Beyrouth-L'image d'un Mythe

Page 1

L’IMage d’un Mythe BEYROUTh



À Andrée et Carmen, pour qui le mythe de Beyrouth a une réalité, entre la délicatesse des roses et la douceur d’un café Najjar


L’image d’un mythe, Beyrouth

Ce travail n’aurait pas pu voir le jour sans l’aide de nombreuses personnes. En premier lieu, mes remerciements s’adressent à Monique Toublanc qui a cru en ce sujet et m’a toujours encouragée en ne cessant de me conseiller. Je tiens également à remercier tout particulièrement Martin De La Soudière qui a accepté de co-encadrer ce travail et dont les remarques et l’enthousiasme m’ont été plus que nécessaires. Les discussions que nous avons eues ont sans cesse remis en question ma manière de travailler, dans un élan, je le crois, positif. Un très grand merci. Nous avons la chance d’être dans une école interdisciplinaire, et je remercie les enseignants d’arts plastiques, en particulier Marcelline Delbecq et Olivier Marty pour leur ouverture d’esprit, leurs relectures et leurs conseils qui m’ont permis, je l’espère, de donner une autre profondeur à ce travail. Un merci particulier à Tania qui m’a accompagnée dans mes démarches beyrouthines, ainsi qu’ à Aline Raad qui m’a soutenue depuis Beyrouth. Ces deux personnes ont donné une réalité humaine à ce travail, et ont fait exister Beyrouth avec moi, à Paris. Merci à Nina qui m’a donné la chance de l’interviewer, et qui s’est prêté au jeu avec beaucoup de patience. Merci à Priscilla, sans qui, une partie de ce mémoire n’aurait même pas été envisagée. Je remercie également, au sein de l’école, tous ceux avec qui j’ai pu échanger autour de ce sujet et qui ont eu une oreille attentive et un répondant constructif, en particulier Magali, Lina, Anthony, Florine, Marianne, Camille, Constant et Ivanne. Les autres se reconnaîtront aussi, je pense ! Pour leurs conseils photographiques, et l’intérêt qu’elles ont portées à ce sujet, un grand merci à Louise et Marie. Pour leurs relectures si justes, si sensibles et si peu conventionnelles, merci à Laurianne, Marinette, Sonja et Aurélie. Je n’oublie pas Alice, qui du bout de son île, a toujours gardé un oeil interrogateur sur Beyrouth, stimulant ce travail. Un grand merci à Emmanuel, mon frère, qui a toujours su m’orienter pendant mes doutes. Merci à mon père pour ses si nombreuses relectures et observations toujours pertinentes, merci à ma mère pour les débats que nous avons eus et qui ont enrichi ce travail. Un énorme remerciement mention spéciale à Lilou qui a relu, corrigé, remis en cause, l’intégralité de ce mémoire et qui m’a fait des suggestions d’une justesse rare. Last but not least, je tiens à remercier Jasmine, qui, sans forcément le savoir me souffle l’idée de ce mémoire depuis deux ans. Ce travail est, somme toute, l’aboutissement de mes interrogations en paysage. Merci, de m’avoir permis de le mettre au jour grâce à nos si nombreuses discussions sur le paysage, l’art, la mémoire et le reste. Merci est alors un bien petit mot.

4


Table et remerciements

Préface

6

Son passé, son universalité, son mythe

11

De l’Orient à l’orientalisme 13 L’âge d’or (1923-1975) 23 Un mythe contemporain 45 La guerre pour mémoire 57 Le prix de l’amnésie 59 Photographie : la survivance 71 M. le Miroir 95

Annexes 109 Bibliographie 110 Chronologie 112 Glossaire 116

5


L’image d’un mythe, Beyrouth

Beyrouth, au même titre que d’autres villes du monde telles que New-York, Istanbul, Odessa ou encore Samarkand, est un lieu qu’on peut qualifier de ville-mythe. Une ville-mythe serait une ville non plus définie par ce qui lui est intrinséquement constitutif d’un point de vue objectif, mais par des caractères subjectifs qui supplantent une vision première, détachée d’un lot d’affects. Dans son ouvrage Mythologies, Roland Barthes, critique littéraire et essayiste français du XXème siècle, définit le mythe en ces termes : «Le mythe est un système de communication, c’est un message». Il explique la construction d’un mythe du point de vue sémiologique, en démontrant que le mythe est une réinterprétation du lien qui unit le signifiant, le signifié et le signe. Afin de comprendre cette réinterprétation, prenons l’exemple d’un bouquet de roses offert à l’être aimé. Le signifiant est ici le bouquet de roses en tant qu’objet, le signifié est l’idée de passion qu’induit ce bouquet, et le signe est le bouquet de roses passionées. Cependant, dans la création d’un mythe, le signifiant n’est plus l’objet neutre auquel viennent se surajouter le signfié et le signe. Le signifiant est déjà chargé d’Histoire, mais d’une Histoire dont on ne retient qu’une forme appauvrie, vidée de l’essence de son sens. L’espace alors vacant demande une nouvelle signification qui l’emplisse, c’est là que le concept mythique se loge. Si, en l’occurence, le signifiant est la ville de Beyrouth en tant que capitale du Liban de deux millions de personnes, son concept mythique est bien plus large et charrie une somme d’idées a priori sur cette ville. Comment le mythe de Beyrouth s’est crée et de quoi se nourritil ? En quoi ces questions sont propres à la ville de Beyrouth et non aux autres villes-mythes que nous avons identifiées ? Les villes-mythes sont ainsi des villes dont chacun détient une représentation spécifique, construite à travers des images et ce, sans nécessairement s’y être rendu en personne. Ces images, transmises par des représentations d’ordres journalistiques, artistiques ou autres véhiculent un lot de références erronées ou non, constitutives d’un imaginaire collectif autour de ces villes. S’il semble facile d’identifier le mythe -développé en grande partie au XIXème siècle- d’une ville comme 6


Préface

New-York, par exemple, en tant que ville du progrès et de la réussite personnelle ; ou celui d’Istanbul en tant que ville au croisement du monde occidental et oriental, port puissant et raffiné, le mythe auquel répond Beyrouth semble plus délicat à saisir. En effet, les villes que nous évoquions font appel à des mythes forts car elles présentent une identité cohérente et solide, éprouvée au contact de l’Histoire, et il ne s’agit - finalement- presque que de sublimer celle-ci pour faire naître un mythe fondateur et pérenne. À l’inverse, Beyrouth n’apparaît pas appartenir à une entité historique ou urbaine cohérente, et ce manque d’unité ne permet pas de créer une image unificatrice. En effet, si Olivier Mongin dans La condition urbaine. La ville à l’heure de la mondialisation, définit l’essence de la ville classique comme un palimpseste, en ce sens qu’elle garde les traces des différentes époques qu’elle a traversées, il nous a semblé que cette définition peut difficilement s’appliquer à la capitale libanaise. Beyrouth apparaît en effet davantage comme le fruit de volontés contradictoires que d’un élan commun continu. En résulte une forme incohérente et hétérogène, où l’agencement incertain de ses formes urbaines, se chevauchant sans grande continuité, suit une logique difficile à déceler. Il apparaît ainsi que Beyrouth réponde mieux à l’appellation de ville-mosaïque, l’idée de palimpseste n’y étant pas détectable dans la mesure où les couches de la ville ne se superposent pas mais s’imposent les unes aux autres. Beyrouth n’étant donc pas un palimpseste limpide suivant une cohérence logique ou chronologique, son mythe en est d’autant plus difficile à appréhender. Il devient alors ardu de comprendre à partir de quel type d’objets et de visions il s’est construit. Ainsi, le corps de ce travail sera un décryptage des images participant de ce mythe, qu’elles soient littéraires, picturales, photographiques ou mentales, en vue de pouvoir saisir les représentations qui en résultent. Dans cette démarche, ce travail propose une lecture en trois temps des images de Beyrouth. La première sera d’ordre chronologique et retracera les images littéraires des auteurs orientalistes, puis les images urbanistiques créées par les mandataires français et enfin celles 7


L’image d’un mythe, Beyrouth

qui subsistent aujourd’hui dans l’imaginaire de jeunes français. La seconde partie portera sur l’époque de la guerre et sur ses conséquences urbanistiques et mentales. Nous verrons ainsi comment la reconstruction a apporté de nouveaux enjeux au mythe de la ville, et combien les photographies de Beyrouth en ruine ont participé à l’élaboration d’images esthétisantes qui continuent de la définir. Enfin, la troisième partie se composera d’un récit axé sur la mémoire de la ville. Ce récit s’inscrit à la fois dans une démarche personnelle puisqu’il sera construit sur les images de Beyrouth qui m’ont directement été transmises par mon entourage, mais aussi dans une démarche plus large en proposant le récit d’une quête que chacun pourrait vivre en traquant ses souvenirs.

8


9


10


Son PassĂŠ, son universalitĂŠ, son mythe

11


12


De L’Orient à l’orientalisme 13


L’image d’un mythe, Beyrouth

Les premiers écrits évoquant la ville de Beyrouth remontent au ème XIV siècle av. J.-C. Ce sont les Lettres de Tell-el-Amarna, un ensemble de tablettes écrites en cunéiforme, retrouvées sur le site d’Amarna, en Egypte. Il s'agit d'une correspondance d’ordre diplomatique entre les différents rois Egyptiens et ceux du reste du Moyen- Orient. À travers ces lettres, c’est une image de Beyrouth qui va se dessiner de manière pérenne : celle d'une puissante cité, faisant partie intégrante du croissant fertile et soumise aux fantasmes des voyageurs. De fait, ces lettres constituent une première évocation de la cité, observée par des yeux étrangers. Elles sont la première pierre d’une longue tradition de descriptions et de fantasmes que les étrangers projetteront sur Beyrouth. Cependant, entre les Lettres de Tell-el-Amarna et le XVIIème siècle, les écrits concernant Beyrouth sont très rares. La ville a été citée dans les documents d’Ugarit, là où la première forme d’alphabet au sens moderne aurait été inventée au XIIème siècle av. J.-C., puis à nouveau durant la période hellénistique. La ville tombe véritablement dans l’ombre à partir de 551 lorsqu’un terrible séisme l’anéantit, pour finalement commencer à réapparaître dans les récits à partir de la fin du XVIIème siècle et surtout au siècle suivant, en particulier avec Volney. La ville et ses descriptions par les voyageurs connaissent un véritable essor durant la grande mode orientaliste en Europe, à partir du XIXème siècle. L’objet de ce travail n’est pas d’être un recensement exhaustif des descriptions de Beyrouth, mais une sélection des de celles qui semblent les plus pertinentes pour comprendre la naissance du mythe autour de cette ville : l’essentiel des textes étudiés ici ont donc été écrits entre le XVIIème et le XXème siècle.

14


De l’Orient à l’Orientalisme

Les évocations de Beyrouth commencent avec les premiers voyageurs européens, à la fin du XVIIème siècle. Henry Maundrell, érudit d’Oxford et homme d’Eglise, est le premier européen à redécouvrir Beyrouth en 1697. Il la décrit en ces termes, dans Le voyage d’Alep à Jérusalem : « En dehors de ce mur, nous avons vu de nombreuses colonnes de granit et des restes de sols en mosaïques et dans un tas de décombres, des fragments de marbre poli, de statues et d’autres misérables témoins de la magnificence passée de l’ancienne cité ». L’auteur intéresse par l’ambivalence de son propos par rapport à la ville : H. Maundrell ne se situe pas dans ce que sera l’exotisme orientaliste du siècle suivant. Dans sa description, il évoque des éléments tout à fait reconnaissables et identifiables pour l’Européen cultivé de son temps. En effet, il décrit le passé romain et byzantin de la ville à travers « le marbre poli », les « colonnes de granit » et les « sols en mosaïques ». Son fantasme de la cité ne se traduit donc pas par l’évocation d’un ailleurs mystique, mais réside dans l’éternel mythe de la splendeur disparue. En ce sens, l’auteur s’inscrit dans une approche classique de Beyrouth, proche de la manière dont Rome a été comprise et décrite pendant les siècles suivant son déclin. Ainsi, Beyrouth est d’abord perçue comme faisant partie de l’Europe, mais d’une Europe passée et déchue, et, en ce sens, nécessairement magnifiée. Le mythe de Beyrouth est avant tout celui d’un passé plutôt que celui d’un ailleurs. Cette distinction nous semble encore fondamentale aujourd'hui pour comprendre la façon dont l’imaginaire développé autour de cette ville demeure dans cette dualité : celle d’un espace lointain, mais également celle d’un temps regretté. Pour cette raison, le texte de H. Maundrell apparaît comme fondateur pour les images que Beyrouth va porter avec elle au fil des siècles. H. Maundrell semble alors être un précurseur de ce que deviendra l’orientalisme.

