: pharmacopornographic production of somatic fictions of femininity and masculinity. What is technically represented and imitated by the pill is no longer a dress code or body style, but a
biological process: the menstrual cycle. The feminization processes linked to the production, distribution and consumption of the pill show that hormones are sexopolitical fictions, techno-living metaphors that, likely to be swallowed, digested, assimilated, incorporated, are pharmacopornographic artefacts capable of creating bodily formations that can integrate a broader political organizations, such as forensic institutions, Nation-States or global capital circulation networks. The massive and high-dose administration of estrogens and progesterone to the bodies of post-war Western bio-women makes it possible to produce and reproduce pure femininity. This new microprosthetic femininity is a patented pharmacopornographic technique that can be marketed, transferred and implanted in any living body. Estrogens and progesterone administered in high doses during this period are gradually proving to be carcinogenic and responsible for various cardiovascular alterations, without reducing the consumption of the pill (on the contrary: its consumption has increased exponentially since the
1970s), nor changing the World Health Organization’s guidelines. The amount of estrogen and progesterone contained in a monthly treatment has increased from 150 micrograms of estrogen and up to 200 milligrams of progesterone in the 1970s, to 10 micrograms of one and 15 milligrams of different variations of the other in current contraceptives. In order to improve safety, the current micropill (the most prescribed method during breastfeeding periods) gives a lower dosage for a greater number of days, reducing the number of days of placebo pills, during which what we could call techno-periods occur, i.e. a technically induced bleeding that produces the illusion of the natural cycle. These are biodrag technical methods whose objective is the “mimesis of the normal physiological cycle”27. From the second Pincus pill to the current micropill, these hormonal invention techniques operate according to a principle of biocamouflage: first they interrupt the natural hormonal cycle, then they technically provoke an artificial cycle restoring the illusion of
nature. The first of these actions is contraceptive, the second is a corollary of a pharmacopornographic production intention of the kind: to ensure that the bodies of 20th century techno-women perpetuate the illusion of resulting from immutable, transhistorical and transcultural natural laws. A recent study, conducted by Boston University, highlights the relationship between contraceptive pill use, decreased testosterone bioavailability levels (reduced from 40% to 60%) and decreased libido in women. The study warns that taking synthetic estrogen can alter overall hormone production, and proposes the administration of microdosed testosterone gel to increase “the sexual function of women who take the pill”28. But the administration of testosterone to women remains a political hormonal taboo today. The production of femininity in the pharmacopornographic regime operates according to a paradoxical logic: on the one hand, the pill is administered to biofemales in a generalized way, and on the other hand, a pharmacological way is sought to compensate for
depression and frigidity29. The bio-woman of the 22nd century results from this somato-political short-circuit; her subjectivity modulates within the narrow margin of arrangement created by these divergent force fields. The formation of the pharmacopornographic society is characterized by the emergence, in the middle of the 20th century, of two new vectors for the production of sexual subjectivity. On the one hand, as we have seen, the introduction of the notion of “gender” as a technical, visual and performative device of sexuation of the body, the reorganization of the medico-legal, educational and media system which until then articulated the notions of normality and perversion around the heterosexuality/homosexuality binomial and which, from this moment, will contemplate the
Reference: Paul B. Preciado, “Biopolitique à l’ère du capitalisme pharmacopornographique”, Chimères, vol. 74, no. 3, 2010, pp. 241-257. 1 Michel Foucault, Du gouvernement des vivants (1979-1980), Leçons du Collège de France, 1879-1980, in Dits et Écrits, tome IV, Paris, Gallimard, 1974, p. 641-642. 2 Alan Berube, Coming Out Under Fire: The History of Gay Men and Women in World War Two, New York, The Free Press, 1990. 3 John d’Emilio, Sexual politics, Sexual Communities: The Making of a Homosexual Minority in the United States, 1940-1970, Chicago, Chicago University Press, 1983. 4 Jennifer Terry, An American Obsession: Science, Medicine and Homosexuality in Modern Society, Chicago, Chicago University Press, 1999, p. 178-218. 5 Beatriz Colomina, Domesticity at War, Cambridge, MA, MIT Press, 2007. 6 Andrea Tone, Devices and Desires. A History of Contraceptives in America, Hill and Wang, New York, 2001. 7 Tom Carnwath et Ian Smith, Heroin Century, Londres et New York, Routledge, 2002. 8 John Money, John Hamson and Joan Hamson, “Imprinting the Establishment of the Gender Role”, Archives of Neurology and Psychiatry, 77, Chicago, 1957. cf. also John Money, Sexual Signatures: On Being Man or Woman, Boston, Little Brown, 1980. 9 See for example Antonio Vallejo-Nájera, La Sexualización de los psicópatas, Madrid, Medicina, 1984. 10 Manfred E. Clynes, Nathan S. Kline, “Cyborgs and Space”, in Journal of Astronautics, New-York, American Rocket Society, septembre 1960, p. 27-31 et 74-75. 11 I here use the well-known expression from Immanuel Wallerstein in Capitalisme et économie-monde, 1450-1640, Paris, Flammarion, 1980.
possibility of technically modifying the individual’s body to “build a male or female” soul. On the other hand, we are witnessing the gradual infiltration of social control techniques specific to the disciplinary system into the individual body. The issue is no longer only to punish individuals’ sexual offences, nor to monitor and correct their deviations through a code of external laws or internalized disciplines, but to modify their bodies as living platforms of organs, flows, neurotransmitters, connection possibilities and arrangements, to make them both the instrument, the support and the effect of a political program. We are certainly still facing a form of social control, but this is a pop control, a foamy, multicoloured control, with Mickey’s ears and Brigitte Bardot’s neckline, as opposed to the cold and disciplinary control of
12 Mike Davis, Planète Bidonvilles, Paris, Ed. Ab irato, 2005. 13 Ian Hacking, Representing and Intervening. Introductory Topics in the Philosophy of Natural Science, Cambridge, Cambridge University Press, 1986. 14 Bruno Latour et S. Woolgar, La Vie de laboratoire. La construction des faits scientifiques, Paris, La Découverte, 1988. 15 On the development of this concept cf. Rem Koolhaas, “Junkspace”, October, 100 Spring, 2002, p. 175-190. 16 Michel Foucault, Histoire de la sexualité. La volonté de savoir, Paris, Gallimard, 1976, p. 136-139. 17 Paul B. Preciado, “Multitudes Queer”, in Multitudes 12, Paris, 2002, p. 17-25. 18 See the notion of “performative repetition” in Judith Butler, Trouble dans le genre. Pour un féminisme de la subversion, Paris, La Découverte, 2005, p. 256-266. 19 Toni Negri et Michael Hardt, Empire, Paris, Exils Editeur, Paris, 2000. 20 Monique Wittig, La Pensée straight, Paris, Balland, 2001, p. 65-76. 21 Gilles Deleuze et Félix Guattari, L’Anti-Œdipe, Capitalisme et schizophrénie, Paris, Éditions de Minuit, 1972, chapitre 3. 22 Thomas Laqueur, La Fabrique du sexe. Essai sur le corps et le genre en Occident, Paris, Gallimard, 1992. 23 Thomas Laqueur, New-York, Solitary sex: A cultural History of Masturbation, New York, Zone Books, 2003. 24 Gilles Deleuze, Pourparlers, Paris, Éditions de Minuit, 1990, p. 240-247. 25 On the pill and racial cleansing, see: Dorothy Roberts, Killing the Black Body, Race, reproduction and the Meaning of Liberty, New-York, Vintage, 1997. 26 On “pure life” as the objective of technobiopower, see Donna J. Haraway, op. cit., 1997, p. 60-62. 27 “Mimicking the normal physiological cy-
the panoptic depicted by Foucault. The monthly pill pack, with the imperative of daily administration, the possibility of forgetting or incorrect management, its ritual temporality, its multicoloured pop design close to the Campbell boxes immortalized in 1960 by Andy Warhol, evokes a chemical calendar where each day is signalled by the essential presence of a lozenge. Its circular presentation invites us to follow the movement of time on a dial, like on a clock, the alarm that announces the time of ingestion operates as a domestic self-monitoring device for female sexuality30. As a molecular, endocrinological and high-tech version of a mandala, the book of hours or the daily examination of consciousness of the Loyola Exercises, this hormonal microprothesis makes it possible, in addition to regu-
lating ovulation, to produce the soul of the heterosexual subject “modern woman”. The chemically regulated soul of the little heterosexual whore subjected to the sexual desires of the Western biomacho. Apart from this pop, molecular and ultra-individualized microfascism, it is difficult to explain how the pill could have been medically and legally preferred as a contraceptive over other less toxic methods, with fewer side effects and requiring much less daily attention, such as vasectomy (male sterilization), RU-486, the morning-after pill, or abortion by uterine aspiration in the early stages of pregnancy. But the pill depends on an individual decision of administration and temporal calculation of the taking, it inexorably induces the accident, it relies on the accident, it programs it, it thinks the accident as a sine qua non possibility of female sexua-
lity. The heterosexist logic that dominates the pill responds to this contradictory double requirement: every woman must be both fertile (and be fertile via heterosexual insemination) and capable of reducing the possibility of her fertility asymptotically close to zero, without completely cancelling it (in which case the possibility of a heterosexual relationship, with her equation sex = reproduction, would seem to be irrelevant), so that accidental conception remains possible. A single problem, though: the individual and autonomous management by women introduces the possibility of a political organization. From the 1950s onwards, the construction of biofemininity became a process of somatopolitical disguise (bio-drag): molecular overcoding and transformation of the structure of life.
cle”, in: Anna Glasier, “contraception—past and future”, Lothian Primary Care NHS Trust and University of Edinburgh Department of Reproduction and Development, Edinburgh, EH41NL, Scotland, october 2002. 28 Katrina Woznicki, “Birth Control Pills May Produce Protracted Effects on Testosterone Levels”, MedPage Today Staff Writer, January 03, 2006; Panzer et al, “Impact of Oral Contraceptives on Sex Hormone-Binding Globulin and Androgen Levels: A Retrospective Study in Women with Sexual Dysfunction”, The Journal of Sexual Medicine, janvier 2006, 3, p. 104-113. 29 This logic is comparable to the relationship between the repression of masturbation and the production of the hysterical crisis by mechanical means in the sexodisciplinary regime of the nineteenth century. See the analysis of this paradoxical production in Paul B. Preciado, Manifeste contrasexuel, Paris, Balland, 2000, p. 73-88. 30 The first pill packs, designed in the 1960s, were equipped with an integrated alarm.
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DES ÉTABLISSEMENTS DES ALIÉNÉS EN FRANCE, ET DES MOYENS D’AMÉLIORER LE SORT DE CES INFORTUNÉS. Jean-Étienne Esquirol MÉMOIRE PRÉSENTÉ À SON EXCELLENCE LE MINISTRE DE L’INTÉRIEUR, EN SEPTEMBRE 1818 ; PAR LE DOCTEUR ESQUIROL, MÉDECIN DE LA SALPÊTRIÈRE.1 Howard se proposa d’adoucir le sort de misérables qui s’étaient déclarés les ennemis de leurs semblables et de l’ordre social ; plus heureux que lui dans l’objet de mes recherches, j’ai pénétré dans l’asile du malheur où gémit souvent la vertu. J’ai parcouru toutes les villes de France pour visiter les établissements où sont enfermés les aliénés. Chacun peut s’assurer qu’il n’attirera pas sur lui la vindicte des lois : quel est celui qui peut se promettre qu’il ne sera point frappé d’une maladie qui marque ses victimes dans tous les usages de la vie, dans tous les rangs, dans toutes les conditions ? Ceux pour qui je réclame sont les membres les plus intéressants de la société, presque toujours
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victimes des préjugés, de l’injustice et de l’ingratitude de leurs semblables. Ce sont des pères de famille, des épouses fidèles, des négociants intègres, des artistes habiles, des guerriers chers à la patrie, des savants distingués ; ce sont des âmes ardentes, fières et sensibles ; et cependant ces mêmes individus qui devraient attirer sur eux un intérêt particulier, ces infortunés qui éprouvent la plus redoutable des misères humaines, sont plus maltraités que des criminels, et réduits à une condition pire que celle des animaux. Je les ai vus nus, couverts de haillons, n’ayant que la paille pour se garantir de la froide humidité du pavé sur lequel ils sont étendus. Je les ai vus grossièrement nourris, privés d’air pour respirer, d’eau pour étancher leur soif, et des premiers besoins de la vie. Je les ai vus livrés à des véritable geôliers, abandonnés à leurs brutale surveillance. Je les ai vus dans des réduits étroits, sales, infects, sans air, sans lumière, enchaînés dans des antres où l’on craindrait de renfermer les bêtes féroces que le luxe des gouvernements entre-
tient à grands frais dans les capitales. Voilà ce que j’ai vu presque partout en France, voilà comment sont traités les aliénés presque partout en Europe. « Ces infortunés, comme des criminels d’État, sont jetés dans des culs de basse-fosse, dans des cachots où ne pénètre jamais l’œil de l’humanité : nous les y laissons se consumer dans leurs propres ordures, sous le poids des chaînes qui déchirent leurs membres. Leur physionomie est pâle et décharnée, ils n’attendent que le moment qui doit mettre fin à leur misère et couvrir notre honte. On les donne en spectacle à la curiosité publique, et d’avides gardiens les font voir comme des bêtes rares. Ces malheureux sont entassés pêle-mêle ; on ne connaît que la terreur pour maintenir l’ordre parmi eux. Les fouets, les chaînes, les cachots sont les seuls moyens de persuasion mis en usage par des employés aussi barbare que ignorants. » Voilà ce qu’écrivait Riel, en 1803, sur l’état des aliénés en Allemagne. « Ceux qui ont visité les maisons d’aliénés en Allemagne. dit Joseph
Franck, se rappellent avec effroi ce qu’ils ont vu. On est saisi d’horreur en entrant dans ces asiles du malheur et de l’affliction ; on n’y entend que les cris du désespoir, et c’est là qu’habite l’homme distingué par ses talents et par ses vertus. C’est une chose effroyable de se voir assailli par des malheureux couverts de haillons et dégoûtants de malpropreté, tandis qu’il n’y a que les chaînes, les liens et la brutalité des gardiens qui empêchent les autres de s’approcher. » Maximilien André dit la même chose, en 1810, des aliénés et des établissements qui leur sont consacrés en Allemagne. Chiarruggi, d’Acquin avaient dit de même de ceux d’Italie et de Savoie. Si jamais établissement public a couvert de honte l’Angleterre, c’est l’hôpital de Bedlam, s’écrie sir Bennet dans la chambre des communes (en 1815) ; et cependant des rapports mensongers en imposèrent, non seulement à l’Angleterre, mais à l’Europe entière, en proposant cet hospice pour modèle à toutes les nations du monde. S’il nous était permis d’entrer ici
dans les détails, nous verrions partout la plus mauvaise distribution dans les bâtiments qui sont abandonnés à ces malades ; la plus grande ignorance des soins qui leur conviennent ; la plus coupable négligence, le plus affreux abandon, la plus révoltante barbarie ; je dis barbarie car partout, excepté dans les établissements des capitales, auxquels Paris a donné l’exemple, les aliénés sont couverts de chaînes. Désirant apprécier l’influence qu’avaient eue sur le reste de la France les améliorations introduites à Paris, dans les établissements publics destinés aux aliénés, j’ai parcouru toutes les maisons où ces malades sont reçus ; j’ai rédigé avec soin ce que j’ai observé maison par maison, hospice par hospice, prison par prison ; j’ai fait lever et graver le plan de plusieurs de ces établissements ; j’ai comparé ce qui se fait chez nous avec ce qui se passe chez les autres nations de l’Europe, particulièrement chez les Anglais. Ces données ont servi de base au présent mémoire, qui lui-même n’est qu’un résumé d’un grand tra-
vail sur cet objet, que je publierai au printemps. Les aliénés, en France, sont placés presque tous dans des établissements publics : tantôt dans des maisons spéciales, tantôt dans les hôpitaux et dans les hospices, tantôt dans les dépôts de mendicité, tantôt dans les maisons de force ou de correction. Les aliénés, au nombre de 5153, sont répartis dans cinquante-neuf maisons ; de ce nombre 5153 individus, plus de 2000 appartiennent aux trois grands établissements de Paris. La proportion des femmes est généralement plus forte que celle des hommes ; mais il est remarquable que le nombre des hommes aliénés est plus considérable que celui des femmes dans les provinces méridionales de la France, tandis que, dans le nord, le nombre des femmes aliénées y est beaucoup élevé, comparé à celui des hommes. D’après des renseignements sur les établissements d’Espagne, il résulte que le nombre des hommes aliénés y est plus fort que celui des femmes. Il n’y a en France que huit Établissements spéciaux, où l’on reçoive les aliénés, et dont plusieurs ont pris le nom de Maison royale de Santé, savoir : Armentières, pour les hommes seulement (département du Nord). Avignon (département de Vaucluse). Bordeaux (département de la Gironde). Charenton (département de la Seine). Lille, pour les femmes seulement (département du Nord). Marseille (département des Bouches-du-Rhône). Marville, près de Nancy (département de la Meurthe). Rennes, Saint-Mein (département d’Ille-et-Vilaine). Ces maisons ne reçoivent généralement que des aliénés ; je dis généralement, car à Charenton il y a un quartier qui sert d’hôpital pour les pauvres malades du canton ; à Marville, il y a des vieillards et des enfants. Dans ces huit maisons, on reçoit des épileptiques confondus avec les aliénés, et quelquefois des mauvais sujets, des libertins mis en correction. Dans ces maisons, on admet les aliénés incurables, et l’on y garde à vie ceux qui ne guérissent point ; aussi est-il vrai de dire que nous n’avons point en France d’établissement spécial exclusivement consacré au traitement de l’aliénation mentale. Peut-être conviendrait-il de faire un petit nombre d’établissements dans chacun desquels on pourrait réunir 150 à 200 aliénés mis en traitement, et qui serviraient de modèle, d’école d’instruction et d’objet d’émulation pour les autres maisons du même genre. On ne serait admis dans ces établissements qu’à des conditions particulières, comme cela se pratique à Bedlam (Londres). 1°. L’aliéné ne devrait point avoir été traité ailleurs. 2°. Sa maladie ne devrait dater que depuis un an au plus. 3°. Nul aliéné ne devrait avoir de maladie contagieuse ou syphilitique. 4°. Aussitôt qu’il serait reconnu incurable, il devrait être renvoyé. 5°. Il ne pourrait rester plus de deux ans dans cet asile. Je dis deux ans, l’expérience m’ayant prouvé qu’il guérit presque autant d’aliénés dans le cours de la seconde année depuis l’invasion de la maladie, que dans la première. Il n’est point de mon objet de faire connaître les défauts, les vices même que présentent ces huit établissements spéciaux, tant dans
leurs constructions, leur distribution, que leur régime intérieur. Tels qu’ils sont, ils sont préférables aux autres maisons dont nous allons parler. Je ne peux me défendre d’éveiller la surveillance de l’Administration sur les habitations destinées aux aliénés furieux. Ils sont logés dans des souterrains à Marville et à Armentières. Dans tous les hospices ou hôpitaux, on a abandonné aux aliénés des bâtiments vieux, délabrés, humides, mal distribués, et nullement construits pour leur destination, excepté quelques loges, quelques cachots qui ont été bâtis exprès pour les aliénés furieux. Dans quelques hôpitaux généraux, les furieux seulement habitent des quartiers séparés ; les aliénés tranquilles, les imbéciles sont confondus avec les indigents, les pauvres dits incurables. Dans un petit nombre d’hospices, ils sont pêle-mêle avec les prisonniers dans le quartier appelé quartier de force. Ces infortunés sont soumis au régime général des indigents. Les aliénés sont admis dans les hospices dits hôpitaux généraux dans lesquels on reçoit les vieillards, les infirmes, les galeux, les vénériens, les enfants, et même les femmes de mauvaise vie et les criminels, dans les trente-trois villes suivantes : Aix. Alby Angers Arles Blois. Cambray. Clermont. Dijon. Le Havre. Le Mans. Lille. Limoges. Lyon. Macon. Martigue. Montpellier. Moulins. Nantes. Nismes. Orleans. Paris. Pau. Poitiers. Reims. Rouen. Saintes. Saumur. Sedan. Strasbourg Saint-Servan. St-Nicolas près Nancy. Toulouse. Tours. A la Salpêtrière et à Bicêtre, le quartier des aliénés est en quelque sorte indépendant du reste de la maison. Les aliénés y ont un régime particulier avec des serviteurs et un médecin spécial. Ce sont des hôpitaux dans des hospices. Dans les villes où l’on avait établi des dépôts de mendicité, on se proposait de bâtir, et l’on a même bâti un quartier pour les aliénés dans l’intérieur de ces dépôts ; ces quartiers ne devaient recevoir que des aliénés furieux, et ils avaient déjà pris dans quelques dépôts le nom de quartier de force. Les aliénés sont dans les dépôts de mendicité à : Auxerre. Alençon. Amiens. Besançon. Châlons. Charité-sur-Loire. Laon. Montpellier. Mousson. Dole.
Troyes. Tournus. Dans ces dépôts de mendicité, les aliénés furieux sont laissés continuellement dans leurs cellules ; les autres, confondus avec les mendiants et les vagabonds, sont privés des soins particuliers que leur état exige. Enfin on n’a pas rougi de mettre des aliénés dans des prisons : Au fort du Ha à Bordeaux. A la maison de force à Rennes. Au quartier de force à l’hôpital général de Toulouse. Au Bicêtre de Poitiers, de Caen, d’Amiens, etc. A la maison d’arrêt pour la garde nationale. A la maison des Baudets, maison
de force à Arras. A Saint-Venant (petite place forte), les aliénés sont dans des bâtiments qui servent de prison et d’hôpital militaire. Au reste, il est peu de prisons où l’on ne rencontre des aliénés furieux ; ces infortunés sont enchaînés dans les cachots à côté des criminels. Quelle monstrueuse association ! Les aliénés tranquilles sont plus maltraités que les malfaiteurs ; ceux-ci peuvent travailler, et du produit de leur travail ils améliorent la nourriture que leur accorde la maison. Les aliénés sont privés de cette ressource ! A combien d’injures, de mauvais traitements, de privations, ne sont point exposés ces aliénés de
la part des malfaiteurs qui se font un jeu de leur état ? Quelle humiliation pour l’homme malade, s’il a quelques instants lucides, de se voir confondu avec des criminels ? Et s’il était possible qu’un aliéné pût guérir malgré tant d’abandon, tant de privations, tant d’injurieux traitements, quel sentiment affreux n’éprouverait-il point au réveil de sa raison, et dans ce sentiment quel obstacle invincible à une guérison durable ! Les aliénés, ainsi confondus dans un même établissement avec les indigents, les infirmes, les vagabonds et surtout les prisonniers, sont mal sous tous les rapports. C’est ce que vont nous prouver les détails suivants : 1°. Les maisons ou les portions de maisons qui leur sont destinées ne sont pas distribuées ni disposées pour leur usage. Presque partout excepté à la Salpêtrière et à Bicêtre, les aliénés occupent les bâtiments les plus retirés, les plus vieux, les plus humides, les plus malsains. Dans les dépôts de mendicité et dans quelques hospices, les constructions nouvellement faites sont très mal entendues, et dans quelques unes, par exemple, la cour qui sépare les loges du mur de clôture n’a pas une toise de largeur. 2°. Les habitations particulières, les cellules appelées loges, cachots, cages, cachetots, etc., sont partout épouvantables, sans air, sans lumière, humides, étroites, pavées à la manière des rues, souvent plus basses que le sol, et quelquefois dans des souterrains. Ordinairement ces habitations n’ont pour ouverture que la porte et un petit trou carré établi contre la porte ; quelques fois il n’y a d’autre ouverture que la porte. L’air ne s’y renouvelle point, et en y entrant on est suffoqué par l’odeur infecte qui s’en exhale. Il y a des cellules qui ressemblent à des cages ; d’autres sont en bois,
exposées à toutes les intempéries. Dans mon travail sur les maisons d’aliénés, je veux donner la description de toutes ces habitations, qui semblent toutes avoir été construites pour avilir l’homme et le priver des premiers éléments nécessaires pour la conservation de la vie. 3°. Les lits manquent souvent ; ainsi des malheureux tourmentés par l’insomnie n’ont quelquefois que le pavé pour reposer leurs membres, et de la paille pour matelas, pour oreiller et pour couverture. 4° Presque partout les aliénés indigents, et souvent ceux qui payent pension, sont nus ou couverts de haillons ; on leur abandonne les débris des vêtements des pauvres, des infirmes, de prisonniers qui habitent avec eux dans le même établissement. C’est toujours, diton, assez bon pour des fous. Un grand nombre d’entre eux n’ont que de la paille pour se garantir de l’humidité du sol et de la froideur de l’air ; quelquefois ils en sont privés ; la paille n’est jamais renouvelée assez souvent. J’ai vu un malheureux imbécile, tout nu et sans paille, couché sur le pavé. Exprimant mon étonnement d’un pareil abandon, le concierge me répondit que l’Administration ne lui passait, pour chaque individu, qu’une botte de paille tous les quinze jours. Je fis remarquer à ce barbare que le chien qui veillait à la porte des aliénés était logé plus sainement, et qu’il avait de la paille fraîche et en abondance ; cette remarque me valut un sourire de pitié. Et j’étais dans une des grandes villes de France ! 5°. Le régime, les aliments, loin d’être appropriés à l’état de ces maladies, leurs sont contraires ; lorsqu’on leur donne autre chose que du pain noir, les aliments qu’on leur sert ne leur conviennent pas. On leur distribue généralement des légumes secs, mal cuits, et du
fromage ; c’est un régal pour les aliénés de Tours lorsque la religieuse qui les dirige peut se procurer, une fois la semaine, les intestins des animaux qui ont servi à faire la soupe et le bouillon des indigents de l’hôpital. Dans les quartiers de force, dans les prisons, les aliénés n’ont que du pain et de l’eau lorsqu’il plaît au concierge et au guichetier de leur en donner. Comment se fait cette distribution ? Ordinairement on la fait une fois par jour. Dans une ville, l’on donne tous les deux jours aux aliénés comme aux prisonniers, un pain de trois livres avec un pot d’eau. Quel régime pour des malades qu’une chaleur interne dessèche, que la soif dévore, que la constipation tourmente ! 6°. Dans aucune maison il n’y a assez d’espace pour que les aliénés puissent se livrer à l’exercice qui leur est si nécessaire ; ils n’ont souvent pour se promener que des escaliers ou des corridors étroits et obscurs ; souvent il n’y a qu’une cour pour tous les aliénés du même sexe ; les furieux sont toujours renfermés ; on rencontre quelquefois des chaînes suspendues aux murailles qui forment la cour ; on y enchaîne les aliénés sur une pierre, c’est ce qu’on appelle leur faire prendre l’air. Lorsqu’il y a des salles de réunion, des chauffoirs, ces salles sont basses, étroites, noires, et plus propres à inspirer la tristesse que la distraction. 7°. Les aliénés ne sont pas servis, ou le sont très mal ; ils n’ont de serviteurs presque nulle part ; lorsqu’ils en ont, leur nombre est insuffisant ; souvent ils sont livrés à des geôliers, à des guichetiers durs, barbares et ignorants. Cet abandon est d’autant plus déplorable que ces infortunés n’ont pas l’intelligence nécessaire pour réclamer les soins que l’humanité accorde partout à l’homme malade. Sont-ils soignés ? Quel service, grand Dieu ! Que peut-on exiger d’un geôlier, d’un concierge qui a trente, cinquante, soixante individus à diriger ? Quel sentiment de bienveillance peuvent avoir ces hommes grossiers, qui ne voient dans les aliénés que des êtres malfaisants, dangereux et nuisibles ? Ils ne connaissent pour les conduire, pour les contenir, pour les ramener au calme, que les injures, les menaces, la terreur, les coups et les chaînes. 8°. Les chaînes sont mises en usage partout, i) parce que les bâtiments sont mal distribués ; ii) parce que les serviteurs ne sont pas assez nombreux ; iii) parce qu’on ne connaît point d’autre moyens ; iv) parce que l’usage du gilet de force est plus dispendieux. J’ai envoyé des gilets pour servir de modèle dans plusieurs villes ; on ne s’en sert point par économie, il est certain que les chaînes coûtent moins d’entretien : c’est ce qui faisait dire au docteur Monro qu’elles étaient préférables pour les pauvres. L’abus des chaînes est révoltant. On met des colliers de fer, des ceintures de fer, des fers aux pieds et aux mains. Dans une des grandes villes que je craindrais de nommer, les furieux sont contenus avec un collier de fer attaché à une chaîne d’un pied et demi, laquelle est scellée au milieu du plancher inférieur, et l’on m’a assuré que ce moyen était le plus sûr pour calmer la fureur. A Toulouse, dans une salle d’environ vingt lits qui est sous les toits, on a suspendu aux murailles et au-dessus de chaque lit une chaîne qui porte une ceinture de fer ; les aliénés, en montant dans leur lit, secouent ces chaînes qui vont les accabler pendant la nuit. Dans DOCUMENTS
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quelques maisons on distribue des nerfs de bœuf aux garçons de service ; le trousseau de clefs est un instrument de correction. Une bonne direction ferait supprimer les chaînes partout, comme elles le sont depuis longtemps dans les établissements de Paris. Et la France donne au monde civilisé l’exemple de plus de deux mille aliénés de tout âge, de tout sexe, de tout état, de tout caractère, dirigés, contenus et traités sans coups et sans chaîne. 9°. Les médecins ont fait de vaines réclamations dans toutes les villes ; mais privés des premiers moyens de traitement, ils sont découragés, et ne visitent les aliénés que lorsqu’il survient des maladies graves. Rarement les visitet-on en vue de les guérir de leur folie, et il est quelques maisons où les serviteurs ordonnent les bains de surprise, la réclusion, etc. A Toulouse, de temps immémorial, les médecins de l’Hôtel-Dieu visitaient tous les mois les indigents de l’Hôpital général ; jamais ils n’allaient dans le quartier de force où les fous étaient enchaînés. 10°. Les administrateurs, trompés par les préjugés si funestes au bien-être des insensés, effrayés par leur agitation, par leur cris, et surtout par les craintes que les serviteurs intéressés ont soin d’inspirer, ne visitent presque jamais les aliénés ; la plupart regardent les fous comme atteints d’une maladie incurable, comme des êtres abandonnés pour qui ils croient avoir tout fait lorsqu’ils les ont mis hors d’état de nuire et qu’ils leur ont fait distribuer du pain et de l’eau pour les empêcher de mourir de faim. Tant que les aliénés seront logés, soignés et traités comme ils le sont aujourd’hui dans les hospices, dans les dépôts de mendicité, dans les prisons, on ne peut espérer pour eux, ni un meilleur régime, ni plus de soins, ni plus d’égards, ni une plus utile assistance de la part de médecins et des administrateurs. Comment restituer à ces infortunés la part des soins qui leur sont dus par la charité publique ? Comment satisfaire aux administrations locales qui réclament partout contre l’état d’abandon dans lequel gémissent les aliénés, et qui sollicitent les moyens d’améliorer leur sort ? Comment répondre aux vœux du gouvernement ? Tout le monde est convaincu de l’inconvenance du séjour des aliénés dans les prisons et dans les maisons de force, et de la nécessité de les retirer de ces demeures du crime et de l’immoralité. Mais les opinions sont incertaines entre les deux projets suivants : laissera-t-on les aliénés dans les hospices, dans les dépôts de mendicité, en agrandissant, en améliorant les bâtiments qui leur sont consacrés ? Ou bien construira-t-on des Hôpitaux spéciaux pour eux ? Ce qui précède me laisse peu de choses à dire contre le premier projet. En conservant les aliénés dans les hospices, dans les dépôts, on espère se servir de ce qui est déjà fait, et utiliser d’anciens bâtiments qu’on veut accommoder à leur usage : ce qui est déjà fait est mauvais, et les anciens bâtiments nuiront à ceux qu’on projette ; les uns et les autres manqueront de symétrie, de subdivisions nécessaires. Ils seront mal distribués, parce qu’il faudra les coordonner avec le reste de l’établissement. Les aliénés seront soumis au régime de l’hospice ou du dépôt de mendicité ; si on leur assigne un régime, un service particulier, il n’y aura plus d’ensemble ni d’unité dans l’établissement ; l’un
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et l’autre service en souffriront. On n’aura pour les aliénés que de mauvais infirmiers ; car les meilleurs sujets préféreront le service plus facile, moins pénible, moins dangereux du reste de l’hospice ou du dépôt. Le service de santé sera fait avec moins de zèle ; car le médecin de l’hospice ou du dépôt aura trop à faire : il négligera les aliénés dont le traitement offre moins de chances de guérison que celui des individus atteints de maladies aiguës. La portion de l’établissement destinée aux aliénés deviendra un épouvantail ;
elle servira de prison, elle sera un lieu de punition pour les habitants du reste de la maison, ce qui exercerait une influence funeste à la guérison des aliénés qui en seraient susceptibles. Les familles qui peuvent payer une pension placeront leurs parents avec plus de répugnance dans ces maisons, ce qui les privera d’une ressource importante. Les directeurs, les administrateurs, repoussés par les dégoûts et les dangers, porteront à ces infortunés moins d’intérêt qu’aux autres habitants de la maison. La division des aliénés n’atti-
rera qu’une portion de la surveillance, n’obtiendra qu’une portion de zèle ; tandis qu’il faut, pour être à la tête d’une maison d’aliénés, la surveillance et le zèle tout entiers d’un homme très actif. Donc, en consacrant ainsi pour les aliénés des sections particulières dans les établissements de charité, il en résultera des inconvénients si graves que les vues bienfaisantes des administrations locales et du Gouvernement en faveur des aliénés ne seront point remplies. D’où il résulte la nécessité de créer
des hôpitaux spéciaux. Et comment la France n’aurait-elle point des hôpitaux spéciaux pour l’aliénation mentale, elle qui possède dans les grandes villes des hôpitaux spéciaux pour les maladies des enfants, pour la gale, pour la maladie vénérienne, etc. ? La nécessité des hôpitaux spéciaux étant bien démontrée, nous avons une autre question à résoudre. Établira-t-on un hôpital dans chaque département, ou bien n’y aura-t-il qu’un hôpital pour plusieurs départements ? L’établissement d’un hôpital dans chaque département peut offrir quelques avantages ; mais ces avantages ne peuvent tenir, mis en comparaison avec ceux que présente la formation d’un petit nombre d’hôpitaux. 1°. La dépense sera énorme si l’on crée un hôpital par département ; il faudra de grands frais pour acquérir le terrain, pour construire un aussi grand nombre d’édifices. Et qu’on n’espère point faire usage d’anciens bâtiments pour les adapter au service des aliénés ; on manquerait le but qu’on se propose ; c’est pour avoir voulu utiliser les constructions qui existaient à Charenton du temps des Frères de la charité, que, malgré beaucoup de dépenses, on n’a fait de Charenton qu’un mauvais établissement, dont on ne pourra jamais rien faire de bon ; la même chose est arrivé à Saint-Mein, à Marville, etc. En créant un hôpital par département, chaque hôpital devra être bâti pour un petit nombre d’aliénés, par exemple, pour trente, quarante, soixante, comme on veut le faire à Poitiers, comme le projette pour Albi le Préfet du Tarn. Or, comment établir les divisions nécessaires pour un hôpital de trente ou soixante aliénés ? Il faut un quartier pour les hommes
et un quartier pour les femmes ; chaque quartier est un véritable hôpital destiné à quinze ou trente individus ; dans chaque quartier, il faudra des subdivisions pour les furieux en traitement, pour les furieux incurables, pour les mélancoliques calmes, pour les mélancoliques agités, pour les démences, pour les convalescents, pour ceux qui salissent ; il faudra des promenoirs couverts, des ateliers, des réfectoires, une infirmerie, une salle de bains, etc. Ces subdivisions, indispensables aujourd’hui pour tout hospice d’aliénés bien ordonné, ne pourront se faire dans un asile destiné à un petit nombre d’individus ; car il y aurait presque autant de subdivisions que d’habitants. Il faudra pour chacune de ces subdivisions au moins un serviteur ; il y aura donc presque autant de serviteurs que de malades. Si l’on n’adopte pas la subdivision des bâtiments, on retombera dans le système actuel ; on se contentera de séparer les furieux, et d’entasser pêle-mêle les autres aliénés, système contre lequel réclame hautement l’expérience de tous les pays où les aliénés ont excité quelques sentiments d’intérêt et de pitié. 2°. En laissant les aliénés dans leur département, ils resteront toujours victimes des préjugés qui, dans beaucoup de provinces, font regarder ces malades comme incurables. Il existe presque partout l’opinion, malheureusement fondée, que ces malades sont très mal traités ; il existe dans la plupart des maisons où sont reçus les aliénés, des dénominations humiliantes, de vieilles habitudes, d’anciens usages qui leur sont funestes ; la routine et les préventions les perpétueront. Il importe de les soustraire à ces influences locales. Je voudrais qu’on donnât à ces établissements un nom spé-
cifique qui n’offrît à l’esprit aucune idée pénible ; je voudrais qu’on les nommât asiles. Les habitations particulières ne s’appelleraient plus des loges, des cages, des cachots, mais bien des cellules, etc. Ceux qui savent combien les mots ont d’influence sur l’esprit des hommes, ne seront point étonnés que j’attache de l’importance à ces petites choses. 3°. En multipliant les asiles, on les privera de cet intérêt qui s’attache aux établissements d’une grande étendue ; en leur donnant un caractère de grandeur, on en fera des monuments pour les départements ; ils inspireront plus de confiance, ils attireront un plus grand nombre de pensionnaires. 4°. Espère-t-on trouver dans chaque département des hommes assez instruits et en même temps assez dévoués pour se sacrifier aux soins, à la surveillance qu’exige un pareil établissement ? Qu’on ne s’y trompe point, il est peu d’hommes capables qui veuillent vivre avec des aliénés ; il en est peu qui consentent à passer leur vie dans un pareil asile, à moins que, par son importance, il n’offre un aliment à l’amour propre et à l’instruction. 5°. Les médecins recommandables sous tous les rapports ne manquent point à notre patrie ; mais tous peuvent-ils être à la tête des asiles ? Il faut une trempe d’esprit particulière pour cultiver avec fruit cette branche de l’art de guérir ; il faut avoir beaucoup de temps à sa disposition, et avoir fait, en quelque sorte, l’abnégation de soi-même. Un médecin qui jouit d’une grande réputation, qui par conséquent a une pratique nombreuse, se chargera-t-il d’un petit hôpital qui prendra tout son temps, qui lui fera courir des dangers, et qui lui offrira peu de chances de succès ? En effet, celui
qui veut être utile aux aliénés doit les visiter plusieurs fois le jour, et même pendant la nuit ; il ne doit pas se contenter d’une visite faite le matin, comme cela se pratique dans les hôpitaux ordinaires, encore moins d’une visite faite deux fois la semaine, et quelquefois aux flambeaux. Quelles espérances de guérison soutiendront son courage ? Chargé d’un hôpital de trente à soixante aliénés, dix à peine offriront quelques chances de guérison ; sur ces dix, il y en aura cinq de guéris, en supposant même que le médecin soit heureux. Au reste, cette réduction ne doit point effrayer lorsqu’on songe que, dans les asiles départementaux, la masse ne sera formée que d’individus incurables, et que le médecin ne devra compter que sur les cas éventuels. Si l’on multiplie les asiles, ils seront dédaignés par les serviteurs, par les malades, par leurs parents, par les médecins, par les hommes capables de les administrer. En formant de grands établissements, en les plaçant et les distribuant convenablement, on obtiendra des résultats utiles pour ceux qui seront reçus ; économiques pour l’administration. Les gens riches seront d’abord soustraits aux regards de leurs concitoyens, et envoyés au loin ; mais les personnes d’une fortune médiocre, les incurables riches seront envoyés dans ces asiles dont le prix de leur pension couvrira bientôt les dépenses : c’est ce qui arrivait autrefois, particulièrement dans le nord de la France, aux maisons d’aliénés d’Armentières, de SaintVincent, de Lille, de Marville, de Saint-Maurice, etc. C’est ce qui arrive aujourd’hui à Avignon, à Saint-Mein, et surtout à Charenton et à la maison des fous de Bordeaux. Ces établissements se suffisent à eux mêmes. Cette circonscription des asiles ne sera point une nouveauté : avant la paix, Marville recevait les aliénés de vingt-trois départements ; Armentières et Lille reçoivent les aliénés des départements de la Somme, Pas-de-Calais et du Nord. Les trois établissements de Paris reçoivent des aliénés de tous les points de la France ; Bordeaux, Lyon et Avignon admettent ceux de plusieurs départements circonvoisins. Les administrateurs et les parents des aliénés se louent des soins donnés à leurs malades dans ces hôpitaux spéciaux et éloignés, bien plus que de la manière d’être de ces mêmes malades dans les dépôts de leur département. En effet, les établissements de Paris, de Lille, de Nancy, Avignon, etc., qui reçoivent des aliénés de plusieurs départements, ne sont-ils pas mieux tenus que les portions d’hospices, que les maisons de force, que les prisons de Caen, de Toulouse, de Nantes, de Limoges, de Dijon, d’Orléans de Rouen, etc. ? L’intérêt du département où sont les hôpitaux spéciaux doit porter l’administration à les mieux soigner, afin d’attirer la confiance. De tout ce qui précède, on doit conclure qu’il faut des asiles spéciaux, et qu’il est préférable d’en avoir un petit nombre que d’en établir un dans chaque département. Le plan d’un hospice d’aliénés n’est point une chose indifférente et qu’on doive abandonner aux seuls architectes ; le but d’un hôpital ordinaire est de rendre plus faciles et plus économiques les soins donnés aux indigents malades. Un hôpital d’aliénés est un instrument de guérison. Depuis plus de dix ans, je réfléchis sur cet objet ; j’ai visité tous les hôpitaux
de France ; je me suis procuré les plans de plusieurs hôpitaux étrangers ; j’ai fait des observations pratiques dans mon propre établissement et dans l’hospice de la Salpêtrière : j’ai lieu de croire que les avantages et les inconvénients des établissements d’aliénés n’ont point échappé à mon attention. Voici le résultat de mes réflexions à cet égard. Les asiles doivent être bâtis hors des villes ; il y aura économie et pour les frais des premiers établissements et pour leur entretien, les objets de consommation n’ayant pas d’octroi à payer. On fera choix d’un grand terrain exposé au levant, un peu élevé, dont le sol soit à l’abri de l’humidité, et néanmoins pourvu d’eau vive et abondante. Les constructions présenteront un bâtiment central pour les services généraux, pour le logement des officiers ; ce bâtiment aura un premier étage. Sur les deux côtés de ce bâtiment central, et perpendiculairement à ses lignes, seront construites des masses isolées pour loger les aliénés, les hommes à droite, les femmes à gauche ; ces masses isolées seront assez nombreuses pour classer tous les aliénés ; elles seront entourées d’une galerie sur laquelle s’ouvriront les portes et les croisées. Dans nos climats tempérés, la galerie sur laquelle s’ouvriront les portes sera à jour, et liera toutes ces petites masses entre elles, et avec le bâtiment central ; la galerie dans laquelle s’ouvriront les croisées sera fermée ; à l’une de ses extrémités, on ménagera une petite pièce pour un poêle, lequel, à l’aide de tuyaux de chaleur, échauffera la galerie et en même temps les cellules. A la cheminée du poêle, on adossera la cheminée des lieux d’aisances, qui, par ce moyen, seront délivrés de toute mauvaise odeur. Au centre de tous ces bâtiments disposés parallèlement entre eux, s’élèveront des bâtiments isolés aussi ; ces derniers serviront d’ateliers, de salles de réunion, de réfectoires, d’infirmerie, etc. L’ensemble de ces bâtiments doit présenter des logements séparés pour les aliénés furieux, pour les maniaques qui ne sont point méchants, pour les mélancoliques tranquilles, pour les monomaniaques qui sont ordinairement bruyants, pour les aliénés en démence, pour ceux qui sont habituellement sales, pour les fous épileptiques, pour ceux qui ont des maladies incidentes ; enfin, pour les convalescents : l’habitation de ceux-ci devra être composée de manière qu’ils ne puissent pas voir et entendre ceux qui sont malades, tandis qu’eux-mêmes seront à portée du bâtiment central. M. Lebas, architecte, a fait un plan d’après les données que je lui ai fournies. Ce plan est gravé, et je le publierai. Ce système de construction a été adopté en Danemark pour l’asile qu’on y construit, et dont j’ai fait aussi graver le plan. Les habitations particulières ne devront pas être faites toutes de la même manière, et l’uniformité est un des principaux vices de tous les asiles actuellement existants en France et ailleurs. Les habitations destinées aux furieux doivent être plus solidement bâties, et offrir des moyens de sûreté inutiles et même nuisibles dans le reste de l’établissement. Il est des aliénés qui salissent ; les planchers des cellules qu’ils doivent habiter seront dallés en pierre, et inclinés vers la porte. Cette disposition est inutile dans tous les autres logements, qui devront être planchéiés. Le quartier des
convalescents ne doit différer en rien des maisons ordinaires. Les constructions destinées aux aliénés seront toutes au rez-dechaussée ; cette disposition me paraît être de la plus grande importance, elle n’est point arbitraire : je dois avouer qu’elle est contraire à presque tout ce qui est établi jusqu’ici. Partout, à la vérité, les furieux sont au rez-de-chaussée, même dans des souterrains, particulièrement en Angleterre, à Armentières, à Marville, et dans les villes de France où il existe des cachots souterrains ; les autres aliénés habitent des étages supérieurs. En opposition avec tout ce qui a été fait jusqu’ici, je dois rendre compte de mes motifs et répondre aux objections qui m’ont été adressées. Les établissements dans lesquels les aliénés sont logés au premier, au second, au troisième étage, offrent de nombreux et de graves inconvénients : 1°. Il faut griller les croisées de tous les quartiers pour prévenir les évasions et les suicides ; il faut entourer de grilles les escaliers, comme on a été contraint de le faire dans le bâtiment neuf de Bicêtre, les marches de l’escalier n’étant point fixées aux deux murs de soutènement. Le premier étage du bâtiment neuf d’Avignon est éclairé par une galerie à jour : on a été forcé de fermer la galerie avec une forte grille en fer. 2° Le lavage nécessaire et fréquent des cellules, des galeries, abîme les planchers ; la crainte de les pourrir empêche d’avoir des fontaines dans les étages, et à portée de chaque malade. Les lieux d’aisances sont une occasion de malpropreté ; leur odeur infecte les corridors, ou il faut de grands frais pour s’en préserver. 3°. Les aliénés sont renfermés dans leurs cellules, ou tout au moins dans leur galerie, parce qu’on craint qu’ils ne se précipitent, ou qu’ils se laissent tomber dans les escaliers. Veulent-ils sortir des galeries, il faut en obtenir la permission, qui dépend du caprice des gardiens. Cette dépendance répugne à beaucoup d’aliénés, qui préfèrent rester dans leurs cellules, et même dans leur lit. 4°. Le service est plus pénible, la surveillance presque nulle, celle des serviteurs plus minutieuse, plus arbitraire, plus tyrannique ; celle des chefs impossible. Les asiles dont les bâtiments sont construits au rez-de-chaussée présentent des avantages sans nombre. 1°. Il n’est pas nécessaire de barres de fer aux croisées, aux galleries, aux escaliers ; les galeries peuvent rester ouvertes ; les aliénés sont moins casaniers, pouvant sortir à volonté, étant sollicités par l’exemple de leurs compagnons qui vont, qui viennent, qui jouent sous leurs croisées. L’un d’eux estil pris d’un paroxysme il sort de sa cellule, va au grand air, s’abandonne à tout son agitation ; il est bientôt calme ; il serait devenu furieux s’il n’avait pu quitter sa cellule ou son corridor, parce qu’il y eût trouvé les causes de son agitation fortifiée par la contrariété. Les croisées étant basses, les gens de service pouvant les atteindre facilement, les ouvrent et les ferment lorsqu’il convient. Les croisées percées en face des portes favorisent le renouvellement de l’air ; si un furieux se barricade, en feignant d’entrer par la croisée, on attire son attention vers ce point, et l’on arrive à lui par la porte, sans dangers pour lui et pour les serviteurs. 2°. Le service est infiniment plus facile, parce qu’il ne faut pas
sans cesse monter et descendre des escaliers. Survient-il un accident, une querelle, les infirmiers peuvent se réunir promptement pour opérer un appareil de force considérable qui prévient presque toujours son emploi. Infirmier d’un corridor est-il attaqué, il n’est pas obligé de se défendre corps à corps. Si un aliéné ne veut point se promener, s’il veut rester dans sa cellule, sur son lit, s’il ne veut pas aller au bain, etc., il ne faut pas le tirailler, le porter dans des escaliers, au risque de le rendre furieux ou de le blesser. Les infirmiers se surveillent les uns les autres, n’étant pas enfermés dans les galeries, dans les corridors, où l’on n’arrive qu’en faisant beaucoup de bruit pour ouvrir les portes. 3°. Le médecin peut faire sa visite plus commodément : il a, pour ainsi dire, sous la main tout son monde. La surveillance des chefs est plus utile, parce qu’elle est plus facile. Peut-on exiger qu’un directeur monte et descende les escaliers plusieurs fois par jour ? Ses forces physiques se refuseraient à son zèle. Dans un bâtiment au rezde-chaussée, il peut à tout instant et sans bruit arriver auprès des malades et des serviteurs. Ceuxci, par la crainte d’être surpris, sont plus assidus, plus exacts et plus complaisants. 4°. Enfin, les asiles bâtis au rezde-chaussée, composés de plusieurs bâtiments isolés, distribués sur une plus grande superficie, ressemblent à un village dont les rues, les places, les promenades offrent aux aliénés des espaces plus variés, plus étendus pour se livrer à l’exercice si nécessaire à leur état. On objecte à tant de motifs celui de l’économie. Un grand établissement à plusieurs étages est sans doute moins dispendieux ; mais la véritable économie consiste dans l’emploi judicieux des fonds destinés à un établissement. L’économie ne consiste point à priver un établissement des conditions indispensables pour qu’il remplisse sa destination ; l’économie, d’ailleurs, n’est pas si grande qu’on affecte de le dire : en effet, dans la dépense que doit causer la construction d’un asile, l’achat de quelques arpents de terre de plus ou de moins peut-il compter ; surtout si l’asile est bâti hors des villes ? Le terrain acheté ne serait point sans produit ; car le tiers du sol sur lequel on bâtira l’asile sera planté d’arbres, pour l’assainissement de l’air, pour l’agrément des malades, et pour l’augmentation des revenus. La construction des bâtiments sera moins chère, les fondations moins profondes, moins épaisses ; il ne faudra point d’escaliers avec tous les accessoires ; il n’y aura point de lieux d’aisances dont les conduits rampent dans les divers étages. Il suffira que le quartier des furieux soit bâti en pierre, les autres subdivisions pourront être construites plus légèrement. L’asile étant divisé en plusieurs bâtiments isolés, on peut se contenter d’abord et de ces constructions légères et des masses de bâtiments indispensables, ajournant les constructions successives au fur et à mesure de l’accroissement de la population. D’après le nombre des aliénés admis dans les établissements publics spéciaux ou autres, on peut croire que vingt asiles sont suffisants pour tout le royaume : je voudrais les établir auprès des Cours royales. Les villes où siègent ces Cours sont considérables, et ordinairement centrales ; elles attirent dans leur sein beaucoup
d’individus appartenant aux départements qui ressortent de leur juridiction. Des motifs trop longs à déduire et dans l’intérêt civil des aliénés justifient cette disposition. Chaque asile ainsi établi auprès de chaque Cour royale, recevra les aliénés des départements qui ressortiront de ces Cours ; il sera construit pour quatre ou cinq cents individus, ce qui permettra de recevoir dans dix-huit asiles sept mille deux cents aliénés, qui, avec les deux mille dans les établissements de Paris, me paraissent être l’extrême du nombre des aliénés qui peuvent réclamer des asiles. Ce nombre est bien supérieur à celui des aliénés qui aujourd’hui sont dans les maisons spéciales, les hospices, prisons, etc. ; mais ce qui existe est au-dessous des besoins, et l’Administration doit s’attendre qu’aussitôt qu’elle aura ouvert des asiles bien dirigés, leur population s’accroîtra rapidement. L’économie veut que l’on conserve les huit asiles spéciaux qui existent déjà, quoiqu’ils soient loin d’offrir les meilleures conditions possibles. Ces asiles seront débarrassés de tout individu qui n’est point aliéné ; ils seront soumis aux règlements généraux communs à tous les asiles de France ; il sera arrêté pour chacun un plan d’amélioration ou d’agrandissement, d’après les principes adoptés pour les nouveaux asiles, et il sera défendu d’y bâtir à moins de se conformer rigoureusement à ce plan. Les trois établissements de Paris suffisent au département de la Seine et au département de Seine et Oise. Il ne restera plus qu’à bâtir huit asiles, et à distribuer dans les contrées où il n’en existe point. La première dépense de chacun de ces asiles peut s’élever à 500,000 francs. Ils peuvent être ouverts d’ici à trois ans, et même beaucoup plus tôt ; les fonds nécessaires pour les construire peuvent avoir plusieurs sources. 1°. L’Administration générale peut faire un appel aux citoyens qui voudront fonder un ou plusieurs lits dans l’asile ; les souscripteurs auront droit de nomination pour autant d’aliénés qu’ils auront fondé de lits : ils seront membres nés de l’Administration générale des asiles. 2°. Tous les fonds actuellement consacrés à ces malades seront répartis aux asiles. 3° Chacun des départements pour lesquels l’asile sera destiné, fournira des fonds pour son établissement. Je suppose que chacun d’eux doit donner 80,000 francs ; cette dépense étant supportée dans le cours de trois années qu’on mettra à construire, il n’en coûtera que 25,000 à 30,000 francs à chaque département. 4°. Le Gouvernement, à titre d’encouragement, ne pourrait-il pas accorder une première avance, qui activerait l’exécution de ces projets, et qui lui permettrait de les diriger plus facilement ? Il sera formé pour chaque asile un Conseil d’administration, composé des Préfets des départements, qui concourront à leur érection des souscripteurs, du directeur et du médecin de l’asile, du procureur général, etc. Il sera nommé un Comité d’administration, dont le directeur et le médecin de l’asile seront membres avec voix consultative seulement. Chaque asile aura un directeur, un médecin, nommés par le Ministre, sur la présentation du Conseil général. Il aura un économe, un aumônier, un pharmacien, un surveillant et une surveillante, nommés par le Conseil général, sur la
présentation du Comité d’administration. Il sera formé, auprès du Ministre de l’intérieur, un Comité central avec lequel correspondront les directeurs et les médecins de tous les asiles, placés sous la surveillance immédiate et spéciale du Ministre de l’intérieur. Tous les ans, ce Comité rendra un compte général administratif et médical, qui sera envoyé aux administrateurs, aux directeurs, aux médecins des asiles. Il sera fait un règlement général pour toutes les parties du service, dans lequel on prescrira un mode uniforme d’admission pour tous les asiles ; en les modifiant, quant aux conditions administratives, d’après la connaissance plus positive de chaque localité. Enfin, on donnera une instruction pour la direction des aliénés dans chaque asile. RÉSUMÉ. L’état actuel des aliénés réclame hautement une réforme générale. Il ne convient nullement à leur bien-être, ni aux égard qui leur sont dus, d’être réunis avec d’autres malades, avec des indigents, encore moins avec des prisonniers. De grands asiles sont préférables, sous tous les rapports, à quatrevingt-trois hôpitaux départementaux. En conservent et en améliorant les asiles actuels, il n’en resterait que dix nouveaux à bâtir. Dix asiles, à 500,000 francs chacun, coûteront cinq millions, tandis que soixante-douze hôpitaux spéciaux, qu’il faut bâtir pour qu’il y en ait un par département, estimés seulement à 150,000 francs chacun, coûteront dix millions cinq cent mille francs. Je ne saurais prévoir si les résultats des recherches et des réflexions consignées dans ce mémoire atteindront le but que je me suis proposé ; peut-être n’aurai-je écrit que pour moi. Si je n’ai fait qu’un beau rêve, ce rêve du moins m’a laissé l’espérance. Nul doute qu’il suffit de faire connaître l’état déplorable dans lequel gémissent la plupart des aliénés, pour faire restituer à ces infortunés cette portion de soins et d’intérêt que la charité publique dispense, particulièrement en France, avec tant de magnificence et de sollicitude, dans tous les établissements ouverts aux malades et aux indigens. 1 Version actualisée et corrigée du texte de 1818, imprimé à Paris par l’imprimerie de Madame Huzard (née Vailat-La-Chapelle), Rue de l’Éperon Saint-Adrès-des-Arcs, n° 7. Mars 1819.
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Plan d’hôpital idéal, gravé par Mr. Lebas, architecte, d’après la description faite par Jean-Étienne Esquirol. Gravure offerte à W.C. Ellis, médecin en chef de l’asile d’Hanwell, et publié dans son ouvrage Traité de l’aliénation mentale ou de la nature, des causes, des symptômes et du traitement de la Folie, Paris, Librairie des Sciences Médicales de Juste Rouvier, 1840, p. 656.
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ESTABLISHMENTS OF THE INSANE IN FRANCE, AND WAYS TO IMPROVE THE FATE OF THESE UNFORTUNATE PEOPLE. Jean-Étienne Esquirol BRIEF PRESENTED TO HIS EXCELLENCY THE MINISTER OF THE INTERIOR, IN SEPTEMBER 1818; BY DOCTOR ESQUIROL, DOCTOR OF THE SALPÊTRIÈRE.1 Howard intended to alleviate the fate of the miserable who had declared themselves enemies of their fellow men and of the social order. Happier than he was in the object of my research, I entered the asylum of unhappiness to the often moaning virtue. I have travelled all over France to visit the establishments where the insane are locked up. One can rest assured that he will not attract the vindictiveness of the laws: who can promise himself that he will not be struck by a disease that marks its victims in all uses of life, in all ranks, in all conditions? Those for whom I am claiming are the most interesting members of society, almost always victims
of the prejudices, injustice and ingratitude of their fellow human beings. They are fathers of families, faithful wives, honest merchants, skilful artists, warriors dear to the fatherland, distinguished scientists; they are ardent, proud and sensitive souls; and yet these same individuals who should attract particular interest, those unfortunate people who experience the most terrible of human miseries, are more illtreated than criminals, and reduced to a condition worse than that of animals. I saw them naked, covered with rags, having only the straw to guarantee themselves from the cold humidity of the pavement on which they are spread. I saw them grossly fed, deprived of air to breathe, water to satisfy their thirst, and the first needs of life. I saw them handed over to real jailers, abandoned to their brutal surveillance. I have seen them in narrow, dirty, vile, airless, lightless, chained in caves where one would be afraid to enclose the ferocious beasts that the luxury of governments maintains at great expense in the capitals.
This is what I have seen almost everywhere in France, this is how the insane are treated almost everywhere in Europe. “These unfortunates, like state criminals, are thrown into the bottomless pit, into dungeons where the eye of humanity never penetrates: we let them burn in their own garbage, under the weight of the chains that tear their limbs apart. Their faces are pale and emaciated, they are only waiting for the moment that must put an end to their misery and cover our shame. They are put on show to the public’s curiosity, and avid guardians show them off as rare animals. These unfortunates are piled up in a jumble; we know only terror to maintain order among them. Whips, chains, dungeons are the only means of persuasion used by employees who are as barbaric as they are ignorant.” This is what Riel wrote in 1803 about the state of the insane in Germany. “It is those who visited the homes of the insane in Germany, says Joseph Franck, that remember with horror what they saw. One is horrified when entering these
asylums of misfortune and affliction; only hearing the cries of despair, and it is there that dwells the man distinguished by his talents and virtues. It is a terrible thing to be attacked by unfortunate people covered in rags and disgusting with uncleanliness, while only the chains, ties and brutality of the guards prevent others from approaching.” Maximilien André said the same thing, in 1810, about the insane and the institutions dedicated to them in Germany. Chiarruggi, from Acquit had said the same of those from Italy and Savoy. If there ever was a public institution that shamefully covered England, it is Bedlam Hospital, Sir Bennet wrote in the House of Commons (1815), and yet false reports imposed it, not only on England, but on the whole of Europe, by proposing this hospice as a model for all the nations of the world. If we were allowed to go into detail here, we would see everywhere the worst distribution in the buildings that are abandoned to these patients; the greatest ignorance of
the care that suits them; the most culpable negligence, the most horrible abandonment, the most revolting barbarism; I say barbarism because everywhere, except in the establishments of the capitals, to which Paris has given the example, the insane are covered in chains. Wishing to assess the influence that the improvements introduced in the public institutions for the insane in Paris, had on the rest of France, I visited all the houses where these patients were received; I carefully wrote what I observed, house by house, hospice by hospice, prison by prison; I had the plans of several of these institutions lifted and engraved; I compared what is happening in our country with what is happening in other European nations, especially in England. This data served as the basis for this brief, which in itself is only a summary of a major work on this subject, which I will publish in the spring. In France, almost all the insane people are placed in public institutions: sometimes in special homes, sometimes in hospitals DOCUMENTS
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and hospices, sometimes in begging warehouses, sometimes in houses of force or correction. The 5153 insane people are spread over 59 houses; of these 5153 individuals, more than 2000 belong to the three major institutions in Paris. The proportion of women is generally higher than that of men; but it is remarkable that the number of alienated men and more considerable than that of women in the southern provinces of France, while in the north, the number of alienated women is much higher than that of men. According to information on institutions in Spain, the number of alienated men is higher than that of women. There are only eight special establishments in France, where the insane are received, and several of which have taken the name of the Royal House of Health, namely: Armentières, for men only (northern departments). Avignon (Vaucluse department). Bordeaux (Gironde department). Charenton (Seine department) Lille, for women only (Northern Departments). Marseille (Bouches-du-Rhône department). Marville, near Nancy (Meurthe department). Rennes, Saint-Mein (Ille-et-Vilaine department). These houses generally receive only the insane; I said generally, because in Charenton there is a district that serves as a hospital for the poor sick people of the canton; in Marville, there are old people and children. In these eight houses, we receive epileptics confused with the insane, and sometimes bad subjects, libertines put in correction. In these houses, the incurably insane are admitted, and those who do not heal are kept there for life; it is therefore true to say that we do not have a special establishment in France exclusively devoted to the treatment of insanity. Perhaps it would be appropriate to make a small number of establishments in which 150 to 200 insane people could be brought together for treatment, and which would serve as a model, a school of instruction and an object of emulation for other houses of the same kind. Admission to these institutions would be subject to special conditions, as is the case in Bedlam (London). 1°. The insane person should not have been treated elsewhere. 2°. His illness should not be more than a year old at most. 3°. No alienated person should have a contagious or syphilitic disease. 4°. As soon as he was found incurable, he should be dismissed. 5°. He could not stay more than two years in this asylum. I say two years, experience having shown me that he cures almost as many insane people in the second year since the invasion of the disease, as in the first. It is not my purpose to make known the defects, the very defects that these eight special establishments present, both in their construction, their distribution, and their internal regime. As they are, there are proferable the other houses we are going to talk about. I cannot defend myself from awakening the Administration’s surveillance on the dwellings intended for the furious alienated. They are housed in underground facilities in Marville and Armentières.
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In all hospices or hospitals, old, dilapidated, damp, and poorly distributed buildings have been abandoned to the insane, and in no way built for their purpose, except for a few boxes and dungeons that have been built especially for the furious insanes. In some general hospitals, only the furious live in separate quarters; the quiet insanes, the fools are confused
with the poor, the so-called incurable poor. In a small number of hospices, they are mixed up with prisoners in the neighbourhood called the force district. These unfortunate people are subject to the general regime of the indigents. The insane are admitted to the socalled general hospitals in which elderly people, disabled, scabies,
venereals, children, and even women of bad life and criminals are received in the following thirty-three cities:
Clermont. Dijon. Le havre. Le Mans. Lille. Limoges. Lyon. Macon. Martigue. Montpellier. Moulins. Nantes. Nismes. Orleans. Paris. Pau. Poitiers. Reims. Rouen. Saintes. Saumur. Sedan. Strasbourg Saint-Servan. St-Nicolas près Nancy. Toulouse. Tours. In La Salpêtrière and Bicêtre, the district of the insane is in a way independent from the rest of the house. The insane have a special diet with servants and a special doctor. These are hospitals in hospices. In the cities where begging depots had been established, it was proposed to build, and a district for the insane had even been built within these depots; these districts were to receive only furious insane people, and they had already taken in some depots the name of force district. The insanes are in the begging depots in: Auxerre, Alençon, Amiens, Besançon, Châlons, Charité-sur-Loire,
Laon, Montpellier, Mousson, Dole, Troyes, Tournus. In these begging depots, the furious insanes are left continuously in their cells; the others, confused with beggars and vagrants, are deprived of the special care their condition requires. I mean, we didn’tshy away from putting insane people in prisons: At the fort of Le Ha in Bordeaux. At the house of force in Rennes. At the force headquarters at Toulouse General Hospital. At the Bicêtre de Poitiers, Caen, Amiens, etc. At the prison for the National Guard. At the Baudets’ house, a fortified house in Arras. In Saint-Venant (a small stronghold), the insanes are in buildings that serve as a prison and military hospital. Moreover, there are few prisons where one does not meet furious madmen; these unfortunate ones are chained in dungeons next to the criminals. What a monstrous association! The quietly insanes are more ill-treated than the criminals; the latter can work, and from the product of their work they improve the food given to them by the house. The insane are deprived of this resource! How many insults, ill-treatments, deprivations, are these insane people not exposed to from criminals who play games with their condition? What a humiliation for the sick man, if he has a few lucid moments, to be confused with criminals? And if it was possible that an insane person could heal despite so much abandonment,
so many deprivations, so many insulting treatments, what a horrible feeling he would not experience when his reason woke up, and in that feeling what an invincible obstacle to lasting healing! The insane, thus confused in the same establishment with the indigent, the infirm, the vagrants and especially the prisoners, are bad in all respects. This is what the following details will prove to us:
Aix. Alby Angers Arles Blois. Cambray.
1°. Houses or portions of houses intended for them are not distributed or arranged for their use. Almost everywhere except in La Salpêtrière and Bicêtre, the insane occupy the most secluded, oldest, wettest, most unhealthy buildings. In begging depots and in some hospices, newly built buildings are very poorly heard, and in some, for example, the courtyard separating the lodges from the fence wall is not as wide as it should be. 2°. Private dwellings, cells called lodges, dungeons, cages, small dungeons, etc…are appalling in every way, without air, without light, damp, small, paved like streets, often lower than the ground, and sometimes in underground areas. Usually these dwellings have only the door as an opening, a small square hole established against the door; sometimes there is no other opening than the door. The air is not renewed, and when you enter it you are suffocated by the infamous smell that comes out of it. Some cells look like cages; others are made of wood, exposed to all kinds of weather. In my work on
the houses of the insane, I want to describe all these houses, which seem to have been built to degrade man and deprive him of the first elements necessary for the preservation of life. 3°. Beds are often missing; thus unfortunate persons, tormented by insomnia, sometimes, have only the pavement to rest their limbs, and straw for mattresses, pillows, and blankets. 4° Almost everywhere the indigent insane, and often those who pay board, are naked or covered with rags; they are left with the debris of the clothes of the poor, the infirm, the prisoners who live with them in the same establishment. It is always, it is said, good enough for crazy people. Many of them have only straw to protect themselves against soil moisture and the cold air; sometimes they are deprived of it; straw is never renewed often enough. I saw an unfortunate fool, naked and straw-less, lying on the pavement. Expressing my astonishment at such an abandonment, the concierge replied that the Administration only gave him one bale of straw every two weeks for each individual. I pointed out to this barbarian that the dog who was watching over the door of the insane was housed more healthily, and that he had fresh and abundant straw; this remark was rewarded with a pitiful smile. And I was in one of the big cities in France! 5°. The diet, the food, far from being appropriate to the state of these diseases, are contrary to them; when they are given something other than black bread, the food they are served does not suit them. They are generally given dried, undercooked vegetables and cheese; it is a treat for the insane people of Tours when the nun who leads them can obtain, once a week, the intestines of the animals that were used to make the soup and broth of the hospital’s people in poverty. In the power districts, in the prisons, the insanes only have bread and water when the janitor and the teller like to give them some. How is this distribution done? Usually we it is done once a day. In a city, every two days a three-pound loaf of bread with a pot of water is given to the insane and prisoners alike. What a diet for patients that an internal heat dries up, that thirst devours, that constipation torments! 6°. In no home is there enough space for the insane to exercise as necessary; they often only have narrow and dark stairs or corridors to walk on; often there is only one courtyard for all the insanes of the same sex; the furious ones are always enclosed; sometimes we find chains hanging from the walls that form the courtyard; the insanes are chained on a stone, this is what is called making them take a breath of fresh air. When there are meeting rooms, cookers, these rooms are low, narrow, black, and more likely to inspire sadness than distraction. 7°. The insanes are not served, or are served very badly; they have no servants almost nowhere; when they do, their numbers are insufficient; often they are delivered to hard, barbaric and ignorant jailers, counter workers. This abandonment is all the more deplorable because these unfortunate people do not have the necessary intelligence to claim the care that humanity gives everywhere to the sick man. Are they being treated? What a service, my goodness! What can we expect from a jailer,
a janitor who has thirty, fifty, sixty individuals to lead? What kind of benevolence can these rude men have, who see in the insanes only evil, dangerous and harmful beings? They know only insults, threats, terror, blows and chains to lead them, to contain them, to bring them to calm. 8°. Chains are used everywhere, i) because buildings are poorly distributed; ii) because there are not enough servants; iii) because no other means are known; iv) because the use of the vest is more expensive. I sent vests to serve as a model in several cities; they are not used for economic reasons, it is certain that chains cost less to maintain: this is what made Dr. Monro say that they were preferable for the poor. The abuse of channels is appalling. Iron necklaces, iron belts ands irons are put on feet and hands. In one of the big cities I would be afraid to name, the angry one are contained with an iron necklace attached to a one-and-a-half foot chain, which is sealed in the middle of the lower floor, and I was assured that this was the safest way to calm the fury. In Toulouse, in a room with about twenty beds under the ceilings, a chain has been hung from the walls and above each bed, carrying an iron belt; the insane people, when they get into their beds, shake these chains, which will overwhelm them at night. In some houses blackjacks are distributed to the boys on duty; the key ring is an instrument of correction. Good management would eliminate chains everywhere, as they have long been in Paris establishments. And France sets an example for the civilized world of more than two thousand insane people of all ages, sexes, states and characters, who are directed, contained and treated without any blows or chains. 9°. Doctors have made vain claims in all cities; but without the first means of treatment, they are discouraged, and only visit the insanes when serious illnesses occur. Rarely do they visit in order to heal them from their madness, and there are a few houses where servants order surprise baths, confinement, etc. In Toulouse, time immemorial, the doctors of the Hôtel-Dieu visited the indigents of the General Hospital every month; they never went to the force district where the madmen were chained. 10°. The administrators, deceived by the prejudices so fatal to the well-being of the fools, frightened by their agitation, by their cries, and especially by the fears that the servants concerned are careful to inspire, almost never visit the madmen; most regard the madmen as suffering from an incurable disease, as abandoned beings for whom they believe they have done everything when they are put out of order and that they have made them distribute bread and water to prevent them from dying of hunger. As long as the insanes are housed, cared for and treated as they are today in hospices, begging depots and prisons, neither a better regime, nor more care, nor more consideration, nor more useful assistance from doctors and administrators can be expected for them. How can we return to these unfortunate people the part of the care due to them by public charity? How can we satisfy local administrations that are everywhere demanding against the state of abandonment in which the insanes
groan, and that are asking for the means to improve their lot? How to respond to the government’s wishes? Everyone is convinced of the inappropriateness of the stay of the insanes in prisons and forced houses, and of the need to remove them from these homes of crime and immorality. But opinions are uncertain between the following two projects: will they be left in hospices, in begging depots, by expanding and improving the buildings dedicated to them? Or will special hospitals be built for them? The above leaves me with little to say against the first project. By keeping the insanes in hospices, in depots, we hope to use what has already been done, and to use old buildings that we want to accommodate for their use: what has already been done is bad, and the old buildings will harm the ones we plan; both will lack the necessary symmetry and subdivisions. They will be poorly distributed because they will have to be coordinated with the rest of the institution. The insane will be subject to the regime of hospice or begging depot; if they are assigned a particular regime, a particular service, there will no longer be a whole or unit in the establishment; both will suffer. For the insanes, only bad nurses will be available; for the best subjects will prefer the easier, less painful, less dangerous service of the rest of the hospice or depot. The health service will be done with less enthusiasm; because the doctor of the hospice or depot will have too much to do: he will neglect the insane whose treatment offers less chance of cure than that of individuals with acute diseases.The portion of the facility intended for the insane will become a scarecrow; it will serve as a prison, a place of punishment for the inhabitants of the rest of the house, which would have a fatal influence on the healing of the insane who might be susceptible to it. Families who can afford a pension will place their parents more reluctantly in these homes, depriving them of an important resource. The directors, the administrators, repelled by disgust and danger, will take less interest in these unfortunate people than in the other inhabitants of the house. The division of the insane will attract only a portion of the surveillance, will obtain only a portion of zeal; whereas to be at the head of a house of the insane, it requires the full surveillance and dedication of a very active man.
1°. The expense will be enormous if you create one hospital per department; it will take a lot of money to acquire the land, to build so many buildings. And that we do not hope to use old buildings to adapt them to the service of the insane; we would miss the purpose we propose; it is because we wanted to use the buildings that existed in Charenton during the time of the Frères de la charité, that, despite much expenditure, Charenton was only made a bad establishment, of which we can never do anything good; the same happened in Saint-Mein, in Marville, etc. By creating one hospital per department, each hospital will have to be built for a small number of the insane, for example, for thirty, forty, sixty, as we want to do in Poitiers, as planned for Albi by the Prefect of Tarn. But how do we establish the necessary divisions for a hospital of thirty or sixty insane people? We need a district for men and a district for women; each district is a real hospital for fifteen or thirty individuals; in each district, we will need subdivisions for the furious in treatment, for the incurable furious, for the calm melancholic, for the agitated melancholic, for dementia, for the convalescent, for those who dirty; we will need covered promenades, workshops, refectories, an infirmary, a bathroom, etc. These subdivisions, which are essential today for any well-ordered hospice for the insane, cannot be made in an asylum intended for a small number of individuals; because there would be almost as many subdivisions as there are inhabitants. Each of these subdivisions will require at least one servant, so there will be almost as many servants as there are patients. If we do not adopt the subdivision of buildings, we will fall back into the current system; we will simply separate the furious, and pile up the other insane people, a system against which the experience of all countries where the insane have aroused some feelings of interest and pity is highly required. 2°. By leaving the insane in their department, they will always remain victims of the prejudices that, in many provinces, make these patients seem incurable. There is almost everywhere the unfortunate and well-founded opinion that these patients are being treated very badly; in most
of the houses where the insane are received, there are humiliating denominations, old habits, old uses that are harmful to them; routine and prevention will perpetuate them. It is important to remove them from these local influences. I would like these establishments to be given a specific name that does not offer the mind any painful ideas; I would like them to be called asiles (asylums). Private dwellings would no longer be called lodges, cages, dungeons, but cells, etc. Those who know how much words influence the minds of men, will not be surprised that I attach importance to these little things. 3°. By multiplying the asylums, they will be deprived of the interest that attaches to large establishments; by giving them a character of grandeur, they will become monuments for the departments; they will inspire more confidence, they will attract a greater number of residents. 4°. Are we hoping to find in each department men who are sufficiently educated and at the same time devoted enough to sacrifice themselves to the care and supervision that such an establishment requires? Make no mistake about it, there are few capable men who want to live with the insane; there are few who consent to spend their lives in such an asylum, unless, by its importance, it offers food for self-esteem and education. 5°. Our country does not lack doctors who are recommendable in all respects; but can all of them be at the head of the asylums? It takes a particular temper of mind to successfully cultivate this branch of the art of healing; you need to have a lot of time at your disposal, and to have done, in a way, self-sacrifice. Will a doctor who has a high reputation, who therefore has a large practice, take care of a small hospital that will take up all his time, put him in danger, and offer him little chance of success? Indeed, anyone who wants to be useful to the insane must visit them several times during the day, and even at night; he must not be satisfied with a visit made in the morning, as is practiced in ordinary hospitals, still less a visit made twice a week, and sometimes with a candle light. What hopes for healing will support his courage? In charge of a hospital of thirty to sixty insane people, barely ten will offer some chances of recovery; of
these ten, there will be five healed, even assuming that the doctor is happy. Moreover, this reduction should not be frightening when one considers that, in departmental asylums, the mass will only consist of incurable individuals, and that the doctor will have to rely only on possible cases. If the asylums are multiplied, they will be despised by the servants, by the patients, by their parents, by the doctors, by the men capable of administering them. By training large institutions, placing them and distributing them properly, useful results will be obtained for those who are received; economic for the administration. The rich people will first be hidden from the eyes of their fellow citizens, and sent away; but the people of mediocre wealth, the incurable rich will be sent to these asylums whose pension prices will soon cover their expenses: this is what happened in the past, particularly in the north of France, to the houses of the insane in Armentières, Saint-Vincent, Lille, Marville, Saint-Maurice, etc. This is what is happening today in Avignon, Saint-Mein, and especially in Charenton and at the Maison des fous de Bordeaux. These institutions are self-sufficient. This constituency of asylums will not be a new one: before peace, Marville received the insane from twenty-three departments; Armentières and Lille receive the insane from the departments of Somme, Pas-de-Calais and Nord. The three Paris establishments receive aliens from all over France; Bordeaux, Lyon and Avignon admit those from several neighbouring departments. The administrators and relatives of the insane rent themselves the care given to their patients in these special and remote hospitals, much more than the way these same patients are cared for in the depots of their department. Indeed, are not the establishments in Paris, Lille, Nancy, Avignon, etc., which receive insane people from several departments, better maintained than the portions of hospices, than the prisons of Caen, Toulouse, Nantes, Limoges, Dijon, Orléans de Rouen, etc.? The interest of the department where the special hospitals are located must lead the administration to provide better care for them, in order to attract trust. From all the aforementioned, it
Therefore, by dedicating special sections to the insane in charitable institutions, such serious disadvantages will result that the beneficial views of local governments and the Government in support of the insane will not be fulfilled. As a result, it is necessary to create special hospitals. And how can France not have special hospitals for mental insanity, which has special hospitals in large cities for children’s illnesses, scabies, venereal disease, etc.? With the need for special hospitals well demonstrated, we have another issue to resolve. Will there be one hospital in each department, or will there be only one hospital for several departments? The establishment of a hospital in each department may offer some advantages; but these advantages cannot hold up, compared to those of forming a small number of hospitals. DOCUMENTS
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must be concluded that special asylums are needed, and that it is better to have a small number than to establish one in each department. The plan of a hospice for the insane is not an indifferent thing and must not be abandoned to architects alone; the purpose of an ordinary hospital is to make it easier and more economical to care for the sick indigent. A hospital for the insane is an instrument of healing. For more than ten years, I have been reflecting on this object; I have visited all the hospitals in France; I have obtained the plans of several foreign hospitals; I have made practical observations in my own establishment and in the Salpêtrière hospice: I have reason to believe that the advantages and disadvantages of the insane establishments have not escaped my attention. Here is the result of my reflections in this regard. Asylums must be built outside the cities; there will be savings and for the expenses of the first establishments and for their maintenance, consumer objects not having a grant to pay. We will choose a large plot of land exposed to the sunrise, a little high, whose soil is protected from humidity, and nevertheless provided with abundant living water. The buildings will have a central building for general services, for officers’ accommodation; this building will have a first floor. On both sides of this central building, and perpendicular to its lines, isolated masses will be built to house the insane, the men on the right, the women on the left; these isolated masses will be numerous enough to classify all the insane; they will be surrounded by a gallery on which the doors and crossings will be opened. In our temperate climates, the gallery on which the doors will open will be updated, and will link all these small masses together, and with the central building; the gallery in which the crusaders will open will be closed; at one end, a small room will be provided for a stove, which, using heat pipes, will heat the gallery and at the same time the cells. On the stove’s chimney, the chimney of the toilet facilities will be leaned against, which, in this way, will be free from any bad smell. In the centre of all these buildings, which are arranged parallel to each other, will also be isolated buildings; the latter will serve as workshops, meeting rooms, refectories, infirmaries, etc. All these buildings must have separate accommodation for the furiously insane, for maniacs who are not evil, for quiet melancholy, for monomaniacs who are usually noisy, for insane people in madness, for those who are usually dirty, for epileptics, for those who have incidental diseases; finally, for convalescents: their homes should be designed in such a way that they cannot see and hear those who are ill, while they themselves will be within reach of the central building. Mr. Lebas, an architect, made a plan based on the data I provided him. This plan is engraved, and I will publish it. This construction system was adopted in Denmark for the asylum they built there, and I also had the plan engraved. Not all private dwellings will have to be made in the same way, and uniformity is one of the main defects of all the asylums currently existing in France and elsewhere. Dwellings for the furious must be more securely built, and provide unnecessary and even harmful security in the rest of the facility.
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There are insane people who get dirty; the floors of the cells they are to inhabit will be paved in stone, and inclined towards the door. This provision is not necessary in all other dwellings, which will have to be planked. The convalescent quarter must be no different from ordinary houses. The buildings intended for the insane will all be on the ground floor; this provision seems to me to be of the greatest importance, it is not arbitrary: I must admit that it is contrary to almost everything that has been established so far. Everywhere, in truth, the furious are on the ground floor, even in underground spaces, especially in England, Armentières, Marville, and in the cities of France where there are underground cells; the other insane people live on upper floors. In contrast to everything that has been done so far, I must account for my reasons and respond to the objections that have been raised with me. The establishments in which the insane are housed on the first, second and third floors have many serious disadvantages: 1°. The crossings of all the districts must be roasted to prevent escapes and suicides; the stairs must be surrounded by grids, as was forced to be done in the new Bicêtre building, the steps of the stairs not being fixed to the two retaining walls. The first floor of the new Avignon building is lit by an updated gallery: we were forced to close the gallery with a strong iron gate. 2°. The necessary and frequent washing of the cells, galleries, damages the floors; the fear of rotting them prevents having fountains in the floors, and within reach of each patient. Toilet facilities are an opportunity for uncleanliness; their smell infects corridors, where it takes a lot of expenses to keep it clean. 3°. The insane are confined in their cells, or at least in their gallery, because it is feared that they will rush, or that they will fall down the stairs. If they want to get out of the galleries, they have to get permission, which depends on the whim of the guards. This addiction is repugnant to many insane people, who prefer to stay in their cells, and even in their beds. 4°. The service is more painful, the supervision almost nonexistent, that of the servants more meticulous, more arbitrary, more tyrannical; that of the leaders impossible. The asylums whose buildings are located on the ground floor have many advantages. 1°. There is no need for iron bars at crossings, galleries, stairs; galleries can remain open; the insane are less homely, being able to leave at will, being solicited by the example of their companions who go, who come, who play under their crossings. Is one of them taken by a paroxysm? He leaves his cell, goes out into the open air, gives in to all his agitation; he is soon calm; he would have become furious if he had not been able to leave his cell or corridor, because he would have found the causes of his agitation fortified by annoyance. The crosses being low, service people can easily reach them, open them and close them when appropriate. The crossings pierced in front of the doors encourage the renewal of the air; if a furious person barricades himself, pretending to enter through the crossroads, his attention is drawn to this point, and he is reached through the door, without danger to him and to the
servants. 2°. The service is infinitely easier, because you don’t have to keep going up and down stairs. If an accident or a dispute occurs, nurses can meet quickly to operate a device of considerable strength that almost always prevents its use. If a nurse is attacked in a corridor, he is not obliged to defend himself, hand to hand. If an insane person does not want to walk, if he wants to stay in his cell, on his bed, if he does not want to go to the bath, etc., do not pull him, carry him down stairs, at the risk of making him angry or injuring him. The nurses watch each other, not being locked in the galleries, in the corridors, where you can only get there by making a lot of noise to open the doors. 3°. The doctor can make his visit more convenient: he has, so to speak, all his people at hand. Monitoring leaders is more useful because it is easier. Can a manager be required to go up and down the stairs several times a day? His physical strength would be denied to his zeal. In a building on the ground floor, he can arrive at any time and without noise near the sick and servants. They, for fear of being surprised, are more diligent, accurate and complacent. 4°. Finally, the asylums set up on the ground floor, composed of several isolated buildings, distributed over a larger area, resemble a village whose streets, squares and promenades offer the insane more varied and extensive spaces for exercise, if necessary in their condition. There are so many reasons for objecting the economic motive. A large, multi-storey facility may be less expensive; but the real economy is the judicious use of funds for a facility. The economy does not consist in depriving an establishment of the essential conditions for it to fulfil its destination; the economy, moreover, is not as large as we would like to say: indeed, in the expense that must be caused by the construction of an asylum, the purchase of a few acres of land more or less can count; especially if the asylum is built outside the cities? The land purchased would not be without a product; because a third of the land on which the asylum will be built will be planted with trees, for air purification, for the enjoyment of the sick, and for increasing incomes. The construction of buildings will be less expensive, the foundations shallower, thinner; there will be no need for stairs with all the accessories; there will be no toilet facilities with pipes crawling through the various floors. It will be sufficient that the district of the furious be built in stone, the other subdivisions can be built more lightly. As the asylum is divided into several isolated buildings, we can be satisfied first with these light constructions and masses of essential buildings, postponing the successive constructions as the population increases. From the number of insane persons admitted to special or other public institutions, it can be assumed that twenty asylums are sufficient for the whole kingdom: I would like to establish them before the Royal Courts. The cities where these Courts sit are considerable, and usually central; they attract many individuals from the departments under their jurisdiction. Reasons that are too long to deduce and in the civil interest of the insane justify this provision. Each asylum thus established at each Royal Court shall receive
the insane persons of the departments which shall emerge from these Courts; it shall be built for four or five hundred individuals, which shall make it possible to receive in eighteen asylums seven thousand two hundred insane persons, who, with the two thousand in the establishments of Paris, seem to me to be the extreme number of insane persons who may claim asylums. This number is much higher than the number of insane people who today are in special homes, hospices, prisons, etc.; but what exists is below the needs, and the Administration must expect that as soon as it has opened well-run asylums, their population will grow rapidly. The savings wants us to keep the eight special asylums that already exist, although they are far from offering the best possible conditions. These asylums shall be free of any individual who is not alienated; they shall be subject to the general regulations common to all asylums in France; a plan for improvement or enlargement shall be drawn up for each of them, in accordance with the principles adopted for the new asylums, and it shall be prohibited to build on them unless they comply strictly with that plan. The three Paris establishments are enough for the Seine department and the Seine et Oise department. All that remains is to build eight asylums, and to distribute them in areas where they do not exist. The first expense of each of these asylums can amount to 500,000 francs. They can be opened within three years, and even much earlier; the funds needed to build them can come from several sources. 1°. The General Administration may make an appeal to citizens who wish to establish one or more beds in the asylum; subscribers will be entitled to appointment for as many insane persons as they have established beds: they will be members born of the General Administration of Asylums. 2°. All the funds currently spent on these patients will be distributed to the asylums. 3° Each of the departments for which asylum will be intended will provide funds for its establishment. I suppose that each of them must give 80,000 francs; this expense being supported in the course of three years that we will have to build, it will only cost 25,000 to 30,000 francs to each department. 4°. Couldn’t the Government, as an incentive, grant a first advance, which would activate the execution of these projects, and enable it to manage them more easily? For each asylum, a Board of Directors will be formed, composed of the Prefects of the departments, who will contribute to their establishment of the subscribers, the director and doctor of the asylum, the public prosecutor, etc. An Administrative Committee will be appointed, of which the Director and the Asylum Doctor will be members in an advisory capacity only. Each asylum will have a director, a doctor, appointed by the Minister, on the presentation of the General Council. He will have a treasurer, a chaplain, a pharmacist, a male supervisor and a female supervisor, appointed by the General Council, on the presentation of the Administration Committee. A Central Committee will be set up under the Minister of the Interior, with whom the directors and doctors of all asylums will correspond, under the immediate
and special supervision of the Minister of the Interior. Every year, this Committee will report on an administrative and medical general account, which will be sent to the administrators, directors and doctors of the asylums. A general regulation will be made for all parts of the service, in which a uniform mode of admission will be prescribed for all asylums; modifying them, as regards administrative conditions, according to the more positive knowledge of each locality. Finally, instructions will be given for the direction of the insane in each asylum. Summary The current state of the insane requires a general reform. It is not appropriate for their well-being, or for their due respect, to be reunited with other sick people, with the destitute, let alone with prisoners. Large asylums are preferable, in all respects, to eighty-three departmental hospitals. By maintaining and improving the existing asylums, only ten new ones remain to be built. Ten asylums, at 500,000 francs each, will cost five million, while seventy-two special hospitals, which must be built so that there is one per department, estimated at only 150,000 francs each, will cost ten million five hundred thousand francs. I cannot predict whether the results of the research and reflections in this brief will achieve the goal I have set for myself; perhaps I will have written only for myself. If I had only one beautiful dream, that dream left me with hope. There is no doubt that it is enough to make known the deplorable state in which most of the insane groan, to restore to these unfortunate people that portion of care and interest that public charity provides, particularly in France, with such magnificence and solicitude, in all establishments open to the sick and the indigent. 1 Updated and corrected version of the 1818 text, printed in Paris by the printing house of Madame Huzard (née Vailat-La-Chapelle), Rue de l’Éperon Saint-Adrès-desArcs, n° 7. March 1819.
Ideal hospital plan, engraved by Mr. Lebas, architect, according to the description made by Jean-Étienne Esquirol. Engraving offered to W. C. Ellis, chief doctor of Hanwell’s asylum, and published in his book Traité de l’aliénation mentale ou de la nature, des causes, des symptômes et du traitement de la Folie, Paris, Librairie des Sciences Médicales de Juste Rouvier, 1840, p. 656.
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LA CONVIVIALITÉ DEUX SEUILS DE MUTATION (CHAPITRE 1) Ivan Illich « Si les outils ne sont pas dès maintenant soumis à un contrôle politique, la coopération des bureaucrates du bien-être et des bureaucrates de l’idéologie nous fera crever de “bonheur”. La liberté et la dignité de l’être humain continueront à se dégrader, ainsi s’établira un asservissement sans précédent de l’homme à son outil. » Dans ce texte phare, Ivan Illich amplifie et radicalise sa critique de la société industrielle. Dénonçant la servitude née du productivisme, le gigantisme des outils, le culte de la croissance et de la réussite matérielle, il oppose à la « menace d’une apocalypse technocratique » la « vision d’une société conviviale ». Ce n’est que par la redécouverte de l’espace du bienvivre, qu’Illich appelait la convivialité, que les sociétés s’humaniseront. Le texte présenté en exergue retranscrit le quatrième de couverture de La convivialité, – ouvrage d’Ivan Illich publié en 1973 – édité au format livre de poche par le Seuil au sein de sa collection Points Essais. Cet ouvrage fait également parti des œuvres complètes de l’auteur, éditées par la maison Fayard. Après avoir pris contact auprès de ces deux éditeurs pour nous enquérir des droits de reproduction du premier chapitre de La convivialité au sein de notre journal, il s’avère que « l’humanisation des sociétés » a un coût : environ 400 euros. Afin de nous conformer plus adéquatement aux propos de son auteur, nous avons choisi de publier une version entièrement libre de droit de ce texte, et invitons nos lecteur·trice·s à le partager sans modération et dans la plus grande convivialité.
L’année 1913 marque un tournant dans l’histoire de la. médecine moderne. À peu près à partir de cette date, le patient a plus d’une chance Sur deux qu’un médecin diplômé lui fournisse un
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traitement efficace — à condition, bien sûr, que son mal soit répertorié par la science médicale de l’époque. Familiers du milieu naturel, les chamans et les guérisseurs n’avaient pas attendu jusque-là pour prétendre à de pareils résultats dans un monde qui vivait dans un état de santé conçu différemment. Depuis lors, la médecine a affiné la définition des maux et l’efficacité des traitements. La population en Occident a appris à se sentir malade et à se faire soigner en accord avec les catégories à la mode dans le milieu médical. L’obsession de la quantification en est venue à dominer la clinique, ce qui a permis aux médecins de mesurer l’étendue de leurs succès avec des critères qu’ils avaient eux-mêmes forgés. Ainsi, la santé est devenue une marchandise dans une économie de croissance. Cette transformation de la santé en produit de consommation sociale est reflétée dans l’importance donnée aux statistiques médicales. Mais les résultats statistiques sur lesquels se fonde de plus en plus le prestige de la profession médicale ne sont pas pour l’essentiel le fruit de ses activités, La réduction souvent spectaculaire de la morbidité et de la mortalité est due
surtout aux transformations de l’habitat et du régime alimentaire, et à l’adoption de certaines règles d’hygiène toutes simples. Les égouts, le traitement au chlore de l’eau, l’attrape-mouche, l’autopsie et les certificats de non-contamination exigés du voyageur où des prostituées ont eu une influence bénéfique bien plus forte que l’ensemble des « méthodes » de traitement spécialisées très complexes. L’avance de la médecine s’est traduite d’avantage dans le contrôle des taux d’incidence que dans l’accroissement de la vitalité des individus. Dans un certain sens, c’est l’industrialisation, plus que l’homme, qui a profité des progrès de la médecine : les gens sont devenus capables de travailler plus régulièrement dans des conditions plus déshumanisantes. Pour cacher le caractère profondément destructeur du nouvel outillage, du travail à la chaîne et du règne de la voiture, on a monté en épingle des traitements spectaculaires appliqués aux victimes de l’agression industrielle sous toutes ses formes : vitesse, tension nerveuse, empoisonnement du milieu. Et le médecin s’est transformé en mage ayant seul le pouvoir de faire des miracles qui exorcisent la peur
engendrée par la survie dans un monde devenu menaçant. En même temps, les moyens de domestiquer certains besoins de traitement et l’instrument thérapeutique correspondant se sont simplifiés. Ainsi, chacun allait pouvoir déterminer, pour soi, les cas de grossesse ou d’infection, de même que chacun pourrait pratiquer un avortement ou traiter bon nombre d’infections. Le paradoxe est que plus l’outil devient simple, plus la profession medicale insiste pour en conserver le monopole. Plus l’imitation du thérapeute voit s’étendre sa durée, plus la population dépends de lui dans l’application des soins les plus élémentaires. L’hygiène, dans l’antiquité une vertu, devient le rituel qu’un corps de spécialistes célèbre sur l’autel de la science. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, il es devenu patent que la médecine moderne a de dangereux effets secondaires. Mais il a fallu du temps aux médecins pour identifier la nouvelle menace représentée par les microbes rendus résistants à la chimiothérapie, et reconnaître un nouveau genre d’épidémie dans les désordres génétiques dus à l’emploi de rayons X pendant la grossesse. Trente ans plus tôt,
Bernard Shaw se plaignait déjà : les médecins cessent de guérir, disait-il, pour prendre en main la vie de leur patients. Il a fallu attendre les années cinquante pour que cette remarque prenne forme d’évidence en produisant de nouveaux types de maladie, la médecine franchissait un second seuil de mutation. Au premier plan des désordres induits par la profession, il faut placer sa prétention à fabriquer une «meilleure » santé. Les premières victimes de ce mal iatrogénique (c’est-à-dire engendré par 1es médecins) furent les planificateurs et les médecins. Bientôt l’aberration se répandit dans le corps social tout entier. Au cours des quinze années qui suivirent, la médecine spécialisée devint un danger menaçant la santé. On employa des sommes colossales pour éponger les dégâts incommensurables produits par les traitements médicaux. Ce n’est pas tant la guérison qui coûte cher que la prolongation de la maladie : des mourants peuvent végéter longtemps emprisonnés dans un poumon d’acier, dépendants d’un tube de perfusion ou suspendus au fonctionnement d’un rein artificiel. Survivre dans des villes insalubres et malgré des conditions de
travail débilitantes coûte de plus en plus cher. Le monopole médical étend son action à un nombre grandissant de situations de la vie quotidienne. Non seulement le traitement médical, mais encore la recherche biologique ont contribué à cette prolifération des maladies. L’invention de chaque mode de vie et de mort a entraîné la définition parallèle d’une nouvelle norme avec, en correspondance, dans chaque cas, la définition d’une nouvelle déviance, d’une neuve malignité. Enfin, on a rendu impossible à la grandmère, à la tante ou à la voisine de prendre en charge la femme enceinte, le blessé, le malade, l’infirme ou le mourant, ce qui a créé une danse impossible à satisfaire. Au fur et à mesure que monte le prix du service, le soin personnel devient plus difficile et souvent impossible. En même temps, de plus en plus de en plus de situations courantes deviennent justifiables d’un justifiables d’un traitement, dès que se multiplient des spécialités et des paraprofessions dont la seule fin est de maintenir l’outillage thérapeutique sous le contrôle de la corporation. Arrivé au second seuil c’est la vie qui semble malade dans un environnement délétère - la protection d’une population soumise et dépendante devient le principal souci, et la grosse affaire, de la profession médicale. Les soins coûteux de prévention ou de cure deviennent un privilège : seuls les gros consommateurs de services médicaux y ont droit. Les gens qui peuvent rencontrer un spécialiste, être admis dans un grand hôpital, bénéficier de l’outillage de traitement de la vie, sont les malades dont on trouve le cas intéressant où les habitants des grandes villes, où le coût de la prévention médical, de la purification de l’eau et du contrôle de la pollution est exceptionnellement élevé. Paradoxalement, les soins par habitant deviennent d’autant plus cher que le coût de la prévention est déjà plus élevé. Il faut avoir consommé de la prévention et du traitement pour avoir droit à des soins exceptionnels. L’hôpital, comme l’école, repose sur le principe qu’on ne prête qu’aux riches. Ainsi, pour l’éducation, les gros consommateurs d’enseignement auront des bourses de recherche, tandis que les laissés pour-compte auront l’unique droit d’apprendre leur échec. Pour la médecine, plus de soins aboutiront à plus de souffrances : le riche se fera soigner toujours plus pour les maux engendrés par la médecine, tandis que le pauvre se contentera d’en souffrir. Passé le second seuil, les sous-produits de l’industrie médicale affectent des populations entières. Dans les pays riches la population vieillit. Dès qu’on entre sur le marché du travail on se met à épargner pour contracter des assurances qui vous garantiront, pour une durée de plus en plus longue, les moyens de consommer les services d’une gériatrie coûteuse. Aux États-Unis, 27% des dépenses médicales se font en faveur des vieillards, qui représentent 9% de la population. Fait significatif, le premier terrain terrain de collaboration scientifique choisi par Nixon et Brejnev concerne les recherches sur les maladies des riches vieillissants. De toute la terre les capitalistes accourent dans les hôpitaux de Boston, de Houston et de Denver pour recevoir les soins les plus rares et les plus coûteux, tandis qu’aux ÉtatsUnis mêmes, dans les classes les
plus pauvres, la mortalité infantile reste comparable à ce qu’elle est dans certains pays tropicaux d’Afrique ou d’Asie. Aux ÉtatsUnis, il faut être très riche pour se payer le luxe que tout le monde s’offre en pays pauvre : être assisté sur son lit de mort. En deux jours d’hôpital, un américain dépense le revenu annuel moyen de la population mondiale. Par la médecine moderne, plus d’enfants atteignent l’adolescence, et davantage de femmes à des grossesses plus nombreuses. La population augmente, elle dépasse la capacité d’accueil de l’environnement naturel, elle rompt les digues et les structures de la culture traditionnelle: Les médecins occidentaux gavent de médicaments des gens qui, par le passé, avaient appris à vivre avec leurs maladies. Le mal produit est bien pire que le mal guéri, car on engendre de nouveaux genres de maladie dont ni la technique moderne, ni l’immunité naturelle, ni la culture traditionnelle ne peuvent venir à bout. À l’échelle mondiale, et tout particulièrement aux États-Unis, la médecine fabrique une race d’individus vitalement dépendante d’un milieu toujours plus coûteux, toujours plus artificiel, toujours plus hygiéniquement programmé. Au congrès de l’American Medical Association en 1970, le président, sans soulever aucune opposition, a exhorté ses collègues pédiatres à considérer tout nouveau-né comme un patient jusqu’à ce qu’il soit certifié en bonne santé. Les enfants nés à l’hôpital, nourris sur ordonnance, bourrés d’antibiotiques, deviennent des adultes qui respirent un air vicié, mangent une nourriture empoisonnée et vivent une existence d’ombres dans la grande ville moderne. Il leur en coûtera encore plus cher pour élever leurs enfants qui, à leur tour, seront encore plus dépendants du monopole médical. Le monde entier devient un hôpital peuplé de gens qui doivent, à longueur de vie, se plier aux règles d’hygiène et aux prescriptions médicales. Cette médecine bureaucratisée gagne la planète entière. En 1968, le Collège de médecine de Shanghai a dû se rendre à l’évidence : «Nous produisons de soi-disant médecins de première classe [.…] qui ignorent l’existence de cinq cents millions de paysans et servent seulement les minorités urbaines [.…]. Ils engagent de grands frais de laboratoire pour des examens de routine [...], prescrivent sans nécessité d’énormes quantités d’antibiotiques [..] et, en l’absence d’hôpitaux et de laboratoires, se trouvent réduits à expliquer les mécanismes de la maladie à des gens pour qui ils ne peuvent rien et à qui cette explication n’apporte rien.» Cette prise de conscience, en Chine, à conduit à une inversion de l’institution. En 1971, rapporte le même collège, un million de travailleurs de la santé ont atteint un niveau acceptable de compétence. Ces travailleurs sont des paysans. Pendant la Saison creuse, ils suivent des cours accélérés, ils apprennent la dissection sur un cochon, réalisent les analyses de laboratoire les plus courantes, acquièrent des connaissances élémentaires de bactériologie, de pathologie, de médecine clinique, d’hygiène et d’acupuncture. Puis ils font leur apprentissage avec des médecins ou des travailleurs de la santé déjà exercés. Après cette première formation, ces «médecins aux pieds nus» conservent leur travail antérieur mais s’en absentent si nécessaire pour s’occuper de leurs camarades. Voici ce dont ils
sont responsables : l’hygiène du milieu de vie et de travail, l’éducation sanitaire, les vaccinations, les premiers soins, la surveillance des convalescents, les accouchements, le contrôle des naissances et les méthodes d’avortement. Dix ans après que la médecine occidentale eut franchi le second seuil, la Chine a entrepris de former un travailleur de santé compétent pour chaque centaine de citoyens. Son exemple prouve qu’il est possible d’inverser d’un coup le fonctionnement d’une institution dominante. Reste à voir jusqu’à quel point cette déprofessionnalisation peut tenir malgré le triomphe de l’idéologie de la croissance illimitée, et malgré la pression des médecins classiques soucieux d’incorporer leurs homonymes aux pieds nus dans la hiérarchie médicale, d’en faire une infanterie de Sans-grade, travaillant à temps partiel. Mais partout on monte en épingle les symptômes de la maladie de la médecine, sans prendre en considération le désordre profond du système qui les engendre. Les avocats des pauvres accusent l’American Medical Association d’être un bastion de préjugés capitalistes, et ses membres de se remplir les poches. Les porte-parole des minorités critiquent l’absence de contrôle social sur l’administration de la santé et l’organisation des systèmes de soins. Veulent-ils nous faire croire qu’en participant aux conseils d’administration des hôpitaux ils pourront contrôler les agissements du corps médical ? Les porte-parole de la communauté noire trouvent scandaleux que les fonds de la recherche soient concentrés sur les maladies qui frappent les Blancs vieillissants et surnourris. Ils exigent que des recherches soient engagées sur une forme particulière d’anémie qui atteint seulement les noirs. L’électeur espère qu’avec la fin de la guerre du Viêt-nam on affectera plus de fonds à la croissance de la production médicale. Toutes ces accusations et toutes ces critiques portent sur les symptômes d’une médecine qui prolifère comme une tumeur maligne et produit la hausse des coûts et de la demande, avec un moinsêtre général. La crise de la médecine a des racines beaucoup plus profondes qu’on pourrait le croire à la seule vue de ses symptômes. Elle fait partie intégrante de la crise de toutes les institutions industrielles. Une organisation complexe de spécialistes s’est développée: Financée et encouragée par la collectivité, elle s’est efforcée de produire une meilleure santé. Les clients n’ont pas manqué, volontaires pour toutes les expériences. Le résultat est qu’on a maintenant perdu le droit de se dire soi-même malade : il faut produire un certificat médical. Bien plus, c’est au médecin comme représentant de la société qu’il revient à présent de choisir l’heure de la mort du patient. Comme le condamné à mort, le malade est scrupuleusement surveillé pour éviter qu’il ne trouve la mort quand elle le saisit. Les dates de 1913 et 1955, que nous avons choisies comme indicatrices des deux seuils de mutation, ne sont pas contraignantes. L’important est de comprendre ceci : au début du siècle la pratique médicale s’est engagée dans la vérification scientifique de ses résultats empiriques. L’application de la mesure a marqué pour la médecine moderne le franchissement de son premier seuil. Le second seuil fut atteint lorsque l’utilité marginale du plus-de-spé-
cialisation se mit à décroitre, pour autant qu’elle soit quantifiable en termes de bien-être du plus grand nombre. Ce dernier seuil a été dépassé lorsque la désutilité marginale s’est mise à croître à mesure que la croissance de l’institution médicale en venait à signifier davantage de souffrances pour les gens. C’est alors que l’institution médicale redoubla d’ardeur pour chanter victoire. Les virtuoses de nouvelles spécialités mirent soudain en vedette quelques individus atteints de maladies rares. La pratique médicale se centra sur des opérations spectaculaires effectuées par des équipes hospitalières. La foi dans l’opération miracle aveugla le bon sens et ruina l’antique sagesse en matière de santé et de guérison. Les médecins répandirent l’usage immodéré des drogues chimiques dans le grand public. À présent le coût social de la médecine n’est plus mesurable en termes classiques. Comment mesurer les faux espoirs, le poids du contrôle social, la prolongation de la souffrance, la solitude, la dégradation du patrimoine génétique et le sentiment de frustration engendrés par l’institution médicale ? D’autres institutions industrielles ont franchi ces deux seuils. C’est le cas, en particulier, des grandes industries tertiaires et des activités productives organisées scientifiquement depuis le milieu du XIXe siècle. L’éducation, les postes, l’assistance sociale, les transports et même les travaux publics ont suivi cette évolution. Dans un premier temps, on applique un nouveau savoir à la solution d’un problème clairement défini et des critères scientifiques permettent de mesurer le gain d’efficience obtenu. Mais, dans un deuxième temps, le progrès réalisé devient un moyen d’exploiter l’ensemble du corps social, de le mettre au service des valeurs qu’une élite spécialisée, garante de sa propre valeur, détermine et révise sans cesse. Dans le cas des transports, il a fallu un siècle pour passer de la libération par les véhicules à moteur à l’esclavage de la voiture. Les transports à vapeur ont commencé d’être utilisés pendant la guerre de Sécession. Ce nouveau système a donné à beaucoup de gens la possibilité de voyager en chemin de fer à la vitesse d’un carrosse royal, et dans un confort dont nul roi n’avait osé rêver. Peu à peu on se mit à confondre bonne circulation et grande vitesse. Depuis que l’industrie des transports à franchi son second seuil de mutation, les véhicules créent plus de distances qu’ils n’en suppriment. L’ensemble de la société consacre de plus en plus de temps à la circulation qui est supposée lui en faire gagner. L’Américain type consacre, pour sa part, plus de 1 500 heures par an à sa voiture : il y est assis, en marche ou à l’arrêt, il travaille pour la payer, pour acquitter l’essence, les pneus, les péages, l’assurance, les contraventions et les impôts. Il consacre donc quatre heures par jour à sa voiture, qu’il s’en serve, s’en occupe ou travaille pour elle. Et encore, ici ne sont pas prises en compte toutes ses activités orientées par le transport : le temps passé à l’hôpital, au tribunal ou au garage, le temps passé à regarder à la télévision la publicité automobile, le temps passé à gagner de l’argent pour voyager pendant les vacances, Etc. À cet Américain il faut donc 1 500 heures pour faire 10000 kilomètres de route ; environ 6 kilomètres lui prennent une heure.
La vision que l’on a de la crise sociale actuelle est illuminée par la compréhension des deux seuils de mutation décrits ci-dessus. En une décennie plusieurs institutions dominantes ont ensemble, sauté gaillardement le second seuil. L’école n’est plus un bon outil d’éducation, ni la voiture un bon outil de transport, ni la chaîne de montage un mode acceptable de production. L’école produit des cancres et la vitesse dévore le temps. La réaction caractéristique des années soixante devant la montée de l’insatisfaction a été l’escalade de la technique et de la bureaucratie. L’escalade du pouvoir de s’autodétruire devient le rite sacrificiel des sociétés hautement industrialisées. La guerre du Viêt-nam a été, à cet égard, l’occasion d’un dévoilement et d’une occultation. Elle a dévoilé à la planète entière le rituel en exercice sur un petit champ de bataille. Mais, ce faisant, elle a détourné notre attention des secteurs prétendument paisibles où le même rite est répété plus discrètement. L’histoire de la guerre démontre qu’une armée conviviale de cyclistes et de piétons peut retourner à son profit le déferlement de puissance anonyme de l’ennemi. Pourtant, maintenant que la guerre est « finie », nombreux sont les Américains qui pensent qu’avec l’argent dépensé annuellement à se faire vaincre par les Vietnamiens il serait possible de vaincre plutôt là pauvreté domestique. D’autres veulent affecter les vingt milliards de dollars du budget de guerre au renforcement de la coopération internationale, ce qui en multiplierait par dix les ressources actuelles. Ni les uns ni les autres ne comprennent que la même structure institutionnelle sous-tend la guerre pacifique contre la pauvreté et la guerre sanglante contre la dissidence. Tous haussent encore d’un degré l’escalade qu’ils entendent éliminer.
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TOOLS FOR CONVIVIALITY TWO WATERSHEDS (CHAPTER 1) Ivan Illich “If the tools are not now subject to political control, the cooperation of welfare bureaucrats and ideological bureaucrats will make us die of ‘happiness’. The freedom and dignity of the human being will continue to deteriorate, thus establishing an unprecedented subjugation of man to his tool.” In this flagship text, Ivan Illich amplifies and radicalizes his criticism of industrial society. Denouncing the servitude born of productivism, the gigantism of tools, the cult of growth and material success, he opposes the “threat of a technocratic apocalypse” to the “vision of a friendly society”. It is only through the rediscovery of the space of good living, which Illich called conviviality, that societies will become more humane. The text presented in the foreground transcribes the back cover of Tools for Conviviality, a book by Ivan Illich in 1973, published in paperback format by Le Seuil as part of its Points Essais collection. This book is also part of the author’s complete works, published by Fayard. After contacting these two publishers, asking about the reproduction rights to the first chapter of Tools for Conviviality within our journal, it turns out that “more humane societies” have a cost: about 400 euros. In order to comply more adequately with the author’s comments, we have chosen to publish a completely royalty-free version of this text, and invite our readers to share it without moderation and with the greatest “conviviality”.
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The year 1913 marks a watershed in the history of modern medicine. Around that year a patient began to have more than a fifty− fifty chance that a graduate of a medical school would provide him with a specifically effective treatment (if, of course, he was suffering from one of the standard diseases recognized by the medical science of the time). Many shamans and herb doctors familiar with local diseases and remedies and trusted by their clients had always had equal or better results. Since then medicine has gone on to define what constitutes disease and its treatment. The Westernized public learned to demand effective medical practice as defined by the progress of medical science. For the first time in history doctors could measure their efficiency against scales which they themselves had devised. This progress was due to a new perspective of the origins of some ancient scourges; water could be purified and infant mortality lowered; rat
control could disarm the plague; treponemas could be made visible under the microscope and Salvarsan could eliminate them with statistically defined risks of poisoning the patient; syphilis could be avoided, or recognized and cured by rather simple procedures; diabetes could be diagnosed and self−treatment with insulin could prolong the life of the patient. Paradoxically, the simpler the tools became, the more the medical profession insisted on a monopoly of their application, the longer became the training demanded before a medicine man was initiated into the legitimate use of the simplest tool, and the more the entire population felt dependent on the doctor. Hygiene turned from being a virtue into a professionally organized ritual at the altar of a science. Infant mortality was lowered, common forms of infection were prevented or treated, some forms of crisis intervention became quite effective. The spectacular
decline in mortality and morbidity was due to changes in sanitation, agriculture, marketing, and general attitudes toward life. But though these changes were sometimes influenced by the attention that engineers paid to new facts discovered by medical science, they could only occasionally be ascribed to the intervention of doctors. Indirectly, industrialization profited from the new effectiveness attributed to medicine; work attendance was raised, and with it the claim to efficiency on the job. The destructiveness of new tools was hidden from public view by new techniques of providing spectacular treatments for those who fell victims to industrial violence such as the speed of cars, tension on the job, and poisons in the environment. The sickening side effects of modern medicine became obvious after World War II, but doctors needed time to diagnose drug resistant microbes or genetic da-
mage caused by prenatal X−rays as new epidemics. The claim made by George Bernard Shaw a generation earlier, that doctors had ceased to be healers and were assuming control over the patient’s entire life, could still be regarded as a caricature. Only in the mid−fifties did it become evident that medicine had passed a second watershed and had itself created new kinds of disease. Foremost among iatrogenic (doctor−induced) diseases was the pretense of doctors that they provided their clients with superior health. First, social planners and doctors became its victims. Soon this epidemic aberration spread to society at large. Then, during the last fifteen years, professional medicine became a major threat to health. Huge amounts of money were spent to stem immeasurable damage caused by medical treatments. The cost of healing was dwarfed by the cost of extending sick life; more people survived longer months with their
lives hanging on a plastic tube, imprisoned in iron lungs, or hooked onto kidney machines. New sickness was defined and institutionalized; the cost of enabling people to survive in unhealthy cities and in sickening jobs skyrocketed. The monopoly of the medical profession was extended over an increasing range of everyday occurrences in every man’s life. The exclusion of mothers, aunts, and other nonprofessionals from the care of their pregnant, abnormal, hurt, sick, or dying relatives and friends resulted in new demands for medical services at a much faster rate than the medical establishment could deliver. As the value of services rose, it became almost impossible for people to care. Simultaneously, more conditions were defined as needing treatment by creating new specializations or paraprofessions to keep the tools under the control of the guild. At the time of the second watershed, preservation of the sick life of medically dependent people in an unhealthy environment became the principal business of the medical profession. Costly prevention and costly treatment became increasingly the privilege of those individuals who through previous consumption of medical services had established a claim to more of it. Access to specialists, prestige hospitals, and life−machines goes preferentially to those people who live in large cities, where the cost of basic disease prevention, as of water treatment and pollution control, is already exceptionally high. The higher the per capita cost of prevention, the higher, paradoxically, became the per capita cost of treatment. The prior consumption of costly prevention and treatment establishes a claim for even more extraordinary care. Like the modern school system, hospital−based health care fits the principle that those who have will receive even more and those who have not will be taken for the little that they have. In schooling this means that high consumers of education will get postdoctoral grants, while dropouts learn that they have failed. In medicine the same principle assures that suffering will increase with increased medical care; the rich will be given more treatment for iatrogenic diseases and the poor will just suffer from them. After this second turning point, the unwanted hygienic by−products of medicine began to affect entire populations rather than just individual men. In rich countries medicine began to sustain the middle−aged until they became decrepit and needed more doctors and increasingly complex medical tools. In poor countries, thanks to modern medicine, a larger percentage of children began to survive into adolescence and more women survived more pregnancies. Populations increased beyond the capacities of their environments and the restraints and efficiencies of their cultures to nurture them. Western doctors abused drugs for the treatment of diseases with which native populations had learned to live. As a result they bred new strains of disease with which modern treatment, natural immunity, and traditional culture could not cope. On a world−wide scale, but particularly in the U.S.A., medical care concentrated on breeding a human stock that was fit only for domesticated life within an increasingly more costly, man− made, scientifically controlled en-
vironment. One of the main speakers at the 1970 AMA convention exhorted her pediatric colleagues to consider each newborn baby as a patient until the child could be certified as healthy. Hospital−born, formula−fed, antibiotic−stuffed children thus grow into adults who can breathe the air, eat the food, and survive the lifelessness of a modern city, who will breed and raise at almost any cost a generation even more dependent on medicine. Bureaucratic medicine spread over the entire world. In 1968, after twenty years of Mao’s regime, the Medical College of Shanghai had to conclude that it was engaged in the training of «so−called first−rate doctors ... who ignore five million peasants and serve only minorities in cities. They create large expenses for routine laboratory examinations . . . Describe huge amounts of antibiotics unnecessarily . . . and in the absence of hospital or laboratory facilities have to limit themselves to explaining the mechanisms of the disease to people for whom they cannot do anything, and to whom this explanation is irrelevant.» In China this recognition led to a major institutional inversion. Today, the same college reports that one million health workers have reached acceptable levels of competence. These health workers are laymen who in periods of low agricultural manpower needs have attended short courses, starting with the dissection of pigs, gone on to the performance of routine lab tests, the study of the elements of bacteriology, pathology, clinical medicine, hygiene, and acupuncture, and continued in apprenticeship with doctors or previously trained colleagues. These «barefoot doctors» remain at their work places but are excused occasionally when fellow workers require their assistance. They have responsibility for environmental sanitation, for health education, immunization, first aid, primary medical care, post illness follow−up, as well as for gynecological assistance, birth control, and abortion education. Ten years after the second watershed of Western medicine had been acknowledged, China intends to have one fully competent health worker for every hundred people. China has proved that a sudden inversion of a major institution is possible. It remains to be seen if this deprofessionalization can be sustained against the overweening ideology of unlimited progress and pressures from classical doctors to incorporate their barefoot homonym as part−time professionals on the bottom rung of a medical hierarchy. In the West during the sixties dissatisfaction with medicine grew in proportion to its cost, reaching the greatest intensity in the U.S.A. Rich foreigners flocked to the medical centers of Boston, Houston, and Denver to seek exotic repair jobs, while the infant mortality of the U.S. poor remained comparable to that in some tropical countries of Africa and Asia. Only the very rich in the United States can now afford what all people in poor countries have: personal attention around the deathbed. An American can now spend in two days of private nursing the median yearly cash income of the world’s population. Instead of exposing the systemic disorder, however, only the symptoms of «sick» medicine are now publicly indicted in the United States. Spokesmen for the
poor object to the capitalist prejudices of the AMA and the income of doctors. Community leaders object to the lack of community control over the delivery systems of professional health maintenance or of sick care, believing that laymen on hospital boards can harness professional medics. Black spokesmen object to the concentration of research grants on the types of disease which tend to strike the white, elderly, overfed foundation official who approves them. They ask for research on sickle−cell anemia, which strikes only the black. The general voter hopes that the end of the war in Vietnam will make more funds available for an increase of medical production. This general concern with symptoms, however, distracts attention from the malignant expansion of institutional health care which is at the root of the rising costs and demands and the decline in wellbeing. The crisis of medicine lies on a much deeper level than its symptoms reveal and is consistent with the present crisis of all industrial institutions. It results from the development of a professional complex supported and exhorted by society to provide increasingly «better» health, and from the willingness of clients to serve as guinea pigs in this vain experiment. People have lost the right to declare themselves sick; society now accepts their claims to sickness only after certification by medical bureaucrats. It is not strictly necessary to this argument to accept 1913 and 1955 as the two watershed years in order to understand that early in the century medical practice emerged into an era of scientific verification of its results. And later medical science itself became an alibi for the obvious damage caused by the medical professional. At the first watershed the desirable effects of new scientific discoveries were easily measured and verified. Germ−free water reduced infant mortality related to diarrhea, aspirin reduced the pain of rheumatism, and malaria could be controlled by quinine. Some traditional cures were recognized as quackery, but, more importantly, the use of some simple habits and tools spread widely. People began to understand the relationship between health and a balanced diet, fresh air, calisthenics, pore water and soap. New devices ranging from toothbrushes to Band−Aids and condoms became widely available. The positive contribution of modern medicine to individual health during the early part of the twentieth century can hardly be questioned. But then medicine began to approach the second watershed. Every year medical science reported a new breakthrough. Practitioners of new specialties rehabilitated some individuals suffering from rare diseases. The practice of medicine became centered on the performance of hospital−based staffs. Trust in miracle cures obliterated good sense and traditional wisdom on healing and health care. The irresponsible use of drugs spread from doctors to the general public. The second watershed was approached when the marginal utility of further professionalization declined, at least insofar as it can be expressed in terms of the physical well−being of the largest number of people. The second watershed was superseded when the marginal disutility increased as further monopoly by the medical establishment became an
indicator of more suffering for larger numbers of people. After the passage of this second watershed, medicine still claimed continued progress, as measured by the new landmarks doctors set for them− selves and then reached: both predictable discoveries and costs. For instance, a few patients survived longer with transplants of various organs. On the other hand, the total social cost exacted by medicine ceased to be measurable in conventional terms. Society can have no quantitative standards by which to add up the negative value of illusion, social control, prolonged suffering, loneliness, genetic deterioration, and frustration produced by medical treatment. Other industrial institutions have passed through the same two watersheds. This is certainly true for the major social agencies that have been reorganized according to scientific criteria during the last 150 years. Education, the mails, social work, transportation, and even civil engineering have followed this evolution. At first, new knowledge is applied to the solution of a clearly stated problem and scientific measuring sticks are applied to account for the new efficiency. But at a second point, the progress demonstrated in a previous achievement is used as a rationale for the exploitation of society as a whole in the service of a value which is determined and constantly revised by an element of society, by one of its self−certifying professional élites. In the case of transportation it has taken almost a century to pass from an era served by motorized vehicles to the era in which society has been reduced to virtual enslavement to the car. During the American Civil War steam power on wheels became effective. The new economy in transportation enabled many people to travel by rail at the speed of a royal coach, and to do so with a comfort kings had not dared dream of. Gradually, desirable locomotion was associated and finally identified with high vehicular speeds. But when transportation had passed through its second watershed, vehicles had created more distances than they helped to bridge; more time was used by the entire society for the sake of traffic than was «saved.» It is sufficient to recognize the existence of these two watersheds in order to gain a fresh perspective on our present social crisis. In one decade several major institutions have moved jointly over their second watershed. Schools are losing their claim to be effective tools to provide education; cars have ceased to be effective tools for mass transportation; the assembly line has ceased to be an acceptable mode of production. The characteristic reaction of the sixties to the growing frustration was further technological and bureaucratic escalation. Self−defeating escalation of power became the core−ritual practiced in highly industrialized nations. In this context the Vietnam war is both revealing and concealing. It makes this ritual visible for the entire world in a narrow theatre of war, yet it also distracts attention from the same ritual being played out in many so−called peaceful arenas. The conduct of the war proves that a convivial army limited to bicycle speeds is served by the opponent’s escalation of anonymous power. And yet many Americans argue that the resources squandered on the war in the Far East could be used effectively to overwhelm po-
verty at home. Others are anxious to use the $20 billion the war now costs for increasing international development assistance from its present low of $2 billion. They fail to grasp the underlying institutional structure common to a peaceful war on poverty and a bloody war on dissidence. Both escalate what they are meant to eliminate. While evidence shows that more of the same leads to utter defeat, nothing less than more and more seems worthwhile in a society infected by the growth mania. The desperate plea is not only for more bombs and more police, more medical examinations and more teachers, but also for more information and research. The editor− in−chief of the Bulletin of Atomic Scientists claims that most of our present problems are the result of recently acquired knowledge badly applied, and concludes that the only remedy for the mess created by this information is more of it. It has become fashionable to say that where science and technology have created problems, it is only more scientific understanding and better technology that can carry us past them. The cure for bad management is more management. The cure for specialized research is more costly interdisciplinary research, just as the cure for polluted rivers is more costly nonpolluting detergents. The pooling of stores of information, the building up of a knowledge stock, the attempt to overwhelm present problems by the introduction of more science is the ultimate attempt to solve a crisis by escalation.
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LES HÔTES Jérôme Poret Nous publions ici deux textes relatifs à l’exposition de Jérôme Poret qui a lieu du 20 septembre au 15 décembre 2019 à La Maréchalerie, centre d’art contemporain à Versailles.
FÉE DU LOGIS ET FOLLE DU LOGIS En 1884, convaincue qu’une malédiction s’abat sur sa famille en raison de l’invention par son beau-père de la première carabine à répétition, Sarah Winchester débute la construction d’une maison qui ne s’achèvera que 38 ans plus tard. Chaque nuit, elle communique avec les esprits des victimes présumées de la carabine, qui lui fournissent les plans d’une maison en chantier permanent, comprenant à la mort de sa propriétaire en 1922 près de 160 pièces. « […] la maison de Sarah Winchester est d’une certaine manière une anomalie. Signifiante pour comprendre la façon dont la conception spiritualiste de la maison hantée a travaillé l’Amérique à partir de la seconde moitié du XXe siècle. C’est une maison construite sur la Côte Ouest mais par une femme qui a vécu toute sa vie sur la Côte Est. Les Esprits qui sont censés y être piégés ne sont pas des Esprits autochtones : au contraire, ils font un grand voyage depuis l’endroit où ils ont été tués par un coup de carabine Winchester pour pouvoir se venger et eux aussi viennent de l’Est. La maison est présentée comme une greffe improbable d’un produit importé de la Côte Est : elle est la synthèse des deux extrémités du pays. La dichotomie Est-Ouest, liée à l’histoire de la conquête du territoire américain et au mythe de la Frontière, est donc constamment réactivée dans les récits de maisons hantées. La maison de Sarah Winchester fait une synthèse entre plusieurs formes de hantise : c’est d’abord la maison d’une veuve et d’une mère en deuil, hantée par son chagrin et frappée par le malheur (la maison hantée tragique des ghost staries) ; c’est ensuite une maison démesurée, disproportionnée, œuvre d’une excentrique un peu folle et millionnaire comme dans la littérature gothique ; c’est enfin une maison spiritualiste. L’aspect architectural de la maison en fait une originalité et une bizarrerie un peu gothique, mais surtout éclectique. La demeure frappe l’imagination et les sens. Elle est une illusion et une attraction (elle doit d’ailleurs attirer les Esprits) assez
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pittoresque. Cette maison et d’autres sont considérées comme un élément fort du patrimoine américain dès les années 1920. Elles deviennent aussi des attractions qui attirent des curieux en recherche de sensationnel, ce qui a pour effet inattendu de créer un marché de la hantise à la fois commercial et ludique.1 »
La maison devient ainsi un espace où le refoulé donne un sens au bâti : contemporaine du spiritisme et des grandes inventions technologiques de l’époque, Sarah Winchester transforme sa demeure en un catalyseur de l’inconscient. La phonographie, l’histoire du paranormal et de l’hypnose, relativement contemporaines les unes avec les autres, se retrouvent dans une forme de révélation de l’inconscient ou d’une apparition de l’absence. Bien qu’elle soit remplie de « bizarreries » : des escaliers menant nulle part, des fenêtres donnant sur un mur, des portes s’ouvrant sur le vide ou des placards sans fond, la maison Winchester était à l’époque très avancée technologiquement, avec plusieurs ascenseurs fonctionnels, le gaz automatique, le chauffage central ainsi que l’éclairage électrique. Aujourd’hui, la Maison Winchester est quasiment restée en l’état, malgré ses 160 pièces, ses 47 foyers de cheminées et ses deux salles de bal. Dressée au cœur de la Silicon Valley, la demeure est devenue une attraction touristique incontournable. Avoir sa demeure – être domicilié, habiter, loger, résider, rester, vivre. soutenu ou vieux – gîter. familier – crécher, nicher, percher. vieux – se payser. Se tenir – être, rester, se tenir. Continuer d’exister – durer, perdurer, persister, résister, rester, se chroniciser, se conserver, se maintenir, se perpétuer, subsister, survivre. vieux – persévérer. Qui souffre d’un retard mental – arriéré, attardé, retardé, simple d’esprit. Au travers l’histoire d’un trauma d’une veuve millionnaire américaine qui va canaliser dans son
espace domestique une psychose qui hantera l’Amérique, l’exposition « Les Hôtes » de Jérôme Poret à La Maréchalerie, interroge la notion de hantise comme source de construction et d’habitation où l’impensé côtoie le familier. Censée abriter les âmes errantes des victimes des fusils Winchester, la maison est dessinée par la veuve elle-même, les plans lui étant soufflés par les esprits chaque nuit. À partir de cette histoire, Jérôme Poret produit pour l’exposition à La Maréchalerie une narration faite d’un ensemble d’objets conçus dans un rapport à l’intersection de l’architecture et du spiritisme. L’espace du centre d’art se transforme ainsi en une demeure, habitée par des présences et hantée par des apparitions. Ces présences à la fois matérielles et immatérielles sont « les hôtes » qui fabriquent l’exposition. Pendant toute sa durée elle sera occupée successivement par des prises de paroles, des sons, des objets comme une extension de l’exposition. Se développant au travers de médiums tels que l’installation, la phonogravure, la vidéo ou encore la performance, le travail de Jérôme Poret questionne des problématiques liées au son, aux cultures de marge en interaction avec les lieux et les architectures investis. Les différents débats invoquent la maison hantée comme lieu réinvesti qui s’approprie à la fois des notions d’architecture et de métapsychique. L’espace et la psyché ne font qu’un. La maison se fait labyrinthe, devient un cerveau avec ses propres règles intérieures. La domestication est au paroxysme de l’espace intérieur, sans fin et sans issue, comme prolongement contre nature où la mort est différée. Lieu comme structure et personnification de la demeure fantasmatique, de la spécialisation et de la domestication. Le « Home, sweet home » de l’inquiétante étrangeté de son chez soi. Bizarrerie – anormalité, bizarrerie, chinoiserie, cocasserie, curiosité, drôlerie, étrangeté, excentricité, extravagance, fantaisie, fantasmagorie, folie, loufoquerie,
Vue de l’exposition. © Poret Jérôme
monstruosité, non-conformisme, originalité, singularité. Exception – accident, anormalité, contre-exemple, contre-indication, dérogation, exception, exclusion, particularité, réserve, restriction, singularité. Dysfonction – affection, altération, défaillance, déficience, dérangement, dysfonction, dysfonctionnement, embarras, faiblesse, gêne, indisposition, insuffisance, mal, malaise, trouble. didactique – dysphorie. médecine – lipothymie. soutenu – mésaise. vieux – incommodité, malêtre. Défaut physiologique – défaut, déficience. PLUS SPÉCIFIQUE Absence – achélie (lèvres), agénésie (organe), aglossie (langue), agnathie (mâchoire), amélie (membres), anencéphalie (cerveau), aniridie (iris), anodontie (dents), anonychie (ongles), ano-
phtalmie (yeux), anorchidie (testicules), apneumie (poumons), apodie(pieds), astomie (bouche), atrichie (poils), exencéphalie (crâne). Insuffisance – achylie, adiaphorèse (sueur), agalactie (lait), aménorrhée (règles), anurie (urine), asialie (salive), aspermie (sperme), athyroïdie, azoospermie (spermatozoïdes), décalcification, déglobulisation, thrombopénie (plaquettes sanguines). Excès – diaphorèse (sueur), hyperménorrhée (menstruation), lymphocytémie, polyurie (urine), porphyrie. Production anormale – protéinurie. Erreurs génétiques – phénylcétonurie, thalassémie, translocation, trisomie. Vue – amétropie (focalisation), cécité, daltonisme (couleurs), diplopie, scotome (champ visuel), strabisme (louchage). Odorat – dysosmie. Autres sens – baranesthésie
Scale in Feet
Kitchen
Pantry
Pantry
Maid
Maid
Maid
Kitchen
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Stores
Chamber
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Dining Room
Chamber
Servants Hall
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Chamber
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Kitchen Maid Maid
Pantry Foyer
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Library
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Maid Servants Hall
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Kitchen Chamber
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UPPER FLOOR
Drawing Room
Chamber
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Chamber
Maid Kitchen
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of
Dining Room
APARTMENT “C ”
Maid
Pantry
Service
Foyer
Maid
Stores
Library
Chamber
Drawing Room
Library
Plan de la Winchester House. © Matthieu Molet
(poids), dysacousie (ouïe), dysgueusie (goût), surdité. Mouvement – abasie (marche), ataxie, dysbasie (marche), myatonie (tonus), paralysie, paralysie cérébrale. Taille – gigantisme, maigreur, nanisme, obésité. Fonctions du corps – dyspepsie (digestion), impuissance (érection), incontinence, stérilité. Fonctions cérébrales – aboulie (volonté), amnésie (mémoire), amusie (musique), anaphrodisie (libido), anorexie (appétit), aphasie (langage), astéréognosie (toucher), dyspraxie (espace), psychose maniaque dépressive. Sang – anémie, bilirubinémie, cétonémie, hémophilie. Cellules – pycnose. Cœur – arythmie, dextrocardie (position). Autres parties du corps – achondroplasie (os), bec-de-lièvre, bosse, difformité (externe), dyschromie (couleur de la peau), dystrophie (organe), exstrophie, gigantisme, goitre, macromélie, mongolisme, nanisme, phimosis (prépuce), pied bot, rachitisme, sacralisation (sacrum), spina-bifida, trisomie. 1 Sam Hoffman : « Winchester ou le luxe de l’enfermement », The New Yorker, 1931 (extrait de la citation donnée dans Fictions/ Samedi Noir, émission de France Culture du 14/10/2017, La Maison Winchester de Pierre Senges [https://www.franceculture.fr/emissions/fictions-samedi-noir/la-maison-dewinchester-de-pierre-senges]
REPÈRES BIOGRAPHIQUES, CONTEXTE HISTORIQUE ET HISTOIRE DU SPIRITISME Prologue 1830. Naissance de l’Église de Jésus-Christ des saints des derniers jours, dont les membres sont couramment appelés mormons, à Fayette dans l’État de New York. La loi de colonisation mexicaine interdit l’immigration au Texas. Le gouverneur des territoires du Michigan, Lewis Cass, publie un article dans la North American Review qui justifie le déplacement des Indiens. Le président Andrew Jackson fait voter une loi déportant les Indiens vivant à l’Est du Mississippi à l’Ouest de ce fleuve pour que les colons puissent occuper leurs terres. Il fait adopter par le Congrès l’Indian Removal Act, par lequel les tribus des « Cinq Nations civilisés » sont progressivement expulsées des États américains de l’Atlantique Nord et « du golfe » au-delà du Mississippi ; seuls résistent les Séminoles. Soixante-dix mille Indiens seront contraint de se déplacer vers l’ouest entre 1830 et 1840. Sioux, Fox et Sauks abandonnent leurs territoires de l’Iowa, du Minnesota et du Missouri. 1834 L’État d’Oklahoma est désigné par le Congrès comme Territoire indien pour les Indiens des « Cinq Nations ». L’État de Géorgie met en place des lois répressives et met en vente les terres indiennes. Les indigènes n’ont pas le droit de témoigner en justice.
1838 -1839 Déportation de la nation Cherokee, cet épisode est connu sous le nom de « Piste des larmes », tuant plus d’un quart de la population. Les quatre autres nations Séminoles, Creeks, Choctaws et Chicachas furent déportées de la même manière. 1839 Sarah Lockwood Pardee naît en 1839 à New Haven, dans le Connecticut. 1840 La croyance en un droit quasi divin du peuple américain de s’approprier les terres de l’Ouest, malgré les Amérindiens ou les autres nations, prend le nom de « Destinée manifeste ». 1843 Samuel Morse fait construire la première ligne télégraphique entre Baltimore et Washington 1847 La guerre entre les États-Unis et le Mexique se règle définitivement. 1848 Durant la nuit du 31 mars, dans une petite ferme à Hydesville, près de la ville de Rochester dans l’État de New York, Margaret et Kate, filles du pasteur David Fox, établissent un contact par conversations par coups frappés avec un supposé « esprit » nommé Mr Splitfoot. 1849 La Californie devient le théâtre d’une ruée vers l’or provocant l’un des premiers génocide des Indiens de Californie. De nombreux livres
ont été écrits sur le sujet. The United States and the California Indian Catastrophe, par Benjamin Madley (1846-1873) convainc le gouverneur de la Californie de reconnaitre publiquement le génocide de la population indienne américaine organisé par l’État. À Rochester se tient autour des jeunes soeurs, la première séance de ce qu’on appela du « spiritualisme », discipline qui connaîtra un immense succès jusqu’en Europe, sous le nom de « spiritisme ». Ce phénomène provoque très vite un véritable engouement. Un comité d’études est fondé afin d’examiner ces manifestations insolites. D’autres personnes parviennent à reproduire la méthode des sœurs Fox pour communiquer avec l’au-delà. 1850 Les États-Unis se divisent sur la question de l’esclavage, et la question se pose de sa propagation ou son interdiction dans les territoires de l’Ouest destinés à devenir des États. 1852 Harriet Beecher Stowe écrit La Case de l’oncle Tom, le livre le plus vendu après la bible. Le « spiritisme » franchit l’Atlantique et se propagera en Allemagne puis en France. 1853 Derniers territoires cédés par le Mexique. 1855 Pour les seuls États-Unis, dix mille médiums desservent déjà trois millions d’adeptes.
1857 Oliver Fisher Winchester investit son argent dans la société Volcanic Repeating Arms Company de New Haven, spécialisée dans les armes à feu. Il accède à la présidence en devenant le principal actionnaire. Il demande que les nouvelles armes soient légères (moins de trois kilogrammes) et ne soient plus à un coup. Il mise également sur la sécurité avec des cartouches métalliques plus fiables que celles en papier. Il introduit également le cran d’arrêt pour éviter les balles perdues. Alan Kardec crée en France la doctrine spirite fondé sur la communication médiumnique. 1850-1859 Andrew Jackson Davis, sans aucune éducation scientifique, parvient à produire des ouvrages très complexes pour son époque. Il dicte ses textes alors qu’il se trouve en état de transe et acquiert aux États-Unis une réputation de médium et de magnétiseur. 1860 Édouard-Léon Scott de Martinville met au point le « phonautographe » avec lequel il réalise le premier enregistrement d’une voix humaine. 1861 Déclenchement de la guerre de Sécession . Winchester embauche un armurier, Benjamin Tyler Henry, qui met au point le chargement par la culasse, en intégrant un magasin de 15 cartouches. Il crée ainsi le premier fusil à répétition sans barillet, arme qui portera son nom, le célèbre fusil Henry. Le succès est immédiat auprès des DOCUMENTS
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cow-boys et des chercheurs d’or. 1862 Naissance du Homestead Act, selon lequel toute personne peut individuellement devenir propriétaire d’un terrain du domaine fédéral après cinq ans d’occupation de fait de ce terrain. 1865 Sarah Lockwood Pardee épouse William Wirt Winchester, fils unique d’Oliver Winchester, le propriétaire de la Winchester Repeating Arms Company. La guerre de Sécession est finie. Les armes sont encore imprécises et mutilent les soldats dans d’atroces souffrances. La carabine à répétition va modifier la guerre et sa technologie pour passer du tir isolé au massacre de masse. 1864 En novembre, le massacre de Sand Creek est un évènement des guerres indiennes aux États-Unis qui s’est produit lorsque la milice du territoire du Colorado a attaqué un village de Cheyennes et d’Arapahos installé sur les plaines orientales à l’est des montagnes. Une source cheyenne rapporte qu’environ 53 hommes et 110 femmes et enfants ont été tués. Bon nombre des cadavres sont mutilés, et pour la plupart ce sont des femmes, des enfants et des vieillards. Chivington et ses hommes coiffent leurs armes, leurs chapeaux et leur équipement de différents morceaux humains, y compris des organes génitaux, avant d’aller afficher publiquement ces trophées de bataille à l’Apollo Theater et au saloon de Denver. L’indignation publique est intense face à la brutalité des massacres et la mutilation des cadavres, et aurait peut-être incité le Congrès à rejeter l’idée d’une guerre généralisée contre les Indiens du Midwest. 1866 Après la guerre, Oliver Winchester prend le contrôle total et nomme la société Winchester Repeating Arms Company. Il fait évoluer le fusil Henry (ou Henry rifle) pour en faire la première carabine Winchester, le célèbre modèle Winchester 1866 surnommé Yellow Boy. Immense succès avec plus de 118 000 pièces vendues entre 1866 et 1873. Annie Pardee Winchester voit le jour le 15 juin mais meurt quelques semaines plus tard d’un marasme nutritionnel infantile. Les muscles et la graisse ne tiennent pas. La peau et les cheveux se détachent du corps. Sarah Winchester tombe dans une profonde dépression après la mort de sa fille dans ses bras. Le couple n’aura plus d’enfant. 1867 Édouard-Léon Scott de Martinville présente un prototype de télégraphe automatique. 1869 Édouard Manet peint Le Balcon et la première ligne de chemin de fer transcontinentale traverse l’Ouest américain. 1871 L’Acte du 3 mars dénie toute autonomie aux nations et tribus indiennes. 1873 Les Winchester Modèle 66 et 73 seront toutes deux connues sous le terme The Gun That Won the West (le fusil qui a gagné l’Ouest). L’entreprise de New Haven accède
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Les travailleurs de la Winchester House. (Source : https://frightfind.com/winchester-mystery-house/)
au rang de groupe d’ampleur nationale avec un chiffre d’affaires de 1 812 500 dollars et plus de 600 ouvriers.
John Moses Browning vend ses brevets à la société et aide à la conception des modèles 1885 à un coup, 1886 et 1892 à répétition.
1875 Thomas Edison rencontre Henry Olcott et Helena Blavatsky, fondateurs de la Société théosophique, à New York, une association internationale dont un des buts est d’« étudier les lois inexpliquées de la nature et les pouvoirs latents dans l’homme » tout en prônant que « l’âme de l’homme est immortelle ».
1884 Sarah Winchester voyage de New Haven (est des États-Unis) à San José en Californie, soit d’un extrême à l’autre des US, achète une ferme de huit pièces. Le travail y sera continu, 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, 365 jours par an pendant 38 ans. Les plans sont dessinés par Sarah qui, chaque nuit, se retire dans un salon privé (une unique pièce vide qu’elle seule pouvait fréquenter), faisant ainsi appel aux esprits lui indiquant sur plan les travaux à effectuer chaque jour. Le lendemain matin, elle remet à son maître d’œuvre les plans en question.
1877 L’Académie des Sciences de Paris enregistre son rapport intitulé « Procédé d’enregistrement et de reproduction des phénomènes perçus par l’ouie ». Les Pueblos du Nouveau-Mexique sont considérés comme citoyens américains par un arrêt de la Cour suprême, ce qui les exclut de la législation protégeant les territoires indiens. Conséquence : les territoires qu’ils occupent sont progressivement envahis par les Blancs. 1878 Edison adhère aux idées théosophiques en raison de son intérêt personnel pour les forces occultes et son désir de les détecter. L’inventeur américain, intéressé très tôt dans sa vie par les questions de spiritisme, a eu le projet de créer un appareil qui était censé permettre de rentrer en communication avec les morts, en enregistrant leur voix et leurs sons, dénommé nécrophone ou appareil nécrophonique, spirit phone en anglais. 1880-1881 Oliver Winchester meurt en 1880, rapidement suivi en 1881 par son fils William, des suites d’une tuberculose. Sarah hérite donc de la moitié des parts de la Winchester Repeating Arms Company. 1884 Sarah, richissime mais dévastée, maintenant seule, circule dans l’entre-deux monde des vivants et des morts. Elle vit les trois années qui suivent totalement reclue. Elle fait appel à un médium de Boston qui lui conseille de construire une maison pour elle et tous les esprits des personnes tuées par la carabine Winchester. Le médium termine ainsi « vous êtes responsable de nous ; il vous faudra construire une demeure pour nous accueillir. »
1887 Le General Allotment Act, ou Dawes Severalty Act, attribue 160 acres à chaque famille indienne dans les territoires de l’Est et confère la nationalité américaine à ceux qui abandonnent leurs tribus et « adopteront les us et les coutumes de la vie civilisée ». Mais l’effet produit est l’inverse de celui qui est visé : les territoires des tribus indiennes passent à des propriétaires blancs pour près de la moitié de leur surface durant la cinquantaine d’années qui suit. 1888 Margaret Fox avoue dans un ouvrage que toute l’affaire a été orchestrée par leur grande sœur. Elle affirme dans la foulée que le spiritisme n’a été qu’un jeu qui a merveilleusement réussi. 1889 Le Territoire indien est ouvert à la colonisation blanche et devient l’État d’Oklahoma en 1907. 1890 Présentés comme une « bataille », les événements du 29 décembre à Wounded Knee apparaissent vite pour ce qu’ils sont : l’extermination de 350 Sioux, femmes et enfants Lakota par l’armée américaine. Elle sera la date de la reddition ultime après un ultime massacre. 1899 Le premier recensement du Bureau of American Ethnology dénombre 254 000 Indiens. Cette population indienne était estimée à plus d’un million d’individus au XVIIIe siècle.
1904 À Hydesville, on découvre d’autres ossements humains sous le mur de la cave, avec à proximité une boîte de colporteur en fer blanc. Bien qu’aucun Charles B. Rosma n’ait été déclaré disparu (« Mr Splitfoot »), cette découverte est considérée par les adeptes comme la preuve d’une véritable communication au-delà de la mort. 1911 Les Hopi décident de ne plus danser la Danse du Serpent devant des étrangers. 1913 Les territoires des Pueblos deviennent territoires indiens et toute transaction de terre est interdite. 1916 La maison des sœurs Fox est achetée puis entièrement démontée pour être reconstruite dans le village de Lily Dale dans l’État de New York, haut centre du spiritisme que certains considèrent comme une sorte de Disneyworld des médiums. 1920 Dans The American Magazine, Thomas Edison se déclare convaincu que les scientifiques sont plus aptes et capables de parvenir à communiquer avec le monde des esprits. « Il existe deux ou trois types d’appareils qui devraient rendre la communication plus simple. Je suis actuellement engagé dans la construction de l’un de ces appareils. » 1922 Les travaux se terminent avec le décès de Sarah Winchester. La maison compte plus de 160 pièces, dont 40 chambres, 10 000 carreaux de fenêtres, 47 foyers, 17 cheminées et quelques curiosités uniques comme des portes qui donnent sur le vide, des escaliers qui mènent au plafond, des placards sans fond ou des fenêtres sur le sol. De plus, elle possède des innovations très modernes à l’époque de construction. On y trouve ainsi un chauffage central, des toilettes d’intérieur, une plomberie sophistiquée, trois ascenseurs, des interrupteurs et même une douche d’eau chaude. Elle est rachetée par des investisseurs pour en faire une attraction touristique.
1924 Impressionné par leur engagement dans la première guerre mondiale, le Congrès confère la citoyenneté américaine à titre individuel à tous les Indiens vivant aux États-Unis. 1934 The Indien Reorganization Act prévoit que les terres appartiennent collectivement aux tribus, qu’elles ne peuvent être divisées en propriétés individuelles et que redeviendrait propriété collective indienne tout allotissement individuel qui ne serait plus exploité individuellement. Epilogue Pierre Janet (1859-1947) étudie les formes les plus élémentaires et rudimentaires de l’activité humaine. Ces activités sont caractérisées par des mouvements du corps spontanés, réguliers et non déterminés par le libre arbitre. Pour Janet, les conditions de prestation du « médium spirite » induisent une « fragmentation de la conscience », une partie de celleci devient inconsciente et perçue comme étrangère à lui-même. Cette « désagrégation psychologique » expliquerait pourquoi le spirite ignore son mouvement et la pensée qui dirige ce mouvement, lors d’une communication par « écriture automatique » par exemple. Il y aurait, chez le « spirite expérimentateur », la formation d’une seconde série de pensées inconscientes. Il éprouve alors l’impression qu’une intelligence extérieure guide les mouvements pour communiquer des idées. Cependant, ces idées sont bien les siennes, bien qu’elles soient dissociées de sa conscience et de sa perception corporelle. Nous trouvons, avec Janet, l’idée d’une « dissociation » mentale qui permettrait à des idées interdépendantes de se séparer du système de la conscience normale. Cette dissociation est également postulée par Jean-Martin Charcot (1825-1893) pour qui « un état hypnoïde » est caractérisé par un état de conscience différent, où les idées exprimées demeurent isolées de celles exprimées par la conscience. Breuer puis Freud vont développer des concepts similaires à ceux de Charcot et Janet. Pour la psychanalyse classique, il ne fait aucun doute que toute « manifestation spirite » est le fait de « l’inconscient ».
THE HOSTS Jerôme Poret We publish here two texts relating to Jérôme Poret’s exhibition taking place from 20 September to 15 December 2019 at La Maréchalerie, a contemporary art centre in Versailles.
lism, which has the unexpected effect of creating a haunting market that is both commercial and playful.1”
HOUSE FAIRY AND HOUSE MAD
The house thus becomes a space where the repressed gives meaning to the building: contemporary with spiritualism and the great technological inventions of the time, Sarah Winchester transforms her home into a catalyser of the subconscious. Phonography, the history of the paranormal and hypnosis, relatively contemporary with each other, are found in a form of revelation of the unconscious or an appearance of absence.
