Mémoire de fin d'étude - Réhabiliter Fukushima : Se relever après le drame [...]

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PFE Transitions

2020-2021

RÉHABILITER FUKUSHIMA

SE RELEVER APRÈS LE DRAME : ENTRE RÉSILIENCE ET ADAPTATION, LE CAS DE TOMIOKA TOWN Elaboré par

Théo Aguilar Ary d’Oria Valentin Faure-Mathy Sous la direction de

Loic Couton Sabine Chardonnet Robert Le Roy

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REMERCIEMENTS

Nous tenons à remercier toutes les personnes qui nous ont aidé à aboutir ce projet et dans la rédaction de ce mémoire. Nous voudrions tout d’abord remercier notre encadrante de mémoire, Delphine Lewandowski, enseignante à l’ENSA Paris Malaquais pour sa gentillesse et son engagement, qui nous a accompagné tout au long de la rédaction de ce mémoire. Nous souhaitons également remercier nos encadrants de projet : • Madame Sabine Chardonnet Darmaillacq, maître de conférence à l’ENSA Paris-Malaquais. • Monsieur Loïc Couton, professeur à l’ENSA Paris-Malaquais • Monsieur Robert Le Roy, responsable du département Transition Leur implication, et leurs précieux conseils nous ont guidé tout au long de la conception de notre projet. Nous aimerions aussi les remercier de nous avoir laissés réaliser ce projet à trois. Leur confiance nous a permis de confronter nos idées et d’enrichir notre discours. Nous tenons enfin à remercier toutes les personnes nous ayant témoigné de leur soutien dans la réalisation de ce projet: • Monsieur Thierry Mandoul, maître de conférence à l’ENSA Paris-Malaquais, pour ses conseils et ses références, nous ayant permis d’étoffer notre discours. • Madame Takako Sugi, architecte DPLG, pour sa disponibilité et pour nous avoir donné accès à de nombreuses ressources concernant la culture japonaise. • Madame Emma d’Oria, pour nous avoir aidé à traduire plusieurs documents des autorités japonaises. • Mesdames Marine Aguilar, Corine Faure-Bassano, Noémie Lefebvre et Marion Poule pour nous avoir relus et corrigés à de nombreuses reprises.

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SOMMAIRE

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p.-7

INTRODUCTION

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p.8-33

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p.33-65

LA RÉGION DE TOHOKU FACE À L’INCIDENT

LES DISPOSITONS ET LEURS CONSEQUENCES

CONTEXTE GÉOGRAPHIQUE ET ACTIVITÉ SISMIQUE

LES DISPOSITIONS PRISES PAR LE GOUVERNEMENT

LA TRIPLE CATASTROPHE : CAUSES, DÉROULEMENT ET BILAN

UNE POPULATION MÉFIANTE

GESTION DU COURT TERME ET CONSEQUENCES SANITAIRES


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p.66-95

TOMIOKA : VILLE LABORATOIRE

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p.96-97

CONCLUSION

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p.98-105

BIBLIOGRAPHIE

LES DISPOSITIONS PRISES PAR LE GOUVERNEMENT

UNE POPULATION MÉFIANTE

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INTRODUCTION

Le 11 mars 2011, un violent séisme sous-marin provoque un tsunami qui submerge et dévaste une partie de la côte Pacifique de la région de Tohoku au Japon. L’eau pénètre dans la centrale de Fukushima Daiichi, entraînant une perte d’alimentation électrique qui aura pour conséquence une série d’incendies et d’explosions relâchant une grande quantité d’éléments radioactifs dans l’air. Il s’agit de la deuxième catastrophe de centrale nucléaire de l’histoire à être classée au niveau 7, le plus élevé sur l’échelle internationale d’évènements nucléaires (INES), au même titre que la tristement célèbre catastrophe de Tchernobyl survenue en 1986. Les conséquences de ce triple sinistre ont été multiples. En effet, en plus des nombreuses victimes et des lourds dégâts matériels causés par l’entrée du tsunami dans les terres sur plusieurs kilomètres, les retombées du panache radioactif et leurs répercussions sur l’environnement et la santé des personnes exposées ont poussé le gouvernement japonais à scinder les alentours de la centrale en différentes zones selon leur niveau de danger. Dans les années qui ont suivi la catastrophe, des dizaines de milliers de personnes ont dû être relogées. Des opérations de relevés des niveaux de radioactivité, puis de décontamination, ont été menées et un gigantesque mur de béton deux fois plus haut que les anciennes digues éventrées par la vague a été construit sur plus de 450 kilomètres de littoral sur décision du gouvernement. Tandis que ces mesures prenaient effet, divisant par la même l’opinion publique et celles des civils concernés, la quantité de radioactivité présente dans la terre et dans l’air de plusieurs villes diminuait à la fois naturellement et grâce aux opérations de décontamination, rendant à nouveau possible l’accès de ces dernières. Parmi elles, Tomioka town, dont le retour des habitants, vivement encouragés par les autorités et contraints par l’abolition de leurs aides au refuge, a été rendu possible dès le 1er avril 2017.


Aujourd’hui, dix ans après le drame, les territoires touchés par le tsunami et les radiations demeurent défigurés, leurs habitants, une population amoindrie, vieillissante, marqués à vie. Pourtant, le peuple Japonais fait preuve d’une remarquable capacité de résilience. Secoué en moyenne par 30 séismes de magnitude supérieure à 7 par siècle, il a développé une culture du “Shikata ga nai” (signifiant “c’est ainsi”). Dès les premières semaines qui ont suivi l’accident, le gouvernement s’est lancé dans une politique de “reconquête totale”. C’est de cette volonté de reconstruire que sont nés

différents projets de repopulation des zones autrefois inaccessibles, ainsi que l’amorce d’une transition énergétique à l’échelle du pays entier dans le but de progressivement s’affranchir du nucléaire. Le paysage du littoral de Tohoku prend un nouveau visage, dont les modifications sont dictées par la gestion du risque de la pollution, mais aussi par celui d’un nouveau tsunami. Mais alors, comment envisager un retour en toute sécurité de la population sur ces territoires en partie dévastés ? Comment innover et adapter les infrastructures aux nouvelles contraintes incarnées par ces risques ? Comment redonner confiance en un lieu par le biais de son aménagement ? Comment aider à surmonter le traumatisme qu’a représenté un tel évènement ? Nous proposons, dans un premier temps, de revenir sur les conséquences humaines, matérielles, politiques et sociales de la catastrophe du 11 mars 2011, afin de porter un regard critique sur la politique menée quant à la gestion de l’après. Par le biais de notre travail, nous analyserons sous différents aspects le cas de la ville de Tomioka, dans le but de fournir une hypothèse d’architecture et d’urbanisme, sensible et consciente, ancrée dans les réalités qui marquent et qui marqueront son territoire aujourd’hui et dans les années à venir, tout en encadrant le retour progressif de ses anciens et de ses nouveaux habitants.

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01 LA REGION DE TOHOKU FACE A LA CATASTROPHE

Fig 1. Photo de Hisashi Murayama pour «le monde»


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A / CONTEXTE GÉOGRAPHIQUE ET ACTIVITÉ SISMIQUE 1. La région de Tohoku, son activité, ses spécificités géographiques La région de Tōhoku (littéralement «Nord-est» en japonais) couvre la partie nordest de l’île de Honshū, île principale du Japon. Elle est formée de six préfectures: Akita, Aomori, Iwate, Miyagi, Yamagata et bien sûr Fukushima. La plus grande ville de la région est Sendai, située dans la préfecture de Miyagi, avec ses 2.3 millions d’habitants en 20211 (source : World Population Review). La région est assez montagneuse puisque traversée du Nord au Sud par des massifs de la chaîne des monts Ōu. Ces montagnes laissent place par endroit à des bassins formant des vallées d’axe nord-sud, souvent coupées de l’océan par le relief. C’est dans ces vallées que se concentre la majorité de la population de la région. La côte, souvent très rocheuse, a empêché l’installation de ports de pêche le long du littoral. Le Shinkansen (littéralement “nouvelle grande ligne”), le système de train à grande vitesse en service au Japon, relie les plus grandes villes de l’île. Sendai n’est donc séparée que de deux heures à bord de ce train de la capitale Tokyo, située à 250 kilomètres au Sud.

Fig 2. Carte de la région de Tohoku

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World Population Prospects. (s. d.). Japan Population 2021 (Demographics, Maps, Graphs). World Population Review. https://worldpopulationreview.com/countries/japan-population

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Cependant, la côte de Hamadōri, la plus à l’est des trois parties de Fukushima, fait exception à la règle. En effet, à cet endroit, le bassin le littoral. Des villes comme Sendai, Namie ou encore Tomioka, ville sur laquelle va se focaliser notre attention par la suite, se sont construites sur ces terrains plats, terrassés, parcourus de rivières et de fleuves qui se jettent dans l’océan.

Fig 3. Coupe schématique de la vallée littorale

L’activité, qu’elle soit industrielle, liée à l’agriculture ou à la pêche, s’est donc développée sur cette bande de terre plate dont la largeur varie entre 10 kilomètres au niveau de Sendai et 3 kilomètres au niveau de Naraha. L’accès aux hauteurs, recouvertes de forêt dense, étant difficile, les habitants y ont également construit la majorité de leurs logements. Dans le cas de tomioka, seulement 6 kilomètres séparent la mer de la montagne, l’économie s’y est donc moins développée que dans les villes plus grandes comme Sendai ou Soma. C’est d’ailleurs ce qui a motivé la société TEPCO, à y implanter deux de ses centrales nucléaires; Daiichi à 10 kilomètres au nord et Daini dans le sud de la ville. Les trois préfectures de Tohoku qui bordent la côte Pacifique et qui ont été durement touchées par le tsunami de 2011 sont, du nord au sud, Iwate, Miyagi et Fukushima. En 2010, ces trois préfectures représentaient 4.4% de la population totale du Japon, 4.1% de sa production manufacturière, 7.9% de sa production agricole, 11.7% de sa pêche marine et 16% de sa mariculture1. ( Source : Population Census). On constate donc qu’au regard de la part de population, certes vieillissante (voir cartes) vivant dans ces préfectures, l’importance économique de ces dernières n’en était pas moins élevée, principalement pour ce qui est de l’alimentation. La région de Tohoku était même considérée comme le “grenier à blé et le potager” du grand Tokyo et des régions peuplées du Kansai et du Kanto.

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Population census, statistic table of manufacturing, production statistics for fishery and aquaculture.


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Fig 4. Répartition des tranches d’âge majoritaires dans la région de tohoku en 2005 (gauche) et 2020 (droite) Source : Statistical Information Institute for Consulting and Analysis, Japan Statistical Association

Au regard de la grande activité sismique du Japon et des nombreux tsunamis qui frappent ses côtes, une proximité avec l’océan et un relief difficilement franchissable en cas de raz-de-marée représentent un réel danger pour les installations et la population locale.

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A / CONTEXTE GÉOGRAPHIQUE ET ACTIVITÉ SISMIQUE 2. L’activité sismique Japonaise et sa place dans la culture L’archipel Japonais se situe dans une des zones sismiques et volcaniques les plus actives du monde. Des milliers de secousses d’intensité variable (de 4.3 à 7.3 sur l’échelle de Richter) y sont ressenties dans le pays tout entier chaque année, et un cinquième des séismes d’une magnitude supérieure ou égale à 6 recensés dans le monde surviennent au Japon. Selon l’USGS, l’institut des études géologiques des états-unis, on ne recense pas moins de 122 séismes d’une magnitude supérieure à 6.5 (potentiellement destructeurs) autour de l’archipel entre 1980 et 2021 soit environ 3 par an. Le peuple nippon a développé son fonctionnement et ses outils de conception en tenant compte de ce risque permanent et il existe donc une véritable “culture du risque”. Cette spécificité transparaît1 dans l’imaginaire japonais avec la mentalité dite du “shikata ga nai” (“c’est ainsi”), selon laquelle l’Homme doit accepter les choses qui lui arrivent et auxquelles il ne peut rien changer.

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Fig 5. Carte des risques de séisme d’intensité 6 ou plus sur les trente an à venir à partir de 2020 (Source : Headquarters for Earthquake Research Promotion)

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CERES. (s. d.). Le Japon, culture du risque et résiliences individuelles - CERES. http://www.environnement.ens.fr/ etudiants/travaux-des-etudiants/resilience-sociale/facteurs-culturels-dans-la-resilience/article/le-japonculture-du-risque-et-resiliences-individuelles


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Les catastrophes naturelles sont alors pleinement admises et la prévention de leurs risques est transmise largement. Par exemple, il n’est pas rare de voir sur les hauteurs du littoral japonais des “stèles tsunami” multicentenaires1 (Source : «Culture des catastrophes, culture des risques») prévenant de “ne pas construire sa maison ici”; à Aneyoshi, le tsunami de 2011 s’est arrêté à 90 m de la stèle du village. De la même manière, des collectivités territoriales sensibilisent la population en distribuant des brochures de prévention et les enfants sont formés à l’école pour adopter les bons gestes en cas de séisme.

