Actes - Première École d'été des objectifs de développement durable

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ACTES 8 au 13 juillet 2016 – Marseille, France

1 1ère Ecole d’été des Objectifs de Développement Durable – 8 au 13 juillet 2016 – Marseille, France


Table des matières EDITO ....................................................................................................................................................... 3 Vendredi 8 juillet...................................................................................................................................... 4 « Enjeux scientifiques et sociétaux » ...................................................................................................... 4 Séance inaugurale ............................................................................................................................... 4 Les grands enjeux du développement, cadre institutionnel ............................................................. 11 Le financement des Objectifs du Développement Durable .............................................................. 18 La Science et les Objectifs de Développement Durable .................................................................... 28 Clôture ............................................................................................................................................... 35 Samedi 9 juillet ...................................................................................................................................... 38 « Réussir le partenariat » ...................................................................................................................... 38 Partenariats institutionnels et organisations européennes et internationales, ONG, entreprises et société civile ...................................................................................................................................... 38 Comment les universités s’emparent des ODD ? .............................................................................. 49 ODD, mondes socio-économiques et territoires ............................................................................... 58 Transition COP21-COP22, grands rendez-vous ................................................................................. 69 Lundi 11 juillet ....................................................................................................................................... 75 « Grands enjeux mondiaux en matière de Santé » ............................................................................... 75 Nouvelles émergences, surveillance épidémiologique, nouvelles approches .................................. 75 Santé publique et place des populations .......................................................................................... 81 Grands témoins ................................................................................................................................. 90 Mardi 12 juillet ...................................................................................................................................... 99 « Aléas climatiques et vulnérabilité des écosystèmes » ....................................................................... 99 Aléas climatiques et vulnérabilité des écosystèmes marins et terrestres ........................................ 99 Préservation de la biodiversité et des écosystèmes ....................................................................... 104 Grands témoins ............................................................................................................................... 112 Mercredi 13 juillet ............................................................................................................................... 122 « Éliminer la pauvreté et la faim et garantir l’accès à l’eau pour tous »............................................. 122 Sécurité alimentaire et nutrition ..................................................................................................... 122 La lutte contre la désertification ..................................................................................................... 127 Interventions ................................................................................................................................... 134 Grands témoins ............................................................................................................................... 136

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EDITO L'École d'été des ODD 2016 : lieu de rencontre de haut niveau pour répondre aux enjeux de développement durable adoptés par l'ONU

Devant l’immensité des défis économiques, sociaux et environnementaux qui caractérise l’état de la planète en ce début de 21e siècle, les communautés scientifiques et universitaires du Nord et du Sud ont un rôle spécifique à jouer par leur contribution aux avancées mondiales de la connaissance et à la promotion de recherches utiles pour atteindre les Objectifs de Développement Durable (ODD). Le "Campus international pour la coopération et le développement", initié en cette année 2016, sera au service de cette ambitieuse démarche avec la mise en place d'un programme inédit d'école d’été, sur la base d’un questionnement sur le rôle des scientifiques et la contribution de la science à la mise en œuvre des ODD. L’originalité de cette École d’été de très haut niveau, tant pour les intervenants que les participants en provenance du Nord et du Sud, est de s’adresser conjointement à des scientifiques (chercheurs, enseignants-chercheurs, responsables d’unité, doctorants, postdoctorants…) et à des acteurs de la mise en œuvre des ODD (décideurs, cadres d’institutions locales, nationales et internationales, de ministères, d’ONG, d’entreprises…) mobilisés pour contribuer à la réalisation de l’Agenda 2030 au bénéfice des générations futures.

Merci aux 300 participants ayant répondu présents et contribué à cette dynamique inédite, au cœur de nos préoccupations sociétales !

Yvon Berland Président d'Aix-Marseille Université (AMU)

Jean-Paul Moatti Président Directeur Général de l'Institut de Recherche pour le Développement (IRD)

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Vendredi 8 juillet

« Enjeux scientifiques et sociétaux » Séance inaugurale Avec la participation de : • • • • • • • •

Bernard Valero, directeur de la Villa Méditerranée Yvon Berland, président d'Aix-Marseille Université (AMU) Jean-Paul Moatti, président directeur général de l'Institut de Recherche pour le Développement (IRD) Caroline Sesia Blanchet, représentante de la Chambre de Commerce et d’Industrie de Marseille Provence Marie-Laure Rocca-Serra, Déléguée à l’Enseignement Supérieure et à la Recherche Ludovic Perney, Conseiller Régional à la jeunesse Thierry Queffelec, Secrétaire Général aux affaires régionales, représentant le Préfet de Région Dominique Maraninchi, Président de l'IMéRA

Le lancement de la première École d’été des Objectifs de développement durable (ODD) a été marqué par les interventions, lors de la séance d’ouverture, des dirigeants d’AixMarseille université (AMU), de l’Institut de recherche pour le développement (IRD) ainsi que de responsables politiques institutionnels. Bernard Valero, Directeur de la Villa Méditerranée a d’abord salué la qualité du travail collectif mené par les différentes parties prenantes à l’organisation et à la tenue de la première édition de l’École d’été des ODD, un événement, a-t-il été rappelé, du Campus international pour la coopération et le développement (CICD). « Un grand merci également 4 1ère Ecole d’été des Objectifs de Développement Durable – 8 au 13 juillet 2016 – Marseille, France


aux visiteurs étrangers qui sont présents aujourd’hui dans cette ville, Marseille, dont nous connaissons tous la tradition d’accueil et d’écoute du monde », a-t-il déclaré. Le directeur de la Villa Méditerranée a souligné le fait que la région PACA était un territoire privilégié du savoir, et que la « construction, le partage et la diffusion des connaissances » était au cœur de la démarche de l’institution qu’il dirige. « Les partenaires académiques, la Ville et la Caisse des dépôts et de consignation notamment ont fait un travail remarquable pour que nous puissions débattre autour d’un sujet important, les ODD dont la mise en œuvre représente un enjeu majeur pour la coopération internationale de la France et l’avenir même de la planète », a-t-il ajouté. Il a formé le souhait que les travaux de l’École d’été contribuent à apporter des réponses aux grandes questions « sur notre avenir commun », alors que se tiendront prochainement, au Maroc, la Med COP22 et la COP22. Enfin, il a voulu voir dans l’organisation de cette première École d’été des ODD, qu’il a qualifiée d’évènement unique au monde, le signe que la mobilisation internationale sur les questions de développement durable ne faiblit pas. En écho à ces propos, le Président d’AMU, Yvon Berland, a rendu hommage au parrain de la première École d’été, Philippe Busquin, homme politique belge et ancien Commissaire européen à la recherche. À cet égard, il a souligné le rôle important de relais que joue AMU, appuyée en cela par l’expertise précieuse de l’IRD, entre la rive sud de la Méditerranée et l’Europe.

1.Philippe Busquin, parrain de la première École d'été des ODD

M. Berland a rappelé que la première École d’été des ODD était aussi le premier grand événement organisé par le CICD, un campus « entièrement dédié aux thématiques du développement ». Il a noté que le CICD devait apporter des réponses aux enjeux du développement durable en contribuant à la recherche de solutions scientifiques aux grands enjeux mondiaux. « Sans la

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science, a-t-il dit, les connaissances ne se dévoilent pas, les découvertes et innovations n’existent pas, et, sans la science, le devenir de l’humanité n’est pas ». Qualifiant d’extraordinaire le potentiel de recherche du territoire métropolitain, il a appelé les pays des deux rives de la Méditerranée à s’emparer pleinement des grands sujets de société contenus dans les ODD. M. Berland a attiré l’attention sur le fait qu’AMU venait de voir son statut d’excellence pérennisé par un jury international. « C’est dire les ressources en recherche et en formation dont nous disposons », s’est-il réjoui avant de souligner la nécessité que les thématiques du développement durable soient appréhendées sous l’angle scientifique et des réponses aux besoins sociétaux. Il a salué à ce propos les compétences interdisciplinaires d’AMU et d’institutions présentes sur le territoire, comme l’IRD, l’AFD, la Banque mondiale, la Villa Méditerranée, l’AVITEM, ANIMA ou encore le Plan Bleu, et l’engagement constant des collectivités et de la société civile. « Fort de ce potentiel, a-t-il poursuivi, le CICD aura vocation à répondre à 3 enjeux majeurs. Tout d’abord, faire du territoire métropolitain la plateforme méditerranéenne en matière de recherche, d’enseignement supérieur, d’expertise et de diffusion des savoirs sur le développement durable. Ensuite, favoriser le rayonnement international et l’attractivité du territoire par la promotion de la politique française de coopération. Enfin, favoriser la recherche et l’innovation en renforçant les actions de formation et de culture scientifique ». Pour M. Berland, il est en outre essentiel d’interpeller les décideurs internationaux, et, parallèlement, de former les étudiants et les professionnels qui seront, demain, les acteurs du développement durable. À cette fin, il a plaidé pour le développement d’une réflexion critique sur le rôle de la science dans la mise en œuvre des ODD, qui constituent la base du Nouvel agenda de développement durable à l’horizon 2030, rappelant qu’AMU compte sur une cinquantaine de structures spécialisées dans l’étude du bassin méditerranéen. Le Président de AMU a mis l’accent sur la nécessité que, dans ce contexte académique et stratégique, le CICD offre à tous les citoyens de la planète, aux générations présentes et futures les mêmes espoirs d’opportunités et de coexistence pacifique, de travail, de bienêtre, d’éducation et de santé. Jean-Paul Moatti, Président Directeur Général de l’IRD, a souhaité que l’École d’été se pérennise et devienne l’occasion de réfléchir aux moyens de faciliter les transferts de technologies nécessaires à la réalisation des 17 ODD, y compris celui, fondamental, relatif au réchauffement climatique.

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« Sans la science, a ajouté M. Moatti, nous n’aurions pas ces ODD, sans elle la prise de conscience des conséquences du changement climatique et de l’accroissement des inégalités n’aurait pas eu lieu ; 1% des personnes les plus riches s’accaparent plus de la moitié des richesses de la planète ». Comment suivre et évaluer l’atteinte des 169 cibles prévues par le Nouvel agenda du développement durable ?, s’est-il encore demandé, estimant urgent de mettre en place une synergie entre les travaux des chercheurs afin qu’émergent des outils d’évaluation indispensables à la concrétisation des ODD. Il a précisé, qu’en ce sens, les chercheurs de l’IRD avaient fait des propositions portant, entre autres, sur des indicateurs de gouvernance et sur la façon dont la connaissance des milieux et l’exploitation raisonnée des sols peuvent contribuer à limiter l’effet de serre. JeanPaul Moatti a également souligné l’importance de mettre au point des dispositifs de collectes de données dans les différents milieux et populations visés par les ODD. « Nous manquons cruellement d’observatoires pour voir si les choses vont dans le bon sens en matière de développement durable à l’échelle de régions entières, comme par exemple la Méditerranée », a-t-il ainsi dit. Soulignant que l’idée de développement durable implique « l’idée de compromis », et que la croissance économique ne résout pas spontanément les crises sociales et les problèmes environnementaux, il a appelé à la recherche de nouveaux équilibres. À cet égard, il a relevé que « des ODD peuvent être contradictoires entre eux : si vous augmentez l’utilisation des intrants agricoles, vous allez peut-être mieux combattre l’insécurité alimentaire mais vous allez aussi polluer ». Après

avoir

rappelé

que

la

diplomatie

scientifique française

avait

obtenu

que

l’universalisation de la couverture maladie soit intégrée dans les ODD, il a aussi noté que l’atteinte de cet objectif, à court terme, pouvait ne bénéficier qu’aux couches moyennes « et non pas à celles qui en ont le plus besoin, celles les plus exposées aux maladies infectieuses ou à l’épidémie d’obésité, comme les jeunes, qui sont très nombreux en Méditerranée ». Le PDG de l’IRD a ainsi plaidé en faveur de solutions scientifiques pour initier des processus destinés à rendre la plus équilibrée et cohérente possible la réalisation des ODD. M. Moatti a déclaré que, dans ce contexte, la recherche francophone, dont les partenaires sont unis autour d’une langue et des valeurs communes et des partenariats Nord-Sud « équitables », souffrait encore d’un déficit de reconnaissance. « Ses contributions ne sont pas reconnues à leur juste valeur dans les grands débats internationaux ; elles n’aident pas assez à la prise de décisions », a-t-il constaté.

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Selon lui, les travaux de l’École d’été doivent, à leur niveau, participer du combat collectif pour faire mieux connaitre des analyses insuffisamment perçues par les décideurs. « Je salue l’initiative des chercheurs marocains, soutenue par les autorités de leur pays, pour que, dans le cadre de la COP22, qui aura lieu cet automne à Marrakech, s’institue à l’intérieur même du mécanisme de la CCNUCC une présence, effective et officielle, de l’Université de Rabat et de la recherche francophone. Cela constituerait un premier pas en avant vers la recherche de solutions aux problèmes que je viens d’évoquer », a-t-il dit. De leur côté, les responsables politiques et institutionnels, nationaux et locaux, ont attiré l’attention sur la nécessité de multiplier les rencontres internationales pour accélérer la recherche de solutions aux défis majeurs du développement durable. Caroline Sesia Blanchet, représentant la Chambre de commerce et d’industrie de Marseille Provence, a également indiqué que « disposer du réseau intelligent à tous les niveaux » était un moyen potentiellement décisif pour mettre véritablement le numérique au service du développement durable, et, ce faisant, dynamiser le territoire métropolitain en faisant des entreprises les premiers acteurs de la transition vers l’économie verte. Selon elle, Aix-Marseille Provence doit être la tête de réseau d’actions durables déployées jusqu’en Afrique subsaharienne. « L’Afrique, avec sa démographie, sa consommation, ses réseaux de communication est en train de changer la donne. Et, dans ce contexte, la Métropole peut être l’un de ses principaux points d’entrée en Europe », a-t-elle déclaré. Au nom de la Ville de Marseille, Marie-Laure Rocca-Serra, Déléguée à l’Enseignement Supérieure et à la Recherche, après avoir affirmé qu’Aix-Marseille Provence était une terre d’innovation internationale, a rappelé que, dès 2008, Marseille avait adopté le Plan Climat Énergie Territorial répondant aux engagements pris lors du Grenelle de l’environnement en termes de photovoltaïque et de renforcement de l’économie de la connaissance. Pour sa part, Ludovic Perney, Conseiller Régional à la Jeunesse, a assuré que PACA s’engageait « naturellement » aux côtés des fondateurs et participants de l’École d’été des ODD. « Vos travaux viendront enrichir une réflexion sur la réalisation du développement durable qui se doit d’être de grande ampleur », a-t-il indiqué, estimant que la connaissance avait le pouvoir de porter les êtres humains vers un développement « cohérent et prospère ». Thierry Queffelec, Secrétaire Général aux affaires régionales, représentant le Préfet de Région, a indiqué que les travaux de la première École d’été des ODD s’inscrivaient dans la 8 1ère Ecole d’été des Objectifs de Développement Durable – 8 au 13 juillet 2016 – Marseille, France


transition entre les COP21 et COP22. « Vos travaux, a-t-il ajouté, puisent ses thèmes de discussions dans les actions de l’IRD – un institut qui travaille avec les Sud, pour les Sud et dans les Sud – dans le domaine de la formation et de la recherche autour des questions de santé, d’alimentation et d’environnement ». Il a ainsi appelé les différents acteurs d’excellence, anciens et nouveaux, de la Région, comme l’IRD, l’École d’été et AMU, « première université francophone du monde », à œuvrer en synergies. « Le rôle premier de l’État et de la Région sera de pérenniser le projet de périodisation de vos ambitieux travaux », a-t-il dit aux instigateurs de l’École d’été des ODD. Pour continuer à faire de PACA la plateforme à vocation méditerranéenne et sud de la France en matière de recherche sur le développement durable et un pôle d’attractivité international, il a jugé nécessaire de diffuser l’idée « que, dans notre région, les choses marchent ; elles fonctionnent bien ! ». « Nous devons continuer à travailler ensemble, IRD, État, AMU, École d’été et autres. Et pour que votre initiative soit couronnée de succès, nous devons chasser en meute. Pour preuve de leur engagement à vous accompagner au-delà des premières phases d’installation de l’École d’été, l’État et PACA ont inscrit le projet CICD au CPER 2015-2020 », a également déclaré M. Queffelec. Il a invité les parties prenantes au projet d’École d’été des ODD à aider la diplomatie scientifique à rayonner « au service de la France et de la francophonie dans le monde, qui, a-t-il rappelé, concernera 700 millions de personnes à l’horizon 2050 ». Par ailleurs, la séance d’ouverture de la première École d’été des ODD a été marquée par la signature d’une convention de partenariats pour une chaire d’excellence « développement durable ». Cette convention a été signée par M. Berland, M. Moatti et Dominique Maraninchi, Président de l'IMéRA. Comme indiqué sur le site Web de l’IRD, « en vertu de cette chaire, des chercheurs étrangers seront accueillis en résidence à l’IMéRA, pour une durée de 10 mois, cela autour des approches interdisciplinaires du développement durable, notamment telles qu’elles sont déclinées au travers des ODD ».

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Les grands enjeux du développement, cadre institutionnel Avec la participation de : • • •

Delphine Borione, Secrétaire Générale adjointe Affaires Civiles et Sociales, Union pour la Méditerranée Anne-Marie Descôtes, Directrice Générale de la mondialisation, Ministère des Affaires Étrangères et du Développement International (MAEDI) Raouf Boucekkine, Directeur scientifique de l’IMERA, AMU, Conseiller économique du premier ministre d'Algérie

Au cours de cette discussion, l’Union pour la Méditerranée (UPM), par la voix de sa Secrétaire Générale adjointe aux affaires civiles et sociale, Delphine Borione, a considéré que la réalisation des ODD nécessitait une vision commune et des actions concertées. « Les ODD, après les OMD, nous obligent à répondre aux aspirations des peuples et à assurer l’avenir des générations futures », a dit Mme Borione, estimant que le destin du Nord et du Sud étaient liés en cela que « sécurité et développement vont de pair ». Confiante dans la capacité des États à s’approprier les politiques de développement durable, elle a estimé que les transformations requises pour atteindre les ODD à l’horizon 2030 étaient « à notre portée ». Elle a expliqué, qu’à cette fin, l’UPM œuvrait au renforcement de la coopération régionale pour réduire les disparités en matière d’échanges commerciaux inter-régionaux : « 9% seulement des échanges ont lieu entre pays du Nord et du Sud et 1% entre pays du Sud », a-t-elle en effet constaté. Elle a insisté sur le fait que les réponses aux problèmes de l’emploi, de la condition des femmes, de la pollution, de l’eau ou encore de la consommation énergique ne pouvaient être uniquement des réponses nationales. « Le Secrétariat de l’UPM s’efforce de combiner cadres nationaux et objectifs internationaux », a encore indiqué Delphine Borione, qui a rappelé les 3 piliers de l’action régionale de l’Union : le cadre politique, qui se traduit en programmes opérationnels définissant un agenda commun relatif aux différentes problématiques à l’ordre du jour de l’UPM ; les dialogues régionaux, destinés à mettre au point des plans d’action et des initiatives spécifiques; les projets concrets, qui répondent aux besoins fondamentaux des populations de la région. Sur ce dernier point, elle a indiqué que 45 projets, approuvés par les 43 États Membres de l’Union, avaient été lancés à ce jour et cela pour un coût global de 5 Mds d’euros. « Il s’agit pour l’essentiel de prêts pour de grands projets d’infrastructures et des projets de 11 1ère Ecole d’été des Objectifs de Développement Durable – 8 au 13 juillet 2016 – Marseille, France


développement socioéconomique », a-t-elle précisé, ajoutant que cette politique avait pour visée le renforcement du lien fondamental entre sécurité et développement. Mme Borione a déclaré que les actions de l’UPM, « qui touchent à l’avenir même des sociétés », étaient « parfaitement alignées » sur les ODD. Elle a évoqué à ce propos l’emploi des jeunes et la croissance inclusive, via l’initiative Med4Jobs, le rôle des femmes, qui fera l’objet en octobre prochain d’un dialogue régional, et le développement durable, à travers le Programme de protection du lac Bizerte. Se référant aux crises qui secouent les « pays partenaires de la rive du Sud de la Méditerranée », Delphine Borione a souligné que la promotion du développement durable et les activités de maintien de la paix ne devaient pas être des tâches « divisées et compartimentées ». Directrice Générale de la mondialisation au Ministère des affaires étrangères et du développement international, Anne-Marie Descôtes a salué les avancées en matière de développement durable en 2015, depuis la conférence d’Addis-Abeba sur le financement jusqu’à l’adoption de l’accord de Paris à l’issue de la COP21 en passant par l’adoption des ODD à New York lors de la 70ème Assemblée générale de l’ONU. Elle a assuré, qu’à toutes ces étapes, la France avait pesé de tout son poids dans les négociations des documents finaux. S’attardant sur le Nouvel agenda du développement durable à l’horizon 2030, Mme Descôtes a estimé qu’il inaugurait un nouveau paradigme exigeant de répondre autrement aux défis de la mondialisation, « c’est-à-dire de façon totalement globale et intégrée ». À l’aune du Brexit et des conflits sévissant au Sud de la Méditerranée, elle a appelé à l’atteinte de solutions adaptées aux besoins réels des communautés mais « élaborées en tenant compte de la dimension universelle du développement durable ». « Cette nouvelle feuille de route que sont les ODD, a-t-elle dit, nécessite de trouver des réponses à des enjeux multidimensionnels et à des défis qui ne s’arrêtent pas aux frontières. Les politiques de développement et de solidarité des États ne peuvent plus être nationales : elles doivent être globales. Et nous devons nous appliquer à nous-mêmes un même degré d’exigence ». À cet égard, elle a expliqué qu’au plan national, la France s’était dotée en juillet 2014 d’une loi sur les orientations de la politique de développement et de solidarité internationale partant du principe, qu’aujourd'hui, le développement international se conjugue avec le développement durable. Mme Descôtes a aussi précisé que le processus de négociation de

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la loi avait été inclusif et que cette même approche devait prévaloir dans sa mise en œuvre comme dans celle des ODD. « Les enjeux du développement durable touche toutes les politiques gouvernementales », at-elle souligné, ajoutant que le Ministère des affaires étrangères et du développement international exerçait sa tutelle auprès des opérateurs et organismes publiques de terrain afin de s’assurer de la mise en œuvre cohérente de l’agenda du développement durable de la France. Sur ce sujet, elle a salué le rapprochement de l’AFD et de la Caisse des dépôts voulu par l’Élysée pour développer plus avant les prêts aux pays du Sud. Au plan international, elle s’est demandée comment l’Union Européenne, « qui est le cadre premier dans lequel nous agissons à cette échelle », allait pouvoir avancer en matière de développement sans un partenaire aussi important que la Grande-Bretagne. Elle a également appelé à la mobilisation des ressources domestiques et du secteur privé pour mettre en œuvre le Nouvel agenda du développement durable, « l’argent public ne pouvant plus tout financer », et insisté sur le devoir de redevabilité, qui, a-t-elle insisté, est le cœur du nouveau paradigme global. « Parce que la France se veut exemplaire, nous allons dès la semaine prochaine, lors de la MED COP 22 à Tanger, rendre des comptes quant à nos actions de développement durable », a-t-elle ainsi annoncé. « Nous avons été actifs dans les négociations internationales, nous le serons dans la mise en œuvre des 17 ODD », a-t-elle promis, souhaitant vivement que l’École d’été devienne un lieu d’échanges stimulant et un moyen d’accès aux informations scientifiques les plus utiles à la réalisation du développement durable en Méditerranée. « Le développe durable est aussi une question de cœur, et, sur le terrain les choses, sont toujours différentes » a poursuivi Raouf Boucekkine, Directeur scientifique de l’IMERA (AMU). Évoquant ses actions de terrain, le conseiller économique du premier ministre de l’Algérie a tenu à saluer les ONG et les associations, dont la présence sur place « est au moins aussi importante que celle des chercheurs ». Pour M. Boucekkine, les ODD ont ceci d’intéressant et de nouveau par rapport aux OMD qu’ils instaurent un cadre de développement durable « pour tous ». « Ces 17 ODD sont l’affaire de tous, du Nord comme du Sud, ce qui est une bonne chose, y compris pour le financement et la nécessité de revoir le rôle des institutions de la gouvernance mondiale », a-t-il dit. Il s’est néanmoins interrogé sur les conséquences de cet élargissement de l’assiette géographique, qui « complique nécessairement les choses » : « Quels indicateurs élaborer 13 1ère Ecole d’été des Objectifs de Développement Durable – 8 au 13 juillet 2016 – Marseille, France


pour comparer, par exemple, la criminalité entre le Nord et le Sud ? », a-t-il demandé, préconisant, d’autre part, une réalisation des ODD cohérente et partant des réalités du terrain. « Pour dépasser les contradictions entre les 17 ODD, il faut s’adapter au terrain, en combinant des approches micro et macro », a-t-il expliqué avant de se placer du point de vue africain. « Si l’on se situe dans cette optique, et sachant que l’Afrique a insisté pour que le renforcement

des

considérations

environnementales

n’entraîne

pas

un

recul

de

l’engagement d’éradiquer la pauvreté, on se dit, qu’à l’arrivée, les ODD, c’est beaucoup d’environnement au détriment de la pauvreté. Or le cercle vicieux pauvreté-dégradation de la nature-conflits est avéré ». M. Boucekkine a plaidé pour une écologie de la pauvreté qui étudierait de manière approfondie cette relation complexe et problématique. Revenant sur son expérience dans le Sud-Kivu, il a insisté sur la résistance aux changements dans les régions rurales et les conséquences néfastes de la réduction des flux d’APD vers l’Afrique, qui, selon l’OCDE, « ont déjà diminué de 10 % en termes réels en 2012, et d’environ 5 % en 2013 ». « De fait, a ajouté M. Boucekkine, la relation entre pauvreté et dégradation de l’environnement va dans les deux sens. De plus, la situation économique dans nombre de pays du Sud ne permet pas d’envisager d’amélioration notable, une perspective sombre de l’ONU que renforcent le ralentissement de l’activité chinoise depuis un an, les crises pétrolière et migratoire en cours et le terrorisme, dont la lutte absorbe énormément de ressources », a-t-il encore constaté. « Que va-t-on recevoir, que peut-on mobiliser ? Des ressources privées ? Il y en a très peu en Afrique. Il faut donc trouver d’autres mécanismes, comme les fonds régionaux, et dépenser mieux », a préconisé le directeur scientifique de l’IMERA. Sur la résistance au changement de communautés rurales souvent régies par le droit coutumier, il a indiqué que les lois ne suffisaient pas pour régler, en particulier, des différends fonciers. S’appuyant sur son expérience en République démocratique du Congo, il a expliqué que l’exploitation illégale de richesses minières, dont le coltan, était une cause de conflit international permanent et un facteur déterminant de dégradation de l’écosystème forestier dans le Sud-Kivu. Dans le cadre d’un plan de coopération initié par la Belgique de 2003 à 2008, et qui avait pour but d’augmenter le revenu des paysans, M. Boucekkine s’est rendu compte que la résistance au changement, véritable « inertie culturelle », était « encore plus problématique que l’absence de l’État et l’insécurité dans cette région ». Dans un tel contexte, a-t-il précisé, l’adoption de technologies supérieures est perçue comme un risque économique et celle de 14 1ère Ecole d’été des Objectifs de Développement Durable – 8 au 13 juillet 2016 – Marseille, France


normes pro-environnementales contre l’exploitation abusive des ressources naturelles est très difficile car la survie des populations est en jeu. Pour surmonter ces obstacles, Raouf Boucekkine a plaidé pour des approches participatives, soulignant que c’est « au quotidien qu’il faut responsabiliser les gens pour empêcher le déboisement et limiter les effets délétères de l’agriculture vivrière sur l’environnement ». Comme il est impossible d’imposer une agriculture intensive dans ces zones rurales, a-t-il reconnu, ou d’y instaurer rapidement une production diversifiée pour sortir des pièges de monocultures non-résilientes, mettre en place une politique de développement capable de surmonter les rigidités les plus tenaces est, sur nombre de terrains, « extrêmement difficile ».

Échanges avec la salle - M. Boucekkine a estimé que la mobilisation des citoyens était primordiale pour réaliser les ODD « qui les concernent au premier chef ». À l’instar d’autres intervenants, il a insisté sur le fait que le développement durable était une question de comportement avant de concerner les seules infrastructures des pays. - Au cours de la discussion, outre la sensibilisation des populations aux enjeux des ODD, il a été rappelé à plusieurs reprises la nécessité de coupler observation locale, action menée à cette échelle et plans d’envergure nationale et régionale. - M. Boucekkine a par ailleurs réagi aux propos de Mme Descôtes selon lesquels le développement socioéconomique du Sud ne devait plus dépendre de l’allocation de l’aide publique. « Les ressources nationales et les fonds privés ne peuvent pas se substituer à l’APD, en raison notamment de la quasi-absence de places financières dans les pays en développement », a-t-il lancé. - Les ODD engageant tant le Nord que le Sud, les ressources doivent être mobilisées de manière innovante et à une échelle adaptée aux besoins réels, a-t-il également été dit. Afin de répondre à ces besoins réels, Mme Descôtes a appelé à la mise en place de plateformes multi-acteurs, « y compris les autorités locales et la société civile », chargées d’apporter des solutions « sur-mesure » et innovantes aux communautés. - Mme Borione et Pierre Jacquemot (GRET) ont appuyé ces propos, ce dernier soulignant la nécessité d’identifier le foisonnement d’acteurs et candidats à des actions de solidarité internationale.

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Pour M. Jacquemot, ces acteurs et candidats – ONG, syndicats, fondations, agences, entreprises –, peuvent également aider à redéfinir la fonction même de l’APD, « composante parmi d’autres du développement ». - Aux intervenants qui soulignaient que l’application de solutions sur-mesure prend du temps et est très couteuse – les missions s’échelonnant sur des décennies et mobilisant une quantité importante de personnels spécialisés, en particulier dans le transfert de compétences aux locaux –, Mme Descôtes a indiqué qu’une révolution copernicienne était nécessaire. - « Bailleurs de fonds, acteurs de terrain, contributeurs étrangers : tout le monde doit œuvrer pour faciliter l’appropriation des programmes de développement par les citoyens. Ceux-ci ont moins besoin de consultance et d’expertise que de faire leur la mise en œuvre des ODD. Cela prendra du temps mais, au final, cette tâche doit leur revenir », a-t-elle clamé. - Sur la réduction de la part française d’APD, Mme Descôtes a souhaité que cette manne serve de levier de développement et rappelé que les besoins identifiés outrepassaient de beaucoup l’aide publique disponible. « Nous n’envisageons pas de substitution. Nous disons plutôt qu’il existe d’autres ressources, comme les envois de fonds de migrants et celles générées par les partenariats public/privé, les fameux fonds verticaux qui sont très efficaces en matière de santé primaire », a-t-elle noté. - Sur ce dernier point, il a été souligné la nécessité de réfléchir plus avant aux conditions financières et juridiques dans lesquelles ces partenariats sont noués, cela pour éviter que les populations ne puissent en bénéficier pleinement. - Pour mettre en œuvre les ODD, « qui fait quoi et comment les rôles doivent-ils être répartis ? », se sont également demandés les intervenants. Si les ONG, qui se sont largement professionnalisées ces dernières années, doivent occuper un rôle de premier plan, les chercheurs doivent se mobiliser plus efficacement pour peser autant sur le terrain qu’ils ont pesé lors des négociations sur le Nouvel agenda du développement durable à l’horizon 2030, a-t-il été dit. - Il faut également mettre la question du travail des femmes au cœur des projets, a-t-il été souligné à plusieurs reprises. L’importance déterminante du rôle des États et l’appui, logistique et financier, à la mise en œuvre de leurs stratégies nationales de lutte contre la pauvreté ont également été rappelés. - M. Boucekkine, revenant sur les partenariats privé-public, a considéré que l’expertise déployée dans le cadre de leur exécution devait être mise à disposition « gratuitement » par 16 1ère Ecole d’été des Objectifs de Développement Durable – 8 au 13 juillet 2016 – Marseille, France


les organismes internationaux, sinon « les pays continueront d’être floués ». Il a par ailleurs insisté sur l’importance de synchroniser la réalisation du développement durable au Nord comme au Sud, cela en renforçant la coopération entre l’UE et le Maghreb. - Pour les pays du Sud, vulnérables aux crises politiques et économiques, et dans lesquels la croissance dépend du niveau d’investissement public, M. Boucekkine a expliqué que la solution passée par un rabotage des dépenses, l’optimisation fiscale et la combinaison de financements internes (emprunts nationaux, développement des marchés financiers et bancaires) et de financements externes moins coûteux à court terme. - « C’est dans ce cadre, a-t-il dit, que doivent être recherchés des partenariats innovants pour co-financer des investissements structurants et la transition énergétique ». - Mme Borione, réagissant aux interventions, a plaidé en faveur d’un dialogue élargi à la totalité des parties prenantes, la définition des indicateurs de mesure des progrès accomplis ne pouvant, selon elle, « venir que des acteurs eux-mêmes ». - Contre le tout-public ou le tout-privé, les participants à l’échange ont opté pour l’émergence d’un cadre de coopération associant « réellement » les deux dimensions pour renforcer in fine l’efficacité de l’aide au développement. Ils ont reconnu qu’il fallait cesser d’agir « pour » l’acteur/bénéficiaire final mais « avec lui », en partant des besoins du terrain.

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Le financement des Objectifs du Développement Durable Avec la participation de : • • •

Teresa Ribera, Directrice de l'Institut du Développement Durable et des Relations Internationales (IDDRI), ancienne Secrétaire d'État espagnole aux changements climatiques Philippe Orliange, Directeur exécutif stratégie à l'AFD Bernard Ziller, Senior economic adviser, Banque Européenne d'Investissement (BEI)

Afin d’appréhender les problématiques de financement des ODD, Teresa Ribera, Directrice de l’Institut du développement durable et des relations internationales a présenté quelques éléments de cadrage. Les ODD sont en quelque sorte un élargissement des droits civils construits au cours des siècles précédents, qui viserait une prospérité partagé par tous dans le respect des limites physiques et biologiques de la planète. Il s’agit aussi d’une reconnaissance de la capacité des citoyens à se montrer beaucoup plus influents et pressants vis-à-vis de leurs gouvernements et des grandes institutions publiques et privées au regard des défis qui s’annoncent. Dans un cadre global composé de variables toujours plus interdépendantes, il est nécessaire de gagner en cohérence au niveau des décisions d’investissement, qu’elles soient publiques ou privées. Cela étant, il est essentiel de ne pas négliger l’aide au développement. En effet, s’il est bien un principe clé à respecter dans un contexte d’interdépendance, c’est celui de la solidarité, afin d’assurer une prospérité partagée par tous. La question n’est plus celle du développement versus préservation de l’environnement, mais de la bonne affectation des

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fonds publics au regard d’un principe de solidarité fort et en cohérence avec les autres flux d’investissement. Au cours des dernières années, un certain nombre de démarches engagées par les banques de développement, des investisseurs privés, des investisseurs publics, etc. ont donné lieu à des expériences intéressantes dans le domaine du développement durable. Cependant, des contradictions demeurent. Certes, des situations s’améliorent et des progrès sont observés, mais des points noirs persistent et pénalisent parfois les actions entreprises. Afin de restaurer la confiance des populations dans les systèmes et favoriser la mobilisation des citoyens, il convient de s’appuyer sur un certain nombre de principes énoncés dans le « Programme d’action d’Addis-Abeba » relatif au financement du développement. Toutefois, les éléments clés et l’ambition de ce texte ne sont pas compris, ni intégrés par le grand public. Il apparaît donc indispensable de soutenir les efforts d’éducation et le débat public ces prochaines années. Teresa Ribera a ensuite attiré l’attention sur les défis à relever afin de mettre en œuvre des actions propices au développement durable. Il convient en premier lieu de définir un cadre institutionnel, ainsi que des politiques publiques. Ces éléments doivent faire l’objet d’une prise de décision consciente afin d’assurer l’adhésion des populations. Second défi, celui de la mobilisation des flux financiers. Outre les flux publics internationaux, qui permettent de garantir le principe clé de solidarité, comment mobiliser les flux publics domestiques ? Cette question soulève à la fois des problématiques fiscales, délicates à résoudre, et de transparence de la gouvernance. L’enjeu porte également sur les flux domestiques privés et leur destination. Il s’agit de développer des systèmes financiers solides afin d’accompagner les investissements et s’assurer qu’ils contribueront au développement et au soutien des actions de la communauté internationale. Enfin, il conviendra d’explorer la piste des flux internationaux privés, qui obéissent généralement à une logique de court terme et utilitariste, afin de les réorienter en faveur des ODD via des partenariats public/privé par exemple. Autre condition nécessaire au financement des ODD, l’évolution des banques de développement qui doivent également gagner en cohérence. Certes, des efforts ont été observés afin de privilégier les projets durables, mais le processus décisionnel n’intègre pas encore de critères de durabilité qui devraient pourtant être une référence. Jusqu’à présent, seuls les projets relatifs aux énergies renouvelables, infrastructures ferroviaires, etc. relèvent du développement durable aux yeux de ces structures. Il leur est difficile de définir des éléments tangibles et homogènes susceptibles d’éclairer les décisions d’investissement, quel que soit le secteur concerné. 19 1ère Ecole d’été des Objectifs de Développement Durable – 8 au 13 juillet 2016 – Marseille, France


Par ailleurs, Teresa Ribera s’est interrogée sur la nécessaire évolution des normes. Comment intégrer la dimension sociale afin d’accompagner les populations les plus défavorisées ? Comment permettre l’accompagnement des projets vers la durabilité par le biais de dispositifs financiers, fiscaux, etc. ? A cet égard, l’accord de Paris a appelé les pays parties prenantes aux négociations à formuler des stratégies de développement à faible émission de gaz à effet de serre d’ici 2020. Ils définiront alors des dispositifs de décarbonisation en cohérence avec les ODD, ainsi que des éléments économiques et financiers incitatifs, ce qui soutiendra l’investissement en faveur du développement. Enfin, Teresa Ribera est revenue sur le principe du « no one left behind », inscrit en soustitre des objectifs de développement durable. A ce titre, la communauté internationale s’engage à ne laisser personne derrière. Comment faire en pratique ? Est-il nécessaire de provisionner un budget international dédié ? Avec quelles contributions ? Ce point appelle des réponses innovantes, au-delà des dispositifs élaborés et mis en place par les états modernes jusqu’à présent. En conclusion, Teresa Ribera se réjouit de l’organisation de la première Ecole d’Été des Objectifs de Développement Durable, qui contribuera à travailler sur les réponses à apporter aux questions et aux enjeux de financement qu’elle a évoqués. En écho à l’intervention de Teresa Ribera, Philippe Orliange, a félicité le monde académique et le Campus international pour la coopération et le développement pour son initiative qui permettra d’attirer davantage l’attention sur les ODD. Afin de cerner les enjeux de financement des ODD, Philippe Orliange a rappelé en premier lieu les grandes missions de l’aide publique au développement : •

la substitution aux ressources domestiques et aux transferts internationaux privés, notamment pour les PMA et en crise ;

l’accompagnement et l’appui aux réformes ;

la facilitation des transferts privés internationaux là où ils sont nécessaires, les acteurs publics internationaux assumant des risques que les investisseurs privés ne prendraient pas ;

l’aide à l’investissement dans les infrastructures.