15


L’image d’un mythe, Beyrouth

Beyrouth, 1837

J.B Allen after W.H Bartlett

Beirut, 1860

M. Fatio

16


De l’Orient à l’Orientalisme

Vue générale de Beyrouth, 1890

Anonyme

Vue générale de Beyrouth, début XXème Anonyme

Le couple mer-montagne, une des identités fantasmées de Beyrouth durant les deux derniers siècles 17


L’image d’un mythe, Beyrouth

L’orientalisme est un courant littéraire et artistique européen dont les prémices remontent à la fin du Moyen-Âge et dont l’apogée se situe au XIXème siècle. Ce courant réunit de nombreux artistes européens et peut se résumer en une attirance vers de nouvelles contrées allant de l’Est de la Grèce jusqu’à la Chine, avec une volonté de les décrire et de montrer leur exotisme. L’orientalisme est la découverte d’un monde extra-européen, judéo-chrétien qui se nourrit des fantasmes qu’une telle découverte crée dans l’imaginaire de son temps. On ne peut parler d’orientalisme sans citer l’ouvrage fondamental d’Edward W. Saïd, L’orientalisme, paru en 1978. Cet ouvrage commence par une description de Beyrouth de Thierry Desjardins, journaliste au Figaro et qui a séjourné à Beyrouth en 1975. Desjardins écrit alors : « Elle [Beyrouth] a semblé autrefois faire partie [...] de l’Orient de Chateaubriand et de Nerval ». Bien que l’auteur de ces lignes n’appartienne pas au courant orientaliste à proprement parler, puisqu’il écrit bien postérieurement à ce dernier, il semble significatif que l’ouvrage de référence sur l'orientalisme s’ouvre sur Beyrouth : ceci semble témoigner de la place particulière qu’occupera cette ville par rapport au monde occidental, en terme de représentations. C’est ce que nous avons cherché à comprendre dans la suite de ce travail, à partir de la vision des étrangers sur Beyrouth et sur la façon dont leur regard a véhiculé des images de la ville encore prégnantes aujourd’hui. Constantin-François Chassebœuf de La Giraudais, dit Volney, philosophe et orientaliste français, écrit en 1783 dans Voyage en Syrie et en Egypte : « Les fouilles que l’on a faites en d’autres circonstances pour former des citernes ont fait découvrir les mines souterraines, d’après lesquelles il paraît que la ville moderne est bâtie sur l’ancienne ». Volney s’inscrit ici dans la même ligne que H. Maundrell, en évoquant Beyrouth, avec regret, par son passé. On constate ici que la ville est dans une période charnière, tiraillée entre son passé et son présent. Elle s’inscrit dans une certaine modernité, modernité affichée qui fait fi du passé beyrouthin ainsi que de son héritage puisque la ville nouvelle n’hésite pas à être « bâtie sur l’ancienne ». Nous verrons plus loin comment l’amnésie beyrouthine et combien cette phrase de Volney ont gardé toute leur actualité deux 18


De l’Orient à l’Orientalisme

siècles plus tard. Là encore, un regard européen a façonné une manière et une identité de Beyrouth, dans son rapport avec son patrimoine et dans son inscription physique dans son site qui est de l’ordre de la négation et de l’éternel recommencement. Par la suite, des auteurs comme Jacques-Louis David ou Gustave Flaubert font naître ce qu’on pourrait qualifier « d’orientalisme assumé ». Jacques-Louis David écrit à propos de Beyrouth en 1848 : « La tête dans les nues, les pieds dans l’eau, elle ressemble à une charmante sultane accoudée sur un coussin vert et regardant les flots, ses toits plats surmontés de créneaux en pierres ou de balustrades en bois, ses murailles mauresques, la couleur éclatante de ses fortifications modernes... Sa rade fermée par un promontoire aigu, les minarets de ses mosquées, les dômes de ses palais et, avant tout son ciel pur, son air limpide, cet ensemble forme un spectacle troublant ». Ici, l’exotisme levantin est invoqué dans une approximation qui traduit et confirme bien qu’il s’agit plus du résultat d’un imaginaire naïf que d’une quelconque réalité sur un pays ou une ville orientale. En effet, le statut de sultan n’a pas été d’une grande importance au Liban et dans le même ordre d’idées, les Maures n’y sont jamais passés. Ainsi, la comparaison de la ville avec une « sultane » ou l’évocation de « murailles mauresques » semblent hors de propos. Néanmoins, ces approximations nous intéressent car elles donnent une indication sur l’idée de l’Orient que se faisaient les Européens au XIXème siècle. Ce type de relation à Beyrouth a été largement partagé par de nombreux auteurs du XIXème siècle. Ainsi, Charles Reynaud, poète et critique littéraire français, écrit en 1846 dans son ouvrage D’Athènes à Baalbeck : « Aussi Beyrouth est le centre des excursions dans la montagne; car là, plus qu’en tout autre lieu, elle déploie ses magnificences et semble solliciter les désirs du voyageur ». A nouveau, la ville est ressentie comme une séductrice, devenant une figure agissante, à laquelle il paraît impossible de ne pas succomber. La définition de la ville que Charles Reynaud exprime en ces termes : « elle déploie ses magnificences », est assez proche de la vision de Jacques-Louis David : la 19


L’image d’un mythe, Beyrouth

ville est perçue comme une « sultane ». Beyrouth est donc personnifiée, et son incarnation est sans appel. Ces images confèrent une « aura » à la ville de manière indiscutable. Elle possède un « charme » comme une femme pourrait en posséder un. Cette idée que Beyrouth « vit », que Beyrouth « séduit » continuera d’alimenter les imaginaires collectifs jusqu’à aujourd’hui. Beyrouth est bien davantage qu’une ville : c’est un personnage qui est véritablement dans l’action et dans la séduction. Par la suite, et notamment avec Alphonse De Lamartine et Gustave Flaubert, Beyrouth va changer de statut. Lamartine est le premier à décrire Beyrouth comme le produit d’un peintre dans son Voyage en Orient en 1835 : « C’était une scène de l’Enfer de Dante, réalisée à l’œil dans un des plus terribles cercles que son imagination ait pu inventer. Mais qui est-ce qui est poète après Dieu ? Qui est-ce qui invente après Dieu ? [...] Rien ne peut peindre si ce n’est le pinceau, la multitude et le pittoresque de ces retraites ». La ville ne sera plus cette personne agissante, mais elle va devenir un tableau neutre sur lequel chacun est à même d’apporter ses attentes et ses représentations. Dans son approche romantique, Lamartine annonce avec une certaine naïveté ce que deviendra l’intuition flaubertienne. Beyrouth peinte devient un objet d’art, malléable à merci, dans lequel chacun peut projeter tous types d’ambitions, qu’elles soient politiques ou culturelles. Cette picturalisation de Beyrouth se confirmera avec Flaubert, dans son récit Voyages en 1850, où il écrira : «Voilà un paysage historique comme aucun peintre que je sache n’a encore fait ; rien n’y manque, ni la ruine, ni la montagne, ni le plâtre, ni l’eau qui coule et dont j’entends le bruit maintenant. La lune n’est pas encore levée, j’espère la voir demain sur la frise ». Dans cette description, Flaubert a pour dessein d’artialiser la ville, c’est à dire de la sublimer en en faisant une oeuvre. Il la décrit comme un tableau que l’on peut embrasser d’un seul coup d’oeil. Le terme précis de «frise» prend pleinement son sens : l’identité de Beyrouth n’est plus celle d’une ville à proprement parler, mais bien celle d’une oeuvre. Or, une oeuvre est nécessairement la réalisation d’un auteur. En ce sens, l’auteur est ici celui qui voit, c’est à dire que Beyrouth n’agit plus pour et par elle-même, mais est affichée comme le produit d’une vision, vision 20


De l’Orient à l’Orientalisme

européenne, une fiction. Or, toute fiction a une fonction : celle-ci est d’asseoir politiquement et culturellement l’influence française au Liban. Flaubert semble presque annoncer ce que sera la France mandataire du XXème siècle, celle qui créera une partie du paysage du Liban, et une partie de son identité. Flaubert et Lamartine rompent ici avec la tradition qui les précède en rendant la ville passive, encore plus qu’une ville ne saurait l’être puisqu’ils la figent tous deux dans l’image d’un tableau. Ainsi, en mettant leurs descriptions en perspective, les auteurs semblent bien avoir en commun le fait de transformer la ville en manipulant sa fonction initiale. Qu’elle soit personnifiée ou vue comme un objet d’art, ces transformations ont permis, d’abord à ces auteurs mais aussi à des cercles d’Européens cultivés, de fantasmer et de projeter sur Beyrouth : ils se sont offert la liberté de la départir de ses qualités premières, à savoir de la fonction d’une ville. Beyrouth semble donc avoir longtemps été le résultat d’un fantasme d’ordre artistique, politique, stratégique ou esthétique. Les descriptions de la ville sont le produit de perceptions extérieures et non de vécus intérieurs. En ce sens, elles alimentent un lot d’images ressenties et subjectives. Le regard des étrangers, et tout particulièrement celui des Européens depuis plusieurs siècles, a complètement participé à créer l’identité de cette ville. Cela se confirmera par la suite : le paysage beyrouthin, dans sa matérialité physique et urbanistique, résultera véritablement d’une création occidentale assimilée par les Libanais euxmêmes. Durant la période du Mandat français* qui durera la moitié du XXème siècle, la présence des Français au Liban et la francophilie qui en résultera sera déterminante pour le dessin de la ville.

21


22


L’âge d’or (1923-1975) 23


L’image d’un mythe, Beyrouth

La période du Mandat français (1920-1943) ainsi que les années qui ont suivi, jusqu’à l’éclatement de la guerre en 1975, sont souvent décrites comme un âge d’or pour tout le Liban, et plus particulièrement pour sa capitale. Comment le rêve de Beyrouth a-t-il continué d’exister pour et par les Français ? Comment ont-ils façonné l’image de la ville sur le plan architectural mais aussi en termes de représentations mentales ? Pour répondre à ces questions, il faudra d’abord analyser comment l’aménagement du centre-ville a créé de manière très pragmatique un nouvel imaginaire reposant sur deux pôles de la ville. Cette analyse sera complétée par l’examen du travail d’une jeune peintre française, Simone Baltaxé, qui découvre Beyrouth dans les années 1950 et dont le travail est représentatif d’une idée mythifiée de la ville. Le Mandat français au Liban a commencé en 1920 et a pris fin en 1943. Cette courte période, à peine un quart de siècle, a été décisive dans le dessin de la morphologie urbaine beyrouthine et dans son identité en tant que ville à la croisée des mondes, entre un Occident moderne et un Orient séduisant. Pendant cette période, Beyrouth a été investie par de nombreux Français, mais surtout, et de façon durable, par la langue française ainsi que ses références culturelles, introduites chez les Beyrouthins, et notamment dans les communautés minoritaires chiites*, arméniennes et juives. Il est intéressant de comprendre comment la France a profondément façonné la ville durant cette période et a, pour le moins, fait perdurer le mythe dans la pierre. Pour ce faire, le travail de l’architecte libanais Jade Tabet est éloquent. Dans son ouvrage La brûlure des rêves paru en 2001, il présente le développement des deux places les plus importantes de Beyrouth, la place de Canons et la place de l’Etoile. Ces places ont toutes deux participé à donner une identité et à marquer la ville, dans ses usages et dans ses images. L’année suivant l’établissement du Mandat français (c’est à dire en 1921), les autorités en place ont montré une détermination à moderniser la ville en poursuivant les grands travaux du centre-ville mis en place par l’Empire Ottoman, travaux qui avaient dû s’arrêter pendant la Grande Guerre. Partant d’un quartier de petits commerces, sale et 24


L’âge d’or (1923-1975)

désordonné, les mandataires ont érigé une nouvelle forme urbaine, plus moderne, plus spacieuse, plus propre, avec de grands bâtiments et de nouveaux types d’activités davantage prestigieuses. Les vieilles bâtisses ont été rasées et, à la place, ont été érigés des bâtiments plus hauts, en pierres nobles et percés de grandes fenêtres. Certains détails rappellent bien l’Orient, notamment quelques colonnades ou les formes des fenêtres. Cependant, ces nouvelles constructions, ainsi que l’ensemble du tracé, ne sont pas sans rappeler l'influence haussmannienne relativement récente. L’ouvrage de Robert Saliba paru en 2009 Beyrouth architectures aux sources de la modernité, 1920-1940, est particulièrement précis et renseigné à propos de cette nouvelle donne architecturale, entre Orient et Occident. Le subtil jeu d’équilibristes auquel s’adonnent les mandataires est ici remarquable. Ils veulent moderniser la ville, confirmer et rappeler leur présence, mais aussi entretenir son identité levantine, et ne pas s’imposer avec un style radicalement européen dans un colonialisme problématique. Par la suite, la France demande en 1926 à l’architecte français Michel Ecochard de dessiner la place de l’Etoile au coeur de ce nouveau centre-ville. C’est un lieu de représentation du pouvoir : on y trouve les principales banques libanaises, la Poste centrale, ainsi que les sièges sociaux des grandes entreprises. Cette place est dessinée sur le modèle de la place de l’Etoile à Paris, avec une seule différence due à des raisons confessionnelles : le nombre de ses branche a été réduit de huit sur le modèle original, au nombre de six à Beyrouth. La symbolique de cette place émergente est forte, dont le dessin est empreint d’un cartésianisme typiquement français, possédant une régularité et une géométrie parfaite. Elle vient amener de l’ordre à Beyrouth, au plan urbain pour le moins confus voire inexistant jusqu’alors. La place de l’Etoile ainsi que tout le nouveau centre dessiné par Michel Ecochard ont contribué à asseoir Beyrouth comme une ville assurée, dotée d’une respectabilité certaine sur le plan international, une ville qui a pu prétendre être un lieu de pouvoir et de décision. Cette place a véhiculé une nouvelle image de Beyrouth, qui correspondait aux aspirations des Français du Liban souhaitant asseoir leur autorité dans la région. Dès lors, Beyrouth apparaît comme la vitrine du développement à l’occidentale dans le monde oriental. 25


L’image d’un mythe, Beyrouth

Cette nouvelle image de la ville établie par la place de l’Étoile a fait l’objet d’un rejet, notamment par la population libanaise et beyrouthine de souche. Elle a été ressentie comme une place austère et froide, comme un lieu de démonstration politique plus que de vie publique. En témoigne, par exemple, l’ouvrage Le goût de Beyrouth dirigé par Soraya Khalidy et publié en 2003, qui énumère des descriptions élogieuses de la ville, afin d’essayer d’en trouver l’essence. La place de l’Étoile n’est qu’à peine évoquée, toujours associée à la place des Canons pour montrer combien elle en est différente. Par ailleurs, l’ouvrage de Fouad Debbas, Beyrouth, notre mémoire, publié en 1996 est éloquent à ce propos. En effet, il recense les cartes postales représentant la ville à différentes périodes. Le nombre de représentations de la Place de l’Étoile est sensiblement plus faible qui celui de son homologue, la place des Canons. À l’inverse de la place de l’Étoile, boudée et oubliée, la place des Canons remplit un tout autre rôle, son image vivante et enjouée est omniprésente.

