Théâtre de marionnettiste, quels enjeux pour la lumière dès lors que la manipulation se fait à vue

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Théâtre de marionnettiste, quels enjeux pour la lumière dès lors que la manipulation se fait à vue ?





La manipulation à découvert pose la question de la définition du rôle du marionnetiste. Lui-même laisse voir consciemment ou non - les intentions de son jeu, sa relation profonde avec l’imaginaire qui s’exprime dans la marionnette. Sur la plan métaphorique, cette relation exprime clairement le caractère excentrique de la vie humaine, qui tout à la fois se vit comme Moi immédiat et se projette hors d’elle même pour errer dans le passé ou l’avenir.

Enno Podehl



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GUEYDAN Arthur Réalisation Lumière ENSATT 2011 – 2014 Promotion 73 - Vaclav Havel

MÉMOIRE DE RECHERCHE

Théâtre de marionnettiste, quels enjeux pour la lumière dès lors que la manipulation se fait à vue ?

Coordinateur : Mireille LOSCO-LENA Tuteur : Christine Richier Responsable de filière : Christine Richier Michel Theuil



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MEMOIRE DE RECHERCHE Titre : Théâtre de marionnettiste, quels enjeux pour la lumière dès lors que la manipulation se fait à vue ? Auteur : Arthur Gueydan Année : 2014 Filière : Réalisation lumière Tuteur du mémoire : Christine Richier Coordinateur des mémoires : Mireille Losco-LenA Je soussigné(e) ………………………………………… ………..,

Certifie la conformité de la version électronique avec l’exemplaire officiel remis au jury, M’engage à transmettre à la bibliothèque une version finalisée si le jury exige des corrections, Certifie que mon mémoire ne comporte pas de documents non libres de droit ou joins une table des illustrations, avec la référence précise (page, numéro ou description de la figure...) des documents figurant dans mon mémoire pour lesquels il n'y a pas d'autorisation de diffusion. Autorise la consultation* de mon mémoire à la bibliothèque de l’ENSATT par des personnes extérieures, sa copie en version numérique et sa diffusion par prêt entre bibliothèques (PEB). A Lyon, le Signature de l’étudiant(e) Mémoire consultable par des personnes extérieures à l’ENSATT

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*Etant entendu que les éventuelles restrictions de diffusion de mes travaux ne s'étendent pas à leur signalement dans le catalogue de la bibliothèque, accessible sur place ou par les réseaux, ni à leur consultation sur place, ni à leur diffusion par Prêt entre Bibliothèques (PEB) ou sur le réseau intranet de l’ENSATT. En cas de diffusion du mémoire mentionné ci-dessus selon les conditions précitées, l'ENSATT s'engage à respecter le droit moral de l'auteur sur le mémoire.



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Résumé

Ma recherche porte sur les enjeux que pose, pour la lumière, le fait que la manipulation soit à vue dans les spectacles de marionnette. Avant d’attaquer frontalement la question de la lumière j’explore les enjeux esthétiques et dramaturgiques qu’il y a quant au fait de dévoiler la manipulateur.

Mots clefs

- manipulation à vue - marionnette - marionnettiste -



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Table des matières

préambule 11

Introduction 23

1-Comprendre la relation marionnette-manipulateur. 23 1.1 - Paradoxe sur l’acteur manipulateur 25 1.2 - Le Castelet, un cadre traditionnel 33 1.3 - Seconde moitié du XXème siècle : la mise en présence du marionnettiste 48 L’influcence d’un art japonnais, le Bunraku 48

S’installer sur les grands plateaux, le castelet est insuffisant 58 Montrer la fabrique, un enjeu d’époque 59

2-La manipulation À vue, Une dramaturgie et des enjeux de plateau à repenser. Éclairer des rapports nouveaux. 63

2.1. La manipulation dévoilée, une forme originale à définir 65 2.1.1 José Ortega y Gasset : la question de la focalisation 65 2.1.2 Montrer le manipulateur, un choix de mise en scène 69

Le manipulateur dévoilé 69 L’illusion et la place du spectateur 73 Montrer la manipulation, une option dramaturgique 75


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2.1.3 Quitter le castelet pour conquérir le plateau : des espaces à ré-inventer 77 L’espace pour le théâtre de marionnette 78

Les rapports d’échelle : un enjeu de taille 79 La pesanteur et la question du sol 80 La gestion de l’illusion et les limites de l’outil scénographique 81

2.2 - L’acteur-manipulateur et la lumière 83

2.2.1Caractéristiques de la lumière 84 Mouvement 86

Couleur 87 Nature du faisceau 89 Direction 93

2.2.2 Théâtre noir ou le manipulateur absent 103

2.2.3 Le manipulateur en lisière de faisceau 105

2.2.4 Manipulateur et marionnette sur un pied d’égalité 107

Conclusion 109 Annexes 113 Table des illustrations 121 Bibliographie 125



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PrĂŠambule



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15 août 2012, 11h, 28°C, derrière la gare Part-Dieu, j’attends le covoiturage qui doit m’emmener jusqu’à Toulouse, où je rentre pour les vacances. Ces cinq heures de trajet vont être longues, surtout dans une voiture sans climatisation. En attendant je réfléchis un peu à ce que pourrait être mon sujet de mémoire. Jusqu’en juin je voulais travailler sur la question de la lumière pour un solo de comédien mais mes discussions avec mes professeurs m’ont fait abandonner cette voie. Depuis quelques jours j’ai dans la tête la question de la marionnette mais sans trop savoir pourquoi, je ne connais pas très bien ce type de spectacle. La voiture arrive, c’est parti pour plusieurs heures de route. Je discute avec Maëlle, la conductrice, qui est marionnettiste. Je lui parle de mon envie d’explorer le champ de la marionnette pour mon mémoire. Nous passons finalement tout le voyage à discuter de théâtre et de marionnette. Elle me dépose à Toulouse, on échange nos coordonnées, on ne sait jamais. 3 septembre 2012, Toulouse, gare Matabiau, je sors du TER qui m’a emmené de chez mes parents jusqu’à Toulouse, où je dois prendre le TGV pour rejoindre Lyon. J’ai deux heures d’attente entre ces deux trains. Pour m’occuper je vais à la médiathèque de Toulouse, attenante à la gare, dans l’objectif de trouver un livre que je pourrais lire durant ces deux heures. Me voici au rayon théâtre, je regarde les livres en m’attachant plus à leur épaisseur qu’à leurs titres, j’ai peu de temps. Sur le théâtre de marionnettes, Kleist, 48 pages, format poche, parfait ! C’est donc le hasard qui m’a dirigé vers cette thématique de la marionnette. J’ai eu par la suite la chance de pouvoir participer, à différents niveaux, à des spectacles de théâtre de marionnette. En avril 2013 j’ai travaillé sur le spectacle L’Androïde [HU1#] mis en scène par Aurelia Ivan. C’est Alix Veillon (étudiante lumière de la promotion 72) qui avait fait la conception lumière de ce spectacle mais elle ne pouvait


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pas être présente pour une résidence ayant lieu à La Chartreuse, à Villeneuvelès-Avignon. L’Androïde est un spectacle élaboré à partir d’un montage de texte de Ainsi parla Zarathoustra de Frédéric Nietzsche. La scénographie était composée d’un pepper ghost1 de 10*6m. Derrière ce pepper ghost il y avait un robot qui se déplaçait sur des rails et qui bougeait à l’aide d’une commande à air comprimé. Le projet du spectacle consistait en l’exploration de la notion de surhomme chez Nietzche en faisant se côtoyer au plateau ce robot androïde et deux humains. Pour la lumière il s’agissait essentiellement de faire un travail de visuel et d’image malgré les contraintes dues au pepper ghost et à la brillance du robot en métal. En avril 2013 j’ai également été recontacté par Maëlle Le Gall, rencontrée l’année précédente en covoiturage, pour faire les lumières de son spectacle, La tête du Roi. Il s’agit d’un spectacle qui puise son inspiration dans une métamorphose d’Ovide (livre VIII – le roi Erysichthon). Le pays est totalement dévasté. La faim règne. « Un estomac vide n’a jamais empêché personne de garder la tête haute » clame le secrétaire terrorisé. Trois serviteurs se plient docilement aux exigences de ce roi délirant et frustré qui croit pouvoir décider de la pluie et du beau temps. Mais la réalité est bien plus puissante : il n’y a plus rien à manger et même dans le palais royal où ils sont enfermés il faut trouver un moyen de survivre. Subitement le roi meurt laissant ses trois fidèles désemparés. Que sont-ils sans lui? Ils se trouvent prisonniers d’une situation de crise : le roi est mort et leur survie est désormais compromise. Pris de panique puis de folie ils cherchent à retrouver un fonctionnement familier mais le siège vide les met mal à l’aise. L’un d’eux s’impose comme un nouveau dirigeant fantoche et ils tentent de reprendre leurs activités. Mais 1 Le pepper’s ghost est une technique d’illusion d’optique Utilisant une fine plaque de verre et des techniques d’éclairage particulières, elle permet de faire croire que des objets apparaissent, disparaissent ou deviennent transparents, ou qu’un objet se transforme en un autre. Le nom de cette méthode est tiré du nom de John Henry Pepper qui a popularisé cet effet. Source : wikipedia


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l’ivresse du pouvoir transforme petit à petit l’homme en une bête sauvage. C’est dans un décor épuré que les trois comédiens et la marionnette vont se frotter aux jeux du pouvoir. Ici seul le Roi est une marionnette et les serviteurs sont interprétés par trois comédiens-manipulateurs. Nous avons eu quatre résidences pour créer ce spectacle mais je n’ai pu participer qu’à deux de ces périodes pour concevoir la lumière. Le spectacle est créé en mai 2014 à Grenoble. En juin 2013 je suis allé en stage à l’ESNAM (Ecole Supérieur Nationale des Arts de la Marionnette) à Charleville-Mézières. Au cours des trois semaines que j’ai passées au sein de l’école, les étudiants de la 9ème promotion étaient partagés en deux groupes et créaient deux spectacles. L’un était une adaptation de La conférence des oiseaux dirigée par Jean-Louis Heckel et l’autre spectacle une mise en scène de La pluie d’été de Marguerite Duras par Sylvain Maurice. Lors de ce séjour à l’ESNAM j’ai partagé mon temps entre les répétitions de ces deux spectacles en tant qu’observateur. Mais j’ai aussi profité du centre de documentation de l’institut de la marionnette pour avoir accès à un fond documentaire spécialisé dans la marionnette. Enfin, en mars 2014, je suis allé en stage deux semaines avec la compagnie Emilie Valantin. Mon rôle était de créer les lumières pour un spectacle jeune public, Peau d’Ours, inspiré du conte L’Homme à la peau d’Ours des frères Grimm. Les contraintes étaient assez fortes étant donné que toute la technique du spectacle devait être supportée sur une seule prise 16A, que je ne devais pas utiliser plus de quatre projecteurs. J’ai donc beaucoup travaillé sur des lumières intégrées directement dans les éléments de décor, j’ai notamment utilisé des rubans LEDs pour faire des rampes.



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INTRODUCTION



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Dans mon expérience de spectateur de spectacles de marionnettes j’ai souvent été touché par les formes où l’on me donnait à voir la marionnette et le manipulateur. Lorsque l’on me donne à voir le marionnettiste j’arrête de me poser la question comment c’est fait pour me demander dans quel but c’est fait ? Il s’agit dans ce cas là de rompre avec l’art de la prestidigitation, avec lequel la marionnette peut avoir des points communs. La manipulation est l’acte par lequel la poupée devient marionnette et c’est ce passage de l’inanimé au vivant qui me touche lorsque je suis spectateur d’un spectacle de marionnettes. C’est cette sensibilité personnelle qui m’a donné envie de porter ma recherche sur les formes marionnettiques où le manipulateur est dévoilé aux yeux du spectateur. Il s’avère que dans les cas où le marionnettiste est camouflé c’est souvent la scénographie qui prend en charge ce rôle, le cas le plus connu étant celui du castelet. À l’inverse la question du manipulateur à vue est éminemment une question qui concerne ma pratique de l’éclairage puisqu’il faudra souvent faire un choix quant à la lumière qui éclaire le manipulateur, est-elle identique ou différente de celle que reçoit la marionnette ? Le choix de dévoiler la manipulation est avant tout un choix de mise en scène que la lumière doit relayer par la suite. Il est important que les raisons de ce choix soient solidement posées pour que le travail puisse se faire dans la bonne direction. C’est cette question de la raison pour laquelle on décide de montrer le manipulateur qui m’a motivé à entreprendre mes recherches. Montrer la manipulation ? La réponse à cette question est un choix de mise en scène qui s’appuie entre autres sur des considérations dramaturgiques et esthétiques. C’est avec la question qui découle de la réponse à la première : Comment montrer la manipulation ? que les médiums scéniques que sont notamment la scénographie et la lumière vont pouvoir intervenir pour montrer la manipulation. L’éventail des possibilités est très étendu, on peut imaginer deux cas extrêmes : le manipulateur à peine visible dans la pénombre et, à l’inverse,


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le manipulateur éclairé alors que la marionnette n’est pas visible. C’est souvent entre ces deux pôles que va se trouver le choix juste. L’éclairagiste doit selon moi être capable de se déterminer comme un artisan connaissant les outils et la manière de les utiliser pour atteindre ce résultat. Il est en partie le garant de la transition de l’idée de mise en scène à son effectivité au plateau.

La question de la lumière est donc fondamentale dans cette problématique de la manipulation dévoilée, il est cependant impossible de parvenir à la définition d’une façon d’éclairer un spectacle de marionnette. Comme pour théâtre d’acteurs, il n’y a pas une recette pour faire une lumière juste. C’est la raison pour laquelle j’ai préféré cerné cette thématique par le biais d’enjeux, il s’agit davantage de voir quelles problématiques nouvelles pose le manipulateur à vue à l’éclairage. Pour cette raison j’insisterai essentiellement sur l’importance des notions d’esthétique et de mise en scène. Je crois effectivement que si ces jalons sont bien posés la question de la lumière se résoudra d’elle-même. C’est aussi pour cibler au mieux cette thématique de l’humain manipulant une figure humaine que j’ai volontairement mis de côté des pratiques connexes aux arts de la marionnette, comme le théâtre d’objet auquel je ne fais qu’allusion dans cette recherche. Je m’intéresse donc exclusivement aux marionnettes de formes humaines, mais pas uniquement aux marionnettes qui présentent une plastique réaliste. Ce sujet m’a très vite intéressé parce que j’ai senti comment une volonté forte de mise en scène : dévoiler le manipulateur rejoignait directement ma pratique de la lumière. C’est pour ces raisons que j’ai trouvé plus légitime de me demander dans un premier temps quels enjeux historiques, esthétiques et politiques avaient poussé le manipulateur à se dévoiler. Dans un deuxième temps j’ai voulu comprendre ce que cette divulgation de la manipulation pouvait créer de nouveau pour celui qui reçoit le spectacle. Une fois ces jalons installés, j’ai cru possible de me poser la question de la lumière, qui devait être traitée


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de façon concise pour deux raisons. La première raison est simple, si la partie précédente sur les enjeux de la manipulation visible a bien été appréhendée, la question de la lumière ne doit plus qu’être, comme dit précédemment, un problème d’artisanat. Et chaque artisan est libre de choisir quels outils utiliser, et de quelle manière, pour répondre à une problématique donnée. La deuxième raison est que je ne souhaitais à aucun prix écrire un manuel d’éclairage pour le théâtre de marionnette, j’ai donc dû rester aussi général que possible en réussissant à pointer quelles problématiques sont posées lorsqu’on choisit de montrer le manipulateur. Cette rédaction d’un manuel est à mon avis impossible. Qu’il s’agisse de danse, de théâtre d’acteur, ou de quelque autre champ des arts vivants, il n’y a pas une bonne façon de construire une lumière juste. Il y a tout au plus quelque règles élémentaires à connaître pour mieux savoir s’en affranchir. Lors du développement, comme dans le titre de ce mémoire, je parlerai souvent de façon générale du manipulateur à vue. Dans certains cas j’aurai dû parler du manipulateur potentiellement à vue, j’entends par là que sa visibilité, effective ou non, dépend uniquement des choix de lumière. En d’autres termes, le manipulateur n’est camouflé, ni par un élément de décor, ni par son costume.



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1 - Comprendre la relation marionnette-manipulateur



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1.1 – Paradoxe sur l’acteur manipulateur Montreur de marionnette, marionnettiste, manipulateur, marionnettiste-interprète, manipulateur-acteur, acteur-manipulateur, manipulacteur ou acteur. Il s’agit de termes que j’ai rencontrés, dans les ouvrages que j’ai consultés, pour qualifier celui qui anime la marionnette. S’il est clair que la formule montreur de marionnettes nous paraît dépassé, et que l’on sent surtout dans manipul-acteur le désir d’un auteur de servir dans le néologisme. Il n’en demeure pas moins que cette batterie de termes est une preuve concrète de la difficulté qu’il y a à définir la posture de celui qui donne vie à la marionnette. Ce que ces formules listées ci-dessus nous permettent de comprendre est la difficulté à déterminer ce qui prime: est-ce la manipulation ou le jeu d’acteur ? Si cette interrogation est devenue plus prégnante avec la mise à vue du manipulateur, elle était déjà actuelle lorsqu’il était caché, notamment avec la question de la voix. C’est donc la question de l’identité, ou plus justement de la sensibilité, de cet animateur de poupée que je vais essayer de développer dans les lignes qui suivent. La référence faite au Paradoxe sur le Comédien1 de Diderot n’est pas arbitraire, on peut en effet lire son écrit du point de vue de la question qui nous anime là, celle du marionnettiste. Dans son ouvrage, Diderot essai de déterminer les points qui vont différencier le bon comédien du mauvais comédien. Le paradoxe du comédien viendrait du fait qu’il doit rester un être unique, malgré toutes les métamorphoses que ses rôles lui font subir. Cette idée de dédoublement est également présente, si ce n’est encore plus, dans le théâtre 1

DIDEROT, Denis, Paradoxe sur le comédien, Paris, Flammarion, 1830.