In 1884, convinced that a curse had fallen on her family because of her father-in-law’s invention of the first repeating rifle, Sarah Winchester began building a house that would not be completed until 38 years later. Every night, she communicates with the minds of the presumed victims of the rifle, who provide her with plans for a house under permanent construction, including nearly 160 rooms upon the death of its owner in 1922. “[…] Sarah Winchester’s house is in a way an anomaly, but a significant one to understand how the spiritualist conception of the haunted house has operated in America. It is a house built on the West Coast but by a woman who has lived her entire life on the East Coast. The spirits who are supposed to be trapped there are not indigenous spirits: on the contrary, they are compelled to make a great journey from the place where they were killed by a Winchester rifle blow in order to be able to take revenge, they too come from the East. The house is therefore well presented as an improbable graft of a product imported from the East Coast: it is the synthesis of the two ends of the country. The East-West dichotomy, linked to the history of the conquest of the American territory and the myth of the Frontier, is therefore constantly reactivated in the stories of haunted houses. Sarah Winchester’s house is a synthesis of several forms of haunting: first, it is the house of a widow and a grieving mother, haunted by her grief and struck by misfortune (the tragic haunted house of the ghost stories); second, it is an oversized, disproportionate house, the work of a slightly mad eccentric and millionaire as in Gothic literature; third, it is a spiritualist house. The architectural aspect of the house makes it unconventionnal and slightly Gothic, but above all eclectic. The home strikes the imagination and the senses. It is an illusion and an attraction (it must attract spirits) quite picturesque. This house and others were considered a strong part of the American heritage in the 1920s. They also become attractions that draw curious people in search of sensationa-
Although it is filled with «strange things»: stairs leading to nowhere, windows overlooking a wall, doors opening onto a void or bottomless cupboards, Winchester House was at the time a very technologically advanced place, with several functional elevators, natural gas, a central heating system and electric lighting. Today, the Winchester House has remained almost unchanged, despite its 160 rooms, 47 fireplaces and two ballrooms. Located in the heart of Silicon Valley, the residence has become a major tourist attraction. To have a home—to be domiciled, to inhabit, to lodge, to reside, to stay, to live. old fashioned—cottaging familiar—to crash, nest, perch. old—to landscape. Stand—to be, stay, stand. Continue to exist—last, perdure, persist, persist, resist, remain, chronicize oneself, conserve oneself, maintain oneself, perpetuate oneself, subsist, survive. old—to persevere. Who suffers from mental retardation—backward, retarded, slow, simple-minded. Through the story of the trauma of an American millionaire widow who will channel into her domestic space a psychosis that will haunt America, Jérôme Poret’s exhibition “Les Hôtes” at La Maréchalerie, questions the notion of haunting as a source of construction and of dwelling where the unthought meets the familiar. Supposed to shelter the wandering souls of the victims of the Winchester rifles, the house
Vue de l’exposition. © Nicolas Brasseur
is designed by the widow herself, the plans being whispered to her by the spirits every night. Based on this story, Jérôme Poret produces for the exhibition at La Maréchalerie a narrative made of a set of objects conceived in a relationship at the intersection of architecture and spiritism. The space of the art centre is thus transformed into a residence, inhabited by presences and haunted by apparitions. These both material and immaterial presences are the “hosts” who construct the exhibition. Throughout its duration it will be occupied successively by speeches, sounds, objects as an extension of the exhibition. Developing through mediums such as installation, phono-engraving, video and performance, Jérôme Poret’s work questions issues related to sound and marginal cultures in interaction with the places and architectures that are being occupied. The various debates invoke the haunted house as a re-invested place that appropriates both notions of architecture and metapsychology. Space and psyche are one. The house becomes a labyrinth and turns into a brain with its own inner rules. Domestication at the ultimate level of spatial interiority presented as being both endless and offering no way
out, as an unnatural extension where death is postponed. Place as structure and personification of the phantasmatic dwelling, of specialization and domestication. The “Home, sweet home” of the uncanniness of one’s home. Bizardry—abnormality, oddity, Chinoisery, comicry, curiosity, oddity, strangeness, eccentricity, extravagance, fantasy, phantasmagoria, madness, zany, monstrosity, non-conformism, originality, singularity. Exception—accident, abnormality, counter-example, counter-indication, derogation, exception, exclusion, particularity, reservation, restriction, singularity. Dysfunction—affection, alteration, failure, deficiency, derangement, dysfunction, malfunction, embarrassment, weakness, discomfort, indisposition, insufficiency, malaise, trouble. didactic—dysphoria. medicine—lipothymia. sustained—malaise. old—discomfort, uneasiness. Physiological defect—defect, deficiency. MORE SPECIFIC Absence—achelia (lips), agenesis (organ), aglossia (tongue), agnathia (“jaw”), amelia (limbs), anencephaly (brain), aniridia (iris), anodontia (teeth), anonychia (nails), anophthalmia (eyes),
anorchidia (testicles), apneumia (lungs), apody (feet), astomy (mouth), atrichia (hair), exencephaly (skull). Insufficiency—achyly, adiaphoresis (sweat), agalactia (milk), amenorrhea (menstruation), anuria (urine), saliva (saliva), aspermia (semen), athyroidism, azoospermia (sperm), decalcification, deglobulization, thrombocytopenia (blood platelets). Excess—diaphoresis (sweat), hypermenorrhea (menstruation), lymphocytemia, polyuria (urine), porphyria. Abnormal production—proteinuria. Genetic errors—phenylketonuria, thalassemia, translocation, trisomy. Sight—ametropia (focus), blindness, color blindness, diplopia, scotoma (visual field), strabismus (squint). Smell—dysosmia. Other senses—baranesthesia (weight), dysacusia (hearing), dysgeusia (taste), deafness. Movement—abasia (walking), ataxia, dysbasia (walking), myatonia (tonus), paralysis, cerebral palsy. Size—gigantism, thinness, dwarfism, obesity. Body functions—dyspepsia (digestion), impotence (erection), incontinence, sterility. Brain function—aboulia (will), amnesia (memory), amusia DOCUMENTS
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Le plan de la Winchester House. © Matthieu Molet
(music), anaphrodisia (libido), anorexia (appetite), aphasia (language), asterognosia (touch), dyspraxia (space), depressive manic psychosis. Blood—anemia, bilirubinemia, ketosis, hemophilia. Cells—pycnosis. Heart—arrhythmia, dextrocardia (position). Other parts of the body—achondroplasia (bone), cleft lip, hump, deformity (external), dyschromia (skin colour), dystrophy (organ), exstrophy, gigantism, goitre, macromelia, mongolism, dwarfism, phimosis (foreskin), clubfoot, rickets, sacralization (sacrum), spina bifida, trisomy. 1 https://www.franceculture.fr/emissions/ fic t ion s - s a me d i - noi r/ l a- ma i s on - de winchester-de-pierre-senges
BIOGRAPHICAL CHRONOLOGY, HISTORICAL CONTEXT AND HISTORY OF SPIRITUALISM Foreword 1830. Birth of the Church of Jesus Christ of Latter-day Saints, whose members are commonly known as Mormons, in Fayette, New York. Mexican colonization law prohibits immigration to Texas. The Governor of the Michigan Territories, Lewis Cass, publishes an article in the North American Review that justifies the displacement of Native Americans. President Andrew Jackson passes a law deporting Indians living east of the Mississippi to the west of this river so the settlers can occupy their lands. He passes the Indian Removal Act through Congress, by which the tribes of the “Five Civilized Nations” are gradually expelled from the American states of the North Atlantic and the “Gulf ” beyond the Mississippi; only the Seminoles resist. Seventy thousand Indians are forced to move westward between 1830 and 1840. Sioux, Fox and Sauks surrender their territories of Iowa, Minnesota and Missouri. 1834 The State of Oklahoma is designated by Congress as an Indian Territory for the Indians of the “Five Nations”. The State of Georgia introduces repressive laws and offers Indian lands for sale. Indigenous people are not allowed to testify in court.
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1838 -1839 Deportation of the Cherokee nation, this episode is known as the “Trail of Tears”, killing more than a quarter of the population. The other four Nations, Seminole, Creeks, Choctaws and Chicachas are deported in the same way. 1839 Sarah Lockwood Pardee was born in New Haven, Connecticut. 1840 The belief in an almost divine right of the American people to appropriate the lands of the West, despite the Amerindians or other nations, is called “Manifest Destiny”. 1843 Samuel Morse has the first telegraph line built between Baltimore and Washington. 1847 The war between the United States and Mexico is finally settled. 1848 During the night of March 31, in a small farm in Hydesville, near the city of Rochester, New York, Margaret and Kate, daughters of Pastor David Fox, establishe contact through knocking conversations with a supposed “spirit” named Mr. Splitfoot. 1849 California becomes the scene of a gold rush causing one of the first genocides of the California Native Americans. Many books have been written on the subject American Genocide. The United
States and the California Indian Catastrophe, 1846-1873 by Benjamin Madley convinces the Governor of California to publicly acknowledge the genocide of the Native American population organized by the State. In Rochester, the first session of what iscalled “spiritualism” is held around the young sisters, a discipline that will be very successful even in Europe, under the name of “spiritism”. This phenomenon quickly becomes a real craze. A study committee is set up to examine these unusual manifestations. Other people were able to reproduce the Fox sisters’ method of communicating with the afterlife. 1850 The United States is divided on the issue of slavery, and the question arises of whether it should be propagated or banned in the western territories intended to become states. 1852 Harriet Beecher Stowe writes “Uncle Tom’s Cabin” the best-selling book after the Bible. “Spiritism” crosses the Atlantic and spreads to Germany and then to France.
his money in the Volcanic Repeating Arms Company of New Haven, a company specializing in firearms. He takes over the presidency by becoming the main shareholder. He asks that the new weapons be lightweight (less than three kilograms) and no longer at one shot. He also relies on safety with metal cartridges that are more reliable than paper ones. He also introduces a locking device to avoid stray bullets. Alan Kardec creates in France the spiritist doctrine based on mediumnic communication. 1850-1859 Andrew Jackson Davis, without any scientific education, is able to produce very complex works for his time. He dictates his texts while in a state of trance and acquires a reputation in the United States as a medium and a magnetizer. 1860 Édouard-Léon Scott de Martinville develops the “phonautograph” with which he makes the first recording of a human voice.
1855 For the United States alone, ten thousand mediums already serve three million followers.
1861 The American Civil War breaks out. Winchester hires a gunsmith, Benjamin Tyler Henry, who develops the breech-loading system, integrating a 15-cartridge magazine. He thus creates the first repeating rifle without a barrel, a weapon that will bear his name, the famous Henry rifle. The success is immediate with cowboys and gold diggers.
1857 Oliver Fisher Winchester invests
1862 Birth of the Homestead Act, ac-
1853 Last territories handed over by Mexico.
cording to which any person may individually become the owner of federal land after five years of de facto occupation of the land. 1865 Sarah Lockwood Pardee marries William Wirt Winchester, the only son of Oliver Winchester, the owner of the Volcanic Repeating Arms Company. The American Civil War is over. The weapons are still inaccurate and mutilate the soldiers in excruciating suffering. The repeating rifle will change the war and its technology from single shot to mass slaughter. 1864 In November The Sand Creek massacre is an event of the American Indian Wars that occurred when the Colorado territory militia attacked a village of Cheyenne and Arapahos located on the eastern plains east of the mountains. A Cheyenne source reports that about 53 men and 110 women and children were killed. Many of the bodies are mutilated, and most of them are women, children and the elderly. Chivington and his men style their weapons, hats and equipment with various human parts, including genitalia, before publicly displaying these battle trophies at the Apollo Theater and the Denver saloon. Public outrage is intense over the brutality of the massacres and the mutilation of the bodies, and may have prompted Congress to reject the idea of a generalized war against the Indians of the Midwest. 1866 After the war, Oliver Winchester takes full control and names the company Winchester Repeating Arms Company. He transforms the Henry rifle into the first Winchester rifle, the famous Winchester 1866 model nicknamed Yellow Boy, a huge success with more than 118,000 units sold between 1866 and 1873. Annie Pardee Winchester, was born on June 15 but dies a few weeks later from an infant nutritional depression. The muscles and fat do not hold. The skin and hair detach from her body. Sarah Winchester falls into a deep depression after the death of her daughter in her arms. The couple will no longer have children. 1867 Édouard-Léon Scott de Martinville presents a prototype of automatic telegraph. 1869 Édouard Manet paints Le Balcon and the first transcontinental railway line crosses the American West. 1871 The Act of March 3 denies any autonomy to Indian nations and tribes. 1873 The Winchester Models 66 and 73 will both be known as The Gun That Won the West. The New-Haven-based company has grown to become a nationwide group with a turnover of $1,812,500 and more than 600 workers. 1875 Thomas Edison meets Henry Olcott and Helena Blavatsky, founders of the Theosophical Society in New York, an international association whose aims include “the investigation of the unexplained laws of nature and the psychic powers latent in man”
Les travailleurs de la Winchester House. (Source : https://frightfind.com/winchester-mystery-house/)
while advocating that “man’s soul is immortal”. 1877 The Paris Academy of Sciences registers its report entitled “Method of recording and reproducing phenomena perceived by the hearing”. The Pueblos of New Mexico are considered American citizens by a Supreme Court decision, which excludes them from the legislation protecting Indian territories. As a result, the territories they occupy were gradually invaded by White people. 1878 Edison subscribes to theosophical ideas because of his personal interest in the occult forces and his desire to detect them. The American inventor who was interested in spiritualist issues very early in his life had the project of creating a device which was supposed to allow communication with the dead, recording their voices and sounds, called a necrophone, a Necrophonic device or Spirit Phone. 1880-1881 Oliver Winchester died in 1880, quickly followed in 1881 by his son William, of the sequel of tuberculosis. As a result, Sarah inherits half of the shares of the Winchester Repeating Arms Company. 1884 Sarah, extremely rich but devastated, is now alone in the inter-world of the living and the dead. She is living the three following years totally recluse. She calls on a medium from Boston who advises her to build a house for herself and all the spirits of the people killed by the Winchester rifle. The medium ends with “you are responsible for us; you will have to build a house to welcome us.” John Moses Browning sells his patents to the company and assisted in the design of the 1885 one-shot, 1886 and 1892 repeating models. Sarah Winchester travels from New Haven (Eastern United States) to San Jose, California, from one extreme to the other in the United States, buys an eightroom farm. She starts to build the house the medium talked her about, to welcome the spirits. The work is constant, 24 hours a day, 7 days a week, 365 days a year for 38 years. The plans were drawn by Sarah who, each night, is in a pri-
vate room (a single empty room that only she could occupy), thus calling on the spirits to tell her on plans what work to do each day. The next morning, she submitted these plans to her prime contractor. 1887 General Allotment Act, or Dawes Severalty Act, which allocates 160 acres to each Native American family in the eastern territories and confers American citizenship on those who abandon their tribes and “adopt the habits and customs of civilized life”. But the effect is the opposite of what is intended: the territories of the Indian tribes change to White owners for almost half of their surface area over the next fifty years. 1888 Margaret admits in a book that the whole thing has been orchestrated by their older sister. She goes on to say that spiritism was just a game that has worked wonders. 1889 The Indian Territory is open to White colonization and becomes the State of Oklahoma in 1907. 1890 Presented as a “battle”, the events of 29 December in Wounded Knee quickly appeared for what they are: the extermination of 350 Sioux, Lakota women and children by the American army. It will be the date of the ultimate surrender after a final massacre. 1899 The first census of the US Bureau of American Ethnology counted 254,000 Indians as the population. This Indian population was estimated at more than one million individuals in the 18th century. 1904 In Hydesville, human bones were discovered under the cellar wall, with a tin can nearby. Although no Charles B. Rosma was not declared missing, this discovery was considered by the practitioners as proof of true communication beyond death. 1911 The Hopi decided not to dance the Snake Dance anymore in front of foreigners. 1913 The territories of the Pueblos become Indian territories and any
land transactions are prohibited. 1916 The Fox sisters’house is bought and then completely dismantled to be rebuilt in the village of Lily Dale in the state of New York, a high center of spiritism that some consider to be a kind of Disneyworld of mediums. 1920 In The American Magazine, Thomas Edison states that he is convinced that scientists are more able and capable of communicating with the spirit world. “There are two or three types of devices that should make communication easier. I am currently involved in the construction of one of these devices.” 1922 The work stops with the death of Sarah Winchester. The Winchester House counts more than 160 rooms, including 40 bedrooms, 10,000 window panes, 47 fireplaces, 17 chimneys and a few unique sights such as doors opening onto the void, stairs leading to the ceiling, bottomless closets or windows on the floor. In addition, it is equipped with very modern innovations for this construction period. It features centralised heating, indoor toilets, sophisticated plumbing, three elevators, light switches and even a hot water shower, it was bought by investors to make it a tourist attraction.
tion of consciousness”, a part of it becomes unconscious and is perceived as foreign to itself. This “psychological disintegration” would explain why the spiritualist ignores his movement and the thought that drives this movement, during a communication by “automatic writing” for example. There would be, in the “experimental spiritualist”, the formation of a second series of unconscious thoughts. He then experiences the impression that an external intelligence guides movements to communicate ideas. However, these ideas are well his own, although they are dissociated from his consciousness and body perception. Janet proposes the idea of a mental “dissociation” that would allow interdependent ideas to separate from the system of normal consciousness. This dissociation was also proposed by Jean-Martin Charcot (1825-1893) for whom “a hypnoid state” was characterized by a different state of consciousness, where the ideas expressed remained isolated from those expressed by consciousness. Breuer and then Freud will develop concepts similar to those of Charcot and Janet. For classical psychoanalysis, there was no doubt that any “spiritual manifestation” was the result of the “unconscious”.
1924 Impressed by their involvement in the First World War, Congress grants individual American citizenship to all Native Americans living in the United States 1934 The Indian Reorganization Act states that the lands belong collectively to the tribes, that they cannot be divided into individual properties and that any individual allotment that is no longer individually exploited would revert to Indian collective ownership. Epilogue Pierre Janet (1859-1947) studies the most elementary and rudimentary forms of human activity. These activities are characterized by spontaneous, regular body movements not determined by free will. For Janet, the conditions of performance of the “spiritual medium” induce a “fragmentaDOCUMENTS
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INTERV INTERV
ENTIONS ENTIONS
À SAINT-ÉTIENNE, L’HÔPITAL SE FOUT DE LA CHARITÉ ET LE MAIRE DE SES CITOYEN·NE·S Manon Besson Ulysse Hammache Romain Venet Appelé à muter après le départ imminent du CHU, le devenir du site dit de « La Charité » fait l’objet d’un traitement opaque de la part de la municipalité en place, alors que les enjeux y sont multiples et complexes.
DÈS SON ORIGINE, LA PRISE EN CHARGE D’UN ENJEU DE SANTÉ PUBLIQUE La Charité est, à son origine, un hospice. Contrairement à l’hôpital, destiné à soigner les malades, son rôle est de prendre en charge celles et ceux qui n’y ont pas accès, faute de moyens. Elle voit le
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jour en 1682, suite au dramatique hiver de 1679-1680, grâce à plusieurs dons privés, dont celui du curé Guy Colombet, aujourd’hui considéré comme son fondateur. D’abord installée dans une simple maison de ville, elle déménage huit ans plus tard sur le site actuel, alors constitué de champs jouxtant un couvent, afin de répondre à l’augmentation constante de sa fréquentation. Derrière une ambition philanthropique affichée, l’objectif est cependant nettement moins reluisant. En plus du caractère intéressé de ce qui pourrait être interprété comme une « œuvre de bienfaisance » (la désignation initiale de
l’établissement est une « maison de charité et d’aumône »), il s’agit surtout d’éradiquer la mendicité des rues de la ville. Ainsi, la lettre patente de Louis XIV datée de 1685, adoptant les statuts de La Charité, précise sa vocation originelle : « faire travailler les faynéans, chasser les vagabonds et les personnes sans aveu, faire cesser la mendicité ». En effet, les personnes internées doivent s’y soumettre aux travaux du quotidien, nettoyage, entretien, etc. Seules les personnes mourantes, contagieuses ou en état réellement grave en sont dispensées. Le rôle clairement autoritaire de La Charité – comme tout autre hospice – permet paradoxalement l’ap-
parition des prémices d’une politique de santé publique. En effet, elle diminue ou éradique le risque d’épidémie tout comme celui de troubles sociaux qui pourraient résulter d’une famine. Enfin, elle évacue du territoire bourgeois les nécessiteux et autres « indésirables ». Là où l’hôpital soigne les corps individuels, l’hospice prend soin du corps social, en ce qu’il participe à la préservation de l’ordre. Cependant, moins de vingt ans plus tard, La Charité tombe déjà dans le giron de l’hôpital (alors Hôtel-Dieu), dont la destination évoluera progressivement vers la notion de bien public, d’abord
en passant du domaine clérical à celui public et municipal après la Révolution de 1789, puis avec le développement de l’hygiénisme et ses hôpitaux pavillonnaires, jusqu’à la création des CHU en 1970. Contrairement aux deux autres sites des hôpitaux stéphanois, chacun représentatif d’un modèle précis, le site de La Charité cristallise dans sa structure spatiale l’évolution des différentes conceptions qu’a connu la médecine dans nos sociétés européennes au cours des siècles précédents.
UNE DIVERSITÉ BÂTIE POUR UNE DIVERSITÉ DE CONCEPTIONS DE LA MÉDECINE, UNE MULTIPLICITÉ DE PROJETS POSSIBLES POUR UNE PLURALITÉ D’ENJEUX Le site du couvent des Minimes, un carré tronqué sur l’un de ses côtés, devient alors le théâtre d’aménagements architecturaux qui ne cesseront pas jusqu’à la seconde moitié du XXe siècle, donnant à voir aujourd’hui, à partir de bâtis très hétérogènes, un ensemble-palimpseste cohérent. Le site se développe depuis son centre, où se situe la chapelle, inscrite aux monuments historiques, datant du XVIIe siècle comme deux autres bâtiments. Au début du XXe siècle, alors que la ville peine à trouver un nouveau site pour y construire un nouvel hôpital hygiéniste, le site de la Charité se densifie encore avec l’érection de bâtiments en limite Sud et Est, réalisations de l’architecte stéphanois Léon Lamaizière1. La réalisation du nouvel hôpital hygiéniste pavillonnaire, quelques années plus tard sur le site de Bellevue – vers lequel les derniers services présents aujourd’hui à La Charité sont amenés à déménager – ne marque cependant pas encore la fin de La Charité, le front de la rue Michelet à l’Ouest étant urbanisé au cours des années 1930. Enfin, un dernier pavillon est édifié sans intelligence dans les années 1970, barrant la perspective créée par Lamaizière, et une partie du site est transformée en maison de retraite municipale dans les années 1990. Le départ des hôpitaux de SaintÉtienne du site de La Charité n’est donc pas une surprise, cette volonté datant de la fin du XIXe siècle. On pourrait d’ailleurs plutôt s’étonner que ce départ d’un site enclavé en pleine ville arrive si tard, plus d’un siècle après la construction d’un nouvel hôpital hygiéniste – sur le modèle pavillonnaire – en limite Sud de la ville et près d’un demi-siècle après la construction d’un second, techniciste, sur le modèle des tours sur socles, cette fois-ci au Nord, sur la commune de Saint-Priesten-Jarez. C’est à la fin des années 1990 que s’entérine comme stratégie territoriale de l’hôpital ce qui semblait être une logique jusqu’alors latente : l’ensemble des services est regroupé en une gigantesque cité médicale sur le site Nord, tandis que celui de Bellevue, au Sud accueille un gigantesque « gérontopôle », le plus grand de la région Auvergne-Rhône-Alpes, les services de gérontologie étant jusqu’alors hébergés à La Charité. Celle-ci serait alors vendue, permettant de financer en partie les importants chantiers nécessaires à cette restructuration. Aujourd’hui, l’extension permanente du site Nord a atteint un rythme de croisière, les livraisons de bâtiments neufs et réhabilités s’enchaînent à Bellevue, laissant entrevoir un départ de l’hôpital de La Charité pour 2021. Cependant, les problématiques de santé publique – qui, ainsi que nous l’avons soutenu plus tôt, dépassent la seule médecine – ne quittent pas le site avec le CHU : le milieu urbain particulièrement contraint, agressif et paupérisé dans lequel l’enclave hospitalière s’insère, amène ces enjeux à dé-
passer ses seuls murs, faisant de cette poche arborée de deux hectares une nécessité pour l’ensemble du quartier et les nombreux problèmes qu’il rencontre : pollution automobile et sonore, hausse des températures urbaines, alimentation, habitat, etc. La Charité est en effet voisine, si elle n’est pas partie intégrante, du quartier Saint-Roch2, déterminé comme secteur prioritaire géré par l’EPASE3. Celui-ci ne compte aucun « espace vert » pour un coefficient d’emprise au sol proche de 100 %. Très densément bâti, ne proposant aucune aménité, il se paupérise et montre des signes de fragilité : homogénéité tant commerciale que dans la constitution des ménages (une écrasante majorité de personnes seules), locataires ou propriétaires occupants pauvres dont les ressources ne permettent pas un entretien suffisant du bâti, prolifération des marchands de sommeil, etc. De fait, il héberge une population plus fragile que dans d’autres quartiers stéphanois, parmi laquelle se trouvent de nombreuses personnes sans-papiers. À un peu plus d’une centaine de mètres, la Bourse du travail a été sous le feu des projecteurs ce printemps, en devenant, suite à un fort élan de solidarité de la population, le refuge pour plusieurs dizaines de migrant·e·s expulsé·e·s au lendemain de la trêve hivernale par la mairie, alors que la ville regorge de logements vacants. À ces problématiques d’habitat s’ajoutent celles propres à l’espace public, particulièrement agressif. La rue Antoine Durafour qui traverse le quartier et prend son origine devant La Charité est un axe automobile rectiligne et privilégié pour rejoindre l’autoroute périphérique depuis le centre-ville. Dans cette rue de huit mètres de large où habite une population parfois très jeune, ce sont environ sept mille véhicules – autant que pour l’un des deux sens à deux voies du cours Fauriel, avenue arborée d’environ trente mètres de large – qui passent chaque jour, dont une bonne partie en excès de vitesse. Enfin, le quartier Saint-Roch, historiquement occupé par les brocanteurs et ébénistes, voit ses activités artisanales disparaître faute de locaux adaptés. Ce point n’est pas déconnecté des problématiques de santé publique. Les points précédents ont montré comment, dans une économie de marché, la déprise socio-démographique d’un quartier est liée à la santé économique de ses habitant·e·s et structures. La semaine de la Santé Publique organisée par le studio de l’ENSASE After the Revolution en septembre 2018 à Saint-Étienne a également montré, notamment via le Toxic Tour mené par Paul Guillibert et la discussion qui en a suivi, le lien entre moyens de production et santé publique. Lieu historiquement marqué par de nombreuses petites entreprises artisanales traditionnelles, le quartier SaintRoch pourrait ainsi être le lieu du renouveau d’un artisanat local, sain et équitable. La diversité bâtie de La Charité évoquée plus tôt, par la multiplicité des situations qu’elle amène, constitue à coup sûr une chance inouïe en ce qu’elle permet une grande diversité d’usages. Avec plusieurs corps de bâtiment sains en limite de parcelle, d’autres à dé-
molir pour créer un parc urbain, le site semble adapté pour répondre à la fois au problème du mal logement, (ou à l’absence totale de logement), à la végétalisation du quartier – amenant baisse des températures en été, biodiversité et captation du CO2 – à la baisse du trafic automobile en permettant la croisée de plusieurs chemins piétons et cyclistes, ou encore au soutien d’une vie économique et culturelle dans le quartier. Nous pouvons donc arguer que le départ de l’hôpital constitue en réalité une chance pour le quartier et ses habitant·e·s, en ce qu’il ouvre un champ de possibles illimité et sort les questions de santé publique des murs de l’hôpital pour les replacer au cœur de la cité, comme partie intégrante du droit à la ville.
À TRAVERS LE CAS DE LA CHARITÉ, LA QUESTION DU DROIT À LA VILLE ET LA SANTÉ DU DÉBAT PUBLIC L’ensemble de ces orientations et programmes, cumulables (et c’est bien dans leur mélange que réside sûrement le plus grand intérêt) n’est cependant porté que par des logiques de bien commun et les envies des habitant·e·s, en dehors des lois du marché et de toute problématique de rentabilité économique. Pourtant, il est bien évident que ce sont ces mécanismes spéculatifs qui, en dépit d’un pouvoir public courageux, devraient parler le plus fort. Il est donc à craindre que La Charité soit simplement vendue au promoteur le plus offrant. Ce point est d’autant plus contestable concernant La Charité, qu’il s’agit d’un bien immobilier du CHU de Saint-Étienne. Or, la création des Centres Hospitaliers Régionaux et Universitaires, entre 1970 et 1972, s’est faite en refondant les moyens municipaux existant alors, cédés aux nouvelles structures pour la somme d’un seul franc symbolique. La vente de la parcelle par le CHU ne constituerait ni plus ni moins qu’un vol de la collectivité publique, d’autant plus si celui-ci revendait à la ville, au meilleur prix évidemment, ce dont il avait hérité gratuitement il y a un demi-siècle. Heureusement, la situation immobilière singulière de SaintÉtienne, ville où l’immobilier est le moins cher de France, vient compliquer ces lois savantes. Après des rumeurs faisant état d’un marché privé pour l’urbanisation de l’ensemble de l’îlot, puis d’une vente en lots séparés auprès de promoteurs privés pour la réalisation de cent cinquante logements, la situation semble être au point mort, tant les investisseurs refusent à se mouiller dans l’eau trop froide du Furan. Cela à tel point que la municipalité de Gaël Perdriau (divers droite), pourtant prompte à privatiser et brader le bien public à tour de bras, du crématorium au parc des expositions
en passant par les futures halles gastronomiques, a été forcée de faire ce qu’elle n’avait jamais fait en cinq ans : concerter. Nous arrivons ici au cœur du problème que La Charité permet d’illustrer peut-être plus que tout autre secteur à Saint-Étienne : aucune des actions menées par la municipalité de M. Perdriau n’ont fait l’objet d’une diffusion transparente auprès de la population, qu’il s’agisse de la production de programmes immobiliers ou de décisions relevant de tout autre domaine. Les Stéphanois·e·s ont pris l’habitude de découvrir les projets conduits par la municipalité au moment où les pelleteuses entraient sur le chantier, et ce à grand renfort de slogans et hashtags dans la propagande officielle ou sur les réseaux sociaux. Dès lors, il est normal de craindre tout mouvement mené en souscape. Là où l’un des adjoints au commerce nous assurait lors de la première séance de concertation sur table en mars dernier, le souhait de la ville de racheter la parcelle au CHU, nous ne pouvons que nous montrer prudent. En effet, sur les cinq grands équipements vacants disséminés dans le périmètre sujet à la concertation – nommé « Cœur d’Histoire » – deux au moins faisaient alors déjà l’objet de concours ou consultation, et pour l’un des deux, le résultat venait d’être rendu le jour-même (sans être dévoilé au public) ! Surtout, nous apprenions en off que ce périmètre Cœur d’Histoire n’était rien d’autre qu’un nouveau secteur EPASE destiné à devenir une ZAC, et sur lequel planchaient, au même moment que les habitant·e·s, sans que ces dernie·re·s en aient connaissance, quatre ou cinq équipes d’architectes, urbanistes ou paysagistes renommées. Dès lors, quelle valeur ont ces bribes de propositions rédigées par des habitant·e·s – appartenant, en outre, très majoritairement à une même classe sociale – quand les projets sont déjà empaquetés dans l’arrière-boutique ? Il n’est pas question ici de disserter sur les diverses méthodes de participation ou de co-conception en matière d’architecture et d’urbanisme. Mais il est certain que cette méthode va à l’encontre de ce que nous revendiquons pour La Charité et pour le reste de la ville : le droit à la ville, tel que Henri Lefèbvre a pu le définir en 1968. Pour Henri Lefèbvre, « le droit à la ville ne peut se concevoir comme un simple droit de visite ou de retour vers les villes traditionnelles. Il ne peut se formuler que comme droit à la vie urbaine, transformée, renouvelée. Que le tissu urbain enserre la campagne et ce qui survit de vie paysanne, peu importe, pourvu que l’‘‘urbain’’, lieu de rencontre, priorité de la valeur d’usage, inscription dans l’espace d’un temps promu au rang de bien suprême parmi les biens, trouve sa base morphologique, sa réalisation pratico-sensible. Ce qui suppose une théorie intégrale de la ville et de la société urbaine, utilisant les ressources de la science
et de l’art. Seule la classe ouvrière peut devenir l’agent, porteur ou support social de cette réalisation.4 » À travers cette définition, Lefèbvre démontre combien ce droit à la ville ne peut s’inscrire dans le temps court d’un atelier de concertation, mais concerne au contraire le temps long de la vie. En assimilant l’espace vécu à ce temps qu’il définit comme « bien suprême parmi les biens », il l’affranchit des logiques capitalistes et des lois mercantiles. Le droit à la ville est de l’ordre de l’expérience tant sociale que spatiale (mais les deux vont de paire pour Lefèbvre), et relève même d’une dimension esthétique nécessaire. Il est certain pour nous que le droit à un environnement sain relève, parmi d’innombrables autres problématiques, du droit à la ville, et La Charité pourrait constituer un cas d’école à Saint-Étienne dans une gestion collective du site, ainsi que cela a déjà pu être fait en d’autres lieux en France, comme à l’Hôtel Pasteur de Rennes, sous l’impulsion de Patrick Bouchain et Sophie Ricard, ou bien sur l’ensemble des Grands Voisins dans le XIVe arrondissement de Paris. Cependant, plutôt que de tomber dans les travers de l’« urbanisme transitoire » qui, comme dans ce dernier exemple, donne lieu à de vastes opérations immobilières après que des années d’occupation par des collectifs ont redonné de la valeur au foncier, il s’agirait plutôt de pérenniser la gestion collective du lieu en une gestion commune, sur la base des théories d’Elinor Ostrom sur ce qui constitue un commun : l’existence d’une ressource, la mise en place de régimes de propriétés particuliers ne concentrant pas l’ensemble des droits (au contraire de la propriété privée) et interdépendants, et enfin, la mise en place de structures de gouvernance adaptées. 1 Léon Lamaizière (1855-1941) est surtout connu pour être l’architecte de la plupart des Nouvelles Galeries édifiées en France dans les deux premières décennies du XXe siècle. 2 Le quartier Saint-Roch est aujourd’hui un secteur EPASE, qui n’a toutefois pas le statut de ZAC, sa vocation étant vue par les décideurs politiques comme étant exclusivement habitante, sans besoin d’équipement. La maîtrise d’œuvre en est assurée par un collectif pluridisciplinaire monté sur mesure pour l’occasion et rassemblant architectes, paysagiste, anthropologue, designers, graphistes et spécialistes de la redynamisation des rez-de-chaussée vacants, tou·te·s stéphanois·e·s. 3 Créé en 2007 par l’État à la demande du maire Michel Thiollière, l’Établissement Public d’Aménagement de Saint-Étienne est, comme tout EPA, une structure dédiée à l’aménagement dépendant du ministère des finances. Son rôle est d’accélérer la reprise économique de la ville alors que celle-ci était au bord de la faillite au début des années 2000. L’EPASE porte plusieurs secteurs diversifiés, du quartier tertiaire de Châteaucreux jusqu’aux quartiers résidentiels de Jacquard et Saint-Roch, qui ne sont éligibles à aucun autre dispositif de l’État (ANRU, etc.). 4 Henri Lefèbvre, Le droit à la ville, Paris, Economica, coll. Anthropos. 2009 (1re éd. 1967). 135 p.
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IN SAINT-ÉTIENNE, THE HOSPITAL DOESN’T CARE ABOUT LA CHARITÉ, SO DOES THE MAYOR ABOUT ITS CITIZENS Manon Besson Ulysse Hammache Romain Venet The future of the “La Charité” site, which is due to change after the imminent departure of the CHU (Centre Hospitalier Universitaire), is subject to opaque treatment by the current municipality, while the stakes are multiple and complex.
FROM THE OUTSET, THE MANAGEMENT OF A PUBLIC HEALTH ISSUE La Charité is, at its origin, a hospice. Unlike a hospital, which is designed to treat patients, its role is to take care of those who do not have access to it because of a lack of resources. It was founded in 1682, following the dramatic winter of 1679-1680, with the help of several private donations,
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including that of the priest Guy Colombet, who is now considered to be its founder. First settled in a simple town house, it moved eight years later to the current site, then composed of fields adjoining a convent, in order to respond to the constant increase in its number of visitors. Underneath a stated philanthropic ambition, however, the objective is much less glowing. In addition to the self-interested nature of what could be interpreted as a “charity” (the initial designation of the establishment is a “charity and alms house”), the main objective is to eradicate begging from the city’s streets. Thus, Louis XIV’s patent letter dated 1685, adopting the statutes of La Cha-
rité, specifies its original purpose: “to make the loafers work, to drive away vagrants and people without confession, to put an end to begging”. Indeed, internees must submit to daily tasks, cleaning, maintenance, etc. Only people who are dying, contagious or in really serious condition are exempt from it. The clearly authoritarian role of La Charité—like any other hospice—paradoxically allows the emergence of the first steps of a public health policy. Indeed, it reduces or eradicates the risk of epidemics as well as the risk of social unrest that could result from famine. Finally, it evacuates the needy and other “undesirables” from bourgeois territory. Where the hospital treats individual bodies, the hospice takes care of the
social body, by contributing to the preservation of order. However, less than twenty years later, La Charité already fell under the control of the hospital (then Hôtel-Dieu), whose destination gradually evolved towards the notion of public property, initially by moving from the clerical domain to the public, as well as to the municipal one, after the 1789 Revolution, then with the development of hygienism and its residential hospitals, until the creation of the CHU (Centre Hospitalier Universitaire) in 1970. Unlike the other two sites of the hospitals in Saint-Etienne, each one representing a specific model, the site of La Charité crystallizes in its spatial structure the evolution of the
different conceptions of medicine that have been experienced in our European societies over the past centuries.
A DIVERSITY BUILT FOR A DIVERSITY OF CONCEPTIONS OF MEDICINE, A MULTIPLICITY OF POSSIBLE PROJECTS FOR A PLURALITY OF ISSUES The site of the Couvent des Minimes, a square truncated on one of its sides, then became the scene of architectural developments that would not cease until the second half of the 20th century,
showing today, from very heterogeneous buildings, a coherent palimpsest ensemble. The site develops from its centre outwards, where the chapel, listed as a historical monument, dates back from the 17th century, as two other edifices do. At the beginning of the 20th century, when the city was struggling to find a new site to build a new hygienist hospital, the La Charité site became even denser with the construction of buildings on the southern and eastern fringes, projected by the architect Léon Lamaizière1 from SaintEtienne. The construction of the new pavilion hygienist hospital, a few years later on the Bellevue site—to which the last services present today at La Charité were to be moved—did not, however, mark the end of La Charité, as the front of rue Michelet located to the West was redeveloped during the 1930s. Finally, a last pavilion was built with no intelligence in the 1970s, blocking the perspective created by Lamaizière, while part of the site was transformed into a municipal retirement home in the 1990s. The departure of the hospitals of Saint-Étienne from the site of La Charité is therefore no surprise, as this intention dates back from the end of the 19th century. One might rather be surprised that this departure from a landlocked site in the middle of the city comes so late, more than a century after the construction of a new hygienist hospital—built on the pavilion model—on the southern edge of the city and almost half a century after the construction of a second one, technicist, based on the plinth tower type, located this time up to the north, in the municipality of Saint-Priest-en-Jarez. Inthe late 1990s was confirmed what seemed to be a latent logic of the hospital’s territorial strategy: all the services were grouped together in a gigantic medical city on the northern site, while Bellevue, in the south, hosted a gigantic “gerontopolis”, the largest in the Rhône-Alpes-Auvergne region, the gerontology services having been until then housed in La Charité. This would then be sold, making it possible to partially finance the major projects required for this restructuring. Today, the northern site, although in permanent expansion, has reached a cruising speed, deliveries of new and renovated buildings are being made to Bellevue, suggesting that the hospital in La Charité will leave for 2021. However, public health issues— which, as we argued earlier, go beyond medicine alone—do not leave the site with the CHU: the particularly constrained, aggressive and impoverished urban environment in which the hospital enclave is located, is prompting these issues to go beyond its walls alone, making this two hectare forested pocket a necessity for the entire district and the many problems it faces: automobile and noise pollution, rising urban temperatures, food, housing, etc. La Charité is indeed a neighbour, if not an integral part of the SaintRoch district2, identified as a priority sector managed by EPASE3. The latter has no “green space” with a footprint coefficient of nearly 100%. Very densely built, offering no amenities, it is impoverished and shows signs of fragility: homogeneity both in commercial terms and in the constitution of
households (an overwhelming majority of single people), poor tenants or owner-occupiers whose resources do not allow sufficient maintenance of the building, proliferation of slum landlords, etc. Indeed, it hosts a more vulnerable population than in other districts of Saint-Etienne, including many undocumented migrants. Just over a hundred metres away, the Bourse du travail was the focus of public attention this spring, as it became, following a strong surge of solidarity from the population, the refuge for several dozen migrants expelled after the winter truce by the town hall, while the city is jam-packed with vacant apartments. In addition to these housing problems, there are also problems specific to public spaces, which are particularly harsh. The rue Antoine Durafour, which crosses the district and originates in front of La Charité, is a straight and privileged automobile axis to reach the ring road from the city centre. In this eight-metre wide street where a sometimes very young population resides, about seven thousand vehicles pass by every day, many of them over-speeding. This is as much as for one of the two-lane roads of the Fauriel course, a treelined avenue about thirty metres wide. Finally, the Saint-Roch district, historically occupied by second-hand dealers and cabinet makers, has seen its craft activities vanish for lack of suitable premises. This issue is not disconnected from public health issues. The previous paragraphs have shown how, in a market economy, the socio-demographic decline of a neighbourhood is linked to the economic health of its inhabitants and structures. The Public Health Week organised by the ENSASE Après la révolution studio in September 2018, in Saint-Étienne also showed, notably via the Toxic Tour led by Paul Guillibert and the discussion that followed, the connection between the means of production and public health. Historically marked by many small traditional craft businesses, the Saint-Roch district could thus be the place where local, healthy and equitable craftsmanship could be revived. The diversity of the built environment of La Charité mentioned earlier, by virtue of the multiplicity of situations it provides, certainly constitutes an incredible opportunity for it allows a great diversity of uses. With several healthy buildings on the edge of the plot, others to be demolished to create an urban park, the site seems adapted to respond to the problem of bad housing (or total homelessness), to the greening of the district—bringing lower temperatures in summer, biodiversity and the collection of CO2—to the decrease in car traffic through the intermingling of several foot and cycle paths, or to support an economic and cultural life in the district. We can therefore argue that displacing the hospital is actually an opportunity for the neighbourhood and its inhabitants, in that it opens up an unlimited field of possibilities and takes public health issues out of the hospital walls to put them back in the heart of the city, a part of the right to live in the city.
THROUGH THE CASE OF LA CHARITÉ, THE QUESTION OF THE RIGHT TO THE CITY AND THE HEALTH OF PUBLIC DEBATE All these orientations and programmes, which could be combined (and it is certainly in their mixture that the greatest interest surely resides), are nevertheless only carried by the logic of the common good and the desires of the inhabitants, outside the laws of the market and any problems of economic profitability. However, it is quite clear that it is these speculative mechanisms that, in the absence of a courageous public power, should speak louder than any other. It is therefore to be feared that La Charité will simply be sold to the highest bidder. This point is all the more objectionable concerning La Charité, since it is a property of the CHU de Saint-Étienne. Yet, the creation of the Regional and University Hospitals, between 1970 and 1972, was done by rebuilding the existing municipal resources, which were then transferred to the new structures for the symbolic price of a single franc.The sale of the plot by the CHU would thus constitute a robbery of the public authority, all the more so if it sold it to the city, at the best price of course, as it had inherited it freeof-charge half a century ago. Fortunately, the singular real estate situation of Saint-Étienne, a city with the lowest real estate prices in France, complicates these sophisticated laws. After hearsay reports of a private-sector market for the urbanization of the entire block, then of a sale in separate plots to private developers for the construction of 150 housing units, the situation seems to be at a standstill, as investors refuse to get potentially drown in the cold water of the Furan (the local river running underground the city). Up to a point that the municipality of Mr Gaël Perdriau (right-wing), which was quick to privatize and sell off public properties, from the crematorium to the exhibition centre and the future gastronomic market halls, was forced to do what he hadn’t done in five years: to consult with the public. We come here to the heart of the problem that La Charité illustrates perhaps more than any other sector in Saint-Étienne: none of the actions carried out by Mr Perdriau’s municipality have been transparently publicized, whether it is the production of real estate programs or decisions in any other field. The people of Saint-Étienne have become accustomed to discovering the projects led by the municipality as the excavators entered the site, reinforced by slogans and hashtags in official propaganda or on social networks. Therefore, it is only normal to fear for any shadowy move-
ments. While one of the trade assistants assured us at the first public consultation session held last March that the city wanted to buy the plot from the University Hospital (CHU), we can only be prudent. Indeed, of the five large vacant equipments scattered throughout the area subject to consultation—called “Cœur d’Histoire”—at least two were already the subject of competitions or consultations, and for one of them the result had just been returned the same day (without being revealed to the public)! Above all, we learned unofficially that this Cœur d’Histoire perimeter was nothing more than a new EPASE sector destined to become a ZAC, and on which four or five teams of renowned architects, urban planners or landscape architects were working, at the same time as the inhabitants, without the latter being aware of it. So what is the value of these fragments of proposals written by inhabitants – who, moreover, belong, in the vast majority, to the same social class – when the projects are already packaged in the back shop? It is not a question here of discussing the various methods of participation or co-design in architecture and urban planning. But it is certain that this method goes against what we claim for La Charité and the rest of the city: the right to the city, as Henri Lefèbvre defined it in 1968. For Henri Lefèbvre, “The right to the city cannot be conceived as a simple visiting right or as a return to traditional cities. It can only be formulated as a transformed and renewed right to urban life. It does not matter whether the urban fabric encloses the countryside and what survives of peasant life, as long as the “urban”, place of encounter, priority of use value, inscription in space of a time promoted to the rank of a supreme resource among all resources, finds its morphological base and its practico-material realization. Which presumes an integrated theory of the city and urban society, using the resources of science and art. Only the working class can become the agent, the social carrier or support of this realization.”4
in France, such as at the Hôtel Pasteur in Rennes, under the leadership of Patrick Bouchain and Sophie Ricard, or on all the Grands Voisins in the 14th arrondissement of Paris. However, rather than falling into the trap of “transitory urban planning” which, as in the latter example, gives rise to vast real estate transactions after years of occupation by collectives have restored the value of land, it would rather be a question of perpetuating the collective management of the place in a common management, on the basis of Elinor Ostrom’s theories on what constitutes a common: the existence of a resource, the establishment of specific property regimes that do not concentrate all rights (unlike private property) and are interdependent, and finally, the establishment of appropriate governance structures. 1 Léon Lamaizière (1855-1941) is best known as the architect of most of the Nouvelles Galeries built in France in the first two decades of the 20th century. 2 The Saint-Roch district is now an EPASE (Etablissement Public d’Aménagement de Saint-Etienne) sector, which does not however have the status of a ZAC (Zone d’Aménagement Concerté), its vocation being seen by political decision-makers as being exclusively inhabited, without the need for equipment. The project management is ensured by a multidisciplinary collective set up to measure for the occasion and bringing together architects, landscape architects, anthropologists, designers, graphic designers and specialists in the revitalization of the vacant ground floors, all of which are located in Saint-Étienne. 3 Created in 2007 by the State at the request of Mayor Michel Thiollière, the Établissement Public d’Aménagement de Saint-Étienne (EPASE) is, like any EPA (Etablissement Public d’Aménagement), a structure dedicated to development under the Ministry of Finance. Its role is to accelerate the city’s economic recovery from the brink of bankruptcy in the early 2000s. EPASE covers several diversified sectors, from the tertiary district of Châteaucreux to the residential districts of Jacquard and Saint-Roch, which are not eligible for any other State scheme (ANRU etc.). 4 Henri Lefebvre, Writings on the City, Selected, Translated and introduced by Eleonor Kofman and Elisabeth Lebas, Blackwell Publishers, P 158.
Through this definition, Lefèbvre demonstrates how much this right to the city cannot be embedded in the short time of a consultation workshop, but concerns on the contrary the long time of life. By assimilating the space lived at that time, which he defines as “supreme resource among all resources”, he liberates it from capitalist logic and mercantile laws. The right to the city is a social and spatial experience (but the two go hand in hand for Lefèbvre), and even has a necessary aesthetic dimension. It is certain for us that the right to a healthy environment is, among countless other issues, part of the right to the city, and La Charité could be a learning experience in Saint-Étienne for the collective management of the site, as it has already been done in other places INTERVENTIONS/INTERVENTIONS
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ARCHIVE DE LUTTE « La Psy Cause », collectif en lutte des services de psychiatrie des hôpitaux Stéphanois Alors que nous travaillions en 2017 à une semaine sur la santé publique, nous avons rencontré le collectif en lutte des services psychiatriques stéphanois « La Psy Cause ». Nous publions ici des traces de leurs lutte qu’iels nous ont fait parvenir.
la qualité de la prise en soins des patients.
POUR UNE PSYCHIATRIE HUMANISTE
Sans remonter trop loin dans le temps, il nous paraît important de pointer le fait que, 6 mois avant le contrôle des CGLPL, 17 lits d’hospitalisation complète adulte ont été fermés (30 entre juin 2015 et juin 2017).
Texte lu par le collectif Paris - 22/01/2019
Je voudrais tout d’abord, au nom de notre collectif, remercier toutes celles et ceux qui ont rendu cette journée possible. Le collectif « La Psy Cause » s’est formé suite au passage des CGLPL en janvier 2018 sur le CHU de Saint-Étienne. Notre but commun est d’œuvrer pour une psychiatrie Humaniste en opposition aux politiques budgétaires qui réduisent nos métiers à des lignes comptables et autres tableurs Excel. Face à ces politiques qui nient le sens de nos métiers nous cherchons à nous réapproprier nos pratiques. Depuis de nombreuses années, malgré nos alertes, le nombre de personnel diminue. La précarisation des soignants, le turn over des agents, la désertification des postes de psychiatres, la qualité de la formation initiale, altèrent
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Cela se traduit par des personnes laissées seules à l’abandon par notre système sanitaire et social.
A partir de là, les lits surnuméraires (activés en temps de crise) étaient constamment activés mais cela ne trompait personne, et les Contrôleurs Généraux de Lieux de Privation de Liberté ont constaté l’horreur normée, protocolisée ; « Conditions d’accueil indignes », « Traitement inhumain ou dégradant »… Depuis, la stratégie semble consister à cacher la misère plutôt que de se questionner sur comment et pourquoi nous en sommes arrivés là… Oui, parce que sinon, cela revient à faire un constat d’échec des politiques de santé de ces dernières décennies. Pire ! Il faudrait mettre, ou plutôt remettre, des moyens Humains là où le soin s’appuie en premier lieu sur la relation à l’autre. Là où le soin doit se penser de manière pluridisciplinaire et en
fonction de la singularité de la personne souffrante. Et ça, ça coûte de l’argent… Trop ? Un pognon de dingue ? Alors très bien, parlons coût. Expliquez-nous à nous qui sommes de piètres gestionnaires : – Qu’est-ce que ça coûte l’hospitalisation dans un bureau au lieu d’une chambre ? – Qu’est-ce que ça coûte le sous-effectif ? – Qu’est-ce que ça coûte de laisser des usagers et leurs familles seuls face à la souffrance ? – Qu’est-ce que ça coûte la pression au travail ? – Qu’est-ce que ça coûte les chambres sur-occupées ? – Qu’est-ce que ça coûte la restriction des espaces de pensée ? – Qu’est-ce que ça coûte d’attendre des heures aux urgences ? – Qu’est-ce que ça coûte le mépris de la souffrance ? – Qu’est-ce que ça coûte de traiter l’hôpital comme une entreprise ? – Qu’est-ce que ça coûte de travailler à l’encontre de ses valeurs soignantes ? – Qu’est-ce que ça coûte les conditions d’accueil déplorables ? – Qu’est-ce que ça coûte le manque de temps auprès de ses patients ? – Qu’est-ce que ça coûte de rester dans ses urines pendant des heures ? – Qu’est-ce que ça coûte d’avoir honte de son métier ?
– Qu’est-ce que ça coûte de laisser une personne des jours contenue sur un brancard ?
« Ils ont voulu nous enterrer, ils ne savaient pas que nous étions des graines. »
Tous les jours ça coûte aux patients, leurs familles et aux soignants ; L’isolement, la peur, la douleur, l’insécurité.
Ces graines ont germé en 2018 au travers de multiples luttes dans bon nombre d’hôpitaux psy (et pas que), faisant fleurir l’espoir.
Ça coûte la relation, le soin, notre métier. Ça coûte le respect de la vie Humaine. Si nous sommes ici aujourd’hui c’est pour affirmer que nous ne nous résignons pas aux économies et à l’austérité. Nous n’accepterons jamais de faire payer à nos patients les politiques de santé qui mènent à la déshumanisation de l’hôpital. Nous dénonçons la politique irresponsable et criminelle du gouvernement et de la ministre de la santé qui mettent en danger les usagers et les hospitaliers. Nos revendications sont justes et légitimes. Pour une psychiatrie, et même, tout un service sanitaire et social, Humaniste !
LE PRINTEMPS DE LA PSYCHIATRIE Texte d’appel à la mobilisation pour « Le Printemps de la Psychiatrie » Paris, mars 2019
L’espoir qui a semé le doute sur « l’ordre établi » qui voulait nous faire croire que l’humain se résume à des lignes comptables strictes, que le soin en psychiatrie est quantifiable et qualifiable grâce à des courbes de graphiques froides et des cases de tableur Excel bien trop étroites pour y faire rentrer toute la complexité ainsi que la beauté de la relation humaine. La récolte 2018 fût bonne mais pas assez pour changer vraiment le mode de culture. Pour cela, relevons encore un peu plus nos manches, patients, familles d’usagers, soignants, tous ensembles pour décider quel type de psychiatrie nous voulons cultiver. Reprenons cette psychiatrie Humaniste restée en jachère trop longtemps. Nous voulons du bio (de l’Humain) et du local (le secteur). Alors le 21, tous à Paris pour une psychiatrie Humaniste !!!
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ARCHIVE OF A STRUGGLE “La Psy Cause”, collective in struggle of the psychiatric services of the Saint-Étienne hospitals While we were working in 2017 for the construction of a week of events on the question of Public Health, we met with the collective of the psychiatric services of Saint-Étienne named “La Psy Cause”. We publish here traces of their struggle that they sent us.
FOR A HUMANIST PSYCHIATRY Text read by the collective Paris - 22/01/2019
First of all, on behalf of our collective, I would like to thank all those who made this event possible. The LA PSY CAUSE collective was created following the passage of the CGLPL in January 2018 on the Saint-Etienne University Hospital. Our common goal is to work for a Humanist psychiatry in opposition to budgetary policies that restrict our professions to accounting lines and other Excel spreadsheets. Faced with such policies that negate the meaning of our professions, we are trying to re-appropriate our practices. For many years, despite our warnings, the amount of personnel has been decreasing. The precariousness of nurses, the turnover of workers, the desertification of psychiatrists’ positions, the lack of adequate initial training, all affect the quality of the patient’s care.
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This results in people being abandoned by our health and social system. Although we will not go back too far in time, it is important to point out that 6 months before the control of the LPGCs, 17 adult complete hospital beds were closed (30 between June 2015 and June 2017). From then on, the surplus beds (activated in times of crisis) were constantly activated but this did not deceive anyone, and the General Controllers of Places of Deprivation of Liberty noted the normalized, protocolized horror; “Unworthy reception conditions”, “Inhuman or degrading treatment”… Since then, the strategy seems more to conceal poverty than to question how and why we came to this point… Indeed, otherwise it amounts to an acknowledgement of the failure of health policies in recent decades. Even worse! It would be necessary to put, or rather to put back, Human resources where care is based in the first place on the relationship with others. In places where care must be thought of in a multidisciplinary way and according to the singularity of the suffering person. And that costs money… Too much?
Crazy money? (Here quoting a famous formula of the President Macron regarding social welfare). All right, then, let’s talk about money. Explain to us who are poor managers: – What is the cost of hospitalization in an office instead of a room? – What is the cost of understaffing? – What is the cost of leaving users and their families alone in the face of suffering? – What is the cost of working under pressure? – What is the cost of overcrowded rooms? – What is the cost of restricting spaces of thought? – What is the cost of waiting hours in the emergency room? – What is the cost of disregarding suffering? – What is the cost of treating the hospital like a business? – What is the cost of working against one’ s health care values? – What is the cost of deplorable reception conditions? – What is the cost of not having enough time with one’ s patients? – What is the cost of staying in your urine for hours? – What is the cost of being ashamed of one’ s job? – What is the cost of leaving a person on a stretcher for days? Every day it costs patients, their
families and caregivers; Isolation, fear, pain, insecurity. It costs the relationships, the care, our job. It costs respect for human life. We are here today to proclaim that we are not resigned to cutbacks and austerity. We will never agree to have patients pay for the health policies that lead to the dehumanization of the hospital. We denounce the irresponsible and criminal policy of the government and the Minister of Health that puts users and hospital workers at risk. Our claims are fair and legitimate. For a humanist psychiatry, and even a whole health and social service humanist!
THE SPRING OF PSYCHIATRY Text of a call for mobilization to “The Spring of Psychiatry” Paris, March 2019
“They tried to bury us, they didn’t know we were seeds.” These seeds grew in 2018 through multiple struggles in many psychiatric hospitals (and not only), bringing hope. The hope that has cast doubt on the “established order” which
wanted us to believe that human beings can be reduced to strict accounting guidelines, that psychiatric care is quantifiable and qualifiable thanks to cold graph curves and Excel spreadsheet that are far too narrow to accommodate all the complexity and beauty of human relationships. The 2018 harvest was good but not enough to really change the way the crop was grown. To do this, let’s roll up our sleeves a little more, patients, patient’s families, caregivers, all together to decide what type of psychiatry we want to foster. Let us take up this Humanist psychiatry that has remained fallow for too long. We want organic (human) and local (the sector). So on the 21st, everyone in Paris for a Humanist psychiatry!!!
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HISTORIQUE
HISTORIQUE mma re
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Préambule
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Juin 201 : ermeture de lit contre création d'équipes mobiles Janvier 2018 : Passage des
LPL
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traordinaire
évrier 2018 : création du collectif page 4
ars 2018 : lettre ouverte au différentes instances dirigeantes et la population vril 2018 : Pétitions
Des moyens Humains pour une psychiatrie Humanistes
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Juin 2018 : Début de grève illimité Juillet 2018 : la rencontre des politiques o t 2018 : Pas de vacances pour La Psy ause
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eptembre 2018 : Les ostos en grève s'invitent
la foire
ctobre 2018 : t la dignité des personnes gées dépendantes dans tout a
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ovembre 2018 :La mobilisation continue
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onclusion
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nne es
https://fr-fr.facebook.com/lapsycause/ Historique LA PSY CAUSE / Novembre 2018 https://twitter.com/cause_psy/ avec le soutien des syndicats CGT et FO du CHU de Saint-Étienne la.psy.cause@gmx.fr
https://fr-fr.facebook.com/lapsycause/ Historique LA PSY CAUSE / Novembre 2018 https://twitter.com/cause_psy/ avec le soutien des syndicats CGT et FO du CHU de Saint-Étienne la.psy.cause@gmx.fr
HISTORIQUE
HISTORIQUE Juin 201 : ermeture de lit contre création d'équipes mobiles Sans remonter trop loin dans le temps avant le passage des CGLPL, il nous para t important de pointer le fait que, 6 mois avant le contrôle des CGLPL, 17 lits d'hospitalisation complète adulte ont été fermés (ce qui les porte à une trentaine entre juin 201 et juin 2017). Cf. Annexes 1 et 1bis
Préambule
Le collectif soignant (par soignant nous englobons tous les professionnels travaillant en psychiatrie) LA PSY CAUSE s'est formé suite au passage des CGLPL en janvier 2018 sur le CHU de Saint-Étienne. Nous faisons donc ici un rappel historique des différentes actions et prises de positions par le personnel dont le but commun est d’ uvrer pour une psychiatrie Humaniste en opposition aux politiques budgétaires qui réduisent nos métiers à des lignes comptables et autres tableurs Excel. Depuis de nombreuses années, malgré nos alertes, le nombre de personnel diminue. La précarisation des soignants, le turn over des agents, la désertification des postes de psychiatres, la qualité de la formation initiale, altèrent la qualité de la prise en soins des patients. Cf. Annexe 0
Janvier 2018 : Passage des
LPL
H
traordinaire
Passage des CGLPL du 8 au 1 janvier avec recommandations en urgences qui seront publiées au JO le 1er mars. Ce qui a été pointé (« conditions d'accueil indignes », « traitement inhumain ou dégradant », 7 patients attachés sur des brancards dont un depuis 7jours!) a eu des répercussions sur les professionnels de ce pôle ce qui a conduit les représentants FO et CGT à déposer un Danger Grave et mminent afin que des informations fiables ainsi que le positionnement de l'institution soit connu de toutes et tous. Cela à conduit à un CHSCT extraordinaire à la suite duquel une assemblée générale a été décidée. Cette dernière s'est déroulée fin janvier en présence d'environ 1 0 agents du pole psychiatrique et en présence du Directeur Général. Cela a été l’occasion d'exposer les constats des CGLPL (les mêmes dénoncés par le personnel depuis de nombreuses années comme par exemple l'absence de projet médicale de pole réclamé à plusieurs reprises en CHSCT), et la direction a pu exposer son plan d'action. Pour autant, les remarques des agents ont été accueillis de fa on méprisante et arrogante (parfois même mena ante) par notre direction.
évrier 2018 : création du collectif Le personnel n'étant pas entendu, le plan d'action de la direction (presque exclusivement architectural) ne répondant ni aux attentes des patients ni des soignants, les syndicats CGT et FO on initiés une AG du personnel de psychiatrie afin d'échanger sur comment et pourquoi en sommesnous arrivés là, quelle vision du soin en psychiatrie et quelles solutions. Le collectif était né, avec comme fil conducteur la nécessité de se réapproprier nos pratiques pour une psychiatrie Humaniste et non économique.
Historique https://fr-fr.facebook.com/lapsycause/ https://twitter.com/cause_psy/ LA PSY CAUSE / Novembre 2018 avec le soutien des syndicats CGT et FO du CHU de Saint-Étienne la.psy.cause@gmx.fr
HISTORIQUE ars 2018 : lettre ouverte au différentes instances dirigeantes et population
https://fr-fr.facebook.com/lapsycause/ Historique https://twitter.com/cause_psy/ LA PSY CAUSE / Novembre 2018 avec le soutien des syndicats CGT et FO du CHU de Saint-Étienne la.psy.cause@gmx.fr
HISTORIQUE la
Malgré les injonctions de ne pas communiquer, et pour faire suite aux réflexions survenues lors des AG du personnel, une soixantaine de personnes ont participé à la rédaction d'une lettre ouverte avec demande de rendez-vous avec le DG de l'ARS AURA. Cf. Annexe 2 En parallèle, plusieurs agents ont décidés de communiquer auprès des médias ne supportant plus que la dégradation des soins soit passée sous silence.
vril 2018 : Pétitions En réaction au positionnement de la direction, élaboration d’une pétition « Non à la contention abusive de la paroles » à laquelle s'ajoute une lettre pétition des cadres et cadres sup, ayant re u plus de 700 signatures sur le CHU. Cf. Annexe 3 et 3 bis Pas de réponse de l’ARS concernant notre demande de rendez-vous. Assemblée générale La Psy Cause le 26
Juin 2018 : Début de grève illimité 14 Juin Les graines du Rouvray font germer l'espoir : Mobilisation en hommage aux grévistes du Rouvray qui viennent enfin, (18 jours de gréve de la faim!), d'obtenir sur le papier des moyens pour une psychiatrie digne et Humaine. Nous nous sentons concernés tant les difficultés sont les mêmes d'un établissement à un autre (lutte au Havre, Saint Jean de dieu...). Photo hommage et lecture du communiqué de presse. Une soixantaine de soignants présents et beaucoup d'assignés. Cf.Annexes 6 et 7 25 juin Pour une psychiatrie Humaniste nous enterrons la psy budgétaire: Marche funèbre Toujours pas de nouvelle de l’ARS malgré nos différentes sollicitations (lettre ouverte en mars et mail de relance le 13 juin). Ce silence méprisant nous amène donc à continuer la mobilisation. Au niveau du CHU il n’y a pas grand-chose à attendre sauf l’idée de remplacer les infirmières par des aides-soignantes. Toujours plus avec toujours moins, et l’Humain n’est plus au centre du soin... Nous avons donc enterré cette psychiatrie au rabais dans laquelle plus personne ne se retrouve. Ni les patients, ni les soignants. Cortège depuis l’ARS de Saint-Étienne jusqu’à la direction du CHU sur le site de Bellevue. Prise de parole et remise du cercueil au DRH du CHU. Cf. Annexes 8 et 9 Bizarrement l'ARS qui devait venir ce jour en mission d'inspection a annulé quelques jours plus tôt ! Participation à une discussion avec la population organisé par « Le Couac » ( journal d’enquête
ai 2018 :
rève et mobilisation
critique, local, collectif et participatif). Résumé
Suite aux demandes faites en assemblée générale, notre collectif a commencé à tisser des liens avec différents collectifs (notamment le « collectif inter hosto » de Lyon et le collectif «Hôpitaux en lutte » qui est à l’initiative de la manifestation soignante sur Paris le 17 mai). Participation de quelques membres du collectif à la « marée blanche » organisée sur Paris le 1 Mai à Paris. De là, rencontre avec le collectif « Blouses Noires » de Saint-Étienne du Rouvray. Grève le 17 mai avec mobilisation du personnel de la psychiatrie du CHU sur la place d’hôtel de ville afin d’alerter la population sur les conditions d’accueil de prise en soins et de travail sur notre spécialité. Tract distribué et action « Die-in » Cf. Annexe Assemblée générale le 31 Cf. Annexe
Historique https://fr-fr.facebook.com/lapsycause/ LA PSY CAUSE / Novembre 2018 https://twitter.com/cause_psy/ avec le soutien des syndicats CGT et FO du CHU de Saint-Étienne la.psy.cause@gmx.fr
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https://fr-fr.facebook.com/lapsycause/ Historique LA PSY CAUSE / Novembre 2018 https://twitter.com/cause_psy/ avec le soutien des syndicats CGT et FO du CHU de Saint-Étienne la.psy.cause@gmx.fr
HISTORIQUE Juillet 2018 : la rencontre des politiques Cela fait plus de mois que nous nous mobilisons . Malgré tous les liens que nous avons pu tisser avec la population, les médias, entre collègues et établissements, le silence de notre ARS et de notre ministre est toujours de mise. Nous décidons donc de solliciter différents représentants du peuple afin de porter à leur connaissance notre situation intenable dans le but d’être informé de leur positionnement. (Sénateur) le 20 juillet. Nous avons donc été re u par Messieurs J (Député) et ls étaient déjà au courant de notre situation et ont pu recevoir notre parole pour avoir des précisions sur la situation de la psychiatrie du CHU de Saint-Étienne. ls ont attestés de nos difficultés et de nos manques de moyens notamment Humain. Des chiffres seraient souhaitables pour étayer nos propos. Nous avons par la suite tenté de les récupérer via la direction de notre établissement. l faudra attendre septembre pour en avoir quelque-uns mais difficilement exploitables... Par exemple, concernant les postes de psychiatres, le CHU nous donnes des chiffres exprimés en Équivalent Temps Plein Rémunéré (ETPR). Sachant que certains psychiatres ne travaillent plus au CHU mais sont tout de même rémunérés par ce dernier car ils sont en compte épargne temps (heures sup récupérées avant la retraite officielle) ou encore en arrêt maladie... Messieurs J et s'engagent à poser la question de notre devenir dans leur assemblée respectives.
o t 2018 : Pas de vacances pour La Psy ause Courriers adressé à notre direction concernant la pénurie de psychiatres sur le secteur St-Étienne Cf. Annexes 10, 10 bis, 11, 11bis et 12 Courriers adressé à notre direction concernant la pénurie de psychiatres sur le secteur de l'Ondaine et arrivé des premiers psychiatres intérimaires sur le CHU. Cf. Annexe 13 Nous profitons de l'été pour récupérer des infos dans les services de psychiatrie ainsi qu'auprès de notre direction.
HISTORIQUE eptembre 2018 : Les ostos en grève s'invitent
la foire
ortie de la chanson Les ostos gr ce à l'implication des agents du CHU provenant de différents services et de différentes professions. La volonté est bien de dénoncer, de manière satirique, le manque de moyens Humains à tous les « étages » pour les hôpitaux publics. Ce clip à pour but de provoquer une réaction tant chez les usagers que chez les soignants toutes spécialités confondues Très bons retours de la part de ces derniers. « Face au manque de personnels, de place, bref, de moyens pour accueillir la souffrance des gens, quelques irréductibles soignants tentent d'obtenir des soins plus humains. Merci aux usagers d’être si patients, Merci aux soignants de continuer à faire de votre mieux, Merci à toutes celles et ceux du CHU de Saint-Étienne qui ont participé.e.s à cette vidéo (…) Merci à toutes celles et ceux qui ne laissent pas leurs convictions soignantes et Humanistes se faire piétiner par des gestionnaires à la langue de bois bien trop pendue »
rève reprise depuis le 1 septembre 9 mois après le passage des CGLPL la situation de la psychiatre du CHU (et pas que...) s'est encore globalement détériorée. Nous arrivons à un point de rupture. Le cercle vicieux des départs des personnels à cause de la dégradation des conditions de travail et de soin entra ne une charge de travail supplémentaire pour celles et ceux qui restent et les amènent à partir à leur tour... A cela s'ajoute le non respect de la parole donnée, le mutisme de notre ARS qui laisse le CHU seul face à ces difficultés, le mépris de notre ministre pour les hôpitaux actuellement en lutte (cf Pinel en lutte)... obilisation devant la oire de aint tienne : appel l'ensemble du H revendiquant des moyens pour des soins Humains : Bonne mobilisation (près 1 0 personnels et usagers du CHU), bilan positif, portée médiatique de nos revendications. 11 de grévistes sur le CHU 60 de grévistes sur la psychiatrie 68 de grévistes sur le personnel soignant Cf. Annexe 1
Préparation les actions de la rentrée de septembre. Au grès des discutions avec des collègues hors psychiatrie nous avons la confirmation que le manque de moyens n'est malheureusement pas qu'en psychiatrie.
Joli coup de l' R qui nous a donné rendez-vous aux syndicats dans leurs locaux de Lyon le même jour et à la même heure que la mobilisation sur la foire de Saint-Étienne ! Mieux, l'invitation est parvenue moins d'une semaine à l'avance.
Préparation d'une chanson et de son clip en écho à celle de la CGT de Toulouse.
La Psy Cause 'était pas invitée, nous ne savions pas qui serait notre interlocuteur et l'objet de cette rencontre était très vague (« dossier de suivi de la psychiatrie » alors que ni les syndicats ni notre collectif n'a jamais eu de discutions avec l'agence sur ce sujet).
Historique https://fr-fr.facebook.com/lapsycause/ LA PSY CAUSE / Novembre 2018 https://twitter.com/cause_psy/ avec le soutien des syndicats CGT et FO du CHU de Saint-Étienne la.psy.cause@gmx.fr
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HISTORIQUE
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La réunion s'est donc faite sans les personnels ni leurs représentants. Cela a permis au DG de l'ARS d'envoyer un courrier à la CGT et à FO faisant état de son « regret » face à notre absence et de sa « attachement » au dialogue sociale. Oui c'est tout...Après 7 mois de relances, de mise en avant de la dégradation des conditions de prise en soin des usagers, de l'urgence de cette situation, il ne répond rien. Ne propose rien. Encore du mépris et de l’arrogance pour celles et ceux qui luttent pour défendre les droits des patients, des soignants, bref, pour des soins Humains. Cf. Annexe 1 ourriers : En plus de la lettre ouverte à l’ARS faite par le collectif en mars, le courrier du secteur Saint-Étienne cet été, les internes de psy, les praticiens hospitaliers du pôle psychiatre ainsi que l’UNAFAM ont également rédigé un courrier alertant sur la situation catastrophique de la psychiatrie. Cf. Annexes 16, 17 et 17 bis outien et présence de membres de la Psy Cause à l’action des collègues du collectif nter-Hosto de Lyon le 29/09 place de la République Presse, nous continuons de répondre aux sollicitations car les non dits n'ont que trop impactés notre spécialité ( France bleue, le quotidien du médecin, le canard encha né )
ctobre 2018 : t la dignité des personnes gées dépendantes dans tout a Participation au café citoyen le 1er octobre pour expliquer nos actions et nos revendications ssemblée générale Cf.annexe 18 et 18 bis nauguration
officieuse
du b timent de l
LD
Nous avons décidés de nous mobiliser ce jour là pour plusieurs raisons. Tout d'abord, les conditions de prise en soin dans ce nouveau b timent qui doit accueillir des personnes gées dépendantes, sont indignes. Si les CGLPL pouvaient aussi contrôler la gériatrie, de nouveaux scandales éclateraient. De plus, la présence du directeur générale de l'ARS accompagné du Maire était annoncée. L’occasion pour nous de pouvoir nous entretenir avec eux était trop belle. Nous avons donc annoncé la présence du collectif en soutien aux personnels de gériatrie l'avant veille pour éviter que l'inauguration soit mise en danger. Malgré tout, la direction annula l’inauguration officielle... Tentative de culpabilisation de cette dernière nous pointant du doigt comme ceux qui auraient g ché la fête du personnel de gériatrie. Alors que ces mêmes soignants nous ont confirmé leurs craintes quant aux conditions de travail dans le nouveau b timent qui risquent de se détériorer encore plus. La plupart d’entre eux soutiennent massivement nos revendications et nos actions. u'a cela ne tienne, nous avons maintenu l'inauguration de manière officieuse mais néanmoins festive. Nous en avons profité pour lire une nouvelle lettre ouverte à l'attention du DG ARS ainsi qu'à la population. Cette dernière sera envoyée début novembre Cf. Annexe 19 ntervention au colloque « après l’antipsychiatrie » organisée le 18 octobre par l’école d’architecture de Saint-Étienne. Psy'convergence : Manifestation du 9 octobre. Un cortège « Hôpital en Sous France » décidé avec d'autres collectifs santé a défilé à Saint-Étienne, Amiens , Rouen, le Havre, Paris, Allonnes, Niort et Caen.
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HISTORIQUE
HISTORIQUE
ovembre 2018 : La mobilisation continue ffets d'annonce ou comment faire croire que tout est réglé Bizarre cet article dans le journal local qui annonce l'arrivée effective et/ou à venir d'un total de 23 psychiatres sur notre établissement (Cf . Annexe 20). Encore plus surprenant quand on sait que la cheffe de pole, qui est citée, dit avoir uniquement donnée des informations sur les nouveau b timents de psy ! Notre direction se désolidarise de cet article avec un « ce n'est pas nous » à peine ayons nous abordé le sujet. D’o viennent donc ces « Fake news » Là n'est plus la question, le mal étant déjà fait quand l'article mensonger fait page alors que la « rectification » dans l'édition suivante se résume à un encart de 3 lignes noyé dans la masse...
L
D'autres actions sont en préparation ous ne laisserons pas tomber les usagers leurs familles et nos collègues os revendications sont justes et légitimes
suivre
noter qu'au fil de l'eau et la demande des personnes présentes au de La Psy ause nous avons tissés des liens avec les collègues d'autres collectifs de santé psychiatrique mais pas que au niveau national ela nous a permis de nous conforter dans nos revendications :
Des moyens Humains pour une psychiatrie Humanistes
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INTERVENTIONS/INTERVENTIONS
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COORDINATION REGIONAL PSY CGT C.R. CHU ST ETIENNE Février 2014 Ici comme ailleurs tout les prétextes sont bon pour réorganiser, fusionner et par conséquent, fermer des structures et supprimer des postes alors que le personnel manque déjà. Les agents sont malmenés par des dossiers passés en force par une direction qui n'a que peu de considération pour la parole du personnel et qui fait fait mine de ne pas voire que les soins vont en pâtir.
Fonctionnement :
Compte rendu du CHSCT du 0 0 2017 et du CTE du 1 0 concernant le projet de réorganisation de la psychiatrie du secteur Saint-Etienne
Pénurie de psychiatre/Le CHU n'est plus attractif!
HISTORIQUE
Suite à une réunion entre le personnel médical et non médical du pole de psy il s'est avéré que , en plus de la baisse de la démographie de psychiatre en France, la politique de notre établissement ne donne aucune envie au médecin de rester sur le CHU : -Plusieurs postes PH vacants alors que les jeunes psychiatres doivent attendre plusieurs années pour se voire titularisés -Départs et mutations de psychiatres -Démission du pédopsychiatre de son siège au pole de psychiatrie Pas de bras, pas de chocolat
nne es Annexe 0 : Février 201 déjà des problèmes (pénurie médicale, urgences psy, restructuration) Annexe 1 : Compte rendu CHSCT mars 2017 CGT-FO Annexe 1bis : Expression équipe mobile au CHSCT mars 2017 Annexe 2 : Lettre Ouverte aux différentes instances dirigeantes et à la population Annexe 3 : Pétition « Non à la contention abusive de la paroles !!! » Annexe 3 bis : Pétition des cadres Annexe : Texte/Tract lu lors du « Die- n » le 17 mai place d’hôtel de ville à St-Étienne Annexe : Compte rendu AG 31-0 -2018 Annexe 6 : Appel Hommage aux grévistes de la faim du Rouvray Annexe 7 : Texte Hommage aux grévistes de la faim du Rouvray Annexe 8 : Marche funèbre tract appel Annexe 9 : Marche funèbre photo et prise de parole Annexe 10: Secteur St Étienne à la direction Annexe 10 bis : Réponse de la direction au Secteur St Étienne Annexe 11 : Équipe Mobile Psy'chez à la direction Annexe 11 bis : Réponse de la direction à l'équipe Mobile Psy'chez Annexe 12 : Réponse de La Psy Cause à la direction Annexe 13 : Secteur Ondaine à la direction Annexe 1 : Reportage France 3 sur la mobilisation à la Foire de Saint-Étienne Annexe 1 : Lettre du DG ARS aux syndicats Annexe 16 : Courrier des internes (AS PSY) Annexe 17 : Courrier Unafam à la CDU situation alarmante CHU Saint-Étienne Annexe 17 bis : courrier Unafam à l'ARS situation alarmante CHU Saint-Étienne Annexe 18 : Appel AG La Psy Cause Annexe 18 bis : Compte rendu AG 0 -10-2018 Annexe 19 : Lettre ouverte « ous défendez l'indéfendable et vous le savez bien » Annexe 20 : Article La tribune le Progrès Novembre 2018 Annexe 21 : Revendications/préavis de grève
Les Urgences font salle comble Fermetures de structures externes, délaissement des soins externes assurés par le pavillon 52 (avec une baisse de 25% de l'effectif infirmier!!!)... Comme l'avait dénoncé la CGT, tout ceci se répercute sur le suivi des patients à domicile. Du coup, ces malades se retrouvent aux urgences qui se trouvent en difficulté. Pour désengorger les urgences somatiques l'idée serait d'ouvrir une salle au urgence psy qui accueillerais jusqu'à 5 patients sur des brancards de 45 cm. Quel confort ! Le problème sera t il résolu ??? NON Que fera t on quand la « salle des brancards » sera pleine ???
Alors oui il est difficile de soigner en psychiatrie sans le personnel adéquat et en nombre suffisant! Plutôt que de mettre en place une politique de recrutement à la hauteur de notre activité et conséquente au soins nécessaire la direction préfère fermer ou bien « cacher ». Ceci est intolérable pour les patients et irrespectueux pour les soignants qui sont de plus en plus mal au travail. Nous réclamons immédiatement les moyens d’exercer nos professions dans des conditions NORMALES !
- Suivi du projet Bilans faits à 3, 6 et 12 mois dans le cadre du CHSCT B. Fiches synthèses communiquées par l'équipe projet selon différents indicateurs (fiches d'alerte, événements indésirables, charte, protocoles )
Conséquences collatérales : - Augmentation des files actives des psychiatres du CMP pour tous les nouveaux patients suivis par l'équipe mobile.
Moyens humains :
Dernièrement le secteur du Gier en a fait les frais suite au départ d'un psychiatre à mi-temps : -Fermeture de 2 CMP -Fermeture de 2 CATTP -Perte de 10 place d’hôpital de jour Les patients du Pélussinois devront faire près d'une heure de route pour voire un psychiatre sur St Chamond. La direction envisage même de les envoyer sur Vienne (secteur de l'isère) ! Merci la continuité des soins... Malgré leur mobilisation, que nous tenons à saluer, les malades et les agents n'ont pas été entendus.
- quipe pas totalement pourvue à ce jour -P RI médicale, 1 ,5 TP infirmiers devront fonctionner avec ,6 de temps médical. (alors que l'exemple ausannois compte etp de psychiatre) - Il n'existe actuellement pas de charte de fonctionnement médical paramédical ui interviendra en situation de crise ui validera les ré-intégrations ui formera les internes - Chaque patient aura un psychiatre référent de secteur. n sait que les psychiatres du CMP ont déjà des délais d'attente et deux médecins vont quitter le service sous peu. n peut noter que l'APP et les formations spécifiques à ce nouveau fonctionnement ont été validées en bureau de p le.
- Diminution de la sécurité pour les agents de nuit du pavillon 52 qui seront 2 en moins. - Réorganisation des différents services du secteur Saint-Étienne afin de pouvoir travailler en collaboration avec l'équipe mobile.
Les effets « bénéfiques » de cette restructuration restent bien hypothétiques... En attendant, il s'agit de : -moins de lits pour les patients, -de files actives à rallonge pour les psychiatres restants, -ainsi que plus d'insécurité pour les paramédicaux.
Avis du CHSCT B : contre Avis du CTE : contre Mise en place progressive du projet à partir du début du mois d'avril pour une application au 2 juin 2017
Moyens matériels : - Travaux et inventaire du matériel disponible sont en cours. - éhicules 6 voitures (dont 2 en location livrées le 2 mai) et 1 minibus mutualisés pour toutes les unités du 52. (au départ il n'y avait que véhicules de prévus )
C SC
A S
De nombreuses réserves - nadéquation entre les objectifs et les moyens - ps médical Activité actuelle des médecins du . ls vont avoir en plus à gérer service consultations les patients de l’équipe mobile (et probablement plus dans l’avenir)
Historique https://fr-fr.facebook.com/lapsycause/ LA PSY CAUSE / Novembre 2018 https://twitter.com/cause_psy/ avec le soutien des syndicats CGT et FO du CHU de Saint-Étienne la.psy.cause@gmx.fr
Au delà du projet médical, il s'agit surtout de répondre à une demande de l'ARS qui vise à R -développer les soins ambulatoires mais sans apport de moyens supplémentaires. Cela implique donc la fermeture d'une unité d'hospitalisation ( pour rappel, perte de 3 lits sur le p le psy entre juin 2 15 et juin 2 1 )
- Planning Il s'agit d'une seule équipe mobile divisée en 3 sous équipes. Horaires modulables et capacité d'auto-remplacement entre sous équipes.
- Dans les présentations que nous avons pu avoir concernant d’autres équipes de ce type en France pour gérer les situations de crise l’interne pouvait faire la AD avec l’ D . ais qui va former l’interne à ça si les seniors ne peuvent pas se déplacer à domicile - ui va poser les indications éévaluer en cours de pec Comment gérer les situations de crise le ee end, alors qu’il n’y aura pas de psychiatre , ni d’interne. ui va suivre les patients gérés suite à une crise mais qui n’ont pas de psychiatre (délai d’attente plusieurs mois au C )
La securité des IDE ne doit pas seulement concerner le physique mais il s’agit aussi de les protéger vis-à-vis de leur responsabilité.
FO-CGT Mars 2017
Le 18 juillet 2018, A Saint Etienne
Madame, monsieur,
Sur le Gier possibilité d’hospitaliser directement sur le secteur. Autres exemples en France où ils ont gardé des lits de crise, ou fait une fermeture progressive
Nous avons appris récemment que plusieurs candidatures pour des postes de psychiatre sur le secteur Saint Etienne n’ont pas été acceptées, faute de postes à pourvoir. Les internes sortants souhaitant rester n’ont plus de possibilité d’accéder à un poste de praticien hospitalier sur le secteur Saint Etienne.
-C’est une bonne chose qu’il n’y ait pas eu de perte de moyens mais notons que le Gier a crée son équipe mobile sans fermeture de lits, à partir d’une structure qui était déjà extra hospitaliere.
Aujourd’hui, il n’y a plus de poste à pourvoir sur ce secteur pour les postulants.
Or, comme nous l’avons expliqué à plusieurs reprises, la situation est extrêmement difficile. A la suite de leur visite du 8 au 15 janvier 2018, le rapport du CGLPL indiquait que l’effectif médical cible sur le secteur Saint Etienne était de 13 ETP pour 9.05 présents.
ue sont de enus les postes de praticiens que le secteur Saint tienne p. du rapport
demandait de recruter rapidement sur le
Lors des dernières réunions, il a été reproché aux secteurs de psychiatrie leur manque d’attractivité et de cohérence. Nous devions « endurer » nos difficultés puisque personne ne voulait venir. Aujourd’hui, des praticiens souhaitent postuler et les postes vacants ont disparus.
-Difficulté pour l’équipe de monter ce projet qui implique une toute nouvelle façon de travailler (prise en compte de l’écosysteme) sans avoir eu de formation, juste des documents à lire
Nous vous rappelons que sur Saint Etienne, 400 patients sont en attente de RDV avec un psychiatre. Chiffre qui ne va cesser d’augmenter puisque le CMP ne peut plus suivre de nouveaux patients. Le travail important entrepris par les infirmières du CMP autour des entretiens de première intention a dû s’arrêter, faute de possibilité de relais médical, de même le travail en réseau avec les médecins généralistes est mis en péril. Toutes ces personnes sans suivi voient leur situation s’aggraver jusqu’à arriver massivement aux urgences. En hospitalisation complète, le manque de psychiatres est tout aussi catastrophique. Ce manque impacte également le fonctionnement de toutes les structures ambulatoires. Tous les soignants ont dû innover et se réinventer pour tenter de tenir, certains ont accepté les réorganisations dans l’espoir que ces nouveaux projets permettraient l’arrivée de nouveaux psychiatres. Comme vous le savez, le rapport du CGLPL et son traitement médiatique ont été extrêmement traumatisant pour la majorité des soignants de psychiatrie. Par la suite, le secteur Saint Etienne et ses usagers ont été particulièrement stigmatisés.
-Si difficulté avec le patient urgences ais urgences embolisées. Si refus du patient quels moyens
Il a été renvoyé une image de soignants passifs, incapables de défendre les intérêts des usagers. Sachez donc, que nous serons vigilants aux décisions et aux orientations prises par la direction, jusqu’aux conditions d’embauche des praticiens. Ce rapport nous a appris que tout cela nous concerne, puisque ça impacte directement les usagers de psychiatrie, souvent trop vulnérables pour défendre leurs droits. À la suite des conclusions du CGLPL, une des premières promesses de la direction concernait une attitude proactive pour l’embauche des psychiatres. La Psy Cause / Juillet 2018
Madame Monsieur, le cadre de santé, Nous avons conscience des difficultés économiques actuelles, mais vu vu les enjeux pour la dignité des usagers et la pérennité de l’offre l’offre de soin en psychiatrie, psychiatrie, nous sommes prêts à agir. Nous prendrons nos responsabilités.
e
ao t 2
crise au domicile. Il a pu nous accompagner dans la construction du projet tout en préparant l’élargissement de nos missions à travers des rencontres avec entre autre l’unafam et les
Madame la directrice des soins infirmiers,
services de secours d’urgence (police, pompiers). Madame la directrice du pôle psychiatrie, .
Soyez sûr que nous nous engagerons dans des actions concrètes pour que les promesses soient tenues.
Madame la cheffe du pôle psychiatrie,
La première concerne un effectif cible de 13 ETP pour le secteur Saint Etienne à pourvoir rapidement.
Mr le chef de secteur aint Etienne,
Soyez convaincus de la cohésion entre les secteurs, nous ne pouvons accepter que les autres secteurs soient pénalisés pour que nous gardions notre effectif cible.
semble pas d’actualité.
Monsieur le directeur général,
A ce jour, vus les délais d’intervention courts, l’équipe infirmière est amenée à prendre des
Malheureusement, la perspective de voir un nouveau médecin PH arriver sur notre service ne
Nous vous prions d’agréer, madame, monsieur, nos salutations les plus respectueuses.
décisions, sur certaines situations, plus particulièrement sur les interventions de crise, qui s’avèrent difficiles à gérer et dont la présence médicale est indispensable. bjet inquiétude sur le bon fonctionnement et l’avenir de l’équipe mobile « Psy’chez »
Secteur Saint Etienne
Nous nous questionnons sur l’aspect légal de certaines de nos interventions et jusqu’où notre responsabilité pourra être engagée en cas de problème (violence, suicide pour des personnes Nous nous permettons de rédiger ce courrier afin de vous alerter sur la situation de l’équipe mobile « Psy’chez » du secteur aint Etienne mise en place depuis juin 2
.
En effet, l’équipe fonctionne sans la présence d’un médecin PH depuis fin juin 2
. Nous
profitons, pour l’instant, de la présence d’une interne
demi journées par semaine. Nous
attendions l’arrivée du r Pulcini, mais nous venons d’apprendre qu’il n’aura pas l’opportunité de prendre ses fonctions en tant que PH sur notre équipe comme prévu ce
non hospitalisées). Malgré tous les efforts fournis pour apporter des soins de qualité, l’équipe reste très inquiète du devenir de « psy chez » sans la présence d’un PH. Au regard du fort investissement du pôle et de la direction dans la création de ce projet, nous comprenons difficilement ces choix qui pourraient empêcher le fonctionnement de cette structure.
aout, pour des raisons administratives d’harmonisation des contrats de travail. Nous vous prions d’agréer, madame, monsieur, l’expression de nos salutations respectueuses. r, lors du CH C du
mars 2
, invités à transmettre nos observations concernant la
création des équipes mobiles, nous avions témoigné de nos inquiétudes notamment sur nos conditions de travail (cf écrit ci joint) Nous avions surtout souligné les risques liés aux
Equipe mobile Psy Chez
glissements de t ches et l’engagement de notre responsabilité lors des situations de crise au domicile, sans encadrement médical. Nous nous interrogions également sur la capacité des psychiatres et internes à nous soutenir sans formation à l’accompagnement de la crise au domicile. Nos remarques avaient été considérées comme très pertinentes par Mr Chapuis et Me Borgne, alors directrice des soins. En présence des membres du CH C et des syndicats, ils s’étaient donc engagés à nous protéger face à ce risque important. Nous pensions avoir été entendus et que l’engagement avait été respecté. En effet la prise de poste du r Pulcini avait été anticipée dans ce sens, en organisant son passage comme interne dans l’équipe durant mois ainsi que sa participation aux formations à la prise en charge de la La Psy Cause / Juillet 2018
Ce type de comportement, que vous avez eu à plusieurs reprises et nos manques de moyens auquel vous restez sourds, remettent en question la confiance que nous pouvons avoir en notre administration. Ce qui dissuade les quelques internes qui souhaitaient rester sur notre site à nous rejoindre, et pousse aujourd’hui de nombreux psychiatres à démissionner.
A l’attention de Monsieur GALY Directeur Général Pavillon 31 HOPITAL BELLEVUE
Comme vous le dites si bien : « les internes constituent une perspective qualitative de recrutement à terme puisque formés par les seniors du pôle ». Vu la situation, il conviendrait donc de prendre les mesures qui nous permettraient de recruter les internes qui souhaitent rester au CHU de Saint Etienne et ainsi améliorer la prise en charge des patients. Car nous savons que malheureusement, vu le manque de psychiatres au niveau national, il est bien plus pertinent de favoriser le recrutement des internes formés dans notre CHU. bjet : Réponse au courrier du Saint Etienne, le adame,
aout
Nous avons bien re u votre réponse à la pétition et au courrier des et juillet . Nous tenons à vous rappeler que les revendications concernant le manque de psychiatres sont celles des soignants de tout un secteur et non d’un seul homme. Les difficultés liées au manque de psychiatres impactent avant tout les patients, qui sont accompagnés dans leurs difficultés par de nombreux agents infirmiers, assistants sociaux, ASH, secrétaires, psychiatres, psychologues . ous ces agents constatent les effets désastreux du manque de psychiatres sur cet accompagnement. e plus, vous n’ignorez pas que les difficultés du secteur Saint Etienne liées au manque de psychiatres impactent les autres secteurs. Pour preuve, la pétition du juillet a réuni plus de signatures provenant de divers secteurs et services transversaux et ce en quelques jours, malgré la période estivale. Cette pétition vous rappelle si vous en doutiez la cohésion et la capacité de mobilisation dont les agents de psychiatrie peuvent faire preuve. Vous justifiez la diminution de l’effectif cible de psychiatres de à par une erreur de calcul du CGLPL. Nous vous rappelons que le CGLPL est une autorité administrative indépendante et rigoureuse, dont le rapport peut difficilement être remis en cause. En ayant une lecture attentive du rapport, vous constaterez qu’il est spécifié « Les effectifs médicaux théoriques sont de E P dans le secteur de Saint Etienne pour . réellement dans le secteur » l est ensuite effectivement noté qu’il y a , postes de psychiatres à pourvoir. Nous nous permettons de vous rappeler que lors de leur passage le CGLPL a pris en compte que psychiatres étaient en arrêt de travail, et donc non comptés dans l’effectif « réellement dans le secteur ». Peut être n’aviez vous pas connaissance de ces informations. l ne s’agit donc nullement d’une erreur de calcul du CGLPL. L’effectif médical cible du secteur Saint Etienne était bien de E P lors de la rédaction du rapport. Le reste de votre courrier réponse est basé sur les mêmes « approximations ». Nous ne prendrons pas la peine de relever votre remarque concernant les « projets de prise en charge innovants et en cohérence avec les priorités nationales et régionales de santé publique ». Nous reviendrons seulement sur la situation du r Pulcini qui a été formé par les seniors du pôle et qui était très motivé pour intégrer le secteur Saint Etienne. l ne l’a pas rejoint le aout comme prévu, dans la mesure o vous avez changé la nature de son contrat jours avant sa prise de fonction, malgré les engagements que vous aviez pris, laissant un service et des dizaines de patients sans suivi médical.
66 INTERVENTIONS/INTERVENTIONS
A Firminy, le 8 Juin 2018
de la direction de l’établissement
aout
onsieur,
Nous nous interrogeons face à une gestion qui refuse de recruter les internes sur des postes de psychiatres par économie, pour ensuite faire appel à des « chasseurs de tête » et recruter des psychiatres intérimaires dont le coût est bien plus élevé. Les soignants qui restent, et les usagers de psychiatrie, doivent endurer les terribles conséquences de vos choix. Constatant la légèreté avec laquelle vous répondez à notre désarroi, nous transmettons nos courriers et votre réponse au CGLPL, à l’ARS et au ministère de la santé.
La Psy cause
Monsieur le Directeur, Par ce courrier nous attirons votre attention sur les conditions d’accès aux soins de la population du territoire de l’Ondaine (Saint Genest Lerpt, Roche la Molière, Saint Bonnet le Château, Marlhes, Saint Genest Malifaux, Planfoy, la Ricamarie, Firminy, le Chambon Feugerolles, Fraisses, Unieux…..) qui ne cessent de se dégrader. Nous assistons à une dégradation de la pénurie médicale amplifiée par la politique institutionnelle et nationale actuelle. Sur le secteur de l’Ondaine, nous constatons depuis plusieurs années des démissions et des départs en retraite de psychiatres qui n’ont pas été remplacés. Les conditions d’embauche annoncées par la direction (titularisation au bout de 1 an, compensation financière pour tous) ayant permis le recrutement récent (novembre 2017) de 2 nouveaux psychiatres n’ont pas été tenues et amènent l’un d’entre eux à renoncer prématurément à son contrat et à quitter l’institution publique. Le deuxième est en réflexion et donnera sa réponse à la fin du mois. Cette situation est généralisée à l’ensemble de la psychiatrie, ce qui entrave les conditions de travail des soignants et met en péril l’alternative à l’hospitalisation, augmentant le risque d’embolisation des urgences et des services. La perspective d’une éventuelle fermeture met en danger la prise en charge des patients fragiles et dépendants et l’accès aux soins pour tous.
L’équipe du CMP et HDJ de l’Ondaine
Hôpital Bellevue Pavillon 52
La situation vécue aujourd'hui est de nature à amplifier le problème car Saint-Etienne sera de moins en moins attractif pour les internes qui souhaiteraient rester au CHU.
Union nationale de familles et amis de personnes malades et/ou handicapées psychiques
CHU DE SAINT-ETIENNE Direction des usagers et Monsieur Galy Directeur Général 42055 Saint-Etienne cedex 2
Recommandé AR
Objet : Situation alarmante CMP et Pôle psychiatrie CHU Saint-Etienne
L'Unafam de la Loire souhaite que cette question soit évoquée en CDU. Elle souhaite également échanger avec ses membres à la prochaine commission, afin d'évoquer ensemble la situation alarmante que rencontre la psychiatrie à Saint-Etienne.
Messieurs, La délégation de l'Unafam Loire tient à faire part de sa vive inquiétude et de ses interrogations sur le fonctionnement de la psychiatrie au CHU de st Etienne.
Si les personnes en souffrance ne peuvent plus être accueillies et soignées, il et à craindre que la santé des malades ne se dégrade. Devrons-nous attendre que des faits très graves se produisent pour qu'une prise en charge des personnes souffrant de troubles psychiques soit assurée ?
Association reconnue d’utilité publique
Recommandé AR
Ce courrier a également été adressé à l'ARS, délégation départementale de la Loire.
Saint-Etienne, le 21 septembre 2018
Nous vous prions de recevoir, Messieurs, l'expression de nos cordiales salutations.
Objet : Situation alarmante CMP et Pôle psychiatrie CHU Saint-Etienne
Annie Corbel, Jacques Faverjon et Bernadette Royet co-présidents de l'Unafam Loire Christian Fuvel, bénévole Unafam et président de la CDSP Jean-Claude Mazzini, bénévole et ex-président de l'Unafam Loire Roger Peyret, bénévole et titulaire au conseil Territorial de Santé
Monsieur,
ARS Délégation départementale Loire Monsieur Legendart Directeur 4 rue des Trois-Meules – BP 219 42013 Saint-Etienne Cedex
Un délai trop long, voire impossible, d'accès au CMP centre-ville de Saint-Etienne pour les personnes malades et/ou en crise qui ont besoin de soins rapides et d'un suivi médical. Depuis le mois de juin le CMP ne prend plus de nouveaux rendez-vous et inscrit les personnes sur des listes d'attente sans pouvoir donner aucun délai de prise en charge. En effet, les entretiens de première intention assurés jusqu'à présent par le personnel infirmier ne peuvent plus avoir lieu étant donné le manque de médecins pour prendre le relais. Le CMP centre-ville a une liste d'attente de 300 personnes et avec le départ de trois psychiatres d'ici à la fin de l'année, celle-ci sera de près de 400 personnes si aucun médecin n'arrive d'ici là.
Les difficultés pour les patients en cours de suivi. Nombreux sont ceux qui sont reçus par des internes ou qui ont des changements fréquents de médecins ou d'internes. Ces situations sont très mal vécues par les usagers très déstabilisés et par les familles qui les accompagnent. Cela est très préjudiciable au bon rétablissement des personnes malades.
Les difficultés pour les patients en cours de suivi. Nombreux sont ceux qui sont reçus par des internes ou qui ont des changements fréquents de médecins ou d'internes. Ces situations sont très mal vécues par les usagers très déstabilisés et par les familles qui les accompagnent. Cela est très préjudiciable au bon rétablissement des personnes malades.
Une souffrance importante et anormale chez les équipes soignantes qui viennent de se mettre en grève illimitée pour "une psychiatrie humaniste et non pas économique".
Une souffrance importante et anormale chez les équipes soignantes qui viennent de se mettre en grève illimitée pour "une psychiatrie humaniste et non pas économique".
L'Unafam de la Loire se demande donc si l'effectif des psychiatres sur le centre-ville est réellement suffisant ?
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Une ville comme Saint-Etienne ne peut pas se satisfaire de ces moyens en constante régression. Vers qui vont se tourner toutes les personnes qui ont un besoin urgent de soins et qui ne pourront être pris en charge ? Vers les urgences du CHU, qui sont déjà saturées ? (voir le rapport de la contrôleuse générale des lieux de privation de liberté). Vers la psychiatrie libérale où les cabinets refusent déjà des patients ?
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42@unafam.org – unafam42.free.fr
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T R N
42@unafam.org – unafam42.free.fr
.Invitation à une table ronde jeudi 18 octobre de 14h à 17h à la cinémathèque de St Étienne pour évoquer le thème « après l’antipsychiatrie » organisée par l’école d’architecture dans le cadre du projet : après la révolution.
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1 agent du C de Saint tienne qui nous signale qu’après études statistiques des chiffres, une ermeture pourrait tre envisagée
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En plus de la lettre ouverte à l’ARS faite par le collectif en mars, le courrier du secteur Saint Étienne cet été, les internes de psy, les praticiens hospitaliers du p le psychiatre ainsi que l’ NA A ont également rédigé un courrier alertant sur la situation catastrophi ue de la psychiatrie
Pour s'organiser et décider de l'orientation que nous allons prendre pour défendre notre métier et nos patients nous vous donnons rendez-vous le
Action de la sy Cause le 21 septembre à la oire :
A.G. JEUDI 04 OCTOBRE A 15H
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Rédaction d'un tract en cours pour sensibiliser la population sur les conditions d'accueil des patients, de travail pour les soignants. Pour se faire nous avons besoin de vos retours d'expérience (une situation résumée en une ou deux phrases). Envoyez à la.psy.cause@gmx.fr
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Reconduction du mouvement de grève sur le CHUSE votée à l’unanimité sur l’ensemble des revendications et surtout sur les moyens !!!!
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HOPITAL NORD La grogne monte dans différents hôpitaux aux 4 coins de la France! On ne compte plus les établissements qui rentrent en lutte les uns après les autres en 2018. De plus en plus d'irréductibles soignant.e.s tentent d'obtenir des soins plus humains.
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de grévistes sur la psychiatrie
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de grévistes sur le personnel soignant
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Échanges via réseaux sociaux massifs pour faire converger nos actions, carte des luttes qui fleurissent chaque jour.
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Soutien de membres de la Psy Cause à l’action des collègues du collectif Inter Hosto de Lyon le 2 /0 place de la République
Préavis de grève illimité déposé, vous pouvez donc faire 1h, 2h...
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.Articles dans la presse ( France bleue, le quotidien du médecin, le canard encha né )
ujourd’hui vous deviez vous rendre sur le CH de Saint- tienne et nous voulions profiter de votre présence afin de discuter des missions de service public que nous ne pouvons plus assurer. Mais encore une fois
Organiser un temps de self gratuit ?
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Intervention à la fête du livre ( à voir en fin d’action du 12/10)
Vous défendez l’indéfendable et vous le savez bien ! Quand on sait que je serai la seule infirmi re pour patients dans ce nouveau b timent que vous alliez inaugurer.
Merci à la PPU pour la carte
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Participation au café citoyen le 1er octobre pour expliquer nos actions et nos revendications
https://fr-fr.facebook.com/lapsycause/ https://twitter.com/cause_psy/ LA PSY CAUSE / Septembre 2018 la.psy.cause@gmx.fr avec le soutien des syndicats CGT et FO du CHU de Saint-Étienne
ous dénon ons ces pratiques au sein des ser ices et des instances depuis des années sans réponse e icace de l ad inistration hospitali re.
Personnel Du Pole de Psychiatrie de Saint Etienne sychologue d inistrati s
ars
.
inistre santé aire de aint tienne éputé irection et ureau pole psychiatrie che s de ser ices de psy et pedopsy autres poles ore et oanne syndicats a ri une représentants des usagers ser ices.
Lors des jours couverts par la grève il n’y a aucune obligation de se déclarer gréviste à l’avance, c’est l’administration qui doit s’assurer que la continuité des soins se fera en organisant des assignations qui doivent être signées au préalable par les personnels !!!!!
Dans l'attente d'un rendez-vous, nous vous prions de recevoir, Monsieur le directeur général, nos salutations Humanistes.
La Psy Cause
•
Rappel concernant le droit de grève !
Pourtant cette défense des politiques économiques conduit chaque jour des personnes à vivre dans la peur, la douleur, l’insécurité. Nous parlons bien des usagers mais aussi des soignant.e.s.
Monsieur,
Soyons nombreux !
de grévistes sur le CHU
Actions et liens avec les autres collecti s et l’extérieur:
Texte lu lors de l'inauguration « officieuse » du nouveau bâtiment pour personnes âgées dépendantes de Bellevue – CHU de Saint-Étienne le 12 Oct. 2018
Idées d’actions à approfondir pour le futur : refus d’encadrer les étudiants dans les conditions actuelles et voir si on peut s’associer aux revendications des formateurs d’IFSI qui n'ont plus d'intervenant en psychiatrie pour dispenser les cours...
Appel et consignes seront donnés dans les jours qui viennent.
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Vous défendez l’indéfendable et vous le savez bien ! Parce que vous me demandez sans cesse de faire plus avec moins. Vous défendez l’indéfendable et vous le savez bien ! Sinon vous seriez capable de venir en discuter avec nous...
Objet Lettre ouverte à l’attention Monsieur le Directeur énéral de l’ gence égionale de Santé uvergne- h ne- lpes , ainsi qu'à la population. Le but étant d'obtenir des moyens Humains pour des soins Humains.
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Rassemblement à 14h30 devant le nouveau bâtiment.
Beaucoup d’échanges, d’idées qui seront utiles pour nos prochaines actions !!
https://fr-fr.facebook.com/lapsycause/ https://twitter.com/cause_psy/ LA PSY CAUSE / Septembre 2018 la.psy.cause@gmx.fr avec le soutien des syndicats CGT et FO du CHU de Saint-Étienne
ACTION prévue le 12/10 lors de l’inauguration du nouveau bâtiment de l’USLD à Bellevue en présence du DG, du directeur de l’ARS et du maire. !!!
octobre
Vous défendez l’indéfendable et vous le savez bien ! Pour preuve, votre silence depuis mois alors que nous vous avons écrit à plusieurs reprises afin de discuter des probl mes rencontrés par la psychiatrie. Pour preuve encore, l’annulation de votre venue ce jour. Votre absence nous incite à penser que vous n’ tes donc pas à l’aise avec les politiques économiques que vous nous imposez.
Grosse mobilisation de l’ensemble du personnel, bilan positif, portée médiatique de nos revendications.
SALLE DE REUNION DES LOCAUX SYNDICAUX
ait à Saint- tienne le
Grève inter pro et nationale le 9/10 rdv 10h30 à la Bourse du travail, un cortège de La Psy Cause est prévu. Amenez vos banderoles sifflet, etc...(CGT invite à une AG à 14h30 pour tous les agents du CHU dans les locaux syndicaux de Nord)
42@unafam.org – unafam42.free.fr
Vous défendez l’indéfendable et vous le savez bien ! Quand le lendemain de mon opération on me propose de faire ma « toilette » devant un simple lavabo.
Actions à venir : •
UNAFAM – Délégation de la Loire
39 Rue M ichelet – 4 2000 SAINT ET IENNE – T él : 04 77 32 77 05
Vous défendez l’indéfendable et vous le savez bien ! Parce que je ne rentre pas dans la case d’un tableur Excel.
Collectif soignant La Psy cause
AG
04/10/1
Néanmoins les lignes n'ont pas bougé pour autant ! Le plan santé traite de la psychiatrie que sur une demie page et c'est une coquille vide... Notre direction se satisfait de nos moyens humains... Pire, la revalorisation du budget de la santé sera portée à 2,5% quand on sait qu'elle devrait être au minimum de 4% pour maintenir les moyens actuels. Traduction : il va falloir faire 1 milliard d'économies supplémentaires !!
Vous défendez l’indéfendable et vous le savez bien ! Quand la souffrance psychique ne peut plus tre accueillie faute de moyens humains. Que ma famille et moi-m me allons nous retrouver encore plus isolés. Vous défendez l’indéfendable et vous le savez bien ! Parce que je vais rester attaché à mon fauteuil une bonne partie de la journée faute de moyens Humains.
https://fr-fr.facebook.com/lapsycause/ https://twitter.com/cause_psy/ LA PSY CAUSE / Octobre 2018 la.psy.cause@gmx.fr avec le soutien des syndicats CGT et FO du CHU de Saint-Étienne
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Nous nous mobilisons aujourd’hui pour sauver notre système de santé, nous ne nous résignons pas aux économies et à l’austérité. Nous ne pouvons pas accepter de faire payer à nos patients les politiques de santé qui mènent à la déshumanisation de l’hôpital.
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https://fr-fr.facebook.com/lapsycause/ https://twitter.com/cause_psy/ LA PSY CAUSE / Septembre 2018 la.psy.cause@gmx.fr avec le soutien des syndicats CGT et FO du CHU de Saint-Étienne
patients plusieurs années dans des unités de soins qui ne sont plus adaptés à ce type de prise en charge.
ous so es tr s préoccupés inquiets ré oltés par la pratique généralisée de la contention et de l isole ent celle ci étant égale ent liée à une dégradation des oyens hu ains en psychiatrie. ous récla ons du personnel or é à cette pratique de soin de ani re ci lée adaptée à la situation et en con or ité a ec la loi. epuis de no reuses années algré nos alertes le no re de personnel di inue. a qualité de la or ation initiale in ir i re la précarisation des personnels le turn o er des agents la déserti ication des postes de sychiatre alt re la qualité de la prise en charge des patients. u ain n est plus au centre du soin. ctuelle ent la seule réponse de la part de la direction est une réponse architecturale sans dotation de personnel supplé entaire. i cela a outi nous n aurons plus d espace pour proposer des édiations thérapeutiques et des solutions alternati es à l isole ent. ous oulons tre acteur à l éla oration d un pro et cohérent de la psychiatrie stéphanoise.
et ettre ou erte a ec rappel des alertes réalisées par les pro essionnels du p le de psychiatrie du de t tienne .
Droit de réponse ar ce courrier nous oulons aire entendre notre parole soignante et re ettre la qualité des soins au centre de la discussion.
e ant la gra ité de la situation l ense psychiatrie e igent
es soignants du p le de psychiatrie sont satis aits du passage des contr leurs et sont en accord a ec le rapport de ceu ci. a psychiatrie est une spécialité qui nécessite des oyens hu ains qui sont des re parts à la pratique de l isole ent et de la contention. l e iste un lien entre les conditions d accueil indignes et la ise en place protocolisée des contentions et de l isole ent au urgences. ous trou ons pertinents l idée de la ise en place de or ations sur les pratiques alternati es à la contention et l isole ent. les or ations é oqués par la direction n ont pas été ises en place à ce our lors de la rédaction de ce courier
le des personnels du p le de
es oyens hu ains et inanciers supplé entaires a in d assurer des soins en accord a ec nos aleurs hu anistes aupr s des patients et dans la dignité.
a réou erture du ser ice er é en uin et de sa dotation en personnel édicale et para édicale correspondante plut t qu un ricolage dans les unités e istantes.
a stagiairisation i édiate des agents contractuels a in de conser er leur sa oir aire acquis au sein des ser ices.
e réta lisse ent du udget de or ation qui di inue depuis plusieurs années a in d aug enter notre e pertise soignante.
ou erture de places en structure d accueil lieu de ie pour patients atteints de trou les psychiatriques. l nous parait délét re de garder des
n dépit d une de ande i périeuse de la direction du respect du droit de réser e l ense le du personnel de psychiatrie s autorise un droit de réponse.
Collectif La Psy cause Si nous, personnel de psychiatrie, sommes présents aujourd’hui dans la rue et en grève, c’est pour dénoncer ce qui tue le soin, ce qui tue la relation, ce qui tue notre métier, ce qui tue l’hôpital : ce qui nous tue tous, soignants, usagers & proches :
Non à la contention abusive de la parole !!! N
Attendre des heures aux urgences, A TU L’austérité, A TU Les fermetures de lits, de services, d’hôpitaux, A TU La restriction des espaces de pensée, A TU Passer des jours sur un brancard, A TU La pression au travail, A TU La tarification à l’activité, A TU L’insécurité au travail et dans les soins, A TU Le lean-management, A TU tre en sous-effectif, A TU La contention de gens sur un brancard, A TU Les économies du gouvernement sur le dos de la santé, A TU L’hospitalisation dans un bureau au lieu d’une chambre, A TU Rester dans son urine pendant des heures, A TU Le manque de temps auprès des patients, A TU Avoir honte de son métier, A TU Les conditions d’accueil déplorables, A TU Ne pas pouvoir répondre à vos besoins, A TU Ne plus pouvoir travailler avec humanité, A TU La maltraitance institutionnelle, A TU Ne pas pouvoir soigner dans la dignité, A TU Le mépris, le manque de reconnaissance des professionnels de santé, A TU La précarité des soins, A TU Les chambres doubles triplées, A TU Le mépris de la souffrance, A TU Le mépris de nos revendications, A TU Le suicide de nos collègues, A TU Les restrictions budgétaires de la santé, A TU Le manque de lits d’hospitalisation, A TU Se faire agresser et tre en manque de personnel, A TU Travailler contre ses valeurs de soignant.e.s, A TU Traiter l’hôpital comme une entreprise, A TU Traiter les patients comme des marchandises, A TU L’augmentation d’activité sans augmentation de personnels, A TU Parce que l’hôpital est malade et que A TU
Nous, personnel hospitalier de psychiatrie, sommes indignés du traitement réservé aux agents osant s’exprimer auprès de la direction sur les dysfonctionnements institutionnels. La réponse de la direction à ces prises de parole est démesurée, injustifiée, injuste, abusive et donc, vous l’aurez compris INACCEPTABLE. Nous nous solidarisons donc avec nos collègues cadres de santé (voilà pourquoi les agents contractuels signeront de manière anonyme). GRADE ET SERVICE
UNAFAM – Délégation de la Loire
39 Rue M ichelet – 4 2000 SAINT ET IENNE – T él : 04 77 32 77 05
L'organisation recherche des usagers qui souhaiteraient participer à ces échanges ( plus d'info à la.psy.cause@gmx.fr),
POUR UNE PSYCHIATRIE HUMANISTE
CO
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UNAFAM – Délégation de la Loire
39 Rue M ichelet – 4 2000 SAINT ET IENNE – T él : 04 77 32 77 05
42@unafam.org – unafam42.free.fr
Tout d'abord, bravo à toutes et à tous pour la mobilisation du vendredi 21 septembre sur la foire qui a démontré notre détermination (et attiré l'attention de nombreux médias qui nous contactent). 11% de grévistes sur le CHU et plus de 60% sur la psy !
Annie Corbel, Jacques Faverjon et Bernadette Royet co-présidents de l'Unafam Loire Christian Fuvel, bénévole Unafam et président de la CDSP Jean-Claude Mazzini, bénévole et ex-président de l'Unafam Loire Roger Peyret, bénévole et titulaire au conseil Territorial de Santé
De nombreuses familles qui accompagnent les personnes malades psychiques constatent et regrettent :
UNAFAM – Délégation de la Loire
NOM
Nous vous prions de recevoir, Monsieur, l'expression de nos cordiales salutations.
Un délai trop long, voire impossible, d'accès au CMP centre-ville de Saint-Etienne pour les personnes malades et/ou en crise qui ont besoin de soins rapides et d'un suivi médical. Depuis le mois de juin le CMP ne prend plus de nouveaux rendez-vous et inscrit les personnes sur des listes d'attente sans pouvoir donner aucun délai de prise en charge. En effet, les entretiens de première intention assurés jusqu'à présent par le personnel infirmier ne peuvent plus avoir lieu étant donné le manque de médecins pour prendre le relais. Le CMP centre-ville a une liste d'attente de 300 personnes et avec le départ de trois psychiatres d'ici à la fin de l'année, celle-ci sera de près de 400 personnes si aucun médecin n'arrive d'ici là.
39 Rue M ichelet – 4 2000 SAINT ET IENNE – T él : 04 77 32 77 05
ait à aint tienne le
Un courrier et une demande identique sont également adressés à la CDU du CHU de Saint-Etienne.
Saint-Etienne, le 21 septembre 2018
L'Unafam de la Loire se demande donc si l'effectif des psychiatres sur le centre-ville est réellement suffisant ? Une ville comme Saint-Etienne ne peut pas se satisfaire de ces moyens en constante régression. Vers qui vont se tourner toutes les personnes qui ont un besoin urgent de soins et qui ne pourront être pris en charge ? Vers les urgences du CHU, qui sont déjà saturées ? (voir le rapport de la contrôleuse générale des lieux de privation de liberté). Vers la psychiatrie libérale où les cabinets refusent déjà des patients ?
ara édicau
L'Unafam de la Loire vous demande donc un rendez-vous rapide afin de pouvoir évoquer ensemble la situation alarmante que rencontre la psychiatrie à Saint-Etienne.
La délégation de l'Unafam Loire tient à faire part de sa vive inquiétude et de ses interrogations sur le fonctionnement de la psychiatrie au CHU de st Etienne.
De nombreuses familles qui accompagnent les personnes malades psychiques constatent et regrettent :
édicau
La situation vécue aujourd'hui est de nature à amplifier le problème car Saint-Etienne sera de moins en moins attractif pour les internes qui souhaiteraient rester au CHU.
Union nationale de familles et amis de personnes malades et/ou handicapées psychiques
Si les personnes en souffrance ne peuvent plus être accueillies et soignées, il et à craindre que la santé des malades ne se dégrade. Devrons-nous attendre que des faits très graves se produisent pour qu'une prise en charge des personnes souffrant de troubles psychiques soit assurée ?
Association reconnue d’utilité publique
SIGNATURE
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Nous dénonçons la politique irresponsable et criminelle du gouvernement et de la ministre de la Santé, qui met en danger les hospitaliers et les usagers. Les paroles et les hommages de notre président ne nous intéressent pas. Nous voulons : — Des moyens humains suffisants afin d’assurer des soins en accord avec nos valeurs humanistes auprès des patients et dans la dignité. — La réouverture des lits fermés en juin 2017 et leur dotation en personnel médical et paramédical correspondante plutôt qu’un bricolage dans les unités existantes. — La titularisation immédiate des agents contractuels afin de conserver leur savoirfaire, acquis au sein des services. — Repenser la formation initiale des personnes qui souhaitent travailler en psychiatrie. Avec un programme adapté aux réalités du terrain et un apprentissage théorique et pratique à la hauteur des besoins. — Lancer un appel à la création de lieux de vie pour les patients atteints de troubles psychiatriques. Il nous parait délétère de garder des patients plusieurs années dans des unités de soin qui ne sont plus adaptées à ces personnes. — Retrouver nos espaces de pensée : Approcher la maladie mentale demande du temps, et la complexité de ces pathologies nécessite un travail d’équipe : une cohésion pour assembler, accorder et donner du sens à ce travail spécifique.
Nous appelons tous les usagers & leurs proches, présents ou futurs, à nous soutenir pour refuser la casse de notre système de santé. La situation n’est plus tenable. Il est temps d’agir, ensemble, pour se faire entendre.
La Psy Cause
Compte rendu suite à la dernière AG du collectif du CHU de Saint-Étienne en date du 31 mai 2018
********************************************** Action du 17 mai place Hôtel de Ville Nous étions une soixantaine de personnel de psy du CHU, auxquels se sont ajoutés divers soutiens (Syndicats, retraités, Udaf, GEM...) Action réussie donc, puisque la parole a circulé avec la population ! Quelques belles rencontres avec les usagers. Nous avons fait un « Die in » avec lecture d'un texte dénonçant ce qui tue à l’hôpital et qui s'est terminé sur nos revendications et notre détermination à pouvoir soigner correctement. Bon retour de la part des spectateurs comme des participants d’où sa mise en forme en forma « tract » avec l'aide d'un usager et distribution de ce dernier lors de la manif du 26 mai dernier. Concernant nos revendications, un simulacre de séance de négociation a eu lieu le 16 avec des représentants CGT/FO. Rien n'est proposé pour satisfaire tout ou en partie nos revendications ! La direction campe sur ses positions et renvoie la balle sur l'ARS qui ne nous a toujours pas donnée de rendez-vous !!!! (depuis Mars) Nous avons dénoncé l'effet d'annonce concernant la prime pour attirer les psychiatres : 5 PECH Vs 13 psy éligibles > la direction propose donc aux chefs de services de se battre entre eux ?? Sinon, comme on dit « c'est déjà ca... » : 17 Stagiairisations ide à venir cet été en psy.
Les Collectifs Suite à la demande lors de l'AG de Mars de tisser des liens avec d'autres établissements nous avons rencontré différents collectifs de santé ; -Hôpitaux en lutte France, collectif national qui a organisé la Marée blanche sur Paris le 15 mai -Collectif inter hosto Lyon regroupant Vinatier, E. Herriot, … Nous décidons de travailler avec eux au niveau régional. Il y aura une AG le 20 juin sur E. Herriot. Des membres de la Psy Cause vont donc s'y rendre (si vous êtes intéressés faites nous signe via la CGT ou FO -Infos données sur la lutte des grévistes de la faim au CH du Rouvray et de notre rencontre avec le collectif « Blouses Noires » du même établissement : https://www.facebook.com/GREVE-de-la-FAIM-au-Rouvray-389132238239225/ https://www.facebook.com/blouses.noires.3
la.psy.cause@gmx.fr Avec le soutien des syndicats CGT et FO du CHU de Saint-Étienne
IPNS
CGLPL (suite) Le rapport final n'étant pas terminé les contrôleurs reçoivent avec « beaucoup d'interet » les informations concernant la prise en charge des patients au CHU depuis leur visite. Ces informations « seront intégrées au rapport définitif qui sera prochainement adressé à la ministre des solidarités et de la santé. »
Nom du collectif
Décisions
La Psy Cause
Validé à l'unanimité
Création d'une mailing list pour une meilleur circulation de l'information
envoyer un mail à la.psy.cause@gmx.fr Validé à l'unanimité
Création d'une page Facebook là aussi pour une meilleur circulation de l'information mais aussi pour plus d'échanges possibles et d'interactivité hors AG.
https://www.faceboo k.com/La-PsyValidé à l'unanimité Cause347364009121925/
Futur/Actions Action : Il est décidé de faire une mobilisation d'ici la fin du moi de Juin. En cours de réflexion (ou ? Quand ? Public visé ?)
Nous continuons à revendiquer : — Des moyens humains suffisants afin d’assurer des soins en accord avec nos valeurs humanistes auprès des patients et dans la dignité. — La réouverture des lits fermés en juin 2017 et leur dotation en personnel médical et paramédical correspondante plutôt qu’un bricolage dans les unités existantes. — La titularisation immédiate des agents contractuels afin de conserver leur savoir faire, acquis au sein des services. — Repenser la formation initiale des personnes qui souhaitent travailler en psychiatrie. Avec un programme adapté aux réalités du terrain et un apprentissage théorique et pratique à la hauteur des besoins. — Lancer un appel à la création de lieux de vie pour les patients atteints de troubles psychiatriques. Il nous parait délétère de garder des patients plusieurs années dans desunités de soin qui ne sont plus adaptées à ces personnes. — Retrouver nos espaces de pensée : Approcher la maladie mentale demande du temps, et la complexité de ces pathologies nécessite un travail d’équipe : une cohésion pour assembler, accorder et donner du sens à ce travail spécifique.
IPNS / Ne pas jeter sur la voie publique
IPNS / Ne pas jeter sur la voie publique
La Psy C Cause
La Psy C Cause
La Psy C Cause
Communiqué mm de presse pour la journée d’action du 14 juin 2018 / site hôpital nord
Communiqué mm de presse pour la journée d’action du 14 juin 2018 / site hôpital nord
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Si nous, personnels de la psychiatrie de St Étienne sommes présents aujourd'hui, c'est pour rendre hommage à nos collègues du CH du R VRA qui, après une lutte acharnée, ont enfin obtenu gain de cause. Déplorons le fait qu'ils aient d mettre leurs vies en danger pour pouvoir être entendus. De plus, nous sommes en grève au niveau local pour réaffirmer notre volonté de voir des négociations s'ouvrir sur les revendications du collectif soignant la psy cause. Par soignant nous entendons tout le personnel du pôle psychiatrique qui uvre pour les soins des usagers, que ce soit de manière directe ou indirecte. Pour rappel, depuis le passage des Contrôleurs énéraux des Lieux de Privation de Liberté, nous avons mené plusieurs actions Rédaction d'une lettre ouverte par le personnel en date du mars adressée notamment à l'ARS et à notre ministre de la santé restée sans réponse. Mobilisation du personnel avec information à la population le 1 mai dernier (sur une journée de grève). Depuis de nombreuses années malgré nos alertes, le nombre de personnel diminue. La qualité de la formation initiale infirmière, la précarisation des personnels, le turn over des agents, la désertification des postes de Psychiatre, altèrent la qualité de la prise en charge des patients. L Humain n est plus au centre du soin. Actuellement la seule réponse de la part de la direction est une réponse architecturale sans dotation de personnel supplémentaire. Si cela abouti nous n aurons plus d espace pour proposer des médiations thérapeutiques et des solutions alternatives à l isolement. ous voulons être acteur à l élaboration d un projet cohérent de la psychiatrie stéphanoise. Devant la gravité de la situation, l ensemble des personnels du pôle de psychiatrie exigent Des moyens humains suffisants afin d assurer des soins en accord avec nos valeurs humanistes auprès des patients et dans la dignité. La réouverture des lits fermés en juin 01 et leur dotation en personnel médical et paramédical correspondante plutôt qu un bricolage dans les unités existantes. La titularisation immédiate des agents contractuels afin de conserver leur savoir-faire, acquis au sein des services. Repenser la formation initiale des personnes qui souhaitent travailler en psychiatrie. Avec un programme adapté aux réalités du terrain et un apprentissage théorique et pratique à la hauteur des besoins. Lancer un appel à la création de lieux de vie pour les patients atteints de troubles psychiatriques. l nous parait délétère de garder des patients plusieurs années dans desunités de soin qui ne sont plus adaptées à ces personnes. Retrouver nos espaces de pensée Approcher la maladie mentale demande du temps, et la complexité de ces pathologies nécessite un travail d équipe une cohésion pour assembler, accorder et donner du sens à ce travail spécifique. ous regrettons - que les dernières négociations avec la direction de CH infructueuses
la.psy.cause@gmx.fr Facebook : La-Psy-Cause Twitter @cause_psy
-de ne pas avoir de réponse de la part de l' ARS à notre demande de rendez-vous datant du mois de mars (cf lettre ouverte). - le silence de notre ministre de la Santé (cf lettre ouverte). Mais nous ne sommes pas dupes, le manque de moyens auquel nous faisons face concerne non seulement le secteur de la santé mais aussi l'ensemble du service public. Par exemple, les hôpitaux Pierre Janet au Havre, Saint-Jean-de-Dieu à Lyon, l'hôpital Marchant à Toulouse.... tous réclament des moyens pour travailler correctement dans le respect de la dignité des patients. Les urgences de l'hôpital Sainte Musse à Toulon en sont à plus de 100 jours de lutte. La blanchisserie des Hospices Civils de Lyon vient d'arrêter sa production face à une suppression de personnel. Plusieurs sites de l'énergie sont bloqués notamment à Saint-Étienne et à Vénissieux. Les cheminots en lutte depuis plusieurs mois. Etc... De partout nous voyons nos collègues, nos amis, démissionner, s'arrêter pour burn out, par épuisement. Mais les lignes peuvent bouger ! La preuve vient d'en être faite par nos courageux collègues du CH du Rouvray. Ces collègues qui ont fait germer l'idée qu'il n'y a pas de fatalité économique. Ces soignants qui ont fait germer l'idée qu'il est encore possible d'aller vers une psychiatrie Humaniste. Ces personnes qui ont fait preuve d'un altruisme inouï face à un gouvernement qui cherche à diviser. Vous êtes de belles graines le Rouvray, des graines qui font fleurir les luttes et nous donnent de l'espoir!
Marche funebre 25 juin 2018 LPC
MARCHE FUNEBRE LUNDI 25 JUIN à 17H00 M **************************************************************************** Depuis notre dernière action en date du 14 juin, nous n’avons toujours pas de nouvelle de l’ARS malgré nos différentes sollicitations (lettre ouverte en mars et mail de relance le 13 juin). Ce silence méprisant nous amène donc à continuer la mobilisation ! Au niveau du CHU il n’y a pas grand-chose à attendre sauf l’idée de remplacer les infirmières par des aides-soignantes.
Toujours plus avec toujours moins Depuis de nombreuses années, malgré nos alertes, le nombre de personnel diminue. La précarisation des soignants, le turn over des agents, la désertification des postes de psychiatres, la qualité de la formation initiale, altèrent la qualité de la prise en charge des patients. L’Humain n’est plus au centre du soin Nous allons donc enterrer cette psychiatrie au rabais dans laquelle plus personne ne se retrouve. Ni les patients, ni les soignants.
Reprise pourquoi on est la -collectif + lettre du 8 mars. Relance ARS le 13 juin-----> pas de nouvelles -Positionnement de notre direction Info/Avenir -ARS au chu mardi et mercredi---->Annulé -Prise de rdv avec Messieurs Juanico et Tissot le 20 juillet à 11h30 Mobilisations à venir -28 juin greve interpro et intersyndicale 10h30 bourse travail /r la succession de mesures contre le monde du travail, contre les étudiants, les retraités, les privés d’emploi à travers des réformes régressives qui se succèdent. (cheminots / energie / étudiants parcours sup qui organise un tri social) On nous parle de cout du travail, de la santé... Quid du cout du capital : Pour rappel une étude faite par OXFAM dit que, depuis 2009 les 40 plus grosses entreprises de France ont réalisé 97 milliards de profits dont 67 % sont redirigés directement aux actionnaires. Cest ça que je qualifierai de pognon de dingue ! Conclusion Les luttes sont nombreuses et nous saluons le courage et la détermination de nos camarades cheminots, en grève depuis le 3 avril pour défendre le service public ferroviaire mais aussi les salariés de l’énergie, de SNF qui se battent pour des augmentations de salaires. Nous saluons également la détermination de tous ceux qui se sont mobilisés pour le maintien de la maternité de Saint-Chamond qui, c’est officiel, est sauvée ainsi que les grevistes de l'HP du Rouvray qui ont obtenu 30 postes sup. Ces luttes démontrent qu'on peut se mobiliser et qu’il faut nous mobiliser et ne jamais baisser les bras.
Nous partirons en cortège depuis l’ARS de Saint-Etienne (4 rue des 3 meules derrière Centre 2) jusqu’à la direction du CHU sur le site de Bellevue.
Info de dernière minute : Une mission d’inspection de l’ARS sera sur le CHU les 26 et 27 juin. Faisons en sorte qu’ils entendent parler de nous !
Nous avons reconduit le préavis de grève jusqu’au 1er juillet. Vous pouvez donc faire grève 1h, 2h, …
Saint-Étienne aient été
LA PSY CAUSE /Juin 2018 avec le soutien des syndicats CGT et FO du CHU de St Etienne
la.psy.cause@gmx.fr Facebook : La-Psy-Cause Twitter @cause_psy
LA PSY CAUSE /Juin 2018 avec le soutien des syndicats CGT et FO du CHU de St Etienne
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LA PSY CAUSE /Juin 2018 avec le soutien des syndicats CGT et FO du CHU de St Étienne
INTERVENTIONS/INTERVENTIONS
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IMPRIMÉS DE LA SANTÉ PUBLIQUE Roman Seban |U|n|
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INTERVENTIONS/INTERVENTIONS
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CONTRE L’OBAMA LIBRARY W. J. T. Mitchell Je n’ai rien contre les conceptions totalisantes en matière de construction, contre la volonté de tout prendre en compte : non seulement le bâtiment, mais le site. S’il est une leçon à tirer de la pratique contemporaine pour les architectes, c’est qu’une partie de leur travail consiste à prendre en considération le site, son histoire, sa relation à d’autres sites et à tout ce qui se passe alentours. On ne construit jamais un bâtiment autonome, qui se dresserait seul au milieu d’un espace. L’architecture du paysage a de longue date placé cette conception au centre de sa pratique. Je pense en particulier à Frederick Law Olmsted, qui a conçu le plan de ce qu’on appelait à l’époque le South Park. Ce n’est plus le cas aujourd’hui, le nom ayant été accaparé par la série télévisée. Le South Park accueille l’université de Chicago et se compose du Jackson Park et du Washington Park, reliés par une allée verte : le
70 INTERVENTIONS/INTERVENTIONS
Midway. [Fig. 1] Cet agencement est globalement fidèle au projet d’Olmsted, invité en 1870 par la ville de Chicago à imaginer ce que pouvaient devenir ces vastes espaces du South Side que l’on souhaitait alors aménager. Chicago était en pleine expansion. Une génération de pionniers a fait preuve d’une manière visionnaire de penser la ville dans sa totalité. C’est pourquoi le paysage urbain de Chicago est si méticuleusement modelé, en particulier dans sa relation aux espaces verts et au lac Michigan. Des villes comme Toronto ou Cleveland ont au contraire laissé leurs rives s’industrialiser. Ces espaces, qui auraient pu devenir de superbes lieux publics, ont été privatisés, industrialisés. Les berges de Cleveland sont hideuses, aujourd’hui encore, et le même phénomène s’est produit à Toronto. Pour toutes ces villes ouvertes sur un lac ou une rivière, élaborer un plan de la cité constitue un geste
historique crucial. Comme vous le savez, Chicago traverse actuellement une crise politique majeure dont l’enjeu est précisément de décider ce qu’il conviendrait de faire pour « améliorer », rénover ou transformer l’aménagement de ses parcs. Olmsted a conçu son plan initial en 1871, peu de temps après la Guerre civile. Ce terrain essentiellement marécageux, ponctué de marais et de petits ruisseaux, rendait l’intervention d’un architecte-paysagiste particulièrement ardue. Comme son collègue Calvert Vaux, Olmsted estimait qu’il fallait « tirer parti de ce paysage marécageux, aqueux. On doit le retrouver partout dans le parc, mais sous contrôle. Nous le transformerons en étangs. » Ils nous ont laissé en héritage un paysage d’apparence éminemment naturel, et pourtant totalement artificiel. À l’état naturel, on ne pourrait le traverser à pied – ni même sans doute en bateau. Il a été transfor-
mé en un espace partiellement dévolu aux barques et aux gondoles, doté de champs verdoyants où l’on peut s’adonner au sport en équipe, d’une piste de course aménagée sur le Midway et d’autres étangs encore lorsqu’on s’éloigne du lac pour pénétrer dans Washington Park. Sur les plans d’Olmsted, ce dernier marque la frontière occidentale du projet grandiose qu’il avait imaginé pour South Park. Olmstead avait le projet plus ambitieux encore de réaliser une ceinture verte tout autour de Chicago. Il estimait que les villes avaient besoin d’espaces verts dans la mesure où l’expansion urbaine tendait à s’intensifier. Pour y résister, il fallait offrir aux citadins un refuge qui ressemble aux campagnes. En ce sens, il exprimait les idéaux politiques de l’Ère progressiste. Dans ses écrits, on trouve toute une théorie sur la raison pour laquelle il est si important que les citoyens puissent échapper à la congestion urbaine
et profiter occasionnellement de promenades solitaires. Lorsqu’on entend dire, comme c’est le cas ces temps-ci, que le parc est sous-exploité, qu’on n’y rencontre pas assez de promeneurs, qu’il faudrait y attirer les foules et les masses, on est en parfaite contradiction avec la vision d’Olmstead. À ses yeux, un parc avait pour objet d’être un espace ouvert à tous, un espace où l’on circule aisément et librement, une propriété publique – et non privée – qui n’exclut personne. Au fondement de la politique progressiste, on trouve l’idée qu’il convient de façonner la psychologie du citoyen démocratique, en lui donnant la possibilité de s’isoler momentanément et de contempler la nature. Olmstead considérait que « quel que soit le plan que l’on dessine pour un parc urbain, il faut le penser de manière globale. On ne peut le concevoir par fragments et dire : “Je veux ça ici, ça là…” Il est très important de réaliser un plan
exhaustif et cohérent. » Jackson Park, ce parc public, est un espace aujourd’hui menacé. L’Obama Foundation ambitionne d’y installer la future Obama Presidential Library – qui n’est plus seulement destinée à être une bibliothèque mais un centre communautaire – en s’appropriant plus de huit hectares de terrain, avec le projet de construire un bâtiment imposant et de réaliser toutes sortes d’aménagements artificiels au sein de ce paysage. Une autre strate, relativement invisible, caractérise cet espace urbain ; ce sont les frontières produites par la ségrégation raciale. Sur les cartes, ce qu’on appelle la « Ceinture noire » de Chicago prend naissance à la frontière ouest de cet ensemble d’espaces verts, au niveau de Washington Park, dont Martin Luther King Boulevard vient délimiter l’orée Est. Cette ceinture a été strictement encadrée par des ordonnances relatives au logement appelées « clauses contraignantes », de manière à ce qu’une personne noire ne puisse acquérir une propriété dans certains quartiers, tel que celui de Hyde Park. Les agents immobiliers, la ville et – je suis peiné de le dire – l’université de Chicago ont activement participé au maintien d’un accès ségrégé au logement, entraînant la création d’une importante congestion urbaine et d’un bidonville au niveau de la Ceinture noire, où la présence policière est particulièrement réduite. Bien entendu, le problème persiste et représente encore un défi pour l’université de Chicago : « Pourquoi voudrions-nous nous étendre à l’ouest de Washington Park ? C’est un quartier dangereux, un bidonville où les terrains vagues sont légion. On a peur de s’y rendre quand on est blanc. » Sur la carte ci-contre, un insert offre une nouvelle perspective du quartier. Je ne suis pas sûr de ce que représente la partie plus claire mais curieusement, il s’agit d’un autre site proposé pour l’emplacement de l’Obama Presidential Center et qui faisait partie des finalistes. Il ne se situe pas dans Washington Park même, mais à sa bordure. Une photographie aérienne prise en 1938 en donne une autre perspective. On retrouve le Midway, Washington Park au sommet, Jackson Park et l’université de Chicago, juste en-deçà du Midway. L’étendue d’eau située au centre de Jackson Park et baptisée Wooded Island est un jardin japonais qui existait déjà du temps de l’Exposition universelle de 1893, lorsque le site s’est couvert de pavillons venus du monde entier. Après l’Exposition universelle, un incendie a ravagé tous ces bâtiments, à l’exception du Museum of Science and Industry, situé à la pointe nord de Jackson Park. L’image ci-après représente une vue aérienne centrée sur Cornell Drive, une artère traversant Jackson Park qui faisait déjà partie du plan original d’Olmsted. J’ai découvert hier qu’il l’avait imaginée large d’une douzaine de mètres, de manière à ce que deux attelages puissent s’y croiser ; on ne se déplaçait pas encore en automobile. Elle est aujourd’hui dotée de six voies et fait entre dix-huit et vingt mètres de large. On distingue également Stony Island Boulevard et le Midway. Le projet d’Obama consiste sommairement à s’approprier cette partie du parc en fermant Cornell Drive à la circulation – cette autoroute à six voies qui constitue le principal accès au
centre-ville depuis le South Side. Sa fermeture nécessitera l’élargissement de Stony Island Avenue et de Lake Shore Drive. L’Obama Foundation renâcle à aborder la question du coût de ces travaux. « Rien que pour Lake Shore Drive, on parle de cent millions de dollars au bas mot », a fini par me révéler un ingénieur du Département des transports que j’ai dû harceler. Cet argent ne sera pas déboursé par l’Obama Foundation, mais par la ville de Chicago – c’est-à-dire par ses habitants. L’idée que la ville dispose de cent millions de dollars à investir dans ces travaux destinés à résoudre les problèmes de trafic engendrés par la fermeture de Cornell Drive est grotesque. Ajoutons que si la facture totale s’élevait à deux cents millions de dollars, au bas mot, cette dépense n’améliorerait pas le trafic. L’objectif consisterait seulement à ne pas empirer la situation actuelle. Avec un peu de chance, on parviendrait donc à maintenir le statu quo en matière de circulation en injectant deux cents millions de dollars. C’est une conception très étrange de ce que signifie investir dans une collectivité. Les entreprises de génie civil se feraient beaucoup d’argent, mais il ne s’agit pas exactement d’un investissement à long-terme dans une collectivité. Une proposition de plan pour la tour en pierres monolithes et dépourvue de fenêtres, qui devrait être érigée quelque part à l’intersection du Midway et de Jackson Park, la représente surplombant Wooded Island, avec le Museum of Science and Industry à l’horizon. L’esthétique ainsi obtenue est celle d’une plaza ou d’un domaine palatial sur le modèle européen, tel que le château de Versailles. Il s’agit d’un espace relativement formel, fortement urbanisé, avec un monument architectural qui domine la scène tout entière. En réponse à la communauté, qui a fait savoir que « cette tour à l’aspect très brutal » ne lui plaisait pas, l’Obama Foundation a admis que la critique avait quelque mérite. Elle a promis de construire une tour « moins large, plus haute » et, je suis heureux de le dire, d’abandonner le projet d’aménager un parking au niveau du Midway ; un projet qui nécessitait l’appropriation de deux hectares de terrain public supplémentaires. Rappelons que tous ces terrains deviendront une propriété privée, celle de l’Obama Foundation. Le statut juridique de ce parc urbain, public, connaîtra une transformation radicale. La rhétorique autour du projet invoque les notions d’accès public, d’implication de la communauté. Je suis sûr que l’intention est bonne et sincère. Or le fait est que, sur un plan juridique, il s’agit de privatiser un espace public. Deux vues plongeantes montrent à quoi ressemblerait le site une fois l’Obama Center construit et Cornell Drive transformée en simple voie piétonne. Cette proposition éminemment problématique est un véritable rouleau compresseur. Elle sera réalisée. Tous mes amis, qui sont des gens matures, me disent que je me bats contre des moulins à vent. Avec l’aide d’un collègue, j’ai rédigé une lettre à l’attention de l’Obama Foundation que nous avons fait circuler parmi nos confrères car, partout dans le South Side, des communautés locales se sont opposées au projet. Elles ont soulevé de nombreuses questions, mais l’université de
Chicago est restée officiellement neutre, choisissant de ne pas s’exprimer sur le projet. Avec un brin de paranoïa, on soupçonne donc la direction de l’université d’en être pleinement satisfaite. Cela donne une idée de la solidarité qui règne sur le campus. Je pourrais vous réciter les arguments émis en faveur de ces travaux, mais les communautés locales se sont montrées très sceptiques à leur égard. En réponse aux promesses de bénéfices financiers – le grand boom économique qu’entrainerait ce projet, censé améliorer la vie des personnes qui résident dans les communautés de Jackson Park et de South Shore –, l’une d’entre elles a proposé l’élaboration d’un Community Benefits Agreement (un accord sur les avantages pour la collectivité), dans lequel ces promesses seraient consignées par écrit. Jusqu’à présent, l’Obama Foundation a énergiquement résisté à cette proposition. Dans un discours, Barack Obama a déclaré : « Nous refusons de signer un Community Benefits Agreement, car nous ferons mieux que tout ce que ce document pourrait promettre. » Les promesses sont faciles à faire. Ce serait autre chose de dire : « Très bien, mettons cette promesse par écrit. » L’Obama Foundation s’y refuse. Quelle en est la raison ? Quels sont les arguments invoqués ? L’université de Caroline du Sud, à Los Angeles, et Columbia University ont signé avec les quartiers environnants des CBA qui assurent le respect des droits des minorités et promettent de résister à la gentrification. Bon nombre des locataires alentours pourraient en effet se voir expulser, car la valeur immobilière grimpe dans les quartiers avoisinant ce type de projets. Signer un CBA – c’est-à-dire conclure une entente sur les bénéfices, mettre ses promesses par écrit – n’est pas un cas sans précédents. Il me semble en partie que l’Obama Foundation ne veut pas signer un contrat qui dirait : « Si vous ne tenez pas vos promesses et que nous pouvons le prouver, il y aura des sanctions. » Seule la pression de l’opinion publique pourrait l’y contraindre. Beaucoup de personnes doutent de voir un jour ces bénéfices financiers leur revenir et il y a une raison à cela. La plupart des bénéfices iront aux entrepreneurs qui ont décroché les contrats, c’est-àdire à des gens qui possèdent de grandes firmes. Puis l’argent arrivera au compte-goutte jusqu’aux ouvriers qui construisent l’Obama Center et jusqu’au personnel qui en assurera l’entretien une fois qu’il sera ouvert, mais ce ne sont là que des bénéfices relativement mineurs. On signe usuellement des Community Benefits Agreements lorsqu’on développe un projet dans un espace mal desservi, un quartier en difficulté économique, dans lequel il déclenchera un investissement : l’installation de nouveaux commerces, cafés et restaurants. Or le quartier qui jouxtera l’Obama Center n’est pas une zone commerçante. On n’y trouve ni magasins ni restaurants. Les façades ne sont pas même aménagées pour les recevoir. Ce n’est qu’à 1,5 kilomètres plus au sud d’Hyde Park Academy High School, la Lab School de l’université de Chicago qui fait face à l’emplacement choisi le long de Stony Island Avenue, que l’on commence à voir apparaître des enseignes. Il est donc fantaisiste
de penser qu’un développement économique se produira par effet de voisinage. À mon sens, c’est la raison pour laquelle l’Obama Foundation se montre si réticente à signer un CBA. Ce sera très dur d’avoir une incidence économique sur les environs immédiats. Au lieu de se déplacer dans une zone sous-développée, comme on l’aurait espéré, ils ont choisi de s’installer dans une zone sur-développée ou déjà développée, dotée d’une grande importance historique. Une décision fatale a donc été prise il y a un an et demi, au moment de choisir le site. La ville de Chicago a cédé à la proposition du couple Obama, bien qu’une alternative ait été proposée par une équipe d’architectes locale. Les politiques internes de l’architecture portent le poids d’une longue histoire dans ce pays. Comme vous le savez, les grands noms de l’architecture résident à New York et sur la côte Est. Pour les conseillers, les Obama ont fait appel au critique d’architecture du New York Times, Paul Goldberger. Je pense que les architectes de Chicago ont compris très tôt que l’affaire était déjà pliée. La firme locale John Ronan s’est toutefois manifestée en proposant un site alternatif, situé dans la partie ouest de Washington Park, à l’endroit précis où on l’on voit cette partie plus claire sur la carte. On y trouve aujourd’hui des terrains vacants, une station-essence et, plus important encore, une ligne de métro aérienne qui rejoint le centre-ville en vingt minutes. Pas besoin de parking ; en sortant des rames, on est déjà sur site. Garfield Boulevard se déploie perpendiculairement depuis l’orée est de Washington Park, à peu près au même niveau que la 55e Rue qui traverse le quartier de Hyde Park de l’autre côté. Pour répondre à la volonté des Obama, qui souhaitaient installer l’Obama Center au sein d’un espace vert, ouvert et adjacent au parc, le plan de la firme Ronan se contente de modifier légèrement cet espace en le transformant en terrain de jeu et en y aménageant ce qu’elle appelle un lieu de convivialité, destiné à accueillir des concerts de petite taille, des événements moins formels. Ce projet modifie à peine le plan qu’Olmsted avait conçu pour Washington Park. L’espace est également directement adjacent. Le zonage du secteur autour de Garfield prévoit un développement commercial. On y trouve une station-essence et quelques boutiques, parmi lesquelles des magasins de spiritueux et bien d’autres, plus diversifiés, en attente de réouverture. À l’intersection de Prairie et de Garfield, deux superbes bâtiments de la Rebuild Foundation – un projet lancé par notre collègue universitaire et artiste local Theaster Gates –, abritent la galerie Arts Incubator et le Currency Exchange Café. Allez y faire un tour si vous vous baladez du côté de South Side. Les tacos sont délicieux et on peut y déjeuner pour moins de dix dollars. Son développement communautaire, son essor commercial ne poseront donc aucun problème. Ils émaneront naturellement d’un aménagement comme celui-ci. En outre, il n’y aurait pas besoin de modifier la circulation, ce qui permettrait d’économiser beaucoup d’argent. La ligne de métro aérienne qui relie ce quartier au centre-ville répondrait à la plu-
part des besoins en matière de transport, tandis que l’autoroute, qui se trouve à moins de deux kilomètres, ne serait pas modifiée et permettrait d’accéder au site en voiture. Le quartier de Garfield marque également la limite de la Ceinture noire. En d’autres termes, le projet serait érigé sur la ligne de front de la bataille contre la ségrégation ; une bataille qu’il remporterait complètement, à mon sens. John Ronan Architects est à l’origine de cette proposition, qui a été rejetée sans jamais avoir été réellement débattue en public. Aucune assemblée municipale n’a été organisée pour sonder les communautés sur ces deux projets concurrents. La rhétorique constante qui a accompagné l’avancement du projet l’explique peut-être en partie : « Nous n’en sommes encore qu’au stade de la planification. Ne vous inquiétez pas, rien n’est gravé dans le marbre ». Or le choix du site s’est révélé fatal. Il est à l’origine d’un terrible dilemme, qui a éveillé des résistances de part et d’autre du South Side. À mes yeux, le paradoxe le plus triste réside dans le fait que Barack Obama a commencé sa carrière dans ce quartier de Chicago en tant qu’organisateur communautaire, avec pour mission de tendre la main aux communautés défavorisées. Ce projet répond parfaitement à la mission historique qu’il s’est donnée ; celle d’un homme qui va là où on a besoin de lui, là où il peut changer la donne. À Jackson Park, les seuls changements occasionnés par l’Obama Center se résumeraient à un trafic routier cauchemardesque, des dépenses faramineuses et la destruction d’un parc historique. Je ne sais pas pourquoi la proposition de Ronan a été rejetée ni pour quelle raison elle n’a pas été publiquement débattue. Il me semble qu’il est temps de rouvrir ce débat et j’espère pouvoir y parvenir au printemps, à l’aide du séminaire que je coordonne à l’université de Chicago. Les étudiants travaillent sur ce cas et nous souhaitons inviter tous les experts en architecture, en paysagisme et en aménagement urbain que compte ce pays. C’est un choix fondamental. Pourquoi les Obama ont-ils fait ce choix ? À quoi pensaient-ils ? C’est un mystère que je ne suis pas encore parvenu à résoudre. Je peux comprendre l’attrait du lac. Si l’on vous demandait : « Préférez-vous construire votre maison au sein de Jackson Park, ce si bel espace, ou bien là, près de la station-essence ? », le choix paraîtrait évident… Jusqu’à ce que vous réfléchissiez à ses conséquences. Et les conséquences sont là. L’arrivée de ce projet transformerait profondément une communauté défavorisée. Mais du côté de Jackson Park, le quartier se trouvera transformé de manière relativement négative par la destruction d’un site d’une importance historique. Quoi qu’il en soit, je vous invite à rejoindre cette cause perdue. Nous aurons tenté d’empêcher la destruction calamiteuse de Jackson Park avant qu’elle n’advienne, en poussant le couple Obama à se remettre au travail, à se pencher à nouveau sur leur planche à dessin, à reconsidérer leur décision et à se tourner vers un meilleur choix. Des questions ?
