Solon n°2 - Septembre 2014

Page 1

Solon N AT U R E - G E ST I O N - I M A G E

02

SEPTEMBRE 2014 LE MAGAZINE DE L’ASBL SOLON

www.solon.be

1


Sommaire © Philippe MOËS

N°2 - Septembre 2014

5

Editorial

VOUS SOUHAITEZ VOUS ABONNER À LA REVUE

6

Photo insolite

et être sûr de ne jamais rater un numéro du Solon Mag ? vous le voulez en format web ou(et) en format imprimé de qualité ?

8

Portfolio Rivières, l’Ardenne d’une rive à l’autre par Dimitri CRICKILLON

22

Dossier Le blaireau par Philippe MOËS et Olivier EMBISE

34

Carnet de rencontre d’Eric HEYMANS

36

Portrait Jean DELACRE

46

Portfolio Cigogne Noire par Gérard JADOUL

60

Aménagement - Making of La vidéo surveillance en forêt Par Szaniszlò SZÖKE

66

Focus Les prairies calcaires par Olivier EMBISE

70

Technique photo La composition par Philippe MOËS

76

Chronique ornitho par Eric HEYMANS

78

Actu - Le LIFE ELIA

Version pdf :

inscrivez-vous ici, c’est gratuit ! Photo de couverture :

Version imprimée (2 numéros par an) : Envoyez-nous un mail sur info@solon.be avec vos coordonnées (Nom, Prénom, Adresse postale et E-mail) et effectuez un virement de 20 € sur le compte 350-0430049-70 de Solon asbl avec votre nom+revue2015. (Le magazine édition papier est gratuit pour tous les membres en ordre de cotisation).

BRAME © Martin DELLICOUR

© 2014 - asbl Solon Toute reproduction, même partielle, de cette brochure et des images qui la composent sans autorisation écrite de l’asbl est strictement interdite. RESPONSABLE DE PUBLICATION : ASBL SOLON, www.solon.be

VOUS SOUHAITEZ DEVENIR MEMBRE ? vous voulez soutenir notre combat pour la biodiversité du milieur forestier ? Devenez membre de Solon, faites un don, d’énergie, de compétences ou d’argent afin de rendre à nos forêts une partie de ce qu’elles nous apportent d’émotions et de sérénité.

Membership 30 €/an Virement sur le compte 350-0430049-70 de Solon asbl avec votre nom+cotisation2015

2

SOLON - SEPTEMBRE 2014

COORDINATION & CONTACT : Marc Bussers Martin Dellicour martin@solon.be MISE EN PAGE ET ÉDITION : Martin Dellicour www.studiobreakfast.be

3


Edito Le deuxième magazine de SOLON. Enfin, diront d’aucuns... Comme le premier, il est le résultat du travail de bénévoles, passionnés d’images et de nature. Il est dès lors réalisé à l’aune du temps (rare) qui se dégage de nos vies trop remplies. Il est donc écrit volontairement sans tyrannie d’agenda ou de respect de délais incompressibles. Les suivants respecteront ce (non) rythme de parution, même si l’objectif assigné est bien de publier deux à trois numéros par an. Une forme d’éloge éditorial à la lenteur : celle de la pousse des arbres et du patient défilement des saisons. Une grande variété de sujets et de manière de les aborder caractérise ce deuxième numéro : présentation d’espèces et d’habitats naturels, rencontre de passions au travers de portfolios, position ferme d’un naturaliste chasseur, envers du décor au travers de making of, conseils photographiques ou ambiance de terrain. C’est aussi et sans doute surtout la grande diversité et complémentarité des membres de l’association Solon qui s’égrène ainsi au fil de ces pages.

© Szaniszlò SZÖKE

4

SOLON - SEPTEMBRE 2014

Ce deuxième magazine innove également suite à la demande renouvelée de beaucoup de lecteurs du premier, désireux de pouvoir tenir ce magazine en mains, sous format papier, loin des écrans qui monopolisent nos yeux d’Hommes modernes. Une formule simple d’abonnement vous est dès lors proposée en première page pour que vous soyez certain de ne rater aucun de nos prochains numéros.

Ce numéro paraît à la veille d’une des manifestations de la nature les plus fortes, hors du temps, dans les forêts occidentales. Le brame du cerf vient de débuter. Il marque le basculement des saisons, le recul de la lumière sur la nuit et le déchaînement de passions animales et humaines. Il permet, quelques rares semaines par an, de confronter l’homme avec ses très anciennes racines. Où il donnait à cet animal un rôle d’intermédiaire entre le monde des hommes et celui qui le dépassait, le transcendait. Jusqu’aujourd’hui, le cerf a gardé cette fonction symbolique forte qui dut culminer avec la légende d’Hubert. La conversion, grâce au cerf ou appelée par le cerf. Quelle serait celle attendue de ce XXI° siècle ? Celle d’un regard autre sur la nature et la place que nous y tenons ? Celle d’un retour à davantage de modestie, de parcimonie, de lenteur assumée, de recherche de comportements symbiotiques ? C’est un peu à tout cela que vous invitent ces pages et à travers elles nos membres qui les ont vécues, écrites par les centaines d’heures de leurs affûts ou ballades et si poétiquement illustrées. Agréable promenade à vous lecteur.

Gérard Jadoul, Président.

5


PHOTO INSOLITE

Le lièvre et les putois ! La reprise du travail après un congé toujours trop court m’invite dès le retour à la maison à tenter un petit affût à deux pas de chez moi. A peine mon trépied posé dans le pré, une ondulation noire attire mon regard. Je tente, incrédule, de distinguer quel est cet animal inconnu. C’est à ce moment que j’aperçois une petite tête noire et blanche, puis deux, puis trois courant dans ma direction ! Fébrile, je me tapis derrière mon téléobjectif et fais la mise au point devant une touffe de graminées en prévision du passage des mustélidés. C’est là que surgit dans mon viseur un lièvre sur lequel fondent littéralement les putois, le lièvre fuit vers moi puis change de direction, les jeunes continuent sur leur trajectoire et passent entre mes jambes, imperturbables! Quelques secondes se sont écoulées depuis mon arrivée, je visionne, heureux mais un peu frustré par mes photos, les herbes un peu trop hautes ne laissent qu’entrevoir les putois dont je compte finalement 5 individus sur un cliché ! Pierre Strijckmans Lièvre et putois © Pierre STRIJCKMANS  Nikon D600 + Nikon 500 F4 VRII, 1/320 sec, F5,6, 800 ISO

6

SOLON - SEPTEMBRE 2014

7


PORTFOLIO

Rivières, l’Ardenne d’une rive à l’autre. Dimitri Crickillon 6 heures du matin, je suis assis dans mon affût. La nuit enténèbre encore le cours d’eau qui file à travers la vallée encaissée. Au coeur de l’automne, les premiers rayons du soleil viennent bientôt rythmer la danse des feuilles portées par une douce brise et la rivière les emporte dans sa vivacité. Au loin résonnent les cuivres, aboient les chiens. Soudain, j’aperçois une harde de biches haletantes franchissant la rivière à grandes éclaboussures ! La chasse est ouverte depuis peu. Dès ce jour, l’univers des rivières de l’Ardenne a éveillé en moi une réelle fascination, départ d’une grande aventure. Pas un jour ne passe sans que mes pensées ne s’égarent le long de l’une de ces rivières tumultueuses, rebelles, aux reflets d’émeraude. Matériel Nikon; trépied Gitzo et Berlebach; filtre gris neutre LEE. 

8

SOLON - SEPTEMBRE 2014

Martin-Pêcheur ©Dimitri Crickillon

9


Haute Lesse ©Dimitri Crickillon

Haute Semois ©Dimitri Crickillon

LIVRE: Retrouvez d’autres images dans le livre «Rivières, l’Ardenne d’une rive à l’autre» de Dimitri Crickillon paru aux éditions Weyrich. 192 pages. Plus d’infos sur www.dimitricrickillon.com 

10

SOLON - SEPTEMBRE 2014

Ninglinspo ©Dimitri Crickillon

11


12

SOLON - SEPTEMBRE 2014

Vallée de la Hoëgne, Hautes Fagnes ©Dimitri Crickillon

Héron Cendré - Vallée de l’Ourthe ©Dimitri Crickillon

Cigogne Noire - Haute Semois ©Dimitri Crickillon

13


14

SOLON - SEPTEMBRE 2014

Haute Lesse, 5h du matin... ©Dimitri Crickillon

15


16

SOLON - SEPTEMBRE 2014

Martin-Pêcheur ©Dimitri Crickillon

Cincle Plongeur ©Dimitri Crickillon

Tendresse chez les Grenouilles rousses ©Dimitri Crickillon

Vallée de la Semois ©Dimitri Crickillon

17


18

SOLON - SEPTEMBRE 2014

Biche et faon, vallée de la Semois ©Dimitri Crickillon

19


Découvrez notre exposition thématique à louer :

Exposition

CERF 

Cardulegaster boltonoii - Haute Lesse ©Dimitri Crickillon

SOLON asbl a pour objet la connaissance approfondie de l’écosystème forestier et la diffusion de ces connaissances à des fins de maintien, de sauvegarde et d’amélioration de la gestion de ce patrimoine. Avec son exposition sur le cerf, SOLON vous emmène à la découverte de cette espèce emblématique de nos forêts. Sous des images en grands formats, quelques traits de la biologie et de l’éthologie de l’espèce sont abordés, ainsi que les défis essentiels liés à sa gestion cynégétique.

33 panneaux photos de haute qualité de 60X80 cm et légendés pour en savoir plus sur le cerf !

20

SOLON - SEPTEMBRE 2014

Vallée de l’Ourthe ©Dimitri Crickillon

Info : Pierre Strijckmans GSM 0478/484132 E-mail : info@solon.be www.solon.be 21


DOSSIER - DÉBAT

Le blaireau par Philippe MOËS et Olivier EMBISE Dans la peau de Sherlock Holmes... Depuis quelques dizaines de mètres, d’étranges petites sentes longent le chemin. Elles le traversent, montent le talus, se fondent dans les buissons et réapparaissent au détour d’un arbre mort. Il n’en faut pas plus pour attiser la curiosité de l’amateur de nature. Qui peut bien s’amuser à tracer de telles voies, anarchiques à nos yeux d’Homo sapiens ? Et sans balisage, s’il vous plaît ! En prêtant un peu plus d’attention à ces pistes qui vont et viennent, on peut distinguer une série d’empreintes pour le moins étonnantes (un peu de patience, la solution, c’est pour la suite). Une chose est certaine, il s’agit « d’autoroutes » empruntées par des animaux. La plupart des mammifères se constituent en effet un réseau de chemins qui parcourt leur domaine vital. L’esprit bohème n’est pas fréquent chez les animaux. Il faut du concret et savoir exactement où trouver nourriture et refuge en cas de danger. L’itinéraire le plus pratique est alors privilégié : contournement des souches et rochers abrupts... Une fois déterminé, il serait bien inutile de retracer d’autres pistes jonchées de nouvelles difficultés ! C’est ainsi que ces drôles de chemins, appelés « coulées », apparaissent dans le paysage. Notons au passage qu’il arrive que plusieurs espèces empruntent des tronçons identiques, comme peuvent le faire des espèces aussi différentes que le Lièvre et le Cerf. Cette première enquête nous invite à nous glis-

ser dans la peau d’un détective. Cette fois, penchons-nous sur ces mystérieuses empreintes qui parsèment ces coulées. A bien y regarder, un animal plantigrade en a fait son quotidien : l’ensemble de la face inférieure des pattes a imprimé son dessin sur le sol. A en croire la littérature spécialisée, les mammifères plantigrades n’ont pas l’étoffe de sprinteurs. Leurs membres courts ne leur permettent qu’une progression relativement lente, dénuée de sauts efficaces. Voilà toute

 © Philippe MOËS

22

SOLON - SEPTEMBRE 2014

une série d’espèces éliminées : Cerf, Chevreuil, Sanglier, Renard, Martre... Cinq doigts, presque alignés, et cinq griffes ornent chacune des pattes. Celles-ci mesurent de 5 à 7cm. Souvent seuls quatre doigts marquent le substrat. Etonnamment, les pattes antérieures semblent posséder des griffes plus longues que les postérieures. Elles sont d’ailleurs très nettement marquées dans la boue et dépassent de quelques centimètres le reste de l’empreinte. Mais pourquoi les griffes ne sont-elles pas toutes les mêmes ? Un mystère de plus à éclaircir. Nous prenant au jeu de l’enquêteur, nous décidons de suivre ces traces. Pour le moment, rien de nouveau n’attire notre attention. Soudain, au bord de la coulée, nos yeux tombent sur une

qu’il profite plusieurs fois des lieux. A quelques encablures de notre découverte précédente, nous débouchons sur une zone où l’activité semble davantage intense. De multiples coulées arrivent tous azimuts. Arrivent ? Et si c’était leur point de départ ? Levant le regard vers le talus qui nous fait face, nous tombons face à une dizaine de « gueules ». Pas de panique, aucun monstre à l’horizon, mais des entrées de terrier. « Alors, ce serait un renard ? » Notre premier pronostic (animal plantigrade) serait-il erroné ? Un examen attentif des lieux éclaircira la situation. Pas facile, la vie de détective ! A première vue, le gabarit des tunnels pourrait correspondre grosso modo à celui du goupil. Toutefois, quelques particularités attirent notre attention. Une sorte de toboggan est creusé dans

sorte de petite fosse allongée d’environ 10 cm de profondeur...du moins quand elle est vide ! Car dans le cas présent, elle est emplie de quelques crottes. Leur aspect sec pour les unes et semi-liquides pour les autres nous laisse à penser que leur propriétaire absorbe une nourriture variée et

les déblais rejetés devant l’entrée. De plus, de petits tas de foin, de mousses et de feuilles sèches se trouvent au seuil du terrier (explications plus bas). Enfin, l’odeur réputée puissante du renard n’est pas de la partie. Un point positif dans tous ces mystères : à voir les travaux de terrassement

 © Jean DELACRE - © Olivier EMBISE

23


 1 © Olivier EMBISE - 2 & 3 © Philippe MOËS

réalisés ici, on comprend enfin pourquoi l’animal possède de longues griffes aux pattes antérieures... Bien qu’une solution nous vienne à l’esprit, nous décidons de rechercher un ultime indice : les poils ! C’est chose faite au premier roncier du coin. Environ 8 cm, base blanche, zone noirâtre et pointe pâle... Ces critères remuent nos méninges... poils... barbe... raser... Enfin surgit la solution : c’est le Blaireau (Meles meles) !

