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Monstrueuse Famille
Sommaire Àrimes / numéro 1 / Monstrueuse Famille Edito : Alain Marsaud Françoise Laury
Revue de presse / Carnet du fait divers familial
Phildesimages
«Il n’y a pas de manucure au paradis»
Alain Marsaud
« L’alcôve imageante » Rituel familial, antichambre de la mort …
Anne Karthaus :
«À la recherche de la famille, du parent parfait»….
Portfolio : Claire Dantzer
"Pour mieux te manger mon enfant"
Lionel Scoccimaro "Les octodégénés"
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Éditorial Dans la réalité, tout au moins celle qui nous est transmise à travers les faits divers, les témoignages ou l’actualité événementielle, apparaît très souvent l’image de la famille monstrueuse. On entend souvent par là ce qui déroge aux règles établies ou reconnues comme telles, règles qui s’attachent à conforter la représentation de la famille comme lieu de protection, d’épanouissement, d’harmonie dans les relations de ses membres... Ainsi, par opposition à un modèle jugé positif, le vocable « monstrueux » introduit un dérèglement, une transgression, un désordre, une faute. Sur ce curseur d’appréhension pourtant très variable, un large consensus se fait jour et les jugements qu’il produit restent sans appel. Maintenir l’intervalle raisonnable qui nous tient à distance semble une caractéristique permanente, bien que très ambigüe par ailleurs et sans nul doute illusoire. Ce qui prévaut dans cet écart se mesure davantage au fait que nous sommes l’objet de notre propre regard par un retour en miroir de nos attentes inconscientes. On ne s’étonnera pas de la dimension spéculaire exercée par les images monstrueuses et plus précisément celles qui relèvent du champ familial. Attraction et répulsion se combinent aisément dans un premier temps pour nous rassurer sur le fait que ce que nous voyons n’est pas nous, que nous en sommes parfaitement éloignés. Cette idée d’une frontière ou plus simplement d’une limite est parfaitement illustrée dans le dessin animé The Life and Times of Juniper Lee de Judd Winick. S’il est vrai que dans la série elle « territorialise » les espaces de la normalité et celui des montres, néanmoins, sa fonction est parfaitement opérante car magique, immatérielle, et pose d’entrée la question clé qui intéresse la notion de monstruosité, à savoir sa visibilité. Dans la série les gens ordinaires ne peuvent voir les monstres et seule Juniper en tant que protectrice, douée de pouvoirs renforcés, a pour responsabilité de maintenir l’équilibre entre les deux mondes. Ce qui suppose que pour voir le monstre, il faut être doté de pouvoirs spécifiques. Plus loin dans le temps, en remontant jusqu’à l’étymologie du mot monstre, on retrouve la même problématique liée à la question de la visibilité. Monstrum, ce qui est montré, est d’abord un présage, un avertissement des dieux sur un mode qui échappe à l’ordre naturel, à la perception humaine. Là encore, présence d’une capacité médiumnique. Comme toute la difficulté repose sur le voir, dans ce voir, quelle est notre capacité à discerner la part d’humanité qui nous est adressée. Car c’est bien de cela qu’il s’agit quand, sous 2
couvert de divination, il nous faut envisager (prendre le visage de) la part de l’autre comme part de nous-même, franchir la frontière, subsumer les acceptions du substantif « monstre » pour ne plus se tenir à l’écart. Dans ce franchissement nécessaire, quelque chose de notre nature profonde est bouleversé, nos points de vue se modifient, au risque de la fascination ou du retournement de position sachant qu’une telle expérience ne nous laissera jamais indemne. Freaks de Tod Browning, 1932, opère même jusqu’à la transformation physique ce qui relevait au départ que de la perception visuelle. Dans ce film, voir n’est jamais innocent, fut-ce en parade, et les conséquences incommensurables que cela entraîne justifient complètement la thèse du présage, de la prémonition évoquée dans l’étymologie du mot « monstre » puisque la belle Cléopâtre se transformera en femmepoule, en monstre ! La réversibilité de la frontière en est une autre qui conduit le spectateur à se rendre compte que l’humanité habite en plein avec ceux qui au départ en avaient été exclus. La photographie réserve, comme le cinéma, une capacité surprenante à montrer, à documenter. Pour autant, est-ce aux seules potentialités techniques du médium qu’il faut attribuer la prise de territoire qu’elle opère dans le champ du réel ? Entre une photographie floue et masquée d’un bandeau sur le journal Détective et une image en grand format et haute définition de Richard Billingham de la série Ray’s a Laugh, une même mouvement nous anime devant les indices de réalités qu’il nous faut déchiffrer, comprendre, compléter, retourner en doigts de gants sinon rien ne ne semble pouvoir se transmettre car l’image ne dit pas forcément et explicitement ce qu’elle montre. Quand la famille monstrueuse fait l’image, nous devenons des intermédiaires, des Juniper Lee chargés de franchir une frontière invisible, et comme elle, nous prenons en charge le fragile équilibre qui existe entre ce que l’on voit et ce qui est montré. Ce numéro d’Àrimes prolonge les recherches effectuées par les membres du collectif autour de quatre récits familiaux et leurs ramifications. Nous avons souhaité convoquer la part d’ombre qui habite aussi le champ du familial et sous l’appellation « famille monstrueuse », il faut entendre un espace très large susceptible de déborder du seul cadre convenu de la famille nucléaire. La dimension composite des textes présentés dans cette revue témoigne des sensibilités propres aux auteurs, mais aussi des pluralité formells que peut prendre l’acception du mot « monstrueux ».
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"Carnet du fait divers familial Franรงoise LAURY
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our évoquer la « monstrueuse famille » je me suis intéressée au fait divers et son traitement par les photographes. Pour commencer, j’ai collecté dans la presse locale et ce sur plusieurs mois, de petits articles impliquant des familles, puis rassemblé le tout dans un carnet. Je ne cherchais pas le spectaculaire des grandes affaires médiatiques, aussi mes sources ont été les journaux locaux distribués dans la rue. On y parle de couples, de pères, de mères, d’enfants, de parents qui peuvent se révéler monstrueux, aux prises avec des situations invraisemblables voire tragiques. Je cherchais le texte court. Le tout petit récit, qui décrit la brutalité d’un événement. L’irréversible commis ou subi. Une histoire au sein de la famille qui dépasse l’entendement. Des brèves cinglantes qui résument une catastrophe et révèlent l’absurdité du monde. Roland Barthes, dans
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« Structure du fait divers », évoque une forme courte, autonome et structurée (...). « Point besoin de connaître rien du monde pour consommer un fait divers ; il ne renvoie formellement à rien d’autre qu’à lui-même », écrit-il. « Tout est donné dans un fait divers ; ses circonstances, ses causes, son passé, son issue : sans durée et sans contexte ». Curieusement, dans tous ces petits articles collectés, aucune photographie n’accompagnait le texte ! Ce qui n’était pas le cas dans les années 30 où le petit fait divers semblait avant tout photographique. Arthur Fellig, surnommé Weegee, enregistrait sur le vif des scènes dramatiques de la vie quotidienne dans les rues de New York, des instantanés réalisés au flash avec un appareil Speed Graphic. Il réalisait des images dites « à sensation », qu’il exposera plus tard sous le titre « Murder is my Business ». C’est du vif, du cru, du choc.
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À la même époque un autre photographe travaillait pour la presse; le mexicain Enrique Metinides qui a écumé durant 50 ans les rues de Mexico. Accidents, incendies, suicides, scènes de crimes. Révélé au public durant les Rencontres d’Arles de 2011, à travers l’exposition « 101 tragédies », ces images bouleversent toujours autant au vu des réactions du public. « Il travaillait pour un tabloïd mais ses photos sont bien composées et parlent de survie et d’humanité », déclare Trisha Ziff, co-commissaire de l’exposition. Qu’en est-il de la photographie du fait divers aujourd’hui ? L’image choc existe toujours et Dominique Baqué dans son livre, « L’effroi du présent : Figurer la violence » nous l’explique : « Jour après jour, notre regard soutient l’insoutenable des images violentes. L’effroi du présent nous devient familier. Le monstrueux a même un pouvoir hypnotique. Cette usure et cette sidération
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n’appellent-elles pas un autre régime d’images ? l’invention d’un regard qui ne soit ni trop proche ni trop loin, ni obscène ni détaché ? ». Quel regard différent porte le photographe d’aujourd’hui sur le fait divers ? Comment le représente-t-il ? En quoi, finalement, la représentation photographique d’un fait divers redéfinit les frontières entre la réalité et la fiction ? J’ai puisé des éléments de réponses sur internet, en révélant les travaux de quelques artistes significatifs. Il ne s’agit pas ici de développer mais de donner à voir autrement, en rassemblant d’autres approches, sans perdre du vue le thème de la famille monstrueuse.