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de marionnettiste. Pour commencer ce parallèle à partir des théories de Diderot je partirai d’un court passage qui nous montre comment, sans le nommer, Diderot parle du théâtre de marionnette pour caractériser le bon théâtre. Le second – Rien à vous entendre, ne ressemblerait tant à un comédien sur la scène ou dans ses études que les enfants qui la nuit contrefont les revenants sur le cimetière, en élevant au-dessus de leur têtes un grand drap blanc au bout d’une perche, et faisant sortir de dessous ce catafalque une voix lugubre qui effraie les passants2

D’autres extraits du dialogue écrit par Diderot sur la théorie du comédien sont transposables pour le marionnettiste. Le comédien sensible, celui qui joue les émotions qu’il ressent, serait pour l’auteur le mauvais comédien. C’est celui qui serait capable de distinguer ce qu’il joue de ce qu’il ressent qui figure la bonne façon de jouer, il joue d’intelligence. Le comédien qui joue d’intelligence est celui capable de conserver une distance entre son rôle et son Moi, entre son personnage et sa personne. La nature même de la marionnette, qui est une matière hétérogène au corps de l’acteur, oblige cette distance décrite par Diderot. Le paradoxe sur le comédien s’attarde également sur la posture de travail que doit être celle du comédien. Moi, je lui veux beaucoup de jugement ; il me faut dans cet homme un spectateur froid et tranquille, j’en exige par conséquent de la pénétration et nulle sensibilité ; l’art de tout imiter, ou ce qui revint au même, une égale aptitude à toute sorte de caractères et de rôles.3

Il poursuit trois pages plus loin, à propos notamment des grands acteurs Ils sont trop occupés à regarder, à connaître et à imiter 2 3

Ibid, p. 74. Ibid, p. 71.


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pour être vivement affectés au-dedans d’eux-mêmes. Je les vois sans cesse le portefeuille sur les genoux et le crayon à la main. Nous sentons, nous ; en eux, ils observent, étudient et peignent.4

Le grand comédien est donc celui qui sait s’abstraire du réel pour en devenir le spectateur, ce réel qu’il observe devient une connaissance qu’il pourra par la suite réinjecter dans son art, pour l’imiter. Plus de trois siècles après Diderot, les enjeux de plateau ont trop évolués pour que l’on puisse être absolument d’accord avec les thèses formulées par l’auteur. Sa démonstration est cependant intéressante si elle est lue du point de vue qui nous anime, celui de la manipulation. Dès la construction d’une marionnette, se pose cette question du degré d’imitation du réel. Ce point est remarquable lorsqu’il s’agit de penser les articulations données à la marionnette si, bien évidemment, la marionnette doit être articulée. Il va s’agir dans un premier temps d’observer comment fonctionne l’articulation humaine : son type de mouvement mécanique et son débattement ; c’est après cela qu’il faut décider à quel point nous souhaitons imiter une articulation réelle, et enfin penser aux moyens à mettre en œuvre pour y parvenir. Ces choix de construction sont capitaux pour le travail au plateau, ils vont déterminer la façon dont la marionnette se meut. Hors de l’aspect construction ce regard toujours vif vis à vis du réel existe lors du travail de répétition. Dans une scène de La tête du Roi5, spectacle sur lequel j’ai conçu les lumières, il fallait que les trois acteurs portent la marionnette du roi, mort, sur une table. Après avoir répété plusieurs fois le mouvement il semblait que quelque chose ne fonctionnait pas, les corps des trois comédiens n’étaient pas opréssés par le poids du cadavre. Pour cause, la marionnette ne devait pas peser plus d’une dizaine de kilogrammes et les comédiens avaient beau essayer d’imiter le poids dans leurs bras, leurs jambes 4

Ibid, p75.

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Spectacle créé par le Kiosk Théâtre en mai 2014. Mise en scène Maëlle Le Gall.


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et leur dos, l’effet était faux. Suite à ce constat nous avons répété le même mouvement mais avec mon corps à la place de la marionnette, pour que les comédiens portent un poids réel. Nous avons refait le mouvement plusieurs fois jusqu’à ce que les acteurs sentent bien comment la charge de mon corps inerte leur faisait plier les jambes, courber le dos, etc... Il ne s’agissait plus, une fois cette étape passée, de refaire exactement ce qu’ils avaient ressenti en portant un corps réellement lourd, mais cette expérience a permis de poser un point de départ pour le travail de cette scène. C’est dans cette attitude au regard du réel que doit avoir le comédien que l’on peut réinvestir les théories de Diderot pour comprendre le rôle d’observateur que doit avoir le marionnettiste. Pierre Blaise généralise ce rapport du marionnettiste au réel. Tout en dépassant l’intimité humaine, il doit observer et s’approprier tout les éléments du monde qu’il a choisi de représenter. Son regard en l’occurrence ressemble à celui d’un peintre. Le dessin scénique qu’il compose s’apparente à une écriture sans trace. […] Si la marionnette ne copie pas la vie mais la restitue par équivalence, le marionnettiste est bien un interprète. Sa capacité de création est liée à la justesse de l’évocation qu’il propose.6

Continuons notre cheminement en réfléchissant à un autre paradoxe, cette fois-ci dicté par Arthur Rimbaud lorsque il livre son je est un autre. Quand il écrit cette formule dans une lettre adressée à Paul Demeny, le poète ne pense évidemment pas à la marionnette ni au théâtre. Le découpage du sujet en deux point, le je et l’autre est néanmoins intéressant si on l’applique au cas du marionnettiste. Le manipulateur est en effet celui qui doit, d’une certaine façon, réussir à se projeter dans l’objet qu’il manipule, certains parlent 6 BLAISE, Pierre, Un « théâtre d’art » de marionnettistes in LECUQ, Evelyne, Carnets de la marionnette : le fondamentaux de la manipulation : convergences, Paris, THMAA/ Éditions théâtrales, 2003, p. 50.


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pour cela de théâtre par délégation7, qu’ils opposent au théâtre d’acteur, par incarnation. J’ai réellement pris conscience de ce transfert du manipulateur vers la marionnette lors d’une répétition de La tête du Roi. Le roi est installé sur son trône, juste derrière une longue table sur laquelle est posée une sonnette. La marionnette du roi, à ce moment-ci, est manipulée par une comédienne cachée derrière le fauteuil royal ; il faut préciser que le contrôle de la tête se faisait avec une main. L’action est la suivante : le roi sent qu’il est en train de mourir et appuie frénétiquement sur la sonnette pour appeler son serviteur. La manipulatrice ne voit pas où est posée la sonnette puisqu’elle manipule cachée derrière le trône. Lors d’une répétition on a vu le roi faire tomber cette sonnette de la table, aussitôt il a baissé la tête vers l’endroit où était tombé l’objet. Il n’y a pas eu de moment de suspens entre la chute de la sonnette et le mouvement de tête du roi, l’enchaînement des deux paraissait naturel. Dans le cas de théâtre d’acteur il n’y aurait rien eu de surprenant, le comédien regarde l’objet tombé. Dans le cas présent, il a fallu que la marionnettiste transfère l’idée du mouvement de tête de la marionnette par une impulsion de sa propre main. C’est dans ce cas de figure, ici accidentel, que je comprends vraiment comment je est un autre peut être transposé sur le rapport du manipulateur à sa marionnette. L’anecdote est ici très simpliste mais elle permet de bien illustrer cette notion. Cette idée du transfert d’énergie, au moins partiel, de l’humain vers l’objet est un concept que l’on retrouve dans les textes à propos de l’apprentissage de l’épée ou de l’arc. Ce rapport à l’objet peut rappeler l’ouvrage dans lequel le philosophe allemand Eugen Herrigel8 raconte son apprentissage du tir à l’arc avec un maître, lors d’un long séjour au japon. Il explique dans son livre les étapes traversées lors de son initiation et le rapport du tireur à son arc et à sa flèche qui peut, en certains points, rappeler la réflexion que l’on vient de mener sur le 7 Ce terme a été développé par François Lazaro, directeur du Clastic Théâtre. 8 HERRIGEL, Eugen, Le zen dans l’art chevaleresque du tir à l’arc, Paris, éditions Dervy, 1948.


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théâtre de marionnette. L’idée de ce transfert du manipulant vers le manipulé est aussi une lecture que l’on peut avoir des théories que Kleist expose dans son ouvrage sur la marionnette9. L’écrivain rapporte dans cet écrit le dialogue qu’il a eu lors de sa rencontre avec un danseur, qui voyait aux marionnettes une forme d’art supérieur. Ce danseur, commence par lui expliquer comment chaque impulsion de la marionnette a un centre de gravité qui viendra décrire une ligne ou une courbe, selon le mouvement donné. Le marionnettiste répond ensuite à l’auteur qui pense que cette gestion de l’animation de la poupée n’exige pas du machiniste un grand savoir-faire. Le danseur repart de l’idée de la ligne que décrit le point de gravité lors d’un mouvement. Car elle [la ligne] n’est rien d’autre que le chemin de l’âme du danseur ; et il était presque persuadé qu’elle ne pouvait être reproduite que par l’acte d’un machiniste de se projeter dans le centre de gravité de la marionnette, ce qui signifie, en d’autres termes, par l’acte de danse. […] Les mouvements des doigts et celui des poupées qui y sont accrochées correspondent au contraire de manière très élaborée, un peu comme le lien entre les nombres et leur logarithmes ou entre asymptote et hyperbole.10

Ici encore on voit combien cette notion de projection du marionnettiste dans sa poupée est forte, fondamentale. Le danseur avec lequel dialogue Kleist a une réflexion orienté vers la mécanique du corps, sa gestion dans l’espace. Peut-être, s’il s’était entretenu avec un acteur, la question de la voix, de l’adresse, aurait était le point important de la discussion. Ou encore si le dramaturge avait rencontré un plasticien, il se serait sans doute davantage attardé sur les qualités plastiques de la poupée en tant qu’objet : ses matières, ses formes, ses couleurs. Le marionnettiste 9 10

VON KLEIST, Heinrich, Sur le théâtre de marionnette, Paris, édition Sillage, 1810. Ibid, pp. 10-11.


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est effectivement au carrefour de ces pratiques, plus danseur que l’acteur, plus plasticien que le danseur,... Il s’agit là d’une spécificité assez notoire qui caractérise le marionnettiste. C’est certainement en raison de cet éclatement des compétences qu’une école de marionnette, l’ESNAM, n’a vu le jour qu’en 1987 ; alors que les conservatoires de théâtre, de danse, les écoles de beauxarts existent depuis beaucoup plus longtemps. Une autre particularité qui fait du marionnettiste un acteur à part est la notion de signe. La marionnette, même lorsqu’elle se trouve entre les mains du plus virtuose des manipulateurs, ne sera jamais aussi fluide et complexe dans les mouvements qu’un acteur humain. C’est également parce qu’elle force à un minimalisme dans les mouvements et dans les expressions que la marionnette peut rendre plus fort et plus lisible le propos mis en scène. Le marionnettiste doit parvenir à faire passer l’idée du mouvement sans pouvoir le reproduire parfaitement. Le spectateur doit alors faire preuve de convention par rapport à ce qu’il voit pour recréer le mouvement ; on peut dresser ici une similitude avec la peinture pointilliste (ou néo-impressionniste) dans laquelle c’est le spectateur qui crée les liens entre chaque point de couleur peints par l’artiste. La notion de signe, de la symbolique dans le théâtre de marionnette peut légitimement être rapproché des écrits d’Artaud à propos du théâtre Balinais. Ce qu’il y a en effet de curieux dans [...]ces grincements d’automates, de mannequins animés, c’est : qu’à travers leur dédale de gestes, d’attitudes, de cris jetés en l’air, à travers des évolutions et des courbes qui ne laissent aucune portion de l’espace scénique inutilisée, se dégage le sens d’un nouveau langage physique à base de signe et non plus de mots. Ces acteurs avec leurs robes géométriques semblent des hiéroglyphes animés. […] Ces signes spirituels ont un sens précis, qui ne nous frappe plus qu’intuitivement, mais avec assez de violence pour rendre inutile toute traduction dans un


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langage logique et discursif.11

Artaud montre ici l’emprise positive qu’a le signe, la convention, sur la représentation ; comment il permet de ne pas se noyer dans un réalisme qui n’est de toute façon pas permis ; dans son cas dans le théâtre balinais, dans le nôtre dans la marionnette. Le marionnettiste, qui manipule par signe, à l’instar du peintre qui peint par touche, est d’autant plus responsable de chaque mouvement qu’il imprime à sa marionnette. Si le mouvement de tête d’un acteur peut passer inaperçu ou ne rien exprimer, le mouvement de tête d’une marionnette doit être volontaire et assumée car il est signe, et est perçu comme tel par le spectateur. Roger-Daniel Bensky explore cette notion dans son étude sur la symbolique de la marionnette : Donc le personnage, selon Gervais12, n’existe même pas en dehors de sa « création » par l’esprit du spectateur. Ou du moins, il existe autant grâce à cette création passive par le spectateur que par son animation par le manipulateur. Voilà qui décuple en effet l’intensité intellectuelle que la marionnette nécessite chez le public, et qui confère à celui-ci une responsabilité créatrice. Or, cet effort, est-il conscient ou inconscient? Ou bien y a-t-il un mouvement dialectique entre deux sphères de l’activité esthétique de l’esprit ?13

C’est au spectateur de faire le travail de perception pour que le signe puisse prendre sens, à la lisière du sensible et de l’intellect. Mais la marionnette a ceci de particulier qu’elle est l’acteur le plus généreux qui existe car au lieu de contraindre le spectateur à s’identifier à elle comme 11 ARTAUD, Antonin, Le théâtre et son double, Paris, Folio, 1964, pp. 82-83. 12 Il fait ici référence à André-Charles Gervais, auteur de Marionnettes et marionnettistes de France en 1947. 13 BENSKY, Roger-Daniel, Recherches sur les structures et la symbolique de la marionnette, 2ème édition, Paris, Nizet, 1971, p. 60.


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le demandent souvent les acteurs, elle demande au spectateur d’accepter ses limites et de palier intellectuellement, sensiblement et émotionnellement aux insufisances liées à sa réalité d’objet.14

R-D Bensky pointe ici la spécificité de posture pour le spectateur du théâtre de marionnette, cette question sera explorée dans une prochaine partie.

1.2 – Le castelet : un cadre traditionnel L’origine du mot castelet vient du mot français castel, château. Selon Marcel Violette la définition du castelet comme étant un « petit théâtre de marionnette » ne viendrait que du début du XXème siècle. Les premiers castelets médiévaux auraient eu des apparences de château, avec ses créneaux. La nécessité de créer un théâtre dans lequel les poupées puissent prendre vie vient de la perte du statut religieux des marionnettes. L’interdiction des marionnettes dans les églises remonte à 1647 et serait due à un ordre de Louis XIV15. De la même façon que les drames liturgiques quittent l’église pour laisser place aux mystères sur les parvis ; la marionnette va devoir trouver sa place dans la ville, hors de l’édifice religieux. Dans un premier temps de l’église au parvis, puis du parvis à la foire. Pour Marcel Violette « ces changements de lieux d’expression favorisèrent alors l’utilisation de "retables", de crèches, de "mansions", de tréteaux, de baraques foraines et enfin de castelets »16. Les castelets vont par 14 FLORENCE, Jean, HOUTTEMAN, Francis, «Sensorialité, poétique et marionnette», Alternatives Théâtrales, novembre 2000, 65-66. 15 Voir à ce sujet MAGNIN, Charles, Histoire des marionnettes en Europe, Genève, Slatkine, 1981 pp 111-118. 16

VIOLETTE, Marcel, Castelet, in Encyclopédie mondiale des arts de la marionnette,


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la suite prendre plusieurs formes, ils pourront être ambulants, démontables ou fixes. Pour ces derniers on pourra en trouver en extérieur, souvent dans des jardins ou dans des parcs et construits en dur ; ou en intérieur, par exemple dans des salons bourgeois. Pendant plusieurs siècles, le castelet va rester une forme incontestable pour représenter les spectacles de marionnettes. Incontestable à tel point que dans son ouvrage, Charles Magnin (1793-1862) ne décrit même pas ce lieu dans lequel existe le théâtre de manipulation dont il fait l’histoire, comme si la forme du castelet coulerai de source pour le futur lecteur. Une définition générale du castelet est difficile à donner puisqu’il sera différent selon la technique de manipulation employée, le nombre de manipulateur, les besoins du spectacle, ... L’objectif du castelet (au moins dans son sens traditionnel, nous écartons ici les recherches contemporaines qui expérimentent sur ses limites) est de camoufler la manipulation aux yeux du spectateur. Le castelet est l’espace de la marionnette ainsi que celui du manipulateur, il n’intègre en aucun cas le spectateur. Face aux différents castelets la posture du spectateur sera toujours frontale ou en arc de cercle, c’est souvent une des conditions sine qua non pour que le castelet puisse atteindre son objectif de dissimulation. Pour Pierre Blaise il existe « un espace réel d’où se pratique la manipulation, et un espace virtuel qui est celui où sont présentées les marionnettes et leurs actions. Le premier est un espace souvent contraignant, le second est un espace idéal, libre où tout semble possible. Cette scénographie originale par rapport au théâtre s’est condensée dans la notion de castelet.»17. Le castelet est donc le volume dans lequel vont cohabiter marionnette(s) et manipulateur(s), il doit donc garantir de bonnes conditions pour la marionnette comme pour le marionnettiste. Chantal GuinebaultSzlamowicz18 parle d’un volume dont la conception doit prendre en charge les Montpellier, éditions l’Entretemps, 2009, p148. 17 BLAISE, Pierre, Op. Cit. 18 GUINEBAULT-SZLAMOWICZ, Chantal, Scénographie, frontalités et découvertes dans le théâtre contemporain, Thèse de doctorat, Montepellier, Université Paul Valéry UFR des


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aspects fonctionnels et dramatiques. La forme du castelet est donc en lien direct avec la technique de manipulation employée, ou du moins de la position du marionnettiste vis-àvis de l’objet qu’il manipule. Pierre Blaise dénombre cinq cas de figure dans lesquels la manipulation peut se faire :

1‑Par dessous (exemple : marionnette à gaine) 2‑Par dessus (exemple : marionnette à fils) 3‑ A niveau (exemple : le bunraku) 4‑Dedans (masque recouvrant entièrement le manipulateur) 5‑Loin (marionnette télécommandée)

Un castelet de gaine peut donc être un simple paravent alors que dans d’autres cas, le dispositif peut s’avérer beaucoup plus lourd.

1 - tirée de Podobo Loutky - Vue en coupe d’un castelet pour marionnettes à fil avec trois manipulateurs. Les lignes de découvertes permettent de comprendre que le spectateur voit les marionnetttes mais ne voit pas les manipulateurs.

arts, présentée et soutenue en décembre 2002,p351.


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2 - Photographie de presse - Le nouveau guignol du jardin du Luxembourg. Dans le cas de la marionnette à gaine un simple paravent permet de cacher le manipulateur aux yeux du spectateur.

Le choix de ces deux images n’est pas de lister tout les castelets existants. Il s’agit seulement de faire ressortir l’idée selon laquelle le castelet est un concept de dispositif mais qu’il n’est pas un modèle unique et arrêté, il est protéiforme et doit s’adapter à chaque projet. Lorsqu’il parle de ses années de travail avec Gaston Baty, Alain Recoing évoque le castelet dans lequel ils travaillaient ; il s’agissait d’une réduction au tiers du théâtre de Montparnasse, semblable en tout point au grand théâtre. Et c’est sur ce point de la taille, ou plus justement de l’échelle, encore non abordé, que je souhaite m’attarder maintenant. La castelet crée un cadre, qui vient dès lors séparer deux espaces ; celui du spectacle, à l’intérieur du cadre ; et l’espace du réel dans lequel est le castelet: une place de foire, un parc, une scène de théâtre, ....