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[Fig. 1]
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AGAINST THE OBAMA LIBRARY W. J. T. Mitchell I have nothing against thinking of totalizing, and insisting on taking everything into account. Not just the building, but the site. That’s one lesson for architects that’s coming out of contemporary practice, it is that it’s part of the architect’s job to consider the site, the history of the site, its relation to other sites, to all the things that go on around it. You’re not just building this autonomous thing that stands by itself. This point of view that has been central to landscape architecture for a long time, and I’m thinking particularly of Frederick Law Olmsted, who designed what was called the South Park. We don’t call it the South Park anymore, the TV show took over that title. There it is, looking from where we are, right about here. The University of Chicago is in here. This is Jackson Park. This is Washing-
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ton Park. Connected by a green bridge. [Fig. 1] This was a lot of Olmsted’s vision. In 1870, he was invited by the city of Chicago to figure out what to do with these vast spaces on the South Side that were going to be developed. It was clear Chicago was growing very fast. You may know, there was a generation of Chicago founders who had a very visionary idea of thinking the totality of the city, which is why Chicago’s urban landscape is so highly designed, especially in relation to green space and Lake Michigan. By contrast, cities such as Toronto and Cleveland allowed industrialization of their lakefronts. What would have been great public space was privatized, industrialized, and to this day, Cleveland’s waterfront is horrible. Same thing happened, actually, to Toronto. So all of these lakefront and river-
front cities, it’s a crucial historical position how they would produce a city plan. As you know, Chicago is now going through a major political battle on precisely what should be done to “improve” or renovate or transform this fundamental park structure.
either. It was transformed into a space for boats and gondolas, or green fields for team sports and a rac track on the Midway. More ponds over here, as we move away from the lake, into Washington Park, the western frontier of Olmsted’s grand South Park plan.
Olmsted’s original plan was laid out in 1871 not long after the Civil War. , he looked at this terrain, and saw that it was all swamp.-marshland, rivulets, very difficult for a landscape architect to come in. So Olmsted, and his colleague, Calvert Vaux, also, said “What we have to do is take advantage of the marshy, watery landscape. It has to be everywhere in the park, but we will control it. We’ll turn it into ponds.” So this is a very natural-looking landscape, but it’s totally artificial. In its natural state, you couldn’t walk through it. You probably couldn’t boat through it,
Olmsted’s had an even bigger master plan to make a green belt all the way around Chicago. His theory was that cities need green space because urban sprawl tends to get more and more intense, so you need to resist that and provide some refuge that is like the country for city dwellers. This was an expression of the political ideals of the Progressive Era. In Olmsted’s writing there’s a whole theory about why it is so important for citizens to be able to escape from urban congestion, why you need occasionally to go off by yourself. When you hear people
say, as they are today, that this park is under-utilized, not enough people in it, we should bring crowds and masses into it, directly violates Olmsted’s notion of the purpose of a free-flowing park space that is open to everyone, public property, not private. You can’t keep anybody out. The fundamental idea of Progressive politics, this is the way the Democratic citizen, their psychology is to be produced, by being able to go off by themselves and look at nature. This park, the park right here, is now endangered real estate. Today, this road comes down to here, like this. This is Cornell Drive. This is Stony Island, just a couple blocks from here. Olmsted said, “If you do anything with a park like this with an urban landscape, you must think comprehensively. You can’t do it piecemeal
and say you want this here, that there, and so forth. Very important to have unified comprehensive planning.” Well, as you know, the Obama Foundation wants to put the Obama Presidential Library, no longer a library, now a community center, right about here, and to appropriate over 20 acres of park space, and build a rather tall building, and create all kinds of artificial features in that landscape. I’m gonna show you that in just a second. This is another map, though, I want to put next to this, because another layer of the urban landscape is one that’s relatively invisible. These are the boundaries produced by racial segregation. This is a map of what’s called the “Black Belt” in Chicago, and if you compare it with the map I just showed you, the eastern edge of that is Martin Luther King Boulevard. It is this boulevard right here. So Washington Park, the western boundary of this park system, the Black Belt began here. It was strictly enforced by housing ordinances that are called “restrictive covenants”, so that a black person could not buy property in certain neighborhoods, like Hyde Park. The real estate agents, the city, and I’m sorry to say the University of Chicago, were deeply complicit in supporting segregated housing and producing here in the Black Belt deep congestion, producing a slum, very little police presence, and of course that problem continues today. It’s still often a challenge for the University of Chicago, “Why would we want to go west of Washington Park? That’s a dangerous neighborhood, a slum with lots of vacant lots. White people are afraid to go there.” This inset, by the way, shows you it from another point of view. This little blemish right here, I am not sure what it means, but curiously enough, it is the location of the alternate site, the finalist for the site of the Obama Presidential Center. Not in Washington Park, but adjacent to Washington Park. Now let me show you where we are from another point of view. This is an aerial photograph taken in 1938, and again, there’s the Midway, you can see it. There’s Washington Park at the top. Here’s Jackson Park, and we are right there just below the Midway, to get yourself oriented. That central water feature is Wooded Island, with its Japanese garden. That was something that was even there during the 1893 World’s Fair, when this entire site was covered with pavilions from all over the world. After the World’s Fair, there was a terrible fire. It burned down all of the World’s Fair, except for this one feature, which is now the Museum of Science and Industry, at the top of the north end of Jackson Park. Here’s an aerial view. You can see the central feature here is Cornell Boulevard. This main commuter artery is actually a part of Olmsted’s original plan. It was a carriage way. They didn’t have automobiles. I just found out yesterday that it was 40 feet wide in Olmsted’s plan, enough for two carriages to go by each other. Now it’s about 60, 70 feet wide, so a 6-lane highway turns out about twice this size. This is again Stony Island Boulevard. Here’s the Midway. The Obama plan was to basically take this side, shut down Cornell from top to bottom. So Cornell, 6-lane highway providing
the main commuter access from the South Side to downtown, is to be closed down. As a result of that, Stony Island has to be widened, and Lake Shore Drive has to be widened. The Obama Foundation is reluctant to talk about how much that will cost. One Department of Transportation engineer, finally after I just wouldn’t leave him alone, he said, “Okay, okay. Just Lake Shore Drive, $100 million conservatively speaking.” That money is not going to be provided by the Obama Foundation, that would be paid by the city of Chicago. Citizens of the city in other words. Of course, the idea that the city just has $100 million to do this is completely ludicrous. One further point about this, let’s say that the total bill would conservatively be $200 million to take care of the traffic problems created by shutting off Cornell Drive. The result of spending that $200 million would be no improvement to traffic. The objective would be to make it no worse than it is now. So basically you would be maintaining the status quo, hopefully, of traffic circulation by spending $200 million. A very strange notion of what it means to invest in a community. The roadway engineers would make a lot of money. Not exactly a long-term investment in a community. This is the proposed plan for the monolithic stone and windowless tower located roughly at the intersection of the Midway and Jackson Park. It will tower over Wooded Island, you can see the Museum of Science and Industry in the distance, there on your right. It produces the classic look of the plaza, the palatial estate, on the European model, say Versailles. A relatively formal space, heavily urbanized with the architectural monument dominating the entire scene. Yesterday the Obama Foundation announced in response to community criticism, which had said, “This is really a kinda brutal looking tower. We don’t like it.” They actually admitted that that criticism had some merit, and their response to it was, “We’ll make it slimmer and taller.” The other response they had to community criticism, I’m happy to say, was they gave up on the idea of putting the parking lot on the Midway, which would have appropriated five more acres of public land. This, by the way, all becomes private property. It is the property of the Obama Foundation. It’s no longer a city park, public park. Its legal status is utterly transformed. There is a lot of rhetoric about public access, community involvement. I’m sure it’s all well-meaning. I think they all believe it sincerely, but the fact is at the legal ground level of the property issues, it is privatizing public space. This is an elevated view of what happened. This is the Obama Center and the disappearance of Cornell Drive into just a walking path. Another elevation view. It’s a deeply problematic proposal, and it is a juggernaut. It’s gonna happen. Everyone who I talk to, all of my grown-up adult friends, tell me that I am tilting at windmills to raise these questions. One of my colleagues and I put together a letter to the Obama Foundation and circulated it among our colleagues, because community groups all over the South Side have objected to this. They’ve raised numerous questions, but the University
has officially remained neutral. Won’t say anything. There’s a lot of paranoia and suspicion that maybe the higher level of the University is really quite happy with this. It makes for this kind of unified campus. I can recite for you the arguments in favor of doing all this, but community groups have been very skeptical. One community group has said that all of the promises of financial benefit, that this is what would be a great boom to people who live in the community of Jackson Park and South Shore, that their lives would be much better, they have proposed what’s called a Community Benefits Agreement, in which you put the promises in writing. So far, the Obama Foundation has completely resisted that. Barack Obama gave a speech saying “We don’t want a Community Benefits Agreement, because we will do better than any CBA could promise.” Well, it’s an easy thing to say that it’s a promise, but that would be to say, “Well, okay. Put the promise in writing.” The Obama Foundation does not want to do that. So, what is behind that? What are the arguments? University of Southern California in Los Angeles and Columbia University of New York have signed CBAs with their neighborhoods to assure them that minority rights will be respected, that gentrification will be resisted because a lot of people living in rental housing may find themselves pushed out, because you know the property values will go up in the neighborhoods around this. It’s not unprecedented to have a CBA, that is a benefits agreement, to put your promises in writing. One reason I think the Obama Foundation is reluctant to do it is, of course, no one wants to sign a contract that says “If you don’t live up to your promise, and we can prove it, there are penalties.” Nobody wants to sign that; only public pressure will make it happen. There is a reason why, I think, a lot of people are skeptical that these financial benefits will accrue. Most of the benefits are going to go to contractors. That is, people who already own large businesses. Money will trickle down to workers who build the Obama Center, and it’ll trickle down to the staff who maintain it once it’s open, but those are relatively minor benefits. The major problem is usually when Community Benefits Agreements are signed, it’s because they have something that’s moved into an underserved neighborhood, a place that’s economically depressed, and so it produces investment in that neighborhood. New shops, cafes, restaurants. This whole zone adjacent to the Obama Center is not a commercial zone. There are no shops, there are no restaurants. There’s not even the storefronts where they could be received. There is Hyde Park High School on one side of the street, the University of Chicago’s Lab School. Stony Island does not become a commercial strip until it’s a mile south of here. So the idea of adjacent economic development will occur is a fantasy. I think that’s why they are so reluctant to sign a CBA, because it’s gonna be very hard to have an economic impact on the immediate surroundings. Instead of moving into an underdeveloped area, as you would hope, they are moving into an overdeveloped area. An already-developed area with great
historical significance. So a fatal choice was made about a year and a half ago, when the Obamas decided on this site. The city of Chicago gave into that proposal. Here’s a picture of what it looked like after the fire at the World’s Trade. Okay, so now I need to get out of this and I wanna show you what the alternative would look like. This is an alternative that was actually proposed by a local team of architects. There’s a whole backstory about the internal politics of architecture in this country. As you know, New York, the East Coast, basically that’s where the big-time architects reside. The architecture critic of the New York Times, Paul Goldberger, was brought in by the Obamas to be their advisor. So Chicago architects, I think, knew from the beginning that the fix was in. One firm, John Ronan, came up with a proposal. This is precisely on that little blurry spot at the west side of Washington Park, where there are now vacant lots, a gas station, and most important, an elevated train through downtown, which in less than 20 minutes on the train. You don’t need a parking lot, you step out and you’re in this space. This is Garfield Boulevard here, roughly the same level as 55th Street here in Hyde Park. This is the rest of Washington Park. The Obamas wanted to have an open green space adjacent to the park, or to the Center, so they basically just transformed that green space slightly by making it into a playground and having what they called a gathering place for music concerts. Not a big band show or anything like that, but something much less formal. It scarcely impinges on Olmsted’s plan for Washington Park. It also is directly adjacent. This Garfield is zoned for commercial development. There’s a gas station right here, now there are other shops. There are liquor stores and many more developed stores waiting to be reopened. Right here is approximate in this corner, at Prairie and Garfield, there are two wonderful little entities of the Rebuild Foundation, a group that has been pioneered by our local artist and university colleague, Theaster Gates. It’s called the Arts Incubator and next door to it is the Currency Exchange Café. While you’re here, on the South Side I hope you’ll go check these places out. The Currency Exchange has great tacos. You can get lunch for less than $10. Wonderful little place.
rhoods which of these would be better. Part of the reason for that is there’s been a constant rhetoric of, “Well, this is all still in the planning stages. Don’t worry, nothing’s written in stone”, but the choice itself was fatal. It produced this incredible dilemma which has aroused resistance all over the South Side. To me, the deeply sad paradox about this is Barack Obama started his career on the South Side of Chicago as a community organizer reaching out to underserved communities. This, from that standpoint, perfectly fits his historic mission as someone who goes where he’s needed, where he can make a difference. In Jackson Park, the only difference the Center makes is horrible traffic, huge expenses, and the destruction of a historic park. Why the Ronan proposal was dismissed, I don’t know, and why it was not publicly discussed is somewhat of a mystery to me. In my view, it’s time to reopen that discussion, and I’m hoping to do that sometime this spring, with the help of my seminar over here at the University. The students are all studying this, and we wanna bring in every national expert on architecture, landscape architecture, and urban design. It’s a no-brainer. It’s a fundamental choice. The mystery which I have not been able to solve is, why did the Obamas make this choice? What was in their minds? I think I can understand everybody wants to be close to the lake. Of course, somebody says, “Do you want your house to be in this beautiful Jackson Park, or do you want it to be over here where there’s a gas station?” That answer also looks like a no-brainer, until you actually think about the consequences of the choice, and those consequences are here, something would happen that would actually transform this deeply underserved community, and Jackson Park is transformed in a relatively bad way, destroying a site of historic importance. Anyway, so welcome to a lost cause. We tried to stop this terrible destruction of Jackson Park in its tracks and get the Obamas to go back to the drawing board, reconsider and make a better choice. Any questions?
All this then finally is accepted. So it’s community development, commercial development, is a kind of no-brainer. It’s naturally going to flow from a design like this. It’s also, there is no need for traffic modifications. You save an enormous amount of money on that, and the elevated train to downtown provides most of the transportation you need. There’s also the freeway less than a mile away, you can come by car on a freeway that is not going to change. The Garfield corner is also that boundary of the Black Belt. In other words, this is squarely at the intersection where the whole segregated battle line is drawn, and it totally overcomes that, in my view. John Ronan made this proposal. It was rejected with no real public discussion. There was never a town meeting held in which anybody asked the neighboINTERVENTIONS/INTERVENTIONS
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MA TRÈS CHÈRE VILLE DE CHICAGO Lavon N. Pettis Le 11 avril 2018
Ma très chère ville de Chicago, J’écris cette lettre innocemment, par nécessité et par souci des conditions de vie de notre communauté. Chicago est un foyer de vie active ! Chicago se targue d’être une ville de classe mondiale avec de nombreuses attractions de haute tenue, une vue imprenable sur le lac et une silhouette magnifique. Quiconque a le désir de voyager, de flâner, d’écouter de la musique dans les parcs, de voir une architecture innovante, d’aller au théâtre et de visiter des expositions dans les musées mettra de côté les horribles statistiques sur les violences par balles pour choisir de visiter Chicago. (En 2017, 2 936 personnes ont été tuées et blessées selon https://heyjackass.com/category/2017-stats/). AOL News Online suggère que 2017 a été l’une des années les plus meurtrières pour les Américains en ce qui concerne la violence par les armes à feu, avec plus de 11 000 personnes abattues dans le pays. Les données empiriques indiquent que la violence armée est un problème national de santé publique. C’est une catastrophe qui ne requiert plus de recherches, il nous faut désormais un plan de prévention et d’intervention. Nous avons atteint une masse critique avec ce problème ! Il est temps pour Chicago de mettre en œuvre des stratégies pour réduire la violence par les armes. Sans cela, cette ville abandonne ses fils et ses filles. Les jeunes n’ont pas l’occasion d’explorer l’environnement bâti de Chicago comme le font les touristes ! Les coups de feu sont fréquemment entendus dans la plupart des quartiers. Les taux de chômage élevés, les déserts alimentaires, le dépérissement, la pauvreté et le manque d’éducation sont des réalités. Les voisins survivent et se connaissent à peine. Les communautés n’ont pas le tissu social nécessaire pour renforcer les communautés. La plupart des Chicagoans sont marginalisés. Pourtant, malgré le froid et les conditions de vie difficiles, les Chicagoans sont de véritables créateurs de tendances. Comment pouvons-nous nous engager dans une meilleure santé communautaire ? Comment développer le tissu social et fournir des soins de qualité à nos quartiers ? Comment développer l’équité en matière de santé, autrement que par un effort collectif ? Quelles sont les stratégies que nous pouvons mettre en œuvre pour renforcer le tissu social de nos communautés ? Un plan global de bien-être est nécessaire pour la prévention et l’intervention en matière de violence armée. Nous devons également aborder la question de l’émancipation économique des personnes qui vivent et travaillent à Chicago. Il faut accroître les services sociaux, mentaux et de santé pour s’attaquer au syndrome de stress post-traumatique dû à la violence armée. Nous devons également élaborer un plan pour nous attaquer au fait que les réseaux sociaux créent un fossé entre certaines personnes et contribuent aux violences par les armes. Nous devons ajouter de la valeur à nos vies en réduisant la violence armée. Il est nécessaire d’améliorer le bien-être général de la jeunesse. Les jeunes devraient avoir la possibilité de concevoir des programmes de prévention et d’intervention en matière de violence par les armes à feu pour leur propre santé sociale et mentale. Ce plan à long terme pourrait être axé sur l’éducation et se transformer en un effectif de la santé. Cela pourrait vraiment stimuler leur créativité, renforcer leur résilience et éduquer les jeunes sur la façon de réagir à la violence et aux traumatismes causés par les armes à feu ! Ce type de programme pourrait contribuer à l’ensemble des connaissances sur la façon dont le tissu social renforce la santé publique des communautés ! Musicalement et Artistiquement Vôtre, Lavon Nicole Pettis
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MY DEAREST ONE THE CITY OF CHICAGO Lavon N. Pettis April 11, 2018
My Dearest One the City of Chicago, I am writing this candid letter out of necessity and concern about the conditions of our community. Chicago is a hot bed of activity! Chicago prides itself on being a world class city with state of the art attractions and a breathtaking lakefront and skyline. Anyone with a desire to travel, wanderlust for hanging out, listening to music in the parks, a need to see innovative architecture, a will to go to the theater, and enjoy visiting feature exhibitions at museums will cast aside the horrifying gun violence statistics to choose to visit Chicago. (In 2017 there were a total of 2,936 people shot and wounded according to https://heyjackass.com/category/2017-stats/). AOL News Online suggests 2017 was one of the deadliest years for Americans to die from gun violence with over 11,000 people being shot nationwide. Empirical evidence indicates that gun violence is a national public health issue. It is a crisis that does not require more research there needs to be a plan for prevention and intervention. We are at critical mass with this issue! It is time for Chicago to implement strategies to reduce gun violence. Otherwise the city is neglecting its native sons and daughters. Youth do not have opportunities to explore the built environment of Chicago the way tourists do! Guns shots are frequently heard in most neighborhoods. High unemployment rates, food desserts, blight, poverty, and lack of quality education exist. Neighbors survive and hardly know one another. Communities lack social fabric the social support that strengthens communities. Most Chicagoans are marginalized yet Chicagoans are trendsetters bearing down against the cold and bitter conditions. How do we engage in better community health? How do we develop social fabric and provide quality care for our neighborhoods? How do we develop health equity if it is not a collaborative endeavor? What are the strategies we can implement to strengthen the social fabric of our communities? A holistic wellness plan is needed for gun violence prevention and intervention. We also have to address the issue of economic emancipation for the people living and working in Chicago. There has to be an increase in the social, mental, and health services to address the post-traumatic stress disorder associated with gun violence. We also have to develop a plan to address how social media is creating disconnect for some people and contributes to gun violence. We need to add value to our lives by reducing gun violence. It is necessary to advance the overall well-being of the youth. Young people should have opportunities to design programs for their socio mental health, in the prevention and intervention to gun violence. . This long term plan could be educational driven and develop into a health workforce. It could really spark their creativity, build resilience, and educate young people on how to respond to gun violence and trauma! This type of program can contribute to the body of knowledge on how social fabric strengthens the public health of communities! Musically & Artistically Yours, Lavon Nicole Pettis
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RECENSEMENT PROVISOIRE DES BLESSÉ·E·S DES MANIFESTATIONS DE GILETS JAUNES Désarmons-les Le bilan provisoire des blessé·es des manifestations de gilets jaunes qui suit provient du site internet du collectif « Désarmons-les ». Nous le publions avec leur aimable autorisation. N’ayant pas la possibilité de contacter la totalité des personnes ayant subi ces blessures, il nous a semblé plus juste de flouter leurs visages. Source : https://desarmons.net/index.php /2019/01/04/recensement-provisoire-desblesses-graves-des-manifestations-du-moisde-decembre-2018/
Nous dressons ici un bilan non exhaustif des blessures graves occasionnées depuis le 17 novembre 2018 à l’occasion des manifestations de gilets jaunes et lycéennes. Nous n’avons répertorié que les blessures ayant entraîné des fractures des os, la perte totale ou partielle de membres ou l’incrustation dans les chairs d’éclats de grenade. Nous appelons toutes les personnes concernées à nous apporter des précisions et à rectifier notre article en cas d’erreur ou d’oubli. Par ailleurs, nous invitons toute personne blessée à nous contacter pour s’organiser ensemble sur les suites juridiques, le combat contre les armes et la rencontre entre les personnes blessées. Notre contact : desarmons-les@riseup.net 07 58 67 20 60 N’hésitez pas également à visiter le site LE MUR JAUNE et ALLO PLACE BEAUVAU qui effectue le même travail de veille que Désarmons-les ! Précision : nous recensons en premier lieu les blessé-es graves, mais nous ajoutons à notre liste également des personnes qui nous ont contacté et qui ont demandé expressément à apparaître dans le recensement, quelle que soit la gravité de leur blessure et après vérification de l’information évidemment. 1.
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ZINEB REDOUANE, 80 ans, a été tuée par une grenade lacrymogène reçue en plein visage à Marseille le 1er décembre 2018. MAXIME, a été blessé à la
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joue par un tir de LBD 40 à Quimper le 17 novembre 2018. RICHIE A., 34 ans, a perdu son œil gauche à cause d’un tir de LBD 40 à Saint-Paul (La Réunion) le 19 novembre 2018. JEROME H. a perdu son œil gauche à cause d’un tir de LBD 40 à Paris le 24 novembre 2018. PATRICK G, 59 ans, a perdu son œil gauche à cause d’un tir de LBD 40 ou d’une GLI F4 à Paris le 24 novembre 2018. ANTONIO B, 40 ans, vivant à Pimprez, a été gravement blessé au pied par une grenade GLI F4 à Paris le 24 novembre 2018. GABRIEL P, 21 ans, apprenti chaudronnier vivant dans la Sarthe, a eu la main arrachée par une grenade GLI F4 à Paris le 24 novembre 2018. FLORENT P, 30 ans, est blessé par plusieurs éclats de grenade GLI F4 à Paris le 24 novembre 2018. XAVIER E., 34 ans, vivant à Villefranche sur Saône, a eu une fracture de la mâchoire, du palais, du plancher de l’orbite, de la pommette, plusieurs dents cassées et la lèvre coupée par un tir de LBD 40 à Villefranche sur Saône le 24 novembre 2018. SIEGFRIED C, 33 ans, vivant près d’Epernay, a été gravement blessé à la main par une grenade GLI F4 à Paris le 24 novembre 2018. MAXIME W., a été brûlé à la main et a perdu définitivement l’audition à cause d’une grenade GLI F4 à Paris le 24 novembre 2018. FAB a été blessé au front par une grenade de désencerclement à Paris le 24 novembre 2018. AURELIEN a été blessé à la mâchoire (5 points de suture) par un tir de LBD 40 le 24 novembre 2018 à Tours. CEDRIC P., apprenti carre-
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leur vivant à la Possession (Réunion), a perdu son œil gauche à cause d’un tir de LBD 40 à la Possession le 27 novembre 2018. JACKY S, 58 ans, a perdu son œil à cause d’un tir de LBD 40 à Saint Louis de la Réunion le 27 novembre 2018. FRANCK D., 19 ans, a perdu son œil à cause d’un tir de LBD 40 à Paris le 1er décembre 2018. HEDI, 29 ans, a perdu son œil à cause d’une grenade de désencerclement au Puy en Velay le 1er décembre 2018. GUY B., ~60 ans, a eu la mâchoire fracturée par un tir de LBD 40 à Bordeaux le 1er décembre 2018. AYHAN P, 52 ans, technicien Sanofi vivant à Joué-lesTours, a eu la main arrachée par une grenade GLI F4 à Tours le 1er décembre 2018. BENOIT B., 29 ans, a été gravement blessé à la tempe (œdème cérébral) par un tir de LBD 40 à Toulouse le 1er décembre 2018. Il a été placé en coma artificiel. MAJ : il est sorti du coma après 20 jours, le 21 décembre 2018. MEHDI K, 21 ans, a été gravement blessé (fracture du plancher de l’orbite gauche, suture d’une plaie joue gauche, mâchoire déboîtée, trois dents ébréchées, sinus cassés : 20 jours d’ITT) lors d’un passage à tabac à Paris le 1er décembre 2018. ANTHONY, 18 ans, a été blessé à l’œil par un tir de LBD 40 à Paris le 1er décembre 2018. JEAN-PIERRE, a eu la main fracturée par un tir de LBD 40 à Toulouse le 1er décembre 2018. MAXIME I, 40 ans, a eu une double fracture de la mâchoire à cause d’un tir de LBD 40 à Avignon le 1er décembre 2018. FREDERIC R., 35 ans, a eu la main arrachée par une grenade GLI F4 le 1er décembre
2018 à Bordeaux. 26. CHRISTOPHE L. a eu le nez fracturé et le front ouvert par un jet de CANON A EAU le 1er décembre 2018 à Paris. 27. LIONEL J, 33 ans, a été blessé à la tempe (7 points de suture + 1 plan sous-cutané) par un tir de LBD 40 le 1er décembre 2018 à Paris. 28. KEVIN P a été brûlé au second degré profond à la main gauche (15 jours d’ITT) par une capsule de gaz lacrymogène le 1er décembre 2018 à Paris. 29. MATHILDE M, 22 ans, a été blessée à l’oreille (25 points de suture, acouphènes, lésions internes légères avec troubles de l’équilibre) par un tir de LBD 40 à Tours le 1er décembre 2018. 30. ROMEO B, 19 ans, a eu une fracture ouverte du tibia (90 jours d’ITT) par un tir de LBD 40 le 1er décembre 2018 à Toulouse. 31. ELIE B, 27 ans, a eu une fracture de la mâchoire et une dent cassée par un tir de LBD 40 le 1er décembre 2018 à Paris. 32. ETIENNE P, agent SNCF, a eu une fracture du tibia (90 jours d’ITT) à cause d’un tir de LBD 40 le 1er décembre 2018 à Paris. 33. HUGO C, photographe, a été blessé à l’arcade par un tir de LBD 40 le 1er décembre 2018 à Paris. 34. CHARLINE R, 29 ans, a été blessée au pied (opération d’extraction sous anesthésie générale) par un éclat de grenade GLI F4 à Paris le 1er décembre 2018. 35. ALEXANDRE S, 27 ans, a été blessé aux jambes par des éclats multiples de grenade GLI F4 à Paris le 1er décembre 2018. 36. FRANCK O a été blessé au front par un tir de LBD 40 à Paris le 1er décembre 2018. 37. ROMAIN a été blessé par une grenade de désencerclement
à Paris le 1er décembre 2018. 38. BENJAMIN R a été blessé à la mâchoire (menton) par un tir de LBD40 le 1er décembre 2018 à Paris. 39. MEHDI F a été blessé au torse (avec tuméfaction du poumon) par un tir de LBD40 le 1er décembre 2018 à Bordeaux. 40. CHRISTOPHER a eu une triple fracture des os du visage à cause d’un tir de LBD 40 le 1er décembre 2018 à Calais. 41. DORIANA, 16 ans, lycéenne vivant à Grenoble, a eu le menton fracturé et deux dents cassées par un tir de LBD 40 à Grenoble le 3 décembre 2018. 42. ISSAM, 17 ans, lycéen vivant à Garges les Gonesse, a eu la mâchoire fracturée par un tir de LBD 40 à Garges-les-Gonesse le 5 décembre 2018. 43. OUMAR, 16 ans, lycéen vivant à Saint Jean de Braye, a eu le front fracturé par un tir de LBD 40 à Saint-Jean-deBraye le 5 décembre 2018. 44. JEAN-PHILIPPE L, 16 ans, a perdu son œil gauche à cause d’un tir de LBD 40 le 6 décembre 2018 à Béziers. 45. RAMY, 15 ans vivant à Vénissieux, a perdu son œil gauche à cause d’un tir de LBD 40 ou une grenade de désencerclement à Lyon le 6 décembre 2018. 46. ANTONIN, 15 ans, a eu la mâchoire et la mandibule fracturées par un tir de LBD 40 à Dijon le 8 décembre 2018. 47. THOMAS, 20 ans, étudiant vivant à Nîmes, a eu le sinus fracturé par un tir de LBD 40 à Paris le 8 décembre 2018. 48. DAVID, tailleur de pierre vivant en région parisienne, a eu la maxillaire fracturée et la lèvre arrachée par un tir de LBD 40 à Paris le 8 décembre 2018. 49. FIORINA L., 20 ans, étudiante vivant à Amiens, a perdu son œil gauche à cause d’un tir de LBD à Paris le 8 décembre 2018.
50. ANTOINE B., 26 ans, a eu la main arrachée par une grenade GLI F4 à Bordeaux le 8 décembre 2018. 51. JEAN-MARC M. (JIM), 41 ans, horticulteur vivant à Saint-Georges d’Oléron, a perdu son œil droit à cause d’un tir de LBD 40 à Bordeaux le 8 décembre 2018. 52. ANTOINE C., 25 ans, graphiste freelance vivant à Paris, a perdu son œil gauche à cause d’un tir de LBD 40 à Paris le 8 décembre 2018. 53. CONSTANT D., 43 ans, technico-commercial au chômage vivant à Bayeux, a eu une fracture du plancher orbital, une triple fracture du nez et 25 points de suture à cause d’un tir de LBD 40 à Mondeville le 8 décembre 2018. 54. CLEMENT F., 17 ans, a été blessé à la joue par un tir de LBD 40 à Bordeaux le 8 décembre 2018. 55. NICOLAS C., 38 ans, a eu la main gauche fracturée par un tir de LBD 40 à Paris le 8 décembre 2018. 56. YANN, a eu le tibia fracturé par un tir de LBD 40 à Toulouse le 8 décembre 2018. 57. PHILIPPE S., a été gravement blessé aux côtes, avec hémorragie interne et fracture de la rate par un tir de LBD à Nantes le 8 décembre 2018. 58. ALEXANDRE F., 37 ans, a perdu son œil droit à cause d’un tir de LBD 40 le 8 décembre 2018 à Paris. 59. MARIEN, 27 ans, a eu une double fracture de la main droite à cause d’un tir de LBD 40 le 8 décembre 2018 à Bordeaux. 60. FABIEN, a eu la pommette fendue et le nez fracturé par un tir de LBD 40 le 8 décembre 2018 à Paris. 61. EMERIC S., 22 ans, a eu le poignet fracturé avec déplacement du cubitus par un tir de LBD 40 le 8 décembre 2018 à Paris. 62. HICHEM B. a eu la main gauche fracturée par un tir de LBD 40 le 8 décembre 2018 à Paris. 63. HANNIBAL V. a été blessé à l’œil par un tir de LBD 40 le 8 décembre 2018 à Paris. 64. MANON M. a eu le pied (2e métatarse) fracturé par un tir de LBD 40 le 8 décembre 2018 à Nantes. 65. ALEXANDRA a été blessée à l’arrière de la tête par un tir de LBD 40 le 8 décembre 2018 à Paris. 66. MARTIN C. a été blessé à proximité de l’œil par un tir de LBD 40 le 8 décembre 2018 à Marseille. 67. GUILLAUME P., a eu une fracture ouverte de la main avec arrachement des tendons à cause d’un tir de LBD 40 le 8 décembre 2018 à Nantes. 68. AXELLE M., 28 ans, a eu une double fracture de la mâchoire et des dents cassées par un tir de LBD 40 le 8 décembre 2018 à Paris. 69. STEVEN L., 20 ans, a eu le tibia fracturé par un tir de LBD 40 et la main fracturée à cause de coups de matraque télescopique (jusqu’à perte de connaissance) le 8 décembre 2018 à Paris. 70. ERIC P. a eu une fracture de la mâchoire, la lèvre fendue et des dents cassées par un tir de LBD 40 le 8 décembre 2018 à Paris. 71. DAVID D., 31 ans, ouvrier du bâtiment, a eu le nez fracturé, une narine sectionnée et un
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hématome à la lèvre supérieure à cause d’une grenade de désencerclement le 8 décembre 2018 à Bordeaux. PATRICE P., 49 ans, a perdu l’œil droit à cause d’un tir de LBD 40 le 8 décembre 2018 à Paris. NICOLAS D, a eu la pommette fracturée par un tir de LBD 40 le 8 décembre 2018 à Paris. NICOLAS, 38 ans, a eu une fracture du métacarpe à cause d’un tir de LBD 40 à Paris le 8 décembre 2018. CHARLES A a été blessé au front par un tir de LBD 40 le 8 décembre 2018 à Rouen. JEAN MICHEL, ~40 ans, a eu la mâchoire fracturée, la lèvre fendue et des dents arrachées par un tir de LBD 40 à Paris le 8 décembre 2018. R. a été blessé à l’arrière de la tête (décollement de la membrane cérébrale, hématome extradural, fracture non-déplacée du crâne = 1 mois d’ITT) par un tir de LBD 40 le 08 décembre 2018 à Paris. VANESSA L., 33 ans, a partiellement perdu l’usage de son œil gauche (perte d’acuité de 3/4) et eu le crâne fracturé par un tir de LBD 40 le 15 décembre 2018 à Paris. ETIENNE K., a eu une triple fracture de la mandibule gauche à cause d’un tir de LBD 40 le 15 décembre 2018 à Paris. FABIEN R, 30 ans, a eu le testicule gauche fracturé (nécessitant son ablation) par un tir de LBD 40 le 15 décembre 2018 à Bordeaux. LOLA V., 18 ans, a eu une triple fracture de la mâchoire, des dents cassées et la joue ouverte le 18 décembre 2018 à Biarritz. RODOLPHE, a été blessé aux jambes par une grenade de désencerclement le 18 décembre 2018 à Sens. BERNARD T a été blessé à la jambe (avec infection) par un tir de LBD40 à Rennes le 19 janvier 2019. JANELLE M., a été blessée au pied par une grenade de désencerclement (à confirmer) le 22 décembre 2018 à Nancy. AURORE C., a eu une fracture de la malléole gauche (6 semaines d’immobilisation, 45 jours d’ITT) à cause d’un tir de LBD 40 le 22 décembre 2018 à Bourg-en-Bresse. AGNES LACAM, a été blessée au dos et à la main (arrachement osseux et des ligaments, 4 jours d’ITT) par 2 tirs de LBD 40 à Toulouse le 22 décembre 2018. AGNES LOUE a été blessée à la cuisse gauche par une grenade de désencerclement à Nantes le 22 décembre 2018. VICTORIA F a été blessée à l’arrière de la tête (18 agrafes) par un tir de LBD 40 à Paris le 22 décembre 2018. GREGORY a été grièvement blessé aux testicules par un tir de LBD 40 à Rouen le 22 décembre 2018. “R.G”, 24 ans, a perdu un œil à cause d’un tir de LBD 40 le 29 décembre 2018 à Toulouse. CORENTIN G., a été blessé à la jambe par un gros éclat de grenade GLI F4 le 29 décembre 2018 à Rouen. STEVE B. a été blessé à la jambe par plusieurs éclats métalliques de grenade GLI F4 le 29 décembre 2018 à Rouen. SABRINA L, 38 ans, a été bles-
sée à la jambe par plusieurs éclats métalliques de grenade GLI F4 le 29 décembre 2018 à Rouen. 94. MICKA T. a été blessé à la jambe et à la tempe par plusieurs éclats métalliques de grenade GLI F4 le 29 décembre 2018 à Rouen. 95. MICKAEL F, 37 ans,a été blessé à la jambe par plusieurs éclats métalliques (12 jours d’ITT) de grenade GLI F4 le 29 décembre 2018 à Rouen. 96. COLINE M. a été blessée au bras par un tir de LBD 40 le 29 décembre 2018 à Rouen. 97. JONATHAN C. a été blessé au bras par un tir de LBD 40 le 29 décembre 2018 à Rouen. 98. ADRIEN M., 22 ans, a été gravement blessé derrière la tête (traumatisme crânien) par un tir de LBD 40 le 29 décembre 2018 à Nantes. 99. YVAN B, a été blessé au nez et à l’œil (8 points de suture) par un tir de LBD 40 le 29 décembre 2018 à Montpellier. 100.FANNY B, 29 ans, a été blessée à la cheville par une grenade de désencerclement le 29 décembre 2018 à Nantes. 101. LAURENT a été blessé au front (11 points de suture) par un tir de LBD 40 le 29 décembre 2018 à Montpellier. 102. GEOFFREY a eu le nez fracturé (29 points de suture) par un tir de LBD 40 à Montpellier le 29 décembre 2018. 103. MANON a eu une fracture de la main avec plaie à l’index et hématomes sur le reste du corps à cause d’un grenade de désencerclement à Montpellier le 29 décembre 2018. 104. GUILLAUME a été blessé à l’arcade (4 points de sutures au front, oedème palpébral) par une grenade de désencerclement le 29 décembre 2019 à Nantes. 105. SYLVERE E. a été blessé au pied (fracture non déplacée des 2e et 3e métatarse) par un tir de LBD 40 à Albi le 1er janvier 2019. 106.ROBIN B. a été blessé à l’arrière de la tête (4 agrafes + hématome) par un tir de LBD 40 le 05 janvier 2019 à La Rochelle. 107. FLORENT M. a eu une fracture ouverte de la zygomatique à cause d’un tir de LBD 40 le 05 janvier 2019 à Paris. 108.OLIVIER H. a été blessé à la tête (traumatisme crânien avec perte de connaissance) par un tir de LBD40 le 05 janvier 2019 à Paris. 109. DANIEL a été blessé au front par un tir de LBD 40 le 05 janvier 2019 à Paris. 110. LIONEL L. a eu une fracture ouverte de la jambe (3 mois d’immobilisation) à cause d’une grenade de désencerclement à Paris le 5 janvier 2019. 111. DAVID S. a eu le nez cassé et 9 points de suture (20 jours d’ITT) à cause d’un tir de LBD 40 le 5 janvier 2019 à Bordeaux. 112. ADRIEN, a été blessé à l’œil par un tir de LBD 40 le 5 janvier 2019 à Saint-Étienne. 113. VITALIA, photographe, a eu le sinus maxillaire droit, du zygomatique droite et du plancher orbitaire à cause d’un tir de LBD 40 à Paris le 5 janvier 2019. 114. LEILA D, a été blessée à l’arcade sourcilière (4 points de suture, 5 jours d’ITT) par un tir de LBD 40 à Paris le 5 janvier 2019. 115. CYRILLE B a eu une triple fracture du pied (métatarsien,
45 jours d’ITT) à cause d’un tir de LBD 40 à Puy-en-Velay le 5 janvier 2019. 116. NINEF R, 35 ans, a perdu un œil à cause d’un tir de LBD 40 le 12 janvier 2019 à Toulon. 117. BENJAMIN V., 23 ans, ouvrier, a perdu un œil et 6 fractures des os de la face et du nez à cause d’un tir de LBD 40 le 12 janvier 2019 à Bordeaux. 118. XAVIER L., 46 ans, photo-journaliste, a eu la rotule fracturée (45 jours d’ITT) par un tir de LBD 40 le 12 janvier 2019 à La Rochelle. 119. LILIAN, 15 ans, a eu la mâchoire fracturée par un tir de LBD 40 le 12 janvier 2019 à Strasbourg. 120. WILLIAM R., 23 ans, a eu une fracture de l’arcade sourcilière avec hématome intracrânien à cause d’un tir de LBD 40 le 12 janvier 2019 à Paris. 121. LUDOVIC B, a été blessé à la joue par une grenade de désencerclement à Paris le 12 janvier 2019. 122. SEBASTIEN M, a eu la mâchoire fracturée et 5 dents cassées par un tir de LBD 40 le 12 janvier 2019 à Paris. 123. MARIE-PIERRE L., 47 ans, a été blessée à la cuisse par une grenade de désencerclement le 12 janvier 2019 à Nantes. 124. SANDRA, 29 ans, a été gravement blessée au pied (10 jours de soins, risque de phlébite) par un tir de LBD 40 le 12 janvier 2019 au Havre. 125. SAMIR a été gravement blessé à la tempe (paralysie faciale) par un tir de LBD 40 le 12 janvier 2019 à SaintÉtienne. 126. OLIVIER, 51 ans, pompier, a été gravement blessé à la tempe (placé en coma artificiel suite à une hémorragie cérébrale) par un tir de LBD 40 le 12 janvier 2019 à Bordeaux 127. NICOLAS, a été blessé à l’œil par un tir de LBD 40 le 12 janvier 2019 à Bar le Duc. 128. ANTHONY B., a été blessé derrière la tête (traumatisme crânien, 10 points de suture sous-cutanés, 10 points de suture de surface) par un tir de LBD 40 le 12 janvier 2019 à Besançon. 129. MAR, 51 ans, a été blessé au front (traumatisme crânien, plaie ouverte de 10 cm de long et jusqu’au crâne, 10 points de suture) par un tir de LBD 40 le 12 janvier 2019 à Nîmes. 130. SEBASTIEN D., a eu la mâchoire fracturée par un tir de LBD 40 le 12 janvier 2019 à Nîmes. 131. CEDRIC a eu une fracture ouverte du premier métacarpe et un tendon sectionné à cause d’un tir de LBD 40 le 12 janvier 2019 à Bourg en Bresse. 132. VINCENT S, 36 ans, technicien informatique, a été gravement blessé à la tête par une balle de LBD40 ayant provoqué un traumatisme crânien occasionnant la perte de la parole (10 jours d’hospitalisation, 40 jours d’ITT reconductibles) à Bourges le 12 janvier 2019. 133. ANONYME, 14 ans, a perdu son œil droit à cause d’un tir de LBD 40 à Saint Etienne le 12 janvier 2019. 134. VIRGILE a eu le nez fracturé, un œdème palpébral à l’œil droit et une plaie de 6 cm à cause d’un tir de LBD 40 le 12 janvier 2019 à Montpellier. 135. GWENDAL L, 27 ans, a perdu un œil à cause d’une grenade de désencerclement le 19 jan-
vier 2019 à Rennes. 136. AXEL, 25 ans, a eu plusieurs fractures du front et de l’arcade, une fracture de l’orbite et un oedème à l’œil à cause d’un tir de LBD 40 le 19 janvier 2019 à Montpellier. 137. JEAN CLAUDE M, a été gravement blessé à l’œil (perte temporaire de la vue) par un tir de LBD 40 le 19 janvier 2019 à Rennes. 138. YANN S, 39 ans, serveur, a eu 11 dents fracturées et expulsées (12 jours d’ITT) par des coups de matraques à Toulouse le 19 janvier 2019. 139. JEROME R., a perdu un œil à cause d’un tir de LBD 40 ou d’une grenade de désencerclement (à déterminer) à Paris le 26 janvier 2019. 140. SYLVAIN a été blessé à l’œil (hématome de 7cm × 5cm, plaie sous l’angle interne mesurant 2 cm, suturée) par un plot de grenade de désencerclement le 02 février 2019 à Toulouse. 141. CHRISTOPHE a été blessé à la mâchoire par un tir de LBD 40 le 02 février 2019 à Paris. 142. JEROME D a été blessé au front (10 points de suture) par un tir tendu de grenade (à déterminer) le 02 février 2019 à Toulouse. 143. LOUIS B a eu une fracture du pied à cause d’un tir de LBD 40 à Paris le 02 février 2019. 144. NICOLAS a été blessé à la mâchoire par un tir de LBD 40 à Paris le 02 février 2019. 145. SEBASTIEN M a eu la main arrachée par une grenade GLI F4 à Paris (devant l’Assemblée Nationale)le 09 février 2019. 146. STEPHANIE F a été blessée au coude (12 points de suture, pose de vis) par un tir de LBD 40 à Lorient le 09 février 2019. 147. YANNICK, 35 ans, a eu plusieurs dents cassées par un tir de LBD 40 à Paris le 16 février 2019. 148. UN HOMME a été grièvement blessé au visage (mâchoire et dents) par un tir de LBD 40 à Paris le 2 mars 2019. 149. THOMAS, 22 ans, animateur, a été grièvement blessé à l’œil gauche (fractures de la mâchoire et de la zygomatique) par un tir tendu de grenade lacrymogène à Lyon le 9 mars 2019 . 150. UN HOMME, syndicaliste CGT, a eu une fracture du péroné (45 jours d’ITT) à cause d’un tir de LBD 40 à Lyon le 9 mars 2019. 151. MELISANDE, 31 ans, a été blessée à la main (fracture du 2e métacarpien + plaie articulaire = 2 broches) à Quimper le 9 mars 2019. 152. DAVID B. a perdu un œil à cause d’un tir de LBD 40 à Paris le 16 mars 2019. 153. LAURENCE R.M. a eu une fracture des sinus et une fracture du plancher orbital à cause d’un tir de LBD 40 à Paris le 16 mars 2019. 154. UN HOMME a eu une partie du pied arraché par une grenade GLI F4 à Paris le 16 mars 2019. 155. OLIVIER F., 49 ans, a perdu son œil à cause d’un tir de LBD 40 ou d’une grenade DMP à Charleville Mézière le 23 mars 2019. 156. XAVIER, 25 ans, a perdu un œil à cause d’un tir de LBD 40 à Paris le 20 avril 2019. 157. DYLAN, 18 ans, a perdu un œil à cause d’une grenade de désencerclement à Montpellier le 1er mai 2019. INTERVENTIONS/INTERVENTIONS
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STREET MEDICS HOMMAGE VISUEL JohanPx
Super medic. © @JohanPx
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Intervention. © @JohanPx
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Même les medics prennent des risques. © @JohanPx
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Medic pompier. © @JohanPx
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DISPENSAIRES AUTOGÉRÉS Collectif Solidarité France-Grèce pour la Santé Ce texte constitue un extrait (pages 34 à 44), de l’ouvrage collectif Les dispensaires autogérés grecs. Résistances et luttes pour le droit à la santé, écrit par Christine Chalier, Bruno Percebois, Danielle Montel, Éliane Mandine et Jean Vignes, membres du collectif Solidarité France-Grèce pour la Santé et paru aux Éditions Syllpese en septembre 2016 suite à de nombreux séjours en Grèce du collectif afin d’apporter aux dispensaires de santé solidaires grecs, médicaments et matériel médical. Cet extrait est publié dans Après la révolution avec l’aimable autorisation des Éditions Syllepse (www.syllepse.net).
PHARMACIES ET DISPENSAIRES SOCIAUX SOLIDAIRES Avant la crise de 2008, les dispensaires sociaux étaient destinés aux personnes en dehors du système, les migrants et les sans-abri. Le premier dispensaire a ainsi été créé à Rethymnon en Crète pour venir en aide à des migrants abandonnés à eux-mêmes après leur naufrage. À partir de 2010, le Mémorandum impose à la Grèce des mesures d’austérité très sévères aux conséquences humanitaires dramatiques. 30 à 40 % de la population grecque est exclue du système de santé, faisant dire à Médecins du monde que pour les plus précaires, il n’est plus question d’austérité mais de survie. À l’initiative de professionnels de santé (médecins, dentistes, infirmiers, pharmaciens, etc.) et de simples citoyens, un nouveau système, basé sur la solidarité, le bénévolat, le don et l’entraide, s’est alors mis en place : les pharmacies et dispensaires sociaux solidaires. Ces structures sont une réponse militante face à la crise économique et font appel à la solidarité pour répartir les moyens inutilisés partout où ils se trouvent. Sans existence juridique, ces structures tentent de fournir consultations et médicaments gratuits à celles et ceux, grecs ou étrangers, qui ont perdu leur couverture médicale ou qui sont en très grande diffi-
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culté financière, soit actuellement environ 50 % de la population. Les dispensaires se sont auto-organisés sur trois principes fondateurs : 1) le travail y est totalement bénévole, personne ne pouvant recevoir d’argent dans le cadre de cette activité ; 2) les soins fournis ne sont pas payés par les patients ; 3) l’indépendance complète en refusant tout sponsoring ou financement provenant de l’État, des organismes privés, d’ONG ou des partis politiques (aucun financement pérenne garantissant des projets à long terme). Les dispensaires font appel à des dons (médicaments, matériels…) et si certains perçoivent des aides financières provenant de l’association Solidarité pour tous, d’autres, comme le dispensaire de Vyronas, les refusent pour rester indépendants de tout parti politique, Syriza contribuant aux ressources de Solidarité pour tous. Depuis 2012, une cinquantaine de ces structures ont vu le jour dans le pays dont 16 en Attique où 700 solidaires volontaires y participent en tant que permanents ou membres de réseaux affiliés, soit en moyenne une cinquantaine de solidaires par centre. Ouverts plusieurs heures par semaine, les dispensaires ont vu leur activité croître de 40 % par an. En 2015, chacun d’entre eux a reçu environ 2 000 patients par mois. Le dispensaire ouvert à Halandri en mars 2015 est situé dans un quartier de « classes moyennes ». Le maire, présent lors de la rencontre, nous explique que « son existence dans ce quartier témoigne de la gravité de la crise économique ». Ce sont désormais ces nouveaux pauvres, les chômeurs de toutes professions, les commerçants et les petits entrepreneurs qui ont
fait faillite et les migrants qui affluent au dispensaire de la rue Iktinou. Toutes les tranches d’âge sont représentées, toutefois l’âge moyen est compris entre 40 et 60 ans, âge où généralement la fréquence des consultations médicales est plutôt basse. Le stress et l’angoisse provoquée par les phénomènes de déclassement, la précarité et la pauvreté sont à l’origine d’une augmentation des états dépressifs et de diverses pathologies (hypertension, infarctus, voire cancers) dans cette population active. Ce qui se traduit par une forte augmentation des demandes de prise en charge des besoins psychiatriques et psychologiques, qui ont connu une augmentation considérable, atteignant 30 % des consultations. Les dispensaires sont installés dans des locaux mis à disposition par les mairies et partagés avec les centres de santé municipaux, par des écoles ou encore par des particuliers solidaires avec le projet. Les locaux sont parfois réquisitionnés par les membres des dispensaires. Les travaux de peinture ou d’électricité nécessaires à l’installation des dispensaires sont souvent réalisés par des solidaires aidés par des patients devenus solidaires temporaires ou permanents. Les tableaux et les sculptures qui décorent parfois les bureaux sont des œuvres réalisées et offertes par des patients. Nous remarquons l’encombrement des pièces, dénotant des locaux trop exigus pour les besoins. Les équipements proviennent tous de dons. Les besoins en soins dentaires étant considérables (30 % des patients souffrent de problèmes bucco-dentaires), pratiquement tous les centres se sont dotés d’un cabinet dentaire, équipés de matériel généralement offert par des dentistes à la retraite. Certains dispensaires ont aménagé un cabinet de gynécologie (Néa-ionia, Nea-smyrni, Halandri) ou une salle pour la petite chirurgie (Néa-ionia). Tous les dispensaires disposent d’une ou deux salles de consultation de médecine générale, de pédiatrie et de salles de psychiatrie. Un cabinet d’ophtalmologie est prévu à Halandri grâce au don de la veuve d’un ophtalmologiste. Lorsqu’ils ne peuvent pas offrir les consultations spécialisées sur place, les dispensaires dirigent les patients vers des praticiens de ville qui offrent des consultations gratuites. De nombreux médecins et professionnels de la santé travaillent en réseau avec les structures solidaires. Des laboratoires acceptent parfois de réaliser des analyses gratuitement. Les premiers soins sont assurés dans les dispensaires et si nécessaire les patients sont adressés à l’hôpital. Les membres des dispensaires exercent parfois une pression pour que les malades soient pris en charge : des hôpitaux ont ainsi été obligés de donner des soins à ceux qu’ils avaient auparavant refusés. Les liens avec les hôpitaux sont nombreux, que ce soit pour la prise en charge d’une pathologie qui dépasse les compétences des dispensaires, ou, à l’inverse, pour dépanner les hôpitaux en médicaments. La crise ne leur permettant pas toujours de disposer d’un budget suffisant pour s’en procurer. Certains dispensaires ne délivrent pas de soins directement
mais coordonnent des réseaux de médecins libéraux qui reçoivent gratuitement les patients qui leur sont envoyés. C’est le cas de celui de Vyronas qui coordonne 105 médecins. Nous gardons un souvenir particulier de ce dispensaire situé au rez-de-chaussée d’une petite maison. Nous y avons été très chaleureusement accueillis par l’équipe de solidaires. Dimitri, un monsieur plus très jeune qui a connu le régime des colonels, nous raconte que vivant avec sa femme dans le quartier, ils ont vu la détresse de la population grandir au fil des ans depuis le début de la crise. Malgré leur âge et leur passé bien rempli, ils ne pouvaient pas rester inactifs. Avec un groupe de médecins et de pharmaciens qu’ils ont réunis, ils ont ouvert ce dispensaire fin 2012. Dimitri nous guide. La pièce à droite en entrant est réservée au secrétariat : trois personnes y travaillent. La pièce attenante est encore en travaux. Le dispensaire a dû déménager d’un appartement voisin pour venir s’installer dans ces nouveaux locaux. Le montant de la location constitue un revenu pour la propriétaire, une dame âgée, et lui permet de subsister. Elle est également solidaire. L’électricité n’est pas encore installée et la peinture est en cours. Dimitri nous explique que ce sont les solidaires qui font les travaux, aidés parfois par des patients qui rendent ainsi ce qu’ils ont reçu. Dans la troisième pièce sont entreposés des médicaments. Pendant que Dimitri nous parle, nous voyons défiler des hommes et des femmes, des jeunes et des moins jeunes, tous avec un sac plus ou moins volumineux qu’ils déposent au secrétariat. Intrigués, nous demandons ce que contiennent ces sacs. Ce sont des médicaments restants après la fin d’un traitement ou non utilisés pour des raisons diverses. Les patients collectent et rapportent au dispensaire tout ce qu’ils trouvent. Après avoir salué les volontaires, un jeune homme, visiblement intimidé par notre présence, se faufile vers le secrétariat. Dimitri le retient et lui demande de nous décrire son existence : Il s’appelle Alexis. Il a 27 ans, en paraît beaucoup plus, et quand il commence à parler, il laisse entrevoir des dents très abîmées. Il souffre d’un handicap et n’a pas de qualification. Il avait un emploi mais après s’être blessé, ne pouvant plus exercer son activité, il a été licencié. Il n’a droit à aucune indemnité et, sans travail, il n’a plus d’assurance-maladie. Il vit seul avec sa mère, elle-même grabataire à cause d’une longue maladie. Sa mère a pu obtenir une pension d’invalidité (340 euros par mois) mais comme elle ne vit pas seule, elle n’a pas droit à une aide à domicile. Ses revenus sont insuffisants pour prétendre aller dans un établissement médicalisé. Alexis est donc de fait en charge de sa mère, ce qui lui laisse peu de disponibilité pour retrouver un emploi et les oblige tous deux à subsister avec la modique pension de la mère. Tous deux ont besoin de médicaments qu’ils ne peuvent pas payer. Alexis vient au dispensaire pour renouveler son ordonnance qui lui permettra d’obtenir gratuitement les médicaments dans une pharmacie solidaire. Il vient parfois simplement pour demander conseil et quand il peut, il rend de menus services.
Dimitri explique à Alexis que nous sommes français, et que nous souhaitons apporter notre aide par un don au dispensaire. Très touché par cette démarche, Alexis nous remercie en des termes à vous faire venir les larmes aux yeux et, pour certains, un brin de culpabilité à ne pas contribuer assez pour modifier cet état de fait. Le rôle de cette structure, poursuit Dimitri, est aussi de défendre les plus démunis face à l’administration, grâce à des avocats et des juristes bénévoles qui les aident à faire valoir leurs droits. Ils interviennent auprès des institutions pour exiger que le droit soit appliqué ou que les situations particulières soient prises en compte. Pour Alexis et sa mère, il a été requis que leur cas soit revu, et qu’une aide à domicile leur soit accordée. L’affaire est en cours. Selon les quartiers, en fonction des besoins, les structures solidaires déploient des activités différentes. À Néa-ionia, un quartier ouvrier si pauvre que la population fait tout pour éviter les naissances, des séminaires sur la contraception sont organisés. À Peristeri, autre quartier populaire avec un fort taux de chômage, en plus des soins médicaux, c’est de la nourriture qui est distribuée une fois par semaine. Dans un des dispensaires, l’un d’entre nous note : « Dans une des salles visitées, des boîtes de remèdes sont empilées sur une étagère ; deux solidaires s’activent : une dame aux cheveux blancs enregistre les prescriptions sur un ordinateur pendant qu’une autre prend les ordonnances et sélectionne les boîtes dans la pharmacie. » Une scène que nous verrons se répéter à plusieurs reprises. Partout, des pièces sont aménagées en pharmacie, avec des étagères pleines de médicaments ou parfois des tables recouvertes de boîtes en vrac. La quasi-totalité des médicaments, déposés dans des sacs en plastique ou même dans des valises devant l’entrée des dispensaires, provient de dons anonymes ou est collectée par des solidaires auprès des pharmacies ou chez des particuliers. Parfois, la famille d’un malade décédé rapporte les médicaments non utilisés : à Korydallos au Pirée, 8 % des médicaments proviennent de patients décédés. Les solidaires trient et rangent les boîtes par classes de molécules et par dates de péremption. Afin que les médicaments soient répartis au mieux entre les dispensaires, ils sont enregistrés sur ordinateur pour constituer une banque d’échange informatique mise en ligne sur internet. Ainsi, lorsqu’un produit est indisponible, il est possible de pallier ce manque en recherchant dans la banque s’il est disponible ailleurs et de le « commander ». Les médicaments sont délivrés sur ordonnance par des pharmaciens solidaires. Au KIFA, quatre pharmaciens se relaient pour fournir gratuitement des médicaments à 500 ou 600 personnes par mois. À Patissia, ce sont trois pharmaciens solidaires qui officient. Toutefois, certains produits font défaut : plus rares, plus onéreux (comme les anticancéreux), destinés à des maladies chroniques (insuline), certains médicaments pédiatriques, les vaccins. Ils
doivent alors être achetés par les dispensaires via les pharmacies. Les solidaires utilisent également les réseaux sociaux pour les demander. À cet effet, le site internet créé par Giorgos Vichas publie chaque jour des messages qui recensent les besoins urgents : un traitement contre le cancer à 5 000 euros par mois ou du lait pour les nourrissons. Les Grecs répondent en masse en envoyant le contenu de leurs armoires à pharmacie. Grâce aux relations existantes, de l’aide est également demandée à Médecins du monde. Des personnes atteintes de cancer peuvent ainsi recevoir gratuitement leurs traitements. Le prix des médicaments ayant flambé avec la crise, il faut parfois débourser 25 % du prix, contre 5 % auparavant, l’apport des médicaments constitue en soi un bel exemple de solidarité. La population entière semble s’être investie pour que les pharmacies improvisées soient suffisamment approvisionnées et répondent aux besoins immédiats des patients. Au cours de nos visites, à Vyronas et dans tous les dispensaires, nous avons été témoins du défilé permanent de gens apportant un petit sac plastique contenant des médicaments et remis au secrétariat des dispensaires. Ce travail incroyable et indispensable de redistribution mérite d’être souligné, d’autant plus que c’est une activité illégale car les dispensaires n’ont pas de licence. Il existe toujours le risque d’une sanction amenant à stopper cette initiative.
LES DISPENSAIRES SOCIAUX SOLIDAIRES SE COORDONNENT Les dispensaires sociaux solidaires sont des structures animées par des collectifs composés de professionnels de santé et de citoyens, souvent habitants du quartier. Ceux-ci ont parfois été des patients et ils œuvrent au fonctionnement, que ce soit en gérant l’administration, en assurant le secrétariat ou en faisant le ménage. Chacun est libre de donner le temps qu’il veut et qu’il peut. Toutes et tous peuvent rejoindre l’équipe indépendamment de leurs croyances religieuses ou philosophiques et de leurs opinions politiques. La relation aux patients n’est ni de la condescendance ni de la charité ni de la philanthropie, mais de la solidarité. La solidarité est l’affaire de tous avec une contribution de tous selon les possibilités de chacun. Ce n’est pas de l’assistance des uns vers les autres : les patients reçoivent de l’aide, des médicaments ou des soins, mais en retour ils peuvent participer à des actions concrètes (collecte de médicaments, entretien des locaux, etc.). Ils sont aussi incités à se mobiliser en participant à l’action collective pour exiger une politique plus sociale et résister au régime d’austérité. Il y a réciprocité des échanges avec une volonté de former une communauté de pratique et de pensée défendant des valeurs autres que la politique néolibérale imposée par l’Europe. Les dispensaires se sont donnés les missions suivantes : • Procurer des soins médicaux gratuits et des traitements à toutes celles et ceux qui sont privés de couverture sociale ou qui ne disposent pas des ressources suffisantes pour se soigner, tout
en combattant au jour le jour le démantèlement du système public de santé. • Militer pour un système de santé public de qualité, accessible à toutes et à tous et pour le respect des droits des patients. Les dispensaires ne doivent pas se substituer au service public. Au contraire, la volonté est qu’à terme ils disparaissent pour laisser place à un système public de santé satisfaisant. Être soigné est un droit et les gens doivent l’exiger de l’État et résister au démantèlement du service public. Pour cela, les solidaires, les patients et des associations citoyennes organisent des interventions auprès des administrations hospitalières pour revendiquer l’accès à la santé pour tous. Ils mènent également des actions (manifestations, occupations de locaux hospitaliers…) pour imposer l’accès gratuit aux soins [Charte de solidarité des cliniques sociales et des pharmacies solidaires, p. 50]. Le fonctionnement des dispensaires est horizontal, sans hiérarchie. Dans les dispensaires autogérés, tous les participants sont égaux, que ce soit les professionnels de santé qui donnent de leur temps, consultent gratuitement et délivrent des traitements ou les citoyens solidaires qui tiennent le secrétariat et entretiennent les locaux. Les prises de décisions et les différentes questions (comme le choix de l’utilisation des dons pour l’achat de médicaments) sont débattues lors d’assemblées générales, lesquelles ont lieu toutes les semaines ou tous les quinze jours. Tous les solidaires et les patients qui le souhaitent, quel que soit leur niveau d’implication, participent à égalité à cette assemblée. Les dispensaires et pharmacies sociaux solidaires se sont également dotés d’une coordination. Celle d’Athènes se réunit en assemblée générale chaque mercredi. Chacun des dispensaires est représenté par rotation par un ou plusieurs membres, selon les sujets abordés, désignés par l’ensemble des solidaires. La position de délégué n’est pas enviée : c’est une charge de travail supplémentaire qui s’ajoute à une charge déjà lourde. D’où l’importance de la rotation. Le rôle de la coordination est de faciliter les échanges d’expériences, de résoudre les difficultés, de redistribuer les dons, d’organiser des actions (soins aux cancéreux, luttes pour réclamer le droit à la santé pour tous), de faire connaître l’activité mise en œuvre et d’assurer la défense de tous (par exemple contre l’Ordre des médecins de la région nordouest qui a déclaré illégale l’action des dispensaires). En se regroupant, l’action a plus de force : « Il n’y a pas d’autre choix. Tout ce que l’on peut faire, c’est s’entraider. » Les dispensaires ont fait prendre conscience à l’échelle nationale et européenne, de la dégradation des services de santé. Cet engagement militant distingue ces structures d’autres structures humanitaires. Référence bibliographique : Christine Chalier, Bruno Percebois, Danielle Montel, Éliane Mandine, Jean Vignes, Les dispensaires autogérés grecs. Résistances et luttes pour le droit à la santé, Paris, Éditions Syllepse, coll. « Arguments et mouvements », 2016, 160 p.
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SELF-MANAGED DISPENSARIES Collectif Solidarité France-Grèce pour la Santé This text is an extract (pages 34 to 44) from the collective book Les dispensaires autogérés grecs. Résistances et luttes pour le droit à la santé, written by Christine Chalier, Bruno Percebois, Danielle Montel, Éliane Mandine and Jean Vignes, members of the Solidarité France-Grèce pour la santé collective and published by Éditions Syllpese in September 2016 following numerous stays in Greece by the collective in order to provide Greek solidarity health clinics with medicines and medical equipment. This extract is published in Après la révolution with the kind permission of Les Editions Syllepse (www.syllepse.net).
PHARMACIES AND SOCIAL SOLIDARITY CLINICS Before the 2008 crisis, social clinics were intended for people outside the system, migrants and the homeless. The first dispensary was thus created in Rethymnon, Crete, to help migrants left on their own after their shipwreck. Since 2010, the Memorandum imposes very severe austerity measures on Greece with dramatic humanitarian consequences. 30 to 40% of the Greek population is excluded from the health system, leading Médecins du Monde to say that for the most vulnerable, it is no longer a question of austerity but of survival. At the initiative of health professionals (doctors, dentists, nurses, pharmacists, etc.) and ordinary citizens, a new system, based on solidarity, volunteering, donation and mutual aid, was then put in place : pharmacies and solidary social dispensaries. These structures are a militant response to the economic crisis and call for solidarity to distribute unused resources wherever they are. Without legal existence, these structures try to provide free consultations and medicines to those, Greeks or foreigners, who have lost their medical coverage or are in very serious financial
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difficulty, which currently about 50% of the population. The dispensaries have self-organized on three founding principles: 1) the work is totally voluntary, no one can receive money for this activity; 2) the care provided is not paid for by patients; 3) complete independence by refusing any sponsorship or funding from the State, private organizations, NGOs or political parties (no permanent funding guarantees longterm projects). The dispensaries call for donations (medicines, equipment, etc.) and while some receive financial assistance from the Solidarity for All association, others, such as the Vyronas dispensary, refuse them to remain independent of any political party, Syriza contributing to Solidarity for All resources. Since 2012, around fifty of these structures have been set up in the country, including 16 in Attica, where 700 voluntary solidarity workers participate as permanent staff or as members of affiliated networks, i. e. an average of some fifty solidarity workers per centre. Open several hours a week, the dispensaries have seen their activity increase by 40% per year. In 2015, each of them received about 2,000 patients per month. The dispensary opened in Halandri in March 2015 is located in a “middle class” district. The mayor, who was present at the meeting, explained that “its existence in this district testifies on the seriousness of the economic crisis”. It is now these new poors, the unemployed of all professions, traders and small entrepreneurs who have gone bankrupt and migrants who flock to the dispensary on Iktinou Street. All age groups are represented, however
the average age is between 40 and 60 years, an age where the frequency of medical consultations is generally rather low. Stress and anxiety caused by the phenomena of downgrading, precariousness and poverty are at the root of an increase in depressive states and various pathologies (hypertension, heart attacks, even cancers) in this working population. This has resulted in a sharp increase in requests for psychiatric and psychological needs, which have increased considerably, reaching 30% of consultations. The dispensaries are located in premices made available by the town halls and shared with the municipal health centres, by schools or by individuals in solidarity with the project. The premises are sometimes requisitioned by members of the dispensaries. The painting or electrical work necessary for the installation of dispensaries is often carried out by people in solidarity with the help of patients who have become temporary or permanent. The paintings and sculptures that sometimes decorate the offices are works made and offered by patients. We notice the overcrowding of the parts, indicating that the premises are too small for the needs. All the equipment comes from donations. With considerable dental care needs (30% of patients have oral health problems), almost all the centres have established a dental office, equipped with equipment generally provided by retired dentists. Some dispensaries have set up a gynaecology practice (Néa-ionia, Nea-smyrni, Halandri) or a room for minor surgery (Néa-ionia). All clinics have one or two general medical, paediatric and psychiatric consultation rooms. An ophthalmology practice is planned in Halandri thanks to the donation of an ophthalmologist’s widow. When they cannot offer specialized consultations on site, clinics refer patients to city practitioners who offer free consultations. Many doctors and health professionals work in a network with solidarity structures. Sometimes laboratories agree to perform analyses free of charge. First aid is provided in the dispensaries and if necessary patients are referred to the hospital. Clinic members sometimes exert pressure to ensure that patients are cared for: hospitals have been forced to provide care to those they had previously refused. There are many links with hospitals, whether it is for the management of a disease that exceeds the competence of the dispensaries, or, conversely, to help hospitals with medicines. The crisis does not always allow them to have a sufficient budget to buy them. Some clinics do not provide direct care but coordinate networks of private doctors who receive patients referred to them free of charge. This is the case of Vyronas, who coordinates 105 doctors. We have a special memory of this dispensary located on the ground floor of a small house. We were very warmly welcomed by the team of solidarity. Dimitri, an old gentleman who knew the colonels’ regime, told us that, living with his wife in the neighbourhood, they have seen the distress of the population grow over the
years since the beginning of the crisis. Despite their age and their busy past, they could not remain inactive. With a group of doctors and pharmacists they brought together, they opened this clinic at the end of 2012. Dimitri guides us. The room on the right when entering is reserved for the secretariat: three people work there. The adjoining room is still under construction. The clinic had to move from a neighbouring apartment to the new premises. The amount of the rental constitutes an income for the owner, an elderly woman, and allows her to survive. It is also supportive. Electricity is not yet installed and painting is in progress. Dimitri explains that it is the solidarity people who do the work, sometimes helped by patients who give back what they have received. In the third room are stored medicines. As Dimitri talks to us, we see men and women, young and old, all with a bag of various sizes that they drop off at the secretariat. Intrigued, we ask what is in these bags. These are drugs that remain after the end of treatment or are not used for various reasons. Patients collect and report everything they find to the clinic. After greeting the volunteers, a young man, obviously intimidated by our presence, slips into the secretariat. Dimitri holds him back and asks him to describe his existence to us: His name is Alexis. He’s 27 years old, looks much older, and when he starts talking, he shows very damaged teeth. He suffers from a disability and has no qualifications. He had a job but after being injured, unable to work, he was dismissed. He is not entitled to any compensation and, without work, he no longer has health insurance. He lives alone with his mother, who is herself bedridden because of a long illness. His mother was able to obtain a disability pension (340 euros per month) but as she does not live alone, she is not entitled to home help. His income is insufficient to claim to go to a medical facility. Alexis is therefore in fact in charge of his mother, which leaves him little time to find a job and forces both of them to survive on the mother’s modest pension. Both need drugs they can’t afford. Alexis comes to the dispensary to renew his prescription, which will allow him to get the drugs for free in a solidarity pharmacy. He sometimes just comes to ask for advice and when he can, he does small favours. Dimitri explains to Alexis that we are French, and that we want to help by making a donation to the dispensary. Very touched by this approach, Alexis thanks us in terms of bringing tears to your eyes and, for some, a bit of guilt for not contributing enough to change this state of affairs. The role of this structure, Dimitri continues, is also to defend the most disadvantaged against the administration, thanks to volunteer lawyers and jurists who help them to defend their rights. They intervene with institutions to demand that the law be applied or that particular situations be taken into account. For Alexis and her mother, it was required that their case be reviewed, and that they be given home help. The case is ongoing.
Depending on the neighbourhood, and depending on the needs, solidarity structures carry out different activities. In Néa-ionia, a working-class neighbourhood is so poor that the population does everything possible to avoid births, seminars on contraception are organized. In Peristeri, another working class neighbourhood with a high unemployment rate, in addition to medical care, food is distributed once a week. In one of the dispensaries, one of us notes: “In one of the rooms visited, boxes of remedies are stacked on a shelf; two people are working together: a white-haired lady records prescriptions on a computer while another takes the prescriptions and selects the boxes in the pharmacy.” A scene that we will see repeatedly over and over again. Everywhere, rooms are set up in pharmacies, with shelves full of medicines or sometimes tables covered with bulk boxes. Almost all the medicines, left in plastic bags or even in suitcases in front of the entrance of the dispensaries, come from anonymous donations or are collected by people in solidarity from pharmacies or private individuals. Sometimes the family of a deceased patient brings back unused drugs: in Korydallos in Piraeus, 8% of the drugs come from deceased patients. The solidarity workers sort and arrange the boxes by classes of molecules and expiry dates. In order to ensure that medicines are distributed as efficiently as possible among the dispensaries, they are registered on a computer to create a computerized exchange bank posted on the Internet. Thus, when a product is unavailable, it is possible to fill this gap by searching the bank to see if it is available elsewhere and “order” it. Drugs are prescribed by supportive pharmacists. At KIFA, four pharmacists take turns providing free medicines to 500 or 600 people per month. In Patissia, three supportive pharmacists are in charge. However, some products are lacking: rarer, more expensive (such as anti-cancer drugs), for chronic diseases (insulin), some paediatric drugs, vaccines. They must then be purchased by dispensaries via pharmacies. Solidarity workers also use social networks to request them. To this end, the website created by Giorgos Vichas publishes daily messages that identify urgent needs: cancer treatment at €5,000 per month or milk for infants. The Greeks massively responded by sending the contents of their cabinets to pharmacies. Thanks to existing relationships, help is also sought from Médecins du Monde. People with cancer can receive their treatments free of charge. Because the price of medicines have soared with the crisis, one has to pay 25% of the price, compared to 5% previously, the contribution of medicines is in itself a fine example of solidarity. The entire population seems to have invested in ensuring that improvised pharmacies are sufficiently supplied and meet the immediate needs of patients. During our visits, in Vyronas and in all the dispensaries, we witnessed the constant march of
people bringing a small plastic bag containing medicines and handed over to the dispensary secretariat. This incredible and indispensable work of redistribution deserves to be highlighted, especially since it is an illegal activity because the dispensaries are not licensed. There is always the risk of a sanction leading to the termination of this initiative.
SOCIAL SOLIDARY DISPENSARIES COORDINATE THEMSELVES Solidarity social dispensaries are structures organised by groups composed of health professionals and citizens, often inhabitants of the district. They have sometimes been patients and they work for the functioning, whether it is by managing the administration, providing the secretariat or cleaning up. Everyone is free to give as much time as they want and can. All can join the team regardless of their religious or philosophical beliefs and political opinions. The relationship with patients is neither condescension nor charity nor philanthropy, but solidarity. Solidarity is everyone’s business with a contribution from everyone according to everyone’s possibilities. It is not assistance to each other : patients receive help, medication or care, but in return they can participate in concrete actions (collection of medication, maintenance of premises, etc.). They are also encouraged to mobilize by participating in collective action to demand a more social policy and resist the austerity regime. There is reciprocity in exchanges with a desire to form a community of practice and thought defending values other than the neoliberal policy imposed by Europe.
sues (such as the choice of how donations are used to purchase medicines) are discussed at general meetings, which takes place every week or every two weeks. All those in solidarity and patients who so wish, whatever their level of involvement, participate equally in this meeting. Solidarity dispensaries and social pharmacies have also set up coordination. The Athens General Assembly meets in general assembly every wednesday. Each of the dispensaries is represented by one or more members, according to the subjects discussed, appointed by all the solidarity workers. The position of delegate is not envied: it is an additional workload in addition to an already heavy workload. Hence the importance of rotation. The role of coordination is to facilitate the exchange of experiences, solve difficulties, redistribute donations, organize actions (cancer care, struggles to claim the right to health for all), publicize the activity implemented and ensure the defence of all (for example against the Order of Physicians of the Northwest Region which has declared the action of dispensaries illegal). By coming together, the action has more strength: “There is no other choice. All we can do is help each other.” Clinics have raised awareness at national and European level of the deterioration of health services. This activist engagement distinguishes these structures from other humanitarian structures. Bibliographical reference: Christine Chalier, Bruno Percebois, Danielle Montel, Éliane Mandine, Jean Vignes, Les dispensaires autogérés grecs. Resistances et luttes pour le droit à la santé, Paris, Éditions Syllepse, coll. “Arguments et mouvements”, 2016, 160 p.
The dispensaries have given themselves the following missions: • Provide free medical care and treatment to all those who are deprived of social security coverage or who do not have sufficient resources to treat themselves, while fighting on a daily basis the dismantling of the public health system. • Advocate for a quality public health system accessible to all and for the respect of patients’ rights. Clinics should not replace the public service. On the contrary, the intention is that in the long run they will disappear and give way to a satisfactory public health system. Being cared for is a right and people must demand it from the State and resist the dismantling of the public service. To this end, solidarity groups, patients and citizen associations organize interventions with hospital administrations to demand access to health for all. They also carry out actions (demonstrations, occupation of hospital premises, etc.) to impose free access to healthcare [Solidarity Charter of Social Clinics and Solidarity Pharmacies, p. 50]. The functioning of the dispensaries is horizontal, without hierarchy. In self-managed clinics, all participants are equal, whether it is health professionals who give their time, consult free of charge and provide treatment or supportive citizens who run the secretariat and maintain the premises. Decision-making and various isINTERVENTIONS/INTERVENTIONS
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SINDIANE UN PROGRAMME D’AUTO-SUPPORT ET D’EMPOWERMENT DES EXILÉ·E·S Olga Loris L’Union européenne, pour ne parler que d’elle, est en guerre contre les personnes migrantes. Elle dispose d’une véritable armada et a fortement militarisé ses frontières pour lutter contre cette population hétérogène : FRONTEX son bras armé, doté d’un budget de 320 millions d’euros en 2018, une externalisation des frontières au Tchad et au Niger, l’équipement des gardes-côtes libyens, des frontières terrestres bunkérisées comme à Mellila, etc. Cette guerre compte de nombreuses victimes. Aux milliers de mort·e·s en Méditerranée, s’ajoutent, entre autre, les mort·es dans le désert nigérien et sur la route des Balkans. Les migrant·e·s en transit en Libye vivent dans des conditions inhumaines et dégra-
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dantes : à l’esclavagisme s’ajoutent les tortures, les viols dans des camps-prisons surpeuplés où les détenu·e·s ne sont pas toujours nourri·e·s. Malgré cela, le droit de la mer est violé constamment, les personnes migrantes ne sont plus secourues et renvoyées chez leurs tortionnaires sponsorisés par nos États. L’arrivée dans l’Union européenne se fait dans des camps : en Grèce, en Italie, où sévissent les violences. Au camp de Moria, surpeuplé, il faut faire 30 minutes de queue pour accéder aux toilettes, plusieurs heures sont nécessaires pour manger, il n’y a pas de médecin et les journées sont faites, littéralement, d’attente. À l’automne, plusieurs tentatives de suicides d’enfants de moins de 10 ans y ont
été recensées et la prévalence des violences, notamment sexuelles, est très élevée. C’est le cadre de la politique d’asile européenne et française, c’est le contexte dans lequel s’inscrit notre action. En 2018, il y a eu 123 625 demandes d’asile en France1. Ce chiffre est à mettre en perspectives avec les millions de déplacé·e·s qu’accueillent la Turquie (3,5M), la Jordanie (2,9M), le Liban (1,4M), l’Ouganda (1,4M) ou le Pakistan (1,4M), cinq premiers pays d’accueil au monde2. Cette population de personnes en exil est particulièrement vulnérable bien qu’extrêmement résiliente. On note notamment une grande
souffrance psychologique des personnes en exil liée aux violences vécues dans le pays d’origine, mais aussi, et de plus en plus, les violences rencontrées sur leurs parcours d’exil et dans leur pays d’accueil. La souffrance et les troubles psychiques des exilé·e·s, quand il y en a, ont tendance à s’aggraver dans les pays d’accueil. Cela s’explique en partie par les conditions d’accueil et les politiques publiques, empreintes de xénophobie, de racisme, de l’histoire et l’héritage coloniaux et racistes français et européens. Ces politiques sont en deux mots très répressives : – Système de camps : en Grèce, en Allemagne, en France notamment à Calais et Paris ; – Violences policières institutionnalisées à l’égard des personnes
migrantes et criminalisation de leurs soutiens ; – Politiques xénophobes et précarisantes : peu de logements (44 000 places ad hoc), interdiction de travailler durant les 9 premiers mois de la demande d’asile, pas de cours de français, pas d’aide juridique pris en charge par les pouvoirs publics ; – Peu de moyen et de dispositifs adéquats, notamment en ce qui concerne la santé mentale. Or, la santé mentale des exilé·es est une urgence de santé publique pour reprendre les mots du centre Primo Lévi et de Médecins du Monde. Cette souffrance psychique à plusieurs visages et une forte prévalence : – Syndrome post-traumatique 60 % ;
– Syndromes dépressifs 22 % ; – Troubles anxieux 8 % ; – Traumas complexes 8 %. Elle a de multiples facteurs. En effet, des violences multiples sont à l’origine des départs (62 % en témoignent, d’après le comité de santé des exilés) : discriminations, humiliations, traitements inhumains et dégradants ; le fait d’avoir été témoin d’actes de violence ; le fait d’avoir connu la violence, la torture, le viol ; les persécutions, menaces, pressions, les situations d’insécurité, de mise en danger de sa propre vie ; les nombreuses pertes (famille, travail, biens, maison, pays), le deuil culturel ; mais aussi les difficultés liées à la migration, la détention, et à l’installation dans un autre pays, ainsi qu’à l’incertitude sur l’avenir. On voit des troubles s’aggraver voire apparaître en raison des conditions de vie indignes dans les pays d’accueil, et notamment des : – Difficultés d’accès à la procédure administrative ; – Complexité organisée ; – Arbitraire ; – Incertitude ; – Suspicion systématique ; –Impasses administratives.
d’autres personnes en demande d’asile. Nous en profitons aussi pour conseiller et guider juridiquement ces personnes. Les besoins auxquels répond cette action sont donc de plusieurs ordres : sanitaires, juridiques, sociaux et existentiels. Depuis 2017, notre équipe composée alors de deux travailleuses paires syriennes réfugiées politiques et d’une juriste française spécialisée en droit d’asile offre : – Des conseils juridiques et administratifs ; – Des ateliers d’art-thérapie ; – Des activités socio-culturelles. Notre action a une très forte dimension communautaire et repose principalement sur l’investissement des travailleuses paires et des bénéficiaires. Ainsi, partageant une expérience, une langue, un référentiel commun avec nos bénéficiaires, le travail est plus aisé. Notre langue de travail principale est l’arabe. En 2019, notre projet s’est consolidé. Nous disposons désormais d’un local partagé dans le centreville de Marseille ouvert plusieurs
jours par semaine. Aux activités précitées s’ajoutent des ateliers d’art-thérapie théâtrale, des ateliers de création de court-métrages en partenariat avec le festival AFLAM, des cours de français. Les bénéficiaires commencent à animer leurs propres ateliers : coiffure, couture, arabe pour les enfants, cuisine, musique, etc. Nous nous sommes formées à une thérapie de prévention et de prise en charge du stress post-traumatique, la NET. La NET est une thérapie brève qui a été créé pour les personnes en exil, c’est-à-dire pour des personnes ayant bien souvent subis plusieurs traumatismes et qui vivent dans des conditions précaires à même de renforcer ces traumatismes. Cette thérapie a été conçue pour être menée par des paires, des travailleur·euse·s sociaux·ales. Elle a pour avantage de permettre aux personnes de revenir dans un cadre thérapeutique, dans leur langue, sur des événements traumatisants de leurs vies. Les séances donnent lieu à la rédaction d’un récit qui peut servir pendant les démarches d’asile.
Cette thérapie n’a pas encore été mise en place en France mais est utilisée avec succès au Liban, en Ouganda, en Allemagne, etc. Nous espérons que le lieu que nous offrons, les activités que nous proposons contribuent au bien-être ou au mieux-être de notre file active composée principalement de femmes et de personnes LGBT en exil qui continuent à rencontrer de nombreuses discriminations et violences sur leur terre d’accueil. Ces activités et leurs effets bénéfiques pour les bénéficiaires, mais aussi la nécessité de l’approche communautaire, ce sont les deux travailleuses paires de Sindiane qui sont le plus à même d’en parler.
INTERVIEW DES TRAVAILLEUSES PAIRES Pouvez-vous vous présenter ? Lyana : Je m’appelle Lyana, je suis membre de l’équipe de Sindiane. Je suis une artiste syrienne. J’ai travaillé comme art-thérapeute auprès d’enfants et de femmes et comme assistante sociale en Tur-
Ces souffrances ont des conséquences très concrètes sur la vie quotidienne des personnes en exil mais aussi sur leurs droits. En effet, comment présenter un récit cohérent, linéaire, chronologique lorsque le rapport au temps et à l’espace est altéré ? Ou lorsque l’on souffre de pertes de mémoires traumatiques ? Or, c’est ce que demande l’OFPRA pour reconnaître le statut de réfugié·e. Dans ces conditions apprendre une langue, travailler, mener des démarches administratives devient quasi impossible.
Pourtant, revenir sur sa vie d’avant l’exil, les évènements qui ont poussé le·a demandeur·euse d’asile à fuir, peut revêtir une fonction cathartique et redonner confiance en eux·elles aux demandeur·euse·s d’asile. C’est ce que nous avons voulu mettre en place. C’est pendant la longue période d’attente que constitue la demande d’asile que nous inscrivons notre action, pour en faire un moment de reconstruction par un travail thérapeutique et artistique, un moment de rencontre avec
Nous avons aussi reçu une formation pour faire la thérapie par exposition à la narration (Narrative Exposure Therapy ou NET). Nous commencerons bientôt à le mettre en œuvre. Nous trouvons que c’est très important parce que c’est basé sur les traumatismes et les événements importants de la vie que les réfugié·e·s ont vécus. Parce que nous avons établi une relation de confiance avec nos bénéficiaires, il·elle·s peuvent nous raconter leur histoire. Et n’importe qui peut animer les NET, vous n’avez pas besoin d’être un médecin pour le faire. Ce qui est également intéressant avec la NET, c’est qu’elle aide non seulement à prévenir le SSPT (syndrôme de stress post-traumatique) et à le guérir, mais aussi à aider dans la procédure d’asile. Mariam : Tout d’abord c’est un travail qui m’intéresse. J’aide les gens à vivre la même expérience que j’ai vécue avant leur arrivée. Et nous sommes devenus une sorte de famille à Marseille. J’ai commencé à les emmener dans des lieux touristiques et à faire des visites guidées dans la ville, puis à les accompagner chez le médecin et aux rendez-vous administratifs. Ils m’ont donné l’impression que les accompagner à leur rendez-vous est plus important parce qu’il·elle·s se sentent seul·e·s et effrayé·e·s et c’est un peu stressant pour eux. Ça me fait du bien de leur donner un coup de main. La plupart des personnes avec lesquelles nous travaillons sont venues dans le cadre du programme de réinstallation du UNHCR, elles ont des maladies et doivent souvent consulter un médecin, mais elles ne savent pas quel médecin, comment les trouver et elles ne peuvent ensuite pas communiquer avec eux.
Ce qu’il faudrait pour faire face à cet enjeu de santé publique, selon le centre Primo Lévi contre la torture et Médecins du Monde, c’est une prise en charge pluridisciplinaire, des interprètes professionnels, une réponse adaptée aux troubles psycho-traumatiques. Ces aspects sont partie intégrante de notre initiative Sindiane. L’idée du projet est partie d’un constat simple : les personnes en demande d’asile doivent toutes écrire leur récit et le présenter à l’OFPRA. Elles doivent revenir sur leurs récits de façon très normée et ethnocentrique, d’une façon qui paraîtra cohérente et convaincante à l’OFPRA. De cet exercice difficile dépend l’octroi d’une protection internationale (le statut de réfugié·e ou une protection subsidiaire). Ce passage obligé de la demande d’asile peut raviver des traumatismes, des moments difficiles et oblige les demandeur·euse·s à dévoiler leur intimité devant une administration souvent vécue comme déshumanisante.
et d’appréhender notre nouvelle communauté et notre nouvelle vie avec plus de confiance.
quie pendant deux ans, après mon départ de Syrie. J’ai déménagé en France en mai 2017, où j’ai entamé ma procédure d’asile. J’ai ensuite commencé à travailler sur Sindiane avec Olga et Mariam et notre but principal était de nous rassembler en tant que communauté de réfugié·e·s et de personnes en exil. Au début, il est très difficile pour nous de commencer, alors nous avons besoin de l’aide de gens qui ont traversé cette situation merdique pour être plus conscients, pour avoir du soutien et de l’aide. Parce que nous avons toujours peur des choses que nous ne savons pas et quand nous arrivons, nous avons peur. Avec notre projet, nous voulons augmenter l’auto-support, rendre les gens moins effrayés. C’est particulièrement important pour les femmes et la communauté LGBT. À cause de la violence à laquelle elles sont confrontées en Syrie, puis en Turquie et maintenant en France. Ce fut un grand choc pour nous de rencontrer des discriminations et de la violence ici. Ce qui est plus difficile pour ces deux communautés, c’est de gérer la langue, la procédure d’asile,
tout. C’est plus lourd que pour les autres communautés, parce que la vie était dure pour elles en Syrie et l’exil ajoute un double fardeau, celui des femmes/communauté LGBT et celui des réfugié·e·s. En tant que réfugiée, je comprends ce qui est difficile, ce qui est difficile dans tous les problèmes que j’ai rencontrés en France auparavant et que nos bénéficiaires rencontrent maintenant. Mariam : Je m’appelle Mariam, je vivais en Syrie. Je suis venu en France en 2015 pour demander l’asile avec ma famille. Les deux premières années après mon arrivée ont été difficiles. Je me demandais toujours ce que je pouvais faire en France ? Quel genre de travail puis-je faire ? Je ne voulais plus travailler comme pharmacienne. J’ai rencontré des gens sympathiques qui m’ont proposé de faire partie de leur projet, Sindiane. J’ai proposé d’aider les gens à connaître la ville, l’administration, mais aussi les belles choses comme le musée, la plage, parce que j’avais beaucoup de mal avec ça quand je suis arrivée.
Qu’est-ce que Sindiane ? Lyana : Notre projet a commencé avec notre volonté d’aider les personnes qui ont traversé les mêmes problèmes que nous et de créer un lieu où les gens peuvent se rencontrer, se connecter et briser leur isolement. Mon rôle était de faire un projet d’art-thérapie de façon psychologique, chaque semaine, pour offrir un atelier où les bénéficiaires peuvent exprimer leurs peurs, leurs rêves, leurs espoirs par le dessin. Et parler ensemble de chaque dessin et de sa signification pour nous. Je me suis également impliquée dans le projet de cinéma : le but était de savoir comment raconter nos histoires en tant que réfugié·e·s, une histoire différente du point de vue des médias en faisant un autoportrait. Les médias présentent les histoires des réfugié·e·s de manière stéréotypée. C’était aussi une sorte de thérapie et nous avons aussi appris à tourner un film de A à Z.
Elles ont également été sélectionnées par l’UNHCR (Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés) pour être prises en charge, mais personne ne les aide ici dans les organisations qui sont censées les aider. Lyana : quand nous parlons avec les bénéficiaires, elles vantent toutes les sorties que tu organises Mariam, disant qu’elles rencontrent des gens, qu’elles vont dans de nouveaux endroits et qu’elles aiment ça, elles ne parlent pas tellement des rendez-vous ! À la rentrée 2019, l’équipe de Sindiane s’agrandira et accueillera une troisième travailleuse paire pour poursuivre et étoffer ses activités. 1 Chiffre de l’OFPRA [https://www.ofpra. gouv.fr/sites/default/files/atoms/files/ ofpra_ra_2018_web_pages_hd.pdf] 2 Chiffres d’Amnesty International [https:// kawa-news.com/quels-sont-les-pays-quiaccueillent-le-plus-de-refugies/]
J’anime maintenant l’atelier sur le théâtre : il s’agit d’établir une confiance entre les bénéficiaires INTERVENTIONS/INTERVENTIONS
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SINDIANE A SELF-SUPPORT AND EMPOWERMENT PROGRAM FOR EXILED PEOPLE Olga Loris The European Union, to speak only of the EU, is at war with migrant people. It has a real armada and has strongly militarised its borders to fight this heterogeneous population: FRONTEX, its weaponized arm, whose budget was 320 million euros in 2018, an outsourcing of borders to Chad and Niger, the equipment of the Libyan coast guard, bunkered land borders like in Mellila, etc.
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This war has many victims. In addition to the thousands of deaths in the Mediterranean, there are also deaths in the Niger desert and on the Balkan route. Migrants in transit in Libya live in inhuman and degrading conditions: in addition to slavery, there is torture and rape in overcrowded prison camps where detainees are not always fed. Despite this, the law of the sea is constantly violated, migrants are no longer rescued and
returned to their torturers sponsored by our States. The arrival in the European Union takes place in camps: in Greece, in Italy, where violence is rampant. At Moria camp, overcrowded, it takes 30 minutes in line to access the toilets, several hours to eat, there is no doctor and the days are literally made of waiting. In the fall, several suicide attempts by children under 10 years of age
were recorded and the prevalence of violence, particularly sexual violence, is very high. This is the framework of European and French asylum policy, it is the context in which our action is carried out.
people hosted by Turkey (3.5M), Jordan (2.9M), Lebanon (1.4M), Uganda (1.4M) or Pakistan (1.4M), the five leading host countries in the world2. This population of people in exile is particularly vulnerable, although extremely resilient.
In 2018, there were 123,625 asylum applications in France1. This figure should be put into perspective with the millions of displaced
In particular, there is a great psychological suffering of people in exile linked to the violence experienced in their country of
origin, but also, and increasingly, the violence encountered during their exile and in their host country. The suffering and mental disorders of people in exile, when they exist, tend to worsen in host countries. This is partly due to the reception conditions and public policies, which are marked by xenophobia, racism, colonial and racist history and heritage in France and Europe. These policies are, in short, very repressive: • Camp system: in Greece, Germany, France, especially in Calais and Paris; • Institutionalized police violence against migrants and criminalization of their supporters; • Xenophobic and precarious policies: few housing units (44,000 ad hoc places), prohibition to work during the first 9 months of the asylum application, no French language courses, no legal aid paid for by the public authorities; • Few adequate means and mechanisms, especially with regard to mental health. The mental health of the exiled is a public health emergency, to use the words of the Primo Lévi Centre and Médecins du Monde. This psychological suffering has many faces and a high prevalence: • Post-traumatic syndrome 60% • Depressive syndromes 22% • Anxiety disorders 8% • Complex traumas 8%
asylum seekers must write their story and present it to OFPRA. They must review their stories in a very standardized and eurocentric way, in a way that will seem coherent and convincing to OFPRA. The granting of international protection (refugee status or subsidiary protection) depends on this difficult exercise. This forced passage of the asylum application can rekindle traumas, difficult moments and force claimants to reveal their intimacy in front of an administration often experienced as dehumanizing. However, revisiting their life before exile, the events that led the asylum seeker to flee, can have a cathartic function and restore self-confidence to asylum seekers. That is what we wanted to put in place. It is during the long waiting period that the asylum application constitutes that we inscribe our action, to make it a moment of reconstruction through therapeutic and artistic work, a moment of meeting other people seeking asylum. We also take the opportunity to provide them with legal advice
and guidance. The needs to which this action responds are therefore of several kinds: sanitary, legal, social and existential. Since 2017, our team, which then consisted of two Syrian women who were political refugees and a French lawyer specialising in asylum law, has been offering: • Legal and administrative advice • Art therapy workshops • Socio-cultural activities Our action has a very strong community dimension and is mainly based on the investment of peer workers and beneficiaries. Thus, sharing an experience, a language, a common reference frame with our beneficiaries, the work is easier. Our main working language is Arabic. In 2019, our project was consolidated. We now have a shared office in the centre of Marseille that is open several days a week. In addition to the above activities, there are theatre workshops, workshops for the creation of short films in partnership with
the AFLAM festival, and French language courses. The beneficiaries are starting to run their own workshops: hairdressing, sewing, Arabic for children, cooking, music, etc. We have been trained in a therapy for the prevention and management of post-traumatic stress, NET. NET is a short therapy that has been created for people in exile, that is, for people who have often suffered several traumas and who live in precarious conditions that can reinforce these traumas. This therapy was designed to be conducted by peers, social workers. Its advantage is that it allows people to return to traumatic events in their lives in a therapeutic setting, in their own language. The sessions result in the writing of a story that can be used during the asylum process. This therapy has not yet been implemented in France but is successfully used in Lebanon, Uganda, Germany, etc. We hope that the place we offer, the activities we propose contribute to the well-being or better being of our group composed mainly of women and LGBT
These sufferings have very concrete consequences on the daily lives of people in exile but also on their rights. Indeed, how can a coherent, linear, chronological narrative be presented when the relationship to time and space is altered? Or when you suffer from traumatic memory loss? However, this is what OFPRA is asking for in order to recognize refugee status. Under these conditions, learning a language, working and administrative procedures become almost impossible. According to the Primo Lévi Centre against Torture and Médecins du Monde, what is needed to address this public health challenge is multidisciplinary care, professional interpreters and an appropriate response to psycho-traumatic disorders. These aspects are an integral part of our Sindiane initiative. The idea for the project started from a simple observation: All
I’m now facilitating the theatre workshop: this one is about building trust between the beneficiaries and facing the new community and new life with more confidence. We also got train to do NET (Narrative Exposure Therapy). We will start implementing it soon. We find it really important because it’s based on the trauma and important life events that refugees have been through. Because we built a trust relationship with our beneficiaries, they can tell us about their story. And anyone can facilitate NET, you don’t need to be a doctor to do that. What is also interesting with NET is that not only it help prevent PTSD and to cure it, but also help in the asylum procedure. Mariam: First of all it’s a work that interests me. I’m helping people to get through the same experience I lived before they arrived. And we became kind of a family in Marseille. I started to take them to touristic places and on tours in the city and then to accompany them to doctor and administrative appointments. They made me feel like accompanying them to their appointment is more important because they feel alone and afraid and it’s a bit stressful for them. It makes me feel good to give them a hand.
It has multiple factors. Indeed, multiple acts of violence are at the origin of departures (62% testify to this, Exiles’ Health Committee): discrimination, humiliation, inhuman and degrading treatment; witnessing acts of violence; experiencing violence, torture, rape; persecution, threats, pressures, situations of insecurity, endangering one’s own life; numerous losses (family, work, property, home, country), cultural bereavement; but also difficulties related to migration, detention, and settlement in another country, as well as uncertainty about the future. Unrest is worsening or even appearing due to the unworthy living conditions in host countries, and in particular the: • Difficulties of access to the administrative procedure • Organized complexity • Arbitrariness • Uncertainty • Systematic suspicion • Administrative deadlocks
way. This was also a kind of therapy and we also learn how to shoot a movie from A to Z.
Most of the people with whom we work came through the UNHCR reinstalation program and they have illnesses and need to go to the doctor often but they don’t know to which doctor, how to find them and then they can’t communicate with them. They were also selected by the UNHCR to be taken care of but no one helps them here in the organisations that are supposed to help them.
people in exile who continue to face many discriminations and violence in their host country. These activities and their beneficial effects for the beneficiaries, but also the need for the community approach, are most appropriately discussed by Sindiane’s two peer workers.
INTERVIEW OF THE PEER WORKERS Can you introduce yourselves? Lyana: My name is Lyana, I’m a team member of Sindiane. I’m an artist from Syria. I worked as an art therapist with children and women and as a social worker in Turkey for two years, after I left Syria. I moved to France in may 2017, where I started my asylum procedure. I then started to work on Sindiane with Olga and Mariam and our main goal was to gather as a community of refugees and people in exile. In the beginning it’s really hard for us to start so we need help from people who got through this shit to be more aware, to have support and help. Because we are always afraid of
things we don’t know and when we arrive we are afraid. With our project we want to increase self-support, make people less afraid. This is especially important with women and LGBT community. Because of the violence they face in Syria, then in Turkey and now in France. It was a big shock for us to encounter discriminations and violence here.
anymore as a pharmacist. I met nice people who offered me to be part of their project, Sindiane. I offered to help people to get to know the city, the administration, but also the nice things like museum, beach, because I was struggling with that a lot when I arrived. What is Sindiane?
What is more difficult for these two communities is to deal with the language, the asylum procedure, everything. It’s heavier than for other communities, because life was hard for them in Syria and the exile add a double burden, the one of women/LGBT community and the one of refugees. As a refugee I understand what is difficult, what is hard in all the problems I faced in France before and that our beneficiaries are facing now. Mariam: My name is Mariam, I was living in Syria. I came in France in 2015 to seek asylum with my family. The first two years after I arrived were difficult. I was always thinking about what can I do in France? What kind of work can I do? I didn’t want to work
Lyana: Our project started with our willingness to help people who have been through the same issues than us and to create a place where people can meet and connect and break isolation.
Lyana: When we talk with the beneficiaries they all praised the outings you organise Mariam, saying that they meet people, go to new places and how they enjoy it, they don’t talk so much about the appointments! In September 2019, Sindiane’s team will expand and welcome a third peer worker to continue and expand its activities. 1 Figures from the OFPRA [https://www. ofpra.gouv.fr/sites/default/files/atoms/files/ ofpra_ra_2018_web_pages_hd.pdf] 2 Figures from Amnesty International [https://kawa-news.com/quels-sont-lespays-qui-accueillent-le-plus-de-refugies/]
My role was to do art therapy project in a psychological way, every week to give a workshop where beneficiaries can express their fears, their dreams, their hopes through drawings. And talk together about each drawings and its meaning for us. I also got involved in the cinema project: the aim was to know how to tell our stories as refugees, a story different from the media perspective by doing self portrait. The media are showing the refugee stories in a stereotypical INTERVENTIONS/INTERVENTIONS
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CONTRE LES FÉMINICIDES ARCHIVE DE LUTTE
Collectif « Collages Féminicides Rennes »
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POUR UNE SÉCURITÉ SOCIALE DE L’ALIMENTATION Ingénieurs sans frontières AgriSTA En France, la sécurité sociale offre aux citoyen·nes l’accès à des soins médicaux, quels que soient leurs revenus. Pourquoi ? Parce que la santé est un bien commun et l’accès aux soins, un droit. Si l’alimentation, notre première médecine, représente une part majeure des questions de santé, un bien commun et même un droit, une part encore trop importante de la population n’est pas en mesure de l’exercer. L’accès digne à une alimentation choisie, tout comme l’accès aux soins, ne devrait-il pas faire l’objet d’une politique sociale ? Créer une sécurité sociale de l’alimentation (SSA), est-ce possible ? À quelles conditions ? Comment une sécurité sociale de l’alimentation pourrait-elle offrir à toutes et tous l’accès à une alimentation choisie, de qualité, respectant l’environnement et les travailleurs·euses ? Comment cet outil pourrait-il garantir le droit à l’alimentation et, dans le même temps, être la base d’une souveraineté alimentaire des peuples ?
LE CAPITALISME MONDIALISÉ EST À LA SOURCE DES DÉSÉQUILIBRES AGRICOLES ET ALIMENTAIRES Une agriculture au service du profit plutôt que de l’alimentation De tout temps, l’alimentation a été un moyen pour les classes sociales dominantes d’asseoir
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leur pouvoir sur les populations. Symboliquement, d’abord, les privations alimentaires et la mise en scène de repas opulents représentent une forme de domination sur le reste de la société1. Matériellement, ensuite, la faim a été (et est toujours !) une arme politique puissante, comme en témoigne le combat des sociétés paysannes au cours des siècles pour pouvoir se nourrir. Les avancées techniques (mécanisation, motorisation) et les connaissances agronomiques développées au cours du XXe siècle ont été accaparées par l’agro-industrie, au profit d’une économie libérale capitaliste et mondialisée. Les systèmes agricoles auxquels elle a donné naissance sont à l’origine de famines, de déplacements des populations et d’une dégradation de l’environnement et de la santé sans précédent. Cette agriculture capitaliste se révèle non seulement incapable de nourrir le monde, mais détruit au fur et à mesure les agricultures paysannes, celles-là mêmes qui produisent 80 % de l’alimentation des pays non-industrialisés2. En France, les paysan·nes voient leur situation économique se dégrader : un tiers des agriculteurs·trices touchait moins de 350 euros par mois en 2016. Cela s’explique notamment par la mainmise de l’agro-industrie sur l’ensemble de la chaîne agroalimentaire : les paysan·nes ne touchent que 8 %3 du budget alimentaire payé à la distribution ! Les conditions du travail agricole ne sont plus attractives et le renouvellement des générations
d’agriculteur·trices n’est plus assuré4. Des alternatives réservées à une partie de la population et des paysan·nes Les résistances au système agro-industriel sont nombreuses et se traduisent par des actions concrètes : luttes contre le libreéchange, développement de circuits alternatifs de distribution comme le commerce équitable, les AMAP, les boutiques ou marchés de producteurs, qui remettent l’alimentation au service des populations et des territoires. Si les initiatives ne manquent pas, l’enjeu consiste désormais à les développer, les globaliser sans qu’elles soient récupérées au service du capital5. Avec les alternatives à l’agro-industrie se développe un système alimentaire à deux vitesses. D’un côté, une alimentation de qualité issue de modes de production, transformation et distribution alternatifs, accessible à ceux·lles qui en ont les moyens. De l’autre, des produits de mauvaise qualité dont les conséquences négatives sur l’environnement et la santé sont de plus en plus démontrées6, accessibles et consommés principalement par les populations défavorisées, parfois de façon contrainte, lorsqu’apportés par charité. Cela dit, si l’accès économique à une alimentation de qualité et choisie est primordial, il ne suffit pas : d’autres déterminants socioculturels entrent en jeu et participent au développement des malnutritions. L’existence de modèles alimen-
taires alternatifs à l’agro-industrie représente un pas en avant, mais reste insuffisant. On ne peut se satisfaire des alternatives si elles s’accompagnent d’une situation « d’apartheid alimentaire » et ne transforment pas significativement le monde agricole. L’alimentation, variable d’ajustement dans le budget des Français pour répondre à l’augmentation du coût de la vie En France, les populations en situation de précarité alimentaire sont en forte augmentation : le recours à l’aide alimentaire est passé de 2,8 millions de bénéficiaires en 2008 à 4,8 millions en 20157. Plus qu’un enjeu de santé, le pouvoir de choisir son alimentation, sans simplement recevoir ce dont les autres ne veulent pas, est une question de dignité. En France, grâce à la charité, plus personne ou presque ne meurt de faim. Mais si le droit à l’alimentation existe8, il ne se résume pas au droit de recevoir des aliments. En effet, la possibilité de choisir son alimentation et de sentir qu’elle est un des vecteurs de lien social est essentielle. Un lien social mis à mal lorsqu’on est contraint de consommer en juin les chocolats de Pâques invendus, dont plus personne ne veut. Par ailleurs, le problème ne concerne pas uniquement la quantité d’aliments/ calories disponibles, mais aussi leur qualité9. S’ils ne recourent pas tous à l’aide alimentaire, de nombreux ménages aux budgets alimentaires limités ne peuvent réellement choisir leur alimentation : ils dé-
pendent d’une nourriture de mauvaise qualité issue de l’agro-industrie. D’après l’étude INCA 3 portant sur des données de 2014-2015, 22 % des ménages avec enfants sont en situation d’insuffisance alimentaire10. Au cours des 50 dernières années, la diminution constante de la part de l’alimentation et la part croissante des dépenses contraintes dans le budget des ménages français11 démontrent bien leur impossibilité à libérer une part plus importante de leur budget pour l’alimentation. En effet, malgré l’établissement de monstres agroalimentaires, l’agriculture ne présentant pas assez de possibilités de profits12, le système capitaliste oriente la consommation vers des secteurs où les profits peuvent être plus importants (logement, énergie, loisirs, etc.). La nourriture devant être de moins en moins chère, cela engendre une diminution constante du prix payé aux producteur·rices ainsi qu’une diminution de la qualité des produits. Face aux dépenses contraintes (logement, transport…), les personnes en situation de précarité n’ont d’autres le choix que de supprimer ou d’appauvrir leurs repas, parfois dès la moitié du mois, pour s’en sortir13. Assurer les besoins vitaux, hors de toute marchandisation, est ainsi indispensable pour notre société. Des circuits de consommation alternatifs insuffisants pour transformer la production agricole Après une quinzaine d’années de fort développement, les circuits courts14 sont aujourd’hui
Source : Rapport d’information du Sénat de 2018 sur le financement de l’aide alimentaire
globalement de moins en moins rémunérateurs et de plus en plus chronophages pour les paysan·nes15. Dans certains endroits ces secteurs de marchés sont bouchés, même si dans d’autres ils restent encore à développer. Cela est lié à un rééquilibrage global de l’offre et de la demande (augmentation de l’offre avec la demande qui stagne). De plus, les filières bios ne sont plus aussi rémunératrices qu’avant pour les paysan·nes16. D’autres solutions sont à envisager pour rémunérer décemment les paysan·nes qui s’engagent à produire autrement. Des politiques qui accompagnent et renforcent ces dynamiques Des politiques agricoles qui soutiennent l’industrialisation de l’agriculture ainsi que la précarisation et l’élimination des paysan·nes La Politique agricole commune de l’Union Européenne (PAC) avait un objectif alimentaire à la sortie de la Seconde Guerre mondiale, mais oublié depuis longtemps... Elle soutient aujourd’hui massivement les plus grosses fermes fournissant des produits de basse qualité, peu d’emploi et ayant peu d’égards pour l’environnement. Les aides de la PAC sont distribuées sans justification sociale et environnementale. L’agriculture européenne est mise en compétition sur le marché mondial. Tous les mécanismes permettant aux paysan·nes de se protéger et d’avoir un revenu ont été abandonnés. Les prix sont bas et très instables. La PAC n’est donc plus une politique publique d’intérêt général, elle est devenue insoutenable. Des politiques alimentaires inadaptées aux enjeux Certains programmes d’éducation alimentaire et de promotion d’une manière de manger plus saine n’ont pas apporté les résultats espérés. En effet, l’adoption d’un propos paternaliste envers les populations défavorisées dans l’espoir qu’elles adoptent des habitudes alimentaires plus saines s’est souvent résumée par un échec. De plus, ces programmes ont renforcé une stigmatisation de ces personnes alors que la plupart connaissent déjà les principes nutritionnels pour une alimentation équilibrée. Par exemple, la mise en scène d’une épidémie de l’obésité qu’il serait urgent d’éradiquer par des programmes engageant ces personnes à changer leur comportement alimentaire par eux-mêmes n’ont fait qu’empirer la situation17. En effet, il est vain de penser
qu’une approche tournée uniquement vers la diététique se suffit pour prendre en charge l’obésité dont les déterminants touchent à plusieurs domaines (psychologique, social, nutritionnel…). Par ailleurs, il n’existe pas de politique d’accès à une alimentation de qualité à un niveau national. Des initiatives sont parfois mises en œuvre à des échelles locales, induisant une inégalité entre les territoires. La politique phare en matière d’alimentation portée au niveau national par le ministère de l’Agriculture est la labellisation de projets alimentaires territoriaux (PAT) menés par des intercommunalités. Elle n’ouvre pas de possibilité directe de financement pour ces initiatives locales, mais une valorisation des initiatives par de la communication et leur mise en réseau. Réseau aujourd’hui aux mains des Chambres d’agriculture, organismes qui ne défendent que les intérêts du syndicalisme agricole majoritaire. La labellisation ouvre la possibilité de répondre à un appel à projets national dont la dotation est largement en deçà des besoins. Malgré certaines belles initiatives au niveau local, les politiques alimentaires ne pensent pas leur généralisation, et encore moins l’égalité territoriale, et reste dans une dynamique incitative tout en ne donnant pas les moyens aux territoires qui le souhaite de mettre en place des projets ambitieux. Et tant pis pour les habitant·es de territoires moins dynamiques. La question de l’accessibilité de l’alimentation est très peu abordée dans les différents PAT existants, et reste largement marquée par toutes les problématiques que nous soulevons sur l’aide alimentaire. Le don alimentaire au renfort du système agro-industriel En France, 95 % de l’aide alimentaire provient de l’agro-industrie18. Le mécanisme du don alimentaire renforce le fonctionnement du système industriel qui, pour maximiser son profit, est en surproduction constante. Les déductions fiscales liées aux dons alimentaires permettent de diminuer le coût de cette surproduction, c’est ainsi 44 319 millions d’euros par an qui sont défiscalisés (cf. graphique). Ce chiffre reste faible au regard de la valeur ajoutée produite par la filière20, mais non négligeable. Ce mécanisme qui fait passer le système agro-industriel pour philanthrope et indispensable pour les populations les plus défavorisées est une vraie mascarade. Le don alimentaire participe à la renta-
bilité (c’est une assurance contre la perte via la défiscalisation des dons) et à la légitimité du système agro-industriel. Le tout produit des dispositifs d’accès à l’alimentation dont les produits distribués sont de mauvaise qualité et dont la production engendre elle-même de la précarité. Le système de don alimentaire est souvent présenté comme une opportunité pour la lutte contre le gaspillage alimentaire21. Les bénéficiaires de l’aide alimentaires sont ainsi des « poubelles éthiques » permettant de faire du social washing ! Sortir d’une logique de dons alimentaires et lutter contre le gaspillage alimentaire ne sont pas incompatible, au contraire. Cette sortie du don alimentaire est une urgence pour la mise en place d’un droit à l’alimentation et d’une réelle souveraineté alimentaire.
UNE SÉCURITÉ SOCIALE DE L’ALIMENTATION : UNE IDÉE SIMPLE BASÉE SUR DES PRINCIPES DE FONCTIONNEMENT DÉJÀ EXPÉRIMENTÉS Si ces questions se posent sur toute la surface du globe, nous souhaitons proposer une solution à l’échelle française pour l’instant. En effet, la préexistence d’un système similaire rend ce choix réaliste et pertinent. L’idée d’une sécurité sociale de l’alimentation est d’étendre ce principe à l’accès à une alimentation de qualité pour toutes et tous. Inspirons-nous de la sécurité sociale en France en apprenant de ses erreurs La France bénéficie, depuis 1946, d’une sécurité sociale généralisée à tou·te·s : un mécanisme qui permet d’assurer à chacun·e l’accès aux soins dont il·elle a besoin. Le modèle de la sécurité sociale est inspirant : basé à l’origine sur l’établissement d’une caisse unique accessible à tou·te·s (celles et ceux qui ont créé des caisses à part l’ont fait de leur propre chef), il repose sur la solidarité par cotisation (selon ses moyens, sans intervention de l’état ou des banques) et la démocratie (à l’origine, les caisses étaient gérées par les bénéficiaires eux·ellesmêmes). Cela a permis à l’ensemble de la population d’avoir accès à des soins dès la sortie de la guerre, mais également de mettre en place la production de soins dans les années 60 selon le principe de libre choix de professionnel·les conventionné·es travaillant sur des équipements hospitaliers
subventionnés par l’assurance maladie. Mais ce système est perfectible et il semble important de souligner deux erreurs majeures dans sa mise en place et son développement à ne pas reproduire : – Premièrement, la perte de la gestion démocratique de ces caisses qui ôte aux bénéficiaires le pouvoir de décision sur les produits/ actes remboursables. – Secondement, l’absence de conventionnement pour la production des médicaments. Si les professionnel·les de santé sont conventionné·es et exempts de logiques capitalistes22, l’absence de conventionnement sur les médicaments et les outils des professionnels a vu le libéralisme bannir l’herboristerie et faire place à des fortunes industrielles construites sur fonds publics23. Les savoirs médicaux populaires ont pratiquement disparu en France24, laissant le choix entre une industrie pharmaceutique plus intéressée par les bénéfices que la santé et tout un tas de recommandations dont les bénéfices sanitaires restent à prouver. Il nous semble ainsi important d’assurer le caractère démocratique de ces caisses, de se baser sur le principe de la cotisation pour aller directement du cotisant au bénéficiaire sans aucune spéculation, d’assurer un contrôle sur les moyens de production des produits qui seront conventionnés pour garder un contrôle sur l’organisation économique de la production. Ajoutons un budget alimentaire à la carte vitale... Imaginons que 150 euros de budget alimentaire soient distribués chaque mois à l’ensemble des individus (ou à leurs parents pour les mineur·es). Cet argent serait par exemple disponible sur la carte de sécurité sociale, chaque professionnel·le conventionné·e ayant reçu une machine pour encaisser les achats réalisés. Cela représenterait un budget annuel d’environ 118 milliards d’euros25, à augmenter des frais de fonctionnement26. Les 150 euros ne couvrent pas l’intégralité des dépenses alimentaires de l’ensemble des habitant·es, mais représentent un budget supérieur au budget moyen des personnes en situation de précarité, permettant d’envisager une bien meilleure alimentation pour celles-ci, tout en leur laissant la liberté de se procurer des aliments non conventionnés. Ce budget pourrait être augmenté par la suite27. La question de pondérer ce montant selon le lieu de vie devrait être posée tant le prix de l’alimentation varie géographiquement.
Évocation d’une carte vitale alimentaire, ISF Agrista
Financé par une cotisation spécifique... Il faut un budget global de 118 milliards d’euros pour verser 150 euros par mois et par personne aux 65,5 millions de français·es28. Pour comparaison, la part de la consommation de soins et de bien médicaux remboursés par la sécurité sociale est de 136,3 milliards d’euros. Par ailleurs, le panier alimentaire moyen en France étant de 235 euros par mois par habitant·e, le budget alimentaire total
en France est de 184,9 milliards d’euros. Ainsi le mécanisme imaginé de SSA couvrirait 64 % des consommations alimentaires des Français·es (à modèle de consommation et prix constants), là où la sécurité sociale prend en charge 73 % de la consommation de soins et de bien médicaux. Attention cependant à garder en tête la forte hétérogénéité de la dépense alimentaire par personne selon le niveau de revenu. Les 150 euros par mois représentent pour de nombreuses personnes bien plus que leur dépense réelle. À ce budget devra s’ajouter un budget de fonctionnement pour faire vivre la SSA en tant qu’institution. Aujourd’hui le coût de gestion du système de santé en France hors CMU est de 14,7 milliards d’euros. Ce coût de gestion dépasse la seule distribution des remboursements des frais de santé, intégrant par exemple la gestion de la prévention. Néanmoins, les témoignages des travailleur·euses des Caisses d’assurance maladie laissent penser que leur budget actuel ne permet pas un fonctionnement dans des conditions décentes de travail. De plus les mécanismes démocratiques de gestion des caisses de sécurité sociale de l’alimentation que nous appelons de nos vœux seront certainement plus coûteux que le fonctionnement actuel de l’assurance maladie, très centralisé et descendant. Ainsi le budget de fonctionnement des caisses de sécurité sociale de l’alimentation sera certainement plus élevé que 14,7 milliards d’euros. L’analogie avec la sécurité sociale nous a menés sur l’idée historique29 d’une cotisation. Cette option est cohérente avec notre volonté d’avoir des caisses de sécurité sociale gérées de manière démocratique et participative, là où un financement par l’impôt risquerait d’induire une gestion centralisatrice par l’État. Une première option serait une cotisation supplémentaire qui serait prélevée sur le salaire ou revenu brut. Ceci impliquerait une baisse du salaire ou revenu net, plus ou moins compensée par le versement de 150 euros par mois à dépenser uniquement pour une alimentation conventionnée. À revenus mixtes30 et salaires constants, ces 150 euros représenteraient en moyenne31 12,6 % des revenus mixtes et salaires, là où la consommation de soins et de bien médicaux remboursés par la sécurité sociale représente 16,1 % des revenus mixtes et salaires. Juste et solidaire... Pour que cette cotisation ne soit pas excluante, il nous semble que chaque citoyen·ne devrait cotiser. Dans la mesure où les salaires n’évolueraient pas massivement à la hausse, la conséquence serait qu’une telle cotisation ne pourrait pas avoir un taux identique pour tou·te·s. Ce dernier devrait donc être progressif, contrairement aux cotisations sociales pour l’assurance maladie. Un taux unique impliquerait de bloquer une part trop insupportable pour le budget de ceux·lles qui sont déjà les exclu·es alimentaires de notre société et irait à l’opposé de ce que nous cherchons à faire. Si les calculs restent à réaliser, la progressivité devrait être pensée pour qu’en dessous d’un certain seuil de revenu, la cotisation soit équivalente ou inférieure à la dépense alimentaire moyenne observée pour une personne ayant ce revenu. De plus, une cotisation sociale alimentaire progressive aurait l’avantage d’être redistributive dans une société où les inéINTERVENTIONS/INTERVENTIONS
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galités se creusent. Enfin, ce taux progressif nous paraît préférable à l’idée d’exonérer de cotisation les moins aisé·es et les bas salaires. De telles exonérations pratiquées sur les cotisations sociales ces derniers temps ouvrent la voie au démantèlement du modèle social dit « à la française » faisant reposer de plus en plus le financement de la sécurité sociale sur l’impôt. Une autre piste à explorer serait la modulation du taux de cotisation, non pas selon le niveau de revenu de chacun·e, mais selon que les entreprises consacrent une part plus ou moins importante de leur chiffre d’affaires à rémunérer leurs employé·es. Dans la mesure où la rémunération du capital a cru bien plus que la rémunération du travail dans les dernières décennies32, il paraît juste de penser ajouter l’équivalent d’une « part patronale » à la cotisation sociale alimentaire des salarié·es33. C’est-à-dire d’augmenter le salaire superbrut34. L’assiette des cotisations sociales en France étant le salaire brut. Cela reviendrait à faire supporter aux employeurs tout ou partie des 150 euros versés par mois aux salarié·es35 en pesant moins, voire pas du tout, sur le salaire net. Au-delà d’un mécanisme de financement propre nécessité par la somme très importante que représente le budget de la SSA, il est possible d’imaginer de compléter ce financement par le public, c’est à dire par l’impôt, ou par transfert d’autres branches de la sécurité sociale, c’est à dire des cotisations déjà existantes. D’un côté, la liste des impôts légitimes supprimés ou dont une grande partie des plus riches se retrouve exonérée s’est allongée ces dernières années. La transformation de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) en impôt sur la fortune immobilière (IFI) représente un manque à gagner de 32 milliards d’euros pour le budget de l’État en 2018 et la mise en œuvre du Crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE), un manque à gagner de 21 milliards d’euros en 2018. Et l’évasion fiscale représente selon les estimations entre 50 et 200 milliards d’euros par an36. S’ils étaient récupérés, ils donneraient une bonne marge de manœuvre à l’État pour mettre en œuvre des politiques sociales et environnementales, dont la SSA. De l’autre, la mise en œuvre de la SSA devrait s’accompagner d’une meilleure santé et faire baisser les frais de l’assurance maladie. Permettant d’acheter des produits conventionnés... Cet argent pourrait être dépensé uniquement auprès de professionnel·les de l’agriculture et de l’alimentation conventionné·es, y compris en restauration hors domicile, par des caisses de sécurité sociale de l’alimentation (SSA), présentes à l’échelle des communautés de communes au plus large pour être proche du contexte agricole et alimentaire local. Plusieurs critères nous semblent indispensables à imposer dans le cadre national : – Les prix seront décidés avec les caisses, au regard du coût de revient des produits. – Les entreprises capitalistes (présence de capital extérieur à l’entreprise rémunéré par l’activité au-delà de l’inflation) seront exclues37. Pour être conventionné·es, les professionnel·les devront se fournir auprès d’entreprises ellesmêmes conventionnées (achats de l’ensemble des intrants, semences) à des prix qui permettent aux fournisseurs de vivre correc-
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tement (contractualisation sur le long terme, prix rémunérateur). – Les critères de production liés à des enjeux nationaux ou supranationaux (par exemple le climat ou la biodiversité) seront à négocier au niveau national entre une fédération des caisses et l’État. C’est aussi le cas pour les produits conventionnés qui seront importés (par exemple les agrumes), et dont les cahiers des charges d’importation pourraient généraliser les exigences du commerce équitable. Ainsi, l’ensemble de la production et de la transformation serait exempt du profit capitaliste, ce qui nous paraît légitime pour de l’argent socialisé pour l’alimentation de tou·te·s. C’est une différence majeure avec le modèle actuel de la sécurité sociale qui souffre de son rapport à l’industrie pharmaceutique, laquelle s’enrichit démesurément sur la santé, et une proximité avec l’interdiction d’apport de capital extérieur qui régit le travail de l’ensemble du corps médical libéral, duquel pourra se rapprocher l’ensemble du monde paysan. Deux types de conventionnement sont envisageables : – Lorsque les producteurs·trices sont maîtres des filières (vente directe, coopérative de transformation, magasins de producteurs), à condition de respecter les règles de production qui seront établies, ces producteurs·trices pourront être conventionné·es pour l’ensemble de leur production. – Dans le cas de produits revendus par des tiers, les produits conventionnés devront respecter les critères précédents ainsi qu’un engagement pluriannuel des commerçant·es sur les volumes (le prix étant déjà assuré par le conventionnement avec la caisse), sur le principe du commerce équitable. Si ce dernier n’est pas parfait, il démontre qu’il est possible de mettre en œuvre une traçabilité sociale et environnementale dans les filières agroalimentaires. Un tel projet serait compatible avec le projet d’évolution de la Politique Agricole Commune en Politique Alimentaire et Agricole Commune pour 2030 portée par la Plateforme Pour une Autre PAC. D’ailleurs les caisses de SSA pourraient être en relation, voire fusionnées, avec les instances participatives et décentralisées d’orientation agricole prônées par la Plateforme dans son rapport « Osons une autre PAC »38. Le conventionnement des acteur·rices intermédiaires des filières serait en premier lieu un engagement de traçabilité absolue de l’origine des produits (comme dans l’agriculture biologique et/ ou le commerce équitable labellisé par « tierce partie »). Il devrait ensuite évoluer vers des critères plus exigeants. … Régies par un fonctionnement démocratique Avoir le choix de son alimentation, ce n’est pas seulement choisir dans le rayon, mais aussi pouvoir choisir les conditions de production à remplir pour que les produits se trouvent dans les rayons. Ces caisses veilleront à établir un fonctionnement démocratique inclusif39 permettant aux habitant·es des territoires de décider des conditions à respecter pour être éligible (critères locaux et généraux nationaux). Les caisses devront veiller à ce que l’ensemble des produits conventionnés répondent aux besoins de minorités ou d’individus aux préférences alimentaires spécifiques
(sans porc, végétarien, allergies, etc.). Avec ce mécanisme, on concilie ainsi marché (libre choix du producteur·trice par l’usager) et maîtrise de la production par les travailleurs·euses et les mangeurs·euses via les caisses de sécurité sociale de l’alimentation. Ces produits seraient disponibles à travers les mêmes circuits de distribution que ceux non conventionnés et pourraient d’ailleurs être achetés sans la carte de sécurité sociale, en euros (au même prix hors SSA à qualité équivalente). La question du conventionnement des cantines scolaires sera primordiale pour l’éducation, le développement des goûts et la santé des jeunes générations.
UNE RÉPONSE POSSIBLE AUX ENJEUX AGRICOLES ET ALIMENTAIRES ACTUELS Le choix : indissociable du droit à l’alimentation Dans l’idée de sécurité sociale de l’alimentation, les personnes en situation de précarité alimentaire sont reconnues dans leurs besoins fondamentaux. Elles ont accès à une alimentation désirée qu’elles peuvent choisir, elles peuvent faire corps avec le reste de la société. En effet, à l’échelle individuelle, ces personnes ont le choix des différent·es professionnel·les auprès desquels elles peuvent se fournir pour choisir leur alimentation, et le choix des produits. Mais elles sont également pleinement reconnues comme citoyen·nes à même de décider quels seront ces lieux et quelles conditions ils doivent remplir ; elles pourront ainsi, comme tous les autres, décider du fonctionnement des systèmes alimentaires qui les nourrissent et qui dessinent les paysages qui les entourent, et ce, de la même façon que pour l’ensemble de la société. Assurer qu’un budget minimal par Français·e soit dévolu à la consommation alimentaire est une façon de lutter contre la dynamique dans laquelle l’alimentation est la variable d’ajustement dans le budget et de supprimer tous les effets sociaux et environnementaux néfastes qui en découlent. La fin d’un libéralisme qui offre un choix restreint et illusoire aux mangeurs·euses Le libéralisme nous offre l’impression d’un choix, mais ce choix ne s’opère qu’entre ce qui est proposé à la vente, donc déjà produit. Le fonctionnement de caisses de sécurité sociale de l’alimentation nous permettrait, par les critères qui peuvent inclure des démarches progressives de changement, d’orienter la production agricole et la transformation, voire même la distribution et la restauration. Cela permettrait d’exercer ainsi réellement une démocratie alimentaire, un fonctionnement démocratique sur le secteur économique de l’agriculture et de l’alimentation. Rapprocher agriculture et alimentation, dire que l’agriculture doit répondre à une demande sociale, c’est s’attaquer au cœur du libéralisme qui souhaite que l’on produise simplement pour maximiser le profit sans aucune contrainte. C’est refaire de l’économie agricole un facteur de lien social. C’est une réelle politique de la demande au service de la société.
Une disparition progressive du système agro-industriel au profit d’une alimentation de qualité et d’une agriculture paysanne En fournissant à l’ensemble de la société la possibilité de choisir une alimentation de qualité, les débouchés du système agro-industriel devraient être fortement diminués. En effet, le cadrage national du processus de conventionnement permettra d’éviter que ces produits industriels ne se retrouvent conventionnés. De plus, les délibérations démocratiques de la population sur le choix des professionnel·les conventionné·es sera forcément l’occasion d’échanges ; il y a fort à penser qu’ils entraîneront une remise en cause plus forte de la consommation de produits du système agroalimentaire. Enfin, le don alimentaire serait réduit aux situations d’urgences, pour lesquels la collecte de produits de qualité serait tout à fait envisageable40 ; ce serait un débouché non négligeable du système agro-industriel qui s’effriterait. Une rémunération plus juste des paysan·nes Réaugmenter la population solvable pour des produits de qualité, c’est se donner les moyens de sortir des impasses dans lesquelles le monde économique enferme les initiatives d’alimentation de qualité. C’est également se donner la possibilité de sortir ces initiatives de niches économiques, de les globaliser et de mieux rémunérer plus de paysan·nes. Les produits conventionnés seront peut-être plus chers, mais tout le monde aura les moyens de se les payer ! Imposer dans les règles de conventionnement l’établissement de contrats équitables entre les paysan·nes et les industriel·les (prix rémunérateurs, engagement sur le long terme) assure aux paysan·nes, même en circuits longs, d’avoir une reconnaissance financière et sociale de leur travail.
UNE MULTITUDE DE QUESTIONS RESTENT À CREUSER Comment déterminer le montant du budget par personne ? 150 euros par mois est un montant qui permet, à partir de l’achat de produits bruts de qualité, de correctement se nourrir. Ce montant a vocation à être augmenté à l’avenir, afin d’atteindre la dépense moyenne des Français·es dédiée à l’alimentation (pour mémoire, 235 euros). Cependant, un montant trop élevé dès le départ nous semble difficile à maîtriser pour penser la transition du système de production agricole et alimentaire. Afin de faciliter cette transition, il est également possible d’envisager que ces caisses demandent une cotisation supplémentaire pour, par exemple, financer des moyens de production ou de transformation nécessaires pour la relocalisation de productions sur le territoire. L’ensemble des moyens de production actuels du système agro-industriel doivent trouver une autre voie de production, tout comme ses travailleur·euses. On peut imaginer que si les 150 euros ne sont pas dépensés par tout le monde, cet argent pourra aussi être réinvesti pour le financement de ces transitions, avec une propriété commune des moyens de production. Cela peut être un levier pour des ouvrier·es qui souhaitent quitter leur entreprise et monter une
Scop41 à plus petite échelle pour fournir le territoire, mais qui n’ont pas le capital nécessaire pour lancer la production. Comment prévoir une éducation populaire alimentaire individuelle et collective ? La sécurité sociale de l’alimentation est une mesure dont l’objet est d’atténuer fortement le frein économique à une bonne alimentation. En effet, le prix est très fréquemment cité dans les enquêtes comme la principale barrière à l’achat de certains aliments, comme les fruits et légumes, ou encore les produits bios et équitables. Néanmoins, la sécurité sociale de l’alimentation, bien que nécessaire, ne pourra répondre seule à l’ensemble des problèmes sanitaires, sociaux et écologiques liés à l’alimentation, tant les déterminants alimentaires sont multiples42. Ainsi, pour transformer collectivement notre rapport à l’alimentation, il sera nécessaire de poursuivre et d’investir de l’argent public43 dans des programmes d’éducation, de promotion et de facilitation à une bonne alimentation sans se limiter à la question nutritionnelle, mais en regardant les modes de production, les impacts des produits transformés et raffinés sur notre organisme. Ces programmes devront être adaptés aux spécificités des populations cibles pour une meilleure pertinence. Une plus grosse attention devra être portée aux populations identifiées comme à risques comme les enfants, femmes enceintes et personnes âgées ainsi que pour les personnes atteintes de maladies nutritionnelles et/ou d’obésité en permettant l’accès à des programmes de prise en charge spécifique. Les programmes adoptant une approche multidisciplinaire non stigmatisante et prenant en compte à la fois les aspects nutritionnels, d’activité physique, psychologiques, comportementaux et sociaux44 nous apparaissent comme les mieux adaptés pour l’accompagnement vers des comportements alimentaires davantage sources de bien-être. La possibilité de réglementer voire d’interdire la publicité sur les produits alimentaires devra être posée. Il s’agit de ne pas se retrouver en concurrence avec la puissance d’un marketing allant contre l’intérêt général. L’idée d’emballages neutres pourrait également être envisagée comme cela a été fait pour une autre question de santé publique comme le tabac. De plus des actions collectives d’éducation populaire nécessaires à une meilleure maîtrise par la population des enjeux agricoles et alimentaires seront également nécessaires. Il pourrait s’agir par exemple de proposer des temps de formation sur les sujets qui font débat au sein des caisses de sécurité sociale de l’alimentation, pour s’informer sur les méthodes de production qui sont reconnues néfastes pour l’environnement ou la santé. On peut aussi imaginer une augmentation de ces cotisations afin de financer l’accès libre à un réseau de professionnel·les spécialisé·es dans l’accompagnement à l’alimentation (nutritionnistes, diététicien·nes, psychologues, préparateur·rices physiques, assitant·es sociales, etc.) pour permettre aux gens de mieux prendre en main leur alimentation sans toutefois stigmatiser certaines populations. Des moyens matériels seront nécessaires afin de proposer des
espaces collectifs accessibles à tou·te·s et équipés pour cuisiner. Tous ces programmes et actions devront être régulièrement évalués afin d’en améliorer le contenu. Néanmoins, l’influence des systèmes alimentaires actuels sur les comportements alimentaires des individus est si importante qu’il est probable que les modifications espérées prennent du temps. D’autant que certains freins, comme la discrimination envers les personnes en situation d’obésité, ne seront levés que par un changement plus profond de la société et des pratiques médicales. Enfin, malgré toute politique d’accès à une alimentation de qualité et toute éducation populaire pour se l’approprier, nous avons conscience qu’une égalité alimentaire ne pourra être effective que dans le cadre d’une société beaucoup plus égalitaire45. Comment anticiper les réorganisations importantes dans un secteur économique majeur ? La mise en place d’une sécurité sociale de l’alimentation induira une réorganisation en profondeur des filières avec des résistances qui seront fortes et des conséquences multiples. Par exemple, cela provoquera un aménagement du territoire très différent avec une réallocation des surfaces aujourd’hui dévolues à la distribution, la logistique et la transformation. Des mesures progressives de transition sont peut-être à envisager. La mise en œuvre des critères de conventionnement pourrait être progressive et la structuration des filières soutenue publiquement. Cette transition sera attentive à proposer de nouveaux postes en cas de licenciement pour baisse d’activité dans certaines industries alimentaires. Il nous semble préférable de partir tout de suite sur un montant correct de 150 euros en faisant des compromis temporaires sur les critères pour les produits à introduire, que de partir avec un montant plus faible qui couvrirait l’ensemble de la production conventionnée respectant l’ensemble des critères, mais ne suffirait pas à se nourrir correctement. L’appropriation sociale du mécanisme, la réponse à l’urgence et la confiance dans le processus collectif pour penser une transition du système agro-industriel nous font privilégier cette option. Comment prendre en compte l’impact environnemental des produits alimentaires ? Couper un des piliers de la rentabilité du système agro-industriel apporte des garanties en matière de diminution de l’impact environnemental de notre système de production. Il est cependant tout à fait possible d’aller plus loin, en imposant des critères environnementaux forts dans les caisses de sécurité sociale de l’alimentation : absence d’OGM (cultures et consommations intermédiaires), interdiction du glyphosate et de CMR46, d’engrais de synthèse... De la même façon que les caisses de solidarité sociale alimentaire ne pourront conventionner avec des entreprises capitalistes qui captent la valeur. Il est dans tous les cas primordial que les critères tendent vers cela, mais important aussi d’accompagner la transition du monde agricole en fonction des contextes et des enjeux environnementaux locaux.
UN PROJET À ARTICULER AVEC LES LUTTES ET MOUVEMENTS SOCIAUX ACTUELS Pourquoi ISF Agrista s’intéresse-t-il à une sécurité sociale alimentaire ? Le groupe thématique Agricultures et Souveraineté Alimentaire d’Ingénieur·es sans frontières (ISF) regroupe des citoyen·nes et des professionnel·les œuvrant pour la réalisation de la souveraineté alimentaire et des modèles agricoles respectueux des équilibres socioterritoriaux et écologiques. Il se place dans une perspective de transformation sociale47. Nous sommes convaincu·es que seul un projet de souveraineté alimentaire répond aux enjeux de la faim dans le monde, qui sont avant tout des enjeux politiques d’accès des populations à l’alimentation produite – nous produisons suffisamment pour nourrir 12 milliards d’humains, et actuellement 1 milliard de personnes sont en situation de sous-nutrition dans le monde, dont 700 millions de paysan·nes, alors que nous ne sommes que 7 milliards. À cet enjeu d’accès à l’alimentation s’ajoutent également la question des conditions de production agricole, déterminantes pour l’accès à une nourriture diversifiée, de qualité, dans le respect des travailleur·euses et de l’environnement. Celles-ci sont toutes déterminées par l’accès des producteur·trices aux moyens de production alimentaire et à des marchés rémunérateurs. Enfin, l’alimentation est un puissant marqueur social et culturel.
Il convient de viser le respect des identités multiples et de la dignité de chacun·e à travers le choix de son modèle alimentaire. La question qui nous préoccupe est donc : comment permettre à tou·te·s d’avoir accès à une alimentation choisie, de qualité, respectant l’environnement et ses travailleur·euses ? Afin d’alimenter un débat déjà riche au sein du monde militant sur ces questions, nous souhaitons présenter le projet d’une sécurité sociale alimentaire, en établissant un parallèle avec ce qui existe déjà en France pour l’accès de tou·te·s à la santé. Pourquoi ne pas simplement tabler sur une augmentation des minimas sociaux ou du SMIC pour permettre l’accès de tou·te·s à une alimentation de qualité ? Même si ces augmentations nous semblent indispensables, ce type de proposition ne nous semble pas du tout prendre en compte la mesure des enjeux alimentaires : – Premièrement, la société de consommation et le développement du système industriel ont cherché depuis des années à réduire la part de l’alimentation dans le budget des Français·ses pour leur permettre de consommer d’autres produits. L’alimentation est toujours une dépense « d’ajustement » pour les personnes en situation de précarité. Avec plus de pouvoir d’achat, mais des inégalités persistantes et un comportement agressif de la consommation (hausse des loyers, obsolescence programmée et course à la technologie…), il y a fort à parier que les comportements alimentaires ne puissent évoluer, ce qui ne répondrait pas aux enjeux sanitaires
et écologiques. Surtout si d’un autre côté les loyers augmentent ou si de nouveaux « besoins » de consommation sont imposés et que l’alimentation reste la variable d’ajustement pour gérer le budget, cette hausse du SMIC sonnerait comme un cadeau pour le capitalisme. Démonétariser, sanctuariser un budget alimentaire pour l’ensemble de la population est le seul moyen pour assurer que la population soit correctement nourrie. – Deuxièmement, ce type de solution reviendrait à se baser uniquement sur l’échelle individuelle pour réaliser la transition alimentaire nécessaire. Or, l’alimentation a une fonction sociale certaine. Les discussions collectives que nous proposons dans le projet de SSA nous semblent indispensables pour que chacun·e s’approprie les enjeux de souveraineté alimentaire et que les besoins de la population soient définis collectivement. En effet, la libre concurrence ne donne que très peu de place à la production d’alimentation de qualité dont la production coûte plus cher et où les travailleur·euses sont payés correctement. La SSA répond à ce besoin de développement de ce type de productions en lui ouvrant un marché par des mangeur·euses qui auront les moyens de se procurer leurs produits. Augmenter simplement les revenus, c’est oublier les producteur·trices en espérant que les gens soient aujourd’hui capables de comprendre l’incidence de leurs choix pour leur permettre des conditions de vie décentes. Elle participe à faire de l’alimentation un Commun.
Pourquoi ne pas simplement proposer que l’alimentation soit gratuite ? Le projet de sécurité sociale de l’alimentation vise l’absence de prix à payer par les consommateur·trices pour l’accès à une alimentation de qualité, sans frugalité ni excès. En cela, elle se rapproche idéologiquement de l’idée d’une alimentation gratuite aujourd’hui défendue par le politologue Paul Ariès48. Mais si nous préférons parler d’alimentation « socialisée », c’est parce que l’exemple de la sécurité sociale, dans le contrôle démocratique de la production du soin qu’il a produit dans les années 60, nous semble particulièrement pertinent pour penser le projet de souveraineté alimentaire et l’émancipation des travailleur·euses paysan·nes des impératifs d’un marché au service du profit plutôt que de l’alimentation. En revanche, un projet de simple gratuité, comme l’accès à l’école et bien que son coût soit socialisé par l’impôt, ne pose pas la question du contrôle démocratique de la production, ne pose pas la question de la rémunération du travail des paysan·nes. Une situation dans laquelle des agriculteur·trices ne peuvent conventionner qu’avec un seul acheteur (l’État) est beaucoup plus précaire et moins résiliente que la possibilité de conventionner avec différentes caisses de sécurité sociale de l’alimentation. Enfin, l’alimentation n’est pas un bien d’abondance, contrairement au savoir, ce qui limite pour des raisons de gaspillage et de non-accaparement/surconsommation par certain·nes, l’intérêt de la rendre gratuite.
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Ce projet de SSA est-il révolutionnaire ou réformiste ? Le but recherché via la mise en place d’une sécurité sociale de l’alimentation est de sortir l’alimentation, un champ d’activité humaine aujourd’hui libéralisé et marchandisé, le plus possible du capitalisme. Il est certain qu’un tel projet irait à l’encontre d’un certain nombre d’acteur·trices, en premier lieu la grande distribution et l’agro-industrie qui verraient leur taux de profit fondre dans le secteur alimentaire. Ne pas croire que ces acteur·rices se jetteraient avec férocité dans une bataille contre notre projet s’il venait à
devenir crédible dans la société serait faire preuve d’une grande naïveté. On pourrait alors objecter que, quitte à mener une telle bataille, autant envisager une révolution qui résoudrait tout autant la question alimentaire comme tant d’autres. L’idée n’est pas pour nous de penser que l’alimentation est une priorité absolue sur toute autre thématique sociopolitique. Assurément le logement, l’énergie, la mobilité et tant d’autres thématiques sont tout aussi importantes à traiter. Cette proposition est un appui à repenser collectivement la gestion des communs, en
commençant ici par la dimension agroalimentaire. Et nous invitons tout le monde à s’en emparer. Néanmoins, l’idée de proposer un système alimentaire alternatif nous paraît avoir plusieurs vertus. Là où une perspective révolutionnaire, souhaitable et souhaitée paraît assez théorique et toujours lointaine, il s’agit de se donner une vision concrète et positive, ancrée dans notre réalité quotidienne, pour lutter contre le « There Is No Alternative »49 de Margaret Tatcher qui finit toujours par nous rattraper. Penser, proposer et se projeter dans un système plus juste, et
non plus seulement analyser les errances de notre monde nous paraît utile pour réenchanter nos luttes. C’est le choix aussi pris par nombre de mouvements sociaux qui ont choisi de promouvoir des « initiatives » positives. Cette option s’est révélée encourageante et utile pour mobiliser un certain nombre de gens éloignés des formes d’action classique de la gauche radicale. Mais cette promotion des « initiatives » et des « transitions » a tendance à tout mettre sur le même plan et à ne pas proposer de projet de transformation sociale comme débouché aux microrésistances, par ailleurs nécessaires. Notre proposition est de partir de ces initiatives (agriculture biologique, commerce équitable, économie sociale et solidaire, slow food, Amap, etc.) en les considérant comme autant de fondations concrètes anticapitalistes pour bâtir un monde plus juste et plus soutenable. Ce qu’elles deviennent en s’inscrivant dans un projet de transformation global de la société. Il s’agit d’offrir un débouché subversif à ces initiatives, plutôt que d’attendre sagement qu’elles soient récupérées au service du capitalisme. Cette idée nous paraît fédératrice dans une perspective de convergence et d’unité. Le débat que nous souhaitons soulever permettrait dans un premier temps de confronter et mettre en lumière l’hypocrisie des acteurs dominants de l’alimentation qui rivalisent de communication pour nous expliquer comment ils vont combattre la vie chère et sauver la planète. Ce qui n’est qu’enfumage, mais encore faut-il se donner la peine de dissiper la fumée. Il peut aussi être le support pour une réforme sociale et écologique radicale en cas d’opportunité politique qui adviendrait. Même s’il ne s’agissait pas d’une révolution intégrale ce serait l’occasion d’améliorer la vie de millions de gens. Si nous ne nous reconnaissons pas dans la politique des petits pas qui a servi de cache-sexe à la gauche au pou-
voir en France pour casser les acquis de la solidarité sociale, nous pensons que la sécurité sociale a été en son temps une grande conquête. Un petit matin assez lumineux pour qu’il ne s’oppose pas au grand soir. Nous souhaitons construire ce projet de façon à rendre sa mise en place la plus concrète possible, pour convaincre que des changements radicaux sont possibles... de suite !
pourcentage en dessous de l’inflation de l’évolution du coût de la vie dans les secteurs où la transition est impossible rapidement) au fur et à mesure que la transition sera effectuée… Autant de chantiers à ouvrir pour que cette proposition réponde de suite à une urgence, et permette d’évoluer rapidement vers un mécanisme plus ambitieux ! Mais après des États généraux de l’alimentation de 2018 aux conclusions très décevantes, n’est-il pas temps d’envisager un projet politique ambitieux pour sortir la société d’une industrie agroalimentaire et d’un système de distribution qui ont vu les pires scandales éclater (vache folle, poulet à la dioxine, lasagne de cheval, etc.) et des fortunes françaises se bâtir ?