Cependant, si l’aide publique au développement constitue une source de financement importante, à hauteur de 140 à 150 milliards de dollars par an, elle n’en demeure pas moins minoritaire au regard du montant des flux internationaux. Au total, les financements publics internationaux toutes catégories confondues représentent 245 milliards de dollars, l’épargne brute dans les pays en développement s’élevant à 8 000 milliards et les ressources fiscales à 2 800 milliards. Au regard de ces sommes, les ODD apparaissent déjà financés. 20 1ère Ecole d’été des Objectifs de Développement Durable – 8 au 13 juillet 2016 – Marseille, France


Cependant, « le problème est que la nature des éléments financés n’est pas satisfaisante du point de vue des ODD, même si l’affichage publicitaire l’est ». Tout l’enjeu consiste à orienter l’épargne disponible vers les pays qui la nécessitent et faire en sorte que les investissements privilégient la durabilité, ainsi qu’une croissance davantage créatrice d’emploi. Par ailleurs, Philippe Orliange a souligné que de nouveaux enjeux voyaient le jour avec les ODD. En effet, ceux-ci ont pour caractéristique première l’universalité géographique. Désormais, aborder la question du financement du développement dans une perspective de flux nord-sud est obsolète. Pour sa part, la France présentera la déclinaison de politiques publiques qu’elle souhaite mettre en œuvre au cours du mois de juillet. Néanmoins, des tensions sont perceptibles au niveau du pilotage des ODD. Echoit-il au Ministère de l’Écologie de prendre la main sur des thématiques beaucoup plus vastes que son champ de compétences qui requièrent des coopérations internationales ? A ce titre, suivre et piloter les ODD consiste non seulement à soutenir l’effort des pays moins avancés dans l’atteinte de ces objectifs, mais aussi à participer à la fourniture des biens publics mondiaux qui appellent d’autres financements que l’APD. Autre caractéristique, l’universalité thématique. « Tout est dans les ODD ou presque ! » a fait remarquer Philippe Orliange. Néanmoins, ces objectifs sont le fruit d’un accord politique ratifié par près de 200 pays, qui adhèrent à une vision collective. Ils ont été définis à l’issue de consultations exhaustives et de négociations, ce qui a permis de restaurer la légitimité de certains secteurs (infrastructures, mobilisation de l’épargne locale, etc.) et de faire converger développement et climat. A titre d’exemple, 50 % des financements développement de l’AFD doivent présenter un co-bénéfice climat. En l’absence de cadre opérationnel, le risque consiste à prioriser et privilégier certains ODD au détriment d’autres a alerté Philippe Orliange. Les Objectifs de Développement Durable ne sont pas sécables, ce qui constitue à la fois leur complexité et leur force. Cela étant, l’ensemble des ODD représente davantage que la somme des 17 thèmes pris individuellement. C’est le reflet d’un monde complexe, ce qui explique que les ODD sont indivisibles, intégrés et interconnectés. Ils questionnent donc la cohérence des politiques de développement et remettent ce sujet au premier plan. Pour sa part, l’AFD a choisi de se concentrer sur les freins aux progrès et les facteurs limitants qui pénalisent les pays et les sociétés, ce qui suppose une analyse fine des situations et des diagnostics participatifs. Une nouvelle approche des priorités est ainsi indispensable, parfois à l’encontre des désirs à court terme des financeurs. Troisième caractéristique des ODD, le retour des économies politiques du développement qui soulève le besoin de réponses aux problématiques d’inégalités et de gouvernance. En

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effet, les ODD, de par leur transversalité, ont remis les process au centre de la réflexion. Dans ce cadre, il est indispensable de comprendre la complexité des situations, d’anticiper les impacts et de s’inscrire dans des logiques de transition. Philippe Orliange a ainsi évoqué l’exemple du climat, considéré à l’origine comme une problématique sectorielle et un sousthème de l’environnement. Désormais, les banques de développement s’efforcent collectivement de mettre en œuvre une politique de mainstreaming qui place les objectifs Climat au cœur des stratégies. Au-delà des Etats, tous les acteurs (publics, privés, associatifs, etc.) sont concernés par les ODD, et ce à tous les niveaux. Les négociations conduites en 2015 ont vu apparaître de nouveaux interlocuteurs : les acteurs locaux et les fondations privées. L’offre de financement international s’est extrêmement diversifiée, avec les acteurs multilatéraux dont la part à tendance à diminuer, les banques régionales de développement qui vont voir leur rôle s’accroître, les fonds verticaux globaux et thématiques, les institutions de l’Union Européenne dont les banques de développement, les bailleurs bilatéraux, les nouveaux donateurs bilatéraux, les ONG, les collectivités locales, les fonds d’investissement, etc. Face à une offre quelque peu émiettée, Philippe Orliange a mis en avant la nécessité de rester focalisé sur la demande et sa bonne compréhension sachant qu’elle émane de plus en plus des collectivités locales et des acteurs financiers locaux, outre les Etats. La capacité d’un financeur du développement à traiter avec tous les acteurs de terrain constitue dorénavant un élément de sa pertinence. L’AFD, grâce à ses différents outils financiers, répond à la fois aux besoins des Etats, des collectivités, des ONG, des entreprises, etc. en direct dès lors que l’Agence en a la possibilité. Cette action est susceptible de concerner non seulement les pays les moins avancés mais aussi les pays à revenus intermédiaires. L’une des conséquences de la demande nouvelle que traduisent les ODD est la montée en puissance de nouvelles méthodes d’intervention visant à apporter un appui à la gouvernance et soutenir les acteurs locaux de développement davantage reconnus depuis la conférence d’Addis Abeba, ainsi que la société civile. Dans ce cadre, la boîte à outils idéale doit faire la part belle au mixage prêt-don, l’injection d’argent public provoquant un effet de levier et de démultiplication financière sur la masse de prêt public. En conclusion, Philippe Orliange a fait part du rapprochement de l’Agence Française de Développement avec la Caisse des Dépôts et Consignations, sachant que cette institution structure son soutien à quatre grandes transitions : écologique et énergétique, sociale, territoriale et numérique et technologique. La mise en œuvre des ODD en termes d’accompagnement des transitions est un champ pertinent à creuser, y compris au niveau des transitions politiques qui recouvrent la prise en charge des vulnérabilités, de l’accompagnement de l’évolution des institutions, etc. En l’état actuel des réflexions, il s’agit 22 1ère Ecole d’été des Objectifs de Développement Durable – 8 au 13 juillet 2016 – Marseille, France


d’un domaine dans lequel la France est susceptible de s’illustrer et de contribuer efficacement à l’agenda de l’après-2015. En introduction de son propos, Bernard Ziller a rapidement passé en revue les missions de la BEI. Cette institution européenne, en charge du financement des investissements publics et privés, vise un développement équilibré de l’Europe depuis sa création en 1958. Néanmoins, elle consacre également 10 % de son activité à la promotion des politiques de l’Union hors de l’UE depuis 1963. De fait, elle est devenue un opérateur de financement du développement dans un certain nombre de domaines, en lien avec l’évolution de la conception du développement qui se reflète d’ailleurs dans les ODD. En effet, avec l’élargissement de la palette des précédents Objectifs du Millénaire, l’investissement apparaît comme un élément prépondérant des problématiques de développement qui incluent désormais des secteurs tels que celui des infrastructures. En ce sens, la BEI devient un contributeur pertinent à la réalisation des Objectifs de Développement Durable. A l’instar des précédents intervenants, Bernard Ziller a mis en avant le caractère ambitieux et l’exhaustivité des ODD, qui intègrent des défis environnementaux, sociaux ou d’équité audelà de la dimension durabilité. Il est d’ailleurs à noter une certaine complémentarité entre différents objectifs. Par une même action, il est ainsi possible de contribuer à la réalisation de plusieurs ODD, mais de produire des effets négatifs sur d’autres. Cette complexité et les conflits potentiels sont à prendre en compte dans la conception des politiques et des interventions. Dans ce cadre, l’évaluation doit être mise en œuvre au niveau national. Cependant, au-delà de la pléthore d’indicateurs à suivre, certains domaines sont difficiles à mesurer sur un plan conceptuel, d’autres ne peuvent être pris en compte par certains pays confrontés aux limites de leurs capacités d’analyse statistique, etc. En outre, il est pour le moins complexe d’établir un lien de causalité entre une intervention et un résultat, même s’il est toujours tentant pour une institution de s’attribuer un progrès grâce à son intervention. Autre élément à garder à l’esprit selon Bernard Ziller, le caractère partagé des responsabilités, ainsi que la pluralité des interventions et des acteurs. A cet égard, il a mis l’accent sur un acteur particulier : le secteur privé, qui est fortement sollicité sur les problématiques de financement dans le cadre post-2015. En effet, au regard de la portée des ODD, le coût est d’autant plus élevé et le recours aux capitaux privés s’avère indispensable afin de compléter les engagements des actuels bailleurs de fonds. L’enjeu consiste à mieux piloter l’épargne du secteur privé, sachant qu’une certaine défiance demeure vis-à-vis des flux financiers privés qui apparaissent servir davantage la notion de profit que de développement. Or cette contradiction peut être surmontée en alignant ces

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objectifs, certains acteurs s’étant déjà engagés dans une démarche délibérée de développement à l’instar des grands philanthropes. Le défi consiste à démontrer au plus grand nombre que la recherche du profit et le désir de développement peuvent être compatibles. Le monde des affaires n’a pas à renier sa nature économique. La tendance est déjà à une meilleure prise en compte de la responsabilité sociale des entreprises, mais il faut les accompagner pour investir où il se doit. La multiplicité des acteurs implique leur nécessaire coordination. Selon Bernard Ziller, celleci passe par l’appropriation par les pays eux-mêmes, qui ont un intérêt direct à le faire et à piloter les flux en bonne intelligence avec les parties prenantes. S’agissant du financement, les effets d’un investissement ne sont pas mécaniques. « Bien sûr, le financement en tant que tel est un élément essentiel, mais de nombreux autres ingrédients sont tout aussi importants. » a mentionné Bernard Ziller avant de souligner l’impact des mesures prises par les Etats eux-mêmes afin de créer des conditions favorables au développement, notamment en termes d’attractivité pour les investissements. Une gouvernance orientée vers la transparence, des institutions solides et la mobilisation des ressources locales sont des prérequis indispensables, le financement étant en quelque sorte second. De plus, l’effet d’échelle est un élément crucial en termes de financement des ODD, sachant que leur coût sera quatre fois supérieur à celui des Objectifs du Millénaire au regard des projections de la Banque Mondiale. Certes, les fonds publics de développement s’accroissent, mais ils demeurent relativement modestes et loin d’être suffisants pour permettre à eux seuls de financer les ODD. Il est donc nécessaire de mobiliser des ressources supplémentaires, notamment locales, à travers le déploiement d’un cadre fiscal adéquat. Cet effort est à accomplir également au niveau des pays développés, qui voient leurs ressources fiscales potentielles détournées vers les paradis fiscaux faute d’optimisation du système en place. Autre piste à explorer, les ressources locales privées, mais aussi extérieures qui ne sont pas mécaniquement investies comme il se doit. Les institutions publiques de développement ont vocation à jouer un rôle de pont en faveur de la mobilisation des ressources. Elles disposent en effet des instruments, de la connaissance et de l’expérience nécessaires à une meilleure orientation des fonds privés. Outre le soutien à l’ingénierie financière, l’enjeu consiste à mettre en place les conditions propices aux investissements. Il importe également de développer des projets bankables audelà des idées, ainsi que la gestion des risques. Ceux-ci doivent être connus et évalués, afin de définir des méthodes pour les compenser, les réduire et faire franchir le pas de

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l’engagement aux acteurs privés. Il est ainsi un équilibre à trouver dans la répartition coûts/avantages entre les investisseurs et les bénéficiaires. « Un vrai défi se pose au niveau des infrastructures. » a souligné Bernard Ziller. En termes de financement, il convient de tenir compte à la fois du contexte macro-économique et de la nature des investissements. En effet, certains projets relèvent davantage de l’intérêt public alors que d’autres présentent un véritable potentiel commercial. A titre d’exemple, du fait de conditions favorables, de nombreux pays se sont endettés sur les marchés financiers internationaux ces dernières années, et ce à un coût financier élevé. Or cette stratégie est dangereuse dès lors qu’elle concerne des activités, certes essentielles pour le développement, mais qui ne seraient pas rentables. Il est ainsi préférable, pour ce type de projets, de faire appel à des financements publics concessionnels ou partiellement concessionnels, sachant qu’il sera nécessaire de faire des choix en fonction des volumes disponibles. Pour les projets d’infrastructures à potentiel commercial, le défi est de l’ordre de l’innovation et appelle l’élaboration de nouveaux instruments financiers, de type plate-forme avec une combinaison flux privés/fonds publics. Tout l’enjeu consiste à réduire les risques pour les investisseurs afin que les mécanismes traditionnels de la finance privée orientent vers le développement des sommes substantielles et permettent de changer d’échelle. « Si nous ne le faisons pas, nous risquons d’assister à une simple augmentation graduelle des financements, donc très loin des besoins considérables que posent les ODD. » a conclu Bernard Ziller.

Échanges avec la salle - En écho à la présentation de Bernard Ziller, plusieurs participants ont mis en évidence les contraintes et les biais de la finance internationale appelant ainsi à la définition de nouveaux outils et systèmes, à un soutien accru au montage de projets, au contrôle des sommes investies, à une coordination renforcée et à une meilleure évaluation des programmes et de l’intervention des institutions financières. - Les participants ont également attiré l’attention sur la valorisation des expériences conduites à micro-échelle, susceptibles d’apporter des enseignements, ainsi que sur les difficultés de financements des petits projets de développement. - Revenant sur le positionnement du secteur privé vis-à-vis des ODD, Philippe Orliange a souligné l’existence d’un fort intérêt et d’une volonté d’implication dans de nombreux pays. A titre d’exemple, la mobilisation du secteur privé vis-à-vis des enjeux climatiques à l’occasion de la COP21 a été significative au-delà de l’engagement philanthropique. Les entreprises ont 25 1ère Ecole d’été des Objectifs de Développement Durable – 8 au 13 juillet 2016 – Marseille, France


pris conscience des problématiques induites par le changement climatique et s’inscrivent dans une stratégie de réponse. « A la différence des OMD, les ODD sont un agenda universel. » a rappelé Philippe Orliange. Dans ce cadre, la stratégie macro est claire a-t-il considéré, tout en mettant en avant l’intérêt du financement et d’un accompagnement des acteurs locaux, publics et privés, dans la mise en œuvre des ODD. C’est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles un objectif de gouvernance et de qualité des institutions a été mentionné dans les ODD. « Il est important d’avoir les bons outils pour financer les politiques publiques. La réponse au problème de financement associé aux ODD ne doit pas être la multiplication des projets, mais le développement d’autres modalités telles que les financements programmatiques. » a indiqué Philippe Orliange. De même, il a fait part de l’existence d’outils de financement des ONG pour les projets de moindre ampleur, en partenariat avec l’Agence des Micro-Projets. Par ailleurs, Philippe Orliange a jugé qu’il ne serait pas souhaitable de créer un fonds dédié aux ODD, à l’instar du Fonds vert Climat, qui reviendrait à nier les Objectifs de Développement Durable. Le fonds vertical peut être pertinent pour des problématiques d’épidémie mondiale (tuberculose, sida, etc.), mais il ne répond pas au besoin de structuration et de renforcement des systèmes nationaux. Le financement des États demeure également indispensable afin de garantir la stabilité des autorités. En réponse à une intervention sur la mobilisation des diasporas, Philippe Orliange a évoqué l’intérêt d’une réduction du coût des transferts afin d’orienter une part plus importante de cette épargne vers les ODD. - Sur les critiques relatives à la finance internationale, Bernard Ziller a indiqué qu’au regard des besoins de financement des ODD, notamment au niveau des infrastructures, sa mobilisation est indispensable. A cet égard, il convient de démontrer l’existence d’opportunités par le développement de structures et de produits attractifs qui permettraient à la fois de contribuer aux objectifs de développement durable. La réflexion en est à ses débuts sur le sujet. Pour sa part, Bernard Ziller a considéré que la régulation du système financier international relevait d’une autre problématique. Au-delà des banques, il a invité à s’intéresser aux investisseurs institutionnels que sont les fonds souverains ou les fonds de pension, qui sont des organismes relativement passifs et qui investissent l’épargne à long terme dans des placements présentant un certain niveau de rendement et des risques modérés. Tout l’enjeu consiste à leur présenter des combinaisons permettant de réduire les risques. Sur la question de l’évaluation de l’efficacité et de l’impact des institutions comme l’AFD ou la BEI, Bernard Ziller a souligné l’exigence associée aux interventions financées par ces 26 1ère Ecole d’été des Objectifs de Développement Durable – 8 au 13 juillet 2016 – Marseille, France


structures. De plus, elles ont défini des indicateurs de mesures des résultats, qui intégreront de manière plus explicite les ODD, afin d’en tirer les leçons nécessaires. La prochaine étape consistera à harmoniser davantage ces éléments. - Teresa Ribera a incité à saisir l’occasion donnée par la crise afin de réorienter la finance internationale et améliorer la coopération. Il s’agit de définir enfin les systèmes financiers nécessaires à la durabilité. Enfin, Teresa Ribera a souligné l’importance de la recherche et de l’innovation au-delà de la vision utilitariste prônée par de nombreux États. Un véritable engagement politique commence à prendre forme, qu’il convient de mettre au service des réponses à apporter aux enjeux de développement durable.

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La Science et les Objectifs de Développement Durable Avec la participation de : • • •

Gordon Mc Bean, Président de l'International Council for Science (ICSU), ex-Groupe d'experts Intergouvernemental sur l'Évolution du Climat (GIEC, prix Nobel), Prof. University Western Ontario, Canada Andrew Dobson, Prof. University of Princeton ; prix Wildlife conservation award ; New Jersey, USA Serge Morand, Directeur de recherche CNRS et au CIRAD, Laos

Créé dans le but de promouvoir l’activité scientifique internationale et son application au bénéfice de la société, le Conseil international pour la science (ICSU) vise à améliorer la communication entre les scientifiques et les décideurs a indiqué Gordon Mc Bean, Président de l’International Council for Science (ICSU), ex-GIEC (prix Nobel), Professor at the University Western Ontario. Le Conseil compte actuellement 31 membres représentant des unions scientifiques et 121 membres nationaux recouvrant 141 pays. Les premiers programmes de recherche sur le climat ont débuté dans les années 1980 a indiqué Gordon Mc Bean. Ils intègrent à présent des enjeux centraux de sécurité globale. Au titre des principaux organismes, il est à retenir : •

START, lancé en 1992 sous l’égide de l’ICSU, qui vise à favoriser la recherche scientifique sur le changement global et qui se concentre sur les mesures de prévention des catastrophes naturelles à mettre en œuvre en adoptant une approche intégrée ;

ISDR ou Integrated Research on Disaster Risk, qui se concentre sur la réduction des risques de catastrophes et des pertes associées à l’environnement, aux activités humaines, économiques et sociales ;

Urban Health and Wellbeing, initié voici 10 ans, dont les travaux de recherche interdisciplinaires s’intéressent à la santé et au bien-être en milieu urbain, etc.

Au-delà de l’intérêt de ces différents programmes, Gordon Mc Bean a souligné la nécessité d’un travail en coordination et en coopération. C’est la raison pour laquelle un réseau ouvert à l’ensemble de la communauté scientifique a été créé en 2010 : Future Earth. Il s’agit d’une plateforme de recherche mondiale, dont l’objectif est de fournir les connaissances et le soutien nécessaires pour engager les sociétés vers le développement durable. Outre sa collaboration au Programme Mondial de Recherches sur le Climat (PMRC, l’organisme réunit trois programmes sur les changements environnementaux mondiaux : le Programme International Géosphère Biosphère (IGBP), l’International Human Dimensions Programme 28 1ère Ecole d’été des Objectifs de Développement Durable – 8 au 13 juillet 2016 – Marseille, France


(HIDP) et (Diversitas). Future Earth cherche à mettre au point de nouvelles méthodes en recherche internationale afin de regrouper plusieurs disciplines autour d’un même objectif de recherche. Future Earth articule ses recherches autour de trois grands axes : dynamique de la planète, développement durable mondial et transformations nécessaires à la durabilité. La vision de l’avenir de la Terre d’ici 2025 développée par Future Earth soutient les 17 ODD adoptés par les Nations Unies en 2015 et travaille sur 8 défis d’envergure à cet effet : •

fournir de l’eau, de l’énergie et de la nourriture à tous ;

décarboniser les systèmes socioéconomiques pour stabiliser le climat ;

protéger l’environnement, les ressources en eau et les espaces marins ;

construire des villes saines, résilientes et robustes ;

promouvoir une agriculture durable et la sécurité alimentaire ;

améliorer la santé et le bien-être ;

encourager les modes de consommation et de production durables ;

augmenter la résilience sociale.

A cet égard, Gordon Mc Bean est revenu sur le cadre d’action de Sendai pour la réduction des risques de catastrophes au niveau mondial d’ici 2030, au sein duquel le changement climatique a été affirmé comme un facteur d’aggravation. Ce texte a affirmé 4 priorités : comprendre le risque, renforcer la gouvernance du risque pour mieux le gérer, investir dans la réduction des risques pour la résilience et renforcer la préparation pour une réponse efficace et mieux construire le relèvement. En conclusion, Gordon Mc Bean a fait valoir que la recherche coordonnée est indispensable pour comprendre et réduire le changement climatique et les dangers liés aux risques naturels. Tel est le point fort de l’ICSU qui a accès à un éventail incroyable d’expertise scientifique multidisciplinaire au service des décideurs, de la société et des générations futures. Andrew Dobson, Professor at the University of Princeton, prix Wildlife conservation award, New Jersey, USA, s’est penché sur la manière dont la communauté scientifique et professorale aborde les problématiques de développement durable, caractérisées par leur interdisciplinarité. Certains se sont efforcés d’élaborer des modèles mathématiques, d’autres ont privilégié les longs débats. Tout le problème est qu’aucun système ne permet d’appréhender de manière globale et de faire converger les enjeux scientifiques, philosophiques, écologiques ou bien encore économiques relatifs à la durabilité. Un cadre quantitatif permettant d’évaluer les politiques et actions fait défaut à la réflexion. 29 1ère Ecole d’été des Objectifs de Développement Durable – 8 au 13 juillet 2016 – Marseille, France


Les changements climatiques vont induire des changements d’utilisation des sols, cet élément étant également fonction de la pression démographique du territoire considéré. A ce titre, Andrew Dobson a alerté sur l’importance des forêts, notamment tropicales, qui constituent l’un des plus grands amortisseurs de la vitesse du changement de l’environnement. Il a évoqué à cet égard l’une de ses dernières études relatives à l’évaluation des risques encourus par plus de 9 000 espèces d’oiseaux au regard des transformations prévisibles de la couverture du sol, des modifications du climat et des modes d’utilisation des terres. Il en ressort que même avec des scénarios peu sévères pour l’environnement, quelques 400 espèces subiront des pertes de territoires de plus de 50 % d’ici 2050 et 900 espèces d’ici 2100. Dans ce cadre, les espèces les plus menacées seront celles qui ont une faible extension et endémiques aux régions tropicales. Elles seront, dans leur majorité, affectées par le mode d’utilisation des terres, les pertes engendrées par le changement climatique ne concernant qu’une minorité. Or, dans les deux cas, ces espèces tropicales ne sont pas classées en péril actuellement. Certes, le changement climatique aura de graves conséquences au cours du XXIème siècle, mais c’est la perte d’habitats, notamment dans les zones tropicales, qui constituera la menace la plus importante pour les oiseaux. Par ailleurs, Andrew Dobson a rappelé que la grande biodiversité actuelle réussissait à contenir les effets négatifs des maladies infectieuses. Cependant, au fur et à mesure que les sociétés convertissent les habitats en terres agricoles et que progresse l’urbanisation, alors même que l’humanité se donne la possibilité de mieux se nourrir et de profiter des infrastructures, elle réduit en parallèle la capacité des systèmes naturels à atténuer les maladies. Au moment où les maladies se déplaceront des zones tropicales vers les zones tempérées, ces dernières s’en trouveront probablement davantage affectées, avec des impacts significatifs sur la productivité, la gouvernance, etc. Le changement climatique se fera surtout sentir à la frange des habitats. Il permettra à certains agents pathogènes de s’installer dans ces régions, où ils aggraveront les effets des maladies chez les êtres humains et le bétail, peu immunisés. En second lieu, d’autres espèces susceptibles d’amortir cet impact disparaîtront progressivement en lien avec les pertes de biodiversité. Il importe donc de préserver les habitats naturels afin de maintenir les services écosystémiques associés. Ce n’est qu’ensuite qu’il conviendra de prendre en compte la dimension économique. En conclusion, Andrew Dobson a appelé à une meilleure compréhension des mécaniques d’utilisation des sols au service du développement durable et incité à conduire davantage d’études pluridisciplinaires en ce sens.

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Serge Morand, Directeur de recherche au CNRS et au CIRAD, Laos, a choisi de relier les problématiques de changements environnementaux, de perte de biodiversité et d’usage des sols au thème de la santé. En effet, « un lien peut être établi entre santé animale, santé humaine et santé des écosystèmes » a-t-il indiqué. Dans le contexte d’un monde en perpétuelle évolution, scientifiques et médecins ont observé un accroissement des épidémies au cours des 60 dernières années, avec l’émergence de nouveaux pathogènes et l’apparition d’un phénomène de globalisation des maladies infectieuses. Dans ce cadre, la variabilité climatique, composante majeure du changement climatique, exacerbe les épidémies. Tel a été le cas en 1997-1998, puis en 2006-2007 avec les évènements El Niño et La Niña, de nouveaux épisodes étant attendus en 2016. Or selon les modèles de changement climatique, ces évènements gagneront en importance et en récurrence au cours des prochaines décennies, en raison de la concentration des gaz à effet de serre. Au-delà des effets sur les épidémies, la variabilité climatique aggravera les risques d’inondation, et ce à l’échelle planétaire. Néanmoins, certains pays seront frappés durablement à la fois par l’élévation du niveau des mers, les phénomènes El Niño et La Niña et les submersions, avec des conséquences importantes en termes d’aménagement, de sécurité alimentaire, etc. En parallèle, la crise environnementale s’accompagne d’une crise de la biodiversité, certains chercheurs faisant état d’une « sixième extinction », et d’une crise épidémiologique marquée par l’émergence de nouvelles maladies infectieuses issues de la faune sauvage et domestique. « Une contradiction se pose alors entre le besoin de contrôle de zoonoses et la préservation de la biodiversité. » a indiqué Serge Morand. A son niveau, Serge Morand s’est attaché à étudier ces problématiques en Asie du sud-est, qui est un hot spot de maladies infectieuses, de biodiversité à risque d’extinction massive du de changements d’usage des terres et de diversité culturelle. A ce titre, il a observé une corrélation entre le niveau de développement d’un pays et le degré d’impact des maladies infectieuses, éléments qui apparaissent déconnectés de la biodiversité. Par ailleurs, il s’avère que le nombre d’épidémies liées aux maladies zoonotiques augmente avec le nombre d’espèces en danger d’extinction. La diminution de la biodiversité s’accompagne d’un accroissement des épidémies et le nombre de maladies liées à des vecteurs, notamment arthropodes, augmente avec la contraction de la surface forestière. « La baisse de la biodiversité impacte peut-être la diversité des pathogènes, mais les agents restants ont toutes les chances de donner lieu à un plus grand nombre d’épidémies. » a souligné Serge Morand.

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Par ailleurs, Serge Morand a attiré l’attention sur l’impact hoofprint de l’élevage. « Si nous regardons la biomasse totale des animaux par rapport aux humains, nous constatons que la part bovine est supérieure à la part humaine. » En conséquence, les problématiques liées à la répartition et à l’usage des terres ne visent pas directement les humains, mais l’alimentation des espèces domestiques. Or la plupart des maladies infectieuses observées ces dernières années sont associées aux animaux domestiques, qui contaminent ensuite les autres espèces. De plus, « l’animal domestique joue un rôle important dans la montée globale de l’antibiorésistance, du fait de l’usage intensif d’antibiotiques à titre de facteur de croissance dans l’alimentation animale » a mis en avant Serge Morand en évoquant différents exemples. « Santé humaine, agriculture et animal sont fortement liés. » a-t-il conclu. Enfin, Serge Morand a invité à lutter contre la fragilité des systèmes d’un point de vue sanitaire et économique en favorisant la redondance fonctionnelle et l’optionalité. Dans ce cadre, l’apport de la communauté scientifique aux ODD consistera notamment en l’élaboration de modèles prédictifs transversaux. Cette démarche requiert la multiplication d’observatoires in situ afin de favoriser le recueil de données de qualité, des systèmes de données opened and linked, des systèmes de représentation de la connaissance, etc. Il sera également indispensable de favoriser la recherche interdisciplinaire, ainsi que les implémentations intersectorielles grâce à des approches participatives. « En tout état de cause, un soutien fort des acteurs institutionnels sera nécessaire. » a souligné Serge Morand.

Échanges avec la salle - En réponse à une intervention sur l’antibiorésistance et les normes à édicter dans ce domaine, Serge Morand a rappelé que les antibiotiques ont été détournés de leur usage premier, à savoir soigner pour être injectés dans l’alimentation des espèces d’élevage. A titre d’exemple, la colistine est interdite en Chine pour tout usage humain, mais ce produit n’est en aucun cas contrôlé en usage vétérinaire. En France, les vétérinaires, en accord avec les professionnels eux-mêmes, ont décidé de réduire de 50 % l’utilisation des antibiotiques. Néanmoins, ils sont toujours utilisés en prophylaxie. « Un antibiotique est-il un bien commun ? » Telle est la question sous-jacente posée par Serge Morand sur ce point. - Concernant le travail en équipe, une intervenante a observé de réelles avancées à ce niveau ainsi qu’à un phénomène de normalisation, sans doute en lien avec le principe de précaution.

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Serge Morand s’est félicité de ce point. Pour sa part, il travaille avec des juristes sur les problématiques d’usage des terres et de biodiversité. - Sur l’évaluation des travaux et des risques, Andrew Dobson a considéré qu’il serait opportun de mettre en place une instance internationale qui sanctionnerait les acteurs ou les pays en cas de falsification de données et de rapports, à l’instar d’une cour de justice internationale. Gordon Mc Bean a ajouté que l’ICSU souhaite établir un rapport exhaustif sur les risques liés aux changements climatiques, afin de le présenter aux instances internationales et entreprendre des actions en justice le cas échéant. Cela étant, tout est question de responsabilité et d’intégrité à l’échelle des personnes. Tout l’enjeu consiste à apporter des réponses pluridisciplinaires a souligné Gordon Mc Bean. Pour ce faire, il importe d’encourager les différentes composantes de la communauté scientifique à échanger et à travailler ensemble. - Revenant sur les enjeux de modélisation et les contradictions parfois observées entre modèles économiques et modèles écologiques, Andrew Dobson a invité à combiner autant que possible les deux disciplines et à inciter les jeunes générations d’étudiants à investiguer ces champs. A ce jour, un véritable cadre scientifique interdisciplinaire fait défaut, le sujet du développement durable étant davantage traité dans le cadre d’approches cloisonnées. Les économistes devraient échanger davantage avec les écologistes et inversement afin de développer des modèles exhaustifs au service du développement durable, sachant que le temps est compté pour la planète. - Évoquant la problématique de la validité et de la reproductibilité des résultats, un intervenant a attiré l’attention sur les limites de la modélisation spatiale compte tenu de la variabilité des paramètres. Au regard de la complexité et de l’ambition des ODD, une approche multidisciplinaire est indispensable, avec le recueil de données in situ et des expérimentations à une échelle appropriée. En écho à ces propos, Andrew Dobson a rappelé que, pour comprendre un phénomène ou un processus à grande échelle, l’unique moyen à disposition des scientifiques est la modélisation, qui autorise de plus des expériences à moindre risque. - Un intervenant a appelé à une profonde modification des techniques agricoles actuellement employées, qui sont terribles pour l’environnement. En effet, l’agriculture moderne utilise quatre fois plus d’énergie que l’industrie, les monocultures diminuent de 40 % la biodiversité d’un sol, voire de 80 % en cas d’usage de pesticides, l’érosion des sols provoque des dégâts considérables et remplit le lit des rivières, etc. Le retour à la simplicité et à la régulation est

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essentiel à la survie et à la santé des sols. « La première des actions à entreprendre est la conservation du sol, d’autant plus que le sol arable est compté. ». - Sur le développement de la connaissance et la prise de conscience des populations, Andrew Dobson a souligné que l’éducation devait être à la base de toute stratégie de développement durable. A cet égard, il a souhaité que les universités comme AMU collaborent davantage avec des instituts comme le Nelson Mandela African Institute of Science and Technology. Gordon Mc Bean a ajouté qu’il était également essentiel de sensibiliser et d’éduquer aux sciences les décideurs politiques. L’ICSU a d’ailleurs engagé des actions en ce sens. - Concernant l’étude de l’impact de facteurs tels que la démographie, l’éducation, etc. audelà du seul usage des sols sur le développement durable, Andrew Dobson a indiqué qu’il appelait de ses vœux la mise en place d’un espace de travail pluridisciplinaire, au sein duquel il serait possible d’accueillir les experts de différents domaines afin d’élaborer des modèles et aboutir à des projets soutenant le développement durable.

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Clôture Avec la participation de : •

Martine Vassal, présidente du Conseil Départemental des Bouches-du-Rhône

Martine Vassal, Présidente du Conseil Départemental des Bouches-du-Rhône, a fait part de sa fierté de clôturer cette première journée de travaux. L’IRD et Aix-Marseille Université, par leur excellence et leur rayonnement international, sont deux moteurs exceptionnels de l’attractivité du territoire. En décidant de s’associer pour créer la première école d’été des objectifs de développement durable, ces deux institutions ont démontré une fois de plus leur volonté de poursuivre une démarche positive et d’œuvrer pour le développement durable. A cet égard, l’IRD, AMU et le Conseil départemental portent ensemble des ambitions communes, en premier lieu mener à bien des idées afin de les concrétiser en associant le meilleur de la recherche scientifique avec des responsables politiques, institutionnels, économiques, nationaux et internationaux. A son niveau, Martine Vassal s’est engagée à réaliser autant que possible les propositions issues des États Généraux de Provence, qui ont permis de recueillir plus de 5 000 contributions sur l’avenir du territoire. Il s’agit d’une nouveauté en France, les politiques oubliant le plus souvent leurs promesses une fois élus. A ce jour, près de 80 % des propositions ont pu être concrétisées dans le cadre d’une démarche valorisant le jeu collectif. Le département des Bouches-du-Rhône constitue place forte dans la recherche scientifique et dans l’enseignement supérieur de niveau international, avec plus de 100 000 étudiants, plusieurs milliers de chercheurs, des écoles d’ingénieurs, un établissement de l’école des Mines, etc. La Provence contribue de manière significative à la production scientifique mondiale et en est fière. Cependant, alors que le territoire possède des atouts remarquables, l’économie est malheureusement lestée par le poids du chômage. La construction d’une économie locale, fondée sur des activités à forte valeur ajoutée et durables, est donc un enjeu majeur pour garantir l’avenir. La présence d’une recherche de niveau international, tant en sciences fondamentales qu’en recherche appliquée, est aussi un facteur déterminant pour attirer les entreprises. Une formation de haut niveau est également essentielle pour renforcer la présence de ces entreprises et leur fournir une main d’œuvre hautement qualifiée. C’est la raison pour laquelle la majorité départementale a décidé d’orienter la politique de l’enseignement supérieur et de la recherche vers deux axes :

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participer au développement, à l’attractivité et au rayonnement du territoire par la consolidation des pôles d’enseignement supérieur, de recherche et d’innovation ;

favoriser l’accès aux formations d’enseignement supérieur, aux carrières scientifiques et soutenir l’insertion professionnelle et l’entrepreneuriat.

Tout l’enjeu est de faire de la Provence le territoire de référence pour réfléchir aux 17 objectifs de développement durable fixés par l’ONU. Dans ce cadre, le département compte des étudiants et des professionnels qui seront des acteurs de premier plan pour faire émerger des solutions concrètes. Le Conseil départemental participe à son niveau en conduisant une politique exemplaire pour réduire l’empreinte carbone, préserver les espaces naturels qui sont les poumons verts de la Provence et modifier les modes de consommation et de production. En effet, si rien n’est fait pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, principales responsables du réchauffement climatique, le paysage de la Provence pourrait bien être profondément impacté d’ici la fin du siècle. Devant cet enjeu, Martine Vassal a engagé la transition énergétique des 500 bâtiments départementaux (collèges, musées, etc.). L’objectif visé est la maîtrise des dépenses d’énergie et la réduction des GES. Les mesures engagées portent d’ailleurs leurs fruits comme en témoigne les économies réalisées en matière de chauffage des collèges grâce au regroupement des installations thermiques et à la mutualisation des contrats d’exploitations. La consommation de combustible diminuera de près de 34 % et la diminution des émissions de gaz à effet de serre avoisinera les 25 %. En outre, grâce à 5 centrales de production d’électricité solaire réparties sur différents collèges, la collectivité produit elle-même de l’électricité verte et la revend pour un revenu de 50 000 euros par an. En outre, le Conseil départemental a voté un dispositif innovant concernant le logement. Les propriétaires de biens construits avant 2000 et dont les revenus sont inférieurs à seuil déterminé bénéficieront d’une aide de 3 000 euros pour des travaux de réhabilitation et d’isolation thermique. De ce fait, le Département combat les déperditions d’énergie et soutient les classes moyennes, souvent écartées des aides apportées par l’Etat. La Provence abrite plus de 17 000 hectares d’espaces naturels préservés et valorisés grâce à une politique d’acquisition exemplaire menée par le Conseil départemental, au point d’être le département possédant le plus important patrimoine naturel de France. Les sites naturels sont gérés selon les principes de développement durable et sont une réponse à la vulnérabilité de la Provence, qui est un hot spot de la biodiversité et qui est soumise à une forte pression foncière et économique. Une trentaine de domaines départementaux jalonnent le territoire et constituent des sites emblématiques. Pour une gestion durable, le Département favorise dans ces domaines l’échange avec les agriculteurs, les troupeaux

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contribuent à l’entretien des espaces naturels et participent à la défense contre les incendies ou les coupures agricoles. En conclusion, Martine Vassal a souhaité à la première école d’été des objectifs de développement durable des travaux fructueux et s’est réjoui de la mobilisation d’acteurs scientifiques et institutionnels. Consciente des enjeux, elle a indiqué qu’elle continuera à apporter son modeste soutien à la sauvegarde de la planète et à faire de la Provence une terre de succès. Le Conseil départemental et sa majorité ne cesseront d’œuvrer en faveur du développement durable en partenariat avec les autres institutions, et ce au bénéfice des futures générations.