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En bâtissant une frontière entre ces deux espaces le castelet va permettre, en instaurant une convention, de donner une autotomie d’échelle à ce qui est dans ce cadre. Plus simplement, il s’agit pour le spectateur d’adhérer à ce qu’il voit dans le cadre sans se poser la question de la taille. Si un bateau est dans le castelet, sa taille réelle peut être de trente centimètres, sa taille dramatique est de plusieurs mètres. Je crois que cette posture du spectateur envers la convention instaurée par le castelet est primordiale pour qu’il puisse entrer dans le drame qui se joue sous ses yeux. Une enquête passionnante pourrait être menée en demandant à différents metteurs en scène de spectacles de manipulation comment ils gèrent les débuts de spectacle. Cette mise à disposition du spectateur vis-à-vis du code doit intervenir dans les premières minutes du spectacle, ou elle n’interviendra pas. On retrouve cette notion des premiers temps du spectacle dans un ouvrage destiné aux amateurs. Dans l’extrait ci-dessous, l’auteur s’intéresse aux cas de la marionnette à fil. Dans les premières minutes, dit M. J. M. Petite, les petits personnages conservent encore leurs véritables dimensions, mais, peu à peu, les yeux manquant de points de comparaison, la petitesse des personnages s’oublie, tout semble s’agrandir, le théâtre prend des proportions considérables et, au bout de quelques instants, on croit voir agir devant soi des hommes véritables.19

Georges Sand, amatrice de marionnette, décrit elle aussi un phénomène qu’elle a observé dans son théâtre de marionnette de Nohant. L’harmonie savamment établie dans tous ces détails produit un phénomène auquel aucun spectateur 19 DE GRAFFIGNY, Henri, Le Théâtre à la maison : construction, agencement, décoration, éclairage, etc., de petits théâtres pour marionnettes, pupazzi et personnages vivants, Paris, Collection AL Guyot, [s.d.], disponible sur gallica.bnf.fr.


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n’échappe. Au lever du rideau comme à l’apparition des premiers personnages, il se rend bien compte qu’il a affaire à des marionnettes ; mais bientôt il oublie de comparer leur stature à la sienne. La demi-obscurité où il est efface les autres points de comparaison, la vérité de l’action qui se produit devant lui le saisit au point qu’il y croit et que l’apparition d’une tête humaine au milieu des personnages, comme il arrive quelquefois quand l’operante masqué se montre en géant ou en ogre, devient monstrueuse et véritablement effrayante.20

Ce témoignage me semble très riche par rapport aux idées développées précédemment. Georges Sand exprime dans un premier temps ce point d’adhésion du public vis-à-vis de la convention, celui-ci oublie que les corps qu’il voit bouger ne sont pas animés. Elle défend d’ailleurs l’idée, un peu plus tôt dans le même écrit que : La marionnette obéit sur la scène aux mêmes lois fondamentales que celles qui régissent le théâtre en grand. C’est toujours le temple architectural, immense ou microscopique, où se meuvent des appétits ou des passions. Entre le Grand-Opéra et les baraques des Champs-Elysées, il n’y a pas de différence morale.21

Il n’y aurait donc pour elle pas de différence fondamentale entre le théâtre de marionnettistes et celui d’acteurs, dès lors la barrière de la convention franchie. Dans le premier extrait de l’article de G. Sand un autre point attire particulièrement mon attention puisqu’il est en lien direct avec la lumière. Elle explique que la demi-obscurité dans lequel les spectateurs sont plongés va les aider à faire abstraction de la taille réduite des poupées qu’ils regardent. On 20 SAND, Georges , Le théâtre de Marionnettes de Nohant, publié la première fois dans Le temps de 11 et 12 mai 1876, Œuvres bibliographiques tome 2, Paris, La pléiade, pp 12491276. 21 Ibid. pp 1249-1276.


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comprend bien qu’il s’agit là d’une problématique de contraste, l’intérieur du castelet est plus fortement éclairé que la salle, l’œil du spectateur oublie donc ce qui se situe hors du cadre. Il s’agit peut-être là d’une spécificité du théâtre de marionnette puisqu’à l’époque, dans le cas du théâtre d’acteurs, la salle était également éclairée. La nécessité de la lumière dans le castelet, même primitive, est donc décrite dans ce texte. Le dernier point qui m’intéresse dans cet extrait concerne ce qu’elle raconte à propos de la tête humaine qui intègre le volume du castelet. La convention admise par le spectateur est assez forte pour qu’il prenne une tête humaine comme étant celle d’un géant. Je sais bien qu’il ne faut pas prendre le spectateur pour le naïf qu’il n’est pas. Au fond de lui il comprend qu’il voit la tête d’un acteur confronté à des êtres de chiffons de taille plus petite. Plusieurs témoignages d’auteurs divers me permettent cependant de comprendre que cette convention est assez forte pour permettre l’attention du spectateur. Je ne résiste pas à l’envie de rapporter cet extrait d’une lettre de Stendhal où la réaction d’un spectateur me fait penser à l’anecdote sur la projection de L’arrivée d’un train en gare de la Ciotat22 qui aurait provoqué cris et effrois dans la salle. A la fin de la représentation, un enfant s’avançait pour souffler les chandelles lorsqu’il s’éleva un cri de surprise dans l’assemblée, qui croyait avoir vu un géant, tant l’illusion avait été forte et tant ils avaient complètement oublié les petites proportions des personnages qui les avaient si bien amusés pendant trois quart d’heure.23

22 LUMIERE, Louis, L’arrivée d’un train en gare de la Ciotat, société Lumière, 1896. 23 STENDHAL, Les Fantoccini à Rome dans Lettres de Rome, Voyages en Italie, Paris, La Pléiade, 1973, p. 1199.


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3 - Carte postale - Le théâtre de marionnette de Nohant. Cette image du théâtre de marionnette de Georges Sand nous permet bien de comprendre ce qu’elle veut dire quand elle explique que la seule différence entre le théâtre de marionnette et le théâtre d’acteur réside dans la taille.

Le rôle du castelet est double : cadrer et cacher. Il faut néanmoins se méfier quant à la notion d’illusion que j’ai essayé de laisser de côté dans les réflexions précédentes. Le spectateur, nous venons de le voir, doit avoir une posture résolument active vis-à-vis de ce qu’il regarde pour pouvoir adhérer. C’est en cela que l’illusion, dans le cas du théâtre en castelet, n’intervient pas au même endroit que pour le théâtre d’acteurs. Celui qui regarde un spectacle de marionnette doit faire appel à sa capacité d’abstraction, nommons la son imaginaire, pour pouvoir atteindre l’illusion. Grégoire Callies expose cet aspect très clairement : Voilà la spécificité de cet art : une projection singulière du public dans l’objet : avec un acteur, on est plus dans un processus d’identification. Ici on influe une émotion,


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on influe une lecture. On est dans une sorte d’ellipse émotive: surtout ne pas tout donner. Le spectateur est résolument actif.24

S’il n’y avait, selon G. Sand, de différence morale entre le théâtre de marionnette et celui d’acteur, il y a pourtant une attitude spécifique demandée aux spectateur. Je pense que l’on peut retrouver une distinction du même ordre, plus proche de nous, entre le cinéma d’acteur et le film d’animation. En tant que spectateur on n’éprouve pas de difficultés à rentrer dans l’histoire du dessin animé, il nous faut cependant quelques minutes pour oublier que l’on a affaire à de l’animation. Il est d’ailleurs amusant de voir comment le théâtre de marionnette, comme le dessin animé, sont souvent considérés comme destinés aux enfants avant d’acquérir une légitimité aux yeux du public adulte en occident. C’est peut-être cette qualité de posture d’écoute que le spectateur adulte a du mal à avoir, ne dit-on pas regarder avec ses yeux d’enfants ? Il me semble qu’il est possible de trouver nombre de similitudes entre ces deux pratiques que sont la marionnette et le cinéma d’animation. Sur ce point précis de la posture du spectateur dans les premières minutes du spectacle ou du film, un des enjeux fort consiste à assimiler la plastique proposée (le dessin ou la marionnette) pour être aussitôt capable de s’en abstraire et d’être finalement disponible pour l’écoute du drame. Avant de m’attarder un peu sur la question de la lumière en castelet je souhaiterais développer brièvement l’idée du castelet comme étant à la fois scène et régie. Il faut dans un premier temps poser l’idée que le marionnettiste, en tant que machiniste de sa poupée, possède une véritable aptitude à mettre en œuvre des éléments de machinerie théâtrale. C’est aussi souvent une obligation liée à des problèmes de place : un machiniste dans le castelet viendrait gêner le manipulateur bien plus qu’il ne l’aiderait. De façon plus pragmatique il faut se rappeler qu’un des avantages économique de la marionnette consiste en le 24 CALLIES, Grégoire, (Pro)vocations marionnetiques, Strasbourg, éditions du TJP, 2004, p72.


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fait qu’un manipulateur puisse faire jouer plusieurs personnages, un emploi de machiniste conduirait à une division des salaires. Dans son article sur le théâtre de Nohant25, l’auteure explique que « le changement de lumière sur la scène fut obtenu par des ficelles dont l’opérateur se sert avec la plus grande facilité sans interrompre son dialogue ». Il s’agit ici de ficelle sur lesquelles il faut tirer pour modifier l’état lumineux mais dans d’autres textes on peut avoir des exemple concernant par exemple le décor. Je me souviens aussi d’une visite du théâtre Guignol de Lyon que nous avions faite en 2011 avec Cyril Bourgois, alors artiste associé. Nous étions allés en fond de scène, derrière son castelet, et il nous avait expliqué comment fonctionnait son castelet. Je me souviens par exemple d’une planche de bois sur laquelle il pouvait taper pour sonoriser une scène de bagarre. Chaque projet de spectacle a ses exigences propres quant aux effets, et chaque marionnettiste doit avoir ses propres habitudes. Il est dès lors impensable de dresser une liste ordonnée sur les points qui me font considérer le castelet comme une régie, j’espère cependant qu’à travers ces quelques exemples vous aurez pu comprendre cet aspect. Les compagnies ont, de nos jours, tendance à s’entourer d’une équipe complète, qui comprend un régisseur mais je pense fermement que cette culture de la manipulation de la technique par l’artiste, appelons ça de la Bricole, est encore ancrée dans l’esprit des marionnettistes. La question de l’éclairage des spectacles ayant lieu dans le castelet traditionnel est assez complexe car il ne reste plus beaucoup de traces des pratiques de l’époque. Dans l’extrait de la lettre de Stendhal écrite lors de son voyage en Italie, l’auteur fait seulement mention de chandelles. Dans son article toujours très riche de témoignages, Georges Sand parle des améliorations portées peu à peu au théâtre de Nohant « En 1848 […] on avait amélioré l’éclairage, la chose la plus difficile à obtenir sans risque d’incendie dans un théâtre portatif ». La première remarque que l’on peut faire concerne l’année 25

SAND, Georges, Op. Cit.


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où Maurice et Georges Sand installent la lumière électrique dans leur théâtre de marionnette. On voit là que le théâtre de marionnette amateur a un temps d’avance sur le théâtre d’acteur professionnel qui installera l’électricité dans les années 1860-1870. La question de l’éclairage se pose pour les petits théâtres d’intérieur mais aussi pour ceux d’extérieur. Nous avons vu plus haut pourquoi il fallait que l’intérieur du castelet soit lumineux vis à vis du volume qui entoure le castelet. Henry de Graffigny se demande comment il peut viser cet objectif, notamment pour les castelets d’extérieur. […] une source spéciale de lumière est absolument indispensable, autrement la scène est sombre et, même en plein air, n’apparaît que comme un trou d’ombre, une boîte obscure au fond de laquelle se distingue difficilement ce que représente la toile peinte. Celle-ci doit donc être éclairée, de même que l’avant-scène où évoluent les personnages26

L’auteur propose ensuite tout un explicatif pour construire un toit pour petit théâtre, dans lequel sont aménagées des ouvertures recouvertes de matière brillante, du « papier d’étain collé, ou, ce qui est préférable, d’un fragment de clinquant bien brillant (ce que l’on appelle du paillon) ». L’objectif de ces trappes brillantes, qu’il préconise d’ouvrir à 45° est de réfléchir la lumière extérieur à l’intérieur du castelet. Même si je ne suis pas convaincu par les bénéfices d’éclairement apportés par ce dispositif je trouve très intéressant de noter que la question de la lumière est déjà présente. Page suivante, le schéma du dispositif imaginé par Henry de Graffigny.

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DE GRAFFIGNY, Henry, op. Cit, p 64.


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4 - tiré de Le Théâtre à la maison : construction, agencement, décoration, éclairage, etc., de petits théâtres pour marionnettes, pupazzi et personnages vivants.

Dans la suite du chapitre dédié à l’éclairage, H. de Graffigny pose l’idée «qu’il faut imiter – en réduction bien entendu – les dispositions adoptées dans les grands théâtres»27. C’est également le principe d’éclairage qui a été utilisé pour le théâtre de marionnettes de Nohant. On établit une rampe et des montants cachés à l’œil du spectateur et munis de puissants réflecteurs. Plus tard on mit une herse dans les frises, et plus tard encore, on en a ajouté deux autres au milieu et au fond, si bien que la scène fut éclairée comme celle d’un vrai théâtre et on put se permettre un grand luxe de décor dont il fut permis de régler l’éclairage selon les besoins de l’effet. Rien n’était plus simple que de rendre la lumière rouge ou bleue par le moyen des verres de couleur et des transparents.28 27 28

Ibid, p68 SAND, Georges, op. Cit.


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Un des points les plus précieux de l’extrait ci-dessous concerne la conscience, qu’a l’auteur, d’une lumière juste en regard d’un décor, d’un effet. Avec la question des changements de couleurs, G. Sand introduit également l’idée de la conduite lumière. Dans ce sens H. de Graffigny va encore plus loin puisqu’il va jusqu’à préciser que « chaque lampe doit pouvoir être allumée ou éteinte séparément, sans intéresser en rien avec ses voisines ». Son soucis du détail le conduit même à nous décrire un système d’interrupteurs pour contrôler ces lampes qui, comme on peut le voir sur le schéma, ressemble très fortement à un jeu d’orgue.

5 - tiré de Le Théâtre à la maison : construction, agencement, décoration, éclairage, etc., de petits théâtres pour marionnettes, pupazzi et personnages vivants.

Nous pouvons terminer ce rapide balayage d’exemples sur la lumière en castelet, sans volonté d’exhaustivité, en recoupant l’idée de castelet-régie sur laquelle je m’attardais plus tôt. Dans son ouvrage Jacques Chesnais décrit


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quelques astuces de mise en œuvre qu’il a trouvé. À propos de la lumière il développe. Mettez des ampoules ordinaires, puis deux ampoules bleues qui vous permettront de faire la nuit. […] Chaque ampoule possède un interrupteur de la même couleur qu’elle et placé à portée de main, de façon à pouvoir changer facilement les éclairages du fond, selon les besoins de l’action.29

Je pourrai continuer encore plusieurs pages à me perdre dans tous ces vieux manuels de construction de petits théâtres de marionnettes mais il me semble que nous avons vu assez de cas de figure pour continuer à dérouler le fil de la réflexion. Ce qui ressort de tout ces exemples est la difficulté quant à imiter l’éclairage du théâtre d’acteur dans le castelet. C’est d’ailleurs l’idée que défend Gérald Karlikow quand il explique que « la technologie a été le seul frein à l’application de l’éclairage au castelet »30. Pour cet éclairagiste, habitué du théâtre de manipulation il n’y a pas de différence entre éclairer un acteur ou une marionnette quand celle-ci est en castelet, « la véritable différence se situe au moment où le marionnettiste prends des libertés et s’affranchit du castelet ». C’est de ces nouveaux enjeux qui sont posés, dès lors que le manipulateur est à vue, que je traiterai dans la deuxième partie de mon mémoire. Il est maintenant clair que le castelet est un dispositif scénographique qui est étroitement lié aux techniques de manipulation traditionnelle et que sa forme est donc moins évidente quand on souhaite s’écarter de ces techniques. 29 CHESNAIS, Jacques, Marionnettes à gaine, à fils, à tringle, à clavier, ombres chinoises, pantins, etc... Fabrication de poupées et du théâtre, technique de jeu, suivi d’une petite histoire de la marionnette de l’antiquité à nos jours, Paris, Éditions de la Flamme, 1936. 30 KARLIKOW, Gérald, De l’éclairage à la lumière, in Manip le journal de la marionnette n°18, avril 2009, pp 9-10.


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C’est pourquoi les travaux d’artistes marionnettistes vont conduire, « vers la fin des années 50 (en Europe de l’est) et des années soixante (en France), la marionnette a commencé à quitter son lieu de jeu traditionnel, souvent ambulant, le castelet, pour tenter de conquérir la scène de l’homme. »31. En France, ce seraient Claude et Colette Monestier qui furent les premiers à chercher des formes dépassant le dispositif du castelet. C’est ce qu’explique Henryk Jurkowski, « Abandonnant le castelet, ils remplacèrent le bord du paravent et le paravent par un fil tendu horizontalement à deux mètres du sol. Dans cet espace, animant à vue […] ils devenaient les protagonistes d’un théâtre matériel »32. Ces deux manipulateurs sont donc passés par une étape intermédiaire entre le castelet et la manipulation à vue puisqu’ils ont recréés avec un fil les contours du cadre que matérialisait auparavant le castelet.

6 - Légende pour un trou, spectacle de Claude et Colette Monestier. Cie du théâtre sur le fil (1971). Un fil tendu, à hauteur de visage viens recréer un cadre.

Ces images nous permettent bien de comprendre le principe scénographique développé par les Monestier. J’avais auparavant défini le castelet autour de deux axes : cadrer et cacher. Ici les manipulateurs ne sont pas 31 GUINEBAULT-SZLAMOWICZ, Chantal, op. Cit., p354. 32 Jurkowski Henryk, Métamorphoses : la marionnette au XXe siècle, Montpellier, l’Entretemps, 2008, p108.


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dissimulés mais le rôle de cadre, tracé par les fils tendus, est toujours présent.

1.3 - Seconde moitié du XXème siècle : la mise en

présence du marionnettiste33

La sortie du castelet par les marionnettistes va commencer à s’opérer dans la fin des années cinquante en Europe de l’Est et soixante en France. Cette mise à vue du marionnettiste, qui devient assurément acteur-manipulateur, se produit sous le poids de trois apports différents. L’influence d’un art japonais d’une part, des contraintes liées à la politique culturelle d’autre part, et enfin une impulsion de mise à vue des codes présente dans le théâtre et dans les autres arts dans la seconde moitié du XXème siècle. L’influence d’un art japonais, le Bunraku

L’influence du bunraku est, des trois axes proposé ci-dessus, celui que je trouve le plus passionnant, il est toujours fascinant de comprendre comment une pratique orientale a pu influencer un art occidental. Après avoir décrit les modalités de jeu du bunraku, je m’appuierai sur des témoignages d’auteurs, notamment Paul Claudel et Roland Barthes, pour mettre valeur le caractère inédit du bunraku pour des spectateurs occidentaux. Le bunraku, originellement nommé le ningyô-jôruri, est comme le kabuki : une forme théâtrale classique née au Japon. Son nom initial nous permet déjà de comprendre sa forme, un type de livret, comprenons une 33 PLASSARD, Didier (dossier coordonné par), Présences du marionnettiste, Registre n°15, Paris, Presses Sorbonne nouvelle,2011.