26


L’âge d’or (1923-1975)

La Place de l’Étoile, années 30

27


L’image d’un mythe, Beyrouth

La place des Canons est la deuxième grande place de Beyrouth. Ces deux places sont les plus importantes de la ville, en termes de taille et de lieux névralgiques. Elles ne sont distantes que de quelques centaines de mètres. C’est en étudiant simultanément la distance physique et la distance affective de ces places qu’il est possible de comprendre combien elles ont façonné deux images de Beyrouth, à la fois contradictoires et indissociables. Aménagée en 1884, la place des Canons est devenue immédiatement le centre symbolique de la ville. Sur sa face nord est érigé un bâtiment néoclassique, le Petit Sérail, qui est le siège du gouvernement de la wilayah* de Beyrouth : il situe donc la place des Canons en tant que représentante du pouvoir en place sous l’empire Ottoman. Beyrouth connaît un développement important jusqu’au début de la Première Guerre, mais sa physionomie n’en est que peu affectée. L'urbanisation s’étend de manière sûre et progressive, mais son noyau dur - dont la place des Canons est l’épicentre - reste inchangé, tant en terme d’urbanisme que de fonction. La place des Canons est et demeure le lieu fondateur du mythe de Beyrouth jusqu’en 1914. À partir de 1915, les autorités ottomanes, conseillées par des urbanistes allemands ont entamé de grands travaux afin de moderniser la ville, et notamment son centre. D’importantes destructions ont eu lieu autour de cette place, et la plupart des quartiers au tissu ancien ont été rasés. Néanmoins, ces travaux entrepris au début de la guerre ne vont pas être poursuivis par les autorités en place. Aussi, lorsque les puissances anglo-françaises débarquent à Beyrouth en 1918, ils trouvent une ville en chantier, où l’urbanité et l’identité sont encore à penser. Les autorités françaises réalisent donc de grands travaux, redessinent le centre-ville, ainsi que le nouvel emblème de Beyrouth, la place de l’Etoile. La place des Canons est rebaptisée place des Martyrs en 1919, en hommages aux nationalistes libano-syriens exécutés par les autorités turques durant la Première Guerre mondiale. Le nom est solennel pour une place de loisir et de divertissement. La place des Martyrs est un lieu de rencontre par excellence, proche de la mer et de son air frais ; elle accueille de multiples terrasses de cafés au soleil, des cabarets populaires où se mêlent différentes populations beyrouthines. Elle est la place de

28


L’âge d’or (1923-1975)

l’échange, de la centralité — les deux seuls tramways de Beyrouth se croisent en son centre — et elle fournit une aire de pause dans cette ville déjà dense et avare en espaces publics. À l’inverse de sa soeur, la place de l’Étoile, elle fourmille de vie : elle est utilisée par la population de façon quotidienne, pratique, elle est vécue comme un espace de détente. C’est un grand rectangle dont le centre est laissé vide et public, ce qui encourage nombre de cafés à ouvrir des terrasses à ses abords. À partir des années 1930, de grandes affiches de cinéma vantant les stars du moment sont placardées sur les murs de ses bâtiments, donnant un véritable souffle à cette place propulsée vers un ailleurs, vers un loisir moderne et étranger, le cinéma. Par la suite, la place accueille en 1951 le célèbre cinéma Le Rivoli, symbole définitif et sans équivoque de la modernité, du progrès et de l’ouverture sur le monde. Ce cinéma achèvera de faire la réputation de la place et de lui donner l’image dont les mémoires sont encore imprégnées aujourd’hui : celle de coeur vivant de la ville. Ainsi, la place des Martyrs va, pendant plus de trente ans, représenter ce qui a été constitutif de l’âge d’or beyrouthin. Ces deux places ont donc rempli des fonctions très différentes. Toutes deux symboles de la ville, elles n’ont pourtant rien de commun. Il est frappant de voir comment les pouvoirs mandataires ont créé deux places, chacune à son image et avec ses fonctions propres. Chaque place répond à un besoin de la ville : d’un côté, celui du pouvoir, de l’autre, celui du loisir et de la modernité, en somme, de la liberté. G. Flaubert a illustré comment Beyrouth s’était constituée en tant que substance malléable aux yeux et mains des étrangers. Elle l’a bien été, dans un premier temps en tant qu’oeuvre sur laquelle on pouvait projeter. Elle l’est devenue, par la suite, en tant qu’espace où il était possible de construire. À travers l’étude de ces deux places, il est important de comprendre combien ces deux manières d’investir la ville sont liées, combien la morphologie urbaine et son dessin accompagnent le vécu des populations et ainsi comment les mémoires collectives s’érigent. Cet âge d’or a donc été construit, pour tout ou partie, par une volonté urbanistique française. Mais il a également été nourri par un ensemble d’images, qui a participé du mythe de Beyrouth et dont, une fois de plus, le regard des étrangers et des non-Libanais n’est pas absent. 29


L’image d’un mythe, Beyrouth

Double page ci contre :

La place des Canons/ La place des Martyrs

Différentes cartes postales qui témoignent de la place centrale qu’occupe la place des Canons, à différentes époques. Elle est sur-représentée et sur-investie.

30


L’âge d’or (1923-1975)

31


L’image d’un mythe, Beyrouth

Pour se convaincre de la persistance du regard mythifiant que posent les étrangers sur Beyrouth il nous a semblé intéressant de travailler sur le corpus d’images fourni par les tableaux de la peintre Simone Baltaxé. D'origine juive russe, sa famille fuit les pogroms et s'installe en France où Simone naît en 1925. Elle s’inscrit aux Beaux-Arts de Lyon en 1942, et continue sa formation à Paris à partir de 1945. Elle arrive à Beyrouth en 1951 pour y retrouver son époux, son travail et sa manière d’appréhender sa peinture en sont totalement bouleversé. Sera opérée une comparaison de ces travaux, réunis selon des thématiques qu’elle a traitées à Paris (avant 1951) puis à Beyrouth jusqu’en 1978. Ces différentes thématiques, transversales dans son oeuvre, sont le portrait, le monde du travail et le monde de la rue. Simone m’a souvent décrit Beyrouth comme une rencontre avec la lumière. En arrivant au Liban, les premières toiles qu’elle a réalisées ont pour cadre un jardin. Or, les mots jardin et paradis ont une origine commune, le paradis désignant dans sons sens premier un merveilleux jardin clos. Avant d’arriver au Liban, Simone s’attachait à dépeindre les gens, les populations, dans des moments de grâce, montrant une foule partageant une vitalité et une énergie commune. Elle continue de le faire, en plaçant dorénavant le cadre dans lequel ses personnages évoluent au premier plan. Dans son tableau La Ronde (1954), elle peint un groupe d’enfants évoluant dans une forêt, vraisemblablement inspirée du Bois des Pins, lieu de détente parmi les rares espaces ouverts de Beyrouth. Le thème de la Ronde a été largement utilisé en peinture : par exemple à travers La danse de Matisse (1909) ou encore dans les multiples Rondes de la jeunesse de Picasso, peintres pour lesquels Simone portait admiration et déférence. Néanmoins, le thème principal de ces deux œuvres est le groupe humain qui évolue, mais en aucun cas le paysage alentour ; Picasso va même jusqu’à le simplifier pour ne garder que la présence de l’astre solaire. Simone s’inscrit dans une longue tradition picturale, dont elle s’écarte pour faire exister le paradis, le jardin. Cette introduction de l’espace dans une oeuvre où l’humain est au centre témoigne de son 32


L’âge d’or (1923-1975)

impossibilité à nier la magie du pays dans lequel elle vient de s’installer, et même de sa volonté irréductible de la faire exister. Une autre oeuvre caractéristique de cette importance nouvelle qu’elle accorde au lieu dans lequel ses personnages évoluent, est la toile sobrement intitulée Jardin (1953). Elle y présente une de ses amies, Andrée, en train de coudre, assise au milieu de son jardin. Là encore, ce style de composition picturale est nouveau pour Simone. Lorsqu’elle peignait un personnage unique dans ses toiles, c’était auparavant le plus souvent sous la forme d’un portrait assumé comme tel, peint en buste de manière assez classique. Dans cette composition, l’artiste met au premier plan le cadre de l’action. Aussi, la femme peinte ne se révèle qu’au second plan. Il ne s’agit donc en rien d’un portrait puisqu’elle serait difficilement identifiable : ici le sujet est bien un jardin. L’étude de ces deux tableaux de Simone permet de saisir la manière dont l’artiste a transformé son rapport au sujet peint. En effet, elle s’est toujours refusée à peindre des natures mortes ou des paysages, considérant que l’humain devait être au coeur des préoccupations du monde de l’après-guerre. Néanmoins, on voit ici qu’en arrivant à Beyrouth, ses conceptions sont un peu modifiées par une nature qui la submerge, et à laquelle elle accorde peu à peu une place de choix dans ses compositions. Ce constat montre combien l’idée de la nature, d’une nature à la fois encore sauvage mais surtout luxuriante, est importante dans les images de Beyrouth. C’est un appel vers l’extérieur, dans une ville où la population entretient un rapport privilégié avec celui-ci, peut-être plus qu’en France, au climat moins favorable.

33


L’image d’un mythe, Beyrouth

Jardin, 1953

Huile sur toile, 75x55cm Collection particulière, Paris

34


L’âge d’or (1923-1975)

La Ronde, 1954

Huile sur toile, 55x70 cm Collection particulière, Paris

35


L’image d’un mythe, Beyrouth

Par ailleurs, Simone, proche des mouvements communistes, s’est toujours attachée à montrer des travailleurs, dans un esprit de progrès et de dignité. À nouveau, il est intéressant de constater l’évolution entre son travail français et son approche libanaise de ces thèmes. En France, elle avait peint, par exemple, Les lessiveuses et Les repasseuses, toutes deux en 1950, ses dernières toiles avant son départ pour Beyrouth. Ces tableaux présentent des femmes en train de travailler, l’attention est ici portées sur elles, avec des plans très serrés qui ne laissent que peu voir le cadre général dans lequel elles évoluent. Les éléments de décor sont très réduits. Par la suite, en arrivant à Beyrouth, elle va continuer à montrer les travailleurs dans ses tableaux. Sa composition Les constructeurs (1957) est tout à fait emblématique de sa nouvelle approche du thème des travailleurs. Le rapport à l’extérieur et à la lumière est à nouveau très prégnant. À la différence des tableaux réalisés en France auxquels nous avons fait allusion, les ouvriers sont replacés ici dans un contexte plus large, celui d’un nouveau monde, et surtout d’un nouveau pays à bâtir. Là encore, les projections personnelles de l’artiste dans sa toile incarnent sa vision de Beyrouth : une ville des possibles.

36


L’âge d’or (1923-1975)

Les lessiveuses, 1950

Les repasseuses, 1950

Huile sur toile, 100x83 cm Musée National d'Art Moderne, Centre Georges Pompidou, Paris

Huile sur toile, 100x83 cm Musée National d'Art Moderne, Centre Georges Pompidou, Paris

37


L’image d’un mythe, Beyrouth

Les constructeurs, 1957

Huile sur toile, 195x97 cm Musée Sursock, Beyrouth

38


L’âge d’or (1923-1975)

Tailleurs de pierres, 1957

Huile sur toile, 80x78 cm Collection de l’artiste, Paris

39


L’image d’un mythe, Beyrouth

Par la suite, notamment à partir des années 1960, Simone va peindre de nombreux souks, dans une volonté de signifier le monde extérieur par le biais de la rue. Elle en peindra de nombreux, notamment sa composition Souk (1963) qui cristallise l’imaginaire qu’elle va développer par rapport à la ville. Cette toile semble être construite selon deux éléments constitutifs forts : d’une part, l’importance de la lumière et de l'autre, la surreprésentation de la foule. Une fois encore, il est intéressant de la comparer avec un tableau de la période française pour saisir l’évolution du travail de Simone, et identifier ce qui relève de son rapport à Beyrouth. Cette toile peut se rapprocher du Marché aux bestiaux (1950) inspiré du marché d’Avignon. Ces deux tableaux ont des sujets semblables, et cependant deux traitements différents. Dans le Souk, les personnages sont en effet véritablement au coeur de la toile : on y voit deux personnages distinctement dessinés en son centre, au premier plan. Ils sont dans un processus d’échange, comme la plupart des autres personnages de la composition. Dans le Marché aux bestiaux les personnages identifiables sont décalés sur la gauche et ce sont véritablement les bêtes qui sont mises en valeur. La composition beyrouthine est clairement plus tournée vers l’humain et les interrelations que son pendant français. Par ailleurs, le traitement de la lumière relève de deux approches bien distinctes. Dans le Marché aux bestiaux, la toile est coupée au premier étage des immeubles et le ciel est absent. À l’inverse, dans le Souk, le tableau est bâti sur une perspective déformée qui permet de donner presque les deux tiers de la composition au ciel. À travers l’étude de trois thématiques chères à l’artiste, et en comparant leurs traitements en France et au Liban, il est évident que ce pays a permis à Simone de se tourner vers l’extérieur. Le jardin, le monde à construire, la foule active et la lumière sont autant de fantasmes que Simone a voulu retranscrire de Beyrouth et qu’elle a intégrés à sa peinture. L’artiste a assimilé ce qui lui semblait être des caractères déterminants pour définir son pays d’accueil, selon le regard d’une étrangère qui découvre la ville avec un oeil presque naïf, parfois.

40


L’âge d’or (1923-1975)

Marché aux bestiaux, 1950

Huile sur toile, 97x195 cm Musée National d'Art Moderne, Centre Georges Pompidou, Paris

41


L’image d’un mythe, Beyrouth

42


L’âge d’or (1923-1975)

Souk, 1963

Huile sur toile, 97x195 cm Collection de l’artiste, Paris

43


44


Un mythe contemporain 45


L’image d’un mythe, Beyrouth

Afin de comprendre la prégnance contemporaine du mythe beyrouthin, il nous a semblé intéressant de savoir s’il subsistait ou non, et si oui, sous quelles formes dans les mentalités actuelles, et notamment chez des jeunes non Libanais. Pour ce faire, plusieurs démarches ont été envisagées, en particulier la réalisation d’interviews d’étudiants en licence d’arabe au Langues Orientales, afin d’avoir le point de vue de personnes jeunes ayant une relation particulière avec le Liban et avec le monde arabe, sans pour autant y avoir vécu. Néanmoins, ce protocole ne semblait pas forcément des plus pertinents, cette étude étant moins un travail de sociologie que d’analyse d’images, qu’elles soient picturales, photographiques, littéraires ou mentales. Ainsi, il nous a paru intéressant de présenter un portrait de Beyrouth fait par une jeune française au cours d’une interview après s’être rendue à Beyrouth en 2010 pendant un mois et demi. Avant cela, son contact à Beyrouth passait par son frère y ayant travaillé durant un an et demi entre l’année 2005 et l’année 2006. Elle a décidé d’aller découvrir la ville par elle-même alors que son frère n’y résidait plus. Portrait.