 © Martin DELLICOUR

Le blaireau ne semble pas être taillé dans un profil d’athlète : pattes courtes, petite queue touffue, longueur d’environ 80cm et poids avoisinant 12Kg. Cette impression se renforce en automne lorsque ses réserves hivernales augmentent le volume déjà important de son arrière-train. C’est grâce à sa tête effilée que l’on peut notamment identifier le blaireau. Sa face blanche, parcourue par deux larges bandes noires qui incluent les yeux, marque facilement les esprits. Le reste

du corps est couvert d’un pelage poivre et sel assez rêche. En Belgique, on peut trouver ce mammifère principalement au sud du sillon Sambre et Meuse [1], dans les coins boisés, calmes et à proximité de prairies humides. Il arrive toutefois qu’il installe son terrier en milieu découvert à condition que des buissons et des haies fournies se trouvent dans les parages. Les talus sont préférés

Blaireau, qui es-tu ? « Le blaireau à raser »

Cette bestiole nous a donné du fil à retordre, mais nous aurons désormais davantage de plaisir à la découvrir. Le blaireau, animal crépusculaire et nocturne, fait partie de la famille des mustélidés qu’il partage avec la fouine, la martre, la belette, l’hermine, le putois, la loutre... Cette famille a souvent été catégorisée de « puante » suite aux odeurs que certaines espèces sont capables d’émettre. 24

SOLON - SEPTEMBRE 2014

Bien que le blaireau à raser semble aujourd’hui un peu désuet, il était jadis très apprécié. Comme son nom l’indique, les poils sont issus du mustélidé. Cette fourrure était employée pour sa souplesse et sa douceur. De plus, sa résistance à l’eau était le gage d’une longévité importante.

 © Thierry LAMPE

25


aux surfaces planes car ils permettent de creuser aisément les tunnels et facilitent l’évacuation des déblais. L’ampleur de son territoire varie quant à lui en fonction de l’ampleur du groupe social et de la richesse du milieu. Les terriers peuvent être utilisés pendant plusieurs générations et former ce que l’on nomme sans mauvais jeu de mot « un village de blaireaux ». Les entrées peuvent être nombreuses selon la densité de la population et la durée pendant laquelle les lieux sont occupés. On rapporte qu’un village d’une septantaine de « gueules » (entrées) a été observé, ce qui est loin de la moyenne (10 environ) ! Il est fréquent que toutes les sorties ne soient pas utilisées. Certaines d’entre elles sont conservées en tant que système d’aération ou d’issue de secours… ou sont franchement abandonnées. Pour l’anecdote, il est bon de savoir que le blaireau est apprécié par la puce de l’homme... dont d’importantes populations peuvent se trouver aux entrées des terriers. A l’intérieur, les galeries relient des salles qui peuvent s’agencer sur plusieurs étages. Parce que tout le monde a droit à un minimum de confort, le blaireau se confectionne une épaisse litière qui tapisse le sol. Pour ce faire, il récolte des feuilles,

 1 & 2 © Philippe MOËS  3 & 4 © Martin DELLICOUR

26

SOLON - SEPTEMBRE 2014

du foin, de la mousse... qu’il ramène au gîte sous forme de boules coincées entre le menton et la poitrine. Ce matelas est renouvelé plusieurs fois pendant l’année : parole de blaireau, on ne lésine pas sur la propreté ! D’ailleurs, les sous-locataires feraient bien d’en prendre de la graine. Car oui, le blaireau, dans ses largesses, tolère en son gîte des animaux d’autres espèces. C’est ainsi que le renard, le chat forestier et le lapin de garenne sont susceptibles de profiter des loges momentanément inoccupées. D’après diverses sources, les colocations se passent sans trop de heurts. Le blaireau vit généralement en groupe, même lorsque les squatteurs sont absents. Il s’agit principalement de clans familiaux. Le nombre d’individus et l’agressivité envers les autres clans varient selon l’étendue du territoire et l’abondance des ressources disponibles. Les propriétés sont marquées grâce aux sécrétions des glandes anales répandues au même moment que les déjections. Les blaireaux peuvent s’accoupler toute l’année mais c’est juste après la mise bas que le rut atteint son apogée, c’est-à-dire de fin janvier à fin mars. Afin que les jeunes puissent bénéficier d’une nourriture abondante à leur naissance, la nature a développé le système d’ovoimplantation différée[2]. Cette période de latence, durant laquelle la gestation est mise entre parenthèses, permet aux jeunes d’arriver à la bonne saison. La période de gestation effective s’étale sur 6 semaines. A leur naissance, les petits sont minuscules, nus

et aveugles, donc totalement dépendants des parents. On les qualifie de « nidicoles » en opposition aux « nidifuges », complètement formés dès la naissance[3]. Les jeunes (généralement de 1 à 3) sont allaités de nombreuses semaines et sont indépendants vers le 8e mois. Ils devront donc affronter leur premier hiver de manière autonome, ce qui n’est pas gagné d’avance. Contrairement à une pensée répandue, le blaireau n’hiberne pas. Il se contente de ralentir ses activités afin de limiter ses dépenses énergétiques : les conditions climatiques de circonstance rendent la nourriture difficile à dénicher. Bien que certains le qualifient de « lombricodépendant », le blaireau possède un régime alimentaire relativement varié. Certes, son mets favori demeure le ver de terre mais il apprécie également les faînes, les glands, les céréales, les bulbes, les myrtilles, les mûres... De petits animaux – morts ou vifs - comme les escargots, les rongeurs, les bousiers, les batraciens... complètent son menu. Pour se prémunir des substances toxiques qui recouvrent le dos du crapaud, le blaireau entaille sa victime par le ventre et se sert de cette brèche pour la déguster. Il lui suffit ensuite de retrousser la peau du crapaud pour atteindre les morceaux récalcitrants sans effleurer les zones venimeuses. Astucieux, non ?

Aujourd’hui, le blaireau est protégé, mais ce ne fut pas toujours le cas. Sa viande était autrefois convoitée, de même que ses poils et sa graisse. Par ailleurs, le blaireau a énormément souffert du gazage pratiqué contre la rage. Ce traitement cruel visait majoritairement le renard roux. Cependant, la confusion des terriers, la colocation des espèces et la rage elle-même ont eu raison du plus gros carnivore indigène. Ses effectifs ont alors littéralement chuté : plus de 90% des individus auraient disparu au seuil des années ‘80 ! Le gazage n’est heureusement plus d’actualité. Toutefois, la pression anthropique sur le blaireau est telle (trafic routier, urbanisation, disparition des haies et bosquets, drainage des prairies humides, aplatissement des talus...) que le renouvellement des effectifs reste limité. Et ce n’est pas une éventuelle modification de son statut de protection qui va le tirer d’affaire (lire l’article suivant). S’il survit à toutes les embûches précédemment citées, cet animal peut atteindre une longévité de 12 à 15 ans. Néanmoins, on rapporte que dans nos régions, 50% des individus n’atteindraient pas l’âge d’un an…...

27


Effectifs - Historique et dynamique de population Suite à une longue campagne de destruction massive par gazage des terriers, menée jusqu’il y a une trentaine d’années, les effectifs belges du blaireau avaient chuté d’environ 90%. L’espèce a ainsi été éliminée au nord de la Meuse, à quelques très rares exceptions près. Le but de cette vaste campagne (visant essentiellement le renard) était d’éradiquer la rage. Le résultat fut un échec et cette politique destructrice a été remplacée par une vaccination massive qui, elle, a été une réussite totale (distribution héliportée et manuelle d’appâts contenant les vaccins). Depuis sa protection, le blaireau a reconstitué petit à petit ses effectifs en Wallonie. Actuellement il est à nouveau bien présent dans le sud du pays, mais peine à reconquérir le nord. Il reste par exemple très rare et localisé en Brabant et en Hainaut, ainsi qu’en Flandre.

En Wallonie, l’Université de Liège (ULg) effectue des recensements scientifiques et estime le nombre de blaireaux à environ 4500 individus (3500 minimum, 6000 maximum ) au cours de ces dernières années ( ndlr : L’ULg est liée par une convention au SPW, qui démontre par là sa volonté de mieux connaître les espèces régionales, dont le blaireau, sa dynamique et ses dégâts). Ces comptages s’effectuent sur base d’un inventaire du nombre d’individus au sein d’un échantillon représentatif d’environ 140 terriers répartis de façon standardisée sur tout le territoire wallon. Les terriers secondaires (occasionnels) sont également comptabilisés pour compléter l’évaluation de population. Un constat intéressant est qu’il y a reproduction dans, en moyenne, un terrier sur trois (chiffres confrontés avec des études à

plémentaire de 20% dans l’estimation globale réalisée. La mortalité semble essentiellement influencée par les variations climatiques (disponibilité en nourriture durant les hivers rigoureux ou en période de sècheresse printanière), l’homme (la circulation routière, la chasse dans les pays où elle est autorisée) et les maladies. Le blaireau a une espérance de vie d’une grosse dizaine d’années, mais la mortalité est importante aux différents stades de développement, particulièrement chez les juvéniles (estimation de 50% de pertes avant l’âge d’un an). L’étude scientifique des sites évoqués, la prise en compte du taux de reproduction

l’étranger). Une analyse géomatique permettant d’évaluer la part non connue des terriers principaux a également été appliquée au modèle, ce qui prend en compte une portion de population com-

(toutes les femelles en âge de se reproduire ne le font pas chaque année) et l’estimation de la mortalité donnent une bonne indication de la santé de la popu-

« Sous l’œil d’un artiste passionné » Dès que l’on se plonge dans la littérature francophone traitant des mammifères, un nom émerge rapidement : Robert Hainard. Maintenant disparu, ce Suisse a principalement acquis son savoir via l’observation directe. Au fil de ses innombrables heures d’affût, Robert Hainard a également tiré le portrait de centaines d’animaux, illustrant parfois des comportements méconnus. Pour l’anecdote, sachez que ce grand naturaliste a notamment étudié les sangliers à Nassogne et Arville (1949), sur invitation de Gaston Braun, président du Royal Saint-Hubert Club... L’œuvre majeure de Robert Hainard réside dans le livre très complet « Mammifères sauvages d’Europe », édité chez Delachaux et Niestlé. Voici d’ailleurs quelques lignes tirées du chapitre consacré au blaireau. « Voilà l’animal – le blaireau - que je connais le mieux (…). Pourquoi cette prédilection ? Parce que dans mon pays de Genève, pauvre en animaux de quelque grosseur, le blaireau est assez commun. Sans parler d’une affinité personnelle avec cet animal pataud, prudent, fidèle à ses habitudes, il y a là aussi un culte de l’ours ramené aux dimensions de notre modeste nature. Sa carrure puissante est tentante pour le sculpteur, ses belles raies noires et blanches pour le graveur. Enfin, sa fidélité à son domicile, la régularité de ses habitudes en font un sujet de choix pour l’observation. »

 © Philippe MOËS

28

SOLON - SEPTEMBRE 2014

 © Philippe MOËS

 Martin DELLICOUR

29


 © Thierry LAMPE

lation année par année, laquelle est jugée assez stable en Wallonie au cours des cinq dernières années.

Simulation théorique de la croissance de la population en fonction des facteurs connus. Si on a une population théorique de 100 individus, elle va être constituée de 50 mâles, 50 femelles. En moyenne, 1/3 des femelles mettent bas chaque année ; on aura donc 16 femelles qui vont mettre bas, produisant chacune d’entre elles en moyenne 2.5 jeunes, c’est-à-dire une production en juvéniles de 40 individus par année. Théoriquement, la population pourrait donc passer à 140 individus. De ce chiffre il faut déduire les mortalités. En ôtant les 50% de jeunes mourant lors de la première année, la population est réduite à 120 individus. En retirant les adultes qui vont mourir naturellement (5 à 10 individus), on obtient une

croissance potentielle de 5 à 10%. Si on tient compte de la moyenne européenne de mortalité, évaluée à environ 20% (en excluant la chasse, autorisée dans certains pays), on a au final une population de Blaireaux qui reste relativement stable au fil des années.

