Rebondir après l’abandon - Tracer à Grignon le sillon d'une nouvelle école de la Terre

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Rebondir après l’abandon Comment le domaine de Grignon peut-il tracer le sillon d’une nouvelle école de la terre ?

Ariane Lenhardt Projet Personnel de Fin d’étude Promotion CESP 2020-2021 Ecole Nationale Supérieure de Paysage de Versailles


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Remerciements Je tiens à remercier tout d’abord mon directeur d’études Thierry Laverne, pour nos riches discussions sur le paysage et l’agriculture, à Grignon ou à Rungis, et pour son aide bienveillante aux derniers moments du projet. Je tiens de même à remercier chaleureusement Olivier Martin, directeur du site de Grignon, pour les entretiens qu’il m’a accordé, ainsi que les laissez-passer qui m’ont permis de revenir sur ces lieux, 8 ans plus tard. Merci également aux enseignants et aux chercheurs d’AgroParisTech et d’ailleurs qui m’ont raconté Grignon à travers leur discipline. Je pense spécifiquement à Michel Cartereau de l’association de l’Arbre de Fer, Joël Michelin pour la géologie et la pédologie ainsi que la chasse, Didier Merle, pour la paléontologie, Philippe Jauzein pour l’écologie, Quentin Bulcke de la Ferme de Grignon, ainsi qu’à Sebastien Barrio qui a pris le temps de m’exposer les enjeux du Ru de Gally. Un très grand merci aux étudiants et anciens d’AgroParisTech volontaires pour me raconter la manière dont ils ont habité Grignon avec de jolies cartes mentales coloriées.

Merci également pour leur accueil en temps de blocus, une chance pour moi de passer une dernière tranche de vie à Grignon. Merci à ma famille et à mes proches pour leurs efforts de relecture, pour leurs commentaires pertinents et leur soutien indéfectible. Merci Ambroise d’avoir fait la cuisine pendant un mois, ce travail n’aurait pas été le même sans toi. Merci plus généralement aux enseignants de l’École Nationale Supérieure de Paysage de Versailles qui m’ont accompagné dans cette année de découverte du paysage et qui ont su me faire évoluer et progresser. Merci à Mongi Hammami pour son soutien dans les périodes de stress intenses, et sa confiance dans nos projets. Merci enfin aux étudiants de l’école et à mes camarades de CESP dont j’ai au moins autant appris que de mes enseignants, sans qui cette année aurait été beaucoup moins riche.

Crédit photo : T. Laverne 3


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SOMMAIRE I. INTRODUCTION.......................................................................6 II. LA plaine de Versailles : un écrin agricole pour la ferme-école.........................................................8 Une « pénétrante agricole » aux limites cohérentes........................................................................10 Une géologie sédimentaire, liée à l’histoire du bassin parisien.................................................................14 L’hydrographie, source de reliefs...............................16 Le climat, créateur de sol............................................18 Un territoire-écrin pour le château du roi soleil...20 Un territoire Agri-Urbain d’openfield habité.........22 Une plaine majoritairement agricole tournée vers la grande culture..............................................................26 III. LE domaine de Grignon : L’aiguille dans la botte de foin........................................................................30 Une organisation soignée guidée par des axes et des centres.........................................................................36 Un socle rocheux partiellement apparent..............40 Une diversité de sols propice à la recherche agronomique......................................................................40 Le support d’une biodiversité sauvage rare et fragile.....................................................................................42 Une agriculture essentiellement tournée vers l’élevage...............................................................................44 Un parc pour le plaisir des sens.................................46 Un lieu fédérateur marqué par deux siècles de traditions.............................................................................48 IV. Grignon trace le sillon.........................................50 Une occupation millénaire.............................................52 Grignon, le joyau des favorites...................................52 Le temps des Marquis de Grignon...............................53 La période postrévolutionnaire..................................54 L’institution Royale Agronomique.............................56 L’entre-deux guerres pose les bases d’une nouvelle agriculture.........................................................58 L’après-guerre : Une révolutionverte........................60 Les dernières décennies et la simplification à outrance...............................................................................62 Les enjeux d’avenir de l’agriculture..........................64 5

V. Et demain... l’abandon ?.........................................66 Quitter la plaine pour occuper le plateau.............68 Qui veut acheter mon château ?...............................68 Les grignonnais mobilisés...........................................69 Une privatisation décriée.............................................70 Une cession symptomatique d’un processus de déterritorialisation..........................................................71 VI. A Grignon, Dessiner le paysage de la résilience alimentaire..........................................................72 Comprendre et Valoriser l’identité du lieu............74 Dessiner à Grignon le paysage de la résilience alimentaire..........................................................................75 Prendre appui sur des projets de référence.........76 Gérer correctement la ressource en eau..............80 Recréer une ferme intérieure.......................................84 Transformer et commercialiser localement..........85 Retrouver une souveraineté technologique dans les fermes............................................................................86 Boucler les cycles des nutriments ..........................87 Une recherche d’autonomie........................................88 Vers une écologie de la parcelle cultivée.................90 Reconstituerune trame arborée.................................92 Maintenir la limite, créer des porosités....................98 Replacer l’agriculture au centre du domaine.......102 vii.SORTIR DES MURS......................................................104 viIi.conclusion.................................................................108 IX.BIBLIOGRAPHIE..............................................................110


Je suis ingénieure agronome. Jusqu’à l’année dernière, c’est ainsi que je me présentais aux inconnus. En général, cette phrase était suivie de la question « Et toi, tu fais quoi ? ». Mais bien souvent, mon interlocuteur n’est pas plus avancé. C’est quoi, un ingénieur agronome ? Dans le dictionnaire, on trouve la définition suivante : Ingénieur.e Agronome (nom) : élève diplômé des Écoles Nationales Supérieures d’Agronomie. Bon. Agronomie (nom) : Étude scientifique des problèmes (physiques, chimiques, biologiques) que pose la pratique de l’agriculture. La lecture de cette définition suffisait à provoquer chez moi une sensation diffuse d’illégitimité. L’agriculture, j’en étais relativement loin. En citadine convaincue, j’ai travaillé, une fois mon diplôme en poche, dans l’écologie urbaine, la végétalisation urbaine, l’agriculture urbaine. J’ai été consultante en écologie pour des promoteurs immobiliers. J’ai travaillé en cabinet d’architecture à développer des façades high tech capables de produire des microalgues. Plus récemment, j’ai rejoint une start-up développant des produits de mobilier urbain végétalisé et connecté. Pas beaucoup de champs de blé dans cette histoire. Pourtant, j’ai étudié dans une École Nationale Supérieure d’Agronomie. La plus ancienne de France Mesdames et Messieurs. En 2013, j’avais 20 ans, je débarquais à

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Grignon, sur le campus historique, après deux années de classes préparatoires assez intenses et des semaines de concours tout aussi intenses. On m’a donné une chambre, une clé, une carte de cantine, un emploi du temps, un plan du campus, et on m’a dit que j’étais chez moi. La chambre : 12 m2 // Le parc : 291 ha Autant dire que je ne suis pas restée beaucoup enfermée. Situé dans les Yvelines, au cœur de la plaine de Versailles, le Domaine de Grignon consiste en 291 ha de bois, de champs et de prairies, niché au fond du val du Ru de Gally et occupant les versants Nord et Sud. Harmonieusement intégré dans l’organisation soignée de ces espaces, un petit château du XVIIe siècle accompagné de ses communs, d’un ancien corps de ferme, et de bâtiments plus récents, labos, amphis, résidences, etc... Et c’est la cour de récré des étudiants d’AgroParisTech depuis la création de l’Institution Royale Agronomique en 1826. À Grignon, j’ai appris à différencier le blé et l’orge, le Charme et Hêtre, comment on fait de la bière et du yaourt, comment donner le biberon à un agneau, qu’est ce qui nourrit les plantes dans le sol, comment on conduit un tracteur. À Grignon, j’ai gravé mon nom et mon numéro de promo sur l’écorce d’un arbre, comme d’autres étudiants un siècle plus tôt.


INTRODUCTION À Grignon, j’ai dansé ivre les pieds dans la boue et la tête dans les étoiles sur Les Lacs du Connemara de Sardou. À Grignon, je me suis fait des amis pour la vie, j’ai posé beaucoup de bases de mon futur, mais ça, je ne m’en rendais pas encore compte. Je ne suis pas militante. Révoltée souvent, mais pas militante. Je ne descends pas dans la rue avec des pancartes, je ne me reconnais pas dans les foules qui crient, je ne fais pas suivre les pétitions. Pourtant, cette année, je me suis indignée, quand l’état français a annoncé la vente du domaine du Grignon à un promoteur immobilier pour la construction de logements et de commerces, alors que l’Europe brûle, que le rapport du GIEC nous alarme sur la nécessité de réduire drastiquement nos émissions de CO2, que les terres agricoles disparaissent sous les lotissements privés alors que de plus en plus de gens ont faim. Ce projet a pour objet l’étude très utopique d’un scénario alternatif à cette privatisation. Il vise à retracer par le biais du paysage l’histoire du domaine de Grignon en lien avec celle de l’agriculture francilienne, française, mondiale. J’ai cherché à cerner son identité et ses qualités, à définir ce «vieil esprit de Grignon» fédérateur de la «Communauté Agro», afin de dessiner un futur cohérent pour cette école de la terre, berceau de l’agronomie française.

Ce Projet Personnel de Fin d’Étude intervient à la fin de mon année de CESP à l’école de Paysage de Versailles, une année que je me suis offerte dans une période charnière de transition professionnelle, alors que j’étais en quête de sens. À Versailles, j’ai mis des bottes et j’ai pris le transilien N direction Dreux pour reprendre contact avec l’agriculture. À Versailles, on m’a dit que le beau pouvait être utile et que l’utile pouvait être beau, que c’était beau d’être utile, et utile d’être beau. À Versailles, j’ai appris à différencier le projet politique du projet poétique. À Versailles, je suis devenue un peu militante. À Versailles, je suis (re)devenue ingénieure agronome. À Versailles, j’ai commencé à devenir paysagiste. Ce projet est pour moi l’expression de ces trois qualificatifs, et j’espère le début d’une nouvelle histoire professionnelle et personnelle plus engagée et sachant allier le scientifique et l’esthétique, le beau et l’utile.

Crédit photo : T. Laverne 7


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LA plaine de Versailles : un écrin agricole pour la ferme-école une pénétrante agricole préservée en périphérie métropolitaine

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Une « pénétrante agricole » aux limites cohérentes Le domaine de Grignon se trouve en île-de-France, dans le département des Yvelines (78). Il s’intègre au sein de la Plaine de Versailles, une plaine majoritairement agricole, clairement délimitée, et dont l’histoire a été marquée par la présence du pouvoir royal. La plaine de Versailles en tant qu’entité paysagère, est une langue agricole relativement plane aux limites nettes et cohérentes, qui - fait rare à notre époque, où le béton tend à faire reculer l’agriculture toujours plus loin des cœurs de villes - fait pénétrer ses champs cultivés jusqu’au sein des espaces urbanisés de la métropole parisienne. Cette langue agricole est délimitée à l’Est par les grilles du parc du Chateau de Versailles ainsi que de l’Arboretum de Chèvreloup. A l’Ouest, la plaine s’arrête sur les pentes bordant la Mauldre, affluent de la Seine ayant donné son nom au bassin versant englobant notre zone d’étude. Au Nord et au Sud, la Plaine est bordée par les coteaux boisés qui arrêtent le regard et grimpent jusqu’aux plateaux des Alluets et de SaintQuentin en Yvelines.

Outre ces boisements sur les pentes, la plaine compte quelques massifs boisés dont la plupart sont hérités des parcs de grands domaines aménagés pour la chasse, ayant résisté aux campagnes de défrichement nécessaires à l’agriculture. Cette agriculture prend place sur des sols majoritairement argilocalcaires hérités de l’histoire géologique d’un ensemble plus large : le bassin parisien.

N

10 km 10

Alors que la métropole parisienne crée un vide dans la matrice agricole francilienne, la plaine de versailles forme une langue agricole préservée se frayant un chemin dans cette périphérie urbaine.


N

a l t i t u d e

2,5 km Vallée de la Mauldre

La Seine

Le Ru de Gally Plateau des Alluets-Marly

200

Plateau de Saint-Quentin-en-Yvelines

Plaine de Versailles

Altitude (m) NORD

SUD

150 100 50

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Distance (km)


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PLAINE DE VERSAILLES

Coteaux boisés

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1,5 km

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Coteaux boisés

VERSAILLES

Pla

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Une géologie sédimentaire, liée à l’histoire du bassin parisien Le bassin parisien est une région géologique issue d’un ancien bassin sédimentaire, occupants presque 50% du territoire français. Dès la fin du Permien, il y a environ 300 millions d’années, la région de bassin parisien s’affaisse par réaction post-orogénique, permettant, la pénétration des eaux dans cette région. Au Trias, le bassin parisien et occupé par une mer tropicale peu profonde qui déposera les premiers sédiments. S’ensuit une alternance de phases de régression et de transgression marines qui déposeront successivement différentes couches de sédiments. Ces phénomènes de transgression et de régression conjugués à un phénomène de subsidence progressive du bassin sous le poids des sédiments ont donné la structure géologique que nous connaissons actuellement, et qui peut être représentée sous la forme d’une pile d’assiettes creuses dont le diamètre se réduit avec le temps, et dont le centre se trouve au droit de la Brie. Les couches concernant plus spécifiquement notre zone d’étude ont été déposées à partir du crétacé, il y a 90 millions d’années. Au cours de cette période, des coccolites, microalgues planctoniques à squelette calcaire, vont sédimenter pour former la couche de craie blanche à silex dure qui est la plus profonde observable au sein de la zone d’étude, et qui affleure sur les versants de la vallée de la Mauldre et du Ru de Gally.

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A partir de -65 millions d’années, au paléocène, des dépôts de sédiments successifs se font au rythme des transgressions et régressions marines. On distinguera ici la période de l’Yprésien, caractérisée par le dépôt d’une couche d’argiles plastiques relativement imperméable, le Lutétien, caractérisé par le dépôt de calcaires grossiers, marnes et caillasses, ainsi que de faluns très riches en coquillages fossilisées, puis le Bartonien, correspondant au dépôt de couches fines des sables de Beauchamps, de calcaire de Saint-Ouen et de marnes. Enfin se sont déposés les sédiments de l’étage du Stampien qui ont été en grande partie érodés et ne sont plus visibles qu’en quelques endroits de notre zone d’étude, et notament au niveau des limites de la plaine de versailles, : couche d’argiles vertes, sables de fontainebleau, meulière de Montmorency.


N

1,5 km

Plateaux supérieurs «armés» par les argiles à meulière

Plateau inférieur (=plaine) «armé» par les Calcaires du Lutétien

Coteaux pentus entre les plateaux : sables de Fontainebleau

SUD

NORD

Ru de Gally Plaisir

Grignon

Argiles à meulière Sables de Fontainebleau Argiles vertes et marnes 15

Davron

Calcaires et faluns du Lutétien Argiles et marnes du sparnacien Craie à silex


L’hydrographie, source de reliefs La présence de matériaux géologiques présentant une forte porosité à l’eau tels que les sables de fontainebleau et les faluns du lutétien permet la présence de nappes. Lorsque ces nappes se trouvent juste au-dessus de couches d’argiles imperméables comme c’est le cas au sein de la plaine de Versailles, cela engendre la présence de sources à la base de cette couche, aux endroits où les nappes viennent à l’affleurement des vallées. Ces sources alimentent alors les cours d’eau, grands responsables de l’organisation topographique que nous connaissons.

