Hommage à Denise Bédard Regout

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FLEURS DE POMMIER se berçant dans la brise NÉES DU pépin semé par Denise


Denise BĂŠdard Regout


Denise Bédard Regout (1939-2019) Célébration du mardi 14 mai 2019 Procession d’entrée Musique originale de Jean-Paul Bataille à la Weissenborn

 Saluation d’ouverture Sous la présidence de M. l’abbé Jean-Pierre Charron

 Le rite de la lumière Nous allumons cette lumière pour Denise, notre mère, notre soeur, notre grand-mère, notre tante, notre épouse, notre enseignante, notre amie. Ces flammes qui viennent de Toi, Seigneur, Lumière dans notre obscurité, qu’elles nous rappellent que Tu nous éclaires et que Tu nous donnes l’espérance et qu’elles nous invitent à être lumière pour les autres.

 Préparation pénitentielle Dieu a voulu descendre jusqu’à nous pour partager nos peines et nos souffrances. Au début de notre prière, invoquons son pardon pour nos faiblesses humaines.

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Denise Êmigre en Belgique et s’y plaira 10 ans.


Denise Bédard Regout (1939-2019)

Première lecture Lecture par Yvan Xavier Regout, fils de Denise

Lettre de la première lettre de saint Jean (3, 14.16-20)

Mes bien-aimés, parce que nous aimons nos frères et nos soeurs, nous savons que nous sommes passés de la mort à la vie. Celui qui n’aime pas reste dans la mort. Voici à quoi nous avons reconnu l’amour : lui, Jésus, a donné sa vie pour nous. Mes enfants, nous devons aimer : non pas avec des paroles et des discours, mais par des actes et en vérité. En agissant ainsi, nous reconnaîtrons que nous appartenons à la vérité, et devant Dieu nous aurons le coeur en paix. Parole du Seigneur R. Nous rendons gloire à Dieu.

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L’artiste et l’enseignante


Denise Bédard Regout (1939-2019)

Psaume Lecture par Micheline Pépin, soeur de Denise

Psaume (26,13) Donne-lui le repos éternel, Seigneur fais briller sur elle la lumière sans fin. Le Seigneur est ma lumière et mon salut ; de qui aurais-je crainte ? Le Seigneur est le rempart de ma vie ; devant qui tremblerais-je ? J’ai demandé une chose au Seigneur, la seule que je cherche : habiter la maison du Seigneur tous les jours de ma vie. Écoute, Seigneur, je t’appelle ! Pitié ! Réponds-moi ! Mon âme espère le Seigneur et prends courage ; espère le Seigneur.

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Paroisse Saint-Matthieu Évangile

Évangile de Jésus Christ selon Saint-Jean Lazare, l’ami de Jésus, était mort depuis quatre jours. Dès que Marie, sa sœur, vit Jésus, elle se jeta à ses pieds et lui dit : « Seigneur, si tu avais été là, mon frère ne serait pas mort.» Quand il vit qu’elle pleurait, et que les Juifs venus avec elle pleuraient aussi, Jésus fut bouleversé d’une émotion profonde. Il demanda : « Où l’avez-vous déposé ? ». Ils lui répondirent : « Viens voir, Seigneur. » Alors Jésus pleura. Les Juifs se dirent : « Voyez comme il l’aimait ! » Mais certains d’entre eux disaient : « Lui qui a ouvert les yeux de l’aveugle, ne pouvait-il pas empêcher Lazare de mourir ? » Jésus, repris par l’émotion, arriva au tombeau. C’était une grotte fermée par une pierre. Jésus dit : « Enlevez la pierre ». Marthe, la sœur du mort, lui dit : « Mais Seigneur, … voilà quatre jours qu’il est là. » Alors Jésus dit à Marthe : « Ne te l’ai-je pas dit ? Si tu crois, tu verras la gloire de Dieu. » Parole du Seigneur R. Nous rendons gloire à Dieu.

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« La jeune veuve » par Denise Bédard. Inspiré d’Amedeo Modigliani. Le 17 octobre 1959 (47 mm X 27 mm).


Ce qu’elle touche se transforme en or.