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Si l’image de reportage en appelle à l’émotion et l’immédiateté face à une scène dévoilée dans toute sa brutalité, le regard porté par l’artiste Bruno Serralongue contrarie ces notions. Il photographie le jour d’après, documentant le lieu mais pas le drame. À partir de l’inquiétant, il nous en donne une figuration qui peut être familière, une scène vide souvent connue; un coin de rue, une façade d’immeuble... nous oblige à penser que chaque lieu est, ou peut être, potentiellement, le théâtre de l’indicible. Un inquiétant familier, qui introduit l’étrangeté et nous trouble, on scrute alors la scène à la recherche, souvent vaine, d’indices que le texte pourtant nous révèle. Le temps d’après c’est aussi celui de la reconstitution du drame. Le magazine le Monde 2, en juillet 2009, a commandé une série de photographies à l’artiste Delphine Balley sur le thème des faits divers pour illustrer le
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dossier « Le goût du crime ». Un travail de reconstitution et de théâtralité, travail minutieux tout en détail, où le récit sert de trame à l’action. Le crime a déjà eu lieu. La scène rejouée nous livre le huis-clos familial imaginé par la photographe. À la lecture du texte tiré des témoignages des protagonistes, la scène jouée devient effrayante et prend tout son sens. Dans le travail de Thomas Martin, l’effroi vient aussi du subterfuge et de l’artefact, qui dans sa mise en scène, évacue le spectaculaire, tout en le recomposant. Et ce petit carnet ? Ce petit carnet rempli méthodiquement au fil des mois. Constitué d’une accumulation d’événements familiaux monstrueux livrés à travers le fait divers. Ce petit carnet, peut-il à son tour faire image ?
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Il n y a pas de manucure au paradis. Phildesimages
Au Pôle Emploi ils m’avaient prévenu, sans qualification et à cinquante ans bien sonnés, c’était mort ! J’étais condamné aux petits contrats intérimaires, tout juste bon pour les petits jobs «bouche trou» et autres propositions précaires. Triste époque! Le jeune demandeur d’emploi surdiplômé, surqualifié, s’entend signifier qu’il n’a pas assez d’expérience professionnelle, le quinquagénaire aguerri au monde du travail s’entend asséner qu’il n’est pas assez qualifié ! Certes, depuis longtemps le monde marche sur la tête. Ce coup-ci était de trop, je suis resté sans voix devant tant d’absurdités énoncées avec aplomb et suis parti avant la fin de l’entretien. C’est comme ça que tout a commencé, ou que tout s’est terminé, question de point de vue. Mais à y réfléchir d’un peu plus près, la succession des évènements tendait vers la fin, même si sur le plan philosophique cela reste très discutable. Au troquet du coin, je me suis installé en terrasse, j’ai commandé un café et allumé une cigarette histoire de trouver un peu de réconfort après le monologue stérile servi par la jeune employée du Pôle Emploi. Plein d’un entrain aussi soudain que déplacé, certainement porté par la perspective d’une belle journée ensoleillée, je me suis attaqué aux offres d’emploi, j’ai vite déchanté. Je suis rompu à cette oscillation permanente, entre espoir et déception, souhait et réalité. J’ai souvent l’intime conviction que l’enchaînement de mes actions, de mes pensées, se synchronisera à un mécanisme céleste qui produira la connexion idéale. Peut-être est-ce ce qui est arrivé ce matin-là, ma feuille de chou entre les mains, perdu dans la triste contemplation des 150 caractères réglementaires à travers lesquels nous scrutons un avenir laborieux et salarié, absorbé par la promesse d’une vie meilleure organisée en rubriques ? Sous mon nez brillait la perle rare, contenue dans une triste typographie, elle redistribuerait les cartes en un jeu dont j’allais devenir l’instrument, le jouet du destin. Une société de pompe funèbre ? Pourquoi pas me dis-je, ça ou autre chose, je ne pouvais pas me permettre de faire le difficile, le métier est ingrat, la mort n’est jamais digne, mais peut-être me conduirait-elle au plein emploi, au retour à la vie active, de nouveau à l’unisson avec la masse agitée de mes concitoyens, alterego -métro-boulot-dodo-tombeau .
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J’ai payé mon café et recopié l’annonce : Réf code - 666 / 999 Entreprise Familiale de père en fils, fondée en 1890, recherche conseiller funéraire à plein temps. Formation de 48h00 assurée et défrayée. Merci de prendre contact au 08 00100233 appel non surtaxé. Il me fallait trouver une cabine téléphonique. Après deux essais infructueux, cabine vandalisée, appareil arraché, je tombais enfin sur celle en état de fonctionnement. J’ai tenté de négocier l’accès au combiné avec une petite femme sans âge, en résidence permanente, quasi momifiée. Une bonne partie de mon paquet de cigarettes et ma petite monnaie y sont passés. J’ai composé le numéro et suis tombé sur un message vocal m’invitant à attendre qu’une ligne se libère, suivi d’une musique de circonstance devenue mutante à force d’arrangements douteux, ou l’art de transformer Sex Machine en une marche funèbre. Enfin la tonalité et une voix féminine : - Bonjour ! Pompes funèbres Poutski, Edmonde Poutski à l’appareil… - Bonjour Madame… - Que puis-je pour vous monsieur ? S’agit-il d’un décès ? - Non, pas encore! je vous appelle pour la petite annonce, vous recherchez un conseiller funéraire. Je parlais du nez à cause de l’atmosphère confinée de la cabine, ça embaumait le rat mort mariné façon “gros rouge qui tâche “, j’étais à deux doigts de vomir. - Oui, en effet ! Avez-vous une expérience professionnelle concernant les métiers du funéraire ? - Non. Ont suivi les questions habituelles, âge, nom et prénom, téléphone, situation actuelle. Nous avons convenu d’un premier rendez-vous pour un entretien au cours duquel je devais me munir de quelques documents, CV, lettre de motivation, derniers bulletins de salaire
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Je raccrochai rapidement au bord de l’implosion. Dans ma fuite désespérée, je me pris les pieds dans les vestiges d’une soirée bien arrosée et m’étalai la face contre la porte vitrée. Le nez en patate et passablement énervé je me fis ponctionner du reste de mes clopes. Le soleil n’était plus qu’un souvenir, je broyais du noir et avais des envies de meurtre. Mon rendez-vous était fixé pour vendredi matin, nous étions jeudi, j’avais prévu d’aller repérer les lieux cet après-midi, mais ça c’était avant le retour de la momie. Je pris la décision de descendre sur les quais et d’aller voir la mer, envie de lumière, de se rincer les méninges, du bleu et de l’iode, des promesses de départ et la ligne d’horizon pour se laisser porter. J’avais emporté dans ma sacoche un livre, des fois l’attente est longue au Pôle Emploi, je m’en emparai et me calai face à Hélios à nouveau généreux. Je me laissais rattraper par les caresses d’une Marie d’Egypte lumineuse sous la plume de Jacques Lacarrière, décidément l’Égypte antique me collait aux basques comme une vieille bande Velpeau. La nuit avait été peuplée de fantômes, je m’étais réveillé avec un mal de tête lancinant, j’avais espéré que marcher jusqu’à mon rendez-vous m’aiderait à y voir plus clair. J’arrivai quartier St Pierre le cerveau en marmelade et blanc comme un linceul. Je me présentai dans un costume noir dont la coupe défraîchie exhalait une subtile, mais néanmoins pénétrante fragrance de naphtaline teintée d’un soupçon de lavande fanée. Peu prolixe, le regard de chien battu, je cumulai quelques -uns des critères du candidat idéal. J’étais en phase avec M. Poutski père, il n’avait pas meilleure mine. Sous un crâne parfaitement lisse et brillant comme un sou neuf son visage lunaire était cireux. Il semblait habité par une lassitude patrimoniale, venue de la nuit des temps, un héritage dont la source en chêne massif irradiait dans un angle de la pièce. L’entretien s’est merveilleusement déroulé, malgré moi, comme par enchantement!
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Il m’a dressé le portrait de l’entreprise fondée par le bisaïeul, il m’a fait l’éloge du métier, d’une tradition et d’un savoir-faire transmis de génération en génération, il parlait d’amour du travail, de la famille, et mon mal de tête n’en finassait plus de me mettre au supplice, trouvant le terreau idéal à son épanouissement dans cet éloge funéraire. Il m’a parlé d’éthique qui se perdait, d’une pratique corrompue par des nouveaux venus seulement motivés par l’appât du gain. - Ils se comportent comme des charognards ! Des voleurs ! Ils salissent la profession avec leurs méthodes expéditives, toujours plus vite. Leur travail est bâclé, plus de respect pour le mort ! Nous avons échangé une poignée de main entendue, pour ne pas dire complice, il me présenterait à son fils et aux membres du personnel la semaine prochaine lors de ma formation. - Vous verrez cher monsieur, nous formons une grande famille, à lundi matin, 8h00. Je me retrouvais sur le trottoir avec la désagréable impression d’être orphelin ! Il fallait que je me ressaisisse, il ne s’agissait que d’un entretien d’embauche, j’avais eu affaire à la personne responsable d’une entreprise, un patron ! pas Dieu le père ! Je mis ça sur le compte de la mauvaise nuit et pris la sage décision de me coucher de bonne heure avec la bonne fée somnifère, tant pis pour les mauvaises statistiques. Le week-end est passé, et c’est bien ! Les fins de semaine pour célibataire sont un enfer quand tout autour de vous sonne la soirée entre amis, la randonnée suivie du pique-nique dominical en famille, le film du dimanche soir, partagé avec l’être cher autour d’un plateau-repas devant la télé. Que les week-end passent vite, à bonne distance, loin de moi avec leur suffisance légère et leur lot de loisirs récréatifs stupides, courses à vélo, courses à moto, match de foot, match de tennis, accolades viriles et apéros machos, non merci !