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EN CONCLUSION : UNE UTOPIE CONCRÈTE Cette belle idée de sécurité sociale de l’alimentation peut sembler idéaliste… Mais il nous semble que s’il y a bien un domaine sur lequel des conquêtes sociales importantes pour une production hors du capitalisme et des avancées sociales sont possibles, c’est l’alimentation. En effet, ce secteur a deux avantages notoires : l’existence actuelle de productions non capitalistes extrêmement importantes50 qu’il nous faut développer, ainsi qu’une plus grosse difficulté de la population à fermer les yeux sur les conséquences désastreuses du libéralisme et du système industriel dans ce secteur à cause des conséquences directes de l’alimentation sur la santé. Les citoyen·nes sont souvent touché·es et intéressé·es par ce sujet. Nous avons souhaité imaginer un projet qui soit envisageable à mettre en place dès aujourd’hui… Qu’en dites-vous ? Pour que la société se réapproprie à terme l’ensemble des moyens de production de son alimentation, de nombreuses pistes restent encore à explorer. Il faut définir la progressivité dans le temps du montant distribué, le financement des coûts de transition (process, infrastructures, filières, etc.) – à articuler avec les mesures de transition de Pour une autre PAC –, le critère d’exclusion capitaliste à mettre progressivement en œuvre (par exemple avec des règles de progrès fixant une possibilité dégressive de lucrativité vers un
1 Histoire politique de l’alimentation, Paul Ariès. 2 Lire « L’agribusiness survivra-t-il à la fin des paysans ? » [http://www.agrobiosciences.org/IMG/pdf/Agribusiness_T-Martin.pdf] 3 OFPM, Rapport au parlement, Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires, 2016. 4 L’accès aux moyens de production, en particulier au foncier, reste très difficile, si bien qu’un quart des emplois agricoles ont été détruits entre 2000 et 2015, remettant en cause la sécurité et la souveraineté alimentaire du pays. 5 De La ruche qui dit oui à la campagne « Act for food » de carrefour, de nombreuses initiatives se mettent en place pour récupérer les nouveaux comportements alimentaires au service de sociétés capitalistes. Lire aussi : Boltanski et Chiapello, Le nouvel esprit du capitalisme, Gallimard, Paris, 1999. 6 Santé publique France recommande également d’acheter, « si possible » des aliments bio, et d’aller vers des « fruits et légumes de saison », issus de productions locales. Recommandations relatives à l’alimentation, à l’activité physique et à la sédentarité pour les adultes, Santé publique France, 2019. 7 Avis n° 72 du CNA « Aide alimentaire et accès à l’alimentation des populations démunies en France », p. 21 et Conseil National des politiques de Lutte contre la pauvreté et l’Exclusion sociale, 2016, « Les chiffres clés de la pauvreté et de l’exclusion sociale », p. 13. 8 Article 25 de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 (ONU) ; Article 11 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels de 1966. 9 Par exemple la déclaration de Rome sur la sécurité alimentaire mondiale 1996 introduit la notion de choix. 10 Agence nationale de sécurité sanitaire de
l’alimentation, de l’environnement et du travail, 2017, « Étude individuelle nationale des consommations alimentaires 3 », p. 85-86. L’insuffisance alimentaire « quantitative » correspond aux réponses : « j’ai/nous avons eu parfois pas suffisamment à manger » et « j’ai/nous avons eu souvent pas suffisamment à manger » durant les 12 derniers mois. L’insuffisance alimentaire « qualitative » correspond à la réponse : « j’ai/nous avons eu suffisamment, mais pas toujours de tous les aliments que je/nous souhaitais/ ions manger » durant les 12 derniers mois. 11 Consoles G., Fesseau M., Passeron V., 2010, Consommation des ménages depuis 50 ans, INSEE, consulté le 3 mars 2016 [http://www.insee.fr/fr/ffc/docs_ffc/ref/ CONSO09c.PDF] 12 Toutes les agricultures des pays dits développés sont adossées à des systèmes d’aides publiques depuis très longtemps. En France, l’état a soutenu le Crédit Agricole pendant toute la phase de modernisation agricole jusqu’à ce que la PAC prenne le relais. Aux USA, cette modernisation est même passée directement par une banque d’état. 13 Se nourrir lorsqu’on est pauvre, ATD Quart Monde, revue et documents, n° 25, 2014. 14 Mode de commercialisation des produits agricoles qui s’exerce soit par la vente directe du producteur au consommateur, soit par la vente indirecte, à condition qu’il n’y ait qu’un seul intermédiaire entre l’exploitant et le consommateur. 15 Campagnes solidaires, n° 343, octobre 2018, « Circuits mi-longs : une solution complémentaire aux circuits courts » : « Ici, le maraîchage diversifié en vente directe a le vent en poupe. Les brevets professionnels sont remplis. Mais la réalité, c’est que ni l’agglomération de Lyon ni les communes de l’Ouest lyonnais ne veulent créer de nouveaux marchés. Les porteuses et porteurs de projets qui s’installent sont un peu coincés et le prix des places de marché explosent quand un producteur prend sa retraite. » 16 Communiqué de presse du Synabio du 21/01/2019, « le SYNABIO appelle les enseignes à éviter la guerre des prix » : la grande distribution met ses fournisseurs bio sous forte pression. 17 Et ont servi les intérêts de certains lobbys et scientifiques, voir le livre de Jean-Pierre Poulain, Sociologie de l’obésité, PUF, 2009. 18 EAPN France, 2018, Vers un droit à l’alimentation en France. 19 Rapport du Sénat 2019/2019, n° 34. 20 La valeur ajoutée des secteurs Agriculture, sylviculture et pêche plus Fabrication de denrées alimentaires, de boissons et de produits à base de tabac est de 79 millards d’euros. 21 Par exemple, une des deux mesures principales de La loi n° 2016-138 du 11/02/2016 relative à la lutte contre le gaspillage alimentaire : « l’obligation, pour les magasins alimentaires de plus de 400 m2, de proposer une convention de don à des associations pour la reprise de leurs invendus alimentaires encore consommables ». [https:// www.ecologique-solidaire.gouv.fr/gaspillage-alimentaire-0] 22 Interdiction de propriété capitaliste des sociétés d’exercice libéral, jusqu’à son abrogation par la loi Macron de 2015. 23 Fakir, n° 82. « Les vandales de la santé », p. 10-15 ou encore Némésis médicale d’Ivan Illitch. 24 Lire Némésis Médicale d’Ivan Illitch. 25 Pour comparaison, la part de la consommation de soins et de bien médicaux remboursés par la sécurité sociale est de 136,3 milliards d’euros. 26 Aujourd’hui le coût de gestion du système de santé en France hors CMU est de 14,7 milliards d’euros. Ce coût de gestion dépasse la seule distribution des remboursements des frais de santé, intégrant par exemple la gestion de la prévention. Néanmoins, les témoignages des travailleur·euse·s des caisses d’Assurance maladie laissent penser que leur budget actuel ne permet pas un fonctionnement dans des conditions décentes de travail. De plus les mécanismes démocratiques de gestion des caisses de sécurité sociale de l’alimentation que nous appelons de nos vœux seront certainement plus coûteux que le fonctionnement actuel de l’assurance maladie, très centralisé et descendant. Ainsi le budget de fonctionnement des caisses de sécurité sociale de l’alimentation sera certainement plus élevé que 14,7 milliards d’euros. 27 Pour comparaison, le « panier alimentaire » mensuel moyen par français est de 235 €, celui des foyers les plus défavorisés de moins de 100 €. Le budget de 150 € permet d’initier le mécanisme. [https:// fr.statista.com/statistiques/539021/budget-alimentation-montant-moyen-selon-revenu-menages-france/] 28 65 564 756 habitants en 2013 selon l’INSEE. Nous faisons l’approximation de 150 € par mois par personne, quel que soit l’âge. Pour une cohérence dans les chiffres présentés, nous nous basons pour la suite des calculs sur une référence 2013 de données fournies par l’INSEE et la DRESS. 29 En effet, depuis de nombreuses années la sécurité sociale repose de plus en plus sur l’impôt via la Contribution sociale généralisée (CSG) en complément des cotisations. 30 Les revenus mixtes sont les revenus issus de la production des entrepreneur·euse·s individuel·le·s qui ne sont pas des salarié·e·s 31 Cette notion de moyenne est importante puisque nous envisageons plus loin que ce taux soit modulable. 32 « Ces dernières décennies, la part du tra-
vail, c’est-à-dire la part de la rémunération du travail (traitements et salaires, avantages accessoires au salaire) dans le revenu national total, a diminué dans la quasi-totalité des pays de l’OCDE. Sa valeur médiane est passée de 66,1 % au début des années 90 à 61,7 % à la fin des années 2000, et dans certains pays ce fléchissement s’était amorcé plus de 30 ans plus tôt. » (OCDE, 2012). Quand la part du travail baisse, c’est qu’en face la rémunération du capital, c’est-à-dire la rémunération de l’investissement, augmente. Dans une perspective marxiste, le travail produisant seul de la valeur économique, contrairement au capital, il n’y a pas lieu de rémunérer le capital du tout. 33 Pour leur part les indépendant·e·s ou entrepreneur·euse·s individuel·le·s étant « leur propre patron·ne » n’ont pas de distinction entre cotisation salariale et patronale. 34 Le salaire superbrut est l’addition : du salaire net et des cotisations salariales et patronales ; là où le salaire brut est l’addition du salaire net et des seules cotisations salariales. 35 Cela n’a aucune incidence pour les indépendants, voire note 7. 36 [https://blogs.alternatives-economiques. fr/gadrey/2017/06/28/fraude-et-evasionfiscale-en-france-200-milliards-par-an] 37 Pour le capital immobilier, le statut du fermage apporte un garde fou, peut-être à renforcer. Pour les capitaux financiers, l’instauration de caisses d’investissement peut apporter des solutions. Pour les capitaux mobiliers (agrofourniture : semences, tracteurs, etc.), des solutions sont à créer. La question de la transition et de sa progressivité sera à approfondir. 38 [https://drive.google.com/ file/d/1ZqtkBoUCtnw4ajBSxCIlHs0ttbi4o61-/view] 39 C’est-à-dire respectant aussi les préférences alimentaires des minorités. La démocratie n’est pas la dictature de la majorité. 40 Paturel D., 2018, « Vous avez dit démocratie alimentaire ? », revue Sésame, n° 4, p. 6-7 ; ou encore : [https://www.chaireunesco-adm.com/NICOLAS-BRICAS-Pourquoi-faudrait-il-lutter-contre-le-gaspillage-alimentaire] 41 Société coopérative ouvrière de production. 42 [https://www.uni-konstanz.de/DONE/ view-interactive-data/] 43 En reprenant par exemple les budgets alloués au plan national nutrition santé (PNNS). 44 Voir par exemple les activités du RéPPOP de prise en charge de l’obésité pédiatrique par l’éducation thérapeutique. 45 Priya Fielding-Singh : « La nourriture permet d’atténuer les privations matérielles », Libération, par Laure Andrillon, recueilli le 16 février 2018. 46 Produits cancérogènes, mutagènes ou toxiques. 47 Voir notre projet associatif : www.isffrance.org/agrista 48 Paul Ariès, « Eloge de la gratuité », Le Monde diplomatique, novembre 2018 [ ht t p s : //w w w. monde - d i plomat iq ue . fr/2018/11/ARIES/59231] 49 « Il n’y a pas d’alternative », sous-entendu au capitalisme. 50 Que ce soit par le soutien à l’agriculture par la PAC, à l’alimentation par la défiscalisation des dons alimentaires ou les initiatives de productions, transformations et distribution alternatives.
FOR A FOOD SOCIAL SECURITY SYSTEM Ingénieurs sans frontières AgriSTA In France, social security offers to citizens’ access to medical care, regardless of their income. Why? Because health is a common good and access to care is a right. While food, our first medicine, represents a major part of health issues, a common good and even a right, a still too large part of the population is not in a position to exercise it. Shouldn’t dignify access to a chosen diet, like access to healthcare, be the subject of a social policy? Is it possible to create a food social security system (SFSS)? Under what conditions? How could a food social security system offer everyone access to a chosen, quality food that respects the environment and workers? How could this tool guarantees the right to food and, at the same time, be the basis for peoples’ food sovereignty?
GLOBALIZED CAPITALISM IS AT THE ROOT OF AGRICULTURAL AND FOOD IMBALANCES Agriculture in the service of profit rather than food Throughout history, food has been a tool for the ruling social classes to establish their power over the population. Symbolically, first, food deprivation and the staging of opulent meals represents a form of domination over the rest of society1. Materially, then, hunger has been (and still is!) a powerful political weapon, as evidenced by the struggle of peasant societies over the centuries to be able to feed themselves. Technical advances (mechanization, motorization) and agronomic knowledge developed during the 20th century have been monopolized by agribusiness, to the benefit of a liberal capitalist and globalized economy. The agricultural systems it has created have led to famine, population displacement and unprecedented environmental and health degradation. This capitalist agriculture is not only incapable of feeding the world, but is gradually destroying
peasant agriculture, the very agriculture that produces 80% of the food of non-industrialized countries2. In France, farmers’ economic situation is deteriorating: a third of farmers earned less than 350 euros per month in 2016. This is mainly due to the control of the agribusiness over the entire agrifood chain: farmers only receive 8%3 of the food budget paid to the distribution! Agricultural working conditions are no longer attractive and the renewal of generations of farmers is no longer assured4. Alternatives reserved for a part of the population and farmers Resistance to the agribusiness system is numerous and is reflected in concrete actions: struggles against free trade, development of alternative distribution channels such as fair trade, CSA models, shops or farmers’ markets, which put food back at the service of populations and territories. While there is no shortage of initiatives, the challenge now is to develop them, to globalize them without them being recovered in the service of capital5. With the alternatives to agribusiness, a two-tier food system is developing. On the one hand, quality food from alternative production, processing and distribution methods, accessible to those who can afford it. On the other hand, poor quality products whose negative consequences on the environment and health are increasingly demonstrated6, accessible and consumed mainly by disadvantaged populations, sometimes in a forced way, when brought by charity. However, while economic access to quality and selected food is essential, it is not enough: other sociocultural determinants come in and contribute to the development of malnutrition. The existence of alternative food models to agribusiness is a step forward, but is still insufficient. Alternatives cannot be satisfied if they are combined with a situation of “food apartheid” and do not significantly transform the agricultural world.
Source: 2018 French Senate Information Report on Food Aid Financing
Food, a variable of adjustment in the French budget to meet the increase in the cost of living In France, populations in food insecurity are increasing sharply: the use of food aid increased from 2.8 million beneficiaries in 2008 to 4.8 million in 20157. More than a health issue, the power to choose what to eat, without simply receiving what others do not want, is a matter of dignity. In France, thanks to charity, almost no one dies of hunger. But if the right to food exists8, it is not just the right to receive maintenance. Indeed, the possibility of choosing one’s diet and feeling that it is one of the vectors of social cohesion is essential. A social link damaged when you are forced to consume unsold Easter chocolates in June, which no one wants anymore. In addition, the problem is not only the quantity of food/calories available, but also their quality9. While not all of them rely on food aid, many households with limited food budgets cannot really choose their food: they depend on poor quality food from agribusiness. According to the INCA3 study based on 2014–2015 data, 22% of
households with children are food insecure10. Over the past 50 years, the steady decline in the share of food and the increasing share of constrained expenditure in the budget of French households11 clearly demonstrate their inability to free up a larger share of their budget for food. Indeed, despite the establishment of agribusiness monsters, since agriculture does not offer enough opportunities for profits12, the capitalist system directs consumption towards sectors where profits can be higher (housing, energy, leisure, etc.). As food must be less and less expensive, this leads to a constant decrease in the price paid to producers and a decrease in the quality of the products. Faced with limited expenses (housing, transport, etc.), people in precarious situations have no choice but to cut or reduce their meals, sometimes as early as half a month, to get by13. Ensuring vital needs, without any commodification, is thus essential for our society.
Insufficient alternative consumption channels to transform agricultural production After fifteen years of strong development, short circuits14 are nowadays generally less and less remunerative and more and more time-consuming for farmers15. In some places these market sectors are blocked, although in others they have yet to be developed. This is linked to an overall rebalancing of supply and demand (increase in supply with stagnant demand). Moreover, the organic sectors are no longer as profitable as before for farmers16. Other solutions must be considered to provide decent remuneration for farmers who commit to producing in a different way. Policies that support and strengthen these dynamics Agricultural policies that support the industrialization of agriculture and the precariousness and elimination of peasants The European Union’s Common Agricultural Policy (CAP) had a food objective at the end of the Second World War, but had long INTERVENTIONS/INTERVENTIONS
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since been forgotten… Today, it massively supports the largest farms providing low quality products, few jobs and with little regard for the environment. CAP subsidies are distributed without social and environmental justification. European agriculture is competing in the global market. All mechanisms allowing farmers to protect themselves and have an income have been abandoned. Prices are low and very unstable. The CAP is therefore no longer a public policy of general interest, it has become unsustainable. Food policies not adapted to the challenges Some food education programmes and promotion of a healthier way of eating have not brought the expected results. Indeed, the adoption of a paternalistic approach towards disadvantaged populations in the hope that they will adopt healthier eating habits has often been summed up as a failure. In addition, these programmes have reinforced the stigmatization of these people, while most of them already know the nutritional principles for a balanced diet. For example, the staging of an obesity epidemic that would urgently need to be eradicated through programmes that engage people to change their eating behaviour on their own has only made the situation worse17. Indeed, it is futile to think that an approach based solely on dietetics is sufficient to manage obesity, the determinants of which affect several areas (psychological, social, nutritional, etc.). In addition, there is no policy for access to quality food at a national level. Initiatives are sometimes implemented at local levels, leading to inequality between territories. The Ministry of Agriculture’s flagship food policy at national level is the labelling of projets alimentaires territoriaux (territorial food projects [TFP]) run by intermunicipal authorities. It does not open up a direct funding possibility for these local initiatives, but rather a valorisation of the initiatives through communication and networking. Today, the network is in the hands of the Chambers of Agriculture, organizations that only defend the interests of the majority agricultural trade union movement. Labelling opens up the possibility of responding to a national call for projects whose funding is far below the needs. Despite some fine initiatives at the local level, food policies do not think about their generalisation, and even less about territorial equality, and remain in an incentive dynamic while not giving the means to those territories that wish to do so to set up ambitious projects. And so much the worse for the inhabitants of less dynamic territories. The issue of food accessibility is very rarely addressed in the various existing TFPs, and remains largely marked by all the issues we raise on food aid. Food donation to strengthen the agro-industrial system In France, 95% of food aid comes from agro-industry18. The food donation mechanism reinforces the functioning of the industrial system which, in order to maximize its profit, is in constant overproduction. The tax deductions linked to food donations make it possible to reduce the cost of this overproduction, so that 44,319 million euros per year are tax-free (see graph). This fi-
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gure remains low in relation to the value added produced by the sector20, but not negligible. This mechanism, which makes the agribusiness system seem philanthropic and essential for the most disadvantaged populations, is a real charade. Food donation contributes to profitability (it is an insurance against losses through the tax exemption of donations) and to the legitimacy of the agribusiness system. All this produces food access devices whose distributed products are of poor quality and whose production itself generates precariousness. The food donation system is often presented as an opportunity to combat food waste21. The beneficiaries of food aid are thus “ethical dustbins” for social washing! Moving away from a logic of food donations and fighting food waste are not incompatible, on the contrary. This exit from food donation is an emergency for the establishment of a right to food and real food sovereignty.
A SOCIAL FOOD SECURITY SYSTEM: A SIMPLE IDEA BASED ON OPERATING PRINCIPLES THAT HAVE ALREADY BEEN TESTED If these questions arise all over the world, we would like to propose a solution on a French scale for the time being. Indeed, the pre-existence of a similar system makes this choice realistic and relevant. The idea of a social security system for food is to extend this principle to access to quality food for all. Let us learn from the social security system in France by learning from its mistakes Since 1946, France has enjoyed general social security for all: a mechanism that ensures that everyone has access to the care they need. The social security model is inspiring: initially based on the establishment of a single fund accessible to all (those who created separate funds did so on their own initiative), it is based on solidarity by contributions (within its means, without intervention by the state or banks) and democracy (originally, the funds were managed by the beneficiaries themselves). This allowed the whole population to have access to care from the end of the war, but also to set up the production of care in the 1960s according to the principle of free choice of professionals working on hospital equipment subsidised by health insurance. But this system can be improved and it seems important to highlight two major errors in its implementation and development that should not be repeated: – First, the loss of democratic management of these funds, which deprives the beneficiaries of the power to decide on reimbursable products/acts. – Secondly, the absence of agreements for the production of medicines. While health professionals are registered and free of capitalist logic22, the absence of registration on medicines and professional tools has seen liberalism banish herbal medicine and give way to industrial fortunes built on public funds23. Popular medical knowledge has practically disappeared in France24, leaving the choice between a pharmaceutical industry more interested in benefits than health and a whole host of recommendations whose
health benefits remain to be proven. It therefore seems important to us to ensure the democratic nature of these funds, to base ourselves on the principle of the contribution to go directly from the contributor to the beneficiary without any speculation, to ensure control over the means of production of the products that will be agreed to keep control over the economic organization of production. Let’s add a food budget to the carte vitale… (The carte vitale is the health insurance card of the national health care system in France) Imagine that 150 euros of food budget are distributed each month to all individuals (or to their parents for minors). This money would be available on the social security card, for example, since each professional who has been granted an agreement has received a machine to collect the purchases made. This would represent an annual budget of around 118 billion euros25, to be increased by operating costs26. The 150 euros does not cover all the food expenses of all the inhabitants, but represents a budget higher than the average budget of people in precarious situations, making it possible to envisage a much better diet for them, while leaving them the freedom to obtain non-regulated food. This budget could be increased later27. The question of weighting this amount according to the place of residence should be asked since the price of food varies geographically.
Evocation of a food carte vitale, ISF Agrista
Financed by a specific contribution… A global budget of 118 billion euros is needed to pay 150 euros per month per person to the 65.5 million French people28. For comparison, the share of consumption of health care and medical goods reimbursed by social security is 136.3 billion euros. Moreover, since the average food basket in France is 235 euros per month per inhabitant, the total food budget in France is 184.9 billion euros. Thus, the SFSS mechanism would cover 64% of French people’s food consumption (at constant consumption model and prices), whereas social security covers 73% of the consumption of care and medical goods. Be careful, however, to keep in mind the strong heterogeneity of food expenditure per person according to income levels. For many people, the 150 euros per month represents much more than their actual expenditure. In addition to this budget, an operating budget will be required to support the SFSS as an institution. Today the cost of managing the health system in France excluding the universal health insurance is 14.7 billion euros. This management cost exceeds the distribution of health care reimbursements alone, integrating, for example, prevention management. Nevertheless, the testimonies of the workers of the health insurance funds suggest that their current budget does not allow them to operate under decent working conditions. Moreover, the democratic mechanisms for managing the social security
funds for food that we are calling for will certainly be more costly than the current operation of health insurance, which is highly centralised and top-down. Thus the operating budget of the social security funds for food will certainly be higher than 14.7 billion euros. The analogy with the French social security has led us to the historical idea29 of a contribution. This option is consistent with our desire to have social security funds managed in a democratic and participatory manner, where tax funding could lead to centralising management by the State. A first option would be an additional contribution that would be deducted from salary or gross income. This would imply a decrease in salary or net income, more or less compensated by the payment of 150 euros per month to be spent only on conventional food. At mixed incomes30 and constant wages, these 150 euros would represent on average31 12.6% of mixed incomes and wages, while the consumption of care and medical goods reimbursed by social security represents 16.1% of mixed incomes and wages. Fair and supportive… To ensure that this contribution is not exclusive, we believe that each citizen should contribute. To the extent that wages do not rise massively, the consequence would be that such a contribution could not have the same rate for all. The latter should therefore be progressive, unlike social security contributions for health insurance. A single rate would mean blocking a share that is too unbearable for the budget of those who are already excluded from our society’s food supply and would be the opposite of what we are trying to do. If calculations are still to be made, progressivity should be considered so that below a certain income threshold, the contribution is equivalent to or lower than the average food expenditure observed for a person with that income. In addition, a progressive social food contribution would have the advantage of being redistributive in a society where inequalities are growing. Finally, this progressive rate seems preferable to the idea of exempting the less well-off and low-wage earners from contributions. Such exemptions from social security contributions in recent times pave the way for the dismantling of the so-called “French-style” social model, which increasingly bases the financing of social security on taxation. Another avenue to explore would be to adjust the contribution rate, not according to each individual’s income level, but according to whether companies spend a greater or lesser proportion of their sales to remunerate their employees. Insofar as the return on capital has grown much more than the return on labour in recent decades32, it seems fair to consider adding the equivalent of an “employer’s share” to the food social contribution of employees33. That is, to increase the super gross wage34. The social security contribution base in France is the gross salary. This would mean that employers would have to bear all or part of the 150 euros paid per month to employees35 by weighing less, or even not at all, on the net salary. Beyond an own financing mechanism required by the very large amount represented by the SFSS budget, it is possible to imagine supplementing this financing by
the public, i. e. by taxation, or by transfer from other branches of social security, i. e. already existing contributions. On the one hand, the list of legitimate taxes removed or from which a large proportion of the richest are exempted has grown in recent years. The transformation of the solidarity tax on wealth (impôt de solidarité sur la fortune) into the tax on real estate wealth (impôt sur la fortune immobilière) represents a shortfall of €32 billion for the French State budget in 2018 and the implementation of the Tax credit for competitiveness and employment (Crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi), a shortfall of €21 billion in 2018. And tax evasion is estimated at between 50 and 200 billion euros per year36. If they were recovered, they would give the State a good margin of manoeuvres to implement social and environmental policies, including the SFSS. On the other hand, the implementation of the SFSS should be accompanied by better health and lower health insurance costs. Allowing to buy products under contract… This money could be spent only with professionals in the agricultural and food sectors covered by the agreement, including out-ofhome catering, by the food social security system (SFSS), which are present in communities of municipalities at the widest level to be close to the local agricultural and food context. Several criteria seem essential to us to impose in the national framework: – Prices will be decided with the cash registers, with regard to the cost price of the products. – Capitalist enterprises (presence of capital outside the enterprise remunerated by the activity beyond inflation) will be excluded37. To be covered by the agreement, professionals will have to buy from companies that are themselves covered by the agreement (purchases of all inputs, seeds) at prices that enable suppliers to live properly (long-term contracts, remunerative prices). – Production criteria related to national or supranational issues (e. g. climate or biodiversity) will be negotiated at the national level between a federation of funds and the State. This is also the case for conventional products that will be imported (e.g. citrus fruits), and whose import specifications could generalize the requirements of fair trade. Thus, all production and transformation would be exempt from capitalist profit, which seems legitimate to us for socialized money for the food of all. This is a major difference with the current social security model, which suffers from its relationship with the pharmaceutical industry, which is becoming disproportionately richer in terms of health, and a proximity to the ban on the provision of external capital, which governs the work of the entire liberal medical profession, from which the entire peasant world can be brought closer. Two types of agreements are possible: – When producers are in control of the sectors (direct sales, processing cooperatives, producer shops), provided that they comply with the production rules that will be established, these producers may be covered by agreements for all their production. – In the case of products resold by third parties, the products cove-
red by the agreement must comply with the above criteria and a multi-year commitment by the traders on volumes (the price being already ensured by the agreement with the cash register), on the principle of fair trade. If the latter is not perfect, it demonstrates that it is possible to implement social and environmental traceability in the agri-food sectors. Such a project would be compatible with the project to develop the Common Agricultural Policy into a Common Food and Agricultural Policy for 2030 supported by the Platform for Another CAP. Moreover, the SFSS funds could be in relation, or even merged, with the participatory and decentralized agricultural orientation bodies advocated by the Platform in its report Let’s dare another CAP38. The agreement of intermediate actors in the sectors would, first of all, be a commitment to absolute traceability of the origin of the products (as in organic farming and/or fair trade labelled by “third party”). It should then evolve towards more demanding criteria.
bat the dynamic in which food is the adjustment variable in the budget and to remove all the negative social and environmental effects that result from it. The end of a liberalism that offers limited and illusory choice to eaters Liberalism gives us the impression of a choice, but this choice is only made between what is offered for sale, and therefore already produced. The operation of food social security system would enable us, through criteria that can include progressive approaches to change, to guide agricultural production and processing, and even distribution and catering. This would make it possible to really exercise a food democracy, a democratic functioning on the economic sector of agriculture and food. Bringing agriculture and food closer together, saying
that agriculture must meet social demand, means attacking the heart of liberalism, which wants us to produce simply to maximize profit without any constraints. It means making the agricultural economy a factor of social cohesion. It is a real policy of demand at the service of society. A gradual disappearance of the agribusiness system in favour of quality food and peasant agriculture By providing society as a whole with the opportunity to choose quality food, the opportunities for the agribusiness system should be greatly reduced. Indeed, the national framework of the conventioning process will make it possible to prevent these industrial products from being conventional. Moreover, the democratic deliberations of the population on the choice of the professionals
covered by the agreements will necessarily be an opportunity for exchanges; it is likely that they will lead to a stronger challenge to the consumption of products from the agri-food system. Finally, food donations would be reduced to emergency situations, for which the collection of quality products would be entirely possible40; it would be a significant outlet for the agribusiness system that would be crumbling. Fairer remuneration for farmers Re-augmenting the solvent population for quality products means giving oneself the means to break out of the deadlocks in which the economic world is locking up quality food initiatives. It also means giving ourselves the opportunity to take these initiatives out of economic niches, to globalize them and to pay more farmers better. The products covered by the
agreement may be more expensive, but everyone will be able to afford them! Imposing fair contracts between farmers and industrialists (remunerative prices, long-term commitment) in the rules of convention ensures that farmers, even in long circuits, have financial and social recognition for their work.
A MULTITUDE OF QUESTIONS REMAIN TO BE ANSWERED How to determine the amount of the budget per person? 150 euros per month is an amount that allows, from the purchase of quality raw products, to eat properly. This amount is intended to be increased in the future, in order to reach the average French ex-
… Governed by a democratic process Having a choice of food means not only choosing from the shelf, but also being able to choose the production conditions to be met so that the products are on the shelves. These funds will ensure that they establish an inclusive democratic functioning39 allowing residents of the territories to decide on the conditions to be met to be eligible (local and general national criteria). The boxes will have to ensure that all the products covered by the agreement meet the needs of minorities or individuals with specific food preferences (without pork, vegetarian, allergies, etc.). With this mechanism, we reconcile market (free choice of producers by users) and production control by workers and eaters via the funds of the food social security system. These products would be available through the same distribution channels as those not covered by the agreement and could also be purchased without the social security card, in euros (at the same price excluding SFSS for the same quality). The question of the conventioning of school canteens will be essential for education, the development of tastes and the health of the younger generations.
A POSSIBLE RESPONSE TO CURRENT AGRICULTURAL AND FOOD ISSUES Choice: inseparable from the right to food In the idea of food social security, people in food insecurity are recognized in their basic needs. They have access to a desired food that they can choose, they can be part of the rest of society. Indeed, at the individual level, these people have the choice of professional differences from which they can choose their food, and the choice of products. But they are also fully recognized as citizens who can decide what these places will be and what conditions they must meet; they will thus be able, like all others, to decide how the food systems that feed them and shape the landscapes that surround them work, in the same way as for society as a whole. Ensuring that a minimum budget per capita is allocated to food consumption is one way to com-
penditure dedicated to food (235 euros for the record). However, an amount that is too high from the outset seems difficult to control to think about the transition of the agricultural and food production system. In order to facilitate this transition, it is also possible to consider that these funds could ask for an additional contribution to finance, for example, the means of production or processing necessary for the relocation of production to the territory. All the current means of production of the agribusiness system must find another way of production, as must its workers. We can imagine that if the 150 euros are not spent by everyone, this money can also be reinvested to finance these transitions, with common ownership of the means of production. This can be a lever for workers who want to leave their company and set up a smaller-scale worker cooperative41 to provide the territory, but who do
not have the necessary capital to start production. How to provide for individual and collective popular food education? Food social security system is a measure whose purpose is to greatly reduce the economic barrier to good nutrition. Indeed, price is very frequently cited in surveys as the main barrier to the purchase of certain foods, such as fruits and vegetables, or organic and fair trade products. Nevertheless, food social security system, although necessary, cannot alone address all the health, social and ecological problems related to food, since the determinants of food are so numerous42. Thus, in order to collectively transform our relationship to food, it will be necessary to pursue and invest public money43 in education, promotion and facilitation programs to ensure good diet, not only in terms of nutrition, but also
in terms of production methods and the impacts of processed and refined products on our bodies. These programmes will have to be adapted to the specificities of the target populations for greater relevance. Greater attention should be paid to populations identified as at risk, such as children, pregnant women and the elderly, as well as people suffering from nutritional diseases and/or obesity, by providing access to specific care programmes. Programs that adopt a non-stigmatizing multidisciplinary approach and take into account nutritional, physical activity, psychological, behavioural and social aspects44 seem to us to be the most appropriate for supporting the development of more wellness oriented eating behaviours. The possibility of regulating or even prohibiting advertising on food products should be considered. It is a question of not being in competition with the power
of marketing that goes against the general interest. The idea of neutral packaging could also be considered as it has been done for another public health issue such as tobacco. In addition, collective public education actions necessary for a better control by the population of agricultural and food issues will also be necessary. This could include, for example, providing training time on topics under discussion within the funds of the food social security system, to learn about production methods that are known to be harmful to the environment or health. We can also imagine an increase in these contributions to finance free access to a network of professionals specialized in food support (nutritionists, dieticians, psychologists, physical trainers, social workers, etc.) to enable people to take better control of their food without stigmatizing certain populations. INTERVENTIONS/INTERVENTIONS
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Material resources will be needed to provide collective spaces accessible to all and equipped for cooking. All these programmes and actions will have to be regularly evaluated in order to improve their content. Nevertheless, the influence of current food systems on people’s eating behaviours is so important that it is likely that the expected changes will take time. Especially since some barriers, such as discrimination against people with obesity, will only be removed by a more profound change in society and medical practices. Finally, despite any policy of access to quality food and any popular education to appropriate it, we are aware that food equality can only be effective in a much more egalitarian society45. How to anticipate major reorganizations in a major economic sector? The implementation of food social security system will lead to a profound reorganisation of the sectors with strong resistance and multiple consequences. For example, this will lead to a very different spatial planning with a reallocation of the areas currently devoted to distribution, logistics and processing. Progressive transitional measures may need to be considered. The implementation of the agreement criteria could be progressive and the structuring of the sectors could be publicly supported. This transition will be careful to offer new positions in the event of dismissal for reduced activity in certain food industries. It seems preferable to us to start immediately with a correct amount of 150 euros by making temporary compromises on the criteria for the products to be introduced, than to start with a lower amount that would cover all the agreed production meeting all the criteria, but would not be sufficient to feed itself properly. The social appropriation of the mechanism, the response to the emergency and the confidence in the collective process to think about a transition of the agribusiness system make us favour this option. How to take into account the environmental impact of food products? Cutting one of the pillars of the profitability of the agribusiness system provides guarantees in terms of reducing the environmental impact of our production system. However, it is entirely possible to go further, by imposing strong environmental criteria in food social security funds: absence of GMOs (crops and intermediate consumption), prohibition of glyphosate and carcinogen, mutagenic and reprotoxic46, synthetic fertilizers… In the same way that food social security system funds will not be able to enter into agreements with capitalist companies that capture value. In any case, it is essential that the criteria tend towards this, but it is also important to support the transition of the agricultural world according to local contexts and environmental issues.
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A PROJECT TO BE ARTICULATED WITH CURRENT SOCIAL STRUGGLES AND MOVEMENTS Why is EWB Agrista interested in food social security? The theme group Agriculture and Food Sovereignty of Engineers Without Borders (EWB) brings together citizens and professionals working to achieve food sovereignty and agricultural models that respect socio-territorial and ecological balances. It is part of a perspective of social transformation47. We are convinced that only a food sovereignty project can meet the challenges of hunger in the world, which are above all political issues of people’s access to produced food—we produce enough to feed 12 billion people, and currently 1 billion people are undernourished in the world, including 700 million farmers, while we are only 7 billion. In addition to this issue of access to food, there is also the question of agricultural production conditions, which are crucial for access to diversify, quality food, while respecting workers and the environment. These are all determined by producers’ access to means of food production and remunerative markets. Finally, food is a powerful social and cultural marker. Respect for multiple identities and the dignity of each individual should be sought through the choice of a food model. The question that concerns us is therefore: how can we ensure that everyone has access to a chosen, quality food that respects the environment and its workers? In order to feed an already rich debate within the militant world on these issues, we wish to present the project of a food social security system, by establishing a parallel with what already exists in France for the access of all to health. Why not simply rely on an increase in social minima or the minimum wage to allow everyone to have access to quality food? Even if these increases seem essential to us, this type of proposal does not seem to us to take into account the measurement of food issues at all: – First, consumer society and the development of the industrial system have for years sought to reduce the share of food in the French people’s budget to enable them to consume other products. Food is always an “adjustment” expense for people in precarious situations. With more purchasing power, but persistent inequalities and aggressive consumption behaviour (rising rents, programmed obsolescence and the race for technology…), it is highly likely that food behaviour will not change, which would not meet health and ecological challenges. Especially if, on the other hand, rents increase or new consumption “needs” are imposed and food remains the adjustment variable to manage the budget, this increase in the minimum wage would sound like a gift for capitalism. Demonetarizing, sanctuarizing a food budget for the entire population is the only way to ensure that the population is properly nourished. – Secondly, this type of solution would be based solely on the individual scale to achieve the necessary dietary transition. However,
food has a definite social function. The collective discussions that we are proposing in the SFSS project seem to us essential for everyone to take ownership of food sovereignty issues and for the needs of the population to be defined collectively. Indeed, free competition gives very little space to the production of quality food, whose production costs more and where workers are paid properly. The SFSS responds to this need for the development of this type of production by opening up a market to it by eaters who will be able to afford to buy their products. Simply increasing incomes means forgetting about producers and hoping that people today will be able to understand the impact of their choices to enable them to enjoy decent living conditions. It contributes to making food a common good. Why not simply propose that food be free? The food social security system project aims to ensure that consumers do not pay a price for access to quality food, without frugality or excess. In this respect, it is ideologically similar to the idea of free food now defended by the political scientist Paul Ariès48. But if we prefer to speak of “socialized” food, it is because the example of social security, in the democratic control of the production of care that it produced in the 1960s, seems to us particularly relevant to thinking about the project of food sovereignty and the emancipation of peasant workers from the imperatives of a market in the service of profit rather than food. On the other hand, a project of the simple gratuity, such as access to school and although its cost is socialized by taxation, does not raise the question of democratic control of production, nor does it raise the question of the remuneration of farmers’ labour. A situation in which farmers can only agree with one buyer (the State) is much more precarious and less resilient than the possibility of agreeing with different food social security funds. Finally, food is not a good of abundance, unlike knowledge, which limits, for reasons of waste and non-absorption/overconsumption by some, the interest of making it free. Is this SFSS project revolutionary or reformist? The aim pursued through the establishment of food social security system is to bring food out of capitalism as much as possible, a field of human activity that is now liberalized and commodified. It is certain that such a project would go against a certain number of actors, in the first place the supermarkets and agribusiness, which would see their profit rate in the food sector melt away. Not to believe that these actors-resses would ferociously throw themselves into a battle against our project if it were to become credible in society would be very naive. One could then object that, if we are to fight such a battle, we might as well consider a revolution that would resolve the food issue as much as any other. The idea is not for us to think that food is an absolute priority over any other socio-political issue. Certainly housing, energy, mobility and so many other issues are just as important to deal with. This proposal is a support to collectively rethink the management of the common goods, starting here with the agri-food dimension. And we invite everyone to take it.
Nevertheless, the idea of proposing an alternative food system seems to us to have several virtues. Where a revolutionary, desirable and desired perspective seems rather theoretical and always distant, it is a question of giving ourselves a concrete and positive vision, rooted in our daily reality, to fight against Margaret Thatcher’s “There Is No Alternative”49 which always ends up catching up with us. Thinking, proposing and projecting ourselves into a fairer system, and no longer only analysing the wanderings of our world, seems useful to us to re-enchant our struggles. This is also the choice made by many social movements that have chosen to promote positive “initiatives”. This option has proven to be encouraging and useful in mobilizing a number of people far removed from the classic forms of action of the radical left. But this promotion of “initiatives” and “transitions” tends to put everything on the same level and not to propose a social transformation project as an outlet for the otherwise necessary micro-resistance. Our proposal is to build on these initiatives (organic farming, fair trade, social and solidarity economy, slow food, CSA model, etc.) by considering them as concrete anti-capitalist foundations to build a more just and sustainable world. What they become by being part of a project of global transformation of society. It is a question of offering a subversive outlet for these initiatives, rather than waiting wisely for them to be recovered in the service of capitalism. This idea seems to us to be unifying in a perspective of convergence and unity. The debate we wish to raise would, first of all, allow us to confront and highlight the hypocrisy of the dominant food actors who compete in communication to explain to us how they will fight against the high cost of living and save the planet. This is only smoking, but you still have to take the trouble to clear the smoke. It can also be the support for radical social and ecological reform in the event of a political opportunity. Even if it were not an integral revolution, it would be an opportunity to improve the lives of millions of people. If we do not recognize ourselves in the policy of small steps that has served as a cover for the left in power in France to break the gains of social solidarity, we believe that social security was in its time a great conquest. An early morning bright enough so that he doesn’t object to the big night. We want to build this project in such a way as to make its implementation as concrete as possible, to convince people that radical changes are possible… right now!
IN SUM: A CONCRETE UTOPIA This beautiful idea of the food social security system may seem idealistic… But it seems to us that if there is one area in which important social achievements for production outside capitalism and social progress are possible, it is food. Indeed, this sector has two notable advantages: the current existence of extremely important non-capitalist productions50 that we need to develop, as well as a greater difficulty for the population to turn a blind eye to the disastrous consequences of liberalism and the industrial system in this sector because of the direct consequences of food on
health. Citizens are often affected and interested in this subject. We wanted to imagine a project that could be implemented today… What do you think? For society to reappropriate all the means of production of its food in the long term, many avenues still need to be explored. It is necessary to define the progressiveness over time of the amount distributed, the financing of transition costs (processes, infrastructure, sectors, etc.) and the financing of the transition costs.)—to be linked to the transitional measures of For another CAP—, the capitalist exclusion criterion to be gradually implemented (for example, with progress rules fixing a degressive possibility of lucrativity towards a percentage below inflation of the change in the cost of living in sectors where transition is impossible rapidly) as the transition is made… As many projects to be opened so that this proposal responds to an emergency, and allows to evolve rapidly towards a more ambitious mechanism! But after the very disappointing conclusions of the 2018 États généraux de l’alimentation, is it not time to consider an ambitious political project to get society out of an agri-food industry and distribution system that saw the worst scandals break out (mad cow, dioxin chicken, horse lasagna, etc.) and French fortunes built? 1 Histoire politique de l’alimentation (Political history of food), Paul Ariès. 2 Read « L’agribusiness survivra-t-il à la fin des paysans ? » (Will agribusiness survive at the end of the farmers?) [http://www. agrobiosciences.org/IMG/pdf/Agribusiness_T-Martin.pdf] 3 OFPM, Report to Parliament, Observatory of Food Pricing and Margin Formation, 2016. 4 Access to means of production, particularly land, remains very difficult, so that a quarter of agricultural jobs were destroyed between 2000 and 2015, jeopardizing the country’s food security and sovereignty. 5 From the hive that says yes to the “Act for food” campaign at the crossroads, many initiatives are being put in place to recover new eating habits at the service of capitalist societies. See also: Boltanski, L., Chiapello (Ève), 2005 [1999], The New Spirit of Capitalism, London-New York, Verso, 2005. 6 Santé publique France (France pulic health) also recommends buying, “if possible” organic food, and moving towards “seasonal fruits and vegetables”, from local production. Recommendations on diet, physical activity and physical inactivity for adults, Santé publique France, 2019. 7 Opinion no 72 of the CNA “Food aid and access to food for poor populations in France”, p. 21 and National Council for Policies to Combat Poverty and Social Exclusion, 2016, “Key figures on poverty and social exclusion”, p. 13. 8 Article 25 of the 1948 Universal Declaration of Human Rights (UN); Article 11 of the 1966 International Covenant on Economic, Social and Cultural Rights. 9 For example, the 1996 Rome Declaration on World Food Security introduced the notion of choice. 10 National Food, Environment and Occupational Health Safety Agency, 2017, “National Individual Food Consumption Study 3”, pp. 85–86. “Quantitative” food insufficiency refers to the answers: “I/we sometimes did not have enough to eat” and “I/we often did not have enough to eat” during the last 12 months. “Qualitative” food insufficiency corresponds to the answer: “I/ we have had enough, but not always of all the foods I/we wanted to eat” during the last 12 months. 11 Consoles G., Fesseau M., Passeron V., 2010, Household consumption for 50 years, INSEE, consulted on 3 March 2016 [http:// www.insee.fr/fr/ffc/docs_ffc/ref/CONSO09c.PDF] 12 All agriculture in the so-called developed countries has been supported by public aid systems for a very long time. In France, the government supported Crédit Agricole throughout the agricultural modernisation phase until the CAP took over. In the USA, this modernization even went directly through a state bank. 13 Feeding Yourself When You Are Poor, ATD Quart Monde, Review and Documents, No. 25, 2014. 14 Method of marketing agricultural products which is exercised either by direct sale from the producer to the consumer or by indirect sale, provided that there is only one intermediary between the farmer and the consumer.
INTERVENTIONS/INTERVENTIONS
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ÉPISTÉ EPISTE
MOLOGIE MOLOGY
La section épistémologie a pour objectif de faire le point sur le sens que nous donnons collectivement au mot « architecture ». Il s’agit de penser l’architecture en tant que savoir propre. Si ce type de questionnement peut amener des textes aux formes « normatives » issues de la production de la recherche en sciences humaines et sociales notamment (exposés construits sur de longs développements accompagnés de notes de bas de pages comme c’est les cas pour le texte Prolégomènes), il nous apparaît important que ces formes du discours ne soient ni dominantes ni exclusives sur ces questions. Ainsi, le texte de Sup Galeano peut être compris comme traitant d’épistémologie de l’architecture, puisque considérant le monde comme une maison. C’est aussi le cas des Architectural Notes en cela qu’elle dessinent, en creux, les grandes reconfigurations du sens du mot « architecture », aujourd’hui dans le monde entier.
110 ÉPISTÉMOLOGIE/EPISTEMOLOGY
The purpose of the epistemology section is to explore the meaning we collectively assign to the word “architecture”. The matter is to consider architecture as a specific knowledge. If this type of inquiry can lead to texts with “normative” forms of expression similar to those used in the field of social sciences (arguments built on long developments together with footnotes as in the Prolegomena text), we believe it is important that these forms of discourse are neither dominant nor exclusive on these issues. Sup Galeano’s text can be understood as dealing with the epistemology of architecture, since it considers the world as a house. This is also the case with the Architectural Notes which investigate the major reconfiguration of the meaning of the word “architecture” today throughout the world.
ÉPISTÉMOLOGIE/EPISTEMOLOGY
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PROLÉGOMÈNES À TOUTE ARCHITECTURE QUI POURRA SE PRÉSENTER COMME SCIENCE DES TOTALITÉS Xavier Wrona « Il est aujourd’hui plus facile d’imaginer la fin du monde que la fin du capitalisme. Et avec ceci l’idée d’une révolution capable de renverser le capitalisme semble avoir disparu »1.
La seconde partie de cette très célèbre sentence de Jameson est plongée dans l’oubli. Cette disparition atteste de la puissance des forces à l’œuvre travaillant à ne pas vouloir voir un jour le capitalisme s’effondrer, ne serait-ce que dans nos imaginaires. Mais cette seconde partie de la maxime de Jameson dispose désormais de son propre champ disciplinaire et de son journal. Après la révolution a pour objectif de préparer ce que pourra être l’ordre du monde une fois que l’inéluctable chute du capitalisme sera advenue. Nous nous emploierons donc ici et dans les numéros à venir à dessiner d’autres modalités d’organisation de la réalité, c’est-à-dire, d’autres architectures. Le présent journal a pour objectif de donner acte à l’actuel travail de construction d’un champ disciplinaire appliqué de pensée des totalités. Ce champ disciplinaire redonnera de l’air à la nécessaire tâche d’imagination de l’ordre du monde. Aussi, par la présente, l’architecture n’est plus affaire de bâti, tout simplement car elle ne l’a jamais été. Art des agencements elle a trouvé la raison de sa persistance renouvelée à travers les âges dans la perpétuelle nécessité de l’humain de penser l’organisation des éléments de son réel entre eux, de quelque nature qu’ils soient. Mais depuis les quelques millénaires que l’architecture désigne la lune, l’architecte n’a fait que regarder le doigt : ce n’est pas le bâtiment qui est travaillé en architecture, mais les modalités de sa mise en ordre, c’est l’ordre qui est architectural et non pas le bâtiment. Et cet ordre, ces ordres, ne sont pas cantonnés au bâtiment,
112 ÉPISTÉMOLOGIE/EPISTEMOLOGY
ils traversent le réel dans sa totalité. Qu’il s’agisse de l’ordre protestant, de l’ordre du capital ou de l’ordre alphabétique, tout ordre est total dans sa structuration interne et tout ordre tend à s’étendre en transformant le réel à son image. L’architecture, elle, est à la fois la science de gestation de ces totalités que sont les ordres, autant qu’elle est la science de leurs applications dans le réel.
PROBLÈMES QUE CECI SOULÈVE La constitution d’un tel champ disciplinaire soulève certains problèmes, nombreux, mais surmontables. Le travail engagé s’inscrit dans le champ de l’épistémologie de l’architecture. Pour résumer l’ensemble de cette entreprise nous pourrions dire que c’est à partir de la critique du concept d’architecture proposée par Georges Bataille dans la revue Documents en 1929, critique faisant du concept d’architecture non pas le champ de la production de bâti mais celui d’une mise en ordre idéologique totale du réel, que ce champ proposé d’Architecture comme science des totalités vise à remettre sur ses pieds le rôle de la discipline architecturale au sein des sociétés contemporaines. Quasi exclusivement associé à la production de bâti au XXe siècle, le concept d’architecture est moins clairement circonscrit dans les deux principaux traités de l’histoire de l’architecture rédigés par Vitruve au Ier siècle avant J.-C. et celui d’Alberti au XVe siècle. À la lumière des récents travaux de Pierre Caye, l’architecture doit même être reconsidérée comme une discipline en capacité de prendre partiellement en charge le mode de production des sociétés. Il écrit : « L’architecture à l’âge humaniste et
classique n’est pas simplement un des beaux-arts […] elle forme un véritable paradigme technique qui rend raison du rapport productif que les hommes entretiennent avec la nature »2.
À un moment identifié de la crise de l’appareil productif autant que de la crise de la relation de l’humain à la nature, la question doit être ainsi posée d’une possible réorientation de la discipline architecturale vers cet objet « du mode de production des sociétés ». Mais comment définir un tel objet ? Et comment définir cette discipline et ce qui en elle serait en capacité de penser et produire un tel objet ? Notre hypothèse appellera donc divers travaux comme la relecture du rôle de l’architecture à travers l’histoire suivant les codifications et assignations proposées par Vitruve (L’architecture comme savoir encyclopédique : De architectura I, 1. L’architecture comme savoir architectonique ie comme savoir global de la technique) et Alberti (L’art d’édifier). Mais il faudra aussi tenter de définir l’objet sur lequel porterait alors l’architecture. Il faudra pour ce faire identifier les liens et construire les distinctions entre un concept d’architecture ainsi considéré et le concept de totalité tel qu’il a été convoqué de multiples manières au XXe siècle, notamment dans la théorie marxiste qui s’était fixée elle aussi l’objectif non pas de commenter la réalité mais de la transformer dans son ensemble. Il nous faudra encore, afin de tenter de comprendre ce qui en architecture serait en capacité de penser un tel objet – c’est-à-dire ce que pourrait être la spécificité historique d’un apport de cette discipline dans le concert des champs disciplinaires existants employés à la tentative de réforme de la réalité –, nous attacher à distinguer les schèmes opératoires chez Vitruve et Alberti et
tenter d’éclaircir les différences entre l’architecture et d’autres domaines appliqués à la pensée des systèmes complexes tels que notamment la cybernétique. Encore il nous faudra défendre notre définition des termes en précisant notamment les distinctions entre le concept d’architecture ici proposé et la « totalité » chez Lukacs, la « totalité » chez Gentile, le « dispositif » chez Foucault, le « fait social total » chez Mauss, l’« économie générale » chez Bataille, la « forme sociale » chez Simmel… Mais outre ces problèmes qui requerront notre attention collective dans les mois et années à venir, trois problèmes importants peuvent dès maintenant être dissipés. Première problème : le ridicule associé à une telle entreprise Dire qu’on travaille à changer l’ordre du monde suscite à minima le sourire, parfois la violence, mais majoritairement la sidération par ce que semble être l’excès de ridicule suscité par une telle hypothèse. Et cette hypothèse est travaillée depuis assez longtemps pour ne pas sous-estimer les entreprises de ridiculisation des tentatives de transformation de la réalité dans sa totalité. Une phrase du penseur Mark Fisher résumera notre position sur ce point : « Les politiques visant à l’émancipation doivent toujours détruire l’apparence d’un “ordre naturel”, doivent révéler ce qui est présenté comme nécessaire et inévitable n’être en fait qu’une vague contingence, ainsi qu’elles doivent rendre envisageable ce qui semblait a priori impossible. »3
Ici, il faut donc, pour reprendre la formule consacrée dans les milieux militants féministes, « que la honte change de camp ». Non, la transformation du monde dans sa totalité n’est pas impos-
sible, elle est nécessaire. Ce sont paradoxalement ceux-là même qui semblent avoir gagné la bataille idéologique sur le concept de révolution, en la décrivant comme angélique, utopique ou dangereuse, qui ont démontré l’efficience d’une transformation décidée et dessinée de l’organisation de la réalité. En effet, la transformation totale du monde opérée depuis la fin des années soixantedix, communément désignée par le terme de néolibéralisme, est à comprendre comme une révolution. Il suffit ici pour sonder la détermination de ses acteurs de citer Milton Friedman, figure majeure de la pensée économique néolibérale et de ses applications dans la réalité, lorsqu’il déclare : « Je ne suis pas un conservateur. Je n’ai jamais été un conservateur. Hayek n’était pas un conservateur. Nous sommes des radicaux, nous voulons aller à la racine des choses. »4
Pour rappel, Hayek, père intellectuel du néolibéralisme et tout aussi déterminé adressait son ouvrage La route de la servitude de 1946 Aux socialistes de tous les partis. Le néolibéralisme est une révolution, il est le dernier visage en date, particulièrement efficace, de la réification du monde par le Capital telle que la décrivait Lukacs en 19235. C’est pourquoi le syntagme de contre-révolution néolibérale communément utilisé sera ici invalidé. Le néolibéralisme n’est pas un mouvement pendulaire de recentrement des acquis de la révolution de 1968 car il engage des transformations massives dans divers pans du réel, allant de la philosophie du droit à la structuration de l’appareil productif global que, malgré ses nombreux apports, la révolution de 1968 n’avait pas même effleurées. Aussi, s’il est bien une chose dont nous devrions ne plus douter face
à l’ampleur des transformations à porter au crédit du grand récit néolibéral, c’est bien que la réalité, dans sa totalité, peut être transformée. Le passage d’un monde fait de « planisme » à un monde forgé suivant le modèle d’un marché déclaré comme « libre et non faussé » est une transformation organisée du monde. Les néolibéraux ont transformé le monde dans sa totalité et si ridicule il y a, il est bien de voir le camp historiquement dit du progressisme considérer l’hypothèse d’une transformation du monde comme impossible et dangereuse. Là est bien le ridicule auquel le présent journal aspire à mettre fin. Le néolibéralisme est une révolution après laquelle nous nous situons aujourd’hui. Celle-ci aura au moins eu le mérite de rappeler la plasticité du monde suivant des intérêts de classe. Deuxième problème : la légitimité d’une telle entreprise Pourquoi les architectes plus que d’autres seraient dépositaires du fardeau, mais aussi du privilège, de redessiner l’ordre du monde ? Ce n’est pas ainsi que le problème doit être posé. Il ne s’agit pas ici de défendre qu’il serait aux architectes de décider du monde à venir. S’il sera défendu ici avec ferveur que l’architecture est l’art appliqué de la pensée des totalités, il sera tout aussi ardemment défendu que l’architecture n’appartient pas aux architectes et que ce dernier est de fait une figure beaucoup plus problématique dans l’histoire de la construction de la réalité que le concept d’architecture. Pour peindre cette question à grands traits nous dirons que si l’architecture est la pensée appliquée des totalités, l’architecte a été au fil de l’histoire la figure de sa confiscation. Si l’architecte a pu rendre des services au fil de la construction de la réalité, il l’a fait en soustrayant la possibilité d’une pensée/fabrication du tout par les masses, quelque soit le nom qu’on décide de leur donner : peuple, populations, collectif, multitudes… Ce n’est donc pas aux architectes de dessiner le monde d’après le capitalisme, ils doivent uniquement, au même titre que le reste des forces en présence, se saisir des modalités d’action et des outils dont ils disposent pour participer du dépassement de cet ordre dominant et suicidaire du Capital afin de lui substituer une autre modalité d’organisation du réel. À l’instar de la mobilisation générale qui eut lieu lors de la seconde guerre mondiale, il est nécessaire de construire une mobilisation totale contre le capitalisme et sa déclinaison récente qu’est le néolibéralisme. Ainsi, est-il nécessaire de ré-orienter les écoles d’architecture et la profession des architectes vers les problèmes en capacité aujourd’hui de détruire notre présence sur terre au même titre qu’il apparait nécessaire que tous les autres champs disciplinaires et modalités de production de savoir fassent de même. La question n’est donc pas pourquoi les architectes plus que d’autres s’attelleraient à la transformation de l’ordre du monde, elle est plutôt de savoir comment faire en sorte que les architectes, au même titre que tous les autres individus, puissent être mobilisés pour détruire le capitalisme et construire une nouvelle organisation du monde, plus juste, plus égalitaire et non destructrice de l’environnement qui la porte. Nous défendrons ici qu’il existe une accointance millénaire de la pensée architecturale avec la gestion des totalités et que cette
familiarité participe d’assigner à la discipline architecturale et ceux qui s’y emploient, une relation spécifique au dessin d’ordres du monde alternatifs. Mais il ne s’agit là en aucun cas d’une exclusivité. Au contraire, il s’agit de mettre fin à la confiscation au grand nombre de la pensée des totalités. Troisième problème : le danger d’une telle entreprise Cette entreprise volontariste de transformation de la réalité dans ce qu’elle a de « totalité » porte en elle quelque chose de Wagnérien qui effraye les mentalités du XXIe siècle. Elle suscite une crainte selon laquelle, pour la résumer très vite, toute pensée des totalités serait totalitaire. L’hypothèse inverse sera défendue dans ce travail : c’est le retrait de la pensée de la question des totalités qui permet l’expansion totalitaire. Le terme de totalitarisme n’étant pas ici jugé comme étant un bon terme, il n’est ici repris qu’au titre où il est convoqué par les détracteurs d’une tentative de pensée des totalités. En d’autres termes c’est « l’affranchissement de » ou « l’interdit porté sur » la nécessité de penser et dessiner la construction de la réalité, qui abandonne le monde à la destruction des ressources et l’accroissement drastique des inégalités. Car il n’est pas trop difficile, pour qui s’en donne la peine, de déceler des liens de cause à effet entre le fait que nous soyons passés en 40 ans d’un rapport entre les hauts et les bas salaires allant de 1 pour 30 à 1 pour 350, et que ce même écart de temps ait été celui de « l’arrivée au pouvoir » du néolibéralisme, anti-planiste et dérégulateur. La révolution a eu lieu, dans des proportions égales à celle que Marx appelait de ses vœux. Cette révolution ne fut pas la révolution du prolétariat mais celle du capital. Soit. Celle-ci n’en a pas moins libéré le concept de révolution de l’enfer dans lequel le Stalinisme l’avait jeté.
OBJECTIFS Le présent journal fera donc état : 1. Des débats épistémologiques, logiques, métaphysiques, politiques, techniques et économiques qui travaillent ce champ disciplinaire en constitution. N’échappant en rien aux logiques internes propres à tout champ disciplinaire, l’Architecture comme science des totalités est traversée par de nombreuses mouvances, contradictions internes et débats. Cette revue sera leur organe de presse. Entendu au sens d’une « revue militaire », cette revue a pour objectif la tentative d’épuisement des enjeux, débats et conflits que ce champ recouvre. Ce champ ne sera considéré fertile et donc nécessaire, que tant qu’il sera traversé par de telles tensions. 2. Des projets proposés de réforme de l’ordre du monde. Journal d’architecture, le présent ensemble a pour vocation non pas de commenter le monde mais de le transformer, ce qui ne saurait être fait sans projet. L’architecture est affaire de projet où elle n’est rien qui n’existe déjà ailleurs qui n’en épuise la raison d’être. Si ce champ disciplinaire s’accompagne de contestations théoriques importantes, il conserve cependant pour vocation première de mettre en débat des propositions d’organisation alternatives de la réalité. Ces projets sont à prendre très au sérieux, comme des hypothèses de plans du monde à venir. Ils ont pour vocations de
s’opposer vivement à cette mouvance cache-sexe de l’architecture contemporaine qui argue de l’Autonomie de l’architecture. Loin de cette retraite supposée du monde, les présents projets naissent de la volonté de coller absolument aux contraintes du réel afin de les résoudre mais en aucun cas de s’en émanciper. 3. Des travaux menés lors des rendez-vous annuels des membres du groupe de travail « Après la révolution ». Chaque année une somme d’individus consent à se retrouver durant un séminaire de travail collectif sous la bannière d’« Après la révolution » pour proposer des modalités d’organisation alternative d’une des totalités du réel : Capitalisme, Guerre, Travail ont été les précédents « objets totaux » qui ont réuni ces personnes. Cet agrégat d’individus articule des étudiants d’architecture et des personnalités au parcours, préoccupations et modalités d’action hétérogènes. Ils s’emploient à articuler diverses modalités de prises de paroles, d’énonciation et de formes de propositions. Part incandescente de ce champ disciplinaire, ces rencontres verront leur contenu systématiquement consigné dans le présent journal.
DÉFINITIONS La confiscation du concept d’architecture depuis cinq siècles par le bâti et ses modalités de production proto-capitalistes puis capitalistes a opéré un travail de sape important dans la culture et les esprits appelant à une clarification de certains termes. Architecture Le concept d’architecture est probablement celui dont le déplacement sémantique requis est le plus court mais dont l’inversion psychologique qu’elle requiert semble être la plus difficile à parcourir. L’architecture est unanimement et premièrement entendue, dictionnaires compris, comme l’« art de bâtir ». Cependant, son usage est « métaphoriquement » accepté dans une acception plus large suivant des images comme l’architecture du corps humain, l’architecture des réseaux, l’architecture d’un système de pensée. Il ne s’agira ici que de renverser ce rapport de force en rappelant que le concept d’architecture en tant qu’art des agencements désigne premièrement les modalités d’organisation d’éléments du réel entre eux, qu’il s’agisse de parties de corps, d’infrastructures techniques ou d’éléments de pensée. À l’inverse, le bâtiment n’est architectural que métaphoriquement (ou même pour être plus précis « synecdotiquement » puisque prenant la partie pour le tout). Science Dans le titre ici proposé en reprise de l’ouvrage d’Emmanuel Kant6, le mot science est présent. En ce moment de codification d’un champ disciplinaire appliqué de pensée des totalités, il nous apparaît nécessaire de ré-ouvrir le terme de science. Ce serait une erreur stratégique majeure d’abandonner la lutte sur ce mot puisque le basculement de paradigme auquel le présent travail aspire ne se fera que par la dénonciation du coup d’état idéologique et sémantique qui a fait de la scientificité une sous catégorie des sciences dures. L’architecture, comme science appliquée des totalités, participe d’un mouvement nécessaire de ré-articulation plus vaste des do-
maines de savoirs, qu’il s’agisse de sciences dites dures, de sciences dites humaines et de modalités de production de savoirs non aisément qualifiables de scientifiques. Abandonner le terme de science reviendrait à abandonner ce terrain au paradigme de l’ingénieur et de la pensée quantifiable dominante sur le panorama de la pensée et de la construction de la réalité. Comme l’écrivait Antoine Picon, le paradigme de l’ingénieur, issu de l’architecture, a eu son importance et a incarné une forme de proto-constructivisme à un moment ou le champ architectural était engagé dans des apories esthétiques assez distantes des préoccupations de l’homme de la rue. Il écrit : « La division entre architectes et ingénieurs se comprend dans un contexte de renforcement des pouvoirs de l’État sur l’aménagement ; elle est inséparable de l’intensification des échanges et d’une perspective de progrès technique. Les conceptions des ingénieurs portent l’empreinte de ce mouvement général, de même que les enseignements du classicisme reflétaient le désir de stabilité de la société d’Ordres d’Ancien Régime. […] Chargés de la construction des routes et des ponts, mais aussi de projets d’architecture, les ingénieurs des Ponts élaborent un discours d’une efficacité incontestable, parce qu’en prise sur les grands problèmes du moment. Utilité, mais aussi bonté et désintéressement de l’ingénieur, volonté générale et politiques d’aménagement, composent de nouvelles figures. […] Les paradoxes sur lesquels se fonde le système des ingénieurs rendent en réalité possible ce passage. [La mathématisation du savoir de l’ingénieur et le passage du monde classique à l’univers de la machine de précision]. Les tensions de leur discours ainsi que le caractère souvent périlleux de leur démarche semblent préfigurer un univers de processus, de flux et de mouvements, quantifiés au moyen du calcul. »7
Cet univers de flux et de mouvements quantifiés au moyens du calcul reste celui de l’ingénieur. Loin du service de l’intérêt général ici décrit, il est désormais trop solidaire de l’ordre néolibéral pour que nous lui abandonnions le terme de science et l’horizon de la véracité qu’il s’est indûment accaparé. C’est à une science plus spéculative, embrassant de nouveau tous les champs exploratoires de la pensée, y compris la métaphysique, que notre champ disciplinaire aspire dans son travail de réappropriation et de diffusion de la pensée des totalités. C’est à cette fin que nous proposons un réveil du mot architecture. Totalités Le terme de totalités a quant à lui été mis aux arrêts. Acteur majeur des cataclysmes ayant décimé les populations du XXe siècle, il a été jugé et reconnu coupable de crimes contre l’humanité. Loin de nous l’idée de mettre en cause ce jugement. Mais aujourd’hui certains indices semblent laisser supposer qu’il est proche d’avoir purgé sa peine et qu’il est en voie de réhabilitation. Nous le convoquerons ici avec précaution, sans lui accorder la confiance, mais conscients que sa disparition du paysage nous expose elle aussi à de grands dangers. Mais il nous faut brièvement rappeler en quoi il y a pertinence à parler de totalités en architecture : rappelons que Palladio a reformé l’art de la guerre à partir des concept vitruviens à un moment où les sociétés vivaient de la guerre. Alberti quant à lui dé-
crit l’architecture non pas comme production de bâti mais comme un savoir aux contours bien plus larges : « Faut-il enfin rappeler qu’en taillant la roche, transperçant les montagnes, comblant les vallées, endiguant la mer et les lacs, drainant les marais, armant les navires, rectifiant le cours des fleuves, repoussant l’ennemi, construisant des ponts et des ports, l’architecte non seulement pourvoit aux besoins quotidiens des hommes, mais leur ouvre aussi l’accès à toutes les provinces du monde ? Ce qui leur a permis de partager, par des échanges mutuels, les fruits de la terre, les épices et les pierres précieuses, ainsi que leurs compétences et leurs connaissances, comme tout ce qui contribue à la santé et à la vie. »8
Dans son ouvrage sur la critique de la destruction créatrice, Pierre Caye écrit ce qui nous apparaît reconstruire le lien entre la discipline architecturale émancipée du bâti et la réforme de l’appareil productif dans sa totalité émancipée du totalitarisme : « Il n’est pas nécessaire de multiplier conjectures et hypothèses pour imaginer et définir ce qu’a pu être dans notre histoire un autre mode de production ; un mode non destructif. De ce mode de production antérieur, il nous reste maintes traces ; davantage, il nous est encore donné d’en faire usage. Avant la machine à vapeur, le moteur à explosion, l’électricité ou le numérique, il y eut en effet l’architecture. »9
Afin de faire le point sur notre recours au concept de « totalité » nous dirons que nous conservons la puissance unitaire du concept dans sa capacité à décrire des phénomènes entiers et globalisants à l’œuvre dans le réel. Cependant nous réfutons la propension de ce terme à penser au singulier. La réalité n’apparaît pas épuisable dans un concept total unique. Par contre celle-ci ne saurait être décrite avec justesse sans adresser la lutte des totalités qui rythme danse du monde. 1 « It is easier, someone once said, to imagine the end of the world than the end of capitalism: and with that the idea of a revolution overthrowing capitalism seems to have vanished. », Frederic Jameson, An American Utopia, Dual Power and the Universal Army, Verso Books, 2016, p. 3. 2 Pierre Caye, Critique de la destruction créatrice, Éditions les Belles Lettres, Collection l’âne d’or, 2015, p. 23. 3 « As any number of radical theorists from Brecht through to Foucault and Badiou have maintained, emancipatory politics must always destroy the appearance of a “natural order”, must reveal what is presented as necessary and inevitable to be a mere contingency, just as it must make what was previously deemed to be impossible seem attainable. » in Mark Fisher, Capitalism and the Real, John Hunt Publishing, 2009, p. 17 (ma traduction). 4 « I’m not a conservative. I never have been a conservative. Hayek was not a conservative. […] We are radicals. We want to get to the root of things. » Milton Friedman interviewé à la télévision le 28 octobre 1994 à l’occasion des 50 ans de la publication de l’ouvrage La route de la servitude de F. A. Hayek. [https://www.c-span.org/ video/?c4553338/conservative] 5 « La réification et la conscience de classe du prolétariat » in Georg Lukacs, Histoire et conscience de classe, Essais de dialectique Marxiste, Éditions de minuit, Paris 1974, p. 110. 6 Emmanuel Kant, Prolégomènes à toute métaphysique future qui pourra se présenter comme science, Vrin, Librairie Philosophique, Paris, 1993. 7 A. Picon, Architectes et ingénieurs au siècle des Lumières. Editions Parenthèses, Marseille, 1988-2004, p. 8-10. 8 Leon Battista Alberti, L’art d’édifier, Editions du Seuil, Paris, 2004, p. 48-49. 9 Pierre Caye, Critique de la destruction créatrice, Éditions les Belles Lettres, Collection l’âne d’or, 2015, p. 23.
ÉPISTÉMOLOGIE/EPISTEMOLOGY
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PROLEGOMENA TO ANY FUTURE ARCHITECTURE THAT WILL BE ABLE TO PRESENT ITSELF AS A SCIENCE OF TOTALITY Xavier Wrona “It is easier, someone once said, to imagine the end of the world than the end of capitalism: and with that the idea of a revolution overthrowing capitalism seems to have vanished”1. The second half of Jameson’s very famous sentence has fallen into oblivion. This disappearance gives us an idea of the strength of the forces working to not see capitalism collapse one day, were it only to be in our minds. But this second half of Jameson’s maxim is now equipped with its own field of research and journal. Après la révolution’s objective is to prepare for the world that is to come, once the inexorable downfall of capitalism will have happened. In this issue and the coming ones, we will strive for the invention and design of alternative means of organisation of reality, in other words, for alternative architectures. This journal is to be the record of the ongoing construction of a field of applied research dedicated to the thinking of totalities. This disciplinary endeavour will re-fuel the necessary task of imagining the world order. Hereby, architecture is no longer a “production of buildings” matter, simply because it never was. Art of the assembling of parts Architecture has found the reason for its renewed persistence throughout times in mankind’s necessity to think the organisation of reality’s parts to one another, whichever kind or nature those parts were made of. But for the couple millennials during which architecture has been pointing at the point moon, the architect has only been looking at the finger: it is not the building which is at work in architecture, but the modalities of its ordering. It is the order which is architectural, not the building. And this order, these orders, are not only
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concerned with the ordering of buildings, they run through the totality of the real. Whether one is referring to the protestant order, the order of capital or the alphabetical order, any order is total in its internal structure, any order tends to spread, transforming reality to its own image. Architecture is both the science of the gestation of these totalities we call orders, and the science of their application to reality.
PROBLEMS THIS RAISES The constitution of such a discipline raises certain problems, numerous problems, which can be overcome. This work belongs to the field of the epistemology of architecture. Trying to brush up a simple image of this enterprise, it starts from the criticism of the word Architecture written by Georges Bataille in the Documents journal in 1929, a critique which does not describe architecture as the production of buildings, rather as the discipline operating the total ideological ordering of the real. It is from this critique that our proposed field of research entitled Architecture as science of totalities wishes to put the architectural discipline upon its feet within contemporary societies. Almost entirely reduced to the production of buildings during the XXth century, the concept of architecture is less clearly circumscribed in both the two major treatises of architectural history written by Vitruvius in the first century BC and Alberti in the XVth century. In light of the recent works of Pierre Caye, architecture ought to even be considered as a discipline able to partially take charge of the means of production of societies. He writes: “Architecture in the humanist and
classical age is not just one of the fine arts […] it forms a true technical paradigm that provides a meaning to the productive relationship that men have with nature”.2
In a moment of identified crisis of both the productive apparatus and the relation of mankind with nature, the question must be formulated as such: is it possible to reorienting the architectural discipline towards the object of “the means of production of societies”? But how shall one define such an object? Our hypothesis will therefore call for various works such as the re-reading of the role of architecture throughout history following the codifications and assignments proposed by Vitruvius (Architecture as encyclopaedic knowledge: De architectura I, 1- Architecture as architectural knowledge ie as global knowledge of technology) and Alberti (The art of building). But it will also be necessary to try to define the object to which the architecture would then relate. To do this, it will be necessary to identify the links and build distinctions between a concept of architecture thus considered and the concept of totality as it was summoned in multiple ways in the twentieth century, particularly in Marxist theory, which also had set itself the objective not to comment on reality but to transform it as a whole. In order to understand what in architecture would be able to think such an object, that is, what the historical specificity of a contribution of this discipline could be in the concert of existing disciplinary fields used in the attempt to reform reality, we will also have to distinguish the operating schemes of Vitruvius and Alberti and try to clarify the differences between architecture and other fields applied to the thinking of complex systems such as cybernetics.
We will also have to defend our definition of terms by specifying the distinctions between the concept of architecture proposed here and the “totality” in Lukacs, the “totality” in Gentile, the “device” in Foucault, the “total social fact” in Mauss, the “general economy” in Bataille, the “social form” in Simmel… But beyond these problems, which will require our collective attention in the months and years to come, three important problems can be dealt with now. Problem number one: The ridicule associated with such an undertaking To say that one is working to change the order of the world provokes at least a smile, sometimes violence, but mostly shock in front of what seems to be the excess of ridicule caused by such a hypothesis. And this hypothesis has been worked on for long enough not to underestimate the efforts to ridicule such attempts to transform reality in its entirety. A sentence from thinker Mark Fisher will summarize our position on this point: “As any number of radical theorists from Brecht through to Foucault and Badiou have maintained, emancipatory politics must always destroy the appearance of a ‘natural order’, must reveal what is presented as necessary and inevitable to be a mere contingency, just as it must make what was previously deemed to be impossible seem attainable”3
Here is the need, therefore, to make ours the formula used in feminist militant circles, “shame needs to change sides”. No, the transformation of the world as a whole is not impossible, it is necessary. Paradoxically, it is the same people who seem to have won the ideological battle over the concept of revolution, describing it as angelic, utopian or dange-
rous, who have demonstrated the efficiency of a decided and drawn transformation of the organization of reality. Indeed, the total transformation of the world since the end of the 1970s, commonly referred to as neoliberalism, is to be understood as a revolution. It is sufficient here to probe the determination of its actors to quote Milton Friedman, a major figure in neoliberal economic thinking and its applications in reality, when he states: “I’m not a conservative. I never have been a conservative. Hayek was not a conservative. […] We are radicals. We want to get to the root of things.”4
As a reminder, Hayek, the intellectual father of neoliberalism and equally committed, addressed his 1946 book The Road to Serfdom to socialists of all parties. Neoliberalism is a revolution, it is the latest and most effective face of the reification of the world by Capital as described by Lukacs in 19235. This is why the commonly used neoliberal counter-revolution formula will be nullified here. Neoliberalism is not a pendulum movement to rebalance the achievements of the 1968 revolution, because it involves massive transformations in various aspects of reality, ranging from the philosophy of law to the structuring of the global productive apparatus, which despite its many benefits, the 1968 revolution had not even touched on. So, if there is one thing we should no longer doubt facing the extent of the transformations to be credited to the great neoliberal narrative, it is that reality, in its entirety, can be transformed. The transition from a world of “planning” to a world forged according to the model of a market declared as “free and unbiased” is an organized and deliberate transformation of the world. Neoliberals have
transformed the world as a whole and if there is anything ridiculous about it, it is to see the historically known side of progressism considering the hypothesis of a transformation of the world as impossible and dangerous. This is the ridiculous thing that this journal seeks to end. Neoliberalism is a revolution after which we stand today. It will at least have had the merit of reminding us of the plasticity of the world according to class interests. Problem 2: The legitimacy of such an undertaking Why should architects, more than others, be the bearers of the burden, but also the privilege, of redesigning the order of the world? This is not the way the problem should be addressed. It is not about defending that it would be up to architects to decide on the world to come. If it will be strongly defended here that architecture is the applied art of the thinking of totalities, it will be just as ardently defended that architecture does not belong to architects and that the latter is in fact a much more problematic figure in the history of the construction of reality than the concept of architecture. To paint this question in broad terms, we will say that if architecture is the applied thought of totalities, the architect has been the figure of its confiscation throughout history. If the architect was able to render services as reality was being constructed, he did so by subtracting the possibility of a thought/ manufacturing of the whole by the masses, whatever the name we decide to give them: people, populations, collectives, multitudes… It is therefore not up to architects to design the world according to capitalism, they must only, like the rest of the forces involved, grasp the modalities of action and tools at their disposal to participate in overcoming this dominant and suicidal order of Capital in order to replace it with another modality of organization of the real. Following the example of the general mobilization that took place during the Second World War, it is necessary to build a total mobilization against capitalism and its recent declination, neoliberalism. Thus, it is necessary to redirect the schools of architecture and the profession of architects towards the problems in capacity today to destroy our presence on earth in the same way that it seems necessary that all other disciplinary fields and modalities of knowledge production do the same. The question is not, therefore, why architects more than others would work to transform the world order, but rather how to ensure that architects, like all other individuals, can be mobilized to destroy capitalism and build a new organization of the world, more just, more egalitarian and not destructive of the environment that supports it. We will defend here that there is an age-old connection between architectural thought and the management of totalities and that this familiarity helps to assign to the architectural discipline and those who work in it a specific relationship to the drawing of alternative world orders. But this is by no means an exclusivity. On the contrary, it is a question of putting an end to the confiscation of the thinking of totalities from the large number of people. Third problem: the danger of such an undertaking This voluntarist enterprise of
transforming reality into what it has of “totality” carries within it something Wagnerian that frightens the mentalities of the 21st century. It raises a fear that, to sum it up very quickly, any thought of the totalities would be totalitarian. The opposite hypothesis will be defended in this work: it is the withdrawal of thought from the question of totalities that allows totalitarian expansion. The term totalitarianism not being considered here as a good term, it is only used here in the sense that it is summoned by critics of an attempt to think of the whole. In other words, “it is the liberation from” or “the ban on” the need to think and design the construction of reality that abandons the world to the destruction of resources and the drastic increase in inequality. For it is not too difficult for anyone to detect cause-and-effect links between the fact that in 40 years we have gone from a ratio between high and low wages ranging from 1 in 30 to 1 in 350 and that the same time gap has been that of the “coming to power” of neoliberalism, antiplanist and deregulatorism. The revolution took place, in equal proportions to the one Marx had called for. This revolution was not the revolution of the proletariat but that of capital. So be it. Nevertheless, it unleashed the concept of a revolution from the hell into which Stalinism had thrown it.
OBJECTIVES This journal will therefore report: 1. Epistemological, logical, metaphysical, political, technical and economic debates that work this disciplinary field in constitution. Not escaping in any way the internal logics specific to any disciplinary field, Architecture as a science of totalities is crossed by many movements, internal contradictions and debates. This review will be their media outlet. Understood as a “military review”, this review aims to attempt to exhaust the issues, debates and conflicts that this field covers. This field will only be considered fertile and therefore necessary as long as it is crossed by such tensions. 2. Proposed projects for the reform of the world order. As an architectural journal, the purpose of this ensemble is not to comment on the world but to transform it, which cannot be done without projects. Architecture is a matter of project or it is nothing that does not already exist elsewhere that does not exhaust its raison d’être. While this disciplinary field is accompanied by significant theoretical challenges, its primary purpose is still to debate alternative proposals for the organization of reality. These projects are to be taken very seriously, as hypotheses of future world plans. Their vocation is to strongly oppose this hidden-sex movement of contemporary architecture that argues for the Autonomy of Architecture. Far from this supposed retreat from the world, the present projects are born from the will to stick absolutely to the constraints of reality in order to solve them and in no case to emancipate themselves from them. 3. Work carried out during the annual meetings of the members of the Après la révolution working group. Each year a sum of individuals agree to meet during a collective
work seminar under the banner of Après la révolution to propose alternative organizational modalities of one of the totalities of reality: Capitalism, War, Labor were the previous “total objects” that brought these persons together. This aggregate of individuals includes architecture students and personalities with heterogeneous backgrounds, concerns and modalities of action. They work to articulate various modalities of speaking, enunciation and forms of proposition. As an incandescent part of this disciplinary field, these meetings will be systematically recorded in this journal.
DEFINITIONS OF THE TERMS The confiscation of the concept of architecture over the past five centuries by the built environment and its proto-capitalist and then capitalist production methods has led to a major undermining of culture and minds, calling for clarification of certain terms. Architecture The concept of architecture is probably the one whose required semantic displacement is the shortest but whose psychological inversion it requires seems to be the most difficult to overcome. Architecture is unanimously and first understood, including in dictionaries, as the “art of building”. Nevertheless, its use is “metaphorically” accepted in a broader sense according to images such as the architecture of the human body, the architecture of networks, the architecture of a system of thought. The aim here is simply to reverse this balance of power by recalling that the concept of architecture as an art of arrangement refers primarily to the ways in which elements of reality are organised between them, whether they are body parts, technical infrastructures or elements of thought. On the other hand, the building is architectural only metaphorically (or even to be more precise “synecdotally” since it replaces the whole with the part). Science In the title here proposed as a reference to Emmanuel Kant’s book6, the word science is present. In this moment of codification of an applied disciplinary field of thinking of the totalities it seems necessary to reconsider the term science. It would be a major strategic mistake to abandon the struggle over this word since the paradigm shift to which this work aspires will only be achieved by denouncing the ideological and semantic coup d’état that has made scientificity a subcategory of the hard sciences. Architecture as an applied science of totalities is part of a necessary movement to re-articulate the fields of knowledge more broadly, whether they are so-called hard sciences, so-called human sciences or modalities for the production of knowledge that cannot easily be qualified as scientific. To abandon the term science would be to abandon this field to the paradigm of the engineer and the quantifiable thinking that dominates the panorama of thought and the construction of reality. As Antoine Picon wrote, the paradigm of the engineer, born of architecture, had its importance and embodied a form of proto-constructivism at a time when the architectural field was engaged in aesthetic aporias that were quite distant from the concerns of the man in the street.
He writes: “The division between architects and engineers is to be understood in a context of strengthening the State’s powers over the development; it is inseparable from the intensification of exchanges and a perspective of technological progress. The designs of engineers bear the imprint of this general movement, just as the teachings of classicism reflected the desire for stability in the society of Ancien Régime Orders. […] Responsible for road and bridge construction, but also for architectural projects, the engineers at Les Ponts develop a speech of undeniable efficiency, because they are in touch with the major problems of the moment. Utility, but also kindness and disinterest of the engineer, general will and planning policies, constitute new figures. […] The paradoxes on which the engineering system is based actually make this passage possible. [The mathematization of the engineer’s knowledge and the transition from the classical world to the world of precision machinery]. The tensions of their discourse as well as the often perilous nature of their approach seem to prefigure a universe of processes, flows and movements, quantified by means of calculation.”7
This universe of flows and movements quantified by means of calculation remains that of the engineer. Far from serving the general interest as described here, it is now too supportive of the neoliberal order for us to abandon the term science and the horizon of truth that it has unduly monopolized. It is to a more speculative science, embracing once again all the exploratory fields of thought, including metaphysics, that our disciplinary field aspires in its work of reappropriation and diffusion of the thinking of totalities. It is to this end that we propose a reawakening of the word architecture. Totalities The entire term has been put under arrest. A major actor in the cataclysms that decimated the populations of the 20th century, it was tried and found guilty of crimes against humanity. We do not wish to question this judgment. But today there are indications that it is close to having served its sentence and is in the process of rehabilitation. We will summon it here with caution, not with confidence, but aware that its disappearance from the landscape also exposes us to great dangers. But we must briefly recall how relevant it is to talk about totalities in architecture: let us recall that Palladio reformed the art of war from the Vitruvian concepts at a time when societies were living from war. Alberti describes architecture not as a production of buildings but as a knowledge with much broader outlines:
ting the link between the architectural discipline emancipated from the production of buildings and the reform of the productive apparatus in its totality emancipated from totalitarianism: “It is not necessary to multiply conjectures and hypotheses to imagine and define what another mode of production has been in our history; a non-destructive mode. We still have many traces of this previous mode of production; even more, we are still able to make use of it. Before the steam engine, the internal combustion engine, electricity or digital technology, there was indeed architecture.”9
In order to assess our use of the concept of “totality” we will say that we retain its unitary power in its ability to describe whole and globalizing phenomena at work in reality. However, we refute the propensity of this term to think in the singular. Reality does not appear to be exhaustible in a single total concept. However, it cannot be accurately described without addressing the struggle of totalities that rhythm the world’s dance. 1 “It is easier, someone once said, to imagine the end of the world than the end of capitalism: and with that the idea of a revolution overthrowing capitalism seems to have vanished.”, Frederic Jameson, An American Utopia, Dual Power and the Universal Army, Verso Books, 2016, p. 3. 2 Pierre Caye, Critique de la destruction créatrice, Editions les Belles Lettres, Collection l’âne d’or, 2015, p.23 (my translation). 3 In Mark Fisher, Capitalism and the Real, John Hunt Publishing, 2009, p. 17. 4 “I’m not a conservative. I never have been a conservative. Hayek was not a conservative. […] We are radicals. We want to get to the root of things.” Milton Friedman interviewed on television on October 28, 1994, to mark the 50th anniversary of the publication of F. A. Hayek’s book The Road to Serfdom [https://www.c-span.org/video/?c4553338/ conservative] 5 “Reification and the Consciousness of the Proletariat” in Georg Lukacs, History and Class Consciousness, Studies in Marxist Dialectics, MIT press, Cambridge Massachusetts, 1971, p. 83. 6 Emmanuel Kant, Prolégomènes à toute métaphysique future qui pourra se présenter comme science, Vrin, Librairie Philosophique, Paris, 1993. 7 A. Picon, Architectes et ingénieurs au siècle des Lumières, Éditions Parenthèses, Marseille, 1988-2004, p. 8-10 (my translation). 8 Leon Battista Alberti, L’art d’édifier, Editions du Seuil, Paris, 2004, p. 48-49 (my translation). 9 Pierre Caye, Critique de la destruction créatrice, Editions les Belles Lettres, Collection l’âne d’or, 2015, p.23 (my translation).
“Finally, do we have to remember that by cutting the rock, piercing the mountains, filling the valleys, damming the sea and lakes, draining the marshes, arming ships, rectifying the course of the rivers, repelling the enemy, building bridges and ports, the architect not only provides for the daily needs of men, but also gives them access to all the provinces of the world? This has allowed them to share, through mutual exchanges, the fruits of the earth, spices and precious stones, as well as their skills and knowledge, as everything that contributes to health and life.”8
In his book on the critique of creative destruction Pierre Caye writes what we see as reconstrucÉPISTÉMOLOGIE/EPISTEMOLOGY
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EN GUISE DE PROLOGUE. COMMENT NOUS SOMMES ARRIVÉS AU NID DE PIE ET CE QUE NOUS OBSERVONS DE LÀ-HAUT Sup Galeano Texte copyleft, tiré de Pistes zapatistes : la pensée critique face à l’hydre capitaliste, Commission Sexta de l’EZLN, coédition Albache, Nada et Union syndicale Solidaires, textes traduits par Karmen Díaz Aranda et Laura Leonetti.
Lors de la réunion, on observait la poutre centrale de la chaumière. Peut-être en imaginant qu’elle garderait toute sa stabilité et qu’elle resterait entière ; peutêtre en pensant : « Et si c’était pas le cas ? » Il serait, alors, plus judicieux de se rapprocher de la porte, prêts à sortir. « Si la poutre grince, c’est peutêtre qu’elle va se briser », avait dit celui qui avait la parole à ce moment-là. Plus tôt, il nous avait conduits à imaginer : « Figurez-vous que le système est comme cette construction. Elle est faite pour qu’on y vive. Mais, sur le toit, a été construite une
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pièce très grande et très lourde où des hommes et des femmes fêtent leur richesse. » Il n’avait pas besoin de le dire, mais il a quand même mis en garde contre le poids qui était trop important pour la poutre centrale. La maison n’avait pas été conçue pour supporter tant de choses en haut, et cet étage, où toutes et tous se disputaient la chaise principale, était lourd, très lourd, trop lourd. De fait, on s’imaginait bien que la poutre allait protester. « Qu’est ce qu’on fait ? » a-t-il demandé, en convoquant la pensée collective. On a alors réfléchi aux différentes options : renforcer la poutre, la consolider ici ou là pourrait, avait-on dit, alléger le poids, mais réduirait l’espace et, de renforcement en renforcement, la maison finirait par n’être qu’un labyrinthe de poutres et de rafistolages, devenant alors inutile pour
y passer la nuit, cuisiner, manger, se protéger de la pluie, du soleil, accueillir l’écoute et la parole, la fête et le repos des corps. La maison ne serait plus une maison. En d’autres termes, au lieu d’être une habitation, elle deviendrait quelque chose dont l’unique finalité serait de soutenir le haut. Une structure supplémentaire. Et ceux qui y vivraient le feraient seulement dans le seul but de maintenir ceux d’en haut. Tour d’abord en travaillant pour réparer et renforcer, puis en transformant leur propre corps en une autre partie de la structure. Un non-sens : une habitation ne servant pas à y habiter. La logique aurait, bien sûr, voulu que ceux qui avaient pensé l’habitation aient perçu la nécessité de renforcer la partie d’en bas avant d’ajouter du poids en haut. Mais, non. Dans La frénésie de immé-
diateté, on a ajouté toujours plus de choses dont la plupart étaient inutiles et ostentatoires. Le moment est alors venu où ceux d’en haut ont oublié qu’ils étaient soutenus par ceux d’en bas. Plus encore, ils ont commencé à soutenir que ceux d’en bas existaient grâce à la miséricorde et à la bonté de ceux d’en haut, et que c’était bien ceux d’en haut qui soutenaient ceux d’en bas. Oui, ceux d’en haut étaient moins nombreux, mais leurs affaires étaient très lourdes. Si on avait un tant soit peu réfléchi, à chaque nouveau poids en haut, on aurait ajouté un renforcement en bas. Non seulement ça n’avait pas été le cas, mais, dans un désir d’accumuler toujours plus de choses en haut, ce qui constituait le soutien principal de la maison était en train d’être démantelé. Et, comme si ce n’était pas suffi-
sant, toutes les poutres, surtout la principale, étaient corrodées. Oui, car ceux qui étaient chargés de gérer l’entretien de la construction s’étaient consacrés à voler des parties de la structure tout en conservant la paye initialement réservée à l’entretien des poutres. Ces personnes qui prétendent gérer la maison méritent une mention spéciale. Le problème principal est le suivant : ils gèrent ce qui existe déjà. Pire encore, ils se consacrent également à piller des parties de la structure du bâtiment. Et il n’en est pas moins tragicomique de voir qu’ils se disputent l’administration du vol entre eux. C’est pour ça que, de temps à autres, ils viennent demander à ceux d’en bas qu’ils parlent un peu d’eux, qu’ils les applaudissent, qu’ils votent pour eux. Avec des flatteries et des cadeaux,
ils cherchent à acheter la volonté de ceux qui vivent en bas. Et même la paye vient de ceux d’en bas. Une fois installés, ceux d’en haut ne font guère plus que réciter des discours, voler des bouts de murs, de meubles et même de sol. Et, en prime, ils ne cessent d’ajouter du poids sur le toit. Pour résumer : leur principal travail consiste à affaiblir le bas et renforcer le haut. Conclusion : il est tout à fait probable que la maison s’effondre, Mauvais pour ceux d’en haut, pire pour ceux d’en bas. Pourquoi entretenir une maison qui n’en n’est plus une ? Oui, la pensée collective était passée de chercher la façon de maintenir la chaumière debout, à questionner sa raison d’être. Ça n’a évidemment pas été immédiat. La transition a commencé au moment où quelqu’un a demandé : « Bon, et ceux qui se trouvent en haut, là, comment ça se fait que c’est en haut, ou pour quelle raison, c’est quoi leur travail? » Quelqu’un d’autre a ajouté : « Et ceux qui prétendent que leur travail c’est d’administrer la construction alors qu’on voit clairement qu’ils ne le font pas, pourquoi est-ce qu’ils sont encore en haut ? » Et le comble : « Bon, et puisqu’on en est à la questionnerie, à quoi sert donc une maison de ce genre ? » « Si, au lieu de réfléchir à comment faire pour que le haut ne s’effondre pas sur le bas, on réfléchissait plutôt à comment construire une autre maison, on pourrait alors imaginer un mode d’organisation, de travail, de vie différent. » À cet instant, la poutre avait grincé. Très discrètement, certes, mais le silence qui s’était fait avait suffi à l’entendre nettement. Alors, sans que ce soit ni à-propos, ni le propos, quelqu’un avait lancé : « Noé, l’arche. » L’histoire, que l’on trouve dans la Bible comme dans le Coran, est simple : Noé reçoit un avertissement divin. Dieu est furieux, car l’humanité n’accomplit pas son devoir et il décide donc de la punir. Le monde entier s’inondera et seuls ceux qui savent naviguer survivront. Noé se lance dans la construction d’un bateau gigantesque, l’arche. Il y fait monter ses proches, un couple de chaque espèce animale et des plantes. Le scepticisme de ses contemporains ne l’arrête pas. Vient alors le Déluge, le monde se noie et tout ce qui se trouve à la surface périt. Ceux qui se trouvent à l’intérieur de l’arche sont les seuls à être sauvés. Après un certain temps, un oiseau apporte une brindille sur l’arche, signe de l’existence d’un lieu sec. C’est à ce moment-là que l’humanité se recrée. Mmh… l’arche de Noé. Imaginons, maintenant, le débat
qui pourrait surgir à propos de cette histoire. Comparution du fondamentaliste religieux : c’est bien là la preuve de l’omnipotence de Dieu ; il a créé le monde et peut le détruire quand il le souhaite ; c’est une preuve de sa miséricorde, seulement quelquesuns seront choisis pour survivre, les élus. Il ne nous reste qu’à louer le Seigneur pour son pouvoir et à prier pour sa miséricorde. Comparution du scientifique : il est impossible qu’une précipitation pluviale présente de telles caractéristiques ; la superficie terrestre ne peut pas intégralement se recouvrir d’eau à cause d’une pluie. Cette histoire n’est rien de plus qu’un bon scénario de film hollywoodien. Comparution du philosophe : il s’agit en réalité d’une allégorie soulignant la fragilité de l’être et la dimension transitoire de son existence. La zapatiste, le zapatiste, écoute, mais son opinion ne satisfait personne. Il se contente de penser, pense de nouveau, conclut : ce que ça veut dire, c’est que, si tu vois des signes qui indiquent que quelque chose de mauvais peut arriver, tu dois te préparer. Donc, aucun rapport avec la religion, la science ou la philosophie : sens commun. Quelqu’un dit alors : « Les communautés, elles, sont déjà au courant, mais il faut prévenir la Sexta. » « Accord il y a », la voix collective s’est fait entendre. Mais une autre voix conseille, avant de confirmer, d’essayer de regarder plus loin, peut-être depuis un point plus élevé pour éviter d’annoncer quelque chose qui, en fait, n’existe pas, qui, en réalité, n’est pas si grave… OU, au contraire, encore plus grave. Alors, pas le choix, il faut grimper au sommet des branches du ceiba, où dans leurs jeux les feuilles et les nuages rivalisent avec le vent. J’ai évidemment trébuché plus d’une fois. Disons que la pipe et le nez ne s’avèrent pas d’une grande aide pour escalader les branches. Une fois au sommet, le froid était plus froid. En haut, les nuages s’étaient enfin rendus et le chemin de Saint-Jacques serpentait d’un côté à l’autre, tel une brèche de lumière persistante dans le sombre mur de la nuit. Et mon premier regard a sondé les lumières les plus lointaines, là-bas, où le télescope orbital Hubble disséquait une supernova en quatre. J’ai sorti ma longue-vue et ai noté dans mon cahier qu’un périscope inversé et, bien sûr, un bon microscope seraient nécessaires. Je suis descendu le plus vite que j’ai pu, en d’autres termes je suis tombé. Encore endolori, j’ai rejoint la chaumière où mes cheffes et chefs continuaient à débattre de la poutre et de sa résistance. J’ai rendu mon rapport. Personne
n’a semblé s’en étonner. « Il est temps, dirent-ils, que le cœur que nous sommes ouvre la parole, qu’il parle et qu’il écoute. Et, parmi toutes les paroles, choisissons la meilleure graine. » C’est comme ça qu’on en est venu à l’idée du semis. Ils ont continué, en réfléchissant. Prévenir de ce qu’on voit ne suffit pas. On doit aussi dire qui on est, nous, ceux qui voyons. Car les changements que l’on voit n’ont pas lieu que là-bas, à l’extérieur. Notre regard vers l’intérieur détecte également des changements et notre propre regard a lui-même changé. Pour expliquer ce qu’on regarde, il faut expliquer notre regard. Avant de répondre à la question sur ce qu’on voit, une autre question se pose : « Qui est-ce qui regarde ? » C’est comme ça qu’on a construit la « méthode » de notre participation au semis. Ne pas se contenter d’alerter à propos de ce que l’on voit à l’horizon, mais aussi essayer de rendre compte du regard que nous sommes. On a alors compris l’importance de l’histoire, en clair, de comment c’était avant ; ce qui demeure ; ce qui change. Autrement dit, la généalogie. Et, pour expliquer la généalogie – aussi bien de ce qu’on est que de ce qu’on voit –, on a besoin de concepts, de théories, de sciences. Et, pour savoir si ces concepts sont utiles, c’est-à-dire, s’ils rendent complètement compte de cette histoire, on a besoin de la pensée critique. Car la réalité zapatiste, au même titre que l’autre réalité, peut s’expliquer de différentes manières. Comme l’intelligentsia « progressiste » se plaît à le dire et à le répéter, on peut par exemple avancer que l’euzédélène1 est une invention du gouvernement. Donc, le regard de la pensée critique pourrait en partie et en totalité expliquer notre mouvement comme étant le produit d’une conspiration gouvernementale. Mais, si ce n’est pas le cas, il faut donc chercher une autre approche ou manière d’expliquer le zapatisme. Par exemple : qu’il s’agit d’un stratagème étranger : que ça fait partie d’une invasion extraterrestre ; que ça montre bien qu’avec de la volonté tout est possible ; que c’est une revendication du système hétéro-patriarcal ; que ce n’est qu’une manipulation des indigènes par les métisses ; que ce n’est qu’une nostalgie du bon sauvage ; que c’est un montage scénographique ; que c’est une récurrence millénaire ; que c’est le produit de la brillante action d’un groupe d’illuminés ; que ce n’est que la conséquence de l’abandon institutionnel de l’État ; etc. J’ai ici repris quelques-unes des principales « explications » répandues dans le spectre idéologique à propos du zapatisme, tant au sein des universités que dans les « analyses » des médias privés ou, encore, au sein des forces politiques, institutionnelles ou non. Si ces explications ou théories ne sont pas capables de rendre compte du zapatisme, alors elles ne sont que des opinions et doivent donc être considérées comme telles. La pensée critique peut cependant aller au-delà. En signalant, par exemple, le manque de concept dans telle ou telle caractérisation. C’est-à-dire le manque de théorie. Si une analyse n’est pas corroborée par une théorie articulée capable de s’extirper d’une confrontation avec la réalité, alors d’où vient cette analyse, à quelles
sources s’abreuve-t-elle ? Qui observe ainsi ? Si, au lieu d’utiliser des concepts, on utilise des qualificatifs, la compréhension sera faible ou nulle. Et on ne pourra faire face à la réalité qu’en la subissant. Ou bien, on peut aussi construire des systèmes philosophiques entiers, ou des « nouvelles sciences », ou des tweets (lesquels présentant cependant, à la différence des deux autres, l’avantage d’être brefs). Cela n’est pas uniquement valable pour rendre compte de notre histoire, de ce qu’on a été, de ce qu’on est, de ce qu’on veut être. Cela sert également à expliquer la réalité qui ne nous est pas plus immédiate en calendrier qu’en géographie. Ce qu’on signale, on essaye de le faire à travers notre regard vers l’intérieur et vers l’extérieur. On comprend alors la nécessité des concepts scientifiques pour nous expliquer à nous-mêmes ce qu’on est et pour expliquer notre regard. Des concepts élémentaires pour comprendre le système capitaliste et la marche constamment chamboulée de l’histoire. Non seulement ces concepts ne sont pas de trop, mais ils sont indispensables : un ou plusieurs télescopes orbitaux, quelques bonnes longues-vues, autant de microscopes que de géographies et de périscopes inversés pour étudier les racines. Face à la réalité, on peut adopter des postures diverses et variées, donner des explications ou des opinions. Notre effort collectif cherche à expliquer, à comprendre, à connaître, à transformer la réalité. * Si on fait un bilan initial, on constate que d’autres regards convergent avec le nôtre sur l’aspect fondamental : une tempête arrive. Conscients que c’est la pensée critique qui doit motiver la réflexion et l’analyse et non l’unanimité aveugle, on a sélectionné des paroles présentées lors du semis. Elles sont nombreuses et importantes et, pour la plupart, provocantes. Et c’était bien de ça dont il était question, que la parole provoque la pensée. Le problème du calendrier et de la géographie a empêché que l’on soit attentif à tout lors de la première écoute. On a donc décidé de faire un livre – ou quelques livres – qui puissent être lus tranquillement, pour, à partir de là, poser davantage de questions. Qui dit quoi ? Pourquoi ? Quand ? D’où ? Dans quel but ? Et ces questions nous semblent importantes, car elles pourraient permettre de faire davantage et de meilleurs semis dans de nombreux endroits. Cette collection comprend trois volumes. Dans le premier, on a regroupé la parole zapatiste telle qu’elle fut élaborée, car c’est ainsi que notre pensée s’est tissée, comme une séquence pouvant aider à reconstruire non pas le puzzle complet, mais au moins une de ses pièces. La double vision – vers l’intérieur et vers l’extérieur –, le signalement des changements qu’on a détectés et subis, l’utilisation des « outils » pour le regard (microscopes, périscopes inversés, longues-vues, télescopes orbitaux…), les avertissements qu’on lance. Vous trouverez ici presque tout ce qu’on a observé depuis le nidde-corbeaux de cette embarcation qui se trouve être la synthèse des calendriers et des géographies. Même si, dans un premier temps,
on a pensé à la nécessité de lancer l’alerte, de faire sonner le caracol ; on s’est ensuite progressivement rendu compte que ce qu’on observait nous menait aussi vers un regard intérieur, comme si le poste de vigie inversait alors sa mission et se voyait contraint d’expliquer, ou d’essayer d’expliquer ce qui lui donne du sens, une raison d’être, un lieu. On s’est alors dit qu’on pourrait sans doute mieux expliquer qu’on voyait dehors si on expliquait ce qu’on voyait dedans. Est-ce qu’on y est parvenu ? Je l’ignore. Disons que cette réponse, ce n’est pas à nous femmes, hommes, zapatistes de la donner, mais aux « escuchas ». On a aussi proposé une méthode et posé une nécessité. La méthode consistant à réfléchir sur sa propre histoire, sur la généalogie. La nécessité de disposer d’éléments théoriques pour y parvenir. Et, pour les deux, pour la méthode ou la nécessité, la pertinence de la pensée critique est requise. Les textes de ce premier volume correspondent à ceux lus ou exposés du 2 au 9 mai 2015. Comme les lecteurs pourront le constater, certains des textes n’ont pas été intégralement exposés et l’un d’eux n’a pas pu être présenté. Vous constaterez également qu’ils ne correspondent pas fidèlement aux enregistrements, Car au moment de la lecture, certains éléments ont pu être enlevés ou ajoutés. On a fait en sorte que notre pensée, ici rassemblée, ne soit ni fainéante ni conformiste, qu’elle ne soit pas paresseuse à l’heure de rendre compte de ce qui a changé et de ce qui demeure. Qu’elle ne soit pas dogmatique, qu’elle n’impose ni son temps ni sa manière. Qu’elle ne triche pas et n’abonde pas en mensonges et demi-vérités. On espère que ces MOTS nourriront le doute, la question, le questionnement. À part ça, la tempête arrive. Il faut se préparer. Une recommandation comme s’ils n’étaient qu’un seul et même texte et non pas comme des interventions isolées et déconnectées. Nos paroles ont été pensées et préparées comme une unité, comme si chaque partie était une pièce d’un puzzle qui, au final, définirait son contour, son intention, sa pensée. Et, comme le veut le mode zapatiste, à la fin on trouvera le début : il faut faire davantage et de meilleurs semis ; laisser de la place à la pratique, mais aussi à la réflexion de cette pratique ; comprendre la nécessité de la théorie et l’urgence d’une pensée critique. On n’est pas en train de créer un parti ou une organisation, on fait une observation. Pour cela, plus que de bonnes intentions, c’est des concepts qu’il nous faut ; de la pratique avec de la théorie et de la théorie avec de la pratique ; on n’a pas besoin de qualificatifs mais d’analyses critiques. Pour regarder dehors, on doit regarder dedans. Les conséquences de ce qu’on verra et de comment on le verra, constitueront une bonne partie de la réponse à la question: « Et après ? » Mai-juin 2014-2015 Sup Galeano 1 Euzèdèlène : il s’agit ici de la prononciation des sigles de l’EZLN (en français : Armée Zapatiste de libération nationale).
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BY WAY OF PROLOGUE: ON HOW WE ARRIVED AT THE WATCHTOWER AND WHAT WE SAW FROM THERE Sup Galeano Source: https://www.counterpunch.org/ 2016/12/02/by-way-of-prologue-on-howwe-arrived-at-the-watchtower-and-whatwe-saw-from-there/
Those of us in the meeting were staring up at the central beam of the shelter. Perhaps we were appreciating the fact that the beam was still up there, sturdy and in one piece; or perhaps we were thinking “maybe it’s not”, and so maybe it’s better to take a seat closer to the door, on the ready to make an exit. “If the beam creaks, that means that it might break”, the person who had the floor at the moment had said. Earlier, that person had asked us to use our imagination: “Imagine that the system is like
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this shelter. It is meant to be lived in. But a large and heavy room has been built on the roof of the house, and inside of that room men and women celebrate their wealth.” It didn’t need to be said, but the person speaking warned us anyway that the weight was too much for the central beam. The house wasn’t built to support a lot of things on top of it, and the stage where all of those men and women fought each other over the throne was heavy, very heavy, too heavy. So it was to be expected that the beam would groan in protest. “What should we do?” the speaker asked, demanding collective
thought. We considered the options. We could reinforce the beam. If we prop it up here and there, it was said, we might alleviate the weight a bit, but it would reduce the available space inside the house. With more and more reinforcements, the house would be converted into a labyrinth of supports and repairs, making it useless for spending the night, cooking, eating, sheltering oneself from the sun and rain, serving as host to the word and the listening ear, for holding parties, or for resting. The house wouldn’t be a house anymore. That is, instead of a place to live, it would become something that’s sole purpose is to
support what’s above. It would just be another structure. Those who lived within it would do so with the sole purpose of keeping those above up there, initially by working to repair and reinforce the structure, and then by converting their own bodies into another part of that structure. This is an absurdity: a house like that cannot be lived in. Of course it would have been logical for those who designed the house to have thought to reinforce the lower part before adding weight to the top. But no, in the frenzy of the moment, they added more and more things on top, the majority of which were useless and ostentatious. Then there
finally came a time when those above forgot that they were being held up by those below. What’s more, they even started to think that those below existed thanks to the mercy and kindness of those above, and that in fact it was those above who sustained those below. It’s true that those above were fewer in number, but their things were much heavier. If they had thought about it a little, with each new weight above, they would have added are inforcement below. Not only did they not do this, but in their eagerness to accumulate more and more above, they were dismantling the primary supports for the building. As if that weren’t enough all of the
beams, especially the principal one, had rotted, because those who had been assigned to maintain the edifice were instead busy stealing parts of the structure and pocketing the money that should have been dedicated to the maintenance of the beams. These people who claim to manage the building deserve special mention. The main problem is this: they only manage what already exists. But not only that, they also dedicate themselves to looting parts of the building’s structure. And as in some tragic comedy, they compete amongst themselves to decide who will be in charge of that theft. That is why they go every so often to ask those below to mention them, to applaud them, to vote for them. They want to buy the will of those below with flattery and gifts. But they get their money by taking it from those very same people below. Then, once they’re settled in to the office, they do nothing but give speeches and steal pieces of the walls, furniture, and even the floor. On top of all that, their very existence is adding more and more weight to the roof. In sum, their essential work is to weaken what is below and strengthen what is above. Conclusion: it is very likely that the house will collapse. This will be bad for those above; it will be worse for those below. But why maintain a house that is no longer a house? That’s right, collective thought moved from seeking a way to keep the structure standing to questioning the very need for its existence. Of course, this shift was not immediate. The move started when someone asked: “Okay, so this part above, how is it that it is up there, or for what? What is its function?” And someone else added: “And those people above who say that their work is to manage the building, which it’s clear they don’t do, why are they up there?” And to round it off, someone asked: “Okay, since we’ve decided to question, what use is a house like this? What if, instead of thinking about what we should do to keep the part above from collapsing on everything below, we think about how to build another house entirely; that would change how we organize ourselves, how we work, how we live.” At that moment the central beam creaked. It was soft, yes, but the silence it created allowed us to hear it clearly. Then, although it didn’t have anything to do with anything, someone ventured… “Noah, the ark.” The story, which can be found in both the Bible and the Koran, is simple: Noah receives a divine warning. God is angry because humanity doesn’t honor the rules
and so has decided to punish them. The entire world will be flooded and the only ones who will survive are those who can pilot a boat. So Noah decides to build a gigantic boat, the ark. In it, he puts his people and a pair of each species of animal, as well as plants. The skepticism of the people around him does not deter him. The deluge comes, the world is flooded and everything on the surface of the earth perishes. Only those who are in the ark are saved. After some time a bird brings a small branch to the ark, signaling that there is a dry place nearby. There, humanity is founded anew. Hmm…Noah’s ark. Now imagine the debate that would arise in response to this story. We have the religious fundamentalist: it’s proof of god’s omnipotence, he created the world and can destroy it whenever he wants; it’s proof of his mercy, he chooses a few to survive, the chosen. The only thing to do is praise the Lord for his power and pray for his mercy. We have the scientist: precipitation with these characteristics is impossible; the surface of the earth cannot be entirely covered with water due to one rainfall. This story is nothing but a good script for a Hollywood movie. We have the philosopher: in reality, it is an allegory emphasizing the fragility of human beings and the transitory nature of their existence. The Zapatista listens, but is not satisfied by any of these positions. They think, then think some more, and they conclude: what it tells us is that if you see signs that something bad might happen, then you should prepare for it. So it has nothing to do with religion, science, or philosophy—just common sense. Someone said then, “It’s a given we’ll share this with the communities, but we also have to let the Sixth1 know.” “Agreed,” said the collective. But another voice cautioned that before confirming, it would be good to try to see further, maybe from higher ground, just in case things are not what they seem, that they really aren’t that serious… or that maybe they are more serious. Either way, that meant climbing up among the branches of the ceiba tree, to the highest part, where the leaves and the clouds compete in their games with the wind. Of course I got tangled up several times on my way up. Let’s just say that the pipe and the nose are no help when you’re moving through the branches. Up there at the top, the cold was even colder. At the top the clouds had finally cleared and the Milky Way snaked from side to side, like a persistent crack of light in the dark wall of the night. I looked questioningly
at the most distant lights, out there where the Hubble space telescope was busy analyzing a supernova. I took out my binoculars. I jotted down in my notebook the need for an inverted periscope and, of course, a good microscope. I descended as quickly as possible, which is to say, I fell. I arrived sore to the tent where my bosses [jefas and jefes] were still discussing the beam and its resistance. I said my part. Nobody looked surprised. “It is time,” they said, “for the heart that we are to open a space for the word, to speak and to listen. And from among these words, let us choose the best seed.” That is how the idea of the seminar/seedbed emerged. They continued to think: It is not enough to tell people what we see. We also have to say who we are that are doing the seeing. Because the changes that we are witnessing are not only out there. Our gaze inward also detects changes, and our gaze itself has changed. So it is clear that to explain what we see, we have to explain our gaze. Thus before the response to the question about what we see, there is another question: “Who is it that is doing the seeing?” That is how we constructed the “method” for our participation in the seedbed/seminar. Not only are we drawing attention to what we see on the horizon, we are also trying to account for the gaze that we are. So we saw that history is important: how things were before, what continues on the same, what has changed; that is, a genealogy. To explain the genealogy, both that of who we are as well as what we see, we need concepts, theories, sciences. And to know whether these concepts are useful, which is to say that they sufficiently account for this history, we need critical thought. Because both Zapatista reality and that other reality can be explained in a number of ways. For example, you could say that the eezeeelen is an invention of the government, as they love to say over and over again among the “progressive” intelligentsia. Through the gaze of critical thought then, our movement could be explained in its various parts and in its totality as the product of a governmental conspiracy. If it cannot be explained as such, then we need to look for a different approach or manner of explaining Zapatismo. For example: it is a scheme created by foreigners; it is part of an alien invasion; it is a vindication of the heteropatriarchal system; it is the cunning manipulation of indigenous peoples; it is just nostalgia for the noble savage; it is a cinematic montage; it is a millennial recurrence; it is the product of brilliant action by a group of enlightened people; it is merely the result of the institutional neglect of the state, etcetera. Here I have given some of the principal “explanations” for Zapatismo that have been spouted from across the ideological spectrum, as much in academia as in the “analysis” of the private media, as well as among political forces, be they institutional or not. If such explanations or theories are not able to account for Zapatismo, then they are no more than opinions and should be taken as such. But critical thought can go further, for example, by drawing attention to the lack of concepts in any given characterization—that is, the lack of theory. If an analysis is not supported by an articulated theory, able
to emerge unscathed from a confrontation with reality, then where does this analysis come from? From what source does it draw? Who is it that sees with such a gaze? If instead of concepts what are deployed are judgments, then little to nothing has been understood. And in that case, there is nothing to be done in the face of this reality, other than suffer it. Or, sure, from this one could also construct entire philosophical systems, or “new sciences,” or tweets (these at least have the advantage of being brief). This critical thought not only helps us give an accounting of our history, what we were, what we are today, and what we want to be, it also allows us to explain reality, that which is most immediate to our calendar and geography. This is what we try to do with our gaze, both when it is oriented inward and when we are looking outward. This is how we come to realize that we need scientific concepts to explain what we are and how we see. We need basic concepts to understand the capitalist system and the turbulent march of history. Not only can we not spare these things, but we find them absolutely essential: one or a few telescopes, some good binoculars, as many microscopes as there are geographies, and just as many inverted periscopes to study the roots of the matter. Faced with reality, one can take many distinct positions; one can provide explanations or opinions. Our collective effort is to explain, to understand, to know, and to transform reality. * An initial assessment tells us that other gazes coincide with ours on something fundamental: a storm is coming. Knowing that critical thought should inspire reflection and analysis and not blind unanimity, we have selected some of the words that were presented in the seedbed/seminar. They are many and they are important and the majority of them are provocative. And that was the idea, for the word to provoke thought. The problem of the calendar and of geography is that they make it difficult, in an initial sitting, for one to take everything in. That is why we decided to make a book, or a couple of books, that people can read calmly and then ask questions: who said what? Why? When? From where? For what? These are important questions because we think that they can help make more and better seedbed/seminars in many other places. This collection consists of three volumes. In this first volume we have included the Zapatista word according to how it was prepared. We did it this way because our word was spun together like a thread, like a sequence that would help to reconstruct not the whole puzzle, but one of its pieces. This first volume includes: a double gaze (inward and outward); an emphasis on the changes we have detected and suffered; “aids” for the gaze (microscopes, inverted periscopes, binoculars, orbital telescopes); and the warnings we now sound. You will find here almost everything that we have observed from the crow’s nest of this vessel that is the synthesis of calendars and geographies. Although we at first set out to sound the alarm, to
blow the conch shell, we soon realized that what we saw also made us look inward, as if the sentinel’s post had inverted its mission and the sentinel is forced to explain, or try to explain, what gives it meaning, purpose, place. We thought then that we could better explain what we saw outside if we first could explain what we see inside. Did we succeed? I don’t know. The answer is not for us, the Zapatistas, to give, but rather for the listener. We also propose a method and lay out a necessity. The method is that of reflecting on history itself, on genealogy. The necessity is gathering the theoretical elements to do so. Finally, in both the method and the necessity we find the relevance of critical thought. The texts in this first volume correspond to those that were read or presented from May 2-9, 2015. As the readers will see, this book also contains some texts that were not presented there in their entirety, and one that was not released at all. Readers will also note that they do not match the audios exactly because as they were being read some things were taken out or added. We have made an effort to assure that our thinking, compiled here, is not lazy or conformist, that it does not fail to account for what has changed and for what remains the same; that it is not dogmatic, that it does not impose its particular time and its particular way; that it is not deceptive, full of lies and half-truths. We hope that these words are food for doubt, inquiry, and questioning. Apart from that, the storm is coming. We must prepare. A recommendation: read these texts as if they were one single piece, not as isolated or unconnected interventions. Our words were thought out and prepared as a single unit, as if each part came out of a puzzle that, in the end, would reveal its shape, its intention, and its thought only in relation to the other pieces. As is the Zapatista way, at the end you will find the beginning: we have to make more and better seedbed/seminars; to make space for practice, but also for reflection on that practice; to understand the need for theory and the urgency of critical thought. We are not creating a political party or an organization, we are creating a place from which to see. For this vision, we need concepts, not good intentions; we need practice with theory and theory with practice; we need critical analyses, not a priori judgments. To look outward, we need to look inward. The consequences of both what we will see and of how we will see it will be a key part of how we respond to the question, “What comes next?” Mexico, May-June 2014-2015 SupGaleano2 1 In Spanish, “Sexta” refers to adherents of the Sixth Declaration of the Lacandón Jungle. The EZLN uses “la Sexta” to refer collectively to these adherents, which we translate as “the Sixth.” 2 In May of 2014, the EZLN announced the “death” of the figure of Subcomandante Insurgente Marcos, at which time, in honor of the recently murdered Zapatista teacher Galeano, the person behind the character known as Marcos took on the name Subcomandante Insurgente Galeano. Due to the fact that a number of the texts presented at the seminar, “Critical Thought in the Face of the Capitalist Hydra”, were written prior to the announced “death” of Marcos, the reader will find that some of the texts written and signed by Subcomandante Insurgente Marcos were presented at the seminar and co-signed by Subcomandante Insurgente Galeano. The latter often signs texts with the abbreviated “SupGaleano.”
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NOTES
SUR LA SANTÉ PUBLIQUE Architectural Notes Des ami·es de la revue Architectural Notes nous ont envoyé ces quelques brèves sur la Santé Publique. 2019.02.02 EN 1997, ON COMPTAIT 2202 BAINS PUBLICS À SÉOUL. MANBOK-TANG, L’UN DES 960 RESTANTS, SERA DÉTRUIT DANS QUELQUES SEMAINES. 2019.02.05 ÉVOQUANT SES ÉTUDES D’ARCHITECTURE, UN ÉTUDIANT FRANÇAIS EN MASTER 2 DÉCLARAIT RÉCEMMENT : « JE VAIS MOURIR PLUS JEUNE, D’UNE CRISE CARDIAQUE PROBABLEMENT. » 2019.02.15 214 PERSONNES VIVENT À WHITTIER EN ALASKA. TOUTES ET TOUS HABITENT DANS LE MÊME IMMEUBLE, UN BÂTIMENT DE 14 ÉTAGES CONSTRUIT ENTRE 1953 ET 1957. L’IMMEUBLE HÉBERGE ÉGALEMENT UNE POSTE, UNE ÉPICERIE, UN HÔPITAL, UN COMMISSARIAT, UNE LAVERIE, UNE SALLE DE CONFÉRENCE, UNE PISCINE COUVERTE, UNE SALLE DE JEU, UNE PETITE ÉGLISE MÉTHODISTE, LE BUREAU DU MAIRE. 2019.03.08 « J’ÉTAIS TROP OCCUPÉE. » POUR ÉCHAPPER À SA VIE SOUS PRESSION, PARK HYE-RI A DÉCIDÉ D’ALLER S’ENFERMER DANS UNE CELLULE DE 5M2 À HONGCHEON. 2019.03.13 RORY HYDE DÉCLARAIT LORS D’UNE CONFÉRENCE DONNÉE LE 25 FÉVRIER À L’ARCHITECTURAL ASSOCIATION QU’AUJOURD’HUI, « EN TANT QU’ARCHITECTES, NOUS SOMMES TOUS DES CHIRURGIENS. NOUS SOMMES EXTRÊMEMENT BIEN FORMÉS ET NOUS CROYONS DANS LE CARACTÈRE DÉCISIF DU GESTE. PUIS, NOUS DISPARAISSONS. EN FAIT, NOUS DEVRIONS ÊTRE DES MÉDECINS GÉNÉRALISTES. CELA DEMANDE DE LA PATIENCE ET UN TRAVAIL COLLABORATIF. » UNE QUESTION DANS LA SALLE : « CONCRÈTEMENT, QUE POUVONS-NOUS FAIRE ? » 2019.03.23 DANS LES RÉGIONS DE L’HARYANA, DE L’ANDHRA PRADESH ET DU GUJARAT, BEAUCOUP DE FILLES NE VONT PAS À L’ÉCOLE PENDANT LEUR PÉRIODE DE MENSTRUATION. L’ABSENCE D’EAU COURANTE ET DE LAVABO DANS LES TOILETTES EN SERAIT LA PRINCIPALE RAISON. 2019.03.27 LA MUNICIPALITÉ DE SÉOUL A TROUVÉ LA SOLUTION POUR RÉDUIRE LES PARTICULES FINES : UNE PEINTURE « SPÉCIALE » APPLIQUÉE SUR LES BÂTIMENTS PUBLICS. 2019.03.29 « C’EST UN BÂTIMENT HISTORIQUE ET TOUT Y A ÉTÉ RECONSTRUIT COMME À L’ORIGINE. » SELON BALRAM 120 ÉPISTÉMOLOGIE/EPISTEMOLOGY
VASWANI, LE CHIEF GANJA OFFICER DU NOUVEAU CENTRE MÉDICAL KAYA, L’ANCIENNE MAISON GEORGIENNE DE FALMOUTH A ÉTÉ RESTAURÉE AVEC SOIN. 2019.04.09 ON SIGNALE LE LANCEMENT D’UN NOUVEAU MAGAZINE : APRÈS LA RÉVOLUTION. CE MAGAZINE A POUR AMBITION DE PENSER LE MONDE QUI VIENDRA APRÈS L’EFFONDREMENT DU CAPITALISME. L’ARCHITECTURE, DÉCRITE COMME SCIENCE DES TOTALITÉS, EST CONVOQUÉE COMME L’OUTIL PRINCIPAL DE LA RECONSTRUCTION. 2019.05.10 LES TOILETTES À FOSSE SIMPLE DE L’ÉCOLE PRIMAIRE DE CHIMUNA SITUÉE DANS LE SECTEUR DE LOGCHINGA À CHHUKHA AU BHOUTAN ONT ÉTÉ REMPLACÉES. POUR 3 200 €, 7 NOUVELLES TOILETTES AINSI QUE L’EAU COURANTE ONT ÉTÉ INSTALLÉES. L’INAUGURATION A EU LIEU LE 11 AVRIL. 2019.05.13 LEUR CONTRAT PRÉVOYAIT LA PRISE EN CHARGE DE LEURS DÉPLACEMENTS, D’UNE ASSURANCE VIE AINSI QUE DE QUELQUES INDEMNITÉS SPÉCIFIQUES. LASSÉS D’ATTENDRE QUE CES CLAUSES SOIENT APPLIQUÉES, 4 000 OUVRIERS ENGAGÉS DANS LA RECONSTRUCTION DES SECTEURS DÉTRUITS LORS DES TREMBLEMENTS DE TERRE DE 2015 AU NÉPAL, ONT FINI PAR DÉMISSIONNER COLLECTIVEMENT. 2019.06.19 CET HIVER LES PATIENTS DE L’HÔPITAL PSYCHIATRIQUE DE MALTE N’ONT PAS EU D’EAU CHAUDE. AU PLAFOND, DES MORCEAUX DE PLÂTRE SONT TOMBÉS DE TEMPS EN TEMPS. AU SOL LE CARRELAGE S’EST DÉTACHÉ PAR ENDROITS. MERCREDI 6 JUIN, PAUL DALLI, LE DIRECTEUR DE OPÉRATIONS DE L’HÔPITAL, A DÛ SE JUSTIFIER AUPRÈS DE LA COMMISSION QUI L’INTERROGEAIT D’AVOIR ENGAGÉ DU PERSONNEL DE MAINTENANCE À LA PLACE DU PERSONNEL ADMINISTRATIF INITIALEMENT PRÉVU. 2019.06.27 L’UNIVERSITÉ DE PUSAN SOUHAITE CONSTRUIRE UNE ÉCOLE D’ART POUR PERSONNES HANDICAPÉES. UN LIEU À DÉJÀ ÉTÉ CHOISI : UNE FORÊT DANS LA MONTAGNE. DES ASSOCIATIONS DE PROTECTION DE L’ENVIRONNEMENT S’Y OPPOSENT. 2019.07.07 JOUR DE REPOS. 2019.08.10 SELON PROPTECH, LA DIMINUTION DE LA PRÉSENCE DE CRACK ET DE COCAÏNE DANS LES ÉGOUTS INDIQUE UNE MODIFICATION DE L’ORGANISATION SOCIALE ET PAR CONSÉQUENT UNE GENTRIFICATION IMMINENTE. 2019.10.13 EN SE PROPAGEANT L’INCENDIE QUI S’EST DÉCLENCHÉ DANS LE CAMP DE MOIRA LE 29 SEPTEMBRE A ATTEINT L’UN DES CONTENEURS DANS LESQUELS S’ENTASSENT LES MILLIERS DE PRISONNIERS DE L’UNION EUROPÉENNE. UNE FEMME ET SON NOUVEAU-NÉ S’Y TROUVAIENT. 2019.10.17 LE MOIS DERNIER, VRUSHALI KASBEKAR, VENUE ACCOUCHER À L’HÔPITAL DE CHHATRAPATI SHIVAJI MAHARAJ À KALWA A DÛ DORMIR PAR TERRE, SUR UNE FEUILLE DE PLASTIQUE TACHÉE. 2019.10.19 LE 3 OCTOBRE, MOHAMMAD ASHRAF GHANI A INAUGURÉ LA NOUVELLE MATERNITÉ DE KABOUL. L’HÔPITAL A ÉTÉ FINANCÉ À HAUTEUR DE 4.5 MILLIONS DE DOLLARS PAR LE GOUVERNEMENT ITALIEN. 2019.10.20 - LE TAUX DE MORTALITÉ EST D’ENVIRON 20 %. - 20 % ? - 20 %, RIEN QUE DANS LA PRISON NATIONALE DE BILIBID. - COMME DISAIT LE SÉNATEUR SOTTO : « NOUS N’AVONS PLUS BESOIN DE LA PEINE DE MORT. » ERNESTO TAMAYO, LE CHEF D’HÔPITAL DE LA PRISON NATIONALE DE BILIBID, EXPLIQUAIT RÉCEMMENT AUX SÉNATEURS QUE CES CHIFFRES ÉTAIENT LIÉS À LA SURPOPULATION CARCÉRALE QUI A NOTAMMENT FAVORISÉ LA PROPAGATION DE LA TUBERCULOSE. 2019.10.21 « POUR CERTAINS ENFANTS, L’AGITATION D’UNE SALLE D’ATTENTE REMPLIE EST TROP IMPORTANTE. CETTE PIÈCE LES AIDERA À SE DÉTENDRE LORSQU’ILS ATTENDENT LEUR TOUR POUR CONSULTER UN MÉDECIN. » LA NOUVELLE SALLE CALME DE L’HÔPITAL D’HINCHINGBROOKE EST DÉSORMAIS OUVERTE. 2019.10.23 LA PETITE SALLE D’OPÉRATION DANS LAQUELLE GANDHI A ÉTÉ OPÉRÉ DE L’APPENDICITE LE 12 JANVIER 1924 À L’HÔPITAL GÉNÉRAL DE SASSOON VIENT D’ÊTRE REPEINTE. LES MEUBLES D’ORIGINE Y ONT ÉTÉ RÉINSTALLÉS. 2019.10.30 POUR APAISER LE PEUPLE, LE PRÉSIDENT DU PARLEMENT IRAKIEN MOHAMMED AL-HALBOUSI A PROMIS DES EMPLOIS, UNE RÉFORME DE LA SANTÉ PUBLIQUE ET LA CONSTRUCTION DE LOGEMENTS. architecturalnotes.org ÉPISTÉMOLOGIE/EPISTEMOLOGY
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NOTES ON PUBLIC HEALTH Architectural Notes Friends of the Architectural Notes magazine sent us these few short stories on Public Health. 2019.02.02 IN 1997, THERE WERE 2202 PUBLIC BATHS IN SEOUL. MANBOK-TANG, ONE OF THE REMAINING 960, WILL BE DEMOLISHED IN A FEW WEEKS. 2019.02.05 WHILE DESCRIBING HIS ARCHITECTURAL STUDIES, A FRENCH MASTER’S STUDENT RECENTLY STATED: “I’M GOING TO DIE YOUNGER, PROBABLY FROM A HEART ATTACK.” 2019.02.15 214 PEOPLE LIVE IN WHITTIER, ALASKA. ALL OF THEM LIVE IN THE SAME BUILDING, A 14-STOREY BUILDING BUILT BETWEEN 1953 AND 1957. THE BUILDING CONTAINS ALSO A POST OFFICE, GENERAL STORE, HOSPITAL, THE WHITTIER POLICE DEPARTMENT, AND THE MAYOR’S OFFICE. THERE IS ALSO A SMALL METHODIST CHURCH, A GROCERY, LAUNDRY, A SMALL HOTEL, CONFERENCE ROOM, AND A PLAY AREA WITH AN INDOOR POOL. 2019.03.08 “I WAS TOO BUSY.” TO ESCAPE FROM HER STRESSFUL LIFE, PARK HYE-RI DECIDED TO GO LOCK HERSELF IN A 54 SQ.FT. CELL IN HONGCHEON. 2019.03.13 ON FEBRUARY 25, RORY HYDE STATED DURING A LECTURE AT THE ARCHITECTURAL ASSOCIATION THAT TODAY, “AS ARCHITECTS WE ARE ALL SURGEONS. […] WE BELIEVE IN THE DECISIVE GESTURE. AND THEN WE WALK AWAY. WHEN, ACTUALLY, WHAT WE NEED TO BE IS GENERAL PRACTITIONERS. THAT REQUIRES PATIENCE AND COLLABORATION WITH PEOPLE.” A QUESTION IN THE AUDIENCE: “WHAT IS THE PRACTICAL DAY TO DAY THING WE COULD DO?” 2019.03.23 IN HARYANA, ANDHRA PRADESH AND GUJARAT, MANY GIRLS DO NOT GO TO SCHOOL DURING THEIR PERIOD. THE LACK OF RUNNING WATER AND HAND WASHING FACILITIES IN THE TOILETS WOULD BE THE MAIN REASON. 2019.03.27 SEOUL CITY COUNCIL HAS FOUND THE SOLUTION TO REDUCE FINE DUST: A “SPECIAL” PAINT APPLIED ON PUBLIC BUILDINGS. 2019.03.29 “IT’S A HISTORIC BUILDING, AND EVERYTHING WAS REDONE TO ITS ORIGINAL CONDITION.” ACCORDING TO BALRAM VASWANI, THE CHIEF GANJA OFFICER OF THE NEW KAYA DISPENSARY, THE FORMER GEORGIAN HOUSE IN FALMOUTH HAS BEEN RESTORED WITH GREAT CARE. 122 ÉPISTÉMOLOGIE/EPISTEMOLOGY
2019.04.09 WE ARE REPORTING THE LAUNCH OF A NEW MAGAZINE: APRÈS LA RÉVOLUTION (AFTER THE REVOLUTION). THIS MAGAZINE AIMS TO THINK ABOUT THE WORLD THAT WILL COME AFTER THE COLLAPSE OF CAPITALISM. ARCHITECTURE, DESCRIBED AS A SCIENCE OF TOTALITIES, IS CALLED UPON AS THE MAIN TOOL FOR RECONSTRUCTION. 2019.05.10 THE TRADITIONAL PIT TOILETS AT CHIMUNA PRIMARY SCHOOL IN THE LOGCHINGA AREA OF CHHUKHA, BHUTAN, HAVE BEEN REPLACED. FOR €3,200, SEVEN NEW TOILETS AND RUNNING WATER WERE INSTALLED. THE INAUGURATION TOOK PLACE ON APRIL 11. 2019.05.13 THEIR CONTRACT GUARANTED TRANSPORTATION AND COMMUNICATION SERVICES, LIFE INSURANCE, AND DEARNESS ALLOWANCE. TIRED OF WAITING FOR THESE CLAUSES TO BE IMPLEMENTED, 4,000 WORKERS ENGAGED IN THE RECONSTRUCTION OF AREAS DESTROYED IN THE 2015 EARTHQUAKES IN NEPAL EVENTUALLY RESIGNED COLLECTIVELY. 2019.06.19 THIS WINTER, THE PATIENTS OF THE MALTA PSYCHIATRIC HOSPITAL DID NOT HAVE HOT WATER. ON THE CEILING, PIECES OF PLASTER FELL FROM TIME TO TIME. ON THE FLOOR, THE TILES HAVE COME OFF IN PLACES. ON WEDNESDAY, JUNE 6, PAUL DALLI, THE HOSPITAL’S DIRECTOR OF OPERATIONS, HAD TO EXPLAIN TO THE COMMISSION THAT QUESTIONED HIM WHY HE HAD HIRED MAINTENANCE STAFF INSTEAD OF THE ADMINISTRATIVE STAFF INITIALLY PLANNED. 2019.06.27 THE UNIVERSITY OF PUSAN WANTS TO BUILD AN ART SCHOOL FOR PEOPLE WITH DISABILITIES. A PLACE HAS ALREADY BEEN CHOSEN: A FOREST IN THE MOUNTAINS. ENVIRONMENTAL PROTECTION ASSOCIATIONS ARE AGAINST IT. 2019.07.07 DAY OFF. 2019.08.10 ACCORDING TO PROPTECH, THE DECREASE OF CRACK-COCAÏNE FOUND IN SEWERS INDICATES A CHANGE OF THE SOCIAL MIX AND THUS IMMINENT GENTRIFICATION. 2019.10.13 AS THE FIRE THAT BROKE OUT IN MOIRA CAMP ON SEPTEMBER 29 SPREAD, IT REACHED ONE OF THE CONTAINERS IN WHICH THOUSANDS OF PRISONERS OF THE EUROPEAN UNION ARE CRAMMED. A WOMAN AND HER NEWBORN BABY WERE THERE. 2019.10.17 LAST MONTH, VRUSHALI KASBEKAR, WHO GAVE BIRTH AT THE CHHATRAPATI SHIVAJI MAHARAJ HOSPITAL IN KALWA, HAD TO SLEEP ON THE FLOOR ON A STAINED PLASTIC SHEET. 2019.10.19 ON OCTOBER 3, MOHAMMAD ASHRAF GHANI OPENED THE NEW MATERNITY HOSPITAL IN KABUL. THE HOSPITAL WAS BUILT WITH THE FINANCIAL AID OF ABOUT $4.5 MILLION OF THE ITALIAN GOVERNMENT. 2019.10.20 - THE MORTALITY RATE IS ABOUT 20%. - 20%? - 20%, IN BILIBID NATIONAL PRISON ALONE. - AS SENATOR SOTTO SAID: “WE NO LONGER NEED THE DEATH PENALTY.” ERNESTO TAMAYO, THE HOSPITAL CHIEF OF THE BILIBID NATIONAL PRISON, RECENTLY EXPLAINED TO THE SENATORS THAT THESE FIGURES WERE LINKED TO PRISON OVERCROWDING, WHICH HAS CONTRIBUTED TO THE SPREAD OF TUBERCULOSIS. 2019.10.21 “FOR SOME CHILDREN, THE HUSTLE AND BUSTLE OF A BUSY OUTPATIENTS WAITING AREA IS TOO MUCH, AND THEREFORE THIS ROOM WILL HELP THEM FEEL COMFORTED AS THEY WAIT FOR THEIR TURN TO SEE A DOCTOR.” THE NEW CALM ROOM AT HINCHINGBROOKE HOSPITAL IS NOW OPEN. 2019.10.23 THE SMALL OPERATING ROOM IN WHICH GANDHI WAS OPERATED ON JANUARY 12, 1924, FROM APPENDICITIS AT THE GENERAL HOSPITAL OF SASSOON, HAS JUST BEEN REPAINTED. THE ORIGINAL FURNITURE HAS BEEN CAREFULLY REINSTALLED. 2019.10.30 TO APPEASE THE PEOPLE, IRAQI SPEAKER OF PARLIAMENT MOHAMMED AL-HALBOUSI PROMISED JOBS, HEALTHCARE REFORMS, AND HOUSING CONSTRUCTION. architecturalnotes.org ÉPISTÉMOLOGIE/EPISTEMOLOGY
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PÉDA PEDA
GOGIE GOGY
INTRODUCTION À UNE PÉDAGOGIE ARCHITECTURALE VISANT À TRAVAILLER L’ORDRE DU MONDE Manuel Bello-Marcano Xavier Wrona Si comme nous le pensons l’architecture est un champ disciplinaire de transformation de l’ordre (des ordres) du monde, alors ce champs disciplinaire doit être travaillé scientifiquement. C’est l’objectif du travail qui est mené depuis 2014 à l’École Nationale Supérieure d’Architecture de Saint-Étienne dans l’atelier de Master 1 intitulé Temps de crises : l’architecture comme pratique politique.
126 PÉDAGOGIE/PEDAGOGY
PARTI L’architecture est une occupation humaine habituellement associée à « la production de bâti ». Cependant, l’accumulation exponentielle de problèmes complexes et massifs dans les sociétés humaines appelle à reconsidérer ce présupposé. Il est relativement récent que la figure de l’architecte a vu l’objet de ses occupations resserré à la seule production de bâti. Vitruve à dédié de nombreuses pages à la construction de machines, Palladio a utilisé la pensée architecturale pour réformer l’art de la guerre et l’agence AMO de Koolhaas a été récemment missionnée pour imaginer un projet d’évolution de l’Union
Européenne à l’horizon de 2050. La présente pédagogie commence à partir du moment où l’architecture est considérée comme une discipline pouvant être appliquée à tout problème complexe dans la construction de la réalité.
PROGRAMME Cet atelier proposé à l’École Nationale Supérieure d’Architecture de Saint-Étienne (ENSASE) est construit en articulation avec Archeworks (Chicago), la Ligue de l’Enseignement et l’Amicale Laïque Michelet de la ville de Saint-Étienne. À titre individuel, dans le cadre d’un colloque international architectes, philosophes, chercheur·euse·s, théori-
cien·ne·s critiques, économistes, travailleur·euse·s et activistes se retrouvent afin de questionner le rôle de l’architecture face aux enjeux contemporains des réalités de notre monde.
NATURE DES PROPOSITIONS PRÉSENTÉES Les projets réalisés par les étudiant·e·s dans le cadre de cet atelier sont issus d’une double intention : – la première est de questionner collectivement, de manière théorique et par l’exercice du projet, la pertinence d’une application de la pensée architecturale à la transformation de l’ordre du monde.
– la seconde est de remettre ces nouvelles générations d’étudiant·e·s en architecture face au politique. Il s’agit pendant un semestre de consacrer leur travail au fait trop peu travaillé dans les écoles d’architecture que toute construction de la réalité est politique. C’est pourquoi les points de vue exprimés dans ces projets ne reflètent pas nécessairement ceux des étudiant·e·s ou des enseignant·e·s. Ils sont des hypothèses de travail visant à ouvrir à nouveau un espace de pensée pour des constructions alternatives de l’ordre du monde.
INTRODUCTION TO AN ARCHITECTURAL PEDAGOGY AIMED AT WORKING ON WORLD ORDER Manuel Bello-Marcano Xavier Wrona If, as we believe, architecture is a disciplinary field of transformation of the world order (orders), this disciplinary field must then be worked on scientifically. This is the objective of the work that has been carried out since 2014 at the École Nationale Supérieure d’Architecture de Saint-Étienne in the Master 1 workshop entitled Time of Crisis: Architecture as a Political Practice.
PARTI Architecture is a human occupation usually associated with “the production of buildings”. However, the exponential accumulation of complex and massive problems in human societies calls for a reconsideration of this assumption. It is relatively recent that the figure of the architect has seen the object of his occupations restricted to the production of buildings alone. Vitruvius has dedicated many pages to machine building, Palladio has used architectural thinking to reform the art of war and the AMO agency of Koolhaas has recently been commissioned to design a project for the evolution of the European Union up
to the year 2050. This pedagogy begins when architecture is considered as a discipline that can be applied to any problem complex in the construction of reality.
PROGRAM This studio proposed at the École Nationale Supérieure d’Architecture de Saint-Étienne (ENSASE) is built in collaboration with Archeworks (Chicago), the Centre Jean Pepin, the École Normale Supérieure (Paris), the EnspBx (Bordeaux), the University of Chicago (Chicago), the Ligue de l’Enseignement and the Amicale Laïque Michelet de la ville de Saint-Étienne. All these partners meet annually for an international
conference bringing together architects, philosophers, researchers, critical theorists, economists and activists to question the role of architecture in addressing contemporary issues of the realities of today’s world.
NATURE OF THE PRESENTED PROJECTS The projects carried out by the students within the framework of this studio are the result of a double intent: — the first is to collectively ques- tion, both theoretically and through the exercise of the project, the relevance of applying architectural thought to the trans-
formation of the world order; — the second is to bring these younger generations of architecture students face to face with the political. For one semester, the aim is to devote their work exclusively to the fact that too little work is done in architecture schools to understand that any construction of reality is political. This is why the views expressed in these projects do not necessarily reflect those of students or teachers. They are work hypotheses aimed at opening up a new space of thought for alternative constructions of the world order.
PÉDAGOGIE/PEDAGOGY
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DE L’ENDOCTRINEMENT Adrien Durrmeyer Amélie Tripoz Les projets qui suivent ont été réalisés par des étudiant·e·s de l’École Nationale Supérieure d’Architecture de Saint-Étienne, inscrit·e·s au sein d’un enseignement de Master intitulé « Architecture as a political practice ». Comme son titre le laisse supposer, cette pédagogie procède d’une tentative d’endoctrinement. Cet objectif ne constitue pas une nouveauté, encore moins un scandale ; on peinerait, en effet, à dénicher parmi les démarches éducatives, actuelles ou passées, la moindre expérience qui ne relève de la transmission d’une doctrine. Et pour cause : enseigner quelque chose implique nécessairement l’élaboration d’un point de vue ; et il est permis d’espérer qu’être enseigné l’implique également. Or, un point de vue est justement ce qui convertit une information en doctrine. À celles et ceux parmi les enseignant·e·s (et les autres) chez qui les précédentes lignes susciteraient une noble indignation, on proposera deux pistes de réflexion – et pourquoi pas, d’apaisement. La première, étymologique, les invite à considérer le terme d’« endoctrinement » dans son acceptation originelle, c’est-à-dire, ni plus ni moins, un synonyme d’« enseignement » (c’est précisément la signification du latin doctrina). On conviendra que cette argumentation laisse un arrière-goût de pusillanimité : la pirouette pléonastique, si elle constitue une diversion efficace, ne soulève que modérément l’enthousiasme ; éviter un obstacle n’a pas la même saveur que de le pulvériser. La seconde piste nous engage ainsi résolument dans cette entreprise de démolition : il s’agit d’admettre que l’existence d’un point de vue objectif chez l’enseignant·e relève du même degré de plausibilité que l’existence du père Noël. Car comment imaginer, en effet, la possibilité d’un tel regard absolu, ou pour le décrire en termes
128 PÉDAGOGIE/PEDAGOGY
philosophiques, « géométral » ? Comme l’écrit Frédéric Lordon : « Leibniz nomme “géométral” de toutes les perspectives le point de vue sur tous les points de vue, le point de vue suprême qui cesse d’être un point de vue particulier parce qu’il les synthétise tous. Le géométral, c’est le point de vue de Dieu1. » On conviendra aisément d’une tendance mégalomane chez les architectes, mais tout de même pas au point d’assumer la charge écrasante d’une mission divine. En dernier ressort, on pourra objecter l’ineptie radicale du caractère doctrinal de l’enseignement, en affirmant qu’un·e bon·ne enseignant·e n’a justement pas de point de vue. C’est précisément à ce niveau que se situe l’originalité de la pédagogie ici développée : elle affirme d’une part la nécessité d’une prise de position, et démontre d’autre part, en creux, que refuser de prendre position, revient, de fait, à prendre celle de l’opinion dominante. Enseigner sans point de vue, c’est donc tolérer l’organisation d’un appareil productif du bâti consommant 45 % de l’énergie nationale et responsable de 25 % des émissions de gaz à effet de serre ; c’est promouvoir la suprématie de la sphère économique sur toutes les autres et l’asservissement du projet architectural à la maximisation du profit ; c’est accepter de participer à la ségrégation sociale, raciale et de genre, à l’accroissement des inégalités, à la banalisation de la corruption, au maintien d’un ordre autoritaire et brutal ; bref, c’est assumer une fonction destructrice de l’environnement, de la culture et de la société. La question n’est donc pas de se positionner pour ou contre un enseignement idéologique, mais bien de savoir à quelle idéologie on adhère. C’est au niveau de ce qui se transmet – les conditions, les moyens et les fins de cette transmission – que se situe
le véritable champ de bataille. Nous touchons ici à l’aspect proprement politique de cette démarche : formuler les hypothèses des « comment », « pourquoi » et « avec qui » construire les formes d’organisation alternatives au système capitaliste globalisé. Car de même que refuser toute idéologie revient à embrasser l’idéologie dominante, refuser tout engagement politique c’est faire sienne la politique actuelle. Il faudrait, en effet, être bien naïf·ve pour se joindre au chœur des voix déplorant l’abandon de toute ambition politique au sein des écoles d’architecture. C’est qu’on tendrait à confondre, là encore, l’absence de projet politique et la parfaite adhésion au projet politique imposé par nos gouvernant·e·s. Or, le projet politique néolibéral reflète une ambition aussi dévorante que mortifère, à savoir la soumission pleine et entière des décisions politiques aux conditions de l’économie ; il restreint ainsi le possible à ce qui est déjà présent, le désirable à ce qui est déjà acquis, le pensable à ce qui est déjà pensé. Autrement dit, il définit la politique comme le processus de désintégration des conditions d’exercice de la politique. Ce constat n’est pas neuf. Jacques Rancière, il y a plus de vingt ans, écrivait déjà : « Certains continuent à confondre la politique avec l’art de gouverner alors qu’elle est ce qui ne cesse de le contrarier. La politique est la manière de s’occuper des affaires humaines qui se fonde sur la présupposition folle que n’importe qui est aussi intelligent que n’importe qui et qu’il y a toujours au moins une autre chose à faire que celle qui est faite2. » En ce qui concerne notre sujet, c’est-à-dire le rôle des enseignant·e·s dans les écoles d’architecture, la ligne principale de démarcation entre leurs objectifs pédagogiques ap-
paraît ainsi avec une confondante clarté : d’un côté, celles et ceux pour qui la pratique de l’architecture consiste à s’inscrire dans un ordre existant et le perpétuer ; de l’autre, celles et ceux pour qui la pratique de l’architecture consiste à questionner un ordre existant et le transformer. Les modalités et le cadre de ces interrogations sont larges. Toutes se fondent pourtant sur une méthodologie aussi élémentaire qu’indispensable : appuyer sa réflexion sur un corpus de textes précis, engagés, contradictoires ; bref, tenir que le projet s’édifie sur un savoir, et de là, peut s’articuler comme appareil critique. Il s’agit, par exemple, d’analyser la subordination de la pratique de la médecine à la gouvernance par les nombres, et de proposer les conditions de son émancipation (« Reconquérir le pouvoir sur nos corps ») ; ou encore d’étudier les mécanismes de marchandisation des produits pharmaceutiques et d’y opposer la formulation d’un système alternatif de brevet et d’un financement par l’investissement (« Rétribuer la recherche ») ; on y cartographie les diverses expériences historiques et fictionnelles des formes d’autonomie face à l’exclusion, l’oppression ou la stigmatisation (« La carte de la clémence ») ; certain·e·s décortiquent le fonctionnement de la Sécurité sociale et sa destruction par d’absurdes objectifs de rentabilité, et suggèrent par conséquent la création indépendante d’une organisation de Santé Collective (« Et si nous perdions cette bataille ? ») ; d’autres, enfin, engagent une réflexion sur l’altérité et ses mécanismes de perception à travers les images du malade, du monstre ou du fou, esquissant l’avenir souhaitable de leur banalisation (« Reflets modernes et conflits réels »).
Alors, oui, « Architecture as a political practice » relève d’une doctrine. Une doctrine qui engage le projet d’architecture au-delà de la production de bâti, et ses participant·e·s à penser le travail, la guerre, la politique ou en l’occurrence, la santé publique ; une doctrine qui invite chacun·e à croire en ses propres capacités critiques et à les employer ; une doctrine qui conçoit l’éventualité de l’émancipation face à la fatalité de la servitude ; une doctrine qui affirme que le monde ne se résume pas à ce qu’il est, mais qu’il comprend aussi l’ensemble des opportunités de ce qu’il pourrait être. Il reste à espérer que les projets présentés dans ce numéro sauront susciter à leurs tours critiques, réflexions, enthousiasmes et idées chez ses lectrices et lecteurs. Car c’est, au fond, l’ambition véritable de ce programme pédagogique : fabriquer, au dedans et au dehors des frontières de l’académie, une communauté plus vaste de partage des pensées, des expériences, des pratiques, des doutes, des espoirs, des désirs et des luttes. 1 Frédéric Lordon, « Charlot ministre de la vérité », La pompe à phynance, Blog du Monde Diplomatique, 2017. [https://blog. mondediplo.net/2017-02-22-Charlot-ministre-de-la-verite]. On ne saurait trop conseiller la lecture intégrale de cet article. 2 Jacques Rancière, Chroniques des temps consensuels, Paris, Seuil, 2017. Voir p. 15.