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histoire, le ningyô ; développée avec des marionnettes, jôruri. Je passerai rapidement sur la question du répertoire qui n’est pas centrale dans notre réflexion. Initialement les spectacles de bunraku mettaient en scène des épopées historiques du XIIème siècle, le répertoire va s’élargir peu à peu en s’ouvrant à des trames fantastiques ou romantiques. Le dispositif scénique du bunraku est très codifié, seuls des jeux de toiles peintes et de petits accessoires peuvent aider à situer l’action. Voici ci-dessous un schéma de ce dispositif particulier.

7 - tiré de l’encyclopédie mondiale des arts de la marionnette - Schéma d’une vue fontale. Les dimensions indiquées sont celles tu Théâtre national de Bunraku.

La première chose marquante est la coexistence de deux espaces distincts, la scène et le yuka ; lors du spectacle les deux espaces sont en jeu simultanément. Il est possible de schématiser le rapport de ces deux zones, l’un est le lieu du visuel: la scène, l’autre celui du sonore, du conte : le yuka. Cette esquisse n’est pas complètement exacte mais elle permet dans un premier temps de comprendre le rôle individuel de chaque espace. Sur le yuka, cette estrade située à cour du plateau on trouve le tayû et le joueur de shamisen, ils


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forment à eux deux une paire tayû-shamisen, « une fois constituées, les grandes paires jouent-elles ensemble pendant de longues années et ne changent guère de partenaire »34. Le shamisen est un instrument traditionnel, sorte de luth (de 110 à 140cm) à caisse de résonance carrée traditionnellement construite en bois de santal et recouverte de peau de chat ou de chien. Le tayû est quand à lui le récitant, il a en charge la narration de l’histoire. Son rôle est parfaitement décrit dans l’encyclopédie mondiale des arts de la marionnette. Le tayû a devant lui, posé sur un lutrin, le livret dont il tourne respectueusement les pages (bien qu’il en connaisse le contenu par cœur) ; sinon, les mains posées sur les genoux, il joue le texte alors que le musicien, assis à sa gauche dans la même posture, accompagne son interprétation. L’engagement physique du tayû est si intense et si épuisant que plusieurs paires de récitant et musiciens se relayent au fil des tableaux et des actes. Pour faciliter cette étape, l’estrade est montée sur un dispositif tournant. […] Les autres effets sonores sont produits par un bruiteur installé en coulisses.35

Les modes de voix du tayû et son interaction avec la musique du shamisen sont également codifiés : On distingue trois modes de production vocale fondamentaux : le kotoba, proche de la langue parlée, est utilisé pour les dialogues, normalement sans appui musical ; le jiai, écrit dans un style soutenu, poétique, relate les événements, décrit les états d’âme des personnages et commente le développement de l’intrigue, il est récité sur un ton vigoureux, bien rythmé 34 TSCHUDIN, Jean-Jacques, in Bunraku, in Encyclopédie mondiale des arts de la marionnette, Montpellier, éditions l’Entretemps, 2009, p127. 35 Ibid, p127.


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et soutenu par le shamisen ; enfin, le fushi, est la seule partie véritablement chantée, richement mélodique.36

C’est le tayû qui va devoir interpréter tous les personnages, hommes comme femmes, il doit être capable de changer tour à tour de voix, de registres. Le tayû a également un rôle visuel, « leur [son] visage doit mimer l’action, procurant ainsi un supplément d’âme à l’action des marionnettes ».37 Pour se rendre compte du rythme donné au spectacle par le travail du tayû et du joueur de shamisen il faut voir au moins des extraits de spectacles de bunraku, on trouve de nombreuses vidéos sur internet pour se faire une idée. Du point de vue de la voix et du rythme, le bunraku est très proche de l’esthétique du Nô, au moins pour nos yeux et oreilles non expertes. Intéressons-nous maintenant au second espace du bunraku, celui de la scène, où prennent vie les marionnettes. Ci-après la vue en coupe du plateau.

8 - tiré de l’encyclopédie mondiale des arts de la marionnette - Schéma d’une vue en coupe. Les dimensions données sont celles du Théâtre national de bunraku (Osaka) 36 Ibid, p127. 37 Musée d’ethnographie de Genève, Théâtre d’Orient, masque, marionnettes, ombres, costumes. Genève, éditions Olizane, 1997, p44.


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Trois parties, sortes de rues, composent le plateau sur sa profondeur. Dans la partie la plus à l’avant-scène il n’y a pas de jeu, elle est uniquement utilisée par le machiniste pour l’ouverture d’un grand rideau latéral. Les deux parties suivantes, plus profondes, servent au jeu. Chaque poupée est manipulée par trois manipulateurs, le maître, omozukai ; le premier assistant, hidarizukai et le second assistant, ashizukai. Leurs rôles sont très précis : le maître manipule la tête et la main droite, le premier assistant contrôle la main gauche et le second assistant s’occupe quant à lui de manipuler les pieds. Cette distribution est utilisée pour les rôles importants, les personnages de second plan sont manipulés par une seule personne. Les marionnettes mesurent entre 90 et 140 cm, elles ont un poids d’environ 5 kg. La poupée n’a pas de tronc puisqu’elle porte un costume, elle est composée de pieds, de bras et d’une tête. Certains éléments du visage de la marionnette, les yeux, la bouche et les sourcils, sont commandés pas le maître.

9 - tiré de Marionnettes Japonaises Intérieur de la tête d’une marionnette bunraku

10 - tiré de Marionnettes Japonaises Le constructeur examine la tête, on voit dans sa main droite la tige de commande.

Les manipulateurs sont vêtus de noir des pieds à la tête, ils portent une cagoule, à l’exception du maître qui peut apparaître à visage découvert.


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L’animateur les manœuvre de tout près cœur à cœur et ça saute si fort qu’on dirait que ça va lui échapper. Il n’y a pas qu’un seul animateur, il y en a deux, parfois trois. Ils n’ont pas de corps ni de figure, ils sont vêtus d’un fourreau noir, les mains et le visage voilés de noir. La poupée est l’âme collective de ce lambeau d’ombre, de ce groupe de conspirateur dont on oublie bientôt l’existence. On ne voit plus, comme des hachures autour d’un dessin, que cette espèce de noir crachat sur lequel se détache dans ses vêtements rouges et blancs ou en or le petit seigneur majestueux ou frénétique.38

11 - Photographie d’un spectacle de Bunraku

La manipulation se fait donc à vue, seul le bas du corps des manipulateurs est masqué par la scénographie, le reste de leurs corps, certes vêtus de noir, est donné à voir au public. La première représentation de bunraku en France a eu lieu en 1968. Paul Claudel, qui avait découvert le bunraku lorsqu’il était ambassadeur au Japon (1923 à 1927), avait été émerveillé par ce théâtre et en avait parlé à Jean-Louis Barrault. Ce dernier se rendit au Japon en 1960 à l’occasion d’une tournée du théâtre de l’Odéon, dont il était directeur. Lors de son séjour il assista à un spectacle de bunraku donné par la troupe d’Osaka. Le directeur du théâtre fit tout ce qu’il put pour que les parisiens puissent assister à un spectacle de bunraku, il fallut attendre 1968 pour qu’aient lieu ces représentations au théâtre des Nations (maintenant théâtre de la Ville). La troupe d’Osaka joua les cinq pièces les plus reconnues du répertoire bunraku. Elles furent jouées comme le voulait Jean-Louis Barrault, de la même façon qu’il y avait assisté 38

CLAUDEL, Paul, Mes idées sur le théâtre, Paris, Gallimard, 1966, p81.


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au Japon.39 Je n’ai malheureusement pas réussi à trouver de témoignage des premiers spectateurs de cette programmation de bunraku en 1968. On voit cependant qu’il existait dans ces années-là une curiosité éveillée vis-àvis du bunraku, pour preuve, un reportage d’une quinzaine de minutes qui avait était diffusé par l’ORTF en 196140. En 1974, seulement six ans après les représentations au théâtre des Nations, un mois entier fut consacré à des représentations de bunraku au sein du théâtre national de Chaillot. C’est Jack Lang, alors directeur du théâtre, qui avait rédigé le programme de salle (cf annexe 1). La lecture de ce programme permet de comprendre en quoi la présence du bunraku à Paris a pu influencer les artistes français, notamment les metteurs en scène et marionnettistes. Nos amis japonais apporteront la preuve éclatante que les plus jeunes ont droit – comme les adultes – à la connaissance des formes les plus raffinées de l’art et que les plus petits préfèrent les œuvres fortes, nouvelles, insolites aux œuvres mièvres, douceâtres et banales qu’on voudrait trop souvent leur réserver.41

J’avais effectivement omis de préciser qu’au Japon le bunraku est un spectacle où tout les âges se mélangent. En affirmant cela Jack Lang assoit l’idée, déjà timidement présente que le théâtre de marionnettes n’est pas exclusivement réservé aux divertissements du jeune public. Il poursuit : Le bunraku nous offre aussi l’exemple rare d’une esthétique qui n’est jamais contaminée par l’obsession 39 Toute cette histoire est expliqué en détail dans le livre de Daniela Peslin, Le théâtre des Nations, Une aventure théâtrale, Paris, l’harmattan, 2009, pp 141-146. 40 CALVIN, Antonia, Marionnettes Japonaises, ORTF,1961. Disponible sur internet. http://www.ina.fr/video/CPF86618224/marionnettes-japonaises-video.html (site consulté le 25 décembre 2013). 41 LANG, Jack, Programme de salle du théâtre de Chaillot, 1974.


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si pernicieuse en occident de vouloir à tout prix recréer sur scène l’illusion et la réalité. Dans de nombreux pays européens, la force expressive d’un acteur est encore trop souvent appréciée en fonction de son aptitude à «jouer vrai», «sincère», «naturel», c’est à dire à reproduire les apparences des comportements individuels. De même on attend en général de la marionnette qu’elle restitue, dans sa vérité extérieure, l’image humaine : pour «faire plus vrai» encore, le manipulateur occidental se dissimule habituellement derrière un castelet et donne à croire au spectateur que la matière inerte de la poupée s’anime miraculeusement d’un mouvement autonome.42

Le directeur qui écrit ce programme met en avant un caractère novateur que propose le bunraku pour le théâtre de marionnette français, la mise à vue des manipulateurs. Dans l’empire des signes43 Roland Barthes consacre trois chapitres au bunraku et à sa comparaison avec le théâtre occidental, dans le chapitre dedans/dehors il étudie cette notion de la manipulation dévoilée. Le bunraku ne subvertit pas directement le rapport de la salle et de la scène (encore que les salles japonaises soient infiniment moins confinées, moins étouffées, moins alourdies que les nôtres) ; ce qu’il altère plus profondément, c’est le lien moteur qui va du personnage à l’acteur et qui est toujours conçu, chez nous, comme la voie expressive d’une intériorité. Il faut se rappeler que les agents du spectacle, dans le bunraku, sont à la fois visibles et impassibles ; le hommes en noir s’affairent autour de la poupée, mais sans aucune affection d’habileté ou de discrétion, et, si l’on peut dire, sans aucune démagogie publicitaire ; silencieux, rapides, élégants, leurs actes sont éminemment transitifs, opératoires, colorés de ce mélange de force 42 43

Ibid. BARTHES, Roland, L’empire des signes, Paris, Points, 1970, pp 67-87.


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et de subtilité, qui marque le gestuaire japonais et qui est comme l’enveloppe esthétique de l’efficacité ; quant au maître, sa tête est découverte ; lisse, nu, sans fard, ce qui lui confère un cachet civil (non théâtral), son visage est offert à la lecture des spectateurs ; mais ce qui est soigneusement, précieusement donné à lire, c’est qu’il n’y a rien à lire ; on retrouve ici cette exemption, que nous pouvons à peine comprendre, puisque chez nous, attaquer le sens, c’est le cacher ou l’inverser, mais jamais l’absenter. Avec le bunraku, les sources du théâtre sont exposées dans leur vide […] Il est donc vain de se demander, comme le font certains européens, si le spectateur peut oublier ou non la présence des manipulateurs. Le bunraku ne pratique ni l’occultation, ni la manifestation emphatique de ses ressorts ; de la sorte, il débarrasse l’animation du comédien de tout relent sacré, et abolit le lien métaphysique que l’Occident ne peut s’empêcher d’établir entre l’âme et le corps, la cause et l’effet, le moteur et la machine, l’agent et l’acteur, le Destin et l’homme. Dieu et la créature : si le manipulateur n’est pas caché, pourquoi, comment voulez-vous en faire un Dieu ? Dans le bunraku, la marionnette n’est tenue par aucun fil. Plus de fil, partant plus de métaphore, plus de Destin ; la marionnette ne singeant plus la créature, l’homme n’est plus une marionnette entre les mains de la divinité, le dedans ne commande plus le dehors.44

Roland Barthes, par une analyse fine des spectacles de bunraku auxquels il a assisté, parvient à présenter l’essence même de cet art théâtral traditionnel, il interroge frontalement la question de la manipulation à vue. Le bunraku a exercé une autre influence, moins formelle, sur le théâtre de marionnettes en occident ; cette influence découle de ce que Barthes appelle les trois écritures. 44

Ibid, pp 84-87.


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Le bunraku pratique donc trois écritures séparées, qu’il donne à lire simultanément en trois lieux du spectacle : la marionnette, le manipulateur, le vociférant : le geste effectué, le geste effectif, le geste vocal.45

Une des forces du bunraku est en effet de distinguer les trois pôles qui font le spectacle de marionnette, la poupée, le manipulateur et la voix/ son, qui ont un rôle au niveau du conte comme du rythme. Dans le théâtre de marionnettes en castelet, deux de ces trois pôles sont habituellement dissimulés. Seule la marionnette est visible et, souvent, la voix est celle du marionnettiste lui-même, les pôles de la manipulation et de la voix sont confondus. Cette influence est fondamentale, il faut imaginer un petit objet mécanique que les occidentaux ont l’habitude d’utiliser depuis longtemps, et qu’ils n’ont jamais cherché à démonter. Jusqu’au jour où des japonais sont venus leur montrer cet objet, non pas entier, mais pièce par pièce ; à partir de cela, les occidentaux pouvaient chercher de multiples façons de remonter cet objet dont ils connaissaient maintenant chaque os du squelette. Après avoir vu concrètement, en jeu, les trois écritures, éclatées dans l’espace ; les artistes marionnettistes pouvaient imaginer comment jouer sur la variation et le déplacement de chacune de ces trois écritures. Ce rôle du bunraku est donc fort, il a confirmé l’idée d’un théâtre de marionnettes non réservé au jeune public, a installé la possibilité de ne plus cacher le manipulateur derrière un castelet, enfin il a permis d’envisager de façon plus libre l’écriture au plateau des spectacles de manipulations.

45

Ibid, p70.


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S’installer sur les grands plateaux, le castelet est insuffisant

C’est Alain Recoing qui parle beaucoup de cette contrainte de s’adapter aux grands plateaux à partir des années soixantes, conséquence de la création des premières Maisons de la Culture et des premiers Centres Dramatiques Nationaux. En annexe 2 vous retrouverez la retranscription écrite d’un extrait du DVD Recoing militant de son art46 dans lequel il explique assez bien cette époque. Avant les années 1960, le théâtre de marionnettes était exclusivement joué en milieu scolaire, dans les écoles, donc dans des lieux qui n’étaient pas conçus pour recevoir des spectacles. C’est dans une dynamique de décentralisation que vont être créés les MC et les CDN. Comme l’explique Alain Recoing ces salles avaient un cahier des charges comportant l’obligation de créer des spectacles en direction de l’enfance et de la jeunesse. Les metteurs en scène à la tête de ces institutions se sont donc tournés vers les compagnies de théâtre scolaire. Il explique ensuite la problématique liée au fait d’apporter sur un grand plateau les castelets qui jouaient dans les écoles. Mais quand je me suis retrouvé sur la scène de la Maison de la Culture de Caen avec ses quatorze mètres d’ouverture, vingt mètres de profondeur, douze mètres de hauteur. J’avais un des plus grands castelets itinérant du secteur scolaire, qui faisait cinq mètres de long , trois mètres de haut,etc... Je me suis aperçu qu’avec mes petites poupées de La reine des neiges il fallait offrir des lunettes aux spectateurs pour qu’ils y voient quelque chose.47 C’est l’accès aux grands plateaux des Maisons de la 46 57min 47

DARZACQ, Dominique,Recoing militant de son art – dvd 1, CNC, 2001, autour de Ibid


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Culture et des Centres Dramatiques Nationaux, dans les années soixante, qui a conduit à la sortie ou à l’éclatement du castelet. En effet, la jauge des salles, la disposition des gradins, n’étaient pas du tout adaptées au dispositif traditionnel du castelet : d’un côté les marionnettes n’étaient visibles que pour une partie très restreinte du public, de l’autre, le manipulateur, même caché, était vu par le plus grand nombre. Il fallait donc changer d’échelle au niveau des marionnettes et occuper l’espace autrement.48

Les marionnettistes ont donc dû trouver des solutions pour jouer convenablement des spectacles sur ces grands plateaux. Comme le résume Chantal Guinebault-Szlamowicz, trois orientations scéniques et dramatiques apparaissent dans le théâtre contemporain : le théâtre noir, la manipulation à vue et le castelet éclaté. Dans chacune d’elles, la gestion des découvertes, devenue prioritaire, se développe de façon différente.49

Montrer la fabrique, un enjeu d’époque

Dénoncer la théâtralité par la mise à vue du processus de construction, ici en montrant la manipulation, n’est pas un acte isolé propre au domaine de la marionnette. Il s’agit d’un mouvement plus largement présent dans tout les champs artistiques dès les années cinquante. L’intérêt de cette courte partie n’est pas de dresser un panorama exhaustif des artistes non marionnettistes qui se confrontent à des problématiques proches, mais de voir, à travers quelques exemples détaillés, comment dans des champs de création divers on peut retrouver des préoccupations voisines. 48 2010. 49

SERMON, Julie, RECOING, Alain, Éduquer ou convaincre le public , Puck n°17, GUINEBAULT-SZLAMOWICZ, Chantal, op. Cit, p355.