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Samedi 9 juillet

« Réussir le partenariat » Partenariats institutionnels et organisations européennes et internationales, ONG, entreprises et société civile Avec la participation de : • • • • •

Alex Mejia, Head of the Decentralised Cooperation Programme, and lead on the SDG project at UNITAR Pierre Jacquemot, Président du GRET du Groupe Initiatives Mourad Ezzine, Manager of the Center for Mediterranean Integration (CMI) Sébastien Vauzelle, Chargé des partenariats territoriaux et de coordination internationale, PNUD (Nations unies) Loïc Fauchon, Président Directeur Général de la Société des Eaux de Marseille, Président honoraire du Conseil mondial de l'eau

Au nom de l’ONU, Alex Mejia, Chef du programme de coopération décentralisée, a souhaité adressé des messages « simples » aux participants à l’École d’été des ODD. Tout d’abord, les processus de mise en œuvre des ODD et du Nouvel agenda pour le développement durable à l’horizon 2030 devront reposer sur des partenariats public-privé et impliquant le monde de la recherche et la société civile. L’engagement de toutes parties prenantes et à tous les niveaux est un prérequis à la réalisation du développement durable, a-t-il insisté. À son tour, il a souligné qu’à la différence des OMD, les ODD avaient une portée universelle : « Cela a été dit, tout le monde, y compris 38 1ère Ecole d’été des Objectifs de Développement Durable – 8 au 13 juillet 2016 – Marseille, France


les pays développés, est concerné, et l’universalité du Nouvel agenda exige que les partenariats soient au centre de sa mise en œuvre », a répété le responsable onusien. M. Mejia a présenté le site Web « Knowledge Platform » pour montrer combien la réalisation des ODD était liée entre eux. L’ODD 17 est dédié spécifiquement aux partenariats, a-t-il rappelé, soulignant que cet objectif reconnaît que « le monde actuel est plus interconnecté que jamais auparavant et que l’amélioration de l’accès aux technologies et à la connaissance favorise nettement le partage les idées et l’innovation ». Il a attiré l’attention sur le Mécanisme de facilitation des technologies, chargé de « renforcer l’accès à la science, à la technologie et à l’innovation et la coopération Nord-Sud et Sud-Sud ainsi que la coopération triangulaire régionale et internationale dans ces domaines et d’améliorer le partage des savoirs ». Alex Mejia a précisé que cet instrument découlait du Programme d'action d'Addis-Abeba et de l’Agenda du développement post-2015, et qu’il comprenait une équipe de travail interagences des Nations Unies sur la science, la technologie et l'innovation pour ODD ; un forum annuel de collaboration multipartite sur la science, la technologie et l'innovation (STI) pour les ODD ; et une plate-forme en ligne rassemblant des informations sur les initiatives, mécanismes et programmes STI existants. Au-delà de la technologie et de l’innovation au service du développement durable, l’ONU appelle à une véritable transition pour mobiliser pleinement les chercheurs à la recherche de solutions concrètes, a ajouté M. Mejia. « La science est au centre des ODD, ce qui n’était pas le cas avec les OMD, à l’égard desquels la science représentait un domaine séparé », a-t-il déclaré. Il a par ailleurs indiqué que le site Web Knowledge Platform était interactif, cela pour permettre aux citoyens du monde, « à tous les acteurs du développement durable de tous les pays », de poser leurs questions sur les ODD, de se mobiliser et de s’approprier ainsi leur réalisation. « Pour ne pas faire de laissés-pour-compte, selon le souhait de Ban Kimoon, nous devons agir ensemble », a-t-il dit. Présentant le point de vue des « organisations de solidarité internationale », Pierre Jacquemot, Président du GRET, a salué le fait que, depuis 40 ans, les organisations nongouvernementales marquaient de leur empreinte le paysage international sur les questions de coopération et de développement, leurs discours étant de plus en plus largement relayés. Il a expliqué que les ONG, dont la Banque mondiale évalue le nombre à 50 000 à travers le monde, apportaient une valeur ajoutée à travers 3 actions-clés : l’intervention d’urgence, qui 39 1ère Ecole d’été des Objectifs de Développement Durable – 8 au 13 juillet 2016 – Marseille, France


est un préalable au relèvement post-conflit et à l’atteinte de certains ODD ; la diplomatie non gouvernementale, via l’interpellation des États et des organisations internationales sur les questions de droits de l’homme; l’intervention de substitution à l’État quand celui-ci est défaillant en matière de santé, d’éducation, d’accès à l’eau, etc. Il a cité à titre d’exemple l’IRAM, qui, depuis 60 ans, « est présent sur le terrain de la lutte contre les inégalités ». M. Jacquemot a souligné que ces organisations couvraient tout le champ des ODD, y compris la condition des femmes et les droits humains, « qui sont les grands oubliés des ODD ». Après avoir rappelé leurs valeurs – éthique de la solidarité, conception égalitariste et empathique du monde allant à l’encontre de la vision occidentale et individualiste qui prévaut actuellement – il s’est demandé quelle était leur légitimité. « Ces organisations prennent la parole au nom des pauvres alors qu’elles ne sont pas élues. D’où tiennent-elles leur légitimité ? », a-t-il dit. Il a répondu en déclarant que c’était les actions qu’elles mènent, leur proximité avec le terrain et le sentiment d’aller dans la bonne direction qui confèrent aux « organisations de solidarité internationale » à la fois leur légitimité et leur efficacité. Le Directeur du GRET a en outre mentionné les Principes d’Istanbul sur l'efficacité du développement des Organisations de la Société Civile (OSC) adoptés en 2010. Il a cité à ce propos l’indépendance des OSC vis-à-vis de l’ordre régnant ; leurs compétences et la qualité de leur expertise ; et la redevabilité de leurs membres envers les bailleurs de fonds et les bénéficiaires. « À ce corpus qui définit le cadre général d’intervention, s’ajoute le critère d’appropriation : nous travaillons avec des experts qui sont des ressortissants des pays dans lesquels nous intervenons pour donner la capacité aux acteurs locaux de s’approprier la mise en œuvre des programmes de développement », a-t-il ajouté. Concernant la relation des ONG à la science, M. Jacquemot a rappelé que le monde de la recherche était un monde proche de celui du GRET. « La réflexion conjointe que nous conduisons avec la Fondation MMSH, l’IRD et le CIRAD sur le capitalisme philanthropique éclaire les nouvelles combinaisons entre logique de rentabilité et logique de solidarité, entre objectifs économiques et objectifs sociaux dans les pratiques d’action et de coopération internationale », a-t-il expliqué.

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M. Jacquemot a par ailleurs indiqué que GRET était impliqué dans la question foncière depuis 20 ans, à travers les activités d’un groupe de travail sur cette question en lien avec celles du développement soutenu par l’AFD. « Tout le travail effectué depuis 2 décennies, travail de terrain et académique, permet de déboucher aujourd’hui sur des recommandations en matière d’investissements socialement responsables », a-t-il relevé. « Ces recommandations, qui sont celles de la France, se sont imposées aussi bien à la FAO qu’au Conseil mondial de l’alimentation ». Il ajouté que les modèles d’intervention promus par le GRET mettaient en jeu 4 acteurs fondamentaux, l’État, les élus locaux, les bénéficiaires et les opérateurs. Ces modèles, a-t-il dit, visent aussi à identifier le rôle de l’entreprenariat, rôle que nous appuyons dans un certain nombre de circonstances pour résoudre des problèmes d’accès pérenne aux biens publics. « Tarification, gestion et maintenance des équipements, contrôle et redevabilité : pour s’attaquer à ces problèmes, il fallait dépasser les réserves de certaines organisations à l’égard des mots ‘secteur privé’ et ‘entrepreneur’ pour être en outre efficace à une échelle macro’ », a souligné M. Jacquemot. Il a conclu son intervention en déplorant que l’expertise française en matière de développement à l’international ne soit pas reconnue dans le système français. « Nous ne représentons que 2% de l’APD, alors qu’elle est en moyenne de 13% pour tous les pays de l’OCDE », a-t-il précisé. « Nous devons sortir de la conception centralisatrice et jacobine de l’intervention, faute de quoi le modèle français sera inefficace pour mettre pleinement en œuvre les ODD », a averti Pierre Jacquemot. Mourad Ezzine, Manager du « Center for Mediterranean Integration » (CMI) a d’abord attiré l’attention sur les conséquences des conflits dans les pays de la rive Sud de la Méditerranée. Estimant que l’insécurité est le plus grand défi pour le développement dans la région, y compris les pays européens touchés par la crise des réfugiés, il a souhaité que les peuples et les États prennent conscience « qu’un destin commun lie les êtres humains des deux rives du bassin méditerranéen ». Pour réaliser efficacement les ODD, a-t-il dit, il faut que prévalent la paix et la stabilité, il faut que les acteurs du développement durable puissent se rendre dans les villages et travailler avec les autorités locales. Il a expliqué que les institutions internationales, comme l’AFD, la Banque mondiale ou encore la Banque européenne d’investissement étaient importantes mais pas suffisantes. 41 1ère Ecole d’été des Objectifs de Développement Durable – 8 au 13 juillet 2016 – Marseille, France


« Ces outils de coopération travaillent de manière bilatérale voire multilatérale avec les pays, cela dans le cadre d’initiatives partant du principe qu’il faut plus de ressources pour concrétiser les projets », a-t-il constaté. Or, pour M. Ezzine, les ressources financières ne manquent pas et jamais les pays n’ont pu emprunter à des taux aussi bas. Il a ainsi plaidé pour une meilleure utilisation des ressources financières disponibles, en soulignant que « le savoir est plus important que l’argent pour que les projets de développement réussissent ». Mourad Ezzine a appelé au renforcement des capacités locales, du travail en réseau et du partage de connaissances pratiques. Selon lui, les institutions internationales n’ont pas été créées pour travailler sur des biens publics : « Or, le climat est un bien public, et c’est ensemble que devons résoudre les problèmes que provoque son dérèglement », a-t-il jugé. S’agissant de l’éducation, « qui est également un bien public », il a indiqué que le CMI mettait autour de la table les acteurs pertinents de la région, pays, organismes de développement, autorités locales, pour précisément étudier et faire des propositions autour des biens publics régionaux. Il a noté à ce propos que les universités du Sud devaient améliorer la qualité de leurs produits en vue de faciliter l’insertion socioprofessionnelle des jeunes populations. « Le premier problème identifié est celui de la gouvernance des établissements universitaires, qu’il faut rendre plus autonomes, réactifs et redevables », a ajouté M. Ezzine. Il a indiqué, qu’à cette fin, le CMI, examinait chaque année les données fournies sur une base volontaire par 160 universités partenaires du Sud réunies en réseau pour évaluer, grâce à des indicateurs, la qualité de leur gouvernance. Il a précisé qu’en fonction des résultats, les recteurs d’universités établissaient des partenariats gagnants-gagnants entre pairs pour renforcer l’efficacité de leur gestion. « L’expertise, avec le Nord qui dit au Sud ce qu’il faut faire, est dépassée », a encore souligné Mourad Ezzine, prônant de nouveau une approche du bas vers le haut et des actions menées en réseau, pour notamment améliorer la formation professionnelle au Sud, qui, a-t-il dit, « n’existe pas ». « Nous devons lier plus étroitement établissements du Nord et du Sud pour coproduire des programmes de formation et de certification. Il faut homogénéiser le niveau de formation en faisant du bottom-up. L’éducation et la formation sont des instruments de pacification », a déclaré le manager du CMI. 42 1ère Ecole d’été des Objectifs de Développement Durable – 8 au 13 juillet 2016 – Marseille, France


Sébastien Vauzelle, du Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD), a abondé dans le sens des autres conférenciers, en notant que l’universalité et la transversalité des défis en matière de développement nécessitaient de les appréhender par le biais de partenariats « dotés d’instruments pertinents ». « Les défis ne doivent pas être présentés comme des problèmes mais bien comme des opportunités et des potentialités, compte tenu de la jeunesse formidable de la région méditerranéenne », a ajouté M. Vauzelle. Selon lui, la région méditerranéenne étant à taille humaine et disposant d’importants outils de dialogue et de renforcement des capacités, la feuille de route des ODD représente, dans ce contexte, un moyen pour progresser « vers un monde meilleur sans faire de laissés-pourcompte ». Il a déclaré que les partenariats doivent être ancrés au niveau régional, avec les autorités locales comme fer de lance de leur mise en œuvre. « Les autorités locales, en lien avec les gouvernements nationaux, ont un rôle déterminant à jouer car elles sont très proches des citoyens, des citoyens qui se tournent vers elles pour obtenir des réponses et des solutions à leurs problèmes quotidiens », a-t-il considéré. La territorialisation des politiques publiques et la mise en œuvre intégrée et concertée des ODD peuvent également aider à renouveler la démocratie au niveau local, a-t-il dit, appelant à faire des universités, de la société civile et des entreprises les formateurs de la jeunesse de demain. « Le secteur privé est un acteur-clé. On ne peut plus négocier entre gouvernements et ONG puis dire ensuite aux entreprises ce qu’elles doivent faire : nous avons besoin de leur vision du monde », a ajouté Sébastien Vauzelle. « Comment doter ce pacte global d’outils pertinents ? », s’est-il ensuite demandé. Il a relevé que l’UNITAR et CMI pouvaient partager des outils qui existent déjà et qui sont efficaces, mais qu’il était urgent de faire émerger « l’innovation qui marche » pour accélérer l’opérationnalisation de ce pacte global. Participation citoyenne accrue « pour renouveler l’engagement de tous dans le monde de demain », planification stratégique basée sur une vision commune du territoire, mise au point d’outils de suivi et d’évaluation souple de cette planification pour rectifier le tir le cas échéant : tels sont les propositions formulées par M. Vauzelle, qui a insisté sur l’obligation de fonctionner de manière participative à tous les niveaux d’élaboration et d’opérationnalisation de ces instruments. 43 1ère Ecole d’été des Objectifs de Développement Durable – 8 au 13 juillet 2016 – Marseille, France


Dans ce cadre, il a considéré que les ODD formaient une référence commune propice à la réappropriation, par les « citoyens ordinaires », du cycle de développement local. À cet égard, il a plaidé en faveur d’une mise en mise en œuvre coordonnée, horizontale, c’est-àdire entre acteurs territoriaux, et verticale, en lien avec les différents niveaux de gouvernance, des ODD. Il a indiqué que le PNUD, présent dans 177 pays, jouait depuis 50 ans un rôle de facilitateur des échanges, à l’échelon global, local et régional, entre États et acteurs du développement. « Le PNUD et CGLU sont unis dans le cadre d’une alliance globale ouverte pour la mise en œuvre des ODD au niveau local. Nous allons également mettre en ligne prochainement une plateforme participative pour que tous les gouvernements locaux, les OSC et les chercheurs puissent échanger autour d’outils efficaces et utiles à la réalisation des ODD », a fait savoir M. Vauzelle. « Les ODD ne sont ‘que’ durables, nous aurions souhaité qu’ils fussent équitables », a poursuivi Loïc Fauchon, PDG de la Société des Eaux de Marseille et Président honoraire du Conseil mondial de l’eau. Soulignant que « nous ne sommes pas égaux devant le développement durable », il a salué le fait, qu’aujourd’hui, la croissance à tout crin n’était plus considérée comme l’unique solution aux problèmes socioéconomiques. « La prise de conscience de la finitude des ressources naturelles exige salutairement de faire mieux avec moins », a-t-il déclaré. M. Fauchon a estimé que, forts de cette prise de conscience, les acteurs du développement faisaient de la notion de valorisation l’un des éléments centraux des projets d’accompagnement de l’essor de la croissance verte, de l’économie circulaire et des smart-cities. « Les ODD, pourquoi faire ? », s’est-il lui aussi interrogé. Concernant d’abord leur mise en œuvre, M. Fauchon a estimé que cet effort devait être équitablement partagé par les bailleurs de fonds, les agences de l’ONU et les citoyens, premiers bénéficiaires du développement. « Les ODD sont un marqueur, un guide de notre quotidien. Voyons-les comme une ardente obligation qui sera ce que nous en ferons et pas seulement ce qu’auront pu décider des dirigeants de ce monde », a-t-il ajouté. Loïc Fauchon a appelé les entreprises à informer activement leurs employés sur les enjeux relatifs aux ODD et à pratiquer un lobbying intense auprès des décideurs, gouvernements et parlements en particulier, pour qu’ils respectent leurs engagements. « Il n’y a pas de secteur privé, il y a des entreprises », a-t-il aussi dit, assurant qu’entreprises publiques et privées 44 1ère Ecole d’été des Objectifs de Développement Durable – 8 au 13 juillet 2016 – Marseille, France


avaient tout à gagner, ensemble, à ce que les ODD soient réalisés dans le respect de l’environnement. « Sur le terrain, sachez que les entrepreneurs et les salariés font aussi bien que les membres d’ONG dans le cadre de partenariats en triangle associant autorités locales, entreprises et OSC », a-t-il signalé. « La combinaison synergique des envies et des savoirfaire qui sont aussi légitimes les uns que les autres est le moteur de la réussite de ces partenariats sur la durée », a-t-il ajouté. Il a insisté sur le fait que les partenariats ne devaient pas compenser l’inaction de l’État. « On doit faire mieux et à plusieurs ce que l’on n’est pas capable de faire bien tout seuls. Voilà ce que doit être un véritable partenariat intelligent, qu’il s’agisse de sponsoring, de mécénat, d’appui à diffusion ou de R&D », a expliqué M. Fauchon, qui a salué les actions conjointes de la Fondation Bill Gates et l’OMS et celles du GRET et de Danone à Madagascar. Il a également fait savoir que la Société des eaux de Marseille, dans le cadre de partenariats avec l’Université, avait mis au point un détecteur de fuite pour mesurer en temps réel la pollution d’un bassin et des systèmes de traitement d’effluents pharmaceutiques et d’eaux mazouteuses. « Ces partenariats demandent du réalisme et de la proximité : il faut se parler », a-t-il indiqué. Au sujet de la COP22, il a estimé que jamais un pays, y compris la France, n’avait, comme le Maroc, démontrait autant d’envie d’apporter des solutions pratiques et efficaces aux défis liés du climat, de l’énergie, de la santé, de l’eau, de l’alimentation et de l’éducation. « Les objectifs du développement durable et équitables doivent nous permettre de passer du temps du pillage au temps du partage. Souhaitons que les travaux de l’École d’été des ODD y contribuent », a conclu Loïc Fauchon.

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Échanges avec la salle - Lors du débat, les participants se sont demandé comment permettre l’accès à la terre aux femmes, qui peuplent à 70% les zones rurales dans les pays en développement, et ils ont évoqué le financement de la formation professionnelle dans ces mêmes pays, minés par de forts taux de chômage des jeunes. - Compte tenu de l’importance des savoirs pour mettre en œuvre les ODD, les organisations représentées par les panélistes doivent appuyer plus activement les universités publiques du Sud car les gouvernements ont renoncé à les moderniser, a-t-il aussi été dit. L’éducation et la formation sont des priorités auxquelles « les pays n’accordent pas la priorité », ont déploré des intervenants. - Le rôle d’institutions pivots comme la Banque mondiale et la CDAO a en outre été débattu, des participants se demandant si leurs modèles d’intervention sont encore efficaces, ou si les régions ne devraient pas plutôt s’organiser en réseaux. - Les transferts nord-sud de technologies par le biais des agences de l’ONU, l’absence des droits de l’homme dans les ODD ou encore le caractère juridiquement non contraignant de ces derniers ont également été abordés. Comment les ODD pourraient-ils être réalisés dans le contexte sécuritaire actuel au Sud ?, a-t-il été demandé. - M. Jacquemot a rappelé que les OSC n’étaient habilitées à intervenir, par exemple sur les questions agricoles et foncières, qu’à la demande formelle des États. « Autrement, nous pouvons les interpeller en cas d’accaparements ou de risque avéré de d’insécurité alimentaire », a-t-il dit. - « Sur place, le droit repose sur les coutumes et les usages, plus que sur une législation, d’où la nécessité, en s’adossant aux ONG locales, de posséder une « connaissance intime du terrain », a encore indiqué Pierre Jaquemot. Il a expliqué que le GRET intervenait de cette manière dans le domaine de la sécurisation foncière. - Si les ODD ne sont pas juridiquement contraignants, il faut qu’ils soient d’autant plus connus du grand public pour donner du pouvoir aux plus marginalisés, ont estimé les conférenciers. - Concernant l’accès des femmes rurales à la terre, M. Ezzine a relevé qu’en Mauritanie ou même en Tunisie, « les femmes n’héritent pas » : « Il faut que cela change, pour inscrire pleinement les paysans dans l’activité économique et lutter contre l’exclusion », a-t-il jugé, ajoutant que l’UE devait faciliter l’accès aux marchés des produits des petites exploitations du Sud. 46 1ère Ecole d’été des Objectifs de Développement Durable – 8 au 13 juillet 2016 – Marseille, France


- « Faire plus et mieux avec moins d’argent sera toujours moins facile que faire plus et mieux avec plus d’argent », a par ailleurs déclaré M. Ezzine, pour qui, néanmoins, « le défi en matière d’éducation et de formation, c’est la qualité. Pour lutter contre le chômage dans nos pays, il faut parvenir à une équivalence nord-sud des produits de la formation ». - Il est possible de mener de grands projets de recherche soutenus par les institutions financières internationales, cela en allouant les ressources aux meilleurs programmes et à travers une mise en réseau renforcée entre universités du Sud et du Nord, ont souligné les conférenciers. Ils ont appelé à une mobilité accrue des chercheurs et enseignants des deux rives de la Méditerranée. - « Si le coût de l’argent est plus faible aujourd’hui, il existe tout de même des limites à ce que les pays doivent emprunter pour financer leurs politiques publiques », a insisté M. Ezzine, qui a plaidé pour une révision approfondie du service de la dette. Il a répété que « le vrai défi » était celui de l’élévation de la qualité de la production et de la fourniture des « biens publics ». - « Pourquoi tout ça ? Pourquoi les ODD ? Parce que nous nous soucions de l’avenir de la planète et du devenir des citoyens et de leur émancipation », a affirmé M. Mejia. Il faut informer et éduquer sur les ODD en vue de renforcer les capacités d’appropriation des programmes de développement par « les gens eux-mêmes », a-t-il dit. - La mobilisation de citoyens informés constitue une force capable de peser sur l’action des États. Elle place les populations entre l’ONU et les dirigeants politiques, conférant aux citoyens un rôle d’activateur qu’ils ne pouvaient pas tenir dans le cadre de la réalisation des OMD, a souligné le représentant de l’UNITAR. - « Nos sociétés interconnectées disposent des outils techniques et des mécanismes de dialogue requis pour avancer ensemble vers un monde meilleur, moins inégalitaire », a-t-il considéré. - M. Vauzelle a tenu à rappeler que le PNUD n’était pas un donateur, mais une institution « au service des populations et des gouvernements, nationaux ou locaux, qui nous sollicitent ». Son rôle est d’accompagner le développement économique autour d’une vision du territoire définie par les locaux et en se concentrant sur des secteurs porteurs. - « Dynamiser le développement en renforçant les chaînes de valeur, le rendre plus inclusif en impliquant les jeunes et les femmes, et améliorer les revenus des gens, tel est notre rôle », a-t-il indiqué.

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En fin de séance, M. Michel Vauzelle, ancien Président de la Région PACA et artisan de la Villa Méditerranée, s’est réjoui de la tenue de la première École d’été des ODD à Marseille. En temps de crise, a-t-il dit, il faut partager les points de vue en ouvrant la discussion aux jeunes et à la société civile. « Il faut promouvoir activement la démocratie participative », a-t-il déclaré.

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Comment les universités s’emparent des ODD ? Avec la participation de : • • • • • •

Marie Masclet de Barbarin, Vice-Présidente d'Aix-Marseille Université (AMU) Sylvie Daviet, Vice-Présidente d'Aix-Marseille Université (AMU) Emile Tanawa, Vice-Recteur de l’AUF Pierre Thénard, Directeur des relations internationales de l’École Nationale d'Administration (ENA) Frédéric Fotiadu, Directeur de l'École Centrale Marseille (ECM), Président de la Conférence Régionale des Grandes Écoles PACA Philippe Dufourcq, Directeur des programmes à Centrale Casablanca

Au cours de cette table ronde, des représentantes de la direction d’Aix-Marseille-Université ont d’abord indiqué qu’AMU avait une vision durable de l’éducation et de la formation, vision portée par une politique ambitieuse en France comme à l’international. L’AUF et les grandes écoles ont expliqué leur rôle d’accompagnateurs vers la réalisation des ODD. Marie Masclet de Barbarin, Vice-Présidente du Conseil d’administration d’AMU, a ainsi noté que l’Université se voulait être, au plan local et à travers le dispositif des Cordées de la réussite, un ascenseur social pour lutter contre la « pauvreté qui sévit à Marseille ». Dans les colloques que nous organisons ou auxquels nous participons, a-t-elle ajouté, nous réfléchissons à l’amélioration du partage des savoirs, de la qualité de l’enseignement supérieur et de la bonne gouvernance des établissements. Mme de Barbarin a expliqué qu’AMU se déployait en de nombreux pôles de recherche transdisciplinaire afin d’être en prise directe avec le monde économique et les sociétés ouvertes d’aujourd’hui. Innovation, valorisation des connaissances, liens étroits avec les entreprises et lutte contre les discriminations forment en quelque sorte la RSE de AMU, a-telle dit.

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Elle a précisé que la politique d’AMU en matière de développement durable s’inscrivait dans le cadre de la mise en œuvre du Plan vert, une démarche basée sur la SNDD à partir de laquelle 40 actions responsables ont été lancées (achats durables, gestion des déchets, écomobilité…). « Le développement durable est générateur de participation et de liens au sein même de notre communauté », a-t-elle souligné, évoquant des initiatives structurantes telles que le Tour de France des éco-gestes, le troc vert, le covoiturage et le projet de labellisation durable d’AMU. Revenant sur la problématique de l’égalité femmes-hommes, Mme de Barbarin a indiqué, qu’en 2015, une vice-présidence avait créé au sein de l’organigramme d’AMU, et, qu’en 2016, avait été établie une Charte pour l’équilibre des temps de vie personnels et professionnels et dispositif de lutte contre le harcèlement sexuel. Sylvie Daviet, Vice-Présidente d’AMU, « Relations internationales », a expliqué qu’à l’échelle régionale, AMU, par le biais du projet MedECC (« The Mediterranean Experts of Climate »), s’attachait à mieux connaitre la situation au niveau macro-régional et à travailler à l’interface science-décideurs-citoyens. « Soutenue par le Plan Bleu, l’UPM, le programme MISTRALS, le CMI, l’IR, le Labex OTMed, PACA et la Catalogne, l’initiative concerne 180 chercheurs de 21 pays, dont 25% de chercheurs du sud et de la Méditerranée orientale ». Mme Daviet a aussi relevé qu’AMU participait activement aux grandes conférences internationales touchant au développement durable, en précisant que l’Université proposait, dans le cadre des réunions sur le climat, la constitution d’un réseau d’universités vertes en Méditerranée et d’un catalogue des formations en développement durable. Après avoir cité les travaux conduits par l’Observatoire hommes-milieux « littoral méditerranée », elle a indiqué qu’AMU appréhendait la question du genre via le GenderMed, « un réseau thématique de recherche créé et animer par des partenaires régionaux pour étudier le genre dans le bassin méditerranéen depuis Aix-Marseille Université ». Elle a salué le travail de Randi Deguilhem, de la MMSH et responsable du réseau. De manière générale, a-t-elle dit, l’étude du bassin méditerranéen est un axe fort de coopération bilatérale et multilatérale mise en œuvre à travers des accords, des cotutelles et l’animation de réseaux de type Téthys. Sylvie Daviet a fait remarquer qu’AMU, « au-delà de la Méditerranée », était présente le long de l’axe Europe-Méditerranée-Afrique, en particulier dans l’étude des maladies infectieuses.

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Ces questions sont portées par le laboratoire URMITE, a-t-elle précisé. « URMITE met sur pied un réseau afin d’installer des systèmes de surveillance et d’étudier les conséquences économiques des infections ». « Toutes les actions que je viens de présenter se font en direction des usagers, avec les personnels universitaires et les acteurs territoriaux », a souligné la représentante d’AMU. Pour elle, la recherche scientifique doit être plus que jamais multidisciplinaire et intersectorielle pour répondre à défis sociétaux de plus en plus complexes et multidimensionnels. Émile Tanawa, Vice-Recteur de l’Agence universitaire de la francophonie (AUF) a expliqué que les 10 bureaux régionaux de l’Agence couvraient tous les domaines relatifs aux ODD. L’AUF accompagne ses membres vers la réalisation du développement durable, plus spécifiquement en s’efforçant d’aligner ses projets sur la feuille de route des Objectifs, a-t-il dit. « Nous aidons en ce sens les universités avec lesquelles nous travaillons, cela en promouvant des pratiques de gestion d’établissements et des actions additionnelles axées sur les résultats ». M. Tanawa a déclaré que les ODD étaient l’un des socles de la politique et de la programmation de l’AUF, politique et programmation dont les mots-clés sont, a-t-il dit, « la veille, l’innovation, l’expertise, le partenariat, l’insertion professionnelle et l’employabilité ». Il a parlé des « les 200 projets » pertinents de l’Agence, qui concernent le soutien à la recherche, aux réseaux de femmes, à la formation des maitres auprès de 15 pays membres de l’OIF et à l’évaluation des établissements. « Nous souhaitons faire évoluer l’ingénierie pédagogique », a-t-il affirmé, évoquant les données réunies sur le méta-portail IDNEUF (www.idneuf.org), « qui a été lancé le 17 juin 2016 pour référencer l'ensemble des ressources éducatives libres en langue française issues de 20 pays, et d’en permettre l’accès à toute la communauté académique et audelà ». « Cet outil s’adresse aux étudiants, aux enseignants mais aussi décideurs du secteur de l’éducation ». Émile Tanawa a en outre noté que les partenariats diversifiés et innovants de l’AUF et de l’IRD avaient pour but d’aller « plus vite et plus loin dans la réalisation partagée des ODD ». Pierre Thénard, Directeur des relations internationales de l’ENA, a estimé que les « ODD s’emparent de l’ENA plutôt que l’inverse ».

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Il a déclaré qu’en accueillant et en formant des étudiants étrangers qui seront les futurs hauts fonctionnaires de leur pays, et en mettant en œuvre une stratégie internationale pour renforcer sa présence en Afrique mais aussi dans les pays émergents, l’ENA est un acteur de la coopération internationale et de l’aide au développement. « L’expertise française est mobilisée en ce sens à l’international », a-t-il assuré « Sur le plan thématique, nous nous recentrons sur les métiers qui correspondent à nos tutelles et qui ont trait à la gestion publique, au management, au leadership, à l’éthique, aux marchés publics… Nous sommes, je le rappelle, une école de la gouvernance qui a développé un métier d’opérateur. Or cette dimension-là de la gouvernance est beaucoup plus prégnante dans le corpus des ODD qu’elle ne l’était dans celui des OMD », a-t-il ajouté. « C’est en cela, qu’à notre échelle, nous sommes rattrapés par les ODD, que donc ils s’emparent plus de nous que nous nous emparons d’eux ». Il a insisté sur le fait que les 70 étudiants étrangers recrutés chaque année par ses services dans le cadre du cycle long de l’ENA, participaient d’une « véritable logique de coopération » : « Ces étudiants ont vocation à retourner dans leur pays ou dans leur ministère d’origine à l’issue de leur formation », a-t-il spécifié. Concernant les programmes de coopération de sa direction, M. Thénard a expliqué qu’ils n’étaient pas financés pour l’essentiel par la subvention de l’État, destinée à la formation des élèves français, mais « par nos partenaires : 41% de partenaires bilatéraux, il s’agit de pays, d’administrations, et 41% de partenaires multilatéraux, la Commission européenne, le PNUD, la Banque mondiale et les banques régionales ». « Les ODD ont été élaborés dans des enceintes multilatérales, si bien que lorsque nous candidations à des appels d’offres, du PNUD ou de la Commission européenne, nous retrouvons cette logique du développement durable : de nouveau, les ODD, déjà largement débattus par les développementalistes, en particulier les experts de la gouvernance, s’imposent à une école comme la nôtre, qui est tournée vers la coopération », a-t-il noté. Il a conclu son intervention en déclarant, qu’à l’avenir, l’ENA, « d’une taille trop petite pour intégrer une stratégie propre aux ODD », sera forcément articulée aux problématiques qui en découlent. Au nom de l’École Centrale Marseille, qu’il dirige, Frédéric Fotiadu, a déclaré que 25% des élèves accueillis à l’ECM était étrangers. Les ODD, a-t-il ajouté, constituent une grille de lecture qui a été intégrée dans le projet même de l’établissement, qui est de former des ingénieurs.

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« Les ingénieurs que nous formons développeront leurs projets en perpétuant l’idéal saintsimonien à l’origine des écoles centrales, un idéal humaniste, qui, parce qu’il place l’homme au centre de tout, se confond avec celui qui sous-tend la réalisation du développement durable », a-t-il expliqué. Il a précisé que la vaste culture scientifique enseignée à l’ECM avait pour objectif de permettre l’appréhension des systèmes les plus complexes, « des systèmes dans lesquels vit l’homme en relation avec un milieu, avec son environnement ». « Si nos programmes sont centrés sur le développement des capacités à gérer des systèmes complexes, à appréhender les plus hauts défis technologiques, ils prévoient également un enseignement étoffé en sciences humaines et sociales et une étude approfondie de ces nouvelles réalités que sont les crises humanitaires et les événements climatiques extrêmes », a indiqué M. Fotiadu. Santé et bio-ingénierie, énergie durable, révolution numérique et ruptures technologiques font également partie de l’enseignement de l’ECM, a-t-il noté. Frédéric Fotiadu a attiré l’attention sur les actions menées par l’ECM sur le terrain, des associations partenaires étant présentes en Afrique pour y accompagner localement la mise en œuvre d’objectifs de développement durable. « Le renforcement de l’accès se fait en lien avec ces associations et autorités locales », a-t-il ainsi dit. Dans ce cadre d’action, M. Fotiadu a déclaré que Marseille, « ville-monde », était un formidable laboratoire d’expérimentations de solutions locales destinées ensuite à être diffusées. « Pour réduire les inégalités sociales en améliorant l’accès à l’éducation, nos élèves s’engagent, en participant à des programmes d’équité éducative, auprès de collégiens et de lycéens. Ils appuient de futurs jeunes talents issus de milieux défavorisés en vue de faciliter leurs accès à l’enseignement supérieur. Cela représente 12 000 heures de bénévolats à l’échelle d’une seule promotion ». Il a ajouté qu’ECM, aux côtés de l’association Simplon, implantée aujourd’hui en Afrique, animait une école du code pour former les jeunes les plus éloignés de l’emploi à la programmation informatique. « Nous les formons en 7 mois et cette action est payante puisqu’elle répond à des besoins économiques très actuels », s’est-il réjoui. « Tous les centraliens de Marseille sont confrontés au monde, il s’agit là d’une condition d’obtention du diplôme. Pendant 1 semestre, 1 ou 2 années, ils doivent travailler dans des

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contextes internationaux qui font sens pour les pays où ils sont accueillis », a fait savoir M. Fotiadu. Il a aussi noté que l’accueil d’étudiants internationaux et la mobilité sortante étaient complétés depuis une dizaine d’année par le développement d’un réseau mondial d’écoles centrales. À cet égard, Philippe Dufourcq, Directeur des programmes à Centrale Casablanca, a présenté les grandes lignes de l’initiative marocaine. « Ouverte en 2015, deux après la signature de l’accord par M. Hollande et le roi du Maroc, avec une promotion de 40 élèves – l’objectif étant d’en accueillir à terme 200 –, Centrale Casablanca est une école de droit marocain, dotée de programmes co-définis avec les autorités marocaines », a-t-il insisté. M. Dufourcq a expliqué que Centrale Casablanca formerait les « futurs leaders de l’Afrique de demain », c’est-à-dire des ingénieurs centraliens habités par la notion « à réhabiliter » de progrès et par l’idée qu’une dynamique doit exister pour avancer vers un monde meilleur. Il a noté que, par définition, la création d’une école centrale en Afrique ancrait celle-ci dans les thématiques, problématiques et défis à relever du développement durable. « Cette école répond à une demande de l’État marocain d’augmenter la part de l’industrie dans le PIB du pays, et, partant, de donner un coup d’accélérateur vers le développement durable ». « Ces pays ne peuvent plus continuer de dépendre des énergies fossiles et des services : ils doivent maitriser les capacités de transformation. Pour ce faire, ils ont besoin de leaders industriels », a-t-il encore indiqué. M. Dufourcq a précisé que les programmes de formation interdisciplinaires de Centrale Casablanca étaient alignés sur les plans d’industrialisation du Maroc et de l’Afrique. « Sur le plan théorique, notre enseignement et nos recherches mettent l’accent sur les interactions entre les parties qui composent les écosystèmes industriels ». Ce « nouveau paradigme systémique » représente selon lui « l’ADN du développement durable ». Enfin, Philippe Dufourcq a livré les 4 grands axes d’enseignement et de recherche de Centrale Casablanca, qui recoupent les enjeux du développement durable : la transformation et la création d’entreprises et de valeurs, à travers une formation à la science de l’entreprise ; les énergies, y compris les énergies renouvelables, sur lesquelles le Maroc, qui n’a pas de ressources fossiles, est en pointe ; l’élaboration de villes intelligentes et l’économie sociale, cela pour repenser, en dehors des dons, la conception de systèmes

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urbains à l’heure de la massification ; la sécurisation des transactions, notamment des flux financiers et monétaires. « Créer de la valeur peut se faire à n’importe quelle échelle », a-t-il lancé.

Échanges avec la salle - Des participants ont salué la délocalisation d’écoles centrales dans des pays de la rive sud de la Méditerranée, en prônant la diffusion d’un enseignement basé sur les besoins des pays hôtes, en matière sanitaire notamment. - La bio-ingénierie médicale, qui vise à améliorer les soins de santé des populations, cela dans des régions en pleine transition démographique et marquées par une forte prévalence de maladies non infectieuses à composante génétique, aurait toute sa place dans les programmes d’une école centrale délocalisée, a-t-il ainsi été dit. - M. Dufourcq a répondu que son exposé s’était concentré sur les enjeux spécifiques à Casablanca. « La France, à Marseille, à Paris, travaille activement sur ces questions de bioingénierie, mais au Maroc, avec 40 à 50 enseignants-chercheurs, vous ne créez pas un labo de dimension universitaire », a-t-il indiqué. - Le directeur des programmes à Centrale Casablanca a rappelé que la vocation de l’école était le développement de thèmes de recherche conduits en partenariat avec les entreprises, en vue d’applications concrètes. Or, a-t-il ajouté, le développement durable fait appel à une recherche nécessairement interdisciplinaire. - À ce propos, il a appelé à une réorganisation urgente, en ce sens, d’une recherche française et même mondiale « encore trop rigide, compartimentée et disciplinaire » pour répondre aux défis multidimensionnels du développement durable. - « Mais les choses bougent enfin », s’est-il félicité, en citant les travaux du Laboratoire interdisciplinaire des énergies de demain de l’Université Paris-Descartes, « labo piloté par un historien qui dirige des physiciens, des chimistes, des mathématiciens… ». « Les problèmes sont complexes et ne sont pas, d’eux-mêmes, cantonnés dans un domaine donné », a-t-il dit. - Sur le libre accès à la connaissance, ou « open-access », Mme de Barbarin a expliqué qu’il était une façon de contrecarrer l’hégémonie des grands éditeurs scientifiques. « Ceux-ci ont progressivement racheté toutes les petites maisons d’édition et, aujourd’hui, ils nous refacturent des revues au format numérique à des prix quasi prohibitifs », a-t-elle fait remarquer. 55 1ère Ecole d’été des Objectifs de Développement Durable – 8 au 13 juillet 2016 – Marseille, France


- « Pour vous donner un ordre d’idée, les titres du groupe de presse Nature coûtent chaque année à AMU 1,2 millions d’euros », a-t-elle précisé. « Du coup, ces sommes ne sont pas versées à la recherche, et, ironiquement, nous payons très cher des publications signées d’enseignants-chercheurs que nous rémunérons !». - La seule réponse qui peut être pour l’instant apportée est la diffusion en libre accès des résultats de la recherche financée sur fonds publics, comme le demande d’ailleurs aux États membres le Conseil européen de la recherche, a-t-il été souligné par les conférenciers. - Le développement de l’accès libre à l’échelle internationale permet des échanges tout à fait pertinents sur tous les sujets liés au savoir, y compris les connaissances dans le domaine du développement durable, a-t-il aussi été dit. « Il faut en effet décloisonner la recherche », a plaidé Mme de Barbarin, qui a indiqué qu’AMU jouait pleinement le jeu avec son portail d’archive ouverte « HAL AMU ». - Des intervenants ont attiré l’attention sur la nécessité de mettre l’accent sur les approches systématiques au lieu de se focaliser sur une gouvernance de silo complexe et n’ayant guère donné de résultats. Pour mettre efficacement en œuvre les ODD, il faut créer des synergies et des interactions et valoriser économiquement les externalités positives qui en découlent, a-t-il été souligné. - « La gouvernance actuelle, qui est imparfaite, produit des externalités négatives, les coûts de transaction étant considérables ». « Il faut dépasser cette gouvernance, qui est une norme et nullement un concept », a estimé Claude de Miras, de l’IRD. - Les participants ont par ailleurs appuyé la soumission de projets de recherche à une commission et non pas à la seule personne du directeur de recherche, ainsi que la réduction du fossé persistant entre théorie et pratique de terrain, surtout dans les pays du Sud. - Mme Daviet a noté que, pour réduire cet écart, il fallait continuer de favoriser les stages d’étudiants dans les masters en complément de la formation académique. « Nous faisons venir à AMU des intervenants professionnels pour faire entrer les réalités complexes du monde dans l’université. Nous encourageons également la mobilité sortante évoqué par M. Fotiadu et exigeons, pour certains diplômes, que soient effectués des stages en entreprises », a-t-elle indiqué. - Mme de Barbarin a conclu la discussion en soulignant qu’AMU développait une approche par compétences, cela en alignant le contenu de la formation sur les besoins professionnels clairement identifiés.

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- « Pour ce métier, de quelles compétences a-t-on besoin ? Voilà en quoi consiste cette approche, approche qui ne vise plus uniquement l’obtention d’un diplôme », a-t-elle dit.

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ODD, mondes socio-économiques et territoires Avec la participation de : • • • • •

Bernard Valero, Directeur Général de l'Agence des Villes et Territoires Méditerranéens (AVITEM), ambassadeur de France Jean-Louis Guigou, Président de l'Institut de Prospective Économique du monde MEDiterranéen (IPEMED) Pierre Massis, Directeur de l'Office de Coopération Économique pour la Méditerranée et l’Orient (OCEMO) Emmanuel Noutary, Directeur d'ANIMA Investment Network Jean-Pierre Elong Mbassi, Secrétaire Général Afrique de l’association "Cités et Gouvernements Locaux Unis", CGLU Afrique

Afin de donner quelques ordres de grandeur, Bernard Valero, Directeur Général de l’Agence des villes et territoires méditerranéens (AVITEM) a passé en revue quatre grands constats dressés par l’AVITEM au niveau de l’espace méditerranéen : •

la forte croissance de la population, qui devrait passer de 95 millions en 1950 à 380 millions de personnes en 2025, au sein d’un espace caractérisé par de petites baies côtières et des reliefs montagneux ;

la progression du taux d’urbanisation sur les deux rives, avec une progression accélérée au sud, soit une forte pression sur le foncier ;

la progression des populations côtières et de la pression démographique dans ces zones, dont la densité qui s’établissait à 93 h/km² en 1970 et 141 h/km² en 2000 devrait passer à 172 h/km² en 2025 ;

la variation de la population côtière en fonction de la période de l’année, avec des pics difficilement supportables sur le plan économique et préjudiciables en termes de développement durable.