Fig 6. Stèle tsunami

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«Culture des catastrophes, culture des risques» - Entreprise et management interculturel

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Les catastrophes naturelles sont même personnifiées dans le folklore japonais avec par exemple Namazu, un poisson chat géant capable de provoquer des séismes et des raz-de-marée (voir Fig 7) dont la légende remonte au 17ème siècle, ou encore, plus récemment, les Kaijus, des monstres comme Godzilla, considérés comme forces de la nature devant lesquelles l’homme est impuissant.

Fig 7. “Talisman contre le tremblement de terre” (Jishin o-mamori), collection du Musée d’histoire et de folklore du département de Saitama

Fig 8, à droite. “La grande vague de Kanagawa” d’Hokusai, mondialement connue, mettant en scène un tsunami dans la baie de Sagami à côté de Tokio


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Fig 8. Image satellite de fukushima Daiichi le 11 mars 2011. Source : Reuters


B / LA TRIPLE CATASTROPHE DU 11 MARS 2011 . CAUSES, DÉROULEMENT, GESTION ET BILAN

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1. Le séisme

Lorsque l’on pense au 11 mars 2011, on retient surtout le nom de Fukushima et de sa centrale nucléaire de Daiichi. Pourtant, à ce jour, le bilan humain n’est pas dû à l’accident nucléaire mais bien au séisme de magnitude 9.1, le plus violent jamais ressenti au Japon, et surtout au tsunami qui s’en est suivi, rasant sur son passage 600 kilomètres de côte et causant la mort ou la disparition de plusieurs milliers de personnes. A 14h46 (6h46 à Paris), le séisme survient à environ 130 kilomètres au large de la côte Pacifique. La secousse causée sera ressentie jusqu’à Pékin, située à plus de 2000 kilomètres. Deux à trois minutes suffisent à causer des dégâts, mais les édifices japonais, conçus pour résister à ce genre d’évènements, tiennent bon. Ce séisme est dû au glissement soudain d’une gigantesque plaque sousmarine de 500 kilomètres de long. Les instruments de mesures n’ayant pas accès aux couches géologiques, il était difficile de prévoir une telle activité (bien que dans les jours précédant la catastrophes, plusieurs séismes moins puissants avaient eu lieu dans la même zone).

Fig 9. Résidence détruite à Kumini Town, Fukushima, 2011 (source : The 2011 east Japan earthquake bulletin)

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2. Le tsunami

Aussitôt, une alerte tsunami de niveau maximal est donnée par l’agence météorologique japonaise mais la vague frappe les côtes les plus proches (au niveau de sendai) seulement 10 minutes après, s’enfonçant parfois jusqu’à 10 kilomètres dans les terres sans laisser le temps à la population de fuir. Les côtes plus éloignées (comme la côte Hamadori), auront quant à elles environ une heure pour réagir.

Fig 10. Emprise du tsunami sur le littoral à proximité de Sendai, images obtenues les 13 et 14 mars 2011 grâce à la technologie MODIS (Moderate Resolution Imaging Spectroradiometer) de la NASA. Source : Tohoku Geographical Association


01 3. L’accident nucléaire

Autre grave conséquence de la catastrophe, une vague d’une quinzaine de mètres submerge la digue et frappe la centrale de Fukushima Daiichi, située à seulement quelques mètres de la côte, ce qui endommage les installations et provoque le dysfonctionnement des systèmes d’alimentation de secours. Les réacteurs 1 à 5 perdent alors leur source de refroidissement, et les opérateurs d’informations n’ont plus aucune information sur l’état des organes de la centrale. En l’absence de refroidissement, l’eau dans la cuve des réacteurs 1 à 3 s’évapore et les cœurs entrent en fusion. Dans le même temps, la pression au sein des cuves des réacteurs augmente, et les experts sont obligés de provoquer le relâchement d’une partie des gazs émis par la surchauffe des cœurs pour éviter l’explosion de l’enceinte. Le 11 mars, le gouvernement et les autorités sanitaires, pris de court, ordonnent l’évacuation des personnes résidant dans un rayon de 2 kilomètres autour de la centrale, puis 3 kilomètres. Il est également recommandé de rester à l’abri dans un rayon de 3 à 10 kilomètres. Dans ce genre de scénario, le cadre international des mesures d’urgence à prendre vis-à-vis de la population est donné par les recommandations figurant dans la publication 103 de la Commission internationale de protection radiologique diffusées en 2007. Cependant, au Japon, seule une évacuation dans un rayon de 8 à 10 kilomètres autour de la centrale touchée est prévue. Le plan d’action du japon comprend trois étapes : 1 • Le gouvernement établit un centre de commandement national dirigé par le premier ministre, il prépare les plans et procédures nationales . • Le gouvernement local gère les actions d’urgence comme la surveillance, la mise à l’abri ou encore l’évacuation. • L’exploitant nucléaire (ici TEPCO) est responsable de l’intervention d’urgence sur place et de la transmission des informations au premier ministre ainsi qu’au gouverneur de la préfecture.

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Source : Connaissance des énergies / Nucléaire / Pédagogie / Fukushima

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Il faut savoir que dans le cas de fukushima, le gouvernement local n’a pas pu établir de poste de commandement opérationnel car les locaux prévus et équipés à cet effet (situés à seulement 5 kilomètres de la centrale) avaient subi de trop grands dégâts (notamment au niveau des accès, du réseau électrique, du niveau de radiation dans l’air…). Ainsi, la transmission d’information à la population a été retardée et l’efficacité des mesures d’évacuation a été grandement affectée. • Entre le 12 et le 15 mars, l’hydrogène relâché finit par provoquer une série d’explosions et d’incendies dans les locaux de la centrale. • Dès le 12 mars, TEPCO commence à projeter de l’eau sur les réacteurs, puis dans les piscines de stockage pour éviter l’ébullition de leur contenu. L’ordre d’évacuation de la population émanant du gouvernement s’étend à un rayon de 10 kilomètres, puis 20 kilomètres (Fig 11). Le 15 mars, le rayon de mise à l’abri s’étend de 20 à 30 kilomètres, il sera conseillé 10 jours plus tard aux habitants de cette zone de volontairement évacuer. • Le 25 mars, TEPCO annonce la présence d’eau contaminée dans les soussols des bâtiments des turbines. de l’eau hautement radioactive est “contenue” dans la centrale, une partie se déverse dans le Pacifique.


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Fig 11. Zone d’évacuation d’urgence de 20 kilomètres autour de la centrale mise en place dès le 12 mars 2011

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Finalement, après des opérations menées pour tenter de limiter l’émission de particules radioactives dans l’océan, un système de refroidissement en circuit fermé est installé, près de 90 000 litres d’eau hautement radioactive ayant servi au refroidissement sont récupérés par un système de pompe et dé-contaminés grâce à un système fourni par le groupe Areva. Fin 2011, la température des cuves est stabilisée. L’accident nucléaire ne fait aucune victime en lui-même, mais connaît un retentissement médiatique mondial important et relance surtout le débat sur l’énergie nucléaire dans plusieurs pays, provoquant une crise de confiance pendant plusieurs années parmi les décideurs politiques et l’opinion publique (nous verrons par la suite qu’il a également provoqué au Japon la totale remise en question du modèle énergétique). Au total, 128 558 bâtiments sont rasés et 916 883 autres partiellement détruits, les destructions et les mouvements de foule engendrés par le sinistre font 15.894 victimes et forçent quelque 341 411 personnes à vivre provisoirement à la rue. 52 882 logements provisoires seront construits d’urgence. Le coût total de la reconstruction sera estimé à 20.500 milliards de yen, soit 200 milliards d’euros1. (source : CNN)

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Source : CNN, Munich Re, IPPWEN / PSR, World War Nuclear Association


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Source : Yoshizaku Tsuno

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Fig 12. Des employés de TEPCO le 28 février 2012 devant la centrale nucléaire de Fukushima (Photo Yoshizaku Tsuno)


C / MESURES PRISES SUR LE COURT TERME ET CONSÉQUENCES SUR LA POPULATION. LES AUTORITÉS MISES EN CAUSE

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1. Un système de zones d’évacuation, puis de zones d’exclusion en réaction au danger radioactif Comme expliqué plus tôt, l’explosion d’un des cœurs de la centrale nucléaire a provoqué l’expulsion dans l’air d’un panache radioactif contenant des éléments comme le césium 137, le césium 134 et l’iode 131. Selon les estimations, grâce au système d’enceinte de la centrale nippone, les rejets occasionnés étaient dix fois moins importants que lors de l’accident de Tchernobyl, avec des émissions intermittentes dues à une météo instable1. (Source : NISA) Anticipant les retombées radioactives dans l’eau, dans l’air et sur les terres, les autorités mettent en place un système de “zones d’évacuation” (décrit plus haut) qui laissera place le 22 avril à un ensemble de zones préparées à l’évacuation en plus du rayon évacué de 20 kilomètres autour de la centrale. Ces zones concernent alors 59 000 personnes dans 5 municipalités.

Fig 13. On observe la zone circulaire d’évacuation forcée d’un rayon de 20 kilomètres autour de la centrale et autour, la zone préparée à l’évacuation et au nord-ouest, la zone évacuée à cause de la trajectoire prise par le panache radioactif. (Source : Designating and rearranging the areas of evacuation, cabinet office, japan support team for residents affected by nuclear incidents, 23 juillet 2012, document retouché par l’auteur)

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Source : NISA (Nuclear and Industrial Safety Agency)

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Enfin, après une série de vérifications visant à mettre à l’écart l’hypothèse d’une aggravation de la situation sur le site de la centrale, le gouvernement décide d’appliquer un nouveau système dit de “zones d’exclusion”. Ces zones sont réparties en 3 grands niveaux de dangerosité, déterminés par la dose annuelle moyenne de radioactivité reçue par an pour toute personne y résidant. La dose annuelle moyenne s’exprime en millisieverts par an, l’unité de référence créée en 2004 pour évaluer la quantité de rayonnement admis par l’homme sur une année et son impact. Il faut savoir qu’en France, la réglementation fixe à 1 millisievert par an la dose maximale admissible résultant des activités humaines en dehors des métiers du nucléaire et des doses reçues lors d’examens d’imagerie médicale. Rappelons que la population française est exposée chaque année à une dose efficace par habitant de 3.7 mSv, dont seulement 0.06 mSv serait lié à l’activité humaine. Pour des personnes qui travaillent avec des radiations ionisantes (travailleurs du nucléaire par exemple), la limite est de 100 mSv pour un ensemble de 5 années consécutives. La réglementation internationale recommande cependant un maximum de 50 mSv pour une seule année et la réglementation française, plus stricte encore, fixe sa recommandation à 20 mSv/an. - Courant Novembre 2011, il est estimé que la dose efficace par an n’excède pas les 20 mSv/an dans la zone verte (Fig 14), ce qui permet dans un premier temps des opérations de relevés, de décontamination et de restauration des infrastructures qui seront décrite plus tard, dans l’optique d’un retour sur site de la population dans les mois à venir. - Dans la zone orange, les mesures indiquent une dose efficace supérieure à 20 mSv/an, ce qui encore une fois, permet des opérations de décontamination avec un encadrement de l’activité humaine pour empêcher les travailleurs d’être soumis trop longtemps au radiations.Le retour de la population n’y est alors pas prévu avant plusieurs années. - Enfin, la zone rouge concerne des doses efficaces excédant les 50 mSv/an. Les actions qui y sont menées doivent alors être de courte durée et extrêmement encadrées.


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Fig 14. Système de zones d’exclusion daté du 17 juillet 2012. Source : Ministère japonais de l’économie, du commerce et de l’industrie (Document retouché par l’auteur)

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A ce moment-là, la ville de Tomioka (de nouveau accessible aux résidents permanents à partir du 1er avril 2017) est parcourue par les 3 différents types de zones, dont l’emprise est vouée à évoluer avec le temps, grâce notamment aux opérations de décontamination des sols, mais également à la dissipation naturelle de la radioactivité. On rappelle en effet que l’iode 131 a une demie-vie de seulement 8 jours dans l’atmosphère et que le césium a une demie-vie de seulement 2 années. La demie-vie correspond à la période nécessaire à une élément radioactif pour voir la moitié de ses noyaux radioactifs se désintégrer (le rythme de désintégration n’étant pas constant, la destruction de la seconde moitié des noyaux peut être plus longue que la première). C’est cependant le césium 137 qui pose problème, avec une demie vie d’environ 30 ans.

Fig 15. Après le passage du raz-de-marée, la ligne de pins qui séparait la ligne côtière des terres a été emportée. La pression de l’eau exercée sur les sols et le dépôt de sel marin rendent les terres provisoirement impropre à toute culture (Photo L.Nespoulos, mai 2014 au sud de Minami-Soma à 20 kilomètres au nord de Tomioka, zone verte)


01 2. Une mauvaise gestion de la crise ? D’après une étude française de l’IRSN (institut de radioprotection et de sécurité nucléaire), il est reproché à TEPCO et à la NISA (l’agence de sûreté nucléaire et industrielle japonaise, dissoute en septembre 2012) d’avoir sous-estimé les risques pesant sur la centrale et de n’avoir pas su gérer de façon appropriée la situation post-accidentelle.