Denise Bédard Regout (1939-2019) Homélie

 Prières universelles Lecture par Isabelle Regout, fille de Denise et Alexandre Pampalon, gendre de Denise

Pour sa part de travail chaque jour et pour le coeur qu’elle y mettait, béni sois-tu Seigneur. R. Souviens-toi, Seigneur, de ton amour. Pour l’amour qu’elle nous a donné et pour sa manière unique d’être présente dans nos vies, afin de rendre heureux et heureuses ceux et celles qu’elle aimait, béni sois-tu Seigneur. R. Souviens-toi, Seigneur, de ton amour. Pour ses peines qu’elle a su porter et pour sa part de bonheur et de joie en notre vie, béni sois-tu, Seigneur. R. Souviens-toi, Seigneur, de ton amour. Pour chacun et chacune de nous, qui partageons le poids de son départ, et pour les liens qui nous rassemblent autour du dernier signe de sa présence, béni sois-tu, Seigneur. R. Souviens-toi, Seigneur, de ton amour.

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Une belle complicité entre Denise Bédard Regout et Juliette Alary devant une oeuvre signée par Denise.


Denise Bédard Regout (1939-2019) Offertoire

 Prions ensemble Tu nous a révélé, Seigneur, que, près de Toi, ceux qui sont morts vivent à jamais, ceux que Tu as sanctifiés ont enfin le bonheur. Les yeux de ton serviteur Denise sont désormais fermés à la lumière du jour et si nous voulons retrouver son sourire, entendre ses mots, ses rires, sa poésie, nous devons nous-mêmes fermer nos yeux. Accorde-lui ce que nous désirons tous : la joie de Te voir, Toi, qui nous a créés dans ton Amour pour que nous connaissions ton visage. Vraiment il est juste et bon de Te rendre gloire, de T’offrir notre action de grâce, toujours et en tout lieu, à toi, Père très saint, Dieu éternel et tout puissant, par le Christ, notre Seigneur. C’est en Lui qu’a resplendi pour nous l’espérance de la résurrection bienheureuse et, si la loi de la mort nous afflige, la promesse de l’immortalité nous apporte la consolation. Car pour tous ceux et celles qui croient en Toi, Seigneur, la vie n’est pas détruite, elle est transformée, et lorsque prend fin notre séjour sur la terre, nous savons que nous allons vers Toi, comme Tu nous l’as promis.

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Ses tartes et ses pains cuits au four Ă bois font toujours fureur.


Denise Bédard Regout (1939-2019) Sanctus C’est pourquoi, avec les anges et tous les saints, nous proclamons ta gloire en proclamant d’une seule voix : Saint, Saint, Saint, le Seigneur, Dieu de l’univers Le ciel et la terre sont remplis de ta gloire Hosanna au plus haut des Cieux Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur Hosanna au plus haut des Cieux

 Prière eucharistique

 Notre Père Notre Père, qui es aux cieux, que ton nom soit sanctifié, que ton règne vienne, que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel. Donne-nous aujourd’hui notre pain de ce jour. Pardonne-nous nos offenses, comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés. Et ne nous laisse pas entrer en tentation mais délivre-nous du Mal.

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Le grand rêve de Denise s’est réalisé : fonder le Poney-Club.


Denise Bédard Regout (1939-2019) Agneau de Dieu Agneau de Dieu qui enlèves le péché du monde, prends pitiés de nous (bis) Agneau de Dieu qui enlève le péché du monde, donne-nous la paix.

 Communion

 Prière après la communion Dieu de toute ta bonté, ne cesse pas de veiller sur nous et donne-nous un jour d’entrer dans la lumière de la résurrection. Par Jésus, ton fils bien-Aimé.