46


Un mythe contemporain

« Mon frère y a une attache émotionnelle forte. Beyrouth ce pays. Seule personne qui m’avait parlé du Liban. Son contrat finit en 2006. Attachement. Il pleurait la première fois quand il est rentré, il entendait les bombes au téléphone quand il parlait avec ses amis. C'est quoi ce pays ? Il se passe un truc avec ce pays. C’est ça mon lien avec Beyrouth. Images avant d’arriver ? Pas d’image. Si. Les bombes, pas un pays comme les autres, parce que mon frère pleure. Premier contact avec la guerre. Une double procuration. Et la ville dans le sourire de mon frère « tu ne peux pas comprendre ». Il ne décrivait pas la ville, lui. Les gens qui l’ont visité me racontaient la Corniche et Raouché. c’était un délire. Pas d’images architecturales. Juste, les taxis comment on s’énerve le froid en hiver les voisins l’éducation des gens les Libanaises qui se mettent sur le 31. Et ma belle-sœur perçue comme une bonne parce qu’elle est vietnamienne. Ce qui ressortait le plus ? profond bonheur. Bonheur de la ville, comment cette ville peut rendre aussi heureux ? 2010. Coupe du monde de foot c’était important la première fois où j’y suis allée. Toute seule. Puis, chez des amis de mon frère et de mon premier patron arménien. 47


L’image d’un mythe, Beyrouth

Il me dit appelle mon pote Vatché. Premier souvenir, manaich. L’architecture : immeubles, rues. C’est pas beau, c’est Beyrouth. Difficile à expliquer. Pas étendue, resserré, rues resserrées, immeubles pas beaux assez bétonnés avec des voitures, chaleur. Immeubles chauds. Dense. Couleur ? Gris, la couleur des immeubles du bitume de la route. Gris. Alors qu’au bord de la mer. Lieu emblématique ? Place Hariri ça a encore changé de nom. Dans ma chambre j’ai une carte de comment elle était dans les années 60. Tellement changée victime de son histoire et de la guerre. Décrire Beyrouth ? Pour donner envie. Les gens. L’ambiance. C’est une ville qui ne se donne pas facilement. J’ai jamais été aussi malheureuse de quitter un endroit. Les endroits où tu allais le plus ? Les lieux de vie les apparts, j’ai eu beaucoup de chance en tant que touriste. D’abord vécu chez les arméniens à Bsalim. Aussi à Antelias. À Achrafieh chez le créateur d’une association pour les droits gays dans le monde arabe. Chez une chrétienne du Liban. A Karakundruze avec une palestinienne après la place Sassine, quartier druze*. Banlieue sud. Différentes personnes, rencontrées au fur et à mesure, pas peur. Certains libanais ne connaissent que leur quartier. Beaucoup d’autres touristes ? Non. Juste un. Un con français, « je vais au Liban et en Israël », se sent obligé d’avoir un avis sur la question. Les touristes étaient des libanais de l’étranger.

48


Un myhte contemporain

Retour en France : les gens comprenaient ? Non. C’est difficile d’expliquer. T’aimes détester Beyrouth, je me suis dit que je me sentais bien. En même temps ils sont insupportables. Mentalité de merde. Conflits grossiers. Tu es d’où ? Où est ce que tu habites ? Ville en mouvement de par les événements qui se passent. Tu ne retrouveras pas ce que tu as trouvé. Tu trouveras autre chose tout aussi bien parce que les gens restent libanais. Immeubles parfois criblés de balles, c’est un choix de voir ce qu’on retient. Si je dessine, Là il y a une piscine qui coute 15 euros l’entrée c’est très cher. Filles sur les transats là y’a la Méditerranée. Là y’a une rue avec des 4x4 les gens ils ont pas l’électricité chez eux mais ils ont des 4x4. Plaque d’immatriculation avec certains chiffres pour montrer que t’es riche. Immeuble avec des balles partout, échafaudage ouvriers ou pas d’ailleurs. Chaleur qui va te tuer, porte désaffectée, place avec grande mosquée, quartier artificiel Disneyland saoudiens que des mecs très propres, énorme building, hyper moderne, rooftop avec boite de nuit, le sky bar ça s’appelle, place immeuble balles piscine 4x4 chaleur. Gens pauvres syriens qui te vendent des trucs au feu rouge personne dans les rues sauf sur la corniche. Quand j’y retournerai ce sera différent C’est pas stable ce que je ressens. J’avais pas d’appréhension. Certains Libanais ont la paranoïa. 49


L’image d’un mythe, Beyrouth

Ce sera moins bien quand je retournerai ? Je me dis rien. Je sais que ça va pas être comme dans mon souvenir. Confiance dans le Liban. Ce sera autre chose mais ce sera le Liban Entité forte à Beyrouth ? Ça me fait chier de répondre à cette question. Dans mon souvenir de touriste. L’entité ? Pas dans son architecture. Dans le vif de la ville Je la reconnaitrai entre mille par ses gens. Souvenir le plus marquant? Manaich n’importe où tous les matins toujours le même goût. J’en mange plus maintenant. Pas envie de gâcher mon souvenir. « qu’elle survive de ce qu’on projette sur elle » Quand tu es à Beyrouth tu ne peux pas ne pas y être c’est tellement pas fait pour le tourisme. Quand tu y vas que tu le veuilles ou non tu y as été. Il n’y a pas de circuit, tu ne trouves pas des lieux codifiés c’est toujours une ambiance, ce sont des expériences, tu ne peux pas le faire de façon anodine. Tout ce que tu peux saisir au Liban c’est le Liban, la petite âme du pays, je me vois avoir saisi et me dire j’y suis, j’y reste sans avoir un truc à y faire, c’est les Libanais qui font ça leur désinvolture, t’as l’impression que il n’y a que toi qui a compris le mythe et chacun garde son mythe et le cultive. Tout le monde pense avoir compris le Liban. T’es au courant que les femmes sont plus à poil qu’à Paris ? hi kifak ça va ? »

50


Un mythe contemporain

Carte mentale réalisée par l’interviewée, N. Masson

51


L’image d’un mythe, Beyrouth

De nombreuses conclusions pourraient être tirées de ce témoignage. Ce qui est intéressant ici est de constater la confusion autour de la ville, et la difficulté à l’objectiver. En effet, dès le début de l’entretien, Nina dit : « Il faut que j’aille à Beyrouth, il faut que je découvre ce pays ». Durant toute la conversation elle ne fera pas la distinction entre Beyrouth et le reste du Liban. Elle ira même jusqu’à évoquer des villes situées à quelques dizaines de kilomètres comme Jounieh, comme si elles faisaient partie de Beyrouth. De même, les termes « Libanais » et « Beyrouthins » pour désigner la population résidente sont interchangeables. Ceci est révélateur de la capacité d’absorption et de la place centrale qu’occupe Beyrouth au sein du Liban. Cette confusion semble impensable entre un pays comme la France et sa capitale, Paris. Peut-être est-ce parce que la France est assez reconnue sur le plan international pour ne pas avoir besoin de revendiquer son identité en érigeant Paris au rang de « cité-nation ». La première image que Nina a de Beyrouth est «les bombes». Son frère étant rentré en 2006, après l’attaque israélienne, c’est le souvenir d’un pays en guerre qu’il lui raconte. Paradoxalement, elle refuse complètement d’assimiler Beyrouth à une ville en guerre, et ne supporte pas l’analogie d’expressions de la langue française familière qui dit indifféremment : « c’est Beyrouth » ou : « c’est Baghdad » pour désigner le chaos. Elle le dira à deux reprises dans l’entretien. Il semble donc que, même si on refuse ce parallèle un peu réducteur entre Beyrouth et la guerre, on y soit confronté ; l’idée de la guerre est constitutive de l’imaginaire développé au sujet de Beyrouth. Par la suite, elle relate la manière dont les gens lui ont raconté Beyrouth avant qu’elle-même ne s’y rende. Elle commence par dire que personne ne lui a décrit la ville sur le plan architectural, mais que les gens lui ont plutôt raconté des situations du quotidien. Cela ne permet pas de se représenter la ville et entretient le « mystère » beyrouthin. La ville devient mythe parce qu’elle est indescriptible, ou plutôt parce qu’elle n’est pas, il faut la vivre pour comprendre. Nina parle du 52


Un mythe contemporain

« bonheur » de la ville, sentiment ressenti, vécu, et subjectif, et en aucun cas image objective et tangible qui permet de la saisir. D’ailleurs, par la suite, lorsque je lui demande de me décrire la ville, elle n’y arrive qu’avec difficulté. Elle emploie, là encore des mots subjectifs et me dit « C’est pas beau, c’est Beyrouth, c’est difficile à expliquer ». Lorsque je lui demande de me résumer, elle me dit : « J’ai jamais été aussi malheureuse de quitter un endroit ». Beyrouth n’est donc pas décrite en soi, elle est décrite dans une relation par rapport à soi. Ce que la ville a produit sur elle est plus important que ce que la ville est en elle-même, dans son essence. La quatrième image qui ressort est celle d’une multiplicité ethnique. Dans son ouvrage Les sites paysagers de la mémoire du Liban, paru en 2012, Raja Choueri définit le peuple libanais comme « étant structurellement diasporique ». L’expérience de Nina confirme ce propos en évoquant les différentes personnes chez qui elle a habité dans des quartiers bien distincts. Ce qu’elle évoque est une réalité, souvent exagérée, qu’il convient de nuancer. Elle entretient un rapport ambivalent avec ce mélange d’ethnies et montre son agacement au souvenir de la première question qu’on lui pose, ce fameux « Tu es d’où ? ». Si la superposition ethnique est une réalité beyrouthine, elle est plus complexe qu’une simple opposition musulman/chrétien/druze comme on pourrait l’imaginer. Les relations intercommunautaires sont mouvantes, tout comme la géographie ethnique de la ville. Nina n’a de cesse de rappeler l’hospitalité des gens, et de dire « Je la [Beyrouth] reconnaitrai entre mille, pour ses gens ». Cela prouve que les clivages, si souvent évoqués, s’effacent lorsqu’il s’agit d’évoquer une mentalité commune à toutes les communautés. Par la suite, je lui demande de réaliser un dessin qui pourrait résumer la ville. Son dessin, à nouveau, est très peu localisé et ne permet pas de se représenter une quelconque morphologie urbaine. Pour seul élément paysager, elle évoque la Méditerranée, le reste sera majoritairement une description subjective et personnelle de la manière dont la population se comporte notamment dans son rapport à l’argent, dans la superficialité qui en résulte et dans les écarts notables entre «riches» et «pauvres» qui sont exacerbés. 53


L’image d’un mythe, Beyrouth

Enfin, Nina évoque une particularité beyrouthine, qui, à mon sens, résume son rapport au Liban et explique les difficultés qu’elle a eu à me décrire objectivement la ville. Elle dit qu’ « il n’y a pas de circuit », que « ce n’est pas une ville faite pour le tourisme ». En effet, se promener à Beyrouth est assez désagréable puisqu’il n’y a que très peu d’espaces ouverts et de monuments publics. Les musées sont pour la plupart fermés ou vides, et le centre historique, minuscule, manque cruellement de vie et de lieu pour flâner. En disant : « Tu ne trouves pas des lieux codifiés c’est toujours une ambiance, ce sont des expériences. », elle résume l’attitude que l’on peut avoir face à cette ville, pour essayer de la saisir. Par la suite, Nina s’exprimera en ces termes : « T’as l’impression qu’il n’y a que toi qui a compris le mythe, et chacun garde son mythe et le cultive. Tout le monde pense avoir compris le Liban ». Ce rapport très personnel à la ville participe de la construction du mythe. Puisque la relation à la ville est quasiment d’ordre interpersonnel, il est ardu d’en tirer des généralités. Ainsi, chacun y projette son histoire, ses images et cela participe à la création d’une somme de fantasmes individuels qui finissent par créer un mythe commun.

54


55


56


la guerre pour mĂŠmoire

57


58


lE prix de l’amnésie 59


L’image d’un mythe, Beyrouth

La guerre du Liban recouvre une période qui dure une quinzaine d’années, de 1975 à 1991. C’est une période d’instabilité politique et de désordres majeurs qui grève profondément et durablement l’économie du pays. La guerre, et celle-ci en particulier, est une composante de l’idée du mythe libanais, et plus particulièrement du mythe beyrouthin. En effet, en s’appuyant sur le travail de l’historien Georges Corm dans son ouvrage Liban : les guerres de l’Europe et de l’Occident, publié en 1992, on constate que nombreux sont les analystes et les historiens du Liban qui ont cherché à prouver que ce pays était inexorablement tourné vers la guerre, et en ce sens, qu’il portait en lui les germes de sa désintégration future. Dans cette logique, la guerre civile devient le résultat inéluctable d’une Histoire nationale simplifiée au service du mythe d’une identité libanaise en conflit entre ces différentes communautés. De manière générale, force est de constater que la perception d’une identité libanaise englobante n’est pas chose facile. En effet, comme nous l’avons vu précédemment, le Liban, et, plus précisément, Beyrouth, sont des lieux de mythe avec tous les éléments qui le composent et dont la population est une part importante. Ainsi, les regards européens ont eu, pour tout ou partie, un rôle déterminant dans l’image que présente Beyrouth d’elle-même, et dans la constitution de cette dernière au sein de sa propre population. Les discours globalisants sur les identités chrétiennes et musulmanes, de la part des penseurs libanais et nonlibanais, ne peuvent pas suffire à déterminer les causes de la guerre et ne doivent pas être pensées comme des causes absolues. Il est important de saisir que la guerre qui a meurtri Beyrouth pendant plus de quinze ans n’est pas tant une guerre d’ordre politique et idéologique qu’un conflit armé, motivé avant tout par des enjeux financiers et fonciers colossaux. Dans son travail de doctorat, paru en 1969, Beyrouth, une ville d’Orient marquée par l’Occident, Helmut Ruppert présente de nombreuses cartes qui témoignent de la mixité confessionnelle de la ville. H. Ruppert a réalisé une importante enquête de terrain et, en annexe de son travail, on voit la répartition spatiale des communautés qui est davantage une superposition de confessions qu’une franche opposition. Cette enquête réalisée moins de dix ans avant la guerre témoigne d’une réalité de la situation et du fantasme qui en découle. 60


Le prix de l’amnésie

Certes, la population est constituée de multiples ethnies, mais on voit qu’une bonne partie de la ville est investie de manière préférentielle pour des raisons financières et non confessionnelles. De plus, de part et d’autre de la rue de Damas, c’est majoritairement la communauté sunnite* qui est installée sans faire de distinction est-ouest. Enfin, il est important de noter que le centre ville est laissé en blanc. Le centre n’appartient à aucune communauté, puisqu’il est avant tout un quartier de commerces et non un espace résidentiel. Sa destruction, pour les motivations confessionnelles qu’on lui prête, semble donc effectivement discutable. Comprendre les motivations de la guerre, c’est se donner les moyens de comprendre de quelle manière le conflit a redessiné la ville toute entière, et en quoi il a réactivé le mythe beyrouthin.