L’accident de Daiichi a entraîné des rejets de substances radioactives dans l’atmosphère sous forme de très fines particules. Ce qui inquiète les experts français, c’est que les estimations fournies par l’exploitant de la centrale concernant les quantités de déchets radioactifs rejetées dans l’air sont bien inférieures à celles estimées par l’IRSN.

Pour beaucoup de citoyens japonais, le gouvernement n’a pas été suffisamment inquiet par rapport à la situation de Fukushima, leur faisant parvenir des informations contradictoires avec pour conséquence une évacuation et des opérations de sauvetage fortement ralenties. L’incompétence du gouvernement aurait, selon plusieurs rapports publiés après l’accident, favorisé la gravité de ce dernier. Le 12 octobre 2012, la compagnie d’électricité japonaise Tepco, qui exploite la centrale nucléaire de Fukushima Daiichi, a admis pour la première fois qu’elle avait minimisé le risque de tsunami, de peur qu’une fermeture soit exigée pour améliorer la sécurité. Autre fait marquant, des robots capables d’agir dans des environnements exposés aux radiations avaient été conçus au Japon après l’incident nucléaire de Tokaimura en 1999, mais les fonds de recherche furent interrompus et les prototypes furent exposés dans des musées. En effet, le gouvernement considérait que le peuple refuserait de supporter le projet nucléaire s’il savait qu’il existait des scénarios dans lesquels de tels robots seraient indispensables1. (Source : Yoichi Funabashi)

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Source : Yoichi Funabashi, «The end of japanese illusions» New York Times, 11 mars 2012)

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La confiance des japonais envers leur gouvernement a donc été fortement atteinte, entre la mauvaise gestion de la crise et la preuve de la grande dangerosité de l’emploi du nucléaire, qui fournissait au pays, avec 54 réacteurs, 24.6% de son électricité en 2010. (Fig 16)

Fig 16. Localisation des centrales nucléaires au Japon en 2010. Source : National report of japan for the fifth review meeting of the convention on nuclear safety. Septembre 2010, Gouvernement du Japon.


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Fortement marqué par les bombardements atomiques de Hiroshima et Nagasaki, le peuple japonais est réceptif aux messages des groupes antinucléaires, qu’il s’agisse du nucléaire civil ou militaire. Après l’accident du 11 mars 2011, l’opinion publique japonaise se détourne massivement du nucléaire comme source d’énergie. En Novembre 2014, un sondage commandé par la Japan Atomic Energy Relations Organization (JAERO) montre que seulement 1,3% des japonais souhaitent une augmentation de la capacité nucléaire du pays, et 64% demandent une sortie progressive ou immédiate du nucléaire, faisant des anti-nucléaires une écrasante majorité. (Fig 17)

Fig 17. Résultats d’un sondage sur l’opinion des japonais à l’utilisation future du nucléaire. Source : Japan Atomic Industrial forum inc. Japanese opinion poll finds that views on nuclear power turn slightly positive.

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En plus du danger et des bouleversements politiques et économiques qui ont été provoqués par cet évènement, ce sont des dizaines de milliers de personnes qui sont profondément traumatisées par la perte de membres de leur famille, de leur logement, de leur travail, de leur cadre de vie… Les conditions de relogement sont difficiles, les systèmes de logements vacants mis à disposition des victimes par les villes proches sont insuffisants1. (source : cairn info) Pour l’ensemble du pays, 24 000 logements sont disponibles, dont seulement 1700 dans la région de Tohoku, avec une période de gratuité allant initialement de 6 mois à 1 an. L’attribution se fait par tirage au sort. Huit mois après la catastrophe, seuls 7900 logements communaux et préfectoraux avaient été attribués. La lenteur des attributions s’expliquait en partie par le manque d’accès à internet de ces refuge, ne pouvant alors transmettre que peu d’information. Des dizaines de milliers de personnes sont alors soit sans abris, soit réfugiées dans des logements provisoirement gratuits qu’il faudra bientôt louer, ce qui nécessite de trouver très rapidement un travail, seulement quelques mois après avoir tout perdu. Selon l’étude d’un universitaire japonais, 60% des personnes réfugiées souffrent alors d’un syndrome post-traumatique, certaines subissent la discrimination de leur commune d’accueil, les cas de suicides se multiplient. En plus de cela, le gouvernement commence dès 2012 à forcer le retour dans les premières zones décontaminées des populations qui les occupaient avant l’accident. Ainsi, parmi les mesures de dissuasion apparaissent notamment les points suivants : • La gratuité du suivi sanitaire des enfants n’est assurée que si l’enregistrement de la résidence dans la préfecture de fukushima est maintenu, ce qui entraîne l’impossibilité de scolariser les enfants dans une autre préfecture; • Des aides à venir pour le refuge dans la préfecture de fukushima (appel au retour des populations) vont être mises en place, alors que simultanément, la gratuité des logements publics mis à disposition aura pris fin le 28 décembre 2012.

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Source : Cairn info : «Fukushima, une démocratie en souffrance» Cécile Asanuma-Brice dans «outre-terre» 2013 n°35-36 pages 457 à 470


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Source : The Japan Times

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02 LES DISPOSITONS ET LEURS CONSEQUENCES


A / LES DISPOSITIONS PRISES PAR LE GOUVERNEMENT

Le 26 août 2011, le gouvernement japonais met en place un vaste plan d’urgence gouvernemental destiné à reconstruire, repeupler et nettoyer les zones détruites par le tsunami et contaminées par l’accident nucléaire de Fukushima Daiichi. Il permet d’apporter une assistance sanitaire aux populations touchées par le séisme, où 150 000 personnes ont dû évacuer, et où l’ampleur des dégâts s’estime à plus de 150 milliards d’euros1. Très vite, l’Etat japonais mobilise des moyens titanesque pour reconstruire les communes sinistrées et permettre le retour sur site des zones polluées par

les rejets radioactifs de la catastrophe nucléaire. L’équivalent de 2% du PIB du Japon, soit plus de 250 milliards d’euros2, est alloué à la reconstruction de la région de Tohoku, ainsi qu’à la repopulation d’une zone contaminée par un accident nucléaire civile massif. C’est une première dans l’histoire moderne.

1

Afp, L. M. A. (2011, 24 juin). Les destructions du tsunami au Japon chiffrées à 150 milliards d’euros. Le Monde.fr. https://www.lemonde.fr/asie-pacifique/article/2011/06/24/les-destructions-du-tsunami-au-japon-chiffrees-a150-milliards-d-euros_1540712_3216.html

2

Conca, J. (2016, 27 avril). After Five Years, What Is The Cost Of Fukushima? Forbes. https://www.forbes.com/sites/ jamesconca/2016/03/10/after-five-years-what-is-the-cost-of-fukushima/?sh=3970b03622ed

Fig 18. Débris et ruines chariés par le tsunami du 11 Mars 2011 (crédits : RIssei Kato/Reuters)

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A / LES DISPOSITIONS PRISES PAR LE GOUVERNEMENT 1. Le temps court : La dépollution des sols a. La planification : les zones d’exclusion

La conséquence directe de l’incident nucléaire fut l’instauration de différentes zones d’exclusions correspondant aux territoires touchés par les retombées radioactives ayant suivi la catastrophe de Daiichi. Bien que leur fonction première ait été de protéger les habitants d’une exposition aux radionucléides s’étant dispersés dans l’air et dans les sols, le gouvernement japonais a également classifié ces zones afin d’organiser son action territoriale de nettoyage et de reconstruction pour permettre un retour de vie des habitants arrachés à leurs terres.

Ainsi, une planification étalée sur une dizaine d’année a accompagné la constitution de ces zones d’exclusions, prévoyant un nettoyage méthodique de ces espaces (fig 19), une planification urbaine pour la reconstruction des villes détruites, une reconfiguration des infrastructures lié aux transports et une réimplantation des établissements publics délaissés. Cette planification continue de dicter les investissement et la reconquête de la province de Fukushima, et s’est organisé autour de trois temps d’intervention, que nous allons étudier : le temps court, ayant suivi la catastrophe; le temps moyen, organisant la base d’un retour durable des habitants; et le temps long, assurant la prospérité des communes autour de la centrale de Fukushima Daiichi.


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Fig 19. Un ouvrier chargé du nettoyage des sols contaminés (crédits : Recoquillé-Bression / IRSN)

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A / LES DISPOSITIONS PRISES PAR LE GOUVERNEMENT 1. Le temps court : La dépollution des sols b. Stocker et traiter les sols pollués

La première action forte du gouvernement fut de limiter l’exposition à la radioactivité des territoires touchés en cherchant à traiter les sols pollués, par opération de décapage systématique de la terre. Cette opération, menée sur plus de 9000 km2 et sur une profondeur de 5 centimètres, avait pour fonction de prélever la terre polluée avant de l’entreposer dans des espaces de stockages hermétiques, dans plus de 50 communes touchées par les retombées radioactives1.

Cette opération de raclage de la terre, jamais expérimentée ailleurs avant la catastrophe de Fukushima, visait à prélever l’immense majorité du césium 137, isotope radioactif particulièrement nocif qui constituait le principal risque pour les populations humaines. Ce dernier, dont la demi-vie s’étend sur 30 ans et dont la radioactivité ne disparaît qu’au bout de 300 ans, ne se dépose que dans les couches superficielles du sol. En prélevant la terre sur une épaisseur d’environ 50 centimètres, essentiellement sur les anciennes parcelles agricoles, le gouvernement japonais a permis de faire baisser les taux de radioactivité de 80%, faisant retomber la radioactivité dans des taux raisonnables permettant un retour des activités humaines2. Cependant, ce procédé estimé à environ 20 milliards d’euros présente un inconvénient de taille. Bien qu’il soit efficace sur les parcelles traitées, il produit de grandes quantités de déchets - correspondants aux terres excavées - qu’il faut stocker, et qui sont difficiles à traiter. Ces plus de 20 millions de mètres cube de terre pollués, empilés dans sur d’anciennes parcelles agricoles converties en zones de stockage, doivent donc être dépolluées, ou stockées sur une période s’étalant sur 300 ans avant qu’ils ne soient plus dangereux (Fig 20).

1

GEO & AFP. (2019, 12 décembre). Fukushima : la décontamination des sols a fortement réduit la radioactivité. Geo.fr

2

IRSN. (2019, mars). Les conséquences sanitaires de l’accident de Fukushima - Bilan de la surveillance sanitaire et des études épidémiologiques conduites chez les habitants de la préfecture de Fukushima - Point de la situation en mars 2019


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L’Etat semble privilégier la thèse du traitement de ces terres, en ayant mis en place un vaste appel à projet au nom du ministère de l’environnement visant à recueillir de nouveaux procédés de décontamination des terres contaminées au césium 137.

Fig 20. Zones de stockage des sacs de terre contaminées au césium 137 (source : Global 2000, Flickr)

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Parmis les 8 propositions retenues sur un total de 19, une technologie française développée conjointement par le CEA, IRSN, Inra, CIRAD, Veolia et Areva baptisée Demeterres permet de récupérer 0 à 85 % de la masse initiale de terre, dans laquelle il ne reste après traitement que 33 % à 50 % de la quantité de radioactivité initiale1. Malgré ces investissements colossaux et ces recherches de dépollution, de nombreuses parcelles du territoire n’ont pas pu être traitées, majoritairement des forêts. Ces dernières, qui constituent pour ¾ des zones polluées bien que non habitées, constituent un réservoir potentiel à long terme d’isotopes radioactifs, dont le césium 137 et le strontium. C’est un problème majeur puisque l’érosion, les tempêtes et les typhons, ainsi que les hypothétiques futures catastrophes naturelles pourraient entrainer par ruissellement des pluies sur ces terrains la contamination du réseau hydrographique de la région. Ce faisant, la gestion de l’eau est également un enjeu majeur dans la repopulation des communes sinistrées.