Cette évolution de la pression démographique au cours du XXème siècle a eu des conséquences, notamment physiques, sur l’environnement telles que la déforestation, la réduction des terres agricoles, l’accroissement du stress hydrique ou encore l’augmentation de la concentration de CO2 au sein de l’espace méditerranéen qui agrège ainsi un certain nombre de paramètres relativement catastrophiques sur le plan environnemental a alerté Bernard Valero. En conséquence, il convient d’organiser la vie en ville dans une perspective de développement durable, en lien avec les ODD. Bernard Valero a d’ailleurs appelé à engager une telle démarche le plus rapidement possible au regard des évolutions préoccupantes des dernières années. De plus, les indicateurs environnementaux « sont particulièrement aggravées par un phénomène connu depuis longtemps, mais qui prend une ampleur considérable,

à

savoir

la

question

des

migrations »

a-t-il

poursuivi.

Des

pays 58

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traditionnellement émetteurs sur la rive sud deviennent à leur tour des pays d’accueil et rencontrent de grandes difficultés, qui requièrent des actions d’urgence dans le cadre du partenariat et de la coopération internationale. « A travers ces évolutions, nous devons agir vite pour faire en sorte que l’espace urbain soit organisé de manière à supporter ces pressions croissantes. » a également plaidé Bernard Valero tout en soulignant que ce phénomène de migrations sera susceptible de prendre un relief particulier au cours des 20 à 30 prochaines années avec l’apparition des migrations environnementales, qui contraindront des populations entières obligées à remonter vers le nord faute de terres agricoles, de ressources en eau, etc. A partir de là, Bernard Valero a engagé à mener un vrai travail de réflexion, en particulier sur les enjeux d’enseignement, d’urbanisme et d’aménagement du territoire qui ne sont pas traitées par une discipline à proprement parler. Or il importe de sortir du stade de l’empirisme, parfois du bricolage, en matière de logements, d’organisation des services publics, etc. Il est d’ailleurs un thème qui gagne en importance depuis quelques années : la smart city a signalé Bernard Valero. Certes, il s’agit d’une évolution positive, qui fait l’objet de nombreuses expérimentations en Provence Alpes Côte d’Azur, mais il convient de prévenir la résurgence d’un phénomène de type « fracture numérique » entre le nord et le sud à ce niveau. Par ailleurs, Bernard Valero a souligné que la frontière entre l’espace urbain et l’espace rural était désormais ténue tant le premier a tendance à s’étendre sur le second. Il a donc incité à conduire un travail sur la construction, l’organisation et le développement du territoire métropolitain, qui constitue l’un des défis du XXIème siècle en termes d’aménagement des territoires. Enfin, Bernard Valero a attiré l’attention sur la tenue de la conférence des Nations Unies vicennale Habitat III à Quito du 17 au 20 octobre 2016, co-construite par la France et l’Equateur. A cet égard, il a salué le travail et la mobilisation de la diplomatie française qui a réussi un exploit à l’occasion de la Conférence de Paris en 2015. Cet évènement avait été précédé par la MEDCOP 21 à Marseille, qui a constitué une innovation de l’approche française et qui sera reprise par le Maroc pour une MEDCOP 22 à Tanger. Dans ce cadre, l’AVITEM participera aux échanges afin de porter le message de la nécessaire pérennisation des rendez-vous MEDCOP à l’avenir. Cette rencontre permet en effet d’ouvrir un espace de coopération sur les questions environnementales, qui sont cruciales pour les populations méditerranéennes. Lors de la conférence Habitat III, l’AVITEM s’efforcera également de défendre la spécificité de l’urbain en Méditerranée et d’assurer sa reconnaissance. L’enjeu consiste à prévenir l’application d’un modèle uniforme en termes de normes. Cette

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conférence sera donc importante, d’autant plus que sont attendues de vraies réponses aux problèmes spécifiques de l’espace méditerranéen. Sur le partenariat et territoires, Jean-Louis Guigou, Président de l’Institut de Prospective Économique du Monde Méditerranéen (IPEMED) a mis en avant quatre idées majeures. Première tendance lourde, la montée des biens collectifs et des biens communs, un bien collectif étant entendu comme la beauté d’un paysage ou la cohésion sociale, par exemple. Dans ce cadre, chacun peut consommer sans nuire à la consommation d’autrui. L’environnement relève ici des biens collectifs, les deux autres catégories de biens étant les biens privés régulés par le marché et les biens publics (armée, monnaie, etc.) gérés par l’État et la loi. Pour leur part, les biens collectifs sont gérés par des communautés. Or, il se trouve qu’en France, le système jacobin a détruit les coopératives et les biens collectifs, à la différence des pays scandinaves et du nord de l’Europe, très décentralisés, où les biens communs représentent 20 à 25 % du PIB. Du fait de cette amputation, il est possible d’observer une montée en puissance des biens collectifs en France ces dernières années, c'est-à-dire que les individus sont en train de s’organiser pour reprendre la main sur une partie de leur destin via l’économie collaborative. Cette tendance contribuera à une valorisation de l’ensemble des sujets liés à l’environnement selon Jean-Louis Guigou. En effet, « La vraie révolution écologique viendra de la base, du comportement des individus, qui vont se révolter et s’organiser en coopératives, syndicats, etc. pour protéger leur environnement. » a-t-il indiqué. Deuxième idée, la France a développé un système centralisé et sectoriel axé sur le déploiement de circuits longs. A titre d’exemple, EDF produit et gère uniquement l’électricité, Suez Environnement se consacre à l’eau, etc. Or plus les problèmes intéressant une communauté sont gérés au niveau local, plus les élus et les citoyens demandent du global. A cet égard, l’exemple de la ville de Fribourg est édifiant selon Jean-Louis Guigou. En effet, les permis de construire sont délivrés par îlot et par quartier de 5 000 logements, et non à l’échelle individuelle. Les cahiers des charges intègrent de plus des contraintes d’autonomisation énergétique et de traitement des déchets. Ainsi, les architectes ont pour mission d’imaginer l’implantation d’activités compatibles avec un lotissement afin que les habitants n’aient pas à se déplacer de manière excessive, que le cycle de gestion des déchets soient pris en compte, etc. Troisième idée, l’identité des territoires et le rôle des élus. Dans les pays du nord, un marketing territorial d’un nouveau genre se développe et s’intéresse aux questions d’environnement, ce qui n’est pas encore le cas du marketing territorial français qui met en avant l’existence d’infrastructures, d’universités, etc. En Allemagne ou en Suède, les

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discours mettent en valeur l’existence d’une nature protégée, à quelques minutes des habitations, d’une certaine cohésion sociale, etc. Jean-Louis Guigou a également souligné le risque d’accroissement des migrations à court terme. Il a rappelé à cet égard qu’une problématique similaire s’était posée au Japon durant les années 1950 et 1960. Ce phénomène a donné naissance à la théorie du vol d’oies sauvages ou théorie d’Akamatsu du nom de l’économiste japonais qui l’a formalisée, selon laquelle le travail ne doit pas se déplacer vers le capital. Au contraire, il est préférable que le capital se déplace vers le travail. Les japonais ont ainsi mis en œuvre une stratégie de vagues d’investissement en direction du sud, ce qui a permis de stabiliser les mouvements de population en provenance de Corée, de Taïwan ou de Singapour, puis des Philippines, de Malaisie et d’Indonésie. Par l’aide au développement, les japonais ont fixé les migrations. En effet, dès lors que les populations ont accès à l’emploi dans leur pays, elles savent résister aux difficultés économiques et politiques. Il en a été de même pour l’Allemagne et les pays de l’est après la chute du mur de Berlin. « Que le capital descende, c’est évident ! » a plaidé Jean-Louis Guigou qui a d’ailleurs noté une prise de conscience de nombreux chefs d’entreprise vis-à-vis de l’intérêt que représentent la proximité et la complémentarité des pays du Maghreb et d’Afrique. La solidarité permet de belles réussites comme en témoigne la récente décision de Michelin de construire une usine de pneus au Mexique, également réceptacle des délocalisations chinoises et américaines. Enfin, Jean-Louis Guigou est revenu sur la volonté des populations de se réapproprier une partie de leur destin à travers les biens collectifs et de produire eux-mêmes des énergies renouvelables. Il participera d’ailleurs prochainement au jury d’une thèse sur la capacité des collectivités locales à s’autonomiser en matière énergétique. « Vous rendez-vous compte, les collectivités locales désirent s’autonomiser en traitant leurs propres déchets, en utilisant des petits cours d’eau, etc. et non plus des grandes infrastructures ! » a-t-il mis en avant. Outre la dimension locale, Jean-Louis Guigou a souligné que l’espace pertinent de demain était l’aire Afrique, Méditerranée et Europe qu’il conviendra d’unifier grâce à une meilleure orientation du capital. « L’avenir des générations futures se jouent dans ce grand ensemble. » a-t-il conclu. L’intégration, mais aussi l’équité sociale, sont des enjeux majeurs a indiqué en préambule de son intervention Pierre Massis, Directeur de l’Office de Coopération Économique pour la Méditerranée et l’Orient (OCEMO). Derrière les territoires et les économies se trouvent des hommes et des femmes, notamment des jeunes des moins de 30 ans qui représentent 61 % de la population méditerranéenne. La population en âge de travailler passera de 125 à 167 millions de personnes en 2030, soit une progression attendue de 34 %. En Egypte,

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715 000 demandeurs d’emploi font leur entrée chaque année sur le marché du travail par exemple. La pression sur les systèmes éducatifs et de formation devient donc considérable. Dans un contexte de migrations tragiques et d’émigration, les jeunes constituent une classe d’âge fragilisée. Les mouvements des nombreux jeunes diplômés vers l’Europe et les pays du Golfe génèrent de grandes pertes de capital humain et fragilisent encore l’écosystème de production des pays du Maghreb et du Moyen-Orient. En contrepartie, les envois de fonds des migrants participent dans une large mesure au PIB des pays d’origine. Autre enjeu, la démocratie et son apprentissage dans les pays de la Méditerranée, et ce sur les deux rives. Nord et sud sont en effet confrontés à des problématiques similaires. Si les aspirations diffèrent, la volonté d’une plus grande participation et d’une plus grande démocratie est identique de part et d’autre de la mare nostrum. Les jeunes impliqués dans ce mouvement se veulent des représentants actifs d’une jeunesse citoyenne qui cherche à construire un monde plus démocratique et plus durable. Il est d’ailleurs à noter que ces mouvements se structurent autour de jeunes leaders, avec pour objectifs principaux la compréhension mutuelle entre les jeunes de la région euro-méditerranéenne, la promotion d’une citoyenneté active et le renforcement de la solidarité intergénérationnelle et intergenre. La liberté, le pacifisme, la durabilité, la diversité et la mobilité sont au premier rang des valeurs sous-tendues par cette nouvelle démocratie. Enfin, au regard du taux de chômage des jeunes dans l’aire méditerranéenne, qui est l’un des plus élevés au monde, de l’ordre de 25 % en moyenne et jusqu’à 42 % pour des pays comme la Tunisie, Pierre Massis a fait valoir la nécessité d’accentuer la qualité de l’éducation et de favoriser les secondes chances, en partenariat avec les institutions et les entreprises. A cet égard, l’OCEMO travaille sur l’enjeu de l’employabilité avec les pays du sud de la Méditerranée, ainsi que de la rive nord, afin de développer un certain nombre de protocoles et de dispositifs facilitant le dialogue et l’intégration des jeunes, notamment des jeunes femmes. L’année 2011 a constitué un véritable tournant dans les pays de la rive sud de la Méditerranée a indiqué Emmanuel Noutary, Directeur d’ANIMA Investment Network. Les acteurs institutionnels et privés ont alors pris conscience d’erreurs et de lacunes vis-à-vis de ces territoires. Pourtant, au cours des années précédentes, le World Economic Forum avait salué la Tunisie comme le pays le plus compétitif d’Afrique, la Banque Mondiale considérait l’Égypte comme le meilleur réformateur de la zone, les économistes saluaient à l’unisson les taux de croissance africains, les investissements directs étrangers en Méditerranée s’étaient multipliés par 10, etc. Personne n’avait vu venir une revendication essentielle : la nécessité de redistribution.

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Dans le cadre d’une étude à l’initiative de la Banque Mondiale, le réseau ANIMA s’est penché en 2010 sur les niches porteuses en matière de création d’emplois. A ce titre, il a observé que 50 % des investissements étrangers dans les pays de la rive sud se concentraient sur 5 secteurs : énergie, BTP, tourisme, cimenterie et banque. Cependant, hormis pour le domaine bancaire, ces principaux secteurs créaient moins de 10 emplois par million d’euros investis alors que, dans le même temps, des secteurs comme l’industrie mécanique, le textile et l’agroalimentaire en créaient 100, voire 200 pour les centres d’appels. Ainsi, tous ces investissements salués comme une grande performance des pays méditerranéens ne favorisaient guère l’emploi à court terme. En outre, les installations de multinationales dans les zones franches, également vantées en leur temps, ne concernaient pas des territoires prioritaires, mais le littoral et les capitales renforçant ainsi les inégalités de développement. « Tout le monde s’accorde aujourd'hui sur la nécessité de redistribution et les erreurs des précédentes politiques de développement qui ont laissé pour compte des territoires et des populations. » a souligné Emmanuel Noutary. En écho à une note de la banque Merrill Lynch, il a ajouté que « Wall Street has prospered, the main street has not. ». Cependant, tout le problème est que les États et les autorités locales n’ont pas les moyens de changer de stratégie, en raison essentiellement d’un problème d’endettement. En effet, tout changement de politique de redistribution suppose un investissement massif dans l’éducation. Il est donc difficile de mener des politiques en rupture avec le passé. « En attendant que les populations reprennent la main sur la finance, il est un acteur susceptible de constituer un bon relais et de travailler en partenariat avec les territoires : l’entreprise. » a mis en avant Emmanuel Noutary. Les entreprises peuvent être séduites par ce type de démarche citoyenne qui valorise leur image vis-à-vis du marché et fidélise par la même occasion leurs clients et leurs salariés. De plus, une étude conduite par Ernst & Young a établi que la mise en œuvre d’une politique de responsabilité sociétale contribuait à écarter le risque de faillite. A ce titre, l’ensemble des pays méditerranéens s’efforcent d’attirer les entreprises, notamment via des primes à l’aménagement du territoire, des avantages fiscaux, des accompagnements, etc. « L’important est de savoir qui accompagner et pour quel objectif. » a précisé Emmanuel Noutary. Les collectivités et les territoires doivent donc s’équiper en compétences afin de négocier avec les entreprises et travailler de manière partagée et inclusive. Elles doivent également se doter d’outils de mesure et d’évaluation des impacts locaux. En conclusion, Emmanuel Noutary a estimé que les opérateurs privés étaient prêts à s’engager dans cette démarche qu’il conviendrait de valoriser. Pour ce faire, il serait opportun de réorienter les moyens alloués aux politiques d’attractivité vers la performance à 63 1ère Ecole d’été des Objectifs de Développement Durable – 8 au 13 juillet 2016 – Marseille, France


l’inclusion, à la création d’emplois, à l’effet d’entraînement local, etc. Il s’agit donc d’élaborer un New Deal entre les entreprises et les territoires. Pour sa part, Jean-Pierre Elong Mbassi, Secrétaire Général Afrique de l’association Cités et Gouvernements Locaux Unis (CGLU Afrique), a adhéré à la vision de la solidarité nord/sud présentée par Jean-Louis Guigou. « Selon Alfred Sauvy, si la richesse ne va pas aux hommes, les hommes vont à la richesse. » a rappelé Jean-Pierre Elong Mbassi. A cet égard, il s’est étonné du caractère soupçonneux des pays européens vis-à-vis des migrations africaines, car elles se sont déjà produites à plusieurs reprises par le passé, et ce à des échelles bien plus importantes, sans poser de problème. « Cette frilosité est-elle liée au vieillissement de l’Europe ? » s’est-il interrogé, sachant que cette même Europe a su accueillir et intégrer de nombreuses générations d’émigrants. C’est la raison pour laquelle l’association CGLU souhaite que la solidarité fasse l’objet d’une vision commune. La COP 21 a d’ailleurs constitué un formidable relais en ce sens. La Terre étant un patrimoine commun et universel, chacun doit faire un effort afin d’éloigner les menaces. Cette vision est désormais partagée par l’ensemble de l’humanité, sachant que toute catastrophe localisée dans une zone a des répercussions dans une autre. Néanmoins, certains territoires sont davantage touchés et d’autres relativement épargnés, ce qui justifie la mise en œuvre du concept de responsabilité commune, mais différenciée. « Dans ce cadre, les ODD ne seront véritablement atteints que si chacun les voit se réaliser chez soi. » a déclaré Jean-Pierre Elong Mbassi. En conséquence, les collectivités territoriales appellent à une localisation des Objectifs de Développement Durable afin de pouvoir évaluer les changements à l’échelle locale, au plus près des citoyens. A cet effet, Jean-Pierre Elong Mbassi a fait référence au premier plan de développement économique de la République socialiste du Vietnam, à savoir « un bol de riz par personne et par jour, une maison par famille et une école par village », qui est selon lui le plus édifiant. Il a donc appelé à éviter toute complication liée à la multiplication des indicateurs qui aboutiraient in fine à une virtualisation de la réalité, sans résultat concret. Par ailleurs, Jean-Pierre Elong Mbassi a attiré l’attention sur la « deuxième indépendance » à mettre en œuvre afin de redonner à la population la capacité de se gouverner au plus près de ses intérêts. Si tel n’est pas le cas, les ODD ne pourront pas se concrétiser sur le terrain, à l’instar des précédents OMD. A ce titre, les territoires et les autorités locales devront enfin être parties prenantes des négociations et de la gestion des agendas internationaux, sachant que le combat se gagnera ou se perdra dans les villes.

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Il sera également indispensable que la communauté internationale se mobilise afin que l’ensemble des acteurs participent au bien-être collectif. Cette tâche suppose un meilleur usage des ressources publiques. Certes, le secteur privé a également un rôle à jouer, mais il s’inscrit généralement dans une vision à court terme. « La puissance publique dispose de capacités et de ressources de grande ampleur, il n’est pas normal qu’elle ait renoncé à intervenir. » a considéré Jean-Pierre Elong Mbassi. Enfin, Jean-Pierre Elong Mbassi a appelé à faire preuve d’inventivité, à l’instar de la municipalité de Bristol, qui faute de ressources, a décidé de créer sa propre monnaie, le Bristol pound, et d’en imposer l’utilisation, notamment pour le règlement de taxes et d’impôts. En conséquence, de nombreuses entreprises ont intégré cette devise vertueuse, car elle n’autorise pas de thésaurisation. « Les collectivités territoriales sont les lieux où se négocie le monde de demain. Les acteurs locaux sont globaux par essence. » a affirmé Jean-Pierre Elong Mbassi, qui a également incité à la mise en œuvre d’un plan Marshall pour Afrique sur la base de l’exemple japonais évoqué par Jean-Louis Guigou. S’agissant de l’engagement des entreprises, Jean-Louis Guigou a assuré que de nombreux acteurs du secteur privé se souciaient du long terme. Certes, le monde de l’entreprise comptera toujours des prédateurs, mais une certaine forme de rupture avec les comportements du passé a été observée. Jean-Louis Guigou a ainsi indiqué qu’un certain nombre de chefs d’entreprises avaient conscience de leurs responsabilités et se lançaient dans la coproduction, le client méditerranéen et africain étant considéré comme un partenaire. Dans ce cadre, un transfert du savoir-faire, des technologies, etc. est opéré. « Ils savent très bien que c’est de la qualité du partenariat entre entreprise européenne et entreprise africaine que dépendra le succès. » a fait valoir Jean-Louis Guigou. Les chefs d’entreprise ont pris note de l’intérêt d’un développement en Afrique, mais ils le défendent à présent en s’associant avec les acteurs locaux. En conséquence, si les entreprises jouent le jeu du co-développement, le continent africain explosera dans la bonne direction d’ici 20 ans a estimé Jean-Louis Guigou. Sur l’affectation des aides publiques, Emmanuel Noutary a précisé qu’il convenait de bien choisir les entreprises partenaires, en particulier les entreprises désireuses de s’engager à long terme et dans la même logique que la collectivité territoriale concernée. L’objectif consiste à mettre en place un partenariat donnant-donnant entre le secteur privé et les territoires.

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Échanges avec la salle - En réponse à une intervention sur la divergence de points de vue entre le sud, qui requiert une migration des capitaux, et le nord qui privilégie l’immigration choisie, Jean-Pierre Elong Mbassi a fait part de la position exprimée par la CGLU lors du sommet Afrique-Europe sur la problématique des migrations qui s’est tenu en novembre 2015 à La Valette. Les migrations entre les deux rives de la Méditerranée sont pour le moins minoritaires dans les mouvements observés à l’échelle du continent africain. A titre d’exemple, le Liban, la Jordanie ou le Maroc supportent dans de bien plus larges proportions des arrivées de populations que les pays européens. A son niveau, la CGLU a réaffirmé son attachement au principe d’égale dignité des hommes et a appelé les collectivités territoriales européennes à prendre position, afin que les États ne traitent pas les problématiques de migration sous le seul angle sécuritaire. En effet, « La solution sécuritaire n’en est pas une et ne le sera jamais. » a assuré Jean-Pierre Elong Mbassi, pour qui les enjeux de migration doivent se traiter dans le cadre du développement. De plus, Jean-Pierre Elong Mbassi a souscrit une nouvelle fois à la position exprimée par Jean-Louis Guigou sur la théorie d’Akamatsu. Cependant, l’agenda d’Addis Abeba incite à mobiliser en priorité les ressources domestiques publiques, qui supporteront donc l’effort de transformation vers la durabilité, le secteur privé étant considéré comme un adjuvant. Dans ces conditions, en l’absence d’incitations au niveau de la fiscalité locale, il sera pour le moins difficile d’accompagner les mutations. Pour sa part, Pierre Massis a considéré que le raccourci mobilité/migration était préjudiciable. Il a ainsi incité à voir la mobilité comme un phénomène favorable et positif, qui 66 1ère Ecole d’été des Objectifs de Développement Durable – 8 au 13 juillet 2016 – Marseille, France


ouvre à d’autres connaissances et manières de faire. C’est la raison pour laquelle elle est encouragée, notamment par les instances supranationales. En outre, de par son expérience aux côtés de binationaux, essentiellement des jeunes, Pierre Massis a observé leur capacité à se déplacer d’un territoire ou d’un continent à l’autre, avec l’envie de réinjecter leur savoir et leurs compétences sur leur territoire d’origine. Cette mobilité est un véritable atout. - Sur la problématique de l’accompagnement des entreprises locales, en particulier dans des environnements où la longévité des structures n’excède pas quelques années, Emmanuel Noutary a expliqué que les cadres réglementaires en Afrique ne sont pas adaptés et ne favorisent pas les investissements dans les entreprises naissantes. De même, les banques font défaut en termes de financement, incitant ainsi les jeunes entrepreneurs à se tourner vers les investisseurs privés et les business angels dont les niveaux d’exigence sont relativement élevés. Néanmoins, le continent compte des incubateurs et des accélérateurs, ainsi que des dispositifs de monitoring intéressants. Il conviendrait d’élaborer et de déployer une chaîne associant acteurs publics lors de la phase d’amorçage et acteurs privés lors de la phase de développement d’une entreprise. - S’agissant de la problématique des migrations, une intervenante a fait part d’une grande différence entre les immigrants et les réfugiés, ces derniers étant contraints de quitter leur territoire d’origine. A ce titre, le Liban est devenu le premier pays d’accueil, et ce à hauteur au-delà d’un tiers de sa population avec les nombreux impacts que cette situation engendre. Jean-Pierre Elong Mbassi a déploré une nouvelle fois la frilosité des pays européens vis-àvis de l’immigration, d’autant plus que de nombreux autres épisodes migratoires ont eu lieu par le passé sans provoquer de difficultés majeures. Il est regrettable que les aspects émotionnels aient pris le pas sur la réflexion. Pour sa part, Bernard Valero a fait part de son admiration vis-à-vis de la posture du Liban, mais aussi de la Jordanie et de la Turquie. Il a ainsi salué l’exemplaire et historique tradition d’accueil du Liban, qui fait face à une situation tout à fait unique en Méditerranée. En outre, il a souhaité que les politiques publiques intègrent davantage les enjeux d’intégration en termes d’aménagement, d’infrastructures, etc. Par ailleurs, Bernard Valero a incité à privilégier une approche de compromis et de coopération, et non à progresser dans la réflexion d’opposition en opposition entre le privé et le public, le sud et le nord, le national et le local, etc. Enfin, Bernard Valero a noté que l’Union Européenne n’a pratiquement pas été évoquée au cours de la discussion, ce qui est révélateur de ce qu’aurait dû être la place de l’UE dans les débats de l’école d’été des ODD. En conséquence, il n’est pas étonnant d’assister à des 67 1ère Ecole d’été des Objectifs de Développement Durable – 8 au 13 juillet 2016 – Marseille, France


velléités de sortie de l’Union, des crispations, etc. L’absence de référence à l’Union Européenne pose un vrai problème. - Revenant sur une interrogation relative au financement du développement et à la mobilisation des entreprises en faveur de l’intérêt général, Emmanuel Noutary a souligné que le patronat est le promoteur de la responsabilité sociétale des entreprises au Maroc, en Tunisie, etc. L’État n’est pas à l’origine des démarches RSE, mais les entrepreneurs euxmêmes qui voient leur intérêt dans le développement durable. Ces acteurs commencent à s’intéresser à l’ancrage local de leurs entreprises, à ses interactions avec les collectivités, l’environnement, etc. Ils ont pris conscience qu’ils sont parties prenantes d’un équilibre à créer et à préserver.

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Transition COP21-COP22, grands rendez-vous Avec la participation de : •

Yannick Glemarec, Sous-Secrétaire Général ONU-femmes, New-York, USA

Après avoir présenté son parcours, Yannick Glemarec, Sous-Secrétaire Général ONUfemmes, New-York, USA, a proposé d’aborder les synergies entre la lutte contre les dérèglements climatiques et l’égalité entre les hommes et les femmes. L’accord de Paris à l’issue de la COP 21 a été accueilli par la communauté internationale comme l’un des plus grands exploits diplomatiques de ces dernières années, qui plus est dans le domaine climatique. Cependant, il a également suscité des critiques, notamment de la part de climatologues reconnus. Acteurs privés et publics ont salué le consensus obtenu sur la nécessité de limiter l’augmentation de la température moyenne mondiale à 2°C, l’augmentation du niveau des contributions tous les 5 ans, etc. De plus, pour la première fois dans l’histoire, 186 pays ont déposé une contribution nationale afin de lutter contre le changement climatique. Cela étant, une partie de la communauté scientifique a regretté l’absence de feuille de route pour réduire les émissions de gaz à effet de serre. En outre, le texte ne fait en aucune manière référence aux combustibles fossiles, ainsi qu’aux émissions issues des transports aériens et maritimes. Sur le plan historique, la communauté scientifique étudie les changements climatiques depuis près de 200 ans. Or depuis les conclusions de Sven Arrhénius formulées en 1896, selon lesquelles un doublement des concentrations de gaz à effet de serre dans l’atmosphère se traduirait par une augmentation de 5°C de la température moyenne annuelle de la planète, les modèles scientifiques n’ont pas apporté de contribution majeure. Cela étant, Sven Arrhénius estimait que le réchauffement prendrait plusieurs milliers d’années et serait bénéfique à l’économie. Or, dès les années 1970, il a été admis que le doublement de la concentration des gaz à effet de serre interviendrait au cours du XXème siècle, ce qui a donné lieu à des réflexions sur le coût économique d’une transition énergétique et à l’intervention dans les débats des acteurs économiques, politiques et diplomatiques. Pour se rendre compte à quel point l’accord de Paris était un exploit diplomatique, Yannick Glemarec a rappelé l’objectif de la convention cadre de l’ONU sur les changements climatiques, à savoir la stabilisation de la concentration des gaz à effet de serre dans l’atmosphère à un niveau qui ne serait pas nocif. Tel était le niveau d’ambition affiché en 1992. Près de 25 années ont ainsi été nécessaires pour passer d’une formulation relativement vague à la limite claire de 2°C, voire de 1,5°C qui serait même indispensable pour l’aire méditerranéenne.

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Cependant, certains scientifiques, notamment James Hanson ont estimé que « cet accord ne valait pas le prix du papier sur lequel il était écrit », les instruments de mise en œuvre faisant défaut. En effet, l’article 4.1 appelle à un équilibre entre les émissions anthropiques par les sources et les absorptions anthropiques par les puits des gaz à effet de serre au cours de la seconde moitié du XXIème siècle, sur la base de l’égalité, dans le contexte du développement durable et de la lutte contre la pauvreté, soit des dispositions relativement énigmatiques. Dans ce cadre, les sociétés peuvent continuer à utiliser autant de combustibles fossiles qu’elles souhaitent dès lors qu’il est possible de capturer le dioxyde de carbone de l’atmosphère. Le caractère ambitieux dans cet article a ainsi été réprimé par les pays détenant la majorité des combustibles fossiles de la planète. « Est-il possible de capturer et récupérer le dioxyde de carbone présent dans l’atmosphère ? » s’est interrogé Yannick Glemarec. Au regard des contributions déposées par les différents pays, l’augmentation de la température moyenne mondiale devrait être de l’ordre de 2 à 5,7°C par rapport à la période préindustrielle, ce qui reviendrait à passer d’une ère glaciaire à une ère tempérée en moins d’un siècle. Il apparaît donc pour le moins nécessaire d’augmenter le niveau des ambitions, ce que prévoit l’accord de Paris tous les 5 ans. A cet égard, le GIEC a proposé le recours à un budget carboné, qui n’a pas été retenu. Or, selon ces experts, il conviendrait de ne pas dépasser les 800 gigatonnes de CO2 dans l’atmosphère d’ici 2050, ce qui suppose des efforts considérables en termes de transition énergétique dans un contexte de croissance économique. De plus, il serait indispensable de capturer 500 gigatonnes de CO2 de 2050 à 2100 afin de rester en deçà de la limite de 1,5°C. Pour ce faire, l’unique technologie à la fois viable et accessible est la capture biologique à travers la reforestation. Toutefois, cette option impliquerait la mobilisation de 25 à 46 % des terres arables, avec un impact fort sur les problématiques de sécurité alimentaire. Elle n’est donc pas envisageable en l’état actuel des sociétés. Ainsi, l’humanité ne pourra pas mener à bien une politique de lutte contre les changements climatiques si elle ne parvient pas à l’inscrire dans la recherche de l’égalité et du développement durable, ainsi que dans la lutte contre la pauvreté, dans le droit fil de l’article 4.1. « Les changements climatiques devront faire partie d’une thématique plus large de développement durable et de lutte contre la pauvreté. Tel est le grand défi du XXIème siècle ! » a considéré Yannick Glemarec. « De facto, ces thématiques exigeront une certaine transversalité dans notre mode de pensée. » a-t-il poursuivi. Dans ce cadre et via la plate-forme The world we want, la communauté internationale a estimé que l’éducation devait faire l’objet d’actions prioritaires, la lutte contre les changements climatiques étant minoritaire. A ce titre, la transversalité ouvre la porte à de nombreuses synergies à exploiter, notamment celle relative à l’égalité entre les hommes et 70 1ère Ecole d’été des Objectifs de Développement Durable – 8 au 13 juillet 2016 – Marseille, France


les femmes, l’autonomisation des femmes et la lutte contre les changements climatiques. « Je crois fermement que c’est l’un des leviers les plus puissants à notre disposition et pourtant l’un des moins utilisés, pour l’accélération de la lutte contre les changements climatiques. » a indiqué Yannick Glemarec. En effet, toutes les grandes conventions internationales relatives au développement durable ont reconnu l’importance de politiques bénéficiant autant aux femmes qu’aux hommes pour pouvoir mettre en œuvre un développement durable. A son niveau, l’accord de Paris a reconnu dans son préambule que le développement durable devra se fonder non seulement sur l’égalité des personnes, mais aussi sur l’autonomisation des femmes. Ce texte est unique dans la reconnaissance de l’importance des synergies entre l’égalité entre les sexes et la lutte contre les changements climatiques. Compte tenu des inégalités encore observées au XXIème siècle, il est essentiel de concentrer les efforts sur cette thématique. A cet égard, Yannick Glemarec a rappelé que les lois en vigueur n’affectent pas de la même manière les femmes et les hommes. Le cadre juridique et légal demeure discriminatoire dans de nombreux États. A titre d’exemple, une étude de la Banque Mondiale a révélé que 155 pays comptaient dans leur éventail juridique au moins une provision discriminatoire vis-à-vis des femmes, limitant de fait leur capacité d’agent économique. Plus grave encore, une femme ne peut travailler sans avoir obtenu au préalable l’agrément de son époux dans 18 pays. Cette discrimination légale reflète généralement une discrimination sociale, qui contribue à creuser un fossé entre les femmes et les hommes en matière d’accès au foncier, à l’information, au financement, aux technologies, à l’éducation, etc. Or une présence accrue des femmes sur le marché du travail permettrait d’accroître de 15 % le PNB mondial, soit 12 000 milliards de dollars. Concernant la lutte contre les changements climatiques, Yannick Glemarec a passé en revue les différentes synergies. A cet égard, le comblement du fossé entre les hommes et les femmes en matière d’entrepreneuriat dans le domaine des énergies renouvelables aurait un impact positif sur 11 des 17 Objectifs de Développement Durable. En suivant les tendances actuelles, il faudra attendre 2070 pour que l’accès universel à l’électricité devienne une réalité en Afrique, et le milieu du XXIIème siècle pour l’accès universel à l’énergie non polluante. Néanmoins, ce n’est pas une fatalité a fait valoir Yannick Glemarec. En effet, les énergies renouvelables peuvent être déployées sur l’ensemble des territoires, y compris les plus pauvres, bien plus rapidement que les systèmes énergétiques centralisés traditionnels, et ce à un moindre coût. Dans la plupart des pays en voie de développement, les femmes sont les principales gestionnaires de l’énergie des ménages et peuvent également être de puissants catalyseurs du changement dans la transition vers l’énergie durable. Les femmes entrepreneuses ont un potentiel énorme et peuvent créer des réseaux 71 1ère Ecole d’été des Objectifs de Développement Durable – 8 au 13 juillet 2016 – Marseille, France


de distribution et de service dans les zones rurales. « Cependant, ce potentiel à accélérer la transition dans le domaine de l’énergie est largement sous-utilisé. » a déploré Yannick Glemarec. Les femmes sont sous-représentées dans le secteur de l’énergie durable. « Une fois de plus, des cadres réglementaires inadéquats, un accès limité aux techniques locales et aux financements abordables sur le long terme se traduisent par des risques d’investissement plus élevés pour les femmes que pour les hommes et entravent l’autonomisation des femmes et les efforts universels d’accès aux énergies propres. » a-t-il poursuivi. C’est la raison pour laquelle ONU Femmes développe les dispositifs de type plateforme digitale pour les entrepreneuses, accessible à partir d’un simple ordinateur portable. Cet outil, qui sera appelé à gagner en puissance à l’instar des technologies internet, permet d’accéder à différentes sources de financements, des fournisseurs de services et d’équipements, des informations, etc. Dans le domaine de l’agriculture, le changement climatique exacerbe les obstacles qui confrontent depuis longtemps les femmes agriculteurs, sachant que celles-ci représentent 43 % de la main-d’œuvre agricole et jouent un rôle essentiel dans le soutien de la sécurité alimentaire des ménages et de la communauté. Toutefois, elles souffrent d’un accès inégal aux droits fonciers, aux facteurs de production agricoles, aux financements, à l’eau et à l’énergie, aux infrastructures, ainsi qu’aux technologies et aux services de vulgarisation. « Mettre fin à la disparité entre les sexes dans l’accès à la terre et aux autres ressources productives permettrait d’augmenter d’au moins 20 % les rendements agricoles en Afrique. » a signalé Yannick Glemarec. « Ceci représente une occasion formidable pour avancer l’autonomisation des femmes, le développement économique ainsi que la résilience sociétale aux chocs, y compris le changement climatique. ». Le même écart entre les sexes se retrouve dans la gestion des risques liés aux catastrophes naturelles. Les mêmes obstacles structurels qui limitent le rôle des femmes dans l'agriculture résiliente au changement climatique et l'accès universel à l'énergie propre, rendent les femmes plus vulnérables aux évènements catastrophiques. Par exemple, plus de 70 % des victimes lors du tsunami de 2004 en Asie étaient des femmes car, traditionnellement, elles n’apprennent pas à nager, ni à grimper aux arbres. « Combler le fossé entre hommes et femmes en matière d’accès à l’information et aux technologies contribuerait à l’amélioration de la prévention et à la réduction des catastrophes naturelles. » selon Yannick Glemarec, qui a mis en avant le rôle des femmes dans les premiers secours apportés immédiatement après une catastrophe. En conclusion, Yannick Glemarec a insisté sur la nécessaire autonomisation des femmes qui est non seulement un droit, mais aussi un formidable levier en faveur du développement durable. A ce titre, il serait opportun que la communauté scientifique relaie également ce 72 1ère Ecole d’été des Objectifs de Développement Durable – 8 au 13 juillet 2016 – Marseille, France


besoin de synergies et de décloisonnement au niveau de la lutte contre les changements climatiques.

Échanges avec la salle - En réponse à une intervention sur l’absence d’approche locale et le besoin d’un nouveau modèle de société, Yannick Glemarec a indiqué que la femme était souvent perçue comme une victime, et non comme un acteur du changement pour lequel il conviendrait de faciliter l’accès aux financements, aux technologies, aux marchés, etc. Tout l’enjeu de la COP 22 à Marrakech consistera à faire évoluer cette perception des femmes et le vocabulaire associé. Yannick Glemarec a également observé que la société s’orientait de plus en plus vers la décentralisation. « Je crois en la croissance économique, mais une croissance économique totalement différente, décarbonisée et solidaire. » a-t-il ajouté. - S’agissant des mesures destinées à combler le fossé entre les femmes et les hommes, Yannick Glemarec a mis en avant les progrès accomplis dans le domaine législatif au cours des dernières décennies. Les violences conjugales sont ainsi punies dans de nombreux pays, ce qui était relativement rare voici 30 ans par exemple. Le défi concerne à présent la mise en œuvre et l’application concrète des nouvelles dispositions légales, ainsi que l’éducation des enfants, en vue d’une évolution des normes sociales. Un engagement fort des hommes sera indispensable à ce niveau. Par ailleurs, afin d’accélérer l’évolution des mentalités, il importe de relayer la vision selon laquelle l’égalité entre les sexes n’est pas seulement un droit, mais aussi une solution. Yannick Glemarec a ainsi invité une nouvelle fois la communauté scientifique à s’engager aux côtés d’ONU Femmes, ce qui permettra d’atteindre également les objectifs de lutte contre les changements climatiques. « Les ODD sont une opportunité énorme pour que l’égalité entre les sexes puisse bénéficier du soutien de l’ensemble des communautés engagées vers le développement durable. » a-t-il affirmé. - Sur le concept de transformation de marché évoqué par une intervenante, Yannick Glemarec a fait valoir qu’il était possible de façonner cette institution afin de servir le bienêtre général, et ce de manière durable. Pour ce faire, il convient d’identifier les barrières aux investissements durables et de les lever via des politiques publiques. Or l’impact de ces politiques diffère pour les hommes et les femmes, les secondes ne bénéficiant pas, sinon peu, des actions mises en œuvre. Il est donc préférable d’engager des gender actions afin de s’assurer que les transformations de marché bénéficient autant aux hommes qu’aux femmes.