 Témoignages Je suis les mille vents qui soufflent, Je suis le scintillement des cristaux de neige, Je suis la lumière qui traverse les champs de blé, Je suis la douce pluie d’automne, Je suis l’éveil des oiseaux dans le calme du matin, Je suis l’étoile qui brille dans la nuit ! — Poème amérindien anonyme

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Denise Bédard Regout (1939-2019) Dernier adieu Chers amis, aujourd’hui nous sommes venus à cause de Denise par affection pour elle, pour dire combien déjà elle nous manque, pour exprimer notre désarroi devant son absence. Nous allons nous séparer maintenant de notre amie Denise, mais en nous demeure son amour. Ensemble, en amis fidèles, accompagnonsle jusqu’au seuil de Dieu, en disant : « Seigneur, nous te confions Denise, notre mère, notre grandmère, notre soeur, notre tante, notre épouse, notre enseignante, notre amie. Prends-la dans la vie éternelle, dans la joie, jusqu’au jour où nous serons à nouveau tous réunis heureux ensemble en ta présence. » Elle a servi, elle a aimé, elle a guidé les siens, et nous savons que tout cela ne peut mourir. Ne nous quittons pas sans espoir: nous venons de nous rappeler que le Christ a vécu notre aventure humaine et son amour est plus fort que la mort. Aujourd’hui, nous nous sommes retrouvés pour un dernier adieu. Un jour, nous nous retrouverons. Que cette espérance nourisse notre recueillement et notre prière. Recueillons-nous en pensant à tout ce que nous avons vécu avec Denise, à ce qu’elle est pour nous, à ce qu’elle est pour Dieu. Denise, que la prière de ta famille et de tes amis rassemblés autour de toi et l’amour du Christ qui a triomphé de la mort t’obtiennent de connaître maintenant et pour toujours la paix et la joie des fils de Dieu.

 Signatures des registres

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9 dĂŠcembre 1939 10 avril 2019


Denise Bédard Regout

« À la demande de Micheline, voici quelques souvenirs qui me sont revenus de notre enfance ». Grâce à cette sympathique invitation, les trois soeurs — Pierrette, Micheline et Denise — ont partagé des moments de création littéraire. L’autobiographie de Denise Bédard Regout restera toutefois inachevée et comme toute chose qui apporte grand plaisir, sa lecture vous paraîtra trop courte. 22


Ma jeunesse

Les vacances à Sainte-Flavie Sainte-Luce-sur-Mer. Des cadeaux qui perdurent d’un Noël à l’autre À chaque Noël je recevais de petits animaux de ferme en plomb ou en plastique. Avec amour je leur fabriquais des boxes et enclos. J’y passais des heures de pures rêveries en imaginant mille et une aventure avec mon cheptel. Les plages de sable fin de Sainte-Luce-sur-Mer s’y prêtaient à merveille sauf que de temps en temps l’espiègle Antoine de Champlain venait d’un coup de pied détruire mes fragiles constructions. Carnaval d’été Les locataires des petites cabines de Champlain aimaient certains soirs, se réunir pour fêter leur joie de vivre. Un des initiateurs, un Monsieur Trottier de Québec voulaient entraîner son monde sur la piste de danse improvisée. Il n’y avait pas de musique pour enrober le tout mais il possédait un accordéon qu’il s’empressa de me mettre dans les mains en me demandant de jouer. Je n’avais jamais tenu un accordéon de ma vie et j’ignorais comment ça marchait. Je finis par tirer quelques notes suffisantes semblait-il, pour attiser un feu déjà survolté. Sainte-Flavie À Sainte-Flavie papa avait acheté un petit restaurant situé juste en face du quai, site touristique très apprécié des pêcheurs d’éperlans. 23


Denise BĂŠdard Regout

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Ma jeunesse Préparation à l’été Durant l’hiver, nous peignions des miniatures 4’’ X 4’’ représentant la pointe de Sainte-Lucesur-mer avec son église et son cimetière. Un petit chevalet supportait chaque tableau. Ces oeuvres étaient destinées à être vendues aux touristes qui viendraient au restaurant. Nous en avons fait beaucoup. Papa s’occupait de nous fournir le bois pour les chevalets et les canevas. Ce furent des heures passées à rêver des découvertes fabuleuses dans nos prochaines promenades estivales sur la plage. Plus les mois avançaient, plus la frénésie nous prenait. Les jours étaient comptés sur le calendrier. Le temps des foins Ce restaurant fut acheté à une famille de cultivateurs les Levasseur dont la ferme était située à cinq minutes de marche du restaurant. Inutile de préciser que nos fréquentes visites à la ferme nous emballaient. Après des essais infructueux de traite des vaches à la main, nous avons été plus utiles aider à faire les foins bien sûr à l’ancienne c’est-à-dire avec fourches et chariot tiré par un cheval. Lorsque le chariot était plein de fourrage, il fallait redescendre vers la grange. C’était tellement abrupt qu’un des garçons Levasseur devait mettre un sabot de frein sous une des roues sinon le cheval se faisait emporter par le poids. Nous nous enfoncions avec délice dans le foin pendant le trajet. Rendus au fenil, un grand croc attaché à une longue corde que le cheval tirait pour le déplacer, arrachait de grosses