La structuration des quartiers résidentiels en fonction de l’appartenance religieuse et du niveau de revenu, tiré de Beyrouth, une ville d’Orient marquée par l’Occident. Helmut Ruppert

61


L’image d’un mythe, Beyrouth

Les Libanais s’accordent à dire que la guerre a commencé le 13 avril 1975. Les premiers affrontements ont lieu principalement entre les chrétiens du Parti des Kataeb mené par Pierre Gemayel et les Palestiniens musulmans. A ces deux premiers camps s’ajoutent nombre de belligérants, libanais mais aussi du reste du Proche-Orient. Beyrouth n’en ressort évidemment pas indemne, et les quinze années de combat vont profondément transformer la ville, sa morphologie et son patrimoine bâti. La guerre et les zones de tirs ne s’étendent pas à toute la ville. Les zones de combat sont assez condensées et ne remplissent finalement qu’une petite aire à l’échelle de la capitale libanaise. Elles se résument à deux pôles principaux : d’une part, la rue de Damas, artère importante de Beyrouth, partant de son centre et allant jusqu’à l’aéroport, et de l’autre le centre historique dessiné par M. Ecochard. Dès les premiers jours de la guerre, ces zones vont voir leur destruction progresser inexorablement pour porter ces deux quartiers au service de la guérilla urbaine. La rue de Damas va devenir la ligne de démarcation entre les différents camps en place et restera une zone d’affrontement privilégiée pour les snipers. Elle sera renommée « la ligne verte » à cause de la végétation qui reprend progressivement ses droits au cours du conflit. Elle va diviser la ville en deux parties, et cette répartition spatiale durera jusqu’à la fin de la guerre. De part et d’autre de cette rue, se situent chacune des communautés. Les chrétiens sont à l’est de la ville, là où ils se sont traditionnellement installés, sur les collines d’Achrafieh, tandis que les musulmans se trouvent à l’ouest, vers Raouché. Outre la rue de Damas, le centre historique, situé autour de la place de l’Etoile, est une zone où la guerre fait rage. C’est le premier quartier qui sera victime des affrontements de la guerre. Dès le mois d’octobre 1975, le quartier est complètement détruit par des bombardements violents. Avant la guerre, c’était une zone de Beyrouth assez populaire et bon marché où les souks en tous genres s’étaient installés. La destruction et la reconstruction après-guerre de ces deux aires urbaines beyrouthines est révélateur du rapport qu’entretiennent les habitants avec leur ville. Le propos de ce travail sera d’essayer de saisir les enjeux de la reconstruction à travers les exemples que sont la rue de Damas d’une part et le centre ville d’autre part. Ces enjeux seront traités tant en terme de 62


Le prix de l’amnésie

conservation d’un patrimoine bâti et d’une cohérence urbaine, qu’en terme de cohérence identitaire à l’échelle d’une nation, autour d’une nouvelle ville portant un visage fédérateur. La première zone de Beyrouth à être directement marquée par les destructions est celle de la rue de Damas. Les projets de réhabilitation mis en place suite à la destruction quasi totale de la rue qui suivent leur cours aujourd’hui encore, ne font pas nécessairement l’unanimité auprès des Beyrouthins. Ainsi, le projet « Liaison Douce » proposé par la Mairie de Beyrouth depuis 2008 vise à réaménager l’ensemble de la rue de Damas. Après une enquête et un recensement du bâti en place, un appel d’offre est lancé en 2010, remporté par le cabinet Urbi, dont l’architecte chef de projet est Habib Debs. Le projet cherche à mettre en place une rue apaisée, notamment grâce à un sens de circulation unique, des trottoirs élargis, des plantations d’arbres. Le projet veut également instaurer, sur ces nouveaux espaces piétons gagnés sur la route, des activités ludiques et récréatives telles que des jeux pour enfants et des installations sportives. L’idée du projet est d’unifier les habitants autour d’un lieu mémoriel, dans un projet de promenade et de contemplation qui mettrait en valeur les bâtiments de l’ancienne ligne de démarcation. Ce projet, a priori vertueux, ne semble pourtant pas mettre tout le monde d’accord. En effet, à Beyrouth, le problème de la consultation auprès des habitants ne se pose de la même manière qu’en France. Le dernier recensement officiel du pays date de 1932, et rend difficile la démarche participative comme on l’entend en France. C’est ce que reproche au projet l’architecte et urbaniste beyrouthin Fadi Shayya, et ce d’autant plus qu’il s’agit d’un espace à forte portée symbolique. En effet, les riverains sont en désaccord avec le projet sur plusieurs points. D’abord pour des raisons pragmatiques : ils refusent l’idée d’une rue à sens unique dans une ville au code de la route inexistant et où la voiture a tous les droits. De plus, les habitants sont peu enclins à s’investir dans un projet dont ils ne sont pas les décideurs, et dont la pérennité ne peut être assurée, dans une ville aussi instable et 63


L’image d’un mythe, Beyrouth

où les décisions politiques sont souvent entachées de corruption. Plus que cela, c’est symboliquement et en terme de représentations que F. Shayya pointe le projet du doigt. En effet, pour lui, Liaison Douce « conçoit l’espace public comme une commodité vidée de toute référence au conflit ». L’architecte craint que le projet aboutisse à une muséification de la rue de Damas, au détriment de la mémoire vivante de ses habitants. Par ailleurs, ce projet risque, selon lui, de renforcer le rôle de démarcation associé à la rue, au lieu de lui rendre son pouvoir de jonction entre plusieurs quartiers, comme c’était le cas avant-guerre. F. Shayya ajoute même que de manière plus générale, à l’échelle de la ville toute entière, « la politique de production de l’espace public vise à masquer son [celle de la ville] incapacité à gérer la situation conflictuelle qui prévaut depuis l’après-guerre ». À travers l’exemple du projet Liaison Douce, on comprend que ré-interpréter et réinvestir les lieux de mémoire n’est pas tâche facile. Il ne s’agit ni de faire un projet urbain et paysager simplement fonctionnel, ni de faire un mémorial austère distant de la vie de la ville et de celle des riverains. Le problème de la reconstruction et de la mémoire qui anime cette dernière, est donc particulièrement délicat à Beyrouth. L’exemple de la rénovation du centre-ville historique, objet de toutes les attentions pendant et après la guerre et développé ci-après, en est un autre exemple probant. Avant la guerre, c’était un quartier qui comprenait des activités mixtes, avec les souks populaires et vivants d’une part et la place de l’Etoile de l’autre, qui, nous l’avons vu, était un lieu sans vie, quartier de banques boudé par les habitants. Outre ce mélange d’activités, existait un mélange confessionnel, puisque les deux églises de Saint Georges et de Saint Elie ainsi que la mosquée de Bab el Sarraya s’y côtoient à quelques centaines de mètres. Certains observateurs libanais estiment que la destruction du centre était volontaire et orchestrée, afin de réaliser une importante opération foncière une fois la guerre finie. Ce point de vue semble assez cohérent au regard de la chronologie des destructions et des bâtiments réellement affectés. Mis à part les souks et la plupart des immeubles de logement, les bâtiments officiels n’ont été proportionnellement que peu 64


Le prix de l’amnésie

touchés. Rappelons que ce quartier du centre est mitoyen de l’îlot des banques et de la Poste Centrale qui sont restés absolument préservés. En 1977 la guerre a connu une accalmie notable, et un Plan Directeur d’Aménagement du Centre de Beyrouth a été proposé à la suite d’un partenariat entre la République libanaise, la Municipalité de Beyrouth et l’Atelier Parisien d’Urbanisme (APUR). Ce plan d’aménagement prévoyait notamment : « -Le maintien de la plupart des bâtiments qui n’ont pas subi trop de dégâts [...] -La conservation et la mise en valeur du patrimoine historique du centre et la création aux alentours de placettes et d’espaces verts -La rénovation de souks sans préjudice à leur caractère traditionnel [...] » Le Plan misait sur le fait que le centre étant vidé de ses habitants et des ses activités au lendemain de la guerre, il serait plus aisé d’y amener de réels bouleversements. Le vide offert par la guerre est alors vu comme une opportunité pour mener à bien des projets de grande ampleur, allant jusqu’à la création d’un métro et de plusieurs voies souterraines pour les voitures. L’idée était de donner à Beyrouth une réelle respiration dans un plan urbain jusqu’alors trop dense et saturé, ne laissant que peu de place aux piétons. L’attention accordée aux souks et à leur rénovation dans le maintien d’une activité commerciale traditionnelle est probante. Le Plan directeur est univoque : « Ils [les souks] étaient sans aucun doute les nerfs moteurs de toute la zone commerciale traditionnelle. Il est donc évident que si le centre ville est appelé à retrouver sa place par rapport aux différents centres commerciaux de la ville de Beyrouth, sa remise en état ne saurait être déclenchée que par la reprise totale des activités des différents souks». Le Plan préconise une restauration de ces derniers, pour certains complètement détruits, tout en attachant une importance particulière aux bâtiments remarquables qu’il convient de mettre en valeur. « Pour leur [les bâtiments remarquables] conférer le relief qu’ils méritent il a été décidé de les isoler en supprimant tous les volumes qui étaient accolés à eux » 65


L’image d’un mythe, Beyrouth

Le centre-ville, zone d’intervention du projet

source : plan d’aménagement directeur de 1977

Schéma d’aménagement du projet

source : plan d’aménagement directeur de 1977 ci contre : Plan d’aménagement du projet

source : plan d’aménagement directeur de 1977

66


De l’Orient à l’Orientalisme

67


L’image d’un mythe, Beyrouth

Ainsi, on le voit, ce Plan directeur datant de 1977 a été pensé de manière assez complète, sans chercher à faire de Beyrouth une vitrine ou une façade divertissante mais en continuant de proposer des activités destinées à en faire vivre son coeur. Ce Plan ne verra pas le jour pour plusieurs raisons, la principale étant que la guerre a repris activement à partir de 1982, avec des violences continues de 1977 à 1982. Le climat n’était donc pas des plus favorables à de grands projets urbains. Néanmoins, à la fin de la guerre en 1991, un nouveau Plan directeur pour le centre ville va voir le jour, proposé par l’homme d’affaire sunnite Rafic Hariri. Il sera confié en 1994 à une société foncière et immobilière de droit privé (Solidere), qui adopte une démarche planifiée « d’urbanisme insulaire » (Saliba). En se référant à l’article de Métropolitiques sur la reconstruction de Beyrouth, ce plan urbain est considéré par la plupart des urbanistes et architectes comme un simple trust immobilier et en rien une démarche animée d’une volonté de conserver un patrimoine historique et architectural. En témoignent les propos de l’influent architecte Fadi Shayya à propos du projet (revue trajets) : « Le centre ville reconstruit par Solidere est un espace exclusif, l’espace public y a été privatisé par une île de multinationales et de boutiques de luxes au milieu de la ville ». En effet, lorsqu’on regarde avec attention, le schéma directeur de Solidere et la programmation du projet sont influencés par le modèle des opérations de régénération urbaine menées dans de nombreuses villes occidentales. Ce modèle cherche à maximiser la rentabilité et le profit des investisseurs dans la reconstruction de l’environnement bâti. En l’occurrence, Solidere commercialise une quantité de droits à construire (4,7 millions de mètres carrés de surface hors œuvre nette) plus de deux fois supérieure à la surface du centre-ville d’avant-guerre, comme le décrivent Eric Verdeil, Ghaleb Faour et Sébastien Velut dans leur Atlas du Liban. Les immeubles de grande hauteur, accueillant bureaux et appartements de luxe, associés au développement d’un mall d’inspiration occidentale à la place des anciens souks, ne structurent finalement un projet qui ne préserve et ne réhabilite qu’un faible nombre d’îlots traditionnels préexistants. Dans les quartiers adjacents au projet de Solidere, on assiste à la même dynamique qui conduit à une augmentation sensible du prix 68


Le prix de l’amnésie

du foncier : les prix à l’achat vont jusqu’à 5000 US $/m2, ce qui est exorbitant pour Beyrouth. Cette reconstruction du centre qu’on pourrait qualifier de ratée, est ressentie plus largement que par les Libanais euxmême. En effet, dans un supplément du quotidien Le Monde du 31 octobre 2013 intitulé « Beyrouth Blues », l’auteur, Alain Salles, décrit le nouveau Beyrouth qui « manque cruellementd’effervescence » et n’est plus le lieu de bouillonnement qu’il a été auparavant. On le comprend, cet article récent, écrit par un étranger est révélateur de l’échec de la reconstruction. Le centre de Beyrouth a perdu son identité, et si la guerre a meurtri la ville, la reconstruction a achevé de la rendre sans vie. Elias Khoury, auteur libanais, écrit en 1977 dans La petite montagne : « Quand nous avions détruit Beyrouth, nous pensions avoir enfin détruit cette ville à jamais. Mais lorsqu’ils ont proclamé que la guerre était finie, et qu’ils ont diffusé les images de l’incroyable désolation de Beyrouth, nous avons découvert que nous ne l’avons pas détruite. Nous avions juste ouvert quelques brèches dans ses murs. Pour la détruire, d’autres guerres seraient nécessaires». Il semble aujourd’hui que ces propos d’E. Khoury s’avèrent justes et que les « autres guerres » soient celles de l’intéressement individuel et financier sur la volonté de reconstruire une ville et une identité commune.