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- « L’homme est un prédateur pour l’homme. » ont fait valoir différents intervenants, qui se sont également interrogés sur les mesures sociétales à mettre en œuvre. Pour sa part, Yannick Glemarec a souligné que l’amélioration de l’égalité entre les sexes bénéficiera autant aux hommes qu’aux femmes. Par exemple, l’entrée des femmes sur le marché du travail a ainsi permis d’accroître la croissance économique observée ces 50 dernières années. Dans ce cadre, il est essentiel de soutenir des démarches gagnantes-gagnantes visant à combler le fossé entre les deux sexes. En outre, Yannick Glemarec a fait état d’une forte corrélation entre l’égalité hommes/femmes et la pacification d’un pays. En effet, dès lors qu’une société respecte les droits des femmes, elle respecte les droits de la personne en règle générale. La promotion de l’égalité entre les sexes constitue donc l’une des meilleures stratégies à mettre en œuvre pour éviter que l’homme ne redevienne un loup pour l’homme. - Sur les défis de la COP 22 et l’attitude des pays exportateurs de pétrole, Yannick Glemarec a signalé que de nombreux États ont pris conscience de la transition à amorcer et mobilisent la manne pétrolière à leur disposition pour devenir des acteurs clés de l’énergie de demain. A titre d’exemple, les Émirats Arabes Unis investissent des sommes considérables dans les énergies renouvelables. - S’agissant des conflits observés à l’heure actuelle, Yannick Glemarec a fait part de ses doutes vis-à-vis des théories reliant directement les guerres et les phénomènes de sécheresse issues des changements climatiques. Cela étant, ces éléments constitueront vraisemblablement une composante des tensions au cours des prochaines décennies. Il est donc essentiel d’engager des démarches de revitalisation économique rapide des pays en conflit, sachant que les activités sobres sur le plan écologique sont porteuses d’emploi. La lutte contre les changements climatiques pourrait être une solution à la recrudescence des conflits. - Sur l’échec du financement carbone, Yannick Glemarec l’a attribué aux revers subis par le protocole de Kyoto, ainsi qu’aux droits d’émissions relativement élevés accordés aux pays développés qui se sont avérés guère incitatifs au final.

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Lundi 11 juillet

« Grands enjeux mondiaux en matière de Santé » Nouvelles émergences, surveillance épidémiologique, nouvelles approches Avec la participation de : •

Didier Raoult, Directeur de l'Institut Hospitalo-Universitaire (IHU) Méditerranée infection ; grand prix INSERM, professeur à AMU

Au cours de sa conférence, Didier Raoult, Directeur de l’Institut Hospitalo-Universitaire (IHU) Méditerranée Infection ; grand prix INSERM, a souligné qu’au-delà du débat épistémologique entre Karl Popper et Thomas Kuhn sur la production scientifique et l’évolution de la connaissance, le point de vue de Bruno Latour et Steve Woolgar rebattait les cartes. Dans leur ouvrage « La vie de laboratoire », ils établissent qu’une partie de la production des faits scientifiques est d’origine culturelle, a-t-il dit, ajoutant que nombre de travaux en biologie reposaient sur des modèles expérimentaux non reproductibles. Pour M. Raoult, il faut surmonter le déni des choses que nous avons sous les yeux car il gêne nos manières de penser ou parce que tel fait scientifique pourrait aller contre l’ordre social établi. « Contrairement aux idées reçues, c’est l’exception qui infirme la règle ! », s’estil encore exclamé.

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Si, avec Kuhn, nous devons nous saisir des nouveaux outils qui nous rendront moins ignorants et ainsi, « moins arrogants », il faut également s’ouvrir aux manières par exemple chinoises et indiennes de faire de la science dans des pays où l’on a longtemps pensé comme des Occidentaux, a-t-il préconisé. « Ces nouvelles manières de penser donneront naissance à d’autres outils pour faire de la science autrement », a-t-il ajouté. « N’oublions pas que les présupposés culturels à la base de nos manières de penser et d’agir, y compris l’esprit français de contradiction inspiré par le scepticisme nietzschéen, ne concernent pas quelque 2 milliards d’êtres humains », a également souligné Didier Raoult. Concernant la lutte proprement dite contre les grandes maladies infectieuses, il a rappelé que les milliards de dollars investis dans la lutte contre le VIH, la tuberculose et le paludisme n’avaient toujours pas permis d’aboutir à la découverte de vaccins. « L’argent et la bonne volonté ne suffisent pas dans des maladies où il n’y a pas d’immunité naturelle », a-t-il déclaré. Pour affronter efficacement les défis posés par les maladies infectieuses et étudier de façon réaliste « les virus qui nous constituent et la résistance de certaines espèces à leur égard », il a prôné, contre le réductionnisme expérimental en laboratoire, un retour à l’observation réelle de ce qu’il se passe dans le monde évolutif. Par ce biais, il a estimé que nous saurions mieux utiliser les antibiotiques, contre notamment tuberculose sensible, qui, a-t-il rappelé, tue 1 million de personnes chaque année. M. Raoult a indiqué que pour lutter contre le VIH, la tuberculose et le paludisme, il fallait plus que jamais partir de l’observation clinique et décloisonner la recherche. « Imiter la nature est une chose facile à faire, par exemple pour lutter contre les infections aigues immunisantes avec des vaccins. En revanche, ce qui est très difficile à réaliser, c’est faire ce que la nature ne sait pas faire, se substituer à elle. Dans des maladies où il n’y a pas de contrôle immunitaire, trouver un vaccin est formidablement compliqué », a-t-il reconnu. Au sujet des maladies respiratoires, qui ont longtemps été la première cause de mortalité dans le monde, il s’est réjoui, que, depuis 2 ans, « en Chine, en Inde, où les antibiotiques ne coûtent désormais plus rien, l’espérance de vie a augmenté de manière très significative ». Il en a profité pour signaler que, dans ces pays, les antibiotiques et antipaludéens produits et consommés étaient de bonne qualité. « Au Nigéria, en revanche, ils sont mauvais ou contrefaits », a-t-il signalé. Après avoir noté que, dans le monde, la mortalité par maladie infectieuse a baissé de 37%, et estimé que la dichotomie infection virale/ infection bactérienne était « fantasque » (la

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plupart des victimes de la grippe espagnole mourraient de surinfection bactérienne), M. Raoult s’est attardé sur la pertinence des campagnes de vaccination. Pour ou contre les vaccins, a-t-dit, la question n’a guère de sens : « Il faut d’abord se demander où vacciner et quand ». « Historiquement, notre arrogance nous a conduit à être trop agressifs en matière de vaccination. C’est un fait, au point que parfois les risques de contagion interhumaine ne furent pas pris en compte – en Égypte et au Japon, par exemple, où des campagnes de traitement de la bilharziose et de la grippe ont entrainé une explosion d’épidémies effroyables d’hépatite C », a expliqué Didier Raoult. Il a appelé à la prudence et à la mise en œuvre de politiques « évolutives et compréhensibles ». « Dans le domaine sensible de la vaccination, il faut être souple et toujours prêt à changer de stratégies en privilégiant des plans adéquats et des solutions pratiques », a-t-il insisté. « Le vaccin contre le cancer du col de l’utérus s’avère être également utile pour les hommes susceptibles de développer un cancer de la gorge par papillomavirus ; il est donc médicalement valable pour les 2 groupes, femmes et hommes », a-t-il ainsi souligné. M. Raoult a ensuite évoqué les circuits de transmission possibles d’infections nosocomiales en Afrique, indiquant que les téléphones portables, « sur lesquels les virus ARN peuvent rester très longtemps », et les mototaxis, dont l’usage a explosé au cours des dernières années, pouvaient être des vecteurs de diffusion de maladies des villages vers les villes. « Tout changement d’écosystèmes, toute innovation technologique entraine potentiellement un changement du risque infectieux », a-t-il affirmé. Concernant les cancers, M. Raoult a nuancé la pertinence des dichotomies de l’OMS entre maladies transmissibles et non transmissibles, le cancer étant rangée dans cette dernière catégorie : « Or, en Afrique, 25% des cancers sont d’origine infectieuse, donc parfaitement transmissibles », a-t-il indiqué. Il s’est toutefois dit confiant quant aux possibilités à venir de mieux prévenir la survenue de ces types de cancer et de mettre au point des vaccins pour les traiter directement. D’autre part, Didier Raoult a parlé de la résistance aux antibiotiques, « l’une des grandes peurs de notre époque ». Il a d’abord tenu à rappeler que, « sans que l’on sache pourquoi, au cours des dernières années aux États-Unis et en Europe, le nombre de staphylocoques résistants a été divisé par 3 ; les souches épidémiques résistantes ont disparu ». Il a expliqué que les résistances observées actuellement et qui mobilisent la recherche étaient d’origine très ancienne, leur apparition étant probablement due à des changements 77 1ère Ecole d’été des Objectifs de Développement Durable – 8 au 13 juillet 2016 – Marseille, France


d’écosystèmes. « Mais le mystère reste entier : pourquoi des bactéries ne deviennent pas résistantes et d’autres restent résistantes ? », s’est-il demandé. Il a formé le souhait que, dans le sillage de la mise au point « révolutionnaire » de la technique d'édition génétique CRISPR/Cas9, des avancées significatives aient lieu bientôt : « Le meilleur moyen qu’ont trouvé les bactéries pour lutter contre leurs adversaires, c’est de les cannibaliser. La cannibalisation de l’ennemi, telle pourrait être l’issue à de nombreuses impasses thérapeutiques », a-t-il déclaré. Concluant son intervention, Didier Raoult a appelé de ses vœux une recherche se construisant à partir de la rencontre entre champs scientifiques différents : « la recherche de demain

devra

répondre

aux

nouvelles

questions

posées

par

cette

rencontre

interdisciplinaire ».

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Échanges avec la salle - M. Raoult, en réponse à des questions et commentaires, a rejeté les pensées fixistes découlant pour partie du Darwin de l’Origine de l’homme. Il a également critiqué le principe de précaution « qui réagit à des peurs ». - « Les principaux problèmes émergents ne sont pas prévisibles. Mieux vaut mieux développer des systèmes de veille efficace. En France, nous analysons la mortalité 2 ans après. Or, il faut compter les morts toutes les semaines pour identifier en temps quasi réel d’éventuels pics », a-t-il expliqué. - « Je serais plutôt partisan d’un principe de vigilance », a-t-il ajouté sur ce point. « Il faut être vigilant au lieu d’avoir peur de tout, à commencer de ce que l’on ne connaît pas. Contre ce que l’on ignore, les actions peuvent être agressives et contreproductives », a-t-il encore souligné. - S’agissant en outre des OGM, M. Raoult a rappelé que « pas moins de 110 prix Nobel avaient signé une déclaration assurant qu’ils ne faisaient pas de mal aux humains ! » - Pour ce qui est du développement durable, il a répondu qu’il était « par nature réticent aux épidémies, y compris les épidémies d’idées » : « Il faut être méfiant, douter de tout, sinon on véhicule de la religion scientifique sur des sujets importants », a-t-il dit. - Revenant sur ses hypothèses concernant la diffusion des maladies nosocomiales en Afrique, il a répété que des virus ARN peuvent être transmis en milieu hospitalier par des objets inanimés : « c’est démontré », a-t-il affirmé. - Concernant son expérience de terrain en Afrique, en particulier au Sénégal, « où je suis né », M. Raoult a indiqué qu’à Dakar, avec la fondation qu’il dirige, la priorité était accordée aux soins de proximité. « Des points de soins dotés de tous les outils diagnostics nécessaires ont été mis en place », a-t-il noté. - « Il faut, dans ce genre de situations, mettre au point un répertoire des microbes, y compris avec des témoins négatifs, délocaliser les outils diagnostics de proximité et assurer une veille avec des rapports hebdomadaires remontant des points de soins ». - « Il faut développer les capacités à détecter rapidement un événement anormal, une augmentation anormale », a encore souligné M. Raoult. - Concernant la lutte contre le paludisme, il a reconnu avec les intervenants qu’il était nécessaire de poursuivre les traitements antibiotiques quand la fièvre était partie et, de manière générale, de bien respecter les posologies prescrites par les médecins.

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« Le palu est d’une malice terrible, une maladie d’une complexité extrême dont la prise en charge est compliquée par le comportement des moustiques, y compris ceux devenus résistants aux insecticides », a commenté Didier Raoult. - Réagissant à l’exposé d’études de cas au Mali, il a appuyé le renforcement de la recherche de solutions endogènes aux sociétés pour lutter, par exemple, contre les maladies diarrhéiques. - « Mon père, qui était nutritionniste, a consacré une partie de son travail à mettre au point des poudres alimentaires pour les enfants basées exclusivement sur des nutriments locaux en Afrique », a-t-il raconté. - M. Raoult a souligné la nécessité d’une recherche scientifique qui intègre la réalité sociale des terrains investis, cela en tenant compte des travaux des chercheurs en sciences sociales et humaines. « Quant à ceux, intellectuels et médecins, qui militent contre l’administration de vaccin, cela pour des motifs divers et variés, nous avons envers eux et le grand public un devoir de lucidité, en reconnaissant nos erreurs, et d’explication rationnelle. Sinon, nous perdons toute légitimité et ouvrons la voie aux théories complotistes qui ‘expliquent’ l’inconnu à notre place », a-t-il conclu.

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Santé publique et place des populations Avec la participation de : • • • •

Carla Makhlouf Obermeyer, Prof. Département d’Epidémiologie, et Directrice Centre de Recherches sur la Population et la Santé, Université américaine de Beyrouth, Liban Isabella Annesi-Maesano, Directrice de recherche à l'Institut National de la Santé et de la Recherche Médicale (INSERM) Mercedes Pascual, Prof. department of Ecology and Evolution University of Chicago, USA Christophe Rogier, Général-Directeur du Service de Santé des Armées, ancien directeur de l'Institut Pasteur Madagascar

À la suite de Didier Raoult, des chercheurs engagés dans le domaine de la santé publique et du développement ont présenté les résultats de leurs travaux et partagé leurs expériences. Carla Makhlouf Obermeyer, professeure d’épidémiologie et Directrice du Centre de Recherche sur la Population et la Santé, Université américaine de Beyrouth, au Liban, a souligné que l’ODD 3, relatif à l’accès à la santé, était formulé de manière générale. « Permettre à tous de vivre en bonne santé, promouvoir le bien-être de tous à tout âge : ce libellé traduit la dimension universelle des ODD, la nécessité de renforcer la coopération Nord-Sud et l’interdisciplinarité pour les réaliser et être, au final, redevable de cette mise en œuvre au bénéfice de tous », a-t-elle commenté. S’agissant des indicateurs et des cibles liés aux services de santé, elle a repris les termes de l’OMS selon lesquels la couverture sanitaire universelle est « le plus puissant concept en santé publique, en cela qu’il exprime la reconnaissance du droit à la santé, que le prépaiement évite les dépenses catastrophiques, qu’il contribue à diminuer les inégalités et qu’il instaure un équilibre entre traitement et prévention ». « De façon générale, 260 indicateurs, dont 23 pour la santé, pour les 17 ODD, est-ce trop? », s’est interrogée Mme Makhlouf Obermeyer, tous n’étant pas opérationnels et quantifiables. « D’après certains groupes de plaidoyer, ce n’est pas assez ! », a-t-elle répondu, notant que la santé mentale et les personnes vivant avec un handicap avaient été oubliés. Les ODD n’insistent pas assez sur les facteurs de risque que sont l’alimentation, l’hypertension, le surpoids, la pollution, le tabac et l’alcool, a-t-elle aussi relevé. Pour ce qui est de la faisabilité, de la mise en œuvre effective des ODD, la conférencière a jugé que les États ne pouvaient pas tout faire et que l’ONU elle-même devenait dans ce cadre un acteur parmi d’autres. « L’OMS plaide pour des mesures synthétiques et que l’accent soit mis sur la réduction des inégalités, tandis que des experts recommandent l’établissement de classement de pays par ordre de performance », a-t-elle indiqué.

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« Coûts élevés, réduction de l’aide internationale, difficile harmonisation des secteurs privé et public, contradiction persistante des ODD avec les lois et politiques nationales, nécessaires mais exigeantes redevabilité et transparence : tels sont les défis à surmonter pour aller vers le développement durable », a-t-elle poursuivi. Concernant les cibles santé, elle a déclaré que le plus grand défi à leur atteinte était la refonte de « l’architecture globale de santé » en vue d’intégrer les problématiques pertinentes dans toutes les politiques. Mme Makhlouf Obermeyer s’est ensuite attardée sur les ODD dans le monde arabe. « Nos pays traversent dans la douleur des phases de transition démographique, les inégalités entre eux et à l’intérieur même de ces pays sont immenses, en matière d’accès à l’eau par exemple. L’environnement sécuritaire volatile, marqué par les conflits et le fardeau des réfugiés – il y en a 10 fois plus dans ces pays que dans le reste du monde –, entraîne en outre une militarisation accrue qui relègue au second plan le développement et la santé. Même les pays arabes les plus pauvres dépensent plus que la moyenne internationale pour acheter des armes », a-t-elle constaté. Elle a souligné que la faiblesse des Gouvernements et la corruption des politiques posaient un problème de gouvernance compliquant de fait la mise en œuvre des ODD dans le monde arabe. « L’Iraq est un cas tragique de ‘dé-développement’. Des ressortissants de ce pays viennent se soigner au Liban à l’issue d’un itinéraire thérapeutique périlleux », a-t-elle encore dit. « Dans ce contexte, qui informe et plaide pour ces groupes pour ne pas faire de laisséspour-compte ? Les ODD relèvent des droits des citoyens. Or comment mobiliser les populations locales et quels partenariats mettre en place dans ces pays où, de plus, les tensions entre les humanitaires et les politiques sont très importantes ? », s’est inquiétée Mme Makhlouf Obermeyer. À cette aune, elle a plaidé en faveur d’une meilleure compréhension des contextes sociaux locaux afin de mieux intervenir dans le domaine « particulier » de la santé. « Nous devons convaincre les gens de se comporter de manière plus bénéfique pour leur santé, nous devons mieux connaître la structure et le fonctionnement des familles de la région », a-t-elle ainsi dit. Mme Makhlouf Obermeyer a estimé qu’il fallait utiliser les services de santé en se plaçant dans l’optique des patients : « Pour cela, nous avons un besoin criant de données. Les nouvelles technologies pourraient aussi aider les pays arabes et du Sud en général pour mieux informer les communautés et améliorer la communication entre elles, les décideurs et les humanitaires de terrain ». 82 1ère Ecole d’été des Objectifs de Développement Durable – 8 au 13 juillet 2016 – Marseille, France


Une autre épidémiologiste, Isabella Annesi-Maesano, Directrice de recherche à l’INSERM, a attiré l’attention sur les conséquences sanitaires du changement climatique, « danger numéro 1 en ce qui concerne les allergies et les maladies respiratoires. » « Le réchauffement de la planète est sans équivoque, et l’influence de l’homme sur ce phénomène est clairement établie. Nous savons de plus que le réchauffement va se poursuivre et que le stress thermique va augmenter », a-t-elle déclaré. Elle a expliqué que le conundrum du changement climatique avait pour effet de rendre les risques environnementaux de plus en plus interdépendants et élevés, et, par conséquent, d’intensifier la vulnérabilité aux maladies respiratoires de catégories entières de la population, les enfants, les personnes âgées et celles vivant dans les zones les plus exposées à la pollution, aux pollens et aux moisissures. « Les allergies et les maladies respiratoires sont un fléau planétaire. Dans le monde, 40% de personnes souffrent d’allergies et 300 millions sont asthmatiques. Les maladies respiratoires, dont la tuberculose, sont à l’origine d’un ¼ des décès mondiaux. Dans les pays à revenus intermédiaires, la pneumonie tue plus d’enfants chaque année que le VIH et le paludisme réunis », a indiqué la conférencière. D’après elle, le changement climatique est une source majeure d’augmentation de ces maladies. Parmi les facteurs directs d’augmentation, elle a cité l’humidité et la pression barométrique, et, au nombre des facteurs indirects, les allergènes, les pollens et les moisissures. « Quant aux effets de la pollution dans les morts prématurées, ils sont largement sousestimés. 7 millions de décès par an sont d’ores et déjà attribuables à la pollution. Si rien est fait, le phénomène va s’intensifier en raison de l’urbanisation galopante, des tempêtes de sable et des feux de forêts, qui, tous, accroissent la présence de composés perturbateurs endocriniens, de particules fines et de gaz toxiques dans l’atmosphère », a-t-elle prévenu. Elle a ajouté que l’allongement des saisons en raison du réchauffement de la planète climatique, allongement qui transforme la flore, aurait également des conséquences néfastes sur la santé. « Les pollens et les moisissures peuvent en effet induire ou aggraver les rhinites allergiques (rhume des foins) et les cas d’asthme », a-t-elle noté. Pour lutter contre les effets délétères sur la santé du changement climatique, la directrice de recherche de l’INSERM a recommandé d’axer les actions publiques sur la prévention et l’adaptation. « Se nourrir plus sainement, faire de l’exercice, mener une vie moins stressante, bien dormir, limiter son exposition aux pathogènes, se laver les mains, ne pas utiliser de manière 83 1ère Ecole d’été des Objectifs de Développement Durable – 8 au 13 juillet 2016 – Marseille, France


excessive des antibiotiques : toutes ces choses simples à appliquer peuvent contribuer au renforcement des défenses naturelles de l’organisme », a-t-elle déclaré. De son côté, Mercedes Pascual, spécialiste de l’écologie et de l’évolution à l’Université de Chicago, s’est penchée sur la dynamique des maladies infectieuses « sensibles » au climat dans des environnements changeants. Elle a d’abord souligné l’importance de se garder de toute généralisation s’agissant du lien entre changement climatique et pathologies infectieuses. « Il faut faire de la recherche à l’échelle locale, se concentrer sur des études de cas », a-t-elle préconisé. « Au niveau global, les plans de développement doivent appuyer les efforts visant à atténuer l'influence du changement climatique sur les maladies infectieuses, y compris les effets des anomalies climatiques plus intenses et plus fréquentes, telles que le phénomène El Niño », a ajouté Mme Pascual. Selon elle, le monde du développement durable doit se saisir des problèmes de santé publique pour relever efficacement les défis posés par les environnements urbains en expansion dans les pays du Sud. Pour ce faire, a-t-elle dit, la recherche doit se concentrer sur l’étude de l'interaction entre facteurs climatiques et inégalités socioéconomiques. Dans ce cadre, elle a estimé que la science pouvait contribuer véritablement à la réalisation du développement durable en incorporant la variable climat dans les plans d'intervention et en évaluant les effets des mesures de contrôle mises en œuvre pour atténuer les effets du changement climatique. « Évitons les longs débats stériles et les dichotomies simplistes, et gardons-nous d’opposer environnement et économie quand nous parlons de santé », a-t-elle en outre recommandé. Partant de ses propres études de cas dans les hautes terres d’Afrique de l’est, elle a fait observer que les régions impaludées, en premier lieu les régions montagneuses et les franges désertiques, étaient particulièrement sensibles à la variabilité du climat et aux changements climatiques. « Nos données à haute résolution spatiale et temporelle montrent un lien clair entre événements climatiques et accroissement du risque paludique dans certaines régions d’Éthiopie, » a-t-elle affirmé. La saisonnalité mais aussi les températures locales et les effets du phénomène El Niño agissent puissamment dans le sens d’une expansion altitudinale de la maladie, a-t-elle précisé, notant que ce mode d’expansion reflétait la hausse continue et à long terme des températures observées dans ces régions.

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Mme Pascual a averti que, sans efforts majeurs, concertés et rapides, d’atténuation de ses effets néfastes, le changement climatique allait entraîner un alourdissement du fardeau que représente le paludisme dans les hautes terres densément peuplées de l'Afrique. « Nous estimons, à partir de nos propres modèles, qu’en raison du changement climatique il y a eu, en Éthiopie, de 5 à 6 millions de cas de paludisme en plus entre les années 1970 et le milieu des années 2000 », a-t-elle dit. Elle a par ailleurs évoqué les conséquences de l’irrigation du fleuve Narmada en Inde. Le développement accéléré de l’agriculture dans cette région, a-t-elle expliqué, a eu pour double effet, positif et négatif, d’améliorer les conditions socioéconomiques d’existence des populations et de renforcer l’habitat dans lequel se développent et prolifèrent les moustiques, ce qui a entraîné une nette augmentation des cas de paludisme. « Cependant, l’effet positif peut permettre l’élimination de l’effet négatif. Mais la phase de transition entre l’apparition des épidémies de paludisme induites par l’irrigation et leur élimination peut prendre une décennie, cela malgré l’engagement d’efforts considérables », a-t-elle ajouté. Elle a recommandé d’anticiper les problèmes qui surviennent sur le plan sanitaire lors de ces phases de transition où les écosystèmes évoluent brutalement. « Je crois qu’il faudrait même réfléchir aux moyens d’éviter de telles phases », a-t-elle confié. Mercedes Pascual a par ailleurs indiqué qu’à Dhaka, au Bangladesh, la prévalence des maladies diarrhéiques, qui se transmettent du centre urbain vers la périphérie plus rurale, était associée au haut niveau d’urbanisation, à la récurrence des inondations, aux effets d’El Niño (augmentation des températures), et, « bien entendu », à des conditions sanitaires très dégradées. « Normalement, les pathogènes en cause dans les maladies diarrhéiques, notamment le rotavirus, qui touche les enfants, ne sont pas sensibles aux variations climatiques. Mais l’exemple de Dhaka montre qu’une sensibilité de ce type est peut-être provoquée par une urbanisation mal conçue, qui, entre autres, organise mal l’accès à l’eau potable des populations et occupe l’espace de façon irraisonnée », a-t-elle suggéré. Mme Pascual a finalement plaidé pour une recherche adossée aux projets de développement mis en œuvre sur des longues durées, en vue d’accompagner les acteurs en leur expliquant, étape par étape, les conséquences des interactions entre environnement et santé. « Au plan conceptuel, nous devons améliorer nos connaissances basées sur des données à l’interface de l’écologie, de l’épidémiologie et des sciences économiques et sociales », a-t-elle dit.

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Christophe Rogier, Général-Directeur du Service de Santé des Armées, ancien directeur de l’Institut Pasteur de Madagascar, a déclaré que, pour être efficace dans l’amélioration, sans exclusive, de la santé des populations, il fallait être « au bon endroit, au bon moment et avec les bons outils ». « Cette stratégie s’oppose à la philosophie globale des ODD, qui repose essentiellement sur des slogans », a-t-il critiqué. Sur le terrain, a souligné M. Rogier, ce qui change véritablement la donne, ce sont les nouveaux outils : « les médicaments, bien sûr, mais aussi les tests diagnostiques spécifiques, car, avec les médicaments, viennent les résistances. Il faut être complètement efficaces et concentrés afin de trouver les parades, de s’adapter à la plasticité du monde ». Prenant l’exemple des moustiquaires anti-paludisme, « une découverte française de l’ORSTOM », il a noté que leur efficacité anti-vectorielle avait diminué avec la résistance des moustiques aux insecticides. « Le caractère prodigieusement changeant et évolutif du monde est un défi à nos propres capacités d’adaptation et de riposte », a-t-il réagi. Concernant la gouvernance, il a rappelé le besoin d’avoir des États forts pour contrôler les frontières : « ces régions périphériques sont celles où le suivi de la lutte contre le paludisme est la plus difficile à maintenir, celles où émergent les résistances parce que l’État de droit s’y applique le moins », a-t-il noté. « La géographie fait l’histoire, c’est notamment elle qui permet ou non la mise à disposition des outils de santé publique dans les zones reculées », a-t-il poursuivi, indiquant que « Maurice, qui est une île, a éradiqué la maladie en axant l’action sur la surveillance. Quand Madagascar aura les mêmes moyens, qu’elle pourra ‘se payer’ un contrôle aussi efficace de ses frontières, elle fera de même ». Selon M. Rogier, les ODD ont une chance d’être un succès si leur mise en œuvre s’effectue d’abord au niveau individuel. « Tout dépend réellement des comportements à cette échelle ; voyez ce qu’il s’est passé avec l’épidémie de maladie à virus Ébola en Afrique de l'Ouest », a-t-il dit. L’analyse de l’efficacité en conditions réelles, partie par partie, des programmes de santé, en se

concentrant

sur

l’amélioration

du

bien-être

des

populations

et

en

partant

d’expérimentations, doit prévaloir sur l’évaluation de recommandations d’ordre général et la référence à des modèles abstraits, a encore insisté M. Rogier. « Ce qui fonctionne n’est pas nécessairement corrélé avec le niveau engagé de dépenses », a-t-il dit. D’après lui, la question n’est pas financière mais concerne « ce que les gens sentent et pensent ». « Il faut en effet tenir compte de la perception des choses, des modes pensée 86 1ère Ecole d’été des Objectifs de Développement Durable – 8 au 13 juillet 2016 – Marseille, France


des individus lorsqu’on monte des actions de santé publique et les intégrer, eux, les bénéficiaires finaux, dans les stratégies de lutte contre les maladies », a plaidé M. Rogier. S’agissant de la mise en œuvre des ODD, il a de nouveau appelé à la prise de risque et à l’expérimentation calculée : « il faut, comme les Anglo-Saxons, se donner le droit à l’erreur, travailler en multidisciplinarité et s’appuyer sur les compétences locales – l’IRD et Pasteur travaillent depuis longtemps à leur développement et à leur ancrage à ce niveau – pour s’adapter aux réalités du terrain ». M. Rogier a considéré que pour évaluer systématiquement les actions de développement et de communication en matière de santé, il fallait « s’en donner les moyens » et être exigeants en termes de responsabilité : « Je rappelle que ce sont les bailleurs de fonds qui ont fixé cette exigence en mettant l’accent sur l’amélioration de la gouvernance », a-t-il souligné. « On ne donne pas des thèses par complaisance. Et les critères scientifiques de validité et de compétitivité doivent être partout d’un même niveau d’exigence et de rigueur. La création d’observatoires intégratifs doit s’intensifier », a-t-il encore déclaré, concluant qu’en matière de développement durable « tout est affaire de volonté et de pérennisation ».

Échanges avec la salle La faisabilité des ODD à l’horizon 2030 et les modalités d’intervention sur le terrain dans le domaine de la santé ont été au cœur de cet échange. - Selon Mme Makhlouf Obermeyer, les ODD ne sont pas un outil parfait, « mais il faut aller de l’avant en espérant qu’une partie d’entre eux au moins sera atteinte ; je pense aux ODD pour lesquels la mobilisation politique est là et pour lesquels nous disposons de données fiables ». - Elle a demandé à l’École d’été des ODD de participer au nécessaire travail de vulgarisation des enjeux majeurs du développement durable en généralisant au mieux l’information à leur sujet. - Mme Annesi-Maesano a souligné l’importance que la recherche, avant d’être appliquée, continue d’essayer de comprendre les évolutions et les interactions constitutives du monde. - « L’ODD 4, dont la réalisation a pour but d’assurer l’accès de tous à une éducation de qualité, sur un pied d’égalité, et de promouvoir les possibilités d’apprentissage tout au long de la vie, est un bon moyen de transmettre nos connaissances et d’interpeller les donneurs d’ordres », a-t-elle ajouté. 87 1ère Ecole d’été des Objectifs de Développement Durable – 8 au 13 juillet 2016 – Marseille, France


- Pour que les ODD répondent aux besoins de santé des populations des pays du Sud, il convient de contextualiser les indicateurs et de s’appuyer activement sur les ressorts de l’éducation et de la responsabilisation, a-t-il également été dit. - Les participants ont aussi recommandé qu’il soit tenu compte des ressources des pays pour prioriser les ODD et d’attirer des financements additionnels en équilibrant les échelles de l’action locale et des développeurs soutenus par les bailleurs de fonds. - Il a par ailleurs été reconnu la difficulté, pour les États et les groupes de pays, d’assurer un mécanisme efficace de suivi de réalisation des ODD aux niveau national et régional alors que s’accroit la privatisation du financement du développement. - M. Rogier, revenant sur la lutte contre le paludisme, a estimé que demander, comme l’ont fait l’OMS et le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme, à des pays qui ne sont pas en mesure de contrôler leurs frontières d’éradiquer la maladie menait à l’impasse. « Contrôlons, surveillons au lieu d’essayer d’éradiquer à tout prix », a-t-il dit. - Il a par ailleurs considéré que la priorisation des ODD par les pays relevait de choix politiques complexes influencés par les besoins les plus urgents, les données réellement disponibles, notamment celles relatives à la mortalité, mais aussi par les lobbys qui gravitent autour du pouvoir. - « Si l’on veut être efficace, faire le bon choix est en tout cas consubstantiel à la responsabilité et à l’action », a déclaré M. Rogier. - Mme Pascual a indiqué que les interventions contre le paludisme pouvaient être efficaces à un endroit et sans effet dans d’autres régions. « Tout change, tout bouge, c’est la raison pour laquelle il faut agir localement et dans le temps », a-t-elle dit. - Elle a ajouté que si, en soi, l’observation n’était pas suffisante, les données qu’elle fournit permettent d’évaluer, de prioriser de hiérarchiser en vue d’actions concrètes et raisonnées. - « Le débat scientifique sans fin sur les causalités doit cesser et moins s’attarder sur les études globales du changement climatiques qui perdent de vue les réalités du terrain. Ce qu’il faut dans l’immédiat, c’est mobiliser les gens sur les questions de santé publique », a renchéri Mercedes Pascual. - Il faut standardiser les données recueillies, y compris celles sur le lien entre pollution et santé, a ajouté Mme Annesi-Maesano, qui a plaidé pour le déploiement dans les pays « d’instruments de collectes comparables au plan local ».

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- Mme Obermeyer s’est demandée comment aller évoluer la nouvelle architecture globale et l’aide internationale face aux défis des ODD. - « Les OMD prévoyaient des financements très spécifiques et faisaient appel à des sortes d’arguments moraux, en suggérant qu’il était criminel de ne pas appliquer ce que l’on savait faire en matière par exemple de mortalité infantile », a-t-elle dit - « Avec les ODD, il est plus difficile de mobiliser mais nous devons avancer au fur et à mesure que nous construisons leur mise en œuvre. L’OMS et nombre de think-tanks réfléchissent au contour de cette nouvelle architecture globale. Inspirons-nous-en », a-t-elle demandé en guise de conclusion.

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Grands témoins Avec la participation de : • •

Olivier Chanel, Directeur de recherche au Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS AMU), membre de l'AMSE, du GREQAM et de l'IDEP Martine Peeters, Directrice de recherche à l’IRD - Spécialiste Sida

Santé, pollution atmosphérique et politiques de transport, ces thèmes sont le plus souvent étudiés de manière isolée par les scientifiques alors qu’ils présentent des liens indéniables a indiqué en introduction Olivier Chanel, Directeur de recherche au Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS-AMU). Il lui est donc apparu intéressant d’analyser de manière globale ces éléments en vue d’alimenter une prise de décision optimale. Olivier

Chanel

s’est

intéressé

dans

un

premier

temps

à

la

relation

pollution

atmosphérique/santé en rappelant les impacts des émissions de gaz à effet de serre : •

acidification des océans, réduction des ressources marines, pertes de rendement, montée du niveau de la mer, recul des terres, variations de la répartition des précipitations et des températures assorties d’évènements extrêmes (inondations, sécheresses, feux de forêts et vagues de chaleur) au niveau des systèmes marins et terrestres ;

dégradation des infrastructures et du bâti, pour lesquels il est possible d’évaluer les coûts de réfection et de reconstruction ;

atteintes à la biodiversité et aux écosystèmes, pour un coût difficile à déterminer du fait de leur valeur non marchande ;

effets sanitaires directs (santé, bien-être, etc.) et indirects (diminution des ressources alimentaires, augmentation des maladies infectieuses, etc.).

Par ailleurs, les pertes de rendement combinées aux inondations et sécheresses conduisent à un certain nombre de conflits armés et non armés, ainsi qu’à des déplacements de populations, avec des effets économiques induits. Pour leur part, les combustibles fossiles génèrent également des polluants locaux (ozone, oxyde d’azote, etc.), qui entraîneront à leur tour une dégradation du bâti (encrassement des bâtiments, etc.), des effets sanitaires directs et indirects du fait des atteintes aux écosystèmes. A cet égard, un nombre croissant d’études démontre que le black carbon, issu de la combustion, présente un impact significatif sur le réchauffement climatique a souligné Olivier Chanel. Les effets exercés par la pollution atmosphérique sur le bien-être d’une population peuvent être classés en trois catégories : les effets directs non sanitaires liés à la dégradation des 90 1ère Ecole d’été des Objectifs de Développement Durable – 8 au 13 juillet 2016 – Marseille, France


perceptions sensorielles (nuisances psychologiques, nuisances olfactives ou nuisances esthétiques), les effets directs sanitaires liés à la dégradation des variables sanitaires et les effets indirects non sanitaires qui agissent sur le bien-être via l’altération de la faune, de la flore, des cultures ou des bâtiments. Certains éléments relèvent ici du domaine marchand (coûts d’hospitalisation, de traitement et de consultation, pertes de production, etc.) avec une possibilité de chiffrage économique directe, d’autres du non-marchand (conséquences des hospitalisations, désagréments, etc.) a fait observer Olivier Chanel. A cet égard, « l’économiste doit chercher, s’il veut être le plus complet possible, à valoriser en termes économiques ces différents effets » a-t-il ajouté. « Quelle politique de transports faudrait-il privilégier ? ». A cet effet, Olivier Chanel a rappelé que les produits pétroliers représentent la première source d’énergie consommée en France. Pour sa part, le secteur des transports est le premier poste de consommation d’énergie à l’échelle nationale. Il génère en conséquence des externalités propres à la combustion de produits pétroliers. Les transports sont ainsi responsables des émissions de gaz à effet de serre à hauteur de 27 %, 20 % pour les particules fines et 15 % pour les composés organiques volatils non méthaniques, sans oublier les effets associés au black carbon. En outre, il convient de prendre en compte les émissions liées à des particules hors combustion. A titre d’exemple, l’usure des pneus, des plaquettes de freins, de l’embrayage, du revêtement routier, etc. contribuera à la concentration de particules dans l’atmosphère. Ainsi, quand bien même un véhicule n’émettrait pas de particule à la sortie du pot d’échappement, son simple fonctionnement entraînera des émissions, évaluées à 50 % du total des émissions par l’Union Européenne en 2004. Des études récentes prévoient par ailleurs qu’elles représenteront 90 % des émissions de particules en 2020. Enfin, il est à noter l’existence d’externalités liées la congestion du trafic (pertes de temps, nuisances esthétiques et paysagères, nuisances sonores, accidents, etc.), et non à la combustion. « Les sociétés sont arrivées à un point où elles ne peuvent réduire simultanément l’efficacité énergétique, donc la consommation de carburant, et les émissions de polluants locaux au regard de l’actuel niveau de technologie. » a souligné Olivier Chanel. Dans ce cadre, les constructeurs éprouvent de plus en plus de difficultés à respecter les réglementations sur les émissions CO2 et NOX des véhicules et ont tendance à tricher, Volkswagen étant le dernier exemple en date. De plus, une certaine complicité des régulateurs est à déplorer, ce qui a conduit à une explosion du parc de véhicules diesel. Un lobbying intense est également en cours au niveau de l’Union Européenne, qui devrait conduire à une augmentation de 210 %

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de la norme applicable aux émissions de NOX entre 2017 et 2019, puis de 150 % à partir de 2020. Dans ce contexte, Olivier Chanel a attiré l’attention sur un certain nombre d’incertitudes sur les effets du changement climatique et les conséquences de certaines émissions. Sur le plan économique, ces incertitudes porteront sur l’évaluation des coûts. Compte tenu des informations à leur disposition, des dommages estimés, des coûts des politiques de réduction des GES et des effets d’adaptation, il appartient aux économistes de déterminer les meilleures politiques possibles afin que les bénéfices liés à la réduction des émissions ne soient pas inférieurs aux coûts à consentir. Il s’agit d’un problème de décision intertemporelle. Les incertitudes scientifiques concernant la pollution atmosphérique locale sont plus faibles, les effets sanitaires étant connus. Les évaluations économiques convergent vers un coût de 0,5 à 3 % du PIB français. A contrario, les incertitudes sur les conséquences écologiques sont plus élevées dans la mesure où les engagements pris en matière de limitation des émissions de gaz à effet par les États ne se concrétiseront pas à court terme. Outre ces incertitudes, diverses irréversibilités doivent être prises en compte dans l’élaboration des décisions. Elles concernent en premier lieu les gaz à effet de serre, susceptibles de persister dans l’atmosphère durant plusieurs millénaires. Tout l’enjeu consiste à ne pas dépasser le seuil de 550 ppm de CO2 afin de limiter l’augmentation du réchauffement climatique à 3°C en 2100, sachant que la concentration de CO2 dans l’atmosphère en 2016 est de l’ordre de 400 ppm. Pour ce faire, il sera nécessaire de réduire de 25 % les émissions de CO2 d’ici 2050. Le défi est donc de taille, le monde continuant à se développer, la population à croître, etc. « Ainsi, même si le taux de CO2 reste en-deçà de ce seuil de 550 ppm, le GIEC estime que 100 à 300 ans seront nécessaires pour stabiliser la concentration dans l’atmosphère, quelques siècles pour l’augmentation des températures du fait de l’inertie des systèmes climatiques et quelques millénaires pour le niveau .des océans. » a indiqué Olivier Chanel. En conséquence, l’élévation des températures et des eaux se poursuivra à court et moyen terme. Dans une moindre mesure, les irréversibilités écologiques sont pratiquement nulles au niveau des polluants atmosphériques locaux, grâce aux phénomènes météorologiques. S’agissant des irréversibilités d’ordre économique, Olivier Chanel a rappelé que, pour lutter contre les émissions de gaz à effet de serre ou les émissions de polluants locaux, il est indispensable de prendre des mesures de long terme impliquant des changements dans les comportements des individus. Or l’appropriation de mesures qui ne seraient pas imposées requiert un certain délai, ainsi que des infrastructures autorisant des choix alternatifs. En 92 1ère Ecole d’été des Objectifs de Développement Durable – 8 au 13 juillet 2016 – Marseille, France


conséquence, les irréversibilités s’annoncent importantes puisqu’elles nécessiteront de longues périodes de mise en œuvre et engendreront des coûts irrécupérables. Dernier élément à prendre en compte lors de l’élaboration de toute décision relative à la lutte contre le réchauffement climatique, l’arrivée d’informations scientifiques continues sur cette thématique et les futures tentatives d’accord efficace au niveau mondial. Il convient dès lors d’intégrer une part de flexibilité afin d’infléchir la trajectoire le cas échéant. Enfin, Olivier Chanel a passé en revue différents modèles relatifs à la politique de transports à mettre en œuvre, l’objectif des économistes étant de minimiser les coûts à engager afin d’endiguer les conséquences du changement climatique. Il a également invité l’assistance à consulter le modèle de préservation de l’environnement d’Arrow et Fisher afin d’aller plus loin sur le sujet. Deux types de politiques publiques sectorielles ont été mis en évidence : •

une politique structurelle, qui s’efforcera de réduire le nombre de kilomètres parcourus en véhicule particulier (incitation au covoiturage, réduction des accès aux centres urbains, etc.) et les sources d’émission associées ;

une politique technologique, dont les mesures cibleront les taux d’émission par kilomètre parcouru.