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Denise Bédard Regout brassées de foin du chariot pour les ramener à l’intérieur de la grange. Là nous foulions à qui mieux mieux le foin pour le tasser. Un jour alors que le chariot était à nouveau rempli, Claude me demanda de ratisser une partie du champ pendant qu’il allait décharger. C’est ainsi que j’ai fait connaissance de cet énorme râteau tiré par un fougueux cheval bai. Il fallait d’abord faire des rangs parallèles puis revenir en partant du bout de chaque rang pour rassembler le foin en grosses bottes. Il suffisait de pousser plus longuement sur le mécanisme qui levait alors très haut ses dents. Tout était terminé lorsque les travailleurs revinrent pour le nouveau chargement. Cette expérience pour le moins inusitée me rendit vraiment très fière de moi. Je m’étonne cependant

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Ma jeunesse aujourd’hui qu’on ait osé me confier cet attelage sans aucune aide aux alentours en cas de pépin. Autre temps, autres moeurs! Mon commerce de cannes à pêche Dans la vie de ce petit restaurant, chacun avait un rôle. Le mien consistait à louer des cannes à pêches et ramasser les vers pour les pêcheurs. Dès les premiers jours de notre arrivée à Ste-Flavie, papa m’amenait dans un magasin de Mont-Joli pour: y choisir le matériel nécessaire à cette petite entreprise: cannes, fil, hameçons, poids. Avec patience, je montais les lignes avec 5 hameçons chacune car il arrivait lors de grandes marées d’attraper 5 éperlans d’un coup. Je peignis le bout des cannes en rouge pour les identifier. J’aimais

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Denise Bédard Regout pêcher. Aux grandes marées, j’attrapais jusqu’à 5 éperlans à la fois. Je n’en ai jamais mangé malgré les préparations culinaires de maman. Lorsque la famille ne suffisait plus à écouler les poissons, nous allions vendre des éperlans à l’hôtel Gaspésia. Un jour, j’ai découvert à marée basse, sous l’hôtel en question deux de mes lignes qui n’étaient jamais revenues. Le voleur les avait bien cachées mais le bout rouge révélait sans discussion leur provenance. Chaque jour lorsque les cannes revenaient, il fallait démêler les noeuds inextricables des fils. À marée basse, je parcourais quotidiennement la plage pour y trouver les appâts de pêche. Ces vers avaient deux dents qui vous pinçaient si vous n’y faisiez pas attention en les manipulant. Je les mettais dans des boîtes de conserve avec un peu de terre humide et un morceau de varech. Je n’ai jamais su combien papa avait amassé d’argent avec ce petit commerce. L’imaginaire en débandade Lorsque mon petit commerce me laissait un peu de temps, je décidai un jour de construire un bateau. Je voulais suivre ces grands navires qui passaient au large. Avec beaucoup de patience (au moins deux semaines) mais sans aucune connaissance, je pris une grosse chambre à air et y montai avec des

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Extrait de journal paru en GaspĂŠsie. Denise avait alors 12 ans.