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J’avais au départ dans l’idée de lier cette réflexion aux écrits de Daniel Arasse, notamment à deux de ses ouvrages que sont Le Détail50, et Le sujet dans le Tableau51 dans lesquels il étudie avec précision comment les peintres sont présents dans leurs œuvres. Je pensais notamment m’appuyer sur l’étude d’une toile de Van Eyck Les époux Arnolfini52. Dans cette peinture on voit, au fond, un petit miroir dans lequel on aperçoit le peintre et en dessous duquel est inscrit Johannes de Eyck fuit hic (Jan Van Eyck fut ici). Après avoir relu une partie de l’ouvrage de Daniel Arasse je me rends compte qu’il s’agit là plus d’un clin d’œil ludique, un peu à la manière des caméos d’Hitchcock, que d’un choix esthétique déterminant. Il y a cependant des œuvres contemporaines à la mise à vue de la manipulation qui intègrent, avec leurs moyens, cette problématique. Dans plusieurs des longs-métrages de la période Nouvelle Vague Jean-Luc Godard utilise le procédé du regard caméra dans le but de dénoncer le processus filmique, son artifice. C’est notamment le cas dans Pierrot le fou alors que les deux protagonistes sont en voiture et fuient la ville, Jean-Paul Belmondo se retourne et s’adresse au spectateur.

12 - GODARD, Jean-Luc, Pierrot le fou -Voyez, elle pense qu’à rigoler -A qui tu parles ? - Au spectateur 50 51 52 cm,

ARASSE, Daniel, Le détail, Paris, Flammarion, 1996 ARASSE, Daniel, Le sujet dans le tableau, Paris, flammarion, 2005 VAN EYCK, Jan , Les époux Arnolfini, 1434, huile sur panneau de chêne, 82,2 x 60


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Le réalisateur de la nouvelle vague a aussi recours au faux-raccord dans plusieurs de ses films, nous ne sommes plus dans un montage transparent, où le passage d’un plan au suivant se fait aisément, sans heurt. En utilisant le faux raccord, les réalisateurs comme Godard font ressurgir la matérialité du film, son processus de fabrication nous est donné à voir. On retrouve aussi cette idée de montrer la fabrique de l’œuvre en son sein chez certains artistes peintres. Je pense notamment aux agrandissements de comics réalisés par l’américain Roy Lichtenstein à partir des années 1960. Dans ces œuvres le taux d’agrandissement est tellement fort que la trame d’impression, normalement invisible à l’œil, devient un motif. C’est par exemple le cas dans Crying Girl, qui est certainement son œuvre la plus connue. En laissant cette trame visible et brute, l’artiste choisit de montrer, en même temps que l’œuvre, le mode de réalisation qu’il a utilisé. L’artiste a également peint des séries de brushstrokes où il interroge frontalement la question de la peinture. Ces quelques exemples, qui ne visent pas une exhaustivité sur le sujet, permettent de voir que cette dynamique de mise à vue du procédé de construction est présente dans tout les champs de la création durant cette période. Après ce développement sur la relation qui existe entre le manipulateur et sa marionnette il est évident que la mise à vue de ce rapport va nécessiter une attention particulière quant à ce qu’elle provoque, tant sur le plan du sens que sur celui de la forme. Maintenant que nous avons vu quelles ont été les modalités du dévoilement du couple manipulateur/marionnette, c’est sur les possibilités qui découlent de cette mise à vue que nous allons nous attarder.



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2– La manipulation à vue. Une dramaturgie et des enjeux de plateau à repenser. Éclairer des rapports nouveaux.



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2.1 – La manipulation dévoilée, une forme originale à définir. Maintenant que les jalons historiques de la manipulation à vue sont posés, il s’agit de comprendre quels nouveaux enjeux esthétiques cette mise à vue du manipulateur va mettre en place. Le point de départ de ce cheminement sera une réflexion menée à partir d’un extrait d’un texte du philosophe espagnol José Ortega Y Gasset. Il s’agira d’établir ensuite en quoi montrer le manipulateur constitue un véritable parti pris de mise en scène. Enfin, nous verrons en quoi l’abandon du castelet va provoquer de nouvelles relations à l’espace et, plus largement, au visuel scénique. 2.1.1 José Ortega Y Gasset : la question de la focalisation

Le philosophe espagnol écrit en 1925 La déshumanisation de l’art, ouvrage dans lequel il se demande pourquoi l’art nouveau ne plaît pas aux masses ; et cela dans tous les domaines de la création artistique. C’est un extrait des premières pages du livre que je me propose de commenter parce qu’il me semble qu’il pose des questions très pertinentes dès lors qu’on les voit du point de vue de la marionnette et de la manipulation à vue. [...] Il convient, d’emblée, de préciser une chose. Qu’est-ce que la majorité des gens entend par ''plaisir esthétique'' ? Que se passe-t-il dans leur esprit lorsqu’une œuvre d’art, par exemple, une pièce de théâtre, leur "plaît" ? La réponse ne fait aucun doute; un drame leur plaît lorsqu’ils ont réussi à s’intéresser aux destinées humaines qui leur sont proposées. Les amours, les haines, les peines, les joies des personnages font vibrer leur cœur : ils y participent comme s’il s’agissait de cas réels de la vie. Et ils disent d’une œuvre qu’elle est "réussie" lorsqu’elle parvient à produire la quantité


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d’illusions nécessaires pour que des personnages imaginaires équivalent à des personnes vivantes. […]53

L’auteur nous expose ce que recherche, selon lui, la plupart des hommes qui se confrontent à une œuvre artistique. Pour éprouver du plaisir face à une œuvre cette majorité des gens a besoin de croire à l’œuvre comme si elle était issue du réel, il faut selon l’auteur que le spectateur oublie qu’il est face à une toile, à un plateau de théâtre,... C’est donc un besoin de réalisme et d’illusion qui encourage le spectateur des années 1920-1930 à pousser la porte des théâtres. On comprend donc pourquoi cette majorité des gens était hermétiques à des formes d’écriture différentes. Cela revient à dire que pour la majorité des gens le plaisir esthétique n’est pas une attitude spirituelle différente de celle qu’ils adoptent habituellement dans leur vie. Elle ne s’en distingue que par des qualités secondaires : elle est, peut-être, moins utilitaire, plus dense et dépourvue de conséquences fâcheuses. Mais, en définitive, l’objet dont ils s’occupent en art, qui sert de terme à leur attention et en même temps aux autres facultés, est le même que celui de la vie quotidienne:des passions et des sujets humains. Ils appelleront "art" l’ensemble des moyens grâce auxquels on leur permet d’entrer en contact avec des choses humaines intéressantes. De telle sorte qu’ils ne toléreront les formes proprement artistiques, les irréalités, la fantaisie, que dans la mesure où elles ne font pas obstacle à leur perception des formes et des péripéties humaines. [...] Cela étant dit, il convient de clarifier ce dernier point. Se réjouir ou souffrir face aux destinées humaines que l’œuvre peut nous conter ou nous présenter, voilà 53 ORTEGA Y GASSET, José, La déshumanisation de l’art, Paris, Editions Gallia, 2011, Trad. de :La deshumanización del arte,L’édition originale a paru en 1925 à Madrid, dans la «Revista deOccidente», pp 14-15.


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une chose bien différente du véritable plaisir esthétique au sens strict du terme.54

Le philosophe continue ici dans la même direction que dans le paragraphe précédent, il explique clairement que le spectateur cherche à être l’observateur discret d’un fragment de simili-réel mais qui aura tous les aspects du réel. Les effets, les artifices, qui auront tendance à écarter l’œuvre artistique du réel, ne seront acceptés par le spectateur tant qu’ils ne viendront pas obstruer la compréhension du drame. Il s’agit d’une question d’optique extrêmement simple. Pour voir un objet, il faut que notre appareil oculaire accommode. Si notre accommodation est inadéquate, nous ne verrons pas l’objet ou nous le verrons mal. Que le lecteur s’imagine que nous regardons un jardin à travers la vitre d’une fenêtre. Nos yeux accommoderont de sorte que le rayon visuel pénètre la vitre, sans s’y arrêter, et aille s’accrocher dans les fleurs et les frondaisons. Comme la cible de notre vision est le jardin et que c’est vers lui que le rayon visuel est lancé, nous ne verrons pas la vitre, notre regard passera à travers sans la percevoir. Plus le verre sera pur, moins nous le verrons. Mais ensuite, en faisant un effort, nous pouvons nous désintéresser du jardin et, rétractant le rayon oculaire, l’arrêter sur la vitre. Alors le jardin disparaît à nos yeux et nous n’en voyons plus que des masses confuses de couleur qui semblent collées à la vitre. Par conséquent, voir le jardin et voir la vitre sont deux opérations incompatibles : elles s’excluent l’une de l’autre et requièrent des accommodations oculaires distinctes.55

54 55

Ibid, p. 16. Ibid, p. 17.


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Le fil de pensée que déroule le philosophe espagnol dans l’extrait précédent peut nous être utile en deux points pour comprendre deux enjeux de la manipulation à vue. Il place sur deux plans différents la réalité matérielle de l’œuvre d’art et ce qu’elle représente. On sent, dans la définition qu’il en donne, qu’il faut réussir à être à distance de ce qui est représenté, pour pouvoir éprouver le plaisir esthétique. Il utilise ensuite l’exemple de la vitre et du jardin fleuri pour nous prouver que l’on ne peut pas réussir à voir simultanément ces deux plans. Le cas de la manipulation à vue est très intéressant dès lors qu’il est confronté à cet exemple. En proposant par choix de mise en scène de voir le manipulateur ainsi que sa marionnette on juxtapose sur un unique plan : celui de la scène, la fiction qui est jouée et la réalité matérielle du spectacle. Le manipulateur est visuellement extrait du personnage qu’il interprète. On perçoit assez facilement le caractère original que constitue le cas de la manipulation à vue dès lors qu’il est une volonté de mise en scène et qu’il est assumé comme tel. On peut dans un second temps se préoccuper de manière plus formelle à cet exemple de la vitre et du jardin. Cet exemple, pourtant très simple, doit nous intéresser parce qu’il sonde la question de focus, on doit se demander s’il est juste de hisser sur deux échelons de même degré la marionnette et son manipulateur. De manière très frontale, il s’agit de savoir si, dans l’image scénique, une des deux entités (la marionnette ou le manipulateur) doit toujours dominer l’autre. Nous traiterons de cette question dans la partie concernant la lumière mais il faut essayer de garder cette problématique en tête. La question de l’accommodation que met en relief José Ortega Y Gasset est également très pertinente vis-à-vis du spectateur confronté à un spectacle de théâtre de marionnette où la manipulation est à vue. Souvent, même si le manipulateur et la marionnette sont aussi visibles l’un que l’autre, chaque spectateur va avoir tendance à se focaliser sur la marionnette, sur le manipulateur, ou sur la relation de l’un à l’autre. Cette mise en parallèle de


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ma problématique et des écrits de Ortega Y Gasset permet un solide point de départ pour concevoir ce que la manipulation à vue met en jeu. Il convient cependant de préciser que lorsque l’auteur espagnol écrit cet essai il s’intéresse aux formes artistiques d’esthétiques réalistes et illusionnistes.

2.1.2 Montrer le manipulateur, un choix de mise en scène

Comme nous commençons à le pressentir la mise à vue de la manipulation va convoquer de nouveaux enjeux en terme d’interprétation, de dramaturgie et de visuel scénique ; elle constitue véritablement un parti pris de mise en scène. Parti pris que tous les artisans du spectacle devront prendre en compte au niveau de leur pratique. Si cette mise à nu de la manipulation est un choix de mise en scène, il ne faut pas croire qu’elle est nécessairement liée au style ou à la marque de fabrique de la compagnie. Nous pouvons prendre exemple sur la Cie Emilie Valantin qui crée des spectacles en castelets comme des spectacles où le manipulateur est visible. Pour Emilie Valantin, le choix de dévoiler ou non la manipulation se fait selon le projet qu’elle souhaite mener. Le manipulateur dévoilé

Il faut dans un premier temps considérer trois cas de figures dans la manipulation à vue : - le manipulateur n’interprète pas de rôle, - le manipulateur interprète un rôle, - manipulateurs et acteurs se côtoient dans la mise en scène, où l’on entend par acteur celui qui ne manipule pas.

Plus pragmatiquement il s’agit de considérer le manipulateur comme


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la machinerie permettant de mouvoir la marionnette. Cette machine peut être montrée sans qu’elle n’ai de rôle autre dans le spectacle, ou bien elle peut exister dans le drame même via des interactions avec l’histoire, avec la marionnette ou avec d’autres acteurs. Enfin il est courant de voir se côtoyer sur le plateau un humain qui ne manipule pas et une marionnette. Le passage d’un cas à l’autre au cours d’un spectacle est bien évidemment possible, et c’est d’ailleurs le glissement de l’un à l’autre dans le temps qui peut parfois constituer un des enjeux du spectacle. Pour Didier Plassard, la co-présence de la marionnette et de son manipulateur peut donner lieu à de multiples interactions dès que l’artiste commence de mettre en scène la manipulation : c’est-à-dire lorsqu’il cesse d’adopter une présence en retrait, uniquement instrumentale, pour faire apparaître, même fugitivement, le pouvoir qu’il exerce sur la figure et sur le monde qu’elle habite56. On peut schématiser ce qu’explique Didier Plassard en deux postures différentes, celle où la marionnette et le manipulateur habitent le même espace, et celle où ils habitent le même monde ; c’est dans ce second cas que le manipulateur est impliqué dans l’histoire, dans la dramaturgie. Pour continuer à voir quelles possibilités nouvelles crée la manipulation à vue je propose les deux schémas ci-dessous. Lorsque le théâtre de marionnette joue en castelet le schéma des regards possibles est binaire. Il existait bien sûr le regard du marionnettiste vers sa marionnette mais nous ne l’avons pas représenté puisqu’il n’est pas visible pour le spectateur.

56 PLASSARD, Didier, La marionnette ? Traditions, croisements, décloisonnements, Théâtre Public, juin 2009, n°193, pp. 22-25


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Marionnette

Spectateur

Avec les formes « à vue » ; le schéma se trouve complexifié, il y a une disposition des regards possible en forme de triangle.

Marionnette

Spectateur

Manipulateur

La comparaison de ces deux schémas permet de comprendre les nouvelles possibilités que crée la manipulation à vue. Pour rester simple je n’ai pas fait apparaître l’espace dans ces schémas, mais, lors de la manipulation à vue, la marionnette et le manipulateur peuvent regarder l’espace, ils peuvent regarder le même, ou deux espaces distincts. Dès lors que la manipulation est visible le choix de la technique employée devient important dans le rapport physique qui va exister entre la marionnette et son animateur. Pierre Blaise57 développe par exemple l’idée 57

BLAISE, Pierre, op. Cit., p. 58.


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que dans le cas où la manipulation se fait par au-dessus, « l’énergie de l’acteur domine […] La marionnette est un artifice, un indicateur. ». Lorsque le comédien est sous sa marionnette, l’auteur estime que « l’énergie de la marionnette (son image, son mouvement) semble mettre l’acteur à la traîne ». Enfin, il détaille un peu plus le cas de figure où le manipulateur est derrière sa marionnette, il parle d’un « jeu équilibré où ni la marionnette ni l’acteur ne prennent le dessus. Ils sont ensembles dans une expression de vie parallèle. Ou bien l’expression passe rapidement de l’un à l’autre. Ou bien encore, leurs expressions se complètent ». Lorsque le spectateur ne voit pas la manipulation se faire, le choix de la technique est un acte transparent pour lui. Il s’agit souvent d’un marionnettiste qui possède un savoir-faire particulier en gaine, en fil, ou autres. Le rapport manipulateur/marionnette mis en place par la technique est fondamental puisqu’il consiste déjà en un choix fort de mise en scène. Il y a certainement là l’explication quant aux formes, toujours plus nombreuses, explorant plusieurs techniques pour un même spectacle. Alain Recoing précise ce besoin, pour l’acteur-manipulateur, de ne pas être trop attaché à une technique : J’ai beaucoup simplifié ma réflexion sur les marionnettes et le marionnettiste en considérant cellesci comme des instruments pluriels et celui-là comme un interprète ayant pour base la formation de l’acteur (ou du danseur, du mime, du clown,etc.). Un musicien est musicien quel que soit l’instrument dont il joue. Il me semble en être de même pour le marionnettiste qui, dans le théâtre contemporain de marionnettes, est amené à jouer de plusieurs instruments différents dans le même spectacle. Je ne sais pas ce qu’il en aurait été si ma technique initiale avait été, par exemple, la marionnette à fils. Y aurait-il eu une différence ? Et, s’il en est une, qu’est-ce que cela signifie ? Ou y a-t-il des


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fondamentaux valables pour toutes les techniques ?58

l’illusion et la place du spectateur

La réflexion sur ces rapports entre marionnette, acteur et spectateur m’amène à me pencher sur la question de la distanciation, ou, pour éviter d’avoir en tête immédiatement les préconisations de Brecht, le rapport à la fiction et à l’illusion. Lorsque le spectateur est devant un spectacle où la manipulation se fait à vue toute la machinerie, la technique marionnettique lui sont dévoilées. Il sait dès lors qu’il est face à un objet spectacle et non face à un drame dans lequel on attend qu’il s’identifie à tel ou tel personnage. Dans le dictionnaire, le terme illusion est défini comme étant une interprétation erronée de la perception sensorielle de faits ou d’objets réels59. Lorsque la manipulation se fait à vue, le processus théâtral est dénoncé, la possibilité d’avoir une interprétation erronée n’est pas laissée au spectateur. Dans son Petit organon pour le théâtre, Brecht écrivait La distanciation transforme l’attitude approbatrice du spectateur fondée sur l’identification, en une attitude critique. […] Une image distanciante est une image faite de telle sorte qu’on reconnaisse l’objet, mais qu’en même temps celui-ci ait une allure étrange60 58 RECOING, Alain, Les mémoires improvisés d’un montreur de marionnettes, Montepellier, éditions entretemps, 2011, pp. 133-134. 59 La petit Robert – édition de 2003 -sous la direction de Josette Rey-Debove et Alain Rey. 60 BRECHT, Bertolt, Le petit organon, Paris, L’Arche,p. 206, cité dans CALLIES, Grégoire, EBEL, Emmanuelle, JOLLY, Geneviève, Mettre en scène et scénographier la marionnette, Strasbourg, 2009.