1

CEA. (2018, 22 mars). Fukushima : un procédé français de dépollution décontamination des terres expérimenté au Japon. CEA/Espace Presse. https://www.cea.fr/presse/Pages/actualites-communiques/energies/Fukushimaroce de-fran%C3%A7ais-depollution-decontamination-terres-japon.aspx


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Fig 21. Empilement des sacs de stockage de terre radioactive (source : Toru Yamanaka, AFP)

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A / LES DISPOSITIONS PRISES PAR LE GOUVERNEMENT 1. Le temps court : La dépollution des sols c. Stocker et traiter l’eau polluée

La gestion de l’eau dans le cadre de la catastrophe de Fukushima Daiichi était et demeure encore aujourd’hui l’un des points névralgiques de la résolution de la crise. Bien qu’une partie des terres aient été raclées, la pollution des sols ne s’est pas exclusivement fixée aux zones ayant été traitées. Il y a en effet eu des retombées sur les forêts, des infiltrations dans les nappes phréatiques, lesquelles n’ont pas ou peu été traitées suite à la catastrophe. En outre, une forte méfiance subsiste à l’égard du stockage des eaux ayant servi à refroidir les réacteurs entrés en fusion dans la centrale de Fukushima Daiichi. Les réacteurs 1, 2 et 3 de la centrale nécessitent un refroidissement permanent à l’eau douce, lequel produit un excédent d’eau radioactive qu’il convient de stocker. C’est cette eau, qu’il faut dépolluer avant de la stocker dans des cuves hermétiques, qui pose aujourd’hui problème au gouvernement japonais : les stockages prévus, dont la capacité maximale était de 1 370 000 mètres cubes d’eau, arrivent à saturation avec actuellement environ 1 200 000 mètres cubes d’eau stockée1. L’Etat prévoit donc un rejet potentiel de cette eau à la mer, ce qui ne manque pas d’inquiéter les locaux ainsi que les pays limitrophes, soucieux d’une nouvelle pollution côtière hypothétique. Afin de répondre à ces différents enjeux, le gouvernement japonais a imposé à l’entreprise TEPCO, exploitant des centrales nucléaires du pays, de traiter les eaux stockées afin de les dépolluer. Il a par ailleurs installé, sur l’ensemble des infrastructures d’eau potable des communes touchées, une batterie de dosimètres dont la fonction est de monitorer en temps réel les taux de radioactivité de l’eau, afin de s’assurer de sa potabilité. L’enjeux est d’être capable de surveiller d’une part les rejets dans l’océan de radionucléides, et d’autre part d’observer leur présence dans le circuit d’approvisionnement en eau douce des habitants des localités touchées par l’incident en 2011.

1

Alexandra VÉPIERRE, A. V., & Patrice Francois, P. F. (2021, 10 mars). Fukushima : 10 ans de démantèlement. Tech niques de l’Ingénieur. https://www.techniques-ingenieur.fr/actualite/articles/fukushima-10-ans-de-demantele ment-90431/


02

En ce qui concerne l’eau polluée servant au refroidissement des réacteurs de la centrale de Daiichi, des solutions ont été apportées par Areva, mandatée par TEPCO, chargée de constituer un système de refroidissement des réacteurs endommagés. Constitué de plusieurs installations, le système d’Areva permet de décontaminer les eaux utilisées dans le refroidissement de la centrale de la plupart de ses radioéléments, tels que le strontium ou le césium, avant de la réinjecter dans les réacteurs1. Ce procédé, en boucle fermée, produit un excédent d’eau que le gouvernement Japonais a choisi de stocker dans de grandes cuves autour de la centrale. C’est cette eau qui inquiète la population et les pays voisins du Japon, soucieux d’éviter à tout prix une nouvelle pollution côtière. Pourtant, le procédé d’Areva décontamine cette eau dans une installation, l’ALPS, qui permet de traiter 62 de ses éléments radioactifs résiduels, laissant uniquement le tritium - élément radioactif de l’hydrogène - dans des proportions relativement faibles. On considère en effet qu’environ 16 grammes de tritium sont actuellement présents pour un million d’eau stockée à Daiichi, et qu’il est tout à fait envisageable de rejeter cette eau à la mer, en la diluant et en contrôlant sa dispersion2. Il est admis par la communauté internationale que l’on peut rejeter en nature du tritium, car cet élément est nocif pour l’homme que lors de l’ingestion de fortes doses concentrées, et ne présente pas de danger à une exposition directe3. Par élément de comparaison, l’usine de traitement des déchets radioactifs de la Hague, située en France, rejette en deux deux mois l’équivalent de l’ensemble du tritium aujourd’hui présent sur le site de Fukushima.

1

AREVA. (2011, 19 avril). AREVA va mettre en place un procédé de décontamination de l’eau pour le site de Fukushima. Sa.Arvea.com. https://www.sa.areva.com/FR/actualites-8856/areva-va-mettre-en-place-unprocede-de-decontamination-de-l-eau-pour-le-site-de-fukushima.html

2

Rousseau, Y. (2020, 28 janvier). Comment 16 grammes de tritium dans un million de litres d’eau paralysent Fukushima. Les Echos. https://www.lesechos.fr/industrie-services/energie-environnement/comment-16grammes-de-tritium-dans-un-million-de-litres-deau-paralysent-fukushima-1166730

3

Nucléaire, A. D. S. (2019, 17 octobre). Surveillance et limitation des rejets de tritium des installations nucléaires. ASN. https://www.asn.fr/Informer/Actualites/Surveillance-et-limitation-des-rejets-de-tritium-des-installa tions-nucleaires

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Ce n’est pas non plus insignifiant, mais le problème tel que le décrit Patrice Francois, en charge du suivi de projets internationaux du démantèlement d’installations nucléaires et de la gestion des déchets à l’IRSN, est politique. “Le problème ne vient pas d’un impact radiologique car l’eau ne sera rejetée qu’après avoir été complètement décontaminée. Il restera seulement du tritium. Le rejet de l’eau est techniquement réalisable en respectant les autorisations de rejets en mer de la centrale de Fukushima établies avant l’accident. Il s’agit plutôt d’un problème politique. Les locaux, les marins-pêcheurs et les pays limitrophes s’opposent au rejet en mer. La région a beaucoup souffert de l’impact de la catastrophe et conserve désormais une forme de méfiance. Mais il s’agit d’un problème de perception et de méconnaissance des risques réels. Cela étant, il y a aujourd’hui sur le site environ 1 200 000 mètres cubes d’eau entreposée, et les capacités d’entreposage sont limitées à 1 370 000 mètres cubes. Au rythme actuel, les installations devraient être saturées autour de l’été 2022, d’où l’urgence de trouver une solution.” Patrice Francois, pour Techniques de l’Ingénieur

Le doute est d’autant plus présent qu’actuellement, mis à part les installations de mesure de radionucléides sur le réseau d’eau potables des villes ayant été touchées, aucune installation de filtration spécifique à la pollution nucléaire n’a été installée. De nombreux habitants doutent de ces capteurs, et certains médecins préconisent d’éviter la consommation de l’eau du robinet, hypothétiquement polluée par les pluies ruisselantes des montagnes, qui passent par la forêt, non décontaminée. C’est le cas de Toni Takahisa, médecin dans la nouvelle clinique de la ville de Naraha -l’une des communes touchées par la catastrophe nucléaire- qui considère que les ruissellement des eaux de pluis contamine le réseau hydrographique de la région.


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“Je considère que l’eau est potentiellement dangereuse ici à cause du Strontium-90. Les jours de pluie, les substances radioactives descendent des montagnes et contaminent la rivière dans laquelle le réseau d’eau potable s’approvisionne ». Cet élément radioactif est difficilement détectable, car il n’émet pas de rayons gamma comme le Césium-137, élément principal de mesure du risque. Mais il serait plus dangereux, car il reste plus longtemps dans le corps.”

Toni Takahisa, pour Le Devoir

Le doute est d’autant plus présent qu’actuellement, mis à part les installations de mesure de radionucléides sur le réseau d’eau potables des villes ayant été touchées, aucune installation de filtration spécifique à la pollution nucléaire n’a été installée. Malgré tout, on constate depuis quelques années une diminution de la pollution de l’eau, sur terre comme en mer. En 2015, Jean-Christophe Gariel - adjoint du directeur de l’environnement à l’IRSN - déclarait :

“Au large, au-delà de 200 km de la côte, la contamination de l’eau en césium-137 est retombée à des niveaux proches de ceux observés avant l’accident. [...] Assurément, depuis cinq ans, la radioactivité décroît. Mais on n’a traité que 10 % du problème.” Jean-Christophe Gabriel, pour LCI

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A / LES DISPOSITIONS PRISES PAR LE GOUVERNEMENT 2. Le temps moyen : La retour sur site a. Déconstruire pour reconstruire : la muraille et le préfabriqué Depuis la catastrophe, la quasi-totalité des infrastructures littorales situées en plaines ont été détruites. L’état a décidé, plutôt que de re-densifier les hauteurs, de construire une muraille de plus de 400 kilomètres de long sur la côte de la région de Tohoku, afin d’assurer une reconquête des plaines côtières, et de les protéger des prochains tsunamis à venir. C’est le symbole de la catastrophe de 2011, puisque cette “Grande muraille du Japon”, telle qu’elle a été surnommée par les habitants, s’étend partout, parfois jusqu’à 14 mètres de hauteur1 (fig.22, fig.23). Elle est censée prodiguer une protection maximale, prenant comme référence la hauteur de la vague lors de la catastrophe - jusqu’à 9m constatés par endroits - en majorant le risque potentiel2. Cette muraille titanesque, dont le coût est estimé à 17 milliards de dollars, n’a pas qu’une fonction pragmatique de protection des côtes. Pour le gouvernement japonais, c’est un symbole de protection, un investissement pour convaincre la population sinistrée d’un retour possible et durable dans les villes côtières de la région de Tohoku. La muraille est, en quelque sorte, le gage de la reconstruction des zones sinistrées par le passage de la vague : sans elle, nul retour ne pouvait être envisagé. Ainsi, protégés par cette immense digue, les quartiers rasés par le tsunami sont configurés de sorte à accueillir des bâtiments en préfabriqué neufs, et les quartiers ayant survécu sont traités afin de nettoyer l’éventuelle radioactivité résiduelle. De nouveaux quartiers naissent également sur les espaces dévastés par le Tsunami, à l’image du Village Compact à Naraha, l’une des communes les plus durement touchées située à 20 km de la centrale de Fukushima Daiichi.

1

Bangkok Post Public Company Limited. (2021, mars 5). Towering sea wall legacy of Japan’s 2011 tsunami. bang kokpost.com. https://www.bangkokpost.com/world/2078823/towering-sea-wall-legacy-of-japans-2011-tsunami

2

ABC. (2021, 3 mars). The Great Wall of Japan. Foreign Correspondent. https://www.abc.net.au/foreign/thegreat-wall-of-japan/13207460


02

Ces quartiers, dont l’urbanisme et la gestion sont confiés aux autorités de la ville, sont le plus souvent créés en périphérie des centre-villes, sur les espaces laissés vierges des anciennes cultures rizicoles. Ils se composent de maisons, sérialisées pour des raisons de coûts, et s’organisent le plus souvent autour des nouvelles infrastructures reconstruites, telles que des cliniques1, écoles, ou centres culturels et sportifs2. A Naraha, la commune comptait près de 8000 habitants avant la catastrophe; en 2017, ils étaient 1500 à être revenus sur site, et la ville comptait 300 nouveaux habitants.

Fig 22. Un homme marche sur la digue du village de Yamata, près d’Iwaki (crédit : Reuters/Kim Kyung-Hoon)

1

Chodorge, S. (2021, 12 mars). Dix ans après l’accident nucléaire de Fukushima, “la reconstruction représente un choc”. usinenouvelle.com. https://www.usinenouvelle.com/editorial/dix-ans-apres-l-accident-nucleaire-defukushima-la-reconstruction-represente-un-choc.N1069249

2

Thomas M. Hurtut, T. M. H. (2017, mai). Naraha, ville qui tente de revivre après Fukushima. Le Devoir. https://www. ledevoir.com/documents/special/17-08_naraha-fukushima/index.html

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Fig 23. «La Grande Muraille du Japon», en construction (crédit : Tadashi Ono)


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A / LES DISPOSITIONS PRISES PAR LE GOUVERNEMENT 2. Le temps moyen : La retour sur site b. Désenclavement des zones d’exclusions

Afin de planifier la reconquête des territoires perdus, l’État a étalé le retour sur site des villes et communes touchés par la catastrophe nucléaire sur une quinzaine d’années. De nos jours, 10 ans après les événements du 11 mars 2011, la plupart des zones touchées sont redevenues habitables, à l’exception de la zone d’exclusion restreinte autour de la centrale de Fukushima Daiichi. Cependant, malgré la levée des restrictions, le nombre de candidats au retour ayant perdu leur logement reste faible.

Afin d’accélérer un retour des populations sur site, l’Etat a voulu restaurer les infrastructures publiques, abandonnées ou détruites pendant l’incident, ainsi que les flux d’échanges de marchandises et de transport des populations, afin d’achever le désenclavement des territoires sinistrés. Le plan de relance du gouvernement japonais prévoyait donc dans un premier temps de restaurer les lignes d’échange direct avec les villes alentour de la province de Fukushima, telles que Tokyo et Sendai, en reconstruisant les équipements et infrastructures détruites par le tsunami et le tremblement de terre. Les routes et voies de chemin de fer, à l’image de la Joban Expressway et de la Joban Line reliant Tokyo à Sendai, sont la connexion principale de la plupart des communes touchées avec le reste du Japon. Après avoir été partiellement détruites ou endommagées, certaines portions ont été reconstruites, d’autres restaurées, afin de s’assurer d’une résistance accrue aux catastrophes naturelles et d’une exposition minimale aux rayonnements radioactifs dans les zones où ces infrastructures passent au plus près de Fukushima Daiichi.