Statut légal En Belgique comme dans à peu près la moitié de l’Europe, le blaireau est une espèce protégée (Italie, Royaume-Uni, Espagne, Portugal, Pays-Bas, Danemark…). Elle est par contre chassée dans l’autre « moitié », dont chez nos voisins français et allemands, ainsi qu’en Scandinavie et dans les pays de l’Est. En Région Wallonne, la chasse est fermée depuis 1973 pour cette espèce protégée depuis 1992. Le blaireau est une des espèces partiellement protégées par l’Annexe 3 du décret du 6 décembre 2001 modifiant la Loi du 12 juillet 1973 de la Conservation de la Nature, article 2.

Concrètement, il est interdit de le capturer et de le mettre à mort intentionnellement, de le perturber, notamment durant la période de reproduction, de dépendance, d’hibernation et de migration et de perturber ou de détruire ses sites de reproduction. La détention, l’achat, l’échange, la vente ou la mise en vente d’individus de cette espèce sont également interdits. En Wallonie, la régulation du blaireau est actuellement possible sur base d’une autorisation (arrêté du gouvernement wallon – AGW- du 20 novembre 2003). Les dérogations, délivrées de manière exceptionnelle, doivent répondre à toute une série de conditions et avoir reçu l’aval du Conseil Supérieur de la Conservation de la Nature qui aura pris soin de vérifier sur le terrain le caractère opportun de ladite intervention. Les conditions dans lesquelles ces dérogations ministérielles peuvent être octroyées sont essentiellement : • pas d’autres solutions satisfaisantes ET pas de préjudice porté à l’espèce (globalement) • pour raison de santé et/ou sécurité publique • en cas de dommages importants aux cultures, bétail, forêt, pêcheries et eaux • pour la protection d’espèces ou habitats protégés Les demandes doivent, en outre, préciser le nombre d’individus concernés, la date, le lieu, les moyens utilisés. Il doit y avoir remise d’un bilan et l’autorisation, nominative, a une durée limitée à un mois (renouvelable). Le cadre actuel prévoit donc une série de « gardefous » permettant de prévenir les abus. En France, où la chasse du blaireau est autorisée, une activité particulièrement sujette à polémique perdure : la vènerie sous terre. Cette opération consiste à déterrer les Blaireaux vivants (à l’aide de pelles puis de pinces), pour ensuite, soit les libérer, soit les livrer en pâture aux quelques 60.000 chiens qui seraient utilisés pour cette activité.

Ce qui est reproché au blaireau Nous avons vu que le tasson avait une prédilection pour le ver de terre, qu’il appréciait beaucoup les limaces, vers blancs, rongeurs (nids), batraciens, nids de guêpes et baies (il favorise d’ailleurs la dissémination des arbustes à petits fruits). Dans nos régions, une denrée issue de monoculture intensive se mêle parfois passagèrement à sa nourriture: le maïs. Ou plutôt le grain de maïs, à un stade précis de son développement (stade laiteux et pâteux, lequel dure deux mois, environ). L’animal peut alors, dans certaines zones sensibles, être responsable de dégâts importants (un adulte mange +- 550 grammes par nuit), c’est pourquoi le législateur a légitimement prévu une indemnisation (octroyée par le Service Public Wallon) pour ces dommages causés par une espèce protégée (moyennant une série de formalités, cela va de soi). Un autre reproche est parfois fait au blaireau par certains chasseurs : celui de prélever occasionnellement des couvées et autres lapereaux et donc d’être une forme de « concurrent ». Enfin, dans certains pays, le blaireau sert de « réservoir » à une terrible maladie contagieuse pouvant décimer le cheptel bovin : la tuberculose bovine. Notons que la Belgique et la France sont, depuis le début de ce millénaire, considérées comme indemnes de cette maladie (ce qui veut dire que moins d’1 élevage sur 1000 est touché), contrairement au Royaume-Uni par exemple, où des régulations localisées de blaireaux ont d’ailleurs

 Marc CIMINO

30

SOLON - SEPTEMBRE 2014

31


été effectuées pour cette raison dans des zones de suivi spécifiques (pièges-cages puis euthanasie sélective des individus concernés).

Alors les surfaces de maïs cultivées seraient en nette augmentation ? Ici non plus, cette piste ne semble pas la bonne à suivre pour expliquer une telle explosion de dégâts. Certaines variétés de maïs cultivées dernièrement seraient plus attractives qu’avant ? Il est probable effectivement que le caractère

Le graphique ci-dessus présente l’évolution du nombre de foyers de tuberculose survenus en Belgique durant la période 2000 – septembre 2013 (source Afsca ) Le débat 2012 Tout se passait plus ou moins bien jusqu’en 2012, où les demandes d’indemnisation relatives aux dégâts en maïs ont subitement …quadruplé ! Année

Nbre de dossiers

Montant total

2007

187

72 971,46 €

2008

268

154 122,22 €

2009

215

104 306,65 €

2010

225

127.644 €

2011

164

85.238,24 €

2012

481

399.602 €

Source: SPW Qui dit augmentation des dégâts dirait augmentation proportionnelle des effectifs du blaireau ? Raisonnement simpliste : nous l’avons vu, la biologie du blaireau ne permet tout simplement pas ce scénario et surtout pas après 2 hivers comme ceux que l’on vient de connaître. Par ailleurs, le suivi scientifique des terriers-témoins n’indique nullement une explosion de population, mais plutôt une stabilité depuis 2009.

plus digeste, sucré, précoce de certaines variétés récentes (qualités recherchées pour servir de nourriture au bétail), cultivées localement, aient un effet. Cela dit, on imagine mal que les champs potentiellement concernés mènent à quadrupler les dégâts en un an à l’échelle wallonne Une piste par contre semble très sérieuse : les effectifs de sangliers, grands amateurs de maïs et dont les dégâts ne sont pas toujours très faciles à distinguer de ceux du blaireau, ont explosé ces dernières années. N’y aurait- il pas confusion récurrente parmi les dégâts observés ? Plusieurs éléments font inévitablement pencher la balance en ce sens : - Dans les champs de maïs, les déprédations de sanglier et blaireau, observées à l’échelle de quelques plants ou ares de terrain, ne sont pas toujours faciles à distinguer lorsque les dégâts sont mixtes. - Fait troublant, les dégâts renseignés couvrent parfois 1, 2, 3, 4 hectares à charge du blaireau. Or, en Angleterre, pays sans sangliers (excepté 3 micro-populations) mais à population élevée de blaireaux (environ 250.000 individus), les dégâts (faciles dès lors à attribuer au tasson de manière indiscutable) n’ont jamais dépassé la surface d’un hectare d’après certains experts chevronnés. Troublant… - En agriculture, lorsque les sangliers font des dégâts, ce sont les chasseurs qui paient ; lorsqu’un animal protégé fait des dégâts, c’est l’administration qui passe à la caisse.

Inquiétude Un bruit inquiétant a circulé en début d’année : le Cabinet du ministre alors concerné par cette matière aurait été sollicité pour faire en sorte que les demandes ponctuelles de destruction de blaireaux (e.a) soient octroyées plus facilement. Le bien-fondé de ces demandes ne serait plus vérifié par le CSWCN avant octroi d’autorisation de destruction, ce qui laisserait une porte ouverte à bien des risques d’abus…. • Webographie et Bibliographie : http://www.afsca.be/santeanimale/tuberculose/ http://www.zoogeo.ulg.ac.be/bibliographie-main.htm http://www.fourragesmieux.be/Documents_telechargeables/Article_degats_mais_sanglier_blaireau.pdf http://www.larousse.fr/encyclopedie/vie-sauvage/ blaireau/184830 http://www.environnement.public.lu/conserv_nature/ publications/Dachs_Brochure/index.htmlInternet : http://biodiversite.wallonie.be/fr/meles-meles.html?IDD=50333780&IDC=326 http://www.buvettedesalpages.be/2013/01/le-blaireau-eternel-bouc-emissaire.html http://www.lessources-cnb.be/mama_meles-meles. pdf http://lahulpeenvironnement.blogspot.be/2013/02/ blaireaux.html http://users.telenet.be/cr29123/blaireau/populations3.htm

http://www.larousse.fr/encyclopedie/vie-sauvage/ blaireau/184830 Macdonald, D. & Barrett, P. 1995, Guide complet des mammifères de France et d’Europe. Delachaux et Niestlé, Lausanne. Hainard, R. 2003, Mammifères sauvages d’Europe. Delachaux et Niestlé, Lausanne. 2006, Le blaireau d’Eurasie, Emmanuel DO LINH SAN, Delachaux et Niestlé, Lausanne. Schockert V., Lambinet C., Cornet Y. & Libois R. (2013) Methodology used for the European badger (Meles meles) monitoring in Wallonia. 31st IUGB Congress 27>29.08.2013 Brussels – Belgium. Delangre J., Schockert V., Lambinet C. & Libois R. ( 2013) Evolution and impact of different parameters on badger damage to maize fields in Wallonia. 31st IUGB Congress 27>29.08.2013 Brussels – Belgium.

[1] Sa présence au nord du pays est peu fréquente. [2] C’est aussi le cas pour de nombreuses autres espèces : fouine, martre, chevreuil... [3] Exemples : les lapereaux, certaines espèces d’oiseaux (Vanneau huppé)...

 Pierre STRIJCKMANS

32

SOLON - SEPTEMBRE 2014

33


CARNET DE RENCONTRE

Printemps par Eric Heymans

34

Il fait beau, il fait chaud depuis quelques jours. Le jour se lève et je marche sans but réel, je me laisse envahir par les chants des oiseaux en ce début de printemps. La lumière est superbe.

Je reprends ma balade, j’arrive au bord d’un beau torrent, un cincle passe comme une fusée, il vole au ras de l’eau en suivant la rivière. Le sentier longe l’eau, l’oiseau passe au-dessus du

Un pic épeiche tambourine, je le cherche dans les branches du grand chêne encore dépourvu de feuilles. Il est là ou, plutôt, elle est là. C’est une femelle qui tambourine. Elle est au sommet d’une branche morte et, manifestement, cette branche est un endroit qu’elle utilise régulièrement. A l’endroit qu’elle frappe avec son bec, le chêne sec et bien dur présente un trou et c’est précisément là qu’elle frappe. Entre chaque séquence de tambourinage, elle écoute s’il y a une réponse. Les pics sont des oiseaux farouchement territoriaux, le tambourinage fait chez l’épeiche fonction de chant, il sert à prévenir de la présence d’oiseaux et à faire savoir aux visiteurs qu’ils ne sont pas les bienvenus. En hiver, mâles et femelles défendent des territoires séparés. Au début du printemps, hormones obligent, ils se rapprochent; mais la rencontre prend du temps tellement ils sont individualistes. Puis ils défendent enfin un territoire commun, c’est pourquoi la femelle « chante » aussi. Une réponse, un autre pic tambourine, elle s’envole. J’’assiste à une rapide poursuite dans les branches un peu plus loin, puis les deux oiseaux semblent parader un peu et la femelle revient sur sa branche morte et recommence à tambouriner exactement à la même place. Un peu plus loin, en écho, un autre pic tambourine, le mâle sans doute. Il ne suscite aucune réaction de la belle.

petit cours d’eau. Un beau vieux pont dont l’arche construite de pierres maintenant disjointes et en partie manquantes enjambe le cours d’eau, Je descends dans l’eau peu profonde et je le trouve: le nid du cincle est sous la voûte. Grosse boule de mousse coincée entre deux pierres, l’en-

SOLON - SEPTEMBRE 2014

trée est dirigée vers le bas, au-dessus de l’eau. A l’entrée, les têtes de jeunes déjà bien plumés, l’envol est proche. Cet oiseau est incroyable, c’est notre seul passereau 100% lié à l’eau et plus particulièrement aux beaux torrents, il a besoin d’eau propre, bien oxygénée, il y trouve les larves aquatiques d’insectes dont il se nourrit. Pour ce faire, il plonge, nage et même vole sous l’eau, il s’agrippe au fond de la rivière face au courant, en se penchant vers le bas, ailes entrouvertes, le courant le plaque au fond et il recherche les larves sous les pierres et dans les graviers. Il ressort de l’eau comme un bouchon pour aller recommencer son manège un peu plus loin. Son nid est pratiquement toujours au-dessus de l’eau et, à partir d’un certain âge, à la moindre

rir les jeunes sont actives tout l’hiver sous l’eau alors que les chenilles par exemple qui nourriront les petites mésanges sont encore au stade de l’œuf ou alors minuscules. La première nichée des cincles s’envole courant de la première quinzaine d’avril, elle sera suivie d’une seconde qui s’envolera fin mai, début juin. Pour ces jeunes oiseaux, le plus dur reste à faire, survivre jusqu’à l’an prochain et essayer de trouver un territoire libre au bord de la rivière. •

alerte, les jeunes plongeront dans celle-ci, ils nagent sous et sur l’eau avant de savoir voler. Ils se cacheront dans des anfractuosités de la berge pour appeler leurs parents et se faire nourrir. Curieusement c’est un de nos nicheurs les plus hâtifs. C’est logique, les larves dont ils vont nour 1 & 2 : Cincle plongeur © Martin DELLICOUR

35


PORTRAIT D’UN SOLONIEN

Jean Delacre Il est chasseur (54 permis), photographe animalier, conservateur de Réserve Naturelle (Haie Gabaux), président de Commission de gestion des réserves Natagora ESM, entomologiste, membre d’une Commission de Conservation N2000. Nous avons jugé intéressant de le rencontrer suite à une lettre qu’il destine au RSHCB. RENCONTRE Par Gérard Jadoul D’où vous vient cet intérêt pour la nature ? Pour répondre avec un clin d’oeil, je dirai que comme Obélix, je suis tombé dans la marmite tout gamin. Dès l’école gardienne, je m’intéressais plus aux chauves-souris qui dormaient dans le creux d’un arbre au milieu de la cour de récréation qu’à mes copains ou copines de classe.