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Cette réflexion, que Brecht a mené pour le théâtre, est essentielle pour comprendre un des aspects de la manipulation à vue. Le fait même de révéler la manipulation crée cette distance entre l’objet manipulé et le spectateur. Il y a dès lors un pacte, sorte de convention, qui se crée entre le spectateur et le manipulateur, une complicité se met alors à exister entre ces deux pôles du spectacle pour que le spectateur parvienne à dépasser cette distance, à s’en abstraire. Ce n’est qu’à partir du moment où ce pacte est lié que le spectateur est à même de rentrer dans l’écoute du drame qui se joue sous ses yeux. Il s’agit donc, pour le spectateur, d’accepter rapidement la distance qui existe entre lui et ce qui est joué, pour mieux réintégrer la fiction par la suite. En cela, le cas de la manipulation dévoilée ne constitue pas un cas de figure de la distanciation énoncée par Brecht, pour qui cette écoute consciente du spectateur est solicitée pour toute la durée du spectacle. À partir de ces précédentes remarques émerge l’idée de la place du spectateur qui doit être résolument active. Je souhaite revenir sur la notion d’illusion qui a été un peu mise à mal dans les paragraphes précédents. Nous venons de voir en quoi le fait de montrer la manipulation empêche un certain type d’illusion, dans lequel le spectateur peut être passif. Il existe cependant une seconde illusion dans le théâtre de marionnette soù l’on voit la manipulation se faire. Il faut cependant que le spectateur soit actif, qu’il fasse appel à son imagination et à sa capacité d’abstraction, pour parvenir à ce second degré de l’illusion. Dans les propos, ci-dessous, de Neville Tranter, directeur du Stuffed Puppet Theater, on voit clairement émerger l’idée de cette posture active que doit être celle du spectateur. J’ai toujours tout montré ouvertement, j’introduis la main dans la marionnette, je la sors, parce que j’ai découvert que si je montre tout, quand la marionnette prend vie, c’est encore plus magique pour le public. Parce que les gens ne sont pas en train de se demander « Mais comment est-ce qu’il fait ça ? » Les gens qui me


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voient la toute première fois me regardent et se disent « Oh, je vois sa bouche qui bouge ». Mais au bout d’une minute ou deux, c’est fini, on ne se pose plus la question de savoir comment je fais. Il faut que les gens croient à la synchronisation de la bouche. [...] Même quand je travaille dans un espace très large, je pense toujours de cette même façon, le public est la caméra : à quels moments dois-je partager avec le public, à quels moments il ne le faut pas.61

Après avoir parcouru les enjeux esthétiques relatifs à la manipulation à vue, il convient de se demander comment ce choix s’articule dans un projet, dans une proposition de mise en scène. Montrer la manipulation, une option dramaturgique

Au temps où le théâtre de marionnettes ne s’envisageait qu’en castelet, il n’y avait pas de différences particulières, sinon d’ordre technique, avec le fait de monter le même projet sur une scène de théâtre. Le castelet étant juste un théâtre mis à l’échelle de la marionnette. Un marionnettiste choisissait de monter un spectacle de marionnettes parce qu’il s’agissait de l’outil de jeu qu’il maîtrisait. Lorsque le manipulateur est à vue, le choix même du projet est déjà un choix de mise en scène. Il en est tout autrement lorsqu’il s’agit de monter un spectacle avec de la manipulation à vue. Nous avons effectivement vu précédemment quels enjeux esthétiques sous-tend le fait de divulguer la manipulation aux yeux du spectateur. Il paraît dès lors compréhensible que le choix de la manipulation à 61 CONTAMIN, Laurent, TRANTER, Neville, [pro]vocations marionnettiques, Strasbourg, éditions du TJP, 2004.


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vue doit être porté par une intention de mise en scène. Dans le cas contraire il risque de naître une incompréhension, qu’elle soit consciente ou non, chez le spectateur. En d’autres termes, ce choix de manipulation visible doit apporter un regard original sur le projet, relayer un propos dramaturgique. Dans Les fourberies de Scapin que la Cie Emilie Valantin62 a créé en 2006 ce choix de la manipulation à vue est très clair. Sur le plateau il n’y a qu’un manipulateur, Jean Sclavis, qui interprète le rôle de Scapin. Tout les autres personnages sont des marionnettes de grande taille, environ 140 cm, que manipule Jean Sclavis. Ce choix esthétique fort relève de la volonté de mettre littéralement en scène la nature manipulatrice du personnage de Scapin vis-à-vis des autres personnages de la pièce. Une autre possibilité que propose la manipulation à vue réside dans le fait de pouvoir faire se côtoyer marionnette et être humain. On peut reprendre une expression de Didier Plassard qui parle du « choc entre le naturel et l’artificiel»63 pour qualifier le rapport qui existe entre ces deux êtres de nature hétérogène. C’est en explorant la nature de ce rapport que peuvent surgir des axes de mise en scène à même de servir le projet. C’est aussi dans ce rapport humain/marionnette et dans les possibilités de différence d’échelle et de changement de taille au cours du spectacle que Sylvain Maurice a choisi d’orienter sa mise en scène de La pluie d’été avec des étudiants de l’ESNAM. Dans le texte de Marguerite Duras, l’auteur laisse plusieurs fois des indices laissant supposer que le personnage principal, Ernesto, grandit de façon anormale au fur et à mesure qu’il emmagasine des connaissances. Cette réalité sensible se joue par le rapport d’échelle qui existe entre Ernesto, toujours interprété par un humain, et les autres personnages que sont les parents et l’instituteur. Plusieurs marionnettes identiques construites en deux exemplaires de tailles différentes, permettent de faire exister cette croissance 62 Spectacle créé à Dôle en octobre 2006, mise en scène d’Emilie Valantin sur une proposition de Jean Sclavis. Extraits disponibles sur www.cie-emilievalantin.fr. 63 PLASSARD, Didier, L’acteur en effigie, Lausanne, L’âge d’Homme/IIM, 1992.


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démesurée d’Ernesto. La question de la convention, dans le cas de la manipulation à vue, va rester un enjeu crucial dans les choix de mise en scène. Lorsque j’ai évoqué cette question de l’illusion je suis resté dans une représentation binaire de la problématique : il y a illusion ou obasence d’illusion. Dans les propos de Neville Tranter cités précédemment nous voyons bien qu’il existe beaucoup de possibilités entre ces deux points extrêmes que sont l’illusion et l’abscence d’illusion. Cette question de dosage va également être du ressort du metteur en scène puisqu’elle va conditionner le ressenti global du spectateur. Pour intervenir sur cette balance il sera possible d’utiliser tous les médiums que sont la scénographie, le costume, la lumière. C’est notamment dans l’orchestration de ce dosage au cours du temps du spectacle que le choix de l’utilisation de la marionnette peut être déterminant dans la réussite d’un projet.

2.1.3 Quitter le castelet pour conquérir le plateau : des espaces à réinventer

Il faut rappeler que le choix de la manipulation à vue, celui de la sortie du castelet, est avant tout une prise de position scénographique. Il s’agit en effet d’unifier deux espaces distincts qu’étaient le volume du castelet dans lequel évoluait la marionnette et un espace caché au regard du public, celui du manipulateur. Le décor du théâtre de marionnette en castelet était souvent simple, composé de quelques accessoires de jeu. Il faut aussi se remémorer qu’une des raison de la sortie du castelet vient en partie de l’accès aux grands plateaux des Centres Dramatiques Nationaux et des Maisons de la Culture. Il apparaît alors de façon évidente que les interrogations posées par la manipulation à vue sont éminemment des problématiques, sinon scénographique, d’espace.


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L’espace dans la manipulation à vue va à priori, sauf projet spécifique, avoir pour fonction d’unifier le volume scénique, de créer un lieu dans lequel la marionnette et l’acteur vont pouvoir évoluer. Je ne cherche pas dans cette section sur l’espace à définir de lois ou de principes généraux quant à la scénographie de théâtre de marionnettes. Il va davantage s’agir de comprendre, à l’aide de quelques aspects précis qui me paraissent essentiels, que la conception de l’espace pour la manipulation à vue répond à quelques enjeux absents du théâtre d’humain.

L’espace pour le théâtre de marionnette

Dans son ouvrage sur la thématique de l’espace, Alois Tomanek résume très clairement les enjeux de scénographie pour la marionnette : La nécessité de créer les conditions pour la perception de la marionnette est donnée déjà par le fait qu’il est impossible de percevoir l’espace sans l’objet, de même il est impossible de percevoir l’objet sans l’espace. Quel est alors le rôle du créateur de l’espace scénique […] 1. Préparer l’espace de telle façon que la marionnette soit pratiquement le seul objet perçu et suivi. 2. Essayer de souligner les qualités optiques de la marionnette pour renforcer l’orientation des spectateurs. 3. Faire perdre au montreur sa position dans le champ de vue en créant son entourage convenablement. Il est est bien évident que l’intention, signification et message de la mise en scène peuvent exiger des


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procédés contraires dans l’intérêt de la hiérarchie des paires composantes au cours de la production.64

Alois Tomanek semble accorder un intérêt au fait de cacher le manipulateur aux yeux du spectateur. Il met en évidence certains principes généraux qui peuvent être mis en déséquilibre si l’intention de mise en scène tient à assumer davantage la place de l’acteur-manipulateur. Il finit d’ailleurs par conclure Dans le théâtre de marionnettes de forme mixtes cet effort ne sera pas absolu, il servira à la stabilisation de la «visibilité», «de l’attention» des spectateurs aux unités individuelles de l’énoncé, généralement entre l’acteur et la marionnette, mais aussi par d’autres formes utilisées.65

Les rapports d’échelle : un enjeu de taille

Il convient dans un premier temps d’approfondir un peu la réflexion faite plus tôt sur les rapports d’échelle. Il faut imaginer deux cas de figures, le premier dans lequel la marionnette est à l’échelle de l’homme et le second quand elle ne l’est pas, que la marionnette soit supérieure ou inférieure à l’échelle humaine. On pense là à des scénographies dont quelques éléments sont des objets connus du spectateur, qui possède donc une référence de taille. Il est évident que si l’espace est composé de haut murs qui s’échappent dans les cintres, l’échelle est abstraite, elle n’a pas de référence. C’est dans le cas d’une 64 TOMANEK, Alois, Scenicky prostor soucasneho loutkoveho divadla, Prague, 1986, traduit en français par Nina Malikova [L’ espace scénique du théâtre de marionnettes contemporain]. 65 Ibid


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marionnette qui n’est pas à l’échelle de l’homme que la problématique de l’échelle de l’espace devient vraiment déterminante. Trois solutions s’offrent alors à celui qui conçoit la scénographie : - construire un espace à l’échelle de la marionnette - construire un espace à l’échelle de l’homme - construire un espace dont la taille ne fait référence ni à l’échelle de la marionnette, ni à celle de l’homme. Dans le premier cas il semblera que l’homme est étranger à l’espace dans lequel se joue le drame ; dans le deuxième cas c’est la marionnette qui paraît extérieure à l’espace ; enfin, dans le dernier cas on sera dans un entredeux. Cette dernière remarque ne doit cependant être prise au pied de la lettre. On peut toujours se référer à la notion de pacte entre le spectateur et le manipulateur, que j’évoquais lors de la question de l’illusion, et qui agit sur le ressenti de l’espace. Si les remarques énoncées plus haut sont pertinentes, il s’agit de les manipuler avec finesse puisque le rôle actif du spectateur tend à rendre plus ténu le caractère effectif de ces sensations vis-à-vis des jeux sur l’échelle.

La pesanteur et la question du sol

La question de la qualité physique de l’espace est elle aussi très importante au regard des éléments qu’il devra comporter. Plus concrètement, il s’agit de se demander si la marionnette est soumise à la force de pesanteur. Si oui, il y aura nécessité de mettre en place un sol sur lequel la marionnette pourra vivre. Ce sol pourra être ou non celui du marionnettiste, voire être le manipulateur lui même, ce choix sera affecté par la technique de manipulation, par la taille de la marionnette et par les volontés de mise en scène. Dans le cas contraire la marionnette va pouvoir flotter dans l’espace,


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sans être supportée par aucun support physique, sinon le corps du manipulateur. Dans le cas où la marionnette et l’acteur (ou acteur-manipulateur) ne sont pas sur le même sol, il convient de vraiment réfléchir la nature de ces deux sols en complément. Dans La Pluie d’été le plateau était recouvert de tapis de danse noirs et une sorte d’estrade formée de pavés en bois modulables permettait la hauteur nécessaire à la manipulation des marionnettes de type kokoshka. Il est apparu au cours des répétitions qu’il n’était pas possible de mettre en place un dialogue entre la marionnette et l’acteur si ces derniers n’étaient pas sur ces estrades en bois, cela ne fonctionnait pas. Je pense par exemple qu’il aurait simplement suffi, de recouvrir le sol du plateau par ces mêmes pavés de bois pour que ce dialogue devienne possible. Je ne souhaite pas dire qu’il faut que les sols soient identiques ; j’utilise seulement cet exemple pour expliquer en quoi cette problématique du sol est essentielle. On voit bien que si elle n’est pas résolue, la mise en scène va se trouver privée de possibilité de jeu que ne permet pas l’espace scénographie.

La gestion de l’illusion et les limites de l’outil scénographie

Un des aspects particulièrement intéressants vis-à-vis de la question de l’illusion est sa gestion au cours de la durée du spectacle, sa conduite. J’ai évoqué auparavant le rapport intrinsèque existant entre la scénographie et l’illusion. Ce dosage de l’illusion au cours du temps peut être assumé par la scénographie. Cette recherche d’équilibre va cependant devoir passer par des moyens dynamiques. Très sommairement il peut s’agir d’un mouvement ou d’un changement de décor ; ou alors d’un changement de place de la part de l’acteur-manipulateur. Dans le cas d’un effet de décor on assimile facilement


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les problématiques liées au temps et au bruit qu’il engendre. Si cette conduite de l’illusion existe par un changement de position de l’acteur, elle devient très discernable pour le spectateur. D’un point de vue de la dramaturgie ce choix n’est pas neutre, c’est l’acteur qui choisit lui-même de se cacher, de se dévoiler. Il paraît donc que dans certains cas cette gestion de l’espace au cours du temps ne soit pas satisfaisante. Cette conduite de l’illusion peut être également assumée par des changements de costumes. Ceux-ci évoluent par étape, il ne peut pas y avoir un changement de costume en fondu enchaîné. Ils ne peuvent advenir que si l’acteur ne manipule pas, ou si son changement est pleinement intégré à la mise en scène. On voit émerger le rôle original que peut avoir la lumière avec la gestion de l’illusion. Elle a un rapport au temps qui est tel que des changements de lumière ne vont pas nécessairement agir sur le même plan que le jeu des comédiens. La lumière n’est pas non plus un élément palpable, solide, elle peut donc travailler sans venir déranger ce qui se passe au plateau. En ce sens sa gestion de l’illusion saura être plus discrète et donc moins interprétable directement par le spectateur, qui va ressentir ces changements de degré dans l’illusion sans pour autant les discerner.


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2.2 – L’acteur manipulateur et la lumière On utilise généralement le schéma ci-dessous pour faire ressortir l’interaction qu’il y a entre l’emplacement de la source, celle de l’objet à éclairer et enfin l’œil du spectateur.

Source Marionnette

Spectateur

Si l’on prend maintenant l’exemple qui nous intéresse, celui de la manipulation où le manipulateur est potentiellement à vue, le schéma se complexifie, mais il permet de mettre en évidence une donnée très importante : la distance qui existe entre le manipulateur et la marionnette, retenue ici comme opérateur pour interroger leur rapport à la lumière.

Source Marionnette

Spectateur

Manipulateur

distance


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La compréhension de cette distance manipulateur-marionnette est primordiale car elle va conditionner la marge de manoeuvre qui sera celle de l’éclairagiste. Cette distance peut être nulle, comme c’est le cas avec les kokoshka, ou dans le spectacle Sur les traces du Itfo66, créé par le Turak où, par un choix de costume, les jambes du marionnettiste sont assimilées à celles de la marionnette. Cette distance peut aussi être quasi infinie, ou en tout cas très grande. Dans les nouvelles recherches avec des robots ou des marionnettes virtuelles, dans ces cas précis on peut même parler d’une dématérialisation de cette distance manipulateur-marionnette. Je laisserai de côté ce cas de figure car la question de la manipulation et de sa visibilité devient trop incertaine. Ce jalon étant posé, il faut maintenant voir comment les caractéristiques de la lumière peuvent rentrer en jeu et agir lorsqu’il s’agit d’éclairer un spectacle de marionnettes où le manipulateur peut être à vue.

2.2.1 Caractéristiques de la lumière.

On définit généralement une source de lumière à partir de cinq caractéristiques fondamentales, l’intensité, la direction, la couleur, la nature du faisceau et le mouvement. L’intensité est la quantité de lumière qui arrive à l’œil du spectateur, elle est définie par la puissance de la source utilisée, sa graduation, son réglage et par la place du spectateur par rapport à la source. Lorsque l’on construit une lumière on est autant attentif à l’intensité produite par chaque source qu’aux rapports d’intensités, la façon dont ces intensités sont distribuées sur le plateau. 66 Spectacle créé aux subsistances en décembre 2014. Les marionnettes sont musiciennes dans un orchestre à qui l’on annonce qu’en partie de la crise une partie des employés doit être licenciée. Chaque musicien va alors essayer de protéger sa place.