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Sur ces infrastructures, des choix ont été fait pour honorer ces engagements: la Joban Expressway a été construite selon des procédés spéciaux1 pour limiter les ruissellements d’eau contaminées sur son tracé, et six dosimètres ont été installés au bord des 14km de section d’autoroute passant proche de la centrale afin de rassurer le conducteur en temps réel sur les taux de radioactivité enregistrés sur la route. La Joban Line, ligne de chemin de fer

fermée depuis l’incident, a quant à elle pu rouvrir le 14 mars 2020, 9 ans après la catastrophe. Plusieurs tronçons, dont ceux passant à proximité de la centrale, ont été reconstruits sur viaduc afin de protéger la ligne d’hypothétiques tsunami et de réduire au maximum les risques d’exposition à la radioactivité2. En parallèle de la restauration de ces infrastructures, l’Etat a voulu réinvestir les villes sinistrées en y re-déployant des équipements publics, détruits ou laissés à l’abandon après la catastrophe. Dans les communes de Tomioka3 et de Futaba, de nouvelles cliniques médicales ont ainsi été créées afin de rassurer les populations locales sur leur suivi médical, et de nouvelles écoles ont été construites, comme à Naraha. Les commissariats, centres commerciaux, complexes sportifs ou manufactures d’artisanat repeuplent progressivement les communes, permettant peu à peu aux habitants de retrouver un cadre de vie proche de la normale.

1

Hongo, J. (2015, 19 février). Highway to Open Near Fukushima Nuclear Plant ; No Exits Allowed. WSJ. https://www. wsj.com/articles/BL-JRTB-19260

2

Jun Hongo, J. H. (2020, 14 mars). JR East’s Joban Line fully reopens after nine long years following Fukushima disaster. The Japan Times. https://www.japantimes.co.jp/news/2020/03/14/business/corporate-business/jreast-joban-line-reopen-fukushima-disaster/

3

Ministry of Economy, Trade and Industry & Japan Times. (2018, 27 juillet). Recovery is progressing step by step in Tomioka, Fukushima Prefecture. METI Journal. https://meti-journal.japantimes.co.jp/2018-07-27/

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L’Etat japonais a particulièrement tenu à mettre en valeur ces investissements à l’occasion des Jeux Olympiques de Tokyo, en faisant passer la flamme olympique parmi les communes en reconstruction, et en proposant la tenue de certaines épreuves dans certaines d’entre elles1. Perçu par beaucoup comme une grande campagne de promotion afin de

mettre en avant les produits issus de Fukushima et de montrer les investissements fait sur site, les JO de Tokyo avaient également pour fonction de désenclaver politiquement la région des localités environnantes. En mettant en avant la résilience japonaise et un semblant de retour à la normalité, l’intention du gouvernement est de restaurer l’image de la préfecture auprès du monde, mais également auprès des japonais, lesquels marginalisent ses habitants et ses produits par peur et par méfiance.

Fig 24. Iwashimizu Azusa , membre clé de l’équipe féminine de football du Japon, court la Torche au milieu des commune sinistrées de 2011 (crédit : Tokyo2020.Org)

1

Olympic Games Org. (2021, 28 avril). Highlights from the Olympic Torch Relay in Fukushima. Tokyo 2020. https:// olympics.com/tokyo-2020/en/torch/news/highlights-watch-the-olympic-torch-relay-in-fukushima


A / LES DISPOSITIONS PRISES PAR LE GOUVERNEMENT

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2. Le temps moyen : La retour sur site c. Le retour de la population, imposé ou volontaire Suite à la catastrophe et nous l’avons vu, plusieurs dizaines de milliers de personnes ont été délocalisées vers des villes environnantes telles que Iwaki, ou sont parties se réfugier auprès de leurs familles ailleurs au Japon, notamment à Tokyo ou à Sendai. Après le nettoyage et l’ouverture progressive des zones d’exclusion, une partie de la population a manifesté sa volonté de revenir vivre sur site, tandis que l’autre est demeurée réticente à l’idée, parfois en raison du traumatisme vécu, et parfois par méfiance1.

Malgré cette réticence, et la méfiance affichée d’une partie conséquente de la population, la volonté de l’Etat a rapidement été de repeupler rapidement les zones sinistrées. Il a engagé pour cela de vastes campagnes de promotion des sites à repeupler à travers les médias, mettant en avant les investissements effectués pour restaurer les villes et villages sinistrés, affichant un apparent “retour à la normalité”. En ce sens, c’était l’une des fonction de la tenue des J.O de Tokyo, dont certaines épreuves devaient se dérouler à Fukushima : en mettant en scène un événement sportif international dans la région, le gouvernement Japonais souhaite montrer au monde une nouvelle image de la région, qu’il déclare s’être relevée de la catastrophe.

Fig 25. Fukushima, nouveau stade construit pour recevoir les JO de 2020-20201 (crédit : Christian Aslund/Greenpeace)

1

Rieu, A. (2016). Fukushima : une mutation épistémico-politique. Rue Descartes, 1(1), 48-65. https://doi.org/10.3917/ rdes.088.0048

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Cependant, le retour de vie sur site se fait pour beaucoup des anciens habitants à marche forcée. L’Etat, qui a subventionné pendant longtemps le relogement des habitants touchés par l’accident, à progressivement stoppé l’allocation de ces aides, poussant certains à revenir s’installer sur site, pour la plupart dans de nouveaux logements en préfabriqué. Par ailleurs, retourner habiter dans les anciennes zones d’exclusions permet de bénéficier d’une

fiscalité particulièrement avantageuse : les candidats au retour bénéficient d’un logement gratuit pendant deux ans, et d’infrastructures publiques le plus souvent neuves, subventionnées par l’entreprise TEPCO, jugée en partie responsable de l’accident de Daiichi. Pour tous ceux qui vivent dans des conditions économiques compliquées, marginalisés par une partie des japonais, cette fiscalité avantageuse permet de se projeter dans un semblant de retour à la normale, loin des logements d’urgence déployés après la catastrophe et du contexte social tendu dans lequel ils vivent (fig. 26).

Fig 26. Quartier d’habitat d’urgence à Iwaki (crédit : Jack Dabaghian)


A / LES DISPOSITIONS PRISES PAR LE GOUVERNEMENT

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3. Le temps long : la transition écologique a. Création des centrales solaires

Suite à la destruction du littoral par le tsunami et à la contamination des sols par les rejets radioactifs, l’immense majorité des terres agricoles situées dans les territoires des zones d’exclusion se sont retrouvées inexploitables. L’activité économique historique de ces régions étant l’agriculture, l’État a dû imaginer la création d’un nouveau secteur d’activité économique pour ces provinces. Face à la perte nette de 20% de leur production énergétique, correspondant à la part du nucléaire dans le mix énergétique japonais de la pré-catastrophe, des investissements massifs ont été fait pour favoriser l’installation d’énergies renouvelables dans la région, soutenues par une opinion publique favorable. Ainsi, sur une portion des plaines côtières des zones contaminées laissées libres par leur exploitations, ont été implanté de vastes fermes solaires, composées de panneaux photovoltaïques. La région de Fukushima est grâce à cela rapidement devenue une région pionnière au Japon en matière de production d’énergie photovoltaïque, soutenant son développement et portant à 7% sa part dans le mix énergétique global du Japon. Ce faisant, le pays se classait en 2019 au 3e rang mondial des producteurs d’électricité solaire, avec 11,3 % du total mondial, derrière la Chine et les États-Unis1.

1

Leglu, D. (2021, 10 mars). 10 ans après Fukushima, la production des énergies renouvelables talonne celle du nucléaire au niveau mondial. Sciences et Avenir. https://www.sciencesetavenir.fr/nature-environnement/ nucleaire/10-ans-apres-fukushima-la-production-des-energies-renouvelables-talonne-celle-du-nucleaireau-niveau-mondial_152453

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A / LES DISPOSITIONS PRISES PAR LE GOUVERNEMENT 3. Le temps long : la transition écologique b. Démantèlement des centrales nucléaires, l’exemple de Fukushima Daiichi La catastrophe nucléaire de la centrale de Fukushima Daiichi a provoqué le démantèlement forcé de ses installations et le basculement de l’opinion publique en défaveur de l’énergie nucléaire au Japon, laquelle comptait pourtant avant la crise pour plus de 20% de son mix énergétique. En outre, une majorité du parc nucléaire japonais demeure endommagé, et le gouvernement prévoit le démantèlement de plusieurs autres centrales nucléaires sur le territoire, tel que la centrale de Fukushima Daini, située à une dizaine de kilomètres au sud de Daiichi.

Afin de soutenir un plan massif de démobilisation des centrales nucléaires au Japon, le gouvernement a fondé plusieurs pôles de recherches centrés autour de la déconstruction1, du traitement des déchets et de la protection aux radiations des centrales nucléaires, constituant un pôle d’attraction mondial pour les chercheurs du monde entier. Cette nouvelle activité économique, soutenue par des investissements massifs du gouvernement portés à plus de 60 milliards d’euros2 pour déconstruire la centrale de Daiichi, mobilise par ailleurs une immense force ouvrière qui s’est implantée durablement dans la région alentour. Ce mouvement entraîne, de manière paradoxale, une nouvelle activité économique et un nouveau pôle d’attractivité pour de nombreux travailleurs dans le domaine du nucléaire, à l’échelle nationale comme à l’échelle internationale. Cette nouvelle activité économique, qui nécessite une main d’oeuvre hautement qualifiée, est par ailleurs durable; TEPCO estime en effet que la démobilisation de la centrale de Fukushima Daiichi devrait s’achever d’ici une 50 aine d’années, tandis que d’autres centrales nucléaires doivent également être déconstruites et traitées.

1

Decommissioning Office. (s. d.). Nuclear Damage Compensation and Decommissioning Facilitation Corpora tion. NDCDFC Decommissioning Office. https://www.dd.ndf.go.jp/english/

2

Conca, J. (2016, 27 avril). After Five Years, What Is The Cost Of Fukushima? Forbes. https://www.forbes.com/sites/ jamesconca/2016/03/10/after-five-years-what-is-the-cost-of-fukushima/?sh=3970b03622ed


A / LES DISPOSITIONS PRISES PAR LE GOUVERNEMENT

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3. Le temps long : la transition écologique c. Recréer une économie locale (favoriser l’implantation de la nouvelle génération) Malgré le fait que la région de Fukushima ait été profondément touchée, nous avons pu constater des investissements massifs de la part du gouvernement afin de rendre possible un retour de vie sur les sites pollués. Ces investissements, qu’ils concernent le développement des énergies renouvelables par le biais du photovoltaïque, de la gestion de la démobilisation des centrales nucléaires, ou de la reconstruction des habitations et des infrastructures publiques, provoque la renaissance de l’activité économique de la région. Cependant, toutes ces nouvelles activités économiques ne permettent pas aux anciens habitants de retrouver leur vie, puisque les activités rizicoles, maraîchères, l’industrie textile, ou la pêche pennet à renaître dans les collectivités.

Quelques indicateurs permettent néanmoins d’entrevoir un retour partiel de ces activités. Les poissons, trop radioactifs jusqu’il y a peu dans la majeure partie des régions côtières avoisinantes, commencent à de nouveau être consommables, et des industries textiles sont restaurées, comme à Tomioka. Des prototype de fermes verticales naissent au Japon, dont certaines dans la province de Fukushima, et permettent d’imaginer un retour de l’activité agricole dans un milieu contrôlé et protégé des radiations. De nombreuses associations citoyennes testent des procédés pour cultiver les sols cédés à la catastrophe nucléaire, soutenus par des universitaires et chercheurs du monde entier. A travers une mobilisation de moyen phénoménale et une résilience caractéristique du japon, de nouvelles solutions émergent, permettant d’imaginer un futur pour les villes et communes ravagées par l’incident nucléaire de 2011

57


B / UNE POPULATION MEFIANTE

1. Des intentions gouvernementales qui posent questions Malgré ces mesures mises en place par le gouvernement pour préparer la levée de l’ordre d’évacuation ainsi que le retour des populations dans les zones sinistrées, de nombreux réfugiés restent sceptiques quant à leur sécurité. C’est ce qu’exprime l’un des rapports du projet Shinrai1, commandé par l’Etat japonais après la catastrophe de 2011. Cette étude, signifiant “confiance” en japonais, a été menée par l’IRSN depuis 2014 et traite des conséquences sociales, politiques et économiques de la catastrophe. Il regroupe de nombreuses enquêtes, ayant été menées auprès d’acteurs locaux, du gouvernement, mais également des habitants réfugiés. La partie de ce rapport se focalisant sur les conséquences sociales est articulée autour de témoignages de personnes ayant été évacuées, aujourd’hui revenues dans leurs villes d’origine. On peut y lire le témoignage d’un habitant de la ville de Naraha Town, située au sud de la centrale de Fukushima Daiichi2, et qui accueille toujours la centrale de Fukushima Daiini.

Fig 27. Habitants de Fukushima de retour (Source: https://www.marieclaire.fr/photo/1296351/3011013/kasukie-et-yoshie-31-ans-se-sont)

1

Christine Fassert, C. F., IRSN, Sciences Po médialab, Tokyo Institute of Technology, & Reiko Hasegawa, R. H. (2019). Shinrairesearch Project : The 3/11 accident and its social consequences (Rapport IRSN/2019/00178). IRSN.