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Ma jeunesse cordes tout un attirail compliqué pour supporter des voiles. À l’avance j’imaginais les heures passées au fil de l’eau. Le jour de l’inauguration venu, mon embarcation fit la culbute et refusa de flotter. Certes j’étais un peu frustrée mais je ne me souviens pas d’avoir été tellement désappointée. Malgré cet échec lamentable, la construction de mon navire m’avait permit de passer des heures en rêveries qui me laissèrent un bonheur inoubliable. Ce fut peutêtre une chance que je me sois pas retrouvée au centre du fleuve ... La maison familiale: 361 boul. St-Joseph Le vaste champ qui s’étendait devant la maison de mes parents était mon terrain de jeu préféré. J’y connaissais tous ses petits coins secrets, ses insectes, ses arbres et quelques fois ses visiteurs : faisans, renard. J’y construisais des maisons de sable avec des cailloux pour diviser les pièces. Un jour, une partie du champ fut cultivée par des immigrants. Ils venaient à ce que j’entendis, des pays de l’Est. Ils ne parlaient pas français. Je n’ai eu aucun contact avec eux car ils m’intimidaient. Un matin, ils découvrirent leur potager ravagé par un malotru anonyme. Ils vinrent à la maison pour savoir si nous avions vu quelque chose. Ils cherchèrent en vain le coupable en surveillant tous ceux qui fréquentaient les environs. En jouant ce jour-là près du petit ruisseau, je les aperçus qui couraient et criaient après un Jeune garçon que Je n’ai pu qu’entrevoir. Les deux jardiniers cherchèrent partout pour voir

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Denise Bédard Regout s’il n’y avait pas un autre comparse. Épouvantée, je me suis fait très petite en m’aplatissant dans les grandes herbes. Tout-à-coup, de toutes parts autour de moi, des couleuvres au col dressé et à la langue fourchue apparurent et m’entourèrent. Il y en avait des dizaines et peut-être plus ... Je ne voulais pas me faire attraper par ces hommes furieux mais ni me faire manger par ces vipères. Puisqu’elles ne bougeaient pas, je choisis de rester immobile jusqu’à ce que les hommes disparaissent. Ce fut certes une des plus grandes peurs de ma vie ! Bien plus tard , je retournai sur les lieux mais sans jamais trouver trace d’une seule couleuvre. Le boulanger familial Nous étions clients de la boulangerie Lucerne. Chaque jour le livreur nous apportait ce bon pain croustillant. Son véhicule tiré par un gros cheval du nom de Louise nous ravissait car de temps à autre nous pouvions embarquer avec le conducteur pour se rendre jusqu’à la rue Berri. Nous nous sommes rendus compte que le cheval ne nécessitait aucun conducteur, il s’arrêtait de lui-même à la porte de chaque client. Très doux, il recevait tous les restes de la tonte de gazon lorsqu’il s’arrêtait chez nous. Plaisirs de printemps La fin de l’hiver apportait une joyeuse rencontre avec les jeunes du quartier. Lorsque la neige commençait à fondre, nous formions un barrage de

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Ma jeunesse neige et de glace, parallèle au boulevard St-Joseph. La rue Bourque se trouvait alors complètement bouchée et l’eau du dégel montait de façon vertigineuse. De temps en temps un automobiliste audacieux parvenait à rompre notre digue que nous réparions aussitôt après son passage. La hauteur de l’eau dépassait nos bottes de caoutchouc! Écurie d’Aimé Tassé Sur le boulevard Montclair (entre St-Joseph et Berri) habitait M. et Mme Tassé et leurs deux enfants Pierrette et Marcel. Ils utilisèrent le petit hangar derrière leur maison pour y installer un poney, puis deux et bientôt près d’une dizaine pour les offrir en location. Je n’avais pas un sou pour me payer une heure d’équitation aussi je proposai mes services comme « accompagnatrice » pour les enfants qui ne savaient pas conduire. Je tenais leur monture par la bride et ensemble nous nous rendions parfois jusqu’au lac Lemay. De temps en temps, M. Tassé m’offrait l’opportunité de monter un poney pour la promenade publicitaire à travers le quartier. En groupe, nous nous promenions au pas dans les rues afin d’attirer les clients. Un jour, je fus invitée à participer à une séance de photos pour le journal Le Droit. Pierrette Tassé montait une ponette du nom de Rusty et moi, je prendrais Pedro, un pinto très têtu que Marcel enfourcha d’abord parce qu’il n’avait pas envie de marcher jusqu’au lac Lemay. À mon étonnement, il parvint à le faire galoper jusqu’au lieu de