69


70


photographie : la survivance 71


L’image d’un mythe, Beyrouth

Dans la première partie de ce travail, nous avons montré combien les regards européens, qu’ils soient transmis sous une forme littéraire, urbanistique ou mentale ont construit la ville en l’érigeant au rang de mythe. Cette construction s’est poursuivie pendant la période d’après-guerre, époque dont le lot d’enjeux ont longtemps portés, et ont encore des effets sur le Beyrouth d’aujourd’hui. La reconstruction a suscité des interrogations autour du souvenir de la ville. L’élaboration, ainsi que l’entretien de nouveaux mythes mémoriels s’avère complexe. Cependant, une période a été jusqu’ici absente de ce travail : la période de la guerre en elle-même et de ses traces immédiates. Pourtant, la guerre a généré nombre d’images, pour certaines encore prégnantes aujourd’hui. Au lendemain de la guerre, une mission photographique a été mise en place par l’auteur libanaise Dominique Eddé pour photographier la ville, accompagnée de six photographes : Gabriele Basilico, René Burri, Raymond Depardon, Fouad Elkoury, Robert Frank et Joseph Koudelka. Il nous a paru intéressant de nous pencher plus particulièrement sur le travail de deux d’entre eux : Basilico et Depardon, ainsi que sur travail de Sophie Ristelhueber, photographe et plasticienne française s’étant également rendue à Beyrouth en 1991. Leurs photographies sont révélatrices d’un rapport artialisant à la guerre et au macabre, en concordance avec l’idée exprimée par Michel de Certeau dans son ouvrage de référence La beauté du Mort. Voir Beyrouth comme un décor de théâtre et la figer dans l’image des ses décombres est une posture photographique qui marquera et scellera une des identités de la ville. Dans son ouvrage Depardon Voyages, R. Depardon écrit en parallèle de son travail d’images : « je marche dans la rue/la lumière des murs me rassure/elle me guide dans un bonheur […] ». Ici, l’auteur évoque dès les premières lignes « le bonheur » que provoque Beyrouth, « bonheur » qui n’est pas sans rappeler celui qu’évoquera Nina pour décrire la ville quelques vingt années plus tard, dans un contexte complètement différent. Par ailleurs, Depardon compare Beyrouth à une femme, reprenant une longue tradition d’auteurs européens déjà évoqués auparavant, il écrit : « [Beyrouth] je l’aimais trop, elle m’aimait peu/Beyrouth m’avait aidé 72


Photographie : la survivance

[…] . » Le photographe anime la ville d’une volonté et l’humanise. Ce rapport à la ville semble d’autant plus paradoxal qu’il émane d’un photographe. En effet, on pourrait être porté à croire que par sa profession, Depardon ne voit la ville que par le prisme du décor qu’elle offre et non animée d’une âme, substance mystique et mythique de la ville. Le photographe n’est donc pas simplement dans une image neutre et documentaire, il se place mentalement par rapport à la ville qu’il fige en photographie. Sa position en tant que photographe, dès lors, lui pose question. En effet, durant tout son texte, Depardon s’interroge beaucoup sur sa place en tant que reporter et en tant que photographe ainsi que sur la nuance entre les deux : « Aujourd’hui je prends ma revanche/sur les peurs du reporter/j’ai souffert de cet état permanent/de voyeurisme, d’agression, de sollicitude/où en si peu de temps je passais/du photographe de famille, à l’espion venu d’en face », plus loin : « c’est ici pourtant/que j’ai dit adieu/au grand photo-journalisme sacré », et enfin il écrit : « je fais le clown avec un gros appareil/je suis un autre reporter/un photographe tout court ». Dans ces différents extraits, Depardon remet en cause la qualité, la pertinence et la légitimité du statut de reporter, de journaliste. Il va lui préférer l’identité et la fonction de photographe. Or, si le reporter a une portée documentaire, le photographe, lui, n’a qu’une portée artistique. Cela se vérifie dans le corps des photos qu’a réalisé Depardon. Il met en scène la ville et ses blessures de manière imposante et théâtrale pour réaliser des images très puissantes et esthétisantes. La nostalgie de ce que le photographe est en train de vivre est déjà présente dans son texte. Si Depardon ne regrette pas la guerre en ellemême, il est pourtant probable qu’il regrette ce moment de l’après-guerre où il est un « photographe français/dans Beyrouth centre-ville », et où il y est seul, avec le privilège d’apprécier ce « décor de guerre ». Ces images vont participer à ériger une nouvelle facette du mythe : celui d’une ville délabrée portant une mémoire pesante. double page suivante :

Beyrouth,

Raymond Depardon, 1991

73


74


De l’Orient à l’Orientalisme

75


L’image d’un mythe, Beyrouth

Beyrouth,

Raymond Depardon, 1991

76


Photographie : la survivance

Vue de l’immeuble Azarieh, Raymond Depardon, 1991

77


L’image d’un mythe, Beyrouth

Gabriele Basilico fait partie de la même école que Depardon lorsqu’il se prononce sur Beyrouth au lendemain de la guerre. Basilico porte un regard personnel sur la ville, dont il témoigne dans l’ouvrage Gabriele Basilico Beirut 1991 (2003), paru en 2004. Francesco Bonami, critique d’art italien, prend la plume dans la première partie de cet ouvrage et rapporte que Basilico « regarde Beyrouth comme si il observait une ville transformée de manière subtile, par une maladie toute autre que la guerre, peut-être par une dégradation des liens sociaux, peut-être par une spéculation immobilière sauvage et sans mesure. » L’auteur dit plus loin que Basilico regarde la ville comme si il était le « docteur qui observait son patient survivant d’une maladie au stade terminal ». Le photographe entretient un rapport de souffrance avec la ville ; il la considère, tout comme Depardon, comme un être humain. En revanche, et à la différence de son homologue français, il ne l’envisage pas comme un être humain qui serait son égal, capable d’aimer et d’être aimé mais comme un être fragile, mourant, dont il faut s’occuper. Par la suite, Basilico évoque « la maladie de peau » dont Beyrouth est victime selon lui, cette maladie est comme écrite sur les murs de la ville qu’il prend en photo avec une certaine obstination. Il admire cet aspect « malade » de la ville qui se retranscrit dans ses images. Les murs qu’il photographie sont comme « lépreux » criblés de balle, et là où Depardon présentait des images très architecturés, composées de beaucoup d’éléments, Basilico présente des images presque vides, où les façades abîmées ressortent d’autant plus. Basilico décrit son arrivée à Beyrouth dans les termes suivants : « La ville était éteinte et les bâtiments ressemblaient à des fantômes ». Sa vision est bien moins séduisante que celle de Depardon, et restera marquée par un sentiment de « tristesse », de « vide » et de « silence » qu’il a transmis dans ces images. Ainsi, Basiliso observe la ville avec plus de réserve que Depardon, il la tient en respect et renforce l’aspect magistral des images dans un silence absolu. Là où Depardon cherche l’humain et présente des traces de vie allant même jusqu’à photographier des enfants, Basilico présente des images très froides, ne comportant que trois éléments : les bâtiments, le végétal et le ciel. 78


Photographie : la survivance

ci contre et double page suivante : Beirut,

Gabriele Basilico, 1991

79


L’image d’un mythe, Beyrouth

80


Photographie : la survivance

81


L’image d’un mythe, Beyrouth

Cela peut s’expliquer par le rapport différent qu’ils entretiennent avec leur profession. Là où Depardon refuse d’être un reporter, Basilico décrit sa première approche de la ville comme suit: « Je suis allé sur les sites à différents moments de la journée, afin de mieux comprendre la ville et d’être en harmonie avec elle. Cette approche est très importante pour moi. Dans la mesure où je me considère, avant tout, comme un « photographe documentaire », j’essaye de montrer la réalité de manière à ce qu’elle soit comprise et appréhendée par le plus grand nombre, sans essayer de la transformer. » Basilico se veut objectif, sans mensonge et sans portée artialisante d’un décor déjà imposant. Néanmoins, s’il a voulu « résister à la tentation de de fabriquer des images « sensationnelles », images qui, selon [lui], auraient été de faux documents », on remarque que ses images sont nécessairement partiales et qu’elles traduisent de la peur mêlée à de l’admiration, pour cette ville « malade » qu’il essaye, semble t-il, de sauver. Il est intéressant de constater à nouveau l’ambivalence dans laquelle se retrouve le photographe : entre une volonté de transparence, de retranscrire la vérité et celle de créer de belles images puisque, après tout, c’est aussi sa vocation et son regard. Sophie Ristelhueber n’a pas participé à la mission photographique de Dominique Eddé. Néanmoins, son travail traduit une approche similaire à celle de Basilico, de manière encore plus assumée. En effet, ses images ont des plans souvent très resserrés et présentent les bâtiments avec leurs ouvertures béantes, en état de décomposition avancée. Le cadre est si resserré qu’il est bien souvent difficile de savoir qu’il s’agit de Beyrouth. Cependant, il nous semblait intéressant de citer son travail afin de voir le fil rouge entre ces différents photographes. Beyrouth a donc bien été artialisée grâce à ses ruines et à son terrible décor. Bien qu’aujourd’hui les traces de la guerre soient très discrètes, visibles sur quelques immeubles dispersés çà et là seulement, elles sont restées présentes dans les mémoires collectives. Ce travail photographique, s’apparentant presque à un recensement des destructions, a figé l’image d’une ville au souvenir toujours douloureux. Cette image ne peut être absolument révoquée, mais elle ne suffit pourtant pas à résumer Beyrouth. L’aire urbaine qui est photographiée ne représente que quatre 82


Photographie : la survivance

kilomètre carrés pour une ville qui en mesure officiellement vingt mais représente en réalité plusieurs dizaines de kilomètres carrés. Beyrouth existe en dehors de ses décombres et ne peut se suffire de cette image. Pourtant, il semble difficile aujourd’hui de photographier à nouveau Beyrouth tant ces images qui ont plus de vingt ans ont une portée évocatrice immédiate et perceptible par tous.

ci dessous : Sans titre,

Sophie Ristelhueber, 1991

83


L’image d’un mythe, Beyrouth

Néanmoins, si les images évoquées jusqu’alors font autorité dans une des définitions de Beyrouth, photographier à nouveau cette ville ne peut être perçu comme un interdit, et, même en tant qu’anonyme et amateur, certaines images actuelles peuvent réveler la ville d’une autre manière, moins artialisante et plus documentaire. Avant même d’avoir l’idée de ce travail, dès 2009, je me suis rendue à Beyrouth et y ai fait une série de photographies argentiques, noir et blanc à l’aide d’un Olympus OM-1. Depuis, j’y suis retournée deux fois et ait fait d’autres séries d’images. Ces images ne prétendent en aucun cas rivaliser ou se comparer à celles evoquées plus haut, cette démarche étant absurde à bien des égards. Cependant, mettre en regard ces différentes séries de photographies, allant des oeuvre d’art de la Mission Photographique à la -presque- simple photographie de vacances de mon adolescence m’a paru intéressant. Explorer mon regard par le prisme des chef d’oeuvres mentionnés plus haut me permet un certain recul, à la fois sur la ville et sur mon travail. Les images présentées ci après ont fait l’objet d’une séléction à travers trois différents voyages effectués en 2009, 2012 et 2013. Elles paraissaient les plus représentatives de l’évolution de mon regard sur la ville.

84


De l’Orient à l’Orientalisme

85


L’image d’un mythe, Beyrouth

86


Photographie : la survivance

page prĂŠcĂŠdente : Place des Martyrs,

Photographie personelle, 2009 double page : DĂŠcombres,

Photographie personnelle, 2009

87


L’image d’un mythe, Beyrouth

Grues, Photographie personnelle, 2012

Jemmayzeh, Photographie personnelle, 2012

88


Photographie : la survivance

Maronite* Square,

Photographie personnelle, 2012

89


L’image d’un mythe, Beyrouth

Art Déco, Photographie personnelle, 2013

90


Photographie : la survivance

Halo, Photographie personnelle, 2013

91


L’image d’un mythe, Beyrouth

Fenêtre, Photographie personnelle, 2013

92


Photographie : la survivance

93

Bidons,

Photographie personelle, 2013


94


95



M. le miroir


Je ne suis pas beyrouthine. Je ne vis pas à B. Je n’y ai jamais vécu. Je ne connais pas cette ville. Ce n’est pas ma ville. Je ne sais pas ce que tout cela veut dire. ça ne veut rien dire. B. j’en ai entendu parler. Des voyageurs incertains, immigrés sans valises trop lourdes explorateurs de nulle part habitants fatigués d’ailleurs artistes compris ou martyrs désavoués de causes perdues ou gagnées. Tous m’ont raconté leur ville. Je me dois de comprendre leurs résonances

98


M. le Miroir

Un jour une lettre n’arriva pas. Tous les matins, elle recevait son courrier, dans une belle enveloppe aux couleurs bleu blanc rouge qui indiquait qu’elle arrivait par avion. Depuis sa naissance, elle recevait cette missive, sans expéditeur, avec pour seule indication un signe, d’un alphabet inconnu et familier. Cette lettre n’était à chaque fois ni tout à fait la même, ni tout à fait une autre. Le signe était là, imprimé à l’encre noire, sur papier fin, presque transparent, si bien que l’encre noire menaçait presque, à chaque fois, de percer la feuille. Le 24 j. 199., sa boîte était vide. La lettre n’était pas arrivée avec son signe. Elle prit alors la première décision de sa vie. Aller trouver cette lettre. Cette lettre dans sa lettre. La déchiffrer, et comprendre le reste. Elle partit vers le Nord. Tout droit. S’arrêta vite devant un mur. C’était mur de la ville de T. Il était tout en pierres blanches et il n’y avait pas de porte. U. croisa un homme, un garde de la ville. Elle demanda au garde où se trouvait l’emplacement de la porte, qui semblait dissimulé par un procédé qu’elle ne s’expliquait pas. Le garde refusa de lui indiquer comment trouver l’entrée et ainsi, dépasser ce mur. « Une fois franchit ce mur, il y en aura d’autres, et à chaque mur, un nouveau garde qui t’empêchera d’entrer. » Elle attendit donc, dans une sorte de résignation mêlée d’une certaine peur, espérant que le garde finirait par plier et la laisser entrer. Les jours passaient et le garde restait impassible, taisant fermement le secret de l’emplacement de la porte. U. restait là, elle savait que le secret de sa lettre se trouvait derrière cette porte, au delà de cette enceinte, dans la ville de T.. Un matin un homme arriva, portant à la main un réséda. U. pensa qu’il était de la tribu des N. au vu de la couleur de sa peau. Il s’assit et se mit à lui parler.