Trois variables de décision détermineront les stratégies : le taux de réduction des émissions de gaz à effet de serre, le taux de réduction des émissions de polluants locaux et le volume de kilomètres parcourus en véhicule motorisé. Dans ce cadre, « Dès lors qu’une arrivée d’informations est attendue, la politique optimale incitera à augmenter la proportion de transports publics et rendra moins intéressante la réduction des taux d’émission des deux polluants. ». L’incertitude renforcera l’attractivité des mesures structurelles au détriment des mesures technologiques. « En tout état de cause, il apparaît préférable de favoriser la réduction des externalités environnementales ex ante plutôt que de chercher le meilleur moyen de les traiter et de réduire leurs conséquences. » a conclu Olivier Chanel. Martine Peeters, Directrice de recherche à l’IRD, spécialiste du VIH/sida, s’est ensuite attachée à présenter les enjeux de santé publique de cette maladie. Les premiers cas suspects de sida ont été observés aux Etats-Unis au tout début des années 1980. C’est au sein de la communauté homosexuelle qu’apparurent les premiers symptômes épidémiologiques indiquant que la maladie, pas encore nommée, était transmissible par voie sexuelle. Cependant, les chercheurs découvrirent rapidement que le

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virus pouvait également se transmettre par le sang avant de l’isoler en 1983. Cela étant, des traces anciennes permettent de supposer que la maladie est restée inconnue durant de nombreuses décennies suite à la caractérisation de souches issues de biopsies réalisées dans les années 1960 en Afrique Centrale. Au cours des 35 dernières années, 35 millions de personnes ont été infectées par le HIV, dont 25 millions vivant en Afrique subsaharienne. Néanmoins, aucun pays n’est épargné par l’épidémie. Il est possible de répartir le VIH en deux groupes principaux de virus, à savoir VIH-1 et VIH-2. Le VIH-1 est la souche la plus courante, présente partout dans le monde, alors que le VIH-2 se retrouve essentiellement en Afrique occidentale. L’origine du virus est simienne selon la théorie la plus communément admise par la communauté scientifique. La contamination de l’homme a pour origine les pratiques de chasse ou le contact avec des primates infectés. Les chercheurs ont identifié a minima 13 transmissions du singe à l’homme, une seule d’entre elles ayant engendré la pandémie mondiale observée ces 30 dernières années. Afin de mieux connaître les origines de la contamination, plusieurs équipes ont étudié les grands singes dans leur milieu naturel. Compte tenu de leur statut d’espèce protégé, il a été nécessaire de mettre au point des techniques originales et non invasives, telles que la collecte d’échantillons de faeces qui permettent d’identifier la présence du virus et d’anticorps. Dans ce cadre, plus de 7 000 échantillons ont été collectés parmi les différentes espèces d’Afrique Centrale. Il ressort des analyses que certaines souches observées chez ces grands signes sont proches des souches humaines. Les chercheurs ont ainsi pu établir que deux des quatre variantes du VIH-1 proviennent de gorilles et de chimpanzés du sud-ouest du Cameroun. Probablement cantonné à la forêt au début, le virus a commencé à se répliquer et à évoluer suite aux premières contaminations humaines par consommation de viande de brousse ou blessure lors de la chasse. Il s’est ensuite déplacé au Congo aux alentours de 1920 en lien avec le développement intensif des échanges commerciaux par voie fluviale. Jusqu’aux années 1950, une combinaison de facteurs dont l’urbanisation rapide, la construction du chemin de fer, etc. a favorisé l’émergence et la propagation du sida dans l’ensemble du pays à partir de Kinshasa. Les activités humaines, le travail migrant, le développement d’activités de prostitution et la pratique d’injections de traitements contre les infections avec du matériel non stérile ont constitué les facteurs d’amplification de l’épidémie naissante. Par la suite, la présence d’haïtiens venus travailler au Congo explique que certains d’entre eux aient importé le virus dans leur pays à leur retour après l’indépendance dans les années 1960. A partir de là, le sida a gagné les Etats-Unis tout en se répandant à d’autres pays d’Afrique subsaharienne a résumé Martine Peeters.

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Où en est la pandémie en 2016 ? Plus de 35 millions de personnes vivent avec le VIH. 2 millions de nouvelles contaminations sont dénombrées chaque année. Aucun vaccin thérapeutique à l’efficacité prouvée n’est disponible, mais les traitements antirétroviraux développés ces dernières années permettent de contrôler le virus, d’accroître la qualité de vie des malades, d’augmenter le pronostic de survie et de réduire la transmission. A ce titre, Martine Peeters a souligné tout l’intérêt de traiter le plus grand nombre de personnes possibles afin de diminuer la prévalence de l’épidémie. Cependant, ces thérapies auxquelles les malades doivent s’astreindre toute leur vie sont complexes et coûteuses à fournir, ce qui entrave leur expansion, notamment dans les pays du sud. Afin d’améliorer l’accès aux traitements, il convient de former davantage de personnel médical, combiner les soins relatifs à d’autres problématiques de santé, développer l’accompagnement des patients, etc. Cela étant, l’OMS et ONUSIDA ont fixé des objectifs ambitieux, à savoir mettre un terme à l’épidémie d’ici à 2030 a indiqué Martine Peeters. Pour ce faire, un premier ratio 90-90-90 a été défini à l’horizon 2020, selon lequel : •

90 % des personnes infectées par le VIH devront connaître leur séropositivité ;

90 % des personnes séropositives devront avoir accès à un traitement ;

90 % des malades traités devront avoir une charge virale indétectable.

D’ici à 2030, ce ratio sera porté à 95-95-95 d’ici 2030. Il s’agit d’un défi pour le moins difficile à relever sachant que, parmi les 35 millions de personnes infectées, seuls 40 % suivent un traitement. Par ailleurs, Martine Peeters a attiré l’attention sur les problématiques auxquelles sont confrontés les pays du sud : capacités d’accueil et de suivi des patients insuffisantes, pénuries de médicaments, accumulation de résistances aux traitements antirétroviraux, etc. Enfin, Martine Peeters a alerté sur la mise en place de conditions favorables à une nouvelle épidémie, en lien entre autres avec la découverte de souches agressives, les gains en résistance de souches existantes, la circulation et la chasse persistante dans les zones forestières. A cet égard, un nouveau virus pourrait sortir de la forêt et arriver en ville beaucoup plus rapidement que par le passé.

Échanges avec la salle - En réponse à une question sur l’état des lieux des traitements et de la recherche vaccinale au regard des difficultés économiques actuelles, Martine Peeters a exprimé ses doutes vis-àvis de la mise au point d’un vaccin efficace sachant que le virus est extrêmement variable et s’attaque au système immunitaire.

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Concernant les traitements, la problématique porte davantage sur les moyens, en particulier pour les pays du sud selon Martine Peeters. Le choix des médicaments est relativement limité, le suivi des patients inadapté, la formation insuffisante, etc. ce qui affecte le taux de réussite. - Revenant sur l’origine du sida et la contamination animale, Martine Peeters a indiqué que le virus était probablement présent chez les grands singes depuis plusieurs milliers d’années. Cela étant, la maladie ne s’est pas développée au sein de cette population, le virus étant devenu pathogène à l’occasion du changement d’hôte. - Sur l’industrialisation des pays en voie de développement versus nécessaire respect de l’environnement, Olivier Chanel a souligné le besoin d’une coordination mondiale en matière de contrôle des émissions de gaz à effet de serre. En l’occurrence, les participants à la COP21 se sont efforcés d’aboutir à un accord basé sur la bonne volonté des États, chacun s’engageant à réduire ses émissions au regard de leurs ressources et de leurs capacités. A ce titre, certains estiment qu’il serait beaucoup plus efficace pour les pays du nord d’investir dans de nouvelles technologies et procédés moins polluants à destination des pays du sud que dans la réduction des émissions à leur niveau. Les engagements environnementaux devraient tenir compte de l’historique et du passif de développement dans ce cadre. - Toujours sur la responsabilité des pays du nord, Olivier Chanel a souligné que les exportations de véhicules d’occasion et polluants vers les pays du sud, où les normes d’émission sont moins strictes, aggravaient les effets sanitaires à l’échelle locale. Il a donc insisté sur l’intérêt d’une coordination mondiale afin de traiter la problématique des émissions de gaz à effet de serre. - Sur la discrimination des populations séropositives, Martine Peeters a rappelé les objectifs ambitieux d’ONUSIDA, notamment l’accès à un traitement pour 90 % des personnes infectées d’ici 2020. Tous les pays sont encouragés à poursuivre l’intensification des actions de prévention du VIH tout en continuant à déployer la couverture de traitement et à lever les obstacles à l’accès aux soins. - Concernant les controverses sur l’origine et la transmission du VIH, Martine Peeters a invité à écarter toute théorie du complot. L’hypothèse recueillant l’assentiment de la communauté scientifique est celle d’une sortie du virus du sida de la faune sauvage, à l’instar d’autres virus y compris dans les pays du nord. - Sur le développement d’un vaccin thérapeutique au Cameroun, évoqué par un intervenant, Martine Peeters a répondu qu’elle ne disposait d’aucun élément tangible d’information. - « Les ressources des États étant limitées en période de crise, ils doivent faire au mieux avec les moyens à leur disposition dans les domaines de l’environnement, de l’emploi, de 96 1ère Ecole d’été des Objectifs de Développement Durable – 8 au 13 juillet 2016 – Marseille, France


l’éducation, etc. » a indiqué Olivier Chanel. Dans ce cadre, les économistes ont vocation à assister la prise de décision en mettant à disposition des éléments de comparaison coûts/bénéfices pour un objectif donné, des ratios d’investissement, etc. Cependant, en pratique, les arbitrages intègrent également les pressions de lobbies. In fine, l’influence des économistes est limitée : une fois les calculs présentés et discutés, ils sont rarement pris en compte par les décideurs publics en raison de contraintes budgétaires, de l’action de certains groupes au niveau de l’Assemblée Nationale, etc. - Martine Peeters a fait part de l’existence de cas de surinfection par une autre souche du virus, notamment en Afrique de l’Ouest. A priori, le VIH-1, davantage pathogène, gagne du terrain dans cette zone. Toutefois, aucun phénomène de recombinaison VIH-1/VIH-2 n’a été observé jusqu’à présent. - Sur la problématique de recyclage des déchets électriques et électroniques, Olivier Chanel a indiqué que l’estimation de l’impact écologique et économique se fonde sur l’analyse du cycle de vie, de l’exploitation de la matière première jusqu’à la phase terminale d’un produit. - De nombreux essais vaccinaux contre le VIH sont en cours, chacun ayant une stratégie bien définie pour tenter d’éliminer le virus de l’organisme des malades a souligné Martine Peeters. Plusieurs équipes étudient les facteurs génétiques, sachant que certaines personnes sont infectées mais développent la maladie tardivement. Ces travaux contribueront à terme au contrôle de l’épidémie. - Suite à l’intervention d’une participante sur les ressources à accorder au suivi des malades, Martine Peeters a confirmé l’importance de cette action au regard des objectifs d’ONUSIDA. A ce titre, les grands organismes et la communauté internationale doivent se mobiliser davantage afin d’allouer les moyens financiers nécessaires. - « Les résistances aux traitements antirétroviraux ne sont pas nécessairement liées à l’âge des patients, mais tiennent davantage à la durée du traitement, à une mauvaise prise des médicaments, voire aux ruptures de stock et aux pénuries de médicaments, notamment dans les pays du sud. » a précisé Martine Peeters à plusieurs intervenants. L’organisation des systèmes de prise en charge est un élément à ne pas négliger a-t-elle souligné. - Concernant l’apparition de nouveaux virus chez les primates, tout l’enjeu consiste à analyser au plus près la faune sauvage afin d’identifier les agents pathogènes auxquels les populations peuvent être exposées. Des études sont également en cours sur les virus susceptibles de s’adapter à l’homme. - Aux intervenants qui se sont interrogés sur l’internalisation des effets externes et la prise en compte des émissions dans le coût final supporté par les utilisateurs afin de les amener à réorienter leurs comportements, Olivier CHANEL a rappelé qu’il était du ressort des États de 97 1ère Ecole d’été des Objectifs de Développement Durable – 8 au 13 juillet 2016 – Marseille, France


veiller au respect des règles relatives aux émissions et de sanctionner l’utilisateur ou le constructeur de véhicules polluants si nécessaire, par exemple. - « En matière de gaz à effet de serre, le premier instrument économique dont disposent les États est la réglementation, le second étant la taxe carbone et le troisième les marchés de droit à polluer. » a indiqué Olivier Chanel. Selon les économistes, le prix de la tonne de carbone varie de 20 à 120 €, coût à intégrer lors de la fabrication d’un produit. Au niveau des marchés de droit à polluer, les entreprises d’un secteur donné se voient attribuer un quota de tonnes de carbone à émettre chaque année. Dans ce cadre, certaines structures sont performantes et émettent peu de CO2, contrairement à d’autres. Les premières sont autorisées à vendre leurs droits à polluer inutilisés aux secondes, l’idée étant de réduire les quotas disponibles au fil des années afin que les entreprises soient incitées à investir dans les technologies propres, davantage rentables. - « Prendre en compte de manière plus sérieuse l’environnement est l’un des éléments clés qui permettrait de résoudre le problème des gaz à effet de serre. » a plaidé Olivier Chanel. En effet, depuis la publication de son premier rapport sur le coût de la pollution atmosphérique en Île-de-France en 1996, le Ministère de l’Environnement a changé 9 fois de nom et accueilli 15 ministres. « Tant que l’environnement ne sera pas abordé sous l’angle du long terme et que la croissance économique prévaudra, il sera difficile de faire passer des lois réorientant les politiques vers des émissions moins carbonées. » a-t-il conclu.

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Mardi 12 juillet

« Aléas climatiques et vulnérabilité des écosystèmes » Aléas climatiques et vulnérabilité des écosystèmes marins et terrestres Avec la participation de : •

Françoise Gaill, ancienne Directrice scientifique de l'Institut National Ecologie Environnement (INEE) du Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS)

Françoise Gaill, ancienne directrice scientifique de l’Institut National Écologie Environnement (INEE) du CNRS, a axé sa conférence sur les océans « et le rapport océan/climat ». Après avoir rappelé que les océans du monde, leur température, leur composition chimique, leurs courants et leur vie « sont à la source des systèmes mondiaux qui rendent la Terre habitable par l’Homme », elle a indiqué que l’ODD 14 leur était dédié. « Cet objectif spécifique vise à conserver et exploiter de manière durable les océans, les mers et les ressources marines aux fins du développement durable », a-t-elle dit, notant la nécessité de mettre en place une gestion prudente des océans, qui interviennent sur la planète de « manière multifactorielle ». S’agissant du lien entre océans et climat, Mme Gaill a souligné que les océans produisent 50% l’atmosphère, absorbent un quart du gaz d’origine anthropique et 93% de l’excédent de chaleur émise par l’homme, atténuant ainsi les effets négatifs du réchauffement de la planète.

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« Quel est justement les impacts du réchauffement climatique sur les océans ? il s’agit de l’élévation du niveau des océans par dilatation et fonte de la glace terrestre, du réchauffement des eaux et de quelque chose dont on parle assez peu : l’acidification par excès d’absorption de CO2 », a-t-elle expliqué. Pour la conférencière, ces impacts « peuvent modifier le rôle de l’océan dans sa régulation du climat ». Mme Gaill s’est inquiétée du fait qu’en dépit de ces phénomènes, le destin des océans ne faisait l’objet d’aucune prise en compte dans les négociations sur le changement climatique. « Heureusement que nous pouvons compter sur les Aires marines protégées, qui, toutefois, ne peuvent compenser à elles seules l’absence de gouvernance internationale en haute mer », a-t-elle noté. Elle a indiqué qu’une une coalition internationale, « Ocean & Climate Platform », destinée à faire entendre la voix de l’océan dans les négociations climatiques avait été mise en place. Regroupant 80 instituts de recherche, ONG et associations d’entreprises actrices de la mer, son objectif, a-t-elle précisé, est de développer la connaissance scientifique sur les liens entre océan et climat, sensibiliser le public à l’importance de l’océan dans la machine climatique planétaire, informer et sensibiliser les décideurs publics et privés aux enjeux océan et climat et intégrer l’océan dans le champ des négociations climatiques. Elle a par ailleurs déclaré que l’Accord de Paris sur le climat donnait un cadre juridique international engageant les parties à agir pour atténuer le changement climatique, les champions de l’émission de gaz à effet de serre restant la Chine, les États-Unis et l’Europe. « Maintenir le réchauffement mondial des températures en-deçà de +2 C est ambitieux, tout comme rendre l’Accord universel et juridiquement contraignant », a-t-elle estimé. Mme Gaill a expliqué que 2015 avait été l’année la plus chaude jamais enregistrée, ponctuant une évolution entamée depuis la fin du 18e siècle. Cette élévation évidente des températures a connu un coup d’accélérateur au cours des années 1980, a-t-elle dit, notant que le phénomène affectait l’atmosphère « mais aussi la surface des océans ». Outre la diminution du rôle de régulateur thermique des océans, l’élévation des températures provoque une très pernicieuse désoxygénation des océans sur les écosystèmes. « Ce phénomène provoquent la création de zones mortes, privées d’O2, des zones qui s’accroissent et entrainent la mortalité immédiate d’espèces entières qui passent dans ces zones. Il menace les habitats marins qui sont cruciaux pour la production des poissions et la sécurité alimentaire des populations ainsi que les coraux profonds ».

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Concernant les effets du changement climatique sur le littoral, M. Gaill a souligné l’accroissement de l’érosion côtière et la submersion marine et du risque de multiplication des événements climatiques extrêmes. « Or, d’après l’ONU, d’ici 2050, 80% de la population habitera sur des franges littorales de 100 kms. Ces populations pourraient être menacées d’insécurité alimentaire et exposées aux catastrophes naturelles », a-t-elle prévenu. Pour limiter les impacts de l’activité humaine sur l’océan, a-t-elle signalé, l’objectif reste la réduction des gaz à effets de serre, des pollutions et exploitation durable des ressources afin que les océans puissent continuer à jouer leur rôle de régulateur du climat. À cette fin, Mme Gaill a appelé à la mise en œuvre de la transition énergétique et écologique des territoires littoraux puis proposer des solutions « éprouvées sur le terrain » pour protéger ces zones : implantation d’hydroliennes pour l’autonomie énergétique des îles, de bâtiments à énergie positive, création de stations d’épuration zéro-émission, utilisation de la mer pour le chauffage et la climatisation d’une ville et d’UV pour filtrer les eaux de ballast du transport maritime. Elle a par ailleurs abordé la situation en Méditerranée, relevant que l’élévation de la température de l’eau y était relativement faible, de l’ordre 0,12 degrés sur 30 ans. « Toutefois, ce réchauffement s’accélère avec le temps », a-t-elle ajouté. Elle a expliqué que certaines zones, qui ne bénéficient pas de l’Atlantique, seraient plus chaudes que la partie Ouest du bassin méditerranée. « Des signes de tropicalisation de la Méditerranée ont été mis en évidence, ce qui pourrait entraîner l’arrivée d’espèces nouvelles. Le réchauffement de cette mer très particulière, très saline, pourrait également provoquer l’émergence d'agents pathogènes bactériens thermodépendants et affecter les capacités de reproduction des animaux adultes », a-t-elle indiqué. Pour contrecarrer le déclin annoncé des espèces marines, des coraux et des mangroves, « qui disparaissent 5 fois plus vite que les forêts », Mme Gaill a appelé au renforcement du rôle de l’écologie marine et à l’intensification des plaidoyers en faveurs des servies écosystémiques des océans. « En termes d’alimentation, de tourisme et de protection de la biodiversité, les océans rendent pour 24 Mds de dollars de services chaque année. L’océan, avec ce qu’il produit et s’il était un État, représenterait le 7e pays du monde en termes de PIB », a déclaré la conférencière.

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« Nous devons avoir pour le développement durable ce que nous avons obtenu pour le climat. La prise en compte des océans a eu lieu puisqu’ils figurent dans le préambule de l’Accord de Paris. Le GIEC doit à présent rendre un rapport spécial sur ce sujet, ce qui constitue pour nous une avancée majeure en termes de prise de conscience et de mobilisation », a souligné Mme Gaill. Pour que les gouvernements et les décideurs mettent en place un véritable programme de travail et d’actions concrètes sur tous les enjeux liés aux océans, « la société civile et toutes les parties intéressées devront continuer à déplacer des montagnes pour faire en sorte que la COP22 soit, historiquement, celle des solutions », a-t-elle conclu.

Échanges avec la salle - S’agissant de l’utilisation des services écosystémiques des océans, il a été souligné au cours de la discussion qu’un tel outil pouvait aider à convaincre les donneurs d’ordre et les bailleurs de fonds du bien-fondé d’améliorer la gestion durable des océans. - Il faut être attentif à toute modification du milieu marin, potentiellement néfaste pour les écosystèmes, y compris terrestres, a-t-il aussi été dit. - Sur les écosystèmes marins, il a été souligné la nécessité de mieux comprendre leur capacité d’adaptation et de résilience, et évaluer si les dégâts qui les affectent en raison de la hausse des températures sont ou non réversibles. - « En effet, nos réponses doivent être diverses et variées, les phénomènes étant euxmêmes multifactorielles : à la hausse des températures s’ajoutent la pollution et la baisse d’oxygène, entraînant un stress cumulé dont l’étude approfondie représente un enjeu majeur de connaissance et de développement durable », a déclaré Mme Gaill. - Les participants ont reconnu que la première priorité était de freiner la hausse des températures. - Il faut, a-t-il ainsi été dit, se mettre en condition pour réaliser cet objectif en visant, à travers les actions des AMP, une meilleure connaissance des capacités de réaction de la biodiversité. C’est sur la base de ces résultats scientifiques et expérimentaux qu’il conviendra d’agir, a-t-il été dit. - L’ONU via le Fonds vert pour le climat devrait faire davantage pour lutter contre les conséquences du stress cumulé décrit par Mme Gaill et la dégradation des littoraux, a-t-il été suggéré.

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- Les pollutions telluriques, qui sape le développement de l’Afrique de l’Ouest mériterait une attention accrue de la part des chercheurs et des politiques, ont dit des représentants de pays de la région. - Mme Gaill a insisté sur l’importance du rôle et de la place de la science dans la mise en œuvre des ODD : « À nous, appuyés par la société civile, de nous faire entendre pour apporter des solutions et éclairer les décisions qui ne sauraient être prise une fois que les pays se retrouvent dos au mur », a-t-elle déclaré. - «Toute action d’envergure en mer devrait être associée à une recherche a priori. Cette proposition a été débattue lors du débat sur la Loi pour la reconquête de la biodiversité », a indiqué Mme Gaill, pour qui « un tel principe permettrait de livrer des connaissances sur les potentialités, sur ce qui pourrait être en plus de données sur ce qui est ». - Protéger plus avant les zones urbaines côtières, faire prendre conscience au niveau onusien de la nécessité de supprimer la pêche profonde sur le modèle de ce qui a été réalisé en Europe, obtenir de manière contraignante les données des multinationales qui exploitent les océans, tels ont été certaines des priorités évoquées par les intervenants pour avancer dans la réalisation des ODD. - « L’accès libre des données sera l’un des nerfs de la guerre de demain », a lancé Mme Gaill. - La conférencière a d’autre part regretté que l’examen du changement climatique se base sur des prédications « bornées sur des scénarios ». - « La modélisation doit être fondée sur les processus biologiques, en fonction des temporalités selon lesquels ils évoluent. Et elle doit s’établir sur les données collectés et analysées dans des observatoires et s’articuler autour de variables essentielles », a-t-elle insisté. - Les intervenants ont souhaité que l’utilité des observatoires soit soulignée lors des débats de la COP22, en vue d’en faire des instruments pour réduire l’écart entre connaissance scientifique des milieux et décision politique. - Pendant longtemps, la parole scientifique n’a pas existé. La société civile, en faisant naître une nouvelle culture écologiste a permis de changer les termes de la discussion et des négociations sur le développement durable, a-t-il par ailleurs été saluée. - « Pour savoir de quel contexte nous parlons, nous devons prendre en compte les différentes temporalités au cours desquels se forment et évoluent les processus biologiques », a insisté Mme Gaill 103 1ère Ecole d’été des Objectifs de Développement Durable – 8 au 13 juillet 2016 – Marseille, France


Préservation de la biodiversité et des écosystèmes Avec la participation de : • • • •

Tantely Razafimbelo, Directeur du Laboratoire des Radioisotopes (LRI), Université d'Antananarivo Laurent Pouyaud et Régis Hocdé, chercheurs à l'IRD, responsables expédition "Lengguru et exploration de la biodiversité" Joël Guiot, Directeur du Labex OT-Med, CNRS - AMU Pierre-Henri Gouyon, prof. à l'École polytechnique, au Museum National d'Histoire Naturelle (MNHN) et à Science-Po ; ancien Directeur Adjoint du CNRS pour le secteur écologieenvironnement

Tantely Razafimbelo, Directeur du Laboratoire des Radioisotopes, Université d’Antanarivo, Madagascar, a évoqué la mise en œuvre de l’initiative 4 pour 1000 (4P1000) d’atténuation des effets du changement climatique par l’utilisation de techniques d’origine traditionnelle pour stocker le carbone. Les exemples qu’elle a donnés étaient tirés du réseau CaSa, « qui regroupe 21 équipes de 11 pays africains et de France, des chimistes du sol, des agronomes… ». Elle a précisé que l’objectif des actions menées par CaSa dans le cadre de L’initiative était de replacer le sol et le carbone du sol comme un élément central de la durabilité des systèmes agricoles. 4P1000, a-t-elle également indiqué, est une initiative française qui prévoit la conduite « d’actions concrètes pour stocker le C dans le sol par des pratiques qui maintiennent ou qui augmentent les teneurs en carbone du sol ». L’agriculture, les forêts et autres usages des terres ‘contribuant’ à hauteur de 24% aux 4 Mds de tonnes de de gaz à effet de serre émis chaque année, les actions entreprises visent à inverser la tendance en développant localement les bons usages et pratiques de séquestration du carbone. « L’objectif fixé par 4P1000 est de parvenir à stocker 4,3 Gt C par an dans un réservoir de C de 800 à 1000 Gt », a précisé la conférencière. Elle a expliqué, qu’au Bénin, la culture du palmier à huile, qui permet la production annuelle de 50 000 tonnes d’huile, avait été améliorée par l’utilisation d’une plante de couverture entre les arbres : « grâce à cette technique, les stocks de carbone du sol ont augmenté de 120 pour 1000 », a-t-elle relevé. Au Burkina Faso, a-t-elle dit, les pratiques traditionnelles du zaï de réhabilitation des terres dégradées ont « servi à restaurer les sols par localisation des apports organiques dans les trous ». Elle noté à propos du zaï que cette technique complexe ne permettait d’obtenir des résultats significatifs en matière d’augmentation des teneurs en carbone du sol qu’au bout de 8 ans. 104 1ère Ecole d’été des Objectifs de Développement Durable – 8 au 13 juillet 2016 – Marseille, France


Pour ce qui est de l’utilisation, sur une période de 6 ans, de 2006 à 2012, des fertilisants organiques à Madagascar, fumier, composte et déchets urbains, Mme Razafimbelo a expliqué que leurs effets sur les stocks de carbone, « mais aussi de méthane, qui est à fort potentiel de réchauffement », étaient très différents les uns des autres : « 21% d’augmentation pour le fumier, 86% avec les déchets humains et 103% pour le composte, qui est de plus en plus souvent fourni par des ONG ». La conférencière a également souligné la nécessité de considérer les autres gaz, CH4 donc mais aussi N2O, dans le terroir agricole. « La riziculture inondée à Madagascar permet très clairement de réduire de presque 3 fois les émissions de méthane », a-t-elle affirmé. Les valeurs de stockage varient selon les pratiques, qui sont multiples, les types de sol et de climat. Mme Razafimbelo a insisté sur le fait que, pour que ces techniques fonctionnent, il est nécessaire « qu’elles produisent, l’important, ne l’oublions pas, étant de nourrir les populations ». « Les bénéficiaires, à commencer par les paysans, doivent y trouver leur compte, et il est indispensable qu’ils soient soutenus par les gouvernements dès lors qu’ils s’engagent à produire de manière plus durable », a-t-elle encore noté. Elle a conclu en déclarant que, conduite dans de bonnes conditions et avec l’appui de tous les acteurs concernés, l’Initiative 4P1000 engageait véritablement les parties prenantes « dans une transition vers une agriculture productive, hautement résiliente, fondée sur une gestion adaptée des terres et des sols, créatrice d’emplois et de revenus et ainsi porteuse de développement durable. » Laurent Pouyaud et Régis Hocdé, chercheurs à l’IRD et responsables de l’expédition « Lengguru et exploration de la biodiversité », ont mis l’accent sur le caractère coconstruit de cette expédition menée en terre indonésienne. « Le partenariat qui nous associe au LIPI, qui est le CNRS indonésien, se veut éthique et durable pour découvrir et sauvegarder un patrimoine écologique et culturel unique », ont-ils ainsi dit. Ce partenariat repose, ont-ils précisé, sur l’Accès aux ressources génétiques et le Partage juste et équitable des Avantages liés à leur utilisation (APA), conformément au troisième objectif de la Convention sur la diversité biologique (CDB). Ils ont indiqué que l’expédition 2014 en Papouasie occidentale avait eu pour objectif de comprendre comment fonctionne un écosystème très particulier, le massif de Lengguru, et de prédire son évolution par rapport à l’activité humaine, aux aléas climatiques et au hasard.

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Après avoir rappelé que l’Indonésie compte 3 zones biogéographiques « extraordinaires », la dotant du patrimoine naturel le plus riche du monde si l’on cumule les biodiversités marine et terrestre, les conférenciers se sont concentrés sur le « Triangle de corail » et le Lengguru. Ils ont expliqué que le Triangle de corail était une zone du Pacifique que se partagent plusieurs pays de la région, dont l’Indonésie, et qui comporte 30% la surface récifale dans le monde ainsi que la plus forte concentration de biodiversité marine de la planète. « 600 espèces de coraux sur les 800 connus dans le monde y sont présents », ont-ils indiqué. L’imposant massif karstique de Lengguru, lieu de l’expédition situé au centre du Triangle de corail, est quant à lui vieux de plusieurs millions d’années, vaste comme la Sardaigne et comprend des sommets culminants à plus de 5 000 mètres. Ils ont expliqué que l’eau s’y écoule par des réseaux souterrains et que s’y observent une « fascinante mosaïque d’habitats divers, des écosystèmes indépendants et un nombre important de canyons et vallées endoréiques ». « Le niveau de biodiversité et d’endémisme y très élevé », ont-ils ajouté. « Si la région a été encore peu étudiée, c’est principalement en raison des difficultés posées par la complexité et la rudesse du relief, certains endroits étant endroits inaccessibles, et à cause de la situation politique », ont-ils expliqué, en ajoutant que « les karsts concernent seulement 1% des travaux menés sur les différents types d’écosystèmes d’Asie du sud-est au cours des 30 dernières années ». MM. Pouyaud et Hocdé ont insisté sur le fait que la mosaïque d’habitats avait été explorée sous 3 axes suivant les volets marin, de surface et souterrain, et cela dans le cadre « d’une collaboration franco-indonésienne se voulant la plus équitable possible ». En 2014, ont-ils précisé à cet égard, l’effectif de l’expédition était composé de 24 scientifiques européens et de 42 scientifiques indonésiens, zoologues, botanistes, biologistes marin, géologue, hydrologues, de 2 photographes français et d’1 médecin français. « Tout ce qui a été collecté reste en Indonésie et alimente la collection de nos partenaires. Les ressources génétiques, préservées sur le terrain et conservées dans le pays d’origine, sont analysées prioritairement par la partie indonésienne. Ce matériel est parfois étudié à Paris, Arhus, Madrid ou Londres, où sont pratiquées des analyses génétiques ou morphologiques spécifiques. La même philosophie prévaut pour les données d’observations numériques », ont bien précisé les chercheurs de l’IRD.

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MM. Pouyaud et Hocdé ont ajouté que le programme franco-indonésien, qui va de 2007 à 2016, prévoit une formation et des publications scientifiques destinées à passer progressivement le flambeau de la recherche à de jeunes savants sur des thématiques et des protocoles communs aux 2 parties. « L’un de nos objectifs est de parvenir à 100% de publications cosignées par les parties indonésienne et européenne », ont-ils dit. Ils ont conclu en annonçant que le programme d’édition 2017 de l’expédition était axé sur les volets marin et ornithologique et chercherait à enrichir l’inventaire des biotas du Triangle de corail, à démontrer le rôle moteur du Lengguru dans les processus de spéciation animale et à contribuer à la préservation et à la gestion raisonnées des espèces et écosystèmes emblématiques de la Papouasie occidentale. Joël Guiot, directeur du Labex OT-Med, CNRS-AMU, est revenu sur l’évolution de la température moyenne globale depuis 1850, et il s’est penché sur l’impact du changement climatique sur les écosystèmes méditerranéens terrestres. Entre la période préindustrielle et la dernière décennie, a-t-il dit, le réchauffement global de la planète est compris entre 0,5 et 0,75 degrés, mais l’on sait qu’en 2015 a été dépassé le seuil de 1 degré. « il se passe quelque chose d’important, qui remet notamment en cause l’idée que le phénomène venait de s’achever. En effet, si la température de l’air a marqué une pause entre 1998 et 2013, l’océan a continué à stocker de l’énergie. Cette accumulation de chaleur, l’océan la relargue, entraînant une hausse des températures », a-t-il ajouté. M. Guiot a expliqué que les changements détectés, et qui concernent directement les écosystèmes, sont l’augmentation de la température marine, l’élévation du niveau de la mer, la diminution de la couverture neigeuse, l’augmentation de la vapeur d’eau dans l’atmosphère et la multiplication des événements climatiques. « Tout cela impacte profondément les écosystèmes », a-t-il déclaré. Tous ces changements, a dit M. Guiot, surviennent après une longue période tempérée et stable qui a vu émerger les civilisations actuelles. Il a expliqué qu’au niveau méditerranéen, la mesure de la variabilité du climat au cours des 10 000 dernières années (holocène) indique que la température est restée incluse dans une fourchette de + ou – 1 degré. « Puis, au cours de la dernière décennie du 21e siècle, de 2000 à 2010, nous sommes sortis de cette variabilité de l’holocène, les projections pour la Méditerranée étant désormais

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supérieures à la moyenne globale », a-t-il fait observer. « Le réchauffement va donc aller en augmentant et de manière linéaire en Méditerranée », a-t-il affirmé. Il a poursuivi en déclarant que l’Accord de Paris reflétait l’état de l’art de la compréhension des risques liés au réchauffement. « Limiter l’anomalie de température à 1.5-2°C est possible, mais cela requiert un changement de paradigme de développement, voire de société pour rester dans cette limite », a-t-il estimé. Il s’est alors demandé ce qu’impliquaient ces seuils pour la Méditerranée, en se basant sur des modèles de projection à l’horizon 2100. « Si nous prenons le seuil global de 1.5°C, nous constatons que cela donne 1.85 en Méditerranée, que si nous prenons le seuil global de 2 cela donne à ce niveau 2.4, que si nous prenons le seuil de 3 degrés cela donne 3.6 et que si nous prenons le seuil de 4 degrés cela donne 4.7 degrés » Il a ajouté que si l’on se focalise sur l’été, « les différences sont encore plus importantes ». M. Guiot a expliqué qu’à ces hausses hypothétiques des températures en Méditerranée correspondaient une diminution des précipitions de l’ordre de 3% à 15% selon le seuil. Se basant ensuite sur un rapport du groupe 2 du GIEC, il a indiqué, qu’à 1.5°C, la possibilité d’adaptation des écosystèmes à la vitesse actuelle du changement climatique – « qui est rapide par rapport à celle relativement lente du passé –, est possible. « Dans un scénario à 2 degrés, la biodiversité aurait plus de mal à s’adapter », a-t-il relevé. « Dans un scénario à 1.5, le niveau de la mer resterait en-dessous de 1 mètre d’augmentation à l’horizon 2100. Dans un scénario à 2, il dépasserait le mètre, ce qui aurait d’évidentes répercussions pour les nombreuses populations vivant le long des littoraux. Il en va de même pour l’agriculture, qui préserve ses capacités d’adaptation à 1.5°C mais les perd à 2° », a encore indiqué M. Guiot. Il est selon lui intéressant de voir comment se situe le futur de la Méditerranée par rapport à cette variabilité holocène, qui a fourni nombre de données, par exemple sur les passages d’une forêt à une steppe, d’une steppe à un désert… Il a ainsi indiqué que pendant tout l’holocène les changements avaient rarement dépassé les 10% de la surface. « Les projections à partir de modèles climatiques appliqués à des modèles de végétation indiquent, elles, des changements importants de superficie des écosystèmes en fonction de tous les seuils de température fixés par l’Accord de Paris », a-t-il dit.