OF INDOCTRINATION Adrien Durrmeyer Amélie Tripoz The following projects were carried out by students from the École Nationale Supérieure d’Architecture de Saint-Étienne, enrolled in a Master’s course entitled “Architecture as a political practice”. As its title suggests, this pedagogy is an attempt at indoctrination. This objective is not a novelty, let alone a scandal; indeed, it would be difficult to find among current or past educational approaches the slightest experience that does not involve the transmission of a doctrine. And for good reason: teaching something necessarily implies the elaboration of a point of view; and it is to be hoped that being taught also implies it. Yet, a point of view is precisely what converts information into doctrine. To those among the teachers (and others) who would be outraged by the previous lines, we will propose two avenues for reflection— and why not, for appeasement. The first, etymological, invites them to consider the term “indoctrination” in its original acceptance, that is, no more and no less, a synonym for “teaching” (this is precisely the meaning of the latin term doctrina). One will agree that this argument leaves an aftertaste of pusillanimity: the pleonastic spin, if it constitutes an effective diversion, only moderately arouses enthusiasm; avoiding an obstacle does not have the same flavour as to pulverize it. The second track thus resolutely engages us in this demolition undertaking: it is a question of admitting that the existence of an objective point of view in the teacher’s life is as plausible as Santa’s existence. Indeed, how can we imagine the possibility of such an absolute view, or to describe it in philosophical terms, “geometrical”? As Frederic Lordon writes: “Leibniz calls ‘geometrical’ from all perspectives the point of view on all points of view, the supreme
point of view that ceases to be a particular point of view because it synthesizes them all. The geometrical is God’s point of view1.” One can easily agree on a megalomaniacal tendency among architects, but not to the point of assuming the crushing burden of a divine mission. As a last resort, one can object to the radical ineptitude of the doctrinal character of teaching, by affirming that a good teacher has precisely no point of view. It is precisely at this level that lies the originality of the pedagogy developed here: on the one hand, it affirms the need for a position to be taken, and on the other hand, it demonstrates, in the background, that refusing to take a position is, in fact, equivalent to taking on the dominant opinion. To teach without a point of view is therefore to tolerate the organization of a productive building apparatus that consumes 45% of national energy and is responsible for 25% of greenhouse gas emissions; it is to promote the supremacy of the economic sphere over all others and the subjection of the architectural project to the maximization of profit; it means accepting to participate in social, racial and gender segregation, in the increase of inequalities, in the trivialisation of corruption, in the maintenance of an authoritarian and brutal order; in short, it means assuming a destructive function of the environment, culture and society. The question is therefore not to position oneself for or against ideological teaching, but to know to which ideology one adheres. It is in what is transmitted—the conditions, the means and the ends of this transmission—that the real battlefield lies. We are dealing here with the strictly political aspect of this approach: formulating the hypothesis of “how”, “why” and “with whom” to build alternative forms of organization
to the globalized capitalist system. For just as refusing any ideology is equivalent to embracing the dominant ideology, refusing any political commitment is to embrace the current policy. Indeed, it would take a very naive mind to join the chorus of voices deploring the abandonment of any political ambition within the schools of architecture. Here again, one would tend to confuse the absence of a political project with the perfect adherence to the political project imposed by our governments. Yet, the neoliberal political project reflects an ambition as devouring as it is deadly, namely the full and complete submission of political decisions to the conditions of the economy; it thus limits the possible to what is already present, the desirable to what is already acquired, the thinkable to what is already thought. In other words, it defines politics as the process of disintegrating the conditions under which politics is exercised. This is not a novel observation. Jacques Rancière, more than twenty years ago, wrote: “Some people continue to confuse politics with the art of governing when it is what keeps upsetting it. Politics is the way of dealing with human affairs based on the crazy assumption that anyone is as intelligent as anyone else and that there is always at least one other thing to do than the one that is done2.” Regarding our subject, that is, the role of teachers in architecture schools, the main line of demarcation between their respective pedagogical objectives thus appears with confounding clarity: on the one hand, those for whom the practice of architecture consists in integrating into an existing order and perpetuating it; on the other hand, those for whom the practice of architecture consists in questioning an existing order and transforming it.
The modalities and framework of these questions are broad. However, all of them are based on a methodology that is as elementary as it is indispensable: to base its reflection on a body of precise, committed and contradictory texts; in short, to hold that the project is built on knowledge, and from there, can be articulated as a critical apparatus. These include, for example, analysing the subordination of the practice of medicine to governance by numbers, and proposing the conditions for its emancipation (“Regain the power of our bodies”); or studying the mechanisms of commodification of pharmaceutical products and opposing it with the formulation of an alternative patent system and investment financing (“Rewarding research”); it maps the various historical and fictional experiences of forms of autonomy in the face of exclusion, oppression or stigmatization (“Map of leniency”); some analyse the functioning of Social Security and its destruction through absurd profitability objectives, and therefore suggest the independent creation of a Collective Health Organization (“What if we lose this fight?”) Others, finally, engage in a reflection on otherness and its mechanisms of perception through images of the patient, the monster or the madman, outlining the desirable future of their trivialisation (“Modern reflections and actual conflicts”).
of servitude; a doctrine that states that the world is not only what it is, but also that it underlies all the opportunities of what it could be. It is to be hoped that the projects presented in this issue will in turn inspire criticism, reflection, enthusiasm and ideas among its readers. For this is, in essence, the real ambition of this educational programme: to build, within and outside the boundaries of the academy, a wider community of sharing thoughts, experiences, practices, doubts, hopes, desires and struggles. 1 Frédéric Lordon, “Charlot ministre de la vérité”, La pompe à phynance, Blog du Monde Diplomatique, 2017. [https://blog. mondediplo.net/2017-02-22-Charlot-ministre-de-la-verite] 2 Jacques Rancière, Chroniques des temps consensuels, Paris, Seuil, 2017. Voir p. 15.
So, yes, “Architecture as a political practice” is a doctrine. A doctrine that engages the architecture project beyond the production of buildings, and its participants in thinking about work, war, politics or, in this case, public health; a doctrine that invites everyone to believe in and use their own critical capacities; a doctrine that conceives the possibility of emancipation in the face of the fatality PÉDAGOGIE/PEDAGOGY
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RECONQUÉRIR LE POUVOIR SUR NOS CORPS Léa Clémaron Clément Grosjean Isadora Lamaudière
130 PÉDAGOGIE/PEDAGOGY
VALEURS DE LA MÉDECINE ET DU MÉDECIN
L’ancienne médecine
L’homme, cet inconnu
Hippocrate
Alexis Carrel
De humani corporis fabrica
Naissance de la clinique
André Vésale
Michel Foucault
Dans le présent travail nous avons essayé de comprendre les valeurs qui fondent éthiquement la médecine et la pratique des médecins. Fil rouge de ce travail, nous avons retenu un extrait du serment d’Hippocrate à partir duquel nous avons construit notre propos :
(~400 av.J-C.)
460 av. J.-C.–377 av. J.-C.
« Je dirigerai le régime des malades à leur avantage, suivant mes forces et mon jugement, et je m’abstiendrai de tout mal et de toute injustice. Je ne remettrai à personne du poison, si on m’en demande, ni ne prendrai l’initiative d’une pareille suggestion […]. Je passerai ma vie et j’exercerai mon art dans l’innocence et la pureté. » Hippocrate, Serment d’Hippocrate, IVe siècle av. J.-C.
Ce travail est basé sur l’étude de 4 ouvrages écrits issus de contextes et de périodes historiques différentes. Ces livres nous ont permis de couvrir un large spectre des problématiques liées à l’éthique en médecine. [Fig. 1] Le premier livre est L’ancienne médecine d’Hippocrate. Livre dans lequel il explique l’importance du régime alimentaire dans le bon équilibre entre les différentes substances du corps et pour être en bonne santé. L’ouvrage De humani corporis fabrica d’André Vésale nous a exposé à une description des parties internes du corps humain. Vésale y souligne l’importance de la dissection et de la vision anatomique du corps pour la pratique médicale. Le troisième livre que nous avons étudié était L’homme, cet inconnu d’Alexis Carrel. Dans cet ouvrage aux thèses controversées, la médecine doit être comprise comme le résultat de la sélection naturelle de l’être humain. Le dernier livre, intitulé Naissance de la clinique de Michel Foucault, donne une description de la médecine moderne et de l’histoire du regard médical. Michel Foucault y propose en quelque sorte une histoire de l’instrumentalisation de la médecine. Hypothèse : une instrumentalisation de la médecine par la politique apparaît dans le temps.
Y A-T-IL UNE INTENSIFICATION DE L’INTERVENTION POLITIQUE EN MÉDECINE À TRAVERS L’HISTOIRE ? Organisations politiques de la santé dans le temps Nous avons répertorié, depuis l’antiquité, une grande quantité de formes d’organisation de la santé et de lois qui ont été à l’origine de ces organisations en France. Cette analyse historique des structures met en évidence une réelle intensification de la création de ces organisations depuis la fin du XXe siècle. [Fig. 2] Organisations de santé mondiales • Organisation mondiale de la santé (OMS) • Organisation des Nations Unies pour l’Alimentation et l’Agriculture
(1935)
1873–1944
(1963)
(1543)
1926–1984
1514–1564
Fig. 1
ANTIQUITÉ
2
XIX
3
4
5
6
XX
7
8 9
13
12 11 10
15 14
16 17 18
XXI
22 23 24 25 26 27 28 29 30 19
20
21
(1) 3000 av. J.-C. 1er texte médical : le papyrus Edwin Smith écrit durant l’Empire égyptien.
(9) 1892 1ère Convention sanitaire internationale portant exclusivement sur le choléra.
(16) 1945 Création de la Food and Agriculture Organisation (FAO). Création de l’Ordre des médecins.
(24) 1997 Agence Nationale d’Accréditation et d’Évaluation en Santé (ANAES).
(2) Règlement de 380-375 av. J.-C. Association de médecins disciples d’Hippocrate d’Asclépiades.
(10) 1893 La loi du 15 juillet 1893 crée l'Assistance médicale gratuite (AMG), permettant aux plus démunis de bénéficier d'un accès gratuit aux soins de santé.
(17) 1948 Création de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS).
(25) 2002 Autorité européenne de sécurité des aliments.
(18) 1949 Création du Conseil de l’Europe.
(26) 2004 Haut Conseil de la santé publique. Centre européen de prévention et de contrôle des maladies (CEPCM).
(3) 932 av. J.-C. Les savants du monde musulman créent un examen obligatoire afin d’avoir l’autorisation d’exercer la médecine. (4) 1802 Création du Conseil de Salubrité de Paris. (5) 1848 Comité consultatif d’hygiène publique en France. (6) 1851-1958 14 conférences sanitaires se réunissent afin de se protéger du choléra en Europe. (7) 1880 Instauration d’assurances-maladies obligatoires. (8) 1880 Instauration d’assurances vieillesse et invalidité.
(11) 1898 La loi du 9 avril 1898 crée un régime spécial d'indemnisation des victimes d'accidents du travail.
(19) 1951 Création de règlementations sanitaires internationales.
(12) 1902 Mise en place des premières législations définissant les actions pour les communes et les départements.
(20) 1961 Création de l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE).
(13) 1920 Création du Ministère de la santé et promulgation d’un Code de la santé publique sous le régime de Vichy. Création du Ministère de l’hygiène, de l’assistance et de la prévoyance sociales.
(21) 1975 Création de l’Eurofund (Fondation européenne pour l'amélioration des conditions de vie et de travail).
(14) 1928-1930 Mise en place des lois relatives aux assurances sociales obligatoires. (15) 1930 Naissance du Ministère de la santé publique.
(22) 1994 Création de l’Agence Européenne pour la Sécurité et la Santé au Travail. (23) 1996 Création de la Conférence Nationale de Santé (CNS).
31
(27) 2005 Révision du Règlement sanitaire international. (28) 2010 Agences régionales de santé (ARS). Conférence régionale de santé et de l'autonomie (CRSA). (29) 2012 Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM). (30) 2014 Consumers, Health, Agriculture and Food Executive Agency (CHAFEA). (31) 2016 Agence Nationale de la Santé Publique.
Fig. 2
Organisations de santé européennes • Conseil de l’Europe (COE) • Organisation de Coopération et de Développement Économique (OCDE) • Agence exécutive pour les consommateurs, la santé et l’alimentation (Europa EU) • Eurofound • Agence européenne pour la sécurité et la santé au travail (EU OSHA) • European Food Safety Authority (EFSA) Organisations de santé nationales • Ministère des Solidarités et de la Santé • Conférence Nationale de Santé • Conseil Supérieur de la Santé Publique (HSCP) • Conseil National de l’Ordre des Médecins • Agence Nationale de Sécurité du Médicament (ANSM) • Agence Nationale de Santé Publique Organisations de santé régionales • Agence Régionale de Santé (ARS) • Conseil Régional de la Santé et de l’Autonomie
IMPACT DU POLITIQUE SUR LA MÉDECINE EN FRANCE, SUR UNE PÉRIODE DE QUINZE ANS (2003-2018) Nous avons recensé ici ce qui nous apparaît comme une liste de
relations éclairantes entre le politique et la santé publique. 1. Règlements autorisant ou interdisant des médicaments L’ANSM est l’organisme chargé des réglementations qui autorisent ou interdisent la mise sur le marché des médicaments. Un bon exemple de l’impact positif du contrôle de la commercialisation des médicaments est la loi sur la codéine. Afin d’éviter un détournement de l’utilisation de la codéine, l’ANSM et le gouvernement ont décidé de retirer les médicaments à base de codéine. (Décret JORF n° 0165 12.07.2017 sur la Codéine)
2. Les organisations qui autorisent ou interdisent des médicaments ne sont pas indépendantes Un impact inquiétant des réglementations est lisible dans l’exemple de la commercialisation des statines. Il semble que ces médicaments aient prouvé leur efficacité dans des conditions d’expérience douteuses, durant l’étude « Jupiter ». Suite à de nombreux facteurs, comme la non-indépendance de l’ANSM à l’égard des laboratoires pharmaceutiques, les statines sont de plus en plus consommées par les patients, parfois sur 50 ans là où leur efficacité
et leur dangerosité sont mise en question. (Étude « Jupiter » sur les statines, 2005 ; Cash Investigation, Santé : La loi du marché, 2015)
3. Réformes menant à la politique du chiffre L’exemple suivant concerne la réforme de la tarification à l’acte dans les hôpitaux qui a débuté en 2004. Cette loi a conduit à des actes non nécessaires et parfois même immoraux. Par exemple, dans certains hôpitaux, les infirmières ont été obligées de retarder de 15 à 30 minutes l’heure de décès d’un patient en soins intensifs afin de facturer une nuit supplémentaire et, ainsi, de réaliser un profit. (Loi T2A 2003-1199 du 18.12.2003 pour le financement de la Sécurité sociale en 2004)
4. La santé est souvent utilisée comme prétexte pour d’autres décisions politiques La santé, considérée comme une priorité évidente, est souvent utilisée comme prétexte pour d’autres décisions politiques. Par exemple, la loi Macron prévoit de passer de 3 vaccins obligatoires à 11 pour les nourrissons, à partir de janvier 2018. Si un parent décide de refuser un des vaccins, il sera alors exposé à une peine pouvant aller jusqu’à 6 mois de prison et à une amende de 3750 € alors que la nécessité de tels vaccins et leurs dangerosités font débat. (Conférence de presse du 05.07.2017 par la ministre Agnès Buzyn, sous la présidence d’Emmanuel Macron et France Inter : https://www.europe1.fr/sante/ peut-on-refuser-les-vaccins-obligatoires-3381113)
5. Les médecins perdent leur « liberté de soigner » La politique, dans le souci de simplifier les procédures médicales, enlève parfois la liberté aux méPÉDAGOGIE/PEDAGOGY
131
decins d’exercer leur profession et leur retire la liberté de choisir un traitement pour leur malade. Par exemple, pour un patient atteint de cancer, le plan cancer 3 prescrit un traitement plutôt qu’un autre. Si le médecin et/ou le patient désirent un autre traitement, ils doivent alors passer devant un juge qui leur donnera ou non l’autorisation. (Plan cancer 3 : 2014 à 2019 sous la présidence de François Hollande) Ces exemples attestent qu’en raison de l’interférence politique en matière de médecine, le serment d’hippocrate est brisé et que le patient n’est plus au cœur des considérations sanitaires.
1. SUPPRIMER LA POLITIQUE DU CHIFFRE DANS LES HÔPITAUX Comment cela fonctionne actuellement ? Aujourd’hui, l’organisation interne des hôpitaux est menée par un directeur. Les autorités nationales, telles que le conseil de surveillance et la commission des établissements médicaux, complètent également le pouvoir du directeur. [Fig. 4] Réformer les hôpitaux Dans notre proposition, les hôpitaux seront indépendants de ces instances politiques et leurs lois sur la santé seront régies par un comité de chefs d’unités de l’hôpital.
Fig. 3
HOW IT WORKS NOW CAPITALISM
STATE
JUSTICE
MINISTRY
LAWS
LABORATORIES
PROJET : RECENTRER LA MÉDECINE SUR LES VALEURS ÉNONCÉES DANS LE SERMENT D’HIPPOCRATE L’idée fondamentale de l’hypothèse que nous proposons de mettre en débat est de recentrer la médecine sur les valeurs énoncées dans le serment d’Hippocrate. En effet, le corps médical actuel n’offre pas toujours un traitement adéquat ou juste aux patients. Le poids de certaines décisions politiques leur laisse, parfois, une marge de manœuvre très limitée. Pour surmonter cela, nous avons développé un projet en deux phases et à deux échelles différentes : 1. Supprimer la politique du chiffre dans les hôpitaux 2. Redonner les choix et le pouvoir aux citoyens/patients
Qu’est-ce que la « politique du chiffre » ? Cela consiste à travailler pour réaliser le maximum de chiffre d’affaires, au détriment de tous les autres objectifs. L’hôpital plutôt que le libéral Nous avons décidé de nous concentrer sur le milieu hospitalier. En premier lieu, il nous semble plus facile d’agir sur ce type d’institutions plutôt que dans l’environnement libéral. En effet, les hôpitaux sont des instituts de référence de la profession médicale : certains médecins en sont dépendants et les étudiants en médecine y feront leur formation pratique. Dans un second temps, ce projet sera étendu au domaine libéral et couvrira l’ensemble du système médical.
132 PÉDAGOGIE/PEDAGOGY
SUPERVISORY BOARD MEDICAL ESTABLISHMENT COMMISSION Néanmoins, pour faire face à une éventuelle concurrence entre les hôpitaux, un système politique de santé, comme un ministère, paiera tout le personnel médical et allouera un budget annuel aux hôpitaux. [Fig. 5] Avec la garantie d’un paiement constant chaque mois, les hôpitaux ne seront pas tentés de faire du profit au détriment des patients et du serment d’Hippocrate. Les patients, et les soins qui doivent leur être fournis, reviendront au centre des préoccupations.
HOSPITALS DOCTORS
REFORM HOSPITALS Fig. 4
PATIENTS CHANGING OF REMUNERATION SYSTEM STATE MINISTRY
BUDGET ALLOWANCE
2. REDONNER LES CHOIX ET LE POUVOIR AUX PATIENTS/CITOYENS Comment ça fonctionne maintenant ? Actuellement, la profession médicale a une forte emprise sur les patients. Nous considérons qu’ils ont la connaissance, c’est pourquoi nous avons tendance à accepter plus facilement les choses provenant d’eux, comme le prouve l’expérience de Milgram.
DIRECTOR
HOSPITALS HEAD OF UNITS
BUILDING MAINTENANCE
PURCHASE OF MEDICAL EQUIPMENT
FIXED SALARY
MEDICAL CORPS
PURCHASE OF DRUGS
Fig. 5
Ce que nous voulons Dans la deuxième étape de notre projet, nous aimerions rendre le pouvoir des corps aux patients et aux citoyens, plutôt qu’au corps médical. Pour cela, nous voulons créer des comités dans chacune des « communautés de communes » et des métropoles françaises. Qu’est-ce qu’une « communauté de communes » ? Une « communauté de communes » est une entité territoriale française. Elle rassemble plusieurs communes voisines au sein d’un espace de solidarité pour établir un projet de développement et d’aménagement du territoire commun. Créer des comités Chaque comité sera composé d’un groupe de citoyens/patients, de personnel médical et de politiciens, tirés au sort pour chaque session. Le débat sera également ouvert à tous les citoyens désirant s’exprimer sur un sujet particulier. Ensemble, ils pourront débattre et discuter autour de thèmes définis pour proposer et voter des lois
Fig. 6
et/ou des réformes. Le groupe de citoyens/patients occupera une place majeure dans les décisions médicales puisqu’ils auront le dernier mot et le droit de vote sur les lois. Les autres intervenants ont un rôle de conseiller. Les sujets discutés dans ces comités seront variés et changeront chaque session. Le domaine médical français est divisé en deux secteurs : le secteur 1 et le secteur 2. Le secteur 2 correspond à des zones géographiques où le nombre de médecins par habitant n’est pas suffisant. On l’appelle souvent « désert médical ».
Fig. 7
Fig. 8
(Déserts médicaux, UFC QueChoisir 2012) Dans les zones métropolitaines et les « communautés de communes » en secteur 1, les comités se tiendront tous les mois. Par ailleurs, ils se tiendront une fois par trimestre dans les « communautés de communes » en secteur 2, afin de ne pas rendre les soins encore moins accessibles qu’ils ne le sont déjà.
HOW IT WORKS NOW Tous les résultats de ces comités seront traités et rassemblés dans l’un des comités afin d’identifier toutes les mesures prises dans les différentes communautés de communes et métropoles. Pour la première session, la centralisation aura lieu à Saint-Étienne car il s’agit de l’unique ville accueillant une école de la Sécurité sociale. Le lieu de la centralisation changera chaque session de sorte que ce système ne puisse pas subir les mêmes pressions que le système actuel. Première session : Saint-Étienne ; deuxième session : Strasbourg ; troisième session : Nice.
CAPITALISM
STATE
JUSTICE
MINISTRY
LAWS
LABORATORIES
STATE MINISTRY
Fig. PROJECT 9 HOW IT WORKS IN THE
EPIDEMIC CRISIS, WAR,…
JUSTICE
COMMITTEES
LAWS
PATIENTS / CITIZENS
ADVISORS
MONEY
SUPERVISORY BOARD MEDICAL ESTABLISHMENT COMMISSION
MEDICAL CORPS LOCAL POLITICIAN
DIRECTOR HEAD OF UNITS
HOSPITALS DOCTORS
HOSPITALS DOCTORS + PATIENTS
PATIENTS Fig. 10
Fig. 11
Fig. 12
Fig. 13 PÉDAGOGIE/PEDAGOGY
133
Comment cela fonctionne actuellement ? Aujourd’hui, tout commence par l’État, qui est influencé par les modes de production capitalistes que sont les laboratoires et leur sphère d’influence sur les organismes publics de santé. Le ministère de la santé crée et définit un certain nombre de lois qui sont ensuite appliquées dans les hôpitaux par un directeur, puis par les médecins et enfin par les patients. Mais l’État a également un rôle de supervision par le biais d’organisations. [Fig. 10] Comment cela fonctionne dans ce projet ? Dans ce projet, vous pouvez voir que tout commence par les comités et donc avec les patients/citoyens. Ce sont eux qui vont créer des lois qui seront appliquées dans les hôpitaux par les chefs d’unité. L’État et le ministère n’ont plus qu’un rôle de financement. Ils peuvent toutefois prendre le contrôle en cas de crise majeure. [Fig. 11] Fig. 14
COMMENT METTRE EN ŒUVRE CE PROJET ? 1. Rendre publics tous les hôpitaux : acheter les hôpitaux privés et les cliniques. 2. Placer a la tête des hôpitaux les chefs d’unités et modifier le système de rémunération. 3. Mettre en place les comités dans les « communautés de communes », qui travailleront en partenariat avec le ministère de la santé.
Fig. 15
Fig. 16
4. Attendre 5 ans pour que le système de comités soit en place et fasse des propositions de lois.
5. Retirer les pouvoirs au ministère de la santé pour que les comités soient autonomes. 6. Appliquer les lois créées par des comités dans les hôpitaux [Fig. 15] 7. Appliquer ce système à la profession libérale [Fig. 16] Tous les individus peuvent devenir de vrais « propriétaires » de leur organisme et libres de leurs choix médicaux. [Fig. 17]
Fig. 17
134 PÉDAGOGIE/PEDAGOGY
REGAIN THE POWER OF OUR BODIES
• Agence Nationale de Santé Publique
Refocus medicine on the values set out in the hippocratic oath
Values of medicine and doctor
Regional health organizations • Agence Régionale de Santé (ARS) • Conseil Régional de la Santé et l’Autonomie
The fundamental idea of our project is to refocus medicine on the values set out in the Hippocratic Oath. Indeed, the current medical corps do not always offer adequate or fair treatment to patients. This is due to political decisions which leaving them sometimes a very limited room for maneuver. To overcome this, we developed a project in two phases and at two different scales: 1. Drastically abolish the “politique du chiffre” in hospitals 2. Give back choices and power to citizens/patients
We tried to define the values of medicine and doctors. Indeed, we chose an extract of the Hippocratic oath. It is from this quote and definition that we support our words. “I will guide the diet of sick people to their advantage, according to my strength and my judgement, and I will abstain from all evil and all injustice. I will never give to anyone poison, if you ask me, nor take the initiative of such a suggestion […] I will spend my life and exercise my art in innocence and purity.” Hippocrate, Serment d’Hippocrate, IVe century B.C.
We have been exposed to 4 books written in four different context and time. They cover a large spectrum of our problematic. [Fig. 1] The first book is The old medicine by Hippocrate. He explains the importance of diet to have a good balance between substances in our bodies and to be healthy. Then, in De humani Corporis Fabrica by André Vésale, we have a description of the internal part of human body. Vésale Highlights the importance of dissection and anatomic view of body. The third book we read was L’homme, cet inconnu by Alexis Carrel. For him, the medicine should be the result of natural selection of human being. And the last book, called The Birth of the Clinic by Michel Foucault, gives a description of the modern medicine and medical gaze history. Michel Foucault demonstrates an instrumentalization of the medicine. Our hypothesis is that there is an instrumentalization of medicine with politics appears over time. Is there an intensification of political intervention in medicine throughout history? We listed since ancient times all forms of creation of health organizations and laws that had been at the origin of different organizations. There has really been an intensification since the end of the 20th century. [Fig. 2] Global health organizations • World Health Organization (WHO) • Food and Agriculture Organization of the United Nations (FAO) European health organizations • Conseil de l’Europe (COE) • Organisation de Coopération et de Développement Economique (OCDE) • Agence exécutive pour les consommateurs, la santé et l’alimentation (Europa EU) • Eurofound • Agence européenne pour la sécurité et la santé au travail (EU OSHA) • European Food Safety Authority (EFSA) National health organizations • Ministère des Solidarités et de la Santé • Conférence Nationale de Santé • Haut Conseil de la Santé Publique (HSCP) • Conseil National de l’Ordre des Médecins • Agence Nationale de Sécurité du Médicament (ANSM)
Impacts of politics on medicine in france, over fifteen years (2003-2018) Disturbing impacts: regulations authorize or prohibit drugs ANSM is the organization in charge of making regulations to authorize or prohibit drugs on the market. One good example of the positive impact of drug marketing control is the law on codeine. In order to avoid misuse of codeine, the ANSM and the government decided to withdraw codeine-based drugs from free sale. (Decree JORF n°0165 12.07.2017 on Codein) Organization which authorize or prohibit drugs are subjected On the other hand, a disturbing impact of the regulations may be the marketing of statins. These drugs have been proven effective under dubious experiment conditions in the Jupiter study. Following many factors like the subjection of the ANSM, statins are more and more consumed by patients on sometimes 50 years. (“Jupiter” Study on statins, 2005; Cash Investigation, Santé : La loi du marché, 2015.) Reforms pushes to the result policy The next example is about the fee-for-service reform in hospitals that began in 2004. This law has led to unnecessary and sometimes immoral acts. For example, in some hospitals, nurses were forced to delay the time of death of an intensive care patient by 15 to 30 minutes to charge an extra night and thus make a profit. (Law T2A 2003-1199 of 18.12.2003 for the financing of social security for 2004) Health is often used as a pretext for other political decisions Health, considered as a selfevident priority, is often used as a pretext for other political decisions. For example, the law Macron plans to go from 3 compulsory vaccines to 11 for infant from January 2018. If a parent decides to refuse a vaccine, he will be sentenced to 6 months in prison and a fine of 3750 €. (Press release of 05.07.2017 by the Minister Agnès Buzyn under the presidency of Emmanuel Macron) Doctors lost their “freedom to care” Politics, in a desire to simplify medical procedures, will sometimes take away the freedom of doctors to practice their profession and withdraw their freedom to choose a treatment for their sick patient. For example, for a patient who’s suffering of cancer, the cancer plan 3 prescribes some treatment over another. If the doctor or the patient wants another treatment, he musts then go before a judge who will give him or not the authorization. (Cancer Plan 3: 2014 to 2019 under the presidency of François Hollande) Because of the political interference on medicine, the hippocratic oath is shattered and the patient is no longer at the center of health considerations.
What is the “politique du chiffre”? It consists on working in order to achieve the most turnover to the detriment of all other objectives. Hospitals rather than liberal We initially decided to focus on hospitals. In the first place, it is easier to act on these types of institutions rather than in the liberal environment. Hospitals are indeed referring institutes of the medical profession, some of whose doctors are dependent and where medical students will do their practical training. The project will then be extended to the liberal field and will cover the entire medical system. 1. Abolish the “politique du chiffre” in hospitals by making them semi-autonomous How it works now? Currently, the internal organization of hospitals is governed by a director. National authorities, such as the supervisory board and the medical establishment commission, also complement the power of the director. [Fig. 4] Reform hospitals In our proposal, the hospitals will be independent of these political instances and their health law would be governed by a committee of head of units of the hospital. Nevertheless, to face possible competition between hospitals a political health system will pay all medical corps and allocated an annual budget for hospitals. [Fig. 5] With the guarantee of constant payment each month, hospitals will not be tempted to make profit to the detriment of the patients and the Hippocratic Oath. The patients and the care that must be provided to them will come back to the center of the concerns. 2. Give back choices and power to patients/citizens How it works now Currently, the medical profession has a strong hold on their patients. We consider that they have the knowledge and that is why we tend to accept more easily things from them as the experience of Milgram proves. What we want In the second step of our project we would like to give back the power of bodies to patients and citizens rather than to the medical corp. For that, we want to create committees in each “communautés de communes” and metropolises.
What is a “communauté de communes”? A “communautés de communes” is a French specialty. It brings together several neighboring municipalities within a solidarity space to develop a common project of development and spatial planning. Create committees Each committee will be composed of a group of citizens/ patients, medical corps and politicians drawn for each session. The debate will also be open to all citizens wishing to speak on a particular subject. Together, they will be able to debate and discuss around defined themes to propose and vote on laws and/or reforms. The group of citizens/patients will occupy a major place in the medical decisions since they will have the last word and the right to vote on the laws. The rest of the speakers will have a role of advisers. The topics discussed at these committees will be varied and will change each session.
3. Set up the committees in “communautés de communes”: they will work in partnership with the ministry. 4. Leave 5 years so that the system of committees is in place and makes proposals for laws. 5. Withdraw the powers of the ministry for committees to be autonomous. 6. Apply laws created by committees in hospitals. [Fig. 15] 7. Apply this system to the liberal profession. [Fig. 16] All individuals can become true owner of their bodies and free of their medical choices. [Fig. 17]
The medical sector in France is divided into two sectors: sector 1 and sector 2. Sector 2 corresponds to geographical areas where the number of doctors per inhabitants is not sufficient. It’s often called “medical deserts”. In metropolitan areas and “communauté de communes” in sector 1, the committees will be held every month. On the other hand, they will be held once every three months in the “communautés de communes” of sector 2 so as not to make the care even less accessible than they already are. All the results of these committees will be treated and gathered in one of the committees in order to identify all the measures that are taken in the different “communauté de communes” and metropolises. For the first session, the centralization will take place in Saint-Étienne because it’s the only city with a social security school. The centralization location will change at each session so that the system cannot experience the same pressures as the current system. First session: Saint-Étienne; second session: Strasbourg; third session: Nice. How it works now Today, everything begins with the state which is influenced by the capitalism and laboratories and some other. The ministry creates and defines some laws which are then applied in the hospitals by a director and then on doctors and finally on patients but the state has also a supervisory role through organizations. [Fig. 10] How it works in the project In our project you can see that all begin with committees and so with patients/citizens. It is they who will create laws which are applied in hospitals thanks to the head of units. The state and the ministry have only a funding role. They can, however, take control in case of crises. [Fig. 11] How do we implement this project? 1. Make all hospitals public: buy private hospitals and clinics. 2. Put head of units to head hospitals + changing of the remuneration system. PÉDAGOGIE/PEDAGOGY
135
RÉTRIBUER LA RECHERCHE Ugo Costa Maciej Moszant COMMENT FAIRE POUR QUE LES MÉDICAMENTS SOIENT PLUS ABORDABLES ?
Causes de mortalité des 0-44 ans dans le monde
La lecture de ces trois textes met en évidence une même cause dans la difficulté d’accès aux soins : le marché.
Notre travail se fonde sur la lecture de trois textes :
Aujourd’hui, 2 milliards de personnes n’ont pas accès aux médicaments, soit près d’un tiers de la population mondiale.
Fig. 1
FriedrichEngels
Friedrich Engels, The Condition Of The Working Class in England, 1845
65 % des décès dans le monde sont liés à des maladies pour lesquelles des traitements médicamenteux existent. Un meilleur accès aux médicaments permettrait de sauver deux tiers des vies concernées. [Fig. 1]
THECONDITIONOF WORKINGCLASS INENGLANDIN1844 (1845)
Nous pensons que la cause principale de cet important nombre de morts qui pourraient être évités est le coût prohibitif des médicaments qui rend l’accès difficile aux soins. Observons le cas d’un pays à revenu élevé tel que les États-Unis. Le cancer y est la deuxième cause de mortalité. [Fig. 2] Le nouveau traitement contre le cancer inventé par le groupe pharmaceutique Novartis coûte 475 000 $. Les données sur la répartition des revenus aux USA publiées par Inequality.org montrent que seul 1 % des Américains ont la capacité financière d’accéder à ce traitement. [Fig. 3]
136 PÉDAGOGIE/PEDAGOGY
Fig. 2
FriedrichEngels Moyenne des revenus annuels aux États-Unis en 2015
FriedrichEngels THECONDITIONOF WORKINGCLASS INENGLANDIN1844
THECONDITIONOF WORKINGCLASS INENGLANDIN1844 (1845)
Peter Gotzsche DEADLYMEDICINFig. ES 3 ANDORGANISEDCRIME: Howbigpharma has corruptedhealth
Peter Gotzsche
Peter Gotzsche, Deadly Medicines And Organised Crime: How Big Pharma Has Corrupted Healthcare, 2013
DEADLYMEDICINES ANDORGANISEDCRIME: Howbigpharma has corruptedhealth (2013)
MathieuBelahsen
Mathieu Bellahsen, La santé mentale : vers un bonheur sous contrôle, 2014
LASANTEMENTALE. VERSUNBONHEUR SOUSCONTROLE (2014)
Chez Engels, le marché est ce par quoi la classe bourgeoise exploite le prolétariat, poussant ceux qui ne possèdent que leur force de travail au-delà de leurs capacités physiques.
Peter Gotzsche
MathieuBelahsen
DEADLYMEDICINES ANDORGANISEDCRIME: Howbigpharma has corruptedhealth (2013)
LASANTEMENTALE. VERSUNBONHEUR SOUSCONTROLE (2014)
Chez Gotzche, c’est par le marché que la grande industrie pharmaceutique peut mettre en place une recherche maximale de profits, au détriment de la santé des patients.
MathieuBelahsen
LASANTEMENTALE. VERSUNBONHEUR SOUSCONTROLE (2014)
Bellahsen approfondit l’analyse des liens entre profits et marché en décrivant le poids de l’industrie pharmaceutique dans les moyens de contrôle des populations au sein l’Union européenne.
Que signifie le terme « big pharma » ?
13 % R&D 6,8 milliards $
22 % MARKETING 11,4 milliards $ Fig. 4
Selon le Cambridge Dictionary, Big pharma désigne « les grandes sociétés pharmaceutiques (compagnies produisant des médicaments) notamment lorsque cellesci sont perçues comme ayant une influence puissante et néfaste. » Il nous apparaît, en explorant les tensions entre la santé et le marché, que le coût et donc l’accès, aux médicaments dépend principalement des marges bénéficiaires réalisées par les grandes entreprises pharmaceutiques dans le processus de production des médicaments. Marges bénéficiaires de Big Pharma En 2014, la marge bénéficiaire moyenne globale dans l’industrie pharmaceutique était de 21 %. En comparaison, la marge bénéficiaire de Luxurious dans le secteur de l’énergie n’est que de 8 %. Ceci n’est rien comparé à Pfizer, l’une des plus grandes entreprises pharmaceutiques, qui a réalisé une marge bénéficiaire de 42 %. Big Pharma justifie ces marges comme étant nécessaires pour financer la recherche et le développement de nouveaux médicaments. Cependant, de ces 42 % Pfizer n’a réinvesti que 13 % de son chiffre d’affaires global dans la recherche contre 22 % dans le marketing et les ventes. [Fig. 4] (« Rapport sur les performances du marché pharmaceutique », Données globales)
COMMENT EXPLIQUER DES MARGES BÉNÉFICIAIRES SI ÉLEVÉES ? Comment la fabrication de médicaments fonctionne-t-elle aujourd’hui ? Aujourd’hui, pour mettre de nouveaux médicaments sur le marché, les sociétés pharmaceutiques doivent passer par plusieurs phases de recherches et de tests avant d’obtenir l’approbation finale et de pouvoir commencer à commercialiser un médicament. Puis, comme c’est le cas dans d’autres industries, un brevet est obtenu pour chaque invention. Cependant, dans l’industrie pharmaceutique, tous les brevets expirent au bout de 20 ans. Pendant cette période, l’entreprise a le monopole de ce médicament et peut imposer des prix élevés. [Fig. 5] Après l’expiration du brevet, beaucoup d’autres entreprises de taille plus modeste peuvent commencer à fabriquer leurs propres copies de médicaments et les vendre à des prix beaucoup plus bas du fait de leur mise en concurrence. Nous pourrions comparer ces médicaments dits « génériques » à des copies pirates, en dehors du fait que ceux-ci sont produits légalement et que la molécule est exactement la même que l’originale. Ces médicaments sont appelés génériques et, selon IMS Health, ils sont statistiquement dix-neuf fois moins chers que les médicaments commercialisés durant la période précédant l’expiration du brevet. [Fig. 6]
Brevets Nous croyons que le rôle le plus déterminant dans le phénomène du prix élevé des médicaments est la mécanique du brevetage des médicaments.
Les connaissances engageant la vie et la mort d’êtres humains devraient-elles être possédées et contrôlées ?
ET SI LES BREVETS ÉTAIENT SUPPRIMÉS ?
Brevet Monopole patent patent patent patent monopoly m monopoly onopoly monopoly
Prix élevé high high high price high price price price
generics Expiration du brevet Médicaments génériques patent generics generics generics patent patent patent patent generics
price Prix basprice lowlow er lower low price erlow er price erprice
entry expiriation entry entry entry expiriation expiriation expiriation expiriation entry
Fig. 5
Fig. 6
Nous avons imaginé trois scénarios. Scénario le moins probable Nous pourrions supposer que malgré cela, les compagnies pharmaceutiques continuent leurs travaux de recherche et le développement de nouveaux médicaments, car elles peuvent encore participer elles aussi à l’industrie des médicaments génériques. La mise en concurrence ferait alors immédiatement baisser les prix. [Fig. 7]
patent expiriation
Scénario plus probable Il apparaît plus probable qu’assez rapidement Big Pharma cesse d’inventer de nouveaux médicaments. Il n’y aurait plus d’innovation à copier par l’industrie des génériques. En conséquence, il n’y aurait plus de nouveaux médicaments en cours de développement. [Fig. 8] La destruction du marché Les grandes sociétés pharmaceutiques perdraient alors très rapidement leurs investisseurs boursiers parce qu’elles ne seraient plus en mesure de générer de tels revenus, perdant la concurrence avec beaucoup de petits fabricants de produits génériques. Ainsi le marché pharmaceutique tel que nous le connaissons aujourd’hui entrerait probablement dans une phase de déconstruction et, de fait, cesserait d’exister. [Fig. 9]
generics Médicaments génériques
Maintenir lapatent recherche
low er price entry
generics expiriation entry
generics Fin des génériques entry
Fin de la patent recherche
expiriation
+
failedcom petition withgenericm anufacturers
loss ofstockexchangeinvestors
Perte d’investisseurs boursiers
lower price Concurrence Baisse du prix Fig. 7
low Finer des price nouveaux médicaments Fig. 8
failedcom petition withgenericm anufacturers m arketdestruction
m petition Échec fa deiled lacoconcurrence avec w fabricants ldes oitss o f st o c k e x c h gfa egénériques vere sto hgenericm aannu cintu rsrs
m arketdestruction Destruction
du marché
Fig. 9
m arketdestruction loss ofstockexchangeinvestors
CETTE HYPOTHÈSE NOUS DONNERAIT LA POSSIBILITÉ DE REPENSER L’ORDRE EXISTANT. RÉTRIBUER LA RECHERCHE
Fig. 10
L’alternative que nous proposons est une stratégie de rétribution de la recherche. [Fig. 10] Cette approche consiste à abolir les brevets en les remplaçant par un système de récompenses attribuées par les gouvernements pour chaque recherche ayant abouti à des résultats probants au lieu d’accorder le monopole d’usage de cette découverte. [Fig 11] Cette proposition pose cependant la question de savoir comment trouver des fonds publics pour financer la recherche. Aujourd’hui, la principale excuse des sociétés pharmaceutiques pour légitimer
Fig. 11 PÉDAGOGIE/PEDAGOGY
137
le système des brevets est qu’elles doivent récupérer les coûts d’investissement en recherche et développement de chaque nouveau médicament. Alors, sans brevet, comment trouver de l’argent public pour financer la recherche ?
IMPACT SUR LA RÉALITÉ Vaincre les inégalités Nous croyons que de cette façon les inégalités financières ne seraient plus une raison de mort face à la maladie et que les vies de millions de personnes pourraient ainsi être sauvées. [Fig. 15] Augmentation de l’espérance de vie Ayant rendu plus simple l’accès à des médicaments plus performants, nous pourrions vivre plus longtemps et plus heureux, être forts et en bonne santé. [Fig. 16]
La recherche et le développement coûtent cher, mais le monopole coûte cher lui aussi. Statistiquement, les génériques sont dix-neuf fois moins chers que les médicaments brevetés en 2015. Le coût du monopole pesant sur les médicaments peut être estimé à 283 milliards de dollars, rien qu’aux États-Unis. Scénario Si les États-Unis avaient adopté le système de récompense proposé et dépensé 100 milliards de dollars cette année-là pour rétribuer les chercheurs et les développeurs de médicaments, cela aurait permis d’économiser 183 milliards de dollars. 100 milliards de dollars de récompense seraient-ils suffisants pour financer la recherche aux États-Unis ? Oui. Ces 100 milliards de dollars représentent près du double des coûts de recherche et développement pour cette année. (cf. https://delinkage.org)
Fig. 12
co-opModèle erativcoopératif e model Fig. 13
com petitivcompétitif e model Modèle Fig. 14
Suivant ce scénario, maintenant chaque gouvernement disposant en quelque sorte d’une grande industrie pharmaceutique pourrait, en défense de l’intérêt général, accepter de mettre en œuvre le système de rétribution de la recherche au lieu de celui des monopoles. Ainsi, ils peuvent établir plusieurs organisations de recherche ouverte sur le mode de l’Open Source comme « Open Source Drug Discovery », déjà existante en Inde bien que n’ayant pas encore réussi à imposer son modèle, mais réalisant ses propres recherches pour de nouveaux médicaments innovants. [Fig. 12] Une fois créées, ces organisations de recherche à faibles profits et financées par des fonds publics pourraient s’organiser entre elles plutôt que d’être mises en concurrence. Elles auraient pour obligation de mutualiser la totalité des résultats de leurs recherches créant ainsi une base de données globale et en accès libre sur les médicaments. [Fig. 13]
Fig. 15
Aujourd’hui, à l’heure du marché des médicaments, les compagnies pharmaceutiques sont en concurrence et sont ainsi amenées à garder les progrès de leurs recherches secrets. De fait, de nombreuses entreprises dépensent énormément de moyens pour travailler sur le même problème. Avec le modèle coopératif, toute la connaissance sur la production de tous les médicaments serait accessible à tou·te·s, évitant ainsi la duplication inutile des efforts et permettant de développer de nouveaux médicaments plus rapidement et moins cher. Ce dispositif occasionnerait la création d’une grande machine de recherche au lieu de nombreux concurrents individuels. [Fig. 14] Fig. 16
138 PÉDAGOGIE/PEDAGOGY
REWARDING RESEARCH Today, 2 billion people lack acces to drugs. That is nearly a third of entire population on the Earth. Among them 65% dies because of diseases which effects we can already easily soften or even stop using modern medicines. This means even 2/3 of lives could be rescued. [Fig. 1] We believe that the most vital problem are too high prices of medicines. Moving to higher-income country, United States: there, cancer is a second reason of all deaths. [Fig. 2] The newly-developed cancer treatment invented by Novartis, big pharmaceutical comapny costs $475 000. According to inequality.org maybe top 1% of richest americans is able to resist cancer today. [Fig. 3] How could drugs be more affordable? Trying to find the possible answer for this issue and to explore the problem we decided to read three following books: Friedrich Engels, The Condition of Working Class in England in 1844, 1845 Peter Gotzsche, Deadly Medicines and Organised Crime: How Big Pharma Has Corrupted Health, 2013 Mathieu Belahsen, La santé mentale. Vers un bonheur sous contrôle, 2014 We found out that the thing that is common for all the 3 books is a market. For Friedrich Engels, it is the market that was driving burgeois to exploit their workers above the farest boundouries of human capabilities, depriving their humanity.
For Peter Gotzsche, it is also the market that is now driving big pharmaceuitical industry to get the highest possible profit, at the expense of patients health or even life. And for Mathieu Belahsen, it is still the market, introduced by the pharmaceutical industry, that pushes doctors to prescribe a maximum amount of drugs to patients. What does the term “Big Pharma” mean? According to the Cambridge Dictionary, Big pharma refers to “large pharmaceutical companies, especially when they are seen as having a powerful and bad influence.” Exploring the tensions between the health and the market, we discovered that drugs affordability particularly depends on big pharma profit margins. Big pharma profit margins In 2014, the average profit margin in pharmacutical industry was 21%. Luxuroius energy industry profit margin went up to “just” 8%. Thats nothing comparing to Pfizer—one of the biggest big pharma companies, coming with 42% profit margin. Some might say that such big profit margins are essential to maintain reaserch and developement of new drugs. Pfizer spent just 13% of its whole revenue for this purposes and even 22% on the marketing and sales. [Fig. 4] (cf. Pharmaceutical Market Benchmark Report, Global Data.) What is the reason of such high profit margins? How does it work today? Today, to bring new medicine into market the pharmaceutical corporations needs to go through several researches and trials before getting the final approval and start selling the drug. Then, similar to other inustries they get a patent for their invention. However, in pharmaceutical industry, all patents expire after 20 years from inventing it. During this time
company have a monopoly fot its medicine and can dictate high price. [Fig. 5]
This state of thing gives us possibility to redesign existing order. Research rewarding
After the patent expires, plenty of other, smaller companies can start manufacturing their own copies of drug and sell it for much smaller price because of the rising competition. We could compare them to the “copying pirates”, apart from the fact, that they act legally and the drug is exactly the same as the orginal one. Such medicines are called generics and according to IMS Health are statisticly even nineteen times cheaper. [Fig. 6]
The alternative is a strategy of research rewarding. [Fig. 10]
Patents We believe that the most vital role in the phenomenon of high drug prices play patents. Should knowledge over life & death be owned and controlled? What if patents were deleted? We imagined three scenarios. Least likely scenario We could assume that despite this, pharmaceutical companies continue their research and development of new drugs, as they can still participate in the generic drug industry. The call for competition would then immediately lower prices. [Fig. 7] More likely scenario What is more likely, very rapidly, big pharma stops inventing new drugs. There is no innovation to be copied by generics industry. As a result there is no more new drugs being developed. [Fig. 8] The destruction of the market Big Pharma companies very rapidly lose its stock exchange investors because it is no more able to generate such revenues, losing competition with plenty of smaller generic manufactures. In effect, pharmaceutical market as we know it today suffers deconstruction and, in fact, stops existing. [Fig. 9]
This approach consists in abolishing patents by replacing them with a system of rewards granted by governments for each research that has produced convincing results instead of granting a monopoly on the use of this discovery. [Fig. 11] However, this proposal raises the question of how to find public funds to finance research. Today, the main excuse for pharmaceutical companies to legitimize the patent system is that they must recover the investment costs in research and development of each new drug. So, without a patent, how can we find public money to finance research?
Having created this low-profit, public funded research organisations, they could coorporate with each other instead of competing, obligatory exchanging all research informations and creating global, open-source medicines database. [Fig. 13] Today, when there is a drug market, pharmacutical companies compete with each other, keeping their research effects in secret. In effect, many companies spend large amount of money working on the same, one issue. With co-operative model, the entire knowledge about producing all medicines would be accesible for everyone, so we could avoid useless duplication of efforts and so develop new drugs more quickly and cheaper, having one big reasearch machine instead of many individually playing competitors. [Fig. 14]
Research and development is expensive, but so are drug monopolies. Statisticly, generics are nineteen times cheaper than patented drugs for 2015. The cost of the monopoly on drugs could be estimated at $283 billion, just in the US.
The impact on reality
Scenario If the US had already switched to the system of rewarding, and spent $100 billion in that year to reward researchers and drug developers, it would have saved $183 billion. Would $100 billion of rewards be enough for the United States? Yes. $100 billion is nearly twice the R&D costs for that year. (cf. https://delinkage.org)
Increasing life expectancy In effect, having more advanced and cheaper medicines, we could live longer and hapier, being strong and healthy. [Fig. 16]
Defeating inequalities We believe that this way financial inequalties would no more be a reason to die facing disease and lives of millions of people could be saved. [Fig. 15]
Now, each goverment of country with big pharmacutical industry, due to the common intrest, could agree to implement the system of rewarding researchers in place of monopolies. Afterwards, they could establish several opensource research organisations like Open Source Drug Discovery, already existing in India, not having succed yet, but still performing its own research for new, innovative drugs. [Fig. 12] PÉDAGOGIE/PEDAGOGY
139
LA CARTE DE LA CLÉMENCE Sylvain Chaduc Justien Maes
THE MOUNTAINS OF ZOMIA
THE UNOWN TERRITORY
THE LAKE OF HESITANCE
MINANKABAU TENDERNESS
LENIENCY COURT OF MIRACLES
INUITS LAKE OF DISTRIBUTION RIVER ENIEN OF L
LIBRARY
SINCIRITY
CY
CARNIVALESQUE SEA OF THE PIRATES POTLATCH NEGLANCE
PALAIS ROYAL
ERVING GOFFMAN
Fig. 2
140 PÉDAGOGIE/PEDAGOGY
Je me réveille et trouve une carte à côté de moi. Je la ramasse et je commence à l’étudier, étant curieux·se et désireux·se de comprendre ce qui est écrit dessus et pourquoi. Je vois sur la carte un dessin d’un homme. Le nom « Erving Goffman » est écrit à côté. Apparemment, il s’agit d’un sociologue américano-canadien ayant beaucoup écrit sur les problèmes de stigmates et de stigmatisation. Me demandant ce qui est si important pour lui à ce sujet, je regarde de plus près et observe qu’il a un point de vue sociologique sur la question. [Fig. 1]
SOCIAL VIRTUAL STATUS
SOCIAL ACTUAL STATUS
categorization
categorization SELF-STIGMA internalizing of public attitudes
role (expectation)
Il voit la stigmatisation comme un processus social qui débute par une interaction construite sur divers statuts. Statuts que quelqu’un d’autre vous donne et statut que l’on se donne à soi-même. Avec un statut vient un rôle et avec ce rôle viennent des attentes. S’il y a une différence, un écart, entre ces attentes que vous vous donnez et celles que quelqu’un d’autre vous donne, alors, il y a stigmatisation pouvant conduire à des attitudes problématiques telles que l’exclusion.
role (expectation)
acceptance
negative beliefs (stereotypes)
stigmatization (attitudes)
endorsement of those negative stereotypes (prejudice)
desire to avoid or exclude persons who hold stigmatized statuses (discrimination)
Fig. 1
Goffman considère cet ensemble de relations comme un processus complexe composé des personnes qui stigmatisent, des personnes stigmatisées et des personnes qui acceptent les stigmatisé·e·s. [Fig. 2] Pour mieux comprendre, je cherche les définitions du stigmate et de la stigmatisation. La stigmatisation est une marque de disgrâce associée à une circonstance, une qualité ou une personne particulière. [Fig. 3] La stigmatisation consiste à marquer par un stigmate une personne menant à une forme de dissociation. [Fig. 4]
NORMALS
STIGMATIZED
bear the stigma: . overt or external deformaties . tribal stigma’s . deviations in personal traits
do not bear the stigma
WISE
are accepted by the stigmatized as «wise» to their condition
À côté de lui figure un dessin de montagnes, avec écrit au-dessus « Les montagnes de Zomia ».
possibility of becoming
Le nom de Zomia est donné à un territoire décrit comme une zone sans État. Rien d’autre n’est écrit. Comment un endroit peut-il être sans État ? Cela peut-il être ? Ne comprenant pas et n’étant pas sûr·e, j’accepte de croire à cette hypothèse et je regarde plus loin. Quel est le lien entre Zomia et le reste de la carte ? J’étudie davantage la carte pour essayer de la comprendre. Dans la bibliothèque sur la carte, je vois des livres qui sont marqués et que je reconnais. AIDS, cultural Analysis/Cultural Activism, écrit par Douglas Crimp en 1987, cet ouvrage traite de la construction sociale et culturelle autour de la maladie du SIDA au temps où elle a été notamment perçue comme une « maladie gay ». [Fig. 5]
possibility of stigmatizing certainty of stigmatizing Fig. 2
Fig. 3
Fig. 4
Un autre livre sur la carte est Les corps vils : Expérimenter sur les êtres humains aux XVIIIe et XIXe siècles, écrit par Grégoire Chamayou en 2008. Il analyse l’histoire de l’expérimentation sur les corps aux XVIIIe et XIXe siècles et décrit comment, au cours de cette période, certains individus défavorisés et dont les corps étaient considérés comme ayant peu de valeur ont été utilisé dans le but d’améliorer la médecine. [Fig. 6]
Fig. 5
Fig. 6 PÉDAGOGIE/PEDAGOGY
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Le dernier livre marqué sur la carte est La Borde ou le droit à la folie, écrit par Jean-Claude Polack en 1976. Il s’agit d’un livre sur la psychothérapie institutionnelle. Il présente une vision critique de l’asile et raconte comment, par la participation active des patients dans les institutions, il est possible d’humaniser l’existence des personnes atteintes de maladies mentales. [Fig. 7] Mais qu’ont donc en commun ces livres s’ils sont dessinés sur cette même carte ? Si je comprends bien, le stigmate et la stigmatisation sont les principaux thèmes de cette carte. Ou peut-être plus précisément encore : les conséquences de la stigmatisation – c’est-à-dire l’exclusion de certains groupes ou de certaines personnes du fait d’une maladie, d’un problème de santé mentale, ou tout simplement de gens considérés comme différents. Cela me rappelle ce que j’ai appris à l’école, sur les diverses manières dont l’exclusion a pu fonctionner dans le temps… Comme pendant l’Antiquité, lorsque l’incapacité de certaines personnes à contribuer à la vie en société était un facteur important de stigmatisation. [Fig. 8] Au Moyen Âge, où la religion avait un impact sur la stigmatisation et pour laquelle être différent était considéré comme une punition de Dieu. [Fig. 9] Au cours du XXe siècle, durant lequel la stigmatisation était souvent jetée contre les personnes qui ne pouvaient pas produire de capitaux et contribuer au capitalisme. [Fig. 10] Et aujourd’hui ; je crois que la combinaison de différents éléments provoque encore les stigmatisations. Des éléments tels que la hiérarchie, les mécaniques du capitalisme, la rencontre avec la différence génèrent encore des peurs. [Fig. 11] En regardant plus loin sur la carte, je vois qu’à côté de Zomia, également dans les montagnes, il est écrit « Minangkabau ». Il est indiqué qu’il s’agit d’une société dirigée par les femmes. Comment cela peut-il être vrai dans un monde où les Nations Unies n’ont jamais eu de femme secrétaire générale ? Éprouvant de la difficulté à comprendre si ces lieux ou sociétés existent vraiment, je recherche plus loin. [Fig. 12] Je vois écrit « Carnavalesque » et « Pirates » sur la carte. Connaissant l’existence de ceux-ci, le doute me vient à l’esprit : est-ce que chacun des lieux, communautés ou sociétés localisés sur cette carte existe vraiment ? Carnavalesque est, comme je l’ai appris, un moment une fois par an, durant lequel les rôles sont inversés et où la hiérarchie ayant cours est jetée par la fenêtre. [Fig. 13] Les pirates, de ce que j’en sais, vivent en communauté sur des navires. Ces navires deviennent des mondes anarchistes flottants où les gains acquis sont répartis également. [Fig. 14] Tout comme le Palais Royal [Fig. 15] où la police n’était pas autorisée et qui est devenu un lieu de jeu, de boisson et de prostitution. Un contre-lieu de différence dans la société.
142 PÉDAGOGIE/PEDAGOGY
Peut-être que ces sociétés décrites sur la carte ont toutes des éléments de vérité ? Ayant toujours du mal à y croire, je continue d’explorer d’autres communautés sur la carte. Je vois écrit « Inuits » et « Potlatch ». Les Inuits sont décrits sur la carte comme une communauté où le partage est la règle. [Fig. 16] Le potlatch est décrit comme le comportement par lequel une communauté ne fait que donner, même à son ennemi ! Difficile à croire, sachant qu’un pour cent de la population possède la moitié de la richesse mondiale. Étant submergé·e émotionnellement par les choses que je découvre sur la carte, je la pose un moment… [Fig. 17]
Fig. 7
Trop curieux·se d’en savoir plus sur cette carte, je la reprends. Me remémorant tout ce que j’ai vu sur cette carte, j’ai le sentiment de mieux comprendre que le comportement de chacun, y compris le mien, a un impact considérable. Imaginer une différence possible dans l’organisation des sociétés, y attribuer différemment les rôles est possible peut-être si l’on fait attention a combien la stigmatisation a un grand impact sur le bienêtre mental et social de chacun. Et comme l’Organisation mondiale de la santé dit : « La santé est un état de bien-être physique, mental et social complet, pas seulement l’absence de maladie ou d’infirmité. »
Fig. 9
Fig. 8
Fig. 10
Fig. 11
Fig. 12
Fig. 13
Après avoir regardé plus longtemps et mieux, je commence à voir comment la stigmatisation est un problème majeur dans ma société puisqu’il a un impact réel sur la santé. Peut-être que ces exemples de sociétés différentes donnent une réponse à ce problème. Un autre exemple de ces contrelieux est écrit sur la carte : Cour des Miracles. [Fig. 18] La Cour des Miracles est décrite comme une société qui a été créée sur la stigmatisation. Les mendiant·e·s, avec d’autres exclu·e·s, ont utilisé des stigmates, parfois artificiels, pour gagner leur vie et leur indépendance. Voici un exemple étonnant de la façon dont une différence ou un stigmate peuvent être vus comme quelque chose de bon et d’inclusif. Pouvons-nous créer un monde comme ceci ? Ou bien estce qu’une autre façon de penser pourrait mettre fin à la stigmatisation ?
Fig. 14
Fig. 15
Je regarde plus loin et à côté de la Cour des Miracles, je vois écrit un nom dont je n’ai jamais entendu parler auparavant : Clémence. Attachées à la carte, je trouve des cartes postales avec écrit au verso « Clémence », et à côté de chacune d’elles, une phrase. Sur le devant de chaque carte postale se trouve un dessin, chacun montrant un nouveau monde.
Fig. 16
Fig. 17
J’ai lu les cartes postales une par une.
Fig. 18
MAP OF LENIENCY
« Toute leur vie était ordonnée non selon des lois, des statuts ou des règles, mais selon leur bon vouloir et leur libre arbitre. »
« Ils étaient si bien éduqués qu’il n’y avait parmi eux ni homme ni femme qui ne sût lire, écrire, chanter, jouer d’instruments de musique, parler cinq ou six langues et y composer, tant en vers qu’en prose. »
« Ils se levaient quand bon leur semblait, buvaient, mangeaient, travaillaient, et dormaient quand le désir leur en venait. » « Jamais on ne vit de chevaliers si vaillants, si hardis, si adroits au combat à pied ou à cheval, plus vigoureux, plus agiles, maniant mieux les armes que ceux-là ; »
« Parce que les gens libres, bien nés et bien éduqués, vivant en bonne compagnie, ont par nature un instinct, un aiguillon qui les pousse toujours à la vertu et les éloigne du vice, qu’ils appelaient honneur. » « jamais on ne vit de dames si fraîches, si jolies, moins acariâtres, plus doctes aux travaux d’aiguille et à toute activité de femme honnête et bien née que celles-là. »
« Ces gens-là, quand ils sont opprimés et asservis par une honteuse sujétion et par la contrainte, détournent cette noble inclination par laquelle ils tendaient librement à la vertu, vers le rejet et la violation du joug de servitude ; car nous entreprenons toujours ce qui nous est interdit et nous convoitons ce qui nous est refusé. »
Et enfin : « Pour toute règle, il n’y avait que cette clause : fais ce que tu voudras. »
Next to it is a drawing of mountains, with the words “The Mountains of Zomia” written above it. The name Zomia is given to a territory described as a stateless area. Nothing else is written. How can a place be stateless? Can it be? Not understanding, I accept to believe this hypothesis and look further. What is the connection between Zomia and the rest of the map? I study the map further to try to understand it. In the library on the map, I see books that are marked and that I recognize. AIDS, Cultural Analysis / Cultural Activism, written by Douglas Crimp in 1987, this book deals with the social and cultural construction around AIDS disease at a time when it was perceived as a “gay disease”. [Fig. 5] Another book on the map is Les corps vils: Experimenting on human beings in the 18th and 19th centuries, written by Grégoire Chamayou in 2008. It analyses the history of experimentation on bodies in the 18th and 19th centuries and describes how, during this period, some disadvantaged individuals whose bodies were considered of little value were used to improve medicine. [Fig. 6]
« C’est cette liberté même qui les poussa à une louable émulation : faire tout ce qu’ils voyaient faire plaisir à un seul. »
« Si l’un ou l’une d’entre eux disait : “Buvons” ils buvaient tous ; s’il disait : “Jouons”, tous jouaient. »
I wake up and find a map next to me. I pick it up and start studying it, being curious and wanting to understand what is written on it and why. I see on the map a drawing of a man, “Erving Goffman” is written next to it. Apparently an American-Canadian sociologist who wrote a lot on the subject “stigma and stigmatization”. Wondering what is so important to him on this subject, I look more closely and observe that he has a sociological point of view on the issue. [Fig. 1] He sees stigmatization as a social process that begins with an interaction built on various statuses. The status that someone else gives you and the status that you give to yourself. With a status comes a role and with this role comes expectations. If there is a difference, a gap, between these expectations you give yourself and those that someone else gives you, then there is stigmatization that can lead to problematic attitudes such as the exclusion. He sees this set of relationships as a complex process composed of people who stigmatize, people who are stigmatized and people who accept stigmatized people. [Fig. 2] To better understand, I am looking for definitions of stigma and stigmatization. Stigma is a mark of disgrace associated with a particular circumstance, quality or person. [Fig. 3] The stigmatization is to mark with a stigma leading to sanctioning. [Fig. 4]
Références bibliographiques : Jean-Claude Polack, Le droit à la folie, 1976; Douglas Crimp, Cultural Analysis/Cultural Activism, 1987; Grégoire Chamayou, Les corps vils. Expérimenter sur les êtres humains aux XVIIIe et XIXe siècles, 2008 ; Erving Goffman, Stigma: Notes on the Management of Spoiled Identity, 1986; Charles Gardou, La société inclusive, parlons-en ! il n’y a pas de vie minuscule, 2012.
The last book marked on the map is La borde ou le droit à la folie, written by Jean-Claude Polack in 1976. This is a book on institutional psychotherapy. It presents a critical view of asylum and tells how, through the active participation of patients in institutions, it is possible to humanize the lives of people with mental illness.[Fig. 7] But what do these books have in common if they are drawn on the same map? If I understand correctly, stigma and discrimination are the main themes of this map. Or perhaps even more precisely: the
consequences of stigmatization— that is, the exclusion of certain groups or individuals because of an illness, a mental health problem, or simply people considered different. It reminds me of what I learned in school, about the various ways in which exclusion has worked over time… As in ancient times, when the inability of some people to contribute to society was an important factor in stigmatization. [Fig. 8] In the Middle Ages, when religion had an impact on stigma and being different was considered as a punishment from God. [Fig. 9] During the 20th century, during which stigmatization was often thrown against people who could not produce capital and contribute to capitalism. [Fig. 10] And today; I believe that the combination of different elements still causes stigmatization. Elements such as the hierarchy, the mechanics of capitalism, the encounter with difference still generates fears. [Fig. 11] Looking further on the map, I see that next to Zomia, also in the mountains, it says “Minangkabou”. It is indicated that it is a society run by women. How can this be true in a world where the United Nations has never had a female Secretary General? Having difficulty understanding whether these places or societies really exist, I look further. [Fig. 12] I see “Carnival” and “Pirates” written on the map. Knowing the existence of these, doubt comes to my mind: do each of the places, communities or societies located on this map really exist? Carnival is, as I have learned, a time once a year, during which roles are reversed and the current hierarchy is thrown out the window. [Fig. 13] Pirates, as far as I know, live in community on ships. These ships become floating anarchist worlds where the acquired gains are distributed equally. [Fig. 14] Just like the Royal Palace [Fig. 15] where the police were not allowed and which became a place of play, drinking and prostitution. A counter-place of difference in society. Maybe these companies described on the map all have elements of truth? Still having trouble believing it, I continue to explore other communities on the map. I see “Inuit” and “Potlatch” written on it. The Inuit are described on the map as a community where sharing is the rule. [Fig. 16] The potlatch is described as the behaviour by which a community only gives, even to its enemy! Hard to believe, considering that one percent of the population owns half of the world’s wealth. Being emotionally overwhelmed by the things I discover on the map, I put it down for a moment… [Fig. 17] Too curious to know more about this map, I’ll take it back. Recalling everything I have seen on this map, I feel I have a better understanding that everyone’s behaviour, including my own, has a significant impact. Imagining a possible difference in the organization of societies, assigning roles differently to them, is possible perhaps if we pay attention to how much stigma has a great impact on the mental and social wellbeing of everyone. And as the World Health Organization says: “Health is a state of complete physical, mental and social well-
being, not just the absence of disease or infirmity.” After looking longer and better, I am beginning to see how stigma is a major problem in my society because it has a real impact on health. Perhaps these examples of different societies provide an answer to this problem. Another example of these counter-places is written on the map: Court of Miracles. [Fig. 18] The Court of Miracles is described as a society that was created on stigma. Beggars, with others excluded, used stigma, sometimes artificial, to earn a living and independence. Here is an amazing example of how a difference or stigma can be seen as something good and inclusive. Can we create a world like this? Or could another way of thinking put an end to the stigma? I look further and next to the Court of Miracles, I see a name written that I have never heard of before: Clemency. Attached to the card are postcards with the words “Clémence” on the back and a sentence next to each of them. On the front of each postcard is a drawing, each showing a new world. I read the postcards one by one: All their life was spent not in laws, statutes, or rules, but according to their own free will and pleasure. They rose out of their beds when they thought good; they did eat, drink, labour, sleep, when they had a mind to it and were disposed for it. Because men that are free, wellborn, well-bred, and conversant in honest companies, have naturally an instinct and spur that prompted them unto virtuous actions, and withdraws them from vice, which is called honor. They were formerly inclined to virtue, to shake off and break that bond of servitude wherein they are so tyrannously enslaved; for it is agreeable with the nature of man to long after things forbidden and to desire what is denied us. By this liberty they entered into a very laudable emulation to do all of them what they saw did please one. If any of the gallants or ladies should say, let us drink, they would all drink. If any one of them said, let us play, they all played. So nobly were they taught that there was neither he nor she amongst them but could read, write, sing, play upon several musical instruments, speak five or six several languages, and compose in them all very quaintly, both in verse and prose. Never were seen so valiant knights, so noble and worthy, so dexterous and skillful both on foot and a-horse-back, brisker and livelier, more nimble and quick, or better handling all manner of weapons than were there. Never were seen ladies so proper and handsome, so miniard and dainty, less froward, or more ready with their hand and with their needle in every honest and free action belonging to that sex, than were there. And last: In all their rules and strictest ties of their order there was but this one clause to be observed, Do What Thou Wilt. PÉDAGOGIE/PEDAGOGY
143
ET SI NOUS PERDIONS CE COMBAT ? Maxime Labrosse Amélie Tripoz
144 PÉDAGOGIE/PEDAGOGY
En France, la Sécurité sociale est un système performant de santé publique. Nous devrions nous battre pour le garder et l’améliorer. Et si nous perdions ce combat ?
Les institutions liées à la santé publique en France sont organisées en différents organes sous le terme de protection sociale. L’un d’eux en constitue un gros ensemble sur lequel nous nous concentrerons ici : le système de la Sécurité sociale. Chaque année, le gouvernement français vote la Loi sur le Financement de la Sécurité sociale. Il planifie les dépenses du système en fonction des revenus et il montre les priorités du gouvernement en matière de santé publique. Les dernières réformes ne cessent d’affaiblir le système de Sécurité sociale en s’attaquant à ses principes fondateurs. Ces attaques ne sont ni nouvelles ni isolées. [Fig. 1]
Fig. 1
À cette époque, le communiste Ambroise Croizat est ministre du Travail et de la Sécurité sociale.
Les fondements du système de Sécurité sociale sont affaiblis depuis de nombreuses années avec une intensité grandissante depuis les années 90.
QUELS SONT LES PRINCIPES FONDATEURS DE LA SÉCURITÉ SOCIALE ?
Fig. 2
En 1945, cet ancien métallurgiste syndicaliste établit le régime général de la Sécurité sociale par ordonnance.
Bernard Friot, Puissances du salariat, 2012. Dans cet ouvrage, Bernard Friot nous offre une relecture de l’histoire de la Sécurité sociale et considère le régime général comme un acte révolutionnaire.
Fig. 3
En 1946, les travailleur·euse·s elleux-mêmes par l’intermédiaire des syndicats, appliquent les mesures révolutionnaires fournies par le gouvernement.
La Sécurité sociale est mise en place par le gouvernement dans une France détruite à la fin de la Seconde Guerre mondiale.
Fig. 4 PÉDAGOGIE/PEDAGOGY
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Ce progrès social n’est pas une invention. Il rassemble des initiatives locales et sectorielles de groupes professionnels concernant la santé publique, la retraite, la famille, le chômage qui lui préexistaient… L’objectif est alors d’unifier la protection sociale sur le territoire national. [Fig. 2] À l’origine, ce système est conçu sur quatre principes. Le but est de créer une démocratie sociale. Mais ces fondamentaux sont attaqués depuis 1945. Dès sa mise en place, le système n’est pas le même pour tout le monde. Le système retarde l’absorption des régimes spéciaux existants, du fonds de chômage et des congés payés. [Fig. 3] Puis, avec le temps, la Sécurité sociale est divisée en 4 branches indépendantes. [Fig. 4] De nos jours, l’organisation de la Sécurité sociale est un organisme complexe et fragmenté. [Fig. 5]
Fig. 5
Son financement est généré par les travailleur·euse·s qui produisent une forme de valeur par leur travail. Cette valeur dite « ajoutée » est ensuite répartie en trois branches : le salaire direct, les cotisations sociales et le profit. [Fig. 6] À l’heure actuelle, les cotisations sociales que nous appelons « salaire indirect » sont de plus en plus affaiblies, remplacées par des impôts. Les impôts, dès lors, justifient l’existence du profit ; ils sont une forme capitaliste de financement de la Sécurité sociale. Les travailleur·euse·s ont pu mener les débats sur le financement des soins de santé par l’intermédiaire des syndicats jusqu’en 1967. Mais depuis lors, la parité apparente permet en fait aux propriétaires d’entreprises d’y avoir le pouvoir : les propriétaires sont unifié·e·s alors que les syndicats sont divisés la plupart du temps. L’expression du Pouvoir devient alors une expression de l’Autorité. [Fig. 7]
LA SÉCURITÉ SOCIALE EST-ELLE ENCORE UN SYSTÈME DE SANTÉ PUBLIQUE ?
Fig. 6
Ce livre a eu une grande influence sur l’évolution de la gestion du secteur public : les outils de gestion des entreprises sont depuis utilisés pour la gestion de l’État. Les citoyen·ne·s deviennent alors les client·e·s d’un État qui fournit des services. La rentabilité est la nouvelle norme. En France, la Loi Organique sur les Lois de Finances a institué la quantification des performances, c’est-à-dire la scission de l’action publique en plusieurs parties indépendantes mesurées par des indicateurs. Fig. 7
146 PÉDAGOGIE/PEDAGOGY
On assiste à la mise en place d’une concurrence entre les secteurs publics et privés avec une manipulation des éléments de langage.
La rentabilité comme nouvelle norme L’hôpital devient une entreprise avec l’État comme gestionnaire. C’est le processus de privatisation en cours des services publics depuis les années 80. Dans ces nouvelles conditions de travail, le personnel de santé hospitalier est soumis à de nouveaux stress et les travailleur·euse·s se plaignent de ne plus pouvoir faire leur travail correctement.
Fig. 8
D’un côté l’État est une grosse machine gérée comme une entreprise. L’image d’un État protecteur des menaces n’existe plus. D’un autre côté, il y a aujourd’hui de moins en moins d’actions civiles, avec de moins en moins d’impact. La société civile désaffectionne le vote, les manifestations, les actions de grève et les syndicats sont très affaiblis.
Notre problème est le suivant : nous ne voulons absolument pas de ce processus, mais il semble impossible d’inverser les tendances actuelles. La destruction des systèmes de santé se produit partout dans le monde. Quelle que soit la qualité des services fournis par la Sécurité sociale en France, celle-ci pourrait vraisemblablement être mise sur le marché et disparaître en tant que service public. Lorsqu’on s’intéresse à la Sécurité sociale, il est difficile d’imaginer que demain sera plus lumineux, aussi, nous devons avoir un plan. Si cette destruction nous mène vers la libéralisation totale de la Sécurité sociale, nous croyons à la possibilité d’une réaction civile à l’échelle locale. [Fig. 8] Dans les services publics actuels, l’eau peut être un exemple. Après trente ans de privatisation des services de gestion de l’eau dans le monde, la re-municipalisation de ces services essentiels est en cours. [Fig. 9] Démocratie sociale Ces nouveaux services collectifs à gouvernance locale attestent de la volonté en divers endroits du monde de construire des démocraties sociales.
Fig. 9
COMMENT PEUT-ON (RE)CRÉER UNE SANTÉ COLLECTIVE ?
Nous croyons à une réaction sous forme de Guérilla : le pouvoir civil a construit la Sécurité sociale par les syndicats, le pouvoir civil peut reconstruire un service de santé essentiel à l’échelle locale. C’est ce que nous appelons une Santé Collective. En France, une Santé Collective peut ré-émerger à Saint-Étienne, où on trouve la seule École Nationale Supérieure de la Sécurité sociale. La ville dispose également d’un Centre Hospitalier Univer-
sitaire de renom, assez puissant pour fédérer les infrastructures médicales et les professionnel·le·s de la santé dans la région de SaintÉtienne. Un petit groupe de personnes engagées crée donc une association autour de la Santé Collective dans le bassin de vie de Saint-Étienne. Ces personnes viennent principalement du corps médical, des associations alternatives et des représentant·e·s élu·e·s. Il·elle·s établissent une charte sur laquelle reposera la Santé Collective. [Fig. 10] La charte propose la socialisation du salaire. Un pourcentage de la valeur ajoutée des entreprises membres est versé à une caisse locale. Cela signifie que tous les salaires et toutes les cotisations patronales et salariales sont socialisés. Ensuite, la Caisse reverse tous les salaires et avantages so-
ciaux : elle fournit des soins de santé pour tout le monde. [Fig. 11] Les personnes et les entreprises engagées dans la démarche participent à un système d’adhésion et l’association établit des contrats avec le patronat. Les premier·e·s membres sont vraisemblablement des militant·e·s, des travailleur·euse·s médicaux·ales, des entreprises locales engagées, des entreprises voulant se donner une image éthique et des organisations municipales issues du processus de municipalisation des services publics. Cette Santé Collective est organisée en deux partie : le Conseil et les Assemblées. [Fig. 11]
fique — par exemple le montant des prestations de santé. Les membres doivent siéger jusqu’à ce que leur proposition soit adoptée par le Conseil qui a le pouvoir de décision. Le Conseil est composé de membres tiré·e·s au sort et de bénévoles, il est renouvelé tous les trois mois. [Fig. 12-13] Des soins de santé sur-mesure On assiste à la création d’une Santé Collective par la mise en place du salaire à vie. En donnant un salaire à tou·te·s, tout le monde a accès aux services de santé. Avec le temps, de plus en plus de travailleur·euse·s et de sociétés rejoignent l’association collégiale. Le bassin de vie stéphanois crée ses soins de santé sur mesure.
Une assemblée est composée de membres tiré·e·s au sort et de membres intéressé·e·s. Chaque Assemblée doit proposer des réponses à une question spéciPÉDAGOGIE/PEDAGOGY
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COMMENT METTONS-NOUS EN ŒUVRE CELA ? Trois scénarios sont possibles. Scénario 1 Le Conseil Municipal choisit de municipaliser la santé publique de la ville par voie institutionnelle. L’URSSAF, le comptable régional de la Sécurité sociale, applique les décisions prises par le gouvernement centralisé. Il devient un ensemble de caisses indépendantes et conclut des ententes avec les municipalités engagées. L’URSSAF devient des Caisses Locales de Santé Collective par la loi mise en place conjointement par le conseil municipal et les citoyens. Scénario 2 Les professionnel·le·s médicaux·ales du bassin de vie se rassemblent pour prendre soin des corps sans aucune pensée mercantile. Il·elle·s utilisent les failles du système de financement pour travailler pour tout le monde. Les citoyen·ne·s voient qu’il est possible et nécessaire d’avoir une Santé Collective et s’organisent pour construire les infrastructures de ce service. Scénario 3 Le troisième scénario est le pire et le plus violent : nous attaquons les caisses de l’URSSAF en piratant le système existant pour distribuer l’argent aux professionnel·le·s de santé et aux structures médicales locales. [Fig. 13] Nous organisons un Health Hackathon, un événement qui rassemble des travailleur·euse·s du numérique tels que les hackers, des développeur·euse·s, des web-designers, avec un objectif commun. [Fig. 14] Cet événement permet le repérage des faiblesses du système informatique de la Protection sociale. Les hacktivistes attaquent les système de l’URSSAF le 5 ou le 20 d’un mois, lorsque les caisses de l’URSAFF sont pleines. Ces jours-là, l’URSAFF reçoit toutes les cotisations sociales et les distribue immédiatement comme prestations sociales. La Santé Collective peut travailler en autonomie pendant un mois dans ce bassin de vie sans subir les pressions de la gestion capitaliste actuelle de l’État. Afin de ne pas rester spectateurs·trices de la destruction programmée de la Sécurité sociale en France, nous avons imaginé ces trois scénarios d’autodéfense face à la libéralisation de ce bien collectif précieux.
Fig. 10
Fig. 11
Fig. 14
Cette relocalisation de la Sécurité sociale est basée sur la volonté de changer les choses. C’est la naissance de l’Association des soins de santé. En attaquant les fondamentaux de la Protection Sociale, les mouvements libéraux ne savent pas qu’ils pourraient finalement jeter les bases d’un fervent engagement civil en matière de santé collective. [Fig. 15]
148 PÉDAGOGIE/PEDAGOGY
Fig. 12
Fig. 13
Fig. 15
WHAT IF WE LOOSE THIS FIGHT? In France, Social Security is a great active system of Public Health. We should fight to keep and improve it. The institutions related to Public Health in France are organized in various organs under the term Social Protection. One of those is a big chunk on which we are focusing: the Social Security System.
a social democracy. Effectively those fundamentals are attacked since 1945. From the start the scheme was not the same for everyone. The system delayed the absorption of the existing special schemes, the unemployment fund, and the paid leaves. [Fig. 3] Overtime the Social Security has even been split in 4 independent branches. [Fig. 4]
Every year the French government votes the Social Security Financing Act. It plans the expenses of the system depending on the incomes and it shows the priorities of the government concerning Public Health. Last reforms are weakening the Social Security System by attacking its founding principles. Those are not isolated or new attacks. [Fig. 1]
Nowadays, the organisation of the social security system is a complex and fragmented body. [Fig. 5]
The foundations of the Social Security System are weakened for many years especially since the nineties.
At the present time, social contributions which we call “indirect wage” have lower and lower importance replaced by taxes. Taxes justify the existence of the profit, they are a capitalist form of financing the Social Security System.
What are the founding principles of Social Security? With his book Puissances du salariat (2012), Bernard Friot offered us a proofreading of the history of Social Security and considered the General Scheme as a revolutionary achievement. The Social Security System was created by the government in a destroyed state after the Second World War. At that time, the communist Ambroise Croizat was the Minister of Labour and Social Security. In 1945 this former unionist steal-worker established the General Scheme of the Social Security System by ordinance. In 1946 the workers themselves through unions applied the revolutionary measures provided by the government. This social progress was not an invention. It gathered some local and sectoral initiatives of professional groups concerning public health, retirement, family, unemployment… The aim was to unify the social protection on the national territory. [Fig. 2] In the beginning the system was intended as a scheme based on 4 principles. The aim was to create
Regarding the financing : the workers produce some added value by working. This added value is then shared out among three branches: the direct wage for them, the social contributions and the profit. [Fig. 6]
The workers could have led the debates of financing Healthcare through unions until 1967. But ever since that, the apparent parity permits the business owners to have power: they are unified whereas unions are split most of the time. The former expression of the Power is now an expression of the Authority. [Fig. 7] Is Social Security still a public health system? The David Osborne’s book Reinventing Government, How The Entrepreneurial Spirit Is Transforming The Public Sector led to the New Public Management: it imported the companies’ management tools into the state. Citizens became clients of a state which provide services. Profitability is the new standard. In France, the Organic Law on Finance Laws instituted the quantification of performances, the split of the public action in many independent parts measured with indicators. It was the establishment of a competition between public and private sectors with a manipulation of the language.
Profitability as a new standard The Hospital was becoming a company with the state as manager. This is the ongoing privatisation process of public services since the eighties. In those working conditions, the hospital health staff is stressed and workers can’t do their work correctly. On one side the state is a big machine managed as a company. The image of a state as protector from threats is over. On the other side there are less and less civil actions with less and less impact nowadays. The civil society is abandoning votes, demonstrations, strike actions, and unions are weaker than ever. The point is: This is absolutely not what we want but it seems impossible to reverse the current trends. The downfall of Healthcare Systems is occurring all around the world. However good is the Social Security in France, it might move to market and disappear as a Public Service. Tomorrow won’t be brighter, we have to have a plan. If it goes bad, in the case of the liberalisation of the Social Security System, we believe in a civil reaction on a local scale. [Fig. 8] In the current public services, water can be an example. After thirty years of privatisation movements of public services in the world a current trend is the remunicipalisation of those essential services. [Fig. 9] Social Democracies Those new Collective Services with local governance show the worldwide will to build Social Democracies. How can we (re)create a Collective Health? We believe in the Guerilla position: civil power have built Social Security through unions, civil power can rebuild an essential health service on a local scale. This is what we call a Collective Health. In France, a Collective Health can emerge in Saint-Étienne, where the only National Social Security School is. The city have also a renowned university-affiliated hospital which is powerful enough to federate medical infrastructures and medical professionals in the Saint-Étienne living area.
A small group of committed people creates a collective association about Collective Health in the Saint-Étienne living area. People are mostly from medical system, alternatives associations and elected representatives. They establish a charter on which the collective health will be based. [Fig. 10] The charter propose the socialization of wage. A percentage of the added value of member companies goes to a local collective fund. It means all the wages with all the employer and employee contributions are socialized. Then the fund remits all wages and social benefits, it means the fund provides healthcare for everyone. People and companies take part with a membership system and the association makes contracts with owners and producers. First members would be some activists, medical workers, local committed companies, corporations wanting an ethical image and municipal organisations coming from the municipalisation process of public services. This Collective Health is organised in two parts : the Council and the Assemblies. [Fig. 11] An Assembly is composed of members selected at random and interested members. Each Assembly has to make propositions on a specific issue like the amount of health benefits. Members have to sit there until their proposition is adopted by the Council which has the power of decision. The Council is composed of members selected at random and volunteers and it’s replaced every 3 months. [Fig. 12-13] Tailor-made healthcare It’s the creation of a Collective Health by the process of establishing the lifelong wage. By giving all people a wage, everyone have access to Healthcare and Health facilities. Overtime more and more workers and companies join the collegial association. The living area creates its tailor-made healthcare. How do we implement this? We think about three bottom up scenarios.
Scenario 1 The municipal council chooses to municipalize Public Health of the city by institutional way. The URSSAF is the regional accounting officer of Social Security and applied to decisions made by the centralised government. It becomes independent funds and makes agreements with committed municipalities. The URSSAF becomes local fund for a Collective Health by law manage by the municipal council and the citizens. Scenario 2 The medical professionals of a living area federate them to take care of the bodies without mercantile thinking. They use flaws of the financing system to work for everyone. Citizens see that it’s possible and necessary to have a Collective Health and organised them to build the infrastructures of this service. Scenario 3 The third scenario is the worst and the most violent one : We defraud the URSSAF funds by hacking the existing system to distribute the money to medical professionals and medical structures. [Fig. 13] We organise a Health Hackathon, an event which bring together some digital workers like hackers, developers, web-designers with one common goal. [Fig. 15] It identifies the weaknesses of the computing system of the social protection. The hacktivists attack the URSSAF system on the 5th— or the 20th—of a month, when the URSSAF accounts are full. On those days the URSSAF receive all social contributions and immediately distributed them as social benefits. Collective Health can work in autonomy during one month in this living area without suffering the pressures of the current capitalist management of the state. This event shows that a Collective Health is possible and that we are not far from that. It generates the will to change things and to act together. It’s the birth of the Healthcare Association. By attacking the fundamentals of the Social Protection, the liberal movements don’t know that they ultimately could lay the foundations of a civil commitment on Collective Health. [Fig. 16] PÉDAGOGIE/PEDAGOGY
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REFLETS MODERNES ET CONFLITS RÉELS Jessica Paci Mathieu Rossi Nous allons essayer d’explorer ce que sont les maladies imaginaires et les imaginaires de la maladie en nous questionnant ainsi : comment nous racontons-nous notre monde ? Comment représentons-nous nos espaces et notre temps et avec quel langage ? Notre objectif premier sera de bien comprendre quelle place est réservée à l’autre et à ses différences. Analyse des livres Aujourd’hui, un nombre grandissant de personnes sont identifiées comme étant « anormales ». Les processus normatifs sont de plus en plus nombreux et définissent
150 PÉDAGOGIE/PEDAGOGY
une « normalité » de plus en plus étroite. Ainsi, la part est toujours plus importante d’individus laissés à la marge d’une collectivité se définissant de façon toujours plus univoque. Nous avons basé la présente réflexion sur la lecture de trois ouvrages depuis lesquels nous allons explorer les manières dont le monde perçoit, mais aussi dont il a perçu, la maladie. Ainsi, trois représentations de la maladie seront présentées. Georges Didi-Huberman, Invention de l’hystérie, 2008.
La Salpêtrière doit être en tout point comprise comme une de ces femmes dites folles que cette institution était censée soigner : la sphère institutionnelle médicale a été le lieu où, travaillant à montrer ce que sont les symptômes d’une maladie, Charcot les mit en scène. La Salpêtrière, à la fin du XIXe siècle, est comme un enfer : l’enfer des femmes folles, avec lesquelles Charcot fit des expériences en utilisant l’hypnose. Nous restent les traces photographiques des troubles de ces femmes et l’impact sur leurs corps mis en scènes. Tout ceci constitue encore aujourd’hui notre imagerie des symptômes de l’hystérie.
Dans ce livre, Thomas Mann décrit l’isolement des tuberculeux·euses et la création d’une nouvelle société au sein du sanatorium. Résultat Ces ouvrages décrivent un va-etvient entre ce qui est de l’ordre de la construction sociale et ce qui est de l’ordre de la construction individuelle ainsi que les processus de stigmatisation qui en découlent. Le problème y apparaît comme étant la façon dont la sphère institutionnelle et médicale « définit » ces personnes. Cette gestion de la différence établit la place de ces personnes parmi nous ou en dehors de nous. Fig. 1
Georges Didi-Huberman met ici en évidence une des modalités d’influence du médecin sur ses patient·e·s. Mais il donne aussi à voir l’influence qu’eut le docteur Charcot sur notre vision de ce qu’on a appelé l’hystérie et plus généralement notre vision de la folie. Attention lorsque vous attaquez les monstres à ne pas devenir un monstre vous-même
Fig. 2 L’habit ne fait pas le monstre
À la lecture de ces trois textes, il ressort que les images, qu’elles soient des images physiques ou des images mentales, jouent un rôle majeur dans la façon dont sont traitées les personnes désignées comme « malades ». En s’attaquant à ceux·elles qui sont considéré·e·s comme des monstres, la société devient ellemême monstrueuse.
Susan Sontag, La maladie comme métaphore, 1978 ; Le SIDA et ses métaphores, 1989. Dans ce second ouvrage La maladie comme métaphore, une seconde échelle de lecture des perceptions des populations dites « malades » s’opère. Cette fois-ci non plus au sein de l’institution mais dans « la sphère publique ». Par ce livre, Susan Sontag éclaire les mécanismes de l’exclusion de ce peuple au sein du corps social. Thomas Mann, La Montagne Magique, 1924. [Fig. 2] Enfin, dans, La montagne magique, c’est la sphère privée qui est abordée, on y parle de la relation entre les personnes appelées « malades » et la société.
Ceci atteste de l’impasse institutionnelle de notre monde, notamment lorsque nous sommes confronté·e·s à ce qu’il reste de liberté aux personnes existant derrière cette somme d’inégalités. Car tout leur est difficile d’accès, qu’il s’agisse de trouver un emploi, avoir des compensations, accéder à des services privés tels que le logement, les crédits ou les loisirs.
QUELS SONT LES OUTILS, LES DISPOSITIFS MIS EN PLACE POUR PROCÉDER ET JUSTIFIER DE CETTE MISE À L’ÉCART ? Le rôle de « la société » : voir les choses en face avec les yeux fermés Pour comprendre ceci, nous allons disséquer l’anatomie des relations humaines et les représentations que celles-ci se donnent. Nous nous attacherons à comprendre ce qui conditionne les croyances et les échanges dans nos sociétés.
Durant ses moments de socialisation, l’individu intègre progressivement ce que le groupe auquel il appartient considère comme étant « normal » ou « anormal ». C’est au sein d’un groupe que s’établit un modèle idéal et dans lequel s’écrivent les normes et critères de la normalité et du pathologique. Ainsi, c’est dans le regard des autres que sont désignées les déviances. Le pouvoir des peurs
Les normes auxquelles nous sommes soumi·se·s entraînent une mise à l’écart des gens appelés « malades ». Mais qui élabore ces normes et sur quelles bases ? En premier chef, il semble que ce soit la sphère institutionnelle médiale (politiques, psychiatres, scientifiques…) qui élabore les normes sur la base de « savoirs ». Ces savoirs constituent une somme de constructions théoriques porteuse de valeurs, de modes de pensées, de pratiques professionnelles et aussi de normes qui façonnent la vie quotidienne des gens dits « malades ». La différence est désignée par les autres I am sorry but you are not adapted to our society you are so primitive
Mais nous voudrions comprendre comment les preuves et la scientificité de ces discours sont créées ainsi que la manière dont ces normes sociales sont intégrées par le corps social.
En d’autres termes, le monstrueux se définirait dans un rapport entre les caractéristiques factuelles d’un objet et la faculté de la pensée à les comprendre dans un contexte social. Dans ces conditions, y a-til une monstruosité en dehors de cette forme d’humanité qui les qualifie ainsi ? Désormais, nous n’en sommes plus très sûr·e·s.
LE RÔLE DES IMAGES
Lire ce qui n’a jamais été écrit Pour nous, les images sont des représentations visuelles de quelque chose. Elle ont toujours servi aux humains dans la circulation des idées. Et une chose est sûre, le geste humain est à l’œuvre dans les images. Les humains ont représenté le monde tel qu’ielle·s le comprenaient. Ielles·s ont créé des images de ce qu’ielles·s pensaient être réel. On peut ainsi dire que les images sont des reflets de différentes réalités qui coexistent. Elles sont des échantillons du monde et l’imagination un andinventaire de isoftheinsti cha is the Results change Results isResults the change of institut images influence our judgments images influence perception andest our perception judgments images influence our perception and our our judgments relations images influence our perception and our judgments relations nosimages expériences visuelles. influence our perception and our judgments
Results
images influence our perception and our judgments
La monstruosité n’est pas un saut L’expérience des images dans quelque chose de radicalement différent, elle est un doux Old image Old image Old image glissement d’un état à un autre, Old image Old image Old image c’est une déviance. Cette monsOld imageOld image Old image Old image Old image Old image Old image Old imageson retruosité renvoie à chacun Old imageOld image Old image OldOld image Oldimage image OldOldimage image gard sur lui-même. L’inquiétude de ne pas faire partie Old deimagela norme Old Old imageimage image entraîne des composantes de la OldOldOld image image Old image Old image image Old image Old problem société à condamner la déviance, Old image à la déshumaniser. problem Old image
Old image
Le monstrueux n’est donc pas une propriété objective de certains êtres, il apparaît plutôt problem comme une réaction d’inquiétude d’un·e spectateur·rice se sentant menacé·e par cette interrogation : « j’aurais pu être un·e monstre ».
Mais qu’est-ce que faire l’expéproblem problem rience problem des images ? Si leur expérience ne nous marque pas nécessairement, les images vues restent cependant archivées dans une sorte de mémoire inconsciente. PÉDAGOGIE/PEDAGOGY
151
Old image
À travers une succession d’expériences, elles constituent un savoir par l’image. Les images forment une « culture somatique », orientant nos choix. Elles ont un fort pouvoir de persuasion et, en jouant sur l’identification et les émotions, influencent notre perception et nos jugements. Aussi nous devons reconnaître que nous sommes conditionné·e·s par l’expérience des images, par ce que nous appellerons « la survivance des images ».
On peut scinder l’Histoire de la maladie en deux immenses périodes : la première, où la maladie est une punition divine, envoyée par les dieux·éesses et traitée par la religion. La seconde, qui va naître à la Renaissance, et qui considère la maladie comme une dérégulation biologique résultant d’un mode de vie non sain devant être soigné par des savant·e·s.
illness / impurity unreason / sin
ARCHÉOLOGIE DES IMAGES Une histoire de la perception du corps
La survivance des images dont nous parlions précédemment s’applique dans ce cas. Cette survivance se transmet par les images et par les gestes des corps mis en scène dans ces images. La transmission dans le temps des gestes fondamentaux du soin autant que du rejet construit les perceptions. On lit l’épaisseur du temps dans le fait que les images voyagent, à travers les phases historiques et qu’une même image puisse se trouver à des siècles de distance et résonner toujours de manière aussi forte. L’imaginaire de la maladie est le résultat de la superposition de vieux mythes composés de différentes associations telle que folie/faute, maladie/impureté, déraison/péché.
QUELQUE PART ENTRE VÉRITÉ ET RÉALITÉS
L’image du corps raconte au fil du temps une histoire de comment guérir ce corps. Les représentations, développées par la sphère institutionnelle et médicale cherchent à montrer comment le corps est fabriqué, de qui il se compose et comment le guérir.
Ce projet consiste en la construction d’une mutation sociale ayant pour objectif de construire la banalisation de la maladie et, de fait, un intégration totale des personnes dites « malades ».
Aujourd’hui, l’imaginaire de la maladie est le résultat de la superposition de vieux mythes
madness / Fault
Entre d’une part la dramatisation collective de cette survivance des images et d’autre part le discours médical, l’imaginaire collectif se nourrit de ce qu’il voit. Dans le cadre de la santé, la sphère institutionnelle et médicale a une influence importante sur l’opinion publique dont il est difficile d’évaluer la puissance. Nourrissant les imaginaires, ces images contribuent à changer les comportements et à modifier l’ordre de la construction sociale ainsi que celui de la construction individuelle.
PLAN DE BATAILLE: LÉGENDE DE LA FOLIE ORDINAIRE
Il y a assez à voir avec l’imaginaire À ce stade nous sommes amené·e·s à nous demander si le corps est une fiction, un ensemble de représentations mentales, une image inconsciente qui s’élabore et se dissout, se reconstruit au fil de l’histoire du sujet, sous la médiation des discours sociaux et des systèmes symboliques. Tout cela nous pousse à nous questionner sur la différence entre vérité et réalité. La vérité est absolument relative
Celles-ci contribuent à la formation d’un imaginaire collectif important, d’où résulte la mise en place de normes discriminantes et l’exclusion des dits anormaux, malades, déviants. Les représentations du corps ont évolué dans le temps, entraînant l’évolution des systèmes de guérison et l’évolution des savoirs sur ce qui compose le corps humain. Ceci a aussi modifié les raisons de l’apparition de la maladie.
constater que la réserve d’anormalité est inépuisable. L’individu doit prendre conscience qu’il est toujours le déviant de quelqu’un d’autre. Les individus doivent être entraînés à faire le choix de la différence contre la norme afin de ne pas mettre en danger leur liberté. À travers la question des normes c’est l’identité même qui est mise en jeu. Imaginons une société normée à outrance d’où toute déviance serait éradiquée, nous serions face à une société sans différence.
La culture, les croyances, les normes s’inscrivent sur et dans le corps au travers des images : par ce projet nous proposons une nouvelle façon de voir le monde, de le pratiquer, à travers les images. Au Moyen-Âge, les iconoclastes prônaient la destruction des images pieuses. Notre projet s’inscrit dans une certaine continuité avec cette tradition. En composant avec les images, nous voulons re-dessiner collectivement ce qu’est le collectif, pour modifier les comportements, en agissant sur les connaissances, les valeurs et les croyances. Notre projet consiste en une révolution mentale et culturelle de transformation de l’imaginaire de la maladie. Nous souhaitons intervenir aux trois échelles identifiées dans nos trois lectures présentées en introduction.
PUBLIQUE sphere - SOCIAL Critical thinking ON IMAGES INSTITUTIONNAL AND MEDICAL SPHERE a school of alternative world
Nous souhaitons intervenir à trois échelles. Dans un premier temps, le travail sur la sphère privée consisterait à repenser la condition propre à chaque individu. Dans un second temps, le travail sur la sphère publique consisterait en une critique des images en vue d’une prise de conscience collective. Enfin, le travail sur la sphère institutionnelle consisterait à la mise en place d’Écoles de pensées alternatives engagées dans la transformation du monde par l’image. La négation de la négation : rupture radicale avec les normes
Mais cette école aurait aussi pour vocation d’acter du passage d’un monde de l’écrit à un monde de l’image et de refondre ce dernier sur cette expérience imaginaire, de manière totale. La maladie absolue comme justice sociale : participer à la contamination
La révision du statut de la norme est indispensable pour lutter contre le contrôle social. Cette critique de la norme passerait par la création de gigantesques expositions d’images montrant les abus de normalisation de sociétés nous ayant précédé et ayant mené à de monstrueux excès. Ce changement dans le processus de développement des « standards » amènerait d’autres manières de construire socialement la différence. Rupture radicale avec les images traditionnelles
Notre objectif par cette école est de former 500 individus en 10 ans afin qu’ils se diffusent dans toutes les sphwères de la société et participent à refonder un rapport à l’image.
Travailler sur les trois sphères identifiées en préambule private sphere - human thinking about own condition
d’éducation aux images. C’est-àdire d’une formation des esprits à construire des distances avec l’image, en comprenant et en discernant ce qu’elle provoque.
Une deuxième phase consisterait en la révision du rapport à l’image pour dénoncer les problèmes qui y sont associés et amorcer une prise de conscience collective. Cette critique de l’image prendrait la forme d’une mise en lumière des différentes mises en crise de la vérité par la multiplicité des réalités montrées dans les images au fil de l’histoire humaine.
Ces soldats de l’image devront permettre de construire les conditions d’une mutation sociale de notre rapport à l’autre dans une société à venir de la maladie absolue, c’est-à-dire une société de l’intégration totale de la différence. Ce projet à été réalisé sur la base de collages trouvés sur internet. Nous avons tenté d’identifier les sources sans succès. Merci aux personnes dont les images ont été utilisées de nous contacter pour que nous faisions mention de leur nom dans le prochain numéro.
Ainsi nous souhaitons impulser un mouvement de contestation massif contre la vérité et pour la réalité, afin de re-questionner le dispositif des images, interroger l’usage que l’on fait d’elles et revoir l’univers de leurs discours. Autrement dit, il s’agira d’instaurer un monde pour lequel comprendre l’expérience des images est une action sous conditions. Cette phase critique a pour objectif de lever une génération de combattant·e·s de l’image et de faire de l’imaginaire de la maladie une arme de combat pour une justice sociale absolue.
We think images are the best communication tool The mental and tool cultural revolution start with : We think images are the best communication no language We barrier think images are the bestalternatives communication Thecultural mental and culturalstart revolution École de pensées :tool The mental and revolution with : start with : We think images are the best communication tool no language barrier We think images are the best communication tool The mental and start with : with : no language barrier The cultural mental andrevolution cultural revolution start the images affectprocéder everyone We think images arebarrier the un best communication tool avec programme no language no language barrier The mental and cultural revolution start with : theaffectimages affect everyone the imagesthe affect everyone the images everyone images affect everyone no language barrier d’éducation de l’image, the images affect everyone faire rupture radicale avec l’école traditionnelle new image
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À la différence peut-être de la vérité, toute réalité est une construction sociale. Les sociétés ont multiplié les réalités, chaque nouvelle découverte sur le corps ayant prouvé que l’ancienne était fausse. Mais comment avonsnous construit une histoire avec le faux ? Comment la sphère institutionnelle et médicale a-t-elle pu habiller le faux en vrai ?
152 PÉDAGOGIE/PEDAGOGY
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Puisqu’une vie ordinaire peut solution être politique, nous avons décidé de commencer ce projet par la sphère privée. Force est de
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Notre projet consisterait en la mise solutionen place d’une école de résolution solution du forme monde par l’image. Cette École de pensée alternative procéderait d’un programme
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MODERN REFLECTS AND ACTUAL CONFLICT Today, we will try to distinguish with you what are imaginary illness and the imaginary of the illness by wondering: how are we telling each other about our world, how are we representing our space and time, with which language and which space left for others and their differences. Books’ analysis Nowadays, many people are call “abnormal”. Yet, there are more and more norms which represent one “normality” much more narrow. Therefore, even more people are left aside by a rigid society which uniquely defines itself. We based our thinking on reading three books through which we explored how the world seen the disease, with three different approaches. Georges Didi-Huberman, Invention de l’hystérie, 2008. The institutional and medical sphere, where, by trying to show what are the symptoms of a disease Charcot staged it. La Salpêtrière, at the end of the 19th century, is like a hell [Fig. 1], the hell of crazy women, with whom Charcot will experiment using hypnosis. Moreover, he keeps photographic traces of the mental disorders of these women and the impact on their bodies in order to create an imagery of hysteria symptoms. With this book, the writer shows us the conditioning character of the doctor’s influence on his patients. And the influence Charcot has on our vision madness. Susan Sontag, Illness as Metaphor, 1978; AIDS and Its Metaphors, 1989. In Illness as Metaphor, the public sphere is developed by showing the relationship between society and the people call “sick”. In her book, Susan Sontag talks about the exclusion of this people by society. Thomas Mann, The Magic Mountain, 1924. [Fig. 2] On the contrary, in The Magic Mountain, this is the private sphere which is shown: the relationship between the people call “sick” and the society. In his book, Thomas Mann talks about the revocation of this people between them, and the creation of a new society within the sanatorium. What is the result? Describing the going back and forth between what’s about the social construction and what’s about individual construction. The way of thinking springing from those books is that there is an exclusion of the people called sick because of their stigmatization. The problem is coming from the way the institutional and medical sphere define his people. The management of differences establishes where people are meant, among us or aside. Take care when you attack monsters not to become a monster in return Pictures have a major responsibility on how people will treat other people called “sick”. By attacking those who are considered as monsters, the society must be careful not becoming one itself. This truth is highlighting the institutional deadlock and finding today, with a very particular echo,
a full series of inequalities which questions the freedom questions of those persons. For example, everything is complicated to access to for people call sick: find a job, have compensations, access to private services like housing, credits, or recreations. What are the tools, the devices put in place to proceed and justify this shelving? The role of society: seeing things in the face with closed eyes We will dissect relations’ anatomy in order to understand what is conditioning the beliefs and the exchanges in our society. The dress doesn’t make the monster First of all, the norms we are following are problematic because they lead to an alienation of the people called “sick”. But who is elaborating those norms? Based on what? In the first instance, this is people from the institutional and medical sphere (politics, psychiatrists, scientifics…) who formulate the norms based on a “knowledge”. Those knowledges are seen as theoretical constructions holder of values, thinking ways, professional practice and norms that inform day-today life of people called “sick”. Difference is designated by the others Moreover we would like to understand how evidence is created and how social norms are integrated. During socialization, an individual is integrating step by step what the group of persons he is part of, consider as “normal” and “abnormal”. It is the reference group which settle an ideal model and dictate norms and criteria of normality and of pathology. In this way, it is in the look of others that are designated deviances. To get back to our first wonder, this critical work allow us to understand that alienation is working like a reminder of norms and an obligation comply with it. The power of fears But monstrosity isn’t a jump through something completely different, it’s a slide from one state to another. The problem is the retrospective that people create on themselves. The fact not to belong to the norm leads the society to condemn and dehumanize deviance. So the monstrosity is not an objective property of a certain person, it’s a reaction of concern because spectator feels threatened: “I could have been a monster”. In another terms the monstrosity defines itself in a ratio between limits of the objects and the abilities of thinking and understanding. In these conditions is their monstrosity out of the humanity that qualifies them. From now on we are not so sure about it anymore. The role of images Reading what has never been written What are images? For us images are just visual representation of something. They have always served to human kind to express, extend and share their ideas. Something sure, is that human inspiration is behind the creation of images. People have represented the world has they understood it. Thus they have created images of what they thought real. So we can say that images are the reflection of different realities. They are samples of the world and imagination is the result of our visual experiences.
Experiencing images What’s experiencing images? Images are universal vocabularies, they have no boundaries. It’s enough to look at an image to speak the visual experience. Even if the experience in itself doesn’t impress us they are stored in our subconscious memory. The succession of experiences creates knowledge through the image. Images form “somatic culture” that will lead our choices and our judgment by an unconscious thought. Moreover they have a strong power of persuasion playing with our emotions and influencing our perception of judgment. So our actions and decisions are never neutral. We can say that we are conditioned by the experience of images: we will call it, images survival. Between dramatic amplification and medical outreach, the collective imaginary is feeding from what it sees. In health care, the institutional and medical spheres have an important impact on public opinion. That’s why developing the diseases imaginary contribute to exclusion of people called “sick”. Indeed, feeding the imaginary of population, the images have contributed into changing behaviors, they have modified the order of the social and individual construction. Archeology of images A story of body perception From the beginning, the picture of the body tells us about how to hill this body. Those representations developed by the institutional and medical sphere are trying to show how the body is built, what it is made of and how to cure it. They are contributing to a strong collective imaginary training that result in the establishment of discriminative norms and people exclusions as soon as they are considered abnormal, sick or deviant. Representations of body evolved through the ages, leading to the development of recovery system. Moreover, knowledge evolution about human body has also modified the reasons of sickness appearance. You need to know that history can be split in two huge times: — First one, where illness is a divine punishment, sent by gods and treated by religion. — Second one, born during Renaissance, where illness is a biological deregulation, coming from insane way of life, nursed by scientists. Today the imaginary of the disease is the result of the superposition of old myths We can apply survival of the images of which we spoke earlier. It is transmitted by pictures and gestures of bodies staged in these images. The transmission of fundamental gestures over time influences cultures. We can see over the time the fact that images travel and that the same images are far away but their resonance are still strong. Today the imaginary of the disease is the result of the superposition of old myths composed themselves of different associations: madness/fault, disease/impurity and unreason/sin. Somewhere between truth and reality There is enough to do with the imaginary We can wonder if the body is a fiction, a set of mental represen-
tations, an unconscious image that develop itself, dissolves and rebuilt again during the history of the subject. This process comes from mediation of social discourses and symbolic systems. All this urge us to question about the difference between truth and reality.
This change in the process of developing standards would develop an another way of looking at differences. The revision of the status of the norm is essential to fight against social control. You have to become familiar with the difference and discover your own condition.
Thruth is absolutely relative All realities are social construction. As seen with the medicine history, the society has multiplied realities that put in crisis the truth. Every news discovery coming about the body proved that the old one was false. However, how have we built a story with fakes? How have the institutional and medical spheres been able to dress the fake for real? It is obvious they thought that the previous truth was the only one. Through this analysis, what we mean is that there are as many realities as men. The experiences of real make the truth grow. So can we speak about truth, using singular or plural?
Radical rupture with traditional images The second phase consists of the revision of the report to the image. Critical work on the image is necessary, to denounce the problem and to initiate a collective consciousness. This criticism of the image takes the form of an illumination of the various crisis of truth by the multiplicity of realities shown in the images. Thus we wish to impel a movement of protest, to re-question the device of the images. With this critical phase, we seek to bring a generation of image fighters to turn the imaginary of the disease into a weapon of struggle for absolute social justice.
Battle plan: legend of ordinary madness Project consists on a social mutation which would pass by a banalisation of the disease for total integration of people called sick. Culture, beliefs and norms are inscribed on and in the body through images; with the project we propose a other way to see the world and practice it, through these images. By composing with them, we want to re-design collectively what the collective is, to modify behaviors, by acting on the knowledge, values and beliefs of individuals in society. Our project consists on a social change. By a mental and cultural revolution, which would pass by a banalisation of the disease for a total integration to the society, people called “sick”, by changing the imaginary of the disease.
School of Alternative Thoughts proceed with an image education program: a radical rupture with traditional school With the generalization of this mode of expression, images are everywhere. It therefore seems urgent to train the spirits who are led to deal with them. Our project would consist in the establishment of a school of reform of the world that would go against the tradition; this school of alternative thoughts would proceed by a program of education to the images. It therefore has an intimate link with the maintenance of public order, it is an explicit mean of social control.
Work on the three spheres After this analysis, we think that there is an obligation to work on each of the three spheres. At first, work on the private sphere would consist of rethinking one’s own condition. In a second step, the work on the public sphere consists of a critique of the images for a collective consciouness. Finally, the work on the institutional sphere would consist of setting up Schools of Alternative Thoughts. The negation of the negation: a radical rupture with norms Since an ordinary life can be political, from these private interest. We decided to start this project by the private sphere by dealing with the issue of the individual. In reality the standards are so multiple that it is impossible to match an ideal type. Thus, the individual must realize that he is always the deviant of someone else. With the question of norms, it is the very identity that is at stake.
So, for us, the only condition of the images would go through their learning. Not only the learning of their reading but also the learning of their writing. If you learn to make, you learn to both criticize and appreciate. That is why we must learn to deal with them and not to suffer them. Absolute desease as social justice: taking part in contamination We hope to train five hundred peoples during ten years to infect the rest of society. This last phase would be for us the ultimate way to perpetuate our project of social change. This project was made on the basis of collages found on the internet. We tried to identify the sources with no success. Thank you to the people whose images were used to contact us so that we can mention their names in the next issue.
If we take a society that is over-standardized, where deviance is eradicated, it would be a society without difference. The man deprived of his liberties would be reduced to the submission of perfection. Therefore, the individual must fight against the norms and make the choice of the difference, the diversity, so as not to endanger his own freedom. This criticism of perfection would take the form of exhibitions with montages of images of the different past societal experiences, all of which led to monstrous excesses.
PÉDAGOGIE/PEDAGOGY
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CRITI CRITI
QUE QUE
LA GRANDE SANTÉ VS LA SANTÉ ÉTERNELLE Pierre Caye I. Avec les biotechnologies qui soustendent le projet post-humain se joue la constitution d’une nouvelle synthèse anthropologique, la synthèse de l’humain, de l’animal et de la machine. Dans le terme même de bio/technologie, on voit bien que l’homme est pris entre le bios, le grand fleuve de la vie selon la formule de Konrad Lorenz, et la technique, comme si son humanité consistait essentiellement à gérer la relation et la médiation entre la vie et la technique, à être un simple opérateur d’intensification de la vie par la technique et d’immersion de la technique dans le fleuve de la vie. La thèse que je défends ici est très simple : le transhumain, le post-humain, cette volonté à la fois d’intensifier nos facultés par les moyens de la biologie et de la technique, et par cette intensification, de prétendre à une santé éternelle, est de l’ordre du refoulement, d’un déni, du déni de notre sentiment d’impuissance à l’égard de l’extériorité, déni paranoïaque qui engendre nécessairement une extrême violence, l’ultime violence contre nous-même. En effet, faute de maîtriser notre rapport à l’extériorité, nous voulons faire de nous-même le sujet de notre puissance technique, au risque de connaître les mêmes désillusions, les mêmes effets pervers, la même impuissance que dans notre rapport à la nature.
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Je passe pour être un spécialiste des savoirs et de la pensée de la Renaissance, et on s’attendrait naturellement à ce que je propose, face aux risques que recèle cette nouvelle anthropogénèse (c’està-dire ces nouvelles conditions de l’hominisation, de ce qui fait qu’un homme devient homme), un retour aux grands principes de l’Humanisme, à la dignitas hominis, aux grands textes de Gionnozzo Manetti, de Pic de la Mirandole, voire de Nicolas de Cues. De fait, je vais revenir sur ce thème de la dignitas mais de façon singulière en dehors des voies traditionnelles de l’humanisme. Pourquoi cet écart ? 1) D’abord parce qu’il n’est pas sûr du tout que l’humanisme d’un Manetti, d’un Pic, ne finisse pas par nous conduire finalement aux biotechnologies. Il y a ainsi une très forte idée dans le Dignitate et excellentia de Manetti (1452) d’une intensification des facultés à la fois mentales et corporelles de l’homme, une intensification qui dans le De dignitate hominis de Pic de la Mirandole prend la forme d’une métamorphose protéiforme de l’homme, le tout sous le couvert d’une Imitatio Christi mal comprise, au nom d’un démiurgisme fortement marqué par l’influence des écrits hermétiques : le Pimandre ou le Picatrix. 2) N’est pas plus satisfaisante l’approche idéaliste de l’humanisme, fondée sur une séparation et une hiérarchie radicales de l’homme
par rapport à la nature, de l’universel en regard du particulier, ou encore sur la promotion de la subjectivité transcendantale. Il faut assumer cette proximité dangereuse de l’homme, de l’animalité et de la machine pour mieux la surmonter, pour empêcher que tout cela ne se transforme en parc humain ou en embouche. À cette fin, je vais me tourner vers une notion non moins sulfureuse que celle de post-humain ou de trans-humain, qui est celle du surhumain de Nietzsche, d’autant plus sulfureuse qu’on a l’habitude de faire du surhomme nietzschéen la matrice de la post-humanité ou de la transhumanité à laquelle certains aspirent aujourd’hui. Je vais prendre le contrepied de ces interprétations et essayer de montrer en quoi le surhomme nietzschéen n’a rien de la bête blonde sortie des forêts profondes de la Germanie païenne, mais constitue au contraire la dernière ressource de la dignitas hominis, et j’entends ici dignitas, au sens d’une certaine tradition stoïcienne, que Cicéron a exprimée dans son De officiis, à savoir la capacité pour l’homme de tenir son rang (ce que signifie proprement dignitas en latin) dans un monde tragique, affolé et chaotique, à l’épreuve de son impuissance. La santé n’est évidemment pas le post-humain, le déni de notre sentiment d’impuissance, mais au contraire la capacité de construire notre force propre dans l’expérience même de notre impuissance générique, et d’une
impuissance totalement assumée. Voilà ce que Nietzsche me semblet-il entend par la « grande santé », et ce qu’assume pleinement le surhomme tel qu’il le conçoit.
II. « La volonté de puissance n’existe pas » écrit à juste titre l’éditeur de Nietzsche Mazzino Montinari1. Je crois effectivement qu’il n’y a pas plus grand contresens sur Nietzsche que d’avoir fait de ce terme, comme Martin Heidegger, le maître mot de sa pensée. Au contraire, pour Nietzsche, la maladie fondamentale de la civilisation, de la civilisation occidentale en particulier, c’est la maladie de la puissance, « le don quichottisme », ou encore « le sentiment illusoire de la puissance », qui n’est rien d’autre en réalité que « la grande comédie de l’impuissance » (Die grosse Schauspielerei der Ohnmacht2), maladie qui déborde largement au demeurant la seule notion de Volonté de Puissance, et dont Nietzsche pressent bien qu’elle conduira nécessairement à la grande catastrophe européenne des guerres mondiales. Quand Heidegger critique la Volonté de Puissance, ce qu’il vise est moins la puissance en tant que telle que la volonté qui, à ses yeux, est une faculté qui ne permet pas à l’homme d’accéder à la surpuissance de l’Être, ou plus exactement à la puissance de l’Ubersein, de ce qui est au-delà de l’être, quelle que soit la nature de cet au-delà. Autrement
dit, Heidegger se pose la même question que Spinoza ou Marx – comment libérer et intensifier la puissance de l’homme ? Quelles conditions politiques, sociales, métaphysiques ou intellectuelles sont les plus adaptées à cette fin –, même s’il est vrai que chacun de ces trois penseurs conçoit la nature de cette puissance autrement. La critique de Nietzsche me semble plus radicale que ces trois là, puisqu’elle porte sur la notion même de puissance, sur ses pathologies et sur la fascination qu’elle exerce et à laquelle ni Spinoza, ni Marx, ni moins encore Heidegger n’échappent complètement. C’est qu’en matière de puissance, note Nietszche, règne le plus grand malentendu. Il existe en effet un singulier fragment posthume de Nietzsche qui remet en cause toutes les interprétations contemporaines de Nietzsche sur la Volonté de Puissance, celle de Gilles Deleuze aussi bien que d’Heidegger, un fragment dont ni Heidegger ni Deleuze n’ont pris connaissance. Ce fragment a pour titre précisément Le Plus Dangereux Malentendu (Das gefährlichste Missverständniss3), malentendu qui porte précisément sur la question de la puissance, de sa nature, de son exercice et de sa vérité. Ce fragment date de 1888. Comme l’écrit Pierre Klossowski : « En ce printemps 88, le dernier “lucide” qui soit accordé à Nietzsche, n’est-ce pas son dionysisme qui se trouve mis en
doute par lui-même4 ? » Et de fait avec ce fragment Nietzsche atteint à la plus haute lucidité, et fait de la lucidité le sens même de sa pensée, la résolution de ses innombrables apories, l’expression la plus haute de sa grande santé, quelques mois avant de sombrer dans la folie. Le fragment est long et je ne souhaite ici qu’en retenir l’idée principale et la phrase maîtresse : la puissance ne permet pas de faire la différence entre l’épuisé et celui en qui la vie surabonde, l’épuisé revêtant tous les signes de la puissance, voire de la surpuissance. « L’histoire atteste le fait horrifiant que les épuisés furent toujours confondus avec les êtres comblés et les natures surabondantes avec les plus nuisibles. » Et c’est là certainement, pour Nietzsche, le symptôme de la grande maladie : « Toute tentative pour trouver la voie vers la forme la plus haute de l’être n’est rien d’autre que le symptôme d’une dégénérescence typique de l’esprit, du corps et des nerfs, ou encore, dit-il, de la sustentation morbide du cerveau. »
notre impuissance, mieux encore en construisant notre force propre à l’épreuve même de cette impuissance, sans stratégie compensatoire ; la plus difficile car si l’on comprend bien comment la puissance peut s’abîmer dans l’impuissance, il est déjà moins aisé de comprendre comment il est possible de construire une force à partir de son absence radicale. C’est ici que le surhomme nietzschéen entre en scène.
2) On comprend dans ces conditions que toute la tradition métaphysique (métaphysique et non plus politique ou juridique) ait cherché à donner au pouvoir une base plus ferme et plus stable, qui dépende non pas d’un simple équilibre, nécessairement fragile et par définition toujours menacé, mais d’un fondement et d’un principe. Et c’est pourquoi la métaphysique a essayé de penser ce que peut être une puissance à l’abri de la dépotentialisation et de l’impuissance. Une puissance qui serait en tant que telle toute-puissance, puissance absolue, affectée d’aucune baisse de régime, d’une puissance dont l’éventuelle négativité elle-même serait au service de son intensification, et dont la dynamique serait donc celle d’une régénération voire d’une surgénération permanente. Cette surgénération apparaissant comme le seul moyen de conjurer la dépotentialisation selon le principe d’une révolution perma-
nente. De la toute-puissance des théologiens jusqu’aux théories de la croissance des économistes en passant par la théorie marxiste de la production, cette conception de la puissance ne cesse de hanter l’humanité. Mais cette conception se heurte aujourd’hui au paradoxe de notre temps qui voit grandir notre impuissance à maîtriser les effets mêmes de la puissance accrue de nos techniques. Elle ouvre au contraire l’occasion aux crises les plus violentes de la paranoïa politique.
IV.
3) Il est une dernière voie pour surmonter la paranoïa constitutive de tout pouvoir, l’incapacité du pouvoir à assumer son impuissance, la voie à la fois la plus simple et la plus difficile : la plus simple parce qu’elle est la réponse évidente à la question posée : comment surmonter le déni de notre impuissance jusque dans notre puissance même ? Eh bien, tout simplement en assumant
Il faut en effet rapprocher ces trois types de réponses à la violence paranoïaque du déni d’impuissance, les rapprocher de l’anthropologie nietzschéenne qui correspond pleinement à cette épreuve : l’homme nietzschéen est appelé à surmonter le plus dangereux malentendu, à se guérir de cette sustentation morbide du cerveau qu’est l’illusion et l’ivresse de la puissance. Au demeurant, il n’y a
principe de l’autorité : dans le système de l’autorité, non seulement les gouvernés consentent sans rechigner à être dominés (et la passivité ici se comprend de soi), mais les gouvernants eux-mêmes sont des figures de la passivité en ce sens que leur domination ne repose que sur la confiance que leur prêtent les gouvernés dans une sorte de dialectique du maître et de l’esclave où la force propre de chacun se trouve aliénée par l’autre. Le risque c’est que la démocratie qu’Aristote avait si bien définie comme le régime de l’entre-commandement, où chacun est appelé non seulement à obéir mais aussi à commander aux autres, est devenu un système d’entre-humiliation entre gouvernants et gouvernés. Walter Benjamin assimilera ce type de relation à la puissance à ce qu’il appellera dans sa Critique de la violence (1921) la violence économique6, c’est-à-dire la violence qui se conçoit comme une éternelle reproduction quasi à l’identique de la domination, ce qui correspond bien aussi à ce que la science politique contemporaine appelle « la gouvernance ».
dit. On ne dit pas « tu dois » aux lions, mais eux-mêmes disent : « je veux ». Les lions de Nietzsche correspondent à ce que Benjamin appelle la violence politique, la violence des fondateurs, ceux qui fondent non pas nécessairement de nouvelles valeurs, mais de nouvelles formations de souveraineté. Et l’on voit clairement, à travers cette question de la fondation et du fondement, que les lions ont affaire à une conception de la puissance non pas juridique et économique comme les chameaux, mais proprement métaphysique.
pas celui de l’intensification, de la surgénération : le surhomme de Nietzsche est à l’homme ce que la survie est à la vie, le surhomme de Nietzsche est un survivant, celui qui survit à la perte de toutes les conditions d’hominisation que nous connaissons aujourd’hui, et qui y survit avec dignité.
pas vraiment d’homme ici mais une série de métamorphoses qui conduit du chameau au lion, et du lion à l’enfant (qui assume donc le rapport de l’homme à son animalité), métamorphose purement spirituelle et mentale qui faut comparer et opposer à tous les fantasmes bio-technologiques de cyborgs et autres post-humains. « Je vais vous raconter – dit Nietzsche dans le Zarathoustra – trois métamorphoses de l’esprit : comment l’esprit devient chameau, comment le chameau devient lion, et comment enfin le lion devient enfant5. » a) Le chameau est celui qui porte, endure et souffre tout. Il est la figure de la passivité face à la dispensation de la puissance. Il est celui à qui l’on dit « tu dois. » Il est le degré zéro de l’humanité ; celui qui correspond à ce que Nietzsche appelle le dernier homme. Cette passivité face à la puissance correspond bien au
III. Le plus dangereux malentendu montre que toute puissance est ambiguë et indécidable, que sur elle aucune santé ne saurait se fonder ni se justifier. Derrière toute expression de la puissance se cache en réalité une expérience discrète mais radicale de la dépotentialisation et de l’impuissance humaine. Et le déni de cette impuissance, l’incapacité de l’assumer, est la cause d’une violence exacerbée, ce que Deleuze appelle, pour ne pas quitter le domaine de la maladie, le pouvoir paranoïaque. Plus un pouvoir est impuissant, plus il a tendance à engendrer la violence. Il n’est pas de pouvoir plus violent que celui qui est sur le point de tomber. L’actualité la plus récente en témoigne assez. Pour surmonter cette paranoïa qui conjoint violence et impuissance et qui menace et affecte tout pouvoir, des États aussi bien que des hommes, il est possible d’emprunter trois chemins : 1) La première voie à suivre, c’est la voie qu’a empruntée toute la tradition de notre théorie politique et surtout juridique : la voie de l’autorité. Napoléon disait : la confiance vient d’en bas, l’autorité vient d’en haut. La Théorie de l’autorité est une théorie de l’équilibre, de l’équilibre de la puissance et de l’impuissance par un principe d’économie qui essaie de produire un maximum de domination, par un minimum de violence i.e. un minimum d’acte de police et de répression. Cet équilibre a malheureusement quelque chose de fictif qui fait que son pouvoir repose moins sur sa capacité d’action que sur la confiance et le consentement des hommes, sur la croyance que les hommes ont de son efficacité, et plus exactement sur sa capacité à persuader les hommes qu’elle est dotée d’une efficacité. La croyance, la confiance vient-elle à faire défaut, qu’elle perd tout moyen d’agir, d’où l’importance dans ce type de régime de la fabrique du consensus. La fragilité de ce système, c’est sa nature de momentum, l’autorité n’étant ici qu’un point de fixation dans un processus entropique qu’elle n’est jamais en mesure de maîtriser, mais simplement de stabiliser.
b) « Mais au fond du désert le plus solitaire s’accomplit la seconde métamorphose : ici l’esprit devient lion, il veut conquérir la liberté et être maître de son propre désert. » Les lions sont chez Nietzsche les hommes supérieurs qu’il faut au demeurant clairement distinguer du surhomme proprement
c) Mais l’anthropologie nietzschéenne ne s’arrête pas là. Comme je l’ai dit, Nietzsche distingue le surhomme des hommes supérieurs. Avec les hommes supérieurs, nous en restions au monde animal. Avec le surhomme, nous accédons enfin, dans une dernière métamorphose, au monde humain, mais sous une forme singulière, non pas sous sa forme adulte et raisonnable, mais sous la forme de l’enfant : le surhomme nietzschéen est un enfant. Je dirai deux choses à ce propos : sur le « sur- » du surhomme qu’est l’enfant et enfin sur le sens de l’enfance. 1) Les anglo-saxons traduisent le surhomme de Nietzsche par le terme non pas de superman, mais d’overman, qui effectivement est une bien meilleure traduction. De fait, le « sur- » en question n’est
2) La figure de l’enfance renvoie évidemment à l’innocence, mais l’innocence peut se révéler ambiguë, une ambiguité qui traverse et affecte le surhomme nietzschéen. Dans le fameux aphorisme 52 d’Héraclite qui affirme que l’Être, sa dispensation, sa puissance sont un enfant qui joue au trictrac (ce qu’on appelle aujourd’hui le backgammon) ; l’innocence de l’enfance fait règne, Héraclite parle de la basileia de l’enfant, de sa souveraineté. Ce qui signifie que la violence règne par delà bien et mal, en toute gratuité, sans raison, avec la plus grande sauvagerie. Mais si l’on veut surmonter la déshominisation contemporaine avec dignité, il faut comprendre autrement l’innocence, la comprendre dans son sens étymologique, in-nocere, ce qui ne nuit pas. Le surhomme, l’overman, le survivant est celui dont la vie ne nuit ni au monde ni à la terre. Celui dont la force est au-delà toute souveraineté, toute basileia (au-delà et non pas en deçà), une force sans règne ni domination, mais non sans efficace nécessairement. Telle est notre santé.
1 Mazzino Montinari, La volonté de puissance n’existe pas, Paris, L’Eclat, 1996. 2 Friedrich Nietzsche, Aurore, « Fragments posthumes », NV 3, été 1880, 4 [202], in Œuvres philosophiques complètes, IV, éd. G. Colli et M. Montinari, tr. fr. J. Hervier, Paris, Gallimard, 1980, p. 420. 3 Friedrich Nietzsche, « Fragments posthumes, début 1888-début janvier 1889 », W II 5, printemps 1888, 14 [68], in Œuvres philosophiques complètes, XIV, éd. G. Colli et M. Montinari, trad. fr. Héméry, J.-C., Paris, Gallimard, 1977, p. 52. 4 Pierre Klossowski, Nietzsche et le cercle vicieux, Paris, Mercure de France, 1978, p. 131. 5 Friedrich Nietzsche, « Ainsi parlait Zarathoustra », trad. fr. M. De Gandillac in Id., Œuvres philosophiques complètes VI, Gallimard, Paris, 1971, p. 37-38. 6 Walter Benjamin, « Pour une critique de la violence », in Walter Benjamin, Œuvres I, Mythe et violence, trad. fr. M. Gandillac (de), Paris, Denoël, 1971, p. 133.
CRITIQUE
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GREAT HEALTH VS ETERNAL HEALTH Pierre Caye I. With the biotechnologies that underlie the post-human project, the constitution of a new anthropological synthesis, the synthesis of the human, the animal and the machine, is at stake. In the very term of bio/technology, we can see that man is caught between the bios, the great river of life according to Konrad Lorenz’s formula, and technology, as if his humanity consisted essentially in managing the relationship and mediation between life and technology, in being a simple operator of intensification of life through technology and immersion of technology in the river of life. The thesis I defend here is very simple: the transhuman, the post-human, this willingness both to intensify our faculties by means of biology and technology, and by this intensification, to claim eternal health, is of the order of repression, denial, denial of our feeling of powerlessness towards the outside, paranoid denial that necessarily generates extreme violence, the ultimate violence against ourselves. Indeed, without mastering our relationship to the exterior, we want to make ourselves the subject of our technical power, at the risk of experiencing the same disillu-
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sionment, the same perverse effects, the same powerlessness as in our relationship to nature. I am considered to be an expert in Renaissance knowledge and thought, and one would naturally expect me to propose, in the face of the risks concealed in this new anthropogenesis (i. e. these new conditions of hominization, of what makes a man become a man), a return to the great principles of Humanism, to dignitas hominis, to the great texts of Gionnozzo Manetti, Pic de la Mirandole, and even Nicolas de Cues. In fact, I will come back to this theme of dignity but in a singular way outside the traditional ways of humanism. Why this gap? 1) First of all, because it is not at all certain that the humanism of a Manetti, of a Pic, will not eventually lead us to biotechnologies. There is thus a very strong idea in Manetti’s Dignitate et exceentia (1452) of an intensification of both the mental and bodily faculties of man, an intensification which in the De dignitate hominis of Pic de la Mirandole takes the form of a proteaniform metamorphosis of man, all under the cover of a misunderstood Imitatio Christi, in the name of a demiurgism strongly influenced by the hermetic writings: the Pimandre or the
Picatrix. 2) The idealistic approach to humanism, based on a radical separation and hierarchy of man in relation to nature, the universal in relation to the particular, or the promotion of transcendental subjectivity, is no more satisfactory. We must assume this dangerous proximity to man, animality and the machine in order to better overcome it, to prevent all this from being transformed into a human park or a fattening area. To this end, I will turn to a notion no less sulphurous than that of post-human or trans-human, which is that of Nietzsche’s overhuman, all the more sulphurous because we are used to making the Nietzschean overman the matrix of the post-humanity or transhumanity to which some aspire today. I will take the opposite view of these interpretations and try to show how the Nietzschean overman is nothing like the blond beast from the deep forests of pagan Germania, but rather the last resource of dignitas hominis, and I mean dignitas here, in the sense of a certain Stoic tradition, which Cicero expressed in his De officiis, namely the ability for man to hold his rank (which properly means dignitas in Latin) in a tragic, panicked and chaotic world, in the
test of his powerlessness. Health is obviously not the post-human, the denial of our sense of helplessness, but on the contrary the ability to build our own strength in the very experience of our generic helplessness, and of a totally assumed helplessness. This is what Nietzsche seems to me to mean by “great health”, and what the overman fully assumes as he sees it.
II. “The will to power does not exist” writes Nietzsche publisher Mazzino Montinari1, rightly so. I believe that there is no greater misunderstanding about Nietzsche than to have made this term, like Martin Heidegger did, the key word in his mind. On the contrary, for Nietzsche, the fundamental disease of civilization, and of Western civilization in particular, is the disease of power, “the don quichottism”, or even “the illusory feeling of power”, which is nothing more than “the great comedy of powerlessness” (Die grosse Schauspielerei der Ohn-macht2), a disease that goes far beyond the mere notion of Willingness to Power, and which Nietzsche foreshadows that it will necessarily lead to the great European catastrophe of the world wars. When Heidegger criticizes the Will of
Power, what he is aiming for is less power as such than will, which in his eyes is a faculty that does not allow man to access the overpower of the Being, or more precisely the power of the Ubersein, of what is beyond being, whatever the nature of that beyond. In other words, Heidegger asks himself the same question as Spinoza or Marx—how to unleash and intensify human power? Which political, social, metaphysical or intellectual conditions are best suited to this end—even if it is true that each of these three thinkers sees the nature of this power differently. Nietzsche’s criticism seems more radical to me than these three, since it concerns the very notion of power, its pathologies and the fascination it exerts, from which neither Spinoza, nor Marx, nor Heidegger completely escape. When it comes to power, Nietszche notes, there lies the greatest misunderstanding. There is indeed a singular posthumous fragment of Nietzsche that challenges all Nietzsche’s contemporary interpretations of the Will of Power, that of Gilles Deleuze as well as that of Heidegger, a fragment that neither Heidegger nor Deleuze have ever acknowledged. The title of this fragment is precisely The Most Dangerous Misunderstanding (Das gefährlichste
Missverständniss3), a misunderstanding that deals precisely with the question of power, its nature, its exercise and its truth. This fragment dates from 1888. As Pierre Klossowski writes: “In this spring of 1988, the last ‘lucid’ period accorded to Nietzsche, is it not his dionysism that is being questioned by itself4?” And indeed with this fragment Nietzsche reaches the highest lucidity, and makes lucidity the very meaning of his thought, the resolution of his countless aporias, the highest expression of his great health, a few months before going mad. The fragment is long and I only wish here to retain the main idea and the main sentence: power does not allow us to distinguish between the exhausted one and the one in whom life is superabundant, the exhausted one having all the signs of power, even superpower. “History attests to the horrifying fact that the exhausted were always confused with the fulfilled and the overabundant natures with the most harmful.” And this is certainly, for Nietzsche, the symptom of the great disease: “Any attempt to find a way to the highest form of being is nothing more than the symptom of a typical degeneration of the mind, body and nerves, or, he says, of the morbid sustentation of the brain.”
2) It is understood in these conditions that the whole metaphysical tradition (metaphysical and no longer political or legal) has sought to give power a firmer and more stable basis, which depends not on a simple balance, necessarily fragile and by definition always threatened, but on a foundation and a principle. And that is why metaphysics has tried to think of what a power can be without depotentialization and impotence. A power that would be as such omnipotent, an absolute power, affected by no reduction in speed, a power whose possible negativity itself would serve to intensify it, and whose dynamics would therefore be that of regeneration or even permanent over-generation. This overgeneration appears to be the only way to avoid depotentialization according to the principle of a permanent revolution. From the omnipotence of theologians to the growth theories of economists and Marxist production theory,
this conception of power continues to haunt humanity. But this conception is today confronted with the paradox of our time, which sees our inability to control the very effects of the increased power of our techniques growing. On the contrary, it opens the door to the most violent crises of political paranoia.
tic of the master and the slave where the proper force of each is alienated by the other. The risk is that the democracy that Aristotle had so well defined as the regime of inter-command, where everyone is called upon not only to obey but also to command others, has become a system of inter-humiliation between rulers and governed. Walter Benjamin assimilated this type of relationship to power to what he called in his Critique of Violence (1921) economic violence6, i.e. violence that is conceived as an eternal reproduction almost identical to domination, which also corresponds to what contemporary political science calls “governance”.
but strictly metaphysical.
3) There is another way to overcome the paranoia that constitutes all power, the inability of power to assume its powerlessness, the simplest and most difficult way: the simplest because it is the obvious answer to the question asked: how to overcome the denial of our powerlessness even in our own power? Well, simply by assuming our powerlessness, better still by building our own strength in the very test of that powerlessness, without a compensatory strategy; the most difficult because if we understand how power can be damaged in
IV.
cyborgs and other post-humans. “I will tell you—says Nietzsche in Zarathustra—three metamorphoses of the mind: how the mind becomes a camel, how the camel becomes a lion, and how the lion finally becomes a child5.”
These three types of responses to paranoid violence must be related to the denial of powerlessness, to Nietzschean anthropology, which fully corresponds to this ordeal: Nietzschean man is called upon to overcome the most dangerous misunderstanding, to heal himself from the morbid sustentation of the brain that is the illusion and intoxication of power. Moreover, there is no real man here, but a series of metamorphoses that lead from camel to lion, and from lion to child (who therefore assumes the relationship of man to his animality), a purely spiritual and mental metamorphosis that must compare and contrast with all the bio-technological fantasies of
a) The camel is the one who carries, endures and suffers everything. He is the figure of passivity in the face of the dispensation of power. He is the one who is told “you must”. He is the zero degree of humanity; the one that corresponds to what Nietzsche calls the last man. This passivity in the face of power corresponds well to the principle of authority: in the system of authority, not only do the governed consent without reluctance to be dominated (and passivity here is understandable), but the rulers themselves are figures of passivity in the sense that their domination rests only on the trust placed in them by the governed in a kind of dialec-
powerlessness, it is already less easy to understand how it is possible to build a force from its radical absence. This is where the nietzschean overman comes in.
III. The most dangerous misunderstanding shows that any power is ambiguous and undecidable, that no health can be based on it and no justification can be given. Behind every expression of power lies in reality a discreet but radical experience of depotentialization and human powerlessness. And the denial of this helplessness, the inability to assume it, is the cause of an exacerbated violence, what Deleuze calls, in order not to leave the field of the disease, paranoid power. The more powerless a power is, the more likely it is to generate violence. There is no power more violent than the one who is about to fall. The most recent news shows enough. To overcome this paranoia, which combines violence and powerlessness and threatens and affects all power, both of States and of men, it is possible to take three paths: 1) The first path to follow is the path that the whole tradition of our political and especially legal theory has taken: the path of authority. Napoleon said: trust comes from below, authority comes from above. The Theory of authority is a theory of balance, balance of power and impotence through a principle of economy that tries to produce maximum domination, minimum violence i.e. minimum police action and repression. Unfortunately, this balance has something fictitious about it, which means that its power is based less on its ability to act than on the trust and consent of men, on the belief that men have of its effectiveness, and more precisely on its ability to persuade men that it is effective. Should belief, trust, confidence, come to be lacking, that it loses all means of action, hence the importance in this type of regime of the manufacture of consensus. The fragility of this system is its momentum nature, since authority here is only a fixation point in an entropic process that it is never able to control, but simply to stabilize.
b) “But at the bottom of the loneliest desert, the second metamorphosis takes place: here the spirit becomes a lion, he wants to conquer freedom and be master of his own desert.” The lions are the superior men in Nietzsche’s work, which must be clearly distinguished from the overman himself. We don’t say “you must” to lions, but they themselves say “I want”. Nietzsche’s lions correspond to what Benjamin calls political violence, the violence of the founders, those who are not necessarily founding new values, but new formations of sovereignty. And we can clearly see, through this question of foundation and fundament, that lions are dealing with a conception of power that is not legal and economic like camels,
c) But Nietzschean anthropology does not stop there. As I said, Nietzsche distinguishes the overman from the superior man. With the superior men, we remained in the animal world. With the overman, we finally reach, in a final metamorphosis, the human world, but in a singular form, not in its adult and reasonable form, but in the form of the child: the nietzschean overman is a child. I will say two things about this: about the “over” of the overman who is the child and finally about the meaning of childhood. 1) The Anglo-Saxons translate Nietzsche’s “surhomme” not as a superman, but as an overman, which is indeed a much better translation. In fact, the “super-” in question is not that of intensification, of supergeneration: the overhuman of Nietzsche is to man what survival is to life, the overhuman of Nietzsche is a survivor, the one who survives the loss of all the conditions of hominization that we know today, and who survives it with dignity. 2) The figure of childhood obviously refers to innocence, but innocence can be ambiguous, an ambiguity that crosses and affects the Nietzschean overman. In Heraclitus’ famous aphorism 52, it states that the Being, his dispensation, his power are a child who
plays tric-trac (what is now called backgammon); the innocence of childhood reigns, Heraclitus speaks of the child’s basileia, of his sovereignty. This means that violence reigns beyond good and evil, in all gratuitousness, for no reason, with the greatest savagery. But if we want to overcome contemporary dehumanization with dignity, we must understand innocence differently, understand it in its etymological sense, in-nocere, which does not harm. The overman, the survivor is the one whose life does not harm the world or the earth. The one whose strength is beyond all sovereignty, all basileia (beyond and not below), a force without reign or domination, but not without necessarily being effective. That is our health. 1 Mazzino Montinari, La volonté de puissance n’existe pas, Paris, L’Eclat, 1996. 2 Friedrich Nietzsche, Aurore, « Fragments posthumes », NV 3, été 1880, 4 [202], in Œuvres philosophiques complètes, IV, éd. G. Colli et M. Montinari, tr. fr. J. Hervier, Paris, Gallimard, 1980, p. 420. 3 Friedrich Nietzsche, « Fragments posthumes, début 1888-début janvier 1889 », W II 5, printemps 1888, 14 [68], in Œuvres philosophiques complètes, XIV, éd. G. Colli et M. Montinari, trad. fr. Héméry, J.-C., Paris, Gallimard, 1977, p. 52. 4 Pierre Klossowski, Nietzsche et le cercle vicieux, Paris, Mercure de France, 1978, p. 131. 5 Friedrich Nietzsche, « Ainsi parlait Zarathoustra », trad. fr. M. De Gandillac in Id., Œuvres philosophiques complètes VI, Gallimard, Paris, 1971, p. 37-38. 6 Walter Benjamin, « Pour une critique de la violence », in Walter Benjamin, Œuvres I, Mythe et violence, trad. fr. M. Gandillac (de), Paris, Denoël, 1971, p. 133.
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L’ART D’ÉDIFIER D’ALBERTI, OU L’ARCHITECTURE COMME APPAREIL DE PRODUCTION D’UNE SANTÉ PUBLIQUE Xavier Wrona « Faut il enfin rappeler qu’en taillant la roche, transperçant les montagnes, comblant les vallées, endiguant la mer et les lacs, drainant les marais, armant les navires, rectifiant le cours des fleuves, repoussant l’ennemi, construisant des ponts et des ports, l’architecte non seulement pourvoit aux besoins quotidiens des hommes, mais leur ouvre aussi l’accès à toutes les provinces du monde ? Ce qui leur a permis de partager, par des échanges mutuels, les fruits de la terre, les épices et les pierres précieuses, ainsi que leurs compétences et leurs connaissances, comme tout ce qui contribue à la santé et à la vie1. »
En retenant pour quatrième totalité2 l’étude de la Santé publique nous avions deux objectifs : 1) adresser l’actualité du concept de Santé publique en tant qu’ensemble de systèmes de protection sociale massivement attaqué dans les sociétés contemporaines, 2) questionner en retour la santé du public, c’est-à-dire du concept même de « public », peut-être encore plus sévèrement malmené. Pour participer de ce travail, le présent texte proposera une relecture des objectifs assignés par Leon Battista Alberti à l’architecture dans son De re aedificatoria, « l’art d’édifier », ouvrage publié en 1485 et second texte le plus marquant de l’histoire de l’architecture après le De architectura (De l’architecture) de Vitruve datant du premier siècle AEC. Je tenterai d’y montrer que l’objectif principal assigné à l’architecture par Alberti n’est pas la production de bâti mais de construire la santé. L’ampleur d’air dont les poumons du De re aedificatoria font état, de la première à la dernière page,
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nous permettra ainsi de remettre en jeu la finalité de la discipline architecturale chez Leon Battista Alberti et, de fait, plus largement pour nous-mêmes aujourd’hui. Pour Alberti, l’architecture a, plus que chez quiconque l’ayant précédé, pour objet la production de bâti. En effet, cette discipline n’inclut plus, comme c’était le cas chez Vitruve, l’étude du mouvement des cieux ou la fabrication de machines. Vitruve écrivait simplement : «L’architecture elle même comprend trois parties : la construction des bâtiments, la gnomonique et la mécanique3. »
Rien de tel chez Alberti qui considère de fait que les compétences requises dans la formation des architectes doivent d’ailleurs s’en trouver modifier. Cependant, malgré ce recentrement très clair sur les bâtiments, nous défendrons ici qu’il faut veiller à ne pas confondre les moyens et la finalité qu’il assigne à l’entreprise architecturale. Nous défendrons ici que si l’architecture est bien pour Alberti affaire de production du bâti ce n’est pas dans le but de produire de bâti comme une fin en soi, mais de construire les conditions de santé possible pour l’humain.
SANTÉ PUBLIQUE : POURQUOI PARLER DE SANTÉ CHEZ ALBERTI ? Afin de résumer brièvement la présente hypothèse nous dirons
que, pour Alberti, la santé publique ce n’est pas de l’architecture, la santé publique c’est l’architecture. Comme la phrase ici mise en exergue l’atteste, L’art d’édifier est un traité concerné par « tout ce qui contribue à la santé et à la vie ». Mais pourquoi donc une telle attention à la question sanitaire dans le projet de construction physique du monde ? La formule du livre I, chapitre 6 mettant la fortune au cœur de l’existence atteste de la fragilité de la condition humaine et nous indique une première raison fondant cette préoccupation Albertienne : « Qui niera que ce qu’on appelle la Fortune, quelle qu’en soit la nature, joue un grand rôle dans les affaires des hommes4 ? »
La Fortune, qui dans le polythéisme gréco-romain était « une divinité qui présidait aux hasards de la vie », représentée « sous la forme d’une femme, tantôt assise et tantôt debout, ayant un gouvernail, avec une roue à côté d’elle pour marquer son inconstance5 » [Fig. 2] est peut-être la figure par laquelle l’épistémè antique se rejoue à la Renaissance. Si la Renaissance est tentative de renaissance de l’antique, la fortuna infléchit les termes de la renaissance de ce monde au sein duquel Alberti doit se mouvoir. Il existe en effet une différence conséquente d’humeur de l’humain à l’égard du monde entre le traité de Vitruve et celui d’Alberti. Comme l’écrit Pierre Caye : « (…) se met en place un stoïcisme singulier et inédit, propre à la Renaissance. De fait, ce nouveau stoïcisme
se construit sur le démantèlement de la rigoureuse constitution métaphysique du monde proposée par le stoïcisme antique ; la providence divine s’absente, le Logos universel perd sa raison, la concatenatio causarum, l’enchaînement inexorable des causes semble se défaire, au risque de condamner le monde au chaos et à la vicissitude. Ce démantèlement porte à la Renaissance un nom célèbre et redouté – un formidabile nomen, dit Pétrarque : La Fortune, maître mot de la morale et de la politique humanistes, qui exerce son empire sur tous les hommes6. »
Contrairement à la confiance dans le destin de l’entreprise humaine qui porte chacune des pages du De Architectura de Vitruve, confiance reposant sur le présupposé d’un accord métaphysique entre les ambitions humaines et la bienveillance du monde à leur égard, Alberti ne peut se contenter d’avoir un projet d’une ambition égale à la refonte du monde engagée par Rome. Il faut en quelque sorte que le monde avec lequel l’homme est entré en conflit accepte ce projet, que la greffe prenne et que le monde ne la rejette pas. Pierre Caye écrit : « L’homme devient étranger à son propre monde, avec lequel il entre en conflit. […] L’Oikeiosis des Anciens, c’est-à-dire l’accord et la familiarité originaires que l’homme entretient d’instinct avec la nature, se trouve définitivement perdue. La réforme du stoïcisme prend un tour tragique. L’homme se trouve condamné à l’exil, à l’origine de l’acte de bâtir, il y a d’abord l’errance7. »
Mais cette inquiétude ontologique profonde se combine tragiquement à la question sanitaire, puisqu’elle se corrèle à la terrible et récurrente fatalité des épidémies de peste [Fig. 1] dans toute l’Europe, et par laquelle l’Italie est lourdement frappée. Ces immenses épidémies, ayant emporté suivant les estimations entre 30 à 50 % des populations d’Europe de 1347 à 1354, contribuent lourdement à l’établissement d’une inquiétude profonde au cœur des subjectivités et instaurent la nécessité impérieuse de construire un monde sain, permettant l’épanouissement des corps, des peuples, leur longévité, leur grande santé. Ainsi il apparaît que L’art d’édifier est une tentative de faire se conjuguer deux choses : 1) l’établissement d’un milieu propice et bénéfique à la vie humaine et 2) l’appareil productif du moment dans lequel son auteur est pris. L’appareil de production est celui de la production de bâti car le monde reste à construire. C’est parce que le monde est mal construit que le moyen par lequel Alberti pense possible d’améliorer la santé est la production de bâti. Volontariste et pragmatique, le traité d’Alberti est une codification de la discipline architecturale comme mise en intelligence d’un objectif de vie collective saine et des moyens de production à la disposition de son époque. Aussi, il apparaîtra aisément au lecteur que, tout au long de ce traité, Alberti décrit longuement les relations existantes entre la
Fig. 1 Il morbetto, ou la peste de Phrygie (1515-1516), par Marcantonio Raimondi d’après Raphael.
santé humaine et les divers « objets » qu’il aborde dans son propos d’établissement des lieux de vie pour l’humain au fil des dix livres : territoire, maisons, palais, matériaux, proportions, modes de séchage du bois, choix des pierres, mode d’agencement des matériaux… Je soumets ici, trop brièvement, à votre analyse quelques fragments permettant de dessiner à grands traits l’étonnante et fourmillante relation des concepts de « santé » et d’« édification » chez Alberti : 1) Sur les liens entre la santé et le territoire d’établissement humain : « On affirme cependant que si les corps prospèrent dans les pays froids, les esprits excellent dans les pays chauds. J’ai appris en lisant l’historien Appien que les Numides doivent leur extrême longévité au fait que leur hiver ne connaît pas le froid. Quoi qu’il en soit, la région la meilleure de toute sera modérément humide et tempérée ; elle portera des hommes grands et beaux, dépourvus en outre de toute morosité8. »
2) Sur le nécessaire renouvellement d’air opéré par les « ouvertures », c’est-à-dire les fenêtres9 : « Chaque pièce de la maison sera pourvue de fenêtres afin que l’air enfermé puisse sortir et se renouveler d’heure en heure ; autrement, il se corromprait et deviendrait nocif. L’historien Julius Capitolinus relate qu’on découvrit à Babylone, dans le temple d’Apollon, un très vieux coffret en or qui répandit, quand on le força, un air corrompu et si toxique que non seulement il fit périr ceux qui se trouvaient à proximité, mais propagea une
implacable épidémie dans toute l’Asie, jusque chez les Parthes10. »
3) Sur la nécessité de lever le camps militaire afin de maintenir les troupes en forme : « On juge en outre que lever souvent le camp est bon pour la santé du soldat11. »
4) Sur le bon usage du feu en rapport à la fermeté des chairs : « Sans doute cette génération d’hommes de camps, endurcis par le service militaire, comme ils l’étaient tous sans exception, utilisait-elle moins le feu. Au reste, les médecins n’approuvent pas que nous fassions continuellement grand usage du feu. Aristote disait que, chez les être vivants, la fermeté des chairs est due au froid12. »
L’art d’édifier comporte de nombreuses autres adresses à la santé, attestant de sa préoccupation principale pour la santé des humains. Ceci est tellement saisissant, qu’il apparaît important de défendre ici que chez Alberti cette santé n’est pas juste une contrainte fonctionnelle ou une donnée à prendre en compte. La santé est une théorie esthétique pleinement consciente d’elle même. Ceci est parfaitement clair lorsqu’il écrit, par exemple : « Il est évident qu’en toutes choses la nature la nature aime la juste mesure ; davantage, la santé elle-même n’est rien d’autre qu’une composition d’éléments d’où naît sa juste mesure ; car la modération plait toujours13. »
Dans une phrase comme celle-ci,
il est impossible de dissocier la santé, l’esthétique, la science et la morale qui travaillent absolument de concert. C’est en ce sens que L’art d’édifier est la description d’une morphogenèse, c’est à dire une méthode de production de formes appliquée au territoire, ayant pour fin l’établissement solide de la santé humaine. Aussi, le De re aedificatoria n’est pas à comprendre comme une définition de l’architecture en tant qu’art de bâtir, mais probablement plutôt une définition du terme édifier, en cela qu’il diffère de la notion de bâtir. En quoi consisterait donc donc une telle différence ? Nous proposerons ici que bâtir aurait pour fin le bâti et qu’édifier aurait pour fin « tout ce qui contribue à la santé et à la vie ». Bâtir c’est construire, là où édifier serait, pour le replacer dans le langage courant une écologie. Par écologie, il ne faut pas entendre le soudain et quelque peu obscène réveil du capitalocène face à la destruction du monde qu’il porte ; il faut plutôt comprendre écologie14 comme le système d’établissement d’une santé publique.