N

1,5 km 16

L’organisation actuelle du paysage de la plaine de Versailles est en effet due aux phénomènes climatiques récents qui ont creusé les vallées, érodé les couches superficielles de sédiments et contribué à la mise en place d’une topographie douce et vallonnée, qui vient sans cesse renouveler l’horizon de l’observateur parcourant la plaine. Notre territoire est traversé d’Est en Ouest par le Ru de Gally, qui prend sa source au niveau du Grand Canal du Parc du Château de Versailles et se jette dans la Mauldre, tout comme le Ru de Maldroit, de dimension moindre. Ces Rus ainsi que leurs affluents ont creusé dans la plaine des petits vallons assez peu marqués à


l’Est, et bien plus encaissés à l’Ouest, qui contribuent à créer des vues sur notre site d’étude par l’existence d’une topographie douce. En particulier, le Ru de Gally a creusé sa vallée dans les calcaires durs du lutétien qui armaient les plateaux, puis a entrainé les couches sableuses (faluns) sous-jacentes avant d’arriver à la craie, la couche la plus profonde de la vallée, sur laquelle il a déposé ses alluvions récentes de fond de vallée. Ces rus restent des éléments d’organisation de la présence humaine dans la plaine. Ils étaient autrefois ponctués de moulins, de fermes et de grands domaines agencés en chapelets, aujourd’hui remplacés par

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les stations d’épurations, qui fournissent d’ailleurs l’essentiel de son débit. Le cours du Ru de Gally a été rectifié en plusieurs endroits afin d’évacuer l’eau rapidement en aval de Versailles, et pour faciliter les travaux agricoles sur des parcelles bien rectilignes, causant des inondations importantes par le passé. Des travaux de reméandrage ont été entrepris ces dernières années sur quelques portions.


N

MAULE

CR

Sols limoneux épais déposés par le vent : luvisols de loess Luvisol sur argile à meulière plateau supérieur Luvisol et néo-luvisols sur calcaire plateau inférieur

Rendosols, calcosols et colluviosols peu épais, de calcaires ou de craies

Sols hétérogènes de pentes issus de l’érosion et du transport gravitaire de matériaux vers les points bas Podzosols ou colluviosols sur sables de fontainebleau, argiles ou marnes. Acides.

Zones anthropiques Espaces urbanisés 18

BEYNES


Le climat, créateur de sol Par ailleurs, les limons éoliens carbonatés ou lœss, déposés par le vent il y a 10 000 ans ont contribué à la formation de sols épais sur les plateaux, mais également sur les coteaux. L’alternance de périodes de glaciations et de fonte pendant des milliers d’années a été la cause de l’érosion de cette couche de lœss au niveau des pentes. Les variations de température étant plus intenses sur les versants de vallées exposés au sud, ces versants ont été plus fortement érodés, ce qui a permis l’affleurement ponctuel des calcaires, argiles et craies. Ainsi cette alternance gel-dégel est responsable d’une asymétrie dans la vallée, les coteaux exposés sud étant en général plus raides et présentant des sols moins épais. Cette alternance de glaciations et de fonte a également entrainé l’érosion des sédiments les plus meubles et superficiels du stampien.

RESPIERES

SAINT-NOM LA BRETECHE

PLAISIR VERSAILLES

2 km 19


Un territoire-écrin pour le château du roi soleil La plaine de Versailles, bien que s’achevant aux pieds des murs du parc du château, est indissociable de ce dernier tant géographiquement que du point de vue de sa fonctionnalité et de son histoire. Au Moyen-Âge, les terres de la Plaine de Versailles sont possédées par de très nombreux seigneurs. Dès 1623, un pavillon de chasse est construit pour accueillir Louis XIII et ses hommes lors de leurs parties de chasse. En 1634, ce pavillon est transformé en un petit château de briques de pierres et d’ardoises. C’est l’année suivante, en 1636, que le château de Grignon est construit. En 1663 des communs et des écuries sont ajoutées au château de Versailles. Le jardiner du roi, André Le Nôtre commence à redessiner l’ensemble du domaine et plus particulièrement les jardins. Symétrie, plans d’eau, boisements, allées, sculptures et parterres organisent l’espace autour d’un axe principal, visant le clocher de Villepreux depuis le château, présentant une orientation Nord-Ouest Sud-Est similaire à celle de la plaine, et dont le point névralgique est constitué par le château. Notons que le domaine de Grignon est situé sur cet axe. La réalité géographique de la plaine a donc guidé les concepteurs dans l’organisation spatiale du château et de son parc, elle sert d’écrin à ce symbole de la royauté de droit divin.

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Depuis le château se déroulent successivement sous l’œil de l’observateur : les jardins, puis le parc de chasse et enfin la plaine et ses villages, encadrée de part et d’autre par les coteaux en limite de plateaux. La carte de Cassini nous renseigne sur les axes qui structurent l’organisation de la plaine aux XVII et XVIIIe siècle : depuis le parc de chasse, 5 allées en étoile s’étendaient vers la plaine. Cette dernière était majoritairement agricole, ponctuée à l’est de remises à gibier et de faisanderies. Les villages historiques étaient implantés préférentiellement en bordure de coteaux, et ponctuellement au centre de la plaine et le long des cours d’eau, ainsi que des moulins, et de grands domaines clos et boisés tel le domaine de Grignon.


Au cours des décennies suivantes, le château de Versailles va connaître plusieurs phases d’agrandissement, même après la décision de Louis XIV de faire déménager la cour à Versailles en 1682, ce qui va avoir une influence considérable sur l’évolution de cette plaine. En effet, pour subvenir aux besoins d’une cour aussi nombreuse, faste, et d’un roi exerçant un culte de sa personnalité, de très nombreuses ressources ont dû être mobilisées. Ressources d’espace, comme pour la chasse et les jardins d’agrément, ressources agricoles et naturelles pour les matériaux de construction et la nourriture. Ainsi, la partie orientale de la plaine de Versailles est enclose pour former le Grand Parc de Versailles. Outre des remises à gibier, on y trouve une quinzaine de fermes royales qui alimentent le pouvoir en denrées alimentaires. Dans de Grand Parc et à l’extérieur, de nombreux moulins se succédaient le long du Ru de Gally pour transformer le grain en farine. C’est également dans ce cadre qu’est créé le potager du roi. 21

L’organisation actuelle du territoire est très liée à la présence royale de cette période : parmi les éléments de paysage on peut tout d’abord citer l’urbanisation restée relativement discrète en raison de la protection règlementaire des vues depuis et vers le château, qui permet l’existence de cette pénétrante agricole dans la métropole. L’allée royale principale dans la continuité du grand canal est toujours existante aujourd’hui sous la forme d’un chemin rural, révélé par l’organisation du parcellaire agricole. La construction de châteaux et domaines dans la plaine de Versailles est sans doute due dans de nombreux cas à une volonté des notables de se rapprocher géographiquement du pouvoir royal. On peut également citer les grandes fermes d’origines royales qui pour la plupart existent toujours et se sont agrandies.


Un territoire Agri-Urbain d’openfield habité Les stratégies d’implantation des villes et des villages sont guidées par des principes topographiques et hydrographiques. Ainsi la plupart des villages de la plaine de Versailles sont situés à flanc de coteaux, et non au centre de la plaine en raison des risques d’inondation de cette dernière. Au contraire, une autre dynamique d’implantation moins prégnante a été justement la proximité de l’eau, au niveau des Rus de Gally et de Maldroit, en raison de l’énergie hydraulique qu’ils pouvaient fournir pour le fonctionnement des moulins. Ces derniers ont pu constituer çà et là des embryons d’urbanisation. Le rassemblement prioritaire du bâti vers les coteaux et la prédominance des grandes cultures contribue à faire de la plaine de Versailles un paysage très ouvert bien que densément habité. Les logiques d’organisations des villages historiques comprenaient un agencement groupé du bâti au sein du bourg, irrigué par des chemins rayonnants depuis le centre. À la périphérie immédiate des villages, se trouvaient des bâtiments agricoles qui prenaient le rôle d’élément signal et en marquaient l’entrée. À l’interface entre le village et les parcelles de céréales se trouvaient des terres maraîchères, des vergers ou encore des vignes. L’essor de l’urbanisation à partir des années 60 au sein de la plaine a gravement troublé la lisibilité de ces principes originels, transformant les hameaux en villages et les villages en villes, ces dernières s’étalant sur les plateaux fertiles et dans la plaine cultivée, englobant les corps de ferme et autres bâtiments agricoles, occupant les terres autrefois maraîchères et remplaçant les vergers par des maisons individuelles toutes identiques. Les lisières agri-urbaines sont réduites trop souvent à une haie horticole monospécifique permettant à chacun des deux mondes de s’ignorer cordialement ou violemment selon les cas.

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Plaisir, 1933 Un village-rue

Limite urbain-rural très nette, constituée par une route

Plaisir, 2018 Un commune péri-urbaine 23

«Seuil» maraîcher et arboricole aujourd’hui disparu

Ancien corps de ferme aujourd’hui inclus dans la zone commerciale


N

Mareil-sur-Mauldre

Crespières

Feucherolles Davron

Beynes Thiverval Grignon

Saint-Germainde-la-grange Plaisir

24 1,5 km


Saint-Nom-laBretèche Chavenay

Noisy-le-roi

Bailly

Villepreux

Les Clayessous-bois

Fontenay-le-Fleury

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Versailles


Une plaine majoritairement tournée vers la grande culture

agricole

La grande majorité du territoire de la plaine est agricole. Cette agriculture occupe une place centrale, elle relie entre eux les villes et villages de l’Est et de l’Ouest, du Nord et du Sud. Elle donne son identité à la plaine et constitue le « dénominateur commun » de tous les habitants lorsque ces derniers décrivent leur lieu de vie. Cette agriculture est très largement tournée vers la grande culture, ce qui contribue à la création d’un paysage d’openfield très ouvert où peu d’éléments masquent l’horizon et accrochent le regard. Si l’exploitation agricole de cette plaine a démarré il y a des millénaires et a évolué sur le temps long vers une simplification des pratiques et des paysages, il faut néanmoins reconnaitre que cette apparente homogénéité cache une diversité de systèmes de productions liée aux différentes origines des exploitations agricoles existantes. Ainsi les exploitations du périmètre de l’Association Patrimoniale de la Plaine de Versailles et du Plateau des Alluets (APPVPA) varient par leur taille, leurs productions, leurs pratiques, leur niveau de mécanisation, leur rentabilité... Les études conduites par l’APPVPA nous renseignent sur les systèmes de production des exploitations du territoire de cette association, dont le périmètre comprend la plaine de Versailles et les plateaux attenants.

Légumes ou Divers Vergers et fleurs 2% vignes 1% Fourrage 1% Légumineuses 1%

Culture et élevage 5%

1%

Protéagineux 2%

Gel 5%

Prairies 6%

Blé tendre 38%

Colza et autres oléagineux 10%

Aviculture 2% Arboriculture 2% Apiculture

Viticulture 1%

3%

Horticulture 7% Elevage équin 9%

Autre céréale 3%

Maraîchage 13% Orge 23%

Grandes cultures 58%

Maïs 7%

Répartition de la surface agricole de la plaine de Versailles en fonction du type de production 26

Les grandes cultures prédominent largement, elles concernent plus de 95 % de l’assolement. Parmi elles on trouve une majorité de céréales (71 %) dont le blé, l’orge et le maïs. On trouve également des oléagineux (10 %) dont une majorité de colza. Dans des proportions plus marginales, l’assolement est concerné par la pomme de terre, le lin, la betterave et quelques protéagineux (lentilles, pois). Ces cultures se cultivent aujourd’hui sur de très grandes parcelles, avec un niveau de mécanisation important et un recours aux engrais et pesticides de synthèses sauf dans certaines exploitations en agriculture biologique. En effet, la pression des nuisibles est forte en raison des rotations courtes où blé orge et colza reviennent très fréquemment. Si les grandes cultures représentent plus de 95% du territoire, elles ne concernent « que » 58% des exploitations. En effet, les exploitations en grande culture nécessitent une très grande surface, mais de nombreuses exploitations dites « spécialisées », de petite taille existent sur la plaine et pratiquent le maraîchage, l’horticulture ou l’arboriculture, ainsi que différents types d’élevage.

Répartition des exploitations de la plaine de Versailles en fonction du type de production


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N

Céréales Oléagineux Protéagineux Fourrage Prairies Vergers et vignes Légumes et fleurs Parcelle non exploitée

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Domaine de Grignon Réseau hydrographique


Dans la plaine de Versailles à proprement parler, les espèces cultivées dépendent majoritairement du type de sol rencontré, sa texture, sa profondeur, son humidité, mais également de la proximité à la ville et de l’histoire de l’exploitation. Ainsi à l’Est de la plaine, on rencontre de nombreuses exploitations royales ou seigneuriales à proximité d’une zone très urbanisée. La proximité d’habitants aisés favorise la diversification des exploitations vers l’élevage équin et la pension pour chevaux. Le long du val du Ru de Gally on rencontre essentiellement des grandes cultures avec des rotations blé-orge, voire blé-orge-colza. Les sols les plus pauvres, humides ou pentus sont valorisés en prairies pâturées par des chevaux. Les pentes les plus importantes sont boisées. Les fonds de vallée à alluvions sont propices à la culture de maïs néanmoins les plus humides sont en prairies ou en friches.

Enfin dans la partie Ouest de la plaine, proche de la vallée de la Mauldre, des limons éoliens ou lœss se sont déposés sur les replats marneux du lutétien. Ils peuvent accueillir la culture du maïs, mais ne sont pas propices à la culture de la pomme de terre, car trop peu profonds. Le reste de la partie ouest de la plaine présente un parcellaire morcelé, les exploitations ont accès à des sols argilo-calcaires sur lesquelles les rotations blé/orge ou blé/orge/colza prédominent. En définitive ce sont ces trois espèces qui règnent en maîtres sur la plaine. Elles lui donnent ses couleurs : les céréales vert vif au printemps évoluent vers le jaune doré lorsque les blés murissent en été. Le jaune acidulé des fleurs de colza se ternit à la belle saison lorsque la plante sèche pour donner des graines. Les moissons en juillet/août transforment encore le paysage pour donner à la plaine la couleur du sol et ponctuer les champs ras de bottes de paille régulièrement disposées. Au cœur de cette plaine relativement homogène, niché dans un creux de la topographie, au fond du val du Ru de Gally et s’étalant sur ses deux versant se trouve une curieuse inclusion : le domaine de Grignon, nettement délimité par les contours anguleux du mur d’enceinte, au parcellaire moins régulier, couvert de nombreuses prairies semblant épouser les sinuosités du cours d’eau. La matrice agricole y semble « trouée » par les espaces boisés rares par ailleurs dans la plaine. C’est sur cette inclusion que nous allons à présent nous concentrer.

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1,5 km


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LE domaine de Grignon : L’aiguille dans la botte de foin Une curieuse inclusion logée en plein cœur de la plaine de Versailles

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N

Domaine de Grignon

Plaisir

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1,5 km


Ru de Gally

VERSAILLES

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Crédit photo : T. Laverne 34


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Une organisation soignée guidée par des axes et des centres Le domaine de Grignon est à plusieurs égards une «aiguille» dans la «botte de foin» que représente la plaine : une exception discrète nichée dans un creux de la topographie qui vient piquer la curiosité de l’observateur. Il s’agit d’un vaste domaine de près de 300 ha de bois, de champs et de prairies installé dans le fond de vallon du Ru de Gally et traversé d’Est en Ouest par ce cours d’eau. Il s’étale sur les deux versants de cette vallée, l’un exposé au Sud, sec et ensoleillé, dont les pentes boisées relativement abruptes alternent avec des replats cultivés ou pâturés, l’autre au Nord, plus frais, aux pentes plus douces et aux sols plus profonds, occupé sur sa partie Ouest par la forêt maillée d’allées rectilignes et percée de clairières, et sur sa partie Est par des champs de blé, d’orge et de colza. Les limites du domaine sont nettes et affirmées par la présence d’un mur d’enceinte fait de pierres extraites localement, qui révèlent la nature du sous-sol local, écroulé par endroit sur son tronçon Nord. À travers ces brèches, le promeneur a accès aux vastes parcelles cultivées jouxtant le domaine. Dans les points les plus bas du domaine coule le Ru de Gally, un affluent de la Mauldre qui prends sa source dans le parc du Château de Versailles, et traverse la plaine du même nom. L’organisation du domaine est soignée, entre symétrie et asymétrie. Vu du ciel, les différents types d’occupation du sol semblent répartis selon une symétrie axiale par rapport au Ru de Gally. On trouve les parcelles agricoles de grandes cultures et de prairies le long du Ru. En s’éloignant de ce dernier, on trouve les bois, qui hérissent les pentes jusqu’aux limites du domaine. D’autres symétries axiales et centrales se trouvent dans l’organisation des allées rectilignes qui parcourent ces bois. Mais l’asymétrie est tout aussi présente, et en premier lieu dans la topographie. En effet, comme expliqué précédemment, le versant exposé au Sud est plus raide, érodé par l’alternance du gel et de la fonte des glaces, plus importante que sur les pentes exposées au Nord. Ce versant exposé au Sud est par conséquent plus étroit, comme «contracté» par rapport à son homologue exposé au Nord. Cette asymétrie est responsable d’une grande hétérogénéité de sols et milieux permettant la présence d’une biodiversité importante qui fait du domaine de Grignon une exception dans la plaine de Versailles.