2

Centrale à l’origine de la catastrophe nucléaire ayant suivi le tsunami de 2011 et qui a conduit à la mise en place de la zone d’exclusion


02 “I feel that our voices have been heard by the town officials. But I fear that the government and TEPCO are creating huge pressure for the EOs to be lifted. They act as if they want to make evacuees return home as soon as possible. The town office is sandwiched between this governmental pressure and residents’ concerns. Residents are asking the town administration to hold back such pressure from the government until the living conditions are genuinely met and are truly favourable for return” (“J’ai le sentiment que nos voix ont été entendues par les officiels de la ville. Cependant, j’ai peur que le gouvernement et l’entreprise TEPCO (société en charge des centrales nucléaires au Japon, ndlr) aient mis une grande pression pour que l’ordre d’évacuation soit levé. Ils agissent comme s’ils voulaient que les réfugiés retournent chez eux le plus rapidement possible. Les représentant locaux se retrouvent pris entre les pressions du gouvernement et les inquiétudes des résidents. Les habitants demandent aux administrations des villes de ne pas céder aux pressions du gouvernement tant que les conditions de retour et de vie seront vraiment favorable.”, notre traduction).

59


Ce témoignage permet de se rendre compte de la méfiance dont font preuve les habitants des zones sinistrées vis-à-vis des réelles motivations du gouvernement japonais. Ces craintes sont renforcées par l’arrêt progressif des aides aux réfugiés qui les poussent petit à petit à revenir dans leurs anciennes villes, bien qu’ils n’en aient pas tous le désir. Selon un sondage réalisé sur les habitants de Naraha Town vivant encore dans les zones de refuges1, seulement 8% des interrogés expriment l’envie de retourner sur place le plus vite possible. On constate également au travers de ce sondage que plus de 60% des réfugiés sont encore indécis sur la position à adopter, et attendent d’être certains des conditions de ce retour pour se prononcer. Enfin, un tiers de la population vivant à Naraha au moment de la catastrophe ne veut pas retourner dans la ville. Il s’agit le plus souvent de jeunes ayant trouvé du travail dans les villes où ils se sont réfugiés et y ont fondé une famille. L’enquête de l’IRSN s’est également portée sur les principales craintes des habitants étant revenues à Naraha Town. La première des préoccupations concerne l’eau de la rivière locale, le Kido Dam. En effet, bien que les terres agricoles aient fait l’objet de travaux de décontamination, ce n’est pas le cas des forêts et des montagnes situés à l’est de la ville. Lors des jours de forte pluie, le césium 137 encore présent dans le sol argileux se retrouve dans les eaux de la rivière que les habitants consomment. Malgré la présence d’une centrale de décontamination de l’eau, les habitants sont encore sceptiques sur la réel capacité de cette dernière à décontaminer entièrement l’eau. Les capteurs mis en place pour mesurer la radioactivité de l’eau ne mesurant que le taux présent à la surface et non en dessous2 ne permettent pas d’ôter les doutes de la population.

1

Comme la ville d’Iwaki située au sud de la province de Fukushima

2

Le taux de radioactivité en surface étant plus faible qu’en profondeur car l’argile dans lequel le césium 137 coule au fond


02

Une autre source d’inquiétude des populations est liée à l’exposition à des radiations, et ce, malgré les travaux de décontamination entrepris par le gouvernement japonais. Cette crainte est renforcée par la présence de la centrale de Fukushima Daiini au nord de la ville. Bien qu’étant à l’arrêt au même titre qu’une grande partie des centrales de la côte est japonaise, des questionnements subsistent sur sa capacité à résister à un futur tsunami. De plus, les travaux menés par le gouvernement ont amené une nouvelle population avec l’arrivée d’ouvriers spécialisés dans la ville. Ceux-ci sont également perçus par les habitants comme une mewnace car ils sont en contact avec des matières fortement radioactives et se retrouvent donc partiellement ostracisés de la population. A ces différentes craintes, vient s’ajouter le grand manque d’infrastructure médico-sociale et de commerce dans la ville de Naraha. Certains bâtiments ont néanmoins été construits par les gouvernements japonais comme par exemple le grand hôpital de Futaba situé dans la ville de Tomioka Town au nord de Naraha. Ce bâtiment neuf ayant coûté plus de neuf millions de dollars à construire est cependant bien peu efficace en raison du manque de personnel 1. Le rapport de l’IRSN permet de mettre en avant les conditions particulièrement difficiles dans lesquelles vivent les habitants étant revenus ainsi que leur méfiance vis-à-vis de leurs gouvernements et ses solutions. La levée de l’ordre d’évacuation a également déclenché un sentiment de rejet vis-à-vis des réfugiés. En effet, une partie de la population japonaise estiment que ceux ne souhaitant pas revenir dans leurs villes sont des assistés car ils vivent des aides de l’État. Ce point s’ajoutant à l’ostracisme existant déjà vis-à-vis des populations évacuées considérées comme des pestiférés en raison de leurs expositions potentielles à des radiations.

1

Un seul médecin en activité en 2018 selon un rapport de l’IRSN sur le projet Shinrai: Christine Fassert, C. F., IRSN, Sciences Po médialab, Tokyo Institute of Technology, & Reiko Hasegawa, R. H. (2019). Shinrairesearch Project : The 3/11 accident and its social consequences (Rapport IRSN/2019/00178). IRSN.

61


B / UNE POPULATION MEFIANTE

2. Une relation complexe avec l’ocean

La relation des habitants de la région de Fukushima avec l’océan est également une source de méfiance vis-à-vis du gouvernement. Ce dernier a entrepris la création d’un grand mur anti-tsunami comme vu précédemment. Cette initiative n’est cependant pas suffisante pour rassurer les populations qui ont vécu un véritable traumatisme lors de la catastrophe de 2011. La relation à l’eau et plus particulièrement l’océan est pourtant un point important de la culture japonaise. En effet, ils symbolisent tous deux les vertus créatrice et purificatrice dans la spiritualité japonaise. C’est ici que les divinités du soleil et de la lune se baignent. La plage est également un lieu historique de cérémonie pour les différentes religions de l’archipel. Au-delà de ces croyances, l’océan est également un moteur important de l’économie du Japon. C’est notamment le cas dans la préfecture de Fukushima où la pêche est une des principales activités économiques. Depuis la catastrophe, la relation que les habitants des provinces touchées par le tsunami entretiennent avec l’océan a changé. C’est ce dont témoigne le documentaire “Brise Lames” réalisé par Jeremy Perrin et Hélène Robert en 20191. Dans ce dernier, de nombreux habitants ayant vécu la catastrophe acceptent de parler de leurs manières de faire face à la catastrophe et de s’en relever. Il en ressort que l’océan est maintenant devenu pour eux une source de tristesse2 et parfois de menace. L’un d’eux confie également qu’il a mis de nombreuses années à retourner se balader le long de la côte comme il aimait le faire avant.

1

Perrin, J. (Réalisateur). Robert, H. (Réalisatrice). (2019). Brise Lames [Film Documentaire]. La Société des Apaches. Baldanders Film.

2

Ce dernier ayant “emporté” leurs proches ou encore leurs maisons.


02

Le documentaire permet également de mettre en exergue une crainte fondée des habitants quant à un nouveau risque de tsunami. Celle-ci serait renforcée par la situation instable de la centrale de Fukushima Daiichi qui pourrait se retrouver balayer et créer une catastrophe d’une ampleur plus grande que celle de 2011. Pour contrer un futur, le gouvernement a fait construire le long de la côte un vaste mur de protection (voir précédemment). Ce dernier est loin de faire l’unanimité parmi la population car il est considéré comme peu utile et qu’il coupe la vue de l’océan, offrant une fausse sensation de sécurité. Ces craintes se révèlent d’autant plus fondée qu’un des responsables du projet confiera sous les caméras du documentaire “Brise Lames” précédemment cité que le mur n’arrêtera pas la vague et qu’il ne fera peut-être que la ralentir.

Fig 28. Muraille du Japon (Source: https://www.lejapon.paris/evenement/grande-muraille-japon/)

63


C / UNE VIE EST-ELLE POSSIBLE À FUKUSHIMA : NOTRE POSITIONNEMENT

Malgré les apparentes difficultés à surmonter, les craintes des habitants, et le manque de transparence occasionnel de l’État japonais, un retour de vie semble possible sur les territoires touchés par la catastrophe nucléaire de 2011. Des solutions se créent pour dépolluer l’eau, la terre, et surveiller en temps réel les taux de radiations sur l’ensemble des communes habitées situées dans l’ancienne zone d’exclusion. Des moyens colossaux sont alloués à leur développement, appuyés par une communauté internationale de chercheurs, dont IRSN, le CEA, la CIRAD ou encore l’INRA, lesquels assurent un jugement extérieur sur la qualité des travaux menés pour permettre un retour des populations sur les territoires touchés.

De plus, des investissements supplémentaires sont portés à la pérennisation des installations de transport en commun, des routes, et à la réimplantation des infrastructures publiques telles qu’elles existaient avant la catastrophe de 2011. D’anciens habitants reviennent, de nouveaux s’installent, et l’on observe depuis 2019 un retour progressif stable de 500 habitants par semestre dans les communes dévastées par l’accident, bien qu’une partie de la population demeure méfiante, traumatisée par l’ampleur de la catastrophe sanitaire. Afin de mener ce travail de mémoire et de constituer un projet de retour idéal sur les territoires touchés, nous choisissons de prendre l’hypothèse selon laquelle des solutions techniques seront développées et systématiquement déployées pour assurer une protection durable de la population dans les décennies à venir, sur le plan sanitaire et sur le plan environnemental. Ce faisant, nous nous intéresserons spécifiquement à la ville de Tomioka, située entre les centrales de Fukushima Daiichi et Daini, comptant parmi les communes le plus durement touchées lors du passage du tsunami en 2011 et de la catastrophe nucléaire ayant suivi son passage.


02

Fig 29. Avant et après la catastophe du 11 mars 2011

65


03 TOMIOKA TOWN : VILLE LABORATOIRE


Dans le cadre de la réalisation du projet de fin d’étude et après une étude de la région, la ville de Tomioka Town a été choisie comme lieu d’implantation. La raison principale expliquant cette décision est que la ville peut être perçue comme représentative des diverses villes sinistrées par la province après la catastrophe. Cela permet donc d’envisager un projet “manifeste” dont les principes et fondements pourraient se répéter dans d’autres villes alentour. De plus, l’ordre d’évacuation a été levé plus récemment que dans les villes alentour1. Il en résulte un nombre moindre d’habitants étant revenus y vivre et par extension moins de projets menés pour améliorer les conditions de ce retour.

Aomori

CARTE DU JAPON

Kenpoku Akita

Soso

Aizu

Iwate

Tomioka Town

Kenchu Yamagata

Miyagi

MinamiAizu Fukushima Fukushima

REGION DE TOHOKU

Fukushima Daiichi

Iwaki Kennan

PRÉFÉCTURE DE FUKUSHIMA

Fig 30. Carte de la préfécture de Fukushima

1

L’ordre d’évacuation a été levée en 2017 à Tomioka Town contre 2015 à Naraha, ville située au sud de Tomioka

67


NARAHA TOWN

Fig 31.Vue Aerienne de la ville de Tomioka Town


NAMIE TOWN

03

TOMIOKA TOWN

69


A / LA VILLE TOMIOKA : ANALYSE

1. La ville d’avant

La ville de Tomioka Town est située dans la préfecture de Fukushima au sein de la région Japonaise de Tōhoku. Sa superficie est de plus de 68km2. Elle est construite juste au sud des villes d’ Okuma et de Futaba qui accueillent conjointement la centrale de Fukushima Daichii. La ville de Tomioka abrite par ailleurs la centrale de la région nommée Fukushima Dainii et qui se situe à cheval entre Tomioka au nord et Naraha Town au sud. La situation géographique du bourg est caractéristique des autres villes côtières de la région. En effet, elle est enclavée entre l’Océan Pacifique à l’est et les chaînes de montagnes de Okurayama et de Hayama à l’ouest. La ville est traversée de part en part par la Tomioka River, sur laquelle un barrage et de multiples canaux sont construits, servant à l’irrigation des cultures. L’architecture du bourg est semblable à ce qui se fait dans les autres villes de la province et fait se côtoyer résidences modernes et maisons traditionnelles japonaises. Avant le tsunami de 2011, Tomioka abritait plusieurs infrastructures gouvernementales comme un grand hôpital, un espace culturel mais également des bâtiments scolaires allant de la maternelle au lycée. Avant la catastrophe de 2011, la ville de Tomioka abritait plus de 16 000 habitants dont une grande partie avait plus de 50 ans. Il s’agissait majoritairement d’agriculteurs et de pêcheurs vivant de leurs exploitations ainsi que de quelques artisans et travailleurs du secteur tertiaire. L’économie de la ville était surtout organisée autour de la pêche et de l’agriculture dont les exploitations s’étalaient à perte de vue. La ville abritant également la centrale de Fukushima Dainii, une partie de la population était employée par TEPCO pour veiller à son bon fonctionnement et son entretien. Le bourg était également relié aux grandes villes japonaises de Tokyo au sud et Sendai au nord par la Joban Highway qui passe au centre de la ville et la Joban Railway passant par la gare de Tomioka.