99


L’image d’un mythe, Beyrouth

Mon premier rapport à Beyrouth passe par mon grand père. C’est lui l’origine de tout cela. Arménien du Liban, il était un immigré chez les immigrés. J’ai mis du temps à le comprendre. Il m’apparaissait simplement comme un étranger, qui cachait avec lui le mystère de sa ville. Beyrouth est d’abord apparue à moi comme la ville du progrès. Par opposition aux montagnes d’une Arménie profonde et reculée, la capitale était la ville où mon grand-père avait étudié. La ville des intellectuels en devenir, des laissés-pour-compte qui peuvent réussir. J’imaginais aussi beaucoup de palmiers. Et du miel. Mon grand père a du arriver à Beyrouth en 1937. Parti du Sanjak d’Alexandrette concédé à la Turquie par la France, il fuit, comme beaucoup d’autres, dans un premier temps pour Alep en Syrie, puis pour Beyrouth, échouant alors dans le quartier insalubre du port appelé la Quarantaine. La Quarantaine a été la terre d’accueil de beaucoup d’immigrés, avant de devenir le no man’s land délaissé d’aujourd’hui. Avec la mer, tendue comme toile de fond, cette Quarantaine a cristallisé tous les espoirs, à la fois d’arrivée, et départ possibles. Peu à peu, les Arméniens se sont déplacés vers Bourj Hammoud qui s’est révélé le haut lieu de l’arménitude à Beyrouth. Bourj Hammoud. Ce mot imprononçable abrite aujourd’hui les étrangers de toute sorte et est resté presque sincère parce que hors des murs de la ville à proprement parler, et donc intouché par la guerre. Bourj Hammoud ressemble à un petit village. Il est constitué d’une rue principale .... d’ou partent de minuscules ruelles, souvent sombres. C’est un quartier bouillonnant, composé de petites maisons, à un ou deux étages, recouvertes par de la chaux. Au rez-de-chaussée de chacune d’entres elles, on observe des échoppes d’artisans. Nombres d’entre eux sont chausseurs, forgerons, ou ébénistes. Les ateliers sont souvent ouverts sur la rue et donnent à ce quartier un aspect de fourmilière productive, où sont conservés des savoirs-faire d’antan. Si ce sont majoritairement des arméniens qui résident là, la plupart des Beyrouthins s’y rendent tout de même pour y trouver des produits de qualité. Peu à peu, ce quartier populaire a attiré d’autres types de population. Les « bonnes », 100


M. le Miroir

notamment, femmes à tout à faire que chaque famille honorable se doit d’employer - voire le plus souvent d’exploiter- viennent ici pour y trouver des produits de leur pays d’origine. Aux enseignes écrites en arménien se succèdent celles rédigées en philippin ou en amaric, ce qui offre un fatras de couleur et de formes visibles depuis la rue. Bourj Hammoud est populaire mais pas crasseux, et la préservation de son patrimoine et de monuments historiques comme les églises arméniennes du début du siècle est un défi majeur de ce quartier.

101


L’image d’un mythe, Beyrouth

Elle lui demanda si il connaissait cette cité. Oui. Il était arrivé là bas. Dans une autre jeunesse. Déplacé. Lui aussi avait voulu rentrer dans la cité, il y a bien des années. Il était arrivé parmi une masse comme lui. C’était la première fois qu’il y remettait les pieds ce jeudi...La cité avait bien changé, seul son petit quartier d’arrivée n’avait pas bougé. Elle lui présenta toutes les lettres qu’elle recevait depuis des années, convaincue qu’il pourrait l’aider à en comprendre la signification hermétique. Il lui montra une carte parsemée de petits points rouges, posés ça et là. Chaque point indiquait la position de quelqu’un pouvant l’aider dans sa quête. P. voulait repartir, il vivait maintenant avec le paysage enfoui de cette cité idéelle et hospitalière et avait peur de confronter ces souvenirs à une nouvelle réalité. Il avait quitté la ville alors que la peste se déclenchait et commençait insidieusement à gangréner toutes les tribus, toutes les familles. Il était retourné, une fois, sur les traces de ces souvenirs. Il s’était rendu compte que son identité n’y était plus. Après la maladie, de nouveaux murs avaient été bâtis, niant sa vie de jeune homme, laborieux et fier. La ville s’était générisée. Il lui semblait qu’elle avait perdu de son identité, et elle ne correspondait plus à ce qu’il en avait attendu. Il n’arrivait pas à s’imaginer de nouveau dans cette cité. Il la décrivait comme une ville des possibles, où l’honnêteté pouvait l’emporter et permettre à chacun de réussir. Il lui semblait qu’elle avait été corrompue par une forme de vice indélébile, ou chacun s’était retranché derrière un quant-à soi intéressé. Il ne la connaissait plus et ne pouvait l’aider davantage dans ses recherches. Avant de partir, il annonça son nom au gardien, ce dernier ne put lui refuser le privilège de lui ouvrir la première porte, tout en alertant U. qu’elle allait se heurter à une prochaine porte, au prochain mur. Elle entra tout de même et comprenant qu’il ne l’accompagnerait pas et quelle ne pénétrerait pas avec lui à l’intérieur, elle le laissa partir, à nouveau, avec cette carte pour seule aide. Elle arriva et vit.

102


M. le Miroir

Ma première visite à Beyrouth remonte à mes cinq ans, en 1996. Je n’avais aucune idée sur la ville en y allant, et je pense que, de toute façon je n’étais pas en âge de m’en formuler. Mon premier souvenir de Beyrouth est quasiment inexistant. Il me revient seulement la poussière et la lumière. Et la poussière dans cette lumière. Il me semble une impression d’un vide certain, de beaucoup d’espace, sûrement offert par la guerre. Beyrouth n’était pas la généreuse, bouillonnante et saturée comme on aime à la décrire et comme elle est peut-être, aujourd’hui. Non, c’était plutôt une grande étendue calme, où parfois même les fleurs venai ent repousser dans de vieilles maisons ottomanes* dont il ne reste rien. Si je dois chercher dans ma mémoire, il me semble me souvenir de la couleur qu’avait cette ville. Elle était pour une grande partie, ocre, très lumineuse, un éclat généreux sur les façades des bâtisses qui tenaient encore debout. J’ai aussi le sentiment de me souvenir d’une autre couleur, très prégnante. Le marron. Le marron était la couleur des murs dans lesquels la poussière s’était imprégnée et qui restaient, comme marqués par de longues trainés de cette couleur sombre. Cela donnait une atmosphère tout à fait particulière aux rues. En France, le ciel est généralement plus sombre que la rue, aux couleurs claires, les immeubles haussmaniens, en un sens, éclairent, parfois la ville. C’est ce que je croyais savoir de ce qu’était une ville. En me rendant à Beyrouth, j’ai le souvenir, confus, mais présent, d’un manque de repères à cause d’une inversion des couleurs. Le soleil et le ciel étaient d’autant plus aveuglants que la couleur des murs étaient sombres. C’est donc ça, je me souviens de deux choses, la poussière et la lumière.

103


L’image d’un mythe, Beyrouth

Elle se rendit au Quartier, là où certains pouvaient déchiffrer ses lettres. Une jeune femme vint à elle, pantalon noir, portant à la bouche une cigarette d’un blanc immaculé qui dégageait une fine et dense fumée grise. V. était une femme d’une quarantaine d’années, dont les traits étaient sonnants et vivants. Ses sourires révélaient de grandes dents blanches, encadrées par ses lèvres sombres. « Comment comprendre ces lettres ? » lui demanda U. en lui montrant son imposante pile de courrier. U. n’eut pas besoin de fournir de plus amples explications. V. connaissait et comprenait cette quête qu’elle même avait mené pendant de longues années. Elle était compositrice et tentait de décrire le coeur de cette ville de T. à travers sa musique. Elle jouait avec les sonorités pour comprendre ce qui l’avait porté jusque là. C’était sa manière de résoudre les énigmes. La musique. Elle montra à U. ce qu’elle affectionnait ici, les recoins de sa ville qu’elle avait pu comprendre et auxquels elle s’était attaché, d’autres qu’elle avait oublié, lorsque la cité avait été ensevelie sous les décombres de sa propre maladie. Elle composait, inspirée par les sonorités de son histoire qui se mêlaient à celles de sa ville qu’elle avait adoptée ou qui l’avait adoptée.

104


M. le Miroir

J’ai beaucoup questionné Tania sur Beyrouth, elle qui a toujours eu un plaisir mêlé d’amusement à en parler. Elle est, comme ma mère, une arménienne du Liban. Comme elle, elle a fait partie de cette première génération qui a pu s’extirper du carcan communautaire. Il ne lui reste de sa culture qu’une langue qu’elle maîtrise mal, un nez prononcé et de vieilles anecdotes de ses tantes aux odeurs de naphtaline. Lorsqu’elle me parle de sa ville, elle n’a de cesse de répéter combien c’est une ville stupide et laide avec un ton admirateur. Comme beaucoup d’autres beyrouthins, elle se situe dans ce paradoxe. Depuis mes cinq ans, je viens chez elle. Avant, de sa terrasse, s’étendait la ville et ses vides, avec, au fond, le phare et la mer. Aujourd’hui, il faut faire face à une tapisserie, presque uniforme d’immeubles de standing, dans les vitres desquels le ciel vient se refléter. C’est là où on le voit le mieux, d’ailleurs. Il n’existe plus que difficilement de manière autonome, le ciel. Il n’est plus là où l’attendait, partout, se mêlant avec la mer. Non, aujourd’hui le ciel est plus bleu qu’avant. Il luit dans les verres teintés et il existe par une myriade d’éclats à travers les quartiers.

105


L’image d’un mythe, Beyrouth

V. la quitta, lui offrant une partition composée pour soprano. Ce Lied était un appel vers un autre mur. «En montrant la partition, entonnant la mélodie, les gardes te laisseront entrer» annonça V. Elle s’exécuta et pénétra un peu plus dans la ville. A sa grande surprise, en passant la porte de cette nouvelle muraille, U. découvrit un jardin apaisé vaste comme la nuit et comme la clarté. Le vert tendre qui surabondait donnait un parfum de fleurs oubliées et faisait écho aux rires charnus et ocres des enfants au loin. Les sons se mêlaient aux odeurs dans la lumière des soirs bleus d’été. Un halo accrocha le regard de U., mettant en évidence deux femmes agées, chacune sur leur chaise, une étrange tasse de café sans anse dans leur main gauche et une douceur à la fleur d’oranger dans l’autre. Les deux femmes échangeaient avec un ton de voix si bas et calme que leurs timbres étaient à peine percetibles. Leurs postures, impalpable mélange de décontraction et d’élégance, étaient d’une immobilité fragile. Elles semblaient deux statues de Velléda, dont se dégageaient, de temps à autre, un rire qui leur laissait une larme aux paupières, presque toujours déjà là. Grandissait en U. une sorte de fascination intriguée, et elle s’avança pour aller leur parler. Elle constata que ces deux femmes étaient précisément assises à un emplacement marqué d’un point rouge sur la carte que lui avait donné N.

106


M. le Miroir

Les Sisters, comme on les appelle avec affection dans la famille ont toujours été pour moi un idéal de poésie. D’origine juive du Liban, elles ont rencontré mon grand-père au cours de leurs études, à une époque où il était peut-être plus facile qu’aujourd’hui de tisser des liens amicaux entre différentes communautés. Epoque où les engagements humains et politiques permettaient de dépasser certains clivages confessionnels. La guerre a balayé cet idéal, et elles ont fuit Beyrouth au milieu des années 80, il me semble. De cette fuite, elles ont gardés un regret dans la voix lorsqu’elles évoquent la ville, comme si, après tout, cette histoire n’était qu’une mauvaise anecdote dont on aurait du modifier la chute. Les Sisters m’ont raconté Beyrouth par ses fleurs. Les villageoises venues de la montagne sonnaient aux portes des appartements et se présentaient avec des corbeilles de fleurs encore fraîches, aux odeurs à la fois puissantes et éphémères. Elles n’ont eu de cesse, pendant toutes ces années de me décrire ce rituel. Cet antagonisme des pieds calleux des femmes de la montagne qui portaient en elles les rêves du raffinement, offerts dans de grands plateaux en osier. Pendant longtemps, n’ayant que mes souvenirs d’enfant pour me rappeller Beyrouth, j’ai cru que c’était une ville de couleurs et d’odeurs. J’ai cru que c’était une ville de délices. J’ai cru que c’était une ville qui offrait. J’ai cru que la ville avait la chaleur d’un tapis, son chatoiement, son élégance et son hospitalité. J’ai fini par comprendre que c’était plus compliqué.

107


L’image d’un mythe, Beyrouth

Lorsqu’elle sortit du jardin et dépassa la dernière porte, avec pour laisser-passer les rires des deux femmes, elle sentit progressivement un poids qui tirait ses épaules et s’installait dans son ventre. Elle savait qu’elle venait de franchir le dernier obstacle et qu’elle venait d’arriver dans le coeur de la cité tant attendue. Elle pensait y trouver une foule échevelée comme elle, mendiant pour savoir, mendiant pour comprendre. Elle s’attendait à un spectacle à nul autre pareil, une sorte de délivrance commune d’individus par hasard côte à cote. Rien de ses espérances ou de ses fantasmes n’était là. Les rues étaient vides, sous un soleil froid. Quelques passants croisaient son chemin, sans la voir, sans lui prêter attention malgré son accoutrement différent et ridicule. Après avoir arpenté la ville pendant plusieurs jours, elle arriva au Port. Au loin, dans une cabane de tôle, un jeune garçon jouait à faire des bulles de savon qui attira son regard. Elle progressa vers lui, et vit dans ses grands yeux dorés ce pourquoi elle était arrivée jusque là. «Un autre moi. Un autre que moi» Ils avaient tous deux sous l’oeil gauche le même grain de beauté. Et il avait comme elle, un réséda, un Lied, une tasse à café sans anse et un visage fatigué.