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Lundi matin, je fis mon entrée officielle au sein de l’entreprise : Pompes Funèbres POUTSKI Père et Fils Je rencontrai ce même jour toute la famille. Le fils, Igor, vingt-trois ans, les yeux clairs, cheveux coupés courts, encore un petit air juvénile malgré le costume et la chemise blanche - cravate noire, fonction occupée : les soins thanatopraxiques. Suivi de près par sa sœur Géraldine, vingt-huit ans célibataire, yeux clairs, cheveux longs châtain clair, manucurée, porte un tailleur, fonction : l’accueil des familles. Je poursuivais avec Edmonde, la mère, cinquante-deux ans, taille moyenne, ronde, yeux noisette et cheveux courts teints châtain foncé, en robe lie-de-vin et souliers noirs, fonction : secrétariat et administration, dans ses pas le père, Albert, troisième du nom, cinquante-six ans, 1m80, pas de cheveux, en léger surpoids, chemise blanche et cravate noire, fonction : conduite des obsèques et suivi des familles. Enfin, j’étais présenté aux trois employés du moment, Jacques 50 ans, Manu 20 ans et Gabi 49 ans tous en chemise blanche et cravate sombre, fonction : conseiller funéraire. Pendant deux semaines je suivis le personnel dans leur travail quotidien. Ma formation se partageait entre une phase d’observation et un soutien logistique, Igor était mon tuteur. Ma seule expérience avec la mort se résumait en un visionnage distrait de quelques-uns des épisodes de la série «Six feet under», je n’allais pas le regretter. Sans prétendre que cela correspondait exactement avec la réalité, ce que je devais vivre aujourd’hui et les prochains jours s’ approchait singulièrement de ce que j’avais vu.
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Ils se comportent comme des charognards ! des voleurs !
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Le lendemain je retrouvais Igor à la morgue. Entre nous émergea un corps sorti du frigo sur son chariot métallique. Dans sa «robe» mortuaire en plastique blanc, la vieille femme fixait un point au-delà du plafond, j’avais anticipé avec crainte le moment où je me retrouverais face à un cadavre, ma réaction fut stoïque : pas de nausée, pas un frisson, aucun sentiment de répulsion ou de dégoût, j’étais abasourdi par ce nouveau trait de caractère que je ne me connaissais pas, j’étais à l’aise ! Cela n’échappa pas à Igor en face de moi, il remonta d’un geste rapide la fermeture du sac sur ce visage figé, avalant ce regard perdu dans une contemplation infinie et m’invita sur le champ à le suivre au labo pour assister à mon premier soin thanatopraxique. Malgré tout le tact et la grâce avec lesquels Igor opérait, tout en échangeant sur la météo et le programme télé de la veille, l’air détaché il s’employait à enfoncer énergiquement une tige en acier d’une longueur de 30cm dans l’abdomen de la petite grand-mère qui devait peser 35 kilos, charentaises et chaussettes blanches comprises. Je mentirais en disant que j’étais toujours aussi à l’aise avec les soins de conservation. Par la suite je m’en tiendrai aux seules toilettes, eau de Cologne et Blush, rasage et coup de peigne. Le coupe-ongle et le coton-tige allaient devenir mes armes dans le bleu de mes mains gantées. J’ai navigué ainsi pendant toute la durée de ma formation : passant du fils au père, de la mère à la fille, de Manu à Jacques et de Jacques à Gabi et ainsi de suite. Je devins leur mascotte, l’enjeu d’une compétition à qui mieuxmieux dans l’apprentissage du métier, chacun rivalisant de petites attentions généreuses, me prodiguant astuces et petits conseils, bottes secrètes dans l’art du funéraire ; plutôt telle crème qu’une autre pour l’épiderme, comment habiller le défunt sans avoir à le soulever et en moins de trois minutes chrono… Au début, j’ai passé beaucoup de temps occupé à des tâches peu qualifiantes, la conduite du corbillard, la mise en bière, l’ouverture et la fermeture du caveau, etc.
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Puis Igor me confia des toilettes, j’étais appliqué, j’avais le souci du détail. Je ne pouvais supporter la vue des ongles longs et sales, c’était devenu une vraie obsession. Le pire étant les ongles des pieds, je surveillais régulièrement la longueur des miens, je vivais dans la hantise de me retrouver à la morgue avec au bout des orteils des ongles crasseux et incarnés ! J’en étais arrivé à ce degré de conscience professionnelle quand je signai mon contrat d’embauche. Je fus vite adopté par la tribu «Poutski». Dès la troisième semaine, je partageai la table familiale pour le déjeuner. Igor avait insisté pour que je me joigne à eux, peut-être avait-il trouvé en ma compagnie un grand frère, une oreille attentive à ses états d’âme, complice dans le partage d’un quotidien saturé par la contrition et l’émotion, plein de morgue et d’empathie. En ma présence, il se laissait aller à de longues confessions sur ses difficultés à nouer des relations amicales et sentimentales avec les personnes à l’extérieur, dehors. Nous, nous étions à l’intérieur d’un monde codifié, notre rapport au temps était transformé, nous vivions selon un calendrier double, une horloge à quatre aiguilles, celles du monde extérieur, des vivants, pressés de passer à autre chose et de reprendre le cours de leur vie, et celles du rite funéraire, du temps dilaté, posé, des stigmates de la mort qu’il faut contenir, freiner. L’exercice du métier me donnait l’impression d’occuper deux univers distincts, encore cette oscillation entre appartenance, fusion avec mon prochain et désincarnation, tantôt à la marge, observateur d’un quotidien qui m’échappait, tantôt acteur dans la prise de contrôle, la prise en charge de la mort et des familles. Les mois passèrent, je partageais maintenant les soirées de la famille Poutski, deux à trois fois par semaine. Je redoutais le jour où j’emménagerais dans la chambre d’ami ! Certaines nuits, je me réveillais affolé, en proie à des cauchemars, ayant perdu tout repère, ne sachant plus où je me trouvais, chez moi ? chez les Poutski ? Au labo ?
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Nous étions unis, non pas par les liens du sang, mais ceux du trépas, enchaînés à des funérailles perpétuelles. Nous étions à l’unisson dans la représentation, impeccables dans nos tenues vestimentaires tirées à quatre épingles. Nous étions également dévastés par la ritualisation de nos émotions, tous transbordeurs dans la transition ténue d’un monde à un autre. Nous nous sentions investis d’une mission de passeur, nous étions catalyseurs des émotions et des humeurs. La pratique du rite funéraire nous rapprochait, nous soudait, nous formions une famille renforcée, bien plus que n’importe quelle autre. Au début du printemps, la proposition tomba, Géraldine vint me trouver en pleine toilette alors que je me battais avec une robe à fleurs et son propriétaire raide comme un piquet, un gaillard de 1m90 soigneusement épilé. - Salut ! - Salut ! - Que fais-tu ce dimanche ? - Je n’ai rien prévu. - Si cela te dit tu peux te joindre à nous, nous projetons d’aller pique-niquer à la campagne, une petite balade, histoire de décompresser un peu. La semaine a été particulièrement éprouvante. - Oui, tu as raison, cela ne peut que nous faire du bien, compte sur moi ! Merci. - Super, je te tiens au courant pour l’organisation. Je dois reconnaître que le lieu était enchanteur, propice au déjeuner sur l’herbe. Il fallait emprunter un chemin forestier après avoir stationné la voiture sur un petit parking, marcher sur six cents mètres, puis ne pas rater après un virage un petit sentier qui plongeait sur la droite dans une végétation abondante. Le chemin quant à lui se poursuivait en une forte montée. Seule la fréquentation régulière du site permettait de connaître cette piste juste assez large pour le passage d’une seule personne. Nous descendîmes en file indienne pendant deux cents mètres pour déboucher sur une clairière plantée de tilleuls tricente-
naires et d’une magnifique hêtraie.
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Une petite balade, histoire de décompresser un peu. La semaine a été particulièrement meurtrière.