Fig 32. Coupe de Tomioka Town (pg.dr, bas)


Tomioka town

D

D’

C

C’

B

B’

A

A’

Zone d’étude

A-A’

+400m

+300m

+200m

+100m

Tsunami

Joban Highway (G) Joban Railway (D)

Limite de la ville

Montagne Okurayama

12km

B-B’

Centrale de Fukushima Daiini

Kamikoriyama District

6km

+0m

0km

Océan Pacifique +400m

+300m

+200m

+100m

Tsunami

Joban Highway

Limite de la ville

Montagne Okurayama

12km

C-C’

4km

+0m

Joban Railway

Kobama District

0km

Océan Pacifique +400m

+300m

+200m

+100m

Tsunami

Joban Highway

Limite de la ville

Montagne Okurayama

12km

D-D’

4km

+0m

Joban Railway

Kobama District

0km

Océan Pacifique +400m

+300m

+200m

+100m

Tsunami

Joban Highway

Limite de la ville

12km

Montagne Okurayama

5km

+0m

Joban Railway

Yonomori District

2km

Oragahama District

0km

Océan Pacifique

71


A / LA VILLE TOMIOKA : ANALYSE

2. La ville d’après

Le 11 mars 2011, à la suite du tsunami, la ville de Tomioka est évacuée et ses habitants se réfugient dans les villes d’Iwaki au sud et Sendai ainsi que dans leurs familles aux quatre coins du pays. Dans les mois qui suivent la catastrophe, la ville est placée dans la zone d’exclusion maximale en raison de sa proximité directe avec la centrale de Fukushima Daichii. Une grande partie du tissu urbain a par ailleurs été détruit par le tsunami, notamment dans le Central District et le Yonomori District qui étaient les deux principaux quartiers d’habitation de la ville.

Au fil des années et sous l’effet des grands travaux de décontamination des sols mis en œuvre par le gouvernement japonais, les taux de radiations de la ville ont baissé. Cela a progressivement abouti à la levée de l’ordre d’évacuation en 2017. Il existe cependant trois quartiers de la ville de Tomioka n’ayant pas encore ou n’allant pas faire l’objet de travaux de décontamination. Ceux-ci sont situés au nord-est de la ville et sont donc placés en zone rouge par l’ordre d’évacuation, leurs taux de radiations dépassant les 50mSv/an. Le premier est le quartier de Yonomori (1), qui abritait un grand nombre d’habitations avant la catastrophe et dont la décontamination se poursuit activement dans l’espoir de sa réouverture. A l’est de ce quartier se trouve celui de Oragahama (2). Trop contaminé pour faire l’objet de travaux, il a été choisi pour stocker les millions de m3 de terre raclés sur la surface de Tomioka. Les champs sont donc recouverts de dizaines de milliers de sacs entreposés dans l’attente d’une autre solution. Enfin au nord de ce quartier, se situe celui dit de la forêt. Ce district sera encore inhabitable pendant plusieurs années car aucune décontamination ne peut être envisagée en raison de son terrain accidenté et des arbres. Afin de séparer ces zones d’exclusion rouges (de non retour) et les quartiers où les réfugiés sont revenus habiter, des zones d’exclusion oranges (zone de retour difficile) ont été mises en place. Ces dernières sont accessibles mais il est fortement déconseillé de s’y rendre.


03

Fig 33. Vue aérienne de Tomioka avant la catastrophe (2010)

Fig 34. Vue aérienne de Tomioka avant la catastrophe (2010)

73


A / LA VILLE TOMIOKA : ANALYSE

3. Le retour des habitants

Depuis la levée de l’ordre d’évacuation en 2017, les réfugiés ont pu retourner dans la ville notamment dans le district central (1) et de Hotokehama (2). Au 1er août 2020, 1 489 [contre plus de 16 000 avant la catastrophe] personnes étaient revenues habiter sur place avec un moyenne de 300 nouveaux arrivants par semestre. Ce sont essentiellement des personnes de plus de 50

ans ayant habité dans la province toute leur vie ou des ouvriers de TEPCO et du gouvernement travaillant sur la décontamination des terres et de la centrale. Les plus jeunes ont préféré rester dans de plus grandes villes possédant plus d’offres d’emploi et dans lesquelles ils ont pour la plupart fondé des familles. De nouveaux quartiers en préfabriqué ont été construits au nord-est du Central District pour accueillir ces arrivants. Cette population est confrontée aux mêmes problèmes que ceux de Naraha exprimés dans le rapport de l’IRSN cité précédemment. Ainsi, leurs principales craintes sont tournées vers l’exposition aux radiations de l’eau de la Tomioka River et des sols, mais également sur l’enclavement auquel ils font face. En effet, bien que certaines infrastructures publiques aient rouvert comme le poste de police, les écoles ou encore un hôpital neuf, peu de fonctionnaires y travaillent, les rendant peu efficaces [selon le rapport du Projet Shinrai mené par l’IRSN]. Les infrastructures de transport ont, elles, été remises à neuf et renforcées afin de pouvoir évacuer la population le plus rapidement possible en cas de nouvelle catastrophe.

Fig 35. Chutte démographique à Naraha, ville semblable à Tomioka (IRSN)


03

La situation économique de la ville depuis la levée de l’ordre d’évacuation est également très particulière. En effet, si les activités de la ville se basaient essentiellement sur l’agriculture et la pêche avant la catastrophe, elles sont aujourd’hui presque inexistantes. La crainte vis-à-vis des taux de radiations et les défiances des populations à l’égard des produits rendent difficiles la vie des agriculteurs et des pêcheurs et ce malgré les enquêtes précédemment citées. De plus, la décontamination de la ville s’est accompagnée d’une forte artificialisation des sols qui ne sont plus fertiles. Les anciens champs ont donc été convertis en grandes fermes photovoltaïques permettant de combler l’arrêt de la centrale. L’étude d’un projet a d’ailleurs été entamé pour démanteler la centrale de Fukushima Dainii.

Fig 36. Volonté de retour à Naraha, ville semblable à Tomioka en 2019 (IRSN)

75


0km

1km

4km


03

77


B / LE PROJET

1. Intentions

Redonner confiance La volonté, avec ce projet, est de permettre à la population de la ville de Tomioka de renouer un lien de confiance avec son territoire. Actuellement, les habitants sont logés dans des quartiers ou le préfabriqué cotoie le détruit, derrière un mur qui rend tout contact, visuel ou physique, avec l’océan presque impossible. Les sols, artificialisés ou endommagés, les privent d’une grande partie de leur activité agricole, pourtant inhérente à leur survie économique. Enfin, le manque

d’infrastructures préventives (flux d’évacuation, édifices parasismiques et antitsunamis) rend la zone habitée proche du littoral très vulnérable à une nouvelle catastrophe naturelle. L’enjeu est donc de rationaliser les flux de manière à organiser une circulation efficace des populations et de l’eau, toujours surélevée en cas de danger, de se réapproprier l’espace du mur, afin de le percevoir non pas comme une obstacle isolé, mais comme faisant partie intégrante de la ville, de décontaminer et d’exploiter les ressources locales et enfin de proposer aux habitants des manières plus sûres d’habiter le littoral avec lequel il est essentiel de recréer un contact sain.

Fig 37. Esquisse préliminaire de projet


03

Proposer un modèle Un des objectifs des principes mis en place dans le cas du projet de la ville de Tomioka est leur adaptabilité à d’autres villes du littoral de Tohoku. En effet, un grand nombre de villes côtières partagent la même échelle, le même traumatisme et la même enclave entre montagne et océan que Tomioka. Ce projet se présente donc également comme un vision manifeste qui pourrait servir de modèle dans la dynamique de repopulation massive de ces villes.

Réorganiser l’espace La principale inquiétude des habitants étant la pollution, l’accès à une eau saine et le danger représenté par une nouvelle vague, la zone littorale sur laquelle le projet se dessine est parcourue par «l’aqueduc» (a). L’aqueduc est à la fois un réseau aérien de transport d’eau, mais également une voie piétonne et cyclable surélevée dans le but d’être en permanence hors de portée d’un raz de marée et offrant différents moyens de se mettre à l’abri ou d’évacuer. Cet aqueduc encercle une parcelle (b) dont les sols sont revitalisés afin de permettre une nouvelle exploitation agricole gérée par les locaux. Un réseau de routes décaissées parcourt la dite parcelle agricole. Ces routes (c), creusées plusieurs mètres en contrebas du sol, agissent comme autant d’obstacles à une vague progressant vers l’intérieur des terres. Grâce au volume de terre récupéré, deux buttes surélevéees (d et e) peuvent être créées. La bute Ouest agit comme une extension du tissu habité du central disctrict ainsi que comme une digue supplémentaire pour en protéger ses occupants, pendant que la butte Est permet une promenade près du littoral (f), donnant accès aux hauteurs du mur, qui sera quant à lui pontcué par l’apparition d’immeubles d’habitations (g) conçus pour résister aussi bien à un séisme qu’à un tsunami. Enfin, un «noeud» de communication (h) est prévu près de la gare, au sud, pour agir comme une porte de sortie menant vers les hauteurs de la ville en cas d’alerte.

79


(c)

(e)

(h)


(g)

(b)

(f)

(d)

(a)

81


B / LE PROJET

2. Réalisation et faisabilité

Une nouvelle utilisation des ressources territoriales Les systèmes de traitement de l’eau actuellement mis en place par le gouvernement ne semblent pas suffisants pour rassurer les habitants. Ainsi, partant du principe que le processus de décontamination mis en place par Areva pour traiter l’eau fonctionne, une centrale spécialisée est indispensable. Dans le cadre du projet de Tomioka, cette dernière serait localisée sur la Tomioka River non loin de l’actuel barrage. Cette zone, bien qu’éloignée des quartiers résidentiels a été choisie car elle se situe au-delà de la zone de pénétration du tsunami de 2011. Elle permettrait ainsi d’assurer l’acheminement d’une eau saine en cas de nouvelle catastrophe. L’acheminement de l’eau décontaminée se fait par “l’aqueduc” moderne implanté le long de la Joban Highway à l’Est de Tomioka et qui traverse par la suite les différents districts d’habitations actuels. Une autre ressource disponible en abondance sur le territoire est la terre. En effet, les travaux de décontamination entrepris par le gouvernement japonais ont engendré le stockage de millions de mètres cubes de terre. Cette dernière est néanmoins fortement contaminée et radioactive. Dans le cadre du projet, il a alors été convenu que le processus expérimenté par le gouvernement japonais pour décontaminer cette terre était efficace. Celle-ci pourrait donc être réquisitionnée dans le but de créer des digues supplémentaires à l’intérieur des terres. Pour ce qui est de l’intervention sur la ville de tomioka, la quantité de terre issue du décaissage des routes est suffisante pour constituer les buttes Ouest et Est.


03

Fig 38. Principe de décontamination de l’eau (source: Aréva)

Fig 39. Principe de constitution d’un aqueduc, desservi par des noeuds d’échange et peremttant d’acheminer l’eau décontaminée

83


Présent en abondance sur le territoire et très utilisé dans l’architecture traditionnelle, le bois est également une ressource importante du projet. Les grandes étendues de forêt présentes sur le territoire sont pour la plupart contaminées et inaccessibles. Il a cependant été prouvé dans le projet de Toyo Ito de «Maison pour Tous» (fig. 40)précédemment cité que procéder à l’écorçage du bois prélevé en fôret le rend utilisable en construction. Ainsi, en gérant de

manière durable les forêts alentours, il est possible non seulement de profiter de cette ressource locale, mais aussi de décontaminer petit à petit le massif forestier. En s’appuyant sur les travaux du botaniste japonais Akira Miyawaki qui à mit au point un méthode à cet effet, il serait possible de régénérer un espace forestier dense en 30 ans, tandis qu’au Japon, ce processus se déroule naturellement en 150 à 200 ans. Dès lors, il est possible de mettre en place une “déforestation positive contrôlée”.

Fig 40. Maison pour tous de Toyo Ito (source: WikiArchitectura)


B / LE PROJET

03

2. Réalisation et faisabilité

Une repopulation raisonnée Le retour des populations dans la ville de Tomioka Town se fait aujourd’hui dans les anciens districts d’habitations de Central et de Hotokehama. Un ensemble de logements préfabriqués neuf a par ailleurs été construit dans le District Central confirmant la volonté du gouvernement et des autorités locales de repeupler spécifiquement. Plusieurs faits permettent néanmoins de remettre en cause cette dynamique. En effet, le District Central a été de loin le plus touché par les destructions lors de la catastrophe de 2011. Il est fort probable que, malgré la création d’un mur, un autre tsunami ne vienne un jour causer d’importants dégâts sur le site. De plus, la position surélevée du district de Hotokehama qui culmine à 45 mètres au-dessus du niveau de la mer, permettrait de mettre à l’abri les populations en cas de tsunami. C’est d’ailleurs ce que déplorent certains habitants de la province qui jugent incohérentes les dépenses pour la création d’un mur plutôt que de reconstruire sur les hauteurs. En plus d’être plus sûre, cette stratégie d’implantation territoriale fait écho à d’anciennes pensées urbanistiques japonaises qui préféraient historiquement habiter dans les montagnes pour se prémunir des dangers de l’océan. Dans le cadre du projet, une des deux zones de population favorisées est située sur la colline de Hotokehama. Cette dernière est néanmoins pensée pour les nouveaux habitants arrivant en ville, les réfugiés préférant potentiellement retourner vivre dans leurs quartier d’origine. Ce quartier deviendrait également une zone de refuge en cas de nouvelle catastrophe en raison de son implantation sur la colline.