108


M. le Miroir

Mon frère est la seule personne qui appréhende Beyrouth comme moi. Les mêmes anecdotes, les mêmes vieilles photographies, les mêmes complexes et les mêmes jalousies par rapport à cette ville. Nous la vivons de la même manière, je crois. Notre Beyrouth à nous répond à un autre mythe. Notre Beyrouth est celui là qui est fragile comme une bulle de savon, qui est odorant comme un réséda, qui est émouvant comme un Lied et nostalgique comme le café à la fin d’un repas. Il se situe quelque part vers l’autoroute sur laquelle passent tantôt des voitures cabossées, tantôt de rutilantes démonstrations de vulgarité. Nous sommes assis sur des chaises en plastique cassées, à nos pieds, les égouts s’écoulent tranquillement. Autour de nous, on ne parle que des langues que nous sommes les seuls à ne pas comprendre. Installés là, tous les deux, nous buvons une orange pressée à cinquante piastres, un pont de béton nous barre la vue. Mais au loin, on imagine nos montagnes.

109



Annexes 111


L’image d’un mythe, Beyrouth

ABIRACHED, Zeina. Je me souviens. Beyrouth. Paris, Editions Cambourakis, 2008. BASILICO, Gabriele. Beirut 1991 (2003). Milan, Baldini Castoldi Edizione, 2004. BARTHES, Roland. Mythologies. Paris, Le Seuil, 1957 BERCHET, Jean-Claude. Le voyage en Orient. Anthologie des voyageurs français dans le Levant au XIXè siècle. Paris, Robert Laffont, 1985. CORM, Georges. Liban : les guerres de l’Europe et de l’Orient. Paris, Gallimard, 1992. CHOUEIRI, Raja. Les sites paysagers de la mémoire du Liban. Beyrouth, Félix Béryte, 2012. DEPARDON, Raymond. Depardon Voyages. Paris, Hazan, 2006. DEBBAS, Foud, Beyrouth, Notre mémoire. Paris, Berger, 1996. EDDE, Carla. Beyrouth, naissance d’une capitale, 1918-1924. Paris, Actes Sud, 2010. FRIEDMAN, Thomas. From Beirut to Jerusalem. Farrar, Straus & Giroux, 1989. HADDAD, Emmanuel. (2014 fev-mars), Traits urbains «Beyrouth trace sa ligne de vie» KANAFANI-ZAHAR, Aïda. Liban, La guerre et la mémoire. Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2011. KASSIR, Samir. Histoire de Beyrouth. Paris, Fayard, 2003 KHALIDY, Soraya. Le goût de Beyrouth. Paris, Mercure de France, 2003. KHOURY, Elias. La petite montagne. Beyrouth, 1977.

112


Bibliographie

LAMARTINE, Alphonse, Voyage en Orient, 1835. PEREC, Georges. W ou le souvenir d ’enfance. Paris, Editions Denoël, 1975. RUPPERT, Helmut. Beyrouth, une ville d’Orient marquée par l’Occident. Erlanger, Frankische Geographische Gesellschaft, 1969. SAID, Edward W. L’Orientalisme, l’Orient crée par l’Occident. Paris, Le Seuil, 1980. SALIBA, Robert. Beyrouth architectures aux sources de la modernité, 1920-1940. Marseille, Parenthèses, 2009. SALLES, Alain. «Beyrouth Blues». Le Monde - Géopolitique. 31 oct 2013. 21394 SARNER, Eric. Beyrouth, Beyrouth à vif. Paris, Editions Encre, 1985. TABET, Jade. Beyrouth, La brûlure des rêves. Paris, Editions Autrement, 2001. TUENI, Nadia. Liban : vingt poèmes pour un amour. Beyrouth, 1979 VERDEIL, Eric, FAOUR, Gaheb,VELUT, Sébastien. Atlas du Liban. Territoires et société. Beyrouth, IFPO & CNRS, 2007. WALTER, François. Les figures paysagères de la nation. Territoires et paysages en Europe (XVI-XXe). Paris, Editions EHESS, 2004.

113


L’image d’un mythe, Beyrouth

- 50 000 AV JC : Premières traces d’occupation humaine à l’âge paléolithique, au nord de l’actuel centre ville - 5 000 AV JC : Premier noyau urbain cananéen, au nord de l’actuelle place des Martyrs - 1 500 AV JC : Le noyau urbain se développe. Première mention de Birûta, dans les lettres de Tell el-Amarna - 1 100 à - 600 AV JC : La ville perd de son importance, au profit de cités-Etats côtières comme Byblos ou Sidon - 500 AV JC : La croissance reprend, la ville se développe vers le sud et l’est. - 332 AV JC : Prise de la ville par Alexandre le Grand, elle est rebaptisée Laodicée-en Canaan, et connaît une certaine prospérité - 143 AV JC : La ville est détruite par Typhon l’Imposteur - 64 AV JC : Prise de la ville par l’Empire romain, elle est rebaptisée Colonia Julia Angusta Berytus, et accède à un rang important dans l’Empire romain d’Orient 530 AP JC : Sous le règne de Justinien, la ville connaît une croissance impressionnante 551 : Désormais Béryte, elle est détruite par un tremblement de terre, et rentre dans une phase de déclin 635 : Conquise par les Arabes, Béryte devient Beyrouth, et est rattachée au district de Damas 1110 : Prise de Beyrouth par les Croisés 1187 : Saladin chasse les Croisés de Beyrouth et y établit sa cour 1206 : Les Croisés reprennent Beyrouth 1291 : Les Mamelouks* prennent Beyrouth aux Croisés 1516 : Les Ottomans prennent Beyrouth aux Mamelouks 1620 : L’émir Druze Fakh al-Din II étend son influence à Beyrouth 1633 : L’émir Druze est chassé par les Ottomans, le pays rentre dans une période d’instabilité

114


Chronologie 1772-1774 : Une escadre russe bombarde Beyrouth et occupe la ville

1835-40 : Beyrouth connaît une grande période de prospérité et s’étend de manière continuelle, de grands travaux publics sont mis en place, comme l’extension du port. Les grandes puissances européennes s’affrontent pour contrôler la région 1863 : Construction de la route Beyrouth-Damas par une compagnie française 1867 : La première municipalité de Beyrouth est créée, grands travaux d’infrastructures 1871 : Création du collège protestant par des missionnaires américains, qui deviendra par la suite la prestigieuse Université Américaine de Beyrouth 1881 : Aménagement de la place Hamidiyyeh, l’actuelle place des Martyrs 1890 : Elargissement du port de Beyrouth, qui devient alors le premier port de la côte syrienne 1908 : Déclaration de la Constitution à Istanbul. Aménagement du premier et unique jardin public de Sanayeh à l’est de la ville 1915 : Le wali ottoman lance un projet de modernisation du centre de Beyrouth et entreprend la démolition des anciens souks 1916 : Arrivée des réfugiés Arméniens fuyant les massacres des Jeunes Turcs, ils s’installent dans le quartier de la Quarantaine, à l’est de Beyrouth 1918 : Fin de la Première Guerre mondiale, les troupes alliées débarquent à Beyrouth suite à la défaite des empires centraux 1920 : Le mandat français en Syrie et au Liban est établi par le congrès de San Remo, Beyrouth est proclamée capitale du Grand Liban 1921 : Reprise des travaux d’aménagement dans le centre ville 1926 : La première Constitution de la République libanaise est promulguée. Aménagement de la place de l’Etoile 1931 : Etablissement du plan Danger, premier plan d’aménagement et d’embellissement de Beyrouth 1932 : Premier et unique recensement au Liban

115


L’image d’un mythe, Beyrouth 1938 : Nouvelle extension du port, création de nouveaux bassins 1943 : Indépendance du Liban, abolition du mandat français 1945 : Fin de la Deuxième Guerre mondiale. Etablissement du premier plan d’extension de Beyrouth par l’urbaniste français Michel Ecochard 1948 : Création de l’Etat d’Israël, des dizaines de milliers de Palestiniens se réfugient dans des camps autour de Beyrouth 1952 : Ere de prospérité, dûe à l’afflux de capitaux depuis la Palestine, et des retombées de l’exploitation accélérée du pétrole dans les pays du Golfe 1963 : Adoption de la première loi d’urbanisme applicable à l’ensemble du territoire libanais. Mise au point d’un nouveau plan directeur pour le Grand Beyrouth, préparé par Michel Ecochard. L’exode rural s’intensifie, et développe une « ceinture de misère » autour de la ville 1967 : Guerre des Six-Jours*. Nouvelle vague de réfugiés Palestiniens 1973 : Guerre du Kippour*. Combats réguliers entre l’armée libanaise et les organisations palestiniennes autour des camps 1975 : Début de la guerre civile. D’une part, le Mouvement national libanais (leaders musulmans et partis de gauche) allié avec les Palestiniens, d’autre part les principaux partis chrétiens. Pendant quinze ans, la ville sera coupée autour de la rue de Damas, à l’est les chrétiens, à l’ouest, les musulmans. Les affrontements auront principalement lieu dans le centre ville et dans la rue de Damas, ligne de démarcation entre les camps. 1977 : Assassinat du leader du Mouvement national, Kamal Joumblatt. Période d’accalmie, un premier plan de reconstruction du centre ville est mis au point par l’Atelier Parisien d’Urbanisme (APUR) 1978 : Reprise des affrontements. Beyrouth-Est est violemment bombardée 1982 : L’armée israélienne évacue Beyrouth. La capitale est réunifiée 1984 : Les milices Druzes et Chiites prennent le contrôle de Beyrouth-Ouest et mettent fin à la réunification de la capitale. Un schéma directeur est mis en place pour la région métropolitaine de Beyrouth par une équipe franco-libanaise

116


Chronologie

1987 : La guerre se poursuit mettant à mal l’économie du pays. La livre libanaise est dévaluée de 500% en un an 1989 : Signature des Accords de Taïf, qui entérinent une « entente nationale » 1991 : Pacification du pays. Un plan pour la reconstruction de centre-ville est proposé par l’homme d’affaires Rafic Hariri, à travers la société Solidere. La livre libanaise est dévaluée de 400% en un an 1992 : Rafic Hariri est nommé premier ministre 1994 : La reconstruction du centre-ville par la société Solidere est mise en place 1998 : La dette publique du Liban est de 20 milliards de dollars, et provoque un ralentissement économique 2006 : Assassinat du président Rafic Hariri. Bombardement des quartiers chiites populaires de Beyrouth par Israël

117


L’image d’un mythe, Beyrouth

Chiite : Le chiisme constitue l’une des trois principales branches de l’islam avec le sunnisme et le kharidjisme. Il regroupe environ 10 à 15 % des musulmans, dont 90 % de la population iranienne. Le chiisme est une prise de distance par rapport aux préceptes énoncés par les trois premiers califes : Abu Dakr, Omar et Othman. Druze : La communauté Druze est population du Proche-Orient professant une religion musulmane hétérodoxe. Ils sont principalement établis dans la partie centrale du Mont-Liban et dans le sud de la Syrie. Leur religion est une branche du chiisme. Guerre du Kippour : La guerre du Kippour est une guerre qui opposa l’Etat d’Israël à une coalition menée par l’Égypte et la Syrie, du 6 octobre au 24 octobre 1973. Cette guerre fut menée afin de récupérer le plateau du Golan et la péninsule du Sinaï, territoire originellement syriens et égyptiens suite à leur défaite durant la guerre des Six-Jours. Cette guerre déboucha aux accords de paix de Camp David entre l’Egypte et l’Etat d’israël, toujours en vigueur aujourd’hui. Guerre des Six-Jours : La guerre des Six Jours est la guerre que mena, l’Etat d’Israël face à l’Egypte, la Jordanie et la Syrie du lundi 5 au samedi 10 juin 1967. Les résultats de cette guerre, épisode majeur du conflit israélo-arabe, influencent encore aujourd’hui la géopolitique de la région. En particulier, certains territoires ont été annexés ou sont toujours occupés par Israël aujourd’hui, par exemple une partie de la Cisjordanie. Hi kifak ça va ? : Expression humoristique pour décrire la pluralité de langues et de communautés au Liban. Il n’est pas rare de se faire aborder par cette expression qui mêle l’anglais, l’arabe, et le français pour dire bonjour. Mamelouk : Les mamelouks sont les membres d’une milice formée d’esclaves, affranchis et recevant une solde à l’issue de leur formationIls sont au service des califes musulmans et de l’Empire ottoman, mais, à de nombreuses reprises, ils ont occupés le pouvoir par eux-mêmes. Cette milice commence en 1250 et les Ottomans mettent fin à cette dynastie en 1517. Manaïch : petit pain plat, assaisonné au sésame qu’on mange en particulier au petitdéjeuner avec du labné, fromage libanais. Mandat français : Le mandat français sur la Syrie et le Liban a été institué par la Société des Nations le 25 avril 1920. Il devait permettre officiellement aux États du monde arabe d’accéder à l’indépendance et à la souveraineté, sitôt après avoir atteint un niveau suffisant de maturité politique et de développement économique. Quatre mandats ont été créés, le gouvernement de la Palestine et de l’actuel Irak revenant aux Britanniques, les Français se voyant attribuer celui sur le Liban et la Syrie. Maronite : Les Maronites sont des chrétiens catholiques d’Orient. Ils représentent la plus grande communauté catholique au Proche-Orient. Les Maronites constituent

118


Glossaire

la plus importante communauté chrétienne du Liban où siège l’Église maronite, une des Églises catholiques orientales. Ils occupent une place importante dans l’histoire, la politique ou l’économie du Liban. Une importante diaspora maronite s’est développée au cours du XXème siècle. Ottoman : L’Empire ottoman a duré de 1299 à 1923. Il a laissé la place, entre autres, à la République de Turquie, qui occupe une partie de son ancien territoire, ainsi qu’à de nombreux Etats souvent passés sous d’autres dominations avant les indépendances de la seconde moitié du XXème siècle. Il a recouvert une aire géographique allant de l’ouest du Maroc à l’est de la Turquie. Sunnite : Le sunnisme est le courant religieux majoritaire de l’islam. Il représente 85 à 90 % des musulmans. Il est parfois apparenté à une vision orthodoxe de l’islam. Le mot sunnite est basé sur le mot « sunna » qui représente la ligne de conduite de Mahomet, dernier prophète de l’Islam. Au Liban, les sunnites vivent en cohabitation avec la minorité chiite. Wilayah : La wilayah est une division administrative dirigé par un wali. Au Liban, c’était ce qu’on pourrait aujourd’hui qualifier de département en France.

119


Ariane Dreyfus

Travail de mémoire de troisième année cycle DPLG de l'École Nationale Supérieure du Paysage Sous le tutorat de Monique Toublanc


Turn static files into dynamic content formats.

Create a flipbook
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.