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Après un pique-nique bien arrosé, la plupart du clan s’était éparpillé à la recherche d’un emplacement idéal pour s’abandonner sous les ramures vert tendre des tilleuls au plaisir d’une sieste digestive. J’étais suivi de près par Igor et Géraldine, trouver un moment de tranquillité n’était pas simple, je proposai un peu de lecture avant l’inévitable babillage avec mes frères et sœurs adoptifs. Dans ma stratégie d’éloignement pour trouver la paix, je remontai le petit sentier, mécaniquement plongé dans mon livre tout en marchant. J’avais entendu quelque part qu’au cours d’une lecture silencieuse, lorsque notre cortex auditif est activé en réponse à la lecture d’un mot particulier dans une phrase, notre cortex visuel est déjà en train d’être activé par un mot situé deux mots plus loin dans la même phrase. Notre voix intérieure est en retard en moyenne de deux mots sur notre lecture visuelle, notre voix intérieure ne serait qu’un écho au fur et à mesure que nous lisons en silence, d’abord la vue puis le son de cette voix silencieuse. J’étais submergé par cet écho mental, quand à l’instant où je surgissais sur la piste forestière mon livre à la main, le premier VTT me percuta de plein fouet. Les trois autres se suivaient de près. Lancés à toute vitesse dans la descente, ils n’eurent pas la possibilité de nous éviter, ils vinrent s’encastrer dans le tas informe que nous formions au sol. Le choc fut d’une rare violence et les secours alertés par Igor qui se trouvait être sur mes talons, mirent un temps fou à nous démêler les uns des autres tellement nous avions fusionné. Vue d’en haut le spectacle est encore plus saisissant, entre mauvaise compression contemporaine et série gore à petit budget. Et pourtant que la lumière est belle, le soleil prometteur. Les ongles parfaitement taillés je me sentais enfin maître de mon destin et merveilleusement léger.
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Phildesimages 11 mars 1964
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"L alcôve imageante antichambre de la mort Alain MARSAUD
Préambule On pourrait s’interroger longuement et tenter de saisir les relations susceptibles d’unir l’espace d’une pièce et celui de la famille à travers le médium photographique. Dans la pratique ordinaire, de multiples liens existent selon des variations diverses pour alimenter la mémoire, maintenir une présence de l’être aimé disparu, éloigné affectivement ou géographiquement... Mais l’article qui suit ne cherchera pas à cataloguer les nombreuses formes de présences photographiques à l’intérieur des espaces construits, sinon à repenser ce qui peut faire famille en dehors de la parenté généalogique, à travers deux données : la spécificité d’un espace caractérisé par la saturation et les typologies d’images qui la construisent. Sans perdre de vue l’existence du lien de sang ou autres alliances propres à la photo de famille, le choix d’images formant le corpus que je vais analyser, se fixera comme ligne de partage, l’idée de dépendance, d’interdépendance, de soumission des images entre elles... en prenant acte de l’étymologie du mot lui-même. Sur le double paradigme du groupe et non de la seule individualité, et sur l’idée de lien de dépendance, d’appartenance, la familia latine est d’abord l’ensemble des esclaves de la maison. De là, il convient de s’interroger sur ce qui fait famille dans les pratiques contemporaines et principalement à partir des exemples filmiques et artistiques sélectionnés et surtout comment ces configurations nouvelles recomposent une géographie humaine autrement problématique. À l’évidence, tout peut faire famille : une filiation quelconque, un trait commun, le partage d’une réalité, d’une situation, d’un statut... et c’est pour cette raison que je veux interroger le lieu réceptacle constitué par l’alcôve où siègent les dites images pour mesurer la spécificité de ce lieu, les constantes qui le régulent et sa radicalité par rapport aux espaces d’exposition plus conventionnels type cimaises. Dans nos pratiques sociales, il existe bien des images à l’intérieur des chambres et autres espaces fonctionnels de la maison, mais rien de comparable avec l’alcôve imageante définie comme espace entièrement dédié à un rituel ou à une fonction et régi sur le principe d’une occupation « accumulative » et exclusive des images. Dans les usages les plus
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courants et les plus familiers, si la photographie occupe une place de choix au coeur de l’espace privé, c’est principalement sous la forme d’albums, de boîtes de rangement et d’accrochages de plus ou moins « basse intensité » liés aux murs, aux meubles. In fine, tout se joue sur le curseur variable, tendu entre présence ostentatoire et retrait discret. En pareilles situations, le monument mémoriel ainsi constitué tend à s’effacer au profit des virtualités du souvenir invité ponctuellement à se réactiver, à reformuler dans le contexte du présent les ponts nécessaires à la suture du temps qui passe. Les intervalles d’espace et de temps réels sont, à bien des égards, aussi importants que les images elles-mêmes. Pour comparaison, on peut penser que celui qui regarde est un peu le fil de chaîne et de trame qui recompose en permanence le tissu discontinu de la vie. À l’opposé, l’effet « all over » constitué par la saturation des images dans une colonisation dédiée et absolue de l’espace ne laisse pas la même marge de manoeuvre et surtout ne souscrit pas aux mêmes finalités. La place du spectateur quand il existe, ou celle du promoteur de ces espaces, se réactive bien sûr car la distance de l’image au réel perdure toujours, mais sur la base d’un intervalle différent et d’une participation imaginaire totalement réorientée par le dispositif. Si la pratique en est plus rare, parfois très ambiguë, l’occupation dédiée de l’espace physique à une colonisation généralisée du photographique compose une nouvelle médiation où le spectateur immergé dans l’espace est saisi physiquement dans une perception enveloppante. La force du dispositif à conditionner sur un plan kinesthésique celui qui regarde cherche à effacer la frontière qui sépare le spectateur de l’objet de son regard. Une double neutralisation des espaces se constitue : abolition des intervalles entre les images et isolement avec le monde extérieur. L’environnement ainsi réalisé, en rompant avec toute extériorisation, renforce la question d’une appartenance globale des diverses composantes.
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La fascination éprouvée devant une oeuvre d’art présentée sur cimaise par exemple, reste à vocation scopique dans ce qui pourrait ressembler à une médiation linéaire, axée où la question d’une participation du corps ne dépasse guère la dimension sensorielle. Dans le cas qui nous intéresse, le corps tout entier est réactif. Multisensorialité, kinesthésie généralisée, immersion participative sont les caractères qui définissent au mieux ces nouvelles expériences artistiques quand l’oeuvre devient environnementale. L’alcôve imageante pourrait être pensée comme un espace de réclusion, de fermeture (même s’il fait l’objet de passages), dédié exclusivement aux images qui l’occuperaient jusqu’à saturation. Ailleurs, dans le règne du végétal, la prolifération générative s’articule toujours sur le double signe d’une vitalité et d’un déséquilibre. Que dire alors de cet espace ? S’agit-il d’une déviation, d’un excès, ou tout simplement d’une forme radicale ? Dans tous les cas, qu’elle est la nature de cette dimension invasive et surtout en termes de visibilité, qu’est-ce qui se joue en pareilles circonstances ? À un degré important, la densité dans l’occupation d’un espace, tend à neutraliser toute idée de hiérarchie visuelle au profit d’un effet de all over. Le vide, le silence, l’intervalle... n’exercent plus leur fonction de lien dans le réseau régulateur qui est de toute façon neutralisé. Il en résulte un conditionnement par immersion. L’espace du même coup tend à devenir totalement obsessionnel, ne laissant prise à rien d’autre, n’offrant aucune échappatoire à celui qui regarde. Il n’est pas davantage de personnages dominants.
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Ceux d’en face et la famille des images Exposée au MOMA, puis dans les grandes capitales mondiales, The Family of man, montrait en 1955, la diversité des types humains et les situations les plus diverses, pour construire l’idée d’une humanité partagée autour d’une conception commune. Une famille unifiée sur la base de son humanité et d’un monde partagé ! Célébration de l’harmonie dans l’alliance des hommes entre eux et dans leurs rapports à l’environnement ! Célébration aussi d’une humanité fédérée autour du travail, du corps, dans un mouvement positif de valeurs partagées. Il en est résulté une galerie infinie de portraits dans ce qui ressemble à une suite inépuisable, montrée sur le principe de la cimaise éclatée. Dans le film Ceux d’en face, réalisé par Jean-Daniel Pollet en 2001, les images collectées par Sébastien, le personnage emblématique mais absent visuellement du film, ont d’étranges résonances avec celles de l’exposition organisée par Steichen en 1955. Le fondement en est le même et la question de l’organisation de ces images en est le thème moteur. Linda, l’amie de Sébastien se rend chez Michael (Michael Lonsdale), dans un mas en Provence pour construire ce qui pourrait être une série cohérente d’images en vue d’une exposition à l’intérieur d’une pièce aménagée. Les images de Sébastien sont enfermées dans une valise déposée dans une alcôve à l’étage. Une deuxième pièce servira de chambre d’échos pour le travail d’élucidation et la construction d’une série cohérente. Le dispositif spatial est très clair : du lieu de l’archive à celui d’un atelier de visualisation. Hypothèse d’une résolution possible entre le virtuel de l’archive et le conjoncturel de l’exposition. Tout le film est là, dans l’impossibilité de composer définitivement une perspective unique, à chaque fois le maillage se dérobe, se recompose au profit d’une nouvelle possibilité. Si les photos ne sont pas prises par Sébastien, et ne sont pas davantage les témoignages directs laissés par le passage de sa famille, néanmoins, c’est à une histoire de filiation, de relais que nous sommes conviés.