N

Thiverval

zones boisées zones agricoles zones d’agrément

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routes et chemins cours d’eau 250 m


Chantepie

Grignon

Folleville Ferme de Grignon 37


Bâtiments Routes et chemins

Prairies Cultures

Espaces boisés Espaces d’agrément Réseau hydrographique

38


39


Un socle rocheux partiellement apparent

Une diversité de sols propice à la recherche agronomique

Comme dans le reste de la plaine de Versailles, le domaine de Grignon présente une géologie constituée d’un empilement de couches sédimentaires horizontales au sein desquelles le Ru de Gally a creusé sa vallée comme une large échancrure. La couche la plus profonde est constituée de craie blanche à Silex du Sénonien. Elle est surplombée par une fine couche d’argile imperméable du Sparnacien. Au-dessus de cette couche d’argile s’étagent les sédiments du Lutétien. La première couche en présence est celle des faluns : des sables calcaires constitués par l’amoncellement de coquilles sur des temps très longs. Dans cette couche, de très nombreux fossiles ont étés trouvés et ont fait de Grignon le plaisir des paléontologues. Lamarck et Cuvier y ont observé ces reliques qui ont servi de support à l’élaboration de leurs théories sur l’évolution, au lieu dit «La Falunière» une petite carrière située au sein de la forêt de Grignon. Grignon est encore aujourd’hui considéré au sein de la communauté scientifique comme un hotspot de la paléobiodiversité, au sein duquel plus de 500 espèces différentes de gastéropodes ont été recensées. À titre de comparaison, la côte atlantique française en compte actuellement seulement 220. Cette couche de faluns nous intéresse également en raison de sa porosité qui, disposée au-dessus d’une couche imperméable d’argile, conduit à la création d’une nappe perchée et à l’existence de lignes de sources. C’est en particulier la présence de ces sources qui a amené les premiers seigneurs à s’implanter précisément à cet endroit. La présence de cette couche épaisse de sable est la raison de l’existence de la rupture de pente asymétrique mentionnée précédemment, ce matériau étant plus facilement érodable. En particulier, sur les pentes boisées du versant Nord, la roche mère affleure en plusieurs endroits. C’est ce qui a permis aux géologues de retracer l’histoire géologique de la région. Finalement, au niveau des points hauts du domaine, les faluns sont surplombés par un étage de calcaire dur du lutétien qui constitue l’armature d’un plateau..

Cette diversité de couches géologiques partiellement affleurantes, associée à une topographie changeante est à l’origine d’une diversité de sols au sein du domaine. On distinguera ainsi par exemple les néoluvisols issus de lœss ou limons éoliens épais déposés par le vent sur les plateaux, des calcosols colluviaux issus de calcaire dur, moins profonds et situés sur les pentes, ou encore des redoxisols issus des argiles du sparnacien, engorgés en profondeur. Les différents sols et leur localisation sont détaillés sur la figure ci-après.

Les «Coquillards» cherchant des fossiles dans la Falunière de Grignon, début XXe siècle 40

C’est cette diversité de sols qui a conduit à la création d’un institut agronomique à Grignon. Les sols correspondent à la mince pellicule arable et meuble de la géosphère, ils sont formés sous l’action conjuguée du climat de la faune et de la flore, de la roche mère, du relief, et du temps. Ils sont tout à la fois le produit et le support de la biosphère. Les sols diversifiés de Grignon expliquent la diversité floristique rencontrée sur le domaine, mais également la diversité des usages. Les sols les plus épais, limoneux, sont cultivés, les sols plus pauvres des bas de versants en forte pente exposés au Sud sont en prairie. Les sols très minces des coteaux exposés au Sud sont boisés ou couverts de pelouses calcaires favorisant l’expression d’une biodiversité rare et reconnue.


Coteaux boisés

Fond de vallon en prairies

plateaux en cultures

Ligne de sources

Calcosol sur calcaire altéré

Ligne de sources

Colluvisol sur craie remaniée

Luvisol de loess

Hauteur (m) 140

NORD

SUD

120

100 80 60 300

SUBSTRAT ROCHEUX

900

1200

Distance (m)

FORMATIONS SUPERFICIELLES

Calcaire dur du Lutétien

Luvisol de Loess

Colluvisols sur faluns remaniés

Faluns du Lutétien

Calcosol coluvial sur calcaire dur

Redoxisol issu d’argiles

Argiles du Sparnacien

Calcosol colluvial sur faluns compacts

Calcosol colluvial sur craie

Craie blanche à silex du Sénonien 41

600


Le support d’une biodiversité sauvage rare et fragile Le domaine de Grignon présente une grande diversité de structures paysagères allant du boisement dense et ancien au champ cultivé en rotation blé-orge-colza. Vu du ciel, le domaine de Grignon apparaît comme une exception en raison de son vaste parc boisé, une caractéristique rare dans la plaine de Versailles. La forêt de Grignon fait partie de la série des forêts collinéennes à chêne pédonculé, chêne sessile, charme et hêtre. Néanmoins, au-delà de ces quatre espèces la forêt de Grignon présente des peuplements très riches et mélangés, et il n’est pas rare de trouver plus de huit essences différentes sur de faibles surfaces. Certaines grandes tendances de répartition se dégagent : sur les lœss des plateaux le châtaigner domine sous forme de taillis. À l’ubac, sur les faibles pentes, de gros et très gros bois de chênes peuvent être observés, probablement témoins de l’état de la forêt de Grignon avant la tempête de 99, et de la vision des anciens propriétaires. Bordant l’allée de Thiverval, le robinier, planté initialement pour la fabrication de clôtures agricoles en bois, est aujourd’hui envahissant. L’érable champêtre est également bien installé. Sur les pentes à l’adret, les boisements sont principalement peuplés de hêtres dépérissant et de buis probablement issus des anciens labyrinthes ornant le parc du château. Dans toute la forêt, on observe que le frêne, l’érable sycomore et le tilleul sont largement prépondérant, mais on trouve également ponctuellement du chêne rouge, du merisier, de l’aubépine, du charme, de l’orme, de l’érable plane et du bouleau. On peut trouver au cœur de ces boisements quelques trouées et clairières ainsi que de larges couloirs non boisés, où poussent discrètement plusieurs espèces rares d’orchidées, comme Epipactis palustris, ou Ophrys apifera et de tulipes sauvages, ainsi que des espèces inféodées aux pelouses calcaires, et aux zones humides : Physalis alkekengi, Ranunculus parviflorus, ou Carex mairi. Cependant, ces espèces sont de plus en plus rares sur le domaine faute d’entretien des milieux et une action corrective est urgente pour enrayer cette érosion. D’amples allées rectilignes traversent le parc de part en part, elles sont pour la plupart bordées d’immenses tilleuls centenaires qui malheureusement dépérissent. D’autres alignements plus jeunes et souples d’érables bordent les parcelles agricoles et soulignent les reliefs doux du val du Ru de Gally.

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Ce dernier coule en fond de vallon, visible dans le paysage surtout grâce aux différentes espèces de saules qui ponctuent ses rives. Deux ponts seulement permettent sa traversée et aucun sentier ne le longe. L’accès à l’eau est donc compliqué, d’autant plus que le lit du ruisseau a été redressé pour le bien de la mécanisation agricole, et profondément curé. Autrefois, ce Ru alimentait plusieurs pièces d’eau à vocation d’ornement et de loisirs aujourd’hui asséchées et mises en culture. Les parcelles agricoles sont pour la plupart cultivées en rotation blé-orge-colza à l’image de la plaine de Versailles. Le parcellaire est légèrement plus éclaté que dans la plaine. De plus, une proportion importante est en prairie pâturée par des moutons ou fauchée pour la production de fourrage. La présence de prairie et d’élevage fait également de Grignon un cas particulier de la plaine de Versailles et soutient l’expression de la biodiversité


Ophrys apifera Epipactis palustris

Physalis alkekengi 43


Une agriculture essentiellement tournée vers l’élevage Le domaine à proprement parler, c’est à dire l’espace clos par le mur d’enceinte, comporte environ 130 ha de terres agricoles. Ces terres étaient autrefois exploitées par la «ferme intérieure» dont on peut repérer la cour carrée adossée aux communs du château. Mais d’autres terres agricoles situées hors les murs sont rattachées au domaine. Elles étaient exploitées par la «ferme extérieure» dont les bâtiments se trouvaient tout proches. Après la deuxième guerre mondiale, les deux fermes ont fusionné pour donner la Ferme de Grignon, qui dépend aujourd’hui d’AgroParisTech, et se trouve sur un point haut de la plaine, au Sud-Est du domaine. La ferme de Grignon, en polyculture-élevage, exploite au total près de 400 ha de terres dont la moitié en grande culture présente une rotation trisannuelle bléorge-colza. L’autre moitié des terres est destinée à l’alimentation des animaux d’élevage (prairie et production de fourrage). En effet, la ferme possède 200 vaches laitières et 600 brebis. Une laiterie permet la transformation du lait en yaourts, fromages blancs, crèmes fraîches et autres produits laitiers. Une partie de la production est vendue localement, ou consommée au sein du restaurant universitaire du domaine de Grignon établi dans l’ancien corps de ferme. Un boulanger bio s’est également installé dans un des bâtiments de la ferme, disposant d’un moulin, et d’un four. Il se fournit dans les fermes bio alentours. Parmi les produits commercialisés en vente directe à la ferme au sein de la boutique gourmande, on trouve également de la viande d’agneau ou de bovin, des lentilles, de la laine de mouton et du miel. La ferme présente une dimension pédagogique forte et accueille le public souhaitant découvrir le monde agricole. Les étudiants d’AgroParisTech sont également invités à participer aux travaux de la ferme à travers un club dédié. La ferme de Grignon comporte également une dimension expérimentale : à travers le projet «Grignon énergie positive» on étudie les postes émetteurs de gaz à effet de serre et les leviers pour les réduire. Une unité de méthanisation permet également une relative autonomie énergétique. De plus la présence d’une unité mixte de recherche de l’INRAE à proximité directe de la ferme permet des liens entre la ferme et la recherche sur les agroécosystèmes. La ferme de Grignon est la seule de la plaine de Versailles à avoir conservé une activité d’élevage ce qui a permis le maintien de prairies propices à la biodiversité, une fertilisation organique par couplage entre les productions animales et végétales, ainsi qu’une diversification des productions. 44

Prairies Cultures (alim. humaine et animale) Ferme de Grignon Autres bâtiments

Production Animale

Végétale


Pédagogie

Expérimentation N

Méthanisation

300 m

Transformation Boulangerie

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Laiterie

Boutique gourmande Produits de la ferme

Produits d’autres fermes


Un parc pour le plaisir des sens D’autres espaces hérités du passé témoignent d’une vocation ornementale du parc. Ainsi, un jardin anglais fait onduler ses massifs et ses allées depuis le château jusqu’à un bassin d’ornement. Au Nord du château, bordant la pelouse en pente descendant vers le Ru de Gally, se trouve un espace enfriché appelé «le Labyrinthe». Il s’agit effectivement d’un ancien labyrinthe aux allées rectilignes plantées de buis, qui offrait jusqu’au début du XXe siècle des perspectives sur les coteaux opposés. Cette zone aujourd’hui à l’abandon dégage une atmosphère nostalgique où d’énormes buis, probablement aussi vieux que le labyrinthe, exposent leurs troncs tortueux à qui cherche le calme et la solitude. Une parcelle de dimension similaire appelée «Triangle botanique» regroupe un ancien arboretum comptant plus de 120 espèces d’arbres exotiques, dont la liste est complétée chaque année par un arbre de promotion planté par les étudiants à l’issue de leur cursus. Ce triangle botanique comportait autrefois un «jardin écologique» recomposant 5 grands types d’écosystèmes mondiaux, comptant près de 500 espèces, et un jardin botanique de près de 200 espèces. Aujourd’hui, l’arboretum subsiste grâce aux actions des étudiants et d’une association de mise en valeur du parc créée suite aux dégâts provoqués par la tempête Lothar de 1999. Cette association porte de le nom de «L’arbre de Fer» en hommage au majestueux Parrotia persica couché par les vents violents, mais qui repousse depuis sa souche.

Aquarelle représentant le triangle botanique, vers 1908 46

Les anciens jardins botaniques sont aujourd’hui le siège d’activités de jardinage de la part des étudiants, mais l’organisation de la scolarité à AgroParisTech empêche le développement de ce dernier, les étudiants ne restant sur ce campus qu’une seule et unique année. Enfin, un jardin anglais déroule ses allées courbes et ses massifs depuis le château jusqu’à un bassin d’agrément qui comportait autrefois un jet d’eau.


début XXe

début XXe

2021 début XXe

Alignement de tilleuls 2021

Labyrinthe

2009

Jardin anglais

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Arboretum

Serres

Ex pépinière

ex-jardin botanique ex-jardin écologique

Triangle botanique


Un lieu fédérateur marqué par deux siècles de traditions Depuis près de deux siècles, Grignon accueille des promotions d’étudiants entre ses murs. Aujourd’hui, chaque promotion n’y passe qu’une seule et unique année, la première, celle qui a lieu pour la plupart des étudiants, après 2 ou 3 années de classes préparatoires scientifiques et des semaines de concours. De septembre à juillet, les étudiants sont les «maîtres» du domaine. En effet seuls quelques rares membres du personnel habitent le domaine. Ainsi pendant un an, les quelques 340 étudiants vivent, dorment, mangent, jouent, fêtent, et étudient au sein des 291 ha de bois, de champs et de prairies. Cette organisation des études est propice à la cohésion des promotions d’étudiants, et plus généralement de la «communauté agro» unie par son attachement aux lieux, et par des traditions toujours vives transmises de promotion en promotion. Ces dernières comprennent un certain vocabulaire, des chants et des cérémonies reproduites chaque année, qui ont pour objectif de rendre certaines étapes solennelles, de transmettre l’héritage historique du domaine, de fédérer les grignonnais. Ces traditions investissent les lieux et y laissent leur trace depuis la création de l’école. Ainsi «La Brèche», un trou dans le mur Nord, est traversée lors de la cérémonie de «Grignonisation» par laquelle la promotion sortante confie le domaine à la promotion entrante. Cette même «Brèche» est repassée dans le sens inverse par les étudiants sortant à l’issue de leur année Grignonnaise. Cette cérémonie proviendrait de la deuxième guerre mondiale, durant laquelle ce trou dans le mur aurait été utilisé par les grignonnais résistants. De même, «l’arbre aux corbeaux», un très vieux hêtre dépérissant au milieu d’une clairière, au tronc tortueux et couvert d’inscriptions voit se dérouler la cérémonie de «l’enterrement de la malle» au cours de laquelle chaque étudiant doit laisser un objet personnel à enterrer dans une grosse malle. De quoi laisser un petit morceau de soi sur les terres du domaine. La malle est déterrée à l’issue des études, et c’est l’occasion pour chaque étudiant de faire le point sur le chemin parcouru.