De quand date cet intérêt pour la forêt et la nature en général ? J’ai eu la chance d’avoir des parents tous deux chasseurs qui avaient fait construire une maison au milieu des bois. Le vieux garde-chasse de ceuxci m’a, dès mon plus jeune âge et vu mon intérêt inné pour la forêt et la vie qui l’anime, initié à

36

SOLON - SEPTEMBRE 2014

toutes ces merveilles qui nous entouraient. Il m’a appris à trapper, à lire les traces sur le sol, à écouter les chants tant des oiseaux que des batraciens et des grillons, à différencier les aboiements du chevreuil, les cris des renards ou des chats sauvages en rut, … Un beau parcours initiatique. Mais le vieux garde m’a appris à cataloguer les animaux en deux catégories, les nuisibles et les autres. Pour sortir de cette approche réductrice, il m’a fallu du temps pour comprendre qu’en matière d’écosystème et de biocénose, l’ensemble forme un tout et qu’il n’y a ni bon, ni « nuisible ».

Quel a été votre parcours parallèle de naturaliste et de chasseur ? C’est aussi un peu par la chasse que j’ai appris à découvrir les mystères de la Nature. A seize ans, bien que j’aie déjà fait mes « classes » bien plus tôt, mon père me payait mon premier permis de chasse. Quelle émotion ! Si vers mes dix ans, j’avais déjà commencé par la chasse aux « nuisibles » et à quelques lapins ou ramiers, je suis assez vite devenu défenseur et protecteur de la nature. Mes nombreux errements en début de parcours m’ont en fait bien aidé à me faire découvrir le fonctionnement d’un écosystème, et je ne serais certainement pas devenu le défenseur et protecteur de la Nature que je suis si je n’avais commencé par une chasse un peu débridée. Dès le début, mes premières activités cynégétiques étaient déjà teintées d’un doute permanent. Dans ce duel entre l’acquis et l’appris, c’est le respect du vivant qui l’a emporté. Si je suis devenu plus chasseur d’images que chasseur à la carabine, je n’ai jamais renié mon parcours ni renoncé à cette passion qui continue à m’animer car je suis conscient que cette approche de la Nature par la chasse m’a permis de prendre conscience que les « certitudes inculquées » ne sont pas figées et que le temps et la lucidité peuvent nous remettre un jour sur le chemin de la sagesse. Que d’erreurs l’homme peut com-

mettre au nom de grands principes ou de grandes peurs irrationnelles enracinés au plus obscur de lui-même depuis le fin fond des âges. Le parcours pour en sortir est souvent long, tortueux et douloureux car, dans ce monde qu’on sait, se remettre en question n’est pas toujours évident. Moi qui gyrobroyais les chemins pour en faire un beau « champ de tir », je les élargis maintenant avec Natagora pour faire entrer la lumière favorable à la survie du devenu rare Euphydryas aurinia, lépidoptère emblématique de la lutte pour la sauvegarde de l’environnement en Wallonie. Sans pour autant avoir renoncé à la chasse. Suite à ces divers travaux, centrés sur ce petit papillon, opérés dans notre propriété, j’ai remporté en 2004 le Prix InBev Baillet (Interbrew) pour l’Environnement, ce qui entre-autres m’a fait connaître Frédéric Hayëz. Ce fût le vrai démarrage de mon parcours naturaliste au plus haut niveau. Des portes qui jusque là m’étaient inaccessibles s’ouvrirent en me faisant connaître des gens de qualité, le plus souvent scientifiques spécialisés dans la biodiversité, qui eux-mêmes m’ouvrirent d’autres horizons avec entre-autres Natagora ou encore Claudine Brasseur qui m’a aidé à faire connaître mon projet. La médiatisation de mes travaux naturalistes au “Jardin extraordinaire” acheva de porter mon message vers un public plus large.

Comment conciliez-vous cette passion pour la nature, cette double identité de naturaliste/chasseur et l’exercice de la chasse ? Je ne regrette rien de mon approche atypique louvoyant entre la Chasse et la Nature car dans un parcours quel qu’il soit, tout vécu est toujours étayé par des erreurs, des échecs et des interrogations. Il peut au contraire faire prendre conscience tant des enjeux environnementaux que des voies nouvelles à trouver pour réconcilier les naturalistes, les chasseurs et les forestiers. La chasse n’est certainement pas incompatible avec la défense de l’environnement, si elle est bien

37


comprise et gérée avec éthique. La grande difficulté est de faire comprendre aux naturalistes la nécessité de maintenir une chasse respectueuse de notre environnement et aux chasseurs de voir les naturalistes autrement que des « Ayatollahs qui veulent imposer leur charria verte ». Mon approche assez biocentriste me facilite personnellement la tâche pour concilier ces deux voies qui peuvent à priori sembler peu compatibles mais qui ne sont pas aussi éloignées l’une de l’autre qu’on ne pourrait le croire.

CONTEXTE :

Pourquoi cette décision de prendre aujourd’hui position vis-à-vis du discours actuel du RSHCB ? J’avais mis tant d’espoir dans la nouvelle approche du RSHCB avec les prises de position courageuses de Frédéric Haÿez que la dérive ou du moins la frilosité actuelle de la direction du monde de la chasse qui semble avoir tourné le dos aux réformes indispensables pour que nos pratiques cynégétiques puissent garder leur crédibilité dans un monde qui ne cesse de changer, qu’il m’a bien fallu pousser un grand coup de gueule qui, j’espère, réveillera les endormis qui jusqu’ici se taisaient ou subissaient passivement la voie imposée par le CA du RSHCB.

38

SOLON - SEPTEMBRE 2014

A voir les premières réactions de soutien à cette initiative, je m’aperçois que bien des chasseurs jusqu’ici silencieux attendaient que quelqu’un tire la première cartouche !

Quel est votre espoir dans cette prise de position ? Mon espoir est que tous les acteurs de la ruralité cessent ces guéguerres stupides entre eux pour, main dans la main, unir leurs forces pour préserver à nos enfants et petits enfants une planète vivable, viable et riche en biodiversité que nous défendrons avec lucidité. C’est l’intérêt de tous. J’attends donc du RSHCB une main tendue avec sincérité vers les autres, sans exclusive, ni envers les naturalistes, le DNF ou les agriculteurs. Les défis du futur sont immenses et perdre de l’énergie à s’envoyer des invectives ne sert qu’à nous diviser et à augmenter les incompréhensions qui ne manqueront évidemment pas de nous barrer la route mais qu’il nous faudra surmonter ensemble.

au départ d’à priori négatif contre nos pratiques cynégétiques mais qui finissent par devenir anti-chasse devant les outrances et l’arrogance de quelques-uns parmi nous. Chaque fait divers malheureux concernant la chasse est utilisé de façon parfois tendancieuse par certains médias ou forums toujours avides de scandales. Ils ne se privent pas de monter en épingle chaque dérive en faisant méchamment l’amalgame entre les déviants et les autres. A nous de faire le « ménage » entre nous, de nous montrer dignes, par une gestion intelligente et rigoureuse de nos territoires, et d’avoir vis-à-vis des autres utilisateurs de la forêt du respect sans la moindre arrogance. Il nous faut mettre fin aux élevages ou « gavages » honteux pour faire des tableaux pharaoniques. Le retour vers une chasse naturelle où le plaisir d’une quête incertaine prévaudra sur le besoin d’engranger des tableaux à tout prix est bien plus que nécessaire, il est vital. Si beaucoup d’entre nous savent encore ce qu’est

une chasse naturelle où rien n’est écrit d’avance, certains semblent l’avoir complètement oublié en exigeant du « résultat » à chaque sortie, quitte à utiliser des méthodes peu recommandables. Si certains sortent l’argument que c’est le prix des chasses qui l’impose, je leur rétorquerai que le prix des chasses, c’est nous qui les faisons et qu’il ne nous est pas imposé. Il y a beaucoup de travail à faire pour redresser notre image écornée. Si je défends la chasse dans mes cercles naturalistes avec le même acharnement que ce qui m’anime aujourd’hui, et ce n’est pas toujours évident, je me devais de défendre la position des naturalistes dans le cercle de mes amis chasseurs. J’espère y être entendu, car j’aime encore trop cette passion qui m’a fait vivre des moments inoubliables que pour voir la chasse sombrer dans ses incohérences. •

Comment voyez-vous votre rôle de chasseur au XXI° siècle ? Je pense que si chasse veut perdurer, elle doit se reformer en balayant toutes les dérives et déviances qui la rendent insupportable aux yeux des non-chasseurs qui n’avaient pas forcément

39


LETTRE AU RSHCB Jean DELACRE

Le livre « Regards de Cerf » oeuvre collective de l’ASBL SOLON, sous la plume de Gérard Jadoul, a été dédié à deux grands personnages du monde de la chasse, Evence Coppée, esprit visionnaire au coeur généreux, et à feu Frédéric Haÿez, rédacteur de la revue « Chasse et Nature ». Pour bien cerner ma pensée, je retranscris cidessous la totalité de la dédicace du livre concernant Frédéric Haÿez. « Il fut passionné des paysages et des méandres de la Semois, des animaux qui y courent et des gens qui y vivent. Rédacteur de la revue « Chasse et Nature », sa plume offrait une qualité d’éditorial qui était impatiemment attendue chaque mois, tant pour son contenu que pour la forme dont il l’habillait. Il y transcrivait une vision claire des défis environnementaux du XXIème siècle proche et du rôle que la chasse devrait y tenir si elle voulait survivre et se grandir. Il avait cette étonnante faculté de dialogue vrai, du partenariat sans tabous, du franc jeu, loin des postures corporatives ou syndicales. Il offrait, par la même, une réelle occasion de dialogue constructif, entre autre avec les milieux environnementalistes. Et tout cela avec une classe et une élégance tant dans la langue que dans le rapport à l’autre. Bien des traces de cet esprit ouvert enrichissent cet ouvrage, perpétuant ainsi à leur manière, sa riche existence. »

Extraits d’éditoriaux de Frédéric Haÿez NOVEMBRE 1999 « Il ne faut pas craindre de nous remettre en cause, de nous interroger sur nos pratiques et les reformer éventuellement. Car il faut tenir compte que nous nous dirigeons à grands pas vers une so-

40

SOLON - SEPTEMBRE 2014

ciété très majoritairement urbaine dans laquelle le chasseur va devoir s’intégrer et acquérir «droit de cité». Qu’on le veuille ou non, c’est un fait. De même que la prédominance croissante des pouvoirs internationaux sur les nationaux. Pour trouver une place légitime dans la société civile de demain, le chasseur devra défendre dans les principes et dans la pratique deux idées: la première est que le gibier fait partie du patrimoine commun à gérer avec rigueur et précaution; la seconde, découlant d’ailleurs de la première, est qu’il joue un rôle effectif dans la création, le maintien et la protection de milieux naturels. Ce n’est pas facile, c’est un travail de longue haleine, parfois décourageant, mais c’est le chemin du futur... Le Saint-Hubert Club est là pour vous y aider. » NOVEMBRE 2001 « …Le sondage révèle entre autres que les chasseurs sont plus réfléchis que beaucoup ne le pensent; en effet ils souhaitent majoritairement que le Club ne défende pas n’importe quoi mais une chasse éthique et respectueuse de l’environnement tout en étant très largement favorables à une collaboration accentuée avec les mouvements environnementalistes. Bref, une chasse qui avance avec son temps… » JANVIER 2002 « …des candidats qui ne se réclament pas uniquement de la Tradition, dont finalement l’opinion publique ne se soucie guère, mais prêts à la réflexion et au dialogue pour ancrer la chasse dans la modernité. Car il s’agira de jeter des ponts et non de construire des tranchées. » JUIN 2004 « …Cela suppose bien sûr un changement profond des mentalités, sans doute refusé par certains irréductibles, mais ceux-ci doivent se rendre compte que ce changement est irréversible. »