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À l’ouverture du film, la voix de Sébastien enregistrée sur K7 nous éclaire sur ce point : « Je te laisse ma valise. Elle était à mon père quand il avait mon âge...Tu verras, j’ai aménagé une pièce où je comptais exposer les photos. Je te fais confiance pour faire ce travail à ma place.» ; et plus tard dans le film, Michaël pour couper court à d’éventuelles questions de Linda : « Alors passons aux choses sérieuses ! Qu’est-ce que vous voulez savoir ? Sébastien ? Ne me demandez pas si je suis son père, s’il est mon fils, mon neveu, moi son beau-père ? » Et pour terminer, c’est à la personne la plus proche que Sébastien confie la tâche difficile de composer avec la matière imageante. Au fil des jours l’ouvrage avance sans fin, comme celui de Pénélope, mais pour Linda le retour de Sébastien n’aura pas lieu et on le devine dès les premiers mots de l’enregistrement : « Écoute mon dernier texte...voilà ce que je suis encore...voilà ce que je vais quitter » La partition sur laquelle le film joue se construit à partir de l’idée que les images appartiennent à celui qui les collecte, se les approprie dans une posture de collectionneur, autrement dit, peuvent appartenir à tout un chacun. Les combinaisons sont musicales, par couple et associations, et découpent d’étranges airs de famille avec ce que nous sommes, avec les images qui nous habitent d’une façon générale. La voie opérée par Linda consiste à opposer les contraires dans un système dualiste : le bien/le mal. Sur le principe de 1+1 = 3 donné par Sébastien, une étrange complicité va se nouer entre Linda et Michael quant aux images. Michael est un musicien isolé dans le mas pour composer un psaume. Très vite, il questionne Linda sur l’alliance thématique des accords et des silences capables de constituer une série. Du coup la géographie des images dans l’espace de la pièce prend des allures de remplissage, mais se recompose en permanence au gré des déplacements de chaque élément. Il semble qu’à l’infini des recompositions, les images ne trouvent jamais leur véritable cohérence, qu’aucun dessein totalement pertinent ne puisse aboutir. À faire et à défaire son ouvrage, Linda tente de prolonger le temps et de contrôler l’inéluctable échéance. Mais une autre explication est aussi possible : si les images ne cohabitent pas aisément c’est qu’elles sont tout autant étrangères les unes aux autres et aussi étrangères à celle qui les regardent. Le tapissage du mur par recouvrement complet
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auquel elle se livre ne parvient jamais à dire le mystère de chaque image, tout au plus, les rapprochements permettent-ils d’entrevoir une possibilité de sens vite déconstruite. Les combinaisons d’images renvoient inlassablement au principe arithmétique énoncé par Sébastien qui fait qu’on produit une troisième donnée à partir de la combinaison de deux. L’idée absolue serait évidemment de ramener à l’unité la multiplicité, faire converger le multiple hétérogène à quelque chose d’unique. Tout porte à croire que les images ne disent rien en ellesmêmes puisque tous les arrangements semblent viables dans leur cohabitation. Il y a une forme d’équidistance entre elles. Il faut attendre la fin du film pour que Linda introduise une photo particulière, le portrait d’un lépreux, Raimondakis, que Jean-Daniel Pollet a filmé dans son formidable documentaire L’Ordre, 1973. Contrairement aux autres images, cette photographie parvient à parler, à énoncer un discours très bref qui semble sortir du silence pétrifié des images fixes parce que sa parole a déjà été proclamée et entendue : « En fait cette asymétrie, toutes ces asymétries, au lieu de lui conférer justement la laideur, lui donne une sorte de multiplicité absolument extraordinaire. La carte de ce visage m’évoque un volcan ». Lorsque cette photographie du visage de Raimondakis arrive, envoyée dans une lettre par Sébastien, on assiste momentanément à une réconciliation du regardeur avec l’ensemble, car elle instaure une relation de vraie humanité par une beauté indicible à l’envers de toute attente et de toute correspondance connue. La force du vécu retarde pour un temps toute disparition, toute neutralisation des images entre elles et impose l’intensité de la relation à une forme de réalité. Dans ce temps de l’apparition de l’image de Raimondakis, les autres images semblent s’effacer, se subordonner à la puissance magnétique du portrait. Comme la rencontre portée par une image n’est pas partageable, la suite du film montre aussi sa neutralisation dans la configuration accumulative du régime général des images. Nous ne sommes pas loin non plus de la conduite personnelle de Sébastien... On ne peut comprendre les raisons qui poussent Sébastien à déléguer Linda dans un projet impossible si on ne considère pas la dimension ontologiquement nécrologique des images.
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Toute photographie appartient au passé toute comme la voix enregistrée de Sébastien et probablement son existence même. Parallèlement à la réactivation permanente de sa personne dans le récit filmique, Jean-Daniel Pollet cherche à inverser le mouvement des images pour les tendre vers un devenir, un futur. L’inéluctable pourtant patent semble sursoir à la ruine imminente et laisse entrevoir la possibilité d’une résurrection encore possible sinon nécessaire. Nous sommes bien évidemment très loin de la famille au sens courant du terme, pourtant quelque chose de commun nous unis à travers les images, quelque chose de partagée au-delà de l’expérience particulière de chaque image, un sentiment d’appartenance à un espace et un temps en brassage permanent qui tente de faire revenir dans le présent ce qui a disparu. L’Atlas de Warburg est ici présent dans ce qui pourrait être un passé en devenir.
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Images à dimension lazaréenne Le vocable « lazaréen » appartient à Jean Cayrol et se fonde sur le récit d’une résurrection, celle de Lazare, l’ami de Jésus Christ, mort depuis plusieurs jours et ramené miraculeusement à la vie. De notre point de vue d’humains, revenir de chez les morts ne peut relever que d’un dessein divin ou poétique (Orphée et Euridyce, Virgile et Dante...), or Jean Cayrol l’applique aux survivants des camps de la mort. C’est dire à quel point cette expérience relève de la situation la plus extrême et rend du coup le retour lazaréen à la vie complètement problématique, sinon impossible. Cette contigüité avec la mort, nous la retrouvons dans le film de Jean-Daniel Pollet à travers la figure de Sébastien et à travers les photos qui le représentent, mais aussi dans la matière même du texte. Les passages sélectionnés dans les écrits de Jean Cayrol (La conscience du chrétien) permettent de fondre, confondre les voix de Sébastien et celle de l’écrivain par glissement de voix in à voix off et inversement. L’image et le texte sont tous deux les vecteurs de ce retour lazaréen et l’alcôve où tente de s’organiser les images, un espace non pas réceptacle mais réactif au sens de chambre d’écho, chambre d’amplification, mais aussi chambre des morts. Avec Anticorps, présenté au BAL du 24 janvier au 14 avril 2013, Antoine d’Agata reprend à son compte l’idée de l’homme qu’il replace sur un plan ontologique pour miner de l’intérieur toute idée humaniste au sens historique du terme. L’expérience vécue, inimitable par sa radicalité, extrême dans ses enjeux, fait écho aux questionnements propres au film de Pollet. Si le dispositif diffère, il n’en convoque pas moins les mêmes composants formels : alcôves, voix et images photographiques. Dans la salle du haut, un écran noir et les voix monologues d’une vingtaine de femmes rencontrées qui occupent l’espace, sans aucune image, pour un film à venir. Dans la salle du bas, du sol au plafond, une saturation d’images, celles de prostituées, de photos récupérées dans les prisons de Tripoli, des images faites ou non par d’Agata, mais surtout, sans le moindre interstice, le moindre vide et
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tout comme pour le film Ceux d’en face, des répétitions d’images formant des rimes visuelles, des cadences dans le déroulement impositif de la scénographie. Dans cette cohabitation de toutes les images, d’Agata luimême, figure spectrale, au milieu d’un grouillement d’enveloppes charnelles désincarnées, paraissant illustrer des sorties de corps et d’autres au contraire fortement incarnées, semble conjurer la mort et la vie. Si Sébastien est vraisemblablement déjà mort dans le film de Pollet, d’Agata l’est d’une autre façon dans Anticorps parce que vie et mort se rejoignent dans la dernière extrémité de la survie au-delà de tous les mensonges et tous les artifices. Figure lazaréenne, d’Agata l’est de manière explicite dans ce portrait où on le voit de face, torse nu, regard noir, visage livide et peau blanchie à la chaux sépulcrale, mais debout, les pupilles d’un noir absolu rivées sur nous. Il est toujours intéressant de comparer les dispositifs quand ils semblent répéter les mêmes contraintes spatiales pour tenter de comprendre ce qui les différencie dans leurs finalités. Sans chercher à explorer toutes les situations relatives à l’alcôve imageante, je voudrais convoquer quelques exemples particuliers. La Valise Mexicaine était exposée au Rencontres d’Arles en 2011 dans un espace totalement fermé et éclairé par la seule présence de lampes. On y retrouvait, non pas une accumulation au sens de remplissage de l’espace, mais une densité des images puisque toutes les images contenues sur les négatifs de la valise étaient présentées sous la forme de tirages contact. Il en est résulté exactement l’inverse de ce que nous montre d’Agata dans Anticorps, à savoir que dans la situation arlésienne, le processus créatif interrompu par la guerre semble se réactiver dans la possibilité de sélectionner des images parmi l’ensemble, comme on le fait dans une agence. Le retour contrarié des images dans le mouvement qui aurait dû être le leur semble possible. Les retrouver dans une nouvelle forme de visibilité puisque différée de plus de 72 ans, demeure malgré tout assez illusoire et c’est davantage à la nostalgie que nous sommes redevables. Là où d’Agata fait mur, fait bloc, l’exposition d’Arles cherche tout au contraire à faire fissure, à inviter le spectateur muni d’une loupe à explorer, à s’introduire au plus près de l’image, à reconstituer la chronologie des événements et l’attribution des images à leurs auteurs respectifs, à mettre du récit, alors que celles de d’Agata au BAL nous tiennent à une distance difficilement contractable, sans échappatoire, dans tous les cas sans dimension négociable.