L’arbre aux corbeaux

Cérémonie d’intégrations («brimades») devant la brèche

Enfin, en première année, une tradition consiste pour la nouvelle promotion à creuser son sillon à l’aide d’une vieille charrue sur une parcelle du domaine. Cette tradition séculaire symbolise la nécessaire cohésion de la promotion dans le travail, sans lequel la terre ne porte pas de fruit. Toutes ces traditions participent pour chaque étudiant y ayant habité à constituer le «vieil esprit de Grignon». 48

Soirée étudiante, feu de camp dans la clairière


«Les adieux à Grignon», chant dont l’origine est inconnue, appris par plusieurs dizaines de générations d’étudiants et chanté lors de la «Dégrignonnisation», cérémonie de départ des étudiants à la fin de leurs études à Grignon 49


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Grignon trace le sillon Un moteur et un reflet des transformations agricoles du territoire à travers l’histoire

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Un établissement d’enseignement supérieur est tout à la fois sous l’influence de son contexte sociétal, et moteur de l’évolution de celui-ci. C’est le cas de Grignon, qui est un domaine, mais également une ferme et une école. Son histoire est intimement liée à celle de l’agriculture francilienne, française, mondiale. Nous allons dérouler cette histoire pour tenter de comprendre son rôle passé, présent, futur. Une occupation millénaire Des signes de l’existence d’une pratique agricole datant du Néolithique ont été découverts au sein de la plaine de Versailles et sur le site de Grignon. Ils consistent en plusieurs outils faits de silex taillés servant vraisemblablement à défricher les terres. D’autres fouilles archéologiques ont mis au jour d’anciennes fermes gauloises et villas gallo-romaines datant de plusieurs siècles avant notre ère à proximité. Le partage des terres entre seigneurs au Moyen-âge Au Moyen-âge, plusieurs grandes campagnes de défrichement à l’initiative des abbayes sont conduites. Les terres de notre territoire sont alors partagées entre différents seigneurs qui y construisent des châteaux et des manoirs, accompagnés de grandes fermes seigneuriales, ainsi que des moulins le long des rus.

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Grignon, le joyau des favorites Au XVIe siècle, le domaine de Grignon dénote déjà par rapport au reste de la plaine. Est-ce à cause de son paysage de reliefs souples, de boisements frais, ses terres, sont-elles particulièrement fertiles, ses forêts riches en gibier ? On l’ignore, mais en 1545, les terres de Grignon sont offertes par François 1er à Anne de Pisseleu, sa favorite. Après la disparition de ce dernier, son successeur Henri IV force la duchesse d’Etampes à céder ces terres à Diane de Poitier, sa propre maîtresse. À cette époque, le domaine de Grignon est donc un bien de valeur que les puissants offrent à l’élue de leur cœur en témoignage de leur amour.


Le temps des Marquis de Grignon En 1582, Pomponne I de Bellièvre, surintendant des finances et président à mortier au parlement de Paris, acquiert Grignon. Le domaine restera dans cette famille pendant plus d’un siècle. Son descendant Nicolas de Bellièvre fit construire le château tel qu’on le connaît, et ériger le domaine en marquisat. Le domaine fut clos par le mur d’enceinte actuel en 1674. À l’époque, la fermeture de cette clôture força certains habitants à abandonner leur habitation, et une route reliant Thiverval à Grignon fut détournée pour emprunter le parcours que nous lui connaissons actuellement, le long du mur Sud. En 1682, le roi et sa cour déménagent à Versailles, et l’année suivante, le dernier descendant de la famille de Bellièvre perclus de dettes vend le château et son domaine à André III Potier de Novion. Il restera dans cette famille jusqu’à la révolution. Durant cette période, les propriétaires firent tracer les allées que nous connaissons et qui guident l’organisation spatiale du domaine. Ils firent également construire des canaux et planter des arbres au niveau de la côte aux buis. Enfin, ils aménagèrent le jardin anglais. À partir de l’installation du pouvoir royal à Versailles, de grands changements s’opèrent concernant l’agriculture de la plaine. Les fermes royales sont encloses au sein du grand parc, qui constitue aujourd’hui le site classé. À l’extérieur du Parc, les nobles se partagent les grands domaines et construisent des châteaux, toujours accompagnés de fermes comme c’est le cas à Grignon. Une partie de la population de la plaine participe aux travaux de ces grands domaines tandis que d’autres petits cultivateurs travaillent les terres qu’ils possèdent, généralement de petites dimensions.

Les grands domaines détenus par des notables de Paris ou Versailles font entre 100 et 200 ha. La production agricole est déléguée à des familles de métayers, ainsi qu’à des ouvriers extérieurs. Ces domaines sont situés le long des cours d’eau, à l’écart des villages, et fonctionnent comme des unités relativement autonomes au niveau alimentaire : ils produisent des céréales, élèvent quelques animaux pour le travail agricole et la production de lait, de viande et d’œufs, et cultivent un jardin potager et un verger à vocation nourricière pour les propriétaires et leurs nombreux employés vivant sur le domaine. La majorité de la production est cependant vendue sur les marchés, la productivité contribue à faire la valeur du domaine. Les petits cultivateurs indépendants travaillent en revanche entre 1 et 10 ha de terre et vivent dans des villages-rue, le bâti est groupé, les maisons alignées sont terminées par des jardins en lanières disposés côte à côte où sont cultivés des légumes pour l’autoconsommation. Si la plupart de ces cultivateurs produisent des céréales, les parcelles agricoles en lisière du village sont traditionnellement occupées par des vergers, des exploitations maraîchères ou encore des vignes. Elles servent de seuil entre les villages et les champs.

Plan du domaine en 1775. 53


La période postrévolutionnaire Après la révolution française, de nombreux aménagements du château de Versailles et du Grand Parc, symboles de royauté, sont détruits. Les fermes royales et seigneuriales sont confisquées et vendues à des bourgeois parisiens ou versaillais. C’est ainsi que César Auguié, administrateur des postes et mari de l’ex-femme de chambre de Marie-Antoinette accède à Grignon. Néanmoins, le paysage agricole change peu, quelques puissants se partagent les grands domaines représentant la majorité des terres, le reste étant partagé entre petits cultivateurs. La fille de César Auguié, Aglaé Auguié, se lie d’amitié avec Hortense de Beauharnais, la fille de Joséphine, épouse de Napoléon. Ce lien d’amitié la conduira à épouser le Marechal Ney dans la chapelle de Grignon. Peu après, en 1803, c’est le maréchal Bessières qui acquiert le château et ses terres. On doit à ces deux propriétaires successifs le déboisement de la Défonce, une parcelle au Nord-Ouest du domaine, mais également la plantation de 50 000 arbres dans le parc, le curage des pièces d’eau (au nombre de 4 à l’époque) et une modification des cheminements, en particulier de l’entrée principale. Après la mort du Maréchal Bessières en 1813, sa veuve très endettée doit vendre le domaine. À cette époque en France, le mode de vie dans les campagnes a très peu évolué depuis des siècles malgré les apports de la révolution. Une part très importante de la population est agricole. L’autoconsommation est généralisée : on consomme exclusivement local et on vend le surplus de production sur les marchés des villes adjacentes. En raison de la faible mobilité des biens et des personnes, et de la difficulté d’importer de la nourriture en cas d’événement climatique défavorable dans un contexte où l’économie d’échange est encore peu développée, des périodes de disette peuvent survenir. En Îlede-France, plus de 3/4 de la population rurale vit de l’agriculture, en effet Paris est un « ventre vorace » qu’il faut nourrir, la banlieue parisienne proche est une zone de cultures dites « spéciales », comprenant maraîchage, arboriculture, floriculture. La plaine de Versailles, déjà majoritairement céréalière, n’est pas concernée par cette zone, mais exporte son surplus de production vers Versailles ou Paris. La transformation des produits agricoles, nécessaire à leur conservation, est également réalisée localement. Une multitude d’unités de transformation ponctuent le territoire : moulins, fours, pressoirs, distillerie, etc...

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La motorisation est inexistante, les cultivateurs dépendent de l’animal pour les travaux des champs ce qui implique la présence de fourrage dans les rotations de culture pour nourrir les bêtes, et l’impossibilité pour un agriculteur de cultiver seul plus d’un hectare. Le parcellaire est donc extrêmement morcelé et diversifié, les champs alternent avec bois et bosquets, trognes, arbres isolés nécessaires à la production locale de bois. Des haies bordent les parcelles. Dans cette fine mosaïque de bois de villages et de champs intriqués, les hommes cultivent, récoltent, chassent, pêchent, et habitent pleinement le territoire, mais ils ne sont pas les seuls : cette mosaïque de milieux, supporte une biodiversité riche et adaptée à ces activités humaines. L’agriculture joue pleinement son rôle de régulation du vivant.


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L’institution Royale Agronomique Le XIXe siècle va apporter son lot de chamboulements en France et révolutionner ce mode de vie séculaire. Tout d’abord par le désenclavement des campagnes, grâce à l’amélioration des voies de communication, et le développement progressif du chemin de fer selon un ambitieux plan de maillage du territoire en toile d’araignée. Cela signe la « Fin des terroirs » selon l’expression d’Eugène Weber : un bouleversement radical du mode de vie rural correspondant au passage d’un fonctionnement autarcique à une économie d’échange qui va sécuriser les approvisionnements alimentaires, mais également causer la perte de nombreuses coutumes et particularités villageoises, de langues, et de systèmes de mesure locaux, ainsi que la perte de savoir-faire artisanaux par l’extinction de métiers dans les villages. Cette époque coïncide avec une certaine émulation dans le monde de l’agronomie, un terme inventé quelques années plus tôt. En effet, en 1822, Mathieu de Dombasle crée la première école notable d’agronomie française, à Roville, dans l’Est. Cette école sera source d’inspiration pour les agronomes de l’époque dont Bella et Polonceau, deux personnages clé à l’origine de la création de l’Institution Royale Agronomique. Ces derniers militent pour la création d’un tel établissement. Le pouvoir royal prend conscience de l’importance d’améliorer l’agriculture française et ambitionne la création d’une société pour «enseigner et donner l’exemple des bonnes méthodes agricoles». Bella et Polonceau sont missionnés pour choisir le lieu d’implantation de cette société. Ils jettent leur dévolu sur le Domaine de Grignon, situé «si près de Paris qu’on en voit les lueurs, mais assez éloigné pour ne pas en entendre les rumeurs !». Le domaine présente l’avantage de ne pas être dans la zone des cultures spéciales, de présenter une surface étendue, des bâtiments importants, des sols variés de qualité moyenne. La présence du Ru de Gally et de nombreuses sources constantes achève de les convaincre. En 1826, le domaine est acquis par le Roi Charles X, l’Institution Royale Agronomique est créée et les 5 premiers élèves arrivent l’année suivante. C’est deux ans plus tard, en 1829, qu’est créé le premier ministère de l’agriculture. Dans les premières années d’enseignement, le domaine de Grignon s’organise comme suit : le château est bordé d’anciens fossés secs, il abrite les bureaux et logements des professeurs et du directeur. Les communs servent à loger les étudiants et d’autres employés, ils comportent une cuisine et un réfectoire, une bibliothèque et des salles de cours.

Le parc comporte un jardin potager d’un hectare, un verger d’1,30 ha dont une partie est en vignes ainsi qu’une muraie pour l’élevage de vers à soie, de vastes espaces à vocation ornementale : pelouses, labyrinthe et jardin anglais, hérités des marquis de Grignon. Très tôt, un jardin botanique est créé afin de servir de support d’enseignement, ainsi qu’un jardin écologique rassemblant de nombreux végétaux constitutifs de divers écosystèmes, et un arboretum. Une pépinière forestière est aussi créée pour renouveler les boisements du domaine. De vastes pièces d’eau où vivent de nombreux poissons, des terres cultivées, des prairies pâturées, une grande bergerie et deux corps de ferme abritant de nombreux animaux d’élevage ou de travail à la ferme : cochons, moutons, vaches, chevaux. Le domaine comporte également en son sein un atelier de fabrication d’outils agricoles (forge, charronnage…). De nombreux outils et savoir-faire sont développés et ces innovations techniques (charrues, moissonneuses...) sont diffusées dans le monde de l’agriculture et obtiennent de nombreuses médailles lors de concours et expositions. Le domaine compte également des ateliers de transformation des produits agricoles : machines à battre le blé, et féculerie pour la transformation des pommes de terre, ainsi qu’une distillerie, et un espace de fabrication des fumiers afin de recycler au maximum les nutriments. Les terres cultivées font alors l’objet de rotations sur 7 ans : 1) Plantes sarclées sur terres bien défoncées et fortement fumées 2) Céréales de mars 3) Trèfles 4) Froment d’automne 5) Fourrages annuels 6) Colza sur parcage ou demi-fumure 7) Froment

Bâti Forêt Chemins Pelouses Zones ornementales Prairies Céréales : blé, orge, seigle Ru

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Fourrage : avoine, sainfoin, luzerne Plantes sarclées : pommes de terre, betteraves Pois Potager, jardin botanique Verger, vignes Pépinière forestière Pièce d’eau


élevage de vers à soie Présence de nombreuses cultures fourragères

N

Transformation locale : féculerie, distillerie

Cultures diversifiées, agriculture nourricière

Verger Potager

Vignes

Pièce d’eau, pisciculture

Présence d’une ferme intérieure

Atelier de fabrication d’outils agricoles

Parcelles de taille moyenne, nombreuses

Etable, Bergerie, Porcherie

Rotations longues

300 m

Ru partiellement rectifié

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Main d’oeuvre nombreuse impliquée dans l’entretien du domaine

Pépinière forestière, entretien de la forêt et des allées


Cette rotation sur 7 ans applique des principes agronomiques déjà bien identifiés : le retour peu fréquent d’une espèce sur la parcelle permet de juguler naturellement la présence de ravageurs des cultures. La présence de trèfle, une légumineuse, enrichit le sol en fixant l’azote atmosphérique. Les fertilisants sont organiques et proviennent des déjections animales (fumure, parcage...). Le défonçage correspond à un labour profond permettant de détruire les adventices et donc de limiter la concurrence avec la culture. En quelques années, les sols de Grignon sont améliorés au regard de l’état précédent. La biodiversité cultivée est riche : outre les plantes potagères, on trouve une grande diversité de céréales et de graminées pour le fourrage, des pommes de terre, betteraves navets, ainsi que des protéagineux. Nombre de ces variétés sont anciennes et locales, cultivées depuis des générations sur le territoire et bien adaptées aux conditions pédoclimatiques. Une phrase inscrite sur le monument érigé en l’honneur d’Auguste Bella, premier directeur de Grignon interpelle, et rends bien compte de la vision agricole de l’époque : « Rarement, la terre est mauvaise, mais souvent, elle est mal utilisée, on n’a jamais trop d’engrais, jamais de labours trop profonds... » Les années passant, l’établissement gagne en notoriété, les promotions grossissent, l’enseignement est étayé : on apprend à Grignon Les sciences de l’agriculture, la Chimie, la Zootechnie, la botanique, la sylviculture, l’horticulture, la viticulture et l’œnologie, l’apiculture, l’entomologie, la géologie, la minéralogie, la physique, la microbiologie, la pisciculture, la technologie, la mécanique, l’économie, le droit et la comptabilité. Les laboratoires sont agrandis et de nouveaux bâtiments sont progressivement construits, lors des expositions universelles, le prestige de l’établissement est souligné, ainsi que ses contributions au progrès agricole dans le monde entier.

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L’entre-deux guerres pose les bases d’une nouvelle agriculture La première guerre mondiale va constituer une rupture dans cet élan agricole en France comme à Grignon. L’école va en effet payer un lourd tribut, avec plus de 600 élèves et anciens élèves mobilisés. Pendant quelques années, l’enseignement, trop désorganisé, est interrompu. La gestion du domaine, difficile en raison de la réquisition des animaux de traits, laisse à désirer ; les conditions économiques sont très défavorables à l’agriculture. De plus, un centre de rééducation militaire accueillant les « gueules cassées » est implanté à Grignon, pour réinsérer les anciens soldats à travers les travaux agricoles. En 1919 a lieu la « grande rentrée » des démobilisés, ces derniers inaugurent en présence du ministre de l’agriculture un monument en l’honneur des anciens élèves tombés de 1914 à 1918. Le monument peut être observé dans le parc du domaine, il porte l’inscription suivante : « La terre à laquelle ils voulaient consacrer leur vie garde leurs reliques et les couvre de fleurs ».