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Denise Bédard Regout rendez-vous. Rendus sur les lieux, le photographe nous positionna, les pieds avant de nos montures dans l’eau. La photo parut dans le journal quelque temps après. Bien sûr on ne reconnaissait pas les cavaliers puisqu’ils étaient pris de loin mais j’en étais très fière. La photo parut également l’année suivante pour annoncer l’automne aux lecteurs. Malheureusement j’ai perdu depuis ma coupure de journal. M. Tassé acquit le terrain au coin de St-Joseph et Gamelin ( maintenant la place Cartier) et la maison de ferme de l’autre côté de la rue Gamelin. Il réalisa un grand paddock pour permettre aux enfants de Hull de faire un « tour » de poney. Bien sûr je devins une fidèle accompagnatrice et en compensation, je montais régulièrement un poney. Le bonheur! Une des ponettes de M. Tassé eut un poulain. Il y eut organisation d’un concours pour trouver un nom au nouveau-né. C’est maman qui remporta le prix en proposant le nom de Mélody mais c’est moi qui profitai de l’heure d’équitation gratuite! Pour augmenter mes heures d’équitation, je ramassais des paniers d’herbe pour, donner aux poneys. On avait droit à ½ heure par bac bien rempli. J’ai rasé tout ce qui était vert aux alentours ... Durant la foire d’Aylmer, M. Tassé y amenait ses poneys. Pierrette put monter le plus grand, Lady. Elle fut prise en photo pour le journal régional. Elle y accompagnait une cavalière montant un cheval. La prise savante de vue cachait fort bien la différence de taille des montures.

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Ma jeunesse

L’école St-Joseph de Wrightville J’étais en 8e année dans la classe de Soeur Louis-Sylvio enseignante un peu sévère mais que nous aimions bien. Chaque élève avait son petit pupitre individuel dont les 4 pattes de bois étaient fixées à chaque extrémité par une longue vis retenue par un écrou-papillon. Un midi, arrivée la première dans une classe vide, je décidai sur un coup de tête de jouer un bon tour aux filles. Je dévissai un à un les écrous tout en laissant les pattes en place. Celles-ci ne tenaient plus qu’avec les vis et le moindre mouvement les ferait tomber. Lorsque les élèves arrivèrent, mon forfait était accompli. L’après midi commençait toujours par la récitation du chapelet. La 1ère et la 5e dizaine se

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Denise Bédard Regout récitaient à genoux sur nos chaises alors que nous étions assises pour les 3 autres. Dès la 2e dizaine, les pattes une à une se mirent à tomber puis ce fut l’avalanche. Nul besoin de détective pour connaître le coupable. Les yeux furibonds de la soeur se fixèrent aussitôt sur moi car j’étais pliée en deux et un fou rire incontrôlable s’empara de moi. J’en avais les larmes aux yeux et ma figure devint rouge comme une pivoine. Bientôt mon hilarité se communiqua aux éléves et la classe fut soulevée par une explosion de rires compulsifs. Soeur Louis-Sylvio eut bien du mal à retrouver sa discipline et le chapelet s’acheva

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Ma jeunesse joyeusement avec de temps en temps quelques rires nerveux de ma part ... À l’aube de ma vie d’adulte Comment s’étonner que mon premier achat important lorsque je débutai en enseignement, fut l’achat d’un cheval. Il s’appelait Black Prince. C’était probablement un cheval canadien presque du gabarit du cheval de trait tant il était énorme. J’avais beaucoup de mal à le monter. Le cheval était originaire de l’écurie Mayburray du chemin d’Aylmer. Les propriétaires me vendirent le cheval 250 $ et m’offrirent d’employer gratuitement la selle anglaise avec sa peau de mouton. La ferrure devait être comprise dans la pension car je ne m’en suis jamais occupée. Compte tenu de mon salaire de plus ou moins 2,500$ / an, ma part de 30$ / mois remise à maman pour mes frais, la pension du cheval 30$ / mois, il ne me restait pas grand chose pour me payer quelques jupes et blouses. Il n’y avait pas place pour des extras. Un jour, curieuse, Micheline vint voir le cheval. Elle le vit de si près que celui-ci lui marcha sur un pied! Le malheur c’est qu’elle portait des sandales. Ses os n’étant pas broyés complètement, elle s’enhardit à se glisser sur la selle. Malheureusement elle perdit peu à peu le contrôle jusqu’à s’engager à sauter une barrière. Par chance , il s’arrêta à temps. Il faut dire que ce jour-là le cheval était particulièrement nerveux. Les employés de M. Mayburry venaient d’abattre un cheval et l’équarrissaient afin d’en 37