AVRIL 2004 « …La forêt et la Nature en général doivent être des lieux de coexistance pour les différents usagers, qu’ils soient promeneurs, bûcherons, chasseurs, pécheurs, etc. et non des lieux d’affrontement pour un usage plus ou moins exclusif au bénéfice de telle ou telle catégorie. L’activité cynégétique fait partie de la gestion de la nature mais les chasseurs n’entendent pas que ce soit au détriment des autres usagers … »

DÉCEMBRE 2005 « …Puisque la Belgique est le Pays du compromis, dans tous les domaines, il y aura probablement du bon et du « moins bon ». Mais l’essentiel est que les chasseurs démontrent leur capacité d’écoute, d’adaptation et même d’innovations… » JANVIER/FÉVRIER 2006 « …Les chasseurs doivent être réalistes: l’abondance et la surabondance ne sont pas des buts à atteindre mais bien la qualité …» SEPTEMBRE 2006 « …Depuis le 1er septembre, il est interdit de relâcher du faisan. mais il y a toujours des incorrigibles qui considèrent que les lois sont faites pour les autres …»

DÉCEMBRE 2006 « …Le lâcher de grands gibiers est le fait d’une infime minorité mais cette pratique pollue autant la nature que la chasse, celle-ci risquant de faire les frais d’un amalgame facile …» Si je reprends en exergue cette dédicace et ces extraits d’éditoriaux de la revue « Chasse et Nature » concernant un homme d’exception qui aimait comme moi tant la Nature que la chasse, la vraie chasse qui nous permet de communier avec les arbres, les animaux, les ruisseaux, les plaines, les vallées et les montagnes, c’est que le tournant souhaité et amorcé par Frédéric Haÿez semble avoir été abandonné par les instances dirigeantes actuelles du Royal Saint-Hubert Club de Belgique.! ! Les derniers éditoriaux et articles de fond qui se succèdent depuis des mois dans la revue « Chasse et Nature » du RSHCB, asbl dont je suis lecteur puis membre depuis près de cinquante années, me désolent au plus haut point et ce n’est plus avec impatience que je les attends mais avec la crainte d’y voir encore et toujours des positions parfois outrancières qui sont de plus en plus décalées par rapport à l’air du temps et vont conduire la chasse à sa perte. (Le lobbying pour le retour du tir des rapaces, ou pour la suppression des « arrêtés nourrissage » n’en sont que deux exemples parmi d’autres …)! On est bien loin de l’esprit visionnaire de Frédéric Haÿez pour le XXIème siècle, et plutôt à un retour aux idées largement obsolètes de fin XIXème ou début XXème qui semblent encore faire rêver certains. Quand Frédéric Haÿez avait tendu la main à tous les utilisateurs de la Nature, en créant entreautres une rubrique mensuelle ouverte aux observations naturalistes, j’étais enthousiasmé par la revue du RSHCB qui avait pris le virage nécessaire pour réconcilier tous les acteurs de la ruralité qui se tiraient trop souvent dans les pattes. J’ai moimême écrit dans la revue (avril 2006) un article qui s’intitulait « Plaidoyer pour une gestion concertée

41


entre forestiers, chasseurs et naturalistes » qui résume parfaitement les besoins de conciliation qui seuls peuvent aider à perpétuer une chasse soucieuse de l’environnement, soucieuse du respect du vivant sous toutes ses formes, prête à collaborer avec les autres acteurs de la forêt ou des plaines, à savoir forestiers, naturalistes, agriculteurs, chercheurs, promeneurs. J’ai certes encore eu droit en 2010 dans la revue du RSHCB à une interview pour l’année de la biodiversité qui s’intitulait « 2010 année de la Biodiversité ». Tout espoir n’est donc pas perdu, si... ! … Ce courant de conciliation est actuellement mis à mal dans les colonnes de la revue « Chasse et Nature » par des caricatures malheureuses qui stigmatisent le monde des environnementalistes, (quand ce ne sont les agriculteurs ou les forestiers), considérés « persona non grata » par le simple fait qu‘ils n’ont pas de permis de chasse comme sésame pour parcourir la forêt. Avoir des idées qui diffèrent de celles de la rédaction semble être un critère systématique de rejet. Prenons un exemple parmi d’autres. Dans « La lettre du président » du numéro de décembre 2013 de Chasse et Nature, il est écrit ceci:

« Cette biodiversité a bon dos, et permet à ces ayatollahs de tenter d’imposer leur charria verte sur toute la Nature » Cette phrase qui m’a littéralement fait bondir résume tout mon désarroi. Est-ce constructif d’utiliser la stigmatisation caricaturale des « autres » trop souvent tenus pour responsables et boucs émissaires tout trouvés de ses propres égarements, manquements et erreurs ? L’ostracisme est une arme, mais pas une arme de gentleman. Crier au grand complot des forces obscures qui travailleraient à la destruction de la chasse, est sans doute efficace comme diversion, mais profondément malhonnête, car ce sont nos propres ignominies à nous chasseurs qui nous détruiront et nullement ce soi-disant grand complot « vert ». Malheureusement, nombre de voix silencieuses

42

SOLON - SEPTEMBRE 2014

de chasseurs modérés sont entraînées dans le sillage, leurrés par des propos dont ils n’ont pas vraiment saisi le sens caché, le discours de façade du RSHCB étant encore à l’ouverture, alors que la réalité cachée est sans doute bien différente si je m’en réfère aux nombreux commentaires et récriminations qui m’ont été envoyés par des « chasseurs déçus », parfois très proches du conseil d’administration, pour conforter mes impressions et mon profond malaise. Si nous prenons par exemple la thématique du nourrissage, où les avis entre nous chasseurs sont plus que disparates et donc devraient être débattus démocratiquement, pourquoi n’y lit-on que des articles d’auteurs favorables au rétablissement du nourrissage tel qu’il était avant le changement de législation et qui a permis tant d’abus, et jamais

Il faut ouvrir les yeux, vivre dans son époque, éviter les mots qui blessent, arrêter d’injurier, de stigmatiser, même si c’est au second degré, si nous voulons que perdurent ce que nous aimons, d’une part une Nature préservée, d’autre part nos modes de chasse qui permettent la régulation et le maintien d’équilibres que nous avons nous-mêmes rompus par une chasse outrancière aux prédateurs que nous considérions comme nos concurrents et que certains voudraient remettre à l’ordre du jour. Chasse, oui, mais vraie chasse, celle qui nous permet, comme je le dis plus haut, de communier avec les arbres, les animaux, les plaines et les montagnes en étant non pas omnipotents et arrogants, mais acteurs modestes et respectueux des équilibres. Notre statut de super-prédateur historique ne nous donne pas tous les droits sur

tard, signifier le deuil des pratiques culturelles de chasse qui ne méritent pas de disparaître mais doivent rapidement se réformer pour ne pas devenir tellement ignobles aux yeux des non-pratiquants qu’il deviendra impossible d’enrayer son déclin. La rédaction et les dirigeants du RSHCB doivent mesurer l’ampleur d’un mouvement irréversible qui réclame la concertation et ont le devoir moral d’arrêter de défendre auprès des instances politiques par un lobbying exacerbé, les déviances de quelques personnes influentes mais déconnectées du réel alors que des milliers d’autres ne se sentent plus vraiment représentées ni défendues par cette association. Que dire alors des environnementalistes/chasseurs qui se sentent véritablement exclus et mis à l’index dans un

d’articles émanant d’auteurs d’avis distincts parfois étayés profondément et scientifiquement ? Pourquoi le Livre de Solon « Regards de Cerfs » qui aborde cette thématique entre autres sujets de qualité, n’est-il pas en vente dans la librairie du RSHCB ? Se poser la question est malheureusement déjà avoir la réponse.

une Nature qui ne nous appartient pas mais dont nous ne sommes qu’une simple composante.

monde ou l’argent semble roi au détriment d’une Nature si malmenée.

Les avancées de la science nous ont démontré que le langage n’était pas seulement utilisé par Homo sapiens, mais que même les arbres se parlaient par échange de phéromones, et que dire du langage par sons et mimiques des mammifères supérieurs qui peuvent s’échanger leurs sentiments. Nous ne sommes qu’un élément de ce merveilleux écosystème « Terre », et devons montrer du respect pour ce qui nous permet de vivre, en équilibre avec toute la biodiversité, elle-même nécessaire au bon fonctionnement de notre planète. Au contraire des peuples premiers qui savent encore écouter et comprendre la Nature, notre perte de naturalité nous en rend actuellement incapables. Nous devons réouvrir nos oreilles et tous nos sens dans un monde qui nous parle, mais que nous ne comprenons plus.

Les thèmes « Chasse/Nature » qui sont développés dans une revue qui en porte le nom doivent se ré-imprégner de l’esprit de Frédéric Haÿez* qui, entre nous, doit se retourner dans sa tombe. Cette dérive actuelle tout en croyant défendre la chasse ne fait qu’en préparer sa perte en faisant le lit de ceux qui pour reprendre une phrase de l’éditorial de fin 2013, ont « une aversion dogmatique contre les chasseurs ». Faute de remise sur les rails du bon sens, la chasse risque de se détruire ellemême sans que les « Ayatollahs verts » n’aient à lever le petit doigt. Les mots blessants ou autres insinuations soi-disant spirituelles, souvent dédaigneuses, pour salir ceux qui aiment la forêt mais n’ont pas le statut de « chasseur » ne pourront qu’attiser les haines, rendre toute approche collaborative impossible, pousser en avant les passéistes qui voient s’entrouvrir un créneau pour revenir sur leurs phantasmes dépassés et reléguer aux oubliettes les avancées de visionnaires comme Frédéric Haÿez.

Je sais que toute communauté humaine a ses brebis galeuses, tant chez les naturalistes que chez les chasseurs ou les forestiers. Mais il y a aussi des personnes hors du commun dans tous les camps. Utiliser des propos injustes, à la limite du mépris dans une revue qui devrait se montrer consensuelle et représenter tous ses affiliés et pas seulement quelques personnes influentes, et parfois déviantes, ne peut qu’agrandir le fossé non seulement entre les chasseurs eux mêmes, mais entre les différents acteurs de la ruralité en donnant une image déplorable du monde de la chasse qui devient, me semble-t-il, de plus en plus autiste, s’enfermant dans sa tour d’ivoire. Le monde a changé, la vision de la Nature aussi. Cette belle Nature que nous agressons et détruisons sans vergogne par notre système productiviste n’appartient à personne, ni aux naturalistes, ni aux chasseurs, ni aux forestiers.

Si déjà nous arrivions à nous comprendre entre nous ! Attiser les bisbilles que les divers acteurs de la ruralité immanquablement trouveront dans un cheminement différent plutôt que de les aplanir en trouvant un consensus ne servira qu’à, tôt ou

Il est impératif de s‘ouvrir sur l’avenir au lieu de s’accrocher à un passé qui a fait la démonstration de ses égarements bien dommageables pour la

43


Nature et notre environnement. La chasse n’aura un futur que si nous lui en donnons cette image d’ouverture et de collaboration sincère et non juste de circonstance en fonction des besoins. Le mot « éthique » qui est sur toutes les lèvres des chasseurs, semble avoir un sens bien différent de l’un à l’autre, surtout dans la bouche des déviants qui s’en servent comme d’une couverture pour cacher leurs ignominies. Que vive la chasse dans une Nature qu’ensemble, chasseurs, naturalistes, forestiers, agriculteurs, promeneurs nous devons préserver pour les générations futures, dans le respect du vivant et des écosystèmes, afin de retrouver les équilibres naturels entre toutes ses composantes. La forêt ne peut être une simple fabrique de bidoche pour certains chasseurs en mal de ta-

bleaux et d’émotions, pas plus qu’une fabrique de planches pour forestiers pur jus ou un simple musée conservatoire pour naturalistes nostalgiques. C’est un écosystème vivant que nous tous, chasseurs, forestiers, environnementalistes, agriculteurs, chercheurs ou simples visiteurs occasionnels devons respecter, préserver et aider pour y retrouver les équilibres naturels (que nous avons rompus) en nous en montrant dignes. Alors seulement nous aurons oeuvré pour que perdurent nos traditions cynégétiques en harmonie avec toutes les activités qui tournent autour du thème abordé.

ACTUS - UN PEU DE LECTURE...

A PARAITRE

« Rendez-vous derrière chez nous » de Olivier Embise & Pierre Strijckmans, tous deux membres de notre asbl. Editions Weyrich Format : 25x21 cm I 176 pages Couverture cartonnée Prix de vente public : 29 €

Jean Delacre Conservateur de réserve naturelle en Fagne et chasseur.

Disponible début octobre !

NOUVEAU

Comment se promener dans les bois sans se faire tirer dessus ? de Marc Giraud / Allary Editions 200 PAGES | Prix de vente public : 16,90€ EN LIBRAIRIE LE 04 SEPTEMBRE 2014 EAN : 978-2-37073-018-3 Des révélations sur la chasse et les chasseurs. Un livre indispensable pour les amateurs de nature.