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Pendant l’entre-deux-guerres, s’installent les bases d’une agriculture modernisée. La diminution de la population rurale s’accélère, et dans de nombreuses régions, on fait appel à l’immigration pour compenser le déficit de main-d’œuvre, mais également à la mécanisation. L’école de Grignon diffuse ses innovations techniques afin d’accroître la productivité des agriculteurs. Dans le bassin parisien, on peut observer les prémices de la motorisation. L’état souhaite moderniser les systèmes agricoles, et de nombreuses écoles sont créées, ainsi que l’Institut de Recherches Agricoles qui se consacrera à des travaux sur la sélection et l’amélioration des plantes. Le travail sur l’homogénéisation des races locales se poursuit. C’est à cette époque qu’une race ovine est créée à Grignon, dont elle porte le nom. En parallèle, pour stimuler la productivité à l’hectare, l’état met l’accent sur l’usage des engrais chimiques qui vont progressivement s’imposer. En 1919, d’anciens élèves se regroupent sous une société civile pour former la « ferme extérieure » sur un point haut, à l’extérieur du domaine. Cette ferme exploite les terres situées hors les murs de Grignon. Conçue pour servir de référence aux agriculteurs et chercheurs, cette ferme publie un rapport annuel largement diffusé. On y teste les nouvelles méthodes de labour, de fertilisation minérale, et on y acquiert un premier tracteur à l’aube de la deuxième guerre mondiale.


L’après-guerre : Une révolution verte Cette dernière marque une deuxième rupture dans le monde agricole du XXe siècle. En effet, après la libération, les citadins sont toujours marqués par les pénuries alimentaires et le rationnement. Néanmoins, dès les années 50, le baby-boom nous indique l’émergence d’un sentiment de confiance en l’avenir, qui va de pair avec une émulation autour du progrès technique et la volonté de moderniser l’agriculture. C’est une véritable « révolution verte » qui se met en marche. La puissance publique va engager des actions pour accroître la productivité du « matériel » végétal et animal ainsi que des parcelles en mobilisant les établissements d’enseignement agricoles, les organismes professionnels, et en créant l’INRA Institut National de Recherche Agronomique. Le volet agricole du Plan Marshall va introduire en France la motorisation et les premiers maïs hybrides. Le paysage agricole se transforme : pour les besoins des nouveaux engins agricoles motorisés, les parcelles sont fusionnées, agrandies, les haies arrachées, c’est le remembrement agricole qui aura des conséquences dévastatrices sur la capacité de l’agriculture à accueillir la biodiversité, d’autant plus que les progrès en chimie permettent de généraliser l’usage des engrais de synthèse et des pesticides causant l’eutrophisation des cours d’eau et l’empoisonnement des sols. En Île-de-France, on procède à la refonte des parcelles en gigantesques champs dédiés à la culture exportatrice de céréales pour un grenier mondial. L’heure est à la maîtrise du vivant : les progrès en génétique animale et végétale, et la découverte de l’ADN vont permettre la poursuite des travaux de sélection et d’homogénéisation des variétés et des races, dont les plus productives seront implantées dans tout le pays au détriment des variétés locales. Partout, on simplifie, on homogénéise et on rationalise. L’arrivée de la motorisation permet également de se passer de salariés ; la main-d’œuvre agricole est considérablement réduite. En 1954, seuls 14 % de la population rurale d’Ile-de-France vit de l’agriculture, ce pourcentage a été divisé par 5 en 60 ans. La Politique Agricole Commune est instituée en Europe avec des aides à l’exportation, les exploitations agricoles se spécialisent, et destinent leur production à des consommateurs de plus en plus éloignés, c’est le début de la construction des « filières agroalimentaires ». Ce modèle productiviste sera bientôt source de critiques quant à la qualité des produits et aux conséquences environnementales, des éléments qui n’avaient pas été pris en compte dans le cahier des charges.

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Le domaine de Grignon est à la fois le reflet et le moteur de cette évolution. En 1953, les fermes extérieures et intérieures sont fusionnées pour ne donner plus qu’une grande ferme, les bâtiments de la ferme intérieure sont désaffectés. L’agriculture à Grignon suit le mouvement simplificateur et productiviste : la porcherie disparaît, l’effectif du cheptel ovin et bovin est multiplié par 5. Les cultures se simplifient également, les plantes sarclées disparaissent au profit des céréales. Le verger et les vignes sont arrachés pour construire des bâtiments nécessaires à l’accueil de plus d’étudiants. Le jardin potager disparaît, transformé en grande pelouse. Le nombre de travailleurs par hectare est divisé par 3. La ferme de Grignon est toujours le siège de rassemblements des agriculteurs du Nord de la France, une ferme modèle où l’on vient trouver les clés de la modernisation. La ferme de Grignon se positionne néanmoins en exception au sein de la plaine de Versailles, en effet, il s’agit de la seule exploitation agricole ayant conservé une activité d’élevage ovin et bovin. Partout ailleurs dans la plaine, ce métier a disparu, les prairies ont été converties en terres cultivées, ou servent à la pension de chevaux pour les Parisiens et Versaillais aisés. Fait notable dans le monde de l’enseignement agricole : en 1970 « l’Agri » de Grignon fusionne avec « l’Agro » de Paris pour donner « l’Institut National Agronomique Paris-Grignon ». Les conséquences pour le domaine sont nombreuses : tous les étudiants ne passent plus qu’un an au lieu de trois à Grignon. L’appropriation des lieux est moindre, même si des rites de passation se développent entre promotions pour pallier cela. L’enseignement à Grignon est de plus en plus scientifique et de moins en moins pratique.


N

Grignon dans la plaine, 1950 Une mosaïque agricole diversifiée

1,5 km

N

Grignon dans la plaine, 2018 Un openfield simplifié 61

1,5 km


Les dernières décennies et la simplification à outrance

«L’agriculture se simplifie à outrance et devient la mobilisation d’une simple surface rectangulaire dans laquelle il y a des inputs qui produisent des outputs. Si on va au bout de la logique, il n’y aura plus de différence entre l’agriculture et une chaine de montage industrielle». Les tendances amorcées après-guerre se sont accentuées au cours des dernières décennies pour donner le système que nous connaissons aujourd’hui. Le nombre de fermes a considérablement diminué, ainsi que le nombre d’agriculteurs : en 2007 en île-deFrance, seuls 2,5 % de la population rurale francilienne vit de l’agriculture. La taille des fermes et des parcelles a augmenté à outrance, et le paysage rural d’Île-de-France est un openfield très ouvert où prédominent seulement 3 espèces : le blé, l’orge et le colza. Les rotations courtes favorisent les ravageurs de culture, et conduisent à une utilisation accrue de pesticides. Les exploitations sont extrêmement dépendantes de la machine, et à fortiori du pétrole, nécessaire pour faire rouler les tracteurs, pour acheminer les intrants, et pour exporter la production. Les nouvelles technologies sont présentes partout : informatique, GPS, imagerie satellite, elles se mettent au service d’une agriculture de précision. En Île-de-France, plus que partout ailleurs, le phénomène d’étalement urbain transforme profondément les campagnes, leur donnant une vocation résidentielle. L’accroissement de la taille des villes et villages a pour conséquence la disparition des ceintures maraîchères et arboricoles qui servaient de seuil entre bourgs et champs, cette disparition achève d’homogénéiser et de simplifier l’agriculture de notre territoire, et perturbe la lisibilité des paysages. Tous ces phénomènes ont conduit au cours des dernières décennies à l’émergence de graves problèmes environnementaux : érosion mondiale de la biodiversité en raison de la perte d’habitats et de l’utilisation massive de pesticides et engrais de synthèse, changement climatique et récurrence de phénomènes climatiques extrêmes... L’émergence de ces problématiques nouvelles fragilise notre système alimentaire mondialisé qui se révèle si dépendant des ressources fossiles qu’il a perdu toute résilience, menaçant la sécurité alimentaire des populations humaines pourtant de plus en plus nombreuses.

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Le domaine de Grignon n’est pas étranger à ces problématiques. La création en 2007 d’AgroParisTech par fusion de l’INA P-G avec d’autres établissements a encore accru le niveau scientifique de l’école et éloigné les disciplines « pratiques ». Sur le domaine, avec le départ en retraite du dernier professeur de botanique, les espaces de jardin botanique et de jardin écologique sont laissés à l’abandon. Le machinisme agricole a également disparu. En raison d’un manque d’entretien du domaine, qui représente des coûts élevés, certains milieux se sont refermés, et la biodiversité du domaine s’est amoindrie. Cependant, le domaine se positionne toujours en exception au sein de la plaine de Versailles. La simplification du paysage y a été moins radicale, on trouve toujours des haies entre les parcelles, les boisements sont diversifiés. Le maintien d’une activité d’élevage a permis la préservation d’espaces de prairies pâturées, et l’utilisation des fumiers pour fertiliser les champs dans une logique de recyclage des nutriments. La ferme de Grignon est labellisée HVE (haute valeur environnementale). La présence d’une unité de méthanisation permet une relative autonomie énergétique. Les étudiants qui le souhaitent peuvent participer aux travaux de la ferme bien que cela ne soit pas imposé. Autre spécificité, la ferme de Grignon comporte une laiterie et une unité de transformation pour la fabrication de yaourts. De la vente directe est pratiquée à la ferme, et cette dernière comporte une dimension pédagogique et accueille régulièrement des groupes pour des visites. En définitive, un compromis a été trouvé entre le désir de pratiquer une agriculture respectueuse de l’environnement, génératrice de connaissance, et l’obligation de compétitivité dans un système agricole productiviste et mondialisé.

Bâti

Colza

Forêt

Parcelles potagères

Chemins Pelouses Zones ornementales

Prairies Céréales : blé, orge Ru


Présence de prairies et cultures fourragères à destination des troupeaux

N

3 espèces cultivées exportées hors du domaine

Transformation réalisée extramuros

Triangle botanique à l’abandon présence d’un petit potager étudiant

bâtiments de l’ancienne ferme intérieure réaffectés en restaurant universitaire

Pièce d’eau asséchée et mise en culture

Parcelles potagères destinées au personnel

Fusion des parcelles pour créer de très grands champs Ecurie, société hippique grignonnaise

Rotations sur 2 à 3 ans 300 m

Ru rectifié sur un tronçon conséquent et profondément curé

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Enseignement scientifique, peu d’implication du personnel dans l’entretien du domaine

fermeture des milieux par manque d’entretien


LEs enjeux d’avenir de l’agriculture Le monde agricole se trouve aujourd’hui face un défi inédit : produire plus qu’auparavant, pour nourrir une population croissante, mais avec moins de moyens à sa disposition. Ce défi technique est d’autant plus complexe que la société est en demande de changements de pratiques agricoles, vers des modes de production plus respectueux de l’environnement et de la santé humaine, qui ne vont pas de pair avec l’accroissement des rendements. Par ailleurs, l’agriculture se trouve aujourd’hui extrêmement dépendante du pétrole dont nous savons que les ressources sont finies, pour la production, l’importation d’intrants et la distribution des produits. Cette dépendance induit une certaine fragilité de notre système alimentaire mondialisé, et pourrait avoir des conséquences graves sur la sécurité alimentaire en cas de pénurie. L’agriculture est aujourd’hui montrée du doigt comme étant une activité aggravante du changement climatique et de l’érosion de la biodiversité, dont elle dépend pourtant, ainsi que de l’uniformisation des paysages. Aujourd’hui les agriculteurs doivent répondre aux besoins des consommateurs ET des citoyens, besoins qui se contredisent ! L’émergence de «l’agri-bashing» a créé une fracture entre les urbains et les agriculteurs, qui rend d’autant plus compliquée la nécessaire transition agroécologique. En définitive, l’agriculture de demain doit rester productive et compétitive pour nourrir la population, tout en adoptant des pratiques plus respectueuses de l’environnement afin de garantir sa pérennité sur le temps long. Elle doit également reprendre à sa charge la préservation de la biodiversité qui lui rend des services indispensables. Elle doit enfin reprendre son rôle de fabrication et d’entretien du paysage, dont elle est un élément central. Agriculture biologique, agroécologie, agriculture de conservation, permaculture, agriculture raisonnée, agroforesterie, agriculture extensive... Les réponses sont multiples, et les initiatives nombreuses, cependant les surfaces concernées restent encore trop anecdotiques au regard de l’ampleur de la tâche.

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Si Grignon fait office aujourd’hui de «ferme exemplaire» dans la plaine de Versailles, il n’en reste pas moins que comme ailleurs, des problèmes environnementaux y sont à déplorer. De nombreuses espèces rares ont disparu du parc, la biodiversité cultivée s’est considérablement appauvrie, le remembrement a agrandi la taille des parcelles, bref : Grignon est confronté aux mêmes défis que les exploitations voisines, d’autant plus que le domaine, considéré à juste titre comme une institution dans le monde de l’agriculture, est sous les feux des projecteurs et se doit d’être irréprochable et d’assumer son rôle de moteur de l’évolution agricole française.


Crédit photo : T. Laverne

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Et demain... l’abandon ? Histoire d’une mobilisation autour de la sauvegarde d’un patrimoine historique, architectural, agricole et naturel

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Quitter la plaine pour occuper le plateau

Qui veut acheter mon château ?

Dès les années 60, le regroupement de plusieurs grandes écoles françaises, instituts de recherche, et groupes industriels au sein d’un cluster scientifique est envisagé par Georges Pompidou, alors président de la République. En 2010, ce rêve est réalisé par la création de l’université Paris-Saclay. Le déménagement progressif des établissements sur le plateau de Saclay est prévu, au sein de 3 ZAC étalées sur un total de plus de 500 ha de terres agricoles, parmi les plus fertiles de l’île de France. Pour financer ce projet faramineux, l’état n’hésite pas à vendre ses bijoux de famille, dont le domaine de Grignon qui voit son intégrité menacée.

En 2016, le club de football du Paris-Saint-Germain s’intéresse de près au domaine de Grignon pour y installer son nouveau centre d’entraînement. Cette information ébranle fortement la communauté des Agros et conduit à une mobilisation sans précédent, à la création de collectifs de défense du site, à de nombreuses pétitions et manifestations. Pour éviter le scandale, le club se tourne vers un autre site.

Vue aerienne de la ZAC du quartier de l’école polytechnique, où sont construits les futurs bâtiments du campus AgroParisTech, sur des terres agricoles parmi les plus fertiles d’iIe-de-France

z 68

Cependant, en 2020, la problématique se présente à nouveau avec une ouverture officielle à la vente de ce domaine public. Pourtant, la vente du bâtiment rue Claude Bernard à Paris a déjà rapporté une somme bien plus importante que prévue, qui rend accessoire la vente du Domaine de Grignon. Peu importe, l’état souhaite malgré tout en obtenir le maximum quitte à brader ce haut lieu de l’agronomie française et ses terres agricoles.


Les grignonnais mobilisés Devant un processus de vente complètement opaque, et la non prise en compte de la valeur agricole et naturelle du site, une nouvelle mobilisation s’organise avec cette fois un blocus du domaine par les étudiants durant plusieurs semaines, plusieurs manifestations et «die-in» devant des ministères. La mobilisation prend également une autre forme, avec la candidature d’une association d’anciens étudiants portant le projet «Grignon 2026» au rachat, en association avec la communauté de communes «Cœur d’Yvelines». Ce projet propose la création d’une fondation pour garantir sur le temps long l’intégrité du domaine, et pour y créer un campus d’échange, d’innovation et de formation autour de l’agriculture, de l’alimentation, et de l’environnement. Un appel à participation est lancé pour collecter les quelques 12 millions d’euros nécessaires afin de se présenter en candidat sérieux. En quelques mois, plus de 10 millions sont collectés sous forme de prise de parts d’anciens étudiants dans cette fondation. Une mobilisation pourtant insuffisante, car au cœur de l’été, l’état annonce le nom d’un candidat au rachat jugé « plus réaliste et fiable », mais surtout plus offrant puisque Altarea Cogedim a aligné la somme de 18 millions d’euros.