Denise Bédard Regout donner la viande aux chiens de la meute de chasse. Même si on ne les voyait que de loin, Black Prince devait savoir ce qui se passait. À l’écurie Cook À l’automne je déménageai mon cheval à l’écurie Cook qui était quand même plus près et de plus on y parlait français. Nous habitions alors sur la rue Émond. Je me transportais en Corvair avec la voiture paternelle pour laquelle j’avais participé pour 500$ aux frais d’achat ce qui me permettait d’avoir l’espoir de l’employer lorsque papa était à la maison. J’ai dû acheter une selle d’occasion, très vieille mais confortable. M. Cook installa mon immense cheval dans l’ancien silo de l’écurie. Tout repeint en blanc c’était ravissant! Une épaisse couche de copeaux bien propre couvrait le plancher. Je m’y trouvais choyée.

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Ma jeunesse Un jour de promenade sur la promenade de la CCN, je fus arrêtée par un patrouilleur de la gendarmerie royale. Il ne parlait qu’anglais mais je finis par comprendre qu’il aimerait bien essayer ma monture qui devait lui rappeler le carrousel de la gendarmerie. Il enfourcha ma monture et partit pour 10 minutes dans les sentiers. Il revint avec le sourire fendu jusqu’aux oreilles. Ce fut mon passe-droit pour me promener sans ennui sur la promenade interdite aux cavaliers. Je changeai toutefois mon grand cheval pour un jeune fringant de 3 ans mais de plus petit gabarit. Il prit très vite l’habitude de se cabrer.

Le père de Denise est l’inspecteur Joseph Bédard, membre de la Commission scolaire. Première rangée : Léo Giroux, l’inspecteur Bédard, le curé Labrosse, Alfred Lavitoire, prés. Deuxième rangée : Alex Primeau, Roland Théorpet, Arthur Carle. Source : «Histoire de la Paroisse Saint-Jean-MarieVianney», par Mgr J. Marcel Massie (tome 2).

Les écuries Rocheleau Entre-temps je déménageai à nouveau mon cheval pour le confier aux écuries Rocheleau gérées

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Denise Bédard Regout par Yvon Fauvelle que j’avais déjà connu aux écuries d’Aimé Tassé. L’écurie était située près du cimetière St-Raymond. Je redoutais le jour où papa ne me prêterait plus sa voiture. Il détestait l’odeur du cheval qui se dégageait lorsque je revenais de l’écurie. Il faut dire que je mettais mon harnachement dans le coffre arrière. Je me suis dit qu’il y avait moyen de marcher éventuellement de la maison à l’écurie. C’est à ce moment-là que je fis connaissance de Régi. Après quelques sorties, il se désespérait de me voir plus souvent car j’étais très partagée entre l’enseignement et mon cheval. Un jour, il me demanda de choisir entre lui et mon cheval. Nos relations n’étaient pas encore très fortes à ce moment-là et sans hésiter je choisis mon cheval. Déconfit, il ne se découragea pas pour autant. Il vint même un jour à l’écurie en compagnie d’un ami. Il est tombé sur une cavalière encore meurtrie d’une chute. Je commençais à avoir peur de ce bronco incontrôlable. Comme un preux chevalier, Régi me proposa de le monter. Surprise, je ne savais quoi faire, il ne semblait pas être familier avec l’équitation mais il semblait si sûr de lui que finalement, n’ayant rien à perdre, je lui tendis les rênes. Dès qu’il fut sur son dos, le cheval se mis au galop et tourna en rond tant et si bien que Régi se retrouva à terre entouré de toute sa menue monnaie sortie de ses poches. Peu après, je vendis mon cheval à une co-cavalière de l’écurie Rocheleau . Elle connaissait le défaut de mon cheval mais voulait que son père,