ARTICLE «AGRAINAGE» Une analyse fouillée et lumineuse faites par des chasseurs sur leurs pratiques de nourrissage du sanglier… Ou comment un important syndicat de chasseurs et Solon en arrivent à partager le même point de vue sur une question pourtant si « casus belli » en Belgique à l’encontre du simple bon sens…... Réflexions sur l’agrainage au sanglier dans les départements de la FICIF (Fédération Interdépartementale des chasseurs d’Île-de-France) Associations des chasseurs de grand gibier de l’Essonne, de Paris HSV, du Val d’Oise et des Yvelines. Mai 2014 A lire sur notre site : www.solon.be/docs/rapport_2014_agrainage.pdf

44

SOLON - SEPTEMBRE 2014

45


PORTFOLIO

Cigogne noire Gérard Jadoul Un matin de juillet 1988. La fagne est couverte d’une brume diaphane qui, par bancs successifs, s’épaissit ou se dissout, cachant puis laissant voir, forçant sans cesse à deviner, à espérer. Un soleil orange dépasse lentement la cime des épicéas à l’Est. Ce sont les cerfs que j’attends là comme tant d’autres matins. Mais c’est un oiseau, inconnu pour moi à cette époque, qui vient d’un vol silencieux, sans le moindre battement d’ailes, de se poser au bord du petit ruisseau à l’eau foncée. Ce qui saute aux yeux c’est le rouge vif du bec et des pattes, la pureté du ventre blanc. Mais c’est surtout cette fascinante élégance. La Cigogne noire. Elle va occuper, jusqu’aujourd’hui tous mes étés mais aussi une partie substantielle de mes hivers durant les années 90’. Le retour d’une espèce, après un siècle d’absence, est un événement bien trop rare dans un monde où la tendance lourde est celle du recul ou de la disparition. Mais c’est un symbole tout au moins aussi puissant que celui de cet oiseau, qui sans le moindre passeport, se moque chaque printemps et chaque automne de nos sordides limites, de nos bornes et de nos frontières. Trait d’union interpellant entre deux continents que tout sépare dans le monde des Hommes. Et que pourtant moins d’une demi-heure de vol plané lui permet de relier chaque automne et chaque printemps à hauteur de Gibraltar. Légende © Gérard JADOUL

46

SOLON - SEPTEMBRE 2014

47


Le retour au nid se fait dès la mi-février ou tout début mars. Les deux adultes s’y accouplent tout début avril. © Gérard JADOUL

De deux à parfois cinq œufs seront couvés 35 jours par les deux adultes. Les cigogneaux seront élevés plus de 60 jours avant leur envol. © Gérard JADOUL

© Gérard JADOUL

48

SOLON - SEPTEMBRE 2014

49


© Gérard JADOUL

50

SOLON - SEPTEMBRE 2014

51


© Gérard JADOUL

Les mares et petits ruisseaux forestiers sont les terrains de prospection majeurs à la recherche de batraciens ou poissons © Gérard JADOUL © Gérard JADOUL

52

SOLON - SEPTEMBRE 2014

53


© Gérard JADOUL

54

SOLON - SEPTEMBRE 2014

55


© Gérard JADOUL

© Gérard JADOUL

56

SOLON - SEPTEMBRE 2014

Août et début septembre voient les cigognes, en prémigration, fréquenter des milieux davantage agricoles © Gérard JADOUL

57


La région de Maghama en Mauritanie est un des sites majeurs d’hivernage des cigognes noires nichant en Europe de l’Ouest © Gérard JADOUL

© Gérard JADOUL

58

SOLON - SEPTEMBRE 2014

Survol en ULM d’un Oued mauritanien fréquenté par les cigognes tant blanches que noires © Gérard JADOUL 59


AMÉNAGEMENT

La vidéosurveillance en forêt Texte & photos par Szaniszlò Szöke La prise d’image

Avertissement : Ce texte est truffé de termes techniques des plus rébarbatifs. Ce n’est pas que j’y connaisse grand chose, mais ça fait tellement plus savant ! Vous voilà prévenus. Introduction Comment suivre toutes les activités d’un nid de cigogne sans passer quatre mois de congé dans une tour montée à proximité du nid et surtout comment suivre la vie de ce nid sans du tout interférer sur la quiétude des oiseaux ? Telle est la question existentielle insérée subrepticement par dieu sait quelle divinité maléfique dans l’esprit de quelques passionnés de la noire gitane. Bon sang mais c’est bien sûr : en installant une caméra de surveillance près du nid !

60

SOLON - SEPTEMBRE 2014

Oui, mais il faut du courant mon bon monsieur ! Et que faire des vidéos ? Les envoyer directement sur Internet, les stocker sur place ? Les questions insolubles s’accumulaient comme les bouteilles d’Orval un soir de réunion. Un défi irréaliste pensez-vous ? Que nenni, les Finlandais et autres Estoniens y arrivent bien, eux ! Nous y arriverons donc tout autant. Au boulot...

Remontons un siècle informatique en arrière, c’est à dire en 2011. Pas de GoPro Hero 3 +, de caméra Contour ou de Drift Innovation à cette époque précambrienne. De plus, ces petites merveilles de technologie souffrent de deux gros défauts : elles ont une autonomie limitée, compensable par l’usage d’une batterie externe mais, surtout, elles stockent les données sur une carte SD placée sur la caméra qui se trouve au bord du nid. Impossible de monter ou descendre la caméra pour remplacer la carte mémoire. Un système de montée de la caméra par poulie a été mis au point depuis, mais c’est une autre histoire. Il faut donc se rabattre sur une caméra de surveillance qui va envoyer le flux vidéo à distance, via un câble Ethernet. La caméra est alimentée via le câble lui-même par la technologie PoE (Power over Ethernet) qui envoie du 48 V sur quatre fils. Deux bobines de 305 m de câble de grosse section (23 AWG) sont achetées, de quoi limiter les pertes électriques sur la distance parcourue. Les caméras peuvent filmer dans des résolutions

allant de 640*480 à 1600*1200 avec des vitesses variables. Elles envoient deux flux vidéos séparés, intègrent un serveur WEB, ont un objectif zoom pas trop mauvais et une mise au point capricieuse mais stable. Elles sont étanches, émettent automatiquement de l’infrarouge la nuit et acceptent un micro. N’en jetez plus ! De jour, de nuit, silencieuses ou bavardes, les cigognes ne vont plus nous échapper. Dès février, nos grimpeurs chevronnés se sont fait un plaisir d’installer les caméras dans les arbres où se trouvent les nids, bien avant le retour de migration. Nous avons monté entre deux et quatre caméras chaque année.

Vous avez l’énergie... Enfin, presque. Euh, à dire vrai : non, on ne l’a pas. Aller piquer un peu de courant sur la ligne HT 70.000 volts à côté, on y a pensé. Mais c’est haut, techniquement impossible et on ne pouvait se permettre de transformer nos grimpeurs préférés en saucisses oubliées sur un barbecue. On oublie.

61


La solution n°2, héritée d’un autre projet, utilisait deux batteries de camion. Même aidé par une brouette salvatrice, le combat fut inégal et ces 150 kg de plomb ont battu par KO l’ensemble de l’équipe en trois rounds désespérés. A l’hôpital, quelques séances d’infiltration dans le dos furent bien nécessaire pour rétablir nos pauvres combattants qui, sous le poids du fardeau aussi bien que des ans, gémissant et courbés, marchaient à pas pesants. La solution n°3 va utiliser deux batteries spéciales à décharge profonde, trois fois plus légères, et qui supportent des cycles successifs de charges et décharges. Mais les déplacer tous les deux jours

62

SOLON - SEPTEMBRE 2014

continue à nous plomber, au sens propre, le moral. La solution n°4 va mettre en service un groupe électrogène de 1000 Watts à régulation électronique. Du haut de ses 35 cc et malgré une origine déconseillée à ceux qui cherchent du matériel indestructible, ce petit groupe va tourner des milliers d’heures sans faille, ou presque. Seul l’encrassement de la bougie suite à un fonctionnement à un régime trop faible nous vaudra quelques interruptions dans le suivi de la nidification. Mais il reste deux inconvénients majeurs : il faut faire un entretien hebdomadaire, vidange d’huile comprise, et surtout il faut lui donner à boire. Le coût de fonctionnement explose et le transport de bidons d’essence en forêt érode notre moral de naturalistes engagés : nos émissions de CO2, peu compatibles avec les fondamentaux de l’ASBL, font pâlir Lakshmi Mittal en personne. La solution n°5 va enfin nous donner pleine satisfaction. Profitant d’une baisse drastique des prix, nous acquérons deux panneaux solaires de fin de série et un chargeur de batteries MPPT (Maximum Power Point Tracking) pour alimenter nos deux batteries montées en 24V, tension nécessaire pour tirer toute la puissance des panneaux. Malheureusement, le régulateur électronique qui transforme le 24 V en 12 V va claquer, transformant notre ordinateur en espèce fumante et grésillante dans un panache de fumée bleutée. Il sera remplacé par un onduleur pur-sinus de fabrication européenne, six fois plus cher, mais qui nous délivre depuis un courant parfait en 230 V avec un rendement hors norme. Gros avantage : le boîtier d’acquisition de données peut maintenant se trouver à des centaines de mètres des batteries, vu les pertes négligeables en 230 V. On y ajoutera même une protection parafoudre grâce à un UPS (Uninterruptible power supply) qui assure une demi heure de fonctionnement supplémentaire. Il prévient également l’ordinateur d’une coupure de courant imminente et l’éteint en douceur. Toujours éteindre un ordinateur en douceur ….

Un peu de Hardware La caméra surveille inlassablement le nid, les batteries sommeillent langoureusement à nos côtés, il ne reste plus qu’à monter un « simple » brol informatique entre les deux pour acquérir le flux vidéo et le sauver en fichier. Les spécifications sont : très faible consommation, fonctionnement en 12 V et en 230 V, prix dérisoire, fiabilité absolue, faible encombrement, étanche, antichoc. Bref, le cauchemar de l’ingénieur. Les serveurs vidéos sont inutilisables car bien trop gourmands en énergie. Une petite recherche sur Google avec « low power computer » nous ramène 288 millions de pages. A une page par seconde et 3333 jours plus tard, le choix est fait : nous testons puis achetons deux ordinateurs linutop 4. Des petites merveilles de technologie : puissants, conviviaux et surtout consommant seulement 10 Watts. Leur système d’exploitation spécifique nous convient mal : il est remplacé par Lubuntu. Le démarrage sur un disque interne SSD pose également problème par sa fragilité en cas de chute de tension. L’arrivée sur le marché de micro-disques durs de 500 GB ne consommant que 1

Watt résout le problème. Le sauvetage des vidéos se fait sur des mémoires flash USB externes. Si les premières CORSAIR 32 GB fonctionnent bien, leurs grandes sœurs de 64 GB vont toutes tomber en panne. Un calvaire : comment savoir si les fichiers illisibles sont dus à la caméra, au logiciel d’enregistrement, à celui de lecture ou à un problème hardware ? Des clés Kingston de 128 GB seront en service quand vous lirez ces lignes.

Le chemin de croix informatique Le flux vidéo envoyé par les caméras arrive en H.264, le format le plus récent et le plus performant. Mais dès le départ, nos fichiers refusent de contenir plus de 35 minutes de vidéo. La cause saute aux yeux : ça fait 2 exposant 31 millisecondes. La caméra utilise un entier 32 bits signé pour stocker le temps de fonctionnement, qui passe en négatif après 35 minutes. On prévient le fabricant. Il corrige tout ça et un changement de firmware plus tard, ça fonctionne. Cool ! Finalement on ne fera plus que des vidéos de 30

63


64

minutes, plus facile à manipuler que des fichiers plus gros. Pas besoin de spécifier que tout est incompatible avec tout. Les clés formatées sous Windows sont illisibles sous linux. Celles formatées en NTFS délirent sous MacOS et j’en passe. Finalement, un formatage avec Disks sous linux en FAT32 est accepté partout. Les outils de configuration des caméras font de même : sous Internet Explorer en 32 bits, ça marche. Pour les autres environnements, circulez y a rien à voir... Quelques tripatouillages plus loin, Firefox est notre ami. Le choix du logiciel à utiliser pour sauver le flux vidéo est simple : VLC s’impose par ses performances et sa distribution multi-plateformes. Mais la documentation fragmentaire et drama-

sayez pas sous Windows, ça ne marche pas non plus. Il faut aussi gérer les tâches planifiées pour lancer un nouveau fichier toutes les 30 minutes, configurer la carte réseau et la gestion de l’UPS. Les drivers de flux vidéo nous donneront aussi quelques cheveux « poivre et sel ». Les fichiers encodés par la caméra sont illisibles avec les logiciels comme Avidemux, Windows Media Player ou Adobe première. En jouant sur les drivers vidéo installés, on finit par avoir quelque chose de lisible, au moins par Avidemux sur Mac et PC. Ce petit logiciel gratuit permet de visualiser des kilomètres de vidéos à une vitesse stupéfiante afin de découper les parties intéressantes. Il n’empêche : quelques courageux se tapent, à chaque saison de retour au nid, une heure trente de tri vidéo par

tiquement incomplète impose une patience infinie pour trouver la bonne ligne de commande à exécuter. Car rien de plus intuitif que de taper :« vlc -vvv rtsp://192.168.1.200/HD –sout=»#transcode{acodec=mpga,ab=64}:std{select=audio,access=file,mux=ts,dst=/media/szoke/CORSAIR/ vlc_%Y-%m-%d-%H-%M-%S.avi}» » Pas besoin de spécifier que cette ligne est incompatible entre chaque version, ou presque. Ne l’es-

jour pendant les quatre mois de la nidification.