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Une privatisation décriée En août 2021, avec quelques mois de retard et après un processus de décision resté confidentiel, l’état cède le domaine de Grignon à un promoteur privé, Altarea Cogedim, qui souhaite y construire des commerces et des logements. C’est la stupéfaction générale, d’autant plus que cette décision est rendue publique quelques jours seulement après la publication du dernier rapport du GIEC mettant en exergue la nécessité pour nos sociétés de réduire très fortement leurs émissions de gaz à effet de serre et de trouver par tous les moyens, des solutions de résilience et de sobriété. L’état semble resté sourd à l’appel de la société civile, des municipalités, des étudiants et anciens étudiants de sauvegarder ce patrimoine «bien commun» de l’humanité, et a préféré satisfaire des intérêts privés capables d’aligner des billets... Choquée par cette décision, et jouant sa dernière carte, Nadine Gohard, la maire de Thiverval-Grignon affirme : «Je suis maîtresse du PLU, et n’ai aucune intention de le changer. Sans modification du PLU, il est impossible de construire sur ce site». Mais les maires ne sont pas éternels, et cette déclaration laisse planer une ombre sur le futur du site, après un changement dans 10, 20, ou 30 ans, de l’équipe municipale.

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Une cession symptomatique d’un processus de déterritorialisation Ce n’est pas la première fois, ni la dernière malheureusement, que l’état brade des possessions de valeur, qu’elles soient des entreprises ou des domaines nationaux, au profit d’acteurs privés. Ces transactions ont la plupart du temps des conséquences néfastes sur la gestion des biens, et ne servent les intérêts que de quelques actionnaires. À travers l’abandon de Grignon, nous assistons à un abandon, de la part de l’état, de sa fonction de garant de l’intérêt général, de protecteur du bien commun. L’abandon de ce lieu nous conduit également à remarquer la déconnexion totale de nos décideurs, et de notre société avec nos lieux. Parmi les membres du jury ayant délibéré sur le projet de cession du domaine, combien ont effectivement mis les pieds à Grignon ? Alberto Magnaghi décrit ce processus de «déterritorialisation» dans son ouvrage Le Projet Local. Ce processus permis par les progrès technologiques et la mondialisation consiste en un affranchissement des liens avec le territoire en ce qui concerne le développement urbain. Désormais, nous pouvons implanter n’importe quelle activité n’importe où, à notre gré, sans prendre en compte la moindre contrainte territoriale. Ainsi sont construits des campus de recherche et d’enseignement sous forme de ZAC sur des hectares de terres fertiles franciliennes, ainsi sont démantelés des domaines nationaux pour vendre au privé des lotissements intergénérationnels et des commerces. Le site s’est substitué au lieu. L’habitant est un consommateur.

Les élus locaux, non consultés dans le cadre de la cession du domaine, se mobilisent lors de manifestations pour faire entendre la voix du territoire 71


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A Grignon, Dessiner le paysage de la résilience alimentaire Comment tirer parti de l’identité des lieux pour remettre le domaine de Grignon au service de son territoire et tracer le sillon d’une nouvelle école de la terre ?

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Comprendre et Valoriser l’identité du lieu Dans son livre Le Projet Local, Alberto Magnagghi pose les fondements théoriques d’un processus de «reterritorialisation» s’opposant à la perte du lien avec le lieu, perte génératrice de pauvretés écologiques et humaines. Reterritorialiser nécessite d’être à l’écoute de l’identité du lieu afin de la valoriser pleinement, de construire des sociétés locales actrices du territoire refusant le statut de résident, mais embrassant celui d’habitant, de mobiliser les énergies locales et de les utiliser de manière durable pour servir un développement local auto-soutenable. L’identité du domaine de Grignon est plurielle, elle est héritée des différentes couches d’histoires qui s’y sont déposées comme les strates sédimentaires constitutives de son sous-sol. Grignon est une ferme, l’agriculture qui y est pratiquée depuis la nuit des temps est le dénominateur commun de toutes ces strates. Grignon est également un domaine, une unité de territoire aux limites cohérentes, qui nous a offert par le passé un modèle d’autonomie et de résilience agricole et alimentaire. Grignon est une école, un centre d’enseignement, de recherche et d’innovation dans le domaine du vivant dont les découvertes ont essaimé sur tout le territoire, le pays, le monde. C’est la compréhension de cette identité qui doit primer pour dessiner le futur du site. Grignon : un Domaine Grignon est un domaine, c’est-à-dire une aire géographique cohérente, clairement délimitée par le mur qui l’entoure, comprenant un château, des bois, des bâtiments de fermes, des terres agricoles. Un domaine abrite de nombreux habitants, propriétaires ou travailleurs, qui y vivent dans une relative autarcie. En effet, toutes les énergies du domaine sont mobilisées et contribuent à faire sa valeur. Jusqu’au début du XXe siècle, c’est le cas de Grignon, dont les terres sont cultivées et produisent de la nourriture, les prairies sont pâturées, les forêts produisent du bois et sont des terrains de chasse. Le ru alimente une pièce d’eau où vivent des truites pour la pêche. L’énergie hydraulique est utilisée pour moudre le grain, et transformer le blé en farine. Les sources étaient captées pour fournir l’eau potable. Plusieurs petites carrières fournissaient les matériaux nécessaires à la construction. Un domaine est un lieu où l’on produit certes, mais également un lieu de loisir, un lieu où l’on pense, où l’on prie, où l’on apprend. En ce sens, Grignon rejoint le concept de «Monastère Laïque» d’Alberto Magnaghi. 74

Le domaine de Grignon, doit rester une unité cohérente, il ne doit pas être morcelé comme c’est envisagé dans le cadre d’une opération de promotion immobilière, pour satisfaire les intérêts d’une multinationale ou de petits propriétaires. Au contraire, il doit rester au service du bien commun et de l’intérêt général. Grignon : une ferme Grignon est une ferme. Ou plutôt deux fermes. Une ferme intérieure qui n’existe plus, mais dont on peut encore admirer les bâtiments aujourd’hui réaffectés, et une ferme extérieure, qui exploite des terres au sein et hors du domaine. Les terres de Grignon cultivées depuis toujours. A partir du XIXe siècle avec la création de l’Institution Royale Agronomique, l’agriculture y est érigée en art. Grignon doit garder une vocation agricole, car cette agriculture fait la valeur patrimoniale des lieux. Grignon doit rester une ferme, car c’est sur ces terres qu’ont germé des idées et des innovations qui ont su révolutionner l’agriculture. Grignon doit rester une ferme, car l’équivalent d’un département français est urbanisé tous les 7 ans. L’étalement urbain progresse à un rythme effréné, 3 fois plus vite que la population, ce qui affaiblit l’argument selon lequel cette urbanisation massive est nécessaire. Grignon : un Laboratoire-école Depuis près de deux siècles, Grignon est une école, un lieu d’enseignement, de recherche, d’expérimentation «in vivo» autour des sciences du vivant et de l’environnement. Grignon doit garder sa dimension expérimentale, car la connaissance générée sur ces terres est un capital précieux sur lequel se baser pour faire avancer la recherche. Mais cette recherche nécessite d’être redirigée pour relever le défi urgent que représente la crise environnementale actuelle, et la nécessaire transition écologique de notre système agricole et alimentaire. Grignon doit rester une école, à l’époque où l’état se désengage de l’enseignement agricole, laissé aux mains du privé, dont certaines initiatives ne montrent qu’un désir d’inculquer la nécessité technologique au monde agricole. Privé, qui investit de surcroit massivement dans les «start-up» de l’Agritech. Grignon doit rester une école, mais doit redevenir une école de la terre, car c’est la formation des paysans de demain qui dessine les contours de ce que seront notre agriculture, notre alimentation, mais également notre paysage.


Dessiner à Grignon le paysage de la résilience alimentaire L’agriculture de demain devra faire face au défi inédit de produire plus pour alimenter une population croissante, mais avec moins de moyens étant donné l’épuisement des ressources fossiles, l’érosion de la biodiversité, et l’appauvrissement des sols. Le changement climatique est un facteur de risque supplémentaire qui menace notre système alimentaire. En effet, ce dernier est intrinsèquement peu résilient, car dépendant de ressources qui s’épuisent, organisé en filières d’envergures nationales, voire internationales, induisant une spécialisation des territoires. Il est donc susceptible de s’effondrer en cas de crise, et cela menacerait la sécurité alimentaire des populations. Par ailleurs, ce système alimentaire participe à l’aggravation des phénomènes cités précédemment, rendant de plus en plus difficile d’imaginer une issue positive à cette crise. Pourtant, Grignon nous a donné par le passé l’exemple d’un fonctionnement relativement autonome, extrêmement résilient dans son organisation malgré l’absence de mécanisation et de hautes technologies, et des connaissances agronomiques bien moindres. Et si c’était à Grignon qu’il fallait chercher à inventer un modèle d’agriculture plus vertueux, résilient, générateur de richesses ? Et si Grignon pouvait conserver son rôle de moteur de l’évolution des territoires, et impulser un changement durable à l’échelle de la plaine de Versailles, voire plus loin ? C’est ce scénario qui est élaboré ici.

Visualisation théorique de la résilience alimentaire et de 4 de ses composantes. Source : Les Greniers d’Abondance, d’après Tendall et al. (2015)

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Prendre appui sur des projets de référence Les projets de référence concernant les fermes agroécologiques associant production et transformation agricole, formation et recherche au sein de bâtiments patrimoniaux ne sont pas la norme, néanmoins il en existe un nombre important. Pour une première approche, on pourra se baser sur la liste de projets recensés par Ferme d’Avenir, association œuvrant pour regrouper, faire connaître et défendre les intérêts des fermes qui relèvent les défis agricoles et alimentaires actuels. D’autres projets tels que la Ferme du Bec Hellouin ou encore la Bergerie de Villarceau font désormais référence dans le domaine des pratiques agroécologiques associées à des activités de recherche et de formation.

La Ferme du Bec Hellouin : «Guérir la Terre, Nourrir les Hommes» Cette micro-ferme d’environ 20 ha créée en 2004 par Perrine et Charles HERVE-GRUYER se trouve en Normandie dans le département de l’Eure. Ses fondateurs ont eu dès le début le désir d’y appliquer les principes de la permaculture et de l‘agroécologie. Ils y produisent des fruits et légumes en maraîchage biointensif, au sein d’un paysage comestible alliant arbres fruitiers, buttes permanentes et planches plates. Ils s’inspirent également des modes de production des paysans du XIXe siècle et n’utilisent pas ou très peu d’engrais et pesticides de synthèse, ni de motorisation ; au contraire ils imaginent les outils manuels de demain, à la juste dimension de l’espace cultivé, et remettent au gout du jour la traction animale. Enfin, ils accordent une très grande place à l’arbre au sein des espaces de production maraîchère, mais également des vergers, avec une très grande diversité d’espèces. Le succès de ce modèle, présentant une très grande rentabilité économique (production de 55€ de production agricole/m2/an contre 3€/m2/an au sein d’une exploitation maraichère conventionnelle) et respectant l’environnement, mais également la philosophie de ses fondateurs ont provoqué un véritable engouement pour cette micro-ferme et ont rapidement attiré l’attention des chercheurs, et des aspirants permaculteurs ce qui a permis une diversification des activités. Jusqu’à 2021 ont cohabité 3 activités au sein de la ferme : la production agricole de la ferme biologique ; la formation professionnelle au sein de l’Ecole de permaculture du Bec Hellouin, et la recherche à travers l’association Institut de la Ferme du Bec Hellouin, une unité de recherche en lien avec les activités de la ferme. Cette dernière activité prend un nouvel essor en 2021 avec la décision des fondateurs de se consacrer désormais exclusivement à la recherche.

De haut en bas et de gauche à droite : Vue aérienne de la ferme du Bec Hellouin / Production maraichère sur les «îles-jardins» / L’utilisation de la traction animale / Les participants à une session de formation . Source : www.fermedubec.com 76


La Bergerie de Villarceau : «un territoire en expérience» La Bergerie de Villarceau est un ancien domaine de plusieurs centaines d’hectares acquis dans les années 70 par la Fondation Charles Léopold Mayer pour le Progrès de l’Homme. Composée de deux châteaux, de terres agricoles et de forêts, ce domaine est tout d’abord géré de manière très conventionnelle, les aspects commerciaux étant prioritaires par rapport au respect de l’environnement. Dans les années 90 cette tendance s’inverse ; la gestion des châteaux et de leurs parcs est confiée à la région Ile-de-France avec une clause d’ouverture au public afin que tout visiteur puisse profiter de ce patrimoine. L’exploitation agricole connait une profonde mutation, avec un nouveau découpage du parcellaire, une diversification des cultures, la mise en place de rotations longues, la conversion à l’agriculture biologique, la plantation de plusieurs milliers d’arbres pour recréer des haies et des alignements intra parcellaires selon les principes de l’agroforesterie. Une exploitation maraîchère voit également le jour sur une ancienne friche.

Le cheptel ovin et bovin est diversifié et reconstitué, ce qui permet le rétablissement de prairies et la production in situ d’engrais organiques. Les produits trouvent des débouchés au sein d’une boutique et d’un restaurant au sein même de la ferme, un système de commercialisation en circuit court a été développé. La gestion forestière a été confiée à l’ONF, et la chasse est désormais réalisée selon un cahier des charges prenant en compte les enjeux écologiques. Au fur et à mesure, la bergerie a atteint un équilibre et les bons résultats obtenus dans le cadre de cette transition agroécologique ont entrainé une diversification des activités : accueil de différents publics allant des classes découvertes aux séminaires d’entreprises, hébergement, stages et formation, mais également recherche agronomique à travers la création du Centre d’Ecodéveloppement de Villarceau dont l’objectif est d’animer un pôle de réflexion et d’animation facilitant la transition des territoires ruraux.

Vue d’ensemble de la Bergerie de Villarceau Source : http://www.bergerie-villarceaux.org/

Il existe pléthore d’autres exemples d’exploitations agricoles ayant saisi à bras le corps la problématique environnementale et engagé une transition agroécologique de grande ampleur. Ces deux exemples nous montrent que de tels projets peuvent être viables sur la durée, et plus important, nous donnent de l’espoir quant aux évolutions possibles de notre système agroalimentaire. Ces deux projets et de nombreux autres, étant des initiatives privées, ils nous interpellent sur le rôle de l’état dans la création de tels centres de réflexion dédiés à la transition écologique dans l’agriculture, et renforcent le sentiment que le domaine de Grignon peut jouer un rôle clé dans la prise en compte de ces enjeux par la puissance publique. 77


Reconstituer une trame arborée Bien gérer la ressource en eau

Créer des porosités

Maintenir la limite

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Rechercher l’autonomie alimentaire Replacer l’agriculture au centre du domaine

Cultiver la diversité

Recréer une ferme intérieure

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Gérer correctement la ressource en eau Comme vu précédemment, le Ru de Gally qui irrigue le domaine de Grignon présente un cours très rectifié, surtout dans sa partie Est. Le lit est profondément curé. La qualité de l’eau est moyenne à médiocre, la végétation des berges est très eutrophisée. Trois ponts permettent de le franchir, et offrent des points de vue sur son eau, mais ils sont exclusivement situés dans la moitié Ouest du domaine. Seul un court tronçon du Ru est longé par un sentier. Ce cours d’eau est nié, ignoré, il est plus traité comme une frontière, un élément de délimitation, que comme une véritable ressource. Pourtant, la protection de la ressource en eau est un enjeu d’avenir pour l’agriculture dans un contexte de réchauffement climatique. Le Ru est la force naturelle à l’origine de la topographie de la plaine. Il doit retrouver son importance et reprendre sa place dans le paysage Grignonnais, et être traité comme une ressource précieuse et un élément de paysage à valoriser.