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La direction d’une lumière est déterminée par la position de la source en regard de celle de l’objet éclairé et du spectateur ainsi que par son réglage. C’est la caractéristique qui va souvent permettre de situer un espace temporel. Une direction plate pourra plus facilement faire ressentir un coucher de soleil qu’une direction zénithale. Il s’agit, lorsque l’on parle de la couleur de la lumière, de prendre en compte la couleur de la lumière en sortie de projecteur ainsi que la couleur de l’objet éclairé. La couleur de la lumière issue du projecteur dépend de la source, chacune a une composition spectrale singulière, et du filtre placé devant, qui agit par synthèse soustractive, c’est à dire qui empêche certaines radiation de passer. J’entends par nature du faisceau la façon dont est distribuée la lumière au sein de ce faisceau. Des projecteurs comme les PC vont donner un faisceau dans lequel la répartition est relativement uniforme. Avec d’autres appareils comme les PAR, par exemple, le faisceau est constitué d’un point chaud très lumineux, et la lumière s’estompe ensuite lentement. Le mouvement, en lumière, recoupe plusieurs notions. Il peut s’agir de la mobilité de la source autour d’un point ou dans le volume. Plus largement on peut parler de mouvement pour qualifier tout changement dynamique d’une ou plusieurs caractéristiques définies juste avant. Le changement de couleur, une variation d’intensité, l’allumage ou l’extinction d’une source constituent des cas de mouvement lumière. Cette notion de mouvement est très liée à la question de la conduite. Je vais maintenant analyser comment la mise en œuvre de certaines de ces caractéristiques peuvent entrer en ligne de compte dans le choix de divulgation du manipulateur. Pour ces caractéristiques que nous allons traiter point par point je serai amener à des conclusions, pour lesquelles il sera toujours possible de trouver des contreexemples. Il faut donc préciser que des formes


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trouvent leur intérêt en explorant les frontières de ces conclusions. Un des défauts de cette réflexion point après point, serait d’oublier que chacune des caractéristiques étudiées est liée aux autres. Dans la pratique elles fonctionnent ensemble, et non séparément comme le mode de réflexion choisi pourrait porter à le croire. Aussi, dans les lignes qui suivent, et pour des raisons de clarté, je raisonnerai avec une seule source pour une seule marionnette manipulée par un seul comédien. Si l’on met en place plusieurs sources elles viennent se renforcer, se compenser, etc, mais les développements des lignes qui suivent restent justes, il faut seulement les adapter face à la complexité de la nouvelle situation. mouvement

La notion de mouvement, celui de la source comme celui de la conduite, est pasionnante à étudier quand il s’agit de la marionnette. Dans le théâtre d’acteur il va falloir faire appel à de la technlogie ou à de lourds systèmes de machinerie pour permettre à une source de bouger. Dans le cas du théâtre de marionnettiste, et cela est d’autant plus vrai s’il s’agit de marionnettes de petite taille, il peut être extrêmement bon marché de mettre en place le mouvement d’une source. Puisque le spectateur accepte la convention dans laquelle il voit la manipulation se faire, il ne sera pas choqué si le marionnetiste manipule également une source de lumière. Il peut également s’agir d’un accessoire éclairant, comme une lanterne, manipulé par la marionnette elle-même. La conduite, envisagée comme mouvement lumière, permet de pressentir le rôle qu’elle peut avoir dans la gestion de la révélation de la manipulation. Un simple exercice de lumière va permettre de modifier la perception que le spectateur va avoir du manipulateur au cours du temps. Dans ma pratique de la lumière je suis souvent attaché aux transitions lentes, qui ne sont pas perceptibles comme telles par le spectateur. Il est possible de


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composer un premier état lumineux dans lequel on ne voit pas le manipulateur et un second état dans lequel il est visible. Si le passage de l’un à l’autre se fait assez rapidement, le spectateur va percevoir le changement et va induire une différence d’écoute qui doit être en lien avec ce qui se passe au plateau. D’une autre façon il est possible d’opérer cette transition en un temps plutôt long, par exemple une quinzaine de minutes. Dans cette proposition le spectateur ne va pas percevoir à quel moment il commence à voir la manipulateur. Ce changement de rapport va s’opérer sans que le spectateur n’y soit directement sensible, il va agir sur sa perception sans qu’il s’en rende compte.

couleur et contraste

La couleur de la lumière qui arrive à l’œil du spectateur est définie à la fois par la couleur de la lumière issue du projecteur, et par la couleur de l’objet éclairé. Je pense cependant que dans le cas qui nous intéresse là c’est davantage la question du contraste qu’il faut se poser. Dans de nombreux cas, si l’on souhaite différencier colorimétriquement le manipulateur de sa marionnette, il va être plus évident de travailler directement sur la couleur du décor, du costume et de la marionnette plutôt que sur la coloration de la lumière issue du projecteur. Il me semble en effet que c’est le travail sur le contraste de couleur entre le manipulateur et sa marionnette qui peuvent permettre de donner une autonomie véritable à chacun de ces deux acteurs. J’emprunte à Johannes Itten sa définition du contraste. On parle de contraste quand, entre deux effets de couleurs à comparer, on peut établir des différences ou intervalles sensibles. Quand ces différences atteignent un maximum, on parle de contraste d’opposition ou polaire. Ainsi, les termes grand-petit, noir-blanc,


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chaud-froid à leur point le plus élevé sont des contrastes polaires. Les organes de nos sens ne peuvent percevoir que par l’intermédiaire de comparaisons. Nous discernons qu’une ligne est allongée si une autre plus courte se trouve auprès d’elle pour comparer. La même ligne nous paraît courte si pour la comparaison nous en avons une plus longue. De même les effets de couleurs peuvent s’intensifier ou s’affaiblir par des contrastes colorés.67

Il définit ensuite sept contrastes de couleurs différents : 1. Contraste de la couleur en soi 2. Contraste de clair-obscur 3. Contraste chaud-froid 4. Contraste de complémentaire 5. Contraste simultané 6. Contraste de qualité 7. Contraste de quantité68

Cette notion de dualité qui est au sein de la définition que donne Itten me paraît importante car elle est au cœur de la relation manipulateur/manipulé. C’est, je crois, ce travail sur le contraste qui peut permettre de faire ressortir la marionnette, de la détacher du manipulateur, de la faire exister à part entière. C’est aussi parce que le contraste instaure un parti pris visuel fort qu’il va pouvoir permettre de focaliser l’attention du spectateur sur la marionnette ou sur le manipulateur. Le type de contraste qui est le plus utilisé en marionnette est celui de type clair-obscur, on apporte de la lumière sur la marionnette en en distribuant peu sur le manipulateur. Cette solution est parfaitement efficiente mais je serais curieux de voir des propositions qui s’attardent sur un contraste de complémentaire par exemple, une marionnette orange et un manipulateur costumé en bleu, chacun d’eux éclairé avec la même quantité de lumière. 67 68

ITTEN, Johannes, Art de la couleur, Paris,Dessain & Tolra, p. 36. Ibid. p. 36.


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nature du faisceau

Ces caractéristiques propres à chaque appareil peuvent être utilisées pour éclairer. C’est la question du réglage que l’on va se poser maintenant. Prenons le cas où la distance entre le manipulateur et la marionnette est assez faible, de l’ordre d’un mètre par exemple. Cette situation est éclairée par un seul projecteur, un PAR CP60. Deux possibilités de réglages cohérentes s’offre alors, le point chaud peut être réglé sur la marionnette, ou sur le manipulateur. C’est la pertinence, vis-à-vis de la mise en scène développée qui devra guider le réglage vers l’une ou l’autre des deux solutions.

14 - Deux PAR CP60 en latéraux hauts. Points chauds réglés sur la marionnette. Le manipulateur est visible mais ne reçoit pas autant de lumière que la marionnette.


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Avec des projecteurs comme les découpes, où le réglage est plus complexe, on va se poser, de façon analogue, la question du placement de la coupe et de sa netteté. Prenons l’exemple, assez classique où on utilise une découpe dans une direction latérale. On peut définir trois solutions logiques pour éclairer cette scène, que l’on nommera S1, S2 et S3. Dans le cas de la solution S1 le choix est de prendre uniquement la marionnette, en évitant autant que possible d’éclairer le marionnettiste. La question à se poser est celle de la netteté de la coupe, que l’on utilise un flou optique ou bien un filtre diffuseur. Une coupe nette sera la plus efficace si le choix est résolument de n’éclairer que la marionnette, l’entrée dans la lumière sera cependant violente, et le placement du marionnettiste et de la marionnette devra être très précis.

15 -Solution S1


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Avec la solution S2 on utilise la même coupe que dans S1, mais on va adoucir la coupe à l’aide d’un flou optique ou d’un diffuseur. Si le choix de réglage se porte sur cette solution c’est que le parti pris n’est plus de cacher le manipulateur. C’est le placement du couteau et le choix de la qualité de flou du bord faisceau qui vont permettre de trouver le dosage pour provoquer la sensation recherchée au niveau de la lumière reçue par le manipulateur.

16 -Solution S2


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La solution S3 consiste à placer le couteau derrière la manipulateur, on perçoit très bien l’envie d’éclairer autant la marionnette que le manipulateur. La question du réglage va ici surtout être liée à l’environnement : pendrillonnage, couleur des murs, etc.

17 - Solution S3

Il est essentiel de saisir les conséquences de l’environnement sur la lumière. Je veux ici faire apparaître l’idée que ce n’est pas en augmentant l’intensité, d’un projecteur réglé uniquement sur une marionnette par exemple, que l’on parviendra à la faire ressortir au maximum. Selon les matériaux utilisés et ses couleurs, la marionnette peut avoir tendance à renvoyer beaucoup de lumière. En augmentant l’intensité du projecteur, on augmente aussi la quantité de lumière réverbérée, on dévoile alors ce que l’on souhaitait cacher. C’était


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par exemple un problème rencontré sur l’Androïde où le robot était en métal brillant. Je viens de traiter cette question de la nature du faisceau à l’aide de deux exemples précis du PAR et de la découpe. Je ne souhaite pas tenter de faire une liste exhaustive de chaque application que l’on pourrait faire des caractéristiques de chaque appareil, cette tentative serait vaine puisque une excellente idée pour un spectacle peut se révéler désastreuse pour le suivant. L’intérêt de cette partie sur la nature du faisceau consiste surtout à comprendre que les particularités propres de chaque luminaire doivent être comprises pour pouvoir les utiliser au mieux, notamment dans cette problématique du manipulateur visible.

direction

La direction d’une lumière est définie par trois points placés dans le volume : la source, l’objet éclairé et le spectateur, pour bien comprendre comment ces trois pôles interagissent il faut revenir à l’illustration p. 83. C’est la direction de la lumière qui va définir la projection de l’ombre et sa taille. Lorsque l’on éclaire un comédien, le choix de la direction va permettre de donner différentes visions d’un visage, on dit souvent d’une direction en contre-plongé qu’elle donne un aspect diabolique, antinaturel, l’ombre du nez est projeté sous celui-ci, le dessous des arcades est éclairé. En marionnette il n’est pas possible de tirer des conclusion de ce type. Chaque marionnette, même si elle est d’apparence humaine, est aussi un objet ayant sa propre identité plastique. Ainsi si on éclaire par en bas une marionnette qui n’a pas d’arcades sourcilières, nous n’aurons pas du tout une sensation antinaturelle.


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L’illustration suivante est plus complète, elle fait apparaître le faisceau issu de la source et qui va éclairer la marionnette et le manipulateur. Elle nous permet aussi de comprendre, de façon très claire que la marionnette et le manipulateur projettent chacun une ombre. Source Marionnette

Spectateur

Manipulateur

Faisceau

En faisant varier, sur le schéma, la position de la marionnette et du manipulateur on voit bien que dans certaines situations, le manipulateur projette son ombre sur la marionnette, ou inversement. Il convient aussi de se rappeler que ce schéma propose une vision sur plan d’un phénomène qui existe dans le volume. Je vais maintenant procéder à l’analyse de ces directions à l’aide d’une série de photos. Il n’est pas possible de couvrir l’ensemble des directions possibles, qui est infini, c’est pourquoi j’ai sélectionné quelques directions fondamentales. Pour prendre ces photos j’ai essayé de me mettre dans des conditions expérimentales, je n’ai utilisé que des projecteurs PC 650W à lentille martelée, avec un seul type de marionnette. Pour être dans une rigueur scientifique il aurait fallu faire cet exercice avec plusieurs types de marionnette, pour l’aspect plastique d’une part, et pour la place du manipulateur par rapport à la marionnette d’autre part. Cet dernière donnée est très importante dans ma réflexion sur la direction de lumière liée aux ombres projetées. Pour l’ensemble des photos qui suivent, j’ai réglé le point chaud sur la marionnette.


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18 - Face plate [30°] - La manipulateur est autant dévoilé que la marionnette. L’unique avantage de cette direction est de permettre une lisibilité optimum. Cependant elle a le défaut d’applatir l’image, elle efface tout les reliefs.


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19 - Face à 45° - L’angle permet ici d’effacer un peu la présence du manipulateur. Contrairement au résultat obtenu avec la face plate, on retrouve du relief dans l’image.


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20 - Face piquée [70°] - La manipulateur commence à disparaître grâce à la direction de la lumière.


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21 - Douche. Cette direction ne permet pas de discerner la marionnette. Le projecteur se situe juste au-dessus de la marionnette ce qui permet qu’elle reçoive de la lumière sans trop éclairer le manipulateur.


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22 - Contre-jour - L’ombre du manipulateur est projetée sur sa marionnette. Associée à d’autres sources cette direction peut-être utile pour faire sentir la présence du manipulateur sans que l’on puisse véritablement le discerner.


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23 - Contre-plongée - L’ombre de la marionnette est projetée sur le manipulateur. Cette direction est assez peu utilisée dans le cas du théâtre d’acteur. Sur certaines marionnettes elle peut être beaucoup moins conotée anti-naturelle. Au contraire, elle peut donner une sensation de surgissement.


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24 - Latéraux hauts [4m50]. Le manipulateur et la marionnette sont visibles. Ce type de direction est généralement un bon compromis entre lisibilité de l’image et relief.


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25 - Latéraux bas [source à hauteur de la marionnette]. Cette direction permet de faire disparaître le sol sur lequel est la marionnette, elle semble davantage flotter dans l’espace. Si aucun rattrapage de face n’est mis en place on constate une ombre au milieu du coprs de la marionnette.


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Ces caractéristiques de la lumière se complètent, se combinent pour donner naissance à une image au plateau que l’œil du spectateur saura capter et analyser, consciemment ou non. Après avoir vu comment ces caractéristiques de lumière peuvent agir dans le visuel proposé, je vais tirer trois fils, trois cas de figure différents quant à la question du rapport entre la lumière et la manipulation à vue.

2.2 Théâtre noir ou le manipulateur absent On parle de théâtre noir pour les spectacles où seule la marionnette est visible, le manipulateur étant plongé dans le noir. Il s’agit là de retrouver un objectif du castelet, cacher la manipulation, sans passer pour cela par un dispositif scénographique qui peut être contraignant. Pour que ce principe de théâtre noir soit efficace il faut que le manipulateur soit complètement noir, cela sous-entend un costume noir, des gants noirs et souvent une cagoule ou un tulle noir devant le visage. Il est également nécessaire que la boîte noire soit très propre, le faisceau d’une découpe installé à jardin doit s’échapper entre deux pendrillons à cour. Ce principe de théâtre noir s’appuie sur des directions latérales qui viennent créer un couloir de lumière dans le plan perpendiculaire à la vision du public. Comme le montre le schéma ci-après, les couteaux sont réglés de façon à éviter strictement le marionnettiste.


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Les découpes sont implantées dans l’axe de la marionnette, quelquefois légèrement à la face. La coupe effectuée vers le lointain doit passer entre le manipulateur et la marionnette.

Ce procédé est une réponse qui convient parfaitement aux problèmes soulevés par Alain Recoing quant à l’adaptation que les marionnettistes doivent trouver pour jouer sur les grands plateaux. Il y a, avec le théâtre noir, l’idée du castelet sans en éprouver ses limites physiques. Il faut bien comprendre que cette technique de théâtre noir par couloir ne peut être efficiente que dans le cas d’une disposition frontale du public. Philippe Genty69 est peut-être l’artiste qui a poussé le plus loin les recherches sur ce type d’esthétique du théâtre noir par couloir de lumière.

26 - Philippe Genty - Les autruches - 1968 69 La compagnie Philippe Genty définit sont travail comme explorant « un langage où la scène est le lieu de l’inconscient ». C’est un travail visuel à l’identité très forte que mène la compagnie depuis 1962.


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Une des difficultés de ce mode d’éclairage est d’ordre technique. Le réglage doit être précis. Il faut éviter au maximum la diffusion au niveau de la sortie du projecteur, pour cela il n’est pas rare d’utiliser des cônes antihalo ; parfois très longs et fabriqués exclusivement pour cette utilisation. La question de la netteté de la coupe est primordiale, elle doit-être la plus nette possible pour camoufler au mieux le manipulateur ; mais doit cependant être assez douce pour que l’entrée de la marionnette dans la lumière ne soit pas trop violente. L’utilisation de lumière noire, ou UV, permet également de faire du théâtre noir. Les marionnettes doivent pour cela être construites avec des matériaux qui réagissent aux ultra-violets, alors que les manipulateurs sont en noir. Ce procédé crée une ambiance magique, onirique, dans laquelle les marionnettes et parfois les acteurs semblent flotter dans l’espace. Ce type de théâtre noir constitue une véritable institution en république tchèque, nottament à Prague qui compte plus d’une dizaine de théâtres explorant cette voie.

2.2.3 Le manipulateur en lisière de faisceau Pour évoquer au mieux ce que j’appelle le manipulateur en lisière de faisceau je crois qu’il faut faire une analogie avec la photographie et les notions de mise au point et de profondeur de champ. Prenons le cas où l’on souhaite réaliser une photo d’un marionnettiste manipulant sa marionnette, et imaginons que ce manipulateur est derrière l’objet manipulé. Nous faisons le point sur la marionnette. Suivant les réglages de l’appareil photo la manipulateur pourra être très net ou complètement flou. Entre ces deux cas extrêmes, une infinité de possibilités de dosage de la netteté ; c’est pour l’ensemble de ces cas que je parle du manipulateur en lisière de faisceau.


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L’analogie avec la photographie s’arrête à cette constatation puisque la photo et la lumière ne dispose pas des mêmes outils. Ces remarques sur le manipulateur en lisière de faisceau couvrent l’ensemble des cas de figure où l’on souhaite conserver un focus lumière sur la marionnette alors que le parti pris esthétique nécessite la visibilité du manipulateur. Il s’agit d’éclairer le manipulateur et la marionnette en veillant à maintenir en place une hierarchie entre les deux. Avant de voir de quelles manières parvenir à cette fin il faut remarquer que ce cas est celui que l’on rencontre le plus souvent lorsque l’on assiste à un spectacle de théâtre de marionnettes. La couleur, ou plutôt le contraste, est une des caractéristiques offertes par les outils construisant le visuel scénique qui peut nous permettre de mettre en place cette hiérarchie, il s’agit là de jouer sur une mise en place de contraste. La photo70 ci-après montre bien cette possibilité, le costume noir des manipulateurs attire peut le regard du spectateur étant donné que la marionnette est blanche, plus claire également que les visages des marionnettistes.

27 - The table - Blind summit theater 70 Dans The Table,Moses, petit personnage fait de tissu et de carton, nage en pleine crise existentielle. Le personnage est manipulé sur table par trois artistes. Créé en 2011.


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Le théâtre noir nous apporte une grammaire de l’image assez forte par l’utilisation de latéraux qui n’éclairent pas le manipulateur. Il est possible de s’emparer de cette technique, en la détournant, pour placer le manipulateur, justement, en lisière de faisceau. Il faut pour cela combiner l’utilisation de latéraux à nos raisonnements sur la nature du faisceau. C’est souvent en plaçant, lors du réglage, le point chaud sur la marionnette que l’on trouve le résultat le plus simple pour provoquer cette sensation d’effacement du manipulateur. Ce travail sur le point chaud est d’autant plus fort lorsque l’on travaille avec des projecteurs au point chaud marqué (PAR, BT,...). Comme nous l’avons vu précédemment c’est aussi par des choix de diffusion qu’il va être possible de placer la manipulateur dans cette état de présence partielle.

2.2.4 Manipulateur et marionnette sur un pied d’égalité Dans ce dernier cas il s’agit de ne plus différencier, du point de vue de la lumière, qui manipule et qui est manipulé. Ce cas se présente essentiellement pour des spectacles où la mise en scène donne un vrai rôle au personnage du manipulateur, c’est par exemple le cas dans Les fourberies de Scapin de la Cie Valantin, déjà évoqué plus tôt. De façon plus simple il faut comprendre que, dans la majorité des cas, pour qu’il soit pertinent de mettre, au niveau de la lumière, marionnette et manipulateur sur un pied d’égalité, il faut qu’il le soit dans la mise en scène.