SOLON - SEPTEMBRE 2014

La parole est d’argent, mais... Nous nous contenterons de cinéma muet pendant deux ans. Impossible de faire fonctionner ce foutu micro, malgré l’aide maladroite du fournisseur qui nous envoie des petits micros totalement incom-

patibles avec les caméras. Les tests suivants se feront avec un très bon micro directionnel. Quelques dizaines d’heures plus tard, après avoir essayé 147 lignes de commandes, quatre versions de drivers audio et trois logiciels d’enregistrement, il s’avère que le micro ne délivre un signal que sur le canal droit alors que, chose non documentée, la caméra enregistre en utilisant le canal gauche. De nouveaux micros Audio Technica ATR6250 nous donneront entière satisfaction par la suite. Alimentés par une pile au lithium, ils tiennent des mois en fonctionnement continu.

I tube, YouTube... Nous avons bien pensé diffuser en direct le flux vidéo sur Internet, comme cela se fait à la Cathédrale Saint Michel à Bruxelles pour le nid de faucon pèlerin. Nous avons réalisé une installation semblable sur un nid de faucon crécerelle près de Namur mais la pitoyable bande passante en upload empêche tout suivi fluide. Une connexion internet en fibre optique est planifiée pour 2025 (sic). Nos contacts insistants et une longue réunion avec l’opérateur historique des té-

lécoms n’ont malheureusement abouti à rien. Impossible d’avoir le moindre soutien pour envoyer le flux vidéo via une antenne parabolique vers une station GSM pas trop lointaine. C’est d’autant plus regrettable que ce type de réalisation et de partenariat existe dans les Pays Baltes ou en Finlande. Voilà le travail de fourmis que des passionnés, tous bénévoles et un peu fous, mettent en œuvre chaque année pour tenter de découvrir comment vivent les cigognes. Les images en ligne sur notre site www.solon. be cachent ce délirant making-of fait de ruses, d’acharnement, de persuasion, de maux de dos et de tête, de centaines d’heures de délire informatique ou de visionnement d’images. Mais tout cela a également des retombées très enthousiasmantes. Jamais la prédation par le grand corbeau ou la martre n’avaient été documentées en vidéo. Pas plus que l’infanticide, le harcèlement d’un oiseau étranger au couple ou le fait que seul le mâle construit le nid. Nous poursuivons donc l’aventure en 2014 ! •

65


MILIEU

L’origine des pelouses sèches sur roche calcaire. par Olivier Embise A l’heure actuelle, tout qui s’intéresse de près ou de loin à la nature a déjà entendu parler des pelouses calcaires. Ces milieux très particuliers sont connus et reconnus pour la très grande biodiversité qu’ils accueillent. Mais savez-vous que ces pelouses trouvent leur origine dans les activités anthropiques des siècles passés ? En Belgique, c’est normalement la forêt[1] qui prédomine sur la majorité du territoire... du moins si l’homme ne l’y empêche pas. A l’époque des Gaulois, alors que la densité de population était encore faible, la forêt couvrait 90% de la superficie de notre pays. A l’avènement de l’Empire romain, des trouées sont effectuées pour y bâtir des villages et faire passer des routes. Jusqu’alors, les massifs forestiers étaient encore épargnés. Mais au Moyen-Age, les choses s’accélèrent. D’impressionnants défrichages ont lieu, notamment afin de permettre l’expansion des cultures. A partir du XVe siècle, les besoins industriels s’amplifient. L’utilisation du charbon de bois suivit la même tendance afin d’alimenter les fourneaux, forges et ateliers métallurgiques. Ces activités étaient de grandes consommatrices de bois : 1,7 tonne de cette matière était nécessaire pour fabriquer 66

SOLON - SEPTEMBRE 2014

100 malheureux kilos de charbon de bois ! Par ailleurs, le pastoralisme, c’est-à-dire le pâturage itinérant des troupeaux de moutons et de chèvres, ne permettait pas à la forêt de se régénérer car les nouvelles pousses étaient systématiquement broutées. Le berger (ou herdier) était en charge de conserver « l’ouverture » de ces milieux. Pour ce faire, il coupait les herbes envahissantes délaissées par son troupeau et allumait des « chiraudes » (feux courants) pour favoriser la repousse printanière de l’herbe. C’est ainsi que de nouveaux écosystèmes furent progressivement créés pour former ce qu’on appelle les « milieux ouverts ». Bien des formes de milieux ouverts sont envisageables, selon que le sol soit acide (schistes...) ou basique (calcaire), humide ou sec. Par exemple, la combinaison acide-humide donnera, sous l’influence du pastoralisme[2], des tourbières ou des bas-marais acides[3]. A l’opposé, un sol sec et basique, donnera, après pâturage, des pelouses calcaires. La simple comparaison des cartes IGN actuelles avec les cartes « Ferraris » (1770) nous montre que les surfaces boisées ont progressivement refait surface. Ce redressement a débuté en 1850, alors que la superficie de la forêt belge était la plus dégarnie. Le premier facteur à prendre en compte est sans doute la découverte du « charbon de terre » qui a largement freiné l’exploitation forestière. D’autre part, c’est également à cette époque que le pastoralisme a commencé à diminuer en Wallonie[4]. La découverte des engrais chimiques ainsi que l’enfermement des troupeaux dans des enclos engendrèrent les pâturages permanents. De plus, le coton fit son entrée sur le marché et détrôna la laine pour la réalisation des fibres textiles. La densité des troupeaux de moutons chuta alors précipitamment. C’est ainsi que les surfaces ouvertes se sont très vite « refermées » car la végétation ligneuse reprit le dessus de manière naturelle ou suite à des plantations. On estime que ces zones sont passées, en l’espace de 150 ans, de plusieurs milliers d’hectares à moins de 300[5], morcelés sur l’ensemble du territoire wallon.

1. Anémones pulsatilles © Dimitri CRICKILLON 2. Orchis Simia © Séverin PIERRET 3. Phalengère à fleurs de Lys © Olivier EMBISE

67


Les pelouses calcicoles abritent une flore très spécifique... Mais la faune, surtout les insectes, ne sont pas en reste! Lorsque le printemps est déjà bien entamé et que les journées chaudes deviennent fréquentes, les couleurs des papillons explosent pour notre plus grand plaisir. En Wallonie, la majeure partie des espèces de papillons est inféodée aux pelouses sèches exposées au sud. Certaines d’entre elles atteignent en ces lieux la limite nord de leur aire de répartition. C’est le cas notamment du Demi-Deuil (Melanargia galathea) et du Flambé (Iphiclides podalirius). 

1. Demi deuil © Olivier EMBISE 2. Ail à tête ronde © David DUFOUR 3. Oeillet des Chartreux © David DUFOUR 4. Potentille printanière © David DUFOUR

On dirait le sud... Pour survivre sur ces pelouses, les plantes et les animaux doivent tolérer le calcaire, la chaleur, la lumière et la sécheresse. Autant vous dire que ces conditions ont grandement limité les prétendants. Ne subsistent donc à ces endroits qu’une flore et une faune spécifiques capables de résister à ces conditions extrêmes. Environ 250 espèces de plantes supérieures sont liées aux pelouses sèches. A la « belle saison», lors de vos escapades naturalistes, vous aurez certainement la chance d’observer ces superbes fleurs d’origine méditerranéenne : L’Anémone pulsatile (Anemone pulsatilla) la Globulaire commune (Globularia bisnagarica) l’Hélianthème commun (Helianthemum nummularium) le Fer à cheval (Hippocrepis comosa) la Potentille printanière (Potentilla neumanniana) la Véronique couchée (Veronica prostrata) l’Oeillet des chartreux (Dianthus carthusianorum) la Phalangère à fleurs de lis (Anthericum liliago) l’Ail à tête ronde (Allium sphaerocephalon) le Géranium sanguin (Geranium sanguineum) l’Orchis singe (Orchis simia) etc.

68

SOLON - SEPTEMBRE 2014

Le Flambé est un grand papillon jaune pâle dont les ailes sont barrées de lignes noires. Il possède deux ocelles[6] disposés sur les ailes postérieures ainsi que deux petites « queues ». Ces attributs servent de ruse pour échapper aux prédateurs car ils simulent une tête (yeux et antennes à l’envers). La direction de fuite surprend donc les affamés qui se laissent leurrer... Le Flambé est un excellent planeur et il peut, au gré du vent, parcourir d’importantes distances. Comme tous les papillons, il est très sélectif en ce qui concerne les plantes sur lesquelles il pond. C’est le Prunellier qui fait figure de favori pour accueillir cette espèce. Viennent ensuite le Bois de Sainte-Lucie et l’Aubépine monogyne. Mais le Flambé ne pond pas n’importe où sur la plante-hôte. Il sélectionne tout d’abord les petits individus exposés au soleil et dépose ensuite ses œufs sur le revers des feuilles basses. Les œufs peuvent ainsi bénéficier de la chaleur reflétée par le sol. Cette spécialisation réduit énormément les chances de reproduction du papillon car les critères sont difficiles à réunir (plante-hôte, microclimat chaud, roche affleurante, exposition plein sud, peu de vent).

Différents points de vue… Vu la situation géographique de la Wallonie, botanistes et entomologistes vous le diront, la biodiversité présente sur les pelouses calcicoles est tout simplement impressionnante. Toutefois, à

notre époque et sans l’intervention de l’homme, ces milieux sont voués à disparaître. Cette prise de conscience ne remonte pas à hier puisque la première réserve naturelle en terrain calcaire

dans ces milieux un patrimoine naturel, culturel et paysager à sauvegarder, au même titre que les édifices ou les pratiques séculaires. D’autres ne comprennent pas le sens de dépenser des millions

a été créée en 1946 par l’association « Ardenne et Gaume ». De véritables travaux de gestion ont, quant à eux, débuté dès 1980. La plupart du temps, l’objectif est de diminuer la pression des graminées sociales qui dominent le sol et des rejets ligneux qui ôtent soleil et chaleur. Cela permet alors aux petites espèces de s’étendre et de réactiver la banque de graines présentes au sol.

d’euros, d’utiliser des machines polluantes pour entretenir un milieu semi-naturel qui, livré à luimême, est voué à disparaître. Ce second groupe, « non interventionniste » considère que ces réserves n’ont de naturel que le nom. A leurs yeux et en agissant de telle sorte, l’homme transforme la nature en musée et la contraint à vivre au rythme bien trop bref des projets humains. Pour ces naturalistes, la nature n’a pas eu besoin d’Homo sapiens pour traverser les nombreuses épreuves de son histoire - c’est même plutôt le contraire. Ne serait-il pas plus opportun de lui laisser la place pour évoluer à sa guise et surtout à sa cadence ?

Différents modes de gestion sont mis en place selon qu’il faille entretenir ou restaurer les pelouses de manière plus ou moins drastique. Le déboisement et le débroussaillage sont habituellement les premières étapes. Viennent ensuite la délicate gestion des repousses, le fauchage et l’évacuation de la litière. En complément de moyens mécaniques parfois conséquents, le pâturage ovin peut être développé tant pour la restauration que l’entretien. La pression des moutons et des chèvres est alors ajustée en jouant sur la durée, la fréquence et la période des passages mais également sur la composition et l’ampleur du troupeau. Sous peine de voir le couvert forestier gagner à nouveau du terrain, l’entretien de ces pelouses doit être envisagé de manière récurrente et sur le long terme. C’est pour cette raison que les naturalistes n’ont pas des avis unanimes concernant les pelouses calcicoles. En effet, certains voient

Comme on l’a vu, les pelouses calcaires abritent une biodiversité étonnante, spécifique et fragile. Le débat sur la gestion de la nature, quant à lui, relève de la sphère philosophique. Quelle que soit l’issue du débat, gageons que la nature en sorte gagnante…. [1] A l’état naturel, la forêt belge est principalement composée de Hêtres, de Chênes et de Charmes. [2] Notons qu’il existe de telles formations qui n’ont pas subi l’influence humaine. [3] On trouve également des bas-marais alcalins. [4] Il s’est éteint au début du XXe siècle. [5] Certaines sources annoncent même moins de 200ha. [6] Du latin « ocellus » : petit œil.

69


TECHNIQUE PHOTO

La composition d’une image. Par Philippe Moës

Quoi de plus subjectif qu’une « belle photo » et qu’un « bon cadrage »? Si chaque chasseur d’images devait effectuer ses compositions d’une même manière universelle, cet art serait bien triste et les artistes …n’en seraient plus ! Au-delà de la nécessité de faire confiance à son instinct et d’innover, il existe toutefois quelques conseils généraux et critères techniques liés à notre manière de « lire » et apprécier une image. Passons-en quelques-uns en revue !