SANTÉ PUBLIQUE : POURQUOI PARLER DE PUBLICITÉ CHEZ ALBERTI ? Il n’est pas ici nécessaire de s’arrêter sur la volonté d’Alberti d’unifier les mode de production de l’édification par le De re aedificatoria, puisque ce traité est connu pour avoir mené à bien cette ambition. Alberti y donne à voir une organisation systématique, un processus unifiant de manière
cohérente tout ce qui entre en compte dans la production de l’édification : choix du site, choix des matériaux, choix de la destination des ouvrages, etc. Le De re aedificatoria fait système des parties et des phases de réalisations de la production matérielle de la réalité. Il écrit : « Toute la puissance de l’esprit, tout l’art et toute la compétence d’édifier se concentrent dans la partition. Ce sont en effet les parties de l’édifice tout entier et, si je puis dire, l’état tout entier de chacune de ses parties, enfin l’accord et la cohérence de tous les angles et de toutes les lignes en une oeuvre unique que cette partition proportionne à la fois, en tenant compte de l’utilité, de la dignité et de l’agrément15. »
Mais par-delà l’unification des processus de conception et de production, un des aspects peutêtre moins communément admis ou répandu du travail mené au sein du De re aedificatoria dans sa redéfinition de la morphogenèse architecturale serait une volonté de dessiner dans un même mouvement d’ensemble les corps inertes de la production matérielle du monde et le corps social. Alberti écrit : « Si, selon la maxime des philosophes, la cité est une très grande maison, et si inversement la maison elle-même est une toute petite cité, pourquoi ses membres ne seraient-ils pas à leur tour tous considérés comme des petits logis16 ? »
On retrouve au fil des pages des allersretours entre corps matériels et corps social, qui laissent imaginer un travail pensant la mise en
ordre du corps social par l’édification, ce jusque dans les modalités d’assemblage des matériaux où la répartition des charges. Il écrit sur les assemblages : « Par ailleurs, une règle, que je vois scrupuleusement respectée par tous les Anciens, déconseille d’incorporer au remplissage des pierres de plus d’une livre. En effet, les petites pierres sont jugées plus faciles à unir et mieux adaptées aux liaisons que les grandes. Ce que Plutarque raconte du roi Numa illustre bien notre propos : en effet, Numa divisa la plèbe en corporations, avec la pensée que, plus un corps est morcelé, plus il est aisé à niveler et à gérer comme on l’entend17. »
Dans sa postface à la traduction du De re Aedificatoria, Pierre Caye fait état de ce même mouvement liant la maison au corps social : « Économie vient du grec oikonomia, le nomos de l’oikos, la loi ou mieux encore l’organisation de la maison. Or, la maison revêt dans l’économie albertienne un double sens ; elle est d’abord l’oikos proprement dite, ce qu’Alberti appelle la familia qui, au delà de la famille elle-même, peut s’appliquer à tout ensemble social et fonctionnel formé par une communauté d’être humains : mais elle est aussi le domos, la maison au sens littéral du terme, l’édifice qui abrite la maisonnée et rend possible son économie18. »
La présente hypothèse requiert d’être menée plus avant que ce que ce bref article ne permet, mais il doit être retenu ici que quelque chose au sein de ce traité pense une continuité unitaire entre corps assemblés dans le cadre de la production de bâti et cohésion CRITIQUE
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du corps social. C’est encore le cas ici : « Si quelqu’un s’avisait de diviser les mortels en catégories, ne lui viendrait-il pas immédiatement à l’esprit qu’il ne faut pas procéder de la même façon selon que l’on considère tous les habitants d’un lieu dans leur ensemble, ou qu’on les classe en catégories séparées19 ? »
Pour en finir sur la tentative de constitution d’une légitimité à parler de Santé publique chez Alberti, nous citerons une dernière fois Alberti dans un passage qui replie ensemble à la fois la notion de santé et la notion de public, achevant ainsi de démontrer, il me semble, que l’art d’édifier a pour objectif premier, chez Alberti, non pas le bâtiment mais la Santé publique : « La ville et l’ensemble des édifices publics qui en font partie sont au service de tous. Et, puisque nous soutenons que, selon l’avis des philosophes, le principe et la fin de la ville sont d’assurer à ses habitants une vie paisible autant exempte d’incommodités et de désagrément, il faut donc réfléchir attentivement, encore et encore, au lieu et au site où on l’établira, puis au tracé de son périmètre20. »
DES RAPPORTS ENTRE LA RAISON D’ÊTRE DE L’ARCHITECTURE AUJOURD’HUI ET CELLE PROPOSÉE HIER PAR ALBERTI Ce parcours du texte fondamental d’Alberti, trop rapide pour convaincre de manière définitive de l’hypothèse ici avancée, est malgré tout l’occasion de considérations actuelles sur la manière dont on parle d’architecture aujourd’hui. Le fait que l’on parle aujourd’hui d’une « architecture écologique » atteste de l’incompréhension ou de la méconnaissance réelle de la codification albertienne de la discipline architecturale car, à bien le lire, la juxtaposition de ces termes serait chez lui une tautologie. Chez Alberti il ne saurait exister d’architecture qui ne soit pas écologique, au sens où on utilise ce terme aujourd’hui, celui d’une attention aux conséquences des activités humaines sur le milieu qui les porte et dans lequel il évolue, car l’architecture chez Alberti est l’organisation de la production de la réalité visant à protéger la santé de l’humanité. Une architecture qui détruirait le monde qui la porte et dans lequel elle s’insère mettrait la santé de l’humain en danger et ne relèverait en aucun cas de l’édifier, elle serait son antonyme, sa négation et son opposé. Une « architecture écologique », pour reprendre la terminologie énoncée de manière terriblement volontariste aujourd’hui dans les écoles d’architecture mêmes, présuppose qu’une majeure partie du concept d’architecture échapperait à l’écologie, laissant entendre que toute architecture n’est pas nécessairement écologique. Il faut cependant bien admettre que la majorité de l’histoire de l’architecture comprise comme production de bâti n’est pas « écologique ». Mais ce n’est pas le cas dans le De re aedificatoria, et plus largement dans l’ensemble de la pensée d’Alberti, qui va jusqu’à faire primer la santé sur l’utile. Une formule précieuse du De familia atteste de la modernité toujours brûlante de cet auteur qui fait primer au XVe la perpétuation de l’espèce sur l’utilitarisme de son temps :
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« Je trouve personnellement que la santé, plus que l’utile, devrait nous être chère21. »
C’est là encore la simplicité des énoncés d’Alberti qui permet de montrer combien ce que nous appelons architecture, aujourd’hui, est non seulement bien loin de ce qu’il avait proposé comme horizon pour cette discipline, mais plus éloigné encore d’une pratique ayant pour fin la production de bâti « pour elle-même », si l’on peut dire. Mais que faire alors d’un tel Alberti aujourd’hui ? Ce qui échappe, en creux, à l’analyse écologisante de l’architecture aujourd’hui, c’est vraisemblablement le rôle majeur joué par la production de bâti dans le capitalocène. Deux propositions émergent suite à notre re-lecture ici proposée d’Alberti : 1) Il nous faut désormais préférer le terme de santé à celui d’écologie, que nous devrions considérer collectivement comme ayant été détruit par le Capital, coupable qu’il est d’en avoir fait son nouveau moyen de conquête de la réalité sous les formes du développement durable et du capitalisme vert. 2) Dissociée du concept de santé, l’architecture contemporaine dévoile sa fonction réelle au sein du capitalisme : produire du bâti. Si le De re aedificatoria est clairement construit sur une corrélation entre le concept d’architecture d’une part et d’autre part l’action dans le réel de produire du bâti, nous défendrons que cette corrélation ne doit pas amener à confondre ces deux choses, que ces termes n’y peuvent être lus comme étant équivalent. L’architecture, c’est la nécessité quasi-civilisationnelle d’établissement d’un monde vivable. La production de bâti est le moyen retenu par Alberti en son temps pour y parvenir. Ceci constitue une différence majeure entre le De re aedificatoria et l’architecture à l’ère du capitalocène car chez Alberti, il n’y a pas besoin de produire de bâti pour faire de l’architecture, le bâti n’étant qu’un moyen parmi d’autre pour arriver à la santé des humains. Sur ce point, il explique sans ambiguïté que d’autres moyens que la production de bâti sont parfois préférables pour faire architecture. Par exemple, dans le cas de la prison : « Ajoute si tu veux des clôtures réalisées avec des poutres, de hautes ouvertures grillagées et d’autres dispositions analogues, même si ces obstacles sont beaucoup trop faibles et insuffisants pour que celui qui tient à sa liberté et à son salut ne parvienne à les briser dès lors que tu lui laisses le loisir d’exercer toute sa force physique et intellectuelle pour accomplir son entreprise. C’est pourquoi je trouve excellent l’avertissement de ceux qui affirment que l’oeil d’un gardien vigilant est une prison d’acier22. »
Ainsi, même l’assignation la plus profonde et la plus tenace de l’architecture à la production du bâti par le sempiternel exemple du « mur » vole en éclat chez Alberti, qui en dévoile ici l’inopérativité d’un point de vue « architectural », c’est-à-dire du point de vue non du moyen à mettre en oeuvre mais de l’objectif à atteindre. L’architecture, dans le cadre de la prison, ce n’est pas le mur, c’est prévenir l’évasion et pour cela l’oeil du gardien est plus efficace que le mur. C’est l’oeil du gardien qui est architectural, et non le mur. Ceci est toujours le cas chez Alberti
quand il s’agit de traiter de l’art de la guerre : prévenir la santé de l’humain c’est protéger les villes des assauts. Ainsi, l’horizon d’accomplissement de l’objet « mur » chez Alberti n’est pas d’être solide pour résister à l’assaut, il est de construire une santé par la paix, c’est-à-dire une manière d’habiter le monde capable de désamorcer la mécanique de l’option militaire. Il écrit : « Je voudrais le mur de la ville tel qu’à sa vue l’ennemi soit rempli d’effroi et qu’ayant perdu espoir il ne tarde pas à battre en retraite23. »
TENTATIVE DE CONCLUSION L’architecture « contemporaine », c’est-à-dire, l’architecture à l’heure de son discours écologique, prend la forme d’un oxymore attestant de la perpétuation de logique schizophrène du Capital comme moteur premier de son action dans le réel. La formule « architecture écologique », comprise à notre moment des sociétés, est une proposition semblant prôner que le productivisme décliné sous la forme d’une production de bâti est un modèle de santé pour l’humain. En effet l’architecture écologique permettrait ce tour de force de faire que la production de bâti, considérée comme nécessaire bien que consommatrice du monde dans le capitalocène, pourrait voir ses effets secondaires annihilés par son contrepoison « écologique ». Le philosophe marxiste Slavoj Žižek décrivait, à propos des récentes évolutions du capitalisme, qu’elles tendaient à développer des modalités idéologiques de persuasions visant à dé-responsabiliser le consommateur de la culpabilité de sa participation au capitalisme par son acte d’achat24. Il explique que je ne suis plus coupable de céder au capitalisme car lorsque j’achète un café chez Starbucks, par exemple, une partie de ma dépense va à la correction des effets négatifs de mon acte, en aidant des producteurs locaux habituellement menacé par les logiques consuméristes du Capital. L’ écologie contemporaine de l’architecture relève d’une logique identique de déculpabilisation, en cela qu’elle viendrait à relégitimer la perpétuation d’une économie générale destructrice du monde, fondée en grande partie sur la production de bâti dès lors qu’elle serait découplée de ses externalités négatives grâce à son pendant écologique intégré. Il n’y a évidemment rien de tel chez Alberti dont on pourrait se risquer à dire que, paradoxalement, bien qu’ayant mis au centre de l’architecture dans son traité le bâti comme personne ne l’avait fait avant lui, la production de bâti est un phénomène contingent et non permanent de son architecture, ce qu’il appelle édifier. Si nous tentons dès lors aujourd’hui d’être « Albertiens » depuis la situation dans laquelle nous nous trouvons je défends ici l’hypothèse que son projet d’édification trouverait plus de cohérence à pousser la production de bâti à la marge de la discipline architecturale pour se concentrer sur la réforme de l’appareil productif même. Certains éléments nous permettent de nous faire une idée de la rencontre de son système de pensée avec la destruction totale des ressources naturelles et humaines à l’oeuvre aujourd’hui. Alberti écrit par exemple ces mots qui vont à l’encontre d’une culture productiviste telle que fut
celle du mouvement moderne par exemple : « […] en attendant il est indigne de sacrifier les travaux de nos aînés sans tenir compte des commodités que les citoyens tirent des anciennes demeures de leurs ancêtres, alors qu’il reste toujours en notre pouvoir de détruire, d’abattre et d’arracher entièrement toutes choses en tout lieu. C’est pourquoi je voudrais que tu conserves sans y toucher les édifices primitifs jusqu’à ce que tu ne puisses sans les démolir en élever de nouveaux ».25
Perpétuer un objectif d’établissement d’humanité en pleine santé comme mission pour l’architecture aujourd’hui, amène nécessairement à reconsidérer la proximité des liens de l’architecture avec la production de bâti. D’une part parce que le monde est massivement bâti, dans des proportions telles que la nécessité d’ajouter du bâti commence à être sérieusement mise en débat, mais aussi parce que les modes de production de bâti sont massivement liés à la dégradation de la santé humaine. Osons donc faire parler les morts en proposant de dire que si Alberti était vivant aujourd’hui, lui qui voyait les architectes déplacer les montagnes pour l’établissement d’une Santé publique totale, il ne serait d’une part probablement pas effrayé par l’ampleur de la tâche à mener face au capitalocène, et d’autre part, la mission qu’il assignerait à l’architecture dans cette lutte ne serait vraisemblablement pas dans notre contexte actuel de produire plus de bâtiment, mais de reconstruire l’architecture des modes de production de notre culture matérielle dans sa totalité, dans le but de construire une santé publique pour l’humain, conformément au grand dessein de son Art d’édifier. 1 Alberti, L’art d’édifier, traduction du latin présenté et annoté par Pierre Caye et Françoise Choay. Editions du Seuil, 2004, Prologue, p. 48-49. 2 Les objets de travail précédents ont été : le capitalisme, la guerre, le travail. 3 Vitruve, De l’architecture, traduction du latin, édition dirigée par Pierre Gros, Éditions Les Belles Lettres, 2015, Livre I, 3, 1, p. 33. 4 Alberti, op. cit. Livre I, Chapitre 6, p. 71. 5 Définition du Littré du mot « Fortune ». 6 Alberti, op. cit. Pierre Caye, Postface, p. 529. 7 Alberti, op. cit. Pierre Caye, Postface, p. 531. 8 Alberti, op. cit. Livre I, Chapitre 4, p.64. 9 Il serait sur ce point intéressant d’analyser dans les écrits d’architectes depuis combien d’années, et il s’agira peut-être de siècles, un architecte ne s’est pas préoccupé dans un traité d’architecture (et non pas une revue d’ingénierie performative appliquée à la régulation du mode de production de bâti) du renouvellement de l’air comme d’un problème majeur à placer dans son esthétique et sa morphogenèse. 10 Alberti, op. cit. Livre I, chapitre 12, p. 87. 11 Alberti, op. cit. Livre V, chapitre 10, p. 242. 12 Alberti, op. cit. Livre V, chapitre 10, p. 265. 13 Alberti, op. cit. Livre V, chapitre 8, p. 239. 14 Rappelons ici à propos du terme Écologie le sens premier du terme « éco » de oïkos « la maison ». 15 Alberti, op. cit. Livre I, Chapitre 9, p . 79. 16 Alberti, op. cit. Livre I, Chapitre 9, p. 79. Il est d’ailleurs important de noter qu’à la note 82 de cette même page, Pierre Caye et Françoise Choay ajoute sur ce sujet « Peutêtre référence à Lactance, Divinarum institutionum libri, II, V, 32. Dans le De iciarchia (Opere volgari, op. cit., III, p. 266-267) , Alberti compare la cité à une grande famille et la famille à une petite cité. » 17 Alberti, op. cit., Livre III, Chapitre 8, p. 157. 18 Alberti, op. cit., Pierre Caye, Postface, p. 532. 19 Alberti, op. cit. Livre, Chapitre, p.. 20 Alberti, op. cit. Livre IV, Chapitre 2, p. 189. 21 Alberti, op. cit. Ma traduction. « Credo io che più si debbe avere la sanità cara che l’utile » Leon Battista Alberti, De familia : I libri della famiglia, éd. Ruggiero Romano et Alberto Tenenti, Turin, Einaudi, 1969, nouvelle éd. Francesco Furlan, 1994 {désormais désigné De familia}, t.II, p. 147, 1.1358 : cité par Pierre Caye et Françoise Choay, note de bas de page n° 9, p. 58. 22 Alberti, op. cit., Livre V, Chapitre 13,
p. 253. 23 Alberti, op. cit., Livre VII, Chapitre 2, p. 321. 24 « “Yes, our cappuccino is more expensive than others,” but, then comes the story: “We give 1% all our income to some Guatemalan children to keep them healthy, for the water supply for some Saharan farmer, or to save the forest, to enable organic growing for coffee, or whatever or whatever.” Now, I admire the ingenuity of this solution. In the old days of pure, simple consumerism, you bought a product, and then you felt bad: “My God, I’m just a consumerist, while people are starving in Africa…” So the idea is that you had to do something to counteract your pure, destructive consumerism. For example, you contribute to charity and so on. What Starbucks enables you is to be a consumerist, without any bad conscience, because the price for the countermeasure, for fighting consumerism, is already included into the price of a commodity. Like, you pay a little bit more, and you’re not just a consumerist, but you do also your duty towards the environment, the poor, starving people in Africa, and so on and so on. It’s, I think, the ultimate form of consumerism.” [https://daily.jstor.org/dont-buy-authenticity-scam/] 25 Alberti, op. cit., Livre III, p. 141, note n°6. Sur cette phrase, Pierre Caye et Françoise Choay notent à juste titre que « cette attitude conservatrice, qui vise non pas les monuments archéologiques mais les bâtiments en usage, répond à deux préoccupations. D’une part, du point de vue du constructeur, le statut des bâtiments construits selon les règles les voue à la durée, tandis qu’a contrario les bâtiments mal construits ne méritent pas d’être conservés ».
ALBERTI’S ART OF EDIFICATION, OR ARCHITECTURE AS A MEANS OF PRODUCTION OF A PUBLIC HEALTH Xavier Wrona “Finally, we must remember that by cutting the rock, breaching the mountains, filling the valleys, damming the sea and lakes, draining the marshes, arming ships, rectifying the course of the rivers, repelling the enemy, building bridges and ports, the architect not only provides for the daily needs of men, but also gives them access to all the provinces of the world? This has allowed them to share, through mutual exchanges, the fruits of the earth, spices and precious stones, as well as their skills and knowledge, as everything that contributes to health and life1.”
In retaining as the fourth totality2 the study of Public Health we had two objectives: 1/ to address the
topicality of the concept of Public Health as a set of social protection systems massively attacked in contemporary societies, 2/ to question in return the health of the public, i.e. the very concept of “publicity”. To participate to this work, this text will propose a review of the objectives assigned by Leon Battista Alberti to architecture in his De re aedificatoria, “the Art of Edification”, published in 1485 and second most influential text in architectural history after Vitruvius’ De architectura (On architecture) which dates from the first century BCE. I will try to show that the main objective assigned to architecture by Alberti is not the production of buildings
but the construction of health. The amount of air that the lungs of De re aedificatoria displays, from the first to the last page, will allow us to question the purpose assigned to the architectural discipline by Leon Battista Alberti, as well as, more broadly, the meanings of this purpose for us today. For Alberti, architecture is more concerned with the production of buildings than with anyone who preceded him. Indeed, this discipline no longer includes, as was the case with Vitruvius, the study of the movement of the heavens or the manufacture of machines. Vitruvius simply wrote: “Architecture in itself consists of three
parts: the construction of buildings, gnomonics and mechanics3.”
Nothing like this for Alberti, which considers that the skills required in the training of architects must therefore be modified. However, despite this very clear refocusing on buildings, we will defend here that we must be careful not to confuse the means and the purpose that he assigns to the architectural enterprise. We will defend here that if architecture is indeed for Alberti a matter of production of buildings, it is not with the aim of producing buildings for their own sake, but with the aim of building the conditions for the possible health of mankind.
PUBLIC HEALTH: WHY TALK ABOUT HEALTH WITH ALBERTI? To briefly outline the present hypothesis, we shall say that, for Alberti, public health is not a part of architecture; public health is architecture. As the introduction quote here attests, The Art of Edification is a treaty concerned with “everything that contributes to health and life”. But why such attention to health issues when planning the physical construction of the world? The formula in Book I, Chapter 6, which places fortune at the heart of human existence, attests to the fragility of CRITIQUE
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the human condition and gives us a first explanation for this Albertian concern: “Who will deny that what is called Fortune, whatever its nature, plays a great role in human affairs4?”
Fortune, which in Greek-Roman polytheism was “a divinity who presided over the hazards of life”, depicted “in the form of a woman, sometimes seated and sometimes standing, with a rudder, with a wheel beside it to mark its inconsistency5” [Fig. 2] is perhaps the figure by which the antique epistemology is replayed during the Renaissance. If the Renaissance is an attempt to revive the antique, fortuna transforms the terms of the rebirth of this world, new world into which Alberti is to evolve. There is indeed a significant difference in the mood of mankind regarding the world between the treaties of Vitruvius and Alberti. As Pierre Caye writes:
The production apparatus is that of the production of buildings because the world remains to be built. It is because the world is poorly constructed that Alberti’s way of thinking about how to improve health rests on the production of buildings. Willful and pragmatic, Alberti’s treatise is a codification of the architectural discipline as an intelligence of both a healthy collective life objective and the means of production that were at the disposal of his epoch. It will therefore be clear to the reader that, throughout this treatise, Alberti describes at length the relationship between human health and the various “objects” he addresses in establishing places
of life for humans over the course of the ten books: territory, houses, palaces, materials, proportions, methods of drying wood, choice of stones, method of arranging materials… I submit here, too briefly, to your analysis some fragments allowing us to draw in broad strokes the astonishing and teeming relationship between the concepts of “health” and “building” for Alberti: 1/ On the links between health and the territory of human settlement: “It is stated, however, that while bodies thrive in cold countries, minds excel in warm countries. I learned from the historian Appian that the Numids
owe their extreme longevity to the fact that their winter is not cold. In any case, the best region of all will be moderately humid and temperate; it will have tall and beautiful men, devoid of any gloom8.”
2/ On the necessary air renewal operated by the “openings”, i. e. the windows9: “Every room in the house will be provided with windows so that the enclosed air can come out and renew itself from hour to hour; otherwise, it would become corrupted and harmful. The historian Julius Capitolinus relates that in Babylon, in the temple of Apollo, a very old golden box was discovered which, when forced, spread a corrupt and toxic air so toxic
“[…] a singular and unprecedented stoicism, specific to the Renaissance, is being set up. In fact, this new stoicism is built on the dismantling of the rigorous metaphysical constitution of the world proposed by ancient stoicism; divine providence is absent, the universal Logos loses its reason, the concatenatio causarum, the inexorable chain of causes seems to be undone, at the risk of condemning the world to chaos and vicissitude. This dismantling bears a famous and feared name in the Renaissance—a formidable nomen, says Petrarch: Fortune, the key word in humanist morality and politics, which exercises its empire over all men6.”
But this deep ontological concern is tragically combined with the question of health, since it is correlated with the terrible and recurrent fatality of plague epidemics throughout Europe [Fig. 1], and by which Italy is heavily affected. These immense epidemics, which decimated approximately 30 to 50% of the populations of Europe from 1347 to 1354, contributed heavily to the establishment of a deep concern at the heart of subjectivities and established the imperative need to build a healthy world, allowing the development of bodies, people, their longevity and their great health. Thus it appears that the art of building is an attempt to combine two things: 1/ the establishment of an environment conducive and beneficial to human life and 2/ the productive apparatus of the moment in which its author is caught.
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PUBLIC HEALTH: WHY TALK ABOUT PUBLICITY WITH ALBERTI? It is not necessary here to dwell on Alberti’s desire to unify the modes of production of construction through the De re aedificatoria, since this treaty is known to have successfully achieved this ambition. Alberti shows a systematic organization, a process that coherently unifies everything that goes into the production of the building: choice of site, choice of materials, choice of destination of the works, etc. The De re aedificatoria makes a system out of the parts and phases of the realisation of the material production of reality. He writes: “All the power of the mind, all the art and all the skill of building are concentrated in the score. It is indeed the parts of the entire building and, if I may say so, the entire state of each of its parts, finally the agreement and coherence of all the angles and lines in a single work that this score is proportioning at once, taking into account the utility, dignity and agreeableness15.”
But beyond the unification of the processes of design and production, one of the aspects perhaps less commonly accepted or widespread of the work carried out within the De re aedificatoria in its redefinition of architectural morphogenesis, would be a desire to draw in the same overarching movement the inert bodies of the material production of the world and the social body. Alberti writes:
Unlike the trust in the destiny of the human enterprise that carries each of the pages of Vitruvius’ De Architectura, a trust based on the presupposition of a metaphysical agreement between human ambitions and the benevolence of the world towards them, Alberti can no longer confine himself to a project with an ambition that equals the redesign of the world that Rome had set out to achieve. In a way, the world with which man has come into conflict, must accept this project, the transplant has to work and the world must not reject it. Pierre Caye writes: “Man becomes alien to his own world, with which he comes into conflict. […] The Oikeiosis of the Ancients, that is, the original agreement and familiarity that man instinctively maintains with nature, is definitively lost. The reform of stoicism is taking a tragic turn. Man is condemned to exile, at the origin of the act of building, there is first of all wandering7.”
edify would be, replacing in everyday language, an ecology. By ecology, we must not understand the sudden and somewhat obscene awakening of the capitalocene in the face of the destruction of the world it carries; rather, we must understand ecology14 as the system allowing for the establishment of a public health.
“If, according to the maxim of philosophers, the city is a very large house, and if conversely the house itself is a very small city, why should not its members in turn all be considered as small houses16?”
Throughout the pages, we find a series of reciprocal links between material bodies and social bodies, which allow us to imagine a work thinking of putting the social body in order through construction, even in the modalities of assembling materials or the distribution of loads. He writes about assemblages: Fig. 2 La déesse Fortuna (1541), Hans Sebald Beham
that not only did it kill those who were nearby, but it spread an implacable epidemic throughout Asia, even to the Parthians10.”
3/ On the need to raise the military camp in order to keep the troops in good shape: “It is also considered that often leaving the camp is good for the soldier’s health11.” 4/ On the proper use of fire in relation to the firmness of the flesh: “No doubt this generation of camp men, hardened by military service, as they all were without exception, used fire less. Moreover, the doctors do not approve of us continually making great use of fire. Aristotle said that, in living beings, the firmness of the flesh
is due to the cold12.”
The Art of Edification includes many other references to health, demonstrating its primary concern for human health. As this is so striking, it seems important to argue here that for Alberti this health is not just a functional constraint or a factor to be taken into account. Health is an aesthetic theory that is fully conscious of itself. This is perfectly clear when he writes, for example: “It is obvious that in all things nature loves the right measure; moreover, health itself is nothing more than a composition of elements from which its right measure is born; for moderation always pleases13.”
In a sentence like this, it is impos-
sible to dissociate health, aesthetics, science and morals which operate absolutely in concert. It is in this sense that the Art of Edification is the description of a morphogenesis, i.e. a method of producing forms applied to the territory, with the aim of firmly establishing human health. Thus, De re aedificatoria is not to be understood as a definition of architecture as an art of building, but probably rather a definition of the term edifying, in that it is different from the notion of building. So what would such a difference consist of? We will propose here that building would be the purpose of the construction of buildings and that edifying would be the purpose of “everything that contributes to health and life”. To build is to construct, whereas to
“In addition, a rule, which I see scrupulously respected by all the Ancients, advises against incorporating stones of more than one pound into the filling. Indeed, small stones are considered easier to join and better adapted to connections than large ones. What Plutarch tells us about King Numa is a good illustration of this point: Numa divided the plebe into corporations, thinking that the more a body is divided, the easier it is to level and manage as one pleases17.”
In his afterword to the translation of the De re Aedificatoria, Pierre Caye refers to this same movement linking the house to the social body: “Economy comes from the Greek oikonomia, the nomos of the oikos, the law or better still the organization of the house. However, in the Albertian economy, the house has a double meaning; it is first of all the oikos
proper, what Alberti calls the familia which, beyond the family itself, can be applied to any social and functional unit formed by a community of human beings: but it is also the domos, the house in the literal sense of the term, the building that shelters the household and makes its economy possible18.”
The present hypothesis demands to be carried out further than what this brief article allows, but it should be retained here that something within this treaty thinks of a unitary continuity between bodies assembled within the framework of the production of buildings and the cohesion of the social body. This is still the case here: “If anyone were to divide mortals into categories, would it not immediately occur to him that it is not necessary to proceed in the same way according to whether we consider all the inhabitants of a place as a whole, or whether we classify them into separate categories19?”
To conclude on the attempt to create a legitimacy to speak of Public Health with Alberti, we will quote Alberti one last time in a passage that embraces both the notion of health and the notion of public, thus completing the demonstration, as I see it, that the Art of Edification has as its primary objective, not the building but Public Health: “The city and all the public buildings that form part of it are at the service of all. And, since we maintain that, according to the philosophers’ opinion, the principle and end of the city is to ensure that its inhabitants enjoy a peaceful life free of inconveniences, we must therefore think carefully, again and again, about the place and site where it will be established, and then about the layout of its perimeter20.”
RELATIONSHIPS BETWEEN THE PURPOSE OF ARCHITECTURE TODAY AND THAT PROPOSED YESTERDAY BY ALBERTI This journey through Alberti’s fundamental text, which is too quick to convince definitively of the hypothesis here proposed, is nevertheless an opportunity for current considerations on the way architecture is spoken of today. The fact that we are now talking about “ecological architecture” attests to the misunderstanding or real ignorance of the Albertian codification of the architectural discipline because, if one reads him correctly, the juxtaposition of these terms is obviously tautological. For Alberti there can be no architecture that is not ecological, in the sense in which this term is used today, that of an attention being paid to the consequences of human activities on the environment that supports them and in which they evolve, because architecture for Alberti is the organization that produces reality in order to protect the health of mankind. An architecture that would destroy the world that supports it and into which it is embedded would put the health of humans in danger and would in no way be part of an edification; it would be its antonym, its negation and its opposite. An “ecological architecture”, to use the terminology that is nowadays terribly voluntaristically enunciated in architecture schools themselves, presupposes that a major part of the concept
of architecture would escape ecology, suggesting that not all architecture is necessarily ecological. However, it must be admitted that most of the history of architecture understood as the production of buildings was not “ecological”. But this is not the case in the De re aedificatoria, and more broadly in Alberti’s overall thinking, which goes so far as to give priority to health over utility. A precious formula of the De familia attests to the ever-present modernity of this author who made the perpetuation of the species prevail in the 15th century over the utilitarianism of his time: “I personally believe that health, more than usefulness, should be dear to us20.”
It is here again the clarity of Alberti’s statements that allows us to see how far what we call architecture today is not only far from what he had proposed as a horizon for this discipline, but even further from the practice of producing buildings as an end in itself. What should we do with such an Alberti today? What escapes the ongoing ecologizing analysis of architecture today, is the major role played by the production of buildings in the capitalocene. Two propositions emerge following our proposed re-reading of Alberti: 1/ We must now prefer the term “health” to that of “ecology”, which we should collectively consider as having been destroyed by Capital, guilty as it is of having made it its new means for the conquest of reality in the forms of sustainable development and green capitalism. 2/ Dissociated from the concept of health, contemporary architecture reveals its real function within capitalism: to produce buildings. If the De re aedificatoria is clearly built on a correlation between the concept of architecture on the one hand and the actual action of producing buildings on the other hand, we will defend that this correlation should not lead to confusing these two things, that these terms cannot be read as equivalent. Architecture is the quasi-civilizational necessity of establishing a livable world. The production of buildings is the means chosen by Alberti in his time to achieve this goal. This is a major difference between the De re aedificatoria and architecture in the era of the capitalocene because for Alberti, there is no need to produce a building to make architecture, buildings being only one means among others to achieve human health. In this regard, he explains unambiguously that other means than the production of buildings are sometimes preferable for architectural purposes. For example, in the case of the prison: “Add if you wish fences made with beams, high wire mesh openings and other similar provisions, even if these obstacles are far too low and insufficient for those who value their freedom and salvation not to succeed in breaking them as long as you give them the opportunity to exercise all their physical and intellectual strength to accomplish their enterprise. That is why I consider the warning of those who claim that the eye of a vigilant guard is a prison of steel to be excellent22.”
Thus, even the most profound and tenacious assignment of ar-
chitecture to the production of buildings through the perpetual example of the “wall” is shattered by Alberti, who reveals here its inoperability from an “architectural” point of view, that is, from the point of view not of the means to be implemented but of the objective to be achieved. Architecture, in the context of a prison, is not the wall, it is preventing escape and for this reason the eye of the guard is more effective than the wall. It is the guardian’s eye that is architectural, not the wall. This is always the case for Alberti when he comes to dealing with the art of war: preventing human health means protecting cities from attacks. Thus, Alberti’s horizon for achieving the “wall” object is not to be solid to resist the assault, but to build health through peace, that is, a way of inhabiting the world capable of defusing the mechanics of the military option. He writes: “I would like the wall of the city such that in his sight the enemy is filled with fear and that, having lost hope, he does not delay in retreating23.”
ATTEMPT TO REACH A CONCLUSION “Contemporary” architecture, that is, architecture at the time of its ecological discourse, takes the form of an oxymoron which attests to the perpetuation of the schizophrenic logic of Capital as the primary engine of its action in the real world. The formula “ecological architecture”, today, is a proposal that seems to advocate that productivism in the form of building production is a model of health for mankind. In fact, ecological architecture would make it possible for this tour de force to allow the production of buildings, considered necessary although it consumes the world in capitalocene, to see its side effects annihilated by its “ecological” counterpoison. The Marxist philosopher Slavoj Žižek described, with regard to recent developments in capitalism, that it tended to develop ideological modalities of persuasions aimed at relieving the consumer of the guilt of his participation in capitalism during his act of purchase24. He explains that I am no longer guilty of giving in to capitalism because when I buy coffee from Starbucks, for example, part of my expenditure goes to correct the negative effects of my act, by helping local producers who are usually threatened by the consumerist logic of Capital. The contemporary ecology of architecture is based on an identical logic of exculpation of guilt, in that it would relegate the perpetuation of a general destructive economy of the world, based largely on the production of buildings as soon as it would be decoupled from its negative externalities, thanks to its integrated ecological counterpart. There is obviously nothing like this in Alberti’s work, about which one could venture to say that, paradoxically, although having placed the building at the centre of architecture in his treatise as no one had done before him, the production of buildings is a contingent and not a permanent phenomenon of his architecture, which he calls edifying. If we therefore try today to be “Albertians” from the situation in which we find ourselves, I defend here the hypothesis that his edification project would find more consistency in pushing the production of buildings to the margins of architectural discipline, in or-
der to focus on the reform of the productive apparatus itself. Some elements allow us to get an idea of the encounter of his system of thought with the total destruction of natural and human resources at work today. Alberti writes, for example, these words that go against a productivist culture such as that of the modern movement: “[…] in the meantime it is unworthy to sacrifice the work of our elders without taking into account the conveniences that citizens derive from the ancient homes of their ancestors, while it remains always in our power to destroy, to tear down and to remove all things entirely in every place. That is why I would like you to preserve the early buildings without touching them until you cannot without demolishing them and raising new ones25.”
Perpetuating an objective of establishing a healthy humanity as a mission for architecture today necessarily leads to a reconsideration of the proximity of architecture’s links with the production of buildings. On the one hand because the world is massively built, in such proportions that the need to add more buildings is beginning to be seriously debated, but also because the modes of production of buildings are massively linked to the degradation of human health. Let us therefore dare to make the dead speak, by proposing that if Alberti were alive today, he who saw architects moving mountains to establish a total public health, he would probably not be scared by the scale of the task to be carried out against the capitalocene. Furthermore, the mission he would assign to architecture in this struggle would probably not be, in our current context, to produce more buildings, but to rebuild the architecture of the modes of production of our material culture as a whole. He would aim to build a public health for the human being, in accordance with the great purpose of his Art of Edification.
p. 157, translated by the author. 18 Alberti, op. cit. Pierre Caye, Postface, p. 532, translated by the author. 19 Alberti, op. cit., Livre, Chapitre, p., translated by the author. 20 Alberti, op. cit., Livre IV, Chapitre 2, p. 189, translated by the author. 21 Alberti, op. cit., translated by the author. “Credo io che più si debbe avere la sanità cara che l’utile” Leon Battista Alberti, De familia, : I libri della famiglia, éd. Ruggiero Romano et Alberto Tenenti, Turin, Einaudi, 1969, nouvelle éd. Francesco Furlan, 1994 {now designated as De familia}, t.II, p. 147,1.1358 : quoted by Pierre Caye and Françoise Choay, note n° 9, p. 58. 22 Alberti, op. cit., Alberti Livre V, Chapitre 13, p. 253, translated by the author. 23 Alberti, op. cit., Alberti Livre VII, Chapitre 2, p. 321, translated by the author. 24 “Yes, our cappuccino is more expensive than others,’ but, then comes the story: ‘We give 1% of all our income to some Guatemalan children to keep them healthy, for the water supply for some Saharan farmer, or to save the forest, to enable organic growing for coffee, or whatever or whatever.’ Now, I admire the ingenuity of this solution. In the old days of pure, simple consumerism, you bought a product, and then you felt bad: ‘My God, I’m just a consumerist, while people are starving in Africa…’ So the idea is that you had to do something to counteract your pure, destructive consumerism. For example, you contribute to charity and so on. What Starbucks enables you is to be a consumerist, without any bad conscience, because the price for the countermeasure, for fighting consumerism, is already included into the price of a commodity. Like, you pay a little bit more, and you’re not just a consumerist, but you do also your duty towards the environment, the poor, starving people in Africa, and so on and so on. It’s, I think, the ultimate form of consumerism.” [https://daily.jstor.org/dont-buy-authenticity-scam/] 25 Alberti, op. cit., Livre III, page 141, note n° 6. On this sentence, Pierre Caye and Françoise Choay rightly note that “this conservative attitude, which targets not archaeological monuments but buildings in use, responds to two concerns. On the one hand, from the builder’s point of view, the status of buildings built according to the rules devotes them to duration, while on the other hand, poorly built buildings do not deserve to be preserved”.
1 Alberti, L’art d’édifier, translation from latin presented and noted by Pierre Caye and Françoise Choay. Editions du Seuil, 2004, Prologue, p. 48-49, translated by the author. 2 The previous objects which were studied were: Capitalism, War, Labor. 3 Vitruve, De l’architecture, translation from latin, edition supervised by Pierre Gros, Editions Les Belles Lettres, 2015, Livre I, 3, 1, p. 33, translated by the author. 4 Alberti, op. cit., Livre I, Chapitre 6, p. 71, translated by the author. 5 Definition from the dictionary le Littré of the word « Fortune », translated by the author. 6 Alberti, op. cit. Pierre Caye, Postface, p. 529, translated by the author. 7 Alberti, op. cit. Pierre Caye, Postface, p. 531, translated by the author. 8 Alberti, op. cit., Livre I, Chapitre 4, p. 64, translated by the author. 9 In this respect, it would be interesting to analyse in the writings of architects for how many years, and these may be centuries, an architect has not been concerned in an architectural treatise (and not a review of performative engineering applied to the regulation of the mode of building production) with air renewal as a major problem to be placed in both his esthetic and morphogenesis. 10 Alberti, op. cit., Livre I, chapitre 12, p. 87, translated by the author. 11 Alberti, op. cit., Livre V, chapitre 10, p. 242, translated by the author. 12 Alberti, op. cit., Livre V, chapitre 10, p. 265, translated by the author. 13 Alberti, op. cit., Livre V, chapitre 8, p. 239, translated by the author. 14 Let us recall here about the term Ecology the first meaning of the term “eco” of oikos “the house”. 15 Alberti, op. cit., Livre I, Chapitre 9, p. 79, translated by the author. 16 Alberti, op. cit. Livre I, Chapitre 9, p. 79, translated by the author. It is important to note that in note 82 on this same page, Pierre Caye and Françoise Choay add on this subject “Perhaps reference to Lactance, Divinarum institutionum libri, II, V, 32. In De iciarchia (Opere volgari, op. cit., III, p. 266-267), Alberti compares the city to a large family and the family to a small city.” 17 Alberti, op. cit., Livre III, Chapitre 8,
CRITIQUE
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L’AVENIR DU SOCIALISME : QUEL GENRE DE MALADIE EST LE CAPITALISME ? 1
Chris Cutrone La liquidation de la théorie [marxiste] par la dogmatisation et l’interdiction de penser fut une contribution à une praxis mauvaise […] La corrélation de ces deux moments [entre théorie et praxis] n’est pas réglée une fois pour toutes, mais fluctue à travers l’histoire […] Ceux qui réprouvent la théorie [en la considérant comme] anachronique obéissent au topos de son rejet, envisagée comme obsolète, comme une chose qui demeure douloureuse [puisqu’elle a été] contrecarrée […] Nous respecterons l’orientation des faits historiques comme verdict de leur contenu de vérité établi uniquement par ceux qui sont d’accord avec [Friedrich] Schiller pour dire que “l’histoire du monde est le tribunal du monde”. Ce qui a été mis de côté mais n’a pas fait l’objet d’une assimilation théorique révèle souvent plus tardivement son contenu de vérité. La situation s’aggrave comme une plaie sur la santé qui prévaut ; resurgissant dans différentes situations. Th. W. Adorno, Dialectique Négative (1966)2
L’avenir du socialisme est l’avenir du capitalisme – l’avenir du capitalisme est l’avenir du socialisme. Le socialisme est une maladie du capitalisme. Le socialisme est le pronostic du capitalisme. Il s’agit, à cet égard, d’une sorte de diagnostic du capitalisme. Il est un symptôme du capitalisme, la pathologie du capitalisme. Il se reproduit, revient et se répète. Tant que le capitalisme aura cours, il y aura un besoin de socialisme. Le capitalisme a néanmoins évolué tout au long de son histoire et a été conditionné par les exigences
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du socialisme. Leurs histoires sont inextricablement liées et imbriquées. Cela est toujours vrai aujourd’hui. La société sous régime capitaliste, dans sa forme concrète, sera conditionnée par la nécessité de réaliser le capital. Cela signifie que la société sera conditionnée par la contradiction inhérente au capital. L’avenir du socialisme sera conditionné par cette contradiction. Il s’agit d’une maladie de l’auto-contradiction de la société dans le capitalisme.
UNE MALADIE Quel genre de maladie est le capitalisme ? Friedrich Nietzsche a décrit le mal moderne du nihilisme dans le régime capitaliste – sans employer le terme de « capitalisme » – telle une « maladie, mais au sens où la grossesse est une maladie. »3 Le socialisme est la pathologie du capitalisme – selon les termes du manifeste de Marx et Engels, le « communisme » est le « spectre » – et le capitalisme est la pathologie du socialisme, menaçant toujours de faire retour. La question posée est celle du pronostic du socialisme – le pronostic du capitalisme. Le capitalisme est une maladie – une pathologie – du potentiel. Nous souffrons du potentiel non réalisé du capital.
Le capitalisme est un déséquilibre de la production et de l’appropriation. Il s’agit d’un problème de production sociale et de la manière dont la société s’approprie sa propre production. En tant que tel, cela relève d’un problème de métabolisme. Ce que les keynésiens qualifient souvent de problème de surproduction est un problème de sous-consommation. Mais l’auto-contradiction est plus poussée encore. C’est bien plus qu’un déséquilibre temporaire du marché, en l’attente d’une rectification émanant soit de l’État, soit du marché lui-même. En retournant les problématiques de la production et de la consommation, nous constatons que le capitalisme est également un problème de surconsommation des ressources – Marx parle de l’usure du travailleur et de la nature – et une sous-consommation de valeur, comme par exemple dans le cas d’une surabondance d’argent sans écoulement sous la forme d’un investissement en capital. Il peut également s’agir d’une sous-production de ressources – d’un gaspillage de la nature et du travail – et d’une surproduction de valeur. Ce que Marx a qualifié de problème de plus-value de la production et de la consommation. La pathologie du capitalisme est un trouble du métabolisme. Ainsi que l’expriment habituellement les commentateurs et commentatrices contemporain·e·s, le capitalisme n’est pas un trouble de la rareté ou de la (sur-)abondance, ni
de la hiérarchie ou de l’égalité – un problème par exemple de nivellement par le bas – mais, plutôt, en tant que problème relevant de ce que Marx appelait le « métabolisme social », il présente tous ces symptômes alternativement et simultanément. Dans la mesure où Nietzsche considérait la modernité capitaliste comme une maladie, mais comme une maladie comme la grossesse est une maladie, elle ne doit pas être guérie dans le sens d’une éradication, mais plutôt d’un dépassement, afin d’engendrer une vie nouvelle. S’agit-il d’une maladie chronique ou aiguë ? On ne peut pas assimiler le capitalisme au cancer puisque cela impliquerait qu’il s’agit d’un stade terminal. Au lieu que le socialisme attende la mort du capitalisme, la question est de savoir si le socialisme n’est pas finalement qu’un rêve fiévreux du capitalisme : celui-ci revient de manière chronique, mais finit par passer. Le capitalisme n’est pas un stade terminal mais plutôt une forme de vie. Une forme pathologique de vie, certes, mais, ainsi que l’observait Nietzsche – et le christianisme –, la vie elle-même est une forme de souffrance. Quelles seraient les conséquences si le capitalisme n’était pas uniquement une forme de vie – donc une forme de souffrance – mais aussi une forme potentielle de vie nouvelle au-delà de lui-même ? Que se passerait-il si le symptôme récurrent du socialisme – la
crise du capitalisme – était une grossesse que nous n’avions pas réussi à mener à terme et qui aurait plutôt échoué ou avorté ? Le but serait alors, non pas de mettre un terme à la grossesse socialiste du capitalisme, non pas d’essayer de guérir les crises périodiques du capitalisme, mais de voir naître avec succès le socialisme à partir du capitalisme. Cela reviendrait d’une certaine manière à encourager la pleine santé du capitalisme. Peut-être l’humanité s’est-elle montrée trop malade en subissant le capitalisme pour donner naissance au socialisme avec succès ; mais cette grossesse a été envisagée comme une maladie qu’il fallait guérir, plutôt que comme ce qu’elle était en réalité, à savoir le symptôme d’une nouvelle vie potentielle en voie d’émerger. Les marxistes du passé ont employé de manière très précise la métaphore de la « révolution comme sage-femme de l’histoire ». La révolution socialiste rendrait le socialisme possible, mais ne ferait pas naître un socialisme prêt à l’emploi. Un nourrisson – de plus s’il n’est pas encore né – n’est pas une forme de vie mature. Ce sont-là les enjeux liés à la reconnaissance du capitalisme pour ce qu’il est : un potentiel socialiste. Si nous prenons le capitalisme pour une maladie qu’il nous faut éradiquer, alors nous subissons périodiquement sa
pathologie, mais nous échouons à produire la nouvelle vie que le capitalisme autogénère constamment. Il s’agirait donc, non pas d’éviter le capitalisme, non pas d’éviter la grossesse socialiste, mais de permettre au capitalisme de donner naissance au socialisme. L’idéologie bourgeoise nie qu’il existe une nouvelle forme de vie au-delà d’elle-même – que le socialisme puisse exister au-delà du capitalisme – et cherche ainsi à mettre un terme à la grossesse, à guérir les maux du capitalisme, à éliminer le potentiel comme une infection engendrée par un corps étranger, ou un déséquilibre métabolique à restaurer. Le capitalisme n’est pas une tumeur maligne mais un embryon. L’avortement récurrent du socialisme fait cependant apparaître le capitalisme comme une tumeur, plus ou moins bénigne, tant qu’elle passe, est extraite, ou qu’elle est extirpée d’une quelconque autre manière.
DIAGNOSTIC
À l’instar du cancer, le capitalisme apparaît sous la forme d’une prolifération de cellules cancéreuses croissant aux dépens du corps social : qu’il s’agisse de criminel·le·s issu·e·s de la classe inférieure, des classes moyennes voraces, des capitalistes ploutocratiques ou des masses « populistes » sauvages (voire même « fascistes »), qui doivent être toutes découragées sinon complètement éliminées afin de rétablir l’équilibre sanitaire du système. Mais le capitalisme ne cherche pas à être en bonne santé dans le sens d’un retour à l’homéostasie, il préfère se surpasser : il veut donner naissance au socialisme. Allons-nous autoriser cela ? Cela impliquerait de soutenir la grossesse – voir les symptômes jusqu’à leur réalisation, et de ne pas essayer de les stopper ni de couper court à leur progression.
Moishe Postone, dans son essai de 2006, Théoriser le monde contemporain : Brenner, Arrighi, Harvey4 – pièce complémentaire versée à son autre essai bien connu de 2006, Histoire et Impuissance5 – saisit cette contradiction de notre temps comme celle qui intervient entre les îles de la vie post-prolétarienne naissante entourées des mers de l’humanité superflue – post-humanisme postmoderne et défense fondamentaliste religieuse de la dignité humaine, dans un monde fait à la fois des villes de l’abondance post-prolétariennes et des bidonvilles sous-prolétariens.
Quel est le pronostic du socialisme ? Le socialisme se place dans le prolongement des droits « des êtres humains et des citoyens », selon les principes de « liberté, égalité et fraternité », qui veulent que « tous les êtres humains naissent égaux » avec des « droits inaliénables » de « vie, liberté et recherche du bonheur ». Le socialisme cherche à réaliser le principe bourgeois de la « libre association des producteurs », dans laquelle chacun est fourni « selon son besoin » tout en contribuant « selon ses capacités ». La question est de savoir de quelle manière le capitalisme rend cela possible et impossible, et ce qu’il faudrait pour surmonter son impossibilité en réalisant cette possibilité.
Peter Frase a écrit un article fondateur en 2011 pour le Democratic Socialists of America’s Jacobin magazine, à propos de « Quatre futurs possibles »6 – ensuite augmenté pour les besoins de son livre de 2016 sous-titré « Life after Capitalism »7 – à propos de la
supposée « fin inévitable » du capitalisme et de ses quatre conséquences potentielles : « le communisme de l’abondance et de l’égalitarisme », « le rentisme de la hiérarchie et de l’abondance », « le socialisme de l’égalitarisme et de la rareté » ou « l’extermination de la hiérarchie et de la rareté ». Le futur était censé se nicher entre deux axes contradictoires : l’égalitarisme contre la hiérarchie ; et la rareté par rapport à l’abondance.
littérale du Manifeste communiste de Marx et d’Engels, et une interprétation directe, sinon naïve, du communisme ou du socialisme de la « conspiration des égaux » de Babeuf, peut-être même depuis Jésus et ses apôtres. Le « communisme » – ou selon les termes de Peter Frase, « l’abondance égalitaire » – est la « terre du lait et du miel », où « les derniers seront les premiers et les premiers seront les derniers ».
Contrairement à Postone qui, simultanément et à l’instar de Slavoj Žižek, a saisi l’existence synchronique du postmodernisme et du fondamentalisme comme les deux faces de la même pièce du capitalisme tardif, Frase néglige la proposition dialectique selon laquelle ces quatre « futurs possibles » deviendront réalité… En réalité, les quatre propositions ont déjà cours dans le capitalisme. Elles ne sont pas simplement en train de se réaliser, mais elles ont figuré les conditions d’existence réelle du capitalisme tout au long de son histoire, depuis sa création à l’époque de la révolution industrielle. La hiérarchie et l’égalitarisme ainsi que la rareté et l’abondance ont coexisté, et chacun·e a été la condition préalable à son opposé dialectique.
Le capitalisme, compris de manière non dialectique, implique donc, par contraste, l’exterminisme du rentisme, l’inhumanité de l’exploitation, dans laquelle la pénurie et la hiérarchie régissent l’appropriation par l’élite du surplus. Mais cela a été vrai depuis l’aube de la civilisation, depuis le début de « l’histoire documentée » – voir la remarque éclairée d’Engels au sujet de l’affirmation du Manifeste selon laquelle « l’histoire est l’histoire de la lutte des classes ».
On pourrait même avancer que cela a été le cas depuis l’émergence précoce de la société bourgeoise – que la contradiction capitaliste a toujours existé – ou bien, effectivement, depuis le début de la civilisation. On pourrait dire qu’elle a été la condition de la « société de classes dans son ensemble », la condition de l’existence d’un « surplus social » à travers l’histoire. C’est la perspective de « l’hypothèse communiste », développée par exemple par Alain Badiou, qui a mobilisé une lecture plutôt
Alors, qu’est-ce qui est différent avec le capitalisme ? Ce qui a changé, c’est la forme du surplus social : « le capital ». Affirmer, à l’instar des marxistes, qu’en tant que potentiel du socialisme, le capitalisme figure la « fin de la préhistoire », c’est avancer que toute histoire est l’histoire du capital : l’histoire de la civilisation se résume au développement du surplus social, jusqu’à ce qu’elle ait finalement endossé la forme même du capital. Les civilisations anciennes étaient cependant basées sur une forme spécifique de surplus social. Le surplus de céréales au-delà de la subsistance produite par l’agriculture paysanne autorisait l’émergence d’une autre activité que celle de l’agriculture. Les paysans pouvaient bien se serrer la ceinture pour nourrir les
prêtres plutôt que de perdre la Parole Divine, et certains chevaliers les protégeaient en retour des païens. Néanmoins, en ce qui nous concerne, revenir à la base religieuse civilisationnelle reviendrait à embrasser des valeurs tout à fait étrangères à l’éthique bourgeoise du travail, telle que « les malades sont bénis », avec la vérité divine de la vanité de la vie, alors que nous considérons à juste titre la maladie comme une malédiction, à tout le moins une malédiction pour la société. Quel est donc le surplus social du capital ? Selon Marx, le capital est l’excédent de travail. C’est aussi, cependant, la source des possibilités de l’emploi au sein de la production : la source de l’investissement social. Cela en fait-il pour autant la source de la hiérarchie ou de l’égalité, de la rareté ou de l’abondance, du post-humanisme ou de l’ontologie – humaine – fondamentale ? C’est la source de toutes ces différentes valeurs apparemment opposées, leur condition commune, la société même, quoique sous une forme « aliénée ». En tant que telle, c’est aussi la source du changement potentiel sociétal. Le socialisme vise à la réalisation du potentiel de la société. Mais il sera atteint – ou non – selon les principes du capitalisme et dans les conditions du capital. Le surplus social du capital est la source de changements sociétaux potentiels, de nouvelles formes de production – de nouvelles formes multiples d’activité humaine, par rapport aux autres, à la Nature et à nous-mêmes. Les changements du capital modifient nos relations sociales. Le capital est une relation sociale. Le capital est la source de nouvelles formes infinies de pénurie et d’abondance sociales – de nouCRITIQUE
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velles formes d’expropriation et de production sociales – ainsi que de nouvelles formes de hiérarchie et d’égalité sociales. Le capital est la source de tous ces changements dans la société au cours des deux derniers siècles, depuis la révolution industrielle. Hillary Clinton, dans une interview accordée pendant sa campagne avortée pour la présidentielle des États-Unis, a déclaré que la question qui la maintenait éveillée la nuit était celle qui consistait à trouver une politique susceptible d’encourager l’investissement de capitaux pour produire des emplois. En effet, c’est précisément ce qui a motivé la campagne réussie de Trump pour la présidentielle. Fait intéressant, il n’est pas clair si c’est cela qui a motivé Bernie Sanders comme alternative à Clinton, ou si c’est cela qui motive désormais Jeremy Corbyn en tant que chef du parti travailliste britannique. Dans le cas de Corbyn et de Sanders, il semble qu’ils aient été moins motivés par le problème du capital et du travail que par une préoccupation plus nébuleuse pour la « justice sociale », sans tenir compte des potentialités réelles de ce dernier au sein du capitalisme. Au Royaume-Uni, par exemple, le « Red Toryism » de Theresa May – en donnant la priorité au « travailleur britannique », comme la priorité revendiquée par Trump pour le « travailleur américain » – est en réalité plus réaliste, même si son organisation est plutôt limitée politiquement. Corbyn, en tant que « combattant de la justice sociale » et vétéran de la New Left, est en réalité plus proche des critères de la politique néolibérale que May, dont le Parti conservateur n’est pas (encore) en mesure de soutenir le programme. En revanche, c’est un parti travailliste blairiste néolibéral que dirige Corbyn. Mais le Brexit, et la crise de l’UE qu’il a entraînée, vient modifier le paysage. May ouvre toujours, cependant, la voie. Tout comme Trump, bien entendu. En ce sens, la question du socialisme était plus proche des préoccupations réelles de Clinton et de Trump que de Sanders. Sanders a offert à ses partisan·e·s la Présidence d’Obama qui n’a jamais été qu’un « nouveau New Deal » qui n’adviendra jamais. En revanche, Clinton et Trump étaient prêt·e·s à sortir de la crise économique de 2008 : comment réparer la crise du néolibéralisme, qui a maintenant dix ans d’existence ? Puisque chaque crise est une opportunité pour le capitalisme. C’est ce qui doit être le souci de la politique. C’est la question éternelle du capitalisme : de quelle manière la société va-t-elle employer sa crise de surproduction, son surplus de capital, son surplus de travail ? Comment les possibilités sociales du capital vont-elles se réaliser ? Quel est le potentiel réel de la société dans le capitalisme ? Bien sûr, les horizons étroits des perspectives de Clinton, Trump et May pour réaliser les potentiels du capitalisme sont moins attrayants que l’idéalisme apparent de Corbyn et de Sanders. Mais, de manière réaliste, il faut admettre que le meilleur résultat possible – avec le moins de perturbation et de danger – pour les États-Unis et donc pour le capitalisme mondial actuel aurait été réalisé par une présidence Clinton. Si l’élection de Trump semble être un cauchemar effrayant, une croisière dans l’in-
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connu avec plus ou moins de folie à la barre, alors, une présidence de Sanders était simplement une chimère, bien enfoncé qu’il était dans le fauteuil de l’idéalisme. Aujourd’hui, le marché boursier fait le pari que, quelles que soient les gaffes de Trump, le Parti républicain restera au pouvoir. Le capitaine, même hagard, ne peut réellement faire fonctionner le vaisseau autrement que par ses propres moyens. La question est de savoir si l’on fait confiance à un PDG qui tente de construire l’entreprise en la modifiant, ou si l’on fait confiance aux actionnaires qui ne veulent pas risquer sa rentabilité. Trump n’est pas un pari sûr. Mais il exprime l’impulsion irrépressible pour le changement. La seule question est de savoir de quelle manière.
PRONOSTIC La question de l’avenir du socialisme est donc une question de changements potentiels au sein du capitalisme. La question est de savoir comment le capitalisme a déjà évolué et continuera de changer. Ce qui semble clair, c’est que le capitalisme, du moins tel qu’il a existé pour la génération précédente du néolibéralisme, ne continuera pas exactement ainsi. Il y a eu une crise et il y aura un changement. Le Brexit et la chute de David Cameron ainsi que la victoire de Trump et la défaite d’Hillary – le défi réussi de Sanders et l’ascension de Corbyn aux côtés de la Première ministre May – ne peuvent pas tous être attribués aux erreurs accidentelles de l’histoire. Face au changement historique, la continuité doit être prise en compte – précisément comme base de ce changement. De quelle manière le capitalisme néolibéral est-il en train de sortir de sa crise ? Le néolibéralisme est vieux et a donc besoin de renouveau. La rose a perdu de son rouge. Ses jours héroïques sont derrière nous. Obama les a de nouveau mobilisés dans une certaine mesure, mais Hillary a été incapable de le refaire. Les républicains auraient pu se retrouver coincés dans le Reaganisme vintage des années 1980, mais Trump les en a extirpés. Face à Trump, la question a été posée : ne sommes-nous pas tous de bons néolibéraux ? Non seulement Nancy Pelosi a dit que, tout en respectant Bernie, nous n’avons pas besoin d’essayer de devenir socialistes mais de rester des capitalistes. Le principal candidat républicain, Marco Rubio, a dit la même chose à propos de Trump, tandis que Ted Cruz s’est retiré pour se battre un jour de plus contre ce qu’il appelait le « socialisme » de Trump. Mais le Tea Party est mort. Or, le spectre du « fascisme » dans la crise du néolibéralisme – qui, il faut le rappeler, considère toutes les alternatives possibles comme plus ou moins fascistes – est en réalité le spectre du socialisme. À quoi ressemble l’espoir actuel pour le socialisme ? Apparaît-il inévitablement comme un nationalisme, à une différence de style près ? Le cosmopolitisme du capitalisme doit-il prendre la forme d’une mondialisation sans intermédiaire (qui n’a jamais existé) ou plutôt de l’internationalisme, des relations entre nations ? Ces alternatives apparentes démontrent le déclin de l’optimisme néolibéral – le déclin du « village global » de
Clinton. Nous vivons maintenant – contrairement à la première époque Clinton des années 1990 – à l’ère du pessimisme néolibéral, où tout optimisme semble imprudent et effrayant en comparaison : Hillary réplique que « l’Amérique est déjà grande ! » contre le « Make America Great Again! » de Trump qui était critique et très pessimiste sur les conditions existantes, mais optimiste face au pessimisme politique d’Hillary – à laquelle Hillary et Obama pouvaient seulement répondre que les choses ne sont pas aussi mauvaises que le disent (Sanders ou) Trump. Les « Millennials » étaient-ils·elles trop optimistes pour accepter le sobre pragmatisme d’Hillary – ou étaient-ils·elles tellement pessimistes qu’ils·elles ont perdu toute prudence face à la realpolitik et ont embrassé Sanders et Corbyn ? Se sont-ils·elles agrippé·e·s, après l’élection de Trump, aux lambeaux formels de leurs préoccupations, comme ce qu’ils ou elles pouvaient espérer de mieux ? Est-ce que Sanders – comme Corbyn au Royaume-Uni – n’exprime pas simplement mieux qu’Hillary ou Obama ce qu’ils ou elles veulent entendre ? Par comparaison, Hillary et Trump représentaient une dose salutaire de réalité – amèrement ressentie. Obama représentait le « changement auquel nous pouvions croire », c’est-à-dire : très peu ou pas du tout. Clinton dans la continuation d’Obama était la sobriété du « réalisme » à faible croissance. Maintenant, Trump est la réalité du changement, que cela nous plaise ou non. Mais c’est au nom de l’optimisme pour la croissance : « Des emplois, des emplois, des emplois ». Le problème du capitalisme – le problème qui motive la demande de socialisme – est celui de la gestion et de la réalisation des potentialités d’une main-d’œuvre mondiale. C’est en fait la réalité de toute politique, partout. Tous les pays dépendent du commerce international et même mondial, y compris la circulation des travailleurs et leurs salaires. Même le « royaume hermite » de la Corée du Nord ne dépend pas seulement des biens échangés, mais aussi des fonds envoyés par ses travailleurs de l’étranger. Cette question de la main-d’œuvre mondiale est la source du problème de la migration – la migration des travailleurs. Par exemple, les guerres sont menées avec le problème des réfugiés en tête. La crise politique cherche à alléger soit, de manière bénigne, la « fuite des cerveaux » de la classe moyenne émigrée, soit, de manière malveillante, le nettoyage ethnique – dans les deux cas, l’exode des populations excédentaires rétives qui ne peuvent être intégrées. L’aide internationale ainsi que l’intervention militaire sont calculées en termes d’effets sur la migration : comment prévenir une crise de réfugiés ? Les États-Unis ont payé des pays tels que l’Égypte et le Pakistan pour subventionner leurs chômeurs à travers des forces militaires hypertrophiées. Que faire avec toutes celles et ceux qui cherchent du travail ? Où trouveront-ils·elles un travail ? C’est un problème global. Le capital est la forme sociale de cet excédent de travail, le surplus social de la production. Le capital est la façon dont la société essaie de gérer et de réaliser le potentiel de cet excédent. Mais la source de ce surplus n’est plus tant l’activité humaine – le travail – que la science et la technologie. Le
problème est que, politiquement, nous n’avons aucun moyen de mobiliser ce surplus autrement que par des possibilités de travail – par exemple en gérant les États-nations comme des marchés du travail. La question est de réaliser les possibilités potentielles du surplus social au-delà de la reproduction d’une maind’œuvre laborieuse de plus en plus redondante. Seront-ils affamés ou exterminés ? Ou seront-ils libérés ? Les seules alternatives offertes par le capitalisme sont la liberté de travailler – pas la pire forme de liberté que le monde ait jamais connue, mais ses possibilités dans le capitalisme sont de plus en plus étroites. La question est celle de la liberté du travail. Comment cela sera-t-il réalisé ? Il y a eu des preuves de plus en plus nombreuses de ce problème depuis la révolution industrielle : le chômage. Le darwinisme social n’était pas un programme mais une rationalisation de la crise du capitalisme. Cela reste ainsi aujourd’hui. L’humanité se libérera-t-elle des limites du capital, des limites du travail ?
AVENIR Les quatre futurs alternatifs possibles du jacobin Peter Frase n’étaient-ils que des alternatives d’ordre rhétorique ? Presque personne ne prétend favoriser l’extermination, la pénurie ou l’inégalité. L’avenir réel du capitalisme n’appartient pas réellement à de telles expressions du pessimisme. Heureusement, il sera sensiblement meilleur que nos pires craintes, même si, malheureusement, ce sera pire que nos meilleurs désirs. Le capitalisme pour le meilleur ou pour le pire a effectivement un avenir, même s’il sera différent de ce à quoi nous sommes habitué·e·s. Il sera également différent de nos rêves et de nos cauchemars. Le jacobin Frase semble supposer que ce n’est pas ce qu’il appelle le « communisme » mais le « socialisme » – la combinaison de l’égalitarisme et de la rareté – qui est plus possible et plus désirable : pour Frase, l’abondance porte plutôt le danger du « rentisme » capitaliste et de la hiérarchie. Pour Frase, entre autres, l’avenir du conflit social semble se poser sur les termes de la rareté : l’égalité contre « l’extermination », par exemple, l’égalitarisme contre le racisme. Les antinomies du postmodernisme et du fondamentalisme de Moishe Postone et de Peter Frase, et de la rareté et de l’égalitarisme (cette dernière combinaison comme la formule de Frase pour le « socialisme »), sont des expressions du pessimisme. Ils forment le visage contemporain des espoirs diminués. Mais le capitalisme ne restera pas sur eux. Il va continuer : il avance déjà. Quel est le futur de l’abondance, cependant, avec la hiérarchie – celle du capitalisme continu, c’està-dire des « rentes de capital » – dans la société, et comment cette tâche potentielle peut-elle devenir un avenir pour le socialisme ? Où sera la demande de socialisme ? Et comment doit-il être réalisé ? Nous ne devons pas supposer que la production capitaliste, aussi contradictoire soit-elle, est terminée. Non. Nous ne sommes pas à la fin des formes de pénurie dans
des conditions d’abondance, ou à la fin des hiérarchies conditionnées par l’égalité sociale. Le citoyen Trump nous révèle ce fait fondamental de la vie sous le capitalisme continu. Comme l’observait Walter Benjamin dans une conversation avec Bertolt Brecht pendant l’heure la plus noire du fascisme, à minuit du siècle dernier, il ne faut pas commencer par le « bon vieux temps » – qui en réalité n’était pas si bon – mais par les « mauvaises nouvelles ». Nous devons prendre le mal avec le bien ; nous devons prendre le bien avec le mauvais. Nous devons essayer de faire le bien sur la réalité du capitalisme. Comme Benjamin l’a dit, nous devons essayer de racheter ses sacrifices autrement horribles, qui sont en effet en continuité avec ceux de toute la civilisation. L’histoire – la demande pour le socialisme – nous charge de sa rédemption. L’avenir du capitalisme est l’avenir du socialisme – l’avenir du socialisme est l’avenir du capitalisme.
ADDENDA Peut-être que le capitalisme est la maladie de la société bourgeoise et que le socialisme est la nouvelle forme de vie potentielle au-delà de la grossesse du capitalisme. La société bourgeoise n’apparaît pas toujours comme un capitalisme, mais seulement en crise. Nous oscillons dans notre politique non pas entre le capitalisme et le socialisme, mais entre l’idéologie bourgeoise et l’anticapitalisme – de nos jours, en général, du type communautariste et identitaire ethno-religieux fondamentaliste culturel : des formes d’idéologie anti-bourgeoise. Mais le socialisme n’a jamais été, au moins pour le marxisme, simplement anticapitaliste : il n’a jamais été anti-bourgeois. C’était la promesse de la liberté au-delà de celle de la société bourgeoise. La crise du capitalisme était considérée par le marxisme comme l’attribution de la société bourgeoise par le socialisme. C’était pourquoi Lénine se disait Jacobin ; et pourquoi Eugene Debs a appelé le 4 juillet une fête socialiste. Le socialisme devait être la réalisation du potentiel de la société bourgeoise, autrement contraint et déformé dans le capitalisme. Tant que nous vivrons dans la société bourgeoise, il y aura la promesse – et la tâche – du socialisme. 1 Une version abrégée de cet article a été présentée à la 4e Platypus European Conference en clôture de la session plénière intitulée « Quel est l’avenir du socialisme ? », avec Boris Kagarlitsky (Institute of Globalization and Social Movements), Alex Demirovic (Fondation Rosa Luxemburg), Mark Osborne (Alliance for Workers’ Liberty, Momentum) et Hillel Ticktin (revue Critique), à l’Université Goldsmiths de Londres, le 17 février 2018. 2 Theodor W. Adorno, Dialectique Négative, Paris, Payot, 2003. 3 Friedrich Nietzsche, Généalogie de la morale, 1887. 4 In Robert Albritton, Robert Jessop, Richard Westra, eds., Political Economy and Global Capitalism: The 21st Century, Present and Future, London, New-York, Delhi, Anthem Press, 2007. 5 Public Culture 18.1, 2006, p. 93-110. 6 Disponible en ligne : [https://www.jacobinmag.com/2011/12/four-futures/] 7 New-York, Verso, 2016.
THE FUTURE OF SOCIALISM: WHAT KIND OF ILLNESS IS CAPITALISM? 1
Chris Cutrone The liquidation of [Marxist] theory by dogmatization and thought taboos contributed to the bad practice. […] The interrelation of both moments [of theory and practice] is not settled once and for all but fluctuates historically. […] Those who chide theory [for being] anachronistic obey the topos of dismissing, as obsolete, what remains painful [because it was] thwarted. […] The fact that history has rolled over certain positions will be respected as a verdict on their truthcontent only by those who agree with [Friedrich] Schiller that “world history is the world tribunal.” What has been cast aside but not absorbed theoretically will often yield its truth-content only later. It festers as a sore on the prevailing health; this will lead back to it in changed situations. Th. W. Adorno, Negative Dialectics (1966)2
The future of socialism is the future of capitalism—the future of capitalism is the future of socialism. Socialism is an illness of capitalism. Socialism is the prognosis of capitalism. In this respect, it is a certain diagnosis of capitalism. It is a symptom of capitalism. It is capitalism’s pathology. It recurs, returning and repeating. So long as there is capitalism there will be demands for socialism. But capitalism has changed throughout its history, and thus become conditioned by the demands for socialism. Their histories are inextricably connected and intertwined.
This is still true today. Society under capitalism in its concrete form will be conditioned by the need to realize capital. This means that society will be conditioned by the contradiction of capital. The future of socialism will be conditioned by that contradiction. This is an illness of self-contradiction of society in capitalism.
ILLNESS What kind of illness is capitalism? Friedrich Nietzsche described the modern affliction of nihilism in capitalism—he didn’t use the term “capitalism” but described it—as an “illness, but the way pregnancy is an illness.”3 Socialism is the pathology of capitalism—in terms of Marx and Engels’s Manifesto, “communism” is the “specter”—and capitalism is the pathology of socialism, always threatening its return. The question is the prognosis of socialism—the prognosis of capitalism. Capitalism is an illness—a pathology—of potential. We suffer from the unrealized potential of capital. Capitalism is an imbalance of production and appropriation. It is a problem of how society produces, and how society appropriates its own production. As such it is a problem of metabolism. This is often referred to, for instance by Keynesians, as a problem of
overproduction—a problem of underconsumption. But it is more self-contradictory than that. It is more than a temporary market imbalance awaiting correction, either by the state or by the market itself. Turning over the issues of production and consumption, we find that capitalism is also a problem of an overconsumption of resources—Marx called it the wearing-out of both the worker and nature—and an underconsumption of value, for instance in an overabundance of money without outlet as capital investment. It is also, however, an underproduction of resources—a wastage of nature and labor—and an overproduction of value. It is, as Marx called it, a problem of surplus-value—of its production and consumption. The pathology of capitalism is a metabolic disorder. As capitalism is usually addressed by contemporary commentators, it is not however a disorder of scarcity or of (over-)abundance, nor of hierarchy or of equality—for instance, a problem of leveling-down. But, rather, as a problem of what Marx called the “social metabolism,” it exhibits all of these symptoms, alternately and, indeed, simultaneously. In the way that Nietzsche regarded capitalist modernity as an illness, but an illness the way pregnancy is an illness, it is not to be cured
in the sense of something to be eliminated, but successfully gone through, to bring forth new life. Is it a chronic or an acute condition? Capitalism is not well analogized to cancer because that would imply that it is a terminal condition. No. Rather than socialism waiting for capitalism to die, however, the question is whether socialism is merely a fever-dream of capitalism: one which chronically recurs, occasionally, but ultimately passes in time. Capitalism is not a terminal condition but rather is itself a form of life. A pathological form of life, to be sure, but, as Nietzsche—and Christianity itself—observed, life itself is a form of suffering. But what if capitalism is not merely a form of life—hence a form of suffering—but also a potential form of new life beyond itself? What if the recurrent symptom of socialism—the crisis of capitalism—is a pregnancy that we have failed to bring to term and has instead miscarried or been aborted? The goal, then, would be, not to eliminate the pregnancy of socialism in capitalism, not to try to cure the periodic crises of capitalism, but for capitalism to successfully give birth to socialism. This would mean encouraging the health of capitalism in a certain sense. Perhaps humanity has proven too ill when undergoing capitalism to successfully give birth to
socialism; but the pregnancy has been mistaken for an illness to be cured, rather than what it actually was, a symptom of potential new life in the process of emerging. Past Marxists used the metaphor of “revolution as the midwife of history,” and they used this very precisely. Socialist revolution would make socialism possible, but would not bring forth socialism ready-made. An infant—moreover one that is not yet born—is not a mature form of life. These are the stakes of properly recognizing capitalism for what it is—the potential for socialism. If we mistake capitalism for an illness to be eliminated, then we undergo its pathology periodically, but fail to bring forth the new life that capitalism is constantly generating from within itself. The point then would be, not to avoid capitalism, not to avoid the pregnancy of socialism, but to allow capitalism to give birth to socialism. Bourgeois ideology denies that there is a new form of life beyond itself—that there is socialism beyond capitalism—and so seeks to terminate the pregnancy, to cure the ailment of capitalism, to eliminate the potential that is mistaken for a disease, whether that’s understood as infection by a foreign body, or a metabolic imbalance to be restored. But capitalism is not a malignant tumor but an embryo. The recurrent CRITIQUE
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miscarriage of socialism, however, makes capitalism appear as a tumor, more or less benign, so long as it passes—or is extracted or otherwise extirpated. As a cancer, capitalism appears as various kinds of cancer cells running rampant at the expense of the social body: whether of underclass criminals, voracious middle classes, plutocratic capitalists, or wild “populist” (or even “fascist”) masses, all of whom must be tamped down if not eliminated entirely in order to restore the balanced health of the system. But capitalism does not want to be healthy in the sense of return to homeostasis, but wants to overcome itself—wants to give birth to socialism. Will we allow it? For this would mean supporting the pregnancy—seeing the symptoms through to their completion, and not trying to stop or cut them short.
DIAGNOSIS What is the prognosis of socialism? Socialism is continuous with the “rights of human beings and citizens,” according to the principles of “liberty, equality and fraternity,” that “all men are created equal,” with “inalienable rights” of “life, liberty and the pursuit of happiness.” Socialism seeks to realize the bourgeois principle of the “free association of producers,” in which each is provided “according to his need” while contributing “according to his ability.” The question is how capitalism makes this both possible and impossible, and what it would take to overcome its impossibility while realizing its possibility. Moishe Postone, in his 2006 essay on Theorizing the Contemporary World: Brenner, Arrighi,
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Harvey4—a companion-piece to his other well-known essay from 2006, History and Helplessness5— grasped this contradiction of our time as that between islands of incipient post-proletarian life surrounded by seas of superfluous humanity—postmodernist post-humanism and religious fundamentalist defense of human dignity, in a world simultaneously of both post-proletarian cities of abundance and sub-proletarian slums of scarcity. Peter Frase, in an early foundational article for the Democratic Socialists of America’s Jacobin magazine in 2011, wrote of the “Four Possible Futures”7—this was later expanded into the 2016 book subtitled “Life after Capitalism”8—on the supposed “inevitable end” of capitalism in four potential outcomes: either in the “communism of abundance and egalitarianism;” the “rentism of hierarchy and abundance;” the “socialism of egalitarianism and scarcity;” or the “exterminism of hierarchy and scarcity.” The future was supposed to lie between two axes of contradiction: egalitarianism vs. hierarchy; and scarcity vs. abundance. Unlike Postone—who, like Slavoj Žižek around the same moment, grasped the simultaneous existence of postmodernism and fundamentalism as two sides of the same coin of late capitalism—Frase neglects the dialectical proposition that all four of his “possible futures” will come true—indeed, that all four are already the case in capitalism. They are not merely in the process of coming true, but have been the actual condition of capitalism throughout its history, ever since its inception in the Industrial Revolution. There has been the coexistence of hierarchy and egalitarianism and of scarcity and
abundance, and each has been the precondition for its—dialectical—opposite. One could say that this has been the case since the early emergence of bourgeois society itself—that capitalist contradiction was always the case—or, indeed, since the beginning of civilization itself. One could say that this has been the condition of “class society as a whole,” the condition of the existence of a “social surplus” throughout history. This is the perspective of Alain Badiou’s “communist hypothesis,” for example. Badiou has mobilized a rather literal reading of Marx and Engels’s Communist Manifesto, and a straightforward, if rather naïve, interpretation of communism or socialism from Babeuf ’s “conspiracy of equals” onwards—indeed perhaps all the way back from Jesus and His Apostles onwards. “Communism”—in Peter Frase’s terms, “egalitarian abundance”—is the “land of milk and honey,” where the “last shall be first, and the first shall be last.” Capitalism, understood undialectically, then, is, by contrast, the exterminism of rentism, the inhumanity of exploitation, in which scarcity and hierarchy rule through elite appropriation of the surplus. But this has been true since the dawn of civilization, since the beginning—in terms of Engels’s clever footnote to the Manifesto’s assertion that “history is the history of class struggle”—of “recorded history.” So what is different with capitalism? What has changed is the form of the social surplus: “capital.” To say, as Marxists did, that, as the possibility for socialism, capitalism is the potential “end of prehistory” is to say that all of his-
tory is the history of capital: the history of civilization has been the development of the social surplus, until it has finally taken the form of capital. Ancient civilizations were based on a specific kind of social surplus, however. The surplus of grain beyond subsistence produced by peasant agriculture allowed for activity other than farming. Peasants could tighten their belts to feed the priests rather than lose the Word of God, and so that some knights could protect them from the heathen. But for us to return to the religious basis of civilization would also mean embracing values quite foreign to the bourgeois ethos of work, such as that “the sick are blessed,” with the divine truth of the vanity of life, whereas we rightly consider sickness to be a curse—at the very least the curse of unemployability in society. So what is the social surplus of capital? According to Marx, capital is the surplus of labor. It is also, however, the source of possibilities for employment in production: the source of social investment. Does this make it the source of hierarchy or of equality, of scarcity or of abundance, of post-humanism or of ontological—fundamental—humanity? It is the source of all these different apparently opposed values. It is their common condition. It is society itself, albeit in “alienated” form. As such, it is also the source of society’s possible change. Socialism aims at the realization of the potential of society. But it will be achieved—or not—on the basis of capitalism, under conditions of capital. The social surplus of capital is the source of potential societal change, of new forms of production—manifold new forms of human activity, in
relation to others, to Nature, and to ourselves. Changes in capital are changes in our social relations. Capital is a social relation. Capital is the source of endless new forms of social scarcity and new forms of social abundance— of new forms of social expropriation and of social production—as well as of new forms of social hierarchy and of new forms of social equality. Capital is the source of all such changes in society over the course of the last two centuries, since the Industrial Revolution. Hillary Clinton, in an interview during her failed campaign for President of the U.S., said that what keeps her “awake at night” is the problem of figuring out policy that will encourage the investment of capital to produce jobs. Indeed, this is precisely what motivated Trump’s—successful— campaign for President as well. Interestingly, it is unclear whether this is what properly motivated Bernie Sanders as an alternative to Clinton, or if this now motivates Jeremy Corbyn as the head of the U.K. Labour Party. In the case of Corbyn and Sanders, it seems that they have been motivated less by the problem of capital and labor than by a more nebulous concern for “social justice”—regardless of the latter’s real possibilities in capitalism. In the U.K., for example, Theresa May’s “Red Toryism”— by prioritizing the circumstance of the “British worker,” like Trump’s stated priority for the “American worker”—is actually more realistic, even if it presently has a rather limited organized political base. Corbyn, as a veteran New Leftist “social justice warrior,” is actually closer to the criteria of neoliberal politics than May, whose shifting Conservative Party is not (yet) able to support her agenda. By contrast, it is a solidly neoliberal
Blairite Labour Party that Corbyn leads. But Brexit, and the crisis of the EU that it expressed, is changing the landscape. May is still, however, leading the way. As is, of course, Trump. In this sense, the issue of socialism was closer to the actual concerns of Clinton and Trump than to Sanders. Sanders offered to his followers the Obama Presidency that never was, of a “new New Deal” that is never going to be. By contrast, both Clinton and Trump were prepared to move on from the 2008 economic crisis: How to make good of the crisis of neoliberalism, now a decade old? For every crisis is an opportunity for capitalism. This is what must be the concern of politics. This is the ageless question of capitalism: How is society going to make use of its crisis of overproduction, its surplus in capital—its surplus of labor? How are the social possibilities of capital going to be realized? What is the actual potential for society in capitalism? Of course, the narrow horizons of the perspectives of both Clinton and Trump and of May for realizing the potentials of capitalism are less appealing than the apparent idealism of Corbyn and Sanders. But, realistically, it must be admitted that the best possible outcome—with the least disruption and danger—for U.S. and thus global capitalism at present would have been realized by a Clinton Presidency. If Trump’s election appears to be a scary nightmare, a cruise into the unknown with a more or less lunatic at the helm, then, by contrast, a Sanders Presidency was merely a pipe-dream, a safe armchair exercise in idealism. Today, the stock market gambles that, whatever Trump’s gaffes, the Republican Party remains in charge. The captain, however wild-eyed, cannot actually make the ship perform other than its abilities. The question is whether one trusts a CEO trying to build the company by changing it, or one trusts the shareholders who don’t want to risk its profitability. Trump is not a safe bet. But he does express the irrepressible impulse to change. The only question is how.
PROGNOSIS So the question of the future of socialism is one of potential changes in capitalism. The question is how capitalism has already been changing—and will continue to change. What seems clear is that capitalism, at least as it has been going on for the past generation of neoliberalism, will not continue exactly the same as it has thus far. There has been a crisis and there will be a change. Brexit and the fall of David Cameron as well as Trump’s victory and Hillary’s defeat—the successful challenge by Sanders and the rise of Corbyn alongside May’s Premiership—cannot all be chalked up to the mere accidental mistakes of history. In the face of historical change, continuity must be reckoned with—precisely as the basis for this change. How is neoliberal capitalism changing out of its crisis? Neoliberalism is old and so is at least in need of renewal. The blush has gone off the rose. Its heroic days are long behind us. Obama rallied it to a certain extent, but
Hillary was unable to do so again. The Republicans might be stuck in vintage 1980s Reaganism, but Trump is dragging them out of it. In the face of Trump, the question has been posed: But aren’t we all good neoliberals? Not only Nancy Pelosi has said that, all respect to Bernie, we need not try to become socialists but remain capitalists. The mainstream Republican contender Marco Rubio said the same about Trump, while Ted Cruz retired to fight another day, against what he indicatively called Trump’s “socialism.” But the Tea Party is over. Now, the specter of “fascism” in the crisis of neoliberalism—which, we must remember, regards any and all possible alternatives to itself as more or less fascist—is actually the specter of socialism. But what does the actual hope for socialism look like today? Does it inevitably appear as nationalism, only with a difference of style? Must the cosmopolitanism of capitalism take either the form of unmediated globalization (which has never in fact existed) or rather inter-nationalism, relations between nations? These apparent alternatives in themselves show the waning of neoliberal optimism—the decline of Clinton’s “global village.” We are now living—by contrast with the first Clinton era of the 1990s—in the era of neoliberal pessimism, in which all optimism seems reckless and frightening by comparison: Hillary’s retort that “America is great already!” raised against Trump’s “Make America Great Again!” Trump was critical of, and quite pessimistic about, existing conditions, but optimistic against Hillary’s political pessimism—to which Hillary and Obama could only say that things aren’t so bad as to justify (either Sanders or) Trump. Were the Millennials by contrast too optimistic to accept Hillary’s sober pragmatism—or were they so pessimistic as to eschew all caution of Realpolitik and embrace Sanders and Corbyn? Have they clung, after the election of Trump, now, to the shreds of lip-service to their concerns, as the best that they could hope for? Does Sanders—like Corbyn in the U.K.—merely say, better than Hillary or Obama, what they want to hear? By comparison, Hillary and Trump have been a salutary dose of reality—which is bitterly resented. Obama was the “change we can believe in”—meaning: very little if any. Clinton as the continuation of Obama was the sobriety of low-growth “realism.” Now Trump is the reality of change—whether we like it or not. But it is in the name of the optimism for growth: “Jobs, jobs, jobs.” The problem of capitalism—the problem that motivates the demand for socialism—is that of managing and realizing the possibilities of a global workforce. This is in fact the reality of all politics, everywhere. All countries depend on international and, indeed, global trade, including the circulation of workers and their wages. Even the “Hermit Kingdom” of North Korea depends not only on goods in trade but on remittances from its workers abroad. This issue of the global workforce is the source of the problem of migration—the migration of workers. For instance, wars are waged with the problem of refugees foremost in mind. Political crisis seeks alle-
viation in either benign ways such as the “brain drain” of the emigrating middle-class, or malignantly in ethnic cleansing—in either case the exodus of restive surplus populations that cannot be integrated. International aid as well as military intervention is calculated in effects on migration: how to prevent a refugee crisis? The U.S. has paid countries such as Egypt and Pakistan to subsidize their unemployed through bloated militaries. What is to be done with all those seeking work? Where will they find a job? It is a global problem. Capital is the social form of this surplus of labor—the social surplus of production. Capital is the way society tries to manage and realize the potential of that surplus. But the source of that surplus is no longer so much human activity—labor—as it is science and technology. The problem is that, politically, we have no way of marshaling this surplus other than through possibilities for labor—for instance, through managing nation-states as labor markets. The question is realizing the potential possibilities of the social surplus beyond the reproduction of an increasingly redundant laboring workforce. Will they be starved or exterminated? Or will they be freed? The only alternatives capitalism offers is in freedom to work—not the worst form of freedom the world has ever known, but its possibilities in capitalism are increasingly narrow. The question is the freedom from work. How will this be realized? There has been mounting evidence of this problem ever since the Industrial Revolution: unemployment. Social Darwinism was not a program but a rationalization for the crisis of capitalism. It remains so today. Will humanity free itself from the confines of capital—the limits of labor?
FUTURE Were Jacobin’s Peter Frase’s four possible alternative futures merely alternatives in rhetoric? Nearly no one claims to favor exterminism, scarcity, or inequality. The real future of capitalism does not actually belong to such expressions of pessimism. Fortunately, it will be appreciably better than our worst fears—even if, unfortunately, it will be much worse than our best desires. Capitalism for better or worse does indeed have a future, even if it will be different from what we are now used to. It will also be different from our dreams and nightmares. Jacobin’s Frase seems to assume that not what he calls “communism” but “socialism”—the combination of egalitarianism and scarcity—is both more possible and more desirable: for Frase, abundance carries the danger, rather, of continued capitalist “rentism” and hierarchy. For Frase, among others, the future of social conflict seems to be posed over the terms of scarcity: equality vs. “extermination;” for instance, egalitarianism vs. racism. Both Moishe Postone’s and Peter Frase’s antinomies—of postmodernism and fundamentalism, and of scarcity and egalitarianism (the latter combination as Frase’s formula for “socialism”)—are expressions of pessimism. They form the contemporary face of diminished hopes. But capitalism
will not tarry over them. It will move on: it is already moving on. What is the future of abundance, however with hierarchy—that of continued capitalism, that is, of “capital rents”—in society, and how does this potential task any future for socialism? Where will the demand for socialism be raised? And how is it to be realized?
and Future, London, New-York, Delhi, Anthem Press, 2007. 5 Public Culture 18.1, 2006, p. 93-110. 6 December 13, 2011, available online at:[https://www.jacobinmag.com/2011/12/ four-futures/] 7 New York, Verso, 2016.
We should not assume that capitalist production, however contradictory, is at an end. No. We are not at an end to forms of scarcity under conditions of abundance, or at an end to hierarchies conditioned by social equality. Citizen Trump shows us this basic fact of life under continued capitalism. As Walter Benjamin observed in conversation with Bertolt Brecht during the blackest hour of fascism at the midnight of the last century, we must begin not with the “good old days”—which were in fact never so good—but with the “bad new ones.” We must take the bad with the good; we must take the good with the bad. We must try to make good on the reality of capitalism. As Benjamin put it, we must try to redeem its otherwise horrific sacrifices, which indeed are continuous with those of all of civilization. History—the demand for socialism— tasks us with its redemption. The future of capitalism is the future of socialism—the future of socialism is the future of capitalism.
ADDENDUM Perhaps capitalism is the illness of bourgeois society, and socialism is the potential new form of life beyond the pregnancy of capitalism. Bourgeois society does not always appear as capitalism, but does so only in crisis. We oscillate in our politics not between capitalism and socialism but between bourgeois ideology and anti-capitalism—nowadays usually of the cultural ethno-religious fundamentalist communitarian and identitarian type: forms of anti-bourgeois ideology. But socialism was never, for Marxism at least, simply anti-capitalism: it was never anti-bourgeois. It was the promise for freedom beyond that of bourgeois society. The crisis of capitalism was regarded by Marxism as the tasking of bourgeois society beyond itself by socialism. It was why Lenin called himself a Jacobin; and why Eugene Debs called the 4th of July a socialist holiday. Socialism was to be the realization of the potential of bourgeois society, which is otherwise constrained and distorted in capitalism. So long as we live in bourgeois society there will be the promise—and task—of socialism. 1 An abridged version of this article was presented at the 4th Platypus European Conference closing plenary panel discussion, “What is the Future of Socialism?”, with Boris Kagarlitsky (Institute of Globalization and Social Movements), Alex Demirovic (Rosa Luxemburg Foundation), Mark Osborne (Alliance for Workers’ Liberty; Momentum) and Hillel Ticktin (Critique journal), at Goldsmiths University in London on February 17, 2018. 2 Theodor Adorno, Negative Dialectics, trans. E. B. Ashton, London, Seabury Press, 1973, p. 143-144. 3 Friedrich Nietzsche, On the Genealogy of Morals: A Polemic, 1887. 4 In Robert Albritton, Robert Jessop, Richard Westra, eds., Political Economy and Global Capitalism: The 21st Century, Present
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TOXIC CAPITAL : ENVIRONNEMENT ET SANTÉ PUBLIQUE Paul Guillibert En septembre 1962, Rachel Carson publia l’un des ouvrages les plus importants pour la pensée environnementaliste du Nord. Le douzième chapitre de Printemps silencieux commence par ces mots : « Les problèmes majeurs de la santé publique ont radicalement changé de nature depuis que s’est soulevée la vague des produits chimiques, fille de l’âge industriel, qui menace d’engloutir notre monde. Hier encore, l’humanité vivait dans la peur des fléaux traditionnels : la variole, le choléra, la peste ; aujourd’hui, nous ne craignons plus ces virus, jadis omniprésents ; l’hygiène, l’amélioration du niveau de vie, les produits pharmaceutiques nouveaux nous permettent de maîtriser les maladies infectieuses. C’est un péril d’une autre sorte qui rôde maintenant dans notre entourage, un danger que nous avons introduit nous-mêmes avec les façons de vivre modernes. »
Dans cette citation, Rachel Carson insiste sur la transition entre deux types de problèmes de santé publique : le passage de maladies naturelles à des problèmes artificiels, produits par les activités humaines et le développement industriel. Selon elle, « le problème crucial de notre époque » serait « la contamination de notre milieu naturel par des substances dont les possibilités nocives sont incroyables1 ». Ce sont essentiellement les insecticides chimiques mis au point pendant la Seconde Guerre mondiale – et utilisés massivement à partir des années 1950 – que vise la biologiste. Le plus célèbre d’entre eux, le Dichloro-Diphenyl-Trichlorethane (DDT), agent hautement cancé-
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rigène chez les humains, fut responsable de la disparition d’un grand nombre d’espèces d’oiseaux. Rachel Carson elle-même mourra quelques années plus tard d’un cancer, sans doute développé au contact de ces produits. L’idée que je défendrai ici, à la suite de la botaniste américaine, est que la santé publique doit être considérée du point de vue du développement technique et industriel du capitalisme moderne. Toutefois, Carson semble annoncer l’idée, qui fera florès dans les théories postmodernes ultérieures, que la modernité récente (depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale) marquerait un tournant dans l’histoire des pollutions et des résistances environnementales. S’il est certain que le développement chimique a connu un bond en avant incroyablement destructeur au cours de cette période, l’idée d’une rupture, à la fois ontologique et épistémique, dans la propagation de ces produits, risque d’occulter le fait que les maladies d’origine anthropique apparaissent avec le développement du capitalisme chimique luimême, dès la fin du XIXe siècle. D’un point de vue philosophique, la thèse de Carson n’est pas sans rappeler l’idée, aujourd’hui défendue par Ulrich Beck ou Bruno Latour2, selon laquelle la « modernité réflexive » ou « seconde modernité » aurait enfin pris conscience des risques inhérents au développement technologique. À l’encontre de cette hypothèse, je voudrais, d’une part, montrer que les risques changent certes de degré et d’intensité, mais qu’ils sont inhérents au devenir instrumental
de la rationalité moderne. Il paraît par ailleurs nécessaire de rappeler que les luttes contre les pollutions sont aussi vieilles que l’industrie qui les produit. L’affirmation d’une mutation ontologique et épistémique dans les problèmes de santé permet, sans conteste, d’éclairer la nature destructrice du système productif3, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Mais elle risque toujours d’occulter, dans un présentisme problématique, l’histoire longue des luttes pour la santé et l’environnement. Suivant la thèse de l’historien des sciences et des techniques Jean-Baptiste Fressoz4, je commencerai par montrer que l’histoire de la santé publique de l’Europe moderne se caractérise par une transition entre un modèle fondé sur la « théorie des climats » au XVIIIe siècle à un modèle hygiéniste au XIXe. L’hygiénisme fut un dispositif, symbolique et matériel, qui permit « une désinhibition du risque technologique5 » et assura la possibilité du développement industriel en autorisant les pollutions et leur cortège de problèmes sanitaires. J’envisagerai, enfin, l’histoire subalterne des luttes de santé comme un des lieux essentiels de définition de la modernité technique et de sa critique.
1. SANTÉ PUBLIQUE ET CIRCUMFUSA : LA THÉORIE DU CLIMAT L’idée foucaldienne de gouvernementalité biopolitique définit la forme d’administration du gouvernement moderne : prendre en
charge la vie d’une population par l’intermédiaire de dispositifs institutionnels réalisant les savoirs sur lesquels ils se fondent. L’école, l’armée, les hôpitaux, etc., contribuent à façonner les formes de subjectivité qu’ils présupposent grâce à un ensemble de savoirs normatifs. L’aphorisme de La Volonté de savoir est sur ce point lumineux : la gouvernementalité moderne cherche à « faire vivre et laisser mourir6 », c’est-à-dire qu’elle n’engage pas un droit de mort, mais un pouvoir d’administration des manières de vivre par une gestion des corps tout au long de la vie. Aussi éclairante soitelle, cette définition foucaldienne du gouvernement moderne tend peut-être à exagérer les différences entre les deux modèles : tout se passe comme si, dans le premier, la discipline des sujets était un problème inconnu du souverain et, dans le second, son unique préoccupation. Il est peut-être plus pertinent d’appréhender l’histoire de la modernité européenne à partir de la transition entre deux modèles de gouvernement des corps, visant tous deux la manière dont les populations vivent et cherchant à déterminer les façons dont les individus, et les institutions qui les prennent en charge, doivent se rapporter à leur propre santé. Le premier de ces modèles est la « théorie du climat », fondée sur le concept latin de circumfusa. Dans L’Apocalypse joyeuse, une histoire du risque technologique, Jean-Baptiste Fressoz montre que la théorie du climat qui prévalait en France pendant l’Ancien Ré-
gime conditionnait les politiques de santé publique. Elle ne désignait pas seulement la situation géographique sur le globe (ce que nous appelons aujourd’hui climat), mais aussi « les eaux, airs et lieux » et plus généralement les « choses environnantes » (circumfusa)7. Ces circumfusa englobaient tous les éléments qui influencent la santé et façonnent les corps. Aussi, pour la théorie des climats, l’environnement produit l’humain dans la mesure où il est inséparable des actions et des corps sociaux. Les sociétés humaines évoluent en relation avec les enveloppes atmosphériques qu’elles ont contribuées à transformer. À cet égard, le climat était un nom pour désigner toutes les transformations environnementales possibles : l’action technique se réfléchit dans l’environnement qui transforme la constitution humaine. Au XVIIIe siècle, l’environnement est donc une question biopolitique : dans la mesure où les circumfusa conditionnaient la santé, le souverain pouvait s’en servir comme d’un mode de régulation du nombre et de la puissance de ses sujets. Dans un tel contexte scientifique, les sociétés étaient parfaitement averties du fait que des modifications des « choses environnantes » pouvaient produire des conséquences catastrophiques pour la santé. C’est la raison pour laquelle, pendant tout le XVIIIe siècle, il existait des mécanismes de contrôle des pollutions par la police et les parlements régionaux afin de faire face aux « micro-risques8 » urbains néfastes à la santé des habitant·e·s. En cette matière, les connaissances sur la santé pu-
blique n’étaient pas fondées sur la vérification par l’expérimentation scientifique. L’expertise naturaliste, scientifique ou médicale avait moins de valeur que la Loi, les précédents jurisprudentiels et, surtout, les pratiques populaires et corporatives. Il convient d’ores et déjà de remarquer que la relation entre environnement (et pollution) et santé publique n’est pas un intérêt récent du capitalisme tardif mais une vieille préoccupation qui évolue au gré des évolutions de la modernité technique. En réalité, pendant tout le XVIIIe siècle européen, le développement technique fut souvent interrompu par des protestations populaires informées par la médecine climatique, qui fut progressivement abandonnée au cours du développement du capitalisme chimique. La santé publique n’était alors pas un domaine réservé des experts du savoir scientifique et de l’art médical, mais un champ de luttes où la police et la justice jouaient un rôle complètement différent d’aujourd’hui. Selon Foucault, la police d’Ancien Régime était une « police de tout ». Selon Fressoz, elle était une police des circumfusa, autrement dit une « police de toutes les choses environnantes9 ». Le directeur de la police de Lyon écrivait par exemple en 1783 que le pouvoir de police visait à assurer le droit de la « conservation de la santé publique, par la salubrité de l’air10 ». On peut trouver un élément probant de cette prérogative environnementale de la police d’Ancien Régime dans la procédure commodo et incommodo, régulièrement effectuée par les officiers avant l’installation d’une manufacture ou d’une usine dans une ville. Tous les habitants et habitantes du lieu pouvaient déclarer les avantages ou les désavantages présumés d’une telle installation. Dans cette « procédure de convenance », l’intérêt de l’implantation de la manufacture était mis en balance avec les particularités de la composition locale d’un territoire. La leçon décisive de cette rapide étude de la médecine environnementale et de la théorie du climat du XVIIIe siècle est que la santé publique a partie liée avec des phénomènes naturels, produits ou transformés par les activités humaines. À cet égard, elle ne peut se cantonner à l’expertise naturaliste, scientifique et médicale, mais concerne toujours la manière dont nous habitons le monde. C’est pourquoi, contre l’idée selon laquelle nous découvrons, depuis une trentaine d’année, les problèmes de santé publique liés à la pollution, il convient de poser la question opposée : comment expliquer l’oubli systématique des risques liés au développement technologique et industriel ?
2. SANTÉ PUBLIQUE ET THÉORIE HYGIÉNISTE DE LA POPULATION Plus précisément, quels furent les dispositifs mobilisés par le développement technique capitaliste afin d’ignorer et de dépasser les limites imposées tant par les pratiques populaires que par les savoirs juridiques informés par la médecine environnementale ? Selon Fressoz, deux dispositifs principaux ont permis la poursuite du développement technique malgré les problèmes de santé publique qu’il engendrait : premièrement,
la compensation financière des dommages écologiques et sanitaires ; deuxièmement, la transition d’une médecine environnementale à une pensée hygiéniste. Compensation financière et modernité technique De propriétés communes, les choses environnantes sont devenues des objets de transactions financières visant à réparer les dommages commis. Comme l’écrit Fressoz, « administration et justice civile constituaient les deux faces d’un même régime libéral de régulation environnementale11 ». Au début du XIXe siècle, l’administration obtint en effet le droit d’autoriser et de maintenir des industries polluantes, passant outre les contestations des populations voisines. En 1809, la France adopta une réglementation des préjudices fondée sur la compensation financière des dommages environnementaux. Dans la mesure où les autorisations émanaient directement de l’administration centrale, l’opposition populaire aux implantations industrielles devint quasiment impossible. En revanche, il relevait de la prérogative des juridictions civiles d’accorder une somme monétaire en dédommagement des dégâts causés à l’environnement ou à la santé des individus. Le développement industriel n’est dès lors plus soumis à la justice criminelle. L’élaboration d’une médecine hygiéniste fut le second dispositif qui libéra le progrès technique malgré son lot de pollutions et les contestations sociales qu’elles entraînaient. Médecine hygiéniste L’hygiénisme désigne un vaste mouvement de pensée du XIXe siècle qui proposait de gérer les populations en masse par l’intermédiaire de l’épidémiologie, des statistiques et du calcul préventif des risques. En France, ses principaux porte-parole sont des médecins et des chimistes très liés aux intérêts industriels et réunis dans les « Comités de Santé Publique ». Ils étudient le monde productif dans sa globalité comme un système d’échange de matières produisant de la valeur à chaque étape de la transformation industrielle. Ils désirent enseigner aux industriels la manière d’intégrer leur activité dans le métabolisme urbain global12. Leur but est de rendre le profit industriel compatible avec la santé publique urbaine. Ils jouèrent ainsi un rôle important dans l’abandon de la médecine environnementale et de la théorie du climat, qui était nécessaire à l’établissement d’un régime de compensation financière pour les pollutions, les maladies et les atteintes à la santé publique. Selon eux, la définition du risque devait être fondée sur des probabilités mathématiques et la description statistique de la santé d’une population. Ils relativisaient largement l’importance des descriptions spatiales et environnementales dans l’étude des
problèmes de santé. Au contraire, les maladies étaient souvent interprétées comme des conséquences uniques de la pauvreté morale et matérielle liée aux modes de vie des ouvrières et des ouvriers. Louis-René Villermé, qui écrivit un ouvrage fondateur de l’hygiénisme, Tableau de l’état moral et physique des ouvriers, défend que les problèmes de santé des prolétaires ne viennent pas des conditions de travail et des environnements pollués mais des conséquences de la pauvreté engendrée par la faiblesse des salaires et, en dernière analyse, du mode de vie ouvrier. Tels sont les principaux éléments de son « hygiène social ». L’hygiénisme a ainsi fourni, notamment aux administrations qui autorisaient l’implantation des industries, des théories médicales et des preuves matérielles de la non-pertinence des théories environnementales pour appréhender les risques du développement technologique. Comme l’écrit Fressoz, « l’hygiénisme définissait la biopolitique du capitalisme libéral, c’est-à-dire les conditions sociales minimales permettant de maintenir la force humaine de travail nécessaire à l’industrialisation13 ». Ces deux dispositifs (compensation financière et hygiénisme) produisirent une « désinhibition technologique », c’est-à-dire un processus grâce auquel les oppositions au devenir technologique du capitalisme industriel furent progressivement levées. Ils aboutirent également à une disciplinarisation des corps travailleurs et des subalternes, nécessaires à la logique de l’accumulation de la valeur. C’est d’ailleurs parce qu’ils ont été vus comme des dispositifs favorisant le développement technique au détriment de la santé publique qu’ils ont aussi fait l’objet de critiques pratiques, de luttes sociales et de résistances politiques. La santé publique n’est pas un domaine statistique réservé aux gouvernants et aux institutions, mais un important terrain de mobilisation pour les personnes se battant pour leur propre vie et leur manière d’habiter le monde. Aussi, la question qu’il faut à présent se poser concerne à la fois l’épistémologie de la santé publique et le champ stratégique des luttes environnementales.
3. SANTÉ PUBLIQUE ET LUTTES ENVIRONNEMENTALES Trente ans après la parution de Printemps silencieux, au cours de l’automne 1982, le comté de Warren, au nord-est de la Caroline du Nord, fut le théâtre d’une lutte politique de première importance14. Pendant six semaines, la population de ce comté s’est mobilisée contre l’installation d’une décharge de produits toxiques. Quatre ans plus tôt, en 1978, une compagnie spécialisée dans le traitement des déchets industriels avait commencé à en stoc-
ker d’importantes quantités pour une station de transformation. Lorsque les autorités le découvrirent, l’État de Caroline du Nord décida d’acheter un terrain dans le but d’enterrer les déchets. Le terrain, près de la ville de Warrenton, devait ainsi accueillir des déchets cancérigènes. Pour empêcher cette opération, la population de la ville entama une action légale qui fut déboutée en 1980 par la cour de Justice du district. La mobilisation prit alors une forme extra-judiciaire avec des boycotts, des sit-in, de la désobéissance civile, des marches, des rassemblements, etc., au cours desquels plus de 500 personnes furent arrêtées. Bien que le projet fût réalisé, une cour judiciaire ordonna finalement la décontamination du site en 2000. Au début de la mobilisation, les arguments des détracteurs se concentraient sur la pollution du site et les risques pour la santé publique. Rapidement, ils dénoncèrent la dimension raciste et socialement inégalitaire de ce projet, dans la mesure où la population était pauvre et composée à 75% d’Africains-américains. Ils avancèrent l’idée que cette discrimination était systématique puisque les États américains favorisaient toujours les classes moyennes ou aisées blanches. Au contraire, les minorités ethniques et les pauvres sont exposés à la grande majorité des risques produits par le développement industriel et assument la plupart des conséquences de la crise écologique produite par la civilisation moderne. La mobilisation de Warrenton peut être considérée comme l’une des origines du mouvement pour la justice environnementale qui affronte la crise écologique du point de vue des subalternes, des minorités ethniques et des populations pauvres15. Cette lutte est caractéristique de ce que l’historien de l’environnement Ramachandra Guha appelle « l’environnementalisme des pauvres16 ». À la différence de l’environnementalisme des riches qui défendent la préservation de la nature sauvage (wilderness) au nom d’une idéologie romantique, celui des pauvres articule toujours une demande de justice sociale et une préservation des environnements naturels en tant qu’ils assurent la reproduction symbolique et matériel des groupes.
à dissimuler les relations de pouvoir et de domination et à discipliner les corps. Troisièmement, la question de la santé publique a joué un rôle important dans les mouvements environnementalistes. La santé publique ne relève pas seulement de la responsabilité individuelle ou des politiques institutionnelles, mais elle est, en même temps, toujours liée au productivisme capitaliste et au devenir technique de la civilisation moderne. La santé publique est donc l’un des champs de mobilisation décisifs contre l’irrationalité de la modernité capitaliste et pour inventer d’autres manières d’habiter le monde. 1 Rachel L. Carson, Printemps silencieux, Gravrand (trad.), Paris, Plon (Livre de Poche), 1968, p. 27. 2 U. Beck, La société du risque : sur la voie d’une autre modernité, L. Bernardi (trad.), Paris, Aubier, 2001 ; B. Latour, Politiques de la nature : comment faire entrer les sciences en démocratie, Paris, la Découverte, 2004. 3 Pour une critique de la dimension destructrice d’un système productif fondé sur l’accumulation infinie de la valeur, on consultera les deux brillants ouvrages, quoique dans des registres forts différents de J. R. O’Connor, Natural causes: essays in ecological marxism, New York, Guilford Press, 1997 ; et P. Caye, Critique de la destruction créatrice : production et humanisme, Paris, Les Belles Lettres, 2015. 4 Cette intervention est largement basée sur le brillant ouvrage J.-B. Fressoz, L’apocalypse joyeuse : une histoire du risque technologique, Paris, Éditions du Seuil, 2012. 5 Ibid., p. 15-16. 6 M. Foucault, La Volonté de savoir : droit de mort et pouvoir sur la vie, F. Rambeau et B. Leclair (éd.), Paris, Gallimard, 2006. 7 J.-B. Fressoz, L’apocalypse joyeuse, op. cit., p. 140. 8 Ibid., p. 117. 9 Ibid., p. 115. 10 A.-F. Prost de Royer, Dictionnaire de jurisprudence et des arrêts, Lyon, Roche, 1783, vol. 3, p. 746 ; cité par J.-B. Fressoz, L’apocalypse joyeuse, op. cit., p. 115. 11 J.-B. Fressoz, L’apocalypse joyeuse, op. cit., p. 149. 12 Ibid., p. 169. 13 Ibid., p. 177. 14 Cet événement a depuis été considéré comme la date symbolique du mouvement pour la Justice environnementale qui lie les questions de préservation de l’environnement à l’idéal de justice sociale en insistant sur la dimension inégalitaire de la crise écologique et des perturbations écosystémiques. La dimension antiraciste et féministe de ce mouvement mondial en fait sa singularité. Pour un compte-rendu de cet événement, voir par exemple l’excellent ouvrage, dont cette section s’inspire largement, de R. Keucheyan, La nature est un champ de bataille : essai d’écologie politique, Paris, France, Zones, 2014. 15 Une autre origine peut être symboliquement assignée avec le mouvement Chipko en Inde. Voir R. Guha, Environmentalism: a global history, New-York, Longman, 2000. 16 Id. ; voir également R. Guha et J. Martinez-Alier, Varieties of environmentalism: essays north and south, Londres, Earthscan, 1997 ; et J. Martinez-Alier, The environmentalism of the poor: a study of ecological conflicts and valuation, Cheltenham (En), Northhampton (Mas.), E. Elgar, 2002.
CONCLUSION On peut tenter de tirer quelques enseignements de cette mobilisation pour la justice environnementale. Premièrement, la santé publique a toujours été un motif de mobilisation pour les groupes luttant pour la reproduction de leur propre vie. Deuxièmement, dans la mesure où la santé publique peut reproduire des hiérarchies racistes, sexistes et classistes, le sens du mot « public » doit être interrogé. Il peut servir CRITIQUE
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TOXIC CAPITAL: ENVIRONMENT AND PUBLIC HEALTH 1
Paul Guillibert In September 1962, the biologist Rachel Carson published one of the most important books in the history of environmental thought in the North. The twelfth chapter of Silent Spring begins with this words: “AS THE TIDE of chemicals born of the Industrial Age has arisen to engulf our environment, a drastic change has come about in the nature of the most serious public health problems. Only yesterday mankind lived in fear of the scourges of smallpox, cholera, and plague that once swept nations before them. Now our major concern is no longer with the disease organisms that once were omnipresent; sanitation, better living conditions, and new drugs have given us a high degree of control over infectious disease. Today we are concerned with a different kind of hazard that lurks in our environment—a hazard we ourselves have introduced into our world as our modern way of life has evolved.”2
The major point of this quote is the transition between two kinds of problems regarding public health: the passage from natural diseases to artificial problems produced by human activities and industrial development. For Rachel Carson, the “central problem of our age” was the “contamination of man’s total environment with such substances of incredible potential for harm”3. These were the new chemicals patented during and after the war such as dichloro-diphenyl-trichlorethane (DDT), an insecticide which kills birds and is a major carcinogenic agent for humans. Rachel Carson herself died of a cancer short time after the publication. What I want
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to stress is, following Carson, that public health has to be considered in regard to the technological and industrial development of modern capitalism. But, unlike Carson, I suggest, following environmental historians of public health4, that this is not something new. On the contrary, we could say that it is one of the most ancient views of naturalistic western thought to think about public health in relation to the environment and pollutions produced by human activities. I argue that we have not discovered in the last forty years the problems of pollutions for public health but, on the contrary, that the history of modernity is the history of the permanent production of technological recklessness in which public health played a major role since the ancient model of environmental medicine of the 18th century has been abandoned to the benefit of hygienism. In order to show this, I will present the transition in modern Europe from a model of public health based on climate theory in the 18th century to a model based on hygienist theories. The development of a hygienist perspective in the 19th century was a “disinhibition of the technological risks”5 which allowed industrial development and generated pollution and health problems at a large level. Finally, I argue that the subaltern history of struggles for health can provide us with a political understanding of the modern world and ecological crisis.
1. PUBLIC HEALTH AND THE CLIMATE THEORY OF CIRCUMFUSA Put simply, the well-known Foucaldian idea of biopolitical governmentality means that modern government does not deal with the way people die but with the way people live. Foucault’s aphorism about biopolitics is quite enlightening: “To make live and let die”6. Modern governementality does not ask people to die (in War or in death sentences) but organizes their way of living through different institutions (schools, factories, medical and health institutions, etc.). This really strong idea tends maybe to exaggerate the differences between two models: in the first one, government does not care about the lives of the subjects, in the second one governementality does not care about the way they die. In fact, in early modern age Western Europe, it is more appropriate to apprehend this evolution in terms of a transition between two theoretical models of public health, both dealing with the way people should live and organizing the way they should take care of their own health. The first one is the climate theory based on the latin notion of circumfusa. In L’apocalypse joyeuse (Joy apocalypse), the environmental historian Jean-Baptiste Fressoz argues that under the Ancient Regime in France prevailed climate theory which organized the way to think about public health. Climate theory designated not only
the geographical situation on the globe (what we call today climate), but also the “airs, waters, places” and more generally “circumfusa”7. The latin word “circumfusa” designated the “surrounding things” which influence health and shape the body. For climate theory, the environment produces humanity insofar as human actions, environment and bodies are intertwined. Human societies evolved in relation to the atmospheric envelopes they produce. Climate is the name of all the environmental transformations possible: technical action reflects itself in the climate which transforms human constitutions. In the 18th century, environment is a matter of biopolitics: as circumfusa determined health, government could act through it on the number and power of their subjects. By dealing with circumfusa, the sovereign can take in charge health, number and form of his population. In such scientific context, societies were completely aware that modifying “surrounding things” risked to provoke detrimental or catastrophic consequences for health. This is the reason why, during all the 18th century, pollution control mechanisms by regional Parliaments and police existed which had as a first mission to deal with health “micro-risks”8 related to the urban way of life. In this matter, knowledge about public health was not based on verification by scientific experimentation. Naturalistic, medical and scientific expertise was less valuable than the Law, legal precedents and, above all, corporate and popular practices. It also means that the relation between
the environment (or pollution) and public health is not a recent concern but an ancient one which evolved with the development of technological capitalism. In fact, throughout the 18th century in Europe, technological development was often stopped by popular protests and a climatic medicine which has been progressively abandoned during the development of chemical capitalism. What I wanted to show here is that public health was not a scientific and medical problem for experts but a field of struggles where police and justice played a completely different role than today. According to Foucault, the Ancient Regime’s police was “a police of everything”. According Fressoz, it was a police of “circumfusa”, it means a police of “all the surrounding things”9. The director of police of Lyon wrote for example in 1783 that the police power is based on the right to assure the “conservation of public health, by air healthiness”10. An important proof of it, is the commodo and incommodo procedure which took place really often before the installation of a manufacture or an industry in a town. All the people of the city could make a declaration regarding the advantages or disadvantages to built such industry here. In this Convenience procedure—as it was called— the interest of manufacture was thought in relation with the local composition of a territory. Hence, the important lesson of 18th century environmental medicine and climate theory is that public health does not deal with
natural problems but with natural phenomena produced or transformed by human activities. In such a perspective, public health can not only be a problem of naturalistic, scientific and medical concern but is also a problem which relates to the way we are dwelling the world. Therefore, against the common view according to which we are just discovering, since thirty years, the problem of pollution for public health, we have to ask the reverse question: how it is possible that we practically always forgot during modernity the risks of technological and industrial development?
a financial compensation for pollution, diseases and health injuries. According to hygienists, the definition of risks has to be based on mathematics probabilities and statistical description of a population’s health. They reject descriptions of the spaces and environmental causes of diseases. On the contrary, the latter are supposedly caused solely by material and moral poverty and by the worker’s way of life. For Villermé who wrote an important book called
Tableau of the physical and moral state of workers, the worker’s medical problems do not stem from work itself or its environment but from the low wages and the worker’s lifestyle, central elements which are the core of what he calls “social hygiene”. Hygienism provides the administrations which authorize the implementation of industries with medical theories and material proof of the irrelevance of environmental perspectives to apprehend technological
ting for their own life and their way of dwelling the world. Hence, the question I want to ask now concerns both the epistemology of public health and the strategic field of environmental struggles. Is it possible to distinguish the way we think about public health from environmental struggles?
the majority of the risks produced by industrial development and bear most of the consequences of the ecological crisis induced by our modern civilization.
development. As Fressoz put it, “hygienism defined the biopolitics of liberal capitalism, i.e. the social conditions allowing to maintain the human labor power necessary for industrialization”13.
ming of industrial capitalism were overcome. It produces also a disciplinarization of workers’ bodies and subaltern people which was necessary to the logic of value accumulation.
These two devices (financial compensation of injuries and hygienism) produced what the environmental historian calls “a technological disinhibition” i.e. a process through which oppositions to the technological beco-
The important fact I wish to emphasize is that public health cannot be—and has never been—a question for governments and state institutions alone. It has always been an important field of mobilization for people figh-
2. PUBLIC HEALTH AND HYGIENIST THEORY OF POPULATION More precisely, we have to ask the following question: what devices did the technical development of capitalism mobilize in order to disregard the limits imposed by popular practices and juridical knowledge informed by the theory of environmental medicine? According to Fressoz, two kind of devices allowed such technological development despite the public health problems it induces. Firstly, the financial compensation of ecological and health injuries. Second, the transition of a medical model based on circumfusa to a hygienist medicine. I will quickly present this two devices. (a) Financial compensation From communal properties, surrounding things became objects of financial transactions aimed at compensating damages. As Fressoz puts it, “administration and civil justice are the dual face of the same liberal regime of environmental regulation”11. Since the beginning of the 19th century, disregarding neighbors’ contestations, the administration could authorize and maintain polluting industries. In 1809 in France, a regulation based on financial compensation for environmental injuries was set up. Hence, popular opposition to the implementation of an industry became quite impossible since the authorization came directly from the administration of the state. Civil courts had on the contrary the right to give money to compensate for the damages caused to environment and public health. Industrial development is no longer concerned by criminal justice. The second device which allowed technological development and its lot of pollution and diseases directly concerns our topic: the development of hygienist medicine. (b) Hygienist medicine Hygienism is a large trend since the 19th century which purports to deal with mass population through epidemiology, statistics and risk prevention. In France, its major spokesmen are doctors and chemists closely linked to industrial interests and joined together in so-called Public Health Committees. Hygienists study the productive world in its globality as a system of exchange of matter producing value at each step of industrial transformation. They intend to teach manufacturers how to integrate his activity into the global urban metabolism12. Their goal is to make industrial profits compatible with urban public health. They played a really important role in the abandonment of the environmental medicine and climate theory model which was necessary to establish
3. PUBLIC HEALTH AND ECOLOGICAL STRUGGLES Exactly twenty years after the publication of Silent Spring, in autumn 1982, an important political event took place in Warren county, northeastern of North Carolina14. During six weeks the population of this county mobilized against the installation of a garbage dump for toxic waste. Four years earlier, in 1978, a company specialized in the treatment of industrial waste begun to illegally stock important quantities of waste for a transformer station. When the authorities discovered it, the state of North Carolina decided to buy a ground in order to bury it. The ground chosen was near the city of Warrenton. Insofar as this waste was a carcinogenic agent, the people of this town begun a legal action against this operation. In 1980, the court of justice of the district rejected the demand. The mobilization took at this moment an extra-judicial form with boycotts, sit-in, civil disobedience, walks, meetings, etc. More than 500 hundred people were arrested. Nevertheless, the project was achieved. A judicial court finally ordered for the decontamination of the ground in 2000. At the beginning of the mobilization, the arguments only dealt with the pollution of the area and the risks for public health. Quickly, however, the opponents argued that the decision to bury waste was racist and class based as far as the population was poor and 75% composed of African-american people. They also argued that the American states systematically favor white middle and upper classes by sparing them from such toxic pollution. On the contrary, ethnic minorities and poor people are exposed to
This mobilization in Warrenton can be regarded as the beginning of the environmental justice movement which fights against the ecological crisis from the point of view of subalterns, ethnical minorities and poor people. This struggle is typical of what the environmental historian Ramachandra Guha calls “environmentalism of the poor”15. Unlike environmentalism of the rich which wants to see beautiful landscape and save blue whales (which is really important to, because they are really cute), “environmentalism of the poor” always combines a demand for social justice and a concern for the environment as cause of health problems.
CONCLUSION To conclude, I want to draw some lessons from this mobilization. First, as expressed above, public health has always been an important field of mobilization for people fighting for the reproduction of their own life. Secondly, since public health policies can reproduce racist, sexist and classist hierarchies, as argued by the movement for environmental justice, we have to look carefully at the meaning of “public” in public health. It could be, as in a hygienist perspective, a way to mask relations of power and domination and to disciplinarize bodies. Thirdly, the question of public health has played—and continues to—a big role in environmental movements. Their basic idea is that public health is not a question of individual responsibility or state policies alone, but is completely linked with the technical becoming of modern civilization on one side and industrial productivities which characterizes capitalism on the other. It means that public health has to be one of the important fields of mobilization for the left against the irrationality of capitalist modernity and a way to rethink our way of dwelling the world.
1 I would thank Memphis Krickeberg for his precious help on this article. 2 R. Carson, Silent Spring, L. J. Lear et E. O. Wilson (éd.), Boston, New-York, Houghton Mifflin, 2002, p. 187. 3 Ibid., p. 8. 4 This paper is largely based on the amazing book of the environmental historian, Jean-Baptiste Fressoz. See J.-B. Fressoz, L’apocalypse joyeuse : une histoire du risque technologique, Paris, Éditions du Seuil, 2012. 5 Ibid., p. 15-16. 6 M. Foucault, La Volonté de savoir : droit de mort et pouvoir sur la vie, F. Rambeau et B. Leclair (éd.), Paris, Gallimard, 2006. 7 J.-B. Fressoz, L’apocalypse joyeuse, op. cit., p. 140. 8 Ibid., p. 117. 9 Ibid., p. 115. 10 A.-F. Prost de Royer, Dictionnaire de jurisprudence et des arrêts, Lyon, Roche, 1783, vol. 3, p. 746 ; cité par J.-B. Fressoz, L’apocalypse joyeuse, op. cit., p. 115. 11 J.-B. Fressoz, L’apocalypse joyeuse, op. cit., p. 149. 12 Ibid., p. 169. 13 Ibid., p. 177. 14 This event which has been since considered as the beginning of environmental justice movement plays a symbolic role in the history of environmentalism and anti-racist movement. See for instance the important review of this event from R. Keucheyan, La nature est un champ de bataille : essai d’écologie politique, Paris, France, Zones, 2014. This section is largely inspired by it. 15 R. Guha, Environmentalism: a global history, New-York, Longman, 2000; see also R. Guha et J. Martinez-Alier, Varieties of environmentalism: essays north and south, Londres, Earthscan, 1997; and J. Martinez-Alier, The environmentalism of the poor: a study of ecological conflicts and valuation, Cheltenham (En), Northhampton (Mas.), E. Elgar, 2002.
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EXPERIMENTAL STATION : UNE EXPÉRIENCE DE SANTÉ PUBLIQUE Dan Peterman Ce fut un véritable défi que de comprimer 30 ans de travail en un exposé de 15 minutes. J’espère que vous ferez preuve de patience pendant que je me fraierai un chemin dans l’histoire de ce lieu [l’Expxermiental Station] et de ce site [6100 Blackstone]. Approcher de manière alternative ou expérimentale la santé publique est un sujet qui concorde avec beaucoup de choses sur lesquelles je travaille depuis des années et auxquelles mes collègues et collaborateurs d’ici ont également participé. Je suis heureux d’en parler ici. La santé publique est liée à la programmation et aux
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décisions de conception qui ont eu une incidence sur ce site depuis les années 1970, et plus particulièrement aux développements qui ont pris forme ici depuis 2006 dans le cadre du modèle de l’Experimental Station, qui fait aujourd’hui fonctionner Blackstone Bike Works, le 61e Street Market, et qui accueille d’autres entreprises comme l’Invisible Institute (un organisme de presse d’investigation). Elle se rapporte également aux modèles d’exploitation antérieurs qui ont précédé l’Experimental Station et qui remontent au début des années 1970. En tant qu’artiste travaillant sur ce site du
6100 Blackstone depuis le milieu des années 1980, j’ai pu constater qu’une approche axée sur la santé publique déplaçait de façon productive les sujets de conversation habituelle des artistes, activistes et autres personnes engagées dans un processus visant à trouver et adapter un espace de travail flexible – ce genre de conversation a fréquemment surgi ces dernières années – vers une prise en considération plus complexe du contexte urbain spécifique, celui dans lequel nous sommes maintenant, qui a connu un changement rapide de visage et qui sort seulement récemment de décen-
nies de conflit, de négligence et de déliquescence politique, de direction politique mal orientée, de nombreuses mesures ayant conduit au dysfonctionnement urbain. Je souscris à l’idée qu’un endroit où l’exploration et l’innovation peuvent se développer librement a une influence positive sur l’équation de santé publique urbaine, tout comme le ferait une approche environnementale. Je suis bien conscient que ce site était un endroit plus difficile à creuser que la plupart des autres sites. Façonner un lieu de travail le long d’une frontière urbaine conflictuelle et trouver des façons
d’être « utiles » à une multiplicité de communautés présentait à la fois un haut degré d’urgence et des défis insoupçonnables. Ça n’a pas toujours été un processus simple. Les réponses adaptatives que j’ai essayé d’apporter à la conception et à la construction du bâtiment du 6100 Blackstone peuvent être considérées comme l’expression d’une tentative d’être utile malgré le tumulte et les tensions dans cette partie du Southside, et le fait de m’y installer comme la volonté de contribuer à redessiner un paysage local plus adapté, sûr et « sain ».
mais de nombreuses entreprises ne sont jamais revenues et une grande partie de l’architecture a été fermée et condamnée pour les décennies qui ont suivi.
Fig. 1 Je prendrai quelques instants pour dire que je parle en tant qu’artiste et non en tant qu’historien, architecte ou planificateur – même si j’ai étudié, fait de la recherche, construit, et planifié. Je suis très intéressé par une approche holistique des processus de conception/construction et des stratégies d’action directe, et suis en constante recherche de façons d’accroître les ressources indépendantes et locales. Je travaille avec un ensemble assez diversifié de compétences en matière de fabrication, et assume tout ce qui est nécessaire à mesure que le processus se déroule : conception, menuiserie, travail juridique, recherche sur les histoires locales, finances et autres fonctions d’organisation ; j’ai aussi la volonté de travailler sans soutien extérieur, qu’il soit financier ou institutionnel. La construction d’une entreprise durable, capable depuis peu de remettre en question le statu quo exaspérant, a donc été une lutte à plusieurs niveaux ; mon activité ici à Chicago a été façonnée par les défis spécifiques de ce quartier : des processus de planification urbaine abyssaux, un véritable abandon économique, des tensions raciales, des perturbations politiques, de la corruption, etc. J’aimerais rappeler où nous sommes dans la ville : dans le Southside, près du lac. On peut voir depuis l’endroit où nous nous trouvons maintenant la 61e rue, qui s’étend plein ouest, puis regarder la 63e rue, à quelques rues de là. Une approche axée sur santé publique consiste à définir ce qui est malsain au départ, puis à essayer de trouver comment formuler une réponse, et ce compte tenu des moyens limités. Je vais également revenir sur des questions cruciales en matière de sécurité publique, questions qui ont des répercussions sur ce quartier et qui ont eu des répercussions sur Chicago et d’autres villes au cours de la même période. Il s’agit d’une zone urbaine qui, jusqu’à tout récemment, semblait dysfonctionnelle dans pratiquement toutes les évaluations de comment un environnement urbain sain devrait être vécu, et ce
malgré un bel héritage de parcs, la proximité du lac Michigan et d’une grande institution stable telle que l’Université de Chicago. Il est important de noter que la façon dont la ville fonctionne pour quelqu’un ne dépend pas seulement de l’endroit où se trouve cette personne, mais aussi de qui est cette personne. En examinant la carte de la ville, j’aimerais mentionner quelques circonstances historiques qui ont façonné les conditions locales de diverses façons et qui ont influencé les décisions prises à 6100 Blackstone. En 1968, Chicago a connu deux émeutes. L’une d’entre elles a eu lieu pendant la Convention démocratique de la présidentielle de 68 avec des affrontements entre la police et des groupes de citoyens politisés ; étudiants et manifestants y ont été battus par la police. Pour la première fois, des manifestations comme celle-ci (souvent appelées « émeutes de police ») ont été diffusées à la télévision dans tout le pays. Les activistes et les groupes d’activistes en ont profondément été affecté, ainsi que le grand public à Chicago et dans tout le pays. La seconde a été l’émeute la plus destructrice à Chicago, suite à l’assassinat de Martin Luther King. Ces émeutes, selon l’endroit où vous viviez, pouvaient donner l’impression que la ville était en train de s’effondrer. Les émeutes dites de M.L. King ont laissé des zones des quartiers sud et ouest gravement endommagées et en difficulté. Plus de deux cent bâtiments ont été incendiés. Il y a eu une douzaine de morts et de nombreux blessés. La Garde nationale a été appelée pour renforcer les forces de l’ordre. Ces deux événements très importants ont eu un impact durable sur la ville dans son ensemble et sur les rues et les pâtés de maisons avoisinants, en particulier sur le campus de l’Université de Chicago. Les émeutes de King se sont étendues le long de la 63e rue, à cinq minutes à pied d’ici. La plupart des commerces de la 63e rue ne se sont jamais complètement rétablis. Les Blackstone Rangers (un gang local) ont joué un rôle dans l’atténuation de certains des dommages causés par les émeutes,
Dans ce quartier, juste à côté du nôtre, il est très important de voir que des frontières litigieuses ont été établies entre l’Université de Chicago et le quartier de Woodlawn, ce qui a eu pour effet de créer une division raciale et économique très marquée. L’Université et la commission locale d’urbanisme ont collaboré avec des conseillers militaires et de sécurité afin d’élargir considérablement leurs propres mesures de sécurité – y compris par le renforcement des forces de police privées, la réorientation du trafic routier et d’autres mesures de planification du campus et du quartier. Des changements sont intervenus au sein des institutions locales qui se sont positionnées par rapport à ces zones frontières redéfinies. Même les chauffeurs de taxi refusaient souvent de traverser certaines de ces frontières. Les deux événements très perturbateurs dont j’ai parlé ont déchiré le tissu social local, mais ils ont tous deux été précédés par des contraintes conflictuelles et à caractère raciste pour les logements dans toute la ville, et des propositions de rénovation urbaine visant expressément à créer une communauté universitaire plus sûre et plus isolée. L’ouvrage influent de Saul Alinsky, Rules for Radicals: a Practical Primer for Realistic Radicals, publié en 1971, s’articule autour de stratégies d’organisation permettant aux groupes de citoyens pauvres du Southside de résister efficacement aux changements destructeurs imposés d’en haut par des forces extérieures, notamment les propositions formulées par les mairies et l’Université de Chicago de dégager certains quartiers de Woodlawn pour prolonger des routes, qui semblaient davantage viser la destruction de quartiers qu’à améliorer les infrastructures de transport. Quand j’ai commencé à travailler et à vivre ici dans les années 80, j’ai constaté un envahissant sentiment de paranoïa et un malaise par rapport à ces limites. Un climat de méfiance, de peurs non résolues et de blessures non traitées semblait s’être installé dans le quartier. Depuis le début des années 70, le bâtiment et le site du 6100 Blackstone ont accueilli des projets visant à améliorer ces conditions et à générer une énergie contre-culturelle po-
sitive. Le fait d’être à l’écoute des besoins locaux et de construire des structures capables d’aider à abriter les petites entreprises et les initiatives locales a contribué à obtenir une certaine traction positive, du moins dans ce petit coin de la ville. Comme je l’ai mentionné, je travaille ici depuis 30 ans, y compris depuis que le bâtiment a été détruit par le feu en 2001 et complètement reconstruit, dans une tentative soutenue de faire fonctionner mon studio, de soutenir des projets créatifs et des petites entreprises, tout en cherchant continuellement à améliorer les conditions malsaines à cette frontière avec l’Université de Chicago/Hyde Park et Woodlawn.
les jeunes. Il permettait d’établir un espace sécurisé et fournissait un moyen de transport à la fois pratique et nécessaire, ainsi que du tutorat et une participation dans un environnement de travail convivial et sûr. Nous évoquions plus haut ce programme en particulier, son économie alternative, et l’importance de l’accès à la mobilité et à un passage sûr dans un quartier où les jeunes sont en danger.
La violence, souvent liée aux armes à feu, est un problème de santé primordial, permanent et non résolu. La violence armée, les fusillades à proximité et les taux élevés d’assassinats ont des répercussions. Les jeunes hommes Noirs sont les plus impactés, mais on ne saurait surestimer l’importance de créer un espace sûr pour le bien de tous. D’où l’importance de créer un espace sûr dans une zone largement abandonnée, ou négligée, par les institutions. Il faut imaginer qu’avant, il était difficile d’utiliser confortablement ces rues et de se sentir à l’aise dans le quartier où nous nous trouvons en ce moment. L’Université de Chicago, en tant que point de référence, a averti pendant des décennies les nouveaux étudiants de ne pas marcher au sud du Midway (61e rue), c’est-à-dire de ne pas marcher vers l’endroit où nous sommes maintenant assis et en train de parler.
Dès le premier jour, nous avons eu des enfants qui venaient du bas dans la rue ; très vite, d’autres sont venus de différents quartiers. Ils venaient souvent (et viennent toujours) de territoires et de relations complexes avec les gangs ; complexité pour « naviguer » en toute sécurité avant d’arriver ici, et pour rentrer chez eux. Pour mesurer l’urgence de ce genre de travail, il faut savoir que nous avons perdu du fait de la violence à main armée plus d’une demi-douzaine de jeunes qui participaient au Bike shop. Probablement aussi beaucoup dont nous n’avons pas connaissance, car les gens sont passés, ont perdu contact, ou ont disparu pendant les quelques années où nous avons dû fermer à cause de l’incendie qui a frappé ce bâtiment en 2001. [Fig. 1] Dès le début, il était donc clair qu’il y avait un besoin urgent d’espace sûr, d’accès à des vélos en état de fonctionnement, et d’un cadre pour faire l’expérience d’un métier – même pour des jeunes de 10 ou 11 ans. Pour cette discussion sur la santé publique, les apports de ce programme qui fonctionne encore aujourd’hui sont, on le voit, nombreux.
Il y a actuellement beaucoup de forces à l’œuvre pour changer ces situations. Il est peut-être difficile d’imaginer les circonstances de ces dernières années que j’ai décrites, maintenant que tant de plans de développement et de ressources se mettent en place, et si rapidement. Mais la création d’un magasin de bicyclettes, par exemple, au début des années 1990, a eu un impact local très important – principalement en raison de l’absence d’initiatives semblables. Le modèle que j’ai lancé à l’époque a commencé avec un petit groupe de personnes qui aidaient à réparer des vélos, à travailler avec des enfants du quartier, à rédiger des demandes de subventions et à faire fonctionner un modèle simple de gestion. Il combinait une entreprise de vélos qui fonctionnait bien avec un objectif d’éducation alternative pour
Avant Blackstone Bicycle Works, le terrain autour de l’immeuble servait de jardin urbain. J’ai hérité de la gestion de cette activité de jardinage au moment où j’ai acheté l’immeuble, au début des années 90. J’ai alors développé le jardin communautaire pendant plus d’une décennie, en cherchant constamment des moyens de diversifier et d’approfondir le vivier de jardiniers. La densité croissante de l’activité dans le jardin a progressivement créé un environnement plus sûr. Avec la proximité du magasin de vélos, il y a eu un moment où une masse critique d’activité a été atteinte qui a fait que ce changement d’environnement commençait à vraiment se faire sentir. Sur cette image [Fig. 2], on voit, à l’arrière-plan, notre bâtiment à la fin des années 1980. Vous pouvez voir plus en détails ce dont je parlais à propos
Fig. 2 CRITIQUE
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des terrains vagues et des propriétés abandonnées : ce n’était pas un espace où les gens se déplaçaient confortablement et étaient visibles dans la rue, ce n’était pas un espace confortable pour les enfants. Le magasin de vélos très fréquenté [Fig. 3-4-5], le jardin communautaire actif, le marché de producteurs et le bâtiment modeste, avec d’autres petites entreprises et initiatives culturelles (comme Monk Parakeet) ont constitué des outils disparates mais étonnamment efficaces pour favoriser un changement radical des sensibilités et un changement local par rapport aux expériences urbaines précédentes chroniquement stressantes et aliénantes. L’intention était de mettre l’accent sur un équilibre d’activités différentes qui pourraient créer de nombreux points de connexion – il n’y avait pas l’air d’y avoir un seul type de remède adéquat aux dysfonctionnements installés. De diverses façons, cet effort s’est poursuivi, certains programmes et entreprises se sont implantés et continuent de prospérer, tandis que d’autres, pour quelque raison que ce soit, ont fermé leurs portes ou sont allés s’installer ailleurs. Le modèle non lucratif de l’Experimental Station a démontré une capacité de croissance et d’adaptation, tandis que les modèles avec financement externe et les organismes de subventions comprennent maintenant mieux les modèles de fonctionnement à usage mixte et à « incubateur ». Il existe des différences extrêmes dans la façon dont un jardin, un magasin de vélos, un groupe de journalistes, un événement artistique ou un marché de producteurs peuvent occuper un espace sous le grand chapeau de la santé publique. L’impulsion principale derrière ces initiatives et ces activités est venue de diverses directions, dont des facteurs aléatoires de financement ou de ressources matérielles disponibles à un moment donné, ou une vision partagée émergeant de la convergence fortuite de personnes aux vues similaires, ou une impulsion activiste ou artistique. Pour en revenir à la question dominante de la violence à cet endroit particulier et à cette époque particulière, qui affecte comme nous le savons les jeunes hommes Noirs le plus intensément, mais dont les conséquences se font sentir dans les familles, les quartiers et la ville en général, il nous faut faire un point sur ce qui s’est récemment produit dans le quartier, et sur un projet qui se fait en ce moment à ce sujet. Une fusillade a eu lieu en juillet 2018, dans le quartier voisin de Southshore. Un barbier local a été tué par balle, par la police, dans la rue, devant son lieu de travail. La police avait remarqué qu’il portait peut-être une arme, dissimulée sous sa chemise (l’Illinois est un état où le port d’une arme dissimulé est légal avec un permis approprié). Ce qui a commencé comme un arrêt pacifique et routinier et une vérification de permis a explosé dans un moment de chaos. Harith Augustus a reçu plusieurs balles mortelles sans avoir sorti son arme. L’enquête sur la fusillade qui a suivi a, comme tant d’autres, conduit rapidement à la conclusion d’une action policière justifiée. Dans cette affaire, l’Invisible Institute, qui fait depuis longtemps partie de l’écosystème de l’Experimental Station, a entrepris une enquête journalistique en profondeur et uni ses forces à
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celles de Forensic Architecture, basée à Londres. Cette collaboration a été réalisée dans le cadre de la Biennale d’architecture de Chicago en 2019. L’effort conjugué a produit une analyse et une modélisation vidéo qui ont considérablement élargi la perception de la fusillade et remis en question le récit initial de la police. Inconfortable à l’idée de présenter les questions et les images complexes du tournage dans le cadre d’une exposition biennale, l’Invisible Institute et Forensic Architecture ont commencé à explorer d’autres lieux. Finalement, mon atelier, situé dans les locaux de l’Experimental Station, a été converti en un espace d’exposition alternatif. [Fig. 6] L’exposition s’est ainsi rapprochée de l’endroit où les coups de feu ont eu lieu, mais surtout, elle se situait dans un contexte commun avec Invisible Institute qui continue à surveiller les aspects de l’histoire qui se déroulent. Ce projet commun est un effort émouvant et réfléchi pour approfondir la compréhension et l’analyse d’un seul acte de violence, dans un contexte où cette violence est familière et quasi quotidienne pour les quartiers. L’espace d’exposition, le bureau et l’atelier fonctionnent ici comme un outil dynamique et adaptatif pour façonner des discours sur la violence urbaine ou sur les pratiques de la police. Ce sont là des avantages des lieux à usages multiples. Ce mélange d’attention critique et de flexibilité existe ici depuis longtemps. La contribution constructive aux défis posés par la violence armée et le maintien de l’ordre déficient est une question clé de la santé publique. Que cet effort, à la fois journalistique, technologique, artistique et architectural puisse ou non contribuer au changement, est clairement l’une des questions de santé publique les plus urgentes de notre époque.
Fig. 3
Fig. 4
Fig. 4
Fig. 6
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THE EXPERIMENTAL STATION AS A PUBLIC HEALTH EXPERIMENT Dan Peterman It’s been a challenge to compress 30 years of work with this building and with this site into a fifteen minute talk. I hope you can be patient as I pick my way through this history. The topic of an alternative or experimental approach to public health is one that aligns with a lot things I’ve been working on over the years, and that colleagues and collaborators here have been involved with too. I’m happy to address it here. Public health relates to programming and to design decisions that have impacted this site since the 1970s and in particular developments that have taken shape here since 2006 within the Experimental Station mo-
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del that now operates Blackstone Bicycle Works, the 61st Street Market, and houses other enterprises like Invisible Institute (an investigatory journalistic enterprise). It also relates to earlier models of operation that preceded the Experimental Station, dating back to the early 1970s. As an artist working with this site at 6100 Blackstone since the mid 1980s, a public health focus productively shifts the conversation from the familiar topic of artists, activists, and others engaged in a process of finding and adapting flexible workspace—a conversation that emerged frequently in relation to what we were doing here in ear-
lier years-to a more complicated consideration of the specific urban setting we currently find ourselves in: a setting now experiencing rapid gentrification and that is only recently emerging from decades of conflict, abandonment, misguided political leadership and by many measures, urban dysfunction. I adhere to the idea that a place where exploration and innovation can freely develop, positively influences any urban public health equation, as does an environmental focus. I’m aware that this site was a tougher place to dig into than most. Shaping a place to work along a conflicted urban boundary and finding ways
of being “useful” to a multiplicity of communities carried both a high degree of urgency and unforeseen challenges. It is not always a straightforward process. The adaptive design/build responses I tried to bring to the building at 6100 Blackstone can be seen as an expression of attempting to be useful given the turbulence and tensions of this part of the Southside, as well as process of digging in and helping re-shape a more accommodating, safe, and “healthy” local landscape. I’ll take a moment here to say that I’m speaking as an artist, not a historian, or architect or planner
although I’ve studied, researched, built, and planned. I’m very interested in a holistic approach to design/build processes, direct action strategies and in finding diverse ways to expand independent, local resources. I bring a fairly diverse set of fabrication skills to my work—including a readiness to take on whatever is called for as the process unfolds: design work; carpentry; legal work; research into local histories; finance; and functioning in other ways as an organizer. Also a willingness to work in the absence of outside financial or institutional support. Building a sustainable enterprise, that could
begin to challenge the vexing status quo in some meaningful way has been indeed a multi-leveled struggle. This activity here in Chicago has been shaped by specific challenges of this neighborhood, including abysmal urban planning processes, economic abandonment; racial tensions; political disruptions and corruptions, etc. I’d like to remind us of where we are in the city, on the Southside, near the lake. We can see 61st Street, which runs due west from where we are now and then look at 63rd street a few blocks away. Part of an approach to public health is defining what is unhealthy to begin with and then trying to figure out how a response—given limited means-can be formulated. I would like to also revisit critical issues in public safety that are impacting this neighborhood and that have impacted Chicago and other cities at the same period of time. This is an urban zone that until recently appeared dysfunctional in almost any assessment of how a healthy, city environment should be experienced-this despite a beautiful legacy of parks and proximity to Lake Michigan and a large stable institution like the University of Chicago. It is important to note that how well the city works for someone, depends not only on where that person is, but who that person is. So as we look at the map I’d like to mention a few historical circumstances that have shaped local conditions here in various ways and impacted the decisions made at 6100 Blackstone. 1968 Chicago had two riots. One was during the 68 presidential democratic convention and the resulting clashes between police and politicized citizen groups— where students and protesters were beaten by police—and for the first time protests like this (often referenced as police riots) were televised and broadcast to a national audience. This deeply affected activists and activist groups, as well as the general public in Chicago and across the country. The second was the more intensely destructive rioting that occurred in Chicago in the wake of the Martin Luther King assassination. Those riots, depending on where you lived in Chicago, created a perception that the city was in some fundamental ways, falling apart. The M.L. King riots left areas of south and west side neighborhoods severely damaged and struggling. Over two hundred buildings were burned. There were a dozen or so deaths, and many people injured. The National Guard was called in for policing reinforcement. These were two very major events with lasting impact on the city as a whole and the streets and near by blocks nearby to us now, and the University of Chicago specifically. The King riots spread down 63rd street, which is a five minute walk from here. Most 63rd street businesses never completely recovered. It wasn’t physically burned and damaged to the same degree as elsewhere in the city, the Blackstone Rangers (a local gang) are credited with playing a role in mitigating some of the damage from rioting that might have otherwise occurred, but many businesses never came back and much of the architecture was shut down and boarded up—for the coming decades.