85


Le Central District, qui possède un tissu urbain décousu en raison des nombreuses destructions ayant créé des interstices, est alors réorganisé pour accueillir une nouvelle forme d’agriculture dans la ville. En effet, cette dernière, en plus d’être l’activité économique principale de Tomioka avec la pêche faisait également partie intégrante de la vie locale. Avant la catastrophe, beaucoup d’habitants avaient un jardin qu’ils entretenaient. Avec la décontamination et l’artificialisation des sols, ces habitudes ne sont plus possibles, ce que déplorent les habitants1. Les interstices laissés par la catastrophe de 2011 (fig.421) seraient alors réutilisés pour y implanter des fermes verticales et ramener ainsi cette pratique dans la vie des habitants. Ces dernières seraient alimentées en eau par la centrale de décontamination vue précédemment et “l’aqueduc” reliant les quartiers d’habitations à celle-ci.

Fig 41. Morcelage du tissu urbain de Tomioka (en gris foncé) provoqué par la catastrophe de 2011

1

Rapport du Shinrai Project, IRSN


B / LE PROJET

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3. Concevoir l’habitat au Japon

Dans les régions rurales abritant des villes comme Tomioka, l’architecture est traditionellement composée de maisons en bois répondant à quelques grands principes. Le premier point est la flexibilité des espaces. En effet, certaines pièces ne sont pas fixes et les espaces appelés «Washitsu» sont neutres afin de pouvoir évoluer au gré des envies et des besoins des habitants. Contrairement à l’architecture européenne, ces pièces ne sont pas délimitées par des murs mais par des “shojis”, des parois en bois et en papier coulissantes. Les Washitsu, conçues pour être les plus modulables possible, sont généralement peu meublées. Les dimensions de celles-ci ne se mesurent d’ailleurs pas en m2 mais en tatamis de 180x90cm qui sont censés correspondre à la taille d’une personne allongée. Autre point important, les maisons traditionnelles sont surélevées du sol d’une hauteur de deux marches. Cette surélévation permet à l’air de circuler en dessous de la maison mais également de la protéger en cas de tremblement de terre. Les pilotis étant posés sur des pierres, ils permettent à la maison de bouger. La maison traditionnelle abrite également en son sein une cour intérieure en terre battue. Ces cours sont aujourd’hui très populaires auprès des jeunes générations car elles permettent d’avoir un morceau de jardin au cœur de la maison. Elle sépare la partie publique, où l’on reçoit, de la partie privée de la maison. Ainsi, même si les pièces de la maison ne sont pas figées, il existe une hiérarchie importante des espaces qui sont fortement ritualisés.

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La maison dans son ensemble est porteuse de symboles au travers de nombreux détails. Par exemple, le plan carré repose habituellement sur un poteau central. Outre son rôle structurel, il est un symbole de puissance et de richesse. Tout ces principes font la complexité de l’architecture tradionnelle japonaise comme le soulignait Junichiro Tanizaki dans son livre “Éloge de l’ombre” paru en 1953 :

“Un amateur d’architecture qui, de nos jours, veut se faire construire une demeure de pur style japonais, se prépare bien des déboires avec l’installation de l’électricité, du gaz et de l’eau, et n’eût-on soimême fait l’expérience de construire, il suffit d’entrer dans une salle de maison de rendez-vous, de restaurant ou d’auberge, pour se rendre compte des efforts qu’il aura fallu déplorer pour intégrer harmonieusement ces dispositifs dans une pièce de style japonais.”

Au 20ème siècle, de nombreux architectes repensent la maison pour créer un hybride entre grands principes de l’architecture moderne et tradition. C’est le cas de Shinohara Kazuo qui tente, dans son projet de maison en blanc en 1966, de définir ce qu’il appelle les coordonnées de l’irationalité de l’espace japonais. Le premier point se focalise sur la frontalité1.

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Bonnin, P. (2014). Vocabulaire de la spatialité japonaise = Nihon no seikatsu kūkan. CNRS Éd.


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Fig 42. Dessin de relevé de l’architecture de logements à Tomioka Town

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Il a pour principe de donner un impression d’aplat bidimensionnel à l’architecture. Cela s’explique selon Benoît Jacquet par le fait que le Japon ait été coupé du monde pendant plusieurs siècles. Les architectes n’auraient donc découvert que très tard le principe de la perspective en architecture. La deuxième donnée est l’absence de division dans les espaces. En effet, comme vu précédemment, l’architecture traditionnelle japonaise se repose sur un plan carré divisé par

des “shojis”. Dans son projet de maison en blanc, Shinohara Kazuo reprend ce principe en l’adaptant avec des codes modernes. En résulte un jeu sur les ouvertures dans les murs créant une impression de pièce unique et bidimesionnelle, comme un cadre pour un tableau. Le troisième grand principe se fonde sur la notion d’espace inutile. En effet, la ou les modernes pensent l’espace de manière fonctionnelle, l’architecture traditionnelle japonaise tend à créer des espaces qui dépassent leurs fonctions selon Shinohara. Enfin, le dernier principe questionne la notion de cours intérieure de l’architecture traditionnelle. En effet, l’architecte décrit cette espace non plus comme une transition mais comme la re-création d’une nature artificielle remplaçant le jardin traditionnel. Cette réinterprétation de la spatialité traditionnelle japonaise côtoie des éléments modernes comme les fenêtres en bandeaux pour créer un style moderne japonais. Loin de ces pensées et principes, les habitants de la ville de Tomioka vivent aujourd’hui dans des bâtiments au style assez varié. Si le mode de vie occidental s’est peu à peu imposé, certains principes de l’architecture traditionnelle subsistent encore de nos jours comme la séparation des espaces privés et publics. Le bois cohabite désormais avec le béton créant un style hybride entre tradition et modernité.


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Fig 43. Différentes architectures de Tomioka (source Tev Ici Japon)

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B / LE PROJET

4. Approche parasismique et anti-tsunami

Dans le cadre du projet, il est primordial de s’intéresser aux méthodes existantes de conception d’édifices capables de résister aux secousses causées par un séisme. Ainsi, la conception des immeubles d’habitation placés derrière le mur en front de mer, a été orientée en ce sens. Pour ce faire, nous nous appuyons entre autres sur le guide de conception parasismique de l’AFPS (l’Association Française du Génie Parasismique) datant de Juillet 2002. La conception parasismique que nous menons s’appuie sur 3 grands principes: • L’étude de l’environnement proche (implantation judicieuse) Les environnements instables et propices aux éboulements et aux glissement de terrain sont peu propices à la construction en zone à risque sismique. Les flancs de falaises et les plans inclinés sont donc à éviter. Il est également habituel d’effectuer une étude géotechnique afin de déterminer la nature du sol dans lequel on compte creuser nos fondations. Sur un sol dit «mou», c’est à dire plutôt sableux à quelques mètres de profondeur, il est préférable d’opter pour des structures «rigides» tandis que sur un sol ferme (rocheux par exemple), une structure flexible sera plus adaptée. • L’appréhension de la nature des efforts Les efforts induits par les secousses d’un séisme sont à la fois verticaux et horizontaux. Si un bâtiment «classique» est logiquement conçu pour supporter une charge verticale descendante, il ne l’est pas forcément pour encaisser des efforts verticaux ascendants, ainsi que des efforts latéraux. Pour opposer une résistance à ces efforts, l’emploi de contreventements et du principe de diaphragmes est primodrial. En conception parasismique, on parle de «diaphragme» pour désigner une structure horizontale qui reporte les efforts latéraux vers les structures verticales (poteaux) et les contreventements. Ils doivent assurer à chaque niveau une absence de déplacement des éléments verticaux entre eux et toivent donc être rigides. (Fig X, transmission des charges sismiques horizontales par les diaphragmes sur les murs de contreventement). Enfin, dans le but de limiter la transmission d’efforts horizontaux entre le socle de l’édifice et ses parties supérieures, on peut employer des «joints antisismiques»


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• L’étude morphologique de l’édifice Afin de limiter les sollicitations et les déformations dans la structure pendant sa mise e nvibration, il est préférable de multiplier les axes de symétrie en plan et en élévation. Il est également conseillé d’éviter les angles rentrants, ainsi que les porte-à-faux. Enfin, le rapport Hauteur / Largeur du bâtiment ne doit, de préférence, pas excéder 2. En pratique, la manière la plus efficace de se prémunir contre un raz-de-marée, lorsque l’on est contraints de construire sur un terrain susceptible d’être atteint par son emprise, est de lui opposer le moins de résistance possible. C’est la raison pour laquelle des projets comme la «Tsunami house», conçue par Designs Northwest Architects et située dans l'état de Washington, se munissent d'une structure acier ou béton pour un rapport entre solidité et emprise optimal, ainsi que de niveaux inférieurs "sacrifiables" vitrés afin de laisser passer la vague sans lui résister.

Fig 45. Principe de fonctionnement d’un diaphragme

Fig 44. Maison anti-tsunami

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Fig 45. Résumé de notre proposition de projet : hierarchisation des flux à Tomioka

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CONCLUSION

Après la catastrophe de Fukushima, le Japon a engagé de grandes dépenses pour faire en sorte que ce qui est arrivé ne puisse plus se reproduire. Cependant, dix ans après, force est de constater que de nombreuses problématiques demeurent encore sur le site. Si le gouvernement essaie de soigner son image en faisant de la repopulation de la région de tohoku un exemple de courage et de résilience, une étude approfondie des conséquences, notamment sociales, que la catastrophe et sa gestion ont pu avoir sur les populations touchées prouve que le traumatisme laissé par les évènements du 11 mars 2011 est encore bien présent. Loin des gros titres faisant état de la catastrophe nucléaire, le quotidien des réfugiés, forcés pour certains à retourner dans leurs anciennes villes est beaucoup plus préoccupant. Malgré la communication du gouvernement japonais, les habitants des provinces de Fukushima se retrouvent bien souvent livrés à eux même. C’est avant tout de la prise en compte de leurs préoccupations qu’ont émergé les principaux axes de réflexion du projet. Il a ainsi été entrepris la conception d’un projet véritablement résiliant tirant partie des ressources locales et permettant de développer une architecture protectrice vis-à-vis d’une potentielle future catastrophe. Dans son livre “Contre la résilience : à Fukushima et ailleurs”, paru en mars 2021, soit dix ans après le drame, Thierry Ribaut déclare : “[...] la résilience érige les victimes des désastres en co-gestionnaires de la dévastation. Ses prescripteurs en appellent même à une catastrophe dont les dégâts nourrissent notre aptitude à les dépasser, [...] elle prétend à faire de la perte une voie vers de nouvelles formes de vie insufflées par la raison catastrophique.” Conscients que la notion de résilience a pu être utilisée comme une façade par le gouvernement japonais pour préserver son rayonnement international, au détriment de la condition de milliers de personnes retournées vivre dans des conditions précaires parfois dangereuses, nous associons notre travail à une autre interprétation de ce terme. Ce projet s’inscrit dans une politique de repeuplement émanant du gouvernement. Il se veut résilient car il a été conçu pour accompagner une population traumatisée dans la réappropriation du territoire qui était autrefois le sien, tout en proposant une nouvelle configuration, tournée vers un avenir plus sûr, de ce dernier. Il se revendique comme une proposition manifeste de réhabilitation d’un territoire côtier enclavé à l’image de la ville de Tomioka, et peut ainsi voir ses grands principes appliqués à d’autres villes de la région de Tohoku comme Naraha.


Les hypothèses de projet présentées tout au long de ce mémoire sont pour la plupart basées sur des recherches en cours dont certaines n’ont pas encore vu leurs hypothèses être validées. Néanmoins, afin de pouvoir au mieux dévelop-per les grands principes de reconstruction du territoire précédemment cités, il a été décidé de considérer que ces recherches avaient porté leurs fruits. Aujourd’hui encore, rien ne permet d’affirmer que les séismes et les tsunamis qui auront lieu dans le futur ne seront pas plus violents que ceux qui ont marqué le monde en 2011. La ville de Tomioka reste enclavée dans une posture dé-licate et d’aucuns qualifieraient son repeuplement de purement politique. Dans le cadre de ce mémoire, nous avons été amenés à explorer un grand nombre de problématiques liées à l’organisation d’un territoire urbain habité, emettant en perspective notre vision du rôle de l’architecte dans le futur. Nous nous sommes efforcés de toujours prendre en compte les modes de pensées et la philosophie japonaise dans la conception de ce projet et espérons qu’il rendra hommage, à son humble échelle, à toutes les victimes directes et indirectes, du 11 mars 2011.

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