70

SOLON - SEPTEMBRE 2014

Photo 1. En photographie animalière, à la rigueur l’œil peut être la seule zone nette de l’image. Pour mettre le regard de cette

couleuvre coronelle en valeur, j’ai choisi de travailler à F2.8 © Philippe MOËS

Où mettre au point ? Lorsque l’on regarde la photographie d’un animal ou d’un humain, on recherche instinctivement -et souvent même inconsciemment- à voir son œil. Si celui-ci n’est pas visible, ce n’est pas nécessairement gênant (par exemple sur les images en ombre chinoise) ; si, par contre, il est visible et qu’il est flou alors que le reste de l’image est net, on considèrera presque systématiquement que la photo est ratée. Pour ces sujets, la mise au point devra donc toujours se faire sur l’œil ; ceci est d’autant plus

vrai avec des téléobjectifs, produisant des images possédant très peu de profondeur de champ. Pour les paysages, le choix est nettement plus vaste ; le photographe va devoir décider de la zone de netteté au cas par cas, en fonction de ce qu’il veut mettre en valeur. Le champignon à l’avant plan ou la montagne à l’arrière ? Toute l’image (grâce à une profondeur de champ maximale) ou une partie seulement ? L’important est de savoir qu’une zone floue quelque part dans la composition peut servir à mettre la zone nette en valeur, tandis qu’une image entièrement nette permettra à l’œil de se promener longuement sur la photographie.

71


Enfin, quand la profondeur de champ est limitée, il faudra souvent donner avantage à la netteté au premier plan plutôt qu’à l’arrière-plan .

Les lignes de force - la règle des tiers.

Photo 2. Cette image illustre la « règle des tiers » et celle de l’ « avance » donnée au regard. © Philippe MOËS

On peut inscrire dans sa composition ce que l’on appellera des « lignes de force » ; ces lignes imaginaires vont conduire le regard du « lecteur » de manière à induire un parcours agréable du regard au sein de l’image. Pour ce faire, on doit la découper mentalement en 6 morceaux, en divisant la hauteur puis la largeur en trois bandes d’égale largeur. Les quatre points d’intersection de ces lignes sont des « points » forts autour desquels on tâchera souvent de placer une zone stratégique de l’image. A moins de réaliser un cliché où la symétrie parfaite joue un rôle déterminant, cette « règle » des tiers se traduira par une répartition 1/3-2/3 des éléments. On évitera donc, sauf exception (en cas de recherche d’une symétrie par exemple), de placer un horizon ou une tête en plein milieu de la composition.

L’importance des diagonales et des courbes. Dans bon nombre de cas, lorsque le sujet ne requiert pas une horizontalité parfaite (la surface d’un lac par exemple) ou une verticalité impeccable (des troncs d’arbres), il sera plus agréable de contempler une image comportant un sujet placé en diagonale (d’un angle inférieur du cadre vers le coin obliquement opposé). Que le sujet soit longiligne ou sinueux ne change pas grand’ chose.

En outre, en photographie animalière (et humaine), on veillera la plupart du temps à laisser plus d’espace devant le regard du sujet que derrière. On parle alors de « donner de l’avance au sujet ». Bien entendu, chaque situation sera spécifique; ces quelques règles ne sont que des repères en photographie « classique » et ne doivent pas annihiler toute créativité !

Photo 3. La ligne formée par la queue du renard rend la lecture de l’image plus agréable et guide naturellement le cadrage… une exception par rapport aux éléments qui précèdent. © Philippe MOËS

72

SOLON - SEPTEMBRE 2014

Photo 4. Le sujet est ici cadré de manière à obtenir une diagonale du coin supérieur gauche vers l’inférieur droit. © Philippe MOES

73


L’importance de l’avant plan et de l’environnement du sujet.

L’angle de prise de vue et la perspective.

En imagerie paysagère, on obtiendra souvent de meilleurs résultats en cherchant à intégrer un élément intéressant à l’avant plan (en bas d’image donc). Celui-ci habillera la photo et devra idéalement se placer -ou passer- sur un des points forts évoqués (voir règle des tiers).

L’angle de prise de vue et la perspective peuvent avoir une influence capitale sur le résultat final ; ne pas hésiter -quand on en a l’occasion- à varier ces angles (ras du sol ou hauteur des yeux), ainsi que le sens de vision (horizontale ou verticale) et la perspective (zoomer-dézoomer ou changer d’emplacement). Une règle importante sera toutefois de mise pour les sujets animaliers: les meilleurs résultats s’obtiennent généralement quand l’opérateur se place à hauteur des yeux de l’animal, qu’il s’agisse d’un oiseau, d’un grand mammifère ou d’un insecte. Cela dit, il y aura comme toujours des exceptions ; des images très belles et surtout originales peuvent naître du non-respect de cette « règle ».

Pour les photographies animalières à l’affût, ne perdons pas de vue la finalité espérée de la séance. Si celle-ci est de réaliser un gros plan, le décor n’aura guère d’importance, mais si, par contre, on souhaite illustrer le sujet dans son environnement, le choix de l’emplacement sera capital. En outre, il ne faudra pas oublier qu’une fois installé, on ne pourra plus rien changer au décor de la scène espérée.

Photo 5 : Plus le sujet est de petite taille, plus il est important de se trouver à hauteur de ses yeux pour le photographier. Sans cela, ce minuscule Grèbe castagneux aurait donné l’impression d’être complètement écrasé. © Philippe MOËS

74

SOLON - SEPTEMBRE 2014

75


CHRONIQUE ORNITHO

Baguage d’oiseaux et revalidation. par Eric Heymans

- Un chardonneret est relâché avec quelques compagnons d’infortunes, ils se joignent à une belle bande de chardonnerets sauvages qui fréquentent une mangeoire. Il est contrôlé régulièrement tout l’hiver. Au printemps suivant la bande se disloque, les oiseaux partent nicher. L’hiver suivant, la nourriture naturelle était sans doute abondante et peu de chardonnerets sont capturés et bagués à la mangeoire. Deux ans après, des chardonnerets, plus nombreux, fréquentent de nouveau la mangeoire, un des premiers oiseaux capturés en novembre est notre oiseau qui avait non seulement survécu, probablement niché, mais qui avait aussi parfaitement mémorisé l’emplacement du distributeur de nourriture.  Chardonneret élégant © Martin DELLICOUR

Les oiseaux revalidés sont obligatoirement bagués à l’aide d’une bague scientifique ce qui permet de savoir ce qu’ils deviennent, les résultats sont vraiment positifs et encourageants. La tenderie illégale des fringillidés (pinsons, chardonnerets, serins et autres bouvreuils) est malheureusement encore bien présente chez nous. Heureusement, l’Unité Anti Braconnage (UAB) est efficace dans la lutte contre ce délit. Une bonne partie des personnes interpellées sont des véritables marchands d’oiseaux pour qui ces pauvres bêtes ne représentent jamais qu’un revenu supplémentaire. Les oiseaux saisis sont parfois dans un état lamentable: plumage abîmé, oiseaux blessés ou sous-alimentés. La détention de ces espèces d’oiseaux est autorisée pour autant que ceux-ci soient nés en captivité et équipés d’une bague fermée qu’on ne peut théoriquement passer à la patte de l’oiseau qu’au stade de poussin.

76

SOLON - SEPTEMBRE 2014

Pour légaliser leurs captures, certains de ces marchands d’oiseaux passent ces bagues fermées en force à la patte d’oiseau adultes braconnés. Pour qu’elle passe, il faut parfois couper l’ongle du pouce, le pouce lui-même ou alors on voit dans certaines saisies des oiseaux aux doigts cassés, manquants. La mortalité doit être importante et je n’ose pas imaginer combien d’oiseaux meurent de ces traitements ou du stress de la mise en cage. Les oiseaux saisis sont mis en revalidation dans un des CREAVES de Wallonie, ils y sont nourris comme il faut, soignés si nécessaire et enfin placés en volière un certain temps. Le moment venu, la porte de la volière sera ouverte et les petits pensionnaires reprendront leur liberté au rythme qu’ils désirent, d’autant qu’il y a des nourrissages dans et autour de la volière. Certains disparaissent le jour de l’ouverture de la volière, d’autres stationnent sur place, quelques jours, semaines ou même mois.

« Les oiseaux semblent vraiment bien se réadapter à la vie sauvage, même après des années de captivité. » Quelques exemples sortis de mes fiches de reprises : - Un Serin Cini saisi en octobre, relâché quelques jours après, est repris et contrôlé par un bagueur à 450 km en Allemagne lors de sa migration printanière suivante. - Un sizerin flammé, saisi en mars, relâché début avril, est repris un mois après à 850 km en Ecosse sur son lieu de nidification.

- Un tarin mâle est relâché début juin après une longue revalidation, c’est tard en saison, la nidification a commencé. Un mois après, il est contrôlé par un bagueur à Hockai à la mangeoire, il y est repris quelques fois en juillet et août. Ce qui est intéressant ici, c’est que cet oiseau a rejoints les Fagnes qui est un des endroits où les tarins nichent régulièrement chez nous. A l’inverse, dans les oiseaux saisis certains sont porteurs de bagues scientifiques : l’an dernier, en baguant ces oiseaux, j’ai eu la surprise de trouver un pinson porteur d’une bague Moscou (pauvre oiseau, faire autant de kilomètres pour se retrouver en cage), un pinson porteur d’une bague Bruxelles, un sizerin porteur d’une bague Arnhem et enfin un bec-croisé trouvé mort lors d’une perquisition porteur d’une bague Bruxelles. Malheureusement, si on va savoir où et quand ces oiseaux ont été bagués, ces données n’auront que peu de valeur : on ne saura jamais ni où, ni quand ils ont été capturés. De plus, il est possible que ces bagues aient été récupérées sur d’autres oiseaux et placées sur les pauvres captifs et ainsi leur donner un semblant de légalité.

77


ACTUS

Le LIFE ELIA s’illustre sur la scène européenne Solon et le LIFE ELIA Comme présenté dans le Solon Mag n°1, l’asbl SOLON est un des partenaires du projet LIFE ELIA. Il vise à (re)créer des corridors écologiques en dessous des lignes à haute tension traversant des zones forestières en Belgique et en France. Sa particularité réside dans le fait qu’il est porté par un acteur industriel privé : ELIA, en partenariat avec son équivalent français RTE. Ce projet de 5 ans est maintenant à mi-parcours et les actions entreprises inspirent des acteurs bien au-delà de nos frontières.

L’idée d’un réseau écologique percole au niveau européen En plus des contacts pris depuis le début du projet avec des gestionnaires de réseau de transport d’électricité d’autres pays d’Europe et de la collaboration effective avec la France, une campagne de networking a été initiée en mars 2014. Aujourd’hui, pas moins de 15 pays d’Europe ont répondu à l’appel ! Les transporteurs d’électricité du Portugal, d’Espagne, de Finlande, de Grande Bretagne, de Suisse, de Hollande, du Luxembourg, de Slovénie, d’Italie, de Suède, d’Allemagne, d’Irlande, d’Autriche, de Hongrie et de Pologne désirent s’inscrire dans une logique de partenariat avec le projet LIFE ELIA.

La biodiversité : un enjeu devenu incontournable Partout en Europe, les transporteurs d’électricité sont confrontés à la même question : comment concilier sécurité de l’approvisionnement électrique et biodiversité ? Dans un contexte où plus un seul permis ne peut être obtenu sans une prise en compte du cadre naturel et où 17,5% de l’Europe est couverte par des zones Natura 2000, la question est devenue primordiale. Les acteurs européens rencontrés soulignent le caractère innovant du projet et envisagent les retombées possibles de telles actions en terme de : • réduction des coûts d’entretien du réseau ; • meilleure acceptabilité sociale du métier de transporteur d’électricité ; • facilitation de demande de permis pour rénover ou créer du réseau électrique ; • possibilité de participer à un réseau écologique européen.

78

SOLON - SEPTEMBRE 2014

Des partenariats pour un impact encore plus large Les partenariats avec le LIFE ELIA déboucheront sur le développement de sites pilotes dans d’autres pays d’Europe. Sur ces sites, la gestion de la végétation se fera en accord avec la biodiversité, augmentant encore l’impact positif du projet pour la biodiversité. Les 300.000 km européens de lignes électriques à haute tension peuvent dès lors être vus comme une réelle opportunité et non une contrainte absolue. C’est une des ambitions du LIFE ELIA. Pour en savoir plus ou pour vous inscrire à notre newsletter, rendez-vous sur www.life-elia.eu.

79


Découvrez notre exposition thématique à louer :

Exposition

SANGLIER SOLON asbl a pour objet la connaissance approfondie de l’écosystème forestier et la diffusion de ces connaissances à des fins de maintien, de sauvegarde et d’amélioration de la gestion de ce patrimoine. Avec son exposition sur le sanglier, SOLON vous emmène à la découverte de cette espèce emblématique de nos forêts. Sous des images en grands formats, quelques traits de la biologie et de l’éthologie de l’espèce sont abordés, ainsi que les défis essentiels liés à sa gestion cynégétique.

22 panneaux photos de haute qualité de 60X80 cm et légendés pour en savoir plus sur le « Sus Scrofa » !

Info : Pierre Strijckmans GSM 0478/484132 E-mail : info@solon.be www.solon.be 80

SOLON - SEPTEMBRE 2014


Turn static files into dynamic content formats.

Create a flipbook
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.