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« Entre 1.5 et 2 degrés, la différence est aussi importante qu’entre 2 et 3 degrés », a-t-il spécifié à cet égard, indiquant que le GIEC publierait bientôt un rapport sur la différence entre ces 2 seuils, « différence qui pourrait marquer un saut quantitatif ». « Est-ce possible de rester en-dessous du seuil de 2°C et même 1.5°C », s’est enfin demandé Joël Guiot. Il a répondu en affirmant que le scénario qui permettrait de rester en dessous de 2°C implique de réduire de 40 à 70%, par rapport à 2010, les émissions de gaz à effet de serre à l’horizon 2050. « Le seuil de 1.5°C ne serait possible qu’avec des réductions d’émission de 70% et 95% de la valeur de 2010 », a-t-il dit. Pierre-Henri Gouyon, professeur à l’École polytechnique, au MNHN et à Sciences-Po, et ancien Directeur-Adjoint au CNRS pour le secteur écologie-environnement, a appelé à réinterroger les concepts et les définitions, en particulier ceux de biodiversité et d’espèce. Il faut, a-t-il souligné, garder à l’esprit ce fait-là que les individus s’engendrent les uns les autres. « ‘Toutes les espèces tiennent leur origine de leur souche, en première instance, de la main même du Créateur Tout-puissant, car l’Auteur de la nature, en créant les espèces, imposa à ses créatures une loi éternelle de reproduction et de multiplication dans les limites de leur propre type’ : la définition de Carl von Linné, sorte de vision tirée de la Genèse, alimente encore le mythe fixiste fondateur. Or, comme l’a démontré Darwin, le monde n’est pas stable », a affirmé M. Gouyon. Il a rappelé qu’en dépit de la découverte de l’extinction d’espèces par Cuvier au 18è siècle et de la publication, en 1859, du maître-livre de Darwin, l’Origine des espèces, « qui constitue toujours la base théorique de la biologie actuelle, base trop compliquée pour que l’ayons assimilée », « on continue de penser de manière anté-darwinien ». Se référant de nouveau à Darwin, M. Gouyon a déclaré que « c’est l’extinction, mécanisme constamment à l’œuvre, et la divergence entre les lignées qui sculptent la biodiversité », et que séparer la biodiversité entre espèces et la biodiversité dans l’espèce n’a aucun sens : « c’est la même ! », a-t-il dit. « ‘’ Jusqu’à présent, on n’a pas pu tracer une ligne de démarcation entre les espèces et les sous-espèces, c’est-à-dire entre les formes qui dans l’opinion de quelques naturalistes pourraient être presque mises au rang des espèces sans le mériter tout à fait ; on n’a pas réussi davantage à tracer une ligne de démarcation entre les sous-espèces et les variétés fortement accusées ou entre les variétés à peine sensibles et les différences individuelles. Ces différences se fondent l’une dans l’autre, par des degrés insensibles, en une véritable série ; or l’idée de série implique l’idée d’une transformation réelle’ : 150 ans après, nous 109 1ère Ecole d’été des Objectifs de Développement Durable – 8 au 13 juillet 2016 – Marseille, France


n’arrivons toujours pas à penser la biodiversité selon ces remarques pénétrantes de Darwin », a-t-il déploré. Pierre-Henri Gouton a insisté sur le fait que la biodiversité n’était pas une création mais un processus dynamique, « qui nait du rapport, de l’équilibre instable entre l’extinction et la divergence » Il a, à cette aune, tiré la sonnette d’alarme en constatant que la biodiversité actuelle était dans « une dynamique d’effondrement : le moteur est en train de s’enrayer. En effet, être vivant, c’est être dans un équilibre dynamique. Or, nous mettons la biodiversité au frigo pour la conserver, comme cela est très concrètement le cas à la Réserve mondiale de semences du Svalbard en Norvège. Mettre des technologies du 21è siècle au service d’une science du 18è siècle est bien là la pire des méthodes ! », a-t-il ajouté. Contre « la vision folle » qui dissimule mal les intérêts en jeu dans les secteurs de l’agriculture et des biotechnologies, « contre la guerre des semences et les banques de graines », Pierre-Henri Gouyon a appelé à remettre de la diversité dans les cultures. « Faute de quoi, avec l’homogénéisation en cours des cultures et du vivant, nous courrons à la catastrophe », a-t-il averti.

Échanges avec la salle - Lors de cette discussion, M. Gouyon a de nouveau plaidé pour un travail théorique de définition historique de la biodiversité, y compris au sein des conventions de l’ONU. « Faisons toujours confiance à Darwin et à sa vision de continuité des choses ». « Via une agriculture raisonnée, nous pourrons maintenir une dynamique équilibrée du vivant », a-t-il encore dit. - De son côté, M. Guiot a affirmé que le changement climatique ne présentait d’autres points positifs qu’un réchauffement agréable des températures dans les pays du nord. « Pour les reste, ce processus linéaire, vous l’aurez compris, peut conduire au chaos. Il faut agir en référence aux seuils fixés, cela pour éviter au moins les points de bifurcation », a-t-il ajouté. - Il a reconnu que le prix du carbone avait chuté mais que cette baisse n’avait pas eu de répercussion notable sur le plan écologique. « Mieux vaut se concentrer sur la recherche de solutions locales, similaires à celles présentées par Mme Razafimbelo, que jouer sur une monétisation du carbone ne produisant guère d’effet a priori », a-t-il préconisé. - « Les paysans sont toujours un peu réticents quand on propose d’autres systèmes. Mais quand ils voient que nos solutions durables, y compris celles reposant sur l’utilisation à

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faibles doses d’engrais, peuvent aller dans le sens de leurs intérêts, ils jouent le jeu », a indiqué Mme Razafimbelo. - La dimension éthique des partenariats internationaux et la nécessité d’œuvrer, avec l’éclairage de la science, à l’établissement d’un lien positif entre milieu et espèce, ont été soulignées. - Au sujet de l’expédition Lengguru, MM. Pouyaud et Hocdé, réagissant aux propos de M. Gouyon, ont expliqué que les travaux scientifiques conduits par leur équipe reposaient sur une appréhension de la biodiversité par acquisition de données de base en vue de travailler sur les processus d’adaptation, d’évolution et de phylogénie. - « Observer des communautés d’oiseaux qui vivent à plus de 1000m d’altitude et reconstituer leur histoire évolutive permet de voir que la formation des montagnes a redistribué la distribution des cartes adaptatives, certains oiseaux accompagnant cette formation des massifs pour donc s’établir sur des sommets et diverger radicalement d’autres communautés d’oiseaux distantes seulement de quelques kilomètres. Voilà la sorte de résultats que donne une étude ouverte à divers champs disciplinaires de l’évolution des espèces », a expliqué M. Pouyaud.

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Grands témoins Avec la participation de : • • • •

Anastasios Xepapadeas, Prof. à l'Athens school business and economics, Grèce Frida Ben Rais Lasram, Enseignant-chercheur à l'Institut National Agronomique de Tunisie (INAT), responsable de jeune équipe associée à l'IRD, GAMBAS, Tunis, Tunisie Aurélie Flore Koumba Pambo, Directrice scientifique de l'Agence Nationale des Parcs Nationaux (ANPN), Libreville, Gabon Maria Snoussi, Prof. à Université Mohammed V de Rabat, Maroc

Afin d’aborder les enjeux d’aléas climatiques et de vulnérabilité des écosystèmes de manière exhaustive, il convient de se pencher sur les liens entre économie, biodiversité et changement climatique a indiqué Anastasios Xepapadeas, professeur à l’Athens school business and economics. Après avoir balayé un certain nombre de faits significatifs relatifs à la perte de biodiversité et en lien avec le changement climatique, tels que l’envolée du taux d’extinction des espèces à l’heure actuelle, entre 100 et 1 000 fois plus élevé que le taux moyen d’extinction qu’a connu jusqu’ici l’évolution de la vie sur Terre, Anastasios Xepapadeas a présenté les conclusions du Millenium ecosystem assessment ou Évaluation des écosystèmes pour le millénaire. Cette vaste étude initiée par le Secrétaire Général des Nations-Unies a évalué les conséquences des changements écosystémiques sur le bien-être humain, ainsi que les possibilités de restauration, de conservation et d’amélioration de l’utilisation durable des écosystèmes. Les services fournis par les écosystèmes ne sont autres que les bienfaits procurés aux êtres humains. Ces services vont du cycle de l’eau à la pollinisation, en passant par la régulation de la pollution, etc. Dans ce cadre, la biodiversité et l’abondance des espèces jouent un rôle déterminant au sein d’un système dynamique caractérisé par une interaction des espèces. Elle peut être perçue comme « un lien ou une colle invisible reliant chaque organisme vivant ». Difficile à quantifier avec précision, la biodiversité est mesurable sur le plan économique à travers plusieurs indicateurs, tels que l’indice de Shannon relatif à la diversité spécifique et l’indice de Simpson qui permet de quantifier l’abondance des espèces d’un habitat. « Comment la biodiversité affecte-t-elle les services fournis aux humains ? » s’est interrogé Anastasios Xepapadeas. A cet effet, il a lié biodiversité et productivité, la diversité des systèmes végétaux assurant la variété et la qualité de l’approvisionnement, des services de régulation, etc. Certaines composantes de la biodiversité jouent un rôle clé dans la séquestration du carbone et contribuent à lutter contre le changement climatique. La capacité d’un écosystème à éliminer les organismes nuisibles dépend fortement de la 112 1ère Ecole d’été des Objectifs de Développement Durable – 8 au 13 juillet 2016 – Marseille, France


biodiversité et profite à la sécurité alimentaire et au revenu national de nombreux pays. La biodiversité est également source de grandes avancées dans le domaine des biotechnologies, etc. Comment valoriser la biodiversité et ses profits associés pour les humains ? Économistes et écologistes s’accordent sur les conséquences néfastes de la perte de biodiversité sur les services fournis par les écosystèmes. En effet, le rôle de la biodiversité va bien au-delà du simple fait d’assurer la disponibilité de matières premières et touche les thématiques de sécurité, résilience, santé, etc. L’évaluation des impacts négatifs d’un phénomène se fonde sur la comparaison d’une situation pré et post évènement. Or il est pour le moins difficile de déterminer le prix ou le coût de services dans le cadre d’un écosystème, sachant que la biodiversité ne s’échange pas sur un marché et n’a donc pas de prix. Pourtant, il est essentiel d’affecter une valeur aux services fournis par les écosystèmes afin de faire prendre conscience de l’importance de la biodiversité. Plusieurs tentatives d’appréciation économique de la biodiversité sont en cours depuis le début du XXème siècle, notamment via l’approche indirecte des services rendus (protection contre les inondations, fixation de carbone, etc.), la méthode des coûts observables, la méthode des coûts de déplacement, des enquêtes, la méthode du transfert de bénéfices, etc. Ces démarches permettent d’obtenir

des

approximations

raisonnables,

mais

elles

présentent

des

limites

informationnelles, voire des biais systématiques lorsqu’elles s’appuient sur des préférences déclarées. En conséquence, l’estimation monétaire du capital naturel fait l’objet de shadow prices ou prix virtuels déterminés par des équations complexes a indiqué Anastasios Xepapadeas. Dans ce cadre, les modèles mathématiques permettent d’étudier une grande diversité de scénarios et d’établir un rapport coûts/bénéfices suite à une modification des écosystèmes et de la biodiversité. Néanmoins, les résultats s’entendent à une échelle locale, et non globale. « Il est indéniable que les impacts du changement climatique sur les écosystèmes iront en s’intensifiant » a souligné Anastasios Xepapadeas. Certes, ces effets s’annoncent relativement limités si la hausse des températures se maintient entre 1 et 2°C, mais le respect de cette fourchette est peu probable en dépit des engagements pris lors de la COP21. En effet, le réchauffement devrait atteindre 2,5 à 2,7°C compte tenu des efforts entrepris. Or les hot spots de biodiversité dans le monde sont en même temps les plus vulnérables au changement climatique. A titre d’exemple, Anastasios Xepapadeas a évoqué la réduction de la ressource en eau, des rendements agricoles dans la zone méditerranéenne, ainsi que l’augmentation des épisodes de sécheresse, l’accroissement de la salinité, l’invasion d’espèces exogènes, etc. De manière globale, selon les projections, le changement climatique aggravera la perte de biodiversité et augmentera les risques 113 1ère Ecole d’été des Objectifs de Développement Durable – 8 au 13 juillet 2016 – Marseille, France


d’extinction. La disponibilité en eau et sa qualité diminueront dans de nombreuses régions arides et semi-arides. La fiabilité de l’énergie hydraulique et de la production de biomasse déclinera dans certaines régions. Des maladies comme la malaria ou la dengue se propageront, tout comme les problèmes de santé liés aux fortes chaleurs, à la malnutrition et aux catastrophes naturelles. La survie d’espèces endémiques sera menacée dans des habitats fragmentés, etc. Face à ces enjeux, une prise de conscience des citoyens se fait jour. A la question « Combien seriez-vous prêts à payer afin de préserver la biodiversité ? », les européens se disent prêts à consacrer 28 € par an à ce poste a indiqué en conclusion Anastasios Xepapadeas. Dans un contexte de forte vulnérabilité des écosystèmes marins face au changement climatique, Frida Ben Rais Lasram, Enseignant-chercheur à l’Institut National Agronomique de Tunisie (INAT), a choisi d’étudier les enjeux relatifs à l’avenir de l’ichtyofaune méditerranéenne. Préalablement à la présentation de ses travaux, Frida Ben Rais Lasram a souhaité poser le cadre du changement global et du changement climatique, termes proches et parfois utilisés indifféremment pour véhiculer une même idée. L’histoire de la Terre a été ponctuée par des épisodes climatiques et géologiques majeurs, accompagnés de cinq périodes d’extinction massive d’espèces entre le cambrien et le crétacée, toutes d’origine naturelle. La planète traverse actuellement une sixième crise, dite « crise de l’holocène », dont l’origine naturelle se trouve aggravée par des pressions anthropiques. En effet, le taux actuel d’extinction d’espèces est 100 fois supérieur aux taux observés par le passé. A cet égard, 46 % des espèces de poissons sont désormais classées dans la liste rouge de l’IUCN. Pressions anthropiques, changement climatique et autres facteurs de stress environnemental peuvent être regroupés sous le terme généraliste de changement global, qu’il serait inapproprié de reléguer à de simples considérations d’ordre climatique. Au niveau du milieu marin, les composantes du changement global sont diverses : pêche, aquaculture, trafic maritime, pollution, tourisme, réchauffement climatique, etc. Ce changement global démantèle les écosystèmes, érode la biodiversité, élimine des gènes, etc. « Les répercussions sur la planète et les sociétés sont telles que la sixième crise d’extinction a été requalifiée d’anthropocène. » a alerté Frida Ben Rais Lasram. En effet, le changement global affectera la production de biens et de services écosystémiques qui profitent aux populations humaines, en particulier la production de biomasse comestible, la

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protection des côtes, la séquestration de carbone ou encore la mise à disposition d’habitats essentiels nécessaires au développement de la biodiversité. Concernant plus précisément la Méditerranée, Frida Ben Rais Lasram a souligné que cette mer est d’autant plus impactée par le changement global qu’elle est fermée. Or, malgré sa faible étendue (0,8 % de l’océan mondial), elle représente un hot spot puisqu’elle abrite à elle seule 7 % de la biodiversité marine mondiale. Au sein de cet espace et sachant que la structuration thermique des masses d’eau détermine l’expansion des habitats, les espèces d’eau froide peuplent le bassin occidental et la rive nord, alors que les espèces d’eau chaude ou thermophiles occupent la rive sud et le bassin oriental. Cependant, les modèles prévoient une augmentation moyenne de 3,1°C de la Méditerranée d’ici la fin du siècle. En conséquence, les espèces thermophiles étendront leur aire d’habitation et atteindront des zones qui leur étaient jusqu’alors défavorables. Cette expansion, formalisée par la modélisation des niches écologiques, sera fonction de variables de milieux et climatiques, que les chercheurs alimenteront au fur et à mesure de leurs observations. A cet égard, Frida Ben Rais Lasram a présenté les résultats de modèles de niches écologiques projetant la distribution d’espèces endémiques de Méditerranée à la moitié et à la fin du siècle. Ainsi, à l’horizon 2050, 47 % d’espèces seraient gagnantes, contre 53 % d’espèces perdantes, dont 20 % d’extinction. En 2100, ce dernier pourcentage s’élèverait à 33 %. A titre d’exemple, le gobius geniporus verrait son aire de distribution se restreindre progressivement avant de disparaître à la fin du siècle, contrairement à la sole égyptienne, espèce thermophile, qui coloniserait toute la Méditerranée. De manière générale, un enrichissement devrait être observé dans un premier temps au niveau des zones les plus froides de la Méditerranée, lesquelles constitueraient un refuge pour les espèces psychrophiles. Toutefois, ce phénomène devrait céder la place à un appauvrissement, avec la disparition des espèces qui se seraient initialement réfugiées dans le Golfe du Lion, la Mer Adriatique et la Mer Égée. Un effet cul-de-sac serait ainsi constaté à terme. Autre exemple emblématique présenté par Frida Ben Rais Lasram, celui de l’écosystème archétypal du Golfe de Gabès qui concentre à lui seul l’ensemble des perturbations observées à l’échelle de la Méditerranée, à savoir la surpêche, la destruction des habitats, la pollution, les invasions exotiques et le réchauffement climatique. Il ressort des différents scénarios combinant réchauffement, perte d’habitat et remplacement de l’herbier de posidonie par du simple sable vaseux que 25 espèces seraient perdantes à la moitié du XXIème siècle, puis 34 en 2100, avec l’extinction locale de 12 espèces. « Or les espèces marines n’évoluent pas de manière isolée dans l’écosystème, mais interfèrent au sein d’un tissu de relations proies/prédateurs. » a précisé Frida Ben Rais Lasram. Dans ce cadre, le changement climatique et le changement global entraîneront des déplacements d’aires de 115 1ère Ecole d’été des Objectifs de Développement Durable – 8 au 13 juillet 2016 – Marseille, France


distribution, des extinctions locales et l’apparition de nouvelles espèces, notamment exotiques, ce qui suscite des interrogations sur les interactions qui apparaîtront entre les espèces. A ce titre, la modélisation trophique probabiliste prévoit une diminution de l’ichtyofaune. Enfin, Frida Ben Rais Lasram a mis en avant le faisceau de contraintes et de pressions que subiront les espèces et les écosystèmes, au-delà du seul changement climatique. « Conserver et exploiter de manière durable les océans, les mers et les ressources marines aux fins de développement durable » telle est la vision de l’ODD 14. Cependant, l’atteinte de cet objectif implique la réalisation préalable de l’ensemble des autres ODD, notamment ceux liés à la sécurité alimentaire, l’économie durable et la lutte contre le changement climatique. L’ODD 13, « Prendre d’urgence des mesures pour lutter contre les changements climatiques et leurs répercussions », a guidé la réflexion d’Aurélie Flore Koumba Pambo, Directrice scientifique de l’Agence Nationale des Parcs Nationaux (ANPN) à Libreville, afin de présenter l’exemple du Gabon sur le thème de l’appropriation des Objectifs de Développement Durable par la science. Le Gabon, situé en Afrique Centrale, présente une couverture forestière de près de 88 %, ce qui en fait le second poumon de la planète après la forêt amazonienne. A ce titre, lors de la présentation du film Tarzan en juin 2016, le réalisateur a décrit ce pays, lieu d’accueil du tournage, comme « une beauté aux nuances infinies de vert ». Outre les forêts, la géographie du Gabon présente également des estuaires, des lagunes et des mangroves, ainsi qu’un littoral de près de 800 km. La faune et la flore constituent un patrimoine naturel exceptionnel, la biodiversité gabonaise étant l’une des plus élevées de la planète. De nouvelles découvertes viennent régulièrement enrichir l’inventaire des espèces présentes, telles que la libellule umma gumma et la sirvadia solannona qui ont figuré dans le top 10 des nouvelles espèces de l’année 2016 par le Collège des sciences de l’environnement et des forêts. Afin de préserver ce patrimoine et ces écosystèmes rares, un réseau de 13 parcs nationaux a été créé en 2002 qui compte notamment le parc de la Lopé, inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO. L’ambition de lutte contre les changements climatiques affichée par les autorités gabonaises s’est concrétisée par la création de l’Agence Gabonaise d’Études et d’Observations Spatiales qui a pour mission de stimuler la production de connaissances scientifiques et de services innovants pour une gestion durable des écosystèmes, le suivi de l’environnement et l’aménagement des territoires. De plus, suite à la participation active du Gabon à la Conférence de Copenhague, le Président de la République a créé le Conseil National Climat

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en charge de l’élaboration du Plan Climat, qui devra garantir la bonne coordination ainsi que l’efficacité des réponses que le pays entend apporter aux défis du changement climatique. S’agissant de la recherche scientifique sur le changement climatique au Gabon, Aurélie Flore Koumba Pambo a distingué trois grandes thématiques : l’initiative mondiale de surveillance des forêts, le suivi à long terme de paramètres physiques et biologiques et l’étude des structures des forêts. •

Au travers de l’ANPN, le Gabon participe aux travaux du réseau mondial de surveillance des flux et des stocks de carbone avec la mise en place de plus de 300 parcelles permanentes d’échantillonnages dans différentes zones du pays, soit une contribution significative aux efforts de surveillance des forêts.

Le suivi de la biodiversité est assuré par la présence d’une station de recherche permanente dans le parc national de la Lopé, qui permet la collecte de données sur les écosystèmes (pluviométrie, suivi des grands mammifères, cycle du carbone, etc.) depuis plus de 30 ans et assure une veille environnementale et écologique de long terme. Cependant, l’absence de modèle prédictif à l’échelle régionale pénalise l’interprétation des données, même s’il est possible de dégager de grandes tendances notamment la diminution des précipitations et l’augmentation des températures.

La mise en place de parcelles permanentes de recherche, supervisées par des instituts nationaux en collaboration avec des ONG ou le secteur privé, ainsi que la collecte de données par télédétection permettent d’alimenter l’inventaire du réservoir de carbone forestier et de suivre la structure des forêts. Des équipes travaillent également sur l’estimation de la biomasse aérienne. En outre, un satellite, dont le lancement est prévu en 2020, facilitera l’estimation des stocks et des flux de carbone à l’échelle planétaire en partenariat notamment avec l’ANPN et l’AGEOS. En 2016, le stock de carbone des forêts du bassin du Congo représente 100 milliards de tonnes auxquelles il convient d’ajouter des intérêts sur le stock initial de 400 millions de tonnes chaque année. En une seconde, la forêt gabonaise recycle une tonne de CO2.

Les informations acquises sur les parcelles mises en place au Gabon alimentent la réflexion scientifique. « Il est essentiel de maintenir des bases de données sur plusieurs décennies pour pouvoir tirer des conclusions sur les processus environnementaux et écosystémiques. » a estimé Aurélie Flore Koumba Pambo. Toutefois, il s’agit d’un grand défi qui implique la mise en œuvre d’une gestion continue de ces bases de données, le recours à des low technologies le cas échéant et un fort engagement du personnel dédié à la collecte des résultats. Au regard de l’importance de l’enjeu et de la valeur des données à long terme, le 117 1ère Ecole d’été des Objectifs de Développement Durable – 8 au 13 juillet 2016 – Marseille, France


Gabon s’efforce de mettre en place un réseau de stations de recherche et soutient l’harmonisation des protocoles afin de faciliter les comparaisons d’un écosystème à l’autre. Le 5ème rapport du GIEC a mis en évidence le changement climatique et les activités humaines au titre des risques pesant sur les littoraux a rappelé en introduction Maria Snoussi, Professeur à l’Université Mohammed V de Rabat, Maroc. Le littoral constitue un écosystème particulier, à l’interface de la terre et de la mer, qui évolue en permanence et de manière extrêmement dynamique. En conséquence, il est indispensable « de lui laisser la place et le temps pour se mouvoir et réajuster continuellement son équilibre aux différentes pressions, qu’elles soient anthropiques ou dynamiques » a souligné Maria Snoussi. Les pressions anthropiques exercées sur le littoral sont bien connues : l’artificialisation et l’urbanisation des côtes en premier lieu, mais aussi l’industrialisation, le tourisme, la pêche, l’aquaculture, l’extraction de matériaux, etc. A cet égard, la population du Maroc tend à se concentrer sur une bande côtière d’un kilomètre depuis plusieurs décennies, l’expansion urbaine de la zone de Tétouan de 1964 à 2004 illustrant parfaitement ce phénomène. Or cette urbanisation et cette bétonisation transforment de manière radicale et irréversible la dynamique littorale et sédimentaire, et ce afin de construire des résidences secondaires, développer le tourisme, etc. Généralement associé à l’artificialisation et à la pression touristique, le remblayage des zones humides côtières a conduit au départ de la faune locale de Tétouan, en particulier les cigognes. « Coïncidence ou non, des inondations fréquentes et répétitives ont été constatées au cours des années suivantes dans la région de Tétouan. » a signalé Maria Snoussi en mettant en avant les services écosystémiques rendus par les zones humides, infrastructures de régulation gratuites, qui absorbent les excès d’eau. Autre exemple de réalisation non-durable, la baie de Tanger, où les infrastructures domestiques ont été construites quasiment sur la plage afin de proposer des résidences « pieds dans l’eau ». Or ces aménagements vont à l’encontre des besoins des zones côtières, qui ont besoin d’espace pour se réajuster suite aux assauts de la mer a insisté Maria Snoussi. La conséquence n’est autre que la destruction des immeubles à chaque tempête. Ainsi, l’élévation du niveau moyen global de la mer n’est pas le principal risque pour les littoraux de la Méditerranée, à l’exception de quelques villes. Cependant, les zones côtières ne sont plus à même de répondre aux aléas climatiques ou de montée des eaux. A ce titre, les projections du GIEC ont établi que, même dans l’hypothèse d’une stabilisation du climat, le niveau de la mer continuera à monter durant des siècles, voire des millénaires en raison de l’expansion thermique et de la fonte des glaces d’ores et déjà engagée. Cette élévation engendrera des pertes de terres par érosion ou submersion, des évènements extrêmes et

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une intrusion saline, susceptible d’affecter les aquifères côtiers, d’impacter le tourisme, l’agriculture, etc. En tout état de cause, le phénomène de submersion marine a toujours été observé au Maroc. Cependant, du fait de leur caractère épisodique, les surcotes ont été relativement occultées par les autorités et n’ont jamais motivé de mesures préventives. Or ces évènements extrêmes s’annoncent de plus en plus fréquents et intenses, le dernier exemple significatif en date ayant eu lieu en janvier 2014 sur la côte atlantique marocaine avec des pics de houle à 13,5 mètres de hauteur au niveau de Casablanca. Certes, le Maroc a toujours su faire face à la variabilité climatique, s’adapter à la pénurie d’eau, etc. mais l’exode rural s’est massifié au fil des années, entraînant de vastes mouvements de populations vers le littoral, notamment Casablanca. Des bidonvilles se sont ainsi greffés à la banlieue

de

cette

métropole,

désormais

extrêmement

vulnérable

en

l’absence

d’infrastructures adaptées. A la migration de l’arrière-pays vers les côtes répondra à terme une migration forcée du littoral vers les hautes terres pour échapper au phénomène de surcote. Après avoir passé en revue différents scénarios d’élévation du niveau de la mer au niveau du littoral de Mohammedia, Maria Snoussi a attiré l’attention sur l’analyse coûts/bénéfices de la Banque Mondiale, selon laquelle un investissement immédiat en faveur de la lutte contre les submersions serait largement compensé par les gains. Toutefois, il n’en serait pas de même pour les mesures antiérosives à long terme. Pour sa part, Maria Snoussi a déploré l’absence de politique volontariste intégrant les problématiques de changement climatique dans l’aménagement du territoire. A titre d’exemple, les projets envisagés dans la vallée du Bouregreg d’ici 2030 ont été programmés dans une zone potentiellement inondable par le fleuve. Malgré l’insuffisance de données pour la rive sud de la Méditerranée, la communauté scientifique s’est efforcée d’évaluer la vulnérabilité afin d’inciter les autorités à s’engager et à prendre des mesures. Dans ce cadre, l’indice de risque côtier basé sur des variables environnementales, sociales et économiques développé pour l’aire méditerranéenne a été appliqué à l’échelle locale du littoral de Tétouan. Il ressort de cette approche que le risque d’inondation concerne non seulement la zone côtière, mais aussi les plaines littorales. Au regard des travaux d’Alain Hénaff sur les risques côtiers, il est indispensable de renforcer les connaissances en matière d’aléas, gagner en précision dans la collecte de données morphodynamiques, réaliser une évaluation économique de l’ensemble des enjeux relatifs au littoral et adopter une approche participative en termes de gouvernance.

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Quelles stratégies d’adaptation envisager pour le littoral marocain ? Maria Snoussi a invité à privilégier des actions sans ou à faible regret, des stratégies réversibles, des mesures à court terme et des options techniques à long terme et non-techniques, qu’il conviendra d’inscrire dans un cadre décisionnel robuste. A ce titre, le protocole de Gestion Intégrée des Zones Côtières de la Méditerranée, ratifié par le Maroc en 2012, constitue une approche pertinente et appropriée. Ce texte vise en effet des objectifs de développement durable, intègre des processus itératifs, s’appuie sur une gouvernance inclusive, etc. « En milieu côtier, la vulnérabilité écologique induite par le changement climatique constitue un amplificateur des vulnérabilités économiques et sociales. Le changement climatique représente à la fois un défi majeur pour le développement durable des littoraux et une opportunité de révision des stratégies de développement côtier. » a conclu Maria Snoussi. L’adaptation et la gestion des risques sont des composantes essentielles de la réponse politique à apporter au changement climatique dans le cadre d’une vision globale du développement.

Échanges avec la salle - Revenant sur les problématiques de l’augmentation du couvert ligneux dans les forêts et des feux de savane, Aurélie Flore Koumba Pambo a indiqué que des plans de brûlage étaient élaborés chaque année afin de limiter la colonisation des ligneux. - Sur l’exploitation forestière, Aurélie Flore Koumba Pambo a souligné les efforts du Gabon en faveur d’une gestion durable des ressources. A ce titre, les autorités nationales ont décidé d’interdire l’exportation des grumes, ainsi que l’exploitation du kevazingo en 2010. Seuls des bois transformés sont autorisés à sortir du territoire. - S’agissant de la pertinence des modèles d’évaluation des services écosystémiques dans le cas d’espèces à la fois nocives et utiles à l’homme, Anastasios Xepapadeas a répondu qu’elle était fonction des ressources et des données à disposition des chercheurs. Plus les informations sont riches, plus les évaluations gagnent en précision, même si elles ne pourront jamais être exhaustives. - En réponse à une intervenante qui s’étonnait de l’absence de contrainte juridique des ODD et invitait à confronter les autorités publiques à leur devoir d’action au regard des risques encourus et au nom de l’intérêt collectif, Maria Snoussi a évoqué les efforts entrepris par le Maroc afin de se doter d’un cadre législatif adapté. Cependant, ils demeurent insuffisants et ne se concrétisent pas sur le terrain, la loi Littoral en étant un exemple flagrant. En effet, ce texte, adopté en 2014 après 25 ans de discussions, n’est toujours pas assorti de décrets d’application, sachant que l’aménagement du littoral fait l’objet d’un lobbying actif et de 120 1ère Ecole d’été des Objectifs de Développement Durable – 8 au 13 juillet 2016 – Marseille, France


spéculations foncières. Or il est indispensable d’agir rapidement sous peine d’irréversibilité des situations. - Revenant sur l’inaction des autorités face à la vulnérabilité des littoraux, une intervenante a incité à recourir aux class actions afin d’annuler un certain nombre d’autorisations de construction et lutter contre la corruption. « La société civile multiplie désormais les recours et les actions publiques grâce aux réseaux sociaux, obligeant ainsi les élus locaux à revoir leurs décisions et à s’intéresser davantage au développement durable. » a répondu Maria Snoussi. - Pour sa part, Frida Ben Rais Lasram a mis en avant toute la difficulté pour les chercheurs de convaincre les gestionnaires publics de l’intérêt de préserver l’habitat de certaines espèces menacées d’extinction. C’est la raison pour laquelle il est essentiel de fédérer les différentes compétences scientifiques afin de peser davantage dans le dialogue.

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Mercredi 13 juillet

« Éliminer la pauvreté et la faim et garantir l’accès à l’eau pour tous » Sécurité alimentaire et nutrition Avec la participation de : •

Patrick Caron, Directeur Général délégué à la recherche et à la stratégie, Cirad, Président du groupe d'experts de haut niveau sur la sécurité alimentaire et la nutrition

Patrick Caron, Directeur Général délégué à la recherche et à la stratégie, CIRAD, Président du groupe d'experts de haut niveau (HLPE) du Comité des Nations Unies sur la sécurité alimentaire et la nutrition (CSA), a expliqué, lors de sa conférence, que la « production à tout crin » n’était pas la solution au défi mondial de la sécurité alimentaire. Pour M. Caron, 2015 aura été une année « extraordinaire », marquée par une convergence d’intérêts sans précédent vers la réalisation du développement durable et la reconnaissance, à cette fin, du besoin urgent d’une régulation renforcée de l’action au plan international. « Addis-Abeba sur le financement, New-York, où ont été adoptés les ODD, Paris et l’Accord sur le climat et puis Istanbul, avec le Sommet humanitaire mondial : en 2015, il s’est passé quelque chose, un élan unique dans l’histoire de l’humanité », a-t-il affirmé. Patrick Caron a rappelé la définition de l’ODD 2, « Éliminer la faim, assurer la sécurité alimentaire, améliorer la nutrition et promouvoir l’agriculture durable », en faisant remarquer que sécuritaire alimentaire et lutte contre la pauvreté étaient l’objet de 2 objectifs séparés.

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L’ODD 2 prévoit la multiplication par 2 de la productivité agricole d’ici 2030, a-t-il indiqué, rappelant qu’historiquement déjà, « d’incroyables augmentations de la production ont accompagné la démographie et prévenu les guerres ». M. Caron a noté que le lien alimentation–démographie–agriculture n’était pas un hasard historique. « À partir du 19è siècle et jusqu’à nos jours, la population mondiale est passée de de 1 à 7 Mds d’habitants », a-t-il rappelé. Il a relevé que les transformations de l’agriculture par le recours aux énergies fossiles, à la chimie et à la génétique avait permis, a contrario des scénarios malthusiens les plus alarmistes, « de nourrir à peu près tout le monde, y compris pendant les phases de transition démographiques ». « Entre 1960 et 2000, le disponible alimentaire par habitant a ainsi cru dans des proportions qui étaient inimaginables à l’époque de Malthus », a-t-il ajouté. « Suffira-t-il pour autant de produire plus pour alimenter 9 Mds de personnes ? », s’est-il ensuite demandé, et ce compte tenu du fait que « le plus dur semble avoir té fait avec la révolution verte, la croissance extraordinaire 1960-2000 et la présence de suffisamment d’aliments pour tous ». Or, en dépit de ces avancées, l’insécurité alimentaire persiste, entre 800 millions et 1 milliard d’êtres humains n’ayant pas assez à manger dans leur assiette chaque jour, a-t-il reconnu. « Bien sûr, il existe des différences énormes entre les pays de l’OCDE et l’Afrique subsaharienne, où le disponible alimentaire n’augmente pas assez vite alors que l’on va passer d’un milliard à 2 milliards d’habitants », a-t-il encore indiqué. M. Caron est revenu sur l’évolution de la définition de la sécurité alimentaire depuis le Sommet mondial de l’alimentation en 1974, « où l’on pensait essentiellement en termes d’approvisionnement global ». « En 1983, avec la FAO, on s’adresse à tout un chacun et l’on pense en termes d’accès. », a-t-il poursuivi. Notant que l’on avait progressivement distingué faim et insécurité alimentaire avant, dès 2012, d’inclure dans le débat la question de la santé, il a fait observer que « dans des organismes internationaux, il est maintenant question de sécurité nutritionnelle et alimentaire ». Patrick Caron a en outre constaté que l’on s’était habitués à vivre avec le chiffre « effroyable » d’1 enfant qui meurt de malnutrition toutes les 6 secondes dans le monde (FAO). Face au défi de la faim, la tentation est alors grande d’agir selon les réflexes acquis du 20è siècle, c’est-à-dire en produisant plus, a remarqué M. Caron, qui a tenu à rappeler que les 123 1ère Ecole d’été des Objectifs de Développement Durable – 8 au 13 juillet 2016 – Marseille, France


« émeutes dites de la faim de 2008 » avaient surtout étaient causées par la baisse du pouvoir d’achat des populations et les difficultés d’accès des plus pauvres aux produits alimentaires. Dans les 37 pays concernés par les émeutes, a-t-il dit, jamais il n’y eut de rupture majeure ni dans l’offre ni dans la demande agricole : c’est la flambée des prix des matières premières agricoles, du prix du riz et du mais notamment, qui était le principal problème. « Bref, il s’agissait d’une crise de l’accès, et non pas de l’offre, dont l’issue ne passait nullement par une hausse de la production mais par une lutte accrue contre la volatilité des prix », a-t-il expliqué. Face au défi alimentaire, « qui est un défi d’avenir, nous devons plutôt nous demander, à l’échelle globale, comment nous pourrons le relever, c’est-à-dire avec quelle alimentation, à partir de quelle organisation des échanges et des marchés, tout cela en reconnaissant qu’en certains endroits du globe, bien entendu, il faudra produire plus », a poursuivi M. Caron. Il a proposé de traiter la question de la faim à travers une équation en 3 dimensions : celle de l’accès, qui concerne le commerce, le lien pauvreté/emploi et le lien sécurité/conflits ; celle des nouveaux usages et transitions alimentaires ; et celles des modes de production, notamment à faible empreinte environnementale. Il s’est basé sur des scénarios de l’IRD-CIRAD pour nourrir le monde, l’un tablant sur la croissance économique, l’autre sur la réalisation du développement durable. Il a indiqué que, dans les 2 cas, il faudrait envisager une augmentation importante des surfaces cultivées. « La leçon que l’on peut tirer de ces scénarios est que nourrir la planète de manière durable est effectivement possible », a-t-il salué. « Cependant, la voie vers la sécurité alimentaire est étroite et le business as usual n’est plus une option. Modes et styles alimentaires, organisation des échanges, couple surface– rendement : tout devra être repensé intelligemment », a-t-il insisté. Inventer une agriculture écologiquement intensive doit passer par de nouveaux usages des terres, a affirmé M. Caron, citant à cet égard l’étude menée par l’INRA et le CIRAD, « Usages des terres et sécurité alimentaire dans le monde en 2050 ». Il a ajouté qu’il y avait un besoin urgent de nouvelles connaissances et de de nouveaux cadres politiques de décisions, prenant en particulier en compte le fait qu’aujourd’hui « agriculture et environnement vont de pair ». « De ce rapprochement, nous devons faire une opportunité en faveur du changement. Il faut prendre soin des ressources renouvelables, cultiver la biodiversité pour transformer à bon escient l’agriculture, sortir du forçage, expérimenter dans le sens de l’initiative 4pour1000 pour que les pratiques agricoles 124 1ère Ecole d’été des Objectifs de Développement Durable – 8 au 13 juillet 2016 – Marseille, France


durables, en plus de servir à nourrir les hommes, soient utilisées pour atténuer les effets du changement climatique », a-t-il déclaré. « Nous devons repenser la question agricole en liant le local, qui est l’échelle pertinente des innovations techniques spécifiques et de la création d’emploi (avec 500 millions de ménages, le secteur agricole est le premier employeur mondial), et le global », a encore développé Patrick Caron. « Dans ce contexte, la science peut être, doit être un acte de développement », a-t-il ajouté. Enfin, Patrick Caron a tenu à souligner l’originalité des rapports du HLPE. Il a indiqué que ces publications, qui traitent des sujets les plus brûlants, comme le lien entre sécurité alimentaire et nutrition, et ne sont en aucun cas des plaidoyers, s’inspiraient de ceux du GIEC, cela « afin d’en faire des bases de négociations ». Ils visent, a-t-il dit, à établir un nouveau de type de relation entre la science et le monde politique, sachant que la science citoyenne est responsabilisée comme jamais auparavant dans le cadre universel des ODD.

Échanges avec la salle - Au cours de cette discussion, M. Caron a rappelé que 80% de la surface mondiale est liée, directement ou indirectement, à l’élevage. Ces nombreuses formes d’élevage, vitales pour l’alimentation, doivent être analysées, a-t-il ajouté. - Selon lui, tous les systèmes de production agricole doivent être transformés à partir d’innovations et pratiques nouvelles, « y compris pour produire mieux et, le cas échéant, produire plus ». - L’exercice du droit légitime des populations à l’autonomie alimentaire, s’il passe par la refonte des systèmes de modes de production et d’alimentation au niveau local, a des conséquences à l’échelle mondiale, a-t-il également été dit. Faire le choix de l’agriculture industrielle ou « penser écolo » et valoriser l’activité des petites exploitations transformeront les sociétés, ont noté des intervenants. - Les OGM ne vont pas sauver l’Afrique, a-t-il encore été souligné, tout comme la nécessité d’axer la recherche sur les choix techniques du futur qui permettront de résister à la sécheresse et aux maladies et d’adapter l’agriculture mondiale aux effets du changement climatique. - L’agriculture, en regard de la transition démographique en Afrique, n’est qu’une petite partie du problème géopolitique de la faim, a-t-il été rappelé. Prenant pour exemple l’action du PAM, qui a travaillé très tôt sur la relation entre santé et nutrition, des participants ont appelé

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à la mise en œuvre d’une politique de la faim basée sur les expériences de terrain plus que sur les statistiques. - M. Caron a indiqué que les crises et les migrations faisaient partie du traitement de la question de la sécurité alimentaire, qui « a toujours été une question éminemment politique ». « Et si l’agriculture n’est qu’une partie du problème, elle est, en tant que puissant levier d’action, profondément liée à la sécurité alimentaire dans toutes les négociations de haut niveau », a-t-il rappelé. - « La sécurité alimentaire est d’abord une question de pauvreté, or les ODD traitent ces 2 questions séparément », a-t-il répété. Pour renforcer « l’une et mieux combattre l’autre, la lutte contre la volatilité des prix et la modification des styles alimentaires sont des solutions réalistes », a-t-il voulu croire. - « Je me suis exprimé en tant que scientifique, mais je reconnais tout à fait la nécessité que soient mis en place un cadre juridique pertinent de négociations sur ce défi persistant de la sécurité alimentaire », a déclaré M. Caron. - « Si vous ne deviez retenir qu’une chose de mon intervention et des débats de cette première École d’été des ODD, c’est le besoin de repenser la relation entre local et global », a-t-il dit aux participants. - Pour ces derniers, la mise en perspective des actions conduites d’action à différents niveaux, le renforcement de la cohérence des cadres dans lesquels ces actions sont menées par le biais de mécanismes permettant des arbitrages politiques clairs et volontaires et la prise décisions efficaces en matière de régulation sont autant de prérequis à la réalisation des ODD. - « Pour que les ODD élaborés pour mettre fin à la pauvreté soient atteints, nous n’avons pas besoin de changer d’échelle mais d’accroitre leur complémentarité », a estimé M. Caron. Dans cette optique, il s’est dit persuadé de l’utilité de la science pour façonner le monde de demain. - « La science, au sens où la pratique le GIEC, doit avoir la capacité d’entrer dans des rapports de force, de fonder des négociations internationales sur des enjeux majeurs ». « Prenons déjà conscience de ce rôle-là », a-t-il demandé en guise de conclusion.