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L’alcôve imageante comme forme de déviance Toutes les situations évoquées précédemment concernent des dispositifs artistiques dédiés à un public pour être vus, où la dimension discursive, réflexive et les latitudes variables pour déplacer le point de vue d’un extrême à un autre sont les ressorts principaux de l’oeuvre ellemême. Chacun de ces espaces est finalisé, orienté par rapport à un spectateur qui fait une démarche de participation artistique alors que dans les exemples qui vont suivre, le dispositif de l’alcôve, bien que finalisé, n’est jamais dédié qu’à une seule personne et surtout, dans une finalité qui reste extrêmement fonctionnelle. La mort y rôde tout autant et habite à sa façon chacune des photographies qui alimentent le film de Roger Spottiswoode, Under Fire, 1983. L’image lazaréenne est ici concrètement illustrée mais totalement subvertie par le mensonge : les journalistes vont photographier Raphaël, le leader révolutionnaire mort, mais qu’il faut montrer vivant pour galvaniser la révolution à un moment où celle-ci semble fléchir (la mise en scène consiste à le photographier assis en train de lire le journal du jour). On pourrait en rester aux questions déontologiques qui animent la presse, ce que fait momentanément le film (difficile d’y échapper !) si ce n’est qu’un autre personnage, plus complexe encore ne vient perturber la situation. C’est le personnage le plus trouble de tout le film. Joué par Jean-Louis Trintignant, il incarne un Français sans scrupules, élégant comme il se doit, en costume d’alpaga blanc, mais d’une fausseté absolue. Trop tard, les journalistes vont se rendre compte qu’ils ont été manipulés et que la photo de Raphaël n’a été possible que sur décision de l’espion français qui a tout instrumentalisé afin d’identifier les combattants révolutionnaires. Comment ? Tout simplement, en récupérant les prises de vues réalisées dans le camp de Raphaël ! Et nous retrouvons à nouveau l’antichambre de la mort qui contient leurs photos, collées aux murs d’une alcôve dérobée de sa résidence, dans le décompte sinistre des croix qui soldent la succession des meurtres. Ici la brutalité de la guerre, la
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perversion des rapports excluent virtuellement toute rêverie contrairement aux autres exemples choisis précédemment où un entre-deux de la vie et de la mort, prenant la forme du discours, du récit, de la poésie... peut se développer. Avec ce film, la photo cohabite avec la mort, et la fin scelle définitivement ce constat : l’acte photographique redouble l’acte de mort en respectant scrupuleusement les trois temporalités (retardé pour la photo de Raphaël, précurseur pour celles des combattants, simultané pour l’assassinat d’Alex). Du coup, aucun retour possible, sinon le constat brut, le fait non discutable. Si l’alcôve où les photos de ceux qui vont mourir n’autorise aucune rêverie, aucun écart, c’est parce qu’elles s’inscrivent dans un projet criminel implacable et froid, dépourvu du moindre état d’âme, de la moindre empathie. Là, le spectateur ne peut être convié parce que le dispositif auquel elles souscrivent interdit toute adhésion, la moindre participation. Dans le film, l’alcôve forme un noyau non discutable, non partageable, dépourvu de toute instances susceptibles d’ouvrir à une rêverie, une discursivité quelconque. L’absence de dimension artistique semble tout autant déterminante dans le film suivant où la déviance relève d’une forme avérée de perversion. Dans ce cas de figure particulier propre au film One minute Photo, de Mark Romanek, 2002, Sy Parrish (Robin Williams), tireur photographique irréprochable et méticuleux jusqu’à l’obsession dans un photo-minute de supermarché, double, pour son propre compte toutes les photos de la famille Yorkin sur laquelle il marque une véritable fixation. Lui aussi leur assigne une alcôve dérobée où toutes les images retraçant la jeunesse du couple, l’attente de l’enfant puis son arrivée et les épisodes de leur vie commune tapissent un mur entier du sol au plafond. À travers eux, Sy projette l’image de la famille idéale, celle qu’il n’a pas. S’il s’agit ici très clairement d’une perversion, le trait commun de ces espaces dévolus aux images dans les deux films tient à la dimension de réclusion privative interdisant toute violation d’un regard extérieur mais certainement pas l’absence de toute velléité spectatoriale pour le concepteur. Il s’y développe une mise en espace radicale et plastiquement très puissante. Mais pour chacun de ces deux exemples, le dispositif spatial cesse immédiatement de fonctionner dès lors qu’un regard extérieur y pénètre alors que dans les exemples précédents le regard extérieur en forme la condition nécessaire, la seule justification de leur mise en espace.
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Conclusion Il est clair que ces deux derniers exemples filmiques sont sans ambiguïté pour ce qui concerne la question du point de vue : il n’est de regard qu’interne, privatif, exclusif. Quand le point de vue change, la narration bascule dans le fait divers, dans l’événementiel. Sa réversibilité en fait exploser les limites et ouvre l’espace de l’alcôve à celui de tout le film. La résistance à toute forme d’intrusion scopique extérieure ne saurait prévaloir pour les autres situations où le spectateur est invité à participer. Pour autant, une résistance au dévoilement existe aussi dans les trois dispositifs mentionnés en premier. Le spectateur est convié indirectement pour voir la série d’images mise en place dans le film de Pollet, mais l’organisation bute sur le fait que Linda fait et défait l’ordonnancement comme pour retarder la disparition de Sébastien. La magie tient a quelque chose d’ineffable dans l’entrelacement des voix (texte) et des images et véritablement le dispositif créé paraît davantage un dispositif sans pérennité, instable mais vivant parce qu’alimenté inlassablement, donc retenu. Le processus paraît prendre plus d’importance que le résultat. Dans l’exposition Anticorps, Antoine d’Agata ne nous convie pas à une simple contemplation des images, mais à une expérience saisissante, effroyable, aux limites du possible, en rupture totale avec les postulats moraux et au bout du compte à une perception extrême de ce que peut être l’affirmation de la liberté. L’idée d’exposition ne paraît pas le concept le plus approprié pour qualifier ce qui se joue avec les images recouvrant les murs. Mieux vaudrait parler d’expérience radicale, inimitable où la place qui nous est assignée ne nous permet pas de rester simple spectateur. La présentation de la Valise Mexicaine va aussi à l’encontre de l’exposition dans la mesure où elle recompose l’état qui la précède, la phase avant l’editing. Il apparaît au regard de ces références que l’alcôve imageante ne semble pas pouvoir fonctionner comme les espaces ordinaires où les photographies sont généralement présentes. Ses caractéristiques de réclusion, l’effet all over, la fréquence de la relation à la mort, la dimension agrégative des images, tout concourt à reconstruire nos relations aux objets artistiques par rapport à un lieu qui ne montre pas les oeuvres individuellement, mais qui est une oeuvre en lui-même. Pour les besoins de cet article, il a fallu élargir la notion conventionnelle de famille à des cercles plus éloignés, mais la période que nous vivons n’est pas sans résonances avec certains échos ou questions posées par les situations rencontrées.
