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Jean-Pierre Vergauwe, avocat jp.vergauwe@jpvergauwe.be – Cet article peut également être consulté sur le site www.jpvergauwe.be

L’indépendance de l’architecte, encore et toujours Deux récentes décisions de justice rappellent les principes constants qui régissent l’indépendance de l’architecte. Cette indépendance est fondée sur l’article 4 de la loi du 20 février 1939 sur la protection du titre et de la profession d’architecte qui prévoit qu’il doit être recouru au concours d’un architecte pour l’établissement des plans et le contrôle de l’exécution des travaux pour lesquels une demande préalable d’autorisation de bâtir est imposée. Pour pouvoir exercer un contrôle efficace de l’exécution des travaux, il est indispensable que l’architecte dispose d’une indépendance totale à l’égard de l’entrepreneur qu’il est censé contrôler. Le but poursuivi par le législateur est donc d’éviter la confusion entre les rôles de l’architecte et de l’entrepreneur ; c’est en ce sens que l’article 6 de la loi du 20 février 1939 déclare incompatible l’exercice de la profession d’architecte avec celle d’entrepreneur. Les articles 4 et 10 du règlement de déontologie se font du reste l’écho de ces principes. Ceci est rappelé par une décision de la Cour d’appel de Liège (arrêt du 24 juin 2021 – R.G. : 2019/ RG/1322) ; dans le cas d’espèce soumis à la Cour, Monsieur et Madame X avaient confié à une société promotrice la réalisation du gros œuvre fermé d’une maison sur base des plans et cahier des charges de l’architecte Y. La Cour rappelle que : « Si, dans le cas de la promotion-vente, la validité du contrat d’architecture conclu avec le promoteur, qui revêt la qualité de maître de l’ouvrage, est généralement admise, notamment parce que l’acquéreur disposera d’une action contre l’architecte du promoteur, à titre d’accessoire de la chose vendue, par contre, dans le cas de la promotion-construction, cette possibilité ne fait pas l’unanimité, notamment parce que le client du promoteur ne dispose pas d’action directe contre l’architecte de ce dernier ». Il n’est donc pas interdit pour un architecte de signer une convention d’architecture avec un promoteur constructeur ; par contre, ce qui est interdit, c’est qu’un architecte inféodé au promoteur contracte ensuite avec le client de ce promoteur comme s’il était indépendant de ce dernier. Citant A. DELVAUX « l’Ordre public en droit de la construction : un concept aux multiples ramifications » – Droit de la construction CUP, vol. 166 mai/juin 2016, p. 46, la Cour rappelle que : « La licéité d’une telle convention entre l’architecte et le promoteur-entrepreneur est toutefois soumise à la double condition, d’une part que l’architecte fasse preuve d’indépendance dans la mission que lui confie le promoteur, d’autre part qu’il n’y ait pas de confusion sur le fait que l’architecte intervient bien pour le compte du promoteur et non de son client ».

Dans le cas d’espèce, la Cour relève que les pièces déposées fournissent plusieurs indices permettant de douter de l’indépendance de l’architecte et de sa capacité à réagir librement face au promoteur. L’enseignement que l’on peut titrer de cet arrêt est multiple : 1. S’il n’est pas interdit à un architecte de contracter avec un promoteur constructeur, c’est-à-dire une promoteur qui, en qualité d’entrepreneur général ou autrement, exécute luimême les travaux, cette situation n’en demeure pas moins délicate dans la mesure où l’indépendance de l’architecte risque d’être compromise particulièrement lorsqu’il s’agira de contrôler les travaux exécutés, mais également dans la phase de conception (en particulier en ce qui concerne le choix des matériaux et la détermination du budget). 2. Il convient de proscrire absolument toute ambiguïté qui se traduirait par la circonstance que l’architecte du promoteur signerait, par ailleurs, un contrat d’architecture avec le client du promoteur. En d’autres termes, l’architecte doit rester lié contractuellement avec le promoteur constructeur seulement. 3. Enfin, la Cour rappelle que les règles rappelées ci-avant sont d’ordre public à telle enseigne que leur violation entraîne la nullité des conventions d’architecture et de promotion. Le second cas tranché par la Cour d’appel de Bruxelles en son arrêt du 18 septembre 2015 (RG : 2010/AR/658) est encore plus problématique ; dans le cas soumis à la Cour, l’entrepreneur était l’époux de l’architecte, empêchant celle-ci de disposer de l’indépendance nécessaire pour lui permettre d’exercer sa profession conformément à sa mission d’ordre public et aux règles de déontologie. La Cour relève que cette architecte ne disposait pas, en effet, d’une liberté suffisante d’appréciation pour effectuer un contrôle sérieux des travaux et que cette indépendance doit exister tout au long de l’exercice de la mission de contrôle. Si un manque d’indépendance ne peut être automatiquement déduit de l’existence d’erreurs dans sa mission de contrôle de l’exécution des travaux, le Juge examinera tous les éléments de la cause qui lui est soumise pour rechercher si, dans les faits, l’architecte a pu manquer de la nécessaire indépendance. Cet arrêt de la Cour rappelle également le caractère d’ordre public des obligations d’indépendance et d’impartialité qui sont architrave – mars 2022 – n° 210

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