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À partir des caractéristiques de la lumière, nous venons de voir comment il était possible d’éclairer ce rapport marionnette/manipulateur. J’ai essayé d’être le plus général possible pour que mes observations puissent couvrir le plus de cas de figure possible, sinon tous. Je n’ai pas souhaité aborder des questions d’ordre plus pratiques comme le choix des sources, qui est lié à la taille des marionnettes. Si l’on souhaite placer le manipulateur en lisière de faisceau, alors que sa marionnette fait quinze centimètre, on devrait davantage se tourner vers un PAR 36 que vers un PAR 64. J’ai laissé de côté ces questions puisque, pour moi, elles relèvent plus de l’artisanat de l’éclairagiste. J’ai également défini trois cas de figure possible quant à l’éclairage de théâtre de marionnette, il faut évidemment comprendre qu’il est possible de naviguer de l’un à l’autre au cours du spectacle. Et c’est souvent ce passage d’un choix à l’autre qui est intéressant, qui va permettre de créer des réflexions nouvelles, mêmes inconscientes, chez le spectateur.


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Conclusion



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Cette recherche sur les enjeux que pose, pour la lumière, la manipulation à vue, s’est davantage portée sur des questions d’esthétique et de dramaturgie que sur des réflexions propres à la lumière. Cette trajectoire prise par mes recherches viens conforter mon avis que la lumière ne peut pas faire de sens, de dramaturgie, à elle toute seule ; elle accompagne les autres médiums scéniques dans l’élan proposé par les choix généraux de mise en scène. Ce trait est encore plus vrai quand on se penche sur le cas du théâtre de marionnettiste. L’être humain, qu’il soit acteur, danseur, circassien, est de chair et a toujours la même forme. A contrario la marionnette est un être plastique et protéiforme définie par sa taille, sa forme, sa matière, sa technique de manipulation, etc. Les conclusions que l’on pourrait tirer sur une marionnette pourraient s’avérer complètement fausses si l’on essayait de les appliquer sur une autre. A chaque début de travail sur un spectacle il faut donc être capable de faire table rase sur ce que l’on avait compris en éclairant une marionnette précédemment. J’ai réussi, notamment par le biais de stages, à être au contact de personnes de la profession, qu’il s’agisse de metteur en scène, de manipulateur ou de régisseur et je crois que ce contact, même s’il n’apparaît pas de manière frontale dans ma recherche, m’a permis d’enrichir mon propos.Après ces expériences et les spectacles dont j’ai été le spectateur je me rends compte que la manipulation à vue est souvent une pratique subie plutôt que choisie. Ce mode esthétique est utilisé sans que l’on se demande nécessairement pourquoi, le choix se fait de lui même. Cette démarche qui tient de l’intuition me paraît bonne mais dès qu’elle a lieu il faudrait être capable de mesurer les conséquences que cela va engendrer pour l’esthétique générale du spectacle. Si la technique de manipulation employée et la scénographie déployée laissent le manipulateur visible il ne faut pas penser que la lumière réussira, à elle seule, à le faire disparaître.

A l’issue de ce travail de recherche qui m’a occupé pendant plus d’une


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année je souhaite avoir l’occasion de travailler pour le théâtre de marionnettiste mais je tiens en aucun cas à en faire une spécialisation. Je suis trop attaché à éclairer l’acteur directement en prise avec la scène, qui ne passe pas par un médium pour jouer.


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Annexes


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Annexe 1 - Programme de salle du théâtre de Chaillot écrit par Jack Lang, 1974

Un mois de représentations à Paris. Même au Japon, la durée du séjour du Bunraku dans une ville excède rarement deux semaines. En accord avec nos amis japonais, nous avons souhaité leur venue à Paris constitue un événement inhabituel qui ne s’apparente d’aucune manière à la rituelle et expéditive tournée de prestige destinée à quelques privilégiés. Nous avons voulu contraire que, dans le cadre de la politique artistique du Nouveau Théâtre de Chaillot, la présence du Bunraku dans notre théâtre soit assez longue pour imprégner durablement la vie artistique française par la médiation d’un public nombreux et pour inspirer éventuellement des changements salutaires dans nos modes de perception ou de création des œuvres théâtrales. Autre signification à la présence prolongée du Bunraku à Paris : au cours de séances plus spécialement destinées aux enfants, (matinées les 11,12,14,17,18,19,21,24,25,26 Juin à 14h15, pièce représentée : « LA PECHE AUX EPOUSES », suivie de démonstrations du fonctionnement des marionnettes), nos amis japonais apporteront la preuve éclatante que les plus jeunes ont droit – comme les adultes – à la connaissance des formes les plus raffinées de l’art et que les plus petits préfèrent les œuvres fortes, nouvelles, insolite aux œuvres mièvres, douceâtres et banales qu’on voudrait trop souvent leur réserver. Le Théâtre du Bunraku – art inimitable et facilement transposable – n’est-il pas en effet exemplaire ? Il l’est déjà par sa résistance aux épreuves qui ont mis à plusieurs reprises sa vie en danger. C’est ainsi que le Bunraku a failli mourir, après la


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deuxième guerre, à la suite d’une provisoire indifférence du public. L’État de la ville d’Osaka et une chaîne de télévision se sont alors coalisés pour le sauver de la ruine financière : politique courageuse et audacieuse que ne pourraient comprendre nos maniaques des taux de fréquentation ou des pourcentages d’écoute qui, eux, auraient condamné sans appel le Bunraku à mort. Le Bunraku nous offre aussi l’exemple rare d’une esthétique savante mais somptueuse qui n’est jamais contaminée par l’obsession si pernicieuse en occident de vouloir à tout prix recréer sur scène l’illusion de la réalité. Dans de bnombreux pays européens, la force expressive d’un acteur est encore trop souvent appréciée en fonction de son aptitude à « jouer vrai » ,« sincère », « naturel », c’est à dire à reproduire les apparences des comportements individuels. De même on attend en général de la marionnette qu’elle restitue, dans sa vérité extérieure, l’image humaine : pour « faire plus vrai » encore, le manipulateur occidental se dissimule habituellement derrière un castelet et donne à croire au spectateur que la matière inerte de la poupée s’anime miraculeusement d’un mouvement autonome. Rien de tel dans le Bunraku, « Le nature » est immédiatement brisé par l’action simultanée, mais avouée et séparée de trois types d’intervenants : les manipulateurs visibles, silencieux et calmes ; les récitants placés sur le côté qui, accompagnés par les joueurs de shamisen, commentent une action qu’ils ne regardent pas ; enfin les marionnettes. Je ne sais pas ce qui me touche le plus fortement dans une représentation du Bunraku : est-ce l’impassibilité des manipulateurs dont les actes clairement et simplement montrés semblent accompagner plus que précéder les évolutions des poupées ? Ou est-ce plutôt l’impudeur organisée des voix des proférateurs qui, souverainement, demeurent aveugles aux déplacements des marionnettes ? Ou encore les sonorités étranges du shamisen ?


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Le Bunraku doit en vérité s’apprécier dans sa totalité expressive. Chaque geste y est essentiel. Chaque son y est nécessaire. Rien n’est détachable de cet art traditionnel – et pourtant si moderne. JACK LANG Directeur du Théâtre National du Palais de Chaillot


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Annexe 2 - Retranscription du DVD Recoing militant de son art réalisé par Dominique Darzacq. Et puis il y aune évolution considérable qui s’est produite à partir des années 60 où il y a eu l’ouverture des Maisons de la Culture et des Centres Dramatique. A la tête desquels, en général, étaient placés des metteurs en scène et qui avait donc un cahier des charges avec obligation de créer des spectacles en direction de l’enfance et de la jeunesse. Et ces gens n’avaient pas du tout l’expérience du spectacle pour l’enfance. Et au fond je ne suis pas sûr que ça les intéressaient tellement. Et puis aussi, il y avait ce préjugé qui minorait le théâtre pour l’enfance et la jeunesse et en particulier le théâtre de marionnette. Il ont donc fait appel à ce qui existait, il faut dire qu’à 98 % les spectacles pour l’enfance dans le milieu enfance et jeunesse, c’est à dire essentiellement dans le milieu scolaire était des théâtres de marionnettes. Ils ont fait appel à ces théâtres de marionnettes, surtout qu’à cette époque il y avait une quinzaine de troupes fort performantes, d’une grande qualité et qui étaient capable de répondre à la demande. Mais quand on s’est retrouvé, quand je me suis retrouvé sur la scène de la Maison de la Culture de Caen avec ses quatorze mètres d’ouverture, vingt mètres de profondeur, douze mètres de hauteur. J’avais un des plus grands castelet itinérants du secteur scolaire, qui faisait cinq mètres de long, trois mètres de haut, etc... Je me suis aperçu qu’avec mes petites poupées de la reine des neiges il fallait offrir des lunettes aux spectateurs pour qu’ils y voient quelque chose. Je me suis aperçu que les angles de vue, comme c’étaient des grandes salles ouvertes, en gradin, plongeaient très rapidement derrière le castelet. Le manipulateur n’était plus caché, les angles de vue de côté aussi ; les salles étaient en demi-cercle. Il y avait des visions d’angle de côté où le quart du spectacle était visible.


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Je me suis dit, et sans doute mes collègues aussi, placés dans les mêmes conditions, qu’il fallait trouver quelque chose. On a commencé à grandir un peu l’échelle de nos marionnettes. Ensuite en e qui me concerne j’ai mobilisé le castelet. Au lieu d’un castelet fixe j’ai voulu un castelet qui pouvait se déployer, qui pouvait se déployer en plusieurs scènes, qui pouvait occuper l’espace d’une façon beaucoup plus complète et utile. Et enfin il y a eu la sortie à vue du manipulateur manipulant sa marionnette. Ce qu’on a oublié, ce que m’avait fort bien appris Vitez dans La ballade de Mister Punch, c’est que s’il y avait manipulation à vue il y avait certes le comédien, quand il assurait le rôle de l’interprète, à mettre en scène. Il y avait, certes, la marionnette quand elle était leader de la profération, à mettre en scène. Mais que dans tout les cas il fallait mettre en scène une troisième dimension en scène, c’était le rapport du manipulateur au manipulé. Soit que l’un neutralise l’autre, sot que les deux fassent deux choses différentes, la dissociation. Soit que l’on applique à l’interprétation du comédien par rapport à sa marionnette les principes de la distanciation Brechtienne. Il y a une extraordinaire efficacité de la manipulation à vue pour deux raisons d’abord, puisque le public est voyeur, là on lui montre à vue les secrets de polichinelle, il est donc très content, ravi. Mais ce que l’on oublie c’est que, bien souvent, si on ne tient pas compte de ces trois dimensions, on laisse l’acteur prendre le pas sur la marionnette, qui ne devient qu’un accessoire qu’on balade et non plus un personnage capable d’interpréter, au même titre que l’acteur, la dramaturgie qui lui est proposée. La façon de neutraliser l’acteur par rapport à la marionnette, quand c’est nécessaire, c’est d’utiliser les règles de la distanciation Brechtienne de la formation de la convention théâtrale et du jeu distancié de l’acteur par rapport à sa poupée. Et puis il y a d’autres trucs, d’autres secrets de polichinelle que j’essaie de développer depuis plusieurs années. C’est ce que j’ai appelé le corps castelet, c’est à dire que je demande à l’acteur avec son corps de déterminer


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dans l’espace vide de la scène un espace scénographique. On peut prendre son bras pour une porte par exemple. Il y a mille façons de traiter les choses. On crée des espaces avec son corps, dans lesquels on manipule sa marionnette. A ce moment là l’acteur est effacé puisqu’il devient au fond quelque chose d’objectivement scénographique et la marionnette garde le premier plan qu’elle doit avoir dans les représentations.



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Table des illsutrations


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Couverture – GUEYDAN, Arthur, 2014 1- TOMANEK, Alois, Podobo Loutky, Prague, Akademia muzickyeh umeni v praze, 2006, p50 2 - Agence de presse Mondial Photo-Presse / 0030. Le nouveau Guignol du Jardin du Luxembourg / [photographie de presse] / Agence Mondial. 1933. Source : Gallicaarte postale 3 - Le théâtre de marionnette de Nohant, http://www.communes.com (consulté le 15/04/2014) 4 - DE GRAFFIGNY, Henri, Le Théâtre à la maison : construction, agencement, décoration, éclairage, etc., de petits théâtres pour marionnettes, pupazzi et personnages vivants, Paris, Collection AL Guyot, [s.d.], p65, disponible sur gallica. bnf.fr 5 - DE GRAFFIGNY, Henri, Le Théâtre à la maison : construction, agencement, décoration, éclairage, etc., de petits théâtres pour marionnettes, pupazzi et personnages vivants, Paris, Collection AL Guyot, [s.d.], p71, disponible sur gallica. bnf.fr 6 - MONESTIER, Claude, MONESTIER, Colette, Légende pour un trou, Cie du théâtre sur le fil, 1971. Image tirée d’un documentaire prduit par Télévision Française 1, 1975, http://www.ina.fr/video/I11279735 7 - JURKOWSKI, Henryk, Encyclopédie mondiale des arts de la marionnette, Montpellier, éditions l’Entretemps, 2009, p128 8 - JURKOWSKI, Henryk, Encyclopédie mondiale des arts de la marionnette, Montpellier, éditions l’Entretemps, 2009, p129 9 - CALVIN, Antonia, Marionnettes Japonaises, ORTF,1961. Disponible sur internet. http://www.ina.fr/video/CPF86618224/marionnettes-japonaises-video.html (site consulté le 25 décembre 2013)


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10 - CALVIN, Antonia, Marionnettes Japonaises, ORTF,1961. Disponible sur internet. http://www.ina.fr/video/CPF86618224/marionnettes-japonaises-video.html (site consulté le 25/12/2013) 11 - http://www.la-pierre-et-le-sabre-iaido18.fr/bun04.jpg (site consulté le 25 /12/2013) 12 - GODARD, Jean-Luc, Pierrot le fou, Georges de Beauregard, 1965 14 à 25 - GUEYDAN, Arthur, 2014 26 - GENTY, Philippe, Les autruches, 1968, http://www.philippegenty.com (consulté le 24/03/14) 27 - Blind summit theater, The table, 2011, Lumières : Richard Howell (photo : Xue QIAN)



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Bibliographie


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Livres ARASSE, Daniel, Le détail, Paris, Flammarion, 1996 ARASSE, Daniel, Le sujet dans le tableau, Paris, flammarion, 2005 ARTAUD, Antonin, Le théâtre et son double, Paris, Folio, 1964, pp 82-83 BARTHES, Roland, L’empire des signes, Paris, Points, 1970 BENSKY, Roger-Daniel, Recherches sur les structures et la symbolique de la marionnette, 2ème édition, Paris, Nizet, 1971 BLAISE, Pierre, Un « théâtre d’art » de marionnettistes in LECUQ, Evelyne, Carnets de la marionnette : le fondamentaux de la manipulation : convergences, Paris, THMAA/ Éditions théâtrales, 2003 BRECHT, Bertolt, Le petit organon, Paris, L’Arche, 1948 CALLIES, Grégoire, (Pro)vocations marionnetiques, Strasbourg, éditions du TJP, 2004 CALLIES, Grégoire, EBEL, Emmanuelle, JOLLY, Geneviève, Mettre en scène et scénographier la marionnette, Strasbourg, 2009 CHESNAIS, Jacques, Marionnettes à gaine, à fils, à tringle, à clavier, ombres chinoises, pantins, etc... Fabrication de poupées et du théâtre, technique de jeu, suivi d’une petite histoire de la marionnette de l’antiquité à nos jours, Paris, Éditions de la Flamme, 1936 CLAUDEL, Paul, Mes idées sur le théâtre, Paris, Gallimard, 1966. CONTAMIN, Laurent, TRANTER, Strasbourg, éditions du TJP, 2004

Neville

[pro]vocations

marionnettiques,

DE GRAFFIGNY, Henri, Le Théâtre à la maison : construction, agencement, décoration, éclairage, etc., de petits théâtres pour marionnettes, pupazzi et personnages vivants, Paris, Collection AL Guyot, [s.d.], disponible sur gallica.bnf.fr DIDEROT, Denis, Paradoxe sur le comédien, Paris, Flammarion, 1830


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HERRIGEL, Eugen, Le zen dans l’art chevaleresque du tir à l’arc, Paris, éditions Dervy, 1948 MAGNIN, Charles, Histoire des marionnettes en Europe, Genève, Slatkine, 1981 Musée d’ethnographie de Genève, Théâtre d’Orient, masque, marionnettes, ombres, costumes. Genève, éditions Olizane, 1997 ORTEGA Y GASSET, José, La déshumanisation de l’art, Paris, Editions Gallia, 2011, PLASSARD, Didier, L’acteur en effigie, Lausanne, L’âge d’Homme/IIM, 1992 RECOING, Alain, Les mémoires improvisés d’un montreur de marionnettes, Montepellier, éditions entretemps, 2011. SAND, Georges , Le théâtre de Marionnettes de Nohant, publié la première fois dans Le temps de 11 et 12 mai 1876, Œuvres bibliographiques tome 2, Paris, La pléiade STENDHAL, Les Fantoccini à Rome dans Lettres de Rome, Voyages en Italie, Paris, La Pléiade, 1973 TOMANEK, Alois, Scenicky prostor soucasneho loutkoveho divad&a, Prague, 1986, traduit en français par Nina Malikova [L’ espace scénique du théâtre de marionnettes contemporain] VIOLETTE, Marcel, Castelet, in Encyclopédie mondiale des arts de la marionnette, Montpellier, éditions l’Entretemps, 2009 VON KLEIST, Heinrich, Sur le théâtre de marionnette, Paris, édition sillage, 1810

Revues PLASSARD, Didier (dossier coordonné par), Présences du marionnettiste, Registre n°15, Paris, Presses Sorbonne nouvelle,2011


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KARLIKOW, Gérald, De l’éclairage à la lumière, in Manip le journal de la marionnette n°18, avril 2009 SERMON, Julie, RECOING, Alain, Éduquer ou convaincre le public , Puck n°17, 2010

Thèses GUINEBAULT-SZLAMOWICZ, Chantal, Scénographie, frontalités et découvertes dans le théâtre contemporain, Thèse de doctorat, Montepellier, Université Paul Valéry UFR des arts, présentée et soutenue en décembre 2002

Supports audiovisuels CALVIN, Antonia, Marionnettes Japonaises, ORTF,1961. Disponible sur internet. http://www.ina.fr/video/CPF86618224/marionnettes-japonaises-video.html (site visité le 25 décembre 2013) GODARD, Jean-Luc, Pierrot le fou, Georges de Beauregard, 1965 DARZACQ, Dominique, Recoing militant de son art – dvd 1, CNC, 2001, autour de 57min LUMIERE, Louis, L’arrivée d’un train en gare de la Ciotat, société Lumière, 1896

Divers LANG, Jack, Programme de salle du théâtre de Chaillot, 1974



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