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"Ă€ la recherche de la famille, du parent parfait Anne KARTHAUS
Existe-t-il un parent parfait? Réflexions autour du parent parfait
Si une famille éclatée... Une grand-mère, déjà, divorcée... les deux filles, encore, divorcées... une soeur, divorcée... je... divorcée...
Réfléchissons...
Si une famille éclatée... Une grand-mère, déjà, divorcée... les deux filles, encore, divorcées... une soeur, divorcée... je... divorcée...
Qu’en est-il de la «famille»?
Dans le Larousse, la famille est un ensemble des générations successives descendant des mêmes ancêtres, elle peut-être proche ou éloignée... Etymologiquement parlant, il y a lieu de croire que le mot «famille» viendrait du vocable latin «famulus» (serviteur). Il semble dans tous les cas que le concept famille s’employait à désigner des esclaves et des serfs considérés comme un bien appartenant à un seigneur.
Comme les enfants leurs parents?
appartiennent
à
Dans tous les cas et d’après l’INSEE; une famille est la partie d’un ménage comprenant au moins deux personnes et constituée : Soit d’un couple vivant au sein du ménage, avec le cas échéant son ou ses enfants appartenant au même ménage. Soit d’un adulte avec son ou ses enfant(s) appartenant au même ménage.
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Et qu’en est-il d’une «famille éclatée» ?
Décortiquons... Les deux filles, encore, divorcées... une soeur, divorcée... je... divorcée...
Définition
Éclater est semblable à se percer, se fendre, se rompre ou exploser... Être brisé, rompu en divers fragments. Et d’après le dictionnaire de la psychiatrie des éditions du CILF; la famille éclatée se caractérise par la dissolution du couple parental! Il est dit aussi dans cet ouvrage que de telles familles sont généralement instables.
Alors qu’en éloignée»?
est-il
d’une
«famille
Une grand-mère, un grand père éloignés l’un de l’autre... une tante, un oncle, un père, une mère... tous éloignés les uns des autres... Et pourtant il semble que cet ensemble de parents éloignés les uns des autres forment malgré tout une famille... Instable soit, mais on peut toujours la dénommer par ce terme.
Et maintenant supposons...
Si une famille éclatée... Les deux filles, encore, divorcées... La famille... éloignée...
Supposons
Les enfants restés auprès d’un père très «autoritaire»... absolu, cassant, coupant, directif, dominateur, dur, tranchant... ... 77
Qu’en serait-il de la famille monstrueuse?
Monstrueux est défini par : «qui est atteint de graves malformations» ou excessivement laid voire qui est d’une intensité extraordinaire comme une erreur monstrueuse ou qui atteint un degré extrême dans le mal tel un crime monstrueux! Synonymes : «pervers, féroce, barbare, dur, affreux, laid, odieux, sordide, abject, bas, glauque, ignoble, infâme, infect, vil.»
Soupçonnons...
Les deux filles, encore, divorcées... La famille... Eloignée... Un père... monstrueux... Des enfants...
Qu’en serait-il des enfants? Dispersés?
Dispersé est exprimé par ; séparé les uns des autres, parti vers des endroits différents, ne plus être constitué . Des choses jetées ça et là, répandues, fragmentées, éparpillées, démantelées, morcelées, désarticulées, émiettées.
Conclusion...
Les deux filles, encore, divorcées... La famille... Eclatée... Eloignée... Un père... monstrueux... Des enfants... désarticulés. ... 80
Extrapolation
Parce qu’une transformation de société aujourd’hui fait débat...
Conjecturons même... La famille... Eloignée... Un père...monstrueux... Des enfants émiettés...
Parce qu’une transformation de société aujourd’hui fait débat... Et si l’un des membres de cette famille avait été homosexuel?
Qu’en serait-il des enfants? Augurons...
Et si à la place d’un père dit «monstrueux»? Des enfants désarticulés... Et si deux mères? Et si l’un des parents n’avait pas été abominable, affreux, atroce, horrible, laid, odieux, sordide, abject, bas, écoeurant, ignoble, immonde, infâme, infect, mesquin, vil?
Supposition...
Un père... monstrueux... Des enfants détraqués Et si...deux mères? Ou si... deux pères? Je m’interroge autrement parce qu’une transformation de société aujourd’hui fait débat... Et si l’un des membres de la famille avait été homosexuel... Mais pas «monstrueux» ... 81
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Disons plutôt... agréable, beau, charmant, bienfaisant, bon, céleste, charitable, généreux, humain, rassurant ?
Imagination...
Je m’interroge parce qu’une transformation de société aujourd’hui fait débat... Plus de père «oppresseur»... Et si... deux mères agréables, belles, charmantes, bienfaisantes, bonnes, célestes, charitables, généreuses, humaines... rassurantes... Des parents unis ? Des enfants stables ? Et si seulement deux mères... non pas éloignées mais proches... aimantes ?
Qu’en serait-il de la famille monstrueuse ? Et encore Une autre possibilité... Une nouvelle extrapolation... Pas de père «monstrueux» Pas de mère «ignoble» Ou pas...
Pas de famille... Pas de famille du tout... Un enfant orphelin Un enfant autrement «désarticulé»
Je m’interroge parce qu’une transformation de société aujourd’hui fait débat... Plus de père... Pas de mère... Pas de famille du tout ! Et si un enfant désarticulé ? Et si un enfant disloqué ?
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Je m’interroge parce qu’une transformation de société aujourd’hui fait débat...
Et si à un enfant orphelin On offre deux mamans ? Deux papas ? Deux parents homosexuels... et... agréables, beaux, charmants, bienfaisants, bons, célestes, charitables, généreux, humains...rassurants...
Impression...
Je m’interroge parce qu’une transformation de société aujourd’hui fait débat... Des enfants équilibrés, heureux, joyeux, enchantés, comblés, radieux... Des parents, une famille, unie, aimante, agréable, bienfaisante, rassurante...
Qu’en serait-il de la famille monstrueuse ?
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PORTFOLIO Claire DANTZER
Pour mieux te manger mon enfant 2007 Claire Dantzer Pour mieux te manger mon enfant, 2007, est une série de dessins réalisée partir de photographies d’arrestation de tueurs en série s’étant livrés à des pratiques cannibales. En plans rapprochés, dans la frontalité, les meurtriers de sexe masculin nous font face, le regard fixe, ou au contraire absent. Par sa technique, l’artiste nous les rend plus sensibles en ce sens qu’ils paraissent très ordinaires. Si la photo sert ici de modèle au dessin, c’est principalement pour dissoudre la brutalité documentaire des images de référence. Par de subtils glissements, Claire Dantzer se plaît à mettre en tension des oppositions marquantes, ici, évidemment, la monstruosité derrière une apparente normalité, voire douceur.
Extrait: « Chère Mrs Budd. En 1894, un de mes amis s’est embarqué sur le vapeur Tacoma du capitaine John Davis, allant de San Francisco à Hong Kong. En arrivant, il partit s’ennivrer en compagnie de deux amis. À leur retour, le bateau était parti. La famine sévissait à cette époque. La viande coutait $1-3 par livre. La famine était telle que les pauvres vendaient leurs enfant de moins de 12 ans comme viande de boucherie. Un jeune de 14 ans n’était pas en sécurité dans la rue. Toutes les boutiques vendaient cette viande grillée ou bouillie. Des membres de l’enfant était apportés et vous pouviez choisir la partie qui vous convenait. Les fesses étaient les parties les plus prisées et vendue en escalopes coûtaient le plus cher. John est resté en ces lieux tellement longtemps qu’il développa un goût pour la chair humaine. À son retour à New York, il kidnappa deux jeunes garçons de 7 et 11 ans. Il les attacha chez lui en les enfermant dans un placard. Puis il brûla tous leurs vêtements. Plusieurs fois par jour, il les torturait afin d’attendrir leur chair. Il tua le garçon de 11 ans, car il avait les fesses les plus charnues. Il cuisina et mangea toutes les parties à l’exception des os du crâne et des entrailles. Il a été rôti au four (les fesses), bouilli, grillé, frit, et préparé en soupe. Le même sort attendait le plus jeune.