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Ma jeunesse M. Bisson (propriétaire des transports communs) lui achète un pur-sang anglais lorsqu’il serait effrayé devant le danger de perdre sa fille dans un accident. L’ère Gypsie Je retournai chez Mayburry pour y trouver une perle : une jolie jument hackney, douce, fière aux allures princières. Ce fut le coup de foudre. Gypsie me fournit de précieuses heures de bonheur total. La grande demande Entre-temps mon valeureux chevalier fit sa grande demande. Il alla un soir rencontrer papa assis à la table de la cuisine alors que j’étais au salon. Il lui dit: « Monsieur Bédard , pourriez-vous me faire un petit plaisir » Étonné, papa lui répondit : « Bien sûr, si je peux ! » C’est quand il entendit la suite qu’il fut disons, déstabilisé. « J’aimerais épouser votre fille et je sollicite votre permission ». Papa se racla la gorge deux ou trois fois et répondit: « On va regarder cela» mais il ne s’objecta pas. Cette demande inusitée me fit entrer par la grande porte de la Vie. Je fis par la suite un arrangement avec Yvon Fauvelle. Je ne paierais plus la pension du cheval mais il resterait ma propriété jusqu’au pro-rata de sa valeur soit 250$. Il accepta et puisque je montais de moins en moins, il présenta la jument à son étalon pur-sang anglais. Mes dernières promenades furent accompagnées d’un superbe poulain qui gambadait tout autour et souvent venait contrecarrer les mouvements de sa mère.

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Mon mariage Régi m’a épousée le 14 juillet 1962. Un beau mariage en blanc à l’église Saint-Benoît-Abbé à Hull. Toutes les élèves de ma classe de l’école du Lac-des-Fées où j’enseignais, étaient venues à l’église endimanchées de leurs belles robes. Ce jour-là, André Pépin le mari de Micheline, se fit chauffeur pour les nouveaux mariés. Après le banquet de noces, il nous reconduisit à Limbour où nous avions choisi de passer notre nuit de noces dans cette maison que Régi avait construite pratiquement seul et dont il me faisait don dans notre contrat de mariage. Je n’oublierai jamais la délicate attention d’André qui nous fit cadeau d’une grosse bouteille de champagne Mumm cordon rouge, pour égayer notre nuit de noces. La bouteille vide, nous l’avons précieusement gardée en souvenir. Elle a traversée deux fois l’Atlantique avec nos pérégrinations.

Signé, Denise

Laurette Leduc

Alma Ferland Joseph Bédard


Le jardin potager de Denise


LE SILENCE EST…DORT Poème d’Alexandre Pampalon Dédié à Denise Bédard Regout LE SILENCE NOUS PREND AU MOT NOUS TOURNE LE DOS NOUS MET MAL À L’AISE DANS SON MALAISE DANS LE PRÉSENT SOLITAIRE CONFIDENT NE PARLE QUE DE LE LUI LA LUMIÈRE IL LA FUIT LOURD FRACAS, MARTEAU DANS SON CAS CHAUD PORTE LES FERS PRISONNIER DE SON ENFER NE SAIS QUE DIRE DE SON AVENIR RIEN NE L’INSPIRE EN PERD SON RIRE SEUL SUR SA ROUTE NOUS LAISSE DANS LE DOUTE OÙ SEUL IL BROUTE VAGUANT EN DÉROUTE OÙ CHEMINANT D’UN PAS FERME SA VOIX QU’IL ENFERME DANS CETTE CAGE QU’IL CROIT SAGE IL TOMBE DU HAUT DU ROCHER DE SES ÉMOTIONS VEUT SE VIDER DANS L’ÉBULLITION L’ÉRUPTION DU VOLCAN DE SA NOIRCEUR MAIS ASSOURDI DE SA PEUR REPOUSSANT L’HEURE PANIQUE SAVOURANT LA TORPEUR SANS JAMAIS SE VIDER LE CŒUR


ET LÀ, ENFIN… IL SE PREND EN MAIN LE SILENCE OUVRE SA BOUCHE SE LIBÈRE DE SES COUCHES DES PROPOS QUI LE TOUCHENT MORD SAUVAGE ET FAROUCHE D’UN ÉCLAT IL GÉMIT À SON MONOLOGUE IL SOURIT MET FIN À CE PLI QUESTION DE SURVIE AU SOLEIL IL LÈVE SON VOILE LÈVE SA CHARGE PREND LE LARGE AU FIRMAMENT DE SON ÉTOILE



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