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Tronçon très rectifié à reméandrer

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Ondulations « naturelles» à retrouver


Lit Mineur Lit majeur Prairies inondables

Le ru reméandré dispose de la place nécessaire pour s’étendre, son tracé redevient courbe, ses bras s’étendent en volutes douces au gré de la topographie. Une végétation humide se développe, permettant l’accueil d’une faune spécifique. Des prairies permanentes pâturées par les bêtes servent d’espace tampon entre le cours d’eau et les cultures. L’eau s’écoule plus lentement, réduisant les risques d’inondation à l’aval. La ressource en eau, gérée plus durablement, est une sécurité pour l’agriculture en cas de sécheresse trop intense. 82


Pièce d’eau

Forêt Méandres et bras du Ru Cultures

Sentier le long de la ripisylve

Lit mineur Lit majeur 83

Prairies


Recréer une ferme intérieure Hebergement

Comme expliqué précédemment, la simplification des paysages agricoles est fortement liée à la diminution Receptions drastique de la population agricole au cours du siècle passé. Cette réduction de la main d’œuvre humaine s’est faite au profit de la machine, qui exige pour sa Vente rentabilité, d’exploiter des surfaces toujours plus vastes en monoculture. Expositions Impulser à Grignon la dynamique inverse, en recréant la ferme intérieure de Grignon, portée par un collectif d’acteurs engagés pour expérimenter de nouvelles manières de produire pourrait être à la base d’une mutation positive du domaine génératrice d’emploi. En effet au sein du domaine de Grignon, les bâtiments existants pourraient être requalifiés pour le stockage de machines agricoles ou de matériel divers, pour la transformation agroalimentaire, pour la vente directe, pour la restauration, pour l’hébergement des personnes et pour l’organisation d’événements et de réceptions. Cette ferme intérieure peut donc revêtir une dimension non pas uniquement productive, mais aussi expérimentale, événementielle, pédagogique et peut permettre le de générer et partager des connaissances autour de l’agriculture. Notons que les prairies situées à l’intérieur du domaine, qui représentent un puit de carbone, et des espaces de biodiversité intéressants pourront continuer à être pâturées par les bêtes de la ferme extérieure, dans l’optique de ne pas amputer cette dernière de ces terres indispensables et de favoriser la coopération entre fermes.

Restauration Ecuries

Production Transformation Stockage Recherche

N

300 m

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Transformer et commercialiser localement Les moulins, féculeries, distilleries, et autres unités de transformation qui ponctuaient autrefois le territoire se sont raréfiées. En un siècle, le nombre de moulins a été divisé par 100. Dans notre système alimentaire organisé en filières, quelques grandes entreprises possèdent des unités de transformation de très grande capacité s’approvisionnant sur de très longues distances et distribuant leurs produits sur tout le territoire voire à l’international, dans des grandes surfaces souvent inaccessibles sans voiture. Cette organisation très dépendante du pétrole pour le transport présente également le problème de multiplier les intermédiaires entre consommateur et producteur, ce dernier ne percevant pas la valeur ajoutée de la transformation pour la vente de ses produits. Relocaliser la transformation et la commercialisation permet une plus juste rémunération du producteur, et le raccourcissement de la distance entre producteur et consommateur. Les bénéfices sont nombreux, outre la réduction de l’empreinte carbone des produits, ces derniers sont souvent plus frais et de meilleure qualité, et surtout, ils expriment une identité locale, un terroir. Relocaliser la transformation permet également de conserver et développer des savoir-faire et des recettes, ainsi que de maintenir des emplois non délocalisables. Grignon comporte déjà une laiterie et un moulin au sein de la ferme extérieure. La ferme intérieure pourrait accueillir des activités de transformations telles qu’une conserverie pour transformer fruits et légumes ; un séchoir pour les noix, les noisettes, les tisanes ; une distillerie ou une brasserie pour la fabrication de bières... Ces installations demandent certes des investissements, cependant elles pourraient être mutualisées avec d’autres agriculteurs pour servir à tout le territoire et encourager une mutation positive de l’agriculture au sein de la plaine de Versailles. La Ferme «extérieure» de Grignon dispose déjà d’une laiterie et abrite un moulin et un fournil qui pourront être mutualisés. De plus, la boutique gourmande est déjà un espace identifié pour la vente de produits locaux.

La boutique de la ferme de Viltain dans les Yvelines, sur le plateau de Saclay, avec vue sur les vaches. 85

Moulin

Fournil

Céréales

Farine

Pain

Conserverie

Légumes

Conserves

Confiserie

Fruits

Confitures Malterie

Orge

Brasserie

Malt

Bière

Laiterie

Lait

Yaourts


Retrouver une souveraineté technologique dans les fermes À ses débuts, l’institution royale agronomique comporte un atelier de fabrication d’outils agricoles très dynamique, qui emploie plusieurs dizaines d’ouvriers, et développe des innovations techniques pour faciliter le travail des agriculteurs. Ces inventions rencontrent de grands succès, sont souvent primées, elles sont progressivement diffusées dans toute la France. Il s’agit d’inventions non motorisées, elles dépendent de la traction animale ou humaine. Le machinisme agricole a été abandonné à Grignon. Aujourd’hui, il y a en France plus de tracteurs que d’agriculteurs, et l’usage de ces machines a largement contribué à l’uniformisation des territoires. Plus aucun fabricant français ne produit ces outils motorisés hautement technologiques, dont la fabrication et la réparation dépendent d’immenses réseaux de fournisseurs et de sous-traitants en Europe et dans le monde. Les technologies de pointe employées dans la construction rendent extrêmement compliquée la réparation des engins par les agriculteurs, ainsi, on observe une diminution de l’autonomie technique et énergétique des fermes. Aujourd’hui, il est impossible de façonner de nouveaux paysages agricoles complexes sans anticiper les besoins de circulation des engins. Le rétablissement à Grignon d’un atelier de conception/ fabrication/réparation d’engins agricoles plus petits, plus légers, plus sobres, plus facilement réparables pourrait contribuer à diffuser ces solutions dans le territoire et être une solution pour refractionner les parcelles agricoles, réimplanter des haies, recomplexifier les paysages. Elle pourrait également remettre entre les mains des agriculteurs la maîtrise technique de leurs outils, et favoriser l’indépendance énergétique des fermes. L’Atelier Paysan est une coopérative d’autoconstruction promouvant la réappropriation de savoirs techniques et technologique par les producteurs pour une plus grande autonomie des fermes

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Outil de lutte mécanique contre les doryphores

Houe maraîchère permettant le desherbage

Semoir manuel


Boucler les cycles des nutriments Les nutriments de bases de toute plante sont l’Azote (N) le Phosphore (P) et le Potassium (K). Ces nutriments étaient autrefois apportés par les excréments des animaux, qui avaient un rôle extrêmement important dans les fermes, pour le travail, pour la production de lait, viande et œufs, et également pour la fertilisation des cultures. L’essor des engrais minéraux a relégué l’animal à l’arrière-plan ; ce dernier perdant son rôle de travailleur des champs et de fournisseur d’engrais, il devient un produit qu’on élève en masse et qu’on abbat lorsqu’il n’est plus assez performant ou qu’il a atteint son poids optimal. La généralisation de l’usage de ces engrais chimiques associé à une mauvaise gestion des apports a conduit à des problèmes d’eutrophisation des cours d’eau néfastes pour la biodiversité.

Des synergies très positives existent donc entre élevage et agriculture ! À Grignon, où certaines surfaces de culture sont en agriculture biologique, le fumier est déjà valorisé. Néanmoins, on peut aller beaucoup plus loin dans le bouclage des cycles de ces nutriments ; le compostage des déchets organiques doit être généralisé, et d’autres sources de nutriments, d’origine humaine, peuvent être valorisés dans l’agriculture. C’est le cas entre autres de l’urine, qui ne nécessite presqu’aucune transformation pour être valorisée aux champs, et dont nous produisons chaque jour plusieurs litres...

Animaux

Urines Fumiers

Déchets organiques

Humains

Fertilisants Nourriture

Croissance végétale

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Une recherche d’autonomie Comme vu précédemment, notre système alimentaire mondialisé a engendré une spécialisation des régions et des exploitations. Autrefois généralisée, l’autoconsommation s’est perdue, ce qui signifie que 9 agriculteurs sur 10 ne peuvent plus se nourrir de leur travail, car ils sont spécialisés dans un seul grand type de production destinée à l’exportation. La recherche de l’autonomie à toutes les échelles doit guider la conception d’un nouveau paysage agricole à Grignon, pour redonner à cette agriculture un rôle nourricier, et rapprocher les habitants des terres qui produisent leur alimentation. Les 125 ha de terres agricoles du domaine peuvent subvenir à l’alimentation 100 % bio, de près de 160 personnes. Ce chiffre passe à 370 si ces habitants réduisent de 50 % leur consommation de produits d’origine animale, en adaptant leur régime. En effet, l’élevage, bien que vertueux car générateur de synergies intéressantes avec l’agriculture, est très consommateur d’espace. 370, c’est le nombre de personnes pouvant habiter à Grignon dans les bâtiments existants. Ainsi, de nombreuses conditions sont réunies au sein du domaine pour favoriser la mise en place d’une agriculture nourricière. Cette recherche d’autonomie peut s’étendre à l’eau, à l’énergie, mais également à la production de semences et plus généralement à tous les intrants du système agricole. Ainsi, le maintien d’une activité d’élevage permet, par l’utilisation du fumier sur les parcelles, de recycler les nutriments. Une partie de l’énergie peut provenir de la forêt, ou d’une unité de méthanisation comme c’est déjà le cas dans la ferme extérieure. Enfin, bien que la plupart des surfaces agricoles ne soient pas irriguées, certaines productions nécessitent une irrigation. Cette dernière peut être réalisée ponctuellement, de manière raisonnée, avec les eaux du ru de Gally, ou bien grâce au recyclage des eaux grises utilisées par les habitants.

Agriculture 100% Bio Régime alimentaire actuel 160 personnes nourries !

Agriculture 100% Bio -50% de viande 370 personnes nourries !

Répartition des 125 ha de terres agricoles par type de production, selon deux scénarii d’alimentation locale pour Grignon. Graphiques élaborés grâce à l’outil PARCEL : https://parcel-app.org 88


Parcellaire 2021

Parcellaire Projeté

Prairies

Verger

Pré-verger

Potager

Plantes sarclées

Tournesol

Protéagineux

Colza

Lentilles

Maïs

Soja

Autres céréales (orge, seigle avoine) Blé

Haricots secs Pois

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Fourrage

Le parcellaire agricole est complexifié, la tailles des parcelles est réduite, et leur nombre augmente, permettant une plus grande diversification des cultures. Ces parcelles à taille humaine peuvent être travaillées à l’aide de machines de moindre envergure.


Vers une écologie de la parcelle cultivée Le paysage très simplifié de la plaine de Versailles et ses immenses étendues de monoculture est symptomatique d’une perte de la valeur écologique de l’agriculture. Pourtant, en France, les terres agricoles représentent plus de 50 % du territoire métropolitain. L’agriculture est donc un levier de choix pour accueillir la biodiversité et réguler le vivant. La sonnette d’alarme est tirée depuis plusieurs années, cependant, notre système agroalimentaire mondialisé présente une telle inertie que les dynamiques à l’œuvre dans l’érosion de la biodiversité sont toujours en train de s’intensifier. Cette perte de valeur écologique est accompagnée d’une perte de valeur esthétique : le regard traîne sur la plaine, uniforme et jaune, où aucun élément saillant ne vient accrocher l’œil. Par ailleurs, ce paysage de «vide» n’exprime aucune identité territoriale, impossible de savoir si l’on se trouve en Champagne, en Creuse, ou dans les grandes plaines des États-Unis. S’il est bien un rôle que Grignon doit jouer en tant que moteur d’évolution d’un territoire, c’est celui de favoriser l’émergence d’une écologie de la parcelle cultivée. Le mot d’ordre est simple : diversifier massivement et à toutes les échelles afin de retrouver une complexité de paysages bénéfique pour la biodiversité, et pour maintenir la productivité sur le long terme.

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Diversifier les espèces et les variétés La biodiversité sauvage peut être favorisée en créant des infrastructures agroécologiques et en réduisant l’usage de la chimie. Mais la biodiversité cultivée peut aussi être améliorée en augmentant le nombre de variétés produites, en favorisant les «populations» de semences anciennes plutôt que les semences «clones» génétiquement semblables. Diversifier les structures paysagères Bandes enherbées, prairies permanentes, haies, bosquets, arbres isolés, trognes, murets de pierre, jachères fleuries... Ces éléments «fixes» et «nonproductifs» du paysage peuvent constituer le maillage régulateur de la biodiversité au sein des espaces agricoles. Ils rendent de plus des services à l’agriculteur en hébergeant des insectes auxiliaires de culture, en protégeant les sols de l’érosion, en offrant ombre et fraîcheur aux animaux d’élevage. Diversifier les pratiques agricoles Par son action sur la terre, l’agriculteur est un élément de l’écosystème qui va grandement influencer les dynamiques naturelles à l’œuvre. Diversifier les pratiques, c’est diversifier les équilibres en place et ainsi créer une mosaïque de micro-écosystèmes qui augmente la complexité et la richesse de l’ensemble.

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Multiplier les associations Associer plusieurs cultures sur une même parcelle, en plus d’augmenter la biodiversité cultivée, peut être intéressant d’un point de vue agronomique. Ainsi, en grande culture, associer une céréale et une légumineuse permet d’améliorer la nutrition en azote de la céréale. La culture de la lentille associée à la caméline est également intéressante, la caméline servant de support pour la croissance de la lentille, ce qui facilite la récolte. L’agroforesterie consiste en l’association d’une culture de céréales avec des alignements d’arbres, ce qui permet une meilleure résistance à la sécheresse et un meilleur stockage de la matière organique dans le sol, tout en multipliant les productions. Un dernier exemple, celui du pré-verger, permet d’associer la production fruitière à la prairie pâturée : les animaux profitent de l’ombre et des fruits tombés au sol, les arbres bénéficient des apports en nutriments provenant des excréments animaux. Ces pratiques connues depuis longtemps restent cependant trop anecdotiques et de nombreux progrès scientifiques et techniques sont nécessaires pour faciliter leur adoption à grande échelle.

Etoile de Choisy

Touzelle anone

Bladette de Besplas

Ile-de-France

Blé de l’Yveline

Odessa sans barbe

Epi d’Or

Pays du Gâtinais

Rouge Saint-Laud

Concorde

Chiddam d’automne à épi blanc

Variétés paysannes de blé tendre conservées par l’INRAE. Ces variétés sont génétiquement diversifiées, rustiques, adaptées au terroir, et peuvent se resemer.


Reconstituer une trame arborée Une trame arborée et arbustive est reconstituée. Elle se développe depuis le ru et la forêt, s’insinue entre les parcelles agricoles dont elle vient constituer l’armature. Elle ponctue les champs de blé en agroforesterie, et les pré-vergers. Cette interpénétration entre agriculture et forêt est source de bénéfices mutuels pour ces deux mondes qui se rencontrent. Les haies abritent les auxiliaires de culture nécessaires à la pollinisation, et à la lutte contre les ravageurs. Les racines des arbres filtrent les nitrates, stockent du carbone dans le sol et améliore l’accès à l’eau pour les cultures. Les fruits tombés au sol viennent nourrir les animaux, dont les déjections apportent les nutriments aux arbres.

Les arbres produisent du bois, des noix, des fruits, mais également une ombre propice aux animaux et aux plantes dont elle limite l’évapotranspiration. La longueur du linéaire de lisière est démultipliée, ces écotones constituant une transition entre espaces ouverts et espaces fermés présentent une grande richesse faunistique et floristique.