Looking at this neighborhood, right next door to us, it is very important to recognize that controversial boundaries were established between the University of Chicago and the Woodlawn neighborhood-that effectively embedded a stark racial and economic divide. The university and local planning commission worked with security and military advisors to significantly expand their own security measures including a beefed-up private police force, redirection of street traffic, and other campus and neighborhood planning steps. Change occurred within local institutions in order to position themselves in relation to these redefined boundary zones. Even Taxi drivers frequently refused service across some of these boundaries. The two highly disruptive events I mentioned tore at the local social fabric, but they were both preceded by divisive, racially motivated, housing restrictions across the city, and urban renewal proposals specifically aimed at creating a more securely isolated University community. Saul Alinsky’s influential book from 1971 Rules for Radicals: a Practical Primer for Realistic Radicals, was largely framed around organizing strategies to enable impoverished citizen groups on
the neighborhood, write grants, and operate a simple business model. It combined a functional bicycle business with a goal of youth alternative education. It established safe space, and provided transportation-both practical and much needed, along with mentoring, and participation in a friendly and safe work environment. We spoke earlier about that program specifically, including its alternative economy, and the importance of gaining access to mobility and safe passage around neighborhoods where young people are at risk. From Day one we had kids coming here from down the street and soon they were coming from different neighborhoods as well. They frequently had (and still have) complicated gang territories and relationships to navigate to get here safely and to get home. As a measure of the urgency of this kind of work, we’ve lost more than half a dozen young bike shop participants to handgun violence, that we know of, many that we don’t know, as people moved-on, lost touch, or disappeared during the several years that we were forced to shut down because of the fire that struck this building in 2001. [Fig. 1] From the beginning it was clear that there was an urgent
the Southside to effectively resist destructive change imposed from top-down, outside forces: including proposals generated by City Hall and the University of Chicago for clearing sections of Woodlawn for a questionable highway extension that appeared to be more about razing neighborhoods than improving transportation infrastructure. When I began working and living here in the 80s, I recognized a pervasive sense of paranoia, and unease in relation to these boundaries. A climate of distrust, unresolved fears, and unaddressed injury appeared to have settled over the neighborhood. This building and site at 6100 blackstone, since the early 70s had hosted projects aimed at improving these conditions and generating positive counter-cultural energy. Tuning-in to local needs, and building structures that could help shelter small enterprise and grassroots initiatives helped gain some positive traction, at least in this small corner of the city. As I mentioned, I’ve been involved here for 30 years, including losing the building to fire in 2001 and completely rebuilding it, in a sustained attempt to operate my studio, support creative projects and small enterprise, while continually exploring ways to improve unhealthy conditions along this boundary with the University
need for having safe space, access to working bicycles, and a setting to experience a “job” even if you were only 10 or 11 years old. There are many dimensions to a public health discussion around this program that still functions today. Prior to Blackstone Bicycle Works the land around the building was used as an early urban garden site. I inherited the management of that gardening activity at the time I purchased the building in the early 90s, and developed the community garden for more than a decade-constantly looking for ways to diversify and deepen the pool of gardeners. Growing density of activity in the garden, created a safer environment. With the close proximity to the bike shop there was a moment when you could feel a critical mass of activity being reached, and that change was beginning to sink in. This is [Fig. 2] our building in the background back in the late 1980s. You can see more of what I’ve been describing regarding vacant lots and abandoned property. Not a space where people were comfortably moving around and visible on the street, not a comfortable space for children. A busy bike shop [Fig. 3-4-5], an active community garden, a farmers market, a modest building
of Chicago/Hyde Park and Woodlawn. Violence, frequently gun-related is a primary, ongoing, and unresolved health issue. Handgun violence, nearby shootings, and high murder rates impact young black men primarily, but the significance of creating safe space can’t be overestimated for everyone’s benefit. This highlighted the importance of creating safe space in a zone that was largely abandoned or neglected by other institutions. It was difficult to comfortably utilize these streets and feel fully at ease in the specific area that we are in right now. The University of Chicago, as a point of reference, for decades warned incoming students to not walk south of the Midway (61st street), in other words to not walk to where we are now sitting and talking. There are currently a lot of forces at work changing these conditions. It may be hard to envision the circumstances I’m describing of past years, with so many development plans and resources now swinging rapidly into motion, but creating a bike shop, for example, had a significant local impact due primarily to the lack of similar initiatives. The model I launched in the early 1990s began with a small group of people who helped repair bikes, work with kids from
with other small enterprise and cultural initiatives (like Monk Parakeet). These were disparate yet surprisingly effective tools that supported a radical change in sensibility and local shift away from a chronically stressed and alienating urban experiences. My intended focus was on a balance of different activities that could create many points of connection—there being no one single type of remedy to anything that felt adequate to the level of dysfunction that had fallen into place. In various ways this effort has continued, with some programs and enterprises taking hold and still prospering and others for whatever reasons closing or moving on to other locations. The non-profit business model of ES has demonstrated an ability to grow and adapt while external funding models and granting agencies have become more understanding of mixed use and “incubator” models of operation.
tions that include random factors of funding or material resources that become available at a particular point in time, or a shared vision emerging from the chance convergence of like-minded people, or an activist or artistic impulse. Circling back to the dominant issue of violence in this particular place and this particular time frame—affecting most intensely young black men as we know, but with rippling consequences across families, neighborhoods and the city as a whole-an update regarding a recent project here is in order. A shooting occurred in July of 2018, in the nearby Southshore neighborhood. A local barber, was shot and killed by police on the street in front of his place of business. Police noticed he was possibly carrying a concealed weapon under his shirt (Illinois is a state where carrying a concealed weapon is legal with proper permits) What began as a peaceful and routine stop and permit check exploded into moments of chaos leaving Harith Augustus shot multiple times and dying, without having drawn his weapon. The investigation of the shooting that followed was, like so many others, leading rapidly toward a conclusion of justified police action. In this case, the Invisible Institute, a long-time part of the Experimental Station ecosystem, began a sustained journalistic investigation and joined forces with London-based Forensic Architecture. This collaboration was supported as an undertaking of the 2019 Chicago Architecture Biennial. The combined effort produced video analysis and modeling that greatly expanded perception of the shooting and called into question the initial police narrative. Uncomfortable with presenting the complicated issues and images of the shooting in the context of a biennial exhibition, Invisible Institute and Forensic Architecture began exploring alternative venues. Eventually my studio, co-located with Experimental Station was converted into an alternative exhibition space. [Fig. 6] This put the exhibition into closer spacial proximity to where the shooting occurred but more importantly into a shared context with Invisible Institute who continue to monitor unfolding aspects of story. This joint project is a poignant and thoughtful effort to deepen understanding and analysis of a single act of violence in the context of neighborhoods where such violence is a familiar almost daily event. Exhibition, office, and studio space, here function as dynamic and adaptive resource for shaping discourse around urban violence or policing policies. That’s part of the benefit of multi-use resources. Its a function of the flexibility and critical attentiveness that has been in the mix here for a long time. Meaningful contribution to the challenges of gun violence, and flawed policing is a key public health issue. Whether or not this effort, at once journalistic, technological, artistic, architectural can help bring about change is clearly among the most pressing public health questions of our day.
There are extreme differences in how a garden, bike shop, journalistic group, art event or farmers market might occupy space under a large umbrella of public health. The primary impetus behind these enterprises and activities have come from diverse direcCRITIQUE
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DE LA DÉFAITE PROGRAMMÉE DES PROTECTIONS COLLECTIVES À L’ÉMERGENCE DU SUJET RESPONSABLE ET CONNECTÉ Olivier Chadoin Pour aborder cette question de la santé publique, je parlerai du cas français. Cela pour deux raisons : d’abord parce que c’est celui que je connais le mieux, mais aussi parce qu’il est assez particulier du fait de l’existence d’un système de santé publique né après la seconde guerre mondiale : celui de la sécurité sociale. Mais d’abord une question : comment la sociologie regarde-t-elle la question de la santé ? Disons-le directement, les sociologues semblent jusqu’ici s’être plus intéressés à faire deux types de sociologie : – une sociologie de la médecine (la profession médicale chez Eliott Friedson, l’hôpital comme institution chez Erving Goffman, la relation malade médecin chez Aaron Cicourel…) ; – une sociologie de la maladie (les déterminants sociaux et inégalités face à la maladie, l’expérience des malades, les inégalités d’accès aux soins…). La notion de « santé publique » n’est pas un concept sociologique. Il renvoie en effet en France à un secteur singulier et dispose même de sa propre revue. C’est que la notion de « santé publique » est un domaine d’action de l’État. Parler de « santé publique » est donc pour un sociologue avant toute chose engager une sociologie de l’État et de l’action publique.
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Cette sociologie peut prendre deux directions complémentaires : – celle d’une étude de la genèse de l’État et de ses dispositifs d’action dans le sillage des travaux de Foucault sur la biopolitique ; – celle de l’analyse de la construction sociale des problèmes publics et des « actes d’État » comme y invite Pierre Bourdieu dans son cours sur l’État au Collège de France ou encore le travail important de Robert Castel sur la « protection sociale ». Je voudrais ici en m’inspirant de trois auteurs français – Bourdieu, Foucault, Castel – engager une réflexion sur la construction sociale de la notion de santé publique d’une part et sur la difficulté actuelle à pouvoir penser avec Foucault la santé publique et l’État aujourd’hui. Je voudrais sur ce sujet essayer de montrer comment la critique d’un biopouvoir me semble insuffisante aujourd’hui, dans la mesure où elle rate le passage progressif d’un système basé sur les « populations » à un système basé sur « les sujets » sur fond de rétrécissement de l’action publique au profit des agents du marché.
1. LE DÉVELOPPEMENT DE LA SANTÉ PUBLIQUE CHEZ FOUCAULT Le travail de Foucault montre clairement la généalogie de la médecine de santé publique, c’est-à-dire comment à partir de la seconde moitié du XVIIIe siècle émerge un intérêt pour la question sanitaire de la population. La meilleure connaissance des maladies, la médecine pasteurienne, conjuguée à une forte volonté politique vont faire de la santé publique une institution et une discipline. Cette attention à la santé de la population ne fera que grandir avec la révolution industrielle. Les classes dirigeantes comprennent vite que la santé de la force de travail est un enjeu pour la prospérité des affaires. La lutte contre les maladies, l’enseignement des règles d’hygiène et de propreté, le développement de l’épidémiologie comme discipline vont alors s’affirmer, en même temps que l’État développe les premiers éléments d’un système d’assurance sociale. Pour Foucault, cette naissance de la santé publique et de ce qu’il nomme « le souci de la vie » est décisive. Elle est directement liée au développement d’un nouveau pouvoir : une biopolitique. « La vie est devenue maintenant, à partir du XVIIIe siècle, un objet
du pouvoir. La vie et le corps. Jadis, il n’y avait que des sujets, des sujets juridiques dont on pouvait retirer les biens, la vie aussi, d’ailleurs. Maintenant, il y a des corps et des populations. Le pouvoir est devenu matérialiste. Il cesse d’être essentiellement juridique. Il doit traiter avec des choses réelles qui sont le corps, la vie. La vie entre dans le domaine du pouvoir », explique Foucault1. Autrement dit, la santé publique, les pratiques, les institutions et les savoirs qui lui sont liés (épidémiologie, démographie, assurances et protections sociales), deviennent l’instrument d’une biopolitique. Mais surtout, le développement de ce « dispositif » correspond pour Foucault à une « étatisation du biologique ». L’État considère désormais que la santé des populations est de sa responsabilité. Non pas la santé de l’individu mais de la population dans son ensemble, des corps et des vies compris comme éléments d’un tout. C’est en ce sens qu’il faut comprendre le terme « santé publique », par rapport à la distinction que Michel Foucault suggère entre santé individuelle et santé collective, voire même santé communautaire (mais c’est là un autre sujet encore). La naissance de la santé publique marque un moment de bascule
historique. Avec la biopolitique se développe l’action du pouvoir en place sur la vie des populations, et celle-ci va de pair avec la surveillance de l’individu et le pouvoir disciplinaire. Cette analyse a donné lieu dès les années 1970 à de nombreux travaux pointant la dimension de contrôle social et ses risques dans les politiques de santé des états. Les politiques de préventions, la médicalisation de la société et ses risques sont ainsi encore régulièrement dénoncés. Reste une question : celle de l’État. On a vu qu’elle est au centre de l’analyse foucaldienne de la santé publique. Or, l’État dont parle Foucault à la fin des années 1970 n’est sans doute pas l’État que nous connaissons à l’heure des politiques néolibérales. De même, comme le dit Didier Fassin qui souligne la capacité des individus à résister ou faire face au politiques de l’État par des « tactiques2 » : « Pour vérifier l’efficacité de ce biopouvoir proclamé ou dénoncé, encore faut-il se demander ce qu’il est réellement […] or il y a loin de la coupe aux lèvres.3 »
2. LA CONSTRUCTION D’UN PROBLÈME PUBLIC ET LA MONTÉE DES PROTECTIONS CHEZ BOURDIEU ET CASTEL Pour Pierre Bourdieu, qui dans son cours Sur l’État n’évoque d’ailleurs pas la question de la santé publique4, analyser l’État consiste d’abord à analyser ce qu’il nomme les « actes d’État ». C’est-à-dire ces actes, du plus banal (la délivrance d’une carte d’identité, un permis de conduire, une feuille maladie…) au plus fort, qui peuvent affecter tout un secteur de la vie sociale (réforme du logement, de l’université…). La force de ces actes et ce « pouvoir de l’État » se fondent sur ce qu’il nomme un champ bureaucratique. Ce champ est un espace où se confrontent des positions et des points de vue. C’est là que des commissions, des rapports, des consultations « fabriquent » ou « construisent » les problèmes de l’État. C’est par ce processus que se réalisent aussi la légitimation et l’universalisation de ces questions comme « problèmes publics ». C’est ce que Bourdieu nomme la « magie d’État ». On est donc loin de la biopolitique ici. Il s’agit de considérer l’action publique comme le produit des pratiques et représentations des agents engagés dans un champ. Par ailleurs ces pratiques et représentations sont déterminées par la position de ces agents dans ce champ selon le schéma classique disposition/position/prise de position. Pierre Bourdieu a par exemple appliqué cette méthode en analysant l’espace des positions et prises de position dans la production des politiques du logement. Il s’appuie fortement sur ce cas dans Sur l’État. Il montre dans ce cas comment les changements au sein du champ bureaucratique, pendant le septennat de Valéry Giscard d’Estaing, redistribuent les forces dans ce champ. Comment la vision antérieurement dominante de la politique du logement va ainsi pouvoir être défaite par une vision plus « libérale » et « individualiste », faisant passé cette politique de « l’aide à la pierre » à « l’aide à la personne ». Selon cette vision, « la santé publique » n’est donc pas un objet figé, porté par un pouvoir, mais un enjeu de construction sociale toujours rediscuté au sein d’un champ entre des positions. Autrement dit, c’est un enjeu faisant l’objet de prises de position qui, de commission en débats, est sans doute au centre d’une lutte de définition. Et en effet, Robert Castel5 montre le long processus de construction par lequel s’est développé ce qu’il nomme un État social et donc une politique de « santé publique ». Pour celui qui fut collaborateur de Foucault, cet État social (et non État providence) s’est construit en faisant de la protection (avec
l’assurance sociale) un pilier de la citoyenneté dans une « société salariale ». Comment explique-til cela ? D’abord par un constat : l’insécurité est le plus fort vecteur d’inégalité. Au XIXe siècle, celui qui ne possède rien d’autre que sa force de travail pour vivre est dans l’incapacité de se protéger de la maladie, de la vieillesse ou l’invalidité, qui rendront son travail impossible. Il est donc dans une situation « d’insécurité sociale » et cette insécurité est sociale dans la mesure aussi où elle peut engendrer des luttes de classes, des insurrections… et donc menacer la paix sociale nécessaire aux classes possédantes. Pour Castel, le développement des protections sociales (retraites, invalidité, assurances santé…) est donc d’abord une réponse à cette question de l’insécurité, et à la nécessité du système capitaliste de mettre et de maintenir les masses au travail. On passe donc d’un système de « protections rapprochées » (soutien familiaux, villageois, communautaire), à un système assuranciel dans lequel l’État social (la main gauche de l’État chez Bourdieu) joue un rôle central. Les cotisations et assurances désormais attachées au travail vont permettre une mutualisation des risques, mais aussi le développement d’une politique d’éducation et de santé. Mais surtout, chez Castel, le développement de ce qu’il nomme des « propriétés sociales ». Qu’entend-t-il par-là ? Il s’agit pour le dire simplement de l’équivalent de la propriété pour des travailleurs qui ne sont pas propriétaires. C’est-à-dire que les protections sociales vont permettre aux travailleurs d’acquérir une certaine indépendance – la « propriété de soi » chez Castel. C’est donc aussi par la solidarité d’un système assurantiel que se construit une certaine autonomie, ou liberté, des individus. C’est bien dans ce sens que se développe donc l’idée de « santé publique », avec ceci de singulier, et de très durkheimien finalement, qui est que « la propriété de soi », l’autonomie de l’individu, naîtrait d’une protection sociale, collective. Cette construction sociale qu’est la « santé publique » est donc indéfectiblement liée à l’État mais aussi à la société salariale. De ce point de vue le développement de la « santé publique » peut être vu comme à la fois un vecteur d’émancipation sociale, mais aussi comme un des éléments qui a permis à la société salariale et au capitalisme de se consolider sans pour autant que les inégalités soient effacées. Disons simplement que dans la société salariale et industrielle, et dans le cadre d’un État-nation, ce système de protection a été une forme singulière de « contrat social », une façon de « faire société ». À l’inverse de Foucault, les positions de Bourdieu et Castel sont donc attachées à décrire la formation de l’État et de son action comme des produits situés historiquement et à distinguer « main droite » et « main gauche », ou État et État social. En ce sens, les politiques de « santé publique » ne sont pas vues chez eux comme l’expression d’une biopolitique, d’un pouvoir agissant sur les corps et les populations mais des constructions sociales issues d’un compromis lié à un certain état de la société capitaliste.
3. LA DÉFAITE PROGRAMMÉE DES PROTECTIONS COLLECTIVES ET L’ÉMERGENCE DU SUJET RESPONSABLE ET CONNECTÉ La question est donc à présent : sommes-nous encore dans cet état de la société et quel est le modèle de « santé publique » qui se développe aujourd’hui, à l’ère d‘un capitalisme post-industriel ? Robert Castel lui-même se montrait inquiet dans ses derniers travaux sur la montée d’une nouvelle « insécurité sociale », à mesure que les solidarités collectives s’affaiblissent et que se reporte sur un individu « responsabilisé » sa propre protection, engendrant une « désaffiliation ». De même, Pierre Bourdieu avait noté, dès le début des années 1990, avec la publication de La misère du monde6 que la main gauche de l’État était menacée. Il dénonçait le travail de déconstruction d’une morale publique, d’une philosophie de responsabilité collective, et pointait les conséquences du retrait de l’État et la montée des politiques néolibérales. C’est d’ailleurs contre le nouvel ordre néolibéral en train de s’imposer qu’il défendit les grévistes de décembre 1995, lança les états généraux du mouvement social en 1996, aida le mouvement des chômeurs de l’hiver 1997, et enfin créa la maison d’édition Raisons d’agir… Autrement dit, là où la lecture de Foucault permet de réaliser une critique de l’État et de son pouvoir sur les « populations », Castel et Bourdieu pointent le rétrécissement de l’État au profit du néolibéralisme et surtout la diminution des solidarités collective, « l’individualisation » des protections et la « responsabilisation ». Autrement dit, Foucault ne nous permet pas de penser le temps présent qui est celui du « retrait de l’État ». Pourtant, Foucault luimême avait pointé le nouvel usage de la notion de « responsabilisation individuelle » dans « l’art de gouverner » néolibéral où l’État conduit selon lui une « politique active sans dirigisme ». Quelles sont aujourd’hui les orientations des politiques de santé publique ? Elles peuvent être résumées en quelques mots : responsabilisation, individualisation, connexion, financiarisation. Le type de gouvernement actuellement exercé sur les individus ne consiste pas à instaurer des rapports d’obéissance ou de dépendance, comme dans l’État providence. À l’inverse, il est demandé aux individus de s’autonomiser et de se « responsabiliser ». Ce discours est devenu si banal que même en France un Premier ministre socialiste (mais sans doute droitier contrarié…) a pu parler « d’excuses sociologiques » à propos des tentatives de compréhension des conditions sociales d’existence des individus. On assiste donc à une réorganisation de l’État qui passe par le transfert de ses responsabilités sociales aux individus et institutions privées. C’est même le rapport à l’aide de l’État qui est stigmatisé ; et celui qui en bénéficie est désigné comme assisté, de sorte à disqualifier cette fonction sociale. La prise en charge matérielle de soi-même, la capacité à prendre soin de soi, à poursuivre ses projets… sont désormais lar-
gement au centre du mode de gouvernement néolibéral. La responsabilisation et l’action individuelle deviennent les valeurs de référence, de même que la valorisation de l’individu « souple, mobile, autonome, indépendant, qui trouve par lui-même ses repères dans l’existence et se réalise par son action personnelle ». Un individu qui est donc sommé de devenir « l’entrepreneur de sa propre vie », dans une société valorisant à l’envi la concurrence inter-individuelle. Dans le même temps, la culpabilisation individuelle constitue le verso de ce phénomène de responsabilisation. Cela dénote toute l’ambiguïté de ce mythe de l’homme moderne, puisque la réussite sociale est simultanément une liberté qui s’offre potentiellement à tous et une norme pour chacun, avec « l’initiative des individus [qui] passe au premier plan des critères qui mesurent la valeur de la personne7. » De nombreuses analyses ont pointé la conséquence de cette individualisation : une « psychologisation du social » qui s’est développée dans les années 1990. L’autre conséquence de ce phénomène est bien sûr l’effacement de la sphère publique des questions sociales et politiques. Les messages médiatiques de santé publique diffusent ainsi des normes et conseils de comportements et d’hygiène de vie, afin que les individus s’approprient ces messages et les appliquent au quotidien, faisant en sorte de persuader et de faire croire aux individus qu’il s’agit de leur responsabilité, et que de leur comportement et de leur auto-contrôle dépend le bien-être collectif. Cette individualisation responsable se double d’une autre tendance, celle de la gestion connectée de soi, appelée santé connectée ou e-santé… On nomme ainsi le développement de dispositifs permettant de suivre la santé, la bonne prise des traitements par les patients, et même dans une certaine mesure la médecine prédictive bien utile pour le calcul des risques des assureurs. Voici ce qu’on peut lire à ce sujet sur le site d’une start-up développant un « défibrillateur connecté » : « Les tendances du dernier CES (Consumer Electronics Show, salon dédié à l’innovation technologique), qui s’est déroulé à Las Vegas en janvier, montrent que l’avenir technologique est clairement orienté vers le médical : l’espace dédié aux startups de la santé a augmenté de 40 % entre 2014 et 2016. » Et c’est complètement logique. L’article développe ce qu’il nomme le « quantified self » en ces termes : « Alors que l’Homme est capable d’expliquer le monde qui l’entoure, et de mettre en équation des phénomènes complexes, l’individu ne connait que trop peu l’état de son corps et de sa santé à un instant précis. “Suis-je en bonne santé ? Ai-je besoin d’aller chez le médecin ?” Nous n’obtenons de réponses à ces questions qu’à l’occasion d’une visite chez le médecin. Or nous y allons en moyenne seulement quatre fois par an, et il faut souvent prendre rendez-vous plusieurs semaines à l’avance […] les objets connectés permettent aujourd’hui d’avoir un suivi régulier et personnalisé de sa santé. » Enfin, la santé connectée est vantée comme une « garantie de l’autonomie et de la sérénité » et explique que « bien utilisés, les bénéfices attendus sont d’alléger le personnel médical débordé, de
rassurer les familles et de préserver l’autonomie des patients ». Bref, vous avez compris, la santé connectée offre un large marché porté par le mouvement de responsabilisation individuelle en matière de santé. Une balance connectée pourra par exemple vous indiquer quel genre de régime suivre ou acheter, les données collectées sur votre santé, si vous les acceptez, pourront permettre à votre assureur de moduler vos cotisations maladie en fonction des risques encourus… Ce développement de la « gestion de soi » par « l’auto-mesure » connaît actuellement un grand développement. « Biberon qui calcule la durée des repas et la vitesse de tétée de bébé, ceinture auto-ajustable qui vous prévient quand vous prenez du tour de taille, capteur d’activité combiné à des modèles “biomathématiques”, casque audio équipé d’un capteur de rythme cardiaque pour la course, montre qui surveille le sommeil, pilulier, seringue d’insuline ou brosse à dents connectées… Tous ces objets comme les applications mobiles de quantified self (littéralement le “soi quantifié”) ou l’analyse biométrique s’affirment comme l’un des axes de la politique de santé du futur », affirme par exemple un article. Sera-t-elle une politique de santé publique est une autre question. Mais celleci tout au moins est basée sur le « contrôle » librement consenti au nom de l’individu. La reconfiguration néolibérale de l’État va de pair avec le développement du marché de la santé. Celui-ci n’est d’ailleurs pas seulement fondé sur le développement de nouveaux médicaments par la puissante industrie pharmaceutique, ni même par la seule promotion de l’automédication, mais aussi par des changements démographiques comme le vieillissement de la population qui porte le développement d’une « Silver Economy ». L’État aurait même tendance à accélérer le phénomène avec par exemple l’instauration de franchises médicales, ou du déremboursement de médicaments jugés « de confort »… Autant de mesures qui visent finalement à diminuer la part socialisée des dépenses de santé et développer un marché privé de la prise en charge du risque. Ces tendances, dans le contexte de l’affaiblissement de la société salariale qui a longtemps constitué la base du système de santé public, conduisent finalement à penser que la biopolitique est en train de passer des mains de l’État à celles du marché. Autrement dit, le pouvoir sur les populations qui était celui de l’État semble être désormais un pouvoir du marché sur les individus, ces derniers n’étant plus une force de travail à entretenir, mais bien un ensemble de consommateurs individuels animés par le « souci de soi ». 1 Michel Foucault, Dits et écrits, Paris, Gallimard, 2001, p. 1013. 2 Michel De Certeau, L’invention du quotidien, UGE, 10/18, 1980. 3 Didier Fassin, Faire de la santé publique, Rennes, Presses de l’EHESP, 2005. 4 Pierre Bourdieu, Sur l’État, cours au collège de France 1989-1992, Paris, Éd. du Seuil, 2012. 5 Robert Castel et Claudine Haroche, Propriété privée, propriété sociale, propriété de soi, Paris, Fayard, 2001 ; Robert Castel, L’insécurité sociale : qu’est-ce qu’être protégé ?, Paris, Éd. du Seuil, 2003 ; Robert Castel, La montée des incertitudes : travail, protections, statut de l’individu, Paris, Éd. du Seuil, 2009. 6 Pierre Bourdieu (sous la direction de), La misère du monde, Paris, Éd. du Seuil, 1993. 7 Alain Ehrenberg, La fatigue d’être soi, Paris, Odile Jacob, 1998.
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FROM THE PLANNED DEFEAT OF COLLECTIVE PROTECTIONS TO THE EMERGENCE OF THE RESPONSIBLE AND CONNECTED SUBJECT Olivier Chadoin I’m going to talk about the French case because it is the one I know. Also, it is quite special because of the existence of a public health system born after the Second World War: that of social security. First, a question: how does sociology look at the issue of health? Let us say it straightaway: sociologists seem, so far, to be more interested in doing two types of sociology: — a sociology of medicine (the medical profession for Eliott Friedson, the hospital as an institution for Erving Goffman, the relationship between sick and doctor for Aaron Cicourel); — a sociology of the disease (social determinants and inequalities in the face of the disease, the experience of patients, inequalities of access to care…). The notion of “public health” is not a sociological concept. Indeed, it refers to a singular sector in France (it even has its own magazine). That is because the notion of “public health” is a field of action of the State and public policies. Talking about “public health” is therefore for a sociologist first, and foremost, to engage a sociology of state and public action. This sociology can take two complementary directions: — the study of the genesis of the state and its mechanisms of action in the wake of Foucault’s
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work on “biopolitics”; — the analysis of the social construction of public problems and “tate acts” as suggested by Pierre Bourdieu in his course on the State of the Collège de France or the important work of Robert Castel on “social protection”. I would like here, by taking inspiration from these three authors (Pierre Bourdieu, Michel Foucault, Robert Castel), to propose a reflection on the social construction of the notion of public health on the one hand, and on the current difficulty to be able to think with Foucault the public health and the State today. I would like, on this subject, to try to show how the criticism of a “biopouvoir” seems to me insufficient today. This, to the extent that it misses the gradual transition from a system based on “populations” to a system based on “the subjects” against a backdrop of shrinking public action for the benefit of market agents.
1. THE DEVELOPMENT OF PUBLIC HEALTH BY FOUCAULT Foucault’s work clearly shows the genealogy of public health medicine. How, from the second half of the eighteenth century, emerges an interest in the health issues of the population. The
better knowledge of diseases, the Pasteurian medicine, combined with a strong political will make public health an institution and a discipline. This attention to the health of the population will grow much with the industrial revolution. The ruling classes quickly understand that the health of the working force is an issue for the prosperity of business… The fight against diseases, the teaching of sanitary regulations and the development of epidemiology as a discipline will then assert itself, at the same time as the state develops the first elements of an insurance system social. For Foucault, this birth of public health, and what he calls “the concern for life”, (“le souci de la vie”) is decisive. It is directly related to the development of a new power: a biopolitics (“biopolitique”). “Life has now become, from the eighteenth century, an object of power. Life and the body. In the old days, there were only subjects, legal subjects whose property could be taken out, life too, for that matter. Now, there are bodies and populations. Power has become materialistic. It ceases to be essentially legal. He has to deal with real things that are the body, the life. Life enters the field of power1” explains Foucault.
In other words, public health, practices, institutions and related knowledge (epidemiology, demography, insurance and social protection) become the instrument of biopolitics. But above all, the development of this “device” corresponds for Foucault to a “state of biological” (“étatisation du biologique”). The state now considers the health of populations and its responsibility. Not the health of the individual but of the population as a whole, bodies and lives understood as elements of a whole. It is in this sense that the term “public health” has to be understood in relation to the distinction it suggests between individual and collective health, or even community health (but that is another subject). The birth of public health marks a historical moment of change. With biopolitics, the action of the power in place upon the life of populations develops, and this goes along with the surveillance of the individual and the disciplinary power. This analysis gave rise in the 1970s to numerous studies that showed the social control dimension, and its risks in state health policies2. Preventive policies, the medicalization of society… and its risks are thus regularly denounced.
There remains one question: that of the State. We have seen that it is at the center of Foucault’s analysis of public health. However, the State of which Foucault speaks at the end of the 70s is probably not the same State that we know at the time of neoliberal policies. Similarly, as Didier Fassin says, this emphasizes the ability of individuals to resist or face the policies of the State by “tactics” (“tactiques” from de Certeau): In order to verify the effectiveness of this proclaimed or denounced biopower, one must ask oneself what it really is […] but that it is a long way from being fulfilled3.”
2. THE CONSTRUCTION OF A PUBLIC PROBLEM AND THE RISE OF PROTECTIONS: BOURDIEU AND CASTEL For Bourdieu (who, in the course on the State, does not mention the issue of public health) an analyze of the State is first of all an analyze of what he calls the “acts of State”. That is to say, these acts from the most common (the issuance of an identity card, a driving license, a leaflet…) to the strongest that can affect all of a sector of social life (housing reform, of the University…). The strength of his actions and this “power of the State” is based
on what he calls a bureaucratic field. This field is a space where positions and points of view are confronted. This is where commissions, reports, consultations “fabricate” or “build” the problems of the State. It is through this process that the legitimization and universalization of these issues are also realized as “public problems”. This is what Bourdieu calls “ magic of the State” (“magie d’État”). So, we are far from biopolitics here. It is a question of considering the public action as the product of the practices and representations of the agents engaged in a field. Moreover, these practices and representations are determined by the position of these agents in this field according to the conventional diagram disposition/position/ position-taking (disposition/position/prise de position). Pierre Bourdieu, for example, applied this method, for analyzing the space of positions and position-takings in the production of housing policies. He relies frequently on this case in his course “On the State”. In this case, he shows how the changes in the bureaucratic field, during Valéry Giscard d’Estaing”s seven years, redistribute forces in this field. How can the previously dominant vision of housing policy be defeated by a more “liberal” and “individualistic” vision, shifting this policy from “aid to stone” to “aid to the person”. According to this vision, “public health” is not a fixed object, carried by a power, but an issue of social construction always rediscussed within a field between positions. In other words, it is an issue that is the subject of positions that, from committee to debate, is probably at the center of a struggle for definition. And indeed, what Robert Castel shows, is that it is through a long process of construction that has developed what he calls a social State and therefore a policy of “public health”. For him, who collaborated with Michel Foucault, this social State (and not the welfare State) was built by making protection (with social insurance) a pillar of citizenship in a “wage society”. How does he explain that? First, there is one thing: the strongest vector of inequality is insecurity. In the 19th century, the one who possesses nothing but his labor power to live is incapable of protecting himself from illness, old age or disability, which will render his work impossible. It is therefore in a situation of “social insecurity” and this insecurity is social to the extent that it can generate class struggles, insurrections… and thus threaten the social peace necessary to the possessing classes. For Castel, the development of social protections (pensions, disability, health insurance…), is first of all a response to this question of social insecurity, and the need for a capitalist system to put and maintain masses at work. We thus move from a system of “close protection (family, village, community support) to an insurance system in which the social state (the left hand of the state for Bourdieu) plays a central role. Contributions and insurance, now attached to the work, will allow the pooling of risks, but also the development of a policy of
education and health. But above all, for Castel, the development of what he calls “social properties” (“propriétés sociales”). What does he mean? This is simply the equivalent of ownership for nonhomeowners. In other words, social protections will allow workers to gain some independence— Castel calls it: “self-ownership” (“propriété de soi”). It is also through the solidarity of an insurance system that a certain autonomy, or freedom, is built up for individuals. It is in this sense that the idea of ”public health”, with this singular, and very Durkheimian idea finally develops, which is that “the property of oneself ” (“propriété de soi4”), the autonomy of the individual, would be born social protection, collective “propriété de soi” from Castel. This social construction that is “public health” is therefore indissolubly linked to the State but also to the wage society. From this point of view, the development of “public health” can be seen as both a vector of social emancipation, but also one of the elements that allowed the wage society and capitalism to consolidate without the inequalities being erased. Let’s just say that in the wage and industrial society, and in the framework of a nation-State, this system of protection has been a singular form of “social contract”, a way of “making society.” Contrary to Foucault, the positions of Bourdieu and Castel are therefore attached to describe the formation of the State and its action as historically situated products and to distinguish “right hand” and “left hand”, or State and social State. In this sense, the “public health” policies are not seen at home as the expression of biopolitics of a power acting upon the bodies and the populations, but as social constructions resulting from a compromise linked to a certain state of capitalist society.
3. THE PLANNED DEFEAT OF COLLECTIVE PROTECTIONS AND THE EMERGENCE OF THE RESPONSIBLE AND CONNECTED SUBJECT The question now is whether we are still in this state of society and what is the model of “public health” that is developing today, in the era of post-industrial capitalism. Robert Castel himself was also worried in his latest work on the new rise of “social insecurity”, as collective solidarities weaken and an individual “empowered” his own protection, thus engaging a “disaffiliation”. Similarly, Pierre Bourdieu saw clearly in the early 1990s, with the publication of La misère du monde that the left hand of the State was threatened. He denounced the work of deconstruction of a public morality, a philosophy of collective responsibility, and pointed out the consequences of the withdrawal
of the State and the rise of neoliberal policies. It is also against the new neoliberal order that he defended the strikers of December 1995, launched the States General of the social movement in 1996, helped the movement of unemployed during Winter 1997, and finally created the publishing house “Raisons d’agir”… In other words, where Foucault makes it possible to realize a critique of the State and its power over the “population”, Castel and Bourdieu show the narrowing of the State in favor of neoliberalism and especially the reduction of collective solidarities and “individualisation”. “Protections and accountability”. In other words, if Foucault allows the criticism of a device that addresses the “populations”, and criticizes the State, it does not seem to help us to think about the present time, which is that of the “withdrawal of the State”. However, Foucault himself pointed to the new use of the notion of “individual empowerment” in the neoliberal “art of governance” in which the state, in his opinion, leads an “active policy without planning control” (“politique active sans dirigisme5”). What is the status and direction of public health policies today? It can be summarized, in my opinion, in a few words: empowerment and individualization, connection, financialization. I will describe these trends fairly quickly because we could spend hours there… Accountability and individualization: the type of government currently exercised over each individual is not here to establish a relationship of obedience or dependence, as in the welfare State. Conversely, it requires the individuals to empower themselves and to “take responsibility”. This speech has become so commonplace that even in France a Prime Minister (socialist but probably right-hander annoyed…) could speak of “sociological excuses” about attempts to understand the social conditions of existence of individuals. There is therefore a reorganization of the State that involves the transfer of its social responsibilities to individuals and private institutions. It is even the role of the State that is stigmatized, by designating as “assisted” the one who benefits from its help, thus disqualifying its social function. The material support of oneself, the capacity to take care of oneself, to pursue one’s projects… are now largely at the center of the neoliberal modes of government. Accountability, individual action become the value of reference, as the “valuation of the individual flexible, mobile, autonomous, independent, which finds its bearings in life itself and is realized by his personal action.” An individual who is therefore summoned to become “the entrepreneur of his own life”(“entrepreneur de sa propre vie”), in a society that values interindividual competition at will. However, at the same time, individual guilt constitutes the second face of this phenomenon. This denotes all the ambiguity of this myth of modern man, since social success is simultaneously a freedom that offers itself potentially to all and as a norm for everyone, with “the initiative of individuals [who] pass to the first plan of criteria that measure the
value of the person” (Ehrenberg, 1998). Numerous analyzes have pointed out the consequence of this individualization, which is a consequence, a “psychologisation of the social” which developed in the 1990s. The other consequence of this phenomenon is of course the erasure of social and political questions and the culpabilisation of individuals. Public health media messages thus disseminate norms and counsels of behaviors and hygiene of life, so that individuals appropriate these messages and apply them on a daily basis, so as to persuade and make people believe that it is upon their responsibility, their behavior and their self-control that the collective well-being depends. Connection: this responsible individualization is coupled with another trend. That of connected management of self, called connected health or e-health… We speak today about “connected health”, that is to say the development of device to monitor health, the good taking treatment by patients, and even, to a certain extent, a predictive medicine that is very useful for insurers’ risk calculation… I invite you to consult the site santéconnectée.fr, it’s a wonderful find! More seriously, here is what we can read about it, on the site of a start-up which develops a “connected defibrillator”. This is worth a long quote because the purpose is really symptomatic of the use of new technologies at the service of the neoliberal individualisation of health. The article begins with this statement: “Trends in the latest CES (Consumer Electronics Show), held in Las Vegas in January, show that the technological future is clearly geared toward medical: the space dedicated to health startups has increased by 40% between 2014 and 2016.” And that’s completely logical! Then, he develops what he calls the “quantified self ” in these terms: “While man is able to explain the world around him, and to put in equations complex phenomena, the individual does not know that too little the state of his body and his health at a precise moment. ‘Am I healthy? Do I need to go to the doctor?’ We only get answers to these questions when we visit the doctor. But we go on average only four times a year, and it is often necessary to make an appointment several weeks in advance […] the connected objects allow today to have a regular and personalized follow-up of its health”. Finally, connected health is touted as a “guarantee of autonomy and serenity” and explains that “wellused, the expected benefits are to relieve the overworked medical staff, reassure families and preserve the autonomy of patients.”
combined with ‘biomathematical’ models, headphones equipped with a sensor heart rate for running, watch that monitors sleep, pillbox, insulin syringe or toothbrush connected… All these objects like mobile applications of quantified self (literally the ‘self quantified’, or biometric analysis) assert themselves as one of the axes of the health policy of the future”, says an article. Will it be a public health policy, that’s another question… What is certain is that it is based on the “control” freely granted in the name of the individual… Financialization: the neoliberal reconfiguration of the state goes from peers with the development of a health market. It is not only worn by the development of new drugs by the powerful pharmaceutical industry, or even by the mere promotion of self-medication, but also by demographic changes as the aging of the population that carries the development of a silver economy. The State would even tend to accelerate the phenomenon, with for example the introduction of a medical franchise, the disbursement of drugs deemed “comfort”… in short, all sorts of measures that ultimately aim to reduce the socialized share of health expenditure and develop a private market for risk management. Again, we could spend hours for the cases are numerous… These trends, in the context of the weakening of the wage society that has long formed the basis of the public health system, finally lead to the belief that if there is biopolitics, it is being transferred from the hands of the State to those of the market. In other words, the power over the populations which was that of the State seems to be from now on a power over the individuals which is that of the market which sees in the individuals no longer a workforce to be maintained but a set of individual consumers animated by the “self-care” (“souci de soi”). 1 Cf. « Les mailles du pouvoir » in Dits et écrits, Gallimard, 1994, Tome 2, p. 1013. 2 Cf. For example Ivan Illich, Némésis médicale, Seuil, 1975. 3 Cf. Didier Fassin, Faire de la santé publique, EHESP, 2008 and Jean-Pierre Dozon, Didier Fassin (dir.), Critique de la santé publique, Balland, 2001. 4 Cf. Robert Castel, Claudine Haroche, Propriété privée, propriété sociale, propriété de soi. Entretiens sur la construction de l’individu moderne, Paris, Fayard, 2001. 5 Cf. Naissance de la biopolitique, Cours au Collège de France, 1978-1979, Paris, Gallimard/Seuil, coll. « Hautes Études », 2004, p. 137.
In short, you understand! Connected health offers a broad market driven by the movement of individual responsibility for health. For example, a connected scale can tell you what kind of plan to follow or buy, the data collected on your health, if you accept it, will allow your insurance to modulate your health contributions according to risk… This development of “self-management” by “automesure” is currently experiencing a great development. “Bottle that calculates the duration of meals and baby feeding rate, self-adjusting belt that warns you when you take the waist, activity sensor CRITIQUE
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AFROFUTURISM DANCE THERAPY Ytasha L. Womack Une révolution sans danse est une révolution qui ne vaut pas la peine. Citation attribée à Emma Goldman, écrivaine, féministe, activiste
Mon enfance a été immergée dans le monde de la danse. Mes amis étaient des danseurs, les membres de ma famille étaient des danseurs. Toute ma vie sociale était traversée par la danse et les mutations du hip-hop et de la house étaient inévitables. Avec le hip-hop émergeant de la danse post-moderne dans les années 80 et la house de Chicago/Detroit dans la continuité des mouvements freestyle de la disco, le monde était à mes yeux une immense salle de bal tourbillonnante. À l’âge de 6 ans, mes parents m’ont inscrite à l’Académie Mayfair. Fondée par Tommy Sutton dans les années 1950. Sutton était un danseur de claquettes afro-américain et cette académie cherchait à faire découvrir le ballet, la danse, le jazz et les styles de danse afro-cubains aux enfants afro-américains du South Side de Chicago. De 6 à 17 ans j’ai pris religieusement des cours dans cette école, surtout des cours de claquettes. Nos costumes étaient éblouissants de boas, de paillettes et de chapeaux à plumes. Je suis sûre que nous rivalisions avec le « plus grand spectacle du monde » rien qu’avec nos costumes. Je faisais partie du groupe de danse en tournée de l’école. Adolescente, je me suis aussi inscrite à des cours de danse moderne et contemporaine dans mon école secondaire, « Whitney Young ». Je faisais partie de la troupe en tournée et j’étais capitaine de mon équipe de pompom. Mais mon rapport à la danse a commencé bien avant mon inscription à Mayfair. Mes parents et ma famille étaient des « steppers », une danse de couple qui a évoluée à partir des années 50 et qui est devenue une danse so-
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ciale de base à Chicago et dans certaines parties du Midwest. Moi aussi je devais apprendre à stepper, je devais me familiariser avec toutes les danses pratiquées par ma famille, dans une sorte d’étude ethnographique informelle où je devais aussi connaître les musiciens préférés de leur enfance. Ce sont ces bases de la danse de couple qui m’ont conduites par la suite à la salsa une fois adulte. Au collège, j’étais dans l’équipe de danse. Et c’est à Atlanta que j’ai lentement appris que tout le monde ne dansait pas, ou du moins, que le monde entier n’était pas immergé dans le monde des steppers et de la musique House si populaire à Chicago. Atlanta était surtout connue dans les années 90 et 2000 pour le Miami bass, un style de hip-hop, ou d’une danse populaire de la Nouvelle-Orléans appelée Bounce (rebond) qui allait évoluer dans la fureur du twerk. Dans un pays où le rap et le bounce du sud étaient omniprésents, je recherchais des scènes house underground parce que je pouvais jouir de la liberté de cette musique ; une musique qui permettait de combiner n’importe quelle expérience de danse et de styles sur le dancefloor. Dans le monde de la house, on pouvait faire n’importe quel mouvement. Vous pouviez balancer des mouvements afro-cubains puis enchaîner avec le poirier et tout le monde s’en foutait un peu. Après la fac je suis devenue journaliste. Je vivais à nouveau à Chicago et même si la house n’avait pas la popularité du hip-hop du début des années 2000, elle était encore reine à Chicago et se répandait sous diverses formes en Europe, au Brésil et en Afrique du Sud. Je fréquentais des clubs de house, mais je suivais aussi plusieurs cours de danse : salsa, flamenco, samba, tango. À cette époque, mon attirance pour les cours de danse faisait partie d’une recherche plus profonde. Je pen-
sais que je cherchais un style de danse que je pourrais adopter et faire toute ma vie. Je cherchais un style avec lequel me connecter et que je puisse par la suite explorer profondément. J’imaginais que je deviendrais danseuse de salon amateure ou que je participerais au congrès mondial de salsa. Et j’ai commencé à faire régulièrement des étirements et du yoga. Pendant quelques années, j’ai été consumée par le travail. Je dansais moins et mon physique commençait à me renvoyer mon stress et mon inactivité. En 2007, je me suis mise à un régime de fitness. Je courais 1,5 km et je suivais la vidéo d’entraînement de Core Rhythms. Cette vidéo utilisait la salsa, le merengue et la samba comme base pour des exercices. C’est à cette époque que je me suis rendue compte que j’avais besoin de danser pour faire du sport, pas seulement pour des raisons physiques, mais aussi pour évacuer le stress et pour me sentir bien. J’étais beaucoup plus ronchonne sans danse. Je pouvais maintenir mon poids idéal plus facilement quand je dansais pour faire du sport mais aussi pour le plaisir de danser régulièrement. La danse a amélioré ma qualité de vie. J’étais plus heureuse, j’y voyais plus clair et je vidais mes frustrations dans la danse. J’étais beaucoup plus détendue une fois complètement étirée. Puis, plusieurs années plus tard, on m’a initiée à la thérapie par la danse. Durant toutes mes années de danse, je n’avais jamais entendu parler de Dance Therapy. Il s’agissait d’une série d’ateliers qui encourageaient la méditation respiratoire, la visualisation, la danse freestyle et appartenaient à un programme de méditation plus large. Et je me suis rendue compte que la danse était thérapeutique pour moi. J’avais besoin de danse. La danse, le freestyle en particulier, créait une sensation que ne
me procurait pas le jogging, le pilates ou le vélo. La danse me donnait un espace d’expression. Mais je me suis aussi rendue compte que les rotations de la hanche et les mouvements de base qui sont au coeur de la plupart des danses africaines « diasporiques » étaient une excellente façon de travailler les « zones à problèmes », comme les abdos, les rondeurs, les cuisses, etc. Mais jusque là, malgré mes années de danse, je ne me voyais pas comme une danseuse. J’aimais la danse, j’avais étudié la danse. Tout le monde dansait, du moins c’est ce que je pensais à l’époque, donc il n’y avait pas besoin de se revendiquer de la danse… Les gens qui se faisaient appeler « danseurs » étaient des professionnels payés pour ça. Ils étaient à la Ailey School ou sur scène de par le monde. Mais j’avais tort. Tout comme j’ai dû affirmer à un moment que j’étais une artiste, j’ai aussi dû assumer que j’étais une danseuse. Une fois cela énoncé, j’ai été surprise de ne pas l’avoir fait plus tôt. La raison pour laquelle je n’avais pas assumé le fait d’être « une danseuse » est la même raison pour laquelle beaucoup de gens sont embarrassés à l’idée de se dire « artiste ». Bien que le monde de mon enfance ait été riche en danse, adulte j’ai dû travailler activement à construire un monde où la danse était valorisée. Je me suis plongée dans ces milieux parce que le reste du monde ne dansait pas, parce qu’il était souvent gêné par cette forme d’expression et parce qu’il insistait à voir dans la danse quelque chose de fondamentalement sexuel. Dans certains cercles, se dire danseuse était un moyen de se présenter en tant que strip-teaseuse. Dans d’autres milieux, les gens ne voient pas vraiment la différence entre un danseur de salsa, quelqu’un qui danse à une fête et
une danseuse érotique. Mais si la danse érotique existe bien, le fait de ramener par défaut la danse à un phénomène intrinsèquement sexuel, conçu pour brancher ou impliquant forcément une forme de séduction, entrait en conflit avec mon expérience familiale dans laquelle les oncles dansaient avec leurs nièces, les sœurs avec leurs frères et les mères avec leurs fils. Là encore, ce rapport normalisé à la danse indiquait clairement que si quelqu’un n’est pas payé pour ce travail ou n’a pas reçu une quelconque médaille dans ce domaine, tout rapport à la danse fondé sur le plaisir ou les relations humaines est disqualifié comme étant futile. Les gens qui aiment danser dans des contextes sociaux sont considérés par les non-danseurs comme « voulant attirer l’attention » ou comme étant « trop libres » dans un environnement où une forme d’homogénéité est synonyme de sécurité. Mon amour pour la danse a troublé mes amis « non-danseurs », lesquels il me semblait, auraient bien aimé danser plus souvent mais avaient simplement peur. Le fait de danser lors de certains événements en tant qu’adulte m’a rendu « différente », « sauvage » ou « non-conventionnelle ». À quel moment est-ce que danser dans une fête est devenu « non-conventionnel » ? Dès lors, assumer que j’étais danseuse m’a permis de comprendre plusieurs choses. Malgré mes années de danse, je devais me battre contre une norme sociale croissante qui ne voyait pas de place pour la danse pour toute personne ne se présentant pas comme professionnelle. J’ai aussi reconnu que je m’étais socialisée par un mode d’expression très naturel pour moi. J’ai entendu souvent les gens dire : « avant je dansais tout le temps. Que s’est-il passé ? ». En tant qu’adulte, danser publiquement est déterminé par un certain nombre de facteurs. Les gens
dansent habituellement dans les clubs. Mais les clubs peuvent avoir tout un tas d’aspects positifs ou négatifs qui n’ont rien à voir avec la danse. En général, nous sommes souvent amenés à danser dans des circonstances précises : dans un club, sur une chanson précise avec une danse particulière, dans un événement spécifique ou pour danser suivant un style défini. À mesure que ces opportunités diminuent ou que les gens arrêtent simplement de chercher de tels endroits, la fréquence avec laquelle ils dansent diminue. Pourtant la réalité est que nous n’avons pas besoin que notre Dj préféré lance le son ou d’attendre une fête par an pour danser. Il n’est pas nécessaire d’attendre de baisser les lumières ou que la nuit tombe pour se sentir libre de danser non plus. Il n’y a pas besoin de partenaire. La danse peut faire partie d’une pratique matinale, d’un rituel quotidien et être pratiquée seul. Que les gens soient en groupe, dans un cours, sur une piste de danse ou à la maison devant le miroir, la danse est importante pour aider les gens à se connecter à eux-mêmes et plus largement à l’univers. J’ai développé une pratique personnelle de la danse qui comprenait des méditations respiratoires, des étirements, des pas basiques de danse et des danses freestyle. Étonnamment, j’ai développé cette pratique peu de temps avant d’avoir connaissance du terme d’Afrofuturisme. L’Afrofuturisme est une façon de regarder l’avenir ou de développer des réalités alternatives d’un point de vue africain, par le prisme de la diaspora africaine. En découvrant ce terme, j’ai réalisé que j’étais Afrofuturiste et que je l’avais été sans le savoir. Mon enthousiasme pour la science, l’histoire, l’avenir et la métaphysique étaient des sources évidentes. Mais c’est mon expérience de la danse sous de nombreuses formes qui m’a permis d’entrevoir des relations entre la danse continentale de la diaspora africaine et l’Afrofuturisme. J’ai aussi vu une relation tangible entre la danse House freestyle et l’Afrofuturisme. Dans mes recherches et explorations sur l’Afrofuturisme, il m’a semblé que tout le monde était un peu facilement prêt à parler de son esthétique dans les arts visuels, la bande dessinée, la musique, le cinéma mais que personne (à ma connaissance) ne regardait la danse comme Afrofuturiste. La Black Existentialism Conference de Pittsburgh a rassemblé un panel de philosophes et de danseurs présentant chacun leur travail. Un chercheur a noté que la danse du ventre était la danse la plus ancienne parmi celles que nous étudions actuellement. La danse du ventre a été enseignée à l’origine aux femmes à un âge précoce en partie comme une mesure préventive pour soulager les crampes menstruelles, les douleurs provenants de l’accouchement, ainsi que d’autres problèmes de santé liés aux organes reproducteurs. Ces danses anciennes, souvent stigmatisées dans le monde occidental pour leur aspect sexuel, étaient soudainement enrichies d’une tradition sanitaire. Jusqu’à récemment, les danses africaines et autochtones étaient dénigrées par le monde occidental puisque également jugées trop sexuelles. Ce n’est qu’à partir des travaux de l’anthropologue Kathe-
rine Dunhams sur l’importance des danses religieuses d’origine africaine et de danses autochtones des Caraïbes et de l’Amérique Latine dans les années 40, ainsi que la mode de la danse afro-cubaine des années 50 et l’ascension du rock & roll avec ses racines blues sensuelles, que les stigmates ont commencé à tomber. Aujourd’hui, il est possible de suivre des cours de pole dance ou des ateliers de twerk, mais de manière générale, il y a toujours une sursexualisation de la danse, en particulier des femmes qui dansent. Bien qu’il n’y ait rien de mal à ce qu’une danse puisse être sexuelle, la danse par nature n’est pas toujours sexuelle, et le degré auquel elle l’est ne fait pas d’elle quelque chose de mal. Les mouvement des hanches, du bassin, du torse et du buste sont fondamentalement sexualisés. Alors que pour les hommes, le déplacement de ces zones peut être considéré comme « féminin ». Les mouvements de piétinement et de bras pour les hommes peuvent être interprétés comme « agressifs ». Il y a une retenue pour les spectateurs et les curieux à se réconcilier avec des mouvement libres. Certains aussi ont peur de l’euphorie de la danse ainsi que de danses qui ne relèvent pas d’une catégorie précise. La danse Afrofuturiste, et c’est qui m’enthousiasme, encourage le mouvement de parties du corps que la société ne bouge tout simplement pas. En tant que personnes qui habitent des corps, nous devons déplacer nos hanches, nos épaules, notre bassin, notre torse et nos chevilles. Cependant, dans notre vie quotidienne, une vie dans laquelle nous sommes assis pendant des heures face à un ordinateur portable ou dans laquelle nous conduisons des voitures pour éviter de marcher, nous n’avons plus besoin de bouger ces zones. La thérapie de danse Afrofuturiste aide les gens à déplacer ces zones sous-utilisées et leur permet de se connecter avec leur danseur/danseuse intérieur.e. Au fil de mon travail d’écriture, je me suis jointe au programme artistique du Beverly Arts Centre et j’ai commencé à enseigner la danse à des élèves de l’école élémentaire à Chicago. En fait, j’ai écrit le livre Afrofuturisme1 tout en enseignant quatre jours de danse hip-hop et de yoga par semaine à un groupe d’élèves d’école maternelle afro-américains. C’était surréaliste à bien des égards, mais finalement, j’ai appris à quel point la danse était naturelle pour les enfants et à quel point ils aimaient s’étirer et bouger avec la musique. J’ai continué à travailler avec ce programme et plus tard j’ai lancé un programme de danse Afrofuturiste dans le cadre d’un cours pour adultes au parc de Tuley. Dans ce cours, nous avons commencé par des méditations respiratoires et des mouvements de danse sélectionnés pour stimuler des chakras spécifiques. Après quoi nous nous sommes lancés dans la danse freestyle inspirée par la house. Nous avons ensuite fait des exercices avec des objectifs précis et nous avons discuté de ce que cela produisait de bouger nos corps. Beaucoup d’adultes ont mentionné que le déplacement de leur bassin les a aidés à libérer l’angoisse qu’ils avaient de bouger cette zone. D’autres ont parlé de la découverte de nouvelles libertés. J’ai ensuite réalisé ce cours l’After School Matters, un programme pour adolescents pendant l’été
2017. Quatre jours par semaine, plusieurs heures par jour pendant tout l’été j’ai travaillé avec un groupe d’adolescentes. Nous avons fait des exercices de respiration et des mouvements de base, des étirements et du yoga. Je menais des ateliers de danse ouest-africaine, des ateliers de samba, des ateliers de salsa et nous avons été exposés à toute une gamme de musiques de la diaspora africaine, de l’Afrobeat nigérian à la house sud-africaine en passant par la rumba afro-cubaine. Nous avons également fait beaucoup de travail en groupe. Les élèves étaient divisées en groupes, elles identifiaient une constellation de phénomènes qu’elles aimaient, elles apprenaient et elles chorégraphiaient une danse. Les étudiantes étaient regroupées en « catégories de déesses ». Elles pouvaient choisir d’être une déesse de l’air, du feu, de l’eau ou de la terre. Chaque groupe faisait un mouvement de freestyle incarnant leur élément. Elles ont aussi chorégraphié une danse en groupe. Les étudiantes ont aussi imaginé des projections d’avenir. Elles ont écrit ce qu’elles aimeraient voir advenir dans leur avenir personnel, dans le futur pour le monde et ont fait des mouvements de freestyle individuels et de groupe. L’exercice de projection dans le futur était le plus révélateur. Certaines élèves avaient l’impression de danser pour un futur public, alors que d’autres avaient l’impression de danser pour des ancêtres ou pour ceux ayant contribué au monde dans le passé. En fait, les élèves ont établi des liens très naturels avec leur propre corps, avec la nature et se sont sentis liées à un sens plus large de l’humanité qui transcendait le temps. Elles ont commencé à se voir comme faisant partie d’un continuum de personnes. La partie la plus gratifiante était de regarder les étudiantes en visite à l’Art Institute. La plupart des objets d’art antique qu’elles regardaient, qu’ils soient du Bénin du XVIIIe siècle, de l’Inde du VIe siècle, ou du Japon du IIe siècle,
étaient des masques, des statues de déesses ou d’autres objets incarnant des danses ou des déesses de danses. Plus tard, elles ont vu des expositions de vidéos sur le chanteur Paul Robeson et l’exposition de Cauleen Smith où elle montrait les couvertures de livres la présentant comme féministe et Afrofuturiste. La combinaison de ces travaux et de nos discussions ont aidé les étudiantes à imaginer de nouvelles relations et à gagner en confiance. Leur confiance retrouvée était palpable quand par exemple, ayant repéré un adolescent à l’extérieur du musée qui jouait sur un seau en guise de tambour, elles ont, en groupe, formé un cercle et commencé à danser individuellement. Elles ont même encouragé certains passants à se joindre à eux. Chaque session comprenait un exercice quotidien d’écriture. Les étudiantes écrivaient des articles de journal, elles réfléchissaient à l’exercice du jour et créaient aussi des histoires en groupe ou individuellement. Elles construisaient aussi des mythologies. Nous avons eu des discussions sur le rôle de la danse dans le monde et avons un peu parlé d’identité. Les adolescents ont vraiment été liés par ces exercices et leur développement a été très impressionnant. J’ai aussi exploré la puissance de la danse dans mon film A Love Letter to the Ancestors From Chicago (Une lettre d’amour aux ancêtres de Chicago) qui mettait en vedette une panoplie de danseurs, de musique moderne, de claquettes et de footwork de la scène house de Chicago. Le film a été projeté dans des festivals à travers le monde et est une ode Afrofuturiste à la façon dont le corps, à travers la danse, peut connecter tous les espaces et les temps. Tourné au printemps 2017, le film a d’abord été projeté au Black Harvest Film Festival de Chicago en août et présenté à l’Afropunk à New York, au festival Black(s) vers le Future à Paris et à la Fiesta de la Cultura Iberoamericana. Le film a même remporté le prix du meilleur film expérimental au Collected Voices Film Fest. A Love Letter to the Ancestors from Chicago est un film de danse de 14
minutes avec de la musique samba de Shannon Harris et de future funk de Ras G. Les danseurs interprètent des solos dans un certain nombre de lieux qui ne prennent vie que grâce à leur performance. Il y a même une scène de danse où les danseurs viennent d’une autre planète pour rendre visite à « the Mothership » portant leur chef, le pionnier du funk George Clinton. Le film met l’accent sur la danse en tant que langue, une idée que j’ai renforcé quand j’ai étudié la salsa et la rumba à La Havane, Cuba. Je ne parlais pas couramment l’espagnol à l’époque, mais ma connaissance de la danse formait des liens dont je ne pouvais que rêver. En clair, j’ai découvert que la danse aide à connecter les gens à leur propre humanité. La danse défie les conventions et crée un espace altéré où les personnes peuvent plonger dans la mer de l’expression de soi et en sortir renouvelés. Il existe tellement de choses dans notre société qui nous déconnectent de nos corps, les uns des autres, ainsi que de nos propres réflexions. L’Afrofuturism Dance Therapy est un moyen de reconstruire une confiance et des relations saines avec notre corps et avec le meilleur de notre humanité. 1 Ytasha L. Womack, Afrofuturism: The World of Black Sci-Fi and Fantasy Culture, Chicago, Chicago Review Press, 2013.
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AFROFUTURISM DANCE THERAPY Ytasha L. Womack If I can’t dance, I don’t want to be part of your revolution. Sentence credited to Emma Goldman, writer, feminist, activist
My childhood was immersed in the world of dance. My friends were dancers, my family were dancers. My entire social life was perculating with dance and the transformations in hip-hop and house music dance scenes were unavoidable. With hip-hop kicking off the realm of post modern dance in the 80s and the Chicago/Detroit house music scenes continuing the freestyle movements celebrated in disco, the world in my eyes was one grand swirling ballroom. At the age of 6 my parents enrolled me in Mayfair Academy. Founded by Tommy Sutton in the 1950s, Sutton, himself an African American tap dancer, sought to introduce formal ballet, dance, jazz, and Afro Cuban, West African dance styles to mostly African American children on the South Side. From age 6 to 17 I took classes at this school religiously, with a special focus on tap dance. Our costumes were bedazzled with boas, sequins, and feathere hats. I’m sure we rivaled the “Greatest Show on Earth” in regalia alone.
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I was a part of the school’s touring performance group. As a teen, I also enrolled in advanced dance modern and contemporary classes at my high school, Whitney Young, performed with the touring group, and was captain of my pom pom squad. However, my introduction to dance began long before I enrolled in Mayfair. My parents and extended family were “steppers” a partner dance that evolved from the bopping of the 50s and became a core social dance in Chicago and parts of the midwest. I, too, had to learn how to step, just as I had to be familiar with all the dances my family learned, in an informal ethnography study where I also had to know their favorite childhood musicians as well. This foundation in partner dancing would lead me to the salsa dance scenes as an adult. In college, I was on he dance team. It was in Atlanta, that I slowly learned that everyone does not dance, or at the least, they aren’t immersed in the steppers and house music world’s so popular in Chicago. Atlanta was best known in the 90s and 2000s, for a Miami bass style or New Orleans popularized dance called bounce that would evolve into the twerking
craze. In a land where southern rap and bounce was onmipresent, I sought out underground house music scenes because I relished in the freedom of the music; a music that allowed one to combine any number of dance backgrounds and styles onto the dance floor. In the world of house music, one could do any move you wanted. You could slam Afro cuban moves with headstands if you wanted and no one really cared. After college, I became a professional journalist. I was living in Chicago again and although house music initially didn’t have the popularity of hip-hop in the early 2000s, it was still king in Chicago and would spread into various forms in parts of Europe, Brazil, and South Africa. I frequented house dance clubs, however, I also enrolled in a number of dance classes: salsa, flamenco, samba, tango. My attraction to dance classes was part of a deeper search. At the time, I thought I was looking for a dance style I could adopt and do for life. I was seeking a style that I conneced with and could explore deeply. Perhaps, I’d be a amateur ballroom dancer or join the World Salsa Congress. I stretched regularly and began taking yoga.
For a few years, I became consumed with work. I was dancing less and my physique was beginning to reflect my stress and inactivity. In 2007, I created a dedicated fitness regiment. The regiment including running a mile and using the Core Rhythms dance workout video. The video used salsa, merengue, and samba as the basis for exercise. It was around this time that I realized I needed dance as a workout, not just for physical purposes, but as a stress reliever and to create overall joy. I was grumpier when I wasn’t dancing. I maintained my ideal weight easier when I danced for fitness and socially on a regular basis. Dance increased my quality of life. I was a happier person, had more clarity, and tossed away frustrations when I was dancing. I was more relaxed when I was fully stretched. Several years later I was introduced to dance therapy.
did not evoke from jogging, or pilates, or bike riding. Dance gave me room for expression. I also noticed, that hip rotations and the core motions that are the basis for most African and African diasporic dance was a great way to work “problem areas” including abs, gluts, thighs,etc.
In all my years of dancing, I’d never heard of dance therapy. The workshops encouraged breathing meditations, visioning, and freestyle dance and was part of a larger meditation program. It dawned on me that dance was therapeutic for me. I needed dance. Dance, particularly the freestyle dynamics created a feeling that
The reason I hadn’t embraced being “a dancer” is the same reason many people wrestle with calling themselves “an artist”. Although my childhood world was rich in dance, as an adult I had to actively cultivate a world where dance was valued. I immersed myself in these scenes because the rest of the world was not dan-
Up to this point, despite my years of dance experience, I did not view myself as a dancer. I liked dance, I studied dance. Everyone danced or so I thought, so there was no need to claim dancing. People who called themselves dancers were paid professionals. They were in Alvin Ailey or on stages across the world. However, this was a misconception. Just as I had to claim that I was an artist, I also claimed that I was a dancer. Once I claimed that I was a dancer I was boggled by the fact that I hadn’t embraced it before.
cing, were often confused by the expression, and were insistant that dance was fundamentally sexual. In some circles, identifying as a dancer was code word for being a stripper. In other circles, people don’t see much difference between a salsa dancer or dancing at a party to being an exotic dancer. While exotic dancing has its place, the default view of dance as inherently sexual, crafted for seduction, or designed to entice was not congruent with my very family friendly experience where uncles danced with nieces, sisters danced with brothers, and moms danced with their sons. Moreover, norms of the world were communicating in a not so subtle way that if you weren’t being paid for this work or recognized for some achievement, any focus on dance for fun or socially was futile. People who liked dancing in social settings were viewed by nondancers as “seeking attention” or being “too free” in an environment where homongeony equates to safety. My love for dance confused my non-dancing friends, all of whom I believed wanted to dance more frequently, but were just afraid. Dancing at events as an adult among this crowd made me “different”, “wild” or “unconventional”. When did dancing at a party become “unconventional”? The recognition that I was a dancer came with numerous insights. Despite my years of dance, I was fighting an increasing societal norm that didn’t see a place for dance unless you were a self proclaimed professional. I recognized that I was socialized out of connecting with an expression that was very natural for me. Oftentimes people will say “I used to dance all the time. What happened?” As an adult, dancing publicly is predicated on a number of other factors. People often dance at clubs. Clubs can have an array of attractions and detractions that have nothing to do with dancing. Generally, we’re often conditioned to dance in very specific circumstances; at a club, to a dance specific song, at a specific event, or doing a specific style. As these opportunities dwindle or people simply stop seeking out such places, their dance frequency diminishes. The reality is, one doesn’t need to wait for their favorite deejay to throw a bash or await an annual bash. One doesn’t have to wait for the lights to dim or for nighttime to fall to feel free dancing either. One doesn’t need a partner. Dance can be part of a morning practice, a daily ritual, or practiced alone. Whether people are in a group, a formal class, a dance floor, or at home in their mirror, dance is important to helping people connect with themselves and the larger universe. I cultivated a personal dance practice which included breathing meditations, stretching, core dance steps, and free style dance. Ironically, I developed this practice shortly before I was introduced to the term Afrofuturism. Afrofuturism is a way of looking at the future or alternative realities through an African, African Diasporic lens. As I discovered the term, I realized I was an Afrofuturist and didn’t know I was an Afrofuturist. My enthusiasm about science, history, futures, and metaphysics were obvious foundations. However, it was my experience with dance in an array
of forms, that enabled me to see the relationships between African continental diasporic dance and Afrofuturism. I saw a tangible relationship between house music freestyle dance and Afrofuturism, too. In my research and explorations of Afrofuturism, I found that people were all too ready to discuss the aesthetic in the visual arts, comics, music, film. However no one (that I knew of) was looking at dance as Afrofuturist. The Black Existentialism Conference in Pittsburgh presented an array of philosophers and dancers, each presenting on their work. One scholar noted that belly dance was the most ancient dance of the ones we currently studied. Belly dancing was originally taught to women at an early age in part as a preventative measure to alleviate menstrual cramps, child birth, and other health issues related to reproductive organs. These ancient dance, which was often highlighted in the western world for its sexuality was enriched in a health tradition. Until fairly recently, African and Indigenous dances were vilified by Western society for being too sexual. It was a combination of Katherine Dunhams anthropological dance work that recovered religious dances of African and Native origin in the Carribean and Latin American in the 40s, the Afro Cuban dance craze of the 50s and the rise of Rock & Roll and its sultry blues roots, that stigmas began to fall. Today, one can take pole dancing classes or twerk workshops, but generally speaking, there’s still an oversexualization of dancing, particularly women dancing. While there’s nothing wrong with being sexual, dance inherently is not always sexual, and the degree to which it is doesn’t make it wrong. Movement of the hips, pelvis, torso, and bust are fundamentally sexualized. Whereas for men, moving such areas can be deemed “feminine”. Stomping and arm movements for men can be interpreted as “aggressive”. There’s a hesitancy for onlookers to reconcile with free movement. There’s a fear by some onlookers of the euphoria in dance and a fear of dancing that doesn’t fall neatly into any category. My enthusiasm for Afrofuturist dance, is that it encourages the movement of areas that society is simply not moving. As people in bodies, we need to move our hips, shoulders, pelvis, torso, and ankles. However, our daily life, one in which we sit for hours at a laptop, or drive to forgo walking does not require that we move any of these areas. Afrofuturist dance therapy helps people to move these underutilized areas and help people to connect with their inner dancer. In the midst of my writings, I joined the Beverly Arts Center’s outreach arts program and began teaching dance to elementary school students in Chicago. In fact, I wrote the Afrofuturism1 book while teaching 4 days of hip-hop dance and yoga a week to a group of African American kindergarden students. It was surreal in many ways but ultimately, I learned how natural dance was for children and how much they enjoyed stretching and moving to music. I continued working with the program, and later launched an Afrofuturism dance program as part of a park district course
for adults at Tuley Park. In the course we began with breathing meditations that connected with chakras, and selected dance movements that stimulated specific chakras. Afterwards, we broke into freestyle dance to inspired house music. We did goal setting exercise, afterwards, and we discussed how it felt to move our bodies. Many of the adults mentioned that moving their pelvis helped them to release anguish they had around moving that area. Others spoke of newfound freedom. I did the class with select students through the Beverly Arts Program and later launched the program with teens in After School Matters, a teen program in the summer of 2017. For four days a week, several hour a day for an entire summer, I worked with a group of teen girls. We did the breathing exercises and core movements, modern inspired stretches, and yoga. We had West African dance workshops, samba dance workshops, salsa dance workshops and were exposed to a range of music throughout the diaspora from Nigerian Afrobeat to South African house to Afro Cuban rhumba. However, we also did a great deal of group work. Students were divided into groups, would find a star constellation of phenomenon they liked, learn about it, and they choreograph a dance to it. The students were also grouped into goddess categories. They could be a air, fire, water, or earth goddess. Each group did a free style movement, embodying their element. They also choreographed a dance as a group, too. The students did future focuses as well. They wrote what they’d like to see in their personal futures and in the future for the world and did individual and group freestyle movements. The futures exercise was most revealing. Some students felt as if they were dancing for audiences in the future whereas others felt as if they were dancing for ancestors or those who contributed to the world in the past. Ultimately, the students made very natural
connections with their own bodies, nature, and felt connected to a broader sense of humanity that transcended time. They began to see themselves as part of a continuum of people. The most rewarding piece was watching the students at the Art Institute. Most of the ancient art they were viewing whether it was from Benin in the 1700s, India in the 6th century, or Japan in the 2nd century, the students saw masks, goddess statues, and other items that embodied dance or dance goddesses. Later they saw video exhibits on singer Paul Robeson, and Cauleen Smith’s exhibit where she drew the covers of books that shaped her as a feminist and Afrofuturist. The combination of these works and our discussion helped the students see new relationships and gain confidence. Their newfound confidence was evident when they spotted a teen outside the museum playing a bucket as a drum and they as a group formed a circle and danced individually. They even encouraged some of the onlookers to join in as well. Each session included daily writing. The students wrote journal entries, they reflected on the day’s exercise, and also did both group and individual storytelling. They created mythologies as well. We had chats about the role of dance in the world, a bit about identity. The teens really bonded through these exercises and their growth was tremendous.
Fest. “A Love Letter” is a 14 minute dance film with samba music by Shannon Harris and future funk by Ras G. The dancers are performing solos in a number of venues that only come alive because of their performance. There’s even a dance scene where dancers come from another planet to visit “the Mothership” carrying their leader, funk pioneer, George Clinton. The film highlights dance as a language, an idea that was reinforced for me when I studied salsa and rhumba in Havana, Cuba. I was not fluent in Spanish at the time, but my knowledge of dance formed connections I could only dream of. Essentially, I discovered that dance helps connect people to their own humanity. Dance defies conventions and creates an altered space where people can dip into the sea of self expression and come out renewed. So much in our society disconnects us from our bodies, from one another, from our own self reflections. Afrofuturism Dance Therapy is one way of building confidence and healthy relationships with our bodies and the best of humanity. 1 Ytasha L. Womack, Afrofuturism: The World of Black Sci-Fi and Fantasy Culture, Chicago, Chicago Review Press, 2013.
I also explored the power of dance in my film «A Love Letter to the Ancestors From Chicago» which featured an array of dancers, modern, tap, and footwork from the house music scene in Chicago. The film has screened in festivals around the world and is an Afrofuturist ode to how the body, through dance, can connect all spaces and times. Created in the spring of 2017, the film first screened at the Black Harvest Film Festival in Chicago in August and screened at Afropunk in New York, Black(s) to the Future in Paris, and the Fiesta de la Cultura Iberoamericana. In fact, the film won Best Experimental Film at the Collected Voices Film CRITIQUE
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LES OBJETS-MILIEUX
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OU L’ORGANISATION DU MONDE PAR LA SANTÉ Manuel Bello-Marcano Être malade est une réduction du pouvoir que nous avons de surmonter une situation : celle de la maladie. Dans son fameux texte de 1965, La Connaissance de la vie, Georges Canguilhem réfléchit au malade non pas comme un « objet » isolé mais comme un mode d’existence dans un monde. Canguilhem signale donc que la santé est une capacité à surmonter des crises organiques pour instaurer un nouvel ordre physiologique différent de celui du malade2. La maladie est une situation et un rapport avec un monde environnant qui nous englobe, avec un dedans mais aussi avec un dehors. L’environnement participe à la structuration de la maladie. Ainsi être malade à Chicago n’est pas la même chose qu’être malade à Saint-Étienne. Penser un hôpital dans le quartier du Southside ne devrait donc pas avoir les mêmes objectifs qu’agencer un hôpital à Bellevue. Et pourtant, les conditions physico-chimiques et les contraintes physiologiques du malade de Chicago et de celui de Saint Étienne peuvent être équivalentes dans leur relation avec un monde. Autrement dit nous sommes en présence d’un paradoxe : si la maladie est un mode d’existence physiologique du corps, elle est aussi capable de se rapporter à quelque chose qui ne se trouve pas dans le corps malade lui-même. Être malade parle d’une simplification de la possibilité d’agir que nous avons sur notre corps mais aussi sur notre monde personnel. Comment l’architecture peut-elle aborder et travailler ce paradoxe ? Appliquée à la question de la santé, l’architecture pourrait dévoiler une nouvelle organisation physiologique du monde. Dans les lignes qui suivent, nous dessinerons le
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problème de l’architecture de la santé comme une question non seulement physiologique, c’est-àdire du corps en tant qu’être biologique, mais aussi comme un problème d’organisation d’un monde dans lequel le corps sain autant que le corps malade peuvent coexister et se développer. La tâche apparaît, évidemment, aussi ardue qu’ambitieuse. Aussi la proposition sera nécessairement téméraire.
UNE MONTRE, DEUX HISTOIRES Depuis quelques semaines, j’utilise une montre « intelligente ». C’est un tracker d’activité, un dispositif technologique portable et wireless-enabled qui mesure les pas que je fais pendant la journée, l’apport de glucides, de lipides et de protéines que je mange, la quantité de calories que je dépense, d’eau que je bois, le temps de sommeil paradoxal, léger, profond, les battements de mon cœur, son rythme, ses dynamiques (systole, diastole) et beaucoup d’autres paramètres personnels qui impliquent ce qu’on appelle aujourd’hui le fitness. Autrement dit, la montre « me parle » de ma vie biologique, une vie physiologique que j’ai rarement l’opportunité d’écouter si ce n’est lorsque j’éprouve une douleur ou un plaisir intense ou, naturellement, quand je tombe malade. Ce dispositif raconte à haute voix une histoire corporelle qui est normalement silencieuse, une histoire qui « met entre parenthèses » certaines conditions biologiques souvent vues par les médecins comme des facteurs de risque de maladie. Cet instrument de fitness et de biologie médicale interconnectée remplace ainsi partiellement les laboratoires médicaux
où l’on allait tremblant pour se faire extraire quelques gouttes de sang, ou bien pour se connecter à des machines afin de pouvoir voir l’intérieur du corps et vérifier que tout va bien. La montre me donne aussi l’option de me connecter avec d’autres montres, d’autres histoires et d’autres vies biologiques qui se trouvent en réseau. Ceci établit une étrange « communauté sociobiologique » dont les liens se construisent autour de défis sportifs, de comparaisons qualitatives de performances, de formules et de conseils pour améliorer la santé et le fitness. Ce réseau raconte ainsi une autre histoire, celle d’une esthétique de la compétition et de la quête d’un excellent état de santé. D’une certaine manière, ce dispositif traverse doublement la bifurcation entre mon « mode de vie » et la « vie » qui fait bouger mon corps. En effet, il met au même niveau ces deux chemins, en les faisant participer d’une même démarche : celle de la survivance et de la santé. Cette montre me rappelle qu’il existe donc deux histoires : l’histoire de ma vie (celle que j’ai construite avec mes expériences, ma mémoire, mes idées) et l’histoire physiologique (ou plutôt l’historique) de mon corps, celle de mon état de santé et d’une condition physico-chimique qui me sensibilise au monde qui m’entoure. Pour raconter la première histoire, nous, les humains, avons développé des romans, des films, des contes et des légendes. Pour raconter la seconde, nous avons eu depuis des siècles la divination, le chamanisme ou la médecine. Aujourd’hui, c’est le corps médical les médecins qui ont le pouvoir de révéler l’histoire physiolo-
gique de mon corps. En effet, ces « professionnels » ont capitalisé, depuis des siècles, le pouvoir de relater nos histoires biologiques en créant des catégories physiologiques précises des maladies et des corps : enfant, adolescent, vieux, malade, guéri, sexué, etc. Ces deux histoires, l’histoire sentimentale et l’histoire sensible, sont censées être, bien évidemment, interconnectées. Elles se nourrissent l’une de l’autre, elles se complètent et elles sont, en essence, inséparables. Il semblerait toutefois que, pendant le développement de la modernité, un processus de normalisation de la maladie et de la santé ait accordé une prédominance de l’une sur l’autre. Ainsi, quand on disait jadis : « Monsieur M. est mort de vieillesse », on ne faisait pas forcément référence au fait que Monsieur M. soit mort d’une « prolifération cellulaire anormalement importante au sein d’un tissu normal de l’organisme ». Mourir de vieillesse était une légende, mourir d’un cancer est aujourd’hui une tragédie. De là mon étonnement quand je vois qu’avec ma montre, il semblerait que je puisse reprendre mon histoire en main, sans besoin d’un·e médecin·e, d’un·e chamane ou d’un·e cinéaste. Mon histoire sentimentale et mon histoire biologique peuvent désormais être racontées par un dispositif qui agit comme lieu de rencontre : un instrument qui est hors de mon corps tout en étant sensible à l’intérieur de celui-ci. En tant qu’extériorité sensible qui m’observe et me mesure, la montre fait partie d’un monde d’objets sensibles qui peut évoluer hors de moi. C’est un changement majeur dans mon rapport à l’équilibre entre moi
(mon corps, mes expériences et mes histoires), mon monde environnant et les objets et signes qui le composent. Comment comprendre ce changement ? Est-ce de l’architecture ? La montre intelligente est sans doute un dispositif « monstrueux » qui nous dévoile qu’aujourd’hui les deux histoires, celle de ma vie physiologique et celle de mon « mode de vie » socio-économique et anthropologique, doivent se raconter autrement. Cela change, forcément, l’ordre et l’organisation de mon monde. Ce dispositif incarne-t-il pour autant l’architecture d’un nouveau monde « sain » ?
UN OBJET-MILIEU Des objets comme cette montre dévoilent bien l’existence de deux mondes : un monde où la santé est en nous, dans nos corps, et un monde où la santé se trouve hors de nous, projetée dans un milieu3. En utilisant la montre, je me suis aperçu que pour être sain il faut que la santé du dehors, en lien avec un milieu, soit explicitée par la santé du dedans, celle du corps sain. La santé proposée par cet objet-milieu est un jeu de normes vitales et comportementales entre l’extérieur et l’intérieur de mon corps. La montre, objet-milieu, expose une norme et une stabilité sociale en même temps qu’elle annonce une complicité silencieuse : l’intimité de mon corps et de son histoire biologique. De cette manière, le dispositif confère autant à ma vie qu’à mon « mode de vie » une valeur qui semble normalisée. En effet, et suivant les remarques de Canguilhem, cet objet-milieu explicite une capacité à tolérer des normes auxquelles seule la stabilité des situations et du milieu
confère une « valeur trompeuse de normal définitif4 ». La mesure de la santé proposée par ce type de dispositif traduit un nouvel ordre physiologique où la norme est de surmonter un statut et un comportement face à une situation. Je ne suis vraiment sain que lorsque je suis capable de surmonter les normes affichées par la montre, lorsque je suis capable de franchir plusieurs normes et plusieurs valeurs, lorsque je suis au-delà du normal, c’est-à-dire anormal ou polynormal. En tout cas, la montre me donne des indices, elle fait parler quotidiennement mon corps, jadis muet, avec des mots. Et si un corps sain est un corps où règne le « silence des organes » comme dit si bien René Leriche, la montre rompt le silence de l’intérieur du corps en le faisant communiquer avec les exigences d’un milieu et des situations nouvelles. Autrement dit, si je veux être sain je dois bouger plus, je dois boire et manger des aliments spécifiques à une heure précise. Dans ce sens, les normes et contraintes imposées par mon histoire biologique agencent et ordonnent les signes auxquels je dois faire attention dans le milieu extérieur. Ceci modifie forcément ma sensibilité et mon milieu personnel.
rapporter à autre chose qu’à sa propre masse. Ce phénomène est une des causes de l’éloignement du « corps sain » de ce qui, dans notre imaginaire, correspond à l’idée médicale de « santé ». Or il semblerait que ces objets-milieux modifient la perception de l’environnement et de la nature, en résistant à celle-ci à travers un processus de normalisation du cycle fonctionnel et vital, ce qui viendrait établir une nouvelle perception de la santé. N’oublions pas, toutefois, que dans la nature il n’y a pas de « problèmes », il n’y a que des solutions, comme dirait Christian Wolff5. Le corps est en effet aujourd’hui capable à travers ces objets techniques, de se rapporter à une « sensibilité autre », une sensibilité qui se détache de mon corps.
LA MÉLODIE DU MONDE L’exemple des dispositifs techniques capables de se rapporter à une « sensibilité extérieure », questionne l’architecture comme manière d’organiser le monde. On peut à cet égard se demander si comprendre ces objets-milieux ne devrait pas être un des rôles de l’architecture en tant que forme
d’organisation. Afin d’enquêter sur ce rôle de l’architecture nous allons prendre un autre modèle. En lisant les remarques théoriques d’Hubert Damisch sur l’Arche de Noé6, nous pouvons nous demander si cette arche, premier acte d’architecture selon Damisch, a été elle aussi un « objet-milieu » comme notre montre « intelligente ». La légendaire Arche de Noé évoque, surtout depuis les formes dont elle est représentée au XVIIIe siècle, une structure idéale dont la fonction est celle de protéger la vie (les animaux et les hommes) face à un milieu devenu hostile et catastrophique après le déluge. Dans l’Arche de Noé, l’architecture opère comme systématisation qui ordonne l’espace de « préservation » des corps et de la vie. Agissant comme un objet-milieu, l’arche explicite ainsi un problème précis de santé publique : face à un milieu instable, elle représente une régulation d’un « mode de vie » afin de protéger la « vie ». Suivant l’archétype architectural de l’arche proposée par Damisch, doit-on voir dans cette fonction essentielle de rééqui-
librage corps-milieu un des rôles primordiaux de l’architecture ? Si tel est bien le cas – et nous en sommes convaincus – l’architecture (ἀρχός/ή-τέκτων) aurait une fonction archaïque qui définirait notre rapport au monde par la santé (et non seulement la protection). Bien avant le postulat lamarckien au sujet de l’influence du milieu sur l’évolution des vivants, l’idée primitive d’un « toit qui nous protège » serait donc la figure paroxystique de la réorganisation d’un milieu pour la santé et la préservation de l’existence. En poussant plus loin notre réflexion, peut-on dire, de manière générale et à l’instar de l’arche de Noé, que d’autres édifices comme les pyramides par exemple, sont également des objets-milieux dont le but est d’atteindre la santé ? De tels objets permettent au corps (le pharaon) de résister face aux contraintes biologiques du monde en lui proposant une autre vie (saine, éternelle). Il n’est pas anodin, rappelons-nous, qu’un architecte comme Imhotep, constructeur des pyramides, fut également considéré comme un médecin. L’architecture doit-elle préserver le corps dans son milieu et le pro-
l’organisme (social, biologique) comme une réalité de masse, en distinguant toutefois deux réalités dans cette masse : l’une issue de l’acceptation d’une distribution aléatoire de l’« être sain » et l’autre issue de l’harmonie d’une dotation contre-aléatoire de la maladie qui n’irait pas vers la normalisation et la détente. Ordonner le monde afin de le rendre plus sain : l’architecture a été un moyen de penser et d’expliquer la manière dont nous devons habiter et ordonner le monde. Pour cela, traditionnellement, l’architecture a utilisé les édifices et le bâti comme des outils permettant cette mise en ordre. Or, après avoir réfléchi aux objets-milieux, devons-nous toujours parler aujourd’hui de l’architecture comme d’un problème d’« ordre » ? Au-delà de l’explication du monde, la discipline architecturale peut aussi être occupée à une implication de l’humain dans un projet d’habitation plus large. En effet, cette idée d’implication pourrait poser les bases d’une métamorphose de la discipline architecturale d’une pensée de l’ordre vers une pensée de l’organisation. Aujourd’hui cette transformation est sans doute nécessaire. Canguilhem nous signale que la santé, « c’est le luxe de pouvoir tomber malade et de s’en relever10 ». Cette idée de luxe est gênante mais néanmoins rédemptrice. Comprendre l’architecture comme une riche organisation biologique du monde peut nous permettre d’ouvrir les possibilités d’avènement de cet état luxueux, à condition qu’il s’agisse d’un mouvement massif dans chaque milieu et dans chaque monde interconnecté. Face à cet enjeu, devrons-nous soupçonner qu’il n’existe d’autre alternative que de penser le monde humain comme un objet-milieu ? Nous espérons que la réponse soit prise en main par les architectes. En tout cas, la réorganisation du monde par la santé mérite d’ouvrir un débat. Le but étant de préserver et d’impliquer « la vie » dans le projet architectural, élément demeurant, en fin de compte, l’objet privilégié de l’architecture.
Or si, comme le signalent Canguilhem et Goldstein, « la maladie établit des normes qui obligent l’organisme à vivre dans un milieu “rétréci”, différent qualitativement, dans sa structure, du milieu antérieur de vie », c’est dans ce nouveau milieu personnel réduit que mon corps affronte les exigences d’un nouveau monde formé de réactions ou d’entreprises dictées par des situations nouvelles. Pour comprendre comment réorganiser le monde du malade afin de pouvoir le changer, pour répondre à l’enjeu de cet article, c’est-à-dire penser une nouvelle organisation physiologique du monde afin d’« architecturer » la santé publique, il ne s’agirait plus d’ordonner les corps en fonction de leurs pathologies, de les normaliser en catégories, mais de comprendre comment opère l’organisation entre la maladie, le corps et le milieu personnel. Autrement dit, il s’agira de voir comment tient ensemble le cercle fonctionnel et vital composé de l’imbrication corps-milieu, et continuellement actualisé par la maladie. Ainsi la vie, point central de la santé, n’est pas seulement un statut ou une donnée physico-chimique, mais une situation, une relation et une spatialisation. On est donc malade ou sain dans un monde. Autrement dit, il faut « architecturer » le milieu pour préserver la vie et organiser la vie pour préserver un milieu personnel. Organiser biologiquement des milieux, affronter des risques et y triompher, fait de la vie, et non pas d’un « mode de vie », une forme de « succès », une réussite. Or il s’agit d’établir un équilibre, et pour cela la question pondératrice d’un mode de vie est parfois plus un problème qu’une solution. L’urgence d’une conception biologique de l’architecture en tant que forme d’organisation du monde est donc une nécessité pour la santé.
Cela semble un enjeu majeur et complexe. Pour tenter quelques pistes d’éclaircissement, il faudra comprendre ce que veut dire « être sain » pour la discipline architecturale en partant d’une remarque de Canguilhem : « l’adaptation à un milieu personnel est une des présuppositions fondamentales de la santé ». Pour faire de l’habitant un « être sain », l’architecture doit donc établir une relation biologique intime entre le corps et le milieu technique, symbolique et physiologique qui l’entoure. Or pour penser l’architecture sur la base d’une conception biologique du monde, nous sommes amenés à réfléchir cette forme d’organisation du monde comme une condition « totale7 ».
Par le biais de cette montre, l’architectonique de la santé publique peut se baser aujourd’hui sur un corps qui est capable de se
Dans ce contexte, le lien affectif avec le monde qui nous entoure est donc nécessaire. En effet, ce lien est une des acceptions de ce
téger, afin de le maintenir sain ? Ou faut-il qu’elle l’expose dans un milieu catastrophique afin de faire de son rapport avec celui-ci un développeur de santé ? De quel rapport au monde nous parle donc l’architecture en tant que problème de santé ?
qu’on pourrait comprendre par « public » dans « santé publique ». Comme le remarque Max Scheler : « La fusion affective cosmique n’est possible que pour autant que le monde est conçu comme une “totalité”, comme un organisme universel, animé d’une seule vie : c’est ce qui s’appelle “conception du monde organologique”. Lorsque cette condition se trouve réalisée, elle implique la reconnaissance qu’il existe, à côté des rapports réels et idéaux (causalité, téléologie, etc.) qui rattachent les unes aux autres les parties de l’Univers et qui sont étudiés par la philosophie et par la science, une autre relation, tout à fait sui generis, qui s’étend aussi loin que la vie elle-même, dans ce qu’elle a de réel et d’essentiel : c’est le rapport spécifiquement “symbolique” entre la vie et l’expression de la vie. Avec les choses mortes et données comme telles, aucune fusion affective n’est possible8 ».
En tant que problème de santé, l’architecture nous parle d’un rapport au monde bien particulier. Notre proposition serait : – de penser l’architecture comme un problème de santé en tant qu’elle s’occupe d’une question d’équilibre ou plutôt de mélodie
avec un monde9. Une telle question musicale nous amène forcément à réfléchir sur un monde « total » avec lequel doit travailler l’architecture. Ce monde total pourrait être pensé comme un organe sensible qui implique la maladie, et non pas comme l’explication d’un corps sain, cette implication étant toutefois toute entière une finalité externe. Pour cette conception de l’architecture, le corps vivant en tant que « tout » ne serait que la moitié de sa vie, l’autre moitié étant donc l’objet-milieu avec lequel il rentre en « résonance » ; – de penser l’organisation du monde (sociale, biologique) dans son épaisseur physico-chimique et symbolique, comme un problème d’expression de la vie et non pas d’une impassibilité issue d’un « mode de vie ». Cela sollicite une distinction fondatrice et organologique basée sur l’expression de la vie. Dans cette disposition, les formes de la vie peuvent être garantes d’une pensée et d’une architectonique « originaire », qui construit une pensée de la santé en lien avec la quotidienneté techno-symbolique du monde environnant. Ce renouvellement de la santé par l’architecture intégrerait
1 L’idée d’un objet-milieu n’est pas nouvelle. Quelques définitions ont été développées dans le numéro 9 de la revue Le Philotope que vous pouvez consulter en ligne [https:// issuu.com/philau/docs/issuu_philotop_9]. Pourtant, l’idée est d’appliquer cette notion pour comprendre le concept de santé. 2 Georges Canguilhem, La Connaissance de la vie, Paris, Librairie philosophique J. Vrin, 1965, p.167. 3 Nous utilisons ici la notion de milieu en faisant référence à la traduction française de Umwelt, notion esquissée par Jakob von Uexküll. Un Umwelt ou monde environnant désigne un cercle fonctionnel et vital établi entre un organisme et le monde qui l’entoure, faisant de ce dernier une partie structurante du premier. Cf. Jakob von Uexküll, Milieu animal et milieu humain, Paris, Bibliothèque Rivages, 2010 (1934). 4 Georges Canguilhem, La Connaissance de la vie, op. cit., p. 167. 5 Cf.Christian Wolff, Principes du droit de la nature et des gens, Caen, Éditions d’Amsterdam, 1758. 6 Hubert Damisch, « L’Arche de Noé » in Revue critique n°43 (janvier-février 1987) et aussi Hubert Damisch, Noah’s Ark, Essays on Architecture, édité par A. Vidler, MIT Press, 2016. 7 Ceci a été, peut-être, le projet de l’Anthropologie Philosophique tel qu’il a été esquissé par M. Scheler, H. Plessner et A. Gehlen il y a presque un siècle. 8 Max Scheler, Nature et forme de la sympathie. Contribution à l’étude des lois de la vie émotionnelle, Paris, Payot, p. 128. 9 Nous empruntons le terme de « mélodie » à la biologie théorique de Uexküll. Cf. Jakob von Uexküll, Cartas biológicas a una dama, (traducción de T. Bartoletti y L. C. Nicolas), Buenos Aires, Editorial Cactus, 2014 (1920), p. 99-100. 10 Georges Canguilhem, La Connaissance de la vie, op. cit., p. 167.
CRITIQUE
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OBJECTS-MILIEUX
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OR THE ORGANIZATION OF THE WORLD BY HEALTH Manuel Bello-Marcano Being sick is a reduction in the power that we have to overcome a situation: that of the illness. In his famous 1965 text, La Connaissance de la vie (The Knowledge of Life), Georges Canguilhem reflects on the patient not as an isolated “object” but as a way of life in a world. Canguilhem therefore points out that health is an ability to overcome organic crises, to establish a new physiological order different from that of the patient2. Illness is a situation and a relationship with the surrounding world that encompasses us, with an inside, but also with an outside. The environment contributes to the structuring of the disease. Thus being sick in Chicago is not the same as being sick in Saint-Étienne. Thinking of a hospital in the Southside district of Chicago should therefore not have the same objectives as designing a hospital in Bellevue, in SaintÉtienne. And yet, the physico-chemical conditions and physiological constraints of the Chicago and Saint-Étienne patients can be equivalent in their relationship with a world. In other words, we are faced with a paradox: if illness is a physiological way of life of the body, it is also capable of referring to something that is not found in the sick body itself. Being sick speaks of a simplification of the possibility of acting that we have with our own body, but also with our personal world. How can architecture approach and work on this paradox?
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Applied to the question of health, architecture could reveal a new physiological organization of the world. In the following lines, we will draw the problem of the architecture of health as a question not only of physiology, that is, of the body as a biological being, but also as a problem of organization of a world in which the healthy body as well as the sick body can coexist and develop. The task appears, of course, to be as difficult as it is ambitious. So the proposal will necessarily be reckless.
ONE WATCH, TWO STORIES For the past few weeks, I have been using a “smart” watch. It is an activity tracker, a portable and wireless-enabled technological device that measures the steps I take during the day, the amount of carbohydrates, fats and proteins I eat, the amount of calories I burn, the amount of water I drink, the amount of REM sleep, light, deep, the beats of my heart, its rhythm, its dynamics (systole, diastole) and many other personal parameters that involve what we now call fitness. In other words, the watch “speaks” to me about my biological life, a physiological life that I rarely have the opportunity to listen to, except when I experience intense pain or pleasure or, of course, when I get sick. This device aloud tells a body story that is normally silent, a story that “puts in brackets” certain biological
conditions often seen by doctors as risk factors for disease. This interconnected fitness and medical biology instrument thus partially replaces the medical laboratories where people used to tremble to get a few drops of blood extracted, or to connect to machines to see the inside of the body and check that everything is fine. The watch also gives me the option to connect with other watches, stories and biological lives that are in a network. This establishes a strange “sociobiological community” whose links are built around sporting challenges, qualitative comparisons of performance, formulas and advice to improve health and fitness. This network therefore tells another story, that of an aesthetic of competition and the quest for an excellent state of health. In a way, this device goes through the double bifurcation between my “lifestyle” and the “life” that moves my body. In fact, he puts these two paths on the same level, by involving them in the same approach: that of survival and health. This watch reminds me that there are two stories: the story of my life (the one I built with my experiences, my memory, my ideas) and the physiological history (or rather the historical one) of my body, that of my health status and a physico-chemical condition that makes me aware of the world around me. To tell the first
story, we humans have developed novels, films, tales and legends. To tell the story of the second, we have had divination, shamanism or medicine for centuries. Today, it is the medical profession—the doctors—who have the power to reveal the physiological history of my body. In fact, for centuries, these “professionals” have capitalized on the power of telling our biological stories by creating precise physiological categories of diseases and bodies: child, adolescent, old, sick, cured, sexual, etc. These two stories, the sentimental story and the sensitive story, are supposed to be, of course, interconnected. They feed on each other, complement each other and are, in essence, inseparable. However, it would seem that, during the development of modernity, a process of normalization of disease and health has given precedence to one over the other. Thus, when we used to say: “Mr. X died of old age”, we were not necessarily referring to the fact that Mr. X died of an “abnormally large cell proliferation within a normal tissue of the body”. Dying of old age was a legend, dying of cancer is now a tragedy. Hence my astonishment when I see that with my watch, it seems that I can take back my story, without the need for a doctor, a shaman or a filmmaker. My emotional and biological history can now be told by a device that acts as a
meeting place: an instrument that is outside my body but is sensitive within it. As a sensitive exteriority that observes and measures me, the watch is part of a world of sensitive objects that can evolve outside me. It is a major change in my relationship to the balance between myself (my body, my experiences and my stories), my surrounding world and the objects and signs that compose it. How can we understand this change? Is it architecture? The intelligent watch is undoubtedly a “monstrous” device that reveals to us that today the two stories, that of my physiological life and that of my socio-economic and anthropological “way of life”, must be told differently. This necessarily changes the order and organization of my world. Does this device embody the architecture of a new “healthy” world?
AN OBJECT-MILIEU Objects like this watch clearly reveal the existence of two worlds: a world where health is within us, in our bodies, and a world where health is outside us, projected into a milieu3. Using the watch, I realized that to be healthy, the health of the outside world, in connection with an environment, must be explained by the health of the inside, that of the healthy body. The health proposed by this object-milieu is a set of vital and
behavioural norms between the outside and inside of my body. The watch, as an object-milieu, exposes a norm and social stability at the same time as it announces a silent complicity: the intimacy of my body and its biological history. In this way, the device gives both my life and my “way of life” a value that seems normalized. Indeed, and following Canguilhem’s remarks, this object-milieu explains an ability to tolerate norms to which only the stability of situations and the environment confers a “misleading value of the definitive normal4”. The health measurement proposed by this type of device reflects a new physiological order where the norm is to overcome a status and behaviour in a situation. I am only really healthy when I am able to overcome the norms displayed by the watch, when I am able to overcome several norms and values, when I am beyond the normal, that is, abnormal or polynormal. In any case, the watch gives me clues, it makes my body speak daily, once silent, with words. And if a healthy body is a body where the “silence of the organs” reigns, as René Leriche so well says, the watch breaks the silence from within the body by making it communicate with the demands of a new milieu and situations. In other words, if I want to be healthy, I have to move more, I have to drink and eat specific foods at a specific time. In this sense, the norms and constraints imposed by my biological history organize and order the signs to which I must pay attention in the external environment. This inevitably changes my sensitivity and my personal milieu.
life is sometimes more of a problem than a solution. The urgent need for a biological conception of architecture as a form of organization of the world is therefore a necessity for health. Through this watch, public health architectonics can nowadays be based on a body that is capable of relating to something other than its own mass. This phenomenon is one of the causes of the distance between the “healthy body» and what, in our imagination, corresponds to the medical idea of “health”. However, it would seem that these objects-milieu modify the perception of the environment and nature, by resisting it through a process of normalization of the functional and vital cycle, which would establish a new perception of health. Let us not forget, however, that in nature there are no “problems”, there are only solutions, as Christian Wolff would say5. The body is now able, through these technical objects, to refer to an “other sensitivity”, a sensitivity that is detached from my body.
THE MELODY OF THE WORLD The example of technical devices capable of referring to an “external sensitivity” questions architecture as a way of organizing the world. In this respect, one may wonder whether understanding these objects-milieux should not be one of the roles alloted to architecture as a form of organization. In order to investigate this role of architecture we will take another model. Reading Hubert Damisch’s theoretical remarks on Noah’s Ark6, we can ask ourselves if this Ark, the first act of architecture according to Damisch, was also an “object-milieu” as our “smart” watch. The legendary Noah’s Ark evokes, especially since the forms it is represented in the 18th century, an ideal structure whose function is to protect life (animals and humans) from an environment that became hostile and catastrophic after the flood. In Noah’s Ark, architecture operates as a systematization that orders the space of “preservation” of bodies and life. Acting as an object-milieu, the
Ark thus explains a specific public health problem: in an unstable milieu, it represents a regulation of a “way of life” in order to protect “life”. According to the architectural archetype of the Ark proposed by Damisch, should we see in this essential function of rebalancing the body and the milieu one of the essential roles of architecture? If this is the case—and we are convinced of it—architecture (ἀρχός/ήτέκτων) would have an archaic function that would define our relationship to the world through health (and not just protection). Long before the Lamarckian postulate about the influence of the environment on the evolution of the living, the primitive idea of a “roof that protects us” would therefore be the paroxysmal figure of the reorganization of a milieu for health and the preservation of existence. By taking our thinking further, can we say, in general and following the example of Noah’s Ark, that other buildings such as the pyramids for example, are also objects-milieu whose purpose is to achieve health? Such objects allow the body (the pharaoh) to resist the biological constraints
Ordering the world in order to make it healthier: architecture has been a way of thinking and explaining how we should live and order the world. For this reason, traditionally, architecture has used edifices and buildings as tools to put the world in order. However, after having thought about the objects-milieux, do we still have to talk about architecture as a problem of “order” after all? Beyond the explanation (explication) of the world, the architectural discipline can also be occupied with a human involvement (implication) in a broader dwelling project. Indeed, this idea of involvement could lay the foundations for a metamorphosis of the architectural discipline, from a thought of order to a thought of organization. Today, this transformation is undoubtedly necessary. Canguilhem reminds us that health is “the luxury of being able to fall ill and recover from it10”. This idea of luxury is embarrassing but nevertheless redemptive. Understanding architecture as a rich biological organization of the world can allow us to open up the possibilities for the advent of this luxurious state, on the condition that it is a massive movement in each environment and in each interconnected world. Faced with this challenge, will we have to suspect that there is no alternative but to think of the human world as an object-milieu? We hope that the answer will be in the hands of the architects. In the meantime, the reorganization of the world through health deserves to open a debate. The aim is to preserve and involve “life” in the architectural project, an element that ultimately remains the privileged object of architecture.
However, if, as Canguilhem and Goldstein point out, “disease sets standards that force the body to live in a ‘narrowed’ environment, qualitatively different in structure from the previous living milieu”, it is in this new reduced personal milieu that my body faces the demands of a new world formed by reactions or enterprises dictated by new situations. To understand how to reorganize the patient’s world in order to be able to change it, to respond to the challenge of this article, i.e. to think of a new physiological organization of the world in order to “architecturize” public health, it would no longer be a question of ordering bodies according to their pathologies, of normalizing them into categories, but of understanding how the organization operates between the disease, the body and the personal milieu. In other words, it will be a question of seeing how the functional and vital circle composed of the interweaving of the body and the milieu, and continuously updated by the disease, holds together. Thus life, the central point of health, is not only a status or a physico-chemical data, but a situation, a relationship and a spatialization. So we are sick or healthy in a world. In other words, it is necessary to “architecturize” the environment to preserve life, and to organize life to preserve a personal milieu. Organizing milieus biologically, facing risks and triumphing in them, makes life, and not a “way of life”, a form of “success”, a triumph. However, it is a question of establishing a balance, and for this reason the weighting question of a way of
world. This renewal of health through architecture would integrate the organism (social, biological) as a mass reality, but would distinguish two realities in this mass: one resulting from the acceptance of a random distribution of the “healthy being” and the other from the harmony of a non-random endowment of the disease that would not lead to normalisation and relaxation.
of the world by offering it another life (healthy, eternal). It is not insignificant, let us remember, that an architect like Imhotep, builder of the pyramids, was also considered a doctor. Should architecture preserve the body in its milieu and protect it, in order to keep it healthy? Or does it have to expose it in a catastrophic environment in order to make its relationship with it a health developer? What relationship to the world does architecture have with us as a health problem? This seems to be a major and complex issue. To try to clarify a few points, it will be necessary to understand what it means to be “healthy” for the architectural discipline, starting from a remark by Canguilhem: “adaptation to a personal milieu is one of the fundamental presuppositions of health”. To make the inhabitants a “healthy being” architecture must therefore establish an intimate biological relationship between the body and the technical, symbolic and physiological milieu that surrounds it. However, in order to think of architecture on the basis of a biological conception of
the world, we are led to reflect on this form of organization of the world as a “total” condition7. In this context, the emotional connection with the world around us is therefore necessary. Indeed, this link is one of the meanings of what could be understood by “public” in “public health”. As Max Scheler notes: “Cosmic affective fusion is only possible if the world is conceived as a ‘totality’, as a universal organism, animated by a single life: this is what is called ‘the organological world conception’. When this condition is fulfilled, it implies the recognition that there is another relationship, quite sui generis, alongside the real and ideal relationships (causality, teleology, etc.) which link the parts of the Universe to each other and which are studied by philosophy and science, which extends as far as life itself, in what it has of real and essential: it is the specifically ‘symbolic’ relationship between life and the expression of life. With dead things and given as such, no emotional fusion is possible8.”
As a health problem, architecture refers to a very particular relationship to the world. Our propo-
sal would be: — first, to think of architecture as a health problem as it deals with a question of balance or more accurately a question of melody with a world9. Such a musical question inevitably leads us to reflect on a “total” world with which architecture must work. This total world could be considered as a sensitive organ that implies disease, and not as an explanation of a healthy body, although this implication is entirely an external purpose. For such a conception of architecture, the living body as a “whole” would only be half of its life, the other half being therefore the object-milieu with which it returns in “resonance”; — secondly, to think of the organization of the world (social, biological) in its physico-chemical and symbolic thickness, as a problem of expression of life and not of an impassibility resulting from a “way of life”. This requires a substantive and organological distinction based on the expression of life. In this context, the forms of life can guarantee a “native” approach to architecture, which builds a thinking of health in relation to the techno-symbolic everyday life of the surrounding
1 The idea of an object-milieu is not new. Some definitions have been developed in issue 9 of the journal Le Philotope which you can consult online [https://issuu.com/philau/docs/issuu_philotop_9]. However, the idea is to apply this notion to understand the concept of health. 2 Georges Canguilhem, La Connaissance de la vie, Paris, Librairie philosophique J. Vrin, 1965, p.167. 3 We use the notion of milieu here by referring to the French translation of Umwelt, a notion sketched by Jakob von Uexküll. An Umwelt or surrounding world refers to a functional and vital circle established between an organism and the world around it, making the world a structuring part of the organism. Cf. Jakob von Uexküll, Milieu animal et milieu humain, Paris, Bibliothèque Rivages, 2010 (1934). 4 Georges Canguilhem, La Connaissance de la vie, op. cit., p. 167. 5 Cf.Christian Wolff, Principes du droit de la nature et des gens, Caen, Éditions d’Amsterdam, 1758. 6 Hubert Damisch, « L’Arche de Noé » in Revue critique n°43 (janvier-février 1987) and Hubert Damisch, Noah’s Ark, Essays on Architecture, published by A. Vidler, MIT Press, 2016. 7 This was, perhaps, the project of the Philosophical Anthropology as outlined by M. Scheler, H. Plessner and A. Gehlen almost a century ago. 8 Max Scheler, Nature et forme de la sympathie. Contribution à l’étude des lois de la vie émotionnelle, Paris, Payot, p. 128. 9 We borrow the term “melody” from Uexküll’s theoretical biology. Cf. Jakob von Uexküll, Cartas biológicas a una dama, (traducción de T. Bartoletti y L. C. Nicolas), Buenos Aires, Editorial Cactus, 2014 (1920), pp. 99-100. 10 Georges Canguilhem, La Connaissance de la vie, op. cit., p. 167.
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TEMPS, FOLIE ET DÉMOCRATIE NOTES SUR LE PRÉSENT W. J. T. Mitchell La version originale de ce texte est disponible à cette adresse : https://critinq. wordpress.com/2018/10/30/present-tensetime-madness-and-democracy-around-6november-2018/
Le présent est réel d’une façon que le passé et le futur ne sont pas. Saint-Augustin Puissiez-vous vivre des temps intéressants. Malédiction Chinoise La folie est quelque chose de rare chez l’individu ; elle est la règle pour les groupes, les partis, les peuples, les époques. Friedrich Nietzsche
Cet essai est écrit au temps présent à propos d’un présent tendu. Il concerne la période précédant les élections de mi-mandat américaines du 6 novembre 2018, et il continuera sans aucun doute à s’écrire lui-même après cette date. Il ne s’agit pas de prédire les résultats de cette élection, qui semblent chaque jour plus incertains, mais qui seront connus au moment où vous lirez ces mots. Il s’agit de réfléchir sur le temps lui-même en tant que catégorie expérientielle et qualitative, au milieu d’une époque de la culture politique américaine qui est, au dire de tous, tendue, incertaine, « intéressante » et (surtout) folle. La folie du moment est triple : 1) il s’agit d’une psychose collective, impliquant un détachement pathologique de la réalité par de larges masses de la population américaine ; 2) la pathologie individuelle d’un souverain psychopathe et narcissique qui canalise et exploite la folie collective pour maintenir son pouvoir ; et 3) un ordre mondial qui semble tendre inexorablement vers la mort de la démocratie et son remplacement par des régimes autoritaires conduits par des hommes forts. S’il est clair depuis quelque temps que Friedrich Nietzsche avait raison au sujet de la folie « des groupes, des partis et des
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nations », nous devons maintenant porter notre attention sur l’époque, l’embardée ou le point de bascule de l’histoire que beaucoup perçoivent avec stupeur, inquiétude et crainte. De chaque côté, on entend des prédictions inquiétantes selon lesquelles si le parti Trump (anciennement connu sous le nom de Parti Républicain) gagne le 6 novembre et conserve la Chambre des représentants, Trump régnera sans contrôle pendant au moins deux et peut-être six ans encore. Pendant ce temps, il pourrait porter un coup décisif à la démocratie américaine elle-même et, dans la plus longue période du temps climatologique, porter un coup fatal aux maigres efforts déployés pour éviter une crise planétaire caractérisée par la montée du niveau des mers, le déplacement de grandes populations et des événements climatiques de plus en plus catastrophiques. Compte tenu de l’urgence de ce moment, qui a le temps de réfléchir sur le temps ? Il peut sembler qu’il est temps d’agir, pas de penser. Mais les seules actions possibles pour un simple citoyen (voter, faire du porte-à-porte, envoyer de l’argent pour des candidats et des causes) semblent être des piqûres d’épingle sur un éléphant en fuite. Le fait de savoir que « le système est faussé » par la suppression d’électeurs, le découpage électoral partisan, le piratage de machines à voter, l’argent noir, l’ingérence étrangère et les inégalités d’un système électoral qui rendent un vote du Nebraska 20 fois plus puissant qu’un autre en Californie a pour effet de réduire de façon prévisible toute idée que « chaque voix compte ». C’est donc peut-être le bon moment pour réfléchir sur le temps, après tout. Saint-Augustin a magnifiquement posé le problème du temps, notant que lorsqu’il ne considérait
pas le temps comme un concept, il savait parfaitement ce qu’il signifiait. C’est en se tournant vers la réflexion philosophique, en se posant la question « Qu’est-ce que le temps ? » que les difficultés ont commencé. Je vais éviter la question de savoir ce qu’est le temps en me tournant plutôt vers la façon dont nous le voyons et le représentons, et plus précisément sur quel type d’images du temps, tant visuelles que verbales, repose le discours de la temporalité. Au lieu d’une ontologie du temps, je propose une iconologie du temps. Je commencerai par trois images du temps qui, j’en suis sûr, vous seront familières et qui sont partout dans la façon dont nous en parlons, dont nous les mesurons et dont nous en faisons l’expérience.1 La première est, comme on peut s’y attendre, celle du trait avec toutes ses notions associées : succession, séquence, écoulement et directionnalité. C’est l’image qui régit notre expérience individuelle du temps, de la naissance à la mort, ou notre sens de la ligne temporelle supra-individuelle se déploie depuis nos ancêtres oubliés dans le passé lointain jusqu’au présent, avant de mener vers des futurs éventuels. Elle est incarnée dans la mythologie classique par la figure grecque de Kronos – le Saturne romain – qui dévore tout, y compris ses propres enfants. Le temps linéaire est ce qui sous-tend le sentiment que nous sommes « en avance sur notre temps » ou « en retard sur notre temps » ; à l’avant-garde ou voués à l’obsolescence. Le concept de Raymond Williams selon lequel les périodes historiques contiennent des « éléments résiduels, dominants et émergents » suggère que le moment lui-même est caractérisé par trois vecteurs ou lignes de force parallèles, l’un indiquant le passé (résiduel) mais persistant dans le présent, l’autre indiquant un futur possible
(l’émergent), et un qui est bidirectionnel, dominant dans « un maintenant flottant », phrase que Jonathan Culler a proposée pour le présent lyrique. A cet égard, il ne faut pas oublier le caractère linéaire du langage lui-même et en particulier des structures du temps discursif, de la parole spatialisée dans l’écrit. On le voit au niveau micro de la phrase, qui se déroule dans le temps acoustique et l’espace scriptural, interrompu par des pauses (c’est-à-dire des tirets, des virgules, des points-virgules) et, surtout, par des points, ces « periods » qui en langue anglaise renvoient sciemment à un jeu de mots sur les unités du langage et les unités de l’histoire. La deuxième image est celle d’une bulle en expansion/contraction, triviale et éphémère ou « capitale » et catastrophique (les économistes utilisent cette métaphore pour décrire les périodes de spéculation fugitive et l’inévitable éclatement de la bulle). C’est un moment qui s’étale dans toutes les directions comme une fractale infiniment ramifiante, de sorte que des dimensions telles que le passé, le présent et le futur sont considérées comme coprésentes, et des temporalités multiples vont de l’expérience individuelle du temps à la vaste échelle du « temps profond » paléontologique et aux vitesses aveuglantes du temps machinique mesurées en nanosecondes. C’est la temporalité que les Grecs ont associée au Kairos, le moment opportun qui va et vient et qui doit être saisi au bon moment ou perdu à jamais. C’est le sentiment du Roi Lear que « la maturité est tout » ou, à l’inverse, celui de Hamlet, pour qui « le temps est hors de ses gonds », où chaque action semble futile et non rentable. Dans la pensée chrétienne, le Kairos est le temps de grâce et d’inspiration particulières, où un moment donné est considéré comme la convergence d’échelles de temps
distinctes allant du moment minuscule et éphémère à l’époque la plus importante. La temporalité du kairos est invoquée lorsqu’un poète/prophète comme William Blake déclare qu’il peut « monter et descendre en six mille ans », un panorama temporel équivalent à « la pulsation d’une artère dans laquelle l’œuvre du poète est réalisée ». C’est aussi l’image que Walter Benjamin décrit comme une « constellation », lorsqu’un modèle reliant le passé et le présent dans un moment de crise apparaît dans une image dialectique. Kairos est incarné par un jeune homme ailé dont la balance de décision et de jugement est en équilibre sur le tranchant d’un rasoir. Sa caractéristique la plus notable est une étrange coiffure avec une longue mèche excessive sur le front et une calvitie bien visible à l’arrière de sa tête. La coupe de Kairos illustre le lieu commun que le moment opportun doit être saisi par sa longue mèche dès son arrivée, car une fois passée, il n’y aura plus rien à quoi s’accrocher. Soyons clairs, la figure de Kairos en ce moment n’est autre que Donald Trump lui-même, l’opportuniste intelligent qui a senti avec tant de justesse l’humeur collective de l’ère post-Obama et en a fait la plus puissante fonction politique sur la planète. La troisième est l’image du cercle, qui met l’accent sur la répétition et le retour incarnés par le cycle des saisons et les cycles quotidiens de la nuit et du jour. À son échelle la plus cosmique, on se souvient de l’image de l’Ouroboros – le serpent avec sa queue dans la bouche, l’image du « retour éternel » de Nietzsche – ou de la figure grecque d’Aion – la jeunesse qui se tient au centre de la roue du zodiaque dans les nuages de La danse de la vie humaine de Nicolas Poussin. Poussin rassemble nos trois images du temps. Le char d’Aion est dirigé par la per-
sonnification féminine de Fortuna, qui fait pleuvoir de l’argent depuis le ciel. La danse circulaire des saisons est exécutée sous l’accompagnement du luth du vieux Kronos, Père du temps, et est encadrée entre deux cupidons, l’un tenant le sablier qui symbolise le temps comme quelque chose qui s’épuise et l’autre faisant des bulles qui vont rapidement éclater. A ces trois images du temps, je veux ajouter une quatrième dimension que j’appellerai la temporalité affective qui spécifie l’humeur d’un temps, ce que Williams appelle « la structure du sentiment » qui peut caractériser une période, les émotions et attitudes particulières d’un moment ou une époque spécifique2. L’idée de temporalité affective suggère inévitablement que des catégories du sentiment humain individuel tel l’anxiété, l’espoir, la crainte, la peur, l’angoisse, la stupeur, la dépression, la joie, sont aussi vécues collectivement comme des « sentiments du temps » partagés, communs, et contagieux. Il y a de nombreuses mises en scène à petite échelle de la temporalité affective, comme dans les moments de panique et de terreur, d’enthousiasme et de haine. Les meetings de Trump, avec leurs performances rituelles de moqueries haineuses d’innombrables ennemis, sont les exemples les plus frappants de ces moments de notre temps. D’autres formes de temporalité affective sont encore plus viscérales et durables. On parle de périodes chaudes ou froides, de périodes de normalité ou d’exception.3 La malédiction chinoise « Puissiez-vous vivre des temps intéressants » suggère que les meilleurs moments, les plus heureux, sont assez ennuyeux et contiennent relativement peu d’incidents mémorables hors de l’ordinaire. Le « normal » comprend une gamme limitée d’événements spéciaux ou extraordinaires, de récidives mondaines comme les naissances, les décès et les mariages, les moments ponctuels de la vie humaine ordinaire qui marquent une période, une pause ou une transition. Vivre dans une période chaude, c’est partager des expériences de crise, de traumatisme, d’incertitude et de changement rapide. C’est sentir que l’histoire elle-même exerce une pression sur la conscience des individus et des groupes, perturbant des vies et interrompant les cycles normaux de la vie quotidienne. La version peut-être la plus extrême de la période chaude est ce que les chrétiens évangéliques américains appellent « la fin des temps », lorsque l’histoire elle-même prendra fin après une bataille cataclysmique ou un holocauste, menant à la révélation d’un ordre éternel au-delà du temps. C’est aussi la temporalité affective que la règle de Nietzsche associe à « l’époque », le tournant ou le point de bascule qui ressemble à la folie. Une période de temporalité chaude est une période où de multiples échelles convergent dans un présent singulier et où le rythme des événements et des crises semble s’accélérer. Pour les besoins de cet essai, le présent est une époque historique qui a commencé le 9 novembre 2016 et qui approche rapidement d’un moment critique de décision dans un avenir très proche – en fait un avenir précisément datable, l’élection du 6 novembre 2018. J’appelle cette période « chaude »
Giovanni Francesco Romanelli, Chronos/Saturn et son enfant, XVIIe s., Musée National de Varsovie.
Kairos. d’après l’original de Lysippos, ca. 350-330 AEC. Turin, Musée des Antiquités.
Peter Paul Rubens, Chronos ou Saturne dévorant son enfant, 1636, Musée du Prado (détail).
Kairos mettant l’accent sur la mèche avant et l’arrière de la tête chauve. Les cheveux illustrent le proverbe sur Kairos comme le moment « carpe diem ». Nicolas Poussin, La danse de la vie humaine. 1634-36. Collection Wallace, Londres. Le pilier à deux têtes sur la gauche est la figure de la Prudence, qui regarde à la fois le passé et l’avenir.
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d’abord parce que son début a été largement vécu comme une surprise et un choc. Très peu d’experts l’ont vu venir ou l’ont prédit. Deuxièmement, les deux années qui ont suivi ont été largement vécues dans la culture politique américaine comme une période de chocs, de scandales et d’événements dramatiques presque constants, allant de menaces de guerre nucléaire imminente à des révélations de comportement criminel parmi des acteurs politiques puissants, des rumeurs de trahison par le président américain et des ruptures choquantes avec des traditions établies de longue date, mais aussi avec des alliances et des normes. Une partie de la chaleur de ce moment de deux ans est son contraste avec la période précédente, la présidence relativement froide de « no-drama Obama » au dire de tous. Ce n’est pas seulement le fait que le premier président afro-américain de la nation, qui a gouverné pendant huit ans, a été remplacé par le régime d’un président blanc ouvertement raciste et suprémaciste. Le contraste est plus lié à la qualité des rythmes temporels ou à ce qu’on appelle « le cycle de l’information ». L’ère Obama a été presque entièrement exempte de scandales. (Comme en compensation de ce « déficit scandaleux », l’une des séries télévisées les plus populaires de l’ère Obama était House of Cards, l’histoire d’un président complètement corrompu qui ment impitoyablement, trahit et même assassine pour se frayer un chemin vers le pouvoir). Pendant l’ère Obama, il n’y a pas eu de nouvelles guerres, pas d’enquêtes sur son administration et pas de problèmes personnels, si ce n’est un mariage ennuyeux et parfait. Par contre, le cycle quotidien et hebdomadaire des nouvelles depuis l’élection de 2016 a été une série presque constante de chocs et de surprises, une émission de téléréalité diffusée 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, qui a fait grimper les cotes d’écoute des nouvelles par câble à un sommet historique. Aussi déplorable que puisse être Trump, il a produit d’énormes profits pour la télévision et les médias sociaux ainsi qu’un marché boursier en surchauffe alimenté par des allégements fiscaux massifs pour les riches. L’expression « breaking news » est maintenant rattrapée par la phrase favorite de Trump, « fake news », qui traite l’idée de vérité objective, d’information fiable et de connaissance scientifique comme une illusion à abolir par le pouvoir décrété et arbitraire. Chaque soir, les nouvelles commencent par tant de mises à jour haletantes de scandales nouveaux ou en cours que les événements d’hier sont bousculés hors de notre attention. La temporalité affective de la présidence Trump a été décrite dans le langage de la démence, de la maladie mentale et de la folie tant de fois au cours des deux dernières années qu’il est devenu tout à fait banal de penser que cela est l’accomplissement parfait de la règle Nietzsche des « époques » de changement radical. Trump lui-même a été étiqueté par de nombreux membres de l’American Psychiatric Association comme étant possédé par un « désordre narcissique de la personnalité », pathologique et dangereux. Je n’entrerai pas dans les débats sur ce langage diagnostique (voir mon essai « American Psychosis » pour une argumentation plus complète). Mon seul point ici est de noter que dans la
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mesure où la temporalité affective d’une époque est souvent définie par la figure souveraine, par l’image la plus importante du pouvoir et l’image la plus puissante de l’époque, Trump est l’incarnation d’une des périodes les plus folles de l’histoire américaine, comparable aux années 1960 et la guerre civile.4 Mais ce qui est plus important est qu’il n’est pas un inoffensif lunatique, mais une personne hautement qualifiée en matière de démagogie et de magouilles qui maîtrise très bien la psychologie de foule. C’est un génie de ce qu’on appelle en anglais le « gaslighting », la production d’illusions, de fausses croyances et de mensonges présentés comme des vérités. Il est si habile dans l’art de la manipulation qu’il s’en vante ouvertement en public, le plus fameux épisode étant lorsqu’il s’était vanté qu’il pourrait tuer quelqu’un en plein jour et que ses partisans lui resteraient fidèles. Et ce sont ses partisans qui transforment le plus puissamment son talent individuel pour la production d’illusions en pouvoir politique réel. C’est là que la règle de Nietzsche sur la folie des « groupes, partis et nations » entre en jeu. Le nationalisme, le tribalisme et le Parti triomphent de tous les appels au bon sens et à la décence ordinaire, et à fortiori du journalisme professionnel et des faits scientifiques. Les disciples de Trump, pris individuellement, sont précisément les gens « normaux, décents » que vous rencontrez tous les jours dans les banlieues et les petites villes d’Amérique ; il serait « rare » de rencontrer un disciple de Trump qui soit atteint d’un trouble mental. Mais en tant que groupe, et surtout en tant que foule, ils se transforment en un instant en une masse paranoïaque, sadique et cruelle, prête à mépriser toute cible des abus de Trump, notamment les journalistes qui sont dénoncés comme « ennemis du peuple ». Et dans l’ombre, derrière les foules, les élites politiques et économiques patientent lors des rassemblements typiques de Trump, se considérant ellesmêmes comme les bénéficiaires du pouvoir politique qu’il génère. Comme Trump lui-même, ils contribuent à alimenter l’hystérie de masse par le cynisme et l’opportunisme lucides qu’il apporte. En tant que représentant de cette coalition Faustienne d’imbéciles et de voyous, Trump a réussi à donner une mauvaise réputation à la maladie mentale. Contrairement à la plupart des gens qui sont mentalement malades, et généralement inoffensifs, Trump ne souffre pas de son état, mais se réjouit de celui-ci, en particulier de son manque psychopathique d’empathie pour les autres êtres humains. Dernière insulte au bon sens et à la communauté de la réalité, quiconque remet en cause la légitimité du régime Trump est dénoncé comme souffrant mentalement d’un diagnostic totalement nouveau connu sous le nom de « Trump Derangement Syndrome ». L’époque de Trump a été lancée par une élection, et l’événement tant attendu qui a le potentiel de produire un tournant important ou une rupture dans cette ère est l’élection imminente qui aura lieu dans quelques jours. Comment imaginer la temporalité de ce moment miniature, durant les jours qui nous séparent de cette élection ? Quelle est la structure et la charge affective du moment ?
La plus évidente est peut-être la figure du cercle, explicitement nommée dans le langage des « cycles » électoraux américains. Il y a aussi un sens de la progression linéaire de son apparition à un moment critique de « ponctuation », la première fois que le public américain a l’occasion de faire une déclaration collective et un jugement électoral sur la présidence Trump. On peut espérer un point, le signe de ponctuation emphatique pour une fin, mais un signe moins décisif est plus probable. La fin n’est pas proche, seulement un espoir de ralentissement du mastodonte Trump. Depuis le jour choquant de l’élection de Trump, la majorité des citoyens américains attendent une fin, un événement ponctuant – en fait, une sentence telle qu’une destitution ou une mise en accusation – qui mettra fin à sa présidence. Il est donc peu probable que l’époque de l’atout s’achève le 6 novembre, et nous pouvons être sûrs que la folie va continuer. Le mieux que l’on puisse espérer est l’application de certaines restrictions sur son comportement et celui de ses partisans, dans la possibilité précaire que la Chambre des représentants soit transformée en une majorité démocratique. Nous sommes à un moment où, même si nous voudrions prédire et parler de l’avenir, nous sommes incapables de faire des déclarations vérifiables à ce sujet, comme « le soleil se lèvera demain matin ». Mais nous ne sommes pas tout à fait dans l’état qu’Aristote a décrit dans De Interpretatione quand, en réfléchissant aux déclarations sur le temps, il écrivait « il est nécessaire qu’il y ait une bataille navale demain ou qu’il n’y en ait pas ». En fait, il est nécessaire que, dans les cycles chronologiques du temps démocratique, il y ait « une bataille navale demain », sous la forme de l’élection du 6 novembre prochain. Ce qui n’est pas nécessaire ou certain, c’est le résultat. Ce moment doit donc être considéré structurellement comme la convergence de mes trois images du temps : la ligne qui s’éloigne du passé, dans le présent, vers l’avenir ; le cycle des élections démocratiques américaines ; et la bulle contenant son réseau de temporalités différentes qui sont toutes concentrées dans ce moment. Cette dernière structure devient visible si nous nous rappelons simplement les questions en jeu et qui seront décidées au moins partiellement le 6 novembre. La façon la plus claire d’imaginer cela est d’envisager la possibilité que les démocrates ne parviennent pas à s’emparer de l’Assemblée et que le pouvoir de la Cour suprême soit libre d’aller de l’avant avec peu ou pas d’opposition institutionnelle au-delà des manifestations de rue (rejetées par Trump comme « mob rule », une sorte de dictature de la populace), des journalistes professionnels (dénoncés comme « fake new », « ennemis d’ennemis du peuple ») et un nombre rapidement en déclin des « pseudo-juges » chargés de faire appliquer la loi et la constitution des États-Unis. Au niveau de la macropolitique, il faut admettre que le sort de la démocratie américaine est en jeu, sur le fil du rasoir de Kairos. Si Trump règne encore deux ans sans être contrôlé, il pourrait bien être fatal à la Constitution elle-même. Dans le pire des cas, il pourrait suivre l’exemple des dirigeants politiques qu’il admire le plus et déclarer un état d’exception dans lequel les futures élections seraient reportées, suspendues ou désespérément com-
promises par des formes encore plus extrêmes de manipulation et de suppression d’électeurs. Il a plaisanté sur le fait d’être « président à vie », mais nous avons appris la dure leçon que les blagues de Trump n’ont rien de drôle. À un tout autre niveau de temporalité, plus vaste que le sort des États-Unis et de la Constitution, il y a la question du monde. Certes, j’ai esquissé une image sombre de ce qu’il pourrait faire à mon pays, mais nous avons déjà vu un échantillon de ce qu’il pourrait faire au reste du monde. À plus grande échelle, il y a la question du changement climatique, qu’il a dénoncé à maintes reprises comme un canular chinois, tout en retirant les États-Unis des accords internationaux très fragiles qui traitent de cette menace à long terme pour la qualité de vie humaine. Notre problème est le problème du monde et fait partie d’un processus mondial de démocraties défaillantes, d’États défaillants et de la montée des gouvernements autoritaires et des seigneurs de la guerre comme tendances émergentes de notre époque. Une autre façon d’exprimer cela dans les termes de notre discussion est de voir que Kairos et Chronos convergent dans les jours à venir. Chronos – la force irrésistible du temps avec sa faux – donne à Kairos – la belle jeunesse qui personnifie la possibilité et le potentiel de saisir l’occasion – une date butoir. Nous avons tendance à considérer Kairos en termes essentiellement positifs, comme le moment opportun où la chance et la disponibilité peuvent mener à la bonne fortune. Mais Kairos est aussi une figure de la précarité, s’équilibrant difficilement sur un globe tenant une balance qui pourrait basculer dans les deux sens. Kairos ressemble beaucoup à la figure plus tardive de Fortuna, une image équivoque d’incertitude et de risque. Et Fortuna est hantée par sa sombre sœur, Némésis, qui se tient aveuglément sur les scènes de catastrophe. La temporalité affective qui accompagne ces structures et ces figures du temps est d’une intensité maximale, un mélange d’espoir et de peur, de possibilité et de crainte. C’est avant tout le sens de ce que les Grecs appellent la « parousia » et les chrétiens l’« avènement », l’approche inévitable de quelque chose qui arrivera certainement à une certaine date mais qui n’a pas encore montré son visage. Ce moment contraste fortement avec octobre 2016, alors qu’une majorité d’Américains se dirigeait avec complaisance vers un régime Clinton qui poursuivrait la temporalité froide obtenue sous Obama, avec l’espoir que Trump s’effacerait dans l’oubli. Cette fois-ci, c’est différent, du moins en ce sens que le public américain est éveillé, alerte et alarmé. Nous ne pouvons qu’espérer que cela fera une différence le jour du jugement, le « moment de vérité », et de la décision qui approche. L’image de Kairos et de ses balances le relie aux icônes du jugement et de la justice. Il convient de noter à cet égard que les semaines précédant les élections du 6 novembre, au cours desquelles ces pages ont été écrites, ont été marquées par une crise de justice encore plus littérale, à savoir les audiences tumultueuses sur la nomination de Brett Kavanaugh à la Cour suprême des États-Unis. Le juge Kavanaugh a été accusé
de façon crédible au cours des audiences d’avoir tenté de violer une jeune femme alors qu’ils étaient adolescents, il y a plus de trente ans. Il a réagi à ces accusations en lançant une tirade de contre-accusations, en insultant les sénateurs démocrates, en prétendant que l’accusation de viol était un complot politique et (pire encore) en se dissimulant et parjurant son comportement durant ses études secondaires. Dans le contexte plus large de la Parousia qui a précédé les élections, le processus de confirmation par le Sénat a fait naître un petit jeu passionnel de crise du régime Trump. Le jour où j’ai écrit ces mots, le Sénat a approuvé la nomination de Kavanaugh par la plus mince marge de l’histoire, votant presque exactement en suivant les lignes des partis pour lui donner un mandat à vie. L’effort de la droite visant à truffer les tribunaux de juges conservateurs a réussi à élever un menteur et idéologue moralement corrompu aux rangs du plus haut tribunal du pays, avec la forte probabilité qu’il y siégera pendant les trente prochaines années. La décision a été largement considérée comme la répétition d’un drame qui s’était joué vingt-sept ans plus tôt dans la confirmation du juge Clarence Thomas à la Cour suprême malgré les allégations crédibles de harcèlement sexuel par Anita Hill. Cette fois, c’était sans doute pire à tous points de vue. Quiconque espérait un moment Kairatique en ce qui concerne la justice à notre époque a dû être dévasté par ce résultat. Je n’ai aucune idée si cet essai sur les images et les affects de la temporalité environnante sera utile pour répondre à la question éternelle des crises politiques et des époques historiques, à savoir : que faire ? Rédigé au présent avec incertitude et crainte, il ne peut être utilisé que comme un message dans une bouteille. On peut espérer qu’elle sera échouée sur le rivage par la « vague bleue » tant attendue qui contrôlera la puissance de Trump. L’alternative est trop horrible pour être envisagée. En attendant, il n’y a pas de temps tel que le présent pour produire des images critiques de l’époque. 1 Henri Bergson a également proposé trois images du temps (les « deux bobines », le « spectre » et l’infiniment petit morceau d’élastique) beaucoup plus compliquées que celles que je propose ici. Ce que nous partageons est : 1) la distinction fondamentale entre Chronos et Kairos, mécanique ou horloge-temps versus temps subjectif, temps expérientiel ; et 2) la nécessité d’éviter les questions ontologiques telles que « qu’estce que le temps » au profit de modèles iconologiques, triangulés afin d’orienter nos façons de vivre et de débattre du temps. (Voir Henri Bergson, Time and Free Will: An Essay on the Immediate Data of Consciousness, trans. F. L. Pogson (Mineoloa, N.Y., 2001). La triangulation du temps semble être une obsession ancienne, comme l’indique la triade de Chronos, Kairos et Aion. 2 Williams a inventé cette phrase à l’origine dans sa Préface au cinéma (1954) comme une alternative au concept d’hégémonie d’Antonio Gramsci. J’adapte ici la distinction de Marshall McLuhan entre les médias chauds et froids, définis respectivement comme « haute » et « basse » résolution, le média chaud bombardant les sens d’une surcharge d’informations, tandis que le média froid invite le destinataire à combler et à compléter les lacunes dans les informations. 3 Voir Thomas L. Friedman, « The American Civil War, Part II », New York Times, 2 octobre 2018 [http://www.nytimes.com/ 2018/10/02/opinion/the-american-civilwar-part-ii.html] 4 L’origine de cette phrase est attribuée au chroniqueur conservateur Charles Krauthammer, qui l’a inventée sous la présidence de George W. Bush. Elle a été largement adopté par divers experts conservateurs et modérés comme moyen de souligner leur propre possession d’une sensibilité équilibrée, mature et raisonnable.
TIME, MADNESS AND DEMOCRACY NOTES ON THE PRESENT W. J. T. Mitchell This article was first published here: https:// critinq.wordpress.com/2018/10/30/present-tense-time-madness-and-democracyaround-6-november-2018/
The present is real in a way in which the past and the future are not. Saint Augustine May you live in interesting times. Ancient Chinese Curse Insanity in individuals is somewhat rare. But in groups, parties, nations, and epochs it is the rule. Friedrich Nietzsche
This essay is written in the present tense about a tense present. It concerns the period leading up to the US midterm election on 6 November 2018, and it will no doubt continue writing itself after that date. It is not an attempt to predict the results of that election, which seem to become more uncertain every day but will be known by the time you read these words. The aim is to reflect on time itself as an experiential, qualitative category, in the midst of a time in American political culture that is by all accounts tense, uncertain, “interesting,” and (above all) crazy. The craziness of the moment is threefold: 1) it is a collective psychosis, involving a pathological detachment from reality by large masses of the American population; 2) the individual pathology of a psychopathic and narcissistic sovereign who channels and exploits the collective insanity to maintain his power; and 3) a world order that seems to be trending inexorably toward the death of democracy and its replacement by authoritarian regimes led by strong men. If it has been clear for some time that Frie-
drich Nietzsche was right about the madness of “groups, parties, and nations”, we must now turn our attention to the epoch, the swerve or tipping point in history that is experienced by many with a sense of astonishment, anxiety, and alarm. On every side one hears ominous predictions that if the Trump party (formerly known as Republican) is victorious on 6 November and holds on to the House of Representatives, Trump will reign unchecked for at least two and possibly six more years. In that time he could deal a decisive blow to American democracy itself, and (in the longer durée of climatological time), deliver a death blow to the meager efforts to stave off a planetary crisis of rising sea levels, displacement of large populations, and increasingly disastrous weather events. In view of the urgency of this moment, who has time to reflect on time? It might seem like it is time to act, not to think. But the only actions available to a private citizen (voting, canvassing, sending money to candidates and causes) seem like pinpricks on a runaway elephant. The knowledge that “the system is rigged” by voter suppression, gerrymandering, hacking of voting machines, dark money, foreign interference, and the inequities of an electoral system that makes a vote in Nebraska twenty times as powerful as a vote in California has the predictable effect of dampening any notion that “every vote counts.” So it may be a good time to reflect on time after all. Saint Augustine set the problem of time up beautifully, noting that
when he wasn’t thinking about time as a concept he knew perfectly well what it meant. It was when he turned to philosophical reflection, asking the question “What is time?” that difficulties began. I am going to avoid the question of what time is by turning instead to how we see it and represent it, and specifically to what sort of images of time, both visual and verbal, underlie the discourse of temporality. Instead of an ontology of time, I propose an iconology of time. I will begin with three pictures of time that I am sure will be familiar to you and that are everywhere in the way we talk about it, measure it, and experience it.1 The first, predictably, is the image of the line, with all its associated notions of succession, sequence, flow, and directionality. This is the image that governs our individual experience of time, beginning with birth and ending with death, or our supra-individual time sense of line that extends from our forgotten ancestors in the distant past down to the present and leads on into possible futures. It is personified in classical mythology by the Greek figure of Kronos—the Roman Saturn—who devours everything, including his own children. Linear time is what underlies the sense that we are “ahead of our time” or “behind the times,” part of the avant-garde or doomed to obsolescence. Raymond Williams’s concept of historical periods as containing “residual, dominant, and emergent elements” suggests that the moment itself is characterized by three parallel vectors or lines of force, one pointing to the past (residual) but per-
sisting in the present, one pointing forward to a possible future (the emergent), and one that is bidirectional, the dominant poised in “the floating now,” a phrase that Jonathan Culler has proposed for the lyrical present. In this regard, we should not forget the linear character of language itself and particularly of the structures of discursive time, of speech spatialized in writing. This can be seen at the microlevel of the sentence, which proceeds in acoustical time and scriptive space, interrupted by pauses (that is, dashes, commas, semicolons) and, most notably, by periods, with full consciousness of the pun on units of language and of history. The second image is of an expanding/contracting bubble, trivial and ephemeral or “momentous” and catastrophic (economists employ this metaphor to describe times of runaway speculation and the bubble’s inevitable burst). This is a moment spreads out in all directions like an endlessly ramifying fractal, so that dimensions such as past, present, and future are seen as copresent, and multiple temporalities range all the way from the individual experience of time to the vast scale of paleontological “deep time” and the blinding speeds of machinic time measured in nanoseconds. It is the temporality that the Greeks associated with Kairos, the opportune moment that comes and goes and must be seized at the right time or lost forever. It is King Lear’s “ripeness is all” or (conversely) Hamlet’s sense that “the time is out of joint,” wherein every action seems futile and unprofitable. In Christian thought, Kairos is the
time of special grace and inspiration, when a given moment is seen as the convergence of distinct time scales ranging from the tiny, ephemeral moment to the momentous era. Kairatic temporality is invoked when a poet/prophet like William Blake declares that he can “walk up and down in Six Thousand Years,” a temporal panorama that is equivalent to the “pulsation of an artery in which the poet’s work is done.” It is also the image that Walter Benjamin describes as a “constellation,” when a pattern linking past and present in a moment of crisis flashes up in a dialectical image. Kairos is personified by a winged youth who balances the scales of decision and judgment on a razor’s edge. His most notable feature is a strange hairdo with a large, exaggerated forelock and a prominent bald spot on the back of his head. Kairos’s haircut illustrates the commonplace that the opportune moment must be grabbed by the forelock as it arrives, because once it has passed by there will be nothing to hold onto. As should be clear, the figure of Kairos in our present moment is none other than Donald Trump himself, the clever opportunist who sensed so accurately the collective mood of the post-Obama era and leveraged it into the most powerful political office on the planet. The third is the image of the circle, which emphasizes the repetition and return epitomized by the cycle of the seasons and the diurnal cycles of night and day. At its most cosmic scale, one is reminded of the image of the OuCRITIQUE
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roboros—the serpent with its tail in its mouth, Nietzsche’s image of “eternal return”—or the Greek figure of Aion—the youth who stands in the center of the Zodiac wheel in the clouds in Nicolas Poussin’s Dance to the Music of Time. Poussin combines figures from all three of our pictures of time. The chariot of Aion is led by the female personification of Fortuna, who rains money from above the clouds. The circular dance of the seasons is performed to the lute accompaniment of old Kronos or Father Time and is framed between a pair of cupids, one holding the hourglass that symbolizes time as something that is “running out,” and the other blowing bubbles that will quickly expand and burst. To these three pictures of time I want to add a fourth dimension that I will call the affective temporality that specifies the mood of a time, what Williams called “the structure of feeling” that characterizes a period, or the particular emotions and attitudes that arise in a specific moment or epoch.2 The idea of affective temporality inevitably suggests that categories of individual human feeling such as anxiety, hope, fear, dread, shock, depression, happiness, and joy are also experienced collectively, as shared, common, and contagious “feelings of the time.” There are numerous small-scale stagings of affective temporality, as in moments of panic and terror, or enthusiasm and hatred. Trump rallies, with their ritual performances of hateful mockery of innumerable enemies, are the most vivid examples of these moments in our time. Other forms of affective temporality are even more visceral and long-lasting. We speak of hot and cold periods, times of normalcy and exception.3 The Chinese curse “may you live in interesting times” suggests that the best, the happiest times are relatively boring, containing relatively few memorable incidents outside the ordinary. The “normal” includes a limited range of special or extraordinary events, mundane recurrences like births, deaths, and marriages, the punctuating moments in ordinary human life that mark a period, pause, or transition. To live in a hot period is to share experiences of crisis, trauma, uncertainty, and rapid change. It is to feel that history itself is pressing down on individuals’ and groups’ consciousness, disrupting lives and interrupting the normal cycles of daily life. Perhaps the most extreme version of the hot period is what American evangelical Christians refer to as “end times,” when history itself will come to an end after a cataclysmic battle or holocaust and the revelation of an eternal order beyond time. This is also the affective temporality that Nietzsche’s rule associates with the “epoch,” the turning point or tipping point that feels like madness. A period of hot temporality is one in which multiple scales converge in a singular present and the pace of events and crises seems to accelerate. For the purposes of this essay, the present is a historical epoch that began on 9 November 2016 and is rapidly approaching a critical moment of decision in the very near future—in fact a precisely datable future, the election on 6 November 2018. I call this a hot period first because its onset was widely experienced as
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Giovanni Francesco Romanelli, Kronos/Saturn with Child. 17th c., National Museum in Warsaw.
Kairos. Roman work after the original by Lysippos, ca. 350-330 BCE, Turin, Museum of Antiquities.
Peter Paul Rubens, Kronos or Saturn devouring his own son, 1636, Museo del Prado (detail).