À cette période, je vivait au 409 Est de la 100e rue. Il me vantait tellement souvent les délices de la chair humaine que je me décidai à en goûter. Le dimanche 3 juin 1928, je vous ai appelé au 406 Ouest de la 15e rue. Je vous ai apporté un pot de fraise à la crème. Nous avons déjeuné ensemble. Grace s’est assises sur mes genoux et m’embrassa. Je fixai mon choix sur elle. Au prétexte de l’emmener à une fête, vous avez dit qu’elle pouvait y aller. Je l’emmenai dans une maison à Westchester que je venais de louer. Je lui demandai de rester à l’extérieur. Elle cueillit des fleurs. Je suis monté à l’étage et ai enlevé mes vêtements. Si je ne le faisait pas, je savais que le sang allait les tacher. Quand tout fût prêt, je l’appelai par la fenêtre. Puis je me suis caché dans le placard jusqu’à ce qu’elle entre dans la chambre. Lorsqu’elle ma vu nu, elle se mis à pleurer et essaya de fuir par l’escalier. Je l’ai attrapé, elle dit qu’elle se plaindrai à sa maman. D’abord, je l’ai déshabillée. Comme elle donnait des coups de pied, mordait et griffait. Je l’ai étranglée, puis découpée en petits morceaux afin que je puisse emmener la viande dans mes chambres. Je l’ai cuisinée et mangé. Ses petites fesses étaient tendres après avoir été rôties. Ça m’a pris 9 jours pour la manger en entier. Je ne l’ai pas baisée, même si je l’ai regretté. Elle est morte vierge. »
Andreî Romanovitch Chikatilo (1936 - 1994) tueur en série ukrainien surnommé ‘le monstre de Rostov’
Friedrich Heinrich Karl Haarmann dit Fritz Haarmann (1879-1925) tueur en sĂŠrie allemand,surnommĂŠ le boucher de Hanovre et le vampire de Hanovre
Jeffrey Lionel Damher (1960-1994) tueur en série américain surnommé le cannibale de Milwaukee
Albert Fish (1870 - 1936) tueur en série américain, surnommé le « Vampire de Brooklyn » , l’« Ogre de Wysteria », le « Gray Man », le « Croque Mitaine » ou encore le « Moon Maniac »
Ed Gein (1906 - 1984) tueur en série américain
Isseï Sagawa (né en 1949) Japonais
Henry Lee Lucas (1936-2001) tueur en série américain
Arthur John Shawcross, tueur en série américain aussi connu sous le nom de Killer Genesee River ou l’étrangleur de Rochester
Armin Meives (né en 1961) informaticien allemand, Surnommé Der Metzgermeister (le maître boucher)
Gary Michael Heidnik (1943-1999) assassin amĂŠricain
À propos de Claire DANTZER Claire Dantzer est née en 1983. Formation aux Beaux-Arts de Toulon. Vit et travaille à Marseille. Sa pratique comprend des peintures, des installations, des sculptures, des vidéos et performances ainsi que des œuvres graphiques. Contacts et liens http://www.documentsdartistes.org/artistes/dantzer/page1.html Tél. : 06 03 17 39 02 E-Mail : cl.dantzer@gmail.com http://www.seizegalerie.com/2011/claire-dantzer/ http://vimeo.com/36751276 http://www.galeriemartagon.com/galerie_martagon/Claire-Dantzer.html
PORTFOLIO
Lionel SCOCCIMARO
Les octodégénérés 2001 Lionel SCOCCIMARO est principalement connu comme sculpteur, mais nous nous sommes intéressés à la série photographique Les Octodégénérés de 2001. Conformément aux autres domaines de sa pratique artistique, Lionel Scoccimaro a utilisé les compétences techniques d’un photographe pour réaliser ses prises de vues en studio. Le personnage féminin est sa grand-mère et l’homme qui l’accompagne, son frère jumeau. Si la notion de famille ne fait pas directement question, néanmoins la mise en scène, les jeux auxquels se prêtent les personnes ouvrent suffisamment d’espace pour que cette série d’images puisse rencontrer notre thématique.
Extrait: La dimension ludique est ce qui fonde au premier abord l’art de Lionel Scoccimaro. Le jeu est traité plus manifestement dans la série photographique et vidéo des Octodegénéres (2002-2007), exposée dans sa quasi-totalité à Orthez. Le principe en est simple : l’artiste fait rejouer à sa grand-mère Lucette et à son frère jumeau Georges (tous deux octogénaires) des photographies de famille montrant des enfants occupés à des jeux de leur âge. Ici, la vieille dame tire malicieusement la langue, là elle pose en maillot de bain, ceinte d’une bouée. Ailleurs, Georges trône sur une bicyclette bien trop petite ou joue au ballon avec sa sour. Il adopte le sérieux fiérot du petit garçon venant tout juste de déballer son cadeau de noël, elle simule l’espièglerie de la gamine facétieuse. Le fond neutre du studio où ils posent instaure une distance qui les isole au sein d’un espace intériorise, mental. Délires de vieillards retombés en enfance ? Désir de jeunisme ? Capacité à conserver une âme d’enfant ? A l’heure où les fillettes singent de plus en plus tôt la coquetterie des trentenaires, et où les dames d’un certain age tentent par tous les moyens chirurgicaux de ressembler à la dernière Lolita à la mode, que penser de ces vieillards qui jouent à être des bambins 7 Images ambivalentes où le décalage saisissant installe un malaise lancinant.
À propos de Lionel Biographie Lionel SCOCCIMARO vit et travaille à Marseille. Expositions individuelles 2012 -Sérendipité, de la nécessité du voyage, Galerie Olivier Robert, Paris -Villard VS Scoccimaro, Galerie Martagon, Malaucène -Statement Slick Bruxelles, Belgique. Galerie Alexia Goethe, Londres 2011 -Statement, Docks Art Fair, Galerie Olivier Robert, Lyon 2010 -Waiting for the perfect day, Galerie Olivier Robert, Paris -Fire delight and its form, La Chaufferie, Galerie de l’ecole des beaux arts, Strasbourg (avec Frederic Clavère) -Photographs, Alexia Goethe Gallery, Londres, Angleterre 2009 -From pin-up to surf trip, Centre d’art Le bleu du ciel / Résonnance biennale de Lyon, commissaire: G. Verneret, Lyon -Les octodégénérés 2001/2009, Le bleu du ciel (Burdeau) / Résonnance biennale de Lyon, Lyon -Go big or go home, CWG Gallery, Londres, Grande Bretagne -Sweet Palace, avec Damien Berthier, Galerie des Bains-Douches, Marseille 2008 -Buro bildende Kunst, De Willem 3, commissaire Leon Riekweill, Vlissingen, Hollande -Homeless by design, ”la dégélée Rabelais”, Aperto / Frac Languedoc Roussillon, Montpellier -Little Bastard, VF Galerie , Marseille -Cabinet de curiosités, avec Thiery Lagalla, Galerie Martagon , Malaucène 2007 -Water-Tanks & sugar histories, (avec Eric Angenot), Galerie In-situ, Aalst, Belgique -Beyond the valley of the sugar histories, (commissaire Valérie Charlier, Centre d’Art Chapelle St Jacques, Saint-Gaudens -Hot pictures & Flammed paintings 3, Galerie SAGACE, Ecole des Beaux arts de Pau
-Heavenly Bodies..., commissaire Emilie Flory, Centre d’Art Image/Imatge, Orthez -Docks art fair, avec la VF Galerie, Lyon 2006 -Monsters of sounds, Galerie Espace à vendre, Nice -Hot pictures & flammed paintings, commissaire Jean-Claude Guillaumon, Centre d’art de Saint Fons -Custom Made, Buro bilden Kunst, Vlissingen, Hollande 2005 -Laudy VS Scoccimaro, avec Christian Laudy, Galerie Martagon, Malaucène -Hot pictures & flammed paintings, Galerie In-situ. Aalst, Belgique -Diabolo, bridge & candy, Galerie Averse/Espace à vendre, Nice 2004 -Custom Made, Galerie Alain Legaillard, Paris -Rira bien qui rira le dernier, Centre d’art de Morsang sur Orge 2003 -Quelques gouttes suffisent, Galerie de l’école d’art d’Aix-en-Provence -Galerie Aperto, Montpellier 2001 -Plan B, Cinéma les Variétés, [S]extant et Plus, Marseille 2000 -Tohu-Bohu, Marseille 1999 -Vacances Bleues, Marseille -L’art renouvelle ..., Passage de l’Art, Marseille 1995 -Aujourd’hui je ne me lèverai pas..., Galerie de l’Université, Aix-en-Provence Contact Galerie Olivier Robert 5, rue des Haudriettes Paris 75003 Tél : +33 (0)1 43 25 31 87 Site :http://www.Galerieolivierrobert.com E-mail : info@Galerieolivierrober.co
Crédits Direction artistique : Philippe Leroux Relecture et correction : Alain Marsaud Conception graphique et réalisation : Mato Pour la présente édition ont participé : • Le collectif Àquatre / Alain Marsaud - Anne Karthaus Françoise Laury - Philippe Leroux. • Claire Dantzer • Lionel Scoccimaro. Crédits photographiques : P2, Weegee - P3, Enrique Metinides - P4, Thomas Martin P61-62, 81-82, photogrammes du film Under Fire, Roger Spottiswoode,1983 P66,71-72, 75-76, photogrammes du film Çeux d’en face, Jean-Daniel Pollet, 2001 P53-54,78, photogrammes du film One minute photo, Mark Romanek, 2002 Le collectif Àquatre remercie chaleureusement Gilles Revertegat pour son soutien actif et ses propositions éclairées. Collectif Àquatre 3 rue Peyssonnel 13100 Aix-en-Provence - France contact@collectifaquatre.fr - collectifaquatre.fr