Prairie Bande enherbée Bosquet Arbre isolé Alignements Haie basse Agroforesterie

Pré-verger Haie haute

Production de Productions de bois et de noix fruits population de variétés de blé anciennes

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Jardin anglais Haie champêtre

Ripisylve

Haie double

Alignements Haie arbustive Pré verger

Haie comestible Agroforesterie

Massif forestier Arboretum Alignement fruitier

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Arbre isolé


Plantes à baies favorables à l’avifaune Refuge pour les auxiliaires de culture

Amélioration des ressources mellifères

Amélioration des continuités écologiques pour la faune

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Stabilisation des sols


Pommier sauvage

Haie haute

Erable champêtre Merisier

Aubépine monogyne Prunelier Cormier

Alignements

Tilleul argenté Platane

Erable plane

Viorne aubier

Haie basse

Bourdaine Fusain d’europe

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Cornouiller mâle Nerprun purgatif


Haie

Alisiers + céréales

Noyers + céréales

AgroForesterie

Arbres fruitiers + prairie

Pré-verger

Le pommier de Grignon est une variété locale de pommier de forme naine. Les fruits sont rouges, très gros à chaire tendre, juteux, bien sucrés et parfumés. 96


Noyer

Céréales

Alisier

Céréales

Production de bois ou de fruits Productions végétales

Productions animales

Habitat pour les auxiliaires de culture

Protection climatique Limitation de l’évapotranspiration

Lutte contre l’érosion, meilleure disponibilité de l’eau

Ombrage, bien être animal Nourriture (fruits)

Stockage de carbone Filtration des nitrates, lutte contre la pollution des nappes

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Amélioration de la vie du sol, fertilité


Maintenir la limite, créer des porosités Si le domaine de Grignon doit rester une entité cohérente ce qui implique de maintenir la limite fixée par le mur d’enceinte, il semble également crucial de créer des porosités dans cette limite. Les enjeux sont multiples. Tout d’abord permettre de reconnecter les deux bourgs de Thiverval et Grignon à travers le parc, un souhait clairement manifesté par la maire de la commune. L’ouverture du domaine au public permettrait de rendre aux ThivervaloGrignonnais l’accès à près d’un tiers de la superficie de la commune dont ils sont exclus depuis que la tempête de 1999 a couché des centaines d’arbres, et conduit à la fermeture du domaine «le temps d’une mise en sécurité...» L’accueil du public sur le domaine de Grignon permettrait également de faire bénéficier les habitants de la plaine de ces paysages ruraux préservés, et de l’accès à la forêt, milieu rare dans la plaine de Versailles. Mais surtout, l’accueil de public au sein du domaine permettrait de créer une émulation autour des transformations agricoles projetées, de donner à ce projet une fonction supplémentaire : celle de démontrer, d’inspirer, d’éduquer, de sensibiliser. Le domaine de Grignon doit devenir un lieu-destination, que les habitants de la plaine peuvent se réapproprier; un élément du territoire dont on est fier en tant qu’habitant. L’accueil de public au sein du domaine est enfin une opportunité pour diversifier les sources de revenus liées à l’agriculture, et pour valoriser ces produits au sein d’une unité de restauration.

Créer des échappées vers la plaine agricole, le long des chemins ruraux

Rouvrir l’accès vers Chantepie et vers l’amont du Ru

Rouvrir l’accès vers Thiverval

Entrée principale

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Rouvrir l’accès vers Folleville


Accès au parc depuis Thiverval. Cet accès était ouvert jusqu’à la tempête de 99. Il est resté fermé depuis. La réouverture est nécessaire pour reconnecter les deux bourgs.

Accès au parc depuis Folleville. La réouverture de cet accès mériterait de créer un passage piéton sécurisé.

Accès aux parcelles situées au nord de Grignon, depuis la Côte aux buis et la Défonce. Les sentiers forestiers rejoignent les chemins ruraux à travers champs, jusqu’à Davron. 99


V

AXE THIVERVAL - GRIGN

VERS BEYNES

Accès à rétablir Axe majeur Routes et chemins 100


VERS DAVRON A TRAVERS CHAMPS

NON VERS CHAMPIE

VERS FOLLEVILLE

VERS PLAISIR, VERSAILLES VERS PARIS 101


Replacer l’agriculture au centre du domaine Le potager est l’espace cultivé qui demande le plus d’investissement humain par unité de surface. C’est aussi l’entité agricole qui permet de rassembler, de partager, de sensibiliser, d’éduquer. Par rapport à un champ de céréales, le potager comporte de très nombreuses espèces et productions, qu’elles soient racines, tiges, feuilles, fleurs ou fruits. Le potager est également un espace d’agriculture «architecturée», son organisation et sa forme sont travaillées pour répondre à des problématiques pratiques des jardiniers, pour optimiser les synergies entre les différentes plantes, mais également à des enjeux esthétiques. Le potager se veut beau, il invite le visiteur à observer, à toucher, à sentir, à goûter. Le potager doit retrouver la place qu’il occupait autrefois au cœur du domaine de Grignon, en son centre névralgique. Il doit être le lieu où l’on se rassemble, un lieu qui met en valeur la beauté des bâtiments, et qui nourrit ses habitants.

Replacer l’agriculture au centre du domaine peut aussi signifier de la mettre en scène sur les espaces de «prestige» du domaine, là où on ne l’attend pas forcément, mais où elle peut contribuer à affirmer l’identité du lieu. Placer des champs de céréales face au château peut contribuer à montrer la diversité de ces dernières, en mettant à l’honneur les épis oubliés, les semences paysannes anciennes et rustiques qui appartiennent au terroir francilien. On assisterait alors devant le château à un paysage qui vivant, changeant au rythme des saisons, du semis à la moisson.

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Sortir des murs A partir des lecons de Grignon, expérimenter la résilience alimentaire à l’échelle du territoire.

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Changer d’échelle Ce travail effectué à l’échelle d’un domaine de 300 ha ne peut pas seul constituer une réponse à l’enjeu actuel de la résilience alimentaire, qui lui, est global. Un changement d’échelle est nécessaire pour adresser de manière plus efficace cette problématique par exemple à travers un projet alimentaire territorial, à l’échelle de toute la plaine de Versailles voire des unités de paysage adjacentes.

Création de circuits de promenades pour découvrir l’agriculture du territoire

Cependant, il importe de signaler qu’étant donné le caractère densément urbanisé et peuplé de notre territoire, il serait illusoire de vouloir nourrir tous ses habitants, même en admettant une diminution importante de la consommation de viande, et en conservant des pratiques agricoles conventionnelles à haut rendement. Pour autant, la recherche d’un modèle agricole et alimentaire plus résilient reste un objectif pertinent. En effet, l’enjeu à terme est de rapprocher les producteurs des consommateurs, de diversifier les productions pour correspondre aux véritables besoins alimentaires de la population, mais également de recréer un paysage agricole propice au maintien d’une biodiversité source de services à travers la généralisation de pratiques agroécologiques. Il est de souligner la multifonctionnalité des espaces agricoles, certes producteurs de nourriture, mais également fabricateurs de paysage, et fournisseurs de services culturels et pédagogiques à travers lesquels l’habitant crée du lien avec son territoire. Une telle mutation ne peut se faire en un claquement de doigt ; un engagement de très nombreux acteurs est nécessaire, tels que les agriculteurs, consommateurs, coopératives, associations, acteurs de la transformation et de la distribution, et enfin les acteurs politiques. La figure ci-contre présente des pistes explorées pour dessiner au sein de la plaine de Versailles un paysage agricole plus résilient. Le développement de ces pistes, et l’étude de leur mise en application à plus petite échelle dépasse le cadre de ce projet de fin d’étude. Cependant, ce sujet passionnant mériterait amplement d’y passer un temps conséquent et d’impliquer les acteurs du territoire dans son étude, voire jusqu’à une mise en application concrète.

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Renforcement de la trame arborée pour accueillir la biodiversité


Transformation locale Un assolement déterminé par la pédologie

Réintroduction d’espèces cultivées anciennes et patrimoniales

Débouchés locaux

Diversification des cultures répondant aux besoins du territore

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Le domaine de Grignon représente près de 300 hectares de bois, de champs et de prairies. Il est situé dans la plaine de Versailles, dont il semble être une reconstitution miniature. Son agencement obéit aux mêmes principes d’organisation. Il s’étend sur les deux versants du val du Ru de Gally, l’un exposé au Nord, l’autre au Sud, plus raide. Les coteaux en pente sont boisés et ponctués de sources, les plateaux aux sols épais sont cultivés, les fonds de vallée humides sont occupés par des prairies. Cependant, le domaine apparaît aussi comme une exception au sein de la plaine. Tout d’abord par l’importance des surfaces boisées, qui dénotent au sein du vaste openfield de cultures industrielles qu’est la plaine de Versailles. Ensuite par la présence sur le domaine d’une activité d’élevage, qui a justifié la conservation de prairies pâturées par des ovins et des bovins. Depuis sa création au XVIIe siècle, l’histoire du domaine est intimement liée à l’histoire de l’agriculture française. Les terres de Grignon, cultivées depuis des siècles, ont en effet connu bien des révolutions, qu’elles soient politiques, sociales ou bien scientifiques et technologiques. Après avoir appartenu à des nobles et à des puissants, le domaine est acquis en 1826 par Charles X, qui y crée l’Institution Royale Agronomique pour enseigner les «bonnes méthodes agricoles».

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À partir de cette date, comme tout établissement d’enseignement supérieur, Grignon a été le moteur et le reflet des transformations du monde agricole. En moins d’un siècle, le paysage agricole s’est vu profondément transformé, et cela s’est particulièrement observé dans la plaine de Versailles. Les rendements agricoles ont explosé grâce aux engrais minéraux, à la motorisation, à l’usage de la chimie pour lutter contre les ravageurs, contribuant à la richesse du pays. Revers de la médaille : les dégâts sociaux et environnementaux se sont multipliés : diminution drastique de la population agricole et remplacement par la machine, érosion des sols et de la biodiversité, pollution de l’eau, homogénéisation des paysages, perte de savoir-faire et d’autonomie pour les fermiers, dépendance au pétrole... Fait inédit : l’agriculture de demain devra produire encore plus de nourriture, pour subvenir aux besoins d’une population croissante, mais avec moins de moyens à sa disposition. Il est donc urgent de prendre des mesures pour relever le défi de la transition écologique et garantir la sécurité alimentaire des générations à venir.


Conclusion Ironie du sort, le domaine de Grignon a été cédé au mois d’août 2021 à un promoteur immobilier pour la construction de commerces et de logements. Cette vente intervient dans un contexte de déménagement de l’école d’ingénieurs AgroParisTech sur le plateau de Saclay. Face à cette décision, les élus locaux, acteurs du territoire, étudiants, alumnis, enseignants et chercheurs se mobilisent. Pour eux, le domaine de Grignon est une pépite, une terre restée précieuse au cœur d’une plaine devenue relativement stérile, un lieu chargé d’histoire un patrimoine architectural, naturel et agricole. Il n’est pas question de laisser ce bien commun se faire démanteler et bétonner pour satisfaire des intérêts privés. Cette polémique m’a interpelée. Que faire d’un tel patrimoine quand l’état l’abandonne ? A-t-il encore une raison d’être, une utilité ? Et qui doit décider de son devenir ? Mon travail d’analyse effectué sur plusieurs mois me pousse aujourd’hui à écrire que Grignon doit conserver son identité de domaine, de ferme, de laboratoire et d’école. Il doit reprendre son rôle de moteur d’évolution de l’agriculture. Cependant, il doit se mettre au service des enjeux de ce siècle, et essayer d’impulser un changement durable, par son rayonnement dans la plaine de Versailles, et bien plus loin encore.

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Le projet de paysage exposé ici a pour ambition d’appliquer au domaine de Grignon les principes d’un paysage agricole plus résilient, plus favorable à la biodiversité, innovant dans son fonctionnement et vertueux pour le territoire. Il ne s’agit pas d’une réponse unique et définitive, mais d’un ensemble de pistes à creuser pour remettre ce lieu au service de l’agriculture de demain. Les porteurs de projet existent, et bénéficient du soutien des élus locaux qui perçoivent le potentiel de ce lieu pour leur territoire. Reste à savoir si l’état restera sourd à cet appel ou si au contraire, il acceptera de faire machine arrière et de donner une chance à Grignon de rester ce patrimoine vivant, socle solide pour imaginer l’avenir.


Articles

Ouvrages

Pavillon de l’Arsenal, Dossier de Presse CAPITAL AGRICOLE, chantiers pour une ville cultivée, Paris, 2018

Alberto Magnaghi, Le projet local, ed. Architecture + Recherches / Mardaga, 2000, 116p.

Maurice Desriers, L’agriculture française depuis cinquante ans : des petites exploitations familiales aux droits à paiement unique, L’agriculture, nouveaux défis, ed. 2007 Christine Aubry, Yuna Chiffoleau. Le développement des circuits courts et l’agriculture péri-urbaine : histoire, évolution en cours et questions actuelles. Innovations Agronomiques, INRAE, 2009, 5, pp.53-67 Jean-Claude Flamant, Une brève histoire des transformations de l’agriculture au 20è siècle, Mission Agrobiosciences , NOVEMBRE 2010 Didier Rykner, Grignon : comment l’État abandonne un

domaine national, La Tribune de l’Art, samedi 6 mars 2021 Afac Agroforesterie, Référentiel National sur la typologie des haies, modalités pour une gestion durable, décembre 2019 AgroParisTech Nancy, Agence de Versailles de l’Office national des forêts, Projet de révision d’aménagement forestier du parc de Grignon, 2008. Didier MERLE, Elise AUBERGER, Jean-Pierre GÉLY, Grignon (Lutétien, bassin de Paris) : “Terre sainte

de la Science” paléontologique. Défendons la !, Fossiles n° 17, 2016 Joël Michelin, La géomorphologie de la Plaine de Versailles, AgroParisTech, 2020 FABRIQUES Architectures Paysages, Etude sur les lisières agri-urbaines, préconisations pour l’intégration des bâtiments agricoles, APPVPA, 2019 Orianne CORMIER, Diagnostic agricole de la plaine et des plateaux de Versailles, Association Patrimoniale de la Plaine de Versailles et du Plateau des Alluets et AgroParisTech, septembre 2018

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RISCH Léon, BRETIGNIERE Lucien, GUICHERD J., JOUVET F. Grignon, le château & l’Ecole. Editions de la Bonne idée, 1926. DOLIGE René (coordination), JOLY Philippe (illustration), RENAUD Jean (conception). Grignon, de l’Institution royale… à l’INA P-G, deux siècles d’agronomie. Editagro, 1995. Les Greniers d’Abondance, Vers la résilience alimentaire, faire face aux menaces globales à l’échelle des territoires, Yves Michel Eds, 2020, 180p. Emile Guillaumin, La vie d’un simple, ed. Stock, Paris, 1943

Podcasts

Edouard Sory, Olivier Duchene, La Charrue avant les boeufs, Episodes 0 à 4, ISARA LYON, 2020 - 2021, 6h 20 min Grignon 2000, Graine d’Agros, Episodes 1 à 5, avril à juillet 2021, 83 min

Films

Fabien Béziat et Agnès Poirier – Écrit en collaboration avec Hugues Nancy, Nous Paysans, [Film documentaire], Production Program 33, 2021, 90min


Bibliographie Sites internet

Grignon 2000, Le projet Grignon 2026, https://www. grignon2026.fr/le-projet-grignon-2026-2/ Michel Cartereau, Association de l’Arbre de Fer à Grignon, Protection de l’environnement naturel à AgroParisTech sur le domaine de Grignon, https://www. arbredefer.fr/ Club Géologique Ile de France, Le domaine de Grignon, http://clubgeologiqueidf.fr/accueil/paleontologie/ grignon/le-domaine-de-grignon/ Agence B. Folléa - C. Gautier paysagistes urbanistes, La plaine de Versailles, Atlas du paysage des Yvelines, https://www.atlas-paysages-yvelines.fr/spip. php?article48, 2014 Mairie de Thiverval-Grignon, Découvrir ThivervalGrignon, https://thiverval-grignon.com/

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