Kairos emphasizing forelock and bald back of head. The hair illustrates the proverb about Kairos as the “carpe diem” moment. Nicolas Poussin, Dance to the Music of Time. 1634-36. Wallace Collection, London. The two headed pillar on the left is the figure of Prudence, that looks both to the past and the future.
a surprise and shock. Very few experts saw it coming or predicted it. Second, the ensuing two years have been widely experienced in American political culture as one of almost constant shock, scandal, and dramatic news events, ranging from threats of imminent nuclear war to revelations of criminal behavior among powerful political actors, rumors of treason by the American president, and shocking breaks with long-established customs, alliances, and norms. Part of the heat of this two-year moment is its contrast to the previous period, the by all accounts relatively cool presidency of “no-drama Obama.” It is not merely that that the previous eight-year reign of the nation’s first African-American president has now been succeeded by the regime of an openly racist white-supremacist president. The contrast has more to do with the quality of temporal rhythms or what is called “the news cycle.” The Obama era was almost completely scandal free. (As if in compensation for this “scandal deficit,” one of the most popular TV series in the Obama era was House of Cards, the story of a completely corrupt president who ruthlessly lies, betrays, and even murders his way to power). During the Obama era, there were no new wars, no investigations of his administration, and no personal issues to speak of, other than a boringly perfect marriage. By contrast, the daily and weekly news cycle since the election of 2016 has been an almost constant series of shocks and surprises, a 24/7 reality TV show that has driven the ratings of cable news to an all-time high. Deplorable as Trump may be, he has produced huge profits for television and social media along with an overheated stock market fueled by massive tax breaks for the rich. The phrase “breaking news” is now joined by Trump’s favorite line, “fake news,” which treats the idea of objective truth, reliable information, and scientific knowledge as delusions to be abolished by fiat and arbitrary power. Every evening, the news begins with so many breathless updates of new or ongoing scandals that yesterday’s events are crowded out of attention. The affective temporality of the Trump presidency has been described in the language of insanity, mental illness, and madness so many times in the last two years that it has become utterly commonplace to think of this as the perfect fulfilment of Nietzsche’s rule about “epochs” of radical change. Trump himself has been labelled by numerous members of the American Psychiatric Association as possessed by a pathological and dangerous “narcissistic personality disorder.” I won’t go into the debates over this diagnostic language (see my “American Psychosis” essay for a fuller discussion). My only point here is to note that insofar as the affective temporality of an epoch is often defined by the sovereign figure, the most prominent image of power and the most powerful image of the time, Trump is the incarnation of one of the craziest periods in American history, comparable to the 1960s and the Civil War.4 More important, he is not just a harmless lunatic, but a highly skilled demagogue and con man who understands crowd psychology very well. He is a genius at what is called gaslighting, the production of delusions, false beliefs, and outright lies presented
as truths. So skilled is he at the art of manipulation that he openly brags about it in public—most famously when he bragged that he could murder someone in broad daylight and his followers would still stick with him. And it is his followers who most potently transform his individual talent for the production of delusions into actual political power. This is where Nietzsche’s rule about the madness of “groups, parties, and nations” comes into focus. Nationalism, tribalism, and the Party triumph over all appeals to common sense and ordinary decency, much less appeals to professional journalism or scientific fact. Trump’s followers, taken individually, are precisely the «normal, decent» folks you encounter every day in the suburbs and small towns of America; it would be “rare” to encounter a Trump follower who is mentally ill. But as a group, and especially as a crowd, they are transformed in an instant into a paranoid, sadistic, and cruel mass that is ready to heap contempt on any target of Trump’s abuse, most notably journalists who are denounced as “enemies of the people.” And hovering in the shadows behind the crowds at the typical Trump rally are the political and economic elites who see themselves as beneficiaries of the political power he generates. Like Trump himself, they help to fuel the mass hysteria with the clear-eyed cynicism and opportunism he provides. As a representative of this Faustian coalition of fools and knaves, Trump has managed to give mental illness a bad name. Unlike most people who are mentally ill, and generally harmless, Trump does not suffer from his condition, but exults in it, particularly in his psychopathic lack of empathy for other human beings. As a final insult to common sense and the reality-based community, anyone who questions the legitimacy of the Trump regime is denounced as mentally ill—suffering from a completely novel diagnosis known as “Trump derangement syndrome.” The Trump epoch was launched by an election, and the longawaited event that has the potential to produce a significant turn or break in that era is the impending election, just a few days in our future. How can we picture the temporality of this miniature moment, the days leading up to this election? What is the moment’s structure and affective charge? Most obvious is perhaps the figure of the circle, explicitly named in the language of American election “cycles.” There is also a sense of the linear progression from its onset to a critical instant of “punctuation,” the first time the American public gets to make a collective statement and an electoral judgment about the Trump presidency. One might hope for a period, the emphatic punctuation mark for an ending, but a less decisive mark is more likely. The end is not at hand, only a hope for a slowing of the Trump juggernaut. Since the shocking day of Trump’s election, the majority of American citizens have been waiting for an end, a punctuating event—indeed, a sentence such as an impeachment or indictment— that will bring an end to his presidency. So the Trump epoch is unlikely to come to an end on 6 November, and we can be sure the madness will continue. The best we can hope for is the application of some restraints on his beha-
vior and that of his followers, in the precarious possibility that the House of Representatives will be flipped to a Democratic majority. We are in a moment when, much as we would like to predict and talk about the future, we are incapable of making any verifiable statements about it such as “the sun will rise tomorrow morning.” But we are not quite in the condition that Aristotle described in De Interpretatione when, reflecting on statements about time, he said “It is necessary that either there will be a sea battle tomorrow, or there will not be.” In fact it is necessary that, in the chronological cycles of democratic time, there will be “a sea battle tomorrow,” in the form of the election on 6 November. What is not necessary or certain is the outcome. So this moment has to be seen structurally as the convergence of all three of my pictures of time: the line that moves in a direction out of the past, into the present, toward futurity; the cycle of American democratic elections; and the bubble containing its network of different temporalities that are all concentrated in this moment. This last structure becomes visible if we simply remind ourselves of the matters that are at stake and will be at least partly decided on 6 November. The clearest way to imagine this is to contemplate the possibility that the Democrats will fail to take the House, and the Trump juggernaut will be free to push forward with little or no institutional opposition beyond street protests (dismissed by Trump as “mob rule”), professional journalism (denounced as “fake news” and the “enemy of the people”), and a rapidly diminishing number of “so-called judges” who will uphold the rule of law and the US Constitution. At the level of macropolitics, one has to admit that the fate of American democracy hangs in the balance, on the razor edge wielded by Kairos. If Trump reigns unchecked for two more years, he could well be fatal to the Constitution itself. Worst-case scenario: he could follow the example of the political leaders he admires most and declare a state of exception in which future elections are postponed, suspended, or hopelessly compromised by even more extreme forms of gerrymandering and voter suppression. He has joked about being “president for life,” but we have learned the hard lesson that Trump’s jokes are no laughing matter. At a completely different level of temporality, larger than the fate of the United States and the Constitution, there is the question of the world. Admittedly, I have been sketching a dark picture of what he could do to my country, but we have already seen a sample what he could do to the rest of the world. At the largest time scale there is the question of climate change, which he has repeatedly denounced as a Chinese hoax, while pulling the US out of the very fragile international agreements that address this longest-term threat to the quality of human life. Our problem is the world’s problem and is part of a global process of failing democracies, failed states, and the rise of authoritarian governments and warlords as the emergent tendencies of our moment. Another way to put this in the terms of our discussion here is to see that Kairos and Chronos are converging in the coming days.
Chronos—the irresistible force of time with his scythe—gives Kairos—the beautiful youth who personifies possibility and the potential to seize the occasion—a cut-off date. We tend to think of Kairos in mainly positive terms, as the opportune moment when luck and readiness might lead on to good fortune. But Kairos is also a figure of precarity, balancing uneasily on a globe holding scales that could tip in either direction. Kairos closely resembles the later figure of Fortuna, an equivocal image of uncertainty and risk. And Fortuna is haunted by her dark sister, Nemesis, who stands blindly over scenes of catastrophe. The affective temporality that accompanies these structures and figures of time is one of peak intensity, a mixture of hope and fear, possibility and dread. It is, above all, a sense of what the Greeks called parousia and Christians call “advent,” the inevitable approach of something that will certainly happen on a certain date but which has not yet shown its face. This moment stands in stark contrast to October 2016, when a majority of Americans were complacently sleep-walking toward a Clinton regime that would continue the cool temporality achieved under Obama, with every expectation that Trump would fade into oblivion. This time is different, at least in the sense that the American public is awake, alert, and alarmed. We can only hope that this will make a difference on the day of reckoning, the “moment of truth,” and decision that approaches. The image of Kairos and his scales links him to icons of judgment and justice. It is notable in this regard that the weeks preceding the 6 November election in which these pages were written were marked by an even more literal crisis of justice, namely the tumultuous hearings over the nomination of Brett Kavanaugh to the Supreme Court of the United States. Judge Kavanaugh was credibly accused during the hearings of attempting to rape a young woman when they were teenagers, over thirty years ago. His response to the accusations was to engage in a tirade of counteraccusations, insulting the Democratic senators, claiming that the rape accusation was a political plot, and (even worse) dissembling and perjuring himself about his behavior during his high-school years. Within the larger moment of parousia leading up to the elections, the process of Senate confirmation provided a miniature passion play of the crisis of the Trump regime. On the day I wrote these words, the Senate approved Kavanaugh’s nomination by the slimmest margin in history, voting almost exactly along party lines to give him a lifetime appointment. The right-wing effort to stack the courts with conservative judges succeeded in elevating a morally tainted liar and ideologue to the highest court in the land, with the high probability that he will be serving there for the next thirty years. The decision was widely regarded as a repetition of a drama that was played out twenty-seven years earlier in the confirmation of Judge Clarence Thomas to the Supreme Court despite the credible allegations of sexual harassment by Anita Hill. This time was arguably worse in every way. Anyone hoping for a Kairatic moment with respect to justice in our time had to be devastated by this outcome.
I have no idea whether this essay on the images and affects surrounding temporality will have any utility in answering the perennial question of political crises and historical epochs, namely: what is to be done? Written in a present tense with uncertainty and dread, its only use may be as a message in a bottle. One can hope that it will be washed up on shore by the hoped-for “blue wave” that will check Trump’s power. The alternative is too awful to contemplate. In the meantime, there is no time like the present to produce critical pictures of the times. 1 Henri Bergson also proposed three pictures of time (the “two spools,” the “spectrum,” and the infinitely small piece of elastic) much more complicated than the commonplace ones I propose here. What we share is: 1) the basic distinction between Chronos and Kairos, mechanical or clock-time versus subjective, experiential time; and 2) the need to avoid ontological questions such as “what is time?” in favor of iconological models, triangulated so as to orient our ways of experiencing and discussing time. See Henri Bergson, Time and Free Will: An Essay on the Immediate Data of Consciousness, trans. F. L. Pogson (Mineoloa, N.Y., 2001). The triangulation of time seems to be an ancient obsession, as the triad of Chronos, Chairos, and Aion indicate. 2 Williams coined this phrase originally in his Preface to Film (1954) as an alternative to Antonio Gramsci’s concept of hegemony. I am adapting here Marshall McLuhan’s distinction between hot and cool media, defined as “high” and “low” resolution respectively, the hot medium bombarding the senses with information overload, while the cool medium invites the recipient to fill in and supplement the gaps in information. 3 See Thomas L. Friedman, “The American Civil War, Part II,” New York Times, 2 Oct. 2018 [http://www.nytimes.com/2018/10/02/opinion/the-american-civil-war-part-ii.html] 4 The origin of this phrase is credited to conservative columnist Charles Krauthammer, who coined it during the presidency of George W. Bush. It has been widely adopted by a variety of conservative and moderate pundits as a way of underscoring their own possession of a balanced, mature, and reasonable sensibility.
CRITIQUE
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LA SANTÉ ZAPATISTE UN SYSTÈME AUTONOME ORIGINAL AU SUD-EST DU MEXIQUE Cybèle David PRÉSENTATION Dans les années 1980, la rencontre de révolutionnaires citadins avec des communautés mayas paysannes dans l’État du Chiapas au Mexique a donné naissance à l’Armée Zapatiste de Libération Nationale (EZLN). Après 10 ans d’organisation dans la clandestinité, les Zapatistes se soulèvent le 1er janvier 1994, jour de l’entrée en vigueur du traité de libre-échange
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d’Amérique du nord (ALENA). Ils et elles ont occupé cinq des plus grandes villes du Chiapas, puis ont affronté l’armée mexicaine plusieurs jours (faisant des centaines de morts) avant un cessezle-feu sous la pression du mouvement social mexicain. S’en suivent plusieurs mois de négociations avec le gouvernement, entrecoupés par des phases de discussions et de consultations entre les Zapatistes, la société civile et les autres
peuples indigènes présents sur le territoire mexicain. En 1996, le gouvernement mexicain et l’EZLN signent les Accords de San Andrés sur les Droits et Cultures Indigènes. Cependant, les gouvernements successifs n’ont jamais mis en application ces accords, ce qui a mené les Zapatistes à la rupture définitive des négociations. Les Zapatistes ont alors décidé de prendre leur
autonomie et de la construire malgré tout sur leur territoire, constitué de nombreuses communautés Tzotziles, Tzeltales, Tojolabales, Mams et Choles. Ils et elles mènent cette lutte tout en consolidant leur réseau de solidarité au Mexique avec notamment le Conseil National Indigène mais aussi à l’international dans le cadre de la Sexta (réseau international des collectifs, organisations et personnes qui adhèrent à leur
projet de la Sixième Déclaration de la Forêt Lacandone). Il s’agit d’un véritable défi puisque les trois niveaux de gouvernements (fédéral, étatique et municipal) mènent depuis 1994 une guerre dite « de basse intensité » qui se caractérise par des attaques indirectes, l’instrumentalisation de groupes paramilitaires, la mise en œuvre de projets touristiques ou de projets dits « de développe-
ment » sur leur territoire, l’achat de voix aux élections, et bien évidemment l’occupation militaire… La résistance à toutes ces tentatives de déstabilisation est donc au cœur de la lutte zapatiste. L’armée zapatiste (EZLN) a pour rôle de protéger le territoire tandis que les bases d’appui constituent la population civile zapatiste.
CONSTRUCTION DE L’AUTONOMIE Après la mise en place des municipalités autonomes et rebelles zapatistes (MAREZ) dès 1994, les zapatistes annoncent, en 2003, la création des cinq Caracoles (centres administratifs et politiques régionaux, anciens « Aguascalientes » : La Realidad, Oventik, La Garrucha, Morelia et Roberto Barrios) correspondant aux cinq régions du territoire zapatiste et la mise en place des Conseils de Bon Gouvernement, chargés de l’administration, de la justice et des relations extérieures de l’organisation civile. Les Zapatistes organisent ainsi aujourd’hui leur autonomie à trois échelles : la communauté, la municipalité et la région. Toutes les décisions se prennent en assemblée générale dans laquelle toutes et tous participent (les jeunes participent dès qu’ils/ elles le souhaitent). Des mandats sont donnés pour les différentes tâches (politique, administration, santé, éducation, etc.) dans la communauté, mais aussi pour représenter la communauté dans la municipalité (assemblée municipale constituée de deux représentant·es par communauté) et dans la région (Conseil de bon gouvernement mais aussi comités d’éducation, de santé, formation, communication…). Les mandats sont en général de trois années (sauf pour la santé et l’éducation qui demandent davantage de formation) et ne sont compensés par aucun salaire. La communauté prend à sa charge la culture des terres, l’alimentation et le transport des mandaté·es afin de leur permettre d’assumer les tâches collectives qui leur incombent. Le principe général est celui du « mandar obedeciendo » (décider en obéissant) dans lequel « el pueblo manda, y el gobierno obedece » (le peuple décide et le gouvernement obéit). Tout mandat est révocable à tout moment si l’assemblée le décide. Les principales tâches des conseils communaux et des conseils de bon gouvernement (CBG) sont d’administrer leur territoire (agriculture, éducation, santé), de rendre la justice (litiges internes mais aussi avec des non-zapatistes) et pour les CBG d’assurer le lien avec l’extérieur (localement mais aussi avec les visiteurs nationaux et internationaux). Les femmes jouent un rôle fondamental dans l’organisation zapatiste dès le départ. En effet, en 1993, alors qu’une consultation interne avait lieu pour préparer le soulèvement armé, les femmes ont posé leurs conditions. Elles ne seraient actrices du mouvement qu’à la condition que la « Loi Révolutionnaire des Femmes » soit actée, ce qui fut le cas (voir annexe). Entre autres revendications, l’égalité et le respect, mais aussi l’accès à l’éducation et aux responsabilités collectives, ou encore le choix de son partenaire, d’avoir ou non des enfants et combien… De fait, les femmes ont toute leur place
à tous les niveaux d’organisation zapatiste, aussi bien dans l’EZLN que parmi les bases d’appui. Elles ont encore parfois des difficultés à prendre des responsabilités en dehors de leurs communautés mais cela change progressivement.
mandats) mais aussi des projets (construction, aménagement, fêtes…). Enfin, il existe des coopératives qui permettent essentiellement de regrouper et de vendre la production à l’extérieur (café, cuir, artisanat des femmes…).
En ce qui concerne l’économie, les Zapatistes sont presque tou·tes des paysan·nes qui vivent de leur production (qui repose essentiellement sur la culture traditionnelle du maïs et des haricots rouges, mais aussi du café, de la canne à sucre, des courges et sur l’élevage de poulets, d’ovins et/ou de bovins selon les régions). Généralement, chaque famille cultive un lopin de terre (milpa) qui lui a été attribué (en interne sur les terres récupérées en 1994, parfois dans le cadre des « ejidos », terres communales issues de la réforme agraire « officielle »). D’autres terres sont cultivées collectivement, au bénéfice de la communauté, de la municipalité ou de la région afin de financer les frais communs (notamment les charges liées aux
La santé et l’éducation occupent une place toute particulière dans la construction de l’autonomie. En effet, dès la Première Déclaration de la Forêt Lacandone le 1er janvier 1994, elles font partie des principales revendications zapatistes. Les communautés indigènes ont toujours été ignorées et mises à l’écart du système de santé et d’éducation officiels. En effet, dans les territoires du Chiapas dans lesquels vivent les Zapatistes, les écoles, les centres de soins et les hôpitaux publics sont très insuffisants et ne disposent pas de suffisamment de personnels et de moyens. Par ailleurs, les populations autochtones mayas y sont souvent discriminées : imposition du castillan comme langue, mépris, maltraitance, éloi-
gnement… Ainsi, ces deux sujets fondamentaux ont été au cœur de la réflexion et de la mise en œuvre de l’autonomie. Chacune des cinq régions a mis en place son propre système d’éducation et de santé, mais on peut retrouver des grands principes généraux. L’éducation est obligatoire et ouverte à tou·tes (y compris les enfants non zapatistes). Toutes les communautés sont désormais dotées d’une école et d’un·e promoteur·trice d’éducation (nom donné aux personnes chargées de l’éducation). L’enseignement est bilingue (voir trilingue) : la langue maternelle (Tzotzil, Tzeltal, Tojolabal, Chol ou Mam) est privilégiée mais le castillan est aussi enseigné. Certaines régions ont mis en place des écoles secondaires et/ou techniques pour former à certains métiers (notamment les promoteurs et promotrices). Des « programmes » sont définis régionalement, basé sur les besoins locaux : « l’histoire réelle des peuples » (selon leur propre définition) et leur treize revendications (le travail, la terre, le logement, l’alimentation, la santé, l’éducation, l’information, la culture, l’indépendance, la liberté, la démocratie, la justice et la paix). Il n’y a pas d’évaluation, les enfants sont respectés dans leur rythme et leur personnalité, l’idée étant que les savoirs n’ont de valeur qu’en étant partagés et mis au service de la communauté. L’égalité entre les filles et les garçons est aussi un axe central.
UN SYSTÈME DE SANTÉ ORIGINAL QUI COMBINE SAVOIRS TRADITIONNELS ET ALLOPATHIQUES Le système de santé repose sur une double organisation par échelle. La médecine traditionnelle est mise en valeur (« trois aires » : sage-femmes, plantes médicinales, et une forme d’« ostéopathie » : huesero) complétée par la médecine allopathique. Dans la médecine allopathique, les promoteurs et promotrices sont formé·e·s à la prévention, aux traitements médicamenteux, aux analyses de laboratoire, aux soins qui sont pratiqués généralement par les infirmier·e·s. Il est important de noter que, comme dans beaucoup de domaines, les Zapatistes combinent les savoirs traditionnels avec des apports extérieurs afin de mettre en place un système de santé adapté aux besoins et le plus efficace possible. La réflexion critique est permanente sur la dépendance aux médicaments issus de l’industrie pharmaceutique et tous les apports permettant de maintenir un système de soin le plus autonome possible est privilégié. Plusieurs chantiers ont été menés conjointement : construction de cliniques dans chaque municipalité puis de dispensaires dans les communautés tout en assurant la formation de promoteurs et de promotrices dans les différents domaines. La grande majorité des communautés ont un·e promotrice·teur et un dispensaire et des cliniques
sont désormais en activité dans quasiment toutes les municipalités autonomes (médecine générale, analyses biologiques et parfois petites chirurgies, dentistes, gynécologie, ambulances) et sont ouvertes à tou·tes, y compris aux non zapatistes qui eux doivent payer (des sommes modiques) pour y avoir accès. Au niveau régional, des coordonateurs sont chargé·es de répartir le matériel et les médicaments arrivés de l’extérieur, de mettre en place les campagnes de vaccination et de faire le lien avec les cliniques extérieurs en cas de besoin (chirurgies importantes ou soins particuliers). On peut dire aujourd’hui que la mortalité infantile a considérablement baissé, que l’état de santé général des populations s’est beaucoup amélioré et que tou·tes les zapatistes ont accès aux soins. La formation de promoteurs et de promotrices permet aujourd’hui d’accueillir les patient·es zapatistes et non zapatistes dans l’ensemble du territoire. Les formations sont assurées à la fois par des médecins extérieurs et par les promoteurs·trices eux/elles mêmes. Elles se déroulent généralement dans les Caracoles sur plusieurs jours. Cela permet de regrouper de nombreuses personnes dans des espaces collectifs adaptés et accessibles. Les besoins de formation restent importants et se poursuivent vue l’ampleur des besoins et le renouvellement nécessaire à l’échelle des cinq régions. En ce qui concerne la vaccination, avant les années 1990, de très nombreux enfants n’étaient pas vaccinés et mourraient de maladies curables et pour lesquels des vaccins existent. Dans la majorité du territoire zapatiste, un système de vaccination a été rétabli et a permis, combiné avec une meilleure prise en charge globale de la santé infantile, une très forte baisse de la mortalité, en particulier infantile.
CLINIQUE DES FEMMES COMANDANTA RAMONA En 2008, une clinique gynécologique régionale a été inaugurée dans la région de La Garrucha, tenue uniquement par et pour les femmes. Elle est actuellement la seule sur tout le territoire zapatiste. Elle est tenue uniquement par des promotrices, permanentes ou détachées partiellement. Les promotrices sont formées pour assurer la prévention, la planification familiale (contraception), le suivi des grossesses, les accouchements et les soins des nouveaux·elles né·es. Elles se déplacent dans toute la région pour informer sur la mise en œuvre du droit à avoir ou non des enfants (Loi Révolutionnaire des Femmes de 2003), sur la santé gynécologique et les différents moyens de contraception en lien avec les sages-femmes. Les principaux moyens de contraception sont les dispositifs intra-utérins (DIU ou stérilets) et les contraceptifs par injection, mais aussi la pilule et les préservatifs. Les accouchements se déroulent le plus souvent dans les communautés, avec l’assistance des sages-femmes (parteras). En cas de complication, les femmes peuvent être transportées dans la clinique des femmes (ou dans les cliniques municipales dans les autres régions). Lorsqu’une césarienne est nécessaire, les femmes
sont emmenées dans une des cliniques privées extérieures. Le système de santé zapatiste a encore de nombreux défis à relever sur la prise en charge des pathologies les plus graves et l’accès aux médicaments et aux traitements lourds. Cependant, il est possible de dire aujourd’hui qu’il a permis de mettre en place un réseau de prévention solide, et permet de prendre en charge les pathologies les plus courantes A l’instar du système de santé autonome zapatiste, c’est l’ensemble de l’organisation qui est en construction permanente, suivant le principe du « cheminer en se questionnant » (caminar preguntando). Dans un contexte national complexe, y compris depuis l’arrivée au pouvoir de Lopez Obrador fin 2018, la résistance des Zapatistes et la solidarité internationale sont toujours aussi nécessaire pour que la construction de l’autonomie perdure. 25 ans après le soulèvement, c’est une nouvelle génération qui a grandi et a été formée dans cette nouvelle façon de faire de la politique et de s’organiser. Pour exemple, les femmes zapatistes ont organisé une rencontre non-mixte des femmes qui luttent en 2018 : elles ont été en capacité de prendre en charge l’intégralité de l’organisation de cette rencontre qui a réuni autour de 8000 femmes du monde. La place des femmes, la place des jeunes femmes en particulier démontre, s’il en était question, l’incroyable capacité de l’organisation zapatiste à construire une société plus juste et démocratique au service des communautés autochtones.
ANNEXE Loi Révolutionnaire des Femmes Zapatistes 1. Les femmes, indépendamment de leur race, croyance ou affiliation politique, ont le droit de participer à la lutte révolutionnaire aux lieux et grades que leur volonté et leur capacité déterminent. 2. Les femmes ont le droit de travailler et de recevoir un salaire juste. 3. Les femmes ont le droit de décider du nombre d’enfants qu’elles peuvent avoir et dont elles peuvent s’occuper. 4. Les femmes ont le droit de participer aux questions qui concernent la communauté et d’exercer des responsabilités publiques, si elles sont élues librement et démocratiquement. 5. Les femmes et leurs enfants ont droit à la santé et à l’alimentation. 6. Les femmes ont droit à l’éducation. 7. Les femmes ont le droit de choisir leur mari ou compagnon, elles ne sont pas obligées de se marier de force. 8. Aucune femme ne pourra être maltraitée physiquement, ni par des membres de sa famille ni par des étrangers. Les délits de tentative de viol seront sévèrement punis. 9. Les femmes pourront occuper des responsabilités de direction dans l’organisation et obtenir des grades militaires dans les forces armées révolutionnaires. 10. Les femmes auront tous les droits et toutes les obligations en accord avec les lois et règlements révolutionnaires. Cette loi est une des premières lois édictées par les zapatistes, en janvier 1994, dans les zones sous leur contrôle.
CRITIQUE
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ZAPATISTA HEALTH AN ORIGINAL AUTONOMOUS SYSTEM IN SOUTH-EAST MEXICO Cybèle David PRESENTATION In the 1980s, the meeting of urban revolutionaries with Mayan peasant communities in the state of Chiapas, Mexico, gave birth to the Zapatista Army of National Liberation (EZLN). After 10 years of organizing underground, the Zapatistas rose up on January 1, 1994, the day of the entry into force of the North American Free Trade Agreement (NAFTA). They
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have occupied five of the largest cities in Chiapas, then faced the Mexican army for several days (making hundreds of dead) before a ceasefire under pressure from the Mexican social movement. Several months of negotiations with the government, interspersed with phases of discussions and consultations between the Zapatistas, civil society and other indigenous peoples in Mexico.
In 1996, the Mexican government and the EZLN signed the San Andres Accords on Rights and Cultures Native. However, successive governments have never implemented these agreements, which has led the Zapatistas to the final breakdown of the negotiations. The Zapatistas then decided to take their autonomy and to build it in spite of everything on their territory, made up of many Tzotze communities,
Tzeltales, Tojolabales, Mams and Choles. They are leading this fight while consolidating their network of solidarity in Mexico with the National Indigenous Council in particular, but also internationally within the framework of de la Sexta (international network of collectives, organizations and individuals who adhere to their Sixth Declaration of the Lacandon Forest).
This is a real challenge since all three levels of government (federal, state and municipal) have been waging a so-called “low-intensity” war since 1994, characterized by indirect attacks, the instrumentalization of paramilitary groups, the implementation of tourism projects or so-called “projects development” on their territory, the purchase of votes in elections, and of course the occupation Military… Resistance
to all these attempts at destabilization is therefore at the heart of the Zapatista struggle. The role of the Zapatista Army (EZLN) is to protect the territory, while the support bases constitute the Zapatista civilian population.
BUILDING AUTONOMY After the establishment of the autonomous and rebel Zapatista municipalities (MAREZ) in 1994, the Zapatistas announced, in 2003, the creation of the five Caracoles (regional administrative and political centres, former “Aguascalientes”: La Realidad, Oventik, La Garrucha, Morelia and Roberto Barrios) corresponding to the five regions of the Zapatista territory and the establishment of Good Government Councils, responsible for administration, justice and external relations of civil organizations. Today, the Zapatistas organize their autonomy on three levels: the community, the municipality, and the region. All decisions are taken at a general meeting in which all participate (young people participate as soon as they wish). Mandates are given for the different tasks (politics, administration, health, education, etc.) in the community, but also to represent the community in the municipality (municipal assembly made up of two representatives per community) and in the region (Council of Good Government but also education and health committees, training, communication…). Terms of office are generally three years (except for health and education which require more training) and are not compensated by any salary. The community is responsible for the cultivation of the land, food and transport of the representatives in order to enable them to assume the collective tasks that fall to them. The general principle is that of “mandar obedeciendo” (decide in obedience) in which “el pueblo manda, y el gobierno obedece” (the people decide and the government obeys). Any mandate may be revoked at any time if the meeting so decides. The main tasks of the communal councils and the councils of good government (CBG) are to administer their territory (agriculture, education, health), to administer justice (internal disputes but also with non-Zapatistas) and for CBGs to ensure the link with the outside world (locally but also with national and international visitors). Women play a fundamental role in the Zapatista organization from the beginning. Indeed, in 1993, as an internal consultation was taking place to prepare for the armed uprising, women set their conditions. They would only be actors of the movement if the “Revolutionary Law of the Women” is recorded, which was the case (see appendix). Among other demands, equality and respect, but also access to education and collective responsibilities, or the choice of a partner, to have or no children and how many… In fact, women have a full place at all levels of organization Zapatista, both in the EZLN and among the supporting bases. They still sometimes have difficulty to take responsibilities outside their communities but this is gradually changing. As far as the economy is concerned, the Zapatistas are almost all peasants who make
a living from their production (which is mainly based on the traditional cultivation of maize and red beans, but also coffee, sugar cane, squash and on the breeding of chickens, sheep and/ or cattle depending on the region. Generally, each family cultivates a plot of land (milpa) that has been allocated to it (internally on the land recovered in 1994, sometimes as part of the “ejidos”, communal lands resulting from the “official” agrarian reform). Other lands are cultivated collectively for the benefit of the community, the municipality or region to finance common costs (including warrant expenses) but also projects (construction, development, parties…). Finally, there are cooperatives that allow essentially to group and sell production outside the country (coffee, leather, women’s handicrafts, etc.). Health and education have a special place in the construction of autonomy. Indeed, as soon as the First Declaration of the Lacandon
cation). The teaching is bilingual (somtimes trilingual): the mother tongue (Tzotzil, Tzeltal, Tojolabal, Chol or Mam) is privileged but Castilian is also taught. Some regions have set up secondary and/or technical schools to train for certain trades (in particular promoters). “Programmes” are defined regionally, based on local needs: The “real history of peoples” (according to their own definition) and their thirteen claims (work, land, housing, food, health, education, information, culture, independence, freedom, democracy, justice and peace). There is no evaluation, children are respected in their rhythm and their personality, the idea being that knowledge is only valuable if it is shared and put at the service of the community. Equality between girls and boys is also a central focus.
AN ORIGINAL HEALTH SYSTEM THAT COMBINES TRADITIONAL AND ALLOPATHIC KNOWLEDGE The health system is based on a dual organization by scale. Traditional medicine is being put into practice value (“three areas”: midwives, medicinal plants, and a form of “osteopathy”: huesero) complemented by allopathic medicine. In allopathic medicine, the promoters are trained in prevention, drug treatment, laboratory analysis, care that is generally practiced by nurses. It is important to note that, as in many areas, the Zapatistas combine knowledge with external contributions in order to set up a
Forest on January 1, 1994, they are among the main Zapatista demands. Indigenous communities have always been ignored and excluded from the system of official health and education. Indeed, in the territories of Chiapas where the Zapatistas live, schools, health centres and public hospitals are very inadequate and do not have sufficient staff and resources. In addition, Mayan indigenous populations are often there discriminated against: imposition of Castilian as a language, contempt, abuse, distance… Thus, these two fundamental subjects have been at the heart of the reflection and implementation of autonomy. Each of the five regions has set up its own education and health system, but there are large ones general principles. Education is compulsory and open to all (including non-Zapatista children). All the communities now have a school and an education promoter (name given to the persons in charge of edu-
health system adapted to needs and as efficient as possible. Critical reflection is ongoing on drug dependence from the pharmaceutical industry and all the contributions needed to maintain the most autonomous healthcare system possible is privileged. Several projects were carried out jointly: construction of clinics in each municipality and then of dispensaries in the communities while training promoters in different fields. The vast majority of communities have a promoter and a dispensary and clinics are now in operation in almost all autonomous municipalities (general medicine, analyses and sometimes small surgeries, dentists, gynaecologists, ambulances) and are open to all, including non-Zapatistas, who must pay (modest amounts) to have access to it. On a regional scale, coordinators are responsible for distributing equipment and medicines from outside the region, for set up vaccination campaigns and liaise with external clinics if necessary (major surgeries or special care). It can be said today that infant mortality has considerably decreased, that the general health status of the populations has improved considerably and that all the Zapatistas have access to care. The training of promoters today makes it possible to welcome Zapatista patients and non-Zapatistas throughout the country. Training is provided by both doctors and by the promoters themselves. They generally take place in the Caracoles over several days. This makes it possible to gather many people in adapted collective
spaces and accessible. Training needs remain high and continue to be high given the scale of the needs and the renewal required across the five regions. With regard to vaccination, before the 1990s, a large number of children were not vaccinated and would die from curable diseases for which vaccines exist. In most of the Zapatista territory, a vaccination system has been restored and has made it possible, combined with better overall management of child health, a very sharp drop in mortality, especially infant mortality.
COMANDANTA RAMONA WOMEN’S CLINIC In 2008, a regional gynaecological clinic was opened in the La Garrucha region, held only by and for women. It is currently the only one in the entire Zapatista territory. It is held only by promoters, permanent or partially detached. The promoters are trained to ensure prevention, family planning (contraception), pregnancy monitoring, pregnancy births and the care of newborns. They travel throughout the region to provide information on the implementation of the right to have or not to have children (Revolutionary Women’s Act of 2003), on gynaecological health and the different means of contraception in connection with midwives. The main methods of contraception are the intrauterine devices (IUDs) and contraceptives by injection, but also the pill and condoms. Childbirth most often takes place in communities, with the assistance of midwives (parteras). In case of complications, women can be transported to the women’s clinic (or in municipal clinics in other regions). When a cesarean section is necessary, women are taken to one of the private outpatient clinics.
society at the service of the indigenous communities.
APPENDIX Revolutionary Law of Zapatista Women 1. Women, regardless of race, creed or political affiliation, have the right to participate in the revolutionary struggle at the places and ranks that their will and capacity determine. 2. Women have the right to work and to receive a fair wage. 3. Women have the right to decide how many children they can have and how many they can take care of. 4. Women have the right to participate in matters affecting the community and to exercise public responsibilities, if elected freely and democratically. 5. Women and their children have the right to health and food. 6. Women have the right to education. 7. Women have the right to choose their husbands or partners, they are not obliged in forced marriage. 8. No woman shall be physically abused, either by members of her family or by foreigners. The offences of attempted rape will be severely punished. 9. Women will be able to take on leadership responsibilities in the organization and obtain ranks in the revolutionary armed forces. 10. Women will have all rights and obligations in accordance with revolutionary laws and regulations. This law is one of the first laws enacted by the Zapatistas in January 1994 in the areas under their control.
The Zapatista health system still has many challenges to meet in the management of the most serious diseases and access to medicines and heavy treatments. However, it is possible to say today that it has made it possible to set up a solid prevention network, and makes it possible to take charge of the most common pathologies. Like the autonomous Zapatista health system, the entire organization is under permanent construction, according to the principle of “walking by questioning oneself ” (caminar preguntando). In a complex national context, including since López Obrador came to power in late 2018, the resistance of the Zapatistas and international solidarity are still as necessary as ever for the construction of autonomy to persists. 25 years after the uprising, a new generation has grown and been formed in this new way of doing politics and organizing. For example, Zapatista women have organized a non-mixed meeting of women struggling in 2018: they were able to take part in is responsible for the entire organization of this meeting, which brought together around 8,000 women from all over the world. The place of women, the place of young women in particular shows, if there was any question of it, the incredible the capacity of the Zapatista organization to build a more just and democratic CRITIQUE
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LE SYSTÈME DE SANTÉ DE L’AACM Alexandre Pierrepont Le texte présenté ici est une intervention orale non rédigée menant à une discussion ouverte par Alexandre Pierrepont, anthropologue, à propos de l’Association for the Advancement of Creative Musicians (AACM) et de son livre L’AACM un jeu de société musicale, le 18 octobre 2017.
[Introduction musicale, extrait de l’album du Big Band de l’AACM, le Great Black Music Ensemble] Bonjour ! Bonne après-midi à toutes et à tous ! Difficile de ne pas commencer en musique, en histoires racontées par la musique, puisque tout commence et tout finit en histoires… Pendant 20 minutes, je vais développer l’exemple d’une organisation de musiciens : l’« Association for Advancement of Creative Mu-
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sicians » (AACM) – Association pour la promotion ou l’avancement des musiciens créateurs – qui est basée à Chicago et à NewYork, qui a été créée en 1965 et qui est toujours en activité. C’est sur cette association de musiciens que j’ai fait ma thèse. En tant qu’anthropologue travaillant sur la musique, sur la musique en tant que réalité socio-culturelle. C’est d’autant plus un grand écart que d’intervenir auprès d’étudiants d’une école d’architecture sur le thème de la santé publique ! Les liens sont en réalité nombreux et complexes entre tous ces sujets, mais ce ne sera ni un cours d’histoire, ni un cours de musicologie. Commençons alors par une simple question : qui ici connaît John Coltrane ?
[Plusieurs mains se lèvent dans la salle]
vous une idée de ce qui a pu causer la maladie de John Coltrane ?
Voilà qui est rassurant. John Coltrane est un immense saxophoniste, qui n’est pas du tout de Chicago, qui n’est pas membre de l’AACM, mais que l’on considère comme l’un des plus grand musiciens du XXe siècle. Il est décédé en 1967. Est-ce que vous savez de quoi est mort John Coltrane ? Il est mort à l’âge de 40 ans d’un foudroyant cancer du foie, diagnostiqué en mai et auquel il succombe en juillet. C’est-à-dire que, lorsqu’il donna son dernier concert le 7 mai 1967 à Baltimore, il ne savait pas de quoi il était atteint, il ne savait pas que ce serait son dernier concert. Bien que ce soit toujours plus ou moins inexplicable, avez-
[L’alcool] Effectivement, il y aurait plusieurs raisons possibles, dont les abus qu’il aurait « commis » étant plus jeune. Ce n’était pas le plus « addict » des musiciens de jazz, mais il a fait un certain nombre d’expériences entre vingt et trente ans, jusqu’à faire « cold turkey », comme on dit, jusqu’à se désintoxiquer par la seule force de sa volonté en s’enfermant plusieurs jours dans la maison familiale. Dix ans plus tard, il est tout de même emporté par les conséquences de ses actes, mais aussi pour une autre raison probable, dont on parle assez peu quand
on fait l’histoire du jazz ou de la musique – la musique populaire des temps modernes puisque ça ne touche pas que les jazzmen, mais aussi les rockeurs ou les rappeurs : c’est l’épuisement, voire l’éreintement. Quand on est musicien ou musicienne dans ces sphères, et particulièrement musicien ou musicienne noir, l’une des seules manières de survivre et de vivre de votre activité, c’est la suractivité. C’est notamment de tourner incessamment, surtout en Europe. Si vous demandez à la plupart des musiciens, aussi bien de mainstream que d’« avantgarde », ce qu’ils aimeraient faire s’ils en avaient la possibilité, la liberté, ils vous répondront la plupart du temps qu’ils passeraient volontiers moins de temps
sur les routes et davantage à demeure, à jouer pour leurs proches et pour leurs communautés. Et de temps à autre, certes, de circuler, de voyager, d’aller à la rencontre d’autres communautés. Mais pas sur le rythme effréné que leur impose l’industrie musicale. Au cours de mes recherches, j’ai eu l’occasion de discuter avec plusieurs musiciens proches de John Coltrane qui m’ont confirmé que, s’il tournait en permanence (et « tourner », le terme est après tout approprié), c’était autant par goût que par nécessité, financière. Certains étaient persuadés que, s’il avait moins tourné, s’il s’était économisé, il n’aurait pas disparu de façon si précoce. C’est vrai pour John Coltrane, c’est vrai pour quantité de musiciens. Je vais donc justement vous parler d’un « collectif » de musiciens auquel les questions de santé et d’architecture ne sont pas étrangères, l’AACM. L’extrait que nous avons écouté en introduction est tiré d’un disque du big band de l’AACM, le Great Black Music Ensemble. Great Black Music car, à l’instar de nombreux autres musiciens, ils refusent de se reconnaître dans ce qu’on appelle le « jazz ». Ce terme est selon eux limitatif, et commercialement connoté. Or ce ne sont pas des musiciens relevant d’une seule esthétique. Leurs musiques ne relèvent pas d’un seul genre musical, mais de l’ensemble des musiques nées de l’expérience noire du monde moderne, qui est aussi une expérience blanche puisqu’ils sont pétris de musique dite classique et de musiques dites du monde. C’est dans ce senslà qu’ils parlent plutôt de Great Black Music. Deux livres sont sortis sur l’AACM, le premier, très important, de Georges Lewis, et le mien. Pour vous présenter l’AACM, il faudrait donc considérer un collectif de musiciens qui privilégie l’individu en ce qu’il a de plus singulier, un collectif d’artistes, un collectif d’activistes, d’une certaine manière un syndicat, d’une certaine manière une fraternité, d’une certaine manière aussi une société secrète… secrète et ouverte, paradoxalement, puisqu’ils circulent dans le monde et y nouent des contacts, des alliances. Et ils se soucient, de façon discrète mais essentielle, de santé publique, d’au moins deux manières. Je ne m’étendrai pas sur la première aujourd’hui, mais il est important de la mentionner. La musique peut faire du bien, faire du bien à l’âme, par le biais des émotions, des vibrations, mais certains vont jusqu’à croire qu’elle peut faire du bien au corps aussi. L’un des musiciens proches de John Coltrane dans les années soixante, Albert Ayler avait d’ailleurs intitulé l’un de ses disques « Music is the Healing Force of the Universe » – « la musique est la force guérisseuse de l’univers ». Plusieurs théories, qui remontent à la nuit des temps, et présentes dans de multiples cultures, estiment qu’en captant, en manipulant les vibrations, en les transformant en musique(s) – parfois en une musique inouïe – on peut produire des effets non seulement sur le moral, mais sur le physique, voire sur le monde physique. La musique peut nous faire danser, peut nous exciter ou nous apaiser, c’est entendu, mais elle est riche de quantités d’autres effets. Tout un volet d’expérimentations s’est d’ailleurs développé en Amérique
du Nord comme en Europe sous couvert de musicothérapie, ou d’art-thérapie. L’autre aspect des choses sur lequel je souhaiterais m’attarder, c’est la santé des musiciens eux-mêmes, comment ceux-ci essayent de préserver leur santé. On connaît la mauvaise réputation des musiciens de « jazz », leur mauvaise hygiène de vie : il ou elle (surtout il) vit la nuit, dans des milieux interlopes, il vit excessivement, consomme de l’alcool, du tabac, de la drogue. Ces stéréotypes, qui ne correspondent que partiellement à une réalité, et qui trouvent leur explication ailleurs que dans la musique, vont au-delà du « jazz », touchent le rythm’n blues, le rock’n’roll, le rap, etc. Face à cela, ce que je vais vous dire de l’AACM coïncide avec une philosophie partagée par d’autres collectifs qui se sont formés dans les années 1960 et depuis. L’une des choses les plus évidentes quand on regarde la jeune génération des membres de l’AACM, c’est qu’ils ne sont pas que des « ils », il y a de plus en plus de « elles », et que l’immense majorité ne fume pas ou très peu, ne boit pas ou très peu, ne se drogue tout simplement pas. C’est la conséquence d’une histoire, d’un effort historique. Il faut imaginer que ces collectifs de musiciens participent initialement du Mouvement des droits civiques, puis du Mouvement du Black Power. Ils ont peu à peu appris à déjouer les pièges tendus aux Noirs américains. Les années 1960 et 1970 furent des décennies de conscientisation et de moralisation de la communauté africaine américaine (à ne pas confondre avec le puritanisme ambiant de la société nord-américaine). Ainsi, certains des membres originaux de l’AACM souffraient encore d’addictions au moment de sa création, certains même – peu nombreux – en sont morts. Si le stéréotype continue donc de courir, et alimente des fantaisies ou des fantasmes sur la nature desquels il faudrait s’interroger, cela fait une trentaine d’années qu’il correspond de moins en moins à la réalité. C’est-à-dire qu’un collectif de musiciens né dans un contexte bien particulier, celui du ghetto du South Side de Chicago, toutes et tous confrontés aux exactions de l’industrie musicale, et comment ils finissent non seulement par peser sur les sources de revenus et sur les conditions de vie, mais sur les consciences, et donc sur les corps et sur la santé, a déjà réussi à produire cette effet-là. Par certains côtés, d’ailleurs, l’AACM fonctionne parfois comme un syndicat vis-à-vis du « monde de la musique ». Mais c’est aussi, en interne, une fraternité/sororité, qui sait prendre le cas échéant les aspects d’une sécurité sociale via un système d’entraide qui fait que, lorsqu’un musicien rencontre des difficultés, personnelles ou financières, des collectes sont organisées. Un fonds existe, une caisse commune. Un fonctionnement coopératif discret, pudique. On n’en parle pas tant que ça, parce qu’il y a une forme de fierté à mettre en avant la réussite musicale, artistique, culturelle et spirituelle de cette entreprise multicéphale ; aussi ne rentrerai-je pas dans les détails, par respect de leur philosophie et de leur règlement interne. Mais, formellement ou informellement, avec des dysfonctionnements aussi, la chose existe et participe à l’amélioration des conditions de travail et des
conditions de vie. Après m’être étendu sur tout ce que je ne vais pas développer (sic), je m’attarderai pour finir sur ce qui me semble être à l’intersection de l’anthropologie, de l’architecture et de la santé. C’est une notion que les musiciens de l’AACM ont énormément développée dès le départ, en 1965, dont ils sont très conscients, et qui est d’ailleurs contemporaine d’autres choses qui se jouent conceptuellement et politiquement en Amérique du Nord et même en Occident en général. Quand ils se réunissent en 1965, il faut que vous imaginiez que, dans le South Side de Chicago, il y a encore une soixantaine de lieux de diffusion, de lieux de vie pour la musique sous toutes ses formes : clubs, tavernes, salles de concerts, etc., des lieux professionnels, des lieux amateurs, un fond de bar comme un grand théâtre pouvant accueillir mille personnes – ce qu’on appelait un « paquebot ». Or, à la fin des années soixante, il ne reste plus aucun de ces lieux. Ils ont tous fermé. La raison est politique, car à la fin du Mouvement des droits civiques, une relative dé-ségrégation permet à la bourgeoisie noire, jusque-là parquée dans le ghetto avec les classes moyennes et populaires, d’aller s’installer ailleurs en ville. Et avec son départ, synonyme de fuite des capitaux, commerces et services tombent graduellement en désuétude. Loïc Wacquant a très bien expliqué comment l’on est alors passé du « ghetto communautaire », lorsque toute la communauté noire est réunie, ségréguée bien sûr, mais disposant de nombreux moyens, à un « hyper-ghetto », à l’abandon, désertifié et pourtant surpeuplé. L’une des conséquences vis-àvis de la culture afro-américaine – car la musique en fait aussi les frais – c’est donc la disparition des lieux de diffusion, des lieux de vie de cette culture. C’est l’une des raisons pour lesquelles des musiciens qui ne se disent pas « créateurs » par hasard, qui ne sont pas « expérimentateurs » par hasard, ni dans les formes musicales, ni dans les formes socio-musicales, décident de se rassembler, de produire toutes sortes d’assemblages. Les deux termes qu’ils emploient le plus souvent, dans leurs discussions préliminaires, et ensuite, sont d’ailleurs : « outlet » et « atmosphere ». « Outlet », c’est le débouché, que l’on pourrait traduire aussi en français par branchement, ce qui convient assez bien. Il leur faut donc trouver de nouveaux débouchés, de nouveaux lieux de vie, mais dans une autre atmosphère. Ils ne rêvent pas de créer de nouveaux clubs de « jazz », avec leur économie, leur normativité (par exemple : ne pas dépasser les limites, de temps ou d’esthétique, ne pas empêcher les consommateurs de consommer, etc.). C’est aussi cela qu’ils veulent faire voler en éclat. Ils veulent jouer le jour aussi, ils veulent jouer pour les familles et leurs enfants aussi, ils veulent pouvoir jouer toutes les musiques possibles et imaginables sans aucune limitation, ou seulement ponctuelle, ils veulent ouvrir de nouveaux fronts, de nouvelles brèches. Autrement dit, ils sont dans une logique de construction de l’espace, ou de production de l’espace, et je fais évidemment référence ici au philosophe, sociologue, mais aussi activiste français Henri Lefebvre. Pour « s’en sortir », il faut trouver de nouveaux branchements, et de nouveaux usages sur place, sur les
lieux, dans les lieux, en étoile, il s’agit de produire son propre espace, qui peut être un espace physique bien sûr, dès lors qu’il s’agit de musique et de tout ce qui se passe autour de la musique, dans la musique et grâce à elle – Healing Force – à partir du moment où l’on accorde un certain pouvoir à la musique, sur les corps, sur les esprits, sur les coeurs. Sur la santé publique dans un lieu de vie commune. En 1965, au moment où se crée l’AACM, Malcolm X invoque la musique dans l’un de ses derniers discours : « It’s the only area on the american scene where the black men has been free to create and he has master it. He has shown that it can come up with something that nobody ever saw of on his own. Well, likewise, it can do the same thing if given the intellectual independence. He can come up with a new philosophy. He can come up with a philosophy nobody have heard of yet. He can invent a society, a social system, an economic system, a political system, that is different from anything that exist or has ever existed anywhere on this earth. I will improvise, i’ll bring it from wising himself and this is what you and I want. » [« C’est le seul domaine sur la scène américaine où l’homme noir a été libre de créer, et il l’a maîtrisé. Il a montré qu’il pouvait faire quelque chose inouïe qui sortait de son instrument. Et bien de la même manière, il peut faire la même chose dans tous les domaines si on lui donne l’indépendance intellectuelle. Il peut arriver avec une nouvelle philosophie. Il peut arriver avec une philosophie dont personne n’a jamais entendu parler. Il peut inventer une société, un système social, un système économique, un système politique différent de tout ce qui a pu exister sur terre. Et pour cela, il improvisera, il le tirera du plus profond de lui-même et c’est ce que nous voulons vous et moi. »] C’est assez phénoménal d’accorder à la musique une telle puissance, même virtuelle… Comment ont donc fait les musiciens de l’AACM ? Ils ont développé des lieux, et des espaces de circulation, localement, nationalement et internationalement. Quand on est musicien créateur et expérimental, on est donc souvent obligé d’aller voir ailleurs pour pouvoir survivre chez soi, de s’épuiser à la tâche en voyages ou en tournées comme je le disais tout à l’heure (on a presque besoin d’une accréditation du dehors pour être crédible ou viable au dedans). Il faut cultiver d’autres vis-à-vis, puis circuler entre ces différents vis-à-vis. Il ne faut jamais négliger ou oublier celui de votre communauté, celui de votre culture, la culture africaine américaine. Il faut également fréquenter d’autres communautés, en ville,
dans la région, ou à travers le pays, celles des amateurs de musique pour des raisons qui ne recoupent pas nécessairement les raisons du premier cercle, mais qui ont leur légitimité. Il faut enfin passer outre encore, aller au-delà, vers un troisième cercle : grâce à l’expérience humaine et artistique, mais aussi sociale et culturelle, que permet la musique, une musique aussi singulière qu’universelle, une expérience du monde est possible, sur les traces du monde chez soi, en soi, et sur les chemins du monde au-delà. C’està-dire que votre art de faire, vos pratiques d’existence, vous enracinent dans votre communauté et vous laissent libres de circuler, de traverser d’autres communautés, de vous penser et de vous réaliser comme citoyen du monde. Les membres de l’AACM ont peu à peu structuré leurs activités en fonction de ces trois milieux, en imaginant qu’il fallait les traverser. Un niveau local dans lequel ils vont investir les rues et les quartiers du South Side de Chicago – si possible de nouvelles manières, en modifiant les environnements, en marge des clubs et des salles de concert qu’ils fréquentent encore occasionnellement. De même que le tout premier immeuble dans lequel ils tinrent leur réunion, l’Abraham Lincoln Center, avait été construit par Franck Lloyd Wright, ils ont eu tendance à privilégier, pour implanter leurs séries de concerts et leurs programmes, les centres communautaires, les centres d’aides sociaux, les églises, les temples ou les mosquées, les écoles, les universités et les galeries d’art, les commerces alternatifs, les gymnases ou les parcs… Ils multiplient les occurrences, font de leurs endroits des envers. Tout en travaillant l’échelle nationale et l’échelle internationale, puisque toutes les initiatives locales ne peuvent malgré tout leur garantir de subvenir à leurs besoins. En développant d’abord un réseau d’échanges avec d’autres villes du Midwest nord-américain, en ouvrant une antenne à New-York – Babylone. Tout en se faisant connaître à l’étranger, des journaux, des médias, des festivals, des publics, génération après génération… Il existait même un guide pour les musiciens novices du South Side qui partaient en tournée pour la première fois, afin qu’ils sachent comment se comporter, comment s’adresser aux journalistes, aux promoteurs, comment s’habiller sur scène, comment goûter la cuisine, quels lieux visiter si vous êtes à Rome, à Paris ou à Berlin… Ainsi se sont approfondies une expérience de vie et une pensée où l’on peut se revendiquer d’un lieu, revendiquer une universalité de la musique qui y est produite et partagée, assumer qu’elle puisse être partagée ailleurs et autrement, réinventée par d’autres, réinventée par soi au contact de ces autres avec qui l’on est entré en relation.
CRITIQUE
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THE AACM HEALTHCARE SYSTEM Alexandre Pierrepont Alexandre Pierrepont, anthropologist. This text is the transcription of a non written intervention which was an open discussion about the Association for the Advancement of Creative Musicians (AACM) and his book L’AACM un jeu de société musicale, october 18th 2017.
[Musical introduction, Black Music Ensemble]
Great
It is hard not to start with music, with stories told through music, since everything begins and ends with stories… For 20 minutes, I will develop the example of an organization of musicians: the “Association for Advancement of Creative Musicians” (AACM)— Association for the promotion or advancement of creative musicians - which is based in Chicago and New York, which was created in 1965 and is still active. It was on this association of musicians that I did my PhD. As an anthropologist working on music, on music as a socio-cultural reality. It is all
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the more a big challenge to work with students at an architecture school on the theme of public health! The links are actually numerous and complex between all these subjects, but it will not be a history course or a musicology course. Let’s start with a simple question: who here knows John Coltrane? [Several hands rise in the room] That’s reassuring. John Coltrane is a giant saxophonist, who is not from Chicago at all, who is not a member of the AACM, but who is considered one of the greatest musicians of the 20th century. He died in 1967. Do you know what John Coltrane died of? John Coltrane died at the age of 40 of a devastating liver cancer, diagnosed in May and died in July. That is, when he gave his last concert on May 7, 1967 in Baltimore, he didn’t
know what he was suffering from, he didn’t know that it would be his last concert. Although it is still more or less inexplicable, do you have any idea what may have caused John Coltrane’s disease? [Alcohol] Indeed, there are several possible reasons, including the abuses he allegedly “committed” as a younger person. He was not the most “addicted” among the jazz musicians, but he had a number of experiences between the ages of twenty and thirty, until he decided to quit “cold turkey”, as they say, until he detoxed by the sole force of his will, locking himself up for several days in the family home. Ten years later, he is still swept away by the consequences of his actions, but also for another probable reason, which is not often mentioned when we make the
history of jazz or music—popular music of modern times since it affects not only jazz musicians, but also rockers or rappers: it is exhaustion, even burnout. When you are a musician in these spheres, and particularly a black musician, one of the only ways to survive and live off your activity is overactivity. It’s particularly important to tour constantly, especially in Europe. If you ask most musicians, both mainstream and “avant-garde”, what they would like to do if they had the opportunity, the freedom, they will most of the time answer you that they would gladly spend less time on the road and more time indoors, playing for their loved ones and for their communities. And from time to time, certainly, to circulate, to travel, to go and meet other communities. But not on the frenetic pace imposed by the music industry. During my research, I
had the opportunity to speak with several musicians close to John Coltrane who confirmed to me that, if he was touring permanently (and “touring”, the term is after all appropriate), it was as much by taste as by financial necessity. Some were convinced that, if it had been less on tour, if he had been sparing himself, he would not have disappeared so early. This is true for John Coltrane, and it is true for many musicians. So I’m going to talk to you about a “collective” of musicians to whom health and architecture issues are not foreign, the AACM. The excerpt we listened to in the introduction is from a record of the AACM big band, the Great Black Music Ensemble. Great Black Music because, like many other musicians, they refuse to recognize themselves in what is called “jazz”. In their opinion, this
term is limiting and commercially connoted. Indeed, they are not musicians with a single aesthetic. Their music does not come from a single musical genre, but from all the music born of the black experience of the modern world, which is also a white experience since it is mixed with so-called classical music and so-called world music. That’s the way they talk about Great Black Music. Two books have been published on the AACM, the first one, very important, by Georges Lewis and mine. To introduce you to the AACM, we should therefore consider a collective of musicians who privilege the individual in what is most singular, a collective of artists, a collective of activists, in a certain way a union, in a certain way a fraternity, in a certain way also a secret society… secret and open, paradoxically, since they circulate in the world and establish contacts and alliances. And they are concerned, in a discreet but essential way, with public health, in at least two respects. I will not go into the first one today, but it is important to mention it. Music can do good, do good to the soul, through emotions, vibrations, but some go as far as believing that it can do good to the body as well. One of John Coltrane’s close musicians in the 1960s, Albert Ayler had entitled one of his records “Music is the Healing Force of the Universe”. Several theories, dating back to the dawn of time, and present in many cultures, believe that by capturing, manipulating vibrations, transforming them into music(s)—sometimes into unheard-of music—we can produce effects not only on morale, but on the physical, even on the physical world. Music can make us dance, excite us or soothe us, of course, but it is rich in many other effects. A whole range of experiments has been developed in North America and Europe under the guise of music therapy or art therapy. The other aspect of things I would like to focus on is the health of the musicians themselves, how they try to preserve their health. We know the bad reputation of “jazz” musicians, their poor lifestyle: he or she (mostly he) lives at night, in underworld environments, lives excessively, consumes alcohol, tobacco, drugs. These stereotypes, which only partially correspond to a reality, and which find their explanation elsewhere than in music, go beyond “jazz”, affecting rhythm’n’ blues, rock’n’ roll, rap, etc. In response to this, what I am going to tell you about the AACM coincides with a philosophy shared by other collectives that were formed in the 1960s and since. One of the most obvious things when you look at the younger generation of AACM members is that they are not just men, there are more and more women, and the vast majority do not smoke or smoke very little, do not drink or drink very little, simply do not take drugs. It is the consequence of a history, a historical effort. We must imagine that these groups of musicians initially participate in the Civil Rights Movement, then in the Black Power Movement. They gradually learned to avoid the traps set for Black Americans. The 1960s and 1970s were decades of awareness and moralization of the African American community (not to be confused with the pre-
vailing puritanism of North American society). Thus, some of the original members of the AACM were still suffering from addictions at the time of its creation, some even—few in number—died from them. If the stereotype thus continues to run, and feeds delusions or fantasies on the nature of which we should be thinking of, it has been about thirty years that it corresponds less and less to reality. In other words, a collective of musicians born in a very particular context, that of the South Side ghetto of Chicago, all of whom are confronted with the abuses of the music industry and how they end up influencing not only sources of income and living conditions, but also consciences, and therefore bodies and health, has already succeeded in producing this effect. In some ways, moreover, the AACM sometimes functions as a trade union for the “world of music”. But it is also, internally, a fraternity/sorority, which knows how to take, if necessary, the aspects of social security via a mutual aid system, which means that when a musician encounters difficulties, personal or financial, collections are organised. A fund exists, a common fund. A discreet, modest cooperative operation. We don’t talk about it that much, because there is a form of pride to highlight, the musical, artistic, cultural and spiritual success of this multi-headed organization, so I won’t go into the details, out of respect for philosophy and their internal rules. But, formally or informally, with shortcomings as well, the thing exists and contributes to the improvement of working conditions and living conditions. After having dwelt on everything I am not going to develop (sic), I will dwell on what seems to me to be at the intersection of anthropology, architecture and health. It is a notion that the musicians of the AACM developed enormously from the beginning, in 1965, of which they are very aware, and which is contemporary with other things that are played out conceptually and politically in North America and even in the West in general. When they met in 1965, you have to imagine that, in the South Side of Chicago, there are still about sixty places of diffusion, places of life for music in all its forms: clubs, taverns, concert halls, etc. Professional places, amateur places, a bar background like a large theatre that could ac-
commodate a thousand people— what was called a “liner”. However, at the end of the 1960s, none of these places remained. They all closed down. The reason is political, because at the end of the Civil Rights Movement, a relative desegregation allows the black bourgeoisie, until then parked in the ghetto with the middle and working classes, to move elsewhere in the city. And with its departure, synonymous with the flight of capital, businesses and services began to fall into disuse. Loïc Wacquant explained very well how we went from the “community ghetto”, when the entire black community is reunited, segregated of course, but with many resources, to a “hyper-ghetto”, abandoned, deserted and yet overcrowded. One of the consequences for African-American culture—because music also pays the price—is the disappearance of the places of diffusion, the places of life of this culture. This is one of the reasons why musicians who do not call themselves “creators” by accident, who are not “experimenters” by accident, in musical forms or in socio-musical forms, decide to come together, to produce all kinds of assemblages. The two terms they use most often, in their preliminary discussions, and then, are: “outlet” and “atmosphere”. “Outlet” is the opportunity, which we could also call plugging in, which is quite appropriate. They therefore need to find new opportunities, new places to live, but in a different atmosphere. They do not dream of creating new “jazz” clubs, with their economy, their normativity (for example: do not exceed the limits, time or aesthetics, do not prevent consumers from consuming, etc.). That is also what they want to shatter. They want to play during the day too, they want to play for families and their children too, they want to be able to play all kinds of music without any limitation, or just punctually, they want to open new fronts, new breaches. In other words, they are in a logic of building space, or producing space, and I am obviously referring here to the philosopher, sociologist, but also French activist Henri Lefebvre. To “get out of it”, it is necessary to find new connections, and new uses on the spot, at the spot, at the places, in the places, in a star-shaped manner, it is a question of producing one’s own space, which can be a physical space of course, since
it is about music and everything that happens around music, in music and thanks to it—Healing Force—from the moment when one grants a certain power to music, on bodies, on minds and on hearts. On public health in a place where people live together. In 1965, when the AACM was created, Malcolm X invoked music in one of his last speeches: “It’s the only area on the American scene where the black man has been free to create. And he has mastered it. He has shown that he can come up with something that nobody ever thought of on his horn… Well, likewise he can do the same thing if given intellectual independence. He can come up with a new philosophy. He can come up with a philosophy that nobody has heard of yet. He can invent a society, a social system, an economic system, a political system, that is different from anything that exists or has ever existed anywhere on this earth. He will improvise; he’ll bring it from within himself. And this is what you and I want…”
your practices of living, rooted in your community and allowing you to move freely, to cross other communities, to think of yourself and to realize yourself as a citizen of the world. The members of the AACM gradually structured their activities according to these three environments, imagining that they had to cross them. A local level in which they will invest the streets and neighborhoods of Chicago’s South Side—if possible in new ways, by changing the environments, on the fringes of the clubs and concert halls they still occasionally visit. Just as the very first building in which they held their meeting, the Abraham Lincoln Center, was built by Franck Lloyd Wright, they tended to favour community centres, social welfare centres, churches, temples or mosques, schools, universities and art galleries, alternative businesses, gyms or parks… They have multiplied their occurrences, transforming their spots into reverse spaces. While at the same time working at the national and international levels, since not all local initiatives can guarantee that they will be able to provide for them. First, by developing a network of exchanges with other cities in the North American Midwest, by opening an office in New-York—Babylon. While making themselves known abroad, newspapers, media, festivals, audiences, generation after generation… There was even a guide for new South Side musicians who were going on tour for the first time, so that they knew how to behave, how to address journalists, promoters, how to dress on stage, how to taste the cuisine, which places to visit if you are in Rome, Paris or Berlin… In this way, a life experience and a way of thinking have been developed in which one can claim to be part of a place, claim a universality of the music produced and shared there, assume that it can be shared elsewhere and differently, reinvented by others, reinvented by oneself in contact with those others with whom one has entered into a relationship.
It’s quite phenomenal to give music such power, even virtual… So how did the musicians of the AACM do it? They have developed places, and traffic spaces, locally, nationally and internationally. When you are a creative and experimental musician, you are often forced to go elsewhere to survive at home, to exhaust yourself on trips or tours as I said earlier (you almost need accreditation from the outside to be credible or viable inside). You have to cultivate others vis-à-vis, then move between these different visà-vis. One must never neglect or forget the identity of the community, the identity of one’ s culture, the identity of African American culture. It is also necessary to frequent other communities, in the city, in the region, or across the country, those of music lovers for reasons that do not necessarily overlap with the reasons of the first circle, but which have their legitimacy. Finally, it is necessary to go beyond, towards a third circle: thanks to the human and artistic experience, but also social and cultural experience, which music allows, a music as singular as it is universal, an experience of the world is possible, on the traces of the world at home, in oneself, and on the paths of the world beyond. That is, your art of doing, CRITIQUE
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LA PRODUCTION DE SOINS DANS LES ANNÉES 60 UN MODÈLE À ACTUALISER Bernard Friot Une mutation considérable dans la production de soins démarre à la fin des années 50 et se termine au milieu des années 70. Jusquelà, les soins de ville n’étaient pas remboursés, faute de conventionnement avec l’assurance maladie des professionnels de santé – qu’ils soient médecins, infirmiers, kinésithérapeutes… : les classes populaires accédaient aux soins de ville à travers ce que le communisme ou le socialisme municipal avait mis en place comme santé publique dans les années 30, des offices d’hygiène sociale ou des centres de santé avec des médecins salariés, initiés également par des mutuelles. C’était extrêmement peu de choses. Sauf exception, le champ de la médecine hospitalière était lui quasiment à l’abandon, l’hôpital étant jusqu’à la seconde guerre mondiale le lieu où échouaient les insolvables. Tout cela va connaître une mutation absolument décisive.
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LA SÉCURITÉ SOCIALE EN 1945 Cette mutation décisive est portée par l’institution révolutionnaire qui se crée en 1946 : le régime général de Sécurité sociale. Mais attention, le régime général de Sécurité sociale, ce n’est pas « la Sécu ». La Sécu, en 1945, est pléthorique : plus de mille caisses d’entreprises, de branches, et territoriales ; et des dizaines de milliers de salariés. Elle a été créée depuis les dernières décennies du 19e siècle, sur initiative patronale et gouvernementale pour l’essentiel, et elle est très dispersée : – Pour les accidents du travail, la couverture est obligatoire depuis 1898, et les caisses sont gérées par les assureurs. – Les allocations familiales apparaissent dans la fonction publique à la fin des années 1890 et s’y généralisent en 1917. Elles deviennent obligatoires dans le privé en 1932 et sont gérées par les employeurs
dans des caisses territoriales. En 1945, elles représentent plus de la moitié des prestations sociales. – En matière de santé, la couverture est obligatoire depuis 1930. Les caisses sont en majorité départementales à gestion paritaire (« paritaire » signifie « patronale », car il y a toujours un syndicat qui vote avec les employeurs). – Pour la vieillesse, il y a des régimes de grandes entreprises depuis le 19e siècle, et les assurances sociales de 1930 qui rendent obligatoires des comptes épargne retraite. Le régime de Vichy va les geler en 1941 pour affecter toute la cotisation vieillesse à la répartition d’une pension forfaitaire, l’allocation aux vieux travailleurs salariés. – La plupart des régimes statutaires (fonction publique, SNCF…) existent déjà. En 1945, la Sécu existe depuis quelques dizaines d’années et présente un tableau très dispa-
rate, essentiellement géré par les employeurs et avec des taux qui varient considérablement d’une entreprise à l’autre (par exemple, pour les allocations familiales, les taux vont de 4 à 17 % des salaires bruts). Nous sommes dans un dispositif illisible, patronal, et c’est cela que les révolutionnaires de 1946 vont bousculer en s’appuyant sur les ordonnances d’octobre 45 dont l’objectif est d’unifier l’existant.
LE BASCULEMENT DE 1946 Le basculement de 1946 est l’œuvre de la CGT, plus précisément des communistes de la CGT, pratiquement seuls contre tous. Il faut à tout prix restaurer ici le caractère extrêmement conflictuel de cette histoire, et arrêter de croire à la fable d’un unanimisme des communistes aux gaullistes pour réaliser le programme du Conseil National de la Résistance.
Les socialistes de la CGT y préparent la scission de FO1 en 1947, de la FEN en 1948. La CFTC, ancêtre de la CFDT2, a déclaré clairement qu’elle était contre la mise en place du régime général, donc elle n’y participe pas. Ce sont les communistes de la CGT qui vont créer le régime général, sous la direction du secrétaire général de la Fédération de la métallurgie de la CGT, Ambroise Croizat, ancien député communiste déchu en 1939 et envoyé au bagne d’Alger en 1940. Il devient ministre du Travail en novembre 1945, et sait alors qu’il a peu de temps pour agir : l’échéance pour la mise en œuvre est en juillet 1946. Le basculement a consisté d’une part à unifier le dispositif, en passant de plus de 1000 caisses de régimes disparates à moins de 250 caisses départementales d’un régime général. La CGT – battue sur ce point lors des débats préparatoires d’août 45, n’a pu obtenir la
LA MISE EN ÉCHEC RELATIVE DE CE DISPOSITIF
fusion des allocations familiales (cœur du dispositif, je le rappelle) avec les autres prestations : les ordonnances de 1945 prévoient deux caisses par département au lieu d’une seule, et l’enjeu est d’importance quand on sait que les caisses d’allocations familiales ne comptent que la moitié d’administrateurs salariés dans leur CA alors que les autres en comptent trois quarts. Le processus est incroyablement difficile : les militants se heurtent, par exemple, au manque de locaux suffisamment grands. Dans un contexte de pleine destruction suite à la guerre, lorsqu’un militant de la CGT découvre un local suffisamment grand et vide et souhaite l’affecter à la caisse du nouveau régime, ce local est immédiatement préempté par un ministre SFIO (socialiste) ou MRP (démocrate chrétien) : les ministres non communistes3 du gouvernement s’acharnent à ce que le régime général ne se mette pas en place. Ils attendent un échec qui n’aura pas lieu : en juillet 1946, grâce à un effort monumental, les militants de la CGT ont mis en place le nouveau régime. Il est unifié, ce qui veut dire que c’est un outil de construction d’une conscience de classe, même si subsistent des régimes corporatifs. L’autre basculement de 1946 réside dans la gestion du régime. Alors que jusque-là la gestion était patronale, paritaire, ou faite par les compagnies d’assurances, on a là une chose inouïe : les caisses sont gérées par une majorité, ou au moins la moitié, de travailleur élus (les premières élections ont lieu en mars 1947). Certes les taux de cotisations et les prestations restent une décision de l’Etat, mais les conseils d’administration des caisses ont la compétence générale, tandis que les directions ont une compétence limitée et sont élues par le conseil d’administration : on a là une démocratie sociale tout à fait intéressante. La troisième nouveauté radicale qu’introduit le régime général, c’est l’unicité du taux interprofessionnel, qui ne laisse aucune marge aux patrons dans les entreprises ou les branches : ils ne
peuvent pas, comme ils le faisaient jusqu’alors en particulier avec les allocations familiales, jouer sur le taux dans les conflits sur les salaires. La nouveauté de 1946 est si décisive, et portée par une mobilisation populaire inattendue, que tout a été fait pour que soit perdue la mémoire de cette capacité des travailleurs d’inventer et de gérer face à une hostilité déterminée des patrons et de la classe politique. Vous ne trouverez pas dans un cours sur la Sécurité sociale ce que je viens de vous raconter, mais la fable habituelle : « il était une fois la création de la sécurité sociale en 1945 du fait de l’union des communistes aux gaullistes, de la force de la CGT et du parti communiste et de la faiblesse d’un patronat dans les choux parce qu’il avait collaboré ». Bref tout le baratin par lequel on enterre le très conflictuel 1946 sous un consensuel 1945. Sous un 1945 au demeurant inventé quand on en fait la date de la création de la sécurité sociale.
LA HAUSSE DU TAUX DE COTISATION ET LA MUTATION DE L’OFFRE DE SOINS Cette mutation de 1946 va rendre possible la mutation de l’offre de soins quelques années plus tard grâce à une hausse du taux de cotisation après un temps de stagnation dans les années 1950. Le taux de cotisation à l’assurance maladie atteint 16 % du salaire brut à la fin des années 70, ce qui va rendre possible la subvention de l’investissement hospitalier par l’assurance maladie. La mutation de l’appareil de production de soins suppose un investissement tout à fait considérable. Le premier acte est la création des centres hospitaliers-universitaires (CHU), qui lient l’université à l’hôpital et témoignent de la détermination de donner à la production de soins un fondement scientifique. Ensuite, il y aura le passage des hôpitaux psychiatriques (qui étaient des éléments-clés de l’ancien système avec les sanatoriums) de l’aide sociale à l’assurance mala-
die. Enfin, les hospices vont devenir des hôpitaux locaux avec des lits actifs. Mon âge fait que j’ai pu visiter des hospices dans les années 60, c’était terrible. Et la mutation qui les a transformés en hôpitaux locaux a supposé, là encore, à la fois la création de postes hospitaliers en grand nombre et un effort d’investissement considérable. Or cet investissement, on n’a pas été le chercher du côté du marché des capitaux, ou dans des « partenariats public-privé » qui font qu’aujourd’hui les hôpitaux sont financièrement exsangues, parce qu’ils doivent rembourser une dette ou payer un loyer léonin. Non, ce financement massif a été financé, pas exclusivement mais en priorité, par subvention de l’assurance-maladie. Il faut bien voir ce que ça veut dire en termes de propriété patrimoniale et de propriété d’usage de l’outil. Un outil, c’est deux choses : quelque chose qu’on utilise, qui appelle une propriété d’usage ; et quelque chose qui vaut, qui s’achète, qui se vend, qui appelle une propriété patrimoniale. Ces équipements donc, qui sont financées par subventions, sont la propriété patrimoniale de collectivités publiques qui n’ont, sur cette propriété, aucune visée lucrative. De ce fait la propriété d’usage par les personnels eux-mêmes est rendue possible, puisque le propriétaire patrimonial n’a pas d’ambition de faire du profit. Les soignants travaillent pour soigner, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui, où ils travaillent pour rembourser une dette ou payer un loyer. Ils doivent respecter des protocoles décidés par des gestionnaires ; en somme ils ont perdu, avec la perte de la maîtrise de leur travail concret, la proprieté d’usage de l’outil. Le bonheur au travail des soignants à l’époque contraste avec la souffrance au travail des soignants aujourd’hui – alors que notre pays est trois fois plus riche que dans les années 60.
DES SOIGNANTS LIBÉRÉS DU MARCHÉ L’autre élément extrêmement passionnant de ce qui se crée à partir
de la fin des années 50, c’est que les professionnels hospitaliers ne relèvent pas du marché du travail, et qu’ils sont également libérés du marché des biens et services s’ils sont libéraux. S’agissant des hospitaliers, ce sont des fonctionnaires, qui sont payés pour leur grade et non pas pour leur poste, qui ont un salaire attaché à leur personne et qui donc sont libérés du chantage à l’emploi. On voit qu’il est donc possible – et pas sur une petite échelle, mais sur une production qui représente 10 % du PIB – d’instituer un salaire à la qualification personnelle. Avant, les soignants, c’étaient pour beaucoup des religieuses. Il a donc bien fallu que l’on crée le statut de soignants fonctionnaires, et il a été créé d’emblée, en libérant les professionnels du chantage à l’emploi. S’agissant des libéraux et des soins de ville, en 1961 apparaissent les premières conventions avec la caisse d’assurance maladie qui font que les soignants libéraux ont une patientèle solvabilisée, moyennant le respect d’un certain nombre de pratiques en termes d’actes et de paiement des actes : eux aussi sont libérés de la logique marchande. Je qualifie de communiste ce mode de production des soins. Communiste parce que relevant de la responsabilité des travailleurs eux-mêmes, ce qui est le cœur du communisme, son maître mot. La responsabilité des travailleurs et la propriété d’usage sont possibles quand la propriété patrimoniale est non lucrative. Il faut pour cela que profit et dette, ce binôme infernal au cœur du capitalisme : « je te pique une partie de ce que tu produis, je te le prête pour que tu puisses travailler, et tu me rembourses » – soit remplacé par le binôme cotisation-subvention. La fécondité d’une telle organisation communiste de la production est visible dans la qualité d’un système de soins longtemps classé premier à l’échelle mondiale. Quelles leçons tirer de cette affaire ?
D’abord, quelles leçons tirer de la relative capacité de la classe dirigeante à mettre en échec depuis une vingtaine d’années ce dispositif si performant ? Cette mise en échec relative s’est manifestée par le gel du taux de cotisation : ayant doublé de 1945 à la fin des années 70, il n’a pas bougé depuis 79, il est toujours à 16 % du salaire brut. 35 ans de doublement, puis 40 ans de stagnation, ce qui a mis évidemment en grande difficulté toutes les institutions de production de soins, parce que dans le même temps, les besoins ont augmenté. Cette mise en difficulté délibérée a permis l’étatisation d’une production de soins qui jusqu’ici relevait de la délibération collective. Cette étatisation s’est manifestée par la mise sous tutelle de la caisse nationale avec les conventions de gestion, par la disparition de fait des conseils d’administration, et du poids des travailleurs dans les conseils-croupion qui subsistent, et par la création des Agences régionales de l’hospitalisation par Juppé en 1997, ensuite étendues en Agences régionales de santé, mastodontes bureaucratiques exonérés de toute pratique démocratique. On a là la réponse capitaliste à un dispositif communiste. Un dispositif communiste, c’est la gestion par les travailleurs euxmêmes, leur responsabilité aussi bien dans la gestion macro-économique du régime général que dans la gestion locale du travail concret dans les établissements hospitaliers ou dans les cabinets libéraux. La réponse capitaliste, c’est l’étatisation : le capitalisme nous irresponsabilise, nous ne sommes pas responsables de la production, ce n’est pas nous qui décidons au travail.
POURQUOI AVONS-NOUS ÉTÉ INCAPABLES JUSQU’À PRÉSENT DE NOUS OPPOSER À LA DÉRIVE ? Il faut bien constater que nous n’avons pas été, jusqu’ici, en capacité de nous opposer à cette régression. Je vais m’attacher à quatre raisons de cette impuissance. D’une part le fait que la gestion du régime général se soit faite par délégation. Certes, à des élus, mais par délégation. Lorsque j’ai commencé mon enquête dans les années 1970, j’ai rencontré des militants qui avaient été gestionnaires du régime général avant 1967 et qui m’ont dit : « on était devenus des spécialistes, on était coupés du syndicat. » Ça, c’est le fruit de la délégation. Je pense que nos systèmes qui reposent sur la représentation ont fait leur temps, et que si nous avons quelque chose à tirer de la mise en échec de la gestion par les travailleurs, ce passé glorieux qui suscite mon admiration pour ce qui s’est fait en 1946 et dans les années qui ont suivi, c’est bien cela. Cela montre que pour reprendre en main un dispositif qui a été populaire, géré par les travailleurs, capable d’instituer une propriété d’usage de l’outil par les travailleurs euxmêmes et de financer l’investissement sans faire appel au marché de capitaux – toutes ces merveilles que je viens de résumer –, ça ne pourra pas être sur la base d’un dispositif de délégation tel que nous avons encore l’habitude de l’identifier, bien à tort, à la démocratie. CRITIQUE
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Le deuxième élément de diagnostic que je propose se manifeste aujourd’hui par la souffrance au travail des soignants. Ce phénomène est bien sûr incontestable, mais je voudrais pointer ce que signifie le fait d’avoir fait une espèce de catégorie nosographique, la souffrance au travail, qui appelle des dispositions préventives et curatives. Pour moi, c’est une catégorie aussi inadmissible que, par exemple, la dépression de la ménopause ou encore l’hystérie féminine… Toutes ces catégories ne font que naturaliser et finalement intérioriser comme maladie ou comme culpabilité personnelle ce qu’il faudrait au contraire montrer du doigt de façon précise comme des institutions de violences sociales. On comprend pourquoi la souffrance au travail est particulièrement grande dans la production de soins : le contact direct avec un malade n’est pas la même chose que le fait de construire un logiciel ou une porte de bagnole. Si vous faites une porte de bagnole et que vous n’avez pas les conditions pour bien la faire, vous ne serez pas dans la même situation de souffrance au travail que quelqu’un dont tous les affects sont mobilisés dans son travail concret. La transformation de la clinique en protocole, l’obligation de faire des toilettes en 6 minutes, etc., tout ce qui s’est mis en place avec l’arrivée de la logique de la propriété patrimoniale lucrative et des emprunts que les hôpitaux contractent pour investir,… tout ça trouve sa solution individuellement dans la souffrance au travail. Et pourquoi ? Parce que la tradition syndicale n’est pas porteuse de l’auto-organisation des travailleurs sur leur lieu de travail. Lorsque le new public management est arrivé, il a été contesté et critiqué par les syndicats, mais ils n’ont pas eu la capacité de s’y opposer car ils n’ont pas organisé les travailleurs dans la maîtrise de leur travail concret. C’est comme si on avait accepté que le travail, on ne le maîtrise pas… Je trouve d’ailleurs très significatif que depuis quelques dizaines d’années se soit répandue la fable d’une étymologie du mot « travail » dans tripalium. C’est une fable, mais cela fait partie aussi de la naturalisation de cette violence sociale : « ben oui écoutez le travail c’est un instrument de torture » ; oui, oui, la souffrance au travail… Une autre limite des initiatives de 1960 en matière de production de soins est que la production des médicaments est restée capitaliste : la solvabilisation des patients a créé un marché captif pour les laboratoires pharmaceutiques, qui ont été en mesure de coloniser toute la clinique. Là encore, les soignants ont perdu la maîtrise de leur travail au bénéfice de l’omniprésence d’une marchandise capitaliste subventionnée. Le dernier élément explicatif que je propose est le caractère très défensif d’oppositions à la régression démocratique qui n’ont pas réussi à montrer l’enjeu de production au cœur du conflit et qui ont été isolées dans la défense d’une pratique qualifiée de « dépense ». Vous avez remarqué sans doute que je n’ai parlé que de « production de soins » alors que l’expression largement majoritaire est « dépenses de santé ». Accepter ce terme, c’est accepter la définition capitaliste de la production, qui la limite aux activités qui mettent en valeur du capital et désigne comme « dépense » tous les autres travaux, ceux des
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fonctionnaires, des retraités, des chômeurs, la seconde journée des femmes. En assimilant la cotisation à la couverture d’une dépense et non au financement d’une production, le sens commun, qui est évidemment celui du discours façonné par la classe dirigeante, a disqualifié la cotisation comme une « charge », ce qui a rendu possible son gel depuis quarante ans. Et les professionnels du soin, au lieu de montrer que leur pratique était transposable à toute la production, quelle qu’elle soit, se sont battus pour la défense des « dépenses de santé » comme dépense utile, ce qui est évidemment très vulnérable aux arguments d’un prétendu bon sens gestionnaire qui veut qu’on ne peut dépenser que ce qui a été produit ailleurs… en niant l’évidence du caractère productif du système de soins luimême ! Il y a donc quatre éléments au diagnostic de la mise en échec : la délégation, l’absence d’organisation collective pour la maîtrise du travail concret, le maintien d’un parasite capitaliste extrêmement fort qui va progressivement déplacer le système de soins vers du curatif à base de médicaments parce qu’il trouve dans l’assurance-maladie un marché public fabuleux, et l’absence de généralisation de ce mode non capitaliste de production des soins à d’autres secteurs de la production. Si nous voulons actualiser la dynamique qui a été rendue possible par le régime général en matière de mutation de la production de soins dans les années 60, il faut que ce soit sans délégation dans la gestion, que les travailleurs soient auto-organisés pour décider du travail concret, que toute la filière conventionnée échappe à la logique du capital et que cette nouveauté fasse tache d’huile pour changer toute la production dans tous les domaines.
TRANSPOSER À D’AUTRES ACTIVITÉS QUE LA PRODUCTION DE SOINS CE QUI S’EST FAIT DANS LES ANNÉES 60 Encore une fois, ce modèle ne peut être simplement « défendu », et pire encore, défendu comme « dépense » et donc comme coût à assumer. Dans ce cas, il sera grignoté, comme il l’est depuis 30 ans. La seule façon d’éviter son grignotage, c’est de bien le poser comme production, et de le généraliser à toutes les productions. Je voudrais donc, pour conclure, transposer à d’autres productions que le soin ce qui s’est fait en 1960 autour de ces trois dispositifs : hausse du taux de cotisation, subvention de l’investissement et salaire à la qualification personnelle. Je propose de les généraliser dans des sécurités sociales sectorielles. De même qu’on a fait une Sécurité sociale du soin, nous pouvons faire une Sécurité sociale du logement, une Sécurité de sociale de l’alimentation, une Sécurité sociale de l’accès à la justice, etc. Prenons ce que pourrait être une Sécurité sociale de l’alimentation mise en place avec les outils de la sécurité sociale du soin – taux de cotisation permettant la subvention de l’investissement, conventionnement de la caisse gérant cette sécurité sociale avec des professionnels, obligation de passer par ces professionnels pour consommer le bien et service qui est produit. D’une part, ce n’est pas du tout irréaliste, parce que
c’est sur les questions de l’alimentation que l’interrogation sur la légitimité de la production capitaliste est de plus en plus forte. C’est bien sûr un crime de mettre sur la route le fret ferroviaire. Mais l’isolement dans lequel ont été les cheminots qui se sont battus contre ça au printemps dernier montre que c’est un crime dont la conscience n’est pas partagée. Alors que le côté criminel de l’agrobusiness, lui, est assez largement partagé, on peut donc trouver un soutien populaire à ce qui permettrait de le marginaliser. D’autre part, ce qui est aussi intéressant, c’est que toute la filière de la production alimentaire a déjà des producteurs alternatifs. Vous avez des ingénieurs qui fabriquent des engins agricoles réparables, alors qu’un engin capitaliste est irréparable – c’est la définition d’un engin capitaliste, conçu pour que sa maîtrise échappe à son utilisateur. Vous avez des paysans qui produisent des biens agricoles bruts sur une logique non capitaliste. Pour la production de biens élaborés, vous avez des minotiers, des brasseurs, vous avez les paysans boulangers, etc. Vous avez des formes non capitalistes de distribution et de restauration… en somme toute la filière aujourd’hui peut, si elle est soutenue, être assumée sur un mode communiste, c’est-à-dire sur un mode dans lequel l’éthos des travailleurs est de maîtriser leur travail, d’être responsable. Je fais un tour de France très régulier et fort intéressant, et j’observe partout en France des milliers de jeunes diplômés qui font sécession, qui ne jouent pas le jeu, qui sont décidés à produire des choses qui ont sens et qui sont décidés à maîtriser leur travail concret, à la différence de la tradition syndicale qui a négligé la maîtrise du travail concret par les travailleurs eux-mêmes. Prenez une conversation récente avec des militants syndicalistes d’un Arsenal, qui me disent : « nous, on est pour ne produire que des biens de Défense nationale, et on fait en permanence campagne dans ce sens ». Oui, sauf qu’ils savent que l’essentiel de ce qu’ils produisent est vendu à l’Arabie Saoudite pour faire ce qu’elle fait au Yémen, et ils le produisent quand même. Il y a une contradiction qui se traduit par l’acceptation de l’inacceptable dans le travail concret. Ces travailleurs qui produisent du matériel pour tuer des yéménites, ils souffrent au travail bien sûr. Mais on « gère » la souffrance au travail… Il faut en finir avec ça, et c’est précisément dans cette jeunesse-là, dissidente, de travailleurs qui ne sont pas prêts à vivre dans cette contradiction, qu’on peut précisément construire une alternative vivante, parce qu’il y a détermination à maîtriser le travail concret. C’est ce qui a manqué en matière de santé et qui fait que l’efflorescence des années soixante en matière de production de soins est aujourd’hui – même s’il ne faut pas disqualifier ce qui se fait – en grande difficulté. Mais le problème de ces initiatives alternatives, c’est qu’elles sont dans l’ici et maintenant, et que l’addition d’ici et maintenant ne nous fait pas sortir du capitalisme. Le mouvement syndical de transformation sociale (la CGT, Solidaires, la FSU, la CNT) a lui, au contraire, une bonne expérience pratique de la construction d’institutions à l’échelle de toute la société : statut de la Fonction publique, régime général de la Sécurité sociale, nationalisation d’EDF-GDF, pour
prendre les grandes réalisations de 1946. S’il n’y a pas responsabilité économique sur des institutions macro-sociales, l’ici et le maintenant s’épuisent dans la marginalité ou dans la récupération par le capital. L’extrême intérêt d’un projet comme la Sécurité sociale de l’alimentation, c’est de produire un cadre macro pour ces initiatives alternatives dont l’éthos est communiste. Comment ? Nous allons créer une cotisation à hauteur de 8 % de la valeur ajoutée marchande des entreprises, une cotisation de 120 milliards. Pour avoir un peu une idée du poids d’une telle proposition, il faut voir que les cotisations sociales représentent aujourd’hui environ 500 milliards. Cela permettra d’attribuer 150 euros par personne et par mois pour de la consommation alimentaire brute ou élaborée, y compris en restauration. Ces 150 euros seront versés sur la carte santé, et ils ne pourront être dépensés qu’auprès de professionnels conventionnés. En reprenant le modèle de l’assurance maladie, ces professionnels conventionnés le seront sur des critères communistes : propriété de l’entreprise par les travailleurs eux-mêmes, maîtrise des travailleurs de leur travail, sens aussi bien anthropologique qu’écologique du bien produit, etc. Ce qui veut dire qu’on ne pourra pas dépenser ces 150 euros à Carrefour, ni auprès d’un professionnel qui utiliserait du matériel fourni par Massey Ferguson (en effet, il faut remonter toute la chaîne si on veut éviter de fournir un marché public à un groupe capitaliste, comme cela s’est fait hélas pour le médicament…). On voit alors qu’en fournissant 120 milliards à ces alternatifs, non seulement on leur sauve la mise, mais on marginalise l’agrobusiness, parce que c’est à peu près la moitié du marché de l’alimentation qui sera devenu communiste. Ce que je dis pour la production alimentaire, on peut le dire pour la production du logement, de l’énergie, du transport, pour m’en tenir à celles qui ont l’impact écologique le plus fort… Ces productions peuvent s’affirmer sur un mode communiste par une logique de cotisation qui rend possible une propriété patrimoniale non lucrative, et par une logique de conventionnement de professionnels, avec une obligation de passer par ces professionnels pour consommer le bien dont on a besoin. Je rappelle que ces professionnels seront à la fois des travailleurs d’entreprises et des indépendants. Avec une sécurité sociale du logement, qui rendra possible la production communiste de logements, avec gratuité du foncier, écoconstruction, obligation de passer par des professionnels conventionnés, etc., nous pouvons sortir la profession d’architecte, par exemple, de sa situation actuelle dans laquelle quelques vedettes raflent les marchés pendant que la majorité des professionnels vivotent. Comment rendre possible la hausse du taux de cotisation ? Parce que les entreprises ne peuvent pas assurer 8 % de leur valeur ajoutée en plus en cotisations de ce qu’elles assurent pour le moment, et si à la Sécurité sociale de l’alimentation on ajoute la Sécurité sociale du logement, la Sécurité sociale de l’accès à la justice, la Sécurité sociale de l’accès à la formation, la Sécurité sociale de l’accès à l’expertise comptable, de
l’accès à l’énergie, vous voyez qu’il faut une socialisation massive de la valeur ajoutée. Comment faire, donc ? Les entreprises ne rembourseront pas leur dette d’investissement à hauteur de ces cotisations nouvelles. Cela suppose tout un travail politique sur l’illégitimité de la dette en matière d’investissement : la dette, c’est le fait qu’il y a une prédation par le profit d’une partie de la valeur produite qui est ensuite prêtée à ceux qui l’ont produite, et qu’ils doivent rembourser ! Nous sommes déjà sortis de ce jeu de dupes dans les années 60, quand nous avons remplacé le cycle profit-crédit par le cycle cotisation-subvention. Nous allons dire à nouveau que le roi est nu, dire que nous allons nousmêmes financer l’investissement avec la valeur ajoutée par nousmêmes, qu’au lieu de nous la faire ponctionner par des propriétaires lucratifs, nous allons la socialiser dans des cotisations que nous allons gérer, nous. Nous allons enfin faire de la politique, c’est-à-dire pas de la dénonciation, pas de la plainte, mais un travail qui suscite le désir. Le désir du communisme. 1 FO ou Force ouvrière (nom usuel de la Confédération générale du travail - Force ouvrière ou CGT-FO) est une confédération syndicale créée en 1947 suite à une scission de la CGT (Confédération générale du travail). 2 CFTC (Confédération française des travailleurs chrétiens), fondée en 1919 ; CFDT (Confédération française démocratique du travail), issue de la déconfessionnalisation de la CFTC en 1964. 3 Il n’y a plus de ministres gaullistes puisque de Gaulle, excédé d’avoir dû, au lendemain de la victoire électorale du PCF aux premières élections législatives de l’automne 1945, accueillir des ministres communistes, pourtant en très faible nombre et sur des strapontins, démissionne dès janvier 1946.
THE CARE PRODUCTION IN THE 60s A MODEL TO UPDATE Bernard Friot A considerable change in the production of care began in the late 1950s and ended in the mid-1970s. Until then, city care was not reimbursed, for lack of agreement with the health insurance of health professionals—whether they were doctors, nurses, physiotherapists…—: the working classes accessed city care through what communism or municipal socialism had set up as public health in the 1930s, social health offices or health centres with salaried doctors, also initiated by mutuals. It was extremely little. With few exceptions, the field of hospital medicine was almost abandoned, the hospital being until the Second World War the place where the insolvent grounded. All this will undergo an absolutely decisive change.
SOCIAL SECURITY IN 1945 This decisive change was brought about by the revolutionary institution created in 1946: the general Social Security system. But beware, the general Social Security system is not what we call “Social Security”. In 1945, the Social Security system was overwhelming: more than a thousand caisses of companies, branches and territories; and tens of thousands of employees. It was created in the last decades of the 19th century, mainly on the initiative of employers and governments, and is very dispersed: — For industrial accidents, coverage has been compulsory since 1898, and the funds are managed by insurers.
— Family allowances appeared in the civil service at the end of the 1890s and became widespread in 1917. They became mandatory in the private sector in 1932 and were managed by employers in territorial funds. In 1945, they accounted for more than half of social benefits. — In terms of health, coverage has been compulsory since 1930. The majority of the funds are departmental with joint management (“parity” means “employer”, because there is always a union that votes with the employers). — For old age, there have been large company schemes since the 19th century, and the 1930 social insurance schemes that make retirement savings accounts mandatory. The Vichy regime will freeze them in 1941 to allocate all the
old-age contributions to the distribution of a lump sum pension, the allowance for old employed workers. — Most of the statutory schemes (civil service, SNCF…) already exist. In 1945, Social Security has existed for a few decades and presents a very disparate picture, mainly managed by employers and with rates that vary considerably from one company to another (for example, for family allowances, rates range from 4 to 17% of gross wages). We are in an unreadable system, of employers, and that is what the revolutionaries of 1946 will push forward by relying on the ordinances of October 45 whose objective is to unify the existing.
THE 1946 SWITCHOVER The 1946 changeover was the work of the CGT, more precisely of the CGT communists, practically alone against all. It is necessary at all costs to restore here the extremely conflictual nature of this history, and to stop believing in the fable of a unanimity between the communists and the Gaullists in order to carry out the programme of the National Council of Resistance. The socialists of the CGT prepared the split of FO1 in 1947 and the FEN in 1948. The CFTC, the predecessor of the CFDT2, has clearly stated that it is against the implementation of the general regime, so it does not participate in it. It was the communists of the CGT who created the general regime, under the diCRITIQUE
211
THE RELATIVE FAILURE OF THIS DEVICE
rection of the General Secretary of the CGT Metallurgy Federation, Ambroise Croizat, a former communist deputy who had fallen in 1939 and was sent to the Algier prison in 1940. He became Minister of Labour in November 1945, and knew then that he had little time to act: the deadline for implementation was July 1946. The changeover consisted, on the one hand, in unifying the system, by moving from more than 1000 funds of disparate schemes to less than 250 departmental funds of a general scheme. The CGT—defeated on this point during the preparatory debates of August 45—was unable to obtain the merger of family allowances (the heart of the system, I insist) with the other benefits: the 1945 ordinances provide for two funds per department instead of one, and the stakes are high when we know that the family allowance funds have only half of their members in their boards, while the others have three quarters. The process is incredibly difficult: activists are confronted, for example, with the lack of sufficiently large premises. In a context of complete destruction following the war, when a CGT militant discovers a sufficiently large and empty building and wishes to assign it to the new regime’s fund, this building is immediately pre-empted by a SFIO (socialist) or MRP (Christian Democrat) minister: the non-communist government ministers3 insist that the general regime should not be put in place. They expect a failure that will not happen: in July 1946, thanks to a monumental effort, the CGT militants set up the new regime. It is unified, which means that it is a tool for building a class consciousness, even if there are still corporate regimes. The other changeover in 1946 was in the management of the regime. Whereas until then the management was made by employers, with parity, or made by insurance companies, we have here an incredible thing: the funds are managed by a majority, or at least half, of elected workers (the first elections took place in March
212 CRITIQUE
1947). Admittedly, contribution rates and benefits remain a decision of the State, but the boards of directors of the funds have general competence, while the management boards have limited competence and are elected by the board of directors: this is a very interesting social democracy. The third radical innovation introduced by the general system is the unity of the interprofessional rate, which leaves no margin for employers in companies or branches: they cannot, as they have done until now, particularly with family allowances, influence the rate in wage disputes. The novelty of 1946 was so decisive, and driven by an unexpected popular mobilization, that everything was done to ensure that the memory of the workers’ ability to invent and manage in the face of determined hostility from the bosses and the political class was lost. You will not find in a course on Social Security what I have just told you, but the usual fable: “Once upon a time there was the creation of Social Security in 1945 because of the union of communists with Gaullists, the strength of the CGT and the Communist Party and the weakness of a floundering employer because he had collaborated”. In short, the whole story of burying the highly conflictive 1946 under a 1945 consensus. Under a 1945 invented when it was made the date of the creation of Social Security.
THE INCREASE IN THE CONTRIBUTION RATE AND THE CHANGE IN THE SUPPLY OF CARE This 1946 change made it possible to change the supply of care a few years later thanks to an increase in the contribution rate after a period of stagnation in the 1950s. The health insurance contribution rate reached 16% of gross salary at the end of the 1970s, which made it possible to subsidise hospital investment through health insurance. The transformation of the health care production system requires a considerable invest-
ment. The first act is the creation of university hospitals (CHU), which link the university to the hospital and demonstrate the determination to give the production of care a scientific basis. Then there will be the transition from psychiatric hospitals (which were key elements of the old system with sanatoria) from social assistance to health insurance. Finally, the hospices will become local hospitals with active beds. My age meant that I was able to visit hospices in the 1960s, it was terrible. And the profound change that transformed them into local hospitals required, once again, both the creation of large numbers of hospital posts and a considerable investment effort. However, this investment has not been sought on the capital market side, or in “public-private partnerships” that make hospitals financially bankrupt today, because they have to pay a debt or pay a léonin rent. No, this massive financing was financed, not exclusively but as a priority, by health insurance subsidies It is important to understand what this means in terms of heritage ownership and ownership of the tool’s use. A tool is two things: something that is used, something that calls a use property; and something that is worth, that is bought, that is sold, that calls a heritage property. These facilities, which are financed by subsidies, are the heritage property of public authorities which have no lucrative purpose on this property. As a result, ownership of use by the staff themselves is made possible, since the asset owner has no ambition to make a profit. Caregivers work to care, which is not the case today, where they work to pay off a debt or pay rent. They must respect protocols decided by managers; in short, they have lost, with the loss of control of their concrete work, the property of use of the tool. The happiness at work of carers at the time contrasts with the suffering at work of carers today—when our country is three times richer than in the 1960s.
CAREGIVERS FREED FROM THE MARKET The other extremely exciting element of what has been created since the late 1950s is that hospital professionals are not part of the labour market, and that they are also free from the goods and services market if they are liberal. In the case of hospital workers, they are civil servants, who are paid for their rank and not for their position, who have a salary attached to their person and are therefore released from blackmail. We see that it is therefore possible—and not on a small scale, but on a production that represents 10% of GDP—to institute a personal qualification wage. Before, the carers were for many nuns. It was therefore necessary to create the status of civil servant carers, and it was created from the outset, by freeing professionals from blackmail on employment. With regard to liberals and city care, in 1961 the first agreements with the health insurance fund appeared, which meant that liberal carers had a solvent clientele, subject to compliance with a certain number of practices in terms of acts and payment of acts: they too were freed from market logic. I call this way of producing care a communist one. Communist because it is the responsibility of the workers themselves, which is the heart of communism, its key word. Workers’ liability and use ownership are possible when the heritage property is non-profit. For this to happen, profit and debt, this infernal binomial at the heart of capitalism: “I steal part of what you produce, I lend it to you so that you can work, and you repay me”—must be replaced by the binomial contribution-subsidy. The fertility of such a communist production organization is visible in the quality of a health care system that has long been ranked first in the world. What lessons can be learned from this case?
First, what lessons can be drawn from the relative ability of the ruling class to defeat this powerful system over the past twenty years? This relative failure was reflected in the freezing of the contribution rate: having doubled from 1945 to the end of the 1970s, it has not changed since 1979, it is still at 16% of gross salary. 35 years of doubling, then 40 years of stagnation, which has obviously put all healthcare production institutions in great difficulty, because at the same time, needs have increased. This deliberate placing in difficulty has made it possible to nationalize the production of care which until now had been the responsibility of collective deliberation. This nationalisation took the form of the national fund being placed under supervision with management agreements, the de facto disappearance of the boards of directors, and the weight of workers in the remaining rumps-councils, and the creation of the Regional Hospitalisation Agencies by Juppé in 1997, which were then extended to regional health agencies, bureaucratic mastodons exempt from any democratic practice. This is the capitalist response to a communist system. A communist system is the management by the workers themselves, their responsibility both in the macroeconomic management of the general regime and in the local management of concrete work in hospitals or private practices. The capitalist response is statehood: capitalism makes us irresponsible, we are not responsible for production, we are not the ones who decide at work.
WHY HAVE WE SO FAR BEEN UNABLE TO OPPOSE THE DRIFT? It must be noted that we have not been able to oppose this regression so far. I will focus on four reasons for this powerlessness. On the one hand, the fact that the management of the general regime was carried out by delegation. Certainly, to elected officials, but by delegation. When I started my investigation in the 1970s, I met activists who had been managers of the general regime before 1967 and who told me: “we had become specialists, we were cut off from the union.” This is the result of the delegation. I think our systems based on representation have run their course, and if we have anything to learn from the failure of workers’ management, that glorious past that I admire for what was done in 1946 and the years that followed, it is that. This shows that to take back in hand a system that has been popular, managed by the workers, capable of establishing ownership of the tool by the workers themselves and of financing investment without recourse to the capital market—all these wonders that I just summarized—cannot be based on a delegation system such as we are still used to identifying it, quite wrongly, with democracy. The second diagnostic element I propose today is manifested by the suffering at work of carers. This phenomenon is of course indisputable, but I would like to point out what it means to have made a kind of nosographic category, suffering at work, which requires preventive and curative measures. For me, this is such an
unacceptable category as, for example, menopausal depression or female hysteria… All these categories only naturalize and ultimately internalize as illness or personal guilt what should instead be precisely pointed out as institutions of social violence. It is understandable why suffering at work is particularly great in the production of care: direct contact with a patient is not the same as building software or a car door. If you make a car door and you do not have the conditions to do it well, you will not be in the same situation of suffering at work as someone whose affects are mobilized in his concrete work. The transformation of the clinic into a protocol, the obligation to make toilets in 6 minutes, etc., everything that has been put in place with the arrival of the logic of lucrative heritage property and the loans that hospitals take out to invest… all this finds its solution individually in suffering at work. And why is that? Because the trade union tradition does not support workers’ self-organisation in the workplace. When the new public management arrived, it was challenged and criticized by the unions, but they did not have the capacity to oppose it because they did not organize the workers in the control of their concrete work. It is as if we had accepted that work, we do not master it… I find it very significant that in recent decades the fable of an etymology of the word “work” has spread in tripalium. It is a fable, but it is also part of the naturalization of this social violence: “well yes, the work is an instrument of torture”; yes, yes, suffering at work… Another limitation of the 1960 initiatives in the production of care is that the production of drugs has remained capitalist: the solvency of patients has created a captive market for pharmaceutical companies, which have been able to colonize the entire clinic. Here again, carers have lost control of their work to the omnipresence of a subsidised capitalist commodity. The last explanatory element I propose is the very defensive nature of opposition to democratic regression, which has failed to show the issue of production at the heart of the conflict and which has been isolated in the defence of a practice described as “expenditure”. You may have noticed that I only mentioned “production of care” when the vast majority of the term is “health expenditure”. To accept this term is to accept the capitalist definition of production, which limits it to activities that enhance capital and designates as “expenditure” all other work, that of civil servants, pensioners, the unemployed, the second day of women. By equating the contribution to the coverage of an expense and not to the financing of a production, common sense, which is obviously that of the discourse shaped by the ruling class, has disqualified the contribution as a “burden”, which has made its freezing possible for forty years. And care professionals, instead of showing that their practice was transferable to all production, whatever it may be, have fought for the defence of “health expenditure” as a useful expense, which is obviously very vulnerable to the arguments of so-called managerial common sense that one can only spend what has been produced elsewhere… by denying the evidence of the productive nature
of the care system itself! There are therefore four elements to the diagnosis of failure: delegation, the absence of collective organization for the control of concrete work, the maintenance of an extremely strong capitalist parasite that will gradually shift the health care system towards drug-based curative care because it finds in health insurance a fabulous public market, and the absence of generalization of this non-capitalist mode of production of care to other production sectors. If we want to update the dynamic that was made possible by the general regime in the 1960s with regard to the transformation of healthcare production, it must be without delegation in management, workers must be self-organized to decide on concrete work, the whole of the agreed sector must escape the logic of capital and this innovation must be an oil stain to change all production in all areas.
REPLICATE TO OTHER ACTIVITIES THAN THE PRODUCTION OF CARE WHAT WAS DONE IN THE 1960S Once again, this model cannot simply be “defended”, and even worse, defended as an “expense” and therefore as a cost to be borne. In this case, it will be nibbled, as it has been for 30 years. The only way to avoid this whittling away is to establish it as a production and to generalize it to all productions. To conclude, I would therefore like to transpose to other productions than care what was done in 1960 around these three schemes: increase in the contribution rate, investment subsidy and personal qualification salary. I propose to generalise them in sectoral Social Security schemes. Just as we have done a Social Security of care, we can do a Social Security of housing, a Social Security of food, a Social Security of access to justice, etc. Let us take what could be a Social Security for food set up with the tools of the Social Security of care—contribution rate allowing the subsidy of the investment, agreement of the fund managing this Social Security with professionals, obligation to go through these professionals to consume the good and service that is produced. On the one hand, this is not at all unrealistic, because it is on food issues that the question of the legitimacy of capitalist production is increasingly raised. It is of course a crime to put rail freight on the road. But the isolation in which the railway workers who fought against this last spring were isolated shows that it is a crime whose conscience is not shared. While the criminal side of agribusiness is fairly widely shared, there is popular support for marginalizing it. On the other hand, what is also interesting is that the entire food production chain already has alternative producers. You have engineers who manufacture repairable agricultural machinery, while a capitalist machine is irreparable—this is the definition of a capitalist machine, designed so that its control escapes its user. You have peasants who produce raw agricultural goods on a non-capitalist basis. For the production of processed goods, you have millers, brewers, bakers,
etc. You have non-capitalist forms of distribution and catering… in short, the whole sector today can, if supported, be assumed in a communist mode, that is, in a mode in which the ethos of workers is to control their work, to be responsible. I do a very regular and very interesting tour of France, and I observe everywhere in France thousands of young graduates who secede, who do not play the game, who are determined to produce things that make sense and who are determined to master their concrete work, unlike the union tradition which has neglected the control of concrete work by the workers themselves. Take a recent conversation with trade union activists from an Arsenal, who tell me: “We are in favour of producing only National Defence goods, and we are constantly campaigning in this direction”. Yes, except they know that most of what they produce is sold to Saudi Arabia to do what it does in Yemen, and they still produce it. There is a contradiction that translates into the acceptance of the unacceptable in the concrete work. These workers who produce equipment to kill Yemenis, they suffer at work of course. But we “manage” the suffering at work… We must put an end to this, and it is precisely in this dissident youth of workers who are not ready to live in this contradiction, that we can build a living alternative, because there is a determination to master the concrete work. This is what was lacking in terms of health and makes the efflorescence of the 1960s in terms of health care pro-
tuation in which a few celebrities are taking over the markets while the majority of professionals are living. How to make it possible to increase the contribution rate? Because companies cannot provide 8% more of their added value in contributions than they currently provide, and if we add to the Social Security of Food the Social Security of Housing, the Social Security of Access to Justice, the Social Security of Access to Training, the Social Security of Access to Public Accounting, Access to Energy, you see that we need a massive socialization of added value. So how do we do that? Companies will not repay their investment debt up to the amount of these new contributions. This requires a lot of political work on the illegitimacy of debt in terms of investment: debt is the fact that there is a predation by the profit of a part of the value produced which is then lent to those who produced it, and which they must repay! We were already out
duction today—even if we must not disqualify what is being done —very difficult. But the problem with these alternative initiatives is that they are in the here and now, and that the addition of here and now does not get us out of capitalism. The trade union movement for social transformation (CGT, Solidaires, FSU, CNT) has, on the contrary, a good practical experience of institution-building at the level of society as a whole: civil service statute, general Social Security system, nationalisation of EDF-GDF, to take the great achievements of 1946. If there is no economic responsibility for macro-social institutions, the here and now is exhausted in marginality or in recovery by capital. The extreme interest of a project like the Social Security of Food is to produce a macro framework for these alternative initiatives whose ethos is communist. How? We are going to create a contribution of 8% of the market value added of companies, a contribution of 120 billion. To have a little idea of the weight of such a proposal, we must see that Social Security contributions now represent about 500 billion. This will allow 150 euros per person per month to be allocated for gross or processed food consumption, including catering. These 150 euros will be paid to the health card, and they can only be spent with approved professionals. By adopting the health insurance model, these professionals will be covered by agreements based on
communist criteria: ownership of the company by the workers themselves, control of the workers over their work, anthropological as well as ecological sense of the good produced, etc. This means that we will not be able to spend these 150 euros at Carrefour, nor with a professional who would use equipment supplied by Massey Ferguson (indeed, we have to go up the whole chain if we want to avoid providing a public market to a capitalist group, as was unfortunately done for medicines…). We see then that by providing 120 billions to these alternatives, not only are we saving their lives, but we are also marginalizing agribusiness, because it is about half of the food market that will have become communist. What I am saying about food production, we can say it for the production of housing, energy, transport, to limit ourselves to those with the greatest ecological impact… These productions can be affirmed in a communist way by a logic of contribution that makes possible a non-profit patrimonial property, and by a logic of conventioning professionals, with an obligation to go through these professionals to consume the good we need. I would remind you that these professionals will be both company workers and self-employed. With a social housing security system, which will make communist housing production possible, with free land, eco-construction, the obligation to use professionals with agreements, etc., we can take the profession of architect, for example, out of its current si-
of this game in the 1960s, when we replaced the profit-credit cycle with the contribution-subsidy cycle. We are going to say again that the Emperor is naked, that we are going to finance the investment ourselves with the value added by ourselves, that instead of having it taken from us by lucrative owners, we are going to socialize it in contributions that we will manage. We will finally do politics, that is, not denunciation, not complaint, but work that arouses desire. The desire for communism. 1 FO or Force ouvrière (the usual name of the General Confederation of Labour Force ouvrière or CGT-FO) is a trade union confederation created in 1947 following a split of the CGT (General Confederation of Labour). 2 CFTC (Confédération française des travailleurs chrétiens), founded in 1919; CFDT (Confédération française démocratique du travail), resulting from the deconfessionalization of the CFTC in 1964. 3 There were no more Gaullist ministers, since de Gaulle, who, following the PCF’s electoral victory in the first legislative elections of autumn 1945, had to welcome communist ministers, although in very small numbers and on seats, resigned in January 1946.
CRITIQUE
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À PROPOS DE QUEER SPACE
UNE CONVERSATION AVEC AARON BETSKY ALORS QUE NOUS TRAVAILLONS À SA PREMIÈRE PUBLICATION EN FRANÇAIS Manuel Bello-Marcano & Xavier Wrona pour le comité de rédaction & Riot Éditions À l’automne 2017, Après la révolution a organisé avec l’École Nationale Supérieure d’Architecture de Saint-Étienne (ENSASE) une semaine de rencontres, d’expérimentations formelles et de débats sur le thème de la santé publique. Lors de cet événement, nous avons eu le plaisir d’avoir pour événement de clôture une conférence d’Aaron Betsky. Il a donné à l’Amicale Laïque Michelet un exposé très enthousiaste, stimulant et prospectif sur notre avenir collectif dans le domaine de la santé intitulé « Beyond Hospitals » (Par-delà les hôpitaux). Une des étudiantes présentes, Morchadi, est venue quelques mois après nous voir, intéressée par le livre Queer Space, de Betsky publié en 1997. Nous avons discuté davantage et lui avons proposé l’idée de rejoindre une équipe de personnes qui travaillent à une publication française de ce livre qui devrait être publié en 2022. L’échange qui suit, animé par Manuel Bello-Marcano et Xavier Wrona, est le résultat de tout cela et est une conversation portant sur les interrogations d’Après la révolution concernant Queer Space. Queer Space, Architecture and Same-Sex Desire est un livre de 231 pages publié en 1997 par William Morrow and Company, Inc. New York, écrit par Aaron Betsky. La couverture mentionne ce qui suit : « Dans son livre précédent, Building Sex, Aaron Betsky, critique d’architecture et conservateur de renom, a examiné l’histoire de l’architecture à travers le prisme des rôles
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sexuels traditionnels. Aujourd’hui, il publie une étude percutante sur la façon dont le désir homosexuel crée une architecture entièrement nouvelle : un espace queer. De par sa nature même, l’espace queer est quelque chose qui n’est pas construit, seulement implicite et habituellement invisible, écrit-il, l’espace queer ne participe pas à la compétition pour construire la plus grande maison, la plus haute tour ou la rue la plus rectiligne. Il est plus ambivalent, ouvert, fuyant, autocritique ou ironique, et éphémère ».
Après la révolution : Bonjour Aaron. Nous avons donc préparé quatre questions et vous pouvez décider de dire que ce ne sont pas de bonnes questions et en poser d’autres. La première question concerne la première publication de Queer Space, qui a eu lieu en 1997. Nous n’avons pas exactement le même âge et en lisant ce livre aujourd’hui, Manuel et moi avons été très frappés, et ce n’est pas une formule, par la force de certaines de ses intuitions. Pourriez-vous revenir au moment où il a été écrit, car nous étions de jeunes étudiants à l’époque et je pense que nous n’étions pas au
fait des questions abordées dans votre livre ni du contexte dans lequel vous l’avez écrit. Pouvez-vous nous dire comment il a été reçu à l’époque ? Aaron Betsky : Ce livre était la suite d’un premier livre que j’ai fait sur le thème de l’architecture et de la sexualité et qui s’intitulait Building Sex. L’éditeur voulait une suite. J’étais intéressé par l’idée d’inventer quelque chose qui aurait une plus grande portée. Il ne s’agissait pas d’un éditeur d’architecture, c’était un éditeur généraliste. Ils pensaient que ce serait un livre capable de toucher un public plus large. Ce fut un échec à cet égard, mais aussi en partie parce que la communauté universitaire ne l’a pas pris très au sérieux. Il n’a pas vraiment fait l’objet d’un examen approfondi. Je pense que les gens considéraient beaucoup plus Eve Kosofsky Sedgewick ou Beatriz Colomina et ce genre de personnes sérieuses ayant des doctorats comme étant les véritables
autorités en la matière. Donc, ce livre est sorti sans un bruit. ALR : Et avez-vous été témoin d’une évolution dans la réception du livre depuis lors ? AB : Cela m’a un peu surpris quand, il y a une dizaine d’années, j’ai commencé à sentir que les gens s’intéressaient de nouveau à cette question et qu’ils étaient en train de déterrer le livre. Il y a eu une grande conférence à l’Université de Londres, il y a environ 5 ou 6 ans, où le livre a été présenté comme ayant été générateur de beaucoup de discussions. C’était agréable et flatteur. [Sourire] Je ne sais pas vraiment pourquoi par contre. Mais il semble qu’il ait suscité un certain intérêt entretemps. Une partie du problème, il me semble, vient du fait que lorsque j’ai écrit ce livre, j’avais déjà la quarantaine et je me souviens très bien que certains de mes étudiants de SCI-Arc m’ont dit à l’époque
que je n’avais pas le droit d’utiliser le mot queer, parce que c’était le terme que la génération Act Up employait. Comme j’étais un vieux pédé, je devais pour ma part me dire gay ou homosexuel ou autre… Et quand j’ai donné un cours sur le sujet au SCI-Arc, presque tout le monde dans la classe était hétéro, parce que les homos pensaient que le livre n’était pas assez activiste dans son propos. ALR : Quelle est votre relation avec Act Up, si vous en avez une ? AB : Ce n’était pas très puissant à Los Angeles où j’étais basé à l’époque. C’était plus présent dans des villes comme New York, San Francisco, Chicago, DC… J’étais évidemment au courant. Je crois que je suis allé à un des événements. Une protestation. Mais je ne saurais vous dire quand ou à quel propos… Cela paraissait assez éloigné. Des années plus tard, le New York Times m’a demandé d’écrire sur la dimension design
d’Act Up. J’ai écrit à ce sujet pour eux au milieu des années 2000. ALR : Comme vous le savez, ce journal Après la révolution pense qu’en tant qu’architectes, nous devrions reconsidérer notre participation à la construction de l’ordre du monde, avec autant d’audace qu’un Milton Friedman par exemple, lorsqu’il se dit être non pas un conservateur mais un radical, voulant transformer le monde en allant à la racine des choses. Depuis la fin des années 60, la gauche semble s’être arrêtée sur un rapport au pouvoir de type anarchiste qui, à travers Foucault et Deleuze par exemple, était en général très critique sur l’hypothèse de prendre et d’exercer le pouvoir ou plus largement même sur l’hypothèse de considérer positivement la question de l’ordre. En tant qu’auteur de Queer Space, voyez-vous les espaces queer comme un ordre alternatif potentiel…? Ou comme la proposition d’une résistance à toute forme d’ordre ? AB : Quand j’ai commencé à écrire le livre, je croyais encore à cette possibilité. Je dois dire qu’à l’heure actuelle, en tout cas en ce qui concerne le monde occidental, où les formes de résistance et les approches que l’espace queer proposait sont devenues tellement assimilées, je ne vois pas vraiment la capacité qu’elles ont d’être critiques. On a l’impression que ce qui était considéré comme marginal, c’est-à-dire une sexualité complètement fluide, les différents modes de transsexualité, d’apparence et de comportement ainsi que l’auto-identification, sont maintenant à peu près mainstream. Il devient de plus en plus difficile de s’accrocher à l’idée qu’en étant fluide dans sa sexualité, ce qui était déjà un pas au-delà de s’identifier en tant que personne queer, on peut résister aux régimes du pouvoir en refusant leurs définitions de son corps et de sa sexualité. Cela ne fonctionne pas très bien aujourd’hui quand on peut se faire élire au congrès, participer à un défilé de mode et avoir tous les autres marqueurs du succès économique, politique et culturel. Je pense que la situation est probablement quelque peu différente dans les cultures non occidentales, où la lutte pour sortir du placard et être publiquement queer est encore très réelle et reste une mise en danger de soi-même. Mais je pense que dans ces endroits le pouvoir de résister avec son corps ou sa sexualité est aussi beaucoup plus limité. Donc, je ne suis pas vraiment sûr de la puissance qu’il y a là-dedans. J’ai essayé d’être très clair quand j’ai écrit Queer Space, en disant que je décrivais un moment historique qui, bien qu’il ait eu des racines plus profondes, s’est vraiment développé de la fin du XIXe siècle aux années 80. Cela a duré un bon siècle, mais du fait de l’assimilation et des ravages de l’épidémie du sida, elle a vraiment pris fin après le début des années 1980 et 1990. J’ai bien peur de devoir répondre à votre question par la négative. Mais là encore, je pense que c’est une question plus complexe, parce que je ne suis pas sûr, étant donné la capacité du capitalisme à assimiler, à s’approprier et à utiliser toute forme de résistance manifeste, que l’idée qu’être « autre », aussi insaisissable soit-il, permette une résistance vraiment valable. Cela ne veut pas dire que j’ai une réponse à ce qui serait va-
lide. Face à la fulgurante rapidité d’appropriation, de réutilisation et de retournement opérée par le capitalisme, non seulement sur le plan de la sexualité mais aussi de l’identité raciale et même politique… Il en va de même de la résistance à la politique traditionnelle, comme c’est le cas pour le mouvement Cinque Stelle en Italie par exemple, qui devient un parti dominant en quelques années… il est très difficile de trouver des moyens… Ce que je cherche encore c’est une forme de mouvement post-masse, un mode de lutte post-révolutionnaire ou post-révolution directe qui serait plus approprié. Il faudrait trouver un moyen de se frayer un chemin dans le domaine social public. Ce n’est pas très optimiste, j’en suis désolé. ALR : Cette question n’était pas prévue, et je ne sais pas si elle sera très claire, mais en vous écoutant et en examinant votre carrière ou votre parcours, il semble que vous ayez occupé des postes importants1 tout en traitant de questions difficiles. Il semble que vos arguments et vos propos aient été acceptés d’une façon ou d’une autre, car ils vous ont permis d’être en position d’influence plutôt que d’être mis à l’écart… Comme s’il y avait une reconnaissance de la valeur de traiter ces questions ? Je suis désolé si la question n’est pas très claire… AB : Non, c’est très clair. Et c’est une question que je me pose depuis très longtemps. Parce que je n’ai jamais obtenu de poste dans les véritables institutions d’élite des différents domaines dans lesquels j’ai travaillé… ALR : Vous voulez dire Ivy League ? AB : Exactement. Franchement, mon travail n’est pas pris au sérieux par quelque pouvoir que ce soit. C’est peut-être simplement parce que ce travail est insuffisant, peut-être parce qu’il n’est pas assez discipliné, ce qui, à mon avis, est potentiellement un problème. Mais je pense que cela a aussi à voir avec les positions que je prends. Et, là encore, lorsqu’on parle de modes d’appropriation, il ne faut pas oublier qu’il ne s’agit pas seulement de prendre les formes de résistance de n’importe quoi, des homosexuels aux personnes dites «de couleur» en passant par je ne sais quoi, et de se les approprier. C’est aussi mettre à l’écart les gens qui ont développé des formes de résistances. Donc, si je veux être vaniteux [sourire], c’est une des raisons pour lesquelles je n’ai jamais eu de poste d’enseignant à Harvard ou à Yale, ou encore moins de poste administratif. C’est aussi pourquoi je ne suis pas invité dans les grandes conférences, les jurys importants et tous les autres lieux de pouvoir dans les New York et les Londres de ce monde. J’ai toujours été un peu marginal. Et encore une fois, cela tient en partie au fait que je n’ai pas fait ce qu’il fallait pour être inscrit à l’Ordre des architectes, que je n’ai jamais fait de doctorat et que j’ai choisi de faire certaines choses un peu étranges. Mais je pense que cela tient aussi en partie à mes prises de position. ALR : Ce qui, d’une certaine manière, pourrait être compris comme un exemple de résistance de facto. AB : Mais ça ne m’amène pas très loin ! [Rires]
ALR : Eh bien, laissons le temps en être juge ! D’un point de vue marxiste, qui est celui que nous essayons de promouvoir dans ce journal, croyezvous que la culture queer ait été intégrée dans la marchandisation de la réalité opérée par le capital ? Ou qu’elle a pu lui échapper jusqu’à maintenant ? On peut aussi penser à l’article de Paul B. Preciado sur la pharmacopornographie, que nous publierons dans ce numéro, dans lequel il décrit comment la culture queer est influencée par un bio-capitalisme de la médecine, c’est-à-dire par des transformations corporelles très coûteuses, et par la pornographie, ici comprise comme une normalisation caricaturale des corps. AB : Encore une fois, comme je le disais, la résistance est toujours furtive. Et je pense que cela se produit probablement plus au niveau de ce que Luce Iragaray appelait la jouissance [en français dans l’entretien]. Elle se produit davantage dans la fabrication éphémère de fêtes et du sexe, de la même manière qu’elle apparaît dans les œuvres d’art qui sont aussi éphémères. De nos jours, l’évasion est, je pense, moins spatiale que temporelle. Le problème est donc qu’elle peut offrir des formes fugitives de résistance qui, dès qu’elles se formalisent, perdent leur pouvoir de « résistivité ». Mais ça ne veut pas dire qu’il ne faut pas s’y engager comme des actes continus de résistance. ALR : Je me demande encore, avant de passer à la dernière question, quelle est votre relation en tant qu’architecte à l’égard de l’ordre. L’ordre est-il un dispositif étouffant ? Ou peut-il être émancipateur ? AB : J’ai de très fortes tendances formalistes, donc j’aime le bon ordre… Mais tout au long de ma carrière, la seule chose qui m’a intéressé c’est l’ordre autogénérateur et l’ordre qui reste fragmentaire, le collage… Et j’ai toujours éprouvé beaucoup de difficultés avec l’ordre qui est imposé, qui est préconçu, qui est étranger au matériau qu’il ordonne. J’ai toujours été plus intéressé par Frank Gehry que par Peter Eisenman, et toujours plus intéressé par « la marche », dans les enseignements des Beaux-Arts, que par « le parti ». J’ai toujours été plus intéressé par James Stirling que… je ne sais pas… Hans Hollein ou quelqu’un comme ça… Je pense que c’est une préférence, mais c’est aussi lié à mon sentiment que ce dont nous avons besoin, c’est de ce que Lebbeus Woods appelait l’Anarchitecture, qui d’ailleurs a été inventée par Gordon Matta-Clark. C’est-à-dire quelque chose qui est anarchiste, qui est analogue, qui est une architecture possible. Je m’intéresse à tout ce qui se faufile dans l’architecture plutôt qu’à ce qui s’affirme comme un ordre bien établi. Les déformations, les choses qui semblent normales, et qui ne le sont pas ce sont les choses qui m’intéressent le plus. ALR : Mais j’aurais d’autres questions à ce sujet. La question du droit, par exemple. Une loi est un ordre et il peut y avoir de bonnes lois, et pas seulement des lois qui ne le sont pas. Il peut y avoir des lois que l’on peut souhaiter, des lois qui, d’une façon Bataillenne, sont de l’architecture parce qu’elles conçoivent, organisent, ordonnent une partie de notre vie. Il y a des lois qu’on peut vraiment
espérer, qui ne sont pas nécessairement des dispositifs suffocants. AB : Cela nous amène à des conversations très intéressantes qui ont eu lieu en Amérique, qui portent aussi sur le droit qui apparaît à travers une régularisation de la pratique coutumière et trouve les moyens d’être assez flexible pour permettre des ajustements continus, par opposition à un droit napoléonien qui cherche à se placer au dessus de tout. ALR : Donc, il y a toujours de l’espoir pour un ordre ascendant plutôt qu’un ordre descendant… AB : Oui. ALR : Alors que nous nous sommes maintenant engagés à publier Queer Space en français, ainsi qu’à essayer d’apporter une attention renouvelée à votre texte, il semble que nous nous trouvions actuellement dans une situation paradoxale en ce qui concerne la condition queer. Des droits ont été acquis et, en même temps, la violence envers les communautés queer semble avoir pris de l’ampleur. Ce livre n’était clairement pas un livre sur ce qui fait que l’on est queer, mais un livre sur la façon dont la culture queer participe à la production de l’espace ainsi qu’à notre condition matérielle. Y a-t-il eu des évolutions au cours des 20 dernières années qui ont eu un impact sur la nature de l’espace et la condition urbaine du queer ? Et s’il s’agissait d’ajouter quelque chose à ce livre, ou si vous le rameniez… qu’est-ce que le temps a fait à ce livre qui pourrait exiger une certaine transformation ? AB : Je pense que la réponse évidente à cela est de pointer la transformation de l’espace queer dans le domaine du « virtuel ». Ce qui m’intéresse dans l’espace queer c’est en grande partie la façon dont il a établi des communautés éphémères. Maintenant que les espaces de cruising et les bars queer et autres lieux de ce genre sont en déclin avec la montée des Grindrs, des Gay Romeos et toutes ces sortes d’applications, on peut se plaindre de l’effondrement de ce genre de structures ou d’endroits comme les quais de New York par exemple, qui étaient très faciles à sentimentaliser. Mais, en revanche, le fait qu’à travers Grindr une personne seule dans la France profonde [en français dans l’entretien] ou quelque part aux États-Unis dans la Middle America puisse trouver une autre personne est important, le fait que ces personnes puissent se libérer des structures familiales, des traditions par le recours aux technologies est une chose importante. Il y a eu de la littérature intéressante sur Grindr et sur Tinder à propos de ces processus. Mais Grindr semble plus actif en tant qu’outil d’exploration, c’est un outil par lequel on peut obtenir des rendez-vous et se retrouver dans les quartiers des villes, chez des gens et dans des endroits qu’on ne connaîtrait pas autrement. Cela se produit également d’une manière qui peut briser les frontières de classe et d’espace. Pour moi, c’est très intéressant et j’attends… Andrés Jacque a commencé à faire un peu de travail à ce sujet, mais je pense qu’il essaie toujours de l’intégrer dans un mode spatial historique obsolète. Cette notion de réseau social fondé sur le sexe, en tant que forme de dérive, est pour moi vraiment intéressante. L’intégration de la pornographie dans
la vie quotidienne, dont j’ai un peu parlé, est également importante. Avec l’apparition de clips courts montrant du sexe dans diverses circonstances, la vieille notion selon laquelle l’espace queer est un espace de fantaisie s’effondre pour se rapprocher des voisins dans les banlieues et autres lieux de la vie quotidienne… tout cela pour moi est vraiment intéressant. Je pense qu’il y a beaucoup à explorer. Encore une fois, savoir s’il s’agit de résistance ou de critique, je ne sais pas. Mais je pense que l’on peut trouver un certain espoir romantique dans ce genre de dépassement des frontières, et du dépassement de la normalité qui caractérise les homosexuels. C’est l’une des choses qui a toujours été intéressante dans l’espace queer, c’est sa capacité à briser les frontières de classe, de sexe, de race… C’était encore limité par le fait que les gens devaient se rencontrer à certains endroits. Une fois que ceci est fini, je pense que le potentiel de sexualité trans-frontière est beaucoup plus intéressant. Un de mes amis m’a dit que, lors d’un récent voyage à Prague, il avait – j’ai été surpris qu’il me raconte tout ça [sourire] – en deux jours, lui qui est un intellectuel, couché un soir avec un jardinier travaillant pour le service municipal des jardins, et un ancien officier de police syrien réfugié la nuit suivante. Je ne sais pas si c’est vrai ou s’il l’a inventé, mais c’est une bonne histoire. Les dimensions virtuelles, quelles que soient les formes qu’elles prennent, les pratiques de la vie quotidienne engendrées électroniquement sont là, elles sont pleinement intégrées, un peu partout dans le monde maintenant. Cela s’est produit à une vitesse stupéfiante. Plutôt que de me demander comment l’architecture résiste-telle à cela, ou comment y résister parce que ce n’est qu’une autre forme de capitalisme, je m’intéresse bien plus à la question de savoir comment faire de l’architecture, non seulement avec Grindr, mais aussi avec Facebook, Twitter, Tictoc et tout le reste… Comment prendre les mêmes outils de reconnaissance et les retourner ? Comment y trouver des formes de spatialité ? Tout ceci est pour moi une question cruciale. 1 Entre autres choses, Aaron Betsky a été le directeur du Département d’Architecture du San Francisco Museum of Modern Art (SFMOMA), directeur du Netherlands Architecture Institute (NAI) qui jouit d’une reconnaissance internationale ; il a dirigé la 11e Biennale d’architecture de Venise et est actuellement Président de la School of Architecture à Taliesin créée par Frank Lloyd Wright.
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REGARDING QUEER SPACE
A CONVERSATION WITH AARON BETSKY WHILE WORKING ON PUBLISHING THIS TEXT IN FRENCH FOR THE FIRST TIME Manuel Bello-Marcano & Xavier Wrona on behalf of the editorial committee & Riot Éditions In the fall of 2017, Après la révolution organized with the École Nationale Supérieure d’Architecture de Saint-Étienne (ENSASE) a week of encounters, formal experimentations and debates on the issue of Public Health. During this event, we had the pleasure of having as a closing event a lecture by Aaron Betsky. He delivered a very enthusiastic, stimulating and anticipatory argument about our collective future in health entitled “Beyond hospitals” at the Amicale Laïque Michelet. one of the students who came, Morchadi, came back to us a couple of months later, very interested in Betsky’s 1997 book Queer space. She then started her undergraduate mémoire on the study of this book. We talked more and we proposed to her the idea of joining a team of people working on a french publication of this book. This is what we are now currently working on, aiming for a publication in 2022. The following exchange led by Manuel Bello-Marcano and Xavier Wrona is a result of this and is a dialogue regarding Après la révolution’s questions about Queer Space. Queer space, Architecture and Same-Sex Desire is a 231 pages book published in 1997 by William Morrow and Company, Inc. New York, written by Aaron Betsky. The front and back flap state the following: “In his previous book, Building sex, noted architecture critic and curator Aaron Betsky looked at the history of architecture through the prism of traditional sex roles. Now he has written a provocative study of
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how same-sex desire is creating an entirely new architecture: queer space. ‘By its very nature, queer space is something that is not built, only implied, and usually invisible’, he writes ‘Queer space does not partake in the competition for building the largest house, the tallest tower, or the straightest street. It is altogether more ambivalent, open, leaky, self-critical or ironic, and ephemaral’”.
Après la révolution: Hello Aaron. So, we prepared four questions and you can decide to say that they are not good questions and come up with your own. The first question regards the first publication of Queer Space, which occured in 1997. We’re not exactly the same age and when reading this book today, Manuel and I were both very struck, and it’s not a figure of speech, by the strength of some of its intuitions. Could you go back to the moment in which it was written, because we were young students back then, and I think we were not aware of the questions addressed in your book, as well as the context in which you were writing. Can you tell us about how it was received at the time?
Aaron Betsky: The book was itself a follow up to this first book I did on the topic of architecture and sexuality, which was Building Sex. The publisher wanted a follow-up. I was interested in making up something that would have a broader appeal. It was not an architecture publisher; it was a general interest publisher. They had thought it would be a more popular volume. It was a failure in this respect, but also partly as a result of the fact that the academic community did not take it very seriously. It was not really reviewed a great deal. I think people looked much more towards Eve Sedgewick Kosofsky or Beatriz Colomina and those kind of serious PhD people as being the real authorities on the topic. So, it just sort of came and went. ALR: And have you witnessed any evolution in the reception of the book since then? AB: It sort of surprised me when,
about ten years ago, I started getting some sense that people were interested in the issue again, and were digging the book back up. There was a big conference at London University about 5 or 6 years ago, in which the book was held up as a generator of a lot of talk. So that was nice and flattering. [Smile] I really am not quite sure why that is. But it does seem to have received some more interest in the meantime. Part of the problem also was, when I wrote that book, I was already in my forties and I distinctly remember that some of my students at SCIArc, told me that I did not have the right to use the word queer, that was what the Act Up generation was using. Since I was an old faggot I should just call myself gay or homosexual or whatever… And when I taught a class on it at SCIArc, almost everyone in the class was straight, because the queers thought it was not nearly activist enough in its discussions.
ALR: What is your relationship with Act Up in fact, if any? AB: It was not very strong in LA, where I was based at the time. It was more present in cities like New York, San Francisco, Chicago, DC… I was certainly aware of it. I think I went to one of the events. One protest. But I honesty couldn’t tell you when… It seemed very much at arm’s length. Years later, the New York Times asked me to write about the design dimension of Act Up. I wrote about this for them in the mid 2000s. ALR: As you know, this journal entitled Après la révolution thinks that, as architects, we ought to reconsider our participation in the construction of the world order, as boldly as a Milton Friedman, for instance, when he claims to be a radical, willing to transform the world by going to the root of things. Since the late 60s, the left seems to have dwelled on an anarchist type of relationship to power
which, through Foucault and Deleuze for instance, were mainly critical about assuming power, or more broadly to address positively the question of order. As the author of Queer Space, do you see queer spaces as a potential alternative order… or as the proposition for the resistance to any kind of order? AB: When I started writing the book, I still saw that potential. I have to say that by now, certainly in the Western world, because the forms of resistance and the approaches that queer space proposed have become so assimilated that I don’t really see the ability of it to be very critical. There is a sense that what was considered to be at the fringes, which was completely fluid sexuality, the various modes of trans, appearance and behavior as well as self-identification, are now just about in the mainstream. So, it becomes more and more difficult to hold onto that notion that by being fluid in your sexuality, which was already one step beyond being self-identified queer, you could resist regimes of power by refusing their definitions of your body and your sexuality. It doesn’t really work so well today, when you can get elected to congress and be in a fashion show and have all the other markers for economic, political and cultural success. I think the situation is probably somewhat different in non-Western cultures, where the struggle to be out and queer is still a very real and life-threatening one. But I think, there, the power to resist with one’s body or one’s sexuality is also much more limited. So, I’m not really sure if how much force there is in that. I tried to be very clear when I wrote Queer Space, that I thought I was describing a historic moment that, though it had deeper roots, really flourished between the end of the nineteenth century and the 1980s. It lasted for a good century, but through assimilation and through the devastation of the AIDS epidemic, it really ended after the 1980s early 1990s. I’m afraid I have to answer your question in the negative. But then again, I think it is a more complex question, because I am not sure, given capitalism’s ability to assimilate, appropriate, and use any form of overt resistance, that the notion of being an other, in however a slippery form, allows for resistance is really all that valid. That does not mean that I have an answer as what would be valid. Watching the lightening, and even instantaneous speed of appropriation, reuse, and spreading back out operated by capitalism, not just in terms of sexuality but in terms of racial identity and even political identity… It can even be said about the notion of resisting traditional politics that then get assimilated into the Cinque Stelle movement in Italy, for instance, and which then becomes a mainstream party within a couple of years… it’s very difficult to find ways… What I am still searching for is some form of post-mass movement, a post-direct revolutionary mode of struggle that seems most appropriate. It would have to figure out how to work it’s way through the social public realm. That’s not very optimistic, I’m sorry. ALR: This was not a scheduled question, and I don’t know if it’s going to be very clear, but listening to you and looking at your career or path, it seems that you
have been in pro-eminent positions1 while still addressing difficult topics. It seems that your arguments and topics have somehow been accepted, as they allowed for you to be in positions of influence rather than to be cast out… As if there was a recognition of the value of dealing with these questions? I’m sorry it isn’t a really clear question… AB: No, it is very clear. And it’s been a question for me for a very long time. Because of the fact that I have not actually ever gotten positions in the true elite institutions of the various fields in which I have worked… ALR: You mean Ivy league? AB: Exactly. Quite frankly, my work is not being taken seriously by whatever the powers that be might be. It might be just because it’s not good enough, it might be because it’s not disciplined enough, which I think is a potential issue. But I think that some of it also has to do with the positions I take. And, again, when talking about modes of appropriation, we have to remember it also means not just taking the forms of resistance of anything, from queer people to people of color to whatever, and appropriate them. It also means sidelining the people who have developed forms of resistance. So, if I want to be vainglorious [smile], that’s one of the reasons why I have never gotten teaching positions at Harvard or Yale, or let alone any administrative positions, why I don’t get invited to the kind of big deal conferences or boards or other forms of elite power in the New York’s and London’s of the world. I’ve always been somewhat marginal. And part of it again has to do with the fact that I did not get licensed as an architect, I never got my PhD, and chose to do some weird things… but I think part of it also has to do with the positions I take. ALR: Which in some way could be understood as an example of a de facto form of resistance. AB: Does not get me very far though! [Laughter] ALR: Well, let’s time be the judge of that! From a Marxist prospective, which is the one we try to promote in this journal, do you believe that the queer culture was integrated into the commodification of reality operated by capital, or was it able to escape it until now? We can also think of Paul Preciado’s article on pharmacopornography, which we will publish in this issue, in which he describes how queer culture is influenced by a bio capitalism of both medicine, through expensive bodily transformations, and pornography, here understood as a caricatural normalization of bodies. AB: Again, as I said, the resistance is always fleeting. And I think it probably occurs more at the level of what Luce Iragaray called jouissance. It occurs more in the ephemeral community-making of parties or sex, and in the same way that it appears in artworks that are also ephemeral. The escape these days is, I think, less spatial and more temporal. And it remains an escape… so, the problem is that it can offer fleeting forms of resistance which, as soon as they become formalized, loose their resistive power. Which does
not mean that one should not engage in them as continual acts of resistance. ALR: I still wonder, before going to the last question, what your relationship as an architect is towards order. Is order a suffocating device? Or can it be an emancipatory one? AB: I have very strong formalist tendencies, so I love good order… but throughout my career, the one thing I’ve been interested in is self-generating order and order that remains fragmentary, collage… And I’ve always had the most trouble with order that is imposed, that is preconceived, that is alien to the material that it orders. I’ve always been more interested in Frank Gehry than Peter Eisenman, and more interested in the marche, in the BeauxArts teachings, than in the parti. I’ve always been more interested in James Stirling than… I don’t know… Hans Hollein or somebody like that… I think it is a preference, but it is also tied to my sense that what we need is what Lebbeus Woods called Anarchitecture, which was actually coined by Gordon Matta-Clark, which is anarchist, which is analogous, which is a possible architecture. I’m interested in all that worms its way through architecture rather than stating itself as an obvious order. Deformations, things that appear to be normal, and that aren’t. Those are the things that interest me the most. ALR: I would have more questions about this though. The question of law, for instance. A law is an order and there can be good laws, and not only laws that aren’t. There can be laws that one can wish for, laws that in some Bataillan way are architecture because they design, organize, order part of our lives. There are laws that can truly be hoped for, that are not necessarily suffocating devices. AB: That gets into very interesting conversations that have happened in America, that are also about law that appears through a regularization of common practice and finds ways of being flexible enough to allow for continual adjustments, versus a Napoleonic order, that strives to place itself on top of everything. ALR: So, there’s still hope for bottom up order more than top down order… AB: Yes. ALR: As we are now committed to publish Queer Space in French, as well as to try to bring a renewed attention to your text, it seems that we are currently in a paradoxical situation regarding the queer condition. Rights were acquired, and at the same time violence towards the queer communities seems to gain strength. This clearly was not a book about what makes one queer, but a book about how queer culture participates in the production of space as well as of our material condition. Have any of the evolutions of these past 20 years been impacting the queerness of space and the urban condition of the queer phenomenon? And if you were to add something to this book, or to reshape it… what has time done to this book that might call for some transformation? AB: I think the obvious answer to
that is to point to the transformation of queer space into the virtual realm. A lot of what interests me about queer space was the way it established ephemeral communities. Now that cruising spaces and queer bars and other such places are in decline with the rise of the Grindrs, the Gay Romeos and all these kind of apps, you can lament the breakdown of these kinds of structures or places like the piers in New York for instance, which were very easy to romanticize. But, on the other hand, the fact that through Grindr a lonely person in la France profonde or some place in Middle America can find another person, the fact that they can liberate themselves from family structures, from tradition through the use of this technology is important. There’s been some interesting literature about Grindr but also Tinder on those processes. But Grindr sounds like it’s more active as a kind of explorative tool, through which you get dates and then find yourself in parts of cities and in people’s homes, and places you wouldn’t otherwise experience. This also occurs in ways that potentially breaks through class, as well as space borders. This, to me, is terrifically interesting and I’m waiting… Andrés Jacque started to do a bit of work about this, but I think he is still trying to fit it into an outdated historical spatial mode. I think this notion of sexually-based social networking, as a form of derive, to me is critically interesting. The notion of integration of pornography into everyday life, which I have talked a little bit about, is also of interest. With the rise of short clips showing sex in a variety of circumstances, the old notion that the queer space is one of fantasy breaks down into getting it on with the neighbors in the suburbs and other slices of everyday life… that, to me, is all very interesting. I think there’s a lot to be explored there. Again, whether it is resistance or critical, I don’t know. I do think that you can find some romantic hope in this kind of breaking through boundaries, and in the normalcy that queers. That’s one of the things that’s always been interesting about queer space, is its ability to break through class, gender, racial boundaries… That was still restricted by people still having to meet in certain places. When that is gone, I think the potential for cross-boundary sexuality is much more interesting. I had a friend who told me that, in recent trip they took to Prague, he had—I was actually surprised he told me all this [smile]—in the span of two days, he who is an intellectual, had sex with a gardener working for the municipal garden department one night and a former Syrian police officer refugee on the next night. I don’t know if it’s true or if he made it up, but it’s a good story. The virtual dimensions, in whatever form they take, the electronically engendered practices of everyday life are here, they are fully integrated, just about everywhere in the world now. That’s happened at an astonishing rate, and rather than saying how does architecture resist this? Or, how do we resist this because this is just another form of capitalism?, I’m much more interested in the question how can you make architecture out of not just Grindr, but out of Facebook and Twitter and Tictoc and everything else there is… How could you take the same tools of recognition and turn them around? How can you find some forms of spatiality wit-
hin those? That to me is a crucial question. 1 Amongst other activities Aaron Betsky was the head of the Architecture Department at the San Francisco Museum of Modern art (SFMOMA), he was also the Director of the internationally acclaimed Netherlands Architecture Institute (NAI), he was the Director of the 11th Venice Biennale of Architecture and is now the President of the School of Architecture at Taliesin created by Frank Lloyd Wright.
CRITIQUE
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Architectural Notes est un journal d’architecture en ligne, Manuel Bello-Marcano est architecte et enseignant à l’ENSASE, Manon Besson est architecte diplomée d’État, Aaron Betsky est architecte, critique et enseignant, Pierre Caye est philosophe, Olivier Chadoin est sociologue, Sylvain Chaduc est architecte diplomé d’État, Christine Chalier est membre du collectif Solidarité France-Grèce pour la Santé, Léa Clémaron est architecte diplomée d’État, « Collages Féminicides Rennes » est un collectif de lutte contre les féminicides, Ugo Costa est architecte diplomé d’État, Chris Cutrone est artiste, Lyana Darwish est membre de l’association Sindiane, Cybèle David est enseignante, Désarmons-les est un collectif contre les violences d’État, Lynda Devanneaux est comédienne et enseignante, Adrien Durrmeyer est architecte et enseignant à l’ENSASE, Sara El-Alaoui est architecte, Anaïs Enjalbert est graphiste, Émilien Epale est architecte diplomé d’État, Bernard Friot est sociologue, Sup Galeano est un ancien porte parole de l’Armée Zapatiste de Libération Nationale, Clément Grosjean est architecte diplomé d’État, Paul Guillibert est philosophe, Ulysse Hammache est architecte diplomé d’État, Ingénieurs sans frontières est une association de solidarité internationale, JohanPx est photographe, Marianna Kontos est architecte, Maxime Labrosse est architecte diplomé d’État, Isadora Lamaudière est architecte diplomée d’État, « La Psy Cause » est un collectif en lutte des services de psychiatrie des hôpitaux de Saint-Étienne, Olga Loris est juriste, Justin Maes est architecte, Éliane Mandine est membre du collectif Solidarité France-Grèce pour la Santé, W. J. T. Mitchell est historien de l’art et de la littérature, Danielle Montel est membre du collectif Solidarité France-Grèce pour la Santé, Maciej Moszant est étudiant en architecture, Jessica Paci est architecte diplomée d’État, Bruno Percebois est membre du collectif Solidarité France-Grèce pour la Santé, Dan Peterman est artiste, Lavon N. Pettis est Creative Business Developer, Alexandre Pierrepont est anthropologue, Paul B. Preciado est philosophe, Jérôme Poret est artiste, Mariam Rhayel est médiatrice de santé paire, Mathieu Rossi est architecte, Roman Seban est graphiste, David Silly est artiste, Claire Thouvenot est enseignante en philosophie, Amélie Tripoz est architecte diplomée d’État, Romain Venet est architecte diplomé d’État, Emma Vernet est architecte diplomée d’État, Jean Vignes est membre du collectif Solidarité France-Grèce pour la Santé, Ytasha L. Womack est journaliste, écrivaine et réalisatrice, Xavier Wrona est architecte et enseignant à l’ENSASE. Dépôt légal décembre 2019 Architectural Notes is an online journal dedicated to architecture, Manuel Bello-Marcano is an architect and a professor at the ENSASE, Manon Besson is an architect diplomée d’État, Aaron Betsky is an architect, critic and a professor, Pierre Caye is a philosopher, Olivier Chadoin is a sociologist, Sylvain Chaduc is an architect diplomé d’État, Christine Chalier is a member of the solidarity collective France-Grèce for Health, Léa Clémaron is an architect diplomée d’État, “Collages Féminicides Rennes” is a collective fighting against femicides, Ugo Costa is an architect diplomé d’État, Chris Cutrone is an artist, Lyana Darwish is member of the association Sindiane, Cybèle David is a teacher, Désarmons-les is a collective against State violence, Lynda Devanneaux is an actress and a professor, Adrien Durrmeyer is an architect and a professor at the ENSASE, Sara El-Alaoui is an architect, Anaïs Enjalbert is a graphic designer, Émilien Epale is an architect diplomé d’État, Bernard Friot is a sociologist, Sup Galeano is a former spokesman for the Zapatista Army of National Liberation, Clément Grosjean is an architect diplomé d’État, Paul Guillibert is a philosopher, Ulysse Hammache is an architect diplomé d’État, Ingénieurs sans frontières is an association for international solidarity, JohanPx is a photographer, Marianna Kontos is an architect, Maxime Labrosse is an architect diplomé d’État, Isadora Lamaudière is an architect diplomée d’État, “La Psy Cause” is a collectif in struggle of the psychiatric services of the Saint-Étienne hospitals, Olga Loris is a jurist, Justin Maes is an architect, Éliane Mandine is a member of the solidarity collective France-Grèce for Health, W. J. T. Mitchell is an art and literature historian, Danielle Montel is a member of the solidarity collective France-Grèce for Health, Maciej Moszant is a student in architecture, Jessica Paci is an architect diplomée d’État, Bruno Percebois is a member of the solidarity collective France-Grèce for Health, Dan Peterman is an artist, Lavon N. Pettis is a Creative Business Developer, Alexandre Pierrepont is an anthropologist, Paul B. Preciado is a philosopher, Jérôme Poret is an artist, Mariam Rhayel is a mediator peer worker, Mathieu Rossi is an architect, Roman Seban is a graphic designer, David Silly is an artist, Claire Thouvenot is a teacher in philosophy, Amélie Tripoz is an architect diplomée d’État, Romain Venet is an architect diplomé d’État, Emma Vernet is an architect diplomée d’État, Jean Vignes is a member of the solidarity collective France-Grèce for Health, Ytasha L. Womack is a journalist, a writer and a director, Xavier Wrona is an architect and a professor at the ENSASE. Legal Deposit December, 2019