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La lutte contre la désertification Avec la participation de : • • •

Jean-Marc Chataigner, Directeur Général délégué de l’IRD, ambassadeur de France Monique Barbut, Secrétaire Exécutive de la Convention des Nations Unies sur la lutte contre la désertification/United Nation Convention to Combat Desertification (UNCCD), ancienne Directrice Générale et Présidente du Fonds pour l'environnement mondial (FEM) Jean-Luc Chotte, Vice-Président du bureau du Comité pour la Science et la Technologie de la Convention UNCCD sur la désertification, Directeur de recherche à l'IRD

En ouverture de ce débat, Jean-Marc Châtaigner, Directeur Général délégué de l’IRD, ambassadeur de France, a souligné la singularité du phénomène de la désertification, à la fois invisible et global. Il a rappelé la définition qu’en a donné la CNULCD en 1994 : « la désertification désigne la dégradation des terres dans les zones arides, semi-arides et sub-humides sèches par suite de divers facteurs, parmi lesquels les variations climatiques et les activités humaines », avant de distinguer sécheresse et désertification. La sécheresse, a-t-il dit, est un phénomène naturel qui se produit lorsque les précipitations sont inférieures au niveau enregistré sur une longue période, « tandis que la désertification est un processus, un phénomène global caractéristique de l’anthropocène ». Il a noté que la désertification avait été amplifiée par les chiffres décuplés de la démographie au cours des derniers siècles, la présence humaine en constante expansion depuis 1800 ayant accru l’empreinte écologique sur l’évolution de la Terre. « La désertification est un phénomène global entropique caractéristique de cette empreinte que nous laissons sur la planète », a-t-il ajouté. M. Châtaignier a rappelé les conséquences de la désertification, insécurité alimentaire, famine, pénuries d’eau potable, migrations massives, conflits visant l’accès aux ressources naturelles… avant de rappeler que la communauté internationale avait pris conscience de leur importance en 1977, lors de la Conférence des Nations-Unies sur la désertification ayant porté création du Plan d’action pour lutter contre la Désertification (PACD). « En 1992, le Sommet de la Terre de Rio a permis de conceptualiser le développement durable au plus haut niveau et de lancer l’élaboration des grandes conventions de l’ONU sur les changements climatiques et la biodiversité », a indiqué le conférencier. La Convention des Nations-Unies sur la lutte contre la désertification (CNULCD), plus axée sur les pays en développement que les 2 autres conventions, est entrée en vigueur en décembre 1996 et il aura fallu attendre 2007, à Madrid, pour que soit adopté le Plan-cadre

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stratégique décennal visant à renforcer la mise en œuvre de la Convention pour la période 2008-2018, a fait observer M. Châtaignier. Selon lui, le Nouvel agenda pour le développement durable à l’horizon 2030 marque la convergence des 3 piliers du développement durable. « L’approche intégrée et universelle des questions de croissance, de développement économique et sociale et d’environnement est privilégiée par des gens venus de tous les horizons et qui dialoguent de manière cohérente dans les mêmes cercles », a-t-il souligné. « Mais nous aurons besoin d’une gouvernance efficace pour gérer ce fourmillement d’idées et de points de vue », a-t-il insisté. Assurant qu’un consensus existe sur le fait que désertification constitue une menace universelle face à la multiplication des vulnérabilités résultant du changement climatique et de l’hypermondialisation, il a quantifié sommairement le phénomène. D’après, le PNUD, a-t-il dit, la dégradation des terres touche 1,5 milliard de personnes dans le monde et la perte des terres arables serait de 30 à 35 fois plus rapide que le rythme historique. Pour Jean-Marc Châtaignier, l’atteinte de la cible 15.3 de l’ODD 15 – « d’ici à 2030, lutter contre la désertification, restaurer les terres et sols dégradés…» –, exige des réponses scientifiques transdisciplinaires. Il a en effet estimé que la science, saisie des évolutions en cours, devait privilégier une approche transdisciplinaire, « car la désertification concerne une multiplicité de champs scientifiques et de thématiques », et la recherche de solutions spécifiques à chaque lieu et contexte. Il a pris pour exemple l’enjeu de neutralité en termes de dégradation (NDT) des terres qui nécessite la mobilisation de la science pour évaluer l’état des terres actuel et d’observer l’évolution en fonction de données de référence à l’échelle locale. Jean-Marc Châtaignier a souligné que la lutte contre la désertification doit être appréhendée comme un processus complexe « dans un contexte de développement durable et d'éradication de la pauvreté », cela en s’appuyant une science du Sud forte (cf. la coopération tripartite Afrique-IRD-Brésil). « La faim et la pauvreté soin des phénomènes liés entre eux », a rappelé de son côté Monique Barbut, Secrétaire Exécutive UNCCD et ancienne Directrice Générale et Présidente du Fonds pour l’environnement mondial. La conférencière a précisé que 800 millions d’êtres humains vivent avec moins de 1,25 dollar par jour et que les habitants des zones rurales font partie des plus pauvres parmi les pauvres. « La survie de ces millions de personnes dépend de l’exploitation de terres qui sont 128 1ère Ecole d’été des Objectifs de Développement Durable – 8 au 13 juillet 2016 – Marseille, France


les leurs, et par conséquent leur survie dépend de l’état même de ces terres », a-t-elle souligné. Mme Barbut a noté que la dégradation des terres était de plus en plus visible sur des étendues de plus en plus larges. « 40% des terres émergées et 1,5 milliards de personnes sont menacées ou affectées par la désertification. 52% des terres agricoles sont considérées comme dégradées, et l’on détruit chaque année 12 millions d’hectares. D’ici à 2045, 135 millions de personnes vont migrer, poussées sur les routes par la désertification ». Elle a ajouté que, d’ici 2025, la moitié de la population mondiale vivrait dans régions soumises au stress hydrique, entraînant un accroissement de la compétition pour l’accès à l’eau, et, partant, des risques de conflits, d’exode rurale et de migration. Monique Barbut a fait part de sa frustration, en expliquant qu’à la différence de la lutte contre le changement climatique, la lutte contre la désertification peut passer par des solutions simples et faciles à mettre en place. « Nombre de techniques, simples, peu coûteuses et permettant d’utiliser beaucoup de main d’œuvre ont été identifiées et utilisées efficacement », a-t-elle ainsi dit. « Augmentation du rendement des cultures (Éthiopie), gestion durable des terres et des eaux, renforcement de la résilience des écosystèmes, reforestation, séquestration du carbone dans les sols, installation de brise-vents naturels pour stopper l’avancée du sable…Tout cela ne coûte pas cher, est efficace contre le changement climatique, génère des emplois verts, et, bien sûr, contribue à la restauration des terres dégradées », a indiqué Mme Barbut. Elle a ajouté qu’en Chine la restauration de près de 4 millions d’hectares de terres du Plateau de Loess, qui a sorti de la pauvreté 7 millions de personnes, avait montré que des projets à très grande échelle peuvent en outre être menés avec succès. Travailler sur les questions de nourriture et d’eau permettrait d’éliminer la pauvreté, a insisté la conférencière. Elle a souligné l’importance d’assurer des revenus décents aux 500 millions de fermes de petite taille, c’est-à-dire de moins de 2 hectares, « qui nourrissent 80% de la population mondiale et emploient directement 2 Mds d’individus ». Cela concerne très concrètement la situation de millions de femmes des zones rurales, a-telle aussi dit, en particulier en Afrique subsaharienne où ce sont elles qui réalisent l’essentiel des travaux agricoles alors qu’elles sont privées du droit d’accès à la propriété.

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Monique Barbut a considéré que permettre aux femmes rurales d’accéder à la propriété et au contrôle des terres, « comme l’exhortent les ODD », aiderait à favoriser la gestion durable des sols en plus d’améliorer la condition féminine de millions d’individus. Jean-Luc Chotte, Directeur de la recherche à l’IRD, a proposé une approche en nexus des ODD, inspirée de celle préconisée par le « Stockholm Environment Institute ». Pour « décomplexifier » les ODD, mieux apercevoir les articulations potentielles entre eux et permettre à la science de jouer pleinement son rôle de fournisseurs de solutions, il a prôné de réunir les différents objectifs dans des groupes thématiques. L’Institut de Stockholm propose 3 clusters, la société, l’économie et la biosphère, a-t-il noté. Il a ensuite pris pour exemple l’ODD 15, « Préserver et restaurer les écosystèmes terrestres, en veillant à les exploiter de façon durable, gérer durablement les forêts, lutter contre la désertification, enrayer et inverser le processus de dégradation des sols et mettre fin à l’appauvrissement de la biodiversité », et montrer comment il se déclinait en cibles, notamment la cible 15.3. Or pour atteindre cette cible et quantités d’autres, a-t-il souligné, nous devons nous concentrer sur les indicateurs et les sous-indicateurs en tenant de plus compte des variations au cours du temps qui marquent et caractérisent l’évolution des phénomènes. Pour M. Chotte, les ODD sont d’abord un cadre, un cadre à l’intérieur duquel le rôle de la science et de l’expertise doit trouver une place et où les solutions du passé ne peuvent plus avoir cours. À cet égard, il a montré qu’en matière de développement durable la fonction de la science était notamment d’établir des connexions et interconnections entre les différents ODD, leurs cibles et leurs indicateurs. Pour illustre son propos, il a ainsi mis en relief les liens existant entre l’ODD 2 sur la faim et sa cible 2.3, multiplier par deux la productivité agricole et les revenus des petits producteurs alimentaires ; l’ODD 15 sur les écosystèmes des terres et sa cible 15.3, lutter contre la désertification ; et l’ODD 13 sur le climat et sa cible 13.3 relative à l’atténuation. « Face à cette situation, la science peut proposer comme solution pertinente et efficace à tous les niveaux celle du réseau CaSA que Mme Razafimbelo vous a présentée, à savoir recourir à la pratique traditionnelle du zaï, comme cela a été fait au Burkina Faso », a-t-il expliqué. « Restaurer les terres et sols dégradés, augmenter la production agricole de manière raisonnée, incorporer des mesures relatives aux changements climatiques dans les politiques, les stratégies et la planification nationales : les solutions existent, nous le 130 1ère Ecole d’été des Objectifs de Développement Durable – 8 au 13 juillet 2016 – Marseille, France


savons », a-t-il constaté, soulignant de nouveau l’importance d’une action cohérente pour réaliser pleinement les ODD. M. Chotte a insisté sur la nécessité de s’interroger sur la nature des interactions potentielles entre ODD, cibles et indicateurs, qui peuvent être positives, neutres et négatives, en vue de constituer des groupes d’objectifs réunis pertinemment autour d’enjeux spécifiques à différentes échelles. « Créer des bouquets d’ODD à géométrie variable et élaborer des plans d’action concomitants et positifs est un but pour lequel la science, aux côtés d’autres acteurs, doit se mobiliser », a-t-il dit.

Échanges avec la salle - Les intervenants ont souligné la nécessité, pour lutter contre la désertification, que la science se dote d’outils adéquats. - La recherche permet de produire les connaissances et les technologies pour répondre aux besoins des populations, notamment à travers des observatoires et autres instruments de mesure sur 10, 20 ou 30 ans, a ainsi noté M. Châtaignier. - Il a, à son tour, a salué le caractère innovant des actions menées dans le cadre de l’Initiative 4pour1000. - La science au service du développement durable doit miser plus avant dans la télédétection, qui permet d’assurer le suivi i de sites à différentes échelles, a-t-il aussi été dit. - Reconnaître que les solutions transformatrices et adaptatives existent et que les paradigmes ont changé suppose d’impliquer activement les citoyens dans le mise en œuvre des ODD, ont encore dit les participants. Néanmoins, il faut trouver les moyens de contraindre les États qui se sont engagé à mettre en œuvre le Nouvel agenda pour le développement durable à l’horizon 030. - Il conviendrait de dupliquer en Afrique les programmes à grande échelle de restauration des sols mis en œuvre en Chine, a-t-il été demandé. - Mme Barbut a appuyé ce propos en rappelant que la CNULCD avait été créée « comme une convention régionale africaine ». Elle a ajouté que la donne avait changé puisque les pays du Nord, eux-aussi, sont confrontés au phénomène de désertification. - « Pour évaluer l’état global de dégradation des terres, nous manquons de moyens humains et financiers, et, avec les ressources allouées au climat, nous pourrions conduire plus efficacement nos projets », a-t-elle indiqué.

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- Répondant aux questions sur le coût de la restauration des terres, Mme Barbut a indiqué que restaurer un hectare coûtait moins de 300 dollars en moyenne. « C’est la mesure la moins onéreuse de toutes pour atténuer concomitamment les effets néfastes du changement climatique », a-t-elle dit. - M. Chotte a de nouveau mis l’accent sur l’importance de faire de l’agriculture un instrument de lutte à la fois contre la pauvreté et le changement climatique. « Les événements climatiques extrême contribuent à la dégradation des terres », a-t-il ainsi relevé. - Les intervenants ont reconnu que l’agriculture intelligente face au climat n’était pas antinomique avec la préservation et la relance de l’agriculture familiale. Il faut s’inspirer des succès locaux remportés ailleurs, a-t-il également été dit. - Comment l’ONU envisage-t-elle l’application des solutions identifiées comme efficaces et peu couteuses ? Comment l’Organisation mobilise-t-elle l’adhésion des populations ? a-t-il été demandé. - Mme Barbut a réagi en affirmant que l’adhésion des communautés locales allait de soi, leur intérêt voire leur survie étant en jeu. « Le problème est d’avoir accès à des population sur de très grandes échelles. Mais les nouvelles technologies de communication permettent de combler ce fossé », a-t-elle ajouté. - La conférencière a évoqué le montage en cours d’un programme d’installation de systèmes d’alerte précoce dans toute l’Afrique. Nous avons besoin de données réelles sur la répartition des droits de propriété sur les terres, a-t-elle dit. - Démarche participative, alliance des biotechnologies et savoir-faire locaux, prise en compte de la donnée climatique fournie par les populations : c’est sur cette base composite que les solutions peuvent être adaptées aux besoins réels des groupes humains, a-t-il par ailleurs été souligné. - Pour ce qui est du financement de la recherche, M. Châtaignier a reconnu que la difficulté consistait à « pérenniser, étendre les projets pilote ». Il a préconisé de ‘remarier’ les systèmes de financement de la recherche et du développement. - D’autre part, les intervenants ont regretté que qu’en matière de développement les normes politiques éclipsent normes juridiques. Ils ont lancé un plaidoyer pour l’interdisciplinarité d’une science du développement et de la vie ouvertes aux corpus des sciences humaines et sociales.

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- Sur le terrain, il faut parler la même langue que les locaux, s’entendre sur les mots pour mieux répondre à leurs besoins et demandes, a-t-il encore été souligné. - « Tout est politique, négociation, rapports de forces entre groupes intérêts divergents. Et nous autres scientifiques nous devons nous faire entendre. C’est en ce sens aussi que l’IRD s’attelle au renforcement de la communauté scientifique du Sud », a insisté M. Châtaignier. - Mme Barbut a salué le fait que GIEC allait préparer un rapport sur la désertification. « L’idéal serait de faire une revue globale de ce qui a été examiné et mesuré afin d’identifier lacunes et manques », a-t-elle estimé. - « Rendez-vous compte que des systèmes d’alerte cyclonique ont été installés partout, alors que 2 pays seulement dans le monde ont mis en place des systèmes d’alerte sur la désertification… », a-t-elle constaté.

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Interventions Avec la participation de : • •

Jean-Paul Moatti, Président Directeur Général de l'Institut de Recherche pour le Développement (IRD) Sylvie Daviet, Vice-Présidente d'Aix-Marseille Université (AMU)

Après avoir remercié les intervenants et les participants pour l’intérêt manifesté à cette première édition de l’école d’été des objectifs de développement durable, Sylvie Daviet, Vice-présidente d’AMU, chargée des relations internationales, s’est réjouie de la constitution d’une véritable communauté d’acteurs autour des ODD. Ainsi, les différents ateliers et tables rondes ont été élaborés avec une dynamique porteuse d’une intelligence collective. Il est possible de dresser un premier bilan extrêmement encourageant, cette école d’été ayant attiré une trentaine de pays et plus de 120 participants au regard de l’enjeu, qui n’est autre que l’avenir de la planète et des populations. « En nous lançant dans cette aventure, nous avons fait nous aussi un rêve : porter ensemble cette espérance pour les générations à venir, la jeunesse africaine, la jeunesse méditerranéenne, la jeunesse européenne et, plus largement, la jeunesse du monde. ». Cette démarche répond à d’immenses besoins et soutient une juste cause, ce qui donne du sens aux engagements de chacun au quotidien. La première école d’été a jeté les bases d’un vaste chantier à poursuivre. A ce titre, la seconde édition s’appuiera sur les propositions des participants, le renforcement des partenariats, la recherche en cours, les formations à développer et la vulgarisation de la thématique des ODD. Face à ces défis, il est essentiel de rester en contact et d’entretenir la flamme de ce projet humaniste en essayant de « faire de la science avec conscience ». Au regard de la participation et de la diversité de provenance des auditeurs et des intervenants, Jean-Paul Moatti, Président Directeur Général de l’IRD, a considéré que la première école d’été des ODD était réussie et jetait les bases d’une série de rencontres au succès planétaire. Certes, il conviendra d’améliorer un certain nombre de points, tels que l’organisation de débats contradictoires, de sessions approfondies en petits groupes, etc. A cet égard, les organisateurs sont preneurs de tous les retours d’expérience afin de pérenniser cet évènement. Par ailleurs, Jean-Paul Moatti a indiqué que l’idée d’organiser une école d’été centrée sur la thématique du développement durable lui est venue en 2006 lors d’une session de la summer school of Harvard school, été au cours duquel l’équipe de France perdit malheureusement en finale de la coupe du monde de football. A cette occasion, le nombre de supporters français ne cessa de gagner en importance, ce qui mit en évidence tout 134 1ère Ecole d’été des Objectifs de Développement Durable – 8 au 13 juillet 2016 – Marseille, France


l’intérêt d’une rencontre francophone. Afin de gagner en puissance, Jean-Paul Moatti a invité l’ensemble des participants à revenir en 2017, à s’impliquer davantage au travers de leurs institutions et à devenir des militants de l’école d’été des ODD. Enfin, Jean-Paul Moatti a évoqué une anecdote tirée d’une interview de Seydou Keïta, l’un des plus grands photographes de la seconde moitié du XXème siècle, au cours de laquelle il a mis en avant le travail nécessaire à l’achat de pellicule, en sous-entendant qu’il était essentiel de ne pas la gaspiller par des poses inutiles. Cette philosophie doit être reprise, sachant que tout l’enjeu à terme n’est pas un transfert des connaissances du nord vers le sud mais un échange réciproque. Tel devra être l’esprit de l’école d’été à l’avenir.

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Grands témoins Avec la participation de : • • •

Boubakar Barry, Directeur Général de West and Central African Research and Education Network (Wacren), Ghana Hamed Ben Dhia, Prof., ancien Président de l'Université de Sfax, Tunisie Alexandre Kolev, Chef de l’Unité Cohésion sociale à l’OCDE

La mise à disposition d’infrastructures TIC performantes est un prérequis indispensable à un enseignement et une recherche de qualité a fait valoir Boubakar Barry, Directeur Général de West and Central African Research and Education Network (Wacren). C’est l’objet d’une initiative en cours en Afrique de l’Ouest et en Afrique Centrale qui vise à offrir aux chercheurs un environnement beaucoup plus stable et indépendant, mais aussi à réduire la fracture numérique et son corollaire, la fracture scientifique, observées en Afrique. Après avoir exposé quelques données générales sur l’Afrique, Boubakar Barry a souligné le rôle de l’enseignement supérieur et des universités dans l’atteinte des ODD. Des défis se posent au regard des attentes de la jeunesse, de l’insuffisance des équipements et des infrastructures et du manque d’investissement dans les laboratoires. L’effectif des chercheurs africains est malheureusement bien inférieur à celui des autres régions du monde et les équipes se sentent isolées. En conséquence, le nombre de publications est relativement faible, soit 2 % du reste du monde. Il en est de même pour les dépôts de brevets, de l’ordre de 0,2 % à l’échelle mondiale. Les réseaux d’éducation et de recherche sont un élément essentiel d’une infrastructure de rayonnement propice au service de la formation des jeunes et de la recherche. Dans ce cadre, les NRENs, qui constituent les réseaux nationaux d’éducation et de recherche, sont des groupes fermés d’utilisateurs d’infrastructures de communication (enseignants, chercheurs, personnel administratif, etc.) relevant de l’enseignement supérieur ou d’institutions de recherche. Ils répondent à des besoins très spécifiques en termes de communication et de connectivité. De par leur philosophie collaborative, les NRENs permettent de mutualiser des ressources et de proposer un réseau à partir duquel les enseignants, les chercheurs et les étudiants peuvent travailler ensemble, tant au niveau local que national, voire international. Les NRENs ont vocation à favoriser le trafic d’informations destinées à l’éducation et à la recherche, mais aussi à donner accès à l’internet pour leurs utilisateurs. Compte tenu de la physiologie du continent africain, il est pour le moins difficile de mettre en place un réseau d’éducation et de recherche sur la base du modèle européen GEANT. C’est la raison pour laquelle des modèles régionaux (ASREN, MAREN, etc.) ont été privilégiés,

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avec des possibilités d’interconnexion et de liaison directe avec les réseaux européens et américains. A titre d’exemple, WACREN est l’organisation régionale pour les réseaux d’éducation et de recherche en Afrique Centrale et de l’Ouest. Cette organisation a pour objectif de mettre en place et de promouvoir l’utilisation d’internet, d’interconnecter le réseau régional à d’autres et de fournir des services visant à favoriser la collaboration entre instituts de recherche et d’éducation. Elle compte une dizaine de membres et devrait s’enrichir prochainement de nouvelles composantes issues du Burkina Faso, de Sierra Leone, de Gambie, etc. WACREN s’est donné pour mission de construire et exploiter une infrastructure réseau de classe mondiale et de renforcer la capacité de la communauté REN en Afrique. Pour ce faire, il est envisagé de développer un réseau s’appuyant sur une bande passante de 10 Gb/s, 3 à 4 hubs qui permettront les échanges internationaux et un accès aux câbles sous-marins de télécommunications. Néanmoins, ce projet suppose une implication des autorités en raison de l’importance de l’investissement à consentir pour la mise en place des NRENs. WACREN collabore donc avec les communautés économiques régionales (CEDEAO, CEEAC et UEMOA), les autorités de régulation d’instituts de télécommunications (ARTAO) et un certain nombre d’institutions politiques nationales en Afrique de l’Ouest et Centrale. WACREN propose d’ores et déjà un certain nombre de services à ses utilisateurs, notamment EduID qui est une application permettant d’accéder à des ressources et de participer à des activités de recherches pluridisciplinaires. De plus, WACREN est activement impliqué dans la mise en œuvre de trois projets financés dans le cadre du programme Horizon 2020 de la Commission Européenne, dont TANDEM (TransAfrican Network Development) qui vise à créer les conditions favorables au déploiement d’AfricaConnect2 et à assurer l’intégration de WACREN dans le réseau global de l’éducation et de la recherche, ainsi que sa viabilité à long terme. A cet égard, AfricaConnect2 représentera à terme l’un des services phares du réseau WACREN. Ce projet soutient en effet le développement à travers l’ensemble du continent africain de réseaux internet à haute capacité connectés au réseau GEANT, permettant ainsi aux étudiants, universitaires et chercheurs africains de collaborer avec leurs homologues internationaux. Ce flux de connectivité fera non seulement progresser l’éducation et la recherche au niveau local grâce à l’apprentissage en ligne, la visioconférence ou la technologie cloud, mais il profitera également à de multiples études scientifiques au niveau mondial, notamment en matière de changement climatique, sécurité alimentaire, etc. En conclusion, Boubakar Barry a appelé tous les enseignants et chercheurs africains ou en relation avec l’Afrique à s’impliquer dans les activités des NRENs.

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Hamed Ben Dhia, Professeur émérite, ancien Président de l’Université de Sfax (Tunisie), s’est réjoui des rencontres qu’a permis la première école d’été des ODD. Il a notamment salué la présence massive de ses collègues d’Afrique, continent qui se réveille enfin. Afin de soutenir les efforts des pays africains, le transfert de connaissances est essentiel, mais il doit s’agir d’une réelle diffusion au-delà d’une perfusion de brève durée. A cet effet, il conviendra à la fois de former les ressources humaines locales (universitaires, administratifs et politiques) et d’aider les différentes parties prenantes à se rapprocher et à travailler main dans la main de manière durable afin de combler le fossé existant entre la sphère académique et la partie opérationnelle. A ce titre, Hamed Ben Dhia a suggéré que la prochaine édition de l’école d’été se penche sur les problématiques locales exprimées par les différentes communautés participantes en vue de l’organisation d’ateliers thématiques. Cette démarche aiguillonnera les projets en leur conférant un aspect pratique jusqu’à présent insuffisamment mis en avant. La dualité des besoins et ressources en eau est inhérente à de nombreux pays, et ce dès l’Antiquité a rappelé Hamed Ben Dhia dans son introduction. L’ingéniosité des différentes civilisations au cours des siècles ont permis, tant bien que mal, de faire face à la pénurie. Cependant, de nouvelles pressions qualitatives et quantitatives pèsent sur l’environnement, du fait du changement climatique, de l’urbanisation, d’une irrigation inefficace (un litre d’eau sur deux étant perdu par les infrastructures actuelles), du gaspillage par les populations et de la pollution. Hamed Ben Dhia s’est ensuite attaché à présenter les problématiques hydriques de la Tunisie. Situé à l’extrême nord de l’Afrique, ce pays à la démographie contrôlée (11 millions d’habitants) est composé de zones arides à semi-arides. L’eau est une ressource rare, avec un contraste notable entre un nord bien arrosé et un sud saharien. La Tunisie est confrontée à une pénurie endémique, avec une intensification des phénomènes extrêmes, qu’il s’agisse d’inondations ou de sécheresse. Face à cette situation, une grande prudence a toujours été observée, mais les inquiétudes se renforcent à l’horizon 2030. A titre d’exemple, depuis 1900, le pays a connu 20 épisodes de sécheresse et 14 inondations, contre 4 sécheresses et 2 inondations de 1750 à 1900. « D’aucuns expliqueraient ce phénomène par le changement climatique, mais il faut savoir relativiser. » selon Hamed Ben Dhia qui a attiré l’attention sur les autres causes de fragilité, en premier lieu la précarité et l’instabilité induites par la phase post-révolution (grèves incessantes, relâchement de l’entretien et de la maintenance, arrêts de chantiers et de projets, insubordination, etc.). L’accès à l’eau potable, assuré à 98 % en 2010, est désormais irrégulier, avec des coupures fréquentes y compris dans les grandes villes. Les Associations à Intérêt Collectif (AIC), qui assuraient autrefois la distribution de l’eau avec succès, sont à présent totalement bloquées. Or le fait de confier la 138 1ère Ecole d’été des Objectifs de Développement Durable – 8 au 13 juillet 2016 – Marseille, France


gestion de ressources essentielles à une communauté, appuyés par des techniciens à l’échelle locale était une excellente idée, en particulier sur le plan du développement durable. Hamed Ben Dhia a ainsi exhorté à mettre un terme aux politiques exclusivement top down, c'est-à-dire du sommet vers la base, afin d’impliquer le citoyen, lui permettre de se réapproprier sa région et ses ressources, le responsabiliser et l’aider à s’inscrire dans une logique de développement durable. Mettre en œuvre des politiques sur mesure, avec une panoplie d’options et de technologies relatives aux différentes phases du cycle de l’eau, adapter la distribution aux ressources locales et à la communauté visée, améliorer les capacités de planification, valoriser la démocratie locale, etc. Telles sont les pistes de gestion optimisée pour les zones arides à semi-arides qui ont été évoquées par Hamed Ben Dhia. Elles sont à assortir d’actions pratiques dans les domaines de la recherche, de l’éducation et de la culture eau, sachant que la Tunisie ne manque pas de chercheurs et de productions scientifiques qui méritent d’être enfin mises en œuvre. Autres démarches à entreprendre : l’actualisation du potentiel en eau du pays, la prospection de secteurs délaissés, le soutien à l’écodéveloppement dans les zones arides et semi-arides, une meilleure mobilisation des eaux de surface non récupérées, la rationalisation des usages, l’optimisation du suivi de la qualité et de la quantité des eaux, une coordination accrue entre l’ensemble des parties prenantes, l’adoption d’une démarche inclusive et intégrée, etc. Enfin, Hamed Ben Dhia a invité à appliquer les principes d’économie verte, qui sont parfaitement adaptés à l’Afrique dès lors qu’un travail de sensibilisation de la base est entrepris en amont. Sécuriser les moyens de subsistance pour tous est un axe fort des ODD a indiqué Alexandre Kolev, Chef de l’Unité Cohésion Sociale à l’OCDE, préalablement à la présentation des derniers travaux de l’Organisation sur le sujet. Est entendue par « moyens de subsistance » la satisfaction des besoins fondamentaux, à savoir une alimentation adéquate, ainsi que l’accès aux soins, à l’éducation et au logement. Dans ce cadre, l’emploi et le travail décent ont un rôle central car ils garantissent ces moyens de subsistance pour les individus. L’OCDE s’est également efforcée de dresser un état des lieux des indicateurs de bien être, en retraçant l’évolution des moyens de subsistance au cours du temps à travers son étude « Comment était la vie ? ». Ce travail, qui a associé des historiens économistes, a permis de compiler toute une batterie d’indicateurs enregistrés depuis le début du XIXème siècle afin d’envisager les impacts possibles des grandes tendances mondiales ou régionales et réfléchir à des actions visant à pérenniser les moyens de subsistance.

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A la lumière des séries temporelles analysées depuis deux siècles, il est à noter une amélioration importante du niveau de vie, illustrée par les indicateurs d’espérance de vie à la naissance, de pauvreté monétaire, de salaire réel des travailleurs non qualifiés, d’égalité hommes/femmes, etc. Néanmoins, ces progrès masquent des disparités régionales, parfois importantes, entre les pays. Qu’en sera-t-il à l’avenir au regard de ces tendances ? Afin de répondre à cette question et évaluer l’impact des politiques publiques, l’OCDE a examiné différents indicateurs de bien-être subjectifs. Il en ressort une corrélation entre la mesure de satisfaction de la vie et le niveau de revenus des pays. Cependant, un pessimisme relativement marqué a été identifié au niveau des pays riches concernant les perceptions futures, qui contraste avec une certaine forme dans les pays les moins avancés ou à revenus intermédiaires, les populations s’attendant à une amélioration de leur vie. Malgré des progrès importants, l’avenir des moyens de subsistance se pose plus que jamais a souligné Alexandre Kolev. En effet, les travaux de l’Organisation ont mis en évidence la problématique de la croissance sans emploi, phénomène observé depuis une vingtaine d’années dans de nombreux pays de l’OCDE, ainsi qu’au niveau de pays émergents tels que la Chine ou les BRICs, voire le Bangladesh ces derniers temps. Ce constat suscite de grandes inquiétudes, sachant que la croissance sans emploi est associée à d’importants gains de productivité qui généreront de la richesse pour une minorité d’acteurs. Or, en l’absence de croissance large avec création d’emplois, des situations d’inégalités s’installent, ainsi qu’une forme d’instabilité sociale. L’explosion démographique de la jeunesse dans certaines régions du monde, également mise en évidence par les indicateurs, peut être perçue comme une chance sous réserve que les sociétés concernées soient à même d’absorber cet afflux de jeunes sur le marché du travail et de leur permettre d’accéder aux biens et services de base. Autre défi majeur mentionné par Alexandre Kolev, la question de l’automatisation et de la révolution digitale. Il ressort des études conduites aux Etats-Unis un fort impact sur l’emploi, les destructions étant supérieures aux créations. A cet égard, les dernières estimations font état de répercussions sur près de la moitié des emplois actuels, en particulier dans les secteurs traditionnels. Outre les tâches répétitives qui seront progressivement substituées, une vaste panoplie de métiers sera impactée par l’automatisation dans les domaines de la comptabilité, des services à la personne, etc. Certes, la révolution digitale créera en parallèle de la richesse, mais celle-ci bénéficiera aux détenteurs du capital ou aux travailleurs les plus qualifiés, donc une minorité d’acteurs. S’agissant du changement climatique, son impact sur les moyens de subsistance ira en s’accroissant du fait d’inondations, de sécheresses plus fréquentes, etc. Ce phénomène

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pèsera notamment sur le prix des produits alimentaires et les besoins en eau, soit des enjeux sources de conflit. Il appartient donc aux décideurs politiques de prendre en compte et d’anticiper ces éléments. Les enjeux de sécurité seront également au cœur des préoccupations des autorités. Après un pic de violence observé au cours des années 1980, celle-ci a eu tendance à diminuer dans les pays riches, alors qu’elle progresse dans les pays en voie de développement en lien avec l’accroissement de l’urbanisation et du chômage. « 1,5 milliard de personnes vivent dans des pays affectés par des conflits » a ainsi lancé Alexandre Kolev avant d’attirer l’attention sur l’écart de pauvreté qui se creuse entre les pays stables et ceux devant faire face à la violence et aux crimes. Un cercle vicieux tend malheureusement à s’installer puisque la pauvreté est source de violence qui donne lieu à son tour à une augmentation du taux de pauvreté. Alexandre Kolev a insisté sur les problématiques de gouvernance et de confiance des citoyens en leurs institutions, un net décrochage ayant été observé dans les pays de l’OCDE. Néanmoins, ce phénomène est également constaté dans de grandes économies émergentes. Ce manque de confiance est lié à une impression de capture du pouvoir par une élite économique, réfractaire à tout changement en faveur d’une répartition des richesses plus équitable, qui jouirait d’une situation monopolistique et de rente. A ce sentiment de défiance s’ajoute un manque de cohérence des politiques publiques, jugées inefficaces par les citoyens. Or les actions dans ce domaine sont susceptibles d’aller à l’encontre de certains intérêts. A cet égard, une meilleure équité fiscale permettrait de dégager davantage de ressources au bénéfice des populations les nécessitant, ainsi que des ODD. Enfin, Alexandre Kolev a souligné l’incapacité des gouvernements à concevoir des politiques intersectorielles, sachant que les institutions publiques sont souvent cloisonnées par secteur. Or il est indispensable d’intervenir de manière cohérente au niveau de différents secteurs pour avoir un impact sensible du fait de l’interdépendance des économies modernes. Ce point a d’ailleurs été identifié et intégré par les nouveaux indicateurs du développement durable, souvent multidimensionnels, qui amèneront à définir des actions multisectorielles. En conclusion, Alexandre Kolev a invité à consulter les travaux de l’OCDE, sachant que l’organisation a formulé un certain nombre de pistes de travail à débattre à la fois à l’échelle locale, nationale et internationale en vue de la pérennisation des moyens de subsistance futurs.

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Échanges avec la salle - Saluée par les intervenants, l’initiative en faveur de la constitution d’une infrastructure réseau de classe mondiale et de la collaboration entre organismes de recherche du projet WACREN apparaît cependant relativement confidentielle en Afrique et devrait faire l’objet d’actions de sensibilisation et de communication. - Boubakar Barry a mis en avant le caractère associatif de WACREN, le réseau étant fort de ses membres. A ce titre, il a récemment rencontré le Ministre de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique, le Ministre de la Formation Professionnelle et le Ministre des Télécommunications et de l’Économie Numérique de Guinée, qui est en marche vers la création de son NREN, pour faire la promotion de WACREN et soutenir la démarche de ce membre potentiel. Toutes les initiatives de rapprochement des réseaux régionaux doivent être encouragées a affirmé Boubakar Barry. Ils bénéficieront ainsi d’une intégration dans un réseau global d’éducation et de recherche, tout en assurant leur viabilité à long terme. Dans ce cadre, les infrastructures existantes, notamment au Sénégal ou au Ghana, sont mises à contribution afin d’interconnecter les établissements d’enseignement supérieur et de recherche. - Concernant l’avancement du maillage réseau sur le continent africain, WACREN a lancé un appel d’offres afin de se doter d’une connectivité à très haut débit. - « Sans stabilité politique, le développement durable ne peut être envisagé. » a lancé Hamed Ben Dia en prenant l’exemple de la Tunisie. Ainsi, avant la révolution l’approvisionnement en eau était assuré à plus de 95 %, avec un maillage optimal des bornes dans les grandes villes. Il en était de même pour le traitement des déchets. Depuis, les populations locales n’étant plus impliquées dans ces domaines, la situation s’est dégradée. Certes, une reprise en main a été opérée ces dernières années, mais le pays n’a pas retrouvé le niveau observé auparavant en termes de développement humain (scolarisation, etc.) et sociétal. - Revenant sur les Associations d’intérêt Commun et leur manque d’efficacité évoqué par un intervenant, Hamed Ben Dia a déploré l’approche des institutions, loin d’être exhaustive. En effet, les territoires et régions doivent s’orienter vers « une transition économique et passer de l’ère de l’énergie fossile et facile, de la consommation à outrance et des rejets sans contrôle à une démarche plus mesurée ». Il convient à tous les niveaux de s’inscrire dans la durabilité et de résilience en s’appuyant sur l’existant en matière de ressources, de forces et de faiblesses afin de se protéger contre les chocs extérieurs. Telle est la voie à suivre pour 90 % des zones arides à semi-arides de Tunisie, ce qui suppose une réconciliation entre le moderne et l’ancien, avec une intégration de la base à encadrer, conseiller et responsabiliser 142 1ère Ecole d’été des Objectifs de Développement Durable – 8 au 13 juillet 2016 – Marseille, France


vis-à-vis de son environnement immédiat. L’enjeu consiste à rappeler et à « faire prendre conscience aux citoyens que leurs régions et leurs richesses leur appartiennent et que l’avenir est leur ». - En réponse à une question sur la définition de la violence prise en compte par les études de l’OCDE, Alexandre Kolev précise que les indicateurs intègrent des données relatives aux crimes terroristes, ainsi qu’aux violences domestiques. Ces derniers éléments permettent également d’évaluer les discriminations à l’encontre des femmes dans les institutions sociales. S’agissant de l’évolution de la violence, les études de l’Organisation présentent une vision de long terme, caractérisée par une forte diminution dans les pays de l’OCDE par rapport au pic observé dans les années 1980. Cependant, les indicateurs relatifs à la violence font état d’une augmentation de la violence dans les pays en voie de développement. - Toujours sur la violence, Alexandre Kolev a précisé que de nombreux facteurs d’ordre géopolitique sont à l’origine de la recrudescence des conflits dans le monde, au-delà du changement climatique bien qu’il soit susceptible de peser sur les tensions existantes, notamment au niveau de la gestion des ressources en eau. - Revenant sur l’informatisation et la révolution digitale, notamment sur les impacts en termes d’emploi, un intervenant a fait remarquer que les Etats-Unis sont proches du plein emploi et qu’a priori, un processus de substitution s’est installé sur le marché du travail. - Pour sa part, Alexandre Kolev a mis en avant le caractère prospectif sur les 30 prochaines années des études de l’OCDE. Il est ainsi possible que certaines tendances ne se vérifient pas à court terme. Cela étant, la préoccupation majeure des pouvoirs publics et des autorités des pays de l’OCDE n’en demeure pas moins le phénomène de croissance sans emploi. A cet égard, les indicateurs relatifs au chômage sont quelque peu biaisés, la diminution observée masquant parfois l’exclusion et la sortie du marché du travail de populations découragées. Cette problématique s’inscrit dans un vaste débat sur les enjeux de productivité inclusive face au constat d’une augmentation des richesses et de leur inégale redistribution tant au sein des pays développés comme les Etats-Unis